From the Library of
Henry Tresawna Qerrans
Fellow of Worcester Collège^ Oxford
1882-1Ç21
Given /oU.n\yers\lAj.. O.P. Toronto. li.brar
"Byhis fVife Ç
^n.
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in 2010 with funding from
University of Ottawa
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HISTOIRE
DE LA
DOMINATION NORMANDE
EN ITALIE ET EN SICILE
MAÇON, PROTAT- FRKRES, IMPRIMEURS
4'î)£k
HISTOIRE
DE LA
DOMINATION NORMANDE
EN ITALIE ET EN SICILE
TOME PREMIER
PAR
FERDINAND CHALANDON
ARCHIVISTE l'AI-ÉOGRAPHE
ANCIEN MEMBRE DE l'ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME
PARIS
LIBRAIRIE ALPHONSE PICARD ET FILS
Libraire des Archives nationales et de la Société de l'Ecole des Chartes
S2, RIE Bonaparte, 82
1907
AVANT- PROPOS
La conquête de l'Italie et de la Sicile par les Normands, et la
création, par les descendants de Tancrède deHauteville, du royau-
me de Sicile constituent un curieux chapitre de l'histoire de la
noblesse française hors de France, au xi" et au xii" siècle. Mais ici
l'histoire semble par moment un extraordinaire roman d'aven-
ture et l'imag-ination aurait peine à concevoir plus étrang-e et
plus sing-ulière destinée que celle de ces chevaliers besogneux
qui, partis pour chercher fortune, réussirent à fonder un rovaume
en Sicile, une principauté à Antioche et tentèrent plus d'une
fois de monter sur le trône des basileis de Constantinople.
De bonne heure, semble-t-il, la gloire des conquérants a servi
de thème aux poètes et, comme on l'a dit, « les Normands qui
apportaient avec eux l'habitude de célébrer par des chansons de
geste les exploits guerriers ne durent pas négliger de chanter
leurs merveilleux succès en Italie et en Sicile, cette épopée
toute faite à laquelle en vérité peu de fictions peuvent s'égaler ', )>
Ne pourrait-on supposer qu'il se rattachait à quelque production de
ce genre ce « roumans de la conqueste de Césile » que nous voyons
figurer dans l'inventaire de Clémence de Hongrie et qui passa
ensuite dans la bibliothèque de Jeanne d'Évreux'-. Rappelons
que, dans une des nouvelles du Décamé ron, Boccace a raconté les
amours tragiques d'un pseudo-fils de Guillaume II avec une prin-
cesse musulmane '. Peut-être l'origine de ce conte doit-elle être
cherchée dans un épisode du règne de Guillaume II dont on lira
plus loin le récit*. Enfin, pour en finir avec les œuvres d'imagi-
1. G. Paris, La Sicile dans la littérature française, dans la Romania,
t. V, p. 109.
2. Inventaire de Clémence de Hongrie, dans Douël d'Arcq, Nouveau
recueil de comptes de Vargenterie des rois de France p. 64.
3. Décaméron, S*^ journée, nouvelle 4.
4. Cf. infra, t. Il, p. 399.
Hisloire de la domination normande. — Chai.andon. 1*
11 AVAM-PROPOS
nation, nous mentionnerons, malgré leur pauvreté, les poèmes
de Spatafora ', de la Harpe ^ et de Pastoret -^
Les ouvrao-es historiques relatifs à la domination normande
en Italie sont fort nombreux. Au xvii*^ siècle, Du Moulin écri-
vait : Les conquestes et les trophées des Normands-François
aux royaumes de Naples et de Sicile, aux duchez de Ca-
lahre, d'Antioche, de Galilée et autres principautés d'Italie et
d'Orient ^. Fazzello ^, Maurolico '', Costanzo ", Caruso ^, Sum-
monte '\ Giannone "\ Burignv". Testa'-', Gregorio '"^, Gautier
d'Arc''*, Bazoncourt' ', de Blasi'*', Huillard BréhoUes '', di Blasiis'^,
1. Mario Spatafora, // Rogerio in Sirilui, poeniu eroico (Ancône, 1098),
in-12.
2. La Harpe, La délivrance de Salerne el la fondation du roijaunie des
Deux-Siciles (Paris, 176o), in-8.
3. A., de Pastoret, Les Xormands en Sicile ou Salerne déli crée [Paris,
1818), in-8.
4. Rouen, 10o8, in-f».
5. Fazello, De rehus siculis, éd. Amico et Slatella iCatane, 1749-.j;i),
3 vol. in-f".
6. Maurolico, Sicanicai-uni reruin compe/idiuin (Messine, lo(i2), in-4°.
7. Buonfiglio Costanzo, Iliatoi-ia siciliana (Venise, 1604), in-4.
8. Cai'uso, Memorie isloriche di quanta é accaduto in Sicilia dal lenijxtde'
suoi primieri abilatori (Palerme, 1716-1744), 3 vol. in-f".
9. Summonte, Hisloria délia città e regnodi .Ya/)o/t (Naples, 167.'>), 4 vol.
in-4.
10. Giannone, Isloria civile del regno di Napoli, t. 1 et II Venise, 1766),
in-4.
11. Burigny, Histoire générale de la Sicile (La Haye, 174ji, 3 vol. in-4.
12. Testa, De vila et rehus gesfis Guillelnii II Siciliae régis (Monreale,
1769), in-f».
13. Gregorio, Considerazioni snpra la sloria di Sicilia dai tenipi nor-
nianni sino ai presenti (Palerme, 1831-1839), 4 voL in-16.
14. Gautier d'Arc, Histoire des conquêtes des Normands en Ilalie, en Sicile
et en Grèce et de leur établissement en Sicile et en Grèce (Paris, 1830 1, in-8.
1.3. Bazoncourt, Histoire de la Sicile sous la domination des Normands
depuis la conquête de l'île Jusqu'à rétablissement (te la monarchie Paris,
1846), 2 vol. in-8.
16. De Blasi, Storia del regno di Sicilia (Palerme, 18ti-1847i, 3 vol. in-4.
17. IIiiillard-BréhoUes, Recherches sur les monuments et r/iistoire des
Normands el de la maison de Souahe dans l'Italie méridionale Paris, 1844),
in-f°.
18. Di Blasiis, La insurrezione pugliese e la conquista normanna (Xaples,
1869-1873), 3 vol. in-8.
AVANT-l'ROPOS m
La Lumia ', Aniari ^ ont traité des parties plus ou moins éten-
dues du même sujet. Siragusa -^ a écrit une histoire de Guil-
laume l" pour laquelle il a utilisé quelques documents inédits, et
Schack ' a tenté dans une œuvre de vulgarisation d'écrire une his-
toire générale des Normands en Italie. A tous ces ouvrages, on peut
adresser le reproche d'avoir été écrits, surtout à l'aide des chro-
niques sans que leurs auteurs aient tiré parti des documents
d'archives. L'abbé Delarc et Heinemann °, dont les œuvres
marquent un réel progrès, ont repris une partie du sujet et ont
tenté d'en combler les lacunes, mais leurs deux ouvrages sont
demeurés inachevés et s'arrêtent l'un en 1071, l'autre en 1083.
Un sort malheureux s'attachait aux historiens des Normands, et,
il y a peu d'années encore, K. Kehr, qui venait de faire paraître une
étude sur la diplomatique des rois normands, disparaissait pré-
maturément.
Depuis quelques années, de nombreux documents demeurés
jusqu'ici enfouis dans les Archives de l'Italie méridionale et de
la Sicile ont été publiés ; j'ai pu en consulter un grand nombre
d'autres qui avaient été inconnus à mes devanciers. Il m'a paru
que grâce à ces matériaux l'on pouvait reprendre le sujet et
tenter dans un ouvrage d'ensemble, d'écrire une Histoire de la
domination normande en Italie et en Sicile où seraient expo-
sés non seulement les faits politiques mais aussi l'histoire des Ins-
titutions. Au moment où mon manuscrit était à peu près terminé
a paru, assez à temps pour que je puisse l'utiliser, l'ouvrage par
lequel M. Gaspar a essayé de combler une des lacunes les plus
importantes de l'histoire des Normands d'Italie ^\
1. La Lumia, Sforia délia Sicilia solto Guglielmo il huono (Florence,
18G7), in-8.
2. Amari, Stori.i dei Mnsulinaiil di Sicilia (Florence, 18o4-1872), 3 vol.
in-8.
3. Siragusa, // rerjno di Guglielmo 1 in Sicilia (Palerme, 1885), 2 vol. in-8.
4. Schack, Geschichle der Normannen in Sicilien (Stuttgart, 1889), 2 vol.
in-8.
"}. Delarc, Les Xoivnands en Italie (Paris, 1883), in-8; Heinemann (L.
von), Geschichle der Normannen, t. I, seul paru (Leipsig, 1894), in-8. Plus
récemment Gay, L'Italie méridionale et Venipire hijzantin (Paris, 1904),
in-8, a étudié les luttes des Normands contre l'empire grec jusqu'en 1071 .
6. Gaspar, Roger II und dieGrûndung der normanniscli-sicilischen Monar-
chie ^^lnnsbruck, 1904j, in-8.
IV AYANT-PROPOS
Je tiens, en terminant, à remercier le R. P. dom Collavolpe de
l'abbaye de la Cava et M. Garufi, professeur à l'Université de
Palerme de l'extrême obligeance qu'ils ont apportée à faciliter
mes recherches. Je n'aurai garde d'oublier mes confrères et amis
de l'Ecole de Rome, MM. deManteyer,Pernot, Serruys et Poupar-
din. Ce dernier a bien voulu accepter la tâche ingrate de revoir
les épreuves, quil en reçoive ici mes plus sincères remerciements.
Peut-être relèvera-t-on certaines omissions relatives à des
ouvrages ou à des articles récemment parus ; je ne saurais être
tenu pour responsable de ces lacunes dues à la lenteur inusitée
de 1 impression commencée en février 1906.
Paris, le l.'l juin 1*.M>7.
INTRODUCTION
ÉTUDE DES SOURCES
I. — DOCUMENTS d' ARCHIVES
Les actes de l'époque normande qui nous sont parvenus sont
très nombreux, a partir de 1086. On trouvera à la Bibliographie
l'indication des recueils où ils sont publiés. Pendant mon séjour
à l'Ecole de Rome, je m'étais occupé de rassembler les documents
inédits qui pouvaient se trouver dans les diverses archives de
l'Italie méridionale et de la Sicile. Mes recherches avaient été
assez fructueuses, mais elles ont été rendues à peu près inutiles
au moins en ce qui concerne les diplômes des rois normands.
K. Kehr a, en effet, depuis lors, publié la plus g^rande partie
des actes que j'avais recueillis, en appendice à son livre, Die
Urkunden der iiorniannisch-sicilischen Kônige^. Par suite, pour
toute la période de la monarchie, la plupart des diplômes royaux
utilisés sont déjà publiés. Néanmoins, les archives communales de
Bénévent et les archives du Mont-Cassin nous ont fourni quelques
documents intéressants. Pour l'histoire du duché de Pouille, sous
les ducs Roger et Guillaume, j'ai pu me servir d\in assez grand
nombre de diplômes inédits '-. En outre, pour toute la période
1. K. Kehr, Die Urkunden (1er norinannisch-sicilisc hen Kônir/e {Innshruck,
1902), p. 409 et suiv.
2. Un certain nombre des actes émanés des princes normands et emprun-
tés aux archives de la Cava et de Palerme ont été publiés, peu avant sa
mort, par Lothar von Heinemann, Nori}iannische Herzogs-und Kônigsur-
kunden aus Unter-italien und Sicilien (Tubingen, 1899), in-4. Je ne citerai
aucun acte d'après cette publication, qui est pleine d'erreurs paléogra-
phi([ues ; de plus, l'éditeur s'est parfois borné à prendre sur les originaux
quelques notes et a reconstitué les actes chez lui. On ne peut avoir aucune
confiance dans cette édition, car il n'y a aucun rapport entre certains des
M INTKODLCTION
de la domination normande j'ai utilisé un grand nombre d'actes
de seigneurs normands. Les dépôts les plus riches, à cet égard,
sont les Archives du Mont-Cassin, de la Gava, l'Archivio di
stato à Naples. Pour être complet, je citerai encore le Codex diplo-
maticiis Brundusinus conservé à la bibliothèque de Léo k Brindisi,
le Cartulaire de Tremiti conservé à la bibliothèque nationale de
Xaples (ms. XIV, A. 30), le manuscrit E. VL 182, de la bibliothèque
Ghigi, recueil d'actes relatifs au monastère de Saint-Bar thélemv de
Garpineto ; les manuscrits suivants de la bibliothèque du Vatican,
God. lat. 803i, 8201, 8222 i et 3880, et enfin le God. reg. lat.
980, qui contient une copie de l'acte de Guillaume II constituant
le douaire de sa femme -.
Parmi les documents datant de l'époque normande, il en est
un dont 1 importance est considéralîle et qui demande à être exa-
miné avec quelque détail. G'est le Catalogus baroniim.
documents qu'il a publiés et les originaux, comme on peut le voir par
l'exemple suivant.
Ed. Heinemann. .\rchives de la Cava.
n. 23, p. 13. E. ii
1115 décembre 1 1 1 'l décembre 1 1 1 1 n. s.l
//; iKHiiinc, etc. A'o.s ah ominninm In noiniiie, etc. \ostras nd Deuin
conditorc et guhcrnutore dignus nier- lendcre ronfidinius preces, si dic/nas
cèdes crediniiis acceptnros si sanctis nostroruni /ideliuni pefitiones non
ac venerahiliLus locis curam imjien- conteninimus et eosdeni fidèles nostro
derimus et quod ah euriim ciiltorihus Jjeneficio crediniiis nohis fore fidelio.
postulati fuerimus hono et sincero res et in nostro servitio proniptiores
aninio prehuerimus. Iccirco, etc. et ceteros oh eu que heneceferimus
arbitrâtes fideliuni nostris ohedire
preceptis. Iccirco, etc.
On saisit claii'ement ici le procédé de Téditeur.
1. Ce manuscrit, dont récriture est du xvii'' siècle, comprend une série
d'analyses et d'extraits du Cartulaire de la Sainte- Trinité de Venosa
ff° 49, r°). Une partie en a été publiée par Crudo, Lu .S.S. Trinifn di Venosa,
d'après une copie de la bibliothèque de Naples.
2. Cf. Élie Berger, Notices sur divers manuscrits de la Bibliothèque
Vaticane (Paris, 1870i, in-8, p. 31 et suiv. Je ne donne pas ici le détail des
documents de l'époque normande conservés dans les diverses archives do
l'Italie méridionale et de la Sicile, Kehr ayant donné ce dépouillement
d'une manière assez complète pour tout ce qui regarde les diplômes des
rois normands, op. cit., p. Vy et suiv.
LE CATALOGUE DKS RARONS Vil
Le Catalofjus haroniini^ est un extrait des reg-istres normands
qui contenaient Tindication du service militaire dû par chaque
fief. Le Catalogue^ qui a été conservé dans les reg-istres ang-evins,
nous donne la liste d un certain nombre des vassaux italiens des
princes normands ; il nous fournit, en même temps, beaucoup
de renseignements sur le service dû par les fiefs qui y sont énu-
mérés, et sur les attributions de divers officiers royaux (cham-
briers et connétables). Capasso a consacré un long mémoire à ce
document - et a établi que dans son état actuel le Catalogue est
le résultat de deux rédactions. D'après les noms des personnages
qui y sont cités, on peut établir que la première rédaction a eu
lieu entre 1154 et 1161, et la seconde entre 11 01 et 1189. Sans
insister ici sur la démonstration fournie par Capasso, il convient
de faire une observation. A diverses reprises, il est question
dans le Catalogue d'une magna expeditio. Les divers auteurs
qui se sont occupés de ce document ont cherché quelle était
dans l'histoire des rois normands la grande expédition à laquelle
il était fait allusion, et ont émis tour à tour les hypothèses les
plus variées. On a parlé de l'expédition de Rog-er II en Grèce,
des préparatifs faits par Guillaume II pour délivrer la Terre
sainte. Capasso, d'après les noms cités dans ce document, s'arrê-
tait à l'expédition de Guillaume L'' contre les Byzantins et à
l'expédition projetée contre Barberousse. A mon avis, c'est à
tort que les savants ont dirigé leurs recherches dans ce sens,
et les mots magna expeditio ne désignent pas telle ou telle expé-
dition particulière, mais ont simplement le sens de levée générale.
Si l'on rapproche les mots magna expeditio d'un passage des
Assises on verra je crois qu'il ne saurait y avoir de doute à cet
égard. Le titre 2 de l'Assise 34 punit ceux qui n'auront pas
répondu à la convocation les appelant ad magnum exercitum :
u >Si quis ficte vel fraudulenter ad magnum exercitum non vene-
1. Éd. del Re, dans (j-onittli e scrUtori Napoletani Naples, 1841)), in-8,
t. I, p. 571 et suiv.
2. Sul catalogo dei feudi e dei feudatarl délie provincie napolelane
sotto la dominazione norinanna, dans Atti délia reale Accademia di archeo-
lofjia, letteratura e belle arti, t. IV (Naples, 1869), in-4.
Vlll INTRODUCTION
rit ', etc. » Rapprochés des mots niaf/nusexercitus les mots magiià
e.rpeditio me paraissent prendre leur sens véritable. Si Ton
remarque, d'autre part, que, dans le Catalogue, on envisage, dans
diverses rég'ions, l'iiypothèse, que Yexpeditio aura lieu dans
chacune de ces régions-, on arrivera également à la conclusion
que les mots magna expedifio ne peuvent pas désigner une expé-
dition déterminée mais seulement une levée générale.
II. TEXTES LÉGISLAI'IFS
1" Les ^issises. — D'après un interpolateur de Romuald de
Salerne, Roger II aurait, en 1129, à Melfi, promulgué un cer-
tain nombre de lois. Une des rédactions du même auteur men-
tionne également que le fondateur de la monarchie normande
promulgua des lois '. D'autre part, Frédéric II fait allusion aux
^issises de ses prédécesseurs et en particulier à celles de Roger II '*.
En outre, dans un document de 1167 nous trouvons également
une allusion aux mesures législatives décrétées par Roger II '•'.
Entin , Falcon indique qu à l'assemblée d'Ariano (1140),
Roger a pris certaines mesures législatives. On ne connais-
sait que les lois des rois normands reproduites dans les Cons-
titutions de Frédéric II, quand, en ISotJ, Merkel crut avoir
retrouvé dans un manuscrit du Vatican et dans un manuscrit
du Mont-Cassin (ce dernier manuscrit avait déjà été utilisé
par Carcani pour son édition des Constitutions) le recueil
des Assises des rois normands ''. Ces deux manuscrits repro-
1. A.ssîse, titre 34, § 2, éd. Brandilcone, j). 134.
2. Par exemple, à la suite de renoncé du service dû par le comte de
Fondi et ses vassaux, on lit, p. 600 : « Et si necesse fiierif in marUiina
eorinn re/ in partihus ipsis, hahehit in purlibus illis prcdictns Pâccnnliis
milites et pedites iilt/-a proniissos quoi liubere potiieril. » Il tMi est do même
dans le comté d'Alba, p. 60.") et dans une toute antre région à Montopcloso,
j). 'Mi.
3. Romuald Salern., M.G.H.SS., I. XIX, jjp. 419 et 423.
4. Winkelmann, Acta iniperii inedila, I, j). GO.j, et (lonst. rptjni Sicili.v,
I, 44, éd. dans Huillard Bréholles, Historia diplomatica Frideriri II, t. IV, 1.
ÎJ. Cod. dipl. Bar., t. 1, |). 96; Falco Bcncv., p. 2">1.
6. Merkel, Commentatio qua iiiriK aiculi sire Assisaruin ref/iini re(/ni
SicHiff fraf/inenta ex codicihiis inaniiseriptis proponuidiir (Halle, 18o6),in-4".
LliS ASSISES IX
duiseiit les mêmes Constitutions ; mais le manuscrit du
Mont-Cassin n'a pas de préambule, omet trois assises (XVI,
XXII, XXVI) et ne donne des autres le plus souvent qu'un abrégé.
Par contre, il contient sept assises qui ne iig-urent pas dans le
manuscrit du Vatican (33-39). En tète du folio de ce même
manuscrit où commence le texte dont nous nous occupons, on
lit : M Assissae regiun regni Siciliae ». La plupart des lois que
l'on trouve dans les Constitutions de Frédéric II, sous le nom de
Roger II, se retrouve dans les Assises '. L'édition de Merkel a
été reproduite par la Lumia -. Depuis lors Brandileone a donné
de ce texte une meilleure édition.
A qui convient-il d'attribuer les Assises ? On a successivement
attribué ce recueil à Roger II, à Guillaume V'\ à Guillaume II ".
Toutes les attributions se basaient principalement sur le sens
qu'il fallait attribuer aux mots « progenitores nostri », qui se
trouvent dans le préambule. On déclarait que seul Guillaume P'"
ou Guillaume II pouvaient s'exprimer ainsi. D'autres croyaient
que ces mots désignaient les empereurs auxquels les rois nor-
mands prétendaient se rattacher. M. La Mantia a montré qu'il
ne fallait point, pour cette seule raison, rejeter l'attribution à
Roger II, car dans le diplôme célèbre de fondation de la chapelle
Palatine, le premier roi normand emploie en parlant des ducs de
Pouille et du comte de Sicde cette même expression. Cette difficulté
écartée, l'identité des lois contenues dans le recueil avec celles
attribuées à Roger II par les Constitutions de Frédéric II imposent
l'attribution au premier roi normand.
On admet maintenant, en général, que le manuscrit du Vatican
contient le recueil des Assises publiées à Ariano par le roi Roger.
Tandis que le manuscrit du Mont-Cassin ^ paraît être un abrégé,
Le manuscrit du Mont-Cassin est de la fin du xii*^ siècle ou du début du xiri'^
siècle. Le manuscrit du Vatican (lat. 872) est de la fin du xn« siècle.
1. Une seule des Assises n'était pas attribuée à Roger (Ass., XIII, de
aposlaiantihus) ; La Mantia, Cenni storici, pp. 74-76, a montré par une correc-
tion ingénieuse que cette assise était bien elle aussi de Roger.
2. Storiu délia Slcilia sotlo Guçjlielmo il huono, p. 370-392.
3. Brandileone a publié le texte des deux manuscrits dans // diritlo nor-
inanno nelle lerjçji nonnanne e sueve del regno di Sicilia, p. 95 et suiv.
4. Merkel, o/j. cil., p. 13,et Aniari,.S7orfa dei Miisulnuini, t. III, p. 445, note 2,
X INTRODUCTION
rédigé pour un usage privé à une date ultérieure, le manuscrit du
Vatican paraît contenir la rédaction originale. Les différences entre
les deux manuscrits peuvent s'expliquer par le fait que le manu-
scrit duMont-Cassin étant plus récent a reçu quelques additions.
Les assises qui y figurent et qui sont omises dans le manuscrit
du Vatican auraient été promulguées à une date postérieure par
Roger II et ses successeurs. Certaines de ces additions paraissent
bien en efTet être postérieures à. la première rédaction, notam-
ment l'assise 39, qui explique l'assise Xdu manuscrit du Vatican.
Le recueil que nous avons est-il complet ? Le fait que les
deux manuscrits que l'on possède contiennent les mêmes assises
tendrait à faire donner une réponse affirmatiAe '. On ne saurait
toutefois se prononcer à cet égard avec une entière certitude ;
certains indices semblent indiquer que quelques assises manquent .
Par exemple, il n'est pas question de la loi relative à la monnaie,
loi promulguée à Ariano -, de même le titre 36, du manuscrit du
Mont-Cassin, paraît indiquer qu'il y avait une assise relative
aux bayles que nous ne possédons pas.
Le recueil des assises présente-t-il trace d'une composition
raisonnée, ou les assises sont-elles réunies sans ordre? On a
montré que les assises, dans le manuscrit du Vatican, étaient
réparties suivant un ordre assez rigoureux '.
Le recueil est ainsi divisé :
attribuent le recueil à Guillaume I'"'" ; La Lumia, op. cit., p. .3.j7, à Guil-
laume II; Perla, Z-p assise r/p're, -VorHia/J/it 'Caserle, 1881), p. 12, Brandileone,
Arch. st. napoL, t. VIT, p. 178 ; de Blasiis, Ln insurrezione pnfjJiese, t. III,
p. 479, Hartwig, Hhtorische Znitschrift, t. XX, p. 8, Caspar, Roger II,
p. 238, l'attrilnient à Ro(jer II. La Mantia, op. cit., p. 72 et suiv., qui a eu le
mérite de donner les meilleures raisons pour attribuer le recueil à Roger II,
déclare que Ton ne saurait rien affirmer et doute même de la promulgation
des Assises.
1. L'auteur du recueil du Cod. Casin. connaît mieux le droit romain que
le rédacteur du Cod. Vut. ; ainsi il cite la le.v Julia de adulteriis (tit. 18) et
la lex Cornelia de slccariis (tit. 26). Le titre 4 reproduit le titre e.\act du
Code, I, 3 (éd. Krueger, dans Corpus iuris civilis, t. II, 7« éd., Berlin, 1890,
in-4). Cf. Assise, tit. V. — VIII, et Caspar, op. cit., p. 280.
2. Falco Benev., p. 2ol ; Caspar, o/j. cit., p. 240, note 2, explique l'absence
de cette assise, en supposant qu'il s'agit d'un règlement local applicable
seulement à une partie du royaume.
3. Caspar, op. cit., p. 238. Pour tout ce qui suit j'emprunte beaucoup au
chapitre consacre aux Assises par cet auteur.
I,?:S ASSISES XI
l*' un préambule adressé par le roi aux g-rands de son
royaume ; 2° quatre paragraphes (I-IV) de considérations géné-
rales sur les devoirs du roi envers les églises, sur les devoirs des
seigneurs envers leurs sujets, et enfin sur les droits régaliens et
leur inviolabilité.
Les titres V-XVI concernent le clergé, les églises, les reliques:
T. V, De sanctarum reliquiarium vendifione; T. VI, De confu-
(jio ad ecclesiam ; T. VII, De privilegiis ecclesiarum non violan-
dis\T. VIII, De episcoporum privilegio; T. IX, De iUicif.is con-
venticulis ; T. X, De ascripticiis volentihus clericari ; T. XI, De
raptu virginum; T. XII (sans titre) Judeus, paganus, etc.;
T. XIII, Deaposfantihus- T. XIV, De ioculatorihus ; T. XV, De
pupilis et orphanis: T. XVI, De indigue anelantibus ad saeer-
dotiuni.
Les titres XVII-XIX concernent le droit public dans ses rap-
ports avec le roi. T. XVII, De sacrilegiis; T. XVIII, De crimine
majesfatis; T. XIX, De nova militia.
Les titres XX-XXVI sont relatifs au droit public en général,
T. XX, De falso; T. XXI, De cudentihiis monetam; T. XXII
(sans titre), Uhi questio falsi incident; T. XXIII, De falso ins-
triirnento ; T. XXIV, De aholitione testamenti ; T. XXV, De
officialihiis puhlicis \ T. XXVI, De bonis piiblicis.
Les titres XXVIl-XXXIII contiennent les prescriptions rela-
tives au mariage, T. XXVII, De coniiigiis légitime celehrandis ;
T. XXVIII, De adulteris; T. XXIX, De eodeni; T. XXX, De
lenocinio; T. XXXI, Deviolafione thori ; T. XXXII, De adiilte-
rio ; T. XXXIII, De desistentibus ab acciisatione.
Les titres XXXIV-XLIV forment un code pénal, T. XXXIV,
De iniuriis priuati<> personis illatis; T. XXXV, De iniuriis per-
sonis illatis curialihus ; T. XXXVI, De mederi volentibus ;
T. XXXVII, De plagiariis \ T. XXVIII, De siccariis: T. XXXIX,
De infanfibus et furiosis ; T. XL, De fure\ T. XLI, De incendia-
riis\ T. XLII, De precipitatoribus \ T. XLIII, De pociilo
T. XLIV (sans titre), 'S7 index litem siiani fecerit.
La même division se retrouve dans le manuscrit du Mont-
Cassin, mais avec quelques différences. Aux titres I-IV du Cod.
Vat. correspondent les titres 1-3 du Cod. Cas. ; la différence
Xll INTRODICTION
vient de ce que le préambule n'a pas de numéro d'ordre. Aux
titres V-XVI correspondent les titres 4-10. Ici la différence vient
de ce que le titre 4 comprend les titres V, VI, VII, VIII et X du
God. Vat. ; le titre XVI manque. Aux titres XMI-XVIII corres-
pondent les titres M-12. Le titre XIX, De nova militia, est rejeté
plus loin, tandis que l'on a placé ici, titre 13, le titre XXXV.
De iniuriis personis illatis curialibus , parce qu'on a regardé
cette catégorie de crimes comme rentrant dans les crimes contre
la personne du roi (ad régie diçjnitatis spectact offensam). Le
titre 14 correspond aux titres XX-XXVI du Cod. Vat. Il com-
prend, en effet, les titres XX, XXI, XXIII, XXIV, XXV. Ce
dernier est incomplètement reproduit ; la lin en est placée au
titre XIX. Le titre XXII manque et le titre XXVI est rejeté plus
loin. Les titres 15 à 22 du Cod. Cas. , correspondent aux titres
XXVII-XXXII du Cod. Vat., mais on a intercalé sous les numé-
ros 19 et 20, une partie du titre XXV du Cod. Vat., et le titre
XXVI. Les titres 24-32 correspondent aux titres XXXIV-XLIV
du Cod. Vat., avec addition du titre 31 = Cod. Vat., tit. XIX
et suppression du titre XXXV (cf. supra) et du titre XXXVI.
Les titres 33-39 ne figurent pas dans le manuscrit du Vatican.
Parmi eux les titres 33-35 ne iigurent pas parmi les Constitu-
tions de Frédéric IL Le titre 30 = Const., I, 44 est attribué à
Frédéric II, les n'« 37 et 38 ^=:= Const., I, 01, III, 20. sont attri-
bués au roi Guillaume ' ; le titre 39 = Const. III, 3, à Roger ou à
Guillaume suivant les manuscrits. On peut regarder, semble-t-il,
les n"* 33-39 comme formant au texte des .45s/ses une addition
postérieure.
Quelles sont les sources des Assises'? On trouve première-
ment toute une série de textes empruntés à la législation de Jus-
tinien. On a beaucoup écrit sur la manière dont le lég-islateur
normand avait connu la léi^islation de Justinien. Brandileone a
1. Le t. 37 (lifTôre toutefois delà Consl., I, 01; l'assise attribue aux
héritiers légitimes la succession de Tintestat, sauf un tiers à donner pour
l'àme du défunt; tandis que la constitution de Guillaume ne prescrit cette
mesure que dans le cas où le défunt ne laisse pas dhéritiers, cf. La Man-
tia, op. cit., p. 82, note 1.
LES ASSISES XUl
imag-iné une théorie assez compliquée pour montrer qu à côté des
livres de Justinien, le rédacteur des Assises avait eu entre les
mains des abrégés de la lég'islation gréco-byzantine où étaient
indiqués les rapprochements entre le Code et le Digeste •. La
Mantia, avec raison à mon avis, a soutenu la théorie de l'imita-
tion directe '-.
La comparaison entre le texte des Assises du premier groupe
et les passages imités du Code ou du Digeste ne laisse aucun
doute à cet égard. Nous ne saurions sans sortir des bornes de
cette étude rapprocher ici le texte complet des Assises des pas-
sages empruntés k la législation justinienne ; nous nous borne-
nms à montrer par quelques exemples qu'il y a bien eu imita-
tion directe et nous nous contenterons pour le reste d'indiquer
les renvois aux passages imités -^
On peut établir comme il suit le groupe des Assises emprun-
tés à la législation justinienne :
Ass., VI = Cad., I, 12, G. Ass., XIII = OnL, I, 7, 1.
Ans., VII = Cor/., I, 3, 16. Ass., XIV = Cad., I, 4, 4.
Ass., VIII, 1 = Cod., I, 3, 7. Ass., XVII, 1 = Cod., IX, 29, 2.
Ass., VIII, 2 = Cod., I, 3, 6. Ass., XVII, 2 = Digeste, XLVIII,
Ass., IX = Cod., I, 3, 15. 13, 6 «.
Ass., X = Cad., I, 3, Ifi. Ass., XVIII, 1 = Cod., IX, 8, a.
Ass., XI i = Cad., I, 3, 5. Ass., XVIII, 2 ' = Cod., IX, 8, 6.
Ass., XII s = Cod., I, 10, 1. Cf. Ass., XVIII, 3 =Z>J.r/., XLVIII, 4, 8.
Cod., I, '.), 16 et I, 7, 5. Ass., XXI, 1 « = Cod., IX, 24, 1 et 2.
1. Brandileone, // dirillo greco-romano neiritalia méridionale sotto la
dominazione normanna dans VArcfiivio rjluridico, t. XXXVI, p. 283.
2. La Mantia, Cenni storici, etc., pp. 61, 82 et suiv.
3. Nous indiquei-ons également les renvois à la législation gréco-romaine ;
on pourra ainsi se rendre i)lus facilement compte de la nature de Timita-
tion.
4. Cf. Consuetudini di Messina, c. .">8, éd. La Mantia, dans Antiche consiie-
iudini délie città di Sicilia, p. 51.
5. Ihid., c. 57, p. .50.
6. Ed. Mommsen, dans Corpus yu/'is ciinlis, t. I, 8*^ éd., Berlin, 18y9, in-4'',
7. Cf. Basiliques {éd. Heimljach), LX, t. xxxvi, 19, tome V, p. 713, cf. La
Mantia, Cenni storici, etc., p. 88 et p. 89, note 2.
8. Cf. Basiliques, LX, t. lx, 1, t. V, p. 903; Prochiron (éd. Zachariae a
Lingenthal), 39, 14; Epitome (éd. Zachariae a Lingenthal), 43, 54; Epa-
nagofja (éd. Zachariae a Lingenthal), 40, 17.
XIV INTRODUCTION
,-lss.,XXI,2 I =7>»/.7., XLVIII. 10, 8. A.ss., XXXIII = Di(j., XLVIII. o,
Ass., XXII = Cad., IX, 22, 22. 41.
Ass., XXIII, 1 = Cod., IX, 22, 3. .Lss., XXXVI = Cod., X, :i2, 10.
As.s., XXIV, 1 = Cod., IX, 22, 14. A.s.s-., XXXVII — Diçj., XLVIII, i:i, 4.
Ass., XXIV, 22 = Diçj., XLVIII. .Lss., XXXVIII - n^ Cad., IX, 16, 2.
10, 26. -Iss., XXXIX <■• = Dig., XLVIII, 8,
.4.SS.. XXV = Cod., IX, 28, i. 12.
A.s.'^., XXVI, 2 = Cod., IX, 28, 1. .4.•^.s^, XL ' = Di.j., XLVIII, 8, U.
A.s.s. , XXVIII, 4 = Cod., IX, 0, 2. Ass., XLI, 1 « = Duj., XLVIII, 1'»
Ass., XXVIII. :> = Cod., IX, <), 28. 28, 12.
Ass., XXIX, 1 = Cod., IX, 9, 22. .A.s.s., XLI, 2 '•' — Di;/., XLVIII, 8,
Dig., XLVIII, 14 et L").
J.S.S., XXIX, 2:^ = ^ o, 32. .ls.s., XLIP'» = Difj., XLVIII, 8. 7.
' Cod., IX, (I, 8. .l.ss.,XLIII, 1 =z Dig., XLVIII. 8, 3.
A.s.s., XXXII •• = Dig.. XLVIII, :i, .Lss., XLIII, 2 = Dig., XLVIII, III,
30. 36, o.
A ce o-roupe d'assises empruntées à la lég-islation justinieniie,
on a voulu ajouter l'assise XVIII, 4 que Ion a reproché du
1. Cf. Basiliques, LX, l. xli, 8, t. V, p. 780"; Ecloga (éd. Zachariaea Lingen-
thali. 17, 18; Eclogu privata aucta (éd. Zachariaea Lingeuthal), XVII, 44;
cf. La Maiitia, op. cit., p. 83, note 2.
2. Cf. Basiliques, LX, t. xli, 26 ; Sgnojisis éd. Zachaiiae a Lingenthal),
p. 217; Epitome, 43, 38, 53 : Ecloga ud Prochiro/i iniilata éd. Zachariae a
Lingenthal^ 37, o3, p. 150.
3. Consueludini di Messina, c. 43, p. 45 ; cf. La Manlia, <lenni storici, p.
88. L'assise XXIX, 3, montie clairement que le législateur normand ne
connaît pas les Basiliques : h Lex delecfuin non facil, quis priniuin conveniri
deheat »; or précisément dans les Basiliques, LX, xxxvii, 52, t. V, p. 745,
il est stipulé que Thomme doit être le premier poursuivi.
4. Cf. Consueludini di Messina, c. 43, p. 45, et La Mantia, Cenni slorici,
etc., p. 88.
5. Cf. Basiliques, LX, L xxxix, 14, t. V, p. 768 ; Prurhiron, c. 39; Epi-
loine, 45, 4; La Mantia, op. rit., p. 88, note 3.
6. Cf. Basiliques, LX, t. xxxix, 8, t. V, p. 766 et LX, xxxvii, 52, p. 745,
qui montrent clairement que le texte des Basiliques est inconnu du rédac-
teur; Prochiron, c. 80; Epitome, 45, 108, 196; Epanagoga, 40, 86; Ecloga
ad Prochiron mutaia, 21, 13, 112.
7. Ce titi'e manque dans les Basiliques, cf. Basiliques, LX, xxxix, 16,
t. V, p. 768 ; Epitome, 45, 4 et 65 ; Attaliatès, Synopsis dans Leunclavius,
Jus grneco romunum, t. II, p. 50, cf. La Mantia, op. cit., p. 86, note 2.
8. Cf. Basiliques, LX, lf, 26, t. V, p. 866 ; Epitome, 40, 28 et 45, 73 ; Pro-
chiron, c. 18.
9. Cf. Basiliques, LX, xxxix. 10 et 11, t. V, p. 767.
10. Cf. Basiliques, LX, xxxix, 5, t. V, p. 765.
LES ASSISES
XV
Digeste XLVIII, 1. Je ne trouve pas entre les deux textes des
ressemblances suffisantes pour admettre ce rapprochement.
On pourra, par les exemples suivants, voir comment le législa-
teur normand s'est insjDiré de la législation justinienne.
CocL, I, 12, G (éd. Rruegerj.
Praesenti lege deeernimusper
oninia loea valitura {excepta
hac iirhe regia, etc.) niillos pe-
nitiis cuiuscumque condicionis
de sacrosanctis ecclesiis ortho-
doxae fidei expelli aiil tradi
vel protrahi confugas nec pro
his venerahiles episcopos aiit
religiosos oeconomos exigi quae
deheantur ab eis : qui hoc mo-
liri aut facere aut niida saltini
cogitatione atque tractalu ausi
fuerint temptare capitali et ul-
tima supplicii aniinadversione
plectendi sitnt. ex his ergo locis
eorumque finibiis, qiios anterio-
rum legiim praescripjta sanxe-
riint, niillos expelli aut eici ali-
quando patimur nec in ipsis
ecclesiis reverendis ita c/ueni-
quani detineri atque constringi
ut ei aliquid aut victualiuni re-
rum aut vestis negetur aut re-
quies.
Ass., VI (éd. Brandileone).
De confugio ad ecclesiani. —
Présente lege sancirnus per loca
regni nostri omnia, deo propi-
tio //? perpeluuni valitura nul-
los penitus cuiuscunic/ue condi-
cionis de sacrosanctis ecclesiis
aut protrahi confugas, nec pro
his venerahiles episcopos aut
ycononios exigi que dehentur
ab eis, qui hoc moliri aut facere
presunipserint . capitis periculo
autbonoruni omnium amissione
plectendis. Intérim confugis
victualia non negentur.
Omettant ensuite toutes les prescriptions du Code : Sed siqui-
dem ipsi refugae etc., l'auteur des Assises reprend :
Sane si servus aut colonus Sane si servus aut colonus
vel adsrripticius, familiaris aut servus glèbe se ipsum sub-
XVI
INTROUUCTION
sive libcrtiis et huius modi ali-
qua persona domestica vel con-
dicioni suhdita conquassafis ré-
bus certis atqiie subtractis aiil
se ipsum furatus ad sacro-
sancta se contulerit loca, sta-
tim a reliffiosis oecononiis sive
defensoribus, ubi primum hoc
scire potuerint, per eos videlicet
ad quos pertinent, ipsisjjraesen-
tibus pro ecclesiastica disciplina
etqualitate comniissi aiitultione
competenti aut intercessione
humanissima procedente, re-
niissione veniae et sacrainenti
interveniente securi ad locuni
stafumque proprium revcrtan-
tiir, rehus, quas secum habiie-
rint, reformandis. Diutiusenim
eusintra ecclesiam non convcnif
commorari, ne patronis seu do-
niinis per ipsorum absent iam
obsequia iusta denegentur et
ipsi etc.
traxerit domino, vel furatus res
ad loca sacra confuqerit, cuni
rehus, quasdetulit, domino pre-
sentetur, ut pro qualitate com-
missisuheatultionem^aufjnter-
cessione précédente, pietati resti-
tualur etrjratic. Xemini quippe
jus suum est detrnhendum.
Cod., I, 3, lo.
Conventicula illicita extra
ecclesiam in privatis aedibus ce-
lebrari prohibemus, proscrip-
tionis domus periculo immi-
nente, si dominus eius in ea cle-
ricos nova ac tumultuosa con-
venticula extra ecclesiam célé-
brantes susceperit.
Ass., IX.
De illicitis conventiculis. —
Conventiculam illicitam extra
ecclesiam in privatis edihus ce-
lehrari vetamus ; proscriptionis
domus periculo imminente, si
dominus eius in eam clericos
novamvel tumultuosam conven-
ticulam célébrantes susceperit
non ignarus.
LES ASSISES XVII
Cad., I, 3, o. Ass., XI ^
Si quia nondicam rapere, sed De raptu virginuin. — Si
atteinpLare tantarn mafrimonii quisraperesacratasdeo virgines
iungendi causa sacra tissiryias aiit nondiim velatas causa
virgines ausus fuerit, capitali iungendi matrimonium pre-
poena feriafur. sunipserif capitali pena feria-
tur, vel alia pena, quani regia
censura decreverit.
Cod., IX, 29, 2. Ass., XVII
Disputari de principali iudi- De Sacrilegiis. — Disputari
cio non oportet y' sacrilegiienini de régis iudicio, consiliis, ins-
instar est dubitare an is dignus titufionihus, factis non oportet ;
sit, quemelegerit imperator. est enim pjar sacrilegio dispu-
tare de eius iudiciis, institutio-
nihus, factis atque consiliis et
an is dignus sit, queni rex ele-
gerit.
Nous trouvons donc dans les Assises tout un groupe emprunté
à la législation de Justinien et comprenant les assises, VI, VII,
VIII, 1, VIII, 2, IX, X, XI, XII, XIII, XIV, XVII, 1 et 2,
XVIII, I, 2 et 3, XXI, 1 et 2, XXII, XXIII, 1, XXIV, 1 et 2,
XXV, XXVIII, 4 et o, XXIX, 1 et 2, XXXII, XXXIII,
XXXVI, XXXVII, XXXVIII, XXXIX, XL, XLI, 1 et 2, XLII,
XLIII, 1 2.
1. Cf. Consueludini, di Messina, c. 58, p. ol : « Si quis presumpserit
rapere virgines sacras Deo aut nondum velatas causa criminis vel causa
matriinonii, puniatur capitali senleiiiia vel alia quant censura régis dicta-
verit. » Les mots : « vel alia poena, etc., » manquent dans l'assise 8,
du Cod. Cas., dans la Const., 1,20, et dans la rédaction grecque des Cons-
titutions; cf. Capasso, Storia externa délie Costituzioni del reçjno di Sicilia
{Atti delV Acadeniia Pontaniana, Naples, 1869), et La Mantia, Cenni storici,
etc., p. 87.
2. Dans ce groupe, les assises suivantes se retrouvent dans les Constitu-
tions de Frédéric II : Ass., X, 1 = Const., III, 2; Ass., XI = Const., I,
20;Ass., XIII = Const., I, 3 ; Ass., XVII, 1-2 = Const., l, 4-o; Ass., XXI,
1 = Const., III, 62; Ass., XXI, 2 = Const., III, 63; Ass., XXIIl, 1 =
Const., III, 64; Ass., XXIV, 1 et 2 = Const., III, 66-67; .4ss., XXV =
Const., III, 68 et I, 36, 1; Ass., XXVIII, 4 =z Const., III, 76 ; Ass., XXIX, 1
= Const., III, 77; Ass., XXXII = Const., III, 82; Ass., XXXIII = Const., II,
Histoire de la dotnination normande. — Chalandon. 2*
XVlll IMKODLCllON
De la comparaison des textes il résulte que le rédacteur des
Assises avait sous les yeux un manuscrit latin contenant, soit le
livre XLVIII du Digeste et les livres I, IX et peut-être X du
Code ', soit plus probablement un abrégé de ces livres "-. Se
basant sur l'assise, XXIX, 2, où sont fondus deux textes
empruntés l'un au Code, l'autre au Digeste^ M. Brandileone
déclare qu'il est bien ditTicile d'admettre que le rédacteur des
ylssises aitété assez versé dans la science du droit pour rappro-
cher ainsi le Code du Digesle, et il tire de là la conclusion que
le, compilateur, outre les livres de Justinien, avait entre les mains
des abrégés byzantins ou les rapprochements entre le Code et le
Digeste étaient déjà établis 3. A examiner de plus près le texte
des Assises, on ne saurait, semble-t-il, adopter cette opinion. Si
nous considérons les assises relatives au mariage et au proxéné-
tisme, nous pouvons voir comment a travaillé le compilateur.
Les renvois du Code au Digeste étaient si peu indiqués dans le
manuscrit dont s'est servi l'auteur qu'après avoir traité de
l'adultère et du proxénétisme d'après le Code, il reprend ce
même sujet d'après le Digeste après avoir intercalé un certain
nombre de constitutions originales. Ne serait-ce pas tirer une
conclusion exagérée du fait que, dans l'assise, XXIX, 2, où sont
fondus les textes du Code et du Digeste que d'en conclure que
le manuscrit dont s'est servi l'auteur contenait les renvois du
Code au Digeste'? Comment expliquer dans ce cas ([u'aucun
autre renvoi ne puisse être observé.
Le rédacteur des Assises ne s'est point borné à un simple tra-
vail de copie. En reproduisant le texte du Code ou du Digeste,
il lui arrive le plus souvent de modifier son modèle. Tantôt, la
copie est textuelle, tantôt plusieurs phrases où certains membres
de phrases sont omis. En certains passages le texte reproduit est
tl; Ass., XXXVI = Consl., III, 44; .Iss., XXXVII = CoiisL, III, 86; Ass.,
XXXVIII = Const., I, 14; Ass., XXXIX = Const., I, 14 ; Ass., XL =
Const., I. 14; Ass., XL! = Const., III, 87; Ass., XLIl, 1 = Const., III, 88;
Ass., XLIII = Const., III, 70. Cf. La Mantia, op. cil., pp. 80-81.
1. Ass., XXXVI, cf. toutefois Caspar, p. 2.)3, note 2.
2. Cf. Caspar, op. cit., p. 247. La Mantia, op. cit., p. 89.
3. Brandileone, op. cit., dans Archivio giaridico, t. XXXVI, p. 28.3, soutient
la théorie de l'influence gréco-byzantine. Sur rem[)loi du grec Caspar, loc.
cit., fait des remarques fort justes^
LKS ASSISES XIX
résumé, ou bien deux textes différents sont fondus ensemble.
Enfin, il arrive que le rédacteur apporte à son modèle certaines
additions ou lui fasse subir certaines modifications. Le plus
souvent les modifications portent sur la nature de la peine.
Ainsi l'assise VI punit de la mort ou de la perte des biens un
délit pour lequel le Code ne prévoit que la peine de mort. De
même, l'assise XI prononce la peine de mort ou telle peine
qu'il plaira au roi. Au lieu de la peine de mort, l'assise XXI,
2, prononce la confiscation des biens contre les faux monnayeurs.
Certaines modifications portent sur les mots employés. Ainsi
au titre XVII, le mot rex remplace les mots principalis et
imperator du Code IX, 29, 2. A côte de ces substitutions, nous
constatons également la suppression de certains mots : ainsi les
mots orthodoxae fidei, du Code, sont supprimés dans l'assise VI.
Par contre les additions sont assez nombreuses. Par exemple,
au titre VIII, 1, l'évêque n'est pas, comme dans le Code (I, 37),
exempté d'une façon absolue de la prestation du serment, mais
y demeure tenu en certains cas ; de même cette exemption est
accordée au prêtre. Au titre XIV, aux mots habit u virginuin du
Code (I, 4, 4), on ajoute vel veste monachica et nec clericali. Au
titre XVII, on déclare coupable de sacrilège non seulement ceux
qui discutent le jugement du souverain [Cod. IX, 29, 2), mais
aussi ceux qui discutent ses conseils, ses institutions, ses actes.
L'assise XXI, 2, punit non seulement les faux monnayeurs,
mais aussi ceux qui diminuent le poids de la monnaie. De même,
l'assise XXIX, 1, contient quant au domicile de la courtisane
une prescription inconnue à la législation justinienne.
Il convient de noter que les modifications apportées aux
peines décrétées sont le plus souvent faites dans un sens qui
favorise l'intervention directe du souverain. Il faut aussi remar-
quer que les emprunts faits à la législation justinienne n'ont pas
été réunis par le rédacteur des Assises de manière à former un
tout complet ; ils sont au contraire séparés et d'ordinaire pla-
cés en tête de chacune des grandes divisions que nous avons
indiquées ^.
i. Caspar, op. cit., p. 247.
XX INTRODUCTION
Il reste à expliquer par quelle voie le lég-islateur normand a
connu le droit romain. Tandis que M. La Mantia soutient que le
droit de Justinien s'est maintenu en Sicile, même à l'époque de
la domination musulmane ^ M. Brandileone attribue au droit
gréco-romain un rôle prépondérant dans l'Italie méridionale et
en Sicile, et explique la profonde connaissance du droit romain
que révèlent les Assises par linfluence des Lombards éta])lis en
Sicile au xi*" siècle "'. Il me semble que l'opinion de M. La Man-
tia sur la survivance du droit romain en Sicile est la plus pro-
bable ; elle n'exclut pas d'ailleurs l'influence que les Lombards
ont pu exercer sur la renaissance des études juridiques -K On ne
saurait toutefois oublier que les Assises ne représentent pas un
droit particulier à la Sicile ; elles étaient applicables à tout le
1. La Mantia, op. cil., p. 50 et suiv.
2. Brandileone, op. cit., dans Archivio giuridico, t. XXXVI, p. 285, et
// (lirilio vomiino nellp legf/i normanne e sueve del regno di Sicilia, p. 10 et
suiv. Pour justifier l'introduction du droit gréco-romain en Sicile, M. B. ne
peut citer qu'un passage de Theo|jh. cont. 1. II, 27, p. 82 ; or la domination
musulmane était établie en Sicile bien avant 900, date adoptée par M. B.,
cf. Amari, Storia dei Musulniani, t. I, p. 262.
3. Pour compléter l'étude de la question, cf. La Mantia, Sloria délia
legislazione civile e criminale in Sicilia (Palerme, 1839, in-8, p. 198 et
suiv.; Zachariae a Lingenthal, Il diritlo roinano nella hansa Italia e la
scuola giuridica di Bologna, dans Rendiconti del r. Istituto lomhardo,
série, II, t. XVIII; Perla, Del diritto romano giuslinaneo nelle provincie
d'Italia prima délie Assise normanne, dans Archivio stor. napolet., t. X
(1885), p. 1-30 et suiv.; Gay, L'Italie méridionale et Vempire byzantin,
p. 569 et suiv.; Mortreuil. Histoire du droit byzantin, t. I, p. 424 et suiv.;
Ciccaglione, Le istituzioni poliliche e sociale dei ducati Xapoletani (Naples,
1892;, p. 29, et II diritto romano in Sicilia durante il periodo musulmano,
dans Rivista di sloria e fîlos. del diritto, t. I (1897); GifTrida, La genesi
délie consuetudini giuridiche délie città di Sicilia, t. I. // diritlo greco-
romano nel periodo bizantino-arabo (Catane, 1901), S.-Villanueva, Sul
diritto greco-romano [privato] in Sicilia (Palerme, 1901 i, in-8, qui
admet p. 10 et suiv.) que YEcloga a pénétré en Sicile, mais ne croit pas
que le Prochiron, VEpanagoga et les Xovelles de Léon le Philosophe et de
Constantin Porphyrogénète aient été admises; (p. 87 et suiv.), il émet
l'opinion qu'en Sicile, peut-être même avant les Byzantins, il s'est formé
un droit romain vulgaire, né spontanément des besoins, et ayant apporté
au droit olficiel divers compléments et d'assez nombreuses modifications;
du même auteur, cf. dans VArchivio storico siciliano, N.S., t. XXVIII,
p. 157 et suiv., un important compte rendu du livre de Neumayer, L>ie
gemeinrechtliche Enlwickelung des internationalen Privat-und Sfrafrechts
bis Bartolus, l*"* partie, Die Geltung der Stammesechte in Italien (Munich, 1901).
LES ASSISES • XXI
royaume, par suite il n'y a rien d'étonnant à ce qu'on y retrouve
la trace des dilFérents droits en usage lors de la conquête nor-
mande : droit romain, droit gréco-romain, droit lombard. Nous
avons constaté la part du droit romain dans les Assises, nous
allons maintenant examiner de quelles autres influences on peut
relever la trace.
A côté des assises empruntées à la législation justinienne nous
trouvons un second groupe dont l'origine est différente. Il com-
prend les titres I-V, X 2, XV, XVI, XIX, XX, XXIII? XXVIi,
XXVII, XXVIII, I, 2 et 3, XXIX 3 et 4, XXX, XXXI, XXXIV,
XXXV, XLIVi.
Dans ce groupe, un certain nombre d'assises paraissent inspi-
rées par la législation gréco-romaine ; mais il convient ici de se
garder de toute exagération. Ainsi on a voulu rapprocher le
préambule des Assises de celui de YEclogue de Léon llsaurien.
M. Brandileone, qui fait ce rapprochement, constate lui-même
que les deux textes se rapprochent l'un de l'autre plus par l'inspi-
ration que par la forme elle-même. De même les rapprochements
faits avec le Digeste ne portent que sur les mots juris sacerdotes
[Dig., I, 1, = Ass., I) et sur la phrase suivante :
Dig., loc. cit. Ass., I.
Onines vero popiili legihus Voluniiis igitur et juhemus ut
iani a nohis promulgatis vel sanctiones qiias in presenti cor-
coinpositis reguntur. pore sive promulgatas a nohis
sive conipositas[a) nohis facimus
exhiheri, fideliter et alacrifer
recipiatis.
L'emprunt est ici évident, mais tout le reste du préambule
1. On retrouve dans les Constitutions de Frédéric II les Assises suivantes :
Ass., IV = Const., III, 1 ; Ass., XV, 2 = Const., II, 41; Ass., XIX =
Const., III, 59; Ass., XX, = Const., III, 61 ; Ass., XXIII, 2 = Const., III,
65 ; .4.ss.,XXVI, 1, = Const , I, 36, 2 ; Ass., XXVII = Const., III, 22;
Ass., XXVIII, 2 et 3 = Const., III, 74-75 ; Ass., XXIX, 41 = Const., III,
78; Ass., XXX = Const., III,,79-S0; Ass., XXXI, 2 = Const., III, 81;
Ass., XXXV = Const., III, 40; Ass., XLIV = Const., II, 50, 1 et 2 ; cf.
La Mantia, loc. cit.
XXIl INTRODUCTION
présente des analogies frappantes avec la phraséologie en usage
dans les diplômes royaux. Je ne crois pas qu'il faille chercher
ailleurs un modèle. De même les titres II-IV sur les devoirs du
roi envers les églises, ou ceux des seigneurs envers leurs sujets
et enfin sur les droits régaliens présentent un caractère analogue.
On a également rapproché, à tort mesemble-t-il, le titre V des
Assises d'un passage du Code, 1, 3, 26. Entre les deux textes il
n'existe guère de rapports. La dernière phrase de l'assise est,
il est vrai, empruntée textuellement au texte du Code mais
l'objet même de la loi diffère, comme on le voit, en comparant les
deux textes. Le Code s'occupe ici non pas de la vente des reliques
mais de leur ostension dans des lieux publics autres que les églises.
L'assise au contraire ne s'occupe que du commerce des reliques.
Par contre c'est avec raison que l'assise, XXVII, De coniugiis
légitime celehrandis, a été rapprochée de la Novelle de Léon le
Philosophe relative au même objet '. Toutefois il faut noter que
l'assise ne reproduit ni la sanction ni les paroles de la Novelle.
Néanmoins le rapprochement entre les deux textes s'impose.
On sait en effet que jusqu'au concile de Trente la bénédiction
du prêtre n'était point une condition essentielle à la validité du
mariage -. Celui-ci était « un contrat purement consensuel
existant par le seul effet de la volonté des parties, indépendam-
ment de toute forme déterminée ». On possède le texte de l'un
de ces engagements civils qui date de la période lombarde -^ La
Novelle de Léon VI a été le premier acte législatif qui ait frappé
de nullité ces engagements purement civils '*. Bien que Justinien,
dans une de ses Novelles, ait paru incliner vers le droit adopté
plus tard par Léon VI, il semble bien qu'il faille admettre que
l'assise de Roger a été inspirée par la Novelle de Léon VI et non
point par celle de Justinien.
1. Nov. 89, Zacliariie a Lingenthal, Jus grœco-romanuin, t. III, p. IH'i ;
cf. Consl., III, 22, et La Mantia, op. cil., p. 83-84.
2. Viollet, Droit civil français, p. 424.
3. M.G.H. LL., t. IV, p. 605, cf. Viollet, op. cit., p. 425.
4. Cf. Viollet, op. cit., p. 426.
5. Cf. Nov. 74, 4, 1 éd. Schoell et Kroll, dans Corpus Juris civilis, t. III,
2« éd., Berlin, 1899, in-4o ; cf. WaMev, Lehrbuch des Kirchenrechts, p. 299,
et Viollet, op. cit., p. 426, note 2.
LES ASSISES xxm
On retrouve clans quelques-unes des assises d'autres traces de
l'influence du droit gréco-romain : c'est ainsi que la peine de
l'ablation du nez, prononcée dans divers cas, semble bien être
un emprunt fait à la lég^islation byzantine K Mais il faut remar-
quer ici que le législateur normand emprunte, en même temps, à
la législation de Justinien et à celle de ses successeurs. x\insi au
o
paragraphe 2 de l'assise XXVIII, la permission accordée au mari de
punir de l'ablation du nez la femme adultère, est inspirée quant à
la peine de la législation gréco-romaine, tandis que la prescription,
ordonnant de flageller la femme dans le cas où le mari n'userait
pas de son droit de châtiment, est évidemment empruntée à une
Novelle de Justinien "-.
Les législations justinienne et gréco-romaine n'ont point
d'ailleurs été les seules mises à contribution par le législateur nor-
mand et il faut reconnaître dans les Assises l'influence du droit
germanique, par exemple dans le droit de se faire justice soi-
même, droit accordé au mari qui surprend sa femme -K Notons,
toutefois, que le législateur normand parle avec mépris du droit
lombard '' et qu'il semble qu'une partie de la population de ses
1. Cf. Ecloffa, 27.
2. Novelle, CXVII, 14.
3. Ass., XXXI. Cf. rédil de Rotharis, 383, éd. Bluhme, M. G. H. LL.,
t. IV, p. 89. Voir la législation différente, dans le Digeste, XLVIII, "j, 22,
23, 24.
On retrouve une trace curieuse de cette loi dans la poésie populaire sici-
lienne comme le montre la pièce suivante publiée par Salomone Marino,
La atoria nei canfi populari sicilinni, dans Arch. s^lor. sicil., 1. 1, p. 142. On
voit qu'ici c'est à l'un des Guillaume qu'est attribuée l'assise en question :
Trâsinu li galeri 'ntra Palermu
E portu portu vannu viliannu :
Ora ch' è ncurunatu re Guggliiermu
Pri li donni infidili ha fattu un bannu ;
Voli ca ogni amanti stassi fermu,
Gnai a eu' un attenni asti cumanni !
Donni infidili di lu re Gugghiermu
Morti e galera amminazza lu bannu.
4. Cf. Ass., XXXIV, <. Pro sugçjestione populi nosirn regno suhjecti
atque supplicatinne, leguin suaruin ineptulndinem cognoscentes. >• L'assise
modifie l'édit de Rotharis, 383 et 388. Cf. Merkel, op. cit., p. 11, sur une
glose d'un manuscrit de la loi lombarde relative à l'assise de Roger.
XXIV INTRODUCTION
Etats témoig'nait peu d'empressement à admettre les prescriptions
d'un droit étranger '.
En résumé, le second groupe des assises parait former un
ensemble de constitutions originales. Dans quelques-unes d'entre
elles on retrouve la trace d influences étrangères, mais, malg'ré
cela, le législateur normand a fait une œuvre personnelle et ne
s'est pas contenté de copier ses modèles.
Il semble d'ailleurs que lui-même ait marcjuéla différence qu'il
établissait entre les diverses parties que composaient son œuvre
puisqu'il distingue dans le préambule entre les assises promulguées
par lui et celles qu'il a composées -. Evidemment les assises pro-
mulguées sont celles empruntées aux législations justinienne
gréco-romaine ou lombarde, tondis que les assises composées
forment son amvre personnelle.
Au point de vue de la forme on peut faire quelques remarques
sur celles des assises qui sont l'œuvre personnelle du législateur
normand. Tout d'abord elles sont en général beaucoup plus déve-
loppées que les assises empruntées à la législation justinienne ^.
Le style est loin d'avoir la concision et la fermeté que l'on remarque
chez les grands jurisconsultes de l'époque impériale. D'ordinaire
l'assise tlébute par un préambule présentant de grandes analogies
avec les préambules des diplômes royaux ^. Le législateur se
plaît à développer en quelques mots une idée générale se ratta-
chant plus ou moins au sujet qu'il va traiter; il aime également
à citer la Bible ■'. Comme dans les diplômes le souverain parle à
la première personne du pluriel ; il désigne l'acte législatif tantôt
par le mot lex, tantôt par le mot edictum. Notons encore que la
loi n'est pas ratifiée par un parlement et que l'autorité royale en
matière législative paraît s'exercer souverainement ''. Il faut enfin
1. Dans un grand nombre de privilèges accordés aux villes est stipulée
l'exemption du combat judiciaire, cf. Cod. clipl. Bar., t. V, p. 138.
2. « VoUiiniis... lit sanctiones... sive promiiU/atas a nohis, sive coniposilas
(a) nobis... recipiatis », éd. Brandileone, p. 95.
3. Cf. V. g. Ass., 1-1V,X1X. XXVII, et 9, 10, 11, U, 15.
4. Cf. Caspar, op. cit., p. 231 et suiv.
3. Id., p. 252.
6. Préambule, xissise, p. 95 : « Yolumus et jnbemus. . . [o proceres]... ut
sanctiones, qiias in presenti corpore sive proniulgatas a nohis sivecompositas
la) nohis facimus e.vhiheri, fideliter et alacriter recipiatis ».
LES ASSISES XXV
remarquer que les assises déclarent expressément que toutes les
coutumes et législations particulières subsistent, sauf celles qui
sont en contradiction avec les lois nouvellement promulguées '.
Aux assises telles que nous les font connaître le manuscrit du
Vatican, il convient d'ajouter les sept assises qui figurent seule-
ment dans le manuscrit du Mont-Cassin,puis les constitutions de
de Roger et de ses successeurs qui nous sont parvenues dans les
Constitutions de Frédéric II.
Parmi les sept assises du God. Cas., il faut, seml)le-t-il, rappro-
cher quelques phrases du titre 3o, De mordisonihus, sur les incen-
dies et l'interdiction de couper les arbres et les pieds de vigne
d'un passage du Digeste (XLVII, 7).
On a rapproché l'assise 37, du même manuscrit [De intesiatis)
d'une Novelle de Constantin Porphyrogénète '. M. La Mantia
repousse ce rapprochement, en se basant sur les ditférences qui
existent entre le texte de 1 assise, et ses dérivés (coutume de
Palerme et constitution de Guillaume ou de Frédéric II ■^) et le texte
de la Novelle •. Il semble bien toutefois que c'est à la Novelle que le
législateur normand emprunte la prescription de vendre un tiers
des biens de l'intestat en faveur des pauvres. La Novelle prévoit
seulement le cas où il n'y a pas d'enfants [yMpiq-xioMv) tandis que
l'assise ne tient pas compte de ce fait [sive filii ex eo existant sive
non). La constitution de Guillaume, au contraire, ne prescrit la
vente que dans le cas où il n'y a pas d'héritiers.
L assise 37 [De cxcessu prelatoriun et dominoriim) règle les
cas où les vassaux laïcs et ecclésiastiques du roi peuvent lever
l'aide sur leurs propres vassaux. Reproduite dans les Constitutions
[Const., m, 20, De adjutoriis exigendis ah hominihus) elle est
attribuée au roi Guillaume. L'assise 39 [Rescriptum pro clericis)
explique et commente l'assise X du God. Vat. Elle figure dans
les Constitutions [Const., lll^ 3); certains manuscrits l'attribuent
1. Ass., I, p. 90 : i< inoribiis, consueludinibiirt, legiljiis non cnsaalis pro
varietate populorum noalro regno siibjectoruni «.
2. Zachariœ a hingcnlhal, Jus greco romanuni, t. III, p. 276.
^. Cf. le texte de la coutume de Palerme dans La Mantia, Aniichc con-
saetudinidelle citlà de Sicilui, p. 188, cf. Conslit., I, 61.
4. La Mantia, Cenni s'orici, etc., p. 84.
XXVI INTRODUCTION
au roi Roger, d'autres au roi Guillaume. Les assises 33 (De fu-
gacibus), 34 [De seditionariis) et 36 [Que sit potestas justitiarii)
ne se retrouvent pas dans les Constitutions.
2" Autres textes législatifs. — Les Constitutions de Frédéric II
nous font connaître un certain nombre de lois promulo-uées par
les rois normands. A propos des assises du manuscrit du Vatican
nous avons indiqué les renvois axis. Constitutions de Frédéric 11.
Nous ne reviendrons pas ici sur ce sujet. Les lois attribuées au
roi Guillaume sans que nous sachions s'il s'agit de Guillaume P""
ou de Guillaume II sont les suivantes :
Const., I, 6, De usurariis puniendis (loi sans doute moti-
vée par les décisions des conciles réunis par Alexandre III qui
traitèrent de cette question).
Const., I, 21, De violentia meretricihus illata.
Const., I, 61, Dohane desecretis.
Const.^ I, 37 et 61, De officio rnagisfrorum camerariorum et
bajulorum.
Const., 1, 65, De officio bajulorum.
Const., I, 66, De fure capto per bajuluin justitiario assignando
cum re furtiva.
Const., I, 69, De juranientis non reniittendis a bajulis.
Const., I, 67, De niutuatione et recommendafione pecunie.
Const., I, 68, De clericis coniieniendis jjro possessionihus quas
non tenent ab ecclesia.
Const., I, 91, De officio castellanorurn et serventium.
Const., l, 45, Ubi clericus in maleficiis deheat convenire.
Const., I, 78, Ut justitiarius alio loco sui ordinare non possit.
Const. II, 28, De fide instrumentorum et testium.
Const., II, 37, Qualiter campiones tenentur pugnare.
Const., III, 3, De his c/ui dehent accedere ad ordinemclericatus.
Const., III, 13, De dotario constituendo in feudis et castris.
Con.s/.,III, M^, De Dotariis conslitnendis.
Const., III, 17, De fratribus obligantibus partem feudi pro
dotibus sororuni.
Const., III, 20, De adjutoriis exigendis ab hominibus.
Const., III, 31, De administratione rerum ecclesiasticarum posl
mortem prelatorum.
LES ANNALES XXVII
Const., III, 34, De servis et ancillis fugitivis.
Const., III, 35, De pecunia inventa, in rehus alicnis.
Const., III, 54, De furtis et latrociniis.
Const., III, 55, De animalihus in pasciiis affiJandis.
Const., III, 83, De adulteriis coercendis.
Il convient d'ajouter à ces constitutions deux règlements pro-
mulgués l'un par Roger, l'autre par Guillaume II. Le premier
règle le droit de succession dans une partie de la Calabre • ; le
second supprime dans toute l'étendue du domaine royal les droits
de péage (1187) -.
III. — SOURCES NARRATIVES
I. LES ANNALES.
Nous classerons les Annales de l'Italie méridionale sous les
rubriques suivantes : \° Annales de la Fouille, 2*' Annales de
Bénévent, 3" Annales du Mont Cassin, 4° Annales de la Gava,
5° Annales de Geccano.
1° Annales de la Polille.
Parmi les sources les plus importantes pour l'histoire de l'éta-
blissement des Normands en Italie, figure tout un groupe d'An-
nales rédigées dans la région de Bari et étroitement apparentées
les unes aux autres. Ge groupe comprend : 1° Les Annales
Barenses, qui s'étendent de l'année 605 à l'année 1043 '^ ; 2" Une
chronique pour laquelle les manuscrits ne fournissent pas de nom
d'auteur, mais qui, depuis le xyh"^ siècle, est attribuée à Lupus
1. Éd. Zacharia? aLirigenthal, Heiddherg Jahrhucher der Literatur (1841),
p. ^)!j4 et suiv. ; Capasso, Novella. di Ruçjçjiero re di Sicilia et di Purjlia pro-
mulgata in greco ed ora per la prima volta édita con la tradiizione lafina ed
alcune osservazioni, clans AIti delV Academia Pontaniana, t. IX (Naples,
1867;; Brïmiieck, Siciliens niittelalterliche Stadtrechte AiaWe, 1881), p. 240;
Brandileone, Frammenti di legislazione normanna e di giurisprudenza
hizantina nell' Italia méridionale, dans Atli délia Reale Academia dei Lincei,
Hendiconti, S. IV, II, 8 (I8861, p. 201 et suiv.
2. Éd. Minier! Riccio, op. cit.; Supl. I, pp. 20-21.
3. Annales Barenses anonynii, ab. an. 603-10i3, éd. dans les M.G.H.SS.,
t. V, p. 51 et suiv.
XXVIII INTRODUCTION
Protospatarius. L"ouvrag'e rédig-é en forme d'annales comprend
les années 803-1102 •; 3" YAnoni/mi harensis chronicon, qui va
do6e0kl0i3^.
Les rapports existants entre ces diverses chroniques ont été
étudiés par Pertz et Wilmans, et plus récemment pnr Hirsch '.
Ce dernier a distingué dans les Annales Barenses deux parties
Tune s'étendant jusqu'à Tannée 1027, l'autre comprenant les an-
nées 1035-1013. Il a montré que, pour la première partie, les
Annales Barenses dérivent d'anciennes annales de Bari, aujour-
d'hui perdues, niais utilisées également par Lupus Protospatarius
et l'Anonyme de Bari, ainsi que par le rédacteur des Annales
Beneventanl, I (rédaction de 788 à 1113) ^. En dehors de cette
source commune, Lupus Protospatarius a utilisé une Chroni'/ue
de Bénévent, connue également par les auteurs des Annales Bene-
ventanl I et II (cette deuxième rédaction s'étend de 7o9 à 1111).
Pour la seconde partie. Hirsch a montré •" que l'Anonyme de
Bari, les Annales Barenses et Lupus Protospatarius avaient uti-
lisé d'anciennes annales de Bari dont la rédaction s'étendait
jusqu'à l'année 1051. Ces annales perdues ont également été
connues et utilisées par Guillaume de Pouille. Enfin, pour les
années suivantes, le même auteur a établi que le rédacteur ano-
nyme de Bari avait vécu dans cette dernière ville et avait utilisé
ses renseignements personnels, tandis que Lupus Protospatarius
avait utilisé des annales de Matera et très probablement une
autre série d'annales, rédig-ées dans l'Italie méridionale par un
1. Lupus Pi-olospatarius Barensis, Rrruin in ror/no nmpolifnnn r/nd.irum
brève chronicon sire Annnles: i 8."Jo-l 1021, éd. dans los M.G.II.SS., t. V, p. '.')2
et suiv.
2. Anonymi Barensis chronicon |'8")5-Hl.)i, éd. Muratori, I^.I.SS., t. V,
p. 147 et suiv.
3. Pertz, M.G.n.SS., t. V, p. ol ; Wilmans, Ueber die Qiiellen (1er Gcsia
Roherti Wiscurdi des Gnillermus Apiiliensis, dans Portz, Archiv, t. V, p. il 1
et suiv. Hirsch, De Italiae inferioris annalibiis sn^ciili decim; et undeciini,
(Berlin, 1864i, in-8«, p. 3 et suiv.
4. Op. cit., p. 9. Sur les Annales Beneventani, éd. M.G.H.SS., t. 111,
p. 152, cf. Pertz, Archiv, t. IX, p. 1, et Weinreich, De conditione IlaUœ
inferioris Gregorio VII pont ifice (Kœnigsberg, 1864), in-8°, \) . 82.
5. Hirsch, op. cit.. p. 26 et suiv.
LES ANNALES XXIX
auteur contemporain des événements, dont l'œuvre a été connue
et employée par Romuald de Salerne.
Il faut remarquer que Lupus fait commencer l'année au l"'' sep-
tembre ainsi que le montre l'ordre dans lequel sont rangés les
dates de mois : ainsi à l'année 1042, il place d'abord les événe-
ments de septembre, puis ceux de décembre et février; à l'an-
née 104-3, les événements de septembre précèdent ceux d'octobre
et de février. On pourrait multiplier les exemples de ce g-enre ^.
Il faut rapprocher de ces diverses annales, le Chronicon brève
nornianicum (1041-1085) -. Celui-ci, comme l'indiquent les mots
qui le terminent, a été écrit, entre 1111 et 1127, sous le règne
du duc Guillaume, soit par un Normand soit par un partisan des
Normands-^. Pertz ^ et Wilmans ' croyaient que le Chronicon
brève avait en grande partie puisé ses renseignements dans
l'œuvre de Lupus Protospatarius. Hirsch a montré que les res-
semlilances entre les deux textes étaient plus apparentes que
réelles, qu'il y avait entre eux de nombreuses différences, et a
conclu que l'auteur avait beaucouji emprunté k des Annales de
Tarente aujourd'hui perdues ''. Le Chronicon brève normanicuin
est bien renseigné pour tout ce qui touche la Terre dOtrante et
la Pouille, mais ne sait presque rien des événements qui se sont
déroulés en dehors de ces rég'ions ''.
2° Annales de Bénévent. — On possède sous le nom d'An-
nales Beneventani une double série d'annales (I et II) qui rap-
1. Cf. Lupus Protospat., ad an. 1017, 1019, 1029, 10(39, 1081, etc.,
2. Edité dans Mui-alori, R.SS.,t. V, p . 278, sous le titre Chronicon
Northniannicum de rehtis in Japygiu el Apulia geslis contra Grœcos.
3. >' Succedil Roherfo Royerius filius eiiis pater Willernii lll diicis Apulise
f/iii niinc féliciter ducat iir . » Cf . Ilirsch, op. cit., p. 46.
4. M.G.H.SS., t. V, p. :i2.
ij. Pertz, Archiv., t. X, p. 117.
6. Op. cit., p. 45 elsuiv.
7. Guerrieri, Di una prohabile fahificazione entrata nella Raccoltu Mura-
toriana, Il brève (Chronicon norniannicuni dans VArchivio Muraloriano,
n° 2 (190.J), p. 65, se basant surtout sur le l'ait que Muratori avait connu le
Chronicon nornianicum, parCuonio, qui le tenait du célèbre faussaire Pol-
lidoro, croit que le Chronicon est un taux, mais il n'apporte aucun fait pré-
cis à l'appui de son hypothèse.
XXX LMUODLCTION
portent les événements des années 788 à 1182 '. Hirsch a mon-
tré que jusqu'en 1112, les rédacteurs de ces annales avaient
utilisé d'anciennes annales aujourd'hui perdues qui ont égale-
ment servi à Falcon de Bénévent. Les ^iniiales Beiicvenlani I
sont en rapports étroits avec les annales de Bari -.
3" Annales du Mont-Cassin. — Le Mont-Cassin a été un
centre important d'études historiques et nous possédons plusieurs
séries d'annales qui y ont été rédigées, mais les critiques sont
loin d'être d'accord au sujet de leur classification.
Hirsch a distinerué dans les Annales Casinenses ^ trois rédac-
tions, la première s'étend jusqu'en 1152, la seconde jusqu'en
IlOo, la troisième jusqu'en 1212 '. Le même auteur a cherché à
prouver que, pour la première rédaction, on avait utilisé d'an-
ciennes annales, aujourd'hui perdues, qui auraient également
servi aux rédacteurs des Annales Cavenses majores, des Annales
Cavenses minores, des Annales Casinates, ainsi qu'à Léon d'Ostie
et à Pierre Diacre. Par suite, les Annales Casinenses auraient
une réelle valeur pour les premières années du xu'" siècle.
Dans l'édition qu'il a donnée des Annales Casinenses dans les
M.G.H.SS., t. XIX, Pertz a distingué trois rédactions •', 1" une
rédaction du début xiT' siècle, allant jusqu'en 1111, et continuée
jusqu'à 1167. 2° une rédaction faite au temps d'Eugène III et
inspirée des Annales Cavenses, Cette rédaction s'étend jusqu'à
L152 ; elle aurait eu trois continuations, a) de 1153 à 1154, h) de
llo3 à 1182, c) de 1 182 à 1212. 3" une rédaction faite d'après la
deuxième avec continuation de I 183 à 1195.
1. Éd. clans M.G.H.SS., t. III, p. 173 et sr.iv.
2. Cf. Hirsch, op. cit., p. 9 et suiv. ; Weinreich, op. cit., p. 80 et suiv.
. Poupardiii, £'/(irfe.s .sur l'histoire des principautés lombardes de l'Italie méri-
dionale (Paris, 1907), 8°, pp. 13-l"j. Une troisième série d'Annales de Béné-
vent constitue un faux de Pratilli, cf. Kôpke, Pratills Codex der Annales
Beneventani dans ï'Archic de Pertz, t. IX, p. 1!)8.
3. Éd. Pertz, M.G.H.SS., t. XIX, p. 30o.
4. Hirscli, op. cil , p. 49 et suiv.
5. M.G.H.SS., t. XIX, p. 30.^ et suiv.; cf. Wattenhacli, Denfsrhlands
Geschichfsquellen, t. H, 6^ éd., p. 233 ; et Weinreich, De condilione Jtalise
inferioris Gre(jorio VII pontifice (Kœnigsberg, 18(34 , in-8", p. 84 et suiv.
LES CHROMMLES LATINKS XXXI
Si Ton adopte les conclusions de Pertz, qui paraissent les plus
vraisemblables, on voit que les Annales Casinenses n'ont pas
grande valeur pour le début du xi'' siècle. Hirsch a attaqué les
conclusions de Pertz et a maintenu celles qu'il avait précédem-
ment énoncées '.
4" Annales de la Gava "-. — Les Annales Cavenses écrites
en marge d'un manuscrit de Bède, comprennent deux parties, la
première de 06II à 1034 a été compilée à l'aide de tables pas-
cales, la deuxième de 1034 à 131o est formée par une série
d'annotations le plus souvent contemporaines des événements
mentionnés -K
5° Annales de Ceccano. — L'auteur, probablement originaire
de Ceccano, vivait à la fin du \n^ et au début du xiii'' siècle '* ;
son œuvre s'étend de l'an 1 à 1217. Pour le début du xi*^ siècle
il a utilisé les Annales Casinenses et les Annales Cavenses •^. A
partir de 1 106, les Annales Ceccanenses sont beaucoup plus
détaillées ; elles constituent une source importante, car pour beau-
coup des événements dont la région de Ceccano fut le théâtre,
nous ne sommes renseignés que par elles. A l'année 1192 est
insérée une violente diatribe contre Henri VI ^.
11. CHRONIQUES LATINES
1" Aimé du Mont-Cassin, Ystoire de li Xorniant. — On doit à
1. Hirsch, Ueher die Annalen von Monte Caasino, clans Forschunçjen zur
deuHchen Geschichte, t. VII (1867), p. 10.3 et suiv.
2. Éd. Pertz, M.G.II.SS., t. III, p. 185.
3. Weinreich, op. cit., pp. 84-86, Wattenbach, op. cit., t. II, p. 2.33.
Sur le Chronicon Cavense, édité par Pratilli, cf. Pertz et Kôpke, Ueher den
chronicon Cuveiiae und andere von Pralillo hrsijl). Quellenschriflen, dans
YArchiv de Pertz, t. IV, p. 1 et suiv.
4. Annales Ceccanenses ou Chronicon Fossse novœ , éd. Pertz, M.G.II.SS.,
t. XIX, p. 276 et suiv.
5. On a attribué la rédaction des Annales Ceccanenses à un certain Jean
de Ceccano: sur Terreur commise à ce sujet, cf. Capasso, Le fonti délia
storia délie provincie napoletane (Naples, 1902j, p. 72.
6. Cf. Ulmann, Ueher die angeJAichen Verfasser des Gedichtes in den
Annales Ceccanenses, dans \eues Archiv, t. I (1876), p. l'Jl.
XXXII INTRODUCTION
Aimé, évêque et moine au Mont-Gassin, une Histoire des Xor-
mands qui est une des sources les plus importantes pour l'his-
toire de la conquête '. Cet ouvrage ne nous est connu que par
une traduction française faite très probablement en Italie pour
le comte de Militrée -, à la fin du xiiT ou au commencement du
XI v"^ siècle.
Sur la personne d'Aimé, nous ne possédons qu'un très petit
nombre de renseig-nements. Pierre Diacre nous apprend qu'il
était évêque et moine du Mont-Cassin et qu'outre son Histoire
des Xoj^mands, il a composé un poème /)e gestis sanctorurn Pétri
et Pauli, dédié à Grégoire VII '. On a voulu à tort identiiîer
Aimé avec le personnage du même nom qui fut évêque d'Oloron,
archevêque de Bordeaux et légat de Grégoire VII ^. G est égale-
ment sans raison qu'on Ta confondu avec son homonyme qui
fut évêque de Nusco •'. Delarc a émis l'hypothèse qu'Aimé
avait été évêque sans diocèse et était toujours demeuré au Mont-
Gassin ''.
1. On possède deux éditions d'Aimé, toutes deux sont d'ailleurs défec-
tueuses : la première estde Champollion-Figeac, sous le titre de : L'Ysloire
de II Normanl et la Chronique île Robert Viscart par Aimé, moine du
Monl-Cassin (Paris, 183") , in-8 ; la seconde est de Tabbé Delarc : Yatoire de
li Normant par Aimé, évêque et moine au Mont-Cassin (Rouen, 1892),
in-S".
'2. On n"a proposé aucune identification satisfaisante pour cette localité.
3. Pierre Diacre, De viris illustrihua Casinem^ihus, dansMuratori R.I.SS.,
t. VI, p. 36 et Chronica monusterii Casinensis, dans M.G.Il.SS., t. VII, p.
728. Cf. Tosti, Storia delta hadia di Monte Cassino, t. I, pp. 418-419, et
Dûmmler, iVeues Archiv., t. IV, p. 180 et suiv.
4. Champollion-Figeac, op. cit., p. xl ; Histoire littéraire de la France, t.
IX, p. 226 ; Mabillon, Annales ordini sancti Benedicti, t. V, p. 239 ; Delarc,
op. cit., p. XI et suiv. .l'emprunte beaucoup à V Introduction placée par
Delarc en tète de son édition.
5. Cf. Delarc, op. cit., p. xv et suiv. De largumentation de Delarc il faut
retenir que la date de la mort d'Aimé du Mont-Cassin est le 1*"' mars, tan-
dis que l'évêque de Nusco est mort le 30 septembre ou le 31 août. La vie
d'Aimé, évêque de Nusco, telle que Delarc la reconstitue d'après les monu-
ments liturgiques, ne présente aucune valeur historicjue et ressemble à
bien d'autres vies de saints. Le testament de l'évoque de Nusco, attaqué
par Delarc, est authenti(jue comme la démontré Capasso, SulVautenticità
del testamento di S. Amato, vescovo di Xusco, dans Arch. st. napol., t. VI,
pp. 543-o50.
6. Delarc, op. cit., p. xxiii.
AIME DU MOM-CASSIN XXXlll
A quelle époque Aimé a-t-il rédigé son ouvrage ? Les nom-
breuses allusions, qui sont faites au début du premier livre aux
événements dont Gonstantinople et l'empire grec furent le
théâtre après la chute de Romain Diog-énès (1071), me paraissent
indiquer qu'Aimé n'a pas commencé à écrire avant 1074 ou 1075).
On a d'autre part remarqué qu'il mentionnait la mort de Richard
de Capoue (5 avril 1078) et faisait allusion aux projets de Guis-
card sur Gonstantinople, mais ne parlait pas de l'entrevue et de
la réconciliation de Grégoire VII et de Guiscard (juin 1080). Par
suite on peut vraisemblablement placer entre 1075 et 1080 la
rédaction de son œuvre '.
L'ouvrage est divisé en huit livres. Il débute par un résumé
très abrégé de l'histoire du peuple normand qui a quitté lîle de
Nora pour venir en France et en divers pays. Suit le récit des
exploits de quelques-uns des plus célèbres Normands, Guillaume
le Gonquérant, Robert Grispin, dont on connaît les aventures en
Espagne, en Italie et en Orient, Oursel de Bailleul qui faillit
monter sur le trône de Gonstantinople. Après avoir ainsi rattaché
à ces illustres héros les conquérants de Tltalie, Aimé aborde son
sujet. Nous ne ferons pas ici l'analyse de l'ouvrage, toutefois
nous ferons remarquer un des procédés de composition de l'au-
teur. Les véritables héros du livre d'Aimé sont Richard de
Capoue et Robert Guiscard. Aussi à partir du moment où ceux-
ci commencent à jouer le premier rôle, c'est autour de chacun
d'eux que le chroniqueur groupe les faits. De là, vient que
l'ordre chronologique n'est pas observé ; l'auteur raconte, par
exemple(l. IV, chap. 1 et suiv.) un certain nombre de faits se rappor-
tant à Guiscard, puis(/j6i(/. , c. 9 et suiv.) passe à Richard de Gapoue,
après quoi il revient à Guiscard et ainsi de suite. Ge procédé de
composition doit être retenu car, en n'y prêtant pas attention, on
risquerait de tomber dans des erreurs de chronologie.
Quelle valeur convient-il d'attribuer à l'œuvre de d'Aimé ?
Vivant auMont-Gassin, Aimé était placé admirablement pour être
bien renseigné. Pour la première période de l'histoire des Nor-
1. Weinreich, De condilione Italiae in fer loris Gregorio septiino pontifice
pp. 73-74, me paraît un peu trop retarder la date de la composition de l'ou-
vrage.
Histoire de la dominalion normande. — Chalandon. 3*
XXXIV IMRODLCTION
mands, alors que ceux-ci étaient au service des princes lombards,
Aimé a pu connaître la tradition du monastère relative à ces
événements; pour la période postérieure il a pu être renseig-né
par Didier qui joua alors un rôle considérable dans les événe-
ments. Les relations nombreuses que le Mont-Cassin entretenait
avec la Fouille ont pu lui permettre également de recueillir bien des
renseig^nements sur cette région. Enfin, pour les faits dont Aimé lui-
même a été contemporain, le Mont-Cassin devait être un centre
excellent d'informations. 11 semblerait donc apr/o/'i que la chro-
nique d'Aimé doive avoir une grande valeur. Dabord admise', cette
opinion a été àp rement combattue par llirscli -. L'arg-umenta-
tion de ce dernier a été rétorquée par Baist dont les conclusions
ont été adoptées par Dslarc. Sans entrer à nouveau dans le détail
de ces discussions et pour éviter d'inutiles redites, je me bornerai
à dire que je me range sans hésitation à l'opinion de ces deux
derniers auteurs, car le plus souvent quand nous pouvons le
contrôler. Aimé nous apparaît comme ayant été en général fort
bien renseigné. Aux preuves déjà données par Baist •^ et Delarc *
j'ajouterai la suivante : Aimé est le seul auteur de lltalie qui
expose avec clarté (VII, 2t). p. 297) que par trois fois l'empereur
de Gonstantinople a fait demander la main d'une tille de Guis-
card. Or, le fait des trois ambassades envoyées de Byzance est
confirmé par les lettres du basileus que l'on a retrouvées \
Malgré les attaques dont elle a été l'objet, la chronique
d'Aimé n'en demeure pas moins la meilleure source pour l'his-
toire de la conquête normande.
2° Léon Marsicaxls, Chronica monastcrii Casinensis. — Léon
Marsicanus appartenait à la famille des comtes des Marses ; entré
au Mont-Cassin, v. 1061. il y prit l'haliit et devint archiviste et
1. Cf. Giesebrecht, Geschichte der deulschen Kaiseizeit, t. II, 3*= éd.,
p. u7i, et t. III, 4"= éd., p. 1063.
2. Hirsch, Aiuatus von Monte Cassino und seine Geschichte der Xornian-
nen dans Forschunrjen zur d. Geschichte, t. VIII, p. 20.5 et suiv.
.3. Baist, Ziir Kritik der Norniannengeschichte des Arnalus von Monte Cas-
sino dans Forschunrjen zur d. Geschichte, t. XXIV, p. 275 et suiv.
4. Delarc, éd. d'Aimé, p. l et suiv.
0. Cf. infra, t. I, p. 260 et suiv.
PIERRE DIACRE XXXV
bibliothécaire. Vers 1101, il fut créé cardinal d'Ostie par
Pascal II ; il mourut après 1114 et avant 1118. Ami et familier
de Tabbé Didier, il a écrit sa Chronique ' à la demande de celui-ci
et la lui a dédiée. L'ouvrag-e a été commencé après 1098. On
possède le manuscrit original chargé d'additions et de corrections;
on peut distinguer deux rédactions ; la première s'étend de S29
à 10o7 ; la seconde fut continuée jusqu'à 1073 -. Dans cette deu-
xième rédaction, l'auteur a utilisé l'œuvre d'Aimé qu'il n'avait pas
connue précédemment et a complètement remanié toute la partie
de son ouvrage relative aux débuts de la conquête normande '•''.
Nous avons dit l'appoint important qu'Aimé avait fourni à
Léon d'Ostie ; en dehors de YYstoire de U No/'manf, l'auteur a
utilisé d'anciennes annales, des documents d'archives et des
renseignements oraux. Il a eu notamment sur les événements
dont la Fouille fut le théâtre des informations tout à fait indé-
pendantes de celles d'Aimé. Surtout bien informé, des faits de
l'histoire locale, l'ouvrage de Léon d'Ostie nous fournit, en outre,
d'importants renseignements sur l'histoire de la conquête nor-
mande.
Parmi les ouvrages de Léon d'Ostie il faut encore mentionner
la Xarratio de consccratione ecclesiarmn a Desiderio et Oderisio
in Monte^Cassino edificatariim ^, dont l'auteur a inséré une
partie dans sa Chronique.
3° Pierre Diacre •*. —L'ouvrage de Léon d'Ostie a été continué
depuis le chapitre 35 du livre III, par Pierre Diacre dont le
récit s'étend jusqu'à 1139. L'auteur a, en outre, rejDris certaines
parties du récit de Léon d'Ostie ''. Pierre Diacre appartenait à
1. Éd. Wattenbach, dans M.G.H.SS., t. VII, p. :i74 et suiv.
2. Cf. Wattenbach, Deutschlands Geschichts(juellen, t. II, 6^ éd., p. 235
et suiv.
3. On trouvera dans l'Introduction de Delarc à l'édition de YYstoire de
li Normant, p. lxvi et suiv., l'indication de tous les passages d'Aimé qui
ont passé dans l'œuvre de Léon d'Ostie.
4. Éd. Muratori, R.I.SS., t. V, p. 76 et suiv., et Migne, P.L., t. CLXXIII,
p. 997 et suiv.
5. Éd. Wattenbach, M.G.H.SS., t. VII, p. 727 et suiv.
6. Piei-re Diacre a utilisé pour cela le récit d'Aimé, cf. Delarc, éd. de
YYstoire de li Normant, p. lxx.
XXXVI INTRODUCTION
la famille des comtes de Tusculum ; il entra au Mont-Cassin,
vers 1115, et devint bibliothécaire et archiviste de labbaye. Ami
de Tabbé Renaud, auquel il dédia le livre IV de son œuvre,
Pierre Diacre joua un rôle important dans les événements qui se
passèrent lors de la venue de Lothaire, en 1137. A juste titre,
Pierre Diacre jouit d'une détestable réputation ; il a profité de
sa situation pour fabriquer de faux diplômes en faveur des moines
de labbaye, et raconte les événements dune façon fantaisiste '.
A même par sa situation d être bien informé, Pierre Diacre a
plus d'une fois travesti la vérité. Très inférieur à Léon d'Ostie,
il ne mérite souvent qu'une créance médiocre -.
i° Geoffroi Malaterra, Historia sicula •\ — Geoffroi Mala-
terra est l'auteur de \ Historia sicula, qu'il a dédiée à Anchier,
évêque de Catane. Il résulte de l'épître dédicatoire que l'auteur
était étranger à l'Italie ; à la manière dont il parle des Normands
à diverses reprises, on peut conclure que lui-même était origi-
naire de Normandie. Après être demeuré quelque temps en
Pouille, Geoll'roi passa en Sicile ; il explique, en effet, que si
l'on peut relever des erreurs dans son œuvre, cela tient. à ce qu'il
est un Apulien et un Sicilien de fraîche date. L'ouvrage a été
écrit à la demande du comte Roger, qui a prié l'auteur d'écrire non
pas un poème mais une relation claire et précise de la conquête
de la Sicile. Toutefois, certaines parties de l'œuvre sont en vers.
Comme sources, l'auteur a surtout utilisé les renseignements
oraux qui lui ont été communiqués par le comte de Sicile et par
ceux des Normands qui ont pris part à la conquête de l'ile. En
outre, il a vraisemblablement eu à sa disposition quelques sources
écrites où étaient racontées les aventures des premiers conqué-
rants ''. Geoffroi était donc à même d'être très bien renseigné. Mais
ici le contrôle est difficile, car, pour la plupart des faits qu'il
raconte, il est notre source unique ; sans lui nous ne posséderions
i. Cf. Wattenbach, Deutschlands Geschichtsquellen, t. II, p. 230.
2. Cî.Infra, t. II, pp. 70-71.
3. Ed. Muratori, R.I.SS., t. V, p. o47 et suiv.
4. Cf. Infra, p. xxxviii.
1
GEOFFROI MALATERRA XXXVII
presque aucun détail sur les guerres soutenues en Sicile par les
conquérants normands.
Geoffroi a voulu écrire une biographie du comte Roger ; c'est
celui-ci qui est le héros principal autour duquel se groupent les
événements. L'ouvrage débute par un résumé sommaire de l'his-
toire de Rollon, puis aussitôt commence celle de la famille de
Hauteville, Jusqu'à la date de 1038, l'œuvre est assez confuse,
très sommaire et sans aucune indication chronologique. A partir
du moment où Roger est en Sicile, il n'est plus question que de
lui et de ses exploits ; tout l'ouvrage lui est consacré, sauf une
assez longue digression relative à la compagne de Robert Guiscard
en Grèce. L'œuvre se termine à l'année 1099.
Le principal reproche que l'on puisse faire à Geoffroi est une
tendance marquée au panégyrique. Le comte de Sicile et les
Normands ont toutes les vertus ; ils sont toujours vainqueurs et
malgré leur petit nombi^e ils mettent en déroute d'innombrables
armées musulmanes K Malgré ce défaut l'ouvrage n'en demeure
pas moins une source de premier ordre. Heinemann a montré
que Malaterra commençait l'année au 1" janvier -.
L'ouvrage a été continué jusqu'en 1265, mais cet appendice
est très sommaire et constitue plutôt des annales qu'une chro-
nique.
3" Anonymus Vaticaxus. — UAnonymi Vaficani historia Siciila
ou Chronica Roherti Guiscardi et f rat ru m ac Rogerii comitis
Mileto est un ouvrage latin racontant l'histoire des conquêtes
normandes dans l'Italie méridionale et en Sicile jusqu'en 1091,
et rédigé sous le règne de Roger II •^. A cette rédaction primitive
on a ajouté un résumé de l'histoire de Sicile jusqu'en 1282.
L'Anon^-me du Vatican a été publié par Caruso et Muratori '*.
En 1833, Champollion-Figeac, sous le titre de Chronique de
i. Cf. Infra, t. I, p. 327 et suiv.
2. Heinemann, Geschichte der Normannen, t. I, pp. 373-376.
3. Cf. une allusion à la monarchie, éd. Muratori, R.I. SS., t. VIII, p. 754.
4. Caruso, Bihliotheca hist. regni Siciliae, t. Il (1723i, p. 827 et suiv.,
Muratori, R.I.SS., t. VIII, p. 745 et suiv.
XXXVHl INTRODICTION
Robert Viscart et de ses frères, en a publié, en appendice ' à
son édition d'Aimé, une traduction française de la fin du xiii"" siècle.
Çhanipollion-Fig-eac a prétendu établir que cet ouvrage était
l'œuvre d'Aimé du Mont-Cassin, Wilmans ~ a combattu cette
opinion que nul ne songe plus à défendre et a voulu montrer
que l'Anonyme du Vatican n'avait fait qu'abréger la Chronique
de Geotfroi Malaterra. Delarc a adopté les conclusions de Wil-
mans •^; depuis lors, celles-ci ont été combattues par Heskel '♦. Ce
dernier de la comparaison du texte de l'Anonyme du Vatican
avec Malaterra conclut que le texte du premier est indépendant
de celui du second. D'après lui les deux auteurs se seraient
inspirés des mêmes sources ; de là viendraient les quelques
ressemblances que l'on peut relever entre les deux ouvrages.
L'Anonyme et Malaterra auraient eu entre les mains deux
ouvrages relatifs aux expéditions des Normands en Italie ; l'un
aurait contenu le récit des événements depuis l'apparition des
Normands en Italie jusqu'à la mort d'Onfroi ; l'autre aurait été
plus particulièrement une histoire de Robert Guiscard et de
Roger et se serait terminé vers 1090 ou 1091 ^ La thèse de
Heskel, très ingénieusement établie, me paraît fort juste et
j'adopte ses conclusions. Contrairement à l'opinion de Wilmans,
l'Anonyme du Vatican a donc une certaine valeur, c'est une
source utile qui complète sur quelques points les renseignements
de Malaterra ''.
6° Guillaume de Poujlle, Gesta Roherti Wiscardi. — On
doit à Guillaume de Fouille un poème épique en cinq livres :
1. Champollion-Fig-oac, L'I's/o/re de H Xormant, p. 263 et siiiv. ; cf.
Ibid., p. i.xxii et suiv.
2. Wilmans, ht Anuitiis von Monte dassino der Verfasser der Chronica
Roberti Biscardi? dans VArchiv. de Pertz, l. X, p. 122 et suiv. Cette oi)inion
avait déjà été émise par Wilken, Reruni ab Alexio I, Joanne, Manuels et
Alexio II, Conimenis Geatariun lib. IV, p. xxvii.
3. Delarc, Ystoire de II Normant, p. xxxvii et suiv.
4. Heskel, Die Hisloria Siciila des Anonynius Vaticaniia und des Gaufre-
dus Malaterra. In. diss. Kiel, 1891), in-8".
D. Loc. cit., p. 80 et suiv.
6. Cf. Amari, Storia dei Musiilniani, t. III, p. 100, note 2.
GUILLALMF-: DK POllLLE XXXIX
Historicum poema epicum de rehus Normannorum in Sicilia,
Apulia et Calahria gestis \ ou Gesta Roberti ^ iscardi, écrit à
la demande d'Urbain II, et dédié au duc Roger. L'ouvraj^e n'a
vraisemblablement pas été commencé avant 1090 ; en effet,
l'auteur parle du prince Richard de Capoue -, qui régna de 1090
à 1106; d'autre part, comme ailleurs, il est fait allusion à la
prise de Jérusalem l 15 juillet 1099) •^, l'œuvre n'était certainement
pas terminée à cette date. Elle était finie avant 1111, date de
la mort du duc Roger à qui elle est dédiée.
On ne sait rien de la personne de l'auteur ; il semble qu'il
n'était pas Normand car, plusieurs fois, il raille l'avarice des
conquérants. Peut-être était-il originaire de Giovenazzo, dont, à
diverses reprises, il fait l'éloge ''.
L'ouvrage est divisé en cinq chants dont le dernier se termine
à la mort de Guiscard ; l'auteur raconte toutefois le retour de
Roger et de l'armée en Italie.
Hirsch a montré que, dans les deux premiers livres de son
poème, Guillaume avait, pour les événements des années 1009-
lOol, utilisé d'anciennes Annales de Bari qui ont également
servi à Lupus "'. Pour le récit de la bataille de Civitate, il aurait
eu également entre les mains une source aujourd'hui perdue ''.
On a voulu établir que Guillaume avait connu et utilisé l'œuvre
d'Aimé. Les rapprochements que l'on a établis sont loin d'être
convaincants, et je me range à lavis de Hirsch et de Delarc qui
regardent ces deux sources comme indépendantes '. Enfin il
semble bien que, pour le récit de la compagnie de Guiscard en
i. Éd. Wilmans, dans M.G.H.5S., t. IX, p. 241 et suiv. Cf. la Préface de
l'éditeur et hl., Ueher die Quellen der Gesta Boherti Wiscardi des Guiller-
inus Apuliensis dans VArchiv. de Peiiz, t. X, p. 87 et suiv.
2. G. Ap., II, V. 179, dans M.G.Il.SS., t. IX, p. 2ir,.
3. Cf. La préface de Wilmans, M.G.Il.SS., t IX, p. 239.
4. Wilmans, Préface, loc. cit.
5. Hirscli, op. cit., p. 29 et suiv.; Wilmans, Ueher die Quellen, p. 117.
6. Hirsch, op. cit., p. 37.
7. Champollion Figeac, éditeur d'Aimé, p. i.xvi et suiv. ; Wilmans, op. cit ,
p. 117 et suiv., cf. Hirsch, Amatus von Mo'ile Cassino und seine Geschichte
der Nonnannen, dans Forschunc/en, t. VIII, p. 222 et suiv. ; Delarc, éd.
d^4/;?ié, p. Lix.
XL INTRODUCTION
Grèce, Guillaume a eu entre les mains l'œuvre d'un certain Jean
de Bari, qui a été également utilisée par Anne Commène '.
Guillaume est surtout bien informée des événements dont la
Fouille a été le théâtre ; il ne sait pas grand'chose sur les événe-
ments qui se sont passés dans la région de Capoue ou en Sicile.
Aussi, de tous les faits qui se sont déroulés en Sicile, il ne donne
quelques détails que sur le siège de Palerme. En général l'auteur
est très bref pour tout ce qui ne touche pas la Fouille. C est
grâce à lui que nous connaissons avec détail non seulement la
conquête normande, mais aussi la manière dont Robert Guiscard
est arrivé à imposer son autorité et à réunir en un seul Etat les
diverses petites principautés fondées parles Normands.
L'œuvre est écrite en vers élégants, en un latin correct 2.
Quand on la compare aux parties en vers de la chronique de
Malaterra, 1 avantage n'est pas à ce dernier auteur.
7° Ghroxicon Casauriense. — Cet ouvrage a été composé, à la
fin du xii'' siècle, sur l'ordre de Léonard, abbé de Saint-Clément
de Gasauria, par un moine Jean; il s'étend de 866 à 1182'^
L'auteur a eu à sa disposition de nombreux diplômes dont il a
en général tiré bon parti. Son œuvre est très importante, car elle
constitue l'une des rares sources que nous possédons pour l'his-
toire de la conquête de la région des Abruzzes. Four la première
période, l'auteur s'est fait l'écho des haines qu'avaient soulevées
les Normands auxquels il est nettement hostile. Dans la dernière
partie, il y a encore une certaine animosité contre les seigneurs
normands qui pillent les biens du monastère, mais l'auteur est
favorable aux souverains normands qui s'efforcent de rétablir
l'ordre. De nombreux diplômes ont été insérés dans l'ouvrage.
8° CiiKO.Mco.N SANCTi Bartholomeide Carpineto '* (962-1159).- —
1. Wilmanns, op. cit., p 87 et suiv.
2. Id., Préface, loc. cil.
3. Éd. dans Muratori, R.I.S.S., t. II, 2, p. 775. Cf. Bindi, S. Clémente a
Casauria e il nuo codice miniatn esistente nella bihlioteca Nazionale di Paugi
(Naples, 188.")), et Capasso, op. cit., p. 74.
4. Éd. Ughelli. op. cit., t. X, 2, p. 349. Cf. Capasso, Un nis délia cronica
di S Ba'-fh()l(jni"o, dans f.e fonti délia sforia, etc., Append. I, p. 227 et suiv.
FALCON DE BÉ>'ÉVENT XLI
Cet ouvrage est l'œuvre d'un moine, Alexandre, qui écrivait
vers la fin du xii"^ siècle ; il a été publié d'une façon incomplète
par Ughelli. Comme la précédente, cette chronique tire sa prin-
cipale importance des renseignements qu'elle nous fournit sur la
région des Abruzzes. Pour la période qui nous occupe, l'auteur
paraît avoir eu entre les mains des sources écrites, il a notam-
ment copié des passages entiers de Guillaume de Fouille •.
L'œuvre n'est détaillée que dans la dernière partie. L'auteur a
eu entre les mains de nombreuses pièces d'archives dont sou-
vent il fait une sommaire analyse. Comme tendance générale,
l'auteur, contrairement au précédent, est nettement favorable aux
conquérants et fait léloge d'Hugues Maumouzet que le Chroni-
con Casaiiriense attaque avec àpreté.
9° Chronicon Amalfitaxum ~. — Weinreich a établi que l'on
devait dans cet ouvrage distinguer trois parties. La première
s'étend de 747 à 974, la deuxième jusqu'à la mort de Guiscard,
la troisième est formée par une série d'additions relatives à
l'église d'Amalfi jusqu'à 1294 ■^. Nous n'avons donc à nous occu-
per que de la seconde partie. Hirsch a montré que l'auteur du
Chronicon avait utilisé un ouvrage, connu également par
Romuald de Salerne *, et qui perdu aujourd'hui avait été com-
posé dans les premières années du xii® siècle par un auteur qui
n'avait pas eu de sources autres que la tradition. De là la diffé-
rence qui existe entre la partie de l'œuvre relative aux événe-
ments les plus anciens et celle où sont rapportés les événements
de la fin du xi<^ siècle.
10° Falcon de Bénévent. — Falcon de Bénévent est l'auteur
d'une des chroniques les plus importantes pour l'histoire des
1. Chr. sancti Bartholomei de Carpineto, p. 3.j8 ; rauteur parle de
Mélès : « more grœcorum vestihus indulum », cf. Guillaume de Fouille, I,
V. 13-14:
« II)i queindain consj)icientes
More virain i/raico i^estiliini, noinine Meluni. »
2. Ed. MuraLori, Antiquilates Italicœ, t. I, p. 207 et suiv.
3. Weinreich, op. cit., p. 76 et suiv.
4. Hirsch, op. cit., p. 60 et suiv.
XLll INTRODLCTION
Normands en Italie (Chronicon de rehus aetate sua gestis ^). Il
appartenait probablement à une famille importante de Béné-
vent. On trouve en effet mentionné un P'alcon, juge, dans divers
documents depuis l'année 1021 "^. Nous ne connaissons que d'une
façon très imparfaite la biographie de l'auteur de la chronique.
Nous savons seulement qu'il était notaire et scribe du sacré
Palais de Bénévent 'K En cette dernière qualité, il devait sans
doute être l'un des subordonnés du comte du Palais, dont la
charge sidjsista à Bénévent au moins jusqu'en 1137 '. En 1133,
Falcon fut nommé juge de la ville par le cardinal Gérard et vit
sa nomination ratifiée par Innocent II ''. Le parti qui avait porté
Falcon au pouvoir ne tarda pas à être chassé ; Falcon lui-même
fut exilé, sans doute en 1 134 ; il ne rentra à Bénévent qu'en 1 1 37 *>.
Sur les dernières années de sa vie, notre ignorance est com-
plète. J'ai relevé aux Archives de 1 Orphelinat de Bénévent la
signature d'un Falcon, juge sur un acte privé de 1142^. Il
s'agit très probablement de notre personnage. Par contre il me
paraît difficile que ce soit le même personnage qui souscrive
avec la même qualité un acte, en 1 181 ^.
Falcon n'a pas rédigé sa chronique au jour le jour ; il a écrit
à une époque assez tardive. En effet, à l'année 1130, après avoir
dit que Roger II reçut la couronne des mains du prince Robert
de Capoue, il fait une allusion évidente à la confiscation de la
principauté par le roi de Sicile ^. Il semble même qu'une partie
de l'ouvrage a été rédigée après la mort de Roger II '■'.
\. Les principales éditions de Falcon sont les suivantes : Caruso, Biblio-
theca hist. regni Sicilia:, t. I, p. 302 et suiv. ; Muratori, R.I SS. , t. V, p. 82 et
suiv. ;Del Re, op. cit., t. I,p. 161 et suiv.; Migne. P. L., t. CLXXIII.p. 1149
et suiv. Toutes ces éditions dérivent dune copie faite au xvi'^ siècle sur un
ancien manuscrit. Cf., à ce sujet, Capasso, Le fonti, etc., p. "1, note 1.
2. Archives de TOrfanotroûo de Bénévent, registre, n" 28, 1° il, r°.
3. Falco Benev., ad. an. 1133, p. 218.
4. /(/., p. 231.
5. /(/., p. 218.
6. « Ita prediclus Falro index, et Falco aJjljatifi FaIconii< et Saductus, etc.,
qui per triennuni exules fueraniiis » Id., p. 231. Cf. Id., p. 227.
7. Archives de TOrfanotrofio de Bénévent, registre n° 13, f° 7. Cf. Bor-
gia, ^l/emorte istoriche délia ponlificià ciltà di Beiievento, t. II, p. 100.
8. Archives de rOrfanotrofio de Bénévent, registre, n° 13, f° 30.
9. f( Princeps... coronani in capite eiiis posuit, cui non diç/nani rctrihu-
tioneni impendit », Falco, p. 202.
10. Falcon parle de Roger II « execrandae menioriae », p. 223, ceci a été
certainement écrit après la mort de Roger II (H54).
FALCON DK BENEVENT XLllI
L'intérêt éminent que présente cette œuvre provient de ce
qu'elle est la seule parmi toutes celles que nous possédons, qui
ait été écrite par un adversaire des Normands K Tandis que la
plupart des autres chroniqueurs célèbrent à l'envi les qualités
de leurs héros, Falcon nous donne l'opinion des Lombards sur
les conquérants normands. Il est l'écho du sentiment national
de ses compatriotes. Nettement hostile aux Normands qu'il
déteste -, il nous montre, pour ainsi dire, l'envers de la conquête.
Pour lui, Rog-er II est un abominable tyran •^, ses sympathies
vont seulement à Rainolf parce que ce dernier s'est allié aux
Lombards de Bénévent pour tenter de repousser le roi de Sicile.
Dans son ouvrage, Falcon a adopté la forme annalistique,
bien qu'il n'ait pas inscrit les événements au jour le jour. Sa
chronique, dans l'état où elle nous est parvenue, commence en
1102, et finit en 1 139 ; elle ne nous a point été conservée intacte;
elle s'ouvre, en elfet, au milieu du récit d'une émeute des gens
de Bénévent soulevés contre leur archevêque et se termine sur le
récit inachevé du siège deNaples. Jusqu'à l'année 1 1 12, la chro-
nique est très brève ; il semble que Falcon se soit contenté de
reproduire des annales antérieures. C'est à partir de 1112 que
l'œuvre présente un caractère original.
Falcon a surtout raconté l'histoire de sa ville natale, pendant
près de quarante ans ; mais comme il se trouve que, pendant
cette période, Bénévent a joué un rôle politique important dans
les événements dont l'Italie méridionale était le théâtre, l'auteur
a été amené à parler d'un grand nombre de faits intéressant
plus l'histoire générale que l'histoire locale. Toutefois ce sont
les faits locaux qui intéressent le plus le rédacteur de la chro-
nique qui se montre très fier de sa ville natale ^. Non seulement
il nous fait assister aux luttes politiques ardentes qui divisent
la population de Bénévent, nous donnant ainsi un curieux
tableau de la vie municipale au début du xn'' siècle, mais encore
1. Capasso, op. cit., p. 71, a signalé ce caractèi'o particulier.
2. Falco Benev., pp. 219, 221, 222, 223, 224, 225. « Melius est mori in
hello quitin indere mala gentis nostrae », p. 226.
3. /(/., pp. 219, 223.
4. hl., p. 234.
LIV liNTRODUCTlON
il inscrit soigneusement tous les petits faits ne présentant qu'un
intérêt purement local. La mort des notables de la ville, laïcs ou
ecclésiastiques, les nominations, les parentés, la découverte de
reliques, les procès entre communautés religieuses, les miracles,
les sécheresses, les inondations, les cérémonies publiques, tout
cela est raconté avec détails, on sent que l'auteur parle de per-
sonnes ou de choses qui l'intéressent au moins autant que les
grands faits politiques ' .
Quelque intérêt que présente à ce point de vue particulier la
chronique de Falcon, ce n'est point là ce qui en fait pour nous
un document d'importance capitale. Mais, à côté de ces faits
locaux, l'auteur a été amené à parler des grands événements
politiques qui se sont déroulés autour de lui. A ce point de vue,
la valeur de sa chronique est très variable. Jusqu'en 1112, Falcon
a utilisé des annales de Bénévent ; cette première partie de sa
chronique est très brève. A partir de 1113, Falcon - est admira-
blement renseigné sur tous les faits qui se sont produits dans le
voisinage de Bénévent ; le plus souvent il a été témoin oculaire
et nous fournit un grand nombre de détails du plus haut inté-
rêt. Quand il n'a pas connu directement les faits, Falcon a
apporté à se renseigner un très grand soin. Par ses fonctions il
a été à même de connaître beaucoup de choses ; il a eu entre
les mains des documents d'archives qu'il a utilisés, les reprodui-
sant soit en partie, soit dans leur teneur intégrale -K II s'est ingé-
nié à se procurer des renseignements de témoins oculaires, et
s'est adressé, semble-t-il, à des gens de tous les partis ^. Pour
tout ce qui concerne la politique pontificale, Falcon est très bien
informé, même quand il s'agit de faits qui se sont passés au
loin. Vraisemblablement il a dû puiser ses informations auprès
des personnages de la cour pontificale avec lesquels il a été en
rapport. De même, il semble qu'il se soit enquis de certains faits
auprès de personnes entourant Roger II '. D'une manière géné-
1. Falco Benev., pp. 180, 181, 184.
2. Cf. Hiisch, op. cit., p. 9.
3. Falco Benev., pp. 235, 237, 249.
4. Ici., pp. 164, 195,220, 223.
5. Id., p. 213 (I Rêvera sicut ex ore narrantiuni, qui interfuerunt, audivi-
mus ».
FALCON DE BENEVENT XLV
raie, on peut dire que pour tout ce qui concerne Rome, Capoue,
Salerne, Falcon, est très bien renseigné.
En ce qui concerne la Fouille, son information est en général
beaucoup plus concise, sauf pour la campagne de Roger II, en
1139, dont il donne un récit très détaillé. Toutefois, malgré sa
brièveté, Falcon est en général très exact pour tous les événe-
ments de Fouille. Far contre, sur la Calabre et la Sicile il ne sait
presque rien.
A côté des choses qu'il a ignorées, Falcon s'est tu volontaire-
ment sur un grand nombre de faits. Il est très difficile, sinon
impossible, de voir quel a été son rôle dans les affaires inté-
rieures de Bénévent. On aperçoit bien que Falcon appartient au
parti hostile aux Normands, parti qui cherche à s'appuyer sur
Innocent II, mais il est impossible de connaître exactement les
faits. Ainsi Falcon raconte qu'il revient d'exil au bout de trois
ans, mais ne dit pas dans quelles conditions et à la suite de
quels événements il a dû quitter la ville. De même il se tait sur
les motifs qui ont décidé les gens de Bénévent à abandonner le
parti de l'empereur pour revenir à celui de Roger II. Ce silence
est certainement volontaire, l'auteur a dû se taire non par crainte
des Normands, les qualificatifs sévères qu'il prodigue à Roger II
l'indiquent suffisamment, mais plutôt par crainte des haines
locales.
Au point de vue littéraire, l'œuvre de Falcon présente une
réelle valeur. L'auteur sait faire vivre les personnages qu'il met
en scène • ; il abuse sans doute des discours qu'il invente de
toutes pièces, mais certaines scènes sont fort animées et pleines
de vie '. Il excelle à décrire les processions solennelles ou les
grandes cérémonies religieuses •^. Sa description de l'entrée de
Calixte II à Bénévent est fort réussie ^. Il a un talent réel pour
faire vivre et agir toute une foule ' et sait en deux mots donner
i. Falco Benev., pp. 171, 198.
2. W.,pp. 170, 178.
3. Id., pp. 178, 189.
4. Id., p. 181.
b. /J.,pp. 192,210, 226, 334.
XL VI INTRODUCTION
k la scène qu'il décrit son caractère particulier. On peut lui
reprocher d'interpeller trop fréquemment et en ternies peu
variés son lecteur ', mais c'est là un faible défaut à côté des
excellentes paires que contient son œu\re.
Il faut noter que Falcon de Bénévent a un mode particulier
de compter les Kalendes. Chez lui le premier jour des Kalendes
est non le premier jour du mois, mais le dernier du mois précé-
dent •'.
11° Chkonica Ferrariensis. — Il convient de rapprocher de
l'œuvre de Falcon de Bénévent l'ouvrage suivant écrit probable-
ment au début du xiii'" siècle : Ignoti momichi cisfercicnsis Sanc-
tae Mariac de Ferraria chronica -K Cette chronique s'étend de
681 k 1228. Jusqu'aux événements de la fin du xr siècle, l'ouvrage
ne fournit que des renseignements sans grande valeur. 11 n'en
est pas de même pour la période suivante. L'éditeur avait déjà
aperçu les rapprochements qui doivent être établis entre cette
œuvre et celle de Falcon pour les années 1 103-1 140 K Depuis lors,
K. Kehr a montré que l'auteur de la Chronique de Ferrare avait
utilisé, pour les années 1099-1 103 et 1 1 iO-1 1 49, une rédaction de la
Chronique de Falcon plus complète que celle que nous possé-
dons •'. Pour les années 11 i0-ili9, la Chronique de Ferrare est
donc une source très importante, elle nous fournit des renseigne-
ments nombreux sur les rapports de Roger II avec la papauté.
Pour la dernière partie du xi'' siècle, le rédacteur de la Chronique
1. FalcoBenev., pp. 172,179, 181, 189,etc.Ona voulu tirerdocertainesex-
pressions (v. g. : « sivestraeplacuerit charitati », p. 176i qui reviennent assez
fréquemment chez Falcon la conclusion qu'il était clerc. On ne peut rien
affirmer à cet égard cf. del Re, op. cit., t. 1, j). 159.
2. Cf. Weinreich, op. cit., p. 91.
3. Éd. Gaudenzi, Ignoti monachi Cisterciensis S. Mariae de Ferraria chro-
nica et Biccardi de Sancto Germano chronica priora, dans les Monumenta,
hist., édités par la Società napoletana di Storia palria, Série I, Chronache
(Naples, 1888;, in-f°.
4. Op. cit., p. 4 et lo note.
"i. K. Kehr, op. cit., dans Neues Archiv., l. XXVIl, p. i'.ï.i et suiv. Il a
appuyé sa démonstration sur certaines parlicularilés du style de P'alcon,
notamment sur l'expression très fréquente « Quid niulta », que l'on retrouve
également dans la Chronique de Ferrare.
ALEXANUKE DE TELESE XL VII
de Ferrure a eu entre les mains des sources beaucoup moins
bonnes. Il semble qu'il a connu la Chronique de liomuald et
de Salerne, mais il y a ajouté des renseignements puisés à
des sources mauvaises. Pour ce qui regarde la Sicile il est assez
mal informé, c'est ainsi qu'il fait d'Etienne du Perche un
espag"nol. Il paraît ])ien que le plus souvent l'auteur s'est borné à
recueillir la tradition populaire '.
12° Cromcon Sancti Stefam. — Le Chronieum reruni memo-
rabilium monasterii S. Stephani proiomarti/ris ad riviun maris
scriptuni a Rolando niondcho qui vivebat A, D. 1185, ne fournit
guère que des renseignements relatifs à l'histoire locale. Son
authenticité a été combattue par Schipa, avec raison semble-t-il ;
toutefois depuis lors, M. P. Kehr a indiqué qu'il y avait une
certaine correspondance entre les renseig'nements donnés par le
Chronicon et ceux que nous fournissent les actes -.
13" Alexandre de Telese. — On doit à Alexandre, abbé du
monastère de San Salvatore, près de Telese, le De rehus yestis
Bof/erii Siciliae régis. L'ouvrag-e n'est pas terminé et s'arrête
brusquement en 1130 '^ Gomme, en 114i, on trouve, comme abbé
de Telese, un certain Etienne, qui était prieur au temps
d'Alexandre ', on en a conclu que ce dernier n'avait point ter-
miné son œuvre et que la mort l'avait interrompu dans sa tâche.
Il me semble difficile d'admettre cette opinion. En effet, l'œuvre
d'Alexandre est accompagnée d'une longue épître dédicatoire
adressée à Roger II '. Celle-ci paraît tout à fait indépendante de
1. Cf. Chr. F('i\, ]). 21», ce que l'auteur raconte sui' Maion, sur la perte de
l'Afrique. Les détails fournis sur le supplice du prince de Capoue, sur
l'émeute populaire qui délivre Guillaume I"'", ne se retrouvent ni dans
Romualdde Salerne, ni dans Falcand.
2. La cronica di S. Htofano ad riinun maris, éd. Saraceni i^Chieti, 1876),
in-4°. Cf. Schipa, Archivlo siorico napulef., t. X, p. y>'.i't et suiv. ; et P. Kehr,
Otia diplomalica, dans Xachrichten derkôn. Geselhchuft der Wissenschaf-
ten zu Gottinfjen (1903), p. 287.
3. Sur les manuscrits et les éditions d'Alexandre de ïelese cf. Capasso,
Lp fonli, etc., p. 71 .
4. Cf. del Re, op. cil., t. 1, p. 84.
5. Al. Tel., éd. del Re, pp. 83-87.
XLVIII INTRODUCTION
l'ouvrage et n'a été vraisemblablement écrite qu'une fois la chro-
nique terminée. L'œuvre ne devait pas s'étendre beaucoup après
1140, car dans l'épître on peut relever certaines allusions 'aux
conquêtes faites en 11 40 par les fds de Roger II. L'auteur recom-
mande au roi de limiter son ambition et lui cite l'exemple du
basileus de Gonstantinople qui a su renoncer k faire valoir ses
droits sur certaines provinces K II me semble qu'il faut voir, dans
l'avis ainsi donné, un conseil de l'auteur qui ne voudrait pas que
le roi étendît ses Etats malgré le pape.
Nous ne savons rien sur la personne de l'auteur; il était très
probablement étranger à l'Italie du sud, car il montre peu de
bienveillance envers les Lombards ~. L'abbé de Telese a écrit à
la demande de Mathilde, sœur de Roger II et femme du comte
Rainolf -^ ; il possédait une certaine culture littéraire : dans sa pré-
face il fait allusion à une légende relative à Virgile ^ ; il abuse des
citations bibliques et des rapprochements avec les livres saints.
Bien que dans le préambule de son ouvrage Alexandre dise
qu'il va raconter l'histoire de Roger II depuis son enfance, il n'a
en réalité rapporté les événements que depuis la mort du duc
Guillaume. Il ne dit, en effet, absolument rien de la régence de la
comtesse Adélaïde et se borne à raconter quelques anecdotes
destinées à prouver que dès sa plus tendre enfance Roger II s'est
révélé comme un être exceptionnel. L'auteur ne nous dit rien
des sources qu'il a utilisées, mais il paraît admirablement ren-
seigné autant que nous pouvons en juger en comparant son œuvre
avec celle de Falcon de Bénévent. C'est grâce à lui que nous
pouvons connaître avec détails les événements dont l'Italie méri_
dionale a été le théâtre de 1127 à 1136. Alexandre de Telese
nous a surtout raconté les guerres soutenues par Roger 11 contre
1. Al. Tel., p. 86.
2. « Viffens Longohardorum nequitia », Id., p. 88.
3. Id., p. .88.
4. Alexandre de Telese ne connaît la vie de Virgile que par une légende
populaire qui en fait le gouverneur de Naples, cf. Comparetti, Virgilio nel
medio evo, 2« éd. (Florence, 1896), 2 vol. in-8°, t. II, p. 36 et suiv.; cf., p. 58,
le récit légendaire de Gervais de Tilbury sur la découverte des ossements
de Virgile à Xaples, récit confirmé, semble-t-il, par un passage de Jean de
Salisbury, Polycraticus, 2, 23.
ROMUALD DE SALERNE XLIX
ses vassaux rebelles. Il est curieux de constater que l'auteur ne
dit pas un mot des i-apports de Roger avec Tanti-pape AnacletlI.
De même tout ce qu'il raconte à propos de la fondation de la
monarchie est tendancieux ; ce n'est certes pas sans raison qu'il
présente l'élection de Roger comme s'étant faite sans l'intervention
de l'Eg-lise romaine. l\ me paraît évident que l'auteur a voulu
être agréable au roi et montrer que, dès son origine, la monarchie
sicilienne n'avait pas dépendu du pape.
Ces réserves faites sur les tendances de l'auteur, on peut dire
que son œuvre constitue l'une des deux sources principales pour
l'histoire des premières années de la monarchie normande.
14° RoMUALD DE Salerxe. — Romuald II, archevêque de
Salerne (1153-1181), est l'un des historiens les plus importants de
l'époque normande. L'auteur appartenait à une famille de Salerne,
qu'il faut peut-être rattacher à une famille de comtes lombards
mentionnée depuis la fin du x^ siècle K Le père de l'archevêque
était Pierre Guarna - ; nous connaissons encore ses frères, Robert,
archidiacre de Salerne •^, Philippe Guarna, seigneur du château
de San Magno [castellum sancti Magni) ^, Luc Guarna, qui
est mentionné comme justicier de 1182 à 1189 -^ , Jean Guarna,
juge de Salerne '', Jacques Guarna, seigneur de Gastellione ^ . De
1. Je ne formule ici qu'une hypothèse que j'appuie sur ce fait que tous
les prénoms de cette famille, Romuald, Alt'an, Pierre (Cod. Car., I, 209, II,
30b, 346, 336, 358, 339, 360, 395, 413, 426, 432, 440; III, 513; IV, 359, 565,
566, 570, 372, 583, 588, 393, 395, 598, 600-604, 610-615, 622, 6.30, 631, 635,
639, 662, 676, 692, 705; V, 727, 728j, se retrouvent dans la famille Guarna.
Paesano, op. cit., t. II, 137, dit que Romuald est neveu du comte Romuald
mais ne cite aucun texte à l'appui de son dire.
2. Necrol. Salernitanum dans Forschunçjen, t. XVIII, p. 475, cf. Catal.
baronum, p. 585. Sur la famille Guarna, cf. la préface d'Arndt, M.G.H.SS.,
t. XIX, p. 387.
3. Ughelli, op. cit., t. VII, p. 401; cf. Paesano, op. cit., t. II, p. 222;
Necrol. Salem., toc. cit., Catal. baronum, p. 583, où il faut corriger
« archiepiscopi » en « archidiaconi ».
4. Ughelli, op. cit., t. VII, p. 403.
5. Archives de la Gava, J. 32(1182), et del Giudice, Codice diplomatico
del regno di Carlo I e II dAngio (Naples, 1863), in-4°, Appendice, p. liii-
Lvi; Cf. Catal. baronum, p. 583.
6. Ughelli, op. cit., t. VII, p. 401.
7. Catal. baronum, p. 383, et Necrol. Salem., loc. cit. Dans ce dernier
texte Jacques est seigneur de Castellamare [dominus castelli maris).
Histoire de la domination normande. — Chalandon. 4*
L INTRODLCriON
la même famille nous connaissons encore Simon, fils de Luc
Guarna ' et Alfan ~. D'après Pierre de Blois, il y aurait eu une
parenté entre la famille Guarna et la famille royale '^
Au mois de décembre 1143, on trouve la souscription de
Romuald [Ronioaldus clericiis qui diciiur Guarna) sur un diplôme
des archives de la Gava ^. En 1 153, Romuald fut élu archevêque
de Salerne. il succédait à l'archevêque Guillaume •'. Pendant son
pontificat, Romuald lit construire l'ég'lise San Cataldo et com-
pléta lornementation de sa cathédrale ''. L'archevêque de Salerne
avait étudié la médecine ; nous savons qu'il soigna Guillaume I"
et Pierre de Blois ". Sous les règnes de Guillaume I*"'" et de Guil-
laume 11, Romuald joua un rôle politique important; il fut l'un
des négociateurs du traité de Bénévent et prit une part active
aux intrigues de la cour de Palerme. 11 joua un rôle dans la cons-
piration organisée contre Maion et contribua par son intervention
à délivrer Guillaume P'" prisonnier. II fut chargé- par celui-ci
d'aller en Pouille pour pacifier les esprits. Ce fut lui qui cou-
ronna Guillaume II. Sous le règne du nouveau roi, il eut à la cour
une situation considérable et fut l'un des négociateurs de la paix
de Venise. En 1179, Romuald assista au concile de Latran ^; il
mourut le P"" avril 1181 '^. On peut caractériser l'attitude politique
de Romuald en disant qu'il fut, avec Mathieu d'AjelIo l'un des
chefs du parti national, et chercha à expulser de la cour de
Palerme les étrangers.
L'archevêque de Salerne a composé divers ouvrages, notam-
1. Xecrol. Salernit., lue. cit.
2. Ug-helli, op. cit., t. VII, p. 401.
3. Pierre de Blois, Epist., 10, dans Migne, P.L., t. CCVII.
4. Archives de la Cava, G. 42.
5. Cf. Paesano, op. cit., t. II, p. 135.
6. Ughelli, op. cit., t. VII, p. 401 ; cf. Bertaux, L'art dans l'Italie méri-
dionale (Paris, 1903), in-4o, p. 304.
7. Falcand, p. 122; Romuald de Salerne, dans M.G.H.SS.,t. XIX, p. 435;
Pierre de Blois, Epist., 90, Migne, P.L., t. CCVII, p. 281.
8. Mansi, Conciliorum Aniplissima Collectio, t. XXII (Venise, 1778),
p. 460. Romuald fut en rapports fréquents avec Alexandre III, cf. M.G.H.SS.,
XIX, p. 434. 453, 455 et Jafîe-Lôwenfeld, 14091, 14092, 14093.
9. Necrol. Casin., dans Gattola, Accessiones, t. II, p. 853.
ROMUALD DE SALERNË Lt
ment des livres de liturj;ie ', mais son œuvre principale est son
Chronicon sivc Annales, qui s'étend depuis la création du monde
jusqu'en 1178'. Du début à 839, l'ouvrage est uns chronique
universelle pour laquelle l'auteur a utilisé principalement Bède,
saint Jérôme, Isidore, Orose, Paul Diacre, Einhard, le Chronicon
Salernitaniini -K A partir de 839, Romuald a adopté la forme an-
nalistique et a utilisé un certain nombre de sources perdues (cata-
logue des princes de Salerne, catalogue des papes, catalogues
byzantins) et les Annales de Bénévent, le Chronicon sancti Bene-
dicti, ainsi qu'une source utilisée également par l'auteur du
Chronicon Vulturnense'\ Pour le xi'' siècle, Romuald a utilisé les
anciennes annales du Mont-Gassin, Léon d'Ostie et une chronique
écrite dans la région de Salerne, au début du xii" siècle, et racon-
tant la conquête normande ^. Enfin, à partir de 1081, Romuald a
beaucoup emprunté à la source aujourd'hui perdue dont s'est
servi également Lupus Protospatarius ^. L'ouvrage de Romuald a
été interpolé à diverses reprises. iVrndt distingue deux interpola-
teurs dont l'un s'est servi, jusqu'en 1131, de la chronique de
Lupus Protospatarius ; la ssconde série d'interpolations ne com-
mence qu'après cette date ".
Pour toute la période dont il a été contemporain, Romuald
était à même par sa situation d'être très bien renseigné. Aussi
son œuvre est-elle une des sources les plus importantes pour
l'histoire de la monarchie normande. Seulement en se servant de
la chronique de Romuald, on ne doit point oublier que l'auteur a
1. Parmi les ouvrages de Romuald, on peut citer, en dehors de plusieurs
Vies de saints : Le Bvpviarum salernitane ecclrsie ; un Opusculuni de
annunciatione heate Marie virginis; un Semestria seu i^crupularii x^el cere-
moniale pro recitatione horarum dlvinarum et pro p"culiarihiis fanclionihus
ecclesie Salernitane, cf. Arndt, loc. cit.
2. Ed. Arndt dans les M.G.H.SS., t. XIX, p. 3'.)» et suiv. ; sur les
manuscrits, cf. la préface de Arndt, ibid.
3. Cf. la préface de Arndt, op. cit., p. 392, et Capasso, op. cit., p. 73.
4. Cf. Hirsch, op. cit., p. 61-63.
5. Id., p. 64 et suiv. La chronique salernitaine dont s'est servi Romuald,
a été également utilisée par le rédacteur du Chronicon Anialfitanum, cf.
Weinreich, op. cit., p. 76.
6. Hirsch, op. cit., p. 41 et suiv.
7. Arndt, op. cit., p. 395.
LIT INTRODUCTION
pris une part active aux intrigues de cour qu'il raconte, et que par
suite il est loin d'être impartial. Au contraire de Falcand qui se
répanden déclamations haineuses contre ses adversaires politiques
et accumule contre eux les pires accusations, Romuald sait tou-
jours garder, même vis-à-vis de ses ennemis, une juste mesure ; il
se contente, quand certains faits le gênent, de les passer sous
silence. On peut lui reprocher d'avoir aJDusé de ce moyen facile
d'éviter les sujets qui l'embarrassaient. La critique de Romuald
est difficile à faire, car pour contrôler ses dires nous n'avons que
la Chronique de Falcand, qui est lui même bien loin d'être impar-
tial. Unis un moment par les mêmes haines politiques, les deux
auteurs se sont trouvés bien vite séparés. En appréciant les ren-
seignements qu'ils nous fournissent, on ne peut que constater que
chacun d'eux est l'écho d'un parti, et qu'il n'y a aucune raison
d'ajouter à l'un plus de créance qu'à l'autre ^ Chez tous deux
le fonds des renseignements est exact, mais le détail et l'appré-
ciation des faits particuliers sont empreints de la plus évidente
partialité. Ces restrictions s imposent surtout en ce qui concerne
les intrigues de la cour de Palerme; au contraire, pour tout ce
qui regarde les questions de politique extérieure, dans lesquelles
les rivalités de personnes ont joué un moindre rôle, Romuald
mérite toute créance. Son récit des négociations qui ont précédé
le traité de Venise est particulièrement précieux et l'on ne peut
guère reprocher à lauteur que la vanité un peu puérile qui le
porte à exagérer l'importance de son rôle particulier aux dépens
de celui de 1 autre plénipotentiaire de la cour normande.
13° Hugues Falcand. — Hugues Falcand est l'auteur de deux
œuvres de dimensions très inégales. L'une, le Liber de regno
Sicilie, est une chronique racontant l'histoire de Sicile de 1134
à 1169; l'autre, V Epistola ad Petrum Panormitane ecclesie the-
saurarium de calamitate Sicilie, est une simple lettre, précieuse
par les allusions faites aux événements qui suivirent la mort
1. C'est Terreur où est tombé Ilillger dans sa dissertation, Das Verhàl-
tniss des Iliir/o Falcanrhis zu Romuald von Salerno (Halle, 1878), in-S".
HUGUES FALCAND LUI
de Guillaume II et par les renseignements variés fournis sur
la Sicile K
Tout ce qui touche à Falcaud est m^^stérieux ; son nom même
est douteux, et celui de son correspondant n'est pas très sûr.
On a beaucoup écrit pour tenter de dissiper les ténèbres qui
entourent la personnalité de notre auteur ; de toutes ces discus-
sions il est sorti peu de lumière, et il semble bien que tant que
l'on n'aura pas trouvé de nouveaux documents, on ne pourra
faire au sujet de la personne de Falcand que des hypothèses 2.
Tout d'abord le nom de Falcand ne se trouve dans aucun des
manuscrits que l'on possède ; on est amené à supposer qu'il se
trouvait dans le manuscrit que le premier éditeur a eu en sa
1. Actuellement la meilleure édition est celle de Siragusa, La historia o
Liber de reç/no Sicilie e la epislola ad Petruin Panormitane ecclesie thesau-
rariuin di Ugo Falcando dans Fonti per la storia d'Italia publicale daW
istituto siorico ilalift no, Scv'iltori, sec. XII (Rome, 1897). La lettre est sans
doute adressée à V. -o ^dulsus, trésorier de l'église de Palerme, men-
tionné en 1167, et l'ondaieur de l'église San Martino, Garofalo, op. cit.,
p. 25; Lello del Giudice, Descrizione, etc., p. 25, cf. Siragusa, op. cit.,
p. X et suiv. Il faut noter que le nom du destinataire ne figure dans aucun
des manuscrits que l'on possède actuellement. Il figure dans l'édition de
Gervais de Tournay et par suite devait se trouver dans le ms. que celui-ci
a eu entre les mains. Vatasso, dans VArchivio Muratoriano, 1'"'= année
fascicule 2, annonce qu'il a reti-ouvé le ms. de San Nicolo dell'Arena
et qu'il prépare une nouvelle édition ; il mentionne p. 65 un article de
Siragusa : La historia o Liber de régna Sicilie... di Hugo Falcando lezione
del codice di San Nicolo delVArena di Catania, ora vaticano lat., 10690. Je
n'ai pu me procurer cet article.
2. Sur la personne de Falcand cf. : Bréquigny, Mémoire sur Etienne,
chancelier de Sicile en I I6S, dans Mémoires de l'Académie des Inscriptions,
t. XLI (1780), p. 622 et suiv. ; Histoire littéraire de la France, t. XV,
p. 275; Hartwig, Re Guglielmo le il suo grande ammiraglio Maione di Bari,
dans Arc/iiuio stor. napolet., t. VII, p. 411 et suiv.; Hillger, Das Verhâltniss
des Hugo Falcand us zu Roniuald von Salerno; La Lumia, La Sicilia sotto
Guglielmo il huono (Palerme, 1882;», p. 226; Tœche, Kaiser Henri VI,
p. 129; Schrôter, Ueber die Ileimath des Hugo Falcandus, Gôttingen,
In. diss. (Eisleben, 1880); Siragusa, Il regno di Guglielmo I in Sicilia
(Palerme, 1885), t. I, p. 155 et suiv.; Id., éd. de La historia o Liber, etc.,
p. VIII ; Id., La versione italiana délia historia di Ugo Falcando di Filoteo
Oniodei, dans Archiv. st. sicil., t. XXIII, N.S.,p. 465 et suiv. Cf. Castorina,
Arch. st. sicil., t. III (1878), Balzani, Le cronache italiane nel medio evo
(Milan, 1884), p. 212 et suiv. ; Neues Archiv., t. VIII, p. 381 et del Re,
op. cil., t. I, p. 275.
LIV INTKODLCTION
possession '. On a voulu identifier l'auteur avec un chanoine de
la chapelle Palatine de Palerme, Falcus ~. On ne voit guère
comment Falcus aurait pu se transformer en Falcandus ^.
D'autres critiques ont cru que Falcand ne faisait qu'un avec
Hugues Foucault, abbé de Saint-Denis, qui aurait accompagné
Etienne du Perche en Sicile % et aurait, d'après une lettre de Pierre
de Blois, composé un récit des événements auxquels il avait
été mêlé pendant son séjour à la cour de Palerme ^. Combattue
déjà par Bréquigny ^\ reprise par Hillger ~, cette identification a
de nouveau été repoussée par Schrôter ^' qui montre qu'il est
fort possible que la lettre de Pierre de Blois ait été adressée non
à Hugues Foucault, mais à son successeur Hugues de Milan 9.
Il semble donc, par suite, que l'on puisse dire que Hugues
Falcand ne peut être identifié avec l'abbé de Saint-Denis.
Les œuvres de Falcand ne permettent pas davantage de devi-
ner quelle était sa patrie. Sans doute certains termes dont se sert
l'auteur pour parler de la Sicile semblent indiquer qu'il n'est pas
Sicilien. Mais les conclusions ainsi tirées sont en partie ruinées
1. La première édition est Tœuvrede Gervais de Tournay, Hisloria Hiigo-
nis Falcancli- siculi de /-p/jus gestis in Slcilin regnn iain primum typis
excusa studio... "Malhael Longofjuei Suessonium pnntifxcis... IIuc accr-ssit in
libruiyi prefalio... per Gervasium Tornacapiiin Suesininnenseni (Paris,
1550), in-4°. Cf. Siragusa, La historia, etc., p. viii et xxxxviii, et Schrôter,
op. cit., p. 2G-29.
2. Hartwig, loc. cit. Falcus souscrit un acte de 1167, Garofalo, Tahula-
rium, etc.,^p. 25.
3. Cf. Siragusa, La historia, etc., p. ix.
4. Cf. L'a?-t de vérifier les dates, t. III, p. 815; Gallia Chrisfiana, t. Vil,
p. 382; Histoire littéraire de la France, t. XV, p. 275; Hillger, op. cit.,
p. 7 et suiv.
5. Pierre de Blois, Epist., 116 : u Rorjo quatenus fractatuin, quem de statu
aut potius de casu vestro in Sicilia descripsistis, coinmunicetis jnihi. etc. »
6. Bréquigny, op. cit., dans Mémoires de VAcadéinie, etc., t. XLI,
p. 631 ; cf. Gibl)on, The history of the décline and Ih- fnll of fhe roman
empire, éd. Bury, t. VI, p. 219, note 1.
7. Hillger, op. cit., p. 7.
8. Schrôter, op. cit., p. 48 et suiv. Un argument en faveur de sa thèse peut
se tirer d'une lettre de Pierre de Blois, Epist., 46, où il dit que lui-même et
Roger de Normandie sont seuls survivants parmi 'les Français qui ont
accompagné Etienne du Perche, cf. La Lumia, op. c/7.,'p. 227.
9. Cf. Schrôter, op. cit., p. 55.
HUGUES FALCA.ND LV
si Ton remarque que Falcand se sert pour parler de Constance,
fille de Roger II, de termes analog-ues '. Ici encore nous ne pou-
vons rien savoir, et toutes les opinions émises ne sont que des
hypothèses. Toutefois si Ton fait abstraction de ces termes, il
reste encore certains passages qui paraissent indiquer que la
Sicile n'était pas la patrie de l'auteur : ainsi Falcand parle de la
Sicile « que me gratissinio sino susceptuni bénigne fovif, pro-
movity et extiiUt - ». Ailleurs parlant des fruits récoltés dans
l'île il ajoute : « Communes autem fructusef qui pêne nos haben-
tur his adjunr/ere super fluum existimavi ^ ». De même, en divers
endroits, il est question des Siciliens en termes qui paraissent
indiquer un étranger : on relève les expressions njuxfa consuetu-
clineni Siculorum '' » « Siculi Casalia vocant •' » ou a ab incholis
nuncupantur '' ». Tout cela paraît bien indiquer que l'auteur
est étranger à la Sicile.
On ne saurait admettre que Falcand ait été Français, il
appelle les Français ou les Espagnols ah^uus en Sicile « Tran-
salpini » ou Transnionlani », ce qui semble bien indiquer qu'il
est né en deçà des Alpes '' . Il est difficile de préciser davan-
tage ; toutefois les termes dont se sert Falcand en parlant des
habitants de la Fouille tendent à faire croire qu'il n'était pas ori-
ginaire de cette province^; par contre il est assez bienveillant
envers les Calabrais. On ne saurait toutefois affirmer qu'il soit
né en Calabre. Tout ce que l'on peut dire, c'est que, étranger
à la Sicile, Falcand a résidé pendant longtemps k la cour de
1. Falcand, p. 170, appelle la Sicile « niitrix » et se dit « alumnus »,
or, p. 174, il emploie également le mot x nutrix » en parlant des rapports de
Constance avec la Sicile, cf. Schrôter, op. cit., p. 31.
2. Falcand, p. 170.
3. Id., p. 186.
4. Id., p. 10.
5. Id., p. 112.
6. Id., p. 186, cf. Siragusa, // regno, etc., p. 156. On a invoqué en
faveur de la nationalité sicilienne le mot (c noi^fri >>, Falcand, op. cit., p. 57.
Dans ce passage le mot « nostri » a un sens plus général et oppose seule-
ment les chrétiens aux Musulmans.
7. Falcand, pp. 6, 24, 93, 9S, 120, 153.
8. /(/., p. 14.
LVI INTRODUCTION
Palerme et qu'il est demeuré dans l'île au moins jusqu'en
1169 1.
Quand ont été composés les deux ouvrages de Falcand ? Pen-
dant longtemps, on a regardé la lettre au trésorier Pierre comme
se rattachant étroitement à la Chronique -. 11 semble que ces
deux œuvres ne doivent pas être rapprochées et soient indépen-
dantes l'une de l'autre. La lettre au trésorier Pierre a été écrite
après la mort de Guillaume II '^. Amari a montré le caractère
politique de cet ouvrage, destiné, semble-t-il, moins à celui
auquel il est adressé qu'à l'archevêque de Palerme, Gautier '*.
L'auteur aurait voulu détacher ce dernier du parti allemand et
l'amener à mettre son influence au service du parti national.
Toutefois le stjle de la lettre permet d'affirmer qu'elle est
l'oeuvre du même auteur que la Chronique ^. Au moment où il
écrivait au trésorier Pierre, Falcand n'était pas en Sicile, comme
le montre l'expression « in cisfarinis partihus 'J » appliquée à
l'Italie continentale. A quelle date peut-on placer la rédaction
de cette œuvre ? L'auteur ne fait pas allusion à l'élection de
Tancrède, mais, sous forme de prédiction, il parle des faits qui
ont eu lieu au printemps 1190 '. Comme, d'autre part, il parle
du printemps qui vient de succéder à l'hiver, sa lettre doit être
datée de la fin du printemps 1190 s, elle est sans doute posté-
rieure de très peu à la campagne des Allemands dans l'Italie
méridionale (mai 1190).
1. Falcand, pp. 4 et ITo. Il était en Sicile lors du Iremblement de terre
du 4 février 1169.
2. Cf. Schrôter, op. cit., p. 5 et suiv. ; del Re, op. cil., t. 1, p. 393.
Siragusa, La historia, etc., p. xiii et suiv.
3. Falcand, p. 169.
4. Amari, Storia dei Miisulmani, t. 111, p. 544.
5. Cf. Harhvig, op. cil., pp. 414-41o.
6. Falcand, p. 171.
7. Itl., loc. cil.
8. 1(1., p. 169; cf. Amari, loc. cit.; Siragusa, La historia, etc., p. 169,
note 3; Del Ro, loc. cit., place la rédaction de la lettre à la fin de 1189 ou
au début de 1190; Schrôter, op. cit., p. 12, la place vers la même époque.
Il semble bien que l'allusion au printemps rende impossible l'opinion des
deux derniers auteurs. L'hypothèse d'Amari explique d'une façon satisfai-
sante les objections que l'on pourrait tirer du fait que l'auteur pai-aît igno-
rer l'élect'on de Tancrède.
HUGUES FALCAXD LVII
La date de la composition du Liber de rcgno Sicilie est plus
incertaine. Quelques passages permettent d'établir que Falcand
n'a pas rédigé son ouvrag'e au jour le jour. C'est ainsi qu'il parle
du logothète Nicolas « qui tune in Calahrie partihus iussu
curie morahatur », et ailleurs du cardinal, Jean de Naples,
« qui forte tune aderat ' ». Il semble bien, en outre, que Falcand
n'ait écrit qu'assez longtemps après les événements, car les
termes dont il se sert en parlant du pape Alexandre III montrent
que sa chronique n'a été rédigée qu'après 1181, date de la mort
du pape '-.
Le Liber de regno Sicilie, k proprement parler, est moins une
histoire générale du royaume de Sicile, de lloi au début de 1169,
qu'une histoire détaillée de la cour de Palerme pendant cette
période. Sans doute les principaux événements y sont rapportés,
mais ce sont les intrigues des divers partis de la cour qui
forment l'objet propre du livre. Les grands faits politiques sont
exposés le plus souvent très brièvement, tandis que l'histoire
de la cour est racontée avec un grand luxe de détails. Ainsi en
exposant l'histoire du règne de Guillaume P'", l'auteur ne parle
que sommairement de la révolte des vassaux du roi, de l'inter-
vention des Byzantins dans les atfaires de l'Italie méridionale,
mais s'étend longuement sur le grand émir Maion et sur toutes
les intrigues auxquelles il a été mêlé. Après l'assassinat du
ministre de Guillaume l", ce sont surtout les événements de
Palerme qui retiennent son attention, tandis que le récit de la
campagne du roi contre les rebelles n'occupe que quelques
pages. Il en est de même dans la partie de l'ouvrage consacrée
au règne de Guillaume II où l'auteur, alors qu'il est presque
muet sur toutes les graves questions touchant la politique étran-
gère, s'étend avec complaisance sur toutes lés intrigues de la
cour.
Le plus souvent Falcand raconte des événements auxquels il a
été mêlé ou a assisté comme témoin oculaire. Il faut d'ailleurs
1. Falcand, pp. 37 et 9"). Sur les autres preuves de ce fait, cf. Schroter,
up. cit., p. 1") et suiv.
2. « Asserebanl... Mutliciiin... Alexandro pape qui tune romani' preside-
bat ecclesie, niultain pecuniam detulisse », Falcand, p. 28.
LVIIl INTRODUCTION
noter que jamais Tauteur ne dit un mot du rôle qu'il a pu jouer.
A ses souvenirs personnels Falcand a ajouté des renseig-nements
puisés auprès de divers personnag-es mêlés aux événements racon-
tés K Enfin, Falcand a eu entre les mains quelques documents
d'archives; il semble avoir eu connaissance de certaines lettres
royales ~ et a inséré, en outre, un mandement du roi adressé au
stratège et aux juges de la ville de Messine -K II est difficile de
distinguer ce qui, dans le récit de Falcand, est emprunté aux sou-
venirs personnels de l'auteur et ce qui est dû aux renseigne-
ments qui lui ont été fournis. Pourtant à étudier de près le texte
de la chronique, on peut faire diverses remarques intéressantes
à ce sujet. Tout ce que Falcand raconte sur le premier voyage
de Guillaume F"" en Italie, sur l'état de la Fouille, sur la
révolte du comte de Loritello est tellement sommaire, qu'il
me paraît fort probable que l'auteur na point été mêlé aux
événements qu'il rapporte '*. Par contre, les chapitres IV-VI
relatifs à Maion et aux commencements de la conspiration for-
mée contre le ministre de Guillaume F"", sont tellement détail-
lés qu'il semble bien qu'il faille admettre que Falcand utilise
ici ses souvenirs personnels '. Pour tout l'ouvrage on peut faire
une remarque analogue. Tous les événements qui se passent
loin de la Sicile sont racontés très brièvement, tandis que tous
ceux qui se passent à Païenne sont exposés dans le plus grand
détail ^. II semble que l'on puisse de là tirer la conclusion que,
pour les premiers, Falcand a été plus ou moins bien renseigné
par diverses personnes qui y ont été mêlées, tandis que, pour
les seconds, il a surtout utilisé ses souvenirs personnels. L'abon-
dance de détails que l'on peut relever dans le récit du siège de
Taberna par Guillaume F'' me portent à croire que l'auteur
accompagnait le roi dans cette expédition; il me paraît égale-
1. « Quae part'un ipsevidi, partim euruin qui iiiterfiierant veraci relatione
cognovi », Falcand, p. 4.
2. W./p. 15.
3. Id., p.ll48.
4. Id., p. 10 et suiv.
5. 7c?., p. 14 et suiv.
6. Id., p. 76.
HUGUES FAUGAND LIX
ment fort probable que, dans la même campagne, Falcand était
avec le roi quand celui-ci vint à Salerne '. Par contre, il me
paraît certain que l'auteur n'a pas accompagné l'armée royale
pendant l'expédition de Fouille qui a suivi le siège de Taberna
et précédé la venue du roi à Salerne '-. On doit également,
semble-t-il, admettre que Falcand se trouvait avec Guillaume II
k Messine et a assisté en personne aux événements qu'il
raconte ^. Les détails minutieux, qu'il fournit sur l'émeute qui
éclata à Messine, me feraient croire que Falcand est demeuré
dans cette ville après le départ de la cour pour Palerme et a été
témoin oculaire des faits qu'il raconte.
