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Full text of "Le Bulletin de la vie artistique"

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2*  Année     N°  6.  15  Mars  1921 


LE 


BULLETIN 

DE    LA 

VIE  ARTISTIQUE 

PARAISSANT    DEUX    FOIS    PAR    MOIS 


# 


PARIS 
MM.  BERNHEIM-JEUNE.  ÉDITEURS  D'ART 

25,   BOULEVARD  DE  LA  MADELEINE 
15,  RUE  RICHEPANCE 


1  fr.  25  le  Numéro 


LE 

BULLETIN 

DE    LA 


VIE  ARTISTIQUE 

Paraît  le   i"  et  le   15   de  chaque  mois. 


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24    PREMIERS    NUMÉROS 


LE 


BULLETIN 

DE    LA 

VIE  ARTISTIQUE 


15    Mars    1921 


[ifi 


PARIS 
MM.    BERNHEIM-JEUNE,    ÉDITEURS   D'ART 

25,    BOULEVARD    DE    LA    MADELEINE 
15     RUE    RICHEPANCE 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


Iittp://www.arcliive.org/details/n06bulletindelavi02pariuoft 


BULLETIN   DE  LA  VIE   ARTISTIQUE 

2e  Année.      N°  6.  15    Mars    1921 

Rédacteurs  :    MM.    Félix   Fénéon,     Pasced   Forthuny    Guillaume   Janneau 
André    Marty,     Tabarant. 


SOMMAIRE 


Chez  les  fées  du  logis. 
Les  grands  Collectionneurs. 

(M     Raymond  Kœchlin) 
Les  disparus. 
Constantin  Guys. 
Le  Musée  Fragonard. 


Laboratoires  et  Coulisses. 

Le  Courrier  de  la  Presse. 

La   Curiosité. 

Ici... 

...et  ailleurs. 

Paroles. 


Chez  les  fées  du  logis 


Le  Pavillon  de  Marsan  qui,  justement,  est  sombre  comme  une 
caverne,  reçoit,  comme  chaque  année,  la  visite  des  fées.  Sous  le  patro- 
nage de  M.  Paul  Vitry,  les  artistes  décorateurs  y  ouvrent  leur  salon. 
Ils  eurent  bientôt  fait  de  diviser  la  vaste  nef  en  alvéoles.  C'est  un 
décor,  en  effet,  qu'en  un  tourdemain  ils  ont  brossé  devant  nos  yeux 
éblouis  :  le  décor  de  notre  vie. 

Car  nous  nous  entourons,  comme  on  sait,  d'un  luxe  plein  de  goiàt. 
Nous  visitons  ces  expositions  d'oeuvres  exceptionnelles  et  précieuses, 
non  pas  comme  un  musée  d'enseignement,  mais  en  propriétaires.  De 
même  lisant  les  vieilles  chroniques,  nous  nous  plaçons  naturellement 
au  rang,  non  pas  des  serfs,  mais  des  seigneurs. 

Il  est  heureux,  d'ailleurs,  qu'en  ce  pays  épris  d'idées,  les  traditions 
du  beau  métier  demeurent.  Il  n'est  pas  mauvais  en  soi  que  les  artistes 
créent  pour  une  élite.  Le  fâcheux  est  que  cette  élite  écarte  d'elle, 
justement,  les  éléments  dont  elle  a  besoin.  Par  un  phénomène  singulier, 
ce  «  corps  intermédiaire  d  où  Montesquieu  voyait  l'élément  stable  et 
régulateur  des  démocraties,  s'éteint  de  jour  en  jour.  Les  exigences  de 
la  vie  moderne  réduisent  la  bourgeoisie  intellectuelle  à  la  condition 
d'un  prolétariat  véritable. 

Pour  la  société  comme  pour  l'art,  une  telle  évolution  n'entraîne-t- 
elle  pas  de  redoutables  conséquences?  Le  jour  où  l'art  décoratif  sera 
tenu,  par  l'immense  majorité  des  hommes  et  par  les  esprits  cultivés 
eux-mêmes,  comme  un  privilège  du  luxe  et  de  la  richesse,  n'est-il  pas 
à  craindre  que  le  niveau  de  la  civilisation  ne  baisse  encore? 


Ibi  LE      BULLETIN 

Les  décorateurs  ne  cessent  de  lamenter  le  malheur  des  temps.  Ils 
réclament  le  secours  de  l'Etat  et  cependant  ne  songent  point  à  réformer 
des  méthodes  qui  ne  sauraient  justifier  les  sacrifices  qu'ils  réclament. 
L'Etat,  dans  cette  affaire,  n'a  qu'une  doctrine  :  encourager  les  travaux 
qui  conspirent  au  relèvement  national  et  à  la  prospérité  publique.  Les 
entreprises  des  artistes  décorateurs  ont-elles  ce  caractère?  Industries  de 
luxe,  elles  n'atteignent  que  quelques  amateurs  opulents,  quelques 
privilégiés. 

Les  œuvres  exquises  que  composent  les  Ruhlmann,  les  Follot,  les 
Sue  et  Mare,  dans  l'art  du  meuble;  les  Decœur,  les  Marinot,  les 
Decorchemont,  dans  les  arts  du  feu  ;  les  Dunand,  les  Serrière,  dans 
ceux  du  métal  ;  les  Clément  Mère,  dans  le  bibelot,  doivent,  il  est  vrai, 
pénétrer  dans  nos  musées,  parce  qu'elles  appartiennent  à  notre  histoire 
et  qu'elles  sont  parfaites.  Elles  n'en  restent  pas  moins  des  curiosités 
du  luxe. 


Aux  grandes  époques,  parallèlement  aux  chefs-d'œuvre  que  créaient 
les  nobles  artisans  dont  l'enseignement  reste  fertile  existait  un  art  popu- 
laire infiniment  savoureux.  Il  avait  ses  foyers  et  ses  écoles  propres,  qui 
étaient  les  ateliers,  séminaires  d'apprentis.  Pour  le  Tiers,  à  des  prix 
tolérables,  et  avec  autant  de  goût  que  d'honnêteté,  les  vieux  artisans 
réalisaient  des  mobiliers  que  s'arrachent  aujourd'hui  les  collectionneurs. 

Qu'avons-nous  qui  remplace  ces  institutions  abolies?  Les  déco- 
rateurs ont-ils  trouvé  une  formule  d'art  populaire?  Celle-ci  compor- 
terait sans  doute  un  programme  absolument  nouveau  ;  elle  impliquerait 
l'utilisation  systématique  de  l'outillage  mécanique;  elle  conduirait  à 
des  solutions  strictement  rationnelles.  Vainement,  les  artistes,  attachés 
à  leurs  habitudes,  repoussent  l'intervention  de  la  machine.  Créant  une 
ressource  et  un  moyen  nouveaux,  la  machine  déterminera  fatalement 
l'établissement  d'une  doctrine  réaliste  et  positive. 

Déjà  quelques  maîtres  étudient  ce  problème  :  témoin  M.  Léon 
Bouchet,  qui  fait  figure  d'initiateur.  Quand,  dans  nos  provinces 
ranimées,  les  chambres  de  métiers  relèveront  les  vieilles  industries,  que 
par  l'atelier  et  l'artisan  s'accomplira  la  régénération  que  souhaitait 
Viollet-le-Duc,  nous  aurons  seulement  un  art  décoratif  national. 

Guillaume  Janneau. 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE 


165 


Les  grands  Collectionneurs 

VIII  —  M.  Raymond  Kœchlin 


Comment  ! 


vous  êtes  dérangé  pour  une  interview?  s'étonne 


gaiement  M.   Raymond  Kœcl- 


lin.  Jadis  Hugues  Le  Roux  en  publia 
une  de  Bismarck  :  il  s'était  bien  gardé 
d'aller  à  Warzin  ou  même  de  quitter 
Paris  ;  n'empêche  que  les  paroles  toutes 
gratuites  qu'il  prêtait  au  chancelier 
menacèrent  un  instant  la  paix  du 
monde.  Voilà  la  bonne  méthode.  Vous 
m'auriez  obligeamment  attribué  quel- 
ques opinions... 

—  Mais  c'est  qu'il  ne  s'agit  pas 
du  tout  de  vos  opinions  :  mes  lecteurs, 
gens  renseignés,  les  connaissent.  Sim- 
plement je  voulais  revoir  vos  murs  et, 
avec  votre  agrément,  y  choisir  pour  le 
Bulletin  quelques  morceaux  à  photo- 
graphier. 

—  Eh  bien,  vous  avez  sous  les 
yeux  le  premier  tableau  que  j'aie 
acheté,  un  Ary  Renan.  Quelques  an- 
nées après  cette  opération,  je  voya- 
geais en  Palestine,  botte  à  botte  avec 

Bopp,  alors  consul  général  à  Jérusalem  et  maintenant  ministre  en 
Chine.  Nous  avions  dépassé  Jéricho.  «  Tiens  !  mon  tableau  !  » 
m'écriai-je.  Nous  étions,  en  effet,  arrivés  au  bord  du  Jourdain,  à 
l'endroit  même  où  Ary  Renan  avait  peint...  Depuis  bien  longtemps 
aussi  je  possède  ce  Fantin-Latour.  Il  est  de  1861  et  représente  la 
sœur  de  Fantin.  Il  faut  qu'il  y  ait  eu  un  air  de  famille  bien  net  entr^ 
le  modèle  et  le  peintre,  puisque,  rencontrant  dans  la  rue  celui-ci  que 
je  ne  connaissais  pas,  je  l'identifiai  et  l'abordai  sur  la  foi  de  sa  ressem- 
blance avec  l'effigie  féminine  que  j'avais  chez  moi...  Les  portraits 
m'intéressent.  Voici  celui  de  Monet,  par  Renoir  (il  provient  de  la 
vente  de  la  collection  de  mon  oncle  Dollfus)  ;  celui  du  caissier  de  la 
banque   Degas,   par  Edgar   Degas;   celui   de  ma  mère,   par   Henner; 


Portrait  de  Monet. 


Renoir. 


166 


LE      BULLETIN 


Me 


-    Port 


celui  de  la  première 
femme  de  Monet,  tableau 
où  je  me  plais  à  voir  une 
sorte  de  compendium  de 
ce  que  nos  meilleurs 
peintres  cherchaient  entre 
1860  et  1870  (regardez 
notamment,  vers  le  haut, 
cette  nature  morte  un  peu 
à  la  Manet  et,  sur  la 
droite,  en  bas,  cette 
lonet.  -  rortra.t.  harmonie     whistlérienne) . 

Monet  peignit  cette  toile  en    1871,   à   Londres. 

—  Mais,  au  fait,  vous  y  étiez  ces  jours-ci. 

