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23 WfST MAIN STRIiT
WEBSTER, N.Y. 14SS0
(716) S72-4S03
4tj
CIHM/ICMH
Microfiche
Séries.
CIHM/iCIVlH
Collection de
microfiches.
Canadien Institute for Historical Microreproductions / Institut canadien de microreproductions historiques
C^
Technical and Bibliographie Notas/Notes tacliniquas at bibiiographiquas
Tha instituta bas attamptad to obtain tha baat
originai copy availabla for filming. Faaturas of this
copy which may ba bibiiographicaliy uniqua,
which may altar any of tha imagas in tha
raproduction, or which may aignificantly changa
tha usual mathod of filming, ara chacicad balow.
D
D
0
D
D
D
D
Colourad covars/
Couvartura de coulaur
I I Covars damagad/
Couvartura endommagea
Covars restored and/or laminatad/
Couverture restaurée et/ou pelliculée
I I Cover title missing/
Le titre de couverture manque
I I Coloured maps/
Cartes géographiques en couleur
Coloured init (i.e. other than blua or black)/
Encre de couleur (i.e. autre que bleue ou noire)
I I Coloured plates and/or Illustrations/
Planches et/ou illustrations en couleur
Bound with other matériel/
Relié avec d'autres documents
Tight binding may cause shadows or distortion
along interior margin/
La re liure serrée peut causer de l'ombre ou de la
distortion le long de la marge intérieure
Blank laaves addad during rastoration may
appaar within tha text. Whenever possible, thèse
bava been omitted from filming/
Il se peut que certaines pages blanches ajoutées
lors d'une restauration apparaissent dans le texte,
mais, lorsque cela était possible, ces pages n'ont
pas été filmées.
Additional commente:/
Commentaires supplémentaires:
Thac
toth(
L'Institut a microfilmé la meilleur exemplaire
qu'il lui a été possible de se procurer. Les détails
de cet exemplaire qui sont peut-être uniques du
point de vue bibliographique, qui peuvent modifier
une image reproduite, ou qui peuvent exiger une
modification dans la méthode normale de f ilmage
sont indiqués ci-dessous.
I I Coloured pages/
D
Pages de couleur
Pages damagad/
Pages endommagées
Pages restored and/oi
Pages restaurées et/ou pelllculées
Pagos discoloured, stained or fox»
Pages décolorées, tachetées ou piquées
I — I Pages damagad/
I — I Pages restored and/or laminatad/
r~| Pagos discoloured, stained or foxed/
Thei
posai
ofth
fiimii
Origi
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sion,
othei
first I
sion,
or illi
□ Pages detachad/
Pages détachées
0Shovvthrough/
Transparence
Transpar
Quailty c
Qualité inégale de l'impression
Includes supplementary materii
Comprend du matériel supplémentaire
Only édition availabla/
Seule édition disponible
I I Quailty of print varias/
I I Includes supplementary material/
I — I Only édition availabla/
Thaï
shall
TINU
whici
Mapi
diffai
antin
bagir
right
raqui
math
Pages wholly or partially obscured by errata
slips, tissuas, etc., bava been refilmed to
ensure the best possible image/
Las pages totalement ou partiellement
obscurcies par un feuillet d'errata, une pelure,
etc., ont été filmées à nouveau de façon à
obtenir la meilleure image possible.
This item is filmed at the réduction ratio checked below/
Ce document est filmé au taux de réduction indiqué ci-dessous.
10X
14X
18X
22X
26X
30X
/
3
12X
16X
20X
24X
28X
32X
The copy fllmed hare ha« b««n raproduced thanks
to the ganarotity of :
Library of tha Public
Archivas of Canada
L'axampiaira filmé fut raproduit grflca à la
générosité da:
La bibiiothéqua das Archivas
publiquas du Canada
Tha imagas appaaring hara ara tha bast qualHy
possibia considaring tha condition and lagibility
of tha original copy and in icaaping with tha
filming contract spacifications.
Las imagas suivantas ont été raproduitas avac la
plus grand soin, compta tanu de la condition at
da la nattaté da l'axampiaira filmé, at an
conformité avac las conditions du contrat de
filmaga.
Original copias in printed papar covars ara filmad
beginning with the front cover and anding on
the lest page with a printed or illustratad impres*
sion, or the back cover when appropriata. Ali
other original copies are filmed beginning on the
f irst page with a printed or illustratad imprea-
sion, and anding on the lest page with a printed
or illustratad impression.
Les exemplaires originaux dont la couverture en
papier est imprimée sont filmés en commençant
par la premier plat et en terminant soit par la
dernière page qui comporte une empreinte
d'impression ou d'illustration, soit par le second
plat, salon le cas. Tous les autres exemplaires
originaux sont filmés on commençant par la
première page qui comporte une empreinte
d'impression ou d'illustration et en terminant par
la dernière page qui comporte une telle
empreinte.
The lest recorded frame on each microfiche
shall contain the symbol -^ (meaning "CON-
TINUED"), or the symbol ▼ (meaning "END"),
whichever appl^as.
Un des symboles suivants apparaîtra sur la
dernière image de chaque microfiche, selon le
cas: le symbole — ► signifie "A SUIVRE", le
symbole y signifie "FIN".
IVIaps, plates, charts, etc., may be filmed at
différent réduction ratios. Those too large to be
entirely included in one exposure are filmed
beginning in the upper left hand corner, left to
right and top to bottom, as many framas as
required. The following diagrams illustrate the
method:
Les cartes, planches, tableaux, etc., peuvent être
filmés è des taux de réduction différents.
Lorsque le document est trop grand pour être
reproduit en un seul cliché, il est filmé è partir
de l'angle supérieur gauche, de gauche è droite,
et de haut en bas, en prenant le nombre
d'images nécessaire. Les diagrammes suivants
illustrent la méthode.
1
2
3
1
2
3
4
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HISTOIRE
GÉNÉRALE
DES VOYAGES,
OU ^
NOUVELLE COLLECTION
DE TOUTES LES RELATIONS DE FOXAGES
PAR MER ET PAR TERRE,
q^ui ont tri. publiées jusq.u'à présent dans les différentes
Langues oe toutes les Nations Connues:
CONTENANT
Ce qiCil y a de plus remarquable , de plus utile , £5' de mieux avéré , dans les Pays oît les
Voyageurs ont pénétré ,
Touchant leur Situation , leur Etendue , leurs Limites , leurs Divifions , Iciiï
Climat , leur Terroir , leurs Produftions , leurs Lacs , leurs Rivières ,
leurs Montagnes , leurs Mines , leurs Citez & leurs principales
Villes , leurs Ports , leurs Rades , leurs Edifices , &c.
AVEC LES MOEURS ET LES USAGES DES HABITANS,
leur Religion, leur Gouvernement, leurs Arts et leurs
Sciences, leur Commerce et leurs Manufactures;
POUR FORMER UN SYSTEME COMPLET D'HISTOIRE ET
DE GEOGRAPHIE MODERNE, f^U I REPRESENTERA
L^ETAT ACTUEL DE TOUTES LES NATIONS:
ENRICHIE DE CARTES GEOGRAPHIQUES
Nouvellement compofécs fur les Obfcrvations les plus autentiqucs ;
DE PLANS ET, DE PERSPECTIVEiT; de FIGURES d'ANIMAUX,
j DE VEGETAUX, HABITS, ANTIQUITE/., &c.
NOVVELLE EDITION^
Revue fur les Originaux des Voyageurs , 6? ou hn a mn- feulement fait des Aàr
ôiùon^.^^ d:s Corrcèiions très-conftilàab'ts ;
Mais môme ajoute plufieurs nouvelles Canes &. Figures, qui ont été gravées par & fous laDi-«
redion de J. mander Schlev, Elève diftinguc Uu célèbre PicAax le Romain.
TOME D I X-IIUI TI È ME.
A L J U J r Ey
Chez PIERREDE HONDT,
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jlvtc Privilège de Sa Mni lié Tm^Wiîf £<f de Ns Seigneurs Us Etats dt
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AVANT-PROPOS.
L
E titre & la nature de cet Ouvrage ne m'obligent pas de remon-
ter au-delà du quinzième ficcle, ni de chercher, dans les Ecri-
vains qui l'ont précède , ce qui peut faire juger que longtems
avant la Découverte d'un Nouveau Monde , on étoit pcrfuadé de fon
exiftence («).
Il n'eft: pas moins confiant que dans les bornes où je fuis renfermé par
l'engagement de mes premiers Guides, qui ne comprend que les Relations
des Voyageurs, je m'éloignerois trop du Plan que j'ai adopté, fi pour l'or-
ner, ou pour lui donner plus de plénitude, j'allois puifer, dans d'autres
fources, dequoi fuppléer à la ftérilité des miennes. Ce feroit abandonner
la route où j'ai marché jufqu'aujourd'hui, m'en ouvrir une nouvelle à la
fin du terme, faire l'Hiftoire de l'Amérique au lieu de celle des Voyages,
& me jettcr dans des longueurs qui reculeroient beaucoup la fin de mon
entreprife.
Ce-
(a) C'cft afTez de remarquer ici que les An-
ciens en ont eu réellement quelque idée.
Acorta, qui s'eft attnché particulièrement à
cette recherche, & d'après lequel tous les
Ilifloricns poflérieurs font partis comme
mol, avec moins de franchife à le déclarer,
obferve, dans fon premier Livre, „ que
„ Platon rapporte l'entretien d'un Prêtre d IC
j» Rypt*^ '^'^^'^ Solon, fur une Ifle qu'il nom-
„ me AtlointUe y fituée au-delà des Colom-
„ nés d'Hercule: qu'il fait dire à Critias
„ que cette llle étoit auHî grande que toute
„ l'Afie & l'Afrique enfemble; qu'on y voyoit
^,^ Temple long de mille pas, large de
„ cinq cens, dont le dehors étoit revêtu
„ d'argent. & le dedans tout brillant d or ,
„ d'ivoire & de perles; qu'au-dclù de cette
„ grande Ifle, il y en avoit un grand nom
„ bre de petites, près defqu-lles on trou-
,, voit un Continent, & quenfuite on arri-
„ voit à la vraie Mer", lleflaflez (ur[)renant
qu'à la réferve de la grande Ifle, qui avoit
difparu, fuivant le même Philofophe, appa-
remment par un tremblement de terre, ob
XVm, Part.
ait reconnu, deux mille ans après, que la
vérité répondoit à cette defcription Ariftotc
& Theophralle nous apprennent „ que l'an
„ 356 de la fondation de Rome, un Vaif-
„ feau Carthaginois , ayant pris fa route en-
„ tru le Couchant & le Midi, ofa pénétrer
„ dans une Mer inconnue; qu'il y décou-
,, vrit , fort loin de la terre, une Ifl'j dé-
„ ferte , fpacieufe , arrofée de grandes ri-
,, vieres , couverte de forêts , dont la beau-
„ té femblolt répondre de la fertilité du ter-
„ roir; qu'une partie de l'Equipage ne put
„ réfilter à la tentation de s'y établir; que
„ les autres étant retournés à Carthngc , le
,, Sénat, auquel ils rendirent compte de leur
,, découverte , crut devoir enfevelir dans
„ l'oubli un événement dont il craignit les
,, fuites; qu'il fit donner fecrétement la mort
„ A ceux qui étoient revenus dans le Vaif-
„ feau , & que ceux qui étoient reflés dans
,, rille demeurèrent (;ins relTource pour en
„ fortir". Avitus rapporte, dans Scncque le
Rhéteur, „ que lOcéan contient des Ter-
„ res fertiles". Et perlbonc n'ignore la Pré-
* diclioi
IV
AVANT. PROPOS.
CiPENDANT j'ai conçu que l'il eil trop tard pour renoncer au Plan des
Anglois, il n'cll pas impolîiWc, dans une Partie qui a peu de liaifon avec
les précédentes, de remet/ier à la plupart des défauts qu'on reproche aux
premières, & pour le/^uels j'ai fouvent demandé grâce. Le remède con-
fillc dans un nouvel ordre , que j'ai déjà fuit entrevoir. 11 ell tems de
ru\plii.juer.
1^ Al
dfc'ioniicScr.cquc le TraRiiiuc, dans fa Mj-
d^cjurla Découverte d'un Nouveau Mondj.
Kiiin, fans l'iirlcr d'un ?uiti;i' iWManclliu ,
iliii donro, à cette Mer, une Ule pliisgraiule
.juc toute riviro;e, on lit plus particulière-
uicnt dans Etien, ,. «luc i'Kuropc, l'Alic 6i
„ hi Lybie, qui c,l l'Afrique, font environ-
,, nées de rUeé.m ; quaudeli il fe trouve
,, un Continent d'une valle étendue, où Us
„ Ilamnies & les Animaux font bcuieoup
„ plus î^rands que dans le neutre, i^ oh les
„ premiers vivent plus lon;;-ie!ns; quMs y
„ ont des Ura.;cs & des Loix contraires à
„ ce!!ei des autres Peuples , & une ineroya-
„ h'e qur.'uité d'or 6c d'argent , métaux
,, inoins c'.limés parmi eux , q-ae le fer no
„ l'cll en Kiro;ie". Orert'iJUA-, qui remnr-
que, à l'oecaHon d: l'iaton . que les plu= fa-
ireux Pères de rK,'iife, tels qu'Ori,;:enc,
I.aflancc, St. Au;^uùiii , &c. ont rejette le
récit du Tiiiée de l'iaton comme une fable ,
l'emble avoir ijnoré que St. Grégoire , fur
l'Epitre de Si. Clément, a déclaré, fans aucune
marque d'incertitude, qu'au-deià de l'Océa:!
il y avoit un autre Mon. le. Ajoutons, pour
defcen^ire vers nous, que s'il faut s'en ra;i-
jiortcr à quatre 'Vers, cirés en Langue du Pays
de Galles dans la Colleftion d'Z/acWwvt, cV
au témoii;nage de Powd , qui nous a donné
l'Hiftoirc du même Payj, un Prince, nom-
01M Madoc , fécond fils d Oiufu Guyncd ^
Prince de Galles, s'étant embarqué l'an mille
cent quatre- vingt dix , dans la feule vue de
fatisfaire Ai curiofité , „ découvrit , après
„ quelques femaines de navigation vers
,, rOucll , une Terre , où il trouva toutes
„ fortes de vivres, un air frais, & de l'or;
„ qu'après s'y fcxre arrêté afTez long-tcms,
„ il y lailTa fix-vingt Hommes,- il revint en
„ Angleterre avec le m&me bonheur, il y
„ équipa une Roue de dix VaJeaui;, cbai-
„ pés d'Hommes, & de provifions conve-
„ nables A fts dJllins, avec icf(iuel$ il re-
,, touijia dans le Pays <]u'il avoit découvert-
,, inaistjue.d. ijueî'iue manière que fes Avnn-
,, tures aient j^u fe ti'rmincr, on n'en eut
,, jamais d'autre information ". Ceux qui
ado| tent ce récit, croient que Madoc avoil
abordé dans queNiue partie de la Floride ou
de la Virginie, & fe croient autorifés à lui
attribuer 1 honnctir de la première décou-
verte de l'Amérique, en avouant néanmoins
qu'il ne la dut qu'au hafard; au litii qu'en.
vir<n trois cens vingt-deux ans après, ce
fut le fruit des réflexions, des recherches
volontaires & de l'habileté d'un Génois.
Oii verra , ci-defTou», page 103, les quatre
Vers (jui regnrdent Madoc; mais qu'il me foit
permis d en joindre ici cinq autres , qui fe
trouvent d.an$ la même Collcâion , & que je
n'y ai pas découverts alFcz-tôt pour lesj«)indrt
à l'Article qu'ils regardent, lis continnent le
Voya,;e du Frère dt- Clirilloplie Colomb en
Angleterre, parcequ'ils éioicnt écrits, fuivant
Ilacl'luyt, fur la Mappemonde dont il lit pré-
fent au Roi Henri Vil.
Jcnua cui Putria ejl nomcn^ cui Banl».
loinuus
CotuT.hus de Terra-rubra ^ opus edidit iilud
LonÂoniis y anno Domini 1480 atque inj'u^tr
anno "^
03at'o , decimat^ue die , cum tertia Menfis
Ftbruarii, Laudes Cbrifto cantentur abunde.
Le CoUefteur Anglois obferve que Terré-
rubra étoit un furnom de ces fameux Génois,
& que ChriUophe le prenoit, comme Barthé •
lemifon Frère, avant fa glorieufe expédition.
C'cll un nouvel argument pour la noblelTe de
leur naifTince. Voyez, ci-dcflfous, page 3,4
note (0 de la page 5.
4"
I
■ouvtrf;
4
i
AVANT. PROPOS. ▼
1*. AtJ lieu de m'abandonner tout d'un coup aux Voyageurs, en les
fuivant, comme au hafard, dans les courfcs que je vais faire avec eux,
il me paroît ndceflaire de commencer par une Expolkion générale, qui con-
tiendra riliftoire des Découvertes & des EtablilTemens. C'eft le feul
moyen de répandre aflez de jour fur tout ce qui doit fuivre, pour évi-
ter l'embarras de revenir fans celfe à des éclairciircmcns, qu'on a traités,
avec aflTez de jaftice, d'ennuyeulcs rcpiititions dans les premiers lomcs.
D'ailleurs, ce que je propole comme un expédient, pour la jufleffe, la
précifion & la clarté, cil réellement indifpenfable, par la nature des four-
ces qui contiennent les premiers Voyages en Amérique. On n'a jamais
publié les véritables Journaux des Colomb s ^ des Pinçons , d'Ojeda^ d'Ovandû,
de Balboa, de Ponce de Lcon^ d'Hermindiz de Cordoue, de Cortcz^ & de la plu-
part des premiers Navigateurs , qui ont découvert fucccinvenient les dif-
ft'rentcs parties du Nouveau Monde. C'ell à divers I lilloriens, dont quel-
ques-uns n'avoienc jamais quitté leur Patrie , qu'on cil: redevable d'avoir
ralTemblé des Mémoires particuliers, fur lefquels ils ont formé des corps
d'Hiftoire; & ft l'on excepte quelques Pièces échappées à leurs recher-
ches, ou qui ne font forties de l'obfcurité que depuis la publication de leurs
Ouvrages , c'efl: prefqu'uniquement à leur témoignage qu'on eft réduit. Aufli
vont-ils faire le fond de mon Expofiiion hiftorique, dans tout l'intervalle
qu'ils remplilTent ; fans autre interruption que celle dont je ne puis me dif-
penfer à chaque nouvelle entreprife, pour la dillinguer par le nom du
principal A6leur, c'eft-àdire, du Voyageur ou du Conquérant. Les plus
célèbres de ces Ecrivains font Martyr^ Oviedo, Gamara^ Jntûine Hcneray
Benzoncy Las Cafas , Diaz del CajîillOy Soïis & quelques autres. Comme leur
poids n'efl pas le même .'ans la balance de la Critique, il efl important de
faire quelques obfervations fur leur caraftere.
Pierre Martyr d'/inglerie , qu'il ne faut pas confondre avec un autre
Pierre Martyr, né à Florence & fon contemporain, ccoit Milanois, &
prend lui même la double qualité de Protonotaire ApoAolique, & de Con-
feiller du Roi Terdin: i II fe trouvoit attaché au fervice de ce Prince,
dans le tems même de u Découverte du Nouveau Monde, dont il nous a
donné l'IIiftoire, en trente Livres, ou plutôt en trente Lettres, divifées
en trois Parties, fous le titre de Décades Oceanes.
La première de ces Lettres, qui eft adreiTée, comme la féconde, au
Cardinal AfcagneSforce, offre pour date l'année I493,j:'efl:-à-dire celle où
Chriflophe Colomb apporta lui-même, en Efpagne, la nouvelle des pre-
miers fuccès de fon entreprife. Elle eft écrite de la Cour, où Martyr étoit
employé, & témoin par conféquent du récit de Colomb, des honneurs qui
lui furent accordés , & des nouveaux ordres qu'il reçut. Les Lettres fu>
vantes, adrelTécs , les unes au Cardinal Louis d'Arragon, les autres au Pape
* a Léon
F.xplicnt'on
d'un nouwl
oulrc l'Oiir
l.i fuite Je
cet Uuvrj;ic,
Recueil > i!ci
prcniicrcs Fie
Intions , 6c
fourccs lii'.'io-
rUiuos.
Martyr.
li" -Vf
vj A V A N T . P R O P O s.
Lcon X, &c. rcponJcnt dc-mcinc au pro^'^rcs dcsDccouvertes, & au tcm»
cks informations. Klks font toutes en latin aiVcz pur. Le mérite tic l'Au-
leur (/;)i l'occalion qu'il avoit de s'inllruirc, Os: la lîmplicitii même de fon
Ihlw où rien nj p:\roii donné à l'imagination ni au di^llcin de furpren*
drc p'ar l'Lclat du merveilleux, ont acquis à l'un Ouvrage une réputation
dilliu'niéw'. C'i.i\ une fource où l'on a toujours puile Tans défiance. Mais
il n'y t\'Mt pas elurelur les détails, ni l'cxiclitude, qu'on ne peut attendre
que des Témoins oculaires d'u-K- Kxpedition, & qui font précieux néan-
muins dans le récit des [^i.uiJs cvéneniens. On n'y trouve pas, non plus,
des Delcriptions fort étendues, ni beaucoup d'Obfervaiions qui puiflent en-
richir la Cleogra^'^hie &. la l'hylique; à la referve de quelques Remarques fur
les Vents tS: les AJarees, que l'Auteur avoit recueillies des entretiens de
Dieguc Colomb & des Navigateurs du même tems.
Ovicdo. Gufiçale lernaml Ovieih ^ l^aUeZj gouverneur du Fort de la Ville de St.
Domingue, publia, en 1535, Ton Hilloire des Indes Occidentales, qu'il
nomme Hijhire Générale &> Naturelle , (c), à l'exemple de Pline, qu'il s'étoit
propofé pour modèle; mais avec cette différence, dit-il, qu'il veut com-
mencer par l'I lifloirc de la Découverte & de la Conquête des mêmes Ré-
gions. Il éioit parti, en 151 3 , de Madrid, lieu de fa naiflance, avec Ici
ordres du Roi Ferdinand, pour exercer, aux Indes, l'Office de Controlleur
des tontes £5* des Mines d'or. Les fondions de cet Emploi le conduilirent à
la Tcriefcrmey où il ne fe rendit pas moins utile pour la Conquête du Pays
& pour la pacification des Indiens. Douze ans après , il revint en Jifpa-
gne; & n'y trouvant que des Relations imparfaites, fur quantité de chofes
qui lui étoient familières, il y compofa d'abord , fans autre fecours que fa
mémoire, un Sommaire de l'I lifloire Naturelle des Indes. Mais étant re-
tourné à riile Ffpagnole, avec la qualité de Gouverneur du Fort de St. Do-
mingue, fes papiers, qu'il y avoit Kiiffés, «S: dix ans d'un nouveau féjour
dans les Etabliflemens de fa Nation , le mirent en état de perfectionner fon
Ou-
Ouvri
d'éteii
ue à i
vécu
la l-a
me il
(h) \\ prit foin Iiii-nicinc ilc rafTcmblcr
toutes ks Lettres, qu'il dtidia , en 1516,
ù Charic-quint Klics furent réimprimées à
Alcala, en 1530 On lit, dans fon Kpltrc,
qu'il avoit été envoyé, par le Roi IVrJinand
éi la Reine Ifabellc, en Ambaflade à Venife
&. au Soudan de Babylone. Antoine de iVf-
trijja, fon Ami, qui lit réimprimer enfuitc
fes trois Décades, y joignit le Traité des
Ijles nouvellemtnt découvertes, & la Rela-
tion de rArabalTadc de Venife & de liaby-
lonc; deux Ouvrages de Martyr, qui n'a-
voicnt point encore été publiés. Enuc les
éloges qu'il lui donne, il dit, en fe plaignant
de fa modcllie qui lui faifoit craindre l'hon-
neur de l'imprcflîon , ,, Mon cher Martyr cfl
,, capable de fe aillingucr dans tous les gen-
,, rcs de compoftion; mail c'efl le plus mo-
„ délie des hommes"". Edit. deHâle, in foi,
1533. chez Jean Rebcl.
(c) La Hifloria Généra! y Naturel de las
Indias, por cl CapitanGonçaloHemandczdc
Oviedo y Valdez, in foi, enScvilla. 1335.
L'Edition de Salamanquc, de 1546, cft
groflîe d'une Relation de la Comiuôte ik»
Pérou, par Xcrcz,
AVANT. PROPOS.
VIJ
au tcms
de l'Au-
e de Ion
furpren*
putation
Mais
attendre
X néan-
3n plus,
[Tent en-
•ques fur
tiens de
Ile de St.
es, qu'il
il s'étoic
:ut com-
nes Ile-
avec lei
mtrolleur
ifircnt à
du Pays
pn pfpa-
chofcs
■s que fa
tant re-
St.Do.
féjour
incr foa
Ou.
>laignant
re l'hoii-
dartyr cft
les f^cn.
plus mo-
, in fel.,
cl de las
tinndcz de
I53S-
546, cft
]u£te iHi
Ouvrage, ou plutôt d'en compofer un autre, avec plus d'exaftitude &
d'ctcnduc. Il Te croit exempt de reproche pour le ftyle, parcequ'ctant
ué à Madrid, ayant reçu Ion éducation dans la Maifon du Roi, & n'ayant
vécu qu'avec des Perlbnnes de dillinftion, il fe llate de favoir parfaitement
la Langue Callillane, dont il a fait ufagc, & qui palTe, dit-il, pon- la
meilleure des Langues vulgaires. A l'égard des faits, il n'auroit pu man-
quer de bonne foi fans s'attirer l'indignation du Ciel & de la Terre; car il
prend à témoins, Dieu, l'Empereur Charles fon^MaUre, & tous les hon-
nêtes gens du monde, qu'il a fuivi les plus rigoureufes loix de la vérité.
Il ne publia d'abord que vingt Livres, dans un feul Volume, qui con-
tient tout ce qui regarde les premières Découvertes , & qui dcvoit être
fuivi de deux autres, où il promettoit les Expéditions de la Terre-ferme.
Mais après avoir paflé plus de vingt-deux ans dans les Colonies Efpagno-
les, il paroit que le Voyage qu'il fit en Efpagne, pour offrir ce premier
Tome à l'Empereur Charles , qui l'avoit honoré du titre de fon Hiftorio-
graphe , avec une penlion confidérable , fut la dernière de fes courfes. Ce-
toit la huitième fois, dit-il, qu'il avoit traverfé l'Océan. Je n'ai pu dé-
couvrir s'il étoit retourné à St. Domingue,* & ^ean tokur{d)^ à qui nous
devons la Traduction de fon Ouvrage, en 1556, ne donne aucun écluir-
ciflement fur fa vie & fa mort, ni fur la continuation de fon travail. Il
n'en efl pas moins certain qu'Oviedo tient rang entre les plus célèbres E-
crivains d'Efpagne; & que n'ayant prefque rien rapporté qu'il n'eût véri-
fié par fes propres yeux, ou par des Témoins exiftans, il doit être re-
gardé comme une des meilleures fources pour l'Hifloire des premières Ex-
péditions. La paffion qu'il avoit d'imiter Pline l'a rendu fort attentif, en
efl'et, à tout ce qui regarde l'Hifloire Naturelle. Il s'efl: étendu parti-
culièrement fur celle de l'Ille Efpagnole , qui paroît avoir été fon prin-
cipal objet.
fiariçois Lopcz de Gomara, autre Iliflorien Efpagnol, dont nous avons
une ancienne 'lradu6lion , en François, par Martin Fumée ^ Sieur de Ge-
nillé, a donné, en fix Livres, l'Hifloire générale des Indes Occidenta-
les (f). Cet Ecrivain, que nous n'avons commencé à connoîcre, dans fa
Langue naturelle, que par l'Edition d'Anvers, de 1554, a joui long-tems,
en Irance, d'un fuccès extraordinaire (/), dont il femble qu'on peut
apporter trois raifons. Premièrement, il a donné, à fonfujet, beaucoup
plus
(.i) Valet de Chambre de François de Va- (/) L'Edition de T581, i Paris , chez A/i-
fois. Dauphin de France. rltl Sounius, cft annoncée, au titre, pour
(e) Hiftoria gênerai de las Indias, y Todo la cinquième; & le Tradudeur ea marqur
lo acacfcido en ellas, dendc que fe ganaron de l'étonncmcnt, dans fa Préface,
bafla cl anno 15.51, ^ç. m 8''. Anvers 1554.
Gomara.
VIIJ
AVANT- PROPOS.
,?}
Bcnzone.
plus dcienduc qut ceux qui l'avoicnt traicé avant lui ,- & dans un temi où
la curiofitc ctoit extrême pour les progrès de rEfpagnc , il n'cll pas fur-
prcnint qu'on reçût avec «vidité tout ce qui fcmbioit offrir de nouvelles
informations. Il parcourt, non-feulement toute l'Amérique jufqu'i l'cxtrê-
mite Méridionale, mais les parties mêmes des Indes Orientales, qui ctoient
alors contcflt'f« entre les Êfpagnols & les Portugais ; il fe fait Juge du
différend des deux Nations; il raifonnc avec beaucoup de hardiefle fur
leurs prétentions & leurs intérêts; & l'érudition ne lui manquant point
pour foutenir ks paradoxes, il y répand un air de vraifcmblance, qui •
fuutenu longtcms rillufion. En fécond lieu, il s'écarte fouvent du récit
des Ililloriens qui l'ont précédé; & de fon tems, comme du nôtre, on
fe plaifoit à découvrir cette efpècc de contradiélion entre les meilleurs E-
crivains. Enfin, jamais on n'avoit porté fi loin que Gomara l'exaftiiude
& la précifion dans la melure des dillances. Il femble qu'il marche la toife
à la main. Les Mers, les Terres, l'intérieur de l'Amérique, & fvB Cô-
tes, tout s'offre à les yeux dans fa grandeur réelle. Cette apparence de
julUffe doit en avoir impofé à ceux qui n'étoient pas mieux inftruits. Mais,
i"^. en voulant trop embraffer, Gomara s'écarte quelquefois de fon fujet,
& n'a pu réduire une matière fi vallc à des bornes fort étroites, fans tom-
ber fouvent dans la confufion. a''. Lorfqu'il abandonne l'opinion des autres
1 lilloriens , il n'explique point fur quel fondement il établit la fienne. s^'.U-
ne grande partie de ces mcfures, qu'il donne avec une confiance furprenan-
tc, ont été démenties par des Voyageurs plus éclairés. Cependant on re-
connoît du favoir dans la plupart de fes recherches, & de la chaleur dans
fon llylc; deux qualités qui foutiennent encore fa réputation, quoique dans
les récits qu'il hafarde fans garants, il y ait peu de fond à faire fur l'on té-
moignage.
Jérôme Benzone , Miianois , réunit les deux qualités de Voyageur &
d'IIidorien. Nous avons de lui , fous le titre d'Hiftoire du Nouveau Mon-
de, une Relation de Ces Voyages, depuis 15 \i juHju'en 155^, dans laquel-
le il joint, à fes propres Avantures , les Découvertes & les Conquêtes des
Efpagnols; avec cette différence, que, fur les événemcns qu'il n'avoit pas
vus, il fait profeffion de fuivre quelques Ecrivains qui les avoient déjà pu-
bliés; & que dans tout le refle, c'eft à-dire, jufqu'à la fin de fes courlcs,
il ne rapporte rien dont il n'ait été témoin, ou qu'il n'ait appris de divcrfcs
Perfonncs dont il vante le caraftère. Cet Ouvrage cfi d'autant plus tflima-
ble, qu'avec de juftcs éloges du courage & de la confiance des Efpagnols,
on y trouve une fidèle peinture de leurs cruautés , de leur avarice , 0^ de
tous les autres excès auxquels ils fc laifierent emporter par la foif de l'or &
par leurs propres divifious. Benzone a cet avantage fur Barthelemi de las
Cafas, qu'en relevant, comme lui, leurs palFions & leurs vices, il a rendu
plus
)•
"•SH
AVANT. PROPOS.
IX
n temi oùr
: pal fur*
nouvellef
'i l'cxtrê-
ni dtoicnt
: Juge du
dicflc fur
ant point
ce, qui •
; du rticit
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:illeiirs E-
.'xaé^itiide
ic la toife
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irence de
ts. Mais,
on fujet,
fans tom-
ics autrei
e. 3«.U-
jrprenan-
,nt on re-
Icur dans
que dans
Ion té-
agcur 6c
au M un-
is laquel-
êtcs des
ivoit pas
déjà pu-
courlcs,
di Ver fcs
s tftima-
pagnols,
S: de
l'or &
i de las
a rendu
plus
plus de juftice h leurs vertus; & de toutes les qualit^^i qui forment les bons
llilloricns, cette égalité, dans IdUniation des vertus tlii des vices, palle,
raiCoM, pour la plus dillicilc & la plus rare, rrain Chauveton, à qui
(ommcs redevables d'une alL/ bonne Traduction deJk-nzone.en 1579,
Ji avec
nous
a grolli le premier des trois Livres, dont l'Ovrage cil compofé, par des
llclkxions lulloriqucs fur chaque Chapitre.
Jntoine i /encra ell depuis long tcms en ponelHon d'une haute eftime, Ucmni»
qu'il ne doit pas moins au caractère judicieux de fon efprit & de fon fty-
Ic, qu'à l'cxaètitude 6i à l'étendue de Tes connoiflances. C'eft proprement «
rilillorien des Indes Occidentales, comme Harros eft celui des grandes In-
des. On ne lui reproche qu'un peu d'alFeflation à déguifer quantité de
faits odieux, fur IcHiuels il palfe toujours légèrement. Son Ouvrage, corn-
pofe de huit Décades, renferme l'ililloire d'environ foixante ans, depuis
la premiert ani.ée des Découvertes jui'qu'en 1554 (g). Comme on ne con-
nolt point de fource plus abondante & plus pure, il n'eft pas furprenant
qu'il ait été traduit dans toutes les Langues de l'Europe, & que tous les *
Ecrivains, qui ont traité le même fujet après lui, faflent profeflion de le
prendre pour guide & pour modèle. 11 ne paroit pas qu'il eût beaucoup
voyagé, ni que dans les chofes mêmes qui s'étoient paflees de fon tems, il s
donne jamais rien fur la foi de les propres veux; mais la qualité d'IIidorio-
graphe de Sa Majelk* Catholique lui ayant fait obtenir tous les fecours né-
celVaires à fon travail, une ardeur infatigable lui fit découvrir la vérité de
l'Hilloire, & fa droiture naturelle ne cella point de l'y tenir attaché. Tel
ell le témoignage qu'il fe rend lui-même, & que la Critique n'a jamais con-
tredit. Nicolas lie la Cofle, qui a fait paffer, en i<j6o, fes deux premières
Décades en François, par une allez bonne Traduftion pour le tems, déclare
que „ c'ell la naù'cté de l'Ouvrage & la réputation de l'Auteur, qui lui en
„ ont infpiré le deflein (*)".
C\es cinq Ecrivains font non-feulement les premiers , mais Icsfeuls, qui LasCafai,
aient publié l'I lilloire des Découvertes , jufqu'à leur tems. On pourroit
compter aufli dans ce nombre, le fameux Traité de la Tyrannie des Efpa-
gnols, par Ihrtbelimi de Las Cajas (i), s'il n'avoit été plutôt compofé pour
nous rcpréfenter le malheur des Indes, que pour en écrire l'Hiftoire. L'Au-
teur, qui s'ctoit engagé dans l'Etat ecclériallique , après avoir accompagné
fon
(g) iliftoria giîncral de los Ilcchos de lo3
Caflcllanos en his Iflas y Ticra-firina dcl Mar
Oci'ino, pur Anton, de Hcrrera, dcfdi.' cl
anno 14^2 , liaila el de 1554, in-fol. Madrid.
16OJ , 4 '^«»«
(A) La troifièinc Décade n'a paru qu'en
1671, après la mort du Traduftcur; & le
rcfte n'a jamais été traduit.
( ï ) Relacion de la Dcftruycion de las In-
dias occidentales por los CaQcilauos. Ediiink-
it SivUle 1552.
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X A V A N T . P R O P O s.
Ton Pore au premier \5oyage de Chriftophe Colomb , avoit employé la plus
grande partie de fa vie à prêcher aux Efpagnols qu'ils dévoient traiter les
Indiens avec douceur, & leur donner des exemples de religion & d'huma-
nité. L'inutilité de /es efforts , & peut être les perfccutions qu'il avoic
cfluyces lui-même, l'avoient porté à fe jcttcr dans l'Ordre de St. Domini-
que. Mais/a Cour d'Efpagne, qui reconnut la droiture de Tes intentions,
l'ayant forpé d'accepter l'Evêché de Ch'iapa, dont il remplit les fonélions
pendant plufieurs années, & que Tes maladies l'obligèrent de quitter en 1551,
il donna le refte de fa vie à la compofition de plufieurs Ouvrages, entre! ef-
quels celui qu'on vient de nommer tient le premier rang. Autant que tous
les autres refpirent la douceur & la piété, autant celui-ci fe relTent du cha-
grin qui l'avoit fait entreprendre. Le Prélat, qui n'avoit de foible que fa
fanté , y répand toute l'amertume d'un zèle aigri par de longues travcrfes
& par le fouvenir toujours préfent des injuftices <& des cruautés dont il
avoit été témoin. Il porta cette efpèce de vangeance, ou (i l'on veut, cet-
te chaleur pour la défenfe des Indiens, jufqu'à déclarer la guerre, par plu-
fieurs Traités , à ceux qui entreprenoient de jullifier la violence & la bar-
barie des Efpagnols. Cependant fon Ouvrage renferme un grand nombre
d'événemens hilloriques, qu'on ne peut foupconner d'infidélité, & qui ont
le mérite extrêmement fingulier d'être fortis de la plume d'un Homme de
bien , qui ne les avoit prefquc pas perdus de vue , depuis la première Dé-
couverte d^s Indes, c'efl-à-dire, pendant l'efpace d'environ cinquante ans.
Mais pour lever vOus les fcrupules, fur un témoignage que la faveur qu'il a
trouvée chez les Proteflans femble avoir un peu décrié dans l'efprit des Ca-
tholiques, il fuffit de rapporter le jugement d'unllifborien moderne, qui ne
doit être fufpcfl pour aucun Parti , dans un problème de cette nature. „ On
ne peut difconvenir, dit le Père de Charlevoix, qu'il régne dans l'Ouvra-
ge de Las Cafas un air de vivacité & d'exagération, qui prévient un peu
contre lui, & que les faits qu'il rapporte ^fans are altérés dans lafubJtaticCy
ont, fous fa plume, je ne fais quoi d'odieux & de criant, qu'il pouvoir
peut-être adoucir. Il n'avoit pas aflez fait rélîexion qu'il ne fufKt pas à
un Hiftorien d'être véridique, & qu'il doit encore être extrêmement en
garde contre ce que la prévention, la haine, l'intérêt, l'amicié, l'enga-
„ gement, un zèle trop amer, ou trop ardent, peuvent donner de cou-
leurs, ou étrangères, ou trop vives, aux faits d'ailleurs les plus certains.
Maison peut bien aflurer que le St. Evêque de Chiapa, df>nt , malgré
„ fes défauts, ou, pour parler plus jufte, les excès de fes vertus, le nom
„ cft demeuré très refpeiSlable dans les Annales du IVuuveau MtiiiJe &
„ dans les ililloires d'Efpagne, ne prévoyoit pas les mauvais cfTets que Ibn
„ -Ouvrage produifit , peu d'années après fa publication, lorfqu'il eut été
„ traduit
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AVANT. PROPOS.
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DItz Jcl
Caftillo.
„ traduit par un HoIIandois (*)". Comme l'IIiftoire ne demande que la
vérieé des faits, & que les motifs de l'Ecrivain n'y changent rien, lorftju'ils
ne lui font pas blefler les régies de la bonne foi, on doit conclure que le
reproche de chagrin & d'amertume ne pouvant tomber que fur les expref-
fiuns de Las Cafas, fon témoignage n'en a pas moins de poids pour le fond
des événemens (/).
Bernard Diaz del Cafiillo ne s'efl: attaché qu'à l'Hiftoire des Voyages &
es Guerres de Fernand Cortez, dans la fameufc Expédition du Mexique,
n Ecrivain, qui fait profelTion d'avoir fuivi conftamment fon Héros, &
qui ne rapporte rien dont il n'ait été fans cefle A£leur ou Témoin, mérite,
fans doute , une confiance proportionnée à ces deux titres. AulTi ne l'accu-
fet-on point d'avoir manqué de refpeél pour la vérité; mais on le foup-
çonne d'un excès de jaloufie ik d'ambition , qui lui fait quelquefois condam-
ner la conduite de fon Général , ou donner de malignes interprétations à
fes vues. Solis, qui lui fait ce reproche, n'en rcconnoît pas moins que
fon flyle, rude & groflier (w), porte une apparence de bonne foi, qui lui
doniie du crédit, & qu'en mettant à l'écart fes conjeélures & Çqs raifonne-
mcns, on trouve, fous ces deux nuages, beaucoup de lumières dans fes
détails hiHoriques. Son Ouvrage ne fut publié (n) qu'en 1632, c'efl-à-
dire, lung-tems après fa mort, par un Religieux de la Merci, qui le tira
d'une Bibliothèque, où il ctoit comme enfeveli.
Les Lettres de Fernand Cortez font une autre fource de vérité, pour
l'Hiftoire des mêmes événemens. Elles furent écrites à Charle-quint, pen- Portez.
dant l'Expédition même, & dans la confudon des armes; mais quoiqu'elles
portent un cara£lère de nobleiTe & de bonne foi , qui doit les faire pafTer
pour un monument refpeflable, il ne faut pas y chercher de longues &
curieufes explications. Les premières contiennent une courte peinture
de la fituation de Cortez , qui ne peut fervir qu'à vérifier l'ordre & la
date de fes entreprifes. Dans les autres , on ^'^ lit que des demandes &
des plaintes (0).
L'Histoire de la Conquête du Mexique, par ArMtîne de Solis (p), quoi-
que
(o) Elles ont été publiées, à Madrid, fous
le titre de Cartas de D. Hernando Corces,
Marques delValle. de la Conquifla de Mexi-
co, al Emperador Gemelli Carreri fe fait
honneur d'en avoir vu quelques-unes , en ma-
nufcrit, dans la Nouvelle EJ'pagne. Fo-jei
Lettres de
Solis.
( t ) II confirma les Rehelles des Pays-bas
dans leur haine pour les Efpagnols. Hijîoire
drSt Domingue , Liv 6, />. 325 ^ autres.
( < > On ne dit rien , ici , de la vie de Chrif-
tophc Colomb , par Fernand fon Fils. Foyez,
ci dejjous , les Notes qui le regardent.
(m) Solis dit qu'il s'expliquoit mieux avec fon Journal, au TomeXFl de ce Recueil
l'épée qii avec la plume
( fj , Sous le titre de Hilloria Verdadera de la
Conquiftade laNueva Erpanna, efcrita por el
Capican Bernai Diaz del Callillo. in fol. Ma-
drid ,1632 Nous n'en avons pas de TraduQiori,
XrUl l'art.
(p) Hiftoria de la Conquifla de Mexico,
Problacion y proi^refTos de la America fep-
tcntrional conocida por el nombre de Nue-
va Efpanna, por D, Aiîtooio de SoHs, inftl.
Madrid t 1(84.
• *
XIJ
A V A N T- P R O P O S.
Autres Hif-
loricns.
Le Père'de
ttiarlcvoiz.
que poftérisure, de long-tems, à celles qu'on a nommées, & componie
même d'après elles, ne peut être négligée pour toute entreprife hiftorique,
où ce grand événement /êra rappelle. D'ailleurs , en rcconnoiflant ce qu'il
doit aux anciennes fources, l'Auteur afflire qr.'il en a découvert de nouvel-
les; & quoiqu'il Te difpenfe de les nommer, le Tuffra/^c confiant de fa Na-
tion prouve alTez que cette noble hardicfle n'a jamais été démentie. Ci
n'eft pas faire un éloge exceflif d'un Hiftorien dont la réputation cfl Ci bien
établie, que de le compter entre les meilleurs Ecrivains d'Eipaî^ne. Le fuc-
cès de la Traduftion de fon Ouvrage, en François (ç), n'empêche pas
qu'elle ne foit fort inférieure à l'Original.
Corneille IVytfiiet^ Jean de Laët ^ Montan^ Ogilby y Torquemadat & quel-
ques autres dont nous avons des Hiftoires ou des Defcriptjons générales de
l'Amérique, n'ont fait que répéter, fous différentes formes, ce qui avoit
été publié avant eux. Si l'on confidere la jufle diftinélion qu'il faut tou-
jours mettre, entre les Auteurs originaux & ceux qui n'ont écrit qu'alTez
long-tems après, on ne s'étonnera point que je cite rarement des Produc-
tions Cl tardives , du moins dans ce qu'elles ont de commun avec les premiè-
res, dont elles empruntent leur autorité ; & que je ne les employé qu'à ti-
tre de fupplémens pour les événemens poftérieurs, qui ne peuvent fe trou-
ver dans les Hiftoriens des premières Découvertes. Par la même raifon,
lorfqu'ayant préfenté l'Amérique ouverte aux Européens par les Efpagnols,
il faudra paffer à l'Hilloire des Découvertes particulières , dont plufieurf
Nations de l'Europe ont partagé la gloire, je ne confulterai point d'autres
Relations que celles que je nomme originales ; & je referverai tout ce qui
8'efl: publié depuis , pour la troifième Partie de mon nouveau Plan.
Exceptons néanmoins l'Hiftoire de Saint Domingue, parceque remon-
tant jufqu'à l'origine des Découvertes , elle embrafTe une partie de mon
fujet. L'eftime dont elle eft en poffeffion doit la faire regarder comme
une fource avouée du Public; & quoique dans la première moitié de fon
Ouvrage, l'Auteur n'ait pas eu d'autres fources que les miennes, les Mé-
moires anecdotes du P. Pers, & les Aéles du Dépôt de la Marine (^), dont
il déclare que la féconde eft compofée, en font une Hiftoire originale.
Tout ce que j'emprunte d'elle eft cité fidèlement ; feul mérite que j'en veux
tirer, avec celui d'avoir un peu réparé le ftyle.
C'est donc à cette fuite de récits & de témoignages , que j'entreprens de
donner une forme hiftorique ; autant du moins qu'il eft polTibie, dans une
matière dont les parties ont fouvent peu de liaifon. L'exécution de ce projet
me jetie dans un travail extrêmement pénible, mais j'y fuis engagé par
d'an-
(f) Par Citri De la Gu«tte, i>j-4">. Paris, 1691. Nous en avons plufieurs Editions.
(f ) Préface de l'Hiftoire de St. Domiaguc
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dans une
ce projet
gagé par
d'an-
:>ns.
d'anciennes promeffes; &je n'aurai rien à regretter, fi le Public s'apper-
çoit que mes nouvelles vues apportent un changement avantageux au Plan
des Angiois.
II. Ensuite, n'oubliant pas que je marche fur leurs traces, & qu'il n'efl
•pas queftion de jetter fi tard les fondemens d'un autre Ouvrage, je revien-
drai aux véritables Journaux des Voyageurs. Mais ils recevront tant de
de l'expofition qui va les précéder, qu'on ne doit plus craindre d'ê
ae arrêté par des récits obfcurs , ni fatigué par des répétitions , trop fou-
vent néceflaires pour les éclaircir. Comme la route , aux différens Ports
de l'Amérique, eft fujette à peu d'incidens, parceque les difficultés n'ont
été que pour les premiers Navigateurs , & que depuis les grandes Décou-
vertes, on n'a qu'une Mer fort connue à traverfer, le détail des Naviga-
tions fera court ; à la réferve néanmoins des Voyages entrepris pour cher-
cher un PafTage au Nord-Eft & au iNord-Oueft, que leur fingularité doit
faire excepter. D'un autre côté , je me confirme plus que jamais dans la
réfolution d'abréger les Journaux, & de fupprimer même, comme je l'ai
déjà fait dans les derniers Tomes, ceux qui ne contiennent rien d'impor-
tant ou qu'on ne trouve dans les autres, en les bornant à l'honneur d'être
nommés dans un Index. Si j'ajoute qu'avec plus de fidélité que les Angiois
pour leur propre Méthode, j'en détacherai tout ce qui regarde la Géogra-
phie, la Religion, les Mœurs & les Ufages, pour en faire un corps mieui
ordonné, fous le titre ordinaire de Defcription, on concevra que chaque
Journal, réduit aux avantures perfonnelles du Voyageur, à fes obfervations
particulières , & aux fimples recherches de fa curiofité , ne fera jamais d'une
longue étendue , ou du moins qu'il ne contiendra rien que d'agréable ou d'u-
tile. Seconde réformation de l'ancien Plan. ' '*' *
III. Ce que je continuerai de nommer les Defcriptions fera formé, comme
dans les Volumes précédens , des Remarques de tous les Voyageurs fur
chaque Pays & fes Habitans. Mais la partie hiftorique, qui va conduire
à celle des Journaux , ne s'étendant point au-delà du tems des Découvertes
& des Conquêtes, qui eft celui dans lequel tous les Hiftoriens fe font ren-
fermés, il relie un long efpace à remplir; & fuivant la nature de cet Ou-
vrage, il ne peut l'êtie que par divers lambeaux d'Hiftoire, qui fe trouvent
répandus dans les Relations de quelques Voyageurs. LaiiTons le foin de
recueillir d'autres Mémoires & d'autres Aftes, au P. de Charlevoix, qui
s'efl chargé de cette grande entreprife, & qui a déjà fait connoître, par fes
lliftoires du Japon, de St. Domingue & de la Nouvelle France, ce qu'on
peut attendre de fes laborieufes recherches. Mais fi c'efl: forcir de mon
fujet que de porter les miennes hors des Relations de Voyages, je dois
profiter aufli de tout ce qu'elles peuvent m'offrir, pour enrichir cette der-
nière
m »
■#■■
XIV AVANT- PROPOS.
niere Partie de mon Ouvraga Ainfi non • feulement je promet» plis
d'exaélitude & de régularité dans les Dcfcriptions; mais tirant des Voya-
geurs tout ce qui apparrienc à l'Hilloire de ehaciuc Pays, j en compofcrai
une forte de Supplément , pour l'Expoiiiion hiftorique par laquelle je vais
commencer. 'J Voificme réformaiion , qui ne m'a pas ftmblé moins utile
que les deux autres.
IV. Les Voyages au Nord Efl & au Nord-Oucfl, qui feront le terme
démon travail, étoient annonces dans cet ordre, par la Préface des An-
glois. Comme ils forment un corps détaché, qui J. -vient plus important
que jamais par les dernières Navigations, & par les nouvelles Cartes de M.
de rifle, je remets à régler leur diftribution dans une Préface qui ne regar-
dera qu'eux , & qui contiendra les motifs de ces fameufes Expéditions.
Tels font les changemens que je me fuis propofés, & dont je devois
l'explication. S'ils obtiennent la faveur du Public, je remets en Mer à plei-
nes voiles, avec un vent fi flatteur; &, dans toute la confiance d'un Voya-
geur exercé, je ne connoîs plus d'obftacles jufqu'au Port, • '
Laiflbns le relie de l'efpace au Géographe. , ^, , ^^ . .
' Nota. Quoique nous ayons déjà fait le
Jufte éloge de ce nouveau Volume de Mr.
f Abbé Prevoft , nous ne pouvons qu'expri-
mer encore la fatisfaftion que nous a donné
fa lefturc ; & fi nos Correftions font moins
fréquentes , c'cfl que l'exécution de l'Ouvra-
ge étoit plus parfaite que celle des Tomes
précedens. Ainfi , dispenfés ilc rendre comp-
te, par un Jvtrtiffement particulier, des
Améliorations que nous y avons apportées
en fort petit nombre , nous ne dcQinons cet-
te Remarque que pour ajouter, à la premiè-
re Note de I'Avant-Propos de Mr.
Frcvod , deux Fuits /Ingulicrs qui ont rap-
port à la Découverte du Nouveau Monde.
L'un eft en faveur des Anglois En 1741
il parut à Londres un Ecrit , ayant pour Ti-
tre ; Lt Droit de la Couronne de la Grande Bre-
tagne fur l' ylmirique , plus ancien que celui de
t'EJpagne. On prétendoit y dtinontrcr , que
plus de trois fièclcs avant Colomb, les An-
glois s y étoient établis, & que leur Pofté-
lité formoit encore aujourd'hui une Nation
yarticulièie , qui avoit confervé fa langue
©riginale. On apportoit en preuve „ une
„ Lettre du Sr. Morgan Joties , Chapelain
,, poux la Colonie de la CatoKne Méridiona-
„ le , au Prédicateur Thomas Lloyd de PcnfyV
„ vanie, qui la remit à Charles Lloyd de
„ Dolytran, dans le Comté de Montgomery,
., & communiquée depuis au Prédicateur A*-
„ bert Phtt, par Mr. Edouard Lloyd â Oz-
„ ford". Voici la tradudion de cette Letue.
„ En l'an 1660, du tcms que je me trou-
M vois dans la Virginie, en qualité de Cha-
„ pelain du Général Major Bennet, du Dif-
„ trift de Manfeman Berkly, l'on équipa
„ deux VaiflTeaux pour Port -Royal, qu'on
„ nomme aujourd'hui Caroline Méridionale,
„ à 60 miles au Sud du Cap Pair , & je fus
„ en même tems envoyé pour être leur Pré*
,, dicnteur. Le 19 Avril nous partîmes de
„ la Virginie , & arrivâmes le 30 du même
„ mois à la Rade de Port -Royal, où nous
„ attendîmes 'es autres Vaiflcaux de la Flot-
„ te, qui étoit fur le point de mettre à la
„ voile des Barbades pour fe rendre aux
„ Bermudes, avec Mr. Weft, alors Vice-
„ Gouverneur de cette Place. Dés que la
„ Hotte fut arrivée, nos Chaloupes re-
„ montèrent la Rivière jufqu'à un lieu nom-
„ mé Doejler- Punt, où nous fejournâmea
„ environ huit mois, pendant lequel tems
„ la plupart de nos gen* mouiutcut faut*
de
>»
M
net} plis
les Voya-
ïmporcrai
le je vais
oins utile
le terme
r des An-
imporcanc
tes de M.
ne regar»
ions.
je devois
1er à plei*
un Voya-
yd de PcnfyV
{S Lloyd de
lontgotneryt
^dicateur Rê'
poyd à Oz-
cette Le tue.
je me trou*
ilité de Cha-
net, du Dif-
on équipa
oyal , qu'on
Méridionale t
ir , & je fus
tre leur Pré*
partîmes de
)o du même
rai , où nous
IX de laFIot-
mcttre à la
rendre aux
alors Vice-
Dès que la
laloupes re-
un lieu nom-
fejournàmea
lequel tems
iiuicut faut*
AVANT-PROPOS.
XV
t>
>•
de fubfiaanccs. Je m'engageai avec cinq
„ autres à travers les Dcferts. & ayant Ragiié
le Pays de Tufcoraraj les Indiens nous fi-
rent Prilonnicrs, parceque nous leur a-
viens dit que nous devions nous rendre à
Rofnock. Cette môme nuit , ils nous con-
duifirent dans leur Ville , & nous garJè-
rent fort étroitement ik notre grande fra-
yeur & détrefle. Le jour fuivant ils tin-
rent Confcil cntr'eux pour favoir ce qu'ils
feroicni de nous, & peu de tems après,
1 interi réte vint nous dire que nous n'a-
vions qu'à nous préparer i la mort pour
le lendemain matin. Moi, fort de mau-
vaife humeur, je dis entrautres, en Lan-
gue Angloife; Suisje icbappé à tant de
périls, ^faut-il que je fois aujourd'hui
affommi cmme un Cbien ! A peine a-
vois-je profeié ces mots que je vis venir
, à mol un Indien, qu'on reconnut depuis
„ pour un Capitaine des Indiens Doegs , le-
„ quel me faifiOant par le milieu du corps ,
„ me dit, en Langue Angloife, que je ne
„ mourrois i>oint Là-deflus il fe rendit au- ^
•„ près de l'Empereur de Tuscorara dont il
„ ob ini ma liberté & celle de mes Com-
„ pagnons. Le» Indiens nous fouhaitèrent
„ enfuite beaucoup de bonheur , & nous
„ traitèrent fort civilement pendant quatre
„ moi». Dans cet intervalle j'eus fouvent
.. l'occafion de converfer familièrement avec
eux en Langue Angloife , & je prêchai
trois fois la femaiiie dans la même Lan
gue devant ces Indiens, qui m'iiitcrrom-
„ poient à tous momens lorfqu'ils ne com-
prenoient pas bien ce que je voulois dire.
A notre départ, ils nous pourvurent abon-
,» damment du néceflaire. Les Tuscoraras
«, habitent le Long de la Rivière Fantigo^
*i
»
»»
„ pas loin du Cap yfrtcs. Voilù une ReU-
„ tion fuccintc de mon Voyai^c, chez les
„ Indiens Doji^s. A la Nauvelle l'jrk le
„ 21 Mars 1668.
(Signé)
„ Morganjones Fils dv John jones ,
„ natif de Ba «/exprès dt: Neiuport ,
f'f „ dans le Coiiné de Munmoutb '.
Le Second Fait e(l à l'honneur des Alle-
mands.
Suivant Doppelmayer & les Auteurs qu'il
cite, dans fon Ouvrage touchant la Vie des
MatWmaticicns de Nuremberg, l'un d'eux,
nommé Afartin Bebaim , de l'ar.cftnne Fa-
mille nohie des Bebaime de Scbivarzbacb y
originaire de cette Ville, d»;couvrit aiilll l'A-
mérique peu de tems avant Colomi) , qui
pourroit bien avoir profité de fes lumières.
On veut que ce Mathématicien qui s'étoit
fort appliqué à l'Etude de la Geo:;raphie,
dans la perfuafion qu'il devoit y avoir en-
core beaucoup de Terres au Couchant , fc
rendit aux Pays-Bas, & foUicita,' de la Du-
cheflTe //"aif i/e , Gouvernante, Fille de jPea/»/.
Roi de Portugal, un VaifTeau pour en faire la
recherche, il l'obtint, & découvrit, en i4'^o-,
rifle de Fayal ; mais , fans en relier là , il
porta le Roi Jean II. de Portugal à lui ac-
corder encore quelques Navires, avec les-
quels il partît en compagnie d'un Portugais,
nommé Jaques Canut, & découvrit en 148S
non - feulement cette Partie de l'Amérique,
qu'on a atpelléc depuis le Brefil, mais en-
core le Détroit qui y efl. contigu au Sud,
connu d'abord fous le nom des Patagons, 8c
enfuite fous celui de Magellan. Il en drefla
une Carte . que Ferdinand Magellan vit ea
15:9, dans le Cabinet du Roi de Portugal,
& doDt il fçut bicD tirer avantage. R. d. £,
«
'••il
«•
REMAR-
XVJ
il
'J /v
IPI
II
i
REMARQUES
D E
M. B E L L I N,
SUR LES CARTES GEOGRAPHIQUES
DE L'A MER I au E.
l- ' i < . »;,
L 'Histoire de t Amérique ^ & des Voyages qui y ont été faits tant pour
la Découverte'de fes différentes Parties , que pour y former des EtabliJJèmens ,
ejl trop iiitcrcffante pour rien négliger de ce qui peut y répandre quelques lumières,
Cejl dans cette vus que t Auteur de cet Ouvrage m'en a confié la Partie géographi-
que, dontjefens toute la difficulté; puifqu'il s'agit de fixer les connoijfances qui font
répandues dans tous les Auteurs^ avec fefprit de critique 6f de cotjibinaifon nécejfaire^
f^ de mettre fous les yeux fétat a£tuel de ces vajles Contrées.
Quoiqu'il y ait un grand nombre de Cartes géografAiques fur F Amérique , h peu
â'exa^itude qui fe trouve dans la plupart laiffe beaucoup à défirer (a). Je n'ai
point envie d'en faire î examen ni la critique, & encore moins d'en attaquer les Au-
teurSy dont je cannois tout le mérite ^ le favoir; mais les contioiffancts fur ces Pats
étûient alors fort boiTiées', elles fe font étendues ^ multipliées depuis; deforte que nouf
fomvies aujourd'hui en état défaire mieux , quoiqu éloignés de la perfeHion. ' •- ' ■ <«
Je ne parle point ici de la belle Carte de r Amérique, publiée par M, Banville en
174(5 , ni de celle que M. Green a publiée à Londres en j 753. La première cjl d'un
grand détail, ^ fupéricure à tout ce qiû aparu; la féconde , quoique beaucoup moins
détaillée , cjl recommandable par l'cfprit de critique Q* de comparaifon qu'on y a etnployé
pour fixer la pofition des principaux lieux.
Je fais cette remarque avec d'aidant plus de plaijir , que regardant ces deux Ou,-
vrages comme excellcns dans leur gcme, quoique différens, je compte de faire paffer
dam mes Cartes tout ce que je trouverai de bon dans l'un ^ dans t autre ; je ne crains
point que leurs Auteurs m'en fâchent mauvais gré , non plus que des changemens que
' '■ je
( a) Les Cartes du Canada du P. Cort>-
iiclli.
Celles lie l'Amérique fcptfntrionale & nié-
riiUonale de Mrs. Sanfon.
Les Cartes gt^néralts & particulières dcJ'A-
loériquc de M. de riile.
La Carte Aft^îloirc, en 20 feuilles, de
l'Amérique feptentrionaic , de M. Poople, &
quelques autres Cartes publiées à Londres.
A l'égard de celles publiées d Anillerdam,
elles font, prefque toutes, des copies des
précédente*.
I»^^<^
s
iUES
V-'
tant pour
^lijjemcns ,
• lumières,
géographi'
:es qttifont
nécejjàire^
Vf, le peu
rr les Au-
ces Pats
^e que nous
anville en
re cjl iun
îûup moins
a etnplcyé
deux Oti'
lire pqffer
ne crains
emens que
uillcs , de
)0])lc, &
^ondrcs.
inllcrdam ,
:opic8 des
i
'■'^
REMARQUES SUR LES CARTES GEOGR API KQUES. xvij^
l je croirai devoir faire fur pbtjteurs parties de lettr travail. Chacun afes recherches,-
fes cmnoifjances , ^ fa manière de les mettre en œuvre. =- • . ,-i
• Outre ces morceaux généraux, les Anglais ont donné, en dif/erens tems , des par-
ties détachées qui oni leur mérite, ^ qui feules peuvent nous donner une connoijfancâ
exa£te de leurs Colonies.
,; A regard des partits de P Amérique que nous pojfédons, fen ai donné des Cartes,
1744., qui font jointes à fHifloire de la Nouvelle France du P. de Charlevoix.
_ ofe même dire que fat été le premier qui ait fait connaître le Canada 6? la Louijîa-
neavec quelque forte de précifion. Les détails, dans lefquels je fuis entré, avoicnt
été inconnus jufqu^alors. Pour s'en convaincre y H ne faut quejetter les yeux fur tou-
tes les Cartes qui ont paru avant 1744. Mais fai eu la fat'tsfaStïon, depuis cette
époque , de les retrouver dans les Ouvrages de nos plus habiles Géographes, qui les
ont adoptés avec une confiance qui me flatte beaucoup. On voit donc que mon drjfcin
tjl depuifer dans toutes les four ces ^ ^ de m' approprier , pour ainji dire, tout ce que
je trouverai de bon, pour former un Corps de Géographie fur î Amérique; ^ ce que je
joins à ce Volume- ci n'ejl qu'un foible échantillon de ce que je projette pour les Volu-
mes fuivans; obligé, comme je le fuis, de me conformer à l'Ordre des Découvertes,
pour fuivre mon Auteur, emec lequel je dois marcher de concert. •"- -
J'ai commencé par une Carte générale du Golfe du Mexique £3* des IJles de
t Amérique, oitfm tracé les routes des premiers Navigateurs . Enfuite , fai donné
une Carte de Tljk de St. Domingue^ fous le nom d'Hayti, telle qu'elle était poffédée
far fes premiers Habitons , à laquelle fai ajouté les principaux Etabriffemcns que les
Efpagnols y firent après la Découverte. Cette Carte eft en très petit point , mais
fuffifante pur cet objet. J'en donnerai , dans la fuite , une beaucoup plus grande ^
plus détaillée , où l'on trouvera Pétât actuel de cette IJk , avec tous les Etabliffemens
François.
La Décoieuerte de la J'erre Ferme de l'Amérique ayant fuivi de près celle des
IJles, j'ai donné fixpeti: es Cartes particulières , qui comprennent toute la Cote, de-
puis la Rivière de l'Orenoque jufqu'au Mexique inclufivemmt. Jejliivrai de même
toutes les autres parties ; ce qui formera une fuite de Cartes de la même grandeur,
qu'on pourra raffembkr en ttn feul Corps , à la tête duquel je mettrai une Carte géné-
rale , qui cfl indifpenfahle , piu faire connaître Peufemble ^ le rappoi-t de chacune
délies avec le tmtt.
Outre les Cartes, je dotmerai les Platis des endroits les plus remarquables. Ceux
de ï ancien ^ du nouveau Mexico,, qu'on donne dans ce Volume , font tirés du Re-
cueil Hollandais : mais f y ai joint deux Plans particuliers, qui n'ont point été rendus
aiec jufîclje dans aucun Ouvrage public ; l'un efi la Rade de VeraCrux, avec les
Jfles voiflnes; l'autre, le Port- Royal ^fes environs , fit ués dans la Baie de Campêche.
A f égard des deux petites Cartes des Environs de Mexico £jf de fes Lacs , on voit
aifément d'oît je les ai tirées ; ^ quoiqu elles ne s'accordent pas trop bien avec les
Defcriptions qu'on trouve dans les Auteurs , je les ai laijjhs telles quelles étaient ,
fans
^'ï|!
n
xviij REMARQUES SUR LES CARTES GEOGRAPHIQUES.
fjns y rien changer, n étant pas #2 inpuit du local, pour entreprendre de le: m-
riger avec quelque fiiccès.
Il ne rejle plus qu'une remarque à faire fur l'accord qu'on croirait devoir fe ren-
contrer eiitte les Mations des Voyageurs 6f les Cartes que nous y joignons, ^uon
ne [oit point Jurpris de quelques différences qui s'y trouvent Les premiers Naviga-
teurs élo'ient plus occupés de la grandeur des entreprijes , ^ des difficultés qu'ils a-
voietU à vaincre, que de la prétifton des oh/ervatiuns. Plus braves que pcans , ils
nous ont donné des Relations curieufes ^ admirables , mais fvuvent peu exaâes pour la
pofuion des l eux. Je n'en citerai qu un exemple Dans le Voyage de i > 1 2 , pour
h Découverte de la t'Ioride, la Relation de Ponce de Léon dit que les Martyrs, IJÎcs
au Sud de la prefquc Jjle de la iloride , Jont par les a 6 dégrés 15 minutes de latitu-
de i au lieu que ces Ifles font par les .$ dégrés ( ). Dans le même Voyage, on lit
17 dé grés pour la latitude de la y ùtc du Sud de l'Ijle de lioriqiicn , aujourd'hui Por-
terie , au lieu quelle ejî par les i\i degrés. Cette Relation n'ejl pas la feule oii ion
trouve de ces anciennes erreurs. C'ejl au Géographe à les réparer.
Les changemens de nous ne demandent pas moins d'attention; ^ ton y apperçoit
bien des variétés , depuis la première Découverte , jufquà ceux qui fubjijlent. Il y
en a même un grand nombre , dont il ejl impojjibic de trouver la trace , particulière-
ment de ces Fillages ou Bourgades Indiennes , célèbres dans ces lems , aujourd'hui
détruites. Ajoutez que les noms fixes ^ conmis ne font pas toujours écrits de môme
par les différens ravageurs. Je ne poujjerai pas plus loin ces réflexions ; elles me
pa oifjent fuffire pour mettre le Leëteur en état de juger de mon Ouvrage , ^ de ce
qu'il m'efl pofjtble défaire.
(b) II y a aufll une faute d'imprcflion ;
Nord-Eft pour Nord-Oueft.
Nota. On avertit ici que les Cartes, Plans
& Figures , qu'on ne trouvera pas dans ce Vo-
lume, ont éié employées dans le XVI. Nous
avons eu foin de les indiquer chaque fois.
R. d. E.
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d'un
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HISTOIRE
XI
JEs;
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voir fe ren-
mm. Çhion
ers Naviga-
tés qnils a-
fivans, ils
i^Us pour la
i>i2, pour
rtyrs, JJks
ts de latitu-
pge , on lit
od'bui Vor-
tule oit l'on
y apperçoit
lent. Il y
particulière-
aujourd'hui
ts de même
r; elles me
e , i^ de ce
lXVI. Nou»
chaque foiii.
^t|
TOIRE
HISTOIRE
GÉNÉRALE
DES VOYAGES
Depuis le commencement du xv™« Siècle,
DIXHUITIÈME PARTIE.
L IV R E P RE M I E R.^
Premiers Voyages, Découvertes, et Etablis-
SEMENS D£3 EUROPÉENS EN AmÉRIQ.UE.
INTRODUCTION.
Andis que la Nation Portugaife pouflbit, avecautant d'u- IifTRobuc»
tilité que de gloire, Tes découvertes & Tes conquêtes en tion.
Afrique, & dans les Indes Orientales, d'habiles Navigateurs,
formés par l'exemple & l'émulation , portoient leurs vues
d'un autre côté du Globe terreftre, après avoir conçu l'ef-
pérance de s'ouvrir une route à l'Occipent, comme les Por-
tugais en avoient découvert une à l'Orient. L'incertitude du terme les
tint long tems fufpendus. Quelques foupçons des Anciens fur l'exiftence Les Anciens
d'un autre Monde (rt), des récits, qui n'avoient pour fondement qu'une foupçon-
obfcure tradition, les raiibnnemens d'une Philofophie au berceau, dont le "°'^'"^i'^^''^^
jL LCJiC L Vf 11 II
goût ,u^rc Môru^r.
(a) Voyez V^'fvartt-ProiiOi.
Xnil. Pan. A
>îiS,
\
â PREMIERS VOYAGES ^ .
iNTRonuc- goût commcnçoit à fc répandre, mais qui n'avoit point encore de princî-
^'°^* pes fermes & bien cclaircis, ctoient des motifs trop foibics pour engager
Ls plus hardis dans une fi grande entrcprile. Mais lu rrovldence du Ciel,
qui avoit réglé l'orilre des événemens, rafleinhla,dans un cfpacc fort court,
Exr^rimocs un grand nombre d'cxpériences, (\'n fortifièrent lui conjeâlur^s, & qui de-
qui dit forme vinrent comnu une dcmonflration fenlible. Ces fccours , qui paroiflcnt
cette iwitr. ^^,^jj. j^^; ,]t:^^.(^jYiiir^.s pour animer le courage & l'habileté, méritent d'être
confacrts par riliiluire, dans le fuuvenir éternel des honime» (/»}. ,
Le
(b) I.c? premiers Ililloricns dci'Amiîriquc
s'ac^-ordcnt ùir co rtScit; mais o!i le lioriKia
au tcmoii;;n,^c ilii plus iuditi.iix ^c da plus
a'.èbrc, par unr (impie traiiudion de fcs
termes. Sl.iitii; fir.cc^-.t , fiiauuR Pilote, af-
fuiM. que s'cHiirt rciicoiitiô à 450 lieues au
Coudrir.t liu Cap Saii.tV'iiiecin en Afrique,
il avoit trouvé une pii^e lie bois travni.lt-j
par artili.e, iSc dont l'ouvr.isje n'avoit pas^ité
fait avee du fer. Les ver.fs d'Ouell ayant
règne pendant piufieurs j'ours, il jugea (ju'el-
Ic venoit nécedairement de (]uclque l\ rre
Oecideimle. Feàro Cpirca , iiui av«)iL époufj
une des fiL-urs de la femme de Colo:nl' , ccr-
lifntjiie, dans Vlûc AcPuirto Santo, il nvoit
vil une autre picee de bois, que les iiiêaies
vents y avoient jetée , & qui rv^lUmbioit d
In préeédente. Il y avoit vO aulVi lie fort
groiFes cannes, dv.vx clricunc pouvo^t cuii-
ter.ir fix pintes d'eau, qui dévoient y ;'.V(>ir
été poairées par I impctuofiié des vents, par-
ce <iu'Llks n'étoient pas connues dans rill.*,
lii dans toute l'Europe. Les Inlulaires dts
Acores rendirent ténioi-^nagc o.ue pend nit les
verts de l'Ouell & du Nord ■ Kit ( i ) , la \k r
tranfj ortoit des pins aux G^tcs de la Gra-
cieuù' ^ de Fayul, où la Nature ne produit
point de ces arbres, & que dans lllle de
flore la Mer avoit jette deux cadavres hu-
mains, qui avoient la face fort large (Ji d'v.n
autre air que celui des Européens. Une au-
tre fois, on a\()it vu, près des mêmes llks,
deux Canots d'une forme extraordinaire , qui
n'enfoncent jamais, & que le vent y avoit
fait aborder. Antonio Leme , qui s'étoit ma-
rié dans l'ille de Madère, raconta, qu'ayant
couru allci: loin au Couchant avec la Cara-
Telle, il croyoit avoir appcrçu trois Terres
qui lui étoient inconnues. Un Habitant de
la nvi;me Ifle demanda, vers ce tems, au Roi
•Je Portup;;ii, la permilCon de découvrir une
certaine Terre, qu'il prétendoit avoir vue
tous les ans, & toujours fous la mcnie appa-
rence. Quoiqu'il ne paroifle point qu'il eût
T uffî, c'eit de-là, & du témoignage précé-
écnt, que dans les Cartes Marines, qui fe
(xj Ou plutôt du Nord-OiieJ). R. d. E.
firent alors , on rcpréfenti quelques Ifles
dans ces Mers, particulièrement celle qu'on
y n mmoit //-ifriir. 6. (ju on mi ttoit à deux
cens lieues ;ui Coucîiain des Canaries & des
Açorcs. Les Portugais la piireni pour l'illc
de las Sietc GudaJas, c'tiliidirc, des Je (> t.
Cites , peuplée, fuivant leur tradition .tn 714,
au ttms de rinvalii'i des Mores, par quan-
tité dKfpagnoli, qui s'cmbarmicrent, pour
fuir la perf-cution , avec fept Kv{î(iues,d()nt
cliaeun bâtit fa Ville; de quoi ils prétendent
qu'on fut informé, du tems de Dom Henri
de Portugal, par im Navire que la tempête
y jetta, & qui étant revenu, ne put trouver
cninite le moyen d y retourner. Ils ajoutent
tjUL' ce qui empêcha l'Equipage d'en rappor-
ter de plus amples informations, fut la crain-
te d être retenu par les Infulaires, qui obli-
gea le Capitaine de faire remettre prompte-
mcni ù la voile. Di^go de Tient & d'autres
Portugais, s'etnni eml-arqués pour l'Kle de
Fayal, avec un Pilote nommé Diego Telaf-
^ue3, alUirèrent <iu'ayant manqué cette Illc,
ils avoient gaijné cent cinquante lieues pnr
un Vint de SuJ-E(l, & iju'iiu retour ils a-
voicnc découvert l'itle de More , Ruidés par
quai.iitc d'o!fe;iUX, auxquels ils voyoient
prendre cette briféc , &. qu'ils n'avoicnt pas
reconnus pour des oifoau\ maritimes; qu'en-
fuite ils étoient allés fi loin vers le Nord ,
qu'ils avoient appcrçu le Cap deCiare, en
Irlande, \eis l'Eil. où ils avoient tro;ivé (]ue
les vents dOuell fouflloient impétueufcment,
& que la Mer néanmoins étoit fort unie; et
qui leur avoit fait juger que celi venoit de
3uelque Terre peu éloignée, qui étoit à l'abri
u côté de l'Occident; mais qu ils n'avoicnt
pas voulu s'en approcher, parcequ'étant a-
vancés dans le mois d'Août, ils avoient ap-
préhendé l'hiver. Un autre Pilote racontoit,
que faifaiir route en Irlande, il avoit apper
çu cette Terre, qui depuis a été reconnue
pour celle de Bacalaos , mais que l'impétuo-
fité des vents l'avoit empêché d'y aborder.
Pedro de Vtlaj'co de Galice difoit qu'en faifan:
lu uiêuic route il étoit paiTé II loin dans Ir
Nord,
„,îord ,
fae l'Irh
a «nis, v{
!r?5 Wad:re
,r^- véritabli
.là un M:
" trma po
, la pernii
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fioint ;
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trouver
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^ fcrent {
■l' (i)E
Gfnei.
s .-.-.
de princî*
ur engager
:e du Ciel ,
fort court,
& qui de-
paroiflcnt
iunc d'être
Le
uciqucs ini's
it celle qu'on
( tU)it à deux
narics & iks
tu pour rjllc
ro , des J'ejii
ition.tfi 714,
pnr qur.n-
icrcnt, pour
vCilUfs.doDt
protctulfiit
Doin Henri
': lu tcniiicte
put trouver
lis ajoutent
d'en rappor-
fiit la cr.iin-
rs, qui obli-
;re prompte-
le &. d'autres
our ruie de
Dit'iro rdaf-
lé atlc lllc,
e lieues pnr
retour ili a-
, Ruidés par
lis voyoietit
l'a voient pas
nues; qu'en-
rs L- Nord,
le Ctare . en
t trouve^ que
tueulcmcnt,
ort unie; et
i vcnoit de
étoità l'abri
ils n'avoient
equ'<*tant a-
avoient ap-
e racontoit,
avoit appcr
ré recfMinuf
ic l'impétuo-
d'y nborder.
Qu'en fa i fan:
oin dans le
Nord,
'^
EN A M E !l I Q U C, Lit. ï.
I/cnvIc
V(;ut lui eu
di'iobbcr
riioijntur.
fca
Le premier, qui trouva, dans fa grandeur d'ame & dans fcs rénexions , I'^troucc
tlTez de force Ck de lumière pour s'élever au deiïijs di:s obdacles, fut un tk V
Ccnois , nommé Chrillophc Lulumb, fi peu connu jufqu'alors , qu'on ne s'tll Cul.-ml. St !e
jamais accordé fur Ton cxtrailion , ni même fur le lieu de fa nailTance (f ) , premitr qui
igt que l'es propres Enfans n'ont pu lever ce doute. Les ennemis de la ^V auaci.o.
ùrc publièrent qu'il avoit hérité du Journal d'un Pilote, qui, portant de«
tid'Efpagne en Angleterre, avoit été contraint, par les vents , de cou-
d'abord au Sud, enfuiie à lOucfl:, où il avoit trouvé des terres & des
mmes nuds , &. qui , ayant perdu prefque tous fes gens dans cette Cour-
, étoit revenu chez Colomb, fou ancien Ami, auquel il avoit laifTé, en
ourant , fes Papiers & les Cctrtcs. Mais ce bruit, que la jaloufie n'a pas
Igiflé de faire adopter à plufieurs Ilifloriens Efpagnols {d)t paroit dcrruic
Sar la n:;vigation même de Colomb, qui ne pcnla point à tourner au Sud,
i par toutes les circonflances de fa conduite. Il n'avoit donc que l'opi-
oion des Anciens, foutenue par quelques expériences récentes, avec la
fcâriliefle naturelle & fes railonnemcns, pour guides, dans une cntrcprife
einc de diflieultés'^ de dangers, dont le fuccès a rendu fa mémoire im<
ortelle.
L'état
le. Plufieurs le mettent danr Ii lie du peu-
ple (i). Quelques uns lui font tirer fon ori-
gine de Plaifanee en Lonibardie. Ferdinand,
le fécond de fes deux fils, qui a conipofc foii
Iliftoire, •;mbrafle ce dernier fentimcnt, &
parle des tombeaux des Colombs , qu'on
voyoit encore dans cette Ville, avec Kurs
armes Jl paroît que 1h difpiite fur ce point
fut portée au Confcil des Indes. f;.ns que
perlb'inc nous ait appris quel en fut le réùil-
tat. Ilerrcra, où l'on trouve fculeinnt qu'el-
le y dovoit être décidée, ajoijte, qu'on prou-
voit que l'ICmpereur Otlion 11, en 940, con-
firma aux Comtes l'ierre, Jean l'i. Alexandre
Colonibos , frères , les biens fcudataires
qu'ils avoient dans la Jiirifdidion des Vilics
d'Afiui, deSaona, d'Aile, de Moinferrat, de
Turin &. de Verceil; qu'il pr,roilT)ii, par
d'autres titres, quj lea Colombos de Plaifan-
ee, de Cuearo & de Cugurco étoiei.t les
mêmes, defecndus de ces trois frères, aux-
quels le même Empereur avoir fait plufieurs
donations eonlidérabks. IIcn\}.% . /,/t'. i.
Cb. 7. Chriltopbe Colomb lui-même, par-
venu aux honneurs qu'il obtint après fon
expédition, alRiroit une Dame Efpagnolc,
dans une Lettre citée par fon fils, qu'il n'é-
toit pas le premier Amiral de fa famille. J'ie
de Cukmb , T. i. p, 5.
(rf) Particulièrement Cornera , Liv.i.Ch.
14. Oviedo, en le rapportant, déclare qu'il
le croit faux, Liv.i. Cb. 2 llerrera l'attti-
buc à l'envie, Cba[). 8.
(1) Enir'autres on le fait fiU cî'iiti Ordcur de laine de Co^iireto , Village du Territoire de
Genei. Sa naiirance cil fixCi- en laii. U. d. E.
A 2
ord , qu'il avoit vu des Terres au Coucbant
de l'Irlande. Finccnt Dlnn ., Pilote Portu
fais, venant de Guinée . fort au lar;;c de
'lad.re, crut avoir obfervé à l'iJuelt, une
véritable Terre. Il en communiqua le fceict
i un Marchand Génois , fon intime ami , qui
arma pour la découvrir , iSt qui en demanda
la permllFion au Roi de Portugal. Ce Prince
donna des ordrej: favorables A ion eritreiirife;
S^& quoiqu'ils culTent été mal exécutJs. Uiaz
Ïartit avec fon ami , qui fe nommolt Lucanh
'apana. Mais ils pouffèrent leur navigation
fort loin, fans rien appercevoir qui répondit
i leurs efpérnnces. Gafjiar & Michel de Cor-
tereal, deux fils du Capitaine qui nvoit dé-
couvert la Tercere , le pei dirent dans la mê-
me entreprife. Enfin , perfonnc ne pouvoit
ignorer alors ce que .Wurro^ rapporte dans fon
JHiJloire des Indes Orientâtes, il allure qu en
.'découvrant Corvo, la plus Occidentale des
i-lfles Açores, on trouva une Statue équefire
ée pierre, ou de terre cuite , montée lur un
picdc'dal de même matière, dont les d'étés
ofTroient des infcriptions, en caraftères qu'on
ne put déchiffrer, & que le Cavalier, vêtu
, , à la manière des Amériqunins, qui ne font
point abfolumcnt nuds , montroit du doi^t
l'Occident , comme pour avertir qu'on y
trouveroit des terres & des hommes, ^nt.
llerrera, Liv. 1. Chap. 2. ^ 3,
(c) Les uns le font naître à (îcnes, d'au-
tres à Suvone, .ACui^urco, iNeri. 6cncdif-
^ fcrent pas inoins fur la condition de fa famil-
PREMIERS VOYAGES
TION.
Oblbdcs
qu'il cil obli-
gé de fiinnon-
tcr , & iiroiio-
lltions nu'il
fait A plu-
sieurs Cours.
1 1|
•tablifll
le hafard lui
L'état de fa fortune, dans un ctablilkmcnt mciiiocre,
avoit oiicrt à Lisbonne (0« l'airujcttilToit à communiquer des yftei, qu'il
ne pou voit exécuter (|u*avec de puiflans fecours. Il crut devoir la préfé-
rence à fa Patrie : mais les Génois, refroidis pour les Voyages de Mer,
par le tort que Jcs découvertes des Portugais caulbicnt à leur Commerce,
rejettèrent les propolltions comme des fables. ( ^n !ic trouve , ni l'an-
née, ni lei circonllances de cette négociation. 11 offrit enfuitc Tes fervi-
ccsàDom Juan, Roi de Portugal. Cette ouverture fut d'autant mieux
reçue à la Cour de Lisbonne, que le mérite de Colomb y étoit plus con-
nu que dans la République de Gènes, d'où il étoit forti dès l'enfance. On
favoin qu'il s'étoit apnliqjié conflammcnt à l'étude de la Cofmographie , de
l'Aftronomie, de la Géométrie «Se de la Navigation , & qu'il avoit joint une
longue pratique à fes connoiflances. On remarque en particulier qu'il fa-
voit parfaitement l'art d'obfervcr la latitude, ou la iiauteur du Pôle par
l'Aftrolabe ; ce que perlbnne, avant lui, n'avoit exercé en haute Mer,
quoiqu'on en fît des leçons publiques dans les Kcoles: & Ton Frère, qui
s étoit retiré comme lui en Portugal, s'y étoit acquis beaucoup de réputa-
tion pour les Cartes marines & les Spiières, quil faifoit dans une perfec-
tion, dont on n'avoit pas encore eu d'exemple. Aulll fut-il écouté Ci favo-
rablement, que la Cour nomma d'abord des Commill'aires (/) pour exami-
ner ks offres. Mais il devint la dupe de leur mauvaife foi. Lorfqu'ils eu-
rent reçu les explications, ils perfuadèrent au Roi de faire partir lecrette-
ment una Caravelle, avec ordre de fuivre exatlement fes Mémoires, qu'ils
avoient recueillis dans leurs conférences (g). A la vérité, leur artifice ne
tourna qu'à leur honte. Le Pilote Portugais, qui n'avoit ni la tête, ni le
courage du (îénois, n'alla pas fort loin fans être effrayé par les difficultés
de l'entreprifc, & revint publier, à Lisbonne, que les nouveaux projets
étoient autant de chimères. Colomb, dans l'indignation de fc voir trompé,
prit aulïï-tot la réfolution de quitter le Portugal. Il n'y étoit plus attaché
par fa femme, que la mort lui avoit enlevée depuis peu; <îic craignant mê-
me
(e) Son fils raconte qu'nyint couru lont^.
teins les Mers av(.c un Corlairc fameux , qui
fe nommoit Colomb le jeune, ik qui ctoit ilc
fa Maifoii, le feu [.rit 3 ù G:tlcre, dans un
Combat contre les V^éniticns, ciure Lisbon-
ne & le Cap Snint-Vinctnt ; rju'il ne fe fau-
va qu'à l'aide d'une rame, fur laciueile il lit
deux lieues , avant que d'arriver à terre;
qu'étant ai!(i à Lisbmne, où il trouva quel-
(jues Génois de fa eonLoiflancc, il y avoit
paru aimable à une Demoifelie , qui avoit
fouliaiié de le connoJtrr, & qui 1 avoit en-
fuite époufé; que cette jeune ptrlbnne étoit
fille de Pierre Mugniz Percjlrello, après la
mort duquel les deux Kpoux avoient demeu-
ré avec leur JVlùre . & que Colomb avoit lié-
rité non-feulement de les biens , mais enco-
re dune Relation des Voyages de fon Mari,
']ui avoit aidé à la découverte des llles de
Madère & de Porto Santo. De ce Mariage
naquit Diego Colomb, premier Q\ de Chrif-
tophc;& c'eft apparemment une erreur, fon-
dée fur le nom de fa femme , qui a porté
quelciues llilloriens à le faire delcenJre des
PerellreHos. Etant devenu veuf, il prit en
fécondes noces Beatrix Ktiriquez, native de
Cordoue, dont il eut Ferdinand, qui n'eût
de (;oùt que pour une vie pailibie, & qui
comnofu la Vie de fonPcre
(/) Do;n Diego Ortii, Kvôquc dcCcuta,
3u'on nommoit auparavant le V 'dteur Caicê-
>7/a, du lieu de fa naifTancc, ôt dt.ux Mé-
dtciiis Juifs, nommés Jofepb & Rodrigue,
fort habiles dans la Cofùio;;raphie. llerrera,
Cbap. 7.
{g) Fernand Colomb dit nettement que
ce fut pour fc difpculer de faire uuc (grande
récoiupcnfc à fon Père. ,
'! E N AMERIQUE,!.
1 V.
hafard lui
vùc$^ qu'il
ir la prcfé-
I de Mer,
'ommcrce,
L>, ni Tan*
; fei fervi-
anc mieux
: pluicon-
ànce. On
raphie, de
t joint une
cr qu'il fa-
I Pôle par
iuic Mer,
l'rère, qui
de répuca-
le pcrfcc-
ité li favo-
)ur exami-
rfqu'ils cu>
r iecrette-
rcs, qu'ils
artifice ne
été, ni le
diflicultés
X projets
r trompé,
us attaché
;nant mê-
me
ce Mariage
< tic Clirif-
erreur, fon-
t]ui a porté
rccndrc des
, il prit en
, native de
, qui n'eût
jic, & qui
c doCcuta,
i\ci\T Caicê-
<■ deux Mé-
Ilirrera,
tctncni que
uiic grande
I me d'
J'y Être arrêté malgré Kii , parce que le Roi n'attribuoit le mauvais lurno
Ibccès de la Caravelle qu'au défaut d'expérience & d'habileté du Pilote, il '^'°
l'embarqua furtivement pour l'Krpagnc, avec fon Frère & fon Fils (b).
|l arriva fans obftaclc à Palos , Port d'Andaloulle. La Cour d'Elnagne étoit
iJors à Cordoue. Comme les dégoûts, qu'il venoit d'effuver, lui faifoient
cqiindrc de n'y pas trouver plus de faveur , il ne voulut s^y préfenter qu'a-
lés avoir engagé fon Frère (i) k fe rendre en Angleterre, pour tenter de
Ire entrer iTenti Fil dans les vues qu'il alloit propofer lui-même aux Efpa-
»ols; réfolu apparemment de vendre fes fcrvices à ceux qui les mettroicnc
^ plus haut prix.
l II parut à Cordoue, vers la fin de l'année 1484. Le nouvel Iliftorien
||e Saint-Domingue raconte qu'il fit préfenter d'abord , au Roi , un Mé-
moire, dont il rapporte jufqu'aux termes. Mais on lit fimpiement, dans les
ïlilloircs Efpagnoles, que, prenant toutes les mefures de la prudence, il
commença par fe lier avec quelques Perfonnes de dillinélion & de meri-
tc{k)^ qu'il crut capables de difpofer Leurs Majeflés Catholiques à goû-
jkr fes propofitions. Cette voye lui réuOit pour les faire entendre, mais
jjpvcc beaucoup de lenteur. Heniand de Talavera , Prieur de Prado , & Con*
flfefleur de la Reine , reçut ordre de former une Aflemblée de Cofmogra-
phes, pour conférer avec lui. Les Savans étoient rares alors en Efpagne;
& Colomb , porté à la défiance , par fon avanturc de Lisbonne, craignoic
de s'expofer trop ouvertement. Le réfultat lui fut fi peu favorable, qu'a-
près avoir employé près de cinq ans à combattre inutilement les préjuges
<& les objeflions (/), il obtint, pour unique reponfe, que la Guerre de
DUC'
N.
(fc) Il parolt que fon fécond Mariage fe
lit en Efpagne. On n'en trouve pas l'aninic;
mais, à juj^er p.u l'âge de I-'ernand, qui a-
▼oit environ treize ans en 1502, ce ne peut
être avant 1489.
(1) Ce l''rèrc Çcnommok Barthélémy. Fer-
tiand, fon neveu, dit qu'il c^toit peu favant,
mais homme dj bon fens , & que , dans te
Voyage, il fut volé par des Corfliires. Il a-
joftie , (jne fc voyant dans des P.oys inconnus,
& réduit à la dernière mifère , il fit long-
teins ufigo, pour gagner fa vie, du mlent
f<|qu'il avuit de compofcr des Cartes marines;
-^ju'ayant ainalfé quelque ar^^ent, il alla juf-
qu'à Londres , oii il exécuta la commiffion
de fon Frère, en faifint préient au Roi d'u-
ne Mippeinoiutc; que ce Prince la reçut
bien, le pria de faire venir Chriftophe, &
promit de faire tous les fraix de l'entrepri-
fc; ninis qnj Ciiiiflonhc étoit alors engagé
au Roi de Cadille. Ch. lo royez les Vers
«le Barthélémy dans \\^vaTtt Propos.
(k) Alfuiile de (^litUanilla, grand Tré-
r.rier de Callille, fut fon principal pr )tec-
tfur. fui\aiu Ilerrera. Mais Kernand Co-
lomb ne noiiiiiie que Louis de S.iiut - yiiigt ,
qu'Herrcra nomme auflî; Se'gncur Arragonois,
qui tcnoit un ranr; fort élevé , d qui pouvoit
beaucou;i fur l'efpr.t du Roi, Cbap. il
(/) lierrera & Fcrnand nous ont confer-
vé les objedions: „ Les uns difuient que
„ puifqu'en.tant d'années, depuis la Créa-
, tioM du Monde, tint de grands hommes ,
,, qui avoitnt connu la Navi,.:ut'on , avoient
,, ignoré les Terres que Coior.ib iirétendoit
,, trouver, il n'étuit pas vraifemblable qu'il
„ f."it plus éclairé (juVux. D'autres , tirant
,, leuis raiibns de la Cofino-;np!iic, alTu-
„ roieni que le Mondj étoit d'une li gran*
„ de étendue, que trois ans ne fuffifoicnl
,, pas pour aller à l'extrémité de l'Orient,
,, oii Colomb fe flattoit de pouvoir arriver.
,, Ils alleguoicnt Seneque, qui avoit mis ea
,, quellion fi le Monde n'étoit pas infini,
,, « qui avoit douté du moins qu'on pftt al-
„ Itr au-delà de certaines bornes. Ils ajoù-
,, toient nue h Terre occupoit la moindre
„ partie cm Globe, & qne routlercfle étoit
„ en Mer; que pour aller à l'Occident, fui-
„ vant le d;.'tVcin de Colomb, il falloit toû-
„ jours dcfccndre, à ciufc de h rondeur de
„ la Sphère; que par conféqaent il feroit
,, impollîble de rt tourner, &, qu'on fe trou.
„ veroit dans le cîs de remonter. comme Ut
A3 •■ "C
•■^JQ
Jw..
IIEMIERS VOYAGES
cr.tiv'prifc.
M
Toutes les circonflanccs d'une négociation, (jiii dévoie aboutir à la dii-
couverte d'un nouveau Monde, étant importantes pour l'IIilloire , fuivons
1 terrera, qui n'a pas apprchenùé qu'on lui reprochât de rexcès dans ce
détail. Colomb perdit l'elpérance. il prit trillement le chemin de Scvil-
le, d'où il ne lailla point de faire de nouvelles ouvertures à divers Sei-
gneurs , dont on vantoit le crédit. Enfin, rebuté de trouver la même in-
■Jiirercnce dans tous Ls OrJres de rClpagne, il écrivit au Iloi de France,
au'il crut pouvoir engager , du moins par le motif de la gloire; mais les
r'/ançois etoicnt aiors'oc.iipés de leurs Guerres d'Italie. Cette obllina-
tion de la fortune, à lui fermer toutes fortes de voyes , ne paroît point
l'avoir abbattu. 11 revint aux anciennes vues , qu'il avoit^ formées du
côté de l'Angleterre; &, quoique , depuis tant d'années , il n'eût reçu au-
cune nouvelle de Hm Frère, il fe promit de le retrouver < n prenant la mê-
me route. Les [)remier3 lliiloricns ne font aucune mention de fon fé-
cond Mariage ; mais ils lui donncn":, pour /)/>([rv , fon Fils, qu'il avoit laif-
fé près de l'alos, dans un Cni.vent de Francifeains, nommé /a Rab'ida, une
tendreffe (jui ne lui permit poini: de quitter l'I'^rpagnc fans l'avoir cmbrafTé.
Son deHlui ctoit de l'envoyer à CorJouj , apparemment dans le fein de
lafaniille; car il faut fuppofer <j'i'il s'é^oit remarie pendant le long féjour
qu'il avait fait dans cette Ville , & qu'il avoit déjà un fécond Fils. Le Su-
périeur du Couvent de la Rabida , qui fe nommoir J^an Perez de Mnrcbe-
VéU, homme d'un méiite connu, n.- put l'tntcndre ;.ar!er de la réfolution où
il étoic de porter fes limiières aux Etrangers, la;is en regretter la perte
pour l'Efpagne. 11 le preifa de fufpendrc fon départ. Il nlîembla cpiel-
ques habiles gens, qu'il mit en conférence avec lui; & leur voyant ap-
prouver fon projet avec beaucoup d'éloges, il fe flatta qu'ayant l'honneur
d'être eftimè de la Reine, qui l'avoit employé quelquefois (.Uns Ls exerci-
ces de piété, il obticndroic d'elle, en faveur de fon Ami, ce nui avoit
été refufé aux inflances des principaux Courtifans. Il écrivit à cette Prin-
celle, qui étoit alors à Sanîa-'r'ê , pendant le Siège de Grenade. Il fut
appelle aulfi-tôt à la Cour. Le fruit de ce voyage fut de procurer une
Audience à Colomb. La Rciuc fcrnia la bouche à fes Ennemis, en louant
fon efprit & fes proj.ts; mais elle jugea qu'il portoit trop haut fcs préten-
tions. 11 demandoit d'être nommé Amiral, & Vlceroi perpétuel & hé-
réditaire, de tous les Pays & de toutes les Mi.rs qu'il pourrait découvrir.
Cette récompeiife paroilloit excellive , dans les plus heureufes fuppo-
(itions ; iS: , s'il manquoit de fuccès, la Reine craignit quel .jue repro-
che de légèreté , pour avoir pris trop de confiance aux promeflls d'un
Eiran^v.r.
Ce nouveau refus, quoiqu'adouci par des témoignages d'eflime , le dé-
* ter-
„ nerrp:ccdc Mortngne, ce qui cbnquoit „ Pilote". Herrera . Ch. VU. ^ )'III. Fer-
„ nhlolamcnt !;i raifnn , <iiic!quc fond qu'on uand Colomb, Clj. XI.
„ pût faire fur les vents à fur l liabilcic lîu
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f r///. Ftr-
iNTROPL'C
T l O N.
icrmina plus abfolument- que jamais à quitter rEfpagne. Qii'ntanUla , Sur.
Imngel, «X le Père Marchena , étoient dercfperés de voir néglig.r une ai-
jjire de cette importance. Ils engagèrent le Cardinal de Mei.do2a, Arche-
3|é-iue de Tolède & Ciief du Confeil de la Reine, à ne pas lailTcr partir un
Jiommc n précieux pour l'Etat, fans lui avoir fuit l'iionncur uc rentendre.
Colomb eut une longue Audience du Cardinal, qui parut fort fatisfait de
\ cfprit & de fon caraftèrc , mais qui n'entreprit rien en fa faveur.
iir de la Cour, fuivant les termes d'un Miftorien, n'éti
.'toit pas favorable
IX Avanturiers. On y dilbit hautement qu'il ne falloit pas être furpris
ifn'un Etranger fans biens preilat l'exécution d'une entreprife, où il met-
îoit fi peu du fien, qui devoit lui alTurer un Polie honorable, & où le pis
«1er pour lui étoit de fe retrouver ce qu'il étoit (t«). Colomb, qui ne
îkit ignorer ce langage, le fitcefler, en offrant de payer un huitième de
il dépenfe, & de ne partager les profits que fur ce pied. Mais cette offre
même ne lui ayant rien fait obtenir, il partit fort chagrin de Santa -Pé,
mois de Janvier 1492, pour aller faire, àCordoue, les derniers prépa-
tiis de fon départ.
C'e fut dans ces circonfbances que Grenade ouvrit Tes Portes aux Efpa-
lois. Santangel prit cette heureufc conjon£lure, pour repréfenter à la circunibmccs
fine le tort qu'elle faifoit à fa propre gloire, en refufant l'occafion 'L"' '''^ '^^"^
Ileiireufc
mieux ccou-
d'augmenter la puiffance & l'éclat de fa Couronne; fans compter que les j^.!-,
avantages, qu'elle paroiffoit négliger, pouvoient tomber entre les mains
j3e quelque autre Prince, & devenir pernicieux à l'Efpagne. Il mit tant de
force dans fon difcours, que cette Princeife, déjà ébranlée par les follici-
tations de Quintanilla, fe rendit à leur confeil; & pour ménager les fi-
nances, que la Guerre avoit épuifées, elle déclara que fon deffein étoit
d'engager , pour la nouvelle Expédition , une partie de fes pierreries.
"Santangel, dans le mouvement cic l'a joye, répondit que cette reffource
n'étoic pas néceffaire , & qu'il iourniroit la fomme de fon propre fond.
La Reine fit rappeller aufli-tôt Colomb, qui étoit déjà au Port de Pinos,
ir f\-,u\ lieues de Grenade («). Son reflentiment ne l'empêcha point do
fctounier fur fes pas , & l'accueil qu'il rc(;ut à la Cour effaça le fouvenir
des chagrins qu^il y avoit elliiyés pendant plus de huit ans. Dom Juan (^^^^ Tr> t^
de Ccl'niia (0), Secrétaire d'Etat, reçut ordre de traiter avec lui, Se de nvcclaCnur'
lui expédier un Brevet & des Lettres Patentes, par lefquelles on lui accor- d.- Cuilillf.
da volontairement plus d'honneur qu'il n'en avoit déliré (/>).
Ces
(m) Ilift. lie Saint - Donilnguc , 1. r.
(n) C'cd ce (iii'IIi.rrcr.i die riinpicmcnt,
Cb. X. 1,'Hillorieii ilc Saint-Domingue pré-
tend (]u'\\ ttoit déjà parti pour la France.
( 0) Suivant Tcrnand Colomb; & Coloma,
fuivant Ilcrrci:'.
( p) On nt)us a confcrvii ces deux Monu-
îiicns; c'clt ■ ;\ - dire , le Traité qu'IIcrrcra
no'.iMm: Capitulation , avec fa datte, qui cil
!c 17 d'Avril 149a, & les Lettres datrées le
30 du même mois. Gardons -nous de fup-
jtimcr deux Picccs, <iui appartiennent û put-
ticulic-remenc à riîifloire des Vo>ages.
Le Traité contient, i". Que L:urs Ma-
jellés Catholiques , comme Seigneurs dei
Mers Occidentales , créent , dès à préfent ^
pour toîljours, Chrilloplie Colomb , leur
Amiral dans toutes les Kles & 'l'errcs fermes
qu'il découvrira & qu'il prendra dans les
Mers, pour jouir de cette dignité pendant
fa vie, «S: la faire palTer , après la mort, à
fes héritiers & fuccelTcurs, de l'un à l'autrt*
perpétuellement, avec toutes les prééminen-
ces & prérogatives , dont AlfonU' Enrliiih-z,
'•r
I PREMIERS VOYAGES
iHTBODuc- Ces fameux A6les, qui dévoient acquérir à rEfpagne la Souveraineté
'*"^''' d'un nouveau Monde, rurcnt fignés, l'un à Santa -té & l'autre à Grena-
Toutrecoii- jg j^jjj jg jgj^j qyg Leurs Majeftés Catholiques venoient d'achever la
î'nx s df ruine des Maures , après une domination de huit cens ans. Mais obfer-
cctlc Courv)ii- ^ - VOns ,
Be.
•,6
Amirantc àc CaQillc , jouiflbit dans la fien-
ne.
2". Que Leurs Majellés cré'-nt Q-iriftophe
Colomb leur Viceroi & Gouverneur général
dans tous les mêmes Lieux, & que, pour les
Gouvernemens particuliers , il tcra choix de
trois fujcts^ entre lefquels Leurs Majeftés ff
réfcrvcnt le droit de nommer.
3». Que fur toutes les Marchandifes, de
quelque nature qu'elles Ibyent, perles, pier-
res précieufes , or, argent, épiceries, aau
très , qui feront apportées des limites de la
nouvelle Amîrauté, l'Amiral aura un dixiè-
me , après le rembourfemcnt des fraix, &
que les neuf autres parties feront pour Leurs
Majeftés.
4». Que tous les procès & différends,
qui pourroient naître au fujet des Marchan-
difes & du Commerce, dans l étendue de la
Jurifdiétion de l'Amiral , feront foumis à û
décifion , ou à celle de fes Licuttnans en fon
nom, comme il fe pratiquoit à l'égard de
l'Amirante de Caftille.
5". Que dans tous les Navires , qui feront
armés pour le Voyage . & toutes les fois
qu'on en armera d'autres , pour le même
objet, l'Amiral pourra contribuer d'un hui-
tième à tous les fraix de l'Armement, dt re-
cevra aufli la huitième partie du proiit lltr-
rera, Liv. i. Chap. y
Le Brevet fe trouve dans la lie de Co-
lomb, par Rrnand fon Fils , Liv I. Cbap. 43.
Il ell dans ci-s ternus;
„ Fernand 6c Ifabel!c , par la grâce de
Dieu Roi (S: Reine de Cartille, de i.co',
d'Arragon ,de Sicile, de Grenade , de To-
lède, de Valence, de Galice, de Maj. r-
que, dcMinorque, deSevillc, de Sardai-
gne, deCordoue, de Corfe , de Murci.,
de Jaën, des Al;;arvcs , de Gibraltar, tîc
des nies Canaries , Comte & Comteffe de
Barcelone , Seigneurs de Bifeaye & de
Molena, Ducs d'Atliercs & de Néopiurio,
„ Comtes de Rouflillon & de Sardaigne,
,, Marquis d'Orillin & de Gociado , &c.
„ Puifque vous, Chriftophe Colomb, allc^,
„ par nôtre commandement , & avec nos
,, VailTcaux & nos gens â la conquête des
„ Iflcs de l'Océan, que voiis avez décou-
,, vertes. & coiDme nous cfpéTons qu'avec
„ l'aide de Dieu vous en découvrirez d'au-
„ très, il eft jufle que nous vous récompen-
,, lions des ftrviccs que vous rendrez à nùtrc
„ Etat: Nous voulons donc que vous,Chri-
,, ftophc Colomb , vous foyicz Amiral, Gou-
„ vcrncur & Viceroi des Ifles , & de la Ter-
„ re ferme découverte, & de foutes celles
,, que vous découvrirez; que vous vous ap-
„ pelliez Dom Cbrijlopbe Colomb; que vos
„ Enfans fuccèdent à toutes vos Charges;
„ que vous puiflîcz les exercer par vous.
„ ou par ceux que vous choilirez pour être
„ vos Lieutenans; que vous jugiez toutes
„ les affaires civiles & criminelles, dont la
,, connoiffance appartient A a appartenu i
„ nos Vtcerois & â nos Amiraux , & que
„ vous ayiez les droits & les prééminences
„ des Charges que nous vous aonnons. Et
„ par ces Préfentes, Nous commandonî i
„ nôtre très cher Fils, le Prince Dom Juan,
aux Infans , Ducs . Prélats , Marquis ,
Grands - Maîtres , Princes & Conuncndeurs
de nos Ordres Militaires, & à tous ceux
de nôtre Confeil, & Juges en quelque Ju-
ftice que ce foit, Cours & Chancelleries
de nôtre Royaume, aux Châtelains, Gou-
verneurs des Citadelles, des Places for-
tes, à toutes ks Conimun.iutés . Ji'gcs,
OiBciers de la Marine, aux vingt qua-
tre? Cavaliers Jurés, Ecuyers, à toutes les
Villes & Places de nôtre Etat, & à tous
les Peuples que vous découvrirez & fub-
j»:,Merez, de vous reconnoUre, commi."
nous vous rcconnoiffons , pour nôtre Ami-
jal, vous & vos enfans en ligne droit: i^
pour toujours. Ordotinons à tous les Of-
ficiers , que vous établirez , en quelque
Charge que ce foit, de vous faire coiiier
ver vos privilèges , immunités . honneurs,
& de vous faire payer les droits & é no-
lumens qui font dus à vos Charités, fan»
permettre que pcrfonne y meltj aucun
obllacle ; uir tellô eft nôtre volonté.
Nous commandons à nôtre Chancellier.
& autres Officiers de nôtre Sceau , d?
vous expédier au plutôt nos Lettres, de
,, de les faire aufli amples & auifi avania-
„ gcufes que vous le louhaitere/. , à peine
>, de nôtre difgracc & de trente ducnts d'à-
„ mende contre chacun des contrevenans.
„ Donné en nôtre Ville de Grenade . le 30
,, d'Avril 1492. Moi !e Roi, Moi la Rei-
,. ne. Moi Jean de CoIo.;na, Secrétaire du
„ Roi & de la Reine, ai fait expédier les
„ préfentes Lettres par leur conimandcineni".
Fie de Cbrijîopbt Cuimb, 'rom. I. Cbap 43.
■ .<m
«fmm.
Vend
drc ai
>uveraineté
; à Grena-
achever la
dais obfcr-
vons,
e vous , Chri-
\miral, Gou*
& de la Ter.
foutes celles
'ous vous ap-
nb; que vos
os Chargos ;
T par vous,
'.z pour ùttc
jugiez toutes
lies, dont la
appartenu à
aux , & que
jréémineiiccs
lonnons. Et
muiandons 1
eDom Juan,
, Marquis ,
ominandcurs
à tous ceux
quelque Ju-
i^hancellerics
clains, Gou-
Places for-
âtes. JiîgCS,
vingt - qua-
à toutes les
t, & à tous
irez & l'ub-
:re , coinmi-
rnâtre Ami-
né droit- i\:
tous les Ui-
en queiquc
faire conlcr
. honneurs,
D^tS & C IlO-
ïiarij;es, fan»
nettj aucun
re volonté.
Clianc'-'llier.
Sceau , de
Lettres, &
lUlfi avant:i-
:/ , à peine
ducnts d'a-
>ntrevenans.
lade . le 30
^loi la Rei-
ïcretaire du
;X})édicr les
andcinent ".
/. Cbap 43.
^^^^IS»
-^ .— -,«. -«» |*.w»«iWâ.o pwui uu «II, \x ron mit a~JT voit C un
yerdredi troificine trAouc. Dus le lendemain , il arriva quelque dcfor-
dre au timon de la PifUa, Ck Ton en loupçonna ceux à qui cetcc Caravelle
XI m. Part. ]]
JOJ. 16 0 ^çp ,^.V flY pf>^ (m flf P,-i /A' fl' p
LotCisiIankI
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ICI 1l\0 CIO pS py ph* pl^^ PI
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""vertes. S cèmWPïïfitrrcTp , .,......,
l'aido lie Dieu vous en découvrirez d'au
,; nw WPfjean oe 'aoionm , itcrctairc du
„ Roi & de la llc'nc. ai fait expédi«.r ici
„ .^...v ..^ ^.^« ,^uo <.,, u^.i.uuviin;£ uiiu- „ ivoi a. ae la kc ne . ai lait expéUur Ici
„ très, il elt jiide que nous vous récompcn- „ préfcntcs Lettres i^ar leur coaimandeineni".
„ hoiîs des fervices que vous rendrez à nôtre Vit de Chrijlopbt Cjiomb, Tom. l Cbap 43.
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y-
J<'
1...
E N A M ?. R ï Q V. n, Li v. I. 9
vons , avec un lli(li)ricn ninJ^rnc (7), que la Couronne d'Arragon n'en-
tra pour rien dans cette entreprife, quoique fout parut le faire c|^a!en.ent
au nom du Roi & de la Reine. Comme la Callille feule en fit tous les fiaix ,
le nouveau Monde ne fut découvert & conquis que pour elle; & p.ndinc
toute la vie d'ifabelle, la pernulVion d'y pafTer & de s'y établir ne fut {;aè-
res accordée qu'à des Caflillans: ce (jui n'empêcha point que le Roi ne prit
tous les honneurs de la Souveraineté, & quelquefois même fans y join-
dre le nom de la Reine i.\c Callillti au fien, parce qu'il repréfentoit ['un
Epoufe.
{q^ r,c p. do Ch;'rL'Vo;x , (ji'.i a t'ré, ticr:; , par cette raifon, avec lo :\»;ii, qu'i!
Jaiis 10:1 llTlluirt' de Saint l)i)iiiiii;;iie, tovic n'a pas tu, de citer ie^; jage^ de 1 Auteur
ce dctail d IlerreiM , i^i qu'on fuit \ulon- l'ilpaî^nol.
•i 1 0 ;>•
C du
Vx loi
eut '*.
^43.
CillfUToi'llt
Coî.o.m;;.
1492.
I'rép:.r.ilif'^
de loadepaîL.
5. I.
Vrcnilcr î'yyigc dj ChrJjh'fbc Colomb.
C'kst de ce point que le jour commence à fe répandre fur rililloire
de la Découverte Oîy; de la Conquête des Indes Occidentales, ^ que
{'ordre des années va former une méthode certaine pour celui des évene-
mens. Colomb reçut, avant l'on départ de Grenade, des Lettres Paten-
tes qui dévoient le faire refpeéter de tous les Princes du Monde, & l'or-
dre de ne point approcher de cent lieues des Conquêtes du Portugal. En-
fuite, s'ctant hâté de palHr il Cordouc, pour régler les alTaircs de fa Fa-
mille, il n'eur plus d'autre empreffement que de ie rendre à Palos, où les
préparatifs étoicnr rli^ja commences pour Ton Armement. Il avoit fait
choix de ce Port, parce qu'on v trouvoit les meilleurs iMatelots de l'Etpa-
gne. Le Père Marchena continuoit de le fervir avec zèle, & lui avoit
déjà fait autant d'Amis qu'il y avoit de gens de Mer î» Palos. On compte
particulièrement dans ce nombre les trois Pinçons, Frères , qui pafToient
pour les plus riches IlabitansvSc les plus habiles Navigateurs du Pays, &
qui ne firent pas dilliculté d'engager leurs perfonnes (it une partie de leur
bien dans la nouvelle Expédition.
La Ville de Palos étoit alors obligée de mettre en Mer, pendant trois
mois de l'année, deux Caravelles pour la garde des Cotes. Les Ilabitans
eurent ordre de les donner à Chriflophe Colomb. Il en équipa une autre, Quel fm !',;i
qu'il monta lui- même, Cs: qu'il nomma la Sainte -Marie. La première des Anneiiitr.t.
deux autres étoit la l'in'a, à laquclJe il donna, pour Capitaine, Martin
Allbnfe Pinçon; & pour Pilote, l'rançois- Martin Pinçon, ie plus jeune
des trois Frères. Vincent Yanes Pinçon commanda la féconde , qui fe
nommoit la Nina. L'Equipage île ces trois A^ivires n'étoit compofé que
de quatre vingt- dix hommes, Mariniers & Volontaires, les uns Amis
de l'Amiral, d'autres (jui avoient fervi avec honneur dans la Maifon du
Roi. On embarqua des -provilions pour un an, & l'on mit ix la voile un
Vendredi troifiéme d'Août. Des le lendemain , il arriva quelque defor-
drc au timon de la Pinla, <^ l'on en loupçonna ceux à qui cette Caravelle
A77/I. Parr. n ap
•^
ÏO
PREMIERS VOYAGES
Cimi-TOP';r.
COI.OMH.
11 pnirc aux
r;inarios.
Sa nnv
tion d.;n^
rout
rt'i'.
une
Ses Obfcr-
.■ations.
apnartcnoic, p:ircj qu'ils fui^'nJLiu le Vovai^j courre leur inclination. AI-
fui)!'e rin(,'(*n répara le ma! a\ .c îles coi\,jgcs, qui n'vinpéclicrtnt poinc
que peu de jours apie. , un coup de Mer ne detacluic encore le tim m.
Cctre dilgrace, à l'cturee du Von ige , eioit capable de refroidir les Su-
pcrllitieux. Mais, Colomb les ajfà.ic raiiiniés, on arriva, le ii d'/voiic,
il la vue de i\ grande dnarie. On y tir meure un nouveaa timon il la
rint;i ; 6^ la voile Kuine de la .\ina l'ut changée en voile ronde, pour la fa-
cilite de la navij^arion. On p.utit de la grande Canaris- le j de Sepctnibre;
*S: i uatre jours apvcs, on j^rta l'une.e ii la (ioniera, où l'on prit di.s ra-
iVaiehilleniens, de l\au C\. du bois. Sur l'avis que Cu.'oinb eut, dans cet-
te Ilie, que le Roi de Portui^al , i',!di,j;né de l'on acconiniodetjieuL avec
rKlpapjne, avoit armé trois Caravelles pour l'cnLve;, il le hâta de remet-
tre à la voile.
Cl fut le Jeudi, 7 du nicmc mo:.?, qu'il perdit de vue !.i terre des Ca-
naries , en gouvernant vers l'Oeci.Lnt, ou il J'e promettoi: de faire I'ls dé-
couvciTes. Quelques uns del'esg.ns, elîVayés de le voir dans une .Mer
inconr.iij, leniirent diminuer leur cjurage ju'iju'à s'abandonner aux fou-
pirs »^i aux larme?. Il kur fit hoir.e de Cwtie tuibl.de, & tt)us Ws foins
furent employés à les foutenir par de magnifiques el'peranees. On fit dix-
iiuit ligues avant la nuit. Mais Colomb eut ladrelle de cacher, chaque
jour, une partie du eliemin, pour ralilirer ceux (jui eraignoient de s'éloi-
gner trop des Cotes d'Efpagne. Le ii, a Ceiit cii'.quante lieues de l'Ille
de l'er, on rencontra un mat de Navire, qui devoit avuir été entraîné
par les courans. J5ieiitot Culomb s'appen;ut (jue les cowrans portoi^nt au
Nord avec beaucoup de force; Oc le 14 au joir, cinquante licues plus
loin à l'Occident , il obfcrva que l'Aiguille declinoit d'un degré vers le
Nord-Oucli Le lendemain, cette dtclinailon etuic augmentée d'un demi
degré; mais elle varia beaucoup IlS j(jurs luivans, (iic 1 Amiral fut (lirpris
lui-même, d'un phénomène (jui n'avoit point tneure été remarque. Le
15, à trois cns lieues (u) de l'Iile de Ter, on vit tomber dans les Ilots,
pendant la nuit &. dans un tems f^rt calme, une grande llamme au Sud-
Ell, à la diltance de quatre ou cinq lieues des VaiUlaux. L ICquipage de
la \'nu vit, avant le jour , un oi:'eau , qui fut nomme J\ato de ,7:i>uo, c ell-
à-dire, Oijeue de jonc, parce qu'il avoit la (jueue longue, vS: fort menue.
Le lendemain, on fut beaucoup plus eiVraye d'appi. recevoir, fur la furface
de l'eau, des henes, dont la couLur etoic mciee de verd & de jaune, &
qui paroiflbient nouvellement détachées de quelcjue Ille ou de quelque Ko-
che. On en découvrit beaucoup davantage le jour d'après; Oi la vue d'u-
ne petite langoufle vive, qu'on remarqua dans ces herbes, fit juger que
la 'l'erre ne pouvoit être éloignée. D'autres s'imaginèrent qu'on etoit pro-
che de quelques Rochers dangereux, ou llir quelques Terres fubmergees.
Cetfe idée fit renaître la frayeur ^ ks murmures. On obferva d'ailleurs
que l'ean de la Mer étoit la moitié moins falée. Pendant la nuit fuivantc ,
quantité de Tons s'approchèrent h près des Caravelles , que T Equipage de-
là Nina en prit un. L'air étoit i\ tempéré , qu'il ne paroilîoit pas diiVe-
leut
(1) On lit ici feulement mù lieues dans rEdition de Paris. R, d. E.
(M
»«'
"v»>
E N A M F. R I
Q
U E, Lm. 1. •
1 1
1492.
Divers û^'K».
rcnt de celui irAndiloiiHc au mois d'Avril. A trois cens fuixaritc & dix ^'''-'•t"'^""'!
lieues OlicÎl (/;) de l'Ille de l'er, 011 \\t tncurc un Rabo de junco. \.c '-"-•■•'•'•
Mardi, i)'. de Septembre, Aironll l'in.oii, qui s'ccoit avancé avec la Ca-
ravelle, aLtLii>iit l'Amiral, pour lui dlr^', qu'il avoir, vu quantité d'(.ircaux
qui tiroicnt vers l'Oceideiiti d'où il concluoit que la 'l'crre ne pouvoit pas
être à plus de quin/.c lieues. Il s'inia^^iiia même l'avoir apperyue dans cet
éloignemenr. Mais Colomb l'allura qu'il le trompuit, oc que ce qu'il prc-
noit pour la Terre n'etoit qu'un gr<js nuage, (jui ne fut pas, en cilet ,
long tems à le dilliper. Le v^nt étoit frais. On avan<;oi!: depuis dix jours
à pleines voiles. 1/éconnement de n'avoir, depuis 11 long tems, que la vue
du ciel ^bL de l'eau , faiîoit renouveller à tous momens les i^IainLcs. J/A-
miral , l'e contentant d'oblerver tous les lignes, avoit toujours l'AllruIabc
devant lui viL la IbnJe a la main. Le i<;, on vit un de ces oileaux, que
les Portugais ont nommés yl.'catrns; CL vers le loir, pluli^urs autres vin-
rent voliigi^r autour des Caravelles. (.Jii fut confoié par un li bon ligne;
& dans l'opinion que la Terre ne pouvoit être fort loin, on jetta la ioti-
de, avec toute la j(jye d'une vive efperance. Mais deux cens bialles de
corde ne firent pas trouver de fond. On reconnut que les Courans alloient
au Sud-Ell. Le 20, deux Alcatras s'approchèrent de la Caravelle de l'A-
miral. On prit, vers la nuit, un oiieau noir, qui avoit la tête marquée
d'une t;iclie blanche Ck les pieds d'un Canard. On vit quantité de nouvel-
les herbes; mais après les avoir pallees fans aucun danger, les plus timi-
des commencèrent à le rallurer contre cette crainte. Le lendemain, trois
petits oileaux firent entendre leur ramage autour des Vailleaux, & ne cc\-
ierent point de chanter juliqu'au loir. (Quelle apparence qu'ils fufTent ca-
pables d'un long vol? On fut porté à le perfuader qu'ils ne pouvoient être
partis de bien loin. L'herbe devenoit plus épailfe , & le trouvoif mêlée de
limon. Si c'ctoit un Injet d'iiujuictud». pour la fùrrré des Caravelles, qui
en étoient (pielquefois arrêtées, on concluoit du moins qu'on approchoit
de la Terre. Le 21 , on vit une Baleine; 6i le jour luivant, quelques oi-
feaux. Tendant trois autres jours, un vent de Sud-Ell caula beaucoup
de chagrin à l'Amiral. Il afùcta néanmoins de s'en applaudir, comme d'u-
ne faveur du ciel. Ces petits artifices étoient continuellement necellaires,
pour calmer l'efprit de les gens, dont la confiance diminuoit tous les jours
pour Tes promelles. Heureulemcnt, il s'éleva le 23 , un vent d'Ell-Nord-
Ell, qui les remit dans la route (ju'il vouloit fuivre. On continua de voir
plulleurs oileaux de dilîerentes efpèces, Ck même des 'l'ourterelles, qui
venoicnt de l'Occident (c).
Cependant la navigation avoit duré trois femaincs ; & ks apparences
n'étant pas changées , on ne le croyoit pas plus avancé que le premier
jour. Cette reilcxion, joint à la crainte qu'un vent, ([ui avoit toujours été
fa\-orable pour aller à FOuefl, ne rendit le retour impollible en Elpagne ,
produillt tout d'un coup une révolution furprenante. La plupan. furent
pénétrés de trayeur, en conlideiant qu'ils étoient au milieu d'un abîme fans
fond
Frayeur &
iiuitiiicriL'i.lws
Kijuijuigcs.
(t) A VEjl l'uivanc ia luciiic iùIiLoii. R.
il. K.
(r) Ilcvrciu, Liv. I. Chap. 9. ij' ]'■
i\ 2
y
I' i: M i i: R s \' O V A G !• s
Ciiv-io;-.!''
14:;:.
l\>rcid\l
prit il. Co-
Autres n^n^-i
(jni le UMii- •
\ir.t tro.ii-
j'Ciirs.
On ne s'ac-
corde point
itir l'ctat de-
là route.
fonj &. fans bornas, t-u'ijours piL-t il L'S cnglouiir. Une idée fi terrible agit
avt/o tant dv' force, quj s'ctJtit rcpanJue dans les trois l'..jiii;vigcs, on ne
r tria plus i|ue de reprendre ;uiÛi-io: la route de IKinope. \/d Cour, di.
l'oicMt les plus moJcics, ne pouvoit s\)lHn!er, liu'apres avoir pene.re plus
loin ( ii'on n..' lavoir jîmal.s l'aie avant eux, refij^-ranee leur luc uianipie plu-
tôt que le courr.^V-, *>^ qu'iiS eiilllnt rd'ule de iVrvir à la Toile ambition d'un
y\vanrurier qui r/avoit nen a p^rviu;. D'autres, s'eniportèr^iit julqu'a pro-
p'jfer Iiauienient de je! ter cet lûran:!,.T d.ms les îlots, i>'; de dwe en l';r|).ignc
qu'il y é:oit ttiinbe par mallutu', en obiervant l'.s Alhes {/!). I. 'Amiral
ccmnVii la {grandeur du p.ril. Mais loin dtn être abbatcu, il r.ippclla tou-
te (a grandeur d'anie pour conlerver un vilaine tranquille; ^ïc feignant de ne
ri. n entendre ,"11 employuit tantôt les carelfcs v\: les exhortations, tantôt
des rai!'onnemens fpéeieux «S: des erperauees leduiîantes, taniot U menaee,
«Si l'autorité du lloi dont il é'.oii rtvetu. l.f Mardi 25, à la fin du jour,
rip<;"n s eeria, Trrc,'l\rre, & fit remarquer en tHet, ù plus de vint^t lieues
aUv^udlCil, une épailleur qui avoit lapparL.nee d'une Itle. Cet avis, qui
n'et »it (ju'une invention coneortce avee l'Amiral, eut la forée de calmer les
Mu'ins. Leur joye devint livive, iju'ils rendirent a Dieu des ç;raees Ib-
Lmnclles; Ci', poîir les foutenir daiis cette dilpolltion, Colomb lit gouver-
ner du même coté pendant toute la nui-;. Ils furent détrompas le lendemain,
en reeonnoillant qu'on n'avoit vu que d.'s nuages; mais les lignes, qui re-
parurent heureiireinent à l'Ouell, lei:r firent reprendre cette route' avec
moins d'inquiétude. Les oifeaux vX les poilluns ne Celloient plus de fc
préfentcr en grand nombre. On vit des poillons ailes, tels que les l'ortu-
gciis en renc(»ntroient fouvent dans leur route aux Indes Orientales, des
Dorades, des Lmpereiirs, (S: l'on reconnut que la violence drs courans é-
toit fort diminuée. Colomb fe fortiiioit luinieme par tous ces lignes, &
n'apporioit jas moinb d'attention à ceux du Ciel. Il obferva que [)endanc
la nuit, l'.Aiguille varioit dtr plus d'un quart du cercle, & que le jt)ur ella
demeiiroit fixe ati JXord. i^cs deux étoiles, qu'on iu)mme les GjnIcs (e) ^
étoient enfemble à l'Occident pendant la nuit; e\: lorfque le jour commen-
^•oit à paroitre, elles fe rencontroient au Nord Kll. Il cxpliqtioit toutes ces
apparences aux Pilotes, qui en marquoient autant de crainte que d'etonne-
ment; Ck. la confiance, qu'il trouvoit le moyen de leur infpirer, fc commii-
iiiquoit aux Equipages.
Le premier d'Oclobre, un Pilote jugea qu'on étoit à cinq cens qua-
tre-vingt-huit lieues des Canaries; un autre, qu'il y en avoit fix cens
trente quatre, & le troifieme , qu'on n'en avoit pas fait moins de llx
cens cinquante. Colomb eioit fur d'en avoir fait fept cens fept; mais,
pour éloigner tout ce qui étoit capable de caulér de l'elFroi, il all'ura froide-
ment que fuivant fon calcul, il y en avoit cinq cens quatre-vingt-quatre.
Chaque jour de la femaine oifrit de nouveaux fignes. Le 7 , au lever du
Soleil, on crut voir une 'l'erré; & la petite Caravelle, qui s'étoit plus a-
vancée que les autres, tira un coup de canon, avec d'autres marques de
joye.
(d) Ilcrrcra, Chap, 10. Fernand Culomb. (O I/js Efpagiiols les noimucnt /;y;M js
""«»• 19. la liuziiia.
I
E X A M !■: H I
u i:, î.
ï3
joyc. Maison reconnut cn^'orc que c'ctuit iitiL- crrciii', c^.uIlc pir ';•.;>. !•
qucs nur.^cs. Ia'S nuiriiuii\s «X: I.i iniuiiv.'iic rLConini'.îiccrcnt:. LWr.ili'al (l*
vit plus en diinji;ci*quc jamais, par le clclllpdir c!c ceux ù (jui ks horreurs
d'une mort proeluiine, (pii leur parMillnit inévitable p.ir la taim ou le n lu-
fraise, laifoienr c-iihlirr les l(»i\ de l'Iionneur <!!v: de leur ci'i; t;^.menr. I.'.s
Pinsons numes ne firent pas dilliculte dt' le déclarer pour i.s Alutins. J'in-
fin la révolte devint li générale, que n'elperant plus rien de la leveriié )ii
de la douceur, C'cjl'imb prit le parti de l'aire, aux plus f'jricux , une propo-
fitiun ipii liHp ndit aulli tut leurs emporte:nen«. Il leur promit ([i:e li dans
trois jours la 'l'uTe ne paroilloit point (/) , il rcconnojtroit (ju'il Ls avoit
trompés, àc qu'il s'abandonneroit voluniairemLiit à leur vengeance. Cette
dcchuation les toucha: mais ils jurèrent aufli que s'ils ne voyoienL rien de
certain après les trois jours, ils reprendroieni la route de l'ICurope. On a
toujours été perluade cjuil avoit couru peu de rifque à prendre un terme fi
court. Depuis (jiielque teins, il trouvoit fond avec la l'onde; ei la qualité
du f.ible, ou de la vale, devoit lui Taire juger qu'il approchoit réellemenî:
de la Terre. On n .• pjut douter non plus qu'il ne l'cOt découverte plutôt,
s'il eut tourné au Midi, vers lequel tous les petits oifeaux qu'il a\oit vûi
prenoient leur vol. On contliuioit iWn appercevoir de nouvelles troupes,
dont le ramage le laifoit enteuvlre. On dillinguoit leur couleur. Les 'l'ons
étoient en plus giaïul nombre. Mais les deu.\ jours luivans ollVirent des
figues d'une autre nuure. (|ui ne purent manquer de rendre le courage aux
plui timiJes. Les Matelots de l'Amiral virent palier un gros puillbn \\\\\ ,
de l'efjièce de ceux qui ne s'éloignent jamais des rociicrs. Ceux i\eh l'iuta
virent llotter une canne, Ira'ichement coupée, Oîs: prirent un morceau de
bois travaillé, avec un tas d'herbes , qui paroilloient ariachées depuis peu
de tcms, ilu boni de quelque l<.i\'ière. Clux de la i\iihi virent une brar.chc
d'épine, avec Ion Iruit. On refpiroit im air plus (rais; eS: ce (]ui lit encore
plus d'iinprelVion fur un Navigateur tel que Colomb, les veiits etoient iné-
gaux & changeoient l'ouvent pendant la nuit; ce (jui devoit lui faire juger
qu'ils coiTunen(,-oicnt à ven;r de 'l'erre. Au;fi n'atcendit-il pas que le troi-
liL'iMc j"ur fut piiTe, \vn\r tieclarer ()ue Cette nuit même il comptoit devoir
Ja Terre. 11 ordonna de^ prières publique.s, après avoir recouunandé aux
Pilotes d'être fur leurs gardes; il vou.uc ijue toutes les voiles fulfent car-
guées, a l'exception d'une trinquette balle; Olic dans la crainte que les Ca-
ravelles ne fulTent féparées par un ccnip de vent, il donna dts lignaux pour
i"e reunir. Kufin, il promit qu'à la recompenfe ordonnée par Leurs Ma-
jelles Catholiques (g), pour celui qui verroit le premier h Terre, il juin-
droit une Mante de velours.
Vkrs uix heures du foir, le trouvant lui même dans le château de poupe,
il découvrit une lumière. AuiVi-tot il fit app-jHer fecrettemcnt Pierre Gittie-
rcz {!)) ancien Valet de Garderobbe de la Reine, qui crut la voir comme
lui.
Ci:"r.Tvr:;r.
CkI.uMI.
I 1 9'.;.
Ni.iUM.'n:x
iniix'rii'iiuii-,
il > Mut. 11-.
O'niii.cnt
CDii.ll!!) It-
les (.om'o'ici.t.
Rc-coinpeiMo
proiiiilea ce-
lui qui li-'c 11-
vriroit ls
terre.
if) Ovit\!o, Cbai>. 5.
( ;t ; C'tHoit Ht lifiix iiiil'o M.iravcdis do
Kntc, qui lont tiiviron lia t cens livres de
iiAtre nionnoyc d'au'ourd'luii. Trentcdcur.
Maravidis font cinq fous d'Kipagnc.
( h ) EJcohedo , fuivaiit Ovicdo Gomcra
fait ce rCcit fort diirtïcii.incnt,0(ip. lû.
u
PRE M I I' ^
5
V 0 Y A G F. S
'CllMITOi'lir.
COLOM ^
Coinnu'nt
vu-.
Muiv.nciir
^ le prix cil
fint tkfcic!) .i
CjIo.i;!).
iniiirit.'uxi]u';l
■4. :i fouiVrir.
11 iio:iimo
Il prwiiiicrc
Sun- Salvador,
Circ>i!i(h.i-
CCS lie lu;i liv.'-
baniuciujiu.
Infii''-.irc5
qu'il arrctc,
lui Ils iippcllcrcnt cnfcmblc Rodrigue Sakab, Contrôleur Militaire de \9.
l'-loLtc qui ne la dillingiia pis tout d'un coup; mai?i bien-t(.t, i virent
tous trois que cette lumière changeait de place, avec ceux cjui la porcoic-tjt,
apnu-tmment, d'une maiton a l'autre. i\ deux heures après minuit, les
M'itelots d- la /'/';;M, qui avoit pris le devant, crièrent lorc. Une, Çk
donnèrent thuures lignes. Ils avoicnt découvert en etkt la Cote, dont ils
necoicnt qu'à deux lieues. Le premier qui l'apperçut, nomme Uodrigue
TiUna, crut la fortune alUiree; mais fur le témoignage de C-utticrc/, Ci: de
Salccdo, les dix mille Maravulis lurent a>ijugés a Colomb, auquel ils tu-
rent payes, pendant toute la vie, lur les liuuclierics de Seviile (;).
Lks premiLTi ravons du jour lireiit reconnuître une Ille, longue d envi-
ron vingt lieues, pîatte cS: remplie d'herbes. La l'hita, tjui avoit continue
d'avancer la première, attendit les deux autres CaravtlLs; e\: tous les E-
quipaj;-s le jetiant à genoux devant Colomb, répareront, par des traniports
d'admiration cv de reipeei, les chagrins qu'ils lui avoieiit cauks. Cet Ltran-
ger, qu'ils avoient traite avec tant de mépris, devint à leurs yeux k plus
grand de tous les hommes; vSc les excès de Lur joye furent portes jultiu'ù
ladoration. Malgré la force d'el'prit êx la conllanee dont on lui a laii hon-
neur, fur la foi de tous les 1 lilloriens, obferv.ins, avec quelques uns d'en-
tr'eux , que dans un procès qu'il eut à foutenir en Klpagne, pour les droits
contre le File Roval , on lui reprocha qu'ayant ete r.bute par l'incertitude
«i^: L-s fatigues de la première Kxpedition, il avoit voulu retourner en Ki'pa-
gn:, »5c que les truis Pini;ons l'avoient forée de continuer la route. Mais
les J'Jinvinis nvjuies inllllerent peu fur cette ridicule aceufation ( O-
Avec l'autorité de Viceroi, dont il cntroit en exercice, il donna, fur le
champ, à rille, le nom de6'j;j-6'rt.W/(/r, ([u'clle n'a pas confervé. Ln con-
tiniiant d'approcliLT, on vit bien-tôt le rivage borpé d'hommes nuds, qui
dunnèrcntde granJ.ii luaiques d'etonnement. On fut informé, dans la fui-
te, qu'ils avoient pris les trois Caravelles pour des animaux. L'Amiral le
fil conduire à 'l'erré dans une lîarque armée , l'épee à la main èi: l'etendart
déployé. Les Commandans des deux Caravelles fuivirent l'on exemple,
avec leurs Enfe'gnes, fur lelquelles on voyoit d'un ecjte une Croix verte
avec une K, Os: de l'autre plulicurs FF couronnées, à l'honneur de Ferdi-
nand. 'J'ous les Equipages, s'etant emprelfes à debartjuer, bailerent luim-
bLment la Terre, & rendirent grâces au Ciel du fueees de leur Voyage.
Chacun renotivella aux pieds de Colomb, les témoignages de fa reconnoif-
i'ance es: de fa fouminion , en lui preianc ferment de fidélité, fous le double
titre de X'ic^roi kï^: d'Amiral. JCnfuite, après avoir planté une Croix fur le
rivage, il prit pnli'jUion de rille pour la Callille, au nom de Leurs Majelles
Catiioli.jues; CîC ler, armes de cette Couronne furent gravées fur la Croix.
Les liifu.'aires, observant cju'on ecrivoit dans cette cérémonie, s'imaginè-
rent qu'on jettoit queKiue fort fur eux Cs: fur leur ille. Ils prirent la fuite
avec une vive frayeur. L'Amiral les fit fuivre. Un en arrêta quelques-
uns,
(i) On raconte que Triana, dcfcliiort; de patTu dans \a. ùiitc en Afrique & fc fit Malio-
pcrdrc la récoinpcnfc qu'il cro/OiC mériter, nicuui Ihnzurii, I.'i i Lbaf>. 6.
{k) UvicJo i!a IVrnaiid Colutub.
- I .1 il' M li- : ' 'II!-"'-"- M.IMMIIMM Il 1
-iiiiliilJllil[i:liuMi[i[lii[iii.yi!i^^^
KKJ^STi: Jn1)Iaani:rs du: zic, ^^^ ('oLoMH vkiv'Toonkn
qii ils
fuhiire^
iciui^^'i
&du
l(.iir U!
terre
prix c;
rare,
kxs ai
l'or.
côté d
L'Aiu
trc aif
trauv.
Vaiir.
Canoi
(i)
EN AMERIQUE, L i v. I.
iS
3'
uns, qui furent combles de carcfT s C<. île prefcns, t-: (; 'i enreiu aufîitoc la
liberté de joindre leurs Coinpaf^non:,. Ctrc conduite ics rendit extrcmi;-
ment famdiL-rs. Us s'apprc^-diercnt des Caravelles, les uns à la nago, d'a.i-
tres dans leurs Ikrcjucs , auxquclks ils ilonnoicnt le nom de Cannas. F.eurs
cheveux écoient noirs & épais, liés autour de la tète en manière de trcill,-,
avec un cordon. Quelques uns les portoicnt lloitans fur leurs épaules; la
plupart avoient la taille dégagée, les traits du vifage allez agréa[)!es, le
front large ^i le teint couleiu- d'olive. Ils étoicnt peints d'une manière ei-
zarre, les uns au vifage, d'autres aux yeux 6l au ne/- feulement, & quel-
ques-uns par tout le corps, 'lundis que les Caflillans admiroieni leur iit^a-
re, ces Barbares n'étoient pas moins étonnes de voir des hoinmes véuis,
avec une longue barbe. Ils cunnoillbient 11 peu le fer, (jue voyant, pour
la première fois, des armes de ce métal, ils prépaient un labre par le tran-
chant, Os: fe fiilbient des bledlires dont ils paroillbieiit furpris. Leurs ja-
velines Ltoient d'un bois endurci au feu, avec une pointe aiiuië, allez pro-
prement armée d'une dent de poillun. Leurs Barques, ou leurs Caïuits,
n'étoient cjue t-ies troncs d'arbres creules, dont les uns ne pou\-oient porter
u'un homme , & d autres en contenoient près de cinquante. Ils les con-
uilbient avec une feule rame tn fjrme de pelle; & les plus grandes é-
toient fi I.geres, que lorfqu'elles le renverfoienc, ils les redreflbient dans
un inrtant, ils les vuidoienit (.n nageant près du bord; & s'y repla(;ant avec
une extrême agilité, ils recommiufoient à voguer, fans aucune marque
d'embarras ou de crainte. Les moindres prcfens leur paruillbient précieux.
Enfin, riile avoit de l'eau, des arbres ik des plantes; mais on n'y apper-
çut point d'autres animaux que des l'errotjuets.
Di:s le même jour, I Amiral fjt rembarquer tous Tes gens, & quantité de
Sauvages le fuivirent abord. En les interrogeant à Ktilir, par des lignes
qu'ils entendirent fdcilrMnent , on apprit d'eux que leur Ille fe nommoit
Gujnahjiii, qu'elle étoit environnée de plufieurs autres, ^S: que tous les In-
fulaires, dont elles rioient habitées, prenoient le nom de Lucayos ( /). Le
lendemain on les vit revenir en plus grand nombre, avec des Perroquets
&duco:on, qu'ils doniièrent en échange pour de petites fonnêttes qu'on
leur attaciioit aux jambes & au cou, 0^ pour des fragmens de vafes de
terre ou de fayence. \'ingt-cinq livres de coton ne leur paroilToit p:;s un
prix cxceùif pour un morceau de verre. Ils n'avoi^nt aucune fjrte de [)a-
rurc, à la reierve de cjuelques feuilles jaimes, qu'ils portoient comme cail-
lées au bout ilu nez, Ci qu'on ne fut pas long-tems à reconnuitre pour de
l'or. On leur demanda d'où ils tiroient cet ornement. Ils montrèrent le
côté du Sud, en faifant entendre (lu'il s'y tr>)U\uit plulleurs grandes ilLs.
L'Amiral ne balança point à prendre cette route. xMais il voulut conn oî-
tre auparavant le relie de l'Ille. En rangeant la Côte au Nord Ouell, il
trouva une efpece de Port, dont l'accès lui parut facile aux plus grands
Vaiff.aux. Les inf>.;!aires continuoient de le fuivre, par terre eS: dms leurs
Canots. Ils appelloient leurs Compatriotes, pour venir admirer avec eux
une
( / ■; D-'-là !c nom ilo L'i:\iyes , qu'on a à l'Oiicfl d^'<: grandes AnUIIcs, & qui le tcr-
tiniuic à louics itt Ul.b, qui l'ont nu Nurd& miiiciît au Caiial do Eahau'.u.
CfllUSTOI'HE
tu .CM I.
Leur fltjiirc.
Ixiir ('to!;-
ncinoiu à ia
vue des Iva-
ropcoiii.
Ils noni-
nioiciu !ciiv
lll- (u.i;:i.
l;ai!i.
I.unii'jrci
tire d'eux.
lû'
p II i: U 1 E R s V O Y A G E S
CiiRî.'ToriiF.
C'oi.OMf».
149:.
11 i!(J.:ouvrc
piiilicuis ;ui-
nvs \l].i,^
la Co;)ccp-
tiuii.
Une autre'
l';.T!\IIK!iiH'.
C>. tiu'.l y
note», q^i'il
iKin:n.^ l'.'a-
ir.Lî ù'/,rcr.n.
* '-T.: !a;.i::i.
une race d1iomir.cs cxtr.iordinaircs ; &, Icvan:: les mains, ils mnntroiciu
qu'ils les crovoicnt clc!lvi]das du Ciel. Dans le même lieu, les trois Ca-
ravelles découvrirent une Prelqu'Ule, qu'on p.-.uvoit: environner d'eau avec
u:\ peu de travail, c^ dont on auroit pu faire une Place très forte. On y
vovoit lix maifons & quantité d'arbres, qui fcmbloient fervir d'ornement
à quelques Jardins. Mais l'Amiral, penlant à cherclier quelque lieu, d'où
il pût tirer des rafraîchilllmcns, renvoya les Sauvages qui l'avoient fui-
vi (w)i à l'exception de fept, (ju'il emmena pour leur apprendre la Lan-
gue Çailillanc; è^ le 15, après avoir apperc;u quantité d'Illes, vertes *S:
peuplées, il s'approcha d'une autre, qu'il nomma la Conception, à fept lieues
de la première. Klle lui parut .'i mal pourvue de vivres, qu'il ne s'y arrêta
que pour y pa.n'.r la nuit à l'ancre. Mais le i" , il alla faire de l'eau dans
une truilîeine, dont les hahitans a\ oient l'air plus civilife. Les femmes y
étoient couvertes, depuis la ceinture jufqu'aux genoux; les unes, de pièces
de coron, les autres de feuilles d'arbreS. Llle rc^'ut le nom de bcinandine.
Les Callillans virent plulieurs fortes d'oifeaux, la plupart diiFerens de ceux
de l'Europe; des PoiHbns de couleurs dilTerentes (Si fort vives; d^s Lézards
d'une grclLur demefurée, qui leur caulèrent beaucoup d'épouvante, mais
qu'ils regrettèrent de n'avoir pas mieux connus, lorfquc le tems leur eut
apjiris que la chair de cette elpècc de vSerpens ell une excellente nourritu-
re {n)\ des La;)ins de h groileur des Rats, &* quantité de Perroquets,
mais nul animal terr^flrc dont ils pulient fe nourrir avec confiance. Ce-
pendant riile olTroit plus de maifons qu ils n'en avoient encore vu. Llles
étoient en forme de tentes , avec une forte de portail, couvert de bran-
ches qui les garantiiloient de la p!uye& des vents, e!!^ plufieurs tuvaux pour
le palfage de la fumée. Il n'y avoit point- d'autres meub'es (]uc i\i.'S u!len-
e'iles grolliers, vS: quelques pièces de coton. L. s lits, qui fervoient au re-
pos de la nuit, étoient une forte de rets, que les Indiens nummuient Ila-
uuhs (0), fufpendus à deux pcncaux. On y vit quelques petits chiens,
muets. Entre les Infulaires, on en dillingua un, qui portoit au nez une pe-
liie pièce d'or, marquée de quelques caractères , que l'Amiral prit d'abord
p.>ur des Lettres: mais il apprit enfuite que l'ufage de l'Ecriture n'etoit pas
Connu dans les Indes.
Il palïïi de -là dans une quatrième Iile, que les lîabitans appeUoicnt
Saamotn^ 6c qu'il nomma J.iU'lc. Mais, fe reprochant le tems qu'il per-
doit, il prit fa route ii l'E'.t Sud-Ell. Les deux jours luivans lui firent ap-
percevoir, du Nord au Sud, huit nouvelles iiies, qui furent nommées Ifles
d'/Ircra, parceque les Caravelles y trouvèrent peu de fond. Le 27 avant
la nuit, il découvrit une grande Terre, à laquelle il cntendoit donner le
nom de Cu'ui, par les Indiens qui l'accompagnoienr ; jl lui donna celui de
.7if:'î';.i, qui ne s'eil pas mieux coufervé que celui de im.andinc qu'on lui a
voulu lubllituer, ik qui n'a pu prévaloir lur celui qu'elle avoit reyu de Ces
llabj-
_ lu Ce;: a 1 cr-.n-J G-Io-t.:) qu'on s';;it.v ( n) On les r;o;r.r)c Cumai ou Ignana .
Li^o ICI. Ikrr.ra fa'.t vilit^T rui.; p; r t.rri a ( 0 ,1 C c!i d'au «lu'un a pris ce nom , pour
I Aiu:rai; mais il r\\\\ pas vrailuinblabltMiu'il ce qu'un nûinnic vii'^:i:rcr.ic:;t -m Hrctnlf
-:t pu fe lier !i lu: auASuuvaj^co.
'•Pf*!'<!,
s
Hitroiciu
ti')is Ca-
eau avcc
'. On y
'rncment
^•11, d'où
i^'nt fui,
- la Lan-
i-trtcs c\:
-'pt lieues
y arrêta
l-'au dans
cm m es y
le pièces
' nanditic.
de ceux
I-è/.ards
te, mais
leur ei;t
lourritu-
rocjuets,
:e. Ce-
I. KiL-s
.le bran-
uix pour
-'S uîlen-
')t au re-
ient /fa-
chiens,
une pe-
d'abord
;toit pas
)énûient
u'ii per-
rent ap-
ees Ifies
7 avant
muLT le
c'ui de
n lui a
1 de Tes
J labj
gnana .
Jiii, j'our
EN A i^.I E R I Q U r , L I v. J.
17
Habitans. Le 28, il entra dans un gv.inJ Meuve, qu'il appe'Ia S,in-Sa!v(i'
dor. Les bois y ccoienc fort épais, les arbres d'une hauteur extraordinaire,
les fruits difleréns des nôtres , Ce les oifcaux en fort î^rand nombre. V)q\.\x
maifons, qu'on v apperçut & qu'il lît viliter, fe trouvèrent lans I laLitans.
Il s'avança vers ; . autre l'Icuvc, auquel il donna le nom de Luna\ &, plus
loin, il entra dans un autre, qui fut nommé Mares. Les rives en parurent Ilk.
fort peuplées: mais la vue des trois Caravelles fit prendre audi tut la fuite
aux Indiens. Ceux que l'Amiral avoit à bord lui firent entendre qu'il trou-
veroit de l'or dans cette llle, ik plufieurs apparences fembloient confirmer
leur témoignage. 11 ne permit point à les gens de defcenJre, dans la crainte
d'allarmer trop les Inlulaircs: mais ayant eholfi deux hommes intelligensQj),
dont l'un avoit été Juif, (k favoit les Langues anciennes, il les envoya
dans un Canot, avec deux de ces Indiens , pour vifiter le Pays. Il leur don-
na fix jours pour cette expédition ; & dans l'intervalle, il fit radouber Ion
Navire. C)n remarqua que tout le bois, qui fut, brûlé, rcndoit une forte
de gomme ou de mailic, 6: que les feuilLs reflembloient à celles du lentif-
que. La profondeur du b'Ieuve étoit de fept ou huit brafles , à l'embou-
chure, ik de cinq dans l'intérieur du Canal. 11 étoit bordé, auSud-Ed, par
deux Montagnes; & du cùté de l'Etl Nord- Kit, par un fort beau Cap, qui
a pris le nom de Baracoj, quoiqu'cnfuite Diego Valafquez lui ait donné ce-
lui de r////c>;;j/).'wn (q).
Au retour des deux Caflillans, qui amenoient trois Indiens de TIHe, on
apprit d'eux, qu'ayant fait vingt-deux lieues dans les terres, ils étoient ar-
rivés à l'entrée d'un Village compofé de cinquante maifons, qui contc-
noient environ mille Habitans, nuds, hommes & femmes , mais d'un ca-
raclère fi doux, qu'ils s'étoient emprefies de venir au-devant d'eux, de
leur baifer les pieds, & de les porter fur leurs bras; qu'on les avoit fait
afieoir fur des (ii'ges d'une forme bizarre & garnis d or; que pour alimens,
on leur avoit donné des racines cuites, dont le goût ri^irembloit à celui des
châtaignes; qu'on les avoit prelles de pafier quelques jours dans l'Habita-
tion, pour fe repofer; & que n'ayant pu les arrêter par leurs prières & leurs
careiles, ces bons Inîulaires avoient permis à trois d'entr'eux de les accom-
pagner jufqu'au rivage. Ils ajoutèrent que, dans le Voyage, ils avoient ren-
contré plufieurs Hameaux, dont Ijs Habitans leur avoient fait le même ac-
cueil,' que le long du chemin, ils avoient vu quantité d'autres Indiens, la
plupart avec un tilun à la main, pour faire cuire leurs racines, ou certai-
nes herbes, dont ils fe parfunuiient, & que leur méthode, pour allumer du
feu, étoit de frotter un morc.au de bois avec un autre, ce qui fervoit fa-
cilement à l'enfiammer; qu'ils avoient remarqué une infinité d'arbres , fort
difi'érens de ceux qu'on voyoir fur la Cote, Oie diverfes efpècés d'oifeaux,
entre lefquels ils n'avoient reconnu que îles Perdrix Ck des Rollignols; mais
qu'ils n'avoient pas apperçu d'autres animaux terrellres que plufieurs de ces
Chiens qui ne japeni point; (jue les terres étoient couvertes d'une forte
de grains, qu'ils avoient enten lu nommer Maïs, <k dont ils avoient trou-
vé le goût fort agréable; qu'ayant demandé s'il y avoit de l'or dans l'Ille,
ClTM-TOrTlt:
Coi.OM!.
1492.
Déoavcr-
tcs qu'on r.iir
clins ccUC
Cap Baracoi.
Récit Je di.
vctfj? obfer-
vatLoi'.s.
on
(p) .Uodrigiio Xercs, (<. J.ou's de Tumz.
Xmi. fart.
(■(/) IkiTLva, Chfl[>.
c
14.
COLOMH.
1492.
Colomb cil
troniiié par le
iiomdcBo-
feio.
Rai ions qui
lui font enle-
ver quelques
Indiens.
McrnomiTiée
r>iue(lraSeno-
ra.
Nourriture
xévoltaiicj.
18 p 11 E M ï E R S V O Y A G E S
on leur avoit fait comprendre qu'ils en trouvcroient bcaucoiip dans Bo
hio,(\uon leur avoit montre à l'Eft, & dans un Pays qui le nommoit Cuban
nacan (;). , . _ . _
L'i\MiRAL fçiJt bien-tôt que Ciibannacan ctoit une Province fituee ai\
milieu de riHe, parce qu'il ne fut pas loni;-:cms à rcconnoîtrc que Nacan ^
dans la Lan.^ue du Pays , fignifioit le milieu: mais il n'apprit que dans la
fuite la (ignitication de Bohio, qui ccoit moins le nom d'un lieu particulier,
que celui de toute terre où les Maifons vît les Ilabicans font en grand
nombre. Cependant l'elperance de découvrir une Kcgion, dans laquelle
on lui promettoit qu'il trouveroit beaucoup d'or, l'obligea de partir, avec
plufieurs Indiens de Cuba, qui s'offrirent à lui fervir de guides. Il accepta
d'autant plus volontiers leurs offres, que, dans la multitude de ceux qui
confentoient à lefuivre, il pouvoit s'en trouver un qui apprit la Langue
Caffillane avec plus de facilité que les auircs; & chaque inlhint lui faifoit
fentir l'importance de ce fecours: fans compter que, dans ic deffein qu'il
avoit d'en tranfporter plufieurs en Elpagne, il vouloit qu'ils fuflcnt de di-
vers Pays, pour rendre un témoignage plus certain du nombre & de la va-
riété de fes découvertes {s). 11 en prit douze, d'âge & de fexe différens.
Les vents, qu'il trouva contraires en quittant Baracoa, l'obligèrent de fe re-
tirer dans un autre Port de la même Ille , qu'il nomma le Port du Prince.
Cette Mer reçut le nom de Kucjlra Senorj. Tous les Canaux, qu'elle forme
entre les Ules, fe trouvèrent fort profonds; & les rivages étoient couverts
d'une verdure charmante, qui formoit un délicieux fpeéhicie pour lesCadil-
lans. Quoique les petites lilcs ne fuffent pas peuplées, on y voyoit, de
toutes parts, des feux de Pécheurs. Les Matelots des Caravelles y paffè-
rent dans leurs Barques; &i leur étonnement fut d'abord extrême d'y voir
manger, aux. Indiens, de grandes Araignées, des Vers engendrés dans un
bois pourri, 6c des Poiffons à demi cuits, dont ils ava!oi<'nc les yeux crus:
mais ne pouvant fe perfuader que ce qui paroiHbit de bon goût a des Créa-
tures de leur efpèce fût nuifible pour d'autres hommes, ils le hafardèrcnt à
Cours delà
Eiariic.
Port dcl
Piincipe, où
Cf)iom!) clcve
une Croix.
s'offroient de toutes parts. L'Amiral obferva que l'eau croiffi)it & dimi-
nuoit beaucoup dans cette Mer, ce qu'il attribuoit à la quantité d'Illes. Mais
il lui parut plus difficile d'expliquer le cours de la marée, qui étoit direfle-
ment contraire à celle de Cailille. Ilerrera lui fait juger que la Mer dcvolt
être plus baffe dans cette partie du Monde ; la Lune y étoit au Sud-Eft
quart-deSud (t).
Le 19 de Novembre, après avoir fait élever une fort grande Croix à
l'entrée du Port del Principe, il remit à la voile, pour découvrir l'Illequ'il
cherchoit encore fous le nom de Bohio; mais il eut les vents à combattre,
& la Fortune lui préparoic un chagrin beaucoup. plus vif, qui fut d'appren-
dre, le 21 , que la Pihta s'étoit féparée volontairement de lui. Martin Al-
(r) Ilcrxera, Cbap. 14.
fépa
[*) Là incffic, Clo/». 15.
■■■«
l
(0 JyiJfm.
{V
donn
l,5t
I dans Bo
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fituce au
uc Nacan^
le dans la
articulier,
en grand
is laquelle
irtir, avec
II accepta
ceux qui
la Langue
lui faifoit
flcin qu'il
:'nt de di-
: de la va-
difFérens.
c de fe re-
du Prince.
elle forme
: couverts
IcsCadil-
oyoit, de
s y pafle-
d'y voir
s dans un
eux crus:
des Crda-
irdèrcnt à
mal. Ils
ers. En-
: la forme
5 de perle
& dimi-
les. Mais
c dircéle-
(cr dcvoit
u Sud-Eil
,' Croix à
rille qu'il
)mbattre,
d'apprcn-
lariin A\-
funfe
l
(•u) C'cil un Port auquel IcsFrnnçois ont
donnii, depuis, le nom dcFon-l'Ecu,
(x) Hcrrera, ibidem.
C 2
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" hmiin iiimnif " "mimm ....iui'iilll
LU F R A C E L
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) Aft^ it t' 1 V k »• J . «• Il o'I »• V R n ï rt i' V s .
|iiiiilii iiiiiiii| iiiiiinii [imiriii iiiiiiiii|- miiiiini [UllllM IIIIIUIII ^Jlllimir —p™"
KaaUT vaiitElI.AND IIAYT I, lieedeiidnaos HTSPANI
Toloens de Onttlekking van'i.Tanr i-jt,9 ^ , en lie eerite Etabliiremeiiteii
^" ' -^' • ■ ™™^ --- -««r»" tant— Ttniiiii wm "mm mi^rf im' .i«i" ^aT5nr_ irtor-J^'M^- »
Ml -inniar -ajBifl ,-™wi-:; tma. apÉ', ww »Mr:-J!iiiiiiit-_oi™ - .toEtmmmc . in™
)s HlsrANIOI.A.oi S'DOMIlSrcVO.iiu't aê imbuui-ioeExLAisîDî::^
e EitabiiiieiiieuteiL Jei' SpaiijaiircUMi.Dooi- tloii II'' BcIIul.Iuq ^' ilor Zce-A'aanl.
;^''
ii
'^^iimi^i)!:m:^.'0mmmimstm'i»-^x''i,;r -
(r) Ilcrreia, Cbap. 14.
(j) Là mcme, Chap. 15.
lonie
(0 l'^Uem,
EN A M n R I Q U E, Lt V. I.
ij
]..,
i
lonie
fonfc Pinçon, qui la comman'.ioir, excite par la paOion tic l'or, avoit voulu
profiter des avaiuages de la C.rivelle, lyAi étoit très légère à la voile, pour
arriver le premier dans cette llle li riche, que les Indiens avoient annon-
cée. On fit inutilemc.ic (juantite de iign.s, pour le rappeller à la IbumiiliDn.
L'Amiral pénétra le fond de lej didléiiis; mais, pour ne rien donner au lia-
fard des conjectures, il réiolut de pnrPer quelques jours à l'attendre dans un
troifième Port de Cuba , également lïir <k fpacieux, qu'il nomma Sainte-
Catherine, parcequ'on étoit à la veille de cette Fête. En failant de l'eau ik
du bois, il vit, à peu de alliance du rivage, des pierres, qui fembloient
renfermer de l'or. Quelques Indiens étrangers, qu'il rencontra dans ce Port,
& qui furent témoins de fes obtervations, lui apprirent que l'Ille, qu'il
cherchoit fous le nom de lii-hio, étoit leur Patrie, & qu'elle fe nommoic
ILiyti. Ils lui confirmèrent ju'd y trouveroit beaucoup de ce métal , fur-
tout dans une Contrée qu'ils app.llèrenc Cihao. Ce nom réveilla l'idée qu'il
n'avoit jamais perdue, d'un Cip.vigo, fort vanté par Marc Paul de Venile.
