2' Année NMO. 15 Mai 1921
LE
BULLETIN
DE LA
VIE ARTISTIQUE
PARAISSANT DEUX FOIS PAR MOIS
#
PARIS
MM. BERNHEIM-JEUNE, ÉDITEURS D'ART
25, BOULEVARD DE LA MADELEINE
15, RUE RICHEPANCE
1 fr. 25 le Numéro
LE
BULLETIN
DE LA
VIE ARTISTIQUE
Paraît le i" et le 15 de chaque mois.
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Six mois. Douze francs
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LE BULLETIN DE LA VIE ARTISTIQUE
RACHÈTERAIT A 24 FRANCS TOUTE
COLLECTION EN BON ÉTAT DE SES
24 PREMIERS NUMÉROS
LE
BULLETIN
DE LA
VIE ARTISTIQUE
15 Mal 1921
PARJS
MM. BERNHEIM-JEUNE, ÉDITEURS D'ART
25, BOULEVARD DE LA MADELEINE
15 RUE RICHEPANCE
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BULLETIN DE LA VIE ARTISTIQUE
2e Année. N° 10. 15 Mai 1921
Rédacteurs : MM. Félix Fénéon, Pascal Forthuny Guillaume Janneau
André Marty, Tabarant.
SOMMAIRE
Pour des artistes qu'on dépouille.
Vente des séquestres Uhde et Kaknweiler.
La grande pitié de nos statues.
Impressions du Japon.
Joachim Gasquet.
Le Courrier de la Presse.
Celle qui fut " l'Olympia
A propos d'anatomie.
La Curiosité.
Ici...
. ..et ciilleurs.
Paroles.
Pour des artistes qu'on dépouille
Les ventes des biens allemands séquestrés ont provoqué déjà des
plaintes. On leur a reproché ce sens de l'intempestif que possède notre
administration, dédaigneuse de toute opération commerciale, vendant
à contre-temps. Assurément jamais créancier n'a surveillé moins atten-
tivement la gestion de ses intérêts. La dispersion qui se prépare de
certaines collections ou plutôt de certains magasins séquestrés n'est
pas de nature à rétablir la confiance en ses méthodes.
Les négociants allemands qui avaient constitué ces dépôts n'ac-
cordaient leur estime qu'à la jeune peinture. Indifférents à nos opinions
traditionnelles, en effet, l'étranger et non pas seulement l'Allemagne,
n'a de goût que pour les formes d'art qui lui semblent refîéter les
curiosités modernes. Ces collections, limitées à quelques auteurs, vont
inonder tout d'un coup le marché. Les artistes sont livrés sans défense
à la spéculation.
Connues, appréciées, goûtées, les victimes de cette opération impru-
dente pouvaient compter sur la sympathie d'un public. Voici leurs
espoirs confondus ; voici détruit, brusquement, l'effet de vingt ans
d'efforts et de sacrifices. Or, les artistes dont le fisc se joue ainsi sont
pour la plupart d'anciens combattants; ils ont fait tout leur devoir
pendant les années tragiques. L'un d'eux est un grand blessé. L'Etat
voudra-t-il procéder avec un tel mépris des plus légitimes intérêts de
ses soldats d'hier? Sera-t-il sourd à leurs protestations?
Si la liquidation des biens allemands séquestrés n'entraîne aucune
284 LE BULLETIN
conséquence lorsqu'elle s'exerce sur des objets ou des denrées sans
personnalité, il en va tout autrement lorsqu'il s'agit d'art. Les biens
saisis qui vont être vendus sont d'une nature très particulière, au regard
de l'équité sinon du droit formel. La production déjà réalisée d'un
artiste demeure le fondement de son succès. Il sied qu'on maintienne
à l'auteur une certaine faculté de contrôle sur les traitements que
pourrait essuyer son œuvre.
Exécutant les dispositions du traité de Versailles, l'Etat français
s'empare des éléments de sa créance qu'il trouve entre les mains des
ressortissants de la nation débitrice. La loi n'admet, il est vrai, aucun
départ entre les objets mobiliers. Un tableau cédé par un peintre
devient la propriété absolue de l'acquéreur, et partage le destin des
autres effets qui forment l'avoir saisissable du propriétaire.
Toutefois la jurisprudence exceptionnelle issue du traité entraîne
là une conséquence qu'assurément nul n'a prévue. L'Etat français,
pour exercer contre son débiteur un droit coercitif, se trouve n'avoir
d'autre moyen que de frapper de la manière la plus cruelle ses propres
citoyens. L'histoire de Clitandre feignant de battre son valet et
chargeant de coups Georges Dandin est, dans Molière, prodigieu-
sement comique. Elle ne l'est pas du tout dans le cas présent, parce
que le personnage sympathique de la pièce est justement le battu.
Dans l'état de trouble économique déterminé par la guerre, cent
collections d'oeuvres d'artistes vivants sont exposées à pareil sort. Il
importe de corriger le vice d'une législation imprévoyante. Il convient
de protéger contre ses ricochets les artistes, fort empêchés de se défendre
eux-mêmes.
Il s'agit — soyons nets — de porter atteinte au Code. Déjà,
l'institution du droit de suite a fourni l'heureux précédent d'une modi-
fication apportée à la jurisprudence fondamentale. Il en est d'autres
exemples, et l'on sait à la fois des privilèges et des restrictions qui
constituent proprement des dérogations au droit commun. C'est qu'en
effet, dans une nation bien administrée, ce sont les lois qui s'adaptent
aux mœurs et non celles-ci qui s'appliquent aux lois.
Dans le duel qui se livre, il ne faut pas que les balles échangées
n'aient pour tout résultat que de tuer le témoin, — de léser les tiers :
DE LA VIE ARTISTIQUE 285
car les négociants séquestrés doivent être indemnisés par leur gouver-
nement. Le Bulletin, en signalant cette situation singulière aux pouvoirs
publics, — certain que des voix autorisées s'élèveront au sein des
assemblées parlementaires en faveur des artistes — n'a d'autre objet
que de réclamer pour ceux-ci non point de la bienveillance, mais la
simple équité.
