2* Année N° 6. 15 Mars 1921
LE
BULLETIN
DE LA
VIE ARTISTIQUE
PARAISSANT DEUX FOIS PAR MOIS
#
PARIS
MM. BERNHEIM-JEUNE. ÉDITEURS D'ART
25, BOULEVARD DE LA MADELEINE
15, RUE RICHEPANCE
1 fr. 25 le Numéro
LE
BULLETIN
DE LA
VIE ARTISTIQUE
Paraît le i" et le 15 de chaque mois.
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Six mois. Douze francs
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LE BULLETIN DE LA VIE ARTISTIQUE
RACHÈTERAIT A 24 FRANCS TOUTE
COLLECTION EN BON ÉTAT DE SES
24 PREMIERS NUMÉROS
LE
BULLETIN
DE LA
VIE ARTISTIQUE
15 Mars 1921
[ifi
PARIS
MM. BERNHEIM-JEUNE, ÉDITEURS D'ART
25, BOULEVARD DE LA MADELEINE
15 RUE RICHEPANCE
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BULLETIN DE LA VIE ARTISTIQUE
2e Année. N° 6. 15 Mars 1921
Rédacteurs : MM. Félix Fénéon, Pasced Forthuny Guillaume Janneau
André Marty, Tabarant.
SOMMAIRE
Chez les fées du logis.
Les grands Collectionneurs.
(M Raymond Kœchlin)
Les disparus.
Constantin Guys.
Le Musée Fragonard.
Laboratoires et Coulisses.
Le Courrier de la Presse.
La Curiosité.
Ici...
...et ailleurs.
Paroles.
Chez les fées du logis
Le Pavillon de Marsan qui, justement, est sombre comme une
caverne, reçoit, comme chaque année, la visite des fées. Sous le patro-
nage de M. Paul Vitry, les artistes décorateurs y ouvrent leur salon.
Ils eurent bientôt fait de diviser la vaste nef en alvéoles. C'est un
décor, en effet, qu'en un tourdemain ils ont brossé devant nos yeux
éblouis : le décor de notre vie.
Car nous nous entourons, comme on sait, d'un luxe plein de goiàt.
Nous visitons ces expositions d'oeuvres exceptionnelles et précieuses,
non pas comme un musée d'enseignement, mais en propriétaires. De
même lisant les vieilles chroniques, nous nous plaçons naturellement
au rang, non pas des serfs, mais des seigneurs.
Il est heureux, d'ailleurs, qu'en ce pays épris d'idées, les traditions
du beau métier demeurent. Il n'est pas mauvais en soi que les artistes
créent pour une élite. Le fâcheux est que cette élite écarte d'elle,
justement, les éléments dont elle a besoin. Par un phénomène singulier,
ce « corps intermédiaire d où Montesquieu voyait l'élément stable et
régulateur des démocraties, s'éteint de jour en jour. Les exigences de
la vie moderne réduisent la bourgeoisie intellectuelle à la condition
d'un prolétariat véritable.
Pour la société comme pour l'art, une telle évolution n'entraîne-t-
elle pas de redoutables conséquences? Le jour où l'art décoratif sera
tenu, par l'immense majorité des hommes et par les esprits cultivés
eux-mêmes, comme un privilège du luxe et de la richesse, n'est-il pas
à craindre que le niveau de la civilisation ne baisse encore?
Ibi LE BULLETIN
Les décorateurs ne cessent de lamenter le malheur des temps. Ils
réclament le secours de l'Etat et cependant ne songent point à réformer
des méthodes qui ne sauraient justifier les sacrifices qu'ils réclament.
L'Etat, dans cette affaire, n'a qu'une doctrine : encourager les travaux
qui conspirent au relèvement national et à la prospérité publique. Les
entreprises des artistes décorateurs ont-elles ce caractère? Industries de
luxe, elles n'atteignent que quelques amateurs opulents, quelques
privilégiés.
Les œuvres exquises que composent les Ruhlmann, les Follot, les
Sue et Mare, dans l'art du meuble; les Decœur, les Marinot, les
Decorchemont, dans les arts du feu ; les Dunand, les Serrière, dans
ceux du métal ; les Clément Mère, dans le bibelot, doivent, il est vrai,
pénétrer dans nos musées, parce qu'elles appartiennent à notre histoire
et qu'elles sont parfaites. Elles n'en restent pas moins des curiosités
du luxe.
Aux grandes époques, parallèlement aux chefs-d'œuvre que créaient
les nobles artisans dont l'enseignement reste fertile existait un art popu-
laire infiniment savoureux. Il avait ses foyers et ses écoles propres, qui
étaient les ateliers, séminaires d'apprentis. Pour le Tiers, à des prix
tolérables, et avec autant de goût que d'honnêteté, les vieux artisans
réalisaient des mobiliers que s'arrachent aujourd'hui les collectionneurs.
Qu'avons-nous qui remplace ces institutions abolies? Les déco-
rateurs ont-ils trouvé une formule d'art populaire? Celle-ci compor-
terait sans doute un programme absolument nouveau ; elle impliquerait
l'utilisation systématique de l'outillage mécanique; elle conduirait à
des solutions strictement rationnelles. Vainement, les artistes, attachés
à leurs habitudes, repoussent l'intervention de la machine. Créant une
ressource et un moyen nouveaux, la machine déterminera fatalement
l'établissement d'une doctrine réaliste et positive.
Déjà quelques maîtres étudient ce problème : témoin M. Léon
Bouchet, qui fait figure d'initiateur. Quand, dans nos provinces
ranimées, les chambres de métiers relèveront les vieilles industries, que
par l'atelier et l'artisan s'accomplira la régénération que souhaitait
Viollet-le-Duc, nous aurons seulement un art décoratif national.
Guillaume Janneau.
DE LA VIE ARTISTIQUE
165
Les grands Collectionneurs
VIII — M. Raymond Kœchlin
Comment !
vous êtes dérangé pour une interview? s'étonne
gaiement M. Raymond Kœcl-
lin. Jadis Hugues Le Roux en publia
une de Bismarck : il s'était bien gardé
d'aller à Warzin ou même de quitter
Paris ; n'empêche que les paroles toutes
gratuites qu'il prêtait au chancelier
menacèrent un instant la paix du
monde. Voilà la bonne méthode. Vous
m'auriez obligeamment attribué quel-
ques opinions...
— Mais c'est qu'il ne s'agit pas
du tout de vos opinions : mes lecteurs,
gens renseignés, les connaissent. Sim-
plement je voulais revoir vos murs et,
avec votre agrément, y choisir pour le
Bulletin quelques morceaux à photo-
graphier.
— Eh bien, vous avez sous les
yeux le premier tableau que j'aie
acheté, un Ary Renan. Quelques an-
nées après cette opération, je voya-
geais en Palestine, botte à botte avec
Bopp, alors consul général à Jérusalem et maintenant ministre en
Chine. Nous avions dépassé Jéricho. « Tiens ! mon tableau ! »
m'écriai-je. Nous étions, en effet, arrivés au bord du Jourdain, à
l'endroit même où Ary Renan avait peint... Depuis bien longtemps
aussi je possède ce Fantin-Latour. Il est de 1861 et représente la
sœur de Fantin. Il faut qu'il y ait eu un air de famille bien net entr^
le modèle et le peintre, puisque, rencontrant dans la rue celui-ci que
je ne connaissais pas, je l'identifiai et l'abordai sur la foi de sa ressem-
blance avec l'effigie féminine que j'avais chez moi... Les portraits
m'intéressent. Voici celui de Monet, par Renoir (il provient de la
vente de la collection de mon oncle Dollfus) ; celui du caissier de la
banque Degas, par Edgar Degas; celui de ma mère, par Henner;
Portrait de Monet.
Renoir.
166
LE BULLETIN
Me
- Port
celui de la première
femme de Monet, tableau
où je me plais à voir une
sorte de compendium de
ce que nos meilleurs
peintres cherchaient entre
1860 et 1870 (regardez
notamment, vers le haut,
cette nature morte un peu
à la Manet et, sur la
droite, en bas, cette
lonet. - rortra.t. harmonie whistlérienne) .