L'ouvrage de Falcand, au moins dans certaines de ses par-
ties, est excessivement partial. A son avènement, Guillaume F'"
donna la chars^e de o-rand émir à Miion de Bari et confia à ce
dernier tout le soin du gouvernement. Le choix du roi mécon-
tenta fort la noblesse et le clergé qui se voyaient tenus à l'écart
des affaires. Contre le tout puissant ministre, une vaste conspi-
ration se forma et bientôt Maion tombait sous les coups de ses
adversaires. Falcand appartient au parti des ennemis du grand
émir, et a cherché à présenter tous les événements sous le jour
le plus défavorable au ministre de Guillaume F^ Le plus sou-
vent nous ne pouvons contrôler son récit que par la chronique
de Romuald de Salerne, qui lui aussi à joué un rôle assez louche
dans tous ces événements ; la critique de Falcand est donc très
difficile. Toutefois, poar quelques faits, nous sommes mieux
informés et nous pouvons saisir les procédés dont se sert Fal-
cand. x\insi, il raconte que Miion était de très basse extraction
et que son père était marchand d'huile, or, nous savons par
divers documents que le père du ministre de Guillaume F'' était
juge à Bari. Ailleurs, Falcand raconte que la flotte envoyée au
. secours de Tripoli ne combattit pas et que son commandant,
créature de Maion, aurait trahi ; nous savons au contraire parles
historiens arabes que la flotte normande engagea le combat et
1. Falcand, p. 80 et suiv.
2. Id., p. 77-78.
3. Id., p. 129 et suiv.
LX IMUODUCTION
fut mise en fuite par la flotte musulmane. Ces exemples suf-
fisent pour montrer la tendance de Falcand à porter contre le
grand émir des accusations plus ou moins justifiées. Falcand
s'est, en outre, fait Técho de toutes les calomnies contre Maion
répandues dans le public par le parti de l'aristocratie ; sa chro-
nique pour tout ce qui touche le ministre de Guillaume P'' est un
véritable pamphlet. Par contre, l'auteur est admirablement
informé pour tout ce qui concerne la conspiration et nous four-
nit à cet égard de précieux détails. Il faut noter que Falcand est
nettement hostile au parti du clergé comme le montrent cer-
tains portraits peu flattés qu'il a tracés des évêques de Sicile K
Dans le récit des événements qui suivirent la mort de Maion,
Falcand se montre beaucoup plus impartial ; il est curieux de
remarquer qu'il se détache de son parti; en voyant l'anarchie
qui règne dans le gouvernement après la disparition de Guil-
laume l", il avoue que ce dernier est regretté par beaucoup de
ses sujets.
En ce qui concerne la régence de la reine Marguerite, Falcand
nous fournit de précieux détails, il expose avec impartialité les
intrigues des divers partis qui se disputent le pouvoir. Il
témoigne d'une grande bienveillance envers le chancelier
Etienne du Perche ~. Par contre, il déteste cordialement le parti
des eunuques -^ et ne cache pas son animosité envers certains
Français qui ont accompagné le chancelier. Les termes violents
qu'il emjdoie contre l'un de ceux-ci ^, Eudes Quarrel, chanoine
de Chartres, tendraient à faire croire à l'existence d'une animo-
sité personnelle contre ce dernier.
Ces réserves faites, la Chronique de Falcand n'en demeure
pas moins l'une des œuvres historiques les plus remarquables
du moyen âge, on ne saurait toutefois s'en servir cju'en tenant
1. Falcand, pp. 91, 94, 9o.
■2. I(]., p. 114.
3. Ici., pp. 27, 93, 97, 115-117. Ce parti des fonctionnaires du palais
avait soutenu Maion, et Falcand témoigne une «rande malveillance aux
anciens amis du grand émir. Cf. notamment, p. 101, la fausse accusation
qu'il porte contre Matliieu d'Ajello.
4. Itl., pp. 112, 120, 147, 1")0; cf. également, pp. 144-145.
PIERRE D EROLl LXI
compte des haines violentes dont l'auteur s'est fait l'écho. La
critique s'est en g-énéral montré très bienveillante envers l'au-
teur du Liber de regno Sicilie. On l'a tour à tour rapproché de
Tacite, de Tite-Live, de Thucydide, de Polybe, d'Ammien Mar-
celin et de Procope K Quelques pages de Falcand justifient dans
une certaine mesure ces comparaisons flatteuses. Il est difficile
de tracer d'un hypocrite ambitieux ou d'un avare des portraits
plus réussis que ceux de Gentil, évêque de Girgenti, et de Tar-
chevêque de Reg-gio. Falcand saisit le trait bref et incisif qui
donne au personnage sa physionomie propre, et le rend vivant
aux yeux du lecteur. Ses récits sont vifs et animés et dans les
tableaux qu'il trace, il excelle par le choix des détails à donner
une impression de vie et de mouvement. Quelles que soient
d'ailleurs les qualités dont il a fait preuve dans son œuvre, on
ne doit pas oublier que Falcand a souvent manqué au premier
devoir de l'historien, la vérité, qu'il a trop souvent et volontai-
rement altérée.
16° Pierre d'Eroli. — Pierre d'Eboli est l'auteur d'un poème,
Carmen de rébus siculis -.
Sur la personne de Pierre d'Eboli, nous savons fort peu de
chose. Dans un diplôme de Frédéric II, de 1220, il est question
d'un magister Pet rus versificator qui a légué un moulin à l'ar-
chevêque de Salerne -^ Un autre acte, de 1244, condamne le fils
de feu Pierre d'Eboli, juge, à rendre le susdit moulin à l'arche-
vêque de Salerne ^. Il semble vraisemblable que dans ces deux
documents il est question de notre poète. Par contre, rien ne
1. Cf. U art de vérifier les dates, t. IV, p. 813; Gibbon, op. cit., t. VI, p. 219,
note 1 ; Histoire littéraire de la France, t. XV, p. 280, P'reeman, Historical
Essays, III Séries (1879), p. 454.
2. Éd. Rota, dans Muratori, R.I.SS., n. éd., t. XXXI, et éd. Winkelmann
(Leipzig, 1874). Cf. P. Block, Zur Kritik des Petrus de Ebulo (Prenzlau,
1883), et Hagen, Bemerkungen zu Petrus de Ebulo Gedicht de bello siculo,
dans Forschungen zur deutschen Geschichte, t. XV, p. 603 et suiv.
3. Huillard BréhoUes, Historia diplomatica Friderici II, t. I, p. ii, 113.
Sur la date, cf. Rota, op. cit., p. xx, note 1.
4. Paesano, Memorie per servire alla storia délia chiesa. salernitana,
t. II, p. 352-334.
LXII INTRODUCTION
prouve que le mafjister Pelrus Ansolinus de Ehiilo, qui est men-
tionné, en 1219, comme ayant fait antérieurement k cette date
une donation au monastère de Santa Maria di Monte Vergine,
soit à identifier avec l'auteur du poème '. Enfin, lacté de 1220,
dont il a été question, oblig-e k distingaer Pierre d'Eboli versi-
fîcalor, déjà mort k cette date, de son homonyme condamné
en 1239 dans un procès contre ses cousins '.
Nous ne savons rien de la jeunesse de Pierre d Eboli. Diverses
miniatures du manuscrit de son poème le représentent tonsuré ;
il était donc clerc •'. Nous savons aussi qu il s'occupa de méde-
cine ; il suivit vraisemblablement les cours de l'Ecole de
Salerne '*. Il paraît certain que le poète accompag^na Henri VI et
vécut k la cour. Outre le Carmen de rébus siculis, on lui doit
un poème De Balneis Puteolanis ■'. Pierre d'Eboli avait en outre
composé un ouvrage perdu sur Frédéiùc Barberousse.
Le Carmen de rébus siculis comprend trois livres dont les
deux premiers seulement intéressent notre sujet ; le poète
raconte les événements qui suivirent la mort de Guillaume II,
l'élection de Tancrède, la première campagne d'Henri VI, le
siège de Naples, la captivité de Constance, enfin la mort de Tan-
crède et la conquête du royaume par Henri VI.
Quelle créance mérite l'œuvre de Pierre d'Eboli? A ce sujet
1. Iluillai'd Bréhollcs, op. cil., l. I, p. ii, p. (332 ; iiola, op. cil., [>. xx,
admet ridentification sans preuve concluante.
2. La raison tirée de la date de la mort du premier personnage me
pai'ait plus convaincante que celle invoquée par le dernier éditeur, p. xxi :
« Non crediamo che quello fosse lAnsolino non essendo pensabile che una
persona autorevole la quale si associa va a baroni, a conti ed a oavalieri per
far donativi ad una chiesa protetta daU'imperatore, mettesse a rischio la
propria riputazione turbando la pace di sei engin i entro le proprie terre,
per la semplice e puérile ragione che essi erano figli naturali ». P. Block,
Zur Kritik des Petrus de Ehulo, II, (3, pense que, dans l'acte de 1244, il est
question de Pierre d'Eboli, justicier de la Terre de Labour, mentionné en
122.5 et 1226, par Richard de San Germano. Bigoni, Una fonle per la storia
del régna di Sicilia (^ Gènes, 1901 ', in-8, p. 10, repousse également l'identifi-
cation.
.3. Cf. éd. Rota, pi. IX, XLV et XLVIII.
4. Cf. Rota, p. xxi-xxii ; Block, op. cit., I, 26 et II, 52. Rappelons ici que
Romuald, archevêque de Salerne, exei'ça lui aussi la médecine,
o. Cf. Rota, p. XXV et suiv., et Block, op. cit., I, p. 19.
PIERRE D E150L1 LXUI
les avis sont partagés '. Pour un grand nombre de faits, Pierre est
une source unique que Ton ne peut contrôler. Ayant vécu à la cour
de l'empereur, l'auteur a été à même d'être bien informé ', et a pu
se renseigner sur les événements dont il n'avait pas été témoin,
mais, partisan déclaré d'Henri VI, il s'est le plus souvent appli-
qué à présenter les faits sous le jour le plus favorable à ce der-
nier. La haine de Pierre envers Tancrède, sa famille et ses parti-
sans, lui a fait tracer du successeur de Guillaume II une véritable
caricature, et l'on ne saurait tenir grand compte du Carmen
de rehus siculis qui constitue un véritable pamphlet -K C est là
un fait indicutable, que nous nous bornerons à constater sans
rechercher si Pierre a fait seulement œuvre de courtisan ou a
été entraîné par l'ardeur de ses opinions gibelines '*.
Il ne faut également tenir aucun compte de certaines parties
du poème qui ne sont que de pures fictions inventées par l'au-
teur. Telles sont, sans aucun doute, les lettres échangées à
diverses reprises entre les principaux personnages de la cour
normande.
Sur d'autres points la critique est plus difficile. On a notam-
ment attaqué le passage où le poète fait jouer un rôle à
Lucius III dans le mariage d'Henri VI et de Constance; malgré
l'explication proposée par le dernier éditeur, il semble bien que
l'auteur a ici commis une erreur ''. De même, à propos des ren-
seignements fournis sur l'attitude politique de Tabbé du Mont-
Cassin, Rotfroi, les autres sources permettent de constater que le
poète s'est trompé "\ Par contre le récit de la captivité de
Constance très attaqué par divers auteurs a été défendu avec
ingéniosité par M. Rota'. On ne saurait se prononcer sur les
détails que nous fournit le poème au sujet du siège de Naples
ou de la seconde expédition d'Henri VI, car aucune autre source
ne nous permet de les contrôler.
1. Cf. la préface de Rota, p. xxxv.
2. /f7., p. XXIV.
3. Cf. infra. t, II, p. 420.
4. Cf. Rola, op. cit., p. xlix et suiv.
o. Id., p. xxxvir.
6. et. infra, t. II, p. 453.
7. Op. cit., p. xLii.
LXIV INTRODUCTION
En somme, on ne doit se servir de l'œuvre de Pierre d'Eboli
qu'avec prudence et en tenant toujours compte de sa partialité.
Au sujet des faits qu'il est seul à nous faire connaître, on ne doit
pas oublier que là où nous pouvons le contrôler, l'auteur s'est
plus d'une fois trompé.
Le manuscrit de Pierre d'Eboli, conservé à la bibliothèque de
Berne, est très probablement le manuscrit orig^inal ' ; il présente
un intérêt particulier à cause des nombreuses miniatures qui
non seulement illustrent le texte, mais encore le complètent
parfois. Elles ont toutes été reproduites dans la nouvelle édition.
Nous nous sommes bornés k étudier les principales annales et
chroniques latines relatives à l'histoire des Normands d'Italie ;
pour que cette étude fût complète, il faudrait encore mentionner,
en plus des œuvres dont nous venons de parler et de celles qui
sont indiquées ci-dessous, les nombreuses sources qui traitent
incidemment de cette histoire. Nous nous contenterons d'indiquer
ici comme étant particulièrement importantes, en outre des Vies
des papes, insérées dans le Liber Pontificalis^ la correspondance
d'un certain nombre de personnages qui se sont trouvés plus ou
moins mêlés à l'histoire de Sicile : Louis VIT, Suger, saint Ber-
nard, Wibald, Pierre le Vénérable, Pierre de Blois, Jean de Salis-
bury. Nous mentionnerons enfin, à cause des nombreux détails
qu'elle nous fournit sur les rapports de Tancrède avec les croi-
sés de M 91, une source française, le poème d'Ambroise : « L'Es-
toire de la guerre sainte - ». Témoin oculaire des événements,
l'auteur nous fournit beaucoup de renseignements sur le séjour
des croisés à Messine, lors du départ de la troisième croisade.
IIL CHRONIQUES GRECQUES.
1" Jean Skylitzès '^ a écrit dans la seconde moitié du
XI*' siècle une histoire de l'empire byzantin qui embrasse les
années 811-1079. La partie de sa chronique qui s'étend de 811 à
1. Rota, Op. cit., p. XVI.
2. Éd. G. Paris, dans la Collection des Documents inédits (Paris, 1897).
3. Cf. Krumbacher, Byzant. Litteratur, 2« éd., p. 36o et suiv.
CHRONIQUES GRECQUES LXV
1037 a été insérée pi'esc[ue textuellement par Kédrénos dans
son ouvrag-e ^ù'/o'li; '.tjTopiwv. La deuxième partie 10o7-1079, non
utilisée par Kédrénos, a été publiée par Bekker en appendice à
son édition de ce dernier auteur (p. 640 et suiv. '). En général
bien informé, Skylitzès nous fournit d'utiles renseignements sur
les rapports des Normands et des Byzantins et nous permet de
contrôler et de compléter en partie les sources de l'Italie du Sud.
2° Strategicon de Kekauinenos. — Sur cette même période de
la conquête, on trouve quelques anecdotes caractéristiques dans
les mémoires de Kekaumenos, publiés il y a quelques années '-.
3° Anne Comnène. — Anne Comnène, fille de l'empereur
Alexis P'Comnène (1081-11 18) a écrit, probablement après 1143,
une histoire du règne de son père, VAlexiade •^. La partie de cet
ouvrag-e consacré à la guerre soutenue par l'Empire grec contre
Robert Guiscard (1. I à VI), constitue pour l'histoire des Normands
une source précieuse. Bien que n'ayant pas été contemporaine de
l'invasion normande, Anne est très bien informée. Elle a utilisé
les renseignements oraux fournis par son père et par certains
officiers de celui-ci, notamment par le défenseur de Durazzo,
Georges Paléologue; en outre, elle s'est probablement servi pour
cette partie de son récit soit d'un ouvrage perdu d'un certain Jean
de Bari, soit des renseignements oraux que lui aurait fournis cet
auteur *. Enfin, toujours pour la même période, elle a eu connais-
sance de la correspondance diplomatique de son père avec les
souverains étrangers (lettres d'Alexis à Hermann, neveu de Guis-
card, à Grégoire VII, à Hervé, archevêque de Capoue, à Henri IV).
1. Georgius Cedrenus loannis ScylUzae ope suppletus et emendatus dans
Corpus scriptorum historiae hyzantinae (Bonn, 18.39).
2. Cecaumeni strategicon et incerti auctoris de officiis regiis lihellus, éd.
Wasiliewsky et Jernstedt (Saint-Pétersbourg, 1886), in-8°; cf. Wasi-
liewsky, Conseils et récits d'un grand seigneur byzantin, dans le Journal
du ministàre de V instruction publique russe, t. CCXV et t. CCXVI (1881).
3. Cf. Krumbacher, op. cit., p. 274 et suiv. ; Oster, Anna Komnena, 3 Progr.
(Rastatt, 1868, 1870, 1871), in-8<>; Chalandon, Essai sur le règne d'Alexis I^'-
Comnène, p. vu et suiv.
4. Cf. Wilmans, Ueher die Quellen der Gesta Roberti Wiscardi des Guil-
lermus Apuliensis, dans l'Arc/u'y de Pertz, t. X, p. 87 et suiv.
Histoire de la domination normande. — Chalandox. 5*^
LXVl IMKliDLCTION
Bien qu'écrite dans un sens trop favorable à x\lexis Comnène,
YAlexiade, par le grand nombre de détails qu'elle nous fournit,
est notre meilleure source pour l'histoire des dernières canipagnes
de Robert Guiscard.
4° Jean Kinnamos ' (né après lli3, -|- après 1183) a écrit l'his-
toire de Jean Comnène et celle de la plusg-rande partie du règ-ne
de Manuel Comnène-. Son livre s'étend de 1118 à 1176. Au
point de vue de l'histoire des Normands, Kinnamos, qui par sa
situation officielle était à même d'être bien renseig-né, nous a trans-
mis de nombreux renseignements sur les rapports du royaume
de Sicile avec l'Empire byzantin. Sans parler du récit des
diverses g-uerres, Kinnamos nous fournit des détails sur les négo-
ciations, dirigées contre le royaume normand, qui à diverses
reprises eurent lieu entre l'Empire grec et l'Empire allemand.
o<* NiRÉTAs Chômâtes. — Nikétas Choniatès ^, dans les cha-
pitres de son histoire consacrée aux divers empereurs qui se sont
succédé depuis Jean Comnène jusqu'à Isaac l'Ange *, nous a
transmis çà et là bon nombre de renseignements, mais son infor-
mation est en général moins sure que celle de Kinnamos et pour
la seule partie de son œuvre qui traite avec force détails des
Normands il n'a fait que copier Eustathios, archevêque de Thes-
salo nique.
5° Eustathios, archevêque de Thessalomoue. — On doit à
Eustathios une relation précieuse du siège de Thessalonique par
les Normands, sous le règne de Guillaume II '. L'auteur ne s'est
1. Cf. Krumbacher, op. cit., p. 279 et suiv., et Kap-l\evr, Die ahendlàn-
dische Polit ik Kaiser Manuels (Strasbourg, 1881', in-8°, p. 119.
2. Ed. Meineke, dans Corpus scriptoruni hyzantinpe historiœ Bonn, 1836l
in-8°.
3. Cf. Krumbacher, op. cit., p. 281 et suiv.
4. Ed. Bekker, dans Corpus, scriptoruni hijzantinœ historiœ Bonn, 183o),
in-8<'.
5. De Thessalonica a Latinis capta, éd. Bekker, dans Corpus scriptorum
byzantinse historiœ (Bonn, 1842). Cf. Tafel, Komnenen und Normannen
(Stuttgart, 1870i, in-8», p. 73 et suiv., et la Préface de Spata, dans / iltci/ia^t
in Salonico neli anno f 1 85 (Palerme, 1892j, in-4°.
VOYAGEURS ARABES LXVIl
pas borné au seul récit du sièg^e, mais nous a donné une excel>-
lente relation des événements qui l'ont précédé et suivi. Malgré
une certaine confusion, son œuvre, par rintérèt qu'elle présente,
par les curieux détails qu'elle contient sur les rapports qui s'éta-
blirent entre les Normands et Grecs vaincus, constitue la meil-
leure source que nous possédions sur cet épisode de la lutte enga-
gée entre le royaume de Sicile et l'Empire grec. Bien malgré lui,
témoin oculaire des faits qu'il raconte, Eustathios ne s'est pas
borné a raconter sèchement les événements auxquels il a assisté ;
on sentdaas tout son récit, une haine violente contre les envahisr-
seurs et contre ceux des généraux byzantins qui par leur impél-
ritie ont préparé la défaite de TEmpire.
IV. VOYAGEURS ET CHRONIQUEURS ARABES.
Ce n'est qu'incidemment que les auteurs arabes nous four,-
lîissent des renseignements sur l'histoire des Normands. Toute-
fois, quelques-uns d'entre eux ont une importance toute parti-
culière, car c'est grâce à eux que nous pouvons reconstituer l'his-
toire des tentatives des Nori,nands pour s'établir en Afrique. S;i
nous en étions réduits aux chroniqueurs grecs ou latins, bien des
points demeureraient dans l'ombre ; ce sont les auteurs arabes
qui comblent ces lacunes.
Edrisi (1099-1180), né à Ceuta, lit ses études a Cordoue, et se
mita voyager. Attiré à la cour de Sicile par Roger II, il s'y fixa,
et fut chargé de condenser les résultats de l'enquête géogra-
phique faite sur l'ordre du roi pendant quinze années ; il com-
posa un ouvrage intitulé : La récréation de celui qui désire par-
courir les horizons. Son œuvre est regardée comme constituant
l'ouvrage géographique le plus important du moyen âge. Sans
parler des renseignements qu'elle nous fournit sur la civilisatiop
sicilienne à l'époque normande, l'ouvrage d'Edrisi nous fournit
encore une masse de renseignements historiques et économiques ^
Ibn Giobair, né à Valence en llio, a écrit le récit du voyage
qu'il fit à la Mecque -. En revenant de son pèlerinage, il s'arrêta
1. Éd. et trad. Amari, B.A.S., t. I, p. 31 et suiv.
•2. Éd. et trad. Amari, B.A.S., t. I, p. 137 et suiv.
LXVIll I.NTRODLCTION
en Sicile où il séjourna du mois de décembre 1184 au mois de
mars 1185. Après avoir débarqué à Messine, Ibn Giobair se ren-
dit à Palerme et delà à Trapani. Esprit curieux, l'auteur a inter-
rog-é sur leur situation ses coreligionnaires, sujets de Guil-
laume II, et nous a transmis un grand nombre de détails intéres-
sants. Sans parler des renseignements qu'il nous fournit sur les
villes qu'il a traversées, nous lui devons une description fort
curieuse de la cour royale, des détails précis sur la situation des
Musulmans de Sicile, et enfin un récit détaillé des causes de
l'expédition de 1185, dirigée par Guillaume II contre l'empire
byzantin. L'auteur sait se montrer impartial et ses préjugés reli-
gieux ne l'empêchent pas de rendre justice au roi de Sicile.
Ibn el Athir. né en 1 160, à Djezirat ibn Omar, sur les bords du
Tigre, mort à Mossoul en 12'i3, est l'auteur d'une chronicjue
universelle, El Kamel Allevarykh, dont certaines parties sont
particulièrement importantes pour l'histoire des Normands d'Ita-
lie '. Cet ouvrage nous fournit de nombreux détails sur les pre-
miers rapports de Roger l'^'^avec les Musulmans de Sicile et leurs
coreligionnaires d'Afrique, sur l'établissement et la chute de la
domination normande en Afrique, et enfin sur les expéditions
envoyées en Orient par Guillaume II.
Aboulfeda (^1273-1331) a laissé des Annales très étendues ; au
point de vue particulier où nous nous plaçons, il présente un
médiocre intérêt, car il n'a guère fait que copier Ibn el Athir -.
Ibn Adari, originaire du Maroc, a écrit vers la fin du xni^ siècle,
le Kilah al Bayan al Mufjrib dans lequel il a inséré des frag-
ments d'auteurs plus anciens. En dehors d'un récit détaillé des
expéditions normandes en Afrique, en 1122 et en 1118, il se
borne le plus souvent à mentionner simplement les faits 3.
At Tigani, qui vivait au début du xiv^ siècle, est l'auteur
d'un récit de voyage, dans lequel il raconte les principaux faits
relatifs à l'histoire des lieux qu'il a visités ^. Son œuvre nous four-
nit de nombreux et utiles renseignements sur l'établissement des
1. Éd. et trad. Amari, B.A.S., t. I, p. 353 et suiv.
2. /(/.. t. II, p. 83 et suiv.
3. Id., t. II, p. i et suiv.
4. Id., t. II, p. 41 et suiv.
VOYAGEURS ARABES LXIX
Normands en Afrique et au temps de temps de Rog-er II, sur l'or-
ganisation de la conquête. At Tigani a utilisé de nombreux
ouvrages, et est en g-énéral bien informé.
Nous nommerons encore An Nowairi, Ibn Khaldoun, Ibn abi
Dinar, Immad-ed Dîn, Abou Chamah, El Makrisi, qui bien
qu'écrivant souvent à des époques assez tardives, ont néanmoins
une réelle valeur, car ils ont eu entre les mains des sources
aujourd'hui perdues. Enfin, le voyageur israëlite, Benjamin de
Tudèle, qui visita le royaume normand vers le milieu du xii*^
siècle, mérite une mention spéciale.
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1. Les sources narratives et les recueils d'actes sont indiqués en petites
capitales.
Voici l'indication de quelques abréviations :
Arch. st. napol. = Archivio storico per le provincie napolefane.
B.A.S. =: Amari, Biblioteca araho-Sicula.
Mélanges d'archéologie et d'histoire z=z Mélanges d'archéologie et d'histoire
publiés par l'Ecole française de Rome.
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SS., t. III.
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HISTOIRE
DE LA
DOMINATION NORMANDE
EN ITALIE ET EX SICILE
PREMIERE PARTIE
CHAPITRE PREMIER
ÉTAT POLITIQUE DE l'iTALIE MÉRIDIONALE AU MO.ME.NT
DE l'arrivée DES NORMANDS.
Au début du xi'' siècle, lors de l'arrivée des Normands, l'Italie
méridionale était partagée en un g-rand nombre de petits États.
Les Mulsumans possédaient la Sicile, les Byzantins occupaient
la Pouille et la Calabre ; Gaëte, Naples et Amalfi formaient trois
républiques : Bénévent, Capoue et Salerne étaient les capitales de
trois principautés lombardes que bordaient, au nord, l'Etat ponti-
fical et le duché de Spolète. Ce morcellement était le résultat de
l'anarchie qui avait régné dans tout le midi de la Péninsule au
ix*^ et au x*' siècle, et avait amené la division des anciennes
possessions de l'empire grec. Pourtant, si nous nous en rappor-
tions au témoignage des Byzantins, il semblerait que presque rien
n'ait été changé dans l'Italie méridionale et que les basileis y soient
demeurés tout-puissants. Byzance, en effet, n'a jamais reconnu
les faits accomplis et s'est toujours considérée, sinon comme maî-
tresse absolue, au moins comme suzeraine de l'Italie du Sud, et
si réduites qu'aient été par moment ses possessions, elle n'a jamais
renoncé à aucune de ses prétentions. Il faut insister sur cette
théorie byzantine, car elle seule permet de comprendre la poli-
tique grecque durant trois siècles.
Histoire de l,i (hmiiiiulion normande. — Chalandon. 1
 CHAPITRE PREMIER
La situation des Byzantins dans l'Italie méridionale avait été
rég'lée à la suite des conquêtes de Charlemagne, par les traités
des années 803 et 812'. Nous ne connaissons pas la teneur de la
convention conclue entre Nicéphore et Charlemagne, et nous ne
sommes pas renseignés davantage sur l'accord intervenu entre
ce dernier et le basileus Michel. Il est pourtant probable que la
paix fut faite sur les bases de Xuti possidetis, et que les traités
laissèrent « à l'empereur d'Orient, Venise et ses îles, les villes
maritimes de la Dalmatie, Naples et son duché, les possessions
que les Byzantins conservaient en Calabre, enfin la Sicile 2. » Mais
l'œuvre accomplie par Charlemagne en Italie resta incomplète, car
jamais la situation du duché lombard de Bénévent vis-à-vis de l'Em-
pire ne fut définitivement réglée. La création de lEtat pontifical
fut une demi-mesure qui ne fut pas, d'ailleurs, exécutée entièrement.
Il semble que l'Italie du Sud ait elfrayé les premiers Carolingiens;
et il faut descendre jusqu'à Louis II pour voir l'empereur inter-
venir directement dans les alFaires de l'Italie méridionale. Sans
doute, en théorie, le duché lombard relevait bien de l'empire
d'Occident, mais, en pratique, et du vivant même de Charlemagne,
l'autorité de l'empereur ne fut jamais reconnue par les Lombards
de Bénévent. 11 suffit de rappeler les difficultés qui s'élevèrent
entre le pape Hadrien et Grimoald, duc de Bénévent. Dans cette
affaire les fonctionnaires impériaux eurent certainement le des-
sous*'. Le duché de Bénévent fut ainsi amené dès son origine à se
rapprocher des Byzantins. On sait que Grimoald épousa une
princesse grecque^ et se reconnut vassal du basileus ^ Telle fut
l'origine du malentendu qui, s'élevant dès le début du nouvel
état de choses, donna naissance à la théorie byzantine sur l'Italie
méridionale.
1. Annnl. Einhardi, ad an. 803 M. G. H. SS., t. I, p. 191. Einliard, Vila
Karoli, M. G. H. SS., t. II, c. 15, p. 451. Cf. Diehl, L'Exarchat de Ravenne,
p. 239.
2. Diehl, loc. cil.
3. Codex Carolinus, éd. Gundlach, M. G. H., in-i", Epistolœ, t. III, n. 87.
Cf. W. Martens, Die r'ôniische Fraçje tinter Pippin und Karl dem grossen
(Stuttgart, 1881), p. 190 et suiv.
4. Erchempert, c. a, dans M. G. II., Scrip. reriini longohardicarum et ital.
p. 236.
5. Cod. CaroL, n. 86.
ÉTAT POLITKJLE DK l'iTALIK MÉRIDlOiNALE 3
En théorie, les Byzantins se sont toujours regardés comme les
maîtres du midi de la Péninsule. Les Lombards ont pu s'emparer
de presque toutes les possessions grecques en Italie, les Musul-
mans ont pu chasser les troupes byzantines de toute la Sicile :
rien n'a pu modifier cette conception des empereurs grecs. Il
est vrai que les rivalités constantes, les guerres continuelles,
entre les principales villes du midi de Tltalie, ont amené souvent
un des partis rivaux à recourir à Byzance ; les appels ainsi faits
à l'autorité suprême du basileus ont contribué, sans doute, à
maintenir à Constantinople l'idée de la souveraineté impériale
sur des pays qui en fait paraissent avoir été tout à fait indépen-
dants. Les listes reproduites par Constantin VII Porphyrogénète
divisent les possessions byzantines de l'Italie en thème de
Sicile et en thème de Longobardie. Le basileus reconnaît d'ail-
leurs que le premier est occupé par les Musulmans et que le
territoire du second est réduit à la Calabre c'est-à-dire à l'ancien
Bruttium ', mais tout cela n'empêche pas le thème de Sicile de
figurer dans la liste des provinces relevant de l'empire grec 2,
Il en est de même pour le thème de Longobardie-^ Les prin-
cipales villes de ce dernier sont bien au pouvoir des Lombards,
comme l'empereur est obligé de le reconnaître, mais, dans la
théorie du basileus, les Lombards sont des vassaux de l'em-
pire grec. Cela résulte, sans doute possible, d'un passage du De
administrando imperio'' et, encore plus clairement, des paroles
que Liutprand, ambassadeur de l'empereur Othon auprès du basi-
leus, prête à Nicéphore Phocas. Parlant des princes lombards de
Capoue et de Bénévent soumis à l'empereur germanique, Phocas
1. Sur l'époque du changement de nom du Bruttium, cf. Schipa, La
migrazione del nome (( Calahria » dans VArchiino storico per le prorincie
napoletane, t. XX ll89o), p. 23 et suiv. J. Gay, Les diocèses de Calabre à
Vépoque byzantine, dans la Rev. dliistoire et de littérature religieuse, t. IV
(1900), p. 234 et suiv., et L'Italie méridionale et V empire byzantin, p. 6
et suiv.
2. De them., II, p. 58.
3. Ibid., p. 60.
4. Kaî ËxTOTE xat [J-é/pt tou vuv /.ai oi ifj; Ka;tûr,; -/.aï oi Tf^; BeveSevôou e'atv ùnô
TT)V£;oua;av xwv 'P(i)jj.atwv £tç TsXetav ooûXroaiv xaî 6;:oTayrjv 5ià T7]v eîç aùioùç yevo-
[AEvr)v [x£YâXr,v TaÛTrjv txiio-^i.'sioL'^ . De admin. imp., 29, 136.
4 CHAPITRE PREMIER
s'exprime ainsi : « Servos ineos doininus tuus in tutelain recipit
suam ; quos si non dimiserii et in pristinam servitutem redefferit,
nostra aniicitia carebif. Ipsi, in iniperiuni nostruni ut recipiantur,
flagitant ; sed récusât eos nosf ru m imperiuni, ut cognoscant et
experiantur quam periculosuni sit, seruos a dominis déclinasse,
servituteni effugere ^. >■>
Pour la principauté de Salerne, la théorie byzantine devait
certainement être la même. Comme on le verra plus loin,
le prince de Salerne, à un moment donné, a reconnu la supré-
matie du basileus et à diverses reprises, au Ji^ siècle et au xi®,
nous voyons les souverains de Salerne prendre dans leurs actes
des titres byzantins, le plus souvent celui de patrice impérial 2.
11 en est de même pour les autres Etats qui, comme nous
le montrerons, sont en fait à peu près complètement indépendants.
Le Porphyrogénète énumère Naples, Gaëte, Amalfi et Sorrente
comme relevant du thème de Sicile ; il ajoute que Naples, Amalfî
et Sorrente ont toujours obéi à l'empire ^ On verra plus loin
que Byzance n'était pas très difficile en fait d'obéissance.
Par ce qui vient d'être dit on peut juger que Byzance a conservé
toutes ses prétentions sur l'Italie méridionale; et c'est peut-
être dans cette conception de la politique impériale, qu'il faut
chercher l'explication du titre de catépan d'Italie que nous
voyons prendre à la fin du x*" siècle par Michel, Calocyr et Gré-
goire Trachaniotès ^. Nous allons maintenant passer à la réalité
1. Liudprandi legatio, M. G. H. SS., t. III, p. 332-.3o3.
2. Codex dipl. Cavensis, t. I, n. Cil, p. 130, n. CIV, p. 133; n. CXC,
p. 245; n. GXCl, p. 246, etc. Cf. Di Moo, -In. cril.del regno di Napoli, t. V,
p. 346-357.
3. De administrando imperio, 27, 121.
4. Trinchei'a, Syllahus niembranarum graecarvm, p. 5 et 9. Beltrani,
Documenti lonyohardi e i/reci, p. 9 et H. On a beaucoup discuté sur le sens
qu'il faut attribuer au mot Italie. On a voulu que ce mot ait servi à désigner
l'ancienne Longobardie. Cf. Kap Ilerr, Bajulim Podesta Consules, dans
Deutsche Zeilsch. fur Geschichfawisxenschaft, t. A' (1891), p. 67. Gay.
L'Italie méridionale et l'empire byzantin, p. 347. Sur les divers sens du
mot, cf. Schipa, Le « Italie » nel medio evo, dans Arch. st. napol., t. XX,
p. 395 et suiv. Il me parait que ce mot a été pris successivement dans
deux sens, puisque certains catépans, au xi^ siècle, sont dits << catépans
d'Italie et de Calabre »; cf. del Giudice, op. cit., Ap. p. 14; tandis qu'au
x" siècle, c'est le titre de catépan d'Italie qui est usité.
ÉTAT POLITIQUE DK L ITALIK MÉIUDIONALE O
et examiner la situation véritable de chacune des principautés de
l'Italie du Sud.
Au début du xi" siècle, les Byzantins ne possèdent plus rien
en Sicile '. Ils en ont été complètement chassés par les Ag-labites
de Kairouan. Ceux-ci commencèrent la conquête de File en 827;
ils n'attendirent pas de l'avoir terminée pour commencer à piller
les côtes d'Italie. Leurs expéditions furent d'ailleurs singuliè-
rement facilitées par les guerres continuelles des divers princes
italiens. Les factions rivales finirent par s'appuyer sur eux et les
Musulmans purent ainsi fonder sur le continent des établissements
permanents. Il suffit de rappeler leur colonie du Garigliano, celle
d'Agropoli et leur établissement à Bari. Pendant des années, les
malheureuses populations de l'Italie furent en butte àleurs attaques
incessantes. Nous voyons d'après un acte curieux publié dans le
Charfularium Cupersanense ', que les habitants des villes mena-
cées fuyaient dans l'intérieur des terres ; les lettres de Jean VIII
et la Vie de saint \il -^ nous font saisir sur le vif la terreur que
répandaient les incursions des Sarrasins et les misères de toute
sorte qui, durant le ix*' et le x*" siècle, suivaient leur passage. Le
moine Bernard qui alla en Terre sainte, vers 870, raconte, dans
sa relation de voyage, qu'il vit à Tarente des milliers de captifs
chrétiens que les Musulmans envoyaient en Afrique '. L'audace
des infidèles grandissait sans cesse; leur exploit le plus reten-
tissant fut, en 846, le pillage de la basilique de Saint-Pierre de
Rome, qui eut un douloureux retentissement dans tout le
monde chrétien '. Après l'expédition de Louis II contre Bari,
1. Sur la conquête de la Sicile, cf. Amari, Sforia dei Miixiilmani di Sicilia
(Florence, 1854), t. 1, p. 2'i8 et suiv.
2. Charl. Cupers., t. I, p. 80.
3. Cf. Schhimhergev, L'épopée byzantine à la findii X^ siècle, Jean Tziniis-
cès, p. 460 et suiv.
4. Itinera Hierosolymifana, éd. Tobler, t. 1, p. 310.
5. Ann. Berlin., éd. Waitz, M. G. H. SS., in-8°, p. 34. Lih. Pont., éd.
Duchesne, t. II, p. 99. Benoit de St-André, Chr. M.G.II., SS., III, 713.
Cf. Mgr Duchesne, Les premiers temps de l'Etat pontifical, 2'' éd. (Paris, 1904),
p. 213 et suiA'. ; Lauer, Le poème de la « destruction de Home » et les origines
de la cité léonine, dans les Mélanges d'arch. et d'histoire publiés par l'Ecole
française de Rome, t. XIX (1899), p. 307 et suiv.
b CHAPITRE PREMIER
le pape Jean VIII se décida à entreprendre contre eux une véri-
table croisade; mais ce fut seulement sous le pontificat de
Jean X que les Etats du sud de l'Italie, voyant que les maux
occasionnés par la présence des Musulmans n'étaient pas com-
pensés par les avantages tirés de leur alliance, finirent par s'unir
pour le chasser'. Au début du xi® siècle, les Musulmans n'ont
plus d'établissement sur le continent, mais la Sicile en entier
leur appartient, depuis la grande défaite qu'ils ont infligée à
l'expédition envoyée par Nicéphore Phocas -. L'échec des
troupes grecques amena la prise de Rametta, la dernière place
qui fût restée aux Grecs (96o). Etablis en Sicile, les Musulmans
continuent leurs attaques incessantes contre les côtes d'Italie '.
Il n'est presque pas d'année où l'on ne trouve la mention dune
de leurs expéditions. L'expulsion des Sarrasins de Sicile devient
à partir de la fin du x*" siècle le but que se proposent tous ceux
qui songent k dominer sur l'Italie méridionale. C'est contre eux
qu'était dirigée l'importante expédition d'Othon II, qui aboutit
à la lamentable défaite de Stilo '% et Basile le Bulgaroctone
songeait à conduire en personne les troupes byzantines en Sicile
lorsque la mort vint le surprendre •'.
Au début du xi^ siècle, les Byzantins n'ont donc absolument
plus rien en Sicile. L'île tout entière est aux mains des Musul-
mans. Passons maintenant aux Etats continentaux.
Pour Gaëte, nous sommes bien renseignés, grâce aux actes
conservés ^. Nous pouvons constater quelle est la situation poli-
1. Cf. Lapôtre, L'Europe el le St-Siège à l'époque carolingienne Paris,
1895), p. 354 et suiv., et Mgr Duchesne, op. cit., p. 317.
2. Cf. Schlumberger, Un empereur byzantin au A'*" siècle (Paris,
1890), p. 435 et suiv.
3. Ihid.y p. 670 et suiv., et Schlumberger, L'épopée byzantine à la fin du
.Y« siècle, Jean Tsimiscès, p. 477 et suiv.
4. Op. cit., p. 504 et suiv.
5. Cf. Schlumberger, L'épopée byzantine à la fin du X^ siècle. Basile II
le tueur de Bulgares, p. 598 et suiv.
6. Ces actes sont publiés dans le Codex diploniaticus Caietanus,
(Montis Cassini, 1888-1891), 2 vol. in-4°. Sur l'histoire de Gaëte, cf. Federici
(G.), Degli antichi duchi e consoli o ipati délia città di Gaeta. (Napoli,
1791.) Malgré beaucoup d'erreurs, on y trouve encore dutiles renseigne-
ments.
ETAT POLITIQUE DE l- ITALIE MERIDIONALE 7
tique de la ville, sans pouvoir toutefois connaître comment s'est
établi l'état de choses existant. La ville de Gaëte ne fut pas
comprise dans la donation de Charlemagne au pape Hadrien ; à ce
moment elle relevait théoriquement de l'empereur de Constanti-
nople '. En 778, nous voyons le patrice de Sicile s'établira Gaëte
d'où il dirig-e les incursions des gens de Bénévent, Terracine et Gaëte
contre la Campanie ^. Quelques années après, nous voyons que la
situation s'est modifiée. Gaëte reconnaît la souveraineté du pape.
Vers 787, les actes rédig-és à Gaëte portent la mention du règne de
l'empereur et du pontificat du pape ^ Une lettre du Codex Carolinus
nous montre vers la même époque l'évêque de Gaëte renseignantle
pape sur les menées de ses ennemis K Gomment s'est produit ce
rapprochement? On ne saurait rien affirmer à cet égard. Sans
doute les insuccès, que subit, à la fin du viii" siècle la politicjue
byzantine dans les affaires italiennes, n'ont pas été étrangers
aux rapports qui s'établirent alors entre Rome et Gaëte. D'autre
part l'Etat pontifical, tel qu'il fut constitué en 774, occupait
l'arrière-pays de Gaëte. Sans doute, il est certain que la donation
de Charlemagne n'a pas été suivie d'effet, mais, du fait même de
la donation, il résulta pour la papauté un accroissement moral
d'autorité qui peut parfaitement expliquer un rapprochement de
la part des gens de Gaëte, lesquels voyaient diminuer l'influence
byzantine. Cette reconnaissance de l'autorité pontificale fut
d'ailleurs passagère. En 812, la flotte de Gaëte se range sous les
ordre du patrice de Sicile •'' et, en 830, nous voyons figurer dans les
actes l'indication des années de règne de l'empereur grec ^. Il
semble qu'à ce moment Gaëte ait fait partie du duché de Naples.
Dansun acte de 839, Constantin, consul de Gaëte, appelle André,
1. Cod. Carolinus^ n. 37, p. 547.
2. Ihid., n. 61, p. 588 et n. 64, p. 591.
3. Codex Caietanus, t. I, p. 1.
4. Cod. Carolinus, n. 80, p. 612.
5. JafTé-Lowenfeld, 2524.
6. Cod. Caiet., t. I, p. 2. Les éditeurs ont placé à la suite de ce docu-
ment un acte daté des années de règne du pape, qu'ils datent de l'année
830. Comme il s'agit d'une ([uestion ecclésiastique, il n'y a peut-être pas
lieu de tenir compte de la formule : << Temporibus domni Gregorii sumrni
pontificis ». Dans tous les cas l'indiclion X donne pour la date d'année :
septembre 831 à septembre 832, et non pas 830.
8 CHAPITRE PREMIER
consul de Naples, notre duc '. Il me paraît très probable que
Gaëte fut rattachée à Naples. quand, par suite de l'expulsion des
Byzantins de presque toute l'Italie, le patrice de Sicile devint le
principal fonctionnaire grec pour les possessions italiennes de
l'empire. A cause de son éloignement, le patrice céda sans
doute au duc de Naples une partie de son autorité sur la région
avoisinante.
A partir de l'année 839 et jusqu'en 862, Gaëte reconnut
de nouveau la souveraineté pontificale "-. Ce nouveau recul
de l'influence byzantine s'explique très bien ; la période, durant
laquelle il se produit, est remplie par les luttes amenées par le
partage du duché de Bénévent ; pendant les règnes de Théophile
(829-842) et de Michel 111 !8i2-8()7), Byzance ne s'occupe pas
du tout des affaires italiennes. A partir de 866, Gaëte reconnaît
de nouveau l'empire grec ^, mais peu après nous voyons appa-
raître les premières tentatives des autorités locales pour se
rendre indépendantes. En 867, Docibilis, qui a succédé depuis
peu à Théodore '*, comme prefecturius, fait marquer dans les
actes le teaips de son gouvernement, au lieu de celui de l'em-
pereur •': en 890, dans les diplômes de Docibilis lui-même, il
n'est fait aucune mention de l'empereur grec ''. Entre ces deux
deux dates, on rencontre une fois, en septembre de l'année 887,
un acte où sont comptées les années de règne des empereurs
Léon et Alexandre". Ces hésitations dans les usages nous montrent
bien que Gaëte ** est alors dans une période de transition. Sans
1. Cod. Caiet., t. I, p. 10.
2. Cod. Caiet., t. I, p. 11-19.
3. Ibid., p. 20.
4. Théodore est mentionné dans un acte du \"i janvier Snti. Cod.
Caietanus, t. I, p. 20.
5. En octobre 867, Ihid., p. 22. La formule usitée est : >< Temporibus
domini Docibilis ma;/ni/ico et prefecturio ». sans indication des années de
règ'ne.
(i. Ibid., p. 2o et 27. Docibilis à un collègue, le consul Jean.
7. Ihid., p. 24.
8. Je ne sais sur quel texte Rambaud s'est appuyé pour dire que Gaëte
témoignait habituellement les plus grands égards au gouvernement
byzantin. L'empire grec an X" siècle, Constantin Porphyrogénète (Paris,
1870», in-8", p. 44;i.
ÉTAT POLITIQUE DE LITALIE MÉRIDIONALE 9
se proclamer tout à fait indépendante la ville tend à s'aifranchir
de tout lien de subordination vis-à-vis de l'empire grec. Ces
tentatives ne durèrent pas très longtemps, la iin du ix*' siècle vit
en effet le retour offensif des Byzantins qui vinrent jusques à
Bénévent. Aussitôt Gaëte reconnut à nouveau la suzeraineté du
basileus, et, de 899 à 933, nous Aboyons que Ton date les actes
des années de règne de l'empereur '. En même temps les magis-
trats de Gaëte reprennent les titres impériaux de patrice et de
consul "'. A cette époque également, on voit apparaître le titre
de dux ■\ qui fut très probablement accordé par Byzance.
Je serais très porté à admettre que ce titre fut donné aux magis-
trats de Gaëte par le basileus pour punir Naples, qui à ce moment
s'éloignait de l'empire grec. Ainsi aurait cessé la subordination
de Gaëte au duché de Naples.
A partir de l'année 93i, l'incertitude règne de nouveau ^. Les
fonctions municipales sont devenues héréditaires •', le pouvoir est
aux mains de la famille des Docibilis, et, suivant que 1 influence
byzantine augmente ou diminue, Gaëte reconnaît l'empereur grec
ou s'émancipe de la suzeraineté byzantine. En 962, Gaëte reconnaît
le prince lombard Pandolf Tête de fer ", mais, à partir de 963, les
actes ne mentionnent plus que les magistrats municipaux ^ Il
n'y a qu'une exception : en 976, nous trouvons un acte daté de
l'empereur Othon et du pape •'^. Tous les actes suivants montrent
que la ville se regarde comme indépendante •'. En résumé, depuis
le viii^ siècle, Gaëte a tendu continuellement à s'affranchir de la
domination byzantine, et l'on peut dire que depuis le x'' siècle
elle y a réussi. Sa situation géographique lui a d'ailleurs donné
beaucoup de facilités pour arriver à ce résultat. Complètement
isolée, tout à faità l'extrémité des possessions, qui nominalement
1. Cod. Caiet., 1. 1, p. 28 et suiv.
2. Op. cit., p. 31, 41, 46, 47, 53, etc.
3. IIjUL, p. 62, 66, 68, etc.
4. Ibid., p. 62 et suiv.
5. Ihid., p. :j2, 57 et 68.
6. Ihid., p. 112. ' .
7. Ihid., p. 113 et suiv.
8. Ihid., p. 127.
9. Ihid., p. 133 et suiv.
10 CHAPITRE PKE.MIER
appartenaient aux Byzantins, Gaëte a pu d'autant plus facile-
ment échapper à toute autorité directe, que son commerce ne
paraît pas avoir été très important. Par suite la ville n'a pas été
oblig"ée de suivre une politique conciliante vis-à-vis de Byzance,
comme cela a été le cas pour certaines villes, Amalfi par
exemple. On voit donc que le Porphyrogénète avait de bonnes
raisons, pour ne pas mentionner Gaëte parmi les villes qui ont
toujours obéi à l'empire g-rec.
L'origine du duché de Naples remonte à une époque très
ancienne; au temps de Grég-oire le Grand il existait déjà '. A
partir de Constant II, le titre de duc fut attribué d'une manière
permanente au gouverneur militaire de la Campanie et le duc
fut nommé directement par l'empereur. Le duché de Naples est
alors entièrement byzantin. Au viii'' siècle, le grec est la langue
officielle, les sceaux des ducs ont des légendes en langue grecque -,
les monnaies frappées à Naples portent le nom de l'empereur
de Constantinople -K Le duc prend le titre de patrice impérial
et de consul ^. Vers 761, le peuple de Naples admet tout à
fait les idées iconoclastes et refuse de recevoir l'évêque Paul,
ennemi des iconoclastes et envoyé par le pape ^. Pourtant, à
partir de 764, l'influence grecque paraît décroître. L'évêque Paul
peut prendre possession de son siège et nous voyons vers le
même temps Naples se détacher de Byzance par toute une série
d'usurpations. Il faut noter toutefois que, vers 787, des ambas-
sadeurs byzantins reçoivent à Naples un accueil empressé. On
peut dire, semble-t-il, que le règne d'Etienne II a été pour le
1. Pour tout ce qui regarde le duché de Naples, cf. Gay, op. cit., p. 16
et suiv.,et L'élat pontifical, les Byzantins et les Lombards, dans les Mélanges
d'archéologie et d'histoire, t. XXI (1901), p. 489, et Schipa, Il ducato di
Napoli, dans VArchivio st. per le prov. nap., t. XVII et suiv. .lai beaucoup
emprunté à ces ouvrages.
2. Cf. Ca\)asso, Moniim. ad. Xeap. ducat iis historiani pertinentia, t. Il, pars
2, p. 243-244.
3. Cf. Sambon, Le monele del ducato Xapoletano dans Arch.sf.nap., l. XV^
p. 462-464. De Blasiis, Le pergamene bizantine degli archiiu di Xapoli e di
Palermo, dans Arch. st. it., me s., t. III, p. 94. Au viii*' siècle Naples compte
plusieurs églises grecques. Cf. Rodotà, op. cit., I, 336.
4. Capasso, op. cit., t. I, p. 262 ; t. II, p. 243.
5. Gesta episcoporuni neapolit., dans M. G. H. Script, reruni longob. et it.,
p. 424.
ÉTAT POLITIQUE DE l'iTALIE MÉRIDIONALE 11
duché de Naples une période de transition durant laquelle les
Lombards et les Grecs ont été également ménagés •.
Sans que nous soyons renseignés à cet égard, il me
paraît, que, déjà à ce moment, l'empereur n'exerce plus son
droit dé nomination du duc; il ne doit y avoir tout au plus que
confirmation. Le latin tend à remplacer le grec comme langue
officielle, et, sur les monnaies, on substitue à l'effigie de l'em-
pereur celle de saint Janvier patron de la cité -. On continue,
pourtant, à dater les actes des années du règne des empereurs.
Au début du ix*^ siècle, dans un moment de discordes civiles,
nous voyons le patrice de Sicile nommer successivement deux
ducs (entre 818 et 821) ; mais, en 821, une révolution chasse
le duc désigné par le représentant de l'empereur 'K Quelques
années auparavant, l'empereur Léon III voulant arrêter les
attaques des Musulmans avait fait appel à la flotte de tout le
duché ; seules les villes d'Amalfi et de Gaëte répondirent à son
appel, et la flotte de Naples ne parut point ''. Le duc Etienne III
(820-831 ) frappa des monnaies à ses initiales •''.
Avec le duc Serge L'"", au milieu du ix^ siècle, l'orientation poli-
tique du duché se modifie complètement. Les prédécesseurs de Serge
avaient été amenés, par suite de leurs guerres continuelles avec les
princes lombards, à s'allier aux Musulmans de Sicile, les progrès
de ceux-ci furent si rapides que Serge, pour les chasser d'Italie,
se tourna vers la papauté et l'empire franc ^\ Nous n'avons
pas à entrer dans le détail de ces événements ^, mais le fait
suivant montre bien l'importance que Serge sut acquérir : en
847, l'empereur Lothaire P*" le chargea avec Guy de Spo-
i. Cf. Cod. CaroL, n. 82, p. 610, et la curieuse inscription du duc
Césaire, dans Capasso, Monumenta, III, 218. Cf. Mommsen, Neues Archiv,
t. III, p. 403.
2. Sambon, op. cit., p. 467 et suiv. On compte cependant à Naples un
certain nombre de monastères grecs. Cf. Capasso, Monumenta, II, 2,
169-170, et Jean Diacre dans M. G. II., Script, reruni longoh., p. 440 et 456.
3. Gesta ep. neap., "tO, p. 428.
4. Jaffé-L. 2524,
5. Sambon, op. cit., p. 470.
6. Capasso, op. cit., I, 84.
7. Cf. Schipa, op. cit., p. 612 et suiv.
12 CHAPITRE PREMIER
lète de rétablir la paix entre les princes lombards '. Serge a^^it
comme s'il était complètement indépendant; sous son règ-ne la
charg-e de duc devient héréditaire ' et les monnaies sont frap-
pées à l'effigie du duc '•.
Les ducs de Naples adoptèrent dès lors une politique de bascule
entre les Francs et les Byzantins, favorisant tout à tour les
progrès de l'empereur ou du basileus, suivant ce que leur com-
mandait leur intérêt particulier. Le duché atteignit le plus haut
période de sa puissance avec Athanase (877-898). C'est une des
figures les plus curieuses de l'histoire de l'Italie du Sud que celle
de cet évéque-duc qui durant près de vingt ans tint tète au pape
et à l'empereur, malgré les excommunications répétées qui furent
lancées contre lui ^. Athanase suivit d'abord la politique allemande
de ses prédécesseurs, mais il trouva que Jean VIII intervenait
trop dans les affaires de l'Italie du Sud et il se tourna complè-
tement vers les Sarrasins et les Byzantins '. L'alliance des Grecs
lui permit d'étendre jusqu'à Gapoue le territoire du duché. Sous
son règne il faut noter un fait important. Erchempert mentionne
à diverses reprises la présence des Grecs dans les rangs de 1 armée
du duc de Naples ^. Nous avons là une preuve des bons rapports
qui s'établirent entre Byzance et Naples au moment où les Grecs
reprirent pied dans l'Italie méridionale. D'autres faits peuvent
encore être cités à ce sujet. Lorsque le prince de Salerne. Guai-
mar, fit sa soumission à Byzance, nous voyons le duc de Naples
s'abstenir pendant un certain temps d attaquer le territoire de
Salerne ^ La politique inaugurée par Athanase fut continuée
par ses sucesseurs.
Nous voyons, en 915, le patricegrec envoyé pour combattre les
1. Capasso, op. ciL, 1, p. 83.
'2. Schipa, op. cit., p. 624.
3. Sambon, op. cit., p. 472. Cf. en parliculier Jaffé-L. 3090, 3307,
3309, 3343, 334t), 3378.
4. Chr. Vult., Muiatori, R.I.SS. I, 2, p. 405. Léo Ost. I, 40, dans M. G. H.
SS., t. VII, p. 609.
5. Cf. Erchemperl, c. 57.
6. Ici. c. 56. 57, 62, 67, 73.
7. Id., c. 67. Cf. Schipa, Storia del principato longohardo di Salerno
dans Arch. st. per le prov. napol., t. XII, p. 213.
ÉTAT POLITIQLI-: DE l'iTALIE MÉRIDIONALE 13
Musulmans d'Italie, réussir à détacher le duc de Naples Grégoire
de lalliance musulmane et lui conférer le titre de patrice '.
Durant le x*" siècle, les ducs de Naples, etîravés, par moment, de la
puissance croissante des Byzantins, rompirent parfois avec l'em-
pereur grec, mais toujours ils furent obligés de reconnaître la
suzeraineté byzantine. Au début du règne de Jean III, Xaples
s'allia aux Lombards contre les Byzantins et il fallut l'envoi
d'une armée en Fouille pour faire à nouveau reconnaître l'auto-
rité du basileus '. Peu après nous voyons le duc de Naples con-
clure un accord avec les princes lombards de Capoue et de
Bénévent salua fidelitate sancforum irnperatoruni -K Vers 9oo,
une nouvelle tentative de rébellion amena l'envoi d'une armée
grecque à Naples, qui dut se soumettre '*. Il semble que, quelques
années plus tard (962), Naples se soit décidée à embrasser le parti
de l'empereur Othon I*" '. Le successeur de Jean III, Marin II,
retourna à l'alliance byzantine, il reçut le titre de patrice" et
conduisit ses troupes au patrice Eugène qui assiégeait Capoue ".
Othon I*^'' fît payer aux Napolitains l'appui qu ils avaient donné
aux Byzantins, en ravageant les environs de Naples (970), mais
il ne put s'emparer de la ville ^. Il est probable que les succes-
seurs de Marin II continuèrent la politique de ce dernier; c'est
ce qui expliquerait comment Othon II fut amené à s'emparer de
Naples, en novembre 981 •'. Othon III, en999, envoya en Allemagne
le duc Jean IV qu'il avait fait prisonnier '". Nous connaissons
mal cette période ; Naples paraît avoir continué à reconnaître
l'empereur grec ". En 1002, nous voyons réapparaître Jean IV*-',
mais nous ne savons pas comment il reconquit le pouvoir.
i. Léo Ost., I, :y2. M.G.II.SS., t. VII, p. 612.
2. Const. Porph., De cerirn., II, 44, 660.
3. Capasso, Monunienia, II, 2 p. 146 ; Cf. Schipa, op., cit., Arch. st.
nap., t. XVIII, p. 267.
4. (lontin. Theoph., 212.
"). M. G. II. in-4". Dipl. rey. el iinp. Gerinaniae, t. I, p. 325 et 3o2.
6. Capasso, Mon., II, 2, 15.
7. Capasso, Mon., I, 127.
8. I/jid.
9. M. G. II., in-4°, op. cit., t. II, p. 307.
10. Capasso, Mon., I, 129.
U. Ihid. II, 191.
12. Ibid. 11,2, 98.
14 CHAPITRE PREmER
En résumé, nous voyons que Naples a acquis en fait une indépen-
dance presque complète. Ses ducs ne sont plus nommés par l'empe-
reur, ils font la guerre, concluent des traités et battent monnaie;
néanmoins ils ont toujours témoigné à Byzance une certaine
déférence. On a toujours daté les actes des années de règne des
empereurs de Constantinople ; je ne crois pas qu'en général la
soumission ait été beaucoup plus loin. Pourtant, depuis que les
Byzantins sont devenus plus forts, l'alliance entre Naples et
l'empire grec paraît avoir été plus étroite, et 1 on comprend à la
rigueur que l'on ait regardé à Byzance l'antique duché comme
faisant toujours partie intégrante de l'empire.
Au moment où fut constitué le duché de Naples, Amalfî en
dépendait certainement. Nous avons à cet égard des témoignages
qui ne peuvent laisser aucun doute. Dans une de ses lettres, le
pape Hadrien I*"'" parle du duc Arichis qui attaque « les Amalfîtains
du duché de Naples » • ; et, en 812, nous voyons les gens d'Amalfi
répondre à l'appel de l'empereur Léon III qui convoquait la flotte
de tout le duché de Naples -. Enfin, en 83(5, dans le traité con-
clu entre Sicard de Bénévent et le duc de Naples. Amalfi est
expressément mentionnée comme faisant partie du duché napo-
litain ^ La situation changea quand Amalfi eut été prise et en
partie détruite par Sicard de Bénévent '*. Les Amalfîtains, déportés
en grand nombre àSalerne, ne retournèrent dans leur patrie qu'à la
mort de Sicard 1 839j '. Ils relevèrent leur ville et nommèrent un
comte. Ils paraissent s'être rendus alors indépendants de Naples.
Nous trouvons, il est vrai, leurs troupes sous le commandement
du duc de Naples, lors de l'expédition de 84H contre les Sarrasins,
mais il semble qu'à ce moment les gens d'Amalfi agissent comme
alliés plutôt que comme vassaux ^.
1. Cocl. Carol., n. 78, p. 610.
2. Jaffé-L., 2524.
3. M.G.H.L.L., t. IV. p. 217. U. Scliipa, op. cit., Arch. si. nap., t. XVII,
p. î)89-r)90. Le patriotisme local a amené les historiens de la ville d'Amalfi
à soutenir (pi" Amalfi avait toujours été indépendante du duché. Cf. Caméra,
Memorie storico-diplonialiche tlell'antici citth e ducalo di Amalfi, t. I
(Salerne, 1876 , p. 78. Ce qui vient dètre dit montre suffisamment la fausseté
de cette théorie.
4. l^f. Capasso, Mo/iuni., I, 78.
5. Cf. Caméra, op. cit., t. I, p. 84-8o.
6. Cf. Schipa, op. cit., Arch. st. nap., t. XVII, p. 612-613.
ÉTAT POLITIQUE DE l'iTALIE MÉRIDIONALE 15
Amalfî devenue indépendante du duché napolitain paraît néan-
moins être restée soumise k Byzance. Ce fait s'explique facilement
par la situation toute particulière oùles Amalfitains se trouvaient,
vis-à-vis de l'empire grec, à cause de leur commerce. De bonne
heure Amaliî eut une marine considérable. Ainsi, sous le règne de
l'empereur Théophile (829-842), nous voyons, dans V Histoire du
transfert des reliques de saint Barthélémy , écrite par Nikétas le
Paphlagonien, que le corps du saint fut pris à Lipari par des
marins amalfitains '. Vers 870, nous trouvons un certain Florus,
amalfitain, qui trafique en Afrique, très probablement à El-
Medeah -. La flotte d'Amalfi aide Louis 11 au siège de Bari^.
Liutprand nous fait connaître les fréquentes relations commer-
ciales qui unissaient Amalfî à Byzance '». Enfin nous savons, par un
contrat déchange de l'année 973, que les Amalfitains avaient
alors un important commerce avec le Caire •', La conduite
d'Amalfi vis-à-vis de Byzance fut dictée par le souci de son inté-
rêt commercial. 11 est certain, en effet, que les marins d'Amalfi
trouvaient un grand avantage à être regardés dans les ports étran-
gers, comme des sujets grecs; cette situation devait leur assurer
beaucoup de facilités, non seulement dans les ports byzantins, mais
encore dans les ports de tout l'Orient. Aussi quelle que soit l'or-
ganisation adoptée pour le gouvernement de la cité *', que les
premiers magistrats soient des comtes, àesprefecturii^ des juges
ou des ducs, Amalfi n'a jamais rompu ouvertement avec Byzance,
et jusqu'au milieu du xi« siècle, nous voyons les magistrats
d'Amalfi recevoir le titre de patrice impérial et parfois même
dater leurs actes des années de règne des empereurs de Constan-
tinople '^. Des relations amicales ont toujours subsisté entre
1. Migne, P. G., t. 105, col. 217.
2. Cf. Heyd, Histoire du commerce dans le Levant, trad. Furcy-Rainaud,
t. I, p. 99.
3. Les Gesla episc. neap., p. 435, mentionnent la présence des Amalfi-
tains, or ceux-ci ne pouvaient guère fournir que des vaisseaux.
4. Liudprandi legatio, p. 357 et 359.
5. De Blasio, Séries principum Longobard. Salernit. Appendice, p.
CXXXVII et suiv.
G. Sur les divers titres pris par les magistrats d'Amalfi, Cf. Caméra, op.
cit., t. I, ch. VI, VII, VIII et IX.
7. Cfiron. Amalfll., dans Muratori, Antiq. It., t. I, p. 209 et suiv.
Cf. Camei'a, op. cit., t. I, p. IH et 186.
IB CHAPITRE premip:r
Amalfi et By/.ance, où de nombreux Amaliitains séLaient établis;
il suffît de rappeler la famille des Pantaleoni, si connue par
ses nombreuses donations aux églises de l'Italie du Sud •.
Nous avons conservé une lettre du patriarche Nicolas à un ar-
chonte d' Amalfi, qui nous montre qu'au ix^ siècle les relations
entre les habitants des deux villes étaient fréquentes et amicales '-.
Jusqu'au milieu du xi*" siècle, on s'adresse au basileus pendant
les révolutions incessantes qui déchirent la ville ^.
L'importance du commerce d'Amalli avec l'Orient explique
la part d'influence laissée àByzance, mais il faut se garder de toute
exagération, car son intérêt commercial a obligé Amallî à rester en
bons termes avec tous les pays où elle trafiquait. 11 suffît de rappeler
qu'Amalfî aida Louis II ^ et se soumit au pape Jean Mil, lorsque
celui-ci l'eût menacée de faire fermer les ports aux vaisseaux
amalfitains '. La soumission d' Amalfi envers Byzance est donc
plus complète que celle de Naples ou de Gaëte, mais en pratique
la ville a su conquérir son indépendance et nous voyons le duc
d'Amalfî faire la guerre, conclure des traités '' et battre monnaie^
sans paraître se soucier beaucoup de l'empire grec. Les appa-
rences sont sauvées, mais il n'y a rien de plus.
Il n'y a pas lieu de parler de Sorrente qui, jusqu'au xi^ siècle,
fit partie intégrante du duché de Naples ''^.
On vient de voir quelle était la situation des villes énumérées
par le Porphyrogénète comme obéissant à l'empire, on peut juger
par là de l'indépendance des Etats lombards que le même auteur
est obligé de déclarer rebelles.
1. Cf. Schullz, Denkmàler der Kunst des Mittelallers in Unierilalien.
(Dresden, 1860), t. II, p. 2.3") et Bortaux, op. cit., p. 403 cl suiv.
2. Mansi, Spicilegiuin, t. X, p. 424.
3. Chron. Ainalfit., p. 21 i.
4. Gesta episc. neap., p. 435.
.1. Jaffé-L. 3050, 3088, 3304, 3308.
6. Jafîé-L. 30o0, 3088.
7. Cf. les monnaies décrites dans Caméra, op. cit., t. I, p., 174 et suiv.
8. Cf. Schipa, op. cit., .Irc/i. s/. na/>., t. XVII, p. 597-.^98. Je n'ai pas insisté
sur les territoires possédés par Gaëte, Amalfi et Naples. Les possessions
des deux premières villes ont toujours été très peu importantes. Naples a eu
un territoire plus étendu, mais au début du xi* siècle le duché est très
restreint, (^f. la carte du duché de Naples dressée par Capasso. Arch. st.
nap., t. XVII, et Schipa, op. cit., Ihid., p. ■■)87 et suiv.
ÉTAT rOLlTluLE UK l'iTALIE MÉUIlJlUNALE 17
Le duché de Bénévent, déjà indépendant, en fait, au temps du
royaume lombard, vit son importance singulièrement accrue
quand ce dernier eut été détruit par Charlemagne (774) ; son
développement fut aidé au début par les Byzantins qui cher-
chèrent à s'appuyer dabord sur Arichis, puis sur Grimoald, pour
combattre Charlemag-ne ' , mais bientôt se tournant contre les Grecs
les ducs s'ao^randirent rapidement à leurs dépens et occupèrent
prescjue toute lltalie méridionale. A partir du milieu du ix'" siècle, la
décadence commença. Sicard (832-839) fut le dernier prince de
Bénévent réellement puissant. Profitant de la faiblesse de
l'empire grec, dont toutes les forces étaient occupées contre
les Bulgares, il étendit ses conquêtes sur ce qui restait aux
Grecs en Fouille et en Calabre, occupa Amalfî et contraignit
Naples k lui payer tribut '. Sa mort amena le démembrement
du duché. Un de ses ofîiciers, Radelchis, usurpa le pouvoir;
aussitôt un grand nombre de mécontents prochmièrent le
frère de Sicard, Siconolf, qui était prisonnier k Tarente. Siconolf
fut délivré par des marchands amalfitains, et la guerre civile
commença, elle dura jusqu'en 847. A ce moment, l'intervention
de l'empereur Lothaire amena la paix -^ Le duché de Bénévent
fut démembré, Radelchis eut la principauté de Bénévent, Siconolf
celle de Salerne '*. Une nouvelle division se produisit quelques
années plus tard. Les gastalds de Gapoue se rendirent indépen-
dants, et la principauté de Gapoue se détacha de celle de Salerne •'. Je
n'ai pas à entrer dans l'histoire des trois principautés lombardes
au ix" et au x*' siècle, rien n'est plus monotone que le récit des
guerres continuelles entre les princes lombards et les Etats voi-
sins, guerres à la fois sans intérêt et sans grandeur.
Byzance fut surtout en rapport avec la principauté de Bénévent,
1. Cad. CaroL, n. 57, ]). .■i82 et n. 61, p. 588 et Vie de saint Philarèle dans
les Mémoires de V Institut arvhénlo<jique russe de donstantinople, t. \', p. 77.
Ci'. Gay, op. ?it., Mélanges d'archéologie et d'histoire, t. XXI, p. 492, et
L'Italie méridionale et Vempire byzantin, p. 37 et suiv.
2. M. G. H. LL., t. IV. p. 210 et suiv.
3. M. G. IL, in-4», LL. sect. I, Capitularia, t. Il, p. 65-67.
4. M.G.II. LL., t. IV, p. 221.
5. CL Schipa, // principato long, di Salerno dans A?'ch. st. nap., t. XII,
p. 113 et suiv.
Ilistnire de la domination normande. — Chai.am>o.\. 2
18
CHAPITRE PREMIER
sur qui elle reconquit peu à peu la Fouille; même, en 892, nous
trouvons le protospathaire Sympa thikios établi à Bénévent', mais
les Byzantins ne purent se maintenir et reculèrent en Fouille.
Toutefois à la fin du ix'' siècle, sous le règne de Guaimar, l'in-
fluence byzantine est considérable à la cour de Salerne ; une gar-
nison grecque est installée dans la capitale et Guaimar reçoit,
des basileis Léon et Alexandre, le titre de patrice '. Au x*^ siècle,
la soumission des princes lombards n'est qu'accidentelle, ils
profitent de leur situation entre les deux empires pour ne relever
de personne. On les voit par moment reconnaître Byzance ; par
exemple, en 9o5, Landolf II de Bénévent date des années du
règne des empereurs grecs ■^. A la même époque l'arrivée de
troupes byzantines conduites par le patrice Argyros fait don-
ner par Gisolf de Salerne la même preuve de soumission i. mais
dès que les Byzantins se sont éloignés, toute apparence de sujé-
tion disparaît.
Toutefois, au x^ siècle, les principautés lombardes ont eu un
moment très brillant sous le règne de Fandolf Tête de fer, qui
sut les réunir sous son sceptre. La politique allemande qu'il
suivit lui valut les marches de Spolète et de Camerino, dont
Othon I*'' lui donna l'investiture. L'empereur germanique trouva
en lui un fidèle allié dans ses attaques contre les possessions
byzantines de l'Italie^. La formation de l'Etat lombard, tel que
Fandolf réussit à le constituer, semblait devoir assurer dans la
Péninsule la prépondérance définitive de lempire d'Occident,
mais la mort de Fandolf (mars 981) ruina son œuvre. L'unité
qu'il avait réalisée fut brisée, et les trois principautés reprirent
leur vie indépendante. Far là, les Othon perdirent 1 appui le plus
solide qu'ils avaient dans l'Italie méridionale, et l'anarchie, qui
régna après Fandolf, contribua pour beaucoup à l'échec de la
politique impériale allemande. Frivés dune base d'opération
solide, les Othon n exercèrent d'influence qu autant qu'ils furent
1. Ti'inchera, op. cit., p. 2.
2. Ercliempert, c. .54, 67, et Cod. Cav., t. I, n. CXI. Cf. Gay, op. cit., p. 139.
3. Di Meo, op. cit., t. V, p. 347.
4. Cod. Cav., t. I, p. 243 et 246, etc.
o. Cf. Sclilumberger, Un empereur byzantin au X^ siècle, p. 583 et suiv.
ÉTAT POLITIQUE DE l'iTALIE .MÉRIDIONALE 19
présents avec une nombreuse armée ; dès qu'ils s'éloignaient,
l'influence allemande devenait nulle. A partir de la mort de
Pandolf, les principautés de Bénévent et de Gapoue ne lirent
que décroître: seule la principauté de Salerne, gràceàGuaimar III,
eut un moment de prospérité, mais l'influence byzantine y est à
peu près nulle à cette époque.
Nous pouvons connaître assez exactement quelle était l'étendue
territoriale des principautés de Bénévent et Salerne au début
du XT*= siècle. Pour Gapoue nous sommes mal renseignés; la
division ecclésiastique qui correspond à la division politique ne
nous est connue que pour une date très postérieure. Elle nous
donne comme villes principales Gapoue, Teano, Galvi, Carinola,
Gaserte, Sessa, Venafro, Aquino ' et Sora'^
Une lettre du pape Agapit II, de l'année 947 3, nous apprend
que le diocèse de Bénévent s'étendait à toute la princi-
pauté. On peut donc admettre que l'étendue de la circonscrip-
tion ecclésiastique correspond à l'étendue du territoire politique.
La situation du diocèse de Bénévent est fixée par diverses
bulles ^ qui sont résumées et complétées par la bulle de Benoît
VIII du mois de mars de l'année 1014 '^. Nous voyons qu'à cette
date l'état bénéventain comprend Bovino ^', Ascoli ', Larino ^,
Trivento'', Lucera"', Sant' Agata", Avellino^^^ Ariano''\ Vultu-
1. Cf. Fabro, Liber censuum, p. 42, note.
2. Erchempert, c. 25.
3. JafTé-L., 3636. Je dois beaucoup, pour tout ce qui concerne la situa-
tion des évêchés de l'Italie méridionale, aux notes que Mgr Duchesne a
bien voulu me communiquer.
4. Cf. le diplôme d'Othon I", Bôhmer, Regesta, 442; Jaffé-L., 3680,
3738, 3822, 3884. Ughelli, VIII, p. .'iO et suiv., et Kehr, Papsturkiinden
inder Romagna. undden Marchen, dans Nachrichten der K. Gesellschaft der
Wissenschaften zu Goltingen, Phil. hist. Klasse (1898), heft I, p. 55 du
tirage à part.
5. Kehr, op. cit., p. 58 et suiv.
6. Ch.-l. de circond., prov. de Foggia.
7. Circond. de Bovino. Id.
8. Cb.-l. de circond., prov. de Campobasso.
9. Circond. et prov. de Campobasso.
10. Circond. et prov. de Foggia.
11. Circond. et prov. de Bénévent.
12. Ch.-l. de la prov. de même nom.
13. Ch.-l. de circond., prov. d'Ariano.
20 CHAPITRE PREMIER
raria ', Telese ', Alife'. Sessula », Lésina ', Termoli'', Siponto '
et le Garg-ano. Nous avons ainsi la liste des principales villes
de la principauté de Bénévent. 11 faut pourtant faire une réserve
pour ce qui concerne la rég-ion de Siponto et du Gargano. Il
s'ag'it là d'un territoire contesté. La clause comminatoire de la
bulio de Benoît VIII, qui menace d'excommunication tout Grec
contrevenant aux ordres du pape, en serait déjà une preuve suffi-
sante. Mais nous avons pour cette rég-ion d'autres documents
qui nous font connaître la situation réelle. Les actes conservés
dans le Cartulaire de Tremiti^ nous montrent que tout le pays,
compris entre le Fortore et le Biferno, est lombard; on y date en
effet des années de règ-ne des princes de Bénévent. tandis qu'à
partir de l'embouchure du Fortore, on date des années de règ-ne
des empereurs de Constantinople''. Nous verrons, après la défaite
de l'insurrection lombarde, le catépan Bojoannès créer dans cette
région toute une série de postes militaires 'O. Comme aucun
document ne nous montre que la répression de l'insurrection ait
amené un accroissement de territoire, tandis que tout prouve que
le statu quo fut maintenu, on est en droit de conclure qu'à partir
du Fortore toute la région est byzantine. Et quand, en 1023,
nous trouvons un archevêque de Siponto ", nous avons la preuve
que la situation politique a amené le démembrement du diocèse,
et que Siponto a été détaché de Bénévent parce que son territoire
n'appartenait plus au prince lombard. On sait que Benoît IX
reconnut plus tard le rétablissement de l'ancien archevêché.
La situation territoriale de Salerne fut lîxée par l'acte de 847'"-,
1. Circond. et prov. d'Avellino.
2. Circond. de Cerreto Sannita, prov. de Bénévent.
3. Circond. de Piedimonte d'Alife, prov. de Caserte.
4. Sessa, circond. de Gaëte, prov. de Caserte,
5. Circond. de San Severo, prov. de Foggia.
6. Circond. de Larino, prov. de Campobasso.
7. Ville aujourd'hui disparue. Circond. et prov. de Foggia.
8. Biblioteca nazionale à Naples. Ms. XIV, A, 30.
9. Cartulaire de TreinUi. F° 20 r°, f» 32 V, f° 37, f» 43 r» ; cf. Gay, Le
monastère de Tremiti au XI^ siècle, dans les Mélanges d'archéologie et d'his-
toire, t. XVII, p. 398.
10. Léo Ost., II, 51, 661.
11. Cartulaire de Tremiti, f° o.
12. M.G.H.LL., t. IV, p. 221.
ÉTAT PULITigri-: de l'iTAI.IE -MÉRIDIONALE 21
qui énumère les villes faisant partie de la principauté de
Salerne. Ce sont Tarente, Latiniano ', Gassano^, Cosenza '\
Laino '*, Lueania\ Conza 6, Montella', Rota ^, Salerne, Sarno ",
Cimiterio "\ Furculo ", Capoue, Teano '^ et Sora '■'^; le territoire
de la principauté comprend, en outre, la moitié du gastaldat
d'Acerenza'^. L'étendue primitive fut rapidement diminuée.
Tout d'abord Capoue, Teano, et Sora firent partie de la prin-
cipauté de Capoue. Du côté de Bénévent, il j eut peu de
changements, mais il n'en fut pas de même vers le sud. La prin-
cipauté de Salerne, au début du xi^ siècle, a perdu tout le terri-
toire au sud d'Acerenza ; cette dernière ville est elle-même
byzantine'''. Pour Potenza, il y a doute, car la ville n'est
mentionnée ni dans les documents grecs, ni dans les bulles pon-
tificales relatives à Salerne. Il semble pourtant que Potenza doit
relever d'Acerenza, car, lors du transfert des reliques de saint
Lavier. nous voyons l'évèque d'Acerenza instrumentera Grumen-
tum (on sait que Potenza a succédé à cet ancien évêché) "'. Du
coté delà Galabre, à partir de 994, les privilèges pontificaux en
faveur de Salerne mentionnent régulièrement Malvito, Bisignano
et Cosenza ''. Pourtant dans les documents grecs nous trouvons
1. On l'identifie avec Altoianni, ville disparue entre Matera et Ace-
ren/a. Schipa, op. cit., Ar-, ut. nap., t. XII, p. 136, note 3.
2. Cassano al Jonio, circond. de Castrovillari, prov. de Cosenza.
3. Chef-lieu de la province de même nom.
4. Laino Borgo, circond. de Castrovillari, prov. de Cozenza.
5. On l'identifie généralement avec Pesto, commune de Capaccio, cir-
cond. de Campagna, prov. de Salerne ; cf. Schipa, op. cit., 106, note 4.
6. Circond. de Sant'Angelo dei Lomhardi, prov. d'Avellino.
7. Circond. de SanfAngelo dei Lonibardi, prov. dWvollino.
8. Sans doute Rota Greca, circond. de Cosenza.
9. Circond. de Salerne.
10. On l'identifie avec Nola, Schipa, op. cit., 10, note 1.
11. On l'identifie avec Forchia, circond. de Bénévent.
12. Circond. de Caserte.
13. Ch.-l. de circond., prov. de Caserte.
14. Circond. et prov. de Potenza.
15. L'évèque d'Acerenza combat dans les rangs de l'armée byzantine.
Annal. Barensex, ad an 1041, M.G. II .SS., t. V ; Liutprand marque Acerenza
comme rattachée à Otrante dès le début du x'^ siècle. Liutpr., op. cit.,
p. 361.
16. Ughelli, VII, 494,
17. Jaffé-L., 3852. Cf. sur l'identification de Malvito, Fal:)re, Liber cen-
suum, p. 19, note 2.
22 CHAPITRE PKEMIER
Bisignano et Cosenza rang-és parmi les suffragants de l'arche-
vêché grec de Reggio '. De plus, quand Robert Guiscard vient
dans cette région, Bisignano est aux mains des Byzantins ~.
De même Cassano figure dans les listes épiscopales grecques
postérieure aux Nsa Txv-'./.x -^ Comme, pendant toute la première
moitié du \f siècle, nous ne trouvons pas trace de conquêtes
byzantines dans cette région, nous sommes amenés à conclure
que les prétentions de Salerne sur ces villes ont été surtout théo-
riques '•. Les bulles d'investiture des archevêques de Salerne
continuèrent à marquer les suffragants apuliens et calabrais,
mais il est douteux qu'à ce moment ceux-ci dépendissent
réellement de Salerne. Sans cela on est obligé d'admettre que
dans les deux derniers tiers du x* siècle, il y a eu vers le sud une
nouvelle poussée lombarde et qu'au xi*^ siècle les Lombards ont
été de nouveau refoulés par les Byzantins. Il me parait très
improbable que ces événements aient eu lieu, sans que nous en
trouvions au moins une mention dans les chroniques. Vers le
sud, la frontière de Salerne a donc été très flottante et a dû être
certainement au nord d'Acerenza et de Cosenza, La principauté
de Salerne comme celle de Bénévent a donc reculé sur toute la
ligne devant les Byzantins.
Il y avait longtemps, au début du xi*" siècle, que les posses-
sions byzantines en Italie n'avaient été aussi considérables. On
sait qu'à un moment, vers la fin du viu'' siècle, les Grecs n'ont
plus possédé que Gallipoli et Otrante dans l'ancienne Calabre ^,
et, dans la nouvelle Calabre, les territoires au sud d'une ligne
allant de Rossano à Amantea ^. Les territoires occupés par l'em-
pire d'Orient formaient alors deux îlots, séparés par les posses-
sions de la principauté lombarde de Salerne. La « reconquête »
de l'Italie du Sud par les Byzantins n'a commencé sérieusement
1. Néa Ta/.T'.y.â., éd. Gezler, dans Georcjii Cyprii dexcriplio orhis romani
(Leipsig, 1890), p. 77.
2. Aimé, III, 10, p. 109, et Cecaïuneni slrategicon, éd. Wasiliewsky et
Jernstedt (S*-Pétersbourg, 1890% p. H5.
3. Parthey, op. cit., Notices III et X.
4. Cf. Gay, op. cit., p. 254.
5. Lib. Pont., I, 390. Cod. Car.,n. 17, p. oi:;. En 879, l'évêque d'Otrante
souscrit au concile de Constantinople. Cf. Mansi, XVII, 373.
6. Circond. de Paola, prov. de Cosenza.
ÉTAT POLITIQUE DK l'iTALIE MÉRIDIONALE 23
qu'à partir du moment où Bari, par crainte des Musulmans, se
donna au basileus (876). Les villes de la côte furent occupées
successivement. Tarente fut prise en 880 '.A la suite de la
rébellion d'Aion, duc de Benévent, la capitale du duché fut occu-
pée, en 891, par les Byzantins; la même année 2, Siponto était
prise par le catépan de Bari -^ et, en 899, Conversano était entre
les mains des Grecs ''. Oblig-és de quitter Benévent en 894 •^, les
Byzantins paraissent néanmoins avoir gardé ce qu'ils avaient
acquis en Fouille. Les progrès des Grecs furent très lents, mais
presque continus, durant tout le \^ siècle. Peu à peu, les deux
îlots formés par leurs possessions se rejoignirent et les Byzantins
finirent par occuper le pays très loin dans l'intérieur des terres.
Voici (juelles étaient, au début du xi® siècle, leurs possessions
en Fouille. J'emploie ici quelques documents postérieurs à la
révolte de Mélès, mais, comme je l'ai dit plus haut, cette révolte
n'a amené aucune modification à la situation territoriale anté-
rieure. Vers le nord, la limite est le Fortore. Siponto, Viesti,
Lésina et (]ivitate appartiennent aux Byzantins ^\ En 1024 ', la
bulle organisant la province ecclésiastique de Canosa-Bari énu-
mère les villes où l'archevêque de Bari peut créer des évêques ;
naturellement toutes ces villes doivent être en territoire byzan-
tin. En voici la liste : Bari, Canosa^, Meduno^, Giovenazzo ^'^,
Melfî", Rubo'~, Trani i-^ Cannes '^, Minervino^^, Aquatecta ^^,
1. Lup. Prolospat. dans M.G.H.SS., t. V, ad an. Cf. Gay, L'Italie méri-
dionale et Vempire byzantin, p. 101* et suiv.
2. Trinchera, op. cit., p. 2.
3. Lupus Protospal., ad an.
4. Trinchera, op. cit., p. 3.
ïi. Lupus Protospat., ad an.
0. Cartulaire de Treniiti, f° 37 et suiv. Cf. Gay, Le monastère de Tremiti,
p. 398.
7. Cad. dipl. Bar., t. I, p. 22. Sur rauthonticité de cette Inille, cf. Gaj-,
L'Italie méridionale, etc., p. 427, note i.
8. Circond. de Barletta.
9. Modugno, circond. de Bari.
10. (jiovenazzo, circond. de Bari.
11. Ch.-l. de circond., prov. de Potenza.
12. Ruvo di Puglia, circond. de Barletta.
13. Circond. de Barletta.
14. Canne, sur la rive droite de l'Ofanto, près de Canosa.
1^>. Minervino Murge, circond. de Barletta.
16. Je ne connais pas de village de ce nom; on trouve le Bosco Aqua-
tetti près de Minervino Murge. Carte d'Italie au 1 50.000, f» 76, 3.
24 ciiAPtTRK premip:r
Montemelo ', Lavello *, Cisterna "^, Bitalbi^, Salpi ', Conver-
sano'', Polignauo ", Ecatera'^. Deux actes, conservés aux archives
capitulaires de Venosa, nous montrent qu'en 1003 et 100.") celte
ville faisait partie des territoires occupés par les Byzantins ^.
Plus au sud, Tarente et Brindisi sont aux Grecs; Liutprand"^,
en décrivant la province ecclésiastique dOtrante, nous montre
qu'Otrante, Turcico ", Gravina '-, Matera '-^ et Tricarico ^^ sont
ég-alement aux Byzantins. Je rappelle qu'Acerenza'^ leur appar-
tient aussi.
La conquête des possessions byzantines d'Italie par Othon II,
n'a amené aucun changement, car les Allemands n'ont fait que
passer ; après la défaite de Stilo, l'état de choses antérieur a été
rétabli naturellement. lien a été de même pour la Calabre. Nous
possédons, pour cette région, la notice officielle des sièges épis-
copaux grecs, vers le début du x'' siècle "'. Elle correspond à l'orga-
nisation, qui fut donnée à ce pays, après les conquêtes de Basile
1. Montemilone, circoiul. de Melfl, prov. de Potenza.
2. Lavello. circond. de Mclfi, prov. de Potenza.
.{. Cisternino, prov. et circond. de BarL
4. Bitalba, en Capilanate.
5. Sur les bords du lac de même nom, au N. de Bniletta.
6. Prov. et circond. de Bari.
7. Id.
8. Ecatera, aujourdhui Noja, à l.'i kil.au sud-est de Bari ; cf. Liber
ccnstium, éd. Fabre, p. 31, note 1. L'identification proposée par Fabre est
combattue par Caspar, Kridche Un(ersurhiinf/pn zu dcn alteren Pnpstur-
hunden fiir Apulu'n, dans Quellen iind Forachungen aus italienischen
Archiven und Bihliolheken, t. VI, p. 1(> du tirage à part. 11 propose de lire
soit |-/.(XT£pa, soit et cetera.
9. Archives capitulaires de Venosa, deux actes de 1002 et 100,") non
numérotés. Cf. Trinchera, op. cit., 10. Kehr, np. cit. Xachrichten (1898,
p. 2C6, dit à tort que les archives de Venosa n'ont pas de documents anté-
rieurs à H0;i ; il y a quelques actes privés antérieurs à cette date.
10. Liutprandi leg., p. 361.
il. Thursi, circond. de Lagonegro, prov. de Potenza.
12. Circond. d'Altamura, prov. de Bari.
13. Ch.-l. de circond , prov. de Potenza.
14 (Circond. de Matera, prov. de Potenza.
15. Circond. de Potenza.
16. Ce sont les Nia -T./.-./.i, éd. Gezler, op. cit., p. ijT et suiv. Cf.
Krumbacher. (iescliichte d. h>/z. Litt., 2'' éd., p. 418.
ÉTAT POLITIQUE DE l' ITALIE MÉRIDIONALE 25
et de Léon le Sag^e. Dans le courant du x'^ siècle, il y a eu très
peu de modifications, car alors la lutte a été active surtout en
Fouille. Nous voj'ons, d'après cette notice, que la Calabre est
partagée entre les deux métropoles de Pieg-gio et de Santa Seve-
rina '. Le siège de Reg-gio a comme suffragants ViJDona '-^, Tau-
riana •^ Locres ou Sainte-Cyriaque ^, Squillace "', Crotone '',
Nicotera ", Tropea ^, Cosenza, Bisignano '*, Uossano, Amantea
et Nicastro'". Le siège de Santa Severina a pour sufTragants
Umbriatico '', Cerénzia ''^, Isola di Gapo Rizzuto ' ', auxquels on
rattacha plus tard Gallipoli''' et Belcastro '''.
En somme, au déjjut du xi'^ siècle, les Bj'zantins possèdent toute
la Fouille, toute la terre d'Otrante et la plus grande partie de la
Calabre. De tous les Etats, qui se partagent le midi de l'Italie,
Byzance est certainement celui qui paraît le plus puissant. C'est
aussi celui qui paraît avoir l'influence la plus considérable.
On ne saurait, en eiFet, parler de l'influence de Gaëte, non plus
que de celle de Naples ou d'Amalfi. Il ne saurait être davantage
question, à cet égard, d'aucun des trois princes lombards. Il ne
reste en présence que la papauté, l'empire allemand et Byzance.
Encore la papauté et l'empire allemand sont-ils à ce moment
1. Circond. de Cotrone, prov. de flatanzaro,
2. Circond. de Monteleone di Calabria.
'.i. Un peu au sud-est de Nicotera.
4. Gerace, cli.-l. de circond., prov. de Ref^oio di Calabria.
5. Cii'cond. et prov. de Calanzaro.
6. Ch.-l. de circond., prov. de Catanzaro.
7. Circond. de Monteleone di Calabria, prov. de (Catanzaro.
8. Id.
9. Circond. et prov. de Cosenza.
10. Ch.-l. de circond., prov. de Catanzaro.
M. Circond. de Cotrone., prov. de Catanzaro. Cf. Fabre, Liber censuaiu,
p. 24 et suiv.
12. Circond. de Cotrone, prov. de Catanzaro.
13. Id.
14. Chef-1. de circond., pi-ov. de Lecce. A ces évèchés furent ajoutés ceux
de Bova et d'Opjjido, mais on ne sait s'ils sont de fondation byzantine ou
normande. Cf. Gay, op. cit., Revue d'histoire et de litlérniiire religieuses,
t. V, p. 208; Minasi, Le chiese di Cnluhrin (Naples, 1S9()), p. 3l.'i, et Mgr
Duchesne, Les évèchés de Cilfthre, dans les Mélani/es P.iul Fnhre, p. Il et
suiv.
1^). Circond. et prov. de Catanzaro.
26 CHAPITRE PREMIER
confondus. L'évolution, qui se produisit sous Hadrien II et
Louis II, dans les relations du pape et de l'empereur, a amené,
au début du xi" siècle, la mainmise de l'empereur sur la papauté,
et depuis la mort de Léon VIII (965), c'est le consentement de
l'empereur qui fait la légitimité du pape '. Or dans l'Italie méri-
dionale, la majesté impériale, déjà humiliée au ix*" siècle par la
captivité imposée à Louis II par les Bénéventains (871), a subi
un nouvel affront à Stilo. Les populations de l'Italie du Sud
avaient pu jug-er à diverses reprises combien le très puissant empe-
reur allemand était faible dans la Péninsule. Byzance, au contraire,
par ses progrès continus, a acquis un prestige très réel ; dès la
fin du x*" siècle, elle cherche à supplanter en Italie l'empereur
d'Occident et je suis très enclin à croire que la cour de Gonstan-
tinople n'a pas été étrangère à l'élection de Jean XVI. On
sait comment, en septembre 997, Grescentius profitant de l'ab-
sence d'Othon III, réussit à chasser de Rome Grégoire V, et à
faire élire à sa place Jean le Calabrais, qui précisément était
revenu depuis peu de Gonslantinople '. Le rapide retour
d'Othon III amena la ruine du parti de Jean XVI. On ne peut
prouver avec certitude l'intervention des Byzantins, sans cela il
serait curieux de voir Byzance venir combattre Othon III jusque
dans Rome.
Il semblerait donc que la domination byzantine soit très for-
tement établie en Italie. Pourtant, à regarder de plus près la
situation réelle, les bases de la puissance grecque, sont-elles très
solides, et les apparences ne sont-elles pas plus brillantes que la
réalité ?
Après la <( reconquête » de I Italie méridionale, Byzance
1. Cf. Lapôtre, op. cit., p. 232 et suiv., et Mgr Buchesne, Les premier.^
temps de l'État pontifical, p. 346 et suiv.
2. Cf. Schlumbtrger, LVpo/)éf> byzantine. Basile II, p. 271 et suiv. Bréhier,
Le schisme oriental du XI" siècle (Paris, 18991, p. 4. On n"a aucune preuve
positive que Byzance ait pris part à l'élection de Jean le Calabrais, mais
cette intervention est très vraisemblable. Gfrôrer, Byzantinische Geschi-
chten, t. III, p. 101, est allé trop loin en cborchant à prouver que Basile avait
voulu rompre avec Rome. Il est probable que le basileus s'est contenté de
chercher à profiter des embarras causés au pape et à l'empereur par la
révolte.
ÉTAT POLITIQUE DE l'iTALIE MÉRIDIONALE 27
employa tous les moyens, en son pouvoir, pour s'assimiler les terri-
toires qu'elle avait réussi à soumettre. Ce fait a été mis en lumière
par Lenormant ^ . dans Touvrag-e qu'il a consacré à la Grande-Grèce
et sa théorie « de l'hellénisation de l'Italie méridionale sous la
domination des empereurs de Constantinople » est aujourd'hui
généralement admise. Pourtant, à regarder les choses de plus près,
il semble qu'il y ait peut-être là un peu d'exagération. On n'a pas
assez marqué la différence capitale, qui existe à ce point de vue,
entre la Calabre et la Terre d'Otrante d'une part, et la Fouille
de l'autre. Sans doute, Lenormant lui-même a vu qu'il fallait
distinguer entre ces provinces, mais il a fait complètement
erreur, quand il a écrit que l'antagonisme de l'Apulie et de
Byzance tendait à disparaître, au début du xi*" siècle '-. Le
principal argument qu'il donne est le suivant : « Déjà dans le
début du x*" siècle, Melo lui-même, le grand patriote apulien,
l'indomptable adversaire de la domination grecque est décrit
par Guillaume de Fouille comme portant, à la mode des nobles
de son pays, le costume grec, quand il a sa première entre-
vue avec les chevaliers normands venus en pèlerinage à Monte-
Sant'Angelo ». C'est peut-être là exagérer l'importance des
vers du poète :
Ibi quendam conspicientes,
More virum graeco vestitum, noniine Melum,
Exulis ignolam vestem, capitique ligato
Insolilos niitrae mirantur adesse rotatus ^.
Il ne me paraît pas possible de conclure à l'hellénisation de
toute la Fouille du seul fait que Mélès portait un costume à la
mode grecque.
Pour la Calabre et la Terre d'Otrante, la situation est différente
et l'on ne saurait nier pour cette région les progrès de l'influence
grecque. L'hellénisation de la Calabre peut s'expliquer par la
i. Lenormant, La Cirnude-Grèce, t. II, p. 378 et suiv. La question a été
reprise et étudiée beaucoup plus complètement par Gay, L'Italie méridio-
nale et l'empire byzantin (Paris, 1904), in-S".
2. Lenormant, op. cit., p. 404.
3. G. Ap., I, 13-16.
28 CHAPITRE PREMIER
venue de nouveaux colons, envoyés par les basileis, et par l'assi-
milation des habitants. La dévastation du pajs par les Musulmans
dut amener une diminution considérable dans la densité de la
population, ce qui rendit d'autant plus facile l'assimilation des
anciens habitants ; celle-ci fut très complète : le grec devint la
langue usuelle, laplupartdes actes, rédigés dans cette région, qui
nous sont parvenus, sont en grec ; plus tard les Normands, fixés
dans le pays durent eux-mêmes adopter la langue grecque, et,
pendant de longues années, même après que les Byzantins auront
perdu toutes leurs possessions de Calabre, le grec restera la
langue officielle. De même, le droit de Justinien était appliqué, en
même temps que le droit lombard ' ; le clergé, enfin, appartenait
au rite grec, et ce clergé grec devait, longtemps après la dispa-
rition de la domination byzantine, réussir à se maintenir.
En Fouille, il n'en fut pas de même et il ne pouvait en être de
même, car les conditions étaient tout à fait différentes. La con-
quête lombarde, du vin'' siècle, dut être suivied une immigration
très considérable et la nouvelle population paraît avoir
absorbé l'ancienne, comme du moins semble l'indiquer la prédo-
minance des noms lombards, dans les documents qui nous
sont parvenus 2. Quand les Byzantins eurent reconquis la
Fouille, ils trouvèrent en face deux un élément lombard exces-
sivement fort, qui subsista et resta irréductible sans se laisser
entamer. On peut expliquer ce fait par diverses raisons. Feut-
être le pays moins accidenté que la Calabre avait-il une popu-
lation indigène plus dense ? Il semble également que les Grecs
se soient établis .surtout dans les villes du littoral et qu'à l'in-
térieur l'occupation ait été purement militaire. Nous voyons, en
effet, que, dans les villes de la côte, il y a souvent deux partis
qui se disputent le pouvoir, le parti grec et le parti lombard ;
dans les villes de l'intérieur nous ne rencontrons rien de sem-
blable ; sans doute la population grecque était-elle formée sur-
1. De cette rég^ion proviennent divers manuscrits, par lesquels se sont
transmis les textes officiels ou privés du droit byzantin. Cf. Gay, L'Italie
méridionale et Veinpire byzantin, p. 574-579.
2. Cf. les documents édités dans le Cod. dipl. Bar., et le Chart. Cup.,
passim.
ÉTAT POLITIQUI-: DE l'iTAI.IE MÉUIUIONALK 2'J
tout de marins et de marchands qui s'éloignaient peu des ports '.
Ma%ré toute la souplesse apportée par les Byzantins dans
leurs rapports avec leurs sujets lombards, la « lombardisation »
de la Fouille, au xi^ siècle, n'en demeure pas moins un fait
indiscutable, nous allons le montrer à l'aide des actes privés de
cette région, qui sont parvenus jusqu'à nous en nombre consi-
dérable.
Tout d'abord Byzance n'a pas pu faire adopter sa langue. En
dehors des actes des grands fonctionnaires byzantins qui sont en
grec, tous les actes privés, ou du moins presque tous, sont écrits
en latin. Encore, me semble-t-il très probable, que les actes offi-
ciels ont dû, souvent, être accompagnés d'une traduction latine,
suivant l'usage adopté plus tard dans la chancellerie nor-
mande, et je serais porté à croire, que ce sont les traductions,
accompagnant les originaux des actes des fonctionnaires grecs,
que Pierre Diacre a insérées dans son célèbre registre '-. Le latin
est la langue la plus répandue dans les actes, tel est le fait incon-
testable. Si l'on relève, dans les documents de ce genre, relatifs à
cette région, le nombre des souscriptions écrites en grec, on est
frappé de leur petit nombre, eu égard au nombre des souscriptions
latines. Ainsi dans les vingt premières pages du tome premier
du Codice diplomatico harese, pour la période qui s'étend de 952
à 1024, je relève un nombre total de trente-huit souscriptions
écrites en latin, contre quatre en grec. Tous ces documents
sont relatifs à la région de Bari. Si nous faisons la même opération
pour la région de Gonversano, nous voyons que, sur un ensemble
d'actes, qui s'étend surtout le x*' siècle, il y a plus de cent sou-
scriptions en latin contre quatre en grec '. Et ces souscriptions en
latin ne sont pas seulement celles des gens du peuple, nous trou-
1. On en peut trouver une preuve, dans le fait, (jue c'est seulement
dans quelques villes de la côte que des évêques grecs ont pu être installés.
Cf. p. 30. Nous ne connaissons rétablissement d'une colonie g-recque qu'à
Matera. Peut être y a-t-il eu aussi quelques colonies d'Arméniens. Cf. Gay,
op. cil., p. 181-18.3.
2. Ils sont publiés dans Trinchera, Syllahus inemhranarum tjrœcarum.
p. 1-0, 10, 14, 18.
3. Charl. Cap. t. I, p. 1 et suiv.
30 CHAPITRE PKEMIEK
vons, parmi leurs auteurs, tous les fonctionnaires byzantins
résidant dans les provinces.
Au point de vue relig-ieux, nous constatons que les basileis ont
dû faire d "importantes concessions à leurs sujets lombards; c'est
ainsi que, dans un grand nombre de villes, ils ont laissé subsister
des évêchés latins ; c'est seulement dans certains centres, où
l'élément grec était plus nombreux, qu'ils ont pu installer des
évêques grecs, plus étroitement rattachés au patriarcat de
Constantinople. En agissant ainsi, l'administration byzantine a
certes fait preuve de souplesse mais ne peut-on aussi voir dans sa
conduite une preuve de sa faiblesse? Il est évident que Byzance
n'a laissé subsister les évêques latins, que quand elle n'a pu faire
autrement. Or, il semble bien qu'elle n'a réussi à installer des
évêques grecs que dans les villes du littoral. Pourtant la désola-
tion des églises qui avait suivi la conquête lombarde, aurait dû,
semble-t-il, faciliter ce travail de restauration. Cette crainte de
heurter les sentiments religieux de ses sujets de l'intérieur, me
paraît montrer que l'autorité de Byzance est toujours demeurée
fort précaire K
L'empire grec n'a pas réussi davantage à implanter le droit de
Justinien. A ce point de vue, l'étude des actes privés est fort
instructive. Sans doute, tous sont datés des années de règne du
ou des très glorieux empereurs de Constantinople, mais on ne
cite et on n'applique que les édits ou les capitulaires de Rotaris,
de Liutprand, de Radelchis, d'Astolf et d'Arichis '. Jamais un mot
du Code de Justinien. Aussi quand on parle de l'emploi du droit
romain en Fouille *^, doit-on se garder de toute exagération. Voici
quelques exemples, qui suffiront à démontrer la persistance du
droit lombard jusqu'au xj^ siècle. Dans un acte, du mois d'octobre
1. Nil Doxapater, o;j. ct7., p. 295. Cf. Mg^r Duchesne, Les évêchés iV Italie
et l'invasion lombarde, dans lés Mélanges d'archéologie et d'histoire,
t. XXIII, p. 83 et suiv. ; t. XXV, p. 36o et suiv. Sur la question des évêchés
apuliens, sous la domination byzantine, cf. Gay, op. cit., p. 360-36o.
2. Cod. dip. Barese, t. II, p. xlv.
3. Capasso, dans llntiodnction à louvrage de Brandileone, Il diritto
romano nelle leggi normanne esueve del regno di Sicilia, p. xii, a exagéré
le rôle du droit romain de Fouille.
ÉTAT POLITIQUE DE l' ITALIE MÉRIDIONALE 31
de l'année 901 ^, fait à Conversano, un certain Ermenfroi vend
les terres qu'il tient de l'héritage de sa mère; sa femme Trasiperge
intervient dans l'acte à raison de son morgengah ; '< dum me
sentior ahere quarta pars in super scripta vindif.ione, quod mihi
ipse vir meus in die nuptiarum, secundum ritus gentis nostre
langobardorum, tradidit, et congruum est mihi illut vindere
pro mea utilitate faciendum, tune feci notitia Sindeperti filio
Anselgari et Eregari filii Lupi qui sunt proprinquiores paren-
tibus meis adque mundoaldis nieis et deprecavi eis ut in ista
benditione mihi esset consentiens, ipsi tamen mihi consen-
tientibus, inito consilio pariter pereximus presentiis Alexii
judici, etc. » De même en 969 -, à Bari, par devant Basile
protospathaire impérial et le juge Falcon, Mira femme du juge
Dalfion, fait, avec son mari, donation de certains biens au cou-
vent de Saint-Benoit à Conversano ; elle agit avec le consentement
de son frère et d'un de ses parents qui sont ses mundoalds.
Au mois de janvier de l'année 1008, Yacynthe, veuve d'un certain
Regale donne, à l'église du Saint-Sauveur de Conversano, le quart
de la part, qu'elle a héritée de son mari, à titre de morgengah '\
De même en 962 ', nous avons de Casamassima, prèsde Bari, un
acte analogue. En 977 •', à Bari, il est question demorgengab et
de mundoald . A Barletta, l'usage lombard a également prévalu,
en général, dans les actes privés ''. On invoque les lois de Liut-
prand, à Conversano, en 901 ', en 931 *^, etc. Pour le sud de
l'Italie les documents sont moins nombreux. Pourtant, un acte,
des archives de Mont-Cassin, nous montre qu'à Tarente, en 1004,
un certain Jean, le lendemain de son mariage, donne à sa femme
Argenzia le quart de ses biens, à titre de morgengab 3. La force
1. Charl. Clip., t. I, p. 6-7.
2. Ibid.,l, 53.
3. Ibid., I, 68.
4. Cod. dip. Barese, t. I, p. 7.
5. Ibid., p. 9.
6. Archives du Mt-Cassin, fonds de Barletta n" 1, 2, 5, et 6.
7. Chart. Cap., t. I, 7.
8. Ibid.,\, 25.
9. Archives du Mt-Cassin, cap. 98, fasc. I, n» 23. De même, vers 970, la
loi lombarde est invoquée dans un procès, entre le monastère St-Pierre de
Tarente et les gens de Massafra. Cf. Gay, op. cit., 377.
32 CHAPlTUt: PREMIER
de cette résistance aux iisag-es byzantins, fut telle que Byzance
renonça à imposer son droit, ainsi que cela résulte clairement
du document suivant. Dans un acte, daté de l'indiction XIV
(1046), le catépan Eustathios accorde à un certain Byzantios,
ju<^e à Bari, divers privilèges, entre autres celui de juger les
serfs, habitants les terres qui lui sont concédées; le bénéficiaire
doit juger comme il suit : l'.cpCy^.tOx... -/.ai •/.pif)(^va'.) Jz'aÛTCJ
7.aTà Tbv v(6y.(ov [sic) tov \o\";<fj-jLpoz['.v.W\ y.al '^.îr, ~oi.p 'i-.ipz-j tivoç.
à'vî'j s(i)v:u •J7:E'jj;sj-/;;j.év(;j) (?]to)v ijaj'.AÉwv r^y.wv twv âyuov 7.7.'. r,[JM'/ -îivf
àva;{(i)v scja:-» sir: y/j-Cov '. Nous voyons, parce curieux document
que Byzance renonça à lutter sur le terrain juridique, et qu'elle
autorisa l'usage du droit lombard, sauf dans le cas de l'assassinat
de l'empereur ou du catépan. Le document ci-dessus est de
1 année lOifi, mais je suis porté à croire, que la reconnaissance
du droit lombard est de beaucoup antérieure.
Il m'aurait été facile de multiplier les exemples, montrant com-
bien était répandu l'usage du droit lombard, ceux que j'ai donnés
sont suffisants pour prouver l'existence d'une population lom-
barde, suffisamment nombreuse pour imposer son droit national.
(]e ne fut pas là la seule conquête des Lombards de la Fouille ;
Byzance fut encore obligé d'adopter certaines institutions pure-
ment lombardes. Je veux parler ici du gastaldat. On sait que le
gastaldat était la subdivision administrative du royaume, et plus
tard du duché lombard ; à la tête de chaque gastaldat, était un
fonctionnaire, portant le nom de gastald. C'est ce fonctionnaire
qui. en Fouille, est entré dans l'administration byzantine. Nous
voyons, en effet, que souvent les actes privés mentionnent sa pré-
sence aux côtés des fonctionnaires grecs. En janvier 1)54, à Conver-
sano,nous voyons qu'une vente est faite, en présence de Romoald
spatharocandidatet gastald '-. En 9G2, au mois de juin, Grimoald,
abbé du monastère de Saint-Benoit deConversano, fait un échange
avec le clerc Maion, en présence du gastald Tassilon '^''. En 977,
i. Cod. dipl. Bar., t. IV, p. 67. Cf. Anon. Bar., ad an. lO'tl. Le droit
byzantin n'a fait de progrès que dans la région qui s"étend de Brindisi à
Acerenza. Cf. Gay, op. cit., p. 578.
2. Charf. Cup., I, 41.
ÉTAT POLITtQUE DE l'iTALIE MÉRIDIONALE 33
àii mois d'avril, à Polignano, le gastakl Pandefroi est mentionné
dans un acte de donation '. En octobre 976 (n. s), à Bari, un
certain Rodel^ar et sa femme font une vente en présence du
gastald Pavo ^. A Polignano, au mois de juillet 992, nous voyons
mentionné le g-astald Louis qui agit avec Smarag-dos, protospa-
thaire et topotérètès des scholes, et le turmarque Radelgard •^.
Les actes parvenus jusqu'à nous ne sont pas assez nombreux
pour nous permettre d'établir quelles sont les attributions du
gastald ; il a certainement un rôle important, car, nous le voyons
figurer à côté des principaux magistrats de la ville de Conversano.
Ce fait seul, de l'entrée dugastald dans la hiérarchie ]>yzantine, est
une nouvelle preuve de la vitalité de l'élément lombard de
Pouille, qui, après avoir imposé son droit, réussit à imposer ses
fonctionnaires. La situation des villes de Pouille facilita beaucoup
ces progrès de l'élément lombard.
L'histoire des provinces méridionales de l'Italie, du ix" au x®
siècle, nous montre que, souvent, Byzance fut impuissante à
défendre le pays contre les Musulmans ; l'empereur grec, en effet,
ne paraît avoir entretenu, en Italie, qu'un nombre de troupes
très restreint. Les villes furent ainsi amenées à assurer elles-
mêmes leur défense contre les Musulmans ^. Le résultat de cet
état de choses fut d'amener le développement d'une vie munici-
pale très intense, développement auquel contribua, pour une large
part, l'éloignement du pouvoir central. Chaque cité, en effet, dut
se défendre, aussi bien contre les Musulmans que contre les vexa-
tions fiscales des fonctionnaires envoyés par Byzance. Cette
situation favorisa singulièrement le développement de l'autono-
mie des cités, et amena la formation de véritables conmiunes.
Nous voyons que tous les actes privés mentionnent, non seulement
la présence du fonctionnaire par devant lequel ils sont passés,
mais encore celles de boni homines, de nohiles homines, dont la
1. Charf. Clip., I, p. 54.
2. Cod. dipl. Bar.,l, 9. Les éditeurs ont à tort daté cet acte de 977. L'acte
étant du mois d'octobre de l'indiction V, il faut dater de 976 et non de 977.
3. Chart.Cup., l, 60.
4. Nous voyons des villes conclure des traités particuliers avec les
Musulmans. Ibn-el-Athir dans Amari, B.A.S., t. I, 392, 408, 416, 421.
Histoire de la domination normande. — Chalandox. 3
34 CHAPITRE PREMIER
présence paraît être indispensable à la validité de l'acte. De même
dans les jugements, on mentionne toujours l'intervention de ces
honj homines soit que le jug-ement soit rendu par eux, soit qu'au
contraire il soit rendu, par le fonctionnaire impérial, avec leur
assistance. Que faut-il voir dans ces boni hominesl Une charte de
992 ^ nous renseigne très exactement à cet égard. En voici le
texte : « ideo quiah nos hy sumus, Sinaragdus protosphata-
rius et tepoteriti ton scolon et Badelgardus turmarcha et lohanne
graiia dei electus et Lodoi/co kastaldius et Lupo et Léo impcrialis
spatharii candidati et kastaldei, Pando filio Badelchisi, Maio et
Fridelchisi Clwisantus dictas et Teudelcari, Cal [oiohanne] et
Trasemundo, Antofano et Pando, Maio iudice, Bussoet Chrisanto,
1 rasagasto et Bisantio, Agapitoet Bomoaldus, Balsamoet Alifan..
Ch/'isolito, Duninando, Musando, Ermengardo, Sikenolfus,
Turresano, Lodoyco, Maraldo et Gaiderisi, Muruzzo et Muruzzo,
Basalmo et Maraldo, Pozzo et Bomoaldo, nos tofi nominati, et
bice omnibus abitantihus cibitate Puliniani, niaiorcs, niediani et
cuncto populo, etc. ». Il résulte de cet acte que dans la ville de
Conversano le peuple était divisé en trois classes : maiores.
mediani, popuhis. Ce fait de la division en trois classes nous était
déjà connu par le capitulaire de Radelchis ' ; nous voyons que
cette division a persisté dans la Fouille, plus tard nous la
retrouverons à Naples •^. Mais, ce qu'il y a de particulièrement
intéressant dans l'acte qui nous occupe, c'est de voir agir, dans
un acte administratif, des représentants de la cité, au nom de
la population tout entière, au nom de Vuniversitas. L'acte
dont nous venons de parler, n'est pas en efîet un acte judi-
ciaire : les représentants de la commune de Polignano font, au
nom de la ville, une donation à l'église Saint-Benoît de Polignano.
Nous voyons par là qu'en Fouille la centralisation administrative
n'a pas pu se produire. On sait que Léon le Sage avait aboli toute
autonomie municipale, car « ces institutions, dit-il dans sa novelle,
ne correspondent plus à l'ordre de choses où l'empereur seul
1. Chart. Cup.,\, P- 60. Cf. Trinchera, op. cit., pp. 4ti et 53.
2. M.G.H.LL., IV, 222.
3. Capasso, // <( pacluni » giuralo dal duca Sergio ai Napoletani, dans
Arch. st.napoL, t. IX (1884), p. 548.
ÉTAT POLITIQUE DE l'iTALIE MÉRIDIONALE 35
doit avoir soin de tout ' ». Les mesures prises par Léon n'ont pu
être appliquées en Fouille. Nous n'avons pas à rechercher l'origine
de ces institutions -, il nous suffît de constater leur existence, qui
nous montre clairement que les villes lombardes ont réussi à se créer
dans l'empire une situation à part, situation que les basileis ont
été obligés de supporter.
Les causes que nous avons indiquées plus haut : savoir le petit
nombre des troupes byzantines et la fréquence des invasions
musulmanes, ont eu encore un autre effet d'une importance con-
sidérable. Nous savons que le gouvernement byzantin obligeait
les villes à fournir des A' aisseaux pour la défense des côtes. La
Vie de saint Nil ^ qui nous donne ce renseignement, ne nous dit pas
si l'équipage des vaisseaux devait être recruté parmi les habitants
des villes. Cela me paraît pourtant extrêmement probable, car je
crois que l'on peut établir que les Byzantins ont organisé en
Italie des milices communales. Un acte du mois d'octobre de
l'année 980, nous apprend que, sur le territoire de la ville de
Conversano, une terre est grevée de la charge du service militaire
«... quia facere illi de eadein rébus prefati lacohi clerici ipso
serhitio doninico quod est ipsa militia ». De même, en 1015, à
Bari, il est question de stratia domnica -K II résulte de là que
la possession de la terre en certains cas emporte l'obligation du
service militaire.
Ce sont les milices ainsi formées, qui sont désignées, dans les
chroniques, sous le nom de conterati. On a beaucoup discuté
1. Zacharife a Lingenthal., Jus r/r-œco roni., t. III, p. 138-139.
2. Cf. Ileinemann, Zur Entstehnng der Stadtverfassung in Italien
(Leipsig, 1896), in-8°, et Dina, Ilcomune benevcntano net mille e l'origine del
comiine médiévale in génère, dans Rendiconti del. r. isl. lombardo di scien.
e let. Série II, vol. XXI (1898). Dans la préface dut. Ill'du Codice diplumalico
barese, p. XI-XV, Carabellese a voulu rattacher ces institutions municipales
aux institutions municipales romaines. Son argumentation ne présente
aucune solidité, et se heurte à ce fait que du vu" s. au x" s. il n'y a pas
un seul document en faveur de sa thèse. La même observation peut s'appli-
quer à Calisse, // governo dei Bisantini in llalia (Torino, 1885), p. 49 et
suiv. M. Diehl a établi que le régime municipal avait à peu près complè-
tement disparu. Cf. V exarchat de Bavenne, p. 93 et suiv.
3. Chart. Cup., t. I, 57. Cod. dipl. Bar., t. IV, p. 20. Cf. Id., t. V, p. 32.
36 CHAPITRE PREMIER
sur le sens de ce mot ^ Sans parler des et y molog-ies fantaisistes,
rappelons que di Meo croyait que ce mot avait le sens de confede-
rafi, et s'appliquait aux troupes unies des Normands et Lom-
bards. Muratori pensait qu'il faut lire conterrati, et que le mot
désig-nait les habitants du pays ~. Ducano^e a donné le sens
véritable: -/.ov-apaToç '^ désig-ne des troupes armées à la lég-ère.
Je crois que ce mot doit s'appliquer aux milices locales, pour
la raison suivante. Dans un diplôme, du mois de mai de l'année
1054 ^, le catépan Argyros exempte le monastère Saint-Nicolas
de Monopoli de différents services, et, entre autres choses, il dit
qu'aucun fonctionnaire ne doit oser réclamer « y.îvTSjpojv /.al y.ov-
TxpaTwv £y.6:Ar(V ». L'éditeur du diplôme a traduit ce passage de
la façon suivante : « ne ... audeant ... imponere ... conturorum
et contaratorum expulsionem », ce qui n'a aucun sens. Il faut
entendre le mot h.^jo'Kr, dans le sens de dépense''. Le monastère
de Saint-Nicolas est dispensé d'avoir à fournir la dépense des
chevaux de charg-e et des milices. 11 faut entendre par là qu'au
lieu de fournir les hommes et les chevaux, le monastère donnait
une somme en argent. Le mot conterati désig-nerait donc ces
milices locales, dont nous constatons, par ailleurs, l'existence.
L'oblig-ation de défendre les villes contre les Musulmans, et
l'impossibilité d'entretenir un corps d'occupation suffisant, ame-
nèrent la création de ces milices, recrutées parmi la population
locale, c'est-à-dire parmi les Lombards. Les textes que j'ai cités
permettent de dire qu'au x*^ et au xi'' siècle il existe un rapport
entre la possession de la terre et l'ol^ligation du service mili-
taire. Nous arrivons ainsi à constater que la situation est, à ce
point de vue, très sensiblement pareille à ce qu'elle était au
vii"^ siècle.
J'ai insisté sur ce fait de l'existence des milices lombardes, car
il ne me semble pas que, jusqu'ici, il ait été suffisanient mis en
1. Cf. la notede de Blasiis, La insurrezione piigliese e la conquista normanna,
t. I, p. 28.3-284.
2. Loc. cit.
3. Gloss. ad. verbum.
4. Trinchera, op. cit., p. ijo.
u. Cf. Estienne, Thésaurus, ad verbum i/.ooXf, aXoywv, et Ducange, Gloss.,
ad verbum.
ÉTAT POLITIQUE DE I.'lTALlE MÉRIDIONALE 37
lumière parles historiens des Normands. On parle bien de Talliance
des Normands avec les Lombards, mais il semble toujom\s que
ce sont les Normands qui, dès le début, ont joué le rôle principal. A
mon avis, ce sont ces milices locales qui expliquent la réussite de
la conquête normande. Les chroniqueurs, nous le verrons plus loin,
nous montrent toujours les premiers normands, au nombre de
quelques centaines, mettant en fuite des milliers de Byzantins. Il
est invraisemblable de voir une troupe, aussi peu nombreuse,
être toujours victorieuse d'un ennemi bien supérieur. Tout le côté
merveilleux de la conquête normande disparaît presque en entier,
si l'on songe au rôle joué par les milices locales. Lorsque les
Lombards se révoltèrent, ils trouvèrent dans leurs milices le
noyau d'une armée parfaitement organisée et équipée. Si l'on
songe que les Normands ont été soutenus par toutes les milices de
la Fouille, on voit que cet appui dont les chroniqueurs ne parlent
pas, a été en réalité la véritable cause de leurs succès.
On vient de voir que Byzance avait complètement échoué
dans ses tentatives pour helléniser la Fouille. Sans doute dans
ses rapports avec les Lombards, Byzance a fait preuve d'une
remarquable souplesse, et a su n'entreprendre que les tâches
cpi'elle pouvait réaliser ; mais les tempéraments mêmes qu'elle a
été contrainte d'apporter dans le domaine religieux, comme dans
le domaine juridique ou politique, montrent bien quelle résis-
tance l'élément lombard de la population a opposé aux diverses
tentatives d'hellénisation. Les Lombards ont accepté dans une
certaine mesure la suprématie byzantine, mais ils ont obligé les
basileis à recruter le personnel des fonctionnaires dans l'aristo-
cratie locale et ont, un moment même, cherché à faire choisir
comme stratège le prince de Capoue. Byzance refusa, et l'hosti-
lité entre Grecs et Lombards subsista ' . Cet antagonisme était
1. Cf. Gay, op. cit., p. 204 et suiv. On peut citer comme textes marquant
l'hostilité entre les Lombards et les Byzantins les suivants : pour la fin du
ix" s., « ... In ipsorum odium fere omnes cultores Apuliœ, Sainnii, Lucaniœ,
Campaniœ, conspiraveranl. » Catal. regum lang., dans Scrip. rer. Zanr/., p.496 ;
pour le x'= s., Theoph. Cont., p. 453 (Cf. Gay, op. cit., p. 21o, sur l'interpré-
tation de ce passage), et, en dehors des textes mentionnant les révoltes dont
nous parlons plus bas, Léo Ost., II, 37, et Ann.Bar., adan. 1035, où il est
question de Byzantins « sine metu contra onines Grecos ».
38 CHAPITRE PREMIER
pour l'empire gTec une cause de faiblesse, La mauvaise adminis-
tration des fonctionnaires byzantins ne fit qu'ag-g-raver la situation.
A Byzance, les impôts étaient, d'ordinaire, pris à ferme, et pour
rentrer dans leurs débours, les concessionnaires cherchaient à tirer
des contribuables le plus d'argent possible. Pour l'Italie méri-
dionale nous sommes mal renseig-nés sur la question des impôts.
Il semble probable cpie les catépans, comme autrefois les stra-
tèges d'Occident, ne recevaient pas de traitement ; ils devaient
donc cherchera extorquer le plus d'argent possible à leurs admi-
nistrés '. D'autre part, la Vie de saint XiL à laquelle on revient
toujours, quand on s'occupe de l'Italie byzantine du x*' siècle,
nous fournit quelques précieuses indications"'. Nicéphore, gou-
verneur de la Pouille et delà Calabre, obligea les villes soumises
aux Byzantins à construire des chelanclia pour protéger les côtes
et aller attaquer les Sarrazins en Sicile. Cet impôt excita chez les
gens de Rossano un tel mécontentement qu'ils brûlèrent les vais-
seaux. Nicéphore à cette nouvelle se dirigea sur Rossano décidé
à tirer des coupables un châtiment exemplaire. En apprenant
sa prochaine venue, les habitants de la ville, fort marris des
suites que pouvait avoir leur conduite, allèrent trouver saint Xil,
et le prièrent d'intervenir en leur faveur auprès de Nicéphore. Le
saint s'acc[uitta de sa mission avec succès, et obtint que le châti-
ment des gens de Rossano se réduirait à une amende. Ce qu'il y
a de plus curieux dans ces événements, c'est de voir qu'après sa
conversation avec Nil, Nicéphore fit tomber toute sa colère sur le
collecteur d'impôts. Il semljle bien que l'on soit en droit de
conclure que les exactions de ce dernier, ou tout au moins les
mesures par trop vexatoires prises, par lui, n'avaient pas été
étrangères au soulèvement. Nicéphore, en effet, reconnaissant
qu'il y avait ime part de vérité dans les plaintes cpie les gens de
Rossano avaient exprimées de façon si violente, diminua le chiffre
de l'amende imposée. En dehors de ces impôts, relatifs à la défense,
et qui paraissent avoir été payés en nature, la population était
soumise à un tribut payable en argent'^. Cet impôt était perçu au
1. De ceri/n, II, îlO.
2. Vila sancti NUL AA. SS. 26 sept., t. VII, p. 295 et suiv.
3. Trinchera, op. cit., 17.
ÉTAT POLITIQUE DE l'iTALIE MÉRIDIONALE 39
gré des employés du fisc qui étaient loin d'être équitables. Nous
venons de voir que, très probablement, leurs complaisances
n'étaient pas gratuites, et l'on est en droit de penser que ce que
les uns payaient en moins, les autres devaient le payer en plus.
Cette façon de procéder excita certainement un sérieux mécon-
tentement, dont nous trouvons l'écho jusque dans la chronique
de Raoul Glaber^.
Les avantag-es, retirés par les habitants des possessions byzan-
tines de leur soumission à l'empire, ne paraissent pas avoir été
en rapport avec les charges qu'ils avaient à supporter. Byzance
paraît avoir été incapable d'assurer à ses sujets la ti'anquillité.
Sans remonter très loin, nous trouvons, dans les quinze dernières
années du x*" siècle, de continuelles invasions musulmanes. En
986, les Sarrasins attaquent Gerace et la Galabre ; en 988, les
environs de Bari sont pillés ; en 991, c'est le tour de Tarente ;
en 994 nous trouvons les Musulmans devant Matera et, en 1003,
ils attaquent Montescaglioso et Bari 2. Sans doute à partir de 1005,
alors que les Byzantins sont rentrés en possession de Durazzo,
les invasions sont moins fréquentes et l'Adriatique devient d'un
accès plus difficile aux flottes de Sicile, néanmoins la sécurité est
loin d'être complète.
Les guerres continuelles, les impôts trop lourds et les famines
fréquentes ont amené une misère générale, et nous avons encore
en assez grand nombre des actes par lesquels des malheureux
réduits à la dernière extrémité se défont de leurs biens afin de
pouvoir vivre. Je citerai un document conservé aux archives du
Mont-Gassin dans le fonds de Barletta : nous voyons qu'en 1003
un habitant de Gannes vend ce qu'il possède à un prêtre. Il
déclare être poussé par la faim et voici ses propres paroles :
« quia patior necessitatem famis et nuditatis et non haheo iinde
possini evadere excepta si vendidero'^ ». Le juge par devant
lequel est passé l'acte est tellement touché de sa misère qu'il
lui fait donner un sou en sus du prix d'estimation. En 938, à
Gonversano, nous trouvons une vente faite à cause de l'indigence
1. Rad. Glaber, //is/., éd. Prou, p. 52-d3.
2. Lupus Protospat., ad an. Ann. Bar., ad an. 1003.
3. Archives du Mont-Cassin, fonds de Barletta, n° 2.
40 CHAPITRE PREMIER
des propriétaires ^ En 992 nous avons pour la même ville un
document analogue : Pierre, clerc de Conversano, vend ses biens
parce que devenu vieux il n'a plus de quoi vivre à cause de la
dureté des temps « modo vero perveni ad senectute [sic) et temjkis
vavharice et non habeo jam aliquid de causa mea'~ ».
On voit par là que la population lombarde n'avait point beau-
coup à se louer de la domination byzantine. Aussi, la soumission
de la Fouille n'est-elle qu'apparente, et les chroniques sont-elles
remplies par les brèves mentions d'assassinats de fonctionnaires
g-recs, et de mutineries de villes isolées. En 987, la chronique de
Lupus Protospatharius mentionne une révolte de la ville de
Bari. En 989, le patrice Jean fait exécuter trois rebelles. En 990,
nous trouvons mentionné l'assassinat d'un fonctionnaire grec.
En 997, éclate à Oria la révolte de Smarag^dos et de son frère
Pierre, qui, avec l'aide des Musulmans, tentent de s'emparer de
Bari 3. La révolte dure jusqu'au mois de juillet de l'an mil.
Toutes ces insurrections partielles furent certainement suivies de
mesures rig-oureuses de répression, et les rebelles furent punis
par la confiscation de leurs biens. Des mesures de ce genre n'ont
jamais servi à rien ; sans doute, après la révolte deSmaragdos, la
répression paraît avoir amené le calme pendant quelques années,
mais il est certain que l'animosité des Lombards contre les Byzan-
tins fut d'autant plus aug-mentée qu'elle fut plus contenue. De ce
que ces révoltes paraissent avoir été locales, on ne saurait
conclure que le mécontentement de la population indigène n'ait
pas été général. Au contraire, tous ces soulèvements isolés
tendent à montrer que l'administration byzantine a fait un grand
nombre de mécontents ^.
1 Chart. Clip., 1,28.
2. Ihid., 1,63.
3. Lup. Protospat., ad an. 987, 989, 990, 997, 998.
4. Peut-être, faut-il voir la trace de cette hostilité dans les divisions de
la population des villes? Nous verrons, en effet, que dans un grand nombre
de villes, il y a un parti favorable aux Grecs, et un parti qui leur est hostile.
On ne saurait rien affirmer à cet égard, néanmoins, il me parait fort
probable qu'il faille répondre affirmativement. L'objection tirée par M. Gay,
op. cit., p. 568, du fait que le fds de Mélès est le chef du parti grec, ne me
paraît pas concluante. En effet, Argyros commence par se mettre à la tête
ÉTAT POLITIQUE DE l'iTALIE MÉRIDIONALE 41
On peut, par ce qui vient d'être dit, s'imag-iner facilement quels
étaient les rapports des Lombards et des Byzantins. Nous
sommes bien loin de la pacification, décrite par Lenormant, et l'on
s'explique facilement que les Lombards de Fouille, n'ayant
presque rien à perdre, se soient lancés avec ardeur dans l'insurrec-
tion, quand un chef capable d'organiser leurs forces et de diriger
la lutte se résolut à tenter de délivrer son pays. Ce chef fut
Mêlés.
de rinsurrection, et au moment où il passe aux Grecs, un certain nombre
de Lombards pouvaient déjà avoir vu les inconvénients de lalliance avec
les Normands et préférer la domination byzantine.
CHAPITRE II
Révolte de Mélès. Arrivée des Normands en Italie. Leurs
PREMIERS établissements. DÉVELOPPEMENT DE LA PUISSANCE DE
LA PRINCIPAUTÉ DE SaLERNE.
(1009-1042)
Nous ne savons rien sur Mélès, avant le moment où il apparaît
brusquement dans l'histoire de l'Italie méridionale, pour y tenir
durant quelques années la première place. Tout ce que nous
pouvons dire, c'est qu'il appartenait à l'aristocratie lombarde et
avait une influence considérable non seulement à Bari, sa ville
natale, mais encore dans toute l'Apulie '. Il est probable qu il dut
préparer longtemps la rébellion que nous allons le voir diriger ;
car l'importance du mouvement insurrectionnel, qui se produisit
alors, dépasse de beaucoup celle de toutes les rébellions anté-
rieures, qui paraissent avoir été purement locales, La révolte
éclata à Bari, au mois de mai de l'année 1009, elle était dirigée
par Mélès et son beau-frère Datto-. Nous ignorons si le soulè-
vement ne fut pas amené par quelque fait particulier, par quelque
A'iolence commise par un fonctionnaire grec. Le récit de Léon
d'Ostie qui est notre source la plus détaillée pour ces événe-
ments, paraît indiquer que la haine des oppresseurs fut le motif
déterminant de l'insurrection. " Les Apuliens, dit-il, se révol-
tèrent parce qu'ils ne pouvaient plus supporter la superbe et
1. Léo Ost.,II,37, 632.
2. Annales Barenses, ad an. 1011. Lup. Protospat., ad an. 1009. Skylit-
zès, dans Cédrénus éd. de Bonn.), t. II, p. 456. La chronique de Lupus
donne seulement la date de mois. Les Annales Barenses donnent la date
de jour, le 9 mai.Delarc, Les Xormands en Italie, Paris, in-8° (1883), p. 47,
a fait complètement erreur sur la date de l'insurrection dont il place le
début en 1011. La chronologie de toute cette période a été établie, d'une
façon indiscutable, par Bresslau, dans les lahrhùcher des deutschen Reichs
unter Heinrich II, t. III, Excurs., IV, p. 321 et suiv.
RÉVOLTE DE MÉLÈS 43
rinsolence des Grecs '. » La révolte ne se localisa pas dans la
région de Bari et s'étendit rapidement. Il faut certainement rat-
tacher à la rébellion de Mêlés l'insurrection qui se produisit à
ce même moment dans la haute vallée du Bradanto, dans la
région de Montepeloso '-. Nous savons, par une brève mention
des Annales Barenses, que cette même année les Grecs durent
combattre à Montepeloso un chef nommé Ismael. On a voulu
voir dans le mot Ismael une forme de Mélès et par suite on a
identifié les deux personnages -^ C'est là, à mon avis, une erreur,
car le texte des Annales Barenses^ sur lequel on s'appuie, ne
permet pas cette identification. L'auteur parle d'abord de Mélès
et de la première bataille qu'il a livrée aux Grecs. Il parle ensuite
d'Ismael en montrant clairement qu'il a en vue deux person-
nages différents. Il serait, d'ailleurs, très étonnant que ce nom
d'Ismael appliqué à Mélès ne se rencontrât qu'une fois dans les
sources. Toujours, en effet, l'Anonyme de Bari '% les Annales
Barenses et Lupus Protospatharius ont la forme Mélès ou Mel ;
la forme Ismael, en dehors du passage cité, ne se rencontre
que dans des sources allemandes mal renseignées sur l'Italie du
Sud '. Très probablement, il faut voir, dans l'Ismael de Monte-
Peloso, un chef musulman, qui aida les Lombards révoltés.
Une alliance avec les Musulmans était alors chose très fréquente ;
il suffît de rappeler ce que nous avons dit plus haut de Sma-
ragdos et de sa tentative analogue à celle de Mélès, pour voir
combien cette alliance est probable. Bien plus, nous savons par
i. Léo Ost., II, 37.
2. Annal. Barenses, ad an. — Montepeloso, circond. de Matera, prov. de
Potenza.
3. Wilmans, Ueber die Quellen der Gesta Roherti Wiscnrdi des Guillermus
Apiiliensis, dans VA?'chiv de Pertz, t. X, p. 112. Amari, op. cit., II, 342, De
Blasiis, op. cit., I, 48. Heinemann, Geschichte der Normannen in Unterilalien
und Sicilien, t. I (Leipsig, 1894), p. 30, admet encore cette identification
déjà proposée par di Meo, op. cit., t. VII, p. 12 et 13 ; de même Gay, op.
cit., p. 401. Delarc, op. cit., p. 49, note 1, a avec raison combattu cette
opinion. Sclilumberger, iîasj7e //, p. 543, s'est rangé à l'avis de ce dernier.
Tout le système de Wilmans a été ruiné au point de vue chronologique
par Bresslau, loc. cit.
4. Dans Muratori, R.I.SS., t. V, p. 148.
5. Notae sepul. Bahen., M.G.H.SS., t. XVII, p. 640. Adalbert, Vita Hen-
rici II, M.G.H. SS., t. IV, p. 805.
44 CHAPITRE II
Lupus Protospatharius, qu au mois daoùt de l'année 1009,
quelques mois k peine après que la révolte a éclaté, les Sarrasins
s'emparèrent de Cosenza '. Les Annales Beneventani mentionnent
également à Tannée 1009 la prise de Bitonto par les Sarrasins"-.
Je suis très enclin k croire que l'auteur ou le copiste des Annales
Beneventani a ici confondu Bitonto avec Bitetto'^, où Mélès
remporta cette même année sa première victoire sur les Grecs.
S il en était ainsi, nous aurions la preuve de l'alliance des Lom-
bards révoltés avec les Musulmans. Si l'on ne veut pas admettre
cette hypothèse, il n'en reste pas moins qu'en 1009 nous voyons les
Sarrasins et les Apuliens rebelles combattre contre les Grecs
dans une même région. On est donc amené k regarder comme
presque certain que Mélès, avant de rompre avec Byzance, avait
eu soin de s'assurer l'appui de quelques chefs musulmans.
Mélès remporta un premier succès k Bitetto, k quelques kilo-
mètres de Bari ^ ; la conséquence de cette victoire fut d'amener
une rapide extension de la révolte. Vers la fin de 1009, ou tout
au début de 1010, le catépan Curcuas mourait et les troupes
byzantines se trouvèrent sans chef -^ Les révoltés profitèrent de
ces circonstances pour emporter quelques places. Bari avait été
dès le début aux mains des rebelles. Trani suivit bientôt l'exemple
de sa puissante voisine et passa aux révoltés '' ; nous savons,
en outre, que Mélès s'empara d'Ascoli ". La Chronique
d'Amalfi, qui est d'ailleurs assez mal renseignée pour toute
cette époque, rapporte que Mélès occupa rapidement un grand
nombre de villes et de châteaux *^. On peut admettre que la
révolte s'étendit k tout le pays au nord d'une ligne allant de
1. Lup., Protospat., ad an.
2. Ann. Beneventani, M.G.H.SS., t. III, ad an., p. 2o7.
3. Bitonto, circond. et prov. de Bari; Bitetto, circond. et prov. de Bari.
4. Ann. Bar., ad an.
5. Anon. Bar., ad an. 1010. Lup. Protospat., ad an. 1010. L'année com-
mence en septembre, il s'agit donc très probablement des derniers mois de
1009, car le successeur de Curcuas arrive en mars.
6. Anon. Bar., ad an. 1010. Lup. Protospat., ad an. iOlO, p. 57, dit que
la ville fut pi'ise de force par Stilicus. Schlumberger, loc. cit., voit un chef
musulman dans celui-ci.
7. Chron. Amalf., dans Muratori, Ant. It., I, 211.
8. Loc. cit.
REVOLTE DE MÉLÈS 4-5
Bari à Montepeloso. Les sources, en effet, ne nous fournissent
aucun renseignement permettant de croire que le midi de la
Fouille ait suivi l'exemple de Bari et des autres villes du nord.
Nous avons vu que Mélès avait pris Ascoli ; or, si l'on
remarque que cette place est située au débouché du défilé qui,
passant entre les montagnes sur lesquelles s'élèvent Bovino et
Troia, conduit de Bénévent au Tavogliere di Puglia, on est en
droit de supposer que Mélès tint à avoir en son pouvoir le pas-
sage le plus facile pour communiquer avec la principauté de
Bénévent. Nous sommes ainsi amenés à examiner la part prise
par les principautés lombardes à la révolte de Mélès. Aucun
document ne nous permet d'établir de façon positive que les
princes Guaimar IV, de Salerne, Pandolf II de Capoue et Pan-
dolf II de Bénévent aient aidé l'insurrection de leurs compa-
triotes soumis à Byzance. Mais l'occupation d'Ascoli par
Mélès, dès les premiers jours de sa révolte, le refuge que Mélès
trouvera chez les trois princes lombards, après sa défaite,
sont autant d'indices que ceux-ci, sans s'allier ouvertement aux
rebelles, conservèrent au moins à leur égard une neutralité très
bienveillante.
Au mois de mars de l'année 1010, im nouveau catépan, envoyé
de Constantinople, débarqua en Italie avec des troupes de renfort.
Il se nommait Basile Argyros, dit le Mesardonitès ' et était
accompagné de Léon Tornikios, dit Contoléon, stratège du
thème de Géphalonie. Dès l'arrivée de Basile, les Byzan-
tins sortirent de l'inaction où ils paraissent être restés depuis la
mort de Curcuas et vinrent, en avril, mettre le siège devant
Bari qui était la place la plus forte occupée par les révoltés %
Les deux chefs de l'insurrection, Mélès et Datto, s'y étaient ren-
fermés. Il semblait que la place dût résister longtemps, mais la
trahison vint faciliter la tâche du catépan. J'ai parlé plus haut
de l'opposition qui existait dans les villes de la côte entre l'élé-
1. Anon. Bar., ad an. 1010. Lup. Protospat., ad an. 1010. Skylitzès dans
Cédrénus, II, 4a7. Cf. Schiumberger, op. cit., p. 543, note 4, et Aar, op. cit.,
p. 134 et 311.
2. Annal. Bar., ad an. 1013. (Il y a dans les Ann. Barenses une erreur de
deux années sur la date). Lup. Protospat., ad an. 1010. Léo Ost., II, 37, 652.
46 CHAPITRE II
ment grec et rélément lombard. En voici un exemple. Bari était
assiégée depuis deux mois, quand un certain nombre d'babitants
entamèrent secrètement des négociations avec Basile, afin de lui
remettre la place et de lui livrer Mélès. Ce fut certainement le
parti grec qui prépara cette trahison ; son importance devait être
singulièrement accrue par deux mois de siège et de privations,
car Mélès, informé de ce qui se préparait, ne se sentit pas assez
fort pour prendre les devants et arrêter ceux qui le trahissaient.
Avec son beau-frère Datto et quelques-uns de ses partisans, il
quitta secrètement Bari et s'enfuit à Ascoli, d oi^i il passa sur le
territoire de Bénévent. Nous savons par Léon d'Ostie que, de
cette dernière ville, Mélès g'agna Capoue et Salerne.
Pendant ce temps, Basile entrait à Bari et j rétablissait l'auto-
rité de l'empereur grec. Les sources ne parlent pas de représailles
exercées par les troupes byzantines. Peut-être le catépan, pour
faciliter l'apaisement de l'insurrection, ne se montra-t-il pas très
sévère. Nous savons seulement qu'il se saisit de la femme de
Mélès et de son fils Argyros, et qu'il les envoya à Constantinople ' .
Il semble que le catépan ait éprouvé quelques inquiétudes au
sujet de l'appui que Mélès cherchait à se faire donner par les
princes lombards. Nous voyons, en effet, qu'en octobre de cette
même année, il se rendit à Salerne '-. Ce voyag-e ne nous est connu
que par un acte et nous n'avons aucun détail à ce sujet. Il est
probable que le catépan voulut en imposer aux princes lombards
et les empêcher de prêter assistance aux rebelles.
Pendant qu'il était à Salerne, Basile Mesardonitès confirma les
privilèges du Mont-Cassin, pour tous les biens de l'abbaye, sis en
territoire grec. Nous savons, par Léon d'Ostie, que Datto après sa
fuite avait trouvé un refug-e sur les terres du Mont-Cassin ; le chro-
niqueur ajoute qu'il n'y resta (jue peu de temps ^ Il me paraît très
probable que la venue de Basile à Salerne ne dut pas être étran-
g-ère à son départ. L'abbé du Mont-Cassin, en apprenant l'arrivée
1. Léo Osl., II, 37, 652.
2. Trinchera, op. cit., 14.
3. Léo Ost., loc. cit. Sur la soumission de Salerne à Byzance, cf. la
souscription d'un évangéliaire de la bibliothèque impériale de Saint-Péters-
bourg. Murait", op. cit., p. 594 ad an. 1020.
RÉVOLTE DE aiÉLÈS 47
de Basile, dut craindre quelques représailles. Il invita, probable-
ment alors, Datto à s'en aller et envoya quelques moines saluer
le catépan àSalerne, et lui présenter des excuses pour lasile offert
au fug-itif. Le Mont-Cassin était alors un centre politique très
important, son influence dans les affaires d'Italie et en particulier
dans les affaires de l'Italie méridionale était considérable, aussi le
catépan ne voulant pas s'aliéner les moines, qui jusques-là avaient
toujours été en très bons termes avec les empereurs grecs, ne
leur g-arda pas rigueur et leur confirma leurs privilèg^es pour les
domaines que l'abbaye possédait en Fouille.
Expulsé des terres du Mont-Cassin, Datto se réfugia dans l'état
pontifical oi^i, cpielque temps après, le pape Benoît VIII
(consacré le 22 juin 1012), partisan de l'empereur Henri II et
ennemi des Grecs, lui donna asile dans une tour qu'il possédait
sur les bords du Garigliano ',
L'influence byzantine se fit donc suffisamment sentir dans les
principautés lombardes pour empêcher Mélès d'y trouver une
assistance réelle, mais elle ne put obtenir son expulsion. Nous
savons, en effet, que Mélès resta sur le territoire des principautés
de Bénévent et de Capoue ; cherchant à reconstituer son parti ;
et ceci nous montre combien les princes lombards étaient peu
soumis à Byzance "~.
Les chroniques sont muettes pour les années qui suivirent la
première révolte de la Fouille. Nous ne pouvons rien savoir des
intrigues dont l'Italie méridionale fut alors le théâtre.
Il me- paraît pourtant très probable que l'on doit placer dans
cette période, un voyage de Mélès en Allemagne, pour demander
son aide à l'empereur. Léon d'Ostie, en parlant de la descente
d'Henri II en Italie, en 1020, dit que Mélès était venu deux fois
auprès de l'empereur, pour lui demander assistance •^. On ne
peut placer ce voyage de Mélès après 1017, car alors il resta
en Italie jusqu'à la défaite définitive de son parti, et n'alla en
Allemagne que pour y mourir ; il faut donc placer ce voyage
1. Cf. Thietmar, Chron., VI, 61 et VII, I. Raoul Glaber, III, 1, 3. Sur le
rôle de Benoit VIII, cf. Gay, op. cit., p. 407 et suiv.
2. Léo Ost., II, 37, p. 6o2-6."i3. Les Normands rencontrent Mélès au Monte
Gargano, en territoire byzantin.
3. Léo Ost., Il, 39, 6^.
48 Chapitre ii
entre 1011 et 1016. C'est très probablement alors que Mélès fut
reconnu par l'empereur comme duc d'Apulie '. Il n'obtint toute-
fois aucune aide de Henri II.
Dans le courant de l'année 1016, nous retrouvons Mélès au Monte
Gargano. La rencontre qu'il fît alors d'une bande de pèlerins
normands devait avoir une importance considérable, non seule-
ment pour son parti, mais encore pour l'histoire de l'Italie.
Guillaume de Pouille ~ nous raconte que, tandis qu'ils se rendaient
en pèlerinag'e au célèbre sanctuaire de saint ^lichel sur le Monte
Gargano, des chevaliers normands rencontrèrent Mélès. Celui-ci
leur exposa son histoire, et leur dit qu'avec l'aide de quelques-
uns d'entre eux, il lui serait bien facile de chasser les Grecs de sa
patrie. Suivant le poète, les pèlerins normands auraient alors
promis au chef lombard d'encourager leurs compatriotes à se
rendre auprès de lui.
Il faut rapprocher de ce récit de Guillaume de Pouille un pas-
sage de la chronique d'Aimé, moine au Mont-Cassin. D'après ce
dernier, vers l'an mil, quarante vaillants pèlerins normands,
revenant de Terre-Sainte, débarquèrent à Salerne. Ils trouvèrent
cette place assiégée par les Sarrasins, mécontents de ce que
le prince de Salerne leur eût refusé le tribut ordinaire. Les
pèlerins combattirent les Musulmans et les obligèrent à se
retirer. A la suite de cet exploit, le prince de Salerne fit grande
fête aux vainqueurs, et les pria de rester à son service. Suivant
le chroniqueur, les Normands auraient refusé les présents qui
leur étaient offerts, en disant qu'ils avaient agi pour l'amour
de Dieu, et se seraient excusés de ne pouvoir demeurer au ser-
vice de Guaimar ■^.
1. Nof. sepul. Babenff., M.G.H.SS., XVII, 640. Adalbert, Vita Henrici II,
M.G.H.SS., IV, 805.
2. G. Ap., I, 1-35. Gay, op. cit., p. 406, croit qu'il est impossii^le de placer
dans la même année 1016, le siège de Salerne, le retour en Normandie des
Noi-mands accompagnés des ambassadeurs de Guaimar, l'émigration des
premiers aventuriers normands, leur séjour à Rome et leur entente avec
Mélès. 11 faut remarquer que Lupus commençant Tannée en septembre, et l'at-
taque de la Pouille ayant eulieuau printemps 1017, ces événements peuvent
se placer de septembre 1015 au printemps 1017 ; il me semble que ce laps
de temps est amplement suffisant.
3. Ysloirede li Xonnant, éd. Delarc Rouen, 1892j, in-8°, 1. 1, 17, p. 18-19.
tlÉVOLtE DE MÉLÈS 4§
Le témoignage d'Aimé ne doit être accepté qu'avec réserve . Tout
d'abord la date assignée à la venue des Normands, à Salerne, est
certainement fausse. Les Annales Beneventani i, et la chronique
de Lupus -, qui sont toutes deux dérivées d'annales plus anciennes
aujourd'hui perdues, mentionnent un siège de Salerne par les
Musulmans, seulement à l'année 1016. La chronique de Thiet-
mar ^ place à la même époque d'autres attaques des Musulmans,
sur les côtes d'Italie, alors qu'il semble que, pendant les années
précédentes, il y ait eu une interruption dans les invasions des
Sarrasins. On ne saurait invoquer Léon d'Ostie ^, dont la chronique
donne, comme celle d'Aimé, la date de l'an mil, car on a montré
que la première rédaction de cet auteur plaçait, vers 1016, le
siège de Salerne ^. Léon a donné la date de l'an mil seulement
quand il a corrigé et complété la première rédaction de son
ouvrage, à l'aide de la chronique d'Aimé. Nous verrons plus loin
que le prince de Salerne fît partir avec les Normands un envoyé
pour recruter des troupes. Il faudrait donc admettre que celui-ci
a mis seize ans pour accomplir sa mission, puisqu'il est certain
que les Normands ne sont pas arrivés en Italie avant 1017.
Cette hypothèse est insoutenable. On est donc endroit de placer
à la fin de lOlS ou au début de 1016, le siège de Salerne et
l'arrivée dans cette ville des pèlerins normands ".
On doit faire également des réserves sur le reste du récit
d'Aimé. Ainsi il est bien évident que les pèlerins normands n'ont
pas mis en fuite, à eux seuls, une armée musulmane assez forte
pour avoir inquiété une ville aussi importante que Salerne
Les soldats de Guaimar ont certainement pris part à la bataille,
et Aimé a oublié de les mentionner. Il y a chez le chroniqueur du
1. M.G.H.SS., t. III, 177.
2. M.G.H.SS., t. V, 57.
3. M.G.H.SS., t. m, 831.
4. Léo Ost., H, 37, p. 651.
5. Delarc, Histoire des N^ormands, p. 42. Cf. Wattenbach, Prolegomena,
M.G.H.SS., t. VII, p. 555. Bresslau, op. cit., pp. 322-325. Il n'y a pas à tenir
compte des Annales du Mont-Cassin M.G.H.SS., t. XIX, p. 305, qui, en
plaçant le siège de Salerne en l'an mil, sont l'écho de la tradition cassi-
nienne. Cf. Delarc, Ystoire de li Normant, pp. 21-22, note.
6. Cf. p. 48, note 2.
Histoire de la domination normande. — Chala^dox. 4
50 CHAPITRE II
Mont-Cassin une tendance très marquée à Fapologie ; il cherche
à faire des Normands des héros, prédestinés par leurs vertus à la
grande fortune qui les attendait.
La suite du récit dWimé est plus exacte, mais je crois qu'il faut
l'interpréter autrement qu'on ne le fait d'ordinaire. Aimé s'ex-
prime ainsi : « Et mandèrent lor messages avec ces victoriouz
Normans, etc. ' ». On a traduit ce passage en disant que « les
Salernitains remirent des messages aux Normands victorieux 2».
A mon avis, c'est là un contresens. 11 faut entendre que les Saler-
nitains envoyèrent avec les Normands des messagers chargés de
recruter des troupes en Normandie. Ce sens est indiscutable, si
nous rapprochons la phrase ci-dessus d'un autre passage, où
Aimé parlant de l'arrivée des Normands en 1017, dit qu'ils : « vin-
drent auvec lo message del prince de Salerne ^ ».
L'interprétation proposée me paraît mieux convenir pour expli-
quer les faits. Il serait assez invraisemblable que de simples récits
de pèlerins aient suffi à amener le départ pour la Fouille des
premiers Normands, tandis que la présence d'un envoyé de
Guaimar, chargé de recruter une bande de soldats, rend la chose
très naturelle. Si d'autre part on admet l'identification des pèle-
rins de Salerne avec les pèlerins rencontrés par Mélès au Monte
Gargano, identification qui s'impose presque, on est amené à
penser que la rencontre de Mélès et des Normands n'a peut-être
pas été fortuite, et qu'elle a été ménagée par le prince de Salerne
ou ses envoyés. Je suis d'autant plus j^orté à admettre cette
hypothèse, que nous savons qu'à leur arrivée en Italie, les Nor-
mands se séparèrent en deux Ijandes ; les uns allèrent à Salerne,
les autres suivirent Mélès "*. Ceci tendrait à prouver que le
1. Aimé, I, 19, Cf. Léo Ost., II, 37, 651.
2. Delarc, Histoire des Normands, p. 40. Ileinemann, op. cil., p. 33-34.
De Blasiis, op. cit., t. I, 70, a traduit correctement. Schipa,// principaio lon-
ffobardo di Salerno, dans Arch. st. nap., t. XII, p. 257, a également bien inter-
prété ce passage, mais en maintenant la venue des Normands à Salerne, à
l'an 1000, p. 2.")6, note 1, il n'a pas vu que l'ambassade envoyée par Guaimar
serait restée 16 ans absente, puisque nous savons qu'elle revint avec les
Normands, en 1016, Aimé, I, 20. On ne saurait admettre cette hypothèse.