Guillaume Janneau.
La vente des séquestres Uhde et Kahnweiler
UNE ENQUÊTE
11 faut le dire tout net : le geste de l'Etat, jetant sur le marché
des centaines d'oeuvres de jeunes artistes, sous prétexte de réaliser,
selon la formule judiciaire, « des biens ayant fait l'objet d'un séquestre
de guerre », ce geste inopportun est durement qualifié dans les milieux
d'art, où l'émotion qu'il suscite est faite à la fois de surprise, de
tristesse et d'indignation. Quoi! Serait-ce donc ainsi que les pouvoirs
publics entendent la protection de l'art et des artistes? Taijt de belles
promesses et de grands discours n'auraient-ils été que rhétorique et
duperie? Non, non, ce n'est pas possible. Les artistes espèrent encore,
et avec eux tous ceux qui les aiment, tous ceux qui tiennent à sauve-
garder le glorieux renom artistique de notre pays. Il ne sera pas dit
que la loi sacrifiera le caractère personnel de l'œuvre d'art, alors
que par ailleurs elle s'ingénie à prolonger les droits du créateur de
cette œuvre, dont la propriété matérielle seule est aliénée par lui. Il
ne sera pas dit non plus que des artistes qui firent tout leur devoir
durant la guerre, seront aujourd'hui victimes des représailles exercées
contre l'Allemagne. Se pourrait-il que la France eût pour eux deux
visages : celui de la Patrie, qui leur sourit, et celui de l'Etat, qui
les menace ? Non, certes, car ce serait abominable, et nous nous
plaisons à croire qu'on nous épargnera l'argument d'une si mons-
trueuse dualité.
Quelques artistes protestataires nous ont écrit. M. Maurice Vlaminck
est de ceux-là. El sa protestation a la véhémence de sa peinture même.
On p retrouve ce mouvement passionné qui prête une émotion drama-
286
LE BULLETIN
tique à ses fulgurants paysages.
De la lettre qu'il nous adresse,
voici les passages essentiels :
Je conteste énergiquement
au liquidateur du séquestre
Kahnweiler, déclare-t-il, le droit
de me faire un tort inappréciable
en lançant délibérément sur le
marché, par paquets ou en bloc,
mon travail de dix années.
Je revendique la propriété
de mon œuvre (une loi votée ré-
cemment ne reconnaît-elle pas
que la propriété de l'artiste lui survit même, en créant un droit de
suite à lui et à ses héritiers, sur ses œuvres vendues en vente publique?) .
Je demande — et je crois me tenir dans la plus stricte légalité — à
racheter mes œuvres au prix que je les ai vendues au séquestré.
Mais je me refuse à comprendre que le liquidateur puisse spéculer
sur le travail d'un peintre français mobilisé pendant cinq ans de
guerre, car dans le cas présent le liquidateur ne recouvre pas des
biens ennemis, mais spécule sur mon œuvre, hypothèque et ruine
toute une carrière et un avenir par une interprétation fausse d'une loi,
pour le seul plaisir d'éparpiller mes œuvres dans les mains de spécu-
lateurs avides.
Wlaminck. — Paysage.
En M. André Derain se révèle un esprit d'argumentation presque
juridique. Ce beau peintre qui enferme tant de force et de sensibilité
dans le moindre accent de couleur, ce magicien du modelé de la chair
voudrait pouvoir faire confiance à la légalité :
Il est évident, écrit-il, que cette vente n'atteindra pas seulement
les peintres directement intéressés, mais aussi toute la peinture.
Je ne suis pas d'avis de donner une publicité à cette aiîaire qui
soulève tant d'intérêts contradictoires. Les voies légales, dont personne
ne parle jamais, sont cependant celles qui me donnent le plus d'espoir.
Il est dit qu'en cas de contestation, d'opposition aux ventes des
séquestres, un tribunal spécialement commis à cet effet décide si oui
ou non la vente doit être faite.
DE LA VIE ARTISTIQUE
287
Ce tribunal peut être consulté et peut
aussi nous entendre, tous peintres françiais
qui avons fait ce que nous devions faire
pendant la guerre. En conséquence, je crois
qu'il suffit simplement de provoquer cette
légalité pour obtenir satisfaction. La Cham-
bre syndicale des marchands de tableaux
pourrait être d'un grand appui, mais là
aussi les intérêts sont divers.
Le mieux est qu'on nous rende nos
toiles, à charge de payer à l'Etat une rede-
vance sur leur vente.
M. Fernand Léger, qui appartient à
la militante phalange des cubistes, s])nthé-
tistes de robjeciivité picturale, pose la question
netteté :
Deraln. — Nu.
avec beaucoup de
Je maintiens entièrement le point de vue que nous avons exposé
à M. Zaap, liquidateur des biens Kahnweiler, à savoir :
Qu'une liquidation, même dans les meilleures conditions, est très
aléatoire; que je m'y oppose; que je demande à rentrer en possession
de mes tableaux, avec réserve de dédommager l'Etat de ses frais
(point de vue défendu par M. Zaap lui-même dans un rapport à
M. le Procureur de la République) .
Il est inconcevable que des actes importants touchant de tout près
à des intérêts vitaux d'hommes qui ont combattu toute la guerre, soient
décidés par l'Etat français sans que l'on considère leur désir et que
l'on en tienne compte.
A^'p a-t-il pas quelque contradiction entre ces dernières lignes de
M. Fernand Léger et les premières?
Une incomparable fraîcheur de vision, une allègre délicatesse de
coloris, un don unique de la notation condensée : cest là tout Raoul
Duf^. Nous trouvons le peintre dans son atelier, là-haut, à mi-chemin
du sommet de la Butte. Sa déclaration confirme celle de ses camarades :
Certes, personnellement je n'ai pas à me préoccuper beaucoup de
ces ventes, car j'ai tout juste trois toiles dans l'un des deux séquestres,
LE BULLETIN
celui d'Uhde. Mais je ne m'as-
socie pas moins aux revendica-
tions des peintres qui sont plus
directement menacés, et dont je
conçois parfaitement les craintes.
