Skip to main content

Full text of "Le Bulletin de la vie artistique"

See other formats


2'  Année     NMO.  15  Mai  1921 

LE 

BULLETIN 

DE    LA 

VIE  ARTISTIQUE 

PARAISSANT    DEUX    FOIS    PAR    MOIS 


# 


PARIS 
MM.  BERNHEIM-JEUNE,  ÉDITEURS  D'ART 

25,   BOULEVARD  DE  LA  MADELEINE 
15,  RUE  RICHEPANCE 


1  fr.  25  le  Numéro 


LE 

BULLETIN 

DE    LA 


VIE  ARTISTIQUE 

Paraît  le   i"  et  le   15  de  chaque  mois. 


ABONNEMENTS  : 

Un  an Vingt-quatre  francs 

Six  mois.  Douze  francs 


RACHAT     DE     COLLECTIONS 

LE  BULLETIN   DE   LA  VIE  ARTISTIQUE 

RACHÈTERAIT     A     24     FRANCS    TOUTE 

COLLECTION     EN     BON     ÉTAT     DE    SES 

24    PREMIERS     NUMÉROS 


LE 


BULLETIN 

DE    LA 

VIE  ARTISTIQUE 


15  Mal   1921 


PARJS 
MM.    BERNHEIM-JEUNE,    ÉDITEURS   D'ART 

25,    BOULEVARD    DE    LA    MADELEINE 
15     RUE    RICHEPANCE 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


Iittp://www.arcliive.org/details/n10bulletindelavi02pariuoft 


BULLETIN    DE  LA  VIE   ARTISTIQUE 

2e  Année.      N°   10.  15   Mai    1921 

Rédacteurs  :    MM.    Félix    Fénéon,     Pascal    Forthuny    Guillaume    Janneau 
André    Marty,     Tabarant. 

SOMMAIRE 


Pour  des  artistes  qu'on  dépouille. 

Vente  des  séquestres  Uhde  et  Kaknweiler. 

La  grande  pitié  de  nos  statues. 

Impressions  du  Japon. 

Joachim  Gasquet. 

Le  Courrier  de  la  Presse. 


Celle  qui  fut  "  l'Olympia 

A  propos  d'anatomie. 

La  Curiosité. 

Ici... 

.  ..et  ciilleurs. 

Paroles. 


Pour  des  artistes  qu'on  dépouille 

Les  ventes  des  biens  allemands  séquestrés  ont  provoqué  déjà  des 
plaintes.  On  leur  a  reproché  ce  sens  de  l'intempestif  que  possède  notre 
administration,  dédaigneuse  de  toute  opération  commerciale,  vendant 
à  contre-temps.  Assurément  jamais  créancier  n'a  surveillé  moins  atten- 
tivement la  gestion  de  ses  intérêts.  La  dispersion  qui  se  prépare  de 
certaines  collections  ou  plutôt  de  certains  magasins  séquestrés  n'est 
pas  de  nature  à  rétablir  la  confiance  en  ses  méthodes. 

Les  négociants  allemands  qui  avaient  constitué  ces  dépôts  n'ac- 
cordaient leur  estime  qu'à  la  jeune  peinture.  Indifférents  à  nos  opinions 
traditionnelles,  en  effet,  l'étranger  et  non  pas  seulement  l'Allemagne, 
n'a  de  goût  que  pour  les  formes  d'art  qui  lui  semblent  refîéter  les 
curiosités  modernes.  Ces  collections,  limitées  à  quelques  auteurs,  vont 
inonder  tout  d'un  coup  le  marché.  Les  artistes  sont  livrés  sans  défense 
à  la  spéculation. 

Connues,  appréciées,  goûtées,  les  victimes  de  cette  opération  impru- 
dente pouvaient  compter  sur  la  sympathie  d'un  public.  Voici  leurs 
espoirs  confondus  ;  voici  détruit,  brusquement,  l'effet  de  vingt  ans 
d'efforts  et  de  sacrifices.  Or,  les  artistes  dont  le  fisc  se  joue  ainsi  sont 
pour  la  plupart  d'anciens  combattants;  ils  ont  fait  tout  leur  devoir 
pendant  les  années  tragiques.  L'un  d'eux  est  un  grand  blessé.  L'Etat 
voudra-t-il  procéder  avec  un  tel  mépris  des  plus  légitimes  intérêts  de 
ses  soldats  d'hier?  Sera-t-il  sourd  à  leurs  protestations? 

Si  la  liquidation  des  biens  allemands  séquestrés  n'entraîne  aucune 


284  LE       BULLETIN 

conséquence  lorsqu'elle  s'exerce  sur  des  objets  ou  des  denrées  sans 
personnalité,  il  en  va  tout  autrement  lorsqu'il  s'agit  d'art.  Les  biens 
saisis  qui  vont  être  vendus  sont  d'une  nature  très  particulière,  au  regard 
de  l'équité  sinon  du  droit  formel.  La  production  déjà  réalisée  d'un 
artiste  demeure  le  fondement  de  son  succès.  Il  sied  qu'on  maintienne 
à  l'auteur  une  certaine  faculté  de  contrôle  sur  les  traitements  que 
pourrait  essuyer  son  œuvre. 

Exécutant  les  dispositions  du  traité  de  Versailles,  l'Etat  français 
s'empare  des  éléments  de  sa  créance  qu'il  trouve  entre  les  mains  des 
ressortissants  de  la  nation  débitrice.  La  loi  n'admet,  il  est  vrai,  aucun 
départ  entre  les  objets  mobiliers.  Un  tableau  cédé  par  un  peintre 
devient  la  propriété  absolue  de  l'acquéreur,  et  partage  le  destin  des 
autres  effets  qui  forment  l'avoir  saisissable  du  propriétaire. 

Toutefois  la  jurisprudence  exceptionnelle  issue  du  traité  entraîne 
là  une  conséquence  qu'assurément  nul  n'a  prévue.  L'Etat  français, 
pour  exercer  contre  son  débiteur  un  droit  coercitif,  se  trouve  n'avoir 
d'autre  moyen  que  de  frapper  de  la  manière  la  plus  cruelle  ses  propres 
citoyens.  L'histoire  de  Clitandre  feignant  de  battre  son  valet  et 
chargeant  de  coups  Georges  Dandin  est,  dans  Molière,  prodigieu- 
sement comique.  Elle  ne  l'est  pas  du  tout  dans  le  cas  présent,  parce 
que  le  personnage  sympathique  de  la  pièce  est  justement  le  battu. 

Dans  l'état  de  trouble  économique  déterminé  par  la  guerre,  cent 
collections  d'oeuvres  d'artistes  vivants  sont  exposées  à  pareil  sort.  Il 
importe  de  corriger  le  vice  d'une  législation  imprévoyante.  Il  convient 
de  protéger  contre  ses  ricochets  les  artistes,  fort  empêchés  de  se  défendre 
eux-mêmes. 

Il  s'agit  —  soyons  nets  —  de  porter  atteinte  au  Code.  Déjà, 
l'institution  du  droit  de  suite  a  fourni  l'heureux  précédent  d'une  modi- 
fication apportée  à  la  jurisprudence  fondamentale.  Il  en  est  d'autres 
exemples,  et  l'on  sait  à  la  fois  des  privilèges  et  des  restrictions  qui 
constituent  proprement  des  dérogations  au  droit  commun.  C'est  qu'en 
effet,  dans  une  nation  bien  administrée,  ce  sont  les  lois  qui  s'adaptent 
aux  mœurs  et  non  celles-ci  qui  s'appliquent  aux  lois. 

Dans  le  duel  qui  se  livre,  il  ne  faut  pas  que  les  balles  échangées 
n'aient  pour  tout  résultat  que  de  tuer  le  témoin,  —  de  léser  les  tiers  : 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE  285 

car  les  négociants  séquestrés  doivent  être  indemnisés  par  leur  gouver- 
nement. Le  Bulletin,  en  signalant  cette  situation  singulière  aux  pouvoirs 
publics,  —  certain  que  des  voix  autorisées  s'élèveront  au  sein  des 
assemblées  parlementaires  en  faveur  des  artistes  —  n'a  d'autre  objet 
que  de  réclamer  pour  ceux-ci  non  point  de  la  bienveillance,  mais  la 
simple  équité. 