3. Aimé, I, 20. Delarc, op. cit., p. 46-47, note 2, a fait à ce passage des
objections sans valeur.
4. Cela résulte d'Aimé, I, 21, et I, 22. Dans le premier paragraphe cité, il
parle des Normands, qui suivent tout d'abord Mélès en Fouille, et, dans le
RÉVOLTE DE MÉLÊS SI
recrutement fut fait à la fois pour le compte de Mélès et pour
celui de Guaimar. D'autre part, nous verrons Mélès attendre
impatiemment àCapoue l'arrivée des Normands ^, or il n'aurait pu
sérieusement compter sur la venue d'auxiliaires normands, s'il
n'avait fait qu'entrevoir les pèlerins du Gargano, et s'il n'avait
pas eu des raisons plus sûres de compter sur la venue de troupes
de secours.
Je crois donc que Guaimar vit dans les Normands le moyen
d'aider les projets de Mélès, sans avoir à se compromettre vis-à-
vis des Byzantins, et qu'il lui fournit indirectement les secours
nécessaires pour reprendre la lutte.
Les envoyés lombards réussirent facilement à lever en Norman-
die un corps de troupes assez important. Les très nombreuses
sources occidentales, qui parlent du départ des premiers Nor-
mands pour l'Italie, ont donné chacune une version différente des
motifs qui amenèrent cette émigration. Toutes ces sources sont
très postérieures aux événements, aucune n'a donné la véritable
raison, mais la plupart ont cherché à dire quels étaient les motifs
qui avaient déterminé tel ou tel Normand à partir. On peut
pourtant dég'ager de toutes ces légendes une part de vérité. Au
XI" siècle, la Normandie fut par excellence le pays des chercheurs
d'aventure. On peut expliquer les émigrations fréquentes, que
nous constatons, par l'existence d'une population trop nombreuse
pour le pays, et l'on doit appliquer à toute la Normandie, ce que
Malaterra dit de la famille de Tancrède de Hauteville : « Sed cuni
vidèrent, vicinis senibus dcficientibus, heredcs eorum pro heredi-
tate iiiter se altercari, et sortem, quse uni cesserat, intcr plures
divisam singulis minus sufficere, ne siniile quid sihi in posterum
eveniret, consiliurn inter se habere cœperunt ; sicque communi
consilio prima aetas, prse cœteris ad/iuc minoribus magis roborata,
primo patria diqressi, per diversa loca militariter lucrum quaeren-
tes, tandem apud Apjuliam pervenerunt ~. ». Il faut joindre à
second, il dit que, quand les Normands, qui étaient à Salerne apprirent les
victoires des premiers, ils partirent aussi pour la Fouille.
1. Léo Ost., Il, 37, 632-653. Cf. G. Ap. I, v. 44-47. Aimé, I, 20.
2. Malaterra, I, 5.
Oéi CHAPITRE II
ces motifs les querelles violentes, les luttes continuelles qui
oblig-eaient certains Normands à s'exiler et à courir le monde en
quête d'aventures, lorsqu'ils avaient, pour quelque crime, à
redouter la colère de leur seig-neur. Ce fut, semble-t-il, dans cette
dernière catégorie, que se recrutèrent les Normands levés par
l'émissaire du prince de Salerne. Il paraît certain que le chef
de la troupe ainsi formée fut un chevalier, ayant encouru la
colère du duc Richard, pour avoir tué un seigneur, qui préten-
dait avoir été l'amant de sa fille. Les sources ne sont pas d'ac-
cord sur son nom, les unes l'appellent Osmond Dreng-ot ', les
autres Gilbert Buatère ~. Ce dernier nom se retrouvant plus
souvent dans les sources italiennes, c'est lui que nous emploie-
rons pour désigner le chef des premiers Normands.
Suivant Aimé, Gilbert serait parti avec ses quatre frères
Rainolf, Asclettin, Osmond et Rodolphe ^. Nous n'avons aucune
indication précise sur l'importance de la troupe que commandait
Gilbert. Accompag-nés de l'envoyé de Salerne, les Normands
gag-nèrent l'Italie. La plupart des sources s'accordent pour les
faire passer par Rome ^. Raoul Glaber prétend même que le chef
des Normands, qu'il appelle Rodolphe, aurait eu une entrevue
avec Benoît VIII ; ce dernier lui aurait conseillé d'attaquer les
Grecs. Quoique Raoul Glaber ait, pour cette partie de sa chronique,
commis beaucoup d'erreurs, on trouve pourtant chez lui quelques
renseignements exacts sur les événements d'Italie. Je serais
enclin à admettre que le pape Benoît VIII n'est pas resté étranger
aux intrigues des princes lombards que nous avons rapportées
1. Orderic Vital, 1. 111,3, t. II, p. 53. Guillaume de Jumièges, Ilist.
Norm., 1. VII, c. 30.
2. Léo Ost., II, 37. Aimé, I, 20, 21 et suiv. Adhémar de Chabanne,
Historiœ, III, ob.
3. Aimé, loc. cit. Pour Rodolphe, j"ai pris la forme donnée par Léo Ost.,
II, 37, 6oi, au lieu de la forme Lodolfe qui est dans Aimé. Delarc, op.
cit., p. 44, a fait erreur, en prenant dans Léon d'Ostie dautres noms de
Normands. Je crois avec Bresslau, op. cit., t. III, pp. 324-32b, que les noms
donnés par Léon sont des déformations des noms fournis par Aimé. Tous
deux sont d'accord pour Gislebertus et Rodulfus Todinensis (Toëni, Eure,
ar. de Louviers). On retrouve Osmond dans Gosmannus, tandis que
Stogand et Rufin doivent correspondre à Asclettin et Rainolf.
4. Aimé, I, 20, 24. G. Ap., I, v. 14. Raoul Glaber, III, I, p. 53.
RÉVOLTE DE MÉLÈS 33
plus haut. Son entrevue avec Rodolphe confirmerait cette opinion.
Le pape ne devait pas être satisfait des progrès accomplis par
les Byzantins, depuis la défaite d'Othon, k Stilo. A ce moment,
les rapports de la papauté avec l'Empire d'Orient devaient être
assez tendus, c'est, en effet, l'époque où le pafriarche Polyeucte
fait rayer le nom du pape des diptyques '. Rappelons enfin
l'asile offert à Datto. Tout cela constitue un ensemble d'indices,
qui rend très probable l'appui prêté par Benoît VllI aux projets
antibyzantins de Mélès.
De Rome, les Normands gag-nèrent Capoue, où Mélès les atten-
dait ~. Une partie d'entre eux continua sur Salerne •^, tandis que
les autres concluaient avec Mélès un traité, sur lequel nous
n'avonsque les renseignements vagues donnés par Léon d'Ostie ^.
Ce chronicpieur nous raconte que Mélès conclut un accord de
more militise. Sans doute il dut promettre aux Normands de
leur concéder les terres à conquérir sur les Byzantins. Peut-être
devons-nous admettre le renseignement fourni par Orderic Vital.
D'après ce dernier, le prince de Bénévent Landolf, qui, en
1014, avait succédé à Pandolf II, aurait concédé au chef de la
troupe un oppidum '^. A ce contingent normand, Mélès joignit
des soldats qu'il fit venir de Salerne et de Bénévent. Comme lui-
niême résidait à ce moment auprès de Pandolf 111, prince de
Capoue, qui, en 1016, avait succédé àPandolflI,^ on voit encore
apparaître ici l'entente entre Mélès et les trois princes
lombards, entente dont j'ai cherché plus haut à montrer
l'existence.
1. Gfrôrer, 0/3. ci7., t. III, p. lOo. Cf. Bréhier, op. cit., p. ">, qui combat
cette opinion, mais ne s'appuie sur aucun texte.
2. Aimé, I, 20, 24.
3. Cela résulte d'Aimé, I, 22, 29.
4. Léo Ost., II, 37, 653.
5. Ord. Vit., 1. III, 3, t. II, p. 53. Les raisons opposées par Delarc, op. cit.,
p. 45, note, ne sont pas concluantes. Une concession personnelle a pu être
faite au chef des Normands; les autres n'auraient d'abord possédé aucune
terre. Ce renseignement d'Orderic ne me paraît pas être en contradiction
avec les sources italiennes, qui nous représentent les Normands errants,
puisqu'un seul d'entre eux aurait acquis un établissement.
6. Cf. Pi'lugk Ilarttung-, lier italicnm, p. 713,
34 CFIAPITRE II
Au printemps de l'année 1017 ', Mélès ayant terminé ses pré-
paratifs attaqua le territoire de l'Apulie, Les passages qui,
de Bénévent, débouchent en Fouille, entre Troia et Bovino,
devaient être aux mains des Grecs, car nous voyons que Mélès
se dirigea vers le nord-est, et suivit la vallée du Fortore pour
envahir, par le nord, les plaines d'Apulie. L'Italie byzantine était
alors commandée par le catépan Tornikios Kontoléon -, qui était
arrivé au mois de mai de cette année. Il avait succédé à
Basile Mesardonités, mort en 1016 (n. s.) 3. Les premières
troupes grecques qu'il envoya contre les envahisseurs étaient
sous le commandement de Léon Passianos ; elles rencontrèrent
Mélès et ses partisans à Arenula, sur les bords du Fortore, Au
dire de Guillaume de Fouille, cette première bataille fut indé-
cise ; mais comme nous voyons que Mélès put continuer à avan-
cer, nous pouvons en conclure que la vérité se trouve chez
Léon d'Ostie, qui enregistre une victoire à l'actif de Mélès^.
Après cette première défaite, le catépan vint lui-même prendre
le commandement des troupes byzantines. La deuxième rencontre
eut lieu près de Civita '". Léon Fassianos fut tué, et l'armée
grecque de nouveau mise en déroute (22 juin) ''.
1. Lup. Protospat., ad an. Toute la chronologie de Delarc, op. cit., p. 53,
pour cette partie, contient de nombreuses erreurs, provenant de ce qu'il n'a
pas tenu compte de ce que Lupus commence l'année en septembre.
2. Bresslau, op. cit., t. III, p. 325-327. Delarc, op. cit., p. 51, note 1,
dit à tort que la plupart des sources ont défiguré le nom du catépan en
l'appelant Tornicius, alors que son véritable nom était Audronic, qui est la
forme fournie par l'anonyme de Bari. Un acte qui nous est conservé enlève
tout doute à cet égard. Tornikios est la véritable forme. Cf. Trinchera,
op. cit., p. 19.
3. Lup. Protospat., ad an. 1017.
4. Aimé, 1,21, p. 25 et suiv. G. Ap., I, 52, p. 242. Léo Ost., II, 37,
653. Lup. Prostopat., ad an. 1017. Cf. Bresslau, op. cit., t. III, p. 327, qui
a étudié avec beaucoup de critique toute cette campagne.
5. Ville disparue. Le nom est resté au gué de Passo de Civita. Cf.
Lenormant, A travers l'Apulie et la Lucanie, t. I, p. 8.
6. Aimé, loc. cit. G. Ap., I, 74 et suiv., p. 243. Léo Ost., loc. cit.
Lupus Protospatarius et l'Anonyme de Bari, ad an. 1017, enre-
gistrent une défaite de Mélès. Ces deux passages ont donné lieu à de
nombreuses interprétations. Cf. Heinenann, op. cit., p. 344. Je ne
saurais admettre avec Bresslau, op. cit., t. III, p. 326, l'identification de la
bataille, livrée aux Grecs, avec celle mentionnée par les Annales de
RÉVOLTE DE MÉLÈS 55
Profitant de leur succès, les troupes de Mélès descendirent plus
au sud ; une troisième rencontre avec les troupes byzantines eut
lieu près de la ville actuelle de Troia, à Vaccaricia, et se termina
par une nouvelle défaite des Grecs K La conséquence de ces
trois victoires successives fut de donner à Mélès toute la partie
de la Fouille qui s'étend du Fortore jusqu'à Trani. Villes et
châteaux se donnèrent à lui, et les Byzantins ne gardèrent
aucune possession dans cette région ~.
A la suite de ses insuccès multipliés, le catépan Tornicios fut
rappelé avant le mois de septembre de l'année 1017 ; son succes-
seur, Basile Bojoannès, arriva dans le courant de décembre -K A
peine débarqué, Bojoannès s'occupa de lever une armée ^ ; en
même temps, il eut à réprimer une série de révoltes locales. Un
passage de la chronique de Lupus Protospatarius, où cet auteur
mentionne la révolte de Trani dans les premiers mois de l'année
1018 ^, permet de supposer que les victoires de Mélès durent
amener le soulèvement d'une grande partie des villes de Fouille
Bari,k rannée 1011. L'opinion de B. eslbasée sur ridentification de Mélès
et d'Ismaël et sur celle de Passianos tué en 1011 avec Léon Passianos tué en
1017. Or, ces deux identifications me paraissent arbitraires. Mélès n'est
jamais appelé Ismaël dans les chroniques de l'Italie du sud, et, d'autre part,
il a très bien pu y avoir deux fonctionnaires grecs s'appelant Passianos, de
même que nous trouvons plusieurs Basile parmi les catépans. Je ne crois
pas non plus que l'on doive admettre que la deuxième bataille ait été une
défaite. H., loc. cit., a présenté des observations intéressantes sur la
façon dont il faut interpréter les passages de Lupus. J'ajouterai les obser-
vations suivantes : Si Mélès avait subi une défaite telle qu'il ait été obligé
de reculer au nord de Troia (le lieu de la troisième bataille n'est pas
douteux, il est mentionné dans un acte, Xrinchera, op. cit., 19), il est
certain que sa cause eût été ruinée, puisque, à la première défaite
sérieuse qu'il subit, nous le voyons obligé d'abandonner la lutte. Or,
en 1018, sa situation est beaucoup plus forte qu'en juin 1017, et pourtant
il est obligé de s'enfuir après un seul insuccès.
1. Aimé, I, 22. Léo Ost., Il, 36. Trinchera, op. cit., p. 19.
2. Léo Ost., loc. cit.
3. Lup. Protospat., ad an. 1017, et ad an. 1018. Sur le sens de la phrasede
Lupus, Condoleo descendit in ipso anno, cf. Heinmann, op. cit.. pp. 344-345.
4. Aimé, I, 22, 28. Il semble que Bojoannès avait avec lui des merce-
naires russes et danois. Cf. Wasiliewski. La droujina vœringo russe et vœrin-
go anglaise dans Journal du niinisfè/^e de Vlnstruction publique russe,
i. CLXXVI, (1874), p. 129.
5. Lup. Protospat., ad an. 1018. Anon.Bar., ad an.
56 CHAPITRE II
encore occupées par les Byzantins, et que le catépan, avant de se
porter au-devant de Mélès, eut à réprimer ces insurrections
locales. A Trani la lutte fut particulièrement sanglante, les Grecs
commandés par le topotérètès Ligorius, furent vainqueurs ;
Romuald, le chef des rebelles, fut envoyé à Constantinople.
En même temps, Bojoannès tâchait de s'assurer un appui
parmi les Lombards ; c'est dans ce sens qu'il faut interpréter le
privilège accordé, en février 1018, à Tabbé du Mont-Cassin,
Aténof, frère du prince de Gapoue. Il est curieux de voir que
cet acte, délivré à la célèbre abbaye, a été donné sur l'ordre
exprès de l'empereur grec *.
Pendant ce temps, Mélès s'occupait de s'assurer des troupes de
renfort pour continuer la guerre. A la suite des premiers succès
remportés par les rebelles, le prince de Salerne paraît s'être un
peu enhardi et avoir envoyé à Mélès des secours. Aimé raconte que
les Normands, qui étaient entrés au service du prince de Salerne,
vinrent rejoindre Mélès en Fouille ^. En outre, Raoul Glaber -^
mentionne, après les premières victoires des Normands et avant
la défaite de Cannes, une nouvelle immigration normande com-
prenant des femmes et des enfants. Durant cette période de plus
d'une année, il y eut peut-être quelques combats sans grande
importance entre Grecs et Normands. G'est du moins ce cpie ten-
drait à faire croire Aimé, pour qui la bataille de Cannes est la
sixième bataille livrée par les Normands ^. Mais les renseigne-
ments fournis par Aimé sur toute cette partie de l'histoire des
Normands sont si vagues, que l'on ne saurait attacher beaucoup
d'importance à ses dires.
Au mois d'octobre de l'année 1018 5, le catépan vint offrir le
1. Trinchera, op. cit., 19.
2. Aimé, I, 22. Aimé place cet événement avant la bataille de Vaccaricia,
mais il a interverti l'ordre des combats ; ce qu'il dit du sixième s'applique
évidemment à la bataille de Cannes et doit être placé après la bataille
de Vaccaricia.
3. R. Glaber, 1. III, 1, p. 53.
4. Loc. cit.
5. Lup. Protospat., ad an. 1019. Si l'on place, comme Delarc, op. cit., p. 55,
la bataille de Cannes en octobre 1019, il est impossible d'expliquer com-
ment le catépan a pu fonder Troia en juin 1019, dans une région occupée
RÉVOLTE DE MÉLÈS 57
combat à Mélès dans la plaine de Cannes, sur la rive droite de
rOfanto. La bataille se termina par la complète défaite de Mélès
dont les troupes subirent des pertes considérables K Cette seule
victoire suffit à rétablir l'influence grecque et à faire perdre aux
rebelles le fruit de leurs précédentes conquêtes. Bojoannès rede-
vint pour l'empereur grec maître de tout le paj's.
La bataille de Cannes ruina toutes les espérances que ses pré-
cédents succès avaient permis k Mélès de concevoir. Il se retira
avec les Normands qui lui restèrent fidèles sur le territoire du
prince de Bénévent. Là il se rendit compte, qu'après sa défaite,
il n'avait plus à compter sur l'appui des princes lombards, dont
aucun ne se souciait d'entrer ouvertement en lutte avec les
Byzantins. Mélès se décida donc k renvoyer k Guaimar et à
Pandolf les contingents que ceux-ci lui avaient fournis -, Lui-
même prit le parti d'aller trouver l'empereur Henri II pour lui
demander d'intervenir dans l'Italie méridionale '^. Mélès fut
accompagné par un des Normands, par Rodolphe^. Peut-être,
le chef lombard passa-t-il par Rome et gagna-t-il l'Allemagne
seulement en 1020, après s'être entendu avec le pape Benoît
VIII '. Il y a certainement k ce moment une corrélation évidente
entre la politique du pape et celle de Mélès, mais nous ne
pouvons préciser davantage, en l'absence de tout document.
Le beau-frère de Mélès, Datto, retourna dans la tour des bords
du Garigliano que le pape lui avait donnée. Quant aux Normands,
par les rebelles. La construction de Troia est au contraire la conséquence
de la victoire des Grecs. Une fois Mélès et ses partisans chassés, Bojoan-
nès s'est occupé de fortifier la frontière. L'erreur de Delarc vient de ce
que Lupus Protospatarius, commençant l'année en septembre, chez lui le
mois de septembre 1019=: septembre 1018.
1. G. Ap.,I,v. 91-9.j,p. 243. Aimé, I, 22. LeoOst., II 36, 653. Lup. Protos-
pat., ad an. Ann. Bar., ad an. 1021. Anon. Bar., ad an. 1019, ind. Il.Onne
saurait accepter les chiffres des morts fourni par Aimé ; il dit qu'il ne survé-
cut que dix Normands, alors que tout de suite après la bataille nous voyons
que les survivants sont beaucoup plus nombreux.
2. Léo Ost., II, 36, 653.
3. Léo Ost., loc. cit. Lupus Protospat., ad an. Anon. Bar., ad an. 1019.
1019. G. Ap., I, V. 95-104.
4. R. Glaber, 111, I, p. 54.
5. Léo Ost., II, 37, 653.
58 CHAPITRE II
ils se divisèrent. Les uns rentrèrent au service de Guaimar de
Salerne, les autres à celui de Pandolf de Bénévent '. Quelques-
uns furent engagés par les comtes d'Ariano ~, et le reste fut pris
par Aténolf, abbé du Mont-Gassin 3, qui s'en servit pour préser-
ver les terres de Tabbaye des attaques de ses voisins. Ge contin-
gent prit très probablement part aux expéditions, que nous
voyons diriger, vers cette époque, par l'abbé. Aténolf contre les
comtes de Venafro et les comtes de Teano '*.
Au point de vue byzantin, la victoire de Bojoannès fut égale-
ment grosse de conséquences. Tout d'abord le prestige des Grecs,
fortement ébranlé par les précédentes victoires de Mélès, se
trouva rétabli. Les princes lombards avaient tous à se faire par-
donner, sinon leur révolte, au moins l'appui qu'ils avaient prêté
aux rebelles. Nous sommes mal renseignés sur ce que firent les
princes de Bénévent et de Salerne '. Il n'en est pas de même pour
Gapoue. Pandolf III se tourna complètement versByzance, et, en
signe de soumission, il envoya à l'empereur les clefs de sa capitale.
Il est probable que son frère Aténolf, abbé du Mont-Gassin, que
nous avons vu dès le début de cette année en bons rapports avec
Basile, lui inspira sa conduite. A partir de ce moment, la poli-
tique de la principauté de Gapoue est nettement orientée vers
Byzance. Le catépan accepta la soumission de Pandolf III, mais
il voulut aussitôt tirer de cette alliance des avantages plus
immédiats. En échange dune forte somme d'argent, il obtint
l'autorisation de traverser les états de Pandolf, et aidé par celui-ci,
1. Léo Ost., II, 37, 6.")3. G. Ap.,I, v. lOo.
2. Trinchera, op. cit., p. 18. Gay, op. cit., pp. 413-416, combat Fidentifi-
cation des ^pâvYo-. de la charte de Bojoannès avec les Normands ; pourtant
un passage du diplôme de 1024 parait confirmer cette identification « Popu-
lus iste, cui vos datis hos fines, fortis et duras est, etc. » Trinchera, op. cit.,
p. 21. A supposer même que ce second diplôme ne soit pas authentique,
ce qui me parait douteux, il faudrait encore admettre qu'on a ici l'écho dune
tradition. Dans tous les cas, ce second diplôme, s'il a été fabriqué, a dû l'être
avant la chute de la domination byzantine dans l'Italie méridionale, par
conséquent, à une époque trop peu éloignée de la fondation de Troia, pour
que l'on ait pu faire erreur sur la nationalité des premiers habitants.
3. Léo Ost., II, 38.
4. Ibid.
5. Cf. pour Salerne, Murait, op. cit., p. 594.
RÉVOLTE DE MÉLÈS S9
et probablement par l'abbé du Mont-Cassin, il alla assiéger la tour
où était enfermé Datto. Ce dernier fut pris et ramené à Bari; on
le promena sur un âne à travers les rues de la ville, et on le jeta
à la mer, après l'avoir cousu dans un sac (15 juin 1021) ^
D'autres mesures de rig-ueur furent prises par Bojoannès. Nous
avons, du mois de juin de l'année 1021, un acte par lequel il
donne à l'abbaye du Mont-Gassin, sans doute pour récompenser
Aténolf de son rôle dans la prise de Datto, les biens d'un rebelle
de Trani ~. Il est certain que cette confiscation ne fut pas un fait
isolé et que beaucoup de rebelles furent victimes de condam-
nations analogues.
Bojoannès prit en même temps toute une série de mesures des-
tinées à assurer la sécurité de la frontière grecque. Nous savons,
par Léon d'Ostie, que le catépan établit, au nord de la Fouille,
toute une ligne de places fortes. Dragonara, Firenzola, aussi
appelé Fiorentino, et Civitate défendirent l'entrée du terri-
toire byzantin ^. Du côté de l'ouest, Bojoannès fit construire la
ville de Troia pour commander les défilés par où passe la route
actuelle de Bénévent à Foggia. En l'année 1019, nous voyons le
catépan accorder à la nouvelle ville des privilèges ''. Placée dans
une situation exceptionnellement forte, au sommet d'une colline
d'où elle dominait toute la plaine, la nouvelle place reçut comme
habitants les Normands, que nous avons vus plus haut entrer au
service des comtes d'Ariano. Bojoannès ne crut pouvoir trouver,
pour défendre les possessions grecques, de meilleurs soldats que
ceux dont l'empire avait appris à ses dépens à connaître la valeur.
A la suite de ces diverses mesures, on put exercer, à la frontière
byzantine, une surveillance efficace. Nous savons, en efPet, qu'à
ce moment, l'accès de l'Apulie fut interdit à tous les étrangers,
1. Loo Ost., II, 38. Lup. Protospat., ad an. 1021. Aimé, I, 25. Anon.
Bar., ad an. 1021. Je ne suis pas de l'avis de Hirsch, Amatus von Monte
Cassino und seine Geschichle der Norniannen, dans Forschungen zufdeiit-
schen Geschichte, t. VIII, pp. 2i7-248, sur le rôle joué par Pandolf. Cf.
Delarc, op. cit., p. 59, note i.
2. Trinchera, op. cit., p. 20.
3. Léo Ost., II, 51, 661. Cf. Rom. Salern., M.G.H.SS., t. XIX, p. 402,
ad an. 1013.
4. Trinchera, op. cit., p. 19.
60 CHAPITRE II
même aux pèlerins qui voulaient g-agner les ports de l'Adria-
tique'.
Grâce au catépan Bojoannès, la situation des possessions
byzantines fut singulièrement améliorée. L'empire grec eut la
chance de trouver, en Basile, l'homme qui convenait à la situation.
Aussi, au lieu de lui donner un commandement très court comme
cela avait lieu d'ordinaire pour les catépans d'Italie, qui en g-éné-
ral ne paraissent pas être restés en fonctions plus d'une année -,
Basile II renouvela-t-il pendant près de dix ans le comman-
dement de Bojoannès, dont l'administration resta célèbre à
Byzance ^.
A peine l'administration bienfaisante de Basile Bojoannès com-
mençait-elle à ramener la tranquillité dans l'Italie byzantine, que
l'intervention de l'empereur allemand faillit compromettre tous
les résultats obtenus. Les victoires des Grecs avaient été un
grave échec pour la politique du pape Benoît VIII. Celui-ci ne
devait pas voir sans inquiétude les prog'rès constants des Byzan-
tins. Débarrassé de la guerre contre les Bulgares, l'empire grec
semblait vouloir intervenir plus activement que jamais dans les
affaires de l'Italie. Naples, Capoue, Salerne, reconnaissaient l'au-
torité du basileus, et les places, possédées au nord de la Fouille,
assuraient aux troupes grecques l'accès des Abbruzes. Dès la
bataille de Cannes, le pape pouvait prévoir que bientôt ses
propres Etats seraient en butte aux attaques des Byzantins.
Or, le pouvoir pontifical ne pouvait prétendre à combattre
avec succès l'empire grec par ses propres forces. Sans doute la
famille des comtes de Tusculum, à laquelle appartenait
Benoît VIII, était assez puissante pour maintenir la paix à Rome,
mais elle ne pouvait songera faire davantage. Le pape ne voyait
aucune puissance à opposer aux Byzantins, et ceux-là mêmes sur
lesquels il semblait qu'il put compter, comme l'abbé du Mont-
Cassin, embrassaient le parti de l'empire grec. Benoît VIII fut
alors amené à demander à l'empereur Henri II l'appui qu'il ne
trouvait pas en Italie.
4. Adhémar, Hist., III, 5b.
2. Cf. Lupus Protospat., pp. 56-57.
3. Skylitzès, dans Cédrénus, II, p. 546.
RÉVOLTE DE MÉLÈS 6l
Le pape Benoît VIII avait toujours été favorable à l'empereur
allemand. Son élection avait été contestée, et les partisans des
Grescentius lui avaient opposé Grég-oire. Au fond, c'était toujours
la lutte entre le parti des Grescentius, représentant la tradition de
l'indépendance, et le parti des comtes de Tusculum, « affectant
un dévouement spécial aux intérêts germaniques ». Les deux
compétiteurs à la tiare s'adressèrent à l'empereur Henri II, qui
reconnut Benoît VIII comme le pape légitime. Le 14 février 1014,
Benoît VIII avait couronné l'empereur dans la basilique de
Saint Pierre de Rome. Depuis lors, les relations entre le
pape et l'empereur étaient toujours restées cordiales. Occupé
par la guerre contre Boleslav, roi de Pologne, et par la
révolte de la Bourgogne, Henri II n'était guère intervenu
jusque-là dans les affaires d'Italie. Au moment où le pape
allait lui demander son appui, la situation de l'Allemagne lui
laissait toute liberté. La paix avec la Pologne avait été con-
clue en 1018 et l'empereur, de ce côté, n'avait plus d'inquiétude.
Benoît VIII jDartit dans les premier mois de l'année 1020 ; en
avril, il arriva à Bamberg où était l'empereur '. Nous ne savons
si Mélès et Rodolphe avaient fait le voyage antérieurement
au pape, ou s'ils gagnèrent l'Allemagne avec lui. Benoît VIII
sut montrer à l'empereur la nécessité d'une intervention directe
dans les affaires italiennes ; en même temps, Mélès indiquait les
ressources locales sur lesquelles l'empereur pouvait compter s'il
entreprenait une expédition contre les Byzantins.
Il faut noter, à ce propos, que la demande de secours adressée
à Henri H s'explique très bien par la situation très indépendante
que paraissent avoir eue les populations lombardes soumises à
l'empereur allemand. Nous savons que le droit lombard était,
sinon autorisé, du moins toléré. « Dans un procès soutenu
devant Othon III par l'abbé de Farfa, celui-ci invoqua la loi
lombarde, et il fut fait droit à sa réclamation -. » Le droit
personnel lombard ne fut abrogé que par Gonrad II ■^^ et encore
1. Cf. Bresslau, op. cit., t. III, p, 159.
2. Mgr Duchesne, Les premiers temps de V Etat pontifical, p. 374.
3. M.G.H.LL., t. II, p. 40.
62 CHAPITRE II
seulement dans le territoire romain. De plus, Téloig-nement de
Tempereur assurait aux populations lombardes du duché de
Spolète une indépendance à peu près complète.
Le pape convainquit Henri II de l'utilité qu'il y avait, pour
l'Eglise et pour l'empire, à ce qu'il descendît en Italie *. Mélès ne
devait pas voir cette intervention qu'il avait tant désirée ; il
mourut à Bamberg -, peu de jours après l'arrivée du pape, le
23 avril. Pendant que l'empereur réunissait l'armée qu'il deA-ait
conduire en Italie, Benoît VIII obtint la confirmation des privilèges
de Louis le Pieux et d'Othon L'" en faveur de l'église romaine ^.
Les préparatifs de l'expédition durèrent jusque vers la fin de
1021 ^. Au début de 1022, nous trouvons l'empereur à Ravennes 5,
qu'il quitta pour marcher contre les Grecs et leurs alliés lom-
bards. Le plan de campagne comportait une triple expédi-
tion. L'archevêque de Cologne, Pilgrim, devait traverser le ter-
ritoire pontifical et, par Rome, gagner le Mont-Gassin et Gapoue,
pour soumettre Aténolf et Pandolf. Un deuxième corps de
troujîes, sous les ordres de Poppo, archevêque d'Aquilée, devait
opérer contre les comtes des Marses et les comtes de Sangro ".
L'empereur lui-même devait suivre la côte de l'Adriatique '.
Nous savons que les comtes des Marses et de Sangro se sou-
mirent à Henri sans résistance ''. Quant à Pilgrim, il fut moins
heureux ; à l'annonce de son arrivée, Aténolf s'enfuit du Mont-
Gassin et réussit à gagner Otrante, où il s'embarqua pour Gonstan-
1. Dans une bulle de 1024, le pape dit : « Tempore, quo, pro utilitate
sancte romane ecclesie ac romani imperii, spirilualem filiuni nostrum et
(lignissimum advocatum sancte seclis apostolice, Henricum imperalorem,
Bavenbergi adivimiis. » Heinemann, Codex dipl. Anhaltin., I, 83.
2. Aimé, I, 23, 32. G. Ap., I, v. 103. Notae sepul. Bahen., M.G.II.SS.,
XVII, 640. Necrol. S. Pétri Babenberg. Jaffé, Bibliotheca reruni germa-
nicarum, t. V, p. 558. En 1054, l'empereur Henri III défend de toucher au
tombeau de Mélès. JafTé, op. cit., t. V, p. 37.
3. Cf. Ficker, Forschungen zur ital. Reichs- und Rechtsgeschichte, II,
p. 332, et Bresslau, op. cit., t. III, p. 168.
4. Cf. Bresslau, op. cit., t. III, p. 195.
5. Ibid., p. 198.
6. Léo Ost., II, 39, 654.
7. En février, l'empereur est à Chieti. Stumpf, op. cit., t. III, n° 271.
8. Léo Ost., loc. cit.
HENRI II EN ITALIE 63
tinople, mais il se noya durant la traversée '. Pilgrim étant venu
assiéger Capoue, PandolflII, craignant d'être livré par les siens,
se rendit à l'archevêque de Cologne {avant mars) ~. De Capoue,
Pilgrim alla assiéger Salerne. 11 ne put prendre la place et dut
se contenter, après un siège de quarante jours, de recevoir en
otage le fils de Guaimar 'K Naples suivit l'exemple de Capoue
et de Salerne, et reconnut Henri II '*.
Pendant ce temps, l'empereur accompagné du pape avait
gagné Bénévent, où il était le 3 mars ''. Il j resta jusqu'aux pre-
miers jours d'avril '^. De là, dans le courant d'avril, il alla mettre
le siège devant Troia, où Pilgrim vint le rejoindre. Le siège de
Troia dura près de trois mois^. L'empereur se heurta à une résis-
tance telle, qu'il ne put venir à bout des défenseurs de la ville.
Le gens de Troia, comptant sur les secours que le catépan devait
amener, tinrent bon jusqu'à l'été. Un certain nombre de chro-
1. Léo Ost., loc. cit. Il se noya le 30 mars. Necrol. Cas., dans Gattola,
Ace, t. II, p. 853.
2. Léo Ost., II, 40, 654. En mars, on rend à Capoue la justice au nom
de l'empereur. Rec/. neapol. archiv. monunienta, t. IV, p. 161.
3. Aimé, I, 24. Cf. Bresslau, op. cit., t. III, p. 200.
4. Ann. SangalL, ad an. 1022. M.G.II.SS. t. I, 82. Reg. neapol. arch.
mon., t. IV, p. 270.
5. Ann. Benev., ad an 1022. Avant de venir à Bénévent, Henri II s'était
avancé jusqu'à Teano, Stumpf, op. cit., t. II, n° 1780 et n" 1781.
6. Stumpf, op. cit., t. II, n" 1783.
7. Léo Ost., loc. ct7. Je ne puis accepter la chronologie de Bresslau, o/j. ct7.,
t. III, p. 200, note 5. On a de Henri II un acte en faveur de l'archevêque de
Salerne, donné, devant Troia, le 30 juin. Cet acte, conservé aux archives
de la mense archiépiscopale de Salerne, Arca I, n° 9, a été édité par Mura-
tori, Antiq. It., I, 193, avec la date fausse du 31 mai, pridie kal. Junii, et cor-
rectement par Paesano, Meinorie per servire alla storia délia chiesa Salerni-
<ana, t. I,p.96.Cf. Stumpf, o/j.cjï., t.II ,n°178o. Le renseignement fourni par
Léon d'Ostie, II, 42, sur la présence dHenri II au Mont-Cassin, le 29 juin, est
donc inexact. D'ailleurs, la inention de la présence d'Henri II au Mont-Cassin ne
se trouve que dans une rédaction postérieure de l'ouvrage de Léon. Les
Annales SangalL, ad an. 1022, portent que Troia fut assiégée trois mois.
hes Annales Heremi, M.G.II.SS., t. III, ad an. 1022, font durer le siège treize
semaines. Romuald de Salerne, M.G.H.SS, t. XIX, p. 398, quatre mois.
Henri commença le siège en avril, et ne quitta pas Troia avant le 30 juin.
On ne saurait donc admettre qu'il ait levé le siège à la fin de juin, comme
le croit Ileinemann, op. cit., p. 4o. Henri dut partir les premiers jours de
juillet, car, le 14, il est à Poggibonsi. Stumpf, op. cit., t. III, n°273.
64
CHAPITRE H
niques occidentales rapportent que la ville aurait été réduite k la
dernière extrémité, et que les habitants seraient venus en sup-
pliants demander miséricorde à l'empereur. Raoul Glaber ^ a
même laissé un récit fort émouvant de cette scène. Les g-ens
de Troia, ne pouvant plus supporter les horreurs du siège,
auraient formé un long cortège ; en tête, un pauvre ermite portait
la croix, puis venaient les enfants et toute la population de la
ville. Deux jours de suite, cette triste procession se serait rendue
au camp impérial en chantant le Kyrie eleison . L'empereur aurait fini
par se laisser toucher et, se contentant d'otages, serait parti sans
entrer dans la ville. Le récit de Raoul Glaber présente un certain
nombre d'impossibilités et, en outre, est en contradiction avec
ce que nous savons par des sources beaucoup plus sérieuses.
Comment admettre que Henri II se soit contenté d'otages et n'ait
pas occupé une ville réduite à la dernière extrémité, alors que la
possession de cette ville était précisément le but de la campagne
qu'il venait d'entreprendre? Nous savons, par ailleurs, que le
catépan Bojoannès récompensa, par la concession de nouveaux
privilèges, les habitants de Troia de la fidélité dont ils firent
preuve alors envers l'emjjereur grec, et dans la traduction du
diplôme qui nous est parvenue, je relève la phrase suivante ~ :
(( Quando rex francorum cum toto exercitu suo venit et obsedit
civitatem illorum, et ipsi fidelissimi ita obstiterunt regi^ quod rex
nihil eis nocere valuif, bene civitatem eorum defendentcs sicut
servi sanctissi/ni doniini imperatoris, et licet omnes res suas de
foris jjerdiderinf, propter hoc, servitium domini imperatoris non
dimiserunt nec ab ejiis fidelitate discesserunt. » Comment, d'ail-
leurs, si Troia avait été prise, les sources de l'Italie méridio-
nale n'auraient-elles pas fait mention de cet événement, qui cer-
tainement aurait eu un grand retentissement? Lupus Protospa-
tharius ^et les Annales Casinenses se bornent à mentionner le
siège ^. L'Anonyme de Bari et les Annales Barenses n'en parlent
pas. La prise de Troia n'est rapportée que dans Raoul Glaber ou
1. R. Glaber III, 4, pp. 54-j5.
2. Trinchera, op. cit., p. 21. Cf. supra, p. o8, note 2.
3. Lupus Protospat., ad an. 1022. Cf. Ann. Benev., ad an. 1022.
4. M.G.H.SS., t. XIX, p. 306, ad an.
UEMU 11 HN ITAI.IL:
60
dans les chroniques nettement favorables à Henri II, comme
Hermann de Reichenau ', les Annales Sangallenses^ ou encore
Léon d'Ostie-. Il me semble que la chronique d'Aimé donne
à l'acte du catépan Bojoannès une éclatante confirmation,
quand, à propos de la prise de Troia par Guiscard, elle rapporte
que Robert « asseia Troie et la vainchut par force de armes,
et, pour ceste choze, se moustra que fu plus fort que lo impe-
reour non estoit et plus puissant ; quar lo impereor Henri
non pot onques ceste cité de Troie veinchre pour pooir qu'il
eust, et cestui duc Robert la subjug-a à sa seignorie '^ »
II me paraît certain qu'Henri II n'a pas pu s'emparer de Troia, et
la véritable raison de sa conduite a été donnée par Léon d'Ostie,
lorsqu'il dit que l'empereur fut obligé de lever le siège à cause
de la chaleur. Henri partit sans avoir rien obtenu.
Pendant le siège de Troia, l'empereur prit une mesure impor-
tante. En premier lieu, Pandolf III de Gapoue fut condamné à
mort; grâce à l'intervention de Pilgrim, il fut épargné. Henri II
se contenta de le garder prisonnier et donna la principauté de
Gapoue à Pandolf, comte de Teano, petit-fils de Pandolf Tête
de fer '*. Nous ne savons pas ce que devint le fils de Pan-
dolf III, également nommé Pandolf, qui avait été associé à la
couronne. Peut-être fut-il emmené en captivité avec son père;
lorsque celui-ci remontera sur le trône, son fils y remontera
avec lui. Au Mont-Gassin, Henri II fît nommer comme abbé, à la
place d'Aténolf, Théobald. Ainsi fut ruinée l'influence des
princes de Gapoue, ennemis de l'empereur allemand-^.
On a apprécié diversement les résultats de l'expédition de
Henri II en Italie. Il me paraît pourtant hors de doute, que
l'intervention de l'empereur a donné des résultats considérables
et favorables à l'influence allemande. La maison de Gapoue,
1. M.G.H.SS., t. V, p. 120, ad an. 1022.
2. Léo Ost., II, 41, p. 655.
3. Aimé, IV, .3.
4. Léo Ost., II, 40, p. 654. Aimé, I, 24; Gattola, .Icce.?., t. I, p. 122. Cf.
Heinemann, op. cz7., p. 347.
5. Bresslau, oy). cf7., t. III, p. 206 et suiv. Delarc, op. cit., p. 61 et suiv.
Heinemann, op. cit., p. 48. De Blasiis, 0/3. cit., t. I, p. 101 et suiv.
Histoire de ta, domination normande. — Chalandox. 5
66 CIlAl'lTlîK 11
alliée aux Byzantins, fut renversée, et à Capoue comme au
Mont-Cassin, Henri II mit ses partisans. Salerne fut obligée
de donner des otag-es, et très probablement Naples dut faire
de même. En outre, l'empereur s'était efforcé de rétablir un peu
d'ordre parmi les seigneurs turbulents de l'Italie du Sud et il
semble qu'il y ait, en partie, réussi. Nous savons que de nom-
breux plaids furent tenus, dans lesquels Henri II ou ses niissi
obligèrent les seigneurs de l'Italie à rendre gorge et à restituer
aux légitimes propriétaires les biens qu'ils avaient usurpés '. En
somme, Henri II réalisa, autant qu'il était en son pouvoir, la con-
ception idéale de l'empereur, faisant partout respecter la justice.
Pourtant l'œuvre qu'il avait accomplie ne dura pas, elle tomba,
comme était tombée celle d'Othon. L'Italie du Sud était trop éloi-
gnée pour que l'action impériale pût s'y exercer avec continuité.
Tout cédait devant les armées allemandes, mais l'empereur une
fois parti, et le climat du Midi, pendant l'été, hâtait toujours son
départ, l'autorité impériale n'était plus qu'un mot. Les mesures
prises par Henri semblaient cependant devoir assurer à son œuvre
une certaine durée. L'établissement à Capoue du comte Pandolf
de Teano était un retour à la politique d'Othon, politique qui en
son temps avait donné d'excellents résultats, au point de A^ue
allemand. Si la politique d'Henri II ne sortit pas tout son effet, la
cause doit en être recherchée non pas dans ce qu il fit, mais dans
la politique de son successeur.
Avant de repartir pour l'Allemagne, Henri II prit une nou-
velle mesure ; il concéda aux neveux de Mélès des terres dans le
cpmté de Gomino, c'est-à-dire dans la haute vallée duGarigliano,
à Gallinare, près de Sora -. Les neveux de Mélès avaient avec eux un
certain nombre de Normands, parmi lesquels Toustain le Bègue,
Gilbert, Osmond, Asclettin, Gautier de Canisy et Hugues Falluca^.
i. Chr. Fu/<u/-ne/ise,dansMiiralori, R.I.SS. 1,2, p. 499, etMuratori, //>if/.,
XXII, p. 500.
2. Aimé, I, 29. Léo Ost., II, 41.
3. Aimé, I, 30. LeoOsl., II, 41. R. Glabor., III. 1, p. o4. Giiil. de Jiimièges,
VII, 30. Sur la coiTuption des noms des Normands, dans Léon d'Ostie, cf.
Bresslau, op. cil., t. III, pp. 32i-325. J'ai corrio^é, d'après ces remarques,
les noms fournis par Aimé.
LES NORMANDS A CUMINO 67
Nous savons, par un acte du mois de novembre de l'année 1023,
que Comino relevait alors de la principauté de Capoue • . Gomme
quelques années avant, ce même territoire relevait du duché de
SjDolète-, nous pouvons en conclure que l'empereur agrandit le
territoire de la principauté de Capoue, et qu'en même temps il
laissa à Pandolf les Normands, afin de lui permettre de se
défendre contre ses voisins. Aimé nous rapporte que d'autres
Normands furent établis par l'empereur pour combattre les Sar-
rasins. Les paroles du chroniqueur ne nous en apprennent pas
davantage à leur sujet.
En somme, après la défaite de Mélès, les Normands ont pu
trouver à s'établir en Italie, les uns au service de l'empereur
grec, les autres au service du prince de Salerne et du prince de
Capoue. L'histoire de ce dernier groupe nous est rapportée par
Aimé avec quelques détails, mais comme leur établissement de
Comino ne se développa pas, leurs faits et gestes sont sans inté-
rêt ■'. Il suffît de dire ici qu'appuyés par Régnier, marquis de
Toscane, ils passèrent leur temps à guerroyer contre leurs voisins,
notamment contre Régnier, seigneur de Sora. Un certain nombre
de Normands paraissent toutefois être retournés alors en Nor-
mandie avec Rodolphe ^.
Nous ne savons rien sur les événements de l'Italie méridionale
depuis le départ d'Henri II , en 1022, jusqu'à sa mort
(juillet 1024). L'empereur avait été précédé de peu dans la tombe
par le pape Benoît VIII. Cette période fut pourtant marquée par
une transformation dans la politique de Byzance vis-à-vis de ses
sujets lombards, transformation sur laquelle il convient d'in-
sister, bien c^u'elle n'ait été accomplie entièrement qu'en 1023.
On a vu plus haut qu'elle était l'animosité des Lombards
d'Apulie contre les Byzantins, animosité qui avait amené la
rébellion de Mélès. On sait les mesures de rigueur par
lesquelles Bojoannès réprima linsurrection. Le catépan s'aper-
■1. Gattola, Accès., t. I, p. 129, et Hisl. Cas., l. I, p. 329.
2. Gattola, Accès., t. I, p. 102. Cf. Léo Ost., II, 26, 641.
3. Aimé, I, 31, 39.
4. R. Glaber, III, 4, ba.
68
CllAPllKE 11
çut-il qu'il ne gagnait rien par la violence et voulut-il essayer
des mesures de clémence? Les grands projets que. Basile II
avait alors sur la Sicile poussèrent-ils son lieutenant à assurer
par des concessions la tranquillité de l'Apulie? Nous l'ignorons,
mais il semble qu'à partir de l'année 1024, Basile ait cherché à
rendre moins lourd le joug bAzantin. Au mois de janvier de
l'année 1024, il récompensa Troia de sa résistance aux
Allemands en accordant à la ville de nombreux privilèges et
des exemptions d'impôts K L'année suivante, une mesure d'un
intérêt plus général fut prise, sur laquelle il convient d'insister.
Au mois de juin 1025, l'archevêque de Bari fut rattaché officiel-
lement à Rome.
L'ancien siège de Ganosa avait été transféré à Bari à une date
indéterminée, mais sans doute postérieure à 876, date à laquelle
Bari était retombée au pouvoir des Byzantins. En 951 ou 959,
l'évêque Jean prend le titre d'archevêque de Bari ". En 983,
nous voyons que Pavo, son successeur s'intitule archevêque de
Canosa et Brindisi. ^ Il est très probable que Pavo fut arche-
vêque au sens grec du mot, c'est-à-dire chef d'une église
autocéphale, exempte du métropolitain. En 1025, Bojoannès
est absolument maître du pays qu'il réorganise. Les derniers
événements lui avaient montré l'hostilité de la population
lombarde ; il comprit que tant que l'antagonisme entre Grecs et
Lombards subsisterait, la puissance de Byzance resterait très
précaire et, comme la question religieuse devait être une des plus
importantes , il autorisa , sans doute à la demande du nouvel
archevêque Byzantius, le rattachement à Rome de la province
de Bari. Le consentement du catépan n'est mentionné nulle part
d'une façon formelle, mais il me paraît impossible d'admettre
qu'une mesure aussi importante ait pu être prise sans le
i. Trinchera, op. cit., p. 21.
2. Ug-helli, t. VII, p. ~2i, Chart.Cup., l. I, p. 42. Beltrani, op. cit., p. 7. Cod.
dipl. Bar., t. I, p. 6 et suiv. Il faut noter, toutefois, que Lupus lui donne
seulement le titre d' « episcopiis ».
3. Cod. dipl. Bar., 1. 1, p. 13. Sur la façon dont le catépan dut intervenir,
cf. le cas de Trani, en 983 ; Prologo, Le carte c/ie si conservano nelV archivio
del capitolo metrop. délia città di Trani (Barletta, 1877), p. 32 et suiv.
PUISSANCE DE GIAIMAR IV 69
consentement du représentant de l'empereur grec. La conduite
que nous verrons tenir kl'un des successeurs de Bojoannès, le caté-
pan Arg-yros, lors des difficultés qui se produiront entre Rome
et Constantinople sous Léon IX et Keroularios, me paraît
indiquer clairement quelle était, entre Lombards et Grecs, l'impor-
tance des questions religieuses. Il faut donc, à mon avis, voir
dans le rattachement de la province de Bari au siège de
Rome, une concession faite par le catépan aux aspirations de la
population lombarde .
Tout le pays, autour de Bari, était organisé en provinces ecclé-
siastiques, seule la Fouille faisait exception. Byzantins voulut
transformer son diocèse en province , mais en passant à l'obé-
dience romaine, il dut tenir à conserver son titre d'archevêque.
Or, Rome n'admettait pas d'archevêque sans suffragant, de là la
bulle de Jean XIX, accordant à Byzantius, avec la confirmation des
droits et des biens de son église, le pouvoir d'instituer douze
évêchés '. C'est le principe pseudo-isidorien qu'il faut douze
évêchés pour former une province. On ne savait pas jusqu'ici si
la bulle de Jean XIX avait été suivie d'effet ; un document con-
servé aux archives du Mont-Gassin enlève à cet égard tous les
doutes. Par cet acte non daté, Byzantius donne, comme évêque, à
la ville de Gannes un certain André. Ce document nous montre
donc que la bulle de Jean XIX n'est pas restée lettre morte -.
Il y a là une intéressante tentative de l'administration byzan-
tine pour accorder à la population lombarde certaines satisfac-
tions.
La mort d'Henri II ramena le trouble dans toute l'Italie
méridionale. Guaimar IV, beau-frère de Pandolf III, préférait
voir à Capoue un de ses parents plutôt que Pandolf IV. En appre-
nant la mort d'Henri H, il envoya en Allemagne une ambas-
sade chargée d'obtenir, par de riches présents, la mise en liberté
de Pandolf H I -^ Le successeur d'Henri II, Conrad, accueillit
favorablement la demande du prince de Salerne , et Pandolf fut
1. Cod. clip. Barese, t. I, p. 22.
2. Archives du Mont-Cassin, fonds de Barletta, n° la.
3. Léo Ost., II, ;j6. Aimé, I, 33.
lU CHAPITRE II
remis en liberté. Il semble que ce dernier ait dû prendre renga-
gement de renoncer à revendiquer sa principauté ', autrement on
ne comprendrait pas la conduite de Conrad qui. pour ses débuts,
ne trouve rien de mieux que d'envoyer contre un de ses alliés le
terrible Pandolf , celui qu Aimé appelle : le loup des Abruzzes.
Quoi qu'il en soit, Conrad commit certainement une grosse faute
politique en relâchant son prisonnier. Il était, en etTet, bien évi-
dent que Pandolf chercherait par tous les moyens à rentrer en
possession de ses Etats, et à détruire, ainsi, tout ce qu'avait fait
Henri II. En même temps que Pandolf III, il me paraît probable
que Conrad dut remettre en liberté le fils de Guaimar.
En relâchant Pandolf III, Conrad avait donné une preuve de
faiblesse, qui amena presque immédiatement, dans Tltalie
méridionale, la reconstitution du parti grec. Une ligue se forma
pour chasser, de Capoue, Pandolf IV et rétablir Pandolf 111
dans sa principauté. A la tète de ce mouvement, nous trouvons
naturellement le catépan Bojoannès"-; il fut aidé du prince de
Salerne, Guaimar, et d'OderisioI'''", comte des Marses '■''. Ce dernier
était l'oncle de Pierre, fils de Régnier, seigneur de Sora et d'Ar-
pino, que nous avons vu combattre les Normands de Comino '';
les concessions, faites à ses dépens par Henri II aux neveux de
Mélès, avaient dû le mécontenter et l'amener dans le parti grec. On
réunit une armée pour aller assiéger Capoue. Bojoannès amena
des troupes ainsi que Guaimar et le comte des Marses. Nous
connaissons, en outre, la présence dans les rangs de l'armée
de Guaimar, des Normands de Comino, qui abandonnèrent le
parti de l'empereur allemand. Avec eux était Rainolf, le futur
comte d'Aversa, et peut-être aussi d'autres bandes normandes '.
1. Cela semble résulter de la visite qu'il fît à Tabbé Théobald, au
Mont-Gassin, où il se montra fort hum])le et soumis, Léo Ost., lue. cil-
2. Léo Ost., II, o6. Annal. Cas., M.G.ll.SS., t. XIX, p. 30.5.
3. Cf. VitaelmiraculaS.DominiciSorani, dans Analecta Rolland., t.I,p. 320.
Oderisio, fils du comte Renaud, était comte des Marses et les seigneurs
de Sora relevaient de lui. En théorie, le comté des Marses dépendait du
duché de Spolète. Cf. Gattola, Ace, t. I, pp. 101-102.
4. Léo Ost., II, 26. 32, 53. Cf. di Meo, op. cit., t. Vil, p. 130.
5. Léo Ost., II, 56. Au paragraphe 51, il dit : « cum Rainulfo et
Arnolino etceteris a Comino. » Je crois, avec Bresshiu, A'o/îrac///^, 1. 1, p. 174,
PUISSANCE DF GlALMAIi IV 71
Ce fut Guaimar qui prit les Normands à sa solde; il semble qu'il
fournit également des subsides aux Grecs '.
Le sièg-e de Capoue fut fort long; il dura un an et demi.
Comme nous savons qu'au mois de mai de l'année 1026 il était
terminé, il dut commencer dans les derniers mois de l'année 1024 ~.
Il est certain que Bojoannès ne demeura pas avec ses alliés pen-
dant toute la durée du siège, car, en 1023, il prit part à l'expédi-
tion des Byzantins contre Messine -^ On peut donc supposer que
Guaimar et Pandolf commencèrent le siège de Capoue avec leurs
seules troupes, ou du moins avec un petit nombre de troupes
byzantines, car, à ce moment, tout l'effort des Grecs devait
être porté sur l'expédition de Sicile. Ce ne serait donc qu'après
l'échec de l'armée grecque dans le Sud que Bojoannès aurait
amené des secours qui, peut-être, décidèrent de la reddition de
la ville.
Dans les premiers mois de l'année 1026, Pandolf de Teano
vit qu'il ne pouvait se maintenir plus longtemps dans Capoue et
se décida à se rendre. Il y eut certainement entre lui et Bojoan-
nès des négociations secrètes, dont nous ne connaissons que le
résultat. Pandolf se rendit au représentant du basileus. Bojoan-
nès lui avait promis la vie sauve ; il lui permit d'emporter ses
trésors et le fit conduire à Naples auprès du duc Serge IV ■*.
Cette intervention de Bojoannès, dans le dénouement du siège,
dut être certainement désagréable aux princes lombards, mais il
semble qu'aucun d'eux n'ait osé protester sur le moment. Il est
évident que la conduite du catépan hii fut dictée par le désir
qu'il faut entendre par là que Rainolf et Arnolin faisaient partie des
Normands de Comino. Delarc, op. cit., pp. 67-68, a cru, et son interpréta-
tion peut se défendre, que Léon distinguait entre les Normands qui
étaient à Comino et les autres. Dans ce cas, Rainolf et Arnolin pourraient
avoir été précédemment soit à la solde de Guaimar, soit avoir fait partie
des Noi'mands laissés par Henri 11 pour défendre les côtes.
1. Aimé, I, 33. Léo Ost., II, 56, 63.
2. Léo Ost., II, 56. Cf. di Meo, op. cit., t. VII, p. 112.
3. Anon. Bar., ad an. 1025. Ann. Bar., ad an. 1027. Lupus, ad an.
1028. Skylitzès, dans Cédrénus II, 522. J'adopte pour la date les conclusions
de Bresslau, op. cit., t. I, p. 173, n. 1.
4. Aimé, I, 33. Léo Ost., II, 56.
72 CHAPITRE II
d'avoir entre les mains un prétendant à opposer à Pandolf III
dans le cas où celui-ci cesserait d'être fidèle à l'alliance byzan-
tine ^. La prise de Capoue fut suivie du rétablissement de Pan-
dolf dans tous ses droits. Son fils Pandolf, qui lui avait déjà
été associé avant son exil, remonta avec lui sur le trône. Peut-être
est-ce cette association qui a fait dire inexactement à Aimé que
Guaimar IV avait rétabli un frère de Pandolf, alors que, dès
le mois de mai 1026, nous trouvons Pandolf III et son fils ".
Rétabli à Capoue, Pandolf III joua dans les années suivantes
un rôle prépondérant dans les affaires de l'Italie méridionale.
Pour suivre, durant cette période confuse, les progrès des Nor-
mands, le mieux est de g^rouper les faits autour de Pandolf qui
prend une part active à tous les événements importants. Cette
étude n'est point facile , car le prince de Capoue ne nous est
connu que par les récits de ses adversaires, les moines du Mont-
Cassin. Leur haine et leur acharnement contre Pandolf les
ont amené à de telles exag^érations que leur témoig-nage est très
suspect. Leurs chroniqueurs n'ont pas d'épithètes assez fortes
pour qualifier u le fortissimo lupe des Abbruzes ». Pandolf est
resté dans l'histoire, ou plus exactement dans la légende
historique du Mont-Cassin, l'incarnation de l'ennemi des moines,
et comme les sources narratives de cette époque proviennent
presque toutes du Mont-Cassin, la légende a passé dans
l'histoire. La mort même de Pandolf n'a pas apaisé les rancunes
monastiques, et longtemps les moines se réjouirent à la pensée
que l'ennemi de la sainte abbaye était chargé de chaînes et
plongé dans un lac de sang, où des démons le torturaient pour
le punir du mal qu'il avait causé au célèbre monastère '.
Il est donc difficile de connaître exactement ce qu'a été Pan-
dolf III, mais à ne le juger que par son œuvre, il est bien diffé-
rent de la brute sanguinaire que nous ont présentée les chroniques
monastiques. Pandolf paraît s'être rendu très exactement compte
de la situation politique de l'Italie méridionale. Il vit que ni
\. Cf. Bresslau, op. cil., t. I, p. 177.
2. Di Meo, op. cit., t. VII, p. 112.
3. On Irouvo dos échos de cette lt''<;ond(' jusque dans les œuvros de
Piei-re Damien. Cf. Opm^ciila, XIX, Migne. P.L., l. i't'J, pp. i38-i39.
PANDOLF m A CAPOLE 73
rempereur grec, ni l'empereur allemand ne pouvaient intervenir
efficacement dans les questions italiennes et que ni l'un ni
l'autre ne pouvaient rien contre les princes lombards unis.
Gviaimar de Salerne était le seul d'entre eux, dont l'opposition
fut à redouter, aussi Pandolf s'appliqua-t-il à rester toujours
en bons termes avec lui. De même, des deux empires, l'empire
grec était celui dont l'influence était la plus réelle, parce qu'elle
s'exerçait dans une région plus voisine ; Pandolf chercha donc à
demeurer l'allié du basileus. Cela lui fut d'autant plus facile que
Byzance exigeait très peu de ses vassaux italiens.
Le retour au pouvoir de Pandolf III fut marqué par une vio-
lente réaction contre le parti allemand. Pour toute cette période,
la chronologie est difficile. Il me semble pourtant que Pandolf ne
fit aucune conquête avant 1027 K Nous savons qu'au mois d'avril
de cette année, Conrad II descendit en Italie. Les sources sont
excessivement concises sur cette expédition. D'après le biographe
de l'empereur, Conrad aurait été reconnu volontairement par
certaines villes et aurait dû employer la force pour obtenir la
soumission d'un certain nombre d'autres ^. Bénévent et Capoue
notamment auraient fait leur soumission. Pendant son séjovn%
l'empereur aurait donné aux Normands le droit de s'établir
dans le pays pour combattre les Grecs. Il semble que l'expédi-
tion de Conrad II fut loin d'être aussi décisive et il est très dou-
teux que l'empereur ait dépassé les frontières de la Campanie.
Dans tous les cas, Conrad ne se sentit pas assez fort pour réta-
blir le comte de Teano à Capoue, et il fut obligé de reconnaître
l'usurpation de Pandolf III. Conrad dut se rendre très vite compte
qu'il ne pouvait intervenir d'une manière eflicace dans l'Italie
méridionale; aussi paraît-il n'avoir pas tenté de s'avancer vers
le sud. Peut-être, l'orientation de sa politique vis-à-vis de
Byzance exerça-t-elle également, une certaine influence .sur son
attitude envers Pandolf III. Nous voyons, en effet, peu après
1. Brosslau,o/).cj7., 1. 1, p. 178, a fait orrcuron plaçant la prise de Naples
avant la venue de Temperenr ; cf. infrn, p. T.'i.
2. .Wipo, Gputft Chiionrndi. v. 17, éd. Hressiau, dans M.(i.lI.SS., in-S^.
Cf. Bresslau, Konrad II, t. I, p. 177 et suiv., et (iay, oji. cil., p. 4i2.
74
CHAPITRE II
Conrad rechercher l'alliance byzantine i, et l'on peut admettre
qu'il reconnut Pandolf 111, pour ne point déplaire à la cour de
Constantinople.
Le voyage de l'empereur allemand fut suivi, de très près, d'un
événement qui eut pour Pandolf de g^raA^es conséquences. Guai-
mar de Salerne mourut, entre février et avril 1027 -; il eut pour
successeur son fils Guaimar X, qui paraît avoir alors été mineur,
car, dans les premiers temps de son règ'ne, sa mère Gaytelgrime,
exerça la tutelle. Pandolf se vit donc tout d'un coup libre
d'étendre ses possessions, sans qu aucun des princes lombards fut
en état de s'y opposer ; car, g-ouvernée par une femme, la princi-
pauté de Salerne perdit, pendant quelque temps, une grande par-
tie de son influence.
Pandolf III ne tarda pas à tirer parti de la situation politique,
La présence à Naples de son rival Pandolf, comte de Teano,
était pour le prince de Capoueune menace permanente. Il sentait
que dans la personne de son rival, les Grecs avaient un compé-
titeur tout désigné, qu'ils ne manqueraient pas de lui opposer,
le jour où lui-même cesserait de leur plaire. Aidé des seigneurs
de Sora, Pandolf III alla mettre le siège devant Naples -K Le
duc Serge IV avait excité le mécontentement d'un certain
nombre d'habitants, qui le trahirent et remirent la place à
Pandolf. Le comte de Teano put s'enfuir et gagna Rome, avec
\. Cf. Bresslau, o/). cit.. t.I, pp. 234, 271 et suiv. Gfroier, oj). cit., t. III,
p. 121.
2. En février 1027, Guaimar vit encore, Cocl. Car., t. V, DCCXC,
p. 130. En avril, son fils règ'ne avec sa mère. Ibid., DCCXCI, p. 131.
3. AnalectaBoIlancliana, t.I, p. 317. Il semblerait, d'après la Ft7a et miracula
S. Doininici Sorani, que le sièg'C de Naples est postérieur à la mort
du saint en 1031. C'est la date qu'ont acceptée les Bollandistes. Mais,
étant donné, qu'en mars et en avril de l'année 1028, on compte la première
année du règne de Pandolf à Naples [Chr. Vult., pp. 50ij et o06), l'auteur
des Miracula t'ait certainement erreur. Le fait auquel il est fait allusion dans
les Miracula a d'ailleurs pu avoir lieu du vivant du saint. Il faut en effet
remarquer que les Miracula donnent, comme postérieurs à la mort, des
miracles que la Vie donne comme ayant eu lieu du vivant du saint, p. ex. le
miracle de la femme guérie d'un flux de sang. Cf. Analecta Bol., toc. cit.,
p. 287, 13, et 308, 18. Il y a là sur les procédés de composition de l'auteur
des Miracula, une indication dont il faut tenir compte.
PANDOLF TU A CAPOl E 75
son fils. La prise de Xaples est postérieure au mois de septembre
de l'année 1027, et antérieure au mois d'avril de l'année
suivante '.
Pandolf III en prenant Naples a-t-il agi pour ou contre les
Grecs? On a discuté à ce sujet '^ et nous ne savons rien de précis
à cet ég-ard. Il est probable que Pandolf profita de la faiblesse
de l'empereur Constantin VIII, pour tenter sur Naples un coup
de main, que Basile II n'aurait certes pas toléré. Pourtant,
comme les actes rédig-és à Naples. continuèrent sous la domi-
nation de Pandolf à être datés des années de règne du basileus,
on peut admettre que le prince de Capoue, s'il agit contre la
volonté des Grecs, continua néanmoins à reconnaître la suze-
raineté du basileus.
La prise de Naples fut, pour Pandolf III, le point de départ
d'une série de conquêtes. En 1028, nous voyons que la ville de
Teano est en son pouvoir, sans que nous puissions savoir à quel
moment fut faite cette annexion •'. Il est fort probable que le
prince de Capoue s'empara alors de toutes les possessions de
Pandolf IV.
L'extension de la principauté de Capoue donna ombrage aux
gens de Gaète, qui craignaient de voir Pandolf se tourner contre
eux pour les punir d'avoir accueilli le duc de Naples, Serge IV.
Gaète était alors gouvernée par le duc Jean, sous la tutelle de sa
grand'mère Emilia ^. Celle-ci, pour arrêter les progrès du prince
de Capoue, conclut avec Serge un traité par lequel elle s'enga-
geait à l'aider à rentrer en possession de son duché. En échange,
i. hes Annules Beneventani, 3, M. G. H. SS., t. III, p. 178,quiomploientrannée
grecque, mar([uent la prise de la ville à raniiée 1028. Les Ann.Casinenses la
placent en 1027. On pourrait conclui'e de là que Naples fut prise dans les
trois derniers mois de 1027. Mais, à cause des nombreuses erreurs chrono-
loo-iques des chroniques, je n'ose être trop affirmatif. Dans tous les cas,
Naples fut prise avant avril 1028. En mars 1028, on compte la première
année de Pandolf à Xaples, et en avril 1029, la deuxième année. Cf. Chr.
Viilt., p. 506, et Gayra, Storia civile di Capiia, t. I, p. 61.
2. Cf. Schipa, op. cit., Arch. st. napol., t. XVIII, p. 488 et suiv.
3. Chr. Vult., pp. aOYj et 506.
4. Emilia et Jean paraissent dans les actes, depuis février 1025. Le père
de Jean vit encore en janvier 1025. Cncl. Caief., t. I, pp. 285 et 286.
76 CHAP1TRI-; II
Serge IV dut prendre certains engagements, et octroyer de nom-
breux privilèges de justice et des exemptions de droits, à tous les
gens de Gaëte qui viendraient à Naples. L'accord fut conclu au
mois de février 1029 K
L'appui de Gaëte ne suffisait pas pour permettre au duc de
rentrer en possession de ses Etats, car Naples passait pour une
place imprenable et Pandolf n'en avait triomphé qu'à l'aide de
la trahison. Serge \\ noua donc des intelligences dans la ville ;
il y réussit d'autant plus facilement que le gouvernement de
Pandolf paraît avoir mécontenté même ceux des Napolitains qui
lavaient appelé. Les gens de Naples conclurent avec leur ancien
duc un traité, ou plus exactement, établirent une véritable charte
réglant les attributions du duc et les droits de chacune des
classes de la population. Serge IV dut faire à ses sujets un grand
nombre de concessions '. Le résultat de ces multiples accords
fut (|ue Serge réussit à chasser Pandolf et à rentrer à Naples,
en 1029 K ^
Nous ne connaissons pas la part prise par les Normands aux
événements, dont le récit vient d'être fait. A partir du moment
où nous sommes arrivés, nous sommes mieux renseignés. On
a vu plus haut, que le normand Rainolf était devenu, sans
que nous sachions comment, le chef d'une bande de ses compa-
triotes. Il est très probable que Serge s'assura les services de
cette troupe, au moment où il tenta de rentrer en possession de
Naples. On ne saurait, en effet, expliquer, si ce n'est par une
convention antérieure, le fait que, dès son rétablissement à
Naples, Serge IV ait donné à Rainolf la ville et le territoire
d'Aversa '. Dès l'instant que nous savons que Serge IV prit les
1. Cf. le texte du traité. Cod. CaieL, t. I, p. 307.
.2. Cf. Capasso, 3/o/H2me^/a, t. II, 2, p. 157, el II h Pactum»(/iurato deldiica
Srrf/io, dans Arch . st . napol., t. IX, p. 319. Cf. Schipa, op. cit., Arch. st. nap.,
t. XN'III, p. 490. BrandiIeone,.SM//af/a/a ciel» Pacttini » giurato dal diica Sergio
ai Xapole(ani dans Riv ital. per le scienze rjiuridiche, t. XXX, a cherché à
placer cet acte en 1120. L'opinion de Capasso me paraît mieux établie.
3. D'après les Annales Casin. ad an. 1027, Pandolf garda la ville un an et
cinq mois.
4. Aimé, I, 40. Ord. Vit., IV, 13, t. Il, p. 233. On a discuté pour savoir si le
nom d'Aversa n'était pas un nom symbolique donné par les Normands. Cf.
Li:s NOIi.AlANDS A AVhUSA 77
Normands à son service, il me paraît probable qu'il les prit
avant de rentrer à Naples et non après sa réinstallation. En les
établissant à Aversa, il voulut créer une place forte, capable
d'arrêter les incursions de Pandolf III. En même temps le duc
de Naples chercha à s'attacher Rainolf par des liens moins
frag-iles que ceux de la reconnaissance, et lui fit épouser sa sœur,
veuve du duc de Gaëte. Avec Aversa, Rainolf reçut un grand
nombre de châteaux qui en dépendaient.
Ce n'était pas la première fois que les Normands recevaient
des terres depuis leur arrivée en Italie, mais aucun des établis-
sements, ainsi fondés, n'avait pu se développer. Ce qui fit le
succès du comté d'Aversa, ce fut la personnalité de Rainolf,
Ce dernier, qui jusque-là paraît avoir joué seulement un rôle
secondaire dans les affaires italiennes, se révéla comme très
habile et très fin politique, k partir du jour où il fut installé à
Aversa. Il semble qu'il ait été le premier de tous les Normands
venus en Italie, qui ait su s'élever au-dessus de son intérêt
immédiat, et ait cherché à atteindre des buts politiques éloig^nés.
Sans scrupule d'aucune sorte, guidé uniquement par l'intérêt,
sachant ne point s'embarasser des liens de la reconnaissance,
Rainolf avait toutes les qualités requises pour se créer une haute
situation politique. Durant toute sa carrière, il sut merveilleu-
sement se ranger du coté du parti le plus fort, et l'on ne peut
s'empêcher d'admirer comment, au moment où l'un des princes
italiens arrive au plus haut période de sa puissance, Rainolf
est toujours k ses côtés et tire profit de la situation.
Que ce prince soit Pandolf, Serge ou Guaimar, Rainolf sait
toujours acquérir des droits nouveaux k son amitié. Aussi, est-ce
en grande partie k Rainolf et k l'habileté de sa conduite
politique, qu'il faut faire remonter la fortune prodig'ieuse des
Normands, dont l'établissement d'Aversa fut le point de départ.
Tous les Normands venus en Italie n'entrèrent pas alors dans
Delarc,o/j. cit., p. 70,note3. Nous savons parun acte, quedès 1002, Aversa
existait. Schipa, op. cit.,Arch. sl.NapoL, t. XIX, p. 5,note3.Capasso, Monu-
inenia, t. I, p. 132, note G, est donc dans rerreur en admettant l'opinion
opposée.
78 CHAPITIŒ II
la bande de Rainolf. Un certain nombre d'entre eux restèrent
au service du prince de Salerne, Guaimar ; d'autres paraissent
avoir formé des bandes indépendantes. Dès son installation à
Aversa, Rainolf envoya des messagers en Normandie pour recru-
ter des émigrants '. C'était là une mesure très adroite : Rainolf
ne voulait pas s'appuyer sur les Lombards, sur qui il savait ne
pouvoir compter, et il tenait à avoir autour de lui des gens de
sa race qui lui fussent entièrement dévoués.
L'échec, que Pandolf éprouva en perdant Naples, n'arrêta
point le cours de ses succès. Il semble d'ailleurs que le prince de
Capoue n'ait pas perdu toutes les conquêtes faites sur le duché
et que Pouzzole lui soit restée -'. La position de cette ville, un
peu à l'ouest des possessions du prince de Capoue, amena ce der-
nier à chercher à s'étendre au nord et au sud du Vulturne, de
Pouzzole à Gaëte. Peut-être aussi le désir d'acquérir un débouché
sur la mer poussa-t-il Pandolf à attaquer Gaëte. L'espoir de tirer
vengeance de 1 appui prêté par Jean V de Gaëte au duc de Naples,
Serge IV, dut également inspirer, dans une certaine mesure, la
conduite du prince de Capoue. Nous n'avons pas de détails sur
la manière dont fut exécutée cette entreprise ; tout ce que nous
savons, c'est qu'entre le mois de mai et le mois d'août de l'an-
née 1032 3, la ville de Gaëte tomba au pouvoir de Pandolf.
Les acquisitions du prince de Capoue ne se bornèrent point à
cette conquête. L'abbaye du Mont-Cassin était le plus riche et
le plus puissant des voisins immédiats de Pandolf. Celui-ci
s'étendit considérablement aux dépens des moines. Les chro-
niques du Mont-Cassin sont remplies du récit des vexations
que Pandolf fit subir à l'abbaye. Sans entrer dans des détails peu
intéressants, bornons-nous à constater que Pandolf s'empara de
presque tous les biens du monastère, qu'il emprisonna l'abbé
Théobald à Capoue, nomma une de ses créatures, Todin, comme
administrateur des biens de l'abbaye et s'en appropria ainsi tous
les revenus ^,
1. G. Ap., I, ISO et suiv., p. 12.j.
2. Cf. Miracula S. Severi episcupi neapolit., dans Capasso, Monuni., l. II,
■2, p. 1S3, et hl., op. cit., t. I, p. 275.
3. Cod. Caiet., t. I, pp. 321, 325, 330, 332.
4. Léo Ost., II, 57, p. 666. Aimé, I, 34, 35, 36, p. 42 et suiv.
LES .NOR.AIANDS A AVERSA 79
La présence des Normands à Aveisa inquiétait Pandolf, qui
avait toujours à redouter de leur part quelque coup de main.
Il accomplit un acte très habile, en détachant Rainolf de
Serg-e IV. Le chef normand ayant perdu sa femme, parente de
Serge, Pandolf lui proposa la main de sa nièce, la fille du
patrice d'Amalfi '. Nous manquons de renseignements précis sur
ce mariage et sur la personnalité de ce patrice d'Amalfi. Une
révolution comme il y en eut un si grand nombre à Amalfi, avait
chassé en 1034 le duc Jean II, dont le père Serge II avait lui-
même été expulsé quelques années auparavant -'. Jean II s'était
associé, en 1031, son fils Serge III •^. A la suite d'événements que
nous ne connaissons pas, Jean II et Serge III furent expulsés
(1034), et on leur donna pour successeur Manso IV, frère de
Jean II, qui régna avec sa mère Maria *. Rainolf a-t-il épousé la
fille de Jean II ou au contraire celle de Manso ? Nous ne savons
rien à cet égard. Pourtant, comme, vers cette époque, la politique
de Pandolf le porte à intervenir dans les affaires de Sorrente, je
serais enclin à admettre qu'il a pris aussi une part plus ou moins
directe aux événements d'Amalfi, et est intervenu dans la révo-
lution qui a chassé Jean IL Dans ce cas, la femme de Rainolf
d'Aversa serait la fille de Manso IV. On a élevé à ce sujet une
objection, tirée de ce fait, qu'il semble difficile qu'en 1034, Manso
ait eu une fille en âge d'être mariée '. Cet argument ne me paraît
pas concluant, car il n'est pas rare, à cette époque, de voir des
enfants se marier, et de ce que le mariage a lieu, il ne s'ensuit pas
que les époux soient nubiles ^.
Les ouvertures de Pandolf furent bien accueillies par Rai-
nolf, qui devint l'allié du prince de Capoue ". Nous voyons qu'à
1. Aimé, I, 42, 43,
2. Cf. Caméra, oyj. cit., l. I, p. 240.
3. En août 1033, on compte la troisième année de Serge III, Caméra, op.
cit., t. I, p. 241.
4. Id., op. cit., t. I, p. 244.
5. Heinemann, op. cit., p. 351.
6. Il suffit do rappeler le mariage de la fdle de Guiscard avec Constantin,
fils de Michel VII. Cf. Chr. Amalf., p. 211 : di Meo, op. cit., t. VII, p. 164 ; de
Blasiis, op. cit., t. I, 122; Bresslau, op. cit., t. II, p. 302.
7. La trahison de Rainolf est sans doute postérieure à octobre 1033, car à
cette date, Serge IV est encore au pouvoir. Capasso, Mo nu m. , t. II, 2, p. 26.
80 cuAPii'iu; Il
ce moment, les incursions de Pandolf sur les terres du Mont-
Cassin sont plus fréquentes que jamais; ce sont des terres enle-
vées à l'abbaye ' qui sont employées à récompenser les Normands
entrés au service du prince de Capoue.
La trahison de Raiiiolf amena, à Xaples, la retraite de Ser^e IV.
Aimé raconte que le duc, quand il connut l'ingratitude, dont
Rainolf faisait preuve à son égard, prit le pouvoir en dégoût et
jse fit moine -'. Peut-être l'échec de sa politique, et le démembre-
ment du duché, qui perdait le territoire d'Aversa, permirent-ils
aux adversaires de Serge IV, de lui imposer la retraite. Peut-
être faut-il aussi rattacher à ces événements la formation du duché
de Sorrente, qui s'affranchit de Naples (1024-1033) •^.
L'alliance de Pandolf III avec Rainolf marque l'apogée de la
puissance du prince de Capoue. Allié également au duc de Sor-
rente * et au prince de Salerne % Pandolf domine alors sans
conteste dans l'Italie méridionale. Le catépan Bojoannès a quitté
son commandement depuis 1027, et. à Byzance, on est revenu aux
anciens errements ; nous voyons, en effet, depuis lors, les caté-
pans se succéder à intervalles très rapprochés ; ces changements
continuels de personnes donnent de fâcheux résultats, et lin-
tluence grecque paraît aller en diminuant ''. Pandolf se crut
alors tout-puissant et commit la faute de rompre avec Guaimar V
de Salerne. Ce fut ce qui amena sa ruine. A Salerne, en effet,
la situation avait changé; Guaimar avait atteint l'âge d'homme,
et ne pouvait voir, sans inquiétude, son oncle intervenir dans les
affaires d'Amalfi et de Sorrente \ car il devait craindre que Pan-
dolf ne voulût également s'immiscer dans celles de Salerne.
Un incident amena la rupture. La belle-sœur de Guaimar était
la femme du duc de Sorrente ; chassée par celui-ci, nous ne savons
1. Léo Ost., II, oT, p. (360.
2. Aimé, I, 43,
3. Cf. Schipa. op. cit., Arch. st. nap., l. XIX, p. 9, note 3. Capasso, Mem.
délia chiesa di Sorrento (Napoli, 1854), p. oG.
4. Aimé, II, 3.
o. Ihid., II, 2.
6. Lup., Prolospat., ad an. 1029 et suiv.
7. Cf. Cod. Cav.. t. V, n° DCCXCIV.
PANDOLF m El' (iUAlMAK V 81
pour quel motif, elle se retira auprès de Pandolf III, qui tenta
de séduire sa fille K Tel fut le prétexte qui, au dire d'Aimé, causa
la brouille de Gviaimar et de Pandolf. D'après le même auteur,
ces événements sont postérieurs au mariage de Rainolf, qu'il
convient de placer après 103i. Je crois même que l'on peut les
reculer jusqu'à 1036 ; nous voyons à cette date Pandolf lit
aller attaquer Bénévent ~, ce qu'il n'eût pas fait, sans doute,
s'il avait déjà été en g-uerre avec Guaimar. D'autre part, tous
les ennemis de Pandolf se groupèrent autour de Guaimar et
s'unirent contre le prince de Capoue. A la suite de cette
entente, les alliés décidèrent de solliciter l'intervention des
deux empereurs. Or, les moines du Mont-Cassin, chargés de se
rendre auprès de Conrad II, le rencontrèrent en Italie; ils
partirent donc au plus tôt en 1037 -K Leur demande était
appuyée par Guaimar. De son côté, le duc de Naples se rendit
à Constantinople pour demander assistance au basileus ^,
Pendant que se poursuivaient ces nég-ociations, Guaimar s'effor-
çait de détacher Rainolf d'Aversa de l'alliance de Pandolf.
L'appoint que Rainolf pouvait apporter, devait être déjà impor-
tant, car, depuis le moment où Serge IV et Pandolf se dispu-
taient son alliance, de nouveaux contingents normands étaient
venus renforcer sa bande. Parmi les nouveaux arrivés étaient
les fils de Tancrède de Hauteville, qui devaient avoir en Italie une
si prodigieuse fortune.
Tancrède était un petit seigneur de Normandie ; il possédait à
Hauteville-la-Guichard, près de Coutances, un fief de dix cheva-
liers ^. Nous savons qu'il s'était marié deux fois ; de Muriella,
sa première femme, il eut cinq fils : Guillaume, Dreux, Onfroi,
Geofîroi et Sarlon ; de Fressenda, sa seconde femme, il eut Robert
Guiscard, Mauger, Guillaume, Auvray (Alvérède), Tancrède,
1. Aimé, II, 3.
2. Annal. Benev., ad an. Aimé, I, 37, 39. Léo Ost., II, 61.
3. Léo Ost., II, 63.
4. Aimé, I, 43. Capasso, Mon., t. I, p. 133. Cï. Sch'ipa, op. cit., Arch. st.
napol., t. XIX, p. 11.
5. Malaterra, I, 40.
Histoire de la doiniiialioa norinimle. — Ghalanuu.n. 6
82 ciiAiniuE 11
Humbert, Rog-er, et plusieurs filles •. Tancrède ne pouvait
fournir à ses enfants des apanag-es suffisants, aussi les aînés de
ses fils se décidèrent-ils à aller au loin chercher fortune.
Guillaume et Dreux firent partie de la troupe normande qui vint
en Italie après l'établissement de Rainolf à Aversa. Ils arrivèrent
•alors que le comte d'A versa était au service de Pandolf ~.
Les tentatives faites par Guaimar pour g-agner Rainolf,
aboutirent et ce dernier, passant au service du prince de
Salerne, commença à ravager les terres de Pandolf -^
A ce moment, l'intervention de l'empereur Conrad acheva la
ruine du prince de Capoue. Nous avons vu plus haut que l'appui
des deux empires avait été réclamé par les ennemis de Pandolf.
Le basileus Michel IV ne répondit point à l'appel qui lui fut
adressé. La puissance de Byzance, en Italie, est en décadence
depuis le départ du catépan Bojoannès (1027) '*. Son successeur
Christophoros ne gouverna que peu de temps, et après lui
Pothos vit recommencer les incursions musulmanes. La
situation intérieure n'est pas tranquille; les habitants d'Obbiano,
attaqués en 1027 ', par les Arabes de Sicile, durent capituler,
1. Malaterra, I, 3-6. Anonvmus Vaticanus Ilist. Siciila, clans Muratori,
R.I.SS, t. VIII, p. 74:;.
2. Malaterra, I, (i. Aimé, II, 8. Je crois ([ue Heskel, Die fiistoria
Sicula des Anonymus Vaticanus und des Gaufredus Malaterra, Diss. (Kiel.,
1891), p. 38, n. 16, a eu raison de dire quOnfroi n'est venu en Italie que
plus tard.
3. Aimé, II, 3. Malat., I, 6.
4. La chi'onique de Lupus donne Tannée 1029; mais il y a, à mon avis,
une erreur du copiste. En effet, un synchronisme des événements est
fourni par la mort de Guaimar que nous savons être de 1027 (cf. p. 74,
n. 2). On peut objecter à cette correction qu'il n'est pas possible que les
faits de 1027 soient mentionnés, dans des annales, après ceux de l'année
1028. Mais les faits rapportés à l'année 1028 doivent être placés en 1025.
Le chroniqueur mentionne, en 1028, l'élévation de Byzantins au siège archié-
piscopal de Bari ; or, nous savons que dès 1025 Byzantins est archevêque,
Cod. dipl. Bar., 1. 1, p. 23. Sous la même année. Lupus mentionne l'arrivée
d'Oreste en Italie. Or, celui-ci est à identifier avec le personnage men-
tionné pas Skylitzès, dans Cédrénus, II, 479, comme étant mort en
décembre 6534, ind. IX = décembre 1025. On voit donc que la correction
s'impose et que l'oi'dre chronologique n'est pas troublé par les modifications
proposées. Cf. Anon. Bar., ad an. 1025.
5. Lup. Protospat., ad an. 1020, cf. note précédente.
CONRAD II ES ITALIE 83
et ceux de Bari ', eurent à repousser ég-alement une attaque des
Musulmans. Le catépan lui-même, en 1031 subit une grande
défaite à Cassano ". A partir de 1033, les Grecs paraissent avoir
song-é uniquement à la Sicile. Ces divers motifs expliquent
l'inaction de la politique grecque ; peut-être aussi les Byzantins
n'étaient-ils pas défavorables à Pandolf, qui pouvait susciter de
graves embarras à l'empereur allemand.
Du côté de l'Allemagne, l'appel des princes de l'Italie du Sud
fut entendu, et Conrad II arriva au printemps de 1038 '', après
avoir fait annoncer sa venue k Guaimar et à Pandolf. Il ordonna
à ce dernier de restituer au Mont-Cassin les biens usurpés, et
de relâcher tous ceux qu'il détenait injustement en prison. La
situation de Pandolf était délicate, car il n'avait aucun allié.
Le prince de Capoue envoya sa femme et son fils à Conrad pour
lui demander la paix ; il offrait trois cents livres d'or payables
par moitié et proposait de laisser k l'empereur son fils et sa fille
en otage ^. Ces propositions furent acceptées; Pandolf paya cent
cinquante livres et livra des otages, mais peu après son fils
s'échappa •'. Sur ces entrefaites, Pandolf changeant d'idée, et
songeant peut-être qu'après le départ de Conrad, il pourrait
toujours rentrer en possession de ses Etats, refusa d'exécuter la
convention conclue et alla s'enfermer dans son château de
Sant'Agata ^'. Aussi, quand Conrad, venant du Mont-Cassin.
arriva k Capoue, il put entrer dans la ville sans rencontrer de
résistance (mai) ".
1. Lup. Protospat., ad an. 1029.
2. ILid., ad an. 1031.
3. Annal. Altah., ad an. 1038. Je crois que ion doit adopter la correction
proposée par Heinemann, op. c/7., p. 352, etquil faut lire Tuscia au lieu de
Troia. L'empereur estvenupar Rome, Desiderii., DiaL, AA.SS.O.S.B., t. IV^
2, p. 432, ce qui concorde avec la version conservée par le manuscrit de
lAventin. Cette opinion est corroborée par ce fait qu'en juillet 1038 Troia
est aux Grecs. Di Meo, op. cit., t. VII, p. 183. Onne doit donc pas accepter
l'opinion de Bresslau, op. cit., t. II, p. 306.
4. Léo Ost., Il, 63. Wipo, Gesta Chuonradi, c. 37, éd. Bresslau, dans
M.G.H., in-8°, p. 43. Cf. Bresslau, Kourad 11, t. Il, p. 307, note 3.
5. Ann. Altah., ad an.
6. Léo Ost., II, 63. — Sans doute, Sant' Agata dei Gothi, ch.-l. de
circond., prov. de Bénévent.
7. Ann. Cas., M.G.H.SS., t. IX, p. 308. Chron. Casauriense, Muratori,
R.I.SS., t. II, p. 2, 8.50. Ann. Cav., ad an. 1038. M.G.H.SS., t. III, p. 189.
8i CIlAPITRt: 11
Guaimar tint vis-à-vis de Conrad une conduite toute différente
de celle de Pandolf. 11 semble que le prince de Salerne ait
voulu reprendre le rôle de Pandolf Tête de fer, et se soit tourné
complètement vers les Allemands '. 11 vint trouver l'empereur à
Capoue, et lui offrit de riches présents. Grâce à des largesses
habilement distribuées, il obtint d'être proposé, par les gens de
Capoue et par les grands de l'empereur, au choix de ce dernier
comme seigneur de Capoue. 11 fut investi en mai 1038 '. L'empe-
reur partit presque aussitôt après, et par Bénévent et Perano
1. Cf. Schipa, op. cit., Arch. st. nnpoL, t. XII, p. ."jLj.
2. Léo Ost., II, 63. Aimé, II, .5-6. Ou a discuté sur la date à laquelle
Guaimar aurait été investi de la principauté de Capoue. Suivant Aimé, II, 6,
et Léon d'Ostie, 11,63, l'empereur aurait investi Guaimar pendant son séjour à
Capoue, en mai 1038. Il résulte des actes que l'on n"a pas commencé à dater
des années du règne, de Guaimar , avant août 1038. C'est du moins l'opinion
de Schipa, op. cit., Arch. st. nap., t. XII, p. 516. Celui-ci, pour résoudre
la difficulté, a imaginé, en se basant sur un passage des Annal. Hildexh.
M.G.II.SS., t. III, p. 101, qu'il interprètemal, un voyage de Conrad à Salerne,
après son séjour à Bénévent, en juin 1038. De Blasiis, op cit., t. I, p. 130,
Bresslau, op. cit., t. II, p. 310, et Heinemann, op. cit., p. 67, ont adopté la date
de mai, mais n'ont pas vu la difficulté qui résulte de la non-concordance
des chroniques avec les données fournies par les actes. Il convient, tout
d'abord, d'écarter l'hypothèse d'un voyage de Conrad à Salerne, après son
séjour à Bénévent, car le 19 juin, l'empereur remontant vers le nord de
l'Italie, est à Perano, dans la province de Chieti, Stumpf, op. cit., t. III,
p. 721, n° 517. Si maintenant nous examinons de plus près les actes datés
des années de règne de Guaimar comme prince de Salerne, nous pouvons,
je crois, résoudre la difficulté d'une manière satisfaisante. Il est vrai
qu'en juillet 1038, on ne compte pas encore les années de règne de Guaimar
comme prince de Capoue, Cod. Cav., t. VI, p. 80, et qu'en août 1039, on
compte encore la première année de son règne, ihid., p. 108; mais on voit
également qu'en septembre 1041, on compte la troisième année de Guaimar
comme prince de Capoue, au lieu de la quatrième qu'il faudrait si la
théorie de Schipa était vraie, Cod. Cav., t. V, p. 165, n° CMLXXXI. Dans
un acte de septembre de la même année, Cod. Cav., t. V, p. 166,
n° CMLXXXII, on compte la quatrième année. De même dans les actes
MV et MVI. On voit donc que la date des années du règne de Guaimar,
comme prince de Capoue, change en septembre. Faut-il donc conclure
de là que l'investiture de Guaimar n'a eu lieu qu'en septembre ? Ce serait
une erreur absolue, car alors Conrad n'est plus dans l'Italie du Sud. Mais
si l'on remarque que les années de Guaimar comme prince de Salerne
ont été comptées à partir de septembre (Di Meo, Apparato chronologico,
p. 420) on est amené à cette conclusion que, pour simplifier les calculs,
on a pris, pour compter les années de Guaimar, comme prince de Capoue,
CONRAD II EN ITALIE 8o
resrajjfna rAllemai^'ne. Il est curieux de constater combien la
Do o
politique allemande en Italie est demeurée traditionnelle. Con-
rad II, en réuniss:int les principautés de Gapoue et de Salerne
n'a fait que revenir à la politique qu'Othon avait suivie vis-k-vis
de Pandolf Tête de fer. La situation politique n'a changé que
du côté de l'Apulie et de la Calabre, qui ne sont plus revendi-
quées par l'empereur allemand.
Aimé' raconte que, pendant son séjour à Capoue, Conrad, à la
demande de Guaimar, investit, par la lance et le gonfanon, Rai-
nolf du comté d'Aversa. Aucune autre source, sauf Léond'Ostie
qui copie Aimé, ne parle de ce fait. Le biog-raphe de Conrad II
se borne à dire que l'empereur fit cesser les divisions entre les
Normands et les gens du pays"-. Or après l'investiture de Conrad,
Rainolf d'Aversa resta vassal de Guaimar'^. Nous savons, en
effet, qu'en mars i0i3 et en mars lOii, on datait à Aversa des
années de règne de Guaimar et non de celles de Rainolf*. Celui-
ci n'est donc pas devenu le vassal immédiat de l'empereur. Je
crois qu'il faut interpréter le récit d'Aimé de la manière
suivante: Aversa avait été donné à Rainolf par le duc de Naples
et en droit continuait à relever de Naples. Ne peut-on admettre
que Guaimar ait demandé à l'empereur de régulariser la situation
de fait qui s'était produite, et que Conrad ait rattaché le fief
d'Aversa à la principauté de Salerne?
Il semble que Conrad dut autoriser Guaimar à s'étendre aux
dépens des princes lombards qui lui étaient hostiles. Le parti
allemand aj-ant Guaimar à sa tête, comprend alors l'abbé du
Mont-Cassin, le comte de Teano, Landolf% et sans doute les
le mt'me point de départ ([ue pour compter les années de son règne
comme prince de Salerne. Ainsi tout s'explique naturellement sans avoir
besoin de recourir à l'hypothèse compliquée et impossible d'un voyag-e de
Conrad à Salerne, en août 1038.
1. Aimé, II, 6.
2. M.G.II.SS., t. XI, p. 273.
3. Aimé, II, 7 et 31.
4. Di Meo, op. cit., t. VII, pp. 243 et 2o2. Cf. Breslau, op. cit., t. II,
p. 311, note 1.
o. Léo Ost., II, C7. Di Meo, op. cit., t. VII, p. 217.
86
CHAPITRE H
seigneurs de Sora ' ; au contraire, les comtes d'Aquino et de
Sexto tiennent toujours pour Pandolf. L'année 1038 fut en partie
remplie par diverses campagnes qui toutes avaient pour but
d'enlever ses possessions à Pandolf. Notons l'expédition dirigée
par Guaimar contre Rocca Vaudra, qui fut, le 13 août, remise
à l'abbé du Mont-Cassin "^. Vers la même époque, Rainolf
et les Normands furent envoyés rétablir l'ordre dans la vallée du
Sangroqui était pillée parles fils de Borrel, partisans de Pandolf '^.
Ces insuccès répétés rendirent difficile la situation du prince de
Gapoue qui se décida à gagner Gonstantinople, où il fut retenu
prisonnier à la demande de Guaimar, Le basileus, occupé alors
à préparer une grande expédition contre la Sicile avait besoin du
concours de Guaimar qui, à ce moment, lui fournissait des
troupes ' ; c'est là ce qui explique sa conduite envers son ancien
allié.
Le départ de Pandolf permit à Guaimar de laisser l'abbé du
Mont-Gassin et le comte de Teano tenir en respect les partisans du
prince de Gapoue, dans les vallées duVulturne et du Garigliano'',
et d'entreprendre d'autres conquêtes. En avril 1039, Guaimar
occupa Amalfi '\ dont il chassa le duc Manso, qui lui-même
avait expulsé Jean. Entre le mois de juillet et le mois
d'août de la même année, le prince de Salerne, avec l'aide des
Normands", s'empara de Sorrente et y établit comme duc'^,
son frère, Gui de Conza''^. Vers le Nord, les conquêtes de
■ 1. Chr. Viilt., Muratori, R.I,SS., t. I, 2, p. 509.
2. Léo Ost., II, 68. Cf. di Meo, op. cit., t. VII, p. 201.
3. En septembre 1026, nous trouvons Oderisio Borrel, comte de Sangro,
Gattola, Mis., t. I, pp. 236 et 238 ; il est probablement le père d"Oderisio cl
de Borrel que nous trouvons en i069, op. cit., p. 2il, et /(/. , .Icc, t. I, p. 179.
D'autre part, nous connaissons un certain Adelmar, comte des Loml^ards,
surnommé Borrel, qui est mentionné en septembre 1033. Cf. Gattola, Ace,
t. I, p. 123, et di Meo, Apparato c/ironologico, p. 420.
4. Aimé, II, 12. Cf. infra, p. 91.
5. Cf. Schipa, op. cit.,AiTJi.st. nap., t. XII, p. ol9.
6. Aimé, II, 7; LeoOst., II, 63; Chr. Amalf.,XlX, p. 211; Cf. Cod. Cav.,
t. VI, p. 96 et p. 98.
7. Cod. Cav., t. VI, pp. 107-108.
8. LeoOst., II, 63, 672.
9. Aimé, II, 7; Léo Ost., II, 63; Cod. Cav., t. VI, pp. 96,98, 127, 131,
152; di Meo, op. cit., t. VII, p. 299; Schipa, op. cit., p. 520, note 1. Cf.
Archives de la Cava D. 9, et C. 29, deux actes d'octobre 1091
et janvier 1096, par lesquels Guaimar fait des donations pour l'âme de son
père, Gui, duc de Sorrente, fils de Guaimar, prince de Salerne.
GUAIMAH V ET RAINOLF d'aVERSA 87
Guaimar ont été ég-alement importantes. Ses états s'étendent
jusques vers Comino ^; Aquino le reconnaît; nous savons, qu'en
mai 1039, il possédait Traetto -, et, en juin 1040, Gaëte ■'. De
même Venafro '•, en octobre 1040, et un peu plus tard Ponte-
corvo et Sora •' lui obéissent ''.
Nous ne savons pas comment la plus importante de ces villes,
Gaëte, tomba aux mains de Guaimar. Il semble d'ailleurs que la
domination du prince de Salerne y ait été éphémère, car, en
octobre lOil ^, son nom n'est plus mentionné dans les actes et,
en août 1042 '^, on voit réapparaître comme consul et duc, Léon,
fils de Docibilis. Comme d'autre part, en décembre de l'année
1042 '■', on compte la deuxième année de Rainolf, il me paraît
probable que Guaimar n'ait resté que peu de temps en posses-
sion de la ville. Peut-être en fut-il chasse par un mouvement
populaire, et, à la suite de celui-ci, a-t-il concédé Gaëte à Rainolf,
qui ne s'en serait emparé qu'après août 1042.
Son alliance avec Guaimar a donc permis à Rainolf d'accroître
son domaine ; en même temps, l'appui des Normands a rendu
Guaimar le plus puissant des princes de l'Italie du Sud. Bien
que des difficultés paraissent s'être élevées un moment entre
Guaimar et l'abbé du Mont-Cassin^*^, en 1040, le prince de Salerne
est en bons termes avec l'abbaye, à laquelle il fait en juin une
donation importante'^. C'est à ce moment que le retour des Nor-
mands de Sicile vint ouvrir à son ambition de nouvelles perspec-
tives; mais il faut ici remonter un peu en arrière.
1. Gattola, Hisl., t. I, pp. 328-329.
2. Cod. Caiet., t. I, p. 346. Aquino, ciicond. de Sora, prov. de Caserte
Traetto, circond. de Gaëte, prov. de Caserte.
3. Ihid., p. 340.
4. Gattola, //{'sL, 1. 1, p. 213. Venafro, circond. d'Isernia, prov. de Campo-
basso.
5. Ibid., p. 266. — Pontecorvo, circond. de Sora, prov. de Caserte.
6. Muratori, R.I.SS., t. II, 2, p. 509.
7. Cod. Caiet., t. I, p. 341.
8. Ihld., pp. 3oO et 351.
9. Ibid., p. 353. Sur Gaëte, cf. P. Fedele, // ducafo di Gaeta alVinizio délia
conquisia nornianna, dans Arch. st. nap., t. XXIX, p. 50 et suiv.
10. Cf. Schipa, o/<. cit., p. 521.
11. Gattola, Accès., t. I, pp. 140-142.
CHAPITRE III
EXPÉDITION DES BYZANTINS EN SICILE. SOULÈVEMENT DE LA FOUILLE.
PART PRISE A LA RÉVOLTE PAR LES NORMANDS. LEUR ÉTARLISSE-
MENT EN POUILLE.
(1033-1046)
A partir du moment où ils eurent repris possession de l'Ita-
lie du Sud, les Byzantins cherchèrent à chasser les Musulmans
de la Sicile. L'île était, en efîet, devenue le point de départ de
toutes les croisières des flottes musulmanes, cpii allaient tour à
tour attaquer les côtes d'Italie et dillyrie. A cause même de leur
situation, les possessions byzantines de l'Italie étaient particu-
lièrement exposées, et les bandes musulmanes avaient été de
puissants auxiliaires pour les rebelles d'Apulie. Aussi l'expulsion
des Musulmans de Sicile était-elle devenue une nécessité pour
le gouvernement grec. Nous avons vu comment avait échoué
l'expédition envoyée par Xicéphore Phocas, en 964'. Après la
pacification de la Pouille, Basile II résolut d'entreprendre à nou-
veau la guerre contre les Musulmans de Sicile -. Libre du côté
des Bulgares, l'empereur lit réunir une puissante armée compo-
sée de Varangiens, de Bulgares, de Valaques, de Turks, et
aussi des contingents du thème de Macédoine. Conduites par
l'eunuque Oreste, ces troupes débarquèrent en Italie, au mois
d'avril de l'année 1025. Le catépan Bojoannès avait fait res-
taurer la forte place de Reggio et avait même occupé Messine.
Toutes les garnisons musulmanes de la Calabre avaient été
chassées. On n'attendait plus pour entrer en campagne que l'arri-
vée du basileus, que la mort vint surprendre au moment
où il se préparait à partir-^. Abandonné à lui-même, Oreste ne
1. Cf. p. 6.
2. Cf. Schlumbergor, L'épopée byzantine. Basile II le lueur de Bulgares,
p. 598.
^. Skylitzès, dans Cédrénus., t. p. II, 470. Lujjus Protospat., ad an.
1028. Ibn-el-Athir, ds. Amari, B.A.S., t. I, p. 440. Cf. Schlumberger,
op. cit., p. "j9S et suiv., et supra, p. 82, note 4.
EXPÉDITION DES BYZANTINS EN SICILE 89
sut que se faire battre, malgré les renforts qui lui furent envoyés.
Sous les règnes de Constantin VIII et de Romain III, ces grands
projets de délivrance de la Sicile furent abandonnés. Bojoannès
fut rappelé à Gonstantinople, (1027), et ses successeurs ne
surent pas se montrer à la hauteur de leur tâche. Profitant de la
faiblesse de l'empire, les Musulmans reprirent la guerre avec
plus de violence que jamais : en juin 1031 , ils occupaient Cassano ;
au mois de juillet de la même année, ils infligèrent une grave
défaite au catépan Pothos'. Devenant plus hardis, à mesure
qu'ils se croyaient plus assurés de l'impunité, ils étendirent de
plus en plus loin le rayon de leurs expéditions, et, durant les
années 1031 et 1032, ils poursuivirent sans interruption leurs
croisières contre les côtes greccpies et livrèrent plusieurs batailles
au patrice Nicéphore, gouverneur de Nauplie ~. En 1035,
ils parvinrent jusqu'aux côtes de la Thrace ■'.
L'eunuque Jean, qui gouvernait pour Michel IV, fut ainsi
amené à reprendre contre eux les projets de Phocas et de Basile II.
Les divisions qui se produisirent vers cette époque entre les
Musulmans, ^fournirent aux Byzantins de grandes facilités pour
intervenir en Sicile. Amed, surnommé Al Akhal, avait chassé, en
1019, Djafar, qui était émir de Sicile depuis 998 '*. Sous le règne
d'Amed, de graves dissentiments s'élevèrent entre les Musul-
mans d'origine sicilienne, et ceux de leurs coreligionnaires qui,
à diverses reprises, étaient venus d'Afrique. Al-Akhal fut amené
à favoriser le parti africain, tandis que son frère Abou Hafs se
mettait à la tête du parti sicilien^. Abou Hafs fît demander à
Moezz ibn Badis, khalife zirite de Kairouan, de l'appuyer, mena-
çant, en cas de refus, de livrer l'île aux Grecs. Il reçut un
secours de trois mille hommes, commandés par Abd Allah, fils
du khalife (427 de l'égire = 5 novembre 1035-24 octobre 1036) ''.
1. Lupus Protospat., ad an. — Cassano, circond. de Castrovillari, pi'ov.
de Cosenza.
2. Skylitzès, dans Cédrénus, t. II, p. 499 et suiv.
3. Ibid.,U, 513.
4. Cf. Amari, Storia clei Musulmani, t. II, p. 354 et suiv.
5. Cf. Amari, op. cit., t. II, p. 369 et suiv.
0. Ibn-el-Athir, B.A.S., t. I, p. 144.
90
CHAPITRE III
Mais déjà, à ce moment, Al Akhal, voyant grandir contre lui
l'opposition, avait entamé des nég-ociations avec Byzance. Nous
savons qu'au mois de mai de Tannée 1035, un ambassadeur
byzantin, Georg-es Probata, était venu en Sicile et avait conclu
un traité d'alliance avec Al Akhal, qui reçut le titre de [j.i^n.'^zpoq,
et donna son fils en otage '.
(^uand l'armée de secours commandée par Abd Allah arriva,
Al Akhal s'adressa à Léon Opos, catépan d'Italie, depuis le
mois de mai 1033 -, et lui demanda assistance 'K Un corps de
troupes g-recques, sous le commandement du catépan, passa en
Sicile, mais il dut bientôt repasser le détroit du Faro. A en
croire la chronique de Skylitzès, Opos serait revenu, lorsqu'il
aurait eu connaissance de nég'ociations eng^agées entre Al Akhal
et son frère Abou Ilafs. La courte expédition des Byzantins leur
aurait permis de ramener quinze mille chrétiens qu'ils am-aient
délivrés. Ces chiffres me paraissent fort exagérés. Abandonné par
ses alliés, Al Akhal continua la guerre civile, mais il fut fait pri-
sonnier et assassiné, au moment où quelques-uns des partisans de
son frère song-eaient à le délivrer ^.
C'est, sur ces entrefaites, que l'armée byzantine arriva. L'eu-
nuque Jean confia le commandement de la flotte à son beau-frère
Etienne, et mita la tête de l'armée Georg-es Maniakès, qui s'était
illustré dans les guerres de Syrie. L'armée, outre les troupes
auxiliaires composées de Russes et de Varangues •', parmi lesquels
étaient le célèbre Harald, plus tard roi de Norvège '', comprenait
des contingents italiens fournis par le thème de Longobardie et
placés sous le commandement du patrice Michel Sfrondelès. La
levée des milices italiennes paraît avoir excité chez les habitants
1. Skylitzès, dans Cédrénus, II, 513.
2. Lupus Prolospat., ad an. Il faut, sans doute identifier le stratège
Léon Opos, avec le catépan Constantin Opos. Cf. Skylitzès, dans Cédrénus,
t. H, p. "»03, et Trinchera, op. cit., p. 32.
3. Skylitzès dans Cédrénus, II, .^Ki-olT. Cf. Vila sanrd Pliilnrrti, \.A.SS>.,
avril, t. I, p. ôO.j.
4. Ibn-el-Âlhir, B.A.S. t. I, p. W.\. lbn-Khaldoun,B.A.S., t. II, p. 200, ([ui
fait erreur sur la date. Ahoulfeda, B.A.S., l. II, p. 97. Vila sancli Philareti,
ds AA.SS., avril, t. I, p. (iO.>. Cf. Amari, np. ci/., L II, p. 378.
.'). Ann. Bar., ad an. 1041.
0. Cf. Cecaunieni Strategicon, p. 97.
EXPÉDITIOIS DES BYZANTINS EN SICILE 91
de l'Italie du Sud un grand mécontentement^. L'empire fit aussi
appel à ses vassaux italiens, et nous savons que Guaimar fournit
trois cents chevaliers normands '-. Aimédit que la: « poteste impé-
rial se humilia a proier l'aide de Guaimere ». Guaimar avait
besoin de l'empereur, qui avait en son pouvoir Pandolf III ; il
n'osa refuser le service dont il fut requis. Il est probable que le
prince de Salerne ne fut pas fâché de se débarrasser ainsi d'une
partie des aventuriers normands qu'il avait à sa solde. Il faut,
en elîet, disting-uer entre les Normands, qui, comme Rainolf
d'Aversa, ont alors réussi à s'établir, et les aventuriers qui,
venus au bruit des succès de leurs compatriotes, continuaient à
vivre en pillards au grand mécontentement de la population
indigène -^
Le corps fourni par Guaimar comprenait trois cents hommes,
parmi lesquels étaient Guillaume Bras de fer et Dreux ; il était
commandé par un Italien du nom d'Ardouin^. Les chroniqueurs
ont exag'éré le rôle joué par les Normands dans cette campagne ^ ;
ils ont voulu en faire des champions de la foi, brûlant du désir
de combattre les infidèles, alors que tout ce que nous savons
par ailleurs, contredit cette opinion. De même, le rôle particu-
lier des fils de Tancrède a été très exagéré; à en croire les chro-
niques, ils auraient été les commandants de la troupe formée par
Guaimar, tandis que tous les faits connus montrent clairement
que le chef principal est Ardouin. Pour toute la campagne,
nous nous heurtons aux mêmes difficultés. Les détails
les plus circonstanciés nous sont fournis par les sources nor-
mandes, qui parlent à peine de l'armée grecque, mais exaltent
les héros normands. On omet toutes les batailles importantes.
1. G. Ap., I, 200 ; Aimé, II, 8 ; Lup. Protospat., ad an. 1040.
2. Skylitzès, dans Cédréims, II, a4'j ; Aimé, II, 8.
3. Malaterra, I, 6.
4. .\imé, II, 8; Malaterra, I, 7 ; Skylitzès, dans Cédrénus, II, ^)4o, qui
porte le contingent à cinq cents hommes. Heskel, Die Ilistoria Sicula des
Annnyinus Vaticanus und des Gaufredus Malaterra, p. 38 n. 16, a montré
que très probablement OnlVoi ne fit pas partie de l'expédition. Cf. infra,
p. 106.
:>. Aimé, II, 8; Anon. Vatic, dans Muratori, R.I.SS., t. VIII, pp. 74o-747.
92
CHAPITRE III
pour ne parler que des combats particuliers, où tel ou tel héros
a eu 1 occasion de montrer sa valeur. Nous sommes en présence
de récits, qui tiennent bien plus de l'épopée que de l'histoire ;
aussi est-il curieux de rapprocher les sources normandes des
Sagas, qui, pour la même campagne, nous ont conservé le sou-
venir des hauts faits de Harald. Dans les unes comme dans les
autres, nous constatons une tendance analogue à subordonner
les événements principaux, aux faits et gestes particuliers de
chacun des héros, dont on raconte l'histoire ; et il n'y a pas
grande différence entre la manière dont les Sagas racontent les
campagnes du héros Scandinave, et celle dont Aimé ou Mala-
terra rapportent les faits et gestes de Guillaume Bras de fer et de
ses compagnons.il est presque impossible de tirer de ces sources
quelques renseignements historiques.
Avant le mois de septembre 1038, l'armée byzantine traver-
sait le détroit du Faro et venait mettre le siège devant Messine,
dont la prise ne paraît pas avoir offert de sérieuses diffi-
cultés. Messine, d ailleurs, ne présentait pas une importance
capitale ; dans toutes les guerres de Sicile, à cette époque, le
point stratégique le plus important a toujours été la forte place
de Rametta, qui commande la route conduisant par le littoral
nord de Messine à Palerme. La constitution orographiqae du
pays oblige, presque nécessairement, une armée envahissante à
passer par Rametta, car au sud de Messine, la côte est comman-
dée par les hautes montagnes qui bordent le littoral. Les sources
normandes ne disent pas un mot de la bataille qui eut lieu sous
Rametta. Seul, Skylitzès mentionne la victoire des Grecs qui
fut payée chèrement '. Pour le reste, jusqu'à l'année 1040, nous
ne savons rien si ce n'est que Maniakès, réussit à occuper treize
châteaux '-. La nature montagneuse du pays explique en partie
la lenteur des opérations, mais il est néanmoins certain que
beaucoup de faits nous échappent.
En 1040, on retrouve l'armée grecque devant Syracuse. Skyli-
tzès raconte, qu'à ce moment, Maniakès avait occupé toute l'île '^
1. Skylitzès, dans Cédrénus, II, ."i^O.
2. Malalerra, I, 7.
3. Loc. cit.
EXPÉDITION DES lîYZANTINS EN SICILE 93
Il y a certainement là une erreur, car nous voyons, après cette
date, la résistance continuer dans toute la partie occidentale de
l'île ; Maniakès devait à peine être maître de la partie orien-
tale. Tout ce que nous savons du siège de Syracuse a rapport
aux Normands, ce sont eux qui sont les héros de toutes les
batailles, et les sources s'étendent longuement sur les combats
particuliers que Guillaume Bras de fer aurait livré à un émir
célèbre par sa valeur * .
Tandis que l'armée grecque assiégeait Syracuse, Abd Allah,
ayant rassemblé de nouvelles troupes dans la région montagneuse
de l'intérieur, essaya de prendre à revers l'armée de Maniakès. Les
sources ne disent pas clairement si Syracuse était prise à ce
moment, mais il faut ici, tenir compte je crois, de VAnonymus
Vaticanus -, qui place ces faits avant la prise de la ville.
Contournant les pentes occidentales de l'Etna, l'armée de Mania-
kès, rencontra l'ennemi à peu près à mi-chemin entre Randazzo
et Troïna •^. Maniakès, prévoyant sans doute que l'ennemi
chercherait à gagner la côte, avait envoyé ses vaisseaux,
croiser, à la hauteur de Taormine et peut-être aussi de Cefalu.
Le commandant grec remporta une victoire complète '*. Suivant
Malaterra, les Normands seraient tombés sur Tennemi, avant le
gros de l'armée grecque, et auraient à eux seuls mis en fuite les
Musulmans. Les Grecs ne seraient arrivés que pour s'emparer du
butin, au détriment des Normands. La victoire de Troïna fut un
succès important, car elle pouvait amener l'occupation de l'in-
térieur de l'île. La prise de Syracuse, qui avait perdu tout espoir
d'être secourue, en fut la première conséquence ; mais, au moment
où la campagne se présentait sous d'heureux auspices, les divi-
sions des Byzantins vinrent compromettre le résultat final. Voici
ce que racontent les sources. Le chef des Normands, à la suite
1. Aimé, II, 8-9, Malaterra, I, 7.
2. Anon. Vatic, dans Muratori, R.I.SS., l. VIII, p. 748.
3. Skylitzès, dans Cédrénus, II, 522. Malaterra, I, 7. Cf. Edrisi, B.A.S.,
t. I, p. ilo. — Randazzo, circond. d'Acireale., prov. deCatane. Troïna, cir-
cond. de Nicosia, prov. de Catane.
4. Peut-être furent-ils aidés des Musulmans, An Nowairi, B.A.S., t. I,
p. 141.
94 CHAPITRE III
d"un combat livré aux Musulmans, s'était emparé d'un cheval
que le commandant de l'armée grecque lui fît réclamer ; sur son
refus de le livrer, il fut, par ordre du général, battu de verges. A
la suite de cette injure, les Normands auraient décidé d'aban-
donner l'armée grecque, et de regagner l'Italie ; munis d'un
permis de passer le détroit, obtenu par ruse, ils auraient réussi à
mettre leur projet à exécution '.
Tel est le récit auquel on a peut-être trop ajouté foi. A mon
avis, il faut le modifier sur beaucoup de points. Le récit de Sky-
litzès est, en efïet. bien différent "' ; d'après cet auteur, Maniakès
aurait refusé de payer aux Normands leur solde mensuelle, et, à
la suite des représentations d'Ardouin, aurait fait battre de verges
ce dernier. Malaterra fait également allusion au mécontentement
des Normands, à propos de la manière dont fut réparti le butin.
Nous savons par ailleurs, que des difficultés s'élevèrent égale-
ment entre Maniakès ', et les auxiliaires Scandinaves qui par-
tirent avec les soldats latins. 11 me semble, que l'on peut con-
clure de tout cela que, à la suite de difficultés pécuniaires, un
mécontentement général s'éleva parmi les troupes auxiliaires.
Peut-être Maniakès manquait-il d'argent, peut-être aussi, croyant
n'avoir plus besoin des troupes normandes et Scandinaves
trahit-il volontairement ses engagements. Les chroniqueurs ont
gardé un souvenir assez confus de ces difficultés, et, d'un épisode
particulier, ont fait le motif déterminant de la brouille survenue
entre le commandant grec et les meixenaires.
Les Normands et les Scandinaves partirent ensemble ; il semble
que leur départ n'ait pas influé beaucoup sur la suite de la cam-
pagne, qui, d'ailleurs, fut arrêtée bientôt, à cause des divisions
qui s'élevèrent entre les chefs des Byzantins. A la suite de la
bataille de Troina, Maniakès s'était emporté contre le com-
mandant de la flotte, Etienne, et l'avait battu pour le punir
d'avoir laissé échapper le chef des Musulmans '*. Pour se ven-
1. Aimé, II, 14. G. Ap., I, 206 et suiv. Malaterra, I, 8.
2. Skylitzès, dans Cédréniis, II, .545.
3. Snorr Sturleson, Heimskringla, éd. Schœning, 3 vol. in-fol. (Ilauniae,
1777-1783), t. III, pp. o7 et 59.
4. Skylitzès, dans Cédrénus, II, 522, et suiv. Cf. Aimé, II, 10.
RETOLK DES NOKMA.NUS EN ITALIE 9o
ger, Etienne avait aussitôt accusé Maniakès, auprès de Teu-
nuque Jean, d'aspirer à l'empire. Sur cette dénonciation, Maniakès
fut rappelé, et les troupes byzantines restèrent en Sicile sous le
commandement d'Etienne et de l'eunuque Basile. L'occupation
de l'île ne paraît avoir fait alors aucun progrès, et les Byzantins
se contentèrent de se maintenir dans le pays conquis.
Suivant Malaterra ', le départ des Normands aurait eu lieu
secrètement et par ruse, et à peine auraient-ils touché le sol de
l'Italie, qu'ils auraient commencé à attaquer les possessions
byzantines de Calabre. Il y a, dans le récit de ce chroniqueur,
une erreur complète. Les Normands sont partis très librement
et très probablement avec l'autorisation de Maniakès qui ne
voulait plus les payer. Rien ne prouve qu'à ce moment, Ardouin
et ses compagnons aient eu les grands projets qu'on leur a prê-
tés, et l'idée d'attaquer les possessions byzantines, ne leur est
venue que plus tard. Cela est si vrai, qu'Ardouin, au lieu d'agir
en déserteur, va, peu après son arrivée en Italie, trouver le caté-
pan, Michel Doukeianos, qui revenait de Sicile et était, par con-
séquent, au courant des faits et gestes des Normands '-. A ce
moment, Ardouin est tellement peu révolté, que Doukeianos lui
confia le commandement de la ville de Melfî, une des places les
plus importantes de la frontière byzantine -K Pendant ce temps,
les Normands retournaient auprès de Rainolf et de Guaimar '.
Au moment où Ardouin était nommé topotérètès de la région
de Melfi, la situation de la Fouille était très troublée. L'expédi-
tion de Sicile avait mécontenté les villes obligées de fournir des
troupes ' ; en même temps, il est probable que les garnisons
byzantines avaient dû être diminuées, et que la plupart des
troupes grecques avaient fait partie de l'expédition. Pendant
1. Malaterra, I, 8.
2. Aimé, II, 16, 64. G. Ap., I, 2o4. Anon. Bar., ad an., 1041. Lupus Pro-
tospat., ad an., 1041.
3. Anon. Bar., ad an., 1041.
4. Cela résulte des événements qui suivent. Ardouin, lors de la révolte,
se rend à Aversa. On voit par laque le récit de Malaterra, I, 8, et la version
analog^ue de Guil.do Pouille, 1, 203, ([uii'ont commencer la révolte dès le
retour des Normands à Reggio sont inexacts.
5. G. Ap., I, 204. Aimé, II, 8.
96 CHAi'iTRi: m
toute la campag-ne, la Fouille fut très agitée, autant que nous
pouvons en jug-er d'après les brèves indications cpie nous four-
nissent les Annales de la région. Peut-être cette agitation
fut-elle causée par de nouvelles levées, qui exaspérèrent la
population. En 1038, à Bari, on assassina divers fonctionnaires
grecs, et l'on brûla les maisons de quelques autres ', de même,
au mois de mai lOiO, des milices locales se mutinèrent ^ La mort
du catépan Xicéphore, tué à Ascoli. au début de 1040 '', permit à
l'insurrection de se développer. Les rebelles, conduits par Argy-
ros, le fils de Mélès, revenu de Constantinople en 1029,
attaquèrent Bari ; d'autres troubles éclatèrent à Mottola et à
Matera ' ; il y eut également des désordres à Ascoli et à Bitonto,
en 1041 -^ Le catépan Michel Doukeianos, qui succéda à Nicé-
phore, réussit à disperser les révoltés. Il convient, toutefois, de
rattacher à ces événements le voyage en Sicile, que fit le caté-
pan dans le courant de l'année 1040, Michel s'est certainement
rendu compte de la gravité de la situation et a dû aller en
Sicile pour presser le retour des troupes byzantines. Son absence
se prolongea jusqu'aux derniers mois de l'année 1040; ce fut
alors qu'Ardouin fut nommé à Melfi ^.
Le topotérétès se rendit vite compte qu'un nouveau soulève-
ment des Lombards était facile à provoquer, et profitant de sa
situation, il s'entendit avec un certain nombre de mécontents
et les décida à se révolter. Quand il vit qu'il pouvait compter
sur les Lombards, Ardouin songea à se procurer l'aide des Nor-
mands; prétextant un voyage à Rome, il alla trouver Rainolf à
Aversa (mars 1041 ), afin de lui demander son concours. Grâce
à sa situation, Rainolf était alors le chef reconnu des Normands.
Aversa était le centre où se réunissaient tous les aventuriers venus
de Normandie en Italie, c'était en quelque sorte un marché, où
tous ceux qui avaient besoin de soldats, pouvaient en engager ".
1. Antm. Bur., ad an. 1038 et 1039.
2. 1(1., et Lupus Piotospat., ad an. 1040.
3. Anon. Bar., ad an. 1040.
4. Anon. Bar., ad an., 1029 et 1040. Annal. Bar., ad an. 1040.
3. Anon. Bar., ad. an. 1041.
6. Ibid., Lup. Protospat., et Ann. Bar., ad an. 1041.
7. Aimé. II, 17. Lupus Protospat., ad an. 1041.
RÉVOLTE d'aRDOUIN 97
Il me paraît certain, que Rainolf n'intervint pas ouvertement,
et se contenta d'appuyer secrètement Ardouin, qui leva une
bande de trois cents hommes, commandés par douze chefs ou
comtes, dont les principaux étaient Guillaume Bras de fer, Dreux,
Gautier et Pierron, fils d'Ami '. 11 fut convenu que la moitié des
conquêtes futures seraient aux Normands et le reste à Ardouin,
En mars 1041, Ardouin et sa troupe arrivèrent à Melfî, qu'Aimé
appelle justement la porte de la Fouille. La situation de la ville
permet d'en faire une place forte de premier ordre, et déjà les
Byzantins l'avaient fortifiée. Les gens de Melfi, en voyant arriver
Ardouin et ses Normands, paraissent avoir hésité à les recevoir,
mais Ardouin leur annonça qu il amenait les secours promis, et
les exhorta à tenir leurs engagements. On finit par accueillir les
Normands sans difficulté et Melfi devint ainsi le centre de l'in-
surrection. En quelques jours, Venosa et Lavello furent pris ;
presque aussitôt les Normands poussèrent jusqu'à Ascoli -, Si
l'on se rappelle, que peu de temps auparavant, il y avait eu
à Ascoli une émeute que les Grecs avaient été obligés d'étouffer
dans le sang, on est amené à penser qu'il y avait dans cette ville
un parti de mécontents auxquels Ardouin voulut s'unir ^ Les
chroniques, encore ici, ne parlent que des Normands et de leurs
exploits, mais il faut tenir compte de la présence dans leurs
rangs, des insurgés lombards, qui jouent, comme nous le verrons
plus loin, un rôle prépondérant.
Les Normands se conduisent alors, tous les témoignages sont
d'accord à cet égard, en véritables pillards. Melfi devient en
quelque sorte l'entrepôt général où ils déposent leur butin. Une
1. Aimé, II, 18. G. Ap., I, 229 et suiv. Anon. Bar., ad an., 1041. D'après
Aimé, c'est Rainolf lui-même, qui aurait nommé les douze chefs, d'après
Guillaume de Fouille, ce sont les Normands qui auraient élu les douze
comtes. Sur les noms de ceux-ci cf. infra, p. 10.o.
2. Venosa, circond. de Melfî, prov. de Potenza. Lavello, circond. de
Melfi, prov. de Potenza. Ascoli Satriano, circond. de Bovino, pi-ov. de
Foggia.
.3. Aimé, II, 19-20. G. Ap., I, 245 et suiv. C'est à tort que l'on a voulu
préférer la date (1040) fournie par Léon du Mont-Cassin, à celle donnée par
les sources de la Pouillc. Ilirsch, De Ilalise inferioris annalihus seculi X et
A'/, pp. 58-59, a d'ailleurs montré que Léon commençait d'ordinaire l'année
en janvier. Cf. di Meo, op. cit., t. VII, p. 206.
Histoire de la domination normande. — Chalando:>. 7
98 CHAPITRE 111
partie du mois de mars fut remplie par ces premières incursions.
Le catépan, Michel Doukeianos, qui était à Bari, arriva avec
les troupes byzantines, dès qu'il fut informé du soulèvement. Les
chroniqueurs normands racontent que l'armée grecque était
innombrable ; c'est certainement une erreur, et à cet égard, nous
pouvons entrevoir la vérité, grâce à Skylitzès, qui reproche au
catépan d'avoir livré bataille avec des troupes insuffisantes '. Le
témoignage de Skylitzès se rapporte, il est vrai, à la deuxième
bataille livrée au début de mai, mais vaut néanmoins pour la pre-
mière, car, en trois semaines, il eût été impossible au catépan
de mobiliser une nombreuse armée. Doukeianos a certainement
pensé, au début, qu'il se trouvait en présence d'un soulèvement
local, analogue à ceux qu'il avait réprimés les années précédentes,
et il est certain qu'il a cru pouvoir en venir momentanément
à bout avec l'aide des troupes qu'il avait sous la main. Dans tous
les récits de ces événements, qui nous sont parvenus, il y a une
exagération évidente, contre laquelle il faut se tenir en garde '.
Le 17 mars 1041 ^, les troupes commandées par Doukeianos,
rencontrèrent les Normands et les Lombards révoltés, sur les
bords de l'Olivento, petite rivière qui passe au pied de la colline
où s'élève Venosa. Cette bataille semble avoir été peu importante.
Skylitzès ne la mentionne même pas; elle se termina par la
défaite complète des Grecs qui se retirèrent à Montepeloso.
A la suite de ce premier succès, les Normands virent certai-
nement s'étendre l'insurrection, et leurs rangs devaient s'être
grossis par l'arrivée de nouveaux rebelles, quand, le 4 mai, le
catépan vint leur présenter le combat à Montemaggiore, sur les
bords de l'Ofanto. L'armée grecque ne comptait que les troupes
des thèmes Opsikion et de Thrace, des Russes % et ce qui restait
d'auxiliaires italiens fidèles. Notons la présence, parmi les com-
battants, des évêques de Troia et d'Acerenza "'. Aimé raconte que
1. Aimé, II, 20-21. G. Ap., I, 260 et suiv. Malaterra, I, 9, dont les chiffres
sont exagérés. Annal. Bar., ad an., 1041. Skylitzès, dans Cédrénus, 11,546.
2. Malaterra, I, 9.
3. Malaterra, loc. cit. Ann. Bar., ad an. G. Ap., I, 280 et suiv. Aimé, II,
21. Anon. Bar., ad an., 1041.
4. Ann. Bar., ad an., 1041. Skylitzès, dans Cédrénus, II, .^46.
5. Ann. Bar.^ ad an.
I
RÉVOLTE d'aRDOLLN 99
l'empereur Michel aurait envoyé au catépan des troupes, levées
avec l'argent du trésor impérial K Etant donné le peu de temps
qui s'écoula entre les deux batailles, il est impossible d'admettre
les faiits racontés par le chroniqueur. A Montemaggiore, Dou-
keianos fut de nouveau complètement battu et s'enfuit à Bari.
Guillaume de Fouille, qui lui fait gagner Montepeloso, a certai-
nement confondu la deuxième bataille avec la première.
La situation parut alors si grave à Doukeianos, qu'il fit deman-
der des troupes en Sicile et en Calabre -. Il n'était pas d'ailleurs
réservé au catépan de finir la campagne ; en effet, tandis qu'il
était occupé à hâter le rassemblement des troupes grecques, il
apprit qu'il était disgracié. L'empereur nomma à sa place,
Bojoannès, le fils du restaurateur de la puissance byzantine en
Italie au début du xi*" siècle -K
La victoire de Montemaggiore donna à la révolte une nouvelle
extension et décida les insurgés à se donner un chef '*. Le choix
qu'ils firent d'Aténolf, frère du prince de Bénévent, montre clai-
rement que l'élément lombard a dominé dans tous ces premiers
événements. On voit par là combien l'insurrection est avant tout
nationale, les Normands ne sont encore que des auxiliaires, et
sont loin de jouer le rôle principal ; ils doivent subir le chef
qu'il plaît aux Lombards de se donner. On a fait, à ce sujet, des
phrases pompeuses sur l'esprit politique des Normands, qui
auraient eu l'abnégation de mettre à leur tête Aténolf, pour
s'assurer l'appui du prince de Bénévent •''. Il ressort, pourtant,
clairement des faits que les Normands n'ont été pour rien dans
le choix d'Aténolf, choix qui leur fut imposé, et leur rôle vrai,
1. Aimé, II, 22, p. 72 et suiv.
2. G. Ap., I, 315-318. Ann. Bar., ad an. 1041.
3. Aimé, II, 23. Annal. Bar., ad an., 1041. Skylilzès, dans Cédi'énus,
II, 546. G. Ap., I, 347 et suiv. ; Lupus Protospat., ad an., 1042. Suivant
Skylitzès, les Normands auraient reçu des renforts entre les deux batailles;
cela me parait bien douteux.
4. Aimé, II, 22. G. Ap., I, 326 et suiv. Anon. Bar., ad an., 1042. Cl. Baist,
op. cit. Forschungen, t. XXIV, p. 298, et Hirscli, op. cit. Forschungen,
t. VIII, p. 265. Ce dernier me paraît avoir raison en suivant Guillaume de
Fouille, de préférence à Aimé, qui place la nomination d'Aténolf, avant la
bataille de Cannes.
5. Delarc, op. cit., pp. HO-Hl.
100 CHAPITRE m
ressort du passage où Guillaume de Fouille ' nous montre Até-
nolf donnant de l'argent aux Normands, qui sont, à ce moment,
de simples mercenaires, noyés au milieu des Lombards.
Melfî était le centre de l'insurrection , et de nombreux
rebelles y étaient assemblés ; suivant Guillaume de Fouille, la
ville eût été dès lors partagée entre les douze chefs normands ~.
Comme toutes les autres sources sont muettes à cet égard, j'en
conclus que Guillaume a placé ici le partage qui n'eut lieu que plus
tard. Le nouveau catépan, Bojoannès, n'avait pas amené de
troupes avec lui, et n'avait sous ses ordres que les forces rassem-
blées par son prédécesseur^. Comme les batailles rangées n'avaient
pas été jusqu'ici favorables aux Grecs, le catépan forma le pro-
jet d'enfermer les rebelles dans Melfî. Ceux-ci eurent connais-
sance de son dessein et ne lui laissèrent pas le temps de le mettre
à exécution, ils sortirent de Melfi et vinrent camper en face de
l'armée grecque, au Monte Siricolo près de Montepeloso. En
capturant un convoi de bétail destiné aux Byzantins, les Nor-
mands réussirent a faire sortir l'ennemi de son camp, et lui
infligèrent une nouvelle défaite. L'armée byzantine prit la fuite,
et le catépan lui-même fut fait prisonnier (3 septembre) ^. D'après
les soui'ces normandes, les Grecs auraient été au nombre de dix
mille, tandis que les Normands n'auraient eu que sept cents
hommes. Nous retrouvons encore là le même parti pris d'exagé-
ration que nous avons déjà eu l'occasion de constater.
Après cette victoire, le catépan fut remis à Aténolf qui
retourna à Bénévent \ Le parti lombard triomphe alors dans
toute la Fouille. Les principales villes se mutinent: Bari, Mono-
poli, Matera, Giovenazzo, prennent parti pour les insurgés.
Mais au moment où l'union eût été nécessaire, de sérieuses divi-
sions s'élevèrent parmi les révoltés. Suivant Aimé, la scission
1. G. Ap., I, 327 et suiv. Cf. Skylilzès, dans Cédrénus, II, .^546.
2. G. Ap., I, 319 et suiv.
3. LeoOst.,II, 66, dit toutefoisque Bojoannèsavait amené des Warangues.
4. Ann. Bar., ad an. 1042. Lupus Protospat., ad an. Ano?i. Bar., ad an.
Aimé, II, 25, p. 77 et suiv. Malateira, 1, 10, qui exagère le rôle des fils de Tan-
crède. Skylitzès, dans Cédrénus, II, 546, qui place la bataille à Monopoli. G.
Ap., I, 355 et suiv. — Montepeloso, circond. de Matera, prov. de Potenza.
5. Aimé, II, 27.
RÉVOLTE d'aRDOUIN 101
eût été amenée par ce fait, qu'Aténolf aurait g-ardé pour lui
toute la rançon payée par le catépan. D'après d'autres sources,
Guaimar aurait vu, avec inquiétude, grandir la puissance de la
principauté de Bénévent; il serait alors intervenu et aurait décidé,
à prix d'arg-entjles Normands à se détacher d'Aténolf ^ . Les deux
récits peuvent parfaitement se concilier. Guaimar exploita sans
doute le mécontentement qu'avait fait naître la conduite
d'Aténolf, mais il ne réussit pas à se faire reconnaître comme
chef de l'insurrection. Il résulte, en effet, d'un passage de Guil-
laume de Fouille, que la division se mit entre les Normands, au
sujet de la conduite à tenir. Voici ce passage :
Sed se tantummodo cives
Aversae dederant ditioni Guaimarianae ;
Nam reliqui Galli, quos Appula terra tenebat
Arg-iroo Meli genito servire volebant,
Nam pater ipsius prior introducere Galles
His et in Italia studuit dare munera primas ^.
Il faut sans doute entendre par ces Normands de Fouille les
Normands fixés à Troia, car, à ce moment, aucun de ceux venus
d'Aversa ne possédaient en Fouille quoi que ce soit, et il ne
semble pas qu'avant cette époque d'autres aventuriers nor-
mands se soient établis en Apulie, Le poète oppose les Normands
établis à Troia depuis la révolte de Mélès '^ aux Normands venus
1. G. Ap., I, 419 et suiv. En disant qne les milices apuliennes sont avec
les Byzantins, M. Gay, op. cit., p. 4o8, me paraît faire erreur. Le texte de
Léon d'Ostie, II, 66, sur lequel il s'appuie, mentionne la présence dans les
rangs de l'armée impériale, de Calabrais, mais non d'Apuliens. Toutefois
les Annales de Bari mentionnent la présence de Lombards dans les rangs
de l'armée impériale. A ce moment, il y a certainement des Lombards
dans les deux partis, car le rôle joué par les habitants de Melfi, le refus
des villes de la côte d'obéir à Synodianos, l'élection d'Aténolf, montrent
clairement que ce sont des Lombards et non des Normands qui dirigent le
mouvement. Il faut ajouter, d'ailleurs, que les Normands étaient tout
prêts à passer aux Grecs, comme le montre cette phrase d'Aimé, II, 21 :
» Nous volons paiz, se vous nous laissiez la terre que nouz tenons, et en
ferons service a lo empeor. » Telle est la réponse faite au catépan, qui
invite les Normands à quitter la Fouille.
2. G. Ap., I, 423 et suiv.
3. Trinchera,*op. cit., p. 18.
102 CHAPITRE III
d'Aversa avec Ardouin. Les premiers ne se souciaient pas du
tout de Guaimar, et les Normands d'Ardouin durent encore
céder, carr ceux de Troia, avec l'appui des Lombards, choisirent
comme chef le fils de Mélès, Arg-yros. Nous voyons donc, encore
là, combien la troupe normande venue d Aversa a acquis peu d'in-
fluence (février 1042) ^.
Heureusement pour les rebelles, les troubles, qui se produi-
sirent, à ce moment, à Byzance, empêchèrent les Grecs de profiter
de leurs rivalités. L'impératrice Zoé, après la mort de Michel IV,
avait fait monter sur le trône Michel V Calaphat ~. Celui-ci
envoya en Italie un certain Synodianos, qui débarqua à Otrante
et chercha, dès son arrivée, à rentrer en possession des villes de
la Fouille, qui avaient abandonné le parti impérial. Il leur fit
demander de se soumettre ; elles refusèrent, et Synodianos se mit
à rassembler une armée pour les contraindre par la force ^. Mais
Michel V ayant été renversé (avril 1042), Synodianos fut rappelé,
et Zoé, que son mari avait écarté du pouvoir, reprit possession du
trône ^ ; elle nomma aussitôt Maniakès au gouvernement de
l'Italie 5.
A ce moment, la situation des Byzantins était déjà très com-
promise. Skylitzès énumère comme leur étant restées fidèles les
villes de Brindisi, Otrante, Tarente, Trani et Oria ''. Sauf Trani, à
qui sa situation au bord de la mer permettait de résister, quoique
isolée, on voit que les Byzantins avaient perdu tout le pays au
nord d'une ligne allant de Tarente à Brindisi en passant par Oria.
Maniakès arriva à Tarente au mois d'avril 1042 ". Dès son arrivée,
il rassembla toutes les troupes qu'il put trouver, et vint camper
sur les bords de la Tara qui se jette dans le golfe de Tarente.
{, Aimé, II, 27. Ann. Bar., ad an. 1042.
2. Cf. Schlumberger, L'épopée byzantine au A'« siècle. Les Porphyrogé-
nètes Zoé et Theodora, p. 323 et suiv.
3. G. Ap., I, 407 et suiv.
4. Cf. Schlumberg-er, op. cit., p. 38.^ et suiv.
5. Skylitzès, dans Cédrénus, II, 522, 541, 545 et 720. .1/jo«. Bar., ad an.
1042. G. Ap., I, 447 et 466.
6. Skylitzès, dans Cédrénus, II, 547.
7. Ann. Bar., ad an. 1042. Aimé, II, 27. Lupus Protospat., ad an. 1042.
G. Ap. I, 447 et suiv. Ce dernier fait arriver Maniakès, à Oti-ante.
MANIAKÈS EN ITALIE 103
Suivant les Annales Barenses, il se serait même avfmcé plus au
nord, jusques vers Mottola'. Argyros, qui avait fait appel aux
Normands d' A versa et à ceux de Melfî, vint offrir le combat à
Maniakès qui le refusa et alla s'enfermer dans Tarente. Les Nor-
mands se bornèrent à piller le territoire d'Oria et se retirèrent ~.
En juin -^ Maniakès prit l'offensive et chercha à obtenir la
pacification par la terreur. Successivement, Monopoli et Matera
eurent à souffrir de la terrible répression qu'il exerça. Près de
Matera, il y aurait eu, suivant le Chronicon brève normannicum ^,
une bataille indécise entre les rebelles et Maniakès. Les autres
sources sont muettes à cet égard. Les exécutions qui marquaient
partout le passage du général grec produisirent leur effet, et Gio-
venazzo se donna aux Byzantins. Argyrosvint assiéger la ville et
la prit d'assaut (3 juillet 1042). Il se vengea sur les habitants des
cruautés commises par Maniakès, puis alla attaquer Trani, la
seule place demeurée alors aux Byzantins dans la Fouille ''. Le
siège, commencé à la fin de juillet, dura plus d'un mois ; la
ville était très bien fortifiée, et les assiégeants durent construire
des machines de siège, entre autre un chat gigantesque ". Trani
était sur le point de se rendre, quand un événement imprévu vint
modifier la situation, Maniakès fut brusquement disgracié '.
Dès longtemps, le général grec avait pour ennemi Romain
Skléros ; celui-ci acquit, à la cour de Byzance, une grande influence
par sa sœur, qui était la maîtresse de l'empereur Constantin
Monomaque ; il profita de son crédit pour faire révoquer Mania-
kès. Skylitzès raconte, en outre, qu'il viola la femme du catépan.
Au mois de septembre 1042 '*. arrivèrent à Otrante le successeur
1. Mottola, circond. de Tarente, prov. de Lecce.
2. Ann. Bar., ad an. 1042.
3. Ibkl. Pour la date, cf. la correction de Delarc, op. cil., p. 122, note.
4. Muratori, R.I.SS., t. V, p. 278.
5. Ann. Bar., ad an. 1042. G. Ap., I, 489.
6. Ann. Bar., ad an. 1042. Lupus Protospat., ad an. 1042.
7. Skylitzès, dans (X'drénus, II, 547-548.
8. Lupus Protospat., ad an. 1043. Anon. Bar., ad an. 1043 (commence
Tannée en septeml)re). Psellos, op. cit., dans Sathas, Bih. grœca niedii aevi,
t. V, pp. 137 et 143. Le texte de Lupus porte que les envoyés vinrent « cum
Chrysohoulo ». Delarc, op. cil., p. 124, entait un personnage; ne faut-il pas
entendre que les envoyés étaient porteurs d'un chrysobulle ?
104 CHAPITRE m
de Maniakès, Pardos, le protospatarios Tubachi et Farchevêque de
Bari, Nicolas. Il me paraît probable qu'avant de venir à Otrante,
les envoyés du basileus étaient allés dans un autre port de la côte,
d'où ils eng-agèrent des négociations avec Arg-yros, qu'ils avaient
mission de gagner à la cause grecque'. Dès leur arrivée à
Otrante, Maniakès s'empara de Pardos et de Tubachi, et les fît
exécuter. Mais il était trop tard, et Argyros avait déjà embrassé
le parti grec. Il fît incendier les machines de guerre, leva le
siège de Trani et gagna Bari, où il proclama l'empereur-.
Pendant ce temps, Maniakès, qui ivait déjà éprouvé la rigueur
des prisons de Constantinople, après l'expédition de Sicile, refu-
sait d'obéir à l'empereur et se faisait proclamer basileus. Suivant
Guillaume de Pouille, il essaya de gagner Argyros, et de prendre
à sa solde les Normands-^. Il échoua complètement auprès du fils
de Mélès et ne réussit, semble-t-il, que partiellement auprès des
Normands, dont un petit nombre seulement s'associa à sa for-
tune''. Peu après, Maniakès quittait l'Italie; il devait périr
quelques mois plus tard, en Bulgarie, dans une bataille livrée aux
troupes impériales.
Par suite de la défection d'Argyros, le parti des rebelles se
trouva désorganisé. C'est seulement alors que les Normands com-
mencèrent à jouer un rôle prépondérant, en profitant de la
situation nouvelle pour nommer un comte qui fut Guillaume
Bras de Fer (septembre I0i2)'. Il est probable qu'une partie
des rebelles dut se soumettre avec Argyros, tandis que les
autres demeuraient dans l'alliance normande ; toutefois les forces
des insurgés devaient être très affaiblies par suite des défections
qui s'étaient produites. Pour continuer la lutte les révoltés durent
chercher un appui au dehors ; ils s'adressèrent à Guaimar de
1. G. Ap., I, 484 et suiv. Cette hypothèse serait conBrmée par la présence
de rarchevêque de Bari.
2. Anon. Bar., ad an. 1043. Lupus Protospat., ad an. 1043. Ann. liar.,
ad an. 1043. G. Ap., I, 487 et suiv.
3. G. Ap., I, r,00 et suiv.
4. On trouve plus tard, en Grèce, des latins, anciens soldats de Mania-
kès, qui doivent avoir été des Normands. Alexiade, t. I, pp. 27 et 370.
b. Lupus Protospat., ad an. 1042. Aimé, 11, 28. (^hr. br. norm., ad an. 1045.
Cf. Hirscli, De Italie inferioris annalibiis, etc., p. 39.
GUAIMAR V ET LES NORMANDS 105
Salerne. On a vu plus haut que celui-ci avait déjà cherché à diri-
ger la révolte, et n'avait pu y réussir. Les circonstances ame-
nèrent les insurgés à offrir d'eux-mêmes à Guaimar ce que celui-ci
n'avait pu obtenir quelque temps auparavant. Le prince de
Salerne s'était compromis dans la révolte ; il comprit que s'il
refusait l'assistance qui lui était demandée, il aurait à subir la
vengeance des Grecs, une fois que ceux-ci auraient rétabli l'ordre
en Fouille; il accepta donc de soutenir l'insurrection'.
La scission qui s'était produite dans le parti lombard, à la suite
de la trahison d'Argyros, permit aux Normands de prendre une
part plus active à la direction de la campagne. Ce fut Guillaume
Bras de fer qui demanda à Guaimar d'intervenir, et il semble
bien que ce soit avec lui que le prince de Salerne ait traité. A
partir de janvier 1043-, nous voyons le prince de Salerne prendre
dans ses actes le titre de duc de Fouille et de Calabre ; c'est
donc dans le courant de janvier qu'il fut reconnu comme svizerain
des terres occupés par les Byzantins''. Il semble qu'une partie
des Normands ait voulu choisir comme suzerain Rainolf d'Aversa ;
Guaimar, craignant que la puissance de Rainolf ne lui fit échec,
s'y opposa et investit de ses nouvelles possessions, Guillaume
Bras de fer, auquel il fit épouser sa nièce, la fille du duc de Sor-
rente''. Les négociations commencées à Salerne s'achevèrent à
Melfi. Ce fut dans cette ville que Guaimar partagea entre les
Normands les terres « acquestées et à acquester » •'.
Le pays fut réparti de la façon suivante entre les principaux
chefs normands : Guillaume eut Ascoli; Dreux, Venosa; Arnolin,
Lavello; Hugues, Monopoli; Rodolphe, Canne; Gautier, fils
d'Ami, Civita ; Fierron, son frère, Trani ; Rodolphe, fils de
Bebena, Sant'Arcangelo ; Tristan, Montepeloso ; Hervé, Fri-
gento ; Asclettin, Acerenza ; Rainfroi, Minervino ''. Aimé et Léon
\. Aimé, loc. cit.
2. Cod. dipl. fJavens., t. VI, p. 225.
3. Ihid., p. 224 ; dans un acte de janvier, Guaimar n'a pas le titre de
duc de Pouille.
4. Aimé, II, 28, p. 82 et suiv.
T). Aimé, II, 30. Anon. Bar., ad. an. 1043.
6. Aimé, II, 30. Voici l'identification de celles de ces localités, dont nous
n'avons pas encore rencontré le nom : SantAreangelo Trimonti, circond.
106 CHAPITRE III
d'Ostie, qui le copie', mentionnent qu'Ardouin re^ut la moitié de
toutes choses, sans que nous sachions ce qu'il faut entendre parla.
Rainolf d'Aversa reçut Siponto et une partie du Garg"ano~.
Melfi resta indivise entre tous les chefs normands -^ Notons
qu'Onfroi, frère de Guillaume Bras de fer, ne figure pas encore
parmi les chefs normands. Il est plus que probable qu'il n'était
pas encore arrivé à cette date. Il dut venir en Italie, seulement
dans la période qui s'étend de 1043 à 1045, car un peu avant la
venue de l'empereur (1047), il est déjà installé*.
Il faut retenir que, comme le dit Aimé, ce partage comprit non
seulement les terres acquises, mais encore les terres à conquérir.
Guaimar donna l'investiture des villes encore aux mains des
Byzantins, comme plus tard, nous verrons le pape investir Robert
Guiscard de la Sicile, alors occupée par les Musulmans. La dona-
tion faite à Ardouin ne s'explique pas, car nous ne trouvons plus
trace de ce personnage dans les années qui suivent. Delarc a peut-
être raison quand il explique qu' « Aimé a parlé de la donation
faite à Melfi en faveur d'Ardouin, sans savoir si le fait était exact
et uniquement pour prouver que les Normands étaient restés
fidèles h la promesse faite à Aversa » •'.
De Melfi, les Normands, sous la conduite de Guaimar et de
Rainolf, allèrent mettre le siège devant Bari ; mais leur tentative
échoua, et ils furent obligés de se retirer au bout de quelques
d'Ariano, prov. d'Avellino. Frigento, circond. de SanfAngelo de" Lombardi,
prov. d'Avellino. Minervino Muig'e, circond. de Barletta, i)rov. de Bari.
1. Léo Ost., II, 66.
2. On a discuté sur les possessions que Rainolf aurait eues à Siponto. A
mon avis, ce fait est confirmé par Richard, successeur de Rainolf, qui
donne au Mont-Cassin certains biens dans la rég'ion de Siponto; Gattola,
Accès., t. I, p. 161. Di Meo,op. r/i., t. VIII, ad. an. 10.o9, et de Blasiis, op. cit.,
1. 1, p. 177, note 2, croient cette donation de Richard fausse. Delarc, op. cit.,
p. 331, la croit vraie. L'objection principale était tirée de la date. L'acte est
du 23 août 10.59. On en contestait l'authenticité, parce que dans l'acte il
est dit que Richard assiste au concile de Melfi, et que Ton croyait que
celui-ci avait eu lieu en juillet 10ri9. Or, le concile est du 23 août, cf.
Pflugk-Harttung, lier italicum, p. 190. L'objection tombe donc d'elle-même ;
les autres critiques sont sans importance.
3. Aimé, II, 30. G. Ap., I, 321.
4. Aimé, II, 43. Cf. Heskel, loc. citr.
0. Op. cit., pp. 131-132.
GLAIMAR V ET LES NORMANDS 107
jours'. Nous sommes très mal renseignés sur les événements
dont la Fouille fut le théâtre pendant les années qui suivirent.
Lupus Protospatharius- mentionne, à l'année lOii, une attaque
de Guillaume Bras de fer et de Guaimar, contre les possessions
byzantines de Galabre, attaque dont le résultat fut la construction
du château de Stridula, dont la situation exacte nous est incon-
nue. En 1045, le Brève chronicon norniannicuni rapporte une
victoire d'Argyros sur les Normands; le combat aurait eu lieu
dans les environs de Tarente. La même année Dreux s'empara
de Bovino '. De tout ce que nous savons, il résulte qu'il y a eu,
alors, une poussée des Normands vers le sud ; c'est, sans doute,
à ce moment, que Lecce, qui, en 1047, sera reprise par les
Grecs, a dû être occupée. En 1046, au début de l'année, Lupus
enregistre le départ d'Argyros pour Gonstantinople, et l'arrivée
du catépan Eustathios Palatinos*. Pendant toute cette période,
nous sommes mieux renseignés sur l'histoire des Normands
d' A versa.
Pour punir Guaimar de l'appui prêté aux Normands le basileus
Michel V, dès son arrivée au pouvoir, remit en liberté Pandolf III ■',
autour duquel se groupèrent bientôt tous ses anciens partisans,
et parmi eux les comtes d'Aquino et de Sexto ^'. Dès le retour
1. Anon. Bar., ad an. 1043.
2. Lupus Protospat.ad.an. La présence de Guaimar aux côtés de Guillaume
Bras de fer, est très probable, car ses Etats s'étendent fort loin de ce côté.
En 1047, le pape Glément II nomme parmi les suffrag-ants de Salerne les
évêques de Conza, Malvito, Pesto, Acerenza, Bisig'nano, Cosenza. Il est
probable que certaines de ces villes sont au pouvoir des Byzantins, mais
il est clair que le prince de Salerne a des prétentions sur cette région. Cf.
Paesano, Mem. délia chiesa Salern,, t. I, p. 107.
3. Rom. Sal. ad an. 104:;. M.G.H.SS. t. XIX, p. 404. Muratori, R.I.SS., t. V,
p. 278.
4. Loc. cit. Cf. Lupus Protospat. ad. an. 1046 et Cod dipl. Bar., t. IV, p.
67.
5. Aimé. 11,12. LeoOst.,ad an. 1041. M.G.H.SS., t. III, p. 180. Hirsch,o/>.
cit., p. 259, prétend que Pandolf revint avant la mort de Michel IV (décembre
1041), mais les Annales de Bénévent font débuter l'année en mars. Cf. Wein-
reich, De condilione Ilaliae inferioris Gregorio VU ponti/ice (Koenigsherg,
1864), p. 80. Donc, suivant le mode de compter des Annales Beneventani,
Pandolf a pu arriver encore de janvier 1042 au l*"" mars. Cf. Delarc, op.
cit., p. 139, note 1.