Ces ventes pourront leur causer
un grave préjudice, et j'estime
que si l'Etat y renonçait, cela
ne léserait pas l'intérêt public
dans la mesure où elles vont léser
l'intérêt individuel. C'est un vé-
ritable déni de justice que l'on
va, sous prétexte d'appliquer la
loi, commettre à l'égard des artistes.
Raoul Dufy. — Paysage de \'ente.
Mais si nous entendions Vautre cloche? Et qui donc pourrait nous
la mieux faire entendre que M. Léonce Rosenberg? En ce moment
même, il établit le catalogue des œuvres d'art que contiennent les
séquestres Uhde et Kahnrveiler, et qui, sous sa direction, doivent
passer en vente. Il nous est malheureusement Impossible de reproduire
en entier la longue lettre quil a bien voulu nous adresser. Elle a, elle
aussi, sa véhémence :
La Loi est une et indivisible. Parce que la Nature les a gratifiés
du don précieux de nous charmer ou même de nous émouvoir, en
créant de belles images sur des rectangles de toile de tous formats,
vos protestataires ne peuvent prétendre bénéficier d'un régime de
faveur. Si le don naturel était un cas d'exemption, toutes les valeurs
Ae l'activité humaine pourraient l'invoquer.
L'Etat, en vertu d'une loi formelle, doit réaliser un gage qu'il
détient, pour se payer partiellement de la dette de nos anciens ennemis.
Peut-il admettre que le producteur intervienne dans la réalisation de
la production qu'il a cédée, en bonne et due forme, à un tiers? Evi-
demment non. Dans le cas contraire, le droit de propriété qui régit
notre société serait aliéné.
Si les artistes ne veulent pas que leurs œuvres retombent sur le
marché, ils n'ont qu'à les conserver ou à ne les céder qu'à des musées.
Il y a pourtant un remède : c'est qu'ils produisent moins et mieux.
DE LA VIE ARTISTIQUE . 289
Mais beaucoup produisent en un an plus de tableaux que Rembrandt»
Raphaël ou Ingres n'en faisaient dans toute leur vie.
Vos protestataires craignent-ils pour leur production passée? Mais
ils en ont déjà touché amiablement la valeur. Pour leur production
présente? Mais ils ont des traités en règle avec des négociants en
tableaux — pour qui les contrats ne sont pas des chiffons de papier
— qui tiendront, il va de soi, leurs engagements en cours, quel que
soit le résultat de la vente K... Enfin, pour leur production fature>
Ou ces artistes ont de la valeur ou ils n'en ont pas. S'ils n'en ont point,
alors, vive la vente! qui exécutera définitivement des non-valeurs. Mais,
s'ils en ont — et c'est mon humble avis dans le cas présent — même
si les prix devaient quelque peu fléchir — et je suis persuadé du
contraire — ils remonteraient vite, après que le marché aurait été
délivré de la menace d'une pareille quantité d'invendus, dans une seule
main faillible ou mortelle, car la qualité s'impose toujours définiti-
vement, tôt ou tard.
Si on avait posé à Giotto, Raphaël, Rembrandt, Ingres ou Cézanne
la question (( marché », ils auraient aussitôt répondu : « Marché?
connais pas... Parlons peinture... si vous le voulez bien. »
Et M. Léonce Rosenberg conclut à la fois par un hommage aux
pouvoirs publics et par une acerbe critique des appréhensions que mani-
festent les protestataires, ce « défaitisme public avant la lutte »,
apprécie-t-il.
Notre consultation sera continuée.
Tabarant.
LEgypte au British Muséum
Elle vient d'être augmentée de deux salles, ce qui en porte le
nombre à six. Dans l'une des « chambres n nouvelles, a été dis-
posée une riche collection de cercueils anthropoïdes antérieurs à la
XVir' dynastie. On a osé changer de place la fameuse momie du
Collège de Amen-Râ (n" 22.542). C'est pourtant la momie fatale
à laquelle on attribue tant de malheurs dans le passé et le présent.
L'illustre « psychiste », M. Stead, affirmait que le « corps astral n
de la prêtresse ne tolérait pas que l'on touchât à la momie. Rien de
fâcheux ne s'est encore produit au Muséum. Mais ce sera peut-être
pour demain...
290 LE BULLETIN
La grande pitié de nos statues
Une enquête. — II.
Deux dépositions capitales, jetées dans le débat que nous avions
ouvert, constituent ce que les juristes appellent le « fait nouveau ».
L'avis du savant technicien quest M. Charles Cénu])s, inspecteur
général des Monuments historiques, nous sera précieux. M. Cénuvs
dirige, parmi quelques restaurations périlleuses, celle de la cathédrale
de Reims. C'est un peu la somme de ses observations quil condense
dans cette lettre :
Les statues dont le sort préoccupe à juste titre M. le Rapporteur
des Beaux-Arts au Sénat, sont sans doute celles de marbre qui occupent
ou décorent nos places et nos jardins publics.
Il est malheureusement certain que l'atmosphère des villes de nos
régions, humide et chargée de vapeurs acides, — d'acide sulfureux
entre autres, — est peu favorable à la conservation du marbre.
Une combinaison chimique s'opère sans doute à sa surface, modifie
la contexture de son épiderme qui, de translucide devient opaque, et
en facilite la désagrégation sous l'action continue de la pluie.
