Skip to main content

Full text of "Le Bulletin de la vie artistique"

See other formats


2«  Année    N"  15.  ^"  Août  1921 


LE 


BULLETIN 


DE    LA 


VIE  ARTISTIQUE 

PARAISSANT    DEUX     FOIS    PAR    MOIS 


# 


PARIS 
MM.  BERNHEIM-JEUNE.  ÉDITEURS  D'ART 

25,   BOULEVARD  DE  LA  MADELEINE 
15,  RUE  RICHEPANCE 


1  fr.  25  le  Numéro 


.  ^  ^ 


LE  BULLETIN 
DE  LA  VIE  ARTISTIQUE 

Paraît  le  i"  et  le  15  de  chaque  mois. 


ABONNEMENTS  : 

Un  an Vingt-quatre  francs 

Six  mois.  Douze  francs 


RACHAT     DB     COLLECTIONS 

LE     BULLETIN     DE     LA    VIE    ARTISTIQUE 

ACCEPTE  L'ENVOI  CONTRE  REMBOURSEMENT  DE  24  FRANCS 
DES  COLLECTIONS  COMPLÈTES  EN  BON  ÉTAT  DES  26  No»  DE 
LA  U*  ANNÉE,  OU    L'ÉCHANGE  CONTRE  UN   ABONNE"'   NOUVEAU 


LE 


BULLETIN 


DE    LA 


VIE  ARTISTIQUE 


P'  Août  1921 


PARIS 
MM.   BERNHEIM-JEUNE,   ÉDITEURS   D'ART 

25,    BOULEVARD    DE    LA    MADELEINE 
15     RUE    RICHEPANCE 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/n15bulletindelavi02pariuoft 


BULLETIN    DE   LA  VIE   ARTISTIQUE 

2*  Année.     N°  15.  1<^''  Août   1921 

Rédacteurs  ;    MM.    Félix   Fénéon,     Pascal!  Forthuny    Guillaume   Janneau 
André    Marty,     Tabarant. 

SOMMAIRE 


Les  Chambres  de  Métiers. 

Le  peintre  Caillebotte  et  sa  collection. 

Les  disparus 

La  Chambre  syndicale  des  Arts  décoratifs. 

Courrier  de  la  Presse. 


Gustave  Courbet  dans  le  Midi. 

Ici... 

...et  eùlleurs. 

Paroles. 


Les  Chambres  de  Métiers 

I!  y  aurait,  pour  un  nouvel  Edgar  Poë,  la  plus  extraordinaire 
histoire  à  conter  :  celle  de  ce  démon  de  la  perversité  qui  hante  les 
conseils  de  l'administration  française.  Subtil,  il  s'insinue  partout.  Par- 
tout il  exerce  l'esprit  d'ironie  qui  l'inspire.  Le  malin  génie  possède 
l'ubiquité;  il  est  éternel  et  toujours  divers. 

C'est  lui  qui,  de  l'utile  sous-secrétariat  d'Etat  de  l'enseignement 
technique  institué  par  M.  Millerand,  a  fait  une  chimère,  un  leurre, 
un  mirage.  Nous  le  croyons  réel  ;  nous  en  épions  les  manifestations  ; 
nous  attendons,  de  jour  en  jour,  Pygmalions  perpétuellement  déçus, 
que  l'adorable  statue  réponde  à  nos  vœux.  Il  ne  manque  rien  à  sa 
beauté.  M.  Leygues,  puis  M.  Briand,  ont  complété  l'œuvre  de  leur 
éminent  prédécesseur, 

...faisant  ore  un  tendon 
Ore  un  repli,  puis  quelque  cartilage 
Et  n'y  plaignant  l'étoffe  et  la  façon; 

créant  un  directeur,   et  des  bureaux,  et  les  choisissant  bien. 

D'où  vient  donc  l'étrange  inertie  du  nouvel  organisme?  Car  il 
ne  suffit  pas  d'administrer  les  quelques  établissements  nationaux  d'en- 
seignement professionnel,  voire  de  stimuler  leur  zèle,  par  oraisons. 
L'enseignement  technique  est  à  l'origine  de  toute  l'activité  moderne. 
II  devrait  aujourd'hui  remplacer  l'ancien  régime  de  l'apprentissage 
emporté  dans  la  déchéance  des  jurandes.  Sans  doute,  approuvant  la 
création  du  sous-secrétariat  d'Etat,  le  Parlement  se  réservait  de  seconder 
son  zèle.   II  ne  prévoyait  pas  une  telle  modestie.   Car  c'est  l'initiative 


404  LE      BULLETIN 


parlementaire  qui  dut  réclamer  la  création  des  chambres  de  métiers, 
sorte   d'assemblées   délibérantes    exclusivement    professionnelles. 


Déjà  Bordeaux,  Limoges,  Angers,  Le  Mans  possèdent  leurs 
chambres  de  métiers.  Ce  n'est  là  toutefois  qu'un  embryon.  Faute  de 
ressources  honnêtes,  ces  parlements  professionnels  n'exercent  pas  encore 
l'influence  bienfaisante  qu'ils  doivent  répandre.  Faute  d'un  statut  légal, 
ils  sont  voués  à  l'impuissance.  La  proposition  de  loi  nouvelle  y 
remédie;  elle  donne  à  la  fois  la  charte  et  le  budget.  Elle  complète 
et  renforce  la  législation  récente  de   l'apprentissage. 

Etendant  leur  contrôle  à  toutes  les  industries,  les  chambres  de 
métiers  devront,  aux  termes  de  la  loi  proposée  :  «  déterminer  l'orien- 
tation professionnelle;  organiser,  surveiller  et  contrôler  l'apprentissage; 
créer  des  écoles  de  métiers;  favoriser  la  création  et  aider  au  fonction- 
nement des  cours  professionnels  ;  prendre,  dans  la  limite  des  lois  et  règle- 
ments, toutes  les  mesures  propres  à  servir  les  intérêts  des  métiers...   » 

Créés  par  décret,  bénéficiant  de  la  personnalité  civile,  élus  par 
les  industriels  du  département,  les  organismes  nouveaux  pourront  con- 
sulter des  conseils  de  métiers  composés  par  moitié  de  patrons  et 
d'ouvriers  :  sage  disposition.  Une  imposition  additionnelle  au  prin- 
cipal des  patentes  alimenterait  leur  budget.  A  ce  crédit  pourront  natu- 
rellement s'ajouter  les  subventions  accordées  par  les  pouvoirs  publics. 

L'institution  projetée  se  propose  donc  de  relever  l'apprentissage 
que  les  conditions  économiques  modernes,  plus  que  les  conditions 
techniques,  avaient  pratiquement  aboli.  Le  patronat  en  fuyait  les 
charges  et  les  responsabilités.  Le  personnel  employé  était  généralement 
hostile  à  l'apprenti,  concurrent  payé  à  vil  prix.  La  famille  ouvrière 
elle-même  préférait  le  salaire  immédiat  fourni  par  le  petit  manœuvre 
aux  bénéfices  plus  élevés,  mais  aussi  plus  lointains  et  paraissant  moins 
certains,  promis  à  l'ouvrier  qualifié. 

C'étaient  là  des  causes  de  malentendus  déplorables.  La  réforme 
qu'on  propose  va  les  écarter.  Elle  rétablira  la  conscience  profession- 
nelle et  le  goût  du  beau  métier,  garanties  de  civilisation  comme  de 
relèvement  moral.  Souhaitons  seulement  que  le  démon  de  la  perversité 
ne  détourne  pas  de  leur  objet  les  chambres  de  métiers. 

Guillaume  Janneau. 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE  405 


Le  peintre  Caillehotte  et  sa  collection 

Le  Salon  d'Automne  va  préparer  une 
exposition  des  peintures  de  Gustave  Caille- 
botte.  Il  sera  donc  beaucoup  parlé,  dans 
quelques  mois,  du  peintre  que  ses  dispositions 
testamentaires  ont  contribué  à  rendre  célèbre. 
Devançons  cette  prochaine  actualité. 