Monet peignit cette toile en 1871, à Londres.
— Mais, au fait, vous y étiez ces jours-ci.
— Oui, pour l'inauguration, au Victoria and Albert, d'une
exposition franco-anglaise de tapisserie. Ce fut une fort belle fête :
la contribution anglaise était imposante et, d'autre part, trois des
tapisseries de Reims étaient là, outre les envois du garde-meuble, du
musée des Arts décoratifs...
— Y a-t-il des expositons imminentes à cette Union centrale
des Arts décoratifs, que vous vice-présidez ?
— Celle des Artistes décorateurs s'est ouverte le 5 mars et se
clora le 1 7 avril. Nous en aurons ensuite une de Mathieu Meheut,
homme qui excelle à peindre à l'eau poissons, poulpes et méduses, et
une, l'été prochain, de Fragonard, où
figureront les Fragonards de Grasse. Ce
sera la quatre-vingtième, la centième, je
ne sais plus. Celles qui suivirent la fon-
dation, en 1 863, de 1' « Union centrale
des Beaux-Arts appliqués à l'Industrie >•
furent surtout technologiques : bois (mo-
bilier) , bois (construction) , métal, pierre,
terre, verre. Cela se passait au palais de
l'Industrie. En 1877 se constitua une
(( Association pour créer un musée des
arts décoratifs ». Les deux groupements...
Mais cette histoire ne vous intéresse pas.
Cette histoire m'intéresse, car Renoir. - Femme à la voilette.
DE LA VIE ARTISTIQUE
167
elle est très mal connue .
— Les deux groupe-
ments fusionnèrent quatre ou
cinq ans après sous le titre
d' « Union centrale des Arts
décoratifs ». But de la so-
ciété : poursuivre la collec-
tion d'œuvres anciennes pro-
pres à éduquer amateurs et
ouvriers d'art; acquérir, par-
mi les œuvres modernes,
celles qui témoignent de la
vitalité de notre art décoratif.
R^ iMonet. — i^a ternie.
essources ?
— Nous ne demandons à nos sociétaires que trente francs par
an et encore nous les leur remboursons par un carnet de trente tickets
d'entrée au musée. C'est en 1 882 (Antonin Proust, président) que
l'Union fit ses plus belles recettes : 5.812.000 francs, produit de la
loterie dite des Arts décoratifs. Vers 1897, du fait de la démolition
du palais de l'Industrie, elle entreposa son musée dans un coin du
Pavillon de Marsan (dont la concession lui était promise) ; quant
à son administration, sans cesser d'organiser des expositions, elle erra
de la Bibliothèque de la place des Vosges à la Chancellerie d'Orléans
(hôtel que la Banque de France va prochainement saboter) et de
cette Chancellerie à cette
Bibliothèque. Le Pavillon
de Marsan lui fut enfin
dévolu. Le musée y fut
inauguré en I 905 ; mais,
dès 1902, on avait pu,
tout en travaillant à l'amé-
nagement des locaux, y
faire des expositions, et
vous n'aurez pas oublié
celle des Primitifs fran-
çais, en 1904...
— Ni tant d'autres
qui suivirent : dentelles.
"H
r
168
LE BULLETIN
Aquarelle de Guys.
broderies, éventails; tissus japonais, étoffes
de Perse et de Turquie, estampes japonaises
primitives; les travaux d'art féminin, l'épo-
que napoléonienne, la turquerie au XVIII®
siècle... Oui, je vous entends, le conseil
d'administration et les commissions perma-
nentes sont pleins d'hommes compétents dont
l'activité suffit à tout. N'importe, j'admire
que vous trouviez, en outre, le temps de
vous occuper de la Société des Amis du
Louvre et de la présider.
— Plutôt que de mes tableaux, par-
lez-en donc à vos lecteurs, de la Société
des Amis du Louvre. Fondée en 1897,
elle compte environ 3.000 sociétaires dont
les deux cinquièmes sont des femmes. Elle
fournit au Louvre de précieux concours, moraux et pécuniaires. Jamais
ce musée n'a reçu de dons plus riches et plus nombreux que depuis
qu'elle existe. Parmi les œuvres qu'elle lui a offertes ou qui sont entrées
au Louvre grâce à des souscriptions auxquelles elle a contribué, je cite :
en 1 899, une Vierge à Venfant attribuée à Piero délia Francesca
(30.000 fr.); en 1901, une tapis-
serie flamande (70.000 fr.) ; en
1905, une Pietà provenant de la
chartreuse de Villeneuve-d'Avignon
(100.000 fr.); en 1911, le Bain
turc d'Ingres (150.000 fr.) ; en
1918, quarante dessins du Lorrain
(80.000 fr.); en 1920, l'Atelier
de Courbet, — et, au cours de ces
vingt-quatre ans, combien d'objets
moms importants, mais qui complè-
tent ou amorcent des séries!
— J'enregistre avec émotion ces
chiffres. Mais si nous nous remettions
à regarder autour de nous...?
— Soit, se résigna M. -Koech-
lin... Vous reconnaissez dans ce des- Delacroix. - Esquisse du Justinien.
DE LA VIE ARTISTIQUE
169
sin la composition de la Cathédrale de Chartres de Corot; à tout le
monde, il semble plus grand que le tableau. En fait dessin et tableau
ont exactement les mêmes dimensions et celui-ci a été calqué sur celui-là,
sauf quelques détails de perspective que le pinceau a rectifiés. Le dessin
fut adjugé douze francs à la vente Corot; ce n'est d'ailleurs pas là
qu'il m'échut... Je vois que ce Renoir de 1875 vous plaît, malgré
votre passion pour les Renoirs de la fin, et, ma foi, je l'aime aussi,
cette femme au tartan dont la boucle d'oreille a tant d'importance sous
le quadrillage de la voilette... Et cette Ferme en Normandie est de
Monet. Il me disait tout récemment :
« Avez-vous encore cette vieille ma-
chine ? C'est une de mes premières
toiles. J'étais un gosse; je revenais du
service militaire. Ce doit être de
1 863. » Cet autre Monet, un Londres,
est de quarante ans plus récent... Dé-
blayons... Ces pastels, dessins, aqua-
relles sont de Prud'hon, de Guys, de
Carpeaux, de Manet, de Rodin, de
Forain et d'Henri-Edmond Cross ;
cette statuette, de Maillol... Là, l'es-
quisse du Justinien de Delacroix, ta-
bleau qui brûla avec la Cour des
Comptes en mai 71 et dont on n'a
ni photographie ni gravure ; et là, la Halte
de bohémiens de Van Gogh.
Mais nous n'avions encore recensé que des tableaux. Il y a bien
d'autres choses chez M. Kœchlin. Je suis obligé d'insister pour qu'il
ouvre les vitrines de sa collection chinoise.
— Il faut être inoculé pour se plaire à ces subtilités de la céra-
mique chinoise, à ces porcelaines blanches, par exemple, ou à ces
porcelaines « poil de lapin »... C'est Poujaud qui, à la faveur d'une
exposition d'estampes japonaises, m'initia aux arts extrême-orientaux
qui depuis m'ont passionné...
— ...Comme en témoigne assez votre livre sur /c5 Collections
d'Extrême-Orient au musée du Louvre.
— La donation Grandidier m'avait offert là un excellent thème...
Mais voyez, sur ce vase japonais, cette étiquette. C'est celle du musée
170
LE BULLETIN
de Kioto. Le vase appartenait au temple de
Nishi-Hongangi. Or, au Japon, l'Etat tient
registre des objets précieux et veille à ce
qu'ils aillent à tour de rôle s'exhiber pour
un temps audit musée. D'où l'étiquette.
— Est-ce au musée ou au temple que
notre vase a été dérobé?
— Dans des spéculations de Bourse, le
temple en question s'était terriblement en-
detté. On ne pouvait livrer au créancier le
dieu, mais il y avait les instruments de son
culte. Une loi autorisa la vente du trésor, et
voilà pourquoi vous palpez aujourd'hui cet
objet au galbe fier.