Guillaume  Janneau. 


La   vente  des  séquestres  Uhde  et  Kahnweiler 

UNE    ENQUÊTE 

11  faut  le  dire  tout  net  :  le  geste  de  l'Etat,  jetant  sur  le  marché 
des  centaines  d'oeuvres  de  jeunes  artistes,  sous  prétexte  de  réaliser, 
selon  la  formule  judiciaire,  «  des  biens  ayant  fait  l'objet  d'un  séquestre 
de  guerre  »,  ce  geste  inopportun  est  durement  qualifié  dans  les  milieux 
d'art,  où  l'émotion  qu'il  suscite  est  faite  à  la  fois  de  surprise,  de 
tristesse  et  d'indignation.  Quoi!  Serait-ce  donc  ainsi  que  les  pouvoirs 
publics  entendent  la  protection  de  l'art  et  des  artistes?  Taijt  de  belles 
promesses  et  de  grands  discours  n'auraient-ils  été  que  rhétorique  et 
duperie?  Non,  non,  ce  n'est  pas  possible.  Les  artistes  espèrent  encore, 
et  avec  eux  tous  ceux  qui  les  aiment,  tous  ceux  qui  tiennent  à  sauve- 
garder le  glorieux  renom  artistique  de  notre  pays.  Il  ne  sera  pas  dit 
que  la  loi  sacrifiera  le  caractère  personnel  de  l'œuvre  d'art,  alors 
que  par  ailleurs  elle  s'ingénie  à  prolonger  les  droits  du  créateur  de 
cette  œuvre,  dont  la  propriété  matérielle  seule  est  aliénée  par  lui.  Il 
ne  sera  pas  dit  non  plus  que  des  artistes  qui  firent  tout  leur  devoir 
durant  la  guerre,  seront  aujourd'hui  victimes  des  représailles  exercées 
contre  l'Allemagne.  Se  pourrait-il  que  la  France  eût  pour  eux  deux 
visages  :  celui  de  la  Patrie,  qui  leur  sourit,  et  celui  de  l'Etat,  qui 
les  menace  ?  Non,  certes,  car  ce  serait  abominable,  et  nous  nous 
plaisons  à  croire  qu'on  nous  épargnera  l'argument  d'une  si  mons- 
trueuse dualité. 


Quelques  artistes  protestataires  nous  ont  écrit.  M.  Maurice  Vlaminck 
est  de  ceux-là.  El  sa  protestation  a  la  véhémence  de  sa  peinture  même. 
On  p  retrouve  ce  mouvement  passionné  qui  prête  une  émotion  drama- 


286 


LE      BULLETIN 


tique  à  ses  fulgurants  paysages. 
De  la  lettre  qu'il  nous  adresse, 
voici  les  passages  essentiels  : 

Je  conteste  énergiquement 
au  liquidateur  du  séquestre 
Kahnweiler,  déclare-t-il,  le  droit 
de  me  faire  un  tort  inappréciable 
en  lançant  délibérément  sur  le 
marché,  par  paquets  ou  en  bloc, 
mon  travail  de  dix  années. 

Je  revendique  la  propriété 
de  mon  œuvre  (une  loi  votée  ré- 
cemment ne  reconnaît-elle  pas 
que  la  propriété  de  l'artiste  lui  survit  même,  en  créant  un  droit  de 
suite  à  lui  et  à  ses  héritiers,  sur  ses  œuvres  vendues  en  vente  publique?) . 
Je  demande  —  et  je  crois  me  tenir  dans  la  plus  stricte  légalité  —  à 
racheter  mes  œuvres  au  prix  que  je  les  ai  vendues  au  séquestré. 
Mais  je  me  refuse  à  comprendre  que  le  liquidateur  puisse  spéculer 
sur  le  travail  d'un  peintre  français  mobilisé  pendant  cinq  ans  de 
guerre,  car  dans  le  cas  présent  le  liquidateur  ne  recouvre  pas  des 
biens  ennemis,  mais  spécule  sur  mon  œuvre,  hypothèque  et  ruine 
toute  une  carrière  et  un  avenir  par  une  interprétation  fausse  d'une  loi, 
pour  le  seul  plaisir  d'éparpiller  mes  œuvres  dans  les  mains  de  spécu- 
lateurs avides. 


Wlaminck.  —    Paysage. 


En  M.  André  Derain  se  révèle  un  esprit  d'argumentation  presque 
juridique.  Ce  beau  peintre  qui  enferme  tant  de  force  et  de  sensibilité 
dans  le  moindre  accent  de  couleur,  ce  magicien  du  modelé  de  la  chair 
voudrait  pouvoir  faire  confiance  à  la  légalité  : 

Il  est  évident,  écrit-il,  que  cette  vente  n'atteindra  pas  seulement 
les  peintres   directement  intéressés,   mais   aussi   toute   la  peinture. 

Je  ne  suis  pas  d'avis  de  donner  une  publicité  à  cette  aiîaire  qui 
soulève  tant  d'intérêts  contradictoires.  Les  voies  légales,  dont  personne 
ne  parle  jamais,  sont  cependant  celles  qui  me  donnent  le  plus  d'espoir. 
Il  est  dit  qu'en  cas  de  contestation,  d'opposition  aux  ventes  des 
séquestres,  un  tribunal  spécialement  commis  à  cet  effet  décide  si  oui 
ou  non  la  vente  doit  être  faite. 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE 


287 


Ce  tribunal  peut  être  consulté  et  peut 
aussi  nous  entendre,  tous  peintres  françiais 
qui  avons  fait  ce  que  nous  devions  faire 
pendant  la  guerre.  En  conséquence,  je  crois 
qu'il  suffit  simplement  de  provoquer  cette 
légalité  pour  obtenir  satisfaction.  La  Cham- 
bre syndicale  des  marchands  de  tableaux 
pourrait  être  d'un  grand  appui,  mais  là 
aussi  les  intérêts  sont  divers. 

Le  mieux  est  qu'on  nous  rende  nos 
toiles,  à  charge  de  payer  à  l'Etat  une  rede- 
vance sur  leur  vente. 


M.    Fernand   Léger,    qui   appartient    à 
la  militante  phalange  des  cubistes,  s])nthé- 
tistes   de   robjeciivité   picturale,    pose    la    question 
netteté  : 


Deraln.  —   Nu. 

avec   beaucoup   de 


Je  maintiens  entièrement  le  point  de  vue  que  nous  avons  exposé 
à  M.   Zaap,  liquidateur  des  biens  Kahnweiler,   à  savoir    : 

Qu'une  liquidation,  même  dans  les  meilleures  conditions,  est  très 
aléatoire;  que  je  m'y  oppose;  que  je  demande  à  rentrer  en  possession 
de  mes  tableaux,  avec  réserve  de  dédommager  l'Etat  de  ses  frais 
(point  de  vue  défendu  par  M.  Zaap  lui-même  dans  un  rapport  à 
M.  le  Procureur  de  la  République) . 

Il  est  inconcevable  que  des  actes  importants  touchant  de  tout  près 
à  des  intérêts  vitaux  d'hommes  qui  ont  combattu  toute  la  guerre,  soient 
décidés  par  l'Etat  français  sans  que  l'on  considère  leur  désir  et  que 
l'on  en  tienne  compte. 

A^'p  a-t-il  pas  quelque  contradiction  entre  ces  dernières  lignes  de 
M.  Fernand  Léger  et  les  premières? 