Il fe hâta de remonter vers le Sud-Kll: de Cuba, où il ne cella point de
trouver de fort bons Ports. Une Rivière , dont l'cnirée lui parut fort
commode, l'invita par la clarté de l'eau, la beauté de ics arbres, u: le
chant d'une multitude d'oifeaux, à remonter aflez loin dans les terres. Il y
vit, fous quelques arbrifleaux, unel'ulle de douze bancs; & dans une mui-
fon voifinc, qui fut abandonnées fon approche, il trouva un pain de cire
& une tète d'homme. Ses gens n'ayant pas découvert la moindre trace de
cire dans toute l'Ille de Cuba, il fit prendre ce pain, qui fut porté en Ef-
pagne; Ci: l'on jugea, dans la fuite, qu'il venoit de Vïucatan^ par quelques
iiaifons de Commerce qui n'ont jamais été pénétrées.
L'Amiral, continuant de ranger la Cote de Cuba, fe trouva, le 3 de
Décembre, à la Pointe Orientale de cette llle. Il prit à l'Ell: vers l'Iflc de
Hayti, qui n'en ed qu'à dix-huit lieues; mais les Courans ne lui permirent
d'y aborder que le jour d'après. Il entra dans un Port, auquel il donna le
nom de Saint- Nicolas y dont on célébroit la Fête. Le mouillage y étoit fur
& commode. Une Riviè.e, qui s'y déchargeoit tranquil. ncnt, ofiVoit
quantité de grands Canots i\m bordoient lés rives. iVIais une jude in-
quiétude poiu' la Vima^ & le confeil des Indiens, qui vouloient qu'on al-
lât plus loin pour s'approcher des Mines de Cibao, firent remettre à la
voile vers leiSJord, julqu'a un petit lort, qu'il nomma la Conception (^),
au Sud d'une petite llle, éloignée d'environ dix lieues, qui fut nommée la
Tortue.
L'IsLE de Ilayti parut ii grande à l'Amiral, le terrcin & les arbres y
avoient tant de relTem'blance avec ceux de Caftille, le poillon même, que
fes Matelots prenuient en abondance, fe trouva ii contorme à celui qu'on
prend fur les Côtes de l'Europe, que toutes ces railbns le déterminèrent à
lui donner le rtomtVlJJe F.fpA'^uvk [x). Il avoit nemme la première, San-
Salvador, à l'honneur di' Rédempteur des Hommvs; la feeoiide, Kle de la
Conception, à l'iionneur de la Sainte Vierge; & les trois autres, Fernan-
dinc ,
("j) C'cll un Purt auquel îesTiançcMS ont
donné, depuis, le nom àclort-i'I'.cu.
(v) Ilcrrcra, ilidcm.
C 2
CiiprsTr.i-rij
C<)|.o\[,|,
1492.
Alf, !-,fj Pin
ilj lui.
Por.JcSni:»-
leCrulicrinc.
Krrjur ciu-
fix' p 11' If nowi
de Cipan;;o.
Colomb ar-
rive à riile Je
Ilayti.
P.nt S Ni-
colas.
Pr.rt la Con-
ce['ti()n. iflcla
Tortue.
Ilavti recofc
lei-.o'r.i dMlle
Klp:iG!;ole.
•'■l-»')..
149-
Conduite
de Colomb
n.\'C ks Idiu-
Kt.rcs,
ao P R K ]M I K II S V O Y A G E S
CiiRisrovuE jIIp^^ Ifabcilc^S: Jiinnn, p.ir rcfpcft pour Leurs iMajJh'S Catholiques «&
C\)LOMi. j^^ l>,incj Liir fils; le nom il: i'ivpa:»iu)lc, puiir la iixicmc, lui parut un
tribut de rcCDnnoillinKV i^"'il crue devoir à ri''Jpiiî;iie. Cependant on lui
fit enfuite un i\priielie de ne pas l'avoir nomnuv CijiiHdne , parcetiuVn
v^rru di' Ion 'IVaue, elle ucvoit appartenir propiwmeiu a la Couronne de
Callille(v).
I.KS Inllilaires marquoient d'abord pju de difpolltions à s'approcher dea
Caravelles. Ceux qui les avoiiiit appcrçiks ks premiers avoicnt pris la
fuite , & leur rceit avoit déjà repaïK'ai lallarine lians toutes ks parties de
Jllle. Ceux mêmes, qui etoienc venus avec TAniiral , s'rtoicnt échappes
à h nage. Jls avoi>.nt excite les autres à la dclimce; iSi , de toutes parts,
on ne voyoit que des Cotes «5: des Campagnes del'ertes. Quelques Mate-
lots, qui'penécrè'rent dans un Hois, y découvrirent une troupe de ces In-
diens, accompagnés de leurs femmes ci de leurs enfans, que l.i crainte y
avoit rallliubles' Ils prirent une femme, ipTils menèrent à l'Amiral. On
lui fit toutes forces de carelîes. Klle fut habillée proprement, Ce recon-
duite à fa Troupe par les mén:es Matelots, avec trois Sauvages de San-Sal-
vador , qui entendoient fa iai\i;ue. Le lendemain l'Amirai envoya , du
même coté, neuf autres Ca:l;;Uns, qui trouvèrent cette femme dans une
Bourgade, éloignée de quatre lieues au vSud-i'^ll, & compofee d'environ
mille maifons. Leur vue mit tous les Ilabiians en fuite; mais un Infulairc
de San-Silvador, par lequel ils s'étoicnt fait conduire, infpira d'autres
fentimens à cjux qu'il put rencontrer. 11 kur rendit un témoignage fi fa-
vorable aux Etrangers, que les ayant fait confentir à les recevoir, tous les
autres furent animes par l'exemple, vS: revinrent avant la nuit. On fe fie
des préfens mutuels ; d les Callillans ne lirent pas difficulté de palier la
nuit dans l'Habitation.
Le lendemain, on vit un grand nombre d'Infulaires, qui prcnoient vo-
lontairement le chemin du Port. (Quelques-uns portoient fur leurs épaules
la femme qu'on leur avoit renvoyée; i!v l'on mari l'accompa^noit , pour en
faire les remercimens à l'Amiral. Ces indiens etoient plus blancs que ceux
des autres Illes , de taille moins haute 6i moins robuite , d'un vifage alfeZ
ditforme, mais d'un cara6lère doux (S: traitable. Ils avoient la tête toujours
découverte, & le cranc li dur, que , dans un tems moins pailible, les Caf-
liilans le trouvèrent quelquefois à l'épreuve du fabre. L'Amiral leur
avant parlé du lieu qu'il prenoit encore pour Cipango, ils crurent entendre
Cibao,- & lui montrant de cjuel cote il dcvoit le trouver, avec des lignes
qui lui promettoient plus d'or que dans tu tes ks autres lllcs, ils fervirent
à confirmer Ion erreur.
Avant leur départ, on vit arriver, au rivage, un Seigneur du Canton,
accompagné d'environ deux cens pcrfonnes, qui le portoient fur leurs épau-
les, & qui lui donnoient-le titre de Cacique (z). 11 ei oit fort jeune; sii: la cu-
rjo-
1! c{\ vifit-:
fr.r Lin C;iri-
«l-iC lie rillf.
g»-^'
{%) lictma met ccuc vifitc ('-ins un nu- it 1 llk- Kipa-nolc. l'crnn-.a fu'.omb U uict
trc Port, (1111 fut nommé ralpar,!fn , & ,,u.' dans Tlll. mciiie de la ■1-ortuc.
Jcs l'iançois jiomme'iit aujuurd hai Port de
EN A M E R I Q U E, Li V. I.
21
1492.
riofitc l'amenoit , pour voir les Vainiuux. Un Indien, du Pord de l'A- ^il''™^
niral , alla au-ilcvant de lui, Ov lui dcclara t](ie les Jùrangers ctoicnt iUC-
cciidus (In Ciel. Il inorua d'un air (.'rave dans la C'aravcl!--, fuivi de Tes
dwUX piineipaux Oiii-iers; <!x: lorlqu'il fut lur le poiu . il f.: lij^ne au relie
de fis gtiis de dcniciiri.r à teire. L'i\iTiiral lui prc'lnta ijutlques ralVià-
chilienKiis, il' nt il ne tic pas difïiculfé de gi'ùter; mais il ne toucha puinc
aux liqu.urs, cSi ne iic (|iic les approcher de la bouc'ie. Un autre Indien
de San SaUador, qui C'»r,iincnc,-ni à l'crvir d'JiKcrpr'jte , lui dit que IWmi-
rai eioit Cipiraiiie des l\(.;,s de Calblle 6: de Lion, les plus grands JNiunar-
que'î du Monde. Il rcfulh de le croire, toujours pcrfuadé, fur k témoi-
gnage du premier, que les Etrangers croient des Ilabitans du Ciel. Ee
lendemain, il revint avec la même fuite; ik l'on vu paroîtrc en nicmc-
tems un Canot, qui venoit de la Tortue, chargé d'environ quarante hom-
mes. Ec Cacique prit un ton mena(;anr j)uur leur ordonner de le retirer,
«Se leur jetia même de l'eau tSc des pierres (a). Ils obéirent avi.c de
grandes marques de Ibumilîîon ; les Caltillans s'employèrent librement,
pendant tout le jour, à tro juer des grains de verre pour des feuilks d'or.
Leur paiîiun, ou plutut celle de l'Amiral, etoic de porter de l'or en Ca-
ftillc(/^).
Les deux \7ailTeanx remirent à la voile, pour aller mouiller, la veille
de S.iint 'i'homas , dans un Von qui reçut le nom de ce (aint Apôtre (r),
& d'oii l'on découvrit quelques Ihi)itations. Il n'efl pas aifé de ddmckr,
dans le recii des Ililtoriens , ii le Caci([ue, qui avoit dcja paru (Lu.\ fois,
e!l le même qu'un autre i'rince auquel ils donnent enfuire le nom de Roi,
ni tlans lequel de ces Ports il rendit à l'Amiral une vifitc beaucoup plus
folemnelle. l'ern ;nd Colomb raconte (juc le Mardi i3 de Décembre, un
Roi, qui faifoit fa demeure a la diiiance d'une journée , parut fur le riva-
ge, vers trois heures après midi, pendant (jue plulieurs Callillans y ctoicnt
defcendus; qu'd étoit fuivi d'une troupe de Oardes, «!!c porté par quatre
Indiens fur un lîrancart; qu'à la vCie des Caravelles, il le repo'a un peu,
«Is: que, s'avançant enfuite avec beaucoup de familiarité, il entra d.ir.s ce!
le de l'Amiral avec tous les gens (^/). Le INIardi ell le même jour aui|Ue
l'ortSt.Tho-
11. Ui.
Antic v^fite
d'iVA Rci du
(a) Hcircrn, Cbap. \6 , fi rcrnand Co-
loinl) , 0^,1. 3?.
{b ) lli.rrjra, ibidem.
( c ) C'cit , fuivar^t l'IIidoricn de Siinr-
D.)ininj;uc, cjUii que IcsTmiiçoi^ ont depuis
a'i;H'l!é la Buye du Can de Louij'e , ^ (jui
l'oitj aujourd'hui plus comimintiinent le nom
de \.Lul, Toin. I. pai;. 122.
(.•/)J.i préférence d')it être accordée à
ca Hiui'riei, (niifciii il le f«)nde fur une I.et-
ire de ton Per( au K \ dl'lfpat^ne, nppuein-
nient du noir.bre de celles que i'Ainira! écri-
vit à ce Trinire, de Lisbonne & de I*:ilos.
Kile mérite d'èir." confi.rvéo ici dr>ns L-^ ter-
nies • ,, Vôtre M.i]ellé auroit pri'^ pinifir ;\
,, \o;r !a };ra\ ité de ce jeune Roi, tSi. la
,, \én',ra;:on i^ue les gens avoicnc pour lui.
Her-
,. Audi tôt qu'il l'ut entré Jr-ns ir.oii V^ii rcni,
„ (5>. qu il ri,"ut que je dî;-ois dans la ctv.uu-
,, bre de poupe, il y vinc iai.s nie faire n-
., vertir ; cSc me trouvait à ti'>le , il s'aille
,, près de moi. 11 cominan.i;: :\ ils G:irdie.-i
,, de foriir; ce qu'ils firent nan-toC, après
„ l'avoir falue d'une profonde révérence. Il
,, ne retint que deux Indiens, hommes d'à-
,. ^e, qui s'alllreiit à Tes pieds. Comme je
„ crus (].i'il s'étoit ver.u mettre ;\ table pouc
,, inp.n;;er , je lui préfentai ce qu'on m'a-
,, voit Itrvi'. Il en prit un peu; t*i. lorfqu'on
,, lui (j 'Vit A boire , ayant approché le verre
,, de fi bùuche , il envoya le reile à fei
,, t:ens, comme il avok fait poer la viande,
,, Ils étoicnt t>:us trois fert j-^raves mais ils
„ parloiciiL en même- teins, & il me parut.,
C 3 „ ;ia
1492.
I.c Coin.
nicr>;c scm-
blit ciurc les
C:irtiHnns ..^c
les Inùùaircs.
32 r 11 n M I n II s voyages
îlcrrcra lait lever l'ancrj aux iLiix Cir.ivcllci. 11 les ftit arriver , le Jciuli
d'après, au Porc ilc v^aint-Th-Mnis ; & lorfqu'il pirle criin Uoi, nomnic-
G'.vJM'.'JC'»"" , '!"' '•'i'^''^ '"*''^ rc)Miir à (jiiatre oa citvi lieues lie ce l'orr, OS;
qui f\i: connu enfyice pour un des Souverains de i'iilj, il paroît le dil>iu.
guer du Caeique, visc le UDumier pour la première lois. CciK-nJatu il ut*
iribue, au Caei jne , dans une viiiie, qu'il donne pour la troilième, tout ce
qui cil contenu dans la Lettre de l'Amiral; pendant (juc T'crnand Cofumb ,
qui dilling'ie aut'li le Cacique du Roi, ne cefle point de faire rc^!;arder l,i
vilite du Koi comnic la première, cSi comme le fondement de l'afl'cdion
qu'il conçut pour les Caltillans. (^U'.liiue parti qu'on prenne dans c^s ob«
fcirires, il paroît certain cjue ce lut dans le Port de Siint - 'lliomas. le 22
de l)ecemh;c , que l'Amiral re<-ut i.ne depntatKUi du Rii (luacanapjari ,
qui le failoit prier de le rendre a fa Cour , »N: qui lui envoyoit un prclliit
aùl/. rielus c'cioic un Mafque, dont les oreilles, la lanmic, vi le ne/,,
ctoienc d'or battu, avjc une ceinture de la lirgeur de quatr^.' doigts, bor-
dée d'os de Poillbn fort incnus, Ci: travailles lmi forme de perles. I/A-
mirai pro'.nit, aux Députés , d'aller voir inCwllamni-nt leur Maî'.re; mais il
le crut obligé , par la prudence, d'y envoyer d'ai ord quelques-uns de fes
Olîiciers. Ceux qu'il ciiargea de cette cummiiVion revinrent 11 fatisfaits
de l'accueil èv d(.s préllns du Koi, qu'il ne bal.mya point à faire le même
vovage(f). Cîuaeanagiri faifoit Ion lejour ordinaire à quarre ou cinq
lieues du Port de Saint- Ihomas. Le fruit de cette entrevue fut un Trai-
té de Commerce, qui parut établir la confiance. On vit aulVi- tôt un con-
coure furprenant d'Iiuliens, de tout .ige 6: de tout fcxe, autour des deux
CaravelLs. Les grains d'or, le coton eV les !\rroquets furent prodigues
aux Callillans. Ceux qui \ilitérent les Hourgad.s y furent traités comme
des hommes célelLs. Cette iieureufe prévention ne diminuoit point dans
refpnc des Infulaires. lis baifoient la terre où K's Cailillans avoienc
pali-i, (Si tous les biens de l'Ille ctuient comme abandonnes à leur dif-
creùon.
La jMer fut extrêmement agitée pendant deux jours. ALiis , au retour
du
,, ;iu ton 1.1c Iciirvrix, qu'iU sY'ntrotoiioi,-it
.. dr choûs li'inijMTtnnc •. Aprc.^ le ili/K.-,
„ un Ôl ; OlTiciurs (1;i Roi !iii a; jH)!!! u:ij
„ cciniurc. Il la prit, & mj li d 'ima , awc
„ doiix morccciix vl'or bien travniilLS. Je lui
,, !!•; prûfjnt dii;ic couv^rtwro , que j;'.v.)i>
,, ùir mon lie, ifun colii.-r d';i:;;bfc, d'ir;o
,, p'iirc d'cfeirpin; rou-^e; , 0^ dune ph'n 0
,, d'oaii de (leur d^onn^c, dont il iianitfo;t
„ content. 1! ir.niquoit du cln^rin de ne
„ pn? entendre mon langage, li fjs fî ixs
., ne firent c mnoître (;irii in'o.Troit t it
,, ce (jui dépendait Je Ini. J'envoy j pr> .>
„ dre alors un porto L. tire, fiù j'r.v.r'-. ]m<
le l'ortrait de Vôtre M
lie i-
J^
!e ku
,, montrai. ]c lu; ùis <^(.:o vous éiij/. un
,, i'ra.-,d Prinee, & ly.v: v )U'; !;()'.iverf.i'-/. la
„ plui grande partie de la Terre. Knluile,
je lui fis voir nos KcenJarts, qu'il confT-
dtroii avec admiration. Sa vifite dm i
jiilqn'au foir. II s'en alla. On le cividui
lit au rivage, dins ma B: rque , avec beau-
cou,i d'honneur , & je le tU faluer de
l'Artillerie de mon Vai'.llau. Ktant à ter
re, il remont i dani Ton Hrancart 6c s'en
retourna. 11 :iv(iit un i'ils , qu'un Sci-
;',n;ur portoit après lui fur le-; épaule.
S n l'rère nnre'io'c à p'ed , au milieu de
d.MX ho^nmcs de nr.irtiue , qui lui don-
noi.i.t II main, l.e Roi fit donner à man-
;-"-r à ceux de mes gens cju il trouva en
cliemin. Un Piloio ne dit (ju'il faitbir
I orter devant 'ni, par le-> principuix d.
fa (!o'jr, tous 'es préf-ns que je lui .avoÎN
faits ". l'ic (te CLrIjhpbc Colomb , Ctap. 3 1 .
(O llerrera, CV.'c/>. 17.
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luiita S
deux ]'
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CL
K N A M K II I
f)
U E, Li V. I.
^3
Ciimoi'Kîs
C'l>l.o^;ll,
I ^ y 2.
jluUi'j.
du beau tcms, l'Amiral rcfolut de s'appvoclurcriin li.ii, 'ju'il nvoit n^miivi
Jiihta S.ntt.i. Il tut ItConJc par un petit vent. Comme il avoic nulle ces
deux j'.iirs fans Uormir, lu necelVué do le repofcr rnSlif-'ca de le jelttr fur ^^ ,., ^
foii lu, après avoir n commandé aux i'iI..'.LS de n.' pas qnlucr le ;;oiivcr- a^Mi'lics'frnl^
nail; mais n'ctuiu pas moins prclles que lui ilu lomuieii, ns conlicretit leur \', itruuis d<.
office à uMJLime homme laus expérience, iini (ut enu.nné, par IwS cou- C\ ' - '■
rans, fur un Manc de fable où le Navire telioua. L'Amiral fut réveille
nar les cris qu'il lui entendit j.rter au milieu du jeril. Mais il étoic trop
tard; 6: Ks ordres, qu'il fe haia de doiitier, furent 11 mal exécuus, que
n'ayant pCi tirer aucun llcours de les jjropres gj;is, (jui penlerent unique-
ment à lauver leur vie, il eut le cha^;ii,i de voir périr la Caravelle à les
yeux (/). LaA7«rt, ct>mmandee par VanePin^-on, étoit éloignée d'ime
lieue
retour
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du
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It
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(/") Î/Hinorioii i!c Saint •l")onnii(';iic o!i.
fcrvi' qiK' 11" H^'iic ■• <^"' li-'li"-! «-'Hi' 'i'*'''t '«-'H-
chc, titoit à I fîuriJc d un l'oit qui tlli nir)i-
tic l'iiomin de S:iiiU Tlioni:;s . ou de I AtuI ,
au (':ii' l'r.iii';"is «lU"-' It-s l'-fi':':;!''! iLtiMi-
rent cnfiiitc foi^ k' nom de Puerto /?.•,/, iS:
ÏUf les rian(,-ois le iioin i ent iinj^urd luii
ayc lie Caraco'.f. llerrera fait un ioii,^ ré-
cil'dc te n;ait'r;i';c : nr.iis à qui s'en titri l'on
j)!us voiontier-; «lu'à l'Auiir.il lu.ine, iji i_ le
rapport? d:".ns une de iVs I.eitns? I'!iles loîit
tu (i p-tit nonilMe , qu'on ne croit p:>s de-
voir jierdre ! (i:ealiuii lie les fiiire tiUv. rduis
quel(]ues Note'^. „ I.e l.iiiuli 24, la r.!er
„ l'ut ealine On n'eut cju'un p' lit ver.t .
„ (jui me cun luifit de Saint 'rhon.'.s à la
„ l'ointe S:iiiitL\ Je veillai envirvui jufqu'.l
„ on e heure-:; tV n'ayvuit pas repofé ; t.n-
„ dunl deux jo; is i!^». une nuit, je me Kii-
„ rni di:is ma cl aiiibrc. J'avois jbuvei t i!é-
„ fendu rux Pilotes de laillVr fouw r; er le
tÏMon aux Marinier-?, pentiani le cn'me
niO.v.e.
Maii ils ne m'obéïrent i.a-;. Quand
ils luirent ijue jVtois à prendre un pu de
repoi , celui qui tloit de ferviec le mit
ctrc leurs main.-> i.\ s'end('rin l. il ell \i.ii
qu • je ne crui^r.ois ni Keueils.ni lJ;;i.c>
de f..ble, pruce que ni s lî; rques avoieiU
pulTe trois lieues vers l'Ouell île la IViin
,, V: Sainte, iS' cju'cllus avoient ù>\h]C' !>s
,, endroits dan^^er-iiv , pour s'en éloii^ner.
,, Pendant que les Pile.tes donnoient, l'eu,
,, quoique ft-u tranquille, ne iailiii point de
,, nun r iiiûi.filî'einent le Vaiire;;u vêts un
,, liane, qu'j Ton pouvait facilem ni éviter,
,. t'.r le biuit le I' iioit (.ntmJre d'une lieue.
,, ].: Mati'.ot , qui lenoit le gouvej-nail ,
,, fentart le fihle, ù- mit à crier, j'ei.t^n-
,, dis fa voi\, & je me levai aullî-tôt. Au-
,, eun des l'i'oics ne favoit que nouj luf-
., fions éil-oué. l's v:;r.-cnt à moi. Je leur
,, cnivimr.ndii de di'e'Mrj^cr le \'ai l'eùn d'iss
„ uue iùurcjuj qui y ci^ii attachée, ils l';.u-
, tèrcnt vi*ritab!emcnt dans la Barque; mai'i
, 111 lieu d'.xécuter nu ; ordres , i!> prirent
,, la fuite, &. m'abaiulDîiiièreiu au dani;er.
, Dans cet unbarra- , je j^riai ctux (;ui é-
I, toieiit dein uré.-., de couper le iiiùt , pour
,. foulai; r Ii Caravelle, (<. pour tel ter li.'
la tinr du f.ible. Nt^is n'en j-ùmes venir
i\l)Out Klles'ouvrt, fe remplit d'eau,
tï p.érit. je piis une iiarque, pour nous
fiuver; ci l'on paila le relie d: la r.uit
éu:^ cet endroit. A la pciinte du jour,
„ je dépcchai DieRue de //nm , Ci Purre
,, Gutticrez, vers le Roi de l'ille, pour lui
,, d,re, (j'.;u l'.iilatu vifiter d<\\i f'ii Port,
,, comme il m'en a\oit prié deux jours au-
„ paravart, j"avoi> perdu un de nus \'aif-
fer.ux dnns Ks Bancs de fible. Ce Prince
fut toucl'é de n.on malheur julqu'à pleu-
rer. e^ m'envoya tous f.s gens, avic de
l^rand.s Ikirqu; s pour me fe.ouiir. Oïl
,, fe mit ;\ diichar.^er la Caravelle , è; t. ut
,, fut achevé en p.u d'iicures, l,e 'loi v.iic
,, tnl'uite me cijnfokr, aceo.;ip:;;;r.é d,' luu-
,, te fa famille, il (rit foin luin;^me de
,, ce qu'on ;î\o;t fauve. II le lit port r dans
,, fon l'alais, i^'c le lie !;ard^r par d. -^ Sol-
,, dats. 'l'ous ces Inùiluires rei;rv.ttoiciu ;iion
,, inl'iirlune, ^ s'e!roi\*oie.;c de l'a !oue;r
,. pir leurs carelLs. llu.i.i , j.-jure à \ ùirc
,, .Mijelié qu'il ;i'y a pas au Mor.de i;:i l'^a»
., pie plus (.loux , ni un Pays plus c!;:irmint
,, 6c plus fertile Les Ilabitar.s parlent d'u-
,. ne muniére at;réi!i!e, c^ rient preique toi:-
,, jours. Ils vont luiJs, Leurs loix fo!;t juf-
„ tes. Ils f.rvtiU leur Ile/i avec un pril'o.id
,, rci"->cct , f<, ni re:e;T'Js ciur'eux , (Je ùir-
,, tout devai't ki:rs femmes. J'i.i reinaïqut;,
,, par les qi.;ut;ons qu'ils me fail'oient ,
„ qu'ils ont iifrrit curieux, & un lt: nd
,, uellr deconnoirrj la caufe ile tout ctia ils
,, voyent durs la i>ature
Loliimb , Cij 12.
f ',C de Cti'.jt J^ -.S
I 4 9 2.
Enipc'Vo
nur.t ilii R .i
à iVc'-.urir !c;j
CalUHans.
Tn.l-c-'.< p"ur
les ;"o;:riCUL's.
C)!on;b fdr.-
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lù-.bliilur.ot.
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S;iiiK-!)vi;;;n-
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Ovrircrti!
f 'it -."trcr
luii--.n:\::;;ii
1^ r
1' R E ÎM I F,
il
S VOYAGES
lijiic. Elle i-cfiifa de prcn.Irc à bord ceux qui avoietit quitté l'Amiral ; vX
ne pouvant arriver allez toc pour fccnurir Ion VaiHeau, tlle fervit du muiiiji
ù fauver la perlunne «S: ceux qui avoient couru le même danger.
Clu.\CAN.\t;\i;i ne fut pas plutôt intbriné du malheur de les nouveaux
Alliés , qu'il aeeourut av.'C le plus vif emprefremcnt , pour leur offrir tou-
tes fortes de fecours. Il les fir. aider, par fes vSaj'jts, à reeueillii' les dé-
bris de leur naufrage. Dans plulieurs vilitcs, (ju'ij rendit à l'Amiral, il L-
oinjîn-oit, les larmes aux yeux, fui vaut K-s termes de tous les ilifloricns,
d'o'.;b!ier une perte dont il fe repr oeiioit d'avoir été l'occalion. Il lui pré-
ienra tout ce qu'il polîédoit, pour la réparer, 'i'ous Ls Habitans de cette
partie de l'Iile entrèrent dans les fer.iimtns de Lur Souverain; & voyant
1 arJear des Callil'ui; pour l'or, ils leur appnrtèrent tout ce qu'ils avoient
de cepiéeieux mL.al. A la veriré leur pailion n'étoit pas m>'ins ardente
pour Ls ba^;arelles qu'ils reeevoietu en echani^e, mais lin*- tout pour ks
fonnettes. ils approehoiint t-omme à l'envi de la Caravelle, eu levant (ks
lames d'or fur leur te:e. Ils paroilloijnt craindre que leurs olVres ne fuf-
fent rLfufé.s. Vn d'entr'eux, qui en tenoit à !a main un morceau du poids
d'un demi -mare. e..nùit l'autre main puur reca'oir une fonnctte, donna
fon or, & fe mie a fuir de toutes fes forces, dans la crainte appirem-
nvnt que le Callil'an ne fe crût trompe ((t).
Des marques li conllanies de fimplieiie èv d'nmitié, joint à l'efpoir de
parvenir fans viulcnce à découvrir la fcurce de tant ilj ricli JTes, firent
naïrrc à fAmiral le deffein île former un Ktabllilémeut ilans les Terres de
(îuicar.nii;ari. S.s ;!;.'ns ajinlauJiren: à ceîte ouverture, eS: jugèrent que
Dieu n'avoit permis li p.rte âj fi)n iUriment que pour le comiulrc par de-
grés à la !culerefo!urion ijui pût aiiurer le finit de lés travaux (A). C'aoit
le feul moyen ci'ae.|Uerir une parfiite connoillance du ravs,& d'en appren-
dre la Lan.!;uc. Il n'e:oit quellion (jae île fiire goii'.-r ce deiîein au Roi.
I/A;niral s\iLtucl!a p'us que jamais à .>';.igner l\i confiance, par des carelTes
îk ÙL-s prvfcns. Mais comme H n'et'-.t pas moins néceflaire de lui inf,)irer
du refp.ft,^ il lit faire qu-lj , décharges de fon Ardllerie. La foudre,
ddc.ndiie lûr h s IniliLiires , i:ur auroit pas caule plus de fraveur. Ils
tomboienr a ti rre , en le cu.ivrant ia tête de Lurs nuins. C'.uaeinagiri
n'éiaîU piànt ex.'npt j' et elTroi , l'Amiral le haca de le ralTurer. AveC
es ariv.es, lei dit il , je vjus rendrai victorieux de teus vos Ennemis {i);
( r^ lî^rrcr.i , p'ilirt r.vcc itlnir.itio-i de
<:(\.U' f:.i itvi lies liiiiir;'..; ;i donner ci- qu'ils
avo!L':it dj plus prt;ci'.i,\, fia ur.c re';ic<'')n
(nt llng'.iîicrc II leiiilhc, dit il, que Di a
\oul:r,t tiiirc co.iii-.ic'KX'r \:\t cette Iilo !a
?iv>icitio'i du Chrl'l'inifinc:, iV voyant ij'te
les iv.irojûens n'étoient jvis cirribles d i .ire-
)'rcnd-e un tn\:ui (1 peii'i ;Io l;ins iVlV--r:-co
d'rueun |,:i;n, le foit cunîjit comme u;i l'è-
re qui pai;r_ v..:\wr iinj ililc ù-it lii.ic, fup
r'ec H ce' défaut jv.i- une An foii avanti;i.a
i i 1 C
Cil le Ui'.ine ili'.'eiri'.n rui r.ur ;a-
cSc
trnu..' cctt.' i.lce: mu.; quelfiucs • uns on:
inèmc ioufçoirié l'Auiir 1 d'avoir conecr'.c
Uin n:uifia,;j ;i\ee (:=. l'ilot;.s, p. ur avoir,
:;ux j'LiK de Cniacana^nn , u i prétexte ;\ lai:-
r r dan> lllle ii.ic iiaitied.- ùs .:.•».;. 0;iVi/.%
{i) Ces r.r.î'jmis. dont il hldnt louvc;:
i-k-^ pianccs, i^c rju'il no;nino;t driibcf, i'
tt'iL'.t d.s Flahifii); de pliiliours lllos vtiH
lies . .iv^c !cr,(ue!s il éiuit fui's Ci iFe en j.'acr-
re . k quM ttpv.'tinti'it conv.nc lis p'i.;
crui;!; i!c tous les liotDr.u-s. l'ieirt iM„ityr
en ta t ici uncaiVn'ufe i>u!uurc. {iJccad. U. .
1- ;.
'1:
m^"
s
Tiiral ; Ot
du moins
ouvcatix
jtîVir ton-
V les clti-
irai, il L-
'loricns,
lui pic-
<ie cette
■ voyant
avoicnc
arJcntLj
pour les
\Mllt (I.S
j ne ful-
u poids
cicrina
ippirciu-
fpoir de
>, iii\nc
'erres de
rent que
I par de-
. Ce toit
appren-
au Koj.
carelTes
ii)r,)irer
fou. Ire,
.'ur. Ils
em.igiri
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mis(^/);
Ce
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concerte
ur avoir,
jxt. ;\ 1.1 ;.-
i. Ojiid:,
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r.iïucs , c-
lles Vi.!]
'(-• en <^ucï-
Il V p'l,5
rc ,M;,r;yr
kcaii. l.t. .
EN A M E R 1 Q U E, L i v. 1. 25
4^ pour le pcrfuader par des effets, il fit tirer un coup contre le Navire
.^clîoué. Le boulet, ayant percé le Navire, alla tomber dans la Mer. Ce
.■/pe6lacle caufa tant d'ctonnement au Roi, qu'il s'en retourna chez lui dans
une rêverie profonde, & perfuadé que ces Etrangers étoient les Enfans du
«l'onnerre.
Dans cette difpofition, il leur accorda volontiers la liberté de bâtir un
Fort , qui futcompofé, en dix jours, des débris du Vailleau , & dans le-
quel on mit quelques pièces de canon. H reçut le nom de la h'avidail^
Îjarce que c'étoit le jour de Noël qu'on étoic arrivé dans ce Porc. Un fof-
é alFez profond, dont il fut environné, & la feule vue de l'Artillerie,
►parut fuflire pour tenir en relpeèl des gens nuds, & déjà fubjugués par la
.crainte. Pendant ce travail, l'Amiral defcendoit chaque jour à terre,
;OÙ il paiToic toutes les nuits. Guaeanagari prit cette ocealîon pour le fur-
prendre par divers honneurs, auxquels il ne s'attendoit point. Un jour,
en defcendant de fa Chaloupe, il rencontra un des Frères de ce Prince,
qui le conduifit par la main dans une Maifon fort ornée , où le Roi vint le
trouver aullitot & lui mit au cou une lame d'or. Un autre jour, cinq
Caciques , fujets tlu Roi, l'étant venu voir avec des couronnes d'or fur la
tête, ce Prince o!)ferva le moment où l'Amiral defcendoit au rivage, pour
fe prefenter avec les V'aHaux , la tête couverte aulîi d'une couronne; &
l'ayant conduit dans le même lieu, il le fit aireoir avec beaucoup de véné-
ration, vNl lui mit fa couronne fur la tête. L'Amiral portoit un collier de
grains fort menus. 11 fe l'ota fur le champ , pour le mettre.au cou de Gua-
eanagari; il fe dépouilla d'un fort bel habit qu'il avoit ce jour -là, & l'en
couvrit de i'us propres mains; il fe fit apporter des bottines rouges, qu'il
lui fit chaufler; enlin, il lui mit au doigt un anneau d'argent. Cette céré-
monie fut comme un nouveau Traité , qui parut augmenter l'afteftion des
Infulaires pour les Callillans. Deux Caciques accompagnèrent l'Amiral juf-
Gu'à fa Chaloupe, & lui préfentèrent, en le quittant, chacun leur lame
a''or. Ces lames n'étoient pas fondues; elles etoient compofées de plu-
fieurs grains. Les Indiens, n'ayant pas l'induflrie de les mettre en œuvre,
prenoient les parties d'or, telles qu'ils les tiroient des IMines, (Î!c n'emplo-
yoient que des pierres j)our les allonger (v).
. Dans cet intervalle, les Infulaires avertirent l'Amiral, qu'ils avoient dé-
couvert un Navire, cjui rodoit à l'Ell , autour de la Côte. 11 ne douta
point que ce ne fût la Viiita ^ dont la dcfertion lui caufoit beaucoup plus
de chagrin, depuis la perte de fa Caravelle. Il dépêcha une Chaloupe,
avec ordre de la chercher; mais il remit à l'Oflicier, qu'il chargea de ce
foin, une Lettre pour Alfunfe Pinçon, par laquelle, dilîimulanc fon ref-
feu-
CiiRisTorna
Coi.OMrt.
1-492.
îl bdtit Ml»
Furt.
l.); nn\> comme les Caflillans nVn rappor-
tèrent, dans ce Voyai^c, (juc des informa-
tions Fort ohicures , telles (jifils noiivoient
les recevoir par lie-, 'i.;;nes , il n'dt pas tems
de s'arrêter à ces ilcfcriptions.
(A' ) ilerrera, Chap. 19. 11 ajoute que
l'Amiral ne juriloit pas l'occalion de s'infor-
mer d'où vendit tant d'or, «ic mi'U caivoit
les noms tics lieux qu'on lui nommoit, matv
avec beaucoup de confufion, parceqa'il n'en-
tendoit pas la langue. 11 y a fan;> doute un
peu d'exagération dans cette (luantité de la-
mes , de"lin,L;ots cS: de couronnes, l'icrrp
Martyr dit limplemcnt que les Callillans troU'
vèrcnt une certaine quanÙLc d'or, aiiqu» co-
pia.
D
Abon dance
d'or (lu'ii re-
çoit de Gua-
canai^iri & ds
Ici CjC!iiUi.j,
C; qu'il doîi
ne Cil rctui.r.
Alfonfe Piii-
V)n veut por-
ter en Efpa-
;^iiela prcuv.c-
!c nouvelie
dos découvcc-
I
mbA'
.*
''■-^'■..
26
PREMIERS VOYAGES
CriRTSTOPHE
COLOMD.
i 4 9*2.
Colomb fe
hâte pour le
prc venir.
Garniloniju'il
lui lie i.hni luii
Fore.
• Daii'^ quel-
rs dirpol'
lions i
KulFc
49-
ô'
Son retour
Caaille.
fcntiment, il Vexhortoit à rejoindre fon Chef. La Chaloupe fit inutile-
ment plus de vingt lieues. On ne douta plus que Pinçon n'eût fait voi-
le en Efpagne, pour y porter la première nouvelle des découvertes, &
pour s'en attribuer peut - être toute la gloire. Ce Ibupçon détermina l'A-
miral à prellcr fon départ , & lui fit remettre à d'autres tcms la vifitc des
Mines. , , .^ r.
Il aflembia tous fes gens, entre lefquels il choifit trente -neuf hommes,
des plus forts & des plus réfolus. Il leur donna, pour Commandant, un
Gentilhomme de Cordoue, nommé Diego d'/Iratia, qu'il revêtit d'un pou-
voir abfolu, tel qu'il l'avoit reçu lui-même de Leurs Majcllcs Catholiques.
Il nomma Pedro Guttienz & Rodrigue iïEJ'cobedo , pour le remplacer fuc-
ceflivement, fi la mort, ou quelque autre accident, l'enlcvoit à la Colonie.
Un Cordonnier, un Tailleur d'habits, & un Charpentier, furent les feuls
Ouvriers qu'il crut néceflaires , dans un Etablifllment où tout autre An
étoit inutile. Mais il y laifla tout ce qu'il put fe retrancher de vin , de
bifcuit , & d'autres provifions , avec diverfes fortes de grains pour femer,
& quantité d^ marchandifes , qui dévoient fervir à l'entretien du Commer-
ce avec les Infulaires. Comme l'engagement de ceux qu'il avoit choifis
étoit volontaire, il n'eut à leur reprelcnter que l'importance dont il étoit
pour eux & pour leur Patrie, de vivre dans l'union, de ménager les Infu-
laires, & d'apprendre la Langue de ces Peuples. Les provifions, qu'il
leur laiflbit dans le Fort , fuffifoient pour une année ; & fon abfence ne de-
voit pas durer fi long tems. Il ne lui refloit qu'à prendre congé de Gua-
canagari. Cette entrevue fut célébrée par de nouveaux témoignages d'ef-
time & de confiance. Les préfens ne furent point épargnés , ik l'Amiral
promit d'en apporter bien -tôt de plus riches, de la part du grand Roi
qu'il ne faifoit que repréfenter. En recommandant fes Gens à Guacanaga-
ri, il l'afFura qu'il leur avoit ordonné de le fervir contre les Caraïbes, &
que ces machines terribles, qu'il leur laiffoit pour fa defenfe, étoient ca-
pables feules de le délivrer de tous {qs Ennemis. Ce Prince s'engagea fo-
lemnellement à traiter les Chrétiens comme fes Enfans , & pour gage
de ^cs promeffes , non - feulement il conlentit que plufieurs de \^qs Sujets
fiffent le Voyage de l'Europe, mais il confia un de fcs Parens à l'Amiral.
L'Ancre fut levée, le 4 de Janvier. On prit d'abord la route de l'Efl,
dans le deflein de reconnoître toute la Côte de l'ille. Après avoir double
le premier Cap, que l'Amiral avoit nommé Pmta Santa, & qui cil aujour-
d'hui le Cap François y on apperçut une Montagne, fort haute & fans ar-
bres, qui en eft à dix-huit lieues, & qui reçut le nom de Morne- Chrtjlu(i).
Un grand Fleuve, qui fort à côté de ce Mont, reçut celui de Rio del Oro,
parce qu'on y trouva quelques pailles d'or dans le î'able. A cette vue, l'A-
miral fe perfuada plus que jamais que l'ille Efpagnole étoit le véritable
d") Ulliaorien de Saint-Domingue re- c(l à troi^ lieues nu vent de la Granire , au
marque que nus Cartes Françoifes lui ont tre Montagne ainli nommée, pu 1 ce \uie a
f,?ùw-'"f, "'""'""• '^ 'l"i"/"^'"x qui croyent h Mer 011 h prendroit tu câel pour uu?
t)uc Luli te que nus Marins nummeiit /.» dranue.
Crante , fyni dans Vurcur. Moaie-ChiUly
o
Cipango
nés de C
erreur (
Le E
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4ont il
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12, il
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3ui étoi
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ivertcs, èi
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f hommes,
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atholiqucs,
placer fuc-
la Colonie,
it les feuls
autre An
e vin , de
)ur femcr,
1 CommcT-
oit choifij
nt il etoit
r les In lu-
Dns , qu'il
ice ne de-
t' de Gua-
lagcs d'ef.
i- l'Amiral
;rand Roi
uacanaga-
■aïbes, &
coicnt ca-
gagca fo-
our gage
fes Sujets
Amiral.
del'Ed,
ir double-
Il aujour-
. fans ar-
hnjlu{i).
1 (iel Uro,
l'île, l'A-
véritable
Ci-
range, au
ce (juc Ce
pour ua?
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
27
Cipango; & s'il s'étoit cru , dit Ilerrera , aufli proche qu'il n'étoit des Mi-
nés de Cibao , d'où l'on tira tant de richcffes, il fe feroit confirmé dans fon
erreur (m).
Le Dimanche 6, en fortant de Rio dcl Oro, il découvrit la Pinta, qui
faifoit voile avec le même vent. Pinçon, l'ayant aborde, rejetta la lon-
gueur de fon abfence fur le mauvais tems. La faulfeté de cette excufe
n'empêcha point l'Amiral de recevoir fes foumiflîons (n). 11 raconta qu'é-
tant allé de Port en Port, il avoit trocjué fcs marchandifes pour de l'or,
dont il avoit pris la moitié pour lui 6c diftribué l'autre à fon Equipage.
L'Amiral ferma les yeux fur cette nouvelle témérité ; & les deux Caravel-
les arrivèrent enfemble près d'un Cap, qui fut nommé Piwta Roxa (0),
trente lieues à l'Efl de Alonte - Chrifto. De-là elles fe rendirent dans un
Port, où Pinçon avoit fait fes échanges , & d'où il avoit enlevé quatre In-
diens, que l'Amiral l'obligea de remettre au rivage. De-là peut-être le
nom de Puerto de Gratta , qui fut donné à ce Port ; quoiqu'on ait publié ,
dans la fuite , que ce fut en mémoire de l'amniftie qui fût accordée à
Pinçon.
En remettant à la voile, on découvrit une haute Montagne, dont le
fommct parue couvert de -cige, ou comme argenté; ce qui lui fit donner
le nom de Monte de Pîata. Un Port , qui efl: au pied, de la forme d'un fer
à cheval, reçut celui de Puerto de Plata (p). L'Amiral, continuant de
ranger la Côte , rencontra plufieurs autres Caps , auxquels il donna des
noms qu'IIcrrcra nous a confervés, fans expliquer leur fituation {q). Le
12, il fit trente lieues, avec beaucoup d'étonnement de trouver l'Ifle fi
grande. Là, fe trouvant vis-à-vis d'une grande Baye, formée par une
Prefqu'ino,que leslnfulaires nommoient Samana^ & qui porte encore au-
jourd'nui le même nom, il entreprit de la faire vifiter. Quelques Mate-
lots, qu'il envoya dans une Chaloupe, obfervèrent, fur le rivage, un
grand nombre de Sauvages , armés d'arcs & de tléchcs. Ce fpe6lacle ,
aui écoic jufqu'alors fans exemple pour les Callillans, ne les empêcha point
'aborder. Ils furent (i bien reçus, qu'après avoir donné des bagatelles
en échange pour quelques armes des Indiens, ils en engagèrent un à les
accompagner jufqu'à Bord. L'Amiral lui fit diverfes queliions fur les Mi-
nes d'or o: fur les Caraïbes, auxquelles il fatisfit avec beaucoup d'intelli-
gence. Lorfqu'il eut été renvoyé, avec quelques préfens, les Matelots,
qui le conduifoicnt, furent furpris , en defcendant a terre, de fe voir en-
vironnés d'une Troupe de Sauvages armes, qui 5'étoient tenus cachés der-
riè-
CHRT<;Tfli»rif
Colomb.
149 3-
Alfonfe Pin.
çon rcparoit
mal.
Punta Roxa.
Puerto de
Gratia.
(m) IIcruTH, TAv. 2. Cbap. t.
(«) Ovicd ) prctciul iiuc ce fuc la crainte
dètri; .irrcto, pour avoir cundamnô le dcf-
fcin de l:iiircr Uarnifon dans l'ide, qu'Altbii-
fc Pinçon avoit pris la fuite. Ujap. VI.
(0) L'Amiral vit , dans ce lieu, trois Sini-
ties, qu'il ne trouva pas fi belles que les
Poètes les refirùfentent. Ilerrera, ibidem.
(p) Les l'"ran(;ois l'ont noinuîé- , par cor-
lUption, PtrtoljlMii.
'4
(î") Les noms font, del Angel , la Tunt*
dd Vcrro, El Rcdondo . FA Frances , El Ct-
ho de buen Tiempo , El Tajado , El Cabo de
Fadre y bijo , Puerto facro , & l s Enamora'
dos. On prétend , fuivanc lliidorien de
Saint-Domingue, que celui qu'on apuelle
aujourd'hui le Fiettx Cap , tS; qui cft a 55
lieues du Cap François, cft celui qui fut
nuiuiué aloij C(èb9 Francei,
D »
Monte de
Plata & Puer-
to de Plata.
Prcsqu'Ifle
de Samanit.
0»f
38
PREMIERS VOYAGES
ClIRISTOniE
COLOMII.
1493-
Trcmicr f.ing
i|ue les VA'pii-
giiols font
cmilcrdans le
noiivcnu
AlonJe.
B:!ye des
Fiteheà.
Tempère
i'.irieiite, iS:
Weiix des
E'iiiip-.iges.
rière les arbres. Ils fc crurent en danger. L'Indien , qu'ils avoicnt rame-
né, s'appcrçut de leur dcfiance, & s'etforça de les ralTurer. Mais, quel-
que nouveau tumulte ayant lait renaître leurs foupçons , la crainte d'être
prévenus leur fit prendre le parti de fe fauver; &, pour fe faire redouter
de ces Uarbarcs, ils en bleflercnt deux de quelques coups de fabres. 'J oiis
les autres prirent la fuite, en jcttant leurs arcs & leurs flèches. Ce fut h
première fois que les Callilians firent couler du fang dans cette lOe. L'A-
miral en parut d'abord allligé; mais il reconnut cnluite nue ce n'étoit pas
un mal, d'avoir appris aux Infulaires que les Cafliilans favoient faire ufagc
de leurs armes (; ;, fur-tout lorfquc, le jour fuivant, on eut fait la paix avec
le Cacique du Canton, qui vint le faluer à J3ord, & qui lui fit prcfent d'une
couronne d'or. Cet événement fit donner, à la Baye, le nom de B,iye des
Flèches f qu'elle n'a pas conlervé.
Cependant l'ennui d'une fi longue navigation, autant que le mauvais
état des Caravelles, qui faifoient beaucoup d'eau, déterminèrent l'Amiral
à prendre direclement la route de l'Europe. Les voiles furent tournées au
Nord-Ell, le 1 6 de Janvier ; ei: l'on découvrit piufieurs petites Illes, que
perfonne ne fut tenté de reconnoître. La navigation fut heureufe julqu'au
Mardi, 12 de Février (j) ,qu()iqu'ane/. incertaine, parla variété des oblèr-
vations & du jugement des Pilotes. Mais, après avoir fait environ cinq
cens lieues, les deux Caravelles elluyèrcnt une li furieufe tempère, que le
naufrage parut inévitable (t). Un lit diverfes furtes de Vœux, pour obte-
nir
(■ f , Hjrrcra, ;.'. ;./;•'«
(s] Ce;'! IleiTLi-p. i;ui niirque cctt d::ttc.
D'autres la !nettet)t (jiicKjiic.^ jours plus tard.
Ail vérité, Jlerrcra donne la (iemie pour
C(.lle du premier jour de la tempête.
(c ) Le uieiiie llillorien l'a déerite fort au
long; mai- on en wrra plus \o!ontii.rs quel
quLS circonùanci-s dans une troilicme Lettre
de Chriftojijic Colomb au Roi d'Krpagnc.
,, J aurj.'s (buflert mon mnllieur avee plus de
,, fatJLncc, (îj'avois étéf.ul en danger. J\i-
,, vois vi'i n fouvcnt la n^ort de prés, que
„ je ne l'aurois pas .ipprehcnd.ee; mais ma
,, douleur etoit de voir périr tant de gens,
)i que Vôtre Majefté m"avo;t confiés pour
„ mon cntreprife. D'ailleurs, j'étuis dele.s-
„ pcré de ne pas porter moi-même, à Vôtre
„ IVIajeri.é,ia nouvelle de mes découvcrit.-) ,
„ pour taire connoître, à ceux qui s'étoient
„ oppofes à mes delfeins , que j'avois \\u les
„ exécuter. Je [tcnfois aulîi à mes deux
„ Fils, qui font à Cordoue. Leur jeunelle
,, m'atlligeoit. Je me rcprefentois l'état mal-
„ heureux où ils pcavoicnt tomber après ma
„ mort, abandonnés de tout le monde, &
» peut -être oubliés de Vôtre Majelié, qui
» n'aiiroit j-imais f\-u le fervice que j'avois
„ eu le bonheur de lui rendre. 11 y avoit
„ des momens , où je eroyois que pour le
„ chaïunent de- mes p.ichés , la jullicc de
„ Dieu ne voulo.'t p.ns me laiiTer j-ii'ir de ma
,, i;loire. Cvpen.lant je ne pou\ ois me per-
,, fuadcr que nus découvertes ne vinlUrt
,, quelque jour à vôtre connoiiîar.ce ; t\,pour
„ \ou- en informer u;oi -n'.êiiH- , j'avois (.••
„ crit, i^r.dai'.t la t^nqiête, iiu.hjues lij^ne?
„ fur un parchemin , avec le nom des 'l'er
„ res <îue j'avois acquifes à vôtre Couronne,
„ la route qu'il fallu. t tenir pour y aller, i<.
,, le t:ir.- que j'avois enijiloye à mon \\>: ■
„ ge. J infirmois N'ôtre Majellé des couiu-
„ nus des ilabitans, de I.i fertilité du Pay.,
M &. de la Colonie que j'y avois lailVee jioiii
„ voih en cunferver la polRllion. J avols
I, Icniic le par«.l,i.inin de mon eaelxt. le
„ l'avois enveloppe d'une toile cirée, pii'i
,, dans de la cire, & je j'avois mis dans u;)
„ baril bien bouché, avec une inferiinion à
Vôtre Majel':é. Je l'.ivois jette dans i:
Mer, dans l'efpérance (jue (i nous avio; i
IKTi tous dans les f.ot>, quelque Navi;.-
tcur,(iuir.uiruit trouvé, vuu-. l'eut portét'i
Kfpa,:;ne. 15ien |i!us , craij;nant (juc la
tenqête ne poulI.\t le baril trop loin , j.i-
M)!sniis, daiH un .uitre, «pie je gar.'.i' .
.i Hord, un fécond parcb.enun , tel tjue 'j
» premier, aCiii (lu'aj^re^ nôtre naufra;;e , l'i r.
„^des deux mit être rendu à Vôtre Ma;e!lé ',
ne de fLiillciiiv folfjmb , C/.i/i. 36. On 1
reproché, à r.tVuiiral-, d avoir ici manqué .' •
paru,
>>
>i
»i
*•
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H
»•
»1
M
ent rame-
ais, quel-
ntc d'étrc
redoiucr
PS. 'J'oiis
Ce fut la
le. L'A.
t'etoit pas
il ire iifagc
paix avec
cnt criine
c B.iyc des
mauvais
: l'Amiral
urnccs ;ui
Hcs, que
: ju (qu'au
es oblcr-
iron cinq
■, que le
our obte-
nir
jtiuïr de 111,1
ois nio p'vT-
no vinlRnt
ce ; 6i pour
, j'.ivuis (.•
i]ues li^,;iK^
m lies Ter
Couronne,
y aller, Ci
mon \'uy.-
des coutil-
te ihi I':iys,
lailVce jiuui
m, J avilis
caeliet. jj
circ^-, puii
nis ilans ii;i
nferiiuion :i
ué dans i:
,ous avior.i
jiie Navi ; -
Liit porté in
aiic <iue ii
)p loin, ju-
je gardij.s
tel que 'o
iit"ra;;e , l'i n
•: Majelic '.
3(3. On 1
manqué .' •
EN A M E R I Q U E, Li v. I.
29
nir la protc6lion du Ciel (u). Enfin l'Amiral, croyant toucher au dernier Curi^jtophk
moment de fa vie, àc s'alîligcant moins d'un malheur, dont il ne pouvoit i^^g^'
fe garantir, que de la perte de fes Mémoires, qui alloit rendre Ton Voyage j .J^^.^^'^
inutile à ri':rpagne, prit le parti de les réduire en peu de lignes fur un par- j^,^^;^^ f^.^-^,^^,
chemin, qu'il enferma foigneufement dans un baril; &, fans communiquer moires dans
fon ieeret à fes gens, il jetta le baril dans les Ilots.' Ils s'imaginèrent que l'-s îlots, avec
c'étoit quelque nouvelle reflburcc de Religion (x); & le vent s'étant ap- ^1^'s pi'ccau-
mile tout d'un coup , 1 lerrera fiiit entendre qu'ils attribuèrent cet heureux
changement à la piété de l'vXmiral. Cependant l'autre Caravelle uvoit dif-
tions puur Ic;i
fiiuver.
paru,
dès
le c
ommencemont de la tempête; &. n'étant point ramenée par
îc beau tems, on ne douta point qu'elle n'eût péri. Le 15, on apperçut !a
terre à l'ElVNord-Efl: , mais fans aucun ligne qui pilt aider ù la reeonnol-
tre. Les uns la prcnoient pour l'Ille de Madère, & d'autres pour la Roche
èc Cintra, qui cil proche de Lisbonne. Colomb feul jugea, par fes obfer-
vations, que c'étoit une des A(;orcs(}'), qu'on reconnut bientôt, en efl'et,
pour Sainte-Marie.
Il aborda, le 18, au Nord de cette lOe. Dom Juan de CaJlamJa ,f\\.û. jiarrivcà
y commandoit pour le Portugal, l'envoya complimenter aulll. tôt, Oi: lui fit Sainte Mmie
t)orter quelques rafraîchillemens. Cette politcllc lui infpira tant de con- '•''- ^'^ ';"''■'•
îlance, que ne penfant qu'à rendre grâces au Ciel, par l'exécution du Vœu
public, il fit defcendre le lendemain une partie de les gens, pour fe rendre
en proceflion dans une Chapelle voifine, où il fe propolbit d'aller lui-même
le jour d'après, avec le refle de l'Equipage. Les Cadiilans éto.icnt non-
feulement fans armes, mais nuds en chemife, fuivant la promelTe qu'ils
iivoient faite au Ciel. A peine eurent-ils perdu de vue le rivage, qu'une
Troupe de Portugais fondit fur eux & les fit prilbnniers. L'Amiral, fur-
pris de ne pas les revoir à la fin du jour, fit avancer fon VailTeau vers une
Poin-
prudeiiec; car les hr>rils pouvoiein tomber
en toute autre main (jue celle d'un l'^lpa.i^nol ,
& fes lumières auroient tourné au protU de
quelque autre Cuur.
(c) llerrera lesexjlique. ,, L'Amiral , dit-
„ il, ne fâchant plus;! quoi le refondre, or-
,, donna que l'on tirùt au fort, pourfaireun
,, Pèlerinage à Ni')tre-Dame de Guadaloupe,
c'^ (]ue Li'lui , fil» e,ui le fort to;ii')eroit, y
porteroir un C,'lor;;e du poids de cin(i li-
vres; c'eft un dL\uir des Mariniers, lorf-
qu'ils font en grand péril, éc Dieu les
exauce fouvent. Le fort tomba fur l'yXmi-
lal , qui promit auditôt de l'accomplir. On
tira une autre fois, pour aller à Nôtre-
D.une de Lorette, lieu tiès-fain. dans la
M.irche d'Ancon,-, ii le fort étant échu à
Pierre Ac rHl: , Marinier, l'Aminl lui
promit de fournir à la d.^penfe. Comme
„ Il Teiiii été ne laiti'oit pas de continuer,
,, o;i lit ei.eore un autre Vteu , qr.i fut d'al-
„ 1er veiller une nuit dans Sainte-Claire de
„ iVlogues, & d'y faire duc une ^kilc. Le
„ fort tomba pour la fc ;o idc fois fur l'Ami-
,, rai.. Enfin, voyant que le tems ne chaii-
„ f^coit point, ils firent vœu tous cnfemble
,, de fortir en chemife à la pre:iiicre terre où
„ ils arriveroient, &. d'aller en procelFion
„ dans une Eglife dédiée à la Sainte 'Vierge.
„ Mais, malgré tout cela, le mauvais tems
,, ne difcontinuoit point. ' iibifup.Cbap. x.
(x) Ibidem.
(>') C'ell llerrera, qu'on fuit. Cependant
l'Amiral même ne s'attribue point tan de lu-
mières , dans un fraf^ment de Lettre cité par
{on Kils. ,, Le Samedi 16 de Février, i'arri-
,, vai la nuit à uni" de ces llles; mais le tems
„ étoit fi obleur, que je ne pus l'avoir où j'é-
„ toi>i. Je dormis un peu , parce (ju'il y avoit
„ trois jours que je n'avois repofé. En m'é-
„ veillant, je me fentis les jambes comme
,, perclues, par la i^rande fati;;ue (Se l'humi-
,, dite de l'air. Les vivres nous avoient
„ prelo,ue manqué. J'appris, le Lundi fui-
,, V aiu , <iue nous étions à TlHe Sainte-Marie.
,, une des Açores". riv du Culon;b,Ci'j3p.2"-
^ 3
"Vf».,.
se
PREMIERS VOYAGES
I
COLOMt».
149 3-
Les CiRil-
lans y font
nialtraiti-^s.
Fermetiî de
Colomb à ré-
roiilFer l'in-
fuite.
Comment
©Il te récon-
cilie.
Nouvelle
Tempôte , &
Vœux renou-
velles.
la lîarquc, apparemment pour le venir attaquer. Il fc mit aulli-tôt fous les
armes, dans la rclblution néanmoins de ne pas commencer les hoflilités.
Les Portugais, s'étant avancés à la portée de la voix, demandèrent un 11-
gnc de Alrcté. Il ne balança point à le donner: mais voyant qu'ils ne s'en
tenoient pas moins éloignés, il leur dit qu'il avoit quelque étonnement de
ne voir aucun de Tes gens dans la Barque; qu'il ne s'ctoic pas imaginé qu'on
ne l'eût fait faluer que pour le trahir; au'il avoit l'honneur d'être Amiral de
l'Océan, & Viceroi des Indes pour l'Eipagne, & qu'il étoit prêt à montrer
Tes Provifions. Un Officier Portugais lui repondit qu'on ne connoilToitjdans
l'ille, ni le Roi d'Efpagne, ni les Lettres, & qu'il fcroit traité comme ll-s
gens, s'il avoit l'audace d'entrer dans le Port. Vn langage li oftcnçant fit
clouter, à l'Amiral, fi depuis Ton départ les deux Couronnes n'avoient pas
rompu la paix. Il prit tous Tes gens à témoin de ce qu ils avoient enten-
du; & s'armant de fierté à Ton tour, il jura qu'il ne partiroit point fans une
vengeance éclatante. Le tems devint fi mauvais, qu'après avoir perdu
quelques ancres, il fut contraint de chercher un abri dans rifle de Sahit-
Michel: mais l'orage, qui continua toute la nuit, ne lui ayant pas permis
d'y aborder, il revint le jour fuivant à Sainte-Marie, dans la rcTolution d'at-
taquer cette llle, Ck d'employer toutes fes forces pour tirer vengeance des
Portugais. Pendant qu'il le difpofoit à cette entreprifi.*, un Oflicier de l'Illc
& deux Prêtres, avec cinq Matelots, s'approchèrent de ja Caravelle dans
une Barque, & demandèrent la permiirion de monter à Bord. Ils venoicnt ,
dirent-ils, de la part de leur Commandant, pour s'informer s'il étoit vrai
que le Vaifil-au portât un Amiral d'Efpagne; avec ordre, dans cette fuppo-
fition, de lui rendre tous les honneurs qui étoient dûs à fa dignité. I/A-
mirai feignit de croire ce compliment fincère, & leur montra non feule-
ment fes Provifions, mais les Lettres du Roi fon Maître, qui le recomman-
doient à toutes les Puiffances du Monde. Alors , on lui rendit fa Barque
& fes gens, avec des excufes dont il affedlade paroitre fatisfait. Mais il
apprit, des Prifonniers qu'on lui ramena, que tous les Sujets du Roi de
Portugal avoient ordre de l'arrêter , dans quelque lieu du Monde qu'il pût
tomber entre leurs mains, & qu'il n'auroit pas évité cette difgrace, s'il
étoit defcendu avec la première partie de fes gens, comme les Portugais fe
l'étoient pcrfuadé (z).
Le tems étant devenu favorable à la navigation, il fit prendre la route
de l'Eft, qu'il fuivit heureufement jufqu'au fécond jour de Mars. Vn oifeau
fort gros, qu'il prit pour un Aigle, à qui vint fe percher fur un mù:, fut
comme l'avant-coureur d'une féconde Tempête, aulli terrible que la premiè-
re. Elle fit recommencer les Vœux tîour un Pèlerinage; & l'I iillorien ob-
ferve avec admiration , que le Ciel fit tomber encore une fois le fort fur
l'Amiral (a). On s'abandonna aux vents, pendant deux jours, fans règle
&
1 ^r?-\S*^ ^^^ '"' ^^^ J^Ser, dit Herrera, que shumiliàt au milieu des faveurs qu'i
le Ciel l uccompagnoit toujours , aûn qu'il reçues. ( 4 ) Ibidm.
il caaYolC
)É0
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
8«
^rqiu;; mais
grand nom-
trcrcnt dans
•tôt fous les
;s hoftilitcs.
Icrcnt un 11.
iu'ils ne s'en
inemcnc de
aginc qu'on
e Amiral de
ta montfLr
îilToit.dans
comme les
lilcnçant fit
i voient pas
ient enten-
nt fans une
voir perdu
w de Stiifit-
pas permis
lution d'at-
;cancc des
icr de riile
ivclle dans
ven oient,
étoit vrai
tte fuppn-
itc. i;a-
nonfeule-
ecomman-
Harque
fa
Mais il
Roi de
qu'il pù:
race, s'il
Ttugais le
u
la route
Jn oifeau
ma:, fut
a iireniiè-
orien ob-
.' fort fur
ans règle
l'il cntToIC
f
II
êi fans efjîcrancc. Enfin , le 4 , après avoir vu la Terre de près , dans une
nuit fort ohfcure, on reconnut, à la pointe du jour, la Roche de Cin-
tra; & quoique le vent parue bon pour s'avancer vers l'Efpagne, la Mer
continuoit d'être fi grofle, qu'on fe crut obligé d'entrer dans la Rivière de
Lisbonne. . . ,, ,
Le Roi de Portugal fe trouvoit alors a Valparaifo. L'Amiral , après avoir
commencé par dépécher un Courier à la Cour d'Efpagne, écrivit à ce Prin-
ce, pour lui demander la permilîjon de mouiller dans le Port de fa Capita-
le; avec la précaution de f avertir qu'il ne venoit pas de Guinée, mais des
Indes. Cette déclaration n'empêcha point que fon Vaifleau ne fut vifité
aar un Officier Portugais, qui lui fignifia l'ordre de defcendre à terre avec
:ui , pour rendre compte de fon Voyage au Commandant du Port. Il ré-
;)ondit qu'il étoit Amiral d'Efpagne , & que cette qualité le difpenfoit
d'une ioumiflion que fes pareils n avoient jamais rendue. On lui propofa
d'y en\oyer du moins fon Pilote, ce qu'il ne refufa pas avec moins de
fermeté: mii's il conlentit à montrer fes Lettres; & lOiïicier n'eue pas
plutôt fait \}V: rapport, que le Capitaine (b) d'un Gallion, qui attendoit
cet éciairch.'wment, s'approeha de la Caravelle, au bruit des timbales &
des trompettes, & vint lui ofirir à Bord toutes fortes de fecours & de
rafraîchi llemens.
Le bruit de fon arrivée s'étant répandu dans Lisbonne, tous les liabi-
tans s'cmprellerent de venir admirer des Hommes qui avoient découvert
un nouveau Monde, & la Rivière fut bien-tôt couverte de Barques. L'A-
miral reçut , le lendemain , une Lettre du Roi de Portugal , qui l'invitoit à fe
rendre à fa Cour, avec parole de lui faire un accueil diftingué, & qui lui
confeilloit de prendre d'abord quelques jours de repos à Sacaben. L'ordre
étoit déjà donné de fournir gratuitement à tous i'cs befoins. 11 ne fit pas
difficulté de fe fier aux promeffes d'un Monarque, Ami de fes Maîtres ;&
dés le jour fuivant, il fe rendit à Valparaifo. Tous les Seigneurs de la
Cour vinrent au-devant de lui, & l'accompagnèrent jufqu'au Palais. Le
Roi le reçut avec beaucoup d'honneurs, le fit aiïeoir Ck couvrir devant
lui , & prit long-tems plailir à lui entendre raconter toutes les circonftances
de l'on Voyage. Cependant, après l'avoir félicité de fa gloire, il ajouta ,
que fuivanc les Conventions entre les Couronnes de Caflille & de Portugal,
toutes les nouvelles découvertes dévoient lui appartenir. Colomb répondit
qu'il ignoroit les Traités ; mais que fuivant les ordres qu'il avoit reçus de
Leurs ivlajeflés Catholiques, il s'étoit bien gardé de palier en Guinée, ni
vers les iVlines du Portugal. „ Je fuis perluadé, lui dit agréablement le
„ Roi, que nous n'aurons pas befoin d'un tiers pour juger ce différend".
L'Audience finit avec les mêmes égards, pour un homme que l'envie même
ne voyoit pas fans admiration ; car tous les Hilloriens obfervent qu'on fen-
tit alors , en Portugal , le tort qu'on avoit eu de négliger ies offres. Le
chagrin d'en voir recueillir le fruit aux Efpagnols alla li loin, s'il en faut
croire llcrrtra, que plulîeurs Particuliers offrirent leurs bras pour le poi-
gnar-
(h) Sonnoiu, fuivant Ilcrrcra.eft Alraro Daman i 6c Alvaro i^Jama, fuivant Fcrnund
Colomb.
Christophi
Colomb.
1493»
L'Amiral
cïitrcdans h
Uivicrc de
Lisbonne.
Civilités
qu'il reçoit
la Cour vie
Turtugal.
Ses cxj'li'
cations avttw
le Roi.
On piopofir
au Iloi de 1';
faire poigna;.
dcï,
^■J*'^;,
■*t
Christophe
Colomb.
1493'
U.irrivc eu
El'lKllJIlC.
Comment
' il cil reçu.
Il trouve
Pinçon arrivé
avant lui.
Il fc rend
k Sevillc.
32
PREMIERS V C) Y A G E S
M
gnardcr & lui enlever les papiers (<:). Mais Jean H. rcjctta cette propo.
fition avec horreur. Il donna ordre, aux premiers SL-igneurs de la Cour,
de loger & de traiter l'Amiral. Il le revit deux fois, ;.vcc la même laiis-
faflion; & l'ayant comblé d'honneurs ^deprefens, il le lit conduire jul".
u\\ix Lisbonne par Dom Martin de \'orona. Colomb vit la Kcine , en paf.
Tant à Villa -Kranca, & n'en fut pas ref;u avec moins de dillincîion. A
peine fut-il entré dans la Capitale, qu'on lui otlVit, au nom du Roi, la li-
berté de faire le refle du V'oyage par Terre, avec une efcorte Ct toutes ks
commodités qu'il pouvoit délirer juîqu'à la IVoutière. II marqua beaucoup
de reconnoiliance pour cette nouvelle faveur; rnais, n'ayant pas jugé a
propos de l'accepter, il remit à la voile pour riClpagne, le 13, av^c un
vent fi favorable, que le Vendredi 15, il entra vçrs midi dans le Port dj
Palos. On remarque qu'il en étoit parti le même jour de la icmainu, iroi-
fièmc d'AoCu. Ainli, dans l'ePpace d'environ fept mois Ck demi, il avoic
achevé une entreprile, qu'il avoit peut-être regardée lui-même comme
l'ouvrage de pluiicurs années (d).
Cet heureux retour fut célébré par des tranfports de joyc;&,dansla pre-
mière furprife d'un événement ii merveilleux , on avoit peine à ne le pis
prendre pour une imagination. Sans attendre les ordres de la Cour , L-s
Boutiques furent fermées à Palos, toutes les Cloches fonnèrent, & l'Ami.
rai, en fortant de la Caravelle, reçut des honneurs qu'on n'avoit jamais
rendus qu'aux Têtes couronnées. Sa modeftie ne l'abandonna point dam
cette efpéce de triomphe. Son premier foin fut d'écrire à Lein-s Majelleà
Catholiques, & de leur envoyer une exade Relation de fon Voyage. La
Pinta^ qui avoit été féparee de lui par la tempête, avoit pris terre à Hayon-
ne; & quelques llilloriens racontent que Pinçon s'etoit rendu, par le plus
court chemin, à Barcelonne, où la Cour étoit alors , dans rdperance de
paroître le premier aux yeux du Roi, &. d'y recueillir peut-être le prix du
courage & de l'habileté d'autrui; mais que ce Prince, à qui il fit demander
Audiciice, refufa de l'écouter, & que le chagrin qu'il en eut le mit en peu
de tems au tombeau {e). D'autres ont écrit que de Hayonne, il ;il!a droit
à Palos, où il arriva le même jour que l'Amiral; <jue cette rencontre, à
laquelle il ne s'étoit pas attendu, l'alTligea d'autant plus que Colomb avoit
déjà fait des plaintes de fa défertion, & l'accuibit d avoir empêche, par
ce contre-tems, qu'il n'eût vifité les Mines cie Cibaj, d'où il pouvoic ap-
porter beaucoup d'or en Efpagne; ti que la crainte d'être arrêté le lit for-
tir fur le champ de la Ville, où il ne lailfa point de revenir après le départ
de fon Chef, mais Ii malade de fatigue & de chagrin, qu'il y mourut peu
de jours après (/).
Colomb ne différa point à partir pour Seville, avec toutes les richefles
qu'il avoit apportées du nouveau Monde, & fept Indiens qiiil avoit em-
barqués. Il lui en étoit mort un fur Mer, & deux repèrent malades à
Palos. L'impatience de le voir étant auiïi vive à la Cour, que celle qu'il
avoit
(c) 11 cft ctonnant que fon l'ils n'en dife
rien.
C d ) Ilcrrcra , ubi fuprà , Chap. 4.
( e ) Vie de Cliriflophe O)lomb, Chap. 41.
(/) Uviedo, Liv.2. Chap. 6.
les
"^^'^.rv
.s
:c prnpo.
ù Cour,
mu laiis-
Il ire juf.
.en paf.
lion. A
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l'Ami,
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ib avoit
ho, par
l'oit ap-
.' lit for-
.' départ
irui peu
•ichcHes
:)it em-
dadcs à
Ile qu'il
avoit
Chap. 41.
EN AMERIQUE, Liv. I.
33
avoit lui-même de fe préfenter à Leurs Majcfles Catholiques, il en reçut
une Lettre à Seville , avec cette infcription ; „ A Dom Chriftophe Colomb ,
„ nôtre Amiral fur l'Océan , Viccroi & Gouverneur des liles qui ont été
„ découvertes dans les Indes ". Ferdinand & Ifabelle ra/Turoicnt,.dans
les termes les plus Hatceurs, de leur alTeélion, de leur ellime & de leur
reconnoilTance; le preflbient de fe rendre auprès d'eux, & le confultoient
d'avance i'ur les ordre,» qu'ils avoicnc ù donner pour achever fon ouvra-
ge Il fit une réponfe modclle , ù laquelle il joignit un Etat des Vaif-
Jeaux, des Troupes & des Munitions, qu'il croyoit nécciraires à lés gran-
des vues.
La renommée ayant déjà publié fon retour & fa marche , lorfqu'il fortit
de Seeille, fon Voyage, jufqu'à Barcelonne, fut un véritable triomphe.
Les chemins & les campaj^nes retentirent d'acclamations. On s'empref-
foit, dans tous les lieux habités, d'aller au-devant de lui, pour contem-
pler cet Homme extraoïdinaire, qui s'étoit ouvert, par des routes incon-
nues: avant lui, l'entrée d'un nouveau Monde. Les Indiens, dont il é-
toit accompagné, les Perroquets rouges & verds, & quantité d'autres cu-
riofités, qu'il ne manquoit pas d'étakr aux yeux des Spe6lateurs, eurent
aulTi beaucoup de part à leur admiration. 11 arriva, vers le milieu d'A-
vril, à Barcelonne.
On lui fit une réception digne du fervice qu'il avoit rendu à l'Efpagne.
L'Hiflorien de Saint-Domingue s'élève audellus de la fimplicité ordinaire
de fon rtyle, pour donner un^i peinture fort noble de cette cérémonie (g)'
On n'avoit rien vu, dit-il, qui repréfentàt mieux le triomphe des anciens
Romains. Tous les Courtifans, luivis d'un Peuple innombrable, allèrent
fort loin au-dcvann de lui; & lorfqu'il eût reçu les premiers complimens,
de la part du Roi & de la Reine, il marcha jufqu'au Palais, dans cet or-
dre: Les fept Indiens paroiflbicnt les premiers. Ils ornoient d'autant mieux
fon triomphe, qu'ils y prenoient part; au lieu que les Triomphateurs Ro-
mains fondoient une partie de leur gloire, fur le malheur de ceux qu'ils traî-
noient après leur char. On voyoit cnfuite des couronnes tS: cks lames d'or,
qui n'étoicnt pas le fruit de la violence & de la rapacité du Soldat viclo-
rieux; des balles de coton, des caiffes remplies d'un poivre, qu'on croyoit
au moins égal à celui de l'Orient (/;); des Perroquets, portés fur des ro-
feaux de vingt- cinq pieds de hauteur; des dépouilles de Caymans & de La-
mantins, qu'on donnoit pour les véritables Sirènes des Anciens; des Quadru-
pèdes & des Oifeaux de plufieurs efpèces inconnues, Ck quantité d'autres
raretés que la nouveauté rendoit précieufes. Cette multitude d'objets étran-
gers, cxpofée à la vue d'un Peuple, dont l'imagination & la vanité portent
ordinairement les choies au delà du naturel , lèmbloit le tranfporter dans
ces
(g) 11 Jt)nnc un détail li'ordrc, que je no
trovivc d;iiis :iucim Hilloricn; niais i\\ rkiclitc,
(jiic je vcriiie coinimicllcnier:t fur tout le
relie, dans l'occaliuii que j'ai de coniulter
Icsnic'incs Iburces, ne Joie lallFer iei aucun
'.crupulc.
Xnil. Van.
(h) C'étoit du Piment; & la jaloulîe du
Commerce, entre les Klpai^nuls (^ les l'ortu
f^ais , donna d'abord cours à ce poivre Anié-
riquain; mais on reconnut bieVitôt qu'il étoit
trop cautlique.
E
CiinTSTontK
C'oi.uMn.
14 9 3'
Faveurs (}u' il
reçoit de
I-curs Ma-
jellés Catho-
liques.
Son arrivée A
Uarcelonneoù
ctoit la Cour.
Magniliceu-
ce delà ré-
ception.
0mim
34
PREMIERS VOYAGES
ClIRI.«TOriIE
M s; 3-
Honneur';
qu'il rtiçoitdii
Rcii cv tl. tou-
te lu Cour.
Armc> iJ:
1
itijs iv-'Cnr-
■< à l3 la-
niilio.
Si
1\
Le Snirt
C^C cil CC'H-
'i
ignc o'.nicr.c
nvLliiturc
1 noiivc'^u
OiiJc.
CCS nouvelles Rci^ions, d'oii il H.' llutoit tic voir licn-tùt coulor des richcf-
Ics inqniilablcs clins le lliii de l'IOpagne. AiuVi les accKimaiions rcdou-
bloieiu-elLs à cIlii]uc iiilhnt, »is: jamais liommc nVùL pjiitctrc un jour
plus glorieux t\; plus llati^ur; fiirtouL s'il rapproehoit , eoniiDc il cil natu-
rel de le penler, l'a lituation prcientc de celle uii il s'cloit vu (luckpics mois
aup.uavanc. Il lu: conduit, avcc cette pi>mpe, au travers d'une grande
partie de la Ville, ù l'Audience dts Rois C'athtii (ucs» qui l'attcnduient hors
du l'alais, fous un Dais magn:liiue, rev'.':us d^s h.ibits Koyaux , le l'rince
d'IOrp.igne à leur cote, au milieu de la plus brillante Cour (ju'ils cull'ent
rall'euiblce depuis long tems. Aulli-tut i|u il appciçut Luirs Majellcs, il
courut l'e prolterncr^i leurs pieds, pour leur Inui'cr !,i jnaiii: mais T'crdi-
nand le fit relever, èîc lui or.'.oiina de s'ail'eoir fur une cliiil'e (jui lui avoit
tte préparée; après cjuoi, il ri.t;ut ordre i!e raconter, à haute voix, ce
qui lui ccoit arrive de plus reinarquahle. 11 parla d'un air il noble, que
l'on récit parut cliarmcr toute l'Alijiublee. 'l'or.t le monde fe mit cniuite
à genoux, à l'exemple du Roi e\: de la Heine, cjui rendirent grâces au Ciel
les larmes aux yeux; <I\; les Hymnes de joye l'urcu: chaiKts par la Mufiquc
de la Chapelle.
Depuis ce grand jour, le Roi ne parut pjint dans la Ville, fiins avoir à
fa droite le Prmee l'on l'ils, clc Colomb à l'a guielie. Tous les (îrands , à
l'exemple du Souverain, s'accorderont à combler d'ho.'ineurs l'Amiral- Vice-
roi des Indjs. Le Cardinal d'Kipagne, Vlcric Gon/..i'ics de Mciulozc , aulli
dillingué par Ton mérite que par l'on rang Oie la naill'ance, fut le premier
qui le traita dans ti:i i'ellin , oii nonleulcmcnt il lui fit prendre la pre-
mière place, mais il le fit (Irvir à plats couverts (/), avec ordre de ne lui
rien prélénter dont on n\v\i fait l'elVai; ce que tous les Scii'neurs obfer-
vèrcnt en le trairar.t à Lur to^ir. HartliJemi Oi: I.)ie_i:;o Colomb, les d^ux
l'rcres, eurent part aux libéralités du Roi, (juoi juablens tous deux de Tes
Etats. Le titre de Dom leur fut accorde, dv^sc de magnifiques Armoiries
pour toute la l'amille (k).
QUOIQ.UE Leurs Àlaj. dis Caihuliqucs n eudVnt riLn de plus prtlTant que
derenvoyer l'Amiral aux Ind.'S, pour y conrinuer Tes deoiivcrtes , leur
reipect pour le Saint Siège Ls fit penllr à donner avis, au Souverain l'on-
tife, du l'uccès d'une li belle entreprife; non qu'elles l'e cruHént obligées,
faivant l'obfervatiun d'un fage llillorien, d'obtenir une invefliture, ou
des permllFiuns, pour jouir légitimement du nouveau Monde (/) : mais
c'étoit
(j) IIciTira obfervc cette circonfiancc,
uli fuira, Chnp. 3.
( * ) Au ;neir.!cr , c!e Cafiillc. Au r^conil ,
de Ltoii. Au tioifîèmc, u::e Mer d'r.ziir,
feniéc d'Jiles d';ir:;ciit, la ino'tic de la circon-
férence enviroiiiiéc de la 'l'crrcferaïc, des
!;rains d'Or répandus p:'rtoLU . les 'IVrres
& les Illts couvertes darbres toû ours wrJs.
Au qu;arièii!e, d'azur à quure ar.cres d'or,
;;vec les Armes det, anciens Co'.ouibs dePlai-
fancc audeffus; &., pour cimier, un Globe
lunnoncé d'une Croix, avec cette devjfe:
For Caftiiîa y p>^r \.tc\r\
Nuc/n Muiuli) hallo Colon.
Nos arcicns Tn.dartfur'- ont rendu cc<! deux
Vers Ca.iiliaiis p-.r deux \'ersl'rai;(,-ois :
Hi ur laC'aiUlli' & pour l.^cn ,
Afoiui; ne uvtau trouva CjU n.
(O C'ert ILrrcra , qui rapporte qu'on
avoa déjà coi-fulté plufieurs perf nncs dé-
r.ilrente do6lrinc, \ que tous furent d'avis
que cetit' formalité n'éioit pas du tout ud-
ccflairc, ubifuprà, Chapitre V.
c'étoit
inoins
d'Arra
gca fo
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II
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„ non
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
(.s richcP.
is rcdou-
- lin jour
cfl natu-
lucs mois
c grande
lient liors
c Prince
s ciifllnt
.i^-!U's, il
is l'crdi-
lui a voie
voix, ce
-, que
t cnîuite
s au Ciel
Mufiquc
avoir à
ands , à
•V'icc-
;^, aulîi
premier
la pre-
0 ne lui
5 oh fer-
^•s daix
>v de Tes
moirie*
int que
s . leur
in J'on-
'ligces,
rc, ou
: mais
c'ctoit
CCS deux
is :
c qii on
lies d'é-
U d'avis
touL ht'
95
CiiRisTormc
Coî.OMt.
c'ëtoit une cérdmonic de bicnfdance, dans laquelle on rirquoît d'autant
inoins, que le" Saint Siôf^f ctoir alors occupé par un AijeC de l.i Coiironne
d'Arragon. C éiok ^ cxwilrc /l. de la Mailbn de liorgia. l'crdinand cliar-
gea foii Amballadcura Koine d'a(rui\r Sa Sainteté, (jue l'Kxpedltirin , (jui
ffctoit faite par les ordres, ne caulbit a'icun préjudice aux droits du Por-
tugal, & que Ibn Amiral s'etoit contenu lidelcment dans l'ordre qu'il avoit
reçu de ne pas s'appioclicr à plus de cent lieues des PolTenious de cette
Cburonne; mais que pour l'intérêt de la Religion, qu'il le propofoit d'é-
tendre autant que l'on Knij)ire, il ne lailluit pas de dimiandcr dos ]5ullcs.
Le Pape en envosn d.ux, qui furent expédiées le 2 & le 3 de Mai, avec
Jes mêmes claufes & ks mêmes conditions que fes PrédécelTeurs avoienc
jugé ncecirair s pour celles qu'ils avoient accordées aux Kois de Portu-
gal. Mais, dans la vflc de prévenir les diiTérends qui pouvoient naître
entie les deux Couronnes , il y fit ce faniiMix partage, qu'on a nommé Liirnj „ . -
de Déman-atioit, par lequel il regloit leurs bornes pour les l'avs déia décou- .Vn.nni'winl
verts, oc pour ceux quon deeouvru'oit a 1 avenir, Ck qui ne leroient occu- d. Dj.nirca-
pés par aucun Prinee Chrétien, avant le jour de Noël de l'année préeéden- t-n.
te. Cette Ligne imaginaire, tirée d'un Pùle à l'autre, coupoitcn deux par-
ties égales l'elpaee qui le trouve entre les Iiles Ayores vili celles du Cap
Verd. 'l'out ce qui té trouveroit au Couchant & au Midi, devoit appar-
lir à la Couronne de Callille, & tout ce qui étoit à l'Orient demeuroi
P.irfiî;c' ni.
tiv rivpi^nv.:
&lc' Port'.i ;.-iI,
au Portugal (m). Les Décrets arrivèrvUt en Efpagne, dans le tems que
l'Amiral avoit déjà reyu lés dépêches, & tout ce qu'il avoit demande pour
fon retour aux Indes.
Il
(hi ) Cromcr;! nous donne la nulle f]iiicon-
'tlcnt Cl- pirtagc, par un motif (jui ne s'ac-
COrdc point avec les idées d'IIerrera tSi de hi
Cour d'Klpai^ne: c'ejl dit-il, afin que tant;
le mondi' f.ichi' que cette Conquête [^ roii'-ja--
Jion des Indes ejl fuite avec l'anti>r'\ (^ do-
nation du Uwind J'icaire de Jefus-L'hrijl. ();i
ne peut refuler place ici à cet étrange Mo-
nument.
,, Ai.F.xANnRK , Kvètiue , Servitair des
Serviteurs de Dieu, à nAlre très chcrl'ils
en Jelus- Clirill , FerdinanJ Roi. cS: i\ nô
tre très chèrcl'ille en Jefus Chrifl, Ifahel-
le Reine, de Callilie. de l.éon, d'/\rra-
„ f^on . de Sicile iV de Cïre-ade; Siiut i\.I5é-
né'licUon ApolU>li(iue. Kutre toutes les
œuvres agréables à la Majellé Divine, &
que nous délirons le plus, elt que la Foi
C;u!u)liquc & la Religion- Chrétienr.e
foie^u , pri cipaleineiit tu nôtre tems ,
exiliées , i^: p;'r tout amplifiées 6c répan-
dues , & que le falut des aines foit procu-
ré d'un chacun , t!t que les Nations Bar-
ban s foiei'.t (ulMUj.niées, tSc rÀluitLS ;\ la
l'oi: ce qui el^ caulè que Nous , étant par-
venus par la feule Divine Clémence, cV
„ non pour nos miSritcs, à cette facréeChai-
»»
M
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,, re de Saint Pierre, nous devons à hou
,, droit de notre bon f:ré (S: avec toute fa-
,, vcur, vous donner les moyeni & occa-
,, fions pour exécuter & pourfuivre de jour
,, en jour. .Tvec un ardent eour.i;;e, à l'iion-
,, neur d;' Dieu cS: de l'Kinpire Chrétien, une
,. fi louable (X li fainte œuvre , que vous
,. avez commencée par I infpiration de Dieu
, iuimortel, conliiiérant que connue vrais
,, Rois (^ Princes Catlmliques , tels que
,, Nous vous avons toùi.airs connus, &
I, e>)mmc il efl: alfe/ notoire A tout le nion-
,, de par vos grandes entre rifes, vous n'a-
, ve/ pas feulement le même defir que Nous,
, mais, ce qui ell davanta;e, (]ue de tout
, vôtre pouvoir, foin& dili;,'encc, vous exé-
, cutez ce bon v ailoir fL.n:- épargner aucuns
„ travaux ni dépenfes fans \ous fouoier
„ d'aucuns périls, même en répanJant vôtre
,. propre fin;, (!v que vous ave/ voué dès
., long tems à cela tout vôtre cœur (S: toutes
,, vos forces, comme le démontre allez le
,, recouvrement (ju'avez fait naguerre du
„ R'.iyr.Uiiie de éîrenide, de la tirannie des
,, Sai va/.ins , avec une fi grande gloire de
., vôtre nom Nous avons entendu comni.;
„ ci-de\ant vous aviez propofé de faire clur-
E 2 V cher
3<5
PREMIERS VOYAGES
CnM!ITOrtlE
G.)LOMn.
1493-
L'Amiral
Coliiiiil) ponte
àfaiii- un ù-
rond Voy-igi."
Il obtint un Hrcvct particulier, (jui lui ilunnoit 1j Commandement i!c Iï
riottc juHiu'à l'ille Elpagnolc, d'où elle devoit revenir Tous les ordres d'An-
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II
„ cher .luclqiic^ idcs .^i Tcrics-fcrmcs lo'iv
„ taiiK'S &inLo;iiuiLN, & non cncoa- ikVmi-
vertes, pour rOiluiro leurs llabitaiN a ta!-
,7 re protVirKMi Je la l'oi , e\ reeoii:u.itre hù
" trc Keileniptcur ; mais que vous n aviez pu
eon.liiire à tin cette ft^inte tS: louaWe déli-
bération pour la C'iuerre iL' r.renade, en
laquelle vous étiez alors eiii;^êcliés ; iS: (]uc
depuis, ce lli'vnuiiie étant recouvert par
la perinitHon r)ivine , vous aviez , non
fans !,'ranJs périls \ dépenfes, envoyé Uir
cette L;raiKle Mer , où perùmne n avoit en-
core vo-ué, Chrinophe Colomb, homme
dipie, re:oinnundablc . c\ propre à telle
einrepriie, pour dilit^cmment chercher ces
Terre, fermes & IlL's K.intaiiies (.\ incon-
nues ; Lfquelles, après avoir cinglé i.u tia-
vcrsc'.t Océan, il .luroit trouvées par li
„ grande dili^en.e, avec l'aide deDieu, tou-
„ tes peupleestS. remplies dT.oiiimes, vi\ant
„ pailiblement enfemble, fe tenant midi, eV
,, fe noi:rrili;.nt de chair, iV qui, ftlon le
,, rapport de vos Amhalladeurs, cro/entqui!
,, y a un Dieu Creiteur au Ciel, 6c kfiiueU
„ femhlent capables d embr.'lïïr laloiCitho-
„ liquc.e^ d'être inl'iruitsauxinmnes mceins;
„ ce qui-Noi.s do))nc efpuaiice que le nom
„ de nôtre S;iu\eur JeûisChrill fcroit facile-
„ ment répandu dans ces 'l'err^^^ & cc.s llles,
,, n leurs Habitans étoieiU eiidoeiriné-. De
„ plus. Nous avons été infurmés (ju'en la
,, principale de ces Ifles ledit Co'.omb a b;.ti
„ un Fort, dans lequel il a mis quelques
,, Chrétiens, ijui l'avoient fiiivi , tar.t jiuur
„ le garder tiue pour s'enquérir des autres
„ nies &. Terrcj- fermes, lefquelle.s lui é-
,, ti'ient encore inconnius; qu'il a rapporté,
„ qu'aux llles qu'il a dcja decouvertci, on
irouvoitdel'Or, des Kpiceries (S. plufieurs
autres chofes j récieufes : ce <iu'etuit par
vous d:lit;emmcnt eonfidéré , principale-
ment ce qui ri;;'.irde lexaltaton vV amplia
tion de la l'i'i, comme il ap.partiein à des
Rois Catholiques, vous avez pionoi'e, fui-
„ vant la bonne coutume de vos l'redéeef-
,, feurs, Rois d'éternelle mémoire, do fub-
,, juf^uer, avec l'aide de la Divine Clémen-
,, ce, toutes ces Terres, Ifles fufdites. &
,, tous leurs Ilabitins , &. les amener à la l'oi
,, Chrétienne. Voyant vôtre délibération
,, telle, Nous, qui defirons ail'ectuouùuKiit
„.(iu'une fi fainle f<, fi louable eiitreprife l'oit
„ bien commencée , & encore mieux achc-
„ véc , vous exhortons , par le faint liatême ,
«, par lequel vous ccc> oblii^és aux Commaii.
j'
tOUl'.
„ démens Apolloliqiics, <(i vous fommo:»*
„ par l'intérieur de la niifericord • de Nôtre
„ Seij^neiir jefus Chrill, que tiuaiul ifvec un
,, bon /ele de h fainto l'oi \u\i> loinmcncc'-
,, rez cette Kxpéditiiin, vou. indu.lkz le,
„ Habitans de ces llles eSi 'l'erres fermes a
„ recevoir la Kelif;i<'n Chrétirnne , fans qui
,, les périls i\ les travaux .puilleiu jamais
,, vous ditournor, vous ti iiit airureminiTit
,, que Dieu 'l'out puilHint conduira en toute
„ profpérité vos eiurepril'es. Ktatin <iue par
,, la lar.H'Ure Apollolnjue vous entrepreniez
,, pl.i- coura:;eufement la eliari^e d'unligranj
„ ouvra.i^e, de nôtre propre inouveinent, fans
„ éjîird a aucune reciuctc, (jui par vous ou
„ par autrui pourroii nous avoir été préfen-
,, tee, mais feulement mus par nôtre purj
,, \ fru'.ehe libéralité. tVc pour Acrette eau-
,, fe. Nous vous donnons toutes les llles i!v
., Terres fermes qui ont dc^ja été' trouvées (!c
,, qui font encore- à tiouver, leùiuelles font
,, découvertes e\ à découvrir vers l'Oecidenc
,, (îv le Mali, tirant une lii;ne liroite du l'ôle
,, Arctifjue au Pôle Autarcique, foii ijue ces
,, llles c\ Terris fermes fiaient trouvées t\. à
,. trouver, lôit vers linde, ou vers quelque
,, autre (juartier. Nous er.teiidons , toute^
,. fois, (juc cette lii^nc foit dillante de cent
., lieues vers l'Uecider.l cSc le Midi des llles
., cu:e vuli'airemeiit on apj'elle Jçi^rcs \ du
,, i'.ii' l'erd. Nous donc, par l'autorité de
,, Dieu Tout-piiilfant, qui nous a été don-
,, née en la pe-rfonne de Saint Pierre, & df?
,, la(]uelle nous jouillofis en ce Mor.de eoiu-
,, nie Vicaire de Jefus- Cliriit , vous don.*
,, ni'is, avec leur^ Seigneuries, Villes , Ch.'.-
,, t'.:;ux, l.i^ux. N'illages, Droits, jurifdie-
„ tions, & toutes autres appartoninecs (S. dé-
„ pendanees, toutes les llks cV 'l'erres-fer-
,, mes trouvées »S. a trouver, decou\erte,s i^
,, à découvrir, depuii ladite liiiiie vers l'Uc-
„ cidelH c\. le Midi, qui ywx .uitreKoi, (a
,, Prince Chrétien, n'etuient point actuel'' -
„ ment polTedées jufqu'au jour de Noël der-
,, nier, autjuel commence la prei'ente aimes
-, 14931 lorfque (lueUiues-une.^ des llles fui-
,, dites cmt été trouvées par vos Lieutenans
,, & Capitaines; Leijuel don Nous ctendor.s
,, en la perfonne de vos Héritiers (S. Suceel-
„ feurs Rois de Ca'.lille c"»* de Léon, les e:i
,, faifant Soi,i;neurs avec pleine iS. libre
,, pullfance, autorité éc jurifdiction ; fans dé-
,, ruger néanmoins au droit d'aucun Prin.e
,, Chrétien , qui acUielleniciit en auroit poi-
^ féd<i quelques-unes, jufqu ;.u jour fuù'.l
"ci ne de
tvoit dfj
Îu'il avo
ndiens;
ccretiion
Prince le
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l^c Parei
xe<,'ut: le :
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cte^ don-
re, & li-;
luie coin-
DUS dor>
Ik'S.CI:,'.-
Jiirifdn.-
:rres-fer.
l\ei-tes i^
i r, 1 (J.--
Kt)i , ( i
actuelle
v,'ijel dtr-
te aunes
llles lu:-
eiitefia'is
étendons
L Sucec.'-
, les en
; fans lit'-
il Prin.e
roit [>(<:•
ur fuùi.:
EN A M E R I Q U K, Liv. I.
37
*ioinc de Tnrrrz, & de nouvelles Patentes, qui confirmoient celles dunt il f'iif<i^Top;rE
tvoit déjà Tiir un glorieux ulage («). Dans l'elpace d'environ deux mois, *^"-"'''i'-
Î|u'il avoit paiïes à Hareeionne, il avoir, pris foin de faire inllruire les fepc
ntliens; & fur la demande qu'ils firent volontairement du J5atcme, cette
cérémonie fut célébrée avec beaucoup de pompe. T.c Roi, la Reine & le
Prince leur l'ils, fe firent honneur d'offrir eux mêmes au Ciel ces prémi-
ces de la Cîentilité du nouveau Monde (o), en leur fervant de Parrains.
1,0 Parent de (îuacanagari fut nommé Dom Ferdinand d/lnairnn. Un autre
re<;ut le nom de Dom Juan de Cajlille , (|ui étoit celui du i'rince d'Kfpagne,
à la Cour dii'juci il fut retenu (p). La prudence obligea de renvoyer tous
les autres dans leur i'atrie, pour y publier les bienfaits qu'ils avoient reçus
en F/pagne, ik les apparences de grandeur dont ils avoient été témoins.
Enfuite I.eurs Majeflés, tournant leurs foins à la publication de l'Evangile,
firent choix de douze Prêtres, Séculiers & Religieux, ik leur donnèrent
pour Supérieur im 13énédi6lin Catalan (7) d'un mérite dillingué, avec un
Bref
149 3-
Se: iir^'-ara-
tir».
Indiens bâ-
ti les.
Prêtre; i^
Relii^ieiix i.k'î-
liiiiî'i a pre
cher l Evangi-
le.
„ de la Nativité* de Nl^tre vSeif;ncnr. Da-
„ vantaf^e , Nous vous iiiandoiis ([iie , i"ui-
„ vaut la faiiite obéillaiiee (jue vous nous
y, devez , & fiiivant la iiroiiiefTe que vous
nous ave^ faite , latjuelle nous ne doutons
point que vous ne f;;ardiez entièrement,
pour la grande dévotion »!^i. royale Majellé
(jui ell en vous , vous envoyiez , aux fufdi-
tes nies & Terres - fermes, i\i:i t^eiis de
bien, craignant Dieu , dodes & experts,
pour inllruire les llaliitans fuldits en la
.. l'"oi Catholique, & pour les a!)reuver de
„ bonnes UKinirs, vous ehar:;eant de vous y
„ cmjïloyer foigncufemcnt. Kt d'aurre part,
y, Nous défendons , fiiu> peine d'exeominu-
M nieation, à toutes perfonnes de (juelqiie
di^'nité qu'elles foient, fut-ce Impériale
ou Ktiyale, de que!(|ue état, ordre, ou
condition (jue ce puille être , d'aller ou
envoyer fans avoir pcrmillion de vous,
de vos Héritiers & Suceefleurs l'uklits, à
aucune de ces llles iJi Terres- fermes qui
font déjà découvertes , 6c font encore à
décduvrir vers l'Occident cV le Midi, fui-
vant ladite liqne,(]ue nous entendons paf-
„ fer du F'ôle Àrftique au Pôle Antaj'ttique,
cent lieues loin des Kles Açores, ik du
Cap \'erJ , nonobllant toutes autres Con-
llituti'ins (Sl Ordonnances Apolloli(iues à
ce contraires ; ayant hop.ne contiance que
celui (|ui ell dillributeur des Empires &
Seigneuries conduira vos aftions . li vous
pourfuivez une (i faiiUe & louable entre-
„ pril'e, t!^ que vos peines & travaux auront
„ bientôt une fin très heureufe, qui appor-
„ tera une grand-, gloire & une félicité non-
„ p.ireille ;\ tout le Peuple Chrétien. Mais
,, parce qu'il fcroit dillicile que tes Pj'Hen-
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,, tes fufTent portées aux lieux oii il feroit
,, befoin , Nous voulons «lUe pareille foi foit
„ ajoutée, comme à ces Prédntes, aux Co-
„ pies qui liront lignées par main de Notai-
,, re iniblic, h fcellées du fceau de (]uelquc
,, peribnne conlUtuée en dignité l'icelefialU-
,, que, ou de quelque Cour dlC^lilè. Qu'au-
,, cun ne foit donc fi téméraire (jue d'en-
,, fraindrc ce qui el> porté par nôtre Man-
.., dément, l'Ahortation , Requête, Dona-
,, tio;i, Concelîîon , Alllgnation, Conllitu-
,, lion. Décret, Défenfe, cSc Volonté. Kt fi
,, (]ueliju'un avoit la hardieffe d'attenter au
„ contraire . (ju'il s'alFure d'encourir l'indi-
,, gnation de Divu Tout- puillant , ôi des A-
,, pôtres Saint Picirc c\ Snint Paul.
„ Donné ;i Rome, à Saint Pierre, l'an de
,, l'incarnation de Notre Seigneur 1493, le
,, 4 des Nones île Mai, c^v la première an-
,, née de nôtre Puinilicat''. Jlerrcru, Liv. i.
Cbap. 19.
( n •; Ce nouveau titre d'honneur fc trouve
au Chapitre 4s. de fa \'ie
(0) lierrera. I. 2. Ch. 5.
C/i) Il mourut deux ans après. Ilerrcia ,
ibidem, 6i.Oviedo, Cbap.VII. Ici Oviedo
prutelle qu'il ne r;:nportera plus rien qu'il
n'ait vil. i! ohferve (jue l'erdinand avoit be-
foin de courage pour entrer dans cette quan-
tité d'afiaircs, parce(iu'il étoit encore très
foible d'un coup d'éj'ée fort dangereux , qu'il
avoit reçu fur le cou, à Barcelonne . parla
main d'un i'ou , nommé Jean de Canamari's ,
([ui s'étoit mis dans la tête qu'il étoit Roi,
à. qu'on avoit ufurpé fa Couronne.
iq) Uerrera lui donne le nom de Bvyl ■,
Cornera celui de Hi-vii , Oviedo celui de
Buyl.
E3
38 P R E INI I E R S V O Y A G E S
:i!RUTON« Bref du Pape, qui coiuenoit des pouvoirs fortctcndus, & L'ordre particu-
Coi.oMB. j-^^ ^^ veiller ùir la conduite qu'on devoit tenir a l'égard i\cs Indiens,
•^ "^ ^ 3- pour empêcher qu'ils ne fuiVent maltraiies. On leur h)urnit tout ce qui
titoic néccll'.iire à leurs fonilions , èi:, pour relever l'éclat du culte, k
zèle de la Reine alla* jufqu'à leur faire donner des ornemens de la Ciu-
pelle.
Seccml ri^yage de Chiijîopbe Colomb.
S K 0 o N n
Vo Y ACE.
clL'tlinc
le r.i)uvc:m
T'Amiîmt, en prenant congé de Leurs Majefles , obtint la pcrmiflion
_j de hii'lwT les deux Kils à la Cour, en -jualite de Pag's, p.uii- y rece-
voir une éducation digne de leur Père, & convenable à leurs elpcrunces.
Il le rendit à Seville, où il trouva la Flotte, iju'il devoit couiinandcr,
prefqu'cn état de mettre à la voile. I/arJeur des Conimillaires avoit re-
Flotte Je lix- pondu à l'inipatience de la Cour. Dix-lept X'ailleaux, donc cet Armement
foptV.iiùc.ax, étoit compile, le trouvoient déjà bien piiurvus d'.AniILrie \Nc de Muni-
tions , non-leulement pour le Voyage , mais encore pour i.'S C'>luni-;s
qu'on le propùfoit d'établir. On y avoit embarque i;n grand ivimlire de
Chevaux, des ferremens de toute efpèce, des inllrumens pour tra\-aiILr
aux Mines & pour purifier l'or, des Marchandlles pour |j Commerce eS;
pour les prellns, du troment, du ri/., des graines de toutes fiirces de légu-
mes , enfin, tout ce (jui peut fervir aux progrès d'un nouvel lùabliiîlinenr.
Quinze cens Volontaires [a), entre kfquels on coinptoit beaucoup déjeu-
ne Nobiclle (Z»), attendoient l'Amiral, avec une egde pallion pour l'or Os:
pour la gloire.
Pendant le fejour qu'il fit .à Seville, l'éclat de fcs nouveaux préparatifs,
joint à la renommée des richeHes qu'il avoit apportées en l'Jpigne, fit re-
gretter plus que jamais, au Roi de Portugal, d'avoir laillc échapper un
nou-
Portii;^,iis , Oc
ii'Uis tt.i:UL;-
TCS.
(.i) Ovivxlo ne fait inontcT le fond de 1 Ar-
menuT,: qu'à c^nq cens hummcs, fans ycuin-
pre:idre les Voinnra're-..
(i) narrera r.omnie les principniix ;'ciir';
noir.s n.critir.t d'autant plus dctrc rjiiuir-
qtie^, qu'on les verra reprrdue fouvcrit a-
yiv hor.iu-;;;-. On .1 dc,a dit (]u'A;-toiii.' de
Ti^rr."-. av.jic éiij iio:iimii pour enin;iinnd:r la
Fotte au ranur. Les deux Ciiefs Mil.iaitcs
eUoienc iJançMs de Fcanlnji & AifonO.- de
ViiV.cjti Mcmard de /'-/i ti.ï fait 'iïeroriir
des IiukN , Ot n.cH) M'ircd Cor.trAleur I.cs
Voi.ii.niios do tiiitiidion t'r>iii;i le Cv)!ii
ninndair de Cill-^nna, Sehall en de Cavi'o
le Co.;-;mr.iuk'i:i- .\Arroro, R. dri;uc d Â^ar-
Cl, MiCvji-dj C;;^^, JL'an de /,!/.v,i;i . IV-ho
Uj Nivarni. IV-ùvo Hcrinnd.-/ de Coronel ,
iiomiini Mr,lor de lllle r.f,)a.;nole , Mofes
Pierre do Af.n-^ari: » , Allbnle Saiie'.Ka de
Cardajdl , d' Gorhilan , I.oiii*; (iWcriis^^i.
Ah'mK Pcrez de .V/irtri, François d/ 'Awii.
ga, Alfoiiie d'Or'fs, l'ran(,-ois de /'("//, i/rt/"i;,
l'erafan ('e Riii'r s , Mcleluor ilc AlaiioiuJj,
& Alfonf- de A/rt/.:rf rn. Aifonfc' ii'Ojeiio, (iiii
devint enfuite fort ci.Mù!ire aux Indes, et.iit
uv\ (.icntilhomnie .-.tiiclH^ au Due de Medin.1
CVii, homme de potitf taide , mais nicii
propuriioiiné, beau de vifii^e , adroit, fort,
Hi l\ let;er, qu'étant incnti.^ dans la Tour de
Sevii'e. à la fuite d.' la Heaie Ifalulle , il
s'ivrinça fur li eh:rpente, (jui a vin;;t pied»
de f.illie hors d œuvre, & li mefurà de ÙJ
pieds, auin vît', auiîl adro tcr.ient , que s il
eitt été dans une falle; ii lev.i le p ed en
l'air au bout de l'eCviee, i*^ ritourni dans la
Tour avec !a même vîteil'e ; ce (]u'()n au-
roit ju^ii impoiljjlc à tout autre ubi fui.
Cbap 5. •' •
nouvel I
•es qui
ion clia^
côté, d
r)ini en.
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pcranccs.
'l'iianiicr,
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C'olonios
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f'ilLUohns,
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iiics , et' lit
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•lu'on :iu-
EN A M E R I Q U E, Li V. I. 39
nouvel Empire, & de voir tomber, entre les mains d'autrui, des avanta-
ges cjui cLoicnc comme fortis des Tiennes. La pcjliiique robli{^coit de tenir
ion chagrin r.nfernié: mais il arma lecrettement , pour .'nvoycr du même
côté, dans l'elpcrance d'y faire d'autres découvertes; Ck, ne renonçant
r)in!, encore à tirer parti de celles des Kipagnols, il employa Ruy de Sande
la Cour des Uois Catholiques, pour luire valoir premiércmenc l'accueil
qu'il avoit fait à leur Amiral, & pour déclarer enfuite qu'il fe promettoic
de leur juîlice, que le hazard leur ayant lait découvrir des llles à des 'l'er-
les qui lui app.rtenoient , ils lui conllrveroient les droits, avec les é^^ards
oa'il auroit eus pour eux dans le même cas. Cette déclararion, foutcnue
Sir des préparatifs, qui ne pouvoient être ignorés en Elpagnc, fit pren-
re , à Leurs iMajelles, deux réfolutions également in^lllpcnlablcs; l'une,
4e mettre leur Flotte en état de fe défendre & d'attaquer, fi les Portugais
entreprjnoient d'apporter tiuelque obibcle à fa navigation; l'autre, d'envo-
yer un AmbalfaJeur à la Cour de Lisbonne, pour communiquer au Roi les
èuUes da Saint Siège, & lui déclarer, à leur tour, qu'étant réfolus de fe
contenir dans leurs bornes, ils efperuient qu'en faveur de la Paix & de la
Religion, il fe renfermeroit aulfi dans les liennes. On demeura quelque
tems incertain du fuccjs de cette importante négociation. ALiis , dans
rintcrvalle, les Rois Catholiques ayant fait reprél enter , à Rome, que Ls chi-
QftQes du Portugal arrétoient 1 elfe t des IJuIIjs, & retardoient l'avancêinenc
4e la Religion, Ale.xanJre prit le parti de confirmer, par une nouvelle
SuUe, revêtue de toute l'autorité du Saint Siège {c), le partage qu'il avoit
^c au Mois de Mai, Os: ne lailfa, aux Portugais, qu'une ardente jaloufie,
C|Qi leur fit tenter du moiiis de pouller plus loin leurs bornes du coté de l'Uc-
ddent {(l).
Enfin, le 25 de Septembre, la Flotte Rfpagnole fortit de la Baye de
Cadix; & le 2 d'()e*l"brc , elle eut la vue de la grande Canarie. 'i'rois
jours après , elle en:ra pailiblement dans le Port de Gomera, pour y faire
de nouvelles provil'i'tns fur -tout de X'eaux, de Chèvres, de MreLis, de
Porcs, vS: de Poules, dont lont fortis, remar jue ILrrera, tous ceux dont
l'Amirique etl aujourd'iuii peuplée. L'Amiral donna, au Commandant de
chaqueVaiirv.au, ur. Kcrit loigncufeiiunt cacheté, qui dintenoit des in-
ftructions fur la route (ju'on devoit t.idr , li l'on étoit féiriré par la tempê-
te ou par d'autres acci.lens , a\'ec defcnfe de l'ouvrir \\\\\% une pr^ffante
nëceiiite. 11 fouhaiioit que cette rou:e ii -• fût co;inue de perfonne , dans
la crainte que les i\')riugais n'en lullent informés (c).
On remit à la voile le 7 d'Octobre; 6l l'Amiral fit prendre un peu plus
(c) Datf.'i- du :6 Sopt.'nibrc r^Qi.
■ (.-/ i P, r iKTonl tf.tro les tLiis Couronnes
hf Li};!ic de DciiKircition fut reculée de ;,7o
Ireuc"^ à rOiic'î, ,, l'c les l'iirtiij,:i!s cii eon-
,f clueiit, (!;t Ovitdo, (]iic tout le I.evnnt
„ leur deiiieinc ; tn (j'ioi ils le trompent,
„ ! ;ir:e que le^ Moiiiqucs & toi:te-- les llle;
„ 1111 l'on pi . ad ;:i ("me'le i\. ri''-p!eer;.' . i.^ l;i luifuu d'une conduite (i niylUiieiià
M ie rtdlc du AIoikIc, rttoun.unt piur l'O-
au
,, vient iuri]u';"i la prem'èrc r,i:;no du di;nné-
,, tre, l'ont eoniprife.s d:uis hi pi\n:ière do-
,, maion fjiu: a hi Couroni.e de C.tllùlc",
ubi fii^i'i , Cli;ip. N'ill.
(c) C'ell ce (lU'IIerrer;! dt po'it'vcmont
( f.:j. 2. Ch,i[>. y ) quoiqu,' ril'.loiicii do
SunL- Domif.nie dite, qui! n ;i pit trou\cï
ClîRT^TOPriE
Col.OMIi.
11. Voy;igc.
1493-
Ambriuiid^:-»
entre les deux
Couronnes.
D-'-.nt de
la FIjuc.
T. 'Amiral
i liante uu
peu de route.
40
PEMIERS VOYAGES
Colomb.
II. Voya;;!.'.
d
que
n'Lj.ihiiue , &
au Sud que l'année prccedcnte, jurqu'au 24, qu'jl crut avoir fait 450 lieue*.
La vue d'une Hirondelle, qui s approcha des Vaiifeaux , & celle de quel-
ques grolles nuées, dont le Ciel étoit couvert, lui firent juger que la 'l'cr-
^y^^' re ne pouvoit être éloignée. On cargua les voiles pendant la nuit. U
m'dTuiT Dimanche, 3 de Novembre, toute la' Flotte découvrit une Ifle , qui fir
""^ \kS-' nommée la Dominique (f). On en apperçut plulkurs autres (5) au Nord-
Oued & au Nord , & l'odeur des tleurs & des herbes commen(;oit à le fai-
re fentir. L'Amiral, craignant de prendre trop à l'Ell, fit gouverner direc-
tement vers la féconde, & lui donna le nom de Marigalante^ qui étoit ce-
lui du VailÛ^au qu'il montoit. Il y fit Hefcciidrc quelques Oihciers, pour
en prendre pollelîlon. Le 4, il s'approcha d'une autre Ille, qu'il nomma h
Giudc'.oupe, comme ul'avoit promis, en Efpagne, au.K Religieux d'un Cou-
vent de ce nom. A trois lieues de la Cote, on ne vit pas, fans quelque
frayeur', un Rocher pointu & fort eleve , d'où fortoit quantité d'eau , avec
un fi grand bruit qu'on l'entendoit à cette diftance. Quelques Soldats ,
qui furent envoyés pour reconnoître l'Ille, n'y trouvèrent d'abord qu'un
petit Village abandonne; mais ils furent furpris de rencontrer, fur le Ri-
vage, une pièce de Navire, ijui paroillbit un ouvrage de l'Europe. Ils vi-
rent, dans les Cabannes , des Oyes; des Terroquets de la grofieur d'un
Coq CJifc de différentes couleurs , auxquels ils donnèrent le nom de Guacama-
3flî; quantité d'exceîlcns fruits; des herbes extraordinaires; plufieurs de
ces filets de coton, que les Indiens nommoient Hamacs ,6: qui leur fervoient
de lit, des arcs, & un grand nombre de fiéches. Ce qui leur caufa le plus
d'étonnement fut une Plaque, qu'ils prirent pour du fer, mais qui n'étoi:
que d'une pierre noire «ic luilante, & qui fervoit de foyer aux Ilabitan:.
Après avoir erré long-tems fans en rencontrer un feul, ils revinrent à
Bord; mais l'Amiral, qui s'étoit propofé d'emmener quelques-uns de ces
Infulaircs, pour en tirer diverfes lumières fur les autres llles, & fur la rou-
te, fit defcendre , le lendemain, d'autres Soldats, qui lui amenèrent deai: ■
jeunes Garçons. Ou apprit d'eux (lu'ils écoient d'une Ille nommée Boir:-
qicn, & que les Caraïbes , 11 ibirans de la Guadeloupe, les avoient enlèves
de leur Patrie. D'autres ETpagnols trouvèrent fix Femmes, qui leur lie-
Lumières mandèrent du fecours , en leur faifant comprendre, p.ir des fignes capables
^"'"î'" \''^'f .^"^ de les attendrir, que les ILibirans de l'Ille mangt.'oient les hommes <&. t.-
riies Indien- '" '^oi'-''"'^ ^'-^ femmes dans l'efclavage. Elles fiirent menées a Bord avec deux
Enfans, après avoir fait connoi're (ju'elles aimoient mieux s'abandonnera
des hommes ineoniuis, que de demeurer expofées à la barbarie des Caraï-
bes. Elles firent entendre qu'il y avoit quantité d'illes, du cuié du Midi;
les unes peuplées, & d'autres "défertes, qui fe nommoient CiaramaJr,,
Cairoaco, I/:iinû, Dioiani ^ /Jrubcira, SiX'bui, & une Terre -ferme, qu'elles
appelloient Ou.nica; que le Roi de la Guadeloupe étoit aile courir les IllcS
voilines, avec dix grolTes Barjues , & trois cens Indiens, pour enleVc:
des hommes; Ck que le fort de ces malheureux Prlfonniers étoit de fervir s
\i
(f) A caufc du jour de Dimanche. Il no R. d E.
faut 1 as, coinmc quelques Ailleurs, eoiifon- ((;) llerrern, ihiJ , Cla;>. lo , t!t Vie ^••
the cctt.- lUc awc celle de Ht, /Jvmi/i^Kf. Columb, Cbap. 45.
nés.
Barbarie d'.
Car^ïijis.
Nor.is In-
diens de di-
verfes llles.
.il noun
ftir la rc
ràl auro
s'étoien
fi peu d
cruauté
res de le
les déco
Bois d'à
ficurs P
Jiaflfé à
îèment
èufe de
Bois fer
parti di
princip:i
dats fui
l'intervi
ques Ca
irifles n
fê crure
• hv. 1
fez haut
diers d^
âpper^u
fembloit
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couvroi
Bois épî
jour fui'
Cruz.
Saint - C
d'hui.
fit donr
très cel
ne autt
Baptille
froit d'
'tes de '
la Mcv
la Plot
Alofes
délieie
celui d
"Vfi
t 450 licuej,
■'le de qut|.
que la 'l'cr.
1 nuit. Le
c, qui fu'
,0 au Nord.
oit à fc fa;.
crner dircc-
ui ctoic ce-
cicrs, pour
il nomma h
X d'un Cou-
ins qucKju.
eau , ave:
es Soldats,
bord qu'un
: fur Je Ki.
pe. Ils vi-
ofTcur d'un
- Guacama-
iluficurs dj
r fcrvoicn:
lufa le phis
qui n'ecoi:
I lubitan:.
■evinrcnt à
uns de Ces
iur la rou-
vrent deux .
mee I^orn-
nt enlèves
li leur de-
■s capables
T>es & u-
avec deux
ndonner à
Jes Caraï-
du MiJi;
■, qu'elles
r les Illcj
r enlever
le fervir a
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cm
■m
u E, Li V. r.
4r
?' EN A M E R I Q
.fk nourriture de leurs Ennemis. Elles donnèrent auffi quelques lumières
Ihr la route qu'il falloit fuivrc jufqu'à Ilayti, ou rifle Efpagnole. L'Ami-
ral auroic levé l'ancre aufli-tôt, s'il n'eût attendu plufieurs de Tes gens, qui
8*étoient écartés fans la pcrmilTion de leurs Ofiicicrg. Le chagrin, de voir
fi peu de difcipline à Hord , lui fit feindre de vouloir les abandonner à la
cruauté des Caraïbes; mais, feignant aulVi de fe laiflcr lléchir parles priè-
res de leurs Amis, il les fit chercher par (juarante hommes, qui ne purent
les découvrir, ik qui rapportèrent, pour unique fruit de leur courfe, du
Bois d'aloës & de fandal , du Gingembre, de l'Encens, du Cocon, & plu-
fieurs Plantes, dont l'odeur approchoit de celle de la Canelle. Ils avoicnt
ftaflc à gué vingt-deux petites Rivières. Enfin, ceux qu'ils avoient inuù-
remcnt cherchés, revinrent d'un autre coté, & ne purent donner, pour ex-
éufe de leur abfence, que la dillicuké de retrouver leur chemin dans des
Bois fort épais. L'Amiral, à qui cette licence parut dangcreufe, prit le
parti de faire refpeélcr l'ordre par un exemple de rigueur, il fit mettre les
principaux à la chaîne, fans égard pour le rang & la nailTcincc; & les Sol-
dats furent punis par le retranchement d'une partie de leurs vivres. Dans
l'intervalle, il étoit defccndu lui-même à terre, où il avoit vu, dans quel-
ques Cabannes , plufieurs têtes d'hommes 6i divers oflemens fufpendus;
trilles monumens de la cruauté des Infulaires , que les Coureurs imprudens
fe crurent trop hcuicux d'avoir évitée.
'■, Le 10, après avoir rangé riile au Nord-Ouefl;, on en découvrit une af-
HjSZ haute, qui fut uommcc Montfcrrjî y pour fa reflemblance avec les Ro-
chers de Notre-Dame de Montferrat , en Catalogne, lîien-tût, on en
Éppcrçut une autre, que fa forme ronde, eSt li efcarpéc de toutes parts qu'il
fembloic impollîble d'y monter lans échelles , fit nommer Sainte- Marie de
la Rotonde. Eilê étoit fuivie d'une autre, qui ne prefentoit pas moins de
quinze ou feize lieues de Cote, & qui reçut le nom (Ï/Intii^oa. On en dé-
couvroit quelques-unes du coté du Nord, fort hautes & couvertes de
Bois épais. Celle, où l'on aborda le 18, fut nommée San-Martiuo; & le
jour fuivant on endéct)uvrit une autre, à laquelle on donna le nom deSnnta-
Cniz. L'Amiral n'oublia pas le Saint dune il portoit le nom , & nomma
Saint - Chrijlophe une fort belle Ille , qui a confervé ce nom jufqu'aujour-
cThui. La multitude de celles, (jui ne ceiToient plus de fe prétenter, lui
fit donner, à la plus grande, le nom de Saii.tc-UrJ'ulc , & à toutes les au-
tres celui des O^jîc rfùlle t^'iergcs. Cependant , après avoir fuivi la Côte d'u-
ne autre, que les Indiens appcUoient Boyiqiun, il la nomma ^aint ,%\in-
Baptijie (h). Il s'v arrêta quelques jours, dans une Baye à l'Ouefl:, qui of-
froit d'affez belles Alaifons, défendues par des tours de cannes, & couver-
tes de branches entrelafl'ees, avec une forte de balcons , qui donnoicnt fur
la Mer. On y vit des Faucons & des Vignes fauvages; mais l'arrivée de
la Flotte avoit fait prendre la fiùte à tous les Habitans. Les Rayes , les
Aloles tS: lLS%Sardines , qui étoient en abondance dans la Baye, furent un
délicieux rafraichilîemenc pour les Efpagnols (/).
Ii.s
CjiRISTOPHK
COI.OMU.
II. Vovn:;v
Procliiftionj
naturelles de-
là Guadcloii-
po.
DeCûU'\ cnc
des Jlles de
Montterrat.
deSe.iMariL
de la Roton-
de, d'Anti-
j^oa, de S.
Martino de
Saïua-Cruz ,
de Se. IJrfu-
le, des Onze
mille Vierges,
de lïorio'ten ,
noiiip' vS.
Jenr 1., 'le,
eS: à^i.' . or-
turi :
c\ v;
C u'.
(h) On .ijoiitn, dans la fuite, à ee nom,
celui lie l'i:rt()yicn , ^ ks Franij'ois !i nuiii-
XVILL tan.
ment Fortoyic.
(i) Herrera, uhifuprà. Qi/i. 7.
F
CimriTnpiiE
CoioM ;.
]l. Voy.':;c.
I 4 9 3-
I.;i l'lotto:ii-'
rivo ;i l'UL-
Efp.igr.oL'. •
ni:'u-(.'>.
i;.\nir.\lr.
vvirouvc au-
cun do r.3
li trouw ;"i
l'ort^it-ùl'nii-
nv.c. '.^ tous
î.s Ca!iii!a.;s
lî.'itracrcs.
Ses cxt'îica-
tiorm iwxx Ic-
Infiilairts.
42 r R 1: INI I E R s V O Y A G E S
Ils cCDicnt plus proches de l'Illc Klpa^^nolo, qu'ils ne fe le tigiiroicnt.
Ll' 22 de Novembre, à 15 lieuc!^ de l'itcrto Ricco, ils rcc<innurent la iiayc
de Sivnami, où IWmiral fit mouiller, pour mettre à terre un Je Hs_ Indiens,
qui droit de cette partie.de Tille , ^S: cjui dcvoit iervir 11 répandre une hau-
te opinion de la nuii.!,nirieonce des llois Catholi jues, 6: de la puilîanec de
rKrpaj;ne: mais, quoiqu'il le fût olVcrt volontairement, on n'entendit pUs
parler de lui; & les informations, (|u'on prit inutilement dans la fuite, fi.
refit jugjr qu'il etoit mort à fon arrivée. On s'avan-.M vers le Cap //«j^f/,
d'où quelques Indiens apportoient des vivres , (juViu re<,-uc en ecliange pour
des marehandifes. Le 25, en pallant devant Monte Chri/lo, l'Amiral envo-
ya fa Chaloupe à rernbouehure d'une Rivière. Ceux qui defcendirent a
terre y trouvèrent deux homuKS morts, dans une fituatinn qui fut regar-
dée coinir.j un faelieux preiage. L'un avoit une corde de natte autour d:i
cou, les bras étendus, è\£ les mains attachées comme en croix à deux po-
teaux: maison ne put rceonnoitre s'ils etoient Indiens ou Cudiilans. Le
lendemain, quelques Soldats, envoyés dans un autre endroit du rivage,
pour s'infoiiner de l'état de la l'orterefie, trouvèrent quantiti: d'IndieEi
qui s'approchèrent d'eux fr4ns c'ellar.ee, (li qui prenoient plaifir à toucher
leurs habits è\: leurs chemiles, en rc()ét:\m jubon , Camifa, pour faire con-
noitre qu'ils en Javoieiit les iiijms. (Quoiqu'on n'eut pu en tirer d'autres
éelaircilîemens, l'Amiral donna une expheation favorable ù ces apparen-
ces. Le 27 au foir, on jetta l'ancre à l'entrée tle l'w:rto Real. Quelques
Indiens s'approcîièrent dans nw Canot , en criant Jimiraf.îc. On les pre;î,i
de monter à JkjrJ. lis dcmantlèrent avoir auparavant l'Amiral: d lor;-
qu'il fe fût montré, ils abordèrent fans crainte. Apres l'avoir falué de \\
part de (îuacanagari, ils lui firent un prcfent ail'ez riche cii or. Il leur de-
manda pourquoi li ne voyoit aucun de les LÇensV lis r.pondlrent que les ur.<
ctoiént morts de maladie, iS: que
s autres etoient entres dans le Tavs avee
oup<;ons qu'il devoit concevoir de ce dil'-
des fenv.Ties. iMalgré les cru-ls ,,„.... ^„ .. „, ^.
cours, il prit le parti de la diiliiuulation, Oi: les Indiens furent reiivowi
avec des preiens
pa
Li: lendemain, en s'avanpnt dans le IV.rt, le premier fpeélaelc qui frjp-
fes yeux, fut la ruine entière île la Forter.fl'e, qui pa-'oillbit avoir eu
s tle.i;-
jui p.
Non feulement il ne
détruite parle feu. lien lit vifiter ........w -•
trouvoin aucun Efpagnol, mais la terreur fembloic répandue parmi les In-
diens, & l'on n'en découvrit point un fai! aux environs. L'Amiral fit net-
toyer un puits , dans lequel il avoit recommande, aux Oilleiers de la Car-
nilon, de jetter leur or, tic ce qu'ilsavoienc de pius précieux, s'ils etoient
prelks detiuelque danger; on n'y trouva rien. Il s'approcha iScs 1 Iabi!.i-
lions les plus voilines; elles etoient defertes. Enfin, la viie d'un endroit,
ou la terre avoit été fraîchement remuée, lui fit naiire l'idée d'y fouiller:
on y trouva fept ou huit corps, qui paroilluient enterrés depuis' un mois,
& que leurs habits feuls, dont ils etoient encore revêtus, firent reetjnnoitrw
pour des Elpaj-rnols.
Pendant qu'on poulfoit les rcdierchcs, & qu'on délibéroic (ur ces étrar.-
gesconjonaurcs, un Prince de l'Ille, IVere de Cuiacanag iri , parut avee
une fuice afVc^ nombrcufe , & fit demander Audience a fAmiral. Les 1 lilK •
riens
■tiens rc
ftillann(
tôt C )!
n'étant
odieux
enlever
de diUi
^ns la
{fin 'à C;
tué un
'les fen^
Caon.ibc
' Mines
avoir [-
fiéger I
d'allaui
meures
. tant de
. polTiblt
Mer,
palier i
Î;e, le
ènfe d
courir
au Cac
eu, du
fa Vid
étoit d
pouvoi
gnoit (
mirai ,
deman
leur an
Il r
le port
circon
rejette
l'exciti
rifie n
falloit
certaii
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
43
'guroicnt.
.•ne la liavc
Ils Indiens,
ro une iiau.
miiruicc de
lucnjic plas
la fuite, f;.
Cap /y«^f/,
■hdngQ pour
mira] cnvo-
l'en cl iront a
i fut r^gar-
-■ autour Jj
ù deux po-
Hilans. Le
du rivage,
i; d'Indiens
* à touche:
r faire cun-
cr d'autrcj
•S apparcn-
Quelque?
n Ls priiia
al: d ior:-
fa lue de !;
Il leur de-
que les i.:;;
2 l'ays av..
de ce dil-
t renvoyi.s
le qui frap-
; avoir c:.
c il ne S)
'ini les in-
rai fit net-
dj la Gar-
'ils ctoicnt
es Habit;!-
in endroit,
'y fouilkr:
i un mois,
cet)nnoitr:
■ ces etran-
parut ave:
Lesllill^-
riens
tiens remarquent qu'il avoic déjà fait quelques prnn;rès dans la Î.nn{^u3 Ca-
■ftillanne. Il r.ieonta qu'après le départ de l'Amiral j la dilcorde avoit bien-
tôt cjmmencé à régner dans la Colonie; que les ordres du Commandant
n'étant plus refpeclés, chacun étoit forti du fort, Ck s'étoit livré aux p'us
odieux emportemens; que les Infulaires avoient vu ravir leurs femmes,
enlever leur or, & commettre à Lurs yeux toutes fortes de brigandages (X:
de dillblutions; que le Roi fon l'rère n'avoit pas lailfé de contenir fes i^ujets
dans la foumillion, en leur promettant que le retour de l'Amiral mettroic
«fin ù cet aifreux defordre," mais que GutLierv.z 61 d'Efcovedo, après avoir
lue un indien du Pays, étoient pâlies, avec neuf de leurs C()mp:i{Ti]o;:s , Ck
îles femmes qu'ils avoient enlevées , dans les Etats d'un Caeijue nomme
Caonabo, qui Ls avoit maiiacrés jufqu'au dernier; que ce Prince, don' les
Mines de Cibao dcpendoient , allariné apparemment pour fes riciieiT.;? ,
avoir, pris la relolution d'exterminer tous les lùrangers; qu'il etoit Venu aV-
fiéger la Forterelle avec une puillante Armée, d' que n'ayant pu l'emporicr
d'allant, quoique la CJarnifon fût réduite à dix hommes, qui écoient d>;-
meurés fidèles à' Diego d'Arana. il y avoit mis le feu pendan: la nuit, avec
tant de fureur, Ov. dans un fi grand nom':)re d'endroits, qu'il avoit été i:r.-
pollible de l'éteindre; que les Al'liegés avoient tenté de fe fauver par la
Mer, mais qu'ils s'étoient noyés tous, avec leur Commandant, en voulant
pafler à la nage de l'autre cô:é du Port; qu'à la première nouvelle du Sié-
Î;e, le Roi Guacanagari s'étoit hâté de rallembler des Troupes, pour la de-
énfe de Ils Amis & de fes Alliés; ((u'ri etoit arrivé trop tard pour les fe-
«ourir , mais qu'il avoit entrepris de Ls venger; qu'il avoit livré Bataille
au Cacique, & qu'il l'avoit délait, avec le malheur néanmoins d'avoir re-
çu, dans le combat, quelques b]enurcs,qui lui avoient derobbé Ls fruits de
fa Vièfcoire, & dont il n'etoit pas encore guéri ; que le reile des Calliilans
étoit difperfe dans l'ille, & que jufeu'alors il avoit eu le chagrin de ne
pouvoir découvrir leurs traces: entin , qu'à de fi juftes douleurs, il joi-
gnoit celle d'être encore trc^p luihle, pour aller témoigner lui-même, à l'A-
mirai , combien il étoit Jlnlible à l'infortune de fes gens ; mais qu'il lui
demandoit une vifitc, dans laquelle il promettoit de ferrer leur alliance &
leur amitié par de nouveaux nœuds (k).
Il paroit que ce difcours ne perfuada point entièrement Colomb. Tout
le portoit à la défiance; & dans fes recherches mêmes il avoit trouvé des
circonllances , qui lui faifoient foupçonner ion Allié, de tout le mal qu'il
rejettoit fur Caonabo (/). Cependant loin d'écouter !'avis de ceux qui
l'excitoient à la violence , il leur repréfenta qu'on ne pouvoit s'établir dans
rifle fans le confentement d'un de Ils principaux Princes ; qu'autrement il
falloit s'attendre à ties Guerres fanglantes , dont le fuccès n'étoit pas alLz
certain pour lui faire choilir une voye fi dangereufe; que ii Guacanagari
étoit
r'iiPT'T.T'if
('"l-'U»!').
il YcA-i"-.
I '! 9 3
Fup iir . 'I
Roi i':\r.\: t'.ii
I")o;;te.s Je
i'Ainiral fur la
boniie'foi d-.;
Guacanagari,
Sa policiqu.'
les lui i'iitdii-
fiir.uicr.
(k) Ilcrrçra, Cijp. 9. Vie do Colomb,
Cbap. 4y. •
{ / Pierre Martyr riippiifL- l.i truliilon
certaine, tSc raconte cjuc l'Amiral ayant a\
voyé un de les Oilieiers vers Guaeana^:;ari ,
avant que d"y aller lui -mémo, cet Oflicicr,
nuinme MilcL>:oi , ne lui vit aucune trace de
bleliure, ( le Dec. Liv. 2.) Ceiiendarit tous
les Hitloriens Elpiigr.oLs teimelU un ten:oi-
gnai^e oppole.
F -2
m''
4+
P R iM I E H S V O Y- A G E S
CHUIJTPriIE
11. Voya.,v.
1493-
PriMcns
«lu'ils L' tout
iniuiicllc-
mail.
L'Amiral
,\;ifc à ù<r-
:iier une nou-
•cllc Colonie.
•qu'oïl .1 nora-
liiccs Nords.
Ville bitic
Tous le nom
..ilfabcllc.
écoit un 'l'niîcrc, il piroilTuit (Jifporc tlii mnins ù gnnîcr les apparences de
la bonne-foi; qu'il n'etoit quellion que de le comluire avec allez de pruJ(.n-
ce pour n'écre pas (iirpris; (juc lorlcju'une t"*>is un llroit bien Ibrtiiic, il |^'.
roir tcms de punir ks Coupables, & que l'avenir appreiulroit infaiinblt.
ment ù les dillinguer. Cette fage Politique emporta tous les fulVraiies,
L'Amiral ne fit pas ditliculte de le rendre à la Cour du Koi, (jui lui lit,
d'un air trille, le récit du malheur des Callillans, & qui lui montra Ils
bleiîlires. La confiance & l'amitic reprirent une nouvelle force. (îuaca-
nagari lu prélent. à l'Amiral , de huit cens petites coquilles, fort ellin-.cu
des Indiens, lous le nom C/V/j-, de cent plaques d'or, d'une couronne du
même métal , èx; de trois petites calebafTes remplies de grains dur, dont le
poids montoit entlmble à deux cens livres. De fon cote, l'Amiral lui Uuii-
na quantité de petits vafes de verre, des couteaux, des ci/.caux, des epin-
gles , des aiguilles vi de petits miroirs, qui furent revus comme des ri-
chefle's ineftimables. Il y joignit une imatre de la Vierge, qu'il lui pen-
dit au cou (;/;). La vile des Chevaux d'Kfpagne, auxquels on fit faire I;
nianége en fa prelence, lui caufa beaucoup d'admiration.
Apki.s ce nouveau Traite, l'Amiral ne peiifaqu'a donner une forme fo-
lide à Ion Ktablillement. Son inclination le por'.oit a rebâtir le fort fur l'cs
premiers fondemens; mais , jugeant du Pays par la connoillance qu'il en
avoit prife en rangeant la Cni^, il craigni.it que les eaux dormantes n'en
renJillent l'air fort ii; al lain. 11 avoit remarque aulli ([u'on y manquoit de
pierres, pour ks IvJilices; <îs: d'ailleurs, il vouloit s'approcher des Min.s
de Cibao. La reli lution , à laquelle il s'arrêta, fut dr ^avancer plus u
ILll; 6i: le 7 de J)ecembre, il partit de Puerto Kéal av. e toute fa Flotte,
poui- aller former une nouvelle Colonie à Puerto de Piata, ou le Pavs lui
avoit paru plus agréable , Oi: le terroir plus fertile. Dans une route 1:
courte , il fut l'urpris par une de ces tenipétes, auxquelles les l-'ranruis ont
donné depuis le nom deAV,/», parcequ'elles viennent de ce point. Tous
les VailTe-aux n'auroient pu fe garantir d'être jettes a la Cote , li quelques
inllans de lumière ne leur eulVent fait appercevoir, deux lieues uu-deiibus
de Monte Chnilo. une Rivière qui leur ottVit une retraite.
Ql'oiqu'ellf. n'eut pas plus de cent pas de large, elle formoit un Por:
ailez commode, mais un peu découvert au Xord KiL L'Amiral dj'eendi:
près d'un Village d'Indiens, qui bordoic le rivage ; Ci:, remontant la Riviè-
re, d ou Ion découvrit une Plaine fort agréable, il remarqua qu'on pou-
voit détourner les eaux, c^ Jeur faire traverfer le Village, pour les em-
ployer a des Moulins, & Ls rendre utiles à tous les beloins d une CMionic
Les terres lui parurent fertiles. 11 y trouva des pierres pour bâtir Ci: puur
taire de la chaux. Tant de commodités le deternuiierent a ne pas cher-
cher d autre heu, pour y jetter les fondemens d'une Ville. 11 fit bâtir d'a-
bord une hgjife c\: un Magazin. Enfuite il drelTa le plan des quartiers &
des rues. Les Ldiliccs publies furent bâtis de pierres; mais tous les au-
tres ne 1 ayant etequede bois, de paille & de feuilles de palmiers, on v:r
bientôt tout le monde à couvert. Cette nouvelie-Ville, la première appa-
reil;-
r 'n ) Ilcrrcra , Cbap. 9. '
belle
■''{*■'?» ,.
E N A M E R I Q U E , L i v. I.
45
arcnccs de
Iç pruJcn-
ilic, il (o
iiifuill:l,;^..
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ni lui 'lie.
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• les em-
Colonie.
r & pour
),is cher-
Li.uir d'a-
irtiers &
s les au-
5, on vit
iff appa-
relli-
>*cmmcnt qu'on eut jamais vue clans le nouveau IVIondc, refut le nom d' Ifa-
belle, à riioniKur de la Reine de C'a'lillc , que rAmirai reg..rjûit comme ia
fource de l'a fortune ii\: de fa gloire (n).
Mais, foit que les provilions n'eulfent pas été ménagées,- ou qu'elles fc
fuHent corrompues, on ne fut pis loni^ - tems fans tomber dans la difette
de vivres. D'ailleurs, la continuité d'un travail, donc perlbnne n'étoit
difpcnfé, les fa'igucs du Voyage, la difàrence du climat, vit l'extrême
chaleur, caufèrent. de faeheufes'maladies. L'Amiral, qui ne s'épargnoic
pas plus que le moindre Callillan, fut v.n des premiers qui s'en relfjntit. De
ion lit meaie, oii la force du mal le retint pendant plulieurs jours, il ne
■ celTa point de donner des ordres, & d'en preillr l'éxecution, il avoit ob-
fervc que fidée des treiurs, dont tous lés gens avoienc l'imagination rem-
plie^ fervoit à les foutenir contre la faim 6i la mifére. Ps'on- feulement il
profitoit de cette difpolition, pour les animer continuellement par les plus
hautes efperanccs ; mais, craignant qu'à la fm, ils ne tulîent plus découra-
gés par le retardement que par les obllacles, il réfolut de ne pas différer
plus long-rems la découverte des Mines; &, dans l'impuinance où il étoic
d'y marcner lui-même, il chargea de cette entreprilé Alfonfe d'Ojeda, donc
on a déjà vante le courage, la force èjc radreife.
OjiiDA partit à la tête d'un Détachement de qitinzc hommes bien armés.
11 s'avanç;a au Midi, l'efpace de huit ou dix lieues, par un Pays defert,
qui te terminoit au pied d'une Montagne; où trouvant une Gorge fort étroi-
te, il ne fit i)as dilficulté de s'y engager. Elle le conduillt dans une gran-
de & belle Plaine, qu'il fut lurpris tle voir entourée d'Habitations, 6: cou-
; pée d'un grand nombre de Ruilleaux, dont la plupart fe rendent dans la
Kiviere T^qui. 11 ne lui relloic pas plus de douze lieues jufqu'à Cibao;
mais l'agréable accueil , qu'on lui faifoit dans chaque Bourgade , & la
quantité de Ruilleaux, qu'il avoit à traverfer , retardèrent la marche de
cinq jours. Dans une route lî lente, chaque pas iui faiibit découvrir des
apparences de richefle. Les Inuiens, qui lui fervoient de guides, ramaf-
foient, à les yeux, des pailles <ic des grains d'or dans le fab|e. Il conjec-
tura, par cet heureux eilai , quelle devoit être l'abondance de ce ir.étal dans
les Montagnes; & jugeant avec prudence qu'il n'avoit rien de plus pref-
fanc que de porter, à la Colonie, de fi llatteufes nouvelles, il reprit le
chemin d'Piabelle, avec une allez grofle quantité d'or qu'il avoit recueillie.
Son récit, &. les preuves qu'il en fit briller aux yeux des Callillans, rani-
mèrent ceux que la faim & les maladies coramençoient à jetter dans un mor-
tel defefpoir.
CLTTt conjoncture parut heureufe à l'Amiral , pour rcnvovcr la Flotte
enElpagne U remit, a 'l'orrez, (jui devoit la commander, l'or d'Ojeda,
avec tous les préfens qu'il avoit reyus de Guacanagari ; & des dix-fept
VailTeaux, qu'il avoit amenés , il en retint deux de moyenne grandeur, &
• trois Caravelles. Le relie avoit déjà mis à ia voile, lorfqu'il fut informé
qu'une troupe de Mécontens, ayant choifi Hernard do Vifc pour leur Chef,
avoient formé le delfein d'enlever quelques-uns des cinq Bàtimens qu'd s'é-
tolr
Cui'.i'Tcni».
Cui.OMB.
II. \'oy?^^,-.
1 4 9 3-
I.L's v'ivrt'>
mr'.nqucnt.uK
CalUlians.
Alfonfe Oje.
lia c'I L'iivoyC'
à la lU'coiivcr-
te iii'5 Minci.
11 troMVcile
l'or en abon-
dance.
Cûloniti reii-
voyc fa Ficif.t:
euKfpi'.grM-,
f'i) Le mcm-, CUp, lo.
r ?
4tf
i> R r. M I i: H s V o V A g e s
C.inisToriiu
C">I.' Mil.
JI. \ oy;ii;i.'.
14.9:.-
ronlpiraiiou
ilont il p'.iivc
toit rolcrvcs, o
rc
r
tour arrcrir ce
5c iL- retourner en Mipaî^nc. I/\ rigueur lui parut ncccfTii.
tte c()ri!pir;uiun dans ta naiir.UKo. JLTnard d: l^lj lut
faili, CiL renvovO en Elp.i.mie i.ans un descniq
Navii
es, a\'ec les inlornia-
lions (S: les preu
eur châtiment au
ves de l'on crime; mais Ils principau:; Complices rcçureiu.
X veux de la Colonie. Un llillori.n re^naniue (]u'ii ne
fut pas aulii revèrc(o), quj fembîoit le demander une première Icditi.jn,
dont il etoit important de faire un exemple !i;;M.i:e. CVpendant les Kn:v..
mis Je l'AtDirai commenecrent à lui reprocner de la cruuite; 0^ c^icc fuili:
opir.ion, cju'on p:-ii de Ion caractère, fur un acte de Juilice, ou toutes ks
formalités avoicnt éie gardées, produiilc, dans un autre tems, des tllltà
r.indl
•s pour lui o
5: poi
r toute Kl
l'amilli
14 94-
Voy.i;^'
(lu'il Ùitllli-
ir.c rc nux
MiiuSvk'Ci-
bao.
r;u:s avoir retu'oli le calme da'is la Cohmie, il prit h reloltuinn de vi I-
ter lui-menu Ls Mines de Cibao, Cn: d'y faire tranfporcer^ d.s matériaux,
pour la conllruction d'un Fort. Il le tit accomp
dats, tic d un ^rand nom
<X L Vj 1 1
r.Viiu:;.!-.'
.l'Hier de Ils meilleurs Soi-
bre de Volontaires, tous a cheval (p); tîv: laillaiu
Dicgue fon l'rere pour commander dans Ilabelle, il le mit en marche, Ij i:
de Mars, Kntlignes déployées, a'Hln de.uambours e\: des trompettes. L-
premier jour, il ne i\: cjuj trois lieues, jalV«»''ii' V^^<^ d'une iMouMî^nc fori
efcarpée, d'où ilenvova, fous la conduite de tjueiiiuesl lidalgos, des Pion-
niers à la même Gorge, pir Luiuellc Ojeda s'cioiL ouvert un palfige; Ls
ciiemins des Indiens'n'ctant que des fenriers, il faliolc élargir ce Detroic
S.imr.chc, p:.ur la Ca\a!erie. lin y arrivant le jeudi, Colomb lui d^nna le mmi de
Puerto (te / r yy;.û'f;vj; d^ montant au ioir.met de la Montagne, ildec^ju\ri:
avec admiration cette belle & valle Tlaine qui la fuie, Cîi; cjui n'a pas moins
de vingt luucs de longueur. Klle fut nommée l'oiJ Rc.il y c'ella-dire. Cm:-
pagne Rox.ili: 11 la traverfa dans fa largeur, qui ifeit que tie cinq lieues en
Cet endroit; cl tous les Indiens, d'un grand nombre d'Habitations, dont
elle eil remplie, Kii frent un bon accueil. Il ar.iva au bord d'un grand
Fleuve, que es Peuples nommoient }\iqui , à -peu -près de la mCine lar-
geur q^îe lEbre à l'ortofe; lil ne faifant point attention que c'etoit la mi-
inv.K!vière, qu'il avoic appellec li'iJiïOio, à fon premier Voyage, i!!l qui
fe décharge d.ms la Mer au dellous de Munte-Chriilo, il la nomma Rio d:
las C.viis (q).
0.\' palTa tranquillement la nuit , fur !a rive. Les Indiens, que l'Amir.il
avoii amenés dlfabelle, entroient dans les Maifons qui fe trouvoient !br
il route, 6t prenoient librement ce -qui tomboit lous leurs mains, comme
'.'. cous les biens eufllnt été communs; fans que les llabitans donnalfent la
ir.jinJre marque de furprife ou de mecontent;.ment. Ils en ufoient de mê-
me dans Us lugem.ns d.s Espagnols; *ïl l'on n'eut pas peu de peine à leur
l.iire perdre une^hauitude, Joai ils n'apprireu': à fe corriger qu'aux dépens
de leur IJmplieite (îv de leur innoceiîce. Le lendemain , après avoir paîle
h Rivière dans des Canots & fur des RaùcaUX, on arriva, une lieue èi de-
mi:
( o) Cyd\h'rKr?v>)i,vi:-''Cb'ip.ii );q\\o'.- pcnJn; l'.s principaux.
quu riI.lUjri'jn ùe Saint Domuiijuf , qui fait ( /) ) Au nombre de quatre cens honu; iJ
d'ai'leurs profelTion de le l'uivre, iraciule, 'tant .'i pied qa à c 'icv ;1. R. d. K.
je ne fui fur qu-l'.c autorité, que Colomb tic {qj Ucrrcr.!, Lbap. ii.
5
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^S: laillant
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cctcs. I.,
Jjrr.c (or.
(Ils Pioii.
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iro, Cj//;«
lieues en
lis, don:
m ^raïui
i?.:ie hir-
it li nu-
ùc (jiii
a /i/o il:
l'Amiral
i.nc lur
;iircnr la
. de me-
R' à Lur
dépens
)ir pu lie
le <!k Jc-
mir
; honui e«
£ N A iM E R I Q U E, L i v. I.
47
mie plus loin, fur le bord d'une autre, que les Indiens app.jlI.Mcnt iV/c-'îy^-
ga, Ck qui liiL noiiimce O/o, parce qu'on y ii-ou\a (|iie!i.iucs forains de ce
mcial. I''!!c reçoit trois Kuillcaux , donc le premier, qui le iiommoic /.'-/c-
mcinii, prit le nom de Rio Scco. Ije fécond Cs: le troiliomc ont conforvé
ceux de C'jaîdilcii & de Cibi, qu'ils iivoionc portes jufqii'alors. Au-delà de
cette Rivière, o!» s'apprireha tlune j^rode Hourgade, dont la plupart di^s
Habitans prirent la lujtc; tandis (juc les autres , le croyant plus en fùrcté
duns leurs M, liions, en barricadèrent !. s portes avec des cannes. L'Amiral
admira leur llinpliciie , & les ral'fara faeilemcnt par les carelles. 11 paflu ,
plus loin , une troiliènie Ivivière, que la fraîcheur de Tes eaux fit nommer
^i(,rcTik. Toutes les terres voifines n'odroient que îles pierres fort vives,
&de forme prefque ronde. Le Samedi 15, on traverla piufieursVilIaï'^es ,
dont les Jlabitans le crurent à couvert aulli de toutes fortes de daupjers, a-
près avoir mis des cannes Kk d'autres fortes de rofeaux devant leurs por-
tes. Knlîn, l'on le trouva, le fuir, au pied d'une haute Montagne, qui
fait la feparation du Pays (lu'on avoit traverle, d'avec la Province de Ci-
bao. 11 fallut employer les Pionniers, pour s'ouvrir laccès de cette iMon-
tagne. L'Amiral, ayant eu la curiofite de monter au Ibmmet, découvrit
de la riile prefiju'enlière.
Lr. nom de Cihan^ (pie les Inùilaircs donnent à cette Province, vient de
la nature du terroir, qui n'ell compole que de Montagnes pierreufes, &
de rocs ou de cailloux , qui s'appellent Ciha dans leur Langue. (^);ioique
Vtiuree du Pays ibit alfreule, on s'apperçoit bientôt t|ue l'air y e(l duux Oi:
fort lain. Il y coule de toutes parts des Rivières à des Ruillèaux. L'om-
brage y efl; rare fur les Montagnes; mais les lieux bas & le bord de toutes
les eaux font couverts de Pins d'une extrême hauteur, qui, fans erre fore
près Us uns tles autres, paroilllnt former, dans l'eloignemenr , d. [î;randes
Qi: belles JL'orcts. ] lerrera ne donne pas moins d'étendue, à toute la Pro-
vince, qu'au Royaume de Por.'ugal (r). Il affure que la plupart des Ruif-
feaux y rouloient alors des grains d'un or très pur,_ dans la plus belle eau
du Monde (;). On ne peut douter , du moins, (jue les Calliilans n'en ayenc
tiré d'immenfcs trelbrs.
La vue d'un Pays fi riche les fit p.nfer férieufement à s'en alTurcr. A
dix-huit lieUes d'Ifabelle, ils avoient deja trouve ijuanticé de Mines d'or,
une Mine de enivre, & deux Carrières d'ambre tic d'a/.ur. 11 étoir [\ diiH-
cile de revei.ir fouvent à cheval, ou de conduire de:> voitures, dans un
Pays rempli de pierres iS: de Monta'^Pes, que cet oblliele ièul auroit fiiJri
pour les obliger d'y former un EtabiiiL-inent. Mais l'-Ainiril ne femit pas
moins l'impurtance de bâtir un l'^ort. pour mettre les 1 hibitans fous le joug.
11 en traça lui-mèinc le plan, fur une Montagne, dont Ja Ri\-ière de Aani-
q:tc failbit une Prelqu'llle. (Quoiqu'il n'y eût pas beaucoup d'or dar.s cette
Rivière, Ij é'anton qu'elle arrofe étoit rempli de Mines. La Forterefie
fut bdtie de pierre (ÎÎl de bois, & ceinte d'un bon folTe, dans l'endroir où la
Rivière laiilbjr. un paHagc par terre. On lui doni:a le nom de .S'f. 7/V,>//,?y,
pour railLr les incrédules, qui n'avoient pas voulu croire ce qu'on publioit
des
CmubTOfiiB
Coi.oMij,
II, Voy.igf.
1 .} () +,
D.'icripiion
ii'i'i! iHMinr.c
>S. '1 huuuu.
(r) Hcrrcra , O' 1,'/. 12,
(.f) Ibiikm.
lu' s (jili !c
ir^aiwilt i.!u)3
il'' l'un. Il,;-
iiuii.;,
■^n^wto
!1 Vori-.'.
I, An*.!, il
Lninifcrv'
fut d'.' M()U-
l.'Aminl
ir. iivc des
]:/iiv,.iiii5 jul"-
cjucs chus les
GcnâdEgliic.
,^S 1' R K M I K II S V O Y A G E S
des Milice de Cihao, f.ms les avoir viU'S de leurs propres yeux. Il fc frn;i.
\M, d;ins les totulcmcns, des nids de p:iille, qui parurent a/Tc/ anciens, oc
qui contenoient des amis pétrifies, aulVi ronds &; aulVi ;:;r(.3quc des or.in-
j:.'S. La verru minérale, qui les avoit convertis en pierre, pouvoit, Hij.
vaut la remarqiij d\m llillorien, 'leur avoir donne par degrci cette gr.jf.
)t>iir extraordinaire (f ).
{/Amiral confia le Gouvernement de cette importante Place au Comnnn.
deiir Dnm Pedro d: .U,7r/:,/r/.M , Ov lui laiffa cinquanre-lix hommes, qui c-
toicMit un mélanine de Soldats & d'Ouvriers. Knfuite. craignant pour lî'.i-
be'.ie, d.ins une ii longue abfcnce. il le hâta d'y retourner par la même rou-
te. Une grande p'uve, qui n'avoit pis celle depuis quelques jours, lui lit
trouver tant de uitHeulte au palHige des Ulvieres, qu'il fut obligé de cam-
per plulkurs fois entre ks liai ita'ions des Indiens. _C"ftoit autant d'ce-
calions tle fe les attacher, par fes carelfes & l'es bienfaits. Kn approehan:
fruits étoient mûrs dans IVTpace de trois reinames.
le du terroir venoit de l'admirable température de l'air & des eau\, qui
■pénetroient aulVi-tot les germes, & qui fournilî'oient ime nourriture conti-
nuelle aux racines ("j).
Cfpr.NDANT dv.s f'.'cours fi foibles ne fufiifai;: point à la fubfillance deli
Colonie, on v ctoit menace de toutes ks extrémités ilu befoiii. Les provi-
lions qu'on av<jit apportées touchoient à leur lin. La chaleur & l'humicH-
te, qui fervoi^nt 11 promptemeiit à la végétation ties plantos, corrompoien^
les vivres de l'Kurope. (Jn a remarcjue d'ailkiirs (|u'i!s n'avoicnt pas ete
bien ménagés* dans la navigation. La farine commençant à niiènquer, il
fallut drelVer des Moulins p(;ur moudre le JJled. Ce travail demandoit de i i
vigueur. Les Soidats (5>: les Ouvriers, qu'on avoit occupes (ans relâche a
bâtir la Ville, etoient foibles ou malades. L'Amiral lé vit oblige d'em-
ployer les bras de la NoblelTe; humiliation inflipp^rtable pour des Volon-
taires, (lui ne s'étoient einbap^ues que par des motifs de fortune <i^ d'hon-
neur. Les mécontentemens éclatèrent; <kh violence, qui parut nécelfai-
re pour les appaifer, ne fervit qu'à ks aigrir. Boyl , Chef des Millionnai-
res, fut un des plus emportés. 11 traita l'Amiral de cruel (x). La prin-
cipale caufede fa haine, <]ui ne lit (lu'augm.nter de j'.jur en jour, paroi:
avoir été le chagrin de n'être pas excepte dans le retranchement des vivres;
mais il ell certain aulli que la feverite de Colomb, à punir les plus légères
fautes, l'avoit fouvent choqué, & q'i'apres lui en avoir fait des reproches,
il étoit allé plufieurs fois jufqu'a mettre l'Eglife en interdit. L'Amiral n'a-
voit rien rabbaru d'une rigueur qu'il jugeoit indii'penîahle; &, liiivant le
récit d'un Hiflorien, il failoit lever l'interdit en retranchant tout-i-fait les
vivres au Miflbnnaire (}). Dans
(t) Ibidem.
i/v) Vie de ChriiV.phe Colomb, Chap. 52.
(x) I-Jtricr:i, Liv. ;. Ch:ip. 12.
. (y) Hifloirc de* Suint-DonUr.gue , Liv. 2.
E N A M F. Il I O U E, E
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Il fo rro;i.
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nce de li
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\'(ilon-
»: d'hon-
[K'Ceirai-
iTlonnai-
L:i prin-
, p:\ro.:
i vivTcs;
1 légères
yroelies,
irai n'a-
ivant Ij
.-laie les
Dans
, Liv. 2.
/ Dans CCS circonllanccs (z) on reeiit avis; du Fort de Saint-Tlioma'?,
•que les Indiens ahandonnoient les I Ial)itations voiliries, ÙL que le redouu-
ble Caonabo le dirpolbit à cliail'er les CuiVillans de les Ktats. L'Amiral fe
hùta d'y envoyer (juatre cens honinies, Ibus le Cornmaiuljinent d'Ojeda,
avec ordre de gard(.r le i'orc, tandis «juc Murgarica, tenant la Campi'gnc
avec les liens, s'elForceroic de contenir les Indiens dans la founiilîion. L'n
autre Mioùf, pMur faire partir un Detaeliement fi cunùdé'rable, ctoit de mé-
nager les provit'ions d'iiabellc, Ov; d'accoutumer les Ca'lillans à la nourriture
,des Indiens, (^jda le lie redtuiter dans cette route, par (juciques eXcrripL-s
de fevérité. Apres avoir laiç couper les oreilles à un Indien, pour avoir
fris la fuite avec quel-jues hardes qu'on lui avoit confiées, il lie conduire,
l'Amiial, cjuatre ou cint] autres Criminels , dont il lui reineitoit la puni-
tion. Colomb, entrant dans les vues, lit publiera feu de trompe qu'ils
dévoient avoir la tête tranchée; mais, avant le jour de l'exécution , il f^i:.i;nlt
d'accorder leur grâce aux inllances d'un Cacique, qui av^it rendu fcrvice
à la Colonie. Li nouvelle, cju'il re;;uc en menvj-tems, q.ùni feul Cavalier
du i'ort de Saint-Thomas avoit mis plus de qiia':re cens Indiens en fuite par
la vue & les mouvemens de fon Cheval , lui lit juger que les révoltes d'une
Kationli l"imple\S:li timide ne ieroient jamais fort dangercufes pour fes nou-
veaux lùabliirviuens.
Il lui tardoit de pouvoir exécuter les ordres de Leurs MajcfLes Catholi-
Sues, qui lui avoient recommande particulièrement d'eten Ire leur Domaine
c leur gloire, par de nouvelles découvertes. Cette cntreprile demandant
une longue ablence, il commen^'a par établir, dans la Colonie, un Confeil,
ou un 'l'ribunal, comnofé de Boyl, de Pero Fernande/. Cortocl, d'Alfonfe
Sanchez .'/r Carv.ijal^ à<. de Jean <lc L'jxm^ auxquels il donna pour Prelident
Dom Diegue Ton Frère, qui n'avoit pas cefle de conunand.'r dans la Vaille.
Enfuite, ayant donné fcs ordres <!;!(: fes inllruclions, il partit, le 24 d'Avril,
avec un Navire vS: deux Caravelks.
Sa route fut d'abord à l'Oucil, par Monte-ChrilT:o vS: Puerto de Xavldad,
d'où il palTa dans l'Ille de li Totuc, mais un vent contraire l'obligea d'entrer
dans une Rivière, i.\ii''iï nomma Guadû!qnivir. De-là, s'étant rendu, le 29,
au Port (le Sai'it-\^ic'jlai ^ il apper(,-ut la l'ointe de l'Ille de Cuba, c|ue les In-
diens appeiloient Bayatiquiri ^ 6: que des raifons inconnues lui firent nom-
■ n\i:r /Jlpha iy Omc^tj. Il traverla le Golfe, qui fépare les deuxllks, par
un
CimrsTnciiE
Coi.OMÎI.