Ecole de Toulouse.
(XV siècle.)
Puis nous fiâmes, d'étape en étape, sol-
licités vers l'Occident par des miniatures indo-persanes, par des minia-
tures persanes, par des vases de Mossoul, cuivre et argent, par des
plats de Damas du XV*" siècle, et, l'Europe franchie, ce fut la
France, où nous accueillit une assemblée de Vierges sculptées dans
le bois ou la pierre par des imagiers bourguignons ou champenois.
Mais plus séduisant encore était un nu du commencement du XV siè-
cle, vraisemblablement de l'école de Tou-
louse. Nous reproduisons ici cette statue de
pierre et, d'ailleurs, on peut en voir un
moulage au musée archéologique du Tro-
cadéro, vous essaierez en vain d'obtenir que
le service des moulages vous en délivrât
une épreuve. M. Kœchlin le lui a interdit.
Avec sa sensualité souriante, cette fille se
fût fait trop de relations, et il l'eiùt retrouvée
en plâtre sur la cheminée de tous ses amis :
il entend la garder.
Ainsi cette demeure est d'un aspect
fort complexe; les meubles mêmes relèvent
de plus d'un style Et comme nous notions
.... ■ • combien était sympathique cette harmo-
Miniature Persane . • . - n / 1/ 1 i ■
Le prisonnier. nieuse varietc, M. fvœchlin :
DE LA VIE ARTISTIQUE 171
— Quels qu'en soient l'esprit, l'époque et l'origine, de beaux
objets font toujours bon ménage. A quelqu'un qui, devant moi, lui
disait : u Je n'aime que la peinture ancienne, » Jules Maciet répli-
quait avec sagesse : (( Laissez-moi vous dire qu'il n'y a pas deux
peintures et que, si vous n'aimez que l'ancienne, je crains fort que
vous n'en aimiez aucune. »
Mais bien qu'elle soit en céramique, je crus entendre grogner la
bête japonaise gardienne du seuil ; sa mission, je suppose, est de rap-
peler à la discrétion le visiteur qui a ici trop de prétextes à s'attarder.
J'enjambai ce monstre, descendis quelques marches et me retrouvai
sur le quai de Béthune. F. F.
Les disparus sir w. b. richmond
Sir William Blake Richmond, peintre célèbre, portraitiste chef de
file à la Royal Academy, est mort : il avait 78 ans. Fils du peintre
de figures George Richmond, petit-fils du miniaturiste Thomas Rich-
mond, descendant de George Engheheart qui fut, le pinceau à la
main, le rival du grand Cosway, W. B. Richmond était quelque chose
comme la peinture faite homme. Ses débuts furent nettement préraphaé-
listes, mais au retour d'un voyage en Italie, il salua pour la dernière
fois John Ruskin et Burne-Jones, et, après une (( crise » de peinture
biblique, tourna résolument au portrait. Dans ce genre, ses œuvres
les plus notoires sont les portraits de Lad]) Hood, d'Andrew Lang, le
groupe des Trois demoiselles Liddell, les deux portraits de Gladstone,
ceux de Darwin et de Browning, et, datant de I 887, celui de Bismarck.
Parmi ses toiles de genre qui se trouvent dans divers musées anglais,
il faut citer : la Morti d'Uhsse, le Public à Athènes pendant une
représentation d'Agamemnon (Musée de Birmingham) .
W. B. Richmond avait accepté cette tâche de titan : décorer l'inté-
rieur de la cathédrale Saint-Paul, à Londres, de compositions à réaliser
en mosaïque. Il y travailla de longues années, et son oeuvre fut aussi
attaquée par certains qu'estimée par d'autres. A dire vrai elle n'ajou-
tera que peu à sa renommée. En 1919, il publia un ouvrage intitulé
Impressions d'un demi-siècle. Ce n'étaient que de pittoresques évoca-
tions du voyage qu'il fit, en 1868, à Assise. Il avait succédé à Ruskin
comme professeur à l'Ecole des Beaux-Arts (Slade) d'Oxford, où il
enseigna de 1878 à 1883.
172
LE BULLETIN
Constantin Guys
M. Gustave Ceffro^ intitule con livre {Crès et O^, édit.) : Cons-
tantin Guys, rhisiorien du second Empire ». Plus véridique est cette
qualification, en effet, que celle de « peintre de la vie moderne »,
toute relative, et qui, sans doute, eût paru désuète à Baudelaire lui-
même, s'il lui avait été donné de vivre trente années de plus. Déjà
M. Gustave Geffro}) nous avait of-
fert, précieusement édité par les soins
de M. Paul Gallimard, un Guys
qu animaient des bois de Ton^ Bel-
trand. Cette édition-ci nous rapproche
plus encore du très grand artiste qui
finit obscurément ses jours à Vâge de
près de quatre-vingt-dix ans, sur un
lit d'hôpital, et dont les saisissants
dessins, lavés d'encre et de sépia,
furent si longtemps dispersés à vil prix
par les brocanteurs forains.
Rappelant que ce fut Nadar qui,
dans un article du Figaro ( 1 5 mars
1 892) annonça la mort de Constantin
Guvs, à la fois ignoré et célèbre, Gus-
et par là se termine son livre très vivant
Constantin Guys en 1834.
Litho de Léon Noël, reproduite dans
!e livre de Gustave Geffroy.
tave Geffroy conclut ainsi
et fortement documenté :
(( Quand la mort de Guys fut annoncée par l'article de Nadar, ce
fut comme une révélation de sa vie. Il n'en est guère d'autres — que
son œuvre.
(( Telle qu'elle est, cette œuvre reste comme une merveille d'art
spontané, comme le témoignage ardent, fiévreux, vivant, d'une intelli-
gence qui a senti la vie, comme une illustration irrécusable de l'histoire
des mœurs au dix-neuvième siècle, pendant la période du second
Empire.
« Pour l'homme, si sa biographie est mystérieuse, il apparaît avec
l'essentiel de son esprit à travers les images qu'il a laissées de ses
visions. Quand je dis que sa biographie est mystérieuse, je veux dire
qu'elle est mal connue, qu'elle est tombée à l'oubli où Guys l'a enfouie
DE LA VIE ARTISTIQUE
délibérément. On la connaîtrait jour par jour
dans tous ses détails, qu'elle n'offrirait peut-
être pas de péripéties dramatiques ni étranges,
si ce n'est celles des sentiments et des passions.
Mais quelle biographie alors n'est pas mys-
térieuse? Chaque être porte le secret, sinon
de sa vie, du moins des mobiles conscients
ou inconscients de sa vie, des raisons fatales
qui ont déterminé ses actes. Ce secret s'en
va en même temps que nous nous en allons.
De quelques-uns, il reste la confidence de
la littérature ou de l'art, confidence res-
treinte, souvent faite d'indications que nul
ne pourra jamais compléter. Constantin Guys
a légué ainsi à l'avenir non pas le récit de
lui-même, mais de ce qui était hors de lui-
même. Il dit où il se retrouve et montre ce
qu'il a vu, et par la manière dont il le dit et dont il le montre, il nous
révèle son intelligence avide de voir, ardente à comprendre, amoureuse
du spectacle fugitif des êtres et des choses.
« Rêvez le reste. »
Constantin Guys, en 1880,
par Manet.
(Collection de Mme Havemeyer
de New-York.)
Quelques documents personnels, à présent,
servir aux futurs biographes de Guys.
et inédits
pour
^^^^smm^
Constantin Guys. — Les Manchons.
(Appartenait à la collection Théophile Gautier.]