Une  incomparable  fraîcheur  de  vision,  une  allègre  délicatesse  de 
coloris,  un  don  unique  de  la  notation  condensée  :  cest  là  tout  Raoul 
Duf^.  Nous  trouvons  le  peintre  dans  son  atelier,  là-haut,  à  mi-chemin 
du  sommet  de  la  Butte.  Sa  déclaration  confirme  celle  de  ses  camarades  : 

Certes,  personnellement  je  n'ai  pas  à  me  préoccuper  beaucoup  de 
ces  ventes,  car  j'ai  tout  juste  trois  toiles  dans  l'un  des  deux  séquestres, 


LE      BULLETIN 


celui  d'Uhde.  Mais  je  ne  m'as- 
socie pas  moins  aux  revendica- 
tions des  peintres  qui  sont  plus 
directement  menacés,  et  dont  je 
conçois  parfaitement  les  craintes. 
Ces  ventes  pourront  leur  causer 
un  grave  préjudice,  et  j'estime 
que  si  l'Etat  y  renonçait,  cela 
ne  léserait  pas  l'intérêt  public 
dans  la  mesure  où  elles  vont  léser 
l'intérêt  individuel.  C'est  un  vé- 
ritable déni  de  justice  que  l'on 
va,  sous  prétexte  d'appliquer  la 
loi,    commettre   à   l'égard   des    artistes. 


Raoul   Dufy.  —  Paysage  de  \'ente. 


Mais  si  nous  entendions  Vautre  cloche?  Et  qui  donc  pourrait  nous 
la  mieux  faire  entendre  que  M.  Léonce  Rosenberg?  En  ce  moment 
même,  il  établit  le  catalogue  des  œuvres  d'art  que  contiennent  les 
séquestres  Uhde  et  Kahnrveiler,  et  qui,  sous  sa  direction,  doivent 
passer  en  vente.  Il  nous  est  malheureusement  Impossible  de  reproduire 
en  entier  la  longue  lettre  quil  a  bien  voulu  nous  adresser.  Elle  a,  elle 
aussi,  sa  véhémence  : 

La  Loi  est  une  et  indivisible.  Parce  que  la  Nature  les  a  gratifiés 
du  don  précieux  de  nous  charmer  ou  même  de  nous  émouvoir,  en 
créant  de  belles  images  sur  des  rectangles  de  toile  de  tous  formats, 
vos  protestataires  ne  peuvent  prétendre  bénéficier  d'un  régime  de 
faveur.  Si  le  don  naturel  était  un  cas  d'exemption,  toutes  les  valeurs 
Ae   l'activité   humaine   pourraient    l'invoquer. 

L'Etat,  en  vertu  d'une  loi  formelle,  doit  réaliser  un  gage  qu'il 
détient,  pour  se  payer  partiellement  de  la  dette  de  nos  anciens  ennemis. 
Peut-il  admettre  que  le  producteur  intervienne  dans  la  réalisation  de 
la  production  qu'il  a  cédée,  en  bonne  et  due  forme,  à  un  tiers?  Evi- 
demment non.  Dans  le  cas  contraire,  le  droit  de  propriété  qui  régit 
notre  société  serait  aliéné. 

Si  les  artistes  ne  veulent  pas  que  leurs  œuvres  retombent  sur  le 
marché,  ils  n'ont  qu'à  les  conserver  ou  à  ne  les  céder  qu'à  des  musées. 
Il  y  a  pourtant  un  remède    :   c'est  qu'ils  produisent  moins  et  mieux. 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE  .     289 

Mais  beaucoup  produisent  en  un  an  plus  de  tableaux  que  Rembrandt» 
Raphaël  ou  Ingres  n'en  faisaient  dans  toute  leur  vie. 

Vos  protestataires  craignent-ils  pour  leur  production  passée?  Mais 
ils  en  ont  déjà  touché  amiablement  la  valeur.  Pour  leur  production 
présente?  Mais  ils  ont  des  traités  en  règle  avec  des  négociants  en 
tableaux  —  pour  qui  les  contrats  ne  sont  pas  des  chiffons  de  papier 
—  qui  tiendront,  il  va  de  soi,  leurs  engagements  en  cours,  quel  que 
soit  le  résultat  de  la  vente  K...  Enfin,  pour  leur  production  fature> 
Ou  ces  artistes  ont  de  la  valeur  ou  ils  n'en  ont  pas.  S'ils  n'en  ont  point, 
alors,  vive  la  vente!  qui  exécutera  définitivement  des  non-valeurs.  Mais, 
s'ils  en  ont  —  et  c'est  mon  humble  avis  dans  le  cas  présent  —  même 
si  les  prix  devaient  quelque  peu  fléchir  —  et  je  suis  persuadé  du 
contraire  —  ils  remonteraient  vite,  après  que  le  marché  aurait  été 
délivré  de  la  menace  d'une  pareille  quantité  d'invendus,  dans  une  seule 
main  faillible  ou  mortelle,  car  la  qualité  s'impose  toujours  définiti- 
vement, tôt  ou  tard. 

Si  on  avait  posé  à  Giotto,  Raphaël,  Rembrandt,  Ingres  ou  Cézanne 
la  question  ((  marché  »,  ils  auraient  aussitôt  répondu  :  «  Marché? 
connais  pas...  Parlons  peinture...  si  vous  le  voulez  bien.  » 

Et  M.  Léonce  Rosenberg  conclut  à  la  fois  par  un  hommage  aux 
pouvoirs  publics  et  par  une  acerbe  critique  des  appréhensions  que  mani- 
festent les  protestataires,  ce  «  défaitisme  public  avant  la  lutte  », 
apprécie-t-il. 

Notre  consultation  sera  continuée. 

Tabarant. 
LEgypte   au   British   Muséum 

Elle  vient  d'être  augmentée  de  deux  salles,  ce  qui  en  porte  le 
nombre  à  six.  Dans  l'une  des  «  chambres  n  nouvelles,  a  été  dis- 
posée une  riche  collection  de  cercueils  anthropoïdes  antérieurs  à  la 
XVir'  dynastie.  On  a  osé  changer  de  place  la  fameuse  momie  du 
Collège  de  Amen-Râ  (n"  22.542).  C'est  pourtant  la  momie  fatale 
à  laquelle  on  attribue  tant  de  malheurs  dans  le  passé  et  le  présent. 
L'illustre  «  psychiste  »,  M.  Stead,  affirmait  que  le  «  corps  astral  n 
de  la  prêtresse  ne  tolérait  pas  que  l'on  touchât  à  la  momie.  Rien  de 
fâcheux  ne  s'est  encore  produit  au  Muséum.  Mais  ce  sera  peut-être 
pour  demain... 


290  LE     BULLETIN 


La  grande  pitié  de  nos  statues 

Une  enquête.  —  II. 

Deux  dépositions  capitales,  jetées  dans  le  débat  que  nous  avions 
ouvert,  constituent  ce  que  les  juristes  appellent  le  «  fait  nouveau  ». 
L'avis  du  savant  technicien  quest  M.  Charles  Cénu])s,  inspecteur 
général  des  Monuments  historiques,  nous  sera  précieux.  M.  Cénuvs 
dirige,  parmi  quelques  restaurations  périlleuses,  celle  de  la  cathédrale 
de  Reims.  C'est  un  peu  la  somme  de  ses  observations  quil  condense 
dans  cette  lettre   : 

Les  statues  dont  le  sort  préoccupe  à  juste  titre  M.  le  Rapporteur 
des  Beaux-Arts  au  Sénat,  sont  sans  doute  celles  de  marbre  qui  occupent 
ou  décorent  nos  places  et  nos  jardins  publics. 

Il  est  malheureusement  certain  que  l'atmosphère  des  villes  de  nos 
régions,  humide  et  chargée  de  vapeurs  acides,  —  d'acide  sulfureux 
entre  autres,  —  est  peu  favorable  à  la  conservation  du  marbre. 

Une  combinaison  chimique  s'opère  sans  doute  à  sa  surface,  modifie 
la  contexture  de  son  épiderme  qui,  de  translucide  devient  opaque,  et 
en   facilite   la   désagrégation   sous  l'action   continue   de   la   pluie. 