ô. Léo Ost., II, 68 et suiv. Aimé, II, 40, et suiv.
108 CHAPITRE III
de Pandolf, toute la région de Capoue et du Mont-Cassin fut
mise à feu et à sang. La chronique de Léon dOstie est remplie
par le récit, sans intérêt, de ces guerres continuelles entre parti-
sans de Guaimar, de Pandolf et du Mont-Cassin. Il suffît d'indi-
quer qu'un certain nombre des Normands qui étaient alors au ser-
vice de l'abbaye se montrèrent des vassaux si peu commodes,
que labbé Richer dut, une fois, quitter son couvent, pour aller
chercher du secours auprès d'Henri 111. Il semble que Guaimar
ait conseillé à l'abbé d'aller trouver le fils de Conrad, ce
qui tendrait à prouver que le prince de Salerne, lui-même,
n'obtenait qu'une obéissance très relative de la part de ses vassaux.
Le pape Victor III, qui, comme abbé du Mont-Cassin, avait eu
de nombreux démêlés avec les Normands, rapporte dans un de
ses dialogues, divers actes de pillage commis par ses anciens
adversaires et dit à leur sujet : « sunt ad rapinain avicii, ad
invadenda aliéna hona inexplehiliter an.rii '. » De tout ce que nous
apprennent les sources, il ressort, en elfet, que les Normands se
conduisent en véritables brigands. Rappelons qu'en 1043 ", un
prêtre, Francon, s'excuse de ne pouvoir payer la redevance
qu'il doit au monastère de Saint-Serge et Saint-Bacchus de Naples,
et promet de s'acquitter a ubi domino placiierif et illi nialedicti
lormannis (sic) exieris de lihurie ». Le territoire du Mont-
Cassin n'était pas respecté davantage, et Guaimar, qui ne voulait
pas permettre à l'abbé de détruire les Normands, réussissait à
grand'peine à maintenir la paix •'. 11 est vrai que dans ces
luttes incessantes, tous les torts n'étaient peut-être pas du côté
des Normands. Léon d'Ostie raconte l'histoire du guet-apens où
tomba un Normand du nom de Rodolphe % venu, avec quelques
compagnons, au Mont-Cassin. Les moines, qui avaient à se
plaindre de Rodolphe et des siens, profitèrent du moment où ils
étaient à l'église pour tomber sur eux, et les massacrer pour la
plupart. Cette exécution sommaire permit aux moines, aidés par
les comtes des Marses et les comtes de Sangro, d'expulser les
1. AA.SS.O.S.B. sec. JV. P. 2, p. 433.
2. Rerjii neapolitani archiv. mon., t. IV, n° 380, p. 299.
3. Léo Ost., II, 71. Aimé, II, 41.
4. Léo Ost., II, 71 et 73.
GUAIMAK V ET LES NOIOIANDS
109
bandes normandes de tous les territoires du Mont-Cassin, A la
suite de ce succès, l'abbé fit construire un grand nombre d'en-
ceintes fortifiées, derrière lesquelles purent s'abriter les paysans
de l'abbaye (mai lOio). Guaimar dut intervenir personnellement
pour empêcher les gens d'Aversa de venger leur compatriote, et
ce n'est qu'avec peine qu'il y réussit.
' Les Normands d'Aversa étaient alors aux prises avec le prince
de Salerne pour les raisons suivantes. Au mois de juin de l'année
1045 ', le comte Rainolf étant mort, les Normands, avec le con-
sentement de Guaimar, élurent à sa place Asclettin, neveu de
Rainolf-, qui fut investi par Guaimar, mais mourut au bout de
peu de temps. Asclettin n'avait pas recueilli en entier l'héritage
de son oncle, car les gens de Gaëte se donnèrent, à la mort de
Rainolf, au comte d'Aquino, Adénolf, qui fut battu et fait pri-
sonnier par le prince de Salerne 3. Pandolf III ayant, sur ces
entrefaites, recommencé à attaquer le Mont-Cassin, Adénolf et
Guaimar s'allièrent contre lui et le premier, remis alors en liberté,
conserva Gaëte. A la mort d' Asclettin, Guaimar prétendit disposer
du comté et en investit Raoul, fils d'Eudes ^ Cette intervention
du prince de Salerne fut mal vue des Normands, et tout un parti,
ayant à sa tête un neveu de Rainolf P'', Rainolf Trincanocte,
et Hugues Falluca refusa d'obéir à Guaimar"'. Celui-ci réussit
à s'emparer des deux chefs, et les fit enfermer à Salerne. Les
deux captifs réussirent à gagner leur geôlier et à s'enfuir auprès
de Pandolf III, qui naturellement s'empressa de les appuyer.
Aidé par celui-ci, Rainolf II gagna Aversa et à force d'argent se
fit reconnaître à la place de Raoul, qui dut prendre la fuite.
Cette révolution eut lieu vers la fin de lOi.j, ou au début de
1. En juillet 1050, on compte la sixième année d' Adénolf, duc de Gaëte.
Cod. dlpl. Caiet., t. I, p. 190. Celui-ci a donccommencé, au plus tard, à régner
enjuillet 1043. Or, après Rainolf, et avant Adénolf, ilya eu Asclettin. Comme
Rainolf es» mort en juin, NecroL sancti Benedkti Capuanuni dans Peregri-
ni, Ilistor. princip. Langoh., éd. Pratilli, V, 70, on doit placer sa mort
en 1045, car il n'y aurait pas assez de temps entre juin et juillet 1046 pour
les événements connus. Cf. Aimé, II, 31, p. 87.
2. Aimé, II, 31, p. 87.
3. Léo Ost., II, 74.
4. Aimé, II, 32; Léo Ost., II, 66.
5. Aimé, II, 33, qui appelle Hugues, Fallacia. Cf. Léo Ost., II, 41 et 66.
no CHAPITRL m
l'année 1046. A cette date, en effet, mourut Guillaume Bras de
fer, or les événements d'A versa sont postérieurs à la mort de
celui-ci '.
La disparition de Guillaume fit éclater entre les Normands des
conflits dont Guillaume de Fouille nous a conservé le souvenir*.
Pierron, seigneur de Trani, et Dreux furent tous les deux candi-
dats à la succession de Guillaume Bras de fer. Appuyé par Guaimar,
ce fut Dreux qui l'emporta. Le nouveau comte prit peu après le
titre de dux et magister Italix comesque Xormannoriim totius
Apuliœ ef Calabriœ '. A ce moment, le prince de Salerne
chercha à s'attacher Dreux en lui faisant épouser sa fille, car
il tenait à s'assurer l'appui des Normands de la Fouille pour
lutter contre Fandolf III, dont l'alliance avec les Normands
d'Aversa l'inquiétait^. Son but fut atteint, et Dreux vint l'aider,
au moment où Rainolf II song^eait à attaquer Salerne. Sur ces
entrefaites, Fandolf III se trouva à court d'argent ; ne pouvant
payer ses troupes, il lui fut impossible de fournir une assistance
effective à Rainolf II, qui se voyant abandonné par lui, demanda
à Dreux de le réconcilier avec Guaimar. Le nouveau comte de
Fouille y réussit, et Rainolf II fut investi par le prince de Salerne,
{. Guillaume Bras de fer dut mourir vers la fin de 1045, ou au début de
1046. Cf. Heinemann, op. cit., t. I, p. 361. Cela résulte d".\imé, II, 34 et 33.
2. G. Ap, II, 2' et suiv.
3. Il est probable que Dreux n"a |)ris ce titre(ju"aprèsla venue d'Henri III.
Cf. p. 113. On a de Dreux un acte de 1053, où il prend le titre de « dux et
magister Italiae comesque Xormannorum totius Apuliae atque Calahriae »,
Ug-helli, t. VII, p 168. Les indications chronolog-iques sont exactes. L'ab-
sence de diplômes émanés de Dreux, ne permet pas de faire la critique de
cet acte, au point vue diplomatique. Je crois pourtant que l'acte est
authentique, car il est mentionné dans une bulle de Nicolas II (2"i août
1059, Melfij. Cf. Pflugk-IIarttung,.lc/ai«e(/j7a,t.II, p. 86. il est peu probable
que l'on ait présenté au pape un acte faux, où était mentionnée l'inter-
vention de Robert Guiscard, alors que Guiscard était à Melfi avec le
pape. Cela me parait rendre probable l'authenticité du diplôme. Si on l'ad-
met, on voit que les Normands ont pris le titre qu'avait alors Argyros,
le gouverneur byzantin de la Fouille, qui s'intitulait u.âv'-i'P^^; >-^'- ^o'J? I^a-
Àîa;. Trinchera, op. cit., 54. Rappelons qu'Henri II avait accordé à Mêlés
ce titre de flux Apulipp. Le titre de duc aurait donc été pris par les Normands
antérieurement au concile de Melfi. Cette opinion me parait confirmée par
le fait que Guaimar, dans ses actes, parlait du duché de Fouille. Cf. p. lOo,
4. Aimé, II, 34.
GUAIMAR V ET LES NORMANDS IH
du comté d'Aversa'. Ainsi se terminèrent ces premiers démêlés
entre le prince de Salerne et les bandes normandes.
Il semble que, pendant Tannée 1046, Dreux se soit étendu vers
la Fouille ; nous savons, en effet qu'en mai, il infligea une
défaite au catépan Eustathios, près de Tarente'-. En 1046 égale-
ment, Onfroi, un des fils de Tancrède de Hauteville, arrivé
depuis peu en Italie, obligea les gens de Bari à conclure un traité
avec lui. Peut-être, doit-on placer également vers cette date, la
création par le comte Pierron de toute une série de forteresses
dans les environs de Trani. D'après Guillaume de Pouille, c'est
alors, en effet, qu'auraient été créées les places d'Andria, de
Bisceglie, de Barletta et de Gorato^.
La fin de l'année 1046 marque l'apogée de la puissance de
Guaimar, dont l'autorité est reconnue par les comtes des Marses
et les comtes de Sangro\ et, dont l'alliance est recherchée par
Boniface, marquis de Toscane. Guaimar pouvait croire également
qu'il était en droit de compter sur l'appui d'Henri III, auquel il
envoyait des présents deux fois par an ; mais sa puissance porta
ombrage au fils de Conrad et la venue d'Henri III, en Italie,
modifia singulièrement la situation du prince de Salerne.
1. Aimé, II, 35, 36 et 38.
2. Lupus Protospat. ad an. Chr. brève nor., ad an.
3. Aimé, II, 34, p. 91.
4. G. Ap. II, 20. 22.
CHAPITRE IV
l'empereur HENRI III EN ITALIE. — ARRIVÉE DE RICHARD d'avERSA
ET DE ROBERT GUISCARD. LES NORMANDS ET LÉON IX.
M047-10oi).
Depuis Benoît VIII, la papauté était en quelque sorte devenue
héréditaire dans la famille des comtes de Tusculum, qui surent
toujours se maintenir en bons termes avec les empereurs alle-
mands'. Benoit IX, qui monta sur le trône pontifical, à l'âge de
douze ans, compromit cette situation par ses désordres. Sous son
règne, on vit (( refleurir au Latran le régime de cocagne auquel son
parent, Jean XII, avait présidé quatre-vingts ans auparavant ^ ».
Benoît IX resta pourtant douze ans sur le trône pontifical; ce
ne fut qu'à la fin de 1044 que les Romains, las de son pontificat, le
chassèrent et élurent à sa place Jean, évêque de Sabine, qui prit
le nom de Silvestre IIP. Ramené au pouvoir par son parti,
Benoît IX abdiqua, au bout de quelque temps, en faveur de Jean
Gratien, archiprêtre de Saint- Jean-Porte-Latinê, qui prit le
nom de Grégoire VI ^. L'anarchie, qui régna à Rome, à la suite
de ces élections, fut telle, qu'une partie du clergé romain
demanda l'intervention d'Henri III, qui, en 1039, avait succédé
à son père Conrad II "*. Le roi des Romains avait déjà été solli-
cité par les moines du Mont-Cassin de venir rétablir l'ordre
dans l'Italie du Sud. En 1046, Henri III, débarrassé des
1. Cf. Mgr Duchesne, Les premiers temps de Vélat pontifical, p. 369 et
suiv.
2. Op. cit., p. .376.
3. Lih. Pontif., t. II, p. 270, el Annal. liom., ibid.,\). 331.
4. Ibid.
5. Bonizo, Liber ad amicum, dans M. G. H. 111-4", Libelli de lite impera-
torum et pontificum, t. I, p. 584.
PRINCES DE CAPOUE
Uonni,i<Hr:
N. '•
Raixolf II " TniN-
CANOCTE,4" com-
te cIAversa;
+ V. 10 i7.
Hubert.
Hermann', 5"C(im-
te d' Avers A.
avec 1" Grii.-
LAUME lÎEI.I.E-
HOICIIE lOlSl.
2" UlCHARIi 1°'
V. 10 10 .
TABLEAU GRNKALOGK.H'K l>KS COM'IKS D'AVKnSA l'/I' HKS IMtINr.ES lH- CAl>(>UE
IV. lOlîO . duc de
IloBERT '"', iiipn- N. i:p,le fils ", (lu N. iSp. '
lionne cniume duc nE GAiirE. -MU
comUdeCAiA/- ni'.rii.
2- RirHAiti. 1"
II '\ Uoi.uhtI"
i-il prince de Ca-
filk'deRor.EH [■'
>ue. Pi-incede
iil-clrc ce Robeil est-ilsi
• JiiniiÈgcs. Hist, Norm .Vil, 30. Adliùniai- de Clinhaimc. llislorhe, III. 55. llaoul Glaber, III, 1. Peut-être N. esl-il A idcnlifici
c 'A' comte d'Avei'Ba fut Raoul, chassé pnf RaîaoU', Ainu', II. tJ.
. Osiuond ou Rodolphe.
:■((.. p. m. .^e(^.W. dis., dans l!
II. il.Hidmr.l aurait ùpoiisiiiine sœur tic Rainolf Tmicau<.ctc : nilkiiis. VII. '.
uit l'Wdc^seiidc iMiiloterra,!. Ij. comme la Icnimc de Rjchai-d,
lu, Ace, n, «.i3 Ml- VIII des ides davi-ili. V.a scplrmlti-.' 107:
. Diac. IV. 10, Nvcn>l. Cas., d,ii
i Meri, oy», ciL, IX.
ùnolf. il Tout, sans doute, identifier Richard. Mrc de Rainoir, £
l'eMI'EKEI'H HENUI 111 KiN H'AI.IE H3
i^uerres, qu'il avait eu à soutenir contre Samuel Aba, roi de
Hongrie, et Godefroi le Barbu, duc de Lorraine, se décida à
descendre en Italie ^ Dans deux synodes, tenus l'un à Sutri, le
20 décembre, l'autre, à Rome, le 23 et le 24 du même mois, Henri
déposa les trois papes et désif^na pour leur succéder Suidg-er^
évêque de Bamberg, qui prit le nom de Clément H. Celui-ci
sacra le 25 décembre Henri III et sa femme Agnès'.
Dans le courant du mois de janvier de l'année 10i7, l'empereur
se rendit dans le sud de l'Italie, en compagnie du pape '. Il s'arrêta
au Mont-Cassin et fit, durant son séjour, de riches présents à l'ab-
baye^. Le 3 février, il était à Capoue •', où Guaimar, accompagné
de Rainolf II et de Dreux vint le trouver ; Pandolf III se rendit
également auprès de lui ^. L'empereur trouva que la puissance de
Guaimar était devenue trop grande il lui enleva donc Capoue, et
rendit à Pandolf III, son ancienne principauté; en échange, il reçut
une grosse somme d'argent. Henri III confirma également les
conquêtes faites par les Normands en conférant l'investiture de
leurs états à Dreux et à Rainolf '.
On a voulu qu'à partir de cette date, Rainolf et Dreux aient cessé
d'être les vassaux deGuaimar s. Cette opinion ne me paraîtpasjuste,
car, dès le départ de l'empereur, nous voyons Dreux acquiescer à
une demande de Guaimar « comme loïal comte », dit Aimé '•', et
le prince de Salerne agit, peu après, en véritable suzerain dans
l'affaire de la succession d'Aversa**^.
Le rôle d'Henri III peut s'expliquer autrement; vis-à-vis de
l'empire, les Normands étaient investis dune façon irrégulière.
1. Ilerimannus Aug'.,C7ir., M.G.H.SS., t. V, p. 126. ad an. 1040. Annnl.
Allah,, ad an. 1046. Cf. sur la descente de l'empereur, SteindorfT, Jnhrb. d. cl.
Reichs unier Ileinrich III, t. I, p. 308 et suiv.
2. Cf. SteindoriT, op. cit., t. I, p. 314 et suiv.
3. Stumpf, op. cit., 2320-2322.
4. LeoOst., II, 78.
5. Gattola, Accès., t. I, p. 148.
6. Léo Ost, II, 78. Aimé, III, 2-4. .lu;!. Cas., M.G.H.SS., t. XIX, p. 306.
7. Aimé, III, 2. Ilerimannus Aug., Chr., ad an. 1047.
8. De Blasiis, op. cit., t. I, p. 797. Cf. Hirsch, op. cit., p. 277. Delarc,
op. cit., p. 166. Heinemann, op. cit., t. I, p. 108.
9. Aimé, III, 12, 113 et suiv.
10. Cf. infra p. 117.
Histoire de la doiniiiulion norinnnde. — (^.hai.amion. S
Il 4- ciiAi'iiHl-: IV
car, Guaimar leur avait donné des terres, sur lesquelles il n'avait
aucun droit. Henri III dut se borner à lég-itimer le fait accompli, les
Normands devinrent ainsi les arrières-vassaux de l'empire. Il reste
à expliquer comment à partir de ce moment, le prince de Salerne
a cessé de prendre le titre de t^ dux Apuliœ ^ ». Il me semble que
l'on peut donner de ce lait l'explication suivante. Aucun Normand
n'avait été jusque-là été investi du duché de Pouille, mais
tous avaient reçu des investitures partielles. Dreux était comte
de Lavello, comme Pierron était comte de Trani. Guillaume Bras
de fer et Dreux ne paraissent pas avoir été, jusqu'alors, les
seig-neurs des autres comtes normands, et leur rôle paraît s'être
réduit à prendre en cas de guerre le commandement des bandes
que formaient leurs compatriotes. Par le fait de l'investiture
impériale, Dreux acquit une importance nouvelle ; nous avons vu
qu'il prit probablement alors le titre de « dux et magister
Italise ». Dreux ayant reçu la Pouille en fief, on comprend que
Guaimar ait cessé de prendre le titre de « dux Apulise », mais ce
changement a très bien pu se faire sans que l'empereur ait rompu
les liens de vassalité qui rattachaient Dreux au prince de Salerne.
Le résultat le plus clair du voyage d'Henri III fut la recon-
stitution de la principauté de Gapoue. L'empereur, afin d'équilibrer
la puissance des petits États italiens, chercha certainement à
opposer à Guaimar et à ses Normands, Pandolf III.
De Gapoue. Henri III, toujours en compagnie du pape -, se
rendit à Salerne, où il était le 18 février; de là, il gagna Bénévent.
La ville refusa de le recevoir. Hermann de Reichenau raconte
que les habitants qui avaient mal accueilli, quelque temps aupa-
ravant, la belle-mère de l'empereur, craignirent la veng'eance
d'Henri III. Celui-ci se borna à concéder aux Normands Béné-
1. Guaimar n'a plus le litre de (lux Apuliœ el Calahriœ, après janvier 1047;
Cod. Car., t. VII, pp. 26, 28 et suiv. De Blasiis, o/j. ct7., 1, 197, dit à tort depuis
décembre 1046. L'acte publié dans le Cod. Cav., loc. cit., sous le
n" MLXXXVIII, a encore la mention du duché de Guaimar, mais l'indiction
indique qu'il faut le dater de 1045. Je ne saurais expliquer que par une
erreur du rédacteur la mention du duchi'> qui se trouve dans l'acte n" MCXX,
op. cit.
2. Ann. Benec, M.G.H.SS., t. III, p. 179. Lup. Protospat. ad an. 1046.
Herimannus Aug-. Chr., M.G.H.SS., t. V, p. 126. Léo Ost., II, 78.
LES UÉliLTS DI-; ItICHAKJJ d'aVEKSA Ho
vent et son territoire, et regagna l'Allemagne. L'aide prêtée par
les Normands à Guaimar, dans sa campagne contre Capoue,
montre bien que leurs rapports avec le prince de Salerne conti-
nuèrent à être très bons, après la venue de l'empereur ' ; de
même, l'assistance, prêtée à Guaimar par Dreux, lors de la révolte
de Guillaume Barbote, vers 1050 -.
Il semble, qu'à ce moment, les Normands se soient étendus, sur-
tout vers le sud. La chronique de Lupus mentionne pour la fin de
l'année 10i7 deux victoires des Grecs, dont lune à Lecce ^. Nous
ne connaissons pas, par ailleurs, les campagnes, qui eurent lieu
alors , mais nous pouvons connaître la manière dont les Nor-
mands progressèrent, par l'histoire de deux jeunes chevaliers qui
arrivèrent, en Italie, vers cette date, et sur lesquels les chroniques
nous fournissent de nombreux renseisrnements.
Les succès remportés par les Normands, en Italie, avaient amené
une émigration nombreuse de leurs compatriotes -\ Nous avons vu
que Rainolf d'Aversa avait tenu à faire venir des Normands, pour
les prendre à son service, et Malaterra nous apprend, que tous
ceux, qui arrivaient de Normandie, étaient, bien reçus et trou-
vaient facilement à prendre du service. Un peu avant la venue de
l'empereur Henri III, arrivèrent deux chevaliers, qui devaient, au
bout de peu de temps jouer les deux rôles principaux, dans les
événements de l'Italie du Sud. L'un devait être Richard L'" de
Capoue, l'autre Robert Guiscard.
Le premier était le fils d'Asclettin, à qui la ville d'Acerenza
avait été attribuée, lors du partage de la Fouille, et le frère d'As-
clettin, qui avait été investi d'Aversa, après la mort de Rainolf L'-'.
Richard arrivait avec une suite nombreuse : il avait avec lui qua-
rante chevaliers. Il se rendit, d'abord, à Aversa, où il trouva,
auprès de Rainolf II Trincanocte, un très mauvais accueil. Ce der-
nier, au dire d'Aimé, craignait que les partisans d'Asclettin ne
i. Aimé, III, 3, lo:;.
2. Aimé, II, 39, 95. La date résulte de YAnnn. Bar., ad an. 10.^1 et d'un
acte de 1050, où Guillaume est mentionné, di Meo, op. cil., t. VII, p. 311.
3. Lup. Protospat., ad. an. 1047.
4. Malaterra, I, 11.
5. Aimé, II, 43 et 44.
116
chapitrp: IV
s'unissent au jeune comte et ne missent celui-ci à sa place.
Richard, voyant qu'il n'avait rien à gagner, auprès de Rainolf ÏI,
quitta A versa et se rendit auprès d'Onfroi , seigneur de Lavello,
qui le traita avec honneur '. Mais, à ce moment, Onfroi était un
seigneur assez peu puissant, et il ne paraît pas avoir aidé Richard,
à qui la fortune vint d'un autre côté. Un certain Sarule, seigneur
de Genzano, ancien vassal d'Asclettin, comte d'Acerenza , se
serait, au dire d'Aimé, rendu auprès de Richard, dès qu'il eut
connaissance de sa présence chez Onfroi, et l'aurait invité à
venir à Genzano "-. Là, en présence de ses chevaliers, il aurait
proclamé Richard seigneur des terres qu'il possédait, et n'aurait
accepté, cjue sur les instances de celui-ci, de partager avec lui
la seigneurie. Peut-être, y a-t-il, chez Aimé, une certaine exagé-
ration dans la manière de présenter les faits. Nous voyons, en
effet, que l'arrivée de Richard augmenta sensiblement la puis-
sance de Sarule, qui, au lieu de soixante chevaliers, en eut cent.
En admettant que Richard et Sarule ont simplement fait alliance,
nous devons être plus près de la vérité.
Les deux seigneurs commencèrent à mener une vie de bri-
gands, pillant et ravageant toutes les terres voisines. Au bruit
de leurs exploits , de nombreux chevaliers vinrent se ranger
sous leurs ordres et tous furent grassement payés. Richard devint
assez puissant pour s'attaquer au comte d'Aversa, auquel il
réclama les terres, qui avaient appartenu à son frère ; il réussit
à amener Rainolf II à composition. Celui-ci donna en mariage, à
Richard, une de ses parentes, et lui restitua le bénéfice qui avait
appartenu à Asclettin -^ Nous savons que Richard attaqua égale-
ment Dreux, mais ici, il fut moins heureux et fut fait prisonnier '\
Pendant sa captivité, Rainolf Trincanocte vint à mourir (lin de
1047 ou début de 1048); son fils Hermann lui succéda, sous la
1. On a vu que Lavello était échu à Arnolin, lors du partage de la
Fouille, nous ne savons pas comment Onfroi en devint le seigneur.
2. Genzano, prov. et circond. ^de Potenza.
3. Aimé, II, 44, fait de la femme de Richard, la sœur de Rainolf Trin-
canocte; ailleurs, VII, I, il dit quelle était sœur deGuiscard. Cf. le tableau
généalogique des comtes d'Aversa, p. 112.
4. Aimé, III, 12.
LES DÉBUTS DE ROBERT GUISCABD 117
tutelle du comte Guillaume Bellebouche '. Celui-ci, pour des motifs
que nous ne connaissons pas, fut, au bout de quelcjue temps,
expulsé par les gens d'Aversa, qui choisirent Richard, comme
régent "-. Ils allèrent trouver Guaimar de Salerne et le prièrent
d'intervenir auprès de Dreux pour qu'il rendit la liberté au sei-
gneur de Genzano. Aimé raconte que le prince Guaimar requit
Dreux de lui livrer Richard et qu'en loyal comte Dreux obéit.
D'après le même chroniqueur, Guaimar aurait ensuite mené
Richard, à Aversa, et l'aurait fait comte '■^. Il semblerait, d'après
les paroles d'Aimé, que Guaimar agît, encore à ce moment,
comme seigneur d' A versa. Reconnu comme régent, pendant la
minorité d'Hermann, Richard, nous ne savons comment, fut
bientôt seul comte, car les sources ne font plus mention de son
pupille, Hermann.
La fortune de Guiscard, bien quelle n'ait pas été aussi rapide
que celle de Richard, devait la dépasser. Robert Guiscard était
le fils aîné du second mariage de Tancrède de Haute ville. A peu
près vers la même époque que Richard, il se rendit en Italie
pour y chercher fortune, mais au lieu d'arriver comme celui-ci
suivi d'une suite nombreuse, il vint seul. Guiscard était allé tout
d'abord demander appui à Dreux, qui ne lui fournit aucune assis-
tance. Repoussé par son frère, Robert fut obligé de se mettre à
la solde de divers chevaliers ^. C'est ainsi que, à une date indé-
terminée, il entra auservice de Pandolf III ''. Nous avons vu qu'à
la suite de l'expédition d'Henri III, la guerre avait éclaté entre
Guaimar et Pandolf. C'est vers cette époque, que Robert prit du
service dans l'armée de Pandolf, où, d'ailleurs, il paraît être
1. Di Meo, op. cit., t. VU, p. 283.
2. Ibid., p. 312. Cf. Léo Ost., II, 66, qui confirme les ronseig-nements
fournis par les actes cités par di Meo.
3. Aimé, III, 12.
4. Aimé, II, 4.j. Robert vint en Italie après la mort de Guillaume
(fin 104.") ou début 1046), avant celle de Pandolf (février 1049> (Cf. Hirsch,
Forschungen, t. VIII, 282'), et sans doute avant l'expédition de Dreux en
Calabre en 1048, car c'est sans doute à la suite de cette expédition qu'il
s'établit en Calabre. Comme auparavant, Guiscard fut au service de Pan-
dolf, il dut venir en 1046 ou 1047.
h. Ihid., m, 6.
1 18 CIIAPITHE IV
demeuré assez peu de temps. Selon Aimé, le prince de Capoue
aurait promis à Robert pour prix de ses services un château et
la main de sa fille, et, le moment venu de tenir ses promesses,
aurait refusé de s'exécuter. Peut-être, à cette époque, la guerre
avec Guaimar était-elle terminée et Pandolf Illn'ayant plus besoin
de ses auxiliaires normands les a-t-il licenciés. Quoi qu'il en soit,
Robert, à la suite de cet insuccès, retourna auprès de Dreux qui
refusa à nouveau de lui concéder des terres '. A ce moment, la
lutte, entre Grecs et Normands, avait repris avec beaucoup de
violence. Nous savons qu'en 1048, Onfroi s'empara de Troia, et
que la même année les Grecs furent battus à Tricarico s Comme,
vers le même temps, nous voyons Dreux conduire une expédi-
tion dans la haute vallée du Crati, tout près de Cosenza, je suis
porté à croire, que ce fut lui qui remporta la victoire de Trica-
rico par laquelle la Calabre fut ouverte ^ aux incursions nor-
mandes. Les détails nous manquent pour cette expédition de
Dreux, et pour les conquêtes qui en furent la suite, mais les
aventures de Guiscard nous permettent de connaître les procé-
dés, employés par les Normands, pour conquérir le pays.
La nature montagneuse de la Calabre donne une importance
toute particulière aux quelques passages par lesquels se font
les communications. Dreux laissa donc, après son expédition, un
certain nombre de petits corps, destinés à garder les défilés.
Comme cette région était très peu fertile et assez insalubre , on dut
attribuer les nouvelles conquêtes aux chevaliers normands les
plus pauvres et les plus besogneux. Robert Guiscard eut le com-
mandement dune troupe qui s'établit dans la vallée du Crati à
Scribla '*. LesNormands ainsi laissés, étaient obligés de vivre sur
le pays, ce qui était difficile, car les villes de la côte situées pour la
plupart dans de fortes positions pouvaient facilement se défendre.
1. Aimé, III, 7.
2. Chr. LreL'e nor/?j.,Muratori, R.I.SS., l. V, p. 278. De Blasiis, t. I,p. 204,
n'a pas compris ce texte et a dit que les Grecs avaient été vainqueurs alors
que le texte porte : Vicli sunt Grœci. Les conclusions, qu'il tire de cette
prétendue victoire, au sujet de la conquête de la Calabre, sont donc erro-
nées.
3. Aimé. III, 7. Malatona, I, 16.
4. Malaterra, I, 12. Aimé. III, 7.
LES DÉBITS DE RORERT OLISCARD 110
Le pillage des campagnes était donc la seule ressource des troupes
installées en pays ennemi. Il semble que dans la région où Guiscard
s'établit, les débuts aient été particulièrement pénibles. Robert,
au bout de quelque temps , se trouva sans argent pour payer
la solde de ses soldats et dut aller trouver son frère qu'il s'efforça,
en vain, d'apitoyer sur son sort '. Dreux refusa de lui concéder
d'autres terres et Guiscard fut obligé de retourner en Calabre.
C'est vers cette époque qu'il transporta son camp de Scribla à
San Marco -. Scribla était dans une situation malsaine, tandis
que San Marco, situé sur une hauteur, présentait l'avantage d'être
plus inaccessible. San Marco devint un véritable repaire de bri-
gands. On ne saurait mieux faire que de citer les paroles mêmes
d'Aimé : « Et retorna Robert a la roche soe et aloit par les lieuz
ou il creoittrover de lo pain. Et coment lui plaisoit prenoit proie
continuelment, et toutes les chozes qu'il a voit faites absconse-
ment, maintenant list manifestement. Et prenoit li buef por arer
et li jument (jui faisoit bons poUistre , gras pors. X. et peccoires.
XXX ; et de toutes ces coses no pooit avoir senon. XXX. besant,
et autresi prenoit Robert li home liquel se raclia tarent de pain
et de vin ; et toutes voies de toutes cestes coses non se sacioit
Robert '. » Malaterra raconte qu il arriva à Guiscard d'être
obligé de se mettre en campagne, pour procurera ses compagnons
ce qu'il leur fallait pour vivre '*. Dans cette lutte de tous les
instants, les couvents n'étaient pas épargnés et leurs terres étaient
pillées et dévastées. Les possessions byzantines de Calabre
avaient à subir continuellement les entreprises des Normands
qui, dans cette guerre de brigands, avaient recours à toutes les
ruses. Une aventure typique est celle qui arriva au gouverneur
byzantin de Bisignano, elle eut un grand retentissement, et nous
la connaissons par trois sources, indépendantes les unes des
autres : Aimé, Malaterra et l'auteur du Strategicon •'.
Guiscard avait conclu un accord avec Pierre, gouverneur
1. Aimé, 111,9.
2. Malaterra. I, Ki. San Marco Arg-entano, entre Malvito et Bisif^nano.
3. Aimé, III, 9.
4. Malaterra, I, 16.
5. Malaterra, I, 17. Aimé, III, 10. Cecaumeni strategicon, p. 3."). Cf.
une variante de cet épisode, dans YAlexiade, I, 11, p. .52 et sui\ .
120 CHAPITRE IV
grec de Bisig-nano. Un jour, Robert invita à une conférence le
commandant byzantin. Tandis que les deux chefs s'embrassaient,
Guiscard, réussit à faire tomber de cheval le gouverneur qu'il
fit prisonnier ; en même temps, les Normands, placés en embus-
cade, tombaient à l'improviste sur les soldats grecs et les mettaient
en fuite. Le commandant grec dut payer vingt mille onces d'or
pour sa rançon. Il est certain que, pendant toute cette période,
Guiscard et les siens se conduisirent souvent en véritable ban-
dits. Toutefois, nous ne savons que peu de choses sur les
aventures de ce genre auquel fut mêlé Robert. On ne saurait
même ajouter foi aux quelques détails que nous fournissent les
chroniques, car autour de Guiscard une véritable légende s'est
formée et on lui a attribué bien des aventures, dont il n'a pas dû
être le héros. Ainsi Guillaume de Fouille raconte que Guiscard
se serait emparé d'une place qu'il ne nomme point en y faisant
transporter un cercueil contenant le cadavre d'un de ses compa-
gnons. Des moines acceptèrent de célébrer les funérailles et firent
entreries Normands. Pendant l'office, le prétendu mort se leva
de son cercueil tandis que ses compagnons attaquaient les habi-
tants et prenaient la ville. On ne saurait attacher aucune créance
à ce récit. C'est là une légende qui doit être rapprochée des aven-
tures analogues prêtées à Hasting, à Harald et à Bohémond '.
A la suite de ces premiers exploits, Aimé raconte le mariage de
Guiscard; comme il est le seul à parler de cet événement, son récit
ne peut être contrôlé. Pendant un séjour que Guiscard, à la
suite de ses victoires en Calabre, fît chez son frère Dreux, Girard,
seigneur de Buonalbergo, près de Bénévent, lui proposa de s'allier
à lui pour conquérir des terres en Calabre. Il amenait deux cents
chevaliers et offrait, pour cimenter l'alliance, de faire épouser à
Guiscard sa tante Auberée (Albérade). Guiscard accepta la pro-
position qui lui était ainsi faite, mais il se heurta au refus de
Dreux , qui craignant de voir son frère de venir trop puissant , s'opposa
à son mariage. Ce fut seulement, grâce à l'intervention d'un grand
1. CL Wasûiewsky, Journal du ministère de l'instr. puhl. russe (187.i\
t. 177, p. 40.3. Dudon de Saint-Quentin, éd. Lair, p. 133. f'Jialandon,
Essai sur le règne d Alexis I" Comnène (Paris, 1900 , p. 230, noie 6,
LES DÉBUTS DE ROBERT GUISCARD 121
nombre de Normands, que Dreux finit par céder et accorda son
consentement. L'alliance avec Girard marque le point de départ
de la fortune de Guiscard, qui s'étendit rapidement en Calabre,
et comme dit Aimé : « Geste choze fut lo comencement de
accrestre de tout bien à Robert Viscart * ».
Les aventures de Guiscard, que nous avons rapportées plus
haut, nous servent de type pour connaître la manière dont s'opéra
la conquête normande dans la Calabre. Il est certain que des
actes de pillag-e analogues à ceux de Robert furent commis par
un grand nombre d'autres chefs sur lesquels les sources sont
muettes. Novis pouvons seulement constater que vers 1050, les
Grecs ont reculé partout.
En lOol, l'empereur Constantin Monomaque se décida à ren-
voyer Argyros comme catépan. Le basileus occupé, à ce moment,
par les guerres d'Orient, chercha à se débarrasser des Normands
en les engageant comme mercenaires. Ce renseignement nous est
fourni par Guillaume de Fouille ^, et est confirmé par l'Anonyme
de Bari, qui nous apprend qu'Argyros apporta avec lui beau-
coup d'argent. Le catépan échoua complètement dans ses négocia-
tions, et eut beaucoup de peine à se faire reconnaître par les
gens de Bari, qui commencèrent par lui refuser l'entrée de leur
cité. Ce ne fut qu'au bout de quelque temps, que les habitants se
décidèrent à lui ouvrir les portes de la ville •^.
Au moment où les Grecs, affaiblis par de nombreuses défaites,
ne sont plus très redoutables, les Normands vont avoir à lutter
contre un ennemi plus dangereux, le pape Léon IX, qui, par son
intervention dans les affaires de l'Italie du Sud, rendit un moment
leur situation très critique '\
A la mort de Clément II, le 9 octobre 1047, l'empereur
Henri III désigna, comme pape, l'évêque de Brixen, Poppo,
1. Aimé, III, 11, Auberée devait être une enfant, car on la trouve en
1122. Cf. Aimé, éd. Delarc, p. 111, note 1. .
2. G. Ap., II, .38. Anon. Bar., ad an.
3. Anon. Bar., ad an. 1051. Lupus Protospat., ad an.
4. De Blasiis, op. cit., t. I, p. 209, se sert d'un acte, conservé dans la Chro-
nique (le Farfa, pour prétendre qu'Argyros se fit inscrire, alors, parmi les
confrères de l'abbaye de Farfa; l'acte est de 1057 et non de lOoO.
122 CHAPITRE IV
qui prit le nom de Damase II. Le pontificat de ce dernier fut très
bref ; arrivé à Rome le 17 juillet 1048, Damase y mourut le 9 août.
Les Romains paraissent avoir craint, qu'on ne leur attribuât une
part, dans cette brusque disparition, et firent demander à l'empe-
reur de nommer le nouveau pape. Le choix d'Henri III se
porta sur l'évèque de Toul, Bruno, qui fut désigné à l'assemblée
de Worms, en décembre 1048, et prit le nom de Léon IX '. Le
nouveau pape était de la famille des comtes de Nordgau - ; proche
parent de l'empereur, il avait vécu à la cour et s'était fait remar-
quer par ses qualités militaires, lors de l'expédition de Conrad
en Italie et en organisant la défense de sa ville épiscopale contre
le comte de Champagne -^ Mais, en même temps, « c'était un saint
homme, fort zélé pour la réforme ecclésiastique ». Il s'était
appliqué, dans son diocèse, à faire refleurir la discipline ecclésias-
tique, et apporta, dans le gouvernement de l'église, les mêmes
préoccupations. On raconta, plus tard, qu'IIildebrand, le futur
Grégoire VII, « lui aurait fait des remontrances sur sa promotion,
et même, que Léon y aurait fait droit, s'en i*emettant, sur son
élévation au pontificat, à la libre élection des Romains. S'il y a
quelque chose de vrai, dans ces récits, ils ne peuvent concerner que
l'appareil extérieur. Léon aura attendu, pour s'habiller en pape,
d'avoir été élu et installé à Rome suivant les formes usitées ^ ».
C'était là une simple formalité, car il y avait peu de chances,
que le peuple de Rome osât résister à l'empereur.
Léon IX, s'il poursuivit la réforme de TEglise, eut également
une politique temporelle très active, et c'est surtout cette der-
nière, qui amena son intervention dans les affaires de l'Italie du
Sud. On peut classer, en deux groupes, les témoignages des chro-
niqueurs, relatifs aux motifs qui amenèrent cette intervention.
1. Bruno, 17/^ .S. Z-po/hs /.Y, dans \V;tUeiicli, Vil. pont .A. l. \). 96. Bonizo,
Lih. ad aniicum, p. 587. Wibeil, \ Un Leonis IX, dans Wallerich, op. cit.,
l. I, p. 149.
2. Wibert, I, 1, p. 128.
3. Ihid., I, 7, 134. SigebertdeGembloux, Chron. M.G.H.SS., t. VI, p. 3.^9.
Cf. D. Calmet, Histoire de Lorraine (1« éd.), t. I, col. LXVII. DArbois de
Jubainville, Histoire des ducs et des comtes de Chainpnrjne (Paris, 18.59\ t. I,
p. 336.
4. Bonizo, Liber ad amicum, p. 587. Cf. Mgr Duchcsne, o/i. cit., p. 388.
LÉON IX ET LES NORMANDS 123
Les uns, et ce sont les plus nombreux, l'expliquent par les souf-
frances que les Normands causaient aux populations, et par la
désolation des égalises. Les autres font dicter la conduite du pon-
tife, par des motifs plus politiques ; la possession de Bénévent
aurait été la cause déterminante, qui fit agir Léon IX. Il faut, je
crois, tenir compte de ces deux opinions. Il est hors de doute, que
le désir de rétablir la paix et de réformer le clergé, a influé sur
la conduite de Léon IX, et l'on peut en trouver la preuve dans
ses premiers voyages en Italie, mais le pape se décida à une
intervention armée, seulement quand ses intérêts immédiats
furent en jeu, c'est-à-dire quand Bénévent se fut donnée à lui.
Dans sa politique méridionale, Léon IX fut certainement inspiré
par Hildebrand, le futur Grégoire VII, qu'il nomma, dès son
avènement, économe de l'Eglise '. A ce titre, Hildebrand chercha à
« remettre en vigueur les droits de l'Eglise », afin d'augmenter
les revenus de la papauté qui manquait alors complètement d'ar-
gent. A partir de ce moment, Hildebrand sera le véritable inspi-
rateur de la politique des divers papes qui se succéderont, jus-
qu'au moment où il montera lui-même sur le trône pontifical.
Au début du pontificat de Léon IX, une explosion de haines
formidables se produisit contre les Normands. Accueillis, au dire
de Wibert, comme des libérateurs, ils étaientdevenus, bien vite,
des oppresseurs '. Aussi dans les chroniques, on les confond dans
une haine commune avec les Musulmans pillards et c'est le même
nomd'Agarènes qui sert à les désigner ''. Un moine de Bénévent \
auteur d'une vie de Léon IX, raconte que les Normands ne cher-
chaient pas seulement à soumettre à leur pouvoir la Fouille, mais
encore toutes les provinces environnantes. Dans celles où ils ne pou-
vaient dominer, ils coupaient les vignes et brûlaient les moissons ;
le même auteur leur reproche de ne pas respecter les biens du Saint-
Siège. Une autre vie de Léon IX nous le montre recevant les plaintes
d'un grand nombre de malheureux victimes de la cruauté des Nor-
mands •^. Léon IX, lui-même, parle des Normands, qui, plus que des
d. Bonizo, op. cit., a88.
2. Wibert, II, 6, p. 158. Cf. Herimannus Aug., Chr., ad an. 105.3.
3. Annal, rom., dans Lih. Pont., t. II, pp. 333-333, 347.
4. Watterich, op. cit., t. I, p. VC.
5. Bruno, Vita Leonis IX, dans Watterich, op. cit., t. I, p. 98.
124 CHAPITRE IV
païens, s "insurg-ent contre l'Eglise de Dieu, font périr les chré-
tiens au milieu de supplices terribles et avec des raffinements de
cruauté, sans épargner femmes, vieillards ou enfants. Le pape
leur reproche, surtout, de ne pas distinguer entre ce qui appartient
à l'Eglise, et ce qui est aux laïcs '. J'ai déjà parlé de ce prêtre de
Naples, qui promettait de payer ses redevances quand les mau-
dits Normands auraient quitté la Liburie. Quelques années
plus tard. Jean, abbé de Fécamp, écrivant au pape pour se
plaindre d avoir été attaqué au retour d'un pèlerinage à Rome
dira ' : « La haine des Italiens contre les Normands, a atteint un
tel degré, qu'il est presque impossible à un Normand, même s'il
est pèlerin, de voyager dans les villes d'Italie, sans être
assailli, enlevé, dépouillé, frappé, jeté dans les fers, quand il ne
meurt pas en prison ». La situation est la même en Calabre, où
les misères causées par les nouveaux concjuérants ne paraissent
pas avoir été moindres -^
La grande habileté de Léon IX fut de savoir tirer parti de ces
sentiments; sa tâche fut d'ailleurs singulièrement facilitée par
les populations elles-mêmes. D'après certaines sources, les
Apuliens auraient demandé secrètement au pape d'intervenir en
leur faveur, parce que la Pouille dépendait de lui, et avait dans
le temps relevé de l'église romaine ^ ; de même, les Bénéven-
tains se donnèrent à lui •^. Il faut noter ici, au passage, la théo-
rie suivant laquelle la Pouille relève de la papauté ; c'est la
première manifestation de la théorie pontificale dont nous repar-
lerons, à propos de Nicolas IL
La situation de l'état bénéventain était devenu singulièrement
précaire à mesure que les Normands s'étaient étendus vers le
nord. Leurs entreprises, contre la principauté de Bénévent,
avaient été sinon encouragées, au moins autorisées par Henri III.
Après Bovino '\ Troia était tombée en leur pouvoir; la posses-
t. Will, Acta et scripfa qtiœ de controversiis errlesife grœcpp el latinœ sae-
culi XI composila extant Leipsig, 1861), p. 86.
2. Migne, P.L., t. 143, p. 798.
3. Trinchera, op. cit., p. 50.
4. Malaterra, I, 14.
H. Wibert, Vita Leonis, dans Watterich, op. cit., t. I, p. 152.
3. Chr. brève norm., Muratori, R.I.SS., t. V, p. 278.
LÉON IX ET LKS NORMANDS 125
sion de ces deux places et celle d'Ascoli mettaient entre leurs
mains les routes qui permettaient à l'étatde Bénévent de commu-
niquer avec la Fouille. L'Apennin n'avait pas davantage arrêté
l'expansion des Normands, qui avaient débordé, de tous les
côtés, sur le territoire même de Bénévent. Un peu avant l'année
lOol nous trouvons établi, entre Bénévent et Ariano, Girard
de Buonalberg-o, qui est assez puissant pour fournir à Guiscard
deux cents chevaliers '. En 1053, nous trouvons, dans l'armée
normande, un comte de Telese et un comte de Boiano, dont la
présence confirme lenvahissement de la principauté '. Sous Pan-
dolf III (1011-1059) et Landolf V (103(S-I077) l'importance de
Bénévent avait été constamment en décroissant. Nous ig-norons
quelle était l'org-anisation de la principauté ; il est très probable
que le territoire était divisé entre un certain nombre de sei-
g'neurs, comme Adelfîer, cornes de principatu Benevenfano,
que nous trouvons mentionné, vers 1050 '■'', et Daulîer, comte
de Larino, mentionné en 10o3 ''. Il est probable, à en juger par ce
que nous savons de la ville même de Bénévent, que ces seigneurs
s'étaient rendus à peu près indépendants. Nous constatons, en
effet, que l'autorité des princes est fort affaiblie, comme
le montre le rôle joué dans les événements dont le récit va
suivre, par la commune de Bénévent, par les nohiles et les boni
homines de la cité.
Les gens de Bénévent ne pouvaient guère demander à Salerne,
de les aider à repousser les attaques des envahisseurs, en raison
de la vieille rivalité des deux principautés, et de l'alliance qui
unissait Guaimar aux Normands. D'autre part, Pandolf de
Gapoue n'était pas un allié possible, et les Grecs avaient bien
assez de se défendre eux-mêmes. Restaient le pape et l'empe-
reur; mais les rapports des Bénéventains avec Henri III et Clé-
ment II étaient fort tendus, et à la suite des événements, qui
avaient marqué le passage de Henri III, à Bénévent, le pape
1. Aimé, 111, 11. Buonalbergo, circond. et prov. de Bénévent.
2. G. Ap., H, 134-135.
3. Léo Ost., II, 65.
4. Ibid.. 674.
126 CHAPITRE IV
avait excommunié la ville '. Dès l'élection de Léon IX, les Béné-
A'entains commencèrent à négocier avec lui ; à peine le nouveau
pape était-il arrivé à Rome, que les envoyés des nobles de Béné-
vent vinrent lui offrir de riches présents '-. Il est très probable
que l'ambassade lui proposa également de prendre le territoire
de Bénévent sous sa protection ; son biographe nous représente,
en effet, Léon IX remerciant Dieu, non pas tant pour les pré-
sents, que pour le dévouement de ses fidèles. La démarche des
Bénéventains était certainement faite en dehors de Pandolf; les
mots legati nohiliuin montrent suffisamment, qu'il est question
d'envoyés de la commune, et les événements postérieurs
prouvent, que les princes ont été étrangers à ces négociations.
Toutefois, Léon IX ne leva pas l'interdit jeté sur la ville par
son prédécesseur.
A la fin de février, ou au début de mars 1049 ^, Léon IX se ren-
dit, en pèlerinage, au montGargano ; il s'arrêta au Mont-Cassin '*.
On peut admettre que la dévotion du pontife, envers saint Michel
et saint Benoît, ne fut pas l'unique motif de son voyage, et
c|ue le pape désirait se rendre compte, par lui-même, de l'état de
l'Italie méridionale. Vers le milieu de mai, Léon IX partit pour
l'Allemagne, afin de conférer avec l'empereur •'. L'année suivante,
nous voyons le pape entreprendre un nouveau voyage, dans
l'Italie du Sud, et se rendre dans tous les centres importants à
Capoue, à Salerne, à Bénévent, où il se brouille avec Pandolf et
excommunie la ville, nous ne savons pour quel motif". Le
pape se rendit aussi à Melfî et à Siponto. Quel était le but de
ce voyage? Sans doute nous voyons le pape s'occuper des
1. Ann. Benev., M.G.W. SS., t; III, p. 179. Herimannus Auy'.,C/ir., M. G. II.
SS., t. V, p. 126. Lupus Protospat., ad an. 1046. Léo Ost., II, 78.
2. Wibert, Vita Leonis, dans Watterich, op. cit., t. I, p. i;j2.
3. La chronologie des voyages de Léon IX a été établie par Steindorfî,
op. cit., t. II, pp. 4ij2-4!j7. Elle est plus juste, à mon avis, que celle de
Delarc, Aimé, p. [il , note 1. Le même auteur, dans L7i /s/o;rp f/ es .Vor7?i«/!c/s,
a une chronologie absolument fausse.
4. Léo Ost., II, 79, 683.
:j. Herimannus Aug., Chr., ad an. 1049.
6. Léo Ost., II, 79. Aimé, III, 15. Anmil. Benev., M. G. IL SS., t. III, p. 179.
Anon. Bar., ad an. IO.jO. Wibert., op. cit., II, 6.
LÉON tX El' LES NOKMANDS 127
questions de discipline, consacrer un évêque à Gapoue, tenir un
synode à Salerne, un autre à Sipnnto déposer deux archevêques,
et, à son retour, à Rome s'occuper de la question des dîmes,
mais il est certain que la politique ne fut pas étrano^ère à ce
déplacement de Léon IX. Nous savons, par la chronique d'Her-
mann, que le pape fit reconnaître par les villes de l'Italie du Sud
son autorité et celle de l'empereur K Que faut-il entendre par là?
Je ne crois pas, que l'on puisse admettre, qu'à ce moment,
le pape ait voulu se faire reconnaître, comme suzerain, par les
princes de l'Italie du Sud. Les droits reconnus à la papauté, par
les donations impériales, sont encore lettre morte et ce n'est
qu'un peu plus tard que Léon IX s'efforcera de les faire valoir.
Il me semble que le pape n'a pas eu, alors, d'autre but que
celui de rétablir un peu d'ordre et de tranquillité, et a surtout
cherché à obtenir des Normands la restitution des biens des
églises et des monastères qu'ils avaient indûment occupés. Il
paraît que l'on puisse appliquer à toutes les autres villes ce
qu'Aimé dit du voyage du pontife, à Melfi, (( Et puiz s'en ala a
Melfe opponere contre li fait de li fortissime Normant, et lor
proia qu'il se deuissent partir de la crudelité, et laissier la
moleste de li povre. Et lor mostra come Dieu est persécuté
quant li povre sont persécutez, et cornent Dieu est content quant
est bien fait à li povre ; et lor comment que fidèlement doient
guarder li prestre et les choses de l'eglize. Et les conforta en faire
bien et offerte à Dieu, et qu'il soient continent et caste envers lor
voizins et lor proxime, et en toute vertu les conferma ''. » Il est
vraisemblable que Léon IX ne réussit pas, dans ses tenta-
tives pour amener la paix et la concorde, et nous trouvons
l'écho de son mécontentement dans le synode, qu'à son retour
il tint à Rome.
Dans toutes ces tentatives, Léon IX agit non seulement au
nom de la papauté, mais aussi au nom de l'empereur, avec
lequel il paraît étroitement uni. Aussi, après son échec, dans le
courant de la même année, le pape retourne-t-il conférer avec
1. Ilerimannus Aug., Chr., ad. an. 1050.
2. Aimé, III, IG.
128 CHAPITRE IV
Henri III. Pendant son absence, les Bénéventains chassèrent
leurs princes et, au retour de Léon IX (en mars lOol), ils
envoyèrent, à Rome, une ambassade chargée d'offrir au pape de
lui remettre la ville '. La papauté, avait dès long-temps, des pré-
tentions à la possession de Bénévent, prétentions qui se basaient
sur les donations des empereurs d'Occident, et que les circons-
tances l'avaient, jusque-là, empêché de transformer en occupation
réelle. Léon IX saisit avec empressement l'occasion de faire
valoir les droits de l'Eglise, et tandis qu'il tenait le troisième
synode romain, il envoya à Bénévent le patriarche de Grado et
le cardinal Humbert pour terminer les négociations -. Dès le
mois d'août, les envoyés du pape étaient de retour, ramenant
avec eux vingt-six otages, pris parmi les nobiles et les boni
homines. Au mois de juin, le pape se mit en route, et, par le
Mont-Cassin, gagna Bénévent, où il était le 'J juillet. 11 leva alors
l'interdit jeté sur la ville ■.
A partir de ce moment, le pape, ayant des intérêts plus immé-
diats dans l'Italie du Sud, intervint d une façon beaucoup plus
active dans les affaires du pays, et regarda, d'une manière toute
différente, la situation créée par les attaques des Normands.
Appuyé par l'empereur allemand , Léon IX avait certainement
un très grand prestige , il voulut en profiter pour améliorer la
situation de ses nouveaux sujets. Il pria Guaimar et Dreux
de venir le trouver, à Bénévent ^. Ceux-ci répondirent à son
appel; le pape leur demanda et obtint d'eux l'engagement de
faire respecter ses possessions. Mais la plupart des attaques
dirigées contre Bénévent étaient faites par des Normands isolés,
c'étaient de petites expéditions entreprises par des seigneurs
auxquels Dreux et Guaimar pouvaient difficilement faire sentir leur
autorité. Aussi, à peine le pape, qui, en quittant Bénévent, avait
été à Salerne avec Guaimar, s'était-il séparé de Dreux, que les
1. Ann. Benev., ad. an. 1051. Aimé, III, 17. (^f. Ilnlinardi Lugdunensis
vita, Migne, P.L., t. 142, col. 1344.
2. Ann. Benev., loc. cit.
3. Ann. Benev., loc. cit. Léo Ost. II, 81. Ilavait avec lui Ilalinard, arche-
vêque de Lyon. Chr. S. Ben. Div., M. G. II. SS., t. VII. p. 237.
4. Aimé, III, 17.
LÉON IX ET LES NORMA>iDS 129
incursions recommencèrent'. A cette nouvelle, le pape entra
dans une violente colère contre Dreux; il ne fut calmé que par
Guaimar qui lui fit comprendre combien il était difficile au chef
normand d'être obéi. Léon IX se décida alors à écrire à Dreux
pour lui demander d'intervenir énergiquement pour ramener
l'ordre. Le messager, qu'il envoya, apprit, en route, que le
comte normand venait d'être assassiné et revint apporter cette
nouvelle au pape '-.
L'assassinat de Dreux doit être très vraisemblement imputé
à Argyros. Nous avons vu que celui-ci avait échoué dans sa
tentative d'eng-ager les Normands au service de l'empereur. Il
dut être l'inspirateur d'une vaste conspiration, qui s'organisa pour
assassiner à jour fixe tous les Normands. Le projet manqua,
quant à l'exécution générale, mais le 10 août, Dreux fut tué par
un des conjurés dans la chapelle de son château du Monte Haro,
près de Bovino \ Un cei'tain nombre de Normands furent assas-
sinés le même jour, mais le massacre général n'eut pas lieu '*.
La mort de Dreux avait une importance considérable pour le
pape, car Dreux, par la situation qu'il avait acquise, représentait
le Normand parvenu, capable de maintenir un certain ordre dans
ses états et n'était plus seulement un chef de bandits. Sa mort
amena une recrudescence de troubles. Son frère Onfroi occupa
1. Aimé, III, 18.
2. Le pape célébra, le l.'i août, une messe pour le repos de son âme.
Aimé, III, 20. Ci". Necrol. Cass. dans Gattola, Ace, t. II, p. 84, le 3 des ides.
Guil.de Jumièges, M.G.II.SS., t. XXVI, p. 8, donne, comme date, le 4 des ides.
.S. Aujourd'hui, Montella, circond. de Sant' Angelo de' Lombardi,
prov. d'Avellino. Cf., Malaterra, I, 13. G. Ap. II, 75. Dreux laissa plusieurs
enfants, deux filles Rocca et Eremburge (cette dernière était déjà morte
en 1101), et un fils Richard le Sénéchal, seigneur de Mottola (circond. de
Tarente, prov. de Lecce) et de Castellaneta. Du chef de sa femme Altrude,
Richard avait des biens à Massafra. Il eut un fils .\Iexandre, et joua un rôle
important lors de l'expédition de Bohémond contre Alexis I*^'' Comnène. Cf.
les diplômes suivants : 1081, Arch. de la Cava, B. 15; 1090, Ihid., C. 22 ;
1095, Ihid., D. 7 ; 1098, Gattola, Ace. t. I, p. 215 ; 1100, Bibl. du Vat. Reg.
lat. 378, ff. 28-30; 1101, Ughelli, t. IX, p. 402 ; 1108, Cod. dipl. bar. t. V,
p. 92; liii, Ihid., p. 102. Un diplôme de 1135, Ughelli, t. VII, p. 74, estfaux,
car toutes les données généalogiques sont inexactes.
4. Malaterra, I, 13; Lup. Protospat., ad an. 1051. Anon. Bar., ad an.
1051. Aimé, III, 22. Chr. brev. norm., ad an 1051. G. Ap., II, 79 et suiv.
Histoire de la domination normande. — Chalamjo.\. 9
130 CriAPITHÉ IV
ses biens, assiégea le château où il avait été assassiné, s'empara
des meurtriers, et les fit périr dans les tourments. Onfroi ne fut
pas cependant reconnu tout de suite comme chef des Normands ^
et pendant quelque temps l'anarchie fut complète. C'est alors que
le pape ne trouvant personne à qui s'adresser se décida à une
intervention armée '.
Autour de Léon IX, il y avait tout un parti, dont le chef était
Frédéric de Lorraine, fils de Gozelon, duc de Lorraine, et de Junca,
fille de Bérenger II, roi d'Italie qui affectait le plus grand mépris
pour les Normands, et croyait que l'on en viendrait très facile-
ment àbout^. Frédéric avaitété ramené d'Allemagne par Léon IX,
à une date mal déterminée, sans doute en lOol, et était devenu
bibliothécaire de l'église romaine et chancelier ; il se vantait,
avec cent chevaliers de mettre en fuite les Normands. Léon IX
ne paraît pas, toutefois, avoir complètement partagé les illusions
de son entourage, car il chercha au dehors des appuis, pour la
lutte qu'il se disposait à entreprendre. Suivant Aimé, le pape
aurait adressé des demandes de secours à l'empereur allemand et
au roi de France. Il échoua complètement de ce côté, mais trouva
une compensation du côté des Grecs '.
La politique byzantine en Italie est dirigée à ce moment par
Argyros. Il est certain que celui-ci était un partisan de la politique
de pacification vis-à-vis des Latins; politique déjà appliquée par
Bojoannès. On est même en droit de croire que, pendant un séjour
à Gonstantinople, Argyros avait défendu ses vues auprès du
basileus, et avait cherché à maintenir la paix entre Rome et
Gonstantinople, malgré les efforts contraires du patriarche Kerou-
1. G. Ap., tl, 79, et Aimé, III, 22, disent clairement que Dreux n'eut
pas de successeur immédiat : Onfroi ne fut nommé qu'après la mort de
Guaimar. Malaterra, I, 13. Lupus Protospat., ad an. 1051, et le Chr. brev.
norm., ad an. n'ont pas tenu compte de l'intervalle, et ont marqué Onfroi
comme ayant succédé de suite à Dreux. Aimé dit, loc. cit. : « Et s'asem-
blèrent li Normant, puiz la mort de Drogo et Guaymère et fu fait conte
Humfroi. » Comment Delarc, op. cit., p. 200, note 1, peut-il dire qu'Aimé
affirme qu'Onfroi succéda immédiatement à son frère?
2. Aimé, III, 23.
3. Cf. sur ce personnage, U. Robert : Lé pape Etienne X dans la Bévue d.
QueU. hist., t. XX (187fi). p. 49 et suiv.
4. Aimé, III, 23 et 24.
LÉON IX KT LES NORMANDS l^i
larios. En effet, ce dernier, écrivant un peu plus tard au patriarche
d'Antioche, parle des discussions qu'il a eues avec Argyros, et
dit qu'il la privé quatre fois de la communion '. Arg-yros vit tout
le parti qu'il pouvait tirer des dispositions de Léon IX, et conclut
un accord avec lui. L'existence de cet accord est attestée par
Léon IX, lui-même, dans une de ses lettres, écrite à une date
postérieure % mais, comme, en 1052, les troupes grecques
paraissent suivre un plan combiné pour appuyer les troupes
pontificales, je crois que l'on est en droit de faire remonter
jusqu'à 1051 l'entente entre Léon IX et xVroyros ■^.
Le pape trouva facilement un appui chez tous les petits sei-
gneurs de ritalie méridionale, qui avaient à se plaindre des Nor-
mands, et commençaient à craindre pour eux-mêmes, comme les
comtes des Marses et de Valva, ou les seigneurs de la Marche
de Fermo '. L'armée pontificale ne devait pas être très consi-
dérable, aussi avant de mettre ses projets à exécution, le pajîe
chercha-t-il à obtenir, sinon l'appui, au moins la neutralité du
prince de Salerne. Guaimar comprit que s'il laissait écraser les
Normands, l'alliance du pape et des Byzantins se retournerait
contre lui. 11 envoya donc une ambassade à Léon IX, pour lui
déclarer, que jamais il ne consentirait à laisser attaquer les Nor-
mands ■'. Quand il reçut la réponse de Guaimar, Léon IX s'était
déjà avancé jusqu'à San Germano, au pieddu Mont-Gassin ; de là il
gagna Gapoue où il séjourna 6. Nous ne savons pas la date exacte,
qu'il faut assigner aux négociations de Guaimar avec le pape, mais
je crois que l'on peut les placer vers le mois de mai 1052. Le refus
de Guaimar amena l'échec des projets de Léon IX. Il semble
résulter d'un passage d'Aimé qu'en apprenant l'opposition de
1. Will., op. cit., p. 177. On a dit à tort, Bréhier., Le schisme oriental du
A7« siècle, p. 93, qu'Argyros était resté à Constantinople de 1046 à lO.jl.
L'Anonyme de Bari mentionne sa présence en Italie, en 1048.
2. Will., op. cit., p. 86.
3. G. Ap., II, 70 et suiv. Anon. Bar., ad an. 10.j2. Argyros va du côté de
Siponto, évidemment pour opérer sa jonction avec le pape.
4. Aimé, III, 24.
5. Aimé, III, 2.^.
6. Jaffé-L., 4274. Léo Ost., II, 81. Chr. S. Ben. Div., M.G.H.SS.,
t. VII, p. 237.
132 CHAPITRE iV
Guaimar, un certain nombre des alliés du pape l'abandonnèrent ^
Le pape était à Naples, au mois de juin, quand il apprit une
nouvelle, qui modiliait profondément la situation, Guaimar
venait d'être assassiné. 11 est curieux de constater, qu'en moins
d'une année, les deux chefs du parti, hostile aux Byzantins,
périrent de mort violente ; pour Guaimar comme pour Dreux,
on est en droit d'imputer l'assassinat aux Grecs.
Au mois d'avril 10o2, une rébellion avait éclaté à Amalii; la
population avait chassé le duc Manson et rappelé de Constanti-
nople, le duc Jean"^, qui, en octobre de cette même année, devait
arriver à Amalfî. On voit suffisamment parla que c'est le parti
favorable aux Grecs qui a triomphé. Aux Amalfitains se joi-
gnirent les gens d'Atrani-^, et les deux villes refusèrent de payer
au prince de Salerne les taxes ordinaires. En même temps, les
révoltés commencèrent à attaquer le territoire de la principauté '
Ils trouvèrent un appui dans la famille même de Guaimar. Les
quatre beaux- frères de celui-ci : Aténolf, Pandolf, Landolf, plus
un quatrième personnage dont le nom nous est inconnu, s'enten-
dirent avec Ederard son neveu pour assassiner Guaimar '. Un jour,
où ce dernier était sorti de Salerne, pour repousser une attaque
des Amalfitains, les conjurés l'assassinèrent avec son frère Pandolt
(2 ou 3 juin 1052 . et proclamèrent Pandolf, beau-frère de Guaimar,
1. Aimé, III, 25.
2. Le Chr. Ainalf. dans Muratori, Ant. il., t. I, p. 211, donne l'année 1053,
ind. VI, mais Fauteur dit que Jean revint en octobre, ind. VI = octobre 1052.
La révolution est donc d'avril 1052. Le premier acte de Jean est du 25 mai
1053, le dernier de Manson du 20 mars 1052. Cf. Caméra, op. cit., t. I, p. 251
et 249. Heinemann, op. cit., p. 365, est donc dans l'erreur en plaçant, en
1053, àTautomne, l'arrivée au pouvoir de Jean.
3. Circond. et prov. de Salerne.
4. Aimé, III, 28. Suivant Pierre Damien, Migne, P. L., t. 145, col. 439,
Guaimar aurait été assassiné à cause de ses exactions.
5. Cf. di Meo, op. c//., t. VII, p. 153. On ne saurait tenir compte d'Aimé, /oc.
cj7., qui fait jouer un rôle à Rainolf d'.\versa mort depuis longtemps à cette
date. Cette erreur i-end son témoignage suspect pour tout ce qui concerne la
part prise par les Normands à l'assassinat. Le rôle, qu'il leur prête, est d'ail-
leurs en contradiction avec ce qu'il dit un peu plus loin, III, 30. Le rôIed'Ede-
rard est connu par un acte des archives de la Cava. Cf. Guillaume, Essai
hififorif/uo sf/r Vahhaye de la. Cava ''Cava, 1877), p. 30, note 4.
ASSASSINAI' UU PRINCK UK SALERNE I .'{l}
comme prince de Salerne '. La famille de Guainiar s'était réfugiée
dans le donjon de Salerne, où le manque de vivres l'obligea peu
après à se rendre ; les divers membres qui la composaient furent
mis en prison.
Cependant le frère de Guaimar, Gui, duc de Sorrente, avait pu
s'échapper-. Il alla aussitôt trouver les Normands, qui se trou-
vaient rassemblés, parce qu'ils s'attendaient à combattre le pape,
et leur demanda assistance. La disparition de Guaimar avait une
très grande importance pour les Normands, qui se voyaient
exposés à rester seuls contre toutes les puissances de l'Italie
du Sud; ils comprirent aussitôt la gravité de la situation, et choi-
sirent pour leur chef très probablement alors, Onfroi, frère de
Dreux, qui avait épousé une sœur du duc de Sorrente •'. Même
au milieu de ces circonstances critiques, les chefs normands ne
perdirent point de vue leurs intérêts particuliers et ils profi-
tèrent du besoin que Gui avait de leur appui pour lui arracher un
certain nombre de promesses, qui seront plus tai-d des sources
de conflits. Ce ne fut qu'après avoir obtenu ce qu'ils deman-
daient qu'ils allèrent attaquer Salerne, (8 juin '). Grâce aux intel-
ligences que Gui avait dans la place, la ville fut prise le 10 juin.
Les conjurés se réfugièrent dans le château, mais leurs femmes et
leurs enfants tombèrent entre les mains des Normands. Gui put
obtenir de les échanger contre Gisolf, le fils de Guaimar, qu'il
proclama aussitôt comme prince de Salerne. Gisolf fut immédia-
tement reconnu par les Normands, qui se firent investir par lui
des terres qu'ils tenaient. x\u bout de quelques jours, les conju-
rés furent obligés de se rendre, et, bien qu'on leur eût promis la
vie sauve, on en massacra trente-six ■'.
Les Normands firent payer chèrement l'assistance qu'ils
1. Aimé, III, 28-29. Léo Ost., II, 82. Annal Benev., M.G.H.SS., t. III,
p. 179. Chr. Amalf., p. 2H. G. Ap., II, 75. Anon. Bar., ad an. 10.^2. Cf.
les vei's d'Alfan, archevêque de Salerne, Arch. st. nap., t. XII, p. 774; el
Cod. dipl. Cav., t. VII, p. 41, sur la parenté entre Guaimar el le person-
nage du nom de Pandolf, qui fut assassiné.
2. Aimé, III, 30 et suiv. •
3. Ibid., III, 34.
4. Ibid., III, 31.
0. Ibid., III, 32-34.
13i- r.riAPiTRE IV
avaient fournie. Ils obligèrent Gisolf à reconnaître Gui comme
duc de Surrente, et ce dernier lui-même dut abandonner tout
ce c[ue possédaient sa femme et sa fille '. Amalti resta au duc
Jean ^. Il semble que le comte d'Aversa ait profité du trouble
général pour tenter, sans succès, de s'emparer de Capoue''.
Le pape Léon IX, cjui devait tenir à surveiller, de près, les
événements, demeura dans l'Italie méridionale, pendant toute
cette période. Nous savons qu'il alla successivement à Naples
et à Bénévenf^. L'accord, jirescjue immédiat, qui se fît entre les
Normands et Gisolf, lui montra que son intervention ne pourrait
réussir qu'autant cjue lui-même serait appuyé par des forces
sérieuses. Léon IX se décida alors à aller demander l'assistance
de l'empereur. Il semble cju'Arg'yros ne fut pas prévenu à temps
du changement qui se produisit dans les projets du pape et
soit entré en campagne. Nous savons, en effet, qu'Argyros,
après avoir subi deux insuccès, 1 un à Tarente, l'autre à Crotone,
fut de nouveau battu près de Siponto •'. Il est curieux de noter
que Y Anonyme de i?a/'/ mentionne cju'Argyros vint par mer; on
peut supposer par suite que tout l'intérieur du pays, de Bari à
Siponto, était aux Normands.
Pendant son séjour en Allemagne, le pape conclut, avec
Henri III, un traité, relatif à Bénévent. Il abandonna les droits
que l'église romaine avait sur l'abbaye de Fulda et le diocèse
de Bamberg; moyennant cette cession, l'empereur reconnut les
droits du pape sur Bénévent et l'Italie méridionale''. Y eut-il
abandon complet des droits de l'empereur? Je ne le croîs pas,
et il semble bien qu'il faille admettre que l'empereur s'est
toujours réservé une certaine suzeraineté sur l'Italie du Sud et
Bénévent. De même, le fait que le pape continua à recevoir de
Bamberg un cheval par an, semble indiquer que Léon IX ne
renonça également qu'à une partie de ses droits.
t. Aimé, III, 34-35.
2. Cf. Caméra, op. cit., 1. I, p. 2oO.
3. Aimé, III, 25. Léo Ost., III, 15.
4. Léo Ost., II, 81. Aimé, III, 25. Jaffé-L., 4278.
5. Chr. brev. norm., ad an. 1052. Anon. Bar., ad an. 1052.
6. Herimannus Aiig^., Chr., M.G.II.SS., l. V, p. 132, ad an. 1053. Léo Ost..
II, 46 et 81.
LEOX IX ET LKS NORMANDS
13"
Quoi qu'il eu soit, par l'échange de Worms, le pape obtenait à
nouveau la contirmatiou des privilèges de l'Eglise romaine sur
l'Italie du Sud '. Léon IX chercha aussitôt à faire reconnaître son
autorité d'une manière eiïective, et inaugura la politique, qui
devait être suivie par ses successeurs et triompher avec Nico-
las II et Grégoire VII. Après avoir demandé à l'empereur des
troupes, qui lui furent d'abord accordées, puis peu après retirées '•,
Léon IX repartit pour l'Italie emmenant avec lui ini grand
nombre d'aventuriers allemands, qui pour la plupart étaient
obligés de quitter leur pays à la suite de fâcheuses aventures - ;
le pape était de retour à Rome, dans le courant de mars de
l'année 10o3 ^. Aussitôt après le concile qui fut tenu, en avril '*,
Léon IX s'occupa activement de l'expédition contre les Nor-
mands. Le 29 mai, il était au Mont-Cassin ■', et de là gagnait
Bénévent ''. Le 10 juin, à la tête de son armée, il campait à Sale,
sur le Biferno ^ il se dirigea ensuite vers la Fouille, pour
opérer sa jonction avec Argyros *^. Nous trouvons, dans l'armée
pontificale, tous les petits seigneurs de l'Italie méridionale :
Ac^énolf, duc de Gaëte, Landon, comte d'Aquino ■', Landolf,
comte de Teano, Oderisio, fils de BorreL Bolfroi de Guardia et
RofTroi de Lusenza'". Amalfi avait certainement pris le parti du
pape, ainsi que l'indique la présence dans l'armée pontificale
de son archevêque, Pierre. En outre, nous trouvons, sous les
ordres de Léon IX, des contingents de la Fouille, de la Campa-
nie, du pays des Marses, d'Ancône, de Spolète, de la Sabine et de
1. Cf. le privilège d'Othon l", dans Sickel, Das Privilegiuin Ollo I fur die
rômische Kirche von lahre 962 (Innsbruck, 1883), p. 178, et le privilège
d'Henri II, de 1020, Migne, P.L., t. 98, col. 625 et suiv.
2. Léo Ost., II, 81. Les troupes furent rappelées à la demande de
Gebhard, alors chancelier, plus tard le pape Victor IL
3. Heriman. Aug., Chr., p. 132.
4. Jaffé-L., 4292.
ri. Ileriman. Aug., Chr., ad an. 10.^3.
6. Léo Ost., II, 84. Gattola, Hist., t. I, [). 117.
7. Léo Ost., III, 7.
8. Cf. Muratori, R.I.SS,. t. I, 2, p. r;i3.
9. Will., op. cit., p. 86.
10. Chr. Vult., Muratori, R.I.SS., t. I, 2, p. .^13.
136 CHAPITRE IV
Fernio, plus des auxiliaires allemands commandés par Transmond,
Alton, Garnier et Albert '.
Le pape, en suivant le cours du Biferno, avait un plan très
bien conçu Nous savons, par le témoignage de Léon IX lui-
même, que le pontife négociait alors avec Argyros "^. Il est certain
que le pape voulut opérer sa jonction avec les Grecs dans
l'Apulie du Nord. Le chemin qu il suivit était le seul possible,
car la route directe de Bénévent passait par le col commandé
par les deux places de Bovino et de Troia, toutes deux aux
mains des Normands.
Les deux armées se rencontrèrent près de Givitate, sur les
bords du Fortore. Les Normands avaient compris la gravité du
péril qui les menaçait, et avaient rassemblé toutes leurs forces.
Guillaume de Fouille constate la présence de tous les comtes
normands, Onfroi, Robert Guiscard, Richard d'Aversa, Pierron
de Trani, Gautier, Girard de Buonalbergo. Raoul, comte de
Bovino 3. Les Normands commencèrent par négocier avec
Léon IX. (( Ils envoyèrent, dit Guillaume de Fouille, des députés
chargés de demander la paix; ces députés devaient, en outre,
prier le pape de recevoir, avec bienveillance, les hommages des
Normands. Tous, sans exception, se déclaraient prêts à lui obéir,
leur intention n'étant pas de l'offenser ; ils reconnaissaient, du
reste, ce qu'il y avait de fondé dans ses plaintes; enfin, ils lui
demandaient de vouloir bien être leur seigneur, et ils promet-
taient de lui être fidèles '*. » Ces négociations sont un fait cer-
tain, le témoignage de Guillaume de Fouille étant confirmé par
celui de Léon IX '. Four la suite des événements, les versions
diffèrent. Suivant le pape, les Normands auraient traîtreusement
attaqué son armée, pendant que se poursuivaient les conférences
pour la paix. D'après Guillaume de Fouille, les Normands auraient
engagé le combat avec les troupes pontificales seulement, quand
1. G. Ap., II. 148 et suiv.
2. Will.. op. cit., p. 86; cf. Anon. Beiiev., ad an., dans Watlerich. op. cit.,
t. I. p. IIIC.
3. G. Ap. II. 131. Cf. Delarc. loc. cit.
4. G. Ap., II. 87. Aimé, III. 39.
o. Will., op. cit., p. 86.
LÉON IX ET LES NORMANDS 137
Léon IX, contraint par les Allemands, aurait rompu les négo-
ciations. Il nest pas impossible de concilier ces deux versions.
Sans doute les pourparlers durèrent assez longtemps ; or, nous
savons que les troupes normandes étaient très mal ravitaillées
et avaient peine à trouver leur subsistance, tandis que l'armée
pontilicale était très bien approvisionnée '. Les Normands
durent craindre que le pape ne voulût faire traîner les choses en
longueur pour les prendre par la famine, et se décidèrent
brusquement à attaquer (17 juin). L'armée était commandée
au centre par Onfroi et aux deux ailes par Robert Guis-
card et Richard d'A^^ersa ~. Les troupes pontificales, formées
d'éléments hétérogènes, ne tinrent pas dcA^ant l'attaque des
Normands. Tous les contingents italiens lâchèrent pied au pre-
mier choc; seuls les Allemands résistèrent avec courage. Le pape
qui avait assisté au combat du haut des murs de la ville fut, après
la bataille, fort mal traité et dépouillé de son trésor par les gens
de Civitate qui craignaient de s'attirer la colère des Normands.
Léon IX lui-même fut fait prisonnier par les vainqueurs -^ qui le
conduisirent à Bénévent (23 juin) ^. Les sources qui nous ont
transmis le récit des événements qui suivirent la bataille de Civi-
tate, sont en général très tendancieuses, et l'on ne doit ajouter
que très peu de créance à tous les récits favorables au pape, qui,
ont cherché à pallier la vérité.
La défaite de Civitate fut pour la papauté une humiliation ter-
rible, que l'on s'efforça plus tard de dissimuler, h' Anonyme de
Bénévent, partisan convaincu du pape, a fait de ces événements
un récit très caractéristique '. Après avoir raconté la bataille, il
ajoute que les Normands mirent le feu aux constructions situées
1. G. Ap., II, lia. Aimé, III, 40.
2. G. Ap., II, 182 et suiv. Aimé, III, 40. Léo Ost., II. S4.
3. Wibert, II, H. G. Ap., II. Malaterra, I, 14 D'après ces deux auteurs,
Léon IX serait resté sur le champ de bataille et ne se serait retiré qu'après
la défaite. Aimé, III, 37. Léo Ost., II, 84. Herimannus Aug. Chr., ad an.
Cf. Bôhmer, Fontes, etc., t. IV, p. 322. Necrot. Weissenh. qui donne le
/4 Kai. Juin. Ileinemann, op. cit., p. 367, croit que la bataille a eu lieu,
entre le Fortore et son affluent, la Staina.
4. Léo Ost.. II, 84.
:i. Watterich, op. cit., t. I, p. IIIC-IC. Cf. Delarc, toc. cit.
138
CHAPITRE IV
SOUS les remparts ; comme l'incendie menaçait de gagner la
ville, Léon IX se dirigea vers le camp ennemi. Il n'v était
pas encore arrivé, « lorsque, par une permission de Dieu, le vent
ayant changé de direction, la flamme tourna subitement du côté
de l'ennemi. Ce grand miracle ayant été constaté par les habi-
tants de la ville, qui, par crainte de la mort, avaient déjà formé le
dessein de livrer Léon aux ennemis, ils rendirent g-ràce à Dieu et
supplièrent le pape de ne pas se mettre entre les mains de si
cruels adversaires ». Pendant ce temps, les Normands arrêtèrent
le combat à cause de la nuit tombante, se proposant d'attaquer la
ville le lendemain. Dès l'aurore, le pape aurait envoyé aux Nor-
mands des chevaliers, chargés de leur dire : « Ce que vous avez
fait est déjà bien suffisant, faites pénitence pour ce qui vient de
se passer, et veillez sur vous désormais. Si vous voulez vous
saisir de moi, vous le pouvez, car je ne fuis personne. Pourquoi,
en effet, ma vie serait-elle plus précieuse que la vie de ceux qui
m'étaient chers, et que vous venez de faire périr de la mort la
plus injuste ? Plût à Dieu que j'eusse partagé leur sort, aussi bien
quant au corps que quant à l'âme ! » Les Normands ayant entendu
ces paroles, et se souvenant de la faute grave qu'ils avaient com-
mise la veille, baissèrent la tête et répondirent : (( Si le pape
veut nous prescrire une pénitence en rapport avec ce que nous
avons fait, nous sommes prêts à exécuter tout ce qu'il lui plaira
de nous ordonner )>. Cette réponse, ayant été rapportée au bien-
heureux Léon, lui plut parce qu'elle était humble, quoiqu'il igno-
rât le sentiment qui faisait parler les Normands de cette façon ;
enfin, lorsque plusieurs messagers lui eurent fait connaître les
dispositions dans lesquelles ils se trouvaient, il se décida avenir
dans leur camp. On vit alors vm beau spectacle, qui lit couler des
larmes de tous les yeux ; les soldats se prosternèrent devant le
pape, et les chefs, vêtus de soie et encore couverts de la pous-
sière du combat, se jetèrent à ses pieds. Le vénérable pape les
reçut avec la simplicité de la colombe, et les exhorta, avec bien-
veillance, à faire une véritable pénitence. Enfin, après leur avoir
donné divers conseils, en rapport avec les circonstances, il leur
accorda sa bénédiction, et en retour les Normands lui promirent
de lui être fidèles et de remplacer auprès de lui les soldats qu'il
avait perdus » ,
LÉON IX ET Li;S NORMANDS 139
Tout ce récit est nettement tendancieux ; il cherche manifeste-
ment à rendre à la papauté le prestige qu'elle a perdue à Civitate.
Les autres sources favorables au pape sont toutefois moins exagé-
rées que l'Anonyme de Bénévent. Léon d'Ostie ' se borne à dire
qu'Onfroi vint trouver le pape, et le prenant en sa foi, le recon-
duisit avec tous les siens jusqu'à Bénévent ; il lui aurait ensuite
promis de l'accompagner jusqu'à Capoue, quand il irait à Rome.
Wibert -, l'auteur d'une vie de Léon IX, se borne à dire :
« Le très digne pasteur étant venu à Bénévent, les Normands
l'accompagnèrent spontanément durant tout le voyage, et lui
témoignèrent de grands égards. » Voilà, avec la lettre de
Léon IX à Constantin Monomaque, dont je parlerai plus loin,
les seuls témoignages sur lesquels on s'est appuyé pour nier la
captivité du pape. Il est pourtant facile de voir que le premier de
ces récits cherche à faire servir à l'apologie du pape jusqu'à
ses défaites, et que les autres, ayant à parler d'un événement
ennuyeux, procèdent par prétérition.
Cependant, si nous plaçons en face de ces témoignages ceux
des sources moins partiales, nous voyons qu'il ne saurait y avoir
aucun doute sur la condition où se trouva Léon IX après la
bataille de Civitate. L'Anonyme de Bari s'exprime ainsi '^ : « Léo
fecit praeliuni cuni Nonnannis in Civitate, et cecidit, et corti-
prehenserunt illiini et portaverunt Benevento, tanien cuni honori-
hiis. » Bonizodit: « Normanni victores extitere, captumque papam
sed lit decuit honorifice tractatum, per mcdiam stragem interfec-
torinn usqiie Beneventum perdiixerunt. ' » De même Hermann de
Reichenau •' : « (2uni necessitate coactus communioneni eis pi^ius
interdictam reddidisset, acceptas ab eis Beneventum cum honore
tanien reductus est ; ihique tempore aliquanto detentus nec redire
perniissus, etc. » Aimé, à son tour, nous raconte^ : « Et quant ce fu
fait, li Normant s'en alerent a lor terre ; li pape avoit paour et li
1. Léo Ost., II, 84.
2. Wibert, II, 12.
3. Anon. Bar., ad an. 105.3.
4. Bonizo, Lih. ad amicum., dans Libelli de Li(e,elc., t. I, p. 589.
5. Ilerimannus, Aug. Chr., ad an. 1053.
6. Aimé, III, 41.
140 CHAPITRE IV
clerc trembloient. Et li \ormant vinceor lui donnèrent sperance
et proierent que securement venist lo pape, liquel mèneront o
tout sa gent jusque a Bonvenic. et lui aministroient continuel-
ment pain et vin et toute choze nécessaire, etc.. Et o la favor de li
Xormant torna à Rome... » Enfin Brunon racontant le retour
H Bénévent nous dépeint la tristesse des habitants qui, étonnés
de la grandeur du désastre éprouvé par Léon IX, regardent de
loin le pape faire son entrée dans leur ville '.
Il me semble résulter, de cet ensemble de témoignages, que
Léon IX, traité avec honneur par les Normands, fut néan-
moins prisonnier, ainsi que l'indiquent clairement les mots cap-
fus, detentus, nec redire permissus. LTn passage d'une lettre de
Léon IX, écrite durant son séjour à Bénévent, confirme à mon
avis cette manière de voir. Si les Normands s'étaient repentis
après Civitate, s'ils avaient demandé pardon au pape et lui
avaient offert de se soumettre, la défaite de Léon IX eût été plus
glorieuse et en même temps plus profitable qu'une victoire, car
par le seul prestige de sa fonction de pape, Léon IX sans armes
et sans soldats eût obtenu ce qu'il n'avait pu réussir à avoir à la
tète de ses troupes. Le pape eût, dès lors, dû être reconnaissant
aux Xoniiaiids de leur soumission et essayer, avec eux, avant de
reprendre les hostilités, d'un modiis vivendi. Or jamais Léon IX
ne s "est montré aussi irrité contre les Normands et aussi décidé
à faire tous ses eirorts pour les expulser, qu au moment même
où on veut nous faire croire qu'il est avec eux dans les termes
les meilleurs. Voici ce qu'au début de l'année 1034 le pape écrit
de Bénévent, où il est prisonnier, à l'empereur Constantin Mono-
maque - : « La victoire qu'ils [les Normandsl ont remportée, leur
est aujourd'hui un sujet de tristesse plutôt qu'une cause de joie.
Comme votre piété a eu soin de me l'écrire pour me consoler, ils
sont persuadés, que l'audace, qu'ils ont eue, suscitera bientôt
contre eux de plus grandes colères que par le passé, sans compter
1. Walterich, t. I,p. 98. Ces textes me paraissent suffisants ; on peut encore
invoquer Sig-ebert de Gembloux. Chr., M.G.H.SS.,t. IV. p. 359. Ecrivantloin
du théâtre des événements, il peut, toutefois, avoir été moins bien informé.
•2. Will, op. cit., p. 86.
LÉON IX ET LÈS NORMANDS iii
que leur troupe a été décimée par la guerre. Quant à nous, cer-
tains comme nous le sommes, que le secours divin ne nous man-
quera pas, et que les secours humains ne nous feront pas défaut,
nous resterons fidèles à notre projet de délivrer la chrétienté
et nous ne nous tiendrons en paix que lorsque le danger sera
passé et que la sainte Eglise jouira aussi de la paix. » Cette lettre
de Léon IX est suffisamment claire, ce me semble, elle montre
que les Normands ont peur des secours que le pape attend, c'est-
à-dire de l'intervention de l'empereur allenaand ou de l'empereur
grec, ainsi que cela résulte de la fin de la lettre. Nous sommes
bien loin de la prétendue soumission des Normands envers le
pape.
On a dit ' que si, à ce moment, Léon IX avait été prisonnier,
il l'aurait dit au basileus. Gela me paraît singulièrement douteux,
car le pape, en avouant sa captivité, se serait mis en bien fâcheuse
posture pour traiter avec l'empereur, et surtout avec le patriarche
de Constantinople.
Un autre argument a été tiré précisément de la possibilité que
Léon IX eut de correspondre avec l'empereur grec '-. 11 ne me
paraît pas plus convaincant que les précédents. Nous savons que
les légats, envoyés par le pape à Constantinople, au lieu de
prendre la route directe, de Bénévent à Bari, pour gagner Cons-
tantinople, passèrent par le Mont-Cassin '^ Il me semble que de
ce fait on peut tirer la conclusion qu'ils s'embarquèrent soit à
Naples, soit à Amalfi, plus vraisemblablement dans ce dernier
port, car l'archevêque d'Amalfi est un des légats. Ce chemin fut
très probablement pris, parce que l'on dissimula aux Normands
l'ambassade envoyée par Léon IX. Comment admettre d'ailleurs
que les Normands aient été assez naïfs pour laisser engager des
négociations, dont toute une partie était dirigée contre eux? J'ex-
pose là, il est vrai, seulement une hypothèse, mais les présomp-
tions on sa faveur me paraissent très fortes.
On ne saurait donc douter, à mon avis, de la captivité de
1. Delai'c, op. cit., p. 239.
2. Ihid.
:{. Will, op. cil., p. 17'k Léo Osl., H, HS.
142
CHAPITRE IV
Léon IX après la bataille de Givitate; c'est cette captivité qui
explique le long séjour du pape à Bénévent. 11 reste à savoir
quelles furent les conditions imposées au pape par les Normands.
Ici nous manquons de renseig-nements. pourtant un passage de
Malaterra peut nous fournir quelques données. Voici les paroles
de ce chroniqueur : « Quorum [Xormannojmm^ legifimam
bénévole ntiam vir apostolicus gratanter suscipiens, de offensis
indulcfentiam et henedictionein contulit, et omnem terrain quam
pervaserant et quam ulterius versus Calahriam et Siciliam lucrari
possent de S. Pétri heredifali feudo sihi et heredihus suis possi-
dendum concessit ^ ». Il ne faut pas prendre au pied de la lettre
ces paroles, car en les écrivant Malaterra a certainement eu pré-
sente à la mémoire la convention conclue, en I0o9, à Meltî, par
Nicolas II. Il doit pourtant exister dans ce passage une part de
vérité. 11 y a certainement eu des concessions de la part de
Léon IX, car on ne saurait expliquer autrement que les Normands
Talent relâché. Peut-être le pape fut-il obligé de reconnaître
l'état de choses existant et de confirmer les Normands dans la
possession des territoires de la principauté de Bénévent qu'ils
occupaient. La ville de Bénévent fut toutefois exclue de cet
accord, car nous savons qu'elle resta au pape.
Les négociations entre Onfroi et Léon IX ne furent terminées
qu'au mois de mars 10o4. Le 12 de ce mois, le pape quitta Béné-
vent ; il fut accompagné par Onfroi jusqu'à Capoue '. Léon IX
ne devait rentrer à Rome que pour y mourir 19 avril) 3 après
avoir échoué dans tout ce qu'il avait entrepris. A ce moment,
les Normands sont plus puissants qu'ils ne l'ont encore été. et
la victoire qu ils viennent de remporter sur la papauté va être
pour eux le point de départ d'une série de nouvelles conquêtes.
1. Malaterra, I, 14.
2. Léo Ost., II, 84.
3. Cf. Watterich, op. cit., l. I, p. 171 et suiv,
CHAPITRE V
Conquêtes des Normands de 1054 a 1059 : 1" en Podille ;
2" DANS LA RÉGION d'AvERSA ; 3° EN CaLABRE.
A la mort de Léon IX, les hostilités reprirent entre les Nor-
mands et les Bénéventains, dont Onfroi vint assiéger la ville K
Il échoua et ne put emporter la place. Les habitants voyant que
l'appui de la papauté ne leur avait servi k rien, rappelèrent Pan-
dolf, dans le courant de janvier de l'année 1055 ~. Il dut s'établir
très rapidement, entre Rome et le prince lombard, un tnodus
Vivendi, car peu après nous voyons Bénévent servir d'asde à des
cardinaux qui quittent Rome pour fuir l'émeute -K
Après son échec devant Bénévent, Onfroi retourna en Apu-
lie. Suivant Guillaume de Pouille, il aurait alors vengé l'assassi-
nat de son frère par une série d'exécutions. Il me semble plus
probable qu'Onfroi dut punir les défections qui s'étaient pro-
duites l'année précédente avant la bataille de Givitate, car il
était alors bien tard pour punir, par des exécutions en masse,
un assassinat datant déjà de trois années ^
Pendant les années suivantes, le mouvement d'expansion des
Normands vers le sud reprit de plus belle. En mars 1053, nous
trouvons à Dévia, près de Viesti, le comte normand Robert', et,
en 1054, à Lésina, le comte Pierron^; la même année, l'Ano-
nyme de Bari enregistre la prise de Conversano' ; en 1055 §, le
Chronicon brève iiorniannicum mentionne trois victoires nou-
1. Annal. Benev. M.G.H.SS., t. III, p. 180.
2. IbicL, ad an. 1055.
3. Léo Ost., III, 10.
4. G. Ap., II, 297. Cf. supra, p. 130
5. Heinemann, Zur Entstehung etc., p. 63. Anon. Bar., ad an.
6. Cartulaire de Treiniti,î° ii.
7. Anon. Bar., loc. cil.
8. Chr. brève norni., ad an.
144 ciÎAPiïRE V
velles : l'une d'Onfroi à Oria, et les autres du comte Geoll'roi à
Nardo et Lecee. Enfin, également en lOoo, Guiscard vain-
queur à Gallipoli, pénétra sur le territoire de Tarente et prit
Otrante et Minervino. On voit donc que, de ce côté, les Grecs
continuent toujours à perdre du terrain et sont rejetés dans les
villes de la côte. Pour résister aux envahisseurs, Arg'vros entama
des négociations avec Henri III, mais sans doute elles n'eurent
pas de résultat '.
Les progrès des Normands continuent également vers le
nord où le comte d'Aversa s'étend rapidement. Après la bataille de
Civitate où il avait commandé une des ailes de l'armée, Richard
vint réclamer à Gisolf les dons que Guaimar lui donnait chaque
année, et qui consistaient en chevaux et en argent. Il fut fort mal
reçu et chassé à coup de pierres "'. Les hostilités commencèrent
aussitôt et Richard tenta de s'emparer de la personne de Gisolf.
Il s'en fallut de très peu que le prince de Salerne ne tombât
dans une embuscade, qui lui fut dressée, aux portes mêmes de
sa capitale, par le comte d'Aversa. La lutte se prolongeant,
Richard s'allia aux Amalfitains, qui, depuis la mort de Guai-
mar, étaient en guerre avec la principauté de Salerne. Aimé se
borne à mentionner cette alliance des Amalfitains et de Richard,
sans nous donner aucun autre renseignement *. Le prince de
Salerne, craignant de voir Richard devenir trop puissant,
s'appliqua à rompre cette alliance et finit par se réconcilier
avec Amalfi. Gisolf, le duc d'Amalfi et trois cents habitants
de chaque cité jurèrent de maintenir la paix entre les deux
villes ^. Après cette réconciliation, Richard tourna ses vues
d'un autre côté, vers la principauté de Capoue. Depuis long-
temps déjà, les Normands d'Aversa s'étaient avancés sur le
territoire de (Papoue. Il suffit de rappeler qu'en 1052, Richard
avait déjà tenté de s'emparer de la ville même de Capoue. Les
coaqiiète.s faites aux environs de cette place sont attestées
1. JafFé, Monumenta Barnhery.. p. 37. Un acte d'Henri III, du 29 mai 1054,
fait allusion à une ambassade d'Arg vros à l'empereur.
•2. Aimé, III, 46.
3. Ibid., IV, 9.
4. Ibid., IV, 10.
CONQUÊTES DES NUH.MANDS d'aVEHSA 145
par le fait suivant : un peu après 1052, Didier, prévôt du
monastère de Saint-Benoît de Capoue, obtint de Richard la
confirmation des biens possédés par son monastère, en
dehors de Capoue '. Léon d'Ostie, qui nous rapporte ces
détails, dit que Richard prit l'engagement de ne pas attaquer
les possessions du monastère ; ceci nous montre la fréquence des
incursions normandes dans cette région. Vers la fin de 1057
mourut Pandolf V -. Il laissa pour successeur son fils Lan-
dolf V, qu'il s'était associé depuis quelques années et qui était
encore très jeune '. Richard jugea l'occasion favorable pour
rouvrir les hostilités. Suivant le procédé employé durant toute
cette période par les Normands, il construisit, autour de Capoue,
une série de postes fortifiés afin d'empêcher les habitants de
sortir. Ceux-ci résistèrent jusqu'au moment de la moisson ; la
famine les contraignit alors à traiter. Richard exigea d'être
reconnu comme seigneur. Les habitants s'y refusèrent d'abord ;
après de longs pourparlers, on finit par en venir à un accord,
Richard et son fils furent reconnus comme princes de Capoue,
mais les gens de la ville conservèrent ' la citadelle et la garde
des portes. Ce genre d'accord était alors très fréquent, et nous
en verrons d'autres exemples.
Richard s'étendit également aux dépens d'Adénolf, duc de
Gaëte et comte d'Aquino. Le nouveau prince de Capoue avait
fiancé sa fille au fils d'Adénolf, qui mourut avant que le
mariage ne fut accompli. Richard invoquant le droit lombard,
qui accordait à la femme le quart des biens du mari, réclama à
Adénolf le quart des biens du défunt, à titre de niorgengah.
C'était là une prétention absolument injustifiée, car l'époux ne
donnait le morgengab à l'épouse que le lendemain des noces,
alors que le mariage était consommé. Adénolf refusa de payer et
1. Léo Ost., III, 8.
2. Léo Ost., III, 15.
3. Di Meo, op. cit., t. VII, p. .39;j, donne un acte de 1038, ind. XI, juin, daté
delà seule année du règne de Landolf. Comme Capoue fut prise en juin
1058, on peut admettre que Pandolf dut mourir l'année précédente.
4. Léo Ost., III, 15. Aimé, IV, 11. Annal. Benev., ad an. 1057. On a de
novembre 1058 une charte de Richard et de son fils Jourdain: Capuani
principes. Galtola, Ace, t. I, p. 161.
Histoire de la domination normande. — Chalandox. 10
146 CHAPITRE V
la g^uerre éclata. Les Normands allèrent assiég-er Aquino, à
Fautomne lO^iS, et en ravag-èrent les environs '. Pendantle siège
d" Aquino, Richard se rendit au Mont-Cassin où il fut reçu avec
de grands honneurs par lancien prieur de Saint-Benoît de
Capoue, devenu abbé du Mont-Cassin, après l'élection au trône
pontifical, de l'abbé Frédéric de Lorraine. C'est alors que com-
mencèrent entre l'abbaye et le prince de Capoue des relations
qui devaient toujours rester très cordiales. L'abbé Didier eut le
mérite d'être le premier personnage ecclésiastique, qui comprit
que les Normands étaient devenus trop puissants pour être
chassés ; à une lutte inégale et stérile il préféra une entente,
dont les heureux résultats ne tardèrent pas à se faire sentir,
au grand profit du Mont-Cassin. Richard, par un privilège donné
le 12 novembre, confirma à labbaye toutes ses possessions. Il est
curieux de voir que le privilège est accordé à la demande de deux
Amalfitains, dont l'un est le fils du duc Serge, expulsé en 1028 "-.
Nous apprenons aussi par cet acte que Richard étendait alors son
autorité, ou tout au moins avait des prétentions, sur le comté de
Comino.
L'abbé Didier chercha à rétablir la paix entre Richard et Adé-
nolf. mais ne put y réussir et le prince de Capoue continua à
assiéger Aquino. Adénolf finit par payer les quatre mille sous
que réclamait Richard, Les relations de ce dernier avec Gisolf
furent un peu meilleures dans la période qui suivit. Nous savons
que Richard fournit à Gisolf des soldats dont il avait besoin
dans sa lutte contre les Normands de Guiscard; mais l'alliance
des princes de (Papoue et de Salerne dura peu, car Gisolf refusa
de payer à Richard ce qu'il lui avait promis et une nouvelle rup-
ture se produisit '.
Nous constatons donc que pour le comte d' A versa, devenu
prince de Capoue, il y a eu, après la bataille de Civitate, un
notable accroissement de puissance. Il en a été de même pour
les Normands de la Calabre.
1. Aimé, IV, 12. Léo Ost.. III, 8.
2. Gattola, Ace, t. I, p. 161.
3. Aimé, IV, "j.
ONFKOI ET GISOLF 147
Durant toute cette période, Guiscard a vu croître son influence
et sa puissance. Les attaques continuelles des Normands ont
amené les villes du midi de la Péninsule à. conclure avec eux
des arrano^ements. Nous savons que Guiscard domine alors
dans la vallée du Crati, où Bisig-nano et Cosenza ont conclu des
accords avec lui ; il s'étend même plus au sud jusqvi'à Mar-
tirano '. D'après Malaterra, ces trois villes payaient un tribut à
Robert, et lui devaient le service militaire ; des otages répon-
daient de leur fidélité. Ces conquêtes de Guiscard, en Calabre,
furent faites les unes aux dépens des Grecs, comme celle de
Bisignano ~, les autres aux dépens de la principauté de Salerne,
comme celle de Cosenza. Le moment de l'histoire des Normands
où nous sommes arrivés, est en elTet très caractéristique, car
presque tous les chefs normands sont devenus assez puissants
pour se retourner contre leur ancien allié, le prince de Salerne.
A la suite du rétablissement de Gisolf les relations entre
celui-ci et les Normands sont presque immédiatement devenues
très mauvaises. Deux partis se formèrent parmi les Lombards
de la principauté de Salerne,. l'un favorable à l'ancienne poli-
tique, c'est-à-dire à l'alliance normande, l'autre complètement
hostile à tout accord -K A la tète du premier parti était Gui, oncle
de Gisolf et beau-frère d'Onfroi ; à la tête du second était
Gisolf lui-même. Celui-ci paraît avoir supporté avec peine la
tutelle que son oncle voulut lui imposer, et prit en haine les
Normands. Cette hostilité se manifesta, dès les premiers temps
de son règne; nous en trouvons un exemple dans les persécu-
tions qu'il fit subir à Manson et Léon, deux amis de son oncle,
qui furent obligés de s'enfuir auprès de Richard d'Aversa. Il
semble que dans cette affaire Gisolf ait cherché à opposer à
Richard son frère Robert ; mais nous manquons à ce sujet de
renseignements précis ''.
La rupture de Gisolf et d'Onfroi ne tarda pas à se produire.
Onfroi vint demander au prince de Salerne d'exécuter les engage-
1. Malaterra, I, 17-18.
2. Cecaumeni slralegicon, p. 3;j.
3. Aimé, 111,44.
4. Ihid.
148
CHAPITRE V
ments qu'il avait pris, quand les Normands l'avaient rétabli
dans sa capitale ; il demanda en particulier qu'on lui livrât un
château, qui lui avait été promis alors K Gisolf refusa de tenir
ses promesses. Le moment pour se brouiller avec Onfroi était
mal choisi ; car celui-ci venait de voir augmenter ses forces par
l'arrivée d'un certain nombre démigrants normands. Parmi les
nouveaux venus se trouvaient trois de ses frères : Mauger, Geoffroi
et Guillaume, qui ne devaient jouer qu'un rôle secondaire ~.
Onfroi établit Maug-er en Capitanate. Ses deux autres frères
n'avaient encore reçu aucune terre, quand commencèrent les
hostilités avec Gisolf. Onfroi s'empara de San Nicandro, près
d'Eboli, et plus au sud, dans la région de Policastro, prit
diverses places entre autres Castelvecchio. Ce fut Gui, frère de
Gisolf, qui dirigea la résistance, sans aucun succès d'ailleurs.
Onfroi investit alors des terres conquises son frère Guillaume,
qui prit le titre de comte du Principat -^
La mort d'Onfroi survenue dans les premiers mois de l'année
4057 '• n'arrêta pas les progrès des Normands, qui choisirent Guis-
card comme successeur de son frère. Les rapports entre Robert et
Onfroi n'avaient jamais été très cordiaux, et même Guillaume de
Pouille raconte que quelque temps après la victoire de Civitate,
Onfroi fit arrêter Guiscard, qui se trouvait chez lui '. L'intervention
1. Aimé, III, 45.
2. Aimé, III, 40. Malaterra, I, la. Aimé est en contradiction avec Mala-
terra. Le premier fait arriver, alois, le dernier des Hauleville, Roger, qui
d'après le second, vint en Italie seulement après que Robert Guiscard eut
été proclamé comte. Pour tout ce qui touche Roger, Malaterra a plus
d'autorité qu'Aimé.
3. Aimé, III, 45. Cf. la poésie de l'aichevêtjue de Salei'ne, Alfan, dans
Arch. st. nap., t. XII, p. 774. L'auteur s'adresse à Gui, frère de Gisolf.
Sed postqunm patriœ Pater et tuim, ante suoruni
Ora propinr/uorum, confoditur f/Iadiia,
Qui<l(/uid hahere priua fuerat haec vif a decoris,
Momento periit, fuinus et timbra fuit.
Aam velut una lues pecorum solet omnibus atjmen
Aère corrupto debilitare modis,
Sic gens Gallorum numerosa clade, Salerni
Principe defuncto perculif omne solum.
4. Cf. p. 149, note 2.
5. G. Ap. II, 314.
ROBERT GUISCARD SUCCÈDE A ONFROl 149
des seig-neurs présents amena une réconciliation, à la suite de
laquelle Onfroi aurait concédé de nouvelles terres à son frère, mais
il semble bien que, depuis lors, Guiscard ait vécu de son côté. Sui-
vant le même auteur, qui est le seul à parler de ces faits, Onfroi
sentant sa fin approcher, aurait fait venir Robert et lui aurait
demandé d'administrer ses terres et d'être le tuteur de ses fils
Abélard et Hermann '. Onfroi mourut peu après cette dernière
entrevue, et fut enterré à Venosa. Son frère, sans s'inquiéter
des promesses qu'il avait faites, s'appropria l'héritage au détri-
ment de ses neveux, et se fit élire comme chef par les Nor-
mands, en août 10o7 '. Il ne paraît pas que son élection ait
présenté de difficultés ; il est probable que la récente élection du
pape Etienne IX, notoirement hostile aux Normands, a amené
momentanément l'union des différents comtes. Comme à ce
moment, les attributions de celui que les Normands reconnais-
saient comme chef, se bornaient à conduire l'armée en cas de
guerre, Guiscard était le candidat le plus indiqué et par la bra-
voure dont il avait fait preuve et par sa puissance territoriale
qui était très considérable ; il joignait, en effet, à ses posses-
sions de Calabre toutes celles de son frère Onfroi. Il n'y avait
guère que le prince de Capoue dont la puissance put rivaliser
avec la sienne ; mais il est à noter que la principauté de Capoue
a toujours été tenue à l'écart par les Normands de la Fouille.
Après son élection, Guiscard jugea la situation assez tranquille
pour s'éloigner, et retourna en Calabre. Il tenta, dans les der-
niers mois de l'année 1057, un coup de main sur Reggio. Par
Cosenza et Martirano, Guiscard gagna Squillace, de là il suivit le
littoral etarriva devant Reggio. Il ne put s'emparer de la place, mais
diverses villes se soumirent entre autres Leucastro, Maia, Ganalda'^
1. G. Ap., II, 364. Le Chr. Amal/iL, c. 27. Guillaume de Jumièges, VII,
30 et Romualcl de Salerne, M.G.H.,SS., t. XIX, p. 40o. Malaterra, III, 4 et
G. Ap., II, 4.ji, indiquent que Guiscard confisqua rhéritage de ses neveux.
Il s"agit des terres appartenant à Onfroi, et non de la dignité de chef des
Normands, comme la cru Delarc, op. cit., p. 279.
2. Guiscard fut élu en 1057, ind. X, donc avant septembre. Anon. Bar.,
ad an. Gette date est confirmée par une charte où, en août 1078, on compte
la 21" année de Guiscard. Di Meo, op. cit., t. VIII, p. 175. Par suite le Chro-
nicon brève norman. et Lupus font erreur en plaçant cet événement en 105G-
3. Malaterra., I, 18. Maia est à identifier avec Maida, circond. de Nicas-
tro, prov.de Catanzaro.
loO CHAPITRE \
Pour soumettre le pays, Robert y établit une série de postes, dont
il donna le commandement à l'un de ses frères. Rog-er. qui
venait d'arriver en Italie. Celui-ci s'installa dans la péninsule,
que termine le cap ^'aticano, dans la région de Bivona, près de
Monteleone ' .
Guiscard fut rappelé de la Calabre par les événements dont la
Fouille était le théâtre. Il semble que quelques-uns des sei-
gneurs normands aient alors refusé de reconnaître son autorité
et se soient révoltés. Guiscard alla d'abord mettre le siège devant
Troia dont les habitants durent se soumettre '-. II semblerait,
d'après un passage très confus d'Aimé, que Guiscard ait alors
soutenu son frère Guillaume contre Gisolf, mais le texte est ici
si obscur que l'on ne peut préciser.
Robert fut retenu en Fouille par la révolte de l'un des princi-
paux chefs normands Fierron, seigneur de Trani '. Celui-ci,
qui avait été le rival de Dreux, lors de son élection, ne voulut
pas reconnaître Guiscard et s'empara de Melfî. Robert vint
aussitôt ravager les environs de la ville. Aimé, qui est le
seul à parler de ces faits, nous en a laissé un récit très
confus. D'après lui, Fierron aurait invoqué la trêve de qua-
torze jours qui avait été conclue, sans que nous sachions de quoi
il est question. Flus loin le même auteur nous dit que Guiscard
craignit que Fierron n'entrât dans la ville pendant la trêve, alors
que quelques lignes plus haut, il raconte que Fierron avait déjà
pénétré dans Melfi.Un combat judiciaire tourna à la confusion de
1. Malatena, I, 10. Il convient de placer larrivée de Roger avant le mo-
ment où Guiscard se rend en Fouille. Robert nest pas en Calabre, lors des
premières conquêtes de son frère, il est en Fouille ; cela résulte de Mala-
terra II, 19 et 20.
2. Aimé, IV, 3. Ilirsch, op. cil., dans Forschunfjen,t. VIII, p. 300, croit
qu'Aimé a raconté deux fois le même événement. Cf. Aimé, V, 6, 200. Je
crois que Delarc, Aimé, p. 201, note 1, est dans le vrai en distinguant
deux sièges de Troia. Il a dû se passer pour Troia, ce qui s'est passé
pour Capoue ; dans la première période de la soumission aux Normands, la
ville garda une demi-indépendance ; elle ne la perdit qu'après une révolte
causée par ce fait que Guiscard voulut y élever un château. La situation
de Troia paraît ainsi avoir été identique à celle de Capoue vis-à-vis de
Richard.
3. Aimé, IV, 5. Malaterra, I, 18. La révolte de Fierron de Trani est
antérieure au lyariage de Guiscard. Cf. Aimé, IV, 20.
ROBERT GUISCARD ET ROGER 151
PieiTon, qui s'enfuit ; poursuivi par Guiscard, il fut battu près d'un
endroit qu'Aimé appelle Cysterne * . Robert remporta une nouvelle
victoire, à Andria -, et força, à la suite d'une série de succès,
Pierron à faire sa soumission. Guiscard se trouva, alors, assez
puissant, pour transformer en suzeraineté effective, l'autorité
nominale, qu'il avait exercée jusqu'ici ; il alla « cherchant tuit il
Normant de entor et nul n'en laissa qu'il non meist en sa
poesté, fors solement le conte Richard remaist -^ ». Dans toute
cette campagne, Robert fut aidé par son frère Roger qu'il avait
fait venir de Calabre '.
Roger avait débuté brillamment en Calabre, et, à la suite d'une
série d'expéditions heureuses, avait obtenu la soumission des
villes et des châteaux de la vallée des Salines •"'. Guiscard estima
que les succès de son frère lui permettaient d'entreprendre une
nouvelle expédition contre Reggio (hiver IO08). Rapprit, en route,
que les habitants de la ville avaient enlevé tous les approvision-
nements de la région et il dut, pour ravitailler son armée, envoyer
Roger ravager les environs de Gerace ; peu après, l'hiver trop dur
fît abandonner son projet à Guiscard, qui renvoya chez eux ses
chevaliers et alla hiverner à Maia ^.
Dans le courant de l'année 1 058, une brouille survint entre Guis-
card et Roger. Nous ne connaissons ces faits que par Malaterra
qui les a certainement un peu arrangés pour donner le beau rôle
à Roger ^. De son récit, il résulte qu'une question d'intérêt
amena la rupture entre les deux frères. Roger s'éloigna et
alla en Fouille sans doute pour chercher un appui auprès des
seigneurs, qui avaient pris part à la dernière révolte. Il fut
rappelé par son frère Guillaume, comte du Principat, qui l'invita
i. Il s'agit ou do Cisternino, circond. et prov. de Bari, ou de Cisterna, au
sud de Canosa (carie d'Italie au 1/50,000, 1'" 176, IVj. A cause du mot cité,
employé par Aimé, la première identification me parait la plus probable.
2. Andria, circond. de Barletta, prov. de Bari.
3. Aimé, IV, 7.
4. Malaterra, I, 20.
5. Malaterra, I, 19-21 . Cette vallée débouche au hameau de Saline, com-
mune do Fossato di Calabria, circond. et prov. de Reg'gio Calabria.
6. Malaterra, I, 21-22.
7. Id., I, 2.1
152 CHAPITRE V
à venir chez lui et l'assura qu'il partagerait avec lui tout ce qu'il
possédait. Roger accepta les offres de son frère, qui l'établit à
Scalea '. La g-uerre contre Guiscard commença aussitôt. Celui-ci
arriva rapidement et vint assiéger Roger, détruisant les oliviers et
les vignes dans les environ de Scalea. Il fut toutefois obligé de se
retirer à l'arrivée de Guillaume du Principat qui amenait des
renforts.
Roger et Guiscard finirent par se réconcilier et Roger servit
Robert à la tète de quarante chevaliers. L'accord d'ailleurs
ne fut pas long. Au bout de deux ans Roger, se querella de nou-
veau avec Robert pour des questions d'intérêt et retourna k
Scalea, d'où il recommença à piller les possessions de son frère -.
A ce moment, Roger mène une vie de véritable bandit, de voleur
de grands chemins, pillant et rançonnant les voyageurs. Mala-
terra raconte qu il captura un jour une bande de marchands
amalfitains ; avec l'argent qu'il leur vola il put recruter des
pour troupes continuer la guerre contre Guiscard.
L'année 10o8 '■'' fut marquée dans la Calabre par une très
grande famine. On en trouve facilement la cause, si l'on songe
aux procédés employés par les Normands dans leurs guerres,
c'est-à-dire à la destruction systématique des récoltes. La misère
générale fit éclater une révolte. Les Calabrais, voyant la dis-
corde régner entre Roger et Robert, commencèrent à refuser
le service militaire et k ne plus payer le tribut ; ils en vinrent
même k la résistance ouverte et k Leucastro ^ ils massacrèrent la
garnison normande. Ils n'épargnèrent pas davantage les Byzantins,
et le chef de l'armée grecque de Calabre fut obligé de s'enfuir ■'.
Guiscard comprit que si la rébellion s'étendait, il courait le
risque de perdre la Calabre; comme, en même temps la Pouille
s'agitait, il se décida k traiter avec Roger auquel il concéda la moi-
tié de la Calabre acquise et à acquérir depuis le mont Intefoli et
1. Malaterra, I, 24. Scaloa, circond. de Paola, j^rov. de Cosenza.
2. Malaterra, I, 2fi.
3. Ihid., I, 27.
4. Ch.-l. de circond., prov. de Catanzaro.
5. Malaterra, I, 28. et Anon. Vat., Muratori, R.l.SS., t. VIII, p. 75^. Lupus
Protospat., ad an. lOnS. Skylitzès, dans (".édrénus, II, 721-722.
ROBERT GUISCARD ET flISOLF 153
Squillace jusqu'à Regfçio. Les termes, dont se sert Malaterra,
ne permettent pas de préciser la nature de cet accord, mais il
résulte clairement d'autres passages du même auteur qu'il faut
entendre par là que Rog-er et Guiscard eurent chacun la moitié
de chaque ville '.
Le traité dont il vient d'être question doit être du milieu de
l'année 1038. Guiscard est alors dans une période où tout lui
réussit -. A ce moment, en etîet, le prince de Salerne, se sentant
incapable de continuer seul k lutter contre le comte du Princi-
pat, se rapprocha de Robert.
Nous avons vu plus haut les difficultés qui s'étaient élevées,
vers 1053, entre Gisolf et les Normands. Dans les années qui
suivirent, le prince de Salerne continua à suivre à leur égard une
politique nettement hostile. Il avait cherché à se rapprocher
d'Etienne IX, dont il connaissait la haine contre les Normands,
et lors de l'avènement du pape, il avait fait revenir à Salerne
parce qu'il était l'ami d'Etienne IX, un moine du Mont-Cassin,
Alfan, bien que les parents de celui-ci eussent pris part à l'assas-
sinat de Guaimar. Gisolf avait d'abord fait nommer Alfan abbé du
monastère de Saint-Benoît, puis peu après l'avait fait élire arche-
vêque de Salerne •'. La mort d Etienne (29 mars 1058] fit perdre à
Gisolf tout espoir d'une intervention pontificale, il chercha donc
alors à se rapprocher de Guiscard et lui offrit de lui payer les sub-
sides que son père fournissait chaque année. Ses offres furent
agréées et il remit en otage son frère et le fils de celui-ci. x\llié
de Gisolf, Guiscard combattit pour le prince de Salerne contre
Guillaume du Principat ''. Nous ne savons rien de précis sur
i. Cf. infra, p. 200.
2. Malaterra, III, 31. Aimé, IV, 19.
3. Pflugk Harttung-, Acfa inedita, t. II, p. 83. Cf. Léo Ost., II, 90et 96, et III.
8. Ilirsch., op. cit., dans Forschimgen, t. VIII, p. 288, pensait qu'il y avait
eu un archevêque, entre Jean (10.j4) et Alfan (IO.tTi. Ce n'est pas probable,
car Jean vit encore en 10o7, Paesano, op. cit., t. I, p. 112.
4. Aimé, IV. Schipa, op. cit., Arch. st. nap., t. XII, p. rj.j2, note, croit,
que Gisolf donna, en otage, son cousin, le fils de son oncle Gui; c'est une
supposition qui me paraît peu probable, car alors Gui est très mal avec
son neveu, il est l'allié de Guillaume du Principat. Aimé, IV, 22.
154
CHAPITRE V
ces événements ; le théâtre de la g-uerre fut la Lucanie et il y eut
notamment des combats dans la vallée de Briziana *.
Le résultat le plus clair de l'alliance de Guiscard avec Gisolf,
fut son mariag-e avec Sykelgaite, sœur de ce dernier. Robert
répudia sa femme Auberée, dont il avait eu un fils, Bohémond, et
demanda au prince de Salerne la main de sa sœur. Gisolf n'osa la
refuser, mais il semble résulter de Malaterra et d'Aimé qu'après
avoir consenti au mariage, il y mit comme condition que Robert
obligerait le comte du Principat à se soumettre. Guiscard, qui
était déjà venu avec une suite brillante pour célébrer ses noces,
dut rentrer en campagne. Guillaume était, à ce moment, allié à
Gui, duc de Sorrente, dont il avait épousé la fille. Il finit par
être vaincu et Guiscard, de retour à Melfi, y épousa Sykelgaite
en grande pompe (1058) -.
Le mariage de Guiscard fut suivi d'une période durant laquelle
la paix régna entre les trois frères. Roger rendit à Guillaume le
château de Scalea qu'il avait reçu de lui et Guiscard donna à
Roger la ville de Mileto ■'.
Au début de 10o9, une nouvelle insurrection éclata en Calabre.
A la tête des rebelles étaient l'évêque de Cassano et le gouverneur
1. (]f. k's vers de l'archevêque de Salerne à Gui, frère de Gisolf, Arch.
si. nap., t. XII, p. 775, où il est certainement fait allusion à ces campagnes.
2. Malaterra, I, 30-31. Aimé, IV, 18 et 23. Léo. Ost., III, 15. La date est
donnée par Malaterra. Je ne sais ])ourquoi Delarc, op. cit., p. 330, place
le mariage après le concile de Melfi. Malaterra est formel à ce sujet :
Anno ah incarnadone doinini lO.'iS. 11 est certain que toutes ces guerres
sont finies, lors du concile de Mi'lfi, puis(jue, à ce moment, Guiscard est
occupé en Calabre. On ne peut invoquer contre Malaterra que Guillaume de
Fouille, 11,410 et suiv. Mais pour toute cette partie, cet auteur ne suit pas
l'ordre chronologique. Pour concilier ces deux versions, on a imaginé que
Malaterra commençait l'année le l'"' septembre et retardait d'une année,
ainsi l'année 1038 irait du l*"'' septembre 1038 au 1"^'' septembre 1039, cf. di
Meo, op. cit., t. VII, ]). 3!H), t. VIII, p. 2(') ; Ilirsch, op. cil., dans Forsch.,
t. VIII, p. 2!in : Haist, o/j. cit., dans Forsch., l. XXIV, p. 318 ; Meyer von
Knonau, Ileinric/i /T, t. I, j). 149, n. 3(i ; or ceci est inexact, comme on l'a
vu plus haut dans l'Elude des sources, à propos de Malaterra. Le
mariage de Guiscard est antérieur au concile de Melfi, puisque Guiscard
emmena sa femme en Calabre, Aimé, IV, 25, et que c'est en Calabre qu'il
apprit que Nicolas II se rendait à Melfi. Comme Malaterra commence
l'année à Noël ou au l*^"" janvier, le mariage est donc bien de 1058.
3. Aimé IV, 24-23. Mileto, circond. de Montelcone, prov. de Catanzaro.
ROBERT GUISCARD ET GEOFFROI 155
byzantin de Gerace. Roger réussit rapidement à rétablir l'ordre K
Pendant ce temps, Robert Guiscard n'était pas en Calabre ;
mais dans le nord de la Fouille, où il aidait son frère GeofFroi à
soumettre les territoires que lui avait laissés Mauger, mort peu
auparavant ~. Après cette expédition, Robert revint en Calabre ;
il était occupé au sièg-e de Cariati', quand il apprit que prochai-
nement le pape Nicolas II devait se rendre à Melfi. Aussitôt
Guiscard laissa une partie de ses troupes continuer le siège et
se rendit lui-même auprès du pape.
1. Malateri'a, I, 32. Cassaiio, ciiToud. de Castro\ illari, iirov. do Cosenza.
Gerace, clief-lieu de circond., pi'ov. de Regg-io.
2. Malaterra, I, 33-34.
3. Cariati, circond. de liossano, prov. de Cosenza.
CHAPITRE VI
LA PAPAUTÉ ET LES NORMANDS
(1054-1059)
On a vu plus haut comment Léon IX, rapproché des Byzantins
par une haine commune, avait été amené à chercher, auprès du
catépan d'Italie, un appui contre les Normands. Malgré la défaite
de Givitate, qui empêcha l'accord de sortir son plein effet, l'al-
liance du pape et du basileus eût pu produire des résultats heu-
reux pour les deux puissances, mais l'ambition d'un homme, le
patriarche Kéroularios, réduisit à néant les espérances que les
politiques des deux partis avait un moment pu concevoir, et
amena, entre Rome et Bjzance, la rupture définitive. Les consé-
quences de ce fait furent très importantes pour les Normands,
c'est pourquoi il convient d'y insister.
L'aHiance des Byzantins et de la papauté avait été en grande
partie l'œuvre d'Arg-yros. Celui-ci, lombard d'origine, n'avait pas
à l'égard des Latins les préjugés que l'on trouve alors chez beau-
coup de Grecs. Connaissant à merveille la situation politique de
l'Italie du Sud, Argyros vit clairement que l'intérêt de l'empire
demandait un rapprochement avec le pape Léon IX. On pouvait
espérer que les Normands ne seraient pas en état de résister aux
forces réunies du souverain pontife et des Grecs. Argyros se
heurta à Constantinople à des résistances violentes. Bien que
l'on ait récemment cherché à établir, que, depuis la mort de
Basile II, les relations entre Byzance et Rome avaient été em-
preintes de la plus grande cordialité, on ne saurait nier que le
clergé oriental n'ait été alors animé dune sourde hostilité envers
Rome'. A la tête de l'église de Constantinople était le
1. Bréhier. Le schisme oriental du A'/"" siècle, p. 1 et suiv.
LÉON IX ET KÉROLLARIOS 157
patriarche Michel Kéroularios, qui rêvait de devenir le pape de
rOrient, comme Tévèque de Rome était devenu le pape de l'Occi-
dent. Kéroularios ne faisait, en somme, que reprendre Tidée de
plusieurs de ses prédécesseurs et l'on est amené naturellement à
rapprocher sa conduite de celle d'Eusthatios qui, vers 1024, cher-
cha à obtenir de Rome la reconnaissance de l'autonomie de
l'Eg-lise de Gonstantinople. Que Kéroularios ait eu une ambition
plus haute, qu'il ait rêvé de subordonner l'Etat à l'Eglise et ait
songé à se faire donner la couronne impériale, c'est une question
où nous n'avons pas à entrer. Il suffît de marquer ici que Kéroula-
rios était le chef du parti hostile à Rome; il représentait les sen-
timents de tout le clergé grec et aussi d'une partie considérable
de la population de l'empire byzantin, comme le prouvent et
l'appui qu'il trouva dans le clergé et la popularité que lui acquit
sa conduite.
Kéroularios se trouva donc amené à faire une opposition vio-
lente à la politique qu'Argyros voulait faire suivre à l'empereur
dans les affaires d'Italie. Il y eut à ce sujet des intrigues que
nous connaissons mal. Tout ce que nous savons, c'est que des
scènes violentes eurent lieu entre le patriarche et Argyros. Ce
dernier finit par convaincre Constantin IX, et les négociations
engagées entre Léon IX et le catépan furent certainement
autorisées par le basileus. N'ayant pu empêcher le rapprochement
entre le pape et l'empereur, Kéroularios chercha à amener la
rupture entre Gonstantinople et Rome.
Les hostilités commencèrent en 10o3, très probablement, à
mon avis, avant la bataille de Civitate, par une lettre de Léon
archcA^êque d'Achrida adressée à Jean, évêque de Trani où les
usages de l'Eglise latine, notamment le jeûne du samedi et l'em-
ploi du pain azyme pour l'Eucharistie, étaient vivement critiqués ' .
En même temps, Kéroularios faisait composer par un moine du
couvent de Stoudion, Nikétas Stétathos, un traité contre les
usages des Latins -. Le patriarche, passant aux actes, fît fermer les
églises latines de Gonstantinople -^ Le pape eut connaissance de
1. Will, op. cit., p. 56 et suiv.
2. Cf. Brélîier, op. cit., pp. 94-95.
3. Will, op. cit., pp. 89 et 164.
158 CHAPITRE VI
la lettre à Jean de Trani par le cardinal Humbert. Léon IX
répondit lui-même à Farchevêque d'Achrida, et, voulant montrer
qu'il n'était pas dupe de la conduite de Kéroularios, il adressa
sa réponse à Léon et au j^atriarche'. Le pape faisait l'apolos^ie de
l'Eglise romaine, dont il vantait l'orthodoxie, en lui opposant les
hérésies où était tombés les patriarches de Constantinople et
(( les sujets de scandale donnés par l'Eglise de Byzance ». Le
pape terminait en refusant de discuter les questions soulevées
par Léon d'Achrida, tant que Kéroularios ne se serait pas soumis.
Léon IX obtint un plein succès. Il est probable que la con-
duite de Kéroularios avait mécontenté l'empereur Constantin,
qui, à ce moment, croyait avoir encore besoin du pape. L'inter-
vention du basileus amena le patriarche à écrire au pape une
lettre remplie de modération, où il parlait de son grand désir de
concorde et aussi, ce qui pour nous est plus intéressant, des
secours que l'on attendait de lui contre les Francs-. Qu'Argyros
n'ait pas été étranger à la conduite de l'empereur, c est ce que
l'on peut conclure de l'envoi, par le catépan, de l'évêque de Trani
à Constantinople'. Kéroularios dut être forcé par l'empereur
d'écrire au pape la lettre où il faisait amende honorable. C'est ce
que montrent clairement les termes dont se sert le pape dans
la lettre qu'il adressa k Constantin IX, en janvier 1054 : « Après
ces trop longues et pernicieuses discordes, c'est toi qui le pre-
mier as non seulement ordonné, mais mandé et effectué la paix
et la concorde, selon nos vœux'' ».
Les bonnes dispositions de l'empereur amenèrent Léon IX à
traiter directement avec lui. En janvier 1054-, le pape envoya à
Constantinople, une ambassade composée du cardinal Humbert,
de Frédéric de Lorraine et de l'archevêque d'Amallî, Pierre'.
1. Cf. Bréhier, op. cil., p. 97 et suiv.
2. Will, op. cit., p. 174. La lettre de Kéroularios à Léon IX est perdue,
mais le patriarche fait allusion à son contenu dans une lettre à Pierre,
patriarche d'Antioche.
:i. Anon. Bar., ad an. lOoii. M. Bréhier na pas cité le texte de l'Ano-
nyme de Bari qui fait une quasi-certitude de riiypothèse (ju"il a émise
relativement à l'intei'vention d'Argyros, op. cit., p. 103.
4. Will, op. cit., p. 85.
5. Léo. Ost., II, 88. Will, op. cit., p. 130 et suiv.
LÉON IX ET KÉROULARIOS 159
La lettre que le pape écrivit alors au basileus nous a été conser-
vée, elle est précieuse car elle nous montre que les sentiments
de Léon IX, envers les Normands, n'ont pas changé et que le pape
espère toujours en venir à bout avec laide des Grecs et de l'em-
pereur allemand ', Autant le pape se montrait bienveillant à
Téfçard du basileus dans la lettre qu'il lui adressait, autant il se
montrait dur et sévère dans celle qu'il écrivit au patriarche.
L'ambassade pontificale fut très bien reçue à Gonstantinople
par l'empereur, tandis que dès le début ses rapports avec le
patriarche furent très tendus. On a dit, pour expliquer la conduite
de Kéroularios, que Constantin et Argyros lui avaient fait espérer
qu'il serait traité par le pape comme son égal, et que c'est son
mécontentement, qui, au reçu de la lettre du pape, aurait
dicté sa conduite. On ne saurait établir avec certitude que Cons-
tantin et ArgA'ros aient donné au patriarche de telles espérances,
néanmoins cette hypothèse a pour elle une très grande vrai-
semblance '^
Le résultat le plus clair de l'ambassade fut de détacher Cons-
tantin du parti de Kéroularios. Mais la mort de Léon IX, sur-
venue le 19 avril, fournit au patriarche un prétexte pour refuser
de discuter avec les légats pontificaux, dont les pouvoirs, selon
lui, n'étaient plus valables. L'empereur et les légats purent
bien condamner l'écrit de Nikétas Stéthatos et excommunier le
patriarche, le refus de Michel de traiter avec eux fît échouer la
mission des envoyés de Uome, qui quittèrent Constantinople le
17 juillet 3.
Les événements qui suivirent sont peu clairs. Il semble tou-
tefois que Kéroularios, après le départ des légats, se soit décidé
à les attirer dans un guet-apens. L'empereur, à sa demande, leur
écrivit de revenir, mais ayant eu connaissance des projets de
Kéroularios. il voulut assister à l'entrevue du patriarche et des
légats. Sur le refus de Kéroularios, il écrivit aux envoyés de
Rome de continuer leur route. Kéroularios se vengea de l'em-
1. Cf. supra^ p. 13ri et suiv,
2. Bréhier, oj). cit., p. 104.
3. Cf. Ihid., p. lO.j et suiv.
160 CHAPITRE VI
pereur, en excitant contre lui une émeute formidable. Constantin
fut obligé d'écrire au patriarche une lettre <( suppliante », où il
s'excusait de la conduite qu'il avait tenue, en rejetant a toute la
faute sur la fourberie d'Arg\ ros, qui était destiné dans cette affaire
à supporter les conséquences des colères de l'un et de l'autre
parti ». L'empereur promettait de faire brûler la bulle d'excom-
munication, promulguée contre le patriarche, et d'exercer des
représailles contre Argyros dont le tils et le gendre étaient déjà
en prison K
En résumé, la lutte entre le patriarche de Constantinople et le
pape se termina par le triomphe complet du premier, triomphe
que ne firent qu'augmenter les divisions intestines qui se produi-
sirent alors dans l'Eglise de Rome.
Nous avons vu que Léon IX était mort à Rome, le 19 avril
1034 ; son successeur, Victor II, ne fut sacré dans la basilique de
Saint-Pierre que le 13 avril lOoo. Ce long interrègne montre
clairement les difTicultés qui assiégèrent alors l'Eglise. A la
mort de Léon IX, les deux partis qui se disputaient la papauté
s'adressèrent à l'empereur allemand. L'aristocratie romaine
envoya à Mayence des ambassadeurs demander à Henri III de
désigner un nouveau pape -. En même temps, le parti de la
réforme qui avait à sa tête Hildebrand, chargeait ce dernier de
se rendre également auprès d'Henri III ^ ; et ainsi, amusante
ironie, c'est l'un des principaux acteurs de la lutte du sacerdoce
et de l'empire, qui alla demander à I empereur de désigner le pape ;
l'état de l'Eglise fait toutefois comprendre cette démarche et la con-
duite du parti des réformes était en quelque sorte imposée parles
circonstances. A Rome, la papauté avait toujours à craindre l'aris-
1. Will, op. cit., p. 166et suiv. M. Bréhier, op. cil., p. 123, donne peut-être
trop d'importance au témoig-nage de Guillaume de Pouille, II, 267 et suiv.,
qui raconte quArgyros fut envoyé en exil et y mourut. Argyros partit, il
est vrai, en 1056, Anon.Bar., ad an. Mais ce fut pour revenir peu après,
car, en lOoS, il était déjà revenu depuis quelque temps, puisque nous le
voyons retourner à Constantinople, Anon. Bar., ad an. Il dut être ren-
voyé en Italie à l'avènement disaac Comnène l"'" sept. 101)1 j.
2. Anon. IIaserens.,c. 38, M. G. II. SS.,t. VII, p. 26o. Lambert d'IIersfeld,
ad an., 1054. Annales Roman., éd. Duchesne, Lib. Pont., t. II, p. 333.
3. Léo. Ost., II, 86.
La papauté et les normands 16l
tocratie et c'est en vain qu'elle eût cherché, en Italie, une puis-
sance sur laquelle elle pût s'appuyer. Les événements de Cons-
tantinople rendaient difficile un appel à l'empereur grec, et d'ail-
leurs si l'on avait pu song-er à gagner l'appui militaire des Byzan-
tins, on était bien loin de penser à fournir au patriarche de
Constantinople une occasion d'intervenir dans les affaires inté-
rieures de l'Église. Nul ne pouvait alors songer aux Normands
que Ton regardait encore comme des voleurs de grand chemin ;
les rapports, que Léon IX avait eus avec eux, paraissaient
rendre impossible toute alliance avec les vainqueurs de Civitate.
Dans l'entourage pontifical, on ne devait pas faire de difTérence
entre les Normands et les nobles romains contre lesquels la
papauté luttait depuis tant d'années. On ne pouvait davantage
songer au prince de Salerne, et les princes du Nord de l'Italie,
vassaux de l'empereur allemand, étaient incapables de fournir
aucun appui. Henri III était le seul souverain à qui la papauté
pût demander de la défendre ; en s'adressant à lui, le parti des
réformes pouvait espérer que le nouveau pape servirait l'Eglise
et lui fournirait l'assistance impériale.
Le choix d'Henri III se porta sur l'un de ses parents Gebhard,
évêque d'Eichstadt et chancelier de l'empire, qui prit le nom de
Victor II 1. Peut-être Henri III fut-il guidé, dans son choix, parle
désir de voir la papauté rompre avec la politique grecque inau-
gurée par Léon IX ; c'est, en effet, Victor II qui avait empêché
l'empereur d'appuyer l'expédition de Léon IX contre les Nor-
mands. Bien qu'à ce moment les relations entre les deux empires
paraissent avoir été assez cordiales, il est probable qu'Henri III
ne tenait pas à voir l'empire grec jouer dans les affaires italiennes
un rôle prépondérant.
Le nouveau pape gagna Rome, où il fut couronné en avril
1055 2. Au début de son pontificat, Victor H parut vouloir suivre
la politique qu'il avait conseillée à l'empereur, alors qu'il était
chancelier. Il ne se montra pas hostile aux Normands et même
1. Cf. Steindorff, Heinrich III, t. 1, p. 283.
2. Berthold. .4n^., ad an. 1034. M.G.H.SS., t. V, p. 269. Bonizo. Lib. ad
amicuin, dans Libelli de Lite, etc., t. I, pp. 389-390.
Histoire de la, domination normande. — Ghalanoon. 11
162 CHAPITRE VI
suivant certaines sources aurait songé à traiter avec eux '. Peut-
être la conduite de Victor II lui fut-elle dictée par les circons-
tances qui entourèrent le voyag'e que l'empereur fît alors en
Italie.
Henri III passa les Alpes pour réduire un de ses vassaux,
Geoffroi duc de Lorraine, qui. par son mariage avec Béatrice,
veuve de Boniface, marquis de Toscane, était devenu le plus
puissant seigneur de l'Italie septentrionale -. L'empereur avait vu
sans plaisir cette union, et, dès iOoi, il avait invité ses vassaux
italiens à surveiller le duc. Geolfroi n'attendit pas la venue
de l'empereur et se réfugia en Lorraine. Henri III échoua donc
de ce côté; il ne réussit pas beaucoup mieux par ailleurs. En juin
iOoo-^, il assista au concile de Florence, puis envoya dans le
midi de l'Italie des ambassadeurs, sans que nous sachions exac-
tement dans quel but \ Steindorlf pense que l'empereur songeait
à unir les Lombards et les Grecs dans une alliance contre
les Normands ''. Nous ne possédons aucun texte nous permet-
tant d'admettre cette hypothèse. Tout ce que nous savons, en
efîet, c'est qu'Henri III chercha à s'emparer de Frédéric de Lor-
raine, frère du duc Geoffroi, qui était revenu de Constantinople
avec de grosses sommes d'argent données par l'empereur grec.
Frédéric, pour échapper à l'empereur allemand, fut contraint de
se réfugier au Mont-Cassin, où il prit l'habit ''.
On ne doit pas, à mon avis, prêter à Henri III de vastes projets ;
il n'avait pas à ce moment le moyen d intervenir efficacement
dans les affaires italiennes et les ambassades envoyées durent se
borner à solliciter la reconnaissance de l'empereur par les
princes du sud de l'Italie ''. Peu après le concile de Florence,
Henri III regagna l'Allemagne.
1. Aimé, III, 44.
2. Ilerimanus Aug., Chr., ad an. 10o4. Lambert d"Hersfeld, Ann., ad an.
1053. Ann. Altah., ad. an. 10.j4. Sigebert de Gcmbloux, Chr., ad an. 10'j3.
3. Steindorfi", op. cit., t. I, p. 303.
4. Léo Ost., II, 86.
5. Op. cit., t.I, p. 311.
6. Léo Ost., II, 86.
7. Henri est d'ailleurs mal avec les Normands. Berthold, ad an. lOoo,
raconte que les Pisans firent prisonniers 50 Normands, qui venaient en
Italie combattre l'empereur.
LA PAPAUTÉ ET LES NORMANDS 163
La papauté ne retira donc pas grand avantage de la venue
de l'empereur, dont le résultat le plus clair fut la nomination de
Victor II comme missus pour Spolète et Fermo K Si l'on se
rappelle toutes les espérances que Léon IX avait placées dans
cette descente de l'empereur, pour le rétablissement de l'ordre
et l'expulsion des Normands, on peut conjecturer que la désillu-
sion dut être grande dans tout le parti des réformateurs. Victor II
passa la fin de l'année lOoo, à Rome, tout occupé de la réforme
de l'Eg-lise. Il semble que ses rapports avec les Romains aient
été difficiles ^ En même temps les plaintes des populations de
l'Italie méridionale contre les Normands se faisaient chaque
jour plus violentes-', si bien que Victor II fut obligé de reve-
nir au plan de son prédécesseur et entreprit à son tour de les
chasser. Convaincu qu'il ne pouvait rien sans l'intervention
d'Henri III, Victor II, dans l'été de l'année 10o(i '♦, se rendit en
Allemag-ne. pour solliciter l'appui impérial. La mort d'Henri 111
vint anéantir tous ses projets (S octobre 1056)''. La conduite
politique de Victor II fut très habile; il chercha à confondre
les intérêts de la papauté, de l'empire et de la maison de Lor-
raine. L'empire est alors aux mains d'un enfant sous la tutelle
de l'impératrice Agnès. Henri III, en mourant, avait recom-
mandé son fils au pape '', celui-ci s'occupa de réconcilier la
famille impériale avec GeofFroi de Lorraine ; il y réussit à la
diète de Cologne, au mois de décembre 1056 ^; en même temps
Frédéric, frère de GeolTroi, était, grâce à l'intervention de
Victor H, nommé abbé du Mont-Gassin ^. Il est évident que
le pape chercha à trouver dans la maison de Lorraine l'appui
1. Cf. Fickev, Forschungen, t. II, p. 322 et JafTé-L., 4348. CL Palma, Storia
ecclesiastica e civile délia regione piu settenirionale clcI r-erjno di Napoli
(Teramo, 1832), in-4°, t. I, p. 121 et 123.
2. Radulphus, Vita sancti Lieiherti, AA.SS., 23 juin, t. V, p. .^10.
3. Annal. Rom., dans Lib. Pont., t. II, p. 334.
4. Ihid., et Lambert d'IIersfeld, Ann., ad an. 1037.
0. Cf. Meyer von Knonau, Heinrich IV und Heinrich V, t. I, pp. 10-11.
6. Jaffé, Monumenta Gregoriana, t. I, p. 33. Léo Ost., II, 91.
7. Ann. Allah., ad an. l6.37, M.G.H.SS.,t. XX, p. 808. Cf. Meyer von Kno-
nau, op. cit., t. I, p. 17 et suiv.
8. Léo Ost., II, 93.
d64 CHAPITRE VÏ
que l'empire n'avait pu lui fournir. La mort de Victor ÎI
(28 juillet 1057) empêcha la politique pontificale de porter ses
fruits .
L'élection du successeur de Victor II fut très rapide. La situa-
tion avait changé depuis 1054 ; un roi enfant, confié à la tutelle
d'une femme, ne pouvait en imposer autant que 1 empereur
défunt. Les Romains, qui depuis longtemps n'avaient pas élu un
pape, profitèrent de l'occasion pour exercer leur ancien droit, et,
dès le 2 août, ils nommèrent Frédéric de Lorraine, qui prit le
nom d'Etienne IX K Que ce choix ait été appuyé par Hildebrand,
on n'en saurait douter ; Frédéric de Lorraine avait été un des con-
seillers de Léon IX, et sa nomination était en c[uelque sorte le
terme où devait tendre la politique lorraine, inaugurée par
Victor II, dans les derniers mois de son pontificat. La continuité
de vues qui inspire, sous ces trois règnes, la politique pontifi-
cale, est un témoignage certain de l'influence d'Hildebrand.
Elu le 2 août, Etienne IX fut couronné dès le lendemain. Sa
nomination constituait une rupture avec la tradition qui s'était
établie, à savoir que la reconnaissance ou plus exactement le
choix par l'empereur faisait la légitimité du pape. La cour impé-
riale se montra très mécontente de l'usurpation de ses droits ; il
ne fallut pas moins que toute l'habileté d'Hildebrand, envoyé
comme légat en Allemagne par Etienne IX, pour faire recon-
naître le fait accompli '-.
Si le choix du nouveau pape ne fut pas agréable aux Alle-
mands, il le fut encore moins aux Normands, car Etienne IX
s'était toujours montré leur ennemi; devenu pape, sa conduite
ne changea pas, et il reprit envers eux la politique de Léon IX.
Bien que son pontificat ait été éphémère, nous avons de nom-
breux renseignements sur ses projets contre les Normands,
Etienne IX voulut utiliser, pour ses desseins, les trésors qu'il
avait reçus lors de son voyage à Gonstantinople ; il ordonna aux
1. Léo Ost., II, 94. Annal. Rom., dans Lih. Pont., t. II, p. 334. Annal.
Altah., ad an. 1057, M.G.H.SS., t. XX, p. 809.
2. Cf. Ann. Allah., ad an. 1059, M.G.H.SS., t. XX, p. 809. Cf. Meyer von
Knonau, op. cil., t. I, pp. 52-33.
LA PAPAUTÉ ET LES NORMANDS 163
moines du Mont-Cassin, à qui il avait confié ce précieux dépôt,
de le lui apporter en y joignant tout ce que pourrait fournir
l'abbave. Les moines s'exécutèrent, mais avec une telle mauvaise
grâce, que le pape dut refuser l'argent qu'ils lui offraient '.
Le plan qu'Etienne IX se proposait de réaliser était grandiose :
continuant et dépassant sans doute l'idée de Victor II, il songea
à donner la couronne impériale à son frère GeofTroi de Lorraine,
qui occupait le duché de Spolète -, et à le conduire contre les
Normands. Bien loin de reconnaître les faits accomplis, le pape
rattacha au siège de Bénévent, Troia, qui appartenait alors aux
Normands •^. Il reprenait en même temps les négociations avec
Argyros qui n'avait été que peu de temps en disgrâce car,
avant 1058, nous le retrouvons en Italie '*. Ces nouveaux
pourparlers avec Constantinople furent facilités par l'éclipsé
qu'avait subie la fortune de Kéroularios. Déjà mis de côté par
Théodora et par MichelYI , le patriarche avait pris sa revanche
en contribuant de tout son pouvoir à l'arrivée au trône d'Isaac
Gomnène. Mais une fois l'usurpation accomplie, Kéi'oularios
exagéra, vis-à-vis du basileus, son rôle de protecteur, et
déjà, en 1058, existait entre l'empereur et le patriarche, cette
sourde hostilité, sur laquelle Psellos nous a laissé de curieux
renseignements ^. Cette mésintelligence a certainement con-
tribué à amener le retour en grâce d' Argyros. Nous savons
que celui-ci reprit avec Etienne IX les négociations commen-
cées avec Léon IX''. Le pape se décida à envoyer à Constan-
tinople une ambassade, composée du cardinal Etienne, de
Didier, élu du Mont-Cassin et de Mainard, qui fut plus tard
évéque de Silva Candida. L'ambassade était déjà à Bari, prête à
1. Aimé, III, 47-48. Léo Ost., II, 97.
2. Benzo, II, 15, M.G.H.SS., t. XI, p. 618. Léo. Ost., II, 97. Cf. un acte
d'octobre 1037 dans Fatteschi, Memorie istorico diplomatiche rigiuirdanti la
série de' duchi e la topografîa de" teinpi dlmezzo del ducato di Spoleto. Ap.,
p. 333.
3. Jaffé-L., 4383.
4. Ann. Bar., ad an. 1038.
5. Psellos, op. cit., dans Sathas, Bih. Graeca, t. IV, p. 367. Skylilzès,
dans Cédrénus, II, 642-643. Attaliatès, p. 62,
6. Léo Ost., III, 9.
166 CHAPITRE VI
partir avec Arg-yros, quand la mort d'Étieiine IX vint arrêter
l'entreprise. Le pape mourut en Toscane au moment où il se
rendait auprès de son frère, le duc de Lorraine ' (29 mars).
L'aristocratie romaine a été accusée d'avoir fait empoisonner
Etienne IX "-'. Cette accusation a pour elle une grande vraisem-
blance. On comprend que le parti hostile aux réformes n'ait pas
tenu à voir remplacer l'autorité très éloignée de l'empereur alle-
mand par celle de Geoffroi, qui, maître d'une partie de l'Italie
du Nord, pouvait intervenir d'une manière plus efficace dans les
affaires romaines. Les Romains voulaient un pape à eux, et non
un représentant de l'empereur ou du marquis de Toscane et même
la fraction allemande de l'aristocratie romaine crut alors pouvoir
se détacher de l'empire. Dès le o avril 1058, le parti hostile aux
réformes, a3^ant à sa tête Grégoire, chef du parti des comtes de
Tusculum, les Crescentius et le comte de Galeria, nomma le car-
dinal évêque de Velletri, Jean « dit le Mincio », qui prit le
nom de Benoît X ^.
Le nouveau pape ne rencontra d'abord aucune opposition car
le parti réformateur était désorganisé par l'absence d'Hildebrand,
alors, en Allemagne. Ses chefs quittèrent Rome et avec Pierre
Damien gagnèrent Florence, où Hildebrand ne tarda pas à arriver.
Dans un synode, tenu à Sienne, dans le courant de décembre,
Hildebrand, d'accord avec le duc de Lorraine, fit désigner comme
pape Gérard, évêque de Florence, qui prit le nom de Nicolas II '^
Cette élection fut soumise à l'approbation de l'impératrice Agnès.
En janvier i0o9, un nouveau synode fut tenu à Sutri, Benoît X
y fut déposé, et Nicolas II solennellement reconnu '\ Il restait à
mettre le nouveau pape en possession de Rome. Accompagné
1. Lambert d'Hersfeldt, .4n«., ad an. lOoO. Cf. Watterich, op. cit., t. I,
p. 202, et Robert, op. cit., dans la R. des questions hist., t. XX, p. 74.
2. Annal. Rom., dans Lib. Pont., t. II, p. 334. On peut invoquer contre ce
témoignage Léo Ost., III, 9, et Pierre Damien, Migne, P.L., t. 144, col.
292. Cf. Mgr Ducliesne, L'état pontifical, p. 393.
3. Bonizo, Liber ad am., pp. 592-.593. Léo Ost., II, 99. Pierre Damien,
Epist., Migne, P.L. t. 144, col. 291 et suiv. Annal. Rom., dans Lih. Pont.,
t. II, p. 334. Cf.Will, Die Anfange der restauration der Kirche,p. 146, n. 6.
4. Cf. Mej'er von Knonau, op. cit., t. I, pp. 91, 100 et suiv.
5. Ibid., p. 118.
LA PAPAUTÉ ET LES NORMANDS 167
par les troupes de Geoffroi, Nicolas II se dirig-ea sur Rome. Les
partisans, qu'Hildebrand avait au Transtévère, livrèrent, aux
soldats du duc de Lorraine, la cité Léonine et l'île du Tibre ; aussi-
tôt après le Latran fut assiégé, et Benoît X fut réduit à s'enfuir
auprès du comte de Galeria '.
Les événements qui avaient suivi la mort d'Etienne IX avaient
fait perdre au parti réformateur tout le terrain qu'il avait pénible-
ment acquis. De nouveau la papauté s'était trouvée prise entre
l'aristocratie romaine et l'empire, et n'avait pu triompher de la
première qu'en se mettant sous la dépendance du second ; de
nouveau c'était la reconnaissance par la cour impériale qui avait
fait la légitimité du pontife. Pour pouvoir continuer l'œuvre
entreprise, il fallait rendre la papauté indépendante et de l'em-
pereur et de l'aristocratie romaine, sans quoi toute idée de
réforme devait être abandonnée.
La papauté osa alors une chose très grave, elle fit appel à la
seule puissance italienne capable de l'appuyer, elle s'adressa aux
Normands. Pour se rendre compte de l'audace de cette mesure, il
faut se rappeler ce que l'on pensait alors des Normands : on les
regrardait comme des bandits, et on les traitait de Sarrasins. Il
fallait que la papauté en eut grand besoin pour qu'Hildebrand et
ses partisans oubliassent l'humiliation qu'ils avaient infligée à
la majesté pontificale en faisant Léon IX prisonnier. Il semble
d'ailleurs que l'idée de cette alliance, dont les conséquences
devaient avoir tant de gravité, ne soit pas venue tout d'un coup
à Hildebrand.
Après l'établissement à Rome de Nicolas II, la papauté avait
besoin de troupes pour combattre les partisans de Benoît X qui
tenaient la campagne romaine. Il est probable que Geoffroi de
Lorraine crut avoir assez fait, après avoir mis le pape en posses-
sion de Rome, car il semble cju'il soit parti presque aussitôt.
Dans tous les cas il ne prit point part à la campag'ne qui suivit.