—  Oui,  pour  l'inauguration,  au  Victoria  and  Albert,  d'une 
exposition  franco-anglaise  de  tapisserie.  Ce  fut  une  fort  belle  fête  : 
la  contribution  anglaise  était  imposante  et,  d'autre  part,  trois  des 
tapisseries  de  Reims  étaient  là,  outre  les  envois  du  garde-meuble,  du 
musée  des  Arts  décoratifs... 

—  Y  a-t-il  des  expositons  imminentes  à  cette  Union  centrale 
des  Arts  décoratifs,  que  vous  vice-présidez  ? 

—  Celle  des  Artistes  décorateurs  s'est  ouverte  le  5  mars  et  se 
clora  le  1  7  avril.  Nous  en  aurons  ensuite  une  de  Mathieu  Meheut, 
homme  qui  excelle  à  peindre  à  l'eau  poissons,  poulpes  et  méduses,  et 
une,    l'été    prochain,    de    Fragonard,    où 

figureront  les  Fragonards  de  Grasse.  Ce 
sera  la  quatre-vingtième,  la  centième,  je 
ne  sais  plus.  Celles  qui  suivirent  la  fon- 
dation, en  1 863,  de  1'  «  Union  centrale 
des  Beaux-Arts  appliqués  à  l'Industrie  >• 
furent  surtout  technologiques  :  bois  (mo- 
bilier) ,  bois  (construction) ,  métal,  pierre, 
terre,  verre.  Cela  se  passait  au  palais  de 
l'Industrie.  En  1877  se  constitua  une 
((  Association  pour  créer  un  musée  des 
arts  décoratifs  ».  Les  deux  groupements... 
Mais  cette  histoire  ne  vous  intéresse  pas. 

Cette      histoire      m'intéresse,       car  Renoir.  -  Femme  à  la  voilette. 


DE      LA      VIE     ARTISTIQUE 


167 


elle    est    très    mal    connue . 

—  Les  deux  groupe- 
ments fusionnèrent  quatre  ou 
cinq  ans  après  sous  le  titre 
d'  «  Union  centrale  des  Arts 
décoratifs  ».  But  de  la  so- 
ciété :  poursuivre  la  collec- 
tion d'œuvres  anciennes  pro- 
pres à  éduquer  amateurs  et 
ouvriers  d'art;  acquérir,  par- 
mi les  œuvres  modernes, 
celles  qui  témoignent  de  la 
vitalité  de  notre  art  décoratif. 

R^  iMonet.  —    i^a    ternie. 

essources  ? 

—  Nous  ne  demandons  à  nos  sociétaires  que  trente  francs  par 
an  et  encore  nous  les  leur  remboursons  par  un  carnet  de  trente  tickets 
d'entrée  au  musée.  C'est  en  1 882  (Antonin  Proust,  président)  que 
l'Union  fit  ses  plus  belles  recettes  :  5.812.000  francs,  produit  de  la 
loterie  dite  des  Arts  décoratifs.  Vers  1897,  du  fait  de  la  démolition 
du  palais  de  l'Industrie,  elle  entreposa  son  musée  dans  un  coin  du 
Pavillon  de  Marsan  (dont  la  concession  lui  était  promise)  ;  quant 
à  son  administration,  sans  cesser  d'organiser  des  expositions,  elle  erra 
de  la  Bibliothèque  de  la  place  des  Vosges  à  la  Chancellerie  d'Orléans 
(hôtel    que   la    Banque   de    France   va   prochainement   saboter)    et   de 

cette  Chancellerie  à  cette 
Bibliothèque.  Le  Pavillon 
de  Marsan  lui  fut  enfin 
dévolu.  Le  musée  y  fut 
inauguré  en  I  905  ;  mais, 
dès  1902,  on  avait  pu, 
tout  en  travaillant  à  l'amé- 
nagement des  locaux,  y 
faire  des  expositions,  et 
vous  n'aurez  pas  oublié 
celle  des  Primitifs  fran- 
çais, en   1904... 

—  Ni    tant    d'autres 
qui    suivirent   :    dentelles. 


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r 


168 


LE      BULLETIN 


Aquarelle    de    Guys. 


broderies,  éventails;  tissus  japonais,  étoffes 
de  Perse  et  de  Turquie,  estampes  japonaises 
primitives;  les  travaux  d'art  féminin,  l'épo- 
que napoléonienne,  la  turquerie  au  XVIII® 
siècle...  Oui,  je  vous  entends,  le  conseil 
d'administration  et  les  commissions  perma- 
nentes sont  pleins  d'hommes  compétents  dont 
l'activité  suffit  à  tout.  N'importe,  j'admire 
que  vous  trouviez,  en  outre,  le  temps  de 
vous  occuper  de  la  Société  des  Amis  du 
Louvre  et  de  la  présider. 

—  Plutôt  que  de  mes  tableaux,  par- 
lez-en donc  à  vos  lecteurs,  de  la  Société 
des  Amis  du  Louvre.  Fondée  en  1897, 
elle  compte  environ  3.000  sociétaires  dont 
les  deux  cinquièmes  sont  des  femmes.  Elle 
fournit  au  Louvre  de  précieux  concours,  moraux  et  pécuniaires.  Jamais 
ce  musée  n'a  reçu  de  dons  plus  riches  et  plus  nombreux  que  depuis 
qu'elle  existe.  Parmi  les  œuvres  qu'elle  lui  a  offertes  ou  qui  sont  entrées 
au  Louvre  grâce  à  des  souscriptions  auxquelles  elle  a  contribué,  je  cite  : 
en  1 899,  une  Vierge  à  Venfant  attribuée  à  Piero  délia  Francesca 
(30.000  fr.);  en  1901,  une  tapis- 
serie flamande  (70.000  fr.)  ;  en 
1905,  une  Pietà  provenant  de  la 
chartreuse  de  Villeneuve-d'Avignon 
(100.000  fr.);  en  1911,  le  Bain 
turc  d'Ingres  (150.000  fr.)  ;  en 
1918,  quarante  dessins  du  Lorrain 
(80.000  fr.);  en  1920,  l'Atelier 
de  Courbet,  —  et,  au  cours  de  ces 
vingt-quatre  ans,  combien  d'objets 
moms  importants,  mais  qui  complè- 
tent ou  amorcent  des  séries! 

—  J'enregistre  avec  émotion  ces 
chiffres.  Mais  si  nous  nous  remettions 
à  regarder  autour  de  nous...? 

—  Soit,    se   résigna   M.  -Koech- 

lin...    Vous   reconnaissez    dans   ce   des-         Delacroix.    -    Esquisse   du    Justinien. 


DE      LA      VIE     ARTISTIQUE 


169 


sin  la  composition  de  la  Cathédrale  de  Chartres  de  Corot;  à  tout  le 
monde,  il  semble  plus  grand  que  le  tableau.  En  fait  dessin  et  tableau 
ont  exactement  les  mêmes  dimensions  et  celui-ci  a  été  calqué  sur  celui-là, 
sauf  quelques  détails  de  perspective  que  le  pinceau  a  rectifiés.  Le  dessin 
fut  adjugé  douze  francs  à  la  vente  Corot;  ce  n'est  d'ailleurs  pas  là 
qu'il  m'échut...  Je  vois  que  ce  Renoir  de  1875  vous  plaît,  malgré 
votre  passion  pour  les  Renoirs  de  la  fin,  et,  ma  foi,  je  l'aime  aussi, 
cette  femme  au  tartan  dont  la  boucle  d'oreille  a  tant  d'importance  sous 
le  quadrillage  de  la  voilette...  Et  cette  Ferme  en  Normandie  est  de 
Monet.  Il  me  disait  tout  récemment  : 
«  Avez-vous  encore  cette  vieille  ma- 
chine ?  C'est  une  de  mes  premières 
toiles.  J'étais  un  gosse;  je  revenais  du 
service  militaire.  Ce  doit  être  de 
1  863.  »  Cet  autre  Monet,  un  Londres, 
est  de  quarante  ans  plus  récent...  Dé- 
blayons... Ces  pastels,  dessins,  aqua- 
relles sont  de  Prud'hon,  de  Guys,  de 
Carpeaux,  de  Manet,  de  Rodin,  de 
Forain  et  d'Henri-Edmond  Cross  ; 
cette  statuette,  de  Maillol...  Là,  l'es- 
quisse du  Justinien  de  Delacroix,  ta- 
bleau qui  brûla  avec  la  Cour  des 
Comptes  en  mai  71  et  dont  on  n'a 
ni  photographie  ni  gravure  ;  et  là,  la  Halte 


de  bohémiens  de  Van  Gogh. 


Mais  nous  n'avions  encore  recensé  que  des  tableaux.  Il  y  a  bien 
d'autres  choses  chez  M.  Kœchlin.  Je  suis  obligé  d'insister  pour  qu'il 
ouvre  les  vitrines  de  sa  collection  chinoise. 

—  Il  faut  être  inoculé  pour  se  plaire  à  ces  subtilités  de  la  céra- 
mique chinoise,  à  ces  porcelaines  blanches,  par  exemple,  ou  à  ces 
porcelaines  «  poil  de  lapin  »...  C'est  Poujaud  qui,  à  la  faveur  d'une 
exposition  d'estampes  japonaises,  m'initia  aux  arts  extrême-orientaux 
qui  depuis  m'ont  passionné... 

—  ...Comme  en  témoigne  assez  votre  livre  sur  /c5  Collections 
d'Extrême-Orient  au  musée  du  Louvre. 

—  La  donation  Grandidier  m'avait  offert  là  un  excellent  thème... 
Mais  voyez,  sur  ce  vase  japonais,  cette  étiquette.  C'est  celle  du  musée 


170 


LE      BULLETIN 


de  Kioto.  Le  vase  appartenait  au  temple  de 
Nishi-Hongangi.  Or,  au  Japon,  l'Etat  tient 
registre  des  objets  précieux  et  veille  à  ce 
qu'ils  aillent  à  tour  de  rôle  s'exhiber  pour 
un  temps   audit  musée.   D'où   l'étiquette. 

—  Est-ce  au  musée  ou  au  temple  que 
notre  vase  a  été  dérobé? 

—  Dans  des  spéculations  de  Bourse,  le 
temple  en  question  s'était  terriblement  en- 
detté. On  ne  pouvait  livrer  au  créancier  le 
dieu,  mais  il  y  avait  les  instruments  de  son 
culte.  Une  loi  autorisa  la  vente  du  trésor,  et 
voilà  pourquoi  vous  palpez  aujourd'hui  cet 
objet   au   galbe   fier. 


Ecole  de  Toulouse. 