Constantin Guys appar-
tient à une famille pro-
vençale dont le nom se ren-
contre dans les actes pu-
blics dès le XVI" siècle,
et qu'illustra le moine ar-
chéologue Joseph Guys, né
à La Ciotat en 1611, et
mort en odeur de sainteté
en 1 694. Ses ascendants
directs sont le médiocre
auteur dramatique marseil-
lais Jean-Baptiste Guys,
qui vivait au milieu du
LE BULLETIN
XVIII'' siècle, négociant à Constantinople et helléniste en ses loisirs, au-
teur d'un Voyage littéraire de la Grèce qui lui valut de Voltaire une
pluie de petits vers agréables. Enfin, son père, François-Lazare, était le
frère cadet de Pierre-Alphonse Guys (1755-1812) qui de bonne
heure quitta Marseille pour exercer à Constantinople, puis en Hollande,
des fonctions diplomatiques, et c'est ce frère qui, ayant accepté d'être,
en décembre 1 802, le parrain du petit Guys, décida que son neveu
s'appellerait Constantin, en souvenir de cette Constantinople où deux
générations de Guys avaient honorablement vécu et prospéré.
Tabara.nt.
Le Musée Fragonard
Notre confrère M. Pierre Borel prépare sur " M'nîicelli inconnu " une curieuse étude. Il pu-
blie un "Petit Guide du Musée de^ Beaux-Arts de Nice" qui éclairera les visiteur? au cours de
leur promenade dans ce mutée. Nous lui devons la note qui suit :
M. Paul Léon, directeur des Beaux-Arts, vient d'inaugurer à
Grasse, dans l'hôtel Mirabeau, un musée Fragonard dont le fonda-
teur, M. François Carnot, définit ainsi le but :
« C'est donc cet écrin vide que nous avons choisi pour y présenter
notre intime trésor; c'est ici, mieux qu'ailleurs, que nous pourrons
évoquer les gloires, les joies et les raisons de vivre de ce pays pro-
vençal, de cette marche de Provence, toujours prête à armer, entre la
France et ses ennemis, le rempart de ses fières petites cités et la poitrine
de ses fils; car vous n'êtes pas, ici, dans cette riche Provence du
Rhône, aux villes de cathédrales et de parlements ; quand des ombres
de religieux passent sous nos oliviers argentés, ce ne sont pas des
légats ou des papes, mais de rudes moines, les saints ascètes de Lérins
ou de Thoronnet; quand le parvis de nos églises a besom d'un archi-
tecte, ce n'est pas Toro ou Puget qu'on appelle, c'est Vauban !
« Et pourtant, c'est ici aussi, mieux qu'ailleurs, que nous pourrions
prononcer tout haut ce nom qui, aux yeux de tout le monde civilisé,
personnifie l'art de la France au XVlir siècle : Fragonard le Grassois. »
Le long des murs, voici, en effet, reproduites les oeuvres capitales
du (( maître de l'Amour )), voici également des peintures originales
de la plus grande valeur, des eaux-fortes de « Frago », des gravures
rarissimes, un portrait de l'artiste et sa boîte à peindre, celle-là même
qu'il rapporta d'Italie et qui se trouvait encore dans ses bagages
lorsqu'il fuit la Révolution. On y voit, dans de petits flacons de verre,
les poudres à couleurs étiquetées de sa main et d'autres menus objets.
Pierre Borel.
d'e la vie artistique
175
Laboratoires et Coulisses
bandonne brusquement la table
s'en va pas : il s'arrache. Un
M, BERNARD NAUDIN, PROFESSEUR
— Dire qu'on m'attend là-haut!
M. Bernard Naudin se décide. Il
à dessiner, repousse le tabouret. Il ne
dernier regard au dessin commencé — ce regard indéfinissable, soudain
grave qu'ont tous les artistes. Crayons et outils de graveur, canifs et
burins restent là ; nul
n'en fera usage.
Et M. Bernard Nau-
din sourit. Un masque
voltairien, front aux lar-
ges plans, œil aigu der-
rière des verres bombés;
un Voltaire jeune, avec
des dents. Une singu-
lière mobilité, aisée, pré-
cise ; mobilité d'expres-
sion plutôt que de gestes.
— Je monte. Je
m'en vais faire le clown.
I e maître parle sans respect de lui-même. Il a cette modestie des
grands inventeurs, qui n'est pas humble mais fière, et qui saurait être
ombrageuse et rebelle.
Parmi ses élèves, il est
un frère aîné, attentif à
stimuler leur imagina-
tion.
L'académie Cola-
rossi occupe, rue de la
Grande-Chaumière, au
cœur du quartier Mont-
parnasse, un bâtiment
plus haut que large,
vaste échafaudage peint
en rouge. Il contient des
ateliers qu'administre un
Bernard Naudi
Les affli
.m-
^ ■ 'i
v;:
ir;,
Le tourbillon de la vie, dessin.
176
LE BULLETIN
Des
Bernard Naudin.
pour la Jehanne Darc.
massier, sous la direction d'un maître.
M. Bernard Naudin professe à Cola-
rossi le croquis et la composition.
Ce jeudi soir, un adolescent pose h
nu, sous les fortes lampes électriques.
Parmi les chevalets dressés, le maître
s'est glissé. Il disparaît derrière eux
pendant le bref moment d'un examen
sagace. Il corrige peu, signale l'erreur
commise. Cependant, face au modèle, on
a posé un chevalet garni de feuilles
vierges autour duquel se groupent déjà
les élèves. Docteur, M. Bernard Naudin
va-t-il donc se remettre à l'école, et
publiquement? Oserait-il affronter une
épreuve que redoutait David? On sait
comme était clos l'atelier des Horaces.
En toute simplicité, M. Bernard
Naudin, pensant tout haut, révélant avec
générosité le secret de son expérience,
va, comme un débutant, faire son <( aca-
démie ». Il s'astreint, depuis plusieurs
années, à cette discipline. « J'en ai tiré
un immense bénéfice, " convient-il.
Longuement, il regarde le modèle
qui, tout interdit, rectifie la pose. Et la
première observation qu'il formule con-
tient toute une méthode. Elle condamne
les procédés arbitraires, les recettes de
pure pratique, la « manière », ce que
Delacroix appelait <( l'infernale com-
modité de la brosse ». Il conseille la
naïveté et la bonne foi.
« Vous avez ici le meilleur sujet
d'études, remarque M. Bernard Nau-
din. Devant un modèle adulte, homme ou femme, la main retrouve
des repères qui lui sont familiers. Les formes varient peu d'un indi-
vidu à l'autre : leur équilibre général s'établit de mémoire, et l'habi-
^#
^fe*
îernard Naudin.
^es tambours
bou
DE LA VIE ARTISTIQUE
177
leté trahit l'observation. L'enfant offre des formes inaccoutumées.
Cherchez d'abord à en dégager le caractère, n
M. Bernard Naudin qui, dans son atelier personnel, donne volon-
tiers carrière à l'imagination la plus verveuse et la plus fantasque, est
ici profondément réfléchi. Il se contrôle. Il voudrait inspirer à ses
élèves le grand respect de l'art qui l'anime lui-même.
'I Remarquez, leur dit-il, le mouvement de ce jeune corps ;
suivez-le à travers l'ossature. Voyez-le partir de la jambe qui fait
<( pilier », marquer, dans le bassin, une sorte de torsion pour aboutir
en diagonale à l'épaule plus haute que celle qui est au repos... »
De ses mains, le maître ébauche dans l'espace le mouvement d'une
rampe hélicoïdale. Il sculpte
dans l'air une figure idéale.
L'œil suit le jeu des arti-
culations qu'il place, des
muscles qu'il attache, des
aplombs qu'il pose avec une
prestigieuse autorité. C'est
une éblouissante démonstra-
tion de mécanique humaine.
Il a des mots éclairs :
— Il faut, prononce-t-il,
saisir le mouvement de tire-
bouchon de tout cela.
C'est du sol qu'il le fait
partir : non point de haut en
bas. Le mouvement est ascen-
sionnel. « Il faudrait dessi-
ner, dit le maître, dans le sens où s'effectue le mouvement. » Familier
du cirque, athlète lui-même sous une apparence fragile, M. Bernard
Naudin possède en sa mémoire un prodigieux répertoire de mouvements
acrobatiques dont il connaît précisément la décomposition.