JI. Vcjyn^i:,
1491.
Cioi/,'.) . r?
ilTp.a'ij à il
Gjcrr..
Ri;ucur3 ,
t;-clc.-:l!i-
ci:c!:,.
(3) KIIls d 'vinieiit. encore pliis f;;chcii-
fcs , p:ir K.S mnlaiiics mortclli ■; qui conimcii-
(j'uinit à icgncr dans l;i Ville, (k par iridilH-
culte dy remédier. Une p:iriie des II.ibit;in.s
en fortit; & comme le merveiileiiA ic troi've
toujours '.né!c dans les uviuiture-; des Va]u-
gnols, ceux qui avoient (quitté !;.i Ville di-
rent ,, ([u'on avoit e'itendu d.ins leur (iu;ir-
„ lier des voix épouvant:ibles. Ils afiuré-
„ rent, (jne i]uelqucs-in> d'entr'eux avoicni
,, apperçu , dans une rue, d.ux ranî.',écs
„ d'iiommeà tort bien vêtus, l'é^u'e aucùté,
I, avec des bonnets rctroullls , comme on
Xnil. Van.
les portoit alors en Caftillj; que dans l'c*-
tonneincnt de voir des gens, dont on n'a-
voit pp.s entendu parler dans Tille, ils les
avoient lalués, en leur de.nandant com-
ment i.Nl quand ils étoient arrives; (!s.\i'où
ils étoient venus; qiie ces inconnus n':i-
voient répondu (lue par des figncs , (S: qu'en
Ataiit leurs bonnets pour Ciliier , ils avoient
die leur tète de leur corps, après quoi ils
avoient auflî-tôt-difparu; ce qui n'avo'c
pli manquer d'effrayer beaucoup les Spec-
tateurs", llcncra, ibiiii;m.
Coni'ei:
é'Jlhli dllis la
Colonie.
[.■A:':ir;d
Colomb en-
ti'jpieiid de
nouvelles de-
couvettci.
G
1' R E M I K R s VOYAGES
Cof.OMIl.
1494-
Dt'L-oiivi'i-
ttuKla J;iin.iï-
c;wc.
5^
un cfiv.iv aVnviron (liN-iuiit lii-iics, tl'iinc Tointc à l'autre; & rangeant la
Corc .Mi.iulionalc JjCuIm, il (Lcotivrlf. une graïuic Wwc, à lai|UL:ie il don-
ni le lu.m ilc Ncrtn-Granic. l.c Dimanche, H'-dc Mai, en foriant de ci'
l'.trt il conriniji d'en ddcmivrir pluticurs autres, d(^nt >! uihuira li bcauié.
11 vit dw' lKUirv'SiMoiiraj;!^i.'s vis: i]uantitc liw* !<iviLrcs,JMHju a l.i ''«■'teSud-i>uti.
Eli, (iti'il t-ntrcprit de Tuivre auOi, pour s'avanCvi- v.rs une fj.runde Jlk-,
ruc'li:J /ndi-ns nomnioicnt ;/,/;«../-. 7. Kilo lui p.uut la plus b-lle, de tuu.
t'es celles qu'il avoit viles dans cette Mer; tS: l'apprijchc d'une ijuantiic in-
nombrable de Canots .ui apprit qu'elle ctcic fort peuplie: nuis les r.ar(|ucs,
quiUnvova pour jeitcr la lunJe à peu de dillanee du rivaj^e, y découvri-
rent un Corps d'Indiens armes , qui ne leur permit pas d'y aborder. Jj
;ne rel'ilbuice dans un autre Port, qi'ii uo\x\m:\ Pitetto-hucno^
r de cette barbarie, il fit faire une dtchirti^e de les arbalètes,
trouva la mcuie reli
& s'ciiVuican
C.ip Jcl.1
Cruz.
nv.:c?Ic j;irv'.;ii
0'.; la Reine.
Rcves .
Poiilons, Ce
leurs pro-
T
non
«
a
d
S:i;iuc-M;.r-
lliC.
i rendit Its InTulaires moins audacl.ux, en voyant tomber lix ou llp
uumtn. s de leur 'l'roup;. LeiS, il fuivit la Cote à l'Ouell. Mais, ayant
à combattre le vent, il prit le parti de rerourn.r à Cuba, dans iareloluiiua
d'approt'indir ii c'étoit une Ille ou la Terre lerme.
II. arriva fous le Cap de Cuba, qu'il nomma «/«? A? Cruz, apparemment
parce (]ue les Vaille ux y clTurerenL une horrible timt eie, dont ils ne k
crurent délivres (iue par rinvoea'i'>n de la Croix. Enliiite, continuant an
ran/7,er laCoLe, ils rencontrèrent quantité de peT-cs llKsJes unes couvertes
deiable, d'autres remplies d'arhrcs, mais plus hautes c^ pîi.s vertes à pro-
portion (ju'ellts étoient nîoins éloignées deCuiia.vik: la pliipirt à deux, trois,
ou quatre lieues de uiîlance entr'eHes. Leur nombre paroifl'ant croître, It
troilieme jiiur, l'Amiral perdit l'e'.perance de les compter, iSc leur ilonna le
nom gênerai de JanUn d: la Reine. KlLs lont Icjiarées par des Canaux, où
les Navires peuvent palier. On y vit divi-rfes lortes d'oi'"'e.iux , les uns rou-
ges «ISc de la forme des Crues, qui ne le trouvent que dans ces Illes, où ils
vivJiL d'eau l'aK.e, ou plutôt de ce ({u'il.5 y trouvent de propre à les iiour-
rir. On y prit des licjcs, efiuve de poill'ons, de la grolVeur dvS lKirane;s,
(\: dont les intell ins ont tant d'amertume »iv: d'ùcreté, (juc pour les man^',er
rôtis, il faut les mettre en pièces avant cjue de les vuider. L'expcrienee,
ouïe témoignage des Indiens, y fit reeonnoitre une autre propi.ete, ijui
n'ell pas moins fmguliere. Avec une corde délice, d'en\'iron cent br.ilt-s
de long, qu'on leur attache à la queue, i!i vlont on retient le btnit, ils m-
gent er.'re deii\ eaux, wrs les 'l'oiLUes (jiii ne font pas au-delà de c^tîc
diltance; & lurîqi.'ils en trouvent un^t^ ils s'attaehent li f>,rt à la partie in-
férieure de fun éciille, tju'en reiiran: !a Corde, on attire quelquefois une
'l'eTtue qui pefe j.kis de c^nt livres (</).
J/ Amiral, apprenant des Peelieurs Indiens qu'il trouveroit plus loin beau-
coup d'autres Iiles, con'uiua l'a route a l'Ouell, ians être arrêté par le dan-
ger continuel d'échouer fur les fables , ou de le brifer contre les Côtes. Une
(«"■' 11 rrcn, Cbap. 13. C:.- Poiir-n lachc cmbufcu-ie pour fiiirc de nourclîcs ri^iturts,
f.i pr<.yc;ium-t.'jt iiu'ilclt à l'uir; car il mour fur Iclq.!: Iles il i'ciancc uvcc la t-.èeie vit.-'.ï
roit lur le- champ , fi on ne le rt.ncttoil c^u'une il^ichc duoche\. II. d. L.
prwniptcmcnt fuub l'eau , où il le lieu' ca
s
rangeant la
ic'lc il don.
•riant de c
i li bcauie,
^t'Siid-S(ii|.
rando Jll,",
K' , UL' t()U-
'liMuitc in.
■ S I>ar(jin.s,
' dccoiivri-
)urJcr. Jl
letto-hucii,)-^
:i ri) al '.Tes,
^ ou ftp;
^is, ayanc
rclblutiun
irtmmcnL
it ils ne fc
in liant do
couvert. 5
tos à p ro-
ux, f rois,
foitrc, Il
• tîonna le
naiix, où
s uns rou-
-s , où \h
Il's iiO'jr-
I larangs,
s nian^',cr
vjrifn^v,
.t'tc, ijiii
it br.ilts
c, il^ ni*
i!c CM te
^aitic )ii-
^Ibis Ulk
>iin beau-
r le dan-
:cs. Une
c-iptuns,
;uic Vit. ils
E N A M r. Il I g u r., iwv. r.
5t
fflc , plus pr.iiulc tiiic les autres , reçut le nom de SMute-Manhe. On y trou-
va quantité de l'oillbns, des Cliienîi muets, de /grandes tr(<upes de (irues
TOU'^es, des l'erro^uets & d'auLrcs Oifeaux; mai.5 la crainte fit fuir ks Ila-
bltans du feul Vi!!aî»cî qu'on y découvrit, l^'eau coimnenroÏL à man jtKr fur
le» troi^ i'mrds CaihlLuis. On avoit des rtilbuie .s prefentes «lans l'illi: tlj
Cuba, li l'Amiral n\.ilc rouiiaité de faire auparavant qu.Kpie liailbn avec les
Infulaires. Kniin, prcll'e aulîi par les gens, ii abandonna ies petites Illes,
pour retourner au (.'ap Jj la Cru/,. Un Alitelut , <)ui delcendii feu! au riva-
ge, rencontra trente liomm. s armes de lances, 6i diiuc ù)v:^^ de iMairues
planes, qie les Iii.iienî nommiji.nt Muanas. il en di.Unj;i:a un, qui ,v)r-
Coit un^ longue robbe de coton: mais c.tte Troupe ayant dif'paru, It ih laif-
fer aucune elpéraricj de pouvoir fuivre (es traces, on coiumu'i d'avancer
rcfp.u: • .le dix lieues, juiqu'à la vue de (iueîqiie.s Maifons, d'où l'on vit (or-
tir plii'.ieurs autres IniuiairL.s, qui eurent la liardi-ile o j s'apprcclicr des irois
Vaill'eaux. Ce fut d'eux que l'Amiral apprit, par fes interprètes, (|ue Cuba
ëtoit une lile. ôc qu.- le Koi, qui la gouvernoit, depuis la CoceUceidenta-
le, ne le faifoit obeu* de Ces Sujets cpie par des lignes. Pendant tj i il reCe-
voit ces explication'!, ii s'apperait que Ls Couraiis lavoient jet;e fur un
Bine de fable, d'où il n'eût pas peu de peine à ('e dégager, pour aller j\l-
ter l'ancre dans un Canal fort profond. Il y vit les (lots tout couverts île
Tortues; & dans le nienie-tems, plufleurs nuées d'oifeaux, qui venoient
de la Mer vers fille de C uba, lui déroberont la vue du Soleil. Le lende-
inain, on vit arriver, autoiu* des VuilVeaiix, un li grand nombre de l'apil-
lons, que l'air en étoit obfcurci; ôi cetr.e elpècc d'orage ne fe dilîipa quo
vers le foir. On prit le parti de faire de l'eau àc du bois, dans une Ide ijui
ne paroilVoit pas avoir moins de trente lieues de tour. Elle fut nommée
VEvanirclijle, & l'on croit ijue c'eft l'/yi^? dis Pins d'aujourJ hui. L'Amiral
la crut eloir,nec d'environ fept cens lieues de la Dominic[ue. Cette derniè-
re découverte étant de trois cens trente-trois lieues, il jugea, parla mc-
furc adrononiique de fon Voyage, que depuis Cadix il avoit parcouru l'ef-
pace de ^'oixante-quinze degrés en longitude, qui faifoient, pt)ur le tems,
une diiVérence de cinq heures (/>).
Le 13 de Juin, il lit gouverner vers le Sud; mais, étant forti par un
Canal qu'il avoit jugé le plus fur, il eut le chagrin de le trouver fermé.
Les murmures de fes gens, 6i Wi ()r(ipre inquiétude, ne rallentirer.t point
fon courage & fon indullrie. Il retoiirna fur i'cs traces jufqu'à l'F.vange-
Mfle, d'où il prit fa route au Nord-Lil , pour rcconnoitre quelques liles
qui fe préfentoienr a la dill uice de cinq lieueS. C)n s'y trouva dans une
Mer taclietée de verd viv; de blanc , dont le fond n'étoit que d'environ
deux bralVes. A fepr lieues de-là, elle paru: fort blanche & comme ligée.
Sept autres lieues plus loin, on fut beaucoup plus furpris de la troin"er aulîi
noire que de l'encre; les plus habiles Matelots admiroient cette djlférence
de couleurs, ilans un efpace fi court. On fe rapprocha de Cuba, d'où l'on
prit la route de rr.fl:, avec cics vcms fort variables, Ck par des Canaux rem-
plis de fable. L'Amirai y échoua fort dangereufenient, & ne fut redevi-
Cifin-rcMti!
C'i. Mu
Il.Nnv ;;.
I4yi'
OlilcivJt . ,1.
ir-ivwi!i.
i;>.îiru.'.
S'.ippiuation
ik' l.i n'.i'jj de
rAïuir.tl.
I^kr taclk-.
&. Je bluic.
bl
l.'Amir.il
(.'■'.■Iiouc avec
{h) Le niûme, Cb.ip. 14.
Cr 2
5"-
Cirj^Torrii: t^je tic la con'-crva
PREMIERS VOYAGES
ion de fon V'aifTcau qu'à la propre habilctc. Jl
COI.OMI'.
jl Vo\M.;c.
14^4-
tVavanccr
dans une
0!c des Coiiraiis
fans delllin vS: lans ordre, c
n
luivant les lianes & les
contimij
anaux
Mer fort blaneho, cxpule chaque jour à la violence des Marées
ns. Enfin , les trois Vailïcaux fc retrouvèrent près de Cuba,
Cote d'où ils avoient pris leur route à l'Kll. On y fentit lc5
ne des feux li'ime l!le v\.i les Ihbiians ne
fur la même
plus douces odeurs , qui venoi
bruloienr qu
des herbes aronv.u: ques vX des arbr
oJo'.iferans.
11
qui"
i:.:
' Ci.j::
Lr. I- de juin , pendant que l'Amiral faifoit célébrer les Saints Myflèrcs,
fur le rivage, on v vit arriver un via.x Cacique, qui parut lurpris du rel-
ies Caliilians /Tardoiint au pied de l'Aiftel. Jl contem-
p CCI 'a eux lilence qu
la ionff-tems tou
tes les cérémonies ecelefiailiques; Cs: rcconnoilTant la fu
pu-
riorite cle l'Amiral, a la i'aix que le Prêtre lui fit baifer, il s'approcha de ù
perfonne, pour lai prcfenter modeilement quelques fruits de fille. Enfui-
te s'etant atîis à terre, les genoux plies iuf|u'aii menton, il iui tint ce di!-
d'un ton dont Colomb fut li frappe, qu'il fe le fit expliquer aullî-to:
cours ,
K-i idcjs l'iir
l'A:iar;:l
55
55
>)
5»
par Tes Interprètes. „ i u es \enu nans ces i erres, que tu n avois jamaij
vues, avec des forces qui répandent l'elVroi parmi nous. Apprens" néan-
moins que nous rcconnoillbns, dans l'autre vie, deux lieux où doiven;
aller les âmes; l'un redoutable tS: rempli de ténèbres, qui ell le partage
des mèchans; fautre, bon è^'v: délectable, où rcpofent ceux qui ainient'h
paix eic le bonheur iles hommes. Si tu crois mourir, lî tu crois que 1:
bien ou le mal que tu auras i'uL te iera rei;.!u, j'eïpere que tu ne feras
point de mal à ceux qui ne t".n feront puiiit. 'i^out ce que tu as fai:
jur.|u'à prefent ell fans reproe'ie, parée qu'ù me lèmble que tes dcfleins
ne tendent qu'à rendre graces à i)ieu (c). ^
Dans l'étonnen^.cnt; d'entendre Ibrtir ce difeours de la bouche d'un In-
Rcprinfcdo dien, l'Amiral lui répondit; ,. C^u'il le rejuuiffuit beaucoup de voir l'im-
„ mortalité de l'ame au nombre de les eonnoillànees; qu'il lui apprenait , (S:
,, à tous lesHabitans de fa Terre, que les Ruis de Cailille, leurs Seigneurs,
,, l'avoient envoyé pour favoir s'il yavoit, dans leurs Pays, des hommes
,, qui fifTent du mal aux autres, comme on le difoit des Caraïbes; qu'il a-
,, voit ordre de les corriger de cet ufage inhumain, *S: de faire régner la
,, Paix entre tous les liabitans des liles". LeCaeique, à qui l'on expli-
qua auiVi cette reponfe, verfa quelques larmes après l'avoir entendue. 1!
fit dire à l'Amiral, que s'il n'eût été retenu par iun aiieCtion pour fcs fem-
mes & fes enfans, il auroit fiit volontiers le \'o\age de Callillc avec lui.
On lui fit quelques prefens. 1! les reçut avec adiuiration; vS: mettant les
genoux à terre, il demanda plulkurs fois il e'etoit du Ciel que ces Hom-
mes étoient descendus (^/)y
En quittant ce lieu, les Caftillans efTuyèrent une fi furieufe tempête, qu'ils
ne crurent devoir leur falut qu'au fecours du Ciel. D'ailleurs, les vivres
étoient prelqu'èpuifcs fur les trois X'^aiileaux, vîiv: l'on y etoit réduit à vivre
de Poiflun , qui ne manquoit pas, à la veritc, dans les Caïuux v.S>; fur le
bord des illes. Le i8, on revit encore le Cap de la Cru/, où les récits du
vieux Cacique avoient rendu les liabitans fi traitables, qu'ils apportoient
volotl'
(c) Le mcme, Ga;-. 14. (d) JlUan,
TcnipCtc
vol ont al
'»■*»■,
m>,
n continu?
es Canaux
es Marccs
i de Cuba,
'cntit les
abiians r.^
-My/lcrcj,
fis du rcl-
cc;ntcir.-
fit la iljpc.
3cha (le /a
i'infui.
n ce dif.
r aul]î-to:
JÏs jamais
LUS ncan-
1 doivent
• partage
îinKiuYi
is que le
ne feras
I as fal:
dcfllins
d'un h:-
oh- J'im-
:noit,&
igneurs,
honiUKS
(ju'il a-
gncr la
n cxpli-
Jue. Il
rcs fi.m-
vec lui.
tant les
i Ilom-
", qu'ils
Vivres
à vivre
: fia- le
cits du
rtoienî:
voloa-
EN A M E R I Q U E, Liv. I. 53
'Volontairement à Hord dos fruits & d'autres provifions. L'Aniiial prit,
avec confiance, trois jours de repos parmi eux; <b'v L- 22, il fe rapprocha
de la jamaUftc , à laquelle il donna le nom de St. J(i:\o, (in'ellc n'a pas c; n-
Ifervé. Ses oblervations fur la Côte, en defcendauc vers 1 Oucll, lui firent
'(âécouvrir quantité de beaux Ports, & reconnoltre les cxcelkntcs qualités de
la terre. Il vit, dans une très belle Baye, un grand nombre d'I.la'oitans, fms
recevoir des Infuliires aucune invitation à defcendre; ce qui n^. l'empêcha
Étoint de prendre une exacte mefurc de l'Illc, qu'il trouva longue d'tnvi-
ton cinquante lieues, Ol^ large de vingt.
Le tems n'a\-uit pas celle d'être orageux; mais d'autres vents l'ayant
fait changer tout d'un coup, il rcfolut de prendre la route de l'Kil:, Vers
'TJCfpngnole, pour s'avancer jufqu'à l'extrén^.ité de cette iile. Un Cap,
qu'il y découviit pour la première fois , & d'où l'on voit fille entière, re-
çut le nom d'cl C.ibo de i'croL Le Mercredi, 20 d'Août, i! apper^j'ut le
Cap Occidental de la même Kle , qu'il nomma San Miguel , & qui s'appelle
aujourd'hui Tiburon, éloigné d'environ trente lieues, de la Pointe Orien-
tale de la Jamaïque. Vers la fin du mois , il alla mouiller près d'une pe-
tite llle (ort liante, à laquelle il donna le nom d'/Hto-ve'o, à douze lieues
d'une autre, qui {\\t nommée la Bcaîa. \Jn coup de vent l'ayant) fépare de
fes deux autres Vailfeaux, il fit monter au fommet d'Alto- vélo, pour les
découvrir. Ses INIatelots tuèrent, dans cette llledefertc, plufieurs Loups
marins, qui ilormoient fur le fable, & prirent à la main quantité d'Oi-
feaux , que la vue des hommes ne paroiflbit point effrayer. Les deux Na-
vires arrivèrent lix jours après. Ils n'avoient pas ete jettes plus loin que
la l^ata; d'où s'étant rapprochés de l'Efpagnole , ils avoienc découvert
une Campagne ibrt peuplée, qui prit enfuite le nom de Catalina^ de celui
d'une Dame Indienne à qui elle appartenoit. L'Amiral fit remettre à la
vt'ile vers l'E;l , Ok; vit, fiir la même Cote, une grande llabitat-t.n, où
fes Marques trouvèrent moyen de faire de l'eau. jNlais les Indiens fe pré-
fentèrenr fur le rivage, armes d'arcs <k de lleehcs. Ces Peuples, dont la
Province fe ncjmnioit //;>'/(y, palfoient pour la plus bclliqueufe partie d<.i
Infulaires. Ils avoient fart d'envenimer la pointe de leurs ILculS, av^c
«ne préparation de certaines herbes qui croillbient dans leurs Montagnes.
Cependant auil;- lot qu'ils virent aborder les Barques, avec des lign.s de
paix & d'amitié, ils s'cmprefferent d'y apporter de l'eau (iJc des vi\res.
Dans le cours de cette navigation, qui fut continuée vers i'Ell, on vit
un Peillun f "-t monllrueux. Sa graïuieur étoit celle tl'une petite i)a!:'ine.
Il portoit fur le dos une cfpèce de conque , qu'on aiiroit prife j-'Oiu' un
bouclii.r. Sa tête , qui paroillbit hors de l'eau, n'etoit pas moins groiié
qu'un tonneau de mer; cî^ ia queue , aiTez femblable à celle d'un ton, al-
loit toi.JMurs en groniiPant vers le corps. Deux ailes, (jui lui fervoient à
nager , eu i^nt d'une grandeur extraordinaire. L'Amiral {irit moins de
plaifir q'ie i'.s gens à le conliderer, parceque fon expérience lui faifant re-
cueillir Ls m':'indres figncs, il conclut, de la vue de ce Monllre C'^ de
quei'jues autres obfervations, qu'il etoit menacé d'une nouvelle tem.peie.
Il s'eObrp de le m.ttre à couvert, fais une llle,iiue les Indiens nomm.}i.tit
/^Jainuhuy y 6* qui reyut de lui le nom de Sama. Lllc forme un detr^ii u'u-
G 3 ra
CniusTorijE
COI.OM!!.
II. \'oy;i[;e.
I 4 9 -y
C iI0II|!k'.(I:1.
lie If i:or,i de
S'. Ju;o à lu
Ji,iii;.Ï4UC.
Il rcvicn i
li>rp;i,';no!e.
CapïiicIVri»;
£^ dcSc. Mi-
f iic'l ou Tibu-
ron.
KL- .l'Ait.. -
vclo 1^ de la
Ikata.
d une ;Hicre
p irtic de I Ef-
p-iiri',i,.lc.
r'iiTi.nmon-
l.!liwt..\.
ifli-rniliméft
S..c:.U. .
■»1W»J!,|
CiinïSTorTiE
11. Voya-c.
tlL'piiisik'l En-
g:ino.
Uh lie ;,i
i;,\in:;:il
t. .iivc iJ.ir-
t'iL'le;:!y , ùva
Frère, à iù-
de Do'Ti Uiir-
t;v.!e;i;7.
S.,. P R E i\r I K R S V O Y A G E S
uc lieue de largeur, qui hi Icparc de rEfpagnolc, & long d'environ daix
lieues. ÎNÎais iorfLiu'il V entroit fort hcurciilcmenr, iVs (.\cu}i autres Navi-
ves furent enlevés ù fa vue, par un tourbillon qui les porta bien loin ciiliau-
te Mer. La tcmp-."e ayant liuré luii: jours, iiu'il palTa clans cette rcir;;!-
te, il eut la latisfafLi tn de voir reparoicre Us deux llifunciis, Ci; àc pariir
avec eux le 24. de Septcnibre. Ils arrivèrent au Cap dj l'ij'pa.^nole, (prun
CL niimmé depuis (Ici /-ji^m??!; , tlk qui re(;ut alors le nom de .S';;i Ruph.icl.
])e-là ils s'avanccTcnt encore plus droit à J'Kll, julqu'à um petite Me, qui
n'e'l (ju'à huit lieues de l'orrorie, c\: qu'ils appellèrent la Mon.i. Ce fut le
terme de cette lonj^ue vîs: d ini^ereufe courfe. I/.\niiral y tomba dans une
Icihargie li profonde, que tous fcsr;ens, allarmes pour ia vie, tournèrent
auni-tuL la pr>Hie vers leur Colonie d Ifabelle (c).
(^uoiQ,Ui. fa fanrè fut foibie encore, à fon arrivée, Iaj<'ye qu'il eut d'v
trouver Duni iju'di^lemy , l'on Frère a'nè, ler\ic prninpremeiu à !a rcM-
blir. lis ne s'etoienr pas vus depuis treize ans. U:i doit fe rappeller Ls
premières avantures de Bartiielemy , après l.ur fcparation. Il ctoit palTc
en An;];'ercrre, où Ton fcjour, qu'l lerrera fiit dur^r fept ans, ne peut cnv-
explique que par des fuppoùuons arbitraires, telles ijuc ia Uniear de \\
Cour a l'eeouter, es: l'.-.vantige qu'il trouva lui-memc à s'arrec.r dans cet-
te Lie, p )ur y vendre des Cartes (Jeographi(j!!cs èv; d.s Sphères. Il n'^a
cft pas m')in3 è'range qu'il eut laillè paffer tant d'années lans donner de
les nouvelles à fon l'rère, & qu'il n'eut appris qu'en France, en v padant
à Ion retour . rinutili.e des ouvertures qu'il venoit défaire au Roi Henri
\U. Ce fur à Paris, dans une audience qu'il obtint de Charles VIII, cju'ii
fut infor;rè, par la bouche de ce i'rince, de la découverte d'un nouveau
Mon le. Il fit beaueoi'.p de diii.j;ence pou;- arriv.r en Efpague avant le fe-
comi Voya;j;e tle i'r.:\ Frcre; mais la Flotte Callill.uie avant déjà mis à la
voile, 0,1 lui remit une nntruction , que l'.Amiral avoit laill'è'e poui
!l!l.
va l'es deux Neveux, l)ie:j;o & Ferii.md Colomb, Paires du Prince
mini ir(^ i.c
r.l Ciii>.i.!, ;,
C-rr;ie-, C ,-
ï\..ï:..:u
iro;
ù'I'if^a^ne. _ Leurs Majelles Caruoliijues le re(;urent avec des témoijuagcs
cxtra-»r.iin lires de faveur, 6c lui .i.îniitrenc prcfquc aulii-tot le Commande-
ment de trois ^'all^eaux, char,e,es de vivres , qu'elles env^y )ient il l'Ami-
ral, li avoir mouiiiè dans le l'e.rt d Ifubwlle au mois d'Avril, peu de jaur^
après le départ de {vn l'rère (/').
Li-s^ proyiiions , qu'il avoic apportéesà laCoionie, ne pouvoient arriv.r
dans des circonlbuces plus prj.iantes; mas elles ne fulHîbicnt pas p^".r
tant de bouches, c\; 1 1 necelliie reconiinen^a bientôt à l'c laire f.ntir. Ciie
autre lource de del'ordre fat la iiccnce des (îens de (guerre , (jue l'Amira,
avoît laiiles fous la conduite de Mai^arita, Cet Oilicier avoit reçu ordre
de viliter toutes les Province-, de rille, en fùfant obl'ervcr une exacte dn'-
Cîp.jue; c'ec*.it trop cx!^^•r d'un Corps de 'l'ro'ines, (jui manq-ioit du ne-
ceilan-e. Aufti les Sol.iits CallilLns, qui trouveVeuî les In liens p.u difpa-
iei a leur iournir d.s vivres, empl ^yer.iu- ils l.i vin!..nce pour s'en procu-
r .;. ^ A;ors toutes Ls Puillauces oe fille l'c reunirent contr'eux, a la refer-
ve ue (uuacanugtn , donc Lo Etats porioicnt le nom de Maricn. Dora
Du-
Dieguc,
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(/) ll'i'.iin. Chv\ 1.1.
f-lf^h-f^.
EN A M E R I Q U E, Li V. I.
5S
Diegiic, Gouverneur dlfabclle, fit Aiircsù IMar/'arira, deS remontrances de
îa part du Confcil. l'J.les ne fervirenc qu'à l'irriLer. Iva ûjviù de fa naif-
fane\' lui rnifant loufTrir impar.iemment l'autoiitc des Colombs , il Te retira
dans le l'urL de SainL-Thoinas , d'tni Ils gens eurs^nc la libjrté d'employer
Joutes forces dévoyés pour remédier à la faim cjui ks prcflbit. 11 y etoit
expole lui-même; C\: les Jliiloriens lui font honneur d'une action fort no-
ble, qui mériteroit; plus d'é!o|.;es, s'il y avoit feu joindre un peu de modé-
ration dans la conduite. Un jour, que les indiens lui avoienc apporté
j^ux Toarierwlles , il les re(,-ur. , & les paya liberalen-ient. Elles eioient
vivantes encre les mains. Il pria fes Officiers de monter avec lui dans la
partie la plus élevée du IVjrc ; & dunnanc la liberté aux deux Oileaux , il
dit, Il ceux qui l'avoienc fuivi, qu'il ne pouvoic fe réfoudre à faire un bon
jrepas, tandis tju'd les voyoit mourir de faim (g).
Cv. n'étoit. pas le feul niai qui le tourmentoit. Depuis quelque tems il
foulTroic de vives douleurs, qui troubloienc jufqu'à fon fommeil. On a cru
qu'elles venoienc d'un commerce trop libre avec les fcmnics de l'Jile. Mais,
les atiribunn au climat, ou à la mauvaife qualité des nourritures, il prit
enfin la rélb!u;.ion de retourner en l^lpagne. Ce deflein le conduiiîc à Ifa-
belle ,ou l'on mécontentement, & le mépris qu'il avoit pour la nouvelle ^s'o*
bielle du Gouverneur, lui firent éviter de le voir. Il ne garda pas plus de
ménagcmenc d-ins 11 s diîcours ; & cette conduite lui fit un gi'and nombre
de!\iru!ans, entre kMqueLs lîoyl affeela de fe dillingu.r. Let imprudent
îldiiîionnaii'e publia qu'il aboie détromper les Ruis Cathuliv^u^s des faulîes
idées qu'on leur iailbit concevoir de l'Amiral Ck de fes entreprifes ; Ck , joi-
gnant l'elTet aux menaces, il paitit, avec AJargarita, l'ur les mêmes Navi-
res qui avoicut apporté ])om Barthélémy. En arrivant à la Cour d i'^fpa-
gnc, leur hiine fe déchaîna contre les Colombs. Ils publièrent qu'à la vé-
rité riile Eipagnole avoit un peu d'<jr , mais qu'un en verroic bien- tuC la
|p, Ox qu'un avantage fi léger ne valoic pas tant de depenfes, ni le i'acri-
fijfce d'un fi grand nombre d'honnêtes gens; lîs: cjue s'il éioic quelHon néan-
moins de îb'iLenir la Colonie, on lui lievoit donner des Clï:fs pius ca[);U)les
de la gouwrner. Telle fut la lin de l'apollolat ilu Père i)o\\ , le premier,
nouveau
Mua-
dit un /Vuteur tie l'on CJrure, qui ait annoncé l'Evangile dans
(,fj) I.cs lliPicricnsn:' s'accordent pr.p dans
ÉorJrc ùiî tous ces l',vci!C!mns. Ov'cdo,
Au"-iont, i)'(.n ;::!ritc .uicun , cs: iVsniile ne
confiilrer que l'i iiKinoiic; ni.iis il fait imo
peintuie fort étrniitr' des cxocmitc.i i>ii les
Callillaiis furent réduits. ,, Ils iiKiiif^ùeiit ,
,, dit -il, tous les Chieiij CoUiucs de rifle,
„ qui ét>'ient nua-ts «S: n'abvivoicnt point.
Ils in;ini:èrent aulîl toutes 'lus Ilutious,
tîus les Ou^niis, & ;;utres nnimniix, t:int
Mohnys ijûe C'/ri.i- , c|ui font connue iii;e
forte de pitits I.îipiiis , qu'ils pr^noient
avec les Chiens qu'ils avoieni aiiiuiésd'Kf-
„ iv,i'j;ne. Iv-siin , i!^ miiv^èrent leurs pro-
„ nr->, Cijci.s, iS. Ijrùiu'di cuieiu dépcu^Mé
,, ri fie de ccf. cinq efpèca^ dePètcî à qii; tvr
„ pi:ds , ils furent coiurnints de mnn.rvr d.s
,, SerpeiLS, ne pardoUMniit, ni aux l.é/.-.-n.^,
,, ni aux Couleuvrvs . i;ui t^tvient en ;;i;ind
,, nombre, taclictées de couleurs diveri^s,
ni:i!s
fans être vciiinieafes '
.e nieiîie
Ill'dovien s'éfriu bcinicoup fur un autre mai,
qu'iis avoient à combjttre, e^ qui tto t ce-
lui qu'on a nommé nud ■ à- propos le mal
(,'c jV..'//.'v cV le mal François, il rend comp-
te ;iudi naturellemenr de fun origine, que?
de la manière dont il cil puî'é en Kurone.
I.'V. ?.. Cbap. IT. tv 14.. l'oyez ci-defioji
lu Defcriptioii de l'Ul'i a^'.ole."
Citl'.MTOPHE
Co!.OM,l.
11 Voy:,:;c,
Action no-
ble de \).m
Pedre Marga-
rita.
Ses infiriP'
tés le font re-
tourner en Ef-
p:! ;i:e avec
d aiitrcs Mé-
conteiu.
Mauvais of-
fice (p.riis y
rend, i r -lux
Colouibii.
Wy^''
"^♦.«;
(.iii.ifTCiiir.
C'Jl.OMH.
IL Voy.ij-.
14 9 4-
U.ircl-.clcniy
Colomi) c;l
uvt}t;i du :!•
irodAdch::-
t.uic.
S or. cnr.ic
L'Amiral c:i-
tripr^nJ. l;i
(;Lii.'rrc con-
qiîjî L.i;:c-
Aitiiiccd'O-
jc'J'i ; (iiir ic
laifir'dj C.io-
iiubo.
56 p R E M I E R S V O Y A G R S
Monde, *S: qu'il Te plaint qu'on n'ait pas mis clans les Têtes de i'E^life,
avant Saint François Xavier (/.' ).
L'Amiral, qui le trouva parti à Ton retour (0,\ s altliii.ea d un mal, au-
quel il ne pouvoit plus remédier. 11 reçut une vilite de Cîuaeanagari, qi:i
lui témoigna l'on cliaifrin, de n'avoir pu lauvcr plulieurs Callillans de ij
fureur de leurs Ennemis , Cis: (jui lui olVrit Ion lecours pour les vanger.
Ces offres furent acceptées. l/Aniiral relblut de porter la (".ucrrc aux Ci-
ciqujs: mais, avant Ion départ, il reVv.'cit ion l"rère d'un titre qu'il cru:
ea^xible de le l'aire refpLCt.r. Ce l'iir eelui d'.IidnitûJc, eu ^ Lieutrn-uiî
Cîeneral dans toiites les In Je?. La Cour l'Efpaijjne trouva d'abonl alk;
mauvais qu'un Emploi de cette importance eut etc donne fans la participa-
tion; mais elle ne lailla point de le confirmer. Au fond, Dorn HaniicL-
my en etoit digne. Il entendoit parfaitement la Navigation. 11 avoit d,
la prudence 6c du cGura;j;e. 'IV-ns Ls Hilloriens conviennent qu'il auro/.
pu rendre de grands Icrvices àrEfpagne, i\ fon humeur un peu violcnu
n'eût e.xcite des jaioulljs Se des h. unes, qui firent manquer plulieurs Li
les plus fages Os: ies plus glorieulls melure?.
Cr.rf:ND.\NT quelques jours de redexion firent juger à l'Amiral , que !.-
petit nombre de Troupes, avec lequel il fc propjfoit de tenir la Campa-
gne, pourrolt é:re accablé par les Indiens reunis. I! crut devoir tenter !.i
furpnfe & la ru'.e, avant que de faire éclater les dedéins. Caonabo, lui
paroilVant le plus redoutable des Caciques, il tourna tous fes foins ;i le lai-
re enlever au milieu de fes Liais. 11 lavoit que ce Prince, (|ui prenoit l:
titre de Loi de MiJ_:^uana, faifut beaucoup plus de es du cuivre tS: du lai-
ton, que de ''or, <!\: qu'il avoit fouvent marqué une vive palîion d'obtenir
la Clocne de l'P^glile d'ifabelle, parce qu'il s'etoit ima^^iné qu'elle parloir.
Il fe fervit de cette connoilTance , pour le faire donner dans un piège, i.l>r
Ojeda, qui conv.nancloit toujours (Kins le l'ort deCibao, prit fur lui l'exé-
cution. Oa fit courir le bruit qu. les Callillans fouliaitoient une Paix coi:-
ILmte; & que par dts fentinvjns particuli>.rs d'eflime pour Caonabo, i:?
penfoi^nt à lui faire des préfens confuierahlcs. Ojeda partit du Tort, avi.o
neuf Cavaliers bien montés, fiu.^ prétexte de porter les préfens de l'Ami-
ral. Une fuite 11 peu nombreui'e ne pouvant înfpircr aucune défiance, .
iiit reçu fort civilement à M:i;;uana , qui etoit la relidence ordinaiie du Cr
cique. y\près quelques expiicuions, il lit voir, à Caonabo, les pre'ciis (j.'.
avoit à lui ollVir. C'étoient c;.\s i^'ers, tels qu'<'n les met aux pieds vN; ..:..\
muins des l'or(;ats, niais de laictn il j^oli, qu'ils paroillV'ient d'argent. 1.
lui tiit ijuc Ces inftrumens etoi-nt des marques d'iinnneur , dont rulaj.
etoit relerve aux Rois de Callille, Oie que, dans le d.lîein oii l'Amiral ét.> i:
de le traiter avee la plus liante di'.'tinction , 11 ne failoit pas diilicuiié de !...
eP.-
{b) Ililloir!.' JjS.-i:n-Du:-,iiiij!;o, Lk. 2.
pvc. ifr.
( i) On Ht d.!i\> (/M'fdo , OUI.' .M«:!.;.uit;i
& l-uyl fiircvt rn!.;-c;;c-, p;r'le Roi C^i I:i
Rei:-. • , (|ui voulini.r.t ûtic inftruits do la
tuiKÎv.'t: de; Coion.bs , coiiUC leùiiicl, i',-;
avolfit àiia reçu di.> plainte-;. H. ri. :
(ii: (]iic ce tut la crainte du chàtimcnc i! •
tic i .iitir Marfi'.iriia, C'c qu'il tut .-iccom;'.;-
Rné lie Boyl (S: de quelques- uns de l-'i^-'
Partiiaib.
ènvoycl
feilloit
bue fc
de m:ij(i
fe déliai
milieu
mirent
la vue
Tétant
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tât l'au
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qifil le
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tenter ;,i
nabo, h;;
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(.l'tjbteriir
.' parloir,
ge, ^Iry
lui l'exc-
ai A e'oii-
nabû, i:$
rt , a\\:
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lanee, ,
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l l'n';;j.
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é de I,.;
ILrr-ri
imcnc i]'-
:iccom; .;•
lie IvU.J
K N A r^I F. R I Q U !•:, L i v. f.
57
envoyer ce qui n'avoit appartenu jufqu alors qu'à Tes IVIairres; qu'il lui Cf^n-
feilloit de fe retirer à l'écart, pour le parer de ce précieux ornemuni:, Os:
bue fc prefentanc cnfuitc aux yeux de ies vSujets, il paroîtroic avec nuniuc
de inajcllé que les Rois de Caltillc. Caonibo donna dans le piegi-; & ne
fe déliant pas que neuf ou dix hommes eufient la liardiellc t!.' Tiplulrer ;ia
milieu de la Cour , il fit l'gne à les gens de ie retirer. Ceux d'Ojeda lui
mirent les Fers, le iailirent brurjucment de lui, après l'av^.ir intimidé par
la vue de leiH-s armes, & le placèrent en croiipo derrière leur Ctitf, qui le
rétant fait lier autour du corps, reprit au galop le chemin d'l<ab.lle, avec
fa proye. La joye de l'iAmira! lut extrême , en fe voyant maître du 13c-
ilruàle'ur de foii premier Etabli iTement, & du feul Ennemi dont il redou-
tât l'audace. 11 le tir.t enchainé dans fa Mailbn, l'ans pouvoir adoucir
néanmoins ce carnélere farouche. Loin d'en tirer quelque mar |uc de rel-
peèt & de Ibumiluon, il remarcjua qu'il aileftoit de ne le pas laluer, lorf-
qu'il le voyoit paroitre; tandis qu'il en ufoit plus civilement à l'égard d'O-
jeda. Il voulut lavoir de lui-même la raiibn de c^'tte diilerence: ,, c'ell,
„ lui répondit Caonabo , que tu n'as pas ofé me venir prLudre dans ma
„ INIailbii, & que ton Olficier a plus de cœur que toi". Un homme lî ré-
folu parut dangereux jufques. dans les chaînes. On prit enlliite le parti de
l'envoyer en Elpagne, & de l'cîmbarquer, malgré lui, fur un Navire, qui
étoit prêt à faire voile; mais une tempête, qui enfevclit dans les Ilots ce
Bâtiment & plulîeurs autres, fit périr le malheureux Cacique, avec tous
ceux qui l'accompagnoient ((■).
On vit bientôt arri\er , au Port d'Kabelle , Antoine de Terrez, qui
ëtoit renvoyé avec quatre grands VailToaux, bien fournis de vivres & de
munitions, & qui remit, à l'Amiral, des Lettres du i6 d'Aoïit, par lef-
Îiuelles le Roi & la Reine lui témoignoicnt une extrême fatisfaction de les
crvices. Ils lui demamloient le récit de Tes Obfervations, les noms & les
diftances des Illes , & toutes les elpeces d'Oifeaux , qui n'etoient pas con-
nus en Eri)agiie; <k pour établir un Commerce régulier entre le nouveau
Monde Ck ranciuii, ils règloient que des deux côtes on feroir partir, tuus
les mois, une Caravelle, qui n'auroit pas d'obllacle à redouter dans ia
courfe, parce que tous les difl'érends étoient terminés avec le Portugal.
On av<KL fixé, par de nouvelles mefures, la Ligne de démarcation. Leurs
Majeilcs Catholiques envoyoient , à r.\miral, une copie du Traité, en le
reliant de veiller ù l'exécution , lui ou Dom Barthélémy Ton Frère, pour
le tcms dont on étoit convenu entre les deux Couronnes. A l'égard d'Iia-
Cn-i''-T. i'fie
C'.T.OM!!.
II. Vi'Vvzc,
1494'.
C'onniciit; À
innicr
ll/iracr.
cinnicr.c yvi'
l
(fc) Hcrrcr:\ , Livre 2. Ch.ipitr-' ifu ()•
yicdo i.^ l'icnr AInrtyr ni; s':iccoi\lc!it point
ici avec ILircta, \n inùinc cntrciix. Le
priMuicr ricoiuc fimplcniciic (juc le Caciiiiic,
ayant été faic piifonnicr avec un ilc tes !''rè-
res, niiiirut en Mer du cha;;rin de le voir
tondiiit en Klpiii^ne, J/tv. 2. Cb tp. i. L'au-
tre dit (jiie Cauna'io , foilicité \\\r Ojeda
d'entrer en néj;ociation , alla le Unnver avec
une fuite no!ii!)reine, pour cîicrclv.r l'occa.
Xnn. Part.
bel-
fi(>n de Liicr l'Amiral; que dans la nécefTité
de le prévenir, on trouva le moyen de te
tiiilir lie [a perlonne , iX qu'il mourut de
eliai^riii fur Mer. DccaJ. i^.Liv 3. {j* 4 U
tenible que ce.> premiers Ilitlorien.s n'étoiciv
point encore informés du fond de lartilke,
tlonc on peut croire , en eiVet, iiue les Caflil-
laiis ne le lircr.t pas d'abord homuiir. l.'oc-
calion & ies circonfiances du dépait dcCi'.o-
nabo tetcv.t remarquées dans la fuite.
II
l'icrté de cr
Cacique da'^k
ijS cl'.. 1111-'».
Comment il
périt d.ii:s la
l'uite.
Arrivée d'u-
ne noti\e!le
Flotte d'Et^-a-
Inforinatiop.ï
(Te favc'.'.rs qus
l'Amiral rc-
ç lit de la
Cour.
♦^*.
58
P R E ]M I E R S V (^ Y A G R S
CiiRisToniu
Cui.oMn.
II. Voy.u;c;.
^(•'.iiov.'nio'it
^: t iiitf I liL'
belle, du Fort do i-'aiiU-'i lunns, vSc tic to;is \<:s nouveaux Etablilllmcns,
comme de Temploi i.ï^s '1 /oupes CailillaTics, le i\ui vSc Kl Kciiie appioii.
voient, laiis exception, ce qu'il avoic juge convenable t-'i ncccllaire, p.it
dts râlions génciaa's d"elVune & de cûnliaiiec, ijui lair .luruicnt fait preii-
dre l'on conJei!. s'ils eulV-ni é'é prti'ens { /). L\s marq^ic^ de la plus ha:;.
te f.uvur ie confolCvv'nt des ch,i{;iins qu'il elîuyoit conLin'aelleintnt, «!S: dun-
iièrtni. beaucoup plus de poids à l'on autoriic.
L'\NME touchoit il la fin, lor-'lju'il apprit (]Ue l'cnicvemcnt de Caonabo
avoit lluilcvé l'iùe entière, Cv: qu ; k.s trois l'rères de ce l*riiice alllm-
bloieni une nombrcufe Arniec dans la \'ega-Keal. Il ne s'étonna point d.
leurs préparatifs, l.v Roi de .Maricn , qu'il lit avertir du dcilein où il
cioit de l'e mettre à la tête de r«.s 'rr(nipLS, vint L' joimlre avec un Corps
de i'es plus braves Sujets. Les Callillans, capables de llrvicc, ne mon-
toi^nt pas à plus de deux cens hommes d'Inlantcrie Oi: vingt Cavaliers,
mais l'Amiral y joignit vingt Chiens d'attaciie, dans l'opinion que leurs
morfures e\: leurs aboyemens contribueroient autant (pie le Tabre Ci: la
mo'.iiqueterie, à répandre l'épouvante dans une multitude d'Indiens nuds
C^ lans ordre. I! partit d'iliibeile, le 24 de Mars, av;c l'Atlelantadc e\;
Guacanagari. A peine fut -il entre dans la Vega-Keal , qu'il decouvri:
l'Armée ennemie, forte de cent mille hommes l >« \ c5c commandée par
Manlcatcx , un des Frères de Caonabo. L'Adelantade entreprit l'ur ie
ciiamp de l'attaquer. Jl y trûu\a peu de reiiilance. Ces malheureux In-
fulai/es, d(;nt la plupart n'avoieni que l.urs Iras pour defenfe. ou cjui n'c-
toieîit pas accoutumes du moins à des combats fort fanglans, furent étran-
gement furpris de voir tomber j>armi eux des files entières, par le prompt
ell'et des armes à feu, de voir trois ou quatre hommes enfiles à la fois avee
les longues épées des Espagnols, d'être fou'es aux pieds des Chevaux, eV
faifis par de gros Matins, qui leur i'autant à la gorge, avec d'horribLs hur-
lemens , l.s etrangloicnt d'abc^-d , ou les renverfuunt, *l!i: m.'ttoieiit faci-
Lanent en pièces tics corps iv.;.:s, dont aucune partie ne rti:iluit a Lur;
dents. ^ ilientot Je champ de bataille demeura couvrir tie Mort?. Les au-
tres prirent la fuite. On les pourfuivit, «!\: les TriUnnicrs lureiit en grane
nombre. L'Amiral employa neuf ou dix mois à lairc des courles , qu:
achevèrent de répandre la terreur dans toutes les parties de l'itle. 11 ren-
^ ]U..umct contra plulieurs fois .s trois Caciques, avec le r^ile de leurs forces; eV.
A-MHi;-.c!pr.ux chaque rencontre fut une nouvelle vicloire. Enfin ces trujs Princ.s, eV
" ""'• (J:uth:.ex, qui étoient les PuiiTances de l'inc, prirent ie parti Je la l'uumlf-
149 5-
l.'A' ir.I va
.■•nibaurc L's
JJhej,
lion
Tri'r t^ ^
I.<îi:.i]u"i!liiir
impolc.
(,;).
Après les avoir alTiijettis, l'Amiral leur impofa un Tribut, (jui conlllh ir,
pour les vnilins des ^llnes , à piver par ic:e. de iruis ui truis mois, un.
petite mefure d'or, & pour tous les autres, a fMirnir vingt -cinc] livres Je
c-oton. Guarinoex, Roi de la Vega-Real , onVi- de faire iabourer la terre,
ce femer, par fis Sujets, le Blé que les Cailii:a:;s vnuJroient lui confier, a
1 exemple de Guucanagari, qui leur avuit déjà rendu cet important lèi vi-
ce.
(/) ITirri.rn, Cli}>. i-.
(«; Uvicdâ Ait (]uin« imUe. Lfj. ?.
Cha;^ 2.
\n] llcrrcra, xibi jui>rà»
blinimcns,
'';iit prei).
' l^îus Jiai;.
'^' nionubo
'>_ point iIl'
y^ln où il
-■ ui] ('(irps
ne uion*
Cavaliers,
que leurs
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ilecoiivri:
ndce par
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ireux In-
Li qui ii'c.
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- proiiipr.
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iblvS htn-
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C à leur?
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<-s , qm
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rces; eV
1CCS, ti-
iuLim-l-
)ntl(loir,
'is, u:k
ivres Je
1 terre',
v.d.r, à
It ieni-
n N A M E II I
Q
U E, Liv. I.
ro
ée. Sa prùpoliLinn fut rcjer.tce, fans (\\\'on puilll' comprendre les rai^H ns
îtle ce refus, dans un tcnns ou la dillicuiLc de iaire venir des vivres d JCjpa-
Knc avoii reduir plufieurs fois la Loionie aux dernières cxireinirés. Mais,
comme ce Trince ne cherciunr. qu'à le dilpenler de fournir de J'or, Itjus
prétexte que fes Peuples ignoroient le moyen d'en recueillir, un Ilillorien
juge, avec allez de vrailemblance, que l'Amiral, faisant peu de fond lur
la faveur des Klpagnols, vS: te voyant expofe à de grandes révolutions par
fa qualité d'iCtranger, rapportoit toutes Us vCles à s'enrichir, & préferoic
l'or à tout autre loin (o). Il o'Liligca Alanicatex , principal auteur de la ré-
volte, de lui en fournir, chaque mois, une mclure qui montoit à cent
cinquante écus (/)). En méme-tcms il lit fabriquer des Médailles de cui-
vre ou de laiton, tju'on donnoit à ceux qui npportoicnt le tribut, 6c qu'ils
^toient obligés de porter au cou, pour faire loi qu'ils avoient payé , avec
ordre de les changer à chaque payement. Ilohsohio, puillant Cacique, dont
les Etats étoicnt les plus éloignés d'Ilabelle, fut le feul (jui continua de ré-
fifter aux Vainqueurs, anime par Anacaona, fa Sœur, vii: Veuve de Cao-
nabo, dont il avoit cmbrafle la vengeance (</).
Tous les autres fentircnt bientôt le poids du joug : mais, dans la fim-
plicité qu'ils confervoient encore, ils demandoient fans celfe, ù leurs nou-
veaux iNJaîtres , s'ils ne retourncroient pas bientôt en Efpagne (r). Ce-
pendant, lor(i.|u'ils eurent perdu i'cljK'rancc d'en être délivres par une re-
traite volontaire, ils refolurent de s'^n défaire en leur coupant les vivres;
c'cll-à-dirc, de renoncer à la culture duiVîaïs, & de lé retirer dans les
Montagnes. Ils fe llattoicnt que les productions naturelles de la terre y
fufliroient pour leur nourriture, pendaiît que les Etrangers périroicnt de
faim, ou feroient forcés de quitter fille. Guacanagari même, qu'on ccf-
fa de ménager, ik qui fe vit forcé aux travaux les plus huniilians, pour fa-
tisfaire l'avarice de fes Allies, ou pour fournir à leur fublillance, fuivit
l'exemple des fugitifs. Cette réiblutioa defefperée produilk une partie de
l'effet qu'ils en avoient attendu. Les Conquérans de l'Efpagnole retombè-
rent bientôt dans le même excès de milerc, qui les avoit déjà réduits à fe
nourrir de ce que la IVature a de plus révoltant. Mais les Indiens n'en ti-
rèrent pas d'autre fruit pour eux-mêmes, que de fe voir pourfuivis par des
Ennemis alfamés , (]ui ne leur firent aucun quartier, ou qui les forcèrent de
-fe tenir cacluis dans des Cavernes, fans oljr faire un pas pour chercher leu"*
nourriture. On ailurc que la faim, les maladies, & les armev di.o C.illii-
lans firent pér-r, en peu de mois, la troitièmc partie des lîàl:i::ins oe lii-
le. (iuaeanagari eut le même fort; &, pour récompenfe de tant de !Lrvi-
ces, q!''il avoit rendus à l'E.rpagne, les ililtoriens ont noirci la niémoirc
par les plus odieufes aecufations ( j).
Pen-
(ly) lU'rr^ra, Liv. 2. C'uap. 14.
iq) Ov'olo, /./:•. 3. Cbap. 2.
()•) M;u-i,T, IXcad. I. /./•:', 4,
(f) OwAv lo iv'j.vofl'.c Je traliifun, Ovic-
(!o le cIui!,;l' cn:ii aiFroii.\ crijort:- '.ciit pour
!■ ; plui laits débuiichos. Il .iVuit, dit -il,
certaines femmes , avec Iciquelles il pre-
noit le plaifir des vipèivs ; t^v pour cxpii-
cation il ciic Albert 1> Cîraiv.l, au Livre 18.
lie kl Pn>pri té des chorv.s ; au /.reivi2.
(7.7!/i. y. C. PliiK', l.lv. 10, Ch'i'. 62. Ovic-
do , Lh\ 5. Cù.;;i. 3.
II 2
CiUM'iTorir»
C'il.OM,:.
11. VoyiiL'i:.
Ca.onibo t\-
l'irc l'un Vxixc
^ i-i \tn!jc:;'!-
ee.
D'.uuies II"'
leiL'S {c Kii-
rert dans les
JMoiiL-'.gnci.
T.cnr di fff-
poir cil aufîl
iurcfte à eux-
iiièmc^ qu'aux
C.ilUil-uis.
-^ PREMIERS VOYAGES
Ci!Ri?Toriir
11. Voyart.
1495'
RlFct des
flr.int.s Je
lie l'.oy! . à la
Cuir (.1 Ei\'A-
îcnn J Art a-
l'o (.it cnvoyj
.; rr,r( n:;r.()Ic,
avcclaqa^iKté
ticGi.i'.'.nifrii-
>t'v,l>.' la Cu.ir.
îî .V co;;Ju,
irtiprudc.n-
fii^c cicl'Ar.ii-
ral
inf iv.v.-v con-
lic li.i.
Pendant ces tragiques avaiuiircs, Hoyl Ci: Margarita ctoicnt arrives x
h Cour d'Ki pagne ,\\: f^ituieui raentir leurs plaintes contre l'Attiiral c\:
Ils lieux Krères. Ils traituient de clùm>-r(.s tout ce (lu'on avoit public de h
dec<uivcrtc des Mines d'or, ils accalbiciit l'Amiral d'nnprudLncc, d'or-
gueil, cS: decruauLc; tS: n'épargnant pas même Ils intentions, ils lui rc-
proehoient de cotupter pour rien la vij des Callillans, qu'il avoit cmplo.
ycs aux plus vils travaux, & qu'il avoit crluite abandonne^'s pendant quatre
inofs , pour aller découvrir de nouvelles 'i'^rrcs, ou des trtiors <|ui ctoicin
demtiircs apparemment daiis les coUVls. C'n avoit rcyu , d'ailleurs, au
premier retour de 'l'orrcz, des l^cttres particulières de quelques Mecon-
tens, qui n'avoicnt pas fait une pcimurL' a\ant.igture île la conduite des
C'ilombs. (Cacique pré
vcntion que le Rui Ci la i\tinc ciiHent en leur /:
veur , il ctoi: diilicile de rélilUr à tant de preuves. _ Leurs Majeilcs p
iri-
or-
rent le parti d'envoyer, à l'Elpagnule, un Commiliairc, charge de I
dre vague d'approfondir la vérité, iS: d'une limple Lettre de créance pour
le faire relpeàLT. Cette voye leur pa'uc , av.c raifon , la plus pruden-
te cS; la plus l'ùre ; mais elles fe trompèrent nalhcureulcment dans leur
choix.
Jr.AN d'//c.W';, qui fut honore de Lur confiance pour Cêfte Commifllop,
étoic un efpric vain, qui s'enil.i trop d'une faveur a lajuelle il ne s'étoit
pwint attcnàu (t). Il arriva, au Port d'Ifabelie, vers la fin du mois d'Oc^
tûbre, lorfcjue l'Amiral étoit occupe à terir.in.r (]UeKjUeS nouveaux niouvc-
m.iis dans la Province de Àlnf^;:.,!:.-;. L'AdeiaiiiaJe commandiit, dans l'ab-
fence de fon Frère. Aguado le traita d abord avec beaucoup de hauteur.
il employa même les menaces; &, fous prétexte d'écouter les plaintes qu'on
avoit a faire contre IcCiouvcrnement , il prit uneaut(<ritè qui exce.loit beau-
cviip fes pouvoirs. Enfuite, tt.mt parti pour cb.eivher l'.Amiral, il publia,
dans fa route, qu'il etoit venu pour faire le procès aux Colombs, eV' pour
tn délivrer la Colonie. Ses gens le reprefuuoicnc, aux Indiens, comme
un nouvel Amiral , qui devoit tt;er l'autre; & ce bruit fut répandu avec
tant d'alilcbition, que plulleurs Caciques en prirent occafion de s'all'em-
bler , pour tirer parti de ce changement. Aguado n'alla pas loin fans ap-
prendre que l'Amiral , rappelle par un Courrier de fu!> l'rere, ttuir rentre
ilans Ifabelle. Il y retourna aulli-iut; Ci: fa fuite ayant été gruOie par tous
lesMicontens, il y entra eomme en triomphe. Sa CummiMion fut procla-
mée au lun des trompettes. L'Amiral aida lui-même à la iblemnite de
cette publication, C^, fe prèfentant au Cummili'aire, il l'ailura d'une fou-
miffnn abfolue pour les ordres de Leurs Majellcs. Audi -tut, les infbr-
iiiitions lurent commencées dans les plus rigoureufes formes. Indiens eV
Ccitl.ilans, la plupart faiiirent arden.nunt ruccalion de pt-rdre des lùran-
gers qu'ils n'aimoient pas, Ci: que la Cour fembioit abandonner. D'ailleurs
les plaintes ètoient bien reçues, Ci: la faveur du Commillairc fe déclare it
ouvertement pour jes plus graves. PenJant cette humiliante cérémonie,
l'Amiral fe conduifit avec une modération, dont on ne l'auroit pas cru capa-
ble. 11 défera tous les honneurs à fon Adverfaire. 11 foufirit paticnmunt
fin-
(0 Cé'tMit un des Maitrcs dllôiel t'.. L Rànc.
Knfolenc
«fcms ioni
d'un halij
Enfin ,
VauLoriti
expliqué!
Ai'ivi.s|
en Eip H
soient ai
les, que]
choix
, l'autre,
leur reni
qu'ils lui
Callille .
L'Amir.i
les droit
vernenu
lé, fut 1
en dllVei
de f i m
devnr- e
ConllaiK
abondai!
nouvelK
leur lire
cnirèrei;
vière i'^)
. d'or Ci:
frit une
qu'il fit
& es ,
d'imme
dans la
priiuip:
aarolen
de fes '
&lêur;
(V) C
( ^' ' '
,, Cîcriul
,. foîVK:
,, orJ.re
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.. dr.d I
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EN AMERIQUE, L l'v. I.
Cl
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Amiral c\:
iiblic de k
»<-'*-', d'or.
Is lui rc-
'it cniplo.
iiit quatre
ii ctoiciî;
^■iTs , au
liuitc des
leur fa-
•■'^<-'S prj.
de l'or-
iicc pour
prcd^n.
ans leur
inii(îîo:7,
- s'etoir
is d'Uc-
niouvf
ins l'ab-
lauccur.
-S (ju'on
'it beau-
pubiia,
^.' pou:
(I a\'cc
l'alîlm-
uis ap-
r(.ntro
ir lous
procla-
11 Le de
le fuii-
infwr-
cns eV
iùran-
iillttjrs
«:,'ar( iL
nonie,
i cap.i-
luiunt
Finfolcncc de fcs reproches. 11 afTcda même de la trifl<.nV 0;;: de rcmbair.is
^ns Ion exiciieur, juRiu'à lugligcr les cheveux & fa harhj, cV (e revc'ir
d'un habic de deuil, qu'un llillorien nomni': un liul)it j!,iis de Moine (o).
Enlîn, luin de relever les r.iulles démarches d'Aguadu, il ne eonlidera que
VauLorite donc il tenoit fes pouvoirs, (juoiqu'jls ne fulieiu pus clairemenc
expliqués (.v) dans fus I.etLres.
Ai'Ki.s les iiijoiinations, lorfque le Comniiflaire le di'ptjfoit à retourner
enElpagne, un lurieux ouragan brifa, dans le Port, les Navires qui Ta-
C'oieni apporte. Il n'en relluir pas d'autres, aux Indes, (jue deux Caravel-
lies, cpie l'Amiral avoit fait conflruire de[»uis peu. Il oiVrit noblement le
choix de l'une des deux à l'on Adverfaire; mais il déclara iju'il monieroit
l'autre, pour aller plaider l'a eaule au 'l'ribunal incorruptible de fcs Maîtres,
leur rendre compte de l'es nouvelles découvertes, Ck. leur donner les avis
qu'ils lui avoient demandés fur la Ligne de jiartage entre les Couronnas de
Calliile tS: de Portugal. Agua.Io n'ola combattre une réfulution 11 l'erme (v).
L'Amiral, C'intinuant de lui tain'er de vains honneurs, n'en retint pas moiiis
les droits el]eiuiels de fa dignité. 11 confia, pendant Ion ablence, le (îou-
vernement général à les deux l'rères. Roician, dont il connoillbit riiai)i!e-
lé, fut nomme Chef de la Jullice. Plulîeurs l''orteren'es, qu'il avoit bâties
en diiVerens lieux, puur contenir les Caciques, reçurent des Commandans
dcfamiiii; fur-tout C-'lle de Aï C(';;rf;)r;o«, dans la J^laine de la Vega, ciui
devait enlliite unj X'ille conllderable. L'avis qu'il reçut, dans les mêmes cir-
conllinces, qu'on avoit découvert, au Sud de riHe, des Mines d'or fort
abondantes, lui fr. rui'pendre fbn départ, pour éclaircir cette importante
nouvelle. Il y ( nvoya l'uvay &. Diaz, avec une efcorte e:^: des Guides, qui
leur lirent tr.n'erfer la Vcga-Real, d'où payant entre des Montagnes, ils
entrèrent dans une autre Piaine, (jui les conJuilît au bord tfe la //« y>;iî , Ri-
vière fort poiirjnncule, où quantité de KuiiTeaux apportoient un mélange
. d'or e\: de fable. La terre, qu'ils liront ouvrir en divers endroits, leur of-
frit une abondance de grains d'or. L'Amiral n'en fut pas plutôt infornié,
qu'il fit conltruire, dans ce lieu ,une Forcertire, qu'il uomun Saiut-Chrijlapkc ;
ai. cjs .Mines, auxquelles il donna le mémo nom, fournirent long-tems
d'immenles richeires. il ne pouvoit riiii arriver de plus heureux pour lui ,
dans \\\ litvU'ion. Cette nou\'elle décou\-erte fulîil'oit pour faire tomber la
principale accul'ation de les Ennemis; <i, ([uand leurs autres reproches
. auroient ete mieux fondes, il nignoroit pis qu'on obtient grâce a;''enKnt
de fcs M.v'tres, lorlqu'on leur apporte le lecreC d'augmenter leur pitillance
& leurs trelbrs (z).
(-.■) 0.-ic:lo, r.'V. 2. Cl'ip. !-„
(.VI lL-rr.T:i tS: Ovicdo les" r:ippr)rtenf :
„ (îcr)iu-;iioni:ncs, Kcuyers , & ;uitrcà Pcr-
,. foivK^. q.:i Ctf'i diiis l«'s Indes par rn'irrc
,. orJ.rc, N()'.;s v.)'!>; uivoy'oiis Jean y\iîuuJo
,, nôtre i\iji;re li'ilùie', qui vous parlera
,. de nôtre pnrt; i\ Nmis \oiis niandu:ii
,, d •.■('ùrcr fil' .1 ii- qu'il voih d:.-;i. A .M;i-
., drid le y d Avril U';^'- i lerrcra , Lrj. 2.
Clu[> j8. Ovioeo, uiij'ip.t.
Les
(y) Draitrrs rncnntcnt que ce fut pir
l'orJrj du Coir.miiraire,' qu'il fit le \'oy;i;;e
d'l''J'p:i;^ne; nv.ib- on ?'en tient uu récit d'JL'r-
rer.i, qui a d'autant plus de vraifenihiaiiCc
qu'AguaJo n'avoit pas cett;,' autorité , «Nt
n'auroit pas dà en ufer pour fun propre ia-
teret , quniJ il l'aur jU eue.
(s ■ II-Trera, Cia[>. ib. Hitt, de S.uiit-
Doin:n::ue, Li'ù. 2. {(ig. lë:'.
CiiRi'Tfrni
(.'(.II. "M!!.
11. Vwy i--.
1 \^J5'
i, 'A mira!
] rend l;i n To
Ultioll d'util 1
le ;u1!i!i?r i 11
l''.ipa(;ne.
Ordre qu'il
nv.l dans ia
Culouie avant
ion dcpair.
Il lait dé-
Ci)iivrir les
A'ine- de St.
Chrill'jplK".
II
Jl. \'0)1l,\'.
I 49 (?.
s )M l'cp.irt
pour i'Iùi!.i>
J
"1 i\ :
iw..n;i..i:i:c.
62 r R E M I E R s V O V A c; K S
Lus ilciiA Caravelles mirent à la voile, le lodcMars ^149^. L'Amirr;
fit embarquer, tlans lafiuine, environ deux cens vingt Kfpagnols, les plus
pauvres 6: les plus infirmes de la Colonie, que hurs l-'cmmcs 6: leurs l'j.
rens avoicnt redemandes a la Cour, «5s: (|uc les bons traitcnicns, dans !,•
cojrs de la na\i.a;atloii, dirpolcri^nt a prendre i-arti p jur lui contre A^^iu-
do. li le fu aceompagncr de l'Avulan'ul:, jul'iu'a l'uerto de Plata, (jui,
voUi'oit viùter avee Un, ilans le dcllein il'y bâtir une Ville.. 1 •ifiùtc, \)\.
nanr conj;é de Ion l'rère, qui retourna, p,ir terre, à la Colonie, il fit gou-
verner à 1 lCll,'vjr^ l: Cap il'Kni^ano; Ci; layant linuble le 'JJ, il abonla le;
a Mariai;:!. mie. Ma'iS la tiillieultc d'y l'aire de i'eau eS. du buis l'oblii^ea d\\\-
Lr mou'.iier, le jour fiuvant, à la CoiaJeluupe. Sa furprifc fut extrême d"v
v>)li le rivage borde d'un i^rand nombre de Icmmes, arnices d'arcs vîi: de lit.
ches, (i;i s'oppolerent à rapproche de les Barques. Deux Indiens, de tren-
te qu'il avoir amenés de riit'pignole. Ce jetterent à la nap;e, p jur averti:
ii.ii. liTc- uj cettj troupe d'Amazones, qu'on n:' penibit p<)int à leur nuire, eX; qu'(jn Pu
J.ur demancioit que des vivres. Kiles répondirent (jue leurs Maris etoient
de l'autre coté de rjl'ie,&que e'ctuit à eux ijuil ialioit s'adrcU'er; Oie voyan:
i, 'je les jj.n-ques n'ava;i<;oien: \\\i moins, elles tirèrent une nuec de llec'hco,
dont perfonne ne fat bleiVe. Un les lalua au'li-tut d'une deciiarge d'annii-
baies il croc, qui Ls mirent en fuite. Les Calliiians entrèrent dans l'Iil:',
fans être lurs (juj ce ne fut pas la 'l'erre-ferme. Ils y trouvèrent de trcs
j^ros rerrocjiiLts, djMiel, de la Cire, i^ q'.iantité de ces Plantes, dwnt Ls
Lifuliires faifoicnt di Pain, vS: qu'ils nominoient ('(i^îZ'/, iVoii les l'rançcu
cnt fait Ciijf.iic. Un Detaeliement, qui fut envuye dans K s Terres, ame-
na quarante fenimcs, entre lelquelles etoit l'Kpoule du Cacique, qu'<in n'a-
voit pas eu peu de pei'.ie à joindre dans fa fuite: lorliju'elle s'etoit vue pref-
fee pur celui qui la pourfuivoit, elle s'etoit tournée tout d'un coup ; A
l'ayaii: Paifi de Ils ticux bras, ell.-i'avoit renverle avec tant de fucccy que
fans le fecours qu'il reçut, il confeila qu'elle l'aur-it etoUiVe. Cepencl.n:
les cartlles (S: les préfens, qje ri\miral fit à toutes ces femmes, établir; '
bientôt la confiance (!;!: l'ami'j' . Llles procurèrent toutes fortes de rai" . ■
chliT,nieiis aux deux Caraveli.s, pendant neuf jours que les '.'allillans pa::".-
rent dans l'iile; & lorfqu'ijn remii à la voile, l'Kpoule du Cacique ofirit J.
s'embarquer avec fa 1 ille, pour fuivre l'Amiral en Eipa^ne (a).
On continua de porter à l'Ivl. \ms avanc.r guères au-delà de vingt-Jjux
degrés, parce que l'expérience r.'avoit point encore appris (ju'il cil ['aï
lur cS: plus court d'aller jufqu'aux trente-deux il plus loin, pour éviter li-
rudes vents d Mit, ijui fouillent prefque toute fanu^e dans cette Mer. Aiii!l
h navif,ation fut-elle fi hngue, qu'elle cxpijfa les Calliiians à foufiVir b.a;.-
coup de la faim. On ne deeouvnt point Ii Te.re. avant l'onze de |ui.i.
L/imnid la reconnut pour le Cap d^ caint- Vincent, contre l'opinion d.s
Pilotes, qui le croyr>icnt à la vue des Açore.^. Kn enti.mt, le lendemain,
dan.; le Porc de Cadix, il y r . uva trois X'aifleaux prêts à faire voik ,
av.c des vivres eS: des mani:i..ns pour rEi'pagnole; & n'ofant ks arr:-
ter, -«-.es avoir vu les ordres du Koi, il eut du moins le tems de fin'':
cet:-
(3) IL:rji:i. Llv •;. C, o. i.
de h r.uvi.
Il •;,r;v>
en
cette oc(
de l'es V
, II, le
Îenieiu
ilion, o
à Loredi
fa Fille,
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cette occafi-n pour animer, par Tes Lettres, le courage u la conQan:c
de les i'rères.
, II, le reiuiit à Ikirgos, oi'i Leurs Majcne;> Catfioli'jues (c noient orilinai-
TCmeiit leur Cour; mais il n'y trouva ni le Roi, qui é cuit occupe, en Rouf-
hllon , d'une (îuerre contre lu i'rance, ni laH.ine, (]ni s'icoit trjnfportée
àLoredo, pour ordonner les préparatifs du X'oya.'^e A.- l'Infan''.' Jeanne,
fal'"ille, qui alloit cpouf'er en l'iandres l'Areiiiduc i'Iiilippo, l'il^ deÏKirpe-
reur MaxiniiJien. A leur retour, ils vinrent attendre, à lUiigos, la t'riii-
cefTe Marj^ueritc, Sœur de rAreliiduc, qui dévoie cpoufer le l'riiice '..'ï.\'-
pagne. L.s circonllanees étoieiit heureule.';. Colomb parut à l'Audijnce
avee autant de fermeté que de motieflie. J^oin de le traiter comme un Cri-
minel, doiK. on attend l.s judillentions, on ne lui parla ni des informati^iiis
d'Aguado, ni des aecufations de Doyl Cv dy IMargarcta. 11 ne reçut que
des éloges & des remereimens, pour fjs nouveaux ferviejs (/;).
Dans la joye d'un accueil , qui couvroit les Ivmemis de honte, il fit glo-
rieuleineut le récit de les découvertes ; (ic, proi>o!ant de les cintiinur, il
demanda huit Vailleaux, dont il dellinoit deux à jiorter des vivres C\: des
munitions à la Colonie d'Ifabeîlc, «le les ^\x autres à demeurer fous Ts or-
dres. Cette demande lui fut accordée. Knfuite, ayant rcpréfenLe qu'il
étoit fjuellion de former un lùablillemeni folide, qui pût llrvir de modèle
à l'avenir pour d'autres Colonies, il obtint que Leurs Majelles feroic'U paf-
fer, dans î Lfpagnole, un Corps de recrue de trcjis cens hommes, compole
de quarante Cavaliers, cent FantalTins , Ibixante jMutelots, vingt Ouvriers
en or, cinquante Laboureurs, Oi: vingt Artiihns de dillercntes proferiions,
aux juels on joindroit trente femmes; que le fond de ler.r lolde feruit, par
mois, de foixante TvLiravedis, de ^\\\n llanega de blé, qui revient à Tx
boiileaux d..- l'iance, & que par jour on leur donneroit quatorze iMar.ivedis
fjo'tir vivre; qu'on eiiverroit dj.s Religieux, pour leur Service divin es: pour
'inilruclion de.s Iiivliens; des Médecins, des Chirurgiens ci: des Apoiieaires,
pour conno'ire la nature des maladies, qui avoient emporté tant de nion-
de, cSl p 'ur en chercher le re:r,ède; eniin, jufqu'à d.s MuficiLns «S: des
Joueurs c'iml.imKns, pour bannir la triftelle qui faii: ordinairement la guer-
re aux nouvelles Colonies. Outre les trois cer.s perlennes, qui devuicnî;
être entretenues aux dépens de Leurs ?\Iaj.lles, ry\niir;d eut la pcrmidion
d'en mener cinq eer..s a ils propres fiaix. Il ^\.\t permis auùi, à tous ceux
qui voddroieni palier aux In. les, fans aucune Iblde, de s'embar.juer fur !a
ijoîte, avec cet avantage léduifant, qu'ils auroient le ti.rs de cou: l'rr
3u'iis pouiroieni découvrir, dans d'autres Mines que celles dont on avc'ic
eja pris pojlélli.;n, & qu'ds ne payeroient, à Leurs JNLajeltes, que le
dixuiiie de tous Ls autres profits du Commerce.
'l'ot;-
( b ) L,T VÊ!'
put ciintri'HKr a
Cette d.r,iu(iu\i;i.
lU'i nt iclics qii il rnpporto:t
. il. .'tire Leurs Miijdics (.'ans
,,.w..w, ,. lîIi-iirlU un riche preiciit
„ d'fir :i fonJiv-, Ici qu'il s'ctoit trouvéd:ms
„ les Miiics, cuiiipul'é Je (^r;Mi;;i \m\\\ :,ros
,, que des pois, des tVivcs & même de^mux.
„ li K ur donna iiuaniilJ de Pciruqueir; , il:':.
,, de inaf(]acs, dont les yeux (Tclenozéti-'ici!!:
„ d'or, (k d autres riiretis des Indjs". //•.•-
rfri, Liv, 3. G).î/.. I. M.ircvr tuUir. (ju'il
vit &. qu'il touciia de ils inaiiis un lin,;v'i -ic
vin^t onces , 6t un morceau d'a'.ii'.re (ji! 'A
avoit peii'.c ;; ibutcnir. Dccid. i, l.ij. 4,
rîmi^Torrii
^.cil.i Mil.
li. Voy;rc.
I 4 y ('».
Co'.timtit
.1 cflreÇtl tii*
laCi-ur.
Dctnaiidc
r:\ il y l'a!\
Or.ir.s l'c
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Hiotograidiic
Sciences
Corporation
23 WBT MAIN STMIT
WIBSTM,N.Y. 145S0
(716) 872-4503
CiiBi>Toriir.
Jl.VoyiMc,
I 49 (5.
64 P 11 E INI I E R S V O Y A G E S
Toutes ces mcfuivs ctoicnt fligcs; mais, comme on ne pouvoit fe pro.
mettre do tiouvcr buiucnup cIj Vclontiiircs, qui fuilcnt ilirpofcs à fc tranf-
porter aux Incita pour y palV^-r toute leur vie, lur-fo;it depuis le retour do
ceux qui n'en avoii-nt rapporté qi'une couleur lividj & diverfes fortes de
maladies, l'yAmiral propola de changjr la peine des crimes, à l'exceprion
des plus noirs (<:), dans un exil perpétuel aux nouvelles Colonies. Sur
cette ouverture, qui i\r approuvée, on llatua que les Criminels, quiavoienc
mérité la mort, lervircicnt. djux ans ians gages, *5!i les autres une année
jeulemcnt; après quoi, ils feroient à couvert de toutes les pourfuites de la
Juflicc, fans autre condition que d^ ne jamais retourner en Europe. D'un
autre coté, l'ordre fut donné, à tous les Tribunaux d'Efpac^ne, de condam-
ner déformais, au travail dts Mines, ceux qui avoient mérité quelque puni-
tion équivalente. Ces tieux llèjjlemens, qui reçurent le «Sceau de l'autorité
foiiveraine, le 22 de Juin, à Médina delCampo, répondirent mal aux cfpc-
ranees de l'Amird. Ils eurent des fuites fàclîcufes, qui ne dévoient point
cehapper à ù péiierration , vîv' qui ont fiiit jui^er, à quelques lliltoricns, qifil
s'etoit laiife tromper par cie mauvais conteils. Ee3 nouveaux Ktats, remar-
que un d^s plus judici'^iix , doivent être érab'is fur de meilleurs fondc-
mens ( /). C\'ioinb obtmt aulli le pouvoir de dillribuer des terres à ceux
qui feroient en état de les cultiver ^i d'y bâtir; avcc releive d^s droits du
Siuverain , fur l'or, l'argent, & les autres méraux. Enfin, la Keine, ([ui
s'attribuoit juftenKnr i'honneur des premières entrcprifes, qui avaient con-
duit fnn Amiral à la découverte du nouveau Monde, fit publier une défenfe
de paifer il.uM les InvLs, pour tous ceux qui n'etoicnt pas nés Sujets de la
Couronne de Cailille ;<■). Cependant il paroît (jifeiie joignit, au motif do
ia gloire, celui de faire fitisfaction à l'Amiral, fur la conduite èi: les dif-
cours de iioyl & de Margirica, dont le premier etoit Catalan, & l'autre
Sujet de la Couronne il'Arragon. I,es llifori^ns, qui lui attribuent ce
deffein, ajoutent, que l'Amiral fut foup<,M;mé de l'avoir obtenue, com-
me une recompenfe de fcs l'erviccs: mais il ne porta pas plus loin la ven-
geance.
t:!.
Les Vaiffeaux, qu'il avoit rencontrés à Cadix , ayant achevé leur Voya-
'c,..it tics in. gc au commencement de Juillet, l'AJclaniade, encouragé par la m^uvclle,
i.:' r.ifions.li.' qu'il avoit rctj'ue de l'arrivée de fon Frère en Eipagie, le hâta de les ren-
'"•' ''•*'^''^'* vover avec tie nouveaux trefors , tS: trois ct^ns luilfaires, aecuîes d'avoir
repris les armes, pour leù]uels Leurs Mij^iLs avoient juge que la meil-
leure punition étoit de les condamner à l'elelavage. Dans le compte, qu'il
rendoit de fes opérations à l'Amiral, il lui faifoic fentir que If elioix du ter-
rain n'avoir pas été heureux pour fi \*ille d'Ifabelle, Ci: que s'il vouloir for-
?t\)\-.- Il mer une Ci^luiiie tlu.able, il falloir fongcr à d'aiitres lùaMillimcns. I.a
Cour, à qui l'Amiral {"iz c.:te propolition , s'en étant remife a fes lumiè-
res, il fe rappeila, que dans iun dernier \'o_,age, en rangeant la Cote du
SuJ ,
^c ; l,c^ criiViCS excepte;: Aircrt ceux li'i^tj-
rt;llc, d: lî:/.c-Majcfté, de tiahubii, l'.c ^^sct-
à •,->:rs,co;nir.is \y.\x le feu ou !cfcr, tifraiiue
inwniK'yc. de StKiômic, (ui d'avoir eiiic.t: fut ;-:i.s C(»nù;lu^. La /ùw'dc", liit rililloricu
(dciuid d',' l'iJij.iii hors ùu Jloyaume. ]hr- U i<juhiI ainli.
aiurc
fcnici
;r.-i;
2.
ifia, Liv 2 Chap
( d ) Ibidem,
(c. Ibidem, ii pnrt)ir que Fer.îirunil ne
..
r.
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
^5
Sud, il avoit remarque de bons Ports, d'cxcellcns Pâturages, & des Ter-
res, qui lui avuicnt paru fertiles; fans compter que cette partie de Tlfle
ne devoir, pas être fort éloignée des Mines auxquelles il avoit donné le
nom de Saiiit-ChriJ'Iophc. Il fit partir aulTi tôt une Caravelle, pour commu-
niquer ces idées à Ton Frère, avec ordre de travailler inccflamment au
tranfport de la Colonie. Elle arriva dins les plus heur^ufcs circonftances,
loriljue, par d'autics informations, I)om JKirtliclemy ctoit à la veille d'exé-
cuicr lun dcff^in dans le même lieu. Ovicdo lait le récit de cet événe-
ment.
Un jeune Arrag^nois, nommé Mich:! Dbz, le même qui avoit reconnu
les nouvelle^ Mines avec Garay , s'ctuii bacai contre un autre Eîpagr.ul , &
l'avoit daiigereullment bleiVé. (^uoiiju'il illc au llrvice particulier de l'A-
deluntade, la crainte du cliÙLimcnL l'avoit fait fuir. Il avoit pris fa route,
avec cinq ou fix de fes Amis, vers la Partie Orientale de riile, d'où, cô-
toyant le rivage au Sud, il fut arrêté par l'embouchure d'un Fleuve, fur
la rive duquel il trouva une iiourgaJe Indienne. Les Ilabitans, qui n'a-
voient point encore été maltraités par les Elpagnols, ne firent pas difficul-
té de le recevoir. Une Femme, qui les commandoit, & dont on a déjà
parlé fous le nom de Cataliua^ qu'elle ne prit néanmoins que dans la fuite,
conçut tant d'inclination pour lui , qu'elle rel'o'uL de lé l'attaclier par Çi:s ca-
rclTes & fes bienfaits. Après l'avoir traité, pendant quelque- tems, avec
toutes les familiarités de l'Amour (/), elle lui découvrit des Mines, qui
n'étoient qu'à fept lieues de fa demeure ; &, dans la crainte de perdre un
Homme fi cher , elle lui propofa d'engager les Efpagnols à s'établir fur Çqs
Terres. Le Pays étoit agréable & fertile. Diaz ne balança point à faifir
cette occallon, pour fe reconcilier avec la Colonie. Catalina lui donna,
■pour Guides, quelques Indiens, dont elle lui garantit la fidélité. Ifabelle
étoit éloignée d'environ cinquante lieues. Il y arriva fecrettement. Quel-
ques Amis, qu'il trouva le moyen de voir en fecret, lui apprirent que l'on
Âdverfaire étoit guéri de fa blefllire. Rien ne l'empêchant plus de fe
montrer, il fe prefenta devant Dom Barthélémy, qui le revit avec joye,
parce qu'il avoit regreté fa perte, & qui ne fut pas moins fatisfait de fes
ofl'res.
Elles avolent eu la force de le déterminer à faire un Etabliflement du
cote du Sud, lorfqu'etant confirmé dans cette rcfolution par les Lettres de
fon Frère, il partit aulli-tôt avec Dia/. & les plus robulles de fes gens.
Après quelques jours de marche, il arriva au bord de la Rivière, que les
Indiens nommoient Uzanui^ & dont il fut furpris de trouver les rives fort
bien peuplées. Le Port étoit fur, & capable de recevoir des Vaifleaux
de plus de trois cens tonneaux. Les Terres paroiflbient excellentes, «îfetous
les 1 labitans fort prévenus en faveur des Efpagnols. L'Adelantade ne ba-
lança point à tracer le Plan d'une nouvelle Ville, à l'embouchure du Port,
fur
CfiRi.noprtE
Colomb.
II. Voyage.
(f) Cctic l'iliiccfTo Indienne , raconte
ntttv'UKnt Ovicdo , ,, mit fon :mioiir c\\ lui ,
,, 6l le traita comme un homme à qui clic
,, sctt)it abaniionncc. Jillc en eut deux liu-
XrilLl\irt.
„ fans". I/IIifloricn de Saint-Domingue
lui pr(}te plu^ de délicatelTe, &dit, ,,<iu'elle
„ lui fit entrevoir qu'il ne cicnJruit qu à li>i
„ de l'é[)oulCi: ".
Occafioij
que Icha. arj
ol'iYe à Doiu
Barthélémy.
Avanturc de
Origine de
la Ville de
San-Domin-
go-
66
PREMIERS \' O Y A G E S
CiiRisToruE
Colomb.
II. Voyage.
1496.
Dom nar-
ihciciiiy w'iit
fouiiKttrc lo
Pays de Xara-
gua.
Succès i.k
cctii; cntrc-
{■iriff.
fur la Rive Orientale. li y fit venir, en peu de tcms, la plus grande par-
tie des Ilabitans (l'Ifabelle', où il ne lailla (lu'iin pviit nombre d'Ouvriers
Elle pri
t le nom de Sa i- Domingo -, les uns dillnc, du nom du Père Civs
trois' Colombs, qii s'appelloit Donùiiiqui :, les autres, du jour où lAde-
lantade v etoit arrive, qui étoit la Kete du ce Saint, & tout-ù-la fois un
Dimanclic: mais il paroic que l'Amiral avoic fouhaité qu'elle fût nommée
Nouvelle Iphcllc; &. l'on remarque, du moins, qu'il ne lui a jamais donne
d'autre nom (,i,0-
Dom Ihrthelcmv ne man]ua point d'y joindre une FortercfTc, dont il fit
jetter les fondcmciis en fa préfence. Knluite , laillant Tes ordres pour la
continuation du travail, il forma le d.nein d'un autre Voyage, à la Cote de
compte d abord lur 1 éloigne
mé par la fondation de San-Domingo, qui lui apprcnoit avec quelle faci-
lité Tes Ennemis pouvoicnt paOlr d'une extrémité de l'ille à l'autre, il pcn-
foit ferieufement à rallembler des 'l'roupes. C'etoit po.ir dilîlpcr ces def-
feins dans leur naiflance, que l'Adclantade étoit relblu de s'approcher de
fes Etats; fans compter que fe croyant bien informe qu'Anacaona , Sœur
du même Cacique, & Veuve de Caonabo, étoit prefqu'entiérement reve-
nue de Tes relTentimens, il fe flatta d'échauffer, par Tes préfens tS: fcs flat-
teries , l'inclination qu'elle commençoit à prendre pour les Efpagnols. Mais ,
volontairement ou de force, il jugeoit fort important de réduire une fi puif-
fante Province à fuivre l'exemple de toutes les autres.
Jr. partit de San-Domingo à la tête de trois cens Hommes, en ordre de
Bataille, au fon des Infirumens militaires (/); &, publiant, dans lamar-"
che, qu'il alloit rendre une vifite d'amitié au Cacique Rohechio, il feiçnit
d'ignorer qu'il étoit attendu par un Corps de Troupes Indiennes, au pallage
d'une Rivière, qui faifuit la moitié du chemin. On ne comptoit pas moins
de foixante lieues, de San-Domin^^o à Xaragua. l'n approchant de cette
Rivière, qui fe nommoit iVayi-a, loin de cîiangcr de langage à la vue de
l'Ennemi, il députa quelques Oliiciers au Cacique, pour l'avertir civile-
ment de fon dedein , qui étoit de faire v;nc liailun d'elVmie avec un Prince
& unePrincelle, dont la réputation étoit venue jufqu'à lui. Rohechio pa-
rut
(g) ITerrera, L'i- 1 Ch-.p. 5. cS: O..''.' V,
I.n. ^. Coa}'. 13. l.'Hirtor'.L'n lic Siii.t-Do-
i.iingut' rcg.irJc, connue l'opinio" I p!'.isvi^i-
r?mbl;iblc' , que la i:c;;r.ii'r-- EgHlc tic li nui-
vcl'c Viilc ay;:!it àw conOicrcL', fous l: nom
(.\vSiint Dominique , qui c(l tn cure le l\itron
du Di.icdfc, ce i".o:n a tt-' cioniic, avec le
tems, à toute la Ville; toin:nc, lie la \'i!!c
luêmcjt^ l'ranç■Ji^ l'ont tîct:dii à t'aitel'l/ltr.
Liv 2. f.aq;. 19:,. Uvi(.do coiifjril ici les
tem';, & rcnvcrle parconf.qucnt IVirilrc iL'S
faits. qui;iaroît jilus nr.tur;^^! dans lUrrera.
(i) Tuutc U cote Cxid'-niik cIi une
f'irr "rande Bnye, à latjiiclle icf FrMiço's ont
dor.i.é le nom dj Cul-àc j'tc ( Hit rc cette
l):\\, les Ktatj dj Ijuheciiiu cniniirenoieiit
roii feulement le Cap de ']"ibiiroii Ci le Mole
Saint Nicolas, qui en foi,t les deux pointes,
mais encore toute cette ii:;rtie de la 0")tc du
Sud, qui s'c'tend jurqu'a l'ille BeaM.
( i ,. l\ T'Uible néanmoins, par quelques;
trme^ du récit dUerrera, que ce Voyage ff
fit par Mer, autour des Cotes; mais les pria
t pales cironlianccs ne conviennent qu'à lyi
Voyage par Terre.
EN A INl E R I Q U Ê, Liv. r.
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.rs.
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rnt charme de ce compliment, & fi joyc fe repandit auiïi-tôt dans Ton
Armée. La piupart de les gcnSjCiu'il mcnoit combattre, maigre eux, des
Ennemis, d< iit le nom & les armes les failbicnt trembler, fe perfuadtirent
fi voiiMuiers (|ii"ils n'avoient plus rien ù craindre, qu'on les vit courir auflî-
tôn, comme de concert, au-devant des Kfpagnols. Ils les rencontrèrent à
p. Il (le dillaiice de !.i Nayva. De paît Cl' d'autre, on le donna des marques
éclatantes de bonne foi & d'amitié. 'I/:s Indiens rechargèrent du bagage
de leurs no'.iVLMv.x Allies, 0!c leur rendirent, penJiiit le relie du chemin,
toutes fortws de fervices , judju'à les porter fur Lurs épaules au paflage des
Uivières. A l'approche de Xjrngm, grande Bourgade, où le Cacique te-
noit la Cour, v5^ d'où le Royaume tiroit ("on nom, on vit fortir d'abord les
principaux I labitans,- pour célébrer leur joye par des chants ik des danfes.
Knluice trente l''emnics, qui étoient celles du Cacique, parurent avec des
Rameaux vcrds à la main, couvertes de Pagnes fort blancs, depuis la cein-
-turc julqu'à la moitié des jambes, danlant Ce chantant avec décence. El-
les s'approchèrent du Général; &, llechillant les genoux devant lui, elles
lui prélentèrent leurs Palmes. (Quantité d'autres Indiens, qui venoient a-
près elles, rendirent le même hommage à tous les Elpagnols. L'Armée,
conduite avec cette pompe, arriva au Palais de Hohechio, où elle trou-
va un grand Feftin , que ce Prince y avoit fait préparer, compofé de Caza-
bi^ d'Uti.u, & de diverfes fortes dePoillbns de lUvière Ofe de Mer. Cljacun
eut Ton logement, Ck fon Hamac garni de coton, avec des ornemens alTez
riches. Le lendemain, lîohcchio, & la Princelîe fa Sœur, s'étant préfen-
tés fort civilement à l'Adelantade, lui propolèrent un Spe6lacle dans le goût
de leur Nation. Deux Troupes d'Indiens, armées d'arcs & de flèches,
s'approchèrent l'une de l'autre en ordre de Bataille, & donnèrent une ima-
ge cle la méthode qu'ils obfervoient dans les Combats. Ce divertillement
reflembla d'abord aux Jeux de Cannes, dont Tufagc efl commun en Efpa-
gnc; mais les Combattans s'échauffèrent, & l'aélion devint fi vive, qu'il y
en eut quatre de tués. Le nombre des blefles fut plus grand, & n'auroit
fait qu'augmenter, fi les prières de Colomb & des Caflillans n'eullent arrê-
té un exercice d'autant plus dangereux , qu'il paroillbit animé par la joyc ,
fans aucime attention pour les blefles & pour les morts.
ApRi:s CCS rejouillances, l'Adelantade repréfenta au Cacique & àfaSœur
qu'ils etoicnt les feuls Princes de l'Ille, qui n'eufTent pas recherclié la pro-
tection lies Rois Catholiques; que l'Amiral, Ton Frère, étant allé rendre
compte j Leurs Majeilés de la difpofition de tous les Caciques, il étoit à
craindre qu'il ne revint avec l'ordre de porter la guerre dans le Royaume
de Xaragua; & que l'expérience devoit avoir appris, à tous les Inlulaires,
qu'il leur étoit impoflible de refiller aux armes Efpagnoles. Bohechio, per-
l'uadé par ce railbnncment, & fbllicité par fa Sœur, qui prenoit de jour
en jour plus d'alTeftion pour les Chrétiens, ne fît valoir que l'impuilTance où
il étoit de le Ibumcttre au Tribut, parce qu'il n'avoit pas d'or fur fesl'erres.
On lui répondit que les Efpagnols avoient trop d'équité pour exiger l'impof-
fible, mais qu'il pouvoit fournir une certaine quantité de coton <bc de vivres.
Le Traité d'alliance fut conclu à cette condition (k). Après
(*) Ilcrrcra, ubifii^r>\, Cliap. 5.
I î
CimsTotm
CoLOMa.
II. Voyage.
149 <î.
Accueil qu'il
reçoit liu Roi
Doliechio,
Fcllins ft
Spectacles
aue les In-
iens donnent
auxCaUIilani.
Le Roi 5c
fa Sœur fe
fouincttent at
tribut.
68
r u E M I i: il s V o y a c n s
ClIRIJTOniF.
CoLOMn.
II. Voya;::.
1496.
TrilU'ctaC
.lc5 C.iftillans
li'IùibL'lIc.
I-rRoiCrU;!--
riuOi'x prciul
!(.•> armes
coinr'ciix,
Il cd fait
\-r;ioii;iicr.
Dom ]]ar-
thclcmy va
rcccoir le
tribut c!e l^o-
hccliioiv. vi'A-
nac'Una ù
Sœur.
Ari;i:s avoir foiimis !a Province av^c li peu de peine & de dang r , IWd*;-
lanta.lj le ren^lit par Terre à llabelle, oii il trouva que la miier^' Os: ks
mahiJi'. s avt^ient ciTiportc preique tcut le relie des I labiuiiis. Dans le eha-
grin c'j ne voir arriver aucun Navire d'Klpagne, il prit le parti d'en fiiic
conltiiiire, p^ur y envoyer clurcher des vivres; èJc, dans l'intervalle, il
dilperia les K!pnp;nols, fuibks on malades, dans les Villages Indiens les
plus vuilins des l'^M-tercOcs. Mais lès llibitans le lallerent bientôt d'cntre-
t;.nir des I lotcs qu'ils ne pou voient rallaiier, & dont ils ne recevoient que
de mauvais traitement p'Uir rceompenle. Les Sujets de (îuarinoex, (jui fc
relllncoienc le plus tij cette vexation, furent les premiers q:ii relulurenc
de Iccouer un joug ip'upporîable. Leur Cacique etoit ami de la paix ; mais
ils le forcèrent de le mettre à Lur tête, par la menace de le donner un au-
tre Maître. L'AdeiantaJe , informé de ce foulevement à San- Domingo,
dont il avoit fait fa principale refidence (/), ne lailVa point le tems à ce
Prince de groHlr fes Troupes, ni aux autres de fuivre Ton exemple. 11 fe
hâta de marcher coR'.relui; tS: l'ayant rencontre à la tête de (juinze mille
Hommes, il l'attaqua 11 brurquement, pendant la nuit, qu'après avoir mis
en pièces une partie de les g-ns , il le fit lui-même Prifonnier. Il Je relâ-
cha néanmoins, à la prière de les Sujets, qui le lui redemandèrent avec les
plus vives inrtances; mais ce ne fut qu'après avoir fait jullice de ceux qui
i'avoient excité à prendre les armes.
Vers le même tems, il reçut avis de Bohechio &d'Anacoana, que leur
Tribut étoit prêt, & qu'ils étoient difpofcs à le livrer. Il chargea Dom
Diegue fon Frère , qui commandoit toujours dans Ifabelle , de faire palier une
Caravelle à la Cote deXaragua; mais il voulut s'y rendre lui-même par
Terre, ôi. recevoir le premier hommage que ces Caciques rendoient à i'Kf-
pagne. L'accueil, qu'ils lui firent, le confirma dans l'opinion qu'il avoit
prife de leur bonne-foi. Ils allèrent au-devant de lui, avec un Cortège de
trente-deux Seigneurs ; tan. lis qu'un grand nombre de leurs Sujets appor-
toient à leur fuire quantité de Cot<3n, cru Ot fiié, & toutes fortes de Provi-
fions. La Caravelle ayant abordé au Port de Xaragua, qui n'étoit éloigné
du Palais de liohechio que d'envinui deux lieues, Anacoana ne fit pas d'iffi-
culré de le ivnJre à IJord avec ('.m Frère. File avoit fait préparer, vers
le rivage, un l<.geir.cnt fort bien meuble pour TAdelantade, ou il fut furpris
de trouver, entre divers ornemens, des lièges de bois, travailles avec tant
u'art. qu'on les auroir crus ouverts de Ibye; & le lendemain, quoi^iu'elle
clV. fait armer de f<.;t beaux Caiiots, elle entra fans défiance dans la Harque
E'pagnole. C'etoit la première fuis qu'on voyoit un Bâtiment de l'Europe
lur
(/) Les Eipai^v.c', t!a Fort .'. B.mr.o c-n
furent avertis par <; II. icjcc" InJiens (jui '.ci.r
furent lideles. Un ilillur.L:! ijppu.te, (,jc
pour comnnniiqiier Cette noavtiie àCoion.h.
ils profit'.rent tic liJOe où ces Infulaiies
étoient encore que les Le'trcs parloiei t
11 falloit tvuvcrfer le Pays tiiiituii. On ii,it
une Lettre pour rAdeltUiiade dans un \L-
ton creux, aiiès avou luit entendre à llL-
dien, qui en fut chargé, que s'il muKjUoit
de diligence, la Lettre ne uianiiUiroit pan
d'j le dire , pur le nicnie pouvoir ([u'elic
àvoit d'ixp!iqucr ce (yion y avoit <ierit. El-
le fur portée avec une adrelfe & une promp-
titude furprenante; & les lifpignois fe cru-
len: redeva'jles de leur couler vatioa ;\ cette
ruic. Ljv. 3. Cbap. C.
i: X A
!■: R I
u j: , L I V. 1.
69
II. V.yn.c.
1 [ 9 C'.
Mtiif lie la
,1-
:j, que Ils Kfpignols g.irJoiont: encore avec les Infiilaircs, collcrcnt par
Icgrés , à melure que leur puilKmce punie s'éta'jlir; èN»: les clii]en';i;:'S, qui
'élevèrent bienrùt entr'eux, leur ayant fait oublier ce qu'ils Jevoi.nc éi leur
Origine du.
ne !o|-;;iic fc-
cl.tioîi , cxci-
fur cette Corc. Les Caflil'ans firent une tl'char^c de i'Arriik'rlc , qui cail-
la une fravcur extrême aux Indiens : mais Anacuana, remarquant que l'A-
tLlantade ne faifoit qu'en rire, fut la première à les rallurer. Elle monta
fur le Tillac, où le bruit de plufieurs Inftrumens de Muliquc fit fucceder i^^^■y^^.> ^,^.
les rejouitlances à l'effroi. Elle prit plaifir , avec Ton Frère, à vifiter tou- Prin.circAn
tes Ls parties du Vailfeau; & i'Adelantadc n'en eut pas moins à conlidcrer coana
leur econnement , h la vue de cette merveilleufc machine. On s'arrête
volontiers, avec tous les llifboriens, à relever le mérite d'Anacoana, &
fur-tout un caractère de policelTe & de galanterie ftjrt lingulier dans une In-
dienne; pour tli'pofer le l/eeieur à la plaindre, lorlqu'il la verra indigne-
ment traitée })ar ceux qui croyoient ne lui devoir alors que de la reconnoif-
fance tS: de i'.i.lmiraLion. iMais les mén igemens d'humanité (S: de julli-
c
d
s . _
propre Nation , ils rcfpedèrent beaucoup moins de milerables Indiens,
auxquels ils accordoient à peine la qualité d'Hommes.
Pendant que Dom Barthélémy apportoit tous les foins au bien public,
Roldan Ximenes^ que l'Amiral avoit revêtu, en partant pour l'Efpagne, ^^^^^^,^
de WMicc d'/Jlcalde Major ^ c'eft-à-dire, de Ju;;e luporieur, ou de Cirand tJc par Rd- '
Sénéchal del'Ille, Homme d'cCprit, mais ambitieux & violent, forma des dan Xima-iiii..
delTeins qui faillirent de caufer la ruine entière de la Colonie. Il p.iroît
que les hauteurs d'Aguado avoient jette, dans Ion e(]-»rit, djs idées u'indé-
pendance & des femences de rcvokc. La prefence de i'Adeîantade fervit
d'abord à le contenir: mais, le voyant engagé dans un Voyage de longue
durée, &, fe perfuadant que l'Amiral, accablé par les aceulations de les
Ennemis, ne rctourneroit jamais d uis Ls Indes, il forma le projet de fe
failir du Oo-ivernemenr. Les Artifans lui étoient dévoues, depuis qu'il
les avoit commandes au t'econd Voyj;2;e de l'Amiral. Il leur fit entendre
que les Colombs afpiroient à l'autorité Ibuveraine; qu'ils avoient déjà com-
mencé à les traiter en Elelaves ; que la faim & la mifere etoicnt les mo-
yens qu'ils avoient réfulu d'employer, pour les tenir dans la plus rigoureu-
fe dépendance; qu'il ne falloit pas chercher d'autre raifon du retardement
des Vailfeaux , ri douter que les Provifions, qu'on envoyoit à rEfpagno-'
le, ne fullént adroitement dcLournées. Par ces odicufes infir.uations, il
cngag a les plus hardiis à demander qu'une Caravelle, qui étoit fort mal
équipée dans le Port, fut mile en éiat de faire voile en Elpagne, pour re-
préfenter ;ui Roi la ma'heureufe (iruation de la Colonie. Dom Diegue,
qu'ils prefVèrent aulli-tot de leur abandonner la Caravelle, .eut d'autant
moins de peine à penéiter leur defîcin, qu'ils ne degiiilbier.t pas même ce-
lui de poignarder I'Adeîantade, aidîi tôt qu'il tomberoit entre leurs mains.
Cependant, comme il ne pouvoit s'imaginer que les Séditieux fulfent en
and n( ' ■■''■■'•'
gran
ombre, il fe llatta de remédier au mal, en trouvant un prétexte
peur éloigner Roldan , qu'ils avoient reconnu pour ]v.ur Chef. 11 lui pro-
pofa de fe mettre à la tête de que!(]ues 'l'roupes, qu'il vouloit employer ù
prelllr le Tribut des Caciques. L'/\lca!de, voyant, fous les ordres, une
troupe de Suldats choills , ne pcnia qu'à tenter leur fidélité. Il congédia
la.
cciln;
COT.OMI.
1497.
RolJ.in, d:ini
Iiubdlo.
Il (.'n ù>'t. a-
vic les Troa-
Xi'gocia-
tions troin-
iLufcs.
T 4 Q H.
Diin\ Hm-
thclciiiy re-
çoit un re-
cours d'Efpa-
70
P U E M I n R S VOYAGES
ceux qui rcfiirèrcnt Je s'attacher à lui; &, loin lU- rtortcr les Ciciqucs û U
f.tnr.nirion , il ne tr.iv.iill.i (m'a leur infpirLT de l.i haine pour ks Colombs,
vSi par eonfcqucnt de la rcùliancc à leurs ordres ( m).
A peine futii rentre dans llabclle, que, levant le mafque, »S: s'.iutori-
fant du nom du Koi, il employa la force pour fe fiiilr des clefs du Mi;;i-
lln Royal. II protclla qu'elles ne dévoient pas demeurer plus lon^j-tenis
entre les mains de Dom DiL^ue; & , foutcnu par fes Complices, il enleva
autant d'armes «S: de provilie/ns qu'il jugea convenable ù Con entreprile.
Les troupeaux du Uoi ne furent pas plus épargnes. Il en prit la meilleu-
repartie; vS:, foryint Diegue, par ils menaces Oi: l'es iniidtci, de Te reti-
rer dans le Cnàteau , pour mettre la vie à couvert, il prit le chemin de !.i
Conception, avec foixantc-di\ I lommes. Son efpérance etolt de s'empa-
rer de ce Fort. Mais Dailcjlcr, qii y commandoit, lui ferma les portes,-
& le bruit de tant de delbrdres ayant fait accourir l'Adelantade avec Ils
Troupes, les Rebelles n'ofèrent foutcnir fa prefence. Il n'en fut pis moins
ctonné du progrès de la révolte, fur-tout lorfqu'il apprit que plulieurs Of-
ficiers de dillinclion, tels ([u' EJ.objr , (rouvcrneur du Fort de LtMaJcLiinc,
Moxica &. BahlivieJJc , y etoient entres ouvertement. Son inquiétude,
pour Dom Diegue , lui fit tourner la marche vers Ifabelle. En y arrivant,
il reçut avis , de Balleller, que fa vic n'y étoit pas en fiircté; &, la crain-
te de fe trouver trop foible, en clTet, pour rcililUr à la multitude de les
Ennemis , l'obligea de retourner à la Conception, dans la vile d'employer
les voyes de la douceur, pour app.iifer des Furieux qu'il dcfefperoit de ré-
duire par la force. Il fit reprerenti.r , àRoklan, tout ce qu'il crut capa-
ble de le rappelLr au devoir. Malibcr ^ qui fat employé à cette négoeii-
tion, parvint à rè:;Lr une entrevue entre les deux Chefs. Elle fe fit uai;.s
la Conception même, avec la précaution de fe donner mutuellement des
otages, OJc d'une fenêtre à l'autre. Mais tn ne Ik qu : s'aigrir dans les ex-
plications. On étoit Certain (u) que Roîdan s'etoit ilatté de pouvoir fe
failîr du Fort Oie de la perfonne mcme de Ccj'omh. Après avoir reconnu
que Ça forces ne fuffilbi^nc pas encore , ou qu'on avoit déconcerté Ils me-
furcs, il le retira chez le Cacique ManiCiV,t:x^ dont il reçut le Tribut en or.
La licence, qu'il accordoi: à les Troupes, les grolViiloit de jour en jour,
tandis que la fai'Ti fiifoit déferter toutes les (îarniluns; & Dom l>arthe!c-
my coniniençûit à craindre -Je II- voir accablé par le* nombre , lorlque l'ar-
rivée de deux Caravelles, chargées de v.vres, lui donna le tenis de rel-
pirer.
C'ktoieni elles que l'Amiral avoit fait partir, du nombre des huit qu'il
avoit 00: cniics du Rui, e\: qui dévoient être bientôt fuieies par le relie de
r.Arm.mcnt. Elles moiiiilèrent à San -Domingo, le 3 de Février 14.98,
fous le commandement du Sergent Major, Pierre Fernandcz Coroncl. L'A-
dclantaJ'.' connoiffoit le mérite de cet Officier èJe fon attachement pour l'A-
miral. Il il- hâta de le joindre; mais Roldan poulPu l'audace jufqu'à s'ap-
procher auili de San -Domingo, dans l'cfpcrance apparemment de dilpol'cr
les
: I
(m) Ilcrrcra , Liv, ^..Cbap. 7.
( n ) Par le témoignage de Gonçal Gomez Collado. Hcrrcra , ibii.
l'L'tl-
: Il
jr-
"'ty
m
£ K A M i: R 1 (^ U E, Liv. I. 71
les Caravelles à prendre parti pour lui; mais, fc voyant prévenu par la di-
1-ftciico de Ton Knncmi, & n'ayant rien à fe promettre des llabitans de l:i
Ville, c]u\ s'éioivUt déclarés contre fa rcvolie, il afîit Ton Camp ù qujl.jius
lieues des murs. L'AdeiantaJe publia les Lc-ttres qu'il avoit reçues du Kui
Ciuhuh.iue, l'honneur ijue Sa MajefttMui faifoit de confirmer ion litre, la
iiaute lavLur où Ton Frère étoit à la Cour; tS: Ton retour, qui ne pouvoit tar-
der, avec lix Navires. KnRiite , délirant encore que l'ille fiU pacifiée
avant l'arrivée de l'on Frère, il envoyaCoronel même à Roldan, pour j'cx-
liorter à rentrer dans la foumillion , o<: lui promettre un oubli gênerai de les
excès. lyauiVt loin que les Rebelles l'apper^i'urent , ils le couchèrent en
iouc , lappellant 'J'raitre , & lui reprochant d'être arrivé huit jours trop
lot pour le r.iccès de l.urs delVeins. Cependant Coronel vit leur Cii.f, (S:
lui repréfenta vivement le tort qu'il caufoic à la Colonie; mais il ne re^uc,
de lui «S: de Tes Complices , que des réponfes iufukant.s, C^: des marques
d'arrogance. On fçut , peu de jours après, qu'ils avoi.nt pris le clicmin
de \aragua, où, dans l'abondance des fublillances, dont ce Pays étoit
rempli, ils fe promettoicnt de vivre avec la dernière licence. En arrivant
dans cette Province, Roldan déclara au Cacique qu'il venoit le délivrer
d'un 'l'ribut qui lui avoit été impofé fans la participation du Roi. 1! t«-
noit le même langage à tous les autres Princes , quoiqu'il ne fût pas long-
tems fur leurs Terres, fans exiger beaucoup au-delà du Tribut dun: il les
délivroit. L'Adelantade, après plufieurs proclamations contre lui ik. fes
Partifans, les fit enfin déclarer Rebelles, Ck condamner au chùtinKnt, fui-
vant les Loix d'Efpagne.
Dans l'intervalle, on apprit, à San- Domingo , que les Sujets' de Gua-
rinocx, également vexés par les deux Partis, l'avoient preiîé de profiter
de leur divifion pour fecouer le joup;; niais que ce pailible Cueiqjc, in-
flruit, par fes difgraces , avoit pris le )«arti de fe retirer avec un grand
nombre de fes g^ns chez les Ci^Uii\"s^ Peuple guerrier, qui liabitoit les
Montagnes du Nord, \ers le Cap dcl Cabion , & qu'il y avoit été bien re-
^u de MiyobiincXy leur Souverain. Li retraite de c: Prince faifoi: perdre,
aux Callillans, le 'J'ribut auijuel il s'ttoit engagé. C'écoit allez pour lui
en faire un crime, & l'Adelantade fe crut obligé de l'en punir. Il eut à
padér des Montagnes fort Lfearpccs, .ùs lefquelles i! deTcendit dans une
Plaine, qui cft arrofée par une grande > /ière. Bientôt il y découvrit une
Armée nombreufe, qui fembloit l'attenare de pied ferme. iNIais, s'étant
avancé avec beaucoup de rétolutiun, il en fut quitte pour cOuyer une grê-
le de ileches, qui ne blelTa point un Callillan; & fes Ennemis fe dilîipè-
rent aufli- tôt clans les Montagnes. (Quoiqu'il ne penfut point aies pourfui-
vre, la perte de quelques-uns de fes gens, qui furent maflacres à l'écart,
lui tic prciî ire la refoluticn de donner la chalTe à ces Barbares. Oii en tua
plufieurs; & l'on apprit, d-^s Prifoniiiers, que Mayobanex s'ctoit fortifié
dans un \'ili.:ge avec l'élite de (es forces. L'Adelantade ne dilFera point à
s'avancer vers cette retraite. Cependant, comme il cherchoit, dans la fi-
tuation de fes afiaires, à gagner les Indiens plutôt qu'à les vaincre, il prit
le parti de faire offrir fon amitié au Cacique, fîms autre condition que de
livrer Guarinocx. Mais le fier Indien répondit ,, que fon Allié étoit un
„ hom-
C:ir',i.iroPiie
Cui.OM.i.
!'■ ^'f'/«■;c.
1 4 (> 0.
lur ;
oiir ;''.iu.\;
];
u..; .i; Cv
k: C'Jlî'j.l.t'.'j
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de Xa; .gu.i.
Gur.rinocx
fc faiivc il .ni
les Muiiu-
I,"Aclel:!n:Li-
lij l'y po.tr-
fuit.'
72
1' K K M I i: R S VOYAGES
CiiBt<Toriir.
COLOM 1,
II. Voyi.^t'.
No!)!c licite
il II Caci']!!.'
M;iyob:iiicx.
Comment i!
e\\ pris pnr
ks Ciùiilar.^.
Tcndrr.To
ti'iin Indien
pour ù fcm-
jne.
„ homme d'honneur, à (jui l'on ne pouvoit reprocher d'avoir jamais fait
,, tort à pcrfor ne; nu heu que les Ktpai^nols ne dévoient palVer que pour
„ dos lîrigantls c\: des Ufurpatcurs, dont il méprifoit Us oiVres & l'ami-
„ tie''. il ne rvjett.ipas avec moins de eonllanee les r^prclentations de
ils Sujets, qui cammenfj-oÏLnt à craindre les fuites de la (iucrre. Il fit ap-
peller Guarinocx, pour l'informer de fa réfolution; *îs:, lembrafTint ten-
drement, il lui promit de périr phuùt que de le livrer à Ils lùinoinis. Kn-
liiite, il fit occuper toutes les avenues cks .Mo.itagnes qui lenvironnoient,
avec ordre de fiire main-baiîe fur tous les Calliliaii-î (o).
Cette injuricufc obflination n'empêcha pas l)om Harthelemy de renvo-
yer , au Cacique , trois de fcs vSujets, qu'il ayoit faits prifonnicis, c\: d'tn
prendre cccalioii J.e lui faire de nouvelLs oflVes. Il s'avança mcmc avic
de meilleures efperances : mais, pour unique reponfe, Mayobanex fit don-
ner la mort à ccux qui avoient ofc fe charger de cette commillion. Alors
les Callillans furieux fe mirent en mouvement pour l'attaquer ; mais, au
premier coup de feu, tous ks Indiens prirent la finte vi rs les Montagnes,
& les (\cux Caciques , abandonnes preliiue feu!s , le virent forces de cher-
cher Lur falut dans la même retraite. L'Adclaniade , quoiqu'obligé, par
la difettc des vivres, de renvoyer une partie de fes Troupes, ne craignit
point de s'engiger dans ces lieux l'auvages, avec trente Hommes qui s'of-
frirent à le hiivre. II etoit réfolu de donner la chalfe aux Fugitifs, de
Montagnes en Montagnes; mais, deux jours après, quelques Indiens étant
tombes entre fes mains , la force des tourmens leur fit découvrir celle que
Mavobanex avoit choille pour n/.ijj. Aulli-tot douze Callillans fe degui-
fèrent à la manière du Pays, en fe mettant nuds , & fe frottant le corp:;
d'une couleur rouge & noire (/)), compofee du fruit de certains Arbres,
que les Indiens nommoient lUxa. Ils ne prirent point d'autres armes (jue
leurs épces, qu'ils enveloppèrent dans des feuilles de Palmier; &, fe fai-
l'ant conduire par leurs Priibnniers, ils pénétrèrent , fous cette forme, jul-
qu'à la retraite de Muyobantx. Hz le trouvèrent avec fi femme & ils
cnfans. A la vue de Lurs épées, qu'ils firent briller tout d'un coup de-
vant lui , ce malheureux Cacitjue ne fit point de réfiriance. Il fut con-
duit au Cjénéral, qui reprit aulVi«tôt le chemin de la Conception, avec \\i
proye. Les douze Callillans avoient enlevé, dans la même expédition,
une fort belle Indi 'nne, iN':v.ce de Mayoban.x, 0?l Temme d'un des princi-
paux Seigneurs du Pays. Son Maii, qui s'ctoit uadi réfugie dans les Mon-
tagnes , tut li lieferperé de i'd p.'rte , que , lans redouter le ]-)eril qui le
menaçoit lui-même, il le h.a.a de luivre l'Adelantade; & l'ayant rencontre
dans l'on retour, il le conjura, les larmes aux yeux, de lui rendre une
feni-
Mj
' 'I
4
^o) Avec le ir..-;!f de la j-rrbitc, qu'il fit
valoir a l^s buicis
Hcrrcra iiii en fait ap-
portci r.n (]iii mcrite d'èrro rcnijiijué : ,, 11
,, leur rvi pondit qu'il n't'ttjit pas raifor-inablf
,, de livrer à tes Knncnii.s un lioinnie, (]iril
„ avoit pris fous la protection; que dail-
,, leur- il avoit toujours M fou Anù , parce
j, 9UC Guarinocx avoit appris, à lui & à la
„ Reine (n femme . le Branle de M/j/^tn'.
C'étoit une lurte de daiife , que ks l'j'; a-
gnol.s nommèrent le Branle d^^ ta Tf/::.! .
où le R(jyauiiie dcGuaiinoex étoit (itué. u'ii
fupra, Chan. 8.
ifi ) C'elt apparemment ce que toutes no«;
Relations nouiuient du Rocou.
EN A M E R T Q U E, Liv. I.
f.iit
pour
atni-
is de
t ap-
tcn-
Kn-
lent.
Femme qui lui âuic plus chère que la vio. I/Adclaniadc fut touche d
cette teiKlreH' Ci': cœur dans un Ikubarc. Il lui rendit lu lÀmme, fans e.\i«
n.r aucune ranf;(jn. Mais ce bienfait ne fut pas perdu pour les CaCtilIans.
ils furent furpris l\c revoir bien'ùt ce ^énér.iix InJijn , avec quatre ou
cinq cens de les vSiijcts, dont chacun portoit un O/./j-, efpèce de hâtons
brilles qui leur fervoient à remuer la terre. Il demanda un teirain pour le
cultiver. Son oilVe fut acceptée; & le travail de Ces gens, animé par In
rcconnoiflancc, eut bientôt défriché de vailles Champs, où TAdelantade fit
femer fort utilement du lilé (q). Cet exemple fit efpérer, aux Sujets de
Mayobancx, qu'ils obtiendroient aulli facilement fa liberté. Ils vi'irent la
demander en i^ranJ nombre, & chargés de prefeiis, avec promefil de de-
meurer fidèles'à rEfpagne. L'Adelantade fe crut obligé de donner un ex-
emple de rigueur, pour retenir tous les autres Caciques dans la foumilUMn.
Il rendit, aux Ciguayos , toute la famille de leur Prince, mais il fut iiKXu-
rable pour fa pcrlbnne. Ce refus , dont ils parurent conllernés, leur ayant
fait tourner leurs relTentimens fur Guarinoex, ils le livrèrent aux Callillans,
comme la première caufe du malheur de leur Maître. La vie de Guari-
noex fut ménagée , par des raifons qui ne font pas expliquées dans l'Ililloi-
re; tandis que Mayobancx , condamné à la mort (r) dans toutes les for-
mes de la Judice Espagnole , expia leur faute commune par le plus infdme
fupplicc.
1 , CrirTSTôfriE
('•■^I.OMII.
Sa rccun.
noiir.incc
I our les Ci-
lUU.ins.
( Il coiul.iiiiné
au fupplicu,
(q) Ilericra dit qu'ils fircni. , en yen de
tcm-., pour trente mille écus de travail. Ubi
fup. Cli;ip. 9
(r) Hiiloire de Saint Domingiic, I.iv. 3.
pag. 2o3. i^ prie éd. lierrcra & Ovicdo ne
parlent point de cette mort. L'antre Cacî(]iie
fut épTr;;né, apparemment parce qu'il s'é'toit
fait inllruire des princi,vs du Chrillianifine,
quoiqu'il ne les eut point encore ciiibruirés.
Ilerrera , Liv, 3. Cbap, 4.
5. I II.
Ti ùifième f'oyage de Chrijîophe Colomb.
1 Rendant que les progrès de la Colonie étoient retardés par tant d'agi- '^^f^^^'^^^^y'-
tarions, l'Amiral n'avoit pas celle de preller fon Armement dans les ()?\'^'i!î'
Ports d'Efpagne. Mais, les obllacles qu'il avoit trouvés, de la part de qui urùtenc
ceux qui avoient été d'abord les plus ardcns à le fervir, lui avoient fait lAmiralen
douter plufieurs fois fi le but de cette conduite n'étoic pas de rebuter ïon. trpaijue.
zèle & fa condance. Cependant il n'avoit point à fe plaindre du Roi &
de la lljine , qui ne fe laffoient pas de le combler d'honneurs & de biens.
Après avoir confirmé tout ce qu'ils avoient fait jufqu'alors en fli faveur,
ils lui ofTrirent, dans l'Ille Efpagnole, un terrain à ^on choix, de cinquan-
te lieues de long, fur vingt -cinq de large, avec le titre de Duc ou de Mar-
quis. Alais il n'accepta point cette grâce, autant pour éviter toutes for-
tes de dilculHons avec les Officiers Royaux , que dans la crainte tl'irriter la
j al nulle des Grands, qu'il voyoit déchaînée contre lui. Knfuite, Leurs Nouvelles
MaJLJlés, en coolldération de la découverte de Cuba & de la Jamaïque, f^iwurs qu'il
dont il n'aviMt tiré aucun avantage, le déchargèrent du huitieme'd.s avan- '^^'^m '''' ^^
ces , auqi:el il étuit obligé pour recueillir la même portion des profits, fur
Xl'IU. l'art. K tous
7+
P R M I E 11 S
O y A G E S
OiRHTOPIIR
CoLOMH.
111. Voy:.Ko.
I 4i^S'
InciJens qui
n'tcrtiit les
ditpolitions
>'c la Ri'inc.
Autres chan-
.jcincns.
Départ Je
l'Amiral pour
loti troificaïc
Voyage,
tous les Navires qui failoicnt le Voyage des Inks. KWcs lui acconlèrcni ,
dans fa Jurilllictii'n des fiidcs, tous les dt\>iis & Lt. honneurs, dont l'Ami
rautc de Callillc jouilK'it dans la tienne; Cs: , nvilj;:.' les ripréfcnrations de
rAmiraiitc, qui le ))Liiji;noit ijue cetie t'aveiu* avoir uop d'ctenduc, elles re
changèrent, à Tes Frovillons, que (juelques termes généraux , contre ief-
quels il y avoit plus do jullicc ù le récrier. En mciî'.e- tems, elles lui rc-
coinniandèrenc de prtfcrer toujours la douceur à la féveritc , du moins
quand elle pourroit s"accorJer avec les droits de la Juflice. Ce conleil pa-
roît avoir été la feule marque que le Koi tîi: la Reine culVent fait quelque at-
tention aux p'aintcs & aux aecufations de fes Knnemis (a).
Mais les trois Navires, qu'il avoit vfi partir de Cadix, en arrivant dans
ce Fort, y étoicnt revenus dès le ;o d'Octobre n^)6. Ils avoient amené
les trois cens Indiens, (jue l'Adelantade avuit pris le parti d'envoyer en Kl*.
pagne. Alfonfe Nigno, (jui les commandoir, avoit malignement afTedé
d'écrire, de Cadix à la Cour , qu'il appurtoit beaucoup d'or; & ces richcf-
fes prétendues, qu'on artcn.îojc impatii mment, fe trouvèrent réduites à
trois cens Milerables , qi:i n'étuient propres qu'à rdclavage. Soit guc Ni-
gno eiU agi de concert avec les Ennemis de l'Amiral, ou qu'ils enflent pé-
nétré d'abord cet indécent badinage, ils en avoient pris occafion de faire
un autre emploi des fonimes delhnees à l'^^rmemenr , fous prétexte qu'elles
aHoient être remplacées par l'ur de Nignu; eV ks alVaires des InJes furent
d'autant plus decréditees, après l'cclaircinement , (jue la môme malignité
ne manqua pas de publier, que tout ce qu on en avoit dit jufqu'alors n'é-
toit pas plus réel. Leurs Majeflés mêmes ouvrirent quelque tems l'oreille
à rimpolhirc; &, dans leur chagrin , elles desapprouvèrent l'envoi des
trois cens Elclavcs, jul'qu'à dire hautement, (|ue li ces Infulaires s'étoient
luulevés contre les Caflillans, ils y avoient fans doute été contraints par la
rigueur avec laquelle ils étoient traités. I/Amiral n'eut pas d'autre parti à
prendre que de blâmer fon Krère, dk. de ic borner, en attendant de nou-
veaux fonds, à faire équiper les deux Butimens qui furent confies à Pierre
Ilernandez Coronel. Ikureufement, néanmoins, Jean Rodrigue/, de l'on-
fc:a, Doyen de Seville, qui avoit toujours eu la dircélion des Armemens
pour les Indes, & qui étoit devenu Ion Ennemi, fut nomm.e à l'Eveché
de Badajos, & fa Commiflion fut donnée à 'J'orrez, qui avoit ramené la
Flotte du fécond Voyage. Cette révolution accéléra rArnicmcnt; mais il
fut encore retardé par la mort du Roi j[can de Portugal, & par celle du
Prince héréditaire d'Elpagne , qui arrivèrent fucceUivement. Enfuite,
Torrez ayant fait des propofitions qui déplurent à la Cour, on y rappella
l'Evêque de Badajos, qui, par haine pour les Colombs, ou par dégoût
pour l'entreprife des Indes, fit naître mille diflicultés , qui retardèrent en-
core les préparatifs du départ. Cependant les ordres de la Reine devinrent
fi preflans, par les follicitations continuelles de l'Amiral, qu'enfin la Flotte
fut en état de mettre à la voile.
Elle partit, fous fes ordres, le 30 de Mai 1498 , compofée des fix Vaif-
feaux qu'il avoit obtenus; &, pour éviter une Flotte Portugaifc, qu'oft crai-
" gnoic
(a) Ilcrrcra , Lit'. 3. CJjap. 9. ''
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KAAIiT VAN PE Pr OVIN TIEN CARACAS, C
Do or (len Hf I
EN A M E R I Q Ù E, Liv. I.
75
gnoit de rencontrer vers le Cap de Saint -Vincent, elle gouverna droit à
rifle Porto-Santo, où elle arriva le 7 de Juin. Après y avoir fait de l'eau ,
elle fe rendit à Madère. Le 19, elle jetta l'ancre à la Gomera , où l'Ami-
ral , apprenant qu'un Vaiiïeau François avoit pris deux Caravelles Efpagno-
les , lui donna la chafTe & reprit une des deux Caravelles. Enfuite , étant
pafTé à rifle de Fer , il fe livra au defir d'entreprendre de nouvelles décou-
vertes : mais, pour ne pas laifler fa Colonie fans fecours, il réfolut d'en-
voyer direéîement trois de fes Vailfcaux à l'Ifle Efpagnole; le premier,
fous la conduite d'Alfonfe Sanchez de Carvajal, Officier de mérite & de
naiflance; le fécond, fous celle de Pierre d'^rûna, Parent de l'ancien Gou-
verneur dû Fort de Navidad , qui avoit été détruit par Caonabo ; & le
troifième, fous celle de Jean - Antoine Co/o7«i , Génois, qui lui appartenoit
par le fang. Ces trois Capitaines dévoient commander tour à tour. Ils eu-
rent ordre de faire rEfl:-quart-de-SudEfl:, pendant l'efpace d'environ huit
cens lieues; enfuite, de porter à l'Ouefl: -Nord- Oued , pour reconnoître
l'Ifle de Portoric, d'où la navigation eft aifée jufqu'à San - Domingo.
Pour lui , s'étant pourvu de tout ce qu'il jugea néceffaire pour une lon-
gue courfe, il prit la route de l'Ifle de Fer, la dernière des Canaries à
rOuefl:. Son intention, fuivant les termes d'Herrera, étoit de fuivre, au
jiom de la Sainte Trinité, le Sud jufqu'à la Ligne, & de prendre enfuite à
rOuefl:, jufqu'au Sud - Efl: de l'Ifle Efpagnole, dans l'efpoir de rencontrer
des Ifles ou la Terre - ferme. C'étoit une route qu'il croyoit encore incon-
nue: mais il avoit appris, des Infulaires de TEfpagnole, qu'il étoit arrivé,
dans leur Ifle, des hommes noirs, avec des lances garnies d'un fort beau
métal, qu'ils nommoient Guanin. Il avoit eu, entre les mains , quelques
bouts de ces lances , qu'il avoit envoyés en Efpagne, & dans lefquels on
avoit trouvé 3I d'or, 6 d'argent & 8 de cuivre. Toutes fes lumières le
portèrent à croire qu'on ne pouvoit venir d'aufli loin que de l'Afrique aux
Antilles, fur des Bâtimens aufli fragiles que ceux des Africains; d'où
il concluoit que ces hommes étoient venus d'un Pays beaucoup moins éloi-
gné (6).
Après avoir doublé l'Ifle de Fer , il prit la route des Ifles du Cap Verd ,
qu'il fe plaignoit qu'on avoit mal nommées , parceque dans fes anciens Vo-
yages il les avoit toujours vues féches & fl:ériles (r). Le 2V de Juin, il
apperçut celle de Sal , qui fe préfente la première. Enfuite , pafl'ant à
celle de BuenavJjla, il fe rendit, le 30, à San-Jago. Son deflein étoit d'y
prendre quelques Befl;iaux, pour les tranfporter à l'Efpagnole: mais, les
maladies , qui commençoient à régner dans fes Equipages , lui firent crain-
dre le mauvais air de cette Ifle. Il ne penfa qu'à s'en éloigner , en regret-
tant d'avoir allongé inutilement fa route. Le 4 de Juillet , il fit gouverner
au Sud -Efl:, jufqu'à cinq dégrés de latitude du Nord. Le 13, à cette
hauteur, & fous un Ciel fort couvert, il efluya une chaleur fi exceflive,
que le godron n'y réflfl:ant point , fon Vaifleau fit eau de toutes parts. Ses
vi-
(J) Herrcra, Liv. 3. Cbap. 9.
(c) 11 ne faifoit pas attention que c'cft
du Cap Vcrd que ces Ifles ont tiré leur
CuRisTorue
Colomb.
III Voynçc,
1490.
Divifion qu'il
fait de fa Hot-
te.
II fe fépare,
pour aller fai-
re de nouvel-
les découver-
tes.
nom , parce qu'elles en font voifines , & que
ce Cap eft, en effet, d'une charmante ver-
dure.
K 2
Quels étoient
fes motifs.
Il pafTe aux
Ifles du Cap.
Verd.
Embarras
oîi le jette l'ex-
cès de la chsi*
leur.
76 PREMIERS VOYAGES
CiinisTOPiis
Colomb.
m. Voyage,
Il dL^coiivrc
une Terre in-
connue.
C'écoiî une
Ifle, qilMl
nomiiK'la'lVi-
-lia Santa.
Golfe qu'il
n&mme la Val-
kna , ou la
Baleine.
Un Indien
lui met fur la
tête une cou-
ronne d or.
vivres fe corrompirent. Le bled jettoitdcs flammes. Le lard couloit en
graifle, & le vin fuyoic ck's tonneaux encr'ouvcrcs (d). Mais Colomb,
quoiqu'alHigé delà goLite, & fatigué d'un travail continuel, voulut avan-
cer plus au Sud, pour tourner enfuite à l'Ouefl. Il ne changea point de
réfolution jufqu'au 31, que l'eau commençant à lui manquer, il fe crut
dans la ncceflicc de prendre au Nord- quart - de- Nord-Efl;, pour s'avancer
vers les IlLs des Caraïbes. Il avoit vu, le 22, un grand nombre d'oi-
feaux , qui paflbient de l'Efl: - Sud • Efl: au Nord • Efl , & qui lui avoient fait
juger qu'il étoic proche de quelque Terre: cependant il fembloit avoir per-
du cette efpérance, lorfqu'après avoir changé déroute, &, pendant qu'il
regrettoit d'avoir manqué ion defiein, un Matelot, nommé Ferez j natif
de Huelva, qui ctoit à la Hune, découvrit la Terre à quinze lieues au
Sud-Eil. C'étoient trois Montagnes. On porta auffi-tôt vers la Côte.
En approchant, l'Amiral apperçut un Cap à l'Oueft, fous lequel s'ouvroit
un Port, formé en partie par un Rocher de la forme d'une Galère à la
voile. Il lui donna le nom de Calera : mais ayant tenté inutilement d'y
entrer , parcequ'il ne s'y trouvoit point aflez d'eau, il tourna vers un au-
tre Cap , qu'il découvrit à fept lieues vers le Sud. Il n'y trouva point de
Port, & toute la Côte étoit revêtue d'arbres jufqu'à la Mer.
On reconnut que cette Terre étoit une Ifle. Elle reçut le nom de la Tri*
nhù, apparemment parce qu'elle s'étoit préfentée fous la forme d'une Mon-
tagne à crois têtes ; quoiqu'un Hiftorien aflure aufli ( e ) que l'Amiral s'étoit
propofé de donner ce nom à la première Terre qu'il pourroit découvrir. Le
lendemain, on rangea la Côte à l'Ouefl:, l'efpace d'environ cinq lieues, juf'-
qu'à une langue de terre où l'on fît de l'eau , & qui fut nommée Punta de la
Plaga. Les Cafliillans , ayant pénétré dans l'Ifle, y trouvèrent des traces
d'hommes & des inflrumens de pêche. Ils crurent voir aufli plufieurs ha-
bitations dans l'éloignement, & une autre Ifle vers le Sud, à la diflance
d'environ vingt lieues , qu'ils nommèrent IJla Santa. Mais , continuant de
chercher un Port, ils s'avancèrent, le jour d'après , vers un Cap à l'Oueft,
qui reçut le nom de Punta ds l'Jrenal; & ce fut fans s'en être apperçus
qu'ils le trouvèrent dans un Golfe, auquel ils donnèrent le nom de la Valle-
na. La longueur de l'Ifle, depuis laiGalera jufqu'à Punta de l'Arenal, ne pa<-
rut pas moins de quarante- cinq lieues. L'Amiral fit defcendre une partie
de fes gens à cette Pointe; & fes incommodités , l'ayant obligé lui- même
de prendre un peu de repos fur le rivage, il fut furpris de voir paroître un
Indien , qui s'approcha de lui fans défiance, & qui lui voyant un bonnet de
velours cramoili, le prit hardiment, s'en couvrit la tête, & mit fur cel-
le de l'Amiral une couronne d'or qu'il avoit fur la fienne. On jugea que
c'étoit le Cacique de l'Ifle, quoiqu'il fe fût préfenté fans aucune fuite. Le
même jour , un grand Canot s'approcha des Navires , chargé de vingt-
cinq
{d) Ovicdo fait elTuycr à la Flotte une
terrible tempête, il peut ne pas fe tromper
fur ce point, puifqu'il cite le témoignage du
premier Pilote de l'Amiral : nnis 11 fe trom-
i'c fans doute lorrqu'il n:ctj de ce Voyr.ge;
le fécond Fils de Colomb, Dom Fernnnd,
qui (!'toit Page de la Reine, depuis la mort
du Prince d'Efpagne.
(e) Ilcrrera, ulifuprà, Chap. 10.
EN A M E R I Q U E, L'iv. /.
17
cinq Indiens, jeunes, de fort belle taille , & plus blancs que les Infulaires
des Antilles. Ils avoient la tête enveloppée d'une toile de coton de divcr-
Tes couleurs, & le devant du corps, depuis la ceinture jufquaux genoux,
couvert de la même toile. Leurs cheveux étoient longs , & coupes à la
manière de l'Efpagne. Leurs armes n'étoient que des arcs , des ficelles &
des boucliers. L'Amiral fit tirer quelques coups de moufquet, pour fc faire
refpefter; & ce bruit leur fit tomber les_ rames des mains. Ils parloienc
entr'cux avec aflez de chaleur; ce qui fit juger qu'ils fe demandoicnt quels
pouvoient être les Etrangers. On leur montra quelques bagatelles de l'Eu-
rope , pour les attirer par cette vue. Leur eflProi paroiflant le même, l'A-
miral fit jouer de divers inftrumens, tels que le Tambourin & la Flutte, &
donna ordre, à quelques jeunes gens, de danfer fur le Tillac. Mais les In-
diens, prenant cette fymphonie pour un fignal de combat, fe couvrirent
de leurs boucliers & lancèrent quantité de flèches. Deux coups d'arbalé-
tes, qui furent tirés, dans la feule vue de les intimider, leur firent quitter
aufli-tôt lesc armes. Ils vinrent fe ranger fous la Poupe d'un des Navires ,
dont le Pilote defcendit hardiment dans leur Canot, & leur fit quelques pré-
fens. Ils l'invitèrent à les fuivre à terre; mais , tandis qu'il alla confultcr là-
deflus fes Officiers, ils s'éloignèrent à force de rames (/).
Rien ne caufa plus de furprife , à l'Amiral , que le froid qu'on reflen-
toit tous les matins fur cette Côte, à dix dégrés de la Ligne & dans les jours
caniculaires. Il remarqua auffi que les eaux couroient fort rapidement vers
rOuefl, & que la marée montoit & defcendoit foixante pas plus qu'à
Saint-Lucar de Barameda (g). La grande étendue d'eau, qu'il avoit de-
vant lui , dans le Golfe de la Vallena , lui fit prendre encore , pour des
Ifles , quelques terres qu'il voyoit à peu de diftance, quoiqu'elles fuffent
des parties du Continent. Il en nomma une, Gratîa. Enfin, pafllint le
Canal , dont la largeur n'efl que de deux lieues , avec un danger continuel ,
qui venoit de rimpétuofité du Courant, & qui lui fit donner, à ce paflage,
le nom de Boca de Sierpe , ou Bouche du Serpent (A), il aborda heureufement
à la Terre-ferme , mais fans la diflinguer encore. La Côte, qu'il trouva
fort agréable , reçut le nom de Paria. Les fruits y étoient fcmblables à
ceux de l'ille Efpagnole , les huîtres fort grandes & le poiflbn en abondan-
ce. On ne fut pas long-tems à découvrir que le mouvement & le bruit des
eaux venoit d'une grande Rivière, nomméQ 2uyapan (i), qui fe décharge
dans le Golfe. . L'Amiral apperçut deux petites llles, au milieu d'une autre
embouchure formée par un Cap, qu'il nomma Boto, parce qu'il s'avance peu
en Mer. Il découvrit enfuite un autre Cap , qui lui parut appartenir à la
Trinité , & qui fut appelle Lapa. Les deux llles reçurent les noms d'El
Caraco! & d'£/ Delfin. De la pointe du Cap de Lapa, on vit, à la diilance
de
Christophk
C( TXMI).
149 ii.
Obferva-
tions de; l'A-
miral fur cette
Côte.
Ifle de Gratia.
Paflage nom-
mé Boca de
Sierpc*.
CapsdeBti-
to , & de La-
pa.
IHos de Ca-
raco! & du
Dauphin.
(f) Ilcrrcra, uii Juprà.
{g) Ibidem.
( h ) Dillereiuc de la Boitchs du Dragon ,
comme on le verra ci-delTous. R. d. E.
(/) Cctoit l'Orenoque. On fuit Ilcrrcra,
fiui lui donne toujours le nom d'ïuyâpayi.
I/HiOorien de Saint-Domingue prétend que
c'étoit aux Singes, que les ilabitans don-
noient ce nom; mais il fc peut aullî qu'ils
noiinnaJcnt une des liouchts de l'Orenoque,
Tu)apari , ou Rivière des Singes,
K3
78
PEMIERS VOYAGES
CiinisTOpne
CoLOMn.
m. Voyiigc.
1498.
'J'crrc nom-
inéolk'lla
Tonna.
Indiens du
P:ns , & leur
couleur.
roînte d'A-
guja.
Les Jardins.
Pointe Sabeta.
Indiens parés
de morceaux
d or & de
perles.
de vingt-fix lieues vers le Nord-Efl: , une Terre fort haute, que fa beauté
fin nommer Bel! a Forma. La muliitude des enfoncemens, qui paroiflbient
autant de Canaux ou de PaiTages , continuoit de faire prendre toutes ces
Terres pour des Illcs. On s'avança, d'environ cinq lieues, au-delà du
Cap de Lapa; &, dans cet efpace, on obferva de très beaux Ports, fort
proches les uns des autres. Quelques Matelots , qui furent envoyés au ri-
vage, y trouvèrent du feu, des fentiers, & une cabane découverte. En
rangeant la Côte, huit lieues plus loin, on ne cefla point de voir de très
bons Ports , des Terres cultivées , & quantité de Rivières. On trouva des
railins d'excellent goût, & divers autres fruits.
Le 6 d'Août , après avoir fait encore cinq lieues, on vit paroître un Ca-
not, qui portoit cinq Indiens. Ils s'approchoient , pour répondre à l'invita-
tion des Caflillans; lorfqu'un coup de vent ayant renverfé le Canot, ils s'ef-
forcèrent de fe fauver à la nage. On en prit quatre. Ils étoient de la mê-
me couleur que le commun des Indiens. L'Amiral leur fit donner des fon-
nettes & des grains de verre, avec lefquels ils retournèrent gaiement au ri-
vage; mais ce fut pour revenir bientôt avec quantité d'autres, qui appor-
tèrent des boucliers, des arcs & des flèches, du pain, de l'eau, diverfes
viandes , & deux fortes de liqueurs , l'une blanche & l'autre verte. Avant
que d'entrer dans les Barques, où ils fe préfentoient volontairement, ils
liairoicnt & les Barques & les Matelots. De tous les préfens qu'on leur fit ,
ils ne paroiflbient elhimer que les fonnettes , & les moindres morceaux de
laiton. Les mouchoirs de coton , dont ils fe couvroient la tête & la cein-
ture , étoient de diverfes couleurs , & fort bien travaillés. La nuit , qui com-
mençoit à s'approcher , les fit partir fi légèrement à la nage, que l'Amiral
ne put exécuter le deflein qu'il avoit eu d'en retenir quelques-uns. Mais,
le lendemain , il en prit fix , avec lefquels il fit voile vers une Pointe , qui
fut nommée Punta del ^guja^ & d'où l'on découvroit de fort belles Terres.
Il aborda dans un lieu , qu'il nomma los Jardinos. La perfpe6tive en étoit
charmante, & l'on y voyoit quantité de Maifons, qui paroiflbient contenir
un grand nombre d'Habitans. Ceux , qui vinrent à Bord , portoient de pe-
tites lames d'or autour du cou. De la Pointe d'Aguja, on en découvrit une
autre vers le Sud , que l'Amiral prit encore pour une Ifle. Il lui donna le
nom de Sabeta; &, vers le foir, il en apperçut une troifième, dont il prit
la même idée. Mais on reconnut enfuite que c'étoit autant de parties de la
Terre- ferme (^).
Les deux Vaifleaux revinrent mouiller à los Jardinos , & fe virent bien-
tôt environnés de Canots, chargés d'Indiens, qui portoient au cou des la-
mes d'or de la grandeur d'un fer à cheval. Quoiqu'ils parufl*ent efl:imer ces
ornemens, ils les donnoient volontiets pour des fonnettes; & l'Amiral ne
s'ennuya point d'un fi beau Commerce. Mais , les fonnettes lui manquant
bientôt, il eut recours à fon imagination, pour tenter les Indiens par d'au-
tres amorces. Les Canots arrivoient en foule, &ne ceflbient point d'ap-
porter de l'or, en colliers ou en grains. Il s'en trouva un lingot, de la grof-
leur d'une pomme (/). On vit arriver aufli des femmes, les bras garnis
de
(/t) Ibidem.
(1) Ibidem.
EN A M E R 1 Q U E, Liv. I.
'0
Men-
és la-
ler ces
rai ne
iquanc
d'au-
d'ap-
grof-
^arnis
de
de bracchts de perles, qui firent ouvrir les yeux aux Cadillans. L'Amiral
fe haca de demander d'où leur venoient tant de richeflls. Eiles lui montrè-
rent les co'juilles où naiflbient les Perles; & leurs lignes lui firent compren-
dre qu'elles les tiroient du côté de l'Ouefl:, derrière le Cap de Lapa, entre
cette Pointe & la Terre-ferme. Il trouva tous ces Peuples fort traicables,
de très belle taille, & plus blancs que les autres Indiens. Leurs cheveux,
qui étoicnt proprement coupés, & les mouchoirs, qu'ils portoient fur la
tête, leur donnoient beaucoup de grâce (?«)•
Le io, on fit voile vers l'Ourfe, non pour continuer de fi riches échan-
ges , que la diminution des vivres, & celle des fonnettes obligeoicnt de re-
mettre à d'autres tems, mais pour fe dégager de tant de Canaux, qui fai-
foient croire, à l'Amiral, qu'il voyoit autant d'illes que de feparations.
Il donna les noms (ÏTJabeÙa & de Tramontanay à deux Terres qu'il prit en-
core pour deux Ifles, & qui étoient d'autres parties du Continent. Le i r ,
prenant à l'Eft, dans l'efpcrance de fortir entre la Pointe de Paria, & la
Côte oppofée, .il traverla le Golfe; & le 13, il entra dans un très beau
Port, qu'il nomma El Puerto de Gaîos^ trompé par la vue d'un grand nom-
bre de très gros Singes, qu'il prit d'abord pour des Chats. Ce Port elT:
proche de la Bouche de l'Orenoque, qu'Herrera nomme Tuyapari^ & qui
contient les deux petites Ifles del Caracol & del Delfin. A peu de diftance,
on vifita un autre Port, qui fut nommé Pw^rfo de las Cabavas, parce qu'on
y vit quantité de Cabanes. Le 14, on doubla le Cap de Lapa, pour fortir
du Golfe au Nord. Entre ce Cap , qui fait la pointe de la Côte de Paria,
&leCapBoto, qui eft au Nord-Ouefl: de la Trinité, la difl:ance eit d'en-
viron deux lieues ; mais, un peu audeflus, le Canal en a cinq de largeur.
Les trois Vaifleaux , y étant entrés, avant midi, trouvèrent les flots dans
un mouvement terrible, & fi couverts d'écume, par le combat du Courant
avec la Marée , que le danger leur parut extrême. Ils s'efforcèrent en vain
de mouiller. Les ancres furent enlevées par la force des vagues. Ils a-
voient trouvé la Mer aufll fougueufe, en entrant dans le Golfe par le Ca-
nal qui avoit reçu le nom de Sicrpe ; mais ils y avoient eu la faveur du
vent: au lieu que, dans le Paflage, où ils fe voy oient engagés, le vent,
avec lequel ils efpéroient fortir, s'étant calmé tout d'un coup, ils demeu-
roient comme livrés àl'impétuofité des flots, fans aucun moyen d'avancer
ou de retourner dans le Golfe. L'Amiral fentit la grandeur du péril. Il
confefla, que s'il en étoit délivré par le Ciel, il pourroit fe vanter d'être
forti de la gueule du Dragon ;& cette idée fit donner, au Détroit, le nom de
Bocadel Drago, qu'il a confervé jufqu'aujourd'hui. Enfin, la marée perdit
fa force , & le courant des eaux douces du Fleuve jetta les trois Vailfeaux
en haute Mer («).
De la première Terre de la Trinité jufqu'au Golfe, qui fut nommé Golfe
des Perles^ on n'avoit pas compté moins de cinquante lieues. L'Amiral fui-
voit la Terre , qu'il prenoit pour celle qu'il avoit nommée IJle de Gratta ^ &
tourna Nord & Sud autour du Golfe, dans la vûe d'approfondir fi cette
grande
fm) Ibidem.
in) Herrcra, Liv. 3. Chap.ji. Veycz, ci-delTous, k Foynge d'OjedaSi à'Jmsric t'efpncf.
CiiRisTorriE
CoT.OMîi.
111. Voy;iv,c.
149 ^•
L'Amirnl
prend diver-
iespnrticsdu
Coiitincnt
pour des illcs.
Terres nom-
nées Vùlv^-lla
& 'i'rauiou-
tuna.
Port de Ga-
tos , ou des
Chats.
Port des
Cabanes.
Roca del
Drago. Ori-
gine de ce
nom.
Golfe d«S
Perles.
80
PREMIERS VOYAGES
C;rnT<:TnniE
CoLOMn.
m. Voyage.
I 4 98.
Piikiic'.icufo
li'ctui.
Crij s de Con-
clu', lie Liicn
;;i),i.lc Sabor,
^ jcRicco.
Ifl.-srAflbm-
]-ti(in JaCon-
it'i'tion, los
Tclligos , Ca-
bcllos c! llo-
tntro, las
(îiiarJas, la
Miirgiierite.el
IMartiiictc,
Ciibigiia &
Coc'uni,
L'Amiral
croit nvoir
dJicoiivcrt un
Continent.
idance d'eau vcnoit des Rivières, fiiivant l'opinion des Pilotes,
la ficnne; parce qu'il ne pauvoit s'imaginer qu'il y eût un Fleu-
II s'imagine
avoir trouvé
la vraye fitua-
tion du Para-
dis rcrreftre.
grande abonde
mais conrrc la lionne; parce qu'il ne pauvoit s'imaèiner qu ji y
vc au Monde, qui produifit tant d'eau, ni que les J'errcs, qu'il voyoit, en
pu lient tant fournir non plus, à moins qu'elles ne fuflent la Terre -ferme.
Il trouva, fur cjtte Côte, quantité d'exccllens Ports, & plufieurs Caps,
auxquels il donna fuccellivement des noms, tels que Cabo de Conchas^ Cabo
Luengo^ Cabo de Sabor ^ & Cabo Ricco. En Portant du Canal il avoit décou-
vert, à vingt-fix lieues au Nord, une Ille, qu'il avoit nommée l'y/^ci/Mpïwn ,
une autre , qui fut nommée la Concept itn, & trois autres qui reçurent le nom
de los Tcjliiios. Une cinquième prit celui de Cabellos el Romcro, & plufieurs
petites celui de las Guardas. Après toutes ces Ifles, il trouva celle qui re-
çut, & qui porte encore le nom de la Marguerite^ près de laquelle il en
trouva trois petites à l'EflSud-Efl:, & deux vers le Nord au Sud. El Mar-
tmctc, Cubagua&Cochem^ furent les noms qu'il impofa aux principales, mais
qui ne fe font pas confervés. Ce ne fut qu'après avoir fait environ quaran-
te lieues au-delà de Boca del Drago, que, voyant la longueur de la Côte,
qui continuoit toujours de defcendre à l'Oueft, il crut pouvoir juger, avec
une véritable certitude, qu'une fi vafle étendue de Terre ne pouvoitêtre une
Ifle, & que c'étoit le Continent. Il fit cette déclaration le Mercredi, pre-
mier jour d'Août. Ainfi, malgré les prétentions de quelques autres Navi-
gateurs, dont on verra, par degrés, les Voyages & les Découvertes, c'efl:
à Chrifbophe Colomb qu'on croit devoir attribuer la gloire d'avoir reconnu
le premier une partie du Continent de l'Amérique (o).
Mais, dans l'étonnement d'avoir vu de l'eau douce fi loin en Mer, &
de trouver l'air fi tempéré proche de la Ligne, qui avoit toujours paflç
pour inhabitable , il lui tomba dans l'efprit une idée fort fingulière , à la-
quelle il demeura long-tems attaché. Comme il avoit obfervé d'ailleurs,
qu'à la difl:ance d'environ cent lieues des Açores , & dans la même hauteur
du Nord au Sud, l'Aiguille déclinoit d'un quart au Nord-Ouefl, & que
plus il avançoità l'Ouell, plus l'air étoit doux & ferein, les Peuples moins
noirs & d'un caraftère plus traitable, le Pays plus beau & plus fertile, il
s'imagina que c'étoit de ce côté du Monde , que le Paradis terrefl:re devoit
être fitué ; que la Mer montoit infenfiblement vers le Ciel ; que la Terre
n'étoit pas ronde, & qu'en pénétrant plus loin, on arriveroit au fommet
d'une éminence où fe terminoit le Monde, & fur laquelle étoit le Paradis
terretlre (p). Il jugea même que l'eau douce, à laquelle il avoit trouvé
tant d'abondance & de force, dans une étendue de cinquante lieues de Mer,
pouvoit venir de la Fontaine, dont les Livres Saints nous apprennent que
ce lieu de délices étoit arrofé, &qui, defcendant dans le Golfe, produi-
foit, par-defl'ous la Terre & le fond de la Mer, les quatre grands Fleuves
qui
(o) Heri-tra, Z,/î). 3. Chap. il. On re-
garde comme une chimère , le bruit , qui avoit
couru, dès fcs premières découvertes, qu'il
avoit profité des Mémoires d'un Pilote mort
chez lui. Vu-jez ci-dcdlis, page 3.
(p) Ibidem. Voici les termes dTIerrera:
„ Son imagination étoit que la Terre ref-
fembloit à la moitié d'une poire , ayant le
bout de l'effieu élevé , ou au téton d'une
femme ; que le côté élevé de l'elTieu étoit
plus haut & plus proche de l'air & du Ciel;
qu'il croit fous la Ligne équinoxialc, &
que c'étoit fur le haut de cet eflicu qu é-
toit fitué le Paradis terreftre". îbid. Ch 12.
K N A M E R I Q U E, L i v. I.
8r
avec
Ikircra, qui s'(itc-ncl fur cette cliimcvc,
où l'on étoit encore fur toutes les mcrvcil-
qui font nommés d ins la Cîenefo.
cxcule l'Amiral par les ténèbres
les qu'on commençoic à découvrir clans le nouveau Monde; & l'Iliftorien
de Saine- Domingo- veut qu'on la regarde „ comme un de ces délires, aux-
queiG les grands Hommes font fouvent plus fujots que les autres; d'au-
tant plus excufablc dans Colomb, qu'il étoit peut-être un peu ébloui
'' du merveilleux de fes découvertes (î)".
" Ses infirmités, qui augmentoicnt de jour en jour, ne lui permettant point
d'écrire le relie de fa Navigation, il en laifla le foin à les Pilotes, dont
il ne parojt pas que les Journaux ayent jamais été publiés. L'Hiftoire ajou-
te feulement, qu'après avoir formé la réfolution de retourner à l'Efpagno-
le , il gouverna au Nord-Ell-Quart-de-Nord. Avec l'attention qu'il appor-
toit à tous les cftets de la Nature, il fit réflexion, qu'en allant des Canaries
à rErpa^^nole, loriqu'il eut pafle trois cens lieues à l'Ouefl: (r), l'Aiguille
nordelloit d'un quart, & que l'Etoile du Nord ne s'élevoit que de cinq
déférés; au lieu que dans la route qu'il venoit de faire, l'Aiguille n'avoic
pofnt varié, jufqu'à ce qu'elle nordelh toutd'uncoup d'un quart & demi,
& même d'un demi vent, qui fait deux quarts entiers. 11 remarqua aufli
que l'Etoile du Nord étoit au quatorzième degrd , lorfque les Gardes a-
voient pafle au-delà de la tête l'efpace de deux heures & demie. Dan«
les premières Lettres qu'il écrivit aux Rois Catholiques, il les pria d'atta-
cher une grande importance à ces Obfervations (s). Il étoit parti, le 15
d'Août, du petit Golfe, qui eft; fermé parles Ifles voifines de la Margue-
rite, après avoir reconnu que les Indiens y pêchoient de fort belles Perles.
Les vents & les courans lui furent fi favorables, que le 19, il fe trouva
devant la Beata, c'efl:-à-dire, vingt - cinq lieues au - delà de San - Domingo.
Ce ne fut pas fans chagrin , qu'il s'apperçut de l'erreur de fes Pilotes. El-
le venoit delà néceflité où l'on étoit encore, dans un tems, où ces Mers
étoient fi peu connues, de voguer toutes les nuits en tournoyant, foit
pour éviter les Bancs , dont on ignoroit la fituation , foit pour fe dérobber
aux Courans, qui baiflent à l'Ouefl:, & qui pou voient jetter fort loin les
Navires. Lorfqu'on fe vit entre la Beata & l'Efpagnole, où la dillance
n'efl que de deux lieues d'une Ifle à l'autre , l'Amiral envoya fes Barques
au rivage, pour fe faire amener quelques Infulaires , qu'il vouloit char-»
ger d'une Lettre pour fon Frère. Une arbalète Efpagnole , qu'il vit en-
tre leurs mains, lui parut d'un fi trifte augure, qu'elle lui fit rappeller
les premiers malheurs de la Colonie. Mais on avoit vu pafl'er les trois
Na-
(?) Hiftoire de S. Domingue, Liv. 2.
(r) Non à VEJl, comme pdrte l'Edition
de Paris. R. d. E,
(^) Il les prioit aufli de ne pas prêter
l'oreille à la calomnie. Il les alTuroit qu'il
avoit découvert des lieux , où il fe trouvoit
des grains d'or du poids de vingt onces ; des
morceaux de cuivre de cent cinquante livres,
de l'azur, de l'ambre, du coton, du poi-
XriIL Part.
vre, de la canelle , du ftorax, du citrin,
de l'aloës , du gingembre , de l'encens , des
mirabolans de toute efpcce, & dehCalniya,
herbe à côte , dont on pouvoit faire de très-
bonne toile. Mais il ne parloit pas apparem-
ment des perles , qu'il avoit vues en fi grand
nombre , puifquc fes Ennemis l'accufèrent
d'avoir déguifé cette préçicufc découverte k
la Cour.
Cof.' Ml,
llI.Voy.v.e.
Il reprend
vers I Jde
Efpagnole.
Ses O'jfiT-
v.iiior.s.
Il arrive a Iw
vi^c de San-
Domingo.
o •
PREMIERS VOYAGES
ChutstopHe
Colomb.
111. Voyage.
1493.
Il n'y trouve
point fcs trois
autres Vuif-
fcaux.
•
Route qu'ils
«voient pril'c.
Ils ff trou-
vc-n fur la
Côte de Xa.
rngui.
En qi;cl
état ils Tirri-
vcnt à Sun-
Domingo,
Navires au-dcflbus de San-Domingo ; & l'Atlelantade , ne doutant pas que
ce ne ftlc les ficns, avoit aiiflQ-tôt dépêché une Caravelle, qui ne tarda
point à les joinclre.
L'Amiral entra, le 22 ,dans San-Domingo, qu'on nonimoit déjà la Capî*
taie de rifle. Jl fut reçu avec beaucoup d'iicclamations ik d'honneurs.