Notons  en  outre  que  tous  les  marbres  sont  plus  ou  moins  poreux; 
absorbant  l'eau,  ils  peuvent  geler  comme  de  modestes  pierres,  et  après 
un  froid  vif  et  intempestif  se  trouver  privés  de  leurs  parties  les  plus 
délicates,  doigts,  mains,  nez,  ou  fendus  dans  leur  masse,  témoins  entre 
autres,  autour  du  grand  bassin  des  Tuileries,  le  A^i7  et  les  Termes  des 
Saisons  de  N.  Coustou  et  Van  Clève. 

Mais  constater  le  mal  n'est  pas  le  guérir;  en  observer  la  nature 
et  en  rechercher  la  cause  peuvent  guider  dans  la  voie  où  le  remède 
peut  se  rencontrer. 

Déjà,  il  y  a  une  trentaine  d'années,  l'éminent  statuaire  Eugène 
Guillaume  avait  proposé  de  revêtir  d'un  enduit  de  cire  les  marbres 
de  nos  jardins,  mais  surtout  en  vue  d'empêcher  le  développement  des 
germes  de  végétations  apportés  par  le  vent  ou  les  oiseaux  dans  les 
pores  de  la  matière. 

Je  ne  sais  dans  quelle  mesure  le  procédé  a  été  appliqué.  Il  me 
semble  dans  tous  les  cas  insuffisant  et  peu  durable,  de  même  que 
l'emploi  de  la  paraffine  ou  de  l'huile  de  lin  chaude,  parfois  aussi 
conseillé. 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE  291 

Pour  la  pierre  calcaire  commune,  des  cas  d'expériences  de  dix 
années  et  plus  peuvent  permettre  de  croire  à  l'efficacité  de  certains 
traitements  consistant  en  application  de  solutions,  non  du  silicate  con- 
damnable, mais  de  fluosilicates  ou  de  sels  de  baryte  appropriés. 

Sous  leur  action  se  forme  un  composé  chimique  dur  et  insoluble 
qui  tout  en  laissant,  selon  l'expression  admise,  respirer  la  matière, 
assure  à  sa  surface  une  résistance  infiniment  plus  grande  aux  agents 
de  destruction. 

Or,  tout  comme  la  pierre,  le  marbre  est  un  carbonate  de  chaux. 
La  cristallisation  en  est  seule  différente;  on  peut  tout  au  moins  essayer 
de  les  traiter  de  la  même  manière. 

Si  après  expérience  il  était  établi  que  le  procédé  peut  être  employé 
sans  danger,  qu'il  ne  modifie  en  rien  l'aspect  du  marbre  et  lui  conserve, 
au  contraire,  toute  sa  délicatesse  et  sa  fraîcheur  d'épiderme,  le  problème 
pourrait  être  considéré  comme  résolu. 

L'essai  a-t-il  été  tenté?  Il  serait  bon  dans  tous  les  cas  qu'il  le  fiât 
à  nouveau  avec  toutes  les  garanties  de  contrôle  nécessaires,  et  au 
besoin  avec  l'aide  des  laboratoires  officiels  qui  détiennent  les  réponses 
rapides,  en  suppléant  à  l'action  du  temps  et  des  hivers  rigoureux. 

Ainsi  sans  attendre  dix  longues  nouvelles  années,  le  Bulletin 
pourrait  enregistrer  un  résultat  —  que  je  m'impose  d'espérer  intéressant 
—  car,  je  le  répète,  il  ne  peut  entrer  dans  ma  pensée  que  d'indiquer 
une  voie  et  non  d'affirmer. 

Ce  qu'il  importe  d'éviter,  c'est  que  l'on  ne  conclue  que  nos 
statues  de  marbre  ne  pouvant  vivre  dans  le  plein  air  doivent,  pour  leur 
salut,  être  enfermées  dans  les  musées  pour  lesquels  elles  n'ont  pas  été 
conçues. 

Charles  Génuys. 

L'éminent  inspecteur  général  conclut  en  faveur  des  recherches 
tentées,  a  L'idéal,  nous  confiait-il  récemment,  serait  de  pratiquer  l'expé- 
rience sur  dix  statues  médiocres  de  nos  jardins,  qui  subiraient  chacune 
un  des  divers  traitements  projetés.  »  Mais  le  maître  Antoine  Bourdelle 
parle  en  artiste  plutôt  qu'en  conservateur.  Abordant  de  front  —  et  de 
haut  —  le  problème,  il  affirme  à  nouveau  sa  foi  dans  la  vie  profonde 
de  l'œuvre  d'art. 

Pour  les  architectures  et  sculptures  de  pierres  de  roche,  ou  de 
pierres  de  marbre,  il  vaut  mieux  la  destruction,  ou  la  mutilation  natu- 


LE     BULLETIN 


relie  du  temps,  que  le  déshonneur,  par  défiguration  à  l'aide  d'enduits, 
ou  par  grattages. 

Si  l'on  se  sert  de  durcisseurs  liquides  pénétrants,  alors  cela  est 
tout  à  fait  différent.  Si  les  matières  durcissantes  pénètrent,  ne  font  pas 
épaisseur  sur  les  formes,  alors  tout  est  bien. 

Hors  du  procédé  liquide,  le  reste  tue  l'esprit  construit  et  sculpté. 
Mais  il  y  a  une  chose  à  faire. 

Lorsqu'il  est  avéré  qu'une  pierre,  qu'un  marbre,  sont  grandes 
œuvres,  que  la  maîtrise  est  certaine  en 
ces  ouvrages  :  Alors,  il  faut  envoyer  des 
mouleurs  estampeurs,  ceux  qui  prennent 
un  bon  creux  à  l'aide  de  moules  d'argile, 
recouverts  de  chapes  de  plâtre.  Cela,  par 
l'épreuve  de  plâtre  mise  dans  un  musée, 
et,  qui  peut  être  reproduite  en  d'autres 
exemplaires,  cela  conserve  l'œuvre  à  tout 
jamais. 

Il  n'y  a,  au  fond,  que  ce  /no}jen-/à. 
Toute  pierre  s'effritera,  disparaîtra  au 
cours  des  temps.  Mais  moulée  à  l'aide 
d'empreintes  de  terre  {moulages  faits  avec 
le  plus  grand  soin) ,  on  peut  garder  toutes 
les  œuvres  de  haute  valeur. 

J'ai  offert  à  mon  pays,  de  copier  en 
pierre  sur  un  plâtre  du  Trocadéro,  une 
des  principales  figures  des  porches  de 
Notre-Dame  de  Reims.  Cette  figure,  je 
me  fais  fort  de  la  reproduire  {une  seule) ,  de  la  refaire  en  pierre  exac- 
tement et  cela  devant  tous  les  vrais  grands  ouvriers  statuaires  de 
France  :  ils  sont  peu  nombreux,  ceux  qui  sont  de  véritables  sculpteurs 
—  l'amateur  indigne  pullule  —  le  vrai  imagier  disparaît. 

Vous  pouvez  pallier  à  cela.  J'attends  d'être  mis  à  l'épreuve, 
l'Etat  payera  les  manœuvres,  mon  long  travail  sera  gratuit.  Mais 
Notre-Dame  de  Reims  est  un  tel  chef-d'œuvre  de  sculpture,  que 
c'est  la  plus  simple  piété  que  de  lui  consacrer  du  temps.  Cela  serait 
pour  moi  la  joie  la  plus  haute  que   de   fermer  une  de  ses  blessures. 

Antoine  Bourdelle. 


Antoine  Bourdelle.  - 
à  l'Enfant  (Salon  de  1 


La  Vierge 
Nationale). 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE 


293 


Impressions  du  Japon 


^Jk 


faire! 

M. 


Mathur 


Méheut.  —  Les  Marches  dj  Temple 
aquarelle. 