Pour trouver des soldats, Hildebrand s'adressa à Richard de
Capoue. Je suis très enclin à croire que les conseils de Didier,
abbé du Mont-Gassin, qui avait toujours entretenu avec les Nor-
1. Annal. Rom., loc. cit. Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 119.
168 CHAPITRE VI
mands de Capoue et d'Aversa de très bons rapports, ne furent
pas étraiïg^ers à cette détermination '. Richard était parmi tous
les chefs normands celui qui avait le moins agi en pillard. Il
avait alors acquis une certaine respectabilité, car il était devenu
assez puissant pour avoir intérêt à agir en chef d'Etat plutôt
qu'en chef de brigands. Hildebrand alla donc trouver Richard
pour lui demander assistance ; sa requête fut très bien accueillie,
et il reçut un secours de trois cents hommes, avec lesquels il
alla, en février, assiéger Renoît X à Galeria. Après une première
tentative infructueuse, on réussit, un peu plus tard, à s'emparer
de la ville, et Renoît X fut remis à Nicolas II. Cette seconde
expédition des Normands amena également la soumission de
Préneste, Tusculum et Nomentano et délivra la papauté des sei-
gneurs romains qui tenaient la campagne -.
Le pape n'eut donc qu'à se louer de ses nouveaux rapports
avec les Normands. Grâce à eux, les nobles de l'aristocratie romaine
étaient soumis. Le premier pas dans 1 alliance normande était fait,
et la tentative de Nicolas II pour essayer d'affranchir le Saint-Siège
de l'empire allemand, devait amener forcément la papauté à une
entente plus complète avec les Normands. On sait que, dans
le courant du mois d'avril de l'année I0o9, Nicolas II promulga
le célèbre décret qui organisait les élections pontificales, en assu-
rant au collège des cardinaux une part prépondérante, et en sau-
A'egardant d'une façon très vague les prérogatives impériales. On
a très bien caractérisé ce document en disant qu' «. il correspon-
dait exactement à ce que semblait exiger l'état présent des
choses. Il est clair qu'il est dirigé en première ligne contre l'aris-
tocratie féodale de l'Etat romain : ses premiers adversaires
devaient être les Crescentius, les comtes de Tusculum, de Pré-
neste, de Galeria, de Sabine. Mais d'autres se sentirent lésés ; en
1. LeoOst., III, 12. Cf. Hirsch, Desiclerius von Monte Cassino als Papst
Victor III, dans Forschungen z. d. Geschichte, t. VII, p. 115 et suiv ; Tosti,
op. cit., t. I, p. 418.
2. Annal. Rom., dans Lit. Pont., t. II, p. 33.5. Bonizo, Lih. ad. amicum,
dans Lihelli de lite., etc. t. I, p. 593. Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. I,
p. 126. La seconde expédition est antérieure au concile de Melfi, car les
Annales romaines portent tempore messis ; c'est donc à tort que Delarc, op.
cit., p. 334, place cette expédition après le concile de Melfi.
LA PAPAUTÉ ET LES xNORMANDS 169
dépit des termes respectueux accumulés à dessein, on attribuait
au clergé cardinal une initiative et une éligibilité qui dépassait
la mesure admise en Germanie et lésait gravement le droit tra-
ditionnel des successeurs d'Othon I'"" et d'Henri III. Ce n'étaient
pas seulement les Benoît IX ou X que l'on rendait impossibles,
c'étaient aussi les Grégoire V, les Clément II, les Léon IX '. »
Contre le mécontentement certain de la cour impériale, Hil-
debrand et Nicolas II cherchèrent un appui du côté des Nor-
mands. Il est probable que les premiers rapports de la papauté
avec Richard d'Aversa montrèrent au parti réformateur que
l'on pourrait s'entendre sans trop de difficultés avec les Nor-
mands. Le service très réel, que rendit le prince de Capoue à
Nicolas II, en lui foui-nissant des troupes, donna à la papauté
l'espoir de tirer de l'alliance normande des avantages bien plus
considérables, quand elle aurait rangé sous l'étendard de Saint-
Pierre non seulement les forces du prince de Capoue mais encore
toutes celles des Normands de Fouille et deCalabre. Hildebrand
et Nicolas II eurent très nettement la vision de ce que pouvait
gagner la papauté à son changement de politique et à son
alliance avec ses ennemis de la veille.
Peut-être d'ailleurs leur tâche fut-elle facilitée par les Nor-
mands eux-mêmes. Une chronique raconte en effet que ceux-ci
envoyèrent des ambassadeurs au pape, pour le prier de se rendre
en Pouille afin de les réconcilier avec l'Eglise^. Il n'y a à cela
rien d'impossible. Les Normands devaient se lasser d'être depuis
près de dix ans en lutte avec la papauté. Depuis Léon IX, ils
avaient à redouter, à chaque instant, de voir se former contre
eux une coalition, qui pouvait amener la ruine de leurs établis-
sements. La détente que dut amener la première démarche
d'Hildebrand auprès de Richard de Capoue, conduisit tout naturel-
lement Richard et Guiscard à se rapprocher du pontife. Les deux
chefs normands se sentaient suffisamment forts pour pouvoir traiter
avec avantage aveclepape, tous deux préféraient dépendre du pape
plutôt que de l'empereur allemand. Déjà après Civitate, une ten-
1. Mgr Duchesne, U Etat pontifical, p. 400.
2. Watterich, op. cit., t. I, p. 209.
170 CHAPITRE VI
tative avait été faite auprès de Léon IX pour l'amener à reconnaître
les établissements normands et à lég-itimer leur création '. Les
événements oblig-eaient le pape à venir demander assistance
aux deux chefs normands, tous deux étaient trop fins politiques
pour ne pas saisir l'occasion, et il est très possible que ce soit eux
quiaient invité le pape à descendre dans l'Italie méridionale.
Nicolas II quitta Rome, en juin. Le 24, il était auMont-Cassin -,
au début d'août il tenait un synode à Bénévent; le 17 août, il
consacrait, à Venosa, l'église de la Sainte-Trinité ^, où étaient
enterrés Dreux et Onfroi. Le 23 août, le pape tint un synode à
Melfi ^ ; il était accompag-né par Guiscard, qui, en apprenant sa
prochaine arrivée, avait abandonné le siège de Cariati pour se
rendre auprès de lui. Richard de Capoue était également présent •'.
Sans doute, les idées de réforme ne furent pas oubliées et
l'assemblée de Melfi prit de nombreuses mesures pour faire
cesser les désordres du cleraré et rétablir l'observation du célibat
ecclésiastique 'K Mais l'importance des mesures politiques l'em-
porta de beaucoup sur les questions de discipline. Nicolas II
reçut le serment de fidélité de Robert Guiscard et très probable-
ment de Richard de Capoue, il conféra au second l'investiture de
la principauté de Capoue, et au premier celle du duché de Fouille,
de la Calabre et éventuellement de la Sicile.
Nous avons le texte du serment prêté alors par Guiscard ^.
Le nouveau duc s'engageait à payer un cens annuel à la papauté,
et à être à l'avenir fidèle au pape et à l'Eglise. Il promettait
d'être l'allié de la sainte Eglise romaine « pour qu'elle conserve et
acquière les régales de Saint-Pierre et ses domaines », d'aider
le pape à occuper le siège de Rome, et de respecter le territoire
de Saint-Pierre. Enfin, en cas d'élection pontificale, il devait s'em-
1. Cf. supra, p. 142.
2. Léo Ost., III, 13.
3. Muratori, R.I.SS., t. VII, p. 949.
4. Pflugk-Harttung, Iter Italicum, p. 190, et Acta pontif. rom., II, 86.
G. Ap. II, 382, parle du coacile aussitôt après la mort d'Onfroi.
5. Gattola, Ace, t. I, p. 161.
6. Cf. Pierre Daniien, Migne, PL., t. 145, col. .538.
7. Liber censuuni, éd., Fabre, t. I, pp. 421-422. Cf. Delarc, op. cit.,
p. 327, note.
LA PAPAUTÉ ET LES NORMANDS 171
ployer pour que « le pape soit élu et ordonné selon l'honneur
dû à Saint-Pierre, suivant ce dont il aura été requis par les
meilleurs cardinaux, les clercs et les laïques romains. »
Cette dernière clause explique les mobiles auxquels obéirent,
à Melfî, Nicolas II et Hildebrand. Prévoyant les attaques dont
serait l'objet le décret sur l'élection pontificale, ils voulurent
assurer k la papauté des protecteurs puissants qu'ils espérèrent
trouver dans Guiscard et Richard. En échange de la protec-
tion accordée au saint Siège, le pape légitimait l'établissement
des Normands et leur assurait une place régulière dans la société
féodale. Pour comprendre l'importance de ce fait, il suffit de
rappeler les efforts faits quelques années auparavant par les
Normands, pour se trouver un suzerain '.
Il reste à expliquer à quel titre le pape crut pouvoir donner
ux Normands l'investiture de territoires qui alors ne paraissent
pas lui avoir appartenu. On ne saurait, je crois, avoir aucun doute.
Guiscard, dit qu'il agit « ad cuiifirmationeni traditionis ». Quelle
est cette tradition à laquelle il fait allusion? Il ne peut être ques-
tion que de la donation de Charlemagneaccordant à l'église romaine
le duché de Bénévent •'. Ce terme de duché eut un sens très élas-
tique, mais il faut ne pas oublier qu'à un moment donné le duché
comprit l'Italie méridionale en entier. La papauté s'en tint toujours
à cette donation; sans doute, elle ne fut }»as assez forte, pendant
longtemps, pour donner à ses prétentions une forme pratique,
mais jamais la théorie n'a varié, et il suffit de rappeler les privi-
lèges de confirmation que les papes se faisaient régulièrement
accorder par les empereurs. Nous savons qu'un de ces privi-
lèges avait été accordé quelques années auparavant par Henri II,
et qu'Henri III avait fait abandon au pape de ses droits sur
Bénévent ^. Sans doute dans le diplôme d'Othon P"", comme
dans celui d'Henri H, il n'est question que des patrimonia de
l'église romaine dans le duché de Bénévent et en Calabre ^.
1. Il faut noter que ni Malaterra, I, 36, ni Aimé, IV, 3, ne font allusion à
Tinvestiture donnée par Nicolas II.
2. Cf. Lih. Pont., t. I, p. 498.
3. Migne, P.L., t. 98, col. 623. Cf. Herimannus Aug., Chr., ad an. 1053.
4. Cf. Sickel, Das privilegium Otto I, etc., p. 180.
172 CHAPITRE VI
Mais ces textes pouvaient prêter à discussion et l'Eg-lise les
interpréta dans le sens le plus large et le plus en sa faveur.
Pour ce qui est de la Sicile, la théorie que toutes les îles
relèvent du domaine de Saint-Pierre, en vertu de la fausse
donation de Constantin, me paraît fournir une explication suffi-
sante '.
L'alliance conclue à Melfi entre le pape et les Normands fut
le résultat logique de l'évolution pontificale, commencée sous
Etienne IX. Elle procura aux deux parties contractantes une
g-rande force que la papauté devait employer contre l'Empire et
les Normands pour s'établir définitivement dans 1 Italie méridio-
nale et la Sicile.
1. Jaffé-L., p. 5449. Uglielli, l. III, p. 309. Clette théorie est formulée en
109i par le pape Urbain II. Cf. également la letti'e du pape, Hadrien IV,
à Henri II, roi d'Angleterre, Migne, P. L., t. 188, col. 1441.
CHAPITRE VII
LUTTE DES NORMANDS CONTRE LES HYZANTINS EN FOUILLE.
(1059-1071)
Immédiatement après le concile de Melfî, Guiscard reprit la
conquête de la Calabre, et retourna se mettre à la tète des troupes
qu'il avait laissées assiéger Gariati ; la place fut prise peu après
son arrivée. Ce premier succès fut suivi de plusieurs autres et
Rossano, Gosenza et Gerace tombèrent successivement entre ses
mains. A Gerace, Robert traita avec les habitants qui se réser-
vèrent certains droits et conservèrent probablement la garde du
donjon et des portes i. Les Byzantins se trouvaient ainsi peu à peu
refoulés vers l'extrémité de la Calabre et, à la fin de l'année 1059,
ils ne possédaient plus dans cette région que Squillace-', Reggio
et ses environs immédiats. A la suite de ses victoires Guiscard
poussa jusqu'à Reggio dont il ravagea les alentours. L'expédition
fut interrompue par l'hiver. Laissant alors à Roger le commande-
ment des pays nouvellement soumis, Robert revint en Fouille '.
Au printemps de l'année 1060, Guiscard recommença la guerre
contre les Grecs. Au mois de mai, il s'empara de Tarente et de
Brindisi^. Son frère Mauger opéra dans la même région et chassa
les Grecs d'Oria '^ Cette expédition dut être très rapide car nous
savons que, dès le temps delà moisson, Guiscard put retourner
en Calabre 'J, où avec son frère Roger il alla mettre le siège devant
Reggio. Il faut noter, à ce propos, que Malaterra mentionne la
1. Cf. Malaterra, II, 24.
2. Malateri-a, I, 36-37. — Squillace, circond. et prov. de Catanzaro.
3. Malaterra, I, 34 ; G. Ap., II, 406-416. .
4. Chr. brev. norin. ad an. lOGO.
0. Oria, circond. de Brindisi, prov. de Lecce.
6. Malaterra, I, 35 ; Skylitzès, dans Cédrénus, II, 722.
174 CHAPITRE VII
construction de machines de g-uerre par les Normands : c'est la
première fois que nous voyons ces derniers combattant seuls
employer des engins de cette espèce. Les habitants de la ville se
rendirent et obtinrent que la garnison pût se retirer sans être
inquiétée jusqu'au château de Squillace. Roger, chargé par son
frère de pacifier le pays réussit en peu de temps à enlever toutes
les places qui restaient aux Grecs, sauf Squillace. Quand la gar-
nison de cette dernière ville vit que les Normands établissaient
le blocus, elle renonça à lutter et s'embarqua de nuit pour Cons-
tantinople. Les Grecs se trouvèrent donc, dans le courant de l'été
1060, expulsés de toutes leurs possessions de Calabre.
Une fois à Reggio, les Normands furent amenés tout natu-
rellement à passer en Sicile, et, dans les années qui suivirent, la
guerre se continua à la fois en Sicile et en Fouille. Pour plus de
clarté, je parlerai d'abord des événements dont la Fouille fut le
théâtre et ne traiterai que jdIus loin de la conquête de la
Sicile.
Les victoires remportées par les Normands, en Calabre et en
Fouille, décidèrent l'empereur Constantin Doukas à envoyer des
renforts en Italie. Au mois d'octobre 1060, quelques troupes de
secours débarquèrent probablement à Bari, sousle commandement
d'un mérarque. L'auteur du Chronicon brève norrnannicum^ qui
nous fournit ce renseignement, a fait du titre militaire un nom
d'homme, Miriarcha •. Le seul grade de ce fonctionnaire suffît
pour indiquer que l'on n'envoya pas alors un corps d'armée impor-
tant, mais seulement quelques troupes. Le mérarque remporta
pourtant de notables succès : il réussit à battre Guiscard et Mauger
et leur reprit Brindisi, Tarente, Oria et Otrante; il put même
dans l'hiver 1061 s'avancer dans l'intérieur des terres et venir
assiéger Melfî '-.
1. Chr. hrev. norm., ad an. 1060. Sur la dignité de mérarque, cf. Schlum-
berger. Sigillographie byzantine, p. 354. Ilirsch, op. cit., dans Forschungen,
t. VIII, p. 294, note 5, identifie ce personnage avec Aboulcharé, cf. infra,
p. 179. Pourtant ce dernier, Anon. Barensis, ad an. 1064, n'arriva qu'en
1064, de plus nous connaissons les deux catépans pour les années 1061 et
1062. IhicL, ad an 1061 et 1062. Je ne crois donc pas l'identification accep-
table.
2. Chr. brève, norm., ad an. 1061, Skylitzès, dans Cédrénus, II, 722, qui
LUTTE DES NORMANDS CONTRE LES BYZANTINS EN FOUILLE 175
Les défaites de Guiscard peuvent s'expliquer en partie par le
lait qu'il avait dû laisser une partie de ses troupes à Roger et
que les forces qu'il commandait étaient insuffisantes, mais les
progrès des Grecs furent dus surtout à l'appui qu'ils trouvèrent
chez certains Normands. Ici nous sommes mal renseignés, nous
pouvons pourtant entrevoir certains événements. Aimé dit que,
quand Guiscard eût terminé la conquête de la Calabre et y eût
laissé des garnisons, il revint en Fouille où il trouva que tous ses
vassaux ne lui avaient pas été fidèles ^ Il récompensa ceux qui
lui avaient tenu u bone foi et loialle » et punit les autres. Il faut
noter ici une autre phrase d'Aimé, car elle explique les incessantes
rébellions des années suivantes. Le chroniqueur du Mont-Cassin
dit que les Normands suivaient Guiscard « plus par paor que par
amor. » D'autre part Malaterra'' fait clairement allusion aux dif-
ficultés intérieures que rencontra Guiscard lors de son retour
en Fouille, à l'automne 1060, Quelles ont été ces difficultés ?
On a voulu appliquer ce passage de Malaterra à la révolte
de Jocelin dont nous parlerons plus loin 3. Cela me paraît
inadmissible, car la date de cette révolte nous est exactement
connue par rx\nonyme de Bari qui la place en 1064 ^ et l'on ne
saurait admettre que la révolte générale ait commencé en 1060,
car, dans les années 1061, 1062, 1063, nous voyons Guiscard
donne au chef grec le nom d'Aboiilcharé, n'a pas en vue le mérarque,
comme l'a cru Delarc, op. cit., p. 354, mais, le catépan qui vint en 10G4.
Cf. Anon. Bar. ad an.
1. Aimé, IV, 32. Dans les |)aragraphes précédents, Aimé raconte les évé-
nements intéressant la principauté de (Papoue de 1059 à 1062. 11 revient
ensuite en arrière pour parler de Guiscard. Très souvent il groupe ainsi
les faits relatifs à l'un des établissements normands, puis revient en
arrière pour reprendre son récit où il l'a laissé. 11 faut donc placer, vers
1060, ce qu'il dit de la révolte des barons.
2. Malaterra, II, 2, donne, comme date, l'hiver 1060-61, car il place les
faits pendant l'hiver qui suit la première tentative de Roger sur la Sicile.
3. Ileinemann, op. cit., p. 376 et suiv.
4. Anon. Bar., ad an. On ne saurait admettre que Jocelin soit parti en
1064, pour Constantinople. Cette façon d'interpréter Aimé, V, 4, et
l'Anonyme de Bari, loc. cit., est inexacte. Jocelin est sans doute- à identi-
fier avec le personnage de même nom, seigneur de Molfetta (circond. de
Barletta, prov. de Bari) dont on a une donation faite, en 1066, à l'abbaye de
la Sainte-Trinité de Venosa. Cet acte est daté de la 7" année de Constantin
176 CHAPITRE Vli
faire en Sicile de long-s séjours qui ne lui auraient pas été
possibles si la Fouille avait été en état de rébellion. Il faut, je
crois, tenir compte d'un autre renseig-nement d'Aimé qui nous
raconte une révolte de Troia, comme ayant eu lieu immédiate-
ment avantles négociations de Robert avec Ibn at Timnah, négo-
ciations qui sont de 1061. Que parmi les rebelles de 1060, il y ait
eu un certain nombre des seigneurs normands qui se révoltèrent
en 1064, rien n'est plus probable et cela expliquerait dans une
certaine mesure la place assignée dans son récit par Aimé à la
rébellion de Jocelin.
C'est cette révolte de certains vassaux du nord de la Fouille qui
facilita les progrès du mérarque. Nous ne savons pas quels furent
les motifs qui amenèrent la rébellion de Troia K Guiscard vint
assiéger la place et je serais assez porté à croire que les con-
quêtes des Grecs dans le sud eurent lieu tandis qu'il était occupé
à ce siège. Les gens de Troia demandèrent bientôt au duc de
recevoir leur soumission aux anciennes conditions, c'est-à-dire
en payant triljut, mais en conservant la garde des portes de la
ville. Guiscard exigea la reddition de la place sans condition, car,
pour éviter une nouvelle révolte, il voulait construire à l'intérieur
de la ville une citadelle pour y laisser garnison. Au bout de peu
de temps, Troia dut se rendre et Guiscard en organisa l'occupa-
tion effective.
Robert se retourna alors contre les Byzantins et fit appel à
Roger ~. En janvier 1061, Guiscard s'empara sur les Grecs d'Ace-
renza, tendis que son frère prenait Manduria près de Tarente -^ Les
Doukas (Archives du Monl-Cassin, fonds de Barletta, n° 18.) Il est men-
tionné également dans le (]od. Vat. 8222, et dans la copie de celui-ci à la
Biblioteca Brancacciana, à Naples, IV, D. L. Cf. Crvido, La SS. Trinita de
Venosa Trani, 1899), p. 131. Par suite Jocelin aurait encore été en Italie,
en 1066.
1. Aimé, V, 6, Chr. Anialf., c. 30, dans Muratori, Ant. liai., t. I,
p. 213. Romoald de Salerne, M. G. II. SS., t. XIX, p. 406. Ces deux chroni-
queurs placent la prise delà ville en 1060, et avant le mariage de Guiscard;
mais comme tous deux disent que celui-ci fut appelé par les habitants, il
semble qu'ils aient eu en vue la première prise de la ville. Cf. supra, p. 150
2. Malaterra, II, 2 et 3. Anon. Bar., ad an. 1061.
3. Anon. Bar., loc. cil. Il s'agit de Manduria, circond. de Tarente,
prov. de Lecce.
LUTTE DES NORMANDS CONTRE LES BYZANTINS EN FOUILLE 177
deux frères se portèrent ensuite sur Melfi, et oblig-èrent les Byzan-
tins à en lever le siège. La domination normande était suffisam-
ment rétablie, dès le mois de février, pour permettre à Roger de
retourner en Sicile '. Pour achever de ramener la tranquillité
chez ses vassaux de Fouille, Robert Guiscard les invita à se prépa-
rer pour une grande expédition en Sicile qui devait avoir lieu dans
le courant de l'été 2. La fin de l'année 1061 ne fut pas marquée
en Fouille par de nouveaux combats entre Grecs et Normands.
L'année suivante (1062), Guiscard reprit l'offensive contre les
Byzantins, et s'empara de Brindisi où le mérarque fut fait prison-
nier. Oria '^ tomba peu après entre ses mains. Robert, pour assurer
ses nouvelles conquêtes construisit un château à Megiana. Les
difficultés qui éclatèrent alors entre Guiscard et Roger, et dont
nous parlerons ailleurs, empêchèrent Robert de pousser plus
avant ses succès.
On a voulu que dès l'année 1062 ^, il y ait eu rupture entre
le duc et ses vassaux de Fouille, et alliance de ces derniers
avec les Byzantins. Cette opinion s'appuie sur ce que différents
seigneurs normands occupent alors des villes jusque-là tenues par
les Grecs. Rapprochant cette occupation des négociations entre
le commandant grec et les Normands, négociations que les chro-
niques mentionnent à une date postérieure, on en a conclu que
les Grecs s'étaient entendus avec un certain nombre de sei-
gneurs normands et avaient cédé ces villes à leurs alliés •''. Je
ne crois pas que cette théorie soit exacte. Nous savons que
les négociations entre quelques chefs normands et les Byzantins,
ont été conduites par le catépan Aboulcharé et par Férénos,
duc de Durazzo 'J. Or, l'Anonyme de Bari nous apprend que le
premier vint en Italie en 1064", et il ne saurait y avoir d'erreur
1. Chr. brève norin., ad an., et Malalerra, II, 3. Roger revint à Palermela
semaine avant le carême. En 1061 le carême commence le 28 févi-ier, Roger
est donc revenu entre le 18 et le 25 février.
2. Malaterra, II, 2.
3. Chr. brève norm., ad an. Oria, circondario de Brindisi, prov. de Lecce.
4. Heinemann, op. cil.., pp. 211-213 et 379.
5. Heinemann, op. cit., pp. 212 et 380.
6. Skylitzès, dans Cédrénus, II, 722. Aimé, V, 4.
7. Anon. Bar., ad an. 4064.
Histoire de la. domination normande. — Ch.\laado.\'. 12
178 CHAPITRE Vil
à cet égard, car nous connaissons les catépans pour les années
1061 et 1062 '. Comme Pérénos fut nommé après Aboulcharé,
sa nomination n'est pas antérieure à 1064 *. Des relations entre
Normands et Byzantins ne me paraissent donc pas avoir eu
lieu avant 10643. D'ailleurs, si nous examinons les villes qui
furent prises avant cette année, nous arriverons à une conclusion
analogue. Les chroniques mentionnent, en 1063, la prise de
Tarente et celle de Mottola '% par Geofîroi, fils du comte Pierron
de Trani ; en 1064, le même seigneur prend Otrante ''. Telles
sont les seules villes, dont deux près de la côte, qui ont pu être
livrées par les Grecs. Or, il ne semble pas que ces villes aient
été remises volontairement. Nous avons, en effet, des détails
assez précis sur la prise dOtrante ^. Quand Geoffroi vint assié-
ger la ville, il entama des pourparlers avec la nièce du gou-
verneur grec, celle-ci, ayant reçu une promesse de demande en
mariage, livra la ville au chef normand, qui s'en empara, tandis que
le commandant réussissait à s'enfuir. Il ne s'agit donc pas d'une
remise volontaire de la place, et le témoignage de Kekaume-
nos empêche formellement d'admettre l'hypothèse de M. Hei-
nemann. Une autre preuve est encore à tirer du fait suivant.
Geoffroi de Tarente ne prit pas part à la révolte dé 1064, et ne
1. Anon. Bar., ad an. 1061 et 1062.
2. Skylitzès, loc. cit.
3. Cf. Heinemann, op. cit., p. 380.
4. Anoi}. Bar., ad an.
5. Chr. hrev. norjii., ad an. 1063. Mottola, circond. de Tarente, prov. de
Lecce.
6. Cecaameni Straiefficon, éd. Wasiliewski, p. 36 et suiv. L'auteur grec
parle certainement de la prise d'Otrante, en 1064, car son récit ne peut s'ap-
pliquer aux deux autres prises de la ville parles Normands, qui eurent lieu
en 1055 et 1068. Ces deux fois, la ville fut assiégée par Guiscard, qui était
marié et ne pouvait promettre le mariage à la nièce du commandant gi"ec ;
celle-ci savait certainement que Robert était marié et n'aurait pas cru à sa
promesse. D'ailleurs, Kekaumenos nomme Guiscard par son nom quand il
en parle, op. cit. p. 47, tandis qu'ici il dit simplement o zoult];. Cf. Delarc, op.
cit., p. 413, note. Qu'il y ait eu pi-ise des villes par les armes et non pas
remise par les habitants, cela résulte encore des chroniques qui emploient
les vei-bes comprehendere et capere, tandis que quand il y a remise volon-
taire, elles emploient le verbe recipere, Chr. brev. nort., ad an. 1063, 1064^
1067, et Lupus Pi'otospat., ad an. 1063.
LUTTE DES NORMANDS CONTRE LES BYZANTINS EN POLILLE 179
traita pas davantage à ce moment avec les Grecs, car, en 1066,
en pleine révolte, il se préparait à aller attaquer Durazzo K Tout
ce que Ion peut dire des événements de 1063, c'est que Geotîroi,
fils du comte de Trani, fit aux dépens des Grecs des conquêtes
pour son propre compte.
La politique des Byzantins à l'égard des Normands a été plus
habile que celle qu'on leur a prêtée. Dès 1062, Tempereur grec avait
cherché à reprendre la politique d'Argyros, et avait offert à l'anti-
pape, Honorius II, de Taider contre les Normands-. Peu après,
il fît, par l'intermédiaire du patrice d'Amalfi. une démarche ana-
logue auprès de l'empereur allemand et offrit le concours d'une
flotte de cent navires et des troupes de débarquement 3. Ce fut
seulement après l'échec de ces négociations que la politique
impériale chercha à utiliser le mécontentement des seigneurs
de la Fouille, pour envelopper Guiscard d'un réseau d'intrigues.
Les affaires d'Italie furent dirigées par Pérénos, duc de Durazzo.
Les catépans, dont l'Anonyme de Bari marque l'arrivée en 1061
et 1062. jouèrent un rôle qui ne nous est pas connu. 11 n'en est
pas de même pour celui du catépan Aboulcharé, qui arriva en
1064. Les Grecs entrèrent en relation avec les mécontents nor-
mands dont les principaux étaient Geotfroi de Conversano, et son
frère, Robert de Montescaglioso. Ils étaient fils d'une sœur de
Guiscard 4, dont nous ne connaissons pas le mari. Geoffroi était
un des plus puissants seigneurs de l'Italie du Sud, il tenait Con-
versano, Polignano, Monopoli, Montepeloso, Brindisi \ Avec eux
1. Cf. infrn, p. 183.
2. Benzo, dans Watterich, op. cit., l. I, pp. 27.^-276.
3. IhkL, pp. 282-283.
4. Malaterra, II, 39. G. Ap., III, 523.
5. On a commis beaucoup d'erreurs au sujet de Geoffroi de Conversano,
Ducano-e, Les familles normandes., dans Aimé, L'ystoire de li Normant, éd.
Champollion-Figeac, appendice, p. 342, l'identifie avec Geoffroi, fils de
Tancrède de Ilauteville, seigneur de Capitanate. Or Malaterra et Guillaume
de Fouille le font fils d'une sœur de Guiscard. Morea, Chartularium Cuper-
sanense, pp. xl-xlii, en fait le fils de Geoffroi, qui prit Nardo, Lecce, et le
confond avec Geoffroi de Tarente, cequiest inexact; en effet, la ville de Lecce
fut prise parles Normands en l().")'l,elle retomba aune date inconnue au pou-
voir des Grecs qui la perdirent en 1069, Chr. hrev. norm., ad an. 106"j et 1069.
Alors elle fut reprise définitivement par les Normands; or, en 1082, au mois
180 CHAPITRE VII
était un autre neveu de Guiscard, Abélard. fils d'Onfroi,
de décembre, Lecce est au comte GeofTroi, fils d'Acliard, qui a pour femme
Gunora, et pour fils, GeoiTroi, Renaud, Robert et ?>SLr\on [Archives de la Cuva
B. 26, publié par Guerrieri, Un diploma del primo Goffredo comte di Lecce,
dans Arch. st. napol., t. XX, p. 64). On ne peut donc Tidentifier avec GeofTroi
de Conversano dont la, femme s'appelle Sykelgaite, et dont les enfants sont
Robert, Alexandre [Chart. Cup., p. 133, acte de 1098), Tancrède (acte de
Sykelg-aite, veuve de GeofTroi, juillet 1107, de Blasiis, op. cit., t. III, p. 440),
Raoul, 1093 [Begii neap. arch. mon., t. V, p. 186), Guillaume (Orderic
\ital, XI. 3, t. IV, p. 182), Geoffroi et une fille qui épousa Robert Courte
Heuse [Ibid., t. IV, p. 58, 92 et 183). Luciani, Storia délia chiesa palaiina
di Acquaviva délie Fonti (Bari, 1876), p. 12, a fait confusion au sujet de
GeofTroi, fils de Geoffroi; il s'appuie, en effet, sur un passage d'Alexandre,
abbé de Telese [Chr., éd. del Re (Naples, 1845) H, 39, p. 117]. Or, il suffit
de se reporter aux chapitres 37 et 38 [ibid., p. 116), du même auteur, pour
voir que le Geoffroi dont il parle, est fils d'Alexandre de Conversano.
Capecelatro, Istoria di Napoli (Napoli, 1724), I, 174, a donné à Geoffroi un
fils du nom de Silvestre. Ce personnage est très connu par Hugues Fal-
cand (éd. Siragusa, pp. 69, 70, 72, 183) mais rien ne permet d'en faire le fils
de Geoffroi (Cf. infra, p. 181, note o). GeofTroi de Conversano mourut en
septembre 1100 [cf. Orderic Vital, l. IV, p. 78, et Kehr., op. cit., dans
Nachrichten (1898), p. 269 ; en mars 1101, Pascal II parle de feu GeofTroi,
comte de Conversano.]
Toutes ces erreurs viennent de la difficulté que Ion éprouve à identifier
les divers personnages du nom de GeoiTroi que nous connaissons. Dans
le Chronicon brève Normannicum, ad annos, nous trouvons, en effet :
1" un comte Geoffroi qui meurt en 1003;
2° Geoffroi, fils de Pierron, qui prend Tarente (1063 et Otrante (1064),
Anon. Bar., ad an. 1063 et 1064. Le Chronicon brève norinanicum, fait à
tort de ce personnage le fils de Geoffroi, mort en 1063. Ce Geoffroi, fils
de Pierron, est sans doute à identifier avec le Geoffroi qui, en 1070, prend
part à l'expédition de Brindisi;
3° Geoffroi, seigneur de Montepehjso, mentionné en 1068, et qui est à
identifier 'avec Geoffroi de Conversano;
4» Geoffroi, comte de Lecce (1082) qui est le fils dAchard dont il a été
question plus haut ;
.")" Geofffroi, fils de Tancrède.
Le Geoffroi, qui prend Tarente, est à identifier avec le personnage de
même nom, fils de Pieri'on de Tarente et frère de Pieri'on que nous trouvons
mentionné en 1072 {Archives de la Cava, B, 6).
On peut établir de la fa^on suivante le tableau généalogique de la pre-
mière famille des comtes Normands de Conversano.
LUTTE DES NORMANDS CONTRE LES BYZANTINS EN POL'ILLE 181
X. épouse N. sœur de Robert Guiscaud a
Robert de Montescaglioso 'J Geoffroi c
comte de Conversano, seigneur de Brindisi et Monopoli,
ép. Sikelgaite
meurt en septeml^re 1100
! .
Robert r/ de Geoffroi e Ai.examire/' TAffCRisoE </ Raoul 'i Guillaume /«' Sibylle l
G r a V i n a comte de comte de comte de ép. Robert
comte de Canne Matera Brindisi Courte
Conversano 1 Heuse
Guillaume m Robert n Geoffroi o
comte de seigneur
Canne de Noja
a. Guil. Ap. III, 523. Malaterra, II, 39. Orderic Vital, t. IV, p. 78.
b. C'est de Robert que descendent les comtes de Montescaglioso.
c. Chart. Ciip., t. I, pp. 97 (1072), 99 (1075), 107 (1081), 118 (1089), 127 (1096), 128
(1098), 131 (109X), 139 (1100). Muratori, Ant. il., t. V, p. 777. Regii neapolitaniarchi-
vii monumenta, t. V, 185 (1093). Une bulle de Pascal II, du 23 mars 1101 (Kehr, op.
cit., dans Nachrichien (1898), p. 269), montre que le comte Geofl'roi, dont Lupus
mentionne la mort, septembre llCl-llOOn. s., est bien le comte de Conversano, par
suite, il faut peut-être lire au lieu d'Alexis, Alexandre, dans le passage qui con-
cerne son fils. On possède un diplôme de Geoffroi de Conversano de février 1104,
(Ughelli, X, 29 1) ; la bulle de Pascal II oblige à le regarder comme faux.
d. Regii neapolitani archivii moniimenta, t. V, p. 185 (1093) ; Cod. dipl. Barese,
t. V, pp. 59 (1101), 101 (1111); Chart. Ciip., t. I, p. 114 (1087), 133 (1098). En 1130
Robert est déjà mort. Cf. Guerrieri, op. cit., Arch. st. napol., t, XXVI, p. 303 et
313.
e. Ughelli, VIT, 790. Cod. dipl. Bar., t. V, p. 137 (11321. Al. Tel. I, 18, p. 98, II, 18
p. 108, 33-36, p. lli-115, 38, p. 116, 40, p. 117. C'est à tort que (Morea, op. cit.,
p. LU, dit que Geoffroi figure dans l'acte de 1132, Cod. dipl. Bar., t. V, p. 137,
le texte porte Gaiiferiiis Catenzanii. Il s'agit sans doute du comte de Catanzaro,
Cf. del Giudice, op. cit. App., p. 19,
f. Chart. Cup.,t, I, pp. 112, 131, 165. Cod. dipl. Bar., t. V, pp. 137 et 140. Al.
Tel.II, 37-38, p. 116.
g. Cod. dipl. Bar., t. V, pp. 59 et 111, ce dernier acte est faux; cf. les notes
de l'éditeur. Al. Tel., I, 12, p. 95, II, 21, p. 109, 33, p. 114, 34, p. 115,41, p. 117, 46, p. 125.
Guerrieri, op. ci<. Arch. st. nap., l. XXVI, p. 290, confond Tancrède avec son
homonyme le prince d'Antioche, fils d'Eudes le Bon Marquis.
h. Regii neap. arch. monnm., t. Y, p. 185.
k. Orderic Vital, 1. XI, 3, t. V, p. 182.
l. Ihid., 1. X, 11, t. IV, p. 78 et 185.
m. Archives du Monl-Cassin, fonds de Barletta, n" 27 (1117) et n" 29 (1138).
n. Cod. dipl. Bar., t. V, p. 132, Al. Tel., II, 39, p. 117.
0. Al. Tel., II, 37-38, p. 116. On a donné comme llls, à Geoffroi de Conversano
Silvestre de Marsico [Capecelatro, Istoria di [Napoli, Naples, 1724), t. I, p. 154].
Ce qui est inexact ; Silvestre de Marsico est fils de Geoffroi de Raguse, fils du
comte Roger 1°'. Cf. Pirro, op. cit., t. I, p. 525. Après la révolte de 1132, Roger II
confisqua les biens des descendants de Geoffroi, seul Guillaume paraît avoir
échappé au châtiment. C'est peut-être par lui que Thomas de Fraxenctto, men-
tionné en 1174, se rattache à Robert de Conversano [Cad. dipl. Bar., t. V, p. 234.
Cf. Ihid., p. 101).
La deuxième famille normande des comtes de Conversano ne se rattache en rien
à la première; elle est issue de Robert de Bassonville et de sa femme Judith,
sœur de Roger II {Archives de la Cava, G. 19, diplôme d'octobre 1135 et Chart. Cup.
t. I, p. 168).
182 CHAPITRE VII
dépouillé par son oncle de ses possessions. Citons encore Ami,
seigneur de Giovenazzo, Rog-er Toute Bove, et Jocelin qui
paraît avoir été le chef du mouvement, quant à Geofîroi de
Tarente, il semble être demeuré étranger à ces intrigues K Les
principaux chefs, sur l'initiative de Pérénos, se rendirent à Durazzo
pour conclure un accord avec le représentant de l'empereur. Les
seigneurs normands durent livrer des otages et reçurent en
échange de l'argent et des honneurs. Ami donna en otage son fils,
Jocelin ses deux fils, Abélard son frère, Roger sa fille. A la
suite de cet accord, on peut remarquer que les actes de certains
seigneurs normands sont datés des années de règne des empe-
reurs de Constantinople -. 11 semble que les Normands aient pris
l'engagement de livrer aux Grecs les villes dont ils s'emparaient ;
mais une fois qu'ils eurent été payés, ils se gardèrent bien
d'être fidèles à la convention conclue, et firent surtout une guerre
de pillards, conservant pour eux-mêmes toutes les villes qu'ils
prenaient. Au moment où la révolte éclata, Guiscard, qui venait
de conclure avec la ville de Bari un accord sur lequel nous ne
savons rien, était en Sicile -^
L'insurrection commença dans le courant d'avril 1 06 i. Geofîroi
de Conversano et Robert de Montescaglioso prirent Matera et
occupèrent Castellaneta au mois de juin '» ; la révolte eut tout
le temps nécessaire pour s'étendre, d'autant plus qu'à son retour
Robert fut arrêté pendant plusieurs mois par la rébeUion de la
ville d'Ajello, dans la province de Cosenza. Il ne réussit qu'au
bout d'assez longtemps à s'emparer de cette place -^
Nous sommes très mal renseignés sur les campagnes de Guis-
1. Aimé, V, 4. G. Ap. II, 431 et suiv. Anon. Bar., ad an. 1064. Ami était
fils de Gautier, seigneur de Civita, et petit-fils d'Ami ; cf. Weinreich, op.
cit., p. 47, note 34.
2. Archives du Mont-Cassin fond de Barletta, n° 18. Cf. Crudo, op. cit.,
p. 131.
3. Cf. infra, p. 204.
4. Anon. Bar. ad an. 1064.
5. Malaterra, II, 37, Anon. Vat., Muratori, R.I.SS., t. VIII, p. 793. Ajello,
cii'cond. de Paola, prov. de Cosenza.
LUTTE DES NORMANDS CONTRE LES BYZANTINS EN FOUILLE 183
card contre les rebelles durant les années 1064 à 1067. Aimé se
borne à nous dire que Guiscard punit les coupables. Son récit
manque de précision '. Les données qui nous sont fournies par
les autres chroniques sont également trop peu détaillées pour que
nous puissions connaître les événements. Il semble toutefois que
Guiscard, désireux de couper court aux menées des Byzantins,
ait song-é à porter la guerre sur les côtes d'IUyrie. Le bruit d'une
prochaine expédition normande répandit, en 1066, une gi^ande
terreur à Durazzo, et il paraît bien que Geoffroi de Tarente ait
été chargé den assurer Texécution ~. Peut-être même les Nor-
mands étaient-ils entrés en négociations à ce sujet avec les
Valaques de Thessalie •'^. Robert Guiscard aurait ainsi répondu à
la politique du basileus par une tactique analogue, et se serait
appuyé sur les sujets mécontents de l'empire, comme les Byzan-
tins s'étaient appuyés sur les seigneurs normands. Quoi qu'il en
soit à cet égard, la flotte grecque commandée par Mabrikas
empêcha la flotte de Geoff'roi de Tarente de passer le détroit, et la
descente en Illyrie se trouva ajournée '\
En 1066, les Byzantins reprirent l'oflensive en Italie et la
flotte de Mabrikas amena à Bari un corps de Varangues ^. On
1. Aimé, V, 4.
2. Cecauineni strategicon, p. 66-67, c. 173. L'année est fixée par Tappari-
tion d'une comète, qui est également mentionnée dans Attaliatès, p. 91,
Skylitzès, dans Cédrénus II, 658. Zonaras, XVIII, 9, 680. Lupus Protospat.,
ad an. 1066. Heinemann, op. cit., pp. 381-382, croit que Guiscard a été
étranger à cette entreprise par suite de ce que dit Guillaume de Pouille,
III, 390. Le poète dit que Robert n'aimait pas Ami de Giovenazzo (cousin
deGeofTroi de Tarente) quia fine<< Dalinaticos sine velle suo temptavit adiré.
A mon avis, Guillaume a en vue les négociations des Normands avec
Pérénos. D'ailleurs, son témoignage s'applique à Ami et non à GeoiTroi.
On ne saurait soutenir que les deux cousins aient forcément embrassé le
même parti. La défaite de Geoffroi par Mabrikas, me paraît montrer suffi-
samment que Geoffroi n'était pas avec les Normands révoltés, mais avec
Guiscard. Les rapports des Normands avec la Dalmatie étaient d'ailleurs
fréquents, cf. Tafel, Urkunden zur ait. Handels-und Staastgesch. der Rep.
Venedig, t. I, p. 42, qui donne le texte de l'engagement pris en 1075 par
les magistrats de diverses villes dalmates de ne pas recevoir les Noi^mands.
3. Cf. Chalandon, £'ssaj sur le règne d'Alexis I" Comnène, p. 61.
4. Lup. Protospat., ad an. 1066.
5. Anon. Bar., ad an.
184 CHAPITRE VII
voit par lu que cette ville avait rompu le traité conclu avec Guiscard,
en 1064, et était repassée aux Byzantins, Sous la conduite de
Mabrikas, les Grecs s'emparèrent de Brindisi et de Tarente, ils
pénétrèrent jusqu'à Castellaneta qui leur fut remise par Geoffroi
de Gonversano ^ (1067). Nous ne connaissons pas d'autre place
ayant été livrée aux troupes grecques par les Normands révoltés.
En 1068, Ami réussit à s'emparer de Giovenazzo ~. Il semble
que jusqu'à ce moment Guiscard n'ait remporté aucun succès ;
mais, en 1068, ses affaires se rétablirent. Il réussitnous ne savons
comment à mettre en fuite Jocelin qui se réfug-ia à Constantinople ;
Ami et Abélard furent également vaincus. Enfin la défaite de
Geoffroi de Gonversano amena la lîn de la rébellion. Geoffroi
s'était enfermé dans la place de Montepeloso où Robert Guiscard
vint l'assiég-er, en février 1068 3. Le siège traina en longueur pen-
dant quelques mois. Guiscard finit par entrer en rapport avec un
des officiers de Geoffroi. Le duc lui promit de lui donner en fief
la place d'Obbiano et l'officier lui livra Montepeloso.
La prise de Montepeloso mit fin à l'insurrection qui pendant
quatre années avait arrêté les progrès de Guiscard. Les événe-
ments qui se déroulèrent de 1064 à 1068, n'amenèrent pas de
changement dans la politique de Guiscard, qui comprit qu'il serait
assuré de l'obéissance de ses vassaux de Fouille seulement quand
les Grecs ne posséderaient plus aucune place en Italie. Le duc de
Fouille se rendit compte qu'il avait commis une faute en voulant
porter la guerre sur deux points à la fois et que la conquête de la
Sicile pourrait être continuée seulement quand il serait affranchi de
tout danger du côté des Grecs.
L'état de l'empire byzantin favorisait d'ailleurs singulière-
ment les projets de Guiscard. L'empire, depuis le mois de mai
de l'année 1067, était aux mains d'Eudokia Makrembolitissa
qui dès son avènement s'était trouvée aux prises avec les plus
1. Chr. brève norm., ad an. 1067. — Castallenata, circond. de Tarente,
prov. di Lecce.
2. Anon. Bar., ad an. 1006.
3. Chr. brève norm., ad an. 1068 ; il faut lire Robertus au lieu de Goffri-
dus. G. Ap., II. 459-477. Lup. Protospat., ad an. 1068. Malaterra, II, 39.
— Montepeloso, circond. de Matei'a, prov. de Potenza,
LUTTE DES NORMANDS CONTRE LES BYZANTINS EN FOUILLE 185
g^raves difficultés. Attaqué sur ses frontières d'Asie Mineure par
les Turks, l'empire, gouverné par une femme, ne pouvait lutter
et, en janvier de l'année 1068, Eudokia s'était remariée pour
faire arriver au pouvoir un des plus habiles généraux byzantins,
Romain Diogénès, qui avait aussitôt été prendre le comman-
dement des ai'mées d'Asie K C'est contre les Turks que lebasileus
allait diriger tous ses efforts, et le nouveau danger auquel il
devait faire face, l'obligeait à se détourner des affaires d'Italie.
Guiscard ne laissa point échapper l'occasion. Il résolut de
concentrer toutes ses forces contre les Grecs et d'abandonner
pour un temps la conquête de la Sicile. La nécessité, où il se
trouvait de chercher, pour l'exécution de ses projets, un appui
chez ses vassaux de Fouille peut seule expliquer la modération
dont il usa envers les rebelles qu'il venait de vaincre, modéra-
tion qui était bien peu dans son caractère. Il rendit à Ami et à
Abélardune partie de leurs biens. Geoffroi de Conversano semble
avoir échappé à toute punition-.
La situation des possessions byzantines d'Italie facilita l'exé-
cution des projets de Guiscard. Avant que Robert ne se fût
emparé de Montepeloso, Aboulcharé, qui, depuis quatre années
avait été l'âme de la défense des Grecs contre les Normands,
était mort 3. En même temps que lui disparut Argyros ^. On
a beaucoup écrit sur la conduite d' Argyros pendant ses dernières
années, peut-être même a-t-on trop parlé de son rôle, qu'il
convient de réduire à de beaucoup moindres proportions, si
l'on veut rester dans le domaine de l'histoire. Tout ce que de
Blasiis ^ et Delarc^ ont raconté à son sujet est de pure fantaisie.
Voici exactement ce que nous pouvons savoir. En 1058, Argyros
quitta l'Italie. Nous ne savons pas quand il y revint, dans tous les
cas, dès 1061, il avait un successeur : le catépan Marolos ^. Le fils
1. Cf. Chalandon, op. cit., p. 10 et suiv.
2. Aimé, V, 4. En 1072, Geoffroi de Conversano est en possession de ses
États, Chariul. Cupers., t. I, p. 97.
3. Anon Bar., ad an. 1068.
4. Ibid.
5. Op. cit., t. II, p. 123.
6. Op. cit., p. 430, et suiv.
7. Anon. Bar., ad an. 1058 et 1061.
186 CHAPITRE VII
de Mélès ne fui pas disgracié complètement, car le basileus lui a
accordé le titre de proedros ; de plus, il avait encore une grosse
fortune ; nous savons qu'il possédait plusieurs riiaisons à Bari ' et
que peu avant sa mort il fît au monastère de Farfa donation d'une
importante somme d'argent '-. En dehors de cela, nous ne savons
rien. C'est donner au titre byzantin de proedros une signification
qu'il n'a pas que de faire d'Argyros le chef de la municipalité
de Bari 3. Quant à savoir si, dans la dernière période de sa vie,
Argyros fut pour ou contre les Normands, c'est une question inso-
luble, étant donnée l'absence de documents. Tout ce que l'on a
écrit à ce sujet ne repose, par conséquent, sur aucun fait précis.
Au début de 1068, Guiscard battit les Grecs à Lecce, puis prit
Gravina et Obbiano. Il vint ensuite, le 5 août 1068, mettre le
siège devant Bari. Guillaume de Fouille semble avoir donné les
raisons exactes de la conduite de Guiscard, quand il dit que le
duc en prenant la ville la plus considérable restée aux Byzantins
voulait effrayer les places de moindre importance et amener leur
soumission. Suivant le même auteur, Robert, pour donner un
prétexte à son attaque, aurait demandé aux gens de Bari de lui
remettre les maisons qui avaient appartenu à Argyros, espérant
que, si sa demande était accueillie favorablement, il pourrait uti-
liser ces maisons comme autant de citadelles. Sur le refus des
habitants, Guiscard aurait commencé le siège. Aimé et Malaterra
ne font aucune allusion à ce soi-disant prétexte ^.
Le siège de Bari était la plus grosse entreprise militaire à
1. G. Ap. II, 490 et suiv.
2. Chr. Far/-., Muratori, R.I.SS., t. II, 2, p. 621.
3. Delarc, loc. cit. Cf. sur le titre de proedros, Schlumberger, Sigillogra'
phie hijzanfine,p. 572. Ktant donné que les proèdres paraissent avoir été les
conseillers de l'empereur, il y a peut-être lieu de l'approcher ce titre d'Ar-
gyros du passage où Guillaume de Pouille, II, 279-280, parlant de sa dis-
gi'àce dit :
Desinit Argiroum nec ut anfe solehat haberi,
Estjani consilii cornes intimus iinperialis.
4. Anon. Bar., ad an. 1068. Lupus Protospat.. ad au. 1069. Anon. Vatic,
Muratori, R.I.SS. t. VIII, p. 763. Aimé, V, 27. Malaterra, II, 40. G. Ap. II,
485 et suiv. Chr. brève norm., ad. an. 1069.
LUTTE DES NORMANDS CONTRE LES BYZANTINS EN POL'ILLE 187
laquelle les Normands se fussent encore essayés. La ville était
une des plus fortes de Fltalie. Il suffît de rappeler que les Musul-
mans n'avaient pu s'en emparer que par ruse et l'on sait la longue
résistance qu'elle opposa à Louis IL Les habitants de Bari se
fiaient tellement à leurs remparts qu'ils s'amusèrent à faire sur
les murs de la ville une longue procession, en montrant aux Nor-
mands tout ce qu'ils avaient de précieux et en les invitant à venir
s'en emparer.
Devant Bari, la flotte normande joua un rôle considérable ;
jusqu'alors les conquérants ne s'étaient point préoccupés d'orga-
niser une marine, c'est seulement au moment où ils entreprirent
la conquête de la Sicile que Guiscard et Roger comprirent qu'il
leur était indispensable de pouvoir exercer la police des côtes.
Peut-être avaient-ils été devancés par certains seigneurs, puisque
nous avons vu Geoffroi de Tarente organiser une expédition
contre Durrazzo. Il faut d'ailleurs se garder de toute exagération ;
la flotte alors constituée devait être encore peu considérable,
puisque, quelques années plus tard, lors de l'expédition de Malte,
Roger fut obligé de faire construire un grand nombre de vais-
seaux ; constatons seulement que c'est au siège de Bari qu'appa-
raît pour la première fois cette marine normande, dont le rôle,
sous Christodoulos et Georges d'Antioche, devait être si impor-
tant.
Guiscard fit bloquer le port par sa flotte dont les équipages
paraissent avoir été composés surtout de Calabraise En même
temps le duc commençait le siège par terre ; comme il manquait
de troupes, il fît attacher ses vaisseaux les uns aux autres et
imagina de faire communiquer avec la terre chacune des extré-
mités de la ligne des navires par un pont, qui permettait aux
soldats de l'armée de terre de porter aide aux marins en cas de
besoin.
Les sources nous font connaître que les gens de Bari étaient
divisés en deux partis. Le premier, qui paraît au début avoir été
1. A cette époque, Guiscard paraît avoir eu surtout des marins Calabrais.
Cf. Anon. Bar., ad an. 1064. G. Ap., II, 485.
188 CHAPITRE VIT
de beaucoup le plus nombreux, était favorable aux Byzantins et
avait à sa tète le patrice Byzantius K Le second, favorable aux
Normands, était commandé par Argyrizzos, qui sut toujours
entretenir des communications avec larmée assiégeante. C'est
par lui que Guiscard fut informé que Byzantius voulait gag-ner
Constantinople pour demander des secours à l'empereur. Robert
fit donner la chasse au vaisseau qui portait le patrice, mais cette
première tentative de la flotte réussit mal. Deux des quatre vais-
seaux envoyés furent coulés, les deux autres furent fort éprouvés.
Byzantius obtint l'envoi de nouvelles troupes et de vivres. Le com-
mandement de larmée de secours fut confié à Etienne Pateranos.
La flotte grecque apportant des vivres et des renforts fut attaquée
parla flotte normande. Une première rencontre fut défavorable aux
Normands, qui obtinrent dans un deuxième combat à la hauteur
de Monopoli un léger avantage et coulèrent quelques A^aisseaux.
Finalement, les renforts et les vivres purent pénétrer dans la
place assiégée. Le siège dura pendant toute l'année 1069
sans que la situation se modifiât. Les Normands construisaient
force machines de siège mais ils étaient encore peu experts
dans cet art et les assiégés brûlaient régulièrement tous les
engins construits à grand'peine. Au début de 1070, Guiscard
voyant que le siège n'était pas près de finir, chercha à faire
une diversion. Laissant les troupes nécessaires pour continuer le
blocus, il marcha sur Brindisi, que la flotte de Geoifroi de
Tarente vint assiéger par mer.
Presque toutes les places occupées par les Grecs, ne recevant
pas de secours, avaient été obligées de se rendre, seule Brindisi
tenait encore avec Bari. L'expédition de Guiscard ne fut pas
heureuse, la flotte grecque aux ordres de Mabrikas battit la flotte
normande et le gouverneur byzantin de Brindisi, attirant les Nor-
mands dans une embuscade, réussit à en tuer une centaine dont
il envoya les têtes à Constantinople. Guiscard dut revenir à
Bari sans avoir pu prendre Brindisi '.
1. Aimé, V, 27. G. Ap., II, 478. Anon. Bar., ad an. 1070. Lup. Protos-
pat., ad an. 1071.
2. Skylitzès, dans Cédrénus, II, pp. 722-723. Lupus Protospat., ad an.
1071. Cf. Anon. Bar., ad an. 1070.
LUTTE DES NORMANDS CONTRE LES BYZANTLNS EN POLFLLE 189
Cependant dans la place assiégée le parti normand faisait des
progrès. Pour faire cesser la résistance, quelques-uns des parti-
sans d'Argyrizzos assassinèrent Byzantins, le 18 juillet 1070. Ce
meurtre fut suivi de troubles, amenés par les privations que cau-
sait la lons:ueur du sièffe, Pateranos chercha alors à faire assassi-
ner Guiscard. Un soldat mécontent se laissa gagner et lança sur
le duc un javelot empoisonné; il s'en fallut de peu que Guiscard
ne fût atteint.
Comme le siège se prolongeait toujours, Pateranos se décida
à aller à Constantinople demander de nouveaux secours. Pen-
dant ce temps, Robert, voulant en finir, faisait appel à son frère
Roger qui vint avec ses vaisseaux. Roger était arrivé depuis
peu quand Guiscard apprit qu'une flotte de secours devait tenter
de pénétrer la nuit dans le port de Bari. Pateranos avait réussi
à obtenir des troupes et des vivres ; la nouvelle expédition était
placée sous son commandement et celui de Jocelin. Roger fît
exercer une étroite surveillance sur la mer, et la nuit où la
flotte grecque parut, il dirigea contre elle les vaisseaux nor-
mands. Les Byzantins furent défaits, aucun navire ne put péné-
trer dans le port et Jocelin fut fait prisonnier. Cette victoire
est la première que les Normands aient remportée sur mer.
Cet échec démoralisa les assiégés ; aussitôt Guiscard
s'assura de nombreux partisans dans la ville. En dehors d'Ar-
gyrizzos, qui lui était acquis dès longtemps, il gagna par des
promesses divers membres influents du clergé. Argyrizzos com-
mença par s'emparer d'une tour dans l'intention de la livrer aux
Normands, mais son projet fut connu des habitants qui^, crai-
gnant de voir leur ville livrée au pillage le supplièrent de n'en
rien faire. Suivant Aimé, Argyrizzos n'aurait pas écouté leurs
supplications et aurait livré la ville à Guiscard (16 avril 1071).
11 semble pourtant que les choses ne se passèrent pas ainsi.
Nous voyons en efîet que Guiscard se contenta de la reddition de
la garnison grecque ; il reconnut Argyrizzos comme seigneur de
Bari, décida que le tribut payé à Constantinople serait à l'avenir
payé à lui-même, et établit une garnison normande. Bien plus, il
fit restituer aux habitants les terres sises hors de la ville, qui
avaient été occupées par les Normands. Si l'on rapproche cette
190 CHAPITRE VU
modération du fait que nous verrons, à chaque changement de
règne, Bai-i conclure avec le nouveau prince une sorte de traité,
on est amené à croire qu'en 1071 Guiscard, pour obtenir la
reddition de la place, dut traiter non seulement avec Argyrizzos,
mais aussi avec les représentants de la ville, qui ne lui fut livrée
qu'après qu'une convention respectant les droits des habitants
eût été conclue '.
La prise de Bari était un important succès pour Guiscard,
car elle marque la chute définitive de la domination byzantine en
Italie ; peu auparavant, en effet, Brindisi était tombée entre
les mains du duc -. En même temps qu'elle le délivrait des Grecs,
la possession de Bari assurait à Guiscard un autre avantage, elle
lui donnait au cœur même de la Fouille une place de premier
ordre qui devait lui fournir de grandes facilités pour assurer le
maintien de l'ordre parmi ses vassaux. A peine était-il libre du
côté des Byzantins que Guiscard revint à ses projets sur la
Sicile et dès le mois de mai il préparait une nouvelle expédition
contre les Musulmans \
1. G. Ap., III, 144 et suiv.
2. Anon. Bar., ad an. 1071.
3. Malaterra, II, 43.
CHAPITRE VIII
LA CONQUÊTE DE LA SICILE
(1060-1072)
Quand ils eurent pris Reg-gio, les Normands se trouvèrent ame-
nés tout naturellement à entreprendre la conquête de la Sicile.
La richesse et la fertilité de File devaient exciter leurs convoitises,
et en même temps le voisinage des musulmans constituait un dan-
ger permanent pour leurs possessions italiennes. La situation
politique de la Sicile favorisait d'ailleurs singulièrement les Nor-
mands. On a vu plus haut combien les rivalités entre les divers
partis musulmans avaient facilité les progrès de l'expédition
conduite par Maniakès. Depuis lors l'anarchie n'avait fait que
croitre, chacun des commandants des places importantes avait
tenté de se rendre indépendant et y était arrivé. La Sicile était
alors partagée entre Abd-Allah ibn Haukal, qui régnait à Mazzara
etTrapani, Ibn al Hawasqui possédait Girgenti et Castrogiovanni,
Ibn at Timnah qui commandait à Syracuse, à Catane et peut-être
à Palerme ^.
Ces divers princes avaient réussi à s'affranchir de toute dépen-
dance envers le khalife zirite d'Afrique, El Moezz, qui, depuis
qu'il avait fait remplacer (1043) dans la kotba le nom du prince
alide par celui du khalife abasside -, pouvait à peine suffire à com-
battre les coalitions, qui se formaient autour de lui entre les
Arabes du Maghreb, les Rigàh et les Zor'ba El Moezz
après avoir perdu Tripoli, en 1054, et avoir vu Kairouan pillée
par les Arabes en 1037 4, dut se réfugier auprès de son fds
1. Ibn el-Athir, dans Amari, B.A.S. t. I, p. 445 et suiv.
2. Ibn el-Athir, dans Revue Africaine, 44*^ année p. 167.
3. Ihid., p. 169.
4. Ibid., p. 170.
l92 CHAPltRË Vlll
Temim '. A sa mort survenue en 1062, peu après le moment où les
Normands avaient attaqué la Sicile ~, son iîls, Temim, lui
succéda, mais les guerres qu'il dut soutenir contre les g-ouverneurs
de province, notamment contre le caid qui commandait à Sfax,
rendirent difficile son intervention dans les affaires de Sicile •^, et
il ne put qu'expédier quelques renforts.
La conquête de la Sicile fut surtout l'œuvre du frère de Guis-
card, Roger, qui jusque là n'avait joué qu'un rôle assez secon-
daire. A peine Roger était-il arrivé à Reggio, que l'idée de passer
en Sicile le hanta (1060). Avec une petite troupe de cavaliers, il
réussit à débarquer près de Messine; attaqué par la garnison de
cette ville, il dut se retirer. Suivant Malaterra, Roger aurait été
vainqueur des troupes, qui le poursuivaient, et serait revenu à
Reggio avec un riche butin ^. Peut-être y a-t-il là une exagéra-
tion du biographe officiel du comte de Sicile, il est en tout cas
certain que cette première expédition fut un insuccès. On a
raconté que la descente des Normands en Sicile avait été motivée
par un appel des chrétiens de Messine '\ Le document sur lequel
1. Ibn el-Athir, p. 172-173.
2. Il mourut le 31 août 1062. Cf. Amari, Sloria clei Musulniani, t. III, p. 93,
note 1.
3. Ibn el-Athir, loc. cit., p. 183-184.
4. Malaterra, II, 1.
5. On a voulu quelquefois utiliser pour l'histoire de cette première expé-
dition (Delarc, op. cit., 340, Amari, op. cil., t. III, p. 60) une source, à mon
avis, sans aucune valeur. C'eslla Brevis historia liherafionis Messanae éditée
dans les Miscellanea de Baluze, t. I, p. 184, rééditée par Sirag-usa, Arch. st.
Sicil., N.S., t. XV, p. 10 et suiv. Muratori seul attribue à cette chronique
une date reculée (R.I.SS., t. VI, p. 614). Tout le monde est d'accord pour
constater que Ton est en présence d'une compilation ti'ès récente, com-
posée pour faire remonter jusqu'au xi« siècle les libertés municipales de
Messine. A mon avis, on ne doit pas se servir de cette source, car la
partie que l'on regarde comme basée sur une tradition locale, cest-à-dire
l'appel adressé aux Normands par les chrétiens de Messine, me paraît
être une adaptation de Malaterra. En effet, nous voyons que lors de l'attaque
de Catane, Guiscard et Roger feignent de faire voile vers Malte (Malateira,
II, 4o) ; le passage où les chrétiens de Messine feignent de faire voile vers
Trapani est certainement inspiré de Malaterra. Quant à la légende des
chrétiens allant trouver Roger à Mileto, elle est évidemment inspirée par
le voyage de l'émir de Catane à Mileto lors des ouvertures qu'il fit à Roger.
On ne saurait tirer un argument du fait qu'à la lin du xi'= siècle et dans le
La conquête de la sicilé 193
est basée cette opinion ne me semble mériter aucune créance et
les arg-uments invoqués en faveur de ce texte, composé à une
date très tardive, ne me paraissent présenter aucune valeur.
Les divisions des Musubnans fournirent à Roger l'occasion
d'intervenir en Sicile avec plus de chances de succès. Ibn at
Timnah, émir de Syracuse et de Catane, vint à Mileto offrir à
Roger de l'aider à s'emparer de l'île. Voici les raisons que les
sources arabes donnent de sa conduite. Ibn at Timnah avait épousé
une sœur d'Ibnal Hawas, l'émir de Girgentiet de Gastrogiovanni,
du nom de Maymunah. Un jour que le mari de cette dernière était
pris de boisson, il ordonna à ses esclaves d'ouvrir les veines de sa
femme. Celle-ci ne dut son salut qu'à son fils Ibrahim qui la fit
soigner. Désireuse de se venger, Maymunah après une feinte récon-
ciliation avec son mari lui demanda d'aller voir son frère à Gastro-
giovanni, Ibn at Timnah y consentit, mais quand Ibn al Hawas
connut le traitement infligé à sa sœur, il ne la laissa pas retourner
auprès de son mari malgré toutes les réclamations de celui-ci. Ces
querelles de famille amenèrent les deux beaux-frères à se faire
la guerre. Ibn at Timnah vint assiéger Gastrogiovanni. Non seule-
mentil ne put s'emparer de cette place, sise comme un nid d'aigle
au sommet d'une montagne, mais encore il fut complètement battu
par Ibn al Hawas qui vint attaquer son territoire jusque près de
Catane '. Voyant les progrès de son ennemi, Ibn at Timnah se
décida à venir trouver Roger à Mileto pour lui offrir de l'aider à
s'emparer de l'île -. II le mit au courant des divisions des musul-
mans et lui promit le concours de tous ceux qui dépendaient de
lui. Pour témoigner de sa bonne foi, il donna comme otage son
propre fds.
Une expédition fut aussitôt organisée ; Roger réunit une troupe
de cent soixante hommes'^, composée en partie des soldats de
courant du xni*' siècle, on retrouve à Messine des familles portant les noms
donnés aux chrétiens par la Brevis historia, Siragusa, op. cit., 6-7. Ce n'est
pas suffisant pour admettre la demande de secours des chrétiens, manifeste-
ment inspirée par le souvenir des demandes de l'émir de Catane.
1. Ibn el-Athir, B.A.S., t. I, p. 446; Ibn Khaldoun, IhicL, t. II, p. 201;
Ibn Novvairi, Ihid., t. II, p. 143, Les récits de ces deux derniers dépendent
de celui d'Ibn el-Athir. Malatcrra, II, 3. Aimé, V, 8.
2. A Reggio, suivant Malaterra, II, 3 et Aimé, V, 8.
3. Malaterra, III, 4.
Histoire de lu domination normande. — Chalandon. 13
194 CHAPITRE VIII
Guiscard ; ceux-ci étaient sous les ordres de Geofîroi Ridel l.
Ibn Khaldoun - donne le chiffre de six cents hommes. Ces deux
renseignements ne sont pas contradictoires, peut-être y avait-il
cent cinquante chevaliers, le reste comprenait les écuyers et valets.
La première expédition avait montré qu'il était difficile de prendre
Messine, on résolut donc de tourner la ville et de dirig-er l'attaque
contre Milazzo. Les troupes s'embarquèrent de nuit, probable-
ment du côté de Pezzo ou de Canitello -^ afin d'avoir une traversée
moins longue, et vinrent débarquer au nord de Messine, vers Faro
(18-25 février 1061). Une partie de la garnison de Messine tenta
vainement d'arrêter les Normands, qui pillèrent la région de
Milazzo * et revinrent vers leur flotte avec un riche butin. Au
moment où ils se réembarquaient, les Normands furent de nou-
veau attaqués par la garnison de Messine, ils soutinrent le choc
et poursuivirent les Musulmans jusque près de la ville, mais
s'étant trouvés en présence de forces nombreuses, ils durent rétro-
grader et revinrent à Faro. Une tempête empêcha leur départ
et ce ne fut qu'après trois jours de luttes continuelles avec les
Musulmans, qu'ils linirent par pouvoir repartir; mais pour-
suivis par la flotte musulmane, ils ne gagnèrent Reggio qu'à
grand'peine '. L'expédition avait complètement échoué.
Les deux tentatives infructueuses qu'il avait faites, montrèrent
à Roger qu'une expédition sérieuse n'était possible qu'autant que
les Normands auraient assuré la liberté des communications;
pour cela il fallait être maitre de Messine. La prise de la ville
devint donc le but de la nouvelle campagne que Roger se mit aus-
sitôt à préparer. 11 passa les mois de mars et d'avril à organiser
l'expédition qu'il projetait, en même temps, son frère Robert
Guiscard, alors en Fouille, invitait ses vassaux à se préparera le
suivre en Sicile et s'occupait de réunir des vaisseaux. Au mois de
1. Aimé, V, 9. GeofTioi Ridel fut plus tard consul et duc de Gaëte
et seigneur de Pontecorvo, cf. Gattola, Hist., t. I, pp. 264, 267.
2. Ibn Khaldoun, B.A.S., t. II, p. 202.
3. Entre Scilla et Reggio.
4. Circond. et prov. de Messine.
5. Aimé, V, 10. Malaterra, III, 4-7.
LA CONQUÊTE DE LA SICILE 195
mai, les troupes assemblées par Guiscard vinrent en Calabre '.
Les grands préparatifs faits par les Normands avaient été con-
nus des gens de Messine qui s'adressèrent à l'ennemi de Ibn at
Timnah pour avoir des secours. Ibn al Hawas répondit à leur
demande par l'envoi de huit cents cavaliers, en même temps il
envoyait une flotte de vingt-quatre navires pour s'opposer à la
traversée des vaisseaux normands ~. Une surveillance sévère fut
établie, et Guiscard et Roger ayant été reconnaître les positions
de l'ennemi, furent poursuivis pur la flotte musulmane. L'armée
normande était concentrée à Santa Maria del Faro '■''; elle fut par-
tag-ée en deux corps, une première troupe sous les ordres de
Rog-er s'embarqua sur treize vaisseaux^; elle comprenait deux
cent soixante-dix hommes; trompant la surveillance de l'ennemi,
elle put débarquer pendant la nuit à Calcare, au sud de Messine.
Aimé raconte que Roger, pour enlever tout espoir de retour à
ses soldats, renvoya ses vaisseaux ; il est probable que Guiscard
avait besoin de ces navires pour faire elFectuer la traversée au
gros de l'armée. Au jour, la troupe commandée par Roger se
dirigea vers Messine pour reconnaître le pays ; elle surprit des
soldats musulmans qui venaient de Palerme et apportaient des
subsides •'. Les Musulmans furent battus et l'argent tomba aux
mains des Normands. Roger reçut alors des renforts, environ
cent soixante-dix hommes, avec lesquels il se dirigea sur Mes-
sine ''. Il trouva la ville dégarnie de troupes et s'en empara
presque sans coup férir. Il est problable que la garnison devait
être employée à surveiller la côte ou avait été embarquée sur la
flotte. La prise de Messine amena le départ de la flotte musul-
mane et Guiscard put, sans rencontrer d'obstacle, traverser le
détroit '. Les troupes normandes qui se trouvèrent alors réunies
à Messine comprenaient environ deux mille hommes ^.
1. Malaterra, II, 8.
2. Malaterra, II, 8. Aimé, V, 13.
3. Aimé, V, 13.
4. Malaterra, II, 10. Aimé, V, 15.
5. Aimé, V, IH.
6. Id., V, 17.
7. Id., V, 18.
8. Id., V, 20.
196 CHAPITRE Vilt
Guiscard fît de Messine sa base d'opérations, il fit compléter
les fortifications de la ville et y laissa une garnison. Le plan des
Normands semble avoir été le même que celui de Maniakès, car
ils cherchèrent à pénétrer dans l'intérieur de l'île par Ranietta.
Ils ne paraissent pas avoir rencontré de résistance devant cette
ville dont le g-ouverneur remit les clefs, ce qui tendrait à prou-
ver qu'il était partisan d'ibn at Timnah ^ Par Tripi et Frazzano -,
l'armée normande gagna le campo cli Maniakès. D'après Mala-
terra, toute cette région aurait été habitée par des chrétiens, qui
ne firent aucune résistance et accueillirent les Normands
en leur offrant des vivres et des présents. Par la vallée duSimeto,
l'armée se dirigea vers Centorbi -^ mais ne put prendre cette
place. Les Normands gagnèrent alors Paterno ^ et Emmelesio ^.
11 me semble évident que cette première partie des opérations
eut pour but de remettre Ibn at Timnah en possession des terri-
toires, qui lui avaient été enlevés par Ibn al Hawas. Aucune
résistance sérieuse ne fut opposée aux progrès des Normands
dans toute cette région. Les envahisseurs remontant alors la
grande vallée de l'intérieur, celle du Dittaino, vinrent mettre le
siège devant Castrogiovanni ''. Ibn al Hawas s'y était renfermé
et un grand nombre de Musulmans y avaient trouvé refuge. Une
bataille sans résultat fut livrée devant Castrogiovanni. Suivant
les chroniqueurs normands, les Musulmans auraient subi de
grandes pertes, mais on ne saurait ajouter une entière créance à
leur récit. Tout ce que nous savons de certain, c'est que la ville
ne put être prise; les Normands en ravagèrent les environs et
pillèrent Girgenti. Ces incursions paraissent avoir été dirigées
par Roger tandis que Guiscard commandait les troupes assié-
geantes. Suivant Aimé, tous les chefs musulmans du pays
auraient fait alors leur soumission. L'émir même de Palerme
1. Aimé, V, 20. Malaterra, II, 13.
2. Cf. Amari, Storia dei Musulmani, t. III, p. 71, n. 1. Tripi, circond. de
Castroreale, prov. de Messine. Frazzano, circond. de Cefalu prov. de
Palerme.
3. Ceuturipe, circond. de Nicosia, prov. de Catane.
4. Paterno, circond. et province de Catane.
0. Non identifié.
6. Castrogiovanni, circond. de Piazza Armerina, prov. de Callanisetta.
LA CONQUÊTE DE LA SICILE 197
aurait envoyé à Guiscard de riches présents et lui aurait demandé
son amitié. Le duc de Fouille aurait répondu aux avances de
l'émir, en lui envoyant un ambassadeur qui profita de son séjour
à Palerme pour se rendre compte des forces des Musulmans et
étudier les défenses de la ville. Tous ces renseignements d'Aimé
me paraissent légendaires et les Normands, bien loin d'avoir
continué à occuper le pays, échouèrent devant Castrogiovanni
et furent obligés de reculer ^ .
Le siège de Castrogiovanni fut, en effet, levé; Guiscard paraît
s'être alors borné à faire occuper les territoires appartenant à Ibn
at Timnah et les passages qui, par Rametta, permettent de com-
muniquer de l'intérieur avec la côte du nord. C'est ainsi que Robert
fit construire, pour commander le Val Demone, le château de San
Marco ~ où il laissa une garnison.
A la suite de cette première expédition, Guiscard retourna en
Fouille et Roger demeura en Calabre-^. Ce dernier, un peu avant
Noël de la même année, tenta un nouveau coup de main ; il ne
réussit qu'à ravager le pays jusqu'à Girgenti. A son retour les
chrétiens de Troina lui livrèrent leur ville et il y établit une gar-
nison. Roger passa à Troina les fêtes de Noël (1061) ^.
Suivant Malaterra, c'est pendant son séjour dans cette ville que
Roger aurait appris l'arrivée en Calabrede Robert de Grantmesnil,
abbé de Saint-Evroul, dont il aimait depuis longtemps la sœur
Judith. Celle-ci avait suivi son frère qui, fuyant la colère de Guil-
laume II, s'était décidé à venir s'établir en Italie. Roger avait
dû connaître Judith, assez longtemps auparavant, lors du séjour
qu'il avait fait à Saint-Evroul, avant de venir en Italie. Roger
quitta Troina pour se rendre en Calabre. Il épousa Judith, à San
Martino, et célébra, à l'occasion de son mariage, de grandes fêtes
à Mileto 5.
1. Aimé, V, 23. Ibn Khaldoun, B.A.S., t. II, p. 202. Malaterra, II, 17 ;
cf. sur cette période Amari, op. cit., t. III, p. 73 et suiv.
2. San Marco di Alunsio, circond. de Patti, prov. de Messine.
3. Malaterra, II, 18.
4. Ibicl. Troina, circond. de Nicosie, prov. de Catane.
5. Ibid., II, 19. Delarc, op. cit., p. 378, note 1, a éclairci la question des
femmes de Roger. — San Martino d'Agri, circond. de Lagonegro, prov.
de Potenza.
198 CHAPITRE VIII
Vers le printemps de 1062, Roger iit une nouvelle expédition ^
avec Ibn at Timnah; il s'empara de Petralia, près de Cefalu, et y
établit une garnison '. Roger laissant alors Ibn at Timnah conti-
nuer la campagne revint en Calabre ^. La fortune sembla à ce
moment tourner en faveur des Musulmans ; Ibn at Timnah ayant
poussé une pointe jusque dans la vallée de Bichinello, près de
Palerme, fut attiré dans un guet-apens par le commandant de
Rocca d'Entella qu'il assiégeait et fut assassiné^. Ce succès,
qui enlevait aux Normands un appoint important, parait avoir
ranimé l'ardeur des Musulmans. Les garnisons normandes de
Troina et de Petralia, en présence des menaces de l'ennemi,
se retirèrent à Messine ^. La brouille qui survint alors entre
Guiscard et Roger ne fit qu'aggraver la situation des Nor-
mands, déjà fort compromise par suite de la disparition d'Ibn at
Timnah.
Roger reprochait à son frère de n'avoir pas exécuté les clauses
du traité qu'ils avaient conclu quelques années auparavant et de
lui refuser, malgré la part active qu'il avait prise à la conquête de
la Calabre, les terres auxquelles il avait droit ^>. Du récit de Mala-
terra, il résulte clairement que Guiscard craignait, en accordant
de grands fiefs à Roger, de créer une puissance qui pût contre-
balancer la sienne, et préférait récompenser son frère en argent
plutôt qu'en terres. Après son mariage, Roger se décida à invo-
quer ses droits ; il demanda justice à Robert, et suivant l'usage
attendit quarante jours avant d'entrer en campagne. Peut-
être les vassaux apuliens de Robert ne furent-ils pas étrangers
à la conduite tenue par Roger ; ils durent chercher à se ser-
vir de ce dernier pour susciter des embarras à leur seigneur dont
la puissance grandissait chaque jour.
Robert vint assiéger son frère dans Mileto ; des combats sans
1. Malaterra, II, 20.
2. Petralia Soprana ou Petralia Sottana, circond. de Cefalu, prov. de
Palerme.
3. Malaterra, II, 20.
4. Malaterra, II, 22. Rocca d'Entella au S.-O. de Corleone, cire, de Cor-
leone, prov. de Palerme. Cf. Amari, op. cit., t. III, p. 86, note 1.
5. Malaterra, II, 22.
6. lbid.,U, 21 et 23.
RÉVOLTE DE ROGER CONTRE GUISCARD 199
importance se livrèrent autour de la place. Ro^er ne put empê-
cher Guiscard de construire deux châteaux qui commandaient
l'accès de la ville et d'établir ainsi le blocus. Afin de diviser les
forces de son frère, Roger chercha des alliés en Calabre ; il
réussit à gagner la ville de Gerace qui se donna à lui. Cette ville
en passant aux Normands avait réussi à garder une certaine
indépendance et Guiscard n'y avait pas de citadelle ; les habi-
tants purent ainsi facilement secouer le joug du duc de Fouille.
Sur ces entrefaites, Roger quitta secrètement Mileto, pendant
la nuit. Guiscard croyant que son frère était dans Gerace,
laissa des troupes continuer le siège de Mileto et vint camper
devant Gerace. Tandis qu'il assiégeait cette ville, le duc
commit une imprudence qu'il faillit payer cher. Il avait noué
des intelligences avec un des principaux habitants de la ville,
Basile,, et pour avoir une entrevue avec lui, il pénétra déguisé
dans la place assiégée. Tandis qu'il était chez Basile, il fut
reconnu et une foule menaçante A^nt l'assiéger dans la maison
où il se trouvait. L'hôte et sa femme furent tués et Guiscard fait
prisonnier fut enfermé, après avoir couru grand risque d'être
massacré K
L'armée de Guiscard apprit bientôt ce qu'il était advenu de
son chef ; ne sachant que faire, on se décida à prévenir Roger,
qui se trouvait dans les environs. Celui-ci fit preuve de beaucoup
de générosité; il comprit d'ailleurs que, s'il laissait assas-
siner son frère, la domination des Normands se trouverait singu-
lièrement compromise. 11 vint donc devant Gerace, fit appeler
les principaux habitants et affectant d'être très irrité contre
Guiscard, exigea qu'il lui fût remis. 11 menaçait, si on ne l'écoutait
pas, de détruire les vignes et les oliviers, dans les champs autour
de la ville, et de s'emparer par force de la place.
On décida de remettre Robert aux mains de Roger ; mais se
méfiant des Normands, les gens de Gerace firent promettre à
Guiscard de ne jamais bâtir de château dans l'enceinte de leur
ville. Malaterra nous fait un tableau touchant de l'entrevue des
deux frères et de la réconciliation qui s'en suivit. Roger et Robert
1. Pour cette révolte de Ronger, cf. Malaterra, II, 23 et suiv.
200 CHAPITRE Vlll
se seraient en pleurant jetés dans les bras l'un de l'autre et se
seraient embrassés o comme autrefois Joseph et Benjamin ».
Peut-être la réalité a-t-elle été un peu différente. Roger profita de
ce que son frère était entre ses mains pour lui faire prendre l'en-
gagement de ne plus retenir les domaines qui lui avaient été
promis. Guiscard s'engagea à tout ce que son frère voulut et tous
deux gagnèrent Alileto. Là, Guiscard retrouva ses troupes et
changea aussitôt d'attitude. Il prit prétexte de ce que la garnison
de Mileto avait occupé un des châteaux construits devant la place
et fait prisonnier un certain nombre des siens pour refuser d'exé-
cuter l'accord conclu. La guerre recommença entre les deux
frères, mais Roger ayant remporté quelques succès, Guiscard
finit par s'entendre avec lui « sachant, dit Malaterra, que toute
la Calabre pouvait être troublée de leur rivalité • ». Le duc et
Robert eurent une entrevue dans la vallée du Crati et sç parta-
gèrent la Calabre.
Que fut ce partage ? On a admis généralement que Guiscard
avait cédé à son frère la moitié de la Calabre, depuis le mont
Intefolli et le mont Squillace jusqu'à Reggio. Ce sont là en effet
les clauses du traité conclu entre les deux frères quelques
années auparavant, traité qui paraît avoir été simplement con-
firmé à la suite de la guerre que nous venons de raconter. Il
me semble pourtant que la convention alors conclue doit être
interprétée différemment. Il ressort clairement de quelques
passages de Malaterra que le traité établit une sorte de con-
dominium attribuant à chaque prince une portion détermi-
née de chaque ville et de chaque château. Cela est certain
pour Gerace ~. Peu après les événements que nous venons
de rapporter, Roger fit construire une citadelle pour com-
mander la ville. Les gens de Gerace lui rappelèrent la promesse
faite par son frère de ne jamais édifier de forteresse en cet endroit.
Roger répondit que son frère et non lui avait fait cette promesse,
que la moitié de Gerace lui appartenant, il pouvait y construire
ce qu'il voulait. Un autre passage du même auteur montre que la
1. Malaterra, II, 24.
■2. Malaterra, II, 28.
LA COÎNQUÈTE DE LA SICILE 201
situation de Gerace a été la règle L A la mort de Guiscard, en
effet, son fils céda à Rog-er, pour obtenir son appui, tous les châ-
teaux de Calabre dont il possédait jusque-là seulement la moitié.
Quant à ce qui fut décidé à ce moment pour la Sicile, nous
l'ignorons ? Toutefois quand le partage en fut effectué entre les
deux frères, il n'amena entre eux aucune difficulté.
Roger profita de sa nouvelle situation pour organiser une
troupe de trois cents hommes, avec lesquels, dans le courant de
1062, il passa en Sicile, où il s'établit. Le frère de Guiscard créa
alors une série de postes dans la région de Nicosie. Depuis la
mort d'Ibn at Timnah, la situation des Normands était beau-
coup moins forte et même la population chrétienne leur témoi-
gnait de l'hostilité. Il faut, suivant Malaterra, en chercher la
cause dans la conduite des conquérants vis-à-vis des femmes du
pays 2, Exaspérés par l'attitude des soldats de Roger, les habi-
tants profitèrent d'une expédition du comte pour tenter le mas-
sacre de la garnison restée à Troina. Roger revint à temps pour
empêcher les siens de succomber, mais il se trouva enfermé dans
une partie de la ville, probablement dans la citadelle. La situation
ne tarda pas à empirer, car aux rebelles chrétiens se joignirent
tous les Musulmans des environs. Roger resta ainsi bloqué
pendant une grande partie de l'hiver 1062-63 3; la petite garnison
avait à soutenir des luttes continuelles et souffrait des privations
de tout genre. Au bout de plusieurs mois de siège, Roger
s'aperçut que l'ennemi était moins vigilant et qu'en particu-
lier, pendant la nuit, beaucoup de soldats s'enivraient pour com-
battre le froid. Il réussit une nuit à tomber sur les assiégeants
et à les chasser de la ville, il devint ainsi maître des fortifica-
tions. La plupart des chefs ennemis étant tombés entre ses
mains, il les fît exécuter et l'ordre fut rétabli. Laissant une
garnison suffisante à Troina, Roger se rendit en Fouille pour
remonter sa troupe qui avait perdu tous ses chevaux^.
Dans le courant de l'année 1063, la lutte prit une plus grande
1. Malaterra, 111,42.
2. Ihid., II, 29-30.
3. Ibid., II, 30.
4. Ibid., II, 31.
202 CHAPITRE VIII
extension après l'arrivée de nouvelles troupes musulmanes. A la
suite des succès des Normands, en 1061, un certain nombre de
Musulmans avaient été demander des secours à El Moezz K
Celui-ci envoya une flotte qui fut détruite par une tempête. A sa
mort (31 août 1062), son fils Temim envoj-a deux de ses fils avec
des troupes de secours 2. L'un, Aioub, alla à Palerme ; le second,
Ali, à Girg-enti où il fut très bien reçu par Ibn al Hawas. Ce fut
contre ces deux derniers que Roger marcha. 11 remporta sur eux
une victoire dans les environs de Castrog-iovanni et en profita pour
pousser vers le nord jusqu'à Caltavuturo ■'. Une autre expédition
fut dirigée vers Butera ^, à la fin du printemps. Durant toute
cette période, Troina reste le centre d'où Roger rayonne.
Pendantlété 1063, les Mu.sulmans prirent l'oirensive, une armée
considérable se dirigea de Palerme sur Troina ^. Roger vint attendre
l'ennemi prèsde Cerami. Unegrande bataille, plus importante que
toutes celles qui avaient été livrées jusque-là, se termina à l'avan-
tage des Normands. Parmi les combattants se trouvait Roussel de
Bailleul, qui devait quelques années plus tard se rendre célèbre
au service des basileis de Constantinople''. Les Normands firent
beaucoup de prisonniers qu'ils vendirent comme esclaves. Le
butin fut énorme et pour associer l'Eglise à ce triomphe remporté
sur les infidèles, Roger envoya au pape Alexandre II de riches
présents.
La victoire de Cerami avait une importance considérable, elle
assurait à Roger la possession définitive de la région de Troina
et en même temps elle dut jeter la terreur parmi les habitants de
l'ile. Les conséquences en auraient été encore plus importantes, si
Roger avait accepté l'offre qui lui fut faite peu après par les
Pisans de marcher sur Palerme. L'entente ne put se faire pour
des raisons que nous ignorons, et la flotte pisane, qui parut devant
1. Ibn el-Athir, B.A.S., t. I, p. 448.
2. Ibn el-Atbir, loc. cit:; 448.
3. Circond. de Termini Imerese, prov. de Palerme.
4. Circond. de Terranova,prov. de Caltanisetta.
î). Malaterra, II, 33.
6. Cf. Schlumberger, Deux chefs normands des armées byzantines au
XI^ s., dans la Revue historique, t. XVI (1881), p. 289 et suiv.
LA CONQUETE DE LA SICILE 203
Palerme, le 18 août 1063, ne réussit pas à pénétrer dans le
port K
Durant ce même été 1063, Roger se décida à aller en Fouille
pour organiser avec l'aide de son frère une grande expédition
pour l'année suivante ^. Avant son départ, il ravitailla Troina en
allant piller successivement GoUesano ^, Brucato ^ et Cefalu ^.
Pendant son séjour en Italie, Roger réussit à recruter un certain
nombre de soldats ; il obtint notamment de Guiscard un secours
de cent hommes. Avec ces renforts il recommença à ravager, à
l'automne 1063, la région de Gastrogiovanni, qui était toujours
le centre de la résistance. Roger faillit tomber dans une embuscade
que les Musulmans lui tendirent entre Gastrogiovanni et Troina,
mais il réussit à mettre en fuite ses agresseurs ^\
L'année 1064 peut être regardée comme terminant la pre-
mière période de la conquête de la Sicile par les Normands. Il
ne faut pas exagérer l'importance des combats qui furent livrés
depuis l'année 1060. Sauf la première expédition conduite par
Guiscard et Roger, toutes les autres batailles, que Malaterra
nous raconte avec force détails, ont dû être très peu importantes.
Gela résulte clairement du chiffre des combattants. Roger
ne commandait durant toute cette période qu'à quelques cen-
taines d'hommes. Ainsi à la bataille de Gerami, qui fut une des
plus sérieuses, Roger est à la tête de cent chevaliers et son
neveu Sarlon de trente ; cela correspond à une armée de cinq ou
six cents hommes tout au plus. On voit qu'à ce moment un ren-
fort de cent hommes a une grande importance pour Roger.
G'est ce petit nombre de troupes qui explique la lenteur de la
conquête. Depuis l'expédition de Guiscard et de Roger en 1061,
les Normands n'ont pas fait un pas en avant, ils ne possèdent
que la région de Messine et Troina ; tout le reste de l'île est aux
1. Malater.-a, II, 34. Annal. Pisani, M.G.H.SS., t. XIX, p. 238, qui
donnent la date in die sancti Agapiti.
2. Malaterra, II, 34. Il revint, réfrigérante calore.
3. Circond. de Cefalu, prov. de Palerme.
4. II s'agit sans doute de Broccato, entre Termini et Caccabo, dont il est
question dans un diplôme de Guillaume I®"", Mongitore, op. cet., p. 36.
5. Chef-lieu de circond., prov. de Palerme.
6. Malaterra, II, 35.
204 CHAPITRE Mil
Musulmans. Les diverses expéditions de Roger n'ont fait tomber
entre ses mains aucune place importante, et s'il a tenté des
pointes hardies du côté de Palerme et de Castrogiovanni, il n'a
pu établir aucun poste pour inquiéter ces deux villes et même,
après les plus brillants faits d'armes, il a toujours dû reculer.
Les succès remportés en Fouille par Robert Guiscard, en 1062
et 1063, lui permirent d'organiser au début de 1064' une impor-
tante expédition dont Palerme était le but. Les deux frères réu-
nirent leurs troupes à Cosenza, ils soumirent d'abord Castro-
regio^ ; dans les environs de cette ville, passant ensuite en
Sicile ils allèrent mettre le siège devant Palerme. Le siège de la
ville dura trois mois ; au bout de ce temps, l'armée assiégeante
dut lever son camp. L'armée revint par l'intérieur de l'île,
elle prit Bugamo et tenta sans succès une attaque sur Girgenti.
L'insurrection qui venait d'éclater en Pouille rappela Guiscard,
qui revint en Galabre, au début de 1063. Après avoir détruit
Policastro, le duc de Pouille établit, à Nicotera, les habitants qui
s'étaient révoltés ; il leur adjoignit les prisonniers faits en
Sicile, notamment à Bugamo. Le séjour de Guiscard dans cette
région se prolongea, car la révolte d'Ajello le retint encore quelque
temps -^
Pendant les années suivantes, la guerre de Sicile fut dirigée
par Roger seul. Celui-ci se retrouvant alors, comme de 1061
à 1064, sans avoir les troupes suffisantes pour lutter avec avan-
tage, les Normands ne firent presque aucun progrès.
Durant cette période le principal chef musulman fut Aioub,
fils du khalife Temim, et il semble que ce soit à lui qu'il faille
attribuer l'arrêt de la conquête normande. Nous avons vu
qu' Aioub avait été envoyé par son père vers 1063^. Bien reçu
par Ibn alHawas, il ne tarda pas à devenir suspect à ce dernier,
qui voulut l'expulser de Girgenti. Les deux chefs musulmans en
1. Malaterra, II, 36.
2. Malaterra, II, 37. A mon avis, Malaterra indique le siège de Castrore-
gio, circond. de Gastrovillari, prov. de Cosenza, comme étant antérieur
à l'expédition de Sicile.
3. Cf. supra, p. 182.
4. Ibn el-Athir, B.A.S., t. I, p. 448. Ibn Khaldoun, B.A.S., t. II, p. 202.
\
V
LA CONQUÊTE DE LA SICILE 20^
vinrent bientôt à une lutte ouverte durant laquelle Ibn al Hawas
fut tué ; Aioub lui succéda aussitôt et fut reconnu à Girgenti,
Gastrog^iovanni etPalerme. A ce moment, c'est le parti musulman
africain qui, en Sicile, l'emporte partout sur le parti sicilien.
Nous ne savons pas la date exacte de ce changement, mais il
semble qu'il convient de le placer un peu avant 1068 '.
Pendant les années 1065-1067, nous ne connaissons aucune
rencontre importante entre Normands et Musulmans. Malaterra
indique seulement qu'en 1066 Roger fortifia Petralia pour en
faire son centre d'opérations ■^. On voit par là que la région de
Troina devait à cette date être soumise, puisque Roger se portait
vers l'ouest du côté de Palerme. En 1068, peu après la révolu-
tion qui avait porté Aioub au pouvoir, Roger remporta une
victoire importante sur celui-ci à Misilmeri, tout près de
Palerme •^. La conséquence de ce succès fut la chute du
parti d'Aioub; ce dernier repassa en Afrique peu après ^ ; son
départ entraîna la complète désorganisation du parti musulman
et Roger put aller aider son frère au siège de Bari. 11 ne semble
pas qu'il y ait eu d'opérations importantes pendant son absence,
qui dura jusqu'à la prise de Bari, en 1071.
A peine cette ville fut-elle tombée au pouvoir des Normands
que Guiscard et Roger tournèrent à nouveau leurs armes vers
la Sicile. Roger revint dans l'île pour y organiser ses troupes ;
pendant ce temps Guiscard, à Otrante, faisait de grands prépa-
ratifs, qui l'occupèrent durant les mois de juin et de juillet. Le
duc de Pouille s'était rendu compte que son échec de 1064 devant
Palerme était dû en grande partie au manque de vaisseaux ; la
ville, bloquée par terre, avait pu continuer à recevoir par mer tous
les approvisionnements dont elle avait besoin. Aussi Guiscard
s'occupa-t-il de réunir une flotte. Il put arriver à avoir cinquante-
huit vaisseaux qu'il fit monter par des marins de Bari, des
1. Malaterra, II, 41, Roger dit avant la bataille de Miselmeri: Si ducein
mufaveriini, en parlant des Musulmans ; il fait évidemment allusion à ce
changement. Cf. Amari, op. cit., t. III, p. 111, note 1.
2. Malaterra, II, 38.
.S. Malaterra, II, 41.
4. Ibn el-Athir., loc. cit., p. 449, avant le 19 octobre 1069.
206 CHAPITRE VIII
Calabrais, et des Grecs prisonniers. DOtrante la flotte gag-na
Reggio. Robert se dirigea par terre vers la même ville, il reçut
en passant la soumission de la ville de Squillace dont les
habitants avaient tué le stratège établi par lui et étaient en
rébellion depuis près de dix ans ^ .
Au mois de juillet, la flotte quitta Reggio et se dirigea vers
Catane. Les Normands avaient toujours été en paix avec les
Musulmans de Catane, et peut-être les successeurs d'Ibn at
Timnah étaient-ils restés leurs alliés. Il semble que Roger et
Robert aient agi avec beaucoup de mauvaise foi envers les gens
de Catane. Roger vint les trouver et leur dit que son frère se diri-
geait contre Malte. La flotte ayant pu ainsi pénétrer sans difficulté
dans le port, les Normands s'emparèrent de la ville par trahison.
Roger y établit une garnison. De Catane l'armée se dirigea
sur Palerme -.
Cette ville ' était alors la plus importante de la Sicile. Elle com-
prenait cinq quartiers distincts. Le premier auquel était réservé
spécialement le nom de Palerme était dit Al Quasr '•. C'était
plus particulièrement le quartier des marchands, il renfermait la
grande mosquée ''. Le Quasr avait une enceinte fortifiée très impor-
tante dans laquelle s'ouvrait neuf portes. Ce quartier s'étendait
depuis le palais royal actuel jusquun peu après la Piazza degli
Quattro Canti. Il ne s'étendait pas tout à fait sur la droite jus-
qu'à la Via di Porta di Castro et sur la gauche dépassait un peu
la Via del Celso; à la hauteur de la Via Matteo Bonello la
muraille s'infléchissait et rejoignait celle du sud à la hauteur du
Corso Alberto Amedeo '\ Le second quartier, Al Halisah, renfer-
i. Malateria, II 43-44. Aimé, VI, 14. G. Ap. III, 183.
2. Malaterra, II, 45.
3. La topographie de Delarc, op. cit., p. 464 est fantaisiste pour tout ce
qui regarde les identifications avec la ville actuelle, par exemple, il place
le palais royal actuel dans la Khalesa.
4. Cf. Ibn Hauqual, B.A.S., t. I, p. 10 et suiv.
b. Cf. di Giovanni [Y j,Sul porto antico e su H mura le piazze e i bagni di
Palermo dal secolo X al secolo A'V 'Palermo, 1884) avec plan de la ville du
X* au xv^ siècle). Cf. Schubring, Histor. topographie von Panormus.
(Lubeck, 1870) avec une carte médiocre.
6. Cf le plan dressé par di Giovanni, loc. cit.
/
SIÈGE DE PALERME 207
mait le palais, les bureaux de radministration, il occupait à peu
près l'espace compris entre la Porta Felice et la Porta dei Greci
l'église San-Francisco et la Piazza Mag-ione '. Cette partie était
fortifiée, mais moins bien que la précédente. Le quartier, compris
entre le Quasr d'une part et une ligne partant du Corso Alberto
Amedeo pour aboutir à la Piazza del Castello en passant par
l'Ospedale di Concezione, le théâtre Vittorio Emmanuele et la
via Cuvour, s'appelait Harat as Sagalibah. Entre le Quasr et
l'Halisah étaient les deux quartiers; Harat alMasgid et Harat al
Gadilah. Ces trois derniers quartiers n'étaient point fortifiés.
L'entrée du port était défendue par des tours et fermée par des
chaînes. Tout autour de la ville s'étendaient d'immenses jardins.
La population devait être considérable. Ibn Hawkal nous dit que
la ville avait trois cents mosquées et que la seule corporation des
bouchers comprenait sept mille membres.
Guiscard pour éviter d être attaqué par les Musulmans de
Girgenti chargea son neveu Sarlon de continuer la guerre dans la
la région de Gerami et Castrogiovanni -. L'armée et la flotte des
Normands durent arriverdevant Palerme au mois d'août ; elles éta-
blirent le blocus tout autour de la place, sauf du côté ouest. Nous
savons par Malaterra que les Normands s'installèrent dans les
jardins qui entouraient la ville.
Les assiégés réussirent à faire connaître leur situation à leurs
coreligionnaires d'Afrique et une flotte de secours fut envoyée ;
celle-ci, après un combat avec les vaisseaux normands réussit, à
pénétrer dans le port, non sans avoir subi des pertes importantes.
Pendant le siège, qui remplit tous les derniers mois de l'année
1071 ^, Guiscard (it contruire d'énormes machines de guerre.
Durant tout ce temps des escarmouches incessantes eurent lieu
entre chrétiens et Musulmans sans qu'aucun des deux partis pût
prendre un avantage décisif. La prolongation du siège amena
une épouvantable famine, qui causa de grandes souffrances non
1. Cf. di Giovanni. Sopr/t tre porte di Palernio et sa confiai délia Ilali-
sah e del Muaskai (Palernio, 1883), p. 38 et suiv.
2. Malaterra, II, 46.
3. G. Ap. III, 225 et suiv.
4. Cf. Aimé, VI, 16, 17, 18. Malaterra, II, 45.
208 CHAPITRE VIIl
seulement aux assiégés mais aussi aux assiégeants dont le ravi-
taillement s'effectuait mal. Guiscard, pour hâter le dénouement,
fit demander des secours en Italie mais quand ses vassaux
apprirent les difficultés qu'il avait à surmonter, ils en profitèrent
pour se révolter à nouveau '. Malgré ce contre-temps, Guiscard
continua à assiéger la place, et au début de janvier 1072, il se
résolut à donner l'assaut. Le 7 janvier, Roger avec une grande
partie des forces normandes attaqua la vieille ville et attira de
ce côté l'attention des Musulmans. Pendant ce temps, Guiscard
avec trois cents hommes attaqua le quartier d'Al Halisah, qui
était dégarni de troupes, et réussit à s'en emparer. La moitié de
la ville se trouva du coup aux mains des Normands. Les Musul-
mans se divisèrent sur le parti à prendre, les uns voulaient conti-
nuer la lutte, les autres proposaient de traiter. Ce fut ce dernier
parti qui l'emporta. Le 8 janvier deux chefs musulmans et un
certain nombre des principaux habitants de la ville vinrent
trouver Guiscard pour lui offrir de capituler moyennant certaines
conditions. Nous connaissons mal celles qui leur furent accordées.
11 semble toutefois que Guiscard se soit montré très accommodant,
car il avait hâte de pouvoir retourner en Fouille et ne voulait pas
entreprendre un second siège pour s'emparer de la vieille ville.
On peut admettre que Guiscard traita Palerme comme il avait
traité d'autres villes, entre autres Troia et Bari. Non seulement
les Musulmans eurent la vie sauve mais ils gardèrent le droit de
pratiquer leur cidte. Guiscard s'engagea à leur laisser leurs lois
et par suite leurs juges et leurs tribunaux -, et tout en instituant
des fontionnaires normands, il laissa à ceux-ci les titres musul-
mans, c'est ainsi qu'un chevalier de sa suite nommé gouverneur
de Palerme prit le titre d'émir 'K
Les négociations occupèrent deux jours et ce ne fut que le
1. Aimé, VII, 2, Cf. infra, p. 223.
2. Cela résulte de la situation politique des Musulmans sous les rois de
Sicile dont nous nous occuperons plus loin. Cf. G. ApuL, 111, 321 et suiv.;
Malalerra, II, iro; Anonyinus Valicanus, dans Muratori, R.l.SS., t. ^'lll,
p. 755. Aimé, VI, !9.
3. Obsidibus suinptis aliquot castrisqiie paratis
Reginam remeat Robertus victor ad urbeni,
Nominis eiusdem quodam rémanente Panornii
Milite, qui siculis datur aniiralus haberi (G. Ap. III, 340-344).
PRISE DE PALERME 209
10 janvier que Guiscard et Roger firent à la tête de leurs troupes
leur entrée dans Palerme et se rendirent solennellement à l'an-
cienne église Santa-Maria, qui avait été transformée en mosquée
et fut alors rendue au culte.
La chute de Palerme amena la soumission des Musulmans de
la région de Mazzara mais ne changea rien à la situation dans
les environs de Castrogiovanni, oùla guerre continuait toujours;
Sarlon, qui dirigeait la campagne dans cette région, trouva la
mort dans une rencontre avec les gens de Castrogiovanni.
La prise de Palerme avait pourtant une inq^ortance particulière,
car elle mettait entre les mains des Normands toute la côte nord
de l'île. A l'ouest, l'autorité de Guiscard était reconnue jusqu'à
Mazzara, et à l'est, jusqu'à Messine. Les Musulmans du centre se
trouvaient donc enveloppés.
Après leur victoire, les deux frères se partagèrent les terri-
toires conquis ; Guiscard retint pour lui la suzeraineté de l'île,
avec Palerme, la moitié de Messine et le Val Demone. Le
reste fut attribué à Roger '. On donna à Sarlon et à Arisgot
de Pouzzoles la moitié de la Sicile. 11 semble résulter du récit de
Malaterra que la part de Sarlon et d'Arisgot de Pouzzoles était
encore à conquérir sur les Musulmans.
On a voulu que l'armée ait été consultée au sujet de ce partage,
cela me paraît très douteux '-. La situation des Normands en Sicile
diffère complètement de celle qu'ils ont eue en Italie. La conquête
de l'Italie a été faite par des chevaliers égaux entre eux et avant des
droits analogues. Au début, tous les chefs de bande étaient sur le
même pied et cène fut qu'à la suite d'une longue série de guerres
que Guiscard réussit à imposer son autorité à tous les autres sei-
gneurs. 11 n'y était pas encore arrivé au moment où nous sommes
parvenus. Aussi on comjjrend qu'en Italie les chefs des principaux
établissements normands aient pu à certains moments former une
sorte de conseil, comme il paraît bien que cela a eu lieu à quelques
reprises. La situation en Sicile n'a pas été la même. La guerre
a été faite par Guiscard et son frère avec des soldats recrutés et
1. Aimé, VI, 22. Falco Benev., éd. del Re, p. 186.
2. Delarc, op. cit., p. 479.
Histoire de la domination normande. — Chalandon. 1»
210 CIIAP1TK1-: viu
payés par eux et auquels ils avaient promis des terres '. Les
troupes combattant sous les ordres de Guiscard et de Roger
n'avaient pas, dès lors, sur les territoires conquis des droits ana-
logues à ceux que les premiers Normands avaient eus sur les
conquêtes faites en commun; par suite une ratification par
l'armée du partage entre Guiscard et son frère ne se comprendrait
plus. Seul Aimé parle de cette intervention de l'armée, or tous
les renseignements qu'il donne sur le partage de la Sicile sont
inexacts, sauf en ce qui concerne la situation de Messine. Mala-
terra dont l'autorité est bien plus considérable n'en dit pas un
mot; il me paraît très probable que. si elle avait eu lieu, il
aurait mentionné cette intervention de l'armée en faveur de Roger,
auquel ses compagnons rendaient ainsi un éclatant hommage.
Remarquons encore que Guiscard en dehors de la suzeraineté
de l'île ne retint pour lui que les places à la conquête desquelles
il avait collaboré. Tout ce que Roger a conquis par lui-même et
tout ce qu'il acquerra de la même manière lui est attribué.
Il y a donc une dilférence importante entre la Sicile et l'Italie
du Sud au point de vue du mode dont s'est opéré la conquête
normande. Tandis que ce n'est que par une longue suite d'usur-
pations que Guiscard est arrivé à devenir le suzerain des Nor-
mands d'Italie, qui étaient en possession de leurs domaines
avant qu'il y eut un duc de Fouille, en Sicile, c'est par le
duc qu'ont été établis les seigneurs et c'est de lui qu'ils ont
reçu leurs terres. C'est là ce qui explique qu'en Sicile, aucun
seigneur ne paraît avoir possédé des fiefs aussi considérables que
certains des Normands d'Italie. Guiscard et son frère ont, semble-
t-il, cherché à éviter de se donner des vassaux trop puissants.
Un des premiers soins de Guiscard et de Roger fut de faire
construire deux citadelles. L'Anonyme du Vatican indique claire-
ment que celles-ci furent construites l'une dans le quartier d'Al-
Halisah, l'autre dans le quartier de Quasr -. Nous connaissons
exactement l'emplacement de cette dernière. Elle fut élevée à
l'extrémité du quartier, dans l'espace compris aujourd'hui entre la
1. Malatemi, III, 1.
2. Muratori, H.I.SS., t. VIII. p. 6.'i.
PRISE DE PALERME 211
cathédrale et le Palais royal '. Guiscard resta en Sicile, jusqu'à
Fautomne. Il se fit payer une forte contribution de guerre
par les habitants de Palerme et leur demanda des otages.
Laissant ensuite à Roger le soin de continuer la conquête, il
gagna l'Italie où le rappelait la révolte de ses vassaux.
1. Cf. Di Giovanni, op. cit., p. 49.
CHAPITRE IX
RICHARD DE CAPOLE. RÉVOLTE DES VASSAUX APLLIENS
DE ROBERT GLISCARD
(1059-1073]
Après le concile de Melfî. Richard de Capoue tenta d'augmen-
ter le territoire de ses Etats ; durant quelques années toute son
activité fut tournée vers le nord et son action se fit sentir dans
les affaires romaines, mais elle ne s'exerça pas toujours suivant
la volonté du pape. Si au début, la papauté eut à se louer du pacte
conclu avec les Normands, la bonne entente ne dura guère et
bientôt le pape ne trouva d'appui, ni dansGuiscard tout occupé de
conquêtes lointaines, ni dans Richard, soucieux avant tout de ses
propres intérêts. Il n'en fut pourtant pas ainsi dès le début, et à
la mort de Nicolas II (27 juillet 1061), le parti d'Hildebrand
trouva dans le prince de Capoue un soutien puissant.
En 1061, l'aristocratie romaine était devenue favorable à l'em-
pire allemand; les Normands étaient la cause de ce changement
d'attitude. Ils avaient fait respecter d'une telle façon l'autorité
pontificale que l'on en était venu à regretter l'autorité impériale.
Aussi quand la nouvelle de la mort de Nicolas II, survenue à
Florence, fut connue à Rome, l'aristocratie s'entendit avec le
parti hostile aux réformes et se hâta d'envoyer à Henri IV les
insignes du patriciat ; en même temps elle fit demander à l'im-
pératrice Agnès, tutrice du jeune souverain, de désigner le nou-
veau pape '. Hildebrand et son parti étaient très mal vus à la
cour impériale à cause du décret sur les élections pontificales.
Nicolas II ayant envoyé, comme légat, à la cour de Germanie, le
1. Annal. Rom., éd. Duchesne, dans Lih. Pont., t. II, p. 396. Benzo,
op. cil. vu, c. 2, éd. dans Watterich, op. cit., t. I, p. 270. Pierre Damien,
Disceptatio synodica, éd. dans Watterich, op. cit., t. I . 250.
RICHARD DE CAPOUE ET ALEXANDRE II 213
cardinal Etienne pour tâcher de faire approuver son décret, on
avait refusé d'accorder une audience à l'envoyé du pontife •.
Hildebrand paraît avoir hésité un certain temps sur ce qu'il
devait faire, puis il se décida à obéir au décret de Nicolas II -.
C'était la rupture avec l'emjîire allemand, aussi Hildebrand
avant d'ag-ir eut-il le soin de s'assurer du concours de Richard
de Capoue; celui-ci lui accorda son appui, qui ne fut peut-être
pas désintéressé •^. Le l'^'" octobre, les cardinaux élurent Anselme,
évêque de Lucques. Le nouveau pape ne put entrer à Rome que
sous la protection de Richard, qui après un premier échec,
réussit à occuper pendant la nuit Saint-Pierre-aux-liens.
Anselme, qui prit le nom d'Alexandre II, y fut couronné et les
Normands le conduisirent ensuite au palais de Latran où ils l'éta-
blirent (!'''■ octobre)'*. Le séjour de Richard à Rome, se prolongea,
quelques jours ; nous savons que, le 7 octobre, il prêta le serment de
fidélité à Alexandre II, et s'engag-ea de nouveau à faire observer
le décret de Nicolas II sur les élections pontificales •''. Peu après'
il s'éloig-na, laissant le pape installé et en possession d'une
partie de la ville ; Richard ne prit donc point part aux événements,
dont Rome fut le théâtre pendant les premiers mois de 1062.
L'impératrice Agnès désigna comme pape lévêque de
Parme, Cadalus, qui prit le nom d'Honorius ^'. Le nouveau
pape envoya, à Rome, l'évêque d'Albe, Benzo, pour lui recruter
des partisans et préparer son entrée \ De ce que nous
savons, il résulte qu'à ce moment, les forces des deux partis
pontificaux étaient sensiblement égales. Benzo tint dans le
Circus maximus une grande assemblée, oîi Alexandre II
1. Pierre Damien, Ihid., p. 248.
2. Annal. Rom. loc. cit., Léo Ost. III, 19. Benzo, op. cit., vu, 2, dans
Watterich, op. cit., t. I, pp. 270 et 272. Annal. Altah., M.G.H.SS., t. XX,
p. 814, ad an 1064. Annal. Aug., M.G.H.SS., t. III, p. 127.
3. Richard uni... ducit ad urheni suh mille lihrarum conditione. Benzo, op.
cit., VII, 2, p, 270.
4. Benzo, loc. cit., vu, 2, p. 270, ii, 2, p. 272. Annal. Altah. maj ., ad an.
1060, M.G.H.SS., t. XX, p. 810.
5. Deusdedit, Collectio canonum, éd. Martinucci (Rome, 1869), pp. 341-342.
6. Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 224 et suiv.
7. Benzo, op. cit., ii, 1. p. 271.
214 CIIAPITKE IX
vint, entouré de ses partisans. L'évêque d'AIbe prononça contre
le rival d'Honorius II un très violent discours, lui reprochant
surtout Tappui qu'il avait demandé aux Normands. La réponse
d'Alexandre II fut couverte par les huées de la populace, mais
le pape put se retirer sans être attaqué K L'arrivée d'Honorius II
vint gâter la situation sans amener davantage l'intervention
de Richard. Le 25 mars 1062, Honorius II étaità Sutri, où il fut
reçu par l'aristocratie romaine -, au bout de quelques jours, il
se dirigea vers Rome, et le 14 avril, il pénétra, à la suite d'une
sanglante bataille, dans la cité léonine, mais il ne put s'emparer de
la basilique de Saint-Pierre défendue par Hildebrand •^. Peu de jours
après, l'annonce de la prochaine arrivée du duc de Lorraine lui fit
quitter Rome; il se réfugia à Tusculum '*. A ce moment, Honorius,
par l'intermédiaire du patrice Pantaléon, entama avec l'empereur
Constantin Doukas des négociations pour former une ligue contre
les Normands, et quelques mois plus tard, des ambassadeurs
byzantins vinrent trouver le pape k Tusculum •'. La venue de Geof-
froi de Lorraine mit fin pour quelque temps aux hostilités. Profitant
de la révolution de palais, |qui venait décarter Agnès du pouvoir,
Geoffroi chercha à jouer le rôle d'arbitre de la papauté. A la tète
de forces considérables, il ordonna aux deux papes de se retirer
dans leurs évêchés respectifs jusqu'à ce que l'empereur se fut
prononcé au sujet de leur légitimité.
Richard 'de Capoue avait quitté Rome, dès l'automne lOGl,
laissant sans doute quelques troupes au pape ''. Peut-être pour
l'éloigner, le parti hostile à Hildebrand avait-il fait diriger
1. Benzo, op. cit., ii, 1, pp. 271-272.
2. Id., u, 9, p. 274.
3. /(/., II, 10, p. 275. Annal. Hom., p. 336.
4. Benzo, op. cit., ii, 13, p. 276. Annal. AU., ad an. Annal. Rom., p. 337.
Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 262 et suiv.
5. Benzo, op. cit., u, 12, pp. 275 et 276. La lettre quil rapporte est cer-
tainement sinon fausse, du moins arrangée, toutefois le fait des nég-o-
ciations est très possible. Cf. Diimniler, Forschuntjen, t. III, p. 225; Meyer
von Knonau, op. cit., t. I, p. 230.
6. II faut placer l'expédition de Richard contre les comtes de Sangro
vers la fin de 1061, car il emmena avec lui en Campanie, les fils de Borrel, or
la campagne dura trois mois (Aimé, IV, 26, pp. 171-172;. et ceux-ci étaient
auprès d'Honorius III, en avril, Benzo, op. cit., p. 275.
PRISE DE CAPOLE
21 ri
quelque attaque contre ses terres ? Toujours est-il que Richard
entreprit, dans les derniers mois de l'année 1061, contre les
comtes de San^ro, une expédition, qui échoua d'ailleurs complè-
tement. La région qu'il attaquait était pauvre, sans villages à
piller, et les châteaux des seigneurs, situés sur des hauteurs
inaccessibles rendaient la guerre difficile, Richard se décida à
faire alliance avec les comtes de Sangro et les emmena avec lui
combattre en Campanie ; il soumit cette région en trois mois. L'al-
liance de Richard el des comtes de Sangro ne dura guère ; aussi-
tôt apiès cette campagne ceux-ci passèrent au service d'Hono-
rius II.
Si nous suivons les données chronologiques d'Aimé, ce fut
vers cette époque que Richard donna en mariage sa fille à un de
ses chevaliers, Guillaume de Montreuil, qui reçut le duché de
Gaëte, le comté des Marses, celui d'Aquino et la Campanie '. Il
est certain qu'à ce moment la pkipart de ces territoires n'apparte-
naient pas au prince de Capoue. Au mois de février 1 062, nous trou-
vons un Bérard, comte des Marses', et Gaète ne sera à Richard
qu'en juin 1063 -K II faut sans doute admettre que Richard a donné
à Guillaume de Montreuil des terres à conquérir; depuis son inves-
titure par le pape, Richard devait se regarder comme seigneur de
toutes les terres ayant autrefois fait partie de la principauté de
Capoue. Son but était dès lors de se soumettre tous les petits
comtes lombards de la région, pour lesquels il avait un grand
mépris, et de leur substituer des Normands. C'est la raison
qu'Aimé donne du choix qu'il fit de Guillaume de Montreuil
pour gendre. « Et plus se delictoit de faire parenteze avec
home que avec la vane arrogance de ceuz qui habitoient en la
contrée ^ ».
La conquête de la Campanie est la première mesure prise par
Richard pour faire disparaîtr.' les petits dynastes locaux, elle fut
suivie de peu par la prise de Capoue. On sait que, depuis 1038,
1. Aimé, IV, 27. Cf. Orderic Vital, t. II, p. 23.
2. Gattola, Ilisl. Cfs., t. I, pp. 2H-2't2.
3. Gattola, Ace, t. I, p. 163.
4. Aimé. IV, 27.
216 CHAPITRE IX
Gapoue reconnaissait Richard, mais que celui-ci n'avait pas la
g^arde de la ville dont les portes et les tours étaient au pou-
voir des habitants. Richard, dans les premiers mois de 1062,
demanda aux g-ens de la ville de lui livrer les fortifications de la
place. Sur leur refus il vint mettre le siège devant Capoue et
relevant les châteaux, qui avaient servi lors du siège précédent, il
établit le blocus '. Suivant Aimé, les habitants auraient envoyé
leur archevêque demander des secours à la cour de Germanie, mais
celui-ci aurait échoué dans sa mission faute d'arg-ent "^. Il ne me
semble pas que Ion puisse accepter ce renseignement d'Aimé,
carie siège delà ville n'a pas dû commencer avant le mois de
mars 1062^, et comme la ville fut prise le 21 mai, il reste bien
peu de temps pour le voyage de l'archevêque. Il me paraît plus
probable que l'archevêque fut envoyé pour demander des secours
au duc de Lorraine, qui se trouvait précisément dans les environs
de Rome, vers la fin d'avril. Quoiqu'il en soit, la famine obligea
les gens de Capoue à livrer leur ville, le 21 mai 1062. Richard
se borna à occuper les défenses de la place et ne punit personne.
Ce premier succès fut suivi peu après de la prise de Teano ;
celle-ci fut facilitée par un incendie qui détruisit une partie des
fortifications de la ville ^.
Les progrès de Richard effrayèrent les comtes lombards des
différents petits Etats voisins de Capoue. Le plus puissant
d'entre eux, Adénolf, duc de Gaëte, étant mort le 2 février',
sa veuve, Marie, qui exerçait la régence au nom de son fils
Atîénolf, forma, contre le prince de Capoue, une ligue dans
laquelle entrèrent les comtes de Traetto '^, le comte de Mara-
nola '' et les comtes de Sujo'^. Les alliés s'engageaient à ne conclure
1. Ann. Casin., ad an. 1062.
2. Ibid. Cf. Annal. Allah, maj., dans M. G. H. SS., t. XX., p. 810, où il est
aussi parlé de l'influence de rari^ent sur les décisions de la cour allemande.
3. Richard est allé attacjuer, après octobre 1061, les comtes de Sangro et
a fait ensuite une campagne de trois mois en Campanie.
4. Aimé, IV, 30. Annal. Casin., et Ann. Benev., ad an. 1062.
5. Cf. Cod. Caiet., t. II, p. 42, note 1.
6. Traetto, circond. de Gaëte, prov. de Caserte.
7. Maranola, circond de Gaëte, prov. de Caserte.
8. Suio, circond. de Gaëte, prov. de Caserte.
RICHARD DE CAPOUE ET ALEXANDRE II 217
aucun traité avec les Normands et à faire respecter l'intégrité du
territoire de Gaëte. La durée de l'accord, qui fut signé à Traetto
le l^"" juin ', fut fixé à un an. Il semble bien que cette lig-ue ait
réussi à arrêter le prince de Capoue car nous ne connaissons
pas de conquêtes de Richard pendant la période, qui s'étend de
juin 1062 à juin 1063. Richard négocia pour empêcher le renou-
vellement du pacte conclu ; il y réussit sans doute et en profita
pour s'emparer de Gaëte. C'est ainsi du moins qu'il me paraît
falloir interpréter les données que nous fournissent les actes, car
les chroniques sont muettes sur ces événements. Nous voyons,
en effet, qu'au mois de mars de l'année 1063 Atîénolf est toujours
à Gaëte ~ et que le 28 juin de la même année la ville appartient
à Richard \ Il me semble donc que l'on doit vraisembla]:)lement
placer après le l'^'" juin, date d'échéance de la ligue, la
prise de Gaëte par Richard. Durant toutes ces négociations, le
prince de Capoue s'appliqua à rester en bons termes avec le
Mont-Cassin, auquel il fît, le 23 mai 1063, une importante dona-
tion \
Durant l'année 1063, Richard prit, sinon en y intervenant lui-
même, du moins en y envoyant des troupes, une part importante
aux affaires de Rome. A la suite d'une enquête faite au nom
d'Henri IV par l'évêque d'Halberstadt, Burckhardt, Alexandre
avait été reconnu comme pape légitime et ramené à Rome par
Geoffroi de Lorraine ^ auquel les Normands donnèrent leur appui.
En avril 1063, Alexandre II tint un synode au Latran '', mais il
n'arriva pas à occuper la cité léonine ^. Cependant Cadalus,
ayant réussi à se procurer de l'argent, revint à Rome, en mai
1063 8, et parvint à s'établir au château Saint-Ange. Les rues
de Rome furent ensanglantées par les luttes entre partisans
1. Cod. Caiel., t. II, pp. 41-43.
2. Ibid., t. n, p. 48.
3. Gatlola, Access., l. I, p. 165.
4. Aimé, IV, 31 et suiv. Gattola, Access., t. I, p. 1G3.
5. Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 306 et suiv.
6. JafTé-L., 4499.
7. Benzo, op. cit., dans Watterich, op. cit., t. I, pp. 276-278.
8. Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 312 et suiv.
218 CHAPITRE IX
des deux papes. Les Normands subirent un grave échec sur le
Cœlius, ils réussirent néanmoins à repousser une attaque con-
tre le Latran et furent vainqueurs, bien qu'ils eussent éprouvé
de graves pertes dans une embuscade, qui leur avait été tendue
aux Thermes de Constantin K De nouveaux contingents nor-
mands furent envoyés et la lutte se prolongea, à Rome, sans
qu'aucun des deux partis réussît à avoir le dessus. Les Nor-
mands s'emparèrent de Saint-Paul et assiégèrent la porte Appia.
Pendant ce temps, Honorius II, bloqué dans le château Saint-
Ange, envoyait Benzo auprès d'Henri IV % Celui-ci décida la réu-
nion d'un concile à Mantoue, pour le printemps 1064, concile qui
prononcerait sur la légitimité des deux papes. II est curieux devoir
qu'à ce moment les négociations entre Honorius II et Constantin
Doukas durent toujours ■^. Peut-être même le parti hostile aux
Normands en Pouille et en Calabre prit-il part à ces intrigues^.
Au concile de Mantoue, le 31 mai 1004, Alexandre II dut se justi-
fier d'avoir donné de l'argent pour se faire élire pape et d'avoir
conclu avec les Normands une alliance nuisible à l'empire alle-
mand. 11 répondit sur ces deux accusations et fut reconnu comme
pape légitime '; il revint alors à Rome tandis qu'Honorius II se
retirait à Parme. C'était en grande- partie aux Normands
qu'Alexandre II devait son succès définitif, car c'est grâce à
eux qu'il lui fut possible de tenir dans Rome.
L'entente de la papauté avec les Normands ne dura pas et les
progrès de ses alliés effrayèrent le pape. Déjà Alexandre II avait
dû se plaindre des attaques de quelques comtes normands contre
des monastères relevant directement de Rome '\ Les progrès de
Richard lui parurent également dangereux et nous allons le voir
appuyer les ennemis du prince de Capoue.
{. Benzo, op. cil.,u, 17etsuiv. p. 279.
2. lbid.,op. cit., ii, 13, p. 284.
3. Ibid., II, 3, p. 282.
4. Ibid., II, 14, p. 28o.
5. Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 379.
6. Cf. Kehr, Papsturkunden etc., dans Xachrichten d. GcseUschafl der
Wissenschaffen zu Gottinrjen. Phil. liist. Klasse (1900) Ileft 3, p. 220. Cf.
pour la date. Ibid. (1898), Heft 3, p. 265.
RÉVOLTK DES VASSAUX DE RICHARD DE CAPOUE 219
Toute l'histoire de la principauté de Capoue pendant cette
période est très confuse. Aimé est notre seule source, car Léon
d'Ostie n'a guère fait que le copier. Une nouvelle ligue se forma
dans laquelle entrèrent Adénolf, comte d'Aquino, Landon, comte
de Traetto et Marie, duchesse de Gaëte. A eux vint se joindre
le g-endre de Richard, Guillaume de Montreuil qui voulait
répudier sa femme pour épouser Marie de Gaëte '. Cette ligue,
que l'on a à tort confondue avec celle dont nous avons parlé
plus haut, doit se placer, à mon avis, vers la fin de 1064 '.
Peut-être fut-elle la conséquence de la mort d'Aténolf de Gaëte,
qui ne paraît plus dans les actes après le mois d'octobre 1064 \
En ce cas, on pourrait conjecturer que sa mère Marie chercha
avec l'aide de Guillaume de Montreuil à rentrer en possession de
la ville de Gaëte. Il est certain que la révolte éclata avant le
moisde février 1065, car, à cette date, Richard avait confisqué les
biens d'un certain nombre de révoltés.
Deux actes de Richard de Capoue complètent la liste, qui nous est
fournie par Aimé % des comtes lombards qui entrèrent dans la ligue.
Outre Guillaume de Montreuil, le comte d'x\quinoet le comte de
Traetto, nous connaissons Landolf, l'ancien seigneur de Capoue,
Pandolf et Landolf, à qui Richard avait enlevé Teano, Landolf et
Jean, comtes de Caiazzo et Pierre, comte du Vulturne. Guillaume
de Montreuil répudia sa femme et alla chercher des secours en
Pouille. A ce moment, Alexandre II intervint pour lui interdire de
se remarier"'. Quand la révolte éclata, les comtes rebelles étaient
à Traetto, où Richard vint les assiéger ^ ; pressés par la famine,
ils se retirèrent tous dans leurs possessions. Guillaume de
Montreuil voyant que l'alFaire tournait mal, s'enfuit du château
de Piedimonte ", où il s'était réfugié, et gagna Rome, où il entra
1. Aimé, VI, 1.
2. Heinemann, op. cit., p. 241. La présence de Jean de Maranola du côté
de Richard, Aimé VII, 1, montre que c'est une nouvelle ligue, car nous
savons qu'en 106211 était contre Richard, Cod. Caiet., t. II, pp. 41-43.
3. Cod. Caiet., t. II, p. 64.
4. Gattola.Ac-c, t. I, pp. 164 et 312.
5. Jaffé-L., 4524.
6. Aimé, VI, 1.
7. Piedimonte d'AIife, chef-1. de circond., prov. de Caserte.
220
CHAPITRE IX
au service d'Alexandre K Sa fuite amena la désag^rég^ation de la
lig-ue que Richard sut très habilement préparer. Il promit à
Marie de Gaëte de lui faire épouser son lîls Jourdain ; à Landon,
comte de Traetto, il promit la main de sa fille, Marie, et les
amena ainsi à se détacher de leurs alliés -. Seuls les comtes d"A-
quino continuèrent à lutter : ils s'emparèrent même de Piedimonte,
qui étaitàleur ancien allié Guillaume deMontreuil. Ce dernier ne
tarda pas à rentrer en grâce auprès de son beau-père ; mécontent,
d'Alexandre II, il se réconcilia avec Richard et vint l'aidera com-
battre les comtes d'x\quino, qui étaient assiégés dans leur capitale.
Le pays avait été ravagé par Richard, mais les deux comtes Pan-
dolf et Adénolf résistaient toujours. Guillaume de Montreuil sut
les amener à un accommodement où il trouva son compte puis-
qu'il y gagna la moitié du comté d'Aquino ^. Richard confisqua
les biens de tous les autres conjurés '^ Durant toute cette période,
Richard s'appuya sur le Mont-Cassin, auquel il lit plusieurs dona-
tions, durant les années IO60 et 1066 ■'.
La victoire de Richard fut suivie d'une grande extension de
sa puissance territoriale. Tandis que son gendre s'étendait du
côté de Rieti et d'Amiterno '% Richard, à la suite des divisions
qui s'étaient élevées entre Oderisio et Bérard fils de Borrel, inter-
vint dans le pays des Marses et y établit Guillaume de Pontchan-
fré, auquel il fit épouser une cousine des comtes des Marses ~.
Ces diverses expéditions assurèrent définitivement à Richard la
suprématie sur ses voisins. Les succès qu'il venait de remporter le
grisèrent et il songea à un moment à se faire élire empereur par
les Romains. Nous sommes mal renseignés sur ces événements,
nous savons néanmoins qu'en 1066, Richard, après avoir pris
1. Aimé, VI, 1. Orderic Vital, t. II, pp. 56 et 87.
2. Aimé, VI, 1.
3. Ibid., VI, 2-6.
4. Gattola, Access., t. I, pp. 164 et .312.
5. Gattola, Hist., t. I, pp. 253, 312.
6. Aimé, VI, 7. — Rieti, ch. 1. de circond., prov. de Perugia.
7. Aimé, VI, 8, a fait erreur sur ce personnage. Delarc s'est ti'ompé
également, op. cit., p. 523. Cf. Heinemann, op. cit., p. 387, quia suréta-
blir son identité.
ALEXAiNDBE 11 Eï GEOFFKOI DE LORUAINE 221
Ceprano >, ravag-ea le pays jusqu'à Rome. A ce moment, le
pape est si mal avec lui qu'il a demandé à Henri IV d'interve-
nir '-. Les menaces du pape n'arrêtèrent pas Richard, qui intrigua
pour se faire nommer patrice.
A la suite des conquêtes du prince de Capoue, Henri IV décida
de venir en Italie, mais pour des motifs incertains il ne mit pas
son projet à exécution •^. Alexandre II finit par trouver un pro-
tecteur dans Geoffroi de Lorraine, qui marcha contre Richard.
Celui-ci se retira derrière le Garigliano ; il ne paraît pas avoir
été très rassuré sur l'issue de la campagne, car Aimé nous dit
qu'il songeait à se réfugier en Fouille. Son fils, Jourdain, et
Guillaume de Montreuil réussirent à arrêter Geoffroi devant
Aquino et les deux partis en vinrent à un accommodement
dont nous ignorons les clauses '*. Dans tous les cas l'accord régnait
entre Alexandre II et Richard, dans l'été 1067. Nous voyons
en effet le pape s'arrêter à Capoue au retour du voyage
qu'il fit alors dans l'Italie méridionale •'. Richard n'était pas le seul
Normand dont le pape eût à se plaindre, car dans le synode tenu
à Melfi, le l"^'" août, Alexandre II excommunia le frère de Guis-
card, Guillaume du Principat qui avait enlevé certains biens
à l'église de Salerne ^. Guillaume fit sa soumission pendant le
séjour que le pape, revenant à Rome, fit à Salerne. Dans cette
ville, Alexandre II vit se réunir autour de lui tous les princes de
l'Italie du Sud, Guiscard, Gisolf, Roger, mais nous ne savons
rien des négociations politiques qui eurent lieu alors.
Pendant son voyage, Alexandre II poursuivit avec énergie,
1. Léo Ost., III, 23. Richard veut se faire donner les insignes du patri-
ciat réservés à l'empereur. Lup. Protospat., ad. an. 1066. — Ceprano, cir-
cond. de Frosinone, prov. de Rome.
2. Aimé, VI, 9. Annal. AUah., ad an. 1067, dans M.G.H.SS., t. XX, p. 818.
3. Meyer von Knonau, op. cit., t. I, pp. 546-";.jO. Il semble qu'il faille
attribuer à linaclion de Geoffroi de Lorraine, l'échec de l'expédition
projetée par Henri IV. Sur le rôle de Geoffroi, cf. Dupréel, Histoire critique
de Godefroi le Barbu (Uccle 1904), p. IITJ, qui cherche àconcilier les diverses
opinions qu'a suscitées la conduite de Geoffroi.
4. Bonizo, op. cit., p. 599. Léo Ost., III, 22. Aimé, VI, 10. Annal. Allah.,
loc. cit. Ann. Aug., dans M.G.H.SS., t. III, p. 128.
5. Jaffé-L., 4636.
6. Ibid.,et Migne, P. L., t. 146, col. 1333.
222 CHAPITRE IX
l'œuvre de réforme entreprise par la papauté*. Malheureusement
certains documents accordant à rarchevêque de Trani (1063)
et à l'archevêque d'Acerenza (^1068) les droits de métropolitain
sont très douteux et ne permettent pas de fixer avec exactitude
les progrès du rite latin sur le rite grec -. Toutefois comme on l'a
remarqué justement \ la JDuUe en faveur de l'ég-lise a'Acerenza
indique les limites dans lesquelles l'évêque de cette ville prétend
exercer son autorité. Nous voyons ainsi que la conquête normande
a permis à l'Eglise latine de prendre l'offensive contre l'Eglise
grecque dans toute la région qui s'étend de Melfi à la Galabre.
Richard fut occupé pendant les années suivantes par une nou-
velle révolte de son gendre. Il semble que ce dernier ait été
appuvé par Alexandre 11, car nous voyons le pape lui accorder
l'investiture des biens qu'il tenait de son beau-père '*. La papauté
inaugure à ce moment une nouvelle politique, voyant quelle n'a
pu se rendre maîtresse des Normands, elle va chercher à les
opposer les uns aux autres. Les environs d'Aquino furent le
théâtre des hostilités. La situation de Richard s'aggrava au point
qu'il dut demander assistance à Guiscard ' ; celui-ci lui envoyait
des troupes, quand la mort de Guillaume de Montreuil vint
rendre ce secours inutile. Après la révolte de son gendre,
Richard dut réprimer celle de son fils Jourdain, auquel il avait
donné Aquino, à la mort de Guillaume. Richard ayant repris
cette ville voulut la donner au Mont-Cassin ; ceci ne faisait
point l'atfaire des habitants qui s'insurgèrent et rétablirent les
anciens comtes. Peu après, la ville fut reprise par Jourdain ^''.
Nous ne savons pas comment se termina la guerre entre le
père et le fils. Durant toute cette période, Richard continua à
s'appuyer sur le Mont-Cassin pour venir à bout des différentes
rébellions et l'abbé Didier profitant de la situation se fit
l.Jaffé-L., 4615, 4640.
2. Pflugk-Harttung, Acfa inedita, t. II, p. 97. Jaffé-L., 4ol4, 4515, 4697,
Prologo, op. cit., p. 55. Cod. dipl. Bar., t. I, p. 42.
H. Gay, L'Italie méridionale et l'empire byzantin, p. 550.
4. Migne, P. L., t. 146, col. 1336.
5. Aimé, VI, H-12.
6. Ihid., VI, 24 et suiv.
RÉVOLTE DES VASSAUX APULIENS 223
céder leurs biens par un cei'tain nombre des comtes lombai'ds
menacés par le prince de Capoue'.
Le 1®"" octobre 1071, la paixrég-nait, car à cette date nous voyons
la plupart des princes de Fltalie du sud réunis au Mont-Gassin,
autour d'Alexandre II, qui célébrait la dédicace de la nouvelle
église de l'abbaye ~. Aux côtés du pape, sont mentionnés
les archevêques de Naples, de Gapoue, de Salerne, de Sorrente
et aussi de ceux de Siponto, de Trani, de Tarente, les évéques
de Giovenazzo, de Bisceglie, de Gannes, de Minervino, de Ruvo,
d'Otrante. Il semble bien qu'il faille regarder comme autant de
succès pour l'église latine, la présence de prélats dévoués à la
papauté sur les sièges de Trani, de Siponto, de Tarente, d'Otrante,
et sur la plupart des sièges apuliens. Ges progrès continus de
l'église latine sont dus aux victoires des Normands et récom-
pensent la papauté de l'appui qu'elle a prêté aux conquérants.
G'est vers l'automne de cette année que Guiscard voyant le
siège de Palerme traîner en longueur, demanda des renforts en
Italie. Richard décida d'abord d'envoyer son fils avec cent cin-
quante chevaliers. Mais Jourdain n'avait pas encore gagné
Reggio qu'il fut rappelé par son père qui venait de s'entendre
avec les vassaux rebelles de Guiscard •^.
Ami, seigneur de Giovenazzo, Pierron 11, de Trani, Abélard
fils d'Onfroi, Robert Areng et Hermann, frère d' Abélard,
profitèrent de l'éloignement de Guiscard pour se révolter à nou-
veau'^ Ils s'entendirent très probablement avec les Grecs ^ et
sûrement avec Richard de Gapoue et Gisolf de Salerne *^. Ce
dernier ravagea le littoral depuis Salerne jusqu'à Reggio, essayant
1. Gattola, Ace, t. I, p. 179 (1067); Didier avait déjà inauguré cette poli-
tique. Ihid., t. I, pp. 167 et 169 et Hist., t. I, p. 228. Richard ,fit également
diverses donations à Tabbaye. Gattola, Ilist., t. 1, pp. 1.j8, 312, et Access.,
t. I, pp. 166, 172.
2. Léo Ost., III, 29, et Narratio de consecratione et dedicatione ecclesise
Cassinensis, Migne, P.L., t. 173, col. 997. Muratori, R.I.SS., t. V, p. 76. Cf.
Gay, op. cit., pp. 550-552.
3. Aimé, VII, 1 et suiv.
4. Ihid., VII, 2.
5. Chart. Cupers., t. I, p. 97 ; GeofTroi de Conversano date ses actes des
années de règne d'Alexis, Beltrani, Documenti longobardi eç/reciper la storia
dellltalia méridionale nel medio evo, p. 38.
6. Malaterra, 111, 2.
224 CHAPITRE IX
de s'emparer des places qui appartenaient à son beau-frère. Pen-
dant ce temps, Robert Areng^ et Abélard attaquaient les posses-
sions du duc en Calabre, tandis qu'Ami et Hermann ravageaient
ses possessions de Fouille et que Richard s'emparait de Cannes '.
Guiscard ne paraît pas avoir pu quitter la Sicile avant l'automne
1072 2.
Robert, par Rossano '■^^ gagna Melfi où il convoqua ses
vassaux. Les rebelles n'y parurent pas, et Pierron II notamment
s'abstint d'y venir. Suivant Guillaume de Pouille, le motif qui
aurait jeté ce dernier dans la révolte, était la prétention émise
par Guiscard de se faire livrer Tarente, que le comte de Trani
tenait comme tuteur de son neveu Richard, fils de Geoffroi.
Pierron s'enferma à Andria, et envoya une garnison à Trani.
Guiscard vint mettre le siège devant cette ville, en janvier 1073,
et s'en empara le 2 février. Il alla ensuite assiéger Corato ^.
Tandis que Guiscard était devant cette place, Pierron et Hermann
étaient revenus à Trani, espérant reprendre la ville en l'absence
du duc, mais ils furent surpris et faits prisonniers par Gui, beau-
frère de Guiscard et enfermés, l'un à Trani, l'autre à Rapolla ^^.
Corato se donna peu après à Guiscard et son exemple fut suivi
par Giovenazzo et Bisceglie ''. Ces premiers succès eurent pour
conséquence d'amener le prince de Salerne à traiter avec Robert,
et Richard de Capoue à abandonner Cannes en y laissant garnison.
Guiscard, par la prise d'Andria ' et celle de Cisternino ^, termina
la révolte de la Pouille, et, se tournant alors contre Richard
de Capoue, vint mettre le siège devant Lacedonia ^, qui était
défendue par Jourdain. Un neveu du prince de Capoue, qui était
1. Aimé, VII, 2, 17, et VIII, 7, appelle aussi Areng-, Roger et Guillaume.
2. Guiscard vient directement à Melfi, de là il va à Trani, enjanvier 1073.
Anon. Bar., ad an. Chr. brève norm., ad an.
3. Malaterra, III, 4.
4. Corato, circond. de Barletta, prov. de Bari.
5. Rapolla, circond. de Melfi, prov. de Potenza.
6. G. Ap., III, 348 et suiv. ; Anon. Bar., ad an. Lup., Protospat.,
ad an. 1073. Aimé, VII, 2 et suiv. — Bisceglie, circond. de Barletta, prov.
de Bari.
7. Andria, circond. de Barletta, prov. de Bari.
8. Cisternino, circond. et prov. de Bari.
9. Lacedonia, circond. de S. Angelo de 'Lombardi, prov. d'Avellino.
MALADIE DE GUISCARD 225
seigneur de la ville tomba entre les mains du duc et consentit à
le reconnaître comme seig'neur et à tenir sa terre de lui. Guis-
card alla alors mettre le siège devant Cannes ', qui se rendit
presque de suite. Toute cette campagne de Guiscard avait été
conduite très rapidement puisque, commencée en janvier, elle
était terminée en avril'-. Le duc, par suite des fatigues en-
durées, tomba malade, peu après la prise de Cannes, alors
qu'il était à Trani. On le transporta mourant à Bari, au mo-
ment même où la mort d'Alexandre II rendait son inter-
vention le plus nécessaire. L'état de Robert empira bientôt à
tel point que sa femme Sikelgaite assembla les chevaliers nor-
mands et fît reconnaître son fils Roger comme successeur de
Guiscard. Cette reconnaissance se fit sans difficulté ; seul Abé-
lard refusa de reconnaître son cousin.
1. Canosa di Pug-lia, circond. de Barletta, prov. de Bari.
2. Aimé, VII, 2 et suiv. La nouvelle de sa mort parvint à Rome au
moment de la mort d'Alexandre II, en avril.
Histoire de la domination normande. — Ghalaxdox. 15
CHAPITRE X
KOIÎERT GLISCARD HT (JRÉGOIKE VU
(l()73-1080j.
A peine Alexandre II était-il mort ('2\ avrili073) que le peuple
de Rome, par acclamation, lui choisit Hildebrand pour successeur.
L'arrivée au pouvoir de Grég-oire Vil ne modifia en rien la politique
pontificale qu'il dirigeait en fait depuis de longues années.
Alexandre II, en cherchant à opposer Guillaume de Montreuil à
Richard de Capoue, avait inauguré une politique de bascule que
Grégoire VII devait continuer d'autant plus que la papauté était
impuissante à arrêter les progrès des Normands dans la région
des Abruzzes et à les empêcher d'occuper des territoires qu elle
regardait avec plus ou moins de justice comme lui apjDartenant.
Dès 1061 ,Geofrroi, frère de Guiscard, avait commencé à attaquer
le territoire de Chieti', et son fds Robert de Loritello s'était avancé
jusqu'à Ortona dans la province de Teramo '. La situation politique
de la région favorisa la conquête; en théorie ce pays relevait de
l'empire, mais il semble qu'à ce moment Geoffroi de Lorraine s'en
était emparé -K Les progrès des Normands furent rapides; nous
savons qu'en 1064 les vassaux du monastère de Saint-Clément de
Casauria profitèrent de la fréquence des incursions des Nor-
mands pour se révolter contre les moines '♦. Les détails de ces
faits nous sont très mal connus ; la tradition monastique de la
région nous a seulement conservé le souvenir des violences du
normand Hugues Maumouzet et des difficultés qu'il eut avec
i. Mala terra, I, 33.
■2. Aimé, VII, 31.
3. Palma, op. cit., t. I, p. 124.
i. Chron. Castaur., 4 Muratori, R.I.SS., t. II, 2, p. 863.
ROBERT GUISCAKD ET GRÉGOIRE VII 227
Transmond, abbé de Casauria'. Le neveu de Guiscard, Robert de
Loritello prit une part active aux expéditions dirigées par les
Normands dans les Abruzzes. Nous verrons que la conquête de ce
pays deviendra l'un des principaux griefs de Grégoire VII contre
le duc de Fouille. Peut-être les Normands furent-ils aidés par
labbé du Mont-Cassin dont Tabbaye avait de vastes possessions
dans cette région, nous voyons, en effet, Didier s'appuyer sur
Robert de Loritello et Pierron, comte de Lésina, pour rétablir
l'ordre au monastère de Santa Maria de Tremiti -. Peut-être,
Didier préférait-il voir les Normands remplacer les petits sei-
gneurs locaux. Dès les premiers jours de son règne, Grégoire
Vil s'éleva contre ces empiétements.
Au moment où il monta sur le trône pontifical, Grégoire Vil
devait être assez mal disposé contre les Normands dont l'alliance
n'avait pas procuré à la papauté tous les avantages espérés. Toute-
fois, depuis l'expédition de Geoffroi de Lorraine un modus vivendi
avait fini par s'établir avec Richard de Gapoue ; il n'en était pas
de même avec Robert Guiscard, qui n'avait à aucun moment aidé
la papauté et auquel le pape attribuait une part de responsabilité
dans les attaques continuelles de Robert de Loritello contre des
terres regardées comme dépendant de Rome. Or, précisément au
moment de lélection de Grégoire Vil, le bruit se répandit à Rome,
que Guiscard venait de mourir à Bari. et que des dissensions s'étaient
produites entre les Normands au sujet du choix de son succes-
seur-^. Grégoire VII tint aussitôt à être renseigné sur l'état poli-
tique de l'Italie du Sud et, dès le surlendemain de son élection, il
écrivit à l'abbé du Mont-Cassin de se rendre auprès de lui^. Le
même jour, il écrivit à Gisolf, prince de Salerne, de venir à
Rome au plus vite -^ Enfin une troisième lettre, qui ne nous a pas
été conservée dans le registre du pape, mais dont Aimé nous a
1. Chron. monasterii S. Bartholomei de Carpineto, Ughelli, t. X, p. 3.j9, et
Chr. Casaur., loc. cit.
2. Léo Ost., III, 2.">, dans M.G.II.SS., t. VII, p. 715.
3. Aimé, VII, 7.
4. Monumenta Gregoriana, dans Jaffé, Bihl. rerum germanic, t. I, R. I.
p. 10.
5. Ibid., R.I, 2, p. 11.
228 CHAPITRE X
transmis la substance, était adressée à Sykelgaite >, Le pape déplo-
rant la mort de Guiscard offrait à sa femme d'investir son fils,
Roger, de la succession paternelle. Ce fut Guiscard lui-même qui
répondit au pape en le remerciant des condoléances exprimées à
l'occasion de sa mort et en lui promettant de le servir fidèle-
ment s On peut admettre qu'Aimé, qui nous a donné ces détails,
nous a transmis assez exactement la teneur de la lettre de Robert,
car il est évident que Guiscard dut chercher à se faire octroyer
par le nouveau pape l'investiture de ses Etats.
Pour arriver à une entente, Grégoire Vil se décida à avoir une
entrevue avec le duc de Fouille et chargea l'abbé Didier des
négociations. Guiscard accepta l'entrevue et Ton choisit comme
lieu de rencontre San Germano, sur le territoire du Mont-Cas-
sin\ Il semble pourtant que Robert nait eu qu'une médiocre
confiance dans les dispositions du pape à son égard, car nous le
voyons alors rassembler à Rapolla des troupes nombreuses. Que
le duc ait fait ces préparatifs pour faire étalage de sa puissance
devant le pape, on peut l'admettre, mais les craintes que, lors de
l'entrevue, nous lui verrons témoigner pour sa sécurité permettent
de supposer que la préoccupation de sa sûreté personnelle entra
pour beaucoup dans les mesures qu'il prit.
Sur ces entrefaites, les premières dispositions prises furent
modifiées et le pape, ayant choisi Bénévent pour lieu de la ren-
contre, se rendit dans cette ville, le 2 août '*. Guiscard, à la tête de
son armée et accompagné de l'abbé du Mont-Cassin, vint camper
en dehors de Bénévent. Les négociations s ouvrirent aussitôt
entre la cour pontificale, installée à l'abri des murailles, et le duc
de Fouille. Didier servait d intermédiaire, semble-t-il, entre le
pape et le duc. Suivant Aimé, dès le début des négociations un
désaccord se produisit entre Guiscard et Grégoire VII. Le pape
ayant invité Robert à venir le voir à l'intérieur de la cité,
celui-ci qui craignait, au dire d'Aimé, un guet-apens de la part
1. Aimé, VII, 8.
?.. Ibid.
3. Ibid., VII, 9.
4. Ibid., Pierre Diacre, Chr., III, 3G. Chr. S. Ben., M. G. H. SS., t. III,
p. 203.
ROIiERT fiUlSCARD El" GRÉriOIRE VII 229
des gens de la ville, demanda à Grég-oire de lui accorder un sauf-
conduit. Cette marque de défiance aurait suffi à amener la rupture
des négociations et « encontinent, dit le chroniqueur du Mont-
Cassin, discorde fu entre eaux et maie volenté et grant ire ».
Les raisons données par Aimé ont-elles été la seule cause du
différend qui s'éleva entre Guiscard et Grégoire VII ? Il est
permis d'en douter. On a vu plus haut les progrès des Nor-
mands dans la région des Abruzzes, que Grégoire VII regardait
comme lui appartenant. Les mesures prises par le pape, préci-
sément dans le courant de cette même année 1073, pour la défense
des territoires envahis par les Normands, l'acharnement avec
lequel il tentera plus tard d'arrêter les progrès des nouveaux
occupants, permettent de croire que Grégoire VII voulut exiger
de Guiscard la promesse d'arrêter les empiétements de ses com-
patriotes dans cette région. Il dut se heurter à un refus et c'est
là, sans doute, qu'il convient de chercher la véritable cause de la
rupture des négociations.
Grégoire VII inaugura donc son pontificat par une rupture
complète avec Guiscard ; tous deux avaient une volonté de fer, ni
l'un ni l'autre ne voulut consentir à un accommodement que chacun
regardait comme nuisible à ses intérêts. Grégoire VII montra
d ailleurs aussitôt de quelle façon il entendait lutter et sur quels
hommes énergiques il voulait s'appuyer. Deux ans auparavant, lors
de la dédicace du Mont-Cassin, Hildebrand avait assisté à la con-
damnation d'un moine Transmond qui, étant abbé de Santa
Maria de Tremiti, avait fait arracher la langue et crever les
yeux à quelques moines révoltés '. Léond'Ostie, qui nous raconte
ces faits, ajoute que seul Hildebrand avait approuvé Transmond et
avait trouvé qu'il avait bien agi en punissant aussi sévèrement les
coupables. Or après sa rupture avec Guiscard, Grégoire choisit
précisément Transmond comme abbé de Saint-Clément de Casau-
ria et évêque de Valva -. Il le plaçait ainsi au cœur même du
pays qu'il voulait défendre contre les Normands.
Par une conséquence naturelle, sa rupture avec Robert Guis-
1. Léo Ost., IIÏ, 25, dans M.G.H.SS., t. VII, p. 715.
2. R.I, 86, p. 108.
230 CHAPITRE X
card amena le pape à se rapprocher de Richard de Capoue. La
politique pontificale tendit alors à réunir Richard et Gisolf
de Salerne, afin de les opposer à Guiscard.
Grégoire VII resta à Bénévent jusqu'après le 12 août; à
cette date, il reçut le serment de lidélité de l'ancien prince
de Bénévent, Landolf, auquel il confia le gouvernement de la
ville en qualité de procureur du Saint-Siège ^ De Bénévent le
pape, dans la seconde quinzaine d'août, gagna Capoue où nous
le trouvons le 1'^'' septembre - ; il devait prolonger son séjour
dans cette ville jusqu'au milieu de novembre -^ L'accord entre
le pape et le prince de Capoue dut s'établir rapidement, car,
le 14 septembre, ce dernier prêta au pape le serment d'hom-
mage et de fidélité '*. Le serment est identique à celui prêté à
Alexandre II, il n'\ a qu'une légère addition à signaler: Richard
s'engage à prêter serment de fidélité à Henri IV, quand il en
aura été requis par le pape. Cette clause montre qu'à ce moment
Grégoire Vil prévoit encore la possibilité d'un arrangement avec
l'Allemagne.
Il ressort d'une des lettres du pape que Guiscard avait tenté
de décider Richard à se joindre à lui-^, cette union des forces
normandes eût été dangereuse pour la papauté ; ce fut donc
un succès pour la diplomatie pontificale que d'avoir attiré
à son parti le prince de Capoue. Evidemment Grégoire VII
n'obtint pas l'adhésion de Richard sans lui promettre quelques
avantages; or, comme par le fait même de son alliance, Richard
s'interdisait toute acquisition aux dépens de l'état pontifical, il
est naturel de penser que les possessions de Guiscard durent
faire les frais de l'accord.