Notons en outre que tous les marbres sont plus ou moins poreux;
absorbant l'eau, ils peuvent geler comme de modestes pierres, et après
un froid vif et intempestif se trouver privés de leurs parties les plus
délicates, doigts, mains, nez, ou fendus dans leur masse, témoins entre
autres, autour du grand bassin des Tuileries, le A^i7 et les Termes des
Saisons de N. Coustou et Van Clève.
Mais constater le mal n'est pas le guérir; en observer la nature
et en rechercher la cause peuvent guider dans la voie où le remède
peut se rencontrer.
Déjà, il y a une trentaine d'années, l'éminent statuaire Eugène
Guillaume avait proposé de revêtir d'un enduit de cire les marbres
de nos jardins, mais surtout en vue d'empêcher le développement des
germes de végétations apportés par le vent ou les oiseaux dans les
pores de la matière.
Je ne sais dans quelle mesure le procédé a été appliqué. Il me
semble dans tous les cas insuffisant et peu durable, de même que
l'emploi de la paraffine ou de l'huile de lin chaude, parfois aussi
conseillé.
DE LA VIE ARTISTIQUE 291
Pour la pierre calcaire commune, des cas d'expériences de dix
années et plus peuvent permettre de croire à l'efficacité de certains
traitements consistant en application de solutions, non du silicate con-
damnable, mais de fluosilicates ou de sels de baryte appropriés.
Sous leur action se forme un composé chimique dur et insoluble
qui tout en laissant, selon l'expression admise, respirer la matière,
assure à sa surface une résistance infiniment plus grande aux agents
de destruction.
Or, tout comme la pierre, le marbre est un carbonate de chaux.
La cristallisation en est seule différente; on peut tout au moins essayer
de les traiter de la même manière.
Si après expérience il était établi que le procédé peut être employé
sans danger, qu'il ne modifie en rien l'aspect du marbre et lui conserve,
au contraire, toute sa délicatesse et sa fraîcheur d'épiderme, le problème
pourrait être considéré comme résolu.
L'essai a-t-il été tenté? Il serait bon dans tous les cas qu'il le fiât
à nouveau avec toutes les garanties de contrôle nécessaires, et au
besoin avec l'aide des laboratoires officiels qui détiennent les réponses
rapides, en suppléant à l'action du temps et des hivers rigoureux.
Ainsi sans attendre dix longues nouvelles années, le Bulletin
pourrait enregistrer un résultat — que je m'impose d'espérer intéressant
— car, je le répète, il ne peut entrer dans ma pensée que d'indiquer
une voie et non d'affirmer.
Ce qu'il importe d'éviter, c'est que l'on ne conclue que nos
statues de marbre ne pouvant vivre dans le plein air doivent, pour leur
salut, être enfermées dans les musées pour lesquels elles n'ont pas été
conçues.
Charles Génuys.
L'éminent inspecteur général conclut en faveur des recherches
tentées, a L'idéal, nous confiait-il récemment, serait de pratiquer l'expé-
rience sur dix statues médiocres de nos jardins, qui subiraient chacune
un des divers traitements projetés. » Mais le maître Antoine Bourdelle
parle en artiste plutôt qu'en conservateur. Abordant de front — et de
haut — le problème, il affirme à nouveau sa foi dans la vie profonde
de l'œuvre d'art.
Pour les architectures et sculptures de pierres de roche, ou de
pierres de marbre, il vaut mieux la destruction, ou la mutilation natu-
LE BULLETIN
relie du temps, que le déshonneur, par défiguration à l'aide d'enduits,
ou par grattages.
Si l'on se sert de durcisseurs liquides pénétrants, alors cela est
tout à fait différent. Si les matières durcissantes pénètrent, ne font pas
épaisseur sur les formes, alors tout est bien.
Hors du procédé liquide, le reste tue l'esprit construit et sculpté.
Mais il y a une chose à faire.
Lorsqu'il est avéré qu'une pierre, qu'un marbre, sont grandes
œuvres, que la maîtrise est certaine en
ces ouvrages : Alors, il faut envoyer des
mouleurs estampeurs, ceux qui prennent
un bon creux à l'aide de moules d'argile,
recouverts de chapes de plâtre. Cela, par
l'épreuve de plâtre mise dans un musée,
et, qui peut être reproduite en d'autres
exemplaires, cela conserve l'œuvre à tout
jamais.
Il n'y a, au fond, que ce /no}jen-/à.
Toute pierre s'effritera, disparaîtra au
cours des temps. Mais moulée à l'aide
d'empreintes de terre {moulages faits avec
le plus grand soin) , on peut garder toutes
les œuvres de haute valeur.
J'ai offert à mon pays, de copier en
pierre sur un plâtre du Trocadéro, une
des principales figures des porches de
Notre-Dame de Reims. Cette figure, je
me fais fort de la reproduire {une seule) , de la refaire en pierre exac-
tement et cela devant tous les vrais grands ouvriers statuaires de
France : ils sont peu nombreux, ceux qui sont de véritables sculpteurs
— l'amateur indigne pullule — le vrai imagier disparaît.
Vous pouvez pallier à cela. J'attends d'être mis à l'épreuve,
l'Etat payera les manœuvres, mon long travail sera gratuit. Mais
Notre-Dame de Reims est un tel chef-d'œuvre de sculpture, que
c'est la plus simple piété que de lui consacrer du temps. Cela serait
pour moi la joie la plus haute que de fermer une de ses blessures.
Antoine Bourdelle.
Antoine Bourdelle. -
à l'Enfant (Salon de 1
La Vierge
Nationale).
DE LA VIE ARTISTIQUE
293
Impressions du Japon
^Jk
faire!
M.
Mathur
Méheut. — Les Marches dj Temple
aquarelle.