Sur la feuille blanche, le maître n'a rien écrit encore et cependant
il semble que le croquis soit fait, évoqué par sa parole. Quelques
mots encore :
— Observez, au départ de la clavicule gauche, ce triangle lumi-
neux. Notez-le sans retard. Notez toujours d'emblée les repères signi-
ficatifs que saisit votre œil. Etablissez d'abord la construction de la
Bernard Naudi
clowns, eau-forle.
178
LE BULLETIN
Bernard Naudi
figure, et n'oubliez jamais que tout dé-
pend de la première indication. Qu'elle
soit juste, et votre dessin sera juste. »
M. Bernard Naudin attaque son
papier. De la pointe d'un fusain soi-
gneusement taillé, il indique le point
lumineux du sommet du sternum :
c'est, rigoureusement, la première tou-
che qu'il pose. Puis, d'un trait léger
et libre, il « descend » la ligne sinueuse
qui divise le thorax.
« Ecrivez toujours en souplesse,
conseille-t-il. La nature ne donne ja-
mais d'indications dures. Et faites
simple. i> M. Bernard Naudin n'ac-
corde point grand crédit à certaines
formules de dessin à vastes notations sabrées. Son œil tranchant pétille.
(( Avez-vous vu, sur le nu, des sections prismatiques? » Avec une
preste précision, il les définit en quelques traits anguleux : le Naudin
satirique est là tout entier.
Mais le Naudin professeur redevient grave. De son fusam il fixe
le mouvement des jambes du petit modèle; et, sur une cuisse, il note,
en un puissant résumé, la position d'une main pendante. Mais ce n'est
là qu'un repère. Le maître examine longuement l'aplomb du modèle.
« Soignez les bases! Un dessin dont les aplombs sont nettement
définis est complet. La nature elle-même vous indique ce qu'il faut
faire, u M. Bernard Naudin se plaît à révéler certains secrets expéri-
mentaux. Il médite un moment, puis, nettement, trace l'ongle des
orteils : « Attention à leur direction, observe-t-il. Ce n'est pas l'exac-
titude de tous les détails qui vous donnera le mouvement juste : c'est
la logique des éléments essentiels. Ils se commandent les uns les autres.
Sachez les discerner. »
<( Et çà, s'écrie-t-il, que je n'avais pas vu! » Il indique d'un frottis
de fusain la construction des pieds, selon leur attitude, n Si vos
premiers linéaments sont justes, remarque M. Bernard Naudin, tout
ce qui les complétera sera utile et expressif. Vous avez, dès l'origine,
tracé votre voie. Tout écart vous apparaîtra bientôt comme une faute
énorme : les corrections s'opèrent d'elles-mêmes. i>
DE LA VIE ARTISTIQUE
179
Le torse ébauché, le maître revient au dessin des hanches. Il y met
tout son soin. Placé de telle manière que son papier soit oblique à la
table à modèle, il évite les longs déplacements. Grand praticien du
dessin de mémoire, il veut retrouver devant la nature, non plus ses
souvenirs mais la naïveté de l'œil. « Etudiez sans relâche avant ; une
fois en scène, exécutez librement, •> conseillerait-il volontiers, comme
Delacroix.
Quelques traits légers, une touche de fusain écrasée sous le pouce :
le dessin prend tout son sens. « Le bassin, déclare M. Bernard Naudin,
c'est la charnière, ou plutôt c'est l'axe. C'est là que le mouvement se
passe. » Il se campe devant son auditoire. (( Imaginez, dit-il, une
croix de saint André. Vous ne pourriez agir sur l'une des branches
sans modifier l'écartement angulaire. Le corps, c'est la même chose.
Seulement la nature y a mis un axe un peu plus compliqué, c'est le
bassin. Vous comprenez! Il faut que l'artiste qui dessine songe à l'arti-
culation du pantin... »
Déjà M. Bernard Naudin se plonge dans un ample manteau.
— Je m'en vais travailler. Vous verrez mon caractère... »
C'est le grand souci du maître. A ce caractère typographique qu'il
appelle « de tradition », le maître sacrifierait même les suites de
dessins qu'il a réalisés pour le Neveu de Rameau, pour une Jeanne
d'Arc ou pour les Clorvns, chefs-d'œuvre que, pour la première fois,
chez Barbazanges, il consent à montrer.
G. J.
Bernard Naudin.
.es (^lo\vr
180 LE BULLETIN
Le Courrier de la Presse
POUR NOS MUSÉES DE PROVINCE
Au cours de la récente discussion du budget des Beaux-Arts,
la Chambre, après s'être longuement occupée de la subvention
de l'Opéra et des appointements des danseuses, a bien voulu
s'intéresser, pendant quelques minutes, à l'avenir des musées de
province.
Ainsi parle, dans /'Information, M. Jean Robiquet. Notre distingué
confrère expose avec une netteté remarquable les conditions auxquelles,
en vertu des lois fiscales, est soumise Ventrée des legs ou des donations
dans nos musées régionaux.
On a disserté à perte de vue sur l'application de la taxe de
luxe, mais sait-on, dans le grand public, que les musées, ou du
moins le plus grand nombre d'entre eux, sont obligés de payer le
fatal 1 0 0/0, comme de simples particuliers. Seuls les établis-
sements nationaux proprement dits — le Louvre, Versailles, etc.,
- — • se voient dispensés de l'impôt; mais toutes les galeries d'art
qui vivent sur un budget départemental ou communal — aussi
bien le Petit-Palais que le plus modeste musée de province —
s'y trouvent assujettis sans la moindre exception.
Beaucoup plus grave encore pour le développement de ces
collections publiques est l'extrême élévation des droits succes-
soraux désormais en vigueur. Qu'un amateur vienne à mourir et
lègue à sa ville natale une suite de tableaux de maîtres évaluée
à un million, c'est à peu près 28 0/0 — soit 280.000 francs
— que la municipalité devra verser au fisc pour entrer en pos-
session des oeuvres d'art qui lui sont dévolues. Et si le bienfaiteur
en question, au lieu de léguer des peintures, lègue une somme
d'argent destinée à faciliter des achats - — l'exemple est fréquent
en province — ladite somme va se trouver réduite dans u:e pro-
portion beaucoup plus forte encore : 28 0/0, plus 10 0 0, s'il
s'agit d'achats privés, ou bien 1 7,50 0/0 si les opérations s'ef-
fectuent en ventes publiques. En poussant les choses à l'extrême,
nous obtenons donc ce résultat vraiment effarant : presque la
moitié de la somme léguée au malheureux musée va servir à payer
des droits..
DE LA VIE ARTISTIQUE 181
Placer le tourniquet aux barrières du Louvre est une extrémité
pénible. Mais faut-il encore traiter les musées comme n'oserait faire
un nouveau riche qui forme sa galerie d'ancêtres?
VERS LA RÉFORME DE NOTRE LOI PACCA
La presse française, unanime, a dénoncé maintes fois le péril qui
résultera, pour notre influence dans le monde, de l'application de noire
loi Pacca. Ses jours, il est vrai, sont comptés. Car ou bien elle sera
réformée dans un sens vraiment pratique et sage, ou bien le marché
de luxe nous échappera complètement, et la loi deviendra sans objet.
Nos confrères belges confirment, avec une modération qui n'exclut
pas la mâle liberté du langage, une thèse qui est aussi la nôtre :
Nous voudrions, écrit la Nation belge, appeler l'attention
de nos amis français sur certain protectionnisme qui, chez eux,
prétend non seulement frapper d'une dîme prohibitive tous les
produits manufacturés étrangers — une affaire d'ordre écono-
mique où nous n'avons pas à intervenir — mais encore les pro-
ductions de l'esprit.
Sauf les artistes invités aux expositions des Sociétés nationale
des Beaux-Arts, des Artistes français, du Salon d'Automne et
des Indépendants, tous ceux qui expédient en France un tableau
ou une sculpture pour y être simplement exposés, sont obligés
d'acquitter tout d'abord une taxe de 10 0 0 ad valorem, après
quoi ils peuvent s'estimer bien heureux si l'œuvre en question
arrive encore à destination avant la date de la fermeture de
l'exposition à laquelle elle est destinée. On cite le cas de tableaux
qui ont mis trois mois pour faire le trajet Bruxelles-Paris qui
s'accomplit aujourd'hui en cinq heures, et on nous affirme que
dans l'espèce c'est même un record de vitesse.