Aussi  bien,  l'histoire  de  Caillebotte  et  de 
sa  collection  est  imprécise  encore.  Au  len- 
demain même  de  la  mort  de  l'artiste,  on 
l'écrivit  succinctement  sans  imaginer  l'impor- 
tance qu'elle  allait  prendre,  et  qui  s'est  accrue 
d'année  en  année  à  la  mesure  de  l'Impres- 
sionnisme. Quelques  pages  de  Gustave  Gef- 
f  roy  en  1  894  ;  quelques  autres  de  Théodore 
Duret  un  peu  plus  tard;  un  historique  et  un 
plaidoyer  de  Léonce  Bénédite  en  1 894  et 
1897.  Et  puis,  plus  rien  —  que  des  échos 
Caillebotte  accidentels-  S'il  est  une  question  rebattue,  ce 

(d'après  une  photo  d'amateur  1       „'ggf  assurément  pas  Celle-là. 


Empruntons,  pour  commencer,  le  langage  du  roman  feuilleton  : 
Par  une  claire  et  froide  matinée  de  février  1 894,  le  peintre 
Gustave  Caillebotte  se  promenait  dans  le  jardin  de  sa  plaisante  pro- 
priété du  Petit  Gennevilliers,  qui  longeait  le  chemin  marinier  de  la 
Seine,  devant  Argenteuil.  C'était  un  homme  de  quarante-six  ans,  au 
poil  châtain  déjà  grisonnant,  aux  yeux  gris  éclairant  une  face  pâle  et 
fine.  Les  pieds  dans  de  gros  sabots  de  paysan,  il  musait  à  travers  les 
allées,  si  peu  bourgeois  d'allure  qu'on  eût  pu  le  prendre  pour  le  jardi- 
nier de  ces  parterres  admirablement  apprêtés,  où  dès  avril  s'épa- 
nouissaient toutes  les  fleurs  de  la  création,  au  premier  rang  desquelles 
se  pavanaient  les  roses.  Très  fier  de  sa  culture  florale,  Caillebotte 
n'épargnait  rien  pour  l'améliorer  sans  cesse.  Il  avait  fait  amener  par 
bateaux  —  de  longs  trains  de  péniches  —  la  terre  fertile  que  le  sol 
de  cet  aride  coin  de  banlieue  ne  pouvait  lui  fournir. 

Sa  vie  de  vieux  garçon  se  partageait  entre  son  atelier,  son  jardin, 


406 


LE      BULLETIN 


et  certain  petit  port  aménagé  sur  la  Seine.  La  peinture,  les  fleurs,  les 
bateaux.  (Nous  pourrions  ajouter  la  philatélie,  qui  était  sa  passion 
accessoire.)  La  navigation  touristique  avait  en  lui  un  champion  dont 
la  chronique  du  yachting  narrait  fréquemment  les  prouesses.  Toute 
une  flottille,  voiliers  et  yachts,  était  amarrée  là,  non  loin  du  pont  à 
péage.  Il  se  plaisait  à  courir  dans  le  vent,  au  fil  de  l'eau,  et  souvent 
il  descendait  ainsi  le  fleuve  jusqu'à  Giverny,  où  il  allait  donner  le 
bonjour  à  son  ami  Claude  Monet. 

Or,  ce  matin  de  février,  comme  Caillebotte  s'attardait,  sécateur 
en  main,  parmi  ses  rosiers  riches  de  pro- 
messes, le  froid  le  saisit  et  il  se  prit  à 
grelotter.  Vite,  il  regagna  son  atelier 
chaud,  et  sans  plus  se  soucier  de  cette 
alerte  il  se  mit  à  peindre.  Cependant,  peu 
après,  il  ressentait  des  frissons  de  fièvre. 
Une  congestion  pulmonaire  se  déclara,  qui 
l'abattit  en  moins  de  trois  semaines.  Le 
26  février,  un  petit  cortège  d'artistes, 
d'amateurs,  de  critiques  d'art,  de  yacht- 
men,  accompagnait  au  Père-Lachaise  la 
dépouille  de  Gustave  Caillebotte,  «  ar- 
tiste peintre,  vice-président  du  Cercle  de 
la  Voile,  conseiller  municipal  de  Genne- 
villiers  ». 

Il  y  a  vingt-sept  ans  de  cela.  Ne  cher- 
chez plus,  sur  les  bords  de  la  Seine,  près 
du  pont  d'Argenteuil,  la  maison,  l'atelier,  les  serres,  le  petit  port  de 
Gustave  Caillebotte.  La  Compagnie  des  moteurs  Gnome  et  Rhône  a 
édifié  ses  usines  sur  l'emplacement  même  de  l'habitation  où  les  maîtres 
et  les  amis  de  l'Impressionnisme  se  rencontrèrent  tant  de  fois.  Il  n'en 
reste  pas  la  moindre  trace. 


Caillebotte.  —  Voiliers 
(Appartient  à  M.  Chardeau) 


Gustave  Caillebotte  était  très  riche,  appartenant  à  une  famille 
dont  la  notoriété  commerciale  remontait  au  commencement  du  dix- 
neuvième  siècle.  Son  père  avait  été  juge  au  tribunal  de  commerce. 
Deux  frères  venaient  après  lui.  L'un,  Martial  Caillebotte,  s'adonnait 
à  la  composition  musicale,  l'autre  était  curé  de  Notre-Dame-de-Lorette. 

Né  en   1 848,  Gustave  Caillebotte  comptait  vingt-huit  ans  quand. 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE 


407 


pour  la  première  fois,  en  avril  1876,  il  exposa  rue  Le  Peletier,  dans 
le  groupe  des  Impressionnistes  dont  c'était  la  seconde  manifestation. 
Il  continua  de  figurer  au  milieu  d'eux  en  1877,  1879,  1880,  1882. 
Mais  dès  1872  il  s'était  mêlé  aux  peintres  qui  allaient,  deux  ans  plus 
tard,  être  marqués  de  cette  épithète  par  le  critique  béotien  Louis  Leroy, 
du  Charivari.  D'abord  sa  fortune  avait  créé  entre  lui  et  les  autres, 
pauvres  pour  la  plupart,  une  sorte  de  halo  de  gêne,  voire  de  défiance, 
qu'il  n'eut  pas  de  peine  à  dissiper.  Il  dépouilla  pour  cela  toute  vanité 
d'artiste,  sut  être  le  camarade  sans  façon,  l'ami  à  la  main  généreuse, 
allant  au-devant  d'une  demande  embar- 
rassée, réconfortant  le  solliciteur  par  son 
bon  accueil,  son  humeur  gaillarde,  ses 
lazzis  de  brave  homme  heureux  de  vivre. 
Tous  ceux  qui  l'ont  connu  le  qualifient 
d'un  mot  :  C'était  un  cœur  d'or.  La  pein- 
ture qu'il  achetait,  il  la  choisissait  de  pré- 
férence parmi  les  refusés  d'amateurs. 
«  Personne  n'en  veut?  Bon!  Je  l'em- 
porte. ))  Et  c'est  ainsi  que  sa  collection 
se  forma. 

Au  surplus,  ses  mérites  personnels  ne 
sont  pas  méprisables.  Certes,  peut-être 
Huysmans  exagérait-il  lorsque,  rendant 
compte  de  l'exposition  de  1 880,  il  écri- 
vait dans  VArt  Moderne  :  «  La  facture  de  M.  Caillebotte  est  simple 
sans  tatillonnage  ;  c'est  la  formule  moderne  entrevue  par  Manet, 
appliquée  et  complétée  par  un  peintre  dont  le  métier  est  plus  sûr  et 
les  reins  plus  forts.  »  Oui,  assurément,  Huysmans  exagérait.  Mais  il 
convient  de  reconnaître  que  Caillebotte  tint  une  place  honorable  parmi 
ses  compagnons  de  lutte.  Ses  Raboteurs  de  parquet,  qui  datent  de 
1875,  ont  été  l'objet  des  mêmes  sarcasmes  que  d'autres  œuvres  plus 
considérables.  Il  a  peint  de  fermes  portraits,  de  grasses  natures  mortes. 
Ses  paysages  de  neige  inscrivent  bien  les  rudes  nuances  et  les  froids 
éclats  de  l'hiver.  On  recherchera  ses  rues  de  Paris,  vues  de 
quelque  balcon,  et  dont,  comme  l'a  remarqué  Gustave  Gefîroy,  les 
maisons  ressemblent  à  de  hautes  falaises.  Et  si  ses  «  marines  »  d'Ar- 
genteuil  ne  font  pas  oublier  celles  de  Manet  et  de  Monet,  elles  ont 
néanmoins  pour   elles   d'être    allègrement   lumineuses.    Son   œuvre,    en 


Caillebotte. 