LE VOYAGE ABREGE
DE M. MÉHEUT
y avait tant à voir! tant
un monde à découvrir! »
Mathurin Méheut réunit
au Pavillon de Marsan, outre une
abondante production décorative,
une centaine de dessins aquarelles
rapportés du Japon. Utilisant la
bourse de voyage conquise en 1913,
le peintre, après escale aux îles
Hawaï, prenait contact avec le
vieil empire. Quatre mois plus tard,
la mobilisation le rappelait. Le beau
voyage était interrompu : le peintre
n'en est pas consolé. Il garde moins
la nostalgie de l'Orient que le regret de n'avoir pu qu'ébaucher l'œuvre
énorme qu'il projetait.
Tout ceci n'est rien, s'écrie l'artiste. Ce
voyage. Je ne prévoyais pas, naturellement,
lieu de chercher à composer quelques
oeuvres, je voulais recueillir d'abord une
documentation précise. Je divisai mes re-
cherches selon leur thème : les moeurs
agricoles, la liturgie, les temples, les fon-
taines, l'architecture domestique... Je pus
heureusement travailler un peu... »
M. Mathurin Méheut est un Breton
scrupuleux. La méthode même qu'il adop-
ta marque le besoin d'ordre de son esprit
sérieux. Il s'attache à son labeur comme
un chartiste à la découverte d'une faute
d'orthographe dans une épopée. Mais son
but est plus haut : c'est l'accent de la
vie qu'il veut saisir.
Ti ' . 1 • •,. Mathurin Méheut. — Poissons
— 11 n est pas un peuple qui soit ^^3 g,^„j„ profondeurs, aquarelle.
sont que des notes ^e
si prompt retour. Au
294
LE BULLETIN
|f%r*^'
Mathurin Méheut. — Le Printemps
sur la mer, peinture à la i
aussi naturellement artiste, fait-il.
Voyez comme ces cabanes de paysans
sont ingénieusement placées, comme
elles utilisent, pour s'abriter d'abord,
puis pour se parer de ses rameaux, un
arbre heureusement poussé. Voyez ces
fontaines établies en pleine terre, dans
les champs, parfois assez loin de toute
agglomération rurale : quel grand
style, quel génie d'invention, quel
esprit! »
D'éclatantes aquarelles évoquent,
en effet, d'adorables formes : dragons
musculeux lovés autour des margelles,
animaux chimériques vomissant l'eau.
D'autres dépeignent les temples somp-
tueux flanqués de colonnes, précédés
de haies monumentales, hantés des
biches sacrées, élégantes et familières. Quelques-unes montrent, placées
à l'orée d'un bois, ces petits temples shintoïstes faits comme un portique
€t destinés à offrir au dieu Soleil un reposoir.
— Il était amusant, observe M. Méheut, d'étudier en décorateur
français l'art décoratif japonais. J'ai vu là-bas ces arbres domptés
par des tiges de bambou, sortes de tuteurs horizontaux qui imposent
aux arbres les déploiements en parasols dont la préparation nous
échappait.
« Tous les Nippons sont sensibles aux beautés de cet ordre. Il
n'est pas une école japonaise qui n'enseigne l'art autant que les sciences.
Entrez dans la cabane de l'agriculteur qui patauge dans ses puantes
rizières : vous y trouve-
rez, habilement disposés,
quelque beau bois grenu,
quelque poterie rustique
lumineuse. Vous y trou-
verez toujours des fleurs.
On enseigne encore aux
jeunes Japonaises l'art de
composer des bouquets. »
DE LA VIE ARTISTIQUE
295
— Les influences rationalistes venues de l'Occident n'ont-elles
pas altéré les mœurs locales?
— Sans doute elles ont provoqué certains abandons des usages
régionaux, mais sans transformer totalement les mœurs. Le Japonais
reste un artiste, fidèle d'ailleurs à ses méthodes originelles.
— Vous avez connu là-bas des confrères. Quelles impressions...
— Les leurs? Ils commençaient toujours par railler entre eux
les procédés d'expression français. Puis ils y prenaient goiit : c'était
une chose neuve à quoi s'intéressait leur curiosité. Et dès lors ils ne
me quittaient plus. Il était bien difficile de travailler dans ces conditions,
et pourtant j'étais obligé de faire appel à eux, comme introducteurs... »
Mais M. Méheut enveloppe d'un long regard les aquarelles qui
tapissent le Pavillon de Marsan.
Tout
ce qu il y avait
fai
murmure-t-il
G. J.
Joachim Gasquet
En Joachim Gasquet, les arts autant que les bonnes lettres perdent
une voix chaleureuse, un talent généreux, une foi intrépide. Il disparaît
sans qu'une intervention chirurgicale ait pu l'arracher à la tombe
soudainement ouverte.
Il était naturellement poète. Il possédait en lui la source inépuisée
d'un lyrisme abondant. Le verbe éclatant
comme une fanfare de cuivres sonnait la joie
de vivre, l'appel à l'énergie.
Tout enfant, il avait vécu aux côtés d'un
homme singulier, farouche et candide, vaste
génie qui de ses mains ensanglantées écartait
le rideau de ronces masquant un monde
nouveau : Paul Cézanne. Le peintre se con-
fiait à ce jeune homme fougueux comme lui
et profondément artiste : d'où ce livre éton-
nant, plein d'aperçus étranges et subtils
comme une musique inouïe, que Joachim cézanne — Joachim Gasquet
Gasquet venait d'écrire.
Il préparait un Courbet qu'il laisse presque achevé. Il avait défendu
de toute son ardeur le mouvement moderne. Il avait été, volontairement,
porte-drapeau d'un régiment, pendant la guerre. Il avait trouvé là
sa fonction naturelle. C'est un porte-drapeau qui meurt...
296
LE BULLETIN
Le Courrier de la Presse
LA NOUVELLE LEÇON d'iNGRES
Après avoir organisé, de concert avec M. Waller Berry et le
comte Etienne de Beaumont, la magnifique exposition du maître mon-
talbanais, M. Henry Lapauze offre à Ingres, divinité qu'il révère, un
nouvel hommage : celui d'un numéro spécial de la Renaissance de
Ingre
— Son portrait. 1858.
: des Uffizzi, Florence.