Nos amis français le comprendront aisément : si rigoristes
qu'ils soient en matière économique, ils estimeront avec nous que
l'avantage matériel que la France peut tirer des entraves qu'elle
met à la diffusion de notre art à l'intérieur de ses frontières n'ont
pas de poids vis-à-vis des avantages moraux qu'elle recueillerait
d'un régime plus libéral.
182
LE BULLETIN
ART POPULAIRE DES GAULES
Un savant breton, M. du ChâielUer, a^ant éventré, selon les pures
méthodes scientifiques, un tumulus qui s'érigeait à Tronoén, y a décou-
vert une série de poteries blanches, fort jolies. La trouvaille était
d'importance : dans l'Art et les Artistes, M. Paul Gru\)er l'étudié :
Les figurines de terre cuite blanche n'apparaissent pas en
Gaule avant la conquête de César, un demi-siècle avant Jésus-
Christ. Les premières y furent, comme nous venons de le dire,
apportées par les Romains eux-mêmes. Puis, à mesure que les
conquérants s'établissent sur notre sol, des ouvriers d'art les
suivent, mouleurs et céramistes, qui fabriquent sur place. Mais,
rapidement, nos ancêtres gau-
lois se formant à cette école,
fabriquent à l'imitation de
leurs maîtres.
La mode, et un usage à
peu près constant, réservent
à ces figurines l'emploi de la
terre cuite blanche, légère-
ment ivoirée, qui leur donne
un aspect clair et gau Des
gisements d'argile blanche,
identique à celle employée
par les céramistes gallo-romains, existent encore sur divers points
de la France. Celles en argile rouge sont fort rares et forment
l'exception. Quelques-unes offrent des touches colorées, ou sont
émaillées en jaune, en brun ou en vert.
Les usages auxquels étaient destinées ces figurines étaient
multiples. Les divinités étaient placées dans les u laraires », ou
autels domestiques; beaucoup d'entre elles sont accompagnées
d'une petite niche à colonnes. On les descendait dans la tombe
avec les morts; on les jetait dans les sources et les fontaines,
que l'on mettait ainsi sous la protection de la divinité représentée.
Les animaux, les bibelots et les figurines profanes ornaient la
maison. Il y avait aussi des jouets d'enfants, des poupées au
chignon cocasse, des oiseaux avec une bille dans le ventre, qui
résonnait lorsqu'on les agitait.
DE LA VIE ARTISTIQUE 183
La Curiosité
LA VENTE GEORGES PETIT
La vente de la collection Georges Petit aura été une surprise
pour les curieux, sinon pour les amateurs renseignés. Ceux-là s'atten-
daient à la présentation d'oeuvres capitales se réclamant de cette école
de 1830 que le fondateur de la célèbre galerie glorifiait tout parti-
culièrement. Ils ne trouvèrent que quatre Corot d'ordre secondaire, et
pas d'autre Rousseau qu'un Philippe, qui ne compensait pas l'absence
de Théodore. Par contre — ironique revanche! — l'Impressionnisme
y étincelait : Sisley, Pissarro, Monet, Guillaumin. Il ne manquait là
que Renoir, pour compléter cette triomphale manifestation de (( l'Ecole
de 1874 )), — car peut-être est-ce à cette appellation que s'arrêtera
définitivement l'Histoire. Mais on sait que M. Georges Petit persistait
à ne pas goiiter l'incomparable « Peintre de la femme ». Cependant,
tout porte à croire qu'il l'eiit, un jour où l'autre, admis dans sa
collection particulière. Même, il ne semble pas improbable que l'irré-
sistible force des choses l'eût finalement porté jusqu'à Cézanne. Ce
jour-là, ô mânes de Meissonier, combien vous auriez souffert!
Et maintenant, veut-on tirer de cette vente la moralité qu'elle
comporte? Rien de plus facile : L'enchère culminante a été atteinte
par le Poni sur la Tamise, de Claude Monet, adjugé 43.100 francs.
Les deux plus fortes enchères, après cela, ont honoré deux Sisley, le
Poni de Morei, qui a réalisé 40. 1 00 francs, cependant que les
Rameurs allaient à 30.000. Celui qui, il y a seulement vingt-cinq ans,
se serait avisé de prédire que l'Impressionnisme connaîtrait pareil
triomphe, en un tel lieu et dans la vente même de la collection Georges
Petit, n'aurait-il pas été tenu pour un aimable fantaisiste, poussant un
peu trop loin le goijt du paradoxe?
LES ESTAMPES BEURDELEY
Treizième vente Beurdeley. C'est une vente d'estampes. Elle aura
lieu à la salle 7 de l'Hôtel, les I 8 et 19 mars, après exposition le 1 7.
Œuvres de Goya, Gustave Doré, Devéria, Célestin Nanteuil, J.-B.
et E. Isabey, Meissonier, Félix Bracquemond, Mme Bracquemond,
Desboutin, J.-J. Tissot, Puvis de Chavannes, Leheutre, Willette,
Steinlen, et d'après sir Thomas Laurence. Quelques belles épreuves
loi LE BULLETIN
signalent le lot. Notons, par exemple, V Alexandre Dumas, de Devéria,
VArtiste, de Jean Gigoux, VEntrée de village, d'Eugène Isabey,
planche très rare, non décrite; de Bracquemond, l'Erasme, d'après
Holbein, le Loup dans la neige, en divers états, le Vieux coq, en
premier état sur japon; la Marne à Lagn)), de Leheutre, tirée à cinq
épreuves seulement.
■5?-
LES DEGAS EN AMÉRIQUE
Hilaire-Germain-Edgar Degas... Sur le catalogue illustré — sorti
des presses de Lent et Grafî, à New-York — les trois prénoms du
maître étaient scrupuleusement rappelés devant chacun des numéros
de la vente. Soixante-et-onze numéros, peintures et pastels, « being
the private collection of the vvidely known antiquarian Jacques Selig-
mann of Paris ». On les dispersa le 27 janvier, dans la grande salle
de « The Hôtel Plaza », sous la direction de M. Thomas E. Kirby,
assisté de M. Otto Bernet, de 1' (( American Art Association ». La
vente produisit, au total, 226.800 dollars. Le dollar cotant à Paris,
ce jour-là, 13,92 1 2, c'est par une somme de 3.158.190 francs
que s'établit ce produit. Le prix total d'adjudication de ces 71 tableaux
à la vente Degas (mai 1918) avait été de 1.216.400 francs. La
plus-value enregistrée à New-York est donc très sensible.
L'enchère la plus élevée fut atteinte par une peinture. Portrait en
blanc, adjugée 1 7.000 dollars à MM. Knoedler. Elle avait réalisé
66.000 francs à la vente Degas (n" 97 du catalogue). M. Durand-
Ruel a payé 1 3.000 dollars la scène de Mlle Fiocre dans le ballet
de la Source, cédée aussitôt par lui au musée de Brooklyn (n° 8 de
la vente Degas, 80.500 fr.) . Un autre musée américain, celui d^
Détroit, a acquis indirectement aussi Danseuse au foyer {la contre-
basse), 10.500 dollars; Portrait de femme, 6,500; Deux femmes
assises, 3.800; Deux danseuses à la barre (pastel), 3.200. Quelques
prix sont encore à citer : la Promenade des chevaux, 1 1 .800 dollars,
à Miss Lorentz (vente Degas, n° 102 : 33.000 fr.) ; Les amateurs
de musique {le violoniste) , 7.700 d. (vente Degas, n" 49: 37.100 fr.) ;
Scène de ballet, 5.600 d. (vente Degas, n" 77 : 24.000 fr.) ; Quatre
danseuses en scène, 7.100 d. (vente Degas, n" 113 : 31.800fr.).