(XV  siècle.) 


Puis  nous  fiâmes,  d'étape  en  étape,  sol- 
licités vers  l'Occident  par  des  miniatures  indo-persanes,  par  des  minia- 
tures persanes,  par  des  vases  de  Mossoul,  cuivre  et  argent,  par  des 
plats  de  Damas  du  XV*"  siècle,  et,  l'Europe  franchie,  ce  fut  la 
France,  où  nous  accueillit  une  assemblée  de  Vierges  sculptées  dans 
le  bois  ou  la  pierre  par  des  imagiers  bourguignons  ou  champenois. 
Mais  plus  séduisant  encore  était  un  nu  du  commencement  du  XV  siè- 
cle, vraisemblablement  de  l'école  de  Tou- 
louse. Nous  reproduisons  ici  cette  statue  de 
pierre  et,  d'ailleurs,  on  peut  en  voir  un 
moulage  au  musée  archéologique  du  Tro- 
cadéro,  vous  essaierez  en  vain  d'obtenir  que 
le  service  des  moulages  vous  en  délivrât 
une  épreuve.  M.  Kœchlin  le  lui  a  interdit. 
Avec  sa  sensualité  souriante,  cette  fille  se 
fût  fait  trop  de  relations,  et  il  l'eiùt  retrouvée 
en  plâtre  sur  la  cheminée  de  tous  ses  amis  : 
il  entend  la  garder. 

Ainsi    cette    demeure    est    d'un    aspect 

fort  complexe;  les  meubles  mêmes  relèvent 

de  plus  d'un  style  Et  comme  nous  notions 

....        ■  •  combien    était    sympathique    cette    harmo- 

Miniature    Persane  .  •  .    -      n  /    1/        1  i  ■ 

Le  prisonnier.  nieuse  varietc,  M.  fvœchlin  : 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE  171 

—  Quels  qu'en  soient  l'esprit,  l'époque  et  l'origine,  de  beaux 
objets  font  toujours  bon  ménage.  A  quelqu'un  qui,  devant  moi,  lui 
disait  :  u  Je  n'aime  que  la  peinture  ancienne,  »  Jules  Maciet  répli- 
quait avec  sagesse  :  ((  Laissez-moi  vous  dire  qu'il  n'y  a  pas  deux 
peintures  et  que,  si  vous  n'aimez  que  l'ancienne,  je  crains  fort  que 
vous  n'en  aimiez  aucune.  » 

Mais  bien  qu'elle  soit  en  céramique,  je  crus  entendre  grogner  la 
bête  japonaise  gardienne  du  seuil  ;  sa  mission,  je  suppose,  est  de  rap- 
peler à  la  discrétion  le  visiteur  qui  a  ici  trop  de  prétextes  à  s'attarder. 
J'enjambai  ce  monstre,  descendis  quelques  marches  et  me  retrouvai 
sur  le  quai  de  Béthune.  F.   F. 

Les  disparus  sir  w.  b.  richmond 

Sir  William  Blake  Richmond,  peintre  célèbre,  portraitiste  chef  de 
file  à  la  Royal  Academy,  est  mort  :  il  avait  78  ans.  Fils  du  peintre 
de  figures  George  Richmond,  petit-fils  du  miniaturiste  Thomas  Rich- 
mond, descendant  de  George  Engheheart  qui  fut,  le  pinceau  à  la 
main,  le  rival  du  grand  Cosway,  W.  B.  Richmond  était  quelque  chose 
comme  la  peinture  faite  homme.  Ses  débuts  furent  nettement  préraphaé- 
listes,  mais  au  retour  d'un  voyage  en  Italie,  il  salua  pour  la  dernière 
fois  John  Ruskin  et  Burne-Jones,  et,  après  une  ((  crise  »  de  peinture 
biblique,  tourna  résolument  au  portrait.  Dans  ce  genre,  ses  œuvres 
les  plus  notoires  sont  les  portraits  de  Lad])  Hood,  d'Andrew  Lang,  le 
groupe  des  Trois  demoiselles  Liddell,  les  deux  portraits  de  Gladstone, 
ceux  de  Darwin  et  de  Browning,  et,  datant  de  I  887,  celui  de  Bismarck. 

Parmi  ses  toiles  de  genre  qui  se  trouvent  dans  divers  musées  anglais, 
il  faut  citer  :  la  Morti  d'Uhsse,  le  Public  à  Athènes  pendant  une 
représentation  d'Agamemnon  (Musée  de  Birmingham)  . 

W.  B.  Richmond  avait  accepté  cette  tâche  de  titan  :  décorer  l'inté- 
rieur de  la  cathédrale  Saint-Paul,  à  Londres,  de  compositions  à  réaliser 
en  mosaïque.  Il  y  travailla  de  longues  années,  et  son  oeuvre  fut  aussi 
attaquée  par  certains  qu'estimée  par  d'autres.  A  dire  vrai  elle  n'ajou- 
tera que  peu  à  sa  renommée.  En  1919,  il  publia  un  ouvrage  intitulé 
Impressions  d'un  demi-siècle.  Ce  n'étaient  que  de  pittoresques  évoca- 
tions du  voyage  qu'il  fit,  en  1868,  à  Assise.  Il  avait  succédé  à  Ruskin 
comme  professeur  à  l'Ecole  des  Beaux-Arts  (Slade)  d'Oxford,  où  il 
enseigna  de  1878  à   1883. 


172 


LE     BULLETIN 


Constantin  Guys 

M.  Gustave  Ceffro^  intitule  con  livre  {Crès  et  O^,  édit.)  :  Cons- 
tantin Guys,  rhisiorien  du  second  Empire  ».  Plus  véridique  est  cette 
qualification,  en  effet,  que  celle  de  «  peintre  de  la  vie  moderne  », 
toute  relative,  et  qui,  sans  doute,  eût  paru  désuète  à  Baudelaire  lui- 
même,  s'il  lui  avait  été  donné  de  vivre  trente  années  de  plus.  Déjà 
M.  Gustave  Geffro})  nous  avait  of- 
fert, précieusement  édité  par  les  soins 
de  M.  Paul  Gallimard,  un  Guys 
qu  animaient  des  bois  de  Ton^  Bel- 
trand.  Cette  édition-ci  nous  rapproche 
plus  encore  du  très  grand  artiste  qui 
finit  obscurément  ses  jours  à  Vâge  de 
près  de  quatre-vingt-dix  ans,  sur  un 
lit  d'hôpital,  et  dont  les  saisissants 
dessins,  lavés  d'encre  et  de  sépia, 
furent  si  longtemps  dispersés  à  vil  prix 
par  les  brocanteurs  forains. 

Rappelant  que  ce  fut  Nadar  qui, 

dans   un   article   du   Figaro   (  1 5    mars 

1  892)    annonça  la  mort  de  Constantin 

Guvs,  à  la  fois  ignoré  et  célèbre,  Gus- 

et  par  là  se  termine  son  livre  très  vivant 


Constantin  Guys  en   1834. 

Litho  de   Léon   Noël,  reproduite  dans 

!e  livre  de  Gustave  Geffroy. 


tave  Geffroy  conclut  ainsi 
et  fortement  documenté  : 

((  Quand  la  mort  de  Guys  fut  annoncée  par  l'article  de  Nadar,  ce 
fut  comme  une  révélation  de  sa  vie.  Il  n'en  est  guère  d'autres  —  que 
son  œuvre. 

((  Telle  qu'elle  est,  cette  œuvre  reste  comme  une  merveille  d'art 
spontané,  comme  le  témoignage  ardent,  fiévreux,  vivant,  d'une  intelli- 
gence qui  a  senti  la  vie,  comme  une  illustration  irrécusable  de  l'histoire 
des  mœurs  au  dix-neuvième  siècle,  pendant  la  période  du  second 
Empire. 

«  Pour  l'homme,  si  sa  biographie  est  mystérieuse,  il  apparaît  avec 
l'essentiel  de  son  esprit  à  travers  les  images  qu'il  a  laissées  de  ses 
visions.  Quand  je  dis  que  sa  biographie  est  mystérieuse,  je  veux  dire 
qu'elle  est  mal  connue,  qu'elle  est  tombée  à  l'oubli  où  Guys  l'a  enfouie 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE 


délibérément.  On  la  connaîtrait  jour  par  jour 
dans  tous  ses  détails,  qu'elle  n'offrirait  peut- 
être  pas  de  péripéties  dramatiques  ni  étranges, 
si  ce  n'est  celles  des  sentiments  et  des  passions. 
Mais  quelle  biographie  alors  n'est  pas  mys- 
térieuse? Chaque  être  porte  le  secret,  sinon 
de  sa  vie,  du  moins  des  mobiles  conscients 
ou  inconscients  de  sa  vie,  des  raisons  fatales 
qui  ont  déterminé  ses  actes.  Ce  secret  s'en 
va  en  même  temps  que  nous  nous  en  allons. 
De  quelques-uns,  il  reste  la  confidence  de 
la  littérature  ou  de  l'art,  confidence  res- 
treinte, souvent  faite  d'indications  que  nul 
ne  pourra  jamais  compléter.  Constantin  Guys 
a  légué  ainsi  à  l'avenir  non  pas  le  récit  de 
lui-même,  mais  de  ce  qui  était  hors  de  lui- 
même.  Il  dit  où  il  se  retrouve  et  montre  ce 
qu'il  a  vu,  et  par  la  manière  dont  il  le  dit  et  dont  il  le  montre,  il  nous 
révèle  son  intelligence  avide  de  voir,  ardente  à  comprendre,  amoureuse 
du  spectacle  fugitif  des  êtres  et  des  choses. 
«    Rêvez  le  reste.   » 


Constantin  Guys,  en   1880, 

par  Manet. 

(Collection    de  Mme  Havemeyer 

de  New-York.) 


Quelques  documents  personnels,  à  présent, 
servir  aux   futurs  biographes  de  Guys. 


et  inédits 


pour 


^^^^smm^ 


Constantin  Guys.  —    Les  Manchons. 
(Appartenait  à  la  collection  Théophile  Gautier.] 