Clichés de la
Ingres. - Portrait de Mme Reiset. 1846.
Collection de Ségur-Lamoignon.
'Renaissance de l'Art>i.
l'Art. Lui-même dégage, en une étude clairvovante, la nouvelle leçon
du grand puriste.
Il m'a paru, observe-t-il avec raison, que cette exposition au profit
des blessés de la face, vaillants qui se sont sacrifiés à la Patrie, arrivait
à son heure. Nos jeunes artistes vont, hélas! à la dérive, ne sachant
au juste auquel entendre. Je vois bien qu'ils cherchent leur voie avec
une entière bonne foi, mais personne n'est là pour la leur indiquer.
On parle volontiers de reconstruction, d'ordre, de discipline. Et on croit
entendre M. Ingres lui-même...
Et M. Henry Lapauze cite quelques-uns des plus caractéristiques
préceptes du maître. Puissante éloquence d'un esprit naturellement haut,
de qui la pensée spiritualiste domine et anime le génie.
DE LA VIE ARTISTIQUE
Celle qui fut 'TOlympia''
Manet. — Portrait de Victorine Meurent
< Collection Alphonse Kann.)
Elle s'appelait Victorine-Louise
Meurent — avec un t, et non un
d, orthographe erronée que les his-
toriens de l'art moderne ont admise,
et que nous retrouvons dans tous les
catalogues. Théodore Duret nous
apprend que Manet ayant rencontré
cette jeune fille par hasard, au mi-
lieu de la foule, dans une salle du
Palais de Justice, « avait été frap-
pé de son aspect original et de sa
manière d'être tranchée ». C'était
au printemps de 1 862. Elle ne
comptait guère plus de vingt ans,
nous a dit Edmond Bazire, et
pourtant on lui en eiît bien donné vingt-cinq, tant ses traits se mar-
quaient de gravité. Il est vrai que si le profil était dur, la face entière
démentait cette impression de dureté, une face où vivaient de beaux
yeux aux regards francs, et qu'ani-
mait une bouche fraîche et souriante,
la bouche d une bonne fille peu sen-
suelle, amicale et généreuse. Avec cela,
le corps menu de la Parisienne, délicat
et gracieux en tous ses détails, remar-
quable par la ligne harmonieuse et la
pâte ferme des seins. Elle fut tout de
suite pour Manet le modèle idéal,
c'est-à-dire exact, patient, discret, peu
causeur, et surtout d'allure point trop
canaille, car le peintre qui allait fu-
rieusement scandaliser les bourgeois
poussait jusqu'au dandysme la réserve
distante qu'il devait à son origine
d'aristocratie bourgeoise.
Il goûtait peu la blague et le dé- Manet -Victorine Meurent en costume
Kraillp /^'atolior cl"espada (Appartient à Mme H -O. Have-
Drauie a atelier. ^^^^^ ^ New-York.
298
LE BULLETIN
D'où venait la future Olympia ?
Elle naquit sur le flanc de la Butte-
Montmartre, et sa première jeunesse dut
être celle de tant de filles du peuple,
mal résignées à la misère et qui se savent
belles. Un peu fantasque, elle avait,
comme beaucoup d'autres, le travers de
se croire douée
Manet.
Fragment du "Déjeuner sur l'herbe.
fCoUeclion Moreau-Nélaton.
Musée des Arts Décoratifs.)
pour le théâ-
tre, pour la
musique. (Elle
y ajouta la
peinture, plus
tard.) Manet
se gardait bien
de la plaisan-
ter là-dessus. Donc, elle va poser pour lui,
d'abord dans l'atelier de la rue de la Vic-
toire, et quelques mois après dans celui de la
rue Guyot, près de la rue de Courcelles. En
juin 1862, elle pose pour la Chanteuse des
rues, guitare sous le bras et mangeant des
cerises. Elle pose en costume d'espada et
puis, se dévêtant, elle consent à figurer la
Manet. — Lafchanteuse des rues.
nudité du premier plan dans le Déjeuner (Appart. à Mme Montgomery-Sears.
sur rherbe. L'un et l'autre de ces deux ^ °^'°" "
tableaux allaient prendre place, en
mai 1 863, au Salon des Refusés.
Vers la fin de 1864, enfin, elle
pose pour cette Ol'^mpia qui sou-
leva les clameurs indignées du pu-
blic au Salon de 1865.
Une année passe, durant la-
quelle Manet se contente d'un mo-
dèle professionnel, la mère Lecator.
En 1 866, Victorine reparaît rue
Guyot. Elle pose pour la Joueuse
A^^enr.^M^Tp^'^E^r;:4^nis. àe guitare. (Elle en jouait, d'ail-
DE LA VIE ARTISTIQUE
299
Manet. — Olympia (Musée du Louvre).
leurs, non sans agré-
ment.) Et sept années
s'écoulent. Plus de Vic-
torine. Nous la retrou-
vons au Salon de 1874,
dans le Chemin de fer,
sous les traits de la jeune
femme qui, assise contre
la grille de la rue de
Rome, regarde pensive-
ment devant elle, de ses
beaux yeux grands ou-
verts. C'est là sa der-
nière pose. L'atelier de Manet ne la reverra plus.
Le maître, entre temps, avait fait d'elle un portrait admirable,
qui est une des perles de la collection Alphonse Kann.
Parlerons-nous des amours de Victorine? Cela ne nous regarde
pas. Elle eut toujours à cœur d'échapper à la galanterie. Après avoir
tenté, sans grand succès, de donner des leçons de musique, elle s'avisa
de faire de la peinture. Elle demanda des conseils, non pas à Alfred
Stevens, qui la protégeait, mais à Etienne Leroy, peintre obscur. Elle se
crut bientôt assez sûre d'elle pour exposer au Salon, dont le jury ne
- lui tint pas rigueur. Elle
y envoya, en 1876, son
propre portrait, et, par la
suite, des peintures histo-
riques ou anecdotiques.