LE    VOYAGE    ABREGE 

DE    M.    MÉHEUT 
y  avait  tant  à  voir!    tant 

un  monde  à  découvrir!    » 

Mathurin  Méheut  réunit 
au  Pavillon  de  Marsan,  outre  une 
abondante  production  décorative, 
une  centaine  de  dessins  aquarelles 
rapportés  du  Japon.  Utilisant  la 
bourse  de  voyage  conquise  en  1913, 
le  peintre,  après  escale  aux  îles 
Hawaï,  prenait  contact  avec  le 
vieil  empire.  Quatre  mois  plus  tard, 
la  mobilisation  le  rappelait.  Le  beau 
voyage  était  interrompu  :  le  peintre 
n'en  est  pas  consolé.  Il  garde  moins 
la  nostalgie  de  l'Orient  que  le  regret  de  n'avoir  pu  qu'ébaucher  l'œuvre 
énorme  qu'il  projetait. 

Tout  ceci  n'est  rien,  s'écrie  l'artiste.  Ce 
voyage.  Je  ne  prévoyais  pas,  naturellement, 
lieu  de  chercher  à  composer  quelques 
oeuvres,  je  voulais  recueillir  d'abord  une 
documentation  précise.  Je  divisai  mes  re- 
cherches selon  leur  thème  :  les  moeurs 
agricoles,  la  liturgie,  les  temples,  les  fon- 
taines, l'architecture  domestique...  Je  pus 
heureusement  travailler  un  peu...  » 

M.  Mathurin  Méheut  est  un  Breton 
scrupuleux.  La  méthode  même  qu'il  adop- 
ta marque  le  besoin  d'ordre  de  son  esprit 
sérieux.  Il  s'attache  à  son  labeur  comme 
un  chartiste  à  la  découverte  d'une  faute 
d'orthographe  dans  une  épopée.  Mais  son 
but  est  plus  haut  :  c'est  l'accent  de  la 
vie  qu'il  veut  saisir. 

Ti         '      .  1  •  •,.  Mathurin   Méheut.   —   Poissons 

—     11     n  est     pas     un     peuple     qui     soit      ^^3  g,^„j„  profondeurs,  aquarelle. 


sont  que  des  notes  ^e 
si  prompt  retour.  Au 


294 


LE     BULLETIN 


|f%r*^' 


Mathurin   Méheut.  —  Le  Printemps 
sur  la  mer,  peinture  à  la  i 


aussi     naturellement      artiste,      fait-il. 

Voyez  comme  ces  cabanes  de  paysans 

sont    ingénieusement    placées,     comme 

elles  utilisent,   pour  s'abriter  d'abord, 

puis  pour  se  parer  de  ses  rameaux,  un 

arbre  heureusement  poussé.  Voyez  ces 

fontaines  établies  en  pleine  terre,  dans 

les  champs,  parfois  assez  loin  de  toute 

agglomération     rurale    :     quel     grand 

style,     quel     génie     d'invention,     quel 

esprit!   » 

D'éclatantes    aquarelles    évoquent, 

en  effet,  d'adorables  formes   :  dragons 

musculeux  lovés  autour  des  margelles, 

animaux   chimériques   vomissant   l'eau. 

D'autres  dépeignent  les  temples  somp- 
tueux   flanqués    de   colonnes,    précédés 

de     haies     monumentales,    hantés     des 

biches  sacrées,  élégantes  et  familières.  Quelques-unes  montrent,  placées 

à  l'orée  d'un  bois,  ces  petits  temples  shintoïstes  faits  comme  un  portique 

€t  destinés  à  offrir  au  dieu  Soleil  un  reposoir. 

—   Il  était  amusant,  observe  M.  Méheut,  d'étudier  en  décorateur 

français   l'art   décoratif   japonais.   J'ai   vu   là-bas   ces   arbres   domptés 

par  des  tiges  de  bambou,   sortes  de  tuteurs  horizontaux  qui  imposent 

aux    arbres    les    déploiements    en    parasols    dont    la    préparation    nous 

échappait. 

«   Tous  les  Nippons  sont  sensibles  aux  beautés  de  cet  ordre.    Il 

n'est  pas  une  école  japonaise  qui  n'enseigne  l'art  autant  que  les  sciences. 

Entrez  dans  la  cabane  de  l'agriculteur  qui  patauge  dans  ses  puantes 

rizières  :  vous  y  trouve- 
rez, habilement  disposés, 
quelque  beau  bois  grenu, 
quelque  poterie  rustique 
lumineuse.  Vous  y  trou- 
verez toujours  des  fleurs. 
On  enseigne  encore  aux 
jeunes  Japonaises  l'art  de 
composer  des  bouquets.  » 


DE      LA      VIE     ARTISTIQUE 


295 


—  Les  influences  rationalistes  venues  de  l'Occident  n'ont-elles 
pas  altéré  les  mœurs  locales? 

—  Sans  doute  elles  ont  provoqué  certains  abandons  des  usages 
régionaux,  mais  sans  transformer  totalement  les  mœurs.  Le  Japonais 
reste  un  artiste,  fidèle  d'ailleurs  à  ses  méthodes  originelles. 

—  Vous  avez  connu  là-bas  des  confrères.  Quelles  impressions... 

—  Les  leurs?  Ils  commençaient  toujours  par  railler  entre  eux 
les  procédés  d'expression  français.  Puis  ils  y  prenaient  goiit  :  c'était 
une  chose  neuve  à  quoi  s'intéressait  leur  curiosité.  Et  dès  lors  ils  ne 
me  quittaient  plus.  Il  était  bien  difficile  de  travailler  dans  ces  conditions, 
et  pourtant  j'étais  obligé  de  faire  appel  à  eux,  comme  introducteurs...  » 

Mais  M.  Méheut  enveloppe  d'un  long  regard  les  aquarelles  qui 
tapissent  le  Pavillon  de  Marsan. 


Tout 


ce  qu  il  y  avait 


fai 


murmure-t-il 


G.  J. 


Joachim    Gasquet 

En  Joachim  Gasquet,  les  arts  autant  que  les  bonnes  lettres  perdent 
une  voix  chaleureuse,  un  talent  généreux,  une  foi  intrépide.  Il  disparaît 
sans  qu'une  intervention  chirurgicale  ait  pu  l'arracher  à  la  tombe 
soudainement  ouverte. 

Il  était  naturellement  poète.  Il  possédait  en  lui  la  source  inépuisée 
d'un    lyrisme    abondant.    Le    verbe    éclatant 
comme  une  fanfare  de  cuivres  sonnait  la  joie 
de  vivre,  l'appel  à  l'énergie. 

Tout  enfant,  il  avait  vécu  aux  côtés  d'un 
homme  singulier,  farouche  et  candide,  vaste 
génie  qui  de  ses  mains  ensanglantées  écartait 
le  rideau  de  ronces  masquant  un  monde 
nouveau  :  Paul  Cézanne.  Le  peintre  se  con- 
fiait à  ce  jeune  homme  fougueux  comme  lui 
et  profondément  artiste  :  d'où  ce  livre  éton- 
nant, plein  d'aperçus  étranges  et  subtils 
comme  une  musique  inouïe,  que  Joachim  cézanne  —  Joachim  Gasquet 
Gasquet    venait    d'écrire. 

Il  préparait  un  Courbet  qu'il  laisse  presque  achevé.  Il  avait  défendu 
de  toute  son  ardeur  le  mouvement  moderne.  Il  avait  été,  volontairement, 
porte-drapeau  d'un  régiment,  pendant  la  guerre.  Il  avait  trouvé  là 
sa  fonction  naturelle.  C'est  un  porte-drapeau  qui  meurt... 