Mais la joye, qu'il en devoit rcflcntir, fut tempérée par de fàcheules in-
formations. Outre le trille état de la Colonie, qui avoit eu fi long-tems
la faim & la difcorde à combattre, les trois Vaifleaux, qu'il y avoit en-
voyés des Canaries, n'étoient point encore arrivés. Ils avoient été em-
portés par des Courans, dont les Pilotes ne connoifToient point encore la
violence, plus de cent foixante-dix lieues au-delà du Port de San-Domin-
go; & n'ayant pu reprendre leur route, ils fe trouvèrent fur la Côte de
Xaragua, fort près de la retraite que Roldan avoit choifie avec fa Trou-
pe. Ces Rebelles furent d'abord allarmés de voir paroître trois Navires,
& les crurent envoyés pour leur faire la Guerre; mais, un peu d'explica-
tion les ayant détrompés, lis allèrent à Bord, avec la précaution de diill-
muler leur révolte. Ils demandèrent des nouvelles de l'Amiral; & tandis
qu'ils jouiflbient des rafraîchiflemens qu'on envoyoit d'Efpagne à la Colo-
nie, ils eurent l'adrefle de perfuader, aux trois Capitaines, que dans la
difficulté de remonter à San-Domingo, contre les vents & les courans, qui
portent prefque toujours à l'Oueft dans ces Mers , ils n'avoient pas d'autre
réfolution à prendre que d'y envoyer , par Terre , une partie de leurs Ma-
lades & de leurs Ouvriers. Cet avis couvroit des vues fort malignes. II
fut fuivi; & Jean -Antoine Colomb, un des trois Commandans, fut prié
de prendre , fous fa conduite, quarante Hommes qu'on fit débarquer. Mais,
à peine furent-ils à terre, que Roldan leur exagéra la longuem* & les diffi-
cultés du chemin. Il leur repréfenta les travaux qui les attendoient aux
Mines , la faim & la mifère qui règnoient dans les Forts , la hauteur & la
dureté des Colombs; & leur offrant le moyen d'éviter tant de malheurs,
s-'ils vouloient s'attacher à lui dans une Province agréable , où les vivres
écoient en abondance , il n'eut pas de peine à féduire des Miférables , dont
la plupart avoient été tirés des Prifons & dérobbcs au fupplice. Il ne s'en
trouva que huit, qui demeurèrent fidèles à letir Chef, & qui retournèrent
à. Bord. Après avoir fait des efforts inutiles pour rappeller les autres, le
Confeil des Vaifleaux, très certain de la trahifon de Roldan, prit le parti
d'envoyer Carvajal par Terre, mais avec une efcorte mieux choifie, &
plus capable de fe faire refpe6ler , pendant qu'Arana & Colomb condui-
roient les Navires à San-Domingo. Carvajal fe chargea aufllî d'employer
Bous fes foins, pour faire rentrer les Rebelles dans la foumiflfion. Heureu-
fement l'Adelantade, averti, par les Indiens, qu'on avoit vu trois Vaifl^eaux
fur les Côtes, s'étoit hâté d'envoyer une Caravelle pour leur fervir de gui-
de. Ils la rencontrèrent; &, malgré quelques non veaux accidens , qui fi-
rent perdre à l'un fon gouvernail , ils arrivèrent au Port de San-Domingo,
peu de jours après l'Amiral. Mais la plus grande partie de leurs vivres,
ayant été confommée dans un fi long Voyage, ils n'apportoient , à la Co-
lonie , que de nouvelles bouches , qui augmentèrent la famine.
ce qu
gociat
?y del
fidélit|
toienci
faite,
grofTirl
non-fel
mode
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
83
CarvaJal fuivit de près fes deux Collègues. Il avolt renoncé à l'cTpcratj-
ce de ramener Roldan par la douceur. Mais, la voyc de la force, qui
reftoit feule à tenter, écoit contraire aux inclinations Je l' Amiral. Quoi-
qu'en arrivant il eût commencé par fe faire montrer le Procès que l'Adelan-
tade avoit inlîruit régulièrement contre les Rebelles, ^ qu'il en eût fait
gociation animée par la prcience « par les loins. L<epenuanc ii ne crut pas
ry devoir engager, fans avoir mis, dans fes intérêts, tous ceux, dont la
fidélité lui fcmbloit fufpefte. Comme il n'ignoroit pas que plufieurs fouhait-
toient vivement de retourner en Efpagne , & que la difficulté , qu'on avoit
faite, jufqii'alors , de leur accorder cette grâce, n'avoit pas peu fervi à
groflîr le Parti des Mécontens , il fit publier, le 12 de Septembre, que
non-feulement il feroit permis de repafler la Mer, à ceux qui ne s'accom-
modfîroient pas du féjour de l'Ille, mais qu'on leur fourniroit des Bàti-
mens & des vivres. Cette offre fut acceptée d'un grand nombre , & fidè-
lement remplie.
D'un autre côte , Roldan n'eût pas plutôt appris le retour de l'Amiral ,
qu'il s'approcha du Fort de Bonao, dans une Plaine agréable & fertile, h
vingt lieues de la Capitale. On douta d'abord Ci fon deflein n'étoit pas de
l'attaquer. Mais l'Amiral prévint cette réfolution , en lui faifant ofi'rir fon
amitié. Carvajal «ScBallefler, qui lui furent envoyés à Bonao, le trouvè-
rent avec Efcobar , Mexica^ Gamits & Riquelme^ les trois principaux Offi-
ciers. Ils n'épargnèrent rien pour lui faire comprendre que fon propre in-
térêt devoit le porter à fe j-econcilier avec un Chef, qui l'honoroit encore
du nom de fon Ami, & qui étoit difpofé à payer fa foumiffion par de nou-
velles faveurs. La négociation dura quelques femaines. On s'écrivit , de
part & d*autre , dans des termes aiTe? mefurés. Mais , la concUifion n'en
paroifFoit pas moins éloignée, furtout lorfque les Complices de Roldan fe
furent oppofés à l'entrevue que l'Amiral demandoit avec lui , dans la crain-
te apparemment d'être facrifiés au reflentiment des Colombs. Enfin Bal-
lefter fit avertir l'Amiral , que ce délai n'étoit pas fans danger ; que le nom-
bre des Mutins croifToit de jour en jour ; qu'ils avoient déjà féduit plufieurs
Soldats de fon Efcorte, & qu'ils paroilfoient attendre que ce pernicieux
exemple leur en attirât d'autres , pour fe trouver en état de poufifer plus
loin leurs entreprifes. Cette Lettre jetta l'Amiral dans un cruel embarras.
Il fentit la nécelfité de prendre une réfolution vigoureufe. Les Tributs
n'étoient pas payés, ou pafToient entre les mains des Rebelles; & les In-
fiilaires , charmés de voir leurs Vainqueurs prêts à s'entre-détruire , laiflbient
la terre fans culture, dans l'efpérance que la famine acheveroit de les en
délivrer. Il étoit même à craindre qu'ils ne faillirent une fi belle occafion
pour recommencer la Guerre. Des raifons fi puifl^antes firent penfer, aux
Colombs, qu'il étoit tems d'employer la rigueur.
^ Mais, lorf qu'ils entreprirent de raflembler leurs Troupes, dans la réfolu-
tion de marcher à Bonao, la plupart de leurs Soldats refufèrent de les fuivre.
Il ne s'en trouva que foixante-dix, qui paroi^bient difpofés à prendre les
L 2
Cor.oMi.
lu Vo5'P4;f.
149 ^'•
E.xpcdici.t
dj l'Amiral
pour nppri;;"i.'.
les Mc'cOU'
tons.
NégO':iatii>nfe
avec Roltltii.
Raifons qui
empêchent les
Colombs
d'enipl(.>yer h
rigueur.
CnUT'!TO>ri»'.
CoI.o^^ll.
m. VoyM^c.
1 4y««
Retour des
Nav;n.s en
(S: rcpi-Llcn-
MtiullS (]Uo
l'Aiiîinl fait
à la Cour.
84 P R E M I lî 11 S V 0 Y A G E S
armes (f)» «Se quelt^ucMins fi riifpcifts, que 1* Amiral, comptant peu fur
leur fidélité, fit publier une Déclaration, qiii portoit l'abolition du pafiTé ,
pour ceux qui, dans refpacc de leize jours, ou il'un mois, s'ils étoient trop
éloignés, rcndroient l'obéin'ance qu'ils dévoient au Roi, leur Souverain;
avec promcfil' de les traiter humainement, lie leur payer ce qui étoit dû de
leur mide, & d'accorder le paflage à ceux qui fouhaiteroicnt de retourner
en Efpagne. Cette efpèce d'/\mniflie fut aflichée, le 9 de Novembre, aux
Portes de San-Domingo. En mémetems il envoya, non-feulement pour
Roldan, mais pour tous ceux qui voudroient l'accompagner, un Sauf-con-
duit(v), revécu des plus fortes afliirances de l'honneurtSc de la bonne foi.
Dans l'iniervalle, il comprit que les Navires ne pouvoient plus dilVérer
leur départ pour l'fîfpagne. Le terme prefcrit étoit expiré depuis près de
trois femaines. Quantité d'Indiens, qu'on y avoit embarqués, y mouroient
fans pouvoir être fecourus ; & les Equipages, dans la crainte de manauer
de vivres, demandoient impatiemment qu on mît à la voile. 11 fe vit aans
la nécelTité de les faire partir, & par conféquent d'informer la Cour des
defordrcs auxquels il s'tffurçoit i\c remédier. Il dcmandoit en mêmc-tems
des Religieux, peur annoncer l'Evangile aux Infulaires; & quelque perfon-
nage d'un mérite diftin^ué pour l'adminidration delà Jul'lice, fans quoi H
fe promettoit peu de fruit du zèle dos MiflionnrJrcs. Il mandoit aufll, que,
malgré les maladies, que la fubtilité de l'air, l'excès de la chaleur, & la
mauvaife qualité des eaux, avoient caufées dans l'origine, les Caftillans s'ac-
coutumoient au climat, & fe portoieiu mieux avec les alimens Indiens,
qu'avec le pain de Blé; qu'ils ne manquoient point de Porcs & de Volaille,
Si. que leur principal befoin étoit de Vin vis: d'Habits; que l'Ifle étoit rem-
plie de gens oififs; qu'il lui paroiflbit nécellairc de renvoyer, en Efpagne,
à chaque Voyage, ceux qui manqueroient de conduite ou de foumiilion,
6c que c'étoit le plus rude châtiment qu'on pût leur impoler; d'autant plus
que, depuis la révolte , il étoit devenu fort difficile d'exercer la Juilice ,
fans augmenter le nombre des Mécontens: qu'à l'égard de Roldan, il croyoic
Uwvoir renvoyer, à Leurs Majeftés , le Jugement d'une Caufe qui rcgardoit
par-
(t) L'un faifoit le boiteux, l'autre le
nialatij ; un autre donnoit poi^r cxcuTo que
fon axi étoit avec Roldan , &. un autre fc
difoit fon parent, Hcrrcra, ibidem, Chap.
14.
(v) La finguiarité de fa fonnc l'a fait
coiiferver;; „ Moi , Chrifloplie Coloml) ,
„ Amiral de l'Océan , Viccrôi & Gouvcr-
„ ncur perpétuel des Iflcs &. Terre • ferme
„ des Indes pour le Roi & la Reine nos
„ Seigneurs, leur Capitaine Général, & de
„ leurConfeil. Comme il efl: néceflairc, par
„ rapport aux différends qui fe font élevés
„ entre lAdelantade, mon Frère, & l'Al-
,, calde François Roldan , & fa Compa,^nie,
„ pendant mon abfencc , & pour y apporter
„ quelque remède, aOii que Leurs Alteffes
foycnt r>.rvics, qtic l'Alcaiùe vienne ni'in-
ftruire de ee qui s'eft pafle, particulière-
ment de ce (pii regarde rÀdelnntadc , A
cnufe qu il eft mon Frère: Je donne, par
ces Prtfentes , au nom de Leurs Aitelfes ,
toutes les alfuranccs qu'il peut fouliaiter,
tant pour lui que pour ceux qui voudront
l'accompagner, en cette Ville, promet-
tant que pendant leur voyage & leur fé-
„ jour ici, comme dans leur retour à Bo-
„ nào . il ne leur fera fait aucun tort ni dé-
„ plaifir. Dequoi je donne ma foi & ma
„ parole de Gentilhomme, fuivant la coutu-
„ me d'Efpagne, en témoignage dequoi j'ai
„ figné le préfeiit Ecrit de mon nom", //ev
rera, Liv. 3. Cbap. 14.
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
nf
particulidrcmcnt l'Aùclantade, & qu'il les prioit, ou de faire venir los Par-
ties en ECpagne, ou de Taire prendre des informations par des Commillaircs
dcfintércfll's; qu'il confcntoic volontiers que les Coupabl-.'s c'ioiliUcnt des
Avocats, auxquels ils rcmettroient leurs intciréts, pourvu qu'en attendant
la décifion de Leurs Majellés, ils fuflcnt exafts aux devoirs du Service,
ou que, pour lever le Icandalc d'un exemple dangereux , ils paflaUcnt dans
rilk de Portoric; mais que, s'ils continuoient leurs brigandages , il ne ré-
pondoit pas que, pour fauver la Colonie, il ne fût bientôt obligé d'emplo-
yer contr'eux toutes les forces qu'il avoic entre les mains : que leur obfti-
naiion dans la révolte étoit l'unique raifon qui l'eut empêché de faire par-
tir l'Adelantade, pour continuer la découverte de la Terre - ferme , avec
trois Vailieaux qu'il tenoit prêts pour cette expédition; mais qu'il ne pou»
voit fe priver de cette reirource, Ck fur -tout du fecours d'un auffî brave
Homme que Ton Frère, tandis qu'il étoit à peine en ftlreté dans la Capita-
le. En elFet, il paroît certain que, fans cet obflacJe, l'Adelantade eue
découvert la Nouvelle Efpagne (x). L'Amiral envoya, par les mêmes
Vailieaux, cent foixante- dix Perles, & quelques pièces d'or, avec quan-
tité de ces Mouchoirs de différentes couleurs & d'un fort beau tiilu, qu'il
avoit rapportés de fa dernière courfe. Il y joignit une Defcription des Ter-
res qu'il avoit découvertes, le Pian des iJles, & la Relation de toutes les
circonflances de Ton Voyage (y). Mais Tes Lettres ne furent pas les feu-
les qui partirent de l'Iile. Koldan & Tes Amis envoyèrent, à Fonfeca, Eve-
que de Badajos, des Mémoires, où tout leur fiel étoit répandu , & qui de-
vinrent, entre les mains de ce Prélat, le fondement d'une infinité de mau-
vais oiïiccs contre les Colombs. Ce fut de lui, du moins, que l'Amiral
crut avoir reçu les plus rudes coups (2).
Apkiis le départ de fa Flotte, Koldaq, fe voyant fans prétexte pour re-
fufer le Sauf- conduit qu'on lui avoit envoyé , prit le parti de fe rendre à
San -Domingo ; mais avec autant de diilimulation que d'audace, & moins
dans la vue de fe reconcilier avec l'Amiral , que pour débaucher une par-
tie de fes gens. Il y pallîi quelques jours , pendant Icfquels on lui fit di-
verfes propoliiions, dont il affeéloit de ne pas s'éloigner. Cependant il
répondit enluite qu'il ne pouvoit fe déterminer à rien fans la participation
de fes Amis, &. cette feinte parut juflifier fon retour à Bonao. L'Amiral,
malgré toute Ton indignation , le fit accompagner par Diego de SuJamnnca^
Ilomme grave & judicieux, pour recevoir les explications du Confeil des
Rebelles. Mais elles furent exprimées dans des termes infolcns; & les ar-
ticles bleiïbient également l'autorité de la Cour & l'honneur du Viceroi.
Roldan, qui fçavoit bien qu'elles ne pouvoient être acceptées, n'attendit
point laréponle, & partit brufquement pour la Conception, qu'il fe llat-
toit de furprendre. Cette Forterefie étoit en fureté fous le Commande-
ment de Ballefler. Cependant, après avoir defefperé de l'emporter d'af-
faut, les Rebelles fe promirent de la prendre par famine, & commencèrent
à détourner les eaux.
CllRt^trp.ts
OlI.OMll.
111. \'0Y\v.
I4i>8.
Prtfcns c]u'u
y cnvovf.
Nouvelles
inf()!cnc.3
lie RoUluii,
f.r) lî'rrcra, Liv. 3. Cba^. 1.5.
Cï; Ibidem,
(2) Ibid,
L3
86
PREMIERS VOYAGES
CfirTSTorniî
C 1., M.
III. Voyage.
I 4 9 y.
Tvaiti'; de
l'Aiiiiral avec
les Rebelle:;.
11 cil rompu
par h perlklic
de Roklan.
Moile'vation
avec laquelle
il cil renoué
par l'Amira!.
Ils prefloient ardemment le travail, jorfqiie l'Amiral, fans fe rebuter
de tant d'indignités, leur envoya Carvajaî , pour lequel ils avoient toujours
marqué de la conlldération , avec une efpèce de plein -pouvoir, qui n'étoit
burné que par la jufbice & l'honneur. L'arrivée de cet Officier fit recom-
mencer les négociations. Elles fe terminèrent par un Traité , dont la con-
cluàon fut qu'ils retourneroient tous en Efpagne ; qne l'Amiral leur feroit
conduire, au Port de Xaragua, deux Vaifleaux bien équipés; qu'ils au-
roient la liberté d'y embarquer, avec eux, leurs Maîtrefles Indiennes,
groflfes ou nouvellement accouchées ; que l'Amiral leur donneroit des Cer-
tificats de fervice & de fidélité , & qu'il leur feroit reftituer tout ce qu'ils
fe plaignoient qu'on leur avoit pris (a). Roldan figna ces Articles, le 14
de Novembre , à condition qu'ils feroient ratifiés dans l'efpace de dix jours;
& l'Amiral, en les lignant, peu de jours aprè^, y mit auflî, pour condi-
tion , que les Rebelles partiroient dans cinquante jours. 11 donna aulfi-tôt
des ordres, pour faire préparer les deux Vaifleaux, & Roldan reprit le
chemin de Xaragua. Plufieurs de fes Complices ayant témoigné qu'ils n*é-
toient pas difpofés à pafl^er en Efpagne , l'Amiral leur fit déclarer qu'ils
étoient libres de demeurer dans l'Ille , de s'y établir, & de s'y remettre
même à la folde, fans autre condition que le refpeél & la fidélité qu'ils dé-
voient aux Loix. Les Bâtimens, qu'il leur avoit promis, partirent pour
Xaragua; mais, ayant été battus d'une violente tempête, ils n'y purent
arriver dans le tems dont on étoit convenu. Roldan prit ce prétexte pour
rompre abfolument le Traite , en publiant que l'Amiral n'avoit eu deflein
que de le tromper. En vain Carvajaî, au defefpoir de cette perfidie, fit
retentir fès plaintes, & fomma même les Rebelles, par un Afte authentique,
d'exécuter des conventions qu'il avoit garanties ( b).
Mais tout le poids d'un chagrin fi fenfible tomba fur TAmiral , qui avoit
facrifié fes deux Vaifll'aux au falut de la Colonie. Les Illes des Perles , &
la découverte uii Continent, étoient deux objets ,dont il ne pouvoit fe dé-
tacher ; & la fidélité , qui lui faifoit préférer un rigoureux devoir à de fi
belles efpérances, lui fit fentir une extrême douleur, de voir ks foins fi
mal reconnus. Cependant il écrivît encore à Roldan , & dans des termes
qui n'auroient pas manqué de faire imprefllon fur un cœur moins farouche;
mais il n'en reçut qu'une réponfe arrogante & préfomptueufe. On ne s'ar-
rèteroit pas fi long -tems au récit de cette odieufe querelle, fi tous les Hif-
toriens n'avoicnt jugé ce détail important, pour l'explication des événe-
mens qui doivent le fuivrc. Enfin, Carvajaî ayant renoué la négociation,
fa fermeté parut en impofer aux Rebelles. On fit un nouveau Traité,
dont le principal Article rétabliflbit Roldan dans l'exercice de fon Emploi ,
& hillbit, à fes Complices, la liberté de partir ou de demeurer, avec des
avantages que ks plus fidèles Sujets de l'Efpagne n'auroient ofé demander
pour de longs fervices (c). L'Amiral accorda tout, avec une modération
qui
qui 1
lemj
del'J
méni
aux r
la Pi
C h ) IbicL
le) Le Traité portoit „que François Roi-
5, (.laii laoit cré^i de nouveau Alcaklo Ma-
,, jor , par des Provifions Royales ; qu'il
,, pourroit envoyer, do l";n propre choix,
„ quinze hommes en Caftillc; qu'à tous ceux
„ qui demeurcroient, il feroit donné des Dé-
„ par-
EN A M E R I- Q U E, Liv. I.
sr
qu'il
hoix,
ceux
par-
Roldan ren-
tre dans fcs-
£iiipIoU.
qui lui fit étouffer jufqu'à l'apparence du reflentiment. Il confKÎeroît que ^colS'*
le mal étoit devenu plus contagieux que jamais; que dans pjuficurs parties j^j Voyage.
de rifle , les Indiens paroiffoient prêts à fe foulever; & que les Caftillans 1498.
même, qui lui avoient été le plus attachés, commençoient à porter envie
aux richelTes des Rebelles. Quelques-uns parloient déjà de fe retirer dans
la Province delliguey, vers le Cap de San-Rafaei, où ils fe flattoient de
trouver de l'or, & de vivre dans l'indépendance. D'un autre côté, l'Ami-
ral avoit reçu des Lettres de l'Evéque de Badajos, qui, s'appuyant fur la
faveur de la Reine , lui reprochoit de manquer d'habileté pour faire régner
la paix dans fon Gouvernement. Ces raifons eurent tant de pouvoir fur
fon efprit & fur celui de ^ts Frères, que, n'ayant fait difloiculté de rien,
les Articles furent fignés & s'exécutèrent enfin de bonne foi. Roldan ren-
tra comme triomphant dans la Capitale. Il reprit les fondions d'Alcalde
Major , avec quantité de nouvelles prétentions , qu'il fit valoir infolem-
ment, & que perfonne n'ofa lui contefler {d).
Les* deux Caravelles mirent à la voile pour l'Efpagne. L'Amiral avoit
été tenté de- s'y embarquer , pour aller rendre compte lui-même, à la Cour,
d'une affaire à laquelle il voyoit qu'on ne donnoit point un tour favorable
en Efpagne. Il regretta dans la fuite de n'avoir pas fuivi ce mouvement.
Mais fa préfence lui parut néceffaire dans l'ifle , où la Province des Cigiu-
yos commençoit à remuer; & l'intérêt public l'emporta fur le fien. Ce-
pendant il fit partir Ballefter & Garcias de Barantes, chargés de toutes les
informations qu'il avoit fait recueillir contre les Rebelles. Dans la Lettre
qu'il y joignit, il expofoit les funeftes effets de la révolte, la néceffité où
il s'étoit vu, pour conferver la Colonie, de figner des Articles dont il gé-
miffoit, & combien il feroit dangereux que Leurs Majeftés ratifiafl'ent un
Traité , qui bleffoit tous les droits de l'autorité fuprème. Il ajoûtoit que ,
depuis la. conclufion du Traité, les Rebelles tenoient une conduite qui au-
lorifoit la Cour à defavouer ce qu'on leur avoit promis en fon nom; que
d'ailleurs ils étoient redevables de tous les tributs des Rois & des Seigneurs
Indiens, qu'ils avoient détournés; qu'il n'avoit pu leur donner un 'acquit
de ces dettes , ni révoquer deux Sentences , par lefquelles ils avoient été
déclarés Traîtres, convaincus de rébellion, & condamnés à ce titre. Il
faifoit de nouvelles infiances pour obtenir un Magiftrat habile , auquel il
demandoit qu'on joignît un Intendant des Finances & un Tréforier Royal.
Il repréfentoit, que H Leurs Majeftés vouloient être fidèlement fervies,
par les Gouverneurs qu'il établiffoic fous leurs ordres, il étoit important de
leur accorder des honneurs & des récompenfes proportionnées à leurs fcr-
viccs.
CommeiK
l'Amiral rend
compte de la
révolte à U
Cour.
,, partemcns en propre, des Terres pour la-
,, bourcr, & à chacun une Ordonnance pour
„ être payés de leur folde; que l'Amiral fe
„ roit publier, à fon de trompe, que tout
„ ce qu'on attribuoit de mal à Roldan & à
„ fcs Amis, étoit fuppolc par de faux té-
,, moins, qui leur vouloient du mal, & qui
,, n'aimoicnt pas le Service du Roi ". Ces
Articles ayant été accordés , Roldan en alla
rendre compte à fes Complices; &, deux
jours après , ils envoyèrent un modèle des
Provifions Royales, qui conte, loit plufiairs
articles indéccns , ridicules & infupportabîcs.
Le dernier portoit, que fi l'Amiral u'eilectuoit
pas ce qu'il avoit promis , il leur feroit per-
mis de le raflembler & de réunir toutes leurs
forces pour l'y contraindre.
16.
{d) Ibidem.
Liv. 3. Cbai'.
ss
PRE M 1ER' s VOYAGES
CriRTSTorriE
CoLOMil.
m. Voyage.
1498.
11 dc'nanclc
qu'oii lui vn-
voyofonfils.
Divers Eta-
hlliremcnsqui
fc forment
dans rillc Ef-
prignoie.
vices.' Enfin , il fnpplioit !e Roi & la Reine de confidérer qu'il touchoit à
l'iige caduc; que Dom Diegue, Ton Fils aîné, commençoic à fe trouver
capable ae les fervir, &. qu'étant dcfliné à lui fucceder, il ctoit à propos
de l'envoyer aux Indes, pour le former aux afi'aires, 6c le rendre digne
de leur confiance , dans les deux grandes Charges d'Amiral & de Vice-
roi (c).
A peine les Caravelles furent parties , que Roldan prtTenta un Memoir»
à l'Amiral, au nofn d'une centaine de fes Partifans, qui demandoient des
Terres dans la Province de Xaragua. Cette propofition avoit fus dangers.
La prudepce ne permettoit pas de laifTer prendre des Etabliflemcns , dans
le même Canton, à tant de gens qui faifoient profeflîon des mêmes prin-
cipes , & qui étoient capables de perpétuer la révolte. L'Amiral traîna fa
réponfe en longueur. Il fit naître adroitement des occafions , qui infpirè-
rent , aux Mécontens , du goût pour d'autres parties de J'Iile. Les uns
s'établirent à Bonao ; d'autres au milieu de la Vega Real , fur les bords de
Rio - verde. Quelques-uns paflTèrent fix lieues au - delà de San - Yago , dans
la même Plaine , en tirant vers le Nord. L'Amiral leur diftribua des Ter-
res, avec environ vingt mille pieds de Manioc (/), & nomma, dans
leurs Patentes , les Caciques de chaque Canton, pour obliger ces petits
Princes de faire cultiver, par leurs Sujets, les terrains qui étoient dans
leur dépendance. Telle eft l'origine de ces partages Indiens , qui fe mul-
tiplièrent enfuite fous les noms de Repartimemos, & fous d'autres titres.
Roldan demanda, pour lui - même , des Terres confidérables , qui lui furent
accordées , avec toutes fortes d'avantages , aux environs d'Ifabelle (g).
Quoiqu'il ne changeât rien à fa conduite, l'Amiral diffimuloit des infjl-
tes, dont il efpéroit d'être vangé par la Cour. Il fe détermina même à
lui donner fa confiance, dans une occafion fort délicate, où les vues de
fa politique ne fur€;nt pas trompées , <Sc dont le récit appartient à l'Article
fuivant.
( e ) Ibidem.
(f) Herrera dit , „ vingt mille, plus ou
moins, de ces fouches qui produifent le
pain ; on diroit des feps de vignes , ajoû-
te-t'il , avec cette difFérence , que les feps
de vigne durent long-tems , & que ces
fouches ne durent pas plus de trois ans
fans les renouveller ".
{g) Ibidm.
Nota. On peut voir, pour l'Article fuivant, la
Carte des Provinces de Cartbagene , Sainte
Marie &f Venezuela, au Tome XVI. pag.
246. de nôtre Edition, où nous avons cru
pouvoir l'employer à propos . d'avance , ainfi
3ue quelques autres , auxquelles on aura foin
e renvoyer , aux endroits de ce Volume, où,
fans cela, elles auroient dû être placccs, ce
qui revient au même. R. d, E.
^
I y.
t ;•»
'f;
EN A M E R I Q U E, Liv. I. 89
§. I V.
Foyage à'/îlfonfe d'Ojeda , de Jean de la Cofa , ^ d'Mmc Vefpce.
LA découverte du Continent & des Perles , dont les premières nouvel-
les étoient arrivées en Efpagne , par la Flotte aue l'Amiral y avoit
renvoyée à Ton retour, avoit caufé beaucoup de fatisfaélion à Leurs Ma-
jeftés Catholiques; mais un événement , qui lui faifoit tant d'honneur,
n'avoit pas manqué de réveiller la haine & la jaloufie. L'Evêque de Bada-
jos, qu'on pouvoit alors nommer le Miniftre des Indes, parce qu'il étoit
chargé de tous les ordres qui regardoient les nouveaux Etabliiremens , prit
cette occafion pour lui nuire. Il recevoit familièrement Alfonfe d'Ojeda ,
qui étoit retourné depuis peu à la Cour d'Efpagne. Cet adroit Avanturicr,
n'ayant pas eu de peine à découvrir qu'il avoit pris de l'averfion pour les
Colombs , lui infpira le defir de partager avec eux la gloire des décou-
vertes. Après avoir obtenu la communication des Plans & des Mémoires
de l'Amiral, il follicita la permilVion d'armer, pour continuer une entre-
prife , qui ne demandoit plus que de l'induftrie & du courage. 11 l'obtint
de TEvêque, qui la figna de fon nom ; mais elle ne fut point fignée, &
peut-être fut -elle ignorée, des Rois Catholiques. Elle portoit qu'Ojeda
pourroit découvrir le Continent, & tout ce qui s'offriroit à fes recherches,
fans autre condition que de ne pas entrer fur les Terres du Portugal , ni fur
celles qui avoient été découvertes, au nom de TEfpagne , jufqu'à l'année
1495. C'étoit violer formellement les conventions de l'Amiral avec la
Couronne.
Cette Commiffion , d'un Miniftre, à qui Leurs Majeftés avoient confié
toutes les affaires des Indes , eut bientôt raflemblé quantité d'Efpagnols &
d'Etrangers, qui brûloient de tenter la fortune, ou de fe lîgnaler par des
avancures extraordinaires. Ojeda trouva des fonds dans Seville, pour ar-
mer quatre Vaifleaux. Il prit, pour premier Pilote, Jean de la Cofa, na-
tif de Bifcaye, homme d'expérience & de réfolution. Jmeric (-"efpuce, ri-
che Négociant Florentin , verfé dans la Cofmographie & la Navigation ,
s'intérelTa dans l'Armement, & voulut courir aufîi tous les dangers du Vo-
yage (a). La Flotte fe trouva prête le 20 de Mai , & mit le même jour
à la voile.
On
CiiRisTorjic
CoLOMU.
m. Voyage.
1499.
Ojeda et
Vespuce.
L'Evêque
de Badajos
futcitc des
Concurrcns ;'i
l'Amiral.
Alfonfe Oje-
da cfl envoyé
pour tenter
de nouvelles
découvertes.
Il s'aflbcie
avecjeandela
Cofa & Ame-
ric Vefpucc.
I V.
(a) C'cft le même, qui a donné, au Con-
tinent du nouveau Monde, le nom d' Améri-
que, malgré toutes les réclamations des Ef-
pagnols. ils laccufcnt de s'en être attribué
iiijuilcment la découverte , & d'avoir dérob-
bé cet honneur, foit à leur Amiral, foit à
Ojeda & Jean de la Cofa, tous deux de leur
Nation. J-a quefiion eR de favoir de quel
côté ell l'injudice : cet examen , demandant
des difcuflîons qui ne conviennent point ici ,
on croit devoir fe borner aux llemarques de
XriII. Part.
rintroduftion , & répéter feulement que Vcf-
puce e(t même accufé d'avoir publié de faul"-
ies Relations , pour en impafer nùeux au
Public. 11 y a tranlpofé, dit -on, les tems
& les Faits. " C'eft le doute où l'on e(l relié
là-deirus, qui empêche rie lour-donner place
ici. Klks fe trouvent au nombre de trois,
à la fuitj di-'S Décades de Pierre Martyr, &
dans le Recueil de Ramufio ; Cs; quelque idée
qu'on doive prendre de la bonne foi de leur
Auteur, elles s'accordent alFez avec ce qu'on
M
va
90
PREMIERS VOYAGES
CHRtSTOPIlE
Colomb.
III. Voyage.
1499.
O J'" DA ET
Vkspuce.
Sa route.
Il arrive au
Continent de
l'Amérique.
Simation du
Pays qu'il dé-
couvre.
Caraftère &
ufagcsdesHa-
<bitans.
On prit la route de l'Ouefl:; &, tournant enfuite au Sud, on ne fut pas
plus de vingt -fept jours à découvrir une Terre, qu'on reconnut bientôt
pour le Continent. La crainte des écueils obligea de mouiller à quelque
diflance du rivage; mais plufieurs Matelots, s'en étant approchés dans les
Barques, y virent un grand nombre d'Indiens nuds, qui paroiflbient les
conlidérer avec beaucoup d'admiration , & qui s'éloignèrent promptement
lorfqu'on s'efforça de les attirer par des fignes. Comme la Flotte étoit
dans une Rade ouverte, où les moindres vents étoieut redoutables, Ojeda
réfolut de fuivre la Côte pour chercher un Port. Après deux jours de navi-
gation, il en découvrit un; & la vue d'une multitude d'Indiens, qui ac-
couroient de toutes parts, ne l'empêcha point d'y faire defcendre quarante
Hommes, avec d-^s fonnettes, dont le bruit eut plus de pouvoir que les té-
moignages de paix & d'amitié , pour arrêter ces Barbares. Cependant, la
nuit ayant rappelle les Cartillans à Bord , ce ne fut que le lendemain , à l'ai-
de des fonnettes & de divcrfes bagatelles de l'Europe, qu'on vit naître tout
d'un coup la confiance. Ces Indiens étoient d'une taille médiocre, mais
bien proportionnée. Ils avoient le vifage & le front larges, la peau d'une
couleur qui pouvoit être comparée à celle du poil de Lion, & toutes les ap-
parences d'un caraftère fort humain.
Ojeda fe crut allez fur de leurs difpofitions, pour efpérer d'eux tous les
rafraîchiiremens qu'ils pourroient fournir à la Flotte. 11 fit defcendre une*
partie de fes gens, pour vifiter le Pays. Les Plantes & le Poiflbn y pa-
roiflbient faire la principale nourriture des Ilabitans , avec une efpèce de
Pain, compofée d'une racine, qu'ils nommoient Tuca. Mais les Animaux
fauvages , qui s'y trouvoient en abondance, offrirent une chalTe facile aux
Caftillans. L'eau y étoit fi faine, que pour guérir les Malades, fur -tout
ceux qui étoient attaqués de la fièvre, l'ufage du Canton étoit de les pion,
ger dans l'eau froide , & de les mettre enfuite devant un grand feu , après
quoi quelques heures de fommeil achevoient de les rétablir. La fituation
& la fraîcheur des Terres en rendoient la vue & le féjour fort agréables.
Mais on n'y découvrit aucune apparence d'or. Ce Pays, autant qu'on en
pût juger par la fuite du Voyage, eft d'environ deux cens lieues au-deffus
de rOrenoque.
Pendant vingt-fept jours, que les Caftillans donnèrent au repos, ils de-
vinrent allez familiers avec les Habitans, pour reconnoître une partie de
leurs ufages. Ces Peuples ne conlervoient pas, fur le corps, d'autre poil
que les cheveux , pour ne pas relTembler ?.ux Bêtes. Ils étoient extrême-
ment agiles & fort bons nageurs. On ne remarqua point qu'ils eulTent un
Roi, ni des Chefs auxquels ils fuflent obligés d'obéir. Ils n'avoient point
de règle , ni d'heure fixe pour leurs repas. Chacun mangeoit lorfqu'il y
étoit excité par la faim. Ils mangeoient afiTis, & toujours fort peu. Leur
vaiflTelle étoit des vafes de terre, qu'ils fabriquoient eux-mêmes, & des
cale-
va lire d'après les EPpa^noIs. lïcrrcra ne
m(inage point Vcfpucc ; & l'Hiftoricn de
Saint Doiningue foutient là-defliis toutes les
prétentions des Efpagnols. Mais il paroît
impoflîble de démêler exadcmcnt h vérité,
dans un fi grand éloignement , au travers
des ténèbres que les deux Parties y ont ré-
pandues.
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
91
s de-
de
poil
eme-
un
■)oint
'il y
.eur
des
:ale-
'■rité,
avers
caiebafles de diverfes formes. Ils dormoient dans des Hamacs de coton ,
fulpcndus à des arbres, par les quatre coins. Quoiqu'ils obfervaflent , de-
vant les Femmes, une forte de décence, ils ne fè retiroient point à l'écart
pour les befoins naturels. Leurs mariages étoient libres ; c'eftàdire, qu'ils
marquoient auflî peu de jaloufie que d'attachement pour leurs Femmes , &
qu'ils ne paroiflbient tirer aucun droit de la qualité de Maris. Elles ne laif-
foient pas de multiplier beaucoup , & la groflefle ne les difpenfoit pas du
travail. L'accouchement leur caufoit fi peu d'embarras & de douleur, qu'a-
près s'être lavées dans une Rivière , elles fembloient n'avoir rien perdu de
leur vigueur & de leur gaieté : mais , au moindre fujet de plainte contre le
Père, elles prenoient le jus de quelques Herbes, qui détruifoit infaillible-
ment leur fruit, & cette facilité à fe faire avorter, leur attiroit, de la part
?| des Hommes , beaucoup de complaifance & de ménagement. Les deux
Sexes étoient nuds, à l'exception des reins, qu'ils fe couvroient d'une cein-
ture de feuilles ou de coton ; mais ils étoient fort propres , par le foin con-
tinuel qu'ils avoient de fe laver. Leurs Maifons étoient communes , & la
plupart allez grandes pour contenir foixante perfonnes. Elles pouvoient
palfer pour de fimples retraites, contre l'excCs de la chaleur & les autres
injures de l'air; car elles n'étoient habitées que paflagèrement , & dans les
Qccalîons où les Animaux mêmes cherchent à fe mettre à couvert. Dans
cette grandeur , leur forme étoit celle d'une cloche , quoique le toît ne
fût compofé que débranches d'arbres & de feuilles de Palmier; les murs
étoient aflez folides , pour réfifter à la violence des vents. On crut com-
prendre, par les fignes qui fervoient à s'expliquer, que les Indiens en chan-
geoient de huit en huit ans , pour éviter les maladies qu'ils craignoient de
l'infeélion de l'air. Leurs richeflTes , ne confiftant que dans leurs ornemens
perfonnels, qui étoient quelques plumes de diverfes couleurs, de petites
boules d'os de PoiiTon, & des pierres vertes ou blanches, qu'ils portoient
pendues aux lèvres & aux oreilles , ces tranfmigrations n'avoient rien d'em-
barralTant; &de-là venoit , fans doute, l'indifférence qui les empêchoit
aufli d'avoir plus d'attachement pour une "Maifon que pour une autre. Ils
n'avoient aucune idée de commerce ni d'échange; & leurs defirs ne s'éten-
dant pas au-delà de leurs befoins, dont la Nature faifoit prefque tous les
fraix, par l'abondance des Herbes, des Racines & du PoilTon, ils don-
noient libéralement tout ce qu'on leur demandoit, mais ils prenoient, avec
la même franchife, ce qui piquoit leur curlofité, qui étoit fatisfaite néan-
moins par un moment de pofl'^fliou; comme fi le même fond de carafilère,
qui leur faifoit délirer peu , ne leur eût pas permis de s'attacher beaucoup.
Cependant, ils paroifToient fenfibles à l'amitié ; & parmi les Caflillans, ils
diftinguoient ceux dont ils avoient reçu le plus de carelfes. Ils leur ame-
noient leurs Femmes & leurs Filles, avec lefquelles ils les excitoient à fe
réjouir; & les vivres du Pays étoient offerts de même à ceux qui vouloient
les accepter. On obferva qu'ils ne pleuroient point leurs Morts , & qu'ils
ne paroilîbient pas même touchés de leur perte. Lorfqu'un de leurs Pa-
rcns étoit attaque d'une maladie mortelle, & qu'ils le croyoient proche
de fa dernière heure , ils le portoient à la Montagne voifine , dans un Ha-
mac, qu'ils attachoient aux arbres; ils chantoient & danfoient tout le jour
M 2 au-
CuRrsToriiE
Colomb.
m. Voyage,
1499.
OjEVîA £T
Vespuce.
9»
PREMIERS VOYAGES
CURTSTOptlE
COLOMÎI.
III. Voyage,
ï 499.
O ] 1; u A n T
Vespuce
Ojeda dé-
couvre iri
Village lULié
comme Veni-
se.
II le nomme
Venezuela.
Démêlé des
Callilbns a-
vec les In-
i^icns.
Utilité qu'O-
ieda tire des
Mémoires de
Colomb.
autour de lui. Enfuice, lui laiflant à boire & à manger pour trois ou qua*
tre jours, il fe retiroient, fans lui rendre d'autres foins dans l'intervalle.
S'il rtprcnoit alfez de force pour revenir à l'Habitation , il y étoit reçu
avec beaucoup de joye & de cérémonie. Si la langueur continuoit , on ne
ceflbit de lui fournir de l'eau & des alimens; mais lorrqu'on le trouvoic
mort , on l'enterroit fur le champ , dans une folle aflez profonde , fans au-
tre formalité que de mettre encore des alimens & de l'eau dans le même
trou. Outre la méthode de plonger les malades dans l'eau froide , la diè-
te étoit un remède fi commun parmi ces Indiens, qu'à la moindre incom-
modité, ils paflbienc trois ou quatre' jours fans manger. Us avoient aulli
l'ufage de !a faignée , mais au lieu de fe faire ouvrir la veine du bras , ils fe
faifoient tirer du fang des reins & des flancs. Leurs autres remèdes
étoient plulleurs fortes de vomitifs, qu'ils compofoient de différentes her-
bes {b).
Ojeda, fatisfair des rafraîchiiT-mens qu'il avoit trouvés fur cette Côte y
remit à la voile pour la fuivre, jufqu'à la vue d'un Port, où il fut furpris
d'appercevoir un Village bâti comme Venife, c'efl; à-dire, dans l'eau, &
fur des pilotis. Le nombre des maifons étoit de vingt-fix , qui fe commu-
niquoient par des ponts-levis. Il lui donna le nom de Venezuela (c). Les
Habitans, effrayés à la vue des quatre Navires, avèrent aufli-tôt leurs
ponts, & fe retirèrent dans leurs édifices. Cependant ils envoyèrent bien-
tôt , vers la Flotte , douze Canots , chargés d'Indiens , qui ne s'approchè-
rent d'abord qu'avec des marques extraordinaires d'admiration. Les fignes,
par lefquels on croyoit exciter leur confiance, ne fervirent qu'à les faire
rétourner au rivage. Ils fortirent de leurs Canots, pour fe mettre en che-
min vers une Montagne voifine. Mais, lorfqu'on avoit perdu l'efpérance
de les revoir, ils revinrent fur leurs traces, avec feize jeunes Filles qu'ils
amenèrent jufqu'à la Flotte, & dont ils firent entrer quatre dans chaque
Navire. On les reçut avec tant de civilité, que la joye & l'amitié, paroif-
fant fucceder à la crainte, on vit fortir des Maifons un grand nombre d'Ha-
bitans, qui s'approchèrent des Vâifleaux à la nage. iMais, par une révo-
lution, dont les Caflillans ne purent découvrir la caufe, quelques vieilles
Femmes, qui nageoient aufTi, fe mirent à poufler des cris affreux. Aufîi-
tôt les feize Filles fe précipitèrent dans les flots ,• & les Indiens des Canots
s'éloignèrent de la Flotte, en y lançant une grêle de flèches. Ojeda les fit
pourfuivre par Çqs Barques, qui renverférent plufieurs Canots, & qui ne
tuèrent pas moins de vingt Indiens. Il n'avoit pu fe défendre de cet em-
portement de colère, à la vue de cinq de fes gens, qui étoient dangereufe-
ment blelfés. On prit deux jeunes Filles , & la Flotte remit à la voile.
Elle continua de ranger la Côte pendant l'efpace de quatre- vingt lieues,
jufqu'à celle de Paria, que l'Amiral avoit découverte. Ojeda n'eut pas de
peine à la reconnoître , fur les Mémoires qu'il avoit reçus de l'Evéque de
Badajos. Mais les Indiens, qui fe préfentèrent au rivage, ne dévoient
pas être ceux que l'Amiral y avoit rencontrés l'ar.!:,.' précédente; puif-
t^u'ils firent connoître, par leur effroi, que les VaifTcaux de l'Europe étoient
un
(b) Herrera, Liv. 4, Cbap. i. (c) Qui fignifîe petits Venife,
I
UTlfl
par
fe re
ne fit
EN AMERIQUE, Liv. I.
1^3
un fpedlacle qu'ils n'avoicnt jamais vu. Cependant, après avoir été raflurcs
par des préfens & des témojgnagtîs d'amitié , ils preflercnc les Caftillans de
fe rendre à leurs Habitations , qui écoient à trois lieues du Port. Ojeda
ne fit pas difficulté d'y envoyer vingt-trois hommes armés. Trois jours ,
qu'ils y palTérent, au milieu d'une foule innombrable d'Indiens, qui s'y é-
toient raflemblés, furent un tems de l'été, où, fans pouvoir fe faire en-
tendre autrement que par des fignes , ils goûtèrent de tout ce que le Pays
aVoit d'agréable en chanfons, en danfes, en alimens, & même en Femmes,
qui leur furent offertes avec une importunité à laquelle ils eurent peine à
réfifter (d). Ils fe laifTèrent engager, par tant de carelTes, à pénétrer
dans des Villages plus éloignés; & leur abfence, qui dura neuf jours, ne
caufa pas peu d'inquiétude à Bord. Mais ils revinrent avec un air de fatis-
fàftion, qui rendit témoignage à l'humanité de leurs Hôtes. Un prodi-
gieux nombre de ces bons Indiens les efcortèrent jufqu'au rivage. S'ils s'ap-
percevoient qu'un Caftillan fût las,, ils le ponoient dans un Hamac. Au
paflage des Rivières, ils s'empreflbient d'offrir leurs épaules. En arrivant
aux Barques, ils y entrèrent, avec tant d'ardeur & de confufion , qu'ils fail-
lirent de les fubmerger. On en compta plus de mille , qui ne montèrent
pas moins impétueufement fur les quatre Vaifleaux , & qui firent tomber
leur admiration fur tout ce qui fe préfentoit à leurs yeux. Ojeda fe donna
le plaifir de faire jouer tout d'un coup fon Artillerie. Cette Troupe cu-
rieufe & timide s'élança dans les flots; „ comme on voit au moindre bruit",
fuivant la comparaifon de l'Auteur Efpagnol , „ des millions de Grenouil-
„ les fauter dans l'eau, lorfqu'elles font à fec fur la rive". Mais l'air tran-
quille & riant des Matelots, ayant bientôt diflipé leur crainte, ils revin-
rent avec un nouvel empreflement, & l'on n'eut pas peu de peine à les
congédier. Leurs terres produifent, fans interruption, une grande variété
de fleurs & de fruits. On y voit auffi une extrême abondance des plus bel-
les efpèces d'oifeaux.
Les Caflillans fortirent avec regret de ce beau Golfe d'eau douce., qui
e'fl: formé par la Côte de Paria & l'Ifle de la Trinité; deux noms , qui, s'é-
tant confervés, avec celui de Boca del Drago, fuffifoient pour ôter, à
Vefpuce, le defTein d'une odieufe injuftice, & du moins pour lui faire per-
dre l'efpérance qu'elle pût jamais trouver la moindre faveur aux yeux du Pu-
blic. C'efl: dans ces termes que les Hifloriens Efpagnols parlent de l'entre-
prife qu'il forma, de s'attribuer l'honneur de la découverte du Continent:
mais leurs plaintes n'ont point empêché que le nouveau Monde n'aît pris fon
&, quelque jugement qu'on doive porter de fcs droits, il efl trop tard
nom;
OiKisTorat
CoLOMil.
111. Voyap,e.
Oj TiD A ET
V E S P L' C E.
A;i6ible
accufi! que
les ;;ciis le-
çoivjin (l'une
Nation in-
dienne.
pour les contelter après une ii longue pofrefTion. De Paria , la Flotte fe ren-
dit à la Marguerite, qui tenoit auffi fon nom de l'Amiral. Ojeda fe rap-
procha ici du Golfe de Venezuela, que les Indiens nommoient Coquibocao.
Enfuite s'étant avancé vers un Cap, auquel il donna le nom de la Fêla ^ il
rencontra une longue fuite d'Ifles, qui s'étendent de l'Ell: à l'Oueft, & dont
quelques-unes reçurent celui de Giganîes. On avoit compté environ quatre
cens lieues, depuis la première Terre, où là Flotte avoit abordé; c'eft-à-
dire
Americ
Vcipuceuriir-
pc l'honneur
d'avoir dé-
couvert le
Continent de
l'Amérique,
& lui donne
fon nom.
Divers lieux
nommés par
Ojeda.
(rf) Herrcia, Liv. 4, Cbap. 2.
M 3
9+
PREMIERS VOYAGES
Christophe
COt.OMO.
m. Voyage.
14 99-
O J l'. n A ET
VEsrucu.
Service qu'il
rend aux In-
diens, en fai-
fane la guerre
à leurs Eu-
hcinis.
dire deux cens jurqu'à Paria, & deux cens de Paria au Cap de la Vcla. Les
Callillans troiivcrcnc de l'or & des perles fur cette Côte. De la Margueri-
te, ilspalTèrenc à C'«wfl«fl & Maracapana^ deux Villages fitués fur le rivage
du Continent, à fept lieues de cette Ule. Un Golfe, ijui s'ouvre au-deff-is
de Cumana ,& qui étoit environné d'Habitations, leur parut s'enfoncer d'en-
viron quatorze lieues dans les Terres. Ils virent, dans une grande Rivière,
dont ce Village eft arrofé, quantité de ces monftrueux Poilfons, qui fe
nomment Lagaros en Efpagne, & que les Indiens appellent CaymanSy mais
qu'on ne croit pas différens des Crocodiles. Le mauvais état cle la Flotte
l'ayant obligée de mouiller à Maracapana, on y déchargea tous les Navires
pour les caréner; & pendant vingt fept jours, qui furent employés à ce tra-
vail, on reçut, des Indiens , plus de fecours qu'on n'en auroit efperé dans
un Port d'Efpagne. Outre les fervices du radoub, ils apportèrent conti-
nuellement, au rivage, toutes fortes de rafraîchiflemens oc de commodi-
tés. Les Caftillans eurent la liberté de fe répandre dans les Villages , & fu-
rent traités avec tant d'abondance & de foins , qu'ils y rétablirent parfaite-
ment leurs forces.
Mais ce zèle étoit intérefle. Les Indiens avoient beaucoup à fouffrir de
quelques Infulaires voifins , qui leur faifoient une guerre cruelle, & qui é-
toienc dans le barbare ufage de manger leurs Captifs. Ils attendirent que
la Flotte fût prête à lever l'ancre , pour fupplier Ojeda de les venger. Cet-
te prière fut accompagnée de tant de refpedl , & des marques d'une fi vive
douleur, que tous les Caftillans en furent touchés. Ojeda réfolut de rendre
cet important fervice à fes Hôtes. Mais, quoiqu'ils s'offriflent à l'accom-
pagner , il n'en prit que fept, à condition même qu'il ne feroit point obli-
gé de les ramener dans leur Patrie, & qu'ils y retourneroient dans leurs Ca-
nots. Il avoit compris que ces Ennemis, qu'on lui donnoit à combattre,
étoient des Caraïbes; & malgré l'opinion qu'il avoit prife de leur férocité,
dans fon féjour à l'Efpagnole, il le flattoit que le bruit de fon Artillerie
fuffiroit pour les réduire. Sept jjurs d'une heureufe navigation le condui-
firent *à leur Ifle (e). En approchant du rivage, il fut furpris de le voir
bordé de plus de quatre cens hommes, armés d'arcs, de flèche: oc de bou-
cliers , qui l'attendoient avec une audace dont il n'avoit pas encore vu
d'exemple parmi les Indiens. Loin de reculer à l'approche des Barques , ils
s'avancèrent jufqu'au bord de l'eau, pour y lancer une grêle de flèches. Ce-
pendant le bruit de l'Artillerie & des arquebufes parut leur caufer quelque
épouvante, fur-tout lorfqu'ils virent tomber parmi eux un grand nombre
de morts & de blefles. Ojeda faifit ce moment, pour faire defcendre qua-
rante hommes. Mais les Cara'ibes , bientôt revenus de leur étonnement,
firent face avec une intrépidité merveilleufe , & combattirent vaillamment
pendant deux heures. S'il en périt un grand nombre, les Caftillans eurent
beaucoup de blefles. Ojeda, commençant à fe défier du fuccès, envoya
cinquante-fept hommes , qui firent abandonner le champ de bataille à ces
redoutables Ennemis. Mais le jour fuivant , ils reparurent en plus grand
nombre; & les Officiers Caftillans fe virent obligés d'employer leur habileté
pour
C e ) L'Hiftorien ne la nomme point; mais il paroit que c'étoit une des Antilles. Ibidem.
>■■
pour
des,
autrt
tains
renc
cris.
Enne
rés
prop
fut a
EN A M E R I Q U E, L i v. I.
OS
ces
and
leté
■)Our
pour former une attaque régulière. Ils divifèrent leurs gens en quatre ban-
des, qui prirent des portes où le feu des uns ne pouvoit iucommodLr Ils
autres; &, dans cette licuation, qui rendoit prelque tous leurs coups cer-
tains, ils renverfèrent tant de Caraïbes, que ces malheureux Sauvages pri-
rent le parti de fe retirer dans leurs Montagnes, en pouflant d'horribles
cris. Les caftillans ne perdirent qu'un homme; & dans la fuite de leurs
Ennemis, ils en prirent vingt -cinq, fans compter ceux qui étoient demeu-
rés à demi-morts dans le heu du combat, & dont ils ne jugèrent point à
propos de charger inutilement leurs Vailleaux. Une partie des Prilonnii-TS
fut abandonnée" aux fept Indiens de Maracapana, qui partirent fort contens
avec cette proie.
OjEDA, revoyant fi proche de Tlfle Efpagnole, prit la réfolution d'y
tourner Tes voiles. L'Mifloire n'explique point dans quelle vue; quoiqu'on
puifle juger . par fa conduite , que pour faire apparemment fa cour à lEvê-
que de Badajos , il ne penfoit qu'à braver l'Amiral , en lui apprenant le
fticcès de Ton expédition. 11 aborda, le 5 de Septembre, au Port d'Taquhm,
dans les Etats d'un Cacique, qui fe nommoit Haniguayaba. Les Caftillans
de cette Province en donnèrent avis à l'Amiral , qui n'augura pas bien de
l'arrivée de quatre Vaifleaux , fous le Commandement d'un Homme de ce
caraftère. Ce fut dans cette ocrafion qu'il crut devoir employer Roldan ,
dont il ne connoiflbit pas moins la hardiefle. Il lui donna deux Caravelles ,
avec ordre de fe faire expliquer les motifs qui amenoient Ojeda, & de lire
fa Commiflion. Roldan ne put arriver que le 29 au Port d'^aquimo. 11
n'y trouva point la Flotte, qui étoit à l'ancre huit lieues audeflus; mais,
apprenant qu'Ojeda étoit defcendu, avec quelques-uns de fes gens, dans un
Village voilin , il s'y rendit avec cinq ou fix Hommes d'efcorte. Leur en-
trevue fut d'autant plus tranquille, qu'C^eda, éloigné de fes Vaifleaux, af-
feéla toute la modeftie qui convenoit à ia fituatioh. Roldan lui ayant de-
mandé ce qui l'amenoit dans cette Ifle, & pourquoi il s'arrêtoit dans un
lieu fi écarté , fans avoir commencé par fe préienter à l'Amiral , il répon-
dit que la néceflité de le radouber l'avoit obligé de fe jetter dans le premier
Port, & qu'ayant été chargé de découvrir le Continent, par des ordres de
la Cour, qu'il avoit exécutés , il avoit regardé comme fon premier devoir
de penfer à la confervation des Vaifl^eaux qu'on lui avoit confiés. Roldan
voulut voir fes ordres , & fçavoir particulièrement s'il en avoit pour tirer
des fecours & des provifions de l'Efpagnole , fans la permiflion de celui qui
la gouvernoit. Sa réponfe fut embarraflee. Cependant, il déclara que fes
ordres ne portoient aucune exception , mais qu'il les avoit laiiTés à Bord.
La vanité du commandement, ou le defir de répondre à la confiance de
l'Amiral, fit prendre, à Roldan, un parti qui trompa la pénétration d'O-
jeua. Il fehâta de retourner à fes Caravelles; & levant l'ancre aulîi-tôt,
il fe rendit à la Flotte, où il fe fit montrer les Provifions du Général, qu'il
trouva fignées feulement de l'Evêque de Badajos. Après cet éclaircifle-
ment , il n'eut rien de û prelTant que dé retourner à San-Domingo , pour
en infliruire l'Amiral. Mais Ojeda, bientôt infl:ruit lui-même de ce qui s'é-
toitpafle dans fon abfence , & plein des informations qu'il s'étoit procurées
fur les derniers mouveraens de l'Ille, delcendit vers lOuell, au Golfe de
Xara-
CllRlSTOPJlR
CtiI.cMj,
m. Voyaije.
1499.
Oj I IJ A ET
V csrucE.
Ojeda pafle
par ride VA'.
p;i|fiu)lc, où
ilcUii.ahxçi.
Roldan cfl
ciiiployc con-
tre lui.
Ojeda va
joindre les
Rebelles de
Xaragua. '
riimsTni'irF.
Coi iiMii.
111 Vi.y.i-c.
Oj K !• A f. T
V lib I' UCR.
riir>\' lie if-
111 (trt à ui
voilo.
Il \;i j,'ri»fnr
Ir lumil'i'c lies
KiiiH'inisdo
I Amiral cil
ptf PREMIERS VOYAGES
XnragiKi, tUins rcfpcnincc de s'y faire autant de Partifans qu'il y trouvcroit
d'anciens Kebclles. Knetfec, il tut reçu, avocjoye, de ceux qui s'y c-
toient établis; iS:, reconnuiilant bientôt qu'ils confervoient encore des l'en-
liincns de révolte, il les anima, contre l'Amiral, avec tant de chaleur &
lie malignité, que, (bus prétexc de les faire payer de ce qui leur ctuit dû
p.ir le C'rouvernement, il leur fit prendre les armes. Les plus fidèles ayant
lelillé à l'es l'ollicitations, il fe forma deux Partis, entre lefquels on en vint
aux mains dans quelques occalîons fanglantes. Roldan fut envoyé dans la
Province, avec une Efeorte allez nombreufc pour le faire ret'peiler. Ce-
pendant, comme il regrettoit de ne s'être pas fail'i d'Ojeda, dans leur pre-
mière entrevtk', il crut encore que l'adreffe ctoit une voye pluj IVirc que la
force; Ci:, pendant quelques jours, il s'ellorya de l'engager dans une négo-
ciation , qui n'étoit qu'un piège pour le faire tomber entre fes mains. Mais
l'autre, étant retourné fur les VaUreaux,pafra dans la Province de Câ/My(/),
douze lieues plus loin, fur la même Cote. Roldan l'y fuivit. Alors, ces
deux efprits , qui étoient à -peu -près de la même trempe, s'obfcrvèrent
commea l'envi, & cherciiêrent mutuellement à fe tromper. De part &
d'autre, on s'enleva quelques Officiers. Enfin l'Alcalde fut le plus adroit ou
le plus heureux. Un llratagême, afiez bien con^-u, !e rendit Maître de la
Jîaujue d'Ojeda, qui, ne pouvant aborder à terre, m remettre à la voile
fans ce fecours, fe vit obligé d'entrer en compofitiun pour l'obtenir. Elle
lui fut rendue lous des conditions qu'il n'ofa violer, & dont la principale fut
de lever l'ancre. Mais, en p;jrtant , il déclara, que n'ayant pil perdre l'A-
miral dans Ton lile, il alloit le faire connoîtrc à la Cour, <5c foiilever contre
lui coûte rEi'pngne (^).
(f) Elle k nomme aujourd'lini Ar<aba'j. t
(g) Il ne p;init qu'à la lin do Février i^oo, Ucnera, Liv. 4. Chap. 4.
Ai Fri\«E Nt
Ne KT LES
DEl X (ÎUER-
RF.S.
Autres Avan-
turicrs qui cn-
tre;M\"niioiu
des Décou-
vertes.
Ils viiitcnt
les mêmes
lieux qu'Oje-
da. •
f'oy.igc
d\l'.fonfe Nino 6f des deux Guerres.
SI l'avcificieux Ojeda fatisfit fon rcffentiment contre l'Amiral, par quan-
tité de mauvais oifices, qui contribuèrent à fa ruine, il eut le chagrin
de trouver, à Seville , d'autres Avanturiers, qui, ayant tenté la fortune
comme lui, étoient revenus avec plus de diligence, & lui avoient ravi
l'honneur d'apporter le premier, à la Cour, une Relation du Continent. A-
près fon déparc, Pedro yJifofife !<^tno, qui avoit accompagné l'Amiral à la dé-
couverte de Paria, & deux Marchands de Seville, nommés Chriflophc &
Louis Guerre, .u'écoient hâtés d'armer à fon exemple, & n'avoient pas trou-
vé plus de difficulté que lui à fe procurer une permillion de l'Evéque de
Badajos, pour aller découvrir de nouvelles Terres. Ils avoient pris aufli
vers le Sud , & le hafard les avoit conduits à la Côte de Paria. Plus heu-
reux qu' Ojeda, ils avoient recueilli quantité de Perles, dans le Golfe qu'il
avoit nommé las Perlas, & qui eft formé par les Ifles voifines de la Margue-
rite. Delà, ils étoient paîles à Cumana , à Venezuela, & dans d'autres
lieux
EN A iM E R I Q U E, Liv. I.
97
lus, ils
lieux qui avoientetë dc'j.i vifitcs; d'où s'ctant avancés beaucoup pli
avoicnt découvert une Haye fcniblablc ù cclk- de Cadix. Cinquante In-
diens y étoicni venus au devant d'eux, le cou «Se les bras chargés de Perles,
qu'ils leur avoienc données vclontairement. Le lendemain, ils étoient âef-
ccndus dans un Village, nommé Curiana^ où ils avoient été traités avec
une abondance furnrenante de toutes fortes de Venaifon. Mais, ce qui
leur avoit caufé plus d'étonnement , ils avoient obfervé que les Indien*
portoient, entre les Perles de leurs colliers, des Grenouilles & d'arbres In-
feéies d'or. Ils avoient demandé d'où venoit ce précieux métal. On leur
avoit répondu qu'il s'en trouvoit beaucoup à fix journées de-là, dans une
Province qui fe nommoit Curiana Canchieta. Ils s'y étoient rendus; & les
Ilabitans s'étoient préfentés, en effet, avec quantité d'or & de joyaux,
qu'ils avoient troqués pour des bagatelles de l'Europe. Mais, quoiqu'ils
porcaflent aulll des Perles, ils avoient refufé de s'en défaire. Les Callil-
lans, ayant voulu pénétrer plus loin, s'étoient vus arrêtés, fur les Cotes
fuivantes, par des légions d'Indiens, armés d'arcs & de lléches, qui bor-
doient le rivage pour s'oppofer à leur defcente; &, ne fe trouvant pas ca-
pables de leur faire la loi avec un feul Vaiffeau, ils étoient retournés à
Curiana , où ils avoient été reçus avec la même joye qu'à leur paffage.
Pour des Epingles & des Aiguilles, ils avoient tiré des Ilabitans plus de
cent cinquante marcs de Perles, dont quelques-unes étoient de la groffeur
d'une Aveline , & d'une très belle eau , fans autre défaut que d'être mal
percées ( a ). Ils avoient repris delà vers Paria & la Boca del Drago , d'où ,
remontant le long de la Côte, ils avoient découvert la Pointe d'/frfl}!^ , au
Nord de la Pointe Occidentale de la Marguerite; & là, defcendant pour
faire de l'eau & du bois, qui commençoient à leur manquer, ils avoient
découvert , les premiers , ces fameufes Salines , qui font formées , à douze
ou quinze pas du bord de la Mer, par un Lac, au fond duquel on trouve
continuellement du fel , & qui en porte même fur la furface de fcs eaux ,
lorfqu'il fe pafTe quelques jours fans pluye. On voit arriver , à cette Poin-
te, une infinité de Rayes, d'un excellent goût, & quantité de Sardines.
C'étoit de-là que le Vaiffeau Caftillan avoit remis à la voile pour l'Efpagne,
çù il étoit arrivé le 6 de Février 1500 (ô).
(a) Herrera, Cbap. 5.
(b) Ibidem Nino aborda an Royaume de
Galice au bout de foixante jours. On l'ac-
cufa d'avoir détourné la plus grande partie
de3 marchandifes, qui appartciioientau Roi;
ce qui fut caufe que Fernand deMeea, Gou-
verneur de Galice, eut ordre de T'arrôtcr;
mais il prouva fon innocence & obtint fa li-
berté. R. d. S.
5. VI.
Voyage d'Tanez Pinçon.
D'Un autre côté , Vincent Yanez Pinçon , qui avoit accompagné l'A-
mirai dans le premier Voyage , étoit forti du Port de Palos , au mois
de Décembre , avec quatre Vaiffeaux armés à fes frais ( a ). U prit la route
CtintsTopr;»:
Coi.OMl.
Jli. Voyn;;e.
1499.
AfFONSE Nf-
NO ET LPS
«EUX GUKR-
l\$ décou-
vrent la Poiii-
tcd'Araya, Ct
lc3 Salines.
(a) Ibid. Chap. d,
Xnil. Part.
Yanez Pin-
çon.
1500.
j Nouvelles
du Découvertes.
N
CdI.OM'I.
III VnjMi;c.
1500.
Yani.z Pin
ço.v. ,
Pin(;on c(l
le prcinicr
Cullilian (]iii
pullcLt l-itjiic.
Prcmicrc
Dccouvtrtc
i!u Hrclil.
Ciimhr.t en-
tre unCallil-
[111 & plu-
Geiits Indiens.
9§ PREMIERS VOYAGES
du Sud, comme ceux qui l'avoient prcccdc; mais, tournant cnfuitc au Le-
vant, il s'avan<;d l'efpacc de (cpt cens lieues, jul'nu'à ce qu'ayant perdu le
Nord, il palla la Ligne équinuétialo. ClU le premier C'alliilan ipii l'ait
traverlee, malgré la violence de plufieurs tempêtes, qui faillirent de l'en*
fevelir (bus les Ilots. Enfin, pénétrant deux cens cinquante lieues plus loin,
il découvrit un Cap, auquel il donna le nom de ODiJ^iLithiuc, Ck t-[u\ porte au-
jourtriuti celui de Saint • /Ju^i^ujtin. La Mer y ctoit bourbeule «Scblanciiùtre,
comme l'eau d'une Rivière. On y jetta la fonde, qui donna feizc bralles.
Les Callillans ne virent paroître nerfonne au rivage; mais ils y trouvèrent
quelques traces d'Ilonmes. C'clt cette 'J'erre, que les Portugais nonmiè-
rent enfuite Terra de Santa Cruz, (ît qui n'a pas laille de conferver le i»om de
Jiicjil, que lui donnoient fcs anciens llabitans. Vincent Yanez en prie
polfeliion, au nom des Couronnes de Caftille Ci: de Léon. Quelques feux,
qu'on appcrçut pendant la nuit, firent marcher le lendemain, vers le même
lieu, quarante lîommes, qui furent tout-d'un-coup furpris par la vue de
trente-flx Indiens, armés d'arcs & de lléches, & d'une taille extraordinaire.
Le combat paroillbit inévitable, entre àvux Partis prefqu'égaux, qui fe
voyoient avec un même étonntmcnt, <St que rien n'avoit difpofés à la
confiance. Les Caflillans firent briller des miroirs & des grains de verre.
Ils firent entendre, fur-tout, le bruit de leurs fonnettes, qui avoit caufé
tant de fois de l'admiration aux Indiens. Mais ces fiers Sauvages en pa-
rurent fi pei touches, qu'après avoir confideré froidement ce qu'on leur
oflfroit , ils s'éloignèrent d'un pas grave ix fans aucune marque de crainte.
Un caradlère û ferme, ou fi farouche, détermina Yanez à lever l'ancre
avant la nuit.
Il s'approcha de l'embouchure d'une Rivière, qui n'avoit point aflez d'eau
pour recevoir fa Flotte; mais, quelques Soldats, defcendus dans les Bar-
ques, apperçurent un aflez grand nombre d'Indiens armés, vers lefquels ils
prirent le parti d'envoyer un Homme léul , fans autres armes que fon épée.
Le Caltillan, qui ne pouvoit avoir accepté cette commiiîion fans beaucoup
de courage, s'avança vers eux, de l'air qu'il crut le plus propre à les adou-
cir , & leur jetta une fonnette. De leur côté , ils lui jeitèrent un bâton doré ,
d'un ou deux pieds de long. Mais lorfqu'il fe fût baifle pour le prendre,
ils fe précipitèrent fur lui, dans le deflein apparemment de le tuer ou de
s'en faifir. 11 fut abbattu par le premier eftbrc; mais, fe relevant aufl!î-tôt,
il fe fervit de fon épée, avec tant de vigueur & d'adrefl^e, qu'après les avoir
écartés aflTez loin, il les réduifit à faire un cercle autour de lui, dans le-
quel il continua de fe défendre, & dont il leur ôta la hardielîe de s'appro-
cher. Ce courage extraordinaire , qu'ils n'attendoient pas d'un Homme
feul, parut les frapper d'admiration. Mais, voyant accourir les autres
Caftillans, qui venoient au fecours de leur Compagnon, ils décochèrent fur
eux une gréle de flèches, qui en tuèrent huit ou dix, & qui en bleflèrent
IT
un plus grand nombre (^). Le combat devint furieux; oc les Cafl:illans,
forcés
(h) 11 eft étonnant que ces Indiens fi utilement pour rcpoufler ce grand nombre
n'aycr.t point employé, contre un feu! hom- d'Etrangers. R. d, E.
me, les mômes armes, dont ils fe («virent
EN A M E R r Q U E, Liv. I.
00
forcé$ de reculer «.fe virent pourfiiivis jiiftiiics dans leurs Harqucs, où les
Indiens entreprirent de failir leurs ruines. Ils enlevèrent même une liar-
que, après avoir tué celui qui la gurdoit, malgré les coups d'épées & de
lances dont on leur perçoit le ventre, & qui en firent tomber une partie
dans les Ilots. Enlln, ils fe retirèrent; »i!i les Callillans, fort allliges de
leur perte, ne pcnl'è'-ent qu'à rentrer dans leurs Vuifleaux (c).
Ir.s dercendircnt à l'Ouell, rcfpace de cjuarante lieues, julqu'à une gran-
de Rivière, qu'ils nommèrent Maraitnon (J), dont l'embouchure n'a pas
moins de trente lieues; & l'eau fe trouvant potable dans cette étendue, ils
en remplirent leurs tonneaux, avec la fatisfaètion de pouvoir fe vutitcr d'a-
voir fait de l'eau douce en i\Ier. Mais en traverfant cette vade embou-
chure, qui eft coupée, vers h Terre, par quantité de petites IHcs, ils trou-
vèrent les vagues li fortes, qu'elles èk'voient les Vaifleaux à deux ou trois
picques de hauteur. Yanez defcendit cnfuitc avec trente Hommes, pour
s'avancer vers la Côte de Paria: iiiais il fut arrêté en chemin par une autre
Rivière, qui, fans être aufli forte que celle de Maragnon, a, comme elle,
vingt-cinq ou trente lieues d'embouchure, & ne mêle pas moins d'eau
douce à celle de la Mer. AulTi lui donna- 1- il le nom de îiio Dolce. Mais
on a jugé, depuis, que c'tioit un des Bras de ÏOrenoquet ou le Golfe mê-
me qui fépare rifle ae la Trinité, de la Côte de Paria (<?);& vraikmbla-
blement c'étoit le Bras, dont les bords font habités par la Nation des /Jnta-
cas. Les Caflillans , étant pafles de-là aux Illes qui fe rencontrent fur la
route de l'Efpagnole, y eiïuyèrent une horrible tempête, qui fit périr
deux de leurs Vaifleaux à la vue des autres ; & le refte de cette malhcu-
reufe Flotte rentra dans un Port d'Efpagne au mois de Septembre, avec
la feule gloire d'avoir découvert Hx cens lieues de Côte au - delà du Gol-
fe de Paria.
CfiRTiTfVfrit
Cnf.OMll.
III Voy;if;t?,
1500,
Yam/. Pin-
llivicic Je
Mai:ii(^iion.
Riu Dolcç,
Pinçon re-
vient en mau-
vais ordre.
( c ) Relation Efpagnolc du Voyage d'Ya-
rez Pinçon.
( rf ) On a reconnu depuis que ce n'étoit
qu'une Baye, dans laquelle fe déchargent trois
Rivières; elle contient une Ifle.qui a retenu
le nom de Maragnon, ou Maraguan, &qui
le donne à toute une Province du Brtfil.
(e ) yîcuna, Defcrlption de la Rivicri des
Amazones.
Sj. VII.
Voyage de Diego de LopeZ,
CE fuii encore avant la fin de 1499, que Diego de Lopez, Négociant,
de l'a! js, partit avec deux Navires, qui pénétrèrent heureufement
jufqu'au Cap de Saint- Auguftin. Les Hifîoriens Efpagnols prennent tou-
jours foin d'obferver, que ces premiers Navigateurs faifoient autant d'Aftes
depofleflion, qu'ils reconnoifioient de lieux, au nom de la Couronne de
Cafliille. Un d'entr'eux, pour confirmer le droit de fes Maîtres, écrivit
fon nom fur un arbre d'une fi prodigieufe grofleur, que feize Hommes, fe
tenant par la main, ne pouvoient rembraifcr (a). De-là, Diego Lopez
alla
(«) Ilerrcra, Liv, 4. Cbap, 7.
N 2
Diego dc
LorEz.
II tente de
nouvelles Dé-
couvertes.
■<
100
PREMIERS VOYAGES
Christophe
Colomb.
III. Voyage.
I 50 0-
DlliGO DE
LOP£Z.
Alvarez
DE Cadrai..
Les Portu-
gais abordent
iu lirefil.
Y' décou-
Trt;nt Puerto-
Scguro.
Alvarez de
Cabrai prend
poireflion du
Tays,
alla vifiter le Fleuve Maragnon ; mais l'efFroi que Vinceit Yanez venoit dV
répandre, avec Tes trentefix Hommes, ayant armé tous les Habitans, il
les trouva difpofés à défendre l'entrée de leurs Terres j & la tentative qu'il
fit pour aborder, lui coûta dix Caflillans. Il paroît que d'autres combats,
dont il ne remporta pas plus de fuccès fur cette Côte, & la diminution de
fes vivres, que tant d'obftacles ne permettoient pas de réparer, lui firent
prendre le parti de retourner en Efpagne (b).
(&) Ibiii.
g. VIII.
Voyage et Alvarez de Cabrai
M Aïs, dans le même-tems, uns Flotte Portugaife de treize Navires,
que le Roi Dom Manuel envoyoit aux Indes Orientales, <& qui, pour
éviter la Côte dé Guinée, où les calmes font fréquens, avoit pris le large
aux Ifles du Cap- Verd , en tirant droit au Sud dans la vue de doubler plus
facilement le C?.p de Bonne - Efpérance , aborda, le 24 d'Avril, après un
mois de navigation en haute Mer, à la Côte d'une Terre inconnue, qui,
fuivant le calcul des Pilotes, pouvoit être éloignée d'environ quatre cens
cinquante lieues de la Côte de Guinée , & vers les dix dégrés de latitude
Auftrale. Alvarez de Cabrai , qui commandoit la Flotte , s'imagina fi peu
que cette Terre pût être le Continent , qu'il ne la prit d'abord que pour
une grande Ifle. Mais, après l'avoir fuivie aflez long-tems, il fit descen-
dre quelques gens éclairés, qui lui en firent prendre une autre opinion. Le»
Indiens, qui fe préfentèrent en grand nombre, étoient noirs , quoiqu'ils ne
le fuflent pas autant que ceux de Guinée. Leurs cheveux étoient moins
crépus , & reflembloicnt beaucoup plus aux nôtres. A l'approche des Portu-
gais , ils fe retirèrent fur une Montagne , d'où ils paroiflbient les obferver
avec un mélange d'étonnement & de crainte. Le mauvais tems n'ayant pas
permis aux Barques d'entrer dans un Port voifin , Alvarez en fit chercher
audefiTous un plus commode, où il mouilla le même jour, & qu'il nom*
ma Puerio-Seguro. Ses gens y prirent deux Indiens , qu'il fit vêtir propre-
ment , & qu'il renvoya au rivage. Bientôt , on en vit arriver un grand
nombre, avec des fluttes & d'autres infi:rumens, au fon defquels ils don-
noient de grandes marques de joye. C'étoit le jour de Pâques. Cabrai étant
defcendu avec la plus grande partie des Equipages , pour entendre une Mef-
fe folemnelle fous un grand arbre , au pied duquel il avoit fait drefl'er un
Autel, la vue de cette augufte cérémonie fit approcher les Indierrs, avec
une confiance qui parut venir d'un fentiment de Religion. Il fe mirent à
genoux , & fe profternérent comme les Chrétiens ; ils fe frappèrent l'efto-
mach, ils imitèrent toutes les avions du Prêtre & des Aflîftans; &, pen-
dant la Prédication, dont les faints Myftères furent fuivis, ils marquèrent
autant d'attention & de pieté , que s'ils euflent compris les vérités qu'on
leur annonçoit. Cette apparence de docilité ne put être attribuée qu'à la
force de l'exemple. Mais Cabrai en augura bien pour l'avenir ; & , dans la
jûye d'une fi belle découverte, il fit partir un Vaiflfeau pour en porter la
première nouvelle » Lisbonne. Il planta, dans le même lieir, une Croix
de
de
tre
gai
EN AMERIQUE, Li V. I.
lOI
e, qui.
propre-
grand
s don-
lal étant
eMef-
fler un
., pen-
Uièrent
qu'on
■qu'à la
Idans !a
irter ia
Croix
de
de pierre, qui lui fit donner, au Pays , le nom de 5a«f a Cr«2 : origine & ti-
tre de pofleflîon refpeftables , fuivant la remarque de l'Hiftoricn Portu-
■ , qui n'a point empêche, qu'à la longue , le nom de Breftl, ou
étoit celui que les Habitans naturels donnoient à leur Patrie ,
CimisTOPHS
Colomb.
m. Voyage.
rais, mais, qui na poinL eiupci.uc , ijua miongue , ic iiuiu uc uic,n, wu , -qJ
Jrafilf qui étoit celui que les Habitans naturels donnoient à leur Patrie, ^^varez *de
n'ait prévalu en Portugal comme dans toutes les autres Nations. Cabrai , cab^au.
appelle aux grandes Indes par des ordres plus importans , remit à la voile ,
après avoir laiffé au rivage deux Bannis , du nombre de ceux qu'il avoit
à Bord, pour apprendre la langue des Indiens, & fe familiarifer avec leurs
ufages (c).
(c) Relation Portugaife du Voyage (TAl-
Wez de Cadrai, &.Herrera, Liv./^. Cbap.7.
NB. La Relation de fon Voyage eft au pre-
mier Tome de ce Recueil. R. d. E.
5. I X.
Voyage de Cafparâ de Corte-Reaï.
LA jaloufie des Portugais , qui , malgré le Traité de Partage , leur fai»
foit toujours regarder les découvertes & les progrès des Efpagnols
comme autant d'ufurpations fur leurs propres droits , porta , dans le cours
de cette année, Gafpard de Corte-Real, Gentilhomme d'une haute diflinc-
tion , à tourner fes recherches vers le Nord de l'Amérique , tandis que les
Rivaux de fa Nation fembloient porter toutes leurs vues vers le Sud. Quel-
ques Auteurs ne le font partir néanmoins que Tannée d'après. Il paroît
que le feul hazard fit aborder fon Vaifleau à l'Ifle de Terre- Neuve ^ dans
une Baye, à laquelle il donna le nom de la Conception j qu'elle conferve en-
core. Il vifita toute la Côte Orientale de l'Ifle î &, de -là, pouffant juf-
qu'à l'embouchure delà grande Rivière du Canada ^ il découvrit un Pays,
qu'il nomma Terre -Ferte , & 'qui fut nommé enfuite Terre de Corte-Real.
C'eft la partie Septentrionale de la Terre de Labrador y dont les Habitans
fe nomment Efquhnaux ; Sauvages , abfolument différens de tous les autres
Peuples de l'Amérique , auprès deîquels ils paroiffent étrangers. Ils font
fi farouches & fi défians , qu'on n'eft jamais parvenu à les apprivoifer.
Corte-Real vint rendre compte de fon expédition au Roi fon Maître;
mais, s'étant hâté de retourner vers les mêmes lieux, il eut le malheur
d'y périr, fans qu'on aît jamais fçû s'il y fût tué par les Sauvages, ou s'il
fut enféveli dans les flots. Michel de Corte-Real, fon Frère, entreprit de
marcher fur fes traces avec deux Vaifleaux ; & n'étant jamais revenu en
Portugal , fon fort n'efl: pas mieux connu. Le Roi, qui regrettoit la per-
te de ces deux Officiers , ne voulut pas permettre à Jean Fafquez de Corte-
Real , leur aîné, ik Grand -Maître de faMaifon, de tenter le même Vo-
yage , dans l'efpérance de les retrouver. Il ne laiffa point d'y envoyer
d'autres Vaiffeaux, qui revinrent plus heureufement , mais dont toutes les
recherches furent inutiles pour vérifier la funefte avanture des deux Frè-
res (a).
§. X.
(a) C'eR à Cbamptain qu'on doft te détail. Foyiz, ci-cTeffous, la Relation de ft>a
voyage.
N 3
CORTERliAt.
Il aborde à
rifle de Tcr-
re-Ntuve.
Il découvre
une partie du
Continent ,
qu'il nomme
Terr«-Vcrtcv
Il périt dans
un fécond Vo-
yage, & ion
Frère aprc%^
lui..
102
PREMIERS VOYAGES
Christophe
Colomb.
m. Voyage.
1500.
Jean Cabot,
£t ses trois
Fils.
Leurs dé-
couvertes font
cloiitciifcs.
Prétention
des Vénitiens.
■ Prétention
des Anglois.
. 5. X.
royage de Jean Cabot , 6f de fes trois Fils.
< \'j .-.'1.
HACKLUYT a publié , dans fon Recueil, des Lettres Patentes du Roi
Henri f^II, qui accordent à Jean Cabot , Marchand Vénitien , établi
à Londres , & à Tes trois Fils , Louis , Sébajlien & Sancius , la permillîon de
faire des découvertes dans le nouveau Monde. Piufieurs Ecrivains, fe
fondant fur la datte de ces Lettres, qui eft l'onzième année du rè?ne de
Henri , font partir Jean & Sebaftien C?bot dès l'a ; 1497 , leur font re-
connoîcre alors l'Ifle de Terre- Neuve & la Terre de Labrador , & fuppo-
fent qu'ils s'élevèrent jufqu'au cinquantième degré de latitude du Nord (a).
Mais d'autres raifons portent à croire que ce Voyage ne fût entrepris que
piufieurs années après (/>),& qu'il efl poftérieur à celui de Corte- Real.
Les Vénitiens prétendent auiîi à l'honneur d'avoir découvert le Nord
de l'Amérique , ou d'avoir été les premiers qui en ayent répandu la con-
noifl'ince en Europe. Ils font valoir le témoignage d'Antoine & de Nico-
las Zcno , Frères , & Nobles Vénitiens , qui étant partis des Côtes d'Irlan-
de,en 1390, furent poufles , par une tempête, Ç\iv \q Frijland ^ qu'on prend
pour une partie du Continent de Groenland (f), où ils furent informés, à
la Cour même du Roi, qnQl'EJlotiland^ nom qu'ils ont donné à la partie
Septentrionale de la Terre de Labrador, venoit d'être découvert par quel-
ques Pêcheurs , Sujets de ce Prince.
On a vû, dès l'entrée de ce Volume, que les Anglois ,s'attribuant le mê-
. ,. ... ... me
(«■) Ranuifio dit jufqu'à foixante - fcpt
degrés & demi. Préface de fon III. Tome.
Goinara dit plus de cinquante - huit. Liv. 2.
Chap. 4.
{b) i'^. Les Patentes de Henri VII ne
contiennent que la permillîon vague de par-
tir & de faire des découvertes ; & ce Prince
n'y joignit que deux ans après , celle de
prendre un certain nombre de VaifTeaux dans
les Ports d'Angleterre. Hackiuyt rapporte
aufll cette féconde permiflîon. 2°. Pierre
Martyr, Goniara , & Ramufio, qui parlent
du premier Voyage de Sébaflien Cabot, ne
marquent point l'année , t\; ne nomment
point fon Pcre. s'". Séballien Cabot même,
dans un Difeours , que Ramufio ( //. Tome de
fnn Recueil ) rapporte de lui à Gdeas Butri-
piarius., Légat du Pape en Elpa,.;nc, allure
que ce fut aprcs la mnj t Je fon Père , & iorf-
quon fçût en Angleterre que Chriflophe Co-
l'.inib avoit découvert les Côtes do l'Améri-
que, qu'il fut envoyé, par Henri VII, pour
trouver un Ciieniin au Catlr.;y par le Nord.
A la vérité , il ajoute , que , fî fa mimuirc
ne le trompe point , ce fut x-n 1496. Mui.s il
paroî: évidemment que fa mémoire l'a trom-
pé, puifque Chriflophe Colomb n'avoit pas
encore découvert le Continent de l'Amérique
en 1496, & puifqu'il n'efl; pas moins cer-
tain, par les Patentes d'Henri Vil, que Ca-
bot le Père vivoit alors. Aulîî l'Auteur de
Plntrodudtion à l'Hiftoire Univerfelle , ne
met- il ce premier Voyage qu'en 1516, fans
dire néanmoins fur quel témoignage il fe fon-
de. Cbap. 20, de V Amérique, pag. 392. Au
milieu de ces obfcurités, on prouve claire-
ment , & perfonne ne contefte , que dès l'an-
née 1504, des Bâtimcns Bafques. Normands,
& Bretons, faifoient la Pôclic de la Morue
fur le grand Banc de Terre - Neuve , & le
long de la Côte Maritime du Canada; ce qui
doit faire préfumer qu'ils avoicnt connu ces
lieux plutôt, & peut être les iiremiers. Va-
7^2 ci-delluus, année 1523.
( c ) On attribue la découverte du Frifland
à ces deux Frères. Leur Relation efl: dant
Ramufio. il paroît certain, par un h.d:c de
Louis le Débonnaire, que le Groenland étoit
connu au neuvième fièele, comme Vlflmdc,
&: d'autres Illes du Nord. Cet Acte" cft un
Privilège accordé il l'Eglife de Hambourg,
du 15. Mai 834.
'
I
P
103
Li Roi
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ers. Fe-
JFrifland
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1a6Vc do
iiul étoit
[Ifî.inde,
' ctt un
hibourg,
EN AMERIQUE, Liv. I.
me honneur, font remonter leurs prétentions jufqu'à l'an 1170, dans un
Vovage qu'ils donnent à AWrjc Frère de David, Yilsd'Ovjen-Guyncd, Prn>
ce de Galles, auquel ils font uccouvrir une belle Terre au Nord de 1 Ame-
riaue Malheureufement cette navigation ne fe trouve appuyée fur aucun
monument certain; & les preuves, qu'on en apporte {d)\ n'ayant paru
ou'aorès la découverte de Colomb, on peut les regarder comme un ouvra-
ge de la jaloufie ÔL de l'ingratitude, pour lui enlever un honneur qui pa-
roît n'appartenir qu'à lui.
CURtSTOPHÏ
Colomb.
m. Voyage.
1500.
Jean Cauot,
tT"îESTUOlà
l'iLS.
(d) Recueil (le Hackluyt , pag. i. Ces preu-
ves fe trouvent dans lUiftoire du Pays des
Galles, par Fowell. On rapporte aurtî une
Epi"ramme de Meredith, en Langue Galloi-
fe; mais ce Meredith ne vivoit qu'en 1477.
MadocWyf, Mwyedic ÏVeedd , .. ■ .:
Jawn genau, O'vnyn-Gyiedii,
Nî fynnum dir , fy enaid oedd,
Na damawr, ond y moroedd.
C'cft-à-dire, „ Je fuis ce Madoc, fils d'O-
„ wcn-Guynéd, à qui fa patrie & fes richelFes
■ „ ne plurent point, mais qui prit plaiiïr à cher-
„ cher de nouvelles Terres ".
5. XI.
Suite du tro'ifième Voyage de Chriftophe Colomb. ./
PENDANT que les Ennemis de l'Amiral attentoient à fa gloire, ou que,
par un motif plus noble, d'autres cherchoient à la partager, il avoit à
réprimer, dans fon Ule, les flammes de la fédition , qu'Ojeda y étoit venu
rallumer , & des foins à prendre dans l'éloignement , pour fe défendre con-
tre les accufations dont on le noirciflbit en Efpagne. La préférence , qu'il
crut devoir au premier de ces deux objets, parce qu'il ne mettoit rien en
balance avec les obligations de fon Emploi, lui fît oublier trop, long-tems
fes intérêts perfonnels. Un Caftillan , nommé Peniand de Guevare , proche
Parent de ce Moxica , qui étoit entré dans les anciens complots de Roldan ,
enleva, au Cacique Bohechio, une jeune & belle Indienne, qui fe nom-
moit Hy;^ucyiiiotci. Il s'étoit flatté de pouvoir fe dérobber, avec faMaîtref-
fe, fur les "VaifTeaux d'Ojeda ; mais, les ayant trouvés partis, il ne penfa
qu'à fufciter de nouveaux troubles, pour fe mettre à couvert fous le voile
des mécontentemens publics. Il trouva quantité de Partifans, entre ceux
qui s'étoient déclarés pour Ojeda; & fa révolte auroit eu des fuites dange-
reufes, fi Roldan, qui commençoit à refpefter fincérement les Loix, n'eut
trouvé le moyen de fe faifir de lui, & de fept ou huit de Ces principaux
Complices, qu'il fit conduire prifonniers à San - Domingo. La tranquilli-
té paroilToit rétablie, lorfque Moxica, informé de la difgracc de fon Fi-
rent , parcourut tous les Villages de la Vega pour exciter le Peuple a fe
foulever, en déclarant, avec la dernière audace, qu'il étoit réfolu de tuer
l'Amiral & l'Alcalde. Dans la néceffité de fe défendre , l'Amiral négligea
d'envoyer fes Mémoires en Efpagne, & d'informer la Cour de l'injurieule
condilke d'Ojeda. Il prévint les Rebelles , en leur portant la guerre dans
leurs retraites. Il les défit; & Moxica, étant tombé entre fes mains avec
quelques autres, il les fit pendre aux crenaux de la Fortcrefle. L'Ade-
lan-
Suit? du 111.
Voyage.
Nouvelles
fc^ditions dans
1 Ule Efpagno-
Ic. .
Guevare cft
arrêté.
L'AnvïalfaLt
mourir quel-
qucïRcbdIfd.
104
PREMIERS VOYAGES
COI.O.MI.
Suite du III.
Voyago,
1500.
Révolution
fiincllc aux
Coloiiibs,
Haine qu'on
feurfuicitc en
A'^fpagnc.
La Reine fe
prévient con-
tre l'Amiral.
lantadc en prit auffi plufieurs, qui furent deftines au même fort; mais une
étrange révolution leur fauva la vie, lorfqu'on s'y attendoit le moins.
Dks l'année précédente, un grand nombre de Mécontens, qui étoient
fortis de rifle Efpagnole, avoient entrepris , comme de concert , de foule-
ver toute rEfpagne contre les Cplombs. Ils s'étoient rendus à Grenade,
où h Cour étoit alors; &, répandant les plus noires calomnies contre l'A-
miral ,^ ils avoient également réufli à le rendre odieux au Peuple, & fufpeà
au Roi. Un jour quelques • uns de ces Séditieux , ayant acheté une char-
ge de raifin, s'étoient alîis à terre pour la manger, au milieu d'une Place
publique, & s'étoient mis à crier que le Roi & les Colombs les avoient ré-
duits à cette mifère, en refufant de leur payer le falaire qu'ils avoient mé-
rité dans les pénibles travaux des Mines. Si le Roi paroiflbit dans les rues
de Grenade, ils le pourfuivoient, pour lui demander leur paye avec de
grands cris; & s'ils voyoient pafler les deux Fils de l'Amiral, qui étoient
encore Pages de la Reine, ,, voilà, s'écrioient-ils, les Enfans Je ce Trai-
„ tre , qui a découvert de nouvelles Terres pour y faire périr toute la
„ NoblelTede Caflille (a)". Le Roi, qui n'avoit pas pour l'Amiral au-
tant d'adeélion que la Reine, ne fc défendit pas û long-tems contre le
foulevement général ; oc la Reine même, après avoir fait plus de réfiftan-
ce , fut entraînée par la force du torrent. Mais rien ne fit tant d'imprefGon ,
fur elle , qu'une circonftance qui n'avoit point été prévue. On doit fe
rappellcr qu'une des conditions du Traité de l'Amiral , avec Roldan , por-
toit, que les Rebelles, qui voudroient retourner en Éfpagne, auroient la
liberté d'emmener leurs Maîtreiïes Indiennes qui fe troavoient enceintes ,
oii qui étoient nouvellement délivrées. Plufieurs ne fe bornant point à
leurs MaîtrefiTes , avoient apparemment embarqué des hommes fans la par-
ticipation , ou par la connivence de l'Amiral , qui étoit fouvent réduit à
fermer les yeux fur ce qu'il n'avoit pas le pouvoir d'empêcher. On vit ar-
river ces Efclaves, au nombre d'environ trois cens; &la Reine, qui n'a-
voit rien recommandé avec tant de foin que de ne point attenter à la liber-
té des Indiens, ne put apprendre fans une vive colère, que Tes ordres
avoient été û peu relpeélés. Non feulement elle en fit un crime à l'Ami-
ral , mais elle jugea qu'il ne pouvoit être plus innocent fur tout le refte;
&, commençant par ordonna*, fous peine de mort, que tous les Efcla-
ves, qu'on tenoit de lui, fuflent remis en liberté, elle prit en méme-tems
la réfolution de lui ôter l'autorité dont elle l'avoit revêtu. Jamais , fuivanc
la remarque d'un fage Hiftorien , elle n'en prit aucune, dont elle aît eu plus
d'occafions de fe repentir. L'Amiral lui auroit paru moins coupable, fi,
rendant plus de juflice à fon caraélère , elle eût jugé de fa conduite par les
embarras & les néceflîtés qu'elle ne pouvoit ignorer. Avec un peu de mo-
dération , pour attendre de lui plus d'éclaircilTement , elle auroit appris
qu'il avoit extirpé enfin jufqu'aux moindres femences de révolte; qu'il gou-
vernoit avec une autorité abfolue ; qu'il voyoit les Caftillans foumis , les
Infulaires difpofés à recevoir le joug de l'Evangile, & celui de la Domina-
tion de Callille ; & qu'il ne demandoit pas plus de trois ans pour augmen-
ter
(«) Vie de Colomb, par fon Fils, Liv. 2, Cbap. 23 ^ 24.
>»
9>
EN AMERIQUE, Llv. I.
105
ter defoixante millions les revenus de la Couronne, en y comprenant, à
la vérité, la Pêche des Perles, dont il penfoit à s'afllirer par une bonneFor-
Cerefle(Z>). ^
Dans cette fatale conjoncture, les accufations d'Ojcda vinrent achever
fa perte. Cependant elle ne fut fignée qu'au mois de Juin; comme fi le
Roi & la Reine euflent afFe6lé de prendre du tems, pour ne confulcer que
la Juftice. On publia , pour colorer fa dépofition , qu'il avoit demandé
1
qu
ui-même un premier Adminiftrateur de la Juftice dans l'IHe Efpagnole , &
^u'il avoit prié Leurs Majeftés de faire juger fes différends perfonnels avec
l'Alcalde Major , par des CommilTaires desintérefles ; que ces deux propo-
fitions paroihbient raifonnables , mais qu'on ne jugeoit point à propos de
partager deux Emplois qui demandoient une autorité abî'olue; & que d'ail-
leurs on ne pouvoit en revêtir qu'un Homme de diilinftion , avec lequel il
ne convenoit pas de laifler un Etranger, qui exerçoit deux aulTi grandes
Charges que celles d'Amiral & de Viceroi perpétuel. Le Roi & la Rei-
ne crurent trouver toutes les qualités qui cohvenoient à leurs vues , dans
François de Bovadilla, Commandeur de Calatrave. Avec le titre de Gou-
verneur Général , ils lui donnèrent celui d'Intendant de Juflice, & l'ordre
de tenir fes Provifions fecrettes jufqu'au jour de fa réception à San - Do-
mingo; d'où les mêmes Hiftoriens croyent pouvoir conclure, que les Rois
Catholiques avoient prêté l'oreille au bruit, que les Ennemis de f Amiral
avoient répandu, qu'il penfoit à fe rendre Souverain du nouveau Monde (c).
Bovadilla mit à la voile, vers la fin du mois de Juin, avec deux Caravel-
les; & le 23 d'Août on apperçut, de San - Domingo , ces deux Bâtimens,
qui s'efforçoient d'entrer dans le Port , d'où ils étoient repouiTés par le
vent de Terre. L'Amiral étoit alors occupé à fortifier la Conception de la
Vega; & l'Adelantade s'étoit rendu, avec Roldan , vers Xaragua, pour y
faire une exafte recherche des Complices de la dernière révolte.
A la vue des deux Caravelles, Dom Diegue Colomb, qui commandoit
dans l'abfence de fes deux Frères, les envoya reconnoître, par Chrifloph^
Rodriguez dslaLengua, avec une vive impatience d'apprendre fi le jeune
Diego , l'aîné des deux Fils de l'Amiral , n'étoit pas fur l'un des deux
Vailleaux. Ce fût Bovadilla même, qui fe préfenta fur le bord de fa Ca-
ravelle , pour répondre aux queftions de Rodriguez. Il lui déclara , non-
feulement fon nom, mais la Commiffion d'Intendant de Juftice qu'il ve-
noit
Chri-îtothi^
.CoLOM3.
Suite du III. -
Voy.ige.
1500.
Dom Vvn^-
çois de Bova-
dilla cft envo-
yé à l'Kfpa-
.cînolc en qua-
lité de Giii
verneurC(îii«f-
ral.
(J) Hcrrera, ubi fup. Hiftoire de Saint-
Domingue, Liv. 3, Oviedo, nui fup.
(c) Ces Provifions portoient ,, que l'A-
„ mirai ayant donné avis , à Leurs Majeftés ,
„ que pendant le Voyage qu'il avoit fi.it à
„ la Cour, un Alcaldc & quelques autres
„ Officiers s'étoient foulevés avec un grand
„ nombre de Parti fans, & que toutes fesex-
„ hortations n'avoient pu faire celTcr le des-
„ ordre, au grand préjudice du Service de
„ Dieu & de Leurs Majeflés, elles ordon-
„ noient, au Commandeur François de Bova-
dilla , de faire une exafte pei-qui0tion des
XFIJL Part.
>>
„ Coupables, de fe faifir d'eux, après avoir
„ reconnu la vérité, de fequellircr leurs bi(.ns,
,, & de procéder contr'eux, comme il le ju-
„ geroit à propos, fuivant les formes de la
„ Juftice : mandant en outre à l'Amiral, à
,, tous les Officiers, Gouverneurs de Poli-
„ ce , Nobles & Roturiers , & généralement
,, à tous leurs Sujets de rifle, de prêter la
„ main à l'exécution de leurs ordres ". Cet-
te Provifion étoit lignée du Secrétaire d'Etat,
Michel Perez iVJlmanzan, Herieraj Liv. 4.
Cbap. 8.
o
Premières
circonftances
de fon arrivée
à San Domin-
go-
Chrïstophk
Colomb.
Suite du III.
1500.
Son cnrac-
tàc.
oc
Ouverture
ion adini-
i"iiilratioii.
to6 P U E M I E R S V O Y A G E S
noit exercer contre les Rebelles ; & , s'informant à Ton tour des affaires de
l'Ifle , il apprit l'exécution de Moxica & de fcs Complices , l'ardeur des
Colombs dans la recherche des Coupauies , & la rcfolution où ils ctoient de
faire encore un exemple de Guevare, de Riquclmej& de quelques autres,
qui ctoient deftinés au fupplice pour le même crime. Ces informations ir-
ritèrent le Commandeur,- Quoiqu'on ne puifle douter que le Roi & la Rei-
ne, en l'honorant de leurs ordres, n'euffent crû trouver, dans fa perfon-
ne, toutes les qualités qui convenoient à leurs vues, on (reconnoicra bien-
tôt qu'il ctoit ambitieux, violent, intérefle, & que par conféquent Leurs
Majellés s'étoient trompées dans leur choix. Soie qu'il eût apporté d'a-
veugles préventions contre les Colombs, ou que lajaloulie de l'autorité lui
fît déjà regarder tout ce qui ne venoit pas de lui comme une ufurpation de
la Tienne, il ne put entendre, fans indignation , qu'on lui parlât de fuppli-
ce , pour des Criminels dont il devoit être l'unique Juge. Cette difpofi-
tion ne fît qu'augmenter, à la vue de deux Gibets , oc. de quelques Caftil-
lans qu'il y vit attachés, en arrivant dans le Port. Un reflentiment , fi
mal conçu , lui fit prendre la réfolution de pafler la nuit dans fon Vaifleau.
Le lendemain, 24 d'Août, étant defcendu dans la Ville, il fe rendit
d'abord à l'Eglife, où il entendit la Mefle avec une grande oflentation de
pieté. Dom Diegue Colomb , &Perez, Major de l'ille, y affilièrent, ac-
compagnés de la plupart des Habitans de San -Domingo. En fortant, il
tira des Lettres qui portoient le Sceau Royal d'Elpagne , &. les remit à un
Notaire de fa fuite, avec ordre de les lire déviant l'Àflembiée. C'étoient
celles qui le créoient Intendant de Jullice. Eniulte, s'adreflant à Dont
Diegue , il demanda , au nom de Leurs Majeflés , qu'on lui livrât tous les
Prifonniers qui étoient arrêtés pour la révolte. Dom Diegue lui répondit
qu'ils lui avoient été confiés par l'Amiral , dont l'autorité , fans doute , étoit
lùpérieure à la fienne, & qu'il n'en pouvoit difpofer fans fon ordre. „ Je
„ vous ferai connoîtrc, reprit Bovadilla, que vous & lui devez m'obéir ".
Le rcfte du jour fe pafla dans une extrême agitation. Mais , le lende-
main, après la Méfie, à la vue de toute la Colonie , que la curiofité n'a-
voit pas manqué de rafl'embler, Bovadilla fit lire d'aufes Patentes, qui le
conflituoient Gouverneur Général des liles & de la Terre • ferme du nou-
veau Monde, avec un pouvoir fans bornes (rf). Enfuite, ayant prêté le
Serment ordinaire , il invita tout le monde à la foumiflîon ; & pour la met-
tre à l'épreuve, il renouvella la demande des Prifonniers. On lui fit la
môme réponfe, & cette fermeté l'embarrafla. 11 fit lire deux autres Man-
de-
dem
&à
&ai
doit
leau
(cl) Elles contenoient „ que Leurs Ma-
Jcltc's Catholiques, pourraccomplifleinent
du Service de Dieu & du leur , pour l'exé-
cution delà Juflicc, pour l'établiflement de
la Paix & du bon Gouvernement des Ilîes
& de la Terre -ferme , avoient ordonné
que le Commandeur François de Bovadil-
la exerçât en leur nom le Gouvernement
des mûmes lieux, auffi long-tems qu'elles
!c iugeroient à propos, avec TOiEce d'In-
„ tendant do JuP.ice , Civile & Criminelle;
„ & qu'elles entcndoient qu'après qu'il au-
,, roit prêté le Serment dans la formes éta-
„ blies , tous leurs Sujets le reconnuflênt &
„ lui rendiffent obéiflance, comme à leur
„ Gouverneur & leur Juge; pour l'exécution
„ de quoi elles lui accordoient un plein pou-
,, voir, avec ordre i tous de lui obéir". La
datte de cette CouuuilCop. étoit du 21 de Mai.
Herxera , ibul
EN A M E R I Q U E, Liv. T.
lo-
démens des Rois Catholiques, par i'im defciuels il ctoic oi\]onnd,à r>\mlral,
& à tous les Commandans des FcrtercQcs & des Navires , aux Trcfoners
& aux Gardes Macafins de le reconnoître pour Supérieur. L'autre regar-
doit la folde Militaire & la paye des Artifans & des Engages. Après cette
lefture, qui mit tous les Gens de Guerre dans fes intérêts, il foinma,
pour la troifième fois, Dom Diegue, de lui remettre les clés de la Prifon.
Sur fon refus, il fe rendit à la Citadelle, où Michel Diaz commandoit en
qualité d'Alcalde ; & lui ayant fait fignifier fes pouvoirs, il ordonna que
fur le champ tous les Prifonniers fuffent amenés devant lui. Diaz deman-
da du tems pour en informer l'Amiral , dont il tenoit fa Commiffion. Mais
le Commandeur, appréhendant que ce délai ne fût employé à faire exé-
cuter Guevare & fes Complices , lit mettre à l'inftanc , fous les armes ,
toutes les Troupes qu'il avoit amenées, & celles même de la Ville, qui re-
connoiflbient déjà fes ordres. La Citadelle étoit encore fans défenfe ; &
quoique Diaz fe montrât , l'épée à la main, fur les créneaux, avec Ahara-
do, fon Lieutenant, il y entra fans réfiftance. 11 fe fit conduire à la Pri-
fon , où il trouva les Coupables chargés de chaînes. Un léger interroga-
toire parut le fatisfaire ; & leur ayant fait efpérer leur grâce , il fe conten-
ta de les laifler fous la garde d'un de fes gens.
. L'Amiral, bientôt informé de cette révolution, en reçut afTez tranquil-
lement la première nouvelle. La confiance, qu'il croyoit devoir aux bon-
tés du Roi & de la Reine, après les avoir fi bien fervis, lui fît juger que
Bovadilla étoit quelque Avanturier , tel qu'Ojeda , dont il ne lui feroit pas
plus difficile de fe défaire ; ou du moins que fa Commifllon n'avoit pas
plus d'étendue que celle d'Aguado. Mais , lorfqu'il eut appris que le Com-
mandeur s'étoit rendu maître de la Forterefle, & que toutes les Troupes
étoient foumifes à fes ordres , il confidéra cette affaire d'un autre œil.
L'opinion-, qu'il confervoit encore, que c'étoit quelque nouvelle fourbe-
rie, dont il avoit à fe défendre, ne l'empêcha point de prendre des mefu-
res pour le foutien de fon autorité. Il fe rendit à Bonao , après y avoir
donné rendez -vous aux Caftillans, qu'il croyoit dans fes intérêts , & l'or-
dre, à plufieurs Caciques, de l'y venir joindre, avec toutes les Troupes
qu'ils feroient capables de raffembler. En y arrivant, il y trouva un Huif-
fier à Verge, qui lui remit des Copies de chaque Provifîon du nouveau
Gouverneur. Après les avoir lues, il déclara que la première ne conte-
noit rien qu'il n'eût demandé lui-même; mais que l'autre, ne s'accordant
point avec les Patentes irrévocables de Viceroi oc d'Amiral , qu'il avoit re-
çues de Leurs Majeflés, il ne pouvoit fe perfuader qu'elle vint de cette
refpeftable fource ; qu'il ne s'oppofoit point à l'adminiflration de la Jufti-
ce, dont Bovadilla étoit chargé; mais qu'il alloit écrire en Efpagne; &
qu'en attendant les explications de la Cour, fiir des évenemens qui lui pa-
roiflbient obfcurs, il fommoit tous les Sujets des Rois Catholiques, de de-
meurer dans la foumiffion qu'ils lui dévoient. On ne douta point alors
que cette querelle ne dégénérât en guerre civile , furtout lorfque le Com-
mandeur eut affefté de ne pas répondre à une Lettre qu'il reçut de l'Ami-
ral, & qu'on apprit, au contraire, qu'il avoit écrit à Roldan & à ks an-
O 2 cicns
ClIBlSTCrilK
Coi.oMn.
2u;tc tlu lll.
Voyn;:;e.
1500.
Violrnci.*
il c'iablit fon
autoriC'i,
Embarras do
l'Ainiral,
L'Iflccflmc'
nacéc d'une
guerre civile.
'lo3
PREMIERS VOYAGES
15 oo.
Lcttro du
Roi qui o!)li-
gcrAminilàia
roiiîiiiflîun.
Bovatîina in-
forme contre
lui.
l'Amiral, une Lettre flgnce de la main du Roi (S: de la Reine. Elle étoit
dans ces termes: „ Dom Chrillophe Colomb, nôtre Amiral dans l'Océan:
„ Nous avons ordonné au Commandeur , Dom François de Bovadilla, de
„ vous expliquer nos intentions. Nous vous ordonnons d'y ajouter foi,
,, & d'ex'jcuter ce qu'il vous dira de notre part. Moi le Roi, moi la Reine*\
Les réllexions que l'Amiral fit fur cette Lettre , dans laquelle il ne manqua
poin: d'obferver qu'on ne lui donnait pas le titre de Viceroi, le détermi-
nèrent à reconnoître Bovadilla dans toutes les qualités qu'il s'attribuoit. Il
partit auffîtôt pour la Capitale.
A fon exemple , tout ce qu'il y avoit de Caftillans à I3onao , dans la Ve-
ga, & dans tous les nouveaux Etablillemens , prirent le chemin de San-
Domingo. Bovadiila , pour les attirer par l'intérêt, avoit déjà fait publier
que pendant vingt ans, ceux qui travailloient à chercher de 1 or n'en paye-
roîent au Roi que le vingtième; qu'il alloit acquitter les arrérages de la Ibl-
de Militaire , & contraindre l'Amiral de fatisfaire tous ceux auxquels il avoit
donné quelque fujet de plainte. Les Mécontens s'empreflerent de venir
dépofer contre les trois Colombs, & toutes leurs accufations furent reçues.
Ms chargèrent l'Amiral de les avoir maltraités, dans la fondation des "Villes
(îc des Forts, en les aflujettiflant à d'indignes travaux, qui en avoient fait
périr un grand nombre , & de leur avoir refufc les fecours les plus nécef-
iaires à la vie; d'avoir impofé, pour des ftiutes légères, des châtimens
trop rigoureux, fouvent injuftes, & quelquefois deshonorans; de n'avoir
pas vjuUi confentir que les Infulaires fuiïent baptifés, parce qu'il aimoit
mieux les voir Efclaves que Chrétiens ; de leur avoir fait la guerre fous de
Tout le mon- vains prétextes, pour avoir occafion de les condamner à l'efdavage, &
de déclare pour les faire palier en Caftille ; de n'avoir pas permis qu'on tirât tout ce
contre l'Ami- qij'gn pouvoit trouver d'or , pour ne pas diminuer trop les richefles de l'If-
le, dans la vue de s'y rendre un jour indépendant, ou de la livrer à quel-
que PuilTance ennemie de l'Efpagne; enfin, d'avoir excité les Caftillans &
les Indiens à fe foulever contre le nouveau Gouverneur. L'Hiftorien re-
marque que parmi tant d'imputations & de plaintes, il ne fe trouva point
une dépofition favorable à l'Amiral: étrange effet de l'infortune, qui fait
oublier toutes lesjoix de l'amitié & de la reconnoiflance, & qui ne laifle
voir, dans un Malheureux, qu'un objet de haine & de mépris (/).
Christophe Colomb fut extrêmement furpris, en arrivant à San-Domin-
go, d'apprendre que le Commandeur s'étoit logé dans fa Maifon, qu'il avoit
i'aifi fes papiers , confifqué fes meubles , fes chevaux , & tout ce qu'il avoit
d'or & d'argent, fous prétexte de payer ceux qui fe plaignoient de ne l'a'-
voir pas été; qu'il avoit fait arrêter Dom Diegue, fon Frère, fans aucune
formalité de Juftice, & qu'il l'avoit fait transférer dans une des Caravelles
qu'il avoit amenées, avec ordre d'employer les fers pour l'y retenir. A
pei-
(e) Herrera, Ljr. 4. Œflii. $. (^f) Ibidtm,
Ses biens
funt luiiis.
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
ICf)
peine avoit-il eu le tcms de fe faire expliquer tant de violences, qu'il fc vit
enlevé lui même & conduit dans la Citadelle, où il fut enfermé les fers aux
pieds. Ilcrrera, quoique fort prévenu en faveur de la Nation, donn.ici
le nom de Tyrtin au nouveau Gouverneur. Il traite de cruel 6: de détella-
ble, un cmprrtcment de cette nature, contre un lloiv.ir.c, que les Huis
Catholiques avoicnt élevé aux premiers degrés d'honneurs , <1\£ qui avoit ac-
quis tant de gloire à TKfpagne. La fuite des événemens fit même connuî-
ire que le Commandeur avoit paflé fes pouvoirs , <5c que s'il étoit chargé
d'intormer, c'étoit avec refpecl pour la perfonnc des Colofnbs {g). Mais
fa cruauté ne fut pas plus furprenante que l'applaudifTement qu'elle reçut
de tous les Caftillans de fille. Ceux mêmes qui dévoient leur fortune à
l'Amiral, & qui ne fubfifloient que par fa faveur, curent la lâcheté de
l'outrager; &, pendant que fes Ennemis fe contentoient du moins de le
noircir par leurs accufations, ce fut fon propre Cuifinier, qui s'offrit in-
dignement à lui mettre les fers aux pieds.
Il foiifl'rit fa difgrace & toutes les humiliations dont elle fut accompa-
gnée, avec une fermeté qui fut peut-être le plus glorieux trait de fon ca«
raftère. Cette force d'efprit, qui ne l'abandonna jamais, paTut bientôt
avec un nouvel éclat. Il y avoit toute apparence que fAdelantade, qui é-
toit encore en liberté , ne ménageroit rien pour arracher fes Frères d'entre
les mains d'un Homme, dont il devoit appréhender les derniers excès. Bo-
vadilla, qui en comprit le danger, envoya ordre à l'Amiral de lui écrire,
non-feulement pour arrêter l'exécution de plufieurs Criminels dont il s'é-
toitfaifi, mais pour le prefler de revenir promptement à San -Domingo.
L'Amiral écrivit. Il joignit, à ces deux ordres, les plus vives infiances ,
pour engager fon Frère à venir partager fa mauvaife fortune avec lui.
„ Nôtre refTource , lui difoit-il, efl dans nôtre innocence. Nous ferons
„ menés en Efpagne. Qu'avons nous à defirer de plus heureux , que de
„ pouvoir nous juflifier)" Cette propofition d'it révolter, fans doute, un
Homme du cara6lère de l'Adelantade. Mais il ne laifla pas de fe rendre à
l'avis de fon Frère. Il vint à San-Domingo. A pein€ y fut-il arrivé qu'il
fut chargé déchaînes, & conduit dans la Caravelle qui fervoit de Prifon
à Dom Diegue. Bovadilla mit le comble à fes injuftices , en accordant
toutes fortes de faveurs à Roldan , à Guevare & à leurs Partifans. Après
avoir tourné fes premiers foins à fauver une troupe de Séditieux, qui étoient
fur le point d'expier leurs crimes par le dernier fupplice, on s'étoit attendu
qu'il feroit, du moins, des informations fur leur conduite ; mais il leur ren-
dit la liberté , fans s'embarraffer même de fauver les bienféances.
Des
('ai.OMi!.
Siiitocliilll.
1500.
]| cA pla-'m
jnr les Ilido-
riens.
On lui met
les fers aux
pieds.
Avec quel-
le fcrriKtt: il
Ibuticnt fa
dirgracc.
Il eriRfige
fon Frùe à fe
foumc^' • ri.
(g) Voici les termes d'Herrera: „ Beau-
„ coup de gens aflurent que l'intention des
„ Rois n'avoit jamais été que Bovadilla,
„ quelle que iùt la force de fes Provifions ,
„ dût attaquer la perfonne de l'Amiral ni
„ de les Frères , & que comme fa prudence
», fuffifoit pour lui faire voir qu il ne le
,. devoit pas, ils ne l'en avoient pas averti".
ifo.4. Cbap. 10. Ovicdo s'exprime à peu près
de môme: „ Les uns difcnt qu'on n'avoit
„ pas commandé à Bovadilla de prendre
,, l'Amiral, & qu'il n'étoit venu que comme
„ Juge de réfidence, pour s'inforner feule-
„ nient de la rébellion". Liv, 3. Cbap. 6.
Gomcra dit i qu'il avoit ordre d'envoyer en
Efpagne ceux qu'il trouveroit coupables. Liv,
I. Cbap, 23.
IIO
PREMIERS VOYAGES
CiinrîTorriE
Colomb.
Suite du m.
1500.
1,0 prn^.-Ô5
lies trois Co-
loinbs L'It
iiillniic.
L'Amii-al
cfi cnibaniuô
pour l'Ef^ia-
;iie,
Il refufe de
ffuittcr fcs
fers.
Ufagc qu'il
en lit en mou-
rant.
Son r.rrivt;e
en Kipr.gn-j &
it^parnciuiià
qu'il y rcçoic.
Des cmpoi'ccmens ù peu ménages firent cfindre pour la vie des trois
Frères. Leur Procès fut inflruit. Bovadilla Icmbloit avoir été trop loin ,
pour s'impoler des bornes, ou, i\ la facilité qu'ils eurent à détruire des ac-
cufations vagues, don: la plupart ne rcgardoient même que leurs intentions,
parut lui caufer de l'embarras, c'étoit un motif de plus pour fc défaire de
trois Ennemis, dont la juflification entraînoit infailliblement fa perte. Ce-
pendant , il n'ofa pouffer l'audace jufqu'à faire conduire au fupplice un grand
Oihcier de la Couronne; &, fe contentant de rendre un Arrêt de mort con-
tre lui & fes Frères, il prit le parti de les envoyer en Efpagne, avec l'in-
llruélion de leur Procès , dans l'idée apparemment que le nombre & l'uni-
formité des dépollcions, l'importance des articles , a: la qualité des Accufa-
teurs, dont la plupart avoient eu d'étroites liaifons avec les Accufés, fe-
roicnt confirmer fa Sentence. Les Prifonniers n'étoient pas fans incjuiétu-
de pour la décifion de leur fort. Un Hiftorien raconte (\vCAlfonfe ae Fal-
Icjo, Capitaine de la Caravelle qui devoit les conduire, étant allé prendre
l'Amiral pour le faire embarquer, cet illuflre Vieillard lui dit triftement:
„ Vallejo, où me mènes-tu? En Efpagne , Monfeigneur „ répondit le Capi-
taine. „ Efl-il bien vrai? „ reprit l'Amiral. „ Par vôtre vie y „ repartit Val-
lejo „ fai ordre de vous faire embarquer pour l Efpagne". Ces aflurances cal-
mèrent fon efprit. Mais, pour ne laifler rien manquer à fon humiliation,
Bovadilla fit publier, avant fon départ, un pardon général pour ceux qui
avoient eu le plus de part aux révoltes paîfées , & remplit plufieurs Bre-
vets, quil avoit apportés en blanc > des noms deRoldan, de Gucvare &
des Mutins les plus décriés par le mal qu'ils avoient caufé. Vallejo reçut
ordre , en mettant à la voile , de prendre terre à Cadix & de remettre fes
Prifonniers , avec toutes les Procédures , entre les mains de l'Evêque de Ba-
dajos & de Gonçalo Gomez de CervantSy Parent du Commandeur , tous deux
Ennemis déclarés des Colombs (/&).
En fortant du Port, Vallejo voulut ôter leurs chaînes aux trois Frères:
mais l'Amiral protefta qu'il ne les quitteroit que par l'ordre du Roi & de la
Reine ; ce qui ne fempêcha point d'être fort lenfible i pendant toute la navi-
gation, aux civilités qu'il reçut du Capitaine. On aflure qu'il ne cefla jamais
de conferver fes fers, & qu'il ordonna même, par fon Teftament, qu'après
ia mort on les mît avec lui dans fon Tombeau, comme un monument cfe la
reconnoiflance dont le monde paye les fervices qu'on lui rend (/}. Vallejo
mouilla , devant Cadix , le 25 de Novembre. Un Pilote , nommé /Indre Mar-
tin, touche des malheurs de l'Amiral, fortit fecrettement du "^'"aifTeau, &
fe hâta de porter fes Lettres à la Cour, avant qu'on y pût recevoir la nou-
velle de fon arrivée.
Le Roi & la Reine n'apprirent point fans ctonnement & fans indignation,
qu'on eût abufc de leur autorité pour s'emporter à des violences, dont ils
fe crurent déshonores. Ils envoyèrent, fur le champ, l'ordre de délivrer
les trois Frères, & de leur compter mille écus, pour fe rendre à Grenade,
où ia Cour ctoit alors. Ils les y reçurent, avec des témoignages extraor-
dinaires de compalîion & de faveur. La Reine confola particulièrement
l'Ami-
(i) Ilcrrcra, ulifuprà, Chap. 10.
(i) Ibidtm,
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
ll£
nou-
rAmîral. Comme il avoit plus de confiance ù fa bonté qu'à celle du Roi,
il lui demanda une Audience fccrcttc , dans laquelle, s'étanc jcué ù fcs pieds ,
il V demeura quelque tems, les larmes aux yeux, & la voix écouUee par Tes
fanfflots Cette excellente Princefle le fit relever. 11 lui dit les chofes les
fanglots. Cette
CfniSTorHK
Suite tUi III.
,„„ ^^ . 1500.
plus touchantes , fur l'innocence de les mtentions , fur le zèle qu'il avoit toa- comment il
fours eu pour le fervicc de Leurs Majeflés, fur le témoigiiage qu'il le ren- cil traité par
doit au fond du cœur, que s'il avoit manqué, dans quelque point, c'étoit lallciuc.
pour' n'avoir pas connu de meilleur parti dans l'occafion, & fur la malignité
de fes Ennemis , que la feule jaloufie de fon élévation portoit à lui chercher
des crimes; peu contens de lui nuire, s'ils ne le deshonoroient. La Reine
parut fort attendrie de fon difcours (k). L'Hillorien de Saint-Domingue,
qui fait profeflion d'avoir fuivi des Mémoires fidèles , prête à cette Princef-
fe une réponfe véritablement noble , qui convient parfaitement aux circon-
flances & qui ne s'accorde pas moins avec la conduite qu'elle ne celfa point
de tenir à l'égard de l'Amiral. On ne fera pas difiiculté de l'adopter, parce Difcoms
qu'elle fupplée au' filence des Ecrivains Efpagnols. „ Ifabelle , dit-il , en qui d.- cotte Pria-
, l'indignation prit la place de la douleur, releva TAmiral, & fut quelque '^'-'"'■•
,1 tems auffi fans trouver le pouvoir de parler. Elle fe remit enfin, & lui
J, dit avec beaucoup de douceur: Voiis voyez combien je fuis touchée du
,1 traitement qu'on vous a fait. Je n'omettrai rien pour vous le faire ou-
„ blier. Je n'ignore pas les fervices que vous m'avez rendus, & je conti-
,1 nuerai de les récompenfer. Je connois vos Ennemis, & j'ai pénétré les
„ artifices qu'ils employent pour vous détruire : mais comptez fur moi.
„ Cependant , pour ne vous rien diflimuler, j'ai peine à me perfuader que
vous n'ayez pas donné lieu à quelques plaintes. Elles font trop univer-
felles pour n'être pas fondées. La voix publique vous reproche une fève,
rite peu convenable dans une Colonie naiflante , & capable d'y exciter
des révoltes , qui peuvent ébranler des ibndemens encore mal affermis.
Mais ce que je vous pardonne moins, c'efl: d'avoir ôté, malgré mes dé-
fenfes, la liberté à un grand nombre d'Indiens, qui n'avoient pas méri-
té une fi rigoureufe punition. Vôtre malheur a voulu (ju'au moment
,, que j'ai appris vôtre desobéiflîince , tout le monde fe plaignoit de vous
]\ & perfonne ne parloit en vôtre faveur. Je n'ai donc pu me difpenfer
„ d'envoyer aux Indes un ConrniiflTaire , que j'ai chargé de prendre des
informations & de me les communiquer, avec ordre de modérer une au-
torité qu'on vous accufoit de porter trop loin. Dans la fuppoficion que
vous fufiicz coupable de tous les crimes dont vous étiez accufé , il de-
voit fucceder au Gouvernement général, & vous envoyer en Efpagne,
pour y rendre compte de vôtre conduite. Mais fes inftruélions ne por-
toient rien de plus. Je reconnois que j'ai fait un mauvais choix; j'y
mettrai ordre, ôc je ferai de Bovadilla, un exemple, qui apprendra
aux autres à ne point pafTer leurs pouvoirs. Cependant je ne puis vous
promettre de vous rétablir fi-tôt dans vôtre Gouvernement. Les ef-
prits y font trop aigris contre vous. Il faut leur donner Je tems de re-
venir. A l'égard de vôtre Charge d'Amiral, mon intention n'a jamais
„ été
(i) Tout ce qui priîccdc cfl tiré d'Iierrera, X.!*, 4, Chap* jo.
»
fi
»»
»>
})
;>
tI2
PREMIERS VOYAGES
CHnisToniiR
Cou 'Mil,
Suite du 111.
X'oya^c.
1500.
Ce qui s'op.
pdfu au ic't.i-
l)liiHinciit lie
rAinii'.il.
II forme un
jinuvc;ui pro-
jet lie Voya-
ges.
Ew'nenicns
rjui jufliflè-
lent les Co-
lonibs.
Conduite
udieuie Ju
nouveau Gou-
verneur lie
l'Efpa.qnole.
„ été de vous en occr la pnfTeflîon, ni rexcrcicc. Laiflez faire le reftc au
„ tcms, ik fit'Z-vous à moi (/)".
CoLoMH, fuivanL le même Ililloricn, comprit par ce difcours , plus aue
la Reine n'avoic eu deflein de lui faire entendre. Il jugea que fun rctablif-
fcment auroic blcile les règles de la Politique Efpagiiole; que le Roi étoit
vraifcniblablement fa Partie fecrctte; en un mot, qu'on fe repentoit de l'a-
voir fait fi grand , & qu'il ne dcvoit pas fe llatter de faire changer la Cour
en fa faveur. AulVi, ians s'arrêter ù d'inutiles infiances, après avoir remer-
cié la Reine de fa bonté, il la fupplia d'agréer qu'il ne demeurilt pas inuti-
le à fon fervicc, & qu'il contini:àt la découverte du nouveau Monde, pour
chercher, par cette voye , quelque palTage qui pût conduire les Vaifleaux
de l'Elpagne aux Moluques. Ces Illes écoient alors extrêmement célèbres,
par le trafic que les Portugais y faifoient des Epiceries; & les Elpagnol»
fouhaitoient ardemment de partager avec eux un Commerce fi lucratit; Le
projet de l'Amiral fut approuvé avec de grands éloges. La Reine lui pro-
mit de faire équiper autant de Vaiflfeaux qu'il en dcmandoit, & l'aflura que
fi la mort le furprcnoit dans le cours de cette Expédition, fon Fils aîné fc-
roit rétabli dans toutes Ijs Charges (m).
QUoKiUE les affaires de l'Ifle Efpagnole ceflent ici d'appartenir à l'Hiftoi-
^re générale des Indes Occidentales, &que, dans le nouvel ordre qu'on
fe propofc, elles foient renvoyées à laDefcription particulière de cette Ille,
le jufi:e intérêt, qu'on a dû prendre à la fortune des Colombs, ne permet
pas de rentrer dans le cours des nouvelles Découvertes , fans avoir expli-
qué les réparations qu'ils reçurent de la Reine, & qui furent confirmées par
la jufl:ice même du Ciel. On s'attachera d'autant plus volontiers au derniec
Hifl:orien , que c'efl la partie de fon Ouvrage à laquelle il paroît avoir ap-
porté le plus de foin.
Rien ne fervit tant, dit il, à juftifier l'Amiral dans l'efprit de ceux cjui
jugeoient de lui fans pafllon , que la conduite de Bovadilla. Il s'efforça d a-
bord d'augmenter de plus en plus la haine qu'on portoit dans les Indes aux
Colombs; fans faire réiîexion que cette animofité leur faifoit honneur au-
près de ceux qui connoiffoient les Habitans du nouveau IMonde. En ef-
fet, à la réferve de quelques DHiciers, le refte n'étoit qu'un affemblage de
la plus vile Canaille, ou d'un grand nombre de Criminels, fortis des Pri-
fons^de Caftiile, fans mœurs, fans religion, & qui, n'étant venus fi loin
que pour s'enrichir, fe perfuadoient que les Loix n'étoient pas faites pour
eux. D'ailleurs, malgré toutes les précautions de la Reine, il s'en trouvoic
de toutes les Provinces d'Efpagne, entre lefquclles on fait qu'il y a des an-
tipathies infurmontables; foiirce de querelles & de divifions d'autant plus
fimefies dans un nouvel Etabliffement', qu'il s'y trouve toujours des Mécon-
tens, & que les Loix y font moins en vigueur. On doit conclure qu'en
voulant prendre le contrepied de l'Amiral , le nouveau Gouverneur ne put
éviter de commettre de grandes fautes. 11 n'y avoit, au fond, de repré-
hen-
(/) Il refle h regretter qu'on n: nous apprenne point comment une fi belle réponfc cf.
vejiue jufqu'à nous. {m) Ibidem.
re,
EN A iM E R I Q U E, Li v. 1.
i'3
henfiblc dans l'ancien (îouvcrnement, qu'un p:u tr(«p de fcivcrité po'.ir les
Elpagnols. l'rcmlre une méthode enticremenL (jppol'éc, c'éroit (e deelurcr
pour'dcs llrigands. IJovadilIa donna dans cet excès, avec fi peu de niefii-
re, qu'on entendoit les plus honnêtes gens fe dire entr'eux tous les jours,
qu'ils étoienc bien malheureux d'avoir faic leur devoir, puifque c'cioit un
titre pour être exclus des grâces.
Le Commandeur ne traita pas les Infulaircs avec plus de prudence & d'é-
quité. Après avoir réduit les droits du Prince à l'onzième, <k. donné la li-
berté de taire travailler aux Mines, il falloit, pour ne rien faire perdre au
Domaine, que les Particuliers tiralfent une prodigieufe quantité d'or. Aurti
les Caciques le virent-ils contraints de fournir à chaque lifpagnol un certain
nombre de leurs Sujets, qui faifoient l'office d'autant de IJetes de charge.
Enfin, pour retenir ces Malheureux fous le joug, on fit un dénombrement
de tous les Infulaires, qui furent rédigés par dalles, &diftribués, luivant
le degré de faveur où l'on étoit dans l'elprit du Gouverneur. Ainfi rifie
entière fe trouva réduite au plus dur efclavage. Ce n'étoit pas le moyen
d'infpirer de l'aflcflion pour le Chriftianifme & pour la domination des
Rois Catholiques; mais Bovadilla ne penfoit qu'à s'attacher les Caflillans,
qui étoient fous Tes ordres, & qu'à faire en méme-tems de gros envois d'or
en Efpagne, pour fe rendre néceflaire, & pour confirmer les foupçons qu'il
avoit répandus contre la fidélité de l'Amiral.
Effectivement, dans l'cPpace de quelques mois, on tira tant d'or de
toutes les Mines, que, fans un malheur, qu'on étoit fort éloigné de prévoir,
l'arrivée d'une feule Flotte auroit pu dédommager l'Elpagne de toutes Tes
avances, & les payer même au centuple. On fc hàtoit de profiter du tems ,
parce qu'on prévoyoit qu'il dureroit peu. Il en coûta la vie à un fi grand
nombre d'Indiens, qu'en peu d'années l'Ille Efpagnole parut déferte. On
ne lit point fans horreur, dans le récit même des Efpagnols, les traitemens
barbares auxquels ces Infortunés furent afiujettis. Si l'inhumanité pouvoit
êtrejuftifîée par le profit qu'elle rapporte, jamais on n'avoit trouvé des
Mines plus abondantes , ni d'un or plus pur. Herrera raconte que Diaz &
Garay,s'étant airociés pour faire travailler aux Mines de Saint-Chrifl:ophe,
un de leurs Efclaves, qui étoit à déjeûner fur le bord de la Rivière deHay-
na , s'avifa de frapper la terre d'un bâton , & fentit quelque chofe de fort
dur. Il le découvrit entièrement. C'étoit de l'or. Un grand cri, que
l'Efclave jetta, dans l'étonnement de voir un fi gros grain, fit accowjrir
aufli-tôt fes Maîtres. Ils ne le virent pas avec moins d'admiration. Garay,
tranfporté de joye, fit tuer un Porc, le fit fervir à fes Amis fur le grain,
qui fe trouva aflez grand pour le tenir tout entier, & fe vanta d'être plus
magnifique en vaiflelle que les Rois Catholiques. Bovadilla l'acheta pour
Leurs Majefl:és. Il pefoit trois mille fix cens Ecus d'or; & les Orfèvres,
après l'avoir examiné, jugèrent qu'il n'y en auroit que trois cens de dimi-
nution dans la fonte. jlDn y voyoit encore quelques petites veines de pier-
re, mais qui n'étoient guères que des taches, & qui avoient peu de pro-
fondeur. Cette découverte étant fans exemple, on peut juger combien elle
anima les efpérances de ceux qui s'occupoient à la même recherche.
XFIII. Pan. P Cepen-
*J •„'
.•.. ". .■..!• .
■ ''•.■■■'' •'.•.'■■ '■
•• ' . , '■ , t" ' s „• '
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CrfRr'Ti^rrfi
C'iI.liMil
Su te ilii III.
1500.
F.II'.' iiiwilte
('Cùcincnt Ii'«
l',lp:i{;iu)ls (Se
L^iiiluluiics.
' " * ' ■ • ' '. ' *;
Avec quelle
aviJitO Rova-
liilla tire de
l'ur.
Ilidoirc d'un
prodigieux
morceau d'or.
114
PREMIERS VOYAGES
Christophe
COL'^MU.
Suite du m.
Voy.gc.
BoviiLli'Ia
cfl ruppi,! I . ,
& Nicolas
Ovando nom-
me pour lui
fucceda.
Ordres don-
îiés en faveur
'k's Colombs.
1502-
Ovando fe
rend à I Klc
Efpagnolc.
Ci-PENDANT, on apprit, à la Cour, la uianière dqnt les Ilabitan' de
l'Elpagnoie étoienc traites; & le Roi & la Reine en conçurent une égale
indignation. Le rappel de Bovadilia étoic déjà réfoUi. comme une fatis-
faébon que Leurs Aiajeilés croyoïent devoir à l'Amiral; mais cette nouvelle
devant lelutcr, elles nommèrent, pour lucceder au Gouvernement de l'Ille,
Dom Niolas O'y^w^/o, Gmiinandeur de Larex, de l'Ordre d'Alcantara, qui
devint bientôt (îrand Commandeur de l'Ordre entier par la mort d'Alfonfe
de SantiHirnc. Ses l'roviùons ne furent que pour deux ans; apparemment
parce que la Reine vouloit rétablir, à la fin de ce terme, Chriftophe Co-
lon)b dans la dignité de Viccroi. Ovando étoic homme de mérite, fenfé,
Ami de la juftice , & C\ modcfle , qu'il refufoit jufqu'aux marques de
dilUnélion qui étoienc attachées à Tes Emplois. On lui fit équiper en di-
ligenc>r une Flotte de trente-deux voiles, fur laquelle on embarqua deux
mille cinq cens Hommes, fans y comprendre les Equipages, pour rem-
placer, dans yii\^ Efpagnole, quantité de perfonnes dont la Reine vouloit
purger la Colonie. Entre ces nouveaux Habitans, on comptoit plufieurs
Gentilshommes, tous Sujets de la Couronne de Caflille. Ifabelle fe con-
firmoic, de plus en plus, dans la rélblution d'exclure du nouveau Monde
tous ceux qui n'étoient pas nés Sujets de la Caftille. Cependant, après fa
mort, on ne mit plus de diftinflion entre les Caftillans & les Arragonois;
& fous Charles Quint , tous les Sujets des différens Etats , qui compofoient
la Monarchie Efpagnole , obtinrent la même liberté. Comme la Cour étoit
réfoluede rappeller particulièrement l'Alculde Major , Roldan Ximenès,
& que l'adminillration de la Juftice convenoit mal à un Homme de guerre,
chargé d'ailleurs du Gouvernement Général, elle nomma, pour cette im-
portante fonélion , Alfonfe Maldonat , habile Jurifconfulte. Les inftruélions
de ces deux Officiers fuprémes furent dreffées avec des foins , qui répon-
doient aux vues de Leurs Majeftés. Celles d'Ovando portoient particu-
lièrement d'examiner la conduite & les comptes du Commandeur de Bo-
vadilia, de le renvoyer en Efpagne par la même Flo' ^, & d'apporter tou-
te fon attention à faire dédommager l'Amiral & fes jres de tous les torts
qu'ils avoient foufî'erts. Carvajal, dont on a déjà ité le mérite, & qui
étoit demeuré fort uni avec les Colombs pendant leur difgrace , eut ordre
de refier dans rifle , pour veiller à leurs intérêts.
L'année s'étant pafîee en préparatifs, Ovando reçut ordre enfin de met-
tre à la voile. Dans fa dernière Audience, un Confeiller d'Etat lui fit un
difcours fort long & fort touchant («), fur la conduite qu'il devoit tenir
dans fon adminiftration. Il s'embarqua le 13 de Février 1502. Une tem-
pête, qu'il elfuya près des Canaries, diffipa fa Flotte , & fit périr un de
les plus grands Navires , avec cent cinquante Hommes. Tous les autres
fe rejoignirent à la Gomera , qui étcic le rendez-vous général, où l'on
acheta un Navire, pour remplacer celui qui avoit été fubmergé. Quan-
tité d'Efpagnols, Habitans des Canaries, en formèrent l'Equipage. Enfui-
. te
(n) Hcrrcra le rapporte ai entier, Lîv. 4. Chop, 3., mais ces longues harangues font
ùjfpi-ites dans l'Hiftoire.
EN AMERIQUE, Liv. I.
15
te Ovando partagea fa Flotte en deux bandes, prit fous Tes ordres celle
qu'il crue la meilleure à la voile, & laifla le refle fous ceux d'Antoine de
Torrez, qui dévoie tout commander au retour. Il arriva, le 15 d'Avril,
au Port de SanDomingo.
BovADiLLA s'attcndoit peu à recevoir fi-tôt un Succcfleur. Cependant il
vint le recevoir fur le rivage, & le conduifit à la Forterefle, où les nou-
velles Provifions furent lues devant tous les Officiers de la Colonie. Ovan-
do fut aufli- tôt reconnu & falué fous tous fes titres, tandis que Bovadilla
fe vit tout-d'un-coup abandonné. Quelques Hiftoriens ont écrit qu'il avoit
été fait Prifonnier. Mais on n'en trouve aucune trace dans ceux qui pa-
roilTent les mieux inftruits, & l'on y voit même qu'il fut toujours honora-
blement traite. Roldan fut moins ménagé. Le nouveau Gouverneur,
après avoir informé contre lui & contre fes principaux Complices , les fit
tous arrêter, & les diftribua fur la Flotte, pour être conduits en Efpagne
avec l'inllruélion de leur Procès. Auflî-tôt les Indiens furent déclarés li-
bres, par la publication d'une Ordonnance du Roi & de la Reine, qui por-
toit aulFi qu'on payeroit au Domaine la moitié de l'or qu'on tireroit des
Mines, & que pour le pafle on s'en tiendroit au tiers , fuivant les Ré.
glemens de l'Amiral. A la vérité, cette Ordonnance ne fut pas plutôt
en exécution, que le profit des Mines celfa tout-d'un-coup. Toutes
les offres qu'on fit aux Infulaires n'eurent fur eux aucun pouvoir , lorf-
qu'ils fe crurent afliirés qu'on ne pouvoit les forcer au travail. Ils pré-
férèrent une vie tranquille, dans leur première fimplicité , à la fa;igue
de recueillir des biens dont ils ne faifoienc aucun cas. D'ailleurs, tout
le monde fut révolté, qu'on obligeât de payer au Souverain la n.oitié
de ce qui coiltoit tant de peine & de dépenfe. Une partie des Cafliil-
lans, qui étoient arrivés fur la Flotte, s'offrirent pour remplacer ceux
qui s'étoient retirés ; mais ils ne furent pas long-tems à s'en repentir.
L'ouvrage le plus facile étoit fait. Il falloit déjà creufer bien loin ,
pour trouver de l'or. Les nouveaux Ouvriers manquoient d'expérien-
ce; & les maladies, dont ils furent attaqués, en emportèrent un grand
nombre. Ils fe dégoûtèrent d'une entreprife , qui les accabloit fans les
enrichir. Le mauvais fuccès des Ordonnances fit juger au Gouverneur
qu'elles demandoient quelque modération. Il écrivit à la Cour , pour en-
gager Leurs Majeftés à fe contenter du tiers ; & cette efpérance ren-
dit le courage à quelques Ouvriers. Ses repréfentations furent écoutées;
mais, dans la fuite, il fallut fe relâcher encore. On fe borna au quint
des Métaux , des Perles & des Pierres précieules ; Règlement qui a tou-
jours fublillé depuis.
CnRISTOPHl
Colomb.
Suite du III.
Voyage.
1502.
Etonneincut.
deB(,vadilla,
qui fc voit
abandonné.
Roldan &
les anciens
Rebuilcs font
conduits Pri-
fonniers en
Efpagne.
Nouveaux;
Réglcmens
pour les In-
fulaires.
s font
P 2
5. XII.
ll6
PREMIERS VOYAGES
ClIRISTOPHI
&
Bartuelemi
Colomb.
IV. Voyage.
1502.
Objet de
cette nouvel-
le cncreprife.
I/Ainiral
part de Cadix.
Raifonsqui
le font relâ-
cher à ri lie
Erpasnolc, 6c
qui empê-
chent Ovando
de l'y rece-
voir.
Il nnnoncc
*iit;TcmpCtc.
5. XII.
Quatrième Foyage de Chrijlophe Colomb.
OVando continuoit de faire régner le bon ordre & la tranquillité dans
l'Ifle, lorfqu'on y vit arriver une Chaloupe, envoyée par l'Amiral»
qui demandoit la permiflion d'entrer dans le Port de San-Domingo , pour
y changer un de fes Navires, qui ne pouvoit plus tenir la Mer. Après
le départ de la Flotte, Ferdinand avoit goûté le projet que les Colombs a-
voient formé dans leur inaélion, d'entreprendre de nouvelles découvertes;
& quoique le délai des Miniftres, à leur fournir des Vaifleaux, eût été ca-
pable de les rebuter, ils avoient été foutenus par une Lettre de ce Prince,
qui reconnoiflant enfin le mérite de leurs fervices , s'étoit expliqué dan»
des termes qui ne pouvoient leur laifler aucun doute de fes intentions (a).
Cette Lettre avoit été fuivie des ordres les plus preflans ; & les prépara-
tifs n'avoient pas langui, pour le départ de quatre Vaifleaux qu'on avoit
accordés à l'Amiral. Il étoit parti du Port de Cadix , le 9 de Mai , avec
Dom Barthelemi fon Frère , & Dom Fernand , le fécond de fes Fils , âgé
d'environ treize ans. La Forterefle d'Arzilla, fur la Côte d*Afrique, étant
alors afliégée par les Maures , il s'en étoit approché pour la fecourir ; mais
l'ayant trouvée libre, par la levée du Siège, il étoit venu mouiller, le 19
de Mai, devant la grande Canarie, d'où les vents lui avoient été fi favo-
rables, que fans changer de voiles , il étoit arrivé , le 13 de Juin, à la vue
de riHe Marînino, qui a pris depuis le nom de la Martinique. Il y avoit
pafi'é trois jours; après lefquels, s'étant apperçu que fon plus grand Navire,
qui étoit de foixante & dix tonneaux, ne foutenoit plus la voile, il avoit
pris le parti de fe rendre à l'Ide Efpagnole.
Le nouvcpu Gouverneur, qui n'avoit point encore fait partir Rovadilla,
ni les auteurs des anciens troubles, lui fit dire qu'il craignoitque fa préfen-
Ci ne caufùt quelque dcfordre dans la Colonie. Cette réponfe, à laquelle
il devoit s'attendre, ne laifla point de le mortifier: mais, apprenant que
la Flotte étoit fur le point de mettre à la voile, il fit le facrifice de fon
chagrin, au bien public; & par un fentiment degénérofité, digne de fon
caraftère , il fit avertir Ovando , que fi l'on vouloit s'en rapporter à fon ex-
périence, on étoit menacé d'une tempête prochaine, qui devoit engager
Torrez à diftcrer fon départ. Son avis fut méprifé, & la Flotte leva l'an-
cre. Elle étoit encore à la vue de la Pointe orientale de l'Ille, lorl qu'un
des-
(«) Cette Lettre e(l venue jufqu'à nous,
flans la Vie de Chriflophc. ,, \''ous devez
„ être perfuadé du déplaifir que nous avons
,, eu de vôtre Prifon , puifquc nous vous
„ avons mis en liberté autlî-tôt qu'il nous
„ a été poflîble. Tout le monde connoit
„ vôtre innocence. Vous favez avec quel
„ honneur & quelle amitié nous vous a-
,, vons traité. Les grâces que nous vous
„ avons accordées ae ^feront pas les derniù-
res. Nous vous confirmons vos Privilè-
ges, & nous voulons que vous en jouif-
fiez, vous & vos Enfans. Nous vous
offrons même de les conlirmcr de nouveau,
& de mettre vôtre Fils aîné en policinoii
de toutes vos Cliarges , quand vous L'
fouhaitercz. Nous vous prions donc de
partir au plutôt. A Valence, !: 14 de Mars
150/'. Vie de Colomb. Liv. 2 Ciap. 25.
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
tiT
Christophe
&
Barthelemi
Colomb.
IV. Voyage.
1502.
Naufrage de
des plus grands ouragans qu'on eût vus dans ces Mers en fie périr vingt &
on Navires , chargés d'or , fans qu'on en pût iauver un feul Homme. Ce
beau grain d'or, dont on a raconté la découverte, périt dans cette fatale
occafion;& jamais l'Océan n'avoit englouti tant de richefles (b). Mais
c'étoit le fruit de l'injuftice & de la cruauté. Le Ciel voulut vanger, fans
doute , par la perte de tant de tréfors , le fang d'une infinité de Malheu-
reux , qu'on avoit facrifiés pour les acquérir. Le Capitaine Général , An-
toine de Torrez; le Commandeur, François de Bovadilla; Roldan Xime- Bovadilla&
nés; un Cacique Chrétien, dont on ignore le nom ; l'infortuné Guarinoex, d'un grand
qui avoit été retenu jufqu'alors dans les fers des Caftillans, & tous ceux Seï ""
qui avoient fait profeflion de haine pour les Colombs, furent enfevelis
dans les flots. Mais ce qui ne put laifler aucun doute qu'une difgrace fi
terrible ne fût l'effet de la juflice du Ciel , c'efl que les onze Navires , qui
furent épargnés , étoient les plus foibles de la Flotte ; & que celui , donc
on fe promettoit le moins , fur lequel on avoit chargé tous les débris de la
fortune des Colombs, fut le premier qui toucha au rivage d'Efpagne.
On doit juger de la conflernation , qu'un fi funeft:e événement répandit H cù. rcgar-
dans les deux Mondes. Il fut regardé , par les plus infenfîbles , comme un ^^commeunc
châtiment de l'injufliice qu'on avoit faite à l'Amiral; &, lorfqu'on fut in- ci"i'/°"
formé de l'avis qu'il avoit donné au Gouverneur de l'Efpagnole, il efl: im-
polfible de repréfenter les regrets de la Cour & du Public. Mais la Flotte
ne fe reflfentit pas feule de la colère du Ciel. San -Domingo, dont les
Maifons n'étoient encore que de bois & de paille, en fut prefqu'entiéremenc
renverfée.
La feule perfonne de difl:inftion, qu'on vit arriver en Efpagne, avec les
débris de la Flotte , fut Roderigue de Bajlidas , Homme d'efprit & d'hon-
neur , qui s'étant allbcié avec fean de la CoJ'a^ pour tenter de nouvelles dé-
couvertes , avoit armé deux Navires à Cadix , & s'étoit mis en Mer dès le
commencement de l'année précédente, avec CommilTion du Roi. Il avoit
cherche la Terre -ferme, par la même route que l'Amiral avoit fuivie dans
fon troifième Voyage; &, du Golfe de Venezuela, où il étoit arrivé heu-
reufcmenc , il avoit poufle fa navigation jufqu'au Golfe à'Uraba , cent
lieues plus loin que ceux qui l'avoient précédé. Il avoit nommé Carthage-
ne, le Port où l'on a vu naître, depuis, une fameufe Ville du même nom;
& continuant de lliivre la Côte à l'Ouefl: , il avr^*-. découvert un autre Port,
Voyage de
Roderigue de
Ballidas.
qu'il avoit appelle , Port delRetrette , nom qui il: changé dans la fuite en jjuïs
celui de Nombre de Dios. Ses deux Vaifl'eaLix n'étant plus en état de tenir la
Mer , il étoit venu pour les radouber, dans l'IOe Efpagnole, où ils a
échoué fur la Côte de Xaragua. De-là, s'étant rendu par terre à S;
Découverte
du Golfe d'U-
raba, & des
Poità où Car-
thagcne &
Nombre de
I)iûs fe font-
fonr.écs de-
avoient
San-Do-
mmgo, Il y avoit été fait Piifonnier par Bovadilla, fous prétexte qu'il avoit
JMais la
a fa con-
traicé avec les Infulaires, fans participation du Gouvernement.
Cour, informée par d'autres témoignages, rendit plus de jullice à .^
duite ; (Se dans fon retour, il fut vangé d'une oJicufe perfécution {c ).
{h) Les foinmcs en or inontoicnt à qu> druplc aiiîourihui.
trc cens mille Pcfos, qui faifoient alors en- (c) Ikireva, /Jr. 4. Cbap. îi.
Tiron (iiiatro uùliions, & q.ii fwrole.u ie qui-
r 2
C'^
ii8 PREMIERS VOYAGES
CURISTOPIIE
&
lÎARTIIELf'MI
Coi.OM.1.
IV. Voyage.
1502.
Nouvelles
courfcs d'Ojc-
da & d'Ame-
rie Vefpuce.
A van tare
dOjcda.
L'Amiral
Colomb re-
met à la voi-
le.
Vents con-
traires, &
Tempête
qu'il cffiiie.
Ifles qu'il
nomme i,os
Guajiajos.
Canot qu'on
croit venu de
1 Yucatan.
yf.ToiT peu de tcms après Ton départ, qu'Alfonfe Ojeda & Vefpuce
icnt encore une fois forcis du Porc de Cadix; l'un toujours rempli des
C ^
ctoicnt encore une fois forcis du Porc de Cadix; l'un toujours rempli
fçrandcs efptirances qu'il fondoic fur fa hardiefle & fon habileté ; & l'autre,
dans la vanité, qu'il confervoir toujours, de s'attribuer la Découverte de la
Terre-ferme. Mais ils ne firent que fuivre Baftidas , fans fçavoir qu'il eût
pris cette route. Ojeda , croyant arriver le premier dans le Golfe d'Ura-
ba, où Baflidas avoit déjà paiïe, y bâtit un Fort de bois & de terre, pour
s'alTurer une entrée libre dans le Continent. Il vifita auflî le Port del Re-
trette. Mais l'on avarice, dans la diflribution des vivres, fouleva contre
lui fon Equipage. On lui mit les fers aux pieds , & les Mutins fe rendi-
rent au Port d'Yaquimo, dans l'Ifle Efpagnole. Ojeda, voyant fon Navi-
re à l'ancre fort près de la Terre , eut aflez de confiance à fa force & à fa
légèreté naturelles, pour cfpérer de fe fauver à la nage, en fe jettant la
nuit dans les flots. Mais comme il n'avoit que les bras libres, & que le
poids de fes fers entraînoit fes jambes vers le fond, il fut obligé- d'im-
plorer le fccours de ks gens , qui le prirent dans la Barque au moment qu'il
fe noyoit (d).
Pendant la tempête, l'Amiral s'étoit retiré dans le Port d'^zuac (e),
où, malgré fes lumières, il n'eut pas peu de peine à fe défendre de l'hor-
rible agitation des Elemcns, qui fit périr ^qs Ennemis prefqu'à fes yeux.
Trois de Ces Vaiffeaux , qui furent féparés de lui par la violence des flots ,
ne purent le rejoindre de plufieurs jours. Enfin , les ayant tous raflemblés ,
il fe rendit au Port d'Yaquimo (/), d'où il partit le 14 de Juillet, dans le
defl'ein de gouverner vers la Terre-ferme. II s'approcha des Kles voifines
de la Jamaïque; mais les vents contraires , les calmes, pendant lefquels il
étoit entraîné vers de petites Ifles, au Sud de Cuba, qu'il avoi»" déjà nom-
mées les J'ardins de la Reine (^), & une nouvelle tempête auflî terrible
que la précédente , lui firent employer plus de deux mois à faire foixante
lieues. La première Terre, qu'il appcrçut alors , fut une petite Ifle, fui-
vie de quelques autres. Il les nomma toutes Los Guanajos (é), du nom
de la première, que les Indiens nommoient Guanaja. Mais Dom Barrhele-
mi Colomb, qui fe chargea de la vifiter, l'ayant trouvée remplie de Pins,
elle reçut particuiicremenc le nom à'IJle des Pins. Sa fituation efl: à douze
lieues du Cap de Honduras & de la Ville de Truxillo. D'autres ont voulu
s'attribuer l'honneur de Cette découverte; mais il fut prouvé dans la fuite
que perfonne , avant l'Amiral , n avoit tourné fa navigation du même
côté ( /).
En approchant de l'Ifle des Pins , l'Adelantade rencontra un Canot, à-
peu-près de la forme d'une Galère, large de huit pieds, & d'une longueur
pro-
(d) Ibidem.
(e) Hcrrcra le nomme Puerto Ilcnnofo,
ou Puerto Ej'coiidido.
(/) Les Caliillans lui donnèrent le nom
de Fort de Rrefil.
{ p ) Dans un Voyage qu'on a rapporté ,
l'Hiliorien de fa Vie dit , qu'il en nomma
quelques- unt s les Puits ^ parce qu'ayant fait
crcufer le fable il y trouva de bonne eau.
Liv. 2. Cbap. 27.
( h ) Guanari , fuivant Fernand Colomb.
Ibidem.
(»■) Herrera, Liv. 5. Chap. <;.
Nota. Voyez la Carte de rifthme de Pa-
nama , au XVIe. Volume. 11. d. E.
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
IIP
proportionnée, qui portoic vingt-cinq hommes, avec quantité de femmes
Cl d'enfans. Dans ce petit Bâtiment, qui fut conduit à l'Amiral, il fe trou-
va divcrfes fortes de marciiandiles, dont quelques-unes dévoient venir de
TYucatan. C'étoit des couvertures & des tapis de coton ouvragés, des
nattes de Palmiers , des épées d'un bois fort dur , des couteaux de cail-
loux de petites haches de cuivre , des fonnettes, des médailles, des creii-
feis pour la fonte du métal , avec une efpèce d'amandes , que cvs Indiens
nommoient Cacao , & qui leur fervoient de monnoye. Leurs alimens
étoient du Maïs 61. des Racines; & leur breuvage, une liqueur compofée
aulïi de Maïs, qui reflembloit aflez à la Bierre. Ils paroilibient honteux
de leur nudité, qu'ils s'efForçoient de cacher de leurs mains; & les fem-
mes fur-tout , eurent beaucoup d'empreflement à fe couvrir la tête & le
corps, d'une forte de Mantes. L'Amiral, augurant bien de cette décence,
leur fit beaucoup de carefles, & les renvoya chargés de prélens. Mais il
retint un Vieillard, auquel il crut reconnoîcre de l'cfprit, & dont il fe pro-
mit de tirer des connoUFances favorables à fes defleins. Sa première quef-
tion fut celle qu'on faifoit toujours aux Indiens; c'elli-àdire, s'il y avoit de
l'or dans fon Pays? Le Vieillard , qui comprit aulîl-tôt ce qu'on lui deman-
doit par des fignes , fit entendre de même, qu'il y avoit, de ce côté- lu,
des Régions où ce métal étoit fi commun , que les Peuples en portoient des
couronnes fur la tête , & de fort gros anneaux aux bras & aux pieds ; que
les tables, lesfièges & les coftres en étoient revêtus; & que les Mantes
des femmes , ou les couvertures, qui leur fervoient de robbes, n'étoient
pas tiflues d'autres matières. On lui montra du Corail , des Epiceries , &
d'autres marchandifes précieufes: il donna les mêmes efpérances fur tout ce
qui lui fut demandé , foit qu'il ne cherchât qu'à plaire par cette complai-
fance, ou que, départ & d'autre, on s'entendît mal. Il fit même con-
noître que, dans le Pays dont il parloit , on trouveroit des Navires, de
l'Artillerie, toutes fortes d'Armes, en un mot, tout ce qu'il voyoit à bord
ou dans les mains des Elpagnols (k).
Ces aflurances étoient li conformes aux anciens préjugés de l'Amiral,
qu'il les crut capables de lever tous fes doutes. 11 s'imaginoit encore que
le Catay devoit être peu éloigné ; que la Mer baiffoit vers Cigtiaro, qui de-
voit être une Province, ou une Ville, des Etats du Grand Kam, & qu'à
dix journées de-là, il devoit trouver le Fleuve du Gange. Ce Pays, que
le Vieillard Indien repréfentoit fi riche en or, étoit vraifemblablement le
Pérou : mais Colomb lé perfuada que le Royaume du Grand Kam & le Catay
étoient fitués , à fon égard , comme Tortofe l'efl: à l'égard de Fontarabie ;
fur deux Mers difi*érentes , mais peu éloignées l'une de l'autre. Dans cette
idée, que l'Indien paroiflToit confirmer, il cefl^a de j^uaverner à l'Ouefl: ; ce
qui nuifit beaucoup à fes efpérances , puifqu'en continuant de fuivre cette
route, il eut bientôt rencontré l'Yucatan, dont il n'étoit qu'à trente heues,
& toute la Côte du Mexique (/).
Mais , après avoir rendu la liberté au Vieillard , la première Terre qu'il
découvrit, au Levant, fut une Pointe, qu'il nomma Cafmas^ parce quil y
trou-
CMRISTOPItP.
Ci
E.«.RT:ir.i.EMt
Cui.OMB
IV. Voyu,;c.
150'.:.
KJalrcific-
«uiis que l'A-
iiiir;il tire il'un
Vieillard In-
dien.
Anciens pré-
jugés, qui
trompent l'A-
miral.
Il manque la
découverte de
l'Yucatan &
du Mexique,
(fc) Herrcra, ibidem.
(i) Ibidem,
120
PREMIERS VOYAGES
Christophe
&
BARl'HUr.FMI
Coi.OMi.
IV. Voyage.
1502.
Terre Jont
il pr'juJ pof-
fcllioii.
Ufagcs des
Habitans.
Coda de O-
Cap de Gra-
cias à Dios.
Autres dé-
couvcites.
Accord avec
les Indiens.
trouva quantité d'arbres, qui portoient une efpèce de petites pommes,
auxquelles il entendit donner ce nom par les Habitans. Ces Indiens étoient
vêtus d'une forte de camifoles, en forme de chemife. L'Adtlantadc prit
pofTeflion de cette Terre, le 17 d'Août, au nom des Rois de Caflille.*
Quantité d'Habitans s'empreflerent de lui apporter du Maïs, diverfes forets
de Viandes & de Volailles, du Poiflbn & des Fruits. Le Pays lui parut
agréable, par fa fraîcheur & fa verdure. Entre les arbres, il vit des Chê-
nes, des Pins, ik lix ou fept fortes de Palmiers. Quelques jours de com-
merce lui firent rcconiioître que les Peuples de cette Cote parloienc dilFé-
rentes langues. Ils avoient le corps marqué, par le feu, de pludeurs fi-
gures , qui rcpréfentoient des Lions , des Cerfs & d'autres animaux. Les
principaux portoient des bonnets de drap de coton , blancs & rouges.