Constantin  Guys  appar- 
tient à  une  famille  pro- 
vençale dont  le  nom  se  ren- 
contre dans  les  actes  pu- 
blics dès  le  XVI"  siècle, 
et  qu'illustra  le  moine  ar- 
chéologue Joseph  Guys,  né 
à  La  Ciotat  en  1611,  et 
mort  en  odeur  de  sainteté 
en  1 694.  Ses  ascendants 
directs  sont  le  médiocre 
auteur  dramatique  marseil- 
lais Jean-Baptiste  Guys, 
qui     vivait     au     milieu     du 


LE      BULLETIN 


XVIII''  siècle,  négociant  à  Constantinople  et  helléniste  en  ses  loisirs,  au- 
teur d'un  Voyage  littéraire  de  la  Grèce  qui  lui  valut  de  Voltaire  une 
pluie  de  petits  vers  agréables.  Enfin,  son  père,  François-Lazare,  était  le 
frère  cadet  de  Pierre-Alphonse  Guys  (1755-1812)  qui  de  bonne 
heure  quitta  Marseille  pour  exercer  à  Constantinople,  puis  en  Hollande, 
des  fonctions  diplomatiques,  et  c'est  ce  frère  qui,  ayant  accepté  d'être, 
en  décembre  1  802,  le  parrain  du  petit  Guys,  décida  que  son  neveu 
s'appellerait  Constantin,  en  souvenir  de  cette  Constantinople  où  deux 
générations   de   Guys   avaient   honorablement   vécu  et  prospéré. 


Tabara.nt. 


Le  Musée  Fragonard 


Notre  confrère  M.  Pierre  Borel  prépare  sur  "  M'nîicelli  inconnu  "  une  curieuse  étude.  Il  pu- 
blie un  "Petit  Guide  du  Musée  de^  Beaux-Arts  de  Nice"  qui  éclairera  les  visiteur?  au  cours  de 
leur  promenade  dans  ce  mutée.     Nous  lui  devons  la  note  qui  suit   : 

M.  Paul  Léon,  directeur  des  Beaux-Arts,  vient  d'inaugurer  à 
Grasse,  dans  l'hôtel  Mirabeau,  un  musée  Fragonard  dont  le  fonda- 
teur, M.  François  Carnot,  définit  ainsi  le  but    : 

«  C'est  donc  cet  écrin  vide  que  nous  avons  choisi  pour  y  présenter 
notre  intime  trésor;  c'est  ici,  mieux  qu'ailleurs,  que  nous  pourrons 
évoquer  les  gloires,  les  joies  et  les  raisons  de  vivre  de  ce  pays  pro- 
vençal, de  cette  marche  de  Provence,  toujours  prête  à  armer,  entre  la 
France  et  ses  ennemis,  le  rempart  de  ses  fières  petites  cités  et  la  poitrine 
de  ses  fils;  car  vous  n'êtes  pas,  ici,  dans  cette  riche  Provence  du 
Rhône,  aux  villes  de  cathédrales  et  de  parlements  ;  quand  des  ombres 
de  religieux  passent  sous  nos  oliviers  argentés,  ce  ne  sont  pas  des 
légats  ou  des  papes,  mais  de  rudes  moines,  les  saints  ascètes  de  Lérins 
ou  de  Thoronnet;  quand  le  parvis  de  nos  églises  a  besom  d'un  archi- 
tecte, ce  n'est  pas  Toro  ou  Puget  qu'on  appelle,  c'est  Vauban  ! 

«  Et  pourtant,  c'est  ici  aussi,  mieux  qu'ailleurs,  que  nous  pourrions 
prononcer  tout  haut  ce  nom  qui,  aux  yeux  de  tout  le  monde  civilisé, 
personnifie  l'art  de  la  France  au  XVlir  siècle  :  Fragonard  le  Grassois.  » 

Le  long  des  murs,  voici,  en  effet,  reproduites  les  oeuvres  capitales 
du  ((  maître  de  l'Amour  )),  voici  également  des  peintures  originales 
de  la  plus  grande  valeur,  des  eaux-fortes  de  «  Frago  »,  des  gravures 
rarissimes,  un  portrait  de  l'artiste  et  sa  boîte  à  peindre,  celle-là  même 
qu'il  rapporta  d'Italie  et  qui  se  trouvait  encore  dans  ses  bagages 
lorsqu'il  fuit  la  Révolution.  On  y  voit,  dans  de  petits  flacons  de  verre, 
les  poudres  à  couleurs  étiquetées  de  sa  main  et  d'autres  menus  objets. 

Pierre  Borel. 


d'e    la     vie    artistique 


175 


Laboratoires  et  Coulisses 


bandonne  brusquement  la  table 
s'en  va  pas    :  il  s'arrache.  Un 


M,    BERNARD    NAUDIN,    PROFESSEUR 

—   Dire  qu'on  m'attend  là-haut! 
M.  Bernard  Naudin  se  décide.  Il 

à  dessiner,  repousse  le  tabouret.   Il  ne 

dernier  regard  au  dessin  commencé  —  ce  regard  indéfinissable,  soudain 

grave  qu'ont  tous  les  artistes.  Crayons  et  outils  de  graveur,  canifs  et 

burins  restent  là  ;  nul 
n'en  fera  usage. 

Et  M.  Bernard  Nau- 
din sourit.  Un  masque 
voltairien,  front  aux  lar- 
ges plans,  œil  aigu  der- 
rière des  verres  bombés; 
un  Voltaire  jeune,  avec 
des  dents.  Une  singu- 
lière mobilité,  aisée,  pré- 
cise ;  mobilité  d'expres- 
sion plutôt  que  de  gestes. 
—  Je  monte.  Je 
m'en  vais  faire  le  clown. 
I  e  maître  parle  sans  respect  de  lui-même.   Il  a  cette  modestie  des 

grands  inventeurs,  qui  n'est  pas  humble  mais  fière,  et  qui  saurait  être 

ombrageuse  et  rebelle. 
Parmi  ses  élèves,  il  est 
un  frère  aîné,  attentif  à 
stimuler  leur  imagina- 
tion. 

L'académie  Cola- 
rossi  occupe,  rue  de  la 
Grande-Chaumière,  au 
cœur  du  quartier  Mont- 
parnasse, un  bâtiment 
plus  haut  que  large, 
vaste  échafaudage  peint 
en  rouge.  Il  contient  des 
ateliers  qu'administre  un 


Bernard  Naudi 


Les  affli 


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Le  tourbillon  de  la  vie,  dessin. 


176 


LE      BULLETIN 


Des 


Bernard   Naudin. 
pour  la  Jehanne   Darc. 


massier,  sous  la  direction  d'un  maître. 
M.  Bernard  Naudin  professe  à  Cola- 
rossi  le  croquis  et  la  composition. 

Ce  jeudi  soir,  un  adolescent  pose  h 
nu,  sous  les  fortes  lampes  électriques. 
Parmi  les  chevalets  dressés,  le  maître 
s'est  glissé.  Il  disparaît  derrière  eux 
pendant  le  bref  moment  d'un  examen 
sagace.  Il  corrige  peu,  signale  l'erreur 
commise.  Cependant,  face  au  modèle,  on 
a  posé  un  chevalet  garni  de  feuilles 
vierges  autour  duquel  se  groupent  déjà 
les  élèves.  Docteur,  M.  Bernard  Naudin 
va-t-il  donc  se  remettre  à  l'école,  et 
publiquement?  Oserait-il  affronter  une 
épreuve  que  redoutait  David?  On  sait 
comme  était  clos  l'atelier  des   Horaces. 

En  toute  simplicité,  M.  Bernard 
Naudin,  pensant  tout  haut,  révélant  avec 
générosité  le  secret  de  son  expérience, 
va,  comme  un  débutant,  faire  son  <(  aca- 
démie ».  Il  s'astreint,  depuis  plusieurs 
années,  à  cette  discipline.  «  J'en  ai  tiré 
un   immense  bénéfice,    "    convient-il. 

Longuement,  il  regarde  le  modèle 
qui,  tout  interdit,  rectifie  la  pose.  Et  la 
première  observation  qu'il  formule  con- 
tient toute  une  méthode.  Elle  condamne 
les  procédés  arbitraires,  les  recettes  de 
pure  pratique,  la  «  manière  »,  ce  que 
Delacroix  appelait  <(  l'infernale  com- 
modité de  la  brosse  ».  Il  conseille  la 
naïveté  et  la  bonne  foi. 

«    Vous   avez   ici    le   meilleur   sujet 
d'études,    remarque    M.    Bernard    Nau- 
din.  Devant  un  modèle   adulte,   homme  ou   femme,   la  main   retrouve 
des  repères  qui  lui  sont   familiers.   Les  formes  varient  peu  d'un  indi- 
vidu à  l'autre   :  leur  équilibre  général  s'établit  de  mémoire,  et  l'habi- 


^# 

^fe* 

îernard   Naudin. 


^es  tambours 


bou 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE 


177 


leté  trahit  l'observation.  L'enfant  offre  des  formes  inaccoutumées. 
Cherchez   d'abord   à   en   dégager   le   caractère,  n 

M.  Bernard  Naudin  qui,  dans  son  atelier  personnel,  donne  volon- 
tiers carrière  à  l'imagination  la  plus  verveuse  et  la  plus  fantasque,  est 
ici  profondément  réfléchi.  Il  se  contrôle.  Il  voudrait  inspirer  à  ses 
élèves  le  grand  respect  de  l'art  qui  l'anime  lui-même. 

'I  Remarquez,  leur  dit-il,  le  mouvement  de  ce  jeune  corps  ; 
suivez-le  à  travers  l'ossature.  Voyez-le  partir  de  la  jambe  qui  fait 
<(  pilier  »,  marquer,  dans  le  bassin,  une  sorte  de  torsion  pour  aboutir 
en  diagonale  à  l'épaule  plus  haute  que  celle  qui  est  au  repos...   » 

De  ses  mains,  le  maître  ébauche  dans  l'espace  le  mouvement  d'une 

rampe  hélicoïdale.   Il  sculpte 


dans  l'air  une  figure  idéale. 
L'œil  suit  le  jeu  des  arti- 
culations qu'il  place,  des 
muscles  qu'il  attache,  des 
aplombs  qu'il  pose  avec  une 
prestigieuse  autorité.  C'est 
une  éblouissante  démonstra- 
tion de  mécanique  humaine. 
Il  a  des  mots  éclairs   : 

—  Il  faut,  prononce-t-il, 
saisir  le  mouvement  de  tire- 
bouchon  de  tout  cela. 

C'est  du  sol  qu'il  le  fait 
partir  :  non  point  de  haut  en 
bas.  Le  mouvement  est  ascen- 
sionnel. «  Il  faudrait  dessi- 
ner, dit  le  maître,  dans  le  sens  où  s'effectue  le  mouvement.  »  Familier 
du  cirque,  athlète  lui-même  sous  une  apparence  fragile,  M.  Bernard 
Naudin  possède  en  sa  mémoire  un  prodigieux  répertoire  de  mouvements 
acrobatiques  dont   il   connaît  précisément   la   décomposition. 