Si l'alliance de Richard était beaucoup pour Grégoire VII, on
ne saurait dire que celle du pape fut aussi profitable au prince de
Capoue, qui s'interdisait de poursuivre des conquêtes faciles et
n'obtenait que la permission de faire des acquisitions territoriales
1. R.I, 18 a, p. 32.
2. Jaffé-L., 4790.
3. Ibid., 4802.
4. R.I, 21 a, p. 36.
5. R.I, 25, p.- 42.
ROBERT GLISCARD ET GRÉGOIRE VU 231
très problématiques aux dépens d'un ennemi beaucoup plus puis-
sant que lui. Les espérances que le pape dut faire concevoir au
prince de Capoue ne pouvaient être réalisées qu'avec l'appui armé
du pontife, or les événements des douze dernières années auraient
dû suffire pour apprendre à Richard, combien il y avait peu de
fonds à faire sur un secours de ce g-enre, toujours difficile à obte-
nir et toujours passager. Dans ces circonstances, Richard ne
montra pas la finesse politique de Guiscard, il ne vit pas que
son intérêt était dans l'alliance avec le duc de Fouille, alliance
qui leur eût permis de s'étendre tous deux aux dépens du terri-
toire pontifical.
Dès que Guiscard connut le traité conclu entre Grégoire et
le prince de Capoue, il commença aussitôt les hostilités'. A ce
moment le duc de Fouille trouva un appui dans les comtes de
Sangro, avec qui il fit un accord, à Venafro. La chronique
d'Aimé, qui est notre seule source pour cette campagne, est
très obscure. Elle indique, comme théâtre des opérations, les
confins de <( la conté de Tallois ». les villes de Flomeresco et
Padulle : près de Canoville. Si l'on peut retrouver Fadulle
dans le village actuel de Pantuliano^, l'identification des autres
noms présente de graves difficultés. On a voulu voir dans le
comté de Tallois, le comté de Tagliacozzo ', au nord-ouest du
lac Fucino, ou encore celui de Teano '\ Cette dernière opinion
me paraît la plus probable, car le texte d'Aimé indique très clai-
rement que ces premières hostilités se passèrent dans la région
de Capoue et sur la rive gauche du Garigliano. Pour cela
Tagliacozzo ne convient pas du tout. Flomeresco, Fantuliano,
et leurs environs furent pillés et brûlés, puis Guiscard, franchis-
sant le Garigliano, alla soumettre Traetto"' et Suio '', dont il
\. Aimé, Vil, 10 et suiv.
2. Cl". Iloinemann, up. cil., |). 200, note 1. — Pantuliano, commune de
Pastorano, circond. et prov. de (^aserte. Cette identification parait vrai-
semblable, il y a bien également Padula sur le Calore, près de Bénévent
(Di Meo, op. cit.. t. XII, p. 428), mais la f^-uerre parait avoir lieu dans une
autre région.
3. Delarc, éd. d'Aimc, p. 278, note 3. — Tagliacozzo, circond. d'Avezzano,
prov. d'Aquila.
i. Heinemann, loc. cil.
:>. Traetto, circond. de Gaëte, prov. de Caserte,
6. Suio, circond. de Gaëte, prov. de Caserte.
232 CHAPITRE X
investit son frère Roo^er. Traversant ensuite les terres dépen-
dant de Tabbaye du Mont-Cassin à laquelle il envoya une forte
somme d'argent, Guiscard parut devant Aquino. La ville était
f^ouvernée par les quatre fils du comte Jean, Adénolf, Pandolf,
Landolf et Landon ; ceux-ci ne suivirent pas la même politique,
tandis que le premier et le troisième restaient fidèles au prince
de Gapoue, les deux autres embrassèrent le parti de Guiscard'.
C'est là un curieux exemple de l'habileté avec laquelle les sei-
gneurs lombards surent se maintenir au milieu des Normands ;
en se divisant, et en embrassant chacun un parti différent, les
membres d'une même famille, quel que fût le parti triomphant,
étaient certains de lui appartenir. Guiscard exigea des deux
comtes d' Aquino la remise de la ville de Vicalvi'^, dont il confia
la garde à Robert de Grantmesnil, abbé de Sant' Eufemia, puis
après avoir reçu le serment des deux comtes, il les envoya
occuper Isola del Liri -V Ayant établi des garnisons suffisantes
dans les diverses places qu'il avait conquises, Guiscard retourna
en Calabre. On peut voir par le détail suivant que l'occupation
du pays par Robert était sérieuse. Quand, en novembre 1073,
Grégoire VII quitta Capoue pour gagner Rome, il suivit d'abord
la route qui passait par San Germano ''. De là au lieu de prendre
par le chemin le plus direct, il se dirigea vers Terracine et gagna
Rome par la côte, en évitant de traverser la zone occupée parles
troupes de Guiscard ••.
Bien que les sources soient muettes à ce sujet, il est certain
qu'en automne 1073'% Guiscard se rendit en Calabre pour com-
battre son neveu Abélardqui, comme on l'a vu plus haut, s'était
révolté. Aimé nous dit en etfet que Guiscard était occupé à assié-
ger son neveu à Santa Severina quand les messagers d'Amalfi
vinrent lui offrir leur ville; or cet événement, comme on le verra
plus loin, doit être placé à la fin de l'année 1073. Ce S3nchro-
nisme nous permet donc de dater le début des hostilités de
1. Aimé, VII, H et suiv. Cf. Gattola, Ace, t. I, p. 18
2. Vicalvi, circond. de Sora, prov. de Caserte.
3. Isola del Liri, ciicond. de Sora, piov. de Caserte.
4. Jaffé-L.,4803.
5. Ihid., 4806.
0. Aimé, VII, 11, dit (ju'il alla en Pouille.
SOIMISSION DAMAF-l'I 233
Guiscard contre son neveu. On se rappelle qu'Abélard et Robert
Areng avaient pris part k la révolte qui avait éclaté pendant que
Guiscard était en Sicile. La répression, qu'il avait dû exercer en
Fouille, empêcha Guiscard de s'occuper de la Calabre, lors de son
retour ; puis était venue la maladie du duc, durant laquelle Abélard
avait à nouveau intrigué. Le neveu de Guiscard s'était enfermé à
Santa Severina, tandis que Robert Areng- occupait Castrovillari ;
tous deux se mirent à piller et à ravager les possessions du duc '.
A Tautomne 1073, Guiscard vint s'établir devant Santa Severina,
tandis que son fils Roger allait mettre le siège devant Castrovil-
lari. Ces deux sièges devaient durer plusieurs années *. Ce fut
pendant qu'il dirigeait ces opérations en Calabre que les Amalfî-
tains vinrent olfrir à Robert de lui remettre leur ville.
Les Amalfitains furent amenés à se donner à Guiscard à cause
des vexations continuelles qu'ils avaient à subir de la part de
Gisolf de Salerne. Délivrés de la domination des princes de
Salerne par l'assassinat de Guaimar, les Amallitains avaient été
en guerre ouverte avec Gisolf pendant les premiers temps de son
règne. Amené par la crainte des Normands à leur offrir la paix,
Gisolf n'avait pas tardé à prendre sa revanche et à leur faire
payer la part qu'ils avaient prise au meurtre de son père. Malheur
aux Amalfitains qui tombaient entre les mains du prince de
Salerne ^ ; Aimé nous a gardé le récit des vexations de tout genre
qu'il leur faisait subir; les hostilités n'en restaient pas là et nous
savons que la flotte de Salerne cherchait à entraver le commerce
d'Amalfi. En 1071, lors de la dédicace de l'église du Monl-Cas-
sin, Alexandre II avait tenté de rétablir la paix, mais depuis
lors l'inimitié n'avait fait que croître. La mort du duc Serge,
en 4073, survint au moment où les attaques de Gisolf redou-
blaient '*. Le prince de Salerne s'empara aussitôt de trois chà-
1. Aimé, VII, 18.
2. Il semble résulter de Malaterra,III, o, que Santa Severina fut entourée
d'une série de postes.
3. Aimé, VIII, .3 et suiv.
4. Chr. Amalf., dans Muratori, Ant. I/al., t. I, p. 211. La date de
novembre 1074, ind. 12 (l*"" septembre 1073-1'^'' septembre 1074) donnée
par Muratori, doit être préférée à celle de l'édition Pansa, dans Istoria
delV antica repuhlica fïAmalfi^ I, 64, car elle s'accorde avec les renseigne-
ments fournis par les actes. Ughelli, op. cit., t. VII, pp. 395, 397. En 1077
et 1079 on compte (juilleti, la 4^ et la G*" année de Guiscard.
234 CHAPITRE X
teaux situés sur le bord de la mer et dépendants d'Amalfi. Serge
n'avait laissé pour successeur qu'un enfant. Jean; aussi les gens
d'Amalfi. pour se défendre contre Gisolf, songèrent-ils alors à se
donner un seigneur; ils s adressèrent d'abord au pape. L'alliance
que celui-ci avait conclue avec Gisolf lui interdit d'accepter les
propositions qui lui étaient faites. Les Amallitains se tournèrent
vers Guiscard qui. à ce moment, guerroyait contre son neveu
et lui donnèrent »< puissance de venir en la cité et d'y faire
une roche »'. Peut-être cette démarche fut-elle préparée par les
partisans que Guiscard avait su se faire dans la ville? En tout
cas, Robert n hésita pas à accepter l'offre qui lui était faite, car
outre son importance commerciale, la situation d'Amalfi en faisait
une place de guerre excellente, dans le cas d une lutte avec la
principauté de Salerne. Ne pouvant abandonner le siège de Santa
Severina, Guiscard expédia aux gens d'Amalfi des troupes et
des vaisseaux. Une pai'tie de ces renforts tomba aux mains de
Gisolf, mais les soldats de Guiscard réussirent néanmoins à
occuper la ville. Peut-être au dernier moment une partie des habi-
tants tentèrent-ils de résister, car il paraît qu'Amalfi fut traitée
comme une ville prise d'assaut -. Dans tous les cas, dès le mois
de novembre, Amalfi reconnaissait Guiscard, qui notifiait à Gisolf
sa prise de possession. L héritier du duché avait été expulsé ■^.
L'année 1073 se termina donc par un succès remporté par
Guiscard au détriment de Gisolf, l'allié de Grégoire VIL La prise
d'Amalfi ne fit qu'accroître la colère de ce dernier contre les Nor-
mands, et, en 1074, nous allons voir le pape redoubler d'efforts
pour écraser les envahisseurs. Ly conduite de Grégoire \ 11 était
d'ailleurs dictée par d'autres motifs que le désir de rétablir l'ordre
dans l'Italie du Sud. \ers le mois de juin de l'année 1073, le
1. Ainir. VIII, 7.
2. Cf. sur une reslitutiou tlolijcts alors volés à l'église, Caméra, op. rit.,
t. I, p. 267.
3. Cf. G. Ap. III, 412. Malatena, III, 3, parle de négociations ulté-
rieures. Delarc, éd. Aimé, p. 320, note me parait être dans Terreur en
rapportant à une date postérieure à 1073, les négociations, entre les Amalli-
tains et le pape, qu'Aimé rapporte comme ayant été antérieures aux pre-
miers rapports d'Amalfi et de Guiscard. Rien n'autorise à ne pas le suivre
GRÉGOIRE VII ET MICHEL VII 235
pape avait reçu deux moines Thomas et Nicolas, qui lui appor-
taient une lettre de l'empereur de Constantinople, Michel VII, et
étaient charg'és en même temps de lui faire de la part du basileus
une communication verbale de la plus haute importance'.
Le pape ne jugea pas les deux messagers suffisamment dignes
de créance et pour avoir des renseignements certains se décida à
envoyer, à Byzance, Dominique, patriarche de Venise. Nous ne
savons rien de plus sur ces premières négociations, mais il est
permis de croire qu'elles amenèrent le pape à cette idée de croi-
sade qui va inspirer sa politique au début de l'année 1074. Seule-
ment dès l'instant que l'horizon politique de la papauté s'agran-
dissait, dès l'instant que le pape songeait à intervenir d'une
façon elfective dans les affaires d'Orient, les Normands d'Italie
rebelles à son autorité devenaient pour Grégoire VII un obstacle
à l'accomplissement de ses projets. Gomment le pape pouvait-il
espérer agir au loin alors qu'il avait à redouter pour lui et ses
Etats un danger de tous les instants. Le résultat le plus évident
de la politique pontificale, durant l'année 1073, avait été d'amener
un certain ralentissement dans les conquêtes de Guiscard en
lui opposant Richard de Gapoue et Gisolf, mais, malgré cette
alliance, le danger restait le même et le pape ne pouvait songer à
intervenir en Orient qu'autant que les Normands auraient été
entièrement réduits à l'impuissance ou se seraient de bonne
grâce soumis à l'autorité du Saint-Siège. Mais pour obtenir cette
soumission il fallait que Grégoire VII eût des troupes suffisantes
pour lui permettre de dicter ses volontés ; il passa les premiers
mois de l'année 1074 à essayer d'en recruter.
Dès le 3 janvier-, le pape veut communiquer à la comtesse
Mathildeses projets et la prie de venir à Rome. Très probablement
vers la même époque, il écrit aussi à Geolfroi de Lorraine, qui lui
promet de lui amener des secours 3. Enfin ses projets apparaissent
clairement dans la lettre qu'il adresse le 2 février à Guillaume,
comte de Bourgogne '. Il lui demande de préparer une armée
1. Reg., I, 18, p. 31. La réponse de Grégoire VII est du 9 juillet.
2. Reg., 1, 40, pp. 58-59.
3. Reg., I, 72, p. 91 où il lui demande oîi sont les secours promis (7 août
1074).
4. Reg., I, 46, pp. 64-65.
236 CHAPITRE X
pour défendre la liberté de TEglise romaine et le prie de commu-
niquer ses intentions à Raimond de Saint Gilles et à Amédée,
comte de Savoie, ainsi qu'à tous ceux qu'il saura être fidèles à
rÉglise; il ajoute que Béatrice, Mathilde et GeotTroi de Lor-
raine s'occupent activement de ce projet. Il termine sa lettre en
expliquant qu'il ne rassemble pas cette multitude de soldats
pour répandre le sang chrétien, mais afin que ses ennemis
ertrayés par la vue de ses forces redoutent d'en venir aux mains
et se soumettent à la justice. Il ajoute : « Nous espérons même
que de là naîtra peut-être une autre utilité à savoir que, les Nor-
mands étant pacifiés, nous passions à Gonstantinople pour aider
les chrétiens qui alTlig-és par les trop fréquentes attaques des
Sarrasins nous supplient instamment de leur porter secours. »
C'est là surtout le but auquel il tend, car contre les Normands,
il a des troupes suffisantes.
Il ne me parait pas qu'il y ait lieu de douter que le pape ait
été amené à cette idée de croisade par ses négociations avec
Gonstantinople. On ne saurait dire que cette idée n a été que le
rêve d'un instant. Tout nous montre au contraire qu'il s'est agi
là de quelque chose de très sérieux. Le i" mars, dans une lettre
adressée à tous les fidèles, Grégoire VII invite le monde chrétien
à le seconder dans son entreprise et à porter secours à Gonstan-
tinople, assaillie par les barbares qui viennent dons leurs incursions
ravager jusqu'aux environs immédiats de Byzance '. Les barbares,
dont parle Grégoire VII, sont les Petchénègnes, dont les attaques
contre l'empire sont alors constantes. Si l'on rapproche les lettres
de Grégoire VII, relatives à la croisade, d'un renseignement que
nous fournit Attaliatès, on voit que les projets du pape furent
pris très au sérieux à Gonstantinople. En 1074. dit Attaliatès, on
songea à diminuer les subsides que l'empire payait aux barbares,
ce qui faillit amener un soulèvement général -. Onne saurait guère
expliquer autrement que par l'espoir dune intervention du pape
cette mesure que l'état de l'empire grec, en 1074. autorisait diffi-
cilement. L^n autre témoignage nous montre combien cette idée
de croisade fut alors répandue. L'archcA^êque de Salerne, dans
une pièce de vers adressée au frère de Gisolf, Gui, lui dit :
1. Reg., I, 49, p. 69.
2. Attaliatès, pp. 204-205, Cf. Chalandon, op. cit., p. 4.
GUISCARD ET GRÉGOIRE VU 237
Quam cuperem posses poteris puto Caesar uL orbem
Constantinopolis subdere régna tibi.
lamque vale sed ab his rébus desistere noli,
Evigilet studium graeca trophea tuum '.
Mais^ avant toute chose, Grégoire VII devait en finir avec les
Normands qui étaient le principal obstacle à la réalisation de
son projet. Au mois de mars de l'année 1074, le pape tint à
Rome un synode, auquel assistèrent Gisolf prince de Salerne,
Azzon, marquis d'Esté et la comtesse Mathilde '. On décida de
faire une grande expédition contre les comtes de Bagnorea et
contre les Normands. Le mois de juin fut fixé comme date du
rassemblement de l'armée et Grégoire VII prononça l'excommu-
nication contre Guiscard et ses partisans -^
Le 12 juin, le pape était à Montecimino, près de Viterbe, c'est
là que s'opérait la concentration ^ Un événement imprévu vint
détruire tous les plans de Grégoire VII. Mathilde avait parmi ses
troupes des contingents de Pise ; or Gisolf de Salerne était très
mal avec les Pisans qu'il ne cessait de molester. Tout récemment
la flotte de Salerne s'était livrée contre les vaisseaux de Pise à
de véritables actes de piraterie. Aussi quand les Pisans virent
arriver Gisolf, ils suscitèrent un grand tumulte. Grégoire VII fut
obligé d'envoyer, de nuit, Gisolf jusqu'à Rome. Il est probable
qu'à la suite de ces événements la division se mit entre les chefs,
si bien que l'armée rassemblée se disloqua sans avoir rien fait.
Le pape avait beaucoup compté sur les troupes promises et
avant de gagner Montecimino il avait fait dire à Guiscard de se
rendre à Bénévent pour entendre <( ce que vouloit ordener lo
pape » "'. Il est évident qu'au début de juin, Grégoire VII croyait
pouvoir parler en maître à Guiscard. Ce dernier se rendait égale-
ment très bien compte de la situation et « respondi humile-
1. Arch. st. napoL, t. XII, p. 776,
2. Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 348.
3. Reg., I, p. 108.
4. R. I, p. 84, p. IOd. Aimé, VII, 12, 13 et 14. Bonizo, Liber ad amicum, VII,
dans Libelli de lite, etc., t. I, p. 604.
5. Aimé, VII, 14.
238 CHAPITRE X
ment : Que il n'avoit en lui nulle conscience que onques eust
esté coulpable ne contre lo prince de li apostole, ne contre lo
commandement de lo seignor mien pape ; ne non tarderai de
venir la ou il me commande, ne mais que je sache lo jor et lo
terme que je doie venir a lui, a ce que la moie innocence soit
manifeste a touz par lo commadement apostolica et par la soe
sentence. » Guiscard ne se faisant aucune illusion sur les dispo-
sitions du pape se rendit h Bénévent accompagné de « fortissi-
mes chevaliers ». Il attendit le pape trois jours, puis se retira.
Les événements de Montecimino empêchèrent Grégoire Vil de
venir, et la maladie dont le pape soutîrit durant l'été 1074,
acheva de donner beau jeu à ses adversaires.
Durant l'été, Cencio. chef de l'aristocratie romaine et du parti
hostile à Grégoire VII, fit offrir à Guiscard de le faire empereur
s'il l'aidait à chasser le pape. Ce fut Hugues Leblant. cardinal
prêtre du titre de Saint-Clément, qui fut chargé des négociations.
Guiscard ne se laissa pas éblouir par les propositions qui lui
furent faites ; il savait trop le peu de fonds qu'il y avait à faire
sur de l'aristocratie romaine, qui avait montré par de nombreux
exemples qu'elle était incapable de soutenir ses créatures.
Guiscard refusa donc de se mêler lui-même de l'affaire, mais
offrit son aide en argent et en chevaux. C'est du moins ce que
je conclus du passage de Bonizo où sont rapportées ces négo-
ciations'. On ne saurait en effet accepter comme mobile du refus
de Guiscard celui qui est allégué par le chroniqueur, à savoir
son respect pour la personne du pape.
Durant l'été 107 i, Rob3rt reprit les hostilités contre
Capoue '-. Il fit alliance avec Serge, duc de Naples dont la
ville devint le centre de ravitaillement des troupes de Guiscard,
qui pillaient et ravageaient la région d'Aversa. Cependant
le duc se rendait compte du danger que lui faisait courir l'hos-
tilité de Grégoire VII, car ce n'était que par une chance heu-
reuse qu'il avait échappé à la coalition du mois de juin ; il se
décida donc à entamer des négociations avec le pape. Il faut je
crois rattacher à ces tentatives celles qui furent faites alors par
1. Bonizo, loc. cil.
2. Aimé, VII, 15.
GUISCARD ET GRÉGOIRE VU 239
l'abbé du Mont-Gassin pour rétablir la paix entre le duc de
Fouille et le prince de Capoue'. L'intérêt du monastère était
de faire cesser les guerres continuelles qui désolaient ses envi-
rons. Didier réussit à amener Guiscard et Richard à avoir une
entrevue près d'Aversa. Au début l'accord parut devoir se faire
facilement ; Richard installa Guiscard et sa famille à Acerra et
pour témoigner de sa bonne foi lui confia la g-arde du donjon. Le
prince de Capoue et Robert se donnèrent réciproquement comme
fîdejusseurs de très riches personnages. Guiscard reçut à son
tour Richard, à Apice, et lui confia le donjon de la place. Les
deux princes passèrent trente jours ensemble ; Didier qui assistait
aux entrevues réussit à leur faire conclure un accord sur les bases
suivantes: tous deux devaient se rendre les places qu'ils s'étaient
prises l'un à l'autre; il ne restait plus qu'à écrire les conventions,
à ce moment tout fut rompu brusquement. Aimé donne comme
raison de la rupture le motif suivant: Richard n'aurait voulu
contracter amitié avec Guiscard que « salve la fidélité de lo
pape ». Guiscard refusa cette condition. Il me paraît probable
que l'acceptation de Robert était subordonnée aux négociations
ouvertes en même temps avec Rome. Les atermoiements appor-
tés par Grégoire VII durent amener la rupture, car le duc de
Fouille dut peu se soucier d'un arrangement, qui l'obligeait à
rendre les conquêtes faites aux dépens de Richard et laissait ce
dernier allié du pape, son ennemi.
C'est probablement vers cette époque qu'il convient de pla-
cer également les tentatives faites par Guiscard pour se réconci-
lier avec le prince de Salerne, tentatives qui échouèrent devant
les prétentions de ce dernier^. A la suite de ces événements
Guiscard gagna la Calabre où une partie de ses troupes était tou-
jours occupée au siège de Santa Severina.
L'échec subi par sa politique et par ses tentatives de croisade
causa à Grégoire VII une profonde déception. La rupture des
négociations entamées par Didier pour amener la paix dans
l'Italie du Sud dut achever de le décourager. Le 22 janvier
107n, le pape écrivit à Hugues de Cluny une lettre où perce toute
1. Aimé, VII, 16 et suiv.
2. Ibid.,YUl, H et suiv.
240 CHAPITRE X
la tristesse dont son âme est remplie. Il se rend compte que tout
ce qu'il a fait jusque-là n'a en rien été utile à la cause de
l'Eglise. L'éloignement de l'Eglise d'Orient de la foi catholique
est pour lui un sujet de chagrin. (Ceci tendrait à prouver que les
relations entre Byzance et Rome se seraient refroidies à la suite
de 1 échec du projet de croisade). Le pape ajoute que les princes
parmi lesquels il vit ne valent pas mieux les uns que les autres et
que les princes romains, normands et lombards lui paraissent
pires que les Juifs. 11 termine en disant combien lui est odieux le
séjour de Rome ' .
Au milieu de ces tristesses, Grégoire Vil ne se décourage pour-
tant pas, il forme de nouveaux projets qui. s'ils attestent l'éner-
gie indomptable de son esprit, témoignent également du désarroi
où l'ont jeté ses insuccès répétés. Le 2o janvier 1075, Grégoire VII
écrit à Suénon II, roi de Danemark, pour lui demander de lui
envoA'er des soldats "'. Ici il ne s'agit plus de combattre les infi-
dèles, mais les impies et les ennemis de Dieu. Les Normands ne
sont pas nommés, mais d'après ce que nous savons par les
lettres précédentes du pape, il ne saurait être question que d'eux.
En échange du secours demandé, Grégoire VII offre à Suénon de
faire un de ses fils, seigneur de l'Italie méridionale. On voit
jusqu'à quelle idée bizarre le souci de trouver <( un défenseur
de la foi chrétienne », pour employer ses propres expressions, a
entraîné le pape.
Guiscard profita de l'impuissance de Grégoire Vil pour pousser
plus A'ivement les opérations militaires entreprises. Tandis que
les hostilités continuaient dans la région de Pontecorvo où Roger
de Sicile combattait Richard de Capoue ^, Guiscard dirigeait en
personne la guerre en Calabre '• où son neveu Abélard soutenu ,
par le prince de Capoue résistait toujours. Nous sommes très
mal renseignés sur cette période. Il me paraît toutefois qu'il faut
admettre que Santa-Severina fut prise àla fin de 1075 ou au début
de 1076. Nous savons en effet, par la Chronique dAmalfi^ que
1. Reg. Il, 49, p. 163 el suiv.
2. Reg. II, .ol, p. 167.
3. Aimé, VII, 23.
4. Ibid., VII, 2o. Il dit en Pouille, alors qu'Abélard est en Calabre.
RÉVOLTE d'aBÉLARD 241
le siège dura trois années ' ; d'autre part, x\imé nous apprend que
Richard soutenait Abélard (ce qui n'a pu avoir lieu qu'avant
1076, comme nous le verrons plus loin'-), et que Roger comman-
dait un descorps assaillants ; or, nous savonsque'\ le 14 mars 1076,
Roger se disposait à partir pour la Sicile la ville devait donc très
probablement être prise à cette date, ce qui concorde également
avec les renseignements d'Aimé, qui raconte la prise de Santa
Severina avec les événements du début de 1076. Le témoignage
de Malaterra, il est vrai, s'oppose à ces données. Suivant cet
auteur, en effet, Santa Severina n'aurait était prise qu'après
Salerne, c'est-à-dire en 1077 4. Je crois que Malaterra a fait
erreur, ayant à raconter la prise de Sant' Agata et la soumission
d' Abélard, il a été amené à parler des motifs de la révolte du
neveu de Guiscard et a placé la prise de Santa Severina à ce
moment, alors que l'événement s'était produit une année aupara-
vant. D'après Aimé les gens de Santa Severina pressés
par la famine demandèrent à Abélard de rendre la place à Guis-
card. Celui-là y aurait consenti et en échange de sa soumission
aurait reçu son pardon. Suivant Malaterra, les choses se seraient
passées différemment. Guiscard aurait fait prisonnier Hermann, le
frère d' Abélard, et en aurait confié la garde à Roger, qui aurait
enfermé le prisonnier dans son château de Mileto. Abélard aurait
alors offert au duc de lui rendre Santa Severina, en échange de la
liberté de son frère. Guiscard aurait accepté cette offre et aurait
promis de remettre Hermann à Abélard lorsqu'il se rencontrerait
avec ce dernier au château de Gargano. Abélard se fiant à la parole
de Robert aurait livré la place, et serait alors parti avec son oncle ;
voyant que celui-ci tardait beaucoup à exécuter sa promesse, il
1. Romualdde Salerne, dans M. G.H.SS., t. XIX, p. 407. Chr. Amalf.,
dans Muratori, Ant. Ifal., t. I, p. 214. Delarc, éd. d'Ainié, p. 291, n'admet
pas que le siège ait duré trois ans. Pourtant on peut concilier le Chronicon
Arnalfitanum avec Malaterra, III, 5, puisque celui-ci explique que Robert,
après avoir installé Hugues Falluca, Renaud et Hubert dans des châteaux
autour de Sant'Agata, partit pour la Pouille. On ne peut faire aucune
objection au récit du Chronicon Ainalfifanuni.
2. Aimé, VII, 22. Cf. infra, p. 243.
3. Reg., II, H, p. 223.
4. Malaterra, III, 3-6.
Histoire de la domination normande. — CH.\.LA\nox. 16
242 CHAPITRE X
lui aurait rappelé, à Hossano, les engagements qu'il avait pris.
Guiscard lui aurait répondu qu'il n'irait pas à Gargano
avant sept ans. Furieux, Abélard se serait retiré à Sant' Agata '
et aurait repris les hostilités contre son oncle. Les récits des deux
chroniqueurs ne se contredisent pas entièrement et on peut facile-
ment les concilier. Le silence d'Aimé s'explique très bien par
ce fait qu'il lui arrive souvent de taire les actions qui ne sont pas
tout à l'avantage de Guiscard,
Il faut également placer, vers la fin de 1075, les tentatives
d'Henri IV pour s'allier avec Guiscard. Nous saA'ons que ces
négociations furent dirigées par le chancelier, Eberhard et
Grégoire évêque de Verceil -*. Or, précisément vers la fin de 1075,
ces deux envoyés intervinrent dans les affaires de l'église de
Milan •'. Cela permet vraisemblablement de placer dans les
premiers mois de 1076, l'ouverture des négociations avec le duc
de Fouille.
Henri IVen avait terminé, au mois de juin 1075, avec les affaires
de Saxe et de Thuringe, qui l'avaient occupé jusqu à ce moment %
et depuis loi-s il songeait à descendre en Italie pour y prendre la
couronne impériale. Durant l'été, il entretint à ce sujet d'activés
négociations avec le pape ^, mais, à partir du mois de septembre,
ses relations avec Grégoire Vil se gâtèrent; une rupture com-
plète devait se produire en janvier 1076'^. Henri IV^ chercha
à s'appuyer sur Guiscard dans la lutte qu'il prévoyait avoir à
soutenir contre le pape, et envoya au duc de Fouille une
ambassade composée du chancelier Ebehrard et de Grégoire,
évêque de Verceil, pour lui proposer de lui accorder l'inves-
titure de la terre qu'il avait acquise ".
Le duc de Fouille refusa les propositions qui lui furent faites
en disant qu'il acceptait d'être le vassal de l'empereur pour les
1. Sans doute Sant' Agata di Biancn,circond. de Gerace, prov.de Reggio.
2. Aimé, VII, 27.
3. Bonizo, op. cit., dans Lihellide lite, etc., t. I, p. 60j. Gestaarchiep. Med.,
dans M.G.H.SS., t. VIII, p. 27.
4. Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 495 et suiv.
5. Bonizo, loc. cit., p. 60o.
6. Reg., III, 5, p. 209. Cf. Martens, Grerjor VII, t. I, p. 97 et suiv.
7. Aimé, VII, 27.
ROBEKT Cl ISCARD ET RICHARD DE CAPOUE 243
terres, qui avaient appartenu k celui-ci, mais non pas pour celles
qu'il avait enlevées aux Grecs. Il est clair que Guiscard tenait à
demeurer indépendant et à ne dépendre ni du pape, ni de l'em-
pereur. L'ambassade envoyée par Henri IV échoua donc et Robert
renvoya les deux ambassadeurs après les avoir comblés de
présents.
La tentative d'Henri IV n'eut qu'un résultat, ce fut de rap-
procher Richard et Robert, qui, en apprenant la prochaine venue
de l'empereur, se réconcilièrent. Aimé nous rapporte que l'idée
de cette entente vint en même temps aux deux princes et
que leurs messagers se croisèrent. L'abbé Didier assista à la con-
clusion de l'accord. Richard et Robert se rendirent réciproquement
leurs conquêtes et s'engagèrent à se soutenir l'un l'autre contre
tous leurs ennemis '. Cette réconciliation fut le prélude d'une
union générale. Jourdain, révolté contre Richard depuis plusieurs
années s'entendit avec lui et lui restitua Nocera. En échange, il
obtint le comté des Marses, Amiterno et Valva -. Tous les
Normands comprirent qu'ils devaient s'unir pour résister à
lempereur dont la venue était annoncée comme imminente.
Nous avons vu que Didier avait pris part aux négociations qui
amenèrent la réconciliation de Richard et de Robert. L'abbé du
Mont-Cassin dut, dans cette affaire, être l'agent de Grégoire VII;
en etTet, les relations entre le pape et Henri IV furent rompues dans
le courant de janvier 1076 -^ et, à la diète de Wornis, qui fut tenue
le 24janvier, le pape fut déposé. Après sa rupture avec l'empereur,
Grégoire VII se montra beaucoup plus accommodant pour Guis-
card, et chercha à gagner l'appui du duc de Fouille. La lettre qu'il
écrivit, le 14 mars 1076, k l'archevêque d'Acerenza marque une
détente .considérable ^. Le pape chargeait l'archevêque d'absoudre
le comte Roger et ses chevaliers, qui allaient combattre en Sicile,
et faisait les premiers pas pour se réconcilier avec Guiscard.
Il disait à l'archevêque que dans le cas où le comte lui parlerait
de son frère, il devait répondre que la miséricorde de l'Eglise
1. Aimé, VII, 27-29.
2. W., VII, 33.
3. Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 611 et suiv.
4. Reg., III. 11, p. 225.
244 CHAPITRE X
s'étend à tous ceux qui regrettent les scandales dont ils ont été
la cause, et qu'il était prêt à lever l'excommunication dont
Robert était frappé, si celui-ci était disposé à obéir en fils à 1" Eglise
romaine. Peut-être faut-il placer également vers cette date les
tentatives que Grégoire VII fit faire par Didier pour réconcilier
le prince de Salerne et son beau- frère ^ Grégoire YII rêvait
d'unir toutes les forces de l'Italie méridionale pour lutter contre
l'empereur.
Guiscard voulut profiter de la situation pour obliger le pape à
lui faire certaines concessions, dont nous ignorons l'objet. Gré-
goire VII donna à cette occasion une nouvelle preuve de son
caractère intraitable et refusa de céder, espérant d'ailleurs que
les événements obligeraient les Normands à entrer dans ses
vues'^. Ses hésitations et ses exigences ne lui réussirent
pas et amenèrent les Normands à se passer de lui. Guiscard et
Richard s'engagèrent à s'aider réciproquement pour prendre
Salerne et Naples -^
Gisolf avait prévu l'attaque et avait ordonné à tous les gens
de sa capitale d'amasser des vivres pour deux années, ceux qui
ne le firent pas furent expulsés ^. En juin, Guiscard et Richard
vinrent planter leurs tentes devant les murs de Salerne '.
L'armée de Guiscard comprenait des Latins, des Grecs et des
Sarrasins, elle était ravitaillée constamment par la flotte '\ Un
blocus rigoureux fut établi et des châteaux furent construits pour
commander toutes les routes, par lesquelles on pouvait avoir accès
à la ville. Du côté de la mer, le blocus n'était pas moins étroit
et l'entrée du port était gardée par la flotte de Guiscard. Une
fois le sièsre commencé, Guiscard, à la demande de sa
femme, laissa Didier faire une tentative auprès de Gisolf,
mais l'obstination de celui-ci empêcha tout accord. Dès le
1. Aimé, VIII, 12.
2. Reg-., III, 15, p. 229. Il veut les réconcilier avec l'Église, « non cum
detrimento sed cum augmenta romanae ecclesiae ».
3. Aimé, VII, 39. Malalerra, III, 2.
4. Aimé, VIII, 15.
5. Ibid., VIII, 13; les Annales Beneventani, ad an. 1075, M.G.H.SS.,
t. III, p. 181, qui sont en retard d'un an, disent en Mai.
6. Aimé. VIII, 13-14.
SIÈGE DE SALERNE 245
début du sièg-e, Gisolf fît prendre chez les habitants le tiers des
vivres et les fit porter dans la citadelle ; peu après, il conduisit
lui-même ses troupes réquisitionner tout ce qu'il y avait de vivres
dans la ville. La famine ne tarda pas à éclater et les habitants
en furent réduits à mang-er du chien, du chat et du cheval. Les
vivres atteignirent des prix très élevés, un œuf valait deux
deniers, un poulet vingt taris K 11 semble, d'après Aimé, que
Gisolf ait voulu spéculer sur la famine, car il vendit quarante-
trois besants le muids de farine qu'il avait payé trois besants.
La mortalité parmi les pauvres gens fut excessive, rien de plus
éloquent que la peinture des souffrances endurées que nous a laissée
Aimé : « Et aucune foiz pour la grant débilité de la fain, li vieil
moroient coment bestes sans bénédiction de prestre, li jovene
de subite mort moroient et li petit qui non se pooient baptizer
moroient pagan. Et quant venoient les famés a fdlier non avaient
aide de famé ». La terreur qu'inspirait Gisolf empêchait toute
plainte, car tous ceux qui venaient crier misère devant lui avaient
sur son ordre les yeux crevés ou étaient condamnés à la perte
d'un membre.
A l'automne 1076, Richard et Robert firent une expé-
dition en Gampanie pour faire quelques conquêtes aux
dépens de l'état pontifical -, A ce moment, en effet, la rupture
est complète entre Grégoire VII et les Normands. Le pape fut
très mécontent de l'attaque dirigée contre son allié Gisolf
et dans une lettre d'octobre 1076, il est aussi monté contre les
Normands que contre Henri IV '■^. Si, à ce moment, ce dernier fût
descendu en Italie, la situation du pape eût été terrible; mais
les victoires du roi des Romains, en Saxe, aA^aient porté ombrage
aux princes allemands et les principaux d'entre eux s'étaient
entendus avec Grégoire VIL La diète de Tribur (octobre 1076)
obligea Henri à se soumettre ^. Ge succès, qui devait amener
Henri IV à Canossa, fut compensé par l'écroulement du plan de
1. Sur l'équivalence de ces prix avec la monnaie actuelle, cf. Guillaume,
L'ahhaye de la Cava, p. .39, note 1.
2. Aimé, VIII, 18. Cf. G. Ap., III, 425 et suiv.
3. Reg. IV, 7. p. 251. ISios auteni sacrilegae invasionin eoriirn niinquaju
erimiin consentiendo participes.
t. Meyer von Knonau, op. c(7., t. Il, p. 729 «r-l suiv.
246 CHAPITRE X
Grégoire Vil dans l'Italie du Sud. Au moment où le pape allait
remporter sur l'empire son plus grand succès, le seul allié qui lui
fut resté fidèle dans F Italie méridionale voyait ses Etats tomber
aux mains de Guiscard.
Nous ne savons pas combien de temps dura l'expédition de
Richard et de Robert en Campanie. Il est curieux de voir qu'au
moment où tous deux sont excommuniés, ils entretiennent les
meilleures relations avec le Mont-Cassin '. Après être montés
jusqu'à la célèbre abbaye, ils revinrent devant Salerne dont la
trahison leur ouvrit les portes, le 13 décembre ^. La g-arnison de
la ville était tellement atraiblie qu elle ne fit aucune résistance.
Gisolf réussit à s'enfermer dans la citadelle où il devait résister
encore plusieurs mois.
Tandis que Guiscard continuait à assiéger Gisolf dans le
donjon de Salerne. le prince de Capoue lui rappela sa promesse
de l'aider à s'emparer de Naples. Guiscard lui accorda l'aide de
sa flotte composée de vaisseaux amalfîtains et calabrais. Au
commencement du mois de mai 1077, la flotte normande parut
devant Naples; en même temps Richard venait commencer le
siège par terre ^.
Cependant, à Salerne, la famine ne tarda pas à affaiblir les
défenseurs de la citadelle qui étaient rationnés à trois onces de
pain et une once de fromage par jour '. Le vin manquait presque
complètement; seuls le prince et son frère en buvaient. La misère
devint telle qu'une des sœurs de Sykelgaite fit demander des
secours à cette dernière. Celle-ci obtint d'envoyer des vivres à
son frère. Gisolf sollicita alors une entrevue de son beau- frère,
qui après s'être refusé d'abord à tout entretien, finit par en accorder
un. Il exigea que le prince de Salerne lui remît la citadelle et se
1. Aimé, VIII, 21 et suiv.
2. Aimé, VIII, 23; G. Ap., III, 441; Ann. Ben., M.G.H.SS.. t. III,
p. 181 ; Romuald de Salerne, dans M.G.H.SS.. t. XIX, p.407.C/i7-. Amalf.,
dans Muratori, Ant. Ifal., t. I, p. 214. Ann. Cas., M.G.H.SS., t. XIX,
p. 306; Lupus Protospat., ad an. 1077; Ann. Cav. , M.G.H.SS., t. III,
p. 190.
3. Aimé, VIII, 24, Ann. Cas., ad an. 1077, dans M.G.H.SS.. t. XIX, p. 307 ;
Ann. Cav., ad an. dans M.G.H.SS., t. III, p. 190.
4. Aimé, VIII, 25 et suiv.
PRISE DE SALERNE 2i7
rendît à discrétion. Gisof fut forcé de souscrire à toutes les condi-
tions ; une fois que Guiscard eût décidé le prince de Salerne à traiter,
il exigea des deux frères de Gisolf, Landolf et Guaimar, la
remise de leurs possessions : c'est à savoir San Severino ',
Policastro '^ et toute la région duCilento. Sur leur refus, il menaça
Gisolf de le mettre aux fers et de l'envoyer en prison à Palernie.
Cette attitude décida Landolf et Guaimar à se soumettre. Aimé
raconte une anecdote au sujet de la prise de la citadelle. Parmi les
objets précieux que Gisolf avait fait enfermer, se trouvait
une dent de saint Mathieu, relique précieuse dont Guiscard
désirait vivement s'emparer. Il la réclama à Gisolf c[ui, tenant
non moins à la dent du saint, fît arracher une dent à un Juif qui
venait de mourir et l'envoya à son beau-frère. Mais celui-ci
ne fut point dupe, il s'était fait décrire la relique par le prêtre qui
en avait la garde et comme la dent qu'on lui remit ne cadrait pas
avec la description, il fît dire à Gisolf qu'on lui arracherait les
dents le lendemain s'il ne remettait pas la précieuse relicjue. Gisolf
dut s'exécuter.
Une fois qu'il eut dépouillé son beau-frère de toutes ses pos-
sessions, Guiscard lui témoigna une certaine bienveillance. Il lui
remit une somme d'argent, lui donna des chevaux et des
mulets et le laissa libre de s'en aller. Gisolf alla d'abord trouver
Richard à Capoue ; il espérait peut-être lamener à lutter contre
Guiscard, mais Richard ne voulut rien entendre. Gisolf et lui
se séparèrent brouillés et l'ex-prince de Salerne se rendit à
Rome où il attendit c[uelc|ue temps le retour du pape. Celui-ci
revint au début de septembre et fit à son allié malheureux le
meilleur accueil. Jusqu'à la fin de son pontificat, il lui offrit
asile \
1. Mercato San Severino, circond. et prov. de Salerne. En novembre lOSl,
on trouve Roger seigneur de San Severino, Archives de la Cava, B. 20; or,
du même mois est un diplôme de Silvain, fils de Turgisius, également sei-
gneur de San Severino. Ihi(l.,B. 19. Comme plus tard ce sont les descen-
dants de Roger qui possèdent San Severino, il faut sans doute admettre
que la ville, d'abord donnée à Silvain, passa ensuite à Roger, peut-être
après la mort du premier, qui serait mort en novembre 1081.
2. Petilia Policastro, circond. et prov. de Catanzaro.
3. Aimé, VIII, 29-30. Cf. Jaffé-L., 5047. G. Ap. III, 463.
2i8 CHAPITRE X
La reddition de la citadelle de Salerne dut avoir lieu pendant
Tété 1077 ; quand elle se fut produite, Richard demanda à Guis-
card de nouveaux secours en hommes et en vaisseaux. Le duc
vint lui-même prendre part au siège de Naples qui se prolongea
sans résultat durant tout lété et 1 automne 1077.
Vers la fin de cette année, Guiscard laissant une partie de
sestroupesk Richard, entreprit de nouvelles conquêtes aux dépens
de la papauté. Le 18 novembre 1077. mourut Landolf, qui tenait
Bénévent pour le pape ; Guiscard crut l'occasion propice pour
tenter un coup de main sur la ville et vint mettre le siège devant
la place (19 décembre) ; après avoir établi ses troupes et organisé
le blocus, le duc s'éloigna et se rendit en Galabre '. Cette attaque
contre Bénévent constituait une véritable déclaration de guerre au
pape; celui-ci devait être outré des derniers succès de Guiscard,
qui n'avait jamais vu la fortune lui être aussi favorable que depuis
le moment où il avait été excommunié. Nous avons la preuve de
la colère de Grégoire ^ II, qui, le 2 mars 1078 -, dans le concile tenu
à Rome, prononça l'excommunication contre les Normands « qui
attaquent le territoire de Saint-Pierre, c'est à savoir la Marche de
Fermo et le duché de Spolète, contre ceux qui assiègent Béné-
vent et s'efforcent de ravager la Gampanie, la Maritime et les
Sabines, et contre ceux qui tentent de mettre le désordre dans
Rome. » Le pape interdisait à tout évêque ou prêtre de permettre
aux Normands d'assister à l'office divin. Cette dernière défense
devait s'appliquer tout spécialement à Didier abbé du Mont-Cassin,
qui, nous l'avons vu, n'avait pas craint d'entretenir les meilleurs
rapports avec les Normands, malgré l'excommunication déjà ful-
minée contre eux.
Par les actes du concile de Rome nous voyons que la conquête de
la Gampanie sur laquelle nous avons très peu de renseignements,
avait continué, même après l'expédition de l'été 1077, et nous avons
aussi la preuve que les Normands ont continué à avancer dans la
région des Abruzzes et qu'ils ont débordé sur les territoires de
1. Aimé, VIII, 31; Ann. Benev., dans M. G. H. SS., t. III, p. 181;
Petr. Diac, III, 45.
2. Reg. V, 14, p. 307.
LES NORMANDS DANS LES ABRUZZES 249
Fermo et de Spolète. Pour toute cette région, nous sommes très
mal documentés et les détails de la conquête nous échappent
presque entièrement. Nous savons seulement qu'en 1073 les Nor-
mands avaient occupé les biens du monastère de Saint-Clément
de Casauria * et que, vers 1076, Hugues Maumouzet, voyant que
l'abbé Transmond organisait la défense, l'attira dans un guet-apens
et le fît prisonnier. Hugues ruina tellement le monastère que
les moines durent se disperser -.
Aimé nous a également raconté la lutte soutenue par Robert
de Loritello contre Transmond, qui était comte de Ghieti. Le
neveu de Guiscard assiéga Ortona ; on leva contre lui des troupes
jusqu'à Ravenne. Les évêques de Gamerino et de Penne prirent
le commandement de l'expédition ; malgré leurs efforts, Robert
de Loritello réussit à se faire reconnaître comme suzerain par
les seigneurs du pays 3.
Un rôle important fut joué dans la conquête de la région des
Abruzzes par un personnage du nom de Dreux ; ce dernier, aussi
appelé Tasson, était le frère de Robert de Loritello et c'est à tort
que la Chronique de Saint-Barthélémy de Garpineto l'a con-
fondu avec son homonyme le fils de Tancrède de Hauteville ^.
Dreux eut deux fils : Robert et Guillaume dont le dernier fut
évêque de Ghieti ^. Aussi bien au sujet de Robert de Loritello
que de son frère nous sommes fort mal renseignés. Toutefois une
bulle de Pascal II, confirmant à l'évêque de Ghieti les'donations
faites par Robert et par son frère, nous permet de connaître quels
1. Chr. Casaur., Muiatori, R.I.SS., t. II, 2, p. 865.
2. Ibid., p. 866.
3. Aimé, VII, 30 et suiv.
4. Chr. sancti Barthotomei, dans Ughelli, op. cit., l. X, p. 359; Aimé,
VII, 30; Romoald de Salerne, dans M.G.H.SS., t. XIX, p. 405; C/ir. Casaur.,
dans Muratori, R. I.SS., t. II, 2, p. 871. La bulle de Pascal II est éditée dans
Ughelli, op. cit., t. VI, p. 702. Cf. di Meo, op. cit., t. IX, pp. 6-7, et p. 211.
Bindi, op. cit., p. 591, a publié un acte de Tasson, comte de Chieti, daté
de 1091, dont tous les éléments chi-onologiques sont faux. Cet acte ne me
paraît pas authentique.
5. Bullar. Vatic, t. I, p. 19, et Ughelli, op. cit., t. VI, p. 703. Ce dernier
ne serait-il pas le même personnage que Guillaume, qui vers 1103, partit
pour la Terre sainte, après avoir vendu ses biens au comte Richard de
Manopello, Chr. Casaur., p. 872-874?
250 CHAPITRE X
ont été en partie les résultats de la conquête nomiande dans les
Abruzzes '. C'est ainsi que nous vovons que les Normands sont
établis à CMeti, à Trevelliano, à Villamao-na -. àMontefilardo \
à Lanciano \ à Atesa •'', à Ortona ^, k Montacuto ", à Monteodori-
sio '^, à Abatico ^, à Caramanico '", à Torre ", à Luparelli '-, à San
Paolo, à Force '^ à Gissi'', à Scuculla '■', à Sant' Ang-elo "^ et à San
Silvestro. Il ne faut pas oublier que la plupart de ces villes ne
furent soumises très probablement que plus tard et que c'est
seulement vers 1093 que les Normands possèdent les places que
nous avons énumérées.
Les Normands de Robert de Loritello s'avancèrent en longeant
la côte de l'Adriatique. La conlig^uration des Abruzzes rend très
difficiles les communications entre le littoral et l'intérieur des
terres, les seuls passages qui franchissent le massif montaccneux
sont ceux suivis par les anciennes voies romaines : la Via Salaria,
qui suit la vallée du Tronto, et la via Claudia Valeria, qui emprunte
la vallée de la Pescara. Aussi ce ne sont pas les bandes de Robert
de Loritello, qui entreprirent la conquête des plateaux intérieurs
des Abruzzes, mais celles du fils de Richard de Capoue, Jour-
i. Ughelli, op. cit., t. VI, p. 702. Cf. di Meo, op. cit., t. IX. p. G.
2.' Villamagna, circond. et prov. de Chieti.
S. Monte fdardo, au diocèse de Chieti. Cf. di Meo. op. cit., t. XII, p. .344.
4. Lanciano, ch.-l. de circond., prov. de Chieti.
5. Atessa, circond. de Vasto, prov. de Chieti.
6. Ortona, circond de Lanciano, pi-ov. de Chieti.
7. Dans le Dizionario postale del regno d'Italia, je ne trouve aucune loca-
lité que Ton puisse identifier avec Monlacuto. En effet. Montacuto, circond.
et prov. d'Ancône est bien éloigné.
8. Monteodorisio, circond. de Vasto, prov. de Chieti.
9. Sans doute Abbateggio, circond. et prov. de Chieti.
10. Caramanico, circond. et prov. de Chieti.
11. Sans doute Torrebruna, circond. de Vasto, prov. de Chieti.
12. Sans doute Civitaluparella, circond. de Lanciano, prov. de Chieti.
13. Force, circond. et prov. dAscoli Piceno.
14. Gissi, circond de Vasto, prov. de Chieti.
lo. Sans doute Sconcola. commune de RipaTealina. circond. et prov. de
Chieti.
16. Il s'agit vraisemblablement, soit de Sant'Angelo, commune de Déliante,
circond. et prov. de Teranio, soit de Sant Angelo, commune de Rocca-
montepiano, circond. et prov. de Chieti,
MORT DE RICHARD DE CAPOUE 2o1
dain, à qui son père avait concédé cette terre en échange de
Nocera '. Nous retrouverons plus tard la trace delà situation qui
résulta, de cette double conquête et verrons que les territoires
des Abruzzes dépendaient les uns du Principat de Capoue,
les autres du duché de Fouille.
Ce fut Jourdain, qui, à la suite de lexcommunication lancée par
Grégoire VII, fit le premier sa soumission ; il alla à Rome
implorer labsolution -. Peut-être la maladie dont, vers cette date,
fut atteint son père, Richard, ne fut-elle pas sans influence sur
sa résolution. Richard mourut, en effet, le o avril 1078. L'évêque
d'Aversa lui refusa l'absolution tant qu'il n'eut pas rendu au pape
toutes les terres qu'il avait conquises en Campanie. Son fils,
Jourdain, dut craindre que Grégoire VII ne lui créa des difficul-
tés au sujet de la succession paternelle ; c'est là ce qui expli-
querait sa soumission au pape. Jourdain fut accompagné à Rome
par son oncle, le comte Rainolf, qui se réconcilia également avec
le pape -K
La mort de Richard eut pour Guiscard d'assez graves consé-
quences. Tout d'abord le siège de Naples fut immédiatement
levé, puis, peu après, Jourdain vint obliger les troupes de Guiscard
à s'éloigner de Bénévent. Vers la même époque x\bélard, qui avait
entraîné dans sa nouvelle rébellion son beau-frère, Gradilon, et
était depuis longtemps assiégé dans Sant' Agata fut contraint de
se rendre ; par sa mère il fit demander son pardon à Guiscard
auquel il remit la forteresse, où il s'était retiré^.
Il faut placer, également dans les premiers mois de 1078, le
mariage de la fille de Guiscard. La situation du duc de Fouille,
était devenue si importante qu'il voyait son alliance recherchée
par les plus hauts personnages. Nous parlerons plus loin des négo-
ciations matrimoniales engagées avec 1 empereur de Gonstanti-
nople ; Guiscard maria, au début de 1078, une de ses filles avec
Hugues, fils du marquis d'Esté, Azzon II ' . A cette occasion Robert
1. Aimé, VII, 33.
2. Ibid., VIII, 32.
3. Ibid., VIII, 34, qui appelle Rainolf, Boger; Ann. Benev., ad an. 107'
dans M.G.H.SS.. t. III, p. 181.
4. Ann. Casin., ad an. 1077, dans M.G.H.SS., t. XIX, p. 307.
0. Aimé, VIII, 33. G. Ap., III, 486 et suiv.
252 CHAPITRE X
donna de grandes fêtes à Troia. Nous constatons, à ce propos,
les progrès faits par Guiscard, qui se sentit alors sufTisamment
puissant pour imposer à ses vassaux de Fouille laide féodale
due au seigneur, lorsqu'il mariait ses enfants. Dans ce simple
fait nous trouvons la preuve que Robert avait réussi à trans-
former en une suzeraineté effective l'autorité nominale qu'il
avait au début de son règne. Aucun des vassaux du duc
n'osa protester ouvertement, mais sa demande excita un
mécontentement général parmi tous les seigneurs de la Fouille,
qui pendant longtemps s'étaient regardés comme les égaux de
Robert'.
Ce mécontentement se traduisit bientôt par des actes. Sous
1 inspiration du nouveau prince de Capoue, Jourdain, une vaste
rébellion s'organisa -. Les principaux rebelles furent Geoiïroi de
Conversano, sonfrère, Robert de Montescaglioso'^, Henri, comte de
1. Aimé, VIII. G. Ap., III, 488.
2. G. Ap., 111,515 et suiv.
3. G. Ap., III, 523 et suiv., mentionne Robert de Montescaglioso,
frère de Geofîroi et fils d'une sœur de Robert Guiscard. Robert de Mon-
tescaglioso est sans doute à identifier avec le comte Robert, qui prit Matera,
en 1064 (Lup. Protosp., ad an. 1064; Anon. Bar., ad an. 1064). D'après un
diplôme de 1068, Robert aurait été seigneur de Tricacrio, il aurait eu pour
femme Amelina et pour frère GeofTroi (Ughelli, op. cit., t. VII, p. 146); mais
di Meo, op. cit., t. VIII, pp. 84-85, a contesté, avec raison semble-t-il, l'au-
thenticité de ce document. A partir de 1078, nous trouvons Onfroi de Mon tesca-
glioso(Archivesdu Mont-Cassin, Coc/. Careoso, ce registre n'est pas folioté),
mais nous ignorons quelle est sa parenté avec Robert. Onfroi est mentionné
jusqu'en 1093 ArchiviodiStato,àNaples, fondsde Matera, n^^ 4 et 5), en 1099,
mort 'Regiineapolit. archivii mon., t. VI, pp. 168-170). Onfroi épousa Béatrice
dont il eut Raoul Machabée, Alice, Geoffroi, Roger, Guillaume, Robert Begii
neap. archivii mon., t. VI, loc. cit.; Ughelli, op. cit., l. VII, p. 28. Cod.
Vatic, lat., 8222, f°63r°; Minieri Riccio, op. cit., Suppl. p. 9). Raoul Macha-
bée épousa Emma, fille de Roger I", comte de Sicile (Regii neap. arch. mo-
num, t. VI, pp. 154, 156. Gattola Accès., 1. 1, p. 213). Jene crois pas qu'Emma
doive être identifiée avec la fille de Roger l'apportant le même nom, qui épousa
Guillaume III de Clermont. Remarquons en effet que parmi les enfants de
Tancrède de Hauteville, nous en trouvons deux portant le même nom,
Guillaume Bras de fer et Guillaume du Principal, il se pourrait donc que
Roger l"' ait eu deux filles portant le nom d'Emma. Le frère de Raoul,
Geoffroi, doit être vraisemblablement identifié avec le personnage de même
nom qui fut tué à Dorylée (Orderic Vital, t. III, pp. 489, 511, 539).
En 1097 n. s. (Archives de la Gava, D. 20, diplôme de décembre ind. 12),
GRÉGOIRE VU ET JOURDAIN DE CAPOUE 253
Monte Sant' Angelo ', Pierron, comte de Tarente, x\mi comte de
Giovenazzo - et un seigneur du nom de Baudoin . Les rebelles
eurent très probablement l'appui des Byzantins •^; en tout cas ils
eurent certainement celui du pape ; bien que nous n'ayons
aucun témoignage formel à cet égard les relations entre
Grégoire VII et Jourdain, le séjour que le pape fît à Gapoue, au
mois de juillet 1078^ sont des indices suffisants, pour admettre
que Grégoire VII joua un rôle dans ces événements. Il semble
je trouve Guillaume seigneur Saponaria et Brienza (Saponara di Grumento,
et Brienza, circond. etprov. de Potenza). A cette date, Guillaume ne doit pas
être depuis long-temps seigneur de Brienza, car, en 1095, cette ville a pour
seigneur Ai'on, qui a épousé Sykelgaite. (DiMeo, op. cit., t. IX, p. 9). Guillaume
est sans doute le même personnage que Guillaume de Montescaglioso
seigneur de Brienza et PoUa, qui, en juin 1130, fait une donation au monas-
tère de la Gava (Archives de la Gava, G. 1). Guillaume est fils de Bobert de
Montescaglioso, il s'agit sans doute, de Bobert 1, et non de Bobert, fils de
Baoul Machabée, car, déjà en 1135, un fils deGuillaume de Montescaglioso,
également appelé Bobert, est avec Britton, coseigneur de Noja [Cod.
dipl. Bar., t. V, pp. 143 et 155).
Sous Guillaume 1*^'', nous trouvons GeolTroi de Montescaglioso (Falcand,
pp. 15 et 22;, qui est sans doute le fils de Baoul Machabée. Geoffroi eut ses
biens confisqués et le comté de Montescaglioso fut donné à Henri, frère de
la reine Marguerite.
1. Henri, comte de Monte Sant'Angelo, était le fils d'un comte nommé Bobert
etavaitépousé Alice, fille du comte Bogerl^"", Henri avait pour frères Bichard
(Archives delà Gava, B. 27, B. 40) et Guillaume (Archives de la Gava, D. 11,
D. 23 del Giudice, op. cit., p. XIII. Gf. di Meo, IX. 9). Il ne faut pas con-
fondi-e Henri de Monte San Angelo avec Henri, frère d'Adélaïde, femme de
Boger I".
2. Weinreich, op. cit., p. 47, a dressé la généalogie des descendants
d'Ami de la façon suivante :
Ami
!
Gautier Pierron
I comte de Trani, puis de Tarente
Ami I
seigneur de Giovenazzo Geoffroi Pierron
I
Bichard
Ami de Giovenazzo eut probablement pour fils Geoffroi, seigneur de
Melfi. Cf. Elencodelle pergamene, etc., dans Arc/i. st. napol., t. VIII, p. 157,
et Mansi, op. cit., t. XX, p. 647.
3. Chart. Cupers., t. I, p. 102.
4. Beg., VI, 1, p. 322.
2o4 CHAPITRE X
même que le pape ait obligé Jourdain à lui donner des preuves
sérieuses de sa fidélité, car nous savons qu'il ne lui conféra pas
immédiatement l'investiture des biens de son père ^
Le comte Pierron ouvrit les hostilités en s'emparant de
Trani -. La révolte dès le début s'étendit non seulement à la
Fouille, mais aussi à la Calabre et à la Lucanie. Il semble que
Guiscard ait été, au moment où elle éclata, en Calabre; ce ne fut
qu'après avoir pacifié Cosenza ^ et s'être rendu maître de cette
région, qu'il put marcher contre les rebelles; sa tâche semble
d'ailleurs avoir été ici assez facile, car beaucoup de ses vassaux
lui demeurèrent fidèles*. En Fouille, il n'en fut pas de même et
comme Guiscard ne parut pas immédiatement, la révolte s'étendit
rapidement. Le 3 février 1079, Argyrizzos décida les gens de
Bari à se soulever et livra la ville à Abélard auquel il fit épou-
ser sa fille. Avec Bari, Trani, Bisceglie, Corato et Andria se
révoltèrent et leurs milices sous les ordres de Fierron et d'Ami
parurent devait Giovenazzo, restée fidèle au duc. Fendant ce
temps, Abélard assiégeait Troia, où était enfermé Bohémond; il
infligea à ce dernier une défaite sérieuse et alla ensuite attaquer
Ascoli \ Giovenazzo était la seule place restée fidèle ; elle
fut défendue par Guillaume, fils d'Ivon, qui réussit à faire
lever le siège, en annonçant la prochaine venue du lils de
Guiscard, Roger. Le duc de Fouille, après avoir pacifié la
Calabre, arriva, à la tête de forces nombreuses; il commença
par reprendre Ascoli et contraignit Abélard à aller s'enfermer
dans Bari. Cette victoire suffit pour disperser les rebelles,
qui se retirèrent chacun dans leur ville. Four récompenser les
habitants de Giovenazzo de leur fidélité, Guiscard leur accorda
la remise du tribut pendant trois années. La répression de
1 insurrection fut terrible ; le duc ayant occupé Ariano et pris
Trivico, fit prisonnier Gradilon et le comte Baudouin, qu'il fît
1. Deusdedit, Collectio canoniim, éd. Martinucci (Rome, 1869|, iii-4",
p. 342.
2. Chron. brev. norm., ad an. 1078 ; Lupus Protospat., ad an. 1079.
3. G. Ap., III, 328 el,57o.
4. G.Ap., III, 534-53u'.
5. Lupus Protospat., ad an. 1079. Chr. brev. norni., ad an. 1079.
HOBKRT GLISCARD ET JOURDAIN DE CAPOUE 255
aveugler et condamna à une prison perpétuelle •. Les biens des
rebelles furent confisqués et distribués aux soldats du duc. Le
calme fut bientôt suffisamment rétabli pour que Robert put
songer à aller punir l'instigateur de la révolte, le prince de Capoue.
Jourdain n'avait prêté aucune assistance etlective aux rebelles;
peut-être fut-il retenu par les troubles, qui se produisirent alors
dans ses Etats ', sans que nous sachions rien de précis à cet égard.
A ce moment Jourdain chercha à se rapprocher de Robert, car ses
relations avec Grégoire VII s'étaient gâtées. En 1079, le pape
avait écrit à Jourdain une lettre violente, dans laquelle il lui
reprochait d'avoir contraint sa belle-mère à se remarier, empê-
ché un évêque de se rendre à Rome pour un voyage ad liniina,
et enfin d'avoir usurpé les biens des églises \ Grégoire VII se
montrait d'autant plus mécontent qu'il avait fondé plus d'es-
pérances sur le prince de Capoue. A la suite de cette lettre, les
rapports de Jourdain et du pape durent se tendre, aussi, quand
le prince de Capoue apprit que Guiscard songeait à diriger une
expédition contre lui, il se hâta de demander la paix '.
Le duc après ses premiers succès s'était rendu à Salerne où
il était dans le courant du mois de juillet. De ce mois, en
effet est daté l'acte par lequel Robert concéda à la célèbre
abbaye de la Gava, l'église de Saint-Mathieu, dans les environs
de Nocera. De Salerne, Guiscard se dirigea vers le Sarno.
Ce fut alors qu il se rencontra avec l'abbé Didier, chargé par
Jourdain de l'amener à traiter. L'abbé du Mont-Cassin avait
le plus grand désir de voir rétablir la paix entre les princes
normands, car son abbaye avait fort à souifrir des guerres
perpétuelles. Il réussit à décider Guiscard à s'entendre avec
Jourdain et peut-être obtint-il aussi de lui l'autorisation d'en-
tamer des négociations avec Grégoire VIL Nous ne savons rien
1. G. Ap., III, 567, et suiv. Anon Bar., ad an. 1080. Lupus Protospat.,
ad an. 1080 ; Chr. hrev. norin., ad an. 1080. Romuald de Salerne, dans
M.G.H.SS., t. XIX, p. 408, Chr. Amalf., p. 214. Tiivico est sans doute à
identifier avec Trivigno, circond. et prov. de Potenza.
■2. Cf. Cod. Caiet., t. Il, pp. 120-121.
3. Reg., VI, 37, p. 375. Cf. Martens, op. cit., t. I, p. 297.
4. Petr. Diac, III, 45.
256 CHAPITRE X
des conditions de l'accord conclu entre les deux princes nor-
mands '.
Libre du coté du prince de Capoue, Guiscard se retourna vers
les autres rebelles, La fin de l'année 4079 et le début de l'an-
née 1080 furent remplis par une série de succès; le duc occupa
successivement Monticolo-. Pietrapalomba, Monteverde ■^ Gen-
zano ^ et Spinazzola '. Cette dernière place était défendue par le
fils d'Ami, qui fut réduit à s'enfuir '\ et ce succès amena Ami lui-
même à demander la paix. Les défections qui s étaient produites,
depuis l'apparition de Guiscard en Fouille, effrayèrent les autres
rebelles et décidèrent Robert de Montescaglioso et Geoffroi de Con-
versano à implorer le pardon de leur oncle. La prise de Bari, qui
suivit de peu, diminua encore le courage des révoltés. Abélard,
qui défendait la place, fut obligé de passer en Grèce tandis
qu'Argyrizzos se rendait en Serbie '. Pendant qu'une partie des
troupes sous les ordres de Sykelgaite assiégeait Trani, Guiscard
allait attaquer Tarente qui se rendit en avril ; de là il vint mettre
le siège devant Castetellaneta, dont il s'empara. La prise de
Trani suivit de peu et Pierron dut se rendre au duc ; sa sou-
mission amena la fin de la révolte.
Les succès de Guiscard anéantissaient tous les plans de
Grégoire Vil, qui voyait le duc devenu plus puissant que jamais,
alors que la conduite d'Henri IV était de plus en plus mena-
çante pour la papauté. A la suite de la victoire de Mulhausen,
Grégoire VII avait cru pouvoir reconnaître, comme souverain
légitime. Rodolphe, le compétiteur d'Henri IV. Ce dernier envoya
alors des ambassadeurs chargés de lui recruter des partisans en
Italie ^- Le pape craignant qu'une alliance entre le roi des Romains
et Guiscard ne se produisit, alliance qui eût amené l'écra-
1. G. Ap., III, 617 et suiv. Cf. Guillaume, op. cit., p. \'II.
2. Sans doute Monticello, commune dOleviano sul Tusciano, circond. et
prov. de Salerne.
3. Monteverde, circond. de Sant" Angelo de" Lombardi prov. d"AveIlino.
4. Sans doute Genzano, circond. et prov. de Potenza.
5. Spinazzola, circond. de Barletta, prov. de Bari.
6. G. Ap., 111,641 et suiv. Petr. Diac, loc. cil.
7. Anon. Bar., ad an. Lupus Protospat., ad an. Chr. brev. nor/n., ad an.
8. Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 260 et suiv.
l'entrevue de ceprano 257
sèment du parti des réformes, se décida à traiter. Dès le concile
de Rome (mars), le ton de ses lettres est plus modéré envers les
Normands '. L'abbé du Mont-Gassin servit d'intermédiaire entre
le pape et le duc ; mais nous ne savons rien des négociations.
Grég-oire VII quitta Rome dans les premiers jours de juin 2.
Le 10, il reçut, à Ceprano, le serment de fidélité de Jourdain
de Gapoue, conçu dans les mêmes termes que le serment prêté
par Richard à Alexandre II -K
Le 29 juin, Guiscard à son tour prêta serment ''. 11 s'engagea
à être l'homme du pape, réserve faite pour la marche de Fermo,
Salerne et Amalti. On laissait ainsi en suspens le règlement des
questions litigieuses , relatives aux nouvelles acquisitions terri-
toriales de Guiscard. Grégoire Vil reconnaissait aussi les con-
quêtes de Robert deLoritello, à la condition que celui-ci s'arrêtât
dans ses empiétements sur le territoire de Saint-Pierre. En outre,
le duc promettait au pape de l'aider à défendre la papauté.
Il résulte clairement du serment prêté par Guiscard que
Grégoire Vil a été obligé de céder sur toute la ligne ; il sauvait
les apparences en réservant la question, mais, en fait, il recon-
naissait les nouvelles conquêtes du duc. Pour que le pape en soit
arrivé à abdiquer ainsi la plupart de ses prétentions, il fallait qu'il
jugeât bien dangereuse sa situation vis-à-vis de Henri IV. C'était
en somme Guiscard qui, le 29 juin 1080, triomphait du pape,
obligé de s'incliner devant le fait accompli.
Guiscard, comme on le verra plus loin, devait tirer bien d'autres
avantages de son apparente soumission ; il reconnut les bons
offices de Didier, en lui accordant le monastère de Saint-Pierre de
Tarente et la dîme qu'il percevait en cette ville sur le blé, l'orge,
le vin, l'huile et la pêche ^
Après l'entrevue de Ceprano, Guiscard se rendit à Salerne, oiî
il résida une partie du mois d'août ^.
i. Reg., VII, 14 a, p. 399.
2. Pet. Diac, III. 45, G. Ap.,IV. 16, Jaffé-L., 5172.
3. Deus dédit, loc. cit., qui porte à tort rindictioii X.
4. Reg., VIII, la, p. 426.
5. Gattola, Accès., t. I, p. 183.
6. Diplôme d'août 1080, Guillaume, op. cil., p. VIII.
Histoire de la domination normande. — Chalandon. 17
CHAPITRE XI
DERNIERES ANNEES DEGUISCARD. GUERRE AVEC ALEXIS COMMENE. REVOLTE
DES SEIGNEURS d'iTALIE. PRISE DE ROME. MORT DE GUISCARD.
1080-1085)
Après l'entrevue de Geprano, 1 insatiable ambition du duc de
Fouille ne se trouvait pas satisfaite et, malgré son âge, Robert
rêvait d'accroître toujours ses Etats. Guiscard avait alors soixante-
quatre ans, mais il avait conservé toute la vigueur d'un jeune
homme, « sa haute stature, dit Anne Comnène', dépassait
celle des plus grands guerriers, son teint était coloré, sa cheve-
lure blonde, ses épaules larges, ses yeux lançaient des éclairs;
ainsi que je l'ai souvent entendu dire, l'harmonieuse proportion
de toutes les parties de son corps en faisait de la tête aux pieds un
modèle de beauté ». Les succès prodigieux qu'il avait remportés
ne suffisaient pas à son ambition et pourtant que de chemin par-
couru depuis que, pauvre chevalier, il était rebuté par ses frères,
lors de sa venue en Italie ! Cependant après avoir dévoré la terre
de l'Italie, pour employer l'expression d'Aimé, Guiscard voulut
entreprendre la conquête de l'empire byzantin. Il est curieux de
voir comment il fut amené à l'idée d'aller porter la guerre sur le
territoire grec.
Il est certain que la conduite de Guiscard, à côté de mobiles
tout différents, eut un mobile politique. Byzance, en etïet,
n'avait pas cessé de s'intéresser aux affaires d'Italie et avait aidé
toutes les révoltes des vassaux du duc de Fouille, en 1064,
comme en 1072 et en 1078. Après cette dernière insurrection
Abélard, l'ennemi mortel de Guiscard avait trouvé en terre
grecque un refuge contre la colère de son oncle. Les territoires
byzantins dTllyrie étaient devenus le lieu de rendez-vous de tous
1. Alexiade, I, 12, 50-51.
ROBERT GUISCARD ET l'EiMPIRE MYZAMIN 2?)9
les mécontents, qui là pouvaient tout à leur aise conspirer
contre le duc de Fouille. Celui-ci comprit qu'il ne serait assuré
de la tranquillité de ses Etats qu'autant qu'il serait maître de la
côte d'Illyrie.
A côté de ces raisons d'ordre politique, il faut tenir compte du
prestige alors exercé par Byzance sur tout l'Occident. L'admira-
tion pour le monde byzantin, ses costumes, ses usagées, qui était
ressentie même par des empereurs d'Allemagne, devait être
encore plus vive chez les conquérants normands, dont toutes les
possessions de Calabre, comme les villes maritimes de la
Fouille avaient subi l'influence de Byzance. Mais, chez les Nor-
mands, cette influence s'exerça d'une façon toute particulière.
Guiscard fut amené à se regarder comme le successeur légitime
des basileis. Ce n'est pas ici le lieu d'étudier l'organisation don-
née par Guiscard à ses conquêtes, il suffira de dire que le duc de
Fouille laissa subsister, partout où il la rencontra, l'organisation
administrative de Byzance. Il est question, dans les actes normands,
d'un thème de Calabre ^, nous voyons des villes avoir à leur tête
un stratège ou un exarque '^ , et un normand prendre le titre de
|3aaiXi7.bç (âsairupto;^. Les souscripteurs d'actes rédigés à l'époque
normande s'enorgueillissent des titres byzantins de protospathaire
impérial, de turmarque, de spatharo-candidat ou de tagmatophy-
lax'\ Le rite grec devait rester longtemps usité en Calabre', où le
grec, même sous les Normands, demeura dans certains endroits
la langue officielle. Dans la même région, longtemps après
Guiscard, le clergé grec subsista à côté du clergé latin. Ce fut,
en efTet, la grande habileté des Normands de se substituer
aux divers souverains de l'Italie du Sud, sans chercher à faire
entre leurs sujets très différents par la race une fusion impos-
sible. Les divers éléments de la population demeurèrent juxta-
1. Mgr Baiiffol, Chartes byzantines inédites de Grande Grèce dans Mél.
d'arch. et d'histoire de Véc. fr.delioine, t. X, p. 99.
2. Malaterra, II, 44. Cf. Trinchera, op. cit., p. SI.
3. Trinchera, op. cit., p. 67.
4. Ibid., p. 63 et suiv. Cf. Cod. dipl.Bar.,i. I et V, pnssini.
5. Dandolo, Muratori R.I.SS., t. XII, p. 245. Cf. Gay, Notes sur la conser-
vation du rite grec dans la Calabre et la terre d'Otrante au XIV^ s. dans Byz,
Zeitschr.,l. IV, p. 59.
260 CHAPITRE XI
posés sans se confondre, et chaque race garda sa langue, ses
usages, ses mœurs, à tel point que nous voyons Richard de
Capoue invoquer en sa faveur contre les lombards révoltés
non pas la loi normande, mais la loi lombarde. Il en fut de
même pour Guiscard qui se donna pour l'héritier légitime
des basileis, dont il copia le costume et qu'il chercha à imiter
jusque dans son sceau K Comment d'ailleurs, Guiscard aurait-il
pu croire que la conquête de Byzance lui offrirait des difficultés
à lui, le puissant duc de Fouille, quand deux pauvres chevaliers
normands qui avaient été au service, l'un de Richard de Capoue -,
l'autre de Robert lui-même, avaient failli peu auparavant
monter sur le trône impérial -^ ? L'anarchie, qui régnait alors à
Byzance, facilitait d'ailleurs singulièrement les projets de Guis-
card, et l'empire grec lui-même eut soin de donner au duc de
Fouille un prétexte pour intervenir dans les affaires de Constan-
tinople.
Dès le règne de Romain Diogénès, pour l'ésoudre la question
normande, on avait songé, à Constantinople, à une alliance
qu'aurait consacrée le mariage du fils de Romain Diogénès avec
une fdle de Guiscard ^. L'arrivée au pouvoir de Michel YII amena
la rupture des négociations entamées à ce sujet, mais le nou-
veau l^asileus fît presque aussitôt après son avènement des
ouvertures au duc de Fouille ^ Il lui envoya une ambassade,
chargée de remettre une lettre, par laquelle il lui notifiait son
avènement au trône et demandait pour son frère Constantin''
la main dune des filles de Guiscard. L'empereur s'expri-
1. Cf. Engel, Recherches sur la numismatique et la sigillographie des Xor-
mands de Sicile et d'Italie, p. 82.
2. Robert Crispin, cf. Gattola, Ace, t. I, p. 167. Altalialès, p. 123 et suiv.
3. Roussel de Bailleul, cf. Schlumberger, Revue historique, t. XVI,
p. 289 et suiv.
4. Salhai^, Bibliotheca Grœca, t. V, p. 387.
5. Seger, Byzantinische Historiker des 10 und 11 lahrhunderts, Nikephoros
Bryennios. Diss. in. (Munich, 1888 , in-S", pp. 123-124, me parait avoir
démontré que la lettre la plus ancienne est le n° 143, et la seconde le n° 144.
J emprunte la traduction de Sathas, dans l'Annuaire de l'association des
études Grecques, (1874), p. 207 et suiv.
6. On n'a pas, que je sache, noté la concordance exacte du récit d'Aimé
avec ces documents. Aimé dit qu'il y a eu trois ambassades envoyées
ROBERT GUISCARD ET MICHEL VU 261
mait ainsi : « Aux princes des autres nations, je considère
comme suffisant de leur écrire pour les assurer de mon
affection, et ils s'estiment très honorés de ce que je veux bien
partager leurs sentiments et entretenir avec eux des rapports
pacifiques, plutôt que de fomenter des différents et de leur faire
la guerre. Mais pour un prince aussi noble et aussi sage que
vous, j'ai pensé qu'il me fallait faire quelque chose de plus, et
contracter avec vous une amitié si parfaite que nul au monde ne
put la rompre. Et ne soyez pas surpris, si je vous préfère aux
autres princes et vous juge digne d'un plus grand honneur, car
c'est l'identité de nos croyances et de notre foi en Dieu, qui a
produit cet ensemble si harmonieux d'intentions dont il me reste
à parler.
(( Comment donc s'accomplira cette admirable union ? Je désire
créer entre nous un lien de parenté, et voir l'une de vos filles
devenir l'épouse de mon frère, l'empereur Constantin le Porphyro-
génète, afin que cette auguste alliance rende indestructiblel'amitié,
qui nous unit actuellement. Vous savez parfaitement en quoi
consiste aujourd'hui la suprême autorité dans l'empire grec, vous
n'ignorez pas non plus que même nos parents les plus éloignés
considèrent comme un très grand bonheur de nous être unis ;
par l'empereur à Guiscard: « et dui foiz lo duc lo contredist Et li duc
sagement cela la soe volante a ce que venist a plus grant domp et promis-
sion et li message se partirent corrodez Et toutes lui manda (l'empereur)
autre légat o granz presens et molt de coses lui prometoit ; et en la fin lo
duc serene se enclina a la proiere de lo empereor et dona sa fille »
Aimé, VII, 26, 297. Guiscard adonc refusé deux fois les offres de Michel Vil,
ces deux refus correspondent aux deux lettres que nous avons ; la lettre
relative à la troisième négociation ne nous est pas parvenue. Le projet de
mariage en question a été mal connu par les chroniqueurs. Guillaume de
Fouille, 111, o02, est le seul à parler du projet de mariage avec le frère
de l'empereur. Quant au projet de mariage avec Constantin, fils de
Michel VII, il est plus connu. Cf. Alexiade, I, 10, p. 49, 12, p. 37, Zonaras,
XVIII, 17, p. 714. Skylitzès II, 720-724. Aimé, VII, 26. Malaterra, III, 13,
Orderic Vital, t. III, p. 166.
Wasiliewski dans le /our/i. du min. de Tinstr. publique russe, t. 182(1873),
p. 270 et suiv., croit ces lettres adressées à Vsevolod laroslavitch. Ses argu-
ments ne sont pas concluants, Bezobrazov u/ou/via/ du min. de linstr.puh.
russe, t. 265, (1888), p. 23 et suiv. se basant sur un manuscrit de la biblio-
thèque Laurentienne, a maintenu l'attribution de Sathasqui me paraît cei'-
taine d'après le l'écit d'Aimé,
262 CHAPITRE XI
et moi ce n'est pas à un homme étranger à ma famille, ce n'est
pas à un parent éloigné que je veux unir votre fille, mais à un
frère, issu du même sang que moi, rejeton de la même race, né
dans la pourpre impériale, enveloppé de langes impériaux, à un
prince auquel Dieu a donné l'empire en même temps que la vie.
Telle est ma pensée, là est pour vous le bonheur,, et la Provi-
dence en dispose ainsi pour notre commun avantage; car grâce
à cela, votre autorité deviendra plus auguste, tous vous admire-
ront et vous envieront la possession d'une pareille magnifi-
cence. »
L'empereur passait ensuite à un autre ordre de considérations
et expliquait à Guiscard les services qu'il attendait de lui en
échange du très grand honneur qui lui était fait par l'admission
de sa fille dans le gynécée impérial. ". Dorénavant donc, en votre
qualité de prince admis aux honneurs d'une alliance avec notre
Majesté, il faut avant tout vous réjouir grandement de ce fait,
considérer l'accord comme vraiment terminé, être le rempart de
nos frontières, épargner les princes qui sont actuellement nos vas-
saux, nous prêter secours en toutes choses et combattre avec
nous tous nos ennemis, vous comporter avec bienveillance vis-à-
vis de ceux qui sont bienveillants à notre égard, haïr nos enne-
mis et les détester; car les lois de l'amitié veulent que chacun de
ceux qu'elle unit prenne les intérêts de son ami comme les siens
propres. »
Ce dernier passage me paraît permettre de dater la lettre avec
une assez grande précision. Quels sont les princes vassaux de
l'empire grec que Guiscard doit épargner ? Il me semble qu'à cet
éo-ardil ne saurait v avoir de doute, et qu'il faut entendre par là
les rebelles de 1072 et H)73. Nous serions donc amenés à placer
la première de ces lettres, soit vers la lin de 1072, soit au début
de 1073. La seconde est antérieure à la naissance du fils de Michel
et de Maria (1074).
Ces premières ouvertures ne furent pas accueillies par Guis-
card et l'empereur désirant de plus en plus s'assurer son appui
lui écrivit de nouveau. Il semble que le basileus ait été très
étonné de voir le duc de Fouille insensible au très grand honneur
qu'il lui faisait en lui proposant de faire entrer sa fille dans la
ROBERT GUISCARD ET MICHEL VII 263
famille impériale. 11 commence par dire à Guiscard que, mainte-
nant, il est affermi sur le trône ; < commencez par me féliciter, ô
vous le plus savant et le plus sag'e de tous les hommes, d'avoir
pris possession dune fa(,'on plus entière et plus parfaite du pou-
voir de mon père et ce, conformément à la volonté divine, avec
l'approbation des prélats et des sénateurs ou pour mieux dire du
consentement unanime de tous mes sujets. •>
Après avoir déclaré que sa relig-ion est la même que celle de
Guiscard, l'empereur s'exprime ainsi : « Il y a encore ime autre
raison qui me fait rechercher votre amitié, c'est que ceux qui ont
conversé avec vous et qui vous connaissent a^ous représentent
comme un homme intelligent, aimant la piété non seulement dans
la voie droite de la foi, mais encore dans la rectitude des affaires;
on vous dit d'un caractère très prudent et très actif, et d'un
esprit simple et enjoué. Me reconnaissant pour ainsi dire moi-
même dans vos manières et dans vos mœurs, je vous offre la
coupe de l'amitié et je veux que, après y avoir mélangé nos com-
muns sentiments, nous buvions tous deux ce breuvaere ; etafm
qu'une convention de celte nature soit parfaite et ne puisse être
confondue, j'ai imaginé un genre d'alliance que j'aurais, sachez-
le bien, hésité à mettre en pratique vis-à-vis de tout autre, mais
que j'ai à cœur de contracter avec vous. Comment se fera cette
alliance? Sur quoi reposera cette concorde perpétuelle? Je veux
m'unir à vous par les liens du sang afin qu'il s'étaldisse entre
nous la plus constante harmonie, et que le nœud de notre
affection ne se compose pas seulement de vaines paroles, mais
qu'il soit formé par la communauté de race, chose qui supprime
toute contestation et met fin à toute opposition, à toute contro-
verse, »
Ce n'est pas un faible honneur que le basileus fait au prince
normand en lui offrant de faire entrer sa fille dans la famille
impériale, et la lettre le souligne : « Les personnes qui doivent
être unies, tant de votre côté que du mien, je leur reconnais la
même légitimité d'origine, étant nées d'un sang roA^al, et sorties
de la souche dont nous sortons nous-mêmes. J'ai [un frère né du
même père et de la même mère que moi, issu du même sang et
ayant la même nature, le renommé seigneur Constantin, dont la
264 CHAPITRE XI
prestance est si belle, s'il faut aussi parler de cet avantage, qu'il
semble être la statue de lEmpire, et qui dépasse en sagesse tous
ceux de son âge; Constantin, né à mon père, non pas avant son
avènement au trône, mais conçu et né après cet événement, et
que Dieu semble avoir destiné de longue date à être l'ornement
de votre famille. Nos sujets grecs appellent Porphyrogénètes les
princes nés dans de pareilles conditions, et ceux qui portent ce
titre le considèrent comme divin. C'est une marque distinctivede
la pourpre impériale, et dans les acclamations publiques on
unit ce nom à celui de l'empereur, et quand on parle du souverain,
on ajoute immédiatement le Porphyrogénète.
« Or, c'est à l'empereur Constantin Porphyrogénète, au frère
chéri de Notre Majesté que je veux unir la plus belle de vos filles,
afin qu'étant la plus jolie elle devienne la compagne du meilleur
et du plus beau, afin que le lien de cette alliance impériale soit
pour nous un lien indestructible d'amitié, et que cette union fasse
régner entre nous une indivisible concorde, afin qu'elle soit dres-
sée devant nous comme une coupe non pas remplie de l'eau qui
coule, mais du sang de la parenté, non de ce sang que répandent
les divisions, mais de celui que l'union solidifie. »
Quels que fussent les brillants avantages offerts à Guiscard
par l'alliance grecque, du moins, d'après l'avis du basileus, le
duc de Fouille se refusa à accepter les propositions qui lui furent
faites. Michel ne se tint pas pour battu, et après la naissance de
son fils, Constantin (1074), il envoya à Guiscard une nouvelle
ambassade chargée de demander la main d'une des filles du duc,
non plus pour son frère, mais pour son fils. Guiscard trouva que
la proposition méritait d'être accueillie, et il accepta l'alliance
proposée. Une de ses filles fut envoyée à Constantinople, où en
entrant dans le gynécée impérial elle prit le nom d'Hélène. Nous
savons par Anne Comnène, dont d'ailleurs il faut un peu se
méfier pour ce genre de renseignements, que la fille de Guiscard
était fort laide, et que Constantin avait peur d'elle comme d'un
masque hideux '.
1. Alexiade, I. 12, p. 62. Anne Comnène ayant épousé Constantin nétait
peut-être pas très impartiale en parlant de la beauté delà première fiancée
de son mari.
l'expédition contre l'empire grec 265
La chute de Michel VII (mars 1078) vint fournir à Guiscard un
prétexte pour intervenir dans les affaires d'Orient. Le rival de
Michel, Botaniatès, relégua dans un monastère la fille de Guis-
card • ; celui-ci, sous le prétexte de défendre la fiancée de Cons-
tantin, se fit le champion de l'empereur détrôné. A peine le traité
conclu avec Grégoire VII avait-il été ratifié, que Guiscard se donna
tout entier à ses nouveaux projets. Ceux-ci rencontrèrent très peu
d'enthousiasme parmi ses vassaux, qui pour la plupart ne se sou-
ciaient pas d'entreprendre une expédition lointaine, dont tout le
profit devait être pour le duc-'. Pour échauffer l'enthousiasme, Guis-
card imagina une véritable comédie. Au milieu de 1080, on vit
paraître à Salerne un Grec, nommé Rector, au rapport d'Anne
Comnène; il se donnait pour Michel VII, échappé du couvent de
Stoudion, où Botaniatès avait fait enfermer son prédécesseur.
Robert qui espérait, à l'aide de ce pseudo-empereur, pouvoir atti-
rer à lui les populations grecques, ainsi que les partisans de
Michel VII, reçut avec honneur le pseudo-Michel et le traita en
véritable empereur 3.
Guiscard sut faire entrer le pape dans ses vues, peut-être en
lui montrant qu'il allait réaliser le projet de croisade qu'il avait
eu à cœur, en 1074. Il obtint de Grégoire VII une lettre auxévêques
de Fouille et de Calabre pour les exhorter à favoriser l'expédition
(23 juillet 1080) '*. Tandis que Robert préparait ainsi son entre-
prise, il cherchait à se créer des intelligences àByzance même. Il
envoya, à la fin de 1080 ou tout au début de 1081, le comte Raoul,
sous prétexte de réclamer satisfaction de l'injure faiteà sa fille, mais
surtout pour s'efforcer de gagner à sa cause Alexis Comnène alors
1. Malaterra, III, 13, dit que Botaniatès fit châtrer Constantin, c'est
invraisemblable puisqu'Alexis le fiança à sa fille.
2. '.Malaterra, III, 13. Alexiacle, I. 14, p. 68 et suiv.
3.;jafîé-L.. 5178. Alexiade, I, 12, p. 57. G. Ap., IV, 162 et suiv. Mala-
terra, III, 13. Anon. Bar. ad an. 1080. Lupus Protospat. ad an. 1080. Zona-
ras, XVIII, 19, p. 722, dit que Michel VII devint évêque d'Éphèseet mourut au
monastère de Manuel. Schwartz, Die Feldziige Robert GuiscarcFs gegen das
byzantinische /?efc/i(Fulda, 1854), p. 3, place sa mort avant le règne d'Alexis
(1081). VAlexiade I, 15, p. 72, prouve que Michel vit encore au début de
1081; Zonaras, XVIII, 19, p. 723, le fait vivre vers 1091. Cf. Chalandon,
op. cit., p. 63, note 4 et p. 137 et suiv.
4. Jaffé-L., 5178, Rome est alors mal avec Byzance; en novembre 1079;
Botaniatès a été excommunié, Mansi, XX, 508.
266 CHAPITRE XI
grand domestique, et peut-être les Normands au service du
basileus '.
Les événements dont Byzance était alors le théâtre, favori-
saient singulièrement les projets du duc. L'anarchie qui régnait
dans l'empire avait amené une série de révolutions de palais.
Michel VII avait été détrôné par Botaniatès, ce dernier fut lui-
même renversé par Alexis Comnène, au moment même où le
comte Raoul revenait de son ambassade. Il semblait que Guis-
card dût rencontrer peu de difficultés dans l'exécution de ses
vastes desseins et que Byzance, occupée par la rébellion de
Comnène, ne fut pas en état de résister à l'invasion normande.
L'événement déjoua les prévisions, et l'empire byzantin eut Fheu-.
reuse fortune de trouver en Comnène l'homme qui mieux que
tout autre était capable de le défendre.
Les préparatifs de Guiscard occupèrent la fin de l'année 1080.
En décembre, Guiscard était à Melfi, où Didier lui apporta sans
doute une lettre du pape lui demandant des secours ~. Dans les
premiers mois de 1081, Guiscard répondit à la demande de Gré-
goire VII et fît une brève apparition du côté de Tivoli. Il dut
laisser au pape des troupes, que celui-ci lui avait demandées '^. En
avril, Guiscard était à Brindisi ; il y fut rejoint par son ambassa-
deur le comte Raoul, qui lui rendit compte de sa mission et
dévoila l'imposture du pseudo-Michel. Guiscard, qui devait par-
faitement savoir à quoi s'en tenir, entra dans une violente colère
contre Raoul qui n'avait pas su entrer dans ses vues. Celui-ci,
pour échapper au courroux du duc, dut s'enfuir près de Bohémond
déjà passé en Ilhrie.
Robert, en effet, avait envoyé son fils occuper la baie d'AvIona
dont le port sûr et profond, parfaitement abrité par l'île de
Suseno et la languette d'Acrocéraunie, offrait un excellent point
de débarquement. Bohémond occupa en outre Canina et Hiéri-
cho ^.
1. Raoul revenait de Constantinople lorsqu'il apprit en route l'avène-
ment d'Alexis, Alexiacle,l. lo, p. 72. Cf. Chalandon, op. cit., p. 64, note 2.
2. Regii neap. arch. monumenta, t. V, p. 430. Reg'. VIII, 7, 436.
3. Annal. Benev., ad an. 1080. Cf. Hirsch, op. cit., p. 77, n. 1.
4. Alexiade, I, 14, p. 70. Cf. Chalandon, op. cit., p. 64 et suiv. pour tout
ce qui est relatif à cette expédition.
l'expéditioin contre l'empire grec 267
Au printemps de 1081, Guiscard était tout entier à sa nouvelle
entreprise ; ce fut en vain que Grégoire VII, menacé par la pro-
chaine venue d'Henri IV, fît appel à son aide pour défendre le
domaine de Sàint-Pierre '. Le pape parut même un instant redou-
ter que le duc de Fouille n'en vînt à traiter avec le roi des
Romains. Ce dernier envoya en effet, dans les premiers mois de
1081, une ambassade auprès de Robert, afin de lui demander
la main d'une . de ses filles pour son fils, Conrad. Guiscard
refusa et fit connaître au pape la demande qui lui avait été faite ;
il exprimait en même temps à Grégoire Vil ses regrets de ne pou-
voir arrêter l'expédition entreprise afin de lui porter secours.
Averti du danger qui allait fondre sur son empire, Alexis
Comnène avait chargé Georges Paléologue, un des plus brillants
généraux deByzance, de la défense de Durazzo, puis, il avait cherché
à envelopper Guiscard dans un réseau d'intrigues et avait entamé
des négociations avec un certain nombre de seigneurs normands ;
Abélard se chargea d'aller rallumer la révolte en Fouille, une fois
que le duc serait parti -. Alexis négocia également avec l'empe-
reur d'Allemagne et conclut avec lui un traité par lequel il s'en-
gageait à lui payer immédiatement 144.000 pièces d'or et lui pro-
mettait deluifaire verser par Abélard216. 000 pièces d'or, lorsqu'il
serait descendu en Fouille. Nous savons que peu après Jourdain
traita avec Henri IV ; peut-être y eut-il une tentative d'Alexis pour
gagner le prince de Capoue -^ ; c'est ce que tendrait à faire croire les
négociations engagéesavec l'archevêque de Capoue, Hervé ^. Enfin
le basileus, par la concession de grands avantages commerciaux,
s'assura l'appui de la flotte vénitienne •^.
A la fin de mai, Guiscard était prêta entrer en campagne •'. 11
laissa à son fils Roger, qu'il désigna comme son successeur éven-
tuel, l'administration de ses Etats, sauf la Calabre et la Sicile,
1. Reg., VIII, 34, p. 485. G. Ap., IV, 171, Alex., I. 13, p. 67.
2. Cf. Chalandon, op. cit., p. 66 et suiv.
3. Petr. Diac, III, 50, Cf. Alex., III, 10, p. 173 et suiv. Cf. Meyer von
Knonau, op. cit., t. III, p. 441 et suiv.
4. Alex., loc. cit.
o. Alex., IV, 2, p. 192. Chalandon, op. cit., p. 71, note 3.
6. G. Ap., IV, 217. Anon. Bar., ad an. Lup. Protospat., ad an.
268 CHAPITRE XI
dont il confia le gouvernement au comte Roger. Robert de Loritello
et Gérard d€ Buonalbergo étaient donnés au jeune prince comme
conseillers, en outre Guiscard ordonna de fournir au pape les
secours dont il pourrait avoir besoin '.
La campag-ne avait mal commencé pour les Normands. Après
ses premiers succès, dont il a été parlé plus haut, Bohémond
avait échoué devant Gorfou et s'était retiré pour attendre son père
à Butrinto -. Guiscard quitta Otrante dans la seconde moitié du
mois de mai 1081. Il est difficile d'évaluer la force de son armée.
Les chroniques nous donnent les évaluations les plus fantaisistes
\J Alexiade donne le nombre de trente mille hommes-^, Orderic Vital
de mille ^, le Chronicon brève normanniciim '^ et Pierre Diacre ^
de quinze mille. Tout ce qu'on peut dire à ce sujet, c'est que le noyau
de cette armée devait être formé des treize cents Normands,
dont parle Malaterra ''.
D" Otrante, Guiscard gagna Avlona et de là se dirigea vers
Gorfou dont il s'empara ^. La facilité de cette conquête et la
méfiance que nous voyons, précisément à ce moment, témoignée
par Alexis aux habitants des îles '•*, me portent à croire que
Robert avait su se ménager des intelligences parmi la population
de l'île, comme il l'avait fait dans les provinces occidentales de
l'Empire. Nous savons en effet que les Ragusains avaient fourni
des vaisseaux au duc de Fouille"' ; de plus, toute la partie bulgare
de la population devait être prête à l'aider par haine des Grecs' ^,
et je serais assez porté à croire que Guiscard avait également négo-
cié avec le roi de Serbie, Bodin, dont la défection devait amener,
i. G. Ap., IV, 186.
2. Alex., I, 15, p. 70. Malaterra III, 24, p. 582. L'étang de Butrinto est à
la hauteur du détroit qui sépare lile de Gorfou de la côte.
3. Alex., I, 15, p. 73.
4. Orderic Vital, 1. VII. 5, t. III, p. 170.
3. Chr. brève norm., ad an. 1080.
6. Pet. Diac, III, 49.
7. Malaterra, III, 24.
8. G. Ap., IV, 200. Malaterra, III, 24. Alex., I. 16, p'. 76, et III, 12, p. 183.
Cf. Chalandon, op. cit., p. 73, note 2.
9. Alex., III, 9, pp. 172-173.
10. G. Ap., IV, 134.
11. Cf. Chalandon, op. cit., p. 5 et suiv.
l'expédition contre l'empire grec 269
lors de la première rencontre, la défaite des Grecs. Enfin, le
pseudo-Michel devait donner aux Normands quelques-uns des
partisans de l'empereur détrôné.
De Corfou, Robert se dirigea vers Durazzo, capitale du thème
d'IUyrie, qu'on a justement appelé la clef de l'Empire vers l'Oc-
cident. La possession de cette ville devait assurer aux Normands
la conquête de toutes les côtes illjriennes. Anne Comnène nous
dit que Bohémond se dirig^ea par terre avec une partie des troupes
vers Durazzo, tandis que Guiscard gagnait la ville par mer '.
Pendant que la flotte longeait la côte au nord du canal de Corfou,
là où le littoral se redresse pour former l'âpre chaîne de la Chi-
mera Mala ou de l'Acrocéraunie, au sommet de laquelle, au dire
des anciens, siégeait Zeus lanceur de foudre, à la base du pro-
montoire le plus avancé, la linguetta qui marque l'entrée de
l'Adriatique '^, la flotte normande eut à essuyer au cap Glossa une
de ces tempêtes terribles si fréquentes dans ces parages et
Robert y perdit un grand nombre de ses vaisseaux. Malgré la
destruction d'une partie de sa flotte, le duc arriva, le 17 juin,
devant Durazzo qu'il assiégea aussitôt par terre et par mer 3.
Tandis que le basileus, prévenu par le commandant de la place,
Georges Paléologue, du commencement des hostilités, rassemblait
des troupes, il reçut à Gonstantinople la nouvelle d'une grande
victoire des Vénitiens. La flotte de la République avait paru dans
les eaux de Durazzo peu après l'arrivée de Robert ; elle s'était
arrêtée au cap Palli, un peu au nord de la ville assiégée, pour se
rendre comte des forces normandes. Sous prétexte de négocia-
tions, les Vénitiens demandèrent à Bohémond de leur accorder
une trêve et mirent à profit le temps ainsi gagné pour se prépa-
rer au combat. Le lendemain de son arrivée, la flotte vénitienne
attaqua la flotte normande, tandis que les assiégés effectuait une
sortie. Les Normands essuyèrent un échec complet ^.
1. Alex., III, 12, p. 183.
2. Reclus, Géographie universelle, t. I, p. 180.
3. Lupus Protospat., ad an. donne comme date le mois de juillet.
Alex., III, 12, p. 183. Cf. Chalandon, op. cit., p. 74, note 1.
4. A/ear.,IV, 2, pp. 191-192. Malaterra, III, 504. G. Ap., IV, 291-312. Cf.
Chalandon, op. cit., p. 74, note o.
270 CHAPITRE XI
Cette défaite pouvait avoir des conséquences désastreuses pour
les Normands, elle permettait aux Vénitiens de fermer la mer
aux secours qui viendraient de l'Italie, en même temps, elle ébran-
lait le prestig^e de Robert aux yeux des populations ^ qui de favo-
rables devinrent hostiles •.
A la suite de la victoire de ses alliés, Comnène à la tête de
toutes les troupes qu'il avait pu réunir, quitta Constantinople en
août 1081 ■-. La concentration de l'armée byzantine s'opéra à
Salonique. A mesure que l'on avançait vers Durazzo, les nouvelles
devenaient plus graves. Sa défaite sur mer n'avait pas empêché
Guiscard de continuer le siège et de bloquer étroitement la ville;
au bout de trois mois de siège, la situation de la place assiégée
était fort précaire, bien que les habitants eussent réussis à incen-
dier les machines de guerre construites par les Normands.
L'année de secours conduite par Alexis arriva, le 15 octobre,
dans la A-allée du Charzane, tout près de Durazzo -^ L'empereur
entra aussitôt en communication avec la place assiégée, et Paléo-
logue réussit à venir au camp impérial, en traversant les lignes
ennemies. Comnène avait cherché à cacher à Guiscard l'approche
de l'armée de secours, mais des éclaireurs turcs faits prisonniers
apprirent aux Normands l'arrivée du basileus. Celui-ci, malgré
l'opposition de toute ime partie des généraux, se décida à livrer
bataille au duc de Fouille, au lieu de bloquer les Normands dans
leur camp, comme on le proposait.
Le 18 octobre, le combat s'engagea ; Guiscard, pour exciter le
courage de ses soldats, fît brûler tous ses vaisseaux. Alexis avait
ordonné à la garnison assiégée de faire une sortie au moment de
l'attaque. Ce plan parut d'abord devoir assurer l'avantage aux
Byzantins; mais les Normands, qui reculaient devant les Anglais
au service du basileus, se rassemblèrent à la voix de Sykelgaite et
1. Alex., IV, 3, p. 193.
2. Alex., IV, 4, p. 197. Lup. Protospat., ad an. 1082. G. Ap., IV, 312.
Malaterra, II, 37.
3. Alex., IV, o, p. 203. Cf. pour tout ce qui suit, Chalandon, op. cit., p. 78
et suiv., et B Dentzer, Topographie (1er Feldziige Robert Guiscards gegen
das hyzantinisclie Reich, tiiage à part de Festchrift des geographischen
Seminars der Universitàt ^Bresslau. 1901 i, in-S".
l'expédition contre l'empire grec 271
revinrent au combat. La trahison du roi de Serbie, Bodin, et des
auxiliaires turks qui se retirèrent sans prendre part k l'action,
entraîna le déroute complète de l'armée impériale. Comnène sans
suite et sans escorte erra plusieurs jours à travers les montag-nes.
Pendant qu'il s'enfuyait vers Ochride, il écrivit aux défenseurs
de Durazzo pour les encourag-er à la résistance. La situation de
la ville était critique, car Durazzo se trouvait alors privé de son
chef, Paléologue, qui n'avait pu rentrer dans la place. Alexis
confia la défense de la citadelle à la colonie vénitienne établie
dans la ville et celle du reste de la place à un Albanais.
La victoire, remportée devant Durazzo, donnait à Guiscard
toutel'Illyrie, car la prise de la ville n'était plus qu'une question
de temps, et Robert n'avait rien à redouter de l'empereur, qui cher-
chait en vain à rassembler une nouvelle armée. Guiscard s'établit
à Deabolis d'où il continua à maintenir le blocus de Durazzo. Le
21 février 1082, la trahison donnait aux Normands entrée dans la
place assiégée ^ . D'après YAlexiade, les Vénitiens et les Amalfitains
qui formaient la majorité de la population de Durazzo, effrayés
par la perspective d'un long- siège, auraient rendu la ville. D'après
les chroniqueurs normands, un Vénitien livra Durazzo à Guiscard,
sur la promesse que celui-ci lui donnerait une de ses nièces en
mariage. Tout semblait donc devoir favoriser le conquérant
normand ; lorsque, au printemps 1082, il se remit en campag'ne, la
marche sur Constantinople ne paraissait pas offrir de grandes
difficultés.
On croyait la situation de l'empire désespérée ; tout tremblait
devant l'invasion, et beaucoup de soldats et d'officiers grecs pas-
saient à l'ennemi. Guiscard n'eut qu'à paraître devant Kastoria pour
voir la garnison lui laisser la place ; il soumit sans combat tous
les environs -. Mais soudain les nouvelles venues d'Italie vinrent
arrêter le duc dans sa marche en avant ; les intrigues d'Alexis
avaient porté leurs fruits.
Les succès, qu'il avait remportés en Allemagne, permirent k
1. Malaterra,III, 27-28, G. Ap., IV, 449; Anon.Bar., ad an. 1082; Lupus
Protospat., ad an. 1082, donne janvier; Alex., V, 1, p. 223.
2. Malaterra, III. 29.
272 CHAPITRE XI
Henri IV de descendre en Italie, en 1081 '. Il emmenait avec lui
Guibert, archevêque de Ravenne, quil avait fait élire pape au
mois de juin précédent. Guibert avait pris le nom de Clément III.
Henri IV avait été obligé de laisser des troupes en Allemagne
et descendit en Italie avec une armée peu nombreuse, espérant,
semble-t-il, qu'une alliance avec Guiscard lui fournirait les sol-
dats dont il avait besoin. Nous avons vu que les tentatives faites
à ce sujet échouèrent, elles avaient néanmoins fort inquiété Gré-
goire Vil, qui craignait que la nouvelle de la défection de Guiscard
ne jetât le découragement parmi les Romains. Le 22 mars 1081,
Henri IV parut devant Rome et campa dans les prés de Néron,
mais il n'obtint aucun avantage et fut peu après obligé de retour-
ner en Lombardie.
La venue de l'empereur n'avait pourtant pas été inutile et le
bruit de la prochaine chute de Rome s'était répandu dans l'Italie
méridionale, où tous les sujets des Normands formèrent, au
dire de Pierre Diacre, le projet de passer à 1 empereur et de se
soulever contre leurs maîtres. II me paraît qu'il faut entendre
ce que nous dit Pierre Diacre seulement des Lombards des
anciennes principautés de Capoue et de Bénévent, car il ne semble
pas que l'idée d'une alliance avec Henri IV soit venue aux villes
du midi '-.
Les Normands eurent connaissance du projet de rébellion et
entamèrent eux-mêmes des négociations avec Henri IV. Ce fut
Jourdain de Capoue qui les dirigea. Dès que Grégoire VII en
eut connaissance, il excommunia Henri, Jourdain et leurs par-
tisans 3. Jourdain obtint de l'empereur l'investiture de la princi-
pauté de Capoue.
Cependant, au début de 1082, Henri reparut devant Rome ; ce
nouveau siège n'eut pas plus de résultat que le précédent, mais
Henri IV en se retirant, en mars, laissa, à Tivoli, l'antipape Clé-
ment III, auquel il confia des troupes pour continuer les hostilités
contre Grégoire VII. Celui-ci était très inquiet, il avait vu les
1. Meyer von Knonau, op. cit., t. III. p. 345 et suiv
2. Pet. Diac, III, 50.
3. Reg.,VIII, 49, p. 501.
RETOUR DE GUISCARD EN ITALIE 273
Normands passer à l'empereur; ceux-ci avaient décidé Tabbé du
Mont-Cassin à venir trouver Henri IV, à Albano ; le malheureux
Didier, partagé entre l'intérêt de l'Eglise, celui de son abbaye et
le sien propre, jouait un rôle fort louche que l'on devait certai-
nement interpréter à Rome dans le sens le plus défavorable '. En
même temps, le pape voyait ses partisans persécutés et craignait
une alliance de Naples avec le prince de Capoue. En cette occur-
rence, il ne pouvait guère compter sur l'aide du comte de
Sicile, occupé par une révolte partielle de ses Etats; le fils de
Guiscard, Roger, n'était pas davantage en état d'intervenir dans
les affaires romaines. Les intrigues d'x\lexis avaient en effet
réussi à amener en Fouille un soulèvement, dont Abélard et Her-
mann furent les chefs. Le dernier nommé s'empara de Cannes,
tandis que Geoffroi de Conversano assiégeait Cria. En même
temps, Bari se révoltait à son tour, ainsi que Melfi ; Troia et
Ascoli se soulevaient contre Roger, fils de Guiscard. Henri,
comte de Sant' Angelo paraît également avoir cherché à secouer
l'autorité du duc •^.
Grégoire VII ^ écrivit donc à Robert pour lui rappeler ses
promesses et lui demander son aide. La missive qu'il envoya
n'était pas scellée de sa bulle, car il craignait, explique-t-il,
que si la lettre tombait entre les mains de ses ennemis, ceux-
ci n'abusassent de son sceau.
En recevant ces nouvelles, Guiscard se décida immédiatement
à revenir. Laissant le commandement de l'expédition à Bohémond,
il s'embarqua et, seulement avec deux vaisseaux, gagna Otrante
(avril 1082). A la tête des troupes de son fils Roger, il gagna
aussitôt Rome ; il voulait, cela paraît évident, empêcher la jonc-
tion d'Henri IV avec les rebelles de la Pouille. Quand Guiscard
arriva devant Rome, Henri IV était déjà parti pour la Lombar-
die, laissant à Tivoli l'antipape Clément III avec une grande
1. Cf. Hirsch, op. cit., p. 82, note 1.
2. Malaterra, III, 30, p. 685.
3. G. Ap., IV, oOb et suiv. A?ion. Bar., ad 1083. Malaterra, III, 34; cf.
di Meo, op. cit., t. VIII, p. 228.
4. Reg., VIII, 40, p. 491.
Histoire de la. domination normande. — Chai-andox . J8
274 CHAPITRE XI
partie des troupes allemandes ' ; Robert put donc retourner
en Fouille. La nouvelle de son arrivée avait suffi pour décider
Geoffroi de Conversano à lever le siège d'Oria ~. Nous sommes
très mal renseignés sur toute cette période. Guiscard dut con-
duire une série d'expéditions pour venir à bout des rebelles qui
s'étaient dispersés. Avant le mois de septembre, la situation
parut à Abélard si compromise qu'il partit pour Constantinople,
afin de chercher des secours auprès de l'empereur grec 3. Dès le
début de 1083, Guiscard était de nouveau maître delà ville de Bari,
à laquelle il imposa une lourde contribution. En mai, il alla
assiéger Cannes où s'était réfugié Hermann ; la place tomba
entre les mains du duc de Fouille, le 10 juin ''. Le mois suivant
Guiscard, aidé de son frère Roger, alla ravager les terres de Jour-
dain de Capoue, mais cette expédition ne dut pas donner de
grands résultats, car le comte Roger fut rappelé en Sicile par la
révolte de son fils, Jourdain •'.
Dès ce moment, Guiscard s'occupa d'organiser, pour le printemps
suivant, une expédition contre Henri IV '\ Il semble étonnant, au
premier abord, que Robert ne soit pas intervenu dans les évé-
nements dont nous allons voir que Rome fut le théâtre pendant
toute l'année 1083. Il faut, pour comprendre sa conduite, songer
qu'il fut tenu, pendant les six premiers mois de l'année, par la
révolte de la Fouille et que, au moment où il se dirigeait vers le
nord, il se vit enlever les soldats du comte de Sicile. A la fin de
1083, Guiscard, dont presque toutes les troupes étaient en Grèce,
devait avoir très peu d'hommes avec lui; c'est ce qui explique son
intervention tardive à Rome.
Henri IV, en etfet, avait reparu devant la ville éternelle, vers le
début de 1083, et en avait de nouveau recommencé le siège. 11
campait dans les prés de Néron ^. Durant tout l'hiver et le prin-
1. Lupus Protospat., ad an. 1082; Romualdde Salerne, M.G.H.SS., t. XIX,
p. 410. Cf. Bonizo, loc. cit., t. I, p. 613.
2. Malaterra, III, 34.
3. Lupus Protospat., ad an. 1082.
4. Ibid., ad an. 1083. Anon. Bar., ad an. 1083.
T). Malaterra, III, 35, 36.
6. Ibid., III, 3o.
7. Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 470 et suiv.
HENRI IV ET GRÉGOIRE Vil 275
temps, il ne remporta aucun avantage notable, mais enfin, le
2 juin 1083, il réussit à occuper la cité Léonine, et Grégoire VII
dut se réfugier au château Saint-Ange. Guiscard, pour les raisons
que j'ai exposées, ne pouvait secourir le pape dont la situation
parut très compromise. Mais s'il ne vint pas, Guiscard envoya à
Grégoire VII de l'argent, dont celui-ci se servit pour gagner les
Romains ^ Cependant le découragement prenait même les parti-
sans les plus fidèles de Grégoire VII ; Hugues de Cluny et Didier
cherchaient à amener un accommodement. Il semble qu'Henri IV
ait accepté cette idée; sans doute, il devait se rendre compte de la
pauvre figure que faisait son pape en face de Grégoire VII. Seul,
ce dernier, supportant les revers avec une énergie indomptable,
se refusait à tout accord, tant qu'Henri IV ne se serait pas
soumis. On finit pourtant par convenir qu'un synode serait tenu
à Rome, dans le courant de novembre, pour juger du débat
entre le pape et l'empereur. Celui-ci promit de laisser venir
au concile tous les évêques, mais, en même temps, il cherchait
à gagner des partisans dans Rome, en disant qu'il voulait
recevoir la couronne impériale des mains de Grégoire VII -'. II
réussissait ainsi à jeter sur le pape tout l'odieux de la continua-
tion des hostilités, Henri obtint des chefs de l'aristocratie
romaine que, à une certaine date, on le couronnerait, avec ou
sans l'assentiment de Grégoire VII, et se fit livrer des otages.
L'empereur s'éloigna pendant l'été ; il revint au moment du con-
cile. Malgré que la situation fut presque désespérée, Grégoire VII
était plus que jamais décidé à ne pas céder à l'empereur, qui,
pour se créer dans le concile une majorité, avait empêché les
partisans les plus connus du pape de venir à Rome. Celui-ci,
malgré les supplications de son entourage, ne craignit pas,
le 20 novembre, d'excommunier de nouveau l'empereur pour
n'avoir pas laissé les évêques se rendre au concile -^
Henri IV revint vers la fin de l'année; c'était le moment que
les Romains lui avaient fixé pour son couronnement ; ils furent
1. Lupus Protospat., ad an. 1082.
2. Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 487.
3. Id., op. cil., t. III, p. 498.
276 CHAPITRE XI
obligés de faire connaître au pape le serment qu'ils avaient fait,
en disant pour s'excuser, qu'ils avaient promis à Henri IV, non
pas que le pape lui donnerait une solennelle consécration, mais
seulement qu'il lui donnerait la couronne. Le pape les releva de
leur serment et déclara qu'il était prêt à donner à Henri IV la
couronne « avec justice ». Nous ne savons pas à quelle cause
il faut attribuer le revirement qui eut lieu alors chez les Romains;
peut-être fut-il dû à l'argent envoyé par le duc de Fouille.
Le débat se prolongeait donc sans qu'on pût entrevoir comment
on arriverait à une solution Au début de 1084, Henri voulut
enlever au pape l'espoir qui lui restait d'une intervention de
Guiscard et quitta Rome pour descendre dans l'Italie du Sud '.
Il fut brusquement rappelé par une ambassade des Romains, qui,
fatigués de la lutte, lui firent otfrir de lui remettre la ville '. Le
21 mars 1084, Henri faisait son entrée dans Rome par la porte
Saint-Jean ; le 24, il faisait couronner l'antipape. Clément III,
après avoir fait déposer Grégoire VII, et, le jour de Pâques
(31 mars), il recevait dans la basilique de Saint-Pierre la cou-
ronne impériale des mains de Clément III, puis s'installait au
Latran.
Cependant Grégoire ^'1I tenait toujours dans le château Saint-
Ange et ses partisans occupaient encore le Palatin et le Capitole -^
Le pape, voyant l'imminence du danger, envoya à Guiscard Jaren-
ton, abbé de Saint-Bénigne, et quelques cardinaux pour lui deman-
der prompte assistance '\ Pendant ce temps, l'empereur réussissait
à occuperle Palatin et le Capitole ^. II lui fallut assez longtemps pour
terminer ces sièges et il semble qu'il n'ait pas encore été complè-
tement maître de la ville, quand, au début de la seconde quinzaine
de mai, il reçut de l'abbé du Mont-Cassin l'annonce de l'arrivée
prochaine de Guiscard à la tête d'une armée formidable. Désireux
1. Meyer, vouKnonau, op. cit., t. III, p. 522 et suiv.
2. Cf. Bernold, ad an. 1084, dans M. G. H. SS., t. V, p. 440.
3. Pet. Pis., éd. Watterich, op. cit., t. I, pp. 306-307.
4. Hugues de Flavigny, M.G.H.SS., t. VIII, p. 462; Donizo, Vita Mathil-
dis, II, 224, M.G.H.SS., t. XII, p. 384; Landolf, Hist. Mediol., III, 33,
M.G.H.SS., t. VIII, p. 100.
î). Cf. Stumpf, op. cit., n" 2865.
PRISE DE ROME PAR LES NORMANDS 277
de ne pas se compromettre, Didier faisait en même temps aver-
tir Grégoire VII.
II est certain que Guiscard ne voulut pas marcher contre
Henri IV avant d'être certain du succès. II avait mis le temps
à profit et, résolu à en finir avec les Romains et les Allemands,
il s'avançait à la tête d'une armée que l'on doit évaluer au moins
à trente mille hommes '. Henri IV n'attendit point le duc de
Fouille ; il avait quitté la ville, depuis trois jours, quand, le
24 mai, l'armée normande vint camper sous les murs de Rome
devant la porte Saint-Jean, près de l'Aqua Marcia "-. Les Nor-
mands demeurèrent trois jours sans attaquer. La g-arnison impé-
riale se concentra dans la région du Latran. Tandis que toute
lattention des Allemands était portée de ce côté, Guiscard, sans
doute pendant la nuit, tourna la ville et amena ses troupes devant
la porte Flaminienne ; en même temps, un corps de cavaliers, aidé
par quelques Romains, pénétrait par la porte San Lorenzo et
traversant la ville, sans rencontrer de résistance, venait ouvrir à
l'armée la porte Flaminienne. Au bruit de l'entrée des Normands
dans Rome, la garnison allemande se porta du Latran vers les
quartiers envahis, tandis que les Romains du parti de l'empe-
reur prenaient les armes. Une bataille terrible s'engagea dans la
région du Champ-de-Mars et dans la Via Lata. Les Normands
voulaient gagner le château Saint-Ange et pour empêcher les
habitants de leur disputer le passage, ils incendièrent tous les
quartiers qu'ils traversèrent-^. « Les Fîomains ne purent rien et
Robert détruisit et réduisit à néant tout le quartier où se trouvent
les églises San Silvestro et San Lorenzo in Lucina ». Guiscard
ayant réussi à atteindre le château Saint-Ange, délivra Gré-
goire VII qu'il remit en possession des basiliques de Saint-Pierre
et de Saint-Jean. A travers les ruines encore fumantes, le pape
au milieu des escadrons normands fut conduit au Latran.
1. Wido Ferr., c. 20, dans Libelli de lite, etc., t. I, p. 549. G. Ap., IV,
565; Pet. Diac, III, o3.
2. Wido, loc. cit., p. 549; Malaterra, III, 37; Lih. Pont., t. II, p. 290;
Petr. Diac, III, 53. Berthold de Constance paraît indiquer qu'Henri IV fut
battu par Guiscard, AA.SS., t. VI, mai, p. 147.
3. Lih. Pont., t. II, p. 290. Wido, op. cit.. p. 549.
278 CHAPITRE XI
Ce premier sac de Rome devait avoir un lendemain. Guiscard
avait établi ses troupes dans les environs du Latran ; il est pro-
bable que le pillag-e de la ville durait toujours, quand les Romains
se soulevèrent et blessèrent un soldat normand ' . La lutte reprit
alors partout; on se battit particulièrement du côté du Golisée et
du Latran; Guiscard, surpris, ne dut son salut qu'à l'arrivée des
cavaliers de Roger; la ville fut mise à feu et à sang-, tous les
quartiers a voisinant le Latran et le Golisée furent incendiés. Un
grand nombre d'habitants furent massacrés; beaucoup d'églises
détruites, et les femmes enchaînées furent violentées et conduites
au camp normand oîi on les vendit comme esclaves, ainsi qu'un
grand nombre d'habitants -.
Guiscard s'arrêta peu à Rome ; en compagnie de Grégoire VII. il
entreprit de soumettre la campagne romaine. Il échoua devant
Tivoli, où était l'antipape, et se contenta d'incendier tous les envi-
rons, brûlant les maisons et les moissons et coupant les arbres '■^.
Il reprit Sutri et Nepe et rentra à Rome, le 28 juin. Les succès
remportés à la même époque parla comtesse Mathilde achevèrent
la défaite d'Henri IV.
Gependant Guiscard ne songeait qu'à reprendre ses projets de
conquête contre les Grecs. Grégoire VII, d'autre part, ne pou-
vait demeurer à Rome à cause de la haine que lui avait attirée
l'incendie de la ville; il partit donc avec le duc, qui le conduisit
au Mont-Cassin, à Bénévent et enfin à Salerne, où il devait
demeurer jusqu'à sa mort '*.
Le départ de Guiscard avait amené l'échec complet de l'ex-
pédition commencée contre l'empire grec. Le retour du duc de
Pouille en Italie paraît avoir modifié le plan de campagne de
l'armée normande; nous voyons, en effet, Bohémond interrompre
aussitôt après le départ de Robert la marche en avant. Il est
probable qu'il obéit aux ordres de son père, qui dut lui
prescrire de mettre à profit son absence pour occuper et sou-
1. Cf. Berthold de Constance, dans AA.SS., t. VI de mai, p. 147.
2. Bonizo, loc. cit.
3. Wido Fer., loc. cit.
4. Sur rincendie de Rome, cf. les vers d'Hildebert de Tours, dansGrego-
rovius, Storia délia città di Roma net medio evo (Rome, 1900), t. Il, p. 349.
l'expédition contre l'empire grec 279
mettre les provinces occidentales de l'Empiie grec, et d'attendre
son retour pour marcher sur Constantinople. Bohémond quitta
donc Kastoria, au printemps 1082, pour aller mettre le sièg-e
devant Joannina. C'est précisément dans cette région qu'ha-
bitaient les Valaques avec qui Guiscard avait eu probable-
ment des rapports en 1066 '. Comme nous savons, par ailleurs,
que les Valaques, étaient peu soumis à l'empire grec, on est, je
crois, en droit de supposer qu'il y eut entente entre eux et les Nor-
mands, car autrement la conduite de Bohémond, qui, pour aller de
Kastoria vers Joannina, franchit la chaîne du Grammos en lais-
sant derrière lui toute une série de places encore aux mains des
Grecs, s'expliquerait difficilement. Il est probable que sachant
pouvoir compter sur l'appui des Valaques, Bohémond se dirigea
de ce côté afin d'avoir, vers le sud, une base d'opération solide,
comme celle que Durazzo lui fournissait au nord.
Dans le courant de mars 1082, Alexis Comnène avait réussi à
rassembler une nouvelle armée et se tenait prêt, depuis lors, à
entrer en campagne. Au mois de mai, le basileus apprit que
Bohémond avait mis le siège devant Joannina et ravageait la
région voisine; il alla aussitôt au secours de la place assiégée et
vint présenter le combat à Bohémond. Instruit par sa première
défaite de la solidité des rangs normands, Alexis modifia l'ordre
de bataille des troupes grecques. Il imagina, en outre, de lancer
sur l'ennemi des chars munis de longs pieux, destinés à rompre
les files des fantassins. Bohémond, sans doute prévenu, changea
l'ordre de bataille de son armée et le stratagème d'Alexis fut
complètement inutile. Comme devant Durazzo, les Grecs furent
vaincus. Bohémond remporta peu après une nouvelle victoire;
près d'Arta, il défit complètement une nouvelle armée que
Commène avait réussi à lever.
Ces défaites successives avaient tellement affaibli les B3'zan-
tins que Bohémond put sans inconvénient diviser ses forces afin
d'occuper plus rapidement le pays. Les habitants croyant à la
chute définitive de l'Empire se donnèrent aux Normands.
1. Cf., sur toute cette campagne d'Alexis Comnène et de Bohémond,
Chalandon, op. cit., p. 85 et suiv.
280 CHAPITRE XI
Ochride même, le foyer de rhellénisme dans cette rég-ion et la
résidence de l'archevêque de Bulgarie, passa à l'ennemi.
Tandis que Bohémond va lui-même occuper cette place impor-
tante, il envoie Pierre d'Aulps, qui devait peu après entrer au ser-
vice de Byzance et fonder à Constantinople une famille illustre,
occuper les deux Polobos. Pendant ce temps, Raoul de Pontoise
s'installait à Skopia, j^lace qui commande le haut bassin du
Vardar. Bohémond, établi à Ochride, ne put s'emparer de la cita-
delle, défendue par l'Arménien Ariebès ; il échoua ég-alement
devant Ostrovo, mais prit Veria, Servia, Bodena et Moglena
où il laissa des garnisons; puis, se dirigeant vers la vallée du
Vardar, il alla camper à Aspra Ecclesia, où il séjourna trois
mois. Pendant ces opérations, les troupes grecques, n'étant pas
assez fortes pour courir les chances d'une bataille, restèrent en
observation.
Tandis que Bohémond occupait ainsi le pays, Alexis Comnène
n'était pas inactif, et je crois qu'il faut voir le résultat de ses
intrigues dans la conjuration de trois des principaux officiers de
Bohémond, Raoul de Pontoise, Renaud et Guillaume. Décou-
verts, deux des conjurés furent pris et punis ; seul Raoul de Pon-
toise put gagner Byzance, où il prit du service.
Continuant le cours de ses conquêtes, Bohémond occupa suc-
cessivement Pélagonia, Tzibikon et Trikala. De Trikala il envoya
des troupes bloquer Larissa, où il voulait hiverner. Lui-même
vint assiéger cette place, qui, défendue par Léon Kephalas, résista
six mois, La campagne, dont je viens d'indiquer les grandes
lignes, avait rendu Bohémond maître de toute la région monta-
gneuse, qui forme l'Albanie et la Thessalie ; elle remplit, sans
doute, l'été et l'automne 1082, et ce dut être au début de l'hiver
que commença le siège de Larissa. Au printemps 1083, Alexis
tenta avec une armée de secours de faire lever le siège de
Larissa; en arrivant près de Trikala, le basileus apprit la détresse
où était la place assiégée, qui commençait à manquer de vivres.
Les rencontres précédentes faisaient craindre à Comnène une
bataille rangée; il eut donc recours à un stratagème. Ayant revêtu
son beau-frère Mélissénos des insignes impériaux, il alla se placer
en embuscade. Bohémond, croyant que le gros de l'armée était là
SL'CCÈS d'aLEXIS l*"" COMMÈNE 281
OÙ il apercevait l'empereur, attaqua les troupes conduites par
Mélissénos. Celles-ci s'enfuirent au premier choc; tandis que les
Normands étaient occupés à les poursuivre, le reste de l'armée
grecque, avec l'empereur, tombait sur le camp de Bohémond et
s'en emparait. Le fds de Guiscard ne put réparer cet échec et fut
obligé de lever le siège. Il réussit pourtant à se retirer sans
être inquiété jusqu'à Kastoria.
Les conséquences de ce premier succès remporté parle basileus
furent considérables : les Normands perdirent toute la Thessalie.
Comnène ne voulut pas compromettre cet avantage en courant
les chances d'une seconde bataille. D'ailleurs les circonstances
le favorisaient et lui fournirent un champ d'opérations moins
dangereux et plus approprié à son talent de négociateur. Les
causes de mécontentement étaient nombreuses parmi les Nor-
mands ; depuis longtemps les soldats ne touchaient plus de solde
et les campagnes successives qu'ils venaient de faire ne leur
avaient pas rapporté de grands bénéfices. Alexis, instruit de
le fait, fit travailler les troupes par ses émissaires ; il pro-
mit honneurs et richesses à ceux qui passeraient à son service ;
ses menées réussirent à faire réclamer par les Normands leur solde,
en retard de plusieurs années; Bohémond, qui n'avait pas d'ar-
gent, se vit contraint de retourner en Italie pour tenter de trouver
la somme nécessaire au paiement de l'arriéré. 11 partit laissant
ses lieutenants, Bryenne à Kastoria, et Pierre d'Aulps à Polobos.
A peine Alexis apprit-rl l'heureux succès de ses intrigues,
qu'il songea à pousser plus loin ses avantages. Kastoria était
une des places importantes de la Macédoine et le basileus tenait
à ne pas la laisser aux mains des Normands. Il vint attaquer la
ville, qui demanda bientôt à se rendre. La plupart des soldats de
Guiscard entrèrent au service de l'empereur; Bryenne, presque
seul, refusa les propositions qui lui furent faites et regagna son
pays, après avoir pris l'engagement de ne plus porter les armes
contre l'Empire. La prise de Kastoria est d'octobre ou de
novembre 1083.
La fortune avait définitivement tourné en faveur du basileus,
car, l'été de la même année, une flotte gréco-vénitienne avait paru
devant Durazzo et enlevé la ville aux Normands. Tous les résul-
tats de l'expédition de 1082 étaient donc perdus.
282 CHAPITRE XI
Les événements que nous avons rapportés plus haut empê-
chèrent Guiscard de veng-er immédiatement les revers subis par
ses soldats. Mais à peine en eût-il fini avec l'empereur germa-
nique qu'il commença les préparatifs dune nouvelle expédition.
A l'automne 1084, tout était prêt; le duc, ayant réuni une flotte
de 150 vaisseaux, s'embarqua à Otrante. Guiscard trouva que
ses États étaient suffisamment pacifiés pour lui permettre d'em-
mener ses trois fils Bohémond, Rog-er et Guy; ce dernier, gagné
par Alexis, était tout disposé à trahir son père.
Le duc envoya Roger et Guy occuper Avlona; lui-même, avec
le gros de l'armée, se dirigea vers Butrinto. Il voulait aller à
Gorfou, qui était retombée aux mains des Grecs, mais l'état de la
mer le retint deux mois à Butrinto (jusqu'en novembre). Quand
il arriva vers lile, il y trouva la flotte vénitienne. La République
avait trouvé son compte à secourir l'empire grec, les années
précédentes, et, à la première demande d'Alexis, elle envoya sa
flotte joindre celle des Grecs. Mais déjà Guiscard avait traversé.
Les flottes alliées étaient au cap Passaron, sur la côte orientale de
l'île, tandis (jue celle de Guiscard était à Gassiope. Ce fut là que
les navires grecs et vénitiens vinrent attaquer les Normands.
Ceux-ci furent battus deux fois à trois jours d'intervalle. Tan-
dis que les Vénitiens, croyant tout terminé, envoient annoncer
ce succès à Venise, Guiscard, avec les vaisseaux qui lui restaient,
attaque à l'improviste la flotte ennemie dont les navires étaient
dispersés et remporte devant Corfou une victoire complète.
D'après Anne Comnène, il y aurait eu 13.000 tués et 2.S00 pri-
sonniers. Ce succès inespéré permit au duc de reprendre Cor-
fou; il alla ensuite prendre ses quartiers d'hiver sur les bords
du Glykys, mit ses vaisseaux à terre et gagna Bundicia.
Durant l'hiver, une épidémie terrible ravagea l'armée normande.
Bohémond malade fut obligé de retourner en Italie. Au début de
1085, l'expédition se trouva très affaiblie. Pourtant au commen-
cement de l'été, Robert envoya son fils, Roger, occuper Képhalo-
nie. Au bout de quelque temps, il se mit lui-même en route pour
aller prendre le commandement de l'expédition, mais il tomba
malade, et fut obligé de s'arrêter au promontoire d'Ather, à l'ex-
trémité nord de l'île. C'est là qu'il mourut le 17 juillet 1085,
MORT DE GUISCaRD 283
entouré de Sykelgaite et de Roger, son fils, qui, à la nouvelle de
la maladie de son père, avait quitté son camp pour se rendre
auprès de lui '.
Avec Guiscard se clôt ce que l'on pourrait appeler la période
héroïque de l'histoire des Normands d'Italie. Sans doute son fils
Bohémond entreprendra des guerres lointaines, mais la première
croisade n'est plus une expédition purement normande, elle est
internationale ; et quand Bohémond viendra en Occident combattre
les Byzantins, il agira comme prince d'Antioche plus que comme
seigneur de Tarente.
De son mariage avec Sykelgaite, Guiscard laissait trois fils :
Roger, Guy et Robert, et au moins sept filles-: Hélène, la fiancée
de Constantin ; Mabille, qui avait épousé Guillaume de Grantmes-
nil; Sibille, qui épousa Ebles, comte de Roucy 3; une quatrième
fille, dont nous ne savons pas le prénom, qui épousa Hugues, fils
du marquis d'Esté, Azzon; Mathilde, qui épousa Raimond Béran-
ger H, comte de Barcelone, et en secondes noces Aimeri P"",
vicomte de Narbonne^; Cécile, et Gaitelgrime, qui épousa Dreux,
puis Anfroi\ De son mariage avec Auberée, Guiscard avait eu
Bohémond.
Sykelgaite avait su prendre une très grande influence sur Guis-
card, elle paraît avoir d'ailleurs été tout à fait la femme qui
convenait à Robert et plus d'une fois les chroniques mentionnent
la part qu'elle prit aux combats livrés par son mari. L'ascendant
qu'elle conquit sur Guiscard lui permit de faire, à diverses
reprises, désigner par celui-ci, comme successeur, son fils, Roger,
1. G. Ap., V, 295.
2. Malaterra, IV, 8, 21 ; Hist. invent. S. Sahini, AA. SS. 9 février, p. 330;
Aimé, VIII, 33; Alex., I, 62. Ughelli, op. cit., t. IX, p. 292. Muratori,
Ant. It., t. I, p. 900. Cf. le diplôme de Sykelgaite, de décembre 1089,
ind. Xll, donnant à l'archevêque de Palerme la dîme des Juifs de cette ville,
dans Mongitore, Bullae privilégia et instrumenta Panorniitanae metropoli-
tanae ecclesiae, p. 6. Cf. Ducange, Les familles normandes, pp. 347-349.
3. Roucy, dép. de l'Aisne, arrond. de Laon.
4. Cf. AA.SS., 9 février, p. 329; Histoire de Languedoc (n. éd.), t. III,
pp. 433, 504, 568, 575, 614, et t. IV, pp. 250 et 479.
5. Gaitelgrime est mentionnée dans un diplôme de 1086. Archives de la
Cava, C. 2. Cf. Muratori, Ant. It., t, V, p. 786. Sur Cécile, cf. Cod. dipl.
Bar., t. V, p. 20,
284 CHAPITRE XI
au détriment de Bohémond, mesure qui devait amener une
long-ue période de troubles.
Guiscard, en mourant, laissait ses Etats absolument pacifiés, il
avait réussi, on a vu avec quelles difïicidtés, à se faire recon-
naître comme suzerain par tous les seig-neurs de l'Italie du Sud.
C'est à lui qu'il convient de faire honneur de la fondation de
l'Etat normand d'Italie, car c'est lui qui le premier eut Tidée, qu'il
réussit à réaliser, de réunir en un seul Etat les divers comtés
établis par ses compatriotes. Il put arriver à s'imposer parce que,
après la mort d'Onfroi, il avait su se créer une force militaire
considérable qui, jointe à celle que lui laissa son frère, lui per-
mit dès le début de se faire obéir. Plus tard, son alliance avec
Rog-er de Sicile contribua beaucoup à l'établissement définitif de
sa suprématie. Très fin politique, Guiscard sut tirer un merveil-
leux parti des besoins de la papauté. Que de chemin parcouru de
la bataille de Civitate à la sortie de Grégoire VII de Rome, en
1084! Ce fut par sa conduite envers la papauté que Robert arriva
à faire légitimer ses conquêtes. Il n'est pas besoin d'insister sur ses
talents militaires, toute son histoire en fournit la preuve la plus
éclatante. L'organisation qu'il sut donner à ses Etats ne fut pas
moins remarquable, comme on le verra ailleurs '. D'un caractère
absolu, Guiscard sut maintenir dans sa famille l'obéissance la
plus parfaite; pas un de ses fils ne se révolta contre lui. Avec
Guiscard se termine la période brillante du duché de Fouille, et
la décadence commence. Il allait s'écouler près d'un demi-siècle
avant que la fondation du royaume de Sicile vînt jeter un nouvel
éclat sur l'histoire des Normands d'Italie.
1. Cf. t. II, troisième partie, chapitre III.
CHAPITRE XII
LES SUCCESSEURS DE GUISCARD, LE DUC ROGER (1085-1111). —
LE DUC GUILLAUME (1111-1127).
Au moment où Guiscard mourut, Bohémond se trouvait en
Italie ' ; son frère, Roger Borsa, que le duc avait désig-né comme
son héritier, craignit que le fils d'Auberée ne mît à profit son
absence pour s'emparer de l'héritage paternel ; il chercha donc
aussitôt à s'assurer l'appui du gros de l'armée, que son père
avait laissée à Bundicia. C'est là ce qui explique ses premières
allées et venues. Roger s'embarqua au cap Ather et gagna Bun-
dicia, sur les bords du golfe d'Arta; il parait avoir été reconnu
sans difficulté par l'armée comme successeur de son père '^. Aussi-
tôt après, Roger retourna à Képhalonie pour prendre celles des
troupes qu'il avait conduites à la conquête de l'île 'K Son départ
de Bundicia, au dire de Guillaume de Fouille, fut suivi d'une
panique; affolée par la mort de Guiscard, l'armée se serait
débandée et aurait cherché à gagner l'Italie, le plus rapide-
ment possible. Peut-être ne faut-il voir dans le pittoresque tableau
que Guillaume de Pouilie trace de cette panique, qu'une fiction
poétique, et peut-être, en décrivant la terreur qui s'empara de
l'armée à la nouvelle de la mort de Robert, le poète a-t-il sim-
plement voulu rehausser le prestige de son héros afin de pouvoir
s'écrier :
Mors uniuserat multorum causa pavoris.
Il doit pourtant y avoir un fonds de vérité dans le récit de
Guillaume de Pouilie, mais je serais porté à attribuer la déban-
dade de l'armée normande à une attaque inopinée des Grecs.
1. G. Ap., V, 223.
2. Ibid., V, 345-347.
3. Ibid., V, 372-387. Orderic Vital, 1. VII, t. III, p. If
286 CHAPITRE XIl
Les sources, il est vrai, ne mentionnent aucune bataille, mais il
est bien difficile d'expliquer, sans cette hypothèse, la soumi*;sion
de la plus grande partie des troupes normandes aux Byzantins.
Même en admettant que certains vassaux de Guiscard aient été
favorables aux Grecs, on ne peut g-uère justifier les paroles du
poète sans admettre au moins un avantag-e partiel des Byzantins.
De Képhalonie Roger reg-ag-na avec sa mère l'Italie ; ils rame-
naient avec eux le corps de Guiscard. Durant la traversée, une
tempête s'éleva, le cadavre du duc tomba à l'eau, et ce fut à
grand'peine qu'on l'en retira. Enfin les navires finirent par
atteindre Otrante.
La hâte (|ue Roger avait apportée à se faire reconnaître de
l'armée montre qu'il n'était pas sans crainte sur la manière dont
il serait accueilli en Italie. Il ne fut d'ailleurs pas pris au
dépourvu, g-ràce à sa mère Sykelgaite qui g-uida très habilement
sa conduite. Tous deux avaient été instruits des ditïîcultés^ qui
ne manqueraient pas de se produire à la mort de Guiscard, par les
événements de Tannée 1073. Au moment où, k Bari, Robert avait
failli mourir, toutes les compétitions qui devaient se produire à
sa mort avaient éclaté, et Sykelgaite avait appris à connaître les
partisans sur lesquels son fils pouvait compter. Elle avait donc
pris à l'avance toutes les mesures propres à assurer à Roger
l'héritage paternel. Dès avant la mort de Guiscard, Roger s'était
assuré l'appui de son oncle, le comte de Sicile, qui, par la dispari-
tion de son frère, se trouvait le plus puissant seigneur de l'Italie
méridionale *. Le grand comte fut amené à jouer entre ses
neveux le rôle d'arbitre, rôle dont il sut admirablement tirer
parti pour accroître à la fois son influence et ses possessions
territoriales.
Nous ne connaissons exactement, ni la date à laquelle Roger
revint en Italie, ni ses premiers rapports avec Bohémond.
Nous savons que, à son retour, Roger fit enterrer son père
dans l'église du monastère de la Sainte-Trinité de ^'enosa ~.
Guiscard avait sans doute choisi lui-même ce lieu pour sa sépul-
1. Malaterra, III, 42.
2. G. Ap., V, 401 et suiv.
LE DUC ROGER ET ROHÉMOND 287
ture, car il avait fait reconstruire l'église du monastère. Il
reste encore quelques traces de la construction de Guiscard
dans l'ég-lise actuelle '.
D'après Orderic Vital -, Bohémond était à Salerne quand il
apprit le retour de sa belle-mère et de son frère ; craignant
d'être empoisonné par Sykelg-aite, il se serait enfui auprès de
Jourdain de Gapoue et aurait aussitôt avec celui-ci commencé
les hostilités contre Roger. On ne saurait accorder une créance
absolue à ces renseignements, car il faut tenir compte du caractère
légendaire de toute cette partie de l'ouvrage du chroniqueur
normand. Orderic raconte, en etlet, que Sykelgaite aurait
empoisonné son mari, or ceci est inexact, car Sjkelgaite n'était
pas auprès de Guiscard quand il tomba malade, et de plus
l'empoisonnement de celui-ci, alors que Bohémond était en
Italie et Roger à Képhalonie, aurait été une faute grossière que
Sykelgaite n'a certainement pas commise. Sauf la retraite de
Bohémond à Capoue, il me paraît qu'il n'y a pas lieu
d'ajouter foi au témoignage d'Orderic. Il est au contraire très
naturel que Bohémond ait cherché un appui auprès du prince de
Capoue, puisque son frère était soutenu par le comte de Sicile.
Ce qu'il y a de certain, c'est que Roger fut reconnu comme
duc de Fouille dans le courant de septembre 1085 •^. L'interven-
1. Cf. Bertaux, / monunienii medievali délia régions del Vulture (Napoli,
1897), in-4", p. xii et suiv.
2. Orderic Vital,!. VII, t. III, p. 181.
3. En août 1080, ind. IX, Roger compte la 1'''^ année de son règne (Arcli.
de la Gava, G. .j). En août 1088, ind. XI, la 3<= (Arch. de la Gava, G. la). En
septembre 1092, ind. I, la fie (Arch. de la Gava, G. 3.'5). En septembre 1049,
ind. 3, la 10« (Archives de la Gava, D. 2). En septembre 1103. ind. 12, la 19^
(Archives de la Gava, I. 40). L'année de règne change donc en septembre.
Ge que confirment les actes donnés en octobre (Ai'chives de la Gava, G. 8,
octobre 1080, 2^ année. G, 30, octobre 1091, 7^ année). Dans l'acte des
archives de la Gava, G. 25, octobre 1090, on compte la 4'' année de Roger,
mais cet acte est faux, il a été composé à l'aide de l'acte G. 8, dans lequel
on a introduitdeux nouvelles phrases: l'une donnant à l'abbé du monastère
de la Gava la juridiction civile, la seconde autorisant les moines et les homnies
du monastère, dans les plateae où. ils sont exempts de droits, à jurer sur
les évangiles qu'ils ont le droit de ne rien payer, sans qu'on puisse exiger
d'eux aucune autre justification de leur droit. Les deux actes portent les
suscriptions de Hugues, archevêque de Lyon, et de Richard, abbé de Mar-
seille, qui, on 1086, étaient en Italie et ont joué un rôle dans l'élection du
pape, tandis que, en 1089, leur présence à Salerne est improbable. Gf. infra,
p. 292, note 4.
288 CHAPITRE XII
tion du comte de Sicile facilita beaucoup l'arrivée au pouvoir de
son neveu et celui-ci lui en témoigna sa reconnaissance, suivant
d'ailleurs ce dont ils étaient convenus, par la remise de tous les
châteaux de Calabre, possédés en commun par Roger et Guis-
card '. On a cru qu'il fallait interpréter le passage de Malaterra
autrement que je ne le fais et l'on a dit que Roger Borsa avait
accordé à son oncle la moitié de Calabre qu'il avait héritée de
son père. Cette interprétation provient de ce que l'on n'avait pas
éclairci la question du partage de la Calabre entre Robert Guis-
card et son frère. J'ai montré à ce propos que les deux frères
avaient été co-propriétaires des châteaux et des villes conquis et
qu'il n'y avait pas eu de partage '. De même, il faut entendre le
passage où Malaterra nous rapporte la convention passée entre
le fils de Guiscard et son oncle dans un sens restreint. Le chro-
niqueur emploie le mot <( castella » : il s'agit uniquement de châ-
teaux et la preuve en est que, en août 1090, le fils de Guiscard
possède encore Tropea, ce qui ne serait pas s'il avait cédé toute
la Calabre à un oncle \
Le nouveau duc ne tarda pas à être aux prises avec de graves
difficultés. Le grand comte, peu après l'installation de son neveu,
fut rappelé de Fouille en Sicile par une attaque des Musulmans,
qui, de Syracuse, étaient venus à nouveau ravager les côtes de
Calabre, de Nicotera à Squillace. A peine Roger de Sicile
était-il parti, que Bohémond se révolta contre son frère et occupa
Oria, Otrante et Tarente ^. Roger fut obligé de céder à son
frère, outre les trois villes dont il s'était emparé, Gallipoli
et toutes les possessions de Geoffroi de Conversano, c'est-à-dire
presque toute la région qui s'étend de Conversano à Brindisi '.
Ainsi, dès les premiers mois du- nouveau règne, les Etats de
Guiscard se trouvèrent démembrés et Bohémond réussit à se
rendre presque aussi puissant que son frère. Nous n'avons
pas de détails sur la révolte de Bohémond ; tout ce que
i. Malaterra, III, 42.
2. Cf. supra, p. 200.
.3. Gattola, Ace, t. I, p. 204.
4. Malaterra, IV, 1.
0. Ibid., IV, 4.
LE DUC ROGER ET BOHÉMOND 289
nous savons, c'est que la paix fut rétablie entre les deux frères,
dès le mois de mars 1086. A cette date, en effet, Sykelgaite donne à
Ourson, archevêque de Bari, ses droits surles Juifs de cette ville, et
son diplôme est souscrit par Bohémond et Roger'. Au mois de mai
de la même année, nous retrouvons les deux fils de Guiscard sous-
crivant un diplôme par lequel Roger cède à l'archevêque de Bari
les terres de Coccenaet Betteiano -. Un autre diplôme, également
du mois de mai, nous montre que les deux frères passèrent
ensemble une partie de ce mois à Salerne, où ils souscrivent tous
les deux le diplôme 3 par lequel Roger accorde à Pierre, abbé
de la Gava, le port de Vietri ^. Nous retrouvons encore Roger et
Bohémond souscrivant, durant le même mois, un diplôme en
faveur de Béranger, abbé de la Sainte-Trinité de Venosa ''.
Deux diplômes nous apprennent que, durant l'été 1086, le duc
Roger se rendit dans ses possessions de Sicile. Au mois d'août **,
il était à Palerme où nous le voyons donner à l'archevêque Auger
la terre de Gallo " dans les environs de Palerme, et quatre vilains à
Misilmeri ''^. Pendant son séjour à Palerme, Roger donna à l'abbaye
de la Gava le monastère de la Sainte-Trinité de Bari ^. Bohé-
mond ne paraît pas avoir accompagné Roger en Sicile, tandis que
Robert II Guiscard, son frère, le suivit, ainsi que Pierron, comte
1. Cod. clipl. Barese, t. I, p. 56 et suiv.
2. Ihid., p. 58.
3. Archives de la Gava, B. 39. Ce diplôme est sûrement donné à
Salerne, bien que la date de lieu ne s'y trouve pas. Roger parle en effet du
monastère de la Cava en ces termes : « Qiiod construcluni est forts hanc
a deo nobis concessam Salernitanani civitatem ; » or les diplômes donnés
pour la Cava en dehors de Salerne ne portent jamais cette formule;
le duc, parlant d'une ville où il ne réside pas, dit : <i nobis a deo concessam » ,
sans employer le démonstratif, cf. v. g. Archives de la Cava, C. 5.
4. Vietri sul mare, circond. et prov. de Salerne.
5. Del Giudice, Codice diplomatico Angioino, t. '1, appendice p. xxv.
Cet acte est vidimé dans un diplôme de Charles d'Anjou (1267); la copie
porte la date de 1096, qu'il faut corriger en 1086, ainsi que l'indiquent et
l'indiction et l'année de règne (1'"'= année). La correction proposée par l'édi-
teur est inadmissible, car elle ne tient pas compte de l'année de règne.
6. yioug'dovc, Bulla; privilégia et instrumenta Panorniitanx ecclesise, p. 4.
7. Gallo, tout près de Palerme. Cf. Mongitore, op. cit., p. 5.
8. Misilmeri, circond. et prov. de Palerme.
9. Archives de la Cava, C. 5.
Histoire de la domination normande. — CuAi-ANnox. 19
290 CHAPITRE XII
de Lésina, et Roger de Barneville '. Dès le mois d'octobre 1086,
Roger était revenu à Salerne '^. 11 commença alors à prendre une
part active aux négociations dont la succession de Grégoire Vil
était Tobjet depuis plus d'une année.
Grégoire VII était mort, à Salerne, le 2o mai 1085. Sentant sa
fin approcher, il avait recommandé au choix des cardinaux
Didier, abbé du Mont-Cassin ; Hugues de Bourgogne, archevêque
de «Lyon ; Othon, évêque d'Ostie, et Anselme, évêque de Lucques.
Après la mort du pape, on prit toutes les mesures nécessaires
pour nommer en paix son successeur. Jourdain de Gapoue se
rendit à Rome, pour assurer l'ordre ; il y arriva le jour de la Pen-
tecôte (8 juin). L antipape avait été, peu auparavant, chassé de
la ville par la population. Dès les premiers jours, la candidature
de Didier rencontra un grand nombre de partisans et il semblait
que la conciliation pût se faire sur son nom. car l'abbé du Mont-
Cassin était en bons termes avec Henri IV et avec les Normands ;
mais Didier se refusa à accepter la papauté et conseilla d'attendre
les avis de la comtesse Mathilde. Gomme le temps passait, un parti,
à la tète duquel paraît avoir été Jourdain, voulut imposer de vive
force la tiare à Didier. Gelui-ci quitta brusquement Rome et
retourna au Mont-Gassin, d'où il se mit à engager les Normands
et les Lombards à venir en aide à l'Eglise "*.
Quels furent les motifs de la conduite de Didier? Il semble
qu'à ce moment Didier ait refusé le pontificat parce qu'il ne trou-
vait pas son parti assez fort. G'est ce qui expliquerait son brusque
retour au Mont-Gassin et les démarches qu'il fit pour recruter
des troupes. Il réussit à en trouver, mais le retour à Rome fut
ajourné, à cause de l'été. Peut-être aussi, Didier, voulut-il voir,
avant de s'engager, ce qui adviendrait de la succession de Guis-
card. Vers l'automne, Jourdain otYrit à Didier de le conduire à
Rome, mais celui-ci refusa, à moins qu on ne lui promit de ne pas
le faire pape de force. N'ayant pu obtenir cette promesse, il
demeura au Mont-Gassin ^.
1. Ils souscrivent le diplôme cité supra, p. 289, note 9.
2. Archives de la Gava, C. 8. Il donne un diplôme en faveur de l'abbaye.
3. Pet. Diac, III, 65.
4. Ihid.
ÉLECTION DE VICTOR III 291
On resta ainsi dans l'incertitude jusqu'à Pâques 1086 (5 avril);
à ce moment, un grand nombre de cardinaux et d'évèques se
trouvèrent réunis à Rome; désireux de faire cesser, au plus vite,
la vacance du siège pontifical, ils demandèrent à Didier et aux
cardinaux qui l'avaient accompagné dans sa retraite, de venir à
Rome, afin qu'il fût possible de procéder à l'élection. On adressa
la même demande à Gisolf de Salerne, qui était revenu récem-
ment de France, oiî Grégoire VII l'avait envoyé en mission.
Gisolf exerçait, sans doute encore, le commandement militaire de
la Campanie, que lui avait confié le pape défunt. Le 23 mai, l'as-
semblée des cardinaux se trouva au complet '. La ville était
toujours divisée en deux camps, mais le parti impérial se trou-
vait privé de son chef naturel, le préfet, qui était prison-
nier du duc Roger, sans doute depuis la prise de Rome par
Guiscard. L'antipape était alors à Ravenne '^. Les cardinaux
se réunirent au pied du Palatin, près de l'église Santa-Lucia.