296 


LE      BULLETIN 


Le   Courrier  de   la  Presse 

LA   NOUVELLE    LEÇON    d'iNGRES 

Après  avoir  organisé,  de  concert  avec  M.  Waller  Berry  et  le 
comte  Etienne  de  Beaumont,  la  magnifique  exposition  du  maître  mon- 
talbanais,  M.  Henry  Lapauze  offre  à  Ingres,  divinité  qu'il  révère,  un 
nouvel  hommage    :  celui  d'un  numéro  spécial  de   la   Renaissance   de 


Ingre 


—   Son  portrait.  1858. 
:  des  Uffizzi,  Florence. 

Clichés  de  la 


Ingres.   -    Portrait  de  Mme  Reiset.  1846. 
Collection  de  Ségur-Lamoignon. 

'Renaissance  de  l'Art>i. 


l'Art.  Lui-même  dégage,  en  une  étude  clairvovante,  la  nouvelle  leçon 
du  grand  puriste. 

Il  m'a  paru,  observe-t-il  avec  raison,  que  cette  exposition  au  profit 
des  blessés  de  la  face,  vaillants  qui  se  sont  sacrifiés  à  la  Patrie,  arrivait 
à  son  heure.  Nos  jeunes  artistes  vont,  hélas!  à  la  dérive,  ne  sachant 
au  juste  auquel  entendre.  Je  vois  bien  qu'ils  cherchent  leur  voie  avec 
une  entière  bonne  foi,  mais  personne  n'est  là  pour  la  leur  indiquer. 
On  parle  volontiers  de  reconstruction,  d'ordre,  de  discipline.  Et  on  croit 
entendre  M.  Ingres  lui-même... 

Et  M.  Henry  Lapauze  cite  quelques-uns  des  plus  caractéristiques 
préceptes  du  maître.  Puissante  éloquence  d'un  esprit  naturellement  haut, 
de  qui  la  pensée  spiritualiste  domine  et  anime  le  génie. 


DE     LA      VIE      ARTISTIQUE 


Celle  qui  fut  'TOlympia'' 


Manet.  —  Portrait  de  Victorine  Meurent 
<  Collection  Alphonse  Kann.) 


Elle  s'appelait  Victorine-Louise 
Meurent  —  avec  un  t,  et  non  un 
d,  orthographe  erronée  que  les  his- 
toriens de  l'art  moderne  ont  admise, 
et  que  nous  retrouvons  dans  tous  les 
catalogues.  Théodore  Duret  nous 
apprend  que  Manet  ayant  rencontré 
cette  jeune  fille  par  hasard,  au  mi- 
lieu de  la  foule,  dans  une  salle  du 
Palais  de  Justice,  «  avait  été  frap- 
pé de  son  aspect  original  et  de  sa 
manière  d'être  tranchée  ».  C'était 
au  printemps  de  1 862.  Elle  ne 
comptait  guère  plus  de  vingt  ans, 
nous  a  dit  Edmond  Bazire,  et 
pourtant  on  lui  en  eiît  bien  donné  vingt-cinq,  tant  ses  traits  se  mar- 
quaient de  gravité.  Il  est  vrai  que  si  le  profil  était  dur,  la  face  entière 
démentait  cette  impression  de  dureté,  une  face  où  vivaient  de  beaux 
yeux  aux  regards  francs,  et  qu'ani- 
mait une  bouche  fraîche  et  souriante, 
la  bouche  d  une  bonne  fille  peu  sen- 
suelle, amicale  et  généreuse.  Avec  cela, 
le  corps  menu  de  la  Parisienne,  délicat 
et  gracieux  en  tous  ses  détails,  remar- 
quable par  la  ligne  harmonieuse  et  la 
pâte  ferme  des  seins.  Elle  fut  tout  de 
suite  pour  Manet  le  modèle  idéal, 
c'est-à-dire  exact,  patient,  discret,  peu 
causeur,  et  surtout  d'allure  point  trop 
canaille,  car  le  peintre  qui  allait  fu- 
rieusement scandaliser  les  bourgeois 
poussait  jusqu'au  dandysme  la  réserve 
distante  qu'il  devait  à  son  origine 
d'aristocratie   bourgeoise. 

Il    goûtait    peu    la    blague    et    le    dé-      Manet  -Victorine  Meurent  en  costume 
Kraillp     /^'atolior  cl"espada  (Appartient  à  Mme  H  -O.  Have- 

Drauie   a  atelier.  ^^^^^  ^  New-York. 


298 


LE      BULLETIN 


D'où  venait  la  future  Olympia  ? 
Elle  naquit  sur  le  flanc  de  la  Butte- 
Montmartre,  et  sa  première  jeunesse  dut 
être  celle  de  tant  de  filles  du  peuple, 
mal  résignées  à  la  misère  et  qui  se  savent 
belles.  Un  peu  fantasque,  elle  avait, 
comme  beaucoup  d'autres,  le  travers  de 
se  croire  douée 


Manet. 

Fragment  du  "Déjeuner  sur  l'herbe. 

fCoUeclion   Moreau-Nélaton. 

Musée  des  Arts  Décoratifs.) 


pour  le  théâ- 
tre, pour  la 
musique.  (Elle 
y  ajouta  la 
peinture,  plus 
tard.)  Manet 
se  gardait  bien 
de  la  plaisan- 
ter là-dessus.  Donc,  elle  va  poser  pour  lui, 
d'abord  dans  l'atelier  de  la  rue  de  la  Vic- 
toire, et  quelques  mois  après  dans  celui  de  la 
rue  Guyot,  près  de  la  rue  de  Courcelles.  En 
juin  1862,  elle  pose  pour  la  Chanteuse  des 
rues,  guitare  sous  le  bras  et  mangeant  des 
cerises.  Elle  pose  en  costume  d'espada  et 
puis,    se   dévêtant,    elle   consent    à   figurer   la 


Manet.  —  Lafchanteuse  des  rues. 


nudité    du    premier    plan    dans    le    Déjeuner    (Appart.  à  Mme  Montgomery-Sears. 

sur  rherbe.   L'un    et    l'autre    de    ces    deux  ^    °^'°"  " 

tableaux  allaient  prendre  place,  en 
mai  1 863,  au  Salon  des  Refusés. 
Vers  la  fin  de  1864,  enfin,  elle 
pose  pour  cette  Ol'^mpia  qui  sou- 
leva les  clameurs  indignées  du  pu- 
blic au  Salon  de  1865. 

Une  année  passe,  durant  la- 
quelle Manet  se  contente  d'un  mo- 
dèle professionnel,  la  mère  Lecator. 
En  1 866,  Victorine  reparaît  rue 
Guyot.  Elle  pose  pour  la  Joueuse 
A^^enr.^M^Tp^'^E^r;:4^nis.         àe   guitare.    (Elle  en  jouait,   d'ail- 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE 


299 


Manet.  —  Olympia  (Musée  du  Louvre). 


leurs,  non  sans  agré- 
ment.) Et  sept  années 
s'écoulent.  Plus  de  Vic- 
torine.  Nous  la  retrou- 
vons au  Salon  de  1874, 
dans  le  Chemin  de  fer, 
sous  les  traits  de  la  jeune 
femme  qui,  assise  contre 
la  grille  de  la  rue  de 
Rome,  regarde  pensive- 
ment devant  elle,  de  ses 
beaux  yeux  grands  ou- 
verts. C'est  là  sa  der- 
nière  pose.    L'atelier   de    Manet   ne   la   reverra  plus. 

Le  maître,  entre  temps,  avait  fait  d'elle  un  portrait  admirable, 
qui  est  une  des  perles  de  la  collection  Alphonse  Kann. 

Parlerons-nous  des  amours  de  Victorine?  Cela  ne  nous  regarde 
pas.  Elle  eut  toujours  à  cœur  d'échapper  à  la  galanterie.  Après  avoir 
tenté,  sans  grand  succès,  de  donner  des  leçons  de  musique,  elle  s'avisa 
de  faire  de  la  peinture.  Elle  demanda  des  conseils,  non  pas  à  Alfred 
Stevens,  qui  la  protégeait,  mais  à  Etienne  Leroy,  peintre  obscur.  Elle  se 
crut  bientôt  assez  sûre  d'elle  pour  exposer  au  Salon,  dont  le  jury  ne 

-  lui  tint  pas  rigueur.  Elle 
y  envoya,  en  1876,  son 
propre  portrait,  et,  par  la 
suite,  des  peintures  histo- 
riques ou  anecdotiques. 
Chétives  peinturlurettes! 
A  quoi  lui  servait-il 
d'avoir  vécu  dans  l'inti- 
mité d'un  Manet? 