Ces trois derniers tableaux à M. Durand-Ruel. La Danseuse aux bou-
quets, 7.600 d., acquise par M. Vollard (vente Degas, n" 1 : 70.000
DE LA VIE ARTISTIQUE
185
fr.) . Enfin, Les modistes,
2.400 d. (vente Degas,
n^ 109 : 15.000 fr.).
Deux femmes et un hom-
me, 2.300 d. (vente De-
gas, n° 69, 14.000 fr.).
Femme à sa toilette, pastel,
2.200 d. (vente Degas, n"
272 : 14.800 fr.).
Observons qu'en Amé-
rique les frais sont à la
charge du vendeur. Ils
aprochent de 30 0/0 pour
les peintures à l'huile, mais
seulement de 20 0/0 pour
les pastels, la loi améri-
caine frappant doublement les œuvres « exécutées avec un pinceau ».
Chinoiserie fiscale. On peut se demander quel traitement le fisc amé-
ricain réserve aux peintures exécutées à l'huile sans le secours de la
brosse, avec les seuls crayons Rafîaëlli
Mlle Fiocre dans le ballet de la Se
Six doigts à la main droite
On vendait l'autre jour une collection de tableaux dans l'ancienne
résidence Longford Hall, près de Derby (Angleterre), et parmi les
œuvres proposées au public figurait un tableau de J. Mighmore :
Portrait de Lady Jane Coke, fille de Lord Wharton. L'œuvre n'était
ni bonne ni mauvaise, mais le commissaire-priseur eut l'heureuse idée
d'annoncer :
« On remarquera que cette dame a six doigts à la main droite.
J'ajoute que, selon une légende locale, son fantôme reparaît souvent
dans cette maison, et dans cette chambre même. »
La nuit tombait. Il neigeait. Le vent soufflait, et les chandelles
n'étaient pas encore allumées. On frissonna un peu, et comme le
tableau était le dernier à passer aux enchères, il fut prestement poussé
jusqu'à 44 livres 2 shellings. Après quoi, on se dépêcha de s'en aller.
On ne saura jamais si le portrait fut si bien vendu parce que la dame
avait six doigts à une main ou parce que son ombre rôdait à deux
pas, dans les couloirs.
186
LE BULLETIN
Ici...
AU MUSÉE DU LOUVRE
Au musée du Louvre viennent d'entrer, outre
le rétable donné par la famille de Charles-Léon
Cardon, plusieurs œuvres de haute qualité : la
Vierge à l'écritoire, panneau peint de la fin du
quatorzième siècle, de l'école française; une targe
peinte, attribuée à Pollajuolo; deux médaillons en
bronze de Riccio; un médaillon en marbre du
seizième siècle; un très beau plat italien du sei-
zième siècle. Ces six pièces importantes proviennent
d'un certain don Brauer.
Il s'y ajoute un portrait d'Albert Diirer, par
le maître, provenant pareillement d'un don, chef-
d'œuvre capital.
CARPEAUX INCONNU
Targe peinte.
Parallèlement aux travaux qui se proposent attribuée à Pollajuolo.
de définir le génie d'un maître, de dégager la
leçon de son œuvre, de placer un homme et un art à la fois dans leur
temps et dans le temps, les études monographiques colligent les élé-
ments en vertu desquels des jugements pourront être établis — ou
rectifiés Elles nous montrent l'artiste non plus en scène, mais dans sa
loge, ou dans les coulisses. Au grand
statuaire valenciennois, l'un de ses com-
patriotes et de ses pieux admirateurs,
M. Mabille de Poncheville, consacre
un important et copieux ouvrage, pu-
blié chez Van Oost, à Bruxelles.
C'est le Carpeaux inconnu que l'écri-
vain évoque pour nous. M. Mabille de
Poncheville a consulté les souvenirs des
vieux amis du maître, il a fouillé les
tiroirs familiaux; il y a fait d'amples dé-
couvertes : correspondances de Car-
, .^,„ ., , peaux, dessins inédits, entretiens re-
plat Italien du XVl siècle. -n- i , ■ . i
(Musée du Louvre.) cueillis. Le caractcre prive du nerveux
DE LA VIE ARTISTIQUE
artiste, indépendant, ardent, facilement ému, mais fidèle à ses sou-
venirs, se révèle dans ces documents habilement sertis. Des anecdotes
singulièrement évocatrices accentuent l'originale physionomie. Pour
obtenir de l'empereur la commande de VAbd-el-Kader à Saint-Cloud,
le maître, tout jeune encore, transporta successivement son plâtre,
— au prix de quelles difficultés! — dans tous les endroits que devait
visiter Napoléon III, pendant son voyage à Valenciennes. L'empereur
le voyait partout. Il finit par s'y intéresser, et accorda la commande
à l'entêté statuaire.
Tel était Carpeaux. M. Mabille de Poncheville groupe autour de
lui des figures familières : la mère que le maître adora; le père, malin
maçon; des amis : Dutouquet, Foucart, Chérier, le pantagruélique
notaire Beauvois, dont le maître dessina de prestigieuses caricatures.
Ce n'est plus seulement une curieuse personnalité qui surgit ici, à
brèves et justes touches; c'est toute la Valenciennes intellectuelle de
1 850. C'est toute une histoire locale qu'a retracée le sagace écrivain.
LES EXPOSITIONS
On visitera cette quinzaine : au Pavillon de Marsan, jusqu'au
1 7 avril, le XII Salon des Décorateurs. — Chez Barbazanges,
jusqu'au 26 mars, l'œuvre gravé et dessiné de Bernard Naudin. —
Aux galeries Simonson, jusqu'au 23 mars, l'exposition de la Cravure
originale en noir. — Chez Durand-Ruel, jusqu'au 23 mars, la Société
Moderne. — Chez Devambez, jusqu'au 29, les oeuvres de Hérisson
et de Jacques Simon; jusqu'au 19, celles de Jean Droit. — Chez
Marcel Bernheim, jusqu'au 19, l'exposition d'Art contemporain. —
Chez Léonce Rosenberg, jusqu'au 31, l'œuvre d'Auguste Herhin. —
Chez Paul Rosenberg, jusqu'au 25, l'œuvre de Marie Laurencin. —
Chez Chéron, jusqu'au 18 mars, l'exposition des Nuits de Paris, par
Jean Caltier-Boissière. — Chez Druet, jusqu'au 1 8, l'exposition
annuelle du Premier Groupe. — Chez Bernheim-Jeune, jusqu'au
19 mars, les peintures de Raoul Dufy; du 20 mars au 6 avril, celles
d'Antoine billard. — A la Fédération française des Artistes, 153,
avenue de Wagram, jusqu'au 25 mars, la Première Exposition d'en-
semble. — A la Licorne, jusqu'au 25, les œuvres d'André Lhote.
— A la galerie Panardie, 1 3, rue Bonaparte, jusqu'au 6, l'expo-
sition d'OJe//e Renault.
183 LE BULLETIN
,..et ailleurs
UN DON DE SIR JOSEPH DUVEEN
Sir Joseph Duveen, agissant comme mandataire de M. Clarence
Mac Kay, le grand collectionneur de New-York, vient de faire par-
venir à M. Lambotte, pour être donné au musée de la Porte de Hal,
à Bruxelles, le parement d'épaule de l'armure de parade exécutée à
la fin du Xvr siècle pour l'archiduc Albert, gouverneur des Pays-Bas.
Le musée conserve l'armure à peu près complète du cheval, damas-
quinée d'or comme le parement d'épaule, et le gouvernement belge,
en vertu des stipulations de l'article 1 95 du t/aité de Saint-Germain-
en-Laye, revendique actuellement à Vienne le complément de cet
ensemble, l'armure de corps de l'archiduc et le chanfrein de son cheval.
On comprend l'importance de ce don. Le parement d'épaule a fait
partie de la collection de feu Sir Guy Laking Bart, conservateur du
London Muséum, de l'Arsenal du Roi d'Angleterre et des armures
de la collection Wallace. Cette collection fut dispersée chez Christie
en avril 1920.