Malgré les instances qui lui furent faites, Didier refusa for-
mellement le pontificat, et, après s'être entendu avec le chef
du parti pontifical à Rome, Cencio Frângipani, il proposa de
nommer l'évêque d'Ostie; en même temps, comme il prévoyait
que cette nomination soulèverait des mécontentements, il s'en-
gagea à fournir au futur pape un asile au Mont-Cassin. On éleva
des difficultés au sujet de cette candidature que l'on prétendit
contraire au droit canon et l'assemblée finit par élire Didier,
qui reçut le nom de Victor III.
Dans toutes ces négociations on n'avait tenu aucun compte du
duc Roger qui dut être peu satisfait de voir le rôle de protecteur
de la papauté joué par Jourdain ; de plus, Roger dut être mécontent
de l'importance attribuée à Gisolf, en qui il devait voir un compé-
titeur toujours possible. Le choix de Didier ne pouvait pas être
agréable au duc qui avait eu des difficultés avec le nouveau pape
au sujet de la nomination de l'archevêque de Salerne. Roger prit
donc une mesure, qui, en amenant le trouble dans Rome, devait
1. Pet. Diac, III, 66.
2. Jaffé-L., 3523.
292 CHAPITRE xn
lui permettre d'intervenir; il remit en liberté le préfet de Rome',
Le résultat de cette manœuvre fut rapide. Quatre jours après son
élection, le nouveau pape était obligé de quitter Rome devant
l'émeute ; il s'enfuit par Terracine et vint se réfugier au Mont-
Cassin. Il semble bien que l'on ait été surpris par le soulèvement
des Romains, car Jourdain paraît ne pas avoir été à Rome au
moment de l'élection. A la nouvelle de ce qui s'était passé, il
vint offrir au pape de le reconduire à Rome avec ses troupes,
mais l'expédition fut encore remise, à cause de l'été.
Tout l'automne 1086 fut occupé par des négociations, sur les-
quelles nous sommes mal renseignés. L'élection de Victor III avait
mécontenté deux des candidats à la tiare, lévêque d'Ostie et
Hugues, archevêque de Lyon. Ce dernier commença aussitôt une
sourde campagne contre Victor III et réussit à recruter un certain
nombre de partisans. Après avoir rejoint Didier au Mont-Cassin,
quelques cardinaux ne s'entendant pas avec lui se rendirent, à
Salerne, auprès de Roger"^. Avec eux, étaient Hugues, archevêque
de Lyon; Richard, abbé de Saint- Victor de Marseille, et l'arche-
vêque d'Aix, Pierre Gaufridi'^ Nous savons, par un diplôme de
Roger, que Hugues et Richard se trouvaient à Salerne dans le cou-
rant d'octobre 1086 '*. Sur quoi portèrent les négociations qui
eurent lieu alors ?Xous sommes à ce sujetdans une ignorance com-
plète. Sans doute, Roger chercha à obtenir des cardinaux dissidents
que, dans le cas où l'un d'eux serait élu pape, on nommerait au
siège de Salerne le candidat de son choix. C'est là, en effet, ce qui,
d'après les négociations postérieures, paraît lui avoir surtout tenu
à cœur. Dans tous les cas, on commença, à partir de ce moment, à
faire à Didier un grief des relations qu'il avait entretenues avec
Henri IV et de Lexcommunication qu'il avait encourue un moment.
Victor III décida la réunion d'un concile en mars 1087. Capoue
fut choisie comme lieu de réunion ^. Il ressort de ce choix que le
1. Pet. Diac, III, 67.
2. Cf. une lettre d'Hugues, archev. de Lyon, Migne, P.L., t. 1.j7,co1. 513.
3. Cf. Albanès, Gallia Christ, novissinia, p. 51.
4. Archives de la Cava, C. 8.
o. Victor III agit encore comme aj^ant été nommé vicaire apostolique, cf.
Hugues de Lyon, loc. cit., 512 : u conciliuin in Capuam sicut illarum partium
apostolicus vicarius congregavit. »
LE DUC ROGER ET VICTOR Kl 293
pape est alors entièrement soumis à rinfluence de Jourdain et de
Gisolf. Ce dernier et lévêque d'Ostie avertirent de la réunion du
concile les cardinaux dissidents et, en même temps, Jourdain
tâchait d'amener Rog-er à un accommodement; il réussit à le
décider à assister au concile. Quand rassemblée fut réunie,
Victor III déclara qu'il acceptait le pontificat. Comptant sans
doute sur l'appui du duc, les cardinaux hostiles à Didier lui
demandèrent de se justifier des accusations portées contre lui ;
sur son refus, ils quittèrent l'assemblée. Le duc ne les suivit
pas; il demanda à nouveau à Victor III de désigner son candidat,
Alfan, comme archevêque de Salerne, et ce fut seulement quand
il eut essuyé un refus qu'il se retira à son tour.
Quand Victor III vit que Roger songeait à quitter Capoue, il
craignit que le duc ne prît le parti des cardinaux dissidents et se
décida alors à acquiescer à sa demande. Il le fit appeler pendant
la nuit et lui accorda la nomination d'Alfan, comme arche-
vêque de Salerne. Fort de l'appui de Roger, Victor III
revêtit les insignes pontificaux. Grâce à Roger, à Jourdain et à
Gisolf, le pape put rentrer à Rome pour s'y faire consacrer.
Les Normands s'emparèrent de force de la basilique de Saint-
Pierre, où l'antipape s'était retranché, et Victor III fut consacré,
le 9 mai.
L'appui prêté au pape par le duc de Fouille eut pour résultat
de détacher l'évêque d'Ostie du parti d'Hugues de Lyon et ce
fut lui qui consacra le pape. Au bout de quelquesjours, Victor III
s'éloigna de Rome, où il fut rappelé peu après par la comtesse
Mathilde, qui l'installa au Latran. Vers la fin de juillet, le pape rega-
gna le Mont-Cassin; en août, il se rendit à Bénévent d'où il
excommunia les cardinaux dissidents, puis revint au Mont-Cassin
où il mourut en septembre'. Balloté entre ses craintes et son désir
d'être pape, Victor III eut un pontificat lamentable. On ne voit
guère ce que Roger gagna à l'appuyer ; la nomination d'un candi-
dat de son choix à l'archevêché de Salerne n'était pas une récom-
pense suffisante, et il semble bien que l'archevêque de Lyon avait
raison, quand il écrivait que le duc avait été trompé parle prince
1. Cf. Iliisch, op. cit., dans Forschungen, t. VII, p. 91 et suiv.
294 CHAPITRE XII
de Capoue. Celui-ci avait tout intérêt avoir Fanii de sa maison
devenir pape, car il pouvait espérer tirer de ce choix de grands
avantages. La mort de Victor III empêcha de se réaliser toutes
les espérances que Jourdain avait pu concevoir.
Au mois de mai 1087, Roger accorda à Guillaume, abbé du
monastère San Angelo de Mileto, l'église de San Filippo à Aiello.
Il est curieux de voir que le diplôme est souscrit par l'archevêque
de Palerme Auger ; Gautier, évêque de Malvito ; Constantin
évêque de Venosa ; Pascal, évêque de Bisignano ; Robert, évêque
de Firenzola. Tous ces prélats avaient sans doute assisté au
concile '.
A la fin de l'été 1087, ou tout au début de l'automne, Bohé-
mond et Roger, qui, en juin, souscrivaient ensemble un diplôme
pour Ourson, archevêque de Bari, se déclarèrent la guerre sans que
nous sachions exactement pour quels motifs -. Bohémond avait
su se créer des partisans parmi les vassaux de son frère ; il gagna
Mihera, fils d'Hugues Falluca et seigneur de Catanzaro, et l'amena
à désavouer le duc Roger, son légitime seigneur ^.
Bohémond commença les hostilités en essayant de surprendre
son frère à Fragneto, près de Bénévent ''. Il échoua complètement
et gagna Tarente, où il était en octobre. Les succès, qu'il remporta
dans le midi, compensèrent bientôt sa première défaite. Bohé-
mond entraîna dans son parti Hugues de Clermont ^ et sut
gagner plusieurs villes, entre autres Rossano et Cosenza. Il
promit aux habitants de cette dernière Aille, de démolir, s'ils
se donnaient à lui, le donjon construit par son frère. Tandis
que Bohémond assiégeait la citadelle de Cosenza, Roger rassem-
blait des troupes et, en même temps, faisait demander assistance au
comte de Sicile ; celui-ci vint au secours de son neveu, mais avant
qu ils eussent opéré leur concentration, la citadelle de Cosenza fut
1. Archives du collège grec à Rome, A. X.
2. Cod. dipl. Barese, t. I, p. 59,
3. Malaterra, IV, 9.
4. Romuald de Salerne, M.G.H.SS., t. XIX, p. 4H.
5. Hugues de Clermont est connu par divers diplômes. Cf. Trinchera,
op. cit., p. 96; Ughelli, op. cit., t. VII, pp. 11-12. Cod. Vat. lat. Regin.,
n" 378, f° 26. Il avait épousé Guimarga et eut pour fils Alexandre de Cler-
mont, qui épousa Avenna,
RÉVOLTE DE BOHÉMOND 29o
prise et complètement rasée par Bohémond. Les deux Roger,
aidés par Raoul de Loritello, réussirent pourtant à s'emparer de
Rossano '. Cependant Bohémond, en apprenant l'arrivée de son
oncle et de son frère, ne voulut pas se laisser assiéger dans
Cosenza ; il y laissa, pour maintenir les habitants, Hugues de
Clermont et s'enfuit à Rocca Falluca ~. Roger crut que son
frère était à Maïda ^ et vint assiéger cette place; quand il con-
nut son erreur, il alla mettre le siège devant Rocca Falluca.
A ce moment, sans doute par l'intervention du comte de Sicile,
des négociations furent engagées. On convint d'une entrevue
pour conclure les derniers accords et l'on choisit Sant' Eufemia
comme lieu de rencontre. Mais, au jour fixé, Mihera se pré-
senta seul; Bohémond s'était enfui à Tarente. Roger profita
néanmoins de l'occasion pour conclure avec l'allié de son frère
un traité particulier par lequel il acquit Maïda. Peu après, nous
ne savons comment, la paix fut conclue entre Bohémond et
Roger (1089), et le duc donna à son frère Cosenza et Maida.
Un nouvel accord eut lieu ensuite, par lequel les deux frères
échangèrent Cosenza et Bari. Tous deux avaient promis aux
habitants de chacune de ces villes de n'y pas construire de cita-
delles^; l'échange leur permit de violer leur promesse. Roger
récompensa ses alliés, Raoul de Loritello et le comte de Sicile,
en leur donnant l'investiture des terres de Mihera.
Cette campagne se termina par une nouvelle diminution des
possessions de Roger, tandis que Bohémond, maître de tout le pays
depuis Bari jusqu'à Otrante, se voyait en outre attribuer quelques
places en Calabre ^.
Roger rentra à Salerne dans le courant de mars ; nous avons,
en effet, daté de ce mois, un acte en faveur de l'abbaye de la Cava**.
1. Malaterra, IV, 10-11.
2. Près de Catanzaro. Cf. Ughelli, op. cit., t. IX, p. 426.
3. Circond. de Nicastro, prov. de Catanzaro.
4. Bohémond était seigneur de Bari, dès dé'cemlDre 1090. C'oc/. clipl. Bar.,
t. V, p. 29. Cf. les observations de l'éditeur sur rauthenticité du document,
dont l'original me parait vrai.
3. Cf. Cod. dipl. Bar., t. II, p. 221. Il n'y a pas eu en Calabre d'acquisition
de Bohémond après cette date.
6. Archives de la Cava, C. 17. Je ne crois pas authentique le diplôme du
296 CHAPITRE XII
Il semble que le duc soit demeuré à Salerne durant les mois de
juin et de juillet •.
La guerre, qu'il avait soutenue contre Bohémond, avait empê-
ché Roger d intervenir dans l'élection du successeur de Vic-
tor m. Le 12 mars 1088, à Terracine, on avait élu, comme pape,
l'évêque d'Ostie, qui prit le nom d'Urbain II '-. Pendant les
premiers temps de son pontificat, Urbain II paraît avoir été en
très bons termes avec le prince de Capoue. Il annula l'union de
la fille de Jourdain et de Renaud, fils de Geofîroi Ridel, et accorda
à la première la permission de contracter un nouveau mariage ■^.
Désireux de rétablir la paix, le pape alla à Troina voirie comte
de Sicile, sans doute pour le prier d'intervenir et d'aider à
rétablir l'ordre ^
Peut-être, dans le courant de 1088, y eut-il un soulèvement à
Amalfi ; nous avons, en effet, un acte de juillet 1088, daté de la
première année de Gisolf '^ conmie duc d'Amalfi, et dans une de
ses lettres Urbain II parle de « son cher fils, le prince de
Salerne et duc d'Amalfi ». Il semble bien qu'il faille entendre
par là Gisolf, car jamais les princes normands ne sont désignés
dans les actes pontificaux par le titre de prince de Salerne.
Nous ne savons rien d'autre sur cette révolte d'Amalfi, si ce
n'est qu'elle était certainement terminée le 20 avril 1089 s.
En septembre de cette même année, le pape soucieux de réta-
blir la paix entre les Normands vint à Melfi, où il tint un synode '.
duc Roger, de janvier 1088, Ughelli, op. cit., l. IX, p. 4o0 ; en effet, il se
termine par la formule de corroboration suivante : << propria manu nostri
foriniratorum formiratum confirniari Jussinius. Cette formule étrange me
paraît copiée sur la formule postérieure : per manus aniirati amiratorum.
1. Archives de la Cava, C. 19. Arch.de la cathédrale de Salerne, Arc. 1,40,
éd. dans Paesano, op. cit., t. 11, p. 15.
2. Pet. Diac, IV, 2.
3. Jaffé-L., 5382.
4. Malaterra, IV, 12-13, pp. 593-594.
5. Di Meo, op. cit., t. VIII, ad an. 1088, p. 294. Jaffé-L., 5302; dans un acte
de 1090 juillet, ind. 13, Archives de la Cava, C. 32, Richard le sénéchal
donne des biens, sis dans la région de Salerne, qui lui ont été attribués par le
duc Roger, qui les a confisqués merito à Jean, fils de Tripoald, comte du palais.
6. Di Meo, op. cit., t. VIII, ad an. 1089, p. 296.
7. Cf. Jaffé-L., op. cit., t. l, p. 664.
RÉVOLTE DE CAPOÎJE 297
Roger se rendit auprès de lui et fut investi du duché de Fouille
et de la Calabre '. Urbain II, profitant de ce que de nombreux sei-
g-neurs étaient venus à Melfi, attirés par sa présence et parcelle
du duc, fit jurer à tous ceux qui s'y trouvèrent d'observer la
trêve-Dieu. De Melfi, le pape se rendit à Bari, où il consacra
l'archevêque Elie (5 octobre) '-. Le 11 octobre, il était à Trani 3;
il se rendit ensuite à Brindisi où il consacra l'église ''.
Au mois d'avril 1090, mourut Sykelgaite '^, et, en novembre,
Jourdain de Capoue ^. La disparition de celui-ci amena l'éclipsé
momentanée de la puissance de la principauté de Capoue, pour
laquelle une période de troubles s'ouvrit alors. Renaud Ridel,
seigneur de Gaëte, attaqua le Mont-Cassin, dans le courant de
janvier 1091. Il fut obligé par les comtes d'Aquino à se
soumettre et dut venir à Capoue pour restituer ce qu'il avait
pris '. L'intervention d'Urbain 11, qui résidait alors à Capoue,
ne fut certainement pas étrangère à ce résultat ^. Mais, à peine
le pape, à la fin de janvier 1091 ^, avait-il quitté Capoue que
les habitants de la ville se soulevèrent contre Gaitelgrime, la
veuve de Jourdain, qui gouvernait au nom de ses trois fils
mineurs Richard, Robert et Jourdain. Gaitelgrime dut se réfugier
à Aversa^o. Peu après, Renaud Ridel était chassé à son tour
de Gaëte par une révolution et se réfugiait à Pontecorvo *'. 11 fut
remplacé par le comte Landon que nous ne connaissons pas par
ailleurs, mais qui est certainement un lombard. Les comtes
1. Lupus Protospat., ad an. Romoald de Salerne, M.G.H.SS., t. XIV,
p. 412.
2. Cod. dipl. Bar., t. I,p.62.
3. Jaffé-L., 5413.
4. Lup. Protospat., ad an. 1089.
5. Pet. Diac, IV, 8. Necrol. Cas., dans Gattola, Ace, t. I, p. 854. Elle fut
enterrée au Mont-Cassin.
6. Pet. Diac, IV, 10.
7. Ibid., IV, 9.
8. Jaffé-L., 5438.
9. Jaffé-L., 5441-5442. Il faut regardei' comme faux le pi'ivilège de
Roger et Bohémond en faveur du monastère de Banzi. Cf. di Meo, op. cit.,
t. VIII, p. 318 etsuiv.
10. Pet. Diac, IV, 10.
11. Cf. Cod. Caiet., t. II, p. 155, note a. Renaud Ridel continue à sintituler
duc de Gaëte, mais ses actes sont tous donnés à Pontecorvo.
298 CHAPITRE XII
d'Aqnino profitèrent de ces troubles pour attaquer Sora, défen-
due par Jonathas, frère de Jourdain de Capoue '.
Pendant ce temps nous ne savons rien de Rog'er. En août
1090, avec son frère Bohémond, il faisait une donation au Mont-
Cassin-; il est probable qu'il devait être à Salerne, au début
d'octobre, quand Urbain II y vint ■^. Pendant l'hiver 1091, éclata
la rébellion deCosenza; nous en ignorons les motifs, la situation
parut suffisamment grave à Roger pour qu'il demandât assistance
à son oncle et à Bohémond '*. En mai. le duc vint mettre le siège
devant la ville, dont il s'empara en juillet. Cette nouvelle inter-
vention du comte de Sicile coûta à son neveu la moitié de la ville
de Palerme. Vers le même moment, Jonathas s'emparait d" Adénolf,
comte d'Aquino ; il le relâcha peu après, grâce à l'intervention
de l'abbé du Mont-Cassin, mais lui fit promettre une rançon
de mille livres, pour laquelle il dut laisser ses fils en otage. A la
fin de 1091, Oria se souleva contre Bohémond qui fut défait^.
On voit que l'anarchie la plus complète règne dans toutes les
possessions normandes, Roger est impuissant à rétablir l'ordre ;
il se borne à faire des donations aux monastères, et seuls les actes
nous renseignent à son sujet. En août 1091, il donne à l'abbaye de
la Cava le monastère de Saint- Adrien, au territoire de Rossano ;
en octobre, il fait donation de deux pièces de terre, sises près de
Salerne, à Jean, son notaire ^. En mai 1092, il donne au monastère
de Saint-Jean d'A versa, l'église Saint-Jean de Troia '. Dans ce
diplôme figure pour la première fois le nom d'Alaine, femme du
1. Pet. Diac, IV, 14. Cf. supra, p. 112.
2. Gattola, Ace, t. I, p. 205. Sur un diplôme daoût 1089, cf. Cod. dipl.
Bar., t. V, p. 29, note de l'éditeur.
3. .laffé-L., 5438.
4. Malaterra, IV, 17.
5. Lup. Protospat., ad an.
6. Trinchera, op. cit., n» LU, p. 68-69. Archives de la Cava, C. 30. Le
diplôme du 20 octobre 1091 en faveur de l'église d'Amalfi, Ughelli, t. VII,
p. 295 estfaux, il ne présente aucun des caractères diplomatiques des actes
de Roger; de même le diplôme davril 1094. Ibid., Cf. Clialandon, La
diplomatique des Normands de Sicile et de Vltalie méridionale, dans
Mélanges d'arch. et d'hist. de VÉcole fr. de Rome, t. XX, p. 155.
7. Regii neap. arch. monum., t. V, n" 455.
URBAIN H DANS l'iTALIE MÉRIDIONALE 299
duc. D'après Romuald de Salerne ', le mariage de Roger avec
Alaine, fdle de Robert le Frison, comte de Flandre, aurait eu lieu
cette même année ; l'acte en question permet de placer le mariage
dans les premiers mois de 1092.
Au mois d'août 1092, Rogerest condamné par le pape à rendre à
l'archevêque de Salerne, Alfan, certains biens qu'il avait usurpés -.
Le 5 septembre, le duc assiste à la consécration de l'église de la
Cava 3. Durant l'automne, Urbain II, cherchant sans doute à
rétablir la paix, lit un nouveau voyage dans l'Italie du sud; il
alla jusqu'à Tarente ^ Le 14 janvier 1093, il était à Salerne et,
en présence du duc Roger, il confirmait certains privilèges au
Mont-Cassin \ En mars '', il tenait un nouveau concile à Troia
pour obtenir que l'on respectât la trêve-Dieu. 11 fut décidé que si
quelqu'un rompait l'engagement juré, l'évêque devait l'avertir
trois fois ; si, après ces trois avertissements, le coupable ne se
soumettait pas, l'évêque après avoir pris l'avis du métropolitain,
ou celui d'un ou deux évêques voisins, devait prononcer une
sentence d'excommunication et en donner connaissance par
écrit à tous les évêques. Aucun de ceux-ci ne devait dès lors
admettre le condamné à la communion ; bien plus, chacun, dès
l'avis reçu, devait confirmer la sentence ' .
Le rôle important que nous voyons jouer par Urbain II et son
intervention constante dans les affaires de l'Italie méridionale
témoignent de l'impuissance absolue de Roger à faire régner
Tordre dans ses Etats. Les efforts du pape devaient d'ailleurs être
complètement inutiles.
Dans le courant de 1 093 '^, Roger tomba si gravement malade
1. Romuald de Salerne, ad an. 1092, dans M.G.H.SS., t. XIX, p. 412.
2. Pflu^k Harttun^^ Acta, t. Il, p. 49.
3. Jaffé-L., 5479.
4. Jafïé-L., 5468, 5470. Lup. Protospat., ad an. 109.3.
5. Jaffé-L., 5479.
6. Bernold, Chronicon, ad an. 1093, dans M.G.H.SS., t. V, p. 456.
7. Labbé, Concilia, t. X, p. 492.
8. Nous avons un diplôme de Roger, d'avril 1093, en faveur de l'église
de Cosenza, Ughelli, op. cit., t. IX, p. 191. Bien que la date comprenne la
date de jour, ce qui est anormal dans la chancellerie de Roger, ce diplôme
est rédigé pour le reste, suivant les règles ordinaires de la chancellerie
ducale, et me paraît authentique.
300 CHAPITRE XII
à Melfî ', que le bruit de sa mort se répandit partout '. Aussitôt
Bohémond se fît reconnaître par un certain nombre des vassaux
que Roger avait en Calabre. Pendant ce temps, Guillaume de
Grantmesnil, qui avait épousé Mabille, fille de Guiscard, s'emparait
de Rossano. A son exemple un certain nombre de seigneurs se
révoltèrent. Le comte de Sicile, qui ne voulait pas laisser Bohémond
agrandir ses Etats, rempècha de s'installer en Calabre et le contrai-
gnit à se retirer. Cependant Roger se rétablissait; Bohémond
Aboyant que, à cause de l'intervention du comte de Sicile, il ne
pouvait triompher, vint trouver son frère à Melfi et lui
remit les places dont il s'était emparé. Guillaume de Grant-
mesnil, établi à Rossano, refusa de se soumettre -K Roger,
Bohémond et le comte de Sicile conduisirent contre lui des forces
importantes et occupèrent en peu de temps les principales places
qui lui appartenaient. Il est curieux de voir que les gens de
Rossano s'étaient soulevés contre le duc par suite du mécon^
tentement qu'ils éprouvaient à avoir un archevêque latin ; il
suffît que Roger leur promît de les laisser nommer un archevêque
grec pour qu'ils rendissent la place. En peu de temps. Guillaume
se vit réduire à la dernière extrémité ; le duc confisqua tous les
biens que Grantmesnil tenait de lui ; ce dernier accompagné de
sa femme se réfugia à Constantinople '*.
En septembre 1094, Roger était de retour à Salerne, où il faisait
une donation à l'abbaye de la Cava •''. En décembre de la même
année, l'église de Tropea était à son tour l'objet d'un acte
gracieux ''. Nous avons vu les motifs de la révolte de Rossano,
il semble, à ce propos, qu'Urbain II ait exercé une influence peu
heureuse sur le duc. Il chercha, cela est certain, à obtenir
l'abrogation du rite grec dans les Etats de Roger, En dehors de
1. Ughelli, op. cit., t. I, p. 923, a publié un diplôme du duc Roger daté
de Melfi, novembre 1093. Ce document ne présente aucun des caractères
diplomatiques des actes émanés de la chancellerie du duc de Pouille.
2. Malaterra, IV, 20.
3. Ihid., IV, 21 et suiv.
4. Mabille rentra plus tard en possession dune partie de ses biens,
Ughelli, op. cit., t. IX, p. 482.
o. Arch. de la Cava. O. 2.
6. Ughelli, op. cit.. t. IX, p. 4.j1.
I.K DUC ROGER ET URBAIN 11 301
Rossano, nous avons encore Tropea où, en 1094, il est parlé du
premier évêque latin. Ces mesures furent maladroites; Rog-er
ne comprit pas tout d'abord l'intérêt qu'il y avait à respecter les
croyances de chacune des races qui lui étaient soumises. Mais
la leçon donnée par les gens de Rossano ne sera pas inutile, et
elle montrera aux princes normands l'utilité de pratiquer
envers les diverses races sur lesquelles ils dominent une large
tolérance.
Urbain II, d'ailleurs, voyait parfaitement combien peu il pou-
vait compter sur l'appui du duc de Fouille et cherchait de plus
en plus à faire jouer le rôle de protecteur de la papauté par le
comte de Sicile. A ce sujet il conçut un plan très habile. On sait
que le parti hostile à Henri IV avait su gagner le fils de l'empe-
reur, Conrad, qui s'était réfugié auprès de la comtesse Mathilde.
En 1095, le pape fît épouser à Conrad une fille du comte de
Sicile '. Par là nous pouvons constater la diminution de l'in-
fluence du duc Roger et l'accroissement de celle de son oncle.
Dans son gouvernement, Roger paraît avoir manqué d'habileté
et d'espritpolitique. Il crut que, parce qu'il descendait d'une mère
lombarde, la domination normande était définitivement acceptée
par ses sujets et il commença à traiter sur le même pied les Lom-
bards et les Normands. Jusque là, les princes normands s'étaient
soigneusement gardés de confier des châteaux à leurs sujets indi-
gènes ; Roger s'écarta de cette mesure et croyant pouvoir compter
sur la fidélité de ses sujets lombards, il leur confia la garde des
citadelles de difïérentes villes '-. Il agit ainsi notamment avec
les Amalfitains. Il était encore trop tôt pour tenir cette conduite,
et l'antagonisme entre vainqueurs et vaincus subsistait toujours,
aussi le résultat de la mesure prise par le duc ne se fit pas
attendre; les Amalfitains se révoltèrent, au début de 1096 ■^j et
établirent un duc, Marin. Roger fut de nouveau obligé de faire
1. Cf. infra, p. 3lj0. En décembre 1095, Roger était à Reg-gio où il fit une
donation à (jii'ard, évêque de Troia (Archives capit. de Troia, B. 7).
2. Malaterra, IV, 24.
3. Caméra, op. cil., t. I, pp. 293-294, en janvier 1097, on compte la pre-
mière année de Marin; en juin 1098, troisième année. Le début du règne
est donc enlrejanvier et juin.
302 CHAPITRE XII
appel à son frère et à son oncle. Ce dernier exigea pour intervenir
la promesse qu'il aurait la moitié de la ville lorsqu'elle serait
prise ; ce fut seulement après avoir arraché au duc cet eng-ag-e-
ment qu'il consentit à l'aider avec sa flotte et de nombreuses
troupes de terre. Mais à peine le siège d'Amalii était-il com-
mencé que se répandit le bruit de la prochaine croisade, prêchée
l'année précédente par Urbain II, à Clermont. Bohémond, dont
l'ambition envieuse était contrecarrée par la protection accor-
dée à son frère par son oncle, fut un des premiers à prendre la
croix; son exemple fut suivi par un grand nombre de chevaliers,
si bien que l'armée se trouva tellement réduite que l'on dut lever
le siège. Le comte Roger retourna en Sicile et la ville d'Amalfî
demeura indépendante.
Le départ pour la croisade eut pour Roger l'avantage de débar-
rasser l'Italie méridionale d'un grand nombre de seigneurs turbu-
lents, au premier rang desquels il faut placer Bohémond. On a
prétendu qu'en partant ce dernier aurait confié la régence de ses
états à Geoffroi de Conversano '. On a fait à ce sujet une confu-
sion complète. En effet, au mois de juillet 1107, nous voyons que
Geoffroi de Gallipoli est pour Bohémond catépan de Bari et de
Giovenazzo '-. Mais ce Geoffroi doit certainement être distingué
de Geotïroi de Conversano pour la raison bien simple que celui-ci
était mort depuis 1101 'K II résulte du document ci-dessus cité
que Bohémond ne confia à aucun de ses vassaux la régence de
ses Etats, mais laissa la charge de les gouvernera divers officiers,
qui eurent, peut-être, chacun dansleur dépendance plusieurs villes,
puisque Geoffroi est à la fois catépan de Bari et de Giovenazzo.
Avec Bohémond partirent^ : Tancrède, fils d'Eude le Bon Mar-
quis ; Richard du Principat et son frère Rainolf, Robert d'Ansi,
Hermann, comte de Cannes, frère d'Abélard, et Onfroi de
Montescaglioso, neveu de Geoffroi de Conversano.
1. Tarsia, Memorie storiche di Converxano, p. 280.
2. Chart. Cup., t. I, p. 140.
3. Cf. Kehr, op. c//., ç]?^ns Xachrichfen d. k. Geselhehaft der AA7.ssen.s-
chaft.zu Gôttingen. Phil. hist. Klasse, 1898, 3heft, p. 269.
4. Pet. Diac, IV, 11. Orderic Vital, 1. IX, 4, t. III, p. 488.
SIÈGE DE CAPOUE 303
Il semble que les préparatifs de la croisade aient amené un peu
de tranquillité et qu'aucune guerre n'ait eu lieu en 1097 ^ ; du
moins les chroniques sont muettes à cet égard; l'année suivante
vit les hostilités recommencer. Richard II de Capoue, parvenu à
l'âge d'homme, voulut rentrer en possession de l'héritage de son
père, et pria le duc Roger et le comte de Sicile de l'aider à
reprendre Capoue '. Le premier demanda à Richard de se recon-
naître son vassal, et le second exigea l'abandon, en sa faveur, de
tous les droits de Richard sur Naples. Le prince de Capoue fut
obligé d'accepter les conditions qui lui étaient imposées. Roger
remporta ainsi un succès que son père, Guiscard, n'avait jamais
pu obtenir. La soumission de Capoue à Salerne était importante
et pour la première fois, au moins en théorie, l'autorité du duc
de Fouille s'étendit sur toutes les possessions normandes.
En avril, le comte de Sicile vint en Calabre et s'occupa de
réunir, dans la vallée du Crati, des approvisionnements pour la
campagne qu'il allait entreprendre. Son neveu vint le rejoindre à
Oriolo 3 d'où il gagna Melfî. Il semble, d'après le récit de Mala-
terra, que le duc Roger voulut faire en Fouille une démonstra-
tration militaire pour faire cesser les tentatives de rébellion qui
se produisaient un peu partout. D'Oriolo, le comte de Sicile se
dirigea directement sur Bénévent. II campa sur les bords du
Galore, et n'attaqua pas la ville, parce qu'elle appartenait au pape,
mais il imposa aux habitants une contribution de 1.500 sous
d'or. De Bénévent, l'armée se dirigea sur Capoue où elle arriva
quelques jours avant la Fentecôte (16 mai). Le comte avait fait
dire aux gens de Capoue qu'ils eussent à reconnaître immédiatement
Richard. Ceux-ci s'avancèrent au-devant du comte de Sicile et
furent battus ; peu après, arriva Roger, qui assiégea la ville du
côté est, tandis que son oncle l'assiégeait à l'ouest.
Fendant le siège, Urbain II vint au camp des assiégeants pour
rétablir la paix. Il échoua, mais son voyage nous a valu un témoi-
1. Le diplôme de Roger pour l'église de Melfi, de décembre 1097-
1096, n. s., indique qu'à ce moment le duc est allé en Fouille. Ughelli,
op. cit., t. I, p. 293.
2. Pet. Diac, IV, 10. Malaterra, IV, 26 et suiv.
3. Oriolo, circoiid. de Castrovillari, prov. de Cosenza. Le 6 mai le comte
est à Maida, Caspar, op. cit., p. 632.
304 CHAPITRE Xtl
gnage intéressant, celui d'Eadmer, qui, venu avec saint Anselme,
voir le pape, nous raconte que dans Farmée du comte Roger
se trouvaient un très grand nombre de Musulmans '. Les ten-
tatives d'Urbain II pour ramener la paix ne réussirent pas ; et
le pape se retira à Bénévent. Cependant au bout de qua-
rante jours de siège, les gens de Capoue furent obligés de se
rendre, et Richard II fut rétabli. Roger de Sicile et son neveu
retournèrent à Salerne, où le pape vint les rejoindre (5 juillet) ^.
1. Eadmer, Vita S. Anselrni. Migno, P.L., t. 158, col. 101 et suiv.
2. ATArchivio di stato, à Naples,est conservé un diplôme du comte Roger,
en faveur de saint Bruno, dans lequel il est question du siège de Capoue.
Si ce document était authentique, il faudrait modifier la chronologie des
événements du début de 1098, car Capoue aui'ait été assiégée avant le mois
de mars 1098. On ne saurait admettre l'authenticité de cet acte ; il se rat-
tache à toute une série d'actes en faveur de saint Bruno, attribués les uns au
comte Roger l^^\ les autres au duc Roger I^"". Défendus, avec une bien piètre
argumentation, par Tromby, loc.cil., attaqués, avec raison, par Vargas, loc.
cit., et di Meo, op. cit., t. Vlllet IX, ad annos, ces documents ne jouissent
pas encore du discrédit qu'ils méritent, et l'on s'étonne de voir un récent
historien de saint Bruno en faire encore état. Cf. Lôbel, Der Slifter des
Carthàuserordens, der heilige Bruno aus Kôln, dans KirchengeschichtUche
Studien, publiées par Knôpfler, Schrôrs, Sdralek, t. V (Munster, 1899),
p. 145 et suiv.
Ce groupe d'actes comprend les diplômes suivants :
1° attribués au comte Roger : (a), un diplôme de 1090, éd. dans Regii
neap. archivii mon., t. V, p. 129; (h), un diplôme de 1093, ibid., p. 171 ;
quatre diplômes de 1094, ihid., pp. 204 [c], 205 (d), 208 (e), et Trinchera
op. cit., p. 76 (/") ; un diplôme de 1097 {g), ihid., p. 77; deux diplômes
de 1098, Reg. neap. arch. mon., t. V, p. 245 (/i) et 249 (j) ; un diplôme
de 1101 (A), Trinchera, o/j. rif., p. 86 ; un diplôme de 1102 (/), Beg. neap.
arch. mon., t. V, p. 278.
2° attribués au duc Roger I*^""; (m) un diplôme de 1094, ihid., p. 203;
[n] un diplôme de février 1099, Trinchera, op cit., p. 85.
Examinons d'abord le premier groupe. Le petit nombre d'actes du comte
Roger I'''", parvenus jusqu'à nous, rend difficile un examen de ces documents
au point de vue diplomatique, car nous ne savons presque rien sur les
usages de la chancellerie du comte de Sicile. On sait en effet que les
actes de fondation des évêchés de Sicile sont très discutés (cf. infra,
p. 343). Nous pouvons toutefois faire certaines constatations. Nous
pouvons a priori éliminer sans discussion quelques diplômes du comte
Roger, à savoir deux des diplômes de 1094 [d et e), et l'acte de 1102 (/).
Pour les deux premiers de ces documents, il suffira de dire que le comte de
Sicile fait ses donations Beato patri Brunoni. Le qualificatif de he;ttus,
appliqué à un personnage censé vivant, suffît à montrer que ces deux actes
ont été fabriqués postérieurement à la mort de Bruno. Le document de 1102
(/) ne demande pas une plus longue discussion, il présente en effet la par-
URBAIN II ET LE COMTE ROGER l''"' 30o
La campagne qui venait de se terminer avait surtout mis en
relief la personnalité du comte de Sicile, qui de plus en plus
ticLilarité d'avoir été donné, en 1 102, ind. X, par le comte Roger I''', qui était
mort le 22 juin 1101.
Ace premier groupe on peut joindre le diplôme (a) par lequel le comte
Roger accorde à Bruno les terres où il doit s'établir. Les termes de l'acte
indi({uent que Bruno lui-même est alors en Calabre, or, il n'est pas pos-
sible de placer avant 1091 la venue de Bruno dans l'Italie méridionale.
Cf. Jafîé-L., 54i-3, Ptlugk-Harttung, Acta inedita, II, 148; Lôbel, op. cit.,
p. 138, n. .3.
On ne saurait davantage admettre le diplôme de 1093 (A); la date est, en
effet, rédigée dans les termes suivants : Data in pratis Squillacii, uhi
TiiNC, collecta exercitu, morahamur. De plus, GeofFroi, fils du comte
Roger, souscrit le diplôme, or il était mort avant cette date. Cf. Malaterra,
IV, 14 et 18. En outre, il est tout à fait anormal de voir le comte céder à
Bruno, spatiuin uniiis leugae, alors que d'ordinaire, on évalue en pas les
mesures de surface. Il faut remarquer que les mots que nous venons de
relever sont également employés dans le diplôme de 1090 (a}, et dans une
bulle d'Urbain II en faveur de saint Bruno, dont di Meo, op. cit., t. VII,
p. 3.")2, a, à bon droit, contesté l'authenticité. Dans ces trois documents on
reconnaît la main d'un même faussaire.
Le diplôme de 1094 (c) présente au point de vue diplomatique de singu-
lières anomalies. Il mentionne la présence de l'archevêque de Palerme et
des évècjues de Mileto, Tropea, Neocastro, Catane, à la cérémonie de dédi-
cace de la chapelle élevée par Bruno, mais ne donne pas les noms des pré-
lats. Cette omission est déjà singulière, mais que dire d'une souscription,
ainsi libellée : predictis V episcopis ! Il faut en outre remarquer que ce
diplôme est étroitement apparenté aux deux diplômes (d) et (e), où Roger
fait une donation à saint Bruno. Toutes les phrases de (c) se retrouvent
dans {d) et (e), mais ces deux derniers sont plus développés et contiennent
l'énoncé différent des limites des terres concédées (dans / elles sont plus
étendues que dans d). Evidemment ces trois actes ont été fabriqués pour se
compléter l'un l'autre.
Le premier acte daté de 1098 {h) apparaît comme isolé dans le groupe
dont nous nous occupons. Les formules d'invocation et de suscription sont
différentes; il est fait allusion au notaire Bon, que nous connaissons par ail-
leurs (cf. Caspar, op. cit., p. 642). Pourtant, contre cet acte on peut faire de
graves objections. Comment, en 1098, le comte Roger peut-il parler des
antiques diplômes, antiquis cartis, donnés à saint Bruno, alors que celui-ci
n'est en Calabre que depuis sept ans ? En outre, il est fait allusion au séjour
que le comte de Sicile, revenant du siège de Capoue, aurait fait à Squillace,
or ce séjour n'est connu que par un acte faux dont nous allons parler. Pour
ces raisons, je doute fort de l'authenticité de ce diplôme.
Sur le second document daté de 1098 (i) s'appuye une des légendes les
plus connues de la vie de saint Bruno, légende qu'a illusti'ée Lesueur. Par
ce diplôme le comte de Sicile fait une donation à Bruno, qui, pendant le
Hisloire de la doininalion normande. — Chalaxuox. 20
306 CHAPITRE XII
va jouer le rôle qu'avait tenu son frère. La légation de Sicile, que
le pape donna alors au comte Roger, montre qu'Urbain 11 se rendait
siège de Capoue, l*"'' mars 1098 (sic), lui est ap])aru en songe et Ta averti d'un
complot tramé contre lui. Tout ce côté miraculeux l'end déjà le document
très suspect, bien que l'on ait écrit que Ton retrouve dans les termes de
l'acte l'expression de la frayeur ressentie par Roger I^''. Lôbel, op. cit.,
p. 164, n. 2.
Si nous examinons l'acte au point de vue diplomatique, nous remarque-
rons tout d'abord qu'il a deux dates différentes. Après l'invocation vient la
date : anno... niillesimo nonaffesiino octavo, indictione septinia,et vers la fin
de l'acte une seconde date : anno... niilleaimo nonagesimo nono, indictione
aeplinin. Il ne saurait être question ici d'une erreur du scribe ayant écrit
VIIII pour VIII, car, dans l'original, la date est écrite en toutes lettres.
L'apprécation qui termine l'acte est tout à fait anormale, à cette époque.
Le caractère del'écritureest également très spécial; l'invocation notamment
est écrite en une sorte d'onciale avec des lettres de hauteur inégale, dont je
n'ai pas rencontré d'autres exemples. L'écriture, d'une manière générale,
présente des analogies frappantes avec celle du diplôme faux de 1102, qui
d'ailleurs n'a été rédigé que pour compléter le document dont nous nous
occupons. Dans les deux actes la souscription du comte, en particulier,
est trèscai'actéristique. A ces présomptions contre l'authenticité de l'acte,
on peut ajouter que les données chronologiques qu'il nous fournit, sont on
contradiction absolue avec ce que nous savons par ailleurs. En effet, d'après
Malaterra, IV, 26, qui, il ne faut pas l'oulilier, écrit à une époque très rappro-
chée des événements, Roger I*^"' a quitté la Sicile pour se rendre au siège
de Capoue la première semaine d'avril, qui se trouvait celte année la
deuxième semaine après Pâques. En 1098, Pâques étant le 28 mars, la
deuxième semaine après Pâques commence le 5 avril, et l'on peut dire que
cette semaine est la première d'avril. Un diplôme confirme le témoignage
du chroniqueur, le 8 mai, le comte Roger est à Maida, en Calabre (dipl.
édité dans Caspar, op. cit., p. 632). Il est donc impossible que Roger I^""
ait commencé le siège de Capoue avant le 1*'' mars. Pour résoudre cette
difficulté, Troinby a supposé que le siège a commencé en 1097 et avait
duré plus d'un an; di Meo, op. cit., t. IX, p. 33 et suiv., a réfuté cette
argumentation, car cette hypothèse ne cadre pas avec les données de
Malaterra, en effet, en 1097, Pâques est le 5 avril. L'accord unanime des
sources, Ann. Casin., ad an. 1098, dans M.G.H.SS., t. XIX, p. 300, Mala-
terra, IV, 26, Romuald de Salerne, dans M.G.H.SS., t. XIX, p. 413, montre
clairement l'inexactitude des données chronologiques de l'acte de 1098.
Les deux diplômes [f et g) attribués au comte Roger présentent une
importance secondaire, ce sont deux p/a/eae ou listes des vilains donnés à
saint Bruno par le comte de Sicile. Le diplgrae (f) est rédigé suivant les
formules ordinaires des actes de ce genre que nous possédons pour l'époque
de Roger I*"", notamment la disposition par colonne des noms des vilains
est caractéristique. Toutefois l'adresse £•!; xôv ::v£jaaT'./.ôv |jloj Tzi-ip (s«c) xjp:ov
upoSvojv me paraît anormale, j'y vois une allusion au rôle de confesseur du
comte de Sicile (jue la légende attribue à saint Bruno.
UR15ALN II ET LE COMTE ROGER I'='' 307
très bien compte de la situation et qu'il cherchait à gag'ner le
frère de Guiscard pour en faire le protecteur de la papauté.
Dans le diplôme (y) il faut remarquer les différences qui existent entre le
texte grec et le texte latin. Dans le diplôme grec, la donation est faite aux
ermites de Stilo ; dans le texte latin à Bruno, Lawin et autres frères. Dans
le texte grec aussitôt après l'adresse vient la liste des vilains donnés, suivie
des clauses finales interdisant à tout oificier de violer la donation. Par contre,
le texte latin porte non les souscriptions mais l'énumération d'un certain
nombre de personnages et se termine par une allusion à la régence d'Adé-
laïde, puisqu'il est dit : Ilanc autein donationem rneain si ego aut comitissa
posl inorfem ineam, auf aliquis hères meus, etc. Il est difficile d'admetti'e
qu'en 1097, Roger ait prévu qu'Adélaïde exercerait la régence.
Le dernier diplôme (A:), attribué au comte Roger, est un actede donation,
par lequel le comte donne à saint Bruno trois villages. Il faut remarquer que
le texte latin et le texte grec diffèrent quant aux noms des témoins, et que
le premier se termine par une addition relative à la donation d'un moulin
qui ne se trouve pas dans le second. Ces différences me paraissent devoir
rendre également ce document suspect.
Si nous passons maintenant aux actes émanés du duc Roger, nous pou-
vons sans grande discussion éliminer les deux diplômes [m et n). En effet,
les usages de la chancellerie du duc nous sont suffisamment connus pour
qu'ici les faux ne soient jjas douteux. Tout d'abordl'acte (m) est dépourvu
d'invocation, alors que toujours dans les actes émanés de la chancellerie
ducale est employée l'invocation In noinine sanclae et inJividuae Trinita-
lis. Alors que les formules de suscription usitées sont soit : Ef/o Roggerius
divina favenle clementia domini Roherli magnifici ducis hères et /iliiis, soit:
Roggerius divina favente clementia, etc., dans le diplôme (m) Roger s'intitule :
Rogerius Apuliae Calahriae Siciliae dei gratia dux ; [m] a une formule de
salut, alors que dans les diplômes ducaux, il n'y a jamais de salut. De
même la formule de notification usitée dans [m] n'a jamais été employée
dans la chancellerie ducale. De même encore les formules de corroboration,
les clauses pénales, la date sont rédigées complètement en dehors des
usages de la chancellerie du duc Roger. Cf. Mélanges d'archéologie et d'his-
toire, t. XX. p. loo.
Dans le diplôme (n) bilingue, toute la partie latine est rédigée com-
plètement en dehors des formules usitées par la chancellerie, et on ne sau-
rait dire ici que l'acte latin est la traduction de lacté grec, car les deux
textes diffèrent complètement, l'acte grec étant beaucoup moins développé
et dépourvu notamment du long préambule de l'acte latin. D'autre part,
sans insister davantage, la donation est faite à Bruno qui tunc nionasterio
prœerat. Il ne semble pas qu'il y ait lieu d'insister beaucoup pour démon-
trer la fausseté d'un document où se ti'ouvent de pareilles expressions. Fai-
sons toutefois remarquer encore la disposition tout à fait anormale des deux
actes qui sont écrits à côté l'un de l'autre sur deux colonnes; à gauche est
l'acte latin, à droite l'acte grec.
On voit donc qu'il n'y a vraisemblablement pas lieu de tenir compte des
actes en faveur de saint Bruno émanés du comte Roger et de son neveu le
duc de Fouille.
308 CHAPITRE XIl
A partir de l'expédition de Roj^er contre Capoue, nous sommes
très mal renseig-nés. Au mois de mai 1099, Roger est à Tropea
où il fait une donation au monastère de Santa Maria de Altilia '.
Il semble que la Fouille cesse peu à peu de reconnaître l'autorité
du duc ; nous voyons en effet que le comte Henri de ^lonte
San-Angelo date ses actes des années de règne de l'empereur
grec '-. Le comte de Gonversano tantôt date ses actes des années
de règne d'Alexis Gomnène "^, tantôt des années de l'incarna-
tion ^, mais ne date pas des années de règne du duc de Fouille.
11 en est de même à Barletta et à Cannes*. Si nous rapprochons
ces indices de la révolte de Canosa (1 100) ^, nous pouvons con-
clure que l'autorité du duc se fait très peu sentir en Fouille.
Il en est de même dans la région où sont les possessions de Robert
de Loritello. Celui-ci fait revivre le titre pris par les premiers chefs
des Normands et s intitule cornes coniifum ' . Dans cette même
région, Hugues Maumouzet, dont nous avons déjà parlé, avait
continué ses attaques contre les seigneurs du pays. Il avait éta-
bli une de ses créatures comme abbé de Saint-Clément de
Casauria et avait apanage ses sept fils. Hugues était mort peu
avant 1099; attiré par la sœur d'un de ses ennemis à un
rendez-vous amoureux, il fut fait prisonnier et mourut en
prison '^ ; sa veuve épousa quelques années plus tard le comte
Atton '. Farmi les renseignements trop vagues que nous donne
la chronique de Casauria, il faut noter la crainte causée aux
1. Ughelli, op. cil., l. IX, p. 476. Pour le diplôme de février 1099, Trin-
chera, op. cit., p. 8o, cl", supra, p. 307, note.
2. Archives de la Gava, O. 23.
3. Regii neap. arch. ?non., t. V, p. 2.'1"). Bibliotheca di Léo à Brindisi, Cod.
dipl. Brund., actes de 1095 et 1097.
4. Chart. Cup., t. I, p. 128 et suiv.
5. Archives du Mont-Cassin, fonds de Barletta, n° 31, et Ughelli, o/j. cit.,
t. VII, p. 790-793.
6. Romualdde Salerne, dans M. G. H. SS., t. XIX, p. 413.
7. Regii neap. arch. 7non., t. V, p. 221.
8. Chr. Casaur., dans Muratori, R.l.SS., t. II, 2, p. 808 et suiv. Il mou-
rut en 1097.
9. Il s'ag-it peut-être dAtton mentionné en 1116 comme comte des
Abruzzes, Ughelli, op. cit., t. I, p. 316. Sur ses fils, cf. Archivio si. napoL,
1. XV, p. 81 ^.
LE DUC ROGER l'"'" 309
Normands par l'annonce de la venue de l'empereur Henri I\\
Après la mort d'Hugues, Guillaume lils de Tasson était devenu
le seigneur le plus important de cette région; il possédait le
château de Loreto ^ dans le comté de Penne et des biens dans le
comté de Valva'-. La chronique de Gasauria nous dit qu'il
empêchait tout le monde d'aller vers l'empereur. On voit que
l'autorité du missus impérial dans cette région devait être très
faible •■. Guillaume devait rester jusqu'en 1103 en Italie; à cette
date il partit pour la Terre Sainte après avoir vendu ses biens à
Richard, comte de Manopello'*, qui continua la guerre contre les
seigneurs du pays et paraît également avoir été tout à fait indé-
pendant. On voit donc que de ce côté les Normands avaient
toujours continué à avancer.
La région de Gaëte paraît, pendant cette même période, avoir
été très agitée. Nous avons vu que Landolf avait remplacé
Renaud Ridel. Landolf régnait encore au mois de mars 1096 '.
En 1103, au mois de novembre, nous trouvons mentionné dans
les actes, Guillaume de Blosseville comme duc de Gaëte ''. En
llOo, nous voyons que Ptolémée comte de Tusculum et consul
de Rome conclut un traité avec le peuple de Gaëte sans qu'il
soit fait mention du duc '. Celui-ci a dû être chassé. La même
année nous voyons Richard d'Aquila, consul et duc de Gaëte,
conclure un traité avec Robert, fils de Jourdain de Capoue,
Guillaume de Blosseville, Léon comte de Fondi et Landénolf
comte de Maranola. Tous ces seigneurs s'engageaient à respecter,
durant leurs guerres, les biens des monastères et des églises ''.
Richard qui réussit à accroître ses possessions par l'annexion
du comté de Suessano '•', se maintint jusqu'en 1109 i^', après
cette date son nom ne se rencontre plus.
1. Loreto, Circoud. de Penne, prov. de Teramo.
2. Circond. et prov. de Teramo.
3. Muratori, R.I.SS., t. II, 2, pp. K71-872.
4. Manopello, circond. et prov. de Chieti. Cf. aupra, p. 249, note 5.
5. Cod. Caiet., t. II, p. lijl».
6. Ihid., t. II, p. 102.
7. Ibicl., t. II, p. 169. Cf. Lit. Ponl., t. II, p. 307, note 21.
8. Cod. CaieL, t. II, p. 175.
9. Ihid., t. II, p. 18.3.
10. Ihid.. l. II. p. 177.
310 CHAPITRE XII
On peut, par le petit nombre de faits qui nous sont connus,
juger de ce que fut l'anarchie dans la région de Gaëte, au début du
xii'" siècle. La guerre qui éclata en i lOi entre le prince de Capoue,
Richard II, et son frère, Robert, dut singulièrement contribuer à
augmenter le désordre K .lusque-làle duc Roger avait toujours pu
rétablir l'ordre, grâce à son oncle, le comte de Sicile ; celui-ci
étant mort en 1101, le duc se trouva privé de l'appui qu'il avait
toujours trouvé, en le pavant fort cher il est vrai, dans le comte
de Sicile. L'héritier du comte, son fils Simon était mineur et
la mère de celui-ci, Adélaïde eut trop de peine à sauvegarder l'au-
torité de son fils en Sicile pour pouvoir intervenir en Italie-. Avant
la mort de son oncle, Roger réussit à remporter le dernier succès
important de son règne; dans le courant de l'année 1100, il
rentra en possession d'Amalli '', sans que nous sachions comment.
Le duc Roger n'était en rien l'homme que demandait la situa-
tion politique de l'Italie. A partir du moment où son oncle dis-
paraît, son rôle est de moins en moins accusé et nous ne le con-
naissons guère que par ses donations pieuses. Romuald de
Salerne a tracé de lui un portrait qui paraît fort exact. « Le duc
Roger, dit-il, fut beau de corps, illustre par ses mœurs, d'une
gloire discrète, courtois, alTal^le, protecteur des églises, humble
envers les prêtres du Christ et très respectueux envers les
clercs '*. »
Roger, semble-t-il, n intervint pas à Rome dans l'élection du
successeur d'Urbain II, le pape Pascal II (13 août 1099). Il paraît
avoir entretenu de bonnes relations avec le nouveau pape qu'il
aida, en septembre 1101. à s'emparer de Bénévent dont les habi-
tants s'étaient révoltés -. Durant les années suivantes, les chro-
i. Ann. Occann., ad an. IIO'k dans M.G.II.SS., t. XIX, p. 281.
2. En 1 102, janvier, on comptait la deuxième année «pouf recuperalio-
neni ». Caméra, op. cit., t. I,p. 297. Di Meo, op.cU.,l. IX, ad an. 1104, p. 122,
cite un diplôme donné « unno IV post recuperationem ducatus illius Am-alfi».
3. Simon succéda à Roger, il mourut peu après et eut pour successeur
son frère Roger. Cf. infra, p. 3.'jS.
4. Romuald de Salerne, dans M.G.II.SS., t. XIX, p. 414.
5. Ann. Benev., »d. an. 1101, dans M.G.H.SS., t. III, p. 183. CJ. Lih.
Pont., t. II, p. 298.
LE DUC ROGER l"' 311
niques nous apprennent bien peu de choses. En HOo, Roger,
au mois d'octobre, prit Monte San Ang^elo '. Evidemment, le
comte Henri s'était révolté, mais nous ne savons rien de plus.
Il est probable que le comte ne se soumit pas, car, en 1107,
Rog-er assiég-ea Lucera - qui appartenait également à Henri ; nous
ignorons si cette entreprise fut couronnée de succès. 11 semble
pourtant qu'il faille placer à ce moment l'occupation de la ville
par Roger. Nous savons en eifet que, en avril H 15, Lucera
appartenait à un bâtard du duc Roger, Guillaume, et l'on ne
saurait guère où placer, après 1107, la prise de la ville '^
Les^ actes jettent bien peu de lumière sur le règne de Roger.
En décembre 1099 ^, nous avons de lui un acte en faveur de
Manson, fils de Pierre d'Atrani. En mai 1101 % le duc est à
Salerne et fait une donation à l'église Saint-Mathieu de cette
ville. En avril 1102'', il fait une donation k Guérin,abbé de
Saint-Laurent d'Aversa. En mai 1 103 ~, il concède k l'archevêque
d'Amalfi, Mauro, la dîme de son diocèse. Dans le même mois, il
accorde k l'archevêque de Salerne, Alfan, la dime du port de la
ville ^. En septembre de la même année, il est k Salerne et
accorde k la demande de sa femme Alaine deux pièces de terre,
sises en dehors de Salerne, aux trois fils d'un certain Pierre,
Guaifer, Jean et Pierre. En décembre 1104, il fait donation au
Mont-Cassin de biens sis k Troia."
En janvier llOo, Roger fait une concession de. terres k Guil-
laume, évêque de Troia "'. En août de cette même année, il fait
une donation assez curieuse ; k la demande de sa femme Alaine,
il donne un terrain sis k Salerne et les maisons qui y sont cons-
1. Romuald de Salerne, dans M.G.II.SS., t. XIX, p. 413.
2. Ibicl., p. 414.
3. Archives delà Gava, E. 40.
4. Ihid.,0. 36. En mai le duc avait été à Tropea, où il fit une donation
à l'évêque de Cerenzia, Ughelli, op. cit., t. IX, p. 476.
5. Paesano, op. cit., t. II, p. 59.
6. Regii neap. arcli. mon., t. V, p. 275.
7. Ughelli, op. cit., t. VII, p. 200.
8. Archives de la cathédrale de Salerne, Arc. I, 53.
9. Archives de la Gava, I, 40. Gattola, Hist., t. I, p. 158.
10. Archives capitulaires de Troia, G. n° X.
3i2 CHAPITRE XII
truites à Marie, femme de Jean, de laquelle il a eu un lîls, Guil-
laume K C'est ce fils que nous trouverons plus tard comme
comte de Lucera ^ Au mois de mars de l'année 1106, Rog-er est
à Salerne, où il offre à Pierre, abbé de la Gava, le casai Fabrica ^.
Il ne semble pas que Roger soit intervenu dans les affaires de
la succession de Richard II de Gapoue, qui mourut en janvier
H 06 '. Robert, frère de Richard, lui succéda sans difïiculté,
semble-t-il. Le duc de Fouille ne paraît pas davantage avoir pris
part aux événements qui marquèrent le retour de Bohémond et
n'aida pas son frère dans l'expédition qu'il entreprit contre l'em-
pire byzantin -K
En février 1110, le duc Roger, étant à Salerne, fait donation à
l'archevêque de Salerne, Alfan, de quelques vilains habitant à
Melfi ''. Au mois de mars, il était encore à Salerne, et donnait au
monastère de la Gava deux onces sur les douze que lui rappoi-
tait l'église Santa Maria de Salerne '. En juin, il était toujours à
Salerne et confirmait les privilèges de labbaye de la Gava **. En
juillet, il était à Bénévent, oîi il s'était rendu auprès du pape, sans
doute pour s'entendre sur la conduite à tenir vis-k-A'is d'Henri V
dont la venue était prochaine ''. En novembre, Roger faisait
abandon au monastère du Mont-Cassin '" du cens qu'il perce-
vait sur les troupeaux de l'abbaye dans ses terres du Montegar-
gano. Enfin, en février 1111, le duc Roger donnait au monas-
tère de la Gava le château de San Adjutore et ses dépendances".
1. Archives delà Gava, E. 1.
2. Ihid., E. 40.
3. Ibld., E. 4.
4. Pet. Diac, IV, 27, Romuald de Salerne, dans M.G.H.SS., t. XIX,
p. 414. Robert ne fut reconnu quaprès le mois d'août 1106, car, en
septembre 1107, on compte sa l'"'" année, Gattola, Ace, t. I, p. 227, et,
avant mai 1107, car, en mai 1114. on compte sa 8^ année. Gattola, Hisi.,
t. I, p. 257. Cf. di Meo, op. cit., t. IX, pp. 132 et 141.
"). Cf. Chalandon, op. cit., p. 242 et suiv.
6. Paesano, op. cit., t. II, p. 62.
7. Archives de la Cava, E. 12. Cet acte est rédigé sous forme d'acte
privé par un juge. II est souscrit par le duc et le juge.
8. .\rchives de la Cava, E. 14.
9. Ughelli, op. cit., t. X, pp. 517-518. Cf. Pet. Diac, IV, 35.
10. Archives du Mont-Cassin, caps., XI, 20.
11. Archives delà Cava, E. 18.
MORT DU DUC ROGER l"' 313
Cet acte est le dernier que nous connaissions. Roger mourut
peu après, le 22 février ^. 11 iinit obscurément un règne sans
gloire ; il n'eut ni les talents militaires, ni le génie politique de
son père ; seuls les moines enrichis par ses incessantes libérali-
tés firent son éloge et conservèrent son souvenir : aujourd'hui
encore on peut entendre les religieux de l'abbaye de la Gava à
l'issue des complies prier pour l'àme du duc Roger, grand bien-
faiteur de leur abbaye -. Au moment où le duc Roger disparais-
sait, l'Empire allemand venait de prendre sa revanche sur la
papauté et sur les Normands. Le 12 février 1111, l'empereur
Henri V avait fait prisonnier, à Rome, le pape Pascal II, qui
n'avait pas trouvé auprès des Normands le secours qu'il atten-
dait d'eux 3.
Roger ne laissait qu'un fils légitime, Guillaume; il avait
perdu les deux autres fils que lui avait donnés Alaine. Le pre-
mier, Louis, était mort en 1094 \ le second, Guiscard, à une date
inconnue ^. La régence fut exercée par Alaine au nom de son
fils. La mort de Bohémond suivit de quelques jours celle de
son frère ^\ L'Italie méridionale se trouva alors gouvernée par
trois femmes; en Sicile était la veuve du comte Roger, Adé-
laïde, à Salerne, Alaine, et dans les possessions de Bohémond,
sa femme Constance gouvernait pour son fils Bohémond IL Gette
triple régence s'exerçait au moment même où les événements
dont Rome venait d'être le théâtre rendaient plus nécessaire que
jamais un gouvernement fort.
L'entrée d'Henri V à Rome et la captivité de Pascal II eurent
pour résultat immédiat de susciter dans l'Italie méridionale une
1. Necrol. Casin., dans Gattola, Ace, t. II, p. 802.
2. Cf. Guillaume, op. cit., p. 53.
a. Pet. Diac, IV, 36.
4. Archives de la Gava, D. 2. En septembre 1094, Roger fait une dona-
tion « pro redcmplinne animarum.... et Lodoisi diilcissimi filii nostri in
proximo defuncti ». Nous connaissons en outre un bâtard de Roger, Guil-
laume, seigneur de Gesualdo et Lucera, mentionné dans des diplômes
d'avril 1115 et mai 1116. Archives de la Gava, E. 40, E. 46. Guillaume eut
unfils, Elie, mentionné en décembre 1141. Arch. de la Gava, G. 35.
5. Il souscrit un diplôme, en mars 1106. Arch. de la Gava, E. 4.
6. Cf. Chalandon, o/>. cit., p. 249, note 6.
314 CHAPITRE XII
grande ag-itation parmi la population lombarde qui se tourna
vers l'empereur, comme vers son libérateur '. Cette hostilité des
habitants du pays envers les Normands est un fait intéressant à
constater et sur lequel nous avons quelques renseig-nements
notamment par la chronique de Falcon de Bénévent, qui présente
ce g'rand intérêt d'être la seule source narrative de l'Italie écrite
par un adversaire des Normands. Toutes les autres chroniques
ayant été composées par des panég-yristes, celle-ci nous fait voir
le revers de la médaille.
En apprenant la captivité de Pascal II, Robert de Capoue com-
prit la faute que les Normands avaient commise en ne se portant
pas au secours du pape et envoya immédiatement trois cents cheva-
liers pour aider les Romains '-. Mais ces renforts, en arrivant
à Ferentino, trouvèrent Ptolémée, comte deTusculum, et d'autres
nobles romains, qui se déclarèrent pour Henri V et les obli-
gèrent k rebrousser chemin. Le bruit ne tarda pas a se répandre
que l'empereur allait venir dans l'Italie du Sud afin d'en expul-
ser les Normands. Ces rumeurs prirent bientôt une telle consis-
tance que beaucoup de seig-neurs normands se retirèrent dans
leurs châteaux et les mirent en état de soutenir un long siège.
Le prince de Capoue jugea la situation telle qu'après en avoir
délibéré avec ses fidèles, il envoya une ambassade à l'empereur
pour lui demander la paix et lui promettre la fidélité. Le seul bruit
de la prochaine venue d'Henri V suffit pour amener un certain
nombre de Normands de la région des Abruzzes à s'entendre
avec l'abbé de Saint-Clément de Gasauria -^
Ces craintes et ces espérances devaient être également vaines ;
l'empereur ne parut pas dans l'Italie méridionale et, dès le
mois de mars de l'année 1112, Pascal II, revenant à la poli-
tique traditionnelle de la papauté, annulait toutes les conces-
sions que l'empereur lui avait arrachées l'année précédente. Il
est intéressant de constater au concile de Rome, où Pascal se
rétracta, la présence d'un grand nombre d évêques normands de
1. Pet. Diac, IV. 40. Falco Benev., éd. ciel Re, Cronisti e scrittori sin-
croni napoletani (Napoli, 184a,>, t. I.
2. Pet. Diac, IV, .39.
3. Chr. Casauricnse, dans Muratori, R.I.SS., t. II, 2, p. 878.
CONCILE DE CEPBAiNO 315
l'Italie du Sud ^. Leurs conseils ne durent pas être étrangers à
la décision prise par le pape, décision qui confondait à nouveau
l'intérêt de la papauté avec celui des Normands.
Il est curieux de voir qu'à ce moment la population lom-
barde était aussi hostile au pape qu'aux Normands; cela résulte
clairement des événements dont Bénévent fut alors le théâtre.
Le territoire de la principauté avait été peu à peu envahi par
les Normands, dont les vexations continuelles étaient à charge
aux habitants ~. Ceux-ci formèrent le projet de nommer comme
recteur de la ville un certain Landolf, fils de Borrel. Le pape apprit
ces menées et se rendit en toute hâte à Bénévent (2 novembre),
où l'émeute avait déjà éclaté. En mars 11 13, Pascal II, pour donner
satisfaction aux habitants et pour mettre fin aux attaques des
Normands, établit comme recteur Landolf dé Greca. Celui-ci
réussit à obtenir à prix d" argent la destruction d'un château nor-
mand, qui, plus que tous les autres, menaçait la ville. Mais la
paix ne fut pas de longue durée et les hostilités entre les Lom-
bards et les Normands reprirent bientôt. Robert de Capoue et
Jourdain, comte d'Ariano, recommencèrent à attaquer les Béné-
ventains; pendant toute l'année 1113, les environs de Bénévent
furent ravagés. En 1114, au mois de mars, on envoya l'arche-
vêque, Landolf, demander au pape d'intervenir pour faire cesser
les hostilités •. Landolf, qui était un ennemi de Landolf de
Greca, revint en disant que le pape exigeait la démission du
recteur, ce qui était inexact. Le seul résultat obtenu par le
mensonge de l'archevêque fut de faire éclater la guerre civile
dans l'intérieur de la ville où les partisans des deux Landolf
s'entr'égorgèrent. Le pape fit faire une enquête et, au mois
d'octobre, au concile de Ceprano, déposa l'archevêque et con-
firma Landolf de Greca *.
A Ceprano, bien que nous n'ayons aucun renseignement à cet
égard, la grande préoccupation du pape dut être de rétablir la
paix entre les seigneurs normands, qui, à la suite du duc de
1. Mansi, XXI, 50.
2. Falco Benev., ad. an. 1112, p. 162 et suiv.
3. P'alco Benev., ad an. 1114.
4. Pel. Diac, IV, 49. Falco Benev., ad an.
316 CHAPITRE XII
Fouille et du prince de Capoue, se rendirent en g^rand nombre
auprès de lui. Depuis sa rupture avec Henri V, Pascal devait
craindre une nouvelle apparition de l'empei'eur à Rome et cher-
cher à trouver dans la puissance normande un appui éventuel.
Mais pour que ce projet pût se réaliser, il fallait faire cesser l'état
de désordre où se trouvait alors l'Italie méridionale. Nous avons
vu les événementsdont Bénévent avait été le théâtre ; pour Capoue
nous sommes plus mal renseignés, mais nous pouvons néan-
moins constater que l'anarchie la plus complète règne dans cette
région. Après la mort d'André ', fils de Richard d'Aqiiila, duc
de Gaëte -, la veuve de ce dernier, Rangarde, mariée en secondes
noces à Alexandre, comte de Suessano, disputa le duché de Gaëte
à Richard, comte de Caleno. Celui-ci fut soutenu par les moines du
Mont-Cassin, car, peu auparavant, les gens de Suio, proiitant des
troubles, s'étaient révoltés contre la duchesse Rangarde et avaient
donné leur ville à l'abbaye. Gaëte k son tour se rendit indépen-
dante et, à partir de mars 1 1 1-3, on y data les actes des années de
règne de l'empereur Alexis et de son fils Jean. Le dernier
acte ainsi daté est de juillet 1114. Les moines du Mont-Cassin
paraissent avoir été les seuls à profiter de la guerre ; le comte
de Caleno confirma leurs possessions sur les territoires de Fondi,
de Ceccano, d'Aquino.de Venafro, d'Alife et de Teano ^\ La pos-
session du comté de Suio devait être confirmée à l'abbaye quelques
années plus tard par Robert de Capoue '. Toutefois l'ordre ne
régnait pas davantage dans les domaines de l'abbaye dont les
vassaux se révoltaient continuellement. L'abbé, en 1114, dut
réprimer des révoltes à San Germano et à Comino et faire
fortifier Pontecorvo, Cardeto, Vitecuso et Suio •'.
C'est au concile de Ceprano que le duc Guillaume reçut du
pape l'investiture de ses Etats *>. Jusque-là les chroniques sont
1. Pol. Diac, IV, 52.
2. En 1111, Annales Ceccanenses, dans M.G.II.SS., t. XIX, p. 282.
3. Pet. Diac, IV, 54, porte la date de 1115, mais il faut corriger en 1114,
car, au paragi'aphe 55, Pierre Diacre dit cjue l'année suivante le pape alla
à Troia tenir un concile; or celui-ci fut tenu le 24 août 1115. .
4. Gattola, Ace, t. I, p. 232.
5. Pet. Diac, IV, 56 et 57.
G. Pet. Diac, iV, 49. Ann. Coccnn., M.d.lI.SS.. l. XIX, p. 2S2.
LE DUC GUILLAUME l''"' 317
muettes a son égard et les actes émanés du duc sont si peu
nombreux qu'ils nous renseignent fort mal sur la régence
d'Alaine. Il semble que celle-ci ait voulu gouverner en s'appuyant
sur l'influence de l'abbé de la Gava, Pierre, qui à ce moment
occupait, grâce aux vastes possessions de l'abbaye, une situation
comparable à celle de l'abbé du Mont-Cassin. Dès la première
semaine de son règne, le duc Guillaume avait confirmé à l'abbaye
de la Gava la dernière donation du duc Roger ". Au mois d'août de
la même année, il avait donné à l'abbé Pierre tous les vilains qu'il
possédait à ^'iétri -. En décembre 1 1 12 (n. s.) le duc avait confirmé
au monastère ses privilèges précédents -K L'abbé de la Gava ne
fut pas le seul à profiter des faveurs ducales et, en février 1113,
Arnolf, archevêque de Gosenza, obtenait la confirmation des pri-
vilèges accordés à son église par le duc Roger '*. Ge fut ensuite
le tour du Mont-Gassin ; soit en allant à Geprano. soit quand il en
revenait, le duc s'arrêta à l'abbaye à laquelle il octroya un
diplôme confirmant tous les privilèges de ses prédécesseurs. Il
était accompagné de Robert de Gapoue. du connétable Joël et
de Guillaume, comte du Principat '.
La mort de la comtesse Mathilde qui survint pendant l'été sui-
vant (lo juillet H15) rendit plus nécessaire que jamais l'entente
du pape avec les Normands. Pascal II, légataire de la grande
comtesse, dut prévoir aussitôt les difïicultés qu'Henri V ne man-
querait pas de lui susciter au sujet du testament. Or précisément
au moment où la papauté avait le plus besoin d'eux, l'anarchie
redoublait parmi les Normands, surtout parmi ceux établis en
Pouille.
Constance, veuve deBohémond, gouvernait au nom de son fils
Bohémond II ; elle paraît avoir cherché à s'appuyer sur Tan-
crède, un des fils de Geoffroi, comte de Gonversano, auquel elle
donna le quart de la ville de Bari '>. Il est probable que le gouver-
1. Archives de la Cava, E. Il, février 1110, donc entre le 22 février et
le !<"■ mars, Roger étant mort le 22 février.
2. Archives de la Cava, E. 19.
3. Archives de la C^ava, E. 29. Ce diplôme est daté de Tannée 1113,
deuxième année du fUiché. indiction 6. Il s'agit donc de décemhre 1112.
4. Ughelli, t. X, p. 192.
5. Gattola, Ace, t. I, p. 230. Pet. Diac, IV, 48.
6. Di Mec, op. cil., ad an. 1111, t. IX, p. 218.
318 CHAPITRK XII
nement de Taiicrède ne plut pas, car, au mois de janvier 1113.
les "gens de Bari se soulevèrent et firent prisonnière .la mère du
comte de Conversano, Robert, frère de Tancrède '. Robert vint
attaquer la ville et fît couper les vignes et oliviers dans tous les
environs. Les gens de Bari mirent alors à leur tête l'archevêque
Rison. Un acte de celui-ci nous montre qu'en mai de cette même
année la ville cherchait par tous les moyens à se procurer des
ressources pour continuer hi lutter Nous ne savons rien de plus
sur les événements qui suivirent.
Désireux de rétablir la paix, Pascal 11 vint, au mois d août 1 1 lo,
à Troia, pour établir la trêve-Dieu -K Le comte Robert de Loritello,
Jourdain, comte d'Ariano, et les barons de la Fouille jurèrent de
garder la paix pendant trois années. Malgré ce serment, la guerre
recommença : Constance alliée avec Tancrède, etOnfroi, comte de
Gravina, attaqua Alexandre, comte de Matera, frère de Tancrède '.
Alexandre fut vainqueur et lit Constance prisonnière. 11 lemmena
à Matera et la relâcha, au bout de quelque temps, en lui faisant
promettre de revenir se constituer prisonnière à Matera '. Dès
qu'elle fut libre, Constance recommença les hostilités. Au mois
de décembre 11 lo, l'accord existait entre Constance et l'arche-
vêque de Bari, Rison, et, à cette même date, Tancrède était
encore en possession du quart de la ville de Bari ''.
L'ancienne capitale des possessions byzantines fut. peu après,
divisée de nouveau par la guerre civile. Un parti avait à sa tête
ini certain Pierre Johannikios et un personnage du nom d'Argy-
ros : l'archevêque Rison et un certain Grimoald Alferanite étaient
à la tête de la faction adverse qui, au début, semble s'être
appuyée sur Constance '. Toute l'année 1116 fut remplie parla
lutte des deux partis, sans qu'aucun d'eux pût remporter un
1. Roiuuald de Saleine, ad an., dans M.G.H.SS., t. XIX, p. 41 ii.
2. Cod. dlpl. Bnr., t. Y, p. lOG.
3. Falco Benev., p. 172.
4. L'Interpolateur de Romuald de Salerne, /oc. cit.
5. L'Interpolateur de Romuald, loc. cit., donne ensuite à Alexandre le
titre de « contes Barensis »; peut-être est-ce une erreur pour Materensis!
Cf. De Blasiis, op. cit., t. III, p. 14.3, note 2.
ô. Cod. dipl. Bar., t. V, p. 111.
7. Nous ne connaissons ces faits que par une continuation de l'Anonyme
de Bari, Muratori, R.I.SS., t. V, p. loo.
LE DUC GUILLAUME l" 319
avantage décisif. Dans le courant de 1117 ', l'archevêque fut
assassiné, entre Canosa et Barletta, par Argjros ; celui-ci, fait
prisonnier par Geolfroi, comte d'Andria, fut exécuté peu après.
La mort d'Argyros laissa Grimoald maître de Bari ; celui-ci pro-
fita de son succès pour chercher à se rendre indépendant. Dans
le courant de 1118 (avant juin), il fut reconnu comme prince de
Bari '. En août 1119, aidé d'Alexandre, comte de Matera, Grimoald
réussit à s'emparer de Constance '. La veuve de Bohémond ne
fut remise en liberté que l'année suivante g-ràce à l'intervention
du pape ^. A partir de ce moment, Bari pai'aît avoir secoué com-
plètement le joug des Normands. En 1122, au mois de mai, la
ville conclut im traité avec le doge de Venise '. Grimoald agit
dès lors en véritable souverain et c'est seulement quelques
années plus tard que Bari reconnaîtra à nouveau l'autorité des
princes normands.
Le duc Guillaume n'intervint pour aider Constance que quand
il était trop tard et l'expédition qu'il entreprit paraît n'avoir donné
aucun résultat ''. Son rôle pendant toute cette période continua
à être très etlacé, et son gouvernement personnel ne fut pas plus
glorieux que la régence de sa mère qui mourut en avril 1115 '.
Dans le courant de 1114, Guillaume avait épousé Gaitelgrime,
fille du comte d'Airola, Robert •"'. Pendant la période qui s'étend de
1 115 à 1120, nous ne connaissons presque rien du duc. En décembre
1114, il donne à deux de ses ildèlesleplateaticum de Bosanola près
1. Muratoii, R.I.SS., t. V, p. lo.j, et Falco Ben., pp. 172-173.
2. En juin 1123, il compte la 5'' année de son règne, de même, en
novembre 1124. Cod. dipl. Bar., t. V, pp. 122-124-. Il y a foi'cément une
erreur dans l'une do ces deux manières de compter les années de règne.
3. L'InterpoIateur de Romuald de Salerne, ad an., dans M.G.Il.SS.,
t. XIX, p. 417. Constance fut prise grâce à la trahison des gens d'Umeaa-
tia, peut-être Giovenazzo ?
4. .1/1/1. C'ecca/i., ad an. 1120, dans M.G.Il.SS., t. XIX, p. 282.
5. Cod. dipl. Bar., t. V, p. 117.
6. L'InterpoIateurde Romuald de Salerne, ad an. 1120, dans M.G.Il.SS.,
t. XIX, p. 417.
7. Romuald de Salerne, dans M.G.H.SS., t. XIX, p. 41 5, mentionne ce
mariage à l'année 1116, mais Gaitelgrinre souscrit, en décembre 1114, un
diplôme de" Guillaume. Arch. de la Gava, E. 44.
8. Rom. Sal., loc. cit., p. 414.
320 CHAPITRE XII
de Salerne ^ De mai Hlo, est un diplôme pour Etienne, abbé de
Santa Maria de Macla^ En août 1116, le duc fait une impor-
tante donation à labbé delà Cava, Pierre ; il lui accorde le quart
du monastère de Saint-Georges dans le Gilento '. Au mois
d'avril 1117, Guillaume confirme à l'abbaye de la Cava les privi-
lèges de ses prédécesseurs^, et en mai 1119, il confirmait à
Jourdain, frère de Robert de Capoue, tous les biens qu'il possé-
dait à Salerne ■'.
Guillaume ne parait pas être intervenu dans les affaires de
Rome, et quand Henri V, en 1117, revint à Rome, Pascal II réfugié
à Bénévent ne trouva de secours que dans le prince de Gapoue ^.
Les troupes normandes furent d'ailleurs battues et le pape ne put
rentrera Rome qu'en janvier 1118. Il mourut quelques jours
après son arrivée (21 janvier). Son successeur Gélase II ne trouva
pas davantage un appui dans le duc de Pouille, car il me paraît
probable que les Normands qui délivrèrent le nouveau pape des
mains de Cencio Frangipani, devaient être les soldats fournis à
Pascal II 7 par Robert de Capoue. Forcé par la crainte de l'em-
pereur de quitter Rome, Gélase II alla chercher un asile dans
l'Italie méridionale, ce n'est plus alors Salerne qui olfre un refuge
au pape, mais bien Gaète et Capoue ''^. Ce détail seul suffit à
montrer combien le rôle du duc Guillaume est effacé. A Gaëte
pourtant, le duc vint prêter au pape serment de fidélité, mais
dans l'expédition qui fut dirigée contre Rome, les chroniques
mentionnent à peine sa présence et c'est Robert de Capoue
qui commande l'armée et prend Rome ^.
Pendant les années suivantes l'anarchie ne fit qu'augmenter; ce
i. Archives de la Cava.Arcn. M. E., 44.
2. Pino, op. cit., t. I, p. 457.
3. Archives de la Cava, E. 50. En avril M 17, il est mentionné dans un
acte par lequel Guillaume, comte du Principat, met fin à ses démêlés avecla
Cava. Archives de la Cava, E. 47
4. Ibid., E. 2.
o. Ihid., F. 14.
6. Pet. Diac, IV, 61.
7. Lib. Pont., t. II, p. 313.
8. Cf. JalTé-L., t. I, p. 775.
9. Lib. Pont., t. 11, p. 315, FalcoUen., adan.,p. 173. et suiv. Cf.la lettre
de Bruno, archevêque de Trêves, à Henri V, Watterich, op. cit., t. Il, p. 110.
CALIXTE 11 ET LE DEC GUILLAUME 321
fut surtout la région de Bénévent qui eut à souffrir des guerres
continuelles entre les seigneurs normands ; la lutte fut particu-
lièrement violente entre Rainolf et le comte Jourdain K Guillaume
nenous est connu, pendant cette période, que par un acte en faveur
du monastère de Saint-Sébastien, sis près de San Mauro, dans le
Cilento '-. Le successeur de Gélase II, Calixte II, vint, peu après
son entrée dans Rome, dans le Midi de l'Italie ^. A Bénévent, il
reçut le serment de fidélité du duc Guillaume et de Jourdain II
de Capoue qui venait de succéder à son neveu, Richard III,
mort seulement quelques jours après son père Robert ^. Comme
Pascal II, Calixte II cherchait à faire cesser le désordre et
poursuivait l'établissement de la trêve-Dieu ; il se rendit dans
ce but à Troia ■% où se réunirent le duc Guillaume, Robert,
comte de Loritello, Richard, comte d'Andria, ainsi qu'un grand
nombre de barons. Le duc Guillaume fut obligé de restituer des
terres qu'il avait injustement prises au monastère Saint-Nicolas
de Troia •'. C'est de cette ville que Calixte II se rendit à Bari
pour tenter d'y rétablir la paix ''.
Les années, qui suivirent, virent encore décroître l'influence du
duc de Pouille auquel le comte de Sicile enleva une partie de
ses Etats, mais ici les événements nous sont encore mal con-
nus. L'auteur de la vie du pape Calixte II raconte que le duc
Guillaume étant parti pour Constantinople afin d'épouser une
des filles de l'empereur Alexis, le comte de Sicile, son cousin, en
profita pour attaquer ses possessions en Calabre ''^. Le duc avant
1. Sur ces guerres sans intérêt, cf. Falco Benev., p. 176 et suiv.
2. God. vat. 1., 3880, f 18, V (décembre 1119).
3. Il était à Bénévent, le 8 août. Falco Benev., ad an. 1120, p. 181.
4. Pet. Diac, IV, 68. Lib.Pont., t. II, p. 322. Romuald de Salerne, dans
M.G.H.SS., t. XIX, p. 417. Falco Benev., ad an. 1120, i)p. 180-181. Cf.
Necrol. sancli Bened. Cap., di Meo, op. cit., t. IX, p. 2")1.
5. Archives capitulaires de Troia, A n" 47 : " Cuin idem dominas noster
papa Calixlus cum archiepiscopis, episcopis, ahhatibus et reliquis ecclesias-
ticis personis, apud Troiam précipite causa componende tregue dei conveni-
ret. »
6. Ihid.
7. Jaffé-L., 68o7 et 6892.
8. Lib. Pont., t. II, pp. 322-323.
Histoire de L^ domination normande. — Chala>do>. 21
322 CHAPITRE XU
son départ aurait confié la garde de ses États au pape. Celui-ci,
en apprenant que Roger attaquait les possessions de Guillaume,
aurait envoyé au comte de Sicile le cardinal Hugues pour l'ar-
rêter dans son entreprise. Hugues aurait échoué et linterven-
tion personnelle du pape n'aurait pas davantage amené le comte
Roger à céder.
Ce récit présente d assez graves difficultés. Tout d'abord le
projet de mariage de Guillaume paraît inexact. Le duc en effet
était marié et sa femme Gaitelgrime lui survécut; puisque,
quand il mourut, elle coupa ses cheveux pour en couvrir le corps
de son mari '. Je crois donc que l'auteur de la vie de Calixte H
a été mal informé; bien plus, en octobre 1121, époque du siège
de Catanzaro, le duc est à Salerne, où il fait donation à l'arche-
vêque Romuald de la juiverie de la ville ^ Pour ce qui est du
voyage de Calixte H, nous sommes mieux renseignés. Le pape
quitta Rome avant la fin du mois de juillet 1121. Le 2i, il était à
Aversa; le 3 septembre, on le trouve à Salerne où il chercha à
décider Guillaume à traiter avec Roger 3. Le 4 octobre, le pape
était à Melfi, et le 10 novembre à Tarente. De cette ville il se
rendit à Catanzaro, où il était le 21 décembre. C'est alors qu il
rétablit l'évêché de Taverna ^. Romuald de Salerne nous dit que
1. Falco Bcnev., ad an. 1127, p. 193.
2. Paesano, op. cit., t. II, p. 71.
3. JaiTé-L., 6924 et suiv., Falco Benev., ad an. 1111.
4. L'auteur de la vie de Calixte II laisse entendre que le pape s'opposa
aux projets du comte Roger. « Papa aulem in comitein tali oinine surgit.. »
Lib. Pont., t. II, p. 322, et il ajoute : « demum quicr/iiid voluit ipse cornes
Rogerius cuni papa semivivo peregit. » Ihid. 323. Romuald de Salerne,
p. 417, ad an. 1121, complète les renseignements donnés par Falcon
et dit que le pape alla jusqu'en (Palabre pour rétablir la paix. Les
bulles du pape nous font connaitre l'itinéraire de ce voyage jusqu'à Neo-
castro, Jaffé-L., 6924-6936. Pour ce qui est de la venue du pape à Catan-
zaro, nous ne la connaissons que par cinq bulles de Calixte IL
Jalîé-L.,6937, 6938, 6939, 6940,6942. Cette dernière est donnée, à Rossano,
le 6 janvier 1122, et est relative, comme les précédentes, à la nomination de
l'évèque de Taverna. Ces bulles ont été attaquées par Mgr BatifTol, La chro-
nique de Taverna et les fausses décrétales de Catanzaro dans la R. des Ques-
tions hist., t. LI (1892), p. 23o et suiv. Suivant lui, ces cinq bulles sont étroi-
tement apparentées à la fausse chronique de Taverna et ont été fabriquées
vers le xiV" ou xv" siècle par un habile faussaire, pour défendre la juri-
diction de l'évèque de Catanzaro contre les prétentions de celui de Squillace.
LE DUC GUILLAUME ET ROGER II 323
le pape échoua dans ses tentatives pour amener la paix entre
Royrer et Guillaume. L'auteur de la vie de Calixte II confirme son
témoig-nao^e : il raconte, en efîet, que le pape étant tomhé malade,
le comte Roger fut libre de faire tout ce qu'il voulut. Calixte II
revint par Tarente et Bitonto.
L'année suivante, le duc Guillaume fut contraint par la néces-
sité à reconnaître lui-même les conquêtes de Roger. Attaqué
continuellement par Jourdain, comte d'Ariano, il alla trouver le
comte de Sicile pour lui demander assistance. Le récit de Fal-
con de Bénévent montre bien quel piètre seigneur était alors le
duc de Fouille, u Quand il fut arrivé auprès du comte de Sicile,
raconte le chroniqueur, le duc lui dit en pleurant ^i J'ai recours
Fabre (/î. d. Quesl. hist., t. LUI, p. 519) a admis que la bulle n" 6940 est
fausse, mais a soutenu que les quatre autres étaient vraies. Son opinion
me paraît êti'e juste et la réponse qu'il a faite (R. d. Queat. hist., t. LIV,
p. S96 et suiv.) aux objections que Mgr B. prétendait tirer des cai-actères
diplomatiques des actes (R. d. Quest. hist., t. LUI, p. 522 et suiv.) me paraît
irréfutable. Mgr B.{R. d. Quest. hist., t. LIV, p. 599) a d'ailleurs été obligé
de le reconnaître lui-même. De même les objections tirées par Mgr B. du
nom de Très Tahernae donné à Taverna par les bulles de Calixte II,
tombent devant ce fait que c'est là le nom courant usité à cette époque
par la chancellerie romaine. Cf. Lib. censuum, t. I, pp. 243 et 248, note 9,
et Mgr Duchesne, Les évâchés de Calahre, p. 14. Mgr B. en a été réduit à
l'argument qu'il prétendait tirer du droit canonique usité en Calabre. Le
pape, selon lui, n'aurait pas eu le droit de créer un évêque à Taverna à
cause de la légation accordée par le pape, Urbain 11, au comte de Sicile
(Cf. R. d. Quest. hist.. t. LU, p. 239 ; t. LUI, p. 23 i, et t. LIV, p. 590). Peut-
être avant d'invoquer cet argument eût-il été utile de montrer que Catan-
zaro et Taverna appartenaient au comte de Sicile. Mgr B. a cru que la
Calabre en bloc appartenait au comte Roger. On a vu de quelle façon le
partage de cette région s'est effectué entre Robert Guiscard et son frère,
puis entre celui-ci et le duc Roger. On ne saurait a priori affirmer que
Catanzaro et Taverna appartinssent, en 1121, au comte de Sicile. Nous
savons par la chronique de MalateiTa qu'après la révolte de Mihera, sei-
gneur de Catanzaro, le duc Roger partagea les terres de celui-ci entre le
comte de Loritello et lecomtede Sicile (Malat., IV, 11.). Aqui fut Catanzaro?
nous l'ignorons ; mais le fait que, au moment où il vient attaquer le duc
Guillaume, le duc Roger va mettre le siège devant Rocca Falluca, tendrait
à montrer que la place appartenait à. Guillaume. Par suite, la qualité de légat
a latere du comte Roger n'aurait rien à faire dans la question. Un passage
de Falcon de Bénévent, ad an. 1122, p. 186, nous montre que le duc Guil-
laume avait encore à cette date des possessions en Calabre.
1. Falco Benev., ad an. 1122, p. 186 et suiv. Sur la famille des comtes
d'Ariano, cf. infra, [>. 382, n. 2.
324 CHAPITRE XII
à votre puissance, noble comte, à cause de nos liens de parenté
et aussi à cause de vos richesses. Je viens me plaindre du comte
Jourdain et vous demander votre appui pour en tirer vengeance,
car un jour comme j'entrais à Nusco, le comte Jourdain avec une
troupe de cavaliers vint devant la porte de la ville, et me cribla
d'injures et de railleries; il me menaça même de couper un mor-
ceau de mon manteau. De plus il a dévasté toute ma terre de
Nusco. Comme je ne suis pas assez puissantpourle punir, j'ai dû
supporter l'injure, mais j'attends avec impatience le jour de la
vengeance. »
Le comte de Sicile se fît payer chèrement son aide ; il se fit
donner par le duc Guillaume les possessions que celui-ci avait
encore en Calabre, ainsi que sa part de Messine et de Païenne. A
ce prix, Roger fournit des troupes qui permirent à Guillaume
d'obliger Jourdain, assiégé dans Apice, à lui demander merci et
l'aidèrent à ramener un peu d'ordre dans ses Etats, au moins
dans les environs immédiats de sa capitale, à Monte Corvino. Le
duc marcha ensuite contre Monte Vico dont les habitants avaient
tué leur seigneur. Cette expédition fut la dernière à laquelle Guil-
laume prit part. Nous ne savons rien de ses dernières années. En
féviùer 1123, le duc confirmait à l'abbé de la Cava, Constable, la
donation que venait de faire, en prenant l'habit, Guaimar, petit
fils de Gui, le frère de Gisolf de Salerne'. En septembre de la
même année, il accordait à l'abbaye de la Cava la permission d'éle-
ver des fortifications pour défendre certaines de ses possessions "-.
Le duc Guillaume n'intervint pas dans la guerre qui eut lieu,
en 1124, entre Richard, comte de Caleno, dune part, et le Mont-
Cassin d'autre part -^ Il ne joua, non plus, aucun rôle dans l'élec-
tion du successeur de Calixte II, Honorius II. qui fut nommé en
décembre de la même année. En 1125, le duc se rendit (après le
l*"'" septembre) à Bénévent auprès du pape qui l'investit de ses
1. Archives de la Cava, F. 23.
2. Archives de la Cava, F. 24.
3. Pet. Diac, IV, 82.
4. Romuald de Salerne, ad an. 1125, dans M.G.H.SS., t. XIX, p. 417,
donne Findiclion 4. D'autre part, le pape résida à Bénévent du 11 juillet au
il octobre. JafTé-L., 7212 et suiv.
MORT DU DUC GUILLAUME 323
États. En mai 1 126, nous trouvons Guillaume à Salerne, où il con-
firme à l'abbaye de la Cava les biens laissés par Sykelgaite, veuve
de Guaimar, fils de Gui'. En août delà même année, il confirmait
au Mont-Cassin toutes ses possessions"-. Enfin en juillet 1127,
ayant décidé de se faire enterrer dans l'église Saint-Mathieu de
Salerne, dans le sépulcre de son père, il donnait à l'archevêque,
Romuald, différents biens sis aux portes de Salerne ■^. Cet acte fut
sans doute le dernier émané du duc, qui mourut le 25 juillets
Avant de mourir, il fit verbalement une dernière donatien à la
Cava •'.
Si Romuald de Salerne ajustement blâmé la faiblesse du gou-
vernement du duc Guillaume, ses contemporains nont pas
jugé sévèrement le fils de Roger, mais ont vanté son courage
militaire, sa largesse, sa courtoisie et son respect du clergé.
Falcon de Bénévent nous a dépeint l'empressement du peuple
de Salerne se pressant au palais pour A^oir encore une fois, après
sa mort, son bon seigneur (( qui fut pleuré comme jamais le fut
duc ou empereur ». On ne saurait souscrire aux éloges accordés
à Guillaume, qui se montra incapable de gouverner. Sa faiblesse
permit aux seigneurs de se rendre indépendants ; il ne sut pas
même garder intact l'héritage déjà fortement entamé que lui
avait laissé son père. En somme, en 1127, la situation de l'Italie
méridionale était peu différente de ce qu'elle avait été avant le règne
de Guiscard. Le titre de duc n'était qu'un vain mot, car le duché
n'existait plus, il s'était démembré et formait une série de seigneu-
ries, en fait indépendantes. Heureusement pour les Normands
qu'une puissance plus forte s'était formée en Sicile. A 1 abri des
guerres continuelles, qui avaient désolé l'Italie du sud, le comte
Roger I" et son fils, Roger II, avaient su créer un Etat rempli de
cohésion, et dès la mort de Guillaume, le jeune comte de Sicile
entreprit de réunir en un seul groupe toutes les possessions nor-
1. Archives de la Cava, F. 30.
2. Gattola, Ace, t. I, p. 232.
3. Paesano, op. cit., t. II, p. 73.
4. Cf. infra, p. 385, note, 2.
0. Archives de la Cava, F. 40. L'acte est dressé, le 8 août 1127, par deux
juges devant lesquels ont comparu les témoins.
326 CHAPITRE Xll
mandes d'Italie. Il ne devait atteindre ce but qu'à grand'peine et
il allait avoir à vaincre la résistance acharnée de tous les vassaux
de son cousin. Ce fut seulement quand il y eut réussi que la puis-
sance normande dont les progrès étaient arrêtés depuis 1085
reprit son développement.
CHAPITRE XIII
FIN DE LA CONQUÊTE DE SICILE. LA SICILE JLSQU'a LA MORT
DU COMTE ROGER I
(1073-1101)
Après la prise de Palerme par Robert Guiscard et le comte
Rog-er, il s'en fallait encore de beaucoup que la situation des
Musulmans de Sicile fût désespérée. Une grande partie de l'île
était encore en leur pouvoir et l'importance des positions, oîi ils
avaient réussi à se maintenir, devait leur permettre de prolonger
la résistance pendant de longues années. A la suite des derniers
succès remportés par les Normands, la Sicile se trouvait partagée
de la façon suivante. Maîtres des trois grandes villes maritimes
de Catane, Messine et Palerme, les Normands possédaient vrai-
semblablement toute la côte nord de l'île ; toute cette région a dû
être soumise pendant la marche de l'armée normande sur Palerme ;
un peu plus tard, en effet, nous voyons que Mistretta appartient
aux conquérants; or, comme après la prise de Palerme il n'y a pas
eu d'expédition de ce côté, on est en droit de supposer que toute
cette partie de l'île a été soumise en 1071. Le val Demone
n'appartenait pas tout entier aux Normands, car les Musul-
mans étaient demeurés les maîtres de la région comprise entre
Messine, Troina et Catane. Dans cette partie de l'île, Taormine
était le centre de leurs possessions. Si Catane était au pouvoir des
Normands, tous les environs de la ville étaient encore aux mains
des Musulmans. A l'autre extrémité de l'île, les vainqueurs
avaient occupé Giato et Cisini. Mazzara avait fait sa soumission
au lendemain de la prise de Palerme, mais nous ne savons rien
des possessions normandes, comprises entre ces deux villes. Dans
cette même région, les Musulmans étaient maîtres de Trapani
et de tous ses environs. Toute la côte méridionale de la Sicile se
trouvait partagée entre l'émir de Castrogiovanni et celui de
Syracuse. Vers l'intérieur, Troina demeurait le principal établis-
sement des Normands, dont Paterno, Calascibetta et Cerami
328
CHAPITRE XIll
étaient les possessions les plus avancées ; par contre, Castro-
giovanni et plus au sud Gastronovo étaient au pouvoir des
Musulmans. En somme, ces derniers possédaient encore le centre
et le sud de la Sicile, et avaient, en outre, réussi à se maintenir
aux deux extrémités de l'île, à Taormine et à Trapani.
Près de ving-t années devaient s'écouler avant que la
Sicile tout entière fût soumise aux Normands. Si forte qu'elle
fût encore, en 1072, la puissance des Musulmans ne suffît pas à
expliquer la lenteur de la conquête et c'est à d'autres raisons
qu'ilconvientd'attribuer le temps d'arrêt marqué par les Normands.
D'une part, après qu'il eut partag'é la Sicile avec son frère,
Robert Guiscard laissa Rog-er poursuivre seul la lutte contre
les Musulmans et l'abandonna à ses propres forces. Sans doute
avant de quitter l'île, le duc de Fouille autorisa un certain nombre
de ses chevaliers à passer au service du comte de Sicile, mais
malgré l'appoint qui lui fut ainsi fourni, il résulte clairement de
la chronique de Malaterra, que Roger n'a eu le plus souvent
sous ses ordres que quelques centaines de chevaliers ; pour
cette cause, il dut renoncer aux grandes entreprises et se borner
à faire aux Musulmans une guerre de partisans, la seule que lui
permit de poursuivre avec succès la faiblesse de ses effectifs.
D'autre part, le comte de Sicile dut incessamment interrompre
la guerre musulmane pour intervenir dans les affaires de l'Italie
méridionale. Les révoltes continuelles, qui éclatèrent pendant les
règnes de Guiscard et du duc Roger, obligèrent fréquemment le
grand comte à donner à son frère et à son neveu l'appui de ses
armes, car si l'Italie méridionale avait réussi à secouer le joug
des Normands, il lui aurait été impossible de songer à pour-
suivre la conquête de la Sicile. Nous verrons d'ailleurs que Roger
sut se faire payer chèrement son appui et presque chacune de ses
interventions, en Italie, fut marquée par une nouvelle extension
de ses possessions en Sicile. Il faut enfin tenir compte de ce fait
que les premières conquêtes des Normands furent singulièrement
facilitées par l'appui que leur fournit la population chrétienne
du val Demone. Pour la dernière partie de la conquête, nous ne
trouvons dans Malaterra aucune mention relative à des chrétiens
indigènes ; très probablement toute la population chrétienne
FIÎN DR LA CO.NOUftTE DE LA SICILE 329
s'était réfugiée dans le val Demone et, dans le reste de la Sicile
la population presque tout entière étant musulmane, Roger ne
dut trouver nulle part une aide analogue à celle que lui avaient
fournie les chrétiens de la région de Troina.
En poursuivant la tâche ardue qu'il s'était imposée, Roger se
heurta à des difficultés sans nombre qui lui fournirent l'occasion
non seulement de déployer de brillantes qualités militaires, mais
aussi de faire montre d'un sens politique très fin et très avisé.
Sachant proportionner ses ambitions à la faiblesse des moyens
dont il disposait, le comte Roger s'appliqua à ne tenter aucune
entreprise au-dessus de ses forces et sut avec tant de prudence
poursuivre la conquête de l'île sur les Musulmans, que les
seuls revers qu'il éprouva, du moins au dire de son biographe,
furent causés par la désobéissance de ses lieutenants. La chronique
de Malaterra fait revivre à nos yeux la lutte héroïque que
dirigea le frère de Guiscard, et le lecteur peu à peu se passionne
pour les exploits des héros normands. Enfermés dans leurs
châteaux, ces hardis aventuriers guettent à chaque instant le
moment où ils pourront trouver en défaut la vigilance de leurs
adversaires, et dès qu'une occasion favorable se présente, leur
troupe peu nombreuse s'élance à l'attaque du territoire ennemi
qu'elle dévaste. Aussitôt leur coup de main réussi, les Normands
regagnent leurs abris et attendent que se présente l'occasion
d'une nouvelle entreprise. Dans cette guerre d'embuscade et de
surprise, la valeur individuelle joue le principal rôle et nous
verrons à chaque instant les chevaliers normands mettre en fuite
à grands coups d'épée des bandes musulmanes beaucoup plus
nombreuses. Sans doute, à ce point de vue, Malaterra présente des
exagérations certaines et l'on doit diminuer considérablement les
évaluations des forces musulmanes qu'il nous donne; néanmoins
il est certain que les Normands dans toute cette guerre étaient
par leur nombre très inférieurs aux Musulmans. Rien ne nous le
montre mieux que la tactique employée. Nous voyons en effet
que chaque conquête des Normands est aussitôt munie d'une
citadelle ou d'un château, qui permet aux conquérants, malgré
leur petit nombre, de maintenir dans l'obéissance les populations
des régions récemment soumises et d'organiser leurs conquêtes.
330 CHAPITRt: XIII
A l'égard de ses nouveaux sujets, le comte Roger a usé, semble-
t-il, de la plus large tolérance et a été l'initiateur de la politique
féconde que ses successeurs suivront, pendant presque tout le
XII'' siècle, à l'égard des Musulmans. Très probablement, bien
qu'à ce sujet Malaterra ne nous fournisse pas de détail, lors de leur
capitulation, un assez grand nombre de Ailles de Sicile ont conclu
avec le comte Roger des traités assez analogues à celui qui avait
précédé la reddition de P;derme. Parla, les vaincus réussirent à
conserver certains avantages. Il est certain toutefois que dans les
campagnes ou les villes les moins importantes, la condition des
vaincus fut beaucoup plus misérable, et qu'un grand nombre de
Musulmans furent réduits au servage. Sans insister ici sur la
situation des Musulmans, dont nous nous occupons ailleurs, disons
seulement qu'il paraît que les vaincus furent soumis au paiement
d'un tribut annuel et durent rendre chaque année des scrvifia à
leur seigneur.
Le comte Roger s'appliqua en outre à ne point s'aliéner par
une sévérité mal entendue l'esprit des Musulmans, et le plus
souvent nous le voyons traiter avec honneur ceux de leurs chefs
qui tombent entre ses mains, leur laisser une certaine liberté et
se borner, en leur concédant des domaines, à les éloigner de la
région où ils avaient exercé leur pouvoir. Bien plus, dès la
période de la conquête, Roger comprit tout l'appui que lui
apporteraient des Musulmans entrant à son service ; non seule-
ment il ne craignit pas de s'allier à lémir de Catane, mais
encore il combla de ses faveurs ceux des Musulmans qui
consentaient à renier leur foi et à embrasser le christianisme. Il
est enfin fort probable que, dès le début, le comte de Sicile orga-
nisa des corps de troupes composés de Musulmans ; nous verrons
que quelques années plus tard ces troupes indigènes consti-
tuaient un noyau important dans son armée. Rappelons à ce
propos le passage de l'auteur de la vie de saint Anselme qui nous
dit que Roger interdisait aux prêtres catholiques de tenter de
convertir ses soldats musulmans '. A lui seul cet exemple de tolé-
rance politique suffit à faire connaître le caractère de Roger P^
1. Cf. supra, p. 304, note 1.
PIN DE LA CONQUÊTE DE LA SICILE 331
La conquête de la Sicile progressa lentement dans les pre-
mières années qui suivirent la prise de Palerme. Il y eut alors
une période d'organisation. Le comte Roger s'appliqua à cons-
truire, dans la région disputée aux Musulmans, toute une série
de places fortifiées dont un donjon constituait la principale
défense. C'est ainsi qu'à Paterno, le comte fît bâtir, sur
une colline escarpée, un château qui l'aida à commander toute
la plaine de Catane. Ce renseignement que nous fournit Mala-
terra paraît indiquer qu'à ce moment Catane et Paterno sont,
vers le sud, les deux points les plus avancés occupés par les
Normands. A Mazzara, le comte entreprit pareillement la cons-
truction d'une citadelle (1073). L'année suivante ce fut à Cala-
scibetta, en face de Castrogiovanni, que Pioger construisit un
nouveau château K On voit par là que le comte de Sicile est
occupé à fortifier toute la frontière de ses Etats du côté des Musul-
mans, et à créer des centres d'où ses troupes peuvent aller harce-
ler l'ennemi. A diverses reprises, de 1073 à 1077, la présence du
comte Roger nous est signalée en Italie, où il se rend pour
aider Guiscard dans ses guerres. Peut-être convient-il égale-
ment de cheixher dans ses absences fréquentes une des causes
du ralentissement de la conquête.
L'inaction relative des Normands amena de la part des Musul-
mans un redoublement d'activité, àpartirde l'année 1074. Peut-
être y eut-il accord entre les derniers chefs musulmans de Sicile
et leurs coreligionnaires d'Afrique. Nous voyons, en effet, que, le
23 juin 1074, une flotte africaine débarqua des troupes devant
Nicotera, qui fut prise et pillée. Les habitants furent emmenés
prisonniers en Afrique. L'année suivante, les Musulmans
d'Afrique parurent devant Mazzara qu'ils assiégèrent pendant
huit jours. Roger se trouvait alors en Sicile ; informé de l'arri-
vée de l'ennemi, il se rendit en toute hâte à Mazzara où il réussit
à pénétrer pendant la nuit. Grâce aux renforts qu'il avait amenés,
les assiégés purent faire une sortie victorieuse et mettre en fuite
les assaillants. Il semble qu'à la suite de ces deux agressions
successives, Roger ait engagé des négociations avec le prince
1. Malaterra, III, 1 et 7.
332 CHAPITRE XKI
d'El Medeah. Nous ne voyons plus, en effet, apparaître les
Musulmans d'Afrique dans les jj^uerres de Sicile. En 1078. une
flotte musulmane paraît devant Taormine, mais son chef fait dire
à Roger qu'il n'a aucune intention hostile et se retire sans com-
battre '. D'autre part, en 1086, Roger refuse de se joindre aux
Pisans pour attaquer El Medeah, et déclare que les traités qui
le lient aux Musulmans lempèchent de prendre part à cette
entreprise '-.
En lOTo et 1076 ^, les hostilités entre les Musulmans et les Nor-
mands reprirent avec une nouvelle vigueur. Obligé de se rendre
en Calabre, Roger confia le commandement des troupes, demeu-
rées en Sicile, à Hugues de Gircé, son gendre, mais défendit à
celui-ci d'en venir aux mains avec lémir de Syracuse, Bernavert.
Hugues n'exécuta point les ordres qu'il avait reçus ; désireux de
s'illustrer par quelque brillant fait d'armes, il se rendit à Troina
où commandait Jourdain, fils de Ro2:er. et orsranisa avec son con-
cours une expédition contre Bernavert. Tous deux se rendirent à
Catane ; instruit de leur arrivée, l'émir de Syracuse les attira dans
une embuscade et leur infligea une sanglante défaite. Hugues de
Gircé trouva la mort dans cette rencontre. Les survivants se
réfugièrent les uns à Catane et les autres à Paterno. Dès que
Roger connut l'issue malheureuse du combat, il revint en Sicile,
pour tâcher d'elFacer par de nouveaux succès l'impression désas-
treuse que pouvait produire sur ses sujets musulmans la nou-
velle de la victoire de l'émir de Syracuse. Le comte de Sicile
s'empara de Judica. près de Caltagirone (1076), puis, au début de
l'été, il ravagea la province de Noto, incendiant les moissons et
emmenant les habitants en captivité. Il est probable que Berna-
A^ert dut à son tour dévaster les territoires soumis aux Normands,
car, à la suite de ces combats, une famine terrible se déclara dans
l'île.
Au mois de mai de l'année suivante (1077), le comte Roger
porta l'effort de ses armes à l'autre extrémité de l'île. A la tête
1. Malalerra, 111,8, 9 et 17.
2. Ibid., IV, 3.
3. Pour ce qui suit, cf. Malaterra, III, 10 et suiv,
FIN DE LA CONQUÊTE DE LA SICILE 333
d'une flotte noml^reuse et d'une armée considérable, il alla mettre
le siège devant Trapani. Il semble qu'à ce moment la flotte du
comte Roger soit beaucoup plus forte que lors du siège de Bari.
Evidemment, depuis la prise de Palerme, le comte s'est occupé
de se créer une marine; nous verrons plus loin quel développe-
ment il sut donner à celle-ci. A l'approche des Normands, toute
la population musulmane des campagnes environnant Trapani
se réfugia dans la ville, emmenant avec soi ses biens et ses trou-
peaux. La ville bien fortifiée se trouva ainsi abondamment ravi-
taillée et tout faisait prévoir un long siège. Il n'en fut pourtant
pas ainsi, grâce à un heureux coup de main du fils de Roger, Jour-
dain. Les assiégés envoyaient paître leurs troupeaux sur vin pro-
montoire qui s'étendait aux pieds des murailles. Une nuit, Jour-
dain, avec quelques compagnons, traversale bras de mer qui sépa-
rait le rivage du promontoire et réussit à s emparer de tout le bétail.
Le manque de vivres ne tarda pas à se faire sentir et la ville dut
capituler. Le comte Roger installa une garnison à Trapani et com-
pléta les fortiflcations. Si important que fût ce succès, il n'en
était pas moins incomplet, car tout le pays environnant apparte-
nait encore aux Musulmans. Pour soumettre cette région, le
comte dut soutenir de nouvelles luttes, durant lesquelles la for-
tune lui demeura fidèle. Maître bientôt de douze châteaux, Roger
les distri'bua à ses chevaliers, y installa des garnisons et organisa
ainsi l'occupation militaire du pays.
A la suite de ces succès, le comte se retira à Vicari d'où il fut
peu après appelé à Gastronovo. Un Musulman qui avait eu à se
plaindre de l'émir Abou Bekr, qui commandait à Gastronovo,
s'empara d'une colline escarpée qui dominait la ville et fit offrir
à Roger de lui livrer Gastronovo. Le comte accourut en grande
hâte. Quand Abou Bekr vit les Normands installés dans une
position qui commandait Gastronovo, il prit la fuite, et les
habitants après son départ traitèrent avec Roger. Gelui-ci, pour
encourager les Musulmans à embrasser sa cause, combla de ses
faveurs tous ceux qui l'avaient aidé. Nous ne savons au juste
quelle date il convient d'assigner à la prise de Gastronovo.
Jusque vers le mois de mars 1079, nous ne connaissons aucun
épisode de la conquête. A cette date nous voyons le comte
334 CHAPITRE XHI
Rog-er organiser une importante expédition contre Taormine'.
Tout le massif de l'Etna paraît être demeuré jusque-là au
pouvoir des Musulmans. Les difficultés d'accès expliquent
facilement que Kog'er ait reculé devant une tentative, qui
demandait un grand déploiement de forces. Les conquêtes nor-
mandes avaient peu à peu enveloppé les Musulmans de lEtna,
néanmoins ceux-ci avaient réussi à conserver leur indépendance.
Pour les soumettre, Roger fit des préparatifs considérables. Tan-
dis que sa flotte empêchait la ville de se ravitailler par mer,
Roger enveloppa Taormine d une ligne de vingt-deux postes for-
tifiés qui isola complètement les assiégés. D'après Malaterra,
l'armée aurait été divisée en quatre corps commandés par Jour-
dain. Otton, Arigot de Pouzzole et Elie Cartomi; ce dernier était
probablement un musulman converti. Amari a tiré de cette divi-
sion de l'armée normande des conclusions qui me paraissent
hypothétiques. D'après lui, Jourdain aurait commandé ses piopres
vassaux et les troupes de son père, Otton et Arigot auraient été
à la tête des hommes de Calabre et de Sicile, et enfin Elie aurait
eu sous ses ordres les troupes musulmanes.
Une fois le blocus de Taormine établi, Roger, à la tête d'un
corps de troupes, parcourut tout le versant septentrional de
l'Etna et la vallée qui débouche vers Troina, et soumit par-
tout les Musulmans qui y étaient installés. Revenu devant Taor-
mine, le comte obtint, au mois d'août, la reddition de la place. A
la suite de la prise de Taormine, Roger se trouva maître de toute
la partie de l'île comprise au nord dune ligne allant par Castro-
novo de Mazzara à Catane. Seules les places de Castrogiovaimi
Girgenti, Syracuse demeuraient aux Musulmans.
L'année 1079 marqua un nouvel arrêt dans la conquête, la
popvilation musulmane de Giato qui, au dire de Malaterra, com-
prenait treize mille familles, refusa de payer le tribut annuel et
de rendre les .servit ia. auxquels elle était tenue. Son exemple fut
imité par les gens de Cinisi. Roger marcha contre Cinisi à la
tête de ses vassaux calabrais et chargea ses troupes siciliennes
de triompher de la rébellion des gens de Giatto, qui, ayant assem-
1. Mnln terra, III. 13 et suiv.
FIN DE LA CONQUÊTE DE LA SICILE 335
blé leurs troupeaux, s'étaient réfugiés dans la montagne. Instal-
lés à Partinico et à Gorleone, les Normands guerroyèrent pen-
dant une grande partie de l'été et finirent par rétablir Tordre.
Jusqu'en 1081 nous ne savons rien des guerres du comte Roger;
à cette date, il semble résulter de Malaterra, que Guiscard, en en-
trant en campagne, a laissé à son frère le soin de veiller au main-
tien de l'ordre en Fouille et en Calabre ' . On a supposé avec quelque
apparence de raison que Guiscard avait alors donné à Roger
quelques-unes de ses possessions siciliennes. Nous voyons, en
etfet, en 1082, Jourdain enlever à son père Mistretta et San
Marco, or ces deux places sont situées dans la partie de l'île que
Guiscard s'était réservée -. Il semble donc probable que le duc de
Fouille à une date indéterminée a fait abandon à Roger de
quelques-unes des places qu'il possédait en Sicile.
Tandis que Guiscard combattait avec les Byzantins, les Nor-
mands de Sicile subirent un grave échec. En 1081, Bernavert
espérant sans doute que les forces normandes étaientalïaiblies par
l'expédition contre le basileus, recommença les hostilités avec
beaucoup de vigueur 3, 11 semble qu'à ce moment l'union se soit
faite entre les chefs musulmans de Sicile, et que tous aient
reconnu comme leur chef Bernavert, qui, maître de Syracuse et
de Noto, est d'ailleurs le plus puissant d'entre eux. L'émir de
Syracuse réussit à gagner le commandant de Catane, un certain
Bencimeno, musulman converti au christianisme, dont le nom
défiguré par Malaterra doit sans doute être lu Ibn Thimna.
Grâce à la trahison d'Ibn Thimna, Catane tomba aux mains des
Musulmans. Ce succès eut dans toute la Sicile un grand reten-
tissement. Roger était alors en Italie ; sans attendre son retour,
Jourdain, Robert de Sourval et Elie Cartomi, avec cent soixante
chevaliers, allèrent assiéger Catane. Tout le récit de Malaterra
1. Malatena, HT, 24.
2. Amari, op. cit., t. III, pp. lGO-161. Pour ce qui est de Messine, il ne me
senil)le pas que l'opinion crAmari soit exacte. De ce que Roger fait fortifier
la ville, on ne saurait conclure que Guiscard lui a donné Messine. Il ne faut
pas oublier que dans le partage de la conquête Roger a eu la moitié de
Messine. Cf. supra, p. 209.
3. Malaterra, IV, 30 et suiv.
336 CHAPITRE XUI
relatif aux événements qui suivirent, est fort invraisemblable,
quant aux détails. D'après lui, la petite troupe des Normands
aurait infligé aux vingt mille hommes de Bernavert une défaite
complète. L'émir de Syracuse, réfugié dans Catane, aurait renoncé
à toute résistance et se serait enfui à Syracuse. La défaite et la
fuite de Bernavert ne paraissent pas douteuses, mais on ne sau-
rait admettre le chiffre auquel Malaterra évalue l'armée nor-
mande. Celle-ci a pu ne comprendre que cent soixante che-
valiers, mais k côté d'eux il y avait d'autres troupes dont le
chroniqueur ne parle pas. On ne saurait en effet admettre que
cent soixante chevaliers aient pu triompher de vingt mille
hommes, et leur aient infligé un désastre aussi complet.
Au moment de l'affaire de Catane, le comte de Sicile était
retenu en Italie par la révolte de la ville de Gerace. Un certain
Angelmar qui avait longtemps servi Roger avec fidélité, avait
épousé la veuve de Sarlon et tenait ainsi, du chef de sa femme,
des possessions dans la région de Gerace. Ce fut là qu'il se fit
construire, sans l'autorisation de Roger, un château et s'allia aux
Grecs de Gerace. Instruit de ces faits, le comte de Sicile ordonna
à Angelmar de détruire les fortifications qu'il avait élevées.
Celui-ci refusa d'obéir et, sunissant aux gens de Gerace, se
révolta. Roger dut venir assiéger la ville; il réussit à faire rentrer
la population dans l'obéissance ; quant à Angelmar il parvint à s'en-
fuir '. Après que l'ordre eut été rétabli, Roger retourna en Sicile,
et ce fut alors qu'il fit construire les fortifications de Messine
(1081).
En 1082. Roger dut de nouveau quitter la Sicile pour aller
aider Guiscard à rétablir l'ordre en Italie. En partant, il con-
fia à Jourdain le gouvernement de ses Etats. Il semble bien
que les événements d'Italie du sud aient eu leur contre-coup
en Sicile, mais nous ne savons si des négociations eurent lieu
entre Jourdain et les vassaux révoltés de son oncle. Dans tous les
cas, le fils de Roger, imitant l'exemple des seigneurs italiens et
poussé par certains membres de son entourage, profita de
l'absence de son père pour se révolter. Il s'empara de Mistretta
1. Malaterra, ÎV, 'M.
RÉVOLTE DE JOURDAIN 337
et de San Marco, puis marcha sur Troina espérant qu'il pour-
rait mettre la main sur le trésor de Roger. Celui-ci, en apprenant
la révolte de son fils, revint en toute hâte ; il arriva avant que le
mouvement ne se fût étendu. Craignant de voir Jourdain cher-
cher un refuge auprès des Musulmans, Roger affecta de ne pas
prendre au sérieux la conduite de son fils. Ce dernier, croyant
obtenir facilement son pardon, vint de lui-même auprès de son
père qui lui fit d'abord bon accueil. Une fois maître de Jourdain et
de ses complices, Roger changea brusquement d'attitude. Com-
prenant que s'il ne faisait pas lui exemple, les rebelles trouve-
raient bientôt des imitateurs, le comte de Sicile fit crever les yeux
aux douze principaux coupables et fit craindre pendant quelques
jours à son lils d'avoir à subir un pareil châtiment. Finalement,
à la demande de son entourage, Roger consentit à pardonner à
Jourdain'. Cet exemple sévère suffit pour empêcher les seigneurs
siciliens d'imiter les vassaux du duc de Fouille et Roger, jusqu'à
sa mort, n'eut aucune révolte à réprimer.
Jusqu'en 1084 les sources sont muettes sur le comte de Sicile,
dont l'inaction s'explique facilement par la situation politique
générale. Pendant l'expédition de Guiscard contre Rome et contre
l'empire byzantin, le comte Roger obligé de veiller au maintien
de l'ordre dans les Etats de son frère, ne peut songer à reprendre
la lutte contre les Musulmans. S'appuyant sur un Etat parfaite-
ment ordonné, obéi de ses vassaux, le comte de Sicile a dû jouer
alors un rôle dont l'importance grandissait chaque jour. Guis-
card lui-même reconnut les services que Roger pouvait rendre à sa
dynastie, et, avant de repartir pour la Grèce, lui demanda, au
cas où il viendrait à mourir, de prêter appui à son fils Roger.
A la mort de Guiscard, c'est grâce à l'influence et à la puissance
du comte de Sicile que le duc Roger réussit k faire reconnaître son
autorité, mais, en échange de ce service, il dut abandonnera son
oncle une partie des places de Calabre que Guiscard et Roger
avaient jusque-là possédées en commun. Vis-à-vis de son neveu,
Rogerva jouer désormais le rôle d'un protecteur. Utilisant avec
habileté la situation prépondérante qui lui est faite, le comte
1. Malaterra, IV, 35-36.
Histoire de la domination normande. — Chalaxdon. 22
338 ' CHAPITRE XIII
de Sicile saura faire payer chèrement son concours et saisira
toutes les occasions, qui lui seront otîertes pour augmenter
sa puissance aux dépens de celle de son neveu.
Profitant des troubles, qui s'étaient élevés en Italie, l'émir de
Syracuse, pendant l'été 1084, reprit les hostilités contre les Nor-
mands. Avant le mois d'octobre, la flotte de Bernavertattacpia de
nouveau les côtes de Calabre et Nicotera fut encore une fois pillée ;
les Musulmans ravagèrent ensuite les environs de Reg-gio et brû-
lèrent quelcpes églises ; enfin à Rocca d'Asino ils s'emparèrent
du monastère de la Mère de Dieu et emmenèrent toutes les reli-
gieuses en captivité'. Cette audacieuse agression paraît avoir eu
un grand retentissement, et nous voyons que les chrétiens se
montrèrent très irrités de l'attaque des Musulmans. Roger se
décida à reprendre la guerre interrompue depuis plusieurs années.
Il semble bien qu'à ce moment les haines religieuses aient joué
un rôle considérable. Depuis quelques années, entre les Musul-
mans et les Normands de Sicile, un modus vivendi paraît s'être
établi; à partir de l'agression contre Nicotera, la situation change.
C'est une véritable croisade que le comte de Sicile organise
contre les infidèles et pour préparer l'expédition qu'il projette,
nous le voyons faire appel aux passions religieuses. Les cérémo-
nies même dont sont entourées les préparatifs de la croisade
montrent que Roger a cherché à utiliser, à exciter la haine de ses
sujets contre les Musulmans de Sicile. Peut-être en agissant
ainsi, Roger, auquel l'attaque de Berna vert venait de montrer la
nécessité de terminer la conquête de la Sicile voulut-il, en donnant
à l'expédition projetée un caractère plus religieux que politique,
s'assurer l'appui de l'Eglise pour maintenir l'ordre dans ses Etats
et prévenir une insurrection de ses vassaux d'Italie.
Commencés au mois d'octobre 1085, les préparatifs de l'expédi-
tion occupèrent le comte de Sicile jusqu'au mois de mai de l'année
suivante-. Jourdain avec l'armée de terre alla attendre son père au
1. Malaterra, III, VI, 2, place en 1085 la prise de Syracuse. Les prépa-
ratifs de l'expédition ont duré d'octobre 1084 à mai 1085. L'attaque de Ber-
navert est donc de 1084. Amari, op. cit., t. III, p. 165, place en 1085 l'agres-
sion de Bernavert, sans donner de preuve.
2. Malaterra, loc. cit., dit que les préparatifs de l'expédition durèrent
jusqu'au 21 mai. Le l*"" jour la Hotte alla à Taormine (20 mai), le second
PRISE DE SVHACLSE 339
cap Santa Croce, un peu au sud de Gatane ; il y fut rejoint par la
flotte qui, sous les ordres de Roger, longea lentement la côte de
Tile. Tandis que l'armée campait au cap Santa Croce, le comte
envoya en reconnaissance un certain Philippe, fils du patrice
Grégoire. Monté sur un vaisseau léger, dont tout Téquipage
savait larabe, l'espion put pendant la nuit pénétrer dans la rade
et le port de Syracuse et se rendre compte du nombre de vais-
seaux dont disposait Bernavert. Dans la nuit du 23 au 24 mars i,
la flotte mit à la voile pour Syracuse où elle arriva au petit jour.
L'arrivée des Normands ne surprit point les Musulmans dont la
flotte se tenait prête au combat. Bernavert lui-même avait
pris le commandement. Dans la mêlée qui s'engagea l'émir de
Syracuse, pressé par les Normands, dut abandonner son vaisseau ;
tandis qu'il passait sur un autre, il tomba à la mer et se noya entraîné
par le poids de son armure. La mort de Bernavert paraît avoir
jeté le trouble parmi les Musulmans, qui furent complètement
défaits. Pendant ce temps l'armée de terre commençait le siège
de la place, dont la résistance se prolongea jusqu'en octobre. Au
moment où les assiégés ayant perdu tout espoir songeaient à se
rendre, la veuve et le fils de Bernavert réussirent à forcer le
blocus de la flotte normande. Deux vaisseaux musulmans
emmenèrent avec eux les notables de la ville, qui trouvèrent un
refuge à Noto. Peu après leur départ, la ville traita avec le
comte Roger.
Désireux de profiter de son succès, Roger, après avoir récon-
cilié ses neveux Roger et Bohémond et avoir fourni au premier
les moyens de contraindre à l'obéissance ses vassaux rebelles,
poussa avec vigueur la guerre musulmane, et se décida à attaquer
Hamùd, l'émir de Gastrogiovanni, qui possédait aussi Gir-
genti. Le l*"'' avril 1086, l'armée normande vint mettre le siège
devant cette dernière place et s'en empara le 25 juillet. Parmi les
prisonniers se trouvèrent la femme et les enfants de l'émir de
Gastrogiovanni. Roger, pour se concilier l'esprit de Hamûd, les
à Lognina (21 mai),- le troisième au cap Croce (22 maii, où elle séjourna
un jour (23 mai). C'est un samedi (23 mai) que revient Philippe ; le départ
de la flotte a lieu dans la nuit du samedi au dimanche.
1. Malaterra, IV, 5 et suiv.
340 CHAPITRE XIll
traita avec honneur. Tandis que l'on fortifiait sa nouvelle con-
quête, Roger parcourait la région environnante, faisant reconnaître
partout son autorité. En peu de temps il occupa douze châteaux,
dont voici les noms : Platani, Muxaro, Guastanella, Sutera, Rahl,
Bifara, Micolafa, Naro, Galtanisetta, Licata, Ravanusa.
Désormais la situation des Musulmans de Sicile qui ne possé-
daient plus cpie Noto, Butera et Castrogiovanni, était désespérée.
Hamùd s'en rendit compte et iit olfrir à Roger de se livrer à lui.
Toutefois, craignant d'être massacré par les siens, s'il parlait de
rendre Castrogiovanni, il convint avec le comte de Sicile de sortir
à jour fixe de la ville et de se laisser prendre dans une embuscade.
Les choses se passèrent comme il avait été convenu. Hamùd,
prisonnier de Roger, embrassa le catholicisme et reçut de grands
biens en Calabre. Privé de son chef, Castrogiovanni' résista peu
de temps aux Normands ; les habitants se décidèrent à traiter
avec le comte de Sicile, qui occupa les fortifications et la cita-
delle.
Son intervention dans les affaires d'iUdie n'empêcha pas Roger
d'attaquer les dernières places qui appartenaient aux Musulmans,
à savoir Noto et Butera. Au début d'avril 1088, le comte Roger
alla assiéger Butera'. Obligé de se rendre à Troina auprès d'Ur-
bain II, Roger laissa son armée devant la place, qui ne fut prise
qu'à son retour ; les habitants furent en partie envoyés en
Calabre. En février 1091, Noto, la dernière ville de Sicile qui
appartint encore aux Musulmans, se décida à traiter. Les habi-
tants envoyèrent une ambassade à Mileto, où se trouvait Roger.
Celui-ci imposa à la ville un cens annuel et envoya Jourdain
occuper en son nom les fortifications delà ville.
La rapidité avec laquelle furent prises les dernières villes
musulmanes nous montre clairement les progrès de la puis-
sance de Roger. Il ressort avec certitude de tout ce que nous
savons que le comte de Sicile dispose d'une armée nombreuse,
d'un matériel de siège et d'une flotte bien organisée. C'est là ce
qui explique que la durée des sièges est à ce moment beaucoup
plus courte qu'au commencement de la conquête.
1. Malaterra IV, 12.
CONQUÊTE DE l'iLE DE MALTE 341
L'occupation de la Sicile ne suffisait pas à l'ardeur belliqueuse
de Roger qui, aussitôt après sa victoire, commença à préparer
une grande expédition contre les Musulmans de Malte. Pendant
que tout s'organisait, le comte eut à réduire Mainier d'Acerenza,
qui s'était révolté (mai 1091) ; puis nous voyons Roger aider un
instant son neveu à assiéger Cosenza. A son retour en Sicile, le
comte laissant à Jourdain le commandement de l'île, prit lui-
même la direction de l'expédition qu'il avait organisée contre
Malte.
Les préparatifs faits par les Normands effrayèrent les Musul-
mans de Malte qui, dès son arrivée, firent leur soumission au
comtede Sicile et lui remirent tous leurs captifs chrétiens. Enreve-
nant en Sicile, la flotte normande pilla l'île de Golisano. Après
l'expédition de Malte, Roger renonça à poursuivre au loin les
Musulmans. Tout occupé de l'organisation de ses Etats, Roger se
borne à profiter des difficultés où se débat son neveu, le duc
Roger, pour se faire accorder de nouvelles concessions. A son
retour de Malle, il va aider Roger qui assiège Cosenza et en
obtient en échange de son aide la moitié de Palerme (juillet 1092).
Un peu plus tard, nous le voyons réprimer la révolte de Guil-
laume de Grantmesnil ; c'est à ce moment qu'apparaissent pour la
première fois en Italie les troupes musulmanes que le comte de
Sicile a organisées. Appuyé sur ce noyau de troupes solides, le
comte Roger protège constamment le duc de Fouille. A Rossano,
à Tarsia, à Amallî (1096), à Capoue il est aux côtés du duc de
Fouille et c'est à lui que celui-ci doit de triompher de ses ennemis.
Malaterra compare le héros, dont il raconte l'histoire, à une poule
abritant ses poussins sous ses ailes. Tout ce que nous savons
confirme le témoignage du chroniqueur et il semble bien que ce
soit à son oncle que le duc de Fouille ait été redevable de la plus
grande partie de ses succès. Un acte, de 1098, nous montre le
comte de Sicile jouant le rôle d'arbitre et rétablissant la paix
entre Robert du Frincipat et Fierre, abbé de Venosa K
Il nous reste à parler d'un des côtés les plus intéressants de la
politique de Roger I", ses rapports avec la papauté. Après la
1. Crudo, op. cit., p. 195.
3i2 CHAPITRK .XIII
victoire de Cerami, Roger fît part au pape de son succès et lui
envoya des présents, mais ce fut surtout après la prise de
Palerme que les rapports devinrent fréquents. La réorganisation
du culte amena entre Rome et le comte de Sicile de constantes
relations. Il est intéressant de voir comment Roger chercha à
satFranchir, même dans des questions religieuses, de l'autorité du
pape. Pour la Calabre, il ne me semble pas qu'il y ait eu de
difficultés à ce sujet. Nous ne sommes d'ailleurs renseignés que
pour Mileto et Squillace, car nous ignorons si les deux sièges de
Bova et d'Oppido sont de fondation byzantine ou normande,
et quant aux sièges de Santa Severina, Reggio, Umbriatico,
Nicastro, Tropea, ils ont tous été de bonne heure latinisés '. A
Mileto les choses se passèrent régulièrement ; ce fut Grégoire VII,
qui créa le siège en réunissant les deux anciens diocèses de Vibo
et de Tauriana, et nomma lévêque. En 1087, le comte Roger
délivra le diplôme délimitant le territoire du diocèse. De même,
à Squillace, l'évêque fut institué au temps d'Urbain 11 par le légat
du pape (1096) "-. En Sicile les choses se passèrent différemment.
Au point de vue ecclésiastique la situation de la Sicile difTérait
de celle de l'Italie méridionale. Les églises avaient été complète-
ment dévastées par les Musulmans ; seule l'église de Palerme
avait réussi à se maintenir et, au moment delà prise de la ville,
les Normands trouvèrent un archevêque grec, qui chassé de
l'église Notre-Dame, transformée en mosquée, s'était réfugié dans
une petite chapelle dédiée à saint Cyriaque^. L'n des premiers
1. Cf. Ugbelli, op. cil., t. IX, pp. 475, 526, 402, 451.
2. Ughelli, op. cit., t. IX, p. 944 et p. 426. Le diplôme de Rog-er pour
Mileto a été attaqué par di Meo, op. cit., t. VIII, p. 209 qui se basait sur-
tout sur le faitque l'oiiparlait, en 1087, deGrégoii'e VII comme étantvivant.
Ceci est inexact. Dans le texte grec, il est dit que le comte a été demander
à Grégoire VII de nommer Févêque, mais il n'est pas dit à quel moment a
été faite cette demande. Il me paraît probable qu'à Mileto il s'est passé un
fait analogue à celui que nous constaterons plus d'une fois en Sicile. Ce n'est
souvent que plusieurs années après la nomination de l'évêque que le comte
délivre les diplômes fixant les limites du diocèse. Une bulle d'Urbain II
confirme d'ailleurs la fondation de Mileto par Grégoire VII. Jaffé-L., 5489.
3. II s'agit vraisemblablement de Santa Ciriaca entre Palei'me et Mon-
reale, cf. di Giovanni, Divisione elnograftca délia popolazione di Palerino,
nei secoli, XI, XII, XIII, dans Arch. st. Sicil., N.S. t. XIII, pp. 2 et 3.
CRÉATION DES DIOCÈSES DE SICILE 343
actes des vainqueurs fut de rendre au culte l'église principale et
d'y rétablir l'archevêque K Quelques années plus tard, une bulle
de Grégoire VII (16 avril 1083), nous apprend qu'un archevêque
latin Auger avait remplacé rarchevêque grec ~. Comme la
plupart des sièges de Calabre, le siège de Palerme passa donc au
rite latin presque immédiatement après la conquête.
Le comte Roger, dans le reste de l'île, se préoccupa de réorga-
niser le culte, mais, dans son œuvre de restauration, il ne paraît
point s'être occupé de rétablir les anciens évêchés, et distribua
les diocèses d'une manière nouvelle. Toute cette histoire de la
fondation des évêchés siciliens est très obscure, car les docu-
ments, dont nous ne connaissons souvent que des copies assez
tardives, se contredisent. On est même allé jusqu'à nier l'authen-
ticité de tous les diplômes de fondation, en ne faisant
qu une exception en faveur du diplôme pour Syracuse ^. La ques-
tion a été reprise récemment par M. Caspar, qui a montré qu'au
point de vue diplomatique rien n'empêchait d'admettre l'authen-
ticité de ces documents, en faveur desquels on peut invoquer la
parfaite correspondance existant entre leurs données et celles
fournies par les chroniques et les bulles des papes, relatives à
la fondation des évêchés siciliens ^.
Un fait domine le rétablissement de la hiérarchie religieuse en
Sicile ; c'est la volonté du comte Roger de faire cette réorganisa-
tion à son gré et en dehors de l'intervention pontificale. Pendant
seize années cette lutte se poursuivit entre Rome et le comte de
1. Malaterra, II, 45.
2. JafFé-L., 5258.
3. Starraba, Contrihuto allô xhicfio délia diplomatica siciliana dei tempi
nonnanni. Diplomi di fondazione délie chiese episcopalidi Sicilia (1082-1093).
dans.4rc/j. st. sic. N. S., t. XVIII (1893), p. 30 et suiv. Salvioli, Le décime di
Sicilia especialmente quelle di Girgenti (Palermo, 1901), in-8, combat ég'ale-
nient rauthenticité. De même Punturo, Le décime Agrigenfine ed i docu-
menti apocrifî (Caltanisetta, 1901), in-8, et Nerone Longo, Ricerche
sui diplomi nonnanni délia chiesa di Troina (Catane, 1899), in-8.
4. Caspar, Die Griindungsurkunden der siciliachen Bisliimer und die
Kirchenpolitik Graf Rogers I (Berlin, 1902), in-8. publié de nouveau en
appendice dans Roger II, p. 583et suiv. K. Kehr, op. cit., p. 12-13 et 211-212,
notes 5 et 10, avait déjà détendu Tauthenticitédu diplôme de Roger I«'' pour
Girgfenti.
344 CHAPITRE -Xlll
Sicile, qui linit par triompher le jour où il obtint le titre de légat
apostolique '.
En décembre 1080 ', le comte Roger nomma Robert évêque de
Troina -^ et, en février 1081, fixa l'étendue de la circonscription
diocésaine ^. En 1082. Grés^oire VII confirma ce choix, mais en
protestant contre loubli des règles canoniques dans Télection de
Févêque et en réservant expressément pour l'avenir les droits de
la papauté ^. Ainsi, dès le début, se trouva posée la question qui,
jusqu'en 1098, devait mettre aux prises la papauté et Roger P'". Il
semble que le pape ait protesté contre la création de nouveaux
sièges parce qu'il voulait restaurer les anciens sièges épiscopaux ^.
D'après Malaterra, le comte Roger aurait fondé ensemble les
évêchés de Syracuse, Catane et Girgenti ', entre 1086 et 1088.
La date assignée k ces fondations serait admissible, car Syra-
cuse est aux Normands en 108o, Catane en 1080, Gir-
genti en 1086 ^. Mais les diplômes que nous possédons contre-
disent le témoignage du chroniqueur, car, comme on le verra, ils
sont tous postérieurs de plusieurs années. Il semble bien que
la contradiction qu'on relève ici entre les documents ne soient
1. Dans celle lu lie Roger chercha à s'appuyer sur certaines familles
romaines, notamment sur les Pierleoni. Cf. Kehr, op. cit., dans YArchivio
délia società romana di atoria patria, t. XXIV, p. 2o8.
2. Le diplôme de fondation porte suivant les versions la date de décembre
6588 ou 6589. On a ainsi décembre 1080 ou 1081. Or l'année grecque
commençant le 1*^'" septembre, ou a respectivement le choix entre décembre
1079 et décembre 1080. Je ne crois pas que Ton puisse adopter comme
Caspar, op. cit., p. CiOO, la date de 1081. Les raisons qu'il donne pour
adopter la date de 1081 sont valables, mais il faut faire à la date d'année
la correction qu'il a omise de faire. Ainsi tombe également une des
objections qu'il fait à l'adoption de la date de 1081, février, ind. IV, pour
le second document relatif à révêché de Troina, cf. Xerone Longo, Ricerche
su i diploini Xormanni di Troina, App. n" 2. Le classement des trois
diplômes relatifs à l'évèché de Troina me paraît devoir être établi tel
qu'il l'a été par Garufi, Arch. st. sicil., N. S., t. XXIV, p. 675.
3. Starraba, dans Documenti per servira alla storia de Sicilia. Série I,
Vol. I. I Diplomi delta cathédrale di Messina, p. clxvii, note 2.
4. Longo, op. cit., app. 2 et Pirro, op. cit., t. I, p. 495. Sur la critique du
texte de ces trois diplômes, cf. Caspar, op. cit., pp. 599-604.
5. Jaffé, Bihl. rer. ijerin., t. II, p. 499.
6. Cusa, op. cit., t. I, p. 209, Pirro, t. I, p. 522.
7. Malalerra, IV, 7.
8. Ibid., IV, 2. III, 30, et IV, 5.
CRÉATION DES DI0(.K:SES DE SICILE 345
qu'apparente. Nous avons vu par Texemple de Troina qu'il faut
distinguer entre l'acte par lequel le comte de Sicile nommait un
évêque et celui par lequel il fixait les limites du diocèse '. Ce
dernier peut parfaitement n'être donné qu'une fois terminés les
travaux de construction de l'église ; nous en avons d'autres
exemples -. Or, comme les actes que nous possédons sont tous
relatifs aux circonscriptions diocésaines, rien n'empêche d'admettre
que Roger ait institué vers l'époque fixée par Malaterra des
évéques à Syracuse, à Catane, à Girgenti. On peut trouver du
retard apporté à la délimitation des diocèses ime explication
satisfaisante. En 1088, nous voyons le pape Urbain II se rendre
en Sicile auprès du comte Roger. D'après Malaterra, le pape
voulait entretenir le comte de Sicile de la proposition que lui
avait faite Alexis Comnène de réunir un concile pour examiner,
les questions, qui divisaient l'Eglise grecque et l'Eglise latine -^
On a supposé, et semble-t-il avec beaucoup de probabilité, que le
voyage du pape avait été motivé par la situation de l'Eglise
sicilienne. Probablement instruit des nominations faites parle
comte Roger, Urbain II se serait rendu auprès de lui pour tâcher
d'arriver à un accord. Il semble qu'il y ait réussi, car la bulle du
l*^'" décembre 1091, par laquelle il confirme l'élection de Tévêque de
Syracuse, montre que l'élection a été faite canoniquement avec
le consentement des évêcjues de Sicile '' et que les rapports entre
le pape et Roger sont très bons. L'acte non daté de Roger fixant
les limites du diocèse de Syracuse ' est postérieur au voyage du
pape ; en effet celui-ci donne à l'église de Syracuse Noto et ses
dépendances; or, c'est seulement en février 1090 que Noto est
tombé au pouvoir du comte. Par suite l'acte doit vraisemblable-
ment se placer entre février 1090 et décembre 1091,
1. Caspar, op. cit., pp. 603-G04.
2. Ihid., pp. 607-608.
3. Malaterra, IV, 9. Sur la date. Cf. Caspar, op. cit., p. 611, note i.
4. Il faut donc entendre qu'à ce nioment il y a d'autres prélats que
l'archevêque de Palerme et l'évêque de Syracuse. Pourtant les sièges de
Girgenti et de Mazzara ne paraissent avoir été reconnus que plus tard par
la papauté.
5. Starraba, op. cit., p. 44 et Caspar, np.ci/.,\). 412. Cf. Minier! Hiccio,
Saggio di codicediplomalico. t. I, Sup. I, p. G.
346 r.IIAPITRE XIII
Le différend entre Roger et le pape au sujet de la création des
évêques de Sicile avait été tranché par un compromis . Le pape
a-t-il accordé la fondation du diocèse de Syracuse, mais refusé
dérig^er Catane et Girg-enti en évêché? Gela paraît probable;
pourtant il est difficile d'expliquer que le pape parle des évêques
de Sicile alors qu'en décembre 1091 le siège de Gatane n'est pas
encore reconnu. De même nous voyons le pape refuser d'ériger
Lipari en évêché ^.
Le comte Roger ne se contenta pas de ce résultat et employa
des moyens détournés pour arriver au résultat qu'il désirait.
Un acte du 9 décembre 1092 (1091 n. s.) nous montre installé à
Catane Anchier, qui n'a que le titre d'abbé. Or, si l'on
remarque que Malaterra raconte que Roger nomma un moine
de l'abbaye de Sant'Eufemia, évoque de Catane, et lui soumit
toute la ville -, et que d'autre part a une époque un peu
postérieure, l'évêque de Catane est en même temps abbé du
monastère de Catane ^, on est amené à supposer que le comte de
Sicile commença par créer à Catane, en plein centre musulman,
un abbé très puissant ^, puis demanda au pape de consacrer sa
fondation et d'élever l'abbé à la dignité d'évêque. Urbain II céda
encore et, par une bulle du 9 mars 1092, il éleva ra])bé de Catane
à la dignité épiscopale •''. Par un moyen détourné, Roger réussit
donc à obtenir la création d'un troisième siège épiscopal.
Nous possédons deux actes, datés de 1093, par lesquels sont
fixées les circonscriptions diocésaines de Girgenti et de Mazzara ''.
Par là nous voyons que Roger continua, malgré l'opposition du
1. Jafîé-L., 5448.
2. Le récit de Malatorra ne peut g'uère se placer fju'eii lO'JI. Caspar, op.
cH., p. 616.
3. Pirro, op. cit., t. I, pp. o2.j et 528.
4. Malaterra, IV, 7.
0. Pirro, op. cit., t. I. p. 522. Le pape justifie sa décision sur l'ancienne
dignité épiscopale de Catane. Malgré la difficulté qu'il y a de pénétrer aux
Archives capitulaires de Catane, j'ai pu entrevoir l'acte qui y est conservé;
je crois que c'est une copie et non un original. Les éditions en sont très
défectueuses et très incomplètes. Parmi les souscrij)tions figure celle de
Mauger. Cf. Caspar, op. cit., p. 614, note 3.
6. Garufi, Larchivio capitolare di Girgenti., dans Arch. st. sicil., N.S.,
t. XXVIII, p. 140. Starraba, loc. cit.
CRÉATION DES DIOCÈSES DE SICILE 347
pape, la création des évêchés siciliens. Nous ne savons pas si
Urbain II protesta contre cette nouvelle usurpation du comte de
Sicile. En 1096, nous voyons Roger réunir sur le conseil du pape
les sièjïï^es de Troina et de Messine ^ Urbain II fit une dernière
tentative pour revendiquer les droits de l'Eglise sur la Sicile ; il
nomma Robert, évèque de Troina-Messine, légat apostolique -,
Roger répondit à cette mesure en faisant arrêter l'évêque. A
quelle date éclata ce conflit. Il semble qu'il convienne de le
placer pendant le siège de Gapoue ; nous voyons en elFet que
quand le pape arrive, il est bien accueilli par le comte de Sicile ;
d'autre part après la prise de la ville, quand le pape apprend
que le comte Roger a gagné Salerne et va retourner en Sicile^ il
se hâte de se rendre à Salerne pour le voir avant son départ, car à
ce moment la rupture est consommée. Le pape obtint de Roger
qu'il reconnût ses torts et prît l'engagement de ne plus arrêter
les évêques ou les clercs sans jugement canonique '', mais, en
échange de sa soumission, le comte de Sicile obtint pour lui, son
fils Simon et ses héritiers, le privilège de la légation apostolique.
(5 juillet 1098) '>.
Dans l'organisation qu'il donna à ses Etats, le comte de Sicile
se montra aussi jaloux de son autorité que dans ses rapports avec
Rome. En théorie, le comte de Sicile est le vassal du duc de
Fouille, mais à partir de la mort de Guiscard, Roger est beau-
coup plus puissant que son seigneur et traite avec lui presque en
égal. Roger a partagé et distribué ses conquêtes en fiefs à ses
compagnons, mais paraît avoir évité de créer des fiefs trop impor-
tants ou du moins les a réservés à des membres de sa famille.
C'est du moins ce qui résulte du peu que nous savons sur
le partage de la Sicile entre Roger et ses chevaliers. Nous avons
vu l'importante concession faite à Sarlon ; à Butera, nous trou-
vons Henri, beau-frère du comte Roger; à Syracuse, Tancrède,
fils du comte Guillaume du Principat. Parmi les seigneurs nor-
mands, dont, nous connaissons les noms, très peu paraissent avoir
1. Cusa, o/j. cit., t. I, p. 89. Cf. Caspar, op. cit., pp. 019-020.
2. Malaterra, IV, 29.
3. P. Kehr, op. cit., dans Nachrichten (1899), p. 310.
4. Sur la légation apostolique, cf. t. Il, troisième partie.
348 CHAPITRE XTll
possédé des fiefs considérables. Il me semble que Ton peut
tirer cette conclusion des quelques diplômes de cette époque que
nous possédons : ainsi dans une liste des donations faites au
monastère de Patti, nous voyons que la plupart des seig'neurs
donnent de un à sept vilains; un seul, Raoul Bonnel, seigneur de
Carini, en donne cent '.
Bien que nous ne connaissions que très imparfaitement l'or-
ganisation donnée à la Sicile par le comte Roger, on peut néan-
moins établir quelques faits. L'ordre le plus grand a présidé au
partage de la conquête ; nous savons que les anciennes divisions
territoriales datant de l'époque musulmane furent conservées. Dans
un diplôme de 1094, un casai est donné sccunclum anUcas divi-
sioncs Saracenorum'-,ei dans divers documents il est question de
la division en iklîni, qui paraissent correspondre à des districts
militaires '. Dès le début de la domination normande nous cons-
tatons également l'existence de plateœ' ou listes remises à
chaque feudataire et contenant les noms des vilains habitant les
terres qui lui étaient concédées. Nous parlons ailleurs de ces docu-
ments. Bornons-nous à constater ici que le fait de conserver une
organisation antérieurement établie permet d'expliquer le rôle
important que nous verrons attribuer aux Musulmans dans
l'administration financière de la Sicile. La tolérance dont il fit
preuve envers ses sujets musulmans assura au comte Roger
d'autres avantages ; elle lui permit de hâter la soumission de
certaines villes, et d'organiser les corps de troupes musulmanes,
qui ont assuré sa prépondérance militaire sur tous les seigneurs
de 1 Italie du sud, y compris les ducs de Pouille.
Doit-on attribuer au comte Roger la création de ces colonies
lombardes, dont nous constatons l'existence au milieu du
1. Cf. le texte de la bulle, dans Caspar, £>/? Legatengeivall (1er Norman-
nisch-sicilischen Ilerrscher ini 12. Jahrhundert, p. 32. Le même auteur.
Roger II, p. G32 a publié un dii)lôme du G mai 1098 où Roger prend déjà le
titre de légat. Il va là une contradiction qui peut s'expli<juer, par le l'ait, que,
avant la délivrance de la bulle, Urbain II aurait piomis au comte de le
nommer légat; cf. Caspar, Die Legalengeicalt, p. 32.
2. Pirro, op. cit., t. I, p. 384.
3. Amari, op. cit., t. III, p. 310.
i. Cusa, op. cit., t. I, pp. 1 et 341.
LES COLONIES LOMIÎARDES DE SICILE 349
xii*' siècle ', dans diverses villes de Sicile, à Butera, Plazza, Ran-
dazo, Vicari, Capizzi, Nicosia, Maniaci '-. A plusieurs reprises
Falcand parle de ces Lombards-^ habitant la Sicile. Se basant sur
le témoig-nage d'Ibn el Athir, Amari a supposé que des bandes
d'aventuriers italiens s'étaient joints aux conquérants, et a
relevé dans des diplômes les noms d'un certain nomjjre de per-
sonnages dont l'origine italienne ne saurait être douteuse'.
L'étude des dialectes de certaines rég-ions de la Sicile a confirmé
l'hypothèse émise par l'auteur de la Sforia dei niusubnani\ La
parenté de ces dialectes avec ceux de la Lig-urie, de l'Emilie, du
Piémont, de la Fouille, permet de constater qu'il y a eu en Sicile,
en dehors des colonies de marchands vénitiens, génois ou amal-
fitains, un nombre considérable d'immigrants venus un peu de
toutes les parties de l'Italie 6.
1. Le plus ancien document daté où il fait allusion à ces colonnes est de
1145. Garofalo, op. ci/., p. 19, n. Vil. Cf. Gregorio, op. cit., t. 1, p. 167,
note 2o.
2. Falcand, op. cit., pp. 70-155.
3. Ibid., pp. 77, 86, 93, 118, 133, 156.
4. Amari, op. cit., t. 111, p. 218 et suiv. Voir notamment l'allusion à la
langue vulgaire des hommes de race latine, dans le diplôme d'Ambroise,
abbé de Lipari (1133), dans Gregorio, op. cit., t. 1, pp. 196-197. Cf. Fazello,
De rébus siculis (Catane, 1749), in-f°, déc. I, pp. 413-414.
0. Les groupes connus sont ceux de San Fratello, Xovara, Piazza Arme-
rina, Aidone, Nicosia, Sperlinga. On remarquera que certains de ces
groupes ne figurent pas dans l'énumération de Falcand. Cf. de Gregorio,
Ultima parola sulla varia origine del Sanfratellano, nirnsiano e piazzese,
dans la Ronuinia, t. XXVIll 1899), p. 70 et sniv.