Etude  de  rue 


408 


LE       BULLETIN 


somme,  est  assez  personnelle, 
neuve,  abondante  et  variée  pour 
qu'en  toute  équité  les  historiens 
de  l'Impressionnisme  aient  le  de- 
voir d'inscrire  le  nom  de  Caille- 
botte  à  la  suite  des  autres,  non 
pas  sur  le  même  plan,  mais  un 
peu  plus  loin,  un  peu  plus  bas, 
en  bonne  place  malgré  tout. 


Caillebotte.  —   Les  perdrix 

(Appartient  à  M.  Georges  Caillebotte) 


Dans  les  premiers  jours  de 
mars  1 894,  l'administration  des  Beaux-Arts  était  avisée  que  par  un 
testament  déposé  chez  un  notaire  de  Meaux,  Gustave  Caillebotte 
laissait  à  l'Etat  sa  collection  particulière.  Caillebotte  avait  toujours  eu 
le  pressentiment  d'une  fin  prématurée,  u  On  meurt  jeune,  dans  ma 
famille  »,  disait-il  à  Théodore  Duret.  Aussi  testa-t-il  de  bonne  heure. 
Son  testament  artistique  était  daté  du  3  novembre  1876,  un  codicille 
lui  ayant  été  ajouté  le  20  novembre  1  883.  En  voici  les  termes   : 

<(  Je  désire  qu'il  soit  pris  sur  ma  succession  la  somme  nécessaire 
pour  faire  en  1878,  dans  les  meilleures  conditions  possibles,  l'exposition 
des  peintres  dits  intransigeants  ou  impressionnistes.  Il  m'est  assez  diffi- 
cile d'évaluer  aujourd'hui  cette  somme,  elle  peut  s'élever  à  trente, 
quarante  mille  francs  ou  même  plus.  Les  peintres  qui  figureront  dans 
cette  exposition  sont  Degas,  Monet,  Pissarro,  Renoir,  Cézanne,  Sisley, 
M"    Morisot-  Je  nomme  ceux-là  sans  exclure  les  autres. 

«  Je  donne  à  l'Etat  les  tableaux  que  je  possède;  seulement,  comme 
je  veux  que  ce  don  soit  accepté,  et  le  soit  de  telle  façon  que  ces  tableaux 
n'aillent  ni  dans  un  grenier,  ni  dans  un  musée  de  province,  mais  bien 
au  Luxembourg  et  plus  tard  au  Louvre,  il  est  nécessaire  qu'il  s'écoule 
un  certain  temps  avant  l'exécution  de  cette  clause  jusqu'à  ce  que  le 
public,  je  ne  dis  pas  comprenne,  mais  admette  cette  peinture.  Ce  temps 
peut  être  de  vingt  ans  au  plus.  En  attendant,  mon  frère  Martial,  et 
à  son  défaut  un  autre  de  mes  héritiers,  les  conservera. 

«  Je  prie  Renoir  d'être  mon  exécuteur  testamentaire  et  de  vouloir 
bien  accepter  un  tableau  qu'il  choisira,  mes  héritiers  insisteront  pour 
qu'il  en  prenne  un  important.   » 

Le  codicille  de   1  883  avait  surtout  pour  objet  d'annuler  les  dispo- 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE 


409 


Caillebotte.  —  Le  homard 
(Appartient  à   M.  Georges  Caillebotte) 


sitions  relatives  à  l'exposition  de 
1878,  qui  n'avaient  plus  de  rai- 
son d'être.  «  Je  maintiens,  y  était- 
il  dit,  toute  la  partie  du  testament 
qui  a  trait  au  don  que  je  fais  de 
la  peinture  des  autres  que  je  pos- 
sède. » 

La  nouvelle  du  legs  se  répan- 
dit aussitôt  dans  les  milieux  artis- 
tiques. La  presse  parisienne  publia 
de  courtes  notes,  d'ailleurs  erro- 
nées. Le  Ugaro  (13  mars),  esti- 
mant à  400.000  francs  la  valeur  globale  des  tableaux  légués  au 
Luxembourg,  en  donnait  une  énumération  fantaisiste.  A  la  vérité,  la 
collection  se  composait  de  67  œuvres  au  total,  en  y  comprenant  deux 
dessins  de  Millet. 

Quelques  jours  plus  tard,  le  1 9  mars,  avait  lieu  à  la  galerie 
Georges  Petit  la  vente  Théodore  Duret,  et  l'Etat  s'y  faisait  adjuger, 
au  prix  convenu  de  4.500  frauics,  la  Jeune  femme  au  bal,  de  Berthe 
Morisot.  Cette  acquisition  avait  été  faite  par  Henry  Roujon  sur  les 
instances  de  Mallarmé.  Mme  Morisot  ne  figurant  pas  parmi  les  artistes 
qui,  grâce  à  Caillebotte,  allaient  entrer  au  Luxembourg,  ne  convenait-il 
pas  de  mettre  à  profit  la  vente  Duret  pour  combler  cette  lacune? 
Cependant  cette  opération  si  peu  aventureuse  déchaîna  la  fureur  des 
partisans  de  l'art  officiel,  déjà  coalisés  contre  l'acceptation  des  «  bar- 
bouillages »  du  fonds  Caillebotte.  Ah  ça!  l'Etat  allait-il  céder  à  la 
violente  poussée  des  Impressionnistes? 

C'est  dans  cette  atmosphère  de  bataille  que  l'administration  des 
Beaux-Arts  eut  à  se  prononcer  sur  le  legs.  Allons  demander  à 
M.  Léonce  Bénédite  de  rappeler  à  ce  propos  ses  souvenirs. 


—  Après  plus  d'un  quart  de  siècle,  nous  déclare  le  conservateur 
du  Luxembourg,  on  peut  enfin  parler  sans  passion,  ce  qui  permet  de 
redresser  quelques  légendes  fâcheuses-  Voici  :  La  donation  Caillebotte 
trouvait  Roujon  partagé  entre  deux  sentiments  :  sentiment  d'inquié- 
tude, car  il  était,  en  matière  d'art,  très  retardataire,  mais  aussi  sentiment 
de  satisfaction.    ((   Puisqu'on   m'apporte  des  impressionnistes,   disait-il, 


410  LE     BULLETIN 


je  serai  débarrassé  du  souci  d'en  acheter.  »  Après  une  entrevue  avec 
M.  Martial  Caillebotte,  il  fut  donc  convenu  que  nous  irions  voir  les 
tableaux.  Le  petit  père  Kaempfen,  Leprieur,  mon  beau-père  (Georges 
Lafenestre)   et  Benoit,  du  Louvre,  nous  accompagnèrent... 

—  A  Gennevilliers  ? 

—  Non.  Boulevard  de  Clichy,  où  Gustave  Caillebotte  avait  ua 
atelier.  Oh!  cet  atelier  abandonné  à  la  poussière!  Nous  nous  trouvions 
devant  un  fouillis  de  toiles  sans  cadres,  gisant  par  terre,  quelques-unes 
seulement  étant  accrochées  aux  murs.  L'aspect  en  était  lamentable.  Je 
me  rappelle  notamment  les  Baigneurs,  de  Cézanne,  qui  se  balançaient 
au-dessus  d'une  porte.  On  retourna  les  toiles  et  les  sous-verre  pous- 
siéreux. Il  y  avait,  à  côté  de  morceaux  importants,  de  simples  études, 
des  ébauches.  Mon  beau-père,  qui  prenait  un  vif  intérêt  à  cet  examen, 
dit  à  Roujon,  qui  gardait  le  silence  :  «  Il  faut  accepter  ça!  »  Ce 
fut  d'ailleurs  l'avis  unanime.  «  Eh  bien!  décida  Roujon,  je  vais  sîùsir 
de  cette  question  le  Comité  consultatif.  » 

—  Qui  se  composait  de...? 