Mais  qu'est  devenu 
le  portrait  de  celle  qui  fut 
l'Olympia,  peint  par 
l'Olympia  elle-même?  Nos 
recherches  pour  le  décou- 
Manet.  -  Le  chemin  de  fer.  ^rir    sont    demeurées    sans 

(Appartient  à   Mme  Havemeyer,  à  New- York  )  résultat.  TaBARANT. 


300  LE      BULLETIN 


A  propos  d'anatomie 

L'interview  de  M.  le  Professeur  Paul  Richer,  membre  de  l'Institut,  publiée 
récemment  a  ému  notre  confrère,  M.  Edouard  Cuyer.  Il  nous  adresse  une  pro- 
testation dont,  soucieux  d'information  objective,  nous  nous  faisons  un  devoir 
d'insérer  l'essentiel,  encore  qu'elle  semble  révoquer  en  doute  la  fidélité  de 
notre  récit.  M.  Cuyer  affirme  qu'avant  l'avènement  de  M.  Paul  Richer,  son 
prédécesseur,    Mathias    Duval,     appliquait    une    méthode    identique. 

Oui,  nous  avions  le  cadavre,  mais  ce  moyen  de  démonstration 
n'était  pas  le  seul,  car,  de  plus,  à  chaque  leçon  nous  avions  aussi 
le  modèle  vivant.  Qu'il  me  soit  permis  de  rappeler  que,  dans  ma 
suppléance,  j'en  avais  même  deux,  de  nature  différente,  afin  de 
pouvoir  faire  des  comparaisons. 

Et  plus  loin,  dans  le  même  article,  se  trouve  cette  autre  indi- 
cation :  <(  Je  fais  tout  d'abord  dessiner  aux  élèves  les  os  isolément.  » 
Or,  ceci  a  été  fait  de  tout  temps  ;  donc  comme  précédemment,  rien 
de  nouveau.  Il  en  est  de  même  d'ailleurs  pour  la  préoccupation 
exprimée  en  ces  termes  :  «  Je  veux  qu'on  s'applique  à  distinguer  les 
formes  anatomiques  déterminantes  des  formes  extérieures.  »  C'est  ce 
que  depuis  longtemps  on  conseille,  car,  autrement,  l'enseignement  de 
l'anatomie   artistique   n'aurait   pas   de   raison   d'être. 

Edouard  Cuyer. 

<.  On  >  maintient  naturellement  tous  les  ternies  de  l'interview  parue  dans 
la   «  publication  »    que   M.   Cuyer   nous  fait   l'honneur   de    ne   pas    négliger. 

\ous  avons  d'ailleurs  saisi  de  cette  protestation  M.  Paul  Richer,  qui  vent 
bien  y  répondre  ici   : 

Tout  en  rendant  hommage  aux  éminentes  qualités  de  mon  prédé- 
cesseur, M.  le  Professeur  Mathias-Duval,  j'affirme  qu'à  mon  entrée 
à  l'Ecole  des  Beaux-Arts,  il  y  a  eu  quelque  chose  de  changé  et  que 
résolument,  radicalement,  pourrais-je  dire,  mon  enseignement,  depuis 
longtemps  préparé  par  des  travaux  importants  et  de  sérieuses  décou- 
vertes connues  et  acceptées  partout  ailleurs  qu'à  l'Ecole,  a  été  tout 
entier  dirigé  vers  la  Nature  et  vers  la  Vie. 

Mes  récents  ouvrages,  ma  statue  d'Ecorché  en  sont  la  preuve 
manifeste.  On  peut  les  comparer  aux  travaux  de  mes  devanciers. 

Et  les  élèves  ne  m'ont-ils  pas  dit  bien  des  fois  :  «  Vous  nous 
ouvrez  des  horizons  nouveaux.  Vous  nous  apprenez  à  voir.  Autrefois, 
lorsqu'à  l'atelier,  les  «  forts  en  anatomie  »  étaient  appelés  pour  juger 
d'une  forme  sur  le  modèle,  ils  restaient  bouche  bée.  Il  n'en  est  plus 
de   même   aujourd'hui.  » 

D"^  Paul  Richer. 


La  Curiosité 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE  301 


LA   COLLECTION    WILLEMS 


Il  a  été  procédé,  le  jeudi  12  mai,  à  la  galerie  J.  et  A.  Le  Roy 
frères,  à  Bruxelles,  à  la  dispersion  de  la  collection  de  feu  M.  Willems, 
l'amateur  bruxellois. 

La  vente  Willems?  Eh  oui!  Celle-là  même  qui  devait  avoir  lieu 
à  Paris  en  mai  de  l'an  dernier,  à  la  galerie  Georges  Petit.  Mais  de 
lourdes  charges  fiscales  venaient  d'être  décrétées,  très  capables  d'effrayer 
les  amateurs  étrangers,  et  précisément  ce  mois  de  mai  1920  allait  être 
marqué  par  leur  application  première.  Aussi  les  héritiers  Willems 
renoncèrent-ils  à  favoriser  un  marché  que  le  fisc  enfermait  dans  une 
telle  muraille  de  Chine.  Ils  saluèrent  très  poliment  la  France  et  déci- 
dèrent de  mettre  en  vente  en  Belgique  leurs  deux  Rubens,  leur 
Constable,  leurs  trois  Corot,  les  Daubigny,  Troyon,  Théodore  Rous- 
seau, Diaz,  Fromentin,  Marilhat,  Gustave  Moreau,  les  œuvres  des 
deux  Stevens,  d'Anton  Mauve,  de  Knopff,  du  père  de  Groux,  d'Henri 
de  Braekeleer,  etc.,  constituant  la  collection  de  l'homme  de  goiît 
que  fut  Alphonse  Willems. 

La  leçon  nous  profitera-t-elle,  ou  plutôt  sera-t-elle  profitable  aux 
gouvernants  et  aux  législateurs  qui  ne  méditèrent  pas  assez  sur  la  fable 
de  la  poule  aux  œufs  d'or? 

LA  VENTE  DU  VERMEER,  A  AMSTERDAM 

Revenons  sur  la  vente,  à  Amsterdam,  du  Vermeer  de  la  collection 
Six,  la  Petite  rue.  Il  n'a  pas  été  vendu,  en  somme,  mais  racheté  par 
le  professeur  Six,  qui  ne  jugea  pas  digne  de  ce  chef-d'œuvre  le  prix 
de  680.000  francs  où  les  enchères  l'avaient  régulièrement  porté. 

La  demande  était  d'un  million  de  florins  (4.860.000  francs) .  Or, 
les  ventes  hollandaises  ont  ceci  de  particulier,  qu'on  y  part  du  prix 
de  demande,  pour  rétrograder  ensuite  jusqu'au  moment  où  un  enché- 
risseur se  révèle.  La  contre-partie,  alors,  fait  faire  aux  enchères  le 
mouvement  inverse,  qui  tend  à  se  rapprocher  du  prix  demandé. 

C'est  à  530.000  florins  que  se  révéla  l'enchérisseur.  La  famille 
Six  fit  aussitôt  la  contrepartie. 

La  Petite  rue  sera-t-elle  remise  en  vente?  Pas  en  vente  publique, 
non,  certainement. 

T. 


JU-i  LE      BULLETIN 

Ici... 

UNE   CROIX 

Par  décret  rendu  sur  la  proposition  du  ministre  de  la  Guerre,  le 
lieutenant  de  zouaves  Paul  Ebstein  vient  d'être  créé  chevalier  de  la 
Légion  d'honneur,  avec  la  belle  citation  suivante  : 

Officier  plein  d'ardeur  et  de  bravoure.  Crièvement  blessé  le  22  août 
1914  en  entraînant  ses  hommes  à  Vattaque.  A  été  cité. 