Quelques-uns avoient le vifage peint de noir, d'autres de rouge, ou rayé
de diverfes couleurs; & d'autres fe peignoient feulement les lèvres, les
narines & les yeux. Leurs oreilles étoient fort grandes , & quelques - uns
les avoient percées d'un trou de la grandeur d'un œuf. L'Amiral en prit
occafion de donner, à leur Pays, le nom de Cojla de Ojeja , ou Côte de l'O-
reille (m).
Le 12 de Septembre, on doubla un Cap, qui fut nommé Cap de Gracias
à Dios; parce que la Terre y tournant au Sud, on trouva plus de facilité
pour la navigation. Mais la perte d'une Barque, qui fut fubmergée par la
violence de la marée, à l'embouchure d'une Rivière voifme, fit donner, à
cette Rivière, le nom de Rio del defajlre. Le 17, on mouilla prés d'une
petite Ille, nommée Quiritini , vis-à-vis d'une grofPe Bourgade du Conti-
nent, que fes Habitans nommoient Cariari. On n'avoit point encore trou-
vé de fi beau Pays , ni des Indiens fi doux. Ils fe préfentèrent d'abord ar-
més d'arcs, de lléches & de dards, pour défendre leur Patrie. Les Hom-
mes portoient leurs cheveux treffés autour de la tête, & les Femmes au con-
traire les avoient fort courts. Auflî-tôt qu'on les eut excités à la confian-
ce, par les figues ordinaires de paix & d'amitié, ils apportèrent, au riva-
ge, ce qu'ils avoient de plus précieux, tel que des couvertures de coton,
& des camifoles. L'Amiral défendit qu'on prit rien d'eux , & leur fit don-
ner diverfes bagatelles de l'Europe, qu'ils acceptèrent d'abord avec joye:
mais voyant qu'on n'avoit pas pris ce qu'ils avoient apporté, ils lièrent en-
femble tout ce qu'ils avoient reçu, & le laiflerent dans l'endroit le plus pro-
che des Vaifleaux. Le lendemain , s'étant fans doute imaginé qu'on fe dé-
fioit d'eux, ils envoyèrent à Bord un Vieillard vénérable, accompagné de
deux jeimes Filles , dont la plus âgée n'avoit pas plus de quatorze ans , avec
une forte d'Enfeigne, qui voltigeoit au bout d'un bâton. Ce Député fit
entendre aux Caflillans, par des lignes fort humains, qu'ils pouvoient def-
cendre fans crainte , & leur laifla les deux jeunes Filles, qui ne parurent
point allarmées de fe trouver feules au milieu de tant d'Etrangers. L'Ami-
ral les fit vêtir & les renvoya au rivage , chargées de préfens. Mais le jour
d'après , on fut furpris de les voir revenir nues avec le Vieillard, qui rap-
portoit les habits & tout ce qu'on leur avoit fait accepter. Dans l'admi-
ration
(m) Ibidem , Cbap, 6. à. Vie de Colomb, Tome 2. Cbfip. 28.
EN AMERIQUE, Li V. I.
121
ye:
en-
pro-
dé-
de
avec
fit
def.
rent
\mi-
our
•ap-
ration de ce denntéreflTement, l'Adelantade réfolut de prendre plus de con-
noiflance du Pays. Deux Indiens, qui paroiflbicnt d'une condition rele-
vée, le reçurent, à fa defcente, le prirent par les bras, & le menèrent en-
tr'eux fur un tas d'Herbe fraîche, où ils le firent aileoir. En leur faifanc
des queftions , par divers lignes, il donna ordre, à quelqu'un de fa fuiie,
d'écrire ce qu'on pourroit comprendre à leurs réponfes. Mais , à la vue
de l'encre, du papier & des plumes, ils parurent fi troublés, qu'ils prirent
tous la fuite. Ils revinrent néanmoins; mais ce fut en jettant, vers les
Caftillans , une forte de poudre, qui fembloit fe difliper en fumée, & dont
ils challbient la vapeur vers l'Ecrivain. On crut comprendre, alors, pour-
quoi ils avoient refufé tout ce qu'on leur avoit offert. L'Adelantade n'en
alla pas moins jufqu'à leur Bourgade. Il n'y vit rien de plus remarquable
qu'un grand Edifice de bols, couvert de rofeaux, qui contenoit plulieurs
fépultures , dans l'une defquel'f^'S il trouva un corps fort fec, enveloppé
d'un drap de coton , & fi bir i c nbaumé qu'il n'avoit aucune marque de
corruption. Au-deiïïis de chaque Tombeau , on voyoit un portrait d'hom-
me, qui étoit apparemment celui du Mort, gravé fur une forte de tableau,
entre plufieurs figures de Bêtes; &, près du coips, ce qu'il avoit pofledé
de plus précieux («). Ces Indiens, ne paroiflant pas moins diitingués
par leur efprit que par la douceur de leur cara6lère, l'Amiral ordonna qu'on
en prît deux pour lui fcrvir de Guides , mais avec des mefures de politefle
& d'amitié qui fuflent capables de raffurer une Nation li douce. Cependant
on vit fortir, le lendemain, de la Bourgade, une multitude d'PIabitans,
qui s'etant avancés jufqu'au rivage , envoyèrent quatre Députés, dans un
Canot, pour fupplier qu'on leur rendît les deux Prifonniers. Ils apportè-
rent deux Porcs; &, dans le difcours qu'ils tinrent à l'Amiral, on comprit
qu'ils oflroient , pour la rançon de leurs Amis, tout ce qu'il lui plairoit
d'exiger. Mais il demeura inflexible, &fe contenta de leur préfenter di-
vers bijoux , qu'ils refuférent.
Le Vieillard des Ifles de Guanajos avoit affuré qu'on trouveroit de l'or,
dans un lieu qu'il avoit nommé Caravaro. On crut avoir tiré, des deux
Guides, allez de lumières pour s'y faire conduire. Les ancres furent le-
vées, le 5 d'06tobre, pour avancer vers le Levant, où la Mer formoit une
Baye longue de fix lieues, & large de trois, dans laquelle on découvroit plu-
fieurs petites nies. Cette !'aye avoit quatre bouches, par où les Navires
pouvoient entrer & fortir fans danger, & qui formoient autant de Canaux,
où, des deux cô:és , les branches des arbres touchoient aux cordages.
L'Amiral fit deicendre quelques Soldats dans une des Ifles. Ils y trouvè-
rent des Hommes nuds, avec des plaques d'or au cou, en forme de Patè-
nes , & fi luifantes , que les Hiftoriens leur donnent le nom de Miroirs. Ces
Infulaires parurent peu timides , après avoir parlé aux deux Indiens de Ca-
riari. Ils donnèrent, pour trois fonnettes , un Miroir, qui pefoit dix écus;
«Se lorfqu'on leur en demanda davantage, ils répondirent qu'on en trouve-
roit en abondance au Continent (o).
En
■ («) Ilcrrera, & Vie de Colomb, mûme Chapitre. (o) Ibidem.
CimifTOPns
&
BAnTHKI.EMt
CoLOMIi.
1502.
Diverfcs'
marcjucs de
leur fiinplici-
tc.
Tombeaux
Indien j.
Pays où l'A-
miral trouve
de l'or.
x*
Xnil Part.
122
PREMIERS VOYAGES
Christophe
&
lÎARTIIEl.F.Ml
COI.OM.1.
IV Voyiigc.
I 5 o ^.
Miroirs,
plnqiies & ai-
gles tl'or.
Terre de Ca-
ti'ua.
Roi du Pays.
Bonrg d'ITu-
liran.
Cubisa.
Découverte
«l'un Port que
rAiniral nom-
me Porto-
Ucllo.
Port di Baf
limcntos
Guixa.
Port el Re-
trette.
En elFet, les Barques s'ctant approchccs,le 7, du rivage de la Terre-
ferme, rencontrèrent deux Canots, ch;ir[ics d'Indiens, qui avoient pref-
qas tous des Miroirs au cou , & quelques-uns une autre figure d'or , feiti-
blable à celle d'un Aig'e. On prit deux de ces Indiens, dont ks Miioirs
pefoient, l'un quatorze teus, Si l'autre vingt-deux. Mais l'on vit bientôt
pareître un fi grand nombre de Canots, & les Indiens, armes d'arcs 6i de
Zd.^aïVs, montrèrent tant de dirpofitioii à défendre l'accès de leur Cote,
qUi' les iiarques prirent le parti de retourner à I3ord. Elles reçurent même
qu'^lques infultes, qui obligèrent l'Amiral de faire tircr*un coup de canon,
dont le bruit fit difparoître tous les Indiens. Il devint fort dillicile, après
ces hodilités, de renouer avec eux. Aulîi n'en tira-t'on que dix-neuf Mi-
roirs. De cette Terre, on s'avança vers une autre, qui fe nommoit Cati-
ba^ où l'Amiral fit mouiller à l'embouchure d'une grande Rivière. Les
Habitans s'ademblèrent d'abord fur le rivage; mais avec autant d'humanité
que de prudence, ils envoyèrent deux Hommes, dans un Canot, pour s'in-
former de ce qu'on defiroit d'eux, & quel étoit cet appareil étranger. Les
Députes entrèrent, d'un air ferme, dans le Vallfeau de l'Amiral; &, fe
liant tout-d'un-coup avec les Guides deCariari, ils donnèrent volontaire-
ment leurs Miroirs. Le commerce fuivit aufli • tôt cette marque de con-
fiance. Les Caftillans, defccndus au rivage, trouvèrent le Roi du Pays,
qui n'étoit diftingué des autres que par un Parafol de feuilles , qu*on lui
foutenoit fur la tête, «Se par les refpeèls qu'il recevoit de fes gens. Ce
fut lui qui troqua le premier fon Miroir ; mais fon exemple ne fut imite
que par dix -neuf de fes Sujets. L'Amiral, n'efpérant point de la force ce
qu'il ne pouvoit obtenir par la douceur, s'avança vers une Bourgade, nom-
mée Hurirafiy où il trouva les Indiens fi favorablement difpofés, que pour
trois douzaines de fonnettes il obtint quatre-vingt-dix marcs d'or. De -là,
il pafla dans une autre Habitation, qui fe nommoit Cubiga^ où finiffoit l'u-
fage de porter des Miroirs & des Aigles. Cette riche Côte efl d'environ
cinquante lieues, depuis la Bourgade de Caravaro (/>).
(3n arriva, le 2 de Novembre, dans un Port, que fa beauté fit juger
digne du nom de Porto - Bello. C'eft celui dont le nom s'efl: corrompu , de-
puis, en Fortobele. On y pafla fept jours, à la vue d'un Pays fort agréa-
ble, où les Terres étoient fi bien cultivées, qu'elles avoient l'apparence
d'un Jardin. Mais on n'y reçut , des Habitans , que des fruits , des vivres
6{ du coton filé. Quatre ou cinq lieues plus loin , l'Amiral s'arrêta dans un
autre Port, que la multitude de fes Habitations & des Terres cultivées,
lui fit nommer Puerto di Baftimentos. 11 y demeura jufqu'au 23, pour r»ipa-
rer le defordre de fes VaifiTeaux. Enfuite, après avoir paflTé devant un
lieu nommé Guiga^ où les Cafi:illans perdirent l'occafion de fe procurer des
vivres , & quelques pièces d'or , que les Habitans portoient au nez & aux
oreilles, il entra, le 26, dans un troifième Port, fort étroit, mais extrê-
mement profond , qu'il nomma El Retreîte. La difpofition du Canal , per-
mettant aux Vaifîeaux de s'approcher beaucoup de la Terre , les Caftillans ,
qui pouvoient defcendre fans le fecours des Barques , profitèrent de cette
fa-
(p) Herrera, Liv, 5. Chap. 6. Vie de Colomb, ulifuprà.
faciii
lorfq
fons,
arme
faifat
yer
pond
toien
Uï
les m
dans
rende
L'
EN A M E R I Q U E, Liv. r.
123
fa-
facilité pour fe lier tout-d'iin-coiip avec les Indiens du Pays. Cependant,
lorfqu'ils voulurent porrer la familiarité jufqu'à s'introduire dans leurs Mai-
fons , ces Barbares , qui leur avoient d'abord paru fort affables , prirent les
armes & femblèrent menacer les Navires. L'Amiral crut les intimider, en
faifant tirer quelques coups de canon à poudre feule ; mais loin de s'effra-
yer du bruit, qu'ils prirent apparemment pour celui du tonnerre, ils y ré-
pondirent par de grands cris , en frappant les arbres avec des bâtons. C'é-
toient les plus hauts & les plus vigoureux Indiens qu'on eût vCis jufqu'alors.
Un feul boulet, qui en abbatit quelques-uns, diminua leur audace &
les mit en fuite. Leur Pays efl fort uni, & couvert de grandes herbes,
dans lefquelles il fe trouvoit des Caymans d'une prodigieufe grofîeur , qui
rendoient une très forte odeur de Mufc.
L'Amiral, defefpérant de tenir plus long-tems la Mer, au milieu des
tempêtes qui commençoient à s'élever , & contre les vents d'Eil & de
Nord-Efl, qui devenoient fort impétueux, prit la réfolution de retourner
fur fes traces , pour chercher les Mines d'or qu'on lui avoir annoncées ,
proche d'un Fleuve , que les Indiens nommoient l^eragua. U reprit vers
Porto-Bello , où il arriva le 5 de Décembre. Mais , à peine eut • il remis
en Mer, qu'il y efïïiya, pendant trois femaines, les accidens les plus re-
doutables à la Navigation. Une furieufe agitation des flots, le feu du Ciel,
la faim, la foif , furent autant d'ennemis qui fembloient avoit confpiré fa
perte. Dans un fi long intervalle, on n'avoit fait qu'environ trente lieues,
depuis Porto-Bello, lorfqu'enfin on fe rapprocha de la Côte. L'Amiral lui
donna le nom de hs Contrajtcs. Outre le danger continuel de fes Vaiifeaux,
qui n'étoient échapés au naufrage que par une faveur extraordinaire de la
Providence, il voulut exprimer, par ce nom, fes douleurs particulières,
dans les accès d'une cruelle goûte , qui ne lui avoit pas laillé un infiant de
repos {q).
Il prit d'abord, pour le Veragua, une Rivière, que les Habitans du
Pays nommoient Tahra^ & qu'il nomma Bekm, après l'avoir reconnue, par-
ce qu'il y étoit entré le jour de l'Epiphanie , auquel les Mages entrèrent dans
Bethléem. Le lendemain, fur les lumières qu'il reçut des Naturels du Pays,
il paffa dans la Rivière de Veragua , dont il n'étoit éloigné que d'une lieue.
Après quelques obflacles , qui furent terminés par un traité d'amitié avec
les Indiens de rette Rivière , il reçut d'eux beaucoup d'or ; mais , pour ti-
rer plus d'avantage de leur commerce , ils feignirent qu'ils alloient chercher
fort loin ces richeffes , dans des Montagnes efcarpées , & qu'ils étoient
obligés de fe préparer à cette recherche par le jeûne & la continence. L'A-
miral affefta des difficultés à fon tour; & la Rivière de Belem lui ayant pa-
ru plus commode pour fes Vaiffeaux , il prit le parti d'y retourner. Bien-
tôt
CiiRiiTonw
&
BlRTriELEAM
COI.OMII.
IV. Voyuge.
1502.
Les Indicnn
ne s'efFrayent
point du ca-
non.
Concralles.
1503-
Rivière d'Va-
bra, que l'A-
miral nominç
Belem.
(î) Herrera fait une horrible dcfcrlptioii
de l'état des Caftilians. Entre les Phcnomcnes
extraordinaires de la Tempête, il raconte que
l'écume de la Mer brîiloit comme de l'eau
bouillante ; que ce qui rcfloit de bifcuit fe
trouva fi rempli de vers, qu'il fut impoHîblc
d'en manger; & qu'une trombe d'eau, fpec-
tnclc inconnu aux Caftilians , leur caufa un
genre de frayeur qu'ils n'avoient point enco-
re fenti. Cependant, dit il, ,, ilï y trouvé-
,, rcnt un fbuverain remède, qui fut de dire
,, l'Evangile de Saint Jean ; & ayant ainli
,, coupé la trombe ils s'en crurent garanti?
par la vcrtn divine". îibi fuprà, Cliap. 9.
q 2
124
PREMIERS VOYAGES
Christoi'iie
&
Bartiiei.emi
COLOMI.
IV. Voyage.
1503-
Il envoyé
fon l'"rèrc i\ la
Rivière de
Vcragua.
Montagnes
qu'il nomme
Saiiit-Chiillo-
plic.
Village de
Quibia.
Mines d'or
•VUrira.
Bourgs Du-
ruri, Zobra-
«ia & Cateba.
EtnblifTement
entrepris fur
les bords du
Belcin.
tôt les Indiens y accoururent en foule , pour faire avec lui divers échan-
ges. Ils apport'crcnt aulli de l'or, qu'ils donnèrent pour des grains de ver-
re, des épingles Oc des fonnettes. Cependant, comme l'Amiral nepcrdoit
pas de vue KÎ Rivière de Veragua , qu'il rcgardoit comme la fourcc des vé-
ritables trélbrs, il y renvoya Dom lîarthelemi, fun I rére, avec les Bar-
ques , pour remonter jiifqu'à la demeure d'un Cacique , nommé Quibia ,
dont on lui avuic vanté les richelles. Quibia fe lailfa facilement perluader
de rendre une vilice au Général des Efpagnols ; mais , dans la dilliculté de
s'entendre, cette entrevue n'aboutit qu'à des prélens mutuels. Les avan-
tages, que l'Amiral s'en étoic promis, furent encore retardés par un pro-
digieux débordement de la Rivière de lîelem, qui caulh beaucoup de dom-
mage aux Vaillciiux. Ces aceidens, auxquels elle ell Ibrt fujette, font at-
tribués à de fort hautes Montagnes, qti'on rencontre en remontant le Ve-
ragua, 6c qui reçurent , de l'Amiral, le nom de ^aiut- Chrijiophe(r).
Éniin , le calme ayant fucccdé à l'orage, Dom Barthelemi retourna, le
6 de Février , à la Rivière de Veragua, avec Ibixante-huit Hommes, &
monta l'efpace d'une lieue & demie, julqu'au Village de Quibia, pour s'in-
former du chemin des Mines. Le Cacique lui donna trois Guides, qui le
conduifirent , versl'Ouefl;, dans des lieux fort abonJans en or. Pendant
deux heures , les Caflillans en recueillirent ail'ez pour s'en retourner fort
contens de cet elTai. Ils apprirent bientôt que ces Mines n'étoient pas cel-
les de Veragua , dont Quibia n'avoit pas voulu leur donner connoiflance,
mais celles d'O/Va , demeure d'un autre Cacique, avec lequel il étoit en
guerre. Cependant, comme elles étoient fort riches, & que les noms im-
portoient peu, l'Adelantade fe rendit, le 16, à la Rivière même d'Urira,
lix ou fept lieues à l'Ouefl; de celle de Beicm. Il y fut agréablement reçu,
non-feulement par le Cacique & les Sujets; mais, ayant pénétré plus loin
vers d'autres Bourgades, qui fe nommoient Dururi, Zibrada & Cateba, il
ne fut pas moins fatisfait de leurs Habitans, qui occupoient un Pays fort
bien cultivé, & qui troquèrent, avec lui, quantité de Miroirs d'or, dont
chacun ne valoit pas moins de dix ou douze écus. La crainte de s'éloi-
gner trop des V^aiifeaux l'y fit retourner avec fes richc-fles. L'Amiral,
charmé de cette vue, prit la réfolution de former un Etabliflement fur les
bords du Belem, aflez près de fon embottchure, 6c d'y luifler fon Frère,
avec la plus grande partie de fes gens , tandis qu'il retourneroit lui - même
en Efpagne, pour en ramener de plus grandes forces. Il donna un Vaif-
feau 6c quatre- vingt Hommes à l'Adelantade, qui commença aulïi- tôt à fai-
re bâtir des Maifons de bois, couvertes de feuilles de Palmier, à la ma-
nière des Indiens. On en fit une plus rpacieufe, qui devoiti'crvir de Maga-
iîn, & dans laquelle on mit d'abord l'artillerie 6c tous les inftrumens nécef-
faires au travail. Les vivres furent laiffés à Bord , pour la filreté d'un fond
fi nécirflaire; quoiqu'on m fe crût pas menacé d'en manquer lur une Côte,
où le Poiflbn, du moins, c(t dans une extrême abondance. Les Indiens
faifoient d'cxcellens rets, & des hameçons d'os ou d'écaillé de Tortue. Au
lieu de fer, qui leur raanquoit, ils i'e fervoient des fils d'une efpèce de
Chan-
ce) Vie de Colomb, Tom, 2. Ciap. 33. Hcrrera, ubi fuprà, Chap. lo.
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
125
CnRi^TrptiB
BAHTiri.rkit
IV. Voyn.'V-.
G larix* con-
tre les Cad-
Chanvre, qui coupoicnt comme le fer même. Ils avoient du Maïs, donc
ils faifoient ilu Pain, & ditttrcntcs fortes de breuvages; fans compror leur
vin de Palmier, & d'autres arbres, (ju'ils rendoienc fore a;^réable, en y mè-
l;\nc des épices & divers fucs. Le luccès du travail répondit à h diligence
des Ouvriers; & cetEtablillcment, quoique de courte durée, fut le premier
qii^ les Efpagnols formèrent dans le Continent (s).
Mais l'Adelantad^. remarqua bientôt que les Indiens fouffroient impatiem-
ment Ion entreprile, & qu'ils étoitnt ofFenfés de voir bâtir à leurs ycnx,
fans avoir été conlulcés. L'Amiral étoit retenu dans la Rade par les vents
contraires, qui avoient fait périr fa Chaloupe; & le danger continuel de (e
brifer contre la Cote lui otoit le moyen d'être informé de ce qui le paflbit
au rivage. Sa vue néanmoins avoit contenu les Indiens dans la Ibumilllon.
Mais, jugeant enfin des obUacles qui l'arrétoient, ils témoignèrent allez de
chagrin, pour faire foupç;onner, qu'après fon départ ils penibient à brflL'r
la nouvelle Bourgade. Uom Bartiielemi fe crut obligé de les prévenir. Il
partit, le 30 de Mars, à la tête de foixante & quatorze Hommes, pour
entrer dans les Terres de Quibia, qu'il reg'irdoit comme le plus dangereux
de fes Ennemis. Ce Cacique, apprenant qu'il s'approchoit, le fie prier de
ne pas monter jufqu'à fa Mai fon , qui étoit fituée fur une éminence, au
bord du 'Veragua. L'Adelantade vouloit le furprendre. 11 ne laifia pas de
continuer fon chemin, mais avec cinq Hommes feulement, après avoir
donné ordre, à ceux qu'il paroillbit laifler derrière lui, de filer deux à deux,
& de le fuivre de fi près, qu'au bruit d'un coup d'arquebufe ils puninc
être en état d'environner la Maifon. En avançant, il rencontra un fécond
MeflTager de Quibia , qui le faifoit fupplier de ne pas entrer dans fa Rlailbn,
& qui lui prometcoit de fortir pour le recevoir. L'Adelantade jugea que
cette prière du Cacique, venoit moins de fa défiance, ou de fa crainte pour
lui même, que de fa jaloufie pour fes Femmes. Comme il n'étoit plus qu'à Comment
vingt pas de ("ts murs , il lui laifia le teras de venir à fa l^orte; & , donnant ^^ OicifjMc Je
ordre à fes cinq Hommes de fe jetter fur lui, lorfqu'ils le lui verroienc fai- ^'^."'"'' ^^^
fir par le bras, il s'approcha de lui avec un ieul Indien, qui entendoit affez ^'''^'
les deux langues pour lérvir d'Interprète. 11 eut avec lui quelques momens
d'eniretiv-îi, pendant lefquels il trouva le moyen de le prendre au collet.
Les premiers mouvemens furent très vifs , parce que le Cacique étoit d'une
force égale à la iienne. Mais les cinq Cafl:illans , étant accourus , en tirant
un coup d'arquebufe, qui fit paroitre aulîî-tôt tous les autres, n'eurent pas
de peine à fe rendre maîtres, & du Cacique & de cinquante perfunnes qui
étoient dans fa Maifon. C'étoient fes Femmes, les EnBms, ô: plulLurs
Indiens , de fes Amis ou de Cas Sujets. Cette malheureule troupe oiirit de
grandes richeOes, pour fa liberté. Mais l'Adelancade, afiez lùr c]ue l'or
du Pays ne lui échapperoit point , lorfqu'il en auroit les Maîtres dans {'i:s
chaînes, les envoya fur le champ vers fon Vailleau, ^ s'arrêta dans la
Mai-
(s) Ik-rrcra, Cba[). 10. Vie de Colomli,
Cbap. 35- I-i Province de Vciaguu fut éii^^éc
enfuite en Duché, pour Louis Colomb, l'ctit-
lils de Chrillophc , (Scpalili, pur fa Sœur lùi-
bellc, dans ur,e Brandie de la Maifon de
Bragance, qui i(l tombée, de nos jours, clans
celle de JLiria liervjick.
<^
\i6
PREMIERS VOYAGES
ClIRISTOriIE
lÎAiniICl.F.Ml
CoLOMt).
IV. Voyage.
1503-
11 éciiappe
à ceux qui !c
incnoitnt pri-
fonnicr.
lUitin lies
CV.llillans.
Vengeance
de Qiiibia.
VMiïll:clcr;i^
fcinMiPi ia
jionvclle Co-
lonie.
Maifon avec le refle de Ton Détachement, pour faire face à ceux qui pour-
rount entreprendre de les fecourir.
(^L'iBiA fut livré, pieds d' mains liés , à un Cartillan fort réfolu, qui rd-
ponùit de lui fur fa tête. On fit entrer tous lesPrifonniers dans les Barques,
pour leur faire dei'cendrc la Rivière. Le Cacique, qui étoit fous les yeux
dj fou Cîarde, & lié même au bord de la Barque, fc plaignit, pendant la
route, d'avoir les mains fi ferrées contre le bois, qu'il fouffroit une vive
douleur: un fenciment de compalïïon porta le Garde (r ) à le détacher, pour
fe contenter de le tenir en lefle. A l'entrée de la nuit, lorfqu'on s'appro-
choit de l'embouchure du Fleuve, Quibia prit un moment où il fe fentic
moins ferré, & Ce précipitant dans l'eau, il y entraîna fon Homme avec
lui. On n'a pas l(;ri co.nrn .nt il avoit trouvé le moyen de nager avec fes
liens; mais les ténèbres aidèrent à fa fuite, <k l'on fut bientôt allure de fa
vie par les entrepri.'cs qu'il forma pour fe varger. Les autres IVifonniers
furent conduits plus heureufemcnt jufqu'au Vaifleau.
J^Adllantadi. y retourna, quelques jours après, avec les .dépouilles du
Cacique, qui conlîlloient en quantité de Miroirs 6i d'Aigl.s d'or, en grains
du même métal, dont les Indiens faifoient des colliers Ck des braflelets, &
en trenes,dont ils fe faifoient des couronnes. Il avoit vifité les'i'erres voi-
fines, qui lui parurent couvertes de Bois 6i remplies de Montagnes. Les
Habitations, d'ailleurs, étoient fi éloignées les unes des autres, qu'il avoit
defefperé de tirer d'autres avantages de cette expédition. A fon retour, la
Mer devint aflez calme pour lui permettre de conduire fes Prifonniers &
fon butin à l'Amiral , qui difliribua l'or entre fes Equipages , après en avoir
pris lu cinquième partie pour le Roi.
Rii;n ne s'oppofant plus à fon départ, il laiiïa de nouveaux ordres pour
la fCireté Je la Colonie; <S:, pendant que fa Barque étoit à faire de l'eau, il
alla mouiller au-delfus de l'embouchure du Beleni. Quibia, furieux de fon
avanture, & fartout de la perte de i'as Femmes, obfervoit tous les mouve-
mens de t:s Ennemis. Il avilit eu le tems de raflembler un Corps d'Indiens
afllz confidérable; &, voyant les trois Navires éloignés, il vint fondre,
avcc une horrible furie, fur le nouvel Etabliffement. On ne s'étoit point
apperçu de fon approche, parce qu'il s'étoit couvert de la Montagne; &
les cris épouvantables, qu'il titjetter à fes gens, en defcendant fur la rive
du Fleuve, firent trembler les plus braves Caftillans. Leurs Maiibns, qui
n'étoicnt couvertes que de feuilles féches, furent en danger d'être brûlées
au premier inllant , par une grêle de dards , que ces Barbares avoient allu-
més par un bout. Mais, cet artifice ayant produit peu d'effet dans l'éloigne-
ment, l'Adelantade rappella tout fon courage pour s'avancer vers eux avec
une partie de fes gens, «ilies repoulfa jufques fur la Montagne. En vain fi-
rent-
' t) C'cfi Ilcrrcni qu'on fuit ici. Fcnv.-.nd
Colomb s'en écarte un peu. Il nomme ce
Callillan Snncics. Ce fut, ilicil, r.prds
avoir pafie l'cmboucluire du l'Ieuve , d'une
demie lieue, que Quibia , ou Quibio, fe
plaif^ric {[uc fes mainr, étoient trop ferrées,
l.c iuûme liidoricn, rnrportant la manière
dont Quibia fut enlevé [ nr l'Adelantade,
dit qu il vint s'adeoir à fa porte; que l'Ade-
lantade, ayant fçu qu'il étoit bleiVé, demanda
à voir fa blefl'u"re , & (jue pendant qu'il
ôtoit fa bande, il le faifit &. le tint li bien
qu'il ne put lui écbnppcr. Coup. 3 \.
qui
ces
lu-
;ne.
vec
fî-
bien
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
'îi?
rent-ils face pUifieurs fois, pour lancer leurs tIarJs. I-cs fabrcs des Caf^il-
lans, dont ch.H|Uc cotu) leur emporcoit queKiuc memorc, Ck K.s cru.-lk'S
'Tiorliircs d'un i^ros Djruc, qu'ils redoutoii-nc autant que k iranclianc du
loi" leur 11. jnt chercher leur lalur. dans la fuite. Te ne lut pas néanmoins
fans avoir tm- un de leurs Knncmis, & fans en avoir blciré daurjerculcm- nt
plufieurs. L'Adclaiitade meine reçue un coup de dard, ru milieu de l'ello-
mac. La Ibniue de l'Amu-al, qui entroic alors dans la Rivière, n'eut cjuc
ieVpeiflaelc du combat. Ceux qui la conduiibienc crurent ks Indiens p-it
redoutables, après une déroute qui devoit avoi'- répandu l'eirioi dans rouie
la Nation. Ils s'avancèrent, malgré les avis (I-j l'AdelantaJc, julqu'à des
Canaux d'eau douce, où celle de l;i Mer n'a pomt de commimicaiion.
Mais, pendant qu'ils y rempliflToient tranquillement leurs tonneaux, des
légions d'in/iiens, qui s'étoienc caches dans des lieux couverts d'arbres,
tombèrent fur eux avec leurs armes & leurs cris ordinaires. Le Capitaine,
nommé 'Dijtan , après s'être lon,'!;-tems défendu, fut frappé dans l'œil droit,
d'un coup de dard , dont il expira fur le champ. Tous les autres furent ac-
cablés par le nombre, à l'exception d'un feul, qui, étant tombé dans la
Rivière, fe laiifa emporter l\ lieureufetnent au fil de l'eau, qu'il arriva de-
vant la Bourgade Callillane. Les triftes nouvelles, qu'il y apportoit, y jet-
tèrent la con'lernation. L'Adelantadiï comprit que les Indiens, animés par
l'avantage qu'ils venoient d'obtenir, fe radembleroient en plus grand nom-
bre, pour l'attaquer dans fes foibles murs; & qu'avec beaucoup de malades
& de blelTés, il ne feroit pas long-tems en état de leur réfifter. Son
"Vailleau écoit échoué, par la retraite des eaux. Les corps des Matelots
de la Barque, qui Ilottoient fur la Rivière, & fur lefquels on voyoit volti-
ger diverfes fortes d'Oifeaux de proye, furent regardés de tous fes gens
comme un préfage fimefte. Il fe vit forcé , par leurs plaintes , de pafier
dans une Prelqu'llle, où la Rivière ne laifloit qu'un palfage étroit du cô-
té de l'Efl:. Un Boulevard, qu'il y fit faire avec les tonneaux des vivres,
& devant lequel il pointa fon Artillerie, lui donna quelque relâche; parce-
que les Indiens n'ofèrent paroître à la portée des boulets (v).
D'un autre coté , l'Amiral , qui n'avoit pas vû fa Barque depuis huit jours ,
& qui ne rccevoit aucune information de fon frère , fouflVoic tous les
tourmens d'une vive inquiétude. Elle fut augmentée par une autre dif-
grace. Les Temmes, les Enfans & les Amis de Quibia, qu'on avoit ame-
nés dans fon Navire, étoicnt enfermes, chaque jour au foir, fous le tillac ,
près de l'ccoutille, qui efl: une coulille quarrée, dont on fermoit la cham-
bre de poupe, avec une chaîne, fon cadenat & fa clé. Ils ne pouvoient
atteindre à la coulllfe ; mais , ayant conçu qu'ils n'avoient pas d'autre voye
pour s'échapper, ils eurent l'adrefle de fe faire des dégrés de pierres de leil,
qui étoient au fond du Vaifleau,* & les ayant élevées jufqu'à la coulifle,
fur laquelle quelques Matelots étoient couchés, fans y avoir pafle la chaîne,
qui auroit rendu leur fituation fort incommode, ils la pouffèrent de leurs
épaules, avec tant de force, qu'ils renverfèrent tout à la fois, l'ais, & les
Matelots qui dormoient deflus. Les plus heureux, c'efl-à-dire, ceux qui
paiTè-
(») HcTïcra fc Vk de Colomb, ibidtm.
' .*■'•■ 's '".'.'
' . ' .V-
;,' , ■•;■■'•;•;.
■'''.;'•.'."• "
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1' '■■ , .' ••
IUrT.'IHI.I'.MI
CiM.oivi. . '.■'''■
IV Vov«rA •
1503.
lU'iibioini. ■•
1 " *
• '■ ■■
Plufirur»
Prlfonnicrii
s'cchuppt-nt
(la Vaiiicnude
l'Amiral.
■* •;
128
PREMIERS VOYAGES
Christophe
&
Barthelkmi
CoLOMn.
\V. Vcjyage.
1503-
Fin clcfclpc-
ICO des autres.
d'LinCuUlIjn.
Eir.I^aiTns
lie l'Ainiial
poiif fauvcr
ion I itTC.
La Colonie
eil abandon
née.
Retour de
J'Aniival&de
T)oni Barthc-
L'ini.
Ides aux-
(jucilcs ils
donnent des
noms
Las Barbas,
de.niis, S.
Blaife.
Las Tortu-
«;as, depuis,
los Caynia-
nés.
pairèrent les premiers, fe jcttèrent aiifTi-tôt-dans la Mer. Mais, le bruit
ayant attire d'aqtres Matelots, qui fermèrent auiritùt l'écoutille, ceux qui
fe trouvèrent enfermés ne confukèrent plus que leur dcfefpoir, & fc pen-
dirent aux cordages. Le lenden:ain, en les vifitant, on les trouva tous
étrangles , foie que fucceflivement ils fe fuflent rendus ce funefte oifice juf-
qu'au dernier, ou que l'emportement de leur rage leur eût f^iit vaincre les
difticultés; car ils avoient les pieds, & même les genoux, fur le fond du
Navire, parmi le lell, qui ne leur avoit pas laifle allez d'efpace pour le
pendre dans toute leur étendue (.v).
Au milieu de ces horreurs , & fans autre refTource que les cribles , qui
tcnoient encore aux ancres, quelques Matelots offrirent, à l'Amiral, de fe
rendre au rivage, quoiqu'on en iùc éloigné de plus d'une lieue, & que,
depuis plufieurs jours, on eut tout à craindre de la fureur des venus. Mais
ils étoient encouragés par l'exemple des Indiens, qui n'avoient pas redou-
té le danger, pour fauver leur vie. Ils demandèrent uniquement que la
feule Chaloupe, qui relloit aux trois VaifTeaux, & trop précieufe pour être
rifquée témérairement, les menât jufqu'à l'endroit où les vagues perdoienc
un peu de leur force, & d'où ils étoient réfolus de palier le reîle de la
diilance à la nage. Cette ofire fut acceptée. Pierre Lcdefmay un des Pi-
lotes, fut celui qui eut le courage de fe jetterdans la Mer irritée, & qui,
nageant tantôt fur les vagîmes, tantôt entre-deux ou deflbus, aborda heu-
reufement à la Côte. Après avoir vu l'Adelantade, & jugé par ^k^s yeux
du miferable état de la Colonie, il retourna aux VailTeaux avec le même
bonheur. Son récit détermina l'Amiral à tout entreprendre, pour fauver
fon Frère & les Malheureux qu'il avoit Jbus fes ordres. La rigueur du
tems ne cefla pas de s'y oppofcr pendant plufieurs jours ; mais, enfin, les
vents s'étant appaifés, l'Adelantade, qui ne vit plus de péril qu'à traverfer
Je courant du Fleuve, amarra fa Chaloupe entre deux grands Canots,- &
dans l'efpace de deux jours, il fit tranfporter, furies deux VailTeaux, fes
gens & tout ce qifil avoit de précieux. Il ne refla, fur la rive du Fleuve,
que le corps de \'q\\ Navire, dans un état qui le rçndoit inutile, & qui ne
permetioit pas de le regretter (v). •■
Alors, on profita du premier vent pour remettre à la voile; &, remon-
tant à l'Ell:, lans perdre de vue la Côte, on arriva dans peu de jours â
Porto-Bello. JSIais on fut contraint d'y abandonner un des trois Vailîeaux,
qui faifoit eau de toutes parts, & qu'il fut impoffible de radouber. De-là,
les deux autres paflerent au-deffus du Port del Retrette vers plufieurs pe-
tites liles, (\ViQ\ Am\\'di\ novnxn-A las Barbas , & qui ont pris, depuis, le nom
de Saint-BlaJfe. Dix lieues plus loin, on réfolut d'abandonner le t ontinenc,
& de prendre la route du Nord pour retourner à l'ille Efpagnole. Un fi
long Voyage, & tant de difgraces, avoient rebuté tous les Caflillans. Il
ne leur reftoit qu'un peu de bifcuit rongé de vers. Les jours <!k les nuits
étoient employés à faire jouer trois pompes, qui ne fuliifoient pas pour
foula2;er les VaifiTeaux. Ils abordèrent, le i j de Juin, à deux petites Illes,
dont les bords étoient couverts de Tortues ; ce qui leur fit donner le nom
de
(,v) Ibidem.
()ij Ibidem.
EN AMERIQUE, Liv. I.
129
de las Tortugas. On les a nommées, depuis, loi Caymanes. Elles font é-
ioignées de vingt lieues à l'Oueft de la Jamaïque , & de quarante-cinq au
Sud de Cuba ; avec l'avantage d'être les feules fur toute la route que l'A-
miral avoit fuivie. De-Ià , il entreprit d'aller mouiller aux Ifles de los Jar-
dines, qui ne font qu'à dix lieues de Cuba; mais il s'éleva tout -d'un -coup
un vent fi furieux , que les deux Navires, s'étant choqués avec beaucoup
de violence, furent confidérablement endommagés, & n'eurent pas d'autre
reflburce que d'aborder à l'ifle de Cuba, dans un Village nommé Maxaca,
où ils reçurent quelques fecours. Enfuite, ayant voulu tourner vers l'Ef-
pagnole , les vents & les courans les forcèrent de relâcher à la Jamaïque.
Ils étoient entr'ouverts, & l'eau montoit fur le tillac, lorfqu'ils arrivèrent
dans un Port , que la joye de s'y voir en fureté fit nommer Fuerto-Bueno ,
quoiqu'il ne s'y trouvât point d'eau ni de vivres. On s'efforça de paffer dans
un autre , auquel on donna le nom de Santa - Gloria : mais à peine les deux
Vaiffeaux y étoient entrés, que ne pouvant plus fe foutenir, il fallut pren-
dre le parti de les faire échouer. Dans cet état , ils furent amarrés enfem-
ble, avec de bons cables, & par des échafaudages, qui les rendoient im-
mobiles. Bientôt ils furent remplis d'eau jufqu'au tillac; & l'Amiral
fit conîlruire des Barraques aux deux bouts , pour le logement des Equi-
pages (z).
La plus preflante de fes néceffités étoit les vivres. Il en obtint, des In--
fulaires , par l'échange de diverfes marchandifes de l'Europe , pour lefquel-
les ils étoient paffionnés. Ils donnoïent deux Oyes pour une feuille de lai-
ton , deux de leurs Pains pour deux grains de verre , & ce qu'ils avoient de
plus précieux pour des fonnettes. L'Ifle étoit abondante en toutes fortes de
commodités, & les Habitans, d'un naturel fort humain. On obtint d'eux
dix Canots, pour fervir aux Vaiffeaux échoués. L'Amiral, dans la crainte
de voir troubler, par la mauvaife conduite de fes gens, une bonne intelli-
gence fi néceffaire à fa fituation , les retint dans leurs logemens par des or-
dres fort févères. Enfuite, fe trouvant fans Ouvriers , & ne voyant aucu-
ne apparence de pouvoir rétablir fes deux Vaiffeaux , il prit la réfolution de
donner de fes nouvelles au Gouverneur de l'Efpagnole, & de faire acheter,
dans cette Ifle , parCarvajal, auquel il avoit remis le foin de fes affaires,
un Bâtiment tout équipé, pour s'y tranfporter avec les débris des fiens. Ce
Voyage n'étoit pas une entreprife aifée. On ne comptoit pas moins de
deux cens lieues, du lieu où l'on étoit jufqu'à la Capitale de l'Ifle Efpagno-
le, du moins en fuivant les Côtes des deux llles,- car la traverfe n'étoit que
de trente lieues: mais, quel moyen de prendre cette route, avec de petits
Canots, qui n'avoient prefque pas de bord, & que la moindre vague étoit
capable de remplir ou de renverfer? Le Golfe n'a d'ailleurs qu'une feule Kle,
ou plutôt une Roche, nommée Navafa, à fept ou huit lieues de l'Elpagno-
le; & quoique vingt-quatre heures fuffifent ordinairement pour faire ce tra-
jet de TEil à rOuelt, les vents y font quelquefois employer plus d'un mois
dans la pofition coniraire, qui étoit celle desCallillans.
Cepen-
Christophe
&
rARTIIEIESIt'
Cor.oMn.
IV Voyage.
1503-
Ils font for-
cés de relâ-
chera la Ja-
maïque.
Puerto-
Bueno, &
Saina-Gloria.
Trille état
de leurs Vaif-
feaux.
Mefures &
Régicniens de
l'Amiral, pour
fa fureté.
Difficulté
qu'il tioivei
donner de fes
nouvelles à
l'illeiirpagno.
le.
(2) Herrera, Liv. 6. Cbap. 2. & 3. Vie de Colomb. Cbap. 39,
Xrni. Part. R
130
PREMIERS VOYAGES
Christophe
&
Barthklemi
Colomb.
IV. Voyage.
1503.
Hardieflcdc-
deux Cailil
lans qui l'en-
treprennenc.
Lettre de
l'Amiral aux
Rois Catholi-
ques.
Navigation
fîngulièredei
deux Avantu-
riers Caflii-
lai)s.
Cependant, il fe trouva, parmi eux, deux Horames aflez hardis pour
fe charger du fuccès d'une fi téméraire entreprife; l'un nommé Diego Mendez^
qui faifoic lOffice de Notaire fur l'Efcadre; l'autre, Génois, qui Te nom-
moit Fiefchif & que fes grandes qualités rendoient cher à l'Amiral. Ils pri-
rent chacun, dans leur Canot, fix Caflillans & dix Indiens, avec tous les vi-
vres qu'ils y purent faire entrer. Mendez eut ordre de prendre la première
occafion pour palier en Efpagne; &Fiefchi, celui de revenir promptement,
avec le VaiiTeau qu'on efpéroit de Carvajal. Ils reçurent tous deux des Let-
tres de l'Amiral; le premier, pour Leurs Majellés Catholiques (aj; & l'au-
tre, pourOvando, qui n'avoit encore donn uucun fujet , aux CoIombs,de
fe défier de fes difpolitions.
Les deux Canots fe mirent en Mer le 7 de Juillet. Mendez^ Fiefchi , &
les autres Caflillans, n'avoient que leurs épées, & des boucliers. Avec fi
peu d'envie d'attaquer & de nuire, ces armes fuffifoient pour leur défenfe.
Les Indiens furent chargés du foin des vivres , & de l'eau qu'ils avoient
dans des Calebafles; &, pour ménager une provifion fiprécieufe, on leur
fit promettre, fur leur vie, de fuivre les loix qu'on leur avoit impofées.
L'Adelantadc conduilit fes deux Canots jufqu'à la Pointe de l'Ifle, dans la
crainte qu'ils ne fuflent arrêtés par les Infulaires de cette partie, avec la-
quelle on n'avoit encore fait aucuns liaifon. Là, furie foir, après avoir
imploré ardemment le fecours du Ciel, ils commencèrent à prendre leur
route vers le milieu du Golfe. Les Indiens, ramoient incefiamment ; &
Jorfqu'ils étoient fatigués de la chaleur ou du travail, ils fe jettoient un mo-
ment dans la Mer, d'où ils fortoient avec un renouvellement de fraîcheur
&
(a) Elles étoient fort touchantes. Her-
Tcra nous en a confervé la llibllance. „ A-
près y avoir rendu compte de fon Voyage ,
des malheurs & des périls qu'il y avoit
efluyés, des Terres qu'il avoit découver-
tes, & des riches Mines de Veragua,
il faifoit un dénombrement de fes fervices
&de fes travaux, depuis qu'il s'étoit atta-
ché à l'Efpagne. 11 y peignoit vivement fa
prifon & celle de fes Frères , la tache qu'el-
le avoit imprimée à Thonneur de fa Famil-
le, & la perte du fruit de toutes fes pei-
nes. Jfimais perfonne n'avoit acquis de
plus jufles titres à la faveur de les Mnî-
tres, & jamais on n'avoit vu de Serviteur
plus maltraité, 11 leur demandoit de le
rétablir dan? un état qu'il n avoit pas mé-
rité de perdre , de lui accoidcr quelque
réparation pour les torts qu'il avoit reçus,
& fur-tout défaire punir ceux qui l'avoient
traité avec tant d'injullice. Il ir.vitoit le
Ciel & la Terre à pleurer fes difjraces.
Je n'ai eu jufqu'à préfent, difoit-ii,
que des fujets de larmes, & je n'ai pas
cclfé d'en répandre (^ue le Ciel me falfe
mifiricorde, &. que la Terre pleure puur
moi! Que ceux qui ont de la. chante, de
la bonne foi & de la juflice, mêlent leur»
larmes avec les mennes.' 11 faifoit obfer-
ver, au Roi & à la Reine, qu'après vingt
ans de fervicc , après des fatigues fans
exemple, il ne favoit pas s'il poffédoit un
fou; qu'il n'avoit pas une Maifcn à lui; &
que, dans toute l'étendue de leurs Etats,
fa feule relTource, pour la nourriture & le
fommeil , c'eft-à-dire pour les befoins les
,. plus coiiiunins delà Nature, étoit les Hô-
„ tellerics publiques. 11 parloit avec beau-
,, coup de reTpefl; de la Religion, & de la
,, néccffité où il feroit bientôt de recevoir
„ les fieours de l'Eglife, accablé, comme
,, il étoit , d'années & de maladies. 11 pro-
„ tcftoit que, dans cette langueur, ce n'é-
„ toit pas le defir de la fortune & de la gloire
„ qui lui avoit fait entreprendre fon dernier
,, Voyage , mais le pur zèle & la fincère in-
,, tention de firvir Leurs Majeflés jufqu'au
„ dernier tpuil'emci't de fes i'orces ; après
,, quoi, s'il lui en refloit affez pour retour-
„ ner en Cnflille, il leur demandoit d'avan-
„ ce la perniillîon de faire le l'élerinage de
,, Rome, & de vifîter d'autres lieux de pie-
„ té", ilerrera, ibidem.
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
131
& de force. A l'arrivée de la nuit , on avoit déjà perdu de vue la Jamaïque.
Lt s Caftillans fe mêlèrent alors avec leurs Rameurs, non-feulement pour
les foulager , mais dans la crainte que , fe rebutant d'une fatigue fi conti-
nuelle, ils ne fuflent capables de quelque funefle entreprife. Le jour fui-
vant, ils fe trouvèrent tous fi las, que les deux Capitaines fe virent obligés
de mettre aufli la main à la rame. Le plus terrible obftacle étoit un Soleil
brûlant, à l'aftion duquel on ne pouvoit rien oppofer. Il en fit bientôt naî-
tre un autre. Les Indiens, ne réliftant plus au feu, dont ils étoient confu-
més, oublièrent la loi qui menaçoit leur vie, ôc fe hâtèrent trop de vuider
les Calebaiîes. On fe vit dans la néceflîté de fermer les yeux fur un defor-
dre, dont les fuites ne laiflbient pas d'être effrayantes. Avant midi, les
Caftillans furent réduits à leur petite provifion de liqueurs , avec Tobligation
même d'en diftribuer une partie aux Indiens, pour les foutenir jufqu'à la
fraîcheur du loir. Le fécond jour apporta d'autres inquiétudes, parce qu'a-
près de fi longs tourmens , on ne découvroit point la petite Ifle de Navafa ,
où l'on avoit efperé de trouver du moins de l'eau fraîche , & qu'on craignit
d'avoir manqué la route. On avoit déjà jette dans les flots un Indien mort
de foif. D'autres étoient étendus fans connoifliance , & les plus robuftes
s'attendoient au même fort. Les liqueurs mêmes étant épuifées, leur uni-
que rafraîchiflement étoit de prendre dans la bouche un peu d'eau de Mer ,
qui ne faifoit qu'augmenter leur altération. Enfin, la lumière de la Lune, qui
parut à demi couverte en fe levant , leur fit juger que c'étoit flfle qui cau-
foit cette efpèce d'Eclipfe. Ils y arrivèrent heureufement à la pointe du
jour. Elle n'a pas plus d'une demie lieue de circuit ; & loin de contenir
de l'eau douce, elle n'eft compofée que de Rochers fort pointus. Cepen-
dant, il s'y trouva des reftes d'eau de pluye, dans diverfes fentes. Mais
ce fecours devint funefte aux Indiens. Ils en burent avec tant d'avidité ,
que plufieurs en moururent fur le champ , & d'autres tombèrent dans de
grandes maladies. L'expérience ayant appris, aux Caftillans, à fe modé-
rer dans ces dangereufes circonftances , ils prirent d'abord quelques Poiifons,
qui fe préfentèrent fur le rivage, pour appaifer, par degrés, l'excès de
leur foif & de leur faim. U'.i jour de repos, dans l'ille, rendit un peu de
vigueur à ceux qui avoient été capables de cette modération. Comme ils
découvroient déjà le Cap de l'ille Efpagnole, que l'Amiral avoit nommé
Saint- Michel y & qui a pris, dans Ja fuite, le nom de Tiburon^ il leur fut
aifé d'y arriver avant la fin de la nuit {b). ]\s y apprirent que le Gouver-
neur Général étoit dans la Province de Xaragua.. Mendez rentra dans fon
Canot, pour fe hâter de prendre cette route, en fuivant la Côte, pendant
que Fiefchi fe rendit , avec la même diligence, à San-Domingo. Mais ils
furent long-tems arrêtés tous deux, par les fuites d'un événement, qu'on
ne peut fe difpenfer de rapporter après les Ecrivains Efpagnols, quoiqu'il
fafi'e peu d'honneur à leur Nation.
Il fembloit alors, fuivant la réflexion de l'Hiftorien de cette Ifle, que
la qualité de Gouverneur fut contagieufe, & qu'elle transformât les Hom-
mes du naturel le plus doux & le plus modéré, en Tyrans fufcités pour la
deftruc-
CHRI«TOPnB
&
Barthelemi
COI.OMD.
IV. Voyage.
^503.
Ils arrivent
à ride Efpa-
gnole.
Barbare en-
treprife d'O-
vando.
(/;) Herrera, Liv, 6. Cbap, 3.
R 2
Christophe
&
Barihclemi
COI.OMI.
IV. Voyage.
J[ 5 o 3.
Comment
ilfedéfuit Je
la Princellc
AnacoLina, &
de tous les
Seigneurs du
X;UMgu;i.
r'ruclle pcr-
f du Gou-
Vcincur.
132 PREMIERS VOYAGES
defl:ru6lion des Indiens. Ovando, donc on loue d'ailleurs la fagefTe & la
piété , ne fe vit pas plutôt en poUeflion du pouvoir fuprême , qu'entre les
mefures, qu'il jugea néceflaires pour confénir ces Malheureux dans la fou-
milîion , il prit la réfolution de dépeupler une de leurs plus grandes Provin-
ces. On n'a jamais bien expliqué quels furent particulièrement Tes motifs;
mais, par un incroyable oubli de Ton propre caraftère, il ne fit pas difficul-
té d'y employer également la perfidie & la cruauté. On a vu que depuis
le foulevement de l'Alcalde Major, Roldan Ximenés, il étoit relié , dans
le Xaragua, un aflez grand nombre de* fes Complices, qui n'avoient pas
celle d'y vivre avec beaucoup de licence , & fur lefquels on croyoit avoir
beaucoup gagné en les empêchant de caufer de nouveaux troubles. Le Ca-
cique Bohechio étoit mort , depuis peu , fans enfans ; & fa Sœur Anacoa-
na avoit fuccedé à fes Etats. Cette PrincelTe, par le goût qu'elle avoit tou-
jours eu pour les Callillans, s'étoit d'abord appliquée à bien traiter ceux
qu'elle y avoit trouvés établis; mais elle n'en avoit été payée que d'ingra-
titude, <5c peut-être la haine avoit-elle fuccedé à fon affection. Ils fe le
perfuadèrent du moins, parce qu'ils dévoient s'y attendre; &, départ &
d'autre, ce changement produifit quelques hollilités. Quoiqu'elles euflenc
peu duré, les Caftiilans mandèrent, au Gouverneur Général, que la Reine
de Xaragua méditoit quelque deflein, & qu'il étoit important de la préve-
nir. Ovando connoiflbit lecaraélère de ceux qui lui donnoient cet avis. Ce-
pendant , il prit ce prétexte pour fe rendre dans la Province", à la tête de
trois cens Hommes de pied & foixante & dix Chevaux , après avoir publié
que le fujet de fon Voyage étoit de recevoir le Tribut que la Reine devoit
à la Couronne de Cafl:ille,& de voir une Princefle,qui s'étoit déclarée, dans
tous les t'^'ms , en faveur de la Nation Efpagnole.
Anacoana reçut cette nouvelle , avec de grandes apparences de joye. Soie
qu'elle n'eût rien à fe reprocher, ou qu'elle fe crût fûre du fecret, elle ne
parut occupée qu'à faire au Gouverneur une réception digne d'elle & de lui-
Elle aflemblâ tous fes Vaflaux, pour ^rolîir fa Cour, <& donner une haute
idée de fa puiflance. Les Ecrivains Lfpagnols en comptent jufqu'à trois
cens, auxquels ils donnent le titre de Caciques. A l'approche du Gouver-
neur, elle fe mit en marche pour aller au-devant de lui, accompagnée de
cette Nobleffe (S: d'un Peuple innombrable, tous danfant à la manière du
Pays , & faifant retentir l'air de leurs chants. La rencontre le fit aflez pro-
che de la Ville de Xaragua , & l'on fe donna mutuellement des marques de
confiance & d'amitié. Après les premiers complimens, Ovando fut con-
duit, parmi des acclamations continuelles, au Palais de la Reine, où il
trouva, dans une Salle très fpacieufe, un Feflin qui l'attendoit. Tous fes
gens furent traités avec profulion , & le repas fut fuivi de danfes & de jeux.
Cette Fête dura plulieurs jours, avec autant de variété que de magnificence;
& les Callillans ne purent voir, fans admiration, le bon goût qui règnoic
dans une Cour barbare.
Ovando propofa, de fon côté, à la Reine de Xaragua, une Fête à la ma-
nière d'Efpagne, pour le Dimanche fuivant, & lui fit entendre que, pour
y puroître avec plus de grandeur, elle y devoit avoir toute fa Noblelfe au-
tour d'elle. Cet avis étant plus capable de tlatier fon ambition que de lui
infpi-
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
^33
infpirer de la défiance, elle retint Tes trois cens Vaflaiix , & leur donna le
même jour un grand ùîner, à la vue d'un Peuple infini, que la curiolîté
du fpeftacle n'avoit pas manqué de raflembler. Toute la Cour Indienne fe
trouva réunie dans une Salle fpacieufe, dont le toît étoit foutenu d'un grand
nombre de piliers , & bordoic la Place, qui devoit fervir de Théâtre à la
Fête. Les Efpagnols, après s'être un peu fait attendre, parurent enfin
en ordre de bataille. L'Infanterie, qui marchoit la première, occupa fans
affe6lation toutes les avenues de la Place. La Cavalerie vint enfuite, avec
le Gouverneur Général à fa tête , & s'avança jufqu'à la Salle du Fellin,
qu'elle invertit. Tous les Cavaliers Caftillans mirent alors le fabre à la
main. Ce fpeftacle fit frémir la Reine & tous fes Convives. Mais , fans
leur laifTer le tems de fe reconnoître , Ovando porta la main à fa Croix
d* Alcantara ; fignal , dont il étoit convenu avec fes Troupes. Aulîi - tôt
l'Infanterie fit main-baflTe fur le Peuple, dont la Place étoit remplie; tandis
que les Cavaliers , mettant pied à terre , entrèrent brufquement dans la
Salle. Les Caciques furent attachés aux colomncs ; & , dans ce moment ,
fi l'on en croit Oviedo (c) , ils avouèrent le crime de révolte, dont lesCaf-
tillans de Xaragua les avoient accufés. Enfuite, fans autre forme de Jufti-
ce, on mit le feu à la Salle, & tous ces Infortunés y furent bientôt réduits
en cendre. La Reine, deflinée à des traitemens plus honteux, fut char-
gée de chaînes, & préfentée au Gouverneur, qui la fit conduire, dans
cet état, à San-Domingo , où fon Procès fut inftruit dans les formes d'Ef-
pagne. Elle fut déclarée convaincue d'avoir confpiré contre les Efpagnols,
& condamnée au plus ignominieux fupplice ( d). On fit périr, dans la fa-
tale journée de Xaragua , un nombre infini d'Indiens , fans diftinclion d'â-
ge & de fexe. Quelques Cavaliers ayant fauve, par un mélange d'intérêt
& de pitié, plufieurs jeunes Enfans , qu'ils menoient en croupe, & qu'ils
réfervoient pour l'efclavage , d'autres venoient percer derrière eux ces pe-
tits Miferables , ou leur coupoient lesjambes & les abandonnoient dans cet
état. De ceux qui échappèrent à la fureur du Soldat, quelques-uns fe jet-
tèrent dans des Canots, que le hafard leur fit trouver fur le bord de la Mer,
& paflTèrent dans une Ifle nommée Guanabo (<?), à huit lieues de l'Efpagno-
le ; mais ils y furent pourfuivis , & s'ils obtinrent grâce de la vie , ce fut
pour tomber dans une fervitude plus dure que la mort. Un Parent de la
Reine, nommé Guarocuya^ fe cantonna dans les Montagnes de BanucOy
les plus hautes & les plus inaccelîibles de Tlfle, qui s'étendent, par l'in-
térieur des Terres, depuis le Xaragua jufqu'à la Côte du Sud, & dont les
Habitans étoient d'une extrême férocité. Plufieurs pénétrèrent dans celles
qui forment le milieu de l'Ille. Ovando fit marcher des Troupes vers ces
deux
CflUtSTOPHE
&
Barthklpmi
Cf'T.i'MQ.
IV. Voyage.
1503-
(c) Herrcra ne cefTe point de répéter que
les indices & les p-euvcs, comme l'accufa-
tion , ne venoient que des Complices de Rol-
dan. Il traite l'aftion de barbare, plus bar-
bare, dit- il, que les Barbares mêmes. Ce-
pendant il ne la donne pus comme un def-
fein formé contre tous les Caciques. Il racon-
te qu'Anacoaiia , dont il pcnfoit peut-être
uniquement à fe faifir , lui dit que les Caci-
ques feroient bien ailes de voir les Jeux El-
pagnols, & quelà-dclïïis il lui dit de les af-
fembler tous. Liv. 6. Cbap. 4.
(rf) Elle fut pendue. Herreia , Liv. 6.
Chap. 4.
(e) Que les François nommèrent la Cp-
nava.
I^ .3
Tou^ les Sei-
gneurs duXa-
raj^ua font
brûlés vifs.
La Reine efl
pendue.
Autres cruau-
tés
Le rcde des
Habitons a-
bandonne le
Pays.
134
PREMIERS VOYAGES
CilRISTOriIE
&
Baktiim.kmi
CciLOM.J.
IV. Voyage.
PlLilkiirs
Villes fondées
dans Ullo El-
l'agiiolc.
Armoiries
accordées
pour toutes
ces Places.
Ovando pa-
roit s'intéref
fer peu à la lî-
tuacion de
iAmiral.
deux Retraites. Les Indiens s'y défendirent quelque tems: mais Guaro-
cuya, Haniguayiyay & leurs autrss Chefs , ayant été pris & condamnés à la
mort , le relie fût fi généralement diflipé , que dans refpace de fix mois ,
on ne connut plus un Infuiaire qui ne fût foumis au joug Efpagnoi (/).
Ce fut après cette fanglante guerre, qu'Ovando, tournant tous Tes foins
à l'affermiltemeuc de la Colonie, entreprit de fonder des Villes dans les
lieux dont il goûcoit la fituation. Il obligea les Caflillans, qui reftoient dans
leXaragua, de fe réunir pour en former une, qui fut nommée Santa Ma-
ria de la l'aéra Paz , aflez proche d'un fameux Lac de cette Province , à
deux lieues de la Mer, donc elle fut encore approchée dans la fuite , fous
le nom de Santa Maria del Puerto: mais le nom à^Taguana^ que les Infulai-
res donnoient à ce lieu, ne laifla pas de fe conferver dans l'ufage vulgaire,
& les François en ont fait celui de Leogane (g). A huit lieues de la Capita-
le, au Nord, Ovando fonda la Ville de Buenaventura ; & dans le milieu de
rifle, encre les deux Rivières deTaqui& deNayoOy il fonda celle de San Juan
delà Maguana. A vingt-quatre lieues de San-Domingo, un Commandeur
de Galice, dont les Hilloriens n'ont pas confervé le nom , avoit commen-
cé une Ilabicacion proche du Porc dAzua^ fur les fondemens d'une Bour-
gade de Sauvages: on en fit une Ville, qui fuc nommée Azua de CompoJteU
la. Celle du Porc d^Taquimo^ ou du Brelil, & de Salvatiera de la Savana^
s'élevèrenc avec le même fuccès. Dans le même tems, Rodrigue de Me/-
cia , qui avoit beaucoup contribué à la rédu6lion des Infulaires , fut char-
gé d'en bâtir trois ; l'une à Puerto Real , une autre à feize lieues de San-
Domingo , vers le Nord , fous le nom dV/ Cotuy ; & la troifième fur la mê-
me Côte Hu Nord, dans un Canton, que les Naturels nommoÏQnt Guahaba.
Elle fuc appellée Larez de Guababa , du nom de l'ancienne Commanderie
d'Ovando. Ainfi , dès l'année 1504, on comptoit, dans l'Ifle Efpagnole,
quinze Villes , ou Bourgades , toutes peuplées de Caflillans ; outre deux
Fortereffes , dans la Province de Higuey , à la place defquelles on bâtit en-
core deux nouvelles Villes, au commencement de l'année fuivante. Ifa-
belle, & plufieurs Forterefles , qui avoient d'abord écé conllruices pour
s'aflurer des Mines de Cibao & de Saint - Chriftophe , furenc entièrement
abandonnées. Le Gouverneur Général obtint de la Cour, avant la fin de
fon adminillration , des Armoiries pour toutes ces Places , & pour l'Ifle en
général (/>).
Quand cette variété d'entreprifes & de foins n'auroit pas été capable de
dimmuer l'intérêt qu'il dévoie prendre à la trifle ficuacion des Cafl;illans de
la
(/) Malgré les elTorts dOvandopour jiif-
tifier fa conduite , les Rois Catholiques en
furent cxtrê.nement irrités; & l'on entendit
dire à Dom Alvare de Portugal, premier
Comte de Gelbes , qui étoit alors Préfidcnt
du Confeil Royal de Juftice, 7o le haro to-
mar una rejidencia , quai nunca fue tomada ;
c'eft à-dirc, „ Je lui ferai rendre un comp-
„ te de fes aciions qui n'aura jamais eu d'ex-
„ emple". Herrera, ibidem. Cependant, la
Reine étant morte peu après , Ovando fçut
fe rendre néceflaire, & ne fut rappelle qu'en
1508.
(g") Hiftoire de Saint-Domingue, ubi
(b) Elles fe trouvent exaftement blazon-
nées dans Herrera, Liv. 7. Chap. 2. Celles
de rillc étoient un Ecu de gueules à l;i ban-
de d'argent , accompagnée de deux têtes de
Dragon d'or , & pour orle , Caftille & Léon.
toic
Lfpi
lutir
accc
EN AMERIQUE, Liv. I.
135
la Jamaïque, il avoit un autre prétexte pour y paroître moins fenfible; c'é-
toic la crainte que les Envoyés de rAmiral ne s'entendi fient avec lui pour
grolîir Tes infuruines, & pour lui ouvrir, par cette feinte, l'entrée de Tlfle
Efpagnoîe. Aulîi retint- il long-tems Mendez, fans prendre aucune réfo-
lution ; & ce ne fut qu'après avoir été fatigué par fes inftances , qu'il lui
accorda la permiflion de fc rendre à la Capitale. Mendez y acheta un Na-
vire; & fuivant les ordres qu'ils avoient reçus en cogimun , Fiefchi fe
chargea de le conduire à la Jamaïque. Mais on lui fit naître des difficul-
tés, qui retardèrent encore fon départ; &, dans l'intervalle, Ovando fie
partir fecrettement Diego d'Efcobar , avec une Barque, pour aller prendre
des informations plus certaines fur l'état de l'Amiral & de fon Efcadre.
On peut s'imaginer à quelle extrémité les Colombs & leurs Gens étoient
réduits , par le délai du fecours qu'ils attendoient depuis plus de fix mois.
La mauvaife qualité des nourritures & les fatigues d'une fi rude navigation
avoient déjà caufé parmi eux un grand nombre de maladies. S'ils avoient
reçu quelque foulagement de l'humanité des Indiens de la Jamaïque , il ne
leur avoit pas ôté la crainte de fe voir abandonnés dans une llle fauvage ,
& condamnés à ne revoir jamais leur Patrie. Cette idée , qui n'avoit agi
que foiblement fur les Equipages , tandis qu'ils avaient efperé quelque cho-
^ du Voyage de Mendez & de Fiefchi, produifit des mouvemens propor-
tionnés à leurs allarmes , lorfqu'ils eurent commencé à perdre cette efpéran-
ce. Ils foupçonnèrent l'Amiral de n'ôfer retourner à l'Ille Efpagnoîe , dont
on lui avoit refufé l'entrée; de n'avoir envoyé Mendez & Fiefchi que pour
faire fa paix à la Cour, où l'on ne vouloit plus entendre parler de lui; &
de s'embarrafier fi peu du fort de tous fes Gens, qu'il n'avoit peutécre fait
échouer fes Navires , que pour faire fervir cet accident au rétabliflement
de fa fortune. Ils en conclurent qu'une jufle prudence obligeoit chacun de
penfer à foi , & de ne pas attendre que Je mal fût fans remède. Les plus
violens ajoutèrent, qu'Ovando, qui n'étoit pas bien avec les Colombs, ne
feroit un crime à perfonne de les avoir quittés ; que le Miniftre des Indes ,
leur Ennemi, n'en recevroit pas plus mal ceux qu'il verroit arriver fans eux;
& que la Cour, perfuadée enfin que perfonne ne pouvoit vivre avec ces
Etrangers , prendroit une fois le parti d'en délivrer l'Efpagne (i).
Ces difcûurs, qui avoient d'abord été fecrets, fe communiquèrent avec
tant de chaleur , que les Mécontens , ne gardant plus de mefures, s'aflem-
blèrent, le 2 de Janvier 1504, & prirent les armes, fous la conduite des
Porras'j deux Frères, dont l'un avoit commandé un des quatre Vaifleaux
de fEfcadre, & l'autre étoit Tréforier Militaire. L'Amiral étoit retenu
au lit par la goûte. L'aîné des Porras vint le trouver , & lui dit infolem-
ment, qu'il voyoit bien que fon deflein n'étoit pas de retourner fi tôt en
Caftille , & qu'il avoit réfolu de faire périr tous les Equipages. L'Amiral
répondit qu'il ne comprenoit pas d'où pouvoit lui venir cette idée; que tout
le monde favoit , comme lui , que fi 1 on avoit relâché dans cette llle , &
fi l'on y étoit encore, c'étoit parce qu'on n'avoit pas eu d'autre choix;
qu'il avoit envoyé demander des Navires au Gouverneur de Tille Efpagno-
(i) Herrcra, Liv. 6. Cbap. 6,
Cn^iîTOPH*
&
DARTIl^I.EMt
Ci'I.OMB.
IV. N'oynf^e.
Exti-ô.nltii
oîi les Co-
lombs fu.t ré-
duits à la J,v
Une parrie
de leurs Equi-
pages fe ré-
volte contre
eux.
1504.
Les Rebelles
prennent les
armes.
Maladie d«
l'Amiral.
13(5 PREMIERS VOYAGES
CriRTîTonia
I5artiiei.fm:
Colomb.
1\^ Voyng:.
1504.
I,cs R.-bdl.'s
voulcnt par-
tir.
Leurs vio-
lences, & fer'
nieté de l'A-
dclantLitlc.
Départ des
Rebelles.
1
qu
Obllacles qui
ki arrêtent.
e , & qu'il ne poiivoit rien faire de plus ; qu'il n'étoit pas moins intdrene
]uc tous les autres à repafler en Caftille; que d'ailleurs il n'avoit rien fait
fans avoir demandé l'avis du Confeil, & que fi l'on avoit queli^ie chofc
d'utile à propofer , il étoit toujours difpofé à l'embrafler avec joye. Ce
difcours auroit fatisfait des gens moins emportés; mais l'efprit de révolte
ne connoiflant point la raifon , Portas , dont la Sœur étoit Maîcrefle d'un
Homme fort puifljnt à la Cour, reprit encore plus brufquement, & décla-
ra qu'il n'étoit plus queftion de difcourir, mais de s'embarquer à l'heure
même ; qu'il vouloit retourner en Caftille, & que ceux qui ne vouloient
pas le fuivre pouvoient refter à la garde du Ciel. Il s'éleva aulîî-tôt un
bruit confus des Gens de guerre, qui crioient; les uns, nous vous fuivrons ;
d'autres , Cajlille , Cajlille ; & d'autres , Capitaine , que ferons-nous ? Quelques-
uns même firent entendre, en parlant fans doute des Colombs, qu'ils meu-
rent. L'Amiral voulut fe lever; mais il ne put fe foutenir, & l'on fut obli-
gé de le remettre fur fon lit. L'Adelantade parut , une hallebarde à la
main , & fe pofla courageufement proche d'une poutre qui traverfoit le
Vaifleau , pour couper le paflage aux Mutins. Ses meilleurs Amis le for-
cèrent de rentrer dans fa chambre; & prenant le ton de la douceur avec
Porras , ils lui repréfentèrent qu'il devoit lui fuffire qu'on ne s'oppofât point
à fa réfolution. Il fe retira ; mais ce fut pour fe faifir des dix Canots , que
l'Amiral avoit achetés des Indiens, & pour s'y embarquer auffi • tôt , lui &
tous les Mutins , avec autant d'empreflement & de joye , que s'ils euflent
été prêts de débarquer à Seville. Il ne relia guéres, avec les Colombs,
que leurs Amis particuliers & les Malades. L'Amiral , les ayant fait aflem-
bkr autour de lui, les excita, par un difcours fort touchant, à prendre con-
fiance au Ciel, & leur promit de fe jetter aux pieds de la Reine, pour faire
récompenfer leur fidélité (k).
Dus le même jour , les Séditieux prirent le chemin de la Pointe orientale
de rifle. Ils s'y arrêtèrent, pour commettre les dernières violences contre
les Indiens, auxquels ils enlevèrent tout ce qui fe trouvoit dans leurs Habi-
tations, en leur difant qu'ils pouvaient fe faire payer par l'Amiral, ou le tuer,
s'il refufoit de les fatisfaire. Ils ajoutèrent qu'il étoit réfolu de les extermi-
ner, qu'il en avoit ufé de i.iême avec les Peuples du Veragua, & que le
feul moyen de fe défendre, contre un Homme fi cruel, étoit de le prévenir.
Lorfqu'ils fe virent à l'extrémité de l'Ifle, ils entreprirent d'abord de tra-
verfer le Golfe , fans faire réflexion que la Mer étoit fort agitée. A pei-
ne eurent - ils fait quelques lieues , que leurs Canots , s'étant remplis d'eau ,
ils crurent les foulager en jettant leur bagage dans les flots. L'inutilité de
cette reflburcc leur fit prendre le parti de fe défaire des Indiens , qu'ils a-
voient embarqués pour la rame. Ces Malheureux, voyant des épées nues ,
& quelques-uns de leurs Compagnons déjà étendus à leurs pieds, fautèrent
dans l'eau; mais, après avoir nagé quelque tems, ils demandèrent en grâ-
ce qu'on leur permît de fe délafler, par intervalles, en tenant le bord des
Canots. On ne leur répondit qu'à coups de fabre , dont on leur coupoit les
mains; & plufieurs fe noyèrent. Le vent augmentoit, & la Mer devint
fi.
(k) Ilerrcra, Liv. 6. Cbap. 5.
EN AMERIQUE, Liv. I. I
137
t
fi grolTe, que cette troupe de Furieux fe vit contrainte de retourner au ri-
vage. Après y avoir délibéré fur leur fituation, & propofé plufieurs par-
tis, qui ne pouvoicnt venir que d'un excès d'aveuglement & de defefpoir,
ils tentèrent encore une fois le paflage : mais la Mer ne devenant pps plus
calme, ils fe répandirent dans les Bourgades voifines, où ils commirent
toutes Vortes d'excès. Six femaines après, ils tentèrent de pafler pour la
troifième fois , & leurs efforts ne furent pas plus heureux. Alors, aban-
donnant un deffein dont l'exécution leur parut impolTible, & ne doutant
plus que Mendez & Fiefciii n'euflfent péri dans les Hots , ils fe mirent à fai-
re des courfes dans toutes les parties de l'Illc , en caufant mille maux aux
Infulaires , pour en tirer des vivres.
L'Amiral étoit réduit à vivre auflî par le fecours des Indiens; mais fa
conduite étoit fort différente. Il faifoit régner, parmi fes gens, une exac-
te difcipline , qu'il adouciffoit par des attentions continuelles fur leurs be-
foins , & par des exhortations aufli tendres que fes manières. D'ailleurs ,
il ne prenoit jamais rien qu'en payant, & jufqu'alors il n'avoit rien reçu
d'eux qulils n'euffent volontairement apporté. Cependant, comme ces
Barbares n'étoient pas accoutumés à faire de grandes provifions, ils fe laf-
fèrent enfin de nourrir des Etrangers affamés , qui les expofoient eux-mêmes
à manquer du néceffaire. Les difcours des Mutins pouvoient avoir fait aufli
quelque imprefllon fur eux. Ils commencèrent à s'éloigner, & les Cafliil-
lans fe virent menacés de mourirtie faim. Dans cette extrémité, l'Amiral
s'aviia d'un ftratagême qui lui réulîit. Ses lumières aflfonomiques lui avoient
fait prévoir qu'on auroit bientôt une Eclipfe de Lune. Il fit dire , à tous
les Caciques voifins, qu'il avoit à leur communiquer des chofes-fort impor-
tantes pour la confervation de leur vie. Un intérêt fi preffant les eut bien-
tôt ailemblés. Après leur avoir fait de grands reproches de leur refroidif-
fement & de leur dureté, il leur déclara, d'un ton ferme, qu'ils en fe-
roient bientôt punis; & qu'il étoit fous la proteélion d'un Dieu qui fe pré-
paroit à la venger. N'avez-vous pas vu, leur dit- il , ce qu'il en a coûté à
ceux de mes Soldats qui ont refufé de m'obéir? Quels dangers n'ont -ils pas
couru, en voulant palier à l'Ifle Hayti, pendant que ceux que j'y ai envo-
yés ont traverfé fans peine ? Bientôt vous ferez un exemple beaucoup plus
terrible de la vengeance du Dieu des Efpagnols ; & pour vous faire con-
noître les maux qui vous menacent, vous verrez, dès ce foir, la Lune
rougir , s'obfcurcir , & vous refufer fa lumière. Mais ce n'efl: que le
prélude de vos malheurs , fi vous vous obftinez à me refufer des vi-
vres (/).
En effet, l'Eclipfe commença quelques heures après ; & les Barbares
épouvantés pouffèrent d'effroyables cris. Ils allèrent auffi-tôt fe jetter aux
pieds de l'Amiral, & le conjurer de demander grâce pour eux & pour leur
Ifle. Il fe fit un peu preffer, pour donner plus de force à fon artifice; &
feignant de fe rendre, il leur dit , qu'il alloit fe renfermer , & prier fon
,.■- . :. :• '■>.. Dieu,
Cnnis Torri»
&
Barthelemi
Colomb.
IV. Voyage.
1504.
Excès qu'ils
commettent
dans rillc.
Snge con-
duite de l'A-
miral.
Célèbre ftra-
tagême par le-
quel il con-
tient les Infu-
laires.
Il leur pré-
dit une Eclip-
fe, comme u-
ne vengeance
du Ciel,
1 ■W k
'^
(l) Herrera, uhifuprà. Ce trait eft fi con-
nu , qu'on ne fait pas iiiificulté de le rappor-
XFIII. Part.
ter, quoiqu'il falTe peu d'honneur à h reli-
gion de l'Amiral. ^
Chkiitofiie
&
Barthelemi
COLOMD.
IV. Voyage.
1504.
La vie des
deux Colombs
cÙ. menacée.
Arrivée d'u-
ne Barque
d'Ovando.
Ordres o-
dieux dont le
Capitaine é-
coit chargé.
Comment il
les exécute.
L'Amiral
licrit àOvan-
do.
138 PREMIERS VOVAGES
Dieu , dont il cfpcroic d'appaifer la colère. Il s'enferma, pendant toute
la durée de l'Ecliple, & les Indiens recommencèrent à jctter de grands
cris. Enfin, lorfqu'il vit reparoître la Lune, il forcit d'un air joyeux,
pour les affurer que fes prières ècoient exaucées , & que Dieu leur pirdon-
noit cette fois, parce qu'ayant répondu pour eux, il l'avoit afiTuré qu'ils
feroient déformais bons & dociles, & qu'ils fourniroient des viwcs aux
Chrétiens. Depuis ce jour, non -feulement ils ne refufèrent rien aux Ef-
pagnols, mais ils évitèrent avec foin de leur caufer le moindre méconten-
tement.
Ce fecours étoit d'autant plus néceflaire à l'Amiral, qu'il fe formoit,
fous fes yeux, un nouveau Parti, qui l'auroit jette dans de mortels em-
barras. Un Apotiquaire, nommé Bmidrdi, & deux de fes Compagnons,
Fillatora & Zamora, avoient entrepris de foulever tous les Malades, par
d'anciens reffentimens, qu'ils crurent avoir trouvé l'occafion de faire écla-
ter , & qui ne menaçoient pas moins que la vie des Colombs. L'effet n'au-
roit pu manquer d'en être extrêmement funelle , fi l'arrivée de la Barque
d'obfervation , qu'Ovando avoit fait partir de l'Efpagnole , n'eût arrêté
ceux que le feul chagrin de leur mifère avoit engagés dans cette confpira-
tion. Le Capitaine, Diego d'Efcobar, étoit un de ceux qui s'étoient ré-
voltés avec. Roldan Ximenès, & que l'Amiral avoit deftinés au fupplice.
Ovando l'avoit choifi pour cette commiflion , parce qu'avec la haine qu'il
lui connoiflbit pour les Colombs, il l'avoit jugé plus propre que perfonne à
remplir exaélement fes vues. Les ordres , qu'il lui avoit donnes , por-
toient de ne point appfocher des Vaifleaux de l'Amiral ; de ne pas defcen-
dre au rivage ; de n'avoir aucun entretien avec les Colombs , ni avec ceux
qui les accompagnoient ; de ne donner aucune autre Lettre que la fienne,
& de n'en pas recevoir d'autre que la réponfe de l'Amiral ; enfin de conce-
voir qu'il n'étoit envoyé que pour reconnoître l'état de l'Efcadre (;«).
Escobar exécuta tous ces points avec une brutale exaélitude. Après
avoir mouillé à quelque diflance des Vaifleaux échoués , il alla feul à terre ,
dans un Canot, il fit débarquer un baril de Vin & un Porc, il fit appeller
l'Amiral, pour lui remettre la Lettre d'Ovando; & s'étant un peu éloigné,
il lui dit, en élevant la voix, que le Gouverneur Général étoit bien fâché
de fes malheurs , mais qu'il ne pouvoit encore le tirer de la fituation où il
fe trouvoit, quoiqu'il fût dans le deflein d'y apporter toute la -diligence pof-
fible ; & qu'en attendant , il le prioit d'agréer cette légère marque de fon
amitié. En achevant fes mots, ii fe retira, pour aller attendre à Bord
que l'Amiral eût écrit fa réponfe, qu'il prit enfuite avec les mêmes précau-
tions. Elle contenoit le récit des peines qu'il avoit effuyées, avec celui
de la découverte d'ime grande Contrée & de la révolte de Porras. Il re-
mercioit Ovando de fes bonnes intentions, quoiqu'il en reçût de fi mau-
vaifes preuves. Il lui reccmmandoit Mendez & Fiefchi , & pour l'at-
tendrir, du moins par la compalTion , il lui repréfentoit fon logement,
& la dépendance où il étoit , pour vivre , des fecours d'une Nation
barbare. ,
' \ ■ L'His-
(m) Herrera, Liv.6. Ch«p. 7.
EN AMERIQUE, Liv. I.
I3P
is-
L'IIisTORiEN s'efforce de juftifier cet étrange procédé. Ovando craignoit
avec raifon , dit-il , que fi la Barque s'étoit approchée des Navires , on ne
l'eût chargée de Lettres pour l'Ille Efpagnole, où l'Amiral avoit plufieurs
Créatures à un (Sus grand nombre d'Ennemis, qui auroicnt pu former de
nouvelles laélions & caufer du trouble. Il ajoute que, dans cette crainte, le
Gouverneur n'avoit pu faire un choix plus judicieux que celui d'Efcobar:
enfin, qu'il ne s'imaginoit pas que les vi"res pufll-nt manquer aux Efpagnols
dans une IHe aulTi grande que la Jamaïque. Mais le Public n'en porta pas
le même jugement. On regarda, comme une infulte pour Chriftophe Co-
lomb , le choix d'un Envoyé de ce caractère , qui , d ailleurs , fuivant les
ordres de la Cour, ne devoit plus être aux Indes; & la modicité du pré-
fent ne fut pas moins blâmée, pour un Homme de ce rang, dont on pou-
voit juger que la ficuation n'étoit pas abondante. L'Amiral s'apperçut aulfi-
tôt du mauvais effet que la conduite d'Ovando avoit produit fur f'es gens.
Il les affembla, pour les affurer qu'ils recevroient de prompts fecours; mais
il nepcrfuada pas les plus clairvoyans, qui, jugeant mal de l'affeftation
d'Efcobar à ne converler avec perlbnne, commencèrent à craindre que le
deffein du Gouverneur ne fut de laiffer périr les Colombs, & tous ceux
qui leur marquoient de l'attachement. Cependant les promeffes de l'Ami-
ral calmèrent la multitude. Il fe flatta même de pouvoir engager , par la
mêmevoye, les Déferteurs à rentrer dans le devoir. Il leur communi-
qua l'agréable nouvelle qu'il venoit de recevoir, & leur fit porter un quar-
tier de la Bête dont on lui avoit fait préfent. Mais cette honéteté fut mal
reçue. Porras jura que de fa vie il ne fe fieroit aux Colombs, & que juf-
qu'à l'arrivée du fecours, il continueroit de vivre dans l'indépendance. Il
ajouta que fi l'on envoyoit deux Vaiffeaux, il en prendroit un pour lui &
pour fa troupe ; que s'il n'en arrivoit qu'un , il fe contenteroit de la moitié ;
& qu'au refle , fes gens ayant été forcés de jetter à la Mer toutes leurs bar-
des & leurs marchandifes , il convenoit que l'Amiral partageât avec eux ce
qui lui en reftoit. Les Envoyés ayant repréfenté qu'ils ne pouvoient faire
des propofitions de cette nature à leur Chef commun , la fureur des Rebel-
les augmenta, jufqu'à leur faire protefter que ce qu'on ne vouloit pas leur
accorder de bonne grâce, ils l'enleveroient par force; & Porras., fe tour-
nant vers eux, leur dit que l'Amiral étoit un Cruel, dont ils avoient tout
à craindre pour leur vie; qu'il joignoit la perfidie à la cruauté, pour les
faire tomber entre fes mains; que cette Barque, qui n'avoit paru qu'un
infiant, étoit l'effet de quelque prellige; qu'il excelloit dans ces inven-
tions , & qi\e fi la Barque eîit été réelle , il n'auroit pas manqué , dans l'ex-
trémité à laquelle il étoit réduit , de s'y enibarquer avec fon Fils & fon Frè-
re ; que le plus fur étoit de lu vifiter l'épée à la main , de fe faifîr de fa per-
lbnne, & d'enlever tout ce qu'il avoit fur fes Vaiffeaux («).
En effet, il s'avança bientôt jufqu'à la vue des Navires; & s'étant arrê-
té dans un Village d'Indiens, nommé Mayma ^ où, quelques années après ,
on vit naître une Bourgade Cafl:illane , fous le nom de Seville , il parut fe
difpoier à forcer les Colombs dans leur retraite. L'Amiral étoit encore at-
taché
(n) Le même, Liv. 6. Cbap. 8.
S 2 '
Chkistomu
&
Barthblemx
Colomb.
IV. Voyage.
1504.
Remarques
fur la condui-
te de ce Gou.
vcrncur.
Efforts de •
l'Amiral pout
ramener les
Mutins.
Ils répon-
dent mal à fes
intentions.
lis s'avan-
cent peur
l'attaquer.
140
PREMIERS VOYAGES
CmiSTOPHE
&
Barthelemi
COLOMO.
IV. Voyage.
1504.
Combat.
Porrns.leur
Chef, cft en-
levé par Dom
Barchclciiii.
Plufienrs
CafliUaus font
tllt('S.
Vigueur du
Pilote Le-
defma.
Comment
il cfl f;iieri de
fcs blcUurcs.
Les Rebelles
le founietttnt.
taché au lit, par le» douleurs de la goutc. Il frcmit d'indignation, en ap-
prenant que les Rebelles étoicnt prêts à l'attaquer: cependant fa prudence
l'emportant fur fa colère , il chargea Dom Barthelcmi , au'il envoya con-
tr'eux avec cinquante Hommes, de les exhorter encore a la foumilîîon, &
d'offrir un pardon général à ceux qui voudroient l'accepter. Mais ils ne
lui donnèrent pas le tems de faire cette propofition. A peine eurent-ils
apperçu fa Troupe, qu'ils s'avancèrent les armes à la main, en criant Tue^
Tue. L'Adclantade excita fes gens par les motifs de l'honneur, & ne leur
demanda rien, dont il ne promit l'exemple. Le combat fut engagé. Une
décharge, qui fe fit à propos, renvcria d'abord lîx des Conjurés. L'aîné
desPorras, furieux de les voir tomber, s'élança vers l'Adelantade, & fen-
dit fon bouclier d'un coup de fabre, qui le bIciVa même à la main. Mais
Dom Barthelemi, qui étoit dune vigueur extraordinaire, le laifit par le
milieu du corps & le fit fon Prifonnier. Enlliite, preflant ceux qui con-
tinuoient de réfifler , il en tua pluiîcurs , & le refte fc fauva par la fui-
te. Ainfi l'Amiral fut redevable de fon falut à la valeur de fon Frère; car
les Rebelles avoient juré de ne pas ménager fa vie, fi la viéloire s'étoit dé-
clarée pour eux (0).
Elle ne coClta qu'un feul Homme à l'Adclantade ; mais quelques-uns fu-
rent dangereufement blefles. Un Maître d'Hôtel de l'Amiral reçut, à la
hanche, un coup de lance, dont il mourut peu de jours après. Ledefma,
ce même Pilote, dont on a déjà vanté le courage &. la force, fut fi maltrai-
té d'un coup de fabre à la tête, que la cervelle étoit à découvert; un autre
coup faillit de lui abbatre le bras, & d'un troifiéme il eut la jambe fendue
jufqu'à l'os, depuis le jarret jufqu'à la cheville du pied. Comme on l'avoit
cru mort, & qu'il étoit demeuré fur le champ de Bataille, les Indiens du
Village de Mayma, furpris de voir étendus par terre, & fans mouvement,
des Hommes, qu'ils avoient crus immortels, s'approchèrent de lui, entre plu-
fieurs autres, & voulurent toucher fes blelFures, pour obferver, dit l'Hifto-
rien, quelles playes faifoient les épées. Ce mouvement ayant rappelle fes
efprits: Si je me levé! s'écria-t'il d'une voix terrible; & de ce feul mot,
il caufa tant d'épouvante à ces Barbares , qu'ils fe mirent à fuir, fans ofer
tourner les yeux derrière eux. On obferve , comme une fingularité mer-
veilleufe, qu'il fut plus de vingt- quatre heures dans cet état; & qu'après l'a-
voir reconnu vivant, & l'avoir tranfporté à Bord , on n'eut pas d'autre moyen
de le panfer, qu'en brûlant fes playes avec de l'huile. Elles étoient en fi
grand nombre, que pendant la première "emaine, le Chirurgien jura qu'il
en découvroit chaque jour de nouvelles (p).
Le lendemain du combat, vingtième jour de Mai, tous les Rebelles,
qui étoient échappes par la fuite , prirent le parti d'aller fe jetter aux pieds
de l'Amiral, & de s'engager à la fidélité par d'horribles fermens (q). Il
les
(0) Le môme, Liv. 6. Chap. ri.
{p) Ibidem.
(q) L'Iiidoricn en rapporte les termes:
„ Ils le fiippliercnt d'ufer envers eux de mi-
,, fericorde, reconnoillanc bien que Dieu les
„, avoir châtiés , & promettant de fervirfidc-
lement, ce qu'ils jurèrent fur un Crucifix
& un Millel : & que s'ils vinloicnt leur
ferment, pas un Confelieurou autre Chré.
tien ne les pût entendre en confcinoii;
que la Pénitence leur fût inutile; qu'ils re-
nonçoient aux Sacremens de l'Eglife ;
„ qu'au
■»..•>
fe;
EN A M E R I Q U E, Li V. I.
141
les reçut avec bonté, mais à condition que Portas, leur Ciicf, dcmcure-
roit clans les chaînes, & qu'ils rccevroient eux-mén.es, jufqu'au départ
pour l'Kle Efpagnolc , un Capitaine de fa main , fous la conduite duquel ils
auroient la liberté de s'établir dans le lieu qu'ils voudroient choilir, pour
y fublllier du commerce de quelques marcnandifes qu'il leur feroic déli-
vrer (r).
CiiRiJTorA»'.
DARTIIIiT.RMl
C" 1.0 MB. ,,
IV. Vôyii^e;:
i5:0 4v
Fiefchi
mirai
en
vire, aux fraix des Colombs. Enfin , tous
le 28 de juin , on mit à la voile pour l'Ule Efpagnole.
es Caftillans s'étant ralTembles
Les vents contrai-
,,■>.•■•■' ■-
res rendirent le pallage fi difficile, qu'on eut beaucoup de peine à gagner
rifle Beata , à vingt lieues du Port d'Yaquimo. L'Amiral ne voulut pas al- ; „ ; ; ,.
îer plus loin, fans en avoir fait demander la liberté au Gouverneur Gêné-- ■• • , •:,•
rai; & non-feulement il l'obtint, mais étant arrivé à San-Domingo, le 13 ;. >,
d'Aotlt, il y fut reçu avec les plus grandes marques de joye & d'honneur. ; . .;.
Ovando vint lui-même, à la tête de tous les Habitans,, le recevoir à fa def- Conimein.
cente. Il lui donna un logement dans fa Mailbn, & ne cefla point de le rAniir;ii «11
traiter fort civilement. Cet accueil furprit un peu les Colombs, qui ne s'y [;Çf^a?nûi'/''
étoient pas attendus ; mais ils dévoient s'attendre encore moins à quelques *" '^ ''''''"*i'.*^' -,
aélions du Gouverneur, qui fembloient démentir de l\ belles apparences..
Il les obligea de lui livrer François Porras , qu'ils avoient laifle à Bord , & : " .
qu'ils fe propofoient de mener en Efpagne. C'étoit h lui, leur dit il , qu'ap- Dt'goûts S
oartenoit la connoiflancc des affaires Criminelles: mais il n'eut pas plutôt chagrins qu'i.li
partenoit
le Prifonnier entre fes mains , qu'il lui rendit la liberté.
pas plu
Enfuitc , il décla-
y reçoit.
ra qu'il vouloit informer fur tout ce qui s'étoit pafle à la Jamaïque, &ju- • ', •
ger quels étoient les Coupables, de ceux qui s'étoient foulevés, ou de ceux
qui étoient demeurés fidèles à l'Amiral ; infulte auffi vive que l'injuftice ," ;. -
étoit criante, mais que les Colombs diflîmulèrent , parce qu'ils n'étoient /.;,..:/
point en état de s'y oppofer. L'Amiral fe contenta de dire, avec affez de . . .:v
modération, que les droits de fon Amirauté avoient des bornes bien étroi- '
tes s'il ne pouvoit pas juger un de fes Officiers, qui s'étoit révolté con-
tre lui fur fon propre Bord; & pour fortir promptement d'une Ifle, qui* ' ;■ ■'
étoit devenue le théâtre de fes humiliations, après avoir été celui de fa gloi- V .. ,
re, il fretta deux Navires, dont il partagea le Commandement avec fon. . :• V
Frère. •'''.■.■; '-V,'
Il mit à la voile pour l'Efpagne, le 12 de Septembre, avec fon Fils & . li'rétoùrna^
tous ceux qui lui étoient attachés. En fortant du Port, le Navire qu'il ^'^ ^.^P^S'^?'
montoit perdit fon grand mât. Mais cet accident ne fut pas capable de le • •• ^, '
fai^ ':■■■.::■■[■-'::
„ auflî ;), toute iibfolution de Panes, deCar'-- ■'..■■...'■.■'
„ dinaux , d'Archcvûques, d'Eveques (Scd'aii- , •^•'. '■ .,
„ très Prêtres". Herrera, Liw. 6. Chap.'ii-. . 'i. ; . .
(r) Ibidem. - •■■•■; ,..'•■..;.. '■..,
\s) On avoitôté, à Fiefchi, tous-lcs.moycn&i , ,:.
de revenir plutôt. .. ''•■•;:■■■■ ...'.,.'•'"■••
„ qu'au tems de leur mort, ils ne partici-
„ peroicnt point uux Bulles & Indulgences
,, accordées par N. S. P. le Pape; & qu'on
„ traiteroit'leiirs corps coinrrie ceux des Re-
„ ncgats,neles enterrant point en Terre fain-
„ te, mais les expofant en pleins champs
comme les Hérétiques. Ils renoncèrent
V . ■,•■"
142
PREMIERS VOYAGES
CriRIFTOPHE
&
lÎARTUELEMI
IV. Voyngc.
1504.
Deux tempe
tes qu'il clluio
dans la route.
11 arrive ù
Ssn- Lucar.
Mort de la
Reine Ifabel-
!e, lîi. tbntilo-
Comment
l'xXiniial elt
reçu du Roi
Feruluand.
faire retourner dans un lieu, où il venoit d'efïïiyer tant de dégoûts. Il ai-
ma mieux renvoyer le Bâtiment à San -Domingo, & pafler dans celui de
fon Frère. Le 19 d'06lobre, après avoir efluyé une fiirieufe tempête, &
lorfquon fe croyoit délivré du danger, le mat de ce fécond Vailfeau fe fen-
dit en quatre pièces , & ne laifla point d'autre rciïburce que l'antenne,
dont on fut obligé de faire un petit mat, en la fortifiant avec des perches
& d'autres pièces de bois. Une nouvelle tempête brifa la contre- mifene.
yVinfi la fortune, fuivant la réikxion de l'Hiftorien , vouloit perfécuter
l'Amiral jufqu'au dernier moment, pour ne lailTer aucun tems de fa vie fans
difgrace. Il continua fa navigation, l'efpace de fept cens lieues, dans ce
dangereux état, qui ne l'empêcha pas néanmoins de mouiller heureufement
à San • Lucar , avant la fin de l'année ( f ).
Mais il y étoit comme attendu par une nouvelle, qui devoit mettre le
comble à tous fes malheurs. C'étoit la mort d'ifabelle, Reine de Cafbille,
arrivée à Médina del Campo le 9 de Novembre. Toute l'Efpagne pleuroit
encore une Princefle, qui avoit égalé les plus grands Ro's par fes qualités
pcrfonnellcs, & que la ruine des Maures, la conquête de Grenade, & la
découverte du nouveau Monde , relèvent au-defTus de tous les Souverains
de fon fiècle. Il paroît même qu'il n'avoit pas dépendu d'elle que cette dé-
couverte eût été , pour les Habitans de ces vaftes Régions, la fource d'au-
tant de biens qu'elle leur a caufé de maux. En les afitijettiffant à fa Cou-
, ronne , elle s'étoit toujours propofé d'en faire des Chrétiens. Elle ne re-
commandoit rien avec tant d'inflances, à ceux qu'elle envoyoit pour les*
gouverner , que de les traiter comme les Caftillans mêmes ; & jamais elle
ne fit éclater plus de févérité, que contre ceux qui contre- venoient à cette
partie de fes ordres. On a vu ce qu'il en coûta aux Colombs, pour avoir
ôté la liberté à quelques Indiens. Cependant elle les aimoit. Elle connoif-
foit tout leur mérite. Elle attachoit un jufle prix à leurs fervices. On ne
douta point , en Efpagne , que fa mort n'eût fauve le Gouverneur Ovando
d'un châtiment exemplaire, pour le mafiacre de Xaragua, dont elle avoic
appris la nouvelle avec beaucoup de chagrin ; & dans les articles de fon
Teilament, elle inlifb particulièrement fur le bon traitement des In-
diens (v).
Mais perfonne ne perdit plus que les Colombs , à la iriort de cette gran-
de Reine. L'Amiral comprit d'abord qu'il tenteroit inutilement de fe faire
rétablir dans h dignité de Viceroi. Cependant, pour ne fe pas manquer à
lui-même , après avoir pris quelques mois de repos à Sevilie, il partit,
avec fon Frère, pour Ségovie, où la Cour étoit alors; & dans une audien-
ce particulière du Roi, qui les reçut tous deux avec quelque apparence de
fatisfa6lioh, il lui fit un récit fort touchant de fes longs & pénibles fervi-
ces (x). Ferdinand lui donna de belles efpérances; mais il s'apperçut bien-
tôt
(0 Ubifup. Chap. 12.
(il) Hilloire de Suint -Domingiic, Lii: 4.
pages i\6 &. 41. llerrera, Liv. 5. Cba^j. 13.
(x) On nous a confervé julqu'aux Pla-
cct': , qu i! priifenta , pL'ndant quinze ou vingt
jours de vie qui lui rcftoicnt. Dans l'un „ il
fupplioit le Roi de fe fouvenir des fervices
qu'il lui avoit rendus. Il lui rappelioit que
trois Princes l'avoicnt prié d'entrer à leur
fervice ; que la Reine avoit l\\ leurs Let-
tres , & qu'elle l'avoit traité depuis avec
beaucoup d'honneur; que Sa Majefté, é-
,, tant
tôt q
l'IIifl.
le voi
marqi
les int
qii'on
Deza,
Franç(
deux
les au
deflus
tantf
aux '
EN AMERIQUE, Liv. I.
14:
marque de faveur & d'amiric. La Cour ccoic d'ailleurs aflez partagée fur
les intérêts des deux Frères. Les uns fouhaitoient qu'on leur tint tout ce
qu'on leur avoic promis. On comptoit dans ce nombre Dom Diegue de
Deza, Archevêque de Seville, Précepteur du Prince Héréditaire, & Dom
François Ximenès de Cifneros , Archevêque de Tolède. L'autorité de ces
deux Prélats entraînoit une partie des Courtifans dans leur opinion: mais
les autres difoient hautement que les prétentions de l'Amiral étoitnt au-
deflus de fes fervices , & qu'il ne convenoit pas de rendre un Etranger fi
puif-
CiiuisTupiie
&
BARTIilCI.ERJI
Gir,(.MIl.
IV. Voy;igc.
I 5 o 5-
p:iit;ii;i. ùirics
inu-rêrs des
Colombs.
lis fonfmal
»
tant fort aunchée au Cliriftianifnie , tout le
monde attendoit d'elle qu'elle ferait juftice
aux Colombs , non- feulement parce qu'elle
favoit bien qu'ils, avoient rendu un grand
fervice à la Religion , en lui ouvrant la
porte du nouveau Monde , mais encore
parce qu'elle s'y étoit engagée, verbale-
ent & par des Ecrits fignés de fa main,
roinettoit de s'en rendre digne , en
nt de fervir l'Efpagne pendant
te fa vie , avec l'efpérance que fon fer-
apporteroit cent pour un , en com-
bn du palTé ". Le Roi répondit;
voyoit aflez que les Indes lui rappor-
„ tôient beaucoup , & que l'Amiral méritoit
„ toutes les faveurs qu'on lui avoit accor-
„ dées; mais que cette affaire demandoit
„ plus de délibération". La crainte des lon-
gueurs fit revenir l'Amiral à la charge. II
fupplia le Roi „ de fe fouvenir de fes travaux
„ & de fon injufle Prifon ; avec quel mépris
„ de fa perfonne , de l'état & de l'honneur
„ où Leurs Majcftés l'avoient élevé, il avoit
„ été dépouillé de tous fes biens. Un Roi
,, jurte & bien aimé ne devoit-il pas exercer
,, fa bonté royale, & lui conferver des pri-
„ vi'.èges qu'il lui avoit accordés? Tout ce
„ qiïi s'étoitfait contre lui avoit été fait fans
„ l'entendre, fans lui laifTer le moyen de fe
„ défendre, fans l'avoir convaincu, fans au-
„ cune Sentence, en un mot, contre toutes
„ fortes de droits". 11 rappelloit les nouvelles
promefles que Leurs Majeftés lui avoient fai-
tes , lorfqu'il étoit parti pour fon dernier
Voyage.
Un autre jour , dans une audience qu'il
obtintduRoi,iliuidit „ quefavieil!efle& fes
„ infirmités no lui permettoient plus d'atten
„ dre long-teras fes faveurs; que SaMajeflé
„ n'avoit qu'à prendre tous fes Privilèges ,
„ & lui donner ce qu'elle jugeroit à propos;
,, que dans la langueur où il étoit , il ne de
„ firoit qu'une retraite, & la liberté de s'y
„ rendre promptement". Le Roi lui répon-
dit „ qu'il ne defiroit pas fon départ; qu il
„ fe fouvenoit bien de lui avoir donné les
,, Indes; & qu'il jugeoit à propos, non feu-
„ lement de lui rendre tout ce qui lui appar-
„ tenoit par fes Privilèges, mais encore de
„ le rccompenfcr des biens de fa Couron-
„ ne".
Dans un troifième Placet , l'Amiral fit une
peinture fort vive de l'infâme traitement qu'il
avoit reçu de IJovadilla, des violences de
Roldan & de fes Complices, & de la ven-
geance éclatante que le Ciel avoit exercée fur
tous fes Ennemis. 11 fe juRifiGic, fur lu trai-
temcnt qu'il avoit fait aux Indiens, en aliù-
rant que s'il "en avoit envoyé quelques-uns
en Callille, „ c'étoit afin quils fuifent in-
„ flruits dans la Foi Catholique, & qu'ils
appriflent les coutumes politiques du Ro-
yaume, pour retourner enfuite aux Indes,
où ils ieroient devenus fort utiles aux Na-
turels du Pays.' II fupplioit Sa Majellé de
recevoir fon -Fils à fa place , de le faire
jouir des Biens & des Gouvernemens qu'on
lui avoit accordés à lui-même. C'étoit un
point d'où il faifoit dépendre fon honneur.
Mais, après tout, il s'en remcttoit au bon
,, plaifir du Roi; il fe foumettoit à toutes
I, fes volontés; & l'aflliition, qu'il avoit du
„ retardement de fes faveurs, lui faifoitaOez
,. feniir qu'il lui rcfioitpeu de temsàvivre".
Enfin, le dernier Placet, qu'il fit prélcnter,
fut au nom de Diego Colomb , l'aîné de fes
deux Fils. .„ Ce jeune homme conjurent Sa
„ Majcfté d'accorder ce que fon Père lui
,, demandoit. Il ajoûtoit qu'il s'ellinieroit
„ fort heureux d'être envoyé pour ferVir
„ l'Efpagne à ki place de fon Pcre , & que
„ fi Sa Majedé nommoit quelque Offî-
„ cier" pour l'accompagner , il pronietioic
,. de fuivre fes confeilb". Hcrrcm , Liv. 6,
Cbap, 14.
ClUUSTÔPHE
&
JJARTHEr.F.MI
Coi.omu.
IV. Voyage.
1505-
Kflorts qu'ils
font pour ob-
tenir plus de
j.illiCC. •
Moit de
Ciiriltophe
Colomb.
Son carac-
tère.
144 PREMIERS VOYAGES
puiffant. Malheiireufement pour l'Amiral, le Roi s'étoit déclaré au fond
du cœur pour le fccond de ces deux Partis. Enfin , ee Prince lui fit pro-
pofer de renoncer à tous Tes Privilèges, en lui. offrant, pour récompenfe,
des Terres en échange dans la Caflille. Il détacha effeétivement du Do-
maine une petite Ville, nommée Canion de los Comles , à laquelle il joignit
quelques penfions ; & tel devoit être le fruit d'un fi grand nombre de tra-
vaux, que l'Amiral avoit eflliyés pour la gloire de rÈfpagne. Son chagrin
en fut d'autant plus vif, qu'il crut avoir raifon de conclure que la Cour
n'obferveroit pas mieux les promefles qu'elle avoit faites à fa Famille. Mais
ayant appris, en méme-tems, que le Roi Philippe d'Autriche & la Reine
Jeanne d'Arragon, fonEpoufe, dévoient arriver inceflamment en Caflille,
pour prendre pofTeffion de cette Couronne , il fe flatta encore que la Fille
& le Gendre d'iiabelle croiroient leur honneur intéreffé à dégager la parole
de leur Mère. AufTi-tôt qu'ils furent entrés en Efpagne , il leur écrivit,
dans l'impuifTance où fes infirmités le mettoient d'aller leur rendre fes hom-
mages; & Dom Barthelemi, fon Frère, fe chargea de leur préfenter fa
Lettre. Ils la reçurent avec beaucoup de fatisfaélion ; & les marques de
faveur , qu'ils donnèrent à l'Adelantade , durent être accompagnées de for-
tes promefTes , puifqu'elles lui firent concevoir de nouvelles efpérances.
Mais la déclaration de Ferdinand avoit porté le coup mortel à l'Amiral,
Il paroît qu'il mourut avant le retour de fon Frère, & qu'il n'eut pas la con-
folation d'apprendre ce qu'il pouvoit attendre, pour fa Famille, de la dif-
pofition de les nouveaux Protefteurs. Le dernier jour de fa vie fut le 20
de Mai, Fête de l'Afcenfion. Il fe trouvoit alors à Valladolid , d'où fon
corps fut porté au Monaflère des Chartreux de Seville, & dans la fuite à
rifle Efpagnole, pour être inhumé dans la grande Chapelle de l'Eglife Ca-
thédrale de San-Domingo (3;).
Il avoit été marié deux fois, comme on l'a déjà fait remarquer. De
Philippe Monniz Pereflrello , il eut, en Portugal , Dom Diegue, qui lui
fucceda dans fes Dignités; & de Beatrix Henriquez, qu'il avoit époufé en
Efpagne, il eut Dom Fernand, l'Ecrivain de fa Vie, qui n'eut d'inclination
que pour le repos , <5c dont tous les Hifloriens ne laiflent pas de parler avec
éloge (s).
Christophe Colomb mourut dans fa foixante-cinquième année. Tous
les traits de fon caraOïère ont été recueillis par divers Hiftoriens de fon
tems. Sa vie avoit é'-é mêlée de bonheur & d'adverfités , d'opprobres &
d'applaudiffemens , de ce que la Fortune peut procurer de grandeurs , &
de
(y) Rapportons la fin de ce grand Hom-
me, dans les termes d'un Auteur Efpagnol.
,, Ses douleurs croiffoient tous les jours,
I). ïoit par les incommodités de la Taifon ,
,, foit par l'affliftion de fe voir abandonné
„ de tout fecours & deflitué de biens , tandis
„ qu'on oubliait fes fervices, & que chaque
„ jour les richclfes de la Caftiile augmentoient
„ par celles qu'il avoit acquifes à cette Cou-
„ ronne. Voyant donc que fes forces dimi-
„ nuoient, il fe lit apporter le Corps deNô-
„ tre • Seigneur , & le reçut avec beaucoup
,, de piété. Enfuite, Tentant approcher \'he\x-
„ re de la mort, il fe fit donner l'Extrême-
,. Onélion, & rendit l'ame à fon Créateur,
„ dans l'état d'un viiritable Chrétien ". Her-
rera, Liv. 6. Chap. 15.
(2) Oviedo , qui l'avoit connu particu^
Hérement, loue fon caraftère, fon goût pour
l'étude des Sciences, & le foin qu'il avoit
apporté à fe faire une belle Bibliothèque.
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
145
&
&
de
de ce qu'elle peut faire efTuycr d'humiliations. Il jouit peu de fa gloire CunisroinE
& des dignités dont il fut revêtu. Au contraire, il ne pafîa prefque pas un barthelemt
jour fans avoir à fouffrir, ou les douleurs les plus aiguës, ou les contre-tems Coi.oMii.
les plus fâcheux, ou les chagrins les plus cuifans. Il étoit d'une taille hau- IV, Voyage.
te & bien proportionnée. Son regard & toute fa perfonne annonçoient de ^505.
la noblefle. Il avoit le vifage long, le nez aquilin , les yeux bleus & vifs,
& le fond du teint blanc, quoiqu'un peu enflammé. Dans fa jeunefle fes
cheveux avoient été d'un blond ardent; mais la fatigue du travail & le poi-
fon du chagrin y répandu'ent bientôt la blancheur du grand âge. Il avoit
d'ailleurs le corps bien conftitué, & autant de force que d'agilité dans les
membres. Son abord étoit facile & prévenant ; fes mœurs douces & ai-
fées. Il étoit affable pour les Etrangers , humain à l'égard de fes Domefti-
ques, enjoué avec fes Amis, & d'une admirable égaUté d'humeur. On a
dû reconnoître, dans les événemens de fa vie, qu'il avoit l'ame grande,
un génie élevé, l'efprit toujours préfent & fécond en relfources, le cœur
à l'épreuve de tous les contre-tems, beaucoup de prudence & circonfpeélion
dans toute fa conduite. Quoiqu'il eût paffé les deux tiers de fa vie dans une
fortune des plus médiocres , il n'eut pas plutôt changé de condition , qu'il
prit naturellement des manières nobles, & qu'il parut né pour comman-
der. Perfonne ne prenoit mieux que lui cette gravité bienféante, & ne pof-
fedoit plus parfaitement cette éloquence infînuante & judicieufe, qui don-
ne du poids à l'autorité. Il parloit peu; mais toujours avec grâce. Il
étoit fobre, & modefle dans fon habillement, plein de zèle pour le Bien
public, fur-tout pour la Religion. Il avoit une piété folide, une probité
fans reproche , & l'efprit fort orné par les Sciences , qu'il avoit étudiées
dans rUniverfité de Padoue. En un mot, il ne lui manqua, fuivant l'Hifto-
rien, dont j'emprunte les termes (a), pour être l'Idole des Callillans, &
dans leur efprit im des plus grands Hommes de fon liècle , que d'être né
dans leur Pays. On ne fauroit même douter qu'il n'eût fait beaucoup plus
pour
(a") A ce'; traits généraux, dont le fond
efl; tiré d'Hcrrcra , on joindra ici quelques
détails du même Hifhorien.
Chriflophe Colomb entcndoit parfaitement
l'Aflronomic & l'Art de la Navigation. 11
lavoit le Latin & faifoit des Vers. 11 étoit fi
bon Chrétien , qu'il commençoit tous fes
difcours & toutes fes actions par l'invoca-
tton de la Sainte Trinité. A la tCte de toutes
fes Lettres, il mettoit ces mots Latins; ^efiiSy
Crtix, Maria, Jîntnobisinvia. Son ferment
étoit quelquefois , Juro à San - Fernando ;
& lorfqu'il vouloit alairer quelque chofe
dans les Lettres mûmes qu'il écrivoît au Roi ,
ildifoit, Hagu juramento que ei'verdad eflo.
Une autre de fes exprelHons familières, foit
dans la gaycté , (bit en colère , & lorfqu'il
réprimandoit quelqu'un , c'étoit Do&oj àdias-,
no os parue cjîo y ejlo; ou, parque hiziejL's
Jio ye cjlo. U obfervoit régulièrement les
Xnil. Fart.
Jeûnes de l'Eglife. Il approclioit fouvent des
Sacrcmens. 11 récitoit , chaque jour, les
Pleures Canoniales. Il étoit grand ennemi
des juremens & des biafphômes. 11 étoit fort
dévot à la Vierge & à Saint François. On lui
entcndoit répéter fouvent , que Dieu lui avoit
fait de grandes grâces , comme à David. Lorf-
qu'on lui portoit de l'or , ou quelque chofe
de prix dans fon cabinet , il s'agenouilloit fur
fon Oratoire, pour rendre grâces à Dieu de
ce qu'il lui avoit fait découvrir tant d . biens.
Avec un grand zèle pour le Service de Dieu
& la propagation de l'Evangile, il dcfiroit
particulièrement que Dieu le rendit digne
d'aider à l'acquifition du Saint Sépulcre; &
fouvent il fupplioit la Reine de s'engager pnr
Vœu à faire ulagcdes richeffes, qu'il fc pro-
mcttoit de faire entrer en Efpagne , pour ac-
quérir la poffelïïon de la Terre Suijite. Li-
vre 6. Cbap. 15.
14<5 PREMIERS VOYAGES
Christophe
Bautiiei-emi
Colomb.
IV. Voyngc.
1505.
Défauts
qu'on repro-
che à Chrillo-
phc Coluiiib.
Eloge? qu'il
a reçus des
Hiduricns
dEfpasnc.
pour cette Coiironnne, s'il n'eut pas eu le malheur d'y être regardé comme
un Etranger (//).
Mais l'Hiftorien de Saint-Domingue, dont oii emprunte les principaux
traits de ce caraélère, obferve aufli, que tant de qualités éminentcs ne fu-
rent point fans quelques défauts. Colomb, étant palfé tout-d'un-coup de
l'état de fimple Pilote, à des dignités, qui ne lui laillbient voir au-delîus de
lui que le Sceptre, conferva, de fa première condition, une défiance , qui
le rendit trop jaloux de fon autorité. Il étoit naturellement porté à la co-
lère; mais il trouvoit d'abord aflez de force en lui-même, pour en réprimer
les faillies. Peut-être ne confidera-if'il point aflez qu'il avoit à conduire une
Nation fière, & qui ne re^^oit pas volontiers la loi d'un Etranger, quoiqu'el-
le ait été lon^^-tems fous le joug. On lui reproche de la dureté pour les
Indiens, & d'avoir paru trop perfuadé qu'ils étoient nés pour être les Efcla-
ves de leurs Conquérans. Cependant, il ne négligea point leur inftruélion;
& , dans le cours de fon Gouvernement, il fe propofa toujours de leur com-
muniquer les lumières du ChriHianifme. Son amour pour l'ordre & la
difcipline lui fit porter la févérité plus loin qu'il ne convenoit dans de nou-
velles Colonies. Il ne dévoie pas ignorer que, dans la naiflance de cesEta-
bliflemens , une fage condefcendance , qui fert à faire goûter le joug , efl;
moins dangereufe qu'une dureté inilexible, dont l'effet ordinaire efl: de con-
duire, au defefpoir, des efprits déjà révoltés contre les fatigues d'un genre
de vie fi nouveau & fi pénible (c). Mais de fi légères taches n'ont point
empêché les Hiftoriens Efpagnols de rendre , à fon caraélère, toute la jufl:i-
ce qui lui étoit due. Oviedo ne fit pas difficulté de dire, à Charles -Quint,
qu'on n'auroit pas porté trop loin la reconnoiflTance & l'efliimc, en lui éle-
vant une Statue d'or. Herrera le compare à ces Héros des premiers tems,
dont l'Antiquité profane a fait des demi-Dieux (d). Gomara même, qui
le traite de Cruel, reconnoît que fon nom mérite de n'être jamais oublié,
& que l'Efpagne lui doit des éloges & des remercimens immortels (e). Le
Roi Ferdinand, revenu, fans doute, de l'injufte prévention, par laquelle il
s'étoit laifle trop long-tems gouverner, ordonna, non-feulement qu'on ren-
dît des honneurs dillingués à fa mémoire (/) , mais que fus Enfans fe ref-
fentifi'ent des glorieux ferviccs de leur Père. En efi^et, on verra bientôt
Dom Diegue recueillir tous les avantages de fa naiflance, & donner un nou-
veau luftre à fon nom dans la première dignité du nouveau Monde.
L
(6) Hijloîre de Saint-Domingue , Liv. 4.
page 45 & précédentes.
( c ) Ibidem.
( d ) Outre les Temples & les Statues, dit-il ,
ils lui cuffcnt dédié quelque Etoile dans les
Signes céleiles,, coinuic à Hercule & à Bac-
clius. ubifitp.
(e) Liv. I. Chap. 25.
(/) Outre cei!X de fa fépulturc, qui fu-
rent pompeux, on grava, fur l'on Tombeau,
par 1 ordre du Roi, la deviie de fes armes;
^ Cajlilla y a Léon , Nusvo Mundo dio Colon.
Chap. 4<5.
Etat
- -^ E N A M E R 1 Q L7 E, Liv. I. 117
' ' Etat Êf Progrès des Découvertes , après la mon de Chrijlophe Colomb.
I'IsLE Efpagnole n'avoit pas celTc , depuis plus d'un an , d'être en proyc
^ àdenouvelle« guerres, qui s'étoient terminées, fuivant la méthode
d'Ovando, par le mairacre d'une infinité d'infulaircs , & par le Aipplice de
Cotiibama, le dernier de leurs Souverains {a). Le fucccs des armes Calljl-
lanes, & la nouvelle de la mort d'irihelle, mirent le comble à l'infortune
de ces mifcrables Indiens. Le falaire môme , qu'un ordre de cetccPrinccfle
leur faifoit accorder pour leurs fi-rvices , & qui étoit d'une demie Piaftre
chaque mois, parut une charge trop pelante. 11 fut retranché tout-à-fait;
& tous ces Malheureux furent condamnés au travail, fans diftinflion d'ugj,
de fexe, ou de rang, & fans autre obligation, pour ceux qui les em-
ployoient, que de les inftruire (\i?.s principes du Chriflianifme. Mais cet-
te condition étoit fort mal remplie (Z^), quoique Ferdinand ne celTut point
de la recommander dans (es Lettres. Il étoit trompe par les faulll-s repré-
fentations d'Ovando, qui lui peignoit la Religion lloriflante, & qui s'atti-
roit de la confiance par la grande quantité d'or qu'il envoyoit régulièrement
à la Cour. Son adminiftration étoit d'ailleurs fans reproche, & la Police
étoit bien établie dans l'illc. Il s'y faifoit quatre fontes d'or chaque an-
née, deux à Buena- Ventura, pour les vieilles & les nouvelles Mines de
Saint-Chriflophe, & deux à la Conception de la Vega, pour les Mines de
Cibao. Dans la première de ces deux Villes, chaque fonte fourniflbit
cent dix ou fix vingts mille marcs. Celles de la Conception donnoient
ordinairement cent vingt-cinq ou cent trente, & quelquefois cent qua-
rante mille marcs (c): prodigieufes fommes, dont la Renommée fit tant
de bruit , en Efpagne , que bientôt il ne fe trouva plus allez de Navires pour
le paflage de ceux qui s'empreflbient d'aller partager tam: de tréfors. Mais
il ne fut pas long-tems nécellaire de palTer la Mer. La plupart des Seigneurs
& des Miniflres demandèrent des Départemens dans l'ille Efpagnole, &
n'eurent pas de peine à les obtenir. Ils y établirent des Agens, qui eurent
à pouffer tou' -à- la-fois leurs intérêts & ceux de leurs Maîtres. Les Infu-
laires en devinrent la viftime. On les ménagea d'autant moins, que ceux
qui fuccomboient fous le poids du travail étoient auffi-tôt remplacés, en
vertu des Provifions de la Cour. Letjouverneur Général ^n'ofant rien refufer
à ce§ impitoyables Maîtres , & moins encore châtier leur cruauté , on ne fiiu-
roit
(rt) Il fut pendu à San -Domingo. Ses
Sujets , prelTcs, de toutes parts, par Diego
d'Iîfcobar, Jean Ponce de J.éon, Jean d"Kf-
quibcl , & un autre OiRcicr Jifi^agnol ,
qu'Ovando avoit mis à la tète de quatre
Corps de Troupes, avec ordre d'ôter.prur
jamais, aux liuiier.s, Iepou\oirde luicaurer
de ".'iiiquiétude, furent réùuits à de li cruel-
les extrémités, quêtant liletlés à mort, ils
s'enfonçoient de rap]e leurs liùcl-.es dans le
corps, ils les retiroienc, les prenoieiu avec
les dents, & les niettoiont en morceaux,
qu'ils jcitoient contre Tes Clirétiens, dont
DECOUVERTES
CuRisToruc
Colomb.
1506.
?.]ifcrab'(f
fort dvs In-
diens.
RéKleinen?
d Ovau.lo.
Or qu'il ti
roit de 1 lile
Efpagnole,.
I.csScigneuj-s
d'Elpagney
participent.
ils croyoient s'être bien vangés par cette in-
fulte; d'autres ayant été faits Prifoîiniers, &
fe voyant forcés, par leurs Vainqueurs, de
courir devant eux pour leur moiurer les
chemins , fe précipitoicnt volontL'.irement
fur les pointes des Rochers. Hcn-cra, Liv. i.
Chap. 8.
(b) Barthelemi de la'; Cafas reproche, au
Gouverneur , de n'avoir pas eu plus de zèle
pour !a converfion des Infulaires, que s'ils
cullcnt été dos Animaux privés de ra'fon,
(<•) Herrcra, Liv. 6 Cbap, i8.
1 2
148
PREMIERSVOYAGES
Etat des
decouvertes
APlths
Chuistophe
Colomb.
1506.
Règlement
pour les Fem-
mes & les Ma-
riages.
1507-
Dépeuple- '
ment desllles
Lucayes.
Artifices par
Iclquels les
Inùilaires fo
laillent trom-
per.
roit croire combien de malheureux Indiens furent facrifiés, en peu de mois,
à Tavidicé des Grands & de leurs EmilTaires.
Jusq.u'alors on n'avoit fait paficr, dans Tlfle", qu'un fort petit nombre
de Kcmmes Caftilianes, & la plupart des nouveaux Ilabitans s étoient atta-
chés à dp Filles du Pays , dont les plus qualifiées avoient été le partage
des Gentilshommes. Mais les unes & les autres n'avoient pas le titre de
Femmes ; & plulîeurs même de leurs Amans etoient mariés en Caftille.
Ovando ne trouva pas d'autre expédient, pour remédier à ce defordre, que
de chafTer de l'Ifle ceux qui étant mariés , refuférent de faire venir leurs
Femmes, & d'obliger les autres, fous la même peine, d'époufer leurs Maî-
trefles ou de s'en défaire. Comme ceux-ci embraflerent prefque tous le
premier de ces deux partis , on peut dire que les trois quarts des Efpagnols ,
qui compofent aujourd'hui cette Colonie, font defcendus de ces anciens Ma-
riages. En 1507, il n'y reltoit déjà plus que foixante mille Indiens, c'eft-
à-dire, la vingtième partie de ce qu'on y en avoit trouvé dans l'origine de
l'Etabliflement. Ce nombre , ne Ibffifant point pour tous les fervices aux-
quels ils y étoient employés , Ovando réfolut d'y tranfporter les Habitans
des nies Lucayes , qui avoient été découvertes dans le premier Voyage de
Chriilophe Colomb. Il fit goûter cette propofition à la Cour, fous pré-
texte de procurer les lumières de la Religion à tant de Malheureux, aux-
quels on ne pouvoit fournir un allez grand nombre de Millionnaires, &
Ferdinand donna dans le piège. La permifllon ne fut pas plutôt publiée ,
que plufieurs Particuliers, ayant équipé des Bâtimens à leurs fraix , pour al-
ler faire des recrues aux Lucayes , ils mirent toutes fortes de fourberies en
ufage, pour engager ces Infulaires à les fuivre. La plupart les aiTurèrenc
qu'ils venoient d'une Région délicieufe, où étoient les âmes de leurs Pa-
rens & de leurs Amis morts, qui les invitoient à venir partager leur bon-
heur. Ces artifices en féduifirent plus de quarante mille; mais lorfqu'en
arrivant à l'ille Efpagnole, ils reconnurent qu'on les avoit trompés, le
chagrin en fit périr un grand nombre, & d'autres formèrent des entrepri-
{qs incroyables, pour fe dérobber à leurs Tyrans. Un Navire Efpagnol en*
rencontra plufieurs, à cinquante lieues en Mer, fur un tronc d'arbre, au-
tour duquel ils avoient attaché des Calebafles remplies d'eau douce. Ils
touchoient prefqu'à leur lile ,• mais on ne manqua pas de les faire rentrer
dans l'efclavage (d). La violence, qui fut ci ■)loyée après la rufe, rendit,,
en peu d'années , les Lucayes abfolument défei ces.
DinzdeSolis
&. Yancz Pin-
çon fuivent
fes découver-
tes des Co-
lombs.
{(!) rierrcra, Ltv, 7. Cbap. 3.
5. r.
Voyage de D'iaz de Solis ^ d'Tançz Pinçon.
EAN Diaz de Solis & Vincent Yanez Pinçon avoient entrepris , cette an*
_ née, de fuivre les dernières découvertes des Columbs. Ils prirent leur
route pur les Ifl.s de los Guanajos, d'où ils tournèrc^nt à l'Fft; nuis, repre-
nant cnluite versl'Oueft, jufquala hauteur du Golfe Dvue, fans le voir
néan-
J
EN AMERIQUE, Liv. I.
149
néanmoins, parce qu'il efl: caché par les Terres, ils reconnurent la grande
Baye, qui eft entre la Terre du Golfe & celle de l'Yucatan, & lui donnè-
rent le nom de Raye de Navidad. Ils apperçurent, de -là, les Montagnes
de Caria\ &, retournant vers le Nord, ils vilitcrent une partie des Côtes de
l'Yucatan. Après eux, cette découverte fut fufpendue jufqu'à celle de la
Nouvelle Efpagne; & leur gloire fut médiocre, puifqu'ils n'avoient rien
ajouté aux lumières qu'on avoit déjà reçues des Colombs {a).
Cependant, à leur retour en Efpagne, ils reçurent ordre de fe rendre à
la Cour, avec Americ Vcfpude & Jean de la Cofa, pour tenir un Confdl,
dans lequel il fut arrêté que les découvertes feroient continuées vers le Sud,
le long de la Côte du Brelil ; & que, pour tirer quelque avantage de tant
de lieux qu'on avoit reconnus, depuis Paria, vers les mêmes Terres, on y
formeroit quelque Etabliifement. Le Roi fit équiper deux Caravelles, qui
furent livrées, avec confiance, à de fi fameux Pilotes. Mais on jugea né-
ceflaire d'en retenir un àSeville, pour faire les alignemens & les routes;
& Vefpuce fut nommé à cet Oliice. C'effc proprement de ce choix , & des
Lettres Patentes, par lefquelles il fut confirmé à Burgos, que le nouveau
Monde a tiré le nom à! Amérique. La jufl:ice & la railon demandoient, fui-
vant Herrera, qu'il eût pris le nom de Chrifi:ophe Colomb , à qui l'on en
devoit la première découverte: mais la Déclaration du Roi d'Efpagne de-
vint comme une Loi pour toute l'Europe, ik fut confirmée par d'autres fa-
veurs, qui continuèrent de tombc;r lur Vefpuce {^b). Solis & Pinçon
ayant obtt:nu le Commandement des deux Caravelles, Jean de la Cofa &
Pierre do Ledefma furent chargés de TOliice de Pilotes.
Etat de»
DECOUVEllTES
APItfes
CHRIfcTOITIK
Colomb.
1507-
Première
découverte
de l'Yiicaun,
(fl) Le même, Liv. 6. Chap. 17.
( i ) Il fut honoré du titre de Pilote Major,
avec une pcnlîon aninicllc de ibixante-qiiin-
ze mille Maravcdis. Cc'te qualité lui doii-
noit le droit, & l'obligcoit même d'exami-
ncr tous les Pilotes ; ce qui enfla beaucoup
fa vanité, fuivant les termes de l'HiRorien,
ibidem, Chap. i. /^oyez , ci - deUlis , fon in^
Julie ufurpatioH.
Ce qai a
confirmé le
nom d'Améri-
que au nou-
veau Monde.
5- II.
Voyage à'Ocampo autour de Plfle de Cuba:
AU commencement de l'année 1508, le Roi fit des plaintes, de la né-
gligence qui avoit fait remettre de jour en jour à s'afîurer fi Cuba,
Terre fi voifine de flfle f'-fpagnole, cioit une lîle ou quelque partie du Con-
tinent. Depuis 1494 , qu elle avoit été découverte par Chriflophe Colomb,
on n'avoit pas eu d'autre cciairciflement que ceux qu'il avoit reçus lui mê-
me d'un Roi du Pays. Sebaftien d'O^awpo, un des premiers Compagnons
de Colomb, reçut ordre de partir avec cette feule Commiflion. En arri-
1 5 o 81
Oa dcutoic
Cl Cl, La éioit
une lue.
le radoub à deux Vailleanx. Ceil le même" qui eîl devenu fi'célèbre de-
puis, fous !c nom du la Uaïam. Enfuite Ocampo, fuivanr, la route de
iOueflj trouva le Cap, qu'on nomme aujourd'hui Haint-Àntoine ^ à la difl:an-
T 3 ce
150
PREMIERS VOYAGES
Etat des
ntCDUVEHTES
CnRijTornE
COL,UMil.
1.50 s.
Succès du
V()y:if.;c ifO-
campti.
ce d'environ cinquante lieues de ce Port. Il tourna de là vers l'Orient, le
long de la Côte du Sud; & doublant le Cap, il entra dans le Port de Xngua,
nom de la Province où il efl: Htué. Sa grandeur & la commodité , qui le
rendent capable de contenir jurqu'à mille Vailllaux, caufèrent de l'admira-
tion aux Efpagnols. Ils ne furent pis moins furpris de s'y trouver dans les
délices, par l'abondance &I1 variété des rafraîchifleniens qu'ils reçurent
des Indiens (a). Ocampo coiuinua de faire le tour des C(kes; & Ion té-
moignage, après un Voyage de huit mois, ne lailFa aucun doute que ia Ter-
re de Cuba ne lût une llle.
(a) Ils avoicnt un fort ,i;r;tncl nombre de fcpircs les uns des autres. T. c Port efl R
Cliicr.r, de mer, qu'ils tL'iioicnt dans des Pures. paili:iIo, que les Chiens de mer y étoient
On en comptoit des nirllioiis. Ces Pares e'- comme dms des Maifons, ijui feroitnt bâties
toient faits de cannes ticliées dans la vafc, & au milieu d'un Etapg. Ibidem.
Motif de
i'I'lxiiéditiun
de Jean
Ponce.
0-1
i;fner3le de
riUe de Bo
iicjiiciî.
5. III.
Voyage £5' EtahUJJemcnt de Jean Fonce à Boriquen, ou Portai ic.
DANS le même-tems , Jean Ponce, qui commandoit à Salvahon, Ville
nouvelle de l'L'Jpagnole, qu'Ovando avoit fait bacir fur le bord de la
Mer, à vingt-huit lieues de San- Dnmin;^o, ayant appris, de quelques In-
diens, qu'il y avûit beaucoup d'or dans i'IOe de Boriqum, que Chriflophe
Colomb avoit nommée Saint- Jean ^ ik ([ui a pris enfuite le nom de Portoric^
obtint du Gouverneur Général la permilîion de la viiiter. Il le mit dans
une Caravelle, que les Guides (ircnt aborder fur la Côte d'une Terre, dont
le Seigneur, r\ommé Agueymba , écoit le plus riche ik le plus puiOant de
riile. Il y fut re(;u avec la plus fainte preuve de i'amitié des Indiens, qui
confiftoit à prendre le nom de ceux qu'ils \'ouloient honorer ilngnliérement.
i\inri le Cacique fe fit nommer, dès le premier jour, '/ran Ponce /Jgitcynaba.
Il conduifit Ton Hôte dans toutes les parties de rine,&fur les bords de deux
Rivières, nommées iVlanatuabon&.Cahiito , dont le i.ible c':oit nulé de beau-
coup d'or. Ponce en fit faire des épreuves, (î\: te lùta de porter c:tte heu-
reuie nouvelle au Gouverneur. Une partie de les gens , qu'il avoit laiilce
dans rille, y fut ii bien traitée dans Ion abfence, qu'également engagé par
la richelle du Pays & par l'humanité ui.s Habitans, il y revint pour former
une Colonie. La defcription , qu'il fît de l'iilj, poitoit, que dans fa plus
grande partie elle cil remplie de Montagnes & de Collines, quelques-unes
revêtues de Bois épais & d'herbes fort agréables ; qu'elle a peu de Plaines,
beaucoup de Vallons, & quantité de Rivières, qui fervent à la rendre fer-
tile ; qu'elle efl éloignée, de douze ou quinze lieues, de la Pointe occiden-
tale de l'Eipagnole,- qu'elle a quelques Ports d'une bonté médiocre, à l'ex-
ception de celui que fbn excellence fit nommer Puerto Ricco, d'où s'ell for-
mé Pottoric; que la longueur efl d'environ quarante lieues, fur quinze on
feize de largeur, & fon circuit de cent vhigt; que toute la Côte du Sud ell
au dix-feptième degré de latitude du Nord, & cdle du Nord au dix-huitiè-
me j enfin 5 qu'il s'y tiouvoit beaucoup d'or, mais d'un moindre aloi que celui
de
EN AMERIQUE, L i v. I.
151
Ktat nt«
CECOUVKRTEf
Anù'."'
CiiuisTorat
Coi.oMli.
1508.
IJoin
de
de riHe Efpagnole. Le feiil malheur de cette Ifle étoit d'être fouvent expo-
fée aux attaques des Caraïbes , qui pafluient, dans l'ciprit des autres Indiens,
pour les plus barbares de tous les Hommes (a).
La même année apporta des cliangcmens, qui rendirent, à la réputation
des Colombs, un éclat qu'elle fembloit avoir perdu depuis la mort d'Ifa-
belle. Dom Diegue Colomb, IVuié des deux Fils de l'Amiral, avoit pour- Rctubliill-
fuivi avec chaleur les droits qu'il avoit hérités de fon l'ère. Les plus for- '"V'J '',''^1^^^'
tes oppiHitions étoient venues du Roi même (b); mais après avoir long- lolnf,','^' ils \
tems elVuyé les Lnteurs de ce Prince , il avoit obtenu enfin la permilîion de cinillophc.
recourir aux vo^cs communes de la Juftice. Un Mémoire, compofé de
quarante -deux Articles, qui ne contenoient que les anciennes Conventions
du Roi 6c de la Reine avec l'Amiral, avoit fait ouvrir les yeux au Con-
îeil. Après une exafte difcuflion , on avoit reconnu la juftice d'une de-
mande Il bien établie; & le jeune Colomb avoit gagné fon Procès d'une
feule voix. Cependant il auroit eu peine à vaincre l'irréfolution du Roi,
s'il n'eût trouvé, dans une alliance fort honorable, des fecours qui lui fi- "•
rent furmonter tous les obllacles. Il epoufa Marie de Tolède^ Fille de Fer-
dinand de Tolède, Grand Commandeur de Léon, Grand Veneur de Caftii-
le, Frère du Ducd'/^/k, îk Coufin • germain du Roi Catholique, dont le
Duc d'Albe étoit d'ailleurs fort aimé. Le premier eftet de ce Mariage
fut déporter les deux Frères à foUiciter fortement, l'un en faveur de fon
Neveu , & l'autre pour fon Gendre. Ovando fut révoqué , & Dom Die*
gue fut nommé pour le remplacer, mais avec le fimple titre de Gouver-
neur Général ; quoiqu'en faveur apparemment d'une Alliance , qui j'ap-
prochoit de la Maifon Royale, on le trouve fouvent honoré de la quali-
té de Vice -Roi, & Dona Maria de l'olede, fon Epoufe , de celle de
Vice- Reine (c).
Il paroît que la difgrace d'Ovando ne vint pas feulement du crédit de la
Maifon de lolede; Ci: que la Reine Ilabelle, pour aflurer la punition du
maflacre deXaragua, dont elle avoit toujours parlé avec horreur, avoit prié
Ferdinand de rappeller un Officier, qui avoit répondu fi mal à ùi confiance.
D'ailleurs, il avuic commis une faute, bien moins excufuble, pour un vieux
Courtifan, en s'attirant la haine du Miniltre des Indes, qui jouïlfoit enco-
re de la plus haute faveur. Un Ilillorien, qui paroît trop porté à le jufti-
ficr , afllire qu'Ovando fut regretté dans les Indes. 11 ajoute qu'on n'avoit
jamais
(a) Le mcinc, Liv. 7. Cha[>. 4.
(i) Dom Dicgiic eut ia fermeté de lui
dire un jour, „ qu'il dofiroit lavoir pour-
„ quoi Sa JVIajcfté ne fUi i'ifoit pas la grâce
„ do lui donner ce qui'lui t.ppartcnoit, après
,, lui avoir fait celle de Ic'levtr dans la Mai-
„ fon , & lorfque , dans fcs demandes , il
„ n'avoit p;is d'autre vue que de le fcrvir
,, fidèlement'^" Le Roi lui répondit que pour
le bien, il le lui conlieroit volontiers, mais
à condition qu'il le gardât pour fes enfans ik
les luccelTeurs. A quoi Dom Diegue répli-
qua „ que n'ayant point d'cnfaiis, ù. n'éuas
,, pas certain d'en avoir Jamais, il netoit pas
,, naturi I qu'il prît d'avance un engagement
,. de cette nature." Ibidem, Liv. 7. Chap. 4.
Mais fes plus chères prétentions regardoicnt
les Emplois de Viceroi èc de Gouverneur per-
pétuel des Iftdos, tant des Terres découver-
tes que de celles qui reltoient à découvrir,
fuivant le Contrat formel qui avoit été fait
entre Leurs Majetlés & fon Père, & dont
celui-ci avoit rempli lidèiemuiit les condi-
tions, ibidem.
(c) Hcrrera, Liv, 7, Cba.p. 6^
■Etat dk«
DECOUVERTES
APfii;.-
CimiSTonnî
COLOM».
1508.
Alfonfe
irOjcda c(t
choifi pour
de nouvelles
ditreprifcs.
Vîlcs de h
CourdEfpa-
une.
Situation
d'Ojcda dans
i'hh Efpa-
gnolc.
Diego deNi-
cucŒi lui dt
alTocié.
I5Î PREMIERS VOYAGES
jamais vu d'Homme moins intcrefle ; qu'il avnit employé tons Tes revenus
à l'utilité publique, & qu'en partant pour riClpagnc, il fut obligé d'em-
prunter cinq cens Caftillans, pour Ips fraix de Ton Voyage (d). Le pre-
mier accueil qu'il reçut du Roi, ne marquoit point un Ilnmmc difgracié.
Cependant on foufFrit que divers Particuliers lui intcntafll iit des Procès,
& lui redemanciaflent des fommes confidérdhlcs, qu'il (e dilpcnfa depayer|
par la feule raifon qu'elles ne lui avoient pas été clemandé;.s dans Ls tren-
te jours que la Cour lui avoit donnés pour rendre Tes comptes à (on Suc-
celfeur (e).
Pendant que Dom Die^ue, qui ne paroîtra plus que fous le titre d'A-
miral, faifoit les préparatifs de Ion départ & recevoit les ordres du Roi
pour Ton. adminiftration , Solis & Pinçon , heureufcment revenus de leur
Voyage, rapporte ent, qu'étant arrivés à la Terre -ferme, vers le Cap
Saint- Augufliin, ils avoient fuivi la Cote jufqu'au quarantième degré de la-
titude Aultrale, & que dans tous les lieux où ils étoient defcendus, ils a-
voient pris pofleflion du Pays au nom de l'Elpagne. Quoiqu'ils n'culTent
pas tiré d'autre fruit de cette Expédition, le Roi , qui avoit conçu de trop
grandes efpérances des dernières découvertes de Chriftophe Colomb, pour
ne pas s'aflurer la poilefllon de tant de riches Contrées , réfolut d'y établir
fa puiflance fur des fondemens folides. Alfonfe d'Ojeda, dont la hardicffe
àc le courage étoient célèbres, lui parut propre à cette entreprife; mais les
courfes & les avantures d'Ojeda ne l'avoient point enrichi. Loin de pou-
voir fournir aux fraix d'un Armement conlîdérable, il luttoit alors contre
fa mauvaife fortune, dans l'Ille Efpagnole, d'où il ne paroît pas qu'il fût
forti depuis le fécond Voyage qu'il avoit fait avec Americ Vefpuce. Jean
de la Cofa, qui eftimoit Ion caraftère, apprenant l'obftacle qui pouvoit
faire renoncer à ks fervices, offrit, non- feulement de lui porter les ordres
& les inllrudtions de la Cour, mais de l'aider de fon bien pour une dépen-
fe dont le Roi ne vouloit pas fe charger. Le Miniflre des Indes (/) ac-
cepta cette propofition. Mais, dans le même tems, un Gentilhomme fort
riche, nommé Diego de NicueJJa, qui avoit fervi, en qualité d'Ecuycr, Dom
Henrique Henriquez^ Oncle maternel du Roi, & qui s'étoit fait connoître
avantagv.^.'ement à la Cour, arriva, de fUle Efpagnole, chargé d'une Com-
miffion qui regardoit cette Colonie. La nouvelle de ce qui fe ménageoit
en faveur d'Ojeda, lui fît naître du goût pour la même entreprife. Il de-
manda qu'elle ïHt partagée entre Ojeda & lui, & fon crédit le fit écouter.
On forma deux Provinces de cette partie du Continent où l'on vouloit s'é-
tablir; on en régla les limites; & les Provilîons de deux Gouverneurs fu-
rent expédiées. Le partage d'Ojeda fut tout l'efpace qui efl: depuis le Cap
de Vêla, auquel il avoit donné ce nom, jufqu'à la moitié çlu Golfe d'Uraba;
& ce Pays fut nommé la Nouvelle Andaloufie. Nicueffa obtint ce qui eft de-
puis le même Golfe jufqu'au Cap Gracias à Dïos ^ & cette Province reçut
le
((/) Ovicdo, Liv. 4. Chap. 5. Cet Ilifto- ("/) Fonfecn étoit pafTé ruccc(îî\cmcnt de
rien excui'c jufi]u'à la cruiuitc d'Ovando. l'Evcché de Badajos , à ceux de Cordoue &
(e) Herrera, Lïv. 7. Chap 10. Ovicdo, dePlacentia, fans celfcr d'être chargé parti-
Liv.'x. Chap, 12. & Liv. 4. Cbap. i. cuUèreiucnt du MinilUrc' des Indes. ,
EN AMERIQUE, Liv. I.
«53
Etat nu
DECOtVL'RTll
APHkS
Christophe
CoLOMn.
1508.
On partage
cntr'ciix le
Ciouvtri)e-
mcin des Pays
qu ilb de
voient divi-
12, Dom Fernand Ton Frère (A) , fcs deux Oncles, quantité de NobklTe î;,VusÏNoa
: d'Officiers, & plulîeiirs Demoifelles , qui comporoienc le Cortège de la vcllc Anda-
'ice- Reine. Son Voyage fut heureux, & ii Flotte mouilla, le 10 de louiic &. de
CalUlU' d'oi.
1509.
le nom de C/iJlilIc d'Or. Jean de la Cofa fut créé Sergent Major & Lieute-
nant Général du Oouvernement d'Ojeda, avec droit de furvivance pour
fon !• ils. On abandoniia auflî la Jamaïque , en commun , aux deux Cîou-
verncurs, pour en tirer des vivres & d'autres fecours. L'Amiral fut le
feul, à qui ces ProviCions caufèrent du chagrin. C'étoit donner atteinte à
fcs Privilèges, fur- tout pour la Jamaùiue, dont on paroifloit oublier que
la découverte étoit due à Ton Père (g). Mais les circonlknces l'obligeant
de dilfimuler , il prit le parti d'attendre quel feroit le luccès de l'Armement,
pour faire revivre fes prétentions.
Il s'embarqua , le 9 de Juin 1509, au Port de San-Lucar, avec fa Fem
m
&
Vice- Reine. Son Voyage
Juillet, dans le Port de San -Domingo. Son arrivée parut donner, à la
Colonie, un luflre qu'elle n'avoit jamais eu. On y célébra des Fêtes (»);
& quelques différends , qui s'élevèrent pour le' Gouvernement de la Forte- i^o,,, ni^gue
refle, n'empêchèrent point lajoye de Te répandre dans toutes les parties ferLndàrille
de ride. Elle fut troublée, néanmoins, par un affreux ouragan , qui ren- Efpagnolo.
verfa une grande partie de la Capitale, & qui fit périr quantité de Vaif- Afl'reuxou-
feaux dans le Port. Mais les ordres furent donnés aulfi ■ tôt pour rétablir la "S^." qu'rcn-
Ville; & l'Amiral, après avoir reçu, par un article exprès de fa Commif- Ji^îesànSo'
fion, les comptes d'Ovando & de fes Lieutenans Généraux (*), demeura mingo.
Maître abfolu du Gouvernement.
Il avoit reçu ordre, à l'on départ d'Efpagne, de faire un Etabliffement
dans rifle de Cuhaiiua^ qu'on appelloit communément Xljle des Perles. Plii-
fieurs Habitans s'offrirent pour cette entreprife, fur - tout ceux qui avoient
à leur fer vice «es l'Tclaves Lucayes. Ces infortunés avoient une facilité ex-
trao. Jinaire à demeurer long- tems fous l'eau, & l'expérience avoit appris
qu'ils étoicnt moins propres au travail des Mines. L'Amiral profita de cet-
te connoi Tance dans fon choix; & pendant plufieurs années, il fe fit,
dans cette llle , des fortunes immenfes, par la Pêche des Perles. Herrera
fait monter le feul quint de la Couronne à quinze mille ducats. Mais bien-
tôt les Plongeurs , qui furent peu ménagés , périrent prefque tous ; & les
Per-
Etablifle-
mcnt dans l'If-
le de Cubagut
ou des Perles.
m-
(ap
\a;
le-
tut
le
idc
&
rti-
Çg) Herrera, L'V. 7. Chap. 7.
(h) Il parole que les inclinacions de ce.
fécond Fils de C.niflophe furent toujours
pour une vie tranquille. Herrera fait enten-
dre que Dom Dic';ue eut ordre du Roi d em-
ployer fon Frère à h fondation des Eglifes &
des Monaflères. Liv. 7. Chap. 6,
( i ) Toutes les Filles , que la Vice Reine
avoit amenées , furent mariées aux Princi
paux de la Culonie. Malgré l'ordre d'Ovan'-
do , & ce qu'on a rapporté de fes eftets fur
le téaioi^nage de 1 Hiitoricn de S. Dominguc,
Ovi;do alfure que la plupart des Caftiiian?
n'avoient pas voulu époufer des Filles de l'if-
Ic , à caufe , dit - il , de leur incapacité & de
XniL Fart.
leur laideur. Il ajoute que ces derniers ma-
riages annoblirent beaucoup San- Demi igo,
& que „ ccll de là, aullî bien que des lien-
„ tilsbommes & graves Perfonnages qui amc-
,, nèrent leurs Femmes d Efpagne , que Ibnt
„ iifus les plus grands biefis , richciTes & hé- ■
,, ritagcs, & les plus nobles fondations de
„ cette Ville". Liv. +. Chap. i.
{k "I Les plus raifonnables , dit Herrera,
confiderèrent le changement d.s chnfes, &
fe fouvinrent des mépris &. des torts qu'on
avoit fait cfluyer au Père de IVAmiral : plu-
fieurs en témoignèrent du regret. Liv. 7.
Chap. 10,
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5
154
PREMIERS VOYAGES
Etat des
skcouvbktes
APRÈS
Christophe
Colomb.
1509.
Les Pour
ceaux d'Kfpa-
gne chan,;ent
de forme dans
cette Ille.
EtabliOTe-
ment de Por-
•oric.
Jean Ponce
ïe met en pof-
feffion du
Gouverne-
ment de cette
Ifle.
. DifSculté
«ju'il y trouve
de la part des
Infulaircs.
Perles difparurent en même-tems des Côtes de Tlfle. Elle efl éloignée,
de l'Efpagnole, de plus de trois cens lit?iies. Sa fituation efl: au dixième
degré. Comme la terre en efl: feche & ftcrile, rerhplie de Salpêtre, fans
eau douce, & fans autres Plantes que quelques arbres de Gayac & des ron-
ces, elle fut bientôt abandonnée de fes nouveaux Habitans, qui' paflerent
à la Marguerite. Ils ne regrettèrent qu'une jolie Ville , qu'ils avoient bâ-
tie dans un excellent Port , fous le nom de Nouvelle Cadix ^ & une Fontaine
odoriférante, dont l'eau pafle pour médecinale, & furnâge à celle de la
Mer. Les Infulaires Naturels avoient le corps peint, & vivoient des Huî-
tres dont ils tiroient les Perles. On remarqua que les Pourceaux, qu'on
avoit apportés de Caftille, & qui multiplièrent beaucoup, prirent une for-
me qui les faifoit méconnoître. Leurs ongles , s'il en faut croire l'Hifto-
rien, s'allongèrent d'un demi pied en hauteur. Il ajoute, pour unique ob-
fervation fur les Perles, qu'elles paroiflent d'abord en forme de petits grains,
dans le fein de l'Huitre ; que dans leur origine , elles font de la moUefle du
lait , & qu'elles durciflent pii' croiflant ( /). , . '^
Dans le cours de la même année, l'Ètabliffement de Boriquen, ou Por-
toric, dont Jean Ponce avoit jette les fondemens, prit une forme plus foli-
de , dont on n'eut obligation , néanmoins , qu'aux violences de la guerre.
Depuis le rappel d'Ovando, la Cour d'Efpagne avoit nommé, pour Gou-
verneur de cette lile, Dom Chriftophe de Sotomayor, Frère du Comte de
Camina , qui avoit été Secrétaire du Roi Philippe I. Un Homme de cette
confidération ne devoit pas s'attendre à trouver des obftacles , dans un
Gouvernement qu'il fenoit immédiatement du Souverain. Cependant, il
ne put obtenir d en être mis en pofleffion ; & l'Amiral y plaça, de fon au-
torité , un autre Caflillan nommé Michel Cerron , auquel il donna Michel
Diaz pour Lieutenant. Ce qu'il y eut de plus étrange, c'efl: que Sotoma-
yor ne fut pas foutenu par la Cour , & qu'Ovando , apprenant ce qui s'étoit
pafle dans les Indes, demanda & obtint le Gouvernement de Portoric pour
Jean Ponce, qui en ayant pris pofleflTion dès la même année, fit arrêter,
fous quelques prétextes, Cerron & Diaz, & les envoya Prifonniers en Ef-
pagne. Comme Sotomayor étoit demeuré fans emploi , Ponce lui offrit
fa Lieutenance, avec l'Office d'Alcalde Major, qu'il ne fit pas difficulté
d'accepter: mais le reproche qu'on lui fit, de s'être réduit à des Emplois
fubalternes, dans une Ille dont il avoit eu le Gouvernement, l'obligea de
les abandonner pour mener une vie privée dans l'Ule.
Cependant le nouveau Gouverneur ne trouva pas autant de facilité à s'y
établir, qu'il s'en étoit promis. Agueynaba étoit mort ; & fon Frère,
qui lui avoit fuccedé , n'avoit pas hérité de fon afi^eélion pour les Efpa-
gnols. Ponce commença par bâtir une Bourgade , & voulut faire enfuite
des Départemens Indiens , à l'exemple de l'ille Espagnole i, mais il recon-
nut qu'il s'étoit trop flatté, en croyant pouvoir difpoier des Infulaires com-
me d'un Peuple conquis. Si la réputation des Efpagnols, qu'ils regardoient
encore comme autant de Dieux defcendus du Ciel, leur avoit d'abord im-
pofé , ils n'eurent pas plutôt fenti la péfanteur du joug , qu'ils cherchèrent
les
(/) Herrera, Ldv. 7. Chap. 9^
a"-
EN AMERIQUE, Liv.I.
iSS
les moyens de s'en délivrer. Ils s'afTemblèrent; & le premier objet de
leurs Délibérations fut d'édaircir l'immortalité de ces cruels Etrangers. Un
Cacique, nommé Brayau^ fut chargé de cette Commiffion. Les Efpagnols
étant accoutumés, dans leurs couries, à fe loger familièrement chez les In-
fulaires, un jeune Homme , nommé Salcedo^ pafla çhezBrayau, qui le re-
çut avec de grandes apparences d'amitié. Après s'être repofé quelques
jours, il prit congé de fon Hôte, qui , le voyant chargé d'un paquet , l'o-
bligea de prendre quelques Indiens pour le porter, & pour l'aider lui-mê-
me dans quelques paflages difficiles. Salcedo arriva au bord d'une Riviè-
re, qu'il falloit traverfer. Un de fes Guides, chargé des ordres fecrets
du. Cacique , fe préfenta pour le charger fur fes épaules ; & lorfqu'il fut au
milieu de la Rivière, il fe laifla tomber avec Ion fardeau. Les Indiens j
qui le fuivoient , fe joignirent à lui, pour tenir longtems l'Efpagnol au
fond de l'eau, & le voyant enfin fans aucune marque de vie, ils tirèrent le
corps lur la rive. Cependant, comme ils ne pouvoient encore fe perfua-
der qu'il fût mort, ils lui firent des excufes de'lui avoir laifle avaller tant
d'eau , en proteftant que fa chute les avoit beaucoup affligés , & qu'ils n'a-
voient pu faire plus de diligence pour le fecourir. Leurs difcours étoient
acconipagnés des plus grandes marques de douleur, pendant lefquelles ils
ne ceffoient point de tourner le Cadavre, & d'obferver s'il donnoit quelque
figne de vie. Cette comédie dura trois jours, c'eft-à-dire , jufqu'à ce
qu'ils furent raflurés par la pwinteur qui commençoit à s'exhaler du corps.
Brayau, qu'ils informèrent aufli-tôt de leur découverte, ne voulut s'en rap-
porter qu'à fes yeux. II fit fon rapport aux autres Caciques j & , fe defa-
bufant tous enfemble de la prétendue immortalité de leurs Tyrans , ils pri-
rent la réfolution de s'en défaire à toute forte de prix. Leur entreprife fut
conduite avec beaucoup defecret; & les Caftillans éfant fans défiance, ils
en maflacrèrent une centaine , avant que les autres eufl^ent ouvert les yeux
fur le danger. Sotomayor fut enveloppé dans ce nombre. 11 avoit eu , dans
fon Département , le Frère d'Agueynaba ; & quoiqu'averti par la Sœur de
ce Cacique, dont il étoit aimé , .1 négligea fi malheureufement fes avis &
ceux d'un Caftillan , qui favoit aflez la langue pour avoir compris que les
Indiens chantoient déjà fa mort , qu'il fut afifalTmé le lendemain avec tous
fes gens (m).
Ponce, allarmé pour lui-même, raflembla aufli-tôt tout ce qui reftoit de
Caflillans dans l'Hie; & preflant les Indiens dans leurs retraites, malgré
l'arrivée des Caraïbes , qu'ils appellèrent à leur fecours , il en tira une ven-
geance qui leur ôta pour jamais l'efpérance de rentrer en liberté. Tous
fes gens étoient d'anciens Soldats, exercés à combattre les Sauvages dans
les guerres de l'Efpagnole ; mais aucun d'eux ne contribua plus à la viéloi-
re , qu'un grand Chien, dont l'Hifl:oire fait un éloge fingulier (n). Ce-
pen-
Etat du
dbcouvehtks
APRÈS
Chbistufiib
Colomb.
150p.
Comment
ils fe défont
de Salcedo,
jeune Efpa-
gnol.
Ils fe con-
vainquent que
les Éfpagnola
étoient mor-
tels.
Ils en tuent
un grand nom-
bre.
Ponce les
foumct, &les
condamne aux
Mines.
(m) Herrera, Lîv. 7. Cbap. 13.
( n ) „ Ils furent admirablement fécondés ,
„ raconte le même Hiftorien , par un Chien
„ qu ils appelloient Bezerrillo, & qui faifoit
„ des exécutions furprenuntes, Il favoit dif-
„ tlnguer les Indiens Ennemis , & ceux qai
„ vivoient en paix. Auflî rcdoutoicnt- ils
,, plus dix CalUllans avec le Chien, que cent
„ Caftillans fans lui. Avant la guerre ils lui
,. donnoient, pour l'appaifcr , la même por-
V a M tion
/ -
Etat du
decouvertes
APRÈS
Christomb
. Colomb.
150p.
Dom Die-
gue peiife à
s'aflurer de la
Jama2(iue.
Différend
entre Ojeda &
t^icueiTa.
■ r-.'
Efquibel va
prendre pof-
felfion de la
Jamaïque
pour DIegue
Colomb.
155 PREMIERSVOYAGES
pendant une Ifle fi peuplée n'auroit pas été facilement fubjuguée, fi les
Habitans, qui virent leurs Ennemis fe muliiplier de jour en jour, par les
fecours qu'ils recevoicnt de l'Elpagnole , n'avoicnt eu la fimplicité de fe
perfuader que ces nouveaux Cartillans étoient ceux mêmes qu'ils avoient
tués, & qui reflîifcicoient pour les combattre. Dans cette idée, qui leur
fit regarder la réfiflance comme une folie, s'étant abandonnés à la difcrétion
de leurs Vainqueurs , ils furent employés au travail des Mines , où ils péri-
rent prefque tous (0 ).
La Jamaïque fut mife la même année fous le joug. On a fait obferver
que Dom Diegue Colomb avoit rcflenti fort vivement que la Cour eût dif-
pofé, fans fa participation, des riches Contrées que fon Père avoit décou-
vertes , & fur-tout de la Jamaïque , qui ôcoit comme à la porte de fon Gou-
vernement. Il trouva l'occafion, qu'il attendoit, de fe faire juflice à lui-
même. La Cpfa n'avoit pu fretter qu'un Navire & deux Brigantins , fur
lefquels il s'étoit embarqué ; tandis que Nicueffa avoit armé quatre grands
Vaifleaux & deux Brigantini , qu'il avoit remplis de toutes fortes de provi-
fions. Ils étoient arrivés tous deux, prefqu'en même-tems, à San -Do-
mingo, quoique Nicuefl^a fût parti plus tard , & qu'il fe fût arrêté à Santa-
Cruz, une des petites Antilles, où il avoit enlevé cent Caraïbes , qu'il defti-
noit à Tefclavage, fuivant le droit qu'on s'attribuoit alors fur ces Barbares,
parce qu'ils paiïbient pour Antropophages. Les deux Gouverneurs ne fu-
rent pas long tems enfemble , fans avoir des démêlés fort vifs fur leurs
droits. La Jamaïque fut le premier fujet de difcorde, & tous deux avoient
des prétentions fur le Golfe de Darien. Ojeda, qui avoit langui dans la
pauvreté, & qui ne connoiflbît pas d'autres droits que ceux de la valeur,
propofa plufieurs fois à Nicuefla de vuider leur querelle par les armes. Ni-
cueffa lui répondoit , avec la fupériorité que donnent les richeffes , qu'il
confentoit à fe battre, mais à condition qu'ils mettroient en dépôt chacun
cinq mille Cafl:illans, qui appartiendroient au Vainqueur. Enfin, la Cofa
les mit d'accord fur le Darien, & les fit confentir à prendre, pour Ligne
de feparation , la Rivière même du Darien , dont le côté du Levant appar-
tiendroit à l'un , & celui de l'Ouefl: à l'autre.