—  Il  réunissait  tous  les  conservateurs  et  conservateurs  adjoints 
des  musées.  Donc,  sans  Roujon,  cette  fois,  l'atelier  du  boulevard  de 
Clichy  fut  visité  de  nouveau.  Kaempfen  présidait.  Le  soin  de  présenter 
les  tableaux  me  revenait  de  droit,  le  Luxembourg  étant  le  bénéficiaire. 
Mais,  afin  de  laisser  à  chacun  sa  pleine  liberté,  je  passai  la  main 
à  mon  beau-père,  qui  fit  les  présentations  avec  beaucoup  de  chaleur. 
Une  voix  s'étant  élevée  —  je  ne  saurais  plus  dire  laquelle  —  pour 
souligner  l'insuffisance  de  certaines  pièces,  Pottier  répliqua  vivement 
qu'il  n'en  jugeait  pas  ainsi.  «  Tout  ceci  est  de  l'histoire,  messieurs, 
et  pleine  d'intérêt!  »  fit-il.  Le  Comité  se  rallia  à  cette  opinion  en 
décidant  que   la   collection   serait   acceptée   en   bloc... 

—  En  bloc,  vraiment?  C'est  la  première  fois  que  nous  l'enten- 
dons dire. 

—  Je  m'en  doute  bien,  mais  attendez.  Je  me  mis  en  rapport 
avec  Renoir,  exécuteur  testamentaire,  et  avec  Claude  Monet.  L'un 
et  l'autre  se  montrèrent  assez  inquiets  de  l'attribution  de  toute  la 
collection  au  Luxembourg.  «  Caillebotte  nous  achetcùt  pour  nous 
rendre  service,  disaient-ils,  et  il  prenait  un  peu  au  hasard.  Bonnat 
et  Bouguereau  sont  représentés  au  Luxembourg  par  le  meilleur  de 
leur  œuvre.  Nous  tenons  donc  à  y  être  par  le  meilleur  de  la  nôtre. 
Nous  vous  saurions  gré  de  faire  un  tri.  »  Je  me  souviens  notamment 


UK      LA      VIE      ARTISTIQUE 


411 


que  j'entrai   en   discussion   avec   Monet,   qui   allait  jusqu'à   demander 
qu'on  écartât  deux  de  ses  toiles,  le  Déjeuner  et  la  Care  Saint-Lazare. 

—  Un   tel    excès   de    scrupule   honore    ce    grand    artiste. 

—  Cependant,  tandis  qu'en  toute  cordialité  se  poursuivaient  ces 
formalités  d'acceptation,  je  sentais  Roujon  très  hésitant,  plutôt  disposé 
à  faire  machine  en  arrière.  Car  les  protestations  continuaient  de  s'élever, 
de   plus    en    plus    furibondes. 

—  Oui,  intervenons-nous,  les 
protestations  du  peintre  Gérôme 
et  de  quelques-uns  de  ses  collè- 
gues à  l'Ecole  des  Beaux-Arts, 
qui  adressèrent  même  à  Georges 
Leygues  leur  démission  collec- 
tive, en  déclarant  qu'ils  ne  pou- 
vaient plus  enseigner  un  art  dont 
les  peintures  admises  au  Musée 
violeraient  toutes  les  lois. 

—  Celles-là    notanament- 

—  Celles  aussi  de  quelques 
grands      maîtres      académiques, 
recueillies  par  l'obscur  Journal  des  Artistes,  et  dans  l'une  desquelles 
il  était  parlé  sans  aménité  du    «   nommé   Pissarro   ». 

—  L'idée  d'un  tri  ne  vint  donc  pas  de  nous,  mais  en  tout  état 
de  cause  le  manque  de  place  nous  obligeait  à  le  faire,  et  c'est  ce  que 
l'administration  fit  valoir  aux  héritiers.  Nous  ne  pouvions  nous  engager 
à  exposer  qu'un  certain  nombre  d'ouvrages  de  chaque  artiste.  Soit  une 
trentaine  au  total.  Considérations  qui  furent  admises  à  la  fois  par 
les  héritiers  et  par  les  artistes.  Mais  que  ferait-on  des  ouvrages  non 
exposés?  C'est  alors  que  je  proposai  de  les  attribuer  aux  palais  de 
Fontainebleau  et  de  Compiègne,  qui  ne  sont  ni  des  musées  de  pro- 
vince, ni  des  greniers,  mais  bien  des  dépôts  d'Etat,  annexes  des  musées 
nationaux.  M.  Martial  Caillebotte  accepta  ce  point  de  vue  et  tout 
semblait  arrangé  lorsque  intervint  le  notaire,  qui  estima  que  ces  dispo- 
sitions n'étaient  pas  conformes  aux  termes  du  testament.  Il  fallait 
trouver  autre  chose,  et  la  seule  solution  qu'on  entrevit  fut  celle  d'une 
transaction  entre  l'Etat  et  les  héritiers,  ceux-ci  devant  entrer  en  pos- 
session définitive  des  tableaux  non  retenus.  A  ce  moment-là  je  forçai 
un  peu  la  note  et  repris  quelques  tableaux.  En  même  temps  la  famille 


Caillebotte.  —  Sur  le  banc 
(Appartient  à  M,  Théodore  Duret) 


412 


LE      BULLETIN 


Manet.  —  La  partie  de  crocket 
(Tableau  non  retenu  par  le  Comité  consultatif  des  Musées) 


Caillebotte  faisait 
don  au  Luxem- 
bourg des  Rabo- 
teurs de  parquet  et 
des  Toits  sous  la 
neige,  oeuvres  du 
testateur,  qui  s'était 
modestement  oublié. 
- —  Et  cette 
transaction,  cette 
amputation  doulou- 
r  e  u  s  e,  comment 
s'opéra-t-elle? 

—  Deux  des- 
sins de  Millet  étant  recueillis  par  le  Louvre,  le  Comité  consultatif 
se  trouvait  en  présence  de  65  peintures  ou  pastels.  L'arrangement  fut 
établi  sur  ces  bases  :  31  peintures  et  7  pastels  seraient  retenus  pour 
être  exposés.  Les  7  pastels  étaient  les  Degas.  Je  ne  me  souviens  plus 
au  juste  de  la  proportion  des  acceptations  de  peintures- 

—  Vous  permettez?  Le  Comité  consultatif  retint  2  Manet  sur  3, 
6  Renoir  sur  8,  8  Monet  sur  1  6,  6  Sisley  sur  9,  7  Pissarro  sur  1  8, 
2  Cézanne  sur  4. 

—  C'est  cela.  Mais  la  transaction  ne  pouvait  être  conclue  à 
l'amiable.  Il  était  nécessaire  que  le  Conseil  d'Etat  l'approuvât.  Plus 
de  dix-huit  mois  s'écoulèrent.  Enfin,  le  25  février  1896,  un  décret 
autorisa  le  Comité  consultatif  des  musées  nationaux  a  faire  officiel- 
lement le  choix  qui  était  fait  depuis  si  longtemps  à  titre  officieux. 

—  Et  alors? 

—  Alors,  ce  furent  des  difficultés  nouvelles,  et  de  nouveaux 
retards.  A  ces  tableaux,  il  fallait  des  cadres.  Il  fallait  organiser  pour 
eux  une  installation.  Or,  je  n'avais  pas  de  crédits.  Néanmoins,  on  put 
construire  l'annexe  provisoire,  sur  le  jardin,  et  au  commencement  de 
1897  on  inaugurait  la  collection  Caillebotte.  Ah!  Quel  tumulte!  Mais 
la  démonstration  de  l'Institut,  tout  à  fait  incorrecte,  fut  loin  d'être 
unanime,  et  18  voix  seulement  contre  1  1  la  décidèrent.  Puis  il  y  eut 
l'interpellation  au  Sénat  (M.  Hervé  de  Saisy) .  ((  Mon  petit,  je  vous 
lâche  »,  me  dit  Roujon.  Et,  de  fait,  il  me  lâcha.  On  me  représentait 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE 


413 


comme  vendu  aux  marchands.  On  me  couvrait  d'injures.  On  réclamait 
ma  révocation. 