Sur  la  feuille  blanche,  le  maître  n'a  rien  écrit  encore  et  cependant 
il  semble  que  le  croquis  soit  fait,  évoqué  par  sa  parole.  Quelques 
mots  encore   : 

—  Observez,  au  départ  de  la  clavicule  gauche,  ce  triangle  lumi- 
neux. Notez-le  sans  retard.  Notez  toujours  d'emblée  les  repères  signi- 
ficatifs que  saisit  votre  œil.   Etablissez  d'abord  la  construction   de   la 


Bernard  Naudi 


clowns,  eau-forle. 


178 


LE      BULLETIN 


Bernard  Naudi 


figure,  et  n'oubliez  jamais  que  tout  dé- 
pend de  la  première  indication.  Qu'elle 
soit  juste,  et  votre  dessin  sera  juste.  » 
M.  Bernard  Naudin  attaque  son 
papier.  De  la  pointe  d'un  fusain  soi- 
gneusement taillé,  il  indique  le  point 
lumineux  du  sommet  du  sternum  : 
c'est,  rigoureusement,  la  première  tou- 
che qu'il  pose.  Puis,  d'un  trait  léger 
et  libre,  il  «  descend  »  la  ligne  sinueuse 
qui  divise  le  thorax. 

«  Ecrivez  toujours  en  souplesse, 
conseille-t-il.  La  nature  ne  donne  ja- 
mais d'indications  dures.  Et  faites 
simple.  i>  M.  Bernard  Naudin  n'ac- 
corde point  grand  crédit  à  certaines 
formules  de  dessin  à  vastes  notations  sabrées.  Son  œil  tranchant  pétille. 
((  Avez-vous  vu,  sur  le  nu,  des  sections  prismatiques?  »  Avec  une 
preste  précision,  il  les  définit  en  quelques  traits  anguleux  :  le  Naudin 
satirique  est  là  tout  entier. 

Mais  le  Naudin  professeur  redevient  grave.  De  son  fusam  il  fixe 
le  mouvement  des  jambes  du  petit  modèle;  et,  sur  une  cuisse,  il  note, 
en  un  puissant  résumé,  la  position  d'une  main  pendante.  Mais  ce  n'est 
là  qu'un  repère.  Le  maître  examine  longuement  l'aplomb  du  modèle. 
«  Soignez  les  bases!  Un  dessin  dont  les  aplombs  sont  nettement 
définis  est  complet.  La  nature  elle-même  vous  indique  ce  qu'il  faut 
faire,  u  M.  Bernard  Naudin  se  plaît  à  révéler  certains  secrets  expéri- 
mentaux. Il  médite  un  moment,  puis,  nettement,  trace  l'ongle  des 
orteils  :  «  Attention  à  leur  direction,  observe-t-il.  Ce  n'est  pas  l'exac- 
titude de  tous  les  détails  qui  vous  donnera  le  mouvement  juste  :  c'est 
la  logique  des  éléments  essentiels.  Ils  se  commandent  les  uns  les  autres. 
Sachez  les  discerner.   » 

<(  Et  çà,  s'écrie-t-il,  que  je  n'avais  pas  vu!  »  Il  indique  d'un  frottis 
de  fusain  la  construction  des  pieds,  selon  leur  attitude,  n  Si  vos 
premiers  linéaments  sont  justes,  remarque  M.  Bernard  Naudin,  tout 
ce  qui  les  complétera  sera  utile  et  expressif.  Vous  avez,  dès  l'origine, 
tracé  votre  voie.  Tout  écart  vous  apparaîtra  bientôt  comme  une  faute 
énorme    :    les  corrections  s'opèrent  d'elles-mêmes.    i> 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE 


179 


Le  torse  ébauché,  le  maître  revient  au  dessin  des  hanches.  Il  y  met 
tout  son  soin.  Placé  de  telle  manière  que  son  papier  soit  oblique  à  la 
table  à  modèle,  il  évite  les  longs  déplacements.  Grand  praticien  du 
dessin  de  mémoire,  il  veut  retrouver  devant  la  nature,  non  plus  ses 
souvenirs  mais  la  naïveté  de  l'œil.  «  Etudiez  sans  relâche  avant  ;  une 
fois  en  scène,  exécutez  librement,  •>  conseillerait-il  volontiers,  comme 
Delacroix. 

Quelques  traits  légers,  une  touche  de  fusain  écrasée  sous  le  pouce  : 
le  dessin  prend  tout  son  sens.  «  Le  bassin,  déclare  M.  Bernard  Naudin, 
c'est  la  charnière,  ou  plutôt  c'est  l'axe.  C'est  là  que  le  mouvement  se 
passe.  »  Il  se  campe  devant  son  auditoire.  ((  Imaginez,  dit-il,  une 
croix  de  saint  André.  Vous  ne  pourriez  agir  sur  l'une  des  branches 
sans  modifier  l'écartement  angulaire.  Le  corps,  c'est  la  même  chose. 
Seulement  la  nature  y  a  mis  un  axe  un  peu  plus  compliqué,  c'est  le 
bassin.  Vous  comprenez!  Il  faut  que  l'artiste  qui  dessine  songe  à  l'arti- 
culation du  pantin...   » 

Déjà  M.  Bernard  Naudin  se  plonge  dans  un  ample  manteau. 

—  Je  m'en  vais  travailler.  Vous  verrez  mon  caractère...   » 

C'est  le  grand  souci  du  maître.  A  ce  caractère  typographique  qu'il 
appelle  «  de  tradition  »,  le  maître  sacrifierait  même  les  suites  de 
dessins  qu'il  a  réalisés  pour  le  Neveu  de  Rameau,  pour  une  Jeanne 
d'Arc  ou  pour  les  Clorvns,  chefs-d'œuvre  que,  pour  la  première  fois, 
chez  Barbazanges,  il  consent  à  montrer. 

G.  J. 


Bernard   Naudin. 


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180  LE      BULLETIN 

Le  Courrier  de  la  Presse 

POUR  NOS   MUSÉES   DE    PROVINCE 

Au  cours  de  la  récente  discussion  du  budget  des  Beaux-Arts, 
la  Chambre,  après  s'être  longuement  occupée  de  la  subvention 
de  l'Opéra  et  des  appointements  des  danseuses,  a  bien  voulu 
s'intéresser,  pendant  quelques  minutes,  à  l'avenir  des  musées  de 
province. 

Ainsi  parle,  dans  /'Information,  M.  Jean  Robiquet.  Notre  distingué 
confrère  expose  avec  une  netteté  remarquable  les  conditions  auxquelles, 
en  vertu  des  lois  fiscales,  est  soumise  Ventrée  des  legs  ou  des  donations 
dans  nos  musées  régionaux. 

On  a  disserté  à  perte  de  vue  sur  l'application  de  la  taxe  de 
luxe,  mais  sait-on,  dans  le  grand  public,  que  les  musées,  ou  du 
moins  le  plus  grand  nombre  d'entre  eux,  sont  obligés  de  payer  le 
fatal  1 0  0/0,  comme  de  simples  particuliers.  Seuls  les  établis- 
sements nationaux  proprement  dits  —  le  Louvre,  Versailles,  etc., 
- — •  se  voient  dispensés  de  l'impôt;  mais  toutes  les  galeries  d'art 
qui  vivent  sur  un  budget  départemental  ou  communal  —  aussi 
bien  le  Petit-Palais  que  le  plus  modeste  musée  de  province  — 
s'y   trouvent   assujettis   sans  la  moindre   exception. 

Beaucoup  plus  grave  encore  pour  le  développement  de  ces 
collections  publiques  est  l'extrême  élévation  des  droits  succes- 
soraux désormais  en  vigueur.  Qu'un  amateur  vienne  à  mourir  et 
lègue  à  sa  ville  natale  une  suite  de  tableaux  de  maîtres  évaluée 
à  un  million,  c'est  à  peu  près  28  0/0  —  soit  280.000  francs 
—  que  la  municipalité  devra  verser  au  fisc  pour  entrer  en  pos- 
session des  oeuvres  d'art  qui  lui  sont  dévolues.  Et  si  le  bienfaiteur 
en  question,  au  lieu  de  léguer  des  peintures,  lègue  une  somme 
d'argent  destinée  à  faciliter  des  achats  - —  l'exemple  est  fréquent 
en  province  —  ladite  somme  va  se  trouver  réduite  dans  u:e  pro- 
portion beaucoup  plus  forte  encore  :  28  0/0,  plus  10  0  0,  s'il 
s'agit  d'achats  privés,  ou  bien  1  7,50  0/0  si  les  opérations  s'ef- 
fectuent en  ventes  publiques.  En  poussant  les  choses  à  l'extrême, 
nous  obtenons  donc  ce  résultat  vraiment  effarant  :  presque  la 
moitié  de  la  somme  léguée  au  malheureux  musée  va  servir  à  payer 
des  droits.. 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE  181 

Placer  le  tourniquet  aux  barrières  du  Louvre  est  une  extrémité 
pénible.  Mais  faut-il  encore  traiter  les  musées  comme  n'oserait  faire 
un  nouveau  riche  qui  forme  sa  galerie  d'ancêtres? 

VERS  LA  RÉFORME   DE   NOTRE   LOI   PACCA 

La  presse  française,  unanime,  a  dénoncé  maintes  fois  le  péril  qui 
résultera,  pour  notre  influence  dans  le  monde,  de  l'application  de  noire 
loi  Pacca.  Ses  jours,  il  est  vrai,  sont  comptés.  Car  ou  bien  elle  sera 
réformée  dans  un  sens  vraiment  pratique  et  sage,  ou  bien  le  marché 
de  luxe  nous  échappera  complètement,  et  la  loi  deviendra  sans  objet. 
Nos  confrères  belges  confirment,  avec  une  modération  qui  n'exclut 
pas  la  mâle  liberté  du  langage,  une  thèse  qui  est  aussi  la  nôtre  : 

Nous  voudrions,  écrit  la  Nation  belge,  appeler  l'attention 
de  nos  amis  français  sur  certain  protectionnisme  qui,  chez  eux, 
prétend  non  seulement  frapper  d'une  dîme  prohibitive  tous  les 
produits  manufacturés  étrangers  —  une  affaire  d'ordre  écono- 
mique où  nous  n'avons  pas  à  intervenir  —  mais  encore  les  pro- 
ductions de  l'esprit. 