A l'égard de la Jamaïque, ce fut l'Amiral qui fe chargea de les accorder,
en faifant valoir fes propres droits pour fe faifir de cette lOe. Il y envo-
ya Jean d'Efquibel avec un corps de Troupes, & l'ordre d'y faire. un Eta-
bliffement en fon nom. Ojeda porta l'audace jufqu'à déclarer hautement,
que s'il trouvoit Efquibel, à.la Jamaïque, il lui abbattroit la tête. 11 par-
tit.
,, tton qu'à uri Arbalétrier, non - feulement
,, en vivres , mais en or , en Efclavcs , à.
„ autres cliofcs, que fon Maître rccevoit.
„. Entrf: plufieurs preuves du difcernement
„ de cet animal , on rapporte que les Callil-
„ ^lans ayant un jour réfolu de faire Jévorcr
„ une vieille Indienne, qui leur dépluifoit,
„ ils la chargèrent dune Lettre, qu'elle de-
„ voit porter à quelque didance; &Iorfquily
j, la virent fortie , ils lâchèrent Bczcrrillo.*
' ' ■ ='7
L'Indienne, le voyant accourir furieufe-
ment , prit une poflure fuppliaiite , lui
montra la Lettre , & lui dit : Sei^qneur
Chien , je vais porter cette Lettre à des
Cbntiens ; ne me faites pas de mal. A ces
mots, le Chien s'adoucit, la llairn, leva
la j;unbe, piTa contr'elle, & revint fans
lui nuire". Ibidem.
(0) Ibidem, & Livre 8 Chap. 13.
l>
*•
»>•
EN A M E R I Q U E, Liv. L
IS7
tît, après cette menace, le lo de Novembre, avec trois cens Hommes,
fur deux Navires & deux Brigantins. Nicuefla, retenu quelques jours
de plus par les dettes, dans lefqueiles il s'étoit engagé, pour augmenter Ton
Armement d'un Navire, mit à la voile le 22. Mais quoique Efquibel eût
levé l'ancre, àpeu-prés dans le méme-tems, il ne paroît pas qu'ils le foyent
jamais rencontrés dans l'ille , qui faifoit le fujet de leurs différends (/)).
, ji , (/)) Hcrrera, Liî). 7. C6ap. II.
'■■'■•'
-' Voyages à' Alfonfe d'Ojeda, G* de Nicueffa. Découverte du Darïen
d* d'autres Pays, ^
Etat tus
dec0uvekte8
APBfen
CjlKISTi'PME
Colomb.
15 10.
Ojcdu & Ni-
cueira partent,
cl-.acun avec
fou Kfcadre.
OjEDA ET
N 1 C U L S S A,
LES Hiftorîens font obferver que le fameux François Pizarre étoit de
l'embarquement d'Ojeda, & que lernand Cortez, dont le nom n'efl
pas moins célèbre, & qui le trouvoit alors dans l'ille El'pagnole , auroit
fait le Voyage avec eux , s'il n'eût été retenu par un abfcés qu'il avoit au
genou. L'Efcadre prit par la Beata ; & , tournant au Sud , elle arriva, dans
peu de jours, au Port, que Rodrigue Baftidas avoit découvert en 1501 , &
qu'il avoit nommé Carthagene. Les Êfpagnols n'y avoient encore aucun Eta-
biiflement. Mais ils favoient que les Habitans du Pays étoient de fort hau-
te taille, extrêmement braves; qu'ils avoient Tufagc d'empoifonner leurs
flèches ; & que le& Femmes n'y excelloient pas moins que les Hommes à
tirer de l'arc & à lancer la zagaïe. Chriftophe Guerra , & d'autres Efpa-
gnols, qui avoient vifité cette Côte depuis Baftidas , les avoient peu ména-
gés. Les inftruflions d'OJeda lui recommandoient de prendre une condui-
te plus modérée, & d'employer, avec ces Peuples , la douceur & les mo-
tifs de la Religion , avant que de recourir aux armes pour les- foumettre à
la Couronne de Caftille. On lui avoit même donné des Religieux & des
Interprètes , pour leur prêcher la Religion Chrétienne. Mais , s'ils s'obfti-
noient à la rejetter, il avoit ordre de les pourfuivre fans pitié, & d'en fai-
re autant d'Efclaves qu'il en tomberoit entre fes mains (a).
. j -. ...■ ^ : ■■ , ' La
Route dOje-
d.i vers le Port
de Carthage-
ne,
Singulières
inftriiftions
qu'il reçoit
pour fa con-
duite avec les
Indiens.
(a) On fc gardera bien de fuppriiner la
Formule, qui avoit litc envoyée d'Efpagne à
Ojeda, approuvée & fans doute coinpofée
par les Ooiileurs en Tliéol;)gie & Droit Ca-
non Elle eft d'autant plus précicufe pour
l'Hiftoire, qu'elle u fervi. dit Herrera, dans
toutes les autres occafions, où les Caftillans
ont voulu s'ouvrir l'entrée de quelque Pays
des Jndes. Ubifuprà, Chap- 15
„ Moi, Alto.ifo de Ojeda, Serviteur des
„ très hauts & très puilliuis Rois de Caflil-
„ le & de Léon, Dompteurs des Peuples Bar-
bares, leur RleiVigcr & Capitaine, vous
notifie & vous lait favoir , autant qu'il fe
peut, que Dieu, nôtre Seigneur, Un &
Eternel , créa le Ciel & la Terre , & un
Hoiuaic & une Femme, defquels vous &
)>
>•
„ nous , & tous les Hommes du Monde ont'
„ été procréés , comme le feront tous ceux
„ qui viendront après nous. Mais comme
„ il a fallu , par la multitude des générations-
„ qui en font forties depuis plus de cinq mil-
„ le ans, qu'ils fe foyent difperfés en diver-
„ fes parties du Monde, & divifés en plu-
„ fleurs Royaumes & Provinces, parce qu'un
,, feul Pays n'auroit pu les contenir, & qu'ils
,, n'auroient pu trouver, dans un feul, de-
„ quoi vivre & fe conferver. Dieu, nôtre
„ Seigneur . donna le foin de tous ces Peu-
„ pies à un Homme clicili, qui fut nommé
„ Saint Pierre, & dont il fit le Seigneur &
„ le Chef de tout le Genre humain, afin que
,, tous les Hommes lui rendillent obéilfance,
„ en quelque lieu qu'ils fuflcnt.&dans quel.
V 3 » que-
OlBDA KT
NiCUESSA.
1510-
Ses premiers
déniôlés avec
eux font fpn-
glaiis.
158 PREMIERS VOYAGES
La déclaration d'Ojeda r.e fit pas plus d'impreflîon fur ces Barbares, que
fes offres d'amitié & fes propofitions de Commerce. Il comprit , par la
fierté de leurs réponfes, que pour s'établir dans leur Pays, il falloit fe pré-
parer à la guerre. La Cofa, qui'craignoit leurs flèches venimeufes, étoit
d'avis d'abandonner leur Côte, & de pafler dans le Golfe d'Uraba, dont
les Habitans étoient moins féroces. Mais Ojeda, fe fiant à fon courage,
& au bonheur qu'il avoiteu, dans toutes fes Expéditions, de ne recevoir
• ->' ; • -^ . .■ aucu-
„ créance ou quelque loi qu'ils euflent été
„ élevés. Il (bumit tout le Monde à fon Ser-
,. vice & à fa Jurifdiélion, & lui commanda
„ d'établir fon Siège dans Rome , comme le
„ lieu le plus propre au Gouvernement du
„ Monde. 11 lui donna auflî le pouvoir d'é-
t\ tablir fon autorité dans tous les autres
„ Pays, & de juger & gouverner tous les
„ Chrétiens, les Maures, les Juifs-, les Gen-
„ tils & tous les autres Peuples, de quelque
„ fefte ou créance qu'ils puflent être. A lui
„ fut attribué le nom de Pape, qui fignifie
„ Grand 6iiyidtnirable, Père OL Gardien, par-
,, ce qu'il eft Père & Gouverneur de tous les
„ Hommes. Ceux qui vivoient en ce tems-
„ là lui olpéiflbient , & le tenoient pour leur
„ Seigneur , Roi , & Supérieur de tout l'Uni-
„ vers ; ce qui a toujours été obfervé depuis
„ à l'égard de ceux qui ont été élevés au mê-
„ me Ponti6cat. Ainlî cette autorité s'eft
„ maintenue jufqu'à préfent, & continuera
, jufqu'à la confommation des fiécles.
„ Un de ces Pontifes, qui ont ainfi gou-
„ vemé, fit donation, comme Seigneur du
„ Monde , de ces Ifles & Terre-ferme de la
„ Mer Océane , aux Rois de Callille qui vi-
„ voient alors , & à leurs Succefleurs , nos
„ Seigneurs, avec tout ce qui en dépend,
„ fuivant ce qui eft contenu dans certaines
„ Ecritures , qui furent faites & palTées à
„ cette occafion. Ainfi Sa Majefté Catholi-
„ que eft Roi & Seigneur de ces Ifles & Ter-
„ re-ferme en vertu de cette donation; &
.„ tous les Peuples , parmi lefqucls fes droits
„ ont été notifiés, le reconnoiflent comme
„ tel , volontairement & fans réfiftance. En
„ même • tems qu'ils ont été informés de ce
„ devoir, ils ont obéi à des Hommes rcligi-
„ eux , envoyés , par Sa Majefté , pour leur
„ prêcher l'Evangile & leur enfeigner les
„ Myftères de la Foi. Ils ont tous embralTé
„ le Chriftianifme , de bonne & franche vo-
„ lonté , fans condition & fans récompenfe ;
„ & Sa Majefté , les ayant reçus fous fa pro-
„ teétion , a voulu qu'ils fuffent traités hu-
„ mainement comme tous fes autres Sujets.
„ Ainfi, vous à qui je parle, vous êtes tenus
, & obligés de faire de même. Enfin , pour
„ conclulion , je vous prie, autant qu'il m'eft
„ poflîble, & vous recommande de bien con-
„ fiderer ce que (e vous déclare , & de pren-
„ dre, pour le bien concevoir & l'exécuter,
„ le tems que vous jugerez convenable, afin
„ que vous reconnoiluez l'Eglife pour Dame
„ « Maîtreflè de cet Univers , & le Souve-
„ rain Pontife, qui s'appelle PaPe^ & Sa
„ Majefté comme Roi, Supérieur oc Seigneur
„ des Ifles & Terre-ferme en vertu de ladite
„ donation , & que vous confentiez que des
„ Religieux vous prêchent & vous appren-
„ nent nôtre fainte Religion, Si vous le fai-
„ tes , vous ferez bien , & ne ferez que ce que
„ vous êtes obligés de faire. Alors Sa Majefté,
„ & moi, qui vous parle en fon nom, nous
„ vous recevrons avec amour & charité.
„ Nous vous laiflerons , vous , vos Femmes
„ & vos Enfans, libres & exempts de fer-
,, vitude, & vous vous en trouverez bien,
„ comme prefque tous les Habitans des au-
„ très Ifles s'en font bien trouvés. Sa Ma-
„ jefté, d'ailleurs, vous accordera plufieurs
„ privilèges, grâces & exemptions, dont
„ vous aurez beaucoup d'avantages à tirer.
„ Mais, au contraire, fi vous ne le faites
„ pas,^ ou fi par malice vous apportez du
„ retardement à l'exécution , je vous déclare
„ & vous afllire qu'avec l'aide de Dieu , je
vous ferai la guerre à toute outrance, que
je vous attaquerai de toutes parts & de
„ toutes mes forces, & que je vous aflujet-
„ tirai fous le joug de î'obéiiTance de l'E-
„ glife & du Roi Je prendrai vos Femmes
,, & vos Enfans Je les rendrai Efclaves,
„ je les vendrai, ou les employerai fuivant
„ la volonté du Roi. J'enlèverai vos biens,
„ & vous ferai tous les maux imaginables,
,, comme à des Sujets rebelles & defobéifliins ,
,, qui refufent d'obéir à leur -Seigneur: & je
„ protcfte TJe les morts & tous maux qui
„ en réfulteront, ne viendront que de vôtre
„ faute & non de celle du Roi, ni de la
,, mienne, ni des Seigneurs qui font venus
„ avec moi. Et de la môme façon que je
„ vous le dis & vous le déclare, j'en deman-
„ de Afte par devant les Notaires , qui foit
„ figné d'eux , & remis entre mes mains pour
„ témoignage, " ubijuprà. Chap. 14.
»>
>»
r EN A M E R I Q U E , L I V. I. isç)
aucune bleflure (i) , rejetca un confeil fi timide, & prit le parti d'attaquer
les Indiens, qui fe difpofoient à rinveftir. Il en tua un grand nombre,
fans tirer d'autre utilité, de leur mort, que ces petits miroirs d'or qu'ils
portoient au cou. Quelques Prifonniers , qu'il força de lui fervir de guides ,
le conduifirent à la vue de leurs Habitations. Les fugitifs s'étoient ralliés
dans un champ voifin, & parurent prêts à foutenir une féconde attaque.
Leurs armes étoient des boucliers & des cpées d'un bois très dur, des arcs
& des flèches garnies de pointes d'os fort aigiies, & deszagaïes, qu'ils
lançoient fort habilement. Mais, au fignal de l'intrépide Ojeda , qui fit
retentir le nom de Saint Jacques avec un cri terrible, les Caftillans fe firent
jour au travers de ces Barbares , & couvrirent en un moment la terre de
Morts. Le rdle de leurs Ennemis fe fauva par la fuite , à la réferve de
huit, qui n'a-,ant pu joftidre les autres, fe retirèrent dans une de leurs ca-
banes, & fe défendirent fi vivement, à coups de flèches, que les Caftillans
n'en ofoient approcher. Ojeda, leur reprochant d'être arrêtés par huit horn*
mes nuds, un d'entr'eux s'élança, tête bailTée, au travers des dards &des
flèches, & touchoit déjà au feuil de la maifon, lorfqu'il fut frappé, au
milieu du fein , d'un coup de flèche qui le fit tomber mort. On remarque
volontiers ces grands exemples de valeur , qui ne peuvent laiflTer aucun dou-
te que le motif de l'honneur n'agît aufli puiflamment fur les Efpagnols , que
lapaffionde l'or. Ojeda, furieux de la perte d'un fi brave Homme, fit
mettre le feu de plufieurs côtés à la maifon , qui fut confumée en un inftant
avec les huit Indiens. Soixante Prifonniers , qu'on avoit enlevés dans le
combat, furent envoyés aux Vaifleaux; & pendant le refte du jour on
continua de faire main-bafle fur tous les Indiens qu'on put découvrir. Le
lendemain , Ojeda s'ètant faifi de la Bourgade d'Yurbaco ,n'y trouva que des
maifons nues & défertes. Tous les Habitans s'étoient retirés dans les Mon-
tagnes, avec leurs Familles & tous leurs biens. Ces apparences de con-
fternation portèrent trop facilement les Vainqueurs à fe difperfer. Les In-
diens*, qui les obfervoient de leur retraite, jugeant que, dans cette fépa-
ration, ils auroient peine à fe raflembler , fondirent fur eux , de divers cô-
tés, avec des cris épouvantables. La Cofa fut un des premiers qui furent
furpris , dans des cabanes où ils étoient à fe repofer. Il fe défendit vail-
lamment, jufqu'à ce qu'ayant vu tomber la plupart de fes gens, & fentant
lui-même la force du venin , dans une infinité de bleflures qu'il avoit re-
çues des flèches Indiennes, il dit, à un brave Caftillan , qui fo- trou voit près
de lui , & qui n'avoit point encore été blefle ; „ Sauvez-vous , s'il fe peut.
„ Dieu vous a confervé pour rendre compte de nôtre malheur au Comman-
„ dant". Ce Soldat , dont l'Hiflioire n'a pas confervé le nom, fut le feul,
en effet, qui eut le bonheur d'échapper à la fureur des Indiens.
Ojeda ne fut pas moins maltraité. Après avoir perdu tous fes gens , dans
un enclos , où ils avoient été percés de flèches , il ne dut la vie, lui-même,
qu'à fon agilité , qui le fit paifer comme un éclair au milieu des Indiens. Il
fe fauva dans l'épaiiTeur des Bois & des Montagnes , fans autre guide que
le
(fc) On attribuoitce bonheurà une pefite jours avec lui. Herrera, Livre 7. Chapî».
Image de la Sainte Vierge, qu'il pertoit toû- tre 15.
Ojeda et
NiCUKSS A.
1510-
Vn'cur des
CaQilIans.
Ojeda perd
un grand nom-
bre de fes
gens.
Mort de 1»
Cofa.
Commenc
Ojeda échap-
pe aux In-
diens.
i6o
PREMIERS VOYAGES
OjEHA F.T
NiCUESS \.
151 o.
Arriv(5c de
NicueŒi fur la
nie me C6tu.
Générofité
avec laquelle
il traite Oje-
da.
Il vange la
mort des Caf-
tillans.
le hafard, & prenant toujours vers la Mer. Les CaftilJans de l'Efcadre,
furpris de ne pas recevoir de fes nouvelles, vilitérent la Côte dans leurs
Barques, & le trouvèrent à peu de diUance du rivage, fous des Mangles
fort épais, où il s'étoit retiré l'épée à la main, & Ton bouclier percé de
trois cens coups de tléches. La fatigue , la douleur & la faim l'avoient tel-
lement afFoibli, qu'il fut long-tems fans pouvoir prononcer un feul mot. Il
ne fut rappelle à la vie qu'à force de foms, & par la vigueur naturelle de
fa conftitution. Cette fatale avanture avoit coûté foixante & dix hommes
aux Cadillans.
Pendant qu'Ojeda s'abandonnoit au regret d'avoir perdu tant de braves
gens, fur- tout laCofa, qu'il regardoit comme le meilleur de fes i\rtiis, &
dont il fe rcprochoit amèrement d'avoir négligé les confeils; il appei^çut au
large plufieurs Navires, qui cherchoient à s'apprt)cher de la Côte. C'é-
toit Nicuefla-, dont l'arrivée imprévue lui caufa d'autres inquiétudes. Les
différends , qu'il avoit eus avec lui dans l'ifle Efpagnole, lui firent appré-
hender que ce nouvel Ennemi ne faisît l'occafion de fe vanger. Il pria fes
gens de le laiffer feul , & d'aller au-devant des Vaifleaux qui paroiflbient.
Nicuefla ne fut pas peu furpris des trifl:es informations qu'il reçut. Mais ,
jugeant des allarmes d'Ojeda par les précautions avec lefquelles il entendoit
parler de lui , il protefta fort noblement qu'il s'en croyoit offenfé , & que
refpeflant l'infortune de fon Rival , il vouloit oublier leurs anciennes que-
relles , pour l'aflîflier de toutes fes forces , & vanger avec lui le fang Efpa-
gnol, indignement répandu par des Barbares. Ojeda, qui fut inftruit de
cette déclaration , y prit confiance avec la même noblelfe. On débarqua
quatre cens hommes des deux Efcadres. Les deux Gouverneurs fe mirent
à leur tête. On marcha vers le Village d'Yurbaco, où l'on ne douta point
que l'orgueil de la viéloire n'eût raflTemblé les Indiens ; & l'ordre fut don-
né de les traiter fans pitié. .
Ils y étoient dans une profonde fécurité, lorfque les cris d'une forte
de Perroquet? rouges, d'une grofleur extraordinaire, qu'ils appelloierit Gu-
acamayas, les avertirent que leurs Ennemis penfoient à la vengeance. Mais
l'attaque fut fi brufque , que ceux , qui n'avoient pas profité de cet avis
pour prendre la fuite, furent pafles au fil de l'épée, ou tués à coups d'ar-
quebufes. Les Vainqueurs mirent le feu à toutes les parties de l'Habita-
tion. Ils fe donnèrent le plaifir d'attendre, au paflage, le refte de ces Mal-
heureux, qui étoient échappés à leur première furie, & que l'impétuofité
des flammes forçoit d'abandonner leurs retraites. Le maflacre fut û géné-
ral , qu'on ne fit aucun Prifonnier ; mais lorfqu'on ne vit plus d'Ennemis ,
on fe livra au pillage, qui produifit un butin confidérable. Nicuefla eut ,
pour fa part , la valeur de vingt mille piftoles. Dans les recherches , qu'on
fît aux environs de la Bourgade Indienne, on trouva, fous un arbre, le
corps de la Cofa, hérifle de flèches, & monfl:rueufement enflé par la force
du poifon. Ce fpeélacle caufa tant d'horreur aux Cafliillans, qu'ils n'ofè-
rent paflfer la nuit dans un lieu fi redoutable (c).
(f ) Herrera, Liv. 7. Cbap. itf.
'Jti
EN AMERIQUE, Liv. I.
i6i
ApRiis cette expédition, les deux Chefs, unis d'intérêts & d'amitié, fe
réparèrent fort civilement pour fuivre le cours de leur fortune. Nicuefla
prit la route de Vcragua; tandis qu'Ojcda, qui vouloit prendre celle du
Golfe d'Uraba,. fut arrêté par les vents coniraires dans une petite Ifle,
voifine de la Côte, o«i il enleva quelques Indiens & de l'or. De-là, étant
entré plus heureufement dans le Golfe, il chercha inutilement la Rivière
de Darien; & s'étant arrêté devant les Montagnes, qui font à la Pointe
orientale du Golfe d'Uraba, il y jcili les fondemens d'une Ville, qu'il nom-
ma Saint Séba/lierty dans l'efpérance que la protedlion de ce Saint le garanti-
roit des flèches empoifonnées. Cette Colonie fut la féconde (jue les Caftiû
lans formèrent dans le Continent, après celle du Veragua, qui avoit été la
première (d).
Les Habitans du Pays , étant des Cannibales , auxquels il étoit difficile de
réfifter , avec fi peu de forces , Ojeda prit le parti d'envoyer un de fes
Navires à l'Ifle Efpagnole , avec fon or & fes Prifonniers , fous la condui-
te d'un Officier nommé Encïfoy auquel il recommanda de lui amener des
hommes, des armes & des provifions. Enfuite, il tourna tous fes foins à
fe retrancher dans un Fort de bois, contre les attaques des Indiens. Mais
les vivres lui ayant bientôt manqué, fes gens fe virent forcés d'en chercher
dans les Campagnes & les Habitations voifines. ils y trouvèfent, de tou-
tes parts , un grand nombre d'Ennemis , fi peu traitables & fi bien armés ,
qu'ils furent réduits à fe tenir renfermés dans leurs retranchemens , où ils
efiuyèrent bientôt toutes les horreurs de la famine. Il en étoit déjà mort
un grand nombre, & les autres s'attendoient au même fort, lorfqu'un Bâ-
timent, parti de l'Ifle Efpagnole, vint mouiller à la vue de Saint -Sébas-
tien. Il étoit commandé par Bernardin de Talavera , qui s'étant échappé
d'une Prifon , où il étoit retenu pour fes crimes , avoit trouvé le moyen de
s'aflbcier foixante & dix hommes, recherchés comme lui par la Juflice,
& s'étoit faifî , avec leur fecours , d'un Navire Génois , ^u'il avoit rencon-
tré au Cap de Tiburon. Cette Troupe de fugitifs .av^it mis à la voile ,
fans aucune vCie bien éclaircie, & la Providence avoit dirigé leur route
vers Saint -Sébaftien, dont les Habitans étoient à la veille de mourir de
faim. Le Gouverneur acheta toutes les provifions du V'- jeau; Talavera,
qui n'avoit pas de meilleur parti à prendre, s'engagea lo. les ordres avec
toute fa Troupe.
Mais on a déjà vu qu'Ojeda n'étoit pas heureux dans les partages. La
difliribution qu'il fit de fes vivres, entre des gens affamés, fit quantité de
Mécontens, dont il eut beaucoup de peine à calmer les plaintes. - D'ailleurs
il s'étoit flatté en vain que les Indiens refpeéleroient fes nouvelles forces ,
& lui lailferoient quelque repos. Ils n'en parurent pas moins acharnés à la
perte des Efpagnols. Dans toutes les forties de la Garnifon , ils s'étoient
apperçus que le Général leur tuoit feul plus de monde que tous fes gens
enlemble. L'efpérance d'avoir bon marché du refl:e, s'ils pouvoient fe dé-
faire d'un Ennemi fi terrible, leur fit mettre quatre de leurs meilleurs Ar-
chers en embufcade , avec ordre de ne tirer que fur lui. Ojeda fortit le
, . ,- . pre-
(f/) Herrera, Liv. 7. Cbap. 16, /-■..' ■■
XniLPart. ^ X '
OfRDA HT
NiCUESSA.
I5Ï0-
Ojeda fonde
la Ville de
Saint Sébafti-
en , dans le
Golfe de Da-
rien.
Il envoyé
demander, par
Encifo, des
provifions -k
l'ine Efpa-
gnole.
Extrémités
auxquelles il
eft réduit paz
la faim.
Arrivée d'u-
ne Troupe de
Caftillans fu-
gitifs , fous la
conduite ^e
Talavera.
• I 1 :
Ojeda eft
blelTé d'une
flèche empcl-
fonnée.
.ii- < fi'j
OjBDA ET
Ni eu ES S A.
IJIO.
i6i PREMIERS VOYAGES
premier du P'ort ; & dans l'ardeur ^m le portoit toujours à donner l'excm-
pie, il s'avança imprudemment vers un gros d'Indiens, qui feignoient de
fi
Remèrfc ex-
traordinaire
que fon cou-
rage lui fait
employer.
La famine le
«ontralnc d'al-
ler chercher
des vivres Iui>
m&me à l'Ëf-
pagnple.
Ses gens irri-
tés l'enchaî-
uent.
Il échoue
fur la Côte
de Cuba.
uir pour l'attirer dans le piège. Les quatre Archers lui tirèrent plufieur»
coups, dont l'un lui perça la cuifle. Il retourna au Fort, avec d'autant plus
d'inquidtùde pour fa vie, qu'il n'avoit jamais vu couler fon fang, & que la
flèche étoit empoifonnée. En effet, tous fes gens s'attendoient aie voir
mourir dans une efpèce de rage, coftime il étoit arrivé à tous ceux qui a-
voient reçu quelque bleflure. Mais fon courage lui fit imaginer un remède,
qui ne pouvoit tomber dans un autre elprit que le (len. Il fit rougir au feu
deux plaques de cuivre, qu'il donna ordre à fon Chirurgien de lui appliquer
aux deux ouvertures de la playe. En vain le Chirurgien refufa d'obéir, dan»
la crainte d'avoir la mort de fon Général à fe reprocher. Ojeda jurant qu'il
le feroit pendre, s'il tardoit à le fatisfaire, il fe rendit; & le Malade fou-
tint cette cruelle opération avec une confiance héroïque. Il avoit reconnu
que le venin des flèches étoit froid au dernier degré. La chaleur du feu
confuma toute l'humeur froide ; mais elle caufa une fi violente inflamma-
tion dans la maffe du fang, qu'il fallut employer un tonneau entier de vi-
naigre à mouiller des linges pour le rafraîchir (e).
Sa guérifon ne fervit qu'à le replonger dans d'autres peines. On avoit
déjà vu la fin des vivres qu'il avoit achetés de Talavera. Encifo ne rêve*
noit point. La crainte des nouvelles extrémités , qui paroiffoient inévita-
blés, porta tous les Caflillans, non -feulement à demander leur départ,
mais à faire des complots fecrets pour fe faifir des deux Bri^antins. Ojeda
ne vit pas d'autre remède, au defordre,que l'offre d'aller lui-même à flfle
Efpagnole, pour hâter le fecours qu'il en attendoit, & d'ajouter, que s'il
ne paroiffoit point dans l'efpace de cinquante jours , ils feroient dégagés
de l'obéiffance qu'ils lui avoient jurée. Cette propofition ayant fatisfait les
plus muiins , il s'embarqua fur le Navire Génois , après avoir nommé , pour
commander dans fon abfence, François Fizarre, qui feformoit, dans une
îi rude Ecole, à toutes les grandes entreprifes auxquelles il étoit deftiné par
la Fortune.
Aussi- TÔT que le Vaiffeau fut en Mer, Ojeda fe crut en droit d'agir efl
Maître ; mais Talavera , qui ne lui avoit pas vendu fon Bâtiment , & qui
confervoit le même empire fur fon Equipage , commença par le mettre auz
fers. Cétoit comme le fort de ce brave A vanturier , de ne pas faire un
Voyage fans être enchaîné, par ceux qui lui dévoient de la foumiffion. Mais
fa captivité dura peu. Talavera, & tous fes gens, fentirent le befoin qu'ils
avoient d'un tel Chef; lorfqu'après avoir été fort maltraités, par Ig tempê-
te, ils eurent échoué fur la Côte de Cuba, la néceflité de réfifler aux atta-
ques des Infulaires, qui fe préfentoient l^ns ceffe, lui fit déférer le Com-
mandement (/).
Dans un Pays, qu'il ne connoiffoit point, il ne vit pas d'autre reffource
que
( «) Le mûme, Liv. 8. Cbap. 3. & 4.
(/ ) Dans le tems même qu'ils le tenoient
Prifonnier, il les traitoit de lâches & de traî-
tres , il les défioit au combat , il leur propo-
foit de fe battre tous , fucceflîvement ou deux
à deux contre lui, il juroit qu'il les extermi-
ncroit tous. Pas un n'ôfoit lui répondre,
«i môme s'approcher de lui, ibidem.
\
EN AMERIQUE, Liv. ï.
163
que de s'approcher de la Jamaic^ue , où il efpcroic de pouvoir fe rendre aifé'
ment , avec quelques Canots qu il comptoit d'enlever aux Indiens. Il fuivit
les Côtes pendant rcfpace de cent lieues , & le détail de Tes peines efl: in-
croyable dans le récit des Hiftoriens. Un Marais fort humide, (ju'il ren-
contra au bout de cette marche, & dont il fe flatta de trouver bientôt la
fin, n'avoitpas moins de trente lieues de longueur. Cependant, comme
il s'y trouvoit engagé, fans aucune apparence de pouvoir pénétrer dans les
terres, au milieu d'une multitude innombrable d'Ennemis, il continua cette
route, fouvent avec de l'eau jufqu'à la ceinture, manquant de vivres , n'a-
yant pour boire que l'eau bourbeufe où il marchoit , & trop heureux lors-
qu'il pouvoit rencontrer quelques Mangles pour s'y percher pendant la 'nuit
(g). Enfin, réduit à trente -cinq Hommes, déplus du double qu'il avoit
en arrivant dans l'ifle, & fi foible qu'il avoit peine à fe traîner, il entra
fur les Terres d'un Cacique, dans lequel il trouva quelques fentimens de
pitié. 11 obtint du tems & du fecours pour rétablir Ces forces & pour
fatisfairefa piété. De -là, étant pafie chez un autre Cacique, qui ne le
reçut pas avec moins d'afteftion, & qui n'étoit éloigné qued environ vingt
lieues de la Jamaïcjue, il fit pafier, dans cette Ifle, un Caftillan, nommé
Pierre dOrdas^ pour aller demander du fecours à Efquibel.
Ordas préfenta , au Gouverneur de la Jamaïque, une Lettre de fon Gé-
néral , qui le conjuroit de ne le pas abandonner dans fon infortune. C'étoit
une flatteufe occafion , pour Efquibel , de fe vanger d'un Homme ^ui l'avoit
menacé avec tant de hauteur : mais , fe picquant de générofité , il fe hâta
d'armer une Caravelle , qu'il fit partir fous les ordres de Pamphile de Nar-
vaez. Ce fecours arriva heureufement à Cuba, & Narvaez, qui rendoit
juftice au mérite d'Ojeda, lui tendit la main avec autant de refpeft que d'a-
mitié. Efquibel , aflez généreux pour oublier qu'il avoit juré de lui couper
la tête, le reçut dans fa Maifon, & le fit fervir comme s'il en eût été le
Maître. Après quelques jours de repos, il le fit conduire à l'Ide Efpagno-
le. Talavera n'eut pas la hardiefie de le fuivre,,dans un lieu, où il ne
pouvoit éviter le châtiment de ks crimes; mais, ayant demeuré trop long-
tems à la Jamaïque, il n'y fut pas moins arrêté par l'ordre de l'Amiral; &
fur la nouvelle accufation d'avoir enlevé un Navire, il fut condamné au der-
nier Tupplice ( ô ).
En arrivant à San -Domingo, Ojeda eut le chagrin d'apprendre qu'En-
cifo en étoit parti, depuis long -tems, pour conduire à Saint • Sébadien un
grand convoi d'Hommes & de Vivres. Comme dans toute fa route il
n'en avoit appris aucune nouvelle , il ne douta point qu'il n'eût péri dans les
flots , ou par les armes des Indiens ; & loin de perdre courage , il fe fiatta
que
(g) Il portoit, dans fa beface, fon Ima-
ge de la Sainte Vierge, qu'il avoit reçue de
rEvôque de Badajos; & lorfqu'il rencontroit
quelque Mangle , il la mettoit fur l'arbre ,
pour lui addrclTer fcs prières , exhortant ceux
qui l'accompagnoient n demander fon aflîftan-
ce. H fit vœu de pofer cette Image dans la
première Habitation qui fe préfenteroit; ce
OjiHA et
NiCUESSA.
1510-
Ce (ju'il eut
àfouflrir daiii
cette iHc.
11 palTe heu-
reufement à U
Jamaïque,
. I
&de-lààI'Ef-
pagnole.
Talavera ett
condamné à
mort.
qu'il exécuta chez le Cacique qui le reçut.
'Les Indiens, perfuadës qu il devoit fa con-
fervation à la Figure qu'ils lui voyoient ref-
pefter, élevèrent une forte deTemplç, où
elle fut lai(rée,& célébrèrent (ii puiffance par
des Chants & des Fêtes , ibidem,
(ib) Herrera, Liv. 8. Cbap. $. ' ".
X 2
OjlDA IT
NlCUBSSA.
15 'O.
Mon d'Oie-
da.
1^4 PREMIERS VOYAGES
que le fecours de Tes Amis lui feroît bientôt rt'narer foutes fcs pertes. Mais
il éprouva que l'amitié ne tient guùres contre la niauvaife fortune. Tout le
monde lui ayant tourné le dos, iorfqu'on le vit malheureux, il fut obligé
d'abandonner fon tntreprife, & quelque tems après , il mourut h pauvre,
qu'on ne lui trouva pas de quoi le faire enterrer (i). Dans le peu de fé-
jour qu'il avoit fait à San ■ Domingo jufau'à fa mort , il avoit donné une
nouvelle preuve de cette intrépidité, qui 1 avoit rendu célèbre pendant tou-
te fa vie. Il fut attaqué, la nuit, par pluHeurs perfonnes, qui croyoient
avoir à lui reprocher la perte de leur bien , & qui avoient juré d'en tirer
Son carat- vengeance. Loin d'être effrayé du nombre , il fe jetta au milieu d'eux ,
:érv. comme il avoit toujours fait dans les combats; & fon épée feule, qu'il ma-
nioit avec une adreffe furprenante, le délivra heurcufcment de tous fes En-
- nemis. Jamais perfonne, en effet, ne fut plus propre pour un coup de
main , & pour l'exécution des grandes entrcprifes , qui ne demandent que
du courage & de la fermeté. Jamais on n'eut le cœur plus haut, ni plus
de mépris pour la Fortune. ■ Mais il avoit befoin de la direélion d'autrui ;
& , dans tout ce qu'il tenta par fes propres vues, on remarqua toujours que
la conduite & le bonheur lui avoient également manqué.
D'un autre côté, les Habitans de Saint - Sébadien ayant vu expirer les
cinquante jours , pendant lesquels ils avoient promis d'attendre leur Gou-
verneur, preffèrent Pizarre de leur faire quitter un Pays, où il ne leur res^
toit aucune affurance de s'établir. Mais lorfqu'ils voulurent s'embarquer,
les deux Brigantins , qu'ils avoient confervés , fe trouvèrent trop petits pou r
contenir foixante Hommes , dont leur Troupe étoit encore compofée. Ils
convinrent entr'eux d'attendre que la mifère & les flèches des Indiens eus-
fent diminué ce nombre; & ce qu'ils defiroient arriva plutôt encore qu'ils
ne l'avoient prévu. Alors , ils tuèrent quatre Chevaux , qu'ils avoient
épargnés dans les plus grandes extrémités , parce que la feule vue de ces
Animaux épouvantoit les Indiens ; & les ayant falés, pour leur unique pro-
vlflon , ils fe partagèrent fur les deux Bàtimens. Pizarre monta l'un , &
donna le commandement de l'autre à un Flamand , qui entendoit fort bien
la Navigation. Mais ils n'étoient pas bien loin de la Côte, lorfqu'un furi-
eux coup de Mer ouvrit leBrigantin du Flamand, & l'enfevelit dans les flots
à la vue de l'autre, fans qu'il fut poffible d'en fauver un feul Homme (k).
Les vents ne ceffant point d'être contraires , Pizarre fe vit forcé de retour-
ner au Continent, o: tomba vers le Port, qui avoit reçu le nom de Car-
thagene. En approchant du rivage, il découvrit en Mer un Navire & un
Brigantin. C^étoit Encifo , qui revenoit de l'Ifle Efpagnole , avec cent cin-
quante Hommes d'éJite, & toutes les provisions néceflàires pour l'Etabliffe-
ment d'une Colonie. Comme ilcroyoït encore Ojeda dans fa Fortereffe, il
ne douta point, à la vue de Pizarre & de fa Troupe , qu'ils ne fuffent des
Trans-
Mifère des
CaÛillans
qu'ilavoiclaif-
résASt.Sébaf-
tien.
François Pi-
sarre les fait
embarquer.
Naufrage
d'une partie.
Rencontre
•d'Encifo.
( »■) II paroif, par fe foin que l'Hiflorièn
prend d'alTiirer ce qu'il raconte de fa mort ,
qu'on en publia des récits fort rouianefques.
Ojeda étoit né à Cucnça. Il demanda d être
enterré à l'entrée de la porte du Couvent de
Saint françoîs.
( A ) Ceux qui virent ce fpeftacle afllirè-
rent qu'ils avoient app'-rçu un PoilTon d'une
monQrucufc grandeur, qui avoit brifé lo ti-
mon du Brigantin avec fa queue. On ne dou--
ta point que ce ne fût une Baleine, ibid.
EN AMERIQUE, Liv. 1.
165
Transfugcs, qui avoicnt abandçnné leur Gc'ndral, & Pizarrc ne gucrit (es
foupçons qu'en lui montrant par écrit la Commiflion qu'il avoit reçue d'Ojc-
da. Mais ils n'en furent pas plus difpofés à s'accorder, lorfque Éncifo eut
déclare', qu'en vertu de leurs conventions avec leur Gouverneur,^ ils dé-
voient retourner tous & l'attendre à Saint • Scbaftien. Cette propofition les
ayant fait frémir, ils le conjurèrent avec les dernières inllances de ne les
pas reconduire dans un lieu, dont le feul nom devoit leur faire horreur,
après ce qu'ils y avoient fouffert; & s'il ne vouloit pas Lur permeitre de
letourner à l'ille Efpagnole , ils le prièrent de confentir du moins qu'ils
allalTent joindre Nicuella dans la Caflille d'or. Encifo fe garda bien de
permettre que cette l'rovince fût peuplée aux dépens de la Nouvelle An-
daloufîe. 11 employa heureufement les promefles & l'autorité, pour les
engager à le fuivre; mais ils ne furent pas long-tems, fans voir toutes
leurs craintes vérifiées. En entrant dans le Golfe d'Uraba , le Navire d'£n-
cifo toucha fi rudement contre la Pointe orientale, qu'il fut brifé en un in-
fiant , & qu'on eut à peine le tems de fauver les 1 lommes , avec une fort
... ^.. j :«-.— A:_r. i_ /-i.i :_ r_ .. jj..:._ ,1^
N 1 c u e S i.
1 5 lo-
11 ictuurnc
avLC l'i/arrc
uu Cuntiaciit.
SiMi V:ii(ïï:!U
fc bril'c.
aiTez grand nombre de Porcs du Pays, oui defcendirent des Montagnes ,
furent, pendant quelques jours, une relTource pour les Cadillans; mais
lorfqu'elle fut épuifée , il ne leur refla plus d'efpérance que dans la guerre.
Encifo partit , pour chercher des vivres , à la tête de cent Hommes bien
armés. Il n'alla pas loin. Trois Indiens l'arrêtèrent , avec autant de gloi-
re pour eux, que de perte & d'humiliation pour les Efpagnols. Ils eu-
rent l'audace de venir a lui, l'arc bandé; & tirant leurs flèches , avec une
vîtefle étonnante, ils eurent vuidé leurs carquois avant que leurs Ennemis
fe furent reconnus. Encifo blefTé , comme la plupart de fes Soldats , n'eut
f)as même la fatisfaflion d'arrêter ces deux Braves , qui s'enfuirent comme
e vent , après lui avoir ôté le pouvoir d'avancer (/). Son retour, dans
ce trifte état, fut le fujet d'un nouveau delt-rpoir pour la Colonie. On ne
parloit que d'abandonner cette fatale Contrée; lorfqu'un jeune Homme,
du nombre de ceux qui étoient venus avec Encifo, propoPa une ouverture
qui rendit l'efpérance aux plus abbattus.
Il fe nommoit ^afco Nugnez de Balboa (;«);'& cette occafion fut cônime
la première fource du crédit & de la réputation , qui le conduifirént , dans
la fuite, aux plus hauts dégrés de la gloire & de la fortune. Quelques-
uns prétendent qu'il avoit accompagné Ojeda dans fon expédition: mais,
outre qu'il paroît difficile qu'un Homme de fon caraftère fût demeuré fi
long-tems dans l'obfcurité, d'autres racontent, avec un détail qui donne
plus de vraifemblance à leur récit, qu'étant chargé de dettes, & pourfui-
vi par fes Créanciers , il avoit trouvé le moyen de s'embarquer fecrettement
-avec Encifo, en fe faifant porter à Bord dans un tonneau; qu'il avoit a^-
tendu, pour fe faire voir, que le Vaifleau fût afl!ez loin en Mer ; & qu'En-
''•' ,■:■':;;;':,'■ "-'"^"-i'.w;,.- > ..à^r -^ • % cifb,
(/) Ibidem. alnfi " qu'il faut expliquer la plupart de ces
(wO-C'cU-à-dire, natif de £aiiio«. C'eft noms Efpagnols.
, - X 3
Nouvelles
inllcrcs lies
CalUlLms.
Comment ils
font fccourus.
Origine de la
fortune de
Vafco Nu-
gnczdeBaU
boa.
Comment '
il part avec
Encifo.
;«:„'■■
i66
PREMIEB.S VOYAGES
NiCUESSA.
15 lO'
Service qu'il
rend à fes
Compagnons.
n les con-
duitàlaRiviè-
se du Darien.
Butin qu'ils
y font en or.
Nugnez
trompe Enci-
fo.
cifo , fort irrité de cette tromperie , l'avoit menacé de le dégrader dans la
première Ifle déferte , parce que, fuivant les Loix que le Gouverneur de
î'Efpagnole avoit portées en faveur des Créanciers, il méritoit la mort;
mais qu'adouci néanmoins par fes foumifllons , & par les inftances de ceux
qui avoient demandé grâce pour lui , Encifo s'étoic déterminé à lui pardoh-
ncr (»). »V
Cet Avanturier, qui n'étoit d'ailleurs âgé que de trente- cinq, ans, & qui
joignoit, à une belle figure, beaucoup d'efprit , de vigueur & d'intrépi-
dité , voyant manquer le courage à tous fes Compagnons , & cherchant à
fe diflinguer , par quelque fervice imi)ortant , leur dit que , dans le Voyage
qu'il avoit fait avec Baftidas , il avoit pénétré jufqu'au fond du Golfe , &
qu'il fe fouvenoit d'y avoir vifité, à l'Oued d'une belle & grande Rivière,
une Bourgade abondante en vivres, dont les Habitans n'empoifonnoient
point leurs flèches. Ce récit fit renaître l'efpérance des Caflillans. Ils fe
hâtèrent de pafTer le Golfe, dont la largeur n efl qe^ de llx lieues; & trou-
vant la Rivière telle que Nugnez l'avoit repréfentée , ils reconnurent que
c'étcit celle du Darien. Mais, à leur arrivée, ils apperçurent un Corps d'en-
viron cinq cens Indiens, qui s'étoient raflemblés au pied d'une Colline, &
qui fembloient réfolus de s oppofer à leur defcente. Le témoignage de Nu-
gnez , qui les avoit aiTurés que ces Barbares n'empoifonnoient pas leurs flè-
ches , ne leur ôtoit pas un relie de défiance. Dans ce doute , ils s'engagè-
rent, par un vœu folemne!, à donner le nom de Santa • Maria delJmiqua
(0) au premier Etabliflemènt qu'ils fonderoient fur cette Côte. Encifo
leur fit enfuite jurer qu'ils mourroient plutôt que de fuir; après quoi il fie
fonner la charge. Les Indiens foutinrent le premier choc; mais s'étânt bien-
tôt ébranlés, ils prirent la fuite, après beaucoup de confufîon. Les Caflil-
lans marchèrent vers la Bourgade, qu'ils trouvèrent abandonnée, mais rem-
plie de vivres. Ils parcoururent tout le Pays , fans rencontrer un ,feul In-
dien; & le butin qu'ils enlevèrent en bijoux , d'or très pur, ne monta pas
à moins de dix mille pefos ( p ).
Une fi heureufe expédition , & l'abondance où l'on fe trouva tout-d'un-
coup, acquirent une nouvelle confidération à Vafco Nugnez. Il propofa
d'accomplir le vœu commun, & Ton jetta aufli-tôt les fondemens d'une
Ville , qui fut nommée Sainte - Marie l'ancienne de Darien , parce qu'elle fut
placée fur le bord de cette Rivière. Il y a beaucoup d'apparence qu'En-
cifo ne fit pas réflexion, qu'en tranfportanc fa Colonie fur la Rive occi-
dentale du Darien, il la tiroit de la Nouvelle Andaloufie , qui étoit fépa-
rée de la CûHiilIe d'or par ce Fleuve. Nugnez , après l'avoir adroitement
engagé dans cette faufle démarche , eut foin de faire obferver , à fes Par-
tifans, que la Colonie n'étoit plus dans le Gouvernement d'Ojeda, & que
par conféquent Encifo , qui tenoit fon autorité de ce Gouverneur , n'avoit
plus de droit au Commandement. Ces inûnuations avoient déjà remué les
•%-rxi ■■ ef-
ce qi|
appc
Goul
'.>)> f'.->
(7j) Le même, Liv. 8. Chap y 5.
( 0 ) C'étoit le nom d'une célèbre Eglifc de
Seville. lis y joignirent la promeffe den-
voycr un d'cutr eux en Pélainagc à Seville',
avec quelques offrandes , en or ou en argent,
pour rimagcde la Sainte Vierge. Ibid. Chap.
6. ....-■ y
(p ) Ibidem, » - ' - ' .
EN A M E R I Q U E, Liv. I. ' i6f
:i-
t,
p*
N1CUC8SA.
I 5 ï o«
Arrivée de
Colmenarez,
& fes infortu-
nes.
efprits, lorfqu'Encifo commit une autre faute, en défendant la traite de
l'or aux Particuliers , fous peine de mort. On le foupçonna de vouloir pro-
fiter feul d'un fi riche Commerce, & l'indignation porta tout le monde à
lui déclarer, que n'étant plus dans la Nouvelle Andaloufie , on ne recon-
noifibit plus fa Jurifdiftion. Les Mécontens formèrent enfuite une nou-
velle forte d'adminiftration, dont la princijpale autorité fut confiée à Vafco il s'empare
Nugnez, avec deux autres Officiers, qui furent Jean Zamudio & François d" Couver-
Faldivia. Cependant, comme ce changement ne fut pas univerfellement "^"'"'■'"^'
approuvé, il fe forma trois Partis, dont la divifion faillit de ruiner la Co-
lonie dans fa naiflance. Les uns redemandoient Encifo , du moins jufqu'à
ce que la Cour leur donnât un Gouverneur. D'autres vouloient qu'on fît
appeller NicuefFa, & qu'on reconnût fes ordres, parce qu'on étoit dans fon
Goiivernement. Enfin , les Amis de Nugnez foutenoient leur éleflion , &
ne croyoient digne de leur commander que celui dont ils faifoient profef-
fion de tenir la vie.
Pendant que la difcorde augmtntoit de jour en jour, on fut extrême-
ment furpris d'entendre , dans le Golfe , le bruit de quelques pièces d'artil-
lerie, & toutes les faftions fe réunirent pour y répondre. Bientôt on ap-
perçut deux Navires. Ils étoient commandés par Rodrigue Enriquez de
Colmenarez i qui portoit des provifîons & foixante Hommes à Nicuefla. Il
avoit d'abord été jette par le vent au Port de Sainte-Marie, éloigné d'envi-
ron cinquante lieues de celui de Carthagene; & tandis qu'il y faifoit tran-
quillement de l'eau, un Corps d'Indiens, qui étoient tombés fur fes gens
avec leurs flèches empoifonnées , lui en avoit tué quarante-fix. Il en avoit
perdu fept autres, qui s'étant difperfés dans leur fuite, n'avoient pu trou-
ver le moyen de retourner à Bord. Le chagrin de fon infortune & la né-
ceffité de fe radouber, l'avoient conduit au côté oriental du Golfe, dans
l'efpérance d'y rencontrer Ojeda; mais n^y ayant trouvé que des raifons de
le croire mort , lui & tous les gens , il avoit pris la réfolution de viiiter
toutes les Parties du Golfe, en tirant par intervalles, & faifant allumer des
feux, qui pouvoient fervir à raflembler les malheureux Caftillans, s'il en
étoit refté quelques-uns fur cette Côte (g).
Son arrivée répandit une joye extrême dans la Colonie; mais bieir-tôt
elle y fit fucceder de nouveaux troubles. Comme fon inquiétude étoit fort P?."' ^"^
vive pour NicueflTa , qui étoit fon intime Ami , & dont il u'apprenoit au- ^^"^ ^'
cune nouvelle, il prêta l'oreille aux defirs de ceux qui le demandoient pour
Gouverneur; & (e les étant attachés y parla facilité qu'il eut à leur don-
ner des vivres , il continua d'employer la même adrelfe pour faire entrer
les deux autres fa6lions dans les intérêts de fon Ami. Il leur repréfenta,^
d'ailleurs , l'avantage qui reviendroit , à la Colonie, de joindre fes forces
à celles de Nicuefla, qu'il fuppofoit heureufement établi ; & ce motif fit
tant d'imprefllon fur ceux qui paroiflbient encore incertains, qu'ils s'accor-
dèrent tous à le charger de cette Commiffion.
On fe rappelle, fans doute, que Nicuefla étoit parti de l'Efpagnole
■vers la fin de l'année précédente, avec cinq Bâtimens de différentes gran-
deursj ~~
(j) Le môfee, Liv, 8. Chap. 7, ,■ ■ ■
11 prend"
1(58
PREMIERS VOYAGES
Ni eu ES 8 A.
I 5 I o.
Avantures
de NiciiefTa,
11 retrouve
Olano, & ne
lui pardonne
qu'à demi.
ExtiêmîttS
desCaftillans,
qui leur fait
manger un
Cadavfc.
Nicucfla
palTe à Porto-
Bello, & de-
là plus loin.
Origine du
nom de Nom-,
bve de Die ..
deiirs, & chargés de toutes les provifions qui convenoient à Ton entreprtfe.
Une tempête les avoit prefqu'aunî-tôt difperfés. Lope d*0/a»o, fon Lieu-
tenant, l'avoit quitté pendant la nuit, fous prétexte qu'il lui étoit impofli-
blc de tenir la Mer; & s'étant joint au gros de l'Efeadre, qui étoit entrée
dans le Chagre, il s'en étoit fait reconnoître le Chef, dans la faulTe fuppo-
fiiion que la- Caravelle du Commandant avoit été fubmergée. Mais n'ayant
pu fe garantir de la mifère, qui fit périr quantité de fes gens, il avoit for-
mé le deflein de retourner à rEfpagnoIe.
NicuESSA, jette feul fur une Côte inconnue, y perdit, en effet, fa
Caravelle, & fe vit forcé de chercher, par terre, le Veragua, qui étoit le
rendez- vous général. Dans cette marche, un très grand nombre d'Efpa-
gnols périrent de mifère, ou par les mains des Sauvages. D'autres aban-
donnèrent leur Chef, fans fuivre de route certaine, & fouffrirent tous les
tourmens de la faim , de la foif & de la chaleur. Enfin , quatre Matelots
arrivèrent, dans une Chaloupé, à l'entrée de la Rivière deBelem,où ils ren-
contrèrent Olano, qui avoit différé jufqu'alprs à mettre à la voile, & lui
donnèrent avis que NicuefTa venoit, par terre, le long du rivage. Olano
crut l'occafion favorable pour rentrer en grâce. Il lui envoya , fur le champ ,
quelques provifions dans un Brigantin. On n'alla pas loin fans le rencon-
trer. Mais avec quelque joye qu'il dût recevoir un fecours auquel il
devoit la vie, il demeura long-tems ferme dans la réfolution qu'il avoit
prife de punir du dernier fupplice la trahifon de fon Lieutenant, qui
lui avoit déjà coûté environ quatre cens Hommes, & qui l'avoit réduit
lui-même aux dernières extrémités. Cependant il lui fit grâce de la
vie , i la prière de fes gens , qui fe jettèrent tous à {es pieds pour le
fléchir ; mais jl le retint Prifonnier , dans la réfolution de le renvoyer
en Efpagne.
Les Caftillans tirèrent peu de fruit de leur réunion. Ils retombèrent
bien-tôt dans tous les maux dont ils s'étoient crus délivrés, & la faim de-
vint le plus prefTant. NicuefTa leur permit de fe répandre dans le Pays,
& d'employer la violence pour forcer les Indiens à leur fournir des vivres.
Mais ces Barbares, qui étoient bien armés, fe défendirent avec beaucoup
de vigueur. Leur réfîflance ayant ôté toute reiTource à leurs Ennemis , on
vit produire , au defefpoir , un effet , qui étoit peut - être fans exemple.
Trente Caflillans, ayant un jour trouvé le corps d'un Indien, tué dans quel-
que rencontre , & touchant prefqu'à la pourriture , le mangèrent avide-
ment, & moururent tous de cet horrible feflin (r). Enfin , NicuefTa, de-
fefpérant de pouvoir s'établir au milieu d'un Peuple fi féroce, laifTa une par-
tie jde fbs gens dans la Rivière deBelem, fous les ordres d' Alfonfe Nugnez ;
&, conduit par un Matelot, qui jv:>it été du dernier Voyage de Cliriflo-
phe Colomb , il fe rendit avec les autres à Porto-Bello. Il jr trouva le riva-
ge couvert d'une multitude infinie d'Indiens, armés de zagaies, qui lui tuè-
rent vingt Hommes. Ce cruel accueil le mit dans la nécefllité d'avancer Ox
ou fept lieues plus loin , jufqu'au Port, qui avoit reçu, de Colomb, le nom
dQ Bajîimentos. Il y jetta l'ancre, en difant dans fa langue: Arrêtons ^mus
ici,
(»•) Le mcme, Liv. 8. Cha^. 2. . •
EN A M E R I Q U E, Lîv. I.
i6g
ici, au nom de Dieu (s); & le trouvant commode pour s'y établir, il y jetta
auài-tôt les fondemens de la fameufe Ville, que cette circonftance a fait
nommer Nombre de Dios.
Les Indiens ne s'oppofèrent pas au travail; mais le Pays n'ofFroit point
d'alimens. Aufli la famine y redevint -elle extrême; & les maladies, qui
s'y joignirent bientôt, enlevèrent les trois quarts de la nouvelle Colonie.
Les autres étoient fi foibles, qu'ils ne pouvoient foûtenir leurs armes. 11
falloit néanmoins prefler l'ouvrage, pour fe mettre en fureté contre les Sau-
vages, dont on craignoit à tous momens d'être attaqué. Le Général s'em-
prefla de dbnner l'exemple. Mais quoiqu'il n'épargnât perfonne , il ne put
éviter les murmures & les malédiélions de Ces gens, à qui le defefpoir avoit
ôté le courage & la raifon. Ceux qui étoient reftés fur le bord du Belem
n'étoient pas moins à plaindre. La faim les porta jufqu'à manger des Ani-
maux venimeux, dont la plupart furent empoifonnés; & Nicuefla n'en eût
pas revu un feul , s'il ne fe fût hâté d'en faire amener le refte. Enfuite, il
fit partir une Caravelle, pour aller demander du fecours à l'Ifle Efpagnole.
Les efforts qu'il fit , dans l'intervalle , pour fe lier avec. les Indiens. &
pour en obtenir des vivres , n'adoucirent point la férocité de ces Bar-
bares. On entreprit de leur enlever ce qu'ils refufoient. Mais ils firent
une fi furieufe défenfe, qu'ils forcèrent toujours les Caftillanrde fe retirer
avec perte.
Telle étoit la fituation de Nicuefla, lorfqu'il vit arriver Côlmenarez,
avec des propofitions qui pouvoient le dédommager de fes pertes, s'il eût
été capable d'en profiter: mais fes malheurs Tavoient aigri, jufqu'à trou-
bler un peu fa raifon ; & ce qui devoit le conduire à la fortune , ne fervit
qu'à précipiter fa ruine. Côlmenarez, qui lui portoit une fincôre affeftion,
rayant trouvé avec foixante Hommes, tous dans le plus déplorable état du
monde, nuds pieds, maigres, décharnés, leurs habits en lambeaux, fut
quelque tems fans pouvoir s'expliquer autrement que par fes larmes (;). Il
lui apprit enfuite le fujet de fon Voyage , qui fut écouté avec des tranfports
de joye. Mais quelle fut la furprife de ce généreux Ami, lorfqu'après lui
avoir fait une vive peinture des richefles, qu'on avoit trouvées fur les bords
du Darien, il l'entendit répondre, devant tous ceux qui venoient le recon-
noître pour leur Chef, que cette nouvelle Ville, ayant été bâtie fur fon
terrain, fes Fondateurs méritoient d'être punis, & qu'auflî-tôt qu'il y fe-
roit arrivé il feroit fentir fa colère aux Coupables ? Un langage fi déplacé
fit une égale impreifion fur tout le monde. Mais , par une féconde impru-
dence, qui mit le comble à la première, Nicuefl^a fit partir, avant lui, une
Caravelle pour le Darien , tandis que , dans l'efpérance apparemment de
trouver de l'or, il employa plufieurs jours à vifiter quelques Ifles voifines.
Ses Députés portèrent la nouvelle de fes difpofitions , avec celle de fon dé-
part. Lorfqu'il parut à la vue du Port, Vafco Nugnez fe préfenta fur le
rivage , & lui fit crier qu'il étoit le maître de retourner à Nombre de Dios,
mais qu'on étoit réfolu de ne le pas laifl^r defcendre dans la Province du
Darien. • *
Une
N I C 17 1 s I A.
1 5 I G-
Nouvelles
peines de Ni-
cuefla.
En quel
état Côlmena-
rez le trouve.
Imprudence
qui devient la
caufe de fa
perte.
^ (s) Paremos aqui en tl nombre de Dits.
XriII, Part.
Ibidem.
Y
(») Ibidem Qiz^.
170
PREMIERS VOYAGES
NiCUBtIA.
1510.
On refufe
de lerecevcir
dans la Colo-
nie du Darien.
Ses humi-
Hâtions.
II eft trahi
par trois
Cailillans.
Comment il
eft chaiTé de la
Colonie. &
fbn malheu-
reux fort.
Une déclaration fi peu attendue le jétta dans un étonnement qui lui ôta d'a-
bord la force de répondre. Après avoir rappelle fes efprits, il repréfenta
aux Caflillans qui s'oppofoient à fa defcente, qu'il étoit venu fur leur invi-
tation, & qu'il ne penfoit qu'à fe rendre utile a la Colonie par un fage Gou-
vernement. Il demanda du moins la liberté de defcendre & celle de s'ex-
pliquer. Il s'abbaifla jafqu'à i)rotefler, que s'ils ne le jugeoient pas digne
du Comtnandement après l'avoir entendu , il confentoît à le voir ttaité com-
me ils le jugeroient à propos. On ne répondit, à ce difcours, que par des
railleries & des menaces. Cbmme il étoit fort tard, -il prit le parti de jet-
ter l'ancre, & de palfer la nuit dans fa Caravelle. Lor/que le jour parut,
on lui fit dire qu'il pouvoit débarquer: mais au moment qu'il toucha la ter-
re, il s'apperçut qu'on cherchoit à fe faifîr de fa perfonne; & c'étoit en ef-
fet le deifein de lès Ennemis. Il eut aflez de légèreté pour leur échapper par
la fuite; d'autant plus que Vafco Nugnez empêcha qu'il ne fût pourfuivi.
La crainte dé tomber entre les mains des Sauvages le fit fortir d'un Bois, où
il s'étoit retiré ; & s'étant j-approché de la Colonie , il fit dire , aux Habitans ,
que s'ils ne vouloient pas le recevoir en qualité de Gouverneur < il deman-
doit d'être reçu du moins comme leur Compagnon , ou d'être enchaîné s'ils
le defiroient; & qu'il aimoit mieux mourir près d'eux, dans les fers, que
de retourner à Nombre de Dios pour y périr par des flèches empoifonnées.
Cette propofition ne fervit qu'à lui attirer du mépris, & de nouvelles injures.
CependantNugnez , qui regrettoit de s'être oppofé à fa réception , entreprit
de faire revenjr les efprits en fa faveur. Il fie même punir ceux qui l'avoient
outragé; & lui confeillant de rentrer dans fa Caravelle, il lui recommanda
de n'en point fortir , s'il ne le voyoit lui-niême au nombre de ceux qui pour-
roient l'inviter à defcendre. De quelque fource que fut parti ce confeil , le
dernier malheur de Nicuefla vint de ne l'avoir pas fuivi. Trois Cafl:illans
de la Colonie (v), feignant de la chaleur pour fes intérêts, fe rendirent à
fon Bord, rejettèrent ce qui s'étoit paffé fur l'emportement de quelques Mu-
tins , & l'afiTurèrent que tous les honnêtes gens le fouhaitoient pour Gou-
verneur. Il donna dans le piège , malgré l'avis de Nugnez. Ces trois Traî-
tres, auxquels il ne fit pas difficulté de fe fier, l'ayant livré à fes Ennemis,
il fut embarqué, peu de jours après ,^ fur un méchant Brigantin, avec dix-
fept Hommes, qui s'attachèrent volontairement à fa fortune. En vain prit-
il le Ciel à témoin de cette cruauté , & cita-t'ii fes Ennemis au Jugement de
Dieu & des Hommes. On lui reprocha d'avoir fait périr une infinité de
Caflillans, par fon ambition ou fa mauvaife conduite; & les plus modérés
furent ceux qui lui confeillèrent ironiquement d'aller rendre compte , en
Efpagne, des fervices qu'il avoit rendus à la Nation. Il mit à la voile, fans
qu'on ait jamais fçu dans quel lieu du Monde fa mauvaife fortune l'avoic
conduit (.r). ûécou-
(v) Ils'ie nommoient Barrientos, uilhitcz ie témoignage de plufieurs perfonnes dignes
& Veginez.
( X ) Quelques Ecrivains ont rapporté (Ju'il
étoit arrivé à l'Ifle de Cuba, qu'il y avoit été
tué par les Infulaires , & que» pendant la con-
quête de cette llle , on avoit trouvé cette in-
fcription fur un arbre: Ici finit le malheu-
reux Nicuejja, Mais Herrera déclare, fur
de foi , qui étoient alors dans la même Ifle ,
que ce récit eft abfolument fabuleux : ce qu'on
croit certain , dit-il , c'eft que fon VaiiTeau ,
qui étoit en très mauvais état , fut englouti
par les flots ; & que lî quelqu'un de l'Equipa-
ge fe fauva fur la Côte, il y mourut de faim
& de ibif. Ibidem , Chap. 8.
EN AMERIQUE, Lit. I.
irj
1^1
Découvertes qui conduijtrent à celles du Pérou ^ fous Nugnez Balboa.
APRÈS Ton départ, Vafco Nugnez Balboa fe mit fans peine en polTef-
fion de l'autorité. On trouve du moins qu'Encifo ayant ofé le l'at-
tribuer à la faveur d'un nouveau Parti , il le fit arrêter ; & qu'après lui avoir
reproché de vouloir ufurper une place , dont les Provifions dévoient venir
du Roi feul , il ne lui rendit la liberté , à la prière des principaux Habitans
de la Colonie, qu'à condition qu'il s'embarqueroit fur le premier Vaiffeau
qu'on feroit partir pour la Caftille, ou l'Ifle Efçagnole. Enfuite, penfant
à fe procurer des fecours d'Hommes & de Munitions , il fit nommer , pour
cette Commiffion , Valdivia, fon Collègue & fon Ami, qui devoit prefler
l'Amiral au nom de tous les Caftillans de la nouvelle Fondation. D'un autre
côté , il leur repréfenta qu'il convenoit d'informer la Cour de leur fituation
dans la Province de Darien , & des richefles qu'ils fe promettoient d'y dé-
couvrir; fur quoi Zamudio, fon autre Collègue, fe laifla perfuader de paf-
fer lui-même en Caftille. On attribue ici deux vues à Nugnez ; la premiè-
re, de fe conferyer toute l'autorité; & la féconde, d'avoir à la Cour un
Homme, qui eût le même intérêt que lui à prévenir le Roi & fes Miniftres
fur ce qui étoit arrivé d'irrégulier dans le nouvel Etabliflement. Cepen-
dant , comme Encïfo n'étoit pas moins réfolu de porter k^ plaintes au Tri-
bunal du Roi, & qu'il fe difpofoit à partir fur le Bâtiment, qui devoit con-
duire Valdivia & Zamudio à Tlile Ëfpagnole , Nugnez , appréhendant les
fuites de ce Voyage , entreprit d'arrêter fon Ennemi par des offres de ré-
conciliation ; mais après avoir reconnu qu'il n'étoit pas capable de prendre
le change, il fe réduifit à charger fes deux Envoyés de riches préfens en
or, pour les principaux Miniftres d'Efpagne.
Les négociations, dans l'Ide Ëfpagnole, eurent tout le fuccès qu'il s'enétoic
promis. Valdivia revint , non-feulement avec des Provifions & des Hom-
mes, mais avec des Lettres de l'Amiral, qui promettoient de plus puifiTans
fecours à la Colonie. Dans l'intervalle, il étoit arrivé de nouveaux événe-
mens , qui avoient beaucoup relevé les- efpérances de Nugnez , & dont il
fe hâta de donner avis à l'Amiral par le même Député. 11 s'étoit mis à la
tête de cent cinquante Hommes , avec lefquels il avoit fait des courfes
dans tout le Pays, jufqu'à Nombre de Dios, répandant la terreur de fon
nom parmi les Indiens , & n'accordant fon amitié qu'à ceux qui la recher-
choient au prix de l'or. Cette expédition lui avoit fait raflembler tant de
richefles , que le quint du Roi , dont Valdivia fut chargé , pour le remettre
au Tréfor Royal de San -Domingo, montoic à quinze cens Pefos, c'eft-à-
dire , à trois cens marcs d'or.
La fortune l'avoit traité encore avec. plus de faveur, en lui donnant les
premiers indices de la plus grande & la plus heureufe de toutes les décou-
vertes de l'Efpagne. Un jour que le Fils d'un Cacique , nommé Comagre^
Allié de la Colonie, lui avoit préfenté beaucoup d'or, il s'éleva, pour la
répartition, une querelle fort vive entre les Caftillans. Le jeune Indien,
étonné de cette furieufe paffion pour un métal, dont il ne faifoit pas le mê-
me cas, s'approcha de la balance, la fecoua d'un air d'indignation >,& ren-
verfa tout l'or qu'il avoit apporté. Enfuite , fe tournant vers les Caftillans ,
Y a
Découvertes
qut COMDUISI*
KB^T A caL-
Lss DU Pérou.
NuoNiz Bal-
boa.
I 5 1 O" •
Autorité de
Balboa dans'
la Colonie du
Darien.
II envoyé
des Députés à
l'Efpagnole &
en CailiUe.
V,
Ses courres
dans le Conti-
nent.
iif..
:U '^
Premiers in-
diccs qu'il a
du Pérou.
aux-
172
PREMIERS VOYAGES
DlCOTTVBIlTIS
qui c0ndui8i'
bint a cil-
usouPekou.
NuQNEZ Bal-
boa.
. 1510-
Récit d'un
jeune Indien.
Funefte fin
de Valdivia.
PROGRilS DM
Castillans
dans lbs is-
LES.
I 5 I I.
Progrès des
Oiftillans
dans la Ja-
maïque:
auxquels il reprocha de fe quereller pour une bagatelle, il leur dit, que
puilque c'ëtoit apparemment ce métal , qui leur avait fait abandonner leur
Patrie, qui leur Faifoit efluyer tant de fatigues, courir tant de dangers, &
troubler tant de Peuples, qui avoient toujours vécu dans une paix profon-
de, il vouloit leur faire connoître un Pays, dans lequel ils trouveroient de
a uoi remplir tous leursdefîrs; mais que pour y pénétrer, ils avoient befoin
e forces plus nombreufes , parce qu'ils y auroient à combattre de puiflans
Rois, & des Nations guerrières. On lui demanda de quel côté étoit le
Pays, qui renfermoit de fi beaux préfens du Ciel. Il répondit que du fien
il Y avoit fix Soleils, c'eft-à-dire, fix journées de marche, en tirant au
Midi, qu'il montroit du doigt; qu'on trouveroit d'abord un Cacique d'une
extrême richefle, &, plus loin, une grande Mer, fur laquelle on voyoit des
VaiiTeaux un peu moins grands que ceux des Efpagnols, mais équipés de
voiles & de rames ; & qu'au - delà de cette Mer , on arriveroit dans un
Royaume , où l'or étoit lî commun , que les Habitans mangeoient & bu-
voient dans de grands vafes de ce métal , & le faifoient fervir aux mêmes
ufages qu'il voyoit faire aux Cadillans de ce qu'ils nommoient du fer.
Enfin , le jeune Cacique s'offrit pour leur fervir de Guide , avec une
partie des Sujets de fon Père (a). Un avis de cette importance cour
tous les Habitans de la Colonie , leur fit pardonner à l'Indien fa hardicfTe
& fes reproches. Nu^nez , en faifant partir Valdivia pour l'Ëfpagno-
le , le chargea particulièrement de communiquer , à l'Amiral , une nou-
velle fi capable de lui faire hâter les fecours qu'il avoit promis. Mais le
malheur de l'Envoyé retarda , pendant plufieurs années , l'honneur & Tuti"
lité que Nugnez en devoit tirer. Cène fut qu'en 1519 qu'on apprit, par
hazard , que Valdivia , ayant été jette , par un naufrage , dans de petites
liles nommées les Caymans, au NordOucfl de la Jamaïque,. & voulant paf-
fer à la Terre -ferme, du côté de l'Yucatan, étoit tombé entre les mains
d'un Cacique , qui le facrifia aux Idoles du Pays , & qui fit un feflin de fa
chair. Mais la fuite de ce récit appartient à d'autres tems (b).
(a) Herrera, Liv. 9. Cbap. 2.
{b) Herrera, Liv. 8. Cbap. 7. & précédens; & Liv. 9. Cbap. 2 & j;
Progrès des Cajlillans dans les JJles de la Jamûique^ ÎEfpagnole ^ Cuba. '
ON a dû juger, par le pouvoir où Jean d'Efquibel s'étoit trouvé de fe-
courir Ojeda, dans la Jamaïque, que la conquête de cette Ifle lui a-
voit peu coûté , & qu'il s'y étoit heureufement établi. Après quelque ré-
fiflance, les Infulaires s'étoient retirés dans les Montagnes; mais la perte
de leurs Chefs avoit fervi fi facilement à les aflujettir, qu'ils s'étoient li-
vrés au fervice des Vainqueurs , pour les nourrir par le travail de l'Agricul-
ture, & pour les vêtir de leurs ouvrages de coton. Quoiqu'ils ne fuflent
pas riches en or, leur coton, qui étoit également célèbre par fon abondan-
ce & fa bonté , leur attiroit des Marchands de toutes les Illes voifines. Ils
en fabriquoient de grandes pièces d'étoffe, qui fervoient à toutes fortes d'u-
fages; &. les Caflillans, pour lefquels ils travailloient , en faifoient un Com-
merce avantageux. L'heureufe multiplication des Befliaux leur afFuroit un
*. * , au-
.
ïfa
Castillans
DANS LES Is-
LES.
15 I !•
Etabliflctncns
Eccléfiafti-
que s duiisTlf-.
le Efpagr.oli.*.
' EN A M E R I Q U È, Liv. I. ' 173
autre fond de richefles, auquel ils joignirent bientôt des cannes de Sucre, J^f^f.V""
& même des Vignes , dont ils firent de très bon Vin clairet. AuflTi formé- ^**t^"'^*"»
rent-ils, en peu de tems, deux belles Villes, ou Bourgades, fous les noms
deSeville&à'OrtJtart(a).
Tandis qu'on pouflbit les Découvertes & les EtabliflTemens , avec cette
variété de fuccès, l'Ifle Efpagnole vit la confommation d'une affaire, que la
Reine Ifabelle avoit eue fort à cœur, mais que divers contre-tems avoient
retardée. Cette Princefle, perfuadée par les faufles repréfentations de fes
Offi-iers, que le Chriftianifme faifoit ae grands progrès dans l'Ifle, avoit
prié Jules II., qui occupoit alors le Trône Pontifical, d'en ériger quelques
Villes en Evêcnés. Elle avoit demandé d'abord un Archevêque pour la
Province de Xaragua , avec deux SirfTragans , dont les Sièges dévoient être
Larez de Guahaba & la Conception de la Vega. Jules y avoit confenti ; &
la Reine avoit nommé trois Sujets d'un mérite dillingué (b). Mais quel-
ques obftacles avoient fait différer l'expédition des Bulles. Ifabelle étoit
morte; & les deux premiers des trois lieux, qu'elle avoit propofés, ne te-
noient plus le même rang dans la Colonie. Ferdinand , preflé par les der-
nières volontés d'une Epoufe, à laquelle il devoit toute fa gloire, reprit ce
deffein avec chaleur, & propofe un nouvel arrangement-, qui fut approuvé
du Saint Siège. Il confiftoit à fupprimeri a Métropole de Xaragua, pour
ériger San-Domingo, la Conception & Saint. Jean de Portoric en Evéchés
Suffragans de Seville. La même nomination fut confirmée en faveur des
trois mêmes Sujets; c'eft-à-dire , que Deza fut élevé fur le Siège de la
Conception, Padilla fur celui de San-Domingo, & Manfa fur celui de Saint
Jean. Les Prémices & les Dixmes de tous les biens de la terre, à l'excep-
tion des Métaux , des Perles & des Pierres prècieufes, la Jurifdiélion fpiri- .
tuelle Atemporelle, enfin les mêmes droits, dont jouïflbient lesEvêques de siégesEpifco-
CafUlle, furent attribués, par le Pape, aux trois nouveaux Sièges. Mais, paux.
en agréant cette difpofition , le Roi fit , avec les trois Evêques , un Concor-
dat , dont les principales conditions portoient qu'ils feroient engagés , pour
eux & pour leurs Succeffeurs , à diftribuer les Dixmes au Clergé , aux Hô-
pitaux & aux Fabriques, & que les Bénéfices & les Dignités feroient à la
nomination du Souverain ( c ).
Dans cet intervalle, il s'éleva aux Indes un différend fort fingulier dans
^ fon
A quelles
conditions on
(a) Le même, Liv. 7. Chap. 13.
(i) Le Dofteur Pierre de Deza, Dominl-
quain, & Neveu de l'Archevêque de Seville;
le Père Garcias de Padilla y Francifcain; &
le Licencié Alfonfe Manfa , Chanoine de Sft-
lamanque, ibid. Liv. 8. Chap. 10.
(c) Ibidem. Une autre condition étoit
,ue les Evêques , en vertu de la Bulle de
ules II , réglaflent la manière de porter la
'Couronne & l'Habit Eccléfiaftique; que la
Couronne de la première Tonfure fût de
la grandeur d'une Réale de Caftille; les
cheveux deux doigts au-delTous de l'oreil-
Céle'brc dif-
férent! entre
les Dcnnini-
quains & les
Oiîiciers Caf-
tillans fur le
traitement
qu'on faifoit
» 9"
„ le, & un peu plus bas par derrière ; que le
„ vêtement de dclTus fût une Robbc , ou
„ Soutanne, fermée ou ouverte, mais fi
„ longue qu'elle allât jufqu'aux talons , &
„ qu'elle ne fût ni rouge ni verte , ni d'autre aux Indiens
„ couleur indécente; qu'on ne reçût aux Or
„ dres que ceux qui entendoient & parloicnt
„ bien la Langue latine , & qu'on n'y reçût "
„ pas plus d'un Fils du même Père . aim
„ que perfonne ne crût qu'on voulût pren-
„ are tous les Enfans poiu* être Prêtres '.
Ibidem, ...;
Y3
*74
P R E M I E R S V O Y A G E S
PROflofe^ DBS
Castillans
dans lrs is-
LES.
I 5 I !•
Prédications
du Porc Mon-
tefiiio qui
bieOcnt le
Gouverne-
ment.
fon origine, & plus remarquable encore par fes fuites. L'Ifle Efpagnole
continuant de perdre fes Habitans naturels , fans que les Ordonnances du
Roi fuffent capables de réprimer la tyrannie des Caftillans, l'intérêt de l'hu-
manité & de la Religion porta les Dominîquains , qui s'y étoient établis , à
s'armer de toute la vigueur Apoftolique pour arrêter cette fcandaleufe cruau-
té (d). Un de leurs Prédicateurs, nommé Antoine Montejino, qui s'étoit
fait une grande réputation d'éloquence & de fainteté, mais à qui 1 Hiftorien
reproche un cara6tère trop ardent, prit un jour foiemnel pour monter en
Chaire à SanDomingo, devant l'Amiral & tout ce qu'il y avoit de perfon-
nes didinguées dans la Colonie, & déclama vivement contre l'injuflice &
la barbarie avec laquelle il voyoit traiter les Indiens. Cet emportement de
zèle, qui touchoit les Cadillans du côtoie plus fcnfible, excita beaucoup de
murmures. Les Officiers Royaux preffèrent l'Amiral de réprimander un
Indifcret , qu'ils accufoient d'avoir manqué de refpcél pour le Roi. Ils re-
çurent ordre de fe rendre au Couvent, pour s'expliquer d'abord avec le Su-
périeur. Mais leur furprife fut extrême, lorfque ce Religieux, qui fe
nommoit le Père de Cordoue^ leur déclara que le Père de Montefino n'avoit
rien dit à quoi fon devoir ne l'eût obligé, & qui ne dût être approuvé de
tous ceux qui refpeéloient Dieu & le Roi. Les Officiers , dans le premier
mouvement de leur indignation , déclarèrent à leur tour que le Prédicateur
fe rétraéleroit en Chaire , ou que les Dominiquains feroient chafles de l'If-
le. Cependant , après quelques explications plus modérées , on convint ,
que le Père Montefino prêcheroit du moins dans un autre fîyle , & qu'il
fatisferoit ceux qui II; croyoient oflfenfés. Le concours fut extraordinaire à
l'Eglife. Mais, loin de prendre un autre langage («), le Prédicateur fou-
tint
. ♦»'. t"'
fi
(d) L'Hiftorlen reprend Ton récit de plus
loin. „ Un Caftillan, dit -il , nommé Jean
„ Garces, ayant poignardé fa femme, pour
„ l'avoir trouvée en adultère, s'étoit mis à
„ couvert delà Juftice dans les Montagnes,
„ où il avoit pafré quatre ans. Mais l'ennui
,, de cette folitudc le fit recourir aux Donil-
„ niquains , qui le reçurent en qualité de
Frèrc-Lay. Il apprit , à ces Religieux,
comment on sV étoit pris, avant leur ar-
rivée, pour convertir les Indiens, & com-
ment il croyoic qu'ils dévoient ôtre gou
vcrnés. L'Iflc étant fi grande, qu'il étoit
impolFible d'envoyer par-tout des Milîîon-
naircs Montefino fut chargé d'apprendre, •
aux Caftillans de la Colonie , la manière
dont ils pouvoient fe rendre utiles au Ser-
vice de Dieu; & ce fut l'occafion qu'il prit
,, pour fe livrer à fon zèle ". Ibidem ,
Chap. II.
(e) L'Hifiorien de Saint-Domingue entre
dans un fort beau détail , mais fins nous ap-
prendre d'où il le tire: „ Le Prédicateur pa-
,, rut. dit -il, & commença par dire que fi
,, l'ardeuv de fon zèle, dans lacaufe du mon-
n de la plus jufte, l'avoit empêché de mefu-
„ rer aiTez fes exprefllions , il prioit ceux qui
„ s'en étoient crus blefités, de lui pardonner;
,, qu'il favoit le refpefb qui étoit dû aux dé-
„ pofitaires de l'autorité du Prince ; mais
„ qu'on fe trompoit fort fi l'on prétendoit
,, lui faire un crime de s'âtre élevé contre les
„ départemens des Indiens. Il dit fur cela
„ des chofes encore plus fortes que la pre-
„ mièrefois; car, après être entré dans un
,, détail extrêmement pathétique des abus
„ communs , il demanda quel droit , des gens
,, qui étoient fortis d'Efpagne, parce qu'ils
,, y manquoicnt de pain , avoient de s'en-
„ graifiêrdelafubfiance d'un Peuple, né auflî
„ libre qu'eux? Sur quoi fondés ils difpo-
„ foient de la vie de ces Malheureux , comme
„ d'un bien qui leur fût propre? Qui avoit
, pu les autorifer à exercer fur eux un eni-
„ pire tyrannique? S'il n'étoit pas tems de
„ mettre des bornes à une cupidité quienfan-
„ toit tant de crimes , & fi l'on vouloit lui
„ facrifier encore quinze â vingt mille In-
„ diens, oui rcftoient à peine de plus d'un
„ million d'ames qu'on avoit trouvé dans l'If-
„ le Efpagnole en y abordant "• Liv, 5. pa-
ges m & liï. ■ • ^1= -
. * ç: E N AMERIQUE, Liv. I. : 175
tint avec fermeté celui qu'il avoit tenu la première fois , en proteflant au'il
s'y croyoit également obligé par l'intérêt de l'Etat & de la Religion. Les
Dun autre côté , les Dominiquains , voyant l'Ordre de St. François décla
ré contre eux, & foutenu de plufieurs perfonnes puiflantes, firent partir le
Père de Montefino, pour plaider fa propre Caufe auprès du Roi. 11 trouva
la Cour fort prévenue contre lui. Mais , quelque répugnance qu'il eût à
s'y préfenter , après avoir héfîté deux ou trois fois , dit l'Hiftorien , fon
zèle lui fit traverfer la Garde du Palais, & le conduifit jufcju'aux pieds du
Roi. Il en fut feçuavec bonté. Comme il étoit fort éloquent, il n'eut
pas de peine à faire comprendre , à ce Prince , qu'on lui avoit déguifé la
vérité. Cependant , il n'en pût obtenir que des ordres pour l'aflemblée
d'un Confeil extraordinaire, où cette grande affaire fut plaiùée de part &
d'autre avec beaucoup de chaleur (/).
Ceux qui parlèrent en faveur des Indiens repréfentèrent que tous
les Hommes font nés libres, & qu'on n'avoit aucun droit d'attenter à la
liberté d'une Nation, dont on n'avoit reçu aucun tort. Les autres ré-
pondirent, que les Indiens dévoient être regardes comme des Enfans, qui
avoient, à cinquante ans, l'efprit moins avancé que les Européens ne l'ont
ordinairement a dix , incapables parconféquent de fe conduire, & de conce^
voir les vérités les plus fimples ; fi peu fenfibles à la mifère naturelle de leur
condition, que malgré le foin qu'on prenoit de les vêtir, ils n'étoient pas
plutôt éloignés des yeux de leurs Maîtres, qu'ils déchiroient leurs habits en
pièces, pour courir nuds dans les Montagnes, où ils s'abandonnoient fans
honte à toutes fortes d'infamies | que i'oifiveté paroilToit leur fouverain
bien, &. que la feule nécefllté du travail pouvoit les tenir dans la foumiirion:
enfin, qu'ils étoient d'autant mpins capables de faire un bon ufage de la li-
berté, qu'aux défauts & à l'incapacité des Enfans, ils joignoient les vices
des Hommes les plus corrompus.
Ces accufations n'étoient pas fans fondement ;• mais elles étoient fort
exagérées , & Montefino s'attacha particulièrement à le faire fentir. Il y
réulTit avec tant de force , que le Roi , également poulTé par fa confcience
&^ar le Tefl:ament de la Reine Ifabelle (g), voulut qu'on accordât quel-
que
Castillans
DANS LES 11*
LES.
15 I !•
Les Fran- •
cifcains prcn- ,
neiit p.irti
contre k s Do-
miniquains.
Montcfimt
va plaider la
caufe à la
Cour d'Efpa-
Rai Tons en
faveur dci Ui-
diens.
(/) Ce Confeil étoit compofé de l'Evêque
de Valencia, qui étoit comme Préfident, par-
ce que jufqu'alors il n'y avoit pas de Confeil
particulier pour les Indes; de t'ernandde^e-
ga. Seigneur de Grajal, homme d'une pru-
dence didinguée; du Licencié Louis de Za/»»
ra, que fa faveur auprès de Ferdinand fai-
foit nommer le petit Roi ; du Licencié Moxi-
ca; du Licencié Santiago; du Dofteur Pala-
cios Rubios , & du Licencié Sajfa. Les Théo-
logiens étoient Thomas Duran & Pierre de
Co'yorfttHaj , Dominiquains ; le Licencié Gré-
goire, Prédicateur du Roi; Matthieu de Pas,
il .. .1: .:..:.' -.-il.
Dominiquain , & Profefleur de Salamanque ;
& d'Efpinar , Député des Officiers de llfle
Efpagnole. Ce fut à Burgos , que fe tint
l'Afllmblée; & llfle Efpagnole y avoit d'au-
tres Agens, pour demander que leslnfulaires
fuCTcnt donnés à perpétuité , ou du moins
pour trois vies. Heirera, Liv. 8 Cliap. 12.
(g) Les Hifloriens rapportent cet article:
„ Elle déclare que fa principale intention,
„ comme celle du Roi fon Mari , cil de pa-
„ cifier & peupler les Indes, de convertir à
„ la Foi les llabitans du Pays , ôt d'envoyer
„ des Religieux pour les inllruire. Elle fup-
„ plie
Castillans
OANI LBI !$•
LBI.
15 « '•
• Ré«Icniens
fuies à cetce
occafioi).
..•I
Dofm Die-
gue de Velaf-
quez reçoit la
commimon
de peupler
rilledeCuba.
• Hatuey .
Cacique fugi
tif de l'ine
lifj.agnole.
I7<J PREMIERS VOYAGES
que chofe à l'équité de fa Caufe. On régla , par pi oviHon , que les Indiens
leroienc réputés libres , mais que les Département continueroient'de fub-
fider dans la même forme. C'étoit, fuivant la remarque d'un Hido-
rien, reconnoître le droit de ces Peuples à la liberté, <& les retenir en
même tems- dans un dur efdavage. Comme les Bêtes de charge s'c-
toient extrêmement multipliées dans Tlde Ëfpagnole , il fut expreflTé-
ment défendu de faire porter aux Infulaires aucun fardeau, & de fe
fervir du bâton ou du fouet pour les punir. Il fut ordonné aulTi qu'on
nommeroic des Vifiteurs , ou des Intendans , qui feroient comme leurs
Proteéteurs, & fans le confentement defquels il ne feroit pas permis de
les mettre en Prifon. Enfin, l'on^ régla, qu'outre les Dimanches & les Fê-
tes, ilsauroient, dans la Semaine , un jour de relâche, <Sc que les Femmes
, enceintes feroient exemptes de toute forte de travail. Mais de fimpIesRé-
Çlemens ne fuffifoient pas , pour des abus qui étoient alors dans toute lear
torce. En mettant à part l'mtérêt des Miniftres & des Favoris , on ne pou-
voit rendre abfolument laliberté aLX Indiens de l'Ide, fans réduire à l'mdi-
gence la plupart des Habitans Efpagnols. Auffi la plupart de ces Ordon-
nances furent-elles fans effet.
L'Amiral fongeoit alors à peupler l'Ide de Cuba , dans la crainte appa-
remment , que s'il differoit plus long-tems cette entreprife , la Cour n en
donnât la Commiflfion à quelque autre , & que cette lAe ne fût encore fé-
parée de fon Gouvernement. Il choifit Diego de Velafquez, pour la con-
quérir, & pour y bâtir une Ville. Velafquez étoit un des anciens Habi-
tans de l'Elpagnole. Il y avoit occupé les premiers Emplois avec honneur,
fous l'Adelantade Barthelemi Colomb; & fa prudence, accompagnée d'une
figure & d'un cara£lére aimables , lui attiroit beaucoup de conlldération.
D ailleurs, il avoit tout fon bien dans la Province de Xaragua, & proche
des Ports de Mer les plus voifins de Cuba. On n'eut pas plutôt publié qu'il
étoit chargé de l'Expédition, que tout le monde s'empreflant d'en parta-
ger l'honneur avec lui , on vit arriver, à Salvatiera de la Savana , où fe fai-
foit l'embarquement , plus de trois cens Volontaires de toutes les Parties de
riHe. Il mit à la voite avec quatre Vaiffeaux ; & la diftance n'étant que
d'environ dix-huit lieues d'une Tlfle à l'autre, il alla débarquer heuceufe-
ment à l'extrémité orientale de Cuba , vers la Pointe de Meyci.
Ce Canton avoit alors pour Maître un Cacique, nommé Hatuey ^ qui é-
toit né dans l'Ide Ëfpagnole , & qui en étant forti , avec un grand nombre
de fes Sujets, pour éviter la tyrannie des Européens, avoit formé un petit
Etat où il règnoit paifiblement. Comme il craignoit toujours que ces re-
doutables Ennemis ne le fuiviflent dans fa retraite, il avoit fans cefTe des
Efpions , qui lui donnoient avis de tous leurs mouvemens. A la première
nouvelle du deflein de l'An^iral, il afTembla les plus braves de fes Sujets &
de
il
„ plie très afTefhieurement le Roi fon Mari
i> & Seigneur , & commande à la Princefle fa
„ Fille & au Prince fon Fils, d'accomplir là-
,. defTus fa dernière volonté . & de ne pas
„ confeniir que les Indiens des Terres con-
„ quifes & à conquérir reçoivent aucun tort,
„ tant en leurs perfonnes qu'en leurs biens,
„ mais qu'au contraire ils foient traités hu-
„ mainemcnt, & que s'ils ont déjà reçu quel-
„ que tort , on y remédie ". Ibidem.
EN AMERIQUE, Lxv. ï.
IfT
de Tes Alliés, pour leur repréfenter ce qu'ils avoient à redouter de la per-
fécution des Callillans , & pour les animer à la dëfenfe de leur liberté. Mais
il les aflura que tous leurs efforts feroient inutiles , s'ils ne commençoienc
par fe ménager la faveur du Dieu de leurs Ennemis , qui étoit un Maître
fort puiffant , & pour lequel ces cruels Tyrans étoient capables de tout en-
treprendre. Le voilà, leur dit-il, en leur montrant de l'or dans un petit
Panier. Voilà ce Dieu pour lequel ils prennent tant de peine, & qu'ils ne
fe lafTent pas de chercher. Ils ne penfent à venir ici que dans refpérance
de l'y trouver. Célébrons une Fête à Ton honneur, pour obtenir fa pro-
teftion. Aufll-tôt, ils fe mirent tous à chanter & à danfer autour du Pa-
nier. Ces Fêtes durent une nuit entière, fuivant l'ancien ufage du Pays,
& ne finiflent ordinairement que lorfque tout le monde efl: tombe d'ivrelfe
ou de fatigue. On remarque que les chants de Cuba étoient plus doux âc
plus harmonieux que ceux de l'Ille Efpagnole (h). Après cette cérémonie ,
Hatuey raflembla tous fes Indiens, pour leur dire, qu'ayant beaucoup ré-
fléchi fur le fujet de leurs craintes, il n'avoit pas encore l'efprit tranquille,
& qu'il ne voyoit aucune fureté pour eux, tandis que le Dieu des £fpa-
gnols feroit dans leur Canton. Vous le cacheriez en vain, continua-til;
quand vous l'avalleriez, ils vous éventreroient pour le chercher.au fond de
vos entrailles. Il ajouta qu'il ne connoiflbit qu'un lieu , où ils puflenc le
mettre, pour s'en défaire, c'étoit le fond de la Mer; & que lorfqu'ils ne
l'auroient plus parmi eux , il fe flattoit qu'on les laiiïeroit en repos. Cet
expédient leur parut infaillible; & tout l'or qu'ils poffedoient fut jette en
effet dans les flots (i).
Ils furent extrêmement furpris, lorfqu'ils n'en virent pas moins arriver
les Efpagnols. Hatuey s'oppofa d'abord au débarquement ; mais aux pre-
mières décharges des arquebufes, une multitude d'Indiens, qui bordoient
le rivage, prit la fuite vers les Bois, & Velafquez ne jugea point à propos
de les pourfuivre. Cependant , après quelques jours de repos , voulant fe
délivrer d'un Ennemi qui pouvoit l'incommoder à la faveur de fa retraite,
il fit chercher le Cacique avec tant de foin , qu'il s'en faifit ; & pour effrayer
ceux qui confervoient encore de rattachement pour lui , il lui fit expier fa
réfiftance par le feu (*). Enfuite tous les Caciques vinrent fucceffivement
lui rendre hommage; & la conquête d'une des plus grandes & des plus bel-
les Ifles du Monde ne coûta point un feul Homme aux Efpagnols (/).
CfiTTE nouvelle, que l'Amiral fe hâta de communiquer à la Cour d'Efpa-
' gne,
(b) Le même, Liv. 9. Cbap. 3.
( » ) Ibidem
Ik) L'Hiftorlen de Saint - Domingwe ob-
ferve que c'eft de lui qu'on rapporte un trait,
fort célèbre dans l'Hilloire du nouveau Mon-
de, & qui fert à faire juger combien les Ef-
pagnols étoient devenus odieux aux Indiens.
Hatuey étoit attaché au poteau , lorfqu'un
Religieux Francifcain entreprit de le conver-
tir, & lui parla fortement du Paradis & de
l'Enfer. Dîins le lieu de délices dont vous
Xnil. Part. ■
parlez, lui demanda le Cacique, y a-t'il des
Efpagnols ? 11 y en a , répondit le Miflion-
naire; mais il n'y en a que de bons. Le
meilleur n'en vaut rien, reprit Hatuey , &je
ne veux point aller dans un lieu oit je puiiîe
craindre d'en rencontrer un feul.
( / ) Ceux qui ont cru que Chriftophe Co-
lomb l'avoit nommée Fernandine . ont été
dans l'erreur. Ce fut le Roi Catholique qui
lui donna fon nom en 1514; mais le nomln-
dien n'a pas laiffé de l'emporter.
Pnoanki dm
Ca&tillani
oans'lei ii*
LBf.
Comment il
anime fes Su-
jets contre les
CalUllans.
Il efl COU'
damné au feu
par Velaf-
quez.
Soumifllion
de rine de
Cuba.
CASTU.r.ANS
DAN» LUsiS-
LU.
15 ï '•
Dom Bnr
theicmi Co-
lomb cft ren-
Voyii à l'Hfpa-
cnolc, avec
divcrfL'i. fa-
veurs de la
Cour.
Première
célébrité de
Barthcicmi de
(as Cafas.
178 PREMIERS VOYAGE S
gne , y rdpandit aflcz de joye pour faire oublier une partie des plainte»
qu'on y avoic portées contre l'on adminiflration; & Ferdinand, malgré le
peu d'afFi'^lion qu'il avoit pour lui, en lut plus difpofé à fc perfuader uue
la plupart des Mécontens n'avoient pas d'autre motif que leur jaloufie. Ce-
pendant il lui envoya Dom Barthcicmi, fon Oncle, avec un Mémoire fort
détaille des reproches qu'on faifoit à fa conduite, & de tous les points qu'on
lui recommandoit d'oblcrver (m). Dom Barthelemi avoit toujours confer-
vé la dignité d'Adelantade. Le Roi y joignit le Gouvernement & la pro-
priété, pour toute fa vie, de la petite llle de Mono; avec un Département
de deux cens Indiens dans l'Jlle Efpagnole, & la CommilTion de faire tra*
vailler aux Mines, qu'on pourroit découvrir dans l'Ifle de Cuba. Les Hif-
toriens aflurent que toutes les accufations , qui rcgardoient l'Amiral, é*
toient autant de calomnies du Tréforier Pajjamont'e ^ dont l'avarice & l'am-
bition fe trouvoient gênées, par un Gouverneur, qui ne confultoit que la
juftice & le bien public («)..
Ce fut vers le même tems,. que Barthelemi de las Cafas ^ fi célèbre de-
puis par fes travaux pour le falut & la confervation des Indiens, fortit de
l'obfcurité dans laquelle il avoit vécu jufqu'alors , pour commencer l'exerci-
ce de fon zèle & de ^qs talens. Il étoit pafTé jeune aux Indes; & s'étant
fait Prêtre depuis peu , il avoit fuivi Velafquez à Cuba. Son unique objet
fut la conveilion des Infulaires, auxquels il trouva tant de docilité, qu'il
ne craignit point de publier, qu'il étoit beaucoup plus aifé de leur faire
embraflcr le Chriftianifme, que d'engager les Ëfpagnols à mener une vie
chrétienne. .«...,. ** '^
(f») Ibid. Chap. J.
(n) Ibidem.
Ponce d»
Léon.
1512.
! I
Fcyage de Ponce de Lcon , £5* Découverte de la Floride,
«■iV
11 paft de
ride de Por-
toric.
Sa route.
LA conquête de Cuba fut comme un nouvel éguillon , qui excita plufieurs-
Avancuriers à tenter d'autres entreprifes. Ponce de Léon , qui fe
trouvoit fans Emploi dans TIHe de Portoric, depuis que le crédit de Cer-
ron & de Diaz l'avoic emporté fur le fien , réfolut de faire un Voya-
ge au Nord, où l'on étoit bien informé qu'il y avoit des Terres à dé-
couvrir.
Le premier jour de Mars 1512, il partit du Port de SanGerman, dans-
l'Ifle de Portoric; & s'étant avancé juîqu'à \'/igiiada, pour compter de-là le
point de fon départ, il employa huit jours à fe rendre près des Bancs de
Bnbiina , dans une lile , nommée el yiejo , à vingt & un degrés & demi de
latitude du Nord. Le lendemain, il mouilla fous une des liles Lucayes;-.
& le jour fuivant , il toucha au rivage d'une autre Ifle , qui fe nomme Ta-
guna^ au vingt-quatrième degré. Le 11, il arriva dans l'Ifle à'Amaguyo^.
où il prit des rafraîchiflemens. Enfuitc, ayant pafle par l'Ifle de Manegua,
qu'il trouva fous les vingt-quatre degrés & demi, il arriva, le 14, à Guabani,
d'où il entreprit de traverfer le Golfe de Barlovento. Sa route fut par le
Nord-Eft, jufqu'au27, jour de Pâque Fleurie, qu'il apperçut une Ifle fans
pouvoir la reconnoître. Le Lundi, 28, & les deux jours fuivans, il con-
tinua
^^^^?^
) E N A M E R I Q U E, Lxv. I. 179
tmua de fuivre la même route, jufqu'au 2 d'Avril, qu'il traverfa direfte-
ment à l'Efî-Nord-Kft. Vers la nuit, il fc trouva près d'une Terre, fur
huit brades d'eau; & la prenant pour une llle, il lui donna le nom de l'io-
ride^ autant parce qu'on ctoit au tems de la Pàquc dumémenoni, qu'en
faveur d'une belle perfpeftive , qui préfentoit quantité de Vergers , & d'au-
tres Terres, fort agréablement plantées. Ponce dcfccndit au rivage , pour
en prendre poUclfion au nom de l'Efpagne. Le 8 , il fit voile , en conti-
nuant la même route, jufqu'au 20, qu'il découvrit quelques Cabanes d'In-
diens. Il y aborda; mais le lendemain, ayant levé l'ancre , il fut arrêté
par un courant , allez fort pour l'emporter fur la force du vent & fur celle
des cables, & pour féparer de lui les trois Vaiflcaux, qu'il perdit de vue.
i^uantiré d'Indiens , partis du rivage , l'invitèrent à delccndre. Il y en-
voya fa Barque, dont ils fe faifirent autîi-tôt ; ik dans le doute de leurs in-
tentions , on fe contenta de les obferver. Mais ils abulèrent de cette in-
dulgence, & l'on ne fe fépara point fans quelques bleflures. Les Caflillans
s'avancèrent à l'embouchure d'une Rivière voifme , que Ponce nomma la
ÇruZy après avoir fait élever une Croix de pierre fur le rivage. Le 20, il
do-ibla le Cap de la Terre qu'il avoit nommée la Floride , & le nomma Cap
de CorrienteSj parce que, dans cet endroit, la force de feau l'emporte fur
celle du vent. Toute cette Côte eft très nette & n'a pas plus de lix braffes
de fond. Du Cap, qui eft par les vingt -huit dégrés quinze minutes, on
a^vança jufqu'aux vingt-fept, où l'on trouva deux llles au Sud, dont l'une,
qui fut nommée Santa-Martay offre de l'eau en abondance. Le 13, on fui-
vit la Côte, jufqu'à la hauteur d'une Ifle, qui reçut le nom de Santa-Pola;
& le 15, on fit dix lieues le long de plufieurs autres petites llles, qu'on
nomma lot Marthes, parce que dans l'éloignement les pointes de rochers fe
préfentoient comme des figures dllommes fouffrans; mais, dans la fuite,
obferveHerrera, elles ont mérité plus juftement ce nom, par la quantité de
Malheureux qui s'y font perdus (a). Leur fituation eft au vingt - fixième
degré quinze minutes. Après avoir couru au Nord, & quelquefois au
Nord-Eft, jufqu'au 23, on commença, le 24 , à fuivre la Côte du Sud,
fans reconnoître fi c'étoit le Continent , jufqu'à d'autres llles, où l'on mouil-
la jufqu'au 3 de Juin. Quelques Indiens s'y préfcntèrent dans des Canots;
mais la défiance ayant produit des holliiités qui coûtèrent la vie à quelques
Caftillans, on fe détermina, le 14, à reprendre la route de l'Efpagnole &
de Portoric. Une Ille , où l'on avoic tué quelques Indiens , reçut le nom
de Matanca. Le 2i , on arriva près d'onze autres petites llles, dont les.
bords étoient fi couverts de Tortues , qu'elles en prirent le nom de Tortu-
gas. Le 24, en portant au Sud-Eft-quart-d'Eft, on eut la vue d'une gran-
de Terre, que les uns prirent pour Cuba, quoiqu'on fe crût à plus de dix-
huit lieues de la véritable route de cette Ifle. On continua d'avancer , a-
vec la même incertitude , jufqu'au 3 de Juillet, qu'on découvrit flfle èHA-
checaïubey, d'où repaflant par Santa-Pola & Santa-Marta, on alla mouiller à
Cbeguefcboy & de- là, vers l'Efl:, à d'autres Ifles, qui furent nommées las
. . Fie.
(a) Le même, Liv. g. Cbap. ïo. - ' "• •';:'.''<
z 2 , '^. • : -■■ -r
PONCI DB
LtOIf.
I5I2.
Il ilccouvrc
une Terre ,
qu'il prend
iiour une Ifle,
i (]ii'il noin<
me t'IoriJc.
Dlverfe»
Ifles auxquels
les il donne
des Boins,
f'
V.
186 PREMIERS VOYAGES
FOKCK DE
Léon.
1 5 I 2.
Nom que
les Indiens
donnoient à
la Floride.
Inagînation
tonianefqiie
de Ponce de
Léon.
Il cherche
h Fontaine
"^e Jouvence.
Elle efl;
cherchée par
d'autres Avan-
turiers.
Recherche
d'un troilîèinc
Monde.
ViejaSy parce qu'on n'y trouva qu'une vieille Indienne. Elles font à vingt-
huit degrés (*).
Dans le doute fi la Terre, qu'on avoit nommée Floride ^ ctoit une par-
tie du Continent, Ponce n'avoit pas manqué d'interroger tous les Indiens
qu'il avoit rencontrés j mais, pour unique éclaircilTement , il avoit appris
d'eux qu'ils la nommoient Cantio^ du nom de certaines feuilles, dont les
Habitans fe couvroient le devant du corps. Il fut informé aufli qu'une Ifle,
qui lui avoit paru fubmergée , & qu'il envoya reconnoître , fe nommoit
Bahama. Enfuite, après avoir erré jufqu'au i6 d'Août, il fit gouverner
auNord-Eft-quart-d'Ell:, pour arriver fous une haute Roche, qui fervoit
comme de rempart à toutes ces Ifles. Le lendemain, changeant de route,
il prit direélement celle de Portoric.
Mais, en mettant à la voile, il détacha un de fes VaifTeaux fous la con-
duite de Jeaji Perez d'Orfai/a, auquel il donna pour Pilote Antoine A'Ala-
minosy avec deux Indiens fort intelligens; tous chargés d'une entreprife fe-
crette, à laquelle il paroît qu'il renonçoit lui-même, quoiqu'elle eût fait le
principal motif de Ibn Voyage. Ponce de Léon avoit amafle de grands
biens. Il avoit de l'expérience, de l'efprit, & du courage. L'efpérance
de découvrir de nouvelles Terres avoit fervi de prétexte à fon armement,
& ce deffein n'avoit été condamné de perfonne. Cependant il venoit d'une
efpèce de folie, qui lui étoit commune avec plufieurs autres Efpagnols, &
qui eft devenue comme une tache pour fa gloire. Une ancienne tradition
des Antilles avoit perfuadé, à tous les Indiens, que, dans une Ifle, nommée
Biminif du nombre des Lucayes, & proche du Canal de Bahama, il y avoit
une Fontaine , dont les eaux avoient la vertu de rajeunir les Vieillards qui
s'y baignoient. 11 paroît (jue les Infulaires de Cuba avoient été les plus ar-
dens à chercher cette précieufe fource ; & l'on voyoit encore , dans l'Ifle
de Bimini , un Village qu'ils avoient formé. Herrera le place néanmoins
dans le Continent de la Floride , & prétend qu'on attribuoit auflî la vertu de
rajeunir à un Fleuve de la même Province. Ces Peuples étoient fî crédu-
les, qu'il n'efl pas furprenant de les voir livrés à cette chimère; mais quel-
que penchant qu'on fuppofe aux Efpagnols pour le Merveilleux , il eft dif-
ficile de concevoir à quel point ils fe remplirent d'une fi folle opinion.
Quelques-uns n'en furent jamais détrompés; & quoique plufieurs Avantu-
riers de leur Nation eufTent perdu vrai-femblablement la vie dans cette re-
cherche, puifqu'on n'a jamais appris qu'ils en fuflent revenus, on s'imagi-
na que la feule raifon , qui les empêchoit de reparoître , c'étoit qu'ayant
trouvé ce qu'ils cherchoient, ils ne vouloient plus fortir de ce délicieux fé-
jour, où ils jouiflbient de l'abondance de tous les biens & d'un printems
perpétuel. Perlbnne ne fut plus enchanté de ces douces rêveries que Pon-
ce de Léon. Un autre égarement d'imagination lui avoit fait efpérer la
découverte d'un troifièmc Monde; & comme c'étoit trop peu, pour une
fi vafte entreprife, que les jours qui lui reftoient dans l'ordre de la Nature,
il vouloit commen:er par le renouvellement de ceux qui s'étoient écoulés,
&
(6) Ibidem*
,V'!'^:""^ -
t Vf
EN A M E R I Q U E, Liv. r.
m'
& s'afTurer pour toujours d'une yigoureufe jeunefle. Dans la courfe qu'on
vient de repréfenter, il s'étoit informé continuellement de la merveilleufQ
Fontaine; il avoit goûté de toutes les eaux, jul'qu'à celles des Marais les
plus bourbeux : ce qui fait voir, fuivant la réliexion d'un Hiftorien, donc
j'emprunte les termes (c), combien les réputations humaines ont quelque-
fois peu de foJidité dans leur fondement; car la découverte de la Floride,
quoique due au feul hafard , n'a pas laifTé d'immortalifer un Avanturier qui
ne la fit qu'en courant après une chimère. D'ailleurs Ton Voyage devint
fort utile, par la connoifTance qu'il donna du Canal qui porte aujourd'hui
le nom de tiouveàu Canal de Bahama , & que les Navigateurs commencèrent
bien-tôt à fuivre, pour retourner en Europe. De-là aulli l'établiflement du
Port de la Havana , qui n'efl qu'à deux petites journées du Canal , pour
fervir d'entrepôt à tous les VaifTeaux qui venoient de la Nouvelle Rfpagne.
Mais, d'un autre côté, la formation de ce Port pafle pour une des princi-
pales caufes de la décadence de l'Ifle Efpagnole {d).
Ortubia & d'Alaminos furent plus heureux que celui dont ils exécu-
toient les ordres. S'ils ne trouvèrent pas la Fontaine , ils arrivèrent du
moins à l'Ifle de Bimini, dont le feul avantage confiftoit dans une fraîcheur
extraordinaire , caufée par le grand nombre d'arbres & de ruifleaux dont
elle eft remplie. Ponce de Léon , dont les vues ne purent demeurer fecré-
tes, & qui arriva fort mal en ordre à Portoric, y efliiya les railleries de
ceux qui le voyoient revenir plus vieux qu'il n'étoit parti. Mais il fe con-
fola par l'honneur d'avoir découvert la Floride; & cette nouvelle, qu'il
porta lui-même à la Cour, lui fit obtenir un accueil fi favorable, que le Roi
lui accorda la permifllion de mener des Colonies dans les Pays , dont on lui
devoit la connoiflance, & d'y bâtir des Forts , avec le titre de Gouverneur,
& le droit de lever du monde en Efpagne & dans les Indes. On ignore
quels furent les obftacles qui l'arrêtèrent: mais il étoit encore en Efpagne
vers la fin de 1514; & le Roi l'ayant chargé alors d'aller faire la guerre aux
Caraïbes, qui défoloient l'Ifle de Portoric, il retourna dans cette Ifle, d'où
il ne fortit point avant l'année 1521 {e).
(c) Tout ce récit étant fort obfcur dans
les Hiftoricns Efpagnols , on fait ici plus de
fond fur les Mémoires de l'Hiftorien de Saint-
Domingue. Liv. $. pages 124 î^ fuivantes.
( (/) Ibidem,
{e) Ibidem.
POWCE Dt
Léon.
I 5 I 2..
Comment
CCS rêveries
font devenues
utiles.
Ifle de Biraî-
ni.
Retour de
Ponce de
Léon àFor-
loric.
Suite des affaires des Indes ^ ^ Découverte de la Mer du Sud
par Nugnez de Balboa.
Suite dis
DECOUVEKTBa.
ON avoit vu, dans le même tems , à la Cour d'Efpagne , PerczdeCor- "
doue, Supérieur des Dominiquains de rifle Efpagnole, qui avoit fui- •
vi de prés Montefino , pour y foutenir la caufe des Indiens ; & fes follicita-
tions y avoient fait tenir plufieurs Confeils , où les plaintes de ces deux
Miffionnaires avoient trouvé quelque faveur. Cependant le Roi fit appel-
1er un iour le Père de Cordoue, & lui dit, après avoir loué fon zèle, que Conclufîon
l'avis de la plupart des Jurifconfultes & des Théologiens du Royaume étoit j*^ j!!?*^'''''^
de ne rien changer à l'ordre établi; qu'on apporteroit du remède aux abus, ^^^^"^«™«»*
Z 3 mais
.».-?
l82
PRE MI ERS VOYAGES
Suite des
DliCOUVEHTES.
I 5 I 2.
Il retourne
â l'Efpagnole
avec le Père
Cordoue.
Cordoue eft
envoyé à la
Côte de Cu-
mana.
Violences
exercées con-
tre les In-
diens.
Perfidie
nvec laquelle
ils fontenle-
Yés.
mais que les Millionnaires dévoient cefler leurs inveftives contre des ufages
^iprouvés d'un fi grand nombre de Perfonnes fages, & fe contenter, com-
me ils avoient fait auparavant, d'édifier les Indes par la fainteté de leur
vie, fans fe mêler de la Police & du Gouvernement. Ce langage fit com-
prendre, aux Dominiquains , qu'il leur feroit fort difficile à l'avenir de vi-
vre en bonne intelligence avec les Efpagnols du Nouveau Monde. Ils fup-
plièrent le Roi de permettre qu'ils allaflent prêcher l'Evangile dans les Pro-
vinces où leur Nation n'avoit point encore d'Etabliflement ; & lui ayant
fait goûter leur projet, ils obtinrent un ordre, pour l'Amiral, de leur four-
nir tout ce qui é toit néceflaire à leur entreprife (<ï).
Cordoue & Montefino s'embarquèrent pour l'Efpagnole, & trouvè-
rent l'Amiral difpofé à leur accorder tout ce qu'ils defiroient. C'étoit la
Côte de Cumana, qu'ils avoient choifie, pour y commencer leurs travaux
Apofl:oliques.- Cordoue n'y pafla point, paice que d'autres ordres de la
Cour rendirent fa préfence néceflaire pour la fondation de quelques nou-
veaux Couvents dans l'Ule Efpagnole : mais il y envoya Montefino, avec
un autre Cordoue ^ que l'Hiftorien difl:ingue par le nom de François y & Jean
Garces. Montefino étant tombé malade en pafl^ant à Portoric , fes deux
Compagnons ne continuèrent pas moins leur route, & débarquèrent à la
Pointe de (Venezuela ^ dans le lieu où l'on bâtit enfuite la Ville de CafcOy fur
les ruines d'une Bourgade Indienne , qui avoit reçu d'Ojeda le nom de petite
Fenifi. Cette Bourgade fubfifl:oit encore, & les deux Mifllonnaires y fu-
rent bien reçus des Indiens. Ils ne les difpofèrent pas moins heureufement
à recevoir les lumières de l'Evangile; & leur zèle commençoit à fe promet-
tre beaucoup de fuccès , lorfqu'un Navire Efpagnol vint ruiner de fi belles
efpérances. On cherchoit alors à furprendre les Indiens , & à les enlever,
pour en faire un odieux commerce , qui , fans être ouvertement autorifé ,
trouvoit de la prote6lion dans les Officiers Royaux, lori^u'on leur faifoit
part du butin. Cette injufl:e violence etoit colorée du titre d'Expédition
contre les Cannibales; fur-tout depuis qu'il étoit permis, par une Déclara-
tion du Roi , de réduire à l'Elclavage tous ceux qui étoient accufés de man-
ger de la chair humaine ; <& Ton n apportoit pas beaucoup de foin à difliin-
guer les vrais coupables. Comme ce n'étoit pas la première fois qu'on eût
enlevé des Indiens fur la Côte de Cumana, ces Peuples étoient dans la dé-
fiance; mais ils furent rafllirés par la préfence des Milfionnaires ; & loin de
penfer à la fuite , ils firent un accueil fort civil aux Efpagnols. Plufieurs
jours fe paflerent dans une profonde tranquillité. Enfin le Capitaine du
Vaifleau invita le Cacique & les principaux du Canton à venir dîner
fur fon Bord. Ils y allèrent, au nombre de dix-fept: mais à peine y
furent-ils entrés, que les Efpagnols mirent à la voile avec cette proye,
fans en excepter le Cacique & fa Femme. Une aélion fi noire caufa
derf tranfports de fureur dans la Bourgade , & les Milfionnaires failli-
rent d'en être la victime. Un relie de vénération pour leur vertu fit
épargner leur vie, & fervit même à perfuader, aux Indiens, que non-
feulement ils n'avaient eu nulle parc à la trahifon , mais qu'ils en avoient
. ' - ■- :-, i. .: ■;^.. , >- ^ ' i ' igno-
•^- (, a) Ibidem Chap. i«. i'. s^-ZH-/ - . . • , / ■ ' ...a
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9)
EN AMERIQUE, Liv. I.
183
Ignore le deflein. Ils firent efpérer à ce malheureux Peuple qu'on lui ren-
droit les Chefs. Un autre Navire arriva dans l'intervalle. Le Capitaine ,
étant defcendu au rivage, parut extrêmement touché de voir toute la Na-
tion en pleurs; & les Miflionnaires , qui le crurent honnête Homme, en
conçurent l'efpérance de le faire fervir à l'exécution de leur promefle. Ils
le chargèrent d'une Lettre pour l'Amiral, par laquelle ils le conjuroient de
renvoyer les Indiens ; & ne pouvant s'imaginer qu'on leur refufàt une fa-
veur , à laquelle ils repréfentoient que leur propre vie étoit attachée , ils
ne firent pas difficulté d'engager leur parole , que fi le Cacique & fes gens
n'étoient pas renvoyés dans l'efpace de quatre mois, ils fe livreroient vo*
lontairement à la vengeance de la Nation. Cette afllirance appaifa les ref-
ientimens. Le Capitaine partit avec la Lettre, à laquelle les deux Miflîon-
naires n'avoient pas manqué d'en joindre d'autres pour les Religieux de
leur Ordre. Mais lorfqu'elles arrivèrent à San-Domingo , les Captifs étoient
vendus, & c'étoit malheureufement des Officiers de l'Audience Royale qui
les avoient achetés* L'Amiral avoit peu d'autorité fur ces Magiftrats. En-
fin , ni la confidération de deux Religieux, dont la vie dépendoit du retour
des Indiens , ni les inftances de leurs Supérieurs , ni l'honneur de la Na-
tion Efpagnole, ni l'intérêt de la Religion & du Bien public, rien en
un mot n'eut la force d'infpirer le moindre fentiment de juftice à ceux
qui étoient commis pour la rendre. Ainfi les quatre mois étant expi-
rés fans aucune apparence de fatisfa61:ion de la part des Efpagnols , les
deux Miffionnaires furent impitoyablement mailacrés à la vue l'un de
l'autre (b).
Si les Ordonnances du Souverain étoient violées avec cette audace, par
ceux dont le devoir étoit de les faire exécuter, quelle devoit être la condui-
te du commun des Efpagnols à l'égard des malheureux Indfens? Aufli les
accufe-t-on de les avoir traités avec des excès de barbarie qu'on ne peut re-
préfenter fans horreur {c). „ Ils les accouploient pour le travail , com-
„ me des Bêtes de fomme; & les ayant exceffivement chargés, ils les for-
„ çoient de marcher, à grands coups de fouet. S'ils tomboient fous la pe-
fanteur du fardeau, on redoubloit les coups, & l'on ne ceflbit point de
frapper qu'ils ne fe fuflent relevés. On féparoit les Femmes de leurs
Maris. La plupart des Hommes étoient confinés dans les Mines , d'où
ils ne fortoient point, & les Femmes étoient employées à la culture des
terres. Dans leurs plus pénibles travaux, les uns & les autres n'étoient
nourris que d'herbes & de racines. Rien n'étoit plus ordinaire que de
„ les voir expirer fous les coups, ou dépure fatigue. Les Mères, dont le
„ lait avoit tari , ou s'étoit corrompu , faute de nourriture , tomboient mor-
„ tes de foiblefle ou de defefpoir, fur le corps de leurs Enfans, morts, ou
„ moribonds. Quelques Infulaires s'étant réfugiés dans les Montagnes,
„ pour fe dérobber à la tyrannie, on créa un Officier, fous le l'nre'd'^lguaXl
„ del Campo , pour donner la chafle à ces Transfuges , & cet Exécuteur de
SOITB DE8
D£COUVEUTeS.
15 I 2«
Il en coûte
la vie à quel-
ques Miffion-
naires.
>j
Barbarie dea
Efpagnols,
j»
la
(i) Ibîd. Chnp. 14. & 15.
( f ) L'Ouvnigc do Barthclcml de la^ Ca-
fas cft entre les mains de tout le monde.
Mais, pour éviter un horrible détail, ou fe
borne à quelques traits généraux.
• /
i84
PREMIERSVOYAGES
Suite dks
DICOUVERTCf.
I 5 I 2.
nucnez de
Balboa.
Sa Conduite
dans le Da-
rien.
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>»
a
la vengeance publique fe mit en campagne avec une Meute de Chiens, qui
déchirèrent en pièces un très grand nombre de ces Miferables. Quanti-
té d'autres, pour prévenir une mort fi cruelle, avalèrent du jus de Ma-
nioc, qui efl: un poifon très violent, ou fe pendirent à des arbres, après
avoir rendu ce funefte fervice à leurs Femmes & à leurs Enfans. Tels
étoient ces Départemens,qu'onrepréfentoit,à laCour, comme néceflai-
res pour laconverfion de ces Peuples, & qui étoient approuvés par les
Doèleurs d'Efpagne (d) ".
La violence n'étoit pas moins employée dans TEtabliflement du Darien,
où Nugnez de Balboa jugeoit cette voye néceflaire, pour fe faire, en Ef-
pagne, un mérite de fes fervices. Il avoit appris, par des Lettres de Za-
mudio , fon Négociant à la Cour , que le Roi étoit fort irrité contre lui ; &
que, fur les Plaintes d'Encifo , ^il avoit été condamné, par une Sentence for-
melle, à rindemnifer de toute's les pertes qu'il lui avoit caufées. A la vé-
rité , Ferdinand n avoit pas voulu que la partie criminelle des accufations
fût jugée fans avoir entendu fes défenfes ; mais Balbûa ne comprit pas moins
qu'il lui feroit difficile de réfider aux mauvais offices de fes Ennemis , s'il
ne raéritoit l'abolition du paffé par quelque a6lion d'éclat ; & ce motif de-
vint la fource d'un mélange de cruautés & d'héroïques entreprifes, dont on
verra recueillir d'immenfes tréfors à l'Efpagne.
Il avoit appris, de quelques PrifoQniers Indiens, que dans une Provin-
ce, nommée Dabayda, peu éloignée de la Colonie Efpagnole, il y avoic
un Cacique du même nom , quicomptoit, entre fes richelfes, un Temple
plein d'or. Cette nouvelle ayant échauffé le courage de {es gens , il em-
barqua cent foixante des plus braves, dans deux Brigantins, dont il con-
fia l'un àColmenarez, avec ordre de prendre fa route par une Rivière deux
fois plus grande que celle de Darien , & qui en efl éloignée de neuf lieues
à î'Efl. Un Cacique voifin, nommé Comaco^ & mal difpofé pour les Ef-
,,- , pagnols, s'étoit retiré dans le Pays de Dabayda, pour y porter l'avis de
leur deffein. Nugnez commença lui-même la conquête de les Terres, d'où
il tira la valeur de fept mille Caftillans , en pièces & en joyaux d'or. En-
fuite, defcendant vers la Mer, qui efl le Golfe d'Uraba, où les deux gran-
des Rivières fe déchargent, il y efTuya une furieufe tempête, qui fit périr
un Canot où il avoit mis fon or, mais qui ne l'empêcha point de joindre
Colmenarez dans la Rivière où il s'étoit déjà rendu, & qui reçue le nom de
Rivière ji\o de las Redes^ parce qu'on avoit trouvé quantité de Rets fur fes bords.
RiôdeïsRe- Un Cacique, nommé î*ar/î/, leur fournit des vivres en abonc^ance. Après
Ifle nom-
mée Canna
Fiaola. j^Q^/j ^ jQ^jg^ ||3 continuèrent de remonter, à la droite de l'Ide, jufqu'à
la vue d'une autre Rivière, qui fe jette dans la grande, & dont l'eau leur
Rio Ncgro. parut fi noire , qu'ils lui donnèrent le nom de Rio Negro. Cinq ou fix lieues
. de plus les firent arriver fur les Terres d'un Cacique, nommé Abenamechey,
où ils découvrirent un Village d'environ cinq cens Maifons , dont la plu-
part
(«{) Hiftoire de Saint-Domingue, Liv. 5« p^g- iS^t
Voyages
qu'il entre-
prend poi'r
chercher des
richefles ima-
ginaires.
^ÈÀîm»^
f*
EN AMERIQUE, Lxv. J.
185
part des Habitans prirent la fuite. Le Cacique, ayant entrepris de réfifter
avec les plus réfolus, eut le bras prefque abbatu d'un coup de fabre, &
n'en tomba pas moins au pouvoir des Efpagnols. Ici , Colmenarez fuivit
une des Rives , pour obferver les mouvemens des Indiens ; & Nugnez ran-
gea l'autre, jufqu'à une troifième Rivière, qui fe joignoit à celle où ils é-
toient jtous deux , & dans laquelle il ne craignit pas de s'engager avec la
moitié de fon monde. Il s'en fioit à fes Guides, qui l'avertirent bientôt
qu'il étoit fur les Terres de Dabayda.
Cette Région étant pleine de Marais & de Lacs, & la terre prefque
fans ceffe inondée, les Maifons y étoient d'une forme dont on ne connoît
pas d'autre exemple. Elles étoient bâties fur les plus gros arbres , qui les
enveloppoient de leurs branches , & qui les couvroient de 4eur feuillage.
On y trouvoit des Chambres & des Cabinets , d'une charpente ,aufli forte
que dans les Maifons ordinaires ; & chaque Famille étoit ainfi logée féparé-
ment. Chaque Maifon avoit deux échelles; l'une, qui conduifoit jufqu'à
la moitié de l'arbre; & l'autre, depuis la moitié jufqu'à la porte de la pre-
mière Chambre. Ces échelles étoient de Canne , & par conféquent fi légè-
res, que fe levant facilement le foir, les Habitans étoient en fureté pen-
dant la nuit, du moins contre le? attaques des Tigres & d'autres Animaux
voraces , qui étoient en fort grand nombre dans la Province. Ils avoient
leurs Magafins de vivres , dans ces Maifons aériennes ; mais ils laiflbient
leurs Liqueurs au pied de l'arbre, dans des vaifleaux de terre: & lorfque
les Seigneurs étoient à manger, leurs "Valets avoient tant d'adrefle & de
promptitude à defcendre & i monter, qu'ils n'y employoient pas plus de
tems qu'on n'en met du bulFet à la table.
Le Cacique Dabayda, qui étoit dans fon Palais, c'efl-à-dire, fur fon ar-
bre, lorfqu'il vit paroître les Caftillans, fe hâta de faire lever les échelles.
Ils l'appellèrent à haute voix , & l'exhortèrent à defcendre fans crainte. Il
répondit qu'il n'avoit ofFenfé perfonne, & que n'ayant rien à démêler avec
des Etrangers qu'il ne connoiifoit pas , il demandoit en grâce qu'on le laif-
fàt tranquille dans fa Maifon. On le menaça de couper les arbres par le
pied, ou d'y mettre le feu; & fur le refus qu'il fit encore, on mit la hache
au pied de l'arbre qu'il habitoit. Le bruit & la vue des morceaux, qui vo-
loient en éclats, l'obligèrent enfin de defcendre, avec fa Femme & deux
de fes Fils. On lui demanda s'il avoit de for. Il* répondit qu'il n'en avoit
point dans ce lieu , parceque ce métal ne lui étoit d'aucun ufage pour vi-
vre; mais que fi les Caftillans en defiroient avec tant d'ardeur qu'ils fe cruf-
• fent en droit de troubler le repos d'autrui pour en obtenir, il étoit prêt à
leur en faire apporter d'une Montagne voifine. Ils prirent d'autant plus de
confiance à cette promeflfe, qu'il leur laifla fa Femme & fes deux Fils pour
gage de fon retour. Mais , après l'avoir inutilement a'ttendu pendant plu-
fieurs jours, ils reconnurent qu'ils avoient été trompés par un Sauvage, &
'que leurs Otages mêmes, qu'ils avoient fait remonter dans leurs Maifons,
d'où ils ne s'imaginoient pas qu'ils puflent defcendre fans échelles, avoient
trouvé le moyen de s'évader pendant la nuit. Tous les autres arbres étant
abandonnés de même par leurs Habitans, Nugnez, qui fe voyoit à quelque
diftance de fon Brigantin , & qui pouvoit être furpris à tous momens par
• Xnil. Part, A' a ' des
SurTK DES
DECOliVERTES*
NuONtZ DK
Balboa.
Pays où les
maifons font
bâties fur des
arbres.
Comment
le Cacique
Dabayda eft
forcé dans fa
maifon.
18(5 PREMIERS VOYAGES
Suite des
decouvertes.
nuomez de
Balboa.
1512»
Soulève
ment Je tous
,les Cacifiues.
T.es Efpa-
gnols font for-
cés de retour-
ner à leur Co-
lonie.
Vengeance
qu'ils tirent
des Indiens.
des forces plus nombreufes que les Tiennes , dans un Pays aufli couvert d'eau
que de bois, prit le parti de retourner à Bord. 11 fj hâta même de rejoin-
dre Colmenarez, iiir la Rivière Noire; & pour fui croît de chagrin, il ap-
prit, en y arrivant, que plufieurs Caflillans, qui s'ctoicnt débandés, avoient
été maflacrés par les Indiens (e).
£n efict, tous les Caciques du Pays, allarmés pour leur vie & leur re-
pos, avoient déjà pris la rélblution de fe réunir, pour exterminer de cruels
Brigands , qui venoient les attaquer fans avoir reçu d'eux la moindre ofien-
fe. Abenamcchey , qu'on avoit dédaigné d'enlever pour l'efclavage , dans
l'éiat où on l'avoit lallFé, couroit par les Bois, en pouflantde grands cri.s,
& montrant Ton bras coupé à tous ceux qu'il rencontroit. Ils fe raflemblè-
rent jufqu'à fix cens, qui cherchèrent leurs Ennemis, avec d'horribles mar-
ques de fureur. Cependant , à peine eurent-ils éprouvé l'effet des arquebu-
les, que leur courage le rallentit. Les lances & les épées des Caftillans
en firent un'effroyable carnage. Ceux dont on put fe failir furent envoyés
à la Colonie de Darien, .pour y être employés aux travaux publics; & le
refte ayant difparu par la fuite , alors Nugnez fe crut allez fupérieur à tou-
te crainte, pourlaiifer, dans le Village d'Abenamechey, trente Hommes j
fous le commandement de Barthelemi à!Hurtado , avec ordre de contenir les
Indiens dans la foumiflion , & de chercher ce qui fe trouvoit d'or dans la
Province. Enfuite il reprit le chemin de la Colonie, où fa préfence étoit
déjà néceflaire pour arrêter les faftions. Mais Hurtado fe vit bientôt for-
cé, parles maladies & par d'autres* craintes, d'abandonner fon Pofte aux
Caciques , qui fe raffemblèrent pour l'attaquer. Il n'arriva pas fans 'peine
à Sainte-Marie de Darien ; & l'on y fut prefqu'auffi - tôt informé, par une
Indienne qui avoit fon Frère au fervice de Comaco, que tous ces petits Prin-
ces , réfolus de ne pas fouifrir plus long-tems des Étrangers dans leurs Ter-
res , avoient formé une Armée confidérable aux environs de Tichiri. Nu-
gnez fe hâta d'autant plus de les prévenir, qu'il apprit en même tems qu'ils
en vouloient particulièrement à lui , & qu'ils avoient chargé quarante de
leurs plus adroits Tireurs d'employer la trahifon pour le tuer. Il partit,
à la tête de foixante & dix Hommes; tandis que Colmenarez, avec une au-
tre Troupe, prit une route différente, pour le joindre au même terme.
Les Indiens, qui ne croyoient pas leurs defîlins éventés , & qui fe promet»
toient tout de leur nombre , par une faulfe prévention , remarque l'Hiflo-
rien, qui leur étoit commune à tous, & qui les abufoit toujours f/), é-
toient à tenir Confeil dans le Village de^ Tichiri , fur la manière dont ils
dévoient attaquer la Colonie étrangère, '& fur le partage du butin. Deux
Corps de Caftillans, qui fe firent voir tout d'un coup, ik qui les prirent des
deux côtés , après avoir commencé à les épouvanter par une furieufe dé-
charge de leurs arquebufes , trouvèrent peu de réiiftance dans cette foible
& timide Aflemblée. Ils en firent une cruelle boucherie; & ceux qui é-
chappèrent à la mort ou à l'efclavage, n'eurent pas d'autre relfource o;ic L.
fuite. Colmenarez, qui avoit été le plus heureux à faire des Prifonniers,
fit pendre a.uffi-tôt les principaux, pour augmenter la terreur de ceux qui
se*
(«) Ibidehi.
(/) Le même, Liv. 9. Cbap. 6.
.*!
EN AMERIQUE, Liv. I.
187
«'étoient difperfes. Une viftoire fi complette ayant mis toute la Province*
.fous le joug, Nugnez y fit bâtir un Fort, qui acheva d'y établir la domina-
tion de l'ECpagne (ir).
Mais cette conquête ne lui fit pas perdre de vue une entreprife beau-
coup plus importante , qu'il n'avoit pas celle de méditer, depuis les lumiè-
res qu'il avoit tirées du jeune Comagre. Après y avoir préparé fes gens,
par fes exhortations & par les plus hautes elpérances , il partit avec cent
foixante Hommes & le jeune Cacique pour Guide , dans un Brigantin, qui
le porta, par Mer, jufqu'aux Terres d'un Cacique, nommé Câreta, avec
lequel il avoit fait alliance. De-là, il prit le ctiemin des Montagnes, pour
entrer dans le Pays de Ronca^ autre Cacique, qui fe cacha dans des lieux
fort fecrets, à l'approche des Caftillans, mais qui fe ralfurant enfuite, par
l'exemple de fon voilîn, prit le parti d'aller volontairement au-devant
d'eux, & d'acheter leur amitié par l'ofi^re de tout ce qu'il avoit d'or. Nu-
gnez accepta d'autant plus joyeufe'ment la fienne, qu'il étoit bien aife de
s'aflurer la liberté du paifage , pour toutes fortes d'événemens. Enfuite ,
s'étant engagé dans des Montagnes fort hautes , il eut à combattre une
nombreufe Armée de Barbares, dont il tua fix cens, à coups d'arquebufe
& par les morfures de fes Chiens. Le Cacique, nommé Quarequa, y périt
avec honneur: mais fon Frère <& d'autres Seigneurs , qu'on prit en nabits
de Femmes, furent abandonnés aux Chiens, fur le (impie foupçon qu'ils é-
toient livrés à de honteufes débauches. Entre les dépouilles des Vaincus,
on trouva une affez groffe quantité d'or.
QuoiQ.U£ le jeune Comagre eût alfuré, avec raifon, qu'il n'y avoit que
fix jours de chemin depuis les Terres de Ronca jusqu'au fommet d'une Mon-
' tagne d'où l'on découvroit une immenfe étendue d'eau , la difficulté des
paflages & celle de trouver des vivres y firent employer vingt cinq jours.
Enfin l'on arriva fort près de cette élévation , la plus grande de tout le Pays
qu'on avoit traverfé; & Nugnez y voulut monter feul, pour jouir le pre-
mier d'un fpeftacle qu'il defiroit depuis fi long-tems. A la vue de la Mer,
qu'il ne put méconnoître , il fe mit à genoux , il étendit les bras vers le
Ciel , en rendant grâces à Dieu d'un événement fi avantageux à fa Patrie &
fi glorieux pour lui-même. Tous ies gens, appelles par ce fignal, s'em-
preflerent de le fuivre. 11 recommença devant eux la même cérémonie,
qu'ils imitèrent tous, à la vue des Indiens étonnés, qui ne pouvoient s'irtia-
giner le fujet d'une fi grande joie (h).
Il ne manqua point de faire obîerver qu'il ne devoit refl:er aucun doute
de la bonne foi du jeune Cacique, puifque fon récit s'accordoit avec toutes
les circonftances. Il ajouta qu'avec des richelfes immenfes, on devoit s'at-
tendre à découvrir de nouvelles Nations, Ôl par conféquent à voir l'Evan-
gile plus répandu que jamais dan? le Nouveau Monde. Nugnez avoit au-
tant d'agrément dans le langage, que dans toutes fes qualités extérieures.
Il y joignoit des manières affables, & beaucoup de compaiiion pour les
moindres maux de ceux qu'il voyoit louffrir. Sa hardielfe étoit éprouvée
dans les dangers; fa patience, dans les plus rudes travaux, & les reflbur-
ces
{g) Ibidem, Chap. 7. (è) Le môme, Liv. 10. Cha^. i.
Aa 2
SUITK 1ÎF8
df.couverte."!.
Nugnez dk
BALBOi».
I 5 1 3-
Autre Voya»
ge de Nugnez
de Balboa.
t ' ' '
Découverte
de la Mer du
Sud.
Joie de Bal-
boa.
Son caraclè-
re.
I
Soin DES
decouvertes.
nuonez de
Balboa.
1513-
Comment il
prend polTef- .
fion de la Mer
du Sud au
nom de la
Caftille.
Golfe de
Saint-Michel.
Tempête
terrible.
Extrômités
auxquelles
Balboa eft ré-
i!ui;.
188 PREMIERS VOYAGES
'ces de fa prudence , dans les occafîons les plus embarraflantes. Aufll tous
fes gens marquèrent-ils une extrême fatisfaétion de l'entendre, & beaucoup,
d'ardeur à le luivre. Mais, avec fi peu de monde, il ne crut pas devoir
s'engager plus loin, fans s'être afluré de tous les Caciques, dont il avoit
de la réfiftance à craindre, ou du fecours à efpérer. 11 le borna donc à
prendre pofleflîon, pour les Rois 'îq% Maîtres, du Pays qui l'environnoit &
de la Mer qu'il venoit de découvrir. Le même jour, après avoir fait éle-
ver de gros tas de pierres , planter des Croix , & graver le nom de Ferdi-
nand fur Pécorce des plus grands arbres, il entra dans la Merjufqu'àla
ceinture, l'épée dans une mam & le bouclier dans l'autre. Dans cette fi-
tuation, adrelfant la parole aux Callillans & aux. Indiens qui bordoient le
rivage: Vous êtes témoins, leur dit-il, que je prends pofleflion de cette
Partie du Monde pour la Couronne de Caftille j & je faurai bien lui en con-
ferver le Domaine avec cette épée (/).
Ensuite, ayant foumis quelques Caciques voifins , dont les plus redou-
tables & les plus riches fe.nommoient Chiapeia & CoqierOy il embarqua tous
fes gens fur neuf Canots, puur s'avancer fur les Côtes du Golfe où il étoit,
& qu'il avoit nommé »Sa/«{ - A/jVA^/. Mais à peine eut-il quitté le rivage,
qu'une furieufe tempête le jetta dans le plus grand péril qu'il eût jamais ef-
Aiyé. Les Indiens mêmes en parurent épouvantés. Mais, comme ils ex-
celloient à nager, ils eurent l'adrefle d'attacher les Canots deux à deux a-
vec des cordes, pour les rendre plus capables de réfifter aux flots, & cel-
le de les conduire, entre quantité de petites llles , jufqu'à la Pointe d'une
plus grande, où ils ne les amarrèrent pas moins habilement aux arbres <&
aux rochers. La nuit, qui furvint avant le retour du beau tems, prépara
aux Caflillans une fcène encore plus effrayante. Les eaux ayant crû juf-
qu'au jour, l'Ifle fe trouva toute inondée, fans qu'on apperçût aucun refte
de terre; & comme on avoit pafle la nuit fur les Rochers, ceux qui vifitè*
rent les Canots furent confier nés d'en trouver une partie en pièces , & d'au-
tres entr'ouverts ou remplis de fable & d'eau. Le bagage & les vivres a-
voient été emportés par la violence des flots. On n'eut pas d'autre ref-
fource, dans un fi grand péril, que d'arracher l'écorce des arbres , & de la
mâcher avec des herbes , pour s'en fervir à boucher les fentes des Canots
qui n'étoient pas abfolument brifés ; & l'on entreprit de gagner la terre fur
de'fi frêles Bâtimens, en fuivant les Indiens qui les précédoient à la nage.
Nugnez, auffi prefTé de la faim que tous les autres, avoit recommandé à
fes Guides d'aborder dans la Terre d'un Cacique, nommé Tomaco, dont ils
lui avoient vanté l'abondance. Mais voyant les Indiens difpofés à lui ré-
fifîer, il fe mit à la tête de fes plus braves gens, avec fes Chiens, qui n'é-
toient pas moins affamés qu'eux ; & dans fa defcente il fît un carnage ef-
froyable de fes Ennemis. Le Cacique même y fut blefîe ; & pendant quel-
ques Je urs cette difgrace ne parut fervir qu'à redoubler fa fureur. Cepen-
dant , ayant appris de fes Voifins que les Cafl;illans avoient bien traité ceux
qui le«! avoient reçus civilement, il leur envoya fon Fils, avec des vivres
à un préfent, dont la feule vue leur fit oublier toutes leurs fatigues. C'é-
toit
(t) Ihid. Chap. a
les
'"S
f»
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
i8p
toit un amas d'or, de fix cens quatorze Pefos, & deux cens quarante Per-
les d'une grofleur extraordinaire. Les Perles n'avoient que le défaut d'être
un peu ternies, parceque les Indiens mettoient les Huitres au feu pour les
ouvrir. Mais on leur apprit une méthode plus fimple ; & Tomaco , voyant
l'admiration de fes Hôtes pour des biens dont il faifoit peu de cas, leur en
fit pécher douze marcs dans l'efpace de quatre jours (* ). Il ailura Nugnez ,
que le Cacicjue d'une lile, qui n étoit éloignée que de cinq lieues, en avoit
de plus grofles encore, & que toute cette Côte, qui s'écendoit fort loin au
Sud , produifoit quantité d'or & d'autres richelfcs ; mais , dans l'atleftion
qu'il avoit conçue pour lui, depuis qu'il avoit éprouvé la douceur avec la-
?|uelle il traitoit fes Alliés, il lui confeilla d'attendre une faifon où la Mer
Ùt plus tranquille ; & les Caftillans , rebutés par leur dernière Navigation ,
& la plupart accablés de foiblefle ou de maladie, prelFcrent leur Chef de
retourner au Darien. Il prit fa marche par une autre route, pour acqué-
rir une parfaite connoiflance du Pays. Ce ne fut pas fans peine & lans dan-
ger qu'il trnverfa de nouvelles Montagnes, parmi des Peuples !i fauvages,
qu'ils n'avoient cP.tr'eux aucune communication , obligé fouvent de s'ouvrir
un paiTage.par les armes, s'attachant, par fes carefles ik fes bienfaits, ceux
qui lui fournifFoient volontairement des vivres & de l'or, & faifant dévo-
rer par fes Chiens tous les Caciques qui entreprencient de lui réfifter. Mais ,
quoique la plupart de ces Malheureux foient nommés dans l'Hidoire, on
n'y trouve aucune lumière fur la fituation de leurs Terres. Enfin , le 29
de Janvier de l'année fuivante, Nugnez rentra glorieux & triomphant dans
la Colonie, avec plus de quarante mille Pefos d'or, qu'il rapportoit de la
dépouille des Indiens ( /).
Son premier foin fut d'informer le Roi & fes Miniflres , de tant d'im-
portantes découvertes , & des fuites qu'on devoit s'en promettre. Il char-
gea de fes Lettres Pierre A' /irbolancho ^ & les accompagna d'une très grande
quantité d'or & de fes plus belles Perles. Arbolancho partit au commence-
ment de Mars , & fon arrivée remplit de joie toute la Cour. Le Miniftre
des Indes , qui étoit paiTé alors au Siège de Bur^os , & qui continuoit de
gouverner les affaires des Indes avec une autorité prefque fouveraine, le
reçut avec de grandes marques de faveur , & lui procura le même accueil
du Roi. ' Ce Prince parut fort fatisfait des fervices de Nugnez, & donna
ordre au Prélat de ne pas les laifler fans récompenfe. Mais ce fut un mal-
heur , pour ce brave Avanturier , que fon Député ne fût point arrivé deux
mois plutôt. Les coups , qui dévoient entraîner fa ruine , étoient déjà por-
tés. Ferdinand , à qui l'on àvoit fait comprendre que la Colonie du Darien
méritoit beaucoup d'attention, s'étoit déterminé à lui donner un Chef, dont
le caraélère & le nng fuflent capables d'y établir l'ordre, & d'y faire ref-
pefter l'autorité fouveraine. Il avoit d'abord nommé , pour cette Commif-
fion, Dom Diegue del Aguila^ qui s'étoit difpenfé de l'accepter. On lui
propofa aufli - tôt Dom Pedrarias à'Avila , Officier de naiflance & de méri-
te, qui joignoit à la gloire des armes une grande réputation de galanterie.
Quelques autres Seigneurs s'étoient mis fur les rangs j jnais le crédit de l'E-
vêque
(*) Le même, Liv, lo. Cbap. 3. (/) Ibid. Chap. 3.
Aa 3
scitc des -
decouvertes,
Nugnez db
Bal BOA.
15 13'
On lui don-
ne beaucoup
d'or & de Per-
les.
Son retour
au Darien.
1514-
II informe
la Cour de fes
découvertes.
IJalboa efl
fupplanté à la
Cour d'Efpa-
gne.
Pedrariaï
d'Avila eft
nommé pour
lui fuccèdex»
■ SUITS DBII
PECOUVSRTZS.
MUUMZ DE
fiALOOA.
' I 5 « 4-
II II' rend
nu Daiicii :
lie qui il cil
nccoiiipngiié.
^implicite
de lu vie & du
ciiradèrc de
Balboa.
11 fe fouinet
ii Pedrarias.
Etat du Da-
rien, & con-
duite de Pe-
drarias.
190 PREMIERS VOYAGES
vêquc de Burgos ayant fait donner la préférence à Pedrarias, on avoit tra-
vaillé à les initruftions avec tant de diligence, qu'il étoit parti peu de jours
avant l'arrivée d'Arbolanclio.
La Klotte, qui le perçoit, étoit de quinze VailTeaux bien équipés. II
mcnoitavec lui Jean dej^«cra/o, Francilcain, facré fous le titre diivéquc
de Terre-ferme, un bon nombre de Millionnaires , & deux mille Hommes
de Guerre, ou dcllinés à peupler h Colonie. Le Roi lui avoit donné, pour
Lier mant, Jean d'/Jyorai pour Alcalde Major, Jean dlîfpimfa, qui fut
dans ta fuite Prélident d'* l'Audience Royale de San Domingo, & Gouver-
neur de rille Efpagnole; & pour Algualil Major, Charge qui répond à cel-
le de Grand Prévôt, ce même Encilb, dont on a rapporté les avantures.
Quelles que fuflcnt les vues de la Cour, ce choix parut de mauvais augure
pour Nugnez, à ceux qui le virent tomber fur fon Ennemi. La Flotte por-
toit aufli quatre Officiers Royaux, qui dévoient compoler, avec l'Eveque,
le Cpnfeil du Gouverneur; & l'on comptoit, dans ce nombre, Gonzale
Fernandez d'Oviedo y f^aldez (w), Auteur d'une Hilloire du Nouveau Mon-
de, qui ell une des principales fources d'où les Hiftoriens pofterieurs ont
tiré leurs lumières. .«,
Pedrarias arriva vers la fin de Juillet, au Golfe d'Uraba; & faifant
mouiller à quelque dillance de Sainte Marie, il y envoya donner avis des
ordres de la Cour. L'Officier, qu'il chargea de cette Commillion, Çff fir
préfenter d'abord au Commandant. Il fut iurpris de voir un Homme fi cé-
lèbre en fimple Camifole de coton, en Caleçon, & en Souliers de corde,
occupé à faire couvrir de feuilles une alFcz mauvaife Café, qui lui fervoic
de demeure. Herrera , qui rapporte cette circonflance , obferve que c'é-
toit par cette (implicite, que Nugnez étoit devenu la terreur de tant de
Nations , & s'ézoic tellement attaché tous les liabitans de la Colonie , qu'a-
vec quatre cens cinquante Hommes, qu'on y comptoit à ptii.e , il auroic
empêché, s'il l'eût entrepris, toutes hs forces de la Flotte d'Efpagne de
mettre Pedrarias en polTelfion de fon Gouvernement. Ce nouveau Gou-
verneur ne s'étoit pas même attendu d'y être reçu fans obftacle : mais il
fut agréablement trompé. Son Officier, ayant déclaré à Nugnez que Dora
Pedrarias d'Aviia, nommé par le Roi au Gouvernement de cette Provin-
ce, étoit dans la Rade avec fa Flotte, reçut pour réponfe, que toute la Co-
lonie étoit dirpofce à rdpedler les volontés du Roi. Cependant il s'éleva
dans la Ville un allez grand murmure. Il fe fit des AflTemblées , & Nu-
gnez fe vit le maître de faire foulever tout le monde en la faveur. Mais,
ayant pris de bonne foi le parti' de la foumiflion , il ne voulut pas même
qu'aucun de les gens pariit armé devant le Gouverneur; & marchant au-
devant de lui avec tous fes Braves, il fe préfenta, fuivant les termes d'un
Hiftorien , comme un Prélident à la tête d'un Confeil. Après lui avoir fait
un compliment refpeélueux, il le conduifit dans fa Cabane, où il lui fie fer-
vir un repas, de Caflave, de l'ruits & de Racines, avec de l'eau du Fleu-
ve pour toute liqueur. Dés le jour fuivant, Pedrarias vérifia ce qu'on a-
voit publié des grandes entreprifes ôc des conquêtes de Nugnez. La Mtr
du
{m) Son Emploi particulier étoit celui de Controlleur des Mines & des Foiites d or.
fer-
In a-
du
SoiTl DBI
DECOUVKRTEI.
Nt'CNEZ Uli
liALnOA.
1514-
'; EN A M E R I Q U E, Liv. I. ipr
,dn Sud ëtoit découverte, & tout le Pays, jufqu'à cette Mer, avoit ctcfou-
niis: mais les Kfpagnols qui venoicnt pour jouir de ces nouveaux avanta-
• ges,"^ & qui s'ctoicnt ilattcs de trouver de l'or en cLendaiit la maiji , fe virent
fort éloignés de leurs efpérànces, lorfqu'ils eurent appris ce qu'il en avoit
coulé aux Conquerans pour s'enrichir.
Peu de jours après, le Gouverneur fit proclamer l'ordre qu'il avoit ap-
porté , de finir le Procès de Nugnez. L'Alcalde Major commença par Tai-
re arrêter cet illuftre Accule. On examina Ls charges contenues dans le
Mémoire d Encilb. Un Jugement du Confeil le condamna d'abord à une
très grofle amende; mais il fut mis enfijite en liberté. Pedrarias n'en prit
pas moins fes inllru£lions, pour former de nouvelles Peuplades dans des
lieux dont on lui faifoit connoître les propriétés: mais pendant qu'il paroif-
foit vivre avec lui dans la meilleure intelligence, il écrivit au Roi que la
Colonie du Darien n'étoit pas telle, à beaucoup près, que Nugnez l'avoit
repréfentée. Avec fa Lettre, les anciens Ilabîtans en firent partir d'au-
tres , qui contenoient de grandes plaintes contre les nouveaux Olficlers^ &
la fuite fit connoître que ces accufations étoient mieux fondées que les pre-
mières. Pedrarias avoit trouvé la Colonie dans un état très iloriflant. Tout
le monde y jouifToit d'un fort heureux. On n'y voyoit que des Fêtes; on
n'entendoit que des chants de joie , au fon de toutes fortes d'inftrumens.
Les Terres étoient enfemencces & commençoient à fournir aflez de vivres
pour la nourriture des I labicans. Non-feulement les Caciques étoient fou-
rnis, mais la plupart portoient tant d'aflfeftion à leurs Vainqueurs, qu'un
Efpagnol pouvoit aller librement d'une Mer à l'autre. Audi le Roi, démê-
lant la vérité au travers des nuages, dont on vouloit l'obfcurcir, écrivit
l'année fuivante , à Pedrarias, que pour reconnoître les fervices de Vafco
Nugnez, il le créoit fon Adelantade dans la Mer du Sud & dans les Provin- Ordres de la
ces de Panama & de Coyba. Il ordonnoit qu'il fût obéi comme lui-même, cîm"penfcr "^
& que tout fubordonné qu'il devoit être au Gouverneur Général, il ne Balboa.
fût gêné en rien .fur tout ce qui regarderoit le bien public. Ce Prince
ajoutoit qu'il reconnoîtroit le zèle de Pedrarias pour fa peribnne, au
traitement qu'il feroit à Nugnez, dont il vouloit qu'il prît les avis,
dans toutes fes entreprifes.
Des ordres fi flatteurs ne firent qu'avancer fa perte. Pedrarias étoit
bien éloigné de la douceur qui avoit fait tant d'Amis à l'Adelantade. Ovie-
do étoit déjà retourné fecrettement en Caftille, pour y faire fes plaintes
contre lui. Nugnez avoit écrit de fon côté, à la Cour, une Lettre du 15
d'06lobre, dans laquelle il ne fe plaignoit pas moins du nouveau Gouver-
neur. L'Évêque entreprit de les réconcilier; mais fes foins 'eurent peu de
fuccès, puifque Pedrarias , aigri par quelques faux rapports, prit enfin la
réfolution de perdre un Homme, dont le mérite lui avoit toujours caufé de
l'ombrage. 11 lui fit un Procès criminel , dans lequel la mort de Nicueifa &
les violences exercées contre £ncifo lui furent encore reprochées. On y
ajouta le crime de félonie, qu'on fit confifler dans l'intention fuppofée d'u-
furper le Domaine du Roi. EA vain Nugnez fe récria contre ces accufa-
tions , dont les unes étoient déplacées , après le Jugement cfe l'Alcade Ma-
jor, & les autres ubfolument fauÛes. Il eut la tète coupée à Sainte-Marie ,
Ils ne fer-
vent qu'à fa
perte.
192
PREMIERS VOYAGES
SOITB DU
drcouvirte*
nuoniz dic
Balboa.
I5M-
Pcdrarlas
Plaintes
contre Pedra
rias.
à l'âge de quarante-deux ans ; & fa more fie perdre au Roi le meilleur Of-
ficier qu'il eût alors dans les Indes. Ce au'il avoit fait , en fi peu d'années,
ne laifla aucun doute qu'il n'eût bientôc découverc & conquis le Pérou , fl la *
Cour ne lui eût pas ôté le Commandement lorfqu'il fe difpofoit à partir pour
cette expédition. Les Pères de Saint Jérôme, qui jouifFoient alors d'une
lui fait couper grande autorité dans les Indes, témoignèrent un vif relfentiment contre Pe-
la tûte. drarias, & lui en écrivirent dans des termes qui lui firent connoîtrc ce gue
toute l'Amérique penfoit de fa conduite. Ils ajoutoient qu'on en faifoic
beaucoup d'autres plaintes , & qu'il paroifloic avoir oublié les ordres du Roi ,
qui l'obligeoient de ne rien faire fans la participation du Confeil de fa Pro-
vince. Mais ces avis venoient trop tard pour l'infortuné Nugnez , & ne
furent pas moins inutiles en faveur des Indiens. Las Cafas, fans nommer
ce violent Gouverneur, mais en le dedgnant avec beaucoup de clarté, Ôc
le repréfentant comme une Bête féroce, déchaîné par le Ciel en colère,
pour la ruine d'un Peuple qui méritoit apparemment cette punition par l'ex-
cés.de Tes crimes , lui reproche d'avoir défolé, depuis le Darien, iufqu'au
Lac Nicaragua , cincj cens lieues d'un Pays très peuplé , le plus riche & le
plus beau qu'on puille s'imaginer , & d'avoir exercé fur les Indiens , fans
diflinflion d'Alliés & d'Ennemis, des cruautés qui paroîtroient incroyables,
fi les preuves n'en avoient été dépofées au Fifc Royal , oii cet Ecrivain ren-
voie IQS Leéleurs. Comme on peut juger qu'un Homme de ce caraftère fe
voyoit impatiemment dans la dépendance de plufieurs autres Supérieurs, il
efl: naturel de croire que ce fut le defir de fecouer un joug dont il fe croyoit
blefTé, qui contribua, plus que tout autre motif, à la deflruélion de Sainte-
Marie du Darien. Il s'imagina qu'en allant s'établir fur la Mer du Sud,
l'éloignement pourroit le dérobber à l'autorité de ceux qui commanderoienc
dans rille Efpagnole, & le délivrer de l'obligation qu'on lui avoit impofée
de prendre les avis du Confeil de fa Province. En 1518, il chargea Diego
d'Efpinofa, fon Alcalde Major , de fe rendre à Panama, avec ordre d'y bâ-
tir une Ville. En même tems il écrivit au Roi que le Pays, où la Colonie
de Sainte-Marie avoit été fondée, n'étoit pas propre pour un grand Eta-
bliflement, & qu'il convenoit, aux intérêts de l'Efpage, de tranfporter le
Siège Epifcopal à Panama. L'année d'après, ayant reçu des réponfes favo-
rables, il envoya ordre à Oviedo, qui commandoit alors fur le Darien, a-
vec la qualité de fon Lieutenant, de tranfporter à Panama tout ce qu'il y
avoit d'Habitans à Sainte-Marie. Ces événemens regardent quelques an-
nées poflérieures ; mais en faveur de l'ordre, ils demandoient d'être rap-
prochés.
QuoiQ_UE'les Caflillans euflent commencé à s'établir en Terre -ferme,
c'étoit toujours ïlûe Efpagnole, qui tenoit le premier rang entre leurs Co-
lonies, & qui, par les fecours que les autres ne ceflbient pas d'en tirer,
autant que par la dignité & le pouvoir général de l'adminiftration, paflbit
pour le principal Siège des forces de i'Efpagne & de l'autorité du Roi dans
le Nouveau Monde. Mais., depuis tant d'années, l'ordre & la paix n'y
ctoient pas encore bien établis. On continûoit de rendre à l'Amiral toutes
fortes de mauvais offices auprès du Roi ,. & ce Prince n'étoit pas toujours
en garde contre ces fâcheufes imprellîons. D'ailleurs, le Confeil étoit fore
op.
Sainte-Marie
du Darien ell
abandonnée.
Fondation
d'une nouvel
le Ville à Pa-
nama.
Méconten-
temens de
l'Amiral Die-
gue Ckilomb.