—  Heureusement,  vous  avez  su  faire  front  à  la  tempête... 

—  Un  mot  encore.  Lorsque  nous  avons  conclu  l'arrangement, 
c'était  avec  l'arrière-pensée  de  récupérer  les  tableaux  un  jour  ou  l'autre. 
«  Ils  demeurent  à  vous!  »  m'avait  dit  M.  Martial  Caillebotte.  Je  le 
revis  quelques  années  après,  à  l'occasion  de  l'exposition  Pissarro. 
«  Ils  sont  toujours  à  vous,  me  répéta-t-il.  Vous  n'avez  qu'à  dire  un 
mot.  >i  J'espérais,  sans  plus  attendre,  récupérer  tout  au  moins  les 
Baigneurs,  de  Cézanne,  et  un  Bouquet,  de  Monet,  dont  j'avais  gardé 
une  vive  impression.  Mais  Dujardin-Beaumetz  vint,  qui  m'interdit  toute 
initiative.    Et   quand   un 

peu   plus   tard   je   repris 

ma  liberté,   M.    Martial  J^S^ 

Caillebotte   était   mort...  -^^^ 


Nous  avons  laissé 
parler  M.  Léonce  Bé- 
nédite,  plaidant  moins 
sa  propre  cause  que 
celle  de  l'administration 
des  musées.  Hélas  ! 
Tandis  qu'il  parlait, 
nous  songions  que  tout 
ce  qu'il  pourrait  nous 
dire  ne  serait  pas  pour 
nous  consoler  de  l'irré- 
parable perte  que  fit  le  Luxembourg  lorsque,  sous  d'inconsistants  pré- 
textes, le  Comité  consultatif  abandonna  aux  héritiers  Caillebotte 
27  peintures  —  et  quelles  peintures!  —  des  Monet,  des  Sisley,  des 
Pissarro,  et  la  si  curieuse  Partie  de  crocket,  de  Manet,  et  les  deux 
Cézanne  qu'on  put  admirer  au  Salon  d'Automne  de  1905,  le  fastueux 
Bouquet  de  roses  et  les  formidables  Baigneurs. 

Ces  peintures,  elles  sont  aujourd'hui  la  propriété  de  Mme  veuve 
Martial  Caillebotte.  Les  unes  sont  accrochées  dans  son  appartement 
de  la  rue  Scribe,  les  autres  ornent  sa  villa  de  Pornic. 

Tabarant. 


Cézanne.  —  Les  Baigneurs 

(Tableau  non  retenu  par  le  Comité  consultatif  des  Musées) 


414  LE      BULLETIN 


Les  disparus 

M.    CAMILLE   BORNOT 

Un  nom  qui  évoque  de  grands  souvenirs  vient  de  s'ajouter  à  la 
liste  funèbre.  M.  Camille  Bornot  vient  de  s'éteindre,  à  Paris.  Pro- 
priétaire du  domaine  de  Valmont,  près  de  Fécamp,  il  n'y  conservait 
pas  seulement  les  admirables  vestiges  de  cette  ancienne  abbaye,  la  nef 
de  l'église,  la  chapelle  des  Six-Heures,  un  rétable  célèbre,  les  tom- 
beaux des  d'Estouteville.  Il  y  entretenait  avec  une  émouvante  piété 
le  vivant  souvenir  du  grand  peintre  dont  il  était  le  petit-cousin  : 
Eugène  Delacroix. 

Anne-Françoise  Delacroix,  sœur  de  l'ambassadeur  et  ministre, 
père  du  maître,  avait  épousé  Louis-Cyr  Borpot,  grand-père  de 
M.  Camille  Bornot.  Valmont  leur  appartenait.  Ils  y  reçurent  fré- 
quemment, et  dès  son  enfance,  Eugène  Delacroix.  Celui-ci,  dès  1814 
—  il  avait  seize  ans  —  en  décrivait  avec  passion,  dans  ses  lettres, 
les  joyaux  d'architecture,  qui  lui  inspiraient,  dit-il,  «  des  idées 
romantiques  ». 

Dès  1825,  Eugène  Delacroix  multiplia  ses  visites  à  Valmont  qu'il 
aimait.  Il  y  travaillait  volontiers.  Outre  quelques  toiles,  nombre  d'aqua- 
relles furent  exécutées  devant  cette  nature  généreuse.  «  Les  arbres 
ont  grandi  dans  une  proportion  extraordinaire,  écrit-il  en  1 849,  et 
donnent  à  l'aspect  quelque  chose  de  plus  triste  qu'autrefois,  mais  dans 
certaines  parties  un  caractère  presque  sublime...  » 

Delacroix  y  fit  ses  premières  expériences  de  fresques  :  c'était  en 
1 834.  «  Le  cousin  Bornot,  écrivait-il  à  Villot,  m'a  fait  préparer  un 
petit  morceau  de  mur  avec  les  couleurs  convenables  et  j'ai  fait  en 
quelques  heures  un  petit  sujet  dans  ce  genre  assez  nouveau  pour  moi, 
mais  dont  je  crois  que  je  pourrais  tirer  parti  si  l'occasion  s'en  pré- 
sentait... j'avoue  que  je  serais  singulièrement  ragaillardi  par  un  essai 
dans  ce  genre  si  je  pouvais  le  faire  sérieusement  et  en  grand...  » 

Ce  «  petit  sujet  »,  c'est  une  Léda,  un  Anacréon  et  un  Bacchus 
qu'on  a  conservés.  M.  Camille  Bornot  sut  respecter  aussi  le  vitrail 
de  Dieu  le  Père,  logé  dans  une  fenêtre  absidiale,  qu'un  jour  Delacroix 
s'était  diverti  à  reconstituer  à  l'aide  de  fragments  anciens. 

Le  galant  homme  qui  vient  de  disparaître  était  l'officiant  discret 
du  culte  de  Delacroix.  Il  aimait  vivre  dans  le  noble  domaine  que  le 
maître  ne  revoyait  jamais  sans  une  vive  émotion  et  dont  il  a  traduit 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE  415 

en  pages  si  éloquentes  la  dramatique  beauté.  Il  semble  qu'au  moment 
où  le  plus  Delacroix  des  chefs-d'œuvre  du  grand  peintre,  le  Bûcher 
de  Sardanapale,  prend  au  Louvre  sa  place  légitime,  le  descendant  du 
maître  n'aùt  plus  qu'à  quitter  la  garde  qu'il  montait. 


La  Chambre  Syndicale  des  Arts  décoratifs 

Les  artistes  décorateurs  modernes  viennent  de  prendre  l'initiative 
qui  convenait  à  la  situation  grave  où  se  trouvent  les  industries  de 
luxe.  Ils  sont,  depuis  peu  de  jours,  groupés  en  une  chambre  syndicale 
dont  le  titre  «  des  artistes  décorateurs  modernes  »  exprime  la  ten- 
dance générale.  Ils  entendent  donc  porter  sur  le  terrain  commercial 
et  industriel  l'activité  qu'ils  déployaient  jusqu'à  présent  en  isolés. 

Ils  étaient,  pour  la  grande  industrie,  quelque  chose  comme  des 
amateurs.  Ils  entendent  soutenir  un  droit  évident,  et  figurer  sur  le 
même  plan  que  le  «  Faubourg  ».  Le  Bulletin  qui  protesta  toujours 
contre  cette  position  d'étrangers  au  monde  réel  qu'adoptaient  —  un 
peu  malgré  eux,  —  les  artistes,  s'est  précipité  chez  l'un  des  initiateurs 
du  régime  nouveau. 