6. Falcand, op. cit., p. 155, dit que les Lombards olTrirent vingt mille
hommes à Etienne du Perche. Les philologues sont loin d'être d'accord au
sujet des dialectes de l'Italie auxquels il convient de rattacher les dialectes
gallo-italici de Sicile. Voici l'indication des principaux articles : de Gregorio,
(outre l'article de la Roinania déjà cité), Fonetica dei dialetfi (jallo-italici
di Sicilia, dans VArchivio gloltologico italiano, t. Vlll (1882-1885), p. 304et
suiv. ; Affinilk del dial. di San Fratello con quelli delV Emilia (Turin, 18861,
in-8 ; Sulla varia origine dei dialetti gallo-italici di Sicilia con osservazioni
sui pedeniontani e gli eniiliani, dans VArchivio st. sicil., N. S., t. XX1I(1897),
p. 390 et suiv. ; Ancoraper il principio délia varietàdi origine deidialetti gallo
italicl di Sicilia, dans Studi glottologici italiani (Turin, 1901), t. II, p. 247
et suiv., et notamment p. 279. Morosi, Osservazioni ed aggiunte alla fone-
tica dei dialetti gallo-italici di de Gregorio, dans VArch. glottol. ital.,
t. VIII, p. 405 et suiv., et t. IX (1886), p. 437 et suiv. Salvioni, Del posta
da Hssegnarsi al Sanfratellano nel sistenia dei dialetti gallo-italici, dans
3o0 CHAPITRE Xlll
L'absence de documents ne permet pas d'établir si cette immi-
gration a eu lieu sous Roger P"" ou sous Roger II. Toutefois, un
fait certain, c'est que celle-ci ne s'est pas produite en un jour ;
nous la voyons même se continuer au xiii^ siècle ^ Néanmoins,
il paraît probable que c'est au moment de la conquête que les
bandes de Lombards ont dû venir en plus grand nombre ; comme
d'autre part nous voyons le comte Roger se préoccuper d'attirer
des habitants dans l'île, dépeuplée par une longue série de
guerres, et prendre des mesures pour créer de nouveaux centres
de population -, on peut, semble-t-il, admettre que c'est sous son
règne que l'immigration lombarde a commencé.
Rien ne montre mieux la puissance de Roger P"" que le fait
de voir son alliance recherchée par tous les seigneur importants
de l'Europe. Le comte de Provence, Raimond IV^ de Saint-Gilles,
le roi de France, Philippe L'', Conrad, le fils d'Henri IV, et
Goloman, roi de Hongrie, demandèrent à épouser les filles du
comte de Sicile.
Roger l" fut marié trois fois. Il épousa en premières noces
Judith, fille de Guillaume d'Evreux 3, dont, malgré le témoignage
d'Orderic Vital, il eut au moins deux filles : Adélaïde mariée à
Henri comte de Monte San Angelo, fils du comte Robert ^ et
Emma qui, après avoir failli épouser le roi de France, finit par
YArchivio rjlotfol. ital., t. XIV, p. 437 et suiv. ; Ancora dei dialplti c/allo-
italici, dans la Romania, t. XXVIII (1899), p. 409 et sui\ . ; L. Via, Le
cosidette colonie lombarde di Sicilia, dans VArchwio st. sicil., N. S.,
t. XXIV (1899), p. 1 et suiv. Dans cet article et dans celui de De Gregorio,
Ancora siille cosi-dette colonie lombarde, dans VArchiv. st. sicil., N. S., t. XXV
(1900), p. 191 et suiv., on trouvera l'indication des ouvrages plus anciens
se rapportant à cette question.
1. lîuilliard BréhoUes, op. cit.,i. V, p. 128.
2. Cusa, op. cit., t. I, p. 532. Pirro, op. cit., t. II, p. 771. Cf. infra, t. II,
troisième partie, chapitre II.
3. Orderic Vital, t. III, pp. 83, 87 et suiv. Cf. Delarc, op. cit., p. 378,
note, qui a éclairci la question de la première femme de Roger.
4. DiMeo, op. cit., t. VIII, pp. 227-228. II ne faut pas confondre Henri,
frère d'Adélaïde, avec Henri, comte de Monte San Angelo. Le premier est
fils de Manfred, tandis que le second est fils de Robert. Archives de la Cava,
F. 33 1 1124, diplôme du comte de Paternoi et B. 27 (1083, diplôme d'Henri
comte de Monte San Angelo).
LA FAMILLE DE ROGER I^*" 351
se marier à Guillaume III, dit VII, comte de Glermout ' ; une
fille de Roger portant ég-alement le nom d'Emma épousa Raoul
Machabée, comte de Montescaglioso- ; devons-nous l'identifier
avec la femme du comte de Clermont? Je ne le crois pas, on verra
plus loin pour quelles raisons. De même Mathilde qui, vers 1080,
épousa le comte de Toulouse, paraît être l'aînée des filles du
premier mariag-e-^ En secondes noces Rog'er P'' épousa Erem-
burge, fille de Guillaume de Mortain 4, et (1089) en troisièmes
noces, Adélaïde, fille du marquis Manfred et nièce de Boniface del
Vasto, seig-neur de Savone^. Si nous savons avec certitude qu'il eut
de sa troisième femme Simon et Roger, nés l'un en 1093, le second
1. Malatorra, l\ , 8. Cf. Anselme, Histoire çjénôalogiqiip et chronologique
de la maison de France, 'M éd. (Paris, 1733), t. VII, p. 47.
2. En mai 1099, Raoul Macchabée fait une donation pour l'àme » domine
judelte socrns mee », et de sa femme Emma, Reg. neap. arch. mon., l. VI,
p. 168.
3. Malaterra, III, 22. Cf. Histoire de Languedoc (n. éd.), t. III, p. 428,
et t. IV, pp. 31, 177, 196.
4. Ihid., IV, 14. On trouve un Pierre de Mortain dont la présence est
mentionnée en Sicile, Malaterra, IV, 16; Pirro, op. cit., t. I, pp. 76, 520; de
même il souscrit l'original (Archives capit. de Catane) de l'acte publié par
Pirro, o/). c j7. , p. 771 ; dans l'édition sa souscription manque. Gaspar, op. cit.,
p. 18, fait sans raison d'Eremburge une fille de Robert de Grantmesnil.
5. Son frère Henri se dit fils du marquis Manfred, cf. supra, p. 350, note 5.
Les principaux ouvrages où est examinée la question de la famille d'Adé-
la'ide sont les suivants : Savio, // marchese Bonifazio del Vasto e Adelasia
comtessa di Sicilia, dans AttidelV Academia délie scienze di Torino, t. XXII
(1886-1887), p. 87 ; Delfino Muletti, Meniorie storico diplomatiche apparte-
nenti alla città e ai marchesi di Saluzzo (Saluzzo, 1829), t. I, p. 392 ; Wus-
tenfeld, Cad. AstenseMalaheyla, dans Atti délia reale Academia dei Lincei,
série 3, t. V, p. 106 et suiv. ; Desimone, Sulle marche d'italia e sulle loro
diramazioni in marchesati, Lettere cinque ail (^omm. Donienico Promis, dans
Atti délia società ligure di storia patria, t. XXVIII (Gènes, 1896), in-8'',
p. 7 et suiv. ; du même, Sulla discendenza aleramica e sulla diramazione
de' marchesati délia marra. Hjid., p. 221; cf. H)ld., p. 272, un tableau généa-
logique des descendants d'Aleramo ; Casagrandi-Orsini, Adelasia moglie
del grand conte Ruggerio e lo zio Bonifazio (1079-1090), dans « Le Grazie »
Riv. mens. diLettere Scienze ed Arli, t. II (Catane, 1900), p. 69 et suiv.
Garufi, Le donazioni del conte Edrico di Paterno al monastero di Valle
Giosafat. dans la Revue de VOrient latin, t. IX, p. 206 et suiv.; Brandileone,
Udiritto romanno nelle leggi normanne e sueve, p. 12, fait d'Adéla'ide une
nièce de la comtesse Mathilde; son opinion a été combattue justement par
Perla, Arch. st. nap., t. X, (1885), p. 173.
352 CHAPITRE XIII
le 22 décembre 109o^ nous ne savons laquelle de ses deux pre-
mières femmes fut mère de son fils Geolfroi ; de même
nous ig-norons de quel mariao^e naquirent Constance -, qui
épousa Conrad, Busilla'^, mariée à Coloman, Mathilde^, mariée à
Rainolf, comte d'Avellino, N. mariée à Hugues de Gircé^,
Judith, mariée à Roger de Bassonville'', N. mariée à Robert de
Bourgogne" et Flandine, mariée à Henri, comte de Paterno,
frère d'Adélaïde'^.
Une difficulté se pose au svijet de deux des enfants de Roger P"" :
Geofîroi et Mauger. Le premier nous est connu par Malaterra
qui raconte que Geolfroi fut marié, comme son frère Jourdain, à
une sœur de la troisième femme de son père, Adélaïde, mais que
ce mariage ne fut pas consommé parce que le fils du comte tom-
ba malade. Plus loin Malaterra revient sur ce sujet et à propos
de la mort de Jourdain, fils naturel de Roger P"" (mort le 18 sep-
tembre 1091 j^, il raconte que Jourdain fut d'autant plus regretté
qu'on le regardait comme le futur héritier parce que le comte
n'avait pas eu d'autre fils et que GeofTroi était atteint de la lèpre "^'.
Or, en 1120, nous trouvons Geolfroi de Raguse, fils du comte
Roger, mentionné dans un diplôme avec ses trois fils ". Il ne
saurait être question d'un fils de Roger II, puisque celui-ci,
1. Malaterra, IV, 19. Rom. Sal., p. 427. Roger vécut 50 ans, deux
mois et cinq jours, et il est mort le 27 février ll;i4. Ci". Amari, op. cit.,
t. III, p. 197, note 7. Tous les renseignements sur le baptême de Roger
par saint Rruno, AA. SS., 6octobre, p. 607 ne l'oposent sur rien.
2. Malaterra, IV, 14 et 18.
.3. Ibid., IV, 23.
4. Ibid., IV, 25.
5. Al. Tel., I, 5. Malaterra, III, 10: « Iliigo romilis gêner. »
6. Gavuû, Idiplomi piirpurei, elc, p. 26.FaIcand. op. cit., p. 9. Judith mou-
rut un 24 septembre, Xecrol. Panorrn., dans Forschuncjen, t. XVIII, p. 473.
Le diplôme de Judith, daté de 1103, publié par ChampoUion Figeac. éd.
d'Aimé^ p. 327, est certainement faux. A cette date, il ne peut être question
de Roger, reyis Siciliœ, ducatus ApulicV et principatus Cnpuœ. Le chiffre de
rindiction est également faux.
7. Cf,, infra. p. 350.
8. Cf. Pirro, op. cit., t.I,p. 021, et t. II, p. 933.
9. Xecrol. Panorm., dans Forschiingen, t. XVIII, p. 473.
10. Malaterra, IV, 14 et 18.
11. Pirro, op. cit., t. I, p. 525.
LA FAMILLE DE ROGER l'"" 353
étant né le 22 décembre 1095, ne pouvait, en 1120, avoir un
fils déjà père de trois enfants. Geoiïroi est donc le fils de lioger ^'^
S'ag-it-iliciduGeofTroi mentionné parMalaterra? Certains auteurs
l'ont admis ', mais cela me paraît difficile, étant donné, d'une
part, les détails fournis par Malaterra sur la maladie de Geof-
froi, maladie qui le rendit certainement un objet dhorreur, et,
d'autre part, le fait que Simon succéda sans difficulté à son père. La
solution de cette question me paraît être fournie par un diplôme,
où sont mentionnés deux Geolfroi, fils du comte ~. C'est ce second
Geoffroi qui serait mentionné dans divers actes de 1091 à 1095 3,
car il serait invraisemblable d'admettre que le Geoffroi atteint de
la lèpre soit demeuré à la cour de son père. D'autre part, il n'y
aurait rien d'étonnant à ce que le comte Roger ait eu deux fils
portant le même nom. Remarquons que cela a été le cas pour
Tancrède de Haute ville, qui eut pour fils Guillaume Bras de fer
et Guillaume du Principat. Peut-être devons-nous constater l'exis-
tence de ce même usage à propos des filles du comte, car il
semble bien qu'il faille disting^uer Mathilde, femme du comte de
Provence, d'avec Mathilde, femme de Rainolf. Raymond IV se
remaria en 1094 avec Elvire ^ ; il est donc probable qu'à cette
date sa première femme était morte, car aucune source ne men-
tionne qu'elle fut répudiée. Il en est de même pour Emma, femme
du comte d'Auvergne, et Emma, femme de Raoul ; rien
n'autorise à les identifier. Toutes ces questions de généalogie
sont fort difficiles, étant donnée l'absence de documents; il me
semble toutefois que l'on doive distinguer entre les deux Geof-
froi et ne pas tenir le comte de Raguse pour identique au fils
lépreux du comte de Sicile.
Certains diplômes sont souscrits par Manger, fils du comte ;
1. Gai'ufî, Adélaïde nipote di Boiiifazio del Vaslo e Go/fredo fUjliuolo del
(jran conte Ruggiero (Palerme, 1905), in-8°. Je ne connais malheureusement
cet ouvrage que par un compte rendu de VArchivio st. sicil., N. S., t. XXIX,
p. 432.
2. Regii neapolit. arc/ihni mon., t. VI, p. 165. Je ne liens pas compte des
documents relatifs à saint Bruno où Geoffroi est mentionné, cf. supra,
p. 304, note 2.
3. Cf. Pirro, op. cil., t. I, pp. .■)20, 523, Mongitore, op. cit., p. [2.
4. Histoire du Languedoc, t. 111, p. 428.
Histoire de la dominalion normande. — Chalanuon. 23
354 CflAPlTKE XIII
comme la plupart de ces documents sont faux, di Meo niait
l'existence de Mauger '. Je ne crois pas que Ton doive admettre
cette opinion, puisque, en dehors des documents justement
incriminés, Maug^er est mentionné dans des diplômes d'une région
toute différente. On ne saurait reg-arder Malaterra comme nous
ayant rig-oureusement renseig-né sur tous les enfants du comte
de Sicile, car il ne parle pas de plusieurs d'entre eux.
Sauf une révolte sans importance, qui suivit la mort de Jour-
dain, le comte Roger, sur la fin de sa vie, n'eut pas à soutenir de
nouveaux combats. C'est à Mileto que s'éteignit, le 22 juin 1101,
le conquérant de la Sicile et c'est là qu'il fut enterré -. Avec lui
disparait le dernier survivant de l'époque héroïque de la conquête ;
son successeur sera plus un politique qu'un soldat, mais si
Roger II réussit à établir sa domination sur toutes les posses-
sions normandes d'Italie, c'est en grande partie à la forte orga-
nisation donnée par son père à ses Etats qu'il en fut redevable.
1. Cf. supra, p. 304, n. 2; Parisio, Due documenli inediti délia Certosa di
S. Stefano del Bosco (Xaples, 1889), p. 6; Nerone Longo, op. cit., p. 46; en
outre dans le diplôme des archives de la cathérale de Catane, inexacte-
ment et incomplètement reproduit par Pirro, op. cit., t. I, p. 384, figure la
souscription de Manger. Ci'. Caspar, op. cit., p. 21.
2. Edrisi, B.A.S., t. I, p. ol. On conserve encore à Naples le sarcophage
du comte Roger. Cf. L. de la Ville sur Yvon, La tomba di RiKjgiero conte
di Calabria e di Sicilia, dans Napoli nohilissinia (1892j.
CHAPITRE XIV
LA REGENCE D ADELAÏDE ET LES PREMIERES ANNEES
DU COMTE ROGER
Nous manquons presque totalement d'informations sur l'his-
toire sicilienne durant la régence d'Adélaïde : pour cette période,
les chroniques et les documents diplomatiques nous font égale-
ment défaut.
Le grand comte Roger laissait deux fils Simon et Roger ; le
premier succéda à son père sous la tutelle d'Adélaïde'. Alexandre,
abbé de Telese, est le seul historiographe qui nous ait transmis
quelques renseignements sur la jeunesse des enfants de Roger.
Le peu qu'il raconte ne nous fait guère regretter sa brièveté.
Ecrite avec le désir évident de plaire à Roger II, l'œuvre de l'abbé
de Telese a une tendance très marquée à l'apologie. Dans la pre-
mière partie de son ouvrage, l'auteur a la préoccupation évi-
dente de montrer que Roger, dès sa plus tendre enfance, possé-
dait les qualités par lesquelles il devait se distinguer plus tard.
II suffira d'indiquer, comme preuve de cette tendance, le pas-
sage où Alexandre nous raconte longuement que le futur fonda-
teur de la monarchie sicilienne, dès l'âge de cinq ans, battait et
rossait son frère aîné en le menaçant de lui enlever plus tard
tous les biens qu'il avait hérités de son père. Au lieu de ces détails
sans grand intérêt, nous préférerions avoir des renseignements
sur la politique suivie par Adélaïde pendant sa régence, et com-
pléter ainsi le peu que nous savons par les très rares et très
brèves mentions de diverses chroniques.
L'Anonyme du Vatican - parle en termes très vagues d'une
1. Al. Tel., op. cit., I, 2, p. 90. Romuald de Salerne, ad an. 1101, dans
M.G.H. SS., t. XIX, p. 413. Anon. Val., dans Muiatori, R.I.SS., t. VIII,
p. 777.
2. Anon. Vat., loc. cit.
356 CHAPITRE XIV
guerre qu'Adélaïde dut soutenir contre les g-ens de la Fouille.
Faut-il entendre par là qu'il y a eu une révolte des vassaux conti-
nentaux du comte de Sicile? S'agit-il de la rébellion de quelques
villes ou de difficultés s 'étant élevées entre Roger et le duc de
Fouille ? Il nous est impossible de le savoir avec précision.
Tout ce que nous pouvons établir, c'est qu'une grave révolte
des vassaux du jeune comte éclata en Sicile et qu'Adélaïde réus-
sit à la réprimer •.
Orderic Vital nous fournit un autre renseignement relatif à
cette même période -. D'après lui, la veuve de Roger pf", voyant
qu'elle ne pouvait gouverner et défendre les Etats de son fils,
aurait fait venir auprès d'elle Robert, fils du duc de Bourgogne,
Robert I*"", et de la duchesse, Hélie de Semur, et lui aurait fait
épouser sa fille. Durant dix années, Robert aurait joué un rôle
important ; il serait même devenu si puissant, en Sicile, que sa
belle-mère, inquiète et jalouse, l'aurait fait empoisonner. Nous
verrons que la régente quitta, en 1113, les États de son fils ; il
conviendrait donc de placer en 1102 ou 1103, au plus tard, l'arrivée
de Robert de Bourgogne.
Amari s'est élevé contre le récit d'Orderic Vital, auquel il
reproche d'être rempli de récits fabuleux et d'être très mal dis-
posé envers les Italiens'^. L'auteur de la Storia dei Musulmani
appuie, en outre, son opinion sur le fait que la souscription de
Robert de Bourgogne ne se trouve dans aucun des actes qui nous
sont parvenus, et que les chroniques siciliennes sont muettes à
l'égard de ce personnage. L'opinion d'Amari ne me paraît pas
très justifiée, car Orderic Vital est, en général, très bien rensei-
gné sur les affaires de l'Italie du Sud, ce qui s'explique très
facilement, si nous songeons aux nombreuses et fréquentes rela-
1. Cusa, op. cit., t. I, p. 334. Il est fait également allusion à cette révolte
dans un acte de 1123, Cusa, op. cit., t. I, p. 471. Cf. Ihid., t. 1, p. 312,
où il est fait allusion aux empiétements du clergé pendant la minorité de
Roger. K. Kehr, op. cit., p. 321, a montré que l'acte grec était vrai, mais
que la traduction latine, Starabba, I diplomi, etc., t. 1, p. 12, était fausse.
2. Ord. Vit. XIII, 13, t. V, pp. 32 et 33. Cf. Petit, Histoire des ducs de
Bourgogne de la race capétienne, t. I (Paris, 188.3), p. 100.
3. Amari, op, cit., t. 111, p. 347.
RÉGENCE DADÉLAÏDr: 357
lions qui existaient à cette époque, entre la Normandie et le
midi de la Péninsule. D'autre part, il ne me paraît point exact
de parler de l'animosité d'Orderic contre les habitants de la
Sicile. On ne saurait non plus invoquer ici le silence des chro-
niques italiennes : toute l'historiographie de cette période est,
en effet, très pauvre et la principale chronique, celle de l'abbé
deTelese, est très sommaire jusqu'à l'année H 27; l'auteur est
très succint, et passe soigneusement sous silence tout ce qui n'est
pas à l'avantage de son héros ou de la famille de celui-ci. Ainsi
il ne dit pas un mot du mariage d'Adélaïde avec le roi de Jéru-
salem, mariage qui devait se terminer de lamentable façon pour
la mère de Roger, et ne mentionne pas davantage les premières
expéditions de Roger en Afrique, parce qu'elles aboutirent à des
échecs. Il y a là un parti pris évident de taire tout ce qui pour-
rait mettre une ombre, même légère, à la gloire du premier roi de
Sicile.
On ne saurait davantage invoquer le silence de Falcon de
Bénévent ou de Romuald de Salerne. Les choses de Sicile sont
très rarement mentionnées chez le premier ; quant au second,
écrivant à une époque relativement éloignée des événements, il
a omis des faits bien autrement importants que l'arrivée de
Robert de Bourgogne.
Reste l'argument tiré par Amari du silence des diplômes. Si
pour la période dont il est ici question, nous possédions une très
grande quantité de documents d'ordre diplomatique, on pourrait
s'étonner de ne pas y rencontrer la souscription d'un personnage
ayant joué un rôle aussi important que celui attribué à Robert
par Orderic. Mais, étant donnée, pour le début du xii'' siècle,
l'extrême pénurie des documents de ce genre, on ne peut tirer de
là aucune conclusion pour infirmer le témoignage du chroniqueur
normand.
Nous allons exposer le peu que nous savons sur la régence
d'iVdélaïde. Au mois d'octobre 1101, Adélaïde, se trouvant à
San Marco ', fait à Grégoire, abbé du monastère de San Filippo
de Démena, donation de quatre vilains et de mille pieds de
1. San Marco, commune de Milazzo, circond. et prov. de Messine.
3"58 CIIAPITKE XIV
vigne ; elle lui accorde, en outre, l'autorisation de construire un
moulin au bord de la Panagia '. Dans ce document, sont men-
tionnés Simon et Roger. L'auteur de la Sicilia sacra indique, à
la date de 1102, un acte de Simon et d'Adélaïde, en faveur du
même Grégoire ; il s'agit soit du même acte, soit du dijjlôme
auquel il est fait allusion dans un acte de Roger II, de 1145'.
Simon est encore mentionné dans des actes de février llOo-^ et
de mai de la même année ^; il mourut le 28 septembre 1 105 ; en
effet, le Nécrologe de Païenne nous donne la date de mois de sa
mort et en 1108, on compte la troisième année du règne de
son frère Roger ■'.
Nous ne possédons pas d'acte de Roger II, avant 1107''. A
cette date, Adélaïde et Roger donnent à Ambroise, abbé de
Saint-Barthélémy de Lipari, la dîme des Juifs de Termini " ; de
1107 ou de 1 108, est la donation de Farchina au monastère Santa
Maria de Marsala '^.
Le 25 mars 1 109, Adélaïde, se rendant à Messine, fait une dona-
1. Cusa, op. cil., t. I, j). 394. On doit regarder comme faux l'acte, d"aoûl
1101, de révoque de Locre, qui mentionne, le 9 mai 1100, la présence dans
cette région du comte Roger, et de sa mère Adélaïde. En mai 1100, Roger
n'est pas comte. Trinchera, op. cit., p. 87.
■ 2. Pirro, op. cit., t. II, p. 1028. Cf. Caspar, op. cil., Reg. N» 191.
3. Gregorio, op. cit., t. I, p. 105, note 31.
4. Cusa, op. cit., t. I, pp. 396 et 401.
5. Necrol. Pan., dans Forschungen, t. XVIII, p. 473; Rom. Sal., ad
an. 1101, dans M.G.II.SS., t. XIX, p. 413. Chron. Sic, dans Muratori R.I.SS.,
t. X, p. 813; Pirro, op. cit., t. I, p. 697 ; Amari, op. cit., t. III, p. 346, note,
dit qu'à cette époque on compte la quatrième année de Roger. C'est
inexact; voici le texte rapporté par Pirro: Anno incarnalionis clominicse
f 108, presulatus inei anno IV, Rogerii Junioris consulatus anno III, etc.
6. Dans Ughelli, op. ci7., t. IX, p. 291, est édité un diplôme de Roger,
daté de 1104, indiction XII, Amari pense avec raison que la date doit être
corrigée en 1119. Cf. les raisons qu'il donne, loc. cit., note. Un diplôme de
1104 est cité dans [Capasso]. Uarchivio di slato in Napoli dal I SS3 fino al
iutlo il 1898, p. 7. Je n'ai pu avoir communication de ce diplôme aux
Archives de Naples ; mon confrère et ami, M. Poupardin, n"a pas été plus
heureux.
7. Archives capitulaires de Patti. Fund., f. 3, la date d'après l'indiction
indiquée, ind. XV. — Lipari, circond. etprov. de Messine. Termini Ime-
x"ese, ch.-l. de circond., prov. de Palerme.
8. Caspar, op. cil., Reg., n° 197.
RÉGENCE D 'ADÉLAÏDE 359
tion à l'abbaye de San Filippo de Démena '. Du 3 juin de la
même année, nous possédons un acte en faveur de Tabbé de
Sant'Elia -. Le 20 septembre 1109, Roger, résidant à San Marco,
fixe les limites de divers biens appartenant au monastère de San
Barbaro ■^. Dans cet acte, il n'est pas fait mention de la comtesse
Adélaïde. On ne saurait pourtant en conclure que la régence de
cette dernière ait pris lîn à cette date, car son nom réapparaît
dans les diplômes des années suivantes '. Un acte de 1145, men-
tionne un diplôme de Roger et d'Adélaïde donné en 1109 en
faveur de Tévêché de Squillace \ Au début de l'année 1110,
Roger et Adélaïde sont à Messine; nous avons, du mois de jan-
vier, un jugement fixant les limites des possessions du monas-
tère de Sauf Eufemia et de l'église de Bagnara ^. Le 20 février,
Roger et sa mère, résidant toujours à Messine, accordent à
Pierre, élu de Squillace, Téglise Santa Maria de Rochella '. Au
mois d'avril, nouvel acte, également daté de Messine, renouve-
lant à Grégoire, abbé de San Filippo de Démena, une dona-
tion faite, en 1097, par le grand comte Roger ^. En septembre,
nous trouvons Adélaïde et Roger à Troina où ils confirment à
Grégoire, abbé de Fragala, les biens de son abbaye et renou-
vellent un acte du grand comte 9. En mars 1112, Roger et Adé-
laïde, à Messine, confirment au même personnage une donation
du comte Simon '".
1. Cusa, op. cit., t. I, p. 402.
2. Mgv Battifol, op. cit., dans la Revue des Quext. hisl., t. XLII, p. 562.
3. Cusa, op. cit., t. I, p. 403.
4. Cusa, op. cit., t. I, pp. 405, 407, 531.
5. Trinchera, op. cit., p. 185. Le texte mutilé laisse néanmoins voir que
l'objet de l'acte est identique à celui de l'acte de 1110.
6. Kehr, op. cit., p. 411. Voir dans Pirro, op. cit., t. 11, pp. 712 et 1028,
diverses mentions d'actes pour les années 1110 et 1111.
7. Regii archivii neap. mon., t. VI, app., n" 18. Cf. Jafîé-L., 6259.
8. Cusa, op. cit., t. I, p. 405.
9. Caspar, op. cit., Reg., n° 15.
10. Cusa, op. cit., t. I, p. 407. On a, du mois de novembre 1112, un acte
d'Adélaïde, en faveur de San Filippo de Démena, dans lequel son fils
Simon est mentionné comme vivant, Cusa, op. cit., t. I, p. 409. Cet acte faux
a été fabriqué à l'aide d'un acte d'octobre ilOl, auquel sont empruntées les
formules et tout le préambule. Pirro, op. cit., t. II, p. 1027, l'apporte un
acte de Roger II, de 1145, oîi un diplôme de 1112 est confirmé au milieu de
plusieurs autres privilèges.
360 CHAPITRE XIV
Roser fut fait chevalier entre le mois de mars et le mois de
juin 1112, à Palerme. A cette dernière date, en etfet, dans un
privilège qu'il accorde, avec sa mère, à Gautier, archevêque de
Palerme. il s'intitule Rofferiiisjam Miles, jam Cornes. Cet acte
est le dernier oi^i intervienne Adélaïde, mais nous ne pouvons
fixer la date exacte à laquelle prit iîn sa régence '.
Des documents qui viennent d'être analysés, on peut tirer
deux conclusions. Tout d'abord, c'est Adélaïde qui a transporté
le siège du gouvernement en Sicile. Jusqu'à elle, le comte de
Sicile avait choisi Mileto, comme résidence ordinaire. Avec Adé-
laïde, c'est enSicile, à San Marco, à Messine, que réside le plus sou-
vent le jeune comte, dont la majorité est proclamée à Palerme,
qui, à partir de ce moment, va jouer le rôle de capitale. En
second lieu, si nous rapprochons toutes ces donations, la plu-
part faites à des monastères grecs,, des renseignements que nous
fournit la vie de Barthélémy, abbé du Patir, nous voyons que c'est
très probablement Adélaïde qui a commencé, vis-à-vis de la
population grecque de ses Etats, à suivre une politique non
seulement de tolérance, mais aussi de protection "^. On com-
prend qu'au milieu des révoltes des barons de la Sicile, de la
Calabre, elle ait cherché à s'appuyer sur l'élément indigène, et à
utiliser l'influence du clergé grec. En dehors de ces constata-
tions, nous ne savons pas ce que fut le gouvernement de la veuve
de Roger. L'abbé de Telese se borne à dire que la régence d'Adé-
laïde fut, pour la Sicile, une période de richesse et de prospérité,
et Orderic Vital vante les richesses que la veuve de Roger P""
avait amassées ^'. Peut-être faut-il voir une confirmation de ce
témoignage dans le fait que Baudouin, roi de Jérusalem,
demanda en mariage la comtesse de Sicile.
De longues négociations s'engagèrent à ce sujet ; il convient
d'y insister, car elles nous montrent quels étaient, dès cette
1. Pirro, op. cit., t. I, p. 80.
2. Cf. Mgr Battilbl, L' Abbaye de Rossano, p. a. L'opinion de Mgr Battifol
a été combattue sans arguments valaiîles, par Minasi, // monasiero b.isi-
liano di S. Pnncrazio sullo scnglii) di Scilla. Xole sloriche e docu menti
(Naples, 1893 1, in-8°, p. 12.
;}. Al. Tel., I, III, p. 90. Ord. Vital, XIII, 5, 1, t. V, p. li.i.
ALAKIAGE U ADELAÏDE
361
époque,, les rêves ambitieux caressés par Roger II. Vers la
fin de 1112, Baudouin, roi de Jérusalem, envoya des ambassa-
deurs demander en son nom la main d'Adélaïde. On peut
affirmer que Baudouin, par cette démarche, chercha uniquement
à rétablir sa situation financière fort compromise. Le roi de Jéru-
salem se trouvait alors dans le plus profond dénuement ; il pou-
vait à peine payer la solde de ses chevaliers et subvenir aux
dépenses de sa maison. Il lui parut que les richesses, amassées
par la prévoyante et habile administration d'Adélaïde, seraient
fort utiles au relèvement de ses affaires. Cédant aux conseils
d'Arnold, qui avait succédé au patriarche Gibelin, mort en avril
1112, et qui joua, dans toutes ces nég-ociations, un rôle fort
louche, Baudouin lit faire des ouvertures k la cour de Sicile ;
elles furent accueillies avec faveur. Adélaïde se laissa séduire
par la perspective de ceindre une couronne ; son fils, plus posi-
tif, chercha à tirer parti, au mieux de ses intérêts, des proposi-
tions du roi de Jérusalem. Les envoyés de Baudouin durent
prendre, au nom de leur maître, l'eng-agement que le royaume de
Jérusalem reviendrait au comte de Sicile, dans le cas où le
mariag^e projeté demeurerait stérile. Cette condition fut acceptée
sans difficulté par les ambassadeurs de Baudouin, qui étaient
munis de pouvoirs suffisants pour conclure cette alîaire '.
Adélaïde et son fils furent complètement joués par le roi de
Jérusalem; le désir de s'assurer des droits éventuels à la couronne
de Jérusalem empêcha Roger déjuger clairement la situation.
Au moment même où iLdemandait la main d'Adélaïde, Baudouin
était marié. Il était bien, il est vrai, séparé de sa femme. Arda,
mais celle-ci vivait encore. Guillaume de Tyr s'apitoie sur le
sort d'Adélaïde, qui agit avec la confiance la plus grande dans la
loyauté du roi de Jérusalem, et ne dissimule pas que le roi et
le patriarche Arnold ne virent et ne cherchèrent dans toute cette
affaire, que le moyen de s'approprier les richesses immenses
qu'Adélaïde passait pour posséder -.
1. Guill. de Tyr, XI, 21, d<Tns Hist. occid. des crois., t. 1, p. 487.
2. Guill. de Tyr, XI, 21, p. 488; Guibert de Nogent, VII, 47, dans Ilisl.
occ. des crois., t. IV, [). 2')9 ; Foucher de Chartres, c. ">i, dans Ilisl. occ. des
362 CHAPITRE XIV
Pendant l'été de Tannée 11 13, la veuve de Roger P"" s'embarqua
pour ces nouveaux Etats '. La future reine de Jérusalem voulut
arriver en Terre Sainte dans un riche et somptueux appareil ;
la mag'nificence qu elle déploya paraît avoir vivement frappé les
imaginations de ses contemporains. Adélaïde partit avec une
pompe toute royale, emmenant avec elle une véritable expédition
de secours. La flotte sicilienne comprenait deux trirèmes ayant
chacune à leur bord cinq cents chevaliers et sept vaisseaux
plus petits chargés de vivres, d'armes en métal précieux, de
pierreries, d'or, d'argent, de vêtements et de riches étoffes. Un
de ces navires était monté par un corps d'archers musulmans
aux vêtements éclatants. Quant à Adélaïde, elle s embarqua sur
un vaisseau, équipé avec un luxe recherché ; la poupe et la
proue de navire étaient recouvertes de matières précieuses, tandis
qu'un vélum immense, tout tissé d'or et d'argent, était destiné à
abriter la souveraine des rayons du soleil.
La traversée fut mouvementée : la flotte sicilienne dut repousser
une attaque des Musulmans ; elle réussit pourtant à gagner sans
encombre le port de Saint-Jean d'Acre, où Baudouin attendait
Adélaïde. Tandis qu à travers les rues de la ville tendues de
riches étotïes et couvertes de tapis précieux se déroulait, au
bruit des trompettes, le cortège royal, la mère de Roger II ne
prévoyait certes pas que quatre années plus tard, la même
ville de Saint-Jean d'Acre la verrait repartir pour la Sicile en bien
pauvre appareil.
Le mariage fut aussitôt célébré, la dot d'Adélaïde fut immé-
diatement employée par Baudouin à indemniser les seigneurs
latins des pertes qu'ils avaient éprouvés dans la guerre contre les
Musulmans. L'union d'Adélaïde fut malheureuse, et dès 1 1 17,
Baudouin obtenait l'annulation de son mariage. Le 2-\ avril, la
crois., t. III, p. 427; Albert d'Aix, XII, 13, 14, dans Iliaf. occ. des crois.,
t. IV, p. 696 ; Sicard de Crémone, Chr. dans Muratori, R.I.SS., t. VII,
p. 529, ad an. 1113; Anon. Hist. HierosoL, c. 27, dans Ilist. occ. des crois.,
t. III, p. 571. Cf. Kugler, Albert von Aachen (Stuttgart, 1885), p. 394 ;
Ilagenmeyer, Ekkehardi Hierosohjmita, p. 298, note 50, et Rôhricht,
Geschichte des Kônigreichs Jérusalem, pp. 8 et 103.
1. Rôhricht, op. c//., p. 103.
PREMIÈRKS ANNÉES DE ROGER II 363
mère de Roger s'embarquait pour la Sicile, où elle mourut le
16 avril 1118 *. La reine de Jérusalem fut ensevelie dans la cathé-
drale de Patti où Ton voit aujourd'hui son tombeau, œuvre d'ail-
leurs récente ~.
Les mésaventures d'Adélaïde sont le seul événement de
l'histoire de Sicile de ce temps sur lequel nous ayons quelques
détails. Les premières années du gouvernement personnel de
Roger II sont aussi obscures que celles de sa minorité. Du mois
de mai 1114. est un diplôme en faveur de Méthode, abbé du
monastère basilien de Saint-Nicolas de Droso, au diocèse de
Mileto. Ce diplôme et les nombreux documents du même genre
que nous allons citer, nous montrent que Roger a continué,
envers les couvents grecs, la politique de sa mère 'K Pendant l'été
1H5. le comte de Sicile séjourna en Italie; du mois de juin, nous
possédons deux actes, l'un en faveur de Xicodème, archimandrite
du monastère basilien de Santa Maria de Terreti au diocèse de
Reggio '* ; par le second, donné à San Severino, Roger confirme
au monastèrede Santa Maria de Altilla, en Calabre, une donation
faite par l'évêque de Cerenzia •'. Au mois d'août de la même
année, le comte de Sicile est à Stilo où il accorde au monastère
de Santa Maria di Asarphia diverses faveurs ''. Du mois de
1. Guill. de Tyr, XI, 2!). Alhoit d'Aix, XII, 24, p. 704, Necrol. Pan., dans
Forschungen, t. XVIII, p. 472. Necrol. cap. Pal., Ibid., p. 474. Foucher de
Chartres, II, 59-60, dans Ilist. occ. des crois., t. III, p. 43/5. Ann. Sic.
M. G. H. SS., t. XIX, p. 495. Epistola fratris Conradi, dans Muratori, H.I.SS.,
t. I, 2, p. 278. Cf. Kugler, op. cit., pp. 401-402 ; Pirro, op. cit., t. I, p. 773,
qui donne son épitaphe ; Delaborde, Chartes de Terre Sainte, p. 38, n. 13,
et Savio, op. cit., Alti d. R. Academia di Torino, t. XXII (1886-1887),
pp. 99-105.
2. Cf. Salinas, Nofizie dec/li scavi d'antichith del Maggio ISSO, Extr. des
Atti délia P. Academia dei Lincei (1880), p. 8.
3. Cf. Mgr Battifol, op. cit., dans la Rei'iie des Quest. Hist., t. XLII, p. 562.
Un autre diplôme de fll5 pour le monastère de San Bartolomeo est cité
dans [Capasso], L'archivio di stato in Napoli, dal ISS3 sino a tufto il IS9S,
p. 7. Cf. supra, p. 358, n. 6.
4. Iluilliard Bréholles, op. cit., t. II, p. 440.
5. Ug'helli, op. cit., t. IX, p. 477.
6. Trinchera, op. cit., n° 78. Caspar, op. cit., p. 506, place, en 1130, ce
diplôme, qui n'est daté que de Tindiction VIII. Roger prenant encore le
titre de comte, il me semble que la date de 1115 est préférable.
3fi'i- CHAPITRE XIV
septembre est un diplôme en faveur de l'église de Santa Maria
de Stellis à Militello '. En octobre, le comte retournant de
Messine à Palerme est à Oliveri, où il fait une donation à l'abbé
du monastère basilien de San Pietro e San Paolo di Agro "-. Enfin
de la même année est un diplôme en faveur du monastère basilien
de Gathona, au diocèse de Reg-gio, diplôme que nous ne connais-
sons que par la mention qui en est faite dans un acte postérieur 3.
Nous possédons, du mois de septembre 1116, un acte de
Rog-er en faveur d'Aug-er, consul de Gènes, et de son frère,
Ami \ auxquels le comte donne un terrain à Messine pour y
élever un hôpital ; à chacun d'eux il accorde annuellement une
livre d'or et le droit d'importer ou d exporter des marchandises
jusqu'à concurrence de soixante taris d'or, sans avoir à acquitter
les droits de douane. Ce document est particulièrement intéres-
sant ; il nous montre l'importance de Messine au point de vue
commercial. Dès ce moment, la ville est une des escales les plus
fréquentées par les vaisseaux se rendant en Orient ou en revenant.
Son importance est suffisante pour que les Génois y aient un consul
et y construisent un hôpital.
En octobre 1116, le comte est à Palerme et réunit l'église San
Pietro de Palerme à Santa Maria de Bagnara '. Au mois de mai
1117, le comte de Sicile, résidant à Mileto, confirme un privilège
de Roger I"" en faveur du monastère de San Filippo di Fragala ''.
En juin, le comte tient sa cour à Messine •, et à la demande
d'Hugues, abbé de la Sainte-Trinité de Venosa, accorde diverses
exemptions aux monastères grecs dépendant de San Martino,
en Calabre. Pour 11 19 et 1 120, nous n'avons que peu d'actes du
comte Roger. Citons le diplôme, de mai H 19, pour Santa Maria
1. Sur la date, Cf. Garufi, 7 diplomi, etc., p. 18, qui place l'acte en 1130,
et la correction de Caspar, op. cit., p. 489, n° 29.
2. Pirro, op. cit., t. II, p. 1039.
3. Ibid., t. II, p. 978. Cf. Mgr Battifol, op. cil., p. ."j63.
4. Cusa, op. cit., t. 1, p. 359.
ri. Pirro, op. cit., t. 1, p. (')20, t. II, p. 799, avec la date de 1117, ind. 10,
111(1, n. s.
6. Cusa, op. cit., t. I, p. 383; la date de mois indiquée au regeste, p. 703,
est celle du diplôme vidimé. ^
7. Crudo, op. cit.. p. 200.
PREMIÈRES ANNÉES DE ROGER 11 365
di Valle Josaphat ' qui nous est connu par un acte postérieur.
De la même année, sont des diplômes en faveur de Santa
Maria du Patir de Rossano -, et de San Bartolomeo de Trig-onio ■'.
En 1121, Roger confirme une donation de Guillaume (^lulche-
bret ''. De la même année est le diplôme par lequel Roger con-
firme à Nicodème, archimandrite de Santa-Maria de Terreti,
monastère basilien au diocèse de Reg-gio, certains privilèges
accordés par son père ''. Cette même année, nous trouvons
Roger en Calabre, en Fouille et à Catanzaro ^\ En février 1122,
le comte est a Messine ', où il a une entrevue avec le duc Guil-
laume. En janvier 1123, Roger, résidant à Palerme, juge, au sujet
de la possession d'un moulin '^j un procès entre Bumadari, fils
de Patterano et ses frères d'une part, et Moriella d'autre part.
En juin de cette année, le comte va en Calabre à San Mauro, puis
nous le retrouvons à Messine ^.
Pour les années suivantes, il faut indiquer : un acte, daté de
1124, en faveur d'Anchier, évêque de Catane, auquel Malaterra
a dédié sa chronique i",un diplôme confirmant à Guillaume, prieur
de Santa Maria de Bagnara une donation de Tancrède, comte de
Syracuse, un diplôme en faveur de Guérin, abbé de San Michèle
Arcangelo,à Montescaglioso ".
De 1 125, est un diplôme accordant à Gautier Gavarecta le casai
Sicamino dans le Val de Milazzo '". La même année, Roger rési-
1. Cet acte est cité dans un diplôme de 1144, Garufi, op. ci/., p. 4o,
n" 19.
2. Ughelli, t. IX, p. i'.ll. Cf. Amari, op. cil., t. III, p. ;i4(), noie 1.
3. Minieri Riccio, op. cit., t. I. Sup., p. 11, n" 9.
4. Cod. Vat. lat., 8034, f» 112.
'». IIuilliard-Bi'élioUes, op. cit., t. II, p. 441. Cf. Caspar, op. cit., Reg.
n" 41.
6. Lit. pont., t. 11,-f . 322. Cf. supra, p. 322.
7. Falco Benev., p. 186. Romuald de Salerne, dans M. G. II. SS., t. XIX,
p. 417.
8. Cusa, op. cit., p. 471.
9. Romuald de Salerne, dans M. G. H. SS., t. XIX, p. 4l7. Garufi, op. cit.,
p. 15.
10. Pirro, op. cit., t. I, p. 525; de Grossis, op. cit., p. 68.
11. Pirro, op. cit., t. II, p. 1243, cf. Caspar, op. cit., p. 58, note 4, et
Reg. n° 46. Tansi, op. cit., app. p. 157.
12. Garufi, op. cit., p. 11. Caspar, op. cit., Reg., n" 47, place avec raison cet
acte en 1125, à cause de la souscription du comte. ,
366 CHAPITRE XIV
dant à Palemie fait à Tévêque de Catane, Maurice, une ample
donation K Enfin, en juin 1126, le comte autorise l'union de San
Filippo de Argiro avec Sainte-Marie latine de Jérusalem '-.
En dehors de ces diplômes, nous avons bien peu de documents
relatifs à l'histoire intérieure de la Sicile pendant la première
moitié du règne de Roger II.
Nous savons toutefois que, en 1117, des difficultés, sur les-
c|uellesnous sommes renseignés par une lettre du pape, s'élevèrent
entre le comte de Sicile et Pascal II. Ce dernier confirma à
Roger II, sur sa demande, le privilège de la légation, mais il le
fit en termes tels que la bulle ne tendait rien moins qu'à trans-
former le comte de Sicile.de légat véritable, en simple exécuteur
des décrets promulgués par les légats pontificaux que le pape,
par contre, se rései^vait le droit d'envoyer. Nous ne savons pas
ce qu'il advînt de cette affaire ; il est probable que les préten-
tions pontificales furent rejetées. Dans tous les cas, dès cette
date, est posée la question qui, plus tard, mettra Roger II aux
prises avec la papauté \ On a voulu voir dans la fondation de
l'abbaye grecque du San Salvatore de Messine la réponse de
Roger à la lettre pontificale, mais la date de fondation de ce
monastère ne nous est pas connue avec une certitude assez
grande, pour autoriser à admettre cette hypothèse ^
Il nous reste à parler de la politique extérieure du comte de
Sicile. On a vu. dans les derniers chapitres de l'histoire du duché de
1. Pirro, op. cit., t. I, p. 525. Ce diplôme conserve aux Archives capi-
tulaires de Catane, est publié très incomijlètement dans la Sicilia sacra.
Parmi les souscriptions notamment, beaucoup de noms ont été omis. Nous
possédons encore deux actes de Rof^er pour le monastère de San Michèle
Arcangelo de Montescaglioso ; di Meo, op. cit.. t. IX, pp. :i0'j-12 et 339,
a montré que ces documents étaient faux.
2. Pirro, op. cit., t. II, p. J24o. Cf. Kehr, op. cit., p. 71, note 6.
3. JalTé-L., 6362. — Toute la fin de la lettre montre que Roger cherche à
tenir en mains le clergé de ses États. Cf. Pet. Diac, Chr. Cas., III, 49,
M.G.H.SS., t. VII, p. 876. Cf. Wagner, Die unterilalischen Normanncn und
das Papsttum (Breslau, 1883), p. 21. Caspar, die Legalencjewalt, etc., p. 5,
dità tort que ce document est demeuré inconnu en Italie. Cf. Scadulo, Siato
e chiesa nelle due Sicilie Palerme, 1887), p. 180, qui a très bien marqué
rimportance de la bulle de Pascal 11.
4. Caspar, op. cit., p. 54.
[premières expéditions des normands en AFRIQUE 367
Pouille, l'habileté avec laquelle Roger II sut profiter des embar-
ras de ses cousins pour faire à leurs dépens d'importantes
acquisitions territoriales. Nous ne reviendrons point ici sur ce
sujet ; il nous suffira d'opjDoser à la faiblesse du gouvernement
des derniers ducs de Pouille la puissance du comte de Sicile.
Tandis que les premiers ne pouvaient maintenir dans l'obéissance
leurs turbulents vassaux et voyaient constamment leur autorité
méconnue et bafouée, le second, tranquille possesseur de ses
Etats, pouvait leur prêter l'appui de ses armes et profiter de leur
faiblesse pour accroître ses propres domaines.
Si fi'éqaente qu'ait été l'intervention de Roger II dans les
affaires du duc de Pouille, il n'y avait point là une matière suffi-
sante à son activité. Audacieux et entreprenant, le fils du grand
comte Roger, comme Robert Guiscard, rêva toujours d'étendre
sa domination. Il y a encore en lui quelque chose du caractère
des premiers Normands d'Italie dont l'ambition insatiable ne fut
jamais satisfaite, même par les plus invraisemblables succès. En
lui vit encore l'esprit d'aventure de ceux de sa race, et toujours
il lui faudra de nouveaux pays à soumettre, de nouvelles conquêtes
à faire. Mais, doué d'un sens politique très fin, Roger II ne se
lança pas au hasard dans de téméraires entreprises ; sa conduite
fut inspirée par une très claire et très nette compréhension de
la situation politique des peuples qui l'entouraient ; il mit au
service de son ambition une habileté consommée, et ne se pro-
posa jamais que des tâchas qu'il pouvait réaliser.
La conquête de l'Afrique du Nord, qui fut un des grands actes
de la politique extérieure de Roger II, fut tentée par lui dès
le début de son règne. Les chroniques italiennes ne font point
mention de ces premières entreprises ; probablement chez
Alexandre de Telese, ce silence est volontaire, car, le comte de
Sicile n'ayant pas réussi, son biographe, suivant son habitude, a
dû, de propos délibéré, passer sous silence toutes ces premières
expéditions. Heureusement, les chroniqueurs arabes comblent,
sur ce point, les lacunes des sources occidentales, et, grâce à eux,
nous pouvons reconstituer assez exactement l'histoire des pre-
mières tentatives faites par Roger II pour prendre pied en Afrique.
Par sa situation géographique, la Sicile est appelée à être en
368 v:hapitre xtv
rapports continuels avec le Nord de l'Afrique et en particulier
avec la Tunisie. Dès Roger P"", les Normands entrèrent en rela-
tions commerciales avec les populations qui habitaient alors les
côtes de la Tunisie. Roger II put ainsi connaître la situation poli-
tique des divers Etats musulmans et se rendre compte de leur
faiblesse. Il fut ainsi amené à concevoir l'idée, qui. plus tard,
dirigea sa politique extérieure, c'est, à savoir, de centraliser
dans ses Etats le commerce de la Méditerranée, en se rendant
maître des deux routes maritimes les plus importantes.
J'ai déjà eu l'occasion d'indiquer, en passant, que la Sicile,
depuis la conquête normande, était devenue le point de relâche
des vaisseaux, qui mettaient en communication l'Orient et l'Occi-
dent. Le détroit de Messine était la route la plus fréquentée par
les marchands des villes italiennes, qui évitaient ainsi la haute
mer et échappaient aux croisières des corsaires musulmans. Mais,
en dehors de celte route, demeurait tout le commerce de l'Egypte
et de l'Espagne, pour lequel les ports de la côte d'Afrique for-
maient autant d'échelles naturelles. Le Maghreb et toute la côte
de la Tunisie et de l'Algérie étaient également en rapports cons-
tants avec les villes maritimes d'Italie ; nous en avons la preuve
dans les nombreuses expéditions que Pise et Gênes furent obli-
gées d'organiser pour faire respecter leurs marchands; nous
savons également qu'un vaisseau, appartenant au monastère de
la Gava, fréquentait le port de Tunis. Ges relations continuelles,
entre les habitants des deux rives de la Méditerranée, expliquent
l'intérêt qu'il y avait pour le comte de Sicile à se rendre maître
des côtes de l'Afrique du Nord.
La situation politique des Etats musulmans devait facilement
fournir à Roger l'occasion d'intervenir dans les affaires africaines.
On sait comment, au début du xi'' siècle, le royaume ziride avait
été fortement amoindri par la création du royaume berbère des
Hammadites. dont la capitale fut successivement El Gala et Bou-
gie '. Un peu plus tard, El Moezz, gouverneur ziride deKairouan,
1. El Cala, entre Msilah cl Sétif. Cf. Mercier, Histoire de l'Afrique du
Xord, t. I, p. .39o et suiv., et Mas Latrie, RelaHunset commerce de l'Afrique
Seplentrionale ou Mayreb avec les nations chrétiennes au moyen âye, p. 32.
RELATIONS COMMERCIALES DE LA SICILE AVEC l'aFRIQUE 369
répudia Tautorité du Khalife fatimide ElMostancer, et reconnut le
Khalife abasside, Abou Djafer El Kaim •. Pour punir la rébellion
de son vassal, El Mostancer lança contre lui les tribus pillardes
des Arabes hilaliens, qui avaient été transportés par le Khalife
El Aziz, des déserts de THedjaz dans la haute Eg-ypte. Chassé
de Kairouan, El Moezz dut se réfugier à El Medhea, et perdit la
plus grande partie de ses États, notamment Tunis, qui reconnut
l'autorité des Hammadites ~ .
Sans entrer dans le détail des événements postérieurs, il suffira
de dire que l'arrivée des Arabes hilaliens amena toute une série
de troubles et de g-uerres, à la suite desquels tout le pays fut
dévasté. Comme conséquences de cet état de choses, de terribles
famines régnèrent à diverses reprises dans toute la contrée. C'est
là très probablement ce qui conduisit la Sicile à développer ses
relations commerciales avec l'Afrique, en y important du blé en
grande quantité. Cette hypothèse émise par Amari paraît fort
justifiée '^ Ibn el Athir '' raconte, en effet, que Roger I*^'" tirait
chaque année, de l'Afrique, un gros revenu, provenant de la
vente des denrées. Il faut très probablement entendre par là que
le comte de Sicile vendait aux Africains le blé dont ils man-
quaient. Le même auteur •"', et aussi Malaterra '', nous apprennent
que le grand comte de Sicile était lié par des traités avec Temim,
prince ziride d'El Medeah, et que pour cette raison il refusa d'ai-
der les Pisans et les Génois dans une expédition contre cette
ville. Nous savons en outre que Roger II entretenait, à El
Mehdeah, des agents commerciaux ".
Des rapports amicaux paraissent aA'oir également existé entre
Roger II et les Hammadites de Bougie. Pierre Diacre, en effet,
1. Cf. Mercier, op. cit., t. II, p. 1;>. Mas Latrie, op. cit.. p. 24.
2. Pour le détail de ces événements, cf. Mercier, op. cit., t. II, p. 19.
3. Amari, op. cit., t. III, p. 189.
4. Ibn el AtLir, El Knmel al Tawarikh, dans Ilist. or. des Crois., t. I,
p. 190.
.5. Loc. cit.
6. Malaterra, IV, 3.
7. Al Bayan, B.A.S., t. II, p. 33.
Histoire de la dominalion normande. — Chalam>on. 24
370 CIIAPITHE XIV
raconte qu'il suffît de rintervention du comte de Sicile pour faire
relâcher quelques moines retenus prisonniers k Boug-ie '.
De tout cela, il semble résulter que les relations entre les
Musulmans d'Afrique et les Normands de Sicile ont été assez
bonnes durant un certain temps; elles reposaient, en effet, sur le
besoin qu'ils avaient les uns des autres, comme vendeurs et ache-
teurs. Doit-on voir une tentative de Roger dans l'attaque diri-
gée par des chrétiens contre El Medeah (entre le 22 septembre
1104 et le 11 septembre liOo) "-? Cela paraît peu probable; il
s'ag"it plus vraisemblablement ici d'une expédition dirigée par
Pise ou par Gênes. De même, les diverses expéditions envoyées
contre les chrétiens par Yahya, prince ziride d'El Medeah, doivent
avoir eu pour but les côtes d'Italie, mais non pas la Sicile. Nous
savons toutefois que, en 1113, les Musulmans débarquèrent dans
la région de Salerne et de Naples 'K
D'après Amari % Roger II aurait été en mauvais termes avec
les princes zirides d'El Medeah. Le témoignage des chroniqueurs
me paraît combattre cette assertion. Les relations entre Musul-
mans et Normands ne paraissent pas, en effet, pas avoir été trou-
blées durant le règne du fils et successeur de Temin, Yahya (11 07-
1116), ni durant les premières années qui suivirent la mort de
ce prince. At Tigani, dont le témoignage est confirmé par Ibn
el Athir •', nous apprend que, à ce moment, plusieurs ambas-
sades furent échangées •'.
Un certain relâchement paraît s'être introduit dans l'adminis-
tration musulmane durant le règne de Yahya. Ce dernier ne sut
pas empêcher quelques-uns de ses sujets d'empiéter sur ses pré-
1. Pet. Diac, Chr., IV, bO.
2. Ibn el Alhir, B.A.S., t. I, p. 452, moutionne en o03 31 juillet 1109 — 10
juillet 1 1 10) une victoire de la flotte de Yahva sur les chrétiens. Sur l'expé-
dition de iH3, cf. Ann. Cav. ad an., 1113. dans M.G.II.SS., t. III, p. 191, et
Al Bayan, B..\.S., t. II, p. 33.
. a. Ibn el Athir, B.A.S. , t. I, p. 4o2. Al Bayan, IbirJ., t. II, p. 33; cl. Ann.
Cav., ad an. 1 113.
4. Amari, op. cit., t. III, p. 368.
5. Ibn el Athir, B.A.S., t. I, p. 4:):i.
6. At Ti^rani, B.A.S., t. II, pp. 6;;-6r). Cf. Ibn Khaldoun, B.A.S., t. II,
p. 20G.
PREMIÈRE EXPÉDITION DES NOHMANDS EN AFRIQUE 371
rogatives. C'est ainsi qu'un certain Rafî Ibn Makan ad Damouni,
wali de Gabès, fit construire et équiper un vaisseau pour faire le
commerce. C était là une usurpation des droits du prince qui se
réservait le droit de trafiquer en mer. Le successeur d'Yahya,
Ali, voulut, dès son avènement, faire cesser cet abus et envoya
une flotte pour capturer le navire de Rafi. Celui-ci, pour résister
à son suzerain, se tourna aussitôt vers le comte de Sicile et solli-
cita son appui. Roger II saisit avec empressement l'occasion qui
lui était offerte pour intervenir en Afrique et promit à Rafi de le
faire appuyer par une flotte. L'alliance ainsi conclue ne tarda
point à parvenir à la connaissance d'Ali. Ce fut en vain que ses
conseillers, prévoyant les dangers d'une intervention du comte
de Sicile en Afrique, s'efforcèrent de le persuader qu'il valait
mieux fermer les yeux sur les agissements de Rafî et demeurer
en paix avec Roger II, Ali se refusa à toute entente '.
Une flotte normande forte d'environ vingt-quatre vaisseaux fut
envoyée par Roger à Gabès. Les vaisseaux siciliens passant en
vue d'El Medeah donnèrent l'éveil à Ali, qui fit aussitôt appa-
reiller sa flotte et lui donna ordre de surveiller les navires enne-
mis. A leur arrivée à Gabès, les Normands furent bien accueillis
par Rafî qui les invita k un grand banquet. Tandis quils étaient
à table, les troupes d'Ali débarquèrent à l'improviste et les atta-
quèrent. Les Normands surpris eurent le dessous et réussirent
avec peine à gagner leurs vaisseaux. Aussitôt après cet échec, la
flotte de Roger retourna en Sicile ■^. Ces événements sont placés,
par les chroniqueurs musulmans, à l'année oll de l'hégire (5 mai
1117-23 avril 1118 .
Les hostilités ainsi commencées entre Ali et Rafî se conti-
nuèrent ; le premier eut d'abord l'avantage, et réussit à s'empa-
rer de Gabès. Rafi dut se réfugier à Kairouaiï d'où, aidé d'un
1. Al Tii^ani, B.A.S., t. II, p. .'52. Ibn el Athir, B.A.S., 1. 1, p. 454.
2. At Tigani, B.A.S., t. II, p. 52. D'après Ibn el Athir, B.A.S., t. I,
pp. 4o4-4oo, il n'y aurait pas eu d'engageuienl ; Rafi voyant arriver la flotte
d'Ali n'aurait pas voulu livrer bataille et les Normands seraient aussitôt
repartis. An Xowairi, B.A.S., t. II, p. 154, et Ibn Abi Dinar, B.A.S., t. II,
p. 289, ne parlent pas non plus d'une bataille. Il semble bien que l'engage-
ment fut peu sérieux, cf., à ce sujet, une poésie d'Ibn Ilamdis, B.A.S., t. II,
p. 379.
372 CHAPITRE XIV
certain nombre de tribus, avec lesquelles il fit alliance, il s'avança
contre El Medeah. Sa tentative échoua, ses troupes furent débau-
chées par Ali et il fut réduit à prendre la fuite '.
Du côté de la Sicile, la situation se gâta ég-alement, car à la
suite de l'envoi de la flotte normande à Gabès, Ali fît emprison-
ner tous les agents commerciaux, que Roger II entretenait à
El Medeah et confisqua leur caisse. Informé de ces événements,
le comte de Sicile envoya une ambassade pour demander la mise
en liberté de ses sujets; ses réclamations, conçues en termes fort
menaçants, furent écoutées. Ali remit en liberté les fonctionnaires
normands et rendit l'argent qu'il avait fait saisir. Il semble que
Roger II voulut pousser plus loin ses avantages ; une seconde
ambassade, appuyée d'une flotte, vint réclamer de nouvelles con-
cessions. Elle demanda sans doute le renouvellement des traités
et des garanties pour l'avenir. Ali ne voulut pas céder aux exi-
gences du comte de Sicile. A la suite de son refus, la flotte
normande attaqua les côtes de ses Etats et s'empara de divers
vaisseaux (512, de l'ère musulmane, 24 avril 1118 — 13 avril
1119)2.
La guerre était dès lors inévitable et l'on s'y prépara des deux
côtés. Ali s'occupa à rassembler une flotte importante; il semble
d'après AtTigani que les vaisseaux arabes aient été munis de tubes
pour lancer le feu grégeois -^ En même temps, le prince musul-
man entrait en négociations avec les Almoravides, et cherchait
à obtenir leur appui pour une descente en Sicile ^. Ali fut surpris
par la mort au milieu de ses préparatifs de combat (10 juillet
1121) •''; mais, dès ce moment, une alliance avec les Almoravides
1. Ibn el Alhir, éd. Tornberg, t. X, p. 371. Ibn Abi Dinar, B.A.S., t. II,
p. 289. An Nowairi, B.A.S., t. II, p. 15o.
2. At Tigani. B.A.S., t. II, p. 67, mentionne la doul)le ambassade; Ibn
el Athir, B.A.S., t. I, p. 45.^, An Nowairi, B.A.S., t. II, pp. 155-156 ; Al
Bayan, B.A.S., t. II, p. 34, Ibn Khaldoun, B.A.S., t. II, p. 205, sont d'ac-
cord sur l'ensemble des faits.
3. AtTigani, B.A.S., t. II, p. 68.
4. At Tigani, B.A.S., t. II, p. 67. Al Bayan, Ibid., p. 34. Ibn Khaldoun,
Ibid., p. 205. Ibn el Athir, Ibid., t. I, pp. 455-456. An Nowairi, Ibid., t. II,
p. 156.
5. An Nowairi, B.A.S., t. II, p. 156.
KOGER II ET ALI 373
avait été conclue. Au début du rè^ne d'El Hassan, fils d'Ali, une
flotte musulmane commandée par AbouAbd Allah Ibn Maymoun,
qui était au service du prince almoravide, Ali Ibn Yusuf, vint
attaquer les côtes de la Calabre et pilla la ville de Nicotera,
dont les habitants furent tués ou emmenés en captivité ^ .
Cette audacieuse agression acheva de décider à une interven-
tion énergique en Afrique Rogner, qui rendit El Hassan respon-
sable de l'attaque de Nicotera ^ L'occasion était d'ailleurs favo-
rable aux projets du comte de Sicile. Comme El Hassan, fils et
successeur d'Ali, n'avait que douze ans à la mort de son père '^,
on confia la rég-ence à l'eunuque Sandal ; tous les vassaux d'El
Hassan cherchèrent à profiter de sa minorité pour se rendre
indépendants et l'anarchie ne fit que croître parmi les popula-
tions musulmanes d'Afrique.
L'expédition organisée par Roger H était fort importante, si
l'on en juge d'après la relation officielle des événements, rédigée
sur l'ordre d'El Hassan. D'après ce document, le nombre des
A'aisseaux, formant la flotte normande, s'élevait à trois cents '*,
en outre, l'armée aurait compris mille chevaliers, plus trente
mille fantassins •'. Bien que les documents nous manquent pour
évaluer les forces normandes, ces chiffres me paraissent empreints
d'une certaine exagération. Le commandement de l'expédition fut
confié à deux hommes dont le nom reviendra constamment dans
l'histoire des guerres maritimes de Roger. L'un, Christodoulos,
nous est moins bien connu que le second, Georges d'Antioche.
Christodoulos était très probablement d'origine musulmane •', il
est mentionné dans divers diplômes. En 1119, dans un acte de
Roger, on parle d'une donation faite antérieurement à cette date
par Christodoulos '. En 1123, ce dernier est de nouveau men-
1. At. Tigani, B.A.S., t. II, p. 08. Ibn Khaldoun, loc. cit., Al Bayan, loc.
cit., Ibn el Athir, B.A.S., t. II, p. 456.
2. Ibn el Athir, loc. cit.
3. An Nowairi, B.A.S., t. II, p. 15G.
4. Ibn el Athir, B.A.S., t, I, p. 436. Ibn Khaldoun, ihid., t. II, p. 206.
5. At. Tigani, B.A.S., t. II, p. 71.
6. Cf. Amari, op. cit., t. III, p. 364.
7. Uo-helli, t. IX, p. 291. Cf. Amari, op. cit., t. III, p. 340, note 1.
37 i cFiAiM ruK XIV
tionné ', de même en décembre 1 126 (l 125 n. s.) % et en 1 130 •.
A une date indéterminée il reçut le titre de prptobilissime ^ et fut
nommé émir % nous le trouvons avec ce titre en 1123 '•; il est
encore mentionné dans un document de date incertaine '. Nous
savons qu'il possédait des biens, en Calabre, et qu'il fit diverses
donations au monastère de Santa Maria du Patir, au diocèse de
Rossano '^.
Pour Georges d'Antioche nous sommes mieux renseii^nés ; sa
mère s'appelait Théodule, et son père, Michel, était un aventurier
qui, après avoir habité l'Orient avec son fils, entra au service de
Temin, prince ziride d'El Medeah ^'. Georges qui, grâce à son
séjour en Orient, connaissait parfaitement l'arabe, entra, lui
aussi, au service du prince musulman dont il gagna la confiance ;
il fut chargé de l'administration des finances, et réussit à
augmenter, dans de notables proportions, les recettes du trésor.
1. Cusa, op. cit., t. I, p. ili.
2. Cusa, op. cit., t. I, p. 556.
3. Trinchera, op. cit., p. 138.
4. Montfaucon, Paleofj raphia groeca, p. 400. Garofalo, op. cit., p. 10, date ce
diplôme de 1139; Cusa, op. cit., t. I, p. 58, de iOo9;?). La première date
parait être inexacte puiscjue, dès 1123, Christodoulos a le titre de protono-
bilissime.
5. Cusa, op. cit., t. 1, p. 472.
6. Ibid., t. I, p. 418.
7. Cusa, t. I, p. 418; Amari, op. cit., t. III, p. 354, note 1, a fait erreur
sur les conclusions à tirer de ce document, dont il résulte que Christodou-
los vit encore à l'époque où cet acte est rédigé. Le document est de 1136 ou
de Hol.
8. Cf. Montfaucon, Paleographia (jrœca, pp. 396 et 397. Uglielli, op. cit.,
t. IX, p. 403. Trinchera, op. cit., p. 138. Mgr Battifol, L'abbaye de Rossano,
p. 17, cite un diplôme, soit-disant scellé du sceau du comte Roger, où il
est question de Christodoulos. Il regarde ce document comme faux, et dit
que le personnage dont émane ce diplôme est inconnu. En l'absence de
l'original, on ne saurait se prononcer sur l'authenticité du sceau, mais
Foulques de Bassenger, qui fait la donation est parfaitement connu. 11
sousci-it un diplôme du duc Roger, en 1904 (Arch. de la Cava, D. 2; et un
diplôme de 1105, (Archives capitulaires de Troia G. X .
9. Al Bayan, B.A,S., t. II, p. 38. At Tigani, B.A.S., t. II, pp. 65-66; Ibn
Khaldoun, ibid., p. 206. Sur la mère de Georges d'Antioche, cf. Cozza-Luzzi,
Délie epirjrafi grecke di Giorgio amrniraglio, délia madré e délia consorte,
dans Arch. st.sicil., t. XV, p. 22. Cf. Pirro, op. cit., t. I, pp. 300-301, qui
rapporte inexactement l'inscription.
GEORGES d'anTIOCHE 375
A la mort de Temin, Georges, croyant avoir à redouter l'ani-
mosité de Yahya, fît demandera Roger de passer à son service;
sa demande fut accueillie favorablement et il réussit k quitter
El Medeah, en s'embarquant secrètement sur un vaisseau
sicilien. Placé d'abord sous les ordres de Christodoulos, Georges
d'Antioche sut se faire apprécier et fut proposé par son chef pour
une mission en Egypte •. Il s'en acquitta avec un plein succès
et eut dès lors la faveur de Roger. Nous le trouvons mentionné
d'abord comme stratège -, puis, en 1125, comme émir '■'•; en 1 132,
il est émir des émirs ^; une inscription le qualifie de panhyper-
sébaste -K Georges joue dès lors un rôle important dans l'admi-
nistration '^, comme archonte des archontes. Nous savons qu'il
construisit, à Palerme, l'église Santa Maria oîi l'on voit encore
aujourd'hui une mosaïque représentant le donateur". De l'année
1143, du mois de mai, est un acte par lequel Georges fait, avec
l'abbé du monastère de Patti, un échange de vilains 8. La femme
de Georges, Irène, nous est connue par une inscription".
Sa pratique de la langue arabe, ses relations avec le monde
musulman d'Afrique, sa connaissance des côtes firent de Georges
d'Antioche un auxiliaire précieux pour Roger auquel il rendit
les plus grands services'^.
Tels étaient les deux hommes chargés de la conduite de l'ex-
pédition projetée. Désireux de surprendre son adversaire, le comte
de Sicile mit l'embargo sur tous les vaisseaux, qui se trouvaient
dans les ports de ses Etats^'. Cette mesure ne produisit pas l'elfet
{. At Tigani, B.A.S., t. II, p. 06.
2. Pirro, op. cit., t. II, p. 774, et Cusa, op. cit., t. I, pp. Tilo-oIO. Le texte
de Pirro est incorrect, le diplôme original porte Georçjius, et non Grego-
rlas, comme dans l'édition. Cusa a publié le texte grec; on conserve aussi,
aux Archives capitulaires de Patti l'original latin.
3. Cusa, op. cit., t. I, p. j.j.'i.
4. Spata, op. cit., p. 427.
.j. Cozza Luzzi, op. cit., dans A rch. st. siciL, t. XV, p. 28.
6. Cusa, op. cit., t. 1, pp. 74-72, 524 Cf. Al. Tel., II, 8, p. 104, » niaxi-
niiis amiratus n, et Pirro, op. cit., t. I, pp. 300-301.
7. C'est l'église Santa Maria dell' Amiraglio. Cf. Cusa, op. cit., t. I, p. 6H.
8. Cusa, op. cit., t. I, p. 524.
9. Cozza-Luzzi, op. cit., dans Arch. st. sicil., t. XV, p. 31.
10. Al Bayan, B.A.S., t. II, p. 38.
11. AtTigani, B.A.S., t. II, pp. 08-69 et 71-72.
376 CHAPITRE XIV
qu'il en avait espéré, car El Hassan comprit, en voyant inter-
rompre les communications avec la Sicile, qu'une expédition se
préparait. Il mit El Medeah en état de défense et proclamant la
guerre sainte, fit appel aux tribus arabes, qui, en temps ordi-
naire, reconnaissaient plus ou moins son autorité'.
Partie de Marsala, en juillet 1123, la flotte sicilienne fut
jetée par une tempête sur les côtes de lîle de Pantelleria, qui fut
occupée'-. Le 21 juillet, les Normands abordaient aux îles Sorella,
à environ dix milles d'El Medeah. Le débarquement s'effectua
sans difficulté et les troupes campèrent dans une des îles, séparée
de la côte par un étroit bras de mer que l'on pouvait facilement
traverser à gué. Le passage était commandé par un château fort
appelé Ad Dimas'^ Durant la nuit, une partie des troupes réussit
à gagner la terre ferme et poussa une reconnaissance '. Le second
jour, Georges d'Antioche et Christodoulos allèrent par mer jus-
qu'à Zawilah, un des faubourgs de la ville. Ils se rendirent compte
que l'on ne pouvait songer à une attaque du côté de la mer et
revinrent au camp '. Durant leur ajjsence, l'armée normande
avait eu a soutenir un combat contre les Musulmans, qui ayant
réussi à passer dans l'ile, firent un important butin ''. Ces débuts
n étaient pas très heureux pour les Normands; Georges d'An-
tioche réussit à en atténuer le fâcheux efTet, en occupant le châ-
teau d'Ad Dimas. Il avait, nous ne savons comment, des relations
dans la place, qui lui fut livrée par trahison; une garnison
normande y fut aussitôt installée.
Ce succès devait être leseuldela campagne. Exaspérés par la prise
d'AdDimas, lessoldatsmusulmansd'ElMedeah firentle lendemain
une sortie, durant la nuit. L'armée normande, prise de panique,
lâcha pied tout de suite. Chacun ne pensa qu'à regagner au
plus vite les vaisseaux ; les troupes s'embarquèrent à la hâte,
abandonnant les chevaux et une grande partie des bagages. La
1. Ibn Khaldoun, B.A.S., t. II, p. 206. Ibn el Athir, B.A.S., t. I, p. 4.j6.
2. Ibn el Athir, B.A.S., t. I, pp. 456-4.j7.
3. Ibid., p. 4.57. At.Tioani, B.A.S., t. II, p. 72.
4. AtTigani, B.A.S., t. II. p. c.'.i et pp. 72-73.
5. Ihid., p. 73.
G. IbiiL, 1)11. 09 et 73.
defaitp: des normands
377
garnison d'Acl Dinias ne put se retirer et se trouva isolée en pays
ennemi. Durant huit jours, la flotte sicilienne croisa dans les
parages d"El Medeah, cherchant une occasion favorable pour
tenter de délivrer les troupes, qui étaient demeurées dans le châ-
teau. Mais les Musulmans faisaient bonne garde et empêchèrent
toute tentative de débarquement. La flotte normande dut s'éloigner
sans avoir pu porter secours aux défenseurs d'Ad Dimas. Ceux-
ci prolongèrent leur résistance jusqu'au 10 août. Les vivres
venant alors à leur manquer, ils firent une sortie désespérée ou
presque tous trouvèrent la mort '.
L'échec lamentable de la première expédition des Normands,
en Afrique, eut un grand retentissement dans le monde musul-
man. Les poètes célébrèrent à l'envi ce succès du croissant "'.
At Tigani a inséré dans sa chronique la lettre par laquelle El
Hassan fît part de sa victoire à ses coreligionnaires. Ce document,
très répandu, a été reproduit, en tout ou en partie, par la plupart
des chroniqueurs arabes ; c'est la meilleure source que nous pos-
sédions pour ces événements.
La guerre dura encore quelques années ; Alexandre de Telese
raconte que Roger soumit diverses îles, parmi lesquelles Malte
(1127) '\ mais, durant cette période, ce sont surtout les Musul-
mans qui prirent l'offensive, et attaquèrent les côtes des Etats
du comte de Sicile. At Tigani nous apprend que les expéditions
des Musulmans furent nombreuses '*. Sur tous ces événements,
nos renseignements sont malheureusement fort incomplets ;nous
savons néanmoins que les Almoravides prirent à ces hostilités
une part active. Pendant l'été 1 127, une flotte almoravide
commandée par Mohammed, celui-là même qui avait réussi un
audacieux coup de main sur Nicotera, pilla et brûla Patti et Syra-
cuse. Informés par hasard de l'approche de l'ennemi, les habitants
de Catane purent mettre leur ville en état de défense '^.
1. îbn el Athir, B.A.S., t. I, p. 4r,8.
2. Cf. B.A.S., t. II, pp. 300 el 400.
3. AI. Tel., I, 4, p. 91.
4. At Tigani, B.A.S., t. II, pp. 74-75.
ij. Ibn Khaldoun, loc. cil., Al Tigani, B.A.S., t. II, pp. 74-75; tous deux
ne donnent pas de détail. Les noms des villes attaquées ne sontconnusque
378 ciiAPiTRi-: XIV
A la suite de cette expédition, Roger, usant de représailles, se
décida à faire alliance contre les Almoravides avec Raimond III,
comte de Barcelone. En janvier 1128, deux envo^'és de ce der-
nier qui se trouvaient à Palerme conclurent avec Roger un
traité contre les Musulmans d'Espag-ne. Le comte de Sicile pro-
mit d'envoyer, durant l'été I 129, cinquante galères a Raimond III ;
les conquêtes à faire appartiendraient par moitié aux deux
princes ; de même le butin serait partagé en deux parts égales.
Le comte de Barcelone s'engageait à laisser pénétrer dans tous
ses ports la flotte sicilienne et à lui donner toute facilité pour se
ravitailler. Deux ambassadeurs de Roger II furent envoyés à
Barcelone pour obtenir de Raimond III la ralitication du traité
conclu à Palerme. Celui-ci devenait nul de plein droit, au cas où
il ne serait pas ratifié par le comte de Barcelone, dans les huit
jours qui suivraient l'arrivée des envoyés de Roger '.
Le traité conclu, le 11 mai de la même année, avec la ville de
Savone, nous montre le comte de Sicile préoccupé de s'assurer
des alliés dans sa lutte contre les Musulmans. Une ambassade de
la ville de Savone était venue trouver Roger à Messine pour lui
demander de relâcher un vaisseau qu'il avait fait confisquer. A la
prière des Génois, Roger agréa la demande des gens de Savone,
mais ceux-ci durent s'engagera s'abstenir à l'avenir de tout acte
de piraterie et à fournir, cette même année, pendant quarante
jours, une galère à Roger IL En échange, les marchandsde Savone
obtenaient, dans les Etats de leur nouvel allié, divers privilèges -'.
par les chroniqueurs chrétiens. L'appendice à Malaterra, Muratori, R.l.SS.,
t. ^', p. G03, donne la date du 17 juillet 1127. Cf. Sicard de Crémone, Mura-
tori, R.l.SS., t. VII, p. ;197. Guill. deTvr, XIII. 22. .S. Af/alhœ miracula des-
cripta a Blandino monacho, A.\. SS.. .'> lévrier, I, p. 643. Sur la correction
nécessaire, et sur la personnalité du chef musulman, cf. Amari, op. cit.,
t. III, p. 378, note.
1. Le texte du traité a été publié par Aniari, op. cit., t. III, p. 389, note.
Les deux documents portent une date inexacte au point de vue de la
chronologie, Anno doniiniae incarruitionis M" Cenlesiino XXVII, monse
Marli, XV Kal. Fehrunrii, indicliont sexta ». Il y a là une erreur de copiste
qui empêche de connaître la date exacte du mois. L'acte doit être des pre-
miers mois de Tannée 1127 ind. ô=1128 (n. s.)
2. G. Filippi, Patio di pace tra Ruggiero II nonnanno e la ciltù di Savona,
dans Arch. st. napoL, t. XIV (1889), p. 750 et suiv. Il y a trois actes diffé-
TRAITÉ AVEC SAVONE 379
Nous savons que la ville de Savone approuva le traité signé
par ses représentants, mais nous ignorons ce qu'il advint du
traité conclu avec le comte de Barcelone. Raimond III refusa-t-il
son acquiescement, ou bien seuls les événements d'Italie empê-
chèrent-ils Roger d'aller jusqu'en Espagne frapper les Almora-
vides? Nous l'ignorons, mais il est probable que les troubles,
qui suivirent la mort du duc Guillaume, et l'intervention de
Roger II dans les affaires du duché, empêchèrent pour un temps,
le comte de Sicile, devenu duc de Fouille, de songer à des expé-
ditions lointaines '.
rents. Le premier contient les engag-ements pris par les ambassadeurs de
Savone; le second les privilèo-es accordés par Roger II ; le troisième, la con-
firmation du traité par la commune de Savone.
1. Cf. Al. Tel. I, 4, 90.
CHAPITRE XV
ROGER II, DUC DE FOUILLE
(1127-1130)
Guillaume, duc de Fouille, étant mort sans laisser d'enfant, la
question se posa de savoir à qui devaient revenir sesEtats. De son
vivant même, cet héritage avait été l'objet de nombreuses con-
voitises, et il semble que diverses tentatives furent faites auprès
du duc pour l'amener à choisir son successeur. La mort déjoua
toutes ces intrig'ues ; elle enleva le petit-fds de Robert Guiscard
avant qu'il eût institué un héritier.
Les renseig-nements que nous fournissent les chroniques sur les
titres des divers compétiteurs, qui briguèrent alors le duché de
Fouille, compliquent la question, sans apporter aucun éclaircisse-
ment. D'après Guillaume de Tvr \ le cousin germain du duc
défunt, Bohémond II, en partant pour la Terre Sainte (1126),
avait conclu avec lui un accord, par lequel chacun d'eux s'enga-
geait à laisser ses Etats au dernier survivant. Gautier, archidiacre
de Thérouanne, dans sa Vie de Charles le Bon, eomfe de Flandre -,
raconte que le duc Guillaume sentant sa fin approcher, fit venir
l'archevêque de Salerne''' et l'évéque de Troia ^ et leur déclara
qu'il laissait au Saint-Siège tout ce qu'il possédait. Suivant
Romuald de Salerne, le duc, pendant un séjour à Messine, aurait
institué son parent, le comte de Sicile, son légataire uni-
versel et, en échange, aurait reçu de Roger II une grosse
somme d'argent ^. Falcon de Bénévent ne fait aucune allusion à
1. Guil. de Tvr, XIII, 21, Hist. occ. des crois., t. I, p. 588.
2. M.G.H.SS^., t. XII, p. 430. Cf. Orderic Vital, 1. XII, 44, t. IV, p. 472.
3. L'archevêque de Salerne est, à cette date, Romuald I'"", cf. Paesano, op.
cil., t. II, p. 68.
4. I/évèque de Troia est alors Guillaume, di Meo, op. cit., t. IX, p. .330.
"^. Rom.Sal., dans M. G. II. SS., t. XIX, p. 418. Cf. l'annotateur de Romuald,
ibid., p. 417, ad an. 1122.
LA SUCCESSION DU DUC GUILLAUME 381
un testament quelconque rédigé par Guillaume. Quant à l'abbé
de Telese, très bien placé pour avoir pu se renseigner exacte-
ment, il nous montre le comte de Sicile fort ennuyé de ce que
le duc Guillaume soit mort avant de Tavoir institué son héritier,
comme cela avait été convenue Ailleurs, le même chroniqueur
fait dire par Roger aux Salernitains que le duc Guillaume lavait
choisi comme héritier, au cas où il viendrait k mourir sans
enfant^.
Il est parfaitement admissible que les renseignements de Guil-
laume de Tyr soient exacts et que Guillaume ait conclu un
accord avec Bohémond, mais l'absence de ce dernier, parti pour
Antioche avant la mort du duc de Fouille ', rendit illusoires
toutes les conventions. Bohémond II était trop loin pour pou-
voir revendiquer ses droits, et s'il y avait eu une convention,
celle-ci demeura lettre morte.
Restent les deux autres héritiers. Bien que Gautier de Thé-
rouanne prétende tenir son renseignement de la bouche même
du pape, il ne me paraît point que l'on puisse s'en rapporter à
son témoignage. Si l'on peut, à la rigueur, admettre que Pan-
dolf ', rédacteur de l'une des vies du pape Honorius II, très favo-
rable k Anaclet II et au roi Roger, ait passé sous silence cette
prétendue donation de Guillaume, il n'en saurait être de même
pour le cardinal Boson, auteur d'une autre vie du même pape.
Boson, si ce fait avait vraiment eu lieu, l'aurait certainement
mentionné dans son ouvrage où il insère avec grand soin tout ce
qui touche au temporel du Saint-Siège ■'. En outre, lors des nom-
breuses revendications de la papauté sur l'Italie du Sud, nous ne
verrons jamais invoquer cette prétendue donation de Guillaume.
L'intervention du pape dans les atTaires de la succession du duc
de Fouille se justifie d'ailleurs sans qu'il soit besoin de recourir
k l'hypothèse du testament. Suzerain du duché de Fouille, Hono-
rius pouvait réclamer ce fief tombant en déshérence.
1. Al. Tel., I, 4, p. 91.
2. Ihid., I, a, p. 91.
3. Rôhricht, Gesch. Jes Konifjreichs Jérusalem, p. 181.
4. Lih. Pont., t. II, pp. XXXI et 327.
5. Ibid., t. II, pp. XLII et 379.
382 CHAPITRE XV
Pour ce qui regarJe Roger, il me paraît résulter clairement des
deux passages contradictoires d'Alexandre de Telese que le duc
Guillaume, à un moment oîi il avait besoin du comte de Sicile,
lui fît la promesse plus ou moins vague de le prendre pour héri-
tier, promesse qui ne fut sanctionnée par aucun acte. Une fois le
duc mort, le comte de Sicile, pour légitimer ses prétentions, aura
transformé cette promesse en un acte réel. Les droits du comte
de Sicile étaient, peut-être, contestables, mais il était le seul à
pouvoir appuyer ses revendications sur des forces considérables;
on verra que ce fut là son principal argument.
On a vu combien l'autorité du duc s'était amoindrie sous le
règne de Guillaume, dont les vassaux pour la plupart s'étaient
rendus presque indépendants; les guerres privées avaient été fré-
quentes, et plus d'une fois le duc avait dû rappeler à l'obéissance
les villes ducales elles-mêmes.
L'anarchie ne lit que croître après la mort du duc. Les
villes ducales, les unes, comme Amallî ou Bari, regrettant
leur grandeur passée, les autres, comme Salerne, Troia, Melfi ou
Venosa, poussées simplement par l'amour de la liberté, se soule-
vèrent et cherchèrent à se rendre indépendantes'. Les vassaux
du duc de Fouille tinrent une conduite analogue. Grimoald de
Bari, Jourdain d'Ariano -, Tancrède et Alexandre de Conversano,
Geoffroi d'Andria, craignaient par-dessus tout de voir le comte de
Sicile devenir duc de Fouille ; ils comprenaient qu'entre ses mains
l'autorité ducale ne serait pas un vain mot, et par tous les
moyens, ils cherchèrent à lempêcher d'occuper les Etats du duc
défunt.
Les troubles les plus importants se produisirent dans la région
voisine de Bénévent. Jourdain, comte dAriano, qui avait eu ses
1. Al. Tel., I, l,p. 89.
2. Nous connaissons mal les seigneurs normands d'Ariano, voici le peu
que nous apprennent les diplômes : le premier comte dont nous ayons con-
naissance est Gérard, mort avant 1100; à cette date son fds Herbert, qui a
épousé Altrude, lui a déjà succédé. Herbert eut pour successeur son fils
Jourdain, mort le 12 août 1127, auquel succéda son fils Rog-er. Cf. di Meo,
op. cil., t. VIII, p. 308, t. IX, p. 82 ; Falco Benev., pp. 176, 186, 193. Al. Tel.,
I, 7, p. 92, et Sancti Xicolai miracula Beneventi fada, dans Borgia, op. cit.,
t. Il, p. 378.
ROGER II ET IlONORIUS II 383
biens confisqués par Guillaume, chercha à rentrer en possession
de ses domaines. Le jour même des funérailles du duc, il s'empara
de Montefusco ' et, en peu de jours, redevint maître de son
ancien comté '. Il aida ensuite Robert, fils de Richard, k tenter
une atta([ue sur Firenzola *, mais il fut tué au sièg'e de cette place ;
son fils Rog-er lui succéda '.
Ce fut au milieu de cette agitation que les deux acteurs princi-
paux, le pape Honorius II et le comte de Sicile entrèrent en scène.
Libre du côté de l'Allemag'ne, depuis le Concordat de Worms •',
la papauté, avec Calixtell, avait cherché à se débarrasser de tous
les hobereaux qui s'étaient créés de petits Etats, au détriment du
territoire pontifical ''. Continuant la politique de son prédéces-
seur, Honorius II, élu eu décembre 1124, avait, dès l'année 1125,
obligé les comtes de Ceccano k faire leur soumission. Il avait
ensuite occupé Segni et Vicolo '. Le résultat de ces expéditions
heureuses dût être assez fortement compromis par l'échec com-
plet essuyé par Honorius, devant Arpino, au début de i 127 ^. Le
pape avait dû s'enfuir, et regagner Rome ; c'est là qu'il apprit
la mort de Guillaume ■'.
1. Montefusco, circond. et prov. d'Avellino.
2. FalcoBenev., ad an. 1127, p. 193.
3. De Blasiis, op. cit., t. III, p. 1713, propose de ridentificr avec un autre
Robert, fils de Ricliard, qui est mentionné dans un acte de 1133, Trinchera,
op. cil., p. I.jO, comme ayant commis de nombreux actes de brigandage
dans la région de \oha, com. de Galatina, circond. et prov. de Lecce. (Il
existe une autre localité du nom de Noja, aujourd'hui Xoicataro, circond.
et prov. de Bari, cf. supra, p. 24, note 8, mais le document étant rédigé en
grec, la première identification me parait plus probable, la langue grecque
n'étant pas alors répandue dansla région de Bari.) Les régions où agissent
ces deux personnages me paraissent bien éloignées pour qu'on puisse les
identifier.
4. Jourdain fut tué peu après, le 12 août. Falco Benev, loc. cit. Son suc-
cesseur fut Roger, cela résulte d"Al. Tel., 1, 7, p. 92, et I, 23, p. 100; avec
di Meo, op. cit., t. IX, pp. 349 et 371, je crois qu'au lieu d'Orianensis, il
faut rétablir Arianensis, car la localité dont il s'agit est située près d'Apice,
circond. et prov. de Bénévent.
5. Lih. Pont., t. 11, p. 378.
6. IhicL, t. II, pp. 323 et 347.
7. Ihid., t. II, p. 379. Ann., Cecc, M.G.II.SS., t. XIX, p. 282.
8. Ann., Cecc, loc. cit.
, 9. AI. Tel., I, 8, p. 93.
38i CHAPITRE XV
Honorius II nhésita pas un instant sur la conduite à tenir, il
chercha par tous les moyens à empêcher le comte de Sicile à
réunir le duché de Fouille à ses Etats. Le pape, en etîet, se rendait
parfaitement compte que cette réunion détruirait, en faveur de la
Sicile, léquilibre que la papauté sétait etforcée d'établir entre les,
princes normands de Capoue, de Salerne et de Palerme. Pendant
longtemps, grâce à cette combinaison, les papes avaient pu oppo-
ser les Normands les uns aux autres et maintenir ainsi leur
suprématie ; tous les résultats obtenus par cette politique allaient
se trouver détruits par la formation d'un grand Etat normand.
Il y avait là une menace pour la papauté, qui n avait aucun
intérêt à favoriser le développement de la puissance du comte
de Sicile, en Italie. Pour faire échec aux projets de ce dernier,
Honorius devait être forcément amené à se rapprocher de la
féodalité normande et à tirer parti, au mieux des intérêts du
Saint-Siège, du mécontentement général, que causaient aux
seigneurs de l'Italie méridionale les prétentions de Roger II.
Dès qu'il eut appris là mort de Guillaume, Honorius jugea la
situation assez sérieuse pour gagner aussitôt Bénévent d'où il
pourrait de plus près surveiller les événements '.
Quelle que fut la hâte quil apporta à quitter Rome, le pape
fut devancé par le comte de Sicile. Roger devait se rendre par-
faitement compte de l'opposition quil rencontrerait auprès du
pape ; toute sa conduite montre clairement qu'il voulut placer
Honorius en face du fait accompli, et ne pas lui laisser prendre
l'avantage dans de longues et inutiles négociations.
Au mois de juin 1127, nous trouvons Roger à Messine '. II par-
tait alors pour Omignano, ou en revenait. En effet, en juin '^ 1127,
1. Il passa d"aboid au Mont-Cassin. Pel. Diac, C/jr., IV, 95. M.G.H.SS.,
t. VII, p. 810.
2. Garufi, / dociunenti etc., p. 10. Roger l'ésiclant à Messine, donne à
Ansald deAiTi le casai de Cassarro, sans doute Cassaro, circond. de Noto,
prov. de Syracuse.
3. Caspar, o/>. cîL, p. 39, qui me paraît se tromper, place en 1126 cette cam-
pagne. Les renseignementsque nous possédons, à ce sujet, nous sont fournis
par un annotateur de Romuald de Salerne, M.G.H.SS., t. XIX, p. 419, qui
place ces laits, en juin 1127, ind. 6. Les éléments decette date sont contradic-
toires, car le mois de juin de l'indiction 6 correspond au mois de juin 1128.
TRAITÉ AVEC SALKIINR 385
le comte de Sicile avait envoyé des troupes, sous le com-
mandement d'un certain xVlexandre, et de Robert de Grantmes-
nil, assiéger dans Omignano ' Roger et sa femme Judith, et lui-
même était venu prendre part au siège. Roger ne dut rester que
peu de temps devant Omignano, car nous savons que c'est en
Sicile qu'il apprit la mort du duc Guillaume (23 juillet 1127) ~.
Dès qu'il eut reçu cette nouvelle, Roger II quitta la Sicile, avec
une flotte de sept vaisseaux, et cingla vers Salerne. Quand le
comte parut devant les murs de la capitale du duché de
Fouille, il se vit refuser l'entrée de la ville, et fut contraint de
débarquer en dehors de la place. Roger, pour lequel la possession
de Salerne avait une importance considérable, entra en négocia-
tions avec les bourgeois, auxquels il fit réclamer la ville par deux
Pour dater les fragments de cet auteur anonyme, il faut partir des événe-
ments qu'il raconte et dont nous connaissons les dates par ailleurs. Sous la
date de 1128, ind. 8, Tinterpolateur de Romuald place, en mai, une nouvelle
expédition de Roger en Calabre, et place eodeni anno, eadem indictione, le con-
cile de Troia. Caspar, loc. cit., s'appuie là-dessus pour dater toutle jiassage de
1127. Il me parait que l'on ne peu^t le suivre. Le concile de Troia est de
noveml^re 1 127 ; or le mois de mai, qui correspond à l'indiction de novembre,
est non le mois de mai antérieur à novembre, mais le mois de mai de l'an-
née suivante, c'est-à-dire le mois de mai 1128. Remarquons que partout
l'annotateur s'est trompé le plus souvent dans la date . d'indiction (seule
celle de 1 1 29 est exacte) ; si l'on ne tient pas compte de l'indiction , ses dates
d'année cadrent parfaitement avec ce que nous savons par ailleurs. Ainsi
il place au 25 décembre 1130 le couronnement de Roger, cet événement étant
du 25 décembre 1130, on voit que l'annotateur fait commencer l'année en
septembre, ce qui est confirmé par le fait (ju'il place en septembre 1132,
le siège de Brindisi par Tancrède, or le siège est de 1131, car Grimoald,
prince de Bari, joue un rôle dans ces événements, et en septembre 1132,
il est prisonnier. Par suite de ces observations, je crois qu'il ne faut pas
tenir compte des dates d'indiction fournies par l'annotateur, et s'en
rapporter seulement aux dates d'années, en observant que notre auteur
commence Tannée en septembre. Par suite il faut placer, en 1 127, la première
attaque d'Omignano, en mai 1128, l'attaque de Roger contre Tursi, Omi-
gnano, Pisticcio, et, en 1129, le pi-emier siège de Bari.
1. Omignano, circond. de Vallo délia Lucania, prov. de Salerne.
2. Falco Benev., ad an. 1127, p. 192, place la mort de Guillaume au 7 des
kalendes d"août, soit, d'après la manière particulière dont il calcule la date
des kalendes, le 25 juillet. Cf. Weinreich, op. cit., pp. 91-93. D'après
Romuald de Salerne, M.G.II.SS., t. XIX, p. 418, Guillaume serait mort le
jour de la fête de saint Nazaire, soit le 28 juillet. Je ne sais sur quel texte
s'appuie Caspar, op. cit., p. 61, pour placer la mort du duc le 2(5 juin.
Histoire de la doniinalion normande. — CHAr.ANDnx. 25
386 CHAPITRE XV
envoyés, qui invoquèrent, en sa faveur, la prétendue promesse de
Guillaume et les droits que lui créait sa parenté. A toutes ces
ouvertures, les habitants de Salerne se bornèrent à répondre que,
durant trop long-temps, ils avaient eu à souffrir de la domination
des Normands pour ne pas saisir Toccasion de s'en affranchir.
Evidemment, à ce moment, il y eut à Salerne une réaction en
faveur du parti loml>ard, mais il résulte du récit de Falcon qu'un
parti normand fort important subsistait encore dans la ville '.
La discussion entre les envoyés de Roger et les bourgeois, en
se prolongeant, s'envenima à un tel point que des arguments on
passa aux menaces et des menaces aux coups. Sarlon, un des
amljassadeurs du comte de Sicile, fut massacré.
Les circonstances étaient tro)) pressantes pour permettre à
Roger de donner libre cours à sa colère, et de tirer vengeance
des habitants ; aussi dissimula-t-il son ressentiment et tenta-t-il
de reprendre les pourparlers. Les bourgeois de Salerne d'autre
part, devaient être assez penauds de ce qui s'était passé et redou-
ter que le comte de Sicile ne songeât à faire un exemple à leurs
dépens. Au fond, ils devaient se rendre compte qu'il y avait peu
de chance pour qu'ils pussent maintenir leur indépendance et que
le mieux était de profiter de l'occasion, qui leur était fournie, pour
faire garantir à leur ville ses privilèges, et, si faire se pouvait, en
obtenir de nouveaux. Le parti normand ayant à sa tête l'arche-
vêque, Romviald L"", fut naturellement amené à s'employer pour
la conclusion d'un accord. L'archevêque et divers habitants
eurent avec Roger plusieurs entrevues secrètes , toujours pendant
la nuit, et, dix jours après l'arrivée du comte de Sicile, on traita
sur les bases suivantes : la ville de Salerne serait remise à
Roger II, mais les habitants conserveraient la garde du donjon;
le comte de Sicile prenait en outre l'engagement de ne jamais
conduire en guerre les gens de Salerne à plus de deux jours de
marche de leur ville, et de ne faire emprisonner aucun d'eux
sans jugement ou sans qu'il y eût délit.
Durant ces négociations, Roger avait dû avoir connaissance
des troubles qui commençaient à agiter le pays, il avait hâte de
1. Al. Tel., 1, 4, 5 et 0, pp. 9i-'J2, Falco Benev., ad an. 1127, pp. 193-194.
THAITÉ AVEC AMALFI 387
se voir en possession de Salerne, aussi passa-t-il par les condi-
tions qui lui étaient imposées. Dès que l'accord fut conclu, le
comte fit son entrée dans la ville où Alfan, évêque deCappaccio,
le couronna comme duc de Pouille '.
Ce premier succès fut bientôt suivi d'un autre. La ville d'Amalfî
traita également avec le comte de Sicile, et obtint des condi-
tions analogues à celles accordées à Salerne ; en eifet, Roger II
fut reconnu à la condition que ce seraient les bourgeois qui
auraient la garde des murailles ~. La ville de Bénévent qui était
alors partagée entre deux partis, l'un favorable au pape, l'autre
aux Normands, envoya au nouveau duc une ambassade pour
l'assurer de sa bonne volonté. Roger, n'ayant pas encore à ce
moment rompu avec Honorius II, se borna à remercier les Béné-
ventains et à leur promettre qu'il les récompenserait de leur
zèle à son égard ': Il est d'ailleurs fort proba]>le que cette
démarche fut faite auprès de Roger seulement par le parti nor-
mand de Bénévent, et non par la ville entière.
Un appoint important fut apporté au comte de Sicile par Rai-
nolf, comte d'Alife. Ce dernier avait épousé une sœur de Roger II,
Mathilde. Il offrit à Roger son appui en échange de la suzeraineté
du comté d'Ariano, que Roger, dont nous avons parlé plus haut,
avait récemment hérité de son père Jourdain. Le comte de Sicile
hésita longtemps k agréercette demandene voulant pas, disait-il,
soumettre un égal k un égal ; en réalité Roger devait craindre
surtout de constituer k Rainolf un fief trop important, en
joignant k ses possessions le comté d'Ariano; néanmoins, la
crainte de voir son puissant beau-frère s'accorder avec les
seigneurs rebelles de la Pouille le détermina k lui accorder ce
qu'il demandait *.
Les sources ne nous permettent pas d'établir pour cette période
une chronologie très exacte, il paraît néanmoins résulter, des
récits de Falcon de Bénévent et d'Alexandre de Telese, que les
événements, qui viennent d'être rapportés, eurent lieu avant l'ar-
1. Romuald de Salerne, dans M.G.II.SS., t. XIX, p. 418.
2. Al. Tel., 1, 7, p. 92.
3. Falco Benev.,adan. 1127, p. 194.
4. Al. Tel. I, 7, p. 92. Cf. supra, p. 112.
388 CHAPITRE XV
rivée du pape à Bénévent '. Très mécontent des succès obtenus
par Roger, Honorius II menaça solennellement d'anathème le comte
de Sicile, au cas où il tenterait d'acquérir la dignité ducale '^. Sur
ces entrefaites, Roger II, k la tête de quatre cents chevaliers
parut devant Bénévent, deux jours après l'arrivée d'Honorius.
Soit pendant qu'il se rendait de Salerne à Bénévent, soit pendant
le séjour qu'il fit devant cette dernière place, Roger II rem-
porta un nouveau succès, en se faisant reconnaître comme succes-
seur de Guillaume par tous les seigneurs de la région. Landolf
de Montemarano ■^. Landolf de San Barbato ^, Hugues l'Enfant
etRaon, seigneur de Fragneto •' et de Ceppaloni '' firent leur
soumission.
Bien qu'aucune des chroniques que nous possédons ne men-
tionne à cette date des pourparlers entre Honorius et Roger, on
ne saurait douter que ce dernier n'ait alors négocié avec le pape ".
II me paraît très probable, en elTet, que ce fut seulement après
s'être heurté à la mauvaise volonté du souverain pontife que le
comte de Sicile donna aux seigneurs des environs de Bénévent
l'ordre de harceler continuellement la ville, car on ne voit pas
quel intérêt aurait eu Roger k s'aliéner le pape ; seule l'obsti-
nation d'Honorius peut expliquer la rupture qui s'est produite
alors.
Quand il eut vu qu'une entente avec Honorius II était impos-
sible, Roger chercha k empêcher le pape d'intervenir immédia-
1. Al. Tel., I, 8, p. 93. FalcoBenev., ad an. 1127, p. 19o. Étant donnéque
Rof;er parut, devant Béné-ent, deux jours après l'arrivée d'Honorius, on doit
admettre que la soumission de Rainolf et aussi celle de Salerne et
d'Amalfi est antérieure à la venue du pape. Il i-ésulte en effet d'Al. Tel., I, 7,
p. 92, et 8, p. 93, que Rainolf se soumit au comte de Sicile avant que le
pape eut menacé Roger de le frapper d'anathème.
2. Falco Benev., ad an. 1127, pp. 194-193.
3. Montemarano. circond. de S. Angelo de' Lombardi, prov. d'Avellino.
4. San Barbato, com. de Manocalzati, circond. et prov. d'Avellino.
5. Fragneto Moni'orte ou Fragneto l'Abate, circond. et prov. de Béné-
vent.
6. Ceppaloni, circond. et prov. de Bénévent.
7. Al. Tel., I, 9, p. 93, mentionne des négociations seulement alors que
Roger était à Salerne; il ajoute qu'il y eut plusieurs tentatives de la part
du comte de Sicile.
RÉVOLTE DES SEIGNEIRS NORMANDS 389
tementeu Fouille. CiOst lu ce qui explique rordic {loniié de mul-
tiplier les attaques contre Bénévent. Les forces pontificales étant
ainsi occupées, Rog-er put prendre les devants et faire reconnaître
son autorité à Troia, à Melfi, et dans une grande partie de la
Pouille. Avant le 1''" septembre, nous trouvons, à Montescaglioso,
Roger II, accompag'né d'un grand nombre d'évêqueset des émirs
Ghristodoulos et Georges d'Antioche '. Le comte de Sicile fut
peu après solennellement reconnu k Reg-gio comme successeur
du duc Guillaume et i^egag-na la Sicile '. En janvier, il était à
Palerme, et le traité qu'il conclut avec le comte Barcelone montre
qu'il croyait, à ce moment, son autorité suffisamment établie pour
pouvoir continuer la guerre d'Afrique.
La rapidité avec laquelle Rog-er II ag-it, pendant cette cam-
pagne de 1127, empêcha ses adversaires de se concerter pour lui
résister ouvertement. Le nouveau duc de Pouille pensait que le
pape placé en face du fait accompli ne saurait lui refuser l'in-
vestiture. Dès son retour en Sicile, il rouvrit les négociations,
mais il retrouva chez Honorius une égale obstination.
Revenus de la surprise que leur avaient causée les premiers
succès de Roger II, les villes et les seigneurs de la Pouille
commencèrent à s'agiter et à négocier. Très habilement le pape
profita du mécontentement général pour grouper autour de lui
tous les adversaires du successeur du duc Guillaume. Retenu,
jusqu'au milieu d'octobre, à Bénévent, par les attaques incessantes
des partisans de Roger, Honorius dut faire appel au concours de
soldats amis pour défendre la place -^ Nous ne savons pas bien ce
qu'il faut entendre par ces soldats amis dont parle Falcon ; peut-
être s'agit-il d'un secours fourni par les seigneurs normands de
la Pouille.
Ce fut donc de Bénévent que le pape engagea les pourparlers,
qui aboutirent à la formation d'une ligue comprenant, outre le
pape, Grimoald de Bari, Tancrède de Conversano et ses frères,
1. Diplôme en faveur de San Micliele Arcano'plo de Montescaglioso,
Tansi, op. cit., app. n° 17, p. 1")8.
2. Falco Benev., ad an. 1127, p. 194.
3. Le pape est à Bénévent jusqu'au 18 octobre, Jaffé-L., 72(l.'i. Falco
Benev., ad an. 1127, p. \9(\.
390 CHAPITRE XV
Roger d'Ariano, Geoffroi d'Aiidria •, auxquels se joignit Rainolf
d'Alife, le beau-frère de Roger II. Les habitants de Troia, suivant
sans doute l'impulsion de leur évêque, Guillaume, rasèrent la
citadelle qui commandait leur ville, et se donnèrent au pape dont
ils obtinrent une véritable charte de commune '. Honorius II se
rendit aussitôt à Troia, où, le 11 novembre 1127, fut conclu entre
les seigneurs de la Fouille que nous venons de nommer l'ac-
cord définitif, qui liait tous les rebelles contre le nouveau duc.
Vers la fin de décembre, la ligue reçut l'adhésion de Robert
de Capoue, qui venait de succéder à son père, Jourdain II, mort le
19 décembre •^. Le pape ne put faire ;i Troia qu'un séjour de peu
de durée : il fut rappelé à Bénévent, que menaçaient les partisans
de Roger II. Le II novendire, en elfet, Raon de Geppaloni
réussit par un audacieux coup demain, à faire prisonniers deux
cents habitants de la ville ^.
Roger apprit bientôt la formation de cette ligue ; un passage
de la chronique de l'abbé de Telese paraît indiquer qu'il se
décida alors à repasser en Italie pour surveiller les événements •'.
Désireux de détourner l'orage, il essaya de le prévenir, et fit
olîrir au pape des conditions fort avantageuses. Il proposait par
ses ambassadeurs délivrera Honorius, en échange de l'investiture '',
1. Al. Tel., 1, 10 p. 93. Falco Benev., ad an. 1127, p. 196.
2. Al. Tel., I, 10, p. 93. L'évèque Guillaume obtint d'Honorius un privi-
lège d'immunité, di Meo, op. cit.^ t. X, p. 330. L'acte d'Honorius 11, en
faveur des habitants de Troia, a été publié par P. Kehr, dans les Nachri-
chten d. k. (iesellschafl d. Wissensch. zu Gôllingen (1898), p. 76. Cf.
Zdekauer, Le franchit] ie concesse da Onorio II alla cUlh di Troja (Turin,
1898), in-8°. Une inscription gravée sur l'une des portes de bronze de la
cathédrale de Troia fait allusion aux événements dont la ville fut alors le
théâtre et au rôle joué par l'évèque Guillaume qui est qualifié de libéra-
teur de la patrie : Equitalis inoderatoi-. Liherator patriae. Voici le pas-
sage le plus important de cette inscription « Anno [quo Guilelmus dux (■?j]
Salerni ohiil morte communi. Tune Trojanus populus pro liherlalc tuenda
arcem suhvertit et urbeni vallo murisque inunivit. « Schultz, op. cit., t. 1,
p. 194. Toute une partie de l'inscription a été martelée, sans doute, en
1128, quand Roger reprit la ville.
3. Necrol. Cas., dans Gattola, Ace., t. II, p. 861.
4. AI. Tel., I, 10, p. 93. Falco Benev., ad an. 1127, p. 196.
5. Al. Tel., I, 11, p. 84, dit qu'après l'échec des négociations, Roger
retourna en Sicile.
6. Al. Tel., I, 10, \). 93, parle de négociations répétées ayant commencé
HONORIUS 11 ET LES REBELLES 391
les deux places de Troia et de Montefusco ^, plus une forte somme
d'argent. Le pape se refusa à tout accord. Devant l'inutilité de
ses tentatives, le comte de Sicile se prépara à la guerre. Ce fut
très probablement alors qu'usant de représailles, il interdit aux
évêques de Sicile de se rendre à liome -', comme le privilège de
légation lui en conférait le droit.
Grisé par le succès de ses premières démarches auprès des sei-
gneurs de la Fouille, Honorius 11 s'illusionnait sur la force de
la ligue dont il était le chef. Son refus d'accepter les conditions
du comte de Sicile constitua, en somme, une faute politique dont
il ne devait pas tarder à se rendre compte. Vers la lin de
novembre ou entre le 8 et le 20 décembre ■\ le pape se rendit de
nouveau à Troia oîi il tint un concile, dans lequel il excommunia
solennellement le comte de Sicile '. Honorius retourna ensuite à
Bénévent qu'il quitta, après le 20 décembre, pour Capoue, Dans
cette dernière ville, il assista, le 3() décembre, au sacre solennel du
prince Robert, auquel il donna l'investiture de ses Etats. Profitant
de la présence à Capoue d'un grand nombre de seigneurs nor-
mands venus à l'occasion de cette cérémonie, le pape prononça
contre le comte de Sicile un réquisitoire dune violence extrême,
dans lequel il montra l'intérêt que tous avaient à s'unir à la
papauté dans la lutte qu'elle entreprenait. Très habilement,
quand Roger était à Salerne. Falco Benev., ad an. 1127, pp. 194 et 196. Le
premier passage semble indiquer que les négociations sont antérieures au
H novembre; d'autre part Alexandre de Telese, I, 10, p. 194, paraît dire
que le comte négocia jusqu'au moment du second séjour du pape à Troia.
1. Montefusco, circond. et prov. d'Avellino.
2. Romuald de Salerne, dans M.G.II'SS., t. XIX, p. 418, donne ce
motif comme la principale cause de l'excommunication prononcée entre le
H novembre et le 20 décembre. 11 me paraît donc prol^able que c'est seu-
lement après l'échec définitif de ses tentatives auprès du pape que Roger
prit cette mesure.
3. Le premier séjour du pape à Troia est du 11 novembre. Nous trou-
vons Honorius à Bénévent, le 6, le 8 et le 28 décembre. Le 30 du même
mois, il est à Capoue. Il est peu probable qu'entre le 20 et le 30 décembre
le pape soit allé à Troia et retourné à Capoue. Le second séjour à Capoue
mentionné par l'abbé de Telese doit donc se placer soit à la fin de
novembre, soit entre le 8 et le 20 décembre. Cf. Jafîé-L., 7294, 7295, 7296.
Al. Tel., I, 10, p. 94; Falco Benev., ad an. 1127, p. 193.
4. Al. Tel., I, 10, p. 94.
392 CHAPITRE XV
Honorius développa les raisons pour lesquelles tous avaient à
redouter la trop grande puissance que donnerait à Roger l'occu-
pation du duché de Fouille. Le pape termina son discours par
un véritable appel à la croisade ; il prêcha la guerre sainte contre
le comte de Sicile et accorda l'absolution de leurs fautes à tous
ceux qui soutiendraient la papauté dans la lutte qu'elle entrepre-
nait '.
Sans perdre de temps, sans se laisser arrêter par la mauvaise
saison, Honorius cherchaà atteindre de suite le but le plus immé-
diat de sa politique, c'est à savoir la libération du territoire de
Bénévent, qui devait lui permettre de porter la guerre dans les Etats
de Roger. Hugues l'Enfant paraît avoir été de tous les partisans du
comte de Sicile dans cette région, le plus acharné contre les
Bénéventains. Ce fut contre lui que la ligue porta son premier
etfort. Hugues se trouvait être pour quelques-unes de ses terres,
vassal de Rainolf, comte d'Alife ; cité parce dernier à comparaître
devant sa cour, il s'y refusa '^. Aussitôt une expédition fut orga-
nisée contre le château de Lapellosa •^, où se trouvait Hugues. Le
comte d'Alife et le prince de Capoue devaient appuyer le recteur
de Bénévent dans l'attaque projetée. Mais, dès le début, des diffi-
cultés s'élevèrent, pour des motifs qui nous sont inconnus, entre
le pape et ses alliés normands. Ceux-ci ne prirent point part à
l'expédition projetée ; le recteur de Bénévent fut repoussé par
Hugues l'Enfant, et peu après Robert et Rainolf quittèrent l'ar-
mée pontificale.
Désireux de ne pas demeurer sur un échec, Honorius s'avança
lui-même jusqu'à Montesarchio ' pour diriger les opérations.
Le 29 janvier 1^28, ses troupes subirent un nouvel insuccès.
Mécontent de la défection de ses alliés, le pape renonça à entre-
prendre une nouvelle attaque. 11 chargea Gautier, archevêque de
Tarente, de gouverner Bénévent et d'organiser de nouvelles
1. Falco Benev., ad an. 1127, pp. lU'J-l'.lT.
2. Ibid., ad an., pp. 197-198.
3. Lapellosa me parait devoir être identifiée avec ApoUosa, cire, et prov.
de Bénévent.
4. Montesarchio, circond. et prov. de Bénévent.
PRISE d'omignano 393
troupes ', puis il reprit le chemin de Rome. Il y était de retour
au commencement de mars -et devait y rester jusqu'au début de
juin 3.
Roger ne demeura point inactif pendant Ihiver de l'année 1128,
et prépara la campagne qu'il comptait entreprendre au printemps.
S'il fallait en croire l'interpolateur de Ronmald de Salerne, il
aurait alors réuni deux mille chevaliers, quinze cents archers et
trente mille fantassins ''. (]e dernier chiffre me paraît fort exagéré
et n'est pas en rapport avec les ell'ectifs des autres contingents.
Il résulte du récit du même auteur que durant cette campagne
Roger divisa son armée en plusieurs corps opérant simultané-
ment.
Nous savons, toujours d'après la même source, que, le 11 mai,
le duc était à Messine ', oîi il organisait une expédition pour tirer
vengeance de la défaite que ses troupes avaient éprouvée l'année
précédente devant Omignano. Avant la lin de mai, Roger tra-
versait le détroit et venait assiège" Omignano qui fut prise. A la
suite de cette victoire, le duc s'empara de toutes les terres qui
appartenaient au comte Roger et à sa femme Judith. Il prit notam-
ment Tursi '^j Pisticcio ^ et Sant'Arcangelo ^, où un certain Geof-
froi, fils d'un comte Alexandre, fit sa soumission. S'agit-il d'un
fils d'Alexandre de Conversano ou d'un lils d'Alexandre de Cler-
mont, qui sont les deux personnages de ce nom les plus connus
1. Au Recteur de Bénévent le pape donne l'ordre « ul solidos de regali-
bus acceptas Archiepiscopo illi commiteret, de quihus milites civitalis arma-
rentur et auxilium secundum vires praeberetur., F&lco Benew, p. 198.
2. Jaffé-L., 7297.
3. Jaffé-L., 7314.
4. Cf. l'interpolateur de Romuald de Salerne, dans M.G.II.SS., t. XIX,
p. 419.
0. Cf. Arch. st.nap., t. XIV 1889), p. 735.
6. Tursi, circond. de Lagonegro., prov. de Potenza.
7. Pisliccio, circond. de Matera, prov. de Potenza.
8. Sant'Arcangelo, circond. de Lagonegro, prov. de Potenza. Ce village
est le seul dont la situation me paraisse correspondre aux renseignements
que nous fournissent les sources. Sant'Ai'cangelo, com. de Cava dei Tireni,
circond. et prov. de Salerne, Sant'Arcangelo, com. de Conca Marini, cir-
cond. et pi'ov. de Salerne, me paraissent situés en dehors du théâtre des
opérations ; de même Sant'Arcangelo Trimonli, circond. d'Ariano di Puglia,
prov. d'Avellino.
394 CHAPITRE XV
vers cette époque ? Nous l'ignorons. Pourtant on trouve quelques
années plus tard un Geoffroi, fils d'Alexandre de Gonversano;
peut-être est-il ici question du même personnage '.
Seul, rinterpolateur de Romuald mentionne ces succès de
Roger II, dans la Basilicate et la Lucanie. Le comte de Sicile
gagna ensuite la terre d'Otrante ; il prit et rasa la tour d'Onfroi,
dont nous ne connaissons pas l'emplacement et pénétra sur les
terres dont Bohémond II partant pour la croisade avait laissé la
garde au pape et à Alexandre de Gonversano -. Tarente ne put
résister au comte de Sicile et se rendit après un siège de peu de
durée ; Otrante se soumit sans la moindre résistance. Remon-
tant alors vers le Nord, Roger se rendit à Brindisi, qui tomba
bientôt en son pouvoir, ainsi que Gastro '^, Oria et de nombreux
châteaux appartenant à Tancrède, Gette première campagne
eut donc pour résultat d'assurer k Roger la possession de tout
le pays, au sud d'une ligne allant de Salerne à Brindisi.
Ainsi les attaques, dont Bénévent était l'objet, avaient réussi
à empêcher le pape de secourir ses alliés de la Fouille. Dési-
reux d'en finir avec Hugues l'Enfant, Honorius II rentra en
campagne, au début de juin. Il quitta Rome, emmenant avec lui
deux cents chevaliers qu'il réunit aux milices de Bénévent, et
aux forces du prince de Gapoue et du comte d'Alife, avec les-
quels il avait fini par se mettre d'accord. Une attaque générale
fut dirigée contre Torre del Palazzo où était alors Hugues l'En-
fant. Ge dernier ne put résister et dut rendre la place ''.
Libres du côté de Bénévent, le pape et ses alliés se hâtèrent
de porter secours aux seigneurs de la Fouille menacés par
l'attaque de Roger. Sans rencontrer d'obstacle, ils traversèrent
le territoire de Bari et s'avancèrent jusqu'au Bradano \ Roger,
1. Al. Toi., II, 38, p. 116.
2. Interpolateur de Romuald de Salerne, M.G.II.SS., t. XIX, p. 4IS, ad
an. 1127. Al. Tel., I, 12, pp. 94-95.
3. Sans doute Castro, corn, de Diso, circond. de Gallipoli, prov. de
Lecce.
4. Falco Benev., ad an., p. 199. Je n'identifie pas Torre del Palazzo. Il
s'agit évidemment ici de la même localité que dans un acte de 1112, cf. di
Meo, op. cit., t. IX, p. 183, n" 4.
5. Jaffé-L., 7315, le 8 juillet le pape est in territorio Barensi.
HONORIUS II TBAITE AVEC ROGER II 395
quand il fut instruit de Tapproche de l'armée ennemie, s'établit
dans une forte position sur les bords du fleuve, à Guazzo
Petrozo '. Suivant l'abbé deTelese, le comte de Sicile, par respect,
pour Honorius, ne voulut pas livrer bataille -. Falcon de Béné-
vent est, semble-t-il, plus exact, quand il écrit que Roger se trou-
vant en présence de forces très nombreuses, ne voulut pas cou-
rir la chance d'un combat '.
Roger II chercha évidemment à gagner du temps en traînant
la guerre en longueur. Il calculait que ses adversaires auraient
de la peine à conserver leurs troupes au delà de la durée nor-
male du service féodal, et il comptait sur les divisions qui ne
pouvaient manquer d'éclater entre les alliés. 11 pensait sans
doute que le pape inquiet de la prolongation des hostilités com-
prendrait tout ce que ses exigences avaient d'excessif et verrait
l'intérêt qu'il avait à conclui-e la paix. L'événement devait confir-
mer la justesse de ses prévisions.
Durant quarante jours, les deivx armées demeurèrent en pré-
sence, sans en venir aux mains. L'armée pontificale, très éprouvée
par la chaleur, eut aussi à souffrir de la disette. Le prince de
Capoue tomba malade ; ses vassaux, qui ne recevaient point de
solde, commencèrent à murmurer sur la durée excessive du ser-
vice qui leur était imposé. Un certain nombre d'entre eux prirent
même le parti de quitter l'armée. Leur exemple fut contagieux
et la plupart des barons se mirent à parler ouvertement d'aban-
donner le pape. Honorius II fut bientôt informé de l'état d'esprit
des troupes qu'il commandait. Il en vint à craindre d'être complè-
tement abandonné par ses alliés et se décida à entrer en pourpar-
lers avec le comte de Sicile '*.
Les négociations furent conduites secrètement par le cardinal
Aimeri et Gencio Frangipani. Les chroniqueurs se bornent à nous
dire qu'Honorius promit au comte de Sicile de lui accorder l'in-
vestiture, s'il venait la lui demander à Bénévent. Il semble que
par là le pape ait surtout cherché à sauver son prestige forte-
1. Non identifié.
2. Al. Tel., 1,13, p. 9"..
3. Falco Benev., adan. 1128, p. 100.
4. Al. Tel., I, 13 et 14, pp. 03-90; Falco Benev., adan., p. 199. Lih. Pont.,
t. II, p. 379.
396 CHAPITRE X\
ment compromis dans l'aventure où il s'était jeté, et n'ait pas
voulu paraître avoir été contraint par la force des armes d'accor-
der à Roger 11 l'investiture du duché de Fouille. Honorius II ne
réussit ainsi à sauver que son amour-propre, car il dut en pas-
ser parles conditions du comte de Sicile, qui exigea que le pape
le reconnut purement et simplement comme duc de Fouille. Il
n'est plus question alors de Troia et de Montefusco, ces deux
places que Rog-er avait précédemment offertes au Saint-Siège.
En somme, le pape subit un échec complet; il fut oblig-é de
trahir ses alliés, car ceux-ci ne furent point compris dans l'accord
conclu avec Honorius. Aussi, dès que ces derniers eurent con-
naissance du traité conclu par le pape, s'empressèrent-ils de quit-
ter l'armée.
Le pape regagna donc Bénévent. oîi il fut suivi de près par
le comte de Sicile qui, le 20 août, vint camper devant la ville sur
le mont San Felice K Les derniers pourparlers entre Roger et
Honorius durèrent encore trois jours; l'accord définitif ne fut con-
clu que le 22, au soir. Roger se refusa énergiquement a pénétrer
dans Bénévent pour prêter au pape serment d hommage et de
fidélité. On convint finalement que la cérémonie aurait lieu en
dehors de la ville, près du pont traversant le Sabbato. Ce fut la
nuit, à la lueur des torches, que Roger reçut du pape l'investiture
de sesnouveaux Etats. Il est curieux de voirque Roger, après avoir
prêté les serments habituels, prit l'engagement de ne pas atta-
quer la principauté de Capoue. Cette sollicitude du pape envers
Robert de Capoue, qui avait été le premier à abandonner la cause
pontificale, doit s'expliquer très vraisemblablement par le désir de
maintenir entre le territoire pontifical et les Etats de Roger un Etat
capable de contrebalancer, dans une certaine mesure, la puissance
du duc de Fouille. C'était le dernier elfort de la papauté pour
sauvegarder, autant qu il était en son pouvoir, l'ordre de choses
qu'elle avait réussi à maintenir dans le sud de l'Italie durant plus
d'un demi-siècle. Mais la principauté de Capoue était déjà bien
alfaiblie pour pouvoir continuer à aider efficacement la politique
traditionnelle du Saint Sieste, et la réunion dans les mains d'un
1. Al. Tel. I, l.'i, p. 06; Falco Benov., ad an., p. 109.
RÉVOLTE DES SEIGNEURS XOKMANDS 397
même souverain du comté de Sicile et du duché de Fouille rom-
pait Téquilil^re que les papes s'étaient etforcés d'établir entre les
divers Etats normands de l'Italie du Sud.
Le prestige d'Honorius II sortait fort amoindri de sa lutte avec
Roger II; aussi les Bénéventains profilèrent-ils de la faiblesse du
pouvoir pontifical pour se soulever ; ils massacrèrent le recteur,
chassèrent les partisans du pape et organisèrent une commune.
Honorius II fut contraint de s'incliner devant le fait accompli et
dut dilTérer sa vengeance.
Pendant ce temps, Roger II s'éloignait de Bénévent pour aller
mettre le siège devant Troia. Il ne réussit pas à s'emparer de la
ville et se retira ; il trouva une compensation dans la soumission
des autres villes ducales, Melfi, notamment, le reconnut alors.
A l'approche de l'hiver, Roger regagna Salerne, où il s'embar-
qua pour la Sicile ' .
Roger sortait donc vainqueu" de sa première lutte avec
la papauté qui, une fois de plus, venait de subir un échec
complet dans l'Italie du Sud. Par le traité conclu avec
le pape, Roger avait fait reconnaître et consacrer ses droits à la
succession de Guillaume, et était entré en possession de l'héritage
qu'il avait convoité. Il ne lui restait plus qu'à le défendre contre
les vassaux rebelles de la Pouille qui n'avaient point traité avec
lui en même temps que le pape.
Pendant l'hiver suivant (1128-1129), les hostilités continuèrent
et les seigneurs de la Pouille, reprenant l'avantage, réussirent
à enlever à Roger II une partie des villes qu'il avait sou-
mises. Tancrède rentra en possession de Brindisi, de Castro
et de diverses autres petites places ~. Les progrès des rebelles déci-
dèrent Roger à rentrer en campagne, au printemps 1129 '. Toute
la Pouille était alors en révolte, depuis la terre d'Otrante jusqu'au
1. Al. Tel., I, 15, p. 96.
2. Ihid., I, 15 et 17, pp. 96-97.
3. Ihid., I, 16. Cf. l'interpolateur deRomualdcle Salerne, dans M. G. II. SS.,
t. XIX, p. 420, ad an. 1129. Du 15 mai 1129, est le célèbre diplôme faux
pour Messine. Cf. Vito La Mantia, I privilegi cli Messina (Palerme 1897),
p. 2. K. Kehr, op. cit., p. 320. De la même année sont également les
diplômes faux pour André Carav'ello, Milon de Bari et Porcio, cf. Kehr,
op. cil., pp. 394 et 388.
398 CHAPITRE XV
Monte Gargano. Fortes de 3.000 chevaliers et de 6.000 fantas-
sins, archers et Sarrasins, les troupes ducales reprirent à Tan-
•crède un certain nombre de petites places dont les chroniques ne
nous donnent pas les noms. 11 semble qu'il faille placer ici le
siège deNardo, daté de 1129 ^ par Tinterpolateur de Romuald de
Salerne. Sous la conduite de Rog-er, l'armée ducale vint mettre
le sièg-e devant Brindisi (juin), qui fut assiégée par terre et par
mer. La ville était défendue par Richard de Clermont et Geolfroi,
fils d'Alexandre. Le duc de Fouille ne réussit pas à s'emparer de
la place et fut contraint par le manque de vivres à lever le siège.
L'armée se retira sur Tarente "', puis alla assiéger la ville de
Castro qui fut prise et détruite.
Roger mit ensuite le siège devant Montalto '. A ce moment, quel-
ques-uns de ses vassaux montrèrent une certaine indiscipline,
Robert de Grantmesnil, fils de Guillaume de Grantmesnil et de
Mabille, fille de Guiscard '*, déclara au duc que son fief n'était pas
suffisamment important pour lui permettre de supporter la dépense
d'une aussi longue campagne. Malgré la promesse de Roger de le
1. Interpolateur de Romuald de Salenie, dans M.G.II.SS., l. XIX, p. 420.
2. Ibid., p. 420.
3. D'après le Dictionnaire dea Postes d'Italie, il n'existerait (pi'uu village
de ce nom, Montalto L fl'ugo dans le circondario de Cosenza. Je ne sais sil
s'agit de cette place, qui est bien éloignée de la région où nous voyons
opérer les troupes de Roger. Toutefois di Meo et del Re ne font aucune
difGeulté pour accepter cette identification. Un document de 1121 nous fait
connaître Dreux de Montalto, qui fait une donation au monastère de la
Sainte-Trinité de Milelo. Archives du collège grec, B. IX.
4. Orderic Vital, 1. VIII, 7, IG, 28, t. III, pp. 308, 360, 455. Cf. Engel, op.
cit., p. 23. Mabille, mère de Robert, vit encore en 1132; elle lient alors
Cotrone. Diplôme de février 6636, ind. X, 1128, traduit du grec, Bibl. Chigi,
E, YI, 182, f. 41. La date d'année ne concorde pas avec l'indiction; comme
il est question ici du roi Roger, la date fournie par l'indiction doit être exacte.
Cf. Ughelli, op. cit., t. IX, 680. Mgr Battifol, Vahhaye de Rossano, p. 17,
croit ce diplôme faux ; les raisons qu'il donne ne sont pas décisives, car
étant donné que ce diplôme n'est connu que par une traduction, on peut
croire dans la date à une erreur du traducteur. Si l'on date le document
d'après l'indiction, ses données sont parfaitement acceptables. Mabille
nous est connue par un autre diplôme en faveur de Barthélémy, abbé du
monastère Santa Maria du Patir, au diocèse de Rossano; par cet acte de
1122, Mabille et son mari, Guillaume, donnent au monastère tout ce qu'ils
possèdent entre le Crati et le Conchiliou Coscile, aflluentde gauchedu Crati.
Cf. Ughellî, op. cit., t. IX, p. 387.
KÉVOLTE DES SEIGNEURS NORMANDS 399
récompenser quand il serait maître de la Fouille, Robert quitta
l'armée '. Cet épisode est intéressant parce qu'il nous montre que,
dès le début de son règne, Roger chercha à prolonger la durée du
service militaire que ses vassaux étaient tenus de fournir. Nous
verrons plus tard que ce sera là un des principaux griefs allégués
par les seigneurs, lors de leurs nombreuses révoltes.
Montalto ne tarda pas à tomber au pouvoir du duc de Fouille
qui se porta aussitôt vers la région de Bari et occupa successive-
ment Ruvo '', Salpi (août) ^, Siponto '*, le Monte Gargano etTra-
ni. Un passage assez obscur de l'interpolateur de Romuald de
Salerne ^', semble indiquer qu'il y eut également des hostilités à
Gravina '^ et Acquaviva ~. Fendant ce temps, au mois de juin, la
flotte du duc, forte de quarante à soixante galères, avait paru
devant Bari, qui fut bloqué du côté de la mer ^.
Les succès importants, remportés par Roger, amenèrent
Alexandre de Conversano, ses frères Tancrède et Geoffroi, et
Grimoald de Bari à faire leur soumission. Un accord fut conclu, le
10 août; Roger restitua à ces seigneurs toutes les terres qu'il leur
avait enlevées; eux-mêmes rendirent toutes les terres dont ils
s'étaient emparées et durent accompagner le duc au siège de
Troia ^. La rapide soumission de la Fouille prit les gens de
Troia au dépourvu. Abandonnés par le pape auquel ils
s'étaient donnés, ils se tournèrent vers Robert de Gapoue, qui,
peu désireux d'entreprendre seul la guerre contre Roger,
1. Al. Tel., I, 18, 97.
2. Il me parait qu'il est question ici de Ruvo di Puglia, cire, de Bar-
letta, prov. de Bari, plutôt que de Ruvo del Monte, cire, de Melfi., prov.
de Potenza.
3. Sur les bords du lac du même nom.
4. Siponto, aujourd'hui ruinée, entre t'oggia et Manfredonia.
5. Interpolateur de Romuald de Salerne, dans M. G. H. SS., t. XIX, p. 419.
Ces villes, lors de la paix, furent rendues; elles avaient donc été enlevées.
6. Gravina in Puglia, cire. d'Altamura, prov. de Bari.
7. Acquaviva délie fonti, cire, et prov. de Bari.
8. Interpolateur de Romuald de Salerne, dans M.G.II.SS., t. XIX, p. 419 ;
la date fournie, 1129, ne concorde pas avec Tindiction 8. Mais la date d'an-
née est probablement exacte, cf. p. 384, note 3.
9. Interpolateur de Romuald de Salerne, dans M,G.H.SS., t. XIX, p. 419,
Al, Tel., 1, 18.
400 CHAPITRE XV
refusa d'écouter les ouvertures qui lui étaient faites. Le comte
d'Alife, Rainolf, qui se trouvait abandonné de ses anciens alliés
et craignait de ne pouvoir soutenir seul la guerre contre
son puissant beau-frère, iît alors offrir aux gens de Troia de les
défendre, s'ils voulaient l'accepter comme seigneur. Ses proposi-
tions furent agréées et Rainolf, devenu ainsi maître de la place
qui commandait l'entrée de la Fouille, vint occuper la ville.
Roger II se trouvait à Salpi, quand il apprit l'alliance de son
beau-frère avec les habitants de Troia ; il se décida aussitôt à por-
ter la guerre sur le territoire de Rainolf ^ Passant devant Troia
sans attaquer la place, il se dirigea vers le château de Grenzio -,
qui appartenait à Rainolf. Celui-ci, qui n'avait peut-être cherché
en s' alliant avec les gens de Troia que le moyen d'obtenir de
meilleures conditions de Roger, entra en négociations avec le
duc de Fouille. Ce dernier offrit à Rainolf son pardon, s'il con-
sentait k tenir Troia en fief. Le comte d'Alife accepta et aban-
donna ses alliés de la veille. Ceux-ci ne purent résistera Roger,
et il suffit d'un siège de quelques jours pour les amener h faire
leur soumission. C'est très proljablement à ce moment que fut
donné par Roger le diplôme, conservé aujourd'hui aux archives
capitulaires de cette Aille, par lequel le duc de Fouille accorde
aux chanoines de Troia le droit de percevoir la dîme •'.
La soumission de Troia fut suivie de celle des autres villes
ducales, qui avaient pris part à la révolte; elles envoyèrent alors
leurs clefs k Roger ^.
Il faut placer très vraisemblement, pendant le séjour que fit k ce
moment Roger dans la région de Troia, son entrevue avec le pape
Ilonorius II. Celui-ci, dans le courant d'août, était venu k Béné-
vent, où il n'avait pu venir k bout de la commune établie, comme
nous l'avons vu, l'année précédente. Ilonorius II se rencontra
avec Roger k Leocabante ■"' ; il lui demanda de l'aider k soumettre
1. Al. Tel., I. 18, p. 98.
2. Peut- être Greci, circond. d'Ariano de Puglia, prov. d'AvcUino.
3. Archives capitulaires de Troia, P. II; le diplôme est de 1129, sans date
de mois.
4. AI. Tel., I, 20.
5. Locabanle, près de Hénévent.
ROGER II ET ROBERT DE GRANTMESNIL 401
les habitants de Bénévent. Malgré la sympathie que lui avaient
témoignée les Bénéventains, Roger 11 pi'omit au pape de
l'appuyer au mois de mai suivant K Peut-être le duc de Fouille se
souciait-il peu de laisser établir, dans une ville confinant à ses
États, une autonomie municipale que les villes ducales, déjà si
portées à l'indépendance, ne pouvaient manquer denvier.
Avec la prise de Troia se termina la première insurrection de
la Fouille. Roger 11 sut très habilement diviser ses adversaires
pour en venir à bout successivement. 11 convient de remarquer
la modération dont le nouveau duc usa dans sa victoire ; aucune
confiscation ne paraît avoir été opérée, et les seigneurs de la
Fouille recouvrèrent les terres, qui leur avaient été enlevées.
Pourtant il est probable que Roger dut tenir vis-à-vis de plusieurs
d'entre eux la conduite qu'il tint envers Tancrède. 11 obligea
celui-ci à remettre aux mains dune garnison ducale la citadelle
de Brindisi 2.
Roger s'occupa aussitôt d'organiser ses nouveaux Etats ; il
voulut montrer, dès le début de son règne, qu'il entendait mettre
fin à l'anarchie, qui avait existé au temps du duc Guillaume, et
qu'il voulait faire observer rigoureusement par ses vassaux les
obligations féodales ; Robert de Grantmesnil, en quittant l'armée
de son suzerain, avait manqué à son devoir; désireux de faire un
exemple, et de montrer à ses vassaux que l'autorité ducale n'était
pas un vain mot, Roger alla assiéger le coupable dans Lagope-
sole où il s'était enfermé. Grantmesnil n'obtint son pardon qu'en
renonçant à tous les fiefs qu'il tenait du duc •^.
De Lagopesole, Roger se rendit, en septembre, à Melfi, où il
avait convoqué tous ses vassaux de la Fouille, de la Calabre, de
la Lucanie et de la Campanie ^. Il tint une cour solennelle à
laquelle assistèrent un grand nombre d'évêques et d'abbés. Tous
1. Falco Benev., ad an. H29, p. 201.
2. L'interpolateur de Romuald dit qu'en septembre 1132-H31, n. s.,
cette citadelle est à Roger, M.G.II.SS., t. XIX, p. 420.
3. Al. Tel., I, 20, p. 99.
4. Al. Tel., I, 21, L'interpolateur de Romuald de Salerne, loc. cit., date
de 1130, septembre, mais il commence l'année en septembre. Le texte porte,
en outre, les noms de Brizie et Salenline. Lepremier mot ne peut désigner
le Bruttium puis([u'il a déjà été question de la Calabre, ne faudrait-il pas lire
Histoire de la dominalion normande. — Chalandon. 26
402 CHAPITRE XV
les vassaux prêtèrent au duc et à ses fils, Rog-er et Tancrède,
serment de fidélité. Dans cette assemblée, Roger II établit les
règles de gouvernement qu'il entendait imposer ; il interdit les
guerres privées, imposa aux seigneurs l'obligation de remettre
les malfaiteurs à la justice ducale, et déclara qu'il voulait que l'on
respectât non seulement les biens des personnes ecclésiastiques,
mais aussi les pèlerins, les voyageurs et les marchands. L'abbé
de Telese nous donne malheureusement peu de détails sur les
mesures prises alors par Roger. Nous savons pourtant que, plus
tard, le duc réussit à faire cesser le brigandage, et le témoignage
de son panégyriste est ici confirmé par celui de Pierre de Cluny,
qui, dans une lettre, postérieure de quelques années à ces événe-
ments, parle de la tranquillité que Roger 11 a su faire régner
dans ses États. La paix et la sécurité dont on jouissait dans le
royaume de Sicile faisaient un contraste frappant avec l'anarchie
qui régnait dans le reste de l'Italie, et l'abbé de Cluny ne cache
pas l'admiration qu'il éprouve pour le gouvernement de Roger '.
Le témoignage de Pierre de Cluny est confirmé par le biographe
de saint Guillaume de Monte vergine -.
De Mein, Roger, avant de regagner la Sicile, se rendit à Tarente
et lit pi-endre k Robert de Grantmesnil l'engagement de quitter
l'Italie. En octobre, Roger était à Messine ^ ; nous le trouvons
k Palerme, le 30 décembre K
Nous avons vu que Roger avait promis à llonorius II de lui
prêter secours pour soumettre les gens de Bénévent; il n'eut pas
à tenir sa promesse, car le pape mourut le 13 février 1130. On
verra plus loin quel parti le duc de Pouille sut tirer du schisme
qui déchira alors l'église.
Aprulii. De même au lieu de Sulenlîne ne vaudrait-il pas mieux lire Salerni.
Cf. F'ai'aglia, Saggio di corografia Abruzzese, dans Arch. st. napoL, t. XVI,
p. 724, note 2.
1. Migne, P.L., t. 189, p. 281.
2. AA.SS. Juin t. V, pp. 116-117.
3. Tromby, op. cit., III, app. 2, n. li). Cf. K. Kehr, op. cit., p. 376 ;
Ughelli, t. IX, p. 673 ; P. Kehr, op. cit., dans Nachrichlen (190.3i, p. 548, et
Caspar, op. cit., pp. 504-50o.
4. Galtola, Ace, t. I, p. 244, diplôme en faveur du Mont-Cassin.
IlOGER II ET TKOIA 4Ô3
Roger II employa l'année 1130 à assurer la pacification de ses
Etats. Nous ne pouvons établir exactement la chronologie des
expéditions qu'il entreprit dans le cours de cette année. Nous
savons seulement que, le 16 mai, le duc est à Palerme'.
Pendant cette année, Roger s'etîorça d'amener la soumission
de ceux de ses vassaux qui se montraient encore rebelles à son
autorité; en même temps, il contraignit un certain nombre de villes
ducales à reconnaître plus complètement son pouvoir et réussit à
rétablir à Salerne, Troia et Melli l'ancien ordre de choses, en obli-
geant les habitants à renoncer à une partie des concessions qui
lui avait été arrachées les années précédentes.
Manquant à la parole donnée, Robert de Grantmesnil bien loin
de quitter les Etats de Roger avait occupé Oriolo et Castrovil-
lari. Le duc alla l'assiéger et l'obligea à s'éloigner de l'Italie '.
Après avoir obtenu la soumission de Robert de Grantmesnil,
Roger se rendit à Salerne. 11 força les habitants à remettre
entre ses mains la citadelle dont il regardait la possession comme
indispensable à l'exercice de son autorité. Les Salernitains
n'osèrent résister et se soumirent.
Roger II alla ensuite ravager les terres de Roger d'Ariano, qui
n'avait pas traité avec lui l'année précédente -K Ce dernier fut
obligé, pour avoir la paix, d'abandonner à Roger la Padule ', et
Montefusco '.
Peu après, Troia vit de nouveau paraître devant ses murs les
troupes de Roger. Celui-ci demanda aux habitants de recons-
1. Pirro, op. cit., t. II, p. 1001. Du mois de mai 1130, est un diplôme de
Roger en faveur de Luc, abbé du monastère Santa Maria du Patir, Trin-
cliera, op. cit., p. 138, Montfaucon, Paleographia grœca, p. 397 (les deux
éditions d'après des copies). Comme Roger a, dans ce document, le titre de
roi, l'acte a été certainement mal coj>ié, cf. Kehr, op. cit., p. .^0. De même
sur l'acte grec traduit, donné à Palerme en juillet 1130, édité par Pirro,
t. II, p. 1003, on doit faire une remarque analogue. Enfin Behring, op. cit.,
1. 1, p. 2o, place en 1130, un acte en faveur du monastère de San Salvatorede
Messine, qu'il fautreporter à 1131, cf. Cusa, op. cit., t. I, p. 292.
2. Al. Tel., I, 22, p. 100.
3. Ibid., I. 23, pp. 100-101.
4. La Padola, sur le Calore, près de Bénévent, cf. di Meo, op. cit., t. XII
p. 428.
5. Montefusco, circond. elprov. d'Avellino.
404 CHAPITRE XV
truire la citadelle qu'ils avaient rasée, lors de la mort du duc
Guillaume. Un siège de quelques jours vint à bout de leur résis-
tance et le duc leur imposa ses volontés '. Il en fut de même à
Melfi où Roger obligea également les habitants à reconstruire
la citadelle '. De Melfi, Roger revint à Salerne oîi il s'embarqua
pour la Sicile \
Cette série d'expéditions nous montre clairement la volonté de
Roger d'exercer réellement l'autorité ducale. La faiblesse des
derniers ducs de Fouille avait permis aux villes ducales de se
rendre à peu près indépendantes. C'est contre cette indépen-
dance que Roger entreprit de lutter ; le meilleur moyen de com-
battre toute velléité de révolte lui parut être l'établissement, dans
chaque ville, d'une garnison, qui, à l'abri de la citadelle,
assurait l'obéissance des habitants. Nous verrons, dans le cours
des années suivantes. Roger II chercher à étendre ces mesures à
l'ensemble de ses Etats. Bornons-nous ici à constater que, dès
1130, Roger se sent assez puissant pour retirer aux villes les
plus importantes, Troia, Melfi et Salerne une partie des privi-
lèges qu'il avait été contraint de leur accorder les années précé-
dentes.
1. Al. Tel., I. -24,1). 101.
2. Ihid.
3. Ihid., 1.28, p. 101.
ERRATA ET ADDENDA
p. XVII, note 1, 1. 1, supprimer la virgule après (Jonsue/udini.
P. XVIII, 1. 21, supprimer le mot où.
P. XXV, note 3, 1. 2, au lieu de : de, lire : di.
P. xxvii, note 3, supprimer le point après ab.
P. XXVIII, 1. 3, lire : de 560 à.
P. xLvi, dernière ligne, au lieu de xi", lire xii".
P. 19, note II, lire : SanfAgafa, circond. de Cerreto SannKa, prov. de
Bénévent.
P. 30, note 3, au lieu de : Je Fouille, lire : en Pouille.
P, 34, ligne 19, — Conversano, — PoUgnano.
P. 43, ligne 24, — Contoléon, — Kontoléon.
P. 52, la fin de la note 2, depuis Ad'iémar, est à placer au déijut de la
note 3.
P. 3G et suiv., ou lieu de : Cannex, lire : Canne.
P. 62, 1. 12, — Rai'ennes, — Ravenne.
PP. 62, 13-i, 169, 171, — Ofhon, — Otton.
P. 63, note 7, j'ai peut-être tiré de la non concordance de la date du
diplôme impérial avec les données de Léon d'Ostie des conclusions trop
rigoureuses. Mueller, Das Itinerar Kai.'ier Heinrichs III (Berlin, 1901), in-S",
a montré que les dates d'un grand nombre de diplômes ne fournissent pas
d'indications sûres sur la présence de l'empereur à l'endroit d'où est daté
le diplôme.
P. 74, 1. 8, au lieu de : Gaytelgrime, lire : Gaitelgrime.
P. 83, note 6, — Sant'Agata dei Gothi — SanrAgaia de' Goli.
P. 89, note 1, il s'agit plus probablement de Cassano délie Murgie, cir-
cond. d'Altamura, prov. de Bari.
P. 103, note 8, 1. 3, au lieu de : t. V, lire : t. IV.
P. 113,1. 2, — Godefroi — Geojfroi.
P. 116, note 1, ajouter : Après avoir appartenu à Arnolin, Lavello avait,
un moment, été au pouvoir de Dreux.
PP. 132, 147, 311, au lieu de : Manson, lire : Manso.
PP. 139, note 5, — Herimannus, Aug. — Ileriniannus Aug.
P. 137, 1. 5, — Eusthatios, — Eustaihios.
P. 166, note 3,1. 3, — restauration — Restauration.
P. 191, 1. 21, lire : les Zor'ha. El Moezz.
P. 203, note 1, au lieu de : Milselmeri, lire : Misilnieri.
P. 212, note 1, 1. 3, — Ilonorius III, — Ilnnorius II.
406 ERRATA ET ADDENDA
P. 214, noie 6, au lieu de : SikelgaUe, lire : Sykelgaile.
P. 226, note 4, lire : Chron. Casaur., Muratori.
P. 231, dern. ligne, au lieu de : Suto, lire : Sujo.
P. 241, 1. 0, lire : la Sicile; la ville.
P. 247, note 2, il s'agit plus vraisemblablement do Policastro, commune
de San Marino, circond. de Sala Consilina, prov. de Salerne.
P. 252, note 2, 1. o, au lieu de : Tricacrio, lire : Tricarico.
Ibid.,l.il, — en 1099, mort, — en 1099, il était mort.
P. 253, note 1, — Alice, — Adélaïde.
P. 25o, note 1, Trivico est à identifler avec Trevico, circond. dAriano,
prov. d'Avellino.
P. 268, 1. 2, au lieu de : Gérard, lire : (iirard.
P. 278, 1. 17, — Nepe, — Xepi.
PP. 282-283 — Guy, — Gui.
P. 287, note 3, 1. lli-IG, lire : abjjé de Sainl-Viclor do Marseille.
P. 294, 1. 6, au lieu de : San, lire : Sant\
P. 297, 1. 23, le comte Landon est, sans doute, à identifier avec son
homonyme, Tun des comtes d'Aquino, cf. Kupra, p. 232.
Ibid., note 1, au lieu de : Bomoald, lire : Romuald.
PP. 308, 311, 330, — Monte San Amjelo, — Monte SanfAngelo.
P. 312, 1. 24, — San Adjutore — SanCAdjutore.
PP. 328, 333, 334, — Caslronovo — Castronuovo.
P. 334, dern. 1. — Giallo, — Gialo.
P. 340, sur la situation de Plalani, (Juastanella et Rahl, cf. Amico et
Statella, op. cit., t. Il, i, p. 274.
P. 349, note 1, au Hou de : colonnes, lire : colonies.
P. 356, note 1, 1. l, — S3f, — 534.
P. 359, 1. 15, — Rochella, — Roccellu.
P. 384, note 2, — Ansald., — Ansaud.
TABLE DES MATIERES
DU TOME PREMIER
AVANT-PROPOS, p. i-iv.
INTRODUCTION. — Etude des Souhces, pp. v-lix.
I. Documents d'archives. Le Catalogue des barons, pp. v-viii.
II. Textes législatifs, i" Les Assises, pp. viii-xxvi. — 2° Autres textes
législatifs, pp. xxvi-xxvii.
III. Sources nari'atives. — I. Les Annales. — 1» Annales de la Pouille,
Annales Barenses, Lupus Protospatarius, Anonymi harensis Chronicon,
pp. xxvii-xxix. — 2° Annales de Bénévent, pp. xxix-xxx. — 3" Annales du
Monl-Cassin, pp. xxx-xxxi. — 4° Annales de la Cava, p. xxxi. — 5°
Annales de Ceccano, p. xxxi. — II. Curoniques latines. — 1° Aimé du
Mont-Cassin, pp. xxxi-xxxiv. — 2" Léon Marsicanus, pp. xxxiv-xxxv. —
3" Pierre Diacre, pp. xxxv-xxxvi. - 4" GeofTroi Malatorra, pp. xxxvi-xxxvn.
— 5» Anonymus Vaticanus, pp. xxxvii-xxxviii. — 6'' Guillaume de Pouille,
pp. xxxviii-XL. — 7" Chronicon Casauriense, pp. xl. — 8° Chronicon sancti
Bariholoniei de Carpinelo, pp. xl-xli. — 9" Chronicon Amalfitanuni, p. xli.
— 10° Falcon de Bénévent, pp. xli-xlvi. — 11'^ Chronica Ferrariensis,
pp. xLvi-xLvii. — - 12'* Chronicon Sancti Stefani, p. xlvii. — 13° Alexandre
de Telese, pp. xlvii-xlix. — 14° Romuald de Salerne, pp. xlix-lii. —
Io° Hugues Falcand, pp. lii-lxi. — 16° Pierre d'Eboli, lxi-lxiv. —
III. CnuoNiQUEs GRECQUES. — Jcan Skylitzès, Kekaumenos, Anne Comnène,
Jean Kinnamos, Nikétas Choniatès, Eustathios, pp. lxiv-lxvii. — IV.
Voyageurs et Chroniqueurs arabes. — Edrisi, Ibn Giobair, Ibn el Athir,
Aboulfeda, Ibn Adari, At Tigani, pp. lxvii-lxix.
Bibliographie, p. lxx-lxliii.
PREMIÈRE PARTIE
LA CONQUÊTE. LE DUCHÉ DE POUILLE
CHAPITRE L Etat politique de l'Italie méridionale au moment de l'ar-
rivée DES Normands, pp. 1-41.
CHAPITRE II. Révolte de Mêlés. Arrivée des Normands en Italie :
Leurs premiers établissements. L'empereur Henri II en Italie. Dévelop-
408 TABLE DES MATIÈRES
PEMENT DE LA PUISSANCE DE LA PRINCIPAUTÉ DE SaLEUNE (1009-1042), pp. 42-
87.
CHAPITRE III. Expédition des Byzantins en Italie. Soulèvement de la
Pouille. Part prise a la révolte par les Normands. Leur établissement
EN Pouille, pp. 88-111.
CHAPITRE IV. L'empereur Henri III en Italie. Arrivée de Richard
d'Aversa et de Robert Guiscard. Les Normands et Léon IX, pp. 112-142.
CHAPITRE V. Conquêtes des Normands de 1034 à 1039 : 1" en Pouille ;
2° dans la région d'Aversa; 3" en Calabre, pp. 143-133.
CHAPITRE VI. La papauté et les Normands (1034-1059), pp. 136-172.
CHAPITRE VII. Lutte des Normands contre les Byzantins en Pouille,
pp. 173-188.
CHAPITRE VIII. La conquête de la Sicile (1060-1072), pp. 189-211.
CHAPITRE IX. Richard de Capoue. Révolte des vassaux apuliens de
Robert Guiscard (1039-1073), pp. 212-225.
CHAPITRE X. Robert Guiscard et Grégoire VII (1073-1080), pp. 226-
237.
CHAPITRE XI. Dernières années de Robert Guiscard. Guerre avec
Alexis Comnène. Révolte des seigneurs d'Italie. Prise de Rome. Mort de
Guiscard (1080-1085), pp. 238-284.
CHAPITRE XII. Les successeurs de Guiscard. Le duc Roger (1083-
1111). Le duc Guillaume (1111-1127), pp. 283-326.
CHAPITRE XIII. Fin de la conquête de la Sicile. La Sicile jusqu'à la
mort du comte Roger I"'", pp. 327-354.
CHAPITRE XIV, La Régence d'Adélaïde et les premières années du
comte Roger II, pp. 333-404.
TABLE DES MATIÈRES, pp. 407.
ERRATA ET ADDENDA, pp. 403-406.
MAÇON, PROTAT FRERES. IMPRIMEURS
m
University of Toronto
Library
DO NOT
REMOVE
THE
GARD
FROM
THIS
POCKET
Acme Library Gard Pocket
Under Pat. "Réf. Index FUe"
Made by LIBRARY BUREAU