»*
*>
i>
>t
'EN A M E R I Q U E, Lir. I. 193
oppofô à Dom Diepue. Un Gentilhomme, nommé Dom Rodrigue à'ÀU
buquerquet y eut aflcz de crédit pour faire créer en fa faveur un nouvel Em-
ploi, fous le titre de Dijlributeur des Indiens^ à la feule condition d'agir de
concert avec le Tréforier Paflamonte. qui étoit l'Ennemi déclaré de f Ami-
ral. Cet Office avoit toujours appartenu aux Gouverneurs Généraux. AI-
buquerque arriva triomphant à San -Domingo, & commença par révoquer
tous les Départemens aétuels , à l'exception de ceux qui avoicnt été accor-
dés par le Roi même. Comme il ne diffimula point qu'il avoit befoin d'ar-
gent (n), on comprit quelles étoient les vues; & les Départemens ayant
été bientôt mis à l'enchère, on vit pafler tout ce qui rcftoit d'Indiens dans
rifle (0), au pouvoir de ceux qui lui en offrirent le plus. Ilaccordoit des
Brevets, dont la forme fembloit juftifier fes intentions (/>). Mais ellci
n'étoient pas allez déguifées dans fa conduite, pour ne pas donner prife aux
Ennemis qu'il s'étoit faits de ceux qu'il avoit dépouillés. On en écrivit h.
la Cour. 11 eut befoin de tout le crédit d'un Parent qu'il avoit su Confeil,
pour réfifter à tant de plaintes. Ce Confeiller, qui fe nommoit Zapata^ &
qui jouiflbit d'une haute faveur, obtint un Brevet du Roi, par lequel tout
ce qu'Albuquerque avoit fait au llijet des partages étoit approuvé, avec dé-
fenl'e à tout autre de le troubler dans l'exercice de fa Commiffion. Ce der-
nier coup parut infupportable à l'Amiral. 11 crut fa préfence néceffaire en
Efpagne, pour y foutenir fes droits, & pour fe garantir des nouvelles hu-
miliations qu'il avoit à redouter. Son départ ne caufa que de la joie à Çqs
Ennemis , qu'il laiflbit Maîtres du Gouvernement , & qui craignoicnt peu
fes mauvais offices à la Cour. Ce fut pendant fon abfence que Dom Barthe-
îemi Colomb, fon Oncle , mourut dans l'Ifle Efpagnoje; & ce qui lui reftoit
de crédit ne put empêcher que la petite Ifle de Mona, qui avoit été donnée
à r Adelantacle , ne fût réunie au Domaine. Mais les deux cens Indiens,
3 u'on lui avoit accordés auflî , paffèrent à la Vice -Reine, qui étoit reftée
ans les Indes. Dom Barthelemi fut fincèrement regretté du Roi. Tou-
tes les préventions de ce Prince contre la Maifon des Colombs , qu'il trou-
voit trop puiffante , n'avoient pu diminuer fon eftime pour un Homme, dont
le mérite s'étoit fait connoître avec tant d'éclat, & qui avoit fi bien fervi
. ... ,. - - l'Ef^
SuTTi nrt
DECOUVBRTIM
15 14.
Il rcpaffc en
Efpagne.
Mort lie
Dom Bartlic-
IcmL Colomb.
op.
(n) u donnoit pour raJbn qu'il avoit
époufé une jeune Dame d" un ^raud mérite.
Herrcra, Liv. lo. Cbap. 12
( 0 ) On n'en comptoit plus . ors que qua-
torze mille.
(p ) Herrera nous l'a confcn î'^ . „ Moi,
Rodrique d'Albuquerque , Diftn j'iteur des
Caciques & des Indiens pour le Roi & la
Reine nos Seigneurs , en vertu des Paten-
tes Royales que je tiens de leurs mains, de
l'vivis & du confentement du Seigneur Mi-
chel de Paflamorte , Tréforier Général en
ces Ifles & Terres-fermes pour Leurs Ma-
jeftés; Je vous commets tel Cacique, avec
tant d'Indiens , que ie vous recommande
pour vous en fervir dans vos j^abourages ,
XFlILPart,
dans les Mines & dans la Ménagerie, fui-
vant l'intention de Leurs Majeftés & leur»
Ordonnances , que vous obferverez ponc-
tuellement; & vous en aurez foin toutletems
de vôtre vie & de vôtre héritier, Fils ou
Fille, fi vous en avez, parce qu'ils ne
vous font commis qu'û cette condition par.
Leurs Maje(tés , & par moi en leur nom ;
vous averciflant que fi vous ne gardez pas
les fufdites Ordonnances , ces Indiens vous
feront ôtés , & que l'obligation de con-
fcience, pour le tenis & la manière, tom«
bera fur vous & non fur Leurs Majeflés ;
outre la peine que vous encourrez , & qui
eft contenue dans les mêmes Qrdounaa-
ces ", Ibidtnk,
Bt
\.
194
PREMIERS VOYAGES
Suite des
decouvertes.
1514.
Entreprifes
de las Cafas
en faveur des
Indiens.
Son caraflè*
f
I 5 t 5-
II fc rend
en Efpugne.
Comment il
jarlc au Roi.
TEfpagne. La prudence & le courage ne s'étoient jamais démentis dans
fon caraftère. Si Ferdinand n'avoic pas voulu l'employer aux nouvelles
Découvertes, dans la crainte qu'il n'exigeât les mêmes conditions que l'A-
miral Ton Frère, fon inclination l'avoit toujours porté à lui donner de l'Em-
ploi dans les Guerres de l'Europe, pour l'entretenir avec dignité. Mais
l'Hillorien , qui attribue cette idée au Roi, ne nous apprend pas ce qui fut
capable d'en arrêter l'exécution (g).
T o u T E la faveur de Zapata ne put foutenir long-tems Albuquerque. On
lui donna un Succelfciur , avec le foin de fixer les bornes de fon Emploi;
& pour adoucir la malheureufe condition des Indiens, autant que poi^r ré-
parer les vuides qui furent caufés par une grande mortalité, on publia de
nouvelles défenfes d'empêcher les Mariages des Efpagnols avec les Indien-
nes. Le Confeil s'étoit toujours propofé d'unir étroitement les deux Na-
tions par ces alliances: mais les efprits étoient trop divifés, & le feul li-
bertinage formoit des liaifons qui n'avo'ent pas d'autre nœud. En vain le»
Miirionnaires s'elForçoient d'y apporter du remède. Ils étoient réduits à
demeurer comme témoins de tant de jefordres & de la tyrannie qu on con-
tinuoit d'exercer contre les Indiens, fans avoir la liberté de faire éclater
leurs plaintes.
Las Casas fut le feul qui fe crut aflez fupérieur à tous les ménagemenj
de l'intépêt , pour déclarer la guerre aux Fauteurs des Départemens. On le
peint comme un efprit ferme & folide, d'une érudition fûre, d'un naturel
ardent , d'un courage que les difficultés animoient ; & fur-tout d'une vertu
héroïque. Rien n'étoit capable de lui faire abandonner fon fentim ?nt , lorf-
qu'il y croyoit l'honneur du Ciel intéreflTé. Les fervices qu'il avoic rendu»
dans l'Ifle de Cuba lui avoient acquis de la confidération dans les Indes ; &
l'on ne voit pas que fes Adverfaires mêmes lui ayent jamais reproché d'autre
défaut qu'une imagination trop vive, par laquelle il fe laiffoit quelquefois
dominer. Un Homme de ce caraélère n'avoit pu manquer d'applaudir aux
entreprifes des Pères Dominiquain». Il entreprit de faire revivre la même
Caufe; & ce zèle, qui lui fit obtenir dans la fuite le titre de Proteéleur de»
Indiens, ne fe rallentit point jufqu'à fa mort. Dans la difficulté de fe per-
fuader que le Roi Catholique eût été bien informé , il prit la réfolution de
pafFer en Efpagne, pour y porter des lumières auxquelles il croyoit fa vic-
toire attachée.
Il ne put arriver à Seville que vers la fin de l'année 1515. 11 en partit
pour la Cour, avec des Lettres de recommandation de l'Archevêque; &
dans la première audience qu'elles lui firent obtenir, il déclara librement aa
Roi, qu'il n'étoit venu de l'Iile Efpagnole, que pour lui donner avis qu'on
tenoit , dans les Indes , une -onduite également nuifible aux intérêts de fa
Confcience & de fa Couronne. Il ajouta qu'il s'expliqueroit autrement ,
quand il plairoit à Sa Majefté de l'écouter. Le Roi, furpris d'un langage Çi
ferme, lui dit de faire fon Mémoire,^ & lui promit de le lire. Après cet-
te courte audience, s'adreflant au Père Ma«>«<:o, Dominiquain, ConfefTeur
du Roi, il lui dit, .avec la même nobleile, qu'il n'ignoroit point que Pafla-
., , , . ,.. monte
* (f) Le même, Liv. 10. QH^ i6«
EN AMERIQUE, Liv. I.
295
monte & d'autres Officiers de l'Erpagnole avoient prévenu la Cour contre
lui; que le Miniftre des Indes (r) & le Commandeur Lope de Conchilos lui
feroient contraires, parce qu'ils avoient des Départemens d'Indiens, qui
étoient les plus maltraités, & qu'il n'avoit de fond à faire que fur lui &
fur la juftice de fa Caufe. Enfuite , lui ayant expofé toutes les cruau-
tés qu'on exerçoit fur ces malheureux Infulaires , il l'exhorta , au nom
du Ciel , à prendre la défenfe de la Religion , de la juftice & de l'in-
nocence.
' Matienco rendit compte au Roi de ce qu'il venoit d'entendre, &
Il'eut^pas de peine à lui faire promettre une audience particulière, dans la-
quelle il fe donneroit le tems de recevoir les mêmes informations. Le tems
& le lieu furent nommés. Las Cafas , par le confeil de Matienco , ne laifla
pas de fe préfenter à l'Evêque de Burgos & au Commandeur de Conchilos ,
auxquels il falloit s'attendre que toutes {qs explications feroient communi-
quées. Il en fut mal reçu , quoique moins durement par le Commandeur.
Mais il fe flattoit que la recommandation de l'Archevêque de Seville pour-
roit balancer le crédit de fes Adverfaires ; lorfqu'il apprit la mort de Ferdi-
nand. Ce Prince , dont la langueur faifoit connoître , depuis quelques an-
nées, qu'il avoit été redevable à la Reine, fa Femme, de la plus grande
partie de fa gloire, étoit mort à Madrigalejos , le 23 de Février 1516. Un
û fâcheux contretems n'eut pas la force de refroidir Las Cafas. Il réfolut
auffi - tôt de faire le voyage de Flandres , pour inftruire le Prince Charles ,
avant qu'on eût penfé à le prévenir. Cependant , d'autres confidérations ne
lui permettant pas de faire cette démarche, fans l'agrément du Cardinal
Ximenès , qui venoit d'être déclaré Régent du Royaume, il prit le parti de
l'aller voir à Madrid. Il le trouva fort bien difpofé en fa faveur; mais fon
voyage de Flandres n'en fut pas approuvé.
Le Cardinal, après lui avoir accordé plufieurs audiences particulières,
fouhaita de l'entendre dans une Aflemblée de quelques Do6leurs (j ). En-
fuite s'étant fait repréfenter les inftruftions qui avoient été drelTées en
1512, à l'occafion des plaintes deMontefino, il fît compofer un nouveau
Règlement, dans lequel il recommanda que les intérêts des Efpagnols &
des Indiens fuflent également ménagés. Las Cafas , & ceux qui furent
nommés avec lui pour cette concihation , en furmontèrent les difficultés.
Il n'en reftoit qu'une ,- qui étoit de trouver des Sujets propres à l'exécution.
Le Cardinal jugea qu'il n'en falloit attendre que de l'Etat régulier; mais
comme les Religieux de Saint Dominique & ceux de Saint François n'a-
voient jamais été d'accord fur le principal point , il fe crut obligé d'exclure
ces deux Ordres ; & fes réflexions le déterminèrent pour celui de Saint Jé-
rôme. Le Général, auquel il demanda quelques Perfonnes de mérite, lui
envoya les noms de douze, entre lefquels il l'aflura que fon choix ne pou-
voit tomber que fur des Sujets d'une prudence & d'une capacité reconnues.
Il
Suite des
decouvertes,
^51 S'
Il efl mal
reçu des Mi-
niurcs.
(r) C'étoit toujours Fonfeca, ancien Ê-
vfique de Badajos^ & qui l'iîtoit alors de Bur-
gos. On lui avoit donné Conchilos pour af-
focié dans le Miiiiftère des Indes.
Bb
Mort du Roi
Ferdinand.
1516-
Xe Cardinal
Ximenès
Régent d'Ef-
pagne, fait un
nouveau Rè-
glement pour
les Indes.
(s) C'étoit le Doyen de Louvain , qui de-
vint enfuite le Pape Adrien II; Zaputa; TE-
vcque d'Aviia; Carvajal & Pakcios Rubios.
SOITB DES
DECOUVERTES.
I S I 6.
II confie
l'adniiniftra-
tion de rifle
Efpagnolc à
des Religieux
Jeroniinites,
ig6 P R E M I E R S V O Y A G E S ,
Il étoit queftion d'en choifir trais , que le Cardinal Régent vouloit revêtir
d'une autorité prefqu'abfolue. Las Cafas fut chargé de joindre Tes lumiè-
res à celles du Général. Ils s'accordèrent en faveur de trois Religieux , é-
galement refpeftables par leur favoir & leur piété (t). Le nouveau Règle-
ment portoit que les Indiens feroient inftruits dans la Foi , & qu'on ks oc-
cuperoit utilement , mais fans rigueur , pour les mectre en état de payer à
la Couronne le tribut qu'on leur avoit impofé. On ordonnoit, dans cette
vue , qu'ils feroient féparés des Efpagnols ; qu'on en formeroit plufieurs
Villages , dans chacun defquels on placeroit un Miffionnaire , avec toute
l'autorité néceflaire pour faire refpedtcr fon mini(lère& faperfonne; qu'on
alTigneroit, à chaque Famille, un héritage qu'elle ci'.kiveroit à fon pro^t;
& que le tribut feroit mefuré llir la nature du terrain, 6c fui les autres a-
vantages de la fituation.
Àussi-TÔT.le Régent, fans aucun égard pour les repréfentations &
les clameurs, fit dreffer les inflruftions des CommilTaires. Un Etablifle-
ment fifingulier, qui fut d'ailleurs comme l'eflai Politique du fameux Xi-
menès, mérite d'être repréfenté avec plus d'étendue (v). Il
( t ) Le Père Louïs de Fuerva , Prieur de
la Myorade d'OIincdo, déclaré Ciicf de la
Cominiflîon, le Père Bernardin de Manzane-
do, &.\e Prieur du Couvent de Seville, au
quel onfubftitua eafuite celui du Couvent
d'Ortcga.
{v ) Le premier article portoit qu'en arri-
vant à rifle Efpagnole, ils commenceroient
par licencier les Indiens de l'Evêque de Bur-
gos, ceux du Commandeur de Conchilos, de
Ferdinand de Vega , & généralement de tous
les Miniftres & Seigneurs de la: Cour, qui a-
voient obtenu des Départemens du feu Roi.
Par le fécond , il leur étoit enjoint d'aflem-
bler les Efpagnols , pour leur déclarer qu'ils
étoicnt envoyés pour examiner leur condui-
te, dont on avoit fait de grandes plaintes,
& remédier aux abus. Le troifième leur or-
donnoit de bien faire fentir que dans cette re-
cherche ils auroient uniquement en vue le
bien Public & celui des Particuliers. Le qua-
trième portoit qu'ils appelleroient enfuite les
principaux Caciques, & leur parleroient en
ces termes : „ Le Confeil des Rois Citholi-
„ ques , vous regardant comme un Peuple li-
„ bre, Sujet de leur Couronne & Ciirétien, ■
M nous a envoyés ici pour entendre vos griefs.
„ Ne craignez point de déclarer -les torts
„ qu'on vous a faits, afin qu'on y remédie,
„ & qu'on en punilfe les auteurs. Nous
,, fouhaitons auflî d'apprendre de vous-mô-
„ mes ce qu'on peut faire pour vôtre foula-
„ gement; car perfuadez- vous bien que Leurs
„ Majeftés ont à cœur vos intérêts, autant
„ que vous-mêmes , & n'épargneront rien
„ pour vous en donner des preuves '*. Les
Commiflaires dévoient faire vifiter , par des
Rcli|;ieux, toutes les Habitations de l'ifle,
pour s'aflUrer de quelle manière on avoit
traité jufqu'alors les Indiens ; s'informer exac-
tement di l'état des Mines; voir s'il étoit à
propos de réunir les Naturels du Pays & d'en
former des Bourgades ; & fuppofé qu'on prît
ce parti , compofer ces Bourgades de 300 In-
diens, qui auroient une Eglife, im Hôpital,
un Cacique,* prendre foin que les Habitans
des Bourgades éloignées des Mines s'appli-
qualfent aux travaux de la terre, foitpour en
tirer des vivres, foit pour cultiver le Co-
ton, le Gingembre, la CalTe, l'indigo, les
Cannes de fucre , & d'autres Plantes qui fai-
foient déjà le fond d'un très grand Commer-
ce; régler que les Caciques , commandans
des Bourgades, auroient quatre fois plus de
terrain que les autres . & que chacun de leurs
Sujets feroit tenu de leur donner, tous les ans
quinze journées de fon travail ; nommer des
Vifiteurs Royaux , dont chacun auroit in-
fpeftion fur un certain nombre de Bourgades ;
établir qu'on n'entrcprendroit rien de confi-
dérable dans une Bourgade , fans le confen-
tement du Miflîonnaire, du Cacique & du
Vifiteur; déclarer que ce Vifiteur feroit tou-
jours un Caftillan , nommé par le Roi , &
que fon principal foin feroit d'empêcher qu'on
ne fît aucun tort aux Indiens de fon Diflrift ;
avertir les Caciques qu'avec l'agrément du
Vifiteur & du Millionnaire , ils pourroient
condamner au fouet, mais que pour les cri-
mes , qui méritcroient d'autres peines , la
connoiffiince en feroit refervée aux Tribu»
naux établis par le Roi; empêcher que les
Indiens n'euflent aucune forte d'armes; ne
pas foufFrir qu'ils fuflent nuds; ne leur pas
permettre d'avoir plus d'une Femme, ni de
changer celle qu'ils auroient une fois prife;
V» àéf.
m:
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
iP7
Il nô paroit pas que pour cette nouvelle forme d'adminiftration , l'Ami- Suitb des
rai eût été confulté; foit que les mauvais offices de fes Ennemis euflent °*^c°"v^J^"S.
prévalu à la Cour; foit qu'on voulût lui épargner la mortification de contri- '_^ . *
buer à des arrangemcns qui refferroient plus qu^ jamais fon pouvoir. Sous n^e^i^^'^on-
prétexte même que l'autorité defarmée s'attire peu de refpeél, & que la funé.
conduite des armes, l'adminiftration immédiate des Finances & l'exercice
de la Tuftice criminelle ne convenoient pas à la profelfion des Commiflaires ,
Dom Diegue eut le chagrin de leur voir donner un Adjoint féculier, fous fijjonsdu
le titre d'Adminiftrateur , avec une autorité qui ne fut bornée que par celle Récent pour
de la Commiirion , parce qu'il devoit exercer feul l'Office des Auditeurs les Inde»-.
Royaux , qui furent interdits pour avoir abufé de leur pouvoir. Ce fut Al-
fonfe de Zuazo, auquel l'Hiftorien ne donne pas d'autre qualité que celle
de Licencié. Mais lorfque le Cardinal eut fait dreiTer les provifions, Za-
pata, irrité apparemment du rappel d'Albuquerque, refufa de les figner, en
alléguant qu'il lui paroiflbit dangereux d'accorder une fi grande autorité,
dans les Indes , à un Particulier fans caraftère. Le Doéleur Carvajal s'étant
déclaré pour le même fentiment , Zuazo , que fes inclinations portoient à
une vie tranquille, voulut retourner dans fon Univerfité: mais le Cardinal
fit appeller Carvajal & Zapata, leur reprocha d'avoir ôfé blâmer fa condui-
te , & '.es força de figner ; ce qu'ils ne firent néanmoins qu'avec des pré-
cautions qu'ils crurent capables de les juftifier auprès du Roi (x). Las Ca- ^^^^ ^^ utre
fas, que fes grandes qualités firent juger néceflaire aux Indes, fut ho- Se^protefteur
noré du titre de Protefteur des Indiens, avec cent pefos d'appointemens , des Indiens.
discerner la peine du fouet contre les Adul-
tères ; aflîgner les appointemens des Vifî-
teurs, partie fur le Domaine, & partie fur
les Villages de leur dépendance, & ceux du
Miflîonnaire fur les Décimes, les Méfies. &
.les Offrandes; mais lui défendre de rien re-
cevoir pour aucune forte de fonftion Eccle-
fiaftique, & les obliger tous d avoir un Ca-
tcchifte , qui apprit à lire aux Enfans , &
qui leur enfcignât la Langue Caftillane.
Le dernier article rcgardoit l'or. Les Iti-
diens n'étant plus fous la puiflance des Parti-
culiers, il s'enfuivoit qu'ils pourroient tra-
vailler au moins pour leur compte. Maison
recommandoit aux Commiflaires; i^. d'en-
gager ces Infulaircs au travail; a**, d'ordon-
ner que l'heure de le commencer & de le fi
du produit on ftt trois parts égale», la pre-
mière pour le Roi . & les deux autres pour
être dirtribuées entre le Cacique , le Mineur
& la Bourgade, en prélevant néanmoins les
fraix de la fonte , les outils & toutes les dé-
pcn fes communes; 7". que dans toute l'Ifleil
y eût douze Mineurs Caftillans , dont l'em-
ploi feroit de découvrir les Mines & de les
montrer aux Indiens, & dont les appointe-
mens étoient afllirés moitié fur le Tréfor , &
moitié fur les Indiens; 8^. que les Efpagnols,
qui auroient des Elclaves Caraïbes, pour-
roient les employer aux Mines , mais à conr-
dition de payer au Roi le dixième, s ils étoient
mariés, & le feptième , s'ils ne Létoient pas ;
& que le Roi fourniroit des Caravelles pour
enlever de ces fortes d'Efclaves , mais avec
rir fût fixée; 3°. que pcrfonne n'y fut employé défenfe, fous peine de la vie, de courir fur
avant l'âge de vingt ans, ni après cinquante;
4.«>. qu'il n'y eût jamais à la fois plus d'un tiers
du '(^'illage dans les Mines , & que le même
tiers n'y pafliTit que deux mois de fuite; 5".
que les Femmes n'y fuflent point employées,
à moins qu'elles ne s'y offrifient délies -mô-
mes , avec l'agrément de leurs Maris ; 6^.
que les Mineurs gardalfent jufqu'au tems de
la fonte ce qu'ils auroient tiré des Minéraux ,
pour' le porter al(^rs au rendez -vous, fous la
conduite du Vifiteur & du Cacique , & que
Bb
d'autres que des Cannibales. Il y avoit un
grand nombre d'autres articles . mais moins
importans. Herrera , féconde Décade , Liv, •
2. Chap. 4, 5 & (S. Hili. de Saint • Domin-
gut, Liv. 5. pages 144 & fuiv.
( X ) Signant contre leur gré . dit Herrera ,
ils y mirent un certain trait de plume , afin
qu'à l'arrivée du Roi ils puifent dire qu'ils-y
avoient été contraints par le Cardinal, ibid,
Chap. 6.
Suite des
DECOUVeRTES.
Départ des
CommiiTaires
Jcroniinites.
Commen-
cemens de
leur Admi-
uldration.
JPS. PREMIERS VOYAGES
& l'ordre d'accompagner les Commiflaires , pour les aider de fon crédit au-
près des Naturels du Pays, & les inflruire de tout ce qu'ils ne dévoient pas
ignorer. Dans le même tems, on vit arriver en Efpagne quatorze Reli-
gieux de l'Ordre de Saint François , tous envoyés de difFérens Couvents de
Picardie, qui vinrent offrir d'aller facrifier leur vie pour la converfion des
Indiens. On comptoit, entr'eux, un Frère du Roi d'Ecofle, aufli refpec-
table par fa fainteté que par fa naiflance (}»);& leur Chef, nommé le Pè-
re Rémi, avoit déjà prêché l'Evangile dans les Indes. Le Cardinal , qui
étoit du même Ordre, donna des louanges à leur zèle & leur procura tou-
tes fortes de commodités pour le paflage.
On avoit armé àSeville, un Navire , qui fe trouva trop petit pour le
nombre de ceux qui dévoient s'y embarquer, & qui fut abandonné aux
Commiffaires , tandis que Las Cafas & Zuazo montèrent fur le premier qui
fut en état de mettre à la voile. Ces deux Bâtimeiïs n'ayant pas laiffé d'ar-
river enfemble à Portoric, Las Cafas auroit fouhaité de faire le refte du
Voyage fur celui des Commiffaires ; mais ces Pères , qui n'ignoroient pas
fes démêlés avec les principaux Officiers de l'Efpagnole, & qui craignirent
qu'une liaifon trop étroite avec lui n'eût quelque apparence de partialité,
le prièrent d'entrer dans leurs vues. Ils mouillèrent à San-Domingo le 2 de
Décembre ,* & le Vaiffeau , qui portoit Las Cafas & Zuazo , n'y arriva que
treize jours après ( 2 ). D'autres événemens fe préfentent ici , dans l'ordre
des années ; mais il efl: important de fuivre un récit , qui conduit à des ré-
volutions fort intéreffantes , & de faire une courte peinture du Gouverne-
ment des Jeronimites.
A leur arrivée, les Officiers de l'Ifle ayant demandé à voir leurs Provi-
fions, ils ne firent pas difficulté de les montrer; & tout le monde en écou-
ta la lefture avec foumiifion. Ils s'étoient logés d'abord au Couvent des
Francifcains ; mais après avoir fait reconnoître leur autorité, ils prirent
pofTelTion du Palais de l'Audience Royale. Bientôt il s'éleva quelques mur-
mures , fur le bruit qui s'étoit répandu qu'ils dévoient abolir les Départe-
mens. Cependant ils les appaiférent auffi-tôt par un coup de vigueur, qui
releva les efpérances de ceux qui avoient des Indiens en leur pouvoir. Un
des principaux Officiers , qu'on leur fit connoître pour l'auteur du bruit dont
on avoit paru s'offenfer, reçut d'eux une correélion févere, & fut même
interdit peu dé jours après, avec une amende de dix pefos d'or, pour avoir
maltraité un Particulier qu'il foupçonnoit de lui avoir attiré cet affront. En-
fuite ils firent publier qu'il n'y avoit rien de décidé touchant les Indiens;
qu'ils alloient donner tous leurs foins à s'inllruire du fond des chofes, &
qu'ils ne règleroient rien qu'après une mûre délibération. Dans l'intervalle
néanmoins, ils déclarèrent libres tous les Indiens dont les Maîtres étoient
abfens; mais les ordres qu'ils avoient apportés làdeffus étoient fi précis,
qu'ils ne fouffroient point d'explication. L'Adminiflrateur arriva, & fe
conduifit aufîi avec autant de prudence que de fermeté. Après avoir réglé
la Juflice civile, il établit une fage Police, il fit conflruire plufieurs Edifi-
ces publics , & fon Adminifliration ne fit naître aucune plainte. Les Jero-
' ni-
(y) Ibidem.
(z) Ibidem. Chap. lï,
EN AMERIQUE, Liv. I.
1P9
nimites continuant, de leur côté, avec le même efprit de douceur, on étoit
déjà revenu de la frayeur qu'avoit caufée la nouvelle de leur Commillloii.
Ils avoient même dillribué, dans la Ville & dans les Habitations EPpagno-
les, les Indiens qu'ils avoient ôtés aux abfens; & lorfqu'on leur vit d'ail-
leurs apporter tous leurs foins à corriger les abus qui s'étoient glifles dans
les Départemens, tout le monde demeura perfuadé qu'ils n'avoient pas dtf-
fein d'y porter la moindre atteinte.
C ÉTOIT effeélivement leur intention; mais rien n'étoit fi contraire aux
vues de Las Cafas, qui jugeoit indifpenfablement néceflaire d'attaquer le
mal dans (à fource. Ce qui portoit les autres à le laiffer fubfifler , c'étoit
la crainte que les Indiens, rendus à eux-mêmes, ne vouluITent plus rece-
voir les lumières de la Fol. On afluroit même que leur ftupidité naturelle
les rendoit incapables d'y rien comprendre; d'où l'on concluoit que le feu!
moyen de les faire vivre en Hommes étoit de les lailfer fous le joug. Les
Jeronimites fe contentèrent donc de leur procurer tous les adoucllfemens
qu'ils pouvoient recevoir dans un véritable Efclavage. Ils mirent en vi-
gueur toutes les anciennes Ordonnances; ils en firent de nouvelles, avec
les plus fages mefures pour en aflurer l'exécution. Mais ce frein ne fuffi-
foit pas pour arrêter la cupidité, & Las Cafas s'emportoit avec raifon con-
tre les Départemens.
Ses repréfentations furent d*abord aflez modérées: mais lorfqu'il les vit
fans effet , il paffa aux inveftives & aux menaces. Il fit valoir fa qualité
de Prote6leur des Indiens , qu'il voyoit , difoit-il , dans une cruelle bppref-
fion, malgré les ordres formels de la Cour. Cette conduite, que la dou-
ceur confiante des Jeronimites fit regarder comme un emportement, lui at-
tira tant de haine, que pour mettre fa vie en fureté, il fut obligé de fe
•xenfermer dans le Couvent des Dominiquains. Il écrivit en Cour contre les
Commiflaires , qui ne manquèrent pas d'écrire auffî , & qui étant écoutés
avec plus de faveur , reçurent l'ordre de le renvoyer en Efpagne. Mais il
l'avoit prévenu ; & n'ayant pu contenir fon indignation lorfqu'il les avoit
vus déclarer enfin qu'on ne toucheroit pas aux Départemens, il s'étoit em-
barqué fur le premier Vaiffeau qui avoit fait voile en Europe.
En arrivant, il s'étoit rendu à Aranjuez, pour y porter fes plaintes au
Cardinal Ximenès. Il ne put voir ce Miniflre , qui étoit dangereufement
malade. Le Roi Charles devant arriver bientôt à Valladolid , fa reflburce
fut de l'aller attendre dans cette Ville. Il y fut fuivi de près par le Père de
Manzanedo, un des trois CommiflTaires de l'Efpagnole, envoyé par fes deux
Collègues, pour répondre aux accufations du Proteéleur des Indiens. Ce
Religieux fut d'abord mieux reçu que fon Adverfaire, de 'tous ceux qui
compofoient le Confeil : mais il avoit en tête un Homme , donc la confian-
ce n'étoit pas capable de fe rebuter. On apprit bientôt que le nouveau
Monarque de l'Efpagne étoit arrivé à Villa- Viciofa, & que de-là il avoit
pris la route de Tordefillas, pourfendre vifite à la Reine fa Mère. On fut
informé en méme-tems que le Cardinal Ximenès étoit mort ; que les Grands
avoient repréfenté au Roi le tort que ce Miniflre leur avoit fait en voulant
leur ôter les Départemens ; que les Seigneurs Flamands , qui étoicnt tout-
puifTans à la Cour, avoient demandé d'entrer en part des avantages du Nou-
veau
Sl'ITD DM
DECOLVBRTES.
1516.
Le zèle de
Las Calas fe
rallume.
Sa conduite»
Il repaflé
en Efpagne.
Dans quelle
difpofition il
trouve la
Cour.
2O0
PREMIERS VOYAGES
SUITS DES
DICOUVERTBI.
1516.
Moyen qu'il
propofe pour
foulagcr les
Indiens.
On fe dé-
goûte des
CommifTaircs
Jeronimites.
Las Cafas
cfl; appuyé
par les Sei-
gneurs Fla-
mands.
veau Monde, & que ce jeune Prince, fans en prévoir les conféquences,
n'avoit pas fait difficulté d'accorder tout ce qu'on lui avoit demandé. Ces
nouvelles allarmérent vivement Las Cafas, qui, malgré fes liaifons avec
M. de Chievres, avoit fait inutilement de fortes repréfentations fur cette
libéralité du Roi. Enfin , il propofa un moyen , qu'il crut infaillible , pour
aflurer quelque foulagement à fes chers Indiens. Ce fut d'envoyer des Nè-
gres & des Laboureurs , dans tous les lieux où les Efpagnols avoient com-
mencé à s'établir. Ce projet, qu'il fit goûter d'abord à M. de Chievres, au
Cardinal Adrien, & à d'autres Seigneurs Flamands, pafla au Confeil des In-
des (a); & le Roi figna une Ordonnance, pour faire tranjporter quatre
mille Nègres aux grandes Antilles. Un Seigneur Flamand, Grand -Maître
de la Maifon de ce Prince, en obtint le Privilège: mais il le vendit aux
Génois (^), qui mirent leurs Nègres à fort haut prix; & cet incident fit
évanouir tous les avantages qu'on s'en étoit promis.
Manzanedo n'étoit pas moins afilif queLas Cifas; mais il ne trouva
point le même zèle dans fes Amis; & quoiqu'il eût obtenu des audiences
favorables, il comprit que le règne des Commiflaires étoit pafTé (c). La
Commiflion des Jeronimites n'avoit pas dû plaire à l'Evêque de B'urgos ; &
ce Prélat, qui le retrouvoit, par la mort du Cardinal Ximenès, à la tête
des affaires des Indes , n'attendit pas long-tems pour la faire révoquer. Un
démêlé fort vif, entre les Commiflaires & les Ofhciers Royaux de i'Efpagno-
le, pour l'éleftion d'un Député qui devoit venir féliciter le Roi fur fon a-
venement au Trône, ne contribua pas peu à cette révocation. Zuazo,
qui avoit pris parti pour les CommilTaires , fe vit entrainé dans leu. difgra-
ce , & Rodrigue de Figueroa fut nommé pour lui fucccder. Las Cafas ne
lailTa point échapper une fi belle occafion de faire la guerre aux Départe-
mens. Il fit même entrer les Seigneurs Flamands dans fa caufe ; & leurs
raifons firent d'autant plus d'impreffîon fur le Roi , qu'ils parloient contre
eux-mêmes. Mais les Efpagnols ayant embrafle l'opinion contraire , le
Roi , qui ne fe crut pas encore en état de porter une dècifion abfolue fur
un point fi cojîtefté, prit le parti de donner un plein-pouvoir à Figueroa,
pour agir d'une manière convenable aux circonflances , avec l'avis des plus
fages & des plus fidèles Officiers que l'Efpagne eût alors aux Indes. Las
Cafas s'étoit plaint, dans une audience particulière, que fous prétexte d'en-
lever des Caraïbes, pour en faire des Efclaves , on enlevoit indifféremment
toute forte d'Indiens. 11 avoit repréfenté, fur-tout, le malheur des Infu-
laires de la Trinité , gens doux & fociables , qui couroient rifque de fe
voir détruits jufqu'au dernier (^/), fi l'on n'apportoit quelque remède à ce
bri-
Cfl). Il étoit alors compofé de l'Evêque de
Burgos , de Fernand de Vega , Grand Com-
mandeur de Caftille , de Dom Garric de Pa-
dilla, de Zapata , de "Dom Pierre Martyr
d'Anglerie, & Dom Francifco de les Cabos;
fans parler de M. deCIiievres, qui entroit
dans toutes les afFaircs, & du Doyen de Be-
fançon , qui depuis la mort de Sauvage,
Grand Cliancelier , faifoit toutes les fonc-
tions de cette Charge & entroit dans tous les
Confeils.
(b) Pour la fomme de vingt -trois mille
Ducats.
( c ) 11 prend le parti de retourner dans fon
Couvent.
{d) L'année précédente, Jean Bonv, Vi-
lote de Bifcaye , ayant abordé dans cette If-
le, y fut reçu plus civilement qi'il ne devoit
l'ef-
• '
EN A M E R I Q U E, Liv. I. "
eor
brigandage. Ses plaintes furent écoutées favorablement ; & le nouvel Ad-
miniftrateur eut ordre de rendre la liberté à tant de Malheureux.
Mais il en trouva le nombre fort diminué , dans l'Ifle Efpagnole , par
une maladie qui ne s'y étoit pas encore fait fentir depuis les découvertes,
& qui, s'étant communiquée dans les Ifles voifines, y fit périr une fi gran-
de quantité d'Indiens , qu'à peine auroit-on pu croire qu'elles euflent jamais
été peuplées. Il y a beaucoup d'apparence que ce triite préfent leur étoit
venu de l'Europe, quoiqu'Herrera paroifle perfuadé qu'il étoit naturel, aux
Habitans de toutes les Parties des Indes (e). S'il n'eût pas été nouveau
pour les Infulaircs de rEfpagnole, l'expérience leur auroit appris quelque
remède; mais lorfqu'ils fe fentirent attaqués, ils ne penfèrent qu'à fe jet-
ter dans les Rivières , pour chercher du foulagement au feu qui les dévo-
roit ; & le même Hiftorien reconnoît que la mortalité n'eut pas d'autre cau-
fe. Ce fléau, qui n'étoit tombé que fur les Indiens, fut fuivi d'un autre,
dont les effets furent communs aux deux Nations. On vit paroître, dans
rifle Efpagnole & dans celle de Portoric , une fi prodigieufe quantité de
Fourmis, que la furface do la terre en fut couverte. Celles de Portoric
étoient armées d'aiguillons, dont les piquûres caufoient une douleur plus vi-
ve que celles des Guêpes. Elles pénétroient dans toutes fortes de lieux ;
& l'on étoit contraint, pour prendre un peu de repos, de place^ les lits
fur de grands badins d'eau. Dans l'Efpagnole , elles s'attachèrent aux ar-
bres qu'elles attaquèrent d'abord par la racine, & qu'elles rendoient auflî
fec$ (X auiii noirs que s'ils euffent été brûlés par le feu du Ciel (/). En vain
i.- V''-} - , ^:r, 7 V:v; "■ ■/ ■ ^^■■. ->.v-'" ; - ' ^ ' ■ -. les
Suite pc»
decouverts!,
15 l6.
Maladie fin-
gui ière qui a-
chève de dé-
peupler l'Ef-
pngnolc.
Ravage ex-
traordinaire
caufé par les
Fourmis.
l'efpercr , après toutes les perfidies que ces
pauvres Indiens avoicnt enuiées de la Na-
tion. Il les aflUra qu'il étoit venu pour vi-
vre avec eux. Ses carefles & fes préfens
les engagèrent à lui bâtir une Maifon , de la
grandeur qu'il parut defirer. Elle pouvoit
contenir environ cent perfonnes. Lorfqu'el-
le fut achevée, il invita les Indiens du Can-
ton à venir voir quelque chofe de merveil-
leux , qu'il promit de leur montrer. Ce Peu-
ple crédule entra fans défiance dans la Mai-
fon ; & fa foule y devint lî grande , qu'on ne
pouvoit s'y remuer. C'étoit l'occafion fur la-
quelle Bono a voit compté. Soixante Hom-
mes bien armés , qui compofoient fon Equi-
page , s'aflemblèrcnt à la porte , préfentè-
rent l'épée nue & le bout de leurs arquebu-
fes aux Indiens, & les menacèrent non-feu-
lement de les égorger, à mefure qu'ils ten-
teroient de forlir , mais de les brûler vifs s'ils
entrcprenoient de faire la moindre réliflance.
Ces Malheureux , au nombre de 180 , fc laif-
fèrent prendre l'un après l'autre, furent liés
de môme, conduits au Navire , jettes au fond
de calle , & tranfportés pour l'cfclavage à
Portoric, où ils ne faifoient qu'arriver lorf-
que L?.s Cafas y avoit palTé avec les Jeroni-
mitcs. Herrera, ibidem, Chap. 12.
Xrill Part, C
*>
(e) „Ceux, dît Herrera, qui ont recher-
ché les antiquités du Pays , aiTurent que ce
,, mal ne venoit pas de Caflille, & qu'il é-
„ toit naturel aux Indiens; qu'ils en étoient
„ atteints de tems en tems , & qu'il en arri-
„ voit de même dans toutes les autres Ifles
„ & Terre -ferme des Indes Occidentales;
„ que s'il avoit été porté de Caftille, il n'eût
„ attaqué- que les Cailillans , au lieu qu'a-
„ lors & depuis, on n'a pas fçû qu'ils en
„ ayent été frappés ; . enfin , qu'il y a d'ail-
„ leurs , dans les Indes , des maladies qui
„ attaquent les Cailillans & non les Indiens ;
„ & d'autres , qui attaquent les Cailillans
„ nés dans les Indes , & non ceux qui y paf-
,. fent de Caflille, ni les Indiens mêmes ",
Lîv. 3. Cbap. 14.
(/) Sur -tout les Orangers, qui étoient
très beaux & en nombre infini, L's Grena-
diers & les Caiïïers , dont le nombre étoit
fi grand qu'il auroit pu, fuffire pour en fournir
toute l'Europe t? l'-^fie. Ibidem. L'Hillo-
rien de Saint-Domingue fait dire à Herrera »
des Cannes de fucre , ce qu'il dit des Caf-
fiers. Il ne s'cft pab fouvenu d'avoir obfervé,
dans un autre endroit, que la luôme année,
les Cailillans n'avoicnt encore des Cannes de
fucrc que dans km's Jardins.
C V
2Ô2
PREMIERS VOYAGES
S
pfcouvERT* ^^* noyoit-on clans l'eau. Un infiant après , il en reparoiflbit le même nom»
j fi" ^^^' ^" employa le feu, qui n'eut pas plus de fuccés; & fouvent, après
^ avoir bruIé des monceaux de leurs œufs , qu'on trouvoit dans la terre juf-
; qu'à la hauteur de quatre palmes, on voyoit fortir le lendemain, des mê-
- V' mes endroits, de nouvelles légions de ces Infeftes. Après avoir épuifé
, ; ' • toutes les reflburces humaines, on s'adrefla au Ciel, par des cérémonies <&
des vœux fort bizarres (g), auxquels on attribua la fin du mal. Toutes
les Plantes, qui avoient été attaquées, périrent entièrement ; mais celles
u'on leur fit fucceder en vinrent plus vice, & produifirent prefqu'aufli-tôt
es fruits (b). A peine l'IOe étoit-elle délivrée de cette plaie, qu'elle eût
beau'^oup à fouifrir de la voracité d'un grand nombre de Chiens, échappés
des Habitations. Ils s'attachèrent particulièrement aux Porcs fauvages,
ui avoient multiplié d'une manière furprenante depuis l'EtablifTement des
fpagnols, & qui fe nourriflant d'excellens fruits, ou de racines fort déli-
cates , avoient la chair exquife. Les Veaux ne furent pas plus épargnés »
à mefure qu'ils naifibient dans les Pâturages. Enfin le dommage fut extrê-
me , & l'on n*eut pas peu de peine à l'arrêter ( i ).
Ce fut dans ces circonflances , que Figueroa mouilla au Port de San-Do-
mingo. Son PrédécefTeur, dégoûté de la fortune & de l'ambition par les
mauvais offices qu'on lui avoit rendus à la Cour, avoit déjà pris le parti d'à-
Les Jeroni- bandonner fon Emploi , pour mener une vie privée ; & les Jeronimites , à
mites font qui le Roi faifoit dire, par le nouvel Adminiftrateur, qu'il étoit content de
rappelles. jgyj.g fervices , mais qu'ils pouvoient revenir en Efpagne , n'attendirent pas
d'autres ordres pour repafler la Mer. Ils fe rendirent à Barcelone , où le
Roi étoit alors ; dans le deHein de lui rendre compte de leur adminiflration ,
& de l'état où ils avoient laifTé les Indes. Ils vouloient l'inlbrmer que le
defordre des Colonies du Nouveau Monde venoit du défaut de fubordina-
tion, & des Partis dont elles étoient déchirées. Ils avoient à fe plaindre
particulièrement du Tréforier Général , dans lequel ils prétendoient que les
Fa6lieux trouvoient toujours une proteélion fûre , & les. gens de bien un
Ennemi déclaré, qui n'épargnoit pas la calomnie pour les perdre, comme
il venoit d'arriver a Zuazo , & qui s'attachoit fur-tout à perfécuter ceux qu'il
croyoit dans les intérêts de l'Amiral , dont il avoit caufé toutes les difgra-
ces. Mais les Amis de ce redoutable Officier, qui fe défièrent apparem-
ment de leur deflein , eurent aflez de crédit pour leur fermer l'accès de la
Cour. Après avoir long-tems follicité une Audience, fans la pouvoir ob-
tenir, ils prirent enfin, comme leur Collègue , le parti de retourner à leurs
Exercices monalliques (/&). .*.?,..
.■^ . ■ '^ .. Las
(g) „ Les Caftillans jugèrent à propos de
prendre quelque Saint pour Avocat, &de
le tirer au fort. Après une Proceffion fo-
lemnelle ils jettèrent le fort, qui tomba
fur SaintSaturnin. Ils le reconnurent auflî-
.. tôt pour leur Patron, avec toutes les ré-
„ jouilîànces poffibles, comme ils ont toû-
„ jours fait depuis; & l'on' vit par expérien-
ce que le mal dinùnua; & s'il ne fût pas
î»
»
„ appaifé tout-à-fait, les péchés des Hom-
„ mes en furent la caufe ". Ibidem, » •
(î) Ibidem.
( i ) Ibidem, On verra d'autres efFets de
ces terribles Animaux, qui avoient tant de
part aux conquêtes des Caftillans.
Ik) Hiftoire de Saint-Domuigue, Liv, S*
page i63>
»
•" -* EN AMERIQUE, Liv. I. ' 903
Las Casas, auflî peu capable d'être rebuté. par Texeinple d'autrui, que
par le mauvais fuccés des deux çropofitions qu il avoit fait agréer (/), s'ef-
forçoit alors de faire entrer l'Evéque de Burgos dans un nouveau projet ,
dont il lui promettoit autant d'avantage pour la Couronne d'Efpagne, que
pour l'avancement de la Religion. Mais , ce Prélat s'étant excufé fur le
caraftère du Roi , qui n'aimcit pas les entreprifes où il ne voyoit de cer-
tain que de la dépenfc, il eut recours encore aux Seigneurs Flamands. Il
croyoit avoir trouvé , dans Ton expérience & fes^ réflexions , un moyen fur
d'établir une Colonie qui devoit être d'un grand profit pour l'Etat; & fa
confiance alloit jufqu'à répondre du fuccés, fi dans le Pays, qu'il vouloit
choifir, on ne permettoit à perfonne de s'établir fans fon ccnfentement.
Les cruautés des Ëfpagnols ayant aliéné tous les Indiens , il vouloit faire
prendre à fes Colons un habit particulier, pour faire croire aux Naturels
du Pays qu'ils étoient d'une autre Nation. Cet habit devoit être blanc,
avec une Croix à -peu -près femblable à celle de l'Ordre de Calatrava; &
Las Cafas portoit fes vues jufqu'à vouloir fonder dans la fuite un Ordre
Militaire de cent cinquante Chevaliers , qu'il fe flattoit de faire approuver
par le Saint Siège & par le Roi Catholique (m).
Ce. Plan fut approuvé de Chievres & de la Chaux, fes deux Protefteurs
déclarés. Le Chancelier Gatinara promit auffi fon fuffrage; mais quelques
négociations avec la France ayant conduit le Chancelier & de Chievres fur
la Frontière, les propofitions de Las Cafas furent fi peu goûtées du Confeil ,
que dans le premier mouvement de fon impatience , il prit une réfolution ,
où la prudence fut moins confultée que fon zèle. Il alla trouver tous ceux
qui avoient le titre de Prédicateurs ou de Théologiens du Roi , & les enga-
gea, au nombre de huit, à fe rendre au Confeil, pour y déclarer que les
Seigneurs dont il étoit compofé répondroient à Dieu de tout le mal qui fe
commettoit dans les Indes, puifqu'après tant de repréfentations ils ne vou»
loient pas y apporter le remède qui dépendoit d'eux. Le Père Michel de
Salamanque, Dominiquain, qu'ils choifirent pour leur Oratear, expofa,
fans ménagement, tout ce que le Protecteur des Indiens lui avoit infpiré.
■ - ,:,-'■' ■ .■^-•■■^:^- ■• On
Suite dbi
decouviktei.
Projet bi-
zarre de Las
Cafas , pour
la formntloii
d'une nouvel-
le Colonie.
Aflion har-
die de Las
Cafas , & de
quelques au-
tres Théolo-
giens.
Ils entrent
au Confeil , &
parlent d'un
ton ferme.
,*/
(/) On a vu ce qui fit manquer le pre-
mier. Le fécond avoit été exécuté, quoi-
qu'avec beaucoup de peine; mn.is deux cens
Déferteurs , qu'il avoit fait embarquer à Ca-
dix , lui avoient été débauchés tous , en paf-
fant à Portoric,
(m) Le détail de fes vues fait honneur à
fon imagination , dans le récit d'Herrera. Il
demandoit raille lieues de Côtes , depuis Rio
Dolce jufqu'au Fleuve de los Araciias , à def-
fein, fuivant rHidorien, de débufquer ?e-
drarias de la Terre-ferme. En deux années
il fe flattoit d'apprivoifcr & de civilifer dix
mille Indiens, En trois ans , il promettoit
de leur impofer un tribut de quinze mille Du-
cats , & de le faire monter à foixanto mille dans
i'efpace de dix- ans. Il vouloit bûtir trois
Bourgades , chacune avec fa Citadelle & cin-
quante de fes Chevaliers. Il devoit s'inftrui-
re avec foin de tous les lieux où l'on trou-
voit de l'or, pour en informer le Roi; me-
ner avec lui douze Miflîonnaires qui lui fuf-
fent fournis, dix Infulaires de l'Ifle Efpagno-
le , & tous les Indiens qui avoient été trunf-
portés de la Terre-ferme dans cette Ifle.
Pour l'entretien de fes Chevaliers , il ne de-
mandoit que le douzième de ce que le Roi
devoit retirer du Pays; mais il vouloit que
ce revenu fût continué à leur poftérité, juf-
qu'à la quatrième génération, qu'ils fulTent
créés Chevaliers aux Eperons dorés , & que
toute leur race fût à jamais exempte de ta-
xes & d'imgôts. Le môme, Liv. 4.CI&ap.î.
Ce 2
204
PREMIERS VOYAGES
SuiTl! D»
DECOUVKRTBI.
Comment
ils y font re-
çus.
Las Cafns
récufe le Coii-
feil des Indes.
Ce qu'on
pcnfe du pro-
iet de Las
Cafas.
On eut la patience de l'écouter: mais lorfqu'il eut fini, l'Evêque de Burgos,!
le regardant d'un œil févere, lui demanda d'où venoit cette hatJiefle, &
depuis quand les Prédicateurs le mêloient du Gouvernement? La Fuente,
autre Doéleur, répondit qu'ils étoient chargés des intérêts de la Maifon de
Dieu, pour lefquels ils dévoient être prêts à donner leur vie; qu'il n'étoic
pas furprenant que desDoéleurs en Théologie, qui pouvoient être conful-
tés par un Concile général , donnaflent des avis aux Miniflres des Rois ;
qu'ils venoient donc, par office, leur déclarer que il l'on ne réformoit pas
les abus qui s'écoient introduits dans les Indes, ils monteroient en Chaire,
pour attaquer publiquement ceux qui violoient la Loi de Dieu, & qui né-
gligeoient le fervice du Roi ; fans quoi , ils croiroient manquer à la plus ef-
fentielle de leurs obligations» qui étoit d'accomplir & de prêcher l'Evangile.
Dom Garcie de Padilla, qui. étoit Homme de lavoir, prit la parole, &dic
que jufqu'alors le Confeil avoit fait tout ce qu'il avoit dû , témoins les Ac*
tes mêmes , qu'on vouloit bien leur communiquer , quoique leur préfomp-
tion ne méritât point cette condefcendance , mais pour leur faire fentir
combien ils s'étoient oubliés. La Fuente repartit „ qu'on devoit leur mon-
„ trer en effet ces A£les, & qu'ils étoient difpofés à les louer, s'ils les
„ trouvoient dignes de louanges; mais que û. lajuflice y étoit bleffée, ils
„ p^ononceroient anathême contre les Auteurs ; extrémité à laquelle ils ne
„ croyoient pas que leurs Seigneuries vouluflent les obliger (n) ".
Le jour fuivant, ils furent appelles au Confeil, pour y entendre Jalec^
ture de toutes les Ordonnances qui avoient été dreflees pour les Indes. Le
Préfident reçut leurs objeftions avec beaucoup de douceur. On leur pro-
mit même de les examiner, & d'avoir égard à leurs avis. Las Cafas atten-
dit quel feroit l'effet d'une démarche de cet éclat, & ne cefTa point de fol-^
liciter Gatinara & de Chievres , qui étoient revenus à la Cour. Mais n'ap-
prenant rien de favorable, il fit une nouvelle tentative auprès des Seigneurs
Flamands. Ces Etrangers , qui n'étoient pas fâchés de trouver les Mini-
flres Efpagnols en défaut , pour en prendre occafion de fe rendre plus né*
ceffaires,' lui confeillèrent de récufer tout le Confeil des Indes, & particu-
lièrement l'Evêque de Burgos. 11 faifit cette ouverture ; & par le crédit de
ceux qui lui en avoient fait naître l'idée, il obtint une Junte extraordinai-
re (o). Son Plan y fut examiné avec foin , & généralement approuvé; à
l'exception que les mille lieues de Côtes, qu'il demandoit, furent .réduites
à trois cens, depuis le Golfe de Paria jufqu'à Sainte -Marie. A la vérité y.
cette décifion ne fut pas plutôt publiée, qu'elle parut caufer un fjjulève-
ment général. Quantité de perfonnes, nouvellement arrivées des Indes,
& tout le Confeil récufé , en parlèrent comme d'une extravagance , qui
n' étoit propre qu'à jetter l'Etat dans une dépenfe inutile, & dont on ne
pou-
(n) Ibid. Cliap. 2.
( 0 ) Elle fut compofée dé Dôm Jean Ma-
nuel, qui avoit été Favori du feu Roi Phi-
lippe 1, Père de Cliarles; de Dom Alfonfe
Tellsz, Frère aîné du Marquis de Vilana,
tous deux du Confeil d'Etat & de celui de
la Guerre; du Marquis d'Aguilar , Grand
Veneur & Confeiller d'Etat; de Fargas, qui
avoit été grand Tréforicr du feu Roi , du
Cardinal Mrien, Grand Inquifiteur d'Efpa-
gne , & de tous les Seigneurs Flamands qui:
entroient au Confeil , ibid, Chap. 3.
EN AMERIQUE, Liv. I.
205
pouvoit efpérer de fuccès. Malheureufement pour Las Cafas , cette opi-
nion ne fut que trop juftifiée par l'évcnement. Cependant , malgré les
reprt'fcntations de fcs Adverfaires, qui demandèrent même que les Délibé-
rations fullent recommencées, fon éloquence fçut détruire toutes les objec-
tions. On lui oppofa tout ce qu'on avoit publié jufqu'alors du mauvais na-
turel des Indiens, de leur ftupidité, de leur inconfiance, de leur penchant
pour les vices les plus odieux, de leur perfidie & de leur cruauté, de leur
éloignement pour l'Evangile & pour toutes fortes d'inftruftions ; enfin de
leur averfion comme invincible pour le travail. Il en fit une autre peintu-
re, qui rejettoit la plupart de ces imputations fur la tyrannie & les barba^
res excès de leurs nouveaux Maîtres. A ceux c}ui fenibloient mal juger de
fes propres intentions , il répondit que fa conduite , fes mœurs, & la digni-
té du Sacerdoce, dont il avoit l'honneur d'être rjvêtu, dévoient le mettre
à couvert de ces injurieufes défiances; fans compter qu'il promettoit, com-
me il l'avoit toujours offert, de contribuer de vingt ou trente mille écus à
ion entreprife. Il ne fe défendit pas avec moins de force contre le reproche
d'avoir engagé le Cardinal Ximenés à faire pafier des Jeronimites aux In-
des, & d'avoir bien -tôt vécu fi mal avec eux, qu'il avoit abandonné fa
GommilFion de Protefleur des Indiens , pour venir apporter fes plaintes en
Efpagne (p). Enfin, fur l'article du nouveau revenu qu'il promettoit à la
Couronne, il fit voir, par des raifonnemens fans réplique ^ que tout dé-
pendoit du zèle & de la fidélité dans l'adminiflration ; & fortifiant fes
raifons par l'exemple , il prouva que depuis quelques années que Dom
Pedrarias d'Avila commandoit dans la Cailille d'or, le Roi n'avoit pas
dépenfé moins de cinquante - quatre mille ducats pour cetEtabliflement,
& n'avoit pas tiré pour fon quint plus de trois mille Pefos; tandis que
les profits du Gouverneur & de fes Oificiers montoient à plus d'un miU
lion d'or (q). Ses réponfes & fes preuves durent porter la conviélioil
dans tous les efprits, puifque la décifion de la Junte fut confirmée, &
que les Provifions du nouveau Gouverneur ayant été fignées , les ordres
Rirent donnés pour l'armement des Vaifleaux qui dévoient tranfporter la
nouvelle Colonie.
Mais il auroit manqué quelque chofe à la vifVoire du Protefleur des In-
diens , il l'on n'eût rien flatué pour le foulagement des Habitans naturels de
rifle Efpagnol^ & des autres Colonies aftuellcs du Nouveau Monde. Ce
fut comme un fécond triomphe , qu'il obtint avant fon départ , & dont il
eut la principale obligation au crédit des Seigneurs Flamands. Herrera en^
tre ici dans un curieux détail.
Dom Juan de Quevedo, Evéque de Sainte-Majie l'ancienne du Darien^
étoit arrivé en Efpagne pendant le cours de ces conteflations ; & c'étoit
lui qui avoit apporté les trois mille Pefos , que Pedrarias envoyoit pour le
quint du Roi. Il s'étoit attaché aux Seigneurs Flamands , après avoir
Suite des
0£COUVURT£5,
15 ï 6.
11 obtient la
fermifTion de
exécuter^
re-
• (p ) On eut la malignité de prétendre que
c'étoit par cette raifon qu'à fon retour il na-
voit pu obtenir une feule audience du Car
dinal, & que ce Prélat avoit paru faire peu
Ce
de cîs de lui, ibidem,
(f) Il explique julqu'aux rufes qu'on em-
ployoit pour cette ûiponnerie. - -^ -
Fameafea ■
difputes de
Las Cafas eriJ
faveur des In- ■
diens.
20(5
PREMIERS VOYAGES
Suite dej
dicouvertss.
1 S^G.
Ocçafioii
qui les fait
nuUi'C.
AlTcinbléc
folcnincllc ,
oîi le Roi
d'Efpagae
adillc.
Difcours de
l'Evêquc du
Daricn. ,
reconnu ce ^u'il pouvoit efuerer de leur crédit pour le fucccs de Tes préten-
tions. Un jour que le Dotleur Mota, qui avoit fuccedé à Fonfeca dans le
Siéçe de Badajos, & qui étoit un des principaux Partifans de la Caufe des
Indiens, donnoit à dîner à ce Prélat, Las Cafas fe trouva au nombre des
Convives, avec Dom Juan de Zunigat Frère du Comte de Miranda, qui
fut enfuite Gouverneur de Philippe II. , & Dom Diegue Colomb, Amiral des
Indes. Après la table, le difcours tomba fur les Indes^ de Las Cafas, plein
de fes idées , fit un reproche à l'Evéque du Darien , de n'avoir pas employé
la voye des cenfures, contre Pedrarias & fes Officiers, pour arrêter les ve-
xations tyranniques qu'ils exerçoicnt fur les Naturels du Pays. Comme ils
ne s'accordoicnt pas fur tous les points, la difpute devint (i vive, que l'E-
véque de Badajos fe vit dans la néceflTité de l'arrêter. Ce Prélat, étant al-
lé enfuite au Confeil, ne manqua point de rapporter au Roi ce qui venoit
de fe palFer chez lui, entre l'Evéque du Darien <Sc Las Cafas. Charles, qui
ne defiroit que l'occafion de s'inflruire, fit avertir les deux Parties de fe trou-
Cafas fur les intérêts de la Religion & de l'humanité dans le Nouveau
Monde (r).
Cette Aflemblée fut accompagnée de tout ce qui pouvoit fervir à lui
donner de l'éclat. Le Roi parut dans une grande Salle du Palais, fur un
Trône élevé, avec tout l'appareil de la Royauté. De Chievres, l'Ami-
ral Colomb , l'Evéque du Darien & le Licentié Jguine étoient aflîs à fa
droite, dans l'ordre où l'on vient de les nommer. Le Chancelier Gatina-
ra, l'Evéque de Badajos , & les autres Confeillers d'Etat étoient à fa gau-
che. Las Cafas & le Francifcain fe tinrent debout, vis-à-vis le Roi.
Lorfque chacun fut placé, de Chievres & le Chancelier, montant chacun
de leur côté les degrés du Trône, fe mirent à genoux aux pieds du Roi,
& lui parlèrent quelque tems à voix baffe. Enfuite ils reprirent leur pla-
ce; & le Chancelier fe tournant vers l'Evéque du Darien, lui dit; „ Révé-
„ rend Evêque , Sa Majeflé (s) vous ordonne de parler , fi vous avez
„ quelque chofe à lui dire ". L'Evéque fe leva aulTitôt, & répondit que
les explications qu'il avoit à donner ne pouvant être communiquées qu au
Roi & à fon Confeil , il fupplioit Sa Majefté de faire éloigner ceux qui ne
dévoient pas les entendre (t). Il infifla même, après un lecond ordre;
& ce ne fut qu'au troifième, lorfque Je Chancelier eut ajouté que tout ce
qu'il y avoit de Seigneurs dans la Salle a-voient été appelles pour afîider au
Confeil, qu'il prit le parti d'obéir. Mais, évitant ks détails, il fe conten-
ta
(r) Ilerrera obfcrve qu'il afpiroit à quel-
que dignité, ibid. Ciiap. 4.
(.f ) C'étoit la première fois qu'on donnoit
ce titre à Charles, à l'occafion de Ton été va -
tion à l'Empire, dont il venoit de recevoir
h nouvelle, ibid.
(t) L'Hillorien lui fait faire un préambu-
dcfir ,
„ faifoit la grâce d'accomplir fon dvl
„ reconnoiflbit que la face de Priiuii iiok di-
,, gnc du Royaume, »Z»jV. . •«■.
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DECOUVEKTr.l*
15 1(5.
ta de déclarer que depuis cinq ani, qu'il s'dtoit rendu au Continent de l'A
mcrique, avec la Dignité Epilcopalc, il ne s'y étoit rien fait pour le Servi
ce de Dieu , ni pour celui du Prince ; que le Pays fe perdoit au lieu de s'*^'
tablir, que le premier Gouverneur qu'il y avoit vu étoit un méchant Hom-
me, que le fécond étoit encore pire, & que tout alloic fi mal, qu'il s'ctoit
cru oblige de pafler en Efpagne, pour en informer le Roi. Cependant,
comme il étoit quefUon de donner Ton avis , fur la conduite qu'on devoit ,
tenir à rég^ird des Indiens, il ajouta que tous ceux qu'il avoit vus, foit
dans le iPays qu'il vcnoit d'Iiabitcr , foit dans les autres lieux où il avoit paf*
fé, lui avoient paru nés pour la fervitude; qu'ils étoient naturellement per-
vers, & que fon fentiment étoit de ne les pas abandonner à eux-mêmes,
mais de les divifer par bandes, & de les mettre fous la difcipline des plus
vertueux Êfpagnols ; fans quoi l'on n'en feroit jamais des Chrétiens, ni mê-
me des Hommes.
LoRSQjjE l'Evêaueeut cefle de parler. Las Cafas reçut.ordre d'expliquer
fes idées; & l'Hiltorien lui fait tenir le difcours fuivant («):
„ Tr lis Haut, très Puiflant Roi & Seigneur , je fuis un des premiers Difcours "de
„ Callillans qui ayent fait le Voyage du Nouveau Monde. J'y ai vécu Us Cafa».
„ longtems, & j ai vu de mes propres yeux ce que la plupart ne rappor-
„ tent que fur le témoignage d'autrui. Mon Père eft mort dans le même
„ Pays, après y avoir vécu, comme moi, dès l'origine des découvertes.
iSans m'attribuer l'honneur d'être meilleur Chrétien qu'un autre, je me
fuis fenti porté par un mouvement de compalfion naturelle à repaner en
„ Efpagne, pour informer le Roi, vôtre Ayeul, des excès qui fe commet-
„ toient dans les Indes. Je le trouvai à Placentia. 11 eut la bonté de m'é-
„ coûter; & dans le deffein d'y apporter du remède, il remit l'explication
de l'es ordres à Seville: mais la mort l'ayant furpris en chemin, fa volon-
té royale & toutes mes repréfentations demeurèrent fans ciFet. Après
fon trépas, je fis mon rapport aux Régens du Royaume, les Cardinaux
„ Ximenès & Tortofa, qui entreprirent de réparer le mal par de fages me-
„ fures , mais la plupart mal exécutées. Enfdite^ Vôtre Majeflé étant vc-
„ nu prendre poifelTion de fes Etats , je lui ai repréfenté la ficuation de fes
„ malheureufes Colonies, à laquelle on auroit alors remédié , fi dans le mê-
„ me tems le Grand Chancelier n'étoit mort à Sarragofle. Aujourd'hui, je
recommence mes travaux pour ce grand objet.
„ L'Ennemi de toute vertu ne manque pas de Minifl:res, qui tremblent
de voir l'heureux fuccès de mon zèle. Mais , laiflant à part un moment
ce qui touche la confcience , l'intérêt de Vôtre Majefté efl: ici d'une fi
haute importance , que les richeffes de tous les Etats d'Europe enfemble
„ ne peuvent être comparées à la moindre partie de celles du Nouveau
„ Monde ; & j'ôfe lui dire qu'en lui donnant cet avis , je lui rends un auffi ,
,j grand fervice que jamais Prince en aît reçu de fon Sujet. Non que je
», pré-
(v) „ Là-deflus, dit-il, Cliievres & le „ BarthelemI, Sa Majefté vous commande
„ Chancelier retournèrent confulter avec le „ de parler ". Les Flamands rappelloicnt
„ Roi. Puis ayant repris leurs places, le ainfi, ficGatmaxales imitoit, quoiqu'Xtalicn,
„ Chancelier dit i Las Cafas; " Meflire ibidem»
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208
PREMIERS VOYAGES
DECOUVERTES. "
15 I 6.
Difcours du
Millionnaire
Francifcain.
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prétende aucune efpèce de gratification ou de falaire. Ce n'efl pas feu-
lement à fervir Vôtre Majefté que j'afpire. Il eft certain même , que
dans toute autre fuppofition que celle d'un ordre exprès, le feul motif
de fon fervice ne m'auroit pas ramené des Indes en Europe : mais je crois
en rendre beaucoup àDiPU, qui efl: fi jaloux de fon honneur, que je ne
dois pas faire un pas pour l'avantage de Vôtre Majefté, auquel il n'ait
la preniière part. Auflî le prens-je à témoin que je renonce à toutes for-
tes de faveurs & de récompenfes temporelles ; & fi jamais j'en accepte ,
ou moi-même, ou par quelqu'un qui les reçoive en mon nom, je veux
être regardé comme un Impofteur & un Fauflaire, qui auroit trompé fon
Dieu & fon Roi. Apprenez donc. Sire, que les Naturels du Nouveau
Monde font capables de recevoir la Foi , de prendre de bonnes habitu-
des, & d'exercer les aftes de toutes les vertus. Mais c'eft par la raifon
& les bons exemples qu'ils y doivent être excités , & non par la violen-
car ils font naturelleriient libres ; ils ont leurs Rois & leurs Seigneurs
ce
naturels, qui les gouvernent fuivant leurs ufages. A l'égard dé ce qu'a
dit le Révérend Evêqué, qu'ils font nés pour la fervitude, fuivant l'au-
torité d'Ariftote, fur laquelle il paroit qu'il fe fonde, il y a autant de
diftance de la véjité à cette propofition , que du Ciel à la Terre. Quand
ie Philofophe auroit été de cette opinion , comme le Révérend Evêque
l'affirme, c'étoit un Gentil, qui brûle maintenant dans les Enfers, &
dont la doftrine ne doit être admife qu'autant qu'elle s'accorde avec cel-
le de l'Evangile. Nôtre fainte Religion, Sire, ne fait acception de per-
fonne. Elle fe communique à toutes les Nations du Monde. Elle les
reçoit toutes fans diftinftion. Elle n'ôte à aucune fa liberté , ni fes Rois ;
elle ne réduit pas un Peuple à l'efclavage , fous prétexte qu'il y efl:
condamné par la Nature , comme le Révérend Evêque veut le faire
entendre. J'en conclus. Sire, qu'il eft de la dernière importance,
pour Vôtre Majefté, d'y mettre ordre au commencement de fon Rè-
gne (a;)".
Après Las Cafas , le Mif?!onnaire Francifcain reçut ordre de i '.er à
fon tour. Il le fit dany ces termes: „ Sire, je reçus ordre de pal. dans
„ rifle Efpagnole , où je demeurai quelques années. On m'y donna la
„ CommifTion de faire Je dénombrement des Indiens. Il y en avoit alors
„ quantité de milliers. Quelque tems après, je fus encore chargé du mê-
„ me ordre , ôc ie trouvai ce nombre extrêmement diminué. Si le fang
„ d'Abel, c'eft -a -dire celui d'un feul Mort, injuftement répandu, a crié
„ vengeance & l'a obtenue du Ciel, Dieu fera-t'il fourd au cri de ce délu-
„ ge de fang qu'on ne cefTe pas de répandre? Je conjure donc Vôtre Ma-
„ jefté, par le Sang de Nôtre -Seigneur, & par les plaies du grand Saint
„ dont je porte l'Habit, d'apporter un prompt' remède à des maux, qui ne
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(.v) On s'efl attaché â rendre ce Difcours
tel qu'il eft dans Herrera. L'Hiftorien de
Saint-Domingue en donne un tout difEérent;
& la confiance qu'on doit à un Ecrivain de
fa profcffion, lorfqu'il vante fa fidélitt- & cel-
le de fes Mémoires , oblige de croire qu'il
ne l'a pas tiré de fon imar^ination ; mais il ne
cite point fa fource. Hijloire de Saint-Do-
mingue, Liv. 5. pages 174 & f"iv.
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
raop
n
manqueroienc pas d'attirer fur vôtre Couronne Findignation & les rigou-
„ reux châtiraens du fouverain Maître des Rois^y) ".
DoM Diegue Colomb eut ordre enfuite de donner fon avis. Les grands
maux, dit-il, qu'on venoit de repréfenter, n'ëtoient que trop manitelles;
& les Miniftres de la Religion, qui s'étoient tant de fois élevés contr'eux ,
en étoient les véritables témoins. C'étoit jufleraeht qu'après avoir vu l'i-
nutilité de leur zèle, ils fe croy oient obligés d'apporter leurs plaintes au
{)ied du Trône. Bientôt les Indes ne feroient plus qu'un vafte défert ; &
ui, qui n'avoit pas d'autre reflburce ^ue rEtabliflement qu'il y avoit ob-
tenu de la Couronne, ne voyoic déjà plus de lieu au Monde où il pût
fe retirer. Il ajouta qu'il n'avoit pas eu d'autre motif pour faire le
voyage d'Efpagne, & qu'il afluroit Sa Majeflé, que de toutes les affaires
qu'EUe avoit à terminer, c'étoit une des plus importantes pour fa gloi-
re & fa confc'.ence.
Aussi-tôt que l'Amiral eut fini , l'Evêque du Darien demanda la permif-
Hon de parler encore une fois. Mais , après un moment de confultation a-
vec le Roi, le Chancelier lui dit que s'il avoit quelque chofe à répliquer,
Sa Majefté lui ordonnoit de le mettre par écrit, & qu'o» y feroit une fé-
rieufe attention. Ce Prélat fit deux Mémoires, qui regardoient unique-
ment Pedrarias ôe la Province du Darien; & dans une AITemblée, qui fe
tint chez le Chancelier, il déclara qu'il approuvoit les vues & l'entreprife
de Las Cafas. Mais une fièvre maligne l'ayant emporté dans l'efpace de
trois jours, & Charles étant attendu par fa Flotte , à la Corogne, pour al-
ler recevoir la Couronne de l'Empire , l'affaire des Indes demeura fufpen-
due. 11 paroit que ce jeune Prince commençoit à craindre que la jaloufie
n'eût quelque part à la proteélion déclarée que le Chancelier & les Seigneurs
Flamands accordoient à Las Cafas,. & qu'il vouloit attendre des informa-
tions moins fufpeftes fur un point dont il fentoit l'importance (2).
(y) Herrera, Tom. a. Liv. 4. Cbap. 5.
(a) Ibi4.hiv. 4. Chap. 5, Hijî. de Saint-Domingue, Liv. 5. pages 179 & précédentes.
Dernier Foyage de Jean Dîaz de Solts, fij" Découvertes au Sud,
SttTE mit
OSCOUVfilTE».
1516.
Difcours
de l'Amiial
Dom Diegue
Colomb.
L'Evéque
du Darien ap«»
prouve Las
Cafas.
L'affaire
des Indes efl
fufpendue.
DlAZ D» S(i*
LIS.
END AN T le cours de ces Négociations , qui n'avoient pas duré moins Voyage de
Cofmographes, de trouver un palfage par cette voye pour le Commerce des
Moluques. Son impatience avoit été fi vive , qu'ayant fait armer deux
VailTeaux, dont il avoit donné le Commandement à Jean Z)wï: (iff •So/w, le
plus habile Navigateur de ce tems, il n'avoit point attendu que tous les
préparatifs fulTent achevés, pour les prefTer de lever l'ancre; & l'un des
deux s'étoit ouvert au moment du départ. Cependant, on l'avoit reparé
avec tant de diligence, que Solis s'étoit trouvé en état de mettre à la voile
le 8 d'Oftobre 1515. Il n'étoit arrivé qu'à la fin de la même année à la vue ^^f^'/g f^fg^J;
du Cap Saint -Auguflin, d'où il s'étoit avancé vers l'embouchure du Fleuve de l'Améri-
XFJIL Fart, D d de que
V
9iAZ De So-
LIS,
Sa fin tragi-
que.
Découver*
tes fur les Cô-
tes de la Mer
du Sud.
Superfti-
tion plus forte
que l'avarice.
Port deNi-
coya.
Ville d'Acla.
210 PREMIERS VOYAGES
de Janega , fur la Côte da Brefil, & de-là au Cap de Navidad. Ce Voya-
geur, continuant fa route jufqu'à la vue d'un Fleuve, qu'il nomma los Inno^
centesy à vingt-trois dégrés quinze minutes de latitude auftrale , fe rendit
de-là au Cap qu'il nomma Cananée^ à vingt -cinq dégrés, & proche d'une
lile qui reçut de lui le nom de la PlMa* Enfuite, il alla mouiller à vingt-
fept dégrés, dans une Baye, qu'il appella Babiadt los PeràidêS', d'OÙ paiTanc
le Cap de Coniente^ il prit tenre au vingt-neuviènve degré. De-là, il recon-
nut l'ide, qu'il nomma SamtSébaJiien, & trois autres Ifles^ auxquelles il
donna le nom de los Lobos; après quoi, il entra au trente-cinquième degré,
dans un Port qu'il appella, du nom du jour, N. D, de la Cbandeleur, & dont
il prît pofleflion au nom de la Caftille. Enfin, il mouilla à trente -quatre
dégrés vingt minutes, dans un grand Fleuve, qu'il nomma los Platos, et
qui a pris depuis le nom de Rio de la Plata. Ce fut le terme de fa naviga*
tion & de fa vie. Ses Compagnons rapportèrent qu'étant defcendu dans fa.
Barque avec .quelques Soldats, pour s'approcher d'une Troupe d'tedien»
qui fe préfentoient fur une des rives du Fleuve, il y avoit été tué, mis en
pièces & dévoré par ces Barbares, lui & tous ceux qui l'accompagnoient(/i).
D'un autre côté, quelques Avanturiers de la Colonie du Darien» fous-
la conduite d'£/j»/Ko/îï, avoient poufle leurs découvertes l'efpace d'environ
cent-cinquante lieues, fur les Côtes de la Mer du Sud, d'où ils étoient re-
venus chargés derichefles (b). Un Officier, nommé Dom Diego à*Albi'
tez, fe trouvant proche du Fleuve Coeabira^ avec un Détachement de cet-
te Troupe, apprit d'un Cacique, qu'il avoit fait prifonnier, que dans un:
Edifice à deux lieues de-là, il trouveroit un immenfe tréfor. Il s'y rendit ,
avec toute l'ardeur que cette nouvelle étoit capable de lui infpirer. Une
Femme Indienne, qu'il avoit à fa fuite, lui dit que cet Edifice étoit un
Temple confacré aux Mauvais £fprit&, & qu'ils avoient ordonné que la
Terre s'ouvrît pour engloutir les Callillans. Albitez s'effraya peu d'un a-
vis de cette nature. Le foir en arrivant au Temple, il le vit trembler,
comme un rofeau agité par le vent. Alors, fon courage & celui de tous.
fes gens ne réfiflant point à ce fpe£lacle, ils s'armèrent, pendant toute la.
nuit, de fignes de Croix & de prières; & l'arrivée du jour eut fi peu de
force pour les raflurer, qu'ils revinrent fans avoir ôfé. toucher aux murs du
Temple (c).
Fernamo Ponce & Barthelemi Hurtado, firent aufiî de» courfes vers
le Golfe d'Oza^ & découvrirent le Port de Nicoyaf auquel ils donnè-
rent le nom de San-Lucar. Vers le même tems , Pedrarias fit jetter
les fondemens d'une Ville dans le Port à'Jcla^ pour fe mettre en état
de poufier fes Conquêtes > & d'envoyer des Bri^antins fur la Mer do:
Sud.
l
â) Herrera, xtlifupràt tiv. i. Chap. 7. mille Efclaves.
b ) Quatre-vingts mute pefçs d'or , & deux ( f ) Le même , Liv. b. Cbap, t.
rxr...
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Xkji'
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J^f'i
-.^'-E N A M E R I Q U E, Lîv. I.
Defcrtptm de Vljle Efpagnoh, vulgairement SàinuDomingue,
Ut
IL doit paroître aflez étrange, que depuis près dedeux cens cinquante ans,
que cette Ifle eft fréquentée des Nations de l'Europe, on ne s'accorde
point encore fur fa véritable pofition. Un Millionnaire Jefuite (a), qui
pendant un fort long féjour, a pris foin d'obferver toutes les Edipies, pré-
tend avoir trouvé conftamment quatre heures 43 minutes & 5 1 fécondes de
différence entre le Méridien de TObfervatoire de Paris & celui du Cap
François ; d'où il s'enfuit que ce Port eft au 308Ç degré de longitude. Le
Père Feuillée , fuivant l'Obfervation des Satellites de Jupiter , à la Caye
Saint'Louis, le met au 304e degré; & la différence de longitude, entre la
Çaye Saint -Louis & le Cap François, n'eft, au jugement de M. Frezier,
que d'un degré & environ SS minutes. A l'égard de la latitude , il paroit:
certain que la Pointe de Saint • Louis proche du Port de Paix , qui eft fen-
^oit de riile le plus feptentrional , eft par le 20e ^égré deux ou trois
minutes; fur quoi le nouvel Hiftorien remarque, qu*il faut reformer les
Cartes Hollandoifes , dont l'erreur a caufé plufleurs naufrages fur les £-
cueils voifins.
L'ÉTENDUE de Saint-Domingue eft d'environ cent foixante lieues de
longueur, du Levant au Couchant ; & de trente, dans fa largeur moyenne
du Nord au Sud. Son circuit eft d'environ trois cens cinquante lieues ,* &
ceux qui lui en donnent fix cens font le tour des Anfes. Sa fituation ne
peut être plus avantageufe , au milieu de quantité d'autres Ifles {b) qui
forment un grand Archipel , où Ton diroit qu'elle eft placée pour leur don-
ner la loi. Elle a trois Pointes avancées, vers trois des plus grandes de ces
ïfîes. Le Cap Tiburon, qui la termine au Sud-Oueft, n'eft qu'à trente
lieues de la Jamaïque. Entre celui de l'Efpade, qui eft fa Pointe orienta-
le, & Portoric, on n'en compte que dix-huit; & douze feulement du Cap,
ou Mole Saint-Nicolas, qui regarde leNord-Oueft, à l'Ifle de Cuba. Saint-
Domingue eft d'ailleurs entourée de plufleurs autres petites Iftes, qui en
font comme les annexes , & dont elle peut tirer de fort grands avantages.
Les plus confldérables font la Saona^ la Beata^ Sainte-Catherine , Altaveîa^
Avacbe, la Gonave, & la Tortue; fans compter hNtnazza & la Mona, donc
la première eft à dix lieues du Cap de Tiburon, vers la Jamaïque, & I9
féconde à moitié chemin du Cap de l'Efpade à rifte de Portoric.
Il femble que la Nature n'aît pas moins pourvu à la fC .é de cette
grande Ifte, par quantité de Rochers qui en rendent l'abord â>4ngereux. Le
côté du Nord eft, fur-tout bordé d'Ecueils & de petites Ifles tort baffes. On
a crû lone-tems que de tous ces Ecueiis , celui que les Efpagnols nomment
Abrojo^ oc les François le Mouchoir quarré, étoit le plus reculé à l'Orient;
mais on a reconnu , aux dépens d'un grand nombre de Navires , qu'il j
avoit
i (a) Liv. I. pages s & 6. font renfermées entre les 8 & les 28 degré»
(6) Ce font toutes celles qui font compri- de latitude; & leur longitude ç'éteiwi depuis
fes fous le nom d'^intilles, & dont les prin- les 293 jiifau'^m 396 Jégrés,
cipales feront décrites dans leur ordre. Elles ......... ^ .*
Dsï^cttTnioii
DB L'IsLK
EfPAONOLE.
Pofition de
cette Ifl''
Dd s
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due.
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312
PREMIERS VOYAGES
DE8CltII>TlOII
DE l'IsLB
ESPAQKOU.
Mes Tur-
ques & Cal-
ques.
Ifles Lu-
cayes.
:}'i v"i»'
Noms In-
diens de rifle
Efpagnole.
Son an-
tienne divi-
lion en cinq
Royaumes.
Magua.
tip.
•J ,- -
avoit d'autres brifans au Sud-Eft; ce qui, joint aux Obfervations fur \eC-
quelles on a reculé Tlfle de vingt minutes vers le Sud , en a rendu l'accès
beaucoup plus fur. A l'Ouefl: du Mouchoir quarré, & prefque fur la mê-
me ligne , on trouve de fuite plufieurs grouppes de petites Ifles aflez baffes ,
entre lefquelles il n'y a quelquefois de paffage que pour des Canots. Les
unes ont reçu le nom à'IJÎes Turques » & les autres celui de CaUques. Mais
elles ne font pas toutes auffi peu habitables qu'on le croit, & quelques-unes
ont même des Côtes fort faines. Un Voyageur refpe6lal)le (c), en ayant
rangé une de fort près, fur un Navire de 400 tonneaux , y remarqua, dans
plufieurs endroits, des Terres affez élevées & d'une bonne nature. Les If-
les Turques, qui font les plus orientales, fe nomment aufli Amanas. Elle»
ont des Salines naturelles ^ dont les Anglois de la Bermude & de la Jamaï*
quÊ tirent un grand profit.
Les Lucayes fuivent, après les Caïques, & n'en font féparées que par
un débouquement aflez étroit. C'efl aujourd'hui le paffage de tous les Na-
vires, qui fortent du Cap François pour retourner en France. Les plus oc»
cidentales des Lucayes ne font féparées de la Floride que par un Canal , qui
n'a nulle part plus de vingt lieues de largeur, & qui tire fon nom de Baha-
ma^ la djernière de toutes ces Ifles. Depuis les ravages des Efpagnols, el-
les font demeurées fans Habitans, a l'exception de celle de la Providence^.
où les Ançfois ont un petit Etabliffement. Mais on y voit une quantité
prodigienie de toutes fortes de gibier. Leurs Côtes font auffi beaucoup
plus poiffonndufes que* celtes des grandes Ifles, & fur r tout que celJes de
Saint-Domingue, qui le font très peu, fi ce n'efl: aux embouchures dès Ri-
vières, & dans l'étendue de la Marée, c'eft-à-dire, au plus, l'efpaced'un
quart deiieue; fur quoi l'on obférve qu'en aucun endroit des Antillles , le
flux ne monte jamais plus de trois pieds (d), '
On a déjà remarqué qu'à l'arrivée des Efpagrioîs, l'Ifle de Saint-Domin-
gue étoit nommée,, par ks Habitans, Quijgueia & Hayti^ deux noms tirés
Se leur Langue, dont le premier fîgnifioit une grande Terre; & le fécond,
xmt Terre montagneuje. Mais elle a perdu l'un & l'autre, en changeant de
Maîtres. Ses Conquérans la trouvèrent divifée en cinq Royaumes , indé-
pendans les uns des autres , & en quelques Souverainetés moms puiflantes ,
ûont les Seigneurs portoient le nom de Caciques ^ comme ceux des principa-
les Divifions.* De ces cinq Royaumes, l'un fe npmmoit Magua, qui figni-
fie Royaume de la Plaine. Il comprenoit ce qu'on a depuis nommé la Fega-
Real', ou du moins il en comprenoit le milieu & la meilleure partie. La
Vega-Réal efl: une Plaine de quatre-vingts lieues de long, qui en a dix dans
fa plus grande largeur. On affure («; qu'il y coule plus de trente mille
Rivières, parmi lefquelles il s'en trouve douze , auffi larges queTEbre, &
le Guadalquivir. Les autres ne font que des Torrens & des Ruiffeaux ,
dont elle reçoit un prodigieux nombre , d'une longue chaîne de Montagnes-
qui la bornent à l'Occident ; & la plupart rouloient de l'or avec leur fable.
, . , . ^. Auffi
(< ) Le Père de Charicvoix , Hiflorién de ( f ) Barthelemi de Las Cafas , qui y avoit
£alnt-Domingue. Liv, i. ^age 8. fait un long fôjoM.
^i) Ibidem» ' ■ >
'U-
-H*^
•^"^i
E N A M E R I Q U E, Liv. I. i arg
Auflî ce Canton eft-il voifin des fameufes Mines de Cibao, qu'on a nom-
mées tant de fois: mais elles n'étoient pas du Royaume de Magua, dont
le Souverain fe nommoit Guarimex. Ce Prince avoit fa Capitale dans le
lieu où les Efpagnols bâtirent une autre Ville, fous le nom de la Conception
de In Fega.
L L fécond Royaume ëtoit celui de Marien , que plufieurs Hiftoriens re-
préfentent aufli grand & plus fertile que le Portugal. 11 comprenoit toute
cette partie dé la Côte du Nord , qui s'étend depuis l'extrémité occidentale
de rifle, où efl: le Cap S. Nicous, jusqu'à la Rivière Taqué ou Taqui^ nom-
mée Monte Chiijlo par Chrillophe Colomb , & comnrenoit toute la partie
feptentrionale de la Vega- Real , qui s'appelle à préferit h Plaine du Cap Fran-
çois. C'étoit au Cap même, que Guacanagariy Roi de Marien, faifoit fa
réfidence; & c'efl de fon nom, que les Efpagnols donnent encore aujour-
d'hui le nom d'el Guaric à ce Port.
Le troifième Royaume, nommé Maguana ^ renfermoit la Province de
Cibao t & prefque tout le cours de la Rivière Hattiboniîo , ou ÏAnibonite,
qui eft la plus grande de l'Iile. CaonabOy qui y règnoit, étoit Caraïbe. 11
étoit venu dans l'Ille, en Avanturier, qui cherche un Établiflemenr. Son
courage & fon efprit l'ayant rendu redoutable aux Infulaires, il n'avoit pas
eu beaucoup de peine à fe former parmi eux un Etat confidérable. Sa de-
meure ordinaire étoit le Bourg de Maguana, d'où fon Royaume avoit tiré
fon nom. Les Efpagnols en firent une Ville, fous le nom de San- Juan de
la Maguana^ mais elle ne fubfifle plus; & c'efl: le Quartier où elle étoit (]•
tuée, que les François appellent aujourd'hui \d, Savane de San-Ouan. Caonabo
étoit, fans contredit, le plus puiiTant Monarque de rifle, & celui qui fou-
tenoit le mieux la dignité de fon rang.
Le Royaume de Xaragua, qui étoit le quatrième, devoit fon nom, ou
le donnait, à un afTez grand Lac, dont on verra bientôt la Defcription.
C'étoit le plus peuplé & le plus étendu. Il comprenoit toute la Côte occi-
dentale de rifle, & une bonne partie de la méridionale. Sa Capitale, nom,-
mée auni Xaragua^ étoit à -peu «près dans le lieu qu'occupe aujourd'hui le
Bourg du Cul -de -Sac. Les Peuples de ce Royaume l'emportoient fur tous
les autres par la taille & la figure, par la politefTe des manières, & par l'é-
légance du langage. On y voyoit aufli plus de NoblefTe. Le Roi , qui fe
nommoit Bohechio , étoit Frère d'Jnacoana , PrincefTe d'un mérite diflingué ,
dont la honteufe lin deshonore les Efpagnols.
Enfin, le cinquième Royaume étoit le Higuey, qui occupait toute la
Partie orientale de l'ifle, avec le Fleuve Yaqui pour borne à la Côte da
Nord, & le Fleuve à'Ozamo à celle du Sud. Ses Peuples étoient plus ar
guerris que tous les autres , parce qu'ils avoient fouvent à fe dé''.ndre (fès
Caraïbes, qui faifoient de continuelles defcentes fur leurs Côtes. Cepen-
dant , comme ils n'entendoient pas bien l'art de fe fervir de leurs fîéches ,
ils ne fe défendoient le plus fouvent que par la fuite. Leur Souverain ,
nommé Cayacoa^ étant mort peu de tems après l'arrivée des Efpagnols, fa
Veuve embrafTa le Chriflianifme , & reçut le nom à' Agnes Cayacoa. Elle
ne furvécut pas long -tems à fon Mari; & leurs Etats paflerent à Cotubana-
Dd 8 ma,.
oucriitios
Espagnole.
Marien.
Maguana.
Xaragua.
Iliguey.
W '
DiiCBirnoK
ns L'IstB
EspAonoLi.
Villes b&ties
par les Efpa-
gnols.
San-Domin-
go change de
lituation.
Ses incora-
modités.
.f:i;.y':^.\
Sa defcrip*
don, &queU
le étoit autre-
fois fa beauté.
214 PRE MI E R S V O Y A G E g
ma y puiflant Cacique , qui fit, jufqu'à fa deftruélion, fon féjour ordinaire
vers la Prefqu'Ifle de Samana (f).
Les Ëfpagnols ayant bientôt changé l'ancienne forme du Gouvernement
de riHe, on y vit naître par leurs mains quantité de Villes, dont on a rap-
porté fucceffivement l'origine. Après la ruine de San -Domingo, qui fut
renverfée en 1502 par un ouragan, Ovando, Gouverneur Général, chan-
gea la fituation de cette Place, qui étoit à l'Orient du Fleuve d'Ozama. Il
ta tranfporta fur l'autre Rive , par la feule raifon qu'il s'y trouvoit déjà
quelques Habitations Efpagnoles. On l'accufe de n'avoir pas fait réflexion,
que pour la commodité d'un petit nombre de Particuliers, il faifoit perdre»
à la Ville , deux avantages confidérables , dont l'un ne pouvoit être rem-
placé , & l'autre ne pouvoit l'être fans qu'il en coûtât beaucoup. La Vil-
le, étantàl'Oueft, le trouve continuellement enveloppée des vapeurs du
Fleuve, que le Soleil chafle devant lui; ce qui efl fort mcommode dans un
Pays fi humide & fi chaud. D'un autre côté , elle fe trouve privée d'une
fource d'excellente eau , dont elle jouiflbit dans fa première iituation ; &
comme l'eau des Puits & celle du Fleuve font faumâtres , on n'y a fuppléé
jufqu'à préfent que par des Citernes. Un Officier François (g), qui a com-
mandé long-tems dans une Place de Tlile, & qui en connoilfoit toutes les
Parties , rapporte qu'on a découvert une autre fource à cent pas de la Vil-
le , du côté du Nord , & que tous les Navires y font leur provîfion d'eau ;
mais que les Habitans, la trouvant prefqu'aufll éloignée que celle qui ed à
l'Efl: de la Rivière , s'en tiennent aux Citernes , malgré leurs mauvaifes qua-
lités. On juilifie Ovando par le defiein qu'il avoit de faire, au milieu de
1? Ville, un Réfervoir, avec une magnifique Fontaine, pour y recevoir les
eaux d'une autre Rivière, nommée la Hayna^ qui font excellentes, & qu'il
ne falloit faire amener que d'environ trois lieues. Mais il fut rappelle a-
vant l'exécution de fon projet.
Ceux, qui ont vu. la Capitale de Saint-Domingue dans tout fon luflre,
afllirent qu'il ne lui manquoit que cet ouvrage, pour être une des plus bel-
les Villes du Monde. Elle eu fituée fur un terrain parfaitement uni , où
elle s'étend du Nord au Sud le long du Fleuve, dont la Rive efl: bordée de
beaux Jardins. La Mer borne la vue au Midi , comme le Fleuve & fes
bords la terminent à l'Orient ; & ces deux côtés occupent plus de la moi-
tié de l'Horifon , parce que le Fleuve tourne un peu à l'Oued. La Campa-
gne, des deux autres côtés, eH d'une beauté fingulière. L'intérieur de la
Ville répondoit à de fi beaux dehors. Les Rues étoient larges & bien per-
cées, & les Maifons exaélement alignées. La plupart étoient bâties d'une
fojrte de marbre, qu'on a trouvé dans le vûifinage. Les autres étoient d'u-
ne
(/) I.as Cafas donne à cette Province une
Reine , qu'il nomme Hygumanci, 11 ajoute
que les Ëfpagnols la firent pendre, comme
Anacoafja; mais on n'en trouve aucune tra-
ce dans les autres Hiftoriens. Cétoit peut-
être uns Cacique particulière de quelque
Canton du Higuejr.
(g) M. Butet , Lieutenant de Roi & Com-
mandant â Bayabu . QU' ^ parcouru toute l'if-
le en 1716 & 1717, « dont le nouvel Hifto-
rien s'eft procuré le Journal. Liv. i. page
23, & Liv. 3. pag" 287 i^fuiv.
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titre de
Religie
EN A M E R I Q U E, Lit. I.
215
X
lui fait une digue allez forte pour
vires paflent le long de la Ville, & le mouillage y eft bon par-tout, pour
les Vaifleaux même de Guerre, s'ils y pouvoient arriver; mais l'entrée du
Fleuve eft coupée par une Barre, qui n'a ordinairement qu'onze picda d'eau,
treize à quatorze en Marée haute , & quinze au plus dans les grandes Ma-
rées. La Rade extérieure eft aflez fûre,. excepté depuis le milieu de Juil-
let jufqu'au premier d'Oftobre , qu'il règne, fur cette Côte des ouragans
d'une violence extraordinaire.
Le terrain des environs de la Ville n'eft pas le meilleur de Tlfle. Il eft
raboteux, inégal , femé de petites Collines, & d'un fond de pure argille.
Auflt les Efpagnols y font-ils fabriquer beaucoup de Briques , & de très bel-
les Poteries , d'une terre plus fine & plus rouge que celle de la Havane ,
dont on fait d'ailleurs tant de cas ; & l'eau s'y conferve extrêmement fraî-
che. La ftérilité de la terre eft compenfée par un air aflez frais , qu'on at-
tribue en partie à la Rivière & à la Mer, dont la plus grande moitié de la
Ville eft environnée, en partie au Salpêtre qui s'y trouve en abondance.
Les vents du Nord , qui y régnent toutes les nuits , & les brifes de l'Eft &
de l'Eft Sud-Eft, qui y foufflent ordinairement to\i% les jours, contribuent
aufli beaucoup à cette fraîcheur : ce qui n'empêche point que les Efpagnols
n'y foient fujets à une maladie qui leur eft particulière, & qu'ils appellent
Pafino. Elle attaque les nerfs , qui fe roidiflent & fe retirent : le fang fe
congelé dans les veines ; les Malades fouffrent beaucoup du défaut de refpi-
ration, & c'eft rarement qu'ils en guérilTent. On a vu quelques Nègres
mourir de ce mal , mais on aflure qu'aucun François n'en eft attaqué. La
Lèpre eft aflez commune aufti dans cette Capitale, & quelques-uns en at*
tribuent la principale caufe à l'eau des Citernes. U fe trouva dans l'encein-
te de la Ville une Mine de Vif- argent fort abondante, qui fut fermée par
un ordre de la Cour. On y découvrit même une Mine d'Or; mais elle rap-
portoit peu. Les débordemens du Fleuve Ozama ne font ni fréquens, ni
dangereux , parce que fe5 bords font fort élevés. Cependant il pleut beau-
coup dans ce quartier de l'Ifle , & les plus grandes fécherefles n'y durent
pas plus d'un mois. Les pluyes, qui viennent ordinairement du Nord-Eft
&du Sud-Eft, s'arrêtent à quatre lieues fous le vent, aux environs de la
Rivière Yuna; & l'on a obfervé que tous les quartiers qui font à l'Oueft de
la Capitale, jufqu'àceux qu'occupent aujourd'hui les François, font fi fou-
vent expofés aux fécherelles, que les Beftiaux y périroient de foif, fi l'on
n'avoit foin de les mener dans les doubles Montagnes , pour les y nourrir
de feuilles d'Arbres; précaution, qui n'en fauve même qu'une panie. En-
fin , les tremblemens de terre font aflez fréquens aux environs du Fleuve;
Ozama; mais ils n'y caufent prefque jamais d'effets dangereux.
OvANDo bâtit une For terefl'e, qui s'eft confervée jufqu'aujourd'hui. Le
Palais, qu'il éleva pour fa demeure, étoit d'une magnificence achevée. Il
fonda un Couvent pour les Pères de Saint-François, <& un Hôpital, fous le
titre de Saint- Nicolas ^ dont il portoit le nom. Quelques années après, les
Religieux de Saint - Dominique & de la Merci vinrent auj^ s'établir dans
DnciuPTiov
D« l'Isli •
ElTAOHOLe.
Qualités du
Pays qui l'en*
vironne.
Maladies
dont il eft af-
fligé.
ForterefTe
& Edifices pu-
blics de San»
Domingo.
'■*■■
OiicRimoN
KirAONoLi.
. Elojçqu'O-
viedo en fuit
à Charles-
Quint.
Villes &
Bourgades de
l'iflc.
Origine de
Lcogunc.
2i6 PREMIERS VOYAGES
San-Domingo; & le Tréforier Paflamonte fonda un fécond Hôpital, fou»
le nom de Saint' Adicbel. On y éleva une fuperbe Cathédrale (A), & plu-
ficurs belles Eglifes. Jamais Ville ne parvint (i proniptemunt au plui haut
degré de fplendeur. (Quelques Particuliers, qui s'étoienc enrichis , fe fi-
rent honneur de bâtir des Uucs entières , dont ils ne furent pas long-tcms à
retirer leurs avances, avec de fort çros profits. En un mot, San-Domingo
devint prefque tout- d' un-coup une h grande & fi belle Ville, qu'Oviedo ne
craignit point de dire à l'Empereur Charles-Quint, que l'Kfpagne n'en avoit
pas une feule qui pût lui être préférée, & que Sa Majefté Impériale habi-
toit fouvcnt des Palais qui n'avoicnt , ni les commodités , ni l'étendue, ni
la richefie de quelques-unes des Maifons de la Capitale des Indes Efpagno*
les (i). Mais Ton éclat ne dura guéres plus iong-tems que ce titre. Des
conquêtes plus brillantes firent bientôt choilir, à rEPpagne» un autre Siège
de fes forces & de fa grandeur.
On a vu qu'après la Guerre de 1503, Ovando fit bâtir quantité de Vil-
les & de Bourgades, dans des lieux qu'il jugea les plus avantageux pour
l'afi'ermiflemcnt de la Colonie. Sainte-Marie de la Fera-Paz fut formée dans
le Royaume de Xaragua, des premiers Efpagnols qui s'y étoient retirés,
afifez près d'un Lac du même nom, à deux lieues de la Mer, dont elle fut
plus approchée dans la llrite, fous le nom de Santa-Maria del Puerto. Mais
le nom à'Taguanay que les Infulaires dunnoicnt à ce dernier lieu, ayant pré-
valu dans l'ufage, les François en ont formé celui de Leogane. Cette Ville
étoit éloignée d'environ Ibixante ik dix lieues de la Capitale. A huit lieues
au Nord de San-Domingo, Ovando fonda Buonaventurà \ avers le miheu
de l'Ille, entre les deux Rivières d'Yaqui & deNeyva, San- Juan de la Mfi"
guana. A vingt -quatre lieues de la Capitale, on vit naître, près du Port
d'//2fw, une bonne Ville, fous le nom <XAzua de Coinpvjkly dans un lieu qui
n'avoit été jufqu'alors qu'une Habitation d'un Commandeur de Galice. Pail-
la Nucva d'ïaquimo &. Sahattera de la Savana furent établies vers le même
tems. Pendant que Puerto Real s'élevoit d'un autre côté , Rodrigue de
Mejlia fit bâtir El Cotuy^ à feize lieues au Nord de San- Domingo, & Gua-
haba (*), fur la même Côte. Ces neuf Villes, jointes à celles de la Concep-
tion de la Fega^ de Bonica ^ de Bonao , de Puerto di tlata, & de Coava ,
qui dévoient leur origine aux Colombs , en faiibient quatorze dès l'année
1504 (/), fans y comprendre la Capitale, & deux Fortereilès dans le Hi-
guey, qui furent aulTi changées en Villes, fur la fin de la même année.
Mais celles de Salvatiera, d'Yaquimo, de San -Juan de la Maguana, de
Bonao, de Buonaventura, de Guahaba & de Puerto Real, ne fe loûtinrent
guéres plus d'un fiécle. La Conception de la Vega, que Charles- Quint a-
voit pris plaifir à faire peupler , fut renverfée en 1564, par un tremblement
de terre («2), Yaguana & Puerto di Plata furent abandonnées, par diverfe»
/'- ^, him rai-
.,-;;'■
( J ) Elle ne fut érigde en Métropole qu'en
1547
( i ) Oviedo , Hiftoire de Saint-Domingue ,
Liv. 3. pages 292 fj* précédentes,
( * ) Ou Larez de Guahaba. '*;-'*
(/) Hifloire de Saint - Domîngue , Liv. 4.
page 12. >
\m ) ]I n'en cft refté qu'un Village, qui fe
no:iime la Vega, formé de fcs ài\>m, à deux
lieues au Sud-Ell de la Plata. Mais on voit
en-
ni
EN A M E R I Q U E, Liv. I. 117
rftifons, en i6i6; & les Ilabitans de la premicrd formèrent une autre Vil-
le à l'Orient , fous le nom de Dayaguana , candis que ceux de Puerto, di Ma-
ta s'approchèrent de la Caoitale, À bâtirent Monte di Plata. Le« î'Vanjois,
3ui partagèrent enfuite l'iAe de Saint-Domingue avec les Efpagnols, y tirent
ivers Rtabliflemens, dont la defeription appartient h d'autres tems , &
fera naître l'ojcafion de rappellcr l'état de ceux de l'Elpagne ù leur ar-
rivée.
A juger du climat de Saint-Domingue parla fituation de cette Kle, on
s'imagineroit que la chaleur y efb cxceirive pendant les fix mois que le So-
leil pafle entre la Ligne & nôtre Tropique. Mais un vent d'Orient, qui
fe nomme Biife ( « ) , fert beaucoup à la rallontir. Le nouvel Iliftoricn de
l'Ifle s'étend beaucoup , après d'Acoda , fur la caufe de ce vent , dont il
prétend expliquer jufqu'aux moindres variations. Il paroît fuffire ici d'à-
^ùter, avec lui, que la Brifc ne fe fait guèrcs fentir, fur les Côtes, que
vers les neuf ou dix heures du matin, & qu'elle croît à mefure que le So-
leil monte fur l'Horifon , comme elle décroît à mefure qu'il defcend, pour
tomber enfin tout-à-fait avec lui. Les pluyes contribuent beaucoup aufli à
tempérer le climat de Saint-Domingue. Elles y font fréquentes, fur -tout
dans les plus grandes chaleurs (0). Mais en rafraîchiflant l'air, elles cau-
fent une fâcheufe humidité , qui corrompt la viande en moins de 24 heu-
res, & qui oblige d'enterrer les Morts, peu d'heures après qu'ils ont ex-
{)iré. La plupart des fruits mûrs pourrilîent prefqu'aufli-tôt qu'ils font cueil-
is; & ceux même, qu'on cueille avant leur maturité, ne font pas long-
tems fans fe gâter. Le pain, s'il n'efl: fait comme du bifcuit, fe moi-
fit en deux ou trois jours. Les vins ordinaires y tournent , & s'aigrif-
ïent bientôt. Le fer s'y rouille du foir au matin; & ce n'efl: pas fkns
peine qu'on conferve le riz , le ma'is & les fèves , d'une année à l'au*
tre, pour les femer (p).
Cependant la différence des qualités du terroir en met aflez dans l'air
pour caufer une extrême variété dans les climats de l'Ifle. Un Canton efl
continuellement inondé de pluye, pendant qu'il n'en tombe prefque jamais
dans celui qui le touche. Les nuages s'arrêtent en arrivant fur fes confins.
Il s'en détache feulement de petites vapeurs , qui fe diflipent après avoir
répandu quelques goûtes de pluye. Le Tonnerre fe fait rarement entendre
à Saint-Domingue, depuis le mois de Novembre jufqu'en Avril, parce
qu'alors le Soleil ne demeure pas aflez long -tems fur l'Horifon, pour en-
ilammer les exhalaifons de la Terre (q). Dans ce tems, néanmoins, les
• nuits
ne t.'hi.i'.
E>1>AUNULI.
Climat de
l'ille I':ri)a.
ynolo.
Vent de
rOiicIt qu'on
numinc Hrife,
& les cll'ct».
Variété des
diiTiats de
l'Elpagnole.
encore, au milieu des malures de cette Vil-
le, un Monadère tout entier, deux Fontaines
& quelques relies de Fortifications. Hijloire
de Saint-Domingue , Liv. 6. page 327.
( ?t ) Ce nom lui vient apparemment de ce
qu'il brifc les rayons perpendicuIaiTes du vSo-
Ici!. On le nomme aulTi ^Ujé, d'un vieux
mot François qui fignifie uni, égal. Voyez
l'HiUoire naturelle des Indes Orientales,
Tome XVI. de ce Recueil.
XniL Part.
(0) Quelques-uns prétendent qu'il y a des
femaines où il y tombe autant de pluye, qu'il
en tombe à Paris dans toute une année ; ce
que M. Mariotte fait monter, l'un portant
1 autre, à 18 pouces cubiques.
(/)) Iliftoiie de Saint-Domingue, ubi fU'
prà, px^c 13 & précédentes.
( î ) Quoique l'élévation de cet Aftre foit
plus grande , à l'Equinoxe de Mars , qu'elle
n'eil à Paiis au SoUtice d'Eté , les jours y font
E e plus
2l8
PREMIERS VOYAGES
Dbscri»tion
DX l'Isls
EiiPAfiKOLE.
I •
Ce qu'on y
appelle l'Hi-
ver & l'Eté.
L'ait de
i'Ilkdl dan-
gereux pour
Tes Euro-
péens.
nuits n'y font jamais fi noires, qu'on n'ait affez de clarté pour fe conduire,
à moins que le Ciel ne foit couvert. On en apporte deux raifons; Tune,
que les Planettes, y étant plus élevées fur l'Horifon , envoient une plus
grande quantité de rayons; l'autre, que l'air y efl plus pur & plus ferein,
parce que les vapeurs , dont- il fe charge , retombent plutôt en pluyes& en
rol'ées que dans les Pays froids. De- là vient encore qu'il n'eft pas rare d'y
voir des Etoiles en plein midi , vers le Zenith , & d'y pouvoir lire des ca-
raélcres aflcz menus à la clarté de la Lune, dont les rayons ont fouvent af-
fez de force pour produire des Arcs - en - ciel. Aufli - tôt que les pluyes ont
cefTé dans un endroit, les rofées y deviennent très abondantes; ce qui
vient de la quantité de vapeurs que le Soleil élevé pendant le jour, & de la
longueur des nuits, qui leur donnent le tems defecondenfer. D'un autre cô-
té, les brouillards n'y font pas fi communs, ou font plutôt diflipés; parce
que le Soleil, qui s'élève perpendiculairement, acquiert bientôt alfez de for-
ce pour les réfoudre. La même raifon fait qu'on s'y plaint peu du ferein.
Mais les nuits y font très fraîches, fur-tout lorfque le tems efl: calme & le
Ciel pur ; ce qui efl: très ordinaire dans les Provinces intérieures. Il efl: ra-
re qu'on y fente un fouffle de vent, le matin; les rofées y font fi fortes,
qu'elles blanchifl'ent les Plaines, & l'on y voit même des gelées. Le froid
efl: quelquefois fi picquant , qu'on efl: obligé de s'approcher du feu. Ces
Plaines étant environnées de Montagnes très hautes , on conçoit que le So-
leil s'y couche plutôt & s'y levé plus tard qu'ailleurs ; ce qui rend toujours
les nuits très longues.
Il arrive, de cette variété d'air dans les différentes parties d'une même
Ifle , que fes Habitans ne conviennent point de ce qu'ils doivent nommer
l'Hiver & l'Eté. Ceux qui font à l'Ouefl:, au Sud, & dans le milieu des
Terres, prennent pour l'Hiver le tems des orages, qui dure depuis Avril
jufqu'en Novembre. Sur la Côte du Nord, on fe rapproche plus de nôtre
manière de compter; mais le vulgaire ne connoît point de Printems ni
d'Automne. Ceux, qui obfervent de plus prés le cours de la Nature, font
commencer l'Hiver au mois de Novembre, & le font finir au mois de Fé-
vrier. Alors , les nuits & les matinées font fraîches , & même un peu froi-
des; les Plantes reçoivent peu d'accroiflement , & les herbes prennent peu
de nourriture, quoique ce foit le tems des grandes pluyes. Il en réfulte fou-
vent des mortalités parmi les Beftiaux. Le Printems fuit, & dure jufqu'aa
mois de Mai. La Nature femble renaître alors ; les Prairies font revêtues
d'une herbe nouvelle, la fève monte aux arbres, les plantes fe parent de
leurs iieurs , & l'air en efl: embaumé. Enfuite la fécherefle , qui vient faire
difparoître tous ces agrémens , repréfente l'Eté ; & c'eft un Eté de la Zone
torride, qui durejufqu'à la fin d'Août. Enfin les orages, qui recommen-
cent après quelque interruption , depuis le décours de la Lune d'Août juf-
u'au mois de Novembre, mettent afllz de reflemblance entre cette faifon
nôtre Automne (r). Le tempérament des Européens s'accommode
dif-
plus courts de quatre heures , & davantage ;
& comme , en tout tems , il tombe perpen-
diculairemeiit pendant fix mois, le crépufcu-
le ne fauroit être fort long, ibidem.
(r) Ibidem,
E N A M E R r Q U E, Liv. I.
''19
difficilement d'un climat fi peu régulier. Il faut y être naturalifé , ou fe
conduire avec beaucoup de fagefle, pour y vivre long-tems. La plupart,
après quelques années de féjour, s'apperçoivent d'une grande diminution
de leurs forces. La chaleur mine infenfiblement les plus robuftes; & peu
à peu l'humide radical fe détruit, par une violente tranfpiration. Le teint
du vifage fe ternit. On fent , dans l'eflon^ac , une grande diminution de
chaleurnaturelle. Le fang qu'on Te fait tirer, même par précaution, eft
livide. Une faîgnée indilcrete fuffit pour c?.ufer l'hydropifie. Si l'on elî
échauffé par quelque exercice , loin d'avoir cette avidité que nous Tentons
pour les rafraîchiiîemens , on recherche au contraire tout ce qui eft capa-
ble d'échauffer. On vieillit de bonne heure. J^es Enfans , qui naiffent dans
rifle de Parens venus de TElurope , font moins formés , moins forts , & meu-
rent en fort grand nombre. Mais l'Hifloricn remarque aulTi que tous ces
maux viennent fouvent du peu de foin qu'on a de fe ménager, àc des excès
de débauche ou de travail ; que d'un autre côté , à mefure que les Créoles
s'éloignent de leur origine, ils y font moins fujets; que les anciens Infulai-
res fe portoient bien & vivoient long-tems; que les Nègres y font forts, &
jouifTent d'une fanté inaltérable, aufli bien que les Efpagnols, qui y font é-
tablis depuis deux fiècles ; qu'il n'efl: pas rare de trouver parmi eux des
Vieillards de 120 ans; enfin, que fi l'on vieillit plutôt qu'ailleurs à Saint-
Domingue, on y demeure plus long-tems vieux, fans reffentir les incommo-
dités de l'extrême vieillefTe (j)«
Cette différence de climats, qu'on éprouve dans l'Ifle, venant en par-
tie de la diverfité de fon terroir, on ne fera pas furpris qu'il s'y en trouve de
toutes les fortes & de toutes les couleurs. Le meilleur efl d'un noir tanné ,
&mélé d'un peu de fable, qui le rend léger, meuble & poreux; mais les
moins bons ne font pas fans quelque utilité. La moitié de l'Ille efl: en Mon-
tagnes, dont la plupart peuvent être cultivées jufqu'à la cime. On en voit
quelques-unes de flériles, qui font efcarpées, & d'une hauteur extraordi-
naire ; comme celles qui font vers le Cap Tiburon , d'où l'on découvre cel-
les de Sainte -Marthe, qui en font éloignées de i 80 lieues. En plufieurs
endroits, celles des Côtes fervent de digues aux flots de la Mer; & mal-
heur, dit poétiquement l'Hiftorien , aux VaifTeaux qu'un coup de vent jet-
teroit fur des Cotes fans rivage , où l'on ne découvre que des Rocs fourcil-
leux, qui s'élèvent à pic, & que cette raifon fait nommer Cotes de Fer.
Telle efl particulièrement celle dont l'extrémité orientale aboutît au Cap
François , qui en a pris fon nom , & l'occidentale au Port de l' Acul. Dans
quelques terres, on necreufe pas beaucoup fans trouver le tuf, ou l'argille,
ou la terre glaife, ou un lit de fable; mais fouvent aulli, la bonne terre a
beaucoup de profondeur. Ce dernier terrain n'efl: pas toujours le plus gar-
ni d'arbres; & l'on en donne pour raifon que la féchcrefle, durant trois ou
quatre mois de fuite, dans les trois quarts de l'Ifle, empêche que ces ter-
res ne fournilTent aux arbres un fuc fufîifant pour les nourrir; au lieu que
dans les autres, les-pluyes &les rofées, qui font arrêtées par dts funds durs,
entretiennent le peu dé bonne terre qui les couvre, dans l'humidité nécef-
faire.
(j) Ibidem.
Ee 2
DEfCIlPTIOW
DE L'IslE
ËSrAGNOLB.
Diverfité
de fon Ter-
loir.
Les racines
des arbres y
ont peu de
profondeur.
220
PREMIERS VOYAGES
De«crtptton
Dr l'Lle
Espagnole.
lléfiexioii
de la Reine
I label le à cet-
te occafion.
Rivières
dont rille, eft
arrofée..
Six princi-
pales.
Deux Laça
finguliers.
faire. Au refle , ces terres fans profondeur ne laiflent pas de porter deî
arbres très hauts & très forts ; ce qui doit pafler pour une des merveilles
de rifle. Les racines n'y font pas enfoncées de plus de deux pieds, & la
plupart ne vont pas même fi loin ; mais elles s'étendent plus ou moins en
fupcrficie, fuivant le poids qu'elles ont à foutenir, à l'exception du Caffier,
qui poufle fes racines a-peu-près comme les arbres de l'Europe : mais il eft
venu d'ailleurs. Oviedo raconte que Chriftophe Colomb, entretenant un
jour la Reine Ifabelle de Caftille de plufieurs propriétés des Pays qu'il avoit
découverts , cette Princeffe lui dit d'un air chagrin , à l'occafion des arbres
de Saint-Domingue, qu'elle craignoit beaucoup qu'il n'en *"^t des Infulaires
comme de leurs arbres, & qu'ils ne manquaflent de folidité, de conftance
& de fincérité (f ), Suivant l'obfervation du nouvel Hiftorien, il auroit
pu répondre que les arbres regagnoient, par l'étendue horifontale, ou par
le nombre de leurs racines, ce qu'ils perdoient en profondeur; & qu'appas
remment il y auroit auffi, pour les Habitans de l'Ifle, une compenfation»
qui les dédommageroit d'un côté de ce qui leur manquoit de l'autre (î;).
L'arbre, dont les racines s'étendent le plus, eft le Figuier. Elles vont au-
delà de foixante & diît pieds. Celles des Palmiers , qui font fort cour-
tes , croifTent en fi grand nombre , que l'arbre n'en eft pas plus incom-
modé du vent que les autres; quoique fa hauteur ordinaire îbic de plus
de cent pieds.
L'IsLE eft arrofée d'un nombre incroyable de Rivières; mais on a déjà
fait remarquer que la plupart ne doivent pafler que pour des torrens & des
ruifleaux, dont, plufieurs font extrêmement rapides. Les eaux en font fai-
nes, & même falutaires, quoique fi vives & ii fraîches, qu'il en faut boire
avec difcrétion, & qu'il eft dangereux de s'y baigner. On en diftingue en-
viron quinze, dont la largeur n'eft pas moindre que celle de la Charente à
Rochefort; & dans ce nombre, on ne comprend point les fix principales,
qui font rOsa/wa , dont l'embouchure forme le Port de San -Domingo; la
Neyua , qui n'a de confidérable que la quantité de bouches par lefquelles el-
le fe décharge dans la Mer, & l'incommodité de changer fouvent de lit : le
Macoris^ qui paflTe pour le plus navigable de tous les Fleuves de l'Ifle, &
tout à la fois le plus poiflbnneux, quoiqu'il ne vienne pas de fort loin;
YYaqui, ou la Rivière de Monte Chrillo , à la fource duquel on a trouvé une
Mine d'or, & qui charie, avec fon fable, des grains de ce précieux métal;
l'Tttwa, qui eft extrêmement rapide, & dont la fource eft accompagnée
d'une très abondante Mine de cuivre; VHattibonite (x) vulgairement Ar-
tibonite^ qui eft la plus longue & la plus large des fix. Les trois premières
fe déchargent au Sud; les deux fuivantes au Nord, & la dernière à
rOueft {y).
Tous les Hiftoriens vantent deux Lacs, dont ils rapportent plufieurs
fingularités ; l'un , qu'ils nomment le Lac de Xaragua, mais fur lequel ils ne
s'accordent pas exaétement avec les, Cartes & les.Relations modernes. Oi-
viedo ,
(t) Liv. 4. Chap. 17. page 57.
(w) Hiftoire de Saint-Doniinjjue , Liv, i,
page 20,
(x) Ce nom paroît Efpa{»nol , & femble
venir de Hato Budeno, ou Hato Bonieo,
(y) Oviedo, Liv. 6, Cbap. 7.
EN AMERIQUE, Liv. I.
221
vîedo, qui Tavoit vifité en 151S» aflure que fa. longueur efl: de dix -huit Description
lieues; que dans quelques endroits il en a trois de large, deux en d'autres e^pagnou:.
& quelquefois moins d'une; qu'il reçoit plufieurs Rivières, & que par-tout,
excepte à leur décharge, il cil falé comme la Mer, avec laquelle il ne dou-
te point qu'il ne communique; qu'on y péclie toutes fortes de poiflbns de
Mer, à l'exception des Baleines, & de quelques autres de la première gran-
deur; qu'on y trouve fur-tout quantité de Turbots & de Requins, & que
lePoiflbn de Rivière n'y manque point. D'un autre côté, le Mifl]onnai- DlfFérentès
re, dont le nouvel Hiilorien a tiré fes Mémoires, prétend que ce Lac efl op'"'^"? '"y
féparé en deux parties inégales, par un Iflhme allez long^ & Pierre Mar- ilg'ila!
tyr femble parler de deux Lacs au lieu d'un ( 2; ). Un Journal récent, dont
en a déjà fait valoir l'autorité (a), nous apprend que le Cnl-de-fac^ Bour-
gade Françoife , fituée à une lieue de la Mer, dans un enfoncement aflez
profond , qui fe trouve prefqu'au milieu de la Côte occidentale de l'Ifle , &
où l'on croit qu'étoit l'ancienne Xaragua , Capitale du Royaume de même
nom, donne l'on nom à une efpèce de Lac , ou d'Etang, de figure irrégu-
lière , qui n'a que quatre lieues dans fa plus grande largeur , & beaucoup
moins en plufieurs endroits, qui court Nord-Ouefl: & Sud -Efl:, & dont
l'eau efl douce , mais d'un goût très fade. A l'Efl de cet Etang, on trou-
vé une Plaine, connue aujourd'hui fous le nom de Plaine des Verrettes^ dont Plai"^ des
la longueur, qui efl de quatre lieues, efl bornée des deux côtés par des Vcrrettes.
Montagnes, & dont la largeur, qui efl de trois lieues feulement, fépare
l'Etang d'avec un autre de plus grande étendue, que les Efpagnols nom-
ment/^/<jmî7/« , & les François r£f<î«^/rt/i^. Ce dernier a huit lieues de long, L'Etang fa-
Efl-Sud-Efl & Ouefr-Nord-Ouell; & fa flruation efl à l'Eft de la Plaine des '^'.,r ^^ ^'
Verrettes. lia deux lieues, dans fa plus grande largeur. Ses eaux font ^^^ ^'
faumâtres ; & l'Auteur du Journal, après les avoir obfervées trois fois,
pendant quatre ou cinq heures, ne s'efl point apperçu qu'elles montafTent,
ni qu'elles defcendiffent, non plus que dans l'Etang du Cul-de-fac. Il a re-
marqué aufïï , dans l'un & dans l'autre , quantité de Caymans , fans y avoir
apperçu de Requins , ni d'autres PoifTons de Mer ; d'où il conclut que l'o-
pinion commune , fuivant laquelle l'Etang falé communique à la Mer , efï
fans fondement , & que l'âcreté de fes eaux vient uniquement des Mines
de fel , qui font en abondance dans les Montagnes voifines. Outre ces deux
Etangs, on trouve, aune lieue du fécond, un petit Lac, d'une lieue de
circuit, qui s'y décharge, dans le tems des grandes eaux, par deï ravines
dont tout l'entre- deux efl: occupé. Suivant le même Journal, ce petit Lac
efl entre les Montagnes de la Beata^ que les Ecrivains Efpagnols nomment
Montagnes de Baoruco^ & dont une des extrémités fe termine à la Côte du
Sud , vis-à-vis la petite Ifle Beata. Le nouvel" Hiflorien, donnant aux Ob-
fervations de M. Butet tout le poids qu'elles méritent, s'efforce de les con-
cilier avec celles d'Oviedo , dont il n'ôfe rejetter le témoignage oculaire.
La difficulté de l'étendue, qui efl affurémenc la principale , lui paroît levée
pac
( 2 ) Décad. 3. Liv. 8. ' ..
(«) Celui de M. Butct, Commandant à Bayahia. > • .'
Ee 3. ' ■
fi . ,
2Î2
PREMIERS VOYAGES
DEîcniPTroN
DE l'Islb
E^l'AGNOLC.
Lac vifité
fous le Gou.
verneincnt
dOvando.
Récit de
ttimbrcros.
Mines &
Pierres de
riflc.
par la fimple fuppofition que cet Hiftorien avoit vu le Lac dans le tems de
quelque inondation (b).
Un autre Lac, fort célèbre par les Caflillans, eft fur la cime d'une très
haute Montagne. Ovando, troifième Gouverneur de l'IUe, en ayant en-»
tendu faire des récits merveilleux, donna laCommiflion de le vifiter à deux
Officiers de réfolution ; l'un nommé Pierre de Lumbreros; & l'autre, Rodri-
gue de Mefcia. La Montagne, qui contient ce Lac, eft fi roide d'un côté,
qu'ils ne purent y monter que de l'autre. Il eft beaucoup plus long, fana
être beaucoup plus aifé. Aulfi les deux Obfervateurs , & les Indiens qui les
accompagnoient , ne purent-ils aller jufqu'au terme. Outre la laflicude, ils
furent arrêtés par un grand bruit, qui les effraya beaucoup. Cependant
Lumbreros , furmontant la fatigue & le froid , continua de marcher par des
détours fort pénibles. Le froid augmentoit, & le bruit devenoit terrible.
Il arriva néanmoins au fommet de la Montagne, où il découvrit une for-
te de Lagune, qui lui parut large d'un trait d'arbalète, fur deux ou trois
fois autant de longueur. Mais il n'eut pas la hardiefle d'en approcher de
plus près qu'à dix ou quinze pas , ni celle de la regarder plus de deux ou
trois minutes. Le bruit, qui croiflbit toujours, lui caufa tant d'épouvan-
te, qu'il ne penfa qu'à retourner fur fes traces, comme s'il eût perdu le ju-
gement & la vue. Oviedo , qui tenoit cette avanture de Lumbreros mê-
me, ajoute, qu'on n'a jamais rien fçû de plus pofitif fur un Lac, dont on
n'a pas cefle de raconter bien des fables. C'eft du pied de la même Mon-
tagne, que fort une Rivière, nomméQ Nizao. Celle de Batii^ dont Lum-
breros fuivit quelque tems les bords , après avoir quitté fes Compagnons ,
paroît defcendre au Lac.
De toutes les Ifles connues , Saint-Domingue eft celle où Ton a trouvé,
jufqu'ici, les plus be'!es Mines d'or. On y a découvert auffi des Mines
d'argent, de cuivre & de fer; & l'on y voit encore des Minières de talc,
de cryftal déroche, d'antimoine, d'étain déglace, de fouffre & de char-
bon de terre , avec des Carrières d'un marbre blanc & jafpé , & d'autres
fortes de pierres. Les plus communes font des pierres à feu, parmi lef-
quelles il s'en trouve d'auffî blanches que le cryftal, naturellement taillées
en pointe de diamant, qui coupent le verre, & qui ont beaucoup d'éclat.
On y voit des Pierres ponces, des Pierres à rafoir, & ce qu'on nomme
des Pierres aux yeux ((/), parce qu'elles ont la vertu de chafler des yeux les
parties étrangères qui y font entrées. Les Cotes offrent, en plufieurs en-
droits, des Salines naturelles; ôc l'on trouve, dans une Montagne voi-
fine du Lac Xaragua , du Sel minerai , plus dur & plus corrofif que le Sel
marin; avec cette propriété, que ^cs brèches fe reparent, dit -on, dans
l'efpace d'un an. Oviedo ajoute que toute la Montagne eft d'un très bon
Sel , auffi luifant que le cryftal , & comparable à celui de Cardone en Ca-,
talogne (^). '
(b) Hiftoire de Saint-Domingue, Liv. r.
( p. 25-
(e) Oviedo, Liv. 5 & t.
(J) En Latin, Umbilicus marinus,
le) Liv. (5. Chap. 6.
Si
Saint
l'éton
re du
Tout
tagne
travei
de&
fur ce
pagne
très
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
223
Si l'on s'en rapporte à quelques Hiftorjens, les premiers Hahitans de
Saint-Domingue furent des Sauvages venus de la Martinique, qui, dans
l'étonnement de fa grandeur, s'imaginèrent que c'étoit la plus grande Ter-
re du Monde, & la nommèrent Quifqueia, du mot Q}iifquey, qui fignifioit
T(jut dans leur langue. Enfuite, ayant appercu de longues chaînes de Mon-
tagnes, qui occupent prefque tout le milieu de Tlfle, & dont piufieurs la
traverfent d'un bout à l'autre, ils l'appellèrent tlayù^ c'eft-à,-dire. Pays ru-
de & montagneux (/). Mais quelle efpérance de pouvoir jetter du jour
fur ces obfcurités ? Quelques Ecrivains ont prétendu qu'à l'arrivée des Ef-
pagnols , le nombre des Habitans de l'Ide montoit à trois millions. D'au*
très en retranchent les deux tiers. Mais il paroît certain qu'elle ëtoit bien
peuplée. Le commun des Infulaires étoit d'une taille médiocre & bien
proportionnée. Ils avoient le teint extrêmement bazané , la peau rougeâ*
tre , les traits du vifage hideux & grofliers , les narines fort ouvertes , les
cheveux longs , nulle forte de poil dans le refle du corps , prefque point
de front, les dents fales & mauvaifes, & quelque chofe de fauvage danj
les yeux. Mais on reconnut que cette figure ne leur étoit pas naturelle.
La couleur de leur peau venoit du Rocou^ dont ils fe frottoient fouvent, &
des ardeurs d'un Soleil fort aélif , auxquelles leur nudité les expolbit. Ils
fe donnoient auffi , par une efpèce d'art , cette forme de tête , qui leur ôtoit
prefque tout le front , & qu'ils regardoient comme un agrément. Leurs en-
fans n'étoient pas plutôt nés, que les Mères leur tenoient le haut de la tê*
te fort ferré , avec les mains , ou entre deux petits ais , pour l'applatir par
degrés; & cette méthode, par laquelle le crâne étoit comme replié, le
rendoit fi dur , que les Efpagnols caflbient quelquefois leurs épées , en frap-
pant ces Malheureux fur la tête. Une opération de cette nature devoit
changer leur phyfionomie, & leur donner cet air farouche qui révolte les
yeux des Européens. Les Hommes slloient nuds , & n'apportoient pas
même beaucoup de foin à fe couvrir le milieu du corps. L'ulage des Fem-
mes étoit de porter une efpèce de Juppé, qui ne leur defcendoit pas au-
delà des genoux. Les Filles avoient le corps entièrement découvert. Ils
étoient tous d'une complexion foible, d'un tempérament flegmatique, &
tourné à la mélancolie. Ils mangeoient fort peu , & leur nourriture com-
mune étoit des coquillages & des racines. Ils ne travailioient point , ils
ne s'inquiétoient de rien. Toute leur vie fe paflbit dans une parfaite indo-
lence. Après s'être amufés une partie du jour à danfer , ils employoient le
reft:e du tems à dormir ; fimples d'ailleurs, doux, humains, fans apparen-
ce d'efprit & de mémoire, mais fans malignité, fans fiel, & prefque fans
paffions. Ils ne favoient rien , & n'avoienc nulle envie d'apprendre. Quel-
ques Chanfons, qui leur tenoient lieu de Livres & d'Ecriture, renfermoient
toutes leurs connoiffances hiftoriques ; mais, comme elles changeoient à la
mort de chaque Prince régnant, elles ne pouvoient établir des traditions
fort anciennes, à la réferve de quelques Fables fur l'origine du genre hu-
main. Ils faifoient fortir les premiers Hommes , de deux Cavernes de leur
lile.
DERCRfPTIOSir
Di£ l'Isle
EsrAoNoi.P.
Origine de
fcs H-.ibitfius.
Leur figure.
Dureté do
leur crâne.
Leur nour-
riture &,oiiî-
vctc de lem
vie.
•Chanfofis
qui leur tien-
nent lieu
d'Hirtoire 4-
d'Ecriture.
(/) Martyr, Dec ad. 3.
ditent les premières.
11 ajoute quelques remarques fur le nom de Cîpango , qui dticre-
224
PREMIERS VOYAGES
Description
DE l'Isle
Leurs dan-
)es & Icuri
divevtiffc-
Oicns.
Ivreffe de
Tabac.
Origine du
nom de Ta-
bac.
Ifle. Le Soleil, irrité de les voir paroître» avoit changé en pierre les Gar-
diens de ces Cavernes, & métamorphofé les Fugitifs, en Arbres, en Gre-
nouilles & en d'autres fortes d'Animaux; ce qui n'avoit point empêché que
l'Univers ne fe fût peuplé. Une autre Tradition portoit, que !e Soleil & la
Lune écoient auffi fortis d'une Grotte de leur Ifle, pour éclairer le Monde.
On alloit en pèlerinage à cette Grotte, qui étoit ornée de peintures, &
dont l'entrée étoit gardée par deux Démons, auxquels on rendoit d'abord
une forte de cuite. Ainfi c'étoit par leur Ifle, qu'ils croyoicnt que la Ter-
re avoit commencé â fe peupler ; fur quoi l'Hiftorien obferve qu'il y a peu
de Nations dans l'Amérique, où l'on n'ait trouvé la même prévention en
faveur de leur Pays (g).
Ces Chanfons, qui leur fervoient d'Annales, étoient tqûjours accompa-
gnées de Danfes. Un des Aéleurs règloit le chant & les pas, en commen-
çant feul ce que tous les autres répétoient après lui. La mefure & la ca-
dence écoient obfervées. Tantôt les Hommes danfoient d'un côté, & les
Femmes de l'autre; tantôt les deux Sexes étoient mêlés. Dans les Fêtes
publiques, ces exercices de joye fe faifoient au fon d'un Tambour, com-
pofé d'un tronc d'arbre, & c'étoit ordinairement un des principaux de la
Bourgade, ou le Cacique même, qui touchoit cet Inftrument. Le titre de
Cacique f que les Efpagnols trouvèrent en ufage à Saint-Domingue, figni-
fioit Prince ou Seigneur. Ils ont continué de l'employer, dans le même
iens, pour tous les Souverains & les Seigneurs particuliers de leurs nou-
velles Conquêtes, à la réferve des Empereurs du Mexique & des Incas du
Pérou. ^ .' -^ iiV.;- J: v.: ::■■"-'' '.'n,:'.tf-n-i>::'--}^u
Un autre divertifiTment, qui n*étoît pas moins commun dans Tlfle, fe
nommoit le Batos. C'étoit une efpèce de Balon , d'une matière folide, mais
poreufe, & fi légère, qu'il fufïifoit de le laifler tomber, pour le voir bon-
dir plus haut que l'endroit d'où il étoit parti. Oviedo dit que le Batos étoit
fait d'une compofition de racines «Se d'herbes , bouillies enfemble , dont on
formoit une forte de poix , qui étant féche ne s'attachoit point à la main.
Il fe jettoit avec la tête, les hanches, les coudes, & fur-tout avec les ge-
noux. Celui qui le pouflbit le dernier, comptoit un Jeu, & la partie con-
fiftoit dans le nombre de Jeux dont on étoit convenu. Les Femmes y
jouoient comme les Hommes. Chaque Bourgade aVoit une Place dellinée
a cet exercice. Souvent on fe défioic, d'une Bourgade à l'autre, & la vic-
toire étoit célébrée par une Danfe générale , après laquelle on ne manquoit
pas de s'enivrer de fumée de Tabac ; débauche fort courte , qui ne confî-
ftoit qu'à tirer par le nez, avec un tuyau en forme d'Y, dont on fe mettoit
les deux branches dans les narines , la fumée d'un tas de feuilles hun^ides de
Tabac , qu'on étendoit fur des braifes à demi allumées. L'ivrefle fuivant
bientôt, chacun demeuroit affoupi dans le lieu où il étoit tombé, à l'excep-
tion du Cacique, que fes Femmes prenoient foin de porter fur fon lit. Les
ibnges , qui pouvoient arriver dans cet état , paflbient pour autant d'avis
du Ciel. Obfervons, avec l'Hidorien, que le Tabac étant naturel à l'Ifle
de Saint-Domingue, où les Habitans le nommoient Cohiba, & TabacQ étant
le
(ff) UH/M^irà, page 51. "•• ---• ■ " ^^^ ^
fe
u
EN AMERIQUE, L i v. I.
225
le nom de l'inflrument qu'ils employoient pour fumer , il ne faut pas
chercher plus loin l'origine d'un mot, qui n'en peut avoir de plus cer-
taine {h),
La curiofité des premiers Conquérans fe tourna peu du côté des mœurs,
des lifages, & de la Religion des Infulaires. Oviedo leur reproche de n'a-
voir penfé à la defcription du Pays & de fes Habitans, qu'après les avoir
détruits. C'efl ce qui le rend lui-même un peu fufpeft d'exagération , dans
la peinture qu'il fait de plufîeurs vices odieux, qu'il attribue à ces malheu-
reux Indiens, d'autant plus qu'il fembloit intérefle, pour l'honneur desEf-
pagnols , à noircir une Nation fur laquelle ils avoient exercé tant de cruau-
tés. Il prétend , par exemple, que le péché de Sodome étoit commun dans
toutes les parties de fille (i); tandis que d'autres Hiftoriens aflurent que
cette abomination n'y étoit pas même connue. Celui qu'on fait ici profef-
fiondefuivre n'ôfe prendre parti entre des témoignages fi oppofés; mais
il lui paroît indubitable, qu'en d'autres genres de débauche fenfuelle, les In-
fulaires ne connoiflbient aucunes bornes. La maffe de leur fang, dit-il , en
étoit tellement corrompue, que la plupart étoient attaqués de cette infâme
& cruelle maladie, dont la communication à caufé à l'ancien Monde, &
fur-tout à l'Efpagne, un tort que toutes les richefles du Nouveau ne peu-
vent réparer. A peine les Caftillans eurent paru fur les Côtes de l'Ille Ef-
pagnole , qu'ils en furent empeftés. Ceux qui l'apportèrent en Europe ont
trouvé le fecret de préferver leur nom de cette infamie (*). Mais ils en
ont fi peu garanti leur fang , fur-tout dans l'Amérique , qu'il ne s'y trouve
p'' qu'aucune Famille de leur Nation qui ne s'en reflente. Les Infulaires
s, en guérifibient , ou du moinsy apportoient beaucoup de foulagement , avec
le bois de Gayac.
Leurs emportemens d'incontinence n'étoient modérés par aucune loi
qui réglât le nombre des Femmes. Chacun n'avoit pas d'autre frein que fes
facultés; & le premier degré du fang étoit lefeul, quelaNature leur fit ref-
peéler. Entre les Femmes du même Homme , il y en avoit une qui jouif-
foit ordinairement de quelque difl:in6lion , mais fans aucune fupériorité fur
fes Compagnes. A la mort de leur Mari , quelques-unes fe laifibient enfe-
velir toutes vives dans le même tombeau; mais ces exemples étoient rar-
res & volontaires. C'étoit toujours les Femmes , qui étoient char-
gées
Ih) Ubifuprà, page 5+.
( »■ ) Oviedo , Liv. 5 & 6.
(t) Plufîeurs d'entr'eux, s'étant engagés à
leur retour, pour la Guerre de Naples, don-
nèrent leur mal aux Femmes Napolitaines,
qui ne tardèrent point à le porter au Camp
des François , où il fit encore de plus grands
ravages que dans celui des EfpagnoJs; & où
l'on apporta moins d'étude à le cacher. Les
Italiens , dit le même Ecrivain , furptis de
voir naître ce Monftre au milieu de leur Pays,
s'en priient à ceux qui en faifuient le plus de
bruit, ou qu'ils haïlToientle plus, & le nom-
mèrent le Mal François; comme les Fran-
çois , qui l'avoient reçu des Femmes du Pays,
Win. Part.
Dr^CBiniM»
DE l'Isi fc
Espagnol E^
Vices nu'on
a reprochés
auxlnfulairc*.
Origine du
mal Vénérien,
& comment
les Infulaires
s'en gucrif
foicnt.
Leurs M17
riages.
l'appcllèrcnt le M.%1 de Naples. Les Efpa-
gnols curent la prudence de ne pas fe mêler
dans une qutTclle qu'ils avoient fait naître;
& quoique dans i» fuite Oviedo , Guichardin,
& prefque tous les Hiftoriens d'Efpagne &
d'Italie, ayent rendu juftice aux deux Par-
ties intérctfées , les noms qu'elles avoient
donnés, en dépit l'une de l'autre, à la nou-
velle maladie, ont paffé dans l'ufage ordinai-
re, & n'ont pas manqué d'être adoptés par
les autres Nations , fuivant leur attachement
ou leur averfion pour les François & les Ita-
litns.. I lift, de Suint -Dominique , ubi Jup.
page '58.
F. f
/
226
PREMIERS VOYAGES
Description
DE l'Isle
ESPAOIJOLE.
Leurs En-
Icrrcmcns.
Leur Pêche
* leur Chaire.
Çuelle idée
ils a voient de
roi.
gées des Obfeques de leurs Maris. Elles enveloppoient le corps de larges
bandes de coton, & le metcoient dans une fofTe allez profonde, avec tout
ce que le Mort avoit pofledé de plus prccieux. Le cadavre étoit aflis fur
une efpcce de banc ; & l'on faifoit, avec du bois, une forte de voCite au
caveau, pour foûtenir la terre au-deflus. Ces Obfeques étoient accompa-
gnés de chants & de beaucoup de cérémonies, dont les Hiiloriens ont igno*
ré le détail ; mais les corps des Caciques n'étoient enterrés , qu'après avoir
été vuidés foigneufement & fechés au feu. C'étoit dans ces occafions que
fe compofoient les Chanfons , qui contenoient les louanges du Mort , &
ce qui s'étoit pafTé fous fon régne. Elles étoient chantées dans toutes
les Fêtes & les adlions publiques, pendant le règne de fon Succefleur.
Les Funérailles d'un Cacique ne duroient pas moins de quinze ou vingt
jours; & tout ce qui reftoit de ^qs meubles étoit partagé entre les Af'
fiflans (/).
S I la nécelTité tiroit quelquefois ces Barbares de leur ina£lion , c'étoit
pour la Chafle ou pour la Pêche. Ils employoient , dans le premier dt ces
exercices , une efpèce de petits Chiens muets , qu'ils nomraoient Cojchh,
Mais fouvent , ils fe contentoient de mettre le feu aux quatre coins d'une
Savame (/«)> & dans un inftant, ils la trouvoient pleine de Gibier à moi-
tié rôti. Ils manioient trop mai l'arc & les Héches , pour être redoutables
aux Oifeaux ; mais ils llippléoient aux armes , par quelque apparence d'in-
duflrie. Dans l'abondance des Perroquets , ils faifoient monter, fur u)i ar-
bre, un Enfant de dix à douze ans, avec un Perroquet privé fur la tête. Les
ChaiTeurs , couverts de feuillages , s'approchoient doucement , & faifoient
crier le perroquet. Ce bruit attiroit tous les Oifeaux de la même efpèce,
qui s'attroupoient en criant aufli de toutes leurs forces. Alors l'Enfant paf-
foit au cou du plus proche un nœud coulant, par lequel il le tiroit à foi. Il
achevoit aufli -tôt de lui tordre le cou; & le jettant à terre, il continuoit
cette opération , qui les lui faifoit prendre tous jufqu'au dernier. Ils pre-
noient les Ramiers, en imitant aflez bien le cri de ces Oifeaux , qu'ils raf-
fembloient ainfi en fort grand nombre, & dont ils enveloppoient une gran-
de partie-dans des filets aiTez bien travaillés, comme ceux qu'ils employoient
pour la Pêche («).
QuoiQ.u'iLS n'attachafTent point autant de prix que nous à l'or, ils
l'eftimoient aflez pour le rechercher avec foin; mais ils fe bornoient à re-
cueillir les grains, qu'ils trouvoient facilement, & dont ils fe faifoient des
pendans , après les avoir un peu applatis. Peut - être les regardoient • ils
comme des particules facrées ; car ils n'alloient à cette recherche qu'après
s'y être préparés par de longs jeûnes, & par plufieurs jours de continence.
Les Hiflioriens racontent que Chriflophe Colomb entreprit de faire imiter
cet exemple aux Efpagnols , en les obligeant de fe confeflTer & de recevoir
la Communion avant que d'aller aux Mines : mais il eut peine à faire goû»
ter cette nouveauté j & i^Q% Aumôniers mêmes lui repréfentèrent ^ue l'Egli-
(/) nid, page 60. . rai tout lieu où il ne croit que de l'heibc
(m) Ce mot , que nous avons emprunté (») Ihid, page(5i»
lis Efpagnols, fignifie Plaine, & en géné-
EN AMERIQUE, Liv. I.
227
fe n'ordonnant: qu'une fois Tannée l'approche des Sacremens , il n'apparte-
noit pas à fa qualité de Viceroi & d'Amiral, d'établir là-deHus de nouveaux
préceptes (0).
L'Agriculture étoit fi peu exercée dans l'Ifle Efpagnole, que fes
Habitans n'avoient aucune forte d'outils. Leur inftrument univerfel étoit
le feu. Ils brûloient l'herbe de leurs Savannes, lorfqu'elles étoient feches;
& remuant légèrement la terre avec un bâton , ils y plantoient leur Maïz.
Pour faire du feu, ils prenoient deux morceaux de bois, l'un poreux & lé-
ser, l'autre d'une fubliance plus compa£le & plus dure: ils picquoient ce-
lui-ci dans le premier , & le tournoient avec tant de vîtefle , que cette vio-
lente collifion lui faifoit jetter du feu , qui prcnoit facilement dans le plus
léger des deux bois. Ce n'efl: point que l'Ide manquât dé pierres , beaucoup
plus propres à cet ufage; mais ils ignoroient apparemment le fecret d'en ti-
rer des étincelles. Le feu leur fervoit aufli, prefqu'uniquement , à faire
leurs Canots ou leurs Barques. Ils choiniToient un arbre, autour duquel ils
allumoient du feu, pour le faire mourir. Enfuite, l'ayant laifle fecher fur
pied, ils y mettoienc le feu pour l'abbattre. Les dimenfions fe prenoient,
fuivant la grandeur qu'ils vouloient donner au Canot. Ils le creufoient len-
tement avec le feu , fans autre peine que de lever le charbon , à l'aide d'une
efpèce de hache, compofée d'une pierre verte, très dure, dont les Ëfpa-
gnols n'ont jamais trouvé de Carrières, dans aucune partie del'ine. Ils
ont jugé que cette pierre venoit de la Rivière des Amazones, dont on pré-
tend que le limon, expofé à l'air, fe pétrifie; mais perfonne n'explique par
quelle voye , des Infulaires , qui n'avoient de commerce avec aucune autre
Nation , faifoient venir de fi loin ce limon pétrifié.
Leur forme de Gouvernement étoit defpotique ; mais les Souverains
n'abufoient pas de leur pouvoir. Ils avoient peu de Loix , & la plus fevè-
re étoit celle qui regardoic le larcin. Le Coupable étoit empalé, fans qu'il
fût permis à perfonne d'intercéder pour lui. Cette rigueur avoit produit ,
non feulement beaucoup de confiance & de fureté dans toutes les communi-
cations de la vie, mais encore un extrême éloignement de l'avarice; & tant
de difpofition à fe fecourir mutuellenient , que l'hofpitalité s'obfervoit à
l'égard de tout le monde, fans qu'il fût befoin d'être connu dans une Mai-
fon pour y trouver tous les fecours de l'amitié. Auffi voyoit-on naître peu
de querelles; & s'il furvenoit, entre les Caciques, quelque diflférend au fu-
jet de leurs droits, il fe terminoit prefque toujours fans efFufion de fang;
les armes n'étoient pas fort meurtrières. Dans les Provinces orientales,
on avoit l'arc & les ficches , dont il paroît que l'ufage étoit venu des Caraï-
bes; mais les autres Parties de l'Ifle ne connoillbient que de« Javelots d'un
bois fort dur, & une efpécc de Bâtons, ou de Maflliës, qui fe nommoient
Macanas ^ larges d'environ deux doigts & pointues par la tête, avec un
manche en forme de garde. La fucceilîon aux Principautés ne faifoit ja-
mais naître de guerres, parce qu'on la croyoit fondée fur la Nature, qui
fub-
(0) On ajoûtoit que la vie des Efpagnols , un jeûne continuel. Oviedo, ubijttprà. Hcr-
qui fe trouvoicnt éloignés de leurs Femmes, reia, Liv. 4. Cbap. 5.
«S ïéduits à de fort mauvais aliuicns, écoit
Ff 2
Descrtptio»
DK i/Isr.B
Espagnole.
Comment
ils fup*
pléoicnt à la
coiinoinancc
des Aits.
Leur G oui
vcrncment,
Leurs Cucr*;
res.
Leurs Mai-
fous.
828 PREMIER SVOYAGES
DescRTPTioN fubflitiie d'elle-même les Enfans à leurs Pères; «S: l'ordre du fang étant cer»
JEsPAOKoi. "*" ?'*•■ '^' i^'emmes, les Etats d'un Cacique , qui mouroit lans Enfans ,
palfoient à ceux de fos Sœurs (/>).
Les Mailuns des InCulaires étoicnt bâties fur deux defleins; & chacun,
ayant la liberté du choix, ne confultoit que l'on goût ou Tes facultés. Les
plus pauvres plantoient des pieux en rond , à quatre ou cinq pieds de diftan*
ce. Ils étendoienc delFus, des pièces de bois plattes, mais fort épaiffes,
fur lefquelles ils appuyoient de longues perches, qui fe joignant toutes par
la pointe , formoient un toit de figure conique, lis attachoient , à ces per*
ches, des cannes, qui tenoient lieu de lattes , deux à deux, pour les ren*
dre plus folides, & à la didance environ d'une palme. Ils couvroient cet-
te fabrique d'une paille fort .déliée, ou de feuilles de Palmier, ou de l'ex-
trémité des mêmes cannes. Four former les murs, ils garnifToient les in-
tervalles des pieux , de cannes fichées en terre & liées avec une forte de fi-
lafTe , nommée Befchiuchi , qui croît fur les arbres , d'où elle pend aux bran-
ches, & qui efl à l'épreuve de la corruption (g). Il s'en trouve de diffé-
rentes grolfeurs; & les moins épailTes pouvant fé divifer, on s'en fert à lier
les choies les plus fines." Les cannes, qui font beaucoup plus grofTes que
les nôtres en Amérique , étoient û bien affermies par ces liens , qu'elles-
étoient capables de rédfler aux vents les plus impétueux , & fi ferrées
qu'il n'y paflbit'pas le moindre fouffle. On achevoit de donner une par-
faite folidité à l'édifice, en plantant au centre un grand poteau, au fom-
met duquel fe réuniHbient toutes les extrémités des perches. Les plus bel-
les Maifons étoient conflruites des mêmes matériaux ; mais la forme en é-
toit différente, & refTembloit beaucoup à celle de nos Granges. Le toît
étoit foûtenu par une longue pièce de traverfe qui l'étoit elle - même par
des fourches plantées au milieu de l'efpace, qu'elles féparoient en deux par-
ties. Ces Bâtimens étoient non -feulement plus étendus que les autres,
mais plus ornés, mieux couverts; & plufieurs avoieni: des veflibules, en
manière de portiques, qui fervoient à recevoir les vifites. Oviedo afTu-
re que les toîts en étoient mieux travaillés, que ceux des Villages de Flan-
dres (r). . .
QUOIQ.UE le langage ne fût pas uniforme dans toutes les Parties de rif-
le, on s'y entendoic facilement; & la Langue du Royaume de Xaragua,
qui étoit la plus eflimée, s'apprenoit foigneulement dans les autres Provin-
ces. On ajoute qu'elle pafToit pour facrée, c'eft- à - dire , apparemment,
qu'elle étoit employée dans les pratiques de Religion: mais quoiqu'on van-
te fa douceur (j) , il ne paroît pas que dans cet ufage elle fervît à des opé-
rations fort fenfées, ni fort aimables. La Religion de l'IOe Efpagnole n'é-
acs infulaires. iqIi compofée que d'un tiilli mal aflbrti des plus g.roiîières fuperflitions. Les
- . : j- , - . : pre-
Langues de
Relif^ion
aux
(p ) Ibidem , pajîe 65.
(?) On lui attribue auflî quelques vertus
iré.lccinalcs.
(r) Ubifuprà, lÀv. 6. Chap. i.
(x ) On en peut juger par quelques mots,
<iui nous viennent de -là, tels que Caiioaj
Amacha & Uraenne , dont nous avons faîr,
Canot , Hamac & Ouragan. Savana , qu'on
trouve dans toutes les Relations , paroîtroit
venir de la même fource, fi Mariana ne le
mettoit entre ceux que lesEfpngnols ontcon^v
fcrvxis de lancienne Langue des Viiigots.
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
229
premiers Hiftoricns du Nouveau Monde s'accordent à raconter que le Dti-
mon fc montroic Couvent aux Infulaircs, & qu'il rendoit des Oracles, pour
IcTquels ils avoicnt une aveugle Ibumiflion. Il cft même allez vraifcmbla-
ble que les différentes figures, qu'ils donnolent à leurs Divinités, dtoienc
celles fous lefquellcs ils cioyoient les avoir vues. Elles ctoicnc fort hideu-
fes. Les plus fupportables étoient celles de quelques Animaux , tels que
des Crapauds, des Tortues, des Couleuvres, & des Caymans; mais le plus
fouvent, c'éroit des figures humaines, horribles & monflrueufes , qui a-
voient tout-à-la fois quelque chofe de bifarre & d'aflVeux. Si cette variété
d'Idoles, obferve le nouvel lliftorien, leur perfuadoit qu'il y avoit plufieurs-
Dieux, il n'étoit pas moins naturel qu'un tel excès de difformité les leur fît
regarder comme cfcs Etres redoutables, qui pouvoient leur faire plus de mal
que de bien. Aulli l'objet de leur Culte n'etoit-il que de les appaifer. Ils
les nommoient Cheviîs ou Zeviez. Ils les failbient de craie, de pierre, ou
de terre culte. Comme ils n'avoicnt aucun Temple , leur ufage étoit de
les placer à tous les coins de leurs Maifons, d'en orner les meubles, & de
s'en imprimer l'image en divers endroits du corps. Il n'eft pas furprenant
que les ayant fans ccffe devant les yeux , ils les viffent fouvent dans leurS'
fonges. Ils ne leur attribuoient pas le même pouvoir. Les uns préfjdoient
aux^faifons ; d'autres à h fanté , à la chaffe , à la pêche ; & chacun avoit
fon culte. Cependant quelques Ecrivains affurent que les Zemez ne paf-
foienc que pour des Divinités fubalternes, & pour les Miniftres d'un Etre
fouverain, unique, invifible, tout-puiffant, auquel on donnoit une Mère,
qui portoit cinq diftereiis noms; mais qu'on ne rendoit aucun culte à ce
Dieu fupréme, ni à fa Mère. L'Hifloricn de Chriflophe Colomb raconte,-
après un Millionnaire, dont il adopte les Mémoires , que les Zemez étoient
comme les Efprits tutelaires des Hommes, & que chaque Infulaire s'en at-
tribuoit un, qu'il mettoit au-deffus de tous les autres; qu'ils étoient placés
dans des lieux fecrets, où les Chrétiens n'avoient pas la liberté d'entrer;
qu'un jour quelques Elpagnols, s'étant introduits, fans être attendus, dans-
la Mailbn d'un Cacique, y apperçurent un Zemez, qui failbit beaucoup de
bruit, & qui fembloit dire quantité de chofes qu'ils n'encendoient pas; qu'y
foupçonnant de l'impollure, ils briférent la Statue à coups de pieds, & trou-
vi)rcnc un long tuyau, dont une extrémité donnoit dans la tête de l'Idole,
& l'autre dans un petit coin, couvert de feuillages, fous lefquels ils décou-
vrirent un Homme , qui faifoit dire au Dieu tout ce qu'il vouloit faire
entendre au crédule Adorateur ; que le Cacique les fupplia de ne pas
révéler ce qu'ils avoient vu , & leur avoua qu'il employoit cet artifi-r
ce , pour fe faire payer un tribut , & pour contenir fes Sujets dans la
foumilîlon. lï ajouta que les Caciques avoient trois pierres, qu'ils con-
fervoient religieufement , chacune revêtue d'une propriété particulière;
llune de faire croître les grains; l'autre, de procurer aux Femmes une
heureufe délivrance ; & la troilième , de produire du beau tems & de
la pluye (t).
On ne nous a donné la defcription que d'une feule Fête religieufe dca
an-
(t) Hii'.oire de Saint-Domiujruc , Llv. i. pa>:;e 7a. nprcs Hcrrcra.'. ■
F f Cl
DEfCRIPTIOK
DU l'Im.e
Ancieiinca>
Diviii"'cs de
nnc.
Jmi)onurt;
de iltli^ioii,.
Fet» reU«
giciifc-
230
PREMIERS VOYAGES
DCJCRMTION
DR I.'lSLK
Mkîdccins
Prctres.
Découver-
tes fouterrai-
ncs, qui font
juj^cr où é-
toicnr. les an-
ciennes Bour-
gades.
anciens Ilabitanj de l'ide Efpagnolc. T.e Cacique en marquoit le jour, &
le failbit annoncer par des Cricurs publics. Elle commençoit par une nom-
breule Proccifion, où les Hommes & les Femmes maries portoient ce qu'ils
avoient de plus précieux. Les Filles y paroiiroient dans leur nudité ordi-
naire. Un des principaux Habitans, ou le Cacique même, marchoit à la
tête, avec un Tambour, dont il jouoit fans celle; & la Troupe le rendoit
dans un Temple, rempli d'Idoles. Elle y trouvoit les Prêtres, occupés à
les fervir, & prêts à recevoir les offrandes, dont la plupart a'droient que
des gâteaux , préientés par des Femmes , dans des corbeilles ornées de
fleurs. Après cette cérémonie, les mêmes Femmes attendoient le lignai
des Prêtres, pour chanter, en danfant, les louanges des Zemez. Elles y
ajoûtoicnt celles des anciens Caciques, qu'elles finllFoient par des Prières
pour la profperité de la Nation. Enfuite les Prêtres rompoient les gâteaux
confacrés, & diflribuoient les morceaux aux Chefs des Familles. Ces frag-
nicns, qui étoient regardés comme des picfervatifs contre toute forte d'ac-
cidens , fe eonfervoient toute l'année. Le Cacique n'entroit point dans le
Temple. Il le tenoit alîis, à la porte, où jouant fans celfc de fon Tam-
bour, il faifoit palier devant lui toute la Procellion. Chacun couroit, en
chantant, pour aller fe préfenter à la principale Idole. Il cellbit de chanter
devant elle, & fe fourroit dans la gorge un bâton propre à le faire vomir.
L'efprit d'une cérémonie fi bilarre étoit de faire connoître, que pour fe
préfenter dignement devant ks Dieux, il faut avoir le cœur pur, & com-
me fur les lèvres (u).
Les Zemez fe communiquoient particulièrement aux Dutios; nom des
Prêtres do l'Ifle, qui exerçoient avec cet office ceux de Médecins, de Chi-
rurgiens & de Droguifles. Il y entroit beaucoup de fourberie. Lorfque
ces Impofteurs confultoient les Zemez, en public, jamais on n'entendoic
la réponfe du Dieu, & l'on ne jugeoit de l'Oracle que par la contenance du
Prêtre. Les Butios s'appliqaoient à la connoiflance des Simples. Mais leur
manière de traiter les Malades étoit fort ecrangc: après diverfes cérémo-
nies, ils fiiçoient la partie infirme; & feignant d'en tirer une épine, ou
quelque choie de même nature, qu'ils avoient eu foin de mettre dans leur
bouclie, ils déclaroient que c'étoic la caufe du mal, avec la malignité de
l'attribuer à quelqu'un, qu'ils metcoient, par cette calomnie, dans la né-
ceilité d'avoir recours à leur protedlion.
Depuis plus de deux fiécles , on ne ccfTe point de rencontrer , dans plu-
fieurs endroits de fille , des figures de Zemez, par lefc.uelles on croit pou-
voir juger des lieux, où les anciennes Bourgades étoit nt fituées. On por-
te le même jugement de divers amas de Coquilles, qui fe trouvent fous ter-
re; parce que les Infulaires mangeoient beaucoup de cette elpèce de Poif-
fon. En général, il efl: rare qu'on creufe la terre, fans y faire d'alTez eu-
rieufes découvertes. On y rencontre des pots de terre, des platines, fur
lei'quelles ils faifoient cuire la cailave , des haches , de ces petites lames
d'or qui leur pcndoient des narines & des oreilles, & tout ce qui étoit à l'u-
fage de ces Peuples; mais fur -tout une grande variété de Zemez. Il ne
refl:e
(u) Ibid. page 73. &Ovicdo, Liv. S» "•
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
231
refté aucune trace de leurs opinions fur i'immortaliré de l'amc. Les I liflo-
riens rapportent feulement qu'ils admettoient un lieu, où les Ames vcrtutu-
fes étoicnt récompenfées, nuis fans aucune notion de la durde de ccx état ;
& qu'ils nj parloient d'aucun fupplice pour les Méehans. Chacun pla(;uic
cette elpéce de Paradis dans une partie invifible de fa Province. (Quel-
ques-uns le niettoienc néanmoins vers le Lac de Tiburun, où l'on voit de
grandes Plaines couvertes de Mameis ; efpcce de fruit auquel nous avons
donné le nom à'Mncot de Saint-Domingue. Ils prétendoient que les Ames
faifoient leur nourriture ordinaire de ce fruit ; qu'elles prenoient le tems
de la nuit pour en faire leur provifion, & qu'elles le tenoient cachées, tout
le jour, dans des lieux inaccelfibles. Cette opinion fembloit répandre quel-
que chofe de religieux fur les Mameis; & les Vivans avoient la modéra-
tion de s'en abftenir, pour ne pas cxpofer les Morts à manquer de nourri-
ture. On juge que la caverne, d'où ils faifoient fortir les premiers Hom-
mes, ell la même qui fe voit encore dans le Quartier du Dondout ^ ^x ou
îept lieues du Cap François. Elle a cent cinquante pieds de profondeur, ôc
prefque autant de hauteur; mais elle efl: fort étroite. Son entrée cfl: plus
haute & plus large que nos plus grandes Portes cochèrcs. La grotte ne re-
çoit de jour que par cette ouverture, & par un conduit pratiqué, dans la
voûte, en forme de clocher. On fuppofeque, fuivant l'opinion deslnfulai-
res, le Soleil & la Lune s'étoient fait un pallage par cette voye, pour s'éle-
ver au Ciel. Toute la voûte ell fi belle & û régulière, qu'on a peine à la
prendre pour l'ouvrage de la feule Nature. Il n'y paroit aucun refte de
Statue; mais on y apperçoit , de toutes parts, des Zemez gravés dans le
roc; & toute la Caverne eil; partagée en quantité de niches, aflez profon-
des. Les premiers Hifloriens rapportent unanimement que peu de tems
avant l'arrivée de Chriftophe Colomb, les Infulaires avoient été avertis d'un
événement qui dcvoit entraîner la ruine de leur repos & de leur liberté.