«  C'est  fait,  nous  dit  M.  André  Mare.  Nous  avons  désormais 
une  existence  légale  et  des  statuts  déposés.  Nous  avons  élu  un  pré- 
sident :  M.  Charles  Plumet,  qui  a  bien  voulu  mettre  son  expérience 
et  son  autorité  au  service  d'une  cause  dont  il  fut  l'un  des  premiers  et 
des  plus  clairvoyants  avocats.  Le  conseil  d'administration  comprend 
vingt  membres. 

—  Qui  sont? 

—  Par  ordre  alphabétique,  MM.  Bastard,  Bouchet,  Brandt, 
Coudyser,  Decœur,  Drésa,  Dufrêne,  FoUot,  Gallerey,  Groult,  Héron, 
Jallot,  Jaulmes,  Francis  Jourdain,  Kiefîer,  Mare,  Ruhlmann,  Sel- 
mersheim  et  Sue. 

«  La  chambre  syndicale  est  désormais  notre  organe  de  défense 
et  d'étude  professionnelles.  Nous  l'avons  divisée  en  neuf  sections  : 
le  meuble,  les  métaux,  l'orfèvrerie,  la  céramique,  la  décoration  plane, 
le  tissu,  le  livre,  le  décor  de  théâtre  et  la  mode  avec  le  cinéma,  et 
l'art  des  ensembles. 

—  C'est  une  importante  réforme  aux  vieux  errements. 

—  Nous  espérons  faire  oeuvre  utile.  )) 


416 


LE      BULLETIN 


COURRIER    DE    LA    PRESSE 


M,  Maurice  Denis  en  Italie 


Souvenir  de  Constantine. 


M-  Maurice  Denis,  revenant 
d'un  voyage  en  Italie,  publie  dans 
la  Revue  hebdomadaire  les  notes 
et  les  réflexions  d'un  des  plus 
lucides  esprits  de  ce  temps.  Le 
maître  rapportait  aussi  de  son  séjour 
une  série  d' œuvres  dont  les  repro- 
ductions quil  a  bien  voulu  nous 
autoriser  à  en  faire  exprimeront  le 
grand  caractère  et  l'exquise  sensi- 
bilité. 

Devant  Palerme  et  ses  monu- 
ments audacieux,  M.  Maurice  Denis  dégage  avec  subtilité  le  double 
et  contraire  sentiment  qu'il  éprouve   : 

Ce  sont  les  aspects  de  la  Palerme  des  vice-rois  qui  d'abord  me 
séduisent.  La  Piazza  Pretoria  est  une 
immense  fontaine,  un  guignol  baroque, 
où  toute  la  fantaisie  d'expression,  de 
déformation  et  de  décoration  des  sculp- 
teurs de  1550  s'étale  dans  un  espace 
très  resserré,  entre  le  municipe  jaune, 
l'église  Sainte-Catherine  rouge  orangé, 
l'église  Saint-Joseph  grise  avec  de  pe- 
tites coupoles  vertes.  La  place  du  Dôme, 
fermée  de  grilles,  a  un  aspect  espagnol; 
elle  flanque  une  grande  cathédrale  go- 
thique surmontée  de  clochetons  et  d'un 
dôme  disparates.  La  Porta  Nuova,  ornée 
de  cariatides  grotesques  et  qui  a  grande 
allure,  termine  à  droite  la  place  du 
Palais-Royal,  haute  construction  en  par- 
tie gothique,  en  partie  du  seizième,  que 
couronne  un   observatoire  célèbre.   Tout  Constantine 


!;ÇaSK3EfflB^*-viir 


DE      LA      \'IE      ARTISTIQUE 


417 


Sainte  Catherine  de  Sienne 


près  de  là  se  voient  les  coupoles 
rouges  de  la  vieille  église  normande 
des  Eremiti,  entourée  d'un  jardin 
délicieux  et  d'une  profusion  de  fleurs 
qui  envahissent  à  demi  les  ruines 
d'un  cloître,  coin  fréquenté  des 
peintres. 

J'avoue  que  je  suis  plus  sensible 
à  cette  ordonnance  qu'aux  détails, 
et  à  l'effet  d'ensemble  coloré  qu'à  la 
composition  de  chaque  partie.  Cet 
art  byzantin  ne  veut  être  que  lisible  : 
il  enseigne  bien,  et  il  orne  le  mur. 
Mais  il  n'est  ni  ému,  ni  humain,  et 
je  suis  plus  touché  par  quelques  pe- 
tites sculptures,  qu'on  dirait  françai- 
ses, dans  les  chapiteaux  du  magni- 
fique cloître  voisin,  où  il  y  a  de  la 
grâce,  de  l'invention,  de  la  sponta- 
néité. 


Etudiant,  à  propos  des  œuvres  décoratives  de  Serpotta,  le  stvle 
des  maîtres  italiens,  M.  Maurice  Denis  sait  élever  le  débat,  et  cest  une 
haute  leçon  de  raison  quil  condense  en  quelques  lignes. 

Mais  l'imagination,  l'abondance,  et  j'ajoute  la  facilité,  ne  sont 
pas  des  dons  tellement  méprisables  ;  on  a  été  un  peu  loin,  à  notre 
époque,  dans  le  culte  de  la  maladresse  :  il  faut  peut-être  revenir  là- 
dessus.  Un  décorateur  comme  Serpotta  sait  habiller  et  animer  un 
édifice.  Il  le  fait  avec  des  moyens  qui  ont  été  depuis  bien  galvaudés. 
On  souhaiterait  d'en  trouver  d'autres,  mais  qui  fussent  aussi  jeunes, 
aussi  vivants,  aussi  éloignés  de  notre  morne  archéologie  et  de  notre 
classicisme  somnolent. 

Tout  dans  cet  art  est  d'une  spontanéité  admirable  :  tout  y  est 
vie,  et  tout  concourt  à  traduire  une  vie  intense  et  supérieure  :  les  têtes, 
les  pieds,  les  mains,  le  pied  prenant  d'Héraclès  sur  celui  de  l'ama- 
zone, le  pouce  d'Actéon  étouffant  le  chien.  La  composition,  simple 
et  aussi  peu  fabriquée  que  possible  dit  clairement  ce  qu'elle  veut 
dire.    Clairement   et  plastiquement,    comme   la  nature.    Et   quel   beau 


418 


LE     BULLETIN 


sentiment  humain!  Quelle  expression  incomparable  de  ce  qui  est 
noble  et  divin  dans  l'homme!  C'est  le  triomphe  des  forces  divines 
sur  l'univers  matériel  que  le  sculpteur  voulut  représenter.  Par  une 
délicate  et  sublime  invention,  c'est  la  femme  qui  les  symbolise.  L'art 
a  réussi  depuis  à  déshonorer  la  femme.  Surtout  l'art  moderne.  Je 
rougis  de  notre  paganisme  bestial  et  crapuleux,   je  pense  aux  vierges 


Segeste 


des  cathédrales,  devant  cette  Minerve  victorieuse,  devant  la  sérénité 
de  Diane  châtiant  Actéon,  devant  Junon,  pudique  et  hiératique,  dévoi- 
lant son  visage  et  s'ofîrant  avec  tant  de  dignité  à  l'amour  de  Jupiter. 
Et  quand  Hercule  immole  la  reine  des  Amazones,  le  Grec  ne  veut 
pas  qu'il  la  brutalise;  il  nous  le  montre  posant  sa  main  sur  la  tête 
de  la  femme  vaincue,  comme  s'il  l'hypnotisait,  et  son  pied  nerveux 
et  fort  sur  le  petit  pied  de  marbre;  car  les  nus  de  femme  sont  en 
marbre,  invention  charmante  qui  tire  de  ce  contraste  entre  le  tuf  et 
le  paros  un  effet  expressif.  Certes,  ce  que  nous  appelons  raison  dans 
l'œuvre  d'art  des  époques  postérieures  n'a  pas  sa  place  ici;  il  n'y  a 
pas  ici  de  conflit  avec  la  sensibilité.  Mais  ce  qu'un  tel  art  affirme, 
incontestablement,  c'est  le  primat  de  l'intelligence. 