Sauf  les  artistes  invités  aux  expositions  des  Sociétés  nationale 
des  Beaux-Arts,  des  Artistes  français,  du  Salon  d'Automne  et 
des  Indépendants,  tous  ceux  qui  expédient  en  France  un  tableau 
ou  une  sculpture  pour  y  être  simplement  exposés,  sont  obligés 
d'acquitter  tout  d'abord  une  taxe  de  10  0  0  ad  valorem,  après 
quoi  ils  peuvent  s'estimer  bien  heureux  si  l'œuvre  en  question 
arrive  encore  à  destination  avant  la  date  de  la  fermeture  de 
l'exposition  à  laquelle  elle  est  destinée.  On  cite  le  cas  de  tableaux 
qui  ont  mis  trois  mois  pour  faire  le  trajet  Bruxelles-Paris  qui 
s'accomplit  aujourd'hui  en  cinq  heures,  et  on  nous  affirme  que 
dans  l'espèce  c'est  même  un  record  de  vitesse. 

Nos  amis  français  le  comprendront  aisément  :  si  rigoristes 
qu'ils  soient  en  matière  économique,  ils  estimeront  avec  nous  que 
l'avantage  matériel  que  la  France  peut  tirer  des  entraves  qu'elle 
met  à  la  diffusion  de  notre  art  à  l'intérieur  de  ses  frontières  n'ont 
pas  de  poids  vis-à-vis  des  avantages  moraux  qu'elle  recueillerait 
d'un   régime   plus   libéral. 


182 


LE      BULLETIN 


ART    POPULAIRE    DES    GAULES 

Un  savant  breton,  M.  du  ChâielUer,  a^ant  éventré,  selon  les  pures 
méthodes  scientifiques,  un  tumulus  qui  s'érigeait  à  Tronoén,  y  a  décou- 
vert une  série  de  poteries  blanches,  fort  jolies.  La  trouvaille  était 
d'importance   :  dans  l'Art  et  les  Artistes,  M.  Paul  Gru\)er  l'étudié   : 

Les  figurines  de  terre  cuite  blanche  n'apparaissent  pas  en 
Gaule  avant  la  conquête  de  César,  un  demi-siècle  avant  Jésus- 
Christ.  Les  premières  y  furent,  comme  nous  venons  de  le  dire, 
apportées  par  les  Romains  eux-mêmes.  Puis,  à  mesure  que  les 
conquérants  s'établissent  sur  notre  sol,  des  ouvriers  d'art  les 
suivent,  mouleurs  et  céramistes,  qui  fabriquent  sur  place.  Mais, 
rapidement,  nos  ancêtres  gau- 
lois se  formant  à  cette  école, 
fabriquent  à  l'imitation  de 
leurs  maîtres. 

La  mode,  et  un  usage  à 
peu    près    constant,    réservent 
à  ces  figurines  l'emploi  de  la 
terre    cuite    blanche,     légère- 
ment ivoirée,  qui  leur  donne 
un    aspect   clair   et   gau    Des 
gisements     d'argile     blanche, 
identique    à    celle    employée 
par  les  céramistes  gallo-romains,  existent  encore  sur  divers  points 
de  la  France.   Celles  en   argile  rouge  sont   fort  rares  et   forment 
l'exception.    Quelques-unes  offrent   des   touches   colorées,   ou   sont 
émaillées  en  jaune,   en  brun  ou  en  vert. 

Les  usages  auxquels  étaient  destinées  ces  figurines  étaient 
multiples.  Les  divinités  étaient  placées  dans  les  u  laraires  »,  ou 
autels  domestiques;  beaucoup  d'entre  elles  sont  accompagnées 
d'une  petite  niche  à  colonnes.  On  les  descendait  dans  la  tombe 
avec  les  morts;  on  les  jetait  dans  les  sources  et  les  fontaines, 
que  l'on  mettait  ainsi  sous  la  protection  de  la  divinité  représentée. 
Les  animaux,  les  bibelots  et  les  figurines  profanes  ornaient  la 
maison.  Il  y  avait  aussi  des  jouets  d'enfants,  des  poupées  au 
chignon  cocasse,  des  oiseaux  avec  une  bille  dans  le  ventre,  qui 
résonnait  lorsqu'on  les  agitait. 


DE     LA      VIE      ARTISTIQUE  183 

La  Curiosité 

LA  VENTE   GEORGES   PETIT 

La  vente  de  la  collection  Georges  Petit  aura  été  une  surprise 
pour  les  curieux,  sinon  pour  les  amateurs  renseignés.  Ceux-là  s'atten- 
daient à  la  présentation  d'oeuvres  capitales  se  réclamant  de  cette  école 
de  1830  que  le  fondateur  de  la  célèbre  galerie  glorifiait  tout  parti- 
culièrement. Ils  ne  trouvèrent  que  quatre  Corot  d'ordre  secondaire,  et 
pas  d'autre  Rousseau  qu'un  Philippe,  qui  ne  compensait  pas  l'absence 
de  Théodore.  Par  contre  —  ironique  revanche!  —  l'Impressionnisme 
y  étincelait  :  Sisley,  Pissarro,  Monet,  Guillaumin.  Il  ne  manquait  là 
que  Renoir,  pour  compléter  cette  triomphale  manifestation  de  ((  l'Ecole 
de  1874  )),  —  car  peut-être  est-ce  à  cette  appellation  que  s'arrêtera 
définitivement  l'Histoire.  Mais  on  sait  que  M.  Georges  Petit  persistait 
à  ne  pas  goiiter  l'incomparable  «  Peintre  de  la  femme  ».  Cependant, 
tout  porte  à  croire  qu'il  l'eiit,  un  jour  où  l'autre,  admis  dans  sa 
collection  particulière.  Même,  il  ne  semble  pas  improbable  que  l'irré- 
sistible force  des  choses  l'eût  finalement  porté  jusqu'à  Cézanne.  Ce 
jour-là,  ô  mânes  de  Meissonier,  combien  vous  auriez  souffert! 

Et  maintenant,  veut-on  tirer  de  cette  vente  la  moralité  qu'elle 
comporte?  Rien  de  plus  facile  :  L'enchère  culminante  a  été  atteinte 
par  le  Poni  sur  la  Tamise,  de  Claude  Monet,  adjugé  43.100  francs. 
Les  deux  plus  fortes  enchères,  après  cela,  ont  honoré  deux  Sisley,  le 
Poni  de  Morei,  qui  a  réalisé  40. 1 00  francs,  cependant  que  les 
Rameurs  allaient  à  30.000.  Celui  qui,  il  y  a  seulement  vingt-cinq  ans, 
se  serait  avisé  de  prédire  que  l'Impressionnisme  connaîtrait  pareil 
triomphe,  en  un  tel  lieu  et  dans  la  vente  même  de  la  collection  Georges 
Petit,  n'aurait-il  pas  été  tenu  pour  un  aimable  fantaisiste,  poussant  un 
peu   trop   loin   le   goijt   du   paradoxe? 


LES    ESTAMPES    BEURDELEY 

Treizième  vente  Beurdeley.  C'est  une  vente  d'estampes.  Elle  aura 
lieu  à  la  salle  7  de  l'Hôtel,  les  I  8  et  19  mars,  après  exposition  le  1  7. 
Œuvres  de  Goya,  Gustave  Doré,  Devéria,  Célestin  Nanteuil,  J.-B. 
et  E.  Isabey,  Meissonier,  Félix  Bracquemond,  Mme  Bracquemond, 
Desboutin,  J.-J.  Tissot,  Puvis  de  Chavannes,  Leheutre,  Willette, 
Steinlen,   et  d'après   sir  Thomas   Laurence.   Quelques   belles  épreuves 


loi  LE      BULLETIN 

signalent  le  lot.  Notons,  par  exemple,  V Alexandre  Dumas,  de  Devéria, 
VArtiste,  de  Jean  Gigoux,  VEntrée  de  village,  d'Eugène  Isabey, 
planche  très  rare,  non  décrite;  de  Bracquemond,  l'Erasme,  d'après 
Holbein,  le  Loup  dans  la  neige,  en  divers  états,  le  Vieux  coq,  en 
premier  état  sur  japon;  la  Marne  à  Lagn)),  de  Leheutre,  tirée  à  cinq 
épreuves  seulement. 

■5?- 

LES    DEGAS    EN    AMÉRIQUE 

Hilaire-Germain-Edgar  Degas...  Sur  le  catalogue  illustré  —  sorti 
des  presses  de  Lent  et  Grafî,  à  New-York  —  les  trois  prénoms  du 
maître  étaient  scrupuleusement  rappelés  devant  chacun  des  numéros 
de  la  vente.  Soixante-et-onze  numéros,  peintures  et  pastels,  «  being 
the  private  collection  of  the  vvidely  known  antiquarian  Jacques  Selig- 
mann  of  Paris  ».  On  les  dispersa  le  27  janvier,  dans  la  grande  salle 
de  «  The  Hôtel  Plaza  »,  sous  la  direction  de  M.  Thomas  E.  Kirby, 
assisté  de  M.  Otto  Bernet,  de  1' ((  American  Art  Association  ».  La 
vente  produisit,  au  total,  226.800  dollars.  Le  dollar  cotant  à  Paris, 
ce  jour-là,  13,92  1  2,  c'est  par  une  somme  de  3.158.190  francs 
que  s'établit  ce  produit.  Le  prix  total  d'adjudication  de  ces  71  tableaux 
à  la  vente  Degas  (mai  1918)  avait  été  de  1.216.400  francs.  La 
plus-value  enregistrée  à  New-York  est  donc  très  sensible. 

L'enchère  la  plus  élevée  fut  atteinte  par  une  peinture.  Portrait  en 
blanc,  adjugée  1  7.000  dollars  à  MM.  Knoedler.  Elle  avait  réalisé 
66.000  francs  à  la  vente  Degas  (n"  97  du  catalogue).  M.  Durand- 
Ruel  a  payé  1  3.000  dollars  la  scène  de  Mlle  Fiocre  dans  le  ballet 
de  la  Source,  cédée  aussitôt  par  lui  au  musée  de  Brooklyn  (n°  8  de 
la  vente  Degas,  80.500  fr.) .  Un  autre  musée  américain,  celui  d^ 
Détroit,  a  acquis  indirectement  aussi  Danseuse  au  foyer  {la  contre- 
basse), 10.500  dollars;  Portrait  de  femme,  6,500;  Deux  femmes 
assises,  3.800;  Deux  danseuses  à  la  barre  (pastel),  3.200.  Quelques 
prix  sont  encore  à  citer  :  la  Promenade  des  chevaux,  1  1 .800  dollars, 
à  Miss  Lorentz  (vente  Degas,  n°  102  :  33.000  fr.)  ;  Les  amateurs 
de  musique  {le  violoniste) ,  7.700  d.  (vente  Degas,  n"  49:  37.100  fr.)  ; 
Scène  de  ballet,  5.600  d.  (vente  Degas,  n"  77  :  24.000  fr.)  ;  Quatre 
danseuses  en  scène,  7.100  d.  (vente  Degas,  n"  113  :  31.800fr.). 
Ces  trois  derniers  tableaux  à  M.  Durand-Ruel.  La  Danseuse  aux  bou- 
quets, 7.600  d.,  acquise  par  M.  Vollard  (vente  Degas,  n"  1    :  70.000 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE 


185 


fr.) .  Enfin,  Les  modistes, 
2.400  d.  (vente  Degas, 
n^  109  :  15.000  fr.). 
Deux  femmes  et  un  hom- 
me, 2.300  d.  (vente  De- 
gas, n°  69,  14.000  fr.). 
Femme  à  sa  toilette,  pastel, 
2.200  d.  (vente  Degas,  n" 
272    :    14.800  fr.). 