Chétives peinturlurettes!
A quoi lui servait-il
d'avoir vécu dans l'inti-
mité d'un Manet?
Mais qu'est devenu
le portrait de celle qui fut
l'Olympia, peint par
l'Olympia elle-même? Nos
recherches pour le décou-
Manet. - Le chemin de fer. ^rir sont demeurées sans
(Appartient à Mme Havemeyer, à New- York ) résultat. TaBARANT.
300 LE BULLETIN
A propos d'anatomie
L'interview de M. le Professeur Paul Richer, membre de l'Institut, publiée
récemment a ému notre confrère, M. Edouard Cuyer. Il nous adresse une pro-
testation dont, soucieux d'information objective, nous nous faisons un devoir
d'insérer l'essentiel, encore qu'elle semble révoquer en doute la fidélité de
notre récit. M. Cuyer affirme qu'avant l'avènement de M. Paul Richer, son
prédécesseur, Mathias Duval, appliquait une méthode identique.
Oui, nous avions le cadavre, mais ce moyen de démonstration
n'était pas le seul, car, de plus, à chaque leçon nous avions aussi
le modèle vivant. Qu'il me soit permis de rappeler que, dans ma
suppléance, j'en avais même deux, de nature différente, afin de
pouvoir faire des comparaisons.
Et plus loin, dans le même article, se trouve cette autre indi-
cation : <( Je fais tout d'abord dessiner aux élèves les os isolément. »
Or, ceci a été fait de tout temps ; donc comme précédemment, rien
de nouveau. Il en est de même d'ailleurs pour la préoccupation
exprimée en ces termes : « Je veux qu'on s'applique à distinguer les
formes anatomiques déterminantes des formes extérieures. » C'est ce
que depuis longtemps on conseille, car, autrement, l'enseignement de
l'anatomie artistique n'aurait pas de raison d'être.
Edouard Cuyer.
<. On > maintient naturellement tous les ternies de l'interview parue dans
la « publication » que M. Cuyer nous fait l'honneur de ne pas négliger.
\ous avons d'ailleurs saisi de cette protestation M. Paul Richer, qui vent
bien y répondre ici :
Tout en rendant hommage aux éminentes qualités de mon prédé-
cesseur, M. le Professeur Mathias-Duval, j'affirme qu'à mon entrée
à l'Ecole des Beaux-Arts, il y a eu quelque chose de changé et que
résolument, radicalement, pourrais-je dire, mon enseignement, depuis
longtemps préparé par des travaux importants et de sérieuses décou-
vertes connues et acceptées partout ailleurs qu'à l'Ecole, a été tout
entier dirigé vers la Nature et vers la Vie.
Mes récents ouvrages, ma statue d'Ecorché en sont la preuve
manifeste. On peut les comparer aux travaux de mes devanciers.
Et les élèves ne m'ont-ils pas dit bien des fois : « Vous nous
ouvrez des horizons nouveaux. Vous nous apprenez à voir. Autrefois,
lorsqu'à l'atelier, les « forts en anatomie » étaient appelés pour juger
d'une forme sur le modèle, ils restaient bouche bée. Il n'en est plus
de même aujourd'hui. »
D"^ Paul Richer.
La Curiosité
DE LA VIE ARTISTIQUE 301
LA COLLECTION WILLEMS
Il a été procédé, le jeudi 12 mai, à la galerie J. et A. Le Roy
frères, à Bruxelles, à la dispersion de la collection de feu M. Willems,
l'amateur bruxellois.
La vente Willems? Eh oui! Celle-là même qui devait avoir lieu
à Paris en mai de l'an dernier, à la galerie Georges Petit. Mais de
lourdes charges fiscales venaient d'être décrétées, très capables d'effrayer
les amateurs étrangers, et précisément ce mois de mai 1920 allait être
marqué par leur application première. Aussi les héritiers Willems
renoncèrent-ils à favoriser un marché que le fisc enfermait dans une
telle muraille de Chine. Ils saluèrent très poliment la France et déci-
dèrent de mettre en vente en Belgique leurs deux Rubens, leur
Constable, leurs trois Corot, les Daubigny, Troyon, Théodore Rous-
seau, Diaz, Fromentin, Marilhat, Gustave Moreau, les œuvres des
deux Stevens, d'Anton Mauve, de Knopff, du père de Groux, d'Henri
de Braekeleer, etc., constituant la collection de l'homme de goiît
que fut Alphonse Willems.
La leçon nous profitera-t-elle, ou plutôt sera-t-elle profitable aux
gouvernants et aux législateurs qui ne méditèrent pas assez sur la fable
de la poule aux œufs d'or?
LA VENTE DU VERMEER, A AMSTERDAM
Revenons sur la vente, à Amsterdam, du Vermeer de la collection
Six, la Petite rue. Il n'a pas été vendu, en somme, mais racheté par
le professeur Six, qui ne jugea pas digne de ce chef-d'œuvre le prix
de 680.000 francs où les enchères l'avaient régulièrement porté.
La demande était d'un million de florins (4.860.000 francs) . Or,
les ventes hollandaises ont ceci de particulier, qu'on y part du prix
de demande, pour rétrograder ensuite jusqu'au moment où un enché-
risseur se révèle. La contre-partie, alors, fait faire aux enchères le
mouvement inverse, qui tend à se rapprocher du prix demandé.
C'est à 530.000 florins que se révéla l'enchérisseur. La famille
Six fit aussitôt la contrepartie.
La Petite rue sera-t-elle remise en vente? Pas en vente publique,
non, certainement.
T.
JU-i LE BULLETIN
Ici...
UNE CROIX
Par décret rendu sur la proposition du ministre de la Guerre, le
lieutenant de zouaves Paul Ebstein vient d'être créé chevalier de la
Légion d'honneur, avec la belle citation suivante :
Officier plein d'ardeur et de bravoure. Crièvement blessé le 22 août
1914 en entraînant ses hommes à Vattaque. A été cité.