Mais  le  maître  atteint  Rome,  et  songe  à  la  Villa.  C'est  pour  sou- 
tenir la  plus  éloquente  et  judicieuse  défense  de  la  haute  culture  : 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE  419 

Puisque  les  Prix  de  Rome  sont  à  Rome,  qu'y  doivent-ils  faire? 

A  cette  question  je  réponds  avec  certitude  :  5e  pénétrer  de  Rome, 
c'est-à-dire  y  chercher  les  enseignements  que  voulait  Colbert,  s'y 
adapter  à  la  discipline  classique,  tirer  profit  des  oeuvres  du  dix-sep- 
tième siècle,  —  ces  œuvres  dont  j'ai  déjà  dit  qu'elles  donnaient  à 
Rome  sa  noble  figure  actuelle  —  en  pensant  à  ce  qu  elles  représen- 
taient d'audace,  de  fantaisie,  d'esprit  créateur,  de  nouveauté  à  Vépoque 
où  elles  furent  exécutées. 

Assez  longtemps  nous  avons  été  réduits  à  nous  instruire  nous- 
mêmes.  Depuis  que  la  pratique  académique  se  combina  dans  l'ensei- 
gnement officiel  avec  le  réalisme  déjà  exécré  à  Rome  par  Poussin, 
depuis  que  le  seul  mot  d'ordre  de  l'Ecole  fut  de  copier  le  modèle 
avec  les  moyens  fournis  par  le  marchand  de  couleurs,  la  formation  des 
jeunes  artistes  a  périclité.  On  connaît  maintenant  les  effets  de  l'auto- 
didactisme,  ou  disons  mieux,  de  l'ignorance.  Parmi  d'innombrables 
ouvrages  sans  caractère,  sans  style  et  sans  durée,  on  a  vu  surgir  d'admi- 
rables individus,  Gauguin,  Degas,  Renoir,  Carrière,  Cézanne,  Rodin. 
Et  la  psychologie  héroïque  de  ces  hommes  qui  ne  devaient  rien  ou 
peu  de  chose  à  leurs  devanciers  a  servi  la  cause  de  l'individualisme, 
à  tel  point  qu'il  est  entendu  depuis  eux  qu'un  artiste  digne  de  ce  nom 
se  doit  de  protéger  sa  personnahté,  en  n'apprenant  rien,  ou  en  n'appre- 
nant que  par  lui-même.  Il  suffit  de  connaître  quelques  théories  sur 
l'art,  et  d'avoir  passé  six  mois  à  l'Académie  Ranson  pour  se  croire 
un  maître,  et  pour  y  parvenir. 

Si  l'Ecole  de  Rome  a  une  raison  d'être,  c'est  de  remonter  ce 
courant  d'obscurantisme. 


La  vasque  de  la  Villa  Médicis 


420 


LE      BULLETIN 


Gustave  Courbet  dans  le  midi 

Noire  distingué  confrère,  iun  des  hommes  qui  connaissent  le  mieux 
Courbet,  M.  Pierre  Borel,  va  publier  sur  le  maître  un  livre  nourri  de 
documents.  A  notre  prière,  il  veut  bien  nous  révéler  l'une  des  mté- 
ressantes  anecdotes  qu'il  contient. 

A  peine  arrivé  à  Montpellier  où  l'avait  invité  Alfred  Bruyas,  le 
fils  du  riche  changeur  de  cette  ville,   l'homme   d'Ornans  constate    : 

<(  Ce  pays  est  merveilleux.  Je  suis  certain  d'y  faire  de  belles 
choses  !  » 

Et  tout  de  suite  il  parcourt  la  ville,  les  environs  et  arrive  à  Pada- 
vas  où  se  situe  sa  rencontre  avec  la  mer  : 

«  Elle  est  là  devant  moi.  Hier,  elle  me  dominait.  Aujourd'hui 
je   suis   le  maître   »    note-t-il. 

Puis  Courbet  éprouve  un  réel  plaisir  à  se  rencontrer  avec  quel- 
ques habitants  de  Montpellier  qui  l'admirent. 

Parmi  ceux-ci  se  trouvent  René  Borel,  amateur  d'art  éclairé  et 
aussi  Pierre-Auguste  Fajon  dont  le  grand  peintre  a  fait  un  portrait 
très  curieux  qui  est  aujourd'hui  au  Musée  de  Montpellier  et  qui  fut 
vendu  par  le  modèle  500  francs  à  Alfred  Bruyas. 

Et  Courbet  est  si  heureux  dans  le  Midi  qu'il  en  oublie  Paris, 
Ornans  et  jusqu'à  sa  famille,  ainsi  que  le  prouve  cette  lettre  d'une 
de  ses  sœurs,   Zoë,   principal   modèle  du  tableau   intitulé    «    Les   Cri- 

bleuses   de   blé    <>. 

Ornans,   le    17  juin    1854. 
Monsieur  Bruyas, 

Pardonnez-moi  si  je 
me  permets  de  m" adresser 
a  vous,  c'est  dans  l'espoir 
d'une  réponse  de  votre  part, 
ce  que  j'en  fais. 

Il  V  a  des  gens  pour 
qui  les  absents  ont  tort, 
mon  frère  est  de  ce  nombre. 
Depuis  six  semaines  quil 
est    parti    pour    aller    chez 


1 

rbet. 


Les  Cribleuses  c'e  blé 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE  421 


Monsieur  Bruyas  à  Montpellier,  nous  n'en  avons  plus  entendu  parler. 
Si  vous  Vavez  vu,  ayez  V obligeance  de  me  le  dire.  Je  comprends. 
Messieurs,  que  la  bonne  amitié  qui  vous  unit  puisse  remplir  de  grands 
loisirs,  mais  sans  altérer  ce  sentiment,  il  me  semble  qu'on  peut  avoir 
encore  un  souvenir  pour  ceux  qui  vous  aiment. 

Mon  frère  va  trouver  que  je  suis  bien  présomptueuse,  aussi  n'est-ce 
pas  à  lui  que  je  m'adresse,  mais  à  vous. 

Monsieur  Bruyas,  en  vous  faisant  mes  excuses  et  en  vous  priant 

de  recevoir  mes  salutations  empressées.  v  ••   /^       l  » 

'  /Loe   Lourbet. 

Voici  mon  adresse   :  Mlle  Z.  Courbet  chez  son  père,  à  Ornans. 

Alfred  Bruyas  répond  à  Zoë  Courbet  une  lettre  charmante  au 
bas  de   laquelle  Courbet  met  un  mot    : 

«  Je  ne  vous  oublie  pas.  C'est  la  faute  à  ce  pays  qui  me  rend 
horriblement   paresseux.    Bientôt  j'irai   vous   embrasser...  » 

Ce  ne  fut  qu'au  début  de  Ihiver  que  Courbet  quitta,  à  regret, 
Montpellier,  <(  ville  pleine  d'agréments  »  a  laquelle  il  restera  fidèle 
jusqu'à  sa  mort. 

Pierre  Borel. 

Ici... 

LES  IDÉES  DE  M.  PAUL  LÉON 
//  serait  tard,  sans  doute,  pour  évoquer  la  traditionnelle  cérémonie 
qu'est  la  distribution  des  récompenses  au  Salon  qui  vient  de  se  clore, 
si  M.  Paul  Léon,  directeur  des  Beaux-Arts,  qui  la  présidait,  n'y 
avait  prononcé  des  paroles  qui  *sont  d'immédiate  actualité.  Son  dis- 
cours aussi  spirituel  que  nourri  d'idées  fut  vivement  goûté.  Nous  avons 
la  joie  d'en  reproduire  le  passage  essentiel    : 

Au  milieu  du  dernier  siècle,  un  de  mes  prédécesseurs,  le  Comte 
Sosthène  de  la  Rochefoucauld  fit  appeler  Delacroix  et  lui  demanda 
au  nom  du  Gouvernement  qui  ne  lui  voulait  que  du  bien,  de  modifier 
sa  manière.  Je  ne  risque  pas  assurément  d'être  à  jamais  investi  d'un 
si  périlleux  mandat.  L'esthétique  officielle  est  morte  et  je  ne  suis  pas 
de  ceux  qui  souhaitent  de  la  voir  revivre. 