Observons  qu'en  Amé- 
rique   les    frais    sont    à    la 
charge     du     vendeur.      Ils 
aprochent  de  30  0/0  pour 
les  peintures  à  l'huile,  mais 
seulement  de  20  0/0  pour 
les    pastels,    la    loi    améri- 
caine frappant  doublement  les  œuvres   «  exécutées  avec  un  pinceau  ». 
Chinoiserie  fiscale.  On  peut  se  demander  quel  traitement  le  fisc  amé- 
ricain réserve  aux  peintures  exécutées  à  l'huile  sans  le  secours  de  la 
brosse,    avec   les   seuls   crayons   Rafîaëlli 


Mlle   Fiocre  dans  le  ballet  de  la  Se 


Six  doigts  à  la  main  droite 

On  vendait  l'autre  jour  une  collection  de  tableaux  dans  l'ancienne 
résidence  Longford  Hall,  près  de  Derby  (Angleterre),  et  parmi  les 
œuvres  proposées  au  public  figurait  un  tableau  de  J.  Mighmore  : 
Portrait  de  Lady  Jane  Coke,  fille  de  Lord  Wharton.  L'œuvre  n'était 
ni  bonne  ni  mauvaise,  mais  le  commissaire-priseur  eut  l'heureuse  idée 
d'annoncer   : 

«  On  remarquera  que  cette  dame  a  six  doigts  à  la  main  droite. 
J'ajoute  que,  selon  une  légende  locale,  son  fantôme  reparaît  souvent 
dans  cette  maison,   et  dans  cette  chambre  même.    » 

La  nuit  tombait.  Il  neigeait.  Le  vent  soufflait,  et  les  chandelles 
n'étaient  pas  encore  allumées.  On  frissonna  un  peu,  et  comme  le 
tableau  était  le  dernier  à  passer  aux  enchères,  il  fut  prestement  poussé 
jusqu'à  44  livres  2  shellings.  Après  quoi,  on  se  dépêcha  de  s'en  aller. 
On  ne  saura  jamais  si  le  portrait  fut  si  bien  vendu  parce  que  la  dame 
avait  six  doigts  à  une  main  ou  parce  que  son  ombre  rôdait  à  deux 
pas,  dans  les  couloirs. 


186 


LE      BULLETIN 


Ici... 

AU    MUSÉE    DU    LOUVRE 

Au  musée  du  Louvre  viennent  d'entrer,  outre 
le  rétable  donné  par  la  famille  de  Charles-Léon 
Cardon,  plusieurs  œuvres  de  haute  qualité  :  la 
Vierge  à  l'écritoire,  panneau  peint  de  la  fin  du 
quatorzième  siècle,  de  l'école  française;  une  targe 
peinte,  attribuée  à  Pollajuolo;  deux  médaillons  en 
bronze  de  Riccio;  un  médaillon  en  marbre  du 
seizième  siècle;  un  très  beau  plat  italien  du  sei- 
zième siècle.  Ces  six  pièces  importantes  proviennent 
d'un  certain  don  Brauer. 

Il  s'y  ajoute  un  portrait  d'Albert  Diirer,  par 
le  maître,  provenant  pareillement  d'un  don,  chef- 
d'œuvre  capital. 

CARPEAUX    INCONNU 

Targe  peinte. 

Parallèlement  aux  travaux  qui  se  proposent  attribuée  à  Pollajuolo. 
de  définir  le  génie  d'un  maître,  de  dégager  la 
leçon  de  son  œuvre,  de  placer  un  homme  et  un  art  à  la  fois  dans  leur 
temps  et  dans  le  temps,  les  études  monographiques  colligent  les  élé- 
ments en  vertu  desquels  des  jugements  pourront  être  établis  —  ou 
rectifiés  Elles  nous  montrent  l'artiste  non  plus  en  scène,  mais  dans  sa 
loge,  ou  dans  les  coulisses.  Au  grand 
statuaire  valenciennois,  l'un  de  ses  com- 
patriotes et  de  ses  pieux  admirateurs, 
M.  Mabille  de  Poncheville,  consacre 
un  important  et  copieux  ouvrage,  pu- 
blié chez  Van  Oost,  à  Bruxelles. 

C'est  le  Carpeaux  inconnu  que  l'écri- 
vain évoque  pour  nous.  M.  Mabille  de 
Poncheville  a  consulté  les  souvenirs  des 
vieux  amis  du  maître,  il  a  fouillé  les 
tiroirs  familiaux;  il  y  a  fait  d'amples  dé- 
couvertes   :     correspondances     de     Car- 

,     .^,„     .,  ,  peaux,     dessins     inédits,     entretiens     re- 

plat   Italien    du    XVl   siècle.  -n-        i  ,  ■     .      i 

(Musée  du  Louvre.)  cueillis.   Le  caractcre  prive  du  nerveux 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE 


artiste,  indépendant,  ardent,  facilement  ému,  mais  fidèle  à  ses  sou- 
venirs, se  révèle  dans  ces  documents  habilement  sertis.  Des  anecdotes 
singulièrement  évocatrices  accentuent  l'originale  physionomie.  Pour 
obtenir  de  l'empereur  la  commande  de  VAbd-el-Kader  à  Saint-Cloud, 
le    maître,    tout    jeune    encore,    transporta    successivement    son    plâtre, 

—  au  prix  de  quelles  difficultés!  —  dans  tous  les  endroits  que  devait 
visiter  Napoléon  III,  pendant  son  voyage  à  Valenciennes.  L'empereur 
le  voyait  partout.  Il  finit  par  s'y  intéresser,  et  accorda  la  commande 
à   l'entêté  statuaire. 

Tel  était  Carpeaux.  M.  Mabille  de  Poncheville  groupe  autour  de 
lui  des  figures  familières  :  la  mère  que  le  maître  adora;  le  père,  malin 
maçon;  des  amis  :  Dutouquet,  Foucart,  Chérier,  le  pantagruélique 
notaire  Beauvois,  dont  le  maître  dessina  de  prestigieuses  caricatures. 
Ce  n'est  plus  seulement  une  curieuse  personnalité  qui  surgit  ici,  à 
brèves  et  justes  touches;  c'est  toute  la  Valenciennes  intellectuelle  de 
1  850.  C'est  toute  une  histoire  locale  qu'a  retracée  le  sagace  écrivain. 

LES    EXPOSITIONS 

On  visitera  cette  quinzaine  :  au  Pavillon  de  Marsan,  jusqu'au 
1  7  avril,  le  XII  Salon  des  Décorateurs.  —  Chez  Barbazanges, 
jusqu'au  26  mars,  l'œuvre  gravé  et  dessiné  de  Bernard  Naudin.  — 
Aux  galeries  Simonson,  jusqu'au  23  mars,  l'exposition  de  la  Cravure 
originale  en  noir.  —  Chez  Durand-Ruel,  jusqu'au  23  mars,  la  Société 
Moderne.  —  Chez  Devambez,  jusqu'au  29,  les  oeuvres  de  Hérisson 
et  de  Jacques  Simon;  jusqu'au  19,  celles  de  Jean  Droit.  —  Chez 
Marcel  Bernheim,  jusqu'au  19,  l'exposition  d'Art  contemporain.  — 
Chez  Léonce  Rosenberg,  jusqu'au  31,  l'œuvre  d'Auguste  Herhin.  — 
Chez  Paul  Rosenberg,  jusqu'au  25,  l'œuvre  de  Marie  Laurencin.  — 
Chez  Chéron,  jusqu'au  18  mars,  l'exposition  des  Nuits  de  Paris,  par 
Jean  Caltier-Boissière.  —  Chez  Druet,  jusqu'au  1 8,  l'exposition 
annuelle  du  Premier  Groupe.  —  Chez  Bernheim-Jeune,  jusqu'au 
19  mars,  les  peintures  de  Raoul  Dufy;  du  20  mars  au  6  avril,  celles 
d'Antoine  billard.  —  A  la  Fédération  française  des  Artistes,  153, 
avenue  de  Wagram,  jusqu'au  25  mars,  la  Première  Exposition  d'en- 
semble.  —  A  la  Licorne,   jusqu'au  25,   les  œuvres  d'André  Lhote. 

—  A  la  galerie  Panardie,  1  3,  rue  Bonaparte,  jusqu'au  6,  l'expo- 
sition  d'OJe//e   Renault. 


183  LE       BULLETIN 

,..et  ailleurs 

UN    DON    DE    SIR    JOSEPH    DUVEEN 

Sir  Joseph  Duveen,  agissant  comme  mandataire  de  M.  Clarence 
Mac  Kay,  le  grand  collectionneur  de  New-York,  vient  de  faire  par- 
venir à  M.  Lambotte,  pour  être  donné  au  musée  de  la  Porte  de  Hal, 
à  Bruxelles,  le  parement  d'épaule  de  l'armure  de  parade  exécutée  à 
la  fin  du  Xvr  siècle  pour  l'archiduc  Albert,  gouverneur  des  Pays-Bas. 
Le  musée  conserve  l'armure  à  peu  près  complète  du  cheval,  damas- 
quinée d'or  comme  le  parement  d'épaule,  et  le  gouvernement  belge, 
en  vertu  des  stipulations  de  l'article  1  95  du  t/aité  de  Saint-Germain- 
en-Laye,  revendique  actuellement  à  Vienne  le  complément  de  cet 
ensemble,  l'armure  de  corps  de  l'archiduc  et  le  chanfrein  de  son  cheval. 
On  comprend  l'importance  de  ce  don.  Le  parement  d'épaule  a  fait 
partie  de  la  collection  de  feu  Sir  Guy  Laking  Bart,  conservateur  du 
London  Muséum,  de  l'Arsenal  du  Roi  d'Angleterre  et  des  armures 
de  la  collection  Wallace.  Cette  collection  fut  dispersée  chez  Christie 
en  avril   1920. 