Sir Joseph Duveen avait acheté le précieux parement au prix de
sept cents guinées, pour le compte de M. Mackay, enlevant la pièce
au conservateur du musée de la Porte de Hal, M. Macoir, qui repré-
sentait le gouvernement belge à la vente.
PROPAGANDE
A la demande de la Franco-Scottish Society, M. Paul Lambotte,
directeur au minitère des Sciences et des Arts et commissaire du gou-
vernement belge pour les expositions des Beaux-Arts, fera en mars une
tournée de conférences en Ecosse. Il parlera de l'Ecole belge contem-
poraine, de 1 830 à nos jours, avec projections lumineuses.
La tournée comprend Glasgow^, Edimbourg, Aberdeen, Dundee
et Saint-Andrews.
AU MUSÉE DE BRUXELLES
Au Musée Ancien, dans la salle des primitifs, vient d'être placée
provisoirement une composition importante d'Albert Bouts représentant
le Calvaire. Cette œuvre émouvante et d'un beau style, n'a figuré
dans aucun catalogue du musée. Pendant la guerre, elle fut retirée
en mauvais état des réserves. Une restauration très discrète a fait
revivre ce chef-d'œuvre du maître louvaniste, déjà représenté utilement
au musée de Bruxelles.
DE LA VIE ARTISTIQUE
189
Palette de William Hogarth.
Palette de Sir Thomas Lawrence.
PALETTES ILLUSTRES
La Royal Acade-
my conserve comme des
reliques les palettes de
ses membres les plus
éminents. Les « truelles »
de Sir Joshua Reynolds
et de William Hogarth
voisment, en ce musée du
souvenir, avec 1' « olive »
de Sir Thomas Law-
rence et avec la « bâ-
tarde )), un peu fêlée, de
l'animalier Sir Edwin
Landseer. Bien que très
flattés de cet hommage
à leur talent, les peintres
de la Royal Academy
ne lèguent cette dernière
œuvre que le plus tard
possible.
PAS DE MONUMENT
WHISTLER
animalier
Palette
Sir Edwi
Palette de
Joshua Reynolds
En 1907, un comité avait été constitué, à Londres, dans le but
de recueillir des fonds pour un monument Whistler. Rodin avait été
choisi pour sculpter l'effigie. Mais les années passèrent, la guerre vint
et le maître inconstant, « quelque goût, disait-il, qu'il eijt pour un
tel sujet », ne réalisait rien. Rodin mourut, la guerre s'acheva et
n'osant pas remettre à un second sculpteur le soin de tailler un Whistler
dans le marbre, le comité vient de renvoyer tous leurs chèques aux
souscripteurs.
LES DISPARUS
Arthur Lucas, grand ami des arts, notoire éditeur de gravures
en couleurs, vient de mourir à Brondesbury (Angleterre) . Fils de ce
190 LE BULLETIN
portraitiste John Lucas qui, de 1828 à 1874, peignit peut-être le
plus grand nombre de portraits de personnes illustres, Arthur Lucas
s'était, de bonne heure, consacré à l'édition d'art. L'une de ses pre-
mières productions fut la Moretia de Leighton, gravée par Samuel
Cousins (1875). Puis il demanda à Gerald Robinson la gravure de
diverses oeuvres de Frank Dicksee, dont The Passing of Arthur, l'une
des plus belles mezzotintes produites pendant la seconde moitié du
XIX'^ siècle. Nombre de Reynolds et de Gainsborough furent gravés
par ses soins, et la plupart signés du graveur Edward Brandard.
— y. H. Me Fadden, décédé à Philadelphie. Il commença à
collectionner la peinture anglaise voici quelque trente ans. C'était l'âge
heureux où l'on pouvait avoir un Gainsborough pour 25.000 francs,
et ce fut le premier achat de Me Fadden. Depuis, il a refusé, de la
même œuvre, 300.000 francs. Il avait douze Reaburn, six Romney,
le fameux portrait de Master Bunhury par Reynolds, deux Turner
admirables. Le catalogue de sa collection fut publié en 1918. Et la
collection elle-même est léguée par testament à la ville de Philadelphie
qui, enrichie récemment du legs John G. Johnson, devient, par ce
double et heureux coup, l'un des plus u opulents >» centres d'art des
Etats-Unis.
— Sir Frederick Wedmore, critique d'art, décédé à 77 ans. II
avait vécu à Paris dans sa jeunesse, et les articles où sa fin est annoncée
observent que : « ses méthodes critiques étaient colorées d'une influence
d'esprit français ». C'est à l'étude de l'art en France qu'il s'appliqua
en effet (xv'lir et XIX*" siècles) . On lui doit notamment de précieuses
monographies sur beaucoup de nos graveurs. Frederick Wedmore
était, depuis plus de trente ans, critique d'art du Standard. Il établit
le catalogue des gravures de Whistler, et signa un remarquable ouvrage
sur Balzac artiste.
DANS LES COLLECTIONS ET LES MUSÉES
Mrs. John D. Rockefeller vient d'acquérir, pour sa collection,
le portrait en pied de Lady Dysart, par Thomas Lawrence. Cette
œuvre célèbre a été plusieurs fois gravée. La mezzotinte en couleurs
de Richard Smythe en est la reproduction la plus connue.
— Deux tableaux : Judith et Didon, attribués à Mantegna,
DE LA VIE ARTISTIQUE 191
sont entrés au musée de Montréal. Ces panneaux avaient longtemps
figuré dans la collection Taylor.
— Grâce à la libéralité de Mme D. C. Phillips, un nouveau
musée — la Phillips Mémorial Gallery — va être construit à Was-
hington. Des salles y seront réservées, dont chacune contiendra les
œuvres d'un artiste réputé et sera en somme le musée personnel de
cet artiste, après sa mort. Dans d'autres salles seront groupées des
œuvres montrant, par époques et nations, l'origine et les développements
des tendances esthétiques. Enfin le musée Phillips abritera des expo-
sitions temporaires et publiera, deux fois l'an, une volumineuse revue
contenant des monographies d'artistes et établissant le bilan artistique
de l'année dans le monde entier.
— M. R. Cobbold Gain a offert, à la Galerie nationale Victoria
de Melbourne, un tableau de Abraham de Vries. C'est le portrait
d'un jeune homme chevelu, portant costume de velours noir et fraise-
jabot en dentelles. L'œuvre est datée 1647 et passa en vente, il y a
quelques années, chez Christie, à Londres, sous la signature fausse
de Rembrandt. Le tableau, nettoyé, a, depuis, révélé le nom du véri-
table auteur. Ce n'était pas la première fois qu'un Ab. de Vries était
pris pour un Rembrandt.
LES BIENFAITS DU CHANGE
Malgré les lois de protection, les œuvres d'art sortent d'Italie
assez facilement. Les journaux romains publiaient, il y a quelques
jours, cette note édifiante : <( En ces derniers temps, un grand nombre
d'antiquaires étrangers ont acquis une quantité considérable d'objets
d'art de toutes époques, en profitant du change. A lui seul, un Amé-
ricain a emporté plus de 4 millions de vieux tissus. » Suivent les
lamentations ; ruine du patrimoine artistique, dilapidation de ce qui
fait la gloire éternelle de l'Italie. Mais les acheteurs sont loin...
UN PALAIS MYCÉNIEN EN THESSALIE
A Pagasœ, en Thessalie, au cours de fouilles archéologiques,
tout un palais de la période mycœnienne a été découvert, en bon état
de conservation. Déjà, en 1908-1909, au même lieu, on avait eu la
bonne fortune d'exhumer de curieux spécimens de peinture hellénique.
Pascal Forthuny.
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LE BULLETIN
Paroles
.D AMATEUR
Chez un grand marchand se présente un amateur de fraîche date
et qui paraît assez novice. Il avise un petit tableau.
— Qu'est cela?
— Peuh!... 1830.
— 1830! reprend l'amateur. Vous me le laisserez bien à 1800?
RAOUL DUFY
Canotiers à Joinville.
Le Gérant : Despobtes
Moderne Imprimerie, Loth, hii', 37, rue Gandon, Paris.
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