Est-ce  à  dire  que  la  liberté  doive  exclure  toute  discipline,  obs- 
curcir la  vision  du  Tout?  L'éclectisme  est  comme  un  navire  sans 
pilote  qui  voguerait  aux  quatre  vents.  Sans  doute,  nous  jugeons  mal 
notre  époque.   La  forêt  nous   empêche   de  voir  les  arbres.   Le  temps. 


422  LE     BULLETIN 


implacable  bûcheron,  y  ménagera  des  clairières  là  même  où  les  fron- 
daisons étaient  maintes  fois  séculaires.  Les  artistes  comme  les  poètes, 
sont  les  miroirs  des  grandes  ombres  que  l'avenir  projette  sur  le  pré- 
sent. Gardons-nous,  c'est  notre  défaut  national,  de  passer  de  la  cri- 
tique virulente  à   la  louange  hyperbolique. 

Si  l'imitation  voulue  et  consciente  est  le  plus  pauvre  emploi  de 
la  pensée  humaine,  est-il  bien  sûr  que  les  novateurs  soient  toujours 
aussi  étrangers  qu'ils  le  croient  eux-mêmes  aux  traditions  qu'ils  répu- 
dient? D'audacieuses  révolutions  ne  sont  souvent  qu'un  retour  aux 
procédés  des  anciens  maîtres.  Erreurs  et  vérités  nouvelles  ne  sont 
parfois  que  des  erreurs  et  des  vérités  oubliées. 

Dans  la  grande  armée  en  marche,  ne  nous  alarmons  pas  de  voir 
s'aventurer  quelques  détachements  d'avant-garde.  Le  poète  latin 
Terence  raille  dans  une  de  ses  comédies  ceux  qui  prétendent  reproduire 
la  forme  humaine  par  des  ligures  géométriques.  N'est-on  pas  en  droit 
de  conclure  que  le  cubisme  lui-même  est  un  héritage  des  Anciens? 

Quelle  que  soit  l'ardeur  de  nos  luttes,  l'âpreté  de  nos  contro- 
verses, gardons-nous  d'amoindrir,  en  nous  dépréciant  nous-mêmes,  le 
prestige  de  notre  Pays.  La  guerre  a  illustré  d'un  tragique  commentaire 
la  célèbre  parole  d'Auguste  Comte  :  «  que  dans  l'humanité,  les 
morts  comptent  plus  que  les  vivants.  »  Dans  la  vaste  nef  de  ce  palais, 
à  travers  tous  les  monuments  de  pieuse  commémoration  qui  perpé- 
tuent leur  image,  nos  héros  nous  apparaissent  non  pas  en  conquérants, 
mais  en  défenseurs,  non  pas  dans  l'orgueilleuse  ivresse  de  la  victoire, 
mais  dans  le  sublime   accomplissement  du  sacrifice  consenti. 

Tels  les  fait  revivre  le  génie  de  nos  statuaires,  tels  ils  doivent 
rester  pour  nous  des  porte-paroles  et  des  guides.  «  Les  Français, 
observe  Henri  Heine,  sont  les  comédiens  ordinaires  du  Bon  Dieu  et 
la  comédie  qu'ils  ont  joué  dans  le  cours  de  leur  longue  histoire  a 
toujours  été  donnée  au  bénéfice  de  l'humanité.  »  Cette  comédie-là, 
tragédie  maintenant,  hélas!  nous  continuerons  de  la  jouer  aujour- 
d'hui, demain,  toujours,  et  les  artistes  de  France  ne  songent  pas  à 
faire   relâche. 

LE  MUSÉE  d'histoire  DE   LYON 

Le  Musée  du  Vieux- Lyon  a  été  inauguré  par  M.  Herriot.  maire 
et  sénateur  de  Lyon.  Il  est  installé  dans  l'hôtel  de  Gadagne,  derrière 
la  Loge  du  Change. 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE  423 


...et  ailleurs 

LA   CÉRAMIQUE  AU   BRITISH   MUSEUM 

Au  British  Muséum,  toutes  les  galeries  consacrées  à  la  céramique 
viennent  d'être  rouvertes  au  public.  Un  arrangement  nouveau  met 
désormais  parfaitement  en  valeur  les  trésors  de  la  célèbre  collection 
Franks  (Chine  et  Japon) .  Le  classement,  selon  les  temps  et  les  lieux 
d'origine,  facilite  excellemment  l'étude  de  l'art  du  potier,  de  la  céra- 
mique... et  du  verre.  Une  section  espagnole,  italienne  et  égyptienne 
complète  celles  d'Extrême-Asie,  de  Syrie,  d'Asie  mineure  et  de  Perse. 

PICTOGRAPHIES   CRETOISES   ET  ART   VIKING 

Le  British  Muséum  vient  de  s'enrichir  de  dix  pierres  gravées 
antiques,  dites  «  pictographies  »,  d'origine  crétoise  et  sur  lesquelles 
figurent  des  symboles  de  haute  valeur  artistique  que  déchiffre  Sir  Arthur 
Evans,  archéologue  spécialisé  dans  l'étude  de  l'art  crétois  et  préphé- 
nicien. En  outre,  une  collection  de  bijoux  Vikings,  broches,  boucles 
d'oreilles,  bracelets,  etc.,  d'une  remarquable  valeur  technique  et  déco- 
rative, a  été  acquise  pour  le  musée,  par  le  National  Art  Collections 
Fund. 

POUR   UN    GRAND    PALAIS    DES    ARTS,    A    NEW-YORK 

Récemment  fondée,  la  Ligue'  des  Artistes  de  New-York  a  un 
grand  projet  :  la  construction  dans  la  ville  d'un  Grand  Palais  des 
Arts,  un  Civic  Art  Forum.  On  fait  les  plans  pendant  qu'on  recueille 
l'argent.  Le  président  Harding  est  membre  de  la  Ligue  :  «  Je  m'inté- 
resse, a-t-il  dit,  à  tout  ce  qui  peut  contribuer  à  l'avancement  de  l'art 
aux  Etats-Unis.  Je  fais  des  vœux  pour  votre  Forum.  »  La  Ligue  réunit 
des  membres  de  toutes  tendances,  de  toutes  sociétés  artistiques.  Son 
but  est  de  favoriser  la  mise  en  valeur  de  toutes  les  tendances,  sans 
exclusion,  et  avec  des  droits  égaux  pour  chacun.  Le  peuple  américain, 
et  notamment  les  six  millions  de  new-yorkais,  est  invité  à  collaborer 
financièrement  à  cette  œuvre  de  haute  envergure.  «  Nous  croyons, 
disent  les  promoteurs,  que,  réalisant  notre  projet,  nous  montrerons  aux 
artistes  du  monde  entier  comment  s'organiser  pratiquement  pour  se 
défendre  et  pour  vivre  sans  avoir  aux  chevilles  la  chaîne  de  la  pau- 
vreté ».  C'est  un  assez  joli  programme... 

Pascal  Forthuny, 


434 


LE     BULLETIN 


Paroles 


COUPS   DE   GRIFFE. 


Edmond  de  Concourt  avait,  dans  ce  Journal  qui  suscite  quelques 
polémiques,  égratigné  le  plus  caustique  des  peintres.  Bientôt  sortit 
des  presses  la  célèbre  estampe  de  Carrière,  le  portrait  de  l'écrivain, 
tout  blanc  et  vaporeux  de  poil  et  de  moustache. 

—  Très  bien,  très  fidèle,  fit,  en  la  voyant,  la  victime  de  Concourt; 
il  a  l'air  d'un  vieil  édredon... 


La  ville  de   Reims  a  recouvré  la  Jeanne  Darc  de  Dubois 

qu'on  tient    pour   un    chef'd'œuvre  ;   à    cette  occasion,  nous   reproduisons 

celui    d'Antoine    Bourdelle. 


Le   Gérant    :   Desportes 


Moderne  Imprimerie,  Loth,  Dir',  37,  rue  Gandon,  Paris.