Sir  Joseph  Duveen  avait  acheté  le  précieux  parement  au  prix  de 
sept  cents  guinées,  pour  le  compte  de  M.  Mackay,  enlevant  la  pièce 
au  conservateur  du  musée  de  la  Porte  de  Hal,  M.  Macoir,  qui  repré- 
sentait le  gouvernement  belge  à  la  vente. 

PROPAGANDE 

A  la  demande  de  la  Franco-Scottish  Society,  M.  Paul  Lambotte, 
directeur  au  minitère  des  Sciences  et  des  Arts  et  commissaire  du  gou- 
vernement belge  pour  les  expositions  des  Beaux-Arts,  fera  en  mars  une 
tournée  de  conférences  en  Ecosse.  Il  parlera  de  l'Ecole  belge  contem- 
poraine, de  1  830  à  nos  jours,  avec  projections  lumineuses. 

La  tournée  comprend  Glasgow^,  Edimbourg,  Aberdeen,  Dundee 
et  Saint-Andrews. 

AU    MUSÉE    DE    BRUXELLES 

Au  Musée  Ancien,  dans  la  salle  des  primitifs,  vient  d'être  placée 
provisoirement  une  composition  importante  d'Albert  Bouts  représentant 
le  Calvaire.  Cette  œuvre  émouvante  et  d'un  beau  style,  n'a  figuré 
dans  aucun  catalogue  du  musée.  Pendant  la  guerre,  elle  fut  retirée 
en  mauvais  état  des  réserves.  Une  restauration  très  discrète  a  fait 
revivre  ce  chef-d'œuvre  du  maître  louvaniste,  déjà  représenté  utilement 
au  musée  de  Bruxelles. 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE 


189 


Palette  de  William  Hogarth. 


Palette  de  Sir  Thomas  Lawrence. 


PALETTES    ILLUSTRES 

La  Royal  Acade- 
my  conserve  comme  des 
reliques  les  palettes  de 
ses  membres  les  plus 
éminents.  Les  «  truelles  » 
de  Sir  Joshua  Reynolds 
et  de  William  Hogarth 
voisment,  en  ce  musée  du 
souvenir,  avec  1'  «  olive  » 
de  Sir  Thomas  Law- 
rence et  avec  la  «  bâ- 
tarde )),  un  peu  fêlée,  de 
l'animalier  Sir  Edwin 
Landseer.  Bien  que  très 
flattés  de  cet  hommage 
à  leur  talent,  les  peintres 
de  la  Royal  Academy 
ne  lèguent  cette  dernière 
œuvre  que  le  plus  tard 
possible. 

PAS   DE   MONUMENT 
WHISTLER 


animalier 


Palette 
Sir  Edwi 


Palette   de 
Joshua   Reynolds 


En  1907,  un  comité  avait  été  constitué,  à  Londres,  dans  le  but 
de  recueillir  des  fonds  pour  un  monument  Whistler.  Rodin  avait  été 
choisi  pour  sculpter  l'effigie.  Mais  les  années  passèrent,  la  guerre  vint 
et  le  maître  inconstant,  «  quelque  goût,  disait-il,  qu'il  eijt  pour  un 
tel  sujet  »,  ne  réalisait  rien.  Rodin  mourut,  la  guerre  s'acheva  et 
n'osant  pas  remettre  à  un  second  sculpteur  le  soin  de  tailler  un  Whistler 
dans  le  marbre,  le  comité  vient  de  renvoyer  tous  leurs  chèques  aux 
souscripteurs. 

LES    DISPARUS 

Arthur  Lucas,  grand  ami  des  arts,  notoire  éditeur  de  gravures 
en  couleurs,  vient  de  mourir  à  Brondesbury  (Angleterre) .   Fils  de  ce 


190  LE      BULLETIN 

portraitiste  John  Lucas  qui,  de  1828  à  1874,  peignit  peut-être  le 
plus  grand  nombre  de  portraits  de  personnes  illustres,  Arthur  Lucas 
s'était,  de  bonne  heure,  consacré  à  l'édition  d'art.  L'une  de  ses  pre- 
mières productions  fut  la  Moretia  de  Leighton,  gravée  par  Samuel 
Cousins  (1875).  Puis  il  demanda  à  Gerald  Robinson  la  gravure  de 
diverses  oeuvres  de  Frank  Dicksee,  dont  The  Passing  of  Arthur,  l'une 
des  plus  belles  mezzotintes  produites  pendant  la  seconde  moitié  du 
XIX'^  siècle.  Nombre  de  Reynolds  et  de  Gainsborough  furent  gravés 
par  ses  soins,  et  la  plupart  signés  du  graveur  Edward  Brandard. 

—  y.  H.  Me  Fadden,  décédé  à  Philadelphie.  Il  commença  à 
collectionner  la  peinture  anglaise  voici  quelque  trente  ans.  C'était  l'âge 
heureux  où  l'on  pouvait  avoir  un  Gainsborough  pour  25.000  francs, 
et  ce  fut  le  premier  achat  de  Me  Fadden.  Depuis,  il  a  refusé,  de  la 
même  œuvre,  300.000  francs.  Il  avait  douze  Reaburn,  six  Romney, 
le  fameux  portrait  de  Master  Bunhury  par  Reynolds,  deux  Turner 
admirables.  Le  catalogue  de  sa  collection  fut  publié  en  1918.  Et  la 
collection  elle-même  est  léguée  par  testament  à  la  ville  de  Philadelphie 
qui,  enrichie  récemment  du  legs  John  G.  Johnson,  devient,  par  ce 
double  et  heureux  coup,  l'un  des  plus  u  opulents  >»  centres  d'art  des 
Etats-Unis. 

—  Sir  Frederick  Wedmore,  critique  d'art,  décédé  à  77  ans.  II 
avait  vécu  à  Paris  dans  sa  jeunesse,  et  les  articles  où  sa  fin  est  annoncée 
observent  que  :  «  ses  méthodes  critiques  étaient  colorées  d'une  influence 
d'esprit  français  ».  C'est  à  l'étude  de  l'art  en  France  qu'il  s'appliqua 
en  effet  (xv'lir  et  XIX*"  siècles) .  On  lui  doit  notamment  de  précieuses 
monographies  sur  beaucoup  de  nos  graveurs.  Frederick  Wedmore 
était,  depuis  plus  de  trente  ans,  critique  d'art  du  Standard.  Il  établit 
le  catalogue  des  gravures  de  Whistler,  et  signa  un  remarquable  ouvrage 
sur  Balzac   artiste. 

DANS    LES    COLLECTIONS    ET    LES    MUSÉES 

Mrs.  John  D.  Rockefeller  vient  d'acquérir,  pour  sa  collection, 
le  portrait  en  pied  de  Lady  Dysart,  par  Thomas  Lawrence.  Cette 
œuvre  célèbre  a  été  plusieurs  fois  gravée.  La  mezzotinte  en  couleurs 
de  Richard  Smythe  en  est  la  reproduction  la  plus  connue. 

—  Deux    tableaux    :    Judith    et    Didon,    attribués    à    Mantegna, 


DE      LA      VIE      ARTISTIQUE  191 

sont  entrés  au  musée  de   Montréal.   Ces  panneaux   avaient   longtemps 
figuré  dans  la  collection  Taylor. 

—  Grâce  à  la  libéralité  de  Mme  D.  C.  Phillips,  un  nouveau 
musée  —  la  Phillips  Mémorial  Gallery  —  va  être  construit  à  Was- 
hington. Des  salles  y  seront  réservées,  dont  chacune  contiendra  les 
œuvres  d'un  artiste  réputé  et  sera  en  somme  le  musée  personnel  de 
cet  artiste,  après  sa  mort.  Dans  d'autres  salles  seront  groupées  des 
œuvres  montrant,  par  époques  et  nations,  l'origine  et  les  développements 
des  tendances  esthétiques.  Enfin  le  musée  Phillips  abritera  des  expo- 
sitions temporaires  et  publiera,  deux  fois  l'an,  une  volumineuse  revue 
contenant  des  monographies  d'artistes  et  établissant  le  bilan  artistique 
de  l'année  dans  le  monde  entier. 

—  M.  R.  Cobbold  Gain  a  offert,  à  la  Galerie  nationale  Victoria 
de  Melbourne,  un  tableau  de  Abraham  de  Vries.  C'est  le  portrait 
d'un  jeune  homme  chevelu,  portant  costume  de  velours  noir  et  fraise- 
jabot  en  dentelles.  L'œuvre  est  datée  1647  et  passa  en  vente,  il  y  a 
quelques  années,  chez  Christie,  à  Londres,  sous  la  signature  fausse 
de  Rembrandt.  Le  tableau,  nettoyé,  a,  depuis,  révélé  le  nom  du  véri- 
table auteur.  Ce  n'était  pas  la  première  fois  qu'un  Ab.  de  Vries  était 
pris  pour  un  Rembrandt. 

LES  BIENFAITS  DU  CHANGE 
Malgré  les  lois  de  protection,  les  œuvres  d'art  sortent  d'Italie 
assez  facilement.  Les  journaux  romains  publiaient,  il  y  a  quelques 
jours,  cette  note  édifiante  :  <(  En  ces  derniers  temps,  un  grand  nombre 
d'antiquaires  étrangers  ont  acquis  une  quantité  considérable  d'objets 
d'art  de  toutes  époques,  en  profitant  du  change.  A  lui  seul,  un  Amé- 
ricain a  emporté  plus  de  4  millions  de  vieux  tissus.  »  Suivent  les 
lamentations  ;  ruine  du  patrimoine  artistique,  dilapidation  de  ce  qui 
fait  la  gloire  éternelle  de  l'Italie.  Mais  les  acheteurs  sont  loin... 

UN    PALAIS    MYCÉNIEN    EN    THESSALIE 

A    Pagasœ,    en   Thessalie,    au   cours   de    fouilles    archéologiques, 

tout  un  palais  de  la  période  mycœnienne  a  été  découvert,  en  bon  état 

de  conservation.  Déjà,  en   1908-1909,  au  même  lieu,  on  avait  eu  la 

bonne  fortune  d'exhumer  de  curieux  spécimens  de  peinture  hellénique. 

Pascal  Forthuny. 


192 


LE      BULLETIN 


Paroles 


.D  AMATEUR 


Chez  un  grand  marchand  se  présente  un  amateur  de  fraîche  date 
et  qui  paraît  assez  novice.   Il  avise  un  petit  tableau. 

—  Qu'est  cela? 

—  Peuh!...   1830. 

—  1830!  reprend  l'amateur.  Vous  me  le  laisserez  bien  à  1800? 


RAOUL     DUFY 
Canotiers    à    Joinville. 


Le  Gérant  :  Despobtes 


Moderne    Imprimerie,    Loth,  hii',    37,    rue    Gandon,    Paris. 


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