Le Bulletin est heureux de féliciter dans le brillant officier, le
directeur de la section moderne de la galerie d'art Bernheim-Jeune.
LES LEGS DE M. JOSEPH REINACH
M. Joseph Reinach, récemment décédé, a légué aux musées
nationaux de nombreuses œuvres d'art, notamment les portraits de
George Sand, par Delacroix, de Berlioz, par Courbet, d'Alice Oz^,
par Couture; les bustes de Mirabeau, par Houdon, des trois souverains,
par Carpeaux; la Liseuse, de Dalou ; ï Amour qui passe, de Rodm;
les Bords de la Seine, de Van Gogh.
LES EXPOSITIONS
On visitera cette quinzaine : Au Grand-Palais, les Salons de la
Société Nationale et des Artistes Français. — Au Jeu de Paume,
V Exposition hollandaise. — En l'Hôtel de la Curiosité, 1 8, rue de
la Ville-l'Evêque, Vexposition Ingres. — A l'Ecole des Beaux-Arts,
l'exposition rétrospective de Luc-Olivier Merson. — Au Pavillon de
Marsan, jusqu'au 29, les expositions de Mathurin Méheut et de Le
Bourgeois. — A la galerie Druet, jusqu'au I 7, les expositions du
Troisième groupe et de Favorv. — A la Licorne, jusqu'au 26, les
expositions des Peintres flamands. — Chez Manuel, rue Dumont-
d'Urville, l'exposition des tapis de Pierre Bracquemond et des Déco-
lateurs modernes. — Chez Marcel Bernheim, jusqu'au 20, les œuvres
de Maurice Asselin. — Chez Chéron, jusqu'au 26, l'exposition de
Mme Lil'^ Converse. — Chez Paul Rosenberg, du 23 mai au 1 I juin,
l'exposition Picasso. — A Bagatelle, le Salon des Artistes de Paris.
— A la Galerie Artes, 8, rue Tronchet, s'ouvrira, le 2 1 , l'exposition
rétrospective de Jean Pégot-Ogier, tué à l'ennemi. — Chïz Bernheim-
Jeune, jusqu'au 21, les soixante nus modernes; du 24 mai au 12 juin,
Pierre Bonnard.
DE LA VIE ARTISTIQUE 303
...et ailleurs
LE CENTENAIRE DE JOHN CROME
On fête beaucoup de centenaires en ce moment. Il y a quelques
jours, c'était, en Angleterre, celui du peintre John Crome, mort en
1821. C'est lui qui, en 1814, ayant vu Versailles pour la première
fois, et le Louvre, écrivait à sa femme : « Je ne peux pas vous décrire
cela dans une lettre, w Cet artiste avait ceci de curieux qu'en effet il
ne savait vraiment bien s'exprimer qu'en peignant. Fils d'aubergiste
et peintre d'enseignes en sa jeunesse, il fut un paysagiste singulièrement
libre, maître de sa vision, et dégagé de ce que des Anglais appellent
le (( provincialism ». On a pu écrire de lui que Constable n'avait ni
si certitude ni sa grandeur de dessin, et il fut souvent préféré à Turner.
Certains estiment outre-Manche, que la leçon de son art ouvrit les yeux
à plus d'un maître de Barbizon. Aucun peintre ne fut moins littéraire,
mais il fut poète par ses propres moyens, et dans son art seulement.
Cela est parfait ainsi : la postérité le lui prouve aujourd'hui avec éclat.
NOUVELLES TAPISSERIES AU VICTORIA AND ALBERT MUSEUM
Sur le legs Murray (1910), le Victoria and Albert Muséum a
prélevé les fonds nécessaires à l'achat de diverses tapisseries, parmi
lesquelles la plus remarquable est signée Daniel Leguiers (Bruxelles,
XVII" siècle) et représente une scène paysanne d'après Teniers.
LES DISPARUS
La mort de Ernesto Nathan, ancien maire de Rome, a fait couler
de l'encre qui n'était pas toujours sympathique. Ceux des Romains qui
sont partisans de la plus rigoureuse conservation de la Rome de leurs
aïeux, n'ont pas pardonné à l'ex-magistrat municipal, son modernisme
intensif. Ils ont rappelé avec aigreur certaines de ses boutades, alors
qu'on le blâmait de bouleverser l'inviolable cité : « Je ne veux pas
embaumer Rome. Ce n'est pas un musée, et ce doit être une ville
moderne! )i, ou bien encore : « Je veux faire de cette capitale autre
chose qu'une Sodome. »
De telles « sorties » ne se pardonnent guère, non plus que cette
dernière apostrophe, qui est pourtant sans réplique : (( Michel-Ange,
pour bâtir votre Rome palatiale, a bousculé un tas de vieilles maisons.
Je puis bien en faire autant. » Aussi bien, les nécrologies n'ont pas
épargné au défunt l'épithète de (( Nathan le vandale ».
LE BULLETIN
Paroles
O Beauté, monstre...
( lUl DKI.AIIIF..)
Un maître qui fut aussi vaillant soldat recevait récemment la visite
d'un ancien compagnon d'armes, qui (( fit » Salonique. L'on échangea
des impressions, des souvenirs... Le « poilu » marquait une certaine
hésitation...
— Enfin, que veux-tu dire? fit l'artiste.
— Voilà! C'est que vous autres, les peintres, vous êtes des
<( bourreurs de crâne ».
— Oh!
— J'ai vu, à Salonique, des femmes de toutes les couleurs et de
toutes les formes. Ben, mon vieux! Quand j'y croirai maintenant, à
votre Vénus de Milo...
Ce précieux tapis, tissé au XV!!*^ siècle en Asie Mineure,
vient d'être acquis par le Louvre.
Le Gérant : Despobtes
Moderne imprimerie, Loth. Dir', 37, rue Uaudon, Pans.
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