Le  Bulletin  est  heureux  de  féliciter  dans  le  brillant  officier,  le 
directeur  de  la  section  moderne  de  la  galerie  d'art  Bernheim-Jeune. 

LES   LEGS   DE   M.   JOSEPH   REINACH 

M.  Joseph  Reinach,  récemment  décédé,  a  légué  aux  musées 
nationaux  de  nombreuses  œuvres  d'art,  notamment  les  portraits  de 
George  Sand,  par  Delacroix,  de  Berlioz,  par  Courbet,  d'Alice  Oz^, 
par  Couture;  les  bustes  de  Mirabeau,  par  Houdon,  des  trois  souverains, 
par  Carpeaux;  la  Liseuse,  de  Dalou  ;  ï Amour  qui  passe,  de  Rodm; 
les  Bords  de  la  Seine,  de  Van  Gogh. 

LES    EXPOSITIONS 

On  visitera  cette  quinzaine  :  Au  Grand-Palais,  les  Salons  de  la 
Société  Nationale  et  des  Artistes  Français.  —  Au  Jeu  de  Paume, 
V Exposition  hollandaise.  —  En  l'Hôtel  de  la  Curiosité,  1 8,  rue  de 
la  Ville-l'Evêque,  Vexposition  Ingres.  —  A  l'Ecole  des  Beaux-Arts, 
l'exposition  rétrospective  de  Luc-Olivier  Merson.  —  Au  Pavillon  de 
Marsan,  jusqu'au  29,  les  expositions  de  Mathurin  Méheut  et  de  Le 
Bourgeois.  —  A  la  galerie  Druet,  jusqu'au  I  7,  les  expositions  du 
Troisième  groupe  et  de  Favorv.  —  A  la  Licorne,  jusqu'au  26,  les 
expositions  des  Peintres  flamands.  —  Chez  Manuel,  rue  Dumont- 
d'Urville,  l'exposition  des  tapis  de  Pierre  Bracquemond  et  des  Déco- 
lateurs  modernes.  —  Chez  Marcel  Bernheim,  jusqu'au  20,  les  œuvres 
de  Maurice  Asselin.  —  Chez  Chéron,  jusqu'au  26,  l'exposition  de 
Mme  Lil'^  Converse.  —  Chez  Paul  Rosenberg,  du  23  mai  au  1  I  juin, 
l'exposition  Picasso.  —  A  Bagatelle,  le  Salon  des  Artistes  de  Paris. 
—  A  la  Galerie  Artes,  8,  rue  Tronchet,  s'ouvrira,  le  2  1 ,  l'exposition 
rétrospective  de  Jean  Pégot-Ogier,  tué  à  l'ennemi.  —  Chïz  Bernheim- 
Jeune,  jusqu'au  21,  les  soixante  nus  modernes;  du  24  mai  au  12  juin, 
Pierre  Bonnard. 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE  303 

...et  ailleurs 

LE  CENTENAIRE  DE  JOHN  CROME 
On  fête  beaucoup  de  centenaires  en  ce  moment.  Il  y  a  quelques 
jours,  c'était,  en  Angleterre,  celui  du  peintre  John  Crome,  mort  en 
1821.  C'est  lui  qui,  en  1814,  ayant  vu  Versailles  pour  la  première 
fois,  et  le  Louvre,  écrivait  à  sa  femme  :  «  Je  ne  peux  pas  vous  décrire 
cela  dans  une  lettre,  w  Cet  artiste  avait  ceci  de  curieux  qu'en  effet  il 
ne  savait  vraiment  bien  s'exprimer  qu'en  peignant.  Fils  d'aubergiste 
et  peintre  d'enseignes  en  sa  jeunesse,  il  fut  un  paysagiste  singulièrement 
libre,  maître  de  sa  vision,  et  dégagé  de  ce  que  des  Anglais  appellent 
le  ((  provincialism  ».  On  a  pu  écrire  de  lui  que  Constable  n'avait  ni 
si  certitude  ni  sa  grandeur  de  dessin,  et  il  fut  souvent  préféré  à  Turner. 
Certains  estiment  outre-Manche,  que  la  leçon  de  son  art  ouvrit  les  yeux 
à  plus  d'un  maître  de  Barbizon.  Aucun  peintre  ne  fut  moins  littéraire, 
mais  il  fut  poète  par  ses  propres  moyens,  et  dans  son  art  seulement. 
Cela  est  parfait  ainsi  :  la  postérité  le  lui  prouve  aujourd'hui  avec  éclat. 

NOUVELLES  TAPISSERIES  AU  VICTORIA  AND  ALBERT  MUSEUM 
Sur  le  legs  Murray  (1910),   le  Victoria  and  Albert  Muséum  a 
prélevé   les   fonds  nécessaires   à   l'achat   de   diverses   tapisseries,   parmi 
lesquelles  la  plus  remarquable  est  signée   Daniel   Leguiers  (Bruxelles, 
XVII"  siècle)    et  représente  une  scène  paysanne  d'après  Teniers. 

LES  DISPARUS 
La  mort  de  Ernesto  Nathan,  ancien  maire  de  Rome,  a  fait  couler 
de  l'encre  qui  n'était  pas  toujours  sympathique.  Ceux  des  Romains  qui 
sont  partisans  de  la  plus  rigoureuse  conservation  de  la  Rome  de  leurs 
aïeux,  n'ont  pas  pardonné  à  l'ex-magistrat  municipal,  son  modernisme 
intensif.  Ils  ont  rappelé  avec  aigreur  certaines  de  ses  boutades,  alors 
qu'on  le  blâmait  de  bouleverser  l'inviolable  cité  :  «  Je  ne  veux  pas 
embaumer  Rome.  Ce  n'est  pas  un  musée,  et  ce  doit  être  une  ville 
moderne!  )i,  ou  bien  encore  :  «  Je  veux  faire  de  cette  capitale  autre 
chose  qu'une  Sodome.  » 

De  telles  «  sorties  »  ne  se  pardonnent  guère,  non  plus  que  cette 
dernière  apostrophe,  qui  est  pourtant  sans  réplique  :  ((  Michel-Ange, 
pour  bâtir  votre  Rome  palatiale,  a  bousculé  un  tas  de  vieilles  maisons. 
Je  puis  bien  en  faire  autant.  »  Aussi  bien,  les  nécrologies  n'ont  pas 
épargné  au  défunt  l'épithète  de   ((   Nathan  le  vandale   ». 


LE      BULLETIN 


Paroles 


O  Beauté,  monstre... 

(  lUl DKI.AIIIF..) 


Un  maître  qui  fut  aussi  vaillant  soldat  recevait  récemment  la  visite 
d'un  ancien  compagnon  d'armes,  qui  ((  fit  »  Salonique.  L'on  échangea 
des  impressions,  des  souvenirs...  Le  «  poilu  »  marquait  une  certaine 
hésitation... 

—  Enfin,  que  veux-tu  dire?  fit  l'artiste. 

—  Voilà!  C'est  que  vous  autres,  les  peintres,  vous  êtes  des 
<(  bourreurs  de  crâne  ». 

—  Oh! 

—  J'ai  vu,  à  Salonique,  des  femmes  de  toutes  les  couleurs  et  de 
toutes  les  formes.  Ben,  mon  vieux!  Quand  j'y  croirai  maintenant,  à 
votre  Vénus  de  Milo... 


Ce  précieux  tapis,  tissé  au  XV!!*^  siècle  en  Asie  Mineure, 
vient  d'être  acquis  par  le  Louvre. 


Le  Gérant  :  Despobtes 


Moderne    imprimerie,    Loth.  Dir',    37,    rue    Uaudon,    Pans. 


KtlTIKNC( 
lltliAKY