Colomb fe fit raconter les circonflances de cette prédiélion. Un jour, le
Père du Cacique (îuarinoex ayant eu la curiofité de confulter les Zemez, fur
ce qui arriveroit dans l'IOe, après fa mort, leur réponfe avoit été qu'il y
viendroit bientôt des Hommes qui auroicnt du poil au menton, & qui fe-
roient vêtus de la tête aux pieds ; que ces Etrangers mettroient en pièces les
Divinités de l'ille, & qu'ils en aboliroient le Culte; qu'ils porteroient à
leurs Ceintures de longs inftrumens de fer, avec lefquels ils fendroient un
homme en deux; enfin, qu'ils dépeupleroicnt l'ille de fes anciens Ilabi-
tans. Cette eftVoyable menace s'étoit divulguée, & n'avoit pas manqué de
jetter la conllernation dans tous les efprits. On avoit compofé, là-deffus,
une Chanfon lugubre, qui fe chantoit à certains jours. Le nouvel Hiflo-
rien, reconnoillant qu'on ne peut douter d'un fait fi bien attelle , croit»
avec la même confiance, que Dieu avoit forcé TElpric d'erreur de donner
ces lumières à des Peuples qu'il féduifoit depuis long-tems (a,). Mais il
lelle à demander dans quelle vue? lorfque, loin de les difpofer au Chrillia-
nifme, un avertilfement de c^tte nature fembloit devoir les attacher plus
que jamais à des Dieux aflez éclairés pour pénétrer dans les ténèbres de i'a-
(*) IliUoIre de Saint-Domingue, Liv. i. pnge 84; après Herrcra & Ovicdo.
DE'cmrTioif
E^rAo^oL«l.
Cave -ne di»
Dontltm.
Pi-édiaion
qui nnnonçoit
aux Infulaires
la conquête
de leur Ifle.
/
232
PREMIERS VOYAGES
Animaux
i
I
l<
DRJcrtirTtsN venir, & aflez bons pour faire connoître, à leurs Adorateurs, les maux qui
I^rAcioLE lesmenaçoienc(y).
Quoiqu'on fe propcfe de recueillir, dans un Article fépare, les pro-
du6tions naturelles des Antilles, on n'abandonnera pas la méthode, à la-
quelle on s'ell: attaché jufqu a préfent., d'oblerver , fous le nom de chaque
Pays, ce qu'il produit de particulier, ou plus parfaitement, ou dans une
plus grande abondance. Entre les Animaux de l'ille Efpagnole, les Qua-
drupèdes ne méritent d'être nommés, que pour faire remarquer qu'en la
découvrant on n'y en trouva que de cinq efpéces ; & comme ils étoient fans
défenfes , les Chiens & les Chats Efpagnols ne furent pas long - tems à les
détruire. Les Infulaires les nommoient IJim^ Chemis^ Mohuis^ Coris, &
iJofchiî. Il paroît que les plus grands ne l'étoient pas plus que nos Lapins
ordinaires, dont les trois premières eipèces tenoient beaucoup, & que tous
avoient la chair aflez bonne. L'Uiias étoit de la grofTeur d'une Souris, &
le Cori , de celle d'un petit Lapin. On voyoit des Utias tout blancs; mais ,
dans le pFus grand nombre , les couleurs étoient mêlées. Le Cori étoic
-tlanc & noir. Il n'avoit point de queue, & fa gueule reflembloit à celle
d'une Taupe. Les Gofchis étoient de petits Chiens muets , qui fervoient
d'amufement aux Femmes, & qu'elles portoient entre leurs bras. On les
employoit auflî à lachafle, pour éventer les autres animaux. Comme ils
n'étoient pas moins bons à manger, ils furent d'une grande reflburce pour
les Efpagnols, dans les premières famines auxquelles ils fe virent réduits.
On en dirtinguoit plufieurs fortes: les uns avoient la peau tout-à fait lifle ;
ti'autres étoient couverts d'une laine fort douce, & le plus grand nombre
n'avoit qu'une efpèce de duvet , fort tendre & fort rare. Leurs cou-
leurs étoient auiîi variées que celles de nos Chiens , & beaucoup plus
vives.
Les anciens Ilabitans de l'Efpagnole n'avoient aucune forte de Volaille
domellique; & l'on ne voit point dans cette Ifle, ni dans les Pies voifines,
autant de fortes d'Oiicaux qu'en Europe: mais il s'y en trouve d'une beauté
dont les nôcres n'approchent point. Les HirondclL'S, les Corneilles, les
Tourterelles, les Ramiers, les Oies & les Canards fauvages y font à-peu-
près les mêmes. On y voit aufii des Canards dont le plumage ell tout blanc,
a l'exception de la tête, qui efl d'un très beau rouge. Les Efpagnols y en
ont porté de mufqués; & c'efl: la feule efpèce qu'on élève, autant pour leur
grolleur que pour la beauté de leur plumage. Ils fonL plufieurs ponces par
an; & Ton obferve que les Cannetons, qui viennent de l'accouplement de
ces Canards étrangers avec les Cannes de l'Ille, n'en font point d'autres.
Les Oies n'ont des Petits qu'une fois l'année: mais toutes les autres efpèces
de Volailles, qu'on a trouvées dans les Bois de flfle, ou qu'on y a portées,
produifent indifféremment dans toutes les faifons; & l'on n'auroit pas de
peine à les élever, fi elles n'étoient fujettes à une maladie qu'on nomme les
Pians , & qui en fait mourir un fort grand nombre. Ce qu'on voit aujour-
d'hui de plus commun dans les baffe-cours, .ce l'ont des Poules Pintades,
qui y font venues de Guinée; des Paons, qu'on a trouvés en abondance
fur
< y ) On trouvera les mêmes prédiétions au Mexique &. au Peioii.
Volailles &
autres ()i-
feaiiy ^jc
l'ifîe.
EN A M E R I Q U E, Liv. I..
233
DEfcaIPTlo^f
DE l'Isle
EsPACNOr.E,
fur les bords de la Rivière Neyva, & des Faifans. L'Iile avoit des Pinta-
des, un peu difFérentes de celles d'Afrique, & moins groiTcs; mais il n'a
jamais été poifible de les rendre domeftiques. Si l'on met leurs œufs fous
une Poule ordinaire, les Pouffins n'ont pas plutôt leurs ailes, qu'ils difpa-
roilTent(2).
■ Ce qu'on a pris, dans la même Ifie, pour des Perdrix rouges & des Or-
tolans, n'eft au fond que différentes efpéces de Tourterelles. Les nôtres,
fur-tout, y font fort communes. Le Pic -vert a toutes les propriétés de
celui de France 5^ mais il l'emporte beaucoup par la beauté de fon plumage,
qui eft rouge & noir, fur un fond jaune. Les François l'ont nommé Char-
pentier ^ à l'exemple dés Efpagnols; parce qu'en {jiquant le bois, de fon bec,
il fait beaucoup de bruit. Le nombre en eft i\ grand, qu'on eft quelque-
fois contraint d'abbattre des Edifices dont ils ont criblé les poutres. L'Ille
a ion Rollignol, quoique par la figure & le chant cet Oifeau approche af-
fez peu du nôtre ; mais il doit fon nom au plaifir que les premiers Efpa-
gnols reffentirent , de f entendre chanter, au mois de Décembre. On y
trouve une efpèce de Linotte, dont le ramage eft très agréable. Malheu-
reufement elle eft rare; & l'on remarque, en gêné -al, que le chant des Oi-
feaux ne fait pas, dans flfle Efpagnole, un agrément de la Campagne &
des Bois. S'ils plaifent aux yeux, plus que les nôtres, ils flattent moins
les oreilles (a).
Les Oifeaux de proie y font en grand nombre, & d'efpèces fort diffé- Oifeaux île
rentes. On y voit fur- tout quantité de grands Go/iers, que plufieurs Ecri- proie.
vains confondent mal-à propos avec le Pélican , mais qui tiennent de fa na-
ture & de celle du Cormoran. La couleur de cet Oifeau eft d'un cendré
obfcur. De la partie inférieure de fon bec , qu'il a fort long & fort large ,
pend une efpèce de bourfe qui lui fert de magafin, & de laquelle il tire fon
nom. 11 ne ceffe point de pêcher, jufqu'à ce qu'il l'ait remplie ; après quoi
il digère à fon aife. Cette defcription n'a rien qui puiffe le faire juger dif-
férent de celui d'Afrique. Cependant on ajoute que fa couleur change, le
long des Rivières , & que dans quelques endroits du moins il eft d'un fort
beau blanc (èj. Un autre Oifeau de proie, fort commun dans l'Ifle, eft
le Malfenis^ qui approche du Faucon & de l'Aigle. Quantité d'autres , aux-
quels on donne indifféremment les noms de Pêcheurs ^ ou à' Aigrettes, font
de vrais Hérons, qui différent peu des nôtres.
Les Perroquets font des Habitans naturels de l'Ifle Efpagnole, où l'on Autres 0;-
en voit de toutes les efpèces «Si de toutes les couleurs. Les l'Iamingos, ou finaux.
les Flamands, y bordent les Marais, en grandes troupes; & comme ils ont rinnùngor.
les pieds d'une extrême hauteur, on lesprendroit de loin pour un liifcadion
rangé en bataille. [Il y en a toujours un en fentinelle qui avertit les autres ,
en cas de danger, de prendre la fuite. On ne peut les apprivoifer que
difficilement, quoiqu'on les prenne jeunes. Ils le nourriifent d'inleclcs,
de Crabes &. de petits Poiffbns, & boivent copieufement de l'eau de Mer].
. ■ ' ^ ^ . , • ■ - Leur ;'
(z) innoircidc Saint-Domingue, pfigc 29-
après Ovicdo, I.h. 5.
(ri) Le Chcv. llaus Sloanc foûtient le
Xnil. Fait. ■ G
contraire. R. d. E.
(t) Ibidem, page 44.. & précédentes.
M
»34
PREMIERS VOYAGES
|)llCBIPTION
DE L'Islb
EsrAGNOLE.
Le Colibry,
ou Tû:ninejo.
>
Monclie»
extraordinai-
Defcription
tle l'Efcubût
Fvhinoceros.
Leur grofTeiir efl: celle d'une Poule - d'Inde , & leurs plumes font d'un très
bel incarnat, mêlé d'un peu de blanc & de noir. La chair n'en eh pas
bonne à manger; mais leur langue pafle pour un morceau délicat. Le Co-
libry, que les Efpagnols ont nommé TomincjOt parce que dans fon extrê-
me pptitefle il ne pefe avec fon nid qu'environ deux de -ces petits poids
qu'on appelle Tominos en Efpagne, efl: un peu plus gros néanmoins que
celui du Canada , que les François appellent Oijiau mouche , & dont le
corps , en comprenant les plumes , n'a que la groffeur d'un Hanneton.
Ses couleurs, dans l'Kfpagnole, font le rouge, Je noir, le verd &le blanc^
avec des nuances d'or, ilir le verd & fur le rouge. Il a fur la tête une
petite aigrette noire. Sa gorge efl: d'un rouge très vif; fon ventre efl:
d'un beau blanc; & tout le relte, d'un verd de feuille de rofier. 11 a le
bec un peu crochu, au lieu que l'Oifeau - mouche du Canada l'a tout droit.
La femelle n'a, de toutes les couleurs du mâle, que le blanc fous le ventre.
Un cendré clair efl; celle de tout le refl:e de fon plumage. Le bec & les
pattes de ce charmant Oifeau font fort longs. Quelques-uns lui donnent
un chant fort mélodieux; & d'autres prétendent qu'il ne fait pas d'autre
bruit que celui du braillement de ïes aîles, qui efl: aifez fort, parce qu'il a
le vol très rapide.
La Mouche luifante, que les anciens Infulaires nommoient Locuyo ^ &
qui a confervé le môme nom parmi les Efpagnols, eil une efpèce d'Efcar-
bot, moins gros, de la moitié, qu'un Moineau. Il a deux yeux à la tê-
te , & deux fous les aîles , d'où il fort un feu qui jette une très grande lu-
mière. On voyage, on lit même, à fa clarté; & les Infulaires n'avoient
pas d'autres flambeaux pour s'éclairer pendant les ténèbres. Ils prenoient
ces petits animaux la nuit , avec des tifons embrafés , dont la vue les faifoit
approcher; & lorfqu'on les avoit fait tomber ^ ils ne fe relevoient point.
Ce qui les fait briller efl: une humeur, qui produit le même effet fur les
mains & le vifage, quand on s'en efl: frotté. Mais ils n'ont qu'une faifon,
qui efl: celle des grandes chaleurs; & c'efl: avec beaucoup de peine qu'on
les garde plus de huit jours. Nos Mouches communes, qui ont pafié dans
les Antilles fur nos Vaifleaux , y ont fi prodigieufement j)euplé , qu'on ne
fauroit t*ier une pièce de gibier, un peu loin des Habitations, qui ne foit
couverte & corrompue , en peu d'heures , par ces infeftes. Les Rats &
les Souris, que ces Ifles ont reçus de nous par la même voie, y caufent
aufll des ravages incroyables. Parmi les autres infeétes, on remarque plu-
fieurs efpèces de Scorpions, une forte d'Efcarbot, qu'on a nommé Rhinocé-
ros , diverfes fortes de petits Lézards , d'Araignées & de Fourmis ; & des
Couleuvres, dont (Quelques-unes font aflfez groiles pour avaller des Poules
entières. Mais tous ces Animaux ne font pas venimeux , à la referve de
certains Scorpions, qui naiflfent dans la Préfqu'Ifle de Samana , & d'une A-
raignée à cul rouge, la plus grande & la plus monflrueufe qu'on connoifle
au Monde.
L'EscARBOT Rliinoceros efl: un animal fi curieux, qu'il mérite particu-
lièrement uno difcription, d'après Oviedo & le nouvel Hifl:oiien. Quel-
que tcms après qu'on a coupé un Palmier, une efpèce d'Elcuibot y produit
quantité de vers cornus, que les Ilabitans recherchent avec foin, & qui
paf-
H
02
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dcur iiutl
tes , (]l|
. ^;' E N AMERIQUE, Liv. î. 23s
paiïent pour un mets fort délicat. Ce n'efl: qu'une graiffe, douce & agréa-
ble, enveloppée d'une pellicule ondulée, en volute. Sa figure rebute, &
caufe une forte d'horreur que tout le monde ne faurôit vaincre; mais la
plupart s'y font bientôt. L'Efcarbot qui les enfante, efl: celui qu'on a nom-
mé Rhinocéros. C'efl une forte de Mouche volante, qui a le nez fort al-
longé, en forme de corne un peu cintrée, d'où lui eft venu ce nom. [Il
s'en fert comme d'une fcie pour couper de petits rameaux]. Cette corne
eft ornée d'une double époulfette, l'une en delïïis, & l'ancre en defTous. Il
fort, de fes narines, deux barbillons mobiles, qui ont plufieurs articulations,
terminés par de jolis ombelles veloutés , qui lui fervent d'oculaires. H a la
tête couverte d'un cafque tout d'une pièce, un peu en bofie , d'un noir lui-
fant très poli, d'une confiftance ferme, brune & caflante. Sa gueule,
fendue horifontalement, renferme deux mâchoires , armées de bonnes
dents. Son thorax efl: ofl!eux , accompagné de deux bras , qui ont chacun
trois nœuds, ou trois articulations. Ces bras font recoudés, & terminés
par une patte fourchue, ardillonnée & velue. Un peu au-deflbus , ils s'em-
boëcent dans une échancrure, qui fe '.rouve dans la partie fupérieure du
ventre. De chaque côté, il y a un pied , tout femblable aux bras qu'on
vient de décrire , enchafle dans un corfelet fait de plufieurs pièces , qui
ne font pas dift*érentes des autres. Plufieurs tuniques, rangées les unes fur
les autres, terminent en bas cet infeéle, lequel porte en.deflTus quatre aî-
les; deux intérieures, fines & tifliies comme de la gaze-^ôi. deux extérieu-
res, qui font rayées , noires, ovales, féches & rayonnantes (c).
C'est dans l'ifle Efpagnole qu'rn a commencé à connoître une forte
d'Amphibie , que les anciens Infulaires nommoienc Ivana ou la^uana , &
qu'on voit auflTi fouvent dans l'eau, que fur le haut des arbres ( J). Jl tient
du Lézard & du Crocodile; mais il a cet avantage, fur l'un & l'autre, que
fa chair efl: un aliment délicieux. Cependant on afifure qu'elle efl: nuifible à
ceux qui font atteints des maladies honteufes. Quelques-uns le mettent au
nombre des Serpens , parce que fa peau a les mêmes couleurs. Sa figure
efl: horrible, mais il n'y a point d'animal plus doux & moins mal-faifant.
Les plus grands ont deux palmes & demie de long, & un peu plus d'une
palme de large. L'Iguana a des pattes de Lézard, la tête plus grofle, &
une queue, qui efl: le double de fon corps pour la longueur; fes dents font
fort aigiies. 11 efl: muni d'un long ôi, large jabot, qui lui pend jufques fur
la poitrine. Ses pattes de devant font plus longues que celles de derrière,
avec des doigts, dont les ongles font comme des ferres d'Oifeau de pnoye,
quoiqu'incapabics de rien ferrer fortement. Enfin il a, dans toute la lon-
gueur du dos, comme une nageoire élevée & crêtée , en forme de fcie.
On en voit fouvent de foris petits, qui font apparemment d'une efpèce par-
ticulière. Cet Animal efl: abfolument muet, & n'a aucune force de cri. Il
efl: d'-me douceur & d'une patience extraordinaires. On peut le tenir trois
fe-
DRScnrPTiorr
DE l'I'^LE
E&FAGNOLC.
(c) Nous en ckinnons la Figure de gran-
deur naturelle tia'jd'undc ces curieux In l'jc-
tcs , qui «g été apporté depuis peu eu An-
gleterre. R. d. i;.
{d) Il s'en trouve auflTi dons les Indes O-
rientales, mais un peu difrérens, Voyc^: la
Defcription de l'iQc de Ceylan.
Gg
r
L'Iguana.
Dkscription
DB L'If LE
Espagnole.
Crocodiles
denne-Ef-
jiagnole.
L.imentins
Cil Manatib.
236 PREMIERS VOYAGES
femaines à l'attache , fans aucune nourriture , & fans qu'il fafle le moin-
dre mouvement pour fe dégager. Les alimens qu'on lui donne font de la
cafTave & des herbe". 11 ne peut nager que lorfqu'il efl petit ; & dès qu'il
a toute fa taille, le mouvement manque à fes pattes pour le foutenir fur
l'eau. Ses œufs, qu'il fait dans le fable , le long des Rivicres & des Ruif-
feaux , montent ordinairement à quarante ou cinquante. On obferve qu'ils
ne cuifcnt point dans l'huile, ni dans le beurre, mais uniquement dans
l'eau. Ils font de la groflcur d'une noix, & leur enveloppe n'elî qu'une
petite peau fort déliée. Il n'efl pas difficile de prendre l'Jguana , par-
ce qu'il fe laifle aifément approcher. On le chatouille doucement fur
le dos, tandis qu'il fe lailTe faifir par le col avec, un nœud coulant (e).
Quoiqu'on ait parlé des Crocodiles, & des Manates, ou Lamentins,
dans les Defcriptions de l'Afrique & de l'Afie, il ne fera point inutile de
repréfenter ces deux efpèces d'Animaux dans un autre Hemifphère, pour
en faire obferver les différences. On a déjà remarqué que les Crocodiles
portent le nom de Cayvmns, en Amérique. On n'y a point, comme à la
Chine, l'art de les apprivoifer ; mais ils y ont un infl:in6l admirable, pour
aller chercher leur proye jufques dans les Forêts, où ils dreflent fort adroi-
tement des embûches aux Cochons maons , & à d'autres Animaux , qu'ils
furprennent prefque toujours. Les Chafleurs mêmes ont quelquefois le
malheur d'y être pris. On vante la légèreté des Caymans de Cuba, qui
gagnent, dit-on, les Hommes à la courfe. Ils piquent leur queue en ter-
re, pour s'élancer*d'une grande vîtefle ; mais comme c'efl: toujours en li-
gne droite, il fuffit, pour les éviter, de courir en ferpentant. Ceux de
l'Ifle Efpagnole quittent rarement les Rivières, où ils fe tiennent en em-
bufcade aux paffages & aux abreuvoirs. Ils n'attaquent ordinairement les
Hommes , qu'après en avoir reçu quelque offenfe ; mais ils font la guerre
à tous les autres Animaux. La Nature leur apprend à les faifir toujours par
le mufeau , pour leur ôter la refpiration. Enfuite ils les entraînent au fond
de l'eau, où ils les laiffent pourrir avant que de les manger. Ils aiment les
odeurs fortes; & celle qu'ils jettent eux-mêmes approche de celle du mufc.
Les Corneilles du Pays font fort avides de leurs œufs , qu'elles éventent fous
le fable, où cet Amphibie les cache, & où la feule chaleur du Soleil les fait
éclore, comme ceux de la Tortue. On affure qu'il fe tr-^uve des Caymans
de vingt-cinq pieds de long, & de la grofleur d'un Bœut. Les Infulaires,
qui ont à paiïer un Lac ou une Rivière, jettent fur l'eau des veflies enflées,
après lefquelles ces dangereux Animaux courent auffî-tôt; &. la crainte,,
que leur vue infpire, fe change en amufement (/).
L'Historien obferve que fuivant quelques Auteurs, la plupart des
fingularités, qu'on attribuoit anciennement à la Sirène & au Dauphin, fe
trouvent dans le feul Lamentin. Mais il ajoute qu'il n'efl: pas aifé de les y
reconnoître. Le Lamentin, dit-il, n'a jamais chanté. Il jette des larmes,
&
(e) Hilloirc de Saint-Domin;îiie , Liv. i,
;)age 37 & 38. On le chatouille avec le
nœud coulant, qu'il prend pour un Infecte,
dont il compte de faire fa proye, ce (jui le
porte à fe tenir coi , pendant quelques mo-
niens Plufieurs efpèces de Lézards fe laif-
fent faifir de la même manière. R. d. E.
(/) Ibid. page 36.
:^; E N A M E R I Q U E, Liv. I.
237
& fe plaint, lorfqiron le tire à terre; & de-là vient le nom qu'il a reçu des De
François. Sa figure n'approche point de celle qu'on fuppofe au Dauphin ;
& la feule relTemblance qu'il ait avec lui, c'eil qu'il paroît aflez ami de l'cf-
pèce humaine. Deux nageoires, qu'il a fous les deux épaules, à- peu-près
de la figure de deux mains , & dont il fe fert également pour nager & pour
porter Tes petits, l'ont fait nommer Manati par les Efpagnols. Le premier,
comme on doit l'avoir obfervé, qui ait pris cet Animal pour !a Sirène des
Anciens, fut Chriflophe Colomb; mais cette imagination, d'un Homme
qui donnoit volontiers dans le merveilleux , pour rendre fes découvertes
plus célèbres, n'a pas. fait de fortune après lui. La femelle du Lamcntin
met bas & allaite fes petits, à la manière des Vaches; ce qui lui a fait
donner aulfi le nom de Fâche marine. Sa tête reflemble, d'ailleurs, à celle
d'un Bœuf; mais il a le mufeau plus enfoncé, le menton plus charnu , & les
yeux plus petits. Sa couleur eft d'un brun foncé. Il s'en trouve de vingt
pieds de long, & d'environ dix pieds de large, du moins vers les épaules ,
car cette largeur va toujours en diminuant vers la queue. La chair falée du
Lamentin a le goût de celle du Veau, mais elle eft plus agréable & fe con-
ferve plus long-tems. La graiflTe qu'on en tire eft aufti très bonne , & ne
rancit point. Sa peau eft un excellent cuir. Il fe forme dans fa tête une
efpèce de Bezoard , à laquelle on attribue d'admirables propriétés pour la
colique & la pierre. On ne tue guères les grands Lamentins que fur les
bords de la Mer ou des Rivières , lorfqu'ils y vont paître ; mais les petits
fe prennent fouvent dans les filets. On fait des récits fort étranges de leur
facilité à s'apprivoifer (g).
Après les T.empêtes, connues fous les noms de Coups de Sud, de Nords
& d'Ouragans, les Rivages de l'Ifle Efpagnole fe trouvent remplis de Co-
quillages, d'un luftre & d'une beauté extraordinaires. Les plus curieux font
leLambis, leBurgot, le Pourpre, la Porcelaine, les Cornets & les Pom-
mes de Mer. Quoique les Côtes ne foyent pas fort poiflbnneufes , il ne
faut pas s'en écarter bien loin pour y pêcher une grande abondance d'ex-
cellens Poiflbns. On nomme, entre les plus communs, la Raye, le Con-
gre,
fciiin ION
DE I.'Ii-LE
ESI'ACNOLC.
Coc]uiIIages
& PoilTons.
(g) Gomara raconte qu'un Cacique nour-
rilToiC un Lamcntin dans un petit Lac des
Gonaives , où cet Animal eft en effet plus
commun que dans aucun autre lieu. Il l'a-
voit rendu fi familier, qu'en l'appellant, il
le faifoit venir à lui. 11 le cjiargeoit, furie
dos, de tout ce qu'il vouloit, & le Lamen-
tin pcrtoit paifiblement fon fardeau jufqu'à
l'autre bord. Un Efpagnoi s'avifa de l'ap-
peller un jour, & le bleffa d'un coup de fu
fil. _ Cet accident le rendit fi circonfpeft,
qu'il n'approchoit plus de la rive, fans avoir
bien examiné fi celui qui l'appelloit étoit Li'
dicn ou non ; ce qu'il reconnoilToit à la bar-
be. Enfin, il difparut toutàfait, après une
grande crue d'eau , qiii l'entraîna peuc-étre à
la Mer, avec laquelle le Lac communique.
Hiftoire des Indes, Liv. i. Cbap. 31. Or»
lit auflr dans Hcrrera , qu'un Lamentin de
rifie Efpa^jnole venoit à terre , lorfqu'on
l'appelloit , mangeoit ce qu'on lui donnoit à
la main, & fuivoit, jufqaes dans les maifons,
ceux qui le nourriflbient. 11 y jouoit avec
les Enfans. 11 paroilToit prendre lîeaucoup
de plaifir à la Mufiquc. 11 fouffroit qu'on
montât fur foq^dos, & palToit jufqu'à dix
Hommes à la fois, d'un bord du Lac à l'au-
tre. U y a beaucoup d apparence que ces
deux hifloires font la même, avec les alté-
rations qui arrivent aux faits, en chanijeant
de bouche ou d'Ecrivain.
Gg 3
DRSCRII'TION
DR l'Isi.e
EsrAGiNOLi:.
Efpcirc de
CanciL' nom-
238 PREMIERS VOYAGES
gre, l'Ange, IcMuIec, leMarfoiiin, laRonite, la Dorade & le Pilote. Il
Pa.c^uvus des
Anciens.
Crabes.
Le Soldat.
tes de Madrépores ou de Panaches de Mer.
On pêche, dans ces Parages, deux fortes de Cancres; la première, qui
fe nomme Jgama, fe prend dans les lilcts. C'ell un Animal d'environ fept
pouces de long, fur quatre de large. Son cerapoulle, ou fa coque, efl de .
figure quarrcf , velue, chagrinée, un peu enHée, marquetée de pUificurs
couleurs, terminée en bas par des pointes dentelées & ornées de poil. Ses
yeux , éloignés l'un de l'autre d'environ deux pouces , font de la grciffeur
d'un pois, & d'un noir luifant, enchaffés dans deux orbicules arrondis fur *
fon front, qui efl plat; on voie à droite & à gauche deux larges plaques,
crénelées, remplies de poil, furmontées de deux autres; mobiles, toutes
quatre en divers fens, par le moyen de deux jointures. Du milieu de ces
plaques fortent deux cornes, & quatre pointes, dont le bout efh fendu en
pincettes. La gueule efl au-defTous, dans une fofTette ovale, couverte de
plufieurs barbillons.
La féconde efpèce efl le Pagurus des Anciens. Il s'en trouve beaucoup
fur les Rochers efcarpés, où l'on ne peut douter qu'il ne grimpe. Il fré-
quente aufli les hauts fonds, & les endroits les plus féconds en Madrépo-
res, en Panaches, en Litophytes, fur- tout dans le voifinage dos Ules Ca-
raïbes. L'écaillé de ce Cancre efl prefquc ronde ; le fond en efl rouffâ-
tre, & tout le dehors "efl parfemé de piifuans. Son mufcau efl armé de
cornes peu faillantes. Ses yeux font enfoncés, couchés de travers, (îfc dé-
fendus de plufieurs pointes , qui leur fervent de paupières, il fort, de \'es
narines, quantité de longs filets plians & mobiles. Sa gucnile n'efl pas dif-
férente de celle des Crabes, auxquels il rcfTemble auïîl par k- plaflron. Ses
deux bras font fort grêles , & les mordans médiocres , en comparailbn
du refle du corps. Les quatre autres pieds , qu'il a de chaque côté
fous le ventre, font grulfiers; mais ils ont chacun leur articulation, a-
vec un ardillon noiràcre , à leur extrémité. La chair eil coriafTe , &
d'un goût fauvage.
Les Crabes, qui fe trouvent en abondance fur toutes les Cotes, font un
des plus utiles prefens, dont les Infulaires foient redevables à lu Nature. On
en diflingue particulièrement trois efpèces: ceux de Mer, ceux de Mon-
tagnes & ceux de Rivières. Les premitrrs & les plus communs n'habitent
point la Mer; mais ils vont s'y rafraîchir: & c'ed ordinairetnent fur fes
bords qu'on les trouve. Ils font d'une extrême reflburce pour la nourritu-
re du commun dea Habitans. Les féconds font rouges, s'arrêtent dans les
lieux fecs , & font plus eflimés que les premiers. Mais ceux de Rivières
pallent pour les meilleurs. Le Soldat [ou Diablotin'] efl auiîi une efpèce
de Crabe, ou d'Ecrevifre de Mer, qui fe trouve fur toutes les Côtes, &
qui ne fait point un mauvais aliment. Ce nom lui vient de ce qu'il ell
armé par tout le corps, excepté vers le bas, où il ell nud & fifcnlible,
que dès qu'il tfl; né, il fe jette dans la première coque qu'il rencontre [&
change fuccefiivemçnt d'habitation, à mefure qu'il croît en grolfeur & en
âge
EN A M E R I Q U E, Liv. I. 239
âge]. Mais il fufllt d'approch'îr la coque du feu , pour J'en faire dé-
loger.
Dans ces grandes herbes, qui fe nomment Sargqffes^ & qui paroifTcnt
en divers endroits fur la furface de la Mur, mais dont le grand nombre v fl:
au fond de I'juu & fur les Côtes, on trouve, entre pluiieurs autres efpe-
ccs d'Animaux marins, une prodigieufe quantité de Tortues. On n'en dif-
tingue que deux elpèces, autour de l'Ule (//). Celles, qu'on nomme 7^;r-
tucs franches y recherchent les pâturages gras & bien fournis d'herbes. Les
autres, qui font connues fous le nom de Caret , ik dont l'écaillé fait un ri-
che commerce, fe plaiient ordinairement dans les lieux pierreux, couverts
feulement d'un peu de moufle.
Entre les PoilVons particulflrs à cette Mer, on remarque le Pilote^
qui lire fon nom de la fidélité avec laquelle il s'attache aux Navires qu'il
rencontre, & devant lefquels il ne cefle point de nager, qu'il ne les aîc
conduits dans un Port (/). La Galère efl une autre efpèce de petit Poif-
fon , ou plutôt un infefte, dont la peau, enllée & pleine de vent, lorf-
qu'il la poufle-horscle l'eau, paroît ornée de toutes les couleurs, & lui fert
comme de voile (Tf. "Mais-^an-ji'y touche pas impunément. Pour peu qu'on
mette la main defllis, elle ell infeélée d'une glue mordicante, qui caulc les
plus vives douleurs ; & l'on prétend avoir obfervé que le"màt''!nîJ^lllL'Tl"
te, à mefure que le Soleil monte fur fliorifon. Le Perroquet de Mer,
les FoilTons qu'on nomme de Roche , dont les couleurs font un mélange
éclatant d'or & d'azur, le Hériflbn (/) , le Crapaud de Mer, de une efpèce
fort finguliére de petit Cochon marin, font d'autres productions des mê-
mes Parages.
Pour les Arbres & les Plantes de l'Ifle Efpagnolc , on doit regretter
qu'un Ouvrage annoncé depuis long-tems (m) n'ait point encore vu le jour.
Mais, en attendant les lumières qu'on doit fe promettre des Obfervations
de deux'fiècles, qui s'y trouveront apparemment raffemblées, il me fuffi-
ra, pour remplir mes engagemens, de recueillir, dans les anciennes Re-
lations , ce qu'elles ont de plus curieux fur cet article. Oviedo , qui de-
voit au titre de fon Ouvrage, non-feulement les recherches par lefquelles
il s'efb efforcé de l'enrichir, mais encore toute l'exaèlitude d'un llifto-
rien
DejcniPTioif
VB l'Islb
Esi'AONOLE.
Deux fortes
do TiHtiics.
Le Pilote.
Lu Galère,
Autres
Poilluas.
• Arbres &
Plumes.
(/j) On trouve, clans les Voyages de Dam»
picr, decurieufcsûbllrvationsl'ur les Tortues
en général, & furkurs tranf.uigrations pério-
diques. Elles paroitront dans un imtrc Ar-
ticle.
{i) Ce PoifTon , qui efi: de la grandeur
d'un Broehct médiocre, ne fe tient point à
l'avar.t, nia;s à Tarricre des Navires, qu'il
ne fuit conflaniment que par un motif d'inté-
ï6t , & d'ins la vue de fe nourrir des intef-
tins de la Vohulie , que les Cuifiniers ou
IVlatelots jettent à la Mer. C'eft un plaifir
de le voir fe jouer du Requin, fans paroitre
s'inquiéter des efforts que ce I^oiilbn vorace
fait inutilement pour le prendre. R. d. £.
(k) La Galère n'efl point un Infeftc^ elle
ne poulie pas fa peau hors de l'eau; car il
fauJroit pour cela qu'elle tut intérieurement
dans e.'ttc eau, au lieu qu'elle furnaye. Ce
n'cil p.;s projircnient fa peau qui lui fert dt;
voile, mais une nioii^branc du dos delà vef-
fie, qui n'efl d'ailleurs poii.t ornée de toutes
les i.oulcurs , mais feulement de celles aux-
quelles fl nsture participe. R d. E.
( / ) Il y a une furt e de Perroquets de Mer,
qui n'ell poiiit Poiiîbii , mais bien unOifeau.
On ne tunnoit pas de Ilérillbn de Mer, &r
l'Auteur u apparemment voulu dire VOurfin.
R. d. E.
(m) Pur le nouvel liillorien, Liv. i.
DR'cmi'TioN
oc. I. 1 1,K
KjI'AGNOLE.
l.c Ilobo.
240 PREMIERS VOYAGES
rien Pliiloroplic, commence par le dénombrement des Arbres, que les prc»
micrs Coiiqucrans apportèrent de Caftille. Il explique leurs progrès fous
un climat ctiangcr, Ck les raifons qui en firent périr un grand nombre. Ce
détail n'eft pas lans utilité (w) : mais attachons • nous aux fimples produc-
tions de ride.
Le I/obo eft uu grand Arbre, beau & frais, qui donne un ombrage fort
fain. Son fruit , qui reflemble à de petites prunes , avec un fort gros noyau ,
efl de couleur jaune, de bon goût tS: d'une odv.ur agréable; mais fi l'on en
mange beaucoup , il gâte les dents. Les buurjgeons & l'écorce , bouillis
dans l'eau , la rendent fort bonne à laver la barbe , & à fervir de bain pour
les Voyageurs fatigués. L'ombre du llobo ell fi faine, qu'on y fufpend
* . vo-
(«) Je ne changerai rien au vieux langa-
p,(: ihi 'l'iMiluavur. On a donc apporté quel-
i|iics Orar^jM^^Caltilie , en cctic Ulc Kf-
p^ignoIctT^HÉ^k, partie aigres , qui s'y
font bicnTnSiTWflW &. multipliés , tant en
cette Cité d^HàymiéJoiningo & Iléritages d i-
colk . ^twilWPPlMWwwwitulroics de cette ]f-
nûfs éi Litroniert V IIW ai'illr yrand nombre
(lu'cn grande bonté i (i (ju'il n'y en a point
de meilleurs dans l'Andaloufie, Iten, pUi-
ficurs Figuiers , produil'aiit fon lionnes figues
toute l'aimée , ê. ces Arbres y viennent fort
bien. Les ii;;ues font de celles qu'on appel-
le , en Caflilie, GotU-ncs, & en Arragon &
Catalogne, /J//r^ïi(Ofa; la plupart defquelles
ont les petits grains de dedans rouges , com-
bien qu'aucuns foient blancs. La feuille de
ces Figuit rs tombe , & Ibnt fans icelle une
partie de l'année ; mais ils comniaicent à
bourgeonner & icttcr leur feuille au mois do
Février; & à la Primevère, au mois de Mars,
commencent a s'en revêtir. Item, plufieurs
Grenadiers, doux & -^'-res, garnis de fort
boîHics grenades. Item , des Coings , mais
qui ne viennent pas bien , ni en fi grande
abondance que les fruits fufdits; car avec ce
qu'ils font petits, ils ne font pas fort bons,
ains rudes. Ce n'efl toutefois fuis efpoir
qu'ils viendront meilleurs avec letcms. hem,
quelques Palmes ont été plantées en cette Ci-
té & en plufieurs Héritages. Item, aucuns
noyaux de Dattes, qui en produifent de fort
belles; mais on ne les fait pas bien actoii-
trer par deçà; & encore qu'aucuns en man-
gent , elles ne font fi parfaites , faute de les
favoir accoutrer. Item , plufieurs & fort
beaux Calîîers, & avec cette excellente beau
té, ils font grands. Si elt-ce toutefois qu'ils
n'ont été apportés d'fCfpagnc, & n'y en a-
voit aucunement en cette llle; mais on a fe-
nié les pépins, lefquels y font bien venus.
Item, l'on n planté en cette Cité plufieurs
feps Ci provins de Vignes , lefquels certes
rapportent de bons raifins, & crois qu'ils y
viendroicii': à foifon , fî l'on mettoit peine i
les plantci & cultiver comme il cft bcfoin.
Mais parce que la terre efl humide, li-tôt
quj la Vigne a rendu (on fruit elle recom-
mence incontinent à bourgeonner, pourvil
qu'on la foui (Te & accoutre, fi qu'elles per-
dent bientôt leur na'ive bonté, & font incon-
tinent ufées. /îcw, de grands & beaux Oli-
viers, mais qui n'apportent que cJls l'euilles,
fans aucun fruit; oc v'ell chofe grandement
efmerveillahle, que tous les fruits \ noyau
qu'on apporte d'Efpagne, prennent bien ra-
cine & crolifent aifez , mais ne rapportent
([ue des feuilles & point de fruit. J'ai pour-
tant apporté de Tolède quelques noyaux de
Pèches , de PrelTes , d'Alvers , de Primes ,
de frayles, de Cerifes, de Guines , & de
Pommes de Piii, que j'ai fait femer, & pas
un n'a pris racine. Item, les Plantains, qui
croilfent fi bien ici , que j'en ai plus de qua-
tre mille pies dans mes Jardins , & qu'ils
font communs à préfent dans toute l'Efpagno-
le &. les autres ifies , y furent apportés de
Vlûc de la grande Canaris, l'an 15 16, par
Frère T'-omas de Bcrlanga, de l'Ordre des
Frères Prefeheurs, &, j'ai appris de plufieurs
Perfonnes dignes de foi , que ce fruit efl de
l'Inde Orientale. Item., les douces Cannes,
defquelles on fait le Sucre , ^lont fourdent fi
grands prolits , ont été apportées des Ifles
Canaries. Pierre d'Atieiica fut le premier
qui les planta en cette ille, en la Cité de h
Conception de la Vega; 6c le Lieutenant de
la Vega, Michel V^allefiero , natif de Cata-
logne, fit premièrement le Sucre: mais le
Bachelier Gonçalo de Velofa y amena des
Ouvriers, &. fut le premier qui fit im Pref-
foir 6c un petit Moulin, dans l'Yaguaté, à
une lieue & demie du Fleuve de Nicao. 0-
viedo, Liv. 8. Chap. i. 6c Liv. 4. Chap. 8.
yicojîa, Liv. 4. Chap. 31 & 32 , con!inne
les mûmes chofes.
les
qui
des
EN AMERIQUE, Liv. I.
241
volontiers les hamacs, pour dormir fous Tes branches. Oviedo reproche à
Pierre Martyr de s'être trompé, iorfqu'il a mis cet Arbre au nombre des
Myrobolans. Il vante une autre de fes propriocés, qu'il a vérifiée, dit-
il, par la propre expérience: c'ell que dans la difctte d'eau, fes racines en
fourniflent abondamment. 11 fulfit de les découvrir, d'en couper une <Sc
de la poi -r à la bouche, en tenant, de la main, l'autre bout levé. Il en
fort aufli-tôt quelques gouttes d'eau, & bientôt afl'ez pour Ibulager la plus
grande foif.
Le CaymitOt Arbre commun aux Kks de l'Amérique, a les feuilles pref-
Îue toutes rondes, vertes d'un côté, & fi rouflcs de l'autre, qu'elles puroif-
ent avoir palfé fous le feu. Son fruit, dans le Continent, elt rond , & de
la groflcur d'une balle de paume; au lieu que dans l'Ille Éfpagnole, il ert
longuet & n'a pas la grofleur dii^ÉBÉ^Sa poulpe eft blai. he, moelleufe
& pleine de fève. On la compi^HHJSKit épailli , qui tourne en fromage.
Elle efl faine & fe digère facilen^^^J^e bois cil: dur, & propre à toute
forte de condruélion : mais«J4iid^^^KMMon le laifTe fécher , avant que de
le mettre en œuvre fff), ,~iJ^KÊÊt^ -
Le Higuero (p) ^l un 7ïrErëaW^Hnicur"'du Meurier. Il produit des
Courges , les unes rondes , d'autres longues , dont les Infulaires font diffé-
rentes fortes de très beaux vafcs. Son bois, qui elt fort dur, fert à faire
des chaifes & d'autres meubles. La feuille eil longue & étroite , mais plus
large vers la pointe , d'où elle va toujours en diminuant vers le pié.
Les Indiens mangent la poulpe du fruit , dans fa fraîcheur. Il efl de
la grandeur d'un pot de deux quartes, & plus; mais il va, comme
fes feuilles , en diminuant de haut en bas , où il n'efl; pas plus gros que
le poing.
Le Xagua, «bnt on fait de très beaux fûts de lance, dans plufieurs par-
ties de l'Amérique, efl: de la hauteur du Frêne. Son bois efl pefant, dur,
& d'un fort beau ludre, entre gris & fauve. Il produit, dans l'Iile Efpa-
gnole, un fruit de la grofleur du Pavot, auquel il reffemble fort , excepté
qu'il n'a point de petites couronnes. On le mange dans fa maturité, & l'on
en tire une eau fort claire, dont on fe lave les jambes pour Je délafler. Les
Infulaires en font aulîi une peinture, qui noircit beaucoup, & qu'ils mê-
lent avec la Hixa, autre peinture d'un rouge très fin, pour fe colorer tou-
tes les parties du corps. L'eau feule du Xagna , fi l'on ne s'effuie promp-
tement après s'en être lavé , produit , fur la peau , des taches noires , que
tous les foins du monde :.e peuvent faire difparoître avant l'efpace de quin-
ze ou vingt jours (7).
La Bixa n'eft qu'un ArbrifTeau , de trois ou quatre pieds de hauteur, dont
les feuilles reffemblent à celles du Coton. Son fruit fe forme en coques,
qui approchent aulFi de celles du Coton , excepté qu'elles ont en dehors
des poils afTez gros, comme par veines, qui répondent aux parties intérieu-
res.
(0) Le meirip, Chap. 3. que ce foit Higuero ou Iligiicra, quifignific
(_p) L'Ail -ciir fait obfcrver que dans Hi- Figuier; de Higo, Figue. Jbul. Chap. 4.
^uero iltaut j'ionnnccr Vu long, & lediftin- {q) Ibid. Chup -
gucr de !>, afin quon ne ptnfc pas, dit-il,
Xnil. Part. II h •
guet
S-
Description
DE l/liLK
EiPAONOLK.
Le Caymito.
Le Higuero.
Le Xagua.
La Bixa.
IMAGE EVALUATION
TEST TARGET (MT-3)
1.0
1.1
Uit2A |25
Ui Uii 122
^ L£ 12.0
UÂ
111.25 H 1.4
11^
^
6" -
»
Photographie
Sdenœs
Corporation
23 WIST MAIN STMET
WEBSTER, N.Y. 14980
(716)872-4503
242
PREMIERS VOYAGES
DRscRirTTON res , dont les divifions renferment quelques grains rouges , plus vifqueux
Espagnole ^"^ '^ ^^^^' ^" Infulaires en font une efpèce de lavonnettes , pour fe pein-
dre & fe farder , en les mêlant avec quelques gommes , qui rendent cette
peinture aufli fine que le vermillon.
Le Guacuma. Le Guacuma eft un Arbre aflez haut, dont la feuille reflemble k celle du
Meurter, fans être aulFi grande, & qui donne aulîi une el'péce de mûre.
Les Infulaires font, de ce fruit , en le faifant tremper ik le pilant dans l'eau,
un breuvage qui les engraifle beaucoup , & qui produit le même effet fur
les Animaux. Le bois de l'Arbre eft fort léger»
Le Guama. Le Guama^ grand Arbre fort commun dans l'Ifle Efpagnole, donne un
bois très propre à brûler, dont la flamme & la fumée n'ont rien de nuifi-
ble , & que cette raifon fait employer pour les fournaifes des chaudières à
fucre. Son fruit, dit Oviedo, eft une efpèce d'Algarrouas , plus larges &
» plus grofles que celles de Caftille, mais prefque du même goût (r).
LcHicaco. Le Hicaco reflemble beaucoup au Framboifier par la u:uille, & par fa
hauteur ; mais fes fruits font de petites pommes , dont les unes font blan-
ches, d'autres rouges, & d'autres noirâtres. Ils font d'une bonté médio-
'- ' s - cre. Leur noyau eft fi gros, & leur poulpe fi mince , qu'il faut les ronger
avec les dents. On vante néanmoins leur vertu pour le flux de ventre,
lis font de meilleur goût , lorfqu'on apporte quelque foin à cultiver l'Ar-
bre. La Terre le produit naturellement proche iles Côtes de la Mer, donc
il aime l'air. » i'^') ,, ;:tnw-
Le Yaruma. Le Yaruma de l'Ifle Efpagnole eft une efpèce de Figuier fauvage, dont
les feuilles font découpées, & plas grandes que celles des Figuiers d'Elpa-
gne , avec lefquelles elles ont néanmoins quelque reflemblance. 11 produit
un fruit doux, de la longueur du doigt, & femblable à un gros ver. La
• ''^ ^ * hauteur commune de l'Arbre eft celle d'un Noïer moyen, quoiqu'il s'en
trouve de beaucoup plus. hauts. Le bois eft léger, creux, & caflant. Le
germe du bout des branches a la vertu des meilleurs cauftiques. On le pi-
le, pour l'appliquer fur les playes. Il mange les mauvaifes chairs, il dilll-
pe l'enflure, & par dégrés il guérit parfaitement (j).
Le Macagua. Le Macagua elt un grand Arbre, qu'Oviedo nomme excellent. Son
fruit reflemble, parla forme, aux petites olives, & par le goût, aux ce-
rifes. Le bois en eft très bon; la feuille verte & fraîche, & femblable à
celle du Noïer. •
L'Acuba. VAcuha eft un Arbre fort haut, qu'on vante beaucoup aufli, & dont le
fruit fur-tout eft d'une merveilleufe bonté. Il paroît que c'eft une efpèce
de Figues , qui ont le goût des Poires mufcades,* mais il en fort tant de lait
' ' ' gluant, que pour les manger il faut les mettre dans l'eau & les frotter entre
. les doigts, fi l'on ne veut point qu'elles s'attachent aux lèvres. Ce lait ref-
femble à celui que les Figues vertes rendent par la queue , lorfqu'on les
cueille. Mais il demeure dans l'eau , pour peu qu'on y frotte le fruit.
L'Ifle n'a point de bois plus dur que celui de l'Acuba.
GÎiiabara. Le Guiabara, que les Efpagnols ont nommé Uvero^ parce qu'il donne
pour fruit une efpèce de raiun en grappe , couleur de rofe ou de mûre , &
r • '^T^v - • d'un
• '^ •• (r) Chap. 8. .imo >»««'• (^) Chap. 9. ' ^ ...rr-^
8 EN A M E R I Q U E, Liv. I.
243
DBiCftirneH .
DE L'ISLK
EtFAOKOLI,
Le Gagucf.
d'un fort bon goût , efl: un Arbre dont le bois fait d'excellent charbon. Ses
branches font étendues, rondes & ferrées; fon tronc fort gros, & fon bois
rougeâtre. Les feuilles ont une paume de longueur , dans une largeur pro*
portionnée. Elles font fort vertes & d'une épaifîeur extraordinaire. Les ./
Efpagnols, dans les premiers tems de leur arrivée, où l'encre & le papier
leur manquoient, s'en fervoient pour écrire, avec une épingle, ou le fer
d'une éguillette, qui formoit des lettres très dillinéles, & fi différentes de , ■•'
la couleur de la feuille , qu'elles pouvoient fe lire aifément. Chaque grain
4u fruit a fon noyau, plus ou moins gros, fuivanr, la groffeur du grain ,
qui eft ordinairement celle d'une balle d'arquebufe ou d'une aveli-
ne (0.
Le Copey a la feuille du Guiabara, ou TUvero, mais plus grande du dou- Le Copey.
ble, plus épaiffe encore, & plus propre à l'écriture. L'Arbre efl: auflî beau-
coup plus haut, & le bois en e(t excellent. Les premiers Efpagnols fai-
foient, de fes feuilles, des cartes à jcuer, fur lefquelles ils gravoient avec
une épingle toutes les figures d'ufage commun. Oviedo n'avoit jamais vu
le fruit du Copey, quoiqu'il en vît fouvent des feuilles, & qu'il eût éprou-
vé qu'on y peut tout graver, fans les rompre (v).
Le Gaguey efl: un autre Arbre, dont le fruit n'efl: pas plus gros qu'une
aveline, mais qui refl*emble intérieurement à la figue de Cafl:ille, par fes
petits grains, & par la blancheur de fa poulpe, il efl: de fort bon goût.
Le bois , fans être des meilleurs , n'étoit pas inutile aux Infulaires , du
moins par fon écorce , dont ils faifoient des cordes. Les premiers Efpa-
gnols imitèrent leur exemple, & s'en faifoient aufli de fort bons fouliers,
lorfqu'il ne leur en venoit point de l'Europe.
' On repréfente le Cibucan comme un dés beaux Arbres de l'Ifle Efpagno-
le. Il a les feuilles du Saule. Son fruit reflTemble aux avelines blanches ;
mais il efl: rempli de petits grains qu'Oviedo compare aux lentes , en de-
mandant grâce néanmoins pour une comparaifon , dont il n'a pu fe difpen-
fer , parce que plufieurs , dit-il , ont donné au Cibucan le nom d'Arbre des
lentes (x). Il efl: d'ailleurs fort beau, & d'une continuelle fraîcheur.
Le Guanabana efl: un grand Arbre, dont le fruit, qui porte le même nom,
égale en groffeur nos Melons moyens. Il efl: verd, «& revêtu d'écaillés fi-
gurées , comme la Pomme de Pin. Sa fraîcheur le rend d'autant plus agréa-
ble en Eté , qu'il n'a rien de dangereux. Sa peau n'efl: pas moins déliée
que celle d'une poire; & fa chair, qui efl: fort blanche, a toute l'apparen-
ce de la crème, ou de ce qu'on appelle du filanc-manger. Elle fe fond dans
la bouche avec une extrême- douceur. Les pépins qu'elle contient font de
la groffeur de ceux des Courges , & leur couleur efl: un fauve-brun. Outre*
leur hauteur 6e leur beauté, ces Arbres ont les feuilles fort vertes & fort
fraîches, prefque femblables à celles du Citronier. Le bois en efl: affez
bon ; mais on lui reproche de n'être pas fort.
VAnon a beaucoup de reffemblance avec le Guanabana, excepté que fon
fruit n'efl: pas fi gros, & qu'au goût d'Oviedo (y) , il ett encore plus
agréa-
Le Cibucan*
Le Giuna*
bana. '
L'Anoa.
(t) Chap. 13.
(u) Chap, 14.
(*) Chap. 13.
Hh a
(y) Chap. 18.
\
Î44 PREMIERS VOYAGES
• ' Dmcription
DR L'IILE
' E^PAONOLK.
Le Guaya-
bo.
agréable que l'autre. Ajoutez qu'il efl jaune, & que celui du Guanaba-
na efl verd.
Le Guayaboy Arbre fort commun , mais fauvage dans les autres Ides &
dans le Continent , efl: cultivé avec beaucoup de foin par les Infulaires de
l'Efpagnole. Auffi devient- il plus haut dans leur Ifle. Sa grandeur efl cel-
le d un Oranger ; mais les branches font plus éparfes , & la feuille , qui n'efl:
pas fi verte, reflemble à celle du Laurier, avec cette feule différence qu'el-
le eft plus épaiiTe & qu'elle a les veines plus élevées. 11 produit des pom-
mes, les unes oblongues> & d'autres rondes. Elles font d'abord vertes;
mais elles jaunilTent en meurifTant. Leur poulpe efl ou blanche , ou ver-
meille. Dans leur maturité, elles font fujettes à fe remplir de vers; ce
* "• ' qui oblige de les cueillir un peu vertes. Chaque pomme efl; couronnée de
petites feuilles. Elles font divifées en quatre parties mafl!ives , & pleines
de petits grains fort durs , qu'on ne laifTe pas d'avaller , parce qu'ils fe digè-
rent aifément. On vante même leur vertu pour le fîux de ventre. La
fîeur du Guayabo reffemble à celle de l'Oranger , fans être fi épaifTe ; &
dans quelques - uns elle rend l'odeur du Jafmin. Le bois efl excellent pour
les petits ouvrages de Menuiferie; mais la durée de cet Arbre n'efl pas lon-
> gue. Il vieillit au bout de cinq ou fix ans; & chaque année fait alors di-
minuer fa grofTeur.
LeMamey. Le Mamey de flfie Efpagnole efl non- feulement haut, branchu, rond,
verd & frais, avec une très belle feuille, un peu plus grande que celle du
Noyer; mais il a, fur ceux des autres ifles & du Continent, l'avantage de
porter de fi bons fruits , qu'il n'y en a point de meilleur goût dans l'Ifle.
Leur grofl^eur ordinaire eft celle des deux poings. Ils font à -peu -prés
1 ' - ronds. Leur peau, qui reffemble à celle des poires, tire fur la couleur
fauve. Les uns n'ont qu'un noyau ; les autres en ont deux ou trois enfem-
ble, difliingués néanmoins par une pellicule fort déliée. La chair de ce
fruit efl auffi agréable que celle des Coings de Valence , quoiqu'elle ne foic
^ pas fi fucrée. Le bois de l'Arbre efl fort bon ; mais on ne le trouve point
gfTez fort pour les Edifices.
Avant qu'on eûtpenfé à tranfporter ici des Vignes de Caflille, on y
en avoit trouvé de fauvages, qui rapportoient de véritable raifin, dont O-
viedo rend témoignage qu'il avoit mangé plufieurs fois. Il ne doute point .
qu'en les cultivant, on n'eût pu les rendre beaucoup meilleures; mais elles
demandoient apparemment des foins qu'on voulut s'épargner. Il vit un
fep de ces Vignes, auffi gros, ou plus, que le bras d'un puiflànt Hom-
me ( z ). •
Chardons II nomme trois efpèces de Chardons d'une forme extrêmement finguliè-
finguliers. j.g^ qpj portent un fruit fort doux, dont la principale propriété efl: de ren-
Le Pitahaya. dre l'urine couleur de fang. Le fruit du Chardon, qui fe nomme Pitahayay
efl de la grofleur du poing. La Plante efl: fort épineufe. Une forte de bras ,
longs & quarrés , lui tient lieu de branches & de feuilles. Ces bras font de
* la groflTeur de celui d'un Homme. Chaque face du quarré forme un canal:,
du-
cs) Ibid. Chap. ar. La vraie raifon, qui s'efl: oppofée à leur culture, eft l'intérêt de
l'Efpagne, pour le commerce de fes vins, . • ■. , ,rT ,i i:,îj ^» j
• Vignes fau
vages.
•~- '^
EN A M E R I Q U E, Liv. I. r
duquel il fort, de diftance en diftance, trois ou quatre épines piquantes &
venimeufes , d'un pouce & demi de longueur. C'eft entre ces bras que croît
le fruit. Il eft d'un rouge cramoifi. & revêtu d'une peau fort épaifle , en
forme d'écaillé. Sa chair eft mêlée de petits grains , qui reflembient à
ceux des figues. Elle tache plus que le& mûres ; ôc la couleyr qu'elle donne
à l'urine n'empêche point qu'elle ne foit fort faine.
Le Tuwi eu un autre Chardon, d'une forme encore plus étrange. Ses
feuilles font rondes & maflives, de l'épaifleur du doigt, épineufes aux bords
& au milieu. La hauteur de toute la Plante eft celle du ^enou. Son fruit
eft long , verd au dehors , rouge & vermeil au dedans , de fi bon goût &
d'un ufage fi fain , qu'il s'en vend chaque jour au Marché. Une troifième
efpèce, dont Oviedo parle avec la même admiration (a), eft celle qu'on
tranfporte tous les jours en Europe, & qui eft aujourd'hui fort connue fous
le nom de Cterge. Il ajoute que les 1 unas font li communs, que non feu-
lement on en trouve des champs remplis , mais qu'on en couvre les murs
des champs & des jardins.
L' A R B R E , qui fe nomme Quentas del Xavon , ou Patenâtie de Savon , par-
ce que fon fruit, mis dans l'eau chaude, rend une écume qui fert à nétoyer
le linge; le Mangle, le Terebinthe, le Tamarin & le Cèdre , font d'une
fingulière beauté dans l'Efpagnole. Le Caoban^ qui eft plus particulier à
cette nie, en eft un des plus grands Arbres & des meilleurs bois. On en
fait des poutres , de toute forte de longueur & de groflfeur, dont la cou-
leur tire fur le rouge, & qui feroient eftimées , dit Oviedo, dans tous les
Pays du Monde.
Sur la Côte occidentale de l'Ifle, entre les Rochers & les Montagnes
de la Pointe de Tiburon , & dans quelques autres endroits , on trouve une
infinité de ces petits Pommiers dont les Caraïbes compofent, avec un mé-
lange d'autres fucs, le poifon dans lequel ils trempent leurs ftéches. La
hauteur de ces Arbres eft d'environ quinze pieds. Ils font fort touffus.
Leur feuille reffemble à celle du Poirier. Ils donnent , pour fruit, de pe-
tites pommes, les unes rondes, d'autres obloneues, d'un fi beau rouge,
& d'une odeur fi agréable, qu'il eft difficile de les voir fans être tenté d'en
manger. Mais leur fuc eft un venin , qui empoifonne également les Hom-
mes & les Animaux. On affure même que ceux, qui dorment à l'ombre de
ces Arbres, s'éveillent avec une grande douleur de tête ; les yeux, les pau-
pières & les mâchoires enflées. Si la rofée des feuilles touche au vifage ,
elle brûle la peau. Entre-t'elle dans les yeux? elle éteint la vue, jufqu'à
la faire perdre entièrement. Le bois allumé jette une vapeur infupporta-
h\e (b), qui caufe des maux de tête dont on a peine à guérir. Oviedo ne
Bomme point cet Arbre, ni fon fruit, qu'on prend ici néanmoins pour
laManzanille, quoique l'idée, qu'il donne de l'Arbre, ne s'accorde pas exac-
tement avec d'autres defcriptions.
,:.... . Il
, (a) Son admiration tombe particulière-
ïnent fur l'efFet qu'il en reffentit , lorfqu'ayant
mangé, pour la première fois, du fruit des
Tunas, il rendit du fang pur, qui lui fitcroi-
Hh 3
Descriptios
DE i/Isi.e
E^l'AGNOLE,
Le Tuna.
Quentas del
Xavon.
Le Caoban.
Pommes
fort venimeO'
fes.
re qu'il s'étoit rompu quelque veine, & que
fa mort étoit fort proche. Liv. 8. Chap, 25.
(i>) Liv. 9. Chap. 12,
DESCRITTrON
DE L'IsLE
Espagnole.
Le Monftre
d'Arbre.
LcLiienes.
Le Calniya
& l'Hcne-
quen.
245 PREMIERS VOYAGES
Il en dëcrit un, auquel il ne donne pas d'autre nom que celui de Mort'
Jlre S Arbre. C'efl: le feul , dit-il , qui convienne à la fingularité de fa for-
me & de fes effets. Il n'ôfe même décider fi c'efl: une fimple Plante ou un
Arbre. A peine fe croit-il capable de le décrire (ff). On en trouve beau-
coup entre San-Domingo & Yaguana. Sa hauteur e(l de dix ou onze pieds.
Son effet le plus merveilleux eflide guérir toutes les fraflures d'os, par la
fimple application de fon écorce ou de fes feuilles broyées (rf). Il produit
un fruit rude, de la groffeur d'une groffe olive, &,d'un beau rouge cra-
moifi , revêtu d'épines fi fubtiles qu'on a peine à les voir, & qui ne laiffent
pas d'entrer dans les doigts , jprfqu'on y touche. Les Indiennes en font
une pâte, qu'elles coupent en petits morceaux quarrés, de la grandeur de
l'ongle du doigt, & qu'elles portent au Marché, enveloppée dans du co-
ton. C'efl une couleur fort efliimée, & qui leur fert à fe peindre. Ovie-
do éprouva plufieurs fois que l'on pouvoir s'en fervir pour les Tableaux ;
il la, trouva excellence, & li durable, quoiqu'il ne l'eût trempée qu'à l'eau
claire, fans gomme & fans autre mélange, que fix ans après, elle étoit auf-
fi belle que le premier jour.
Le Lirenes efl: le fruit d'une Plante que les Infulaires cultivoient; & les
Efpagnols ne tardèrent point à les imiter. Cette Plante jette & ré-
pand fes branches fur terre. On les coupe pour les replanter. Leur
fruit , qu elles produifent en terre , attaché à de petites verges dépen-
dantes de la branche, efl: blanc & de la groffeur des groffes dattes. Il
efl: de fort bon goût. Oviedo affure qu'il n'a rien vu à quoi il puiffe
le comparer. Les Infulaires le portent en abondance aux Marchés, &
le vendent tout cuit (e).
Le Cabuya & V Heneqtten font deux efpèces d'herbes, dont la feuille ref-
femble alTez aux Cardes , quoiqu'elle foit plus large , plus épaiffe & fort
verte. On en fait de la filaffe <k des cordes affez fortes, après avoir roui
les Plantes dans des ruiffeaux, chargées de pierres, & les avoir fait fécher
au Soleil. En les broyant avec un bâton, on en tire la filaffe, qui efl:
de la longueur de la feuille. Depuis que les Infulaires font tombés au
pouvoir des Efpagnois , qui les chargent fouvent de chaînes , ils ont
trouvé le rpoyen de fcier le fer avec des cordes de ces deux herbes;
& fouvent ils emploient cette méthode pour fe délivrer de leur pri-
fon (/). ■ '
RÉ-
(c) „ Il produit, dit -il dans la Traduc-
tion , des branches remplies de feuilles
larges & fort laides à voir , de façon dif-
forme , fort épaifles & épineufes. Ces
branches ont premièrement été feuilles &
cAtcs ; & de chacune feuille ou côte en
fortent d'autres; puis de ces feuilles ou
côtes, endurcies & grandes, ou pendant
qu'elles s'endurciflent , en fortent encore
G autres, s'augmentant Sccroiflant les unes
des autres , & de côte en côte fe changent
& deviennent branches. La couleur du
troQc de l'Arbre cii gris rude, & les bran?
„ ches auflî; & les feuilles font quelque peu
„ vertes , defquelles les unes croillent de
„ travers où une autre branche commence à
,, iffir de nouveau en la môme feuille, &
„ faut remarquer que toutes les feuilles &
., les branches font fort éplneufes ". Liv.
9. Cbap. I.
( d ) Quand l'emplâtre fait fon opération ,
elle s'attache fi fort à la chair, qui! efl: très
difficile de l'ôter; mais après la guérifon , el-
le tombe d'elle môme. Ibid.
(e) Ibid. Liv. 7. Chnp. 12.
(/) » Ce qu'ils font , dit l'Auteur , en
». cet-
, EN AMERIQUE, Liv. I. 247
■^ RÉPÉTONS qu'il a paru fuffire, pour cet Article, de choifir les Arbres
& les Plantes au'Oviedo diftingue par fes élbges, ou qu'il attribue particu-
lièrement à rille Efpagnole. On ne doutera point , qu'avec les avantages
de " " ■ " - — ''•"'' "'' "' - - ' ' ' ^-- ' -
autres
doit fuivre quantité a autres ueicripuons. \jn ajoute leuiement que
dant le long féjour que le même Ecrivain avoit tait dans cette Ifle, iîn'y
avoit vu que deux elpèces d'Arbres, qui n'y confervairent point leurs feuil-
les pendant toute l'annçe ( 5 ).
Nota. Tout ce qui regarde l'I/le Efpagnole ^ depuis que les François s'y font
établis ^ quils ont pris l'habitude de la nommer Saint • ûomingue , efi remis au
tems de leur Etablijfement i cefi-à-direy à l'année i<56o, ^ plus loin.
„ cette forte : ils prennent un fil de Hcnc-
„ quen ou de Cabuya, & le mettent & re-
„ muent fur le fer, comme celui qui fcic ou
„ lime. L'un le tire, l'autre le lâche d une
„ main vers l'autre; & mettent fouvent du
„ fable menu fur le fil; & lorfqu'il s'ufe, y
„ mettent du fil neuf. Ainfi fcicnt un fer,
,, quoiqu'il foit gros. Et afin que cela ne
„ femble incroyable, il eft advenu que les
,. Indiens ont ainfi coupé en morceaux les
„ ancres des Navires ". Liv. 7. Cbap. 10.
(g) Liv. 9. Chap. 16.
L
Voyage SHernandez de Cordoue, £3* Découverte de PTucatan.
A plus importante entreprife des Caftillans , dans l'abfence de Dom
Diegue Colomb, fut la découverte de ÏYucatan (a) y & du Mexique f
deux Régions dont il étoit. furprenant qu'après tant de côurfes on n'eût
point encore acquis la cffnnoiflance , & qui ouvrirent bientôt un champ fi
vafle à l'ambition de l'Efpagne, que l'ille Efpagnole cefla prefque tout-d'un-
coup de tenir le premier rang entre ks nouvelles 'Colonies. On a vu qu'en
1502 Cliriftophe Colomb s'étoit avancé fort près de l'Yucatan, & que de
faux avis l'avoient empêché de continuer fa Navigation par cette route. La
découverte qu'il fit enluite de la Province de Veragua, où il trouva beau-
coup d'or, & quelques années après, .celle de la Floride, par Jean Ponce
de Léon, firent oublier .apparemment tout ce qui avoit moins d'éclat que
les efpérances préfentes» Enfin, vers le commencement de l'année ij 17,
ou fur la fin de la précédente, Velafquez, qui avoit mis l'Ifle de Cuba dans
un état floriilant , ne voulut pas perdre l'occafion de s'étendre par de nou-
velles Conquêtes , ou de fe fortifier dans fon Kle, en -y faifant amener un
grand nombre d'Efclaves, pour la culture des terres. La douceur de fon
Gouvernement avoit attiré prés de lui une grande partie de la NobleflTe Ef-
pagnole des Indes. 11 propofa une Expédition fur quelque endroit de la
Terre-ferme, où l'on n'eût point encore pénétré , dans le deflein d'y faire
un Etablififcment , fi le Pays en paroiflbit digne, ou d'enlever des Indiens,
s'ils étoient Cannibales, ou du moins d'y faire la traite de l'or, s'il s'y en
trou"
Description
DE l'Isle
Espagnole.
Obfervation.
lÎERNANnEZ
DE COUDOUE.
1517-
Raifons qui
avoient retar-
dé la décou-
verte de i'YU'
catan.
0. v
(a) Herrera, Cbap. 10 ^ ji. f
Hùta. La Catte des Provinces de Tabafco, Cmpa, Vera-Paz, Cuatiniala, Honduras &
Tucatan, a été employée au ïome XVL 11, (1..E. , -, , ..: u^ ,r.iV,x ..,•
248 PREMIERS VOYAGES
ITERNANnEZ
DE Cor DOUE
trouvoit. Quelques Mémoires aflurent qu'il en demanda la permiflton à
l'Amiral Dom Diegue, dont il n'étoit que le Lieutenant: mais d'autres E-
' 5 ' ?• crivains y trouvent peu d'apparence. Dom Diegue étoit en Efpagne de-
puis trois ans; & Velafquez, loin de s'être contenu dans la fubordination ,
n'avoit rien épargné pour fe rendre indépendant. Il avoit même obtenu,
par la proteftion du Tréforier Général , des Provifions de Gouverneur ab-
folu, que Dom Diegue, à la vérité, eut le crédit de faire révoquer; mais
fans pouvoir l'emporter ^ur le point le plus eflentiel , qui étoit le pouvoir
de le rappeller {b).
Vcinfqucz II arriva, comme Velafquez l'avoit prévu , que non- feulement fes Ma-
iTernnmkzdc 'elots & fes Soldats, qui s'ennuyoient de l'oifjveté, mais plufièurs Caftil-
Cordôiic. lans de confidération, paffîonnés pour la fortune, ou pour la gloire, en-
trèrent volontiers dans fes deffeins. François Hernandez de Cordoue , un
des plus riches & des plus entreprenans, fe chargea de la conduite de l'en-
. treprife, & d'une grande partie des fraix. Velafquez accepta fon offre,
& fît armer à San-Yago, Capitale de Cuba, deux Navires & un Brigan-
Son tk'pait. tin , fur lefquels il embarqua cent dix Hommes. Hernandez mit à la voi-
"'■ le, le 8 de Février, avec Alaminos^ pour premier Pilote. Cet habile Na-
vigateur, qui avoit fervi dans fa jeuneffe, fqus Chriftophe Colomb, n'eut
. . ■ pas plutôt doublé le Cap de Saint-Antoine, qui eft à l'extrémité occiçlenta-
, . ;' , le de Cuba, qu'il propofa de gouverner droit à l'Oueft, par la feule raifon
- , ',. • que l'ancien Amiral avoit toujours eu du penchant à fuivre cette route. C'é-
- toit aflez pour déterminer Hernandez. Une tempête, qui dura deux jours,
leur fit voir la mort de fort prés fous mille faces terribles; & pendant trois
femaines leur Navigation fut très dangereufe, dans une Mer qu'ils connoif-
foient fi peu. Mais ils apperçurent enfin la Terre, & s'en approchèrent
affez près. Leurs premiers regards a'étoient arrêtés fur une grande Bour-
gade, qui leur parut éloignée aenviron deux lieues, lorfqu'ils virent par-
tir de la Côte cmq Canots, chargés d'Indiens, qui étoient vêtus d'une for-
te de pouipoints fans manches, & de caleçons de la même étoffe. Ces
Barbares femblèrent voir avec admiration les grands Navires des Caftiîlans,
leurs barbes, leurs habits, & tout ce. qui ne reffembloit point à leurs pro-
pres ufages. On leur fit quelques préfens, dont ils furent affez fatisfaits
pour revenir le lendemain en plus grand nombre, avec de grandes appa-
rences d'amitié: mais leur deffein étoit d'employer la perfidie & la violen-
ce, pour fe faifir de tout ce qu'ils avoient admiré à la première vue. Les
Caftillans n'ayant pas' fait difficulté de defcendre , ceux qui débarquèrent
les premiers fe trouvèrent tout -d'un -coup environnés d'un grand nombre
d'Ennemis, qui s'cioient embufqués, & qui pouffant de grands cris, firent
tomber fur eux une grêle de pierres & de flèches. Avec l'arc & la fron-
de , -ils étoient armés d'une forte de lames d'épées , dont la pointe étoit un
caillou fort aigu , de rondaches , & de cuiraffes doublées de coton. Her-
nandez eut quinze Hommes bleffés ; mais le feu des arquebufes ayant bien-
tôt diflîpé ces Traîtres , on obferva, dans le même lieu, trois Edifices de ma-
çonnerie, qui étoient des Temples remplis d'Idoles, la plupart d'une figu-
11 aborde
lYucatan.
Combat
vec Ils In-
diens.
ii.
(t) Ibii. Chap. 17. Hiftoire de Saint-Domingue, Liv. 5. page 140.
ro
X
r E N A M E R I Q U E, Liv. I. U9
Temon(trueure(c). AlîonfQ Gonzalez, Chapelain du Général, y trouva,
dans de petits coffres, d'autres Statues de pierre & de bois, avec des ef*
Sèces de Médailles d'un or afTez bas , des bagues & des pendans d'oreille
i des couronnes de même métal. On avoit pris, dans le combat, deux
jeunes Indiens , qui furent batifés fous le nom de Julien & de Mel-
chior (d).
Les Caftillans fort joyeux, malgré leur difgrace, d'avoir découvert un
Pays , dont les Habitans étoient vêtus , & les Maifons de pierre & de
chaux i fpeélacle qu'ils n'avoient point encore eu dans les Indes , donnè-
rent au Cup le nom de Cotoche, qui étoit celui de la Bourgade, &*retournè-
rent à Bord pour fuivre la Côte. Après quinze jours de navigation , pen-
dant laquelle ils obfervèrent conflamment de ne mouiller que la nuit , ils
arrivèrent proche d'un Golfe, à la vue d'une Bourgade aum grofle que la
première, qu'ils appellèrent Lazare, parce qu'on étoit au Dimanche de ce
nom , mais que les Indiens nommoient Kimpefh , & qui a pris depuis le nom
de Campeche. Dans une fi grande étendue de Côte, on fut furpris de n'a-
voir pas découvert une feule Rivière («); & l'on fut obligé de prendre de
Teau d'un puit, qui étoit la feule reflburce des Habitans. Pendant qu'on
rentroit à Bord, cinquante Indiens, vêtus de Camifoles & de Mantes de
coton > fe préfentèrent aux Cadillansj & leur ayant demandé , par divers
lignes , s'ils ne venoient pas du côté d'où le Soleil fe lève, ils les invitè-
rent à s'approcher de leur Bourgade. Quoique l'avanture de Cotoche leur
rendit cette invitation fufpefle, ils réfolurent d'y aller bien armés. La eu-
riofité les fit entrer dans quelques Temples bien bâtis , qui fe préfentoienc
fur leur pafiage, &dans lefquels ils furent furpris de trouver, avec quan-
tité d'Idoles , des traces de fang toutes fraîches, & des Croix peintes fur
les murs. Ils y furent bientôt environnés d'une multitude d'Indiens , des
deux fexes & de toutes fortes d'âges, qui ne fe laflbient point de les admi-
rer. Quelques momens après, ils en virent paroitre deux Iroupes, qui
marchoient en bon ordre, & qui étoient armés comme ceux de Cotoche.
Dans le même tems, il fortit d'un Temple dix Hommes, qu'ils prirent pour
des Prêtres > vêtus de longues robbes blanches, avec une chevelure noire
fort frifée. Ils portoient du feu dans des réchaux de terre, où ils jettoienc
une forte de gomme, qu'ils nommoient K^^al, en dirigeant la fumée du
côté des Caflillans, & les preflTant de fe : nrer. Après cette cérémonie,
on entendit le bruit de plufieurs inflrume; de guerre, qui fonnoient la
charge. Hernandez, qui ne fe voyoit point en état de réfifler à un Peuple
n nombreux, fit reprendre à fés gens le chemin de la Mer; & quoique lui-
vi par les deux Troupes d'Indiens, qui ne le perdirent jpas de vue, il fut
alTez heureux pour fe rembarquer fans aucun accident (j).
'" . ,. w Î-: ' ■ U
quelques-unes entre le Cap.de Cotoche &
Campeche; mais il eft vrai que le Pays eft
peu arrofé , & qu'on n'y boit que de l'eau
de puits, qui elt très bonne.
(/) Ibidm.
HeRNAiroKX
OB CORDOUK.
1517-
Statues &
Médailles
d'or du Pays.
(<?) A faces de Démons, d'Hommes & de
Femmes. Quelques-unes, renverfées fur
d'autres, repréfentoient les plus infâmes dé-
reglemens. Herrera^ Liv. 2. Chap. 17.
\d) Ibidem,
\e) Nos Cartes en marquent néanmoins
XVIIL Paru
■ V .}■
Découverte
de Kimpefh,
ou Campe-
che, nommé
d'abord La-
zare.
Cérémonies
obfcures des
Indiens.
I î
\^^
ifERNANDEZ
Dfi CORDOUE.
IJI7-
Mafliicre
(les Cattillanà
'* Potonchan.
Embarras
d'Hcrn ailliez
ie Cordouc.
Anfe de los
Lagartos, ou
des Lefurds.
'. Nouvelle
Àfgracc des
CoiliUàns.
Retour
d'Hernandez
de Coidoue,
& fa more.
t5^ PREMIERS VOVaGËS
Il reprit fa route au Sud pendant fix jours; & l'eau commençant à lui
manquer, il mouilla dans une Anfe, prés d'un Viiiaçe nommé Potonchan^
où il trouva un puits d'eau douce, dont il remplit les tonneaux. Mais,
ayant paiTé la nuit à terre , il y fut attaqué , le lendemain , par un grand
nombre d'Habitans, qui lui tuèrent quarante-fept Hommes. La plupart
des autres n'échappèrent point fans bleflures , & lui - même fut percé de
douze flèches (g ). Il ne dût la vie qu'à fon courage (/b ) , qui lui ouvrit un
chemin au travers des Ennemis ; & lorfqu'il fut rentré dans fes Barques , où
les iîéchesje fuivirent , il eut le chagrin d'y voir mourir encore cinq Hom«
mes, de leurs bleflures, outre deux qui avoient été enlevés dans le com^
bat, & dont la vie lui parut defefperée entre les mains des Indiens. Une
fi cruelle difgrace fit donner à cette Baye le nom de Afala Polea. Il ne •
reftoit pas d'autre parti que de retourner a Cuba. Alaminos, qui avoit fait
le Voyage de la Floride avec Ponce de Léon, fut d'avis d'en prendre la
route , parce qu'il trouvoit , dans fes Cartes , qu'on n'étoit éloigné de cet-
te Terre que d'environ foixante lieues , & que la navigation de la Flori-
de à la Havane étoit plus courte & plus fûre que par la voie qu'on avoic
fuivie.
I L fallut brûler un des trois Navires , faute de Matelots pour le gouver-
ner. Trois jours après avoir levé l'ancre, on arriva près d'une Anfe, qu'on
prit d'abord pour une Rivière: mais l'eau en étoit falée; & ceux qui def-
cendirent, pour creufer des puits, n'en purent tirer d'eau douce. Cette
Anfe reçut le nom de los Lagartos ^ parce qu'on vit fur fes bords un grand
nombre de Crocodiles , ou de gros Lefards. Dans l'efpace de quatre jours ,
on découvrit la Floride , qu'Alaminos n'eut pas de peine à reconnoître.
Hernandez y defcendit, avec lui & vingt -deux Hommes. L'expérience
lui ayant appris à fe tenir fur fes gardes, il mit des Sentinelles autour du
lieu où il fit creufer des puits, dans un terrain fort lar^e, où l'eau étoit
excellente. Mais cette précaution n'empêcha point qu'il n'y fûtfurpris,
par une légion de Barbares, qui bleflTérent d'abord Alaminos, & qui enle-
vèrent une des Sentinelles. Ce fut par uue faveur extraordinaire du Ciel,,
que les Caftillans évitèrent d'être maflacrés jufqù'au dernier, & qu'ils re-
tournèrent à Bord , où plufieurs furent même contraints de retourner à la-
nage. Hernandez, ayant mis à la voile fur le champ, arriva dans l'efpace
de deux jours aux Ifles des Martyrs, où l'un des deux Navires qui lui ref-
toient toucha fi rudement, qu'il s'ouvrit; & dans ce trille état, il fe ren-
dit à la Havane. Son premier foin fut de rendre compte, par une Lettre
au Gouverneur de Cuba, des circonllances de fon Voyage & de l'impor-
tance de fes découvertes. Il lui promettoit incefl*an-ment une vifite, a-
près qu'il fe feroit rendu par terre à la Ville du Saint Efprit, où il avoit
ron Ëtabliflement ; mais il mourut dix jours après fon débai'quement (i)»
Telle fut la première découverte de cette belle partie de l'Amérique,
{g) Herrera reproche ici à Gomera dé
s'être trompé en faifant recevoir vingt-trois
coups de flèches à Hernandez.
( if ) Solis ne dit pas , comme l'HUloilen de
Saint-Domingue, qu'Hemandez fut tué ici;:
il dit feulement que fa mort, arrivée enfui te,
retarda la Conquête du Pays. Tome i. p. 30.
(t) Ibidem , Liv. 2. Cbiap. 18.
\
U E, Lxv. I.
-> E N A M E R I Q u c, L,xv. I. ijf
^ae lei Ecrivains de toutef les itations ont continué de nommer TCU-
catarit à l'exception de quelques Géographes modernes qui écrivent ^u-
eatan (*). , ♦ •
•
(k) Herrera raconte que Bernard Diaz dtl on a fçu depuis que parmi eux Tuca tû en
Caflilh, qui étoit de l'expédition d'Hcman- effet le nom de ces racines, & Ilatli celui
dez, rendit témoignage qu'ayant demandé à de la terre où elles fe plantent, il jugeolt
quelque» Hablcana du Pay» s'ils avoient de que de Tuca & Ilatli joints enfembic, on t*
ces raciuei» donc les Indiens font du pain» voit fait Tueatla, d'où s'eft formé le nom de
ils avolcnt réponda Yuca & Ilatli, Comme Yucatan. Ibidtm.
.l^oyage de Jean de Grijahat ^ première Découvertt de la Nouvelle Efpagne.
V El kt (iVEz conçut une Ci haute idée de T Yucatan, fur le témoigna-
ge des deux jeunes Indiens qu'Hernandez avoit amenés de Cotoche,
& plus encore fur la vue des médailles, des couronnes & des bijoux d'or,
qui s'étoient trouvés dans leurs Temples , qu'il ne perdit pas un moment
pour fe mettre en état de poufler cette Expédition. Il arma trois Navires
^ un Brigandn , fur lefquels il mit deux cens cinquante Efpagnols , & quel-
ques Infulaires de fon Gouvernement. Juan de Grijaha , dont tous les
Hidoriens vantent le caractère & l'habileté (a), fut chargé du Comman-
dement général, & reçut, pour Capitaines, Pierre d'Alvarado, François
de Morne jOt & Alfonfe dAvila^ troia Officiers refpeâés pour leur naiilau-
ce , leur courage & leur politefTe. Les Pilotes furent les mêmes qui a-
voient fervi au Voyage d'Hernandez {b).
Grijalva mit en Mer le 8 d'Avril 1518 (c). Le deflein des Pilotes
ëtoit de tenir la même route qu'ils avoient fuivie dans Je premier Voyage:
mais étant emportés par les Courans, qui les firent décheoir de quelques
dégrés, ils arrivèrent, après huit jours de navigation, à la vue d'une lile,
2ue Ç&i Habitans nommoient Cozumel , & qui a retenu ce nom , quoique
Jrijalva lui eût donné celui àe^ Sainte ■ Croix t parce qu'on y aborda le jour
qu'on célèbre l'Invention de la Croix du Sauveur. Il s'avança un peu dans
les Terres , pour reconnoître le Pays ; mais il n'y rencontra qu'une Femme
Indienne de la Jamaïque , que le vent avoit jettée depuis deux ans dans
cette lile avec quelques Pêcheurs de la (ienne , & que les Habitans avoient
réfervée pour l'efclava^e, après avoir mafTacré les Hommes dont elle étoit
-accompagnée. Il apprit d'elle , qu'à la vue des Navires Efpagnols , tous les
Infulaires s'étoient retirés dans les Montagnes. Ses prières la firent con-
fentir à leur aller propofer de revenir dans leurs Habitations. Mais n'ayant
pu leur perfuader qu'on n'avoit aucun deiTein de leur nuire , elle revint prier
les
HlRMAHDiy
DE COKDOUI.
15 17.
Grijalva.
1518-
Occafîon de
ce Voyage,
& forces con-
tées à Grijal-
va.
(a) Quelques Hlftoriens fe font trompés
«1 le faifant Parent* de Velafquez; il étoit
feulement fon Compatriote, étant né comme
lui à Cuellas.
(b) Alaminos fut nommé premier Pilote.
(c) Oviedo le fait partir le 25 de Jan-
vier; mais c'eft apparemment de San-Jago,
Capitale de l'Ifle, pour aller faire fes prépa-
Son départ.
Il découvre
rine de Cozu-
mel.
ratifs dans un autre Port, d'où il mit à la
voile le 18. Il relâcha même encore à Ma-
torran, au Nord de Cuba; &1à, ils fe firent
tous couper les cheveux, s'imaginant que
dans les lieux où ils attoient, ils ne trouve-
roient pas de peignes pour fe les peigner.
Herrera, Liv. 3. Chap, i.
li 2
» \
253
PREMIERS VOYAGES
GXTJALVA.
• 1 5 ' 8.
TempU's
qu'il y
vc.
trou*
Ancienne
Croix adorée
dcsii-.fulaircs.
Explication
de Cl tte lin<
guiaritd.
Grijalva pu»
nit les Indiens
de Poton-
chan.
les Efpagnols de la recevoir fur un de leurs Navires ; ce qu'ils n'eurent pat
de peine à lui accorder. Entre plufieurs Temples, qu'ils trouvèrent dans
rilfe, ils en remarquèrent un, qui avoit la figure d'une Tour quarrée, avec
Quatre grandes fenêtres & leur galerie. Dans un enfoncement? en forme
de Chapelle, on voyoit les Idoles ^ & à côté, une efpéce de Sacrifie, qui
contenoit les indrumens nèceflaires au fervice du Temple. Proche de-là ,
dans un petit enclos bâti de pierre, cartelé & fort luifant, ils virent une
Croix de Chaux, haute de neuf ou dix pieds. Ils apprirent, apparemment
de la Jamaïquaine, que cette Croix étoit adorée des Infulaires fous le titre
du Dieu de ïatluye^ oc qu'ils ne s'y adrelToient jamais en vain pour en obte-
nir. On a cléja vu que dans la découverte cie l'Yucatan , les Caftillans a*
voient trouvé des Croix, la plupart peintes fur des murs (Jd). Herrera,
cherchant l'explication d'un fait u fmgulier, rapporte que Montejo, le mê-
me qui commandoit un des crois YaifTeaux de l'Efcadre, étant allé, en
1527, pour faire la Conc^uête de l'Yucatan, fut reçu dans une Bourgade,
nommée Mini , où il apprit que peu de tems avant l'arrivée d'Hernandez de
Cordoue dans le Pays, un Sacrificateur, nommé Chilon Combat ^ qui paflbic
pour un grand Prophète , avoit publié que des Hommes blancs & oarbus
viendroient bientôt des Quartiers d'où le Soleil fe lève , porteroient une
Croix pour Etendart, & qu'à ce figne, tous leurs Dieux prendroient la fui-
te : que ces Etrangers fe rendroient maîtres du Pays , mais qu'ils ne feroient
aucun mal à ceux qui fe foumettroient volontairement , & qui adoreroient
un feul Dieu, qui leur feroit prêché par leurs Vainqueurs. Après cette
Prophétie , Chilon Combal avoit fait faire une mante de coton , qu'il avoit
préfentée aux Indiens qui l'écoutoient, comme le modèle du l'ribut que
leurs nouveaux Maîtres dévoient exiger. Enfuite il avoit fait drefler une
Croix, à l'exemple de laquelle on en avoit élevé quantité d'autres. Peu
de tems après, les Efpagnols ayant paru fur les Côtes de cette Terre, on
leur avoit demandé s'ils ne venoient point des Pays d'où le Soleil fe lève;
& dans la fuite, les Habitans, qui virent rendre de grands honneurs à la
Croix par les Soldats de Montejo, ne doutèrent plus que la Prophétie de
Combal ne fût accomplie (e).
Après avoir fait quelques provifions dans Tlile de Cozumel, Grijalva
remit à la voile , & fe trouva dans peu de jours à la vue de l'Yucatan. Il
doubla la Pointe de Cotoche, qui efl la partie la plus orientale de cette
Province; & tournant à l'Ouell, il fui vit la Côte, jufqu'à la Rade de Po-
tonchan. Comme c'étoit dans ce lieu qu'Hernandez avoit été défait , l'ar-
deur de le vanger porta les Efpagnols à defcendre. Ils battirent les Indiens ;
& ce combat ayant répandu la terreur dans toute la Province, ils retourné-
rent à Bord pour achever cette découverte. Leur route fut continuée à
rOuefl, fans s'éloigner beaucoup de la Terre. La beauté de cette Côte
leur
(i) Gomera femble embrafler l'opinion de
quelques autres Ecrivains , qui ont attribué
ces Croix aux Maures chafTés d'Efpagne.
Mais on lui reproche d'avoir ignoré ce qu'on
va lire de Montejo. 11 pouvoit fe tiret de
ce doute, dit Herrera, puifque Ton Hiftoî-
re fut imprimée en 1553, à Médina del Cam-
pe , & que le récit de Montejo regarde l'an
1527. Ibid. Liv. 3. Chap i.
(e) Jbid. Liv. 3. Chap. z, ; 'i.
41
EN AMERIQUE, Liv. T.
«53
Our J ALtA.
1 Ji8..'
Il dôcouvre
une Terre
qu il nomme
la Nouvelle
Efpiigne,
Rivière
leur caufoic de l'admiration. Ils y ddcouvroienc , par intervalle! , des E-
difices de pierre ; & létonnemcm qu'ils avoienc, de trouver cet ufagedans
les Indes, leur faifoit paroître ces Bâtimens comme de grandes Villes,
où l'imagination leur repréfentoit des Tours, & tous les ornemens des Vil-
les de l'Europe. Quelques Soldats ayant fait remarquer que le Pays relFem-
bloit fort à 1 Efpagne, cette idée plut fi fort à ceux qui l'avoient entendue,
qu'on ne trouve pas d'autre raifon qui ait fait donner le nom de Nouvelle Ef-
pagne à toute cette Contrée (/).
Lis Vaifleaux Cadillans continuèrent de raneer la Côte, jufqu'à l'en-
droit où la Rivière, que les Indiens nommoient labafco, entre dans la Mer
par deux embouchures. C'ed une des plus navigables qui fe jettent dans
K Golfe qu'on a nommé du Mexique ; & depuis cette découverte , elle a
pris le nom de Grijalvat pour laifler le Hen à la Province qu'elle arrofe, &
2ui eft une des premières de la Nouvelle Efpagne , entre celles d'Yucatan J^'JJ!,'"'-'''' °*
t de Guazacoalco (g)» Le Pays paroiflbic couvert de très grands Arbres,
& fi peuplé fur les rives du Fleuve, que Grijalva ne put refider à l'envie
d'y pénétrer. Mais n'ayant trouvé de fond que pour les deux plus petits
de les Bâtimens, il y nt paflfer tout ce qu'il avoit de gens de Guerre, &
laifla fes deux autres Vaiffeaux à l'ancre , avec la plus grande partie de fes
Matelots. A peine fut-il engagé dans le Fleuve , dont il eut beaucoup de
peine à furmonter le Courant, qu'il apperçut un grand nombre de Canots,
reniplis d'Indiens armés , & pluiieurs autres Troupes fur les rives , qui pa-
roiifoient également réfolues de lui fermer le paifage, & de s'oppofer à fa
defcente. Leurs cris & leurs menaces effrayèrent fi peu les Efpagnols,
qu'ils ne s'avancèrent pas moins jufqu'à la portée du trait. Grijalva leur
avoit recommandé le bon ordre, & fur-tout de ne faire aucun mouvement
qui ne parût annoncer la paix. Les Indiens, de leur côté, furent iï frap-
pés de la fabrique des Vaifleaux étrangers, de la figure & des habits de ceux
qui les conduifoient , & de la belle ordonnance , autant que de l'intrépidi-
té avec laquelle ils les voyoient avancer, que, dans leur première furpri-
fe, cette vue les rendit comme immobiles. Le Général Callillan faifit ha-
bilement cette conjonfbure, pour fauter à terre (6). Il y fut fuivi de tous
fes gens, dont il forma au(ïï-tôt un Bataillon. Tandis que cette aétion fem-
bloit augmenter l'étonnement des Indiens , il leur envoya ^^ulien & Melchior^
ces deux jeunes gens qui avoient été pris dans l'expédition d'Hernandez de
Cordoue, & dont la Langue étoit entendue dans une grande partie de la
Nouvelle Efpagne, pour lesaflurer qu'il ne penfoit point à troubler leur
repos , & que dans le deflein au contraire de fe rendre utile à leur Nation ,
il leur offroit la Paix & fon Alliance. Cette déclaration en fit approcher
vingt ou trente, avec un mélange de confiance & de crainte. Mais, Tac-
. cueil qu'ils reçurent ayant achevé de les raflurer, Grijalva leur fit dire que
Négocia-
tions avec les
Indiens.
Giap. 2. SoUs,
(/) Solis, Chap. 5.
{g) Herrera, Liv. 3.
Tome I. Chap. 6.
(i) Herrera s'écarte un peu de ce récit.
Jl prétend que les Caûillans n'entendirent
les
d'abord que le bruit des Indiens qui cou-
poient du bois , & qu'étant defcendus à ter-
re fous des Palmiers , ce fut alors que les
Indiens s'approchèrent d'eux pour les obfet"
ver. Ibidem, . ""' y- •
lis
.;^î
.(
254
PREMIERS VOYAGES
»»
Gm j ALVA. lés Caflillans étojent Sujet» d'un grand Roi, Maître de tous'le» Pay8 où ils
■ 1518. voyoient naître le Soleil, & qu'il étoit venu les inviter, de la part de ce
Ils paroif- Prince, à le reconnoître auflî pour leur Souverain. Ce difcours fut écouté
fcnt fupé- ^g5 Indiens , avec une attention qui parut accompagnée de quelques mar-
Ssauvag^es. ques «le chagrin. Leur difpofition fembloit encore incertaine, lorfqu'un
de leurs Chefs, impofant filence à toute la Troupe, répondit d'un air&
d'un ton ferme ; „ que cette Paix qu'on leur ofFroit , avec des propofitions
„ d'hommage & de foumifllon, avoit quelque chofe de fort étrange; qu'il
étoit furpris d'entendre qu'on leur parlât de reconnoître un nouveau Sei-
gneur, fans favoir s'ils étoient contens de celui auquel ils obéiflbient ; que
pour ce qui regardoit la Paix ou la Guerre, puifqu'il n'étoit queftion
maintenant que de ces deux points, il n'étoit pas revêtu d'une autorité
fuffifante pour donner une réponfe décifive; mais que fes Supérieurs,
auxquels il alloit expliquer ce qu'on avoit propofé, feroient connoître
leur réfolution ". Un langage, H extraordinaire dans la bouche d'un In-
dien, ne caufa pas peu d'inquiétude aux Efpagnols. Ils jugèrent qu'ils s'é-
toient mépris en croyant avoir à faire à des Sauvages, & que des Peuples,
qui penfoient fi bien, ne pouvoient être des Ennemis méprifables. L'O-
rateur, s'étant retiré après fon difcours , les laiflà quelque tems dans cet
embarras; mais il reparui bientôt, avec la même Efcorte, pour leur décla-
rer „ que fes Maîtres ne aaignoient pas la Guerre ; qu'ils n'ignoroienc
„ pas ce qui s'étoit pafle dans la Province voiline, & que cet exemple n'é-
„ toit pas capable de les intimider ; mais qu'ils jugeoient la Paix préféra-
„ ble à la plu^heureufe Guerre ". Il avoit fait apporter quantité de fruits
& d'autres provifions, qu'il offi-it à G:ijalva, de la part de i^ Maîtres,
comme un gage de la Paix qu'ils acceptoient. Bientôt on vit arriver le
Cacique du Canton , avec une Garde peu nombreuie & iàns armes , pour
faire connoître la confiance qu'il prenoit à fes Hôtes , & celle qu'il lair de-
mandoit pour lui. Grijalva le reçut avec de graads témoignages de joie &
d'amitié , auxquels le Seigneur Indien répondit d'un air fort noble. Après
Jes premiers complimens, il fit approcher quelques gens de fa fuite, char-
gés d'un nouveau préfent , dont plulieurs pièces étoient également précieu-
fes par la matière & le travail. C'ctoient différentes fortes de bijoux .d'or,
renfermées dans une corbeille , des armes & des figures d'animaux , revê-
tues de lames d'or, des pierreries enchaiTées, des garnitures de plumes de
diverfes couleurs, & des robbes d'un coton extrêmement fin (i). Alors ^
iàns laifler le tems à Grijalva de le remercier, il id dit; „ qu'il aimoit la
„ Paix , & que c'étoit pour la faire fubfifter entr'eux qu'il le prioit d'ac-
„ cepter ce préfent; mais que dans la crainte de quelque mefintelligence ,
qui pouvoit s'élever entre les deux llïations , il le fupplioit de s'éloi-
» gner ".
»»
(j) Ces préfens montoient â la valeur de
jcoo pefos d'or. Herrera raconte que le Ca-
cique arma le Général Caftillan de fes pro-
pres inains, que les armes dont il le revûtit
étoient fi juftes qu'elles fembloient avoir été
faites pour lui, « que Grijalva fe trouva ain-
fi tout couvert de l'or le plus fin ; qu'à fon
tour il fe fit apporter ce qu'il avoit de plus
précieux en habits, & qu'il en revâtit auflî
le Cacique. Mais Solis croit toutes ces cir-
conQances fuit douttiu(i:;;>. Herrera ce Solis.
Ibidem.
i i
îfon
plus
aufli
cit-
Solis,
EN A M E R I Q U E, Liv. t
255^
»
premier. Al-
dans un Fleu<
de lui le nom.
_ gner ". Le Général Caftillan, charmé de tout ce qu'il entendoit» ré-
pondit que fon deflein n'avoit jamais été d'apporter le moindre trouble fur
cette Côte , & qu'il étoit difpofé à partir. En e£fet , il fe hâta de mettre à
la voile (A).
Deux jours de navigation le firent arriver à la vue d'une Bourgade,
nommée /Jgualuncoy à laquelle il donna le nom de la Rambla^ parce que les
Habitans, pour faire connoître apparemment qu'ils ne redoutoient rien,
firent quantité de caprioles fur le fable. Ils étoient armés de boucliers
fortluifans, qui n'étoient que d'écaiUe de Tortues, mais que cet éclat fît
prendre d'abord aux Caftillans pour de l'or. Un peu plus loin, Grijalva
découvrit un enfoncement , formé par l'embouchure d'une Rivière , que
les Indiens nommoient Tofiala , & qui reçut le nom de Saint • Antoine. £n-
fuite, il arriva au grand Fleuve de Guazavalco, où le mauvais tems ne lui
permit pas de mouiller; & prefqu'auiïi - tôt , on découvrit les Montagnes
couvertes de neige de la Nouvelle Ëfpagne, qui furent nommées Saint
Martin , du nom eu Soldat qui les avoit apperçues le
varado, prenant ici !^ devant avec fon Vaifleau, entra
ve , que les Indiens nommoient Papaloana , & qui prit
à!4lvarado.
£n continuant de ranger la Côte, les Caftillans arrivèrent enfemblc à
l'embouchure d'un autre Fleuve , qui fut nommé Rio de Banderas , parce
qu'ils y apperçurent des Indiens avec une forte de picques ornées de bande*
roUes , qui fembloient les inviter à defcendre. Montejo reçut ordre de s'a*
vancer avec deux Chaloupes, pour reconnoître leurs difpofitions, &r£f*
cadre ne tarda point à le fuivre. Les Caflillans furent 11 bien reçus de ces
Indiens , qu'ils en obtinrent la valeur de quinze mille pefos d'or , pour les
plus vieilles marchandifes d'£fpagne. Ils apprirent, dans ce lieu, qu'ils
étoient redevables des invitations & du bon acaieil des Habitans, à l'or-
dre d'un puiifant Monarque, voifin de cette Province, qui fp nommoit Mo-'
tezuma; que ce Prince, qui avoit été informé de leur approche; & qui a-
voit peut-être quelques preflentimens des malheurs qui le menai^oient, a»
voit mandé, Jtux Commandans defes Frontières, d'aller au-devant des Ef-
çagnols, de leur porter de l'or pour traiter, &de découvrir, s'il étoit pof-
hble, le véritable deflein de ces Etrangers. Grijalva prit poûeffion da
Pays , avec les formalités ordinaires ; & l'on obferve que tous ces Aâes fe
Ëùfoient au nom du Roi & de Veiafquez ( /).
La Rade de Banderas étant ual défendue contre les vents du Nord, on^
remit à la voile, & l'on rencontra bientôt une Ifle, aflez proche de la Cà-
te, que la blancheur de fon fable fit nommer VJJle Blanche. Un peu plus
loin, on en découvrit une autre, à quatre lieues de la Côte; & l'ombrage
de fes arbres lui fit donner le nom d'IJk Ferte. Plus loin. encore , à une
GkIJALVA,
1518.
Bourgade
d'Agualunco,,
qui prend le
nom de la
Rambla.
Rivière de
Saint-Antoi-
ne.
Montagnes
de Saint
Martin.
Rio de Ban-
deras.
Riches é-
changes.
Iffe Blan-
che.
Ifle Verte;
., V
{\) Ses gens regrettèrent néanmoins de
n'avoir pas fuit un Etabliflement dans cette
Terre, lis demandèrent plus d'or aux In-
diens, qui leur répondoient culva , culva,
c'eft-à-dlrc, allez plus loin. Jlerrcra, Ibii.
» -•■■•■ ■>..■
lieue
Nota. Voyez le Plan de la Rade de la Fe-
ra Cruz Êf des IJÎes voijines, au Tome XVI,
R. d, E
( l ) Herrerû, Liv. 3. Qiap. 9 ; & S«lis^
Chap. i. , .
Gbijalva.
1518.
Ifle des Sa-
crifices; d'où
lut vient ce
nom.
Faute de
Grijalva, qui
ne s'établit
g oint dans le
ays qu'il dé-
couvre.
Méconten-
tement de Vê-
la fquez.
3
25^ PREMIERS VOYAGES
lieue & demie du rivage, on en apperçut une, qui parut peuplée, & le
Général y defcendit. 11 y trouva quelques bons Efdifices de pierre, & un
Temple ouvert de toutes parts, au milieu duquel on découvroit plufieurs'
dégrés, qui conduifoient à une efpèce d'Autel, chargé de Statues d'horri-
ble figure. En le viûtant de près , on y apperçut cinq ou ûx cadavres hu-
mains, qui paroiflbient avoir été facnfiés la nuit précédente. L'effroi,
ue les Caftillans relTentirent de ce fpeélacie , leur fit donner à l'Ifle le nom
'IJÎe des Sacrifices. Ils virent d'autres victimes d'une barbare fuperftition
dans une quatrième Ifle, un peu plus éloignée, que Tes Habitans nommoient
Culva, & qu'ils prirent pour cette Terre abondante en or, qu'on leur avoit
indiquée à Tabafco. On y traita effe£livement beaucoup d'or; & Grijal*
va, qui fe nommoit Jearif lui donna le nom de Saint j^ean de Culva, dont
on a tùt Saint-3^ean ëCUlua (m).
La vue de tant de riches Contrées faifoit fouhaiter, au Général Efpa-
gnol , d'en prendre poiTefTion plus folidement que par de fimples formalités.
C'étoit le fentiment de la plupart des Officiers de l'Efcadre, fur-tout d'Aï-
varado , qui en avoit repréfenté plufieurs fois l'importance. Mais Grijalva
étoit arrêté par une fcrupuleufe foumifiTion pour les ordres de Velafquez,
qui lui avoit défendu d'entreprendre aucun Êtablifl'ement (n). Cependant
il prit le parti de lui envoyer rendre compte du fuccès de fon Voyage,
pour fe faire expliquer encore une fois ioz intentions. Il lui dépêcha le
Vaifleau d'AIvarado, fur lequel il chargea tout ce qu'il avoit recueilli de
précieux , & les Malades qui n'étoient pas capables de fervice. Velaf-
quez, inquiet de fon côté, de n'apprendre aucune nouvelle de l'Efcadre,
fit partir un VaifFeau, fous le Commandement de Chriftophe d'Olid, pour
s'informer de ce qu'elle étoit devenue. Un coup de vent, qui maltraita
d'Olid, fur les Côtes de l'Yucatan , l'obligea de retourner à San-Yago,
d'où il avoit fait voile ; & le Vaiffeau d'AIvarado étant arrivé prefqu'en
mêmetems dans ce Port, Velafquez futconfolé par les fiatteufes nouvel-
les qu'il reçut d'un Pays , qu'on commença dès ce jour à nommer publique-
ment la Nouvelle Efpagne. Cependant , après avoir entendu le récit d'AIva-
rado , il parut fort irrité qu'on n'eût pas bâti même un Fort , dans une fî
grande étendue de Pays. On ne peut expliquer cette contradiction d'idées ,
qu'en fuppofant , avec Herrera , qu'Alvarado , qui avoit toujours été por-
té pour un Etablififement, ne rendit point un témoignage favorable aux in-
tentions de fon Général; <& que Velafquez, à qui Las Cafas attribue beau-
coup de bizarrerie & d'indécifion , fit un crime à Grijalva de n'avoir pzs
trouvé, dans les circonftances , uneraifon aflez forte pour lui faire oublier
les ordres avec lefquels il étoit parti. Il efi: coudant , du moins , qu'après
s'être fort emporté contre un Officier , dont tout le crime étoit de lui avoir
trop bien obéi, il p**:: n», réfolution de faire un nouvel Armement, & d'en
remettre la conduite en d'autres mains (0).
^ ' : Gri-
. (»») Ibidem.
( n ) Gomera eft le feul Hiflorien qui pré-
tende, au contraire, qu'il avoit ordre ex-
prés d'en faire un. Las Cafas, Herrera, &
Solls s'accordent à le contredire,
(0) Herrera, Liv. 3. Chap. 10.; SiSolis,
Chap. 8.
EN AMERIQUE, Liy. I.
^Sf
trAïjALVA dtoît parti, dans le même tems qu'AIvarado, pour continuer
fes découvertes , en fuivant la Côte vers le Nord. Après avoir reconnu les
deux Montagnes de Tu/pa & de Tu/ia^ qui s'étendent fort loin entre la Mer
. & la Province de Tlafcala, il entra dans la Province de Panuco, qui efl: la
dernière de la Nouvelle Efpagne , du côté du Golfe. Mais Jorfqu'il eut
mouillé dans une Rivière, qu'il nomma Rio de Canoas^ parce qu'il y trouva
un grand nombre de Canots, le Vaifleau d'Alfonfe d'^w/a, qui étoit le plus
avancé, fut attaqué par une multitude d'Indiens, auxquels il n'auroit pu ré-
fifter, fi Grijalva n'étoit venu le fecourir avec toutes fes forces. On fit
une cruelle boucherie de ces Barbares ; & l'Efcadre étant fortie de la Ri-
vière, fuivit les Côtes de Tlafcala, pour s'avancer vers une Pointe, où les
Courans devinrent fi contraires , qu'après quantité d'efforts pour la doubler, '
le Pilote Alaminos déclara qu'il y avoit de l'imprudence à le tenter plus
long-tems. Alors plufieurs Officiers de l'Efcadre fe réunirent encore pour
engager le Général à faire un Etabliflement , & l'auroient peut - être em-
porté , fi d'Avila & Montejo n'euflent été d'un avis oppofé. Mais le ré-
fultat du Confeil fut de reprendre enfin 1^ route de Cuba, où l'on arriva le
10 de Septembre.
Voyage de FernanàCortez, Découvertes^ Conquête du Mexique.
EN paffant au Port de Matances , Grijalva fut informé des préparatifs
qu'on y faifoit déjà pour une autre Expédition. Comme il ignoroit
encore les difpofitions de Velafquez , il fe flatta que s'il étoit queftion de
la Nouvelle Efpagne, le Commandement de cette Flotte ne pouvoit être
confié qu'à lui. Ses efpérances furent bien trompées , k)rfqu*au lieu des
félicitations & des remercimens auxquels il s'étoit attendu, Velafquez lui
fit publiquement de vifs reproches. 11 ne répliqua qu'en produifant l'Ordre
qu'il avoit reçu de lui-même: mais le Gouverneur étoit fi rempli de fes pré-
ventions , qu'en reconnoiffant que cet Ordre étoit de fa main , il traita de
crime la fidélité avec laquelle on l'avoit fuivi. Il députa Jean de Salcedo à
rifle Efpagnole, pour faire agréer fes nouveaux defleins aux Gouverneurs
Jéronimites ; & dans la crainte de perdre un moment , il fit radouber aufli-
tôt les Vaifleaux qui avoient fervi au Voyage de Grijalva. Avec ceux
qu'il avoit achetés , il en compofa une Flotte de dix Navires , depuis qua-
tre-vingts jufqu'à cent tonneaux. Mais il étoit quefliion de leur donner un
Commandant.
Il auroit fouhaité, fuivant Solis, d'en trouver un, dans le caraftère du-
quel la grandeur du courage fut réunie avec une foumiflîon fervile, c'efl:-à-
dire, avec la bafleflede refprit(aj: deux extrémités qu'il efl: difficile de
rapprocher. La voix publique étoit pour Grijalva, qui fe recommandoit
par fes bonnes qualités , par fes fervices , & par la connoiflance de la Route
<& du Pays. Antoine & Bernardin Velafquez , tous deux proches Parens du
Gouverneur, Balthazar Bemudez, W a^co Porcallo, & d'autres Officiers de
diftinélion fe mirent fur les rangs; mais les uns portoient trop haut leurs
* pré-
' ■ ■ . (a) Solis, Chap. 9. -- '^- ^""' ' ', ' , :.Z '';; ,
XVIILPan. • Kk ' ^
0»IJAlVil.
J 5 I 8.
Province de
Panuco.
Rio de Oh
noas.
Grijalva re*
tourne à Cu-
ba.
Fërnahb
C O R T E Z.
Nouvelle
entreprife
pour fuivre
les découver-
tes.
Armeméht
de Velafqucî
dans l'Ifle de
Cuba.
Son embar-
ras pour le
choix d'un «
Chef.
. /
k.2
FeEN ANO
C O R T B Z.
1518.
Fernand
Cortcz eft
choifi.
Son origine
^ les premiè-
res avaniu
rcs.
' En quelle
année il pnflc
aux Indes.
Ce qui lui
arrive dans
rinedeCiîba.
tSS PREMIERS VOYAGES
prétentions, & les autres n'avoient pas toute la capacité qu'on demandoit.
Enfin, Ainudor de Lariz^ Tréforier Royal de Cuba, & André Duero, Se-
crétaire du Gouverneur, profitèrent de cette irréfolution pour faire tomber
le choix fur leur Ami commun; mais, malheureufement pour Velafquez,
fur 1 homme du monde qui convenoit Je moins à fes vues. Ce fut le fa-
meux Hernand^ ou Ftrnand CorteZy celui de tous les Conquérans du Nou-
veau jyionde, dont les vertus & les vices ont caufé le plus de partage âc
d'indécilion dans l'Hifloire.
CoRTEZ étoit né t-n 1485» à Medellin ^ Ville de l'Eflramadoure , d'une
Famille dont on n'a pas conteflé la NobleiTe (b). Dans fa première jeu-
nefle, il avoit étudié les Lettres humaines, à TUniverfité de Salamanque,
& le deffein de fon Père étoit de l'appliquer à la Jurifprudence ; mais fa
vivacité naturelle, .qui ne s'acommodoit pas d'une Profeflîon fi grave, le-
ramena chez fon Père, dans la réfolution de prendre le parti des armes. 11
obtint la permiffion d'aller fervir en Italie, fous Gonfalvede Cordoue; &
le jour de fon départ étoit marqué, lorfqu'il fut attaqué d'une longue &
dangereufe maladie, qui mit du changement dans fes defieins, fans en ap-
porter à fes inclinations. Il réfolut de pafler aux Indes, où la Guerre, qui
duroit encore dans les Ifles , promettoit moins de fortune que de gloire.
Il ypafla dans le cours de l'année 1504, avec des Lettres de recomman-
dation pour Dom Nicolas d'Ovando, îbn Parent, qui commandoit alors
dans rifle Efpagnole. Quoiqu'il eût à peine vingt ans, il fit éclater fa har*
dieffe & fa fermeté dans pluGeurs dangers, auxquels il fut expofé pendant
la Navigation. Ovando le reçut avec amitié, &. le garda quelque tems
près de lui. Enfuite, il lui donna de l'emploi dans Azua de CompoUelle.
Cortez étoit bien fait, & d'une phyfionomie prévenante. Ces avantages
extérieurs étoient foûtenus par des qualités qui le rendoient encore plus ai-
mable. II étoit généreux, fage, difcret. Il ne parioit jamais au desavan-
tage de perfonne. Sa converfation étoic enjouée. Il obligeoit de bonne
grâce, & fans vouloir qu'on publiât fes bienfaits. Un mérite fi dillingué,
6i l'occafion qu'il eut de fignaler fa valeur & fa prudence, lui avoient ac-
quis beaucoup de réputation dans la Colonie, Iqrfqu'en 15 11 Velafquez,
qui palfoit dans l'Ifle de Cuba, lui propofa de le fuivre^ avec l'emploi de
fon Secrétaire. Il accepta cet Office. Mais le Gouverneur ayant fait des
Mécontens , Cortez , qui étoit apparemment de ce nombre , fe chargea ,
l'année fuivante , de porter leurs plaintes à l'Audience Royale de San - Do-
mingo. Ce complot fut découvert. Cortez fut arrêté, & condamné an
dernier fupplice. Sa grâce néanmoins fut accordée aux infl;ances de quelr
ques Perfonnes de confidération ; & le Gouverneur, fe contentant de l'en-
voyer Prifonnier à San-Domingo , l'embarqua dans un Navire qui mettoit
à la voile. Mais, n'étant point obfervé à iiord, il eut le courage, pen-
dant la nuit, de fauter dans la Mer, avec un ais entre fes bras. Après a-
Yoir couru le plus terrible danger, il fut jette fur le rivage, où il retomba
fous
"l'y H»' "f
» "
(b) Son Père fe nommoit Martin Cortez
de Monroy, & fa Mère Catherine Bizarre
d'Jltamirano, deux noms , dit Solis , qui
marquent aflêz la noblcfTe de fon cxt^fUOD,
Cbap. 9. , , , »
? E N A M E R I Q U E. Liv. I. «59
fous le pouvoir du Gouverneur; mais il paroît que l'admiration de fon ca-
raftère lui en fit un Ami , & qu'à l'exception de quelques difficultés qui fur-
vinrent encore, pour un Mariage qu'il fit fecrettement (<;), il n'en reçut
plus que des faveurs. Auflfi fa fortune devint - elle floriflante ; & lorfque
fes Amis le prqpoférent pour commander la Flotte de la Nouvelle Efpagne,
il exerçoit l'Office d'Alcalde à San-Yago , Capitale de l'Ifle.
Ce choix fut aflez appjaudi , pour la conduite de l'Expédition, par-
ce que les grandes qualités de Cortez n'étoient ignorées de perfonne ; mais
ceux qui connoiflbient parfaitement fon ambition & fon adreffe, doutè-
rent fi Velafquez n'avoit pas manqué de prudence ( d). Ce qui contri-
bua beaucoup à le tromper, c'eft qu'il crut avoir pris des mefures fuffi-
fantes contre les mauvais offices de fes Ennemis , en faifant partir, pour
i'Efpagne, après l'arrivée d'Alvarado, un Vaifl^eau, par lequel, rendant
compte au Roi des nouvelles découvertes , il lui envoyoit ce qu'il avoit re-
çu de plus précieux de la Terre-ferme. Bientôt même il dépêcha auffi Gon-
zalve (h Gufman , qu'il chargea d'agir de concert avec les Amis qu'il avoit à
la
«I
>»
(c) Herrera eft le feul qui fe foit attaché
au récit de cette avanture. „ Quoiqu'il ne
„ fût pas nager, dit-i! , il fe jetta dans les flots ,
.. fur un ais qui le contenoit en partie. Com-
me la Mer baiObit alors , il fut poulTé à
plus d'une lieue par le Courant; mais le
flux qui revint le rejetta au Rivage , fi fa-
tigué, qu'il avoit été plufieurs fois prêt
de quitter fon ais pour finir fes peines en
fe noyant. Lorfqu'il fut à terre , & qu'il
„ vit le jour paroître , ne doutant point
„ qu'on ne le fît rhercher, il alla fe cacher
„ dans une Eglife. Proche de-là demeuroit
„ un Efpagnol, natif de Grenade, nommé
„ Jean Suarez, qui avoit une Sœur, jeune
„ & de mœurs honnêtes. Cortez, qui fut
„ apperçu de cette Fille , lui plut par fa fi-
„ gure; &, la compafllon qu'elle eut de fon
„ malheu? ayant abrégé les formalités , elle
„ lui fit cDnnoître qu'elle avoit de l'afFeftion
„ pour lui. 11 profita de cette ouverture.
„ Mais un jour, qu'il fortoit pour aller voir
„ fa Maîtrefl'e , un Sergent , nommé Jean
„ Efcudero , qui l'obfervoit depuis quelque
„ tems , le fuivit jufqu'à la porte de l'Egli-
„ fe, Pembrafla par derrière, & l'emmena
„ prifonnier. Les Juges procédèrent contre
„ lui avec beaucoup de rigueur. Dans cette
„ fituation, il ne vit pas d'autre relTourcc
,, que d'en appeller à Velafquez même , en
„ qualité de Gentilhomme, qui efpéroit trou-
„ ver, dans un Homme du même Ordre,
,, des fentimens nobles & fupérieurs àlaven*
„ geance. Cette voye lui raiflit. Velafquez
„ lui pardonna; mais il ne voulut pas le re-
„ tenir à fon fervice,- & pendant quelques
„ mois, Cortez, fort à l'étroit, fe vit ré-
„ duit à faire fa Cour aux Amis du Gouver-
„ neur. Cependant il époufa Catherine Sua-
„ rez , avec laquelle il fe vantoit d'être
„ aufli content que s'il eût époufé la Fille
„ d'une Ducheffe. Il en eût un Fils , qu'il
„ fupplia Velafquez de tenir fur les fonds.
,. Cette grâce lui fut accordée , &fervitbica-
„ tôt au rétabliflfement de £a fortune. Le
„ Gouverneur, qui avoit entrepris alors de
„ former des Bourgades de Cailillans , lui
„ donna un bon nombre d'Indiens pour s'é-
,, tablir à Ciudad de San-Tago, dont on ne
„ faifoit que jetter les fondemens , & lui ac-
„ corda enfuite la Lieutenance de cette Vil-
„ le, Cortez étoit rufé , ajoute l'Hiftorien.
,, Il continua de ne rien épargner pour fe
„ rétablir entièrement dans les bonnes gra-
„ ces de Velafquez, qui étoit d'ailleurs d'un
„ caraftère facile. Il y parvint avec tant de
„ bonheur, qu'à la faveur de cette, réconci-
„ liation & par fon induftrie, il acquit bien-
„ tôt trois mille pcfos d'or, qui étaient alors
„ une grande richeflTe ". Herrera, Décade
I. Liv. 9. Chap, 9.
(</) Herrera raconte qu'un jour que le
Gouverneur & le Capitaine Général fe pro-
menoient enfcmble, un Fou, nommé Fran
cifquillo , s'approcha d'eux , & fe mit à crier
que Velafquez ny entendoit rien, & qu'il
lui faudroit bientôt une féconde Flotte pour
courir après Cortez. Compère, dit le Gou-
verneur, (c'étoit ainfi qu'il nommoit ordi-
nairement Cortez) entendez -vous ce que dit
ce mtcbant Francij'quillo ? Cortez répondit
que c'étoit un Fou, qu'il falloit laiiTcr par-
ler. 2. Décade, Liv. 3. Cbap. 12.
FeRKAff»
Cortez.
15 18.
Il devient
Ami du Gou-
verneur.
.V
Velarquez
établit fon
crédit en Ef-
pagne.
^>î.,
Kk
26o
PREMIERS VOYAGES
Ferrand
CORTEZ.
IJI8.
II f ft fait
Adclantade.
Cortez lui
devient fuf-
peft..
Avec quelle
habileté Cor-
rez preOe
l'cmbarque-
KCOt.
la Cour, pour y foûtenir fon crédit & fes intérêts. Pamphile de Narvaez,
qui.étoit de ce nombre, l'avoit déjà fi bienfervi, auprès de l'Evêque de
Burgos, dont l'autorité croiflbit de jour en jour, qu'étant d'ailleurs Ami
de Paflamonte , & ne vivant pas bien avec l'Amiral, ce Prélat Vefforçoit
de faire valoir fon zèle & fes fervices. Il fongea même à fe l'attacher, en
lui faifant époufer Donna Mayor de Fonfeca, fa Nièce; & le 13 de No-
vembre de cette année , il fit figner au Roi une Tranfaflion , par laquelle
ce Prince nommoit Velafquez, Adelantade, & le déclaroit fon Lieutenant
Général dans l'Ifle de Cuba & dans tous les lieux qui avoient été ou qui fe^
roient découverts par fes foins & fous fes ordres. II lui accordoit même
la permiflion de lever des Troupes pour fes Expéditions, j'ufques dans l'If-
le Efpagnole , & fes avantages n'avoient pas été moins ménagés dans la ré-
partition des profits (e)* Un Traité de cette nature & de fi grands Privi-
lèges ne durent pas plaire beaucoup à l'Amiral Diegue Colomb, dont la fu-
périorité ne fe réduifoit prefque plus qu'à de vains titres. Mais Velafquez
reçut trop tard cette efFufion de grâces, & n'en jouit pas long-tems. On
verra même qu'elles ne fervirent qu'à l'engager dans des entreprifes mal
concertées , qui tournèrent à fa ruine.
CoRTEZ avoit reçu fa nomination avec de vifs témoignages de recon-
noiflance ; & la plupart des Caflilians , qui dévoient fervir fous fes ordres ,
étoient charmés de ce choix. Mais les Concurrens, fur Icfquels il Tavoic
emporté, ne pouvant déguifer leur chagrin , commencèrent à jetter des
foupçons dans l'efprit du Gouverneur. Ils lui repréfentèrent que c'étoit
rifquer beaucoup, que de donner tant de confiance à un homme qu'il avoie
maltraité; que le caradlère de Cortez étoit connu; que fes manières agréa-
bles & fiatteufes, fa libéralité, fon empreflement à fe faire des Amis, &
fon adrefle à fe les attacher, étoient autant de qualités fufpeftes. Velaf-
quez , peu porté à la défiance , n'en fut pas moins ferme dans le parti qu'il
avoit embrafie , du moins s'il faut s'en rapporter au plus grand nombre des
Hiftoriens ; & Cortez ne penfa qu'à prefler fon départ. Il employa , aux
préparatifs , tout fon bien & celui de les Amis. L'Etendart , qu'il fit arbo-
rer, portoit le Signe de la Croix, avec ces mots pour devife, en Latin:
Nous vaincrons par ce Signe. En peu de jours , il ralfembla fous fes ordres
environ trois cens Hommes, entre lefquels on compcoit Diego d'Ordas,
Ami particulier du Gouverneur , François de Morla , Bernard Diaz del Caf'
tilloj qui publia l'Hiftoire de cette Expédition (/), & d'autres Gentilshom-
mes,
(e) Herrera, Lxv. 3. Cbap. 11.
(/) Elle fut achevée en 1568, & publiée
quelques années après , fous le titre de Hif-
toria Ferdadera de la Conquijlo de la Nueva
Efpana , por Bernai Diaz del Cajiillo , m
fol. La confiance, qu'on croit devoir à un
témoin oculaire, fait préférer ici fon autori-
té à celle d'Herrera; car la raifon du détail,
que Solis fait valoir pour s'attacher aufli à la
môme foitrce, paroît aflez foible. Herrera
Dc rapporte pus moins les circonllances du
départ, dans un récit fort oppofé. Les voici:
„ Amador de Lariz découvrit à Cortez que
„ le Gouverneur, agité par fes foupçons,
„ étoit réfolu de lui ûter fon Emploi ; &
„ comme cétoit un efprit fubtii & adroit , il
,, lï'avoit pas- befoin d'averriffement , parce
„ qu'il itiifuffifoit de regarder Velalquez au
„ vifagc. La première nuit qu'il fçut cela,
„ lorfque tout le monde étoit couché , &
„ toutes chofes dans un profond filence, il
alla éveiller fes meilleurs, Amis, & leur die
u
EN AMERIQUE, Lrv. I.
26r
mes, dont les noms paroîtront plus d'une fois avec honneur. Les Trou-
pes furent embarquées en plein jour, à la vue du Peuple. La nuit fuivan-
te , Cortez , accompagné de fes Amis , alla prendre congé du Gouverneur ,
qui l'embrafla tendrement, avec d'autres careflTes, qui le conduifit au Port,
oc qui le vit monter fur fon Vaifleau. Solis a cru ce détail néceflaire,
pour détruire d'autres récits, dans Icfquels, dit-il, Corcez eft repréfenté,
fans vraifemblance, comme un ingrat, qui excita- fa Flotte à la révolte a«
vant que de fos tir du Port.
QUELQ.UE jugement qu'on en doive porter, la Flotte fortit de San-
Yago, le 1 8 de Novembre, & rafant la Cote du Nord, vers l'Eft, elle al-
la mouilier, en peu de jours, au Port de la Trinité, où Cortez avoit quel-
Sues Amis, qui le reçurent avec des tranfports de joye. Son deflein, qu'il
c publier, lui fit autant de Partifans, dans cette Ville, qu'il y avoit d'Ef-
pagnolsTtrdens pour la gloire & la fortune. On nomme ici les principaux ,
pour donner plus de facilité à les reconnoître dans le cours de leurs exploits.
C'étoit Jean d'E/calante^ Pierre Sanche de Far/an , & Gonzale de Mexia,
On vit bientôt arriver Alvarado & d'Avila , qui étoient partis après la Flot-
te; & ce renfort fut d'autant plus agréable à Cortez, qu'ils avoient déjà
commandé tous deux dans l'Expédition de Grijalva. Alvarado amenoit
fes quatre Frères, Gonzale ^ George y Gomez & ^ean. La Ville du Saint-
Efpric, qui efi: peu éloignée de la Trinité., fournie aulfi fes plus braves Ci-
toyens,
FlRNANa
Cortez.
15 IB. "
Premierdé-
part de la
Flotte.
Principaux
Officiers.
Ardeurs
des Caftilhns
à fuivre Cor-
tez,
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If
qu'il failoit s'embarquer proinptement , a-
vi'c affez de gens anidés pour fc défendre.
11 alla lui-même à la Houchcrie; & malgré
les ijouchers , il enleva toute la viande
qui s'y trouva. Il la fit porter aux Navi-
res, malgré leurs plaintes. Mais il tira
de fon col une chaîne d'or qu'il portoit,
& la leur- donna. Auili-tôt, fans autre em-
barras, il l'a rendit à Bord, où il trouva
déjà quantité de gens embarqués, parce
que chacun vouloit être des premiers pour
cette Entreprife. Cependant Velafquez fut
averti, par les Bouchers & par d'autres,
que la Flotte al loi t mettre à la voile. Il
fc leva aullî-tôt, & touce la Ville fut trou-
blée en mêmetems, 11 alla au rivage, dès
la pointe du jour , avec une nombreufe
fuite. Cortez, l'ayant apperçu , defcen-
dit dans une Chaloupe armée de Faucon-
neaux, d'Efcopetes & d'Arbalètes , accom-
pagné de fes plus fidèles Amis , & s'appro-
cha du rivage. Velafquez lui dit: Compè-
re , Compère , vous partez dmc ainfi , fans
dire adieu? Il ejl bien étrange que vous
nie quittiez ainji. Cortez lui répondit :
Seigneur, je vous en demande pardon; mais
fâchez qu'on ne fauroit apporter trop de di-
ligence aux grandes entreprifes. Ordon-
nez feulement ce que vous foubaitez que je
faffe pour vôtre fervice. Velafquez , fur-
pris de tant de haidiefle & de réfolutio».
„ ne fçut que répondre ; & Cortez retourna
„ fur le champ aux Vaifleaux & partit, mais
„ avec peu de vivres , parce que les Navires
,, nétoient pas encore bien équippés. Il
,, s'arrêta, quinze lieues plus loin, au Port
,, de Macaca , oii il y avoit quelques provi-
„ fions , qui appartenoient au Roi ; & dans
„ l'efpace de huit jours, il fe.tit apporter à
„ Durd, par les Indiens, plus de trois cena
,. charges de Cazabi, chaque charge de cin-
„ quante livres au moins, & fuirifmte par
,, conféquent pour nourrir un liomme pen-
„ dant un mois. 11 prit des Porcs, de la
„ Volaille, & tous les vivres qui s'offrirent,
„ di(ant, qu'il les prcnoit en form.; d'em-
„ prunt, ou par achat, & qu'il ks payeroie
,, au Roi. De-là, fuivant la Côte, en def-
„ cendant , il rencontra un Navire de la Ja-
„ maïque , chargé de Lard & de Cazabi ,
,, qu'il enleva ". &c. Herrera, ubi fuprà,
i,iv. 3. Chap. 12. Malgré le parti qu'on a
pris de fuivre Diaz del Caftillo & Solis , on
n'a pu fe dilpcnfer de faire obferver qu'un
Ecrivain tel qu'Herrera , ne s'accorde point
avec eux. Caftillo fut témoin oculaire, mais
on peut le foupçonner d'avoir favorifé Cor-
tez. Herrera eft un Hillorien fincère & ju»
dieieux; mais il peut être foupçonné d'avoir
travaillé fur des Mémoires infidèles ; fource.
d'incertitude , trop ordinaire dans l'Hiftolfe, .
Kk 3
iCi
PREMIERS VOYAGES
Feknano
COKTfZ.
I Ji8.
Sa généro-
fîté les attire.
Velafquez
précend lui
hier le Coin-
ihiuidcment.
Comment
Coicez évite
cet affront.
Second dé-
{)art de Cuba.
toyens , tels qu'Alfonfe Hernandez , Porto Carrero , Gonzale de Sandoval,
Rodrigue de kanjal^ Jean Velafquez de Léon y Parent du Gouverneur ,• &
plufieurs autres Gentilshommes de la même diftinftion. Une fi belle No-
blefle , & plus de cent Soldats , qui furent tirés de ces deux Villes , aug-
mentèrent également la réputation & les forces de l'Armée j fans compter
les munitions , les armes, les vivres & quelques Chevaux, qui furent em-
barqués aux fraix de Cortez & de Ces Amis. Outre les dépenfes commu-
nes, il difl:ribua libéralement tout ce qui lui refloit de fon propre bien, en-
tre ceux qui avoient befoin de fecours pour former leur équipage. Cette
générofité, jointe à l'efpérance que fcs qualités naturelles taifoient conce-
voir de fa conduite, lui attacha tous les cœurs par des droits plus forts que
ceux du rang & de l'autorité (g).
Cependant, à peine étoit - il parti de San-Yago , queVela(^ez, ex-
cité par de nouvelles repréfentations, fur- tout par celles d'un Aflrologue ,
nommé Jean de Milan , dont les prédiélions ambiguës augmentèrent fes
craintes , réfolut de tout tenter pour lui ôter le Commandement. Il com-
mença par envoyer un ordre exprès à Verdugo^ fon Beau - Frère ( A ) , qui
exerçoit l'Emploi d'Alcalde Major à la Trinité, de le dépofer dans toutes
les formes établies au fervice d'Efpagne. Cette Commiffion >étoit plus fa-
cile à donner qu'à remplir. Cortez écoit fur de tous ceux qu'il avoit fous
fts ordres; & Verdugo comprit qu'il expoferoit inutilement fon autorité.
D'ailleurs il fe laifla perfuader, par les difcours féduifans de Cortez, que
pour fon propre intérêt & celui de fon Beau - Frère , une entreprife de cet
éclat demandoit plus d'explication. Il écrivit à Velafquez. La plupart
des Officiers de la Flotte écrivirent de leur côté , pour repréfenter, au Gou-
verneur, l'injuflice qu'il vouloit faire à un Homme de mérite, dont tout
le crime étoit apparemment d'avoir excité l'envie ; & le danger qu'il y a-
voit de révolter toute l'Armée, par le mauvais traitement dont on raena-
çoit fon Général. Enfin, Cortez écrivit lui-même, dans des termes fort
mefurés, mais pleins de noblefle, qui faifoient fentir à Velafquez le tore
qu'il avoit de prêter fi facilement l'oreille à la calomnie (i). Cependant,
après le départ de toutes ces dépêches, il jugea que, dans une conjonfture fi
délicate, la prudence l'obligeoit de hâter fa navigation. Il envoya par ter-
re, à la Havane, une partie de ks Soldats, fous la conduite d'Alvarado,
pour y faire quelques nouvelles levées ; & mettant à la voile auffi ^ tôt , il
s'avança vers cette Ville, dans le delTein de ne s'y arrêter que pour rece-
voir fes gens à Bord.
La Flotte fortit du Port de la Trinité, avec un vent favorable; mais
au lieu de fuivre le Vaifleau de Cortez, elle s'écarta pendant la nuit , & les
Pilotes ne s'apperçurent point de leur erreur avant la pointe du jour. Ce-
pendant, comme ils fe voyoient fort avancés, ils continuèrent leur route
jufqu'à la Havane. Pierre de Barba , qui commandoit dans cette Ville,
entra vivement dans les intérêts du Capitaine Général , & donna des or-
dres pour les befoins de la Flotte. Mais on fut extrêmement furpris de
voir
(g) Solis, Chap. ii.
Ç^b) Solis le Domina fon CouHn.
(»■) Il ne vouloit pas paroître offenfé, dit
Solis, pour éviter les éclairciffemsis. Ibii.
y
EN AMERIQUE, Liv. I.
263
FBRNAirC
Coûtez.
1518.
Péril de
Nouvelle»
forces qu'il
prend à la
Havane.
voir paflTer pliifieurs jours, fans recevoir aucune nouvelle de Cortez ; &
l'inquictude alla fi loin , qu'une partie de l'Armée propofoit déjà d'élire un
Commandant dans l'on abfencc. La nuic de Ton départ, en paiTant fur les
dangereux Bancs qui fe rencontrent entre la Trinité & le Cap Saint-Antoi-
ne , aflez près de l'ifle Pinos , fon Vaifleau avoit touché , avec un danger Co"^^.
fi preflant , qu'il avoit fallu faire tranfportcr une partie de fa charge dans
riile voifine. La préfence d'efprit , qui avoit fait prendre au Général le
feul parti qui pouvoit le fauver , & la fermeté , avec laquelle il avoit fait
exécuter les ordres, augmentèrent beaucoup reIlimo& la confiance qu'on
avoit déjà pour lui {k).
Le nombre de Ces Soldats croilToit tous les jours. Entre les Gentilshom-
mes de la Havane, on diftingue François de MontejOj qui fut enfuite Ade-
lantade de l'Yucatan, Diegue de 6uto dtl Toro^ Garcie Caro , & Jean de
ZedenSi qui donnèrent un nouvel éclat à fes Troupes, & qui achevèrent
même de fournir aux fraix des armes & des provifions. Pendant ces pré-
paratifs , Cortez fçût ménager iufqu'au tems de fon loifir. 11 profita de ce
court intervalle, pour mettre I Artillerie à terre, pour faire nétoier les Piè-
ces , & pour exercer les Canoniers à leurs fonélions. Le Canton de la Ha-
vane produifant du coton en abondance , il en fit faire une forte d'arme
défenlive, qui n'étoit qu'un double drap de coton piqué , & taillé en forme
de cafaque, à laquelle on donna le nom d'EJlanpilU. Cette armure, qui doit
fon origine à la difette du fer, devint fi commune après l'expérience,
?u'un peu de coton , piqué mollement entre deux toiles , pafla pour une dé-
enfe plus fûre que le fer, contre la pointe des flèches & des dards Indiens;
fans compter que les flèches y demeurant attachées , perdoient encore leur
aftivité , & n'alloient blefler perfonne en gliflant fur les armes. Cortez
faifoit faire aulfi tous les exercices militaires à fes Soldats. Il les inflruifoic
lui-même, par le difcoiirs & l'exemple (/).
Mais tandis que les derniers préparatifs fe faifoient avec une diligence
& une conduite, qui lui attiroient de l'admiration, il vit arriver Gafpard
de Garnka , chargé des Lettres de Velafquez , par lefquelles il étoit ordon-
né à Barba de l'arrêter, & de l'envoyer Prifonnier à la Capitale. Elles
portoient ordre , à Diegue d'Ordaz & Jean Velafquez de Léon , de prêter
main-forte à Barba. Les plaintes, que le Gouverneur de Cuba faifoit de
Verdugo, faifoient comprendre qu'il ne recevroit aucune excufe dans l'af-
faire du monde qui l'intérefToit le plits. Cortez en fut averti , & cette ob-
stination lui caula de l'inquiétude. Ce fût alors, fuivant Solis, qu'il prie
la réfolution de rompre ouvertement avec Velafquez; d'où cet Hiftorien
conclut qu'on ne lui a pas rendu juftice, en l'accufant d'avoir levé le maf-
que à San-Yago. Il trouva des prétextes pour éloigner Diegue d'Ordaz,
avant la publication de ces ordres , parce qu'il n'ignoroit pas que la propo-
, fition de nommer un Commandant dans fon ablence étoit venue de lui.
Enfuite, ayant mis dans fes intérêts Velafquez de Léon, qu'il connoiflbit
plus facile à perfuader, il ne craignit point de fe montrer à les Troupes, &
de
Velnfquffz
donne ordre
ds ranôter.
{k) SoIis, Cbap. 12.
(i) Le même, Cbap. 13.
Fernano
COUTBZ.
I 5 18.
Zèle des
Troupes pour
Cortcz.
Divîfion
qu'il fait de
fes forces.
■ Il prend ■"
Saint Pierre
jîour Protec-
teur.
Départ ab-
foiu.
9tJ4 PREMIERS VOYAGES
de leur déclarer lui-même la nouvelle perfécution dont il étoit menace.
Leur ardeur fut égale à lui promettre une fidélité fana réferve. La No-
blefle fe contint dans les bornes d'un attachement fondé fur l'eflime & la
reconnoiflance ; mais la chaleur des Soldats fut poufTée jufqu'aux cris &
aux menaces. Barba , que ce mouvement tumultueux fembloit regarder, fe
hâta de paroître , pour jurer qu'il n'avoit pas deflein d'exécuter Tordre du
<îouVerneur, & qu'il en reconnoiflbit l'injuftice. Enfuite, pour ne laifler
aucun doute à fes intentions, il renvoya publiquement Garnica, avec une
Lettre, par laquelle il marc^uoit au Gouverneur qu'il n'étoit pas tems d'ôter
à Cortez le pouvoir qu'il lui avoit confié, & que les Troupes n'étoient pas
difpofées à fouflrir ce-changement. Il ajoutoit , en forme de confeil , que
le feul parti qu'il eût à prendre étoit de retenir le Capitaine Général par
la voie de la confiance, en ajoutant de nouvelles grâces aux premières, &
^u'il valoit mieux efpérer de fa reconnoiflance ce qu'il ne pouvoit obtenir
par la force (m). •
Aprls de telles aflufances de l'afieélion de fon Armée, Cortez ne vit
plus d'obftacle à redouter. En vain le bruit courut que Velafquez devoit
arriver lui-même à la Havane. Il auroit beaucoup hafardé, iùivant tous
les Hifloriens. Les Guerriers de la Flotte n'étoient pas encore revenus de
leur chagrin , & Solis décide hardiment qu'ils avoient pour eux la force &
la raifon. Ils prcfierent eux-mêmes le départ. La Flotte fe trouva com-
pose de dix Navires & d'im Brigantin. Cortez divifa toutes fes Trou-
pes en onze Compagnies, & les mit fous les ordres d'autant deX!^apitaines,
qui dévoient commander ces onze Vaifleaux , avec une égale autorité fur
Mer & fur Terre. Il prit le Commandement de la première Compagnie.
Les autres Capitaines furent Velafquez de Léon , Porto Carrero , Montejo ,
d'Olid , Efcalante , Alvarado , Morla , Sancedo , d'Avila, & Ginez de
Nortez , qui montoit le Brigantin. Orozco , qui avoit fervi avec beau-
coup de réputation dans les Guerres d'Italie, fut chargé de la conduite
de l'Artillerie; & le fâge Alaminos, dont l'expérience étoit connue fur
toutes ces Mers , fut nommé premier Pilote. Cortez donna pour mot ,
Saint Pierre, fous la proteftion duquel il déclara qu'il mettoit toutes fes
entreprifes.
On mit à la voile, du Port de la Havane, le lo de Février 1519. A-
près avoir eu, pendant quelques Jours , des vents impétueux à combattre,
toute la Flotte fe réunit dans l'Ifle de Cozumel (n), & l'on fit une revue
générale. Le nombre des Troupes montoit à cinq cens huit Soldats, fans
y comprendre les Officiers, & c€nt neuf Hommes pour le fervice de la Na-
■::..-.■__-:• V -_..::. ^ ,■ . - ' ' . yi-
(m) Le même, Cbap. 13.
( n ) Gomera dit que les Habitans la nom-
moient Acuzami, & que les Caflilians cor-
rompirent ce nom en Cozumel. Grijalva lui
avoit donné celui de Sainte-Croix [ ci-dcflTus ,
p. 251]. Elle eft à vingt dégrés au Nord de-
là Ligne. Sa longueur eft d'environ trente
tr.iles , & fa largeur de dix. Elle n'avoit guè-
res plus de deux mille Habitans , divifés en
trois Bourgades , qui étoient bâties de pierre
&~de brique, mais couvertes de paille ou de
branches , & quelques-unes de pierres fort
larges. La terre ell remplie de Porôts & de
Montagnes , entre Icfquelles il y a d excel-
lentes Vallées. Liv. 2. Cbap. 17.
EN AMERIQUE, Liv. I.
26s
vigation. Quoique la plupart euflent déjà fait éclater leur ardeur, Cortez,
après leur avoir fait une exhortation générale , prit lei Officiers à part ,
•Wit au milieu d'eux , & s'efforça de leur communiquer le feu dont il brû-
mais Ils tureet excuc» « uciwcuuic, yat. ic u\ju «luic ^u us virent régner
dans le Camp des Efpagnols ; & bientôt ils fe mêlèrent parmi eux , avec
autant de familiarité que de confiance. Cortez apprit du Caciaue , que dans
un Canton de la Terre -ferme il y avoit quelques Hommes barbus, d'un
Pays auquel ils donnoient le nom de Cajlille. Il ne douta point que ce ne fût
quelques-uns des Caftillans qu'Hernandez de Cordoue & Grijalva s'étoient
plairts d'avoir perdus fur cette Côte; & comprenant de quelle importance
il étoit pour lui de s'attacher quelques Hommes de fa Nation, qui dévoient
favoir la langue du Pays, il fit pafier Ordaz à la Côte de i'Yucatan, dont
rifle de Cozumel n'eft éloignée que d'environ quatre lieues. Deux Infulai-
res,
„ la force des armes. C'cft par cette voie
„ qu'Hercule a mérité le nom d'Invincible ,
„ & c eft ce qui a fait donnei le nom de Tra-
„ vaux à fes exploits. Vous avez pris l'ha-
„ bltude de fouftrir & de conibatcre, dans
„ toutes ces Ifles que vous avez foumifes ;
„ mais nôtre entreprife eft bien d'une autre
„ importance ; & puifque la réfolution fe
„ raefure fur la grandeur des obftacles , noua •
„ y devons apporter bien plus de fermeté.
„ 11 eft vrai que nous fommes en petit nom*
„ bre ; mais l'union fait la force des armées ;
„ elle paroit même les multiplier; & c'eft
„ ce que nous devons attendre de la con*
„ fonnité de nos fentimens. 11 faut, mes
„ Amis, que lorsqu'il s'agira de prendre unq
„ réfolution, nous n'ayions tous qu'un mê*
„ me avis; une même main, quand il fiu-
„ dra les- exécuter; que nos intérêts foient
„ communs, & nôtre gloire égaie, dans tout
„ ce que nous aurons le bonheur d'acque-
„ rir. La valeur particulière doit établir la
„ fureté commune. Je fuis vôtre Chef, &
,, je hafarderai le premier ma vie pour le
„ dernier des Soldats. Vous aurez mon
„ exemple à fuivre , encore plus que mes
„ ordres. Dans cette confiance , je me fens
„ aifcz de courage pour conquérir le Monde
„ entier ; & mon cœur fe flatte de cette ef-
„ pérance , par un de ces mouvemens extra-
,, ordinaires qui furpalFcnt tous les préfages.
„ Je finis. 11 eft tcms de faire fucccdcr les
„ ciTets aux paroles. Que ma confiance ne
„ vous paroifle pas une témérité. Elle eft
,, fondée fur ceux qui m'environnent; &
„ tout ce que je n'ôfe attendre de mes pro-
,, près forces, je l'efpère de vous ". Solit^
Chap. 14,
L 1
FtRNANn
CORTKZ.
Nombre
des Troupe«
du Cortez.
11 les ha- .
rangue dans
ride de Co.
zumel.
Il fait cher
cher quelques
Flfpagnuls
perdus fur la
Côte Ses
vùci dans et
foin.
(9) Dlaz de Caftillo nous a confervé ce
DIfcours, auquel il "fl-îl-l:, 5t Solis le rap-
porte après lui; Herrera n'en donne qu'un
extrait. Autant que ces ornemcns nuifcnt à
la vérité de l'Hiftoire, lorsqu'ils ne peuvent
paffer que pour des fiftions de l'Ecrivain , au-
tant fervent ils à la confirmer, lorfqu'ils font
authentiques. „ Mes Amis & mesCompa-
„ gnons, quand je confidérè le bonheur qui
„ nous a réunis tous dans cette Ifte, & que
„ je fais réflexion fur les traverfes & les per-
„ fécutions auxquelles nous fommes échap-
M pés, & fur les difficultés <|ui fe font op
„ pofées à nôtre entreprife, je reconnois a-
„ vec refpeft la main de Dieu, & j'apprens,
„ par cette difpofition de fa Providence ,
„ qu'elle nous promet un heureux fuccès
„ pour un delTein dont elle a daigné; favori-
„ fer les coinmencemens. C'eft le zèle , que
„ nous avons pour lui & pour le fervice du
„ Roi nôtre Maître, zèle parti du même
„ principe , qui nous fait entreprendre la
„ conquête de ces Pais inconnus ; & Dieu
„ combattra pour fa caufc en combattant
„ pour nous. Je ne penfe point à vous dé-
„ gulfer les difficultés qui fe préfentent.
„ Nous avons à foutenir des combats fan
„ glans & furieux, des fatigues incroyables
„ dans nos fondions , & les attaques d'une
„ multitude infinie d'Ennemis , ou vous au-
„ rez befoin d'employer toute vôtre valeur ;
• „ outre que le befoin des chofes les plus né-
„ ceiFaires, les injures du tems & la difficul-
„ té des chemins exerceront vôtre conftan-
n ce , que l'on peut nommer une féconde
„ valeur , & qui n'eft pas un moindre effort
„ du courage; car la patience achève fou-
„ vent à la guerre ce qui n'a pCl l'être par
^yHI. Pan.
* ■*■ il
%
FtlMAND
COKTIZ.
1519-
Comment
il entreprend
de convertir
les Infulnires
de Cozumel.
On retrou-
ve un Efpa-
gnol perdu.
Circonftan-
<fs de Ion re-
tour.
i •
166 PREMIERS VOYAGES
res, choidi par le Cacique même , furent chargés d'une Lettre pour les Pri-
fonniers , ôc de quelques préfens , par lefquels on fe flaccoic d'obtenir leur
rançon. Ordaz eut ordre de demeurer à l'ancre pendant huit jours , qui
étoient le tems nécelTaire pour la réponfe.
CoRTEz vit, avec horreur, toutes ces monflrueufes Idoles , qu'on a
repréfentées dans le Voyage de Grijalva; & le zèle de la Religion lui fît
entreprendre de convertir le Cacique (p). Mais, tandis qu'il fe ilattoit
de l'avoir perfuadé, il s'éleva un bruit afireux des Sacrificateurs dç Tifle,
J|ui annonçoient d'horribles châtimens au Cacique & à Ton Peuple , s'ils
ouffroient que le culte de leurs anciens Dieux fût troublé. Cortez indigné
donna ordre auflTi-tôt que toutes les Idoles fufTent mifes en pièces. Ce fra-
cas jetta les Indiens dans la conflernation. Cependant, lorfqu'au lieu de
la vangeance à laquelle ils s'attendoient , ils virent que le Ciel étoit tran-
quille , leur refpeéir pour ce qu'ils avoient adoré fe changer dans un tel mé-
pris, qu'ils confentirent fur le champ k voir élever, fur les ruines de Tldo-
latrie, un Autel où l'on mit une Image de la Vierge, avec une Croix. Or-
daz n'ayant pas reparu, dans le terme des huit jours, le départ ne fut pas
retardé plus long- tems. Cortez ne mit point à la voile fans avoir recom-
mandé au Cacique de refpeéler l'image & la Croix, en attendant des in-
Ibuélions & des lumières qu'il lui promit dans un autre tems (4).
OuoiQ.u*iL n'eût pas de fond à faire fur la durée d'une fi bifarre con-
veriion, une voie d'eau, qui fe fit au VaifTeau d'Ëfcalante, ayant bientôt
obligé la Flotte de retourner dans l'IOe d'où elle étoit partie, les Cafîillans
remarquèrent avec admiration, non -feulement que l'Image & la Croix é-
toient dans le lieu où ils les avoient placées , mais que les Infulaires avoient
fait éclater leur vénération par les parfums qu'ils y avoient brûlés , âc par
les fleurs dont ils avoient paré l'Autel. Mais ce n eH pas le feul effet que
l'Hidorien femble attribuer à la pieté de Cortez.
Il commençoit à defefperer qu'Ordaz eût rencontré les^ Frifonniers de
l'Yucatan , lorfqu'après avoir employé quatre jours à donner le radoub au
VaifTeau,, & dans le moment qu'on remettoit à la voile, on découvrit de
fort loin un Canot qui traverfoit le Golfe, pour venir droit à l'Ifle. Il por-
toit quelques Indiens armés , auxquels on fut jurpris de voir faire une dili-
gence extrême, & témoigner peu de crainte à la vue de la Flotte. Le Gé-
néral fit mettre quelques Soldats en embufcade , dans l'endroit du rivage où
le Canot devoit aborder. Ils laifTèrent defcendre les Indiens; & leur ayant
coupé le chemin, ils fondirent impétueufement fur eux; mais un de ces
Etrangers , s'avançant les bras ouverts , s'écria en Caflillan qu'il étoit Chré-
tien. Ils le reçurent avec mille carefTes, & le conduifirent au Général,
qui reconnut fes Compagnons pour les mêmes Infulaires qu'il avoit envoyés
avec Ordaz à la Côte d'Yucatan. Si l'on confidère , obferve l'Hiflorien ,
qu'une voie d'eau efl une difgrace commune, qui pouvoit être réparée fans
retourner à l'Ifle , que le tems néceffaire pour le radoub du VaifTeau , ne
l'étoic
(p) Il le prit à l'écart arec fon Interprô- dien fut comme étourdi, & n'ôfa fe hafar>
te, dit l'Hiflorien , & lui fit connoître la vé- der à répondre. Solis, Chap. ij. ^
lité par des argumens fi feiiCbles, que i'In- (j) Solis, ibid.
t
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
99f
réloit pas moins pour l'arrivée dn Prironnier, que cet Homme favoit af*
fez les différentes Langues du Continent pour fervir d'Interprète au Gêné*
rai, & qu'il devint en effet un des principaux inflrumens de la Conquête
du Mexique; on n'accordera point à la Fortune tout l'honneur de cet évé-
nement, & l'on fera forcé d'y reconnoître une merveilleufe difpofition de
la Providence (r).
Ce malheureux Inconnu ne paroiUoit pas différent des Indiens. Il étoit
nud comme eux & bafanné , arec les cheveux treffés autour de la tête. Il
portoit fa rame fur l'épaule, un arc à la main, on bouclier & des flèches
fur le dos, & une forte de rets en forme de fac, dans lequel étoit fa pro-
vifion de vivres , & une paire d'Heures qu'il avoit toujours confervée pour
fes exercices de Religion. Il demanda d'abord ^uel jour il étoit? avec un
embarras qu'on devoit attribuer à l'excès de fa joie, mais qu'on reconnut
bientôt pour un véritable oubli de fa langue naturelle. Il ne pouvoit tenir
undifcours fuivi, fans y mêler quelques mots Indiens, qu'on n'entendoit
point. Cortez, après lavoir embraffé, le couvrit lui-même du manteau
qu'il portoit. On apprit de lui , par dégrés, qu'il fe nommoit Jérôme d'/f-
guilar, qu'il étoit d'Ecija, Ville d'Andaloufie, & d'une naiflance mû lui
avoit procuré tous les avantages d'une bonne éducation. 11 étoit paiTé aux
Indes, & fe trouvant dans la Colonie du Darien pendant les diflenfions de
Nicueffa & de Vafco Nugnez de Balboa, il avoit accompagné Valdivia
dans le Voyage qu'il devoit faire à San -Domingo: mais à la vue de la Ja-
maïque, leur Caravelle avoit échoué fur les Bancs de los Àîacranes {s). De
vingt Hommes qu'ils étoient, fept étoient morts de fatigue & de mifére.
Les autres, ayant pris terre dans une Province nommée Maya, étoient
tombés entre les mains d'un cruel Cacique, qui avoit commencé par facri*
fier à fes Idoles Valdivia, & quatre de leurs Compagnons, dont il avoit
enfuite mangé la chair; Aguilar & les autres avoient été réfervés pour la
première Fête , & renfermés dans une cage , où l'on prenoit foin de les en-
graiffer; mais ils avoient trouvé le moien d'en fortir; & marchant pendant
plufieurs Jours au travers des Bois, fans autre aliment que des herbes & des
racines, ils avoient rencontré des Indiens qui les avoient préfentés à un
autre Cacique, Ennemi du premier & moins barbare, fous le pouvoir du-
quel ils avoient mené une vie affez douce, quoique forcés continuellement
à de pénibles travaux. Tous les Compagnons de fon malheur étoient morts
fucceffivement, à l'exception d'un Matelot, nommé Gonzalez Guerrero^ na-
tif de Palos, qui avoit époufé une riche Indienne, dont il avoit plufieurs
Enfans. Pour lui , que fon attachement pour la Religion avoit toujours
éloigné de ces coupables mariages, il étoit parvenu, après diverfes épreu-
ves , à mériter l'affeâion & la confiance de fon Maître. Il l'avoit fervi
fort heureufement dans fes guerres; & ce Cacique, nommé AquineuZt l'a-
voit recommandé en mourant à fon Fils , auprès duquel il avoit joui de la
même faveur. Lorfqu'il avoit re^u la Lettre de Cortez , par les indiens de
I Co-
(f ) Le même, Cbap, i6. j & Ilerrer», (j) Autrement Las Bivoras^ ou Cayna-
Liv. 4. Chap. 7. nes^
- ■ :- ,j-- ■- r Ll 2
FtSHâNtt
C O R T K X.
151p.
Sel «vafltti
rei.
•-»'!
•
U fc nom-
moit Terôme
d'Âguilar.
Mort de
fes Compa-
gnons.
268
PREMIERS VOYAGES
Fbrmand
CORTEZ.
I519.
Un feul ,
nommé Guer-
rero, em-
braflê la vie
des IndUns.
Route de
Cortez.
Utilité qu'il
tire d'-Agul-
lar.
Il fait la
guerre aux
Indiens de la
Rivière de
Grijalva.
Cozumel , il avoic employé les préfens qu'ils lui avoient remis , à traiter de
fa liberté, qu'il avoit obtenue comme une récompenfe de fes fervices. U
avoit communiqué la Lettre à Guerrero ; mais fans avoir pu l'engager à
quitter fa femme & l'emploi de Capitaine, dont il avoit été revêtu par le
Cacique de Nachanaam. C'étcit apparement la honte qui le retenoit ; par*
ce qu'ayant le nez percé, les lèvres, les oreilles & le vifage peints, & les
mains façonnées à la manière des Indiens , i] n'ofoit paroîîre , aux yeux
des Caflillans , dans un état qui marquoit un égal oubli de fa Patrie & de fa
Religion (f).
Les Caftillans partirent pour la féconde fois de Cozumel , le 4 de Mar^;
& doublant laP«inte de Cotoche, ils fuivirent la Côte jufqu'à la Rade de
Champotan. Cortez penfoit à vanger fa Nation des pertes qu'elle avoit ef-
fuyées dans cette Rade: mais le vent rendit l'abordage (j difficile, qu'il prit
le parti d'aller mouiller à la Rivière de Grijalva. Il n'y fut pas long-tems
fans entendre des cris tumultueux , qui fembloient lui annoncer de la réfîftan-
ce, dans un Canton où Grijalva n'avoit reçu que des carefles & des. pré^
fens. Aguilar, qu'il envoya demander la paix, dans un Efquif , revint lui
dire que les Indiens étoient en grand nombre, & fi réfolus de défendre
l'entrée de la Rivière, qu'ils avoient refufé de l'écouter. Quoique ce ne
fut point par cette Province qu'il vouloit commencer fes conquêtes, il lui
parut important pour l'éclat de fes armes , de réprimer l'infolence de ces
Barbares. La nuit approchoit. Il l'employa prefqu'entière à difpofer l'Ar-
tillerie de fes plus gros VaifTeaux , avec ordre eux Soldats de prendre ces
efpècès de caïaques piquées , qu'ils nommoient EJîanpilîes. A l'arrivée dû
jour, les Vaiffeaux furent rangés en demie lune, dont la figure alloit en
diminuant jufqu'aux Chaloupes , qui formoient les deux pointes. La lar-
geur de la Rivière laifFant aflez d'efpace pour s'avancer dans cet ordre, on
afFè£la de monter avec une lenteur, qui invitoit les Indiens à la paix. A-
guilar fut député encore une fois pour l'offrir. Mais leur réponfe fut le fi-
gnal de l'attaque. Ils s'avancèrent, à la faveur du Courant, jufqu'à la por-
tée de l'arc; & toutd'iin-coup ils firent pleuvoir fur la Flotte une fi grande
quantité de flèches , que les Efpagnols eurent beaucoup d'embarras à fe
couvrir. Mais, après avoir foutenu cetce première chaleur, ils firent à
leur tour une fi terrible décharge de leur Artillerie , que la plupart des In-
diens, épouvantés d'un bruit qu'ils n'avoient jamais entendu, & de la mort
d'une infinité de leurs Compagnons , abandonnèrent leurs Canots pour fau-
ter dans l'eau. Alors , les Vaiffeaux s'avancèrent fans obflacle jufqu'au
bord de la Rivière, où Cortez entreprit de defcendre, fur un terrain mare-»
cageux & couvert de buifTons. II y fallut rendre un fécond combat. Les
Indiens, qui étoient embufqués dans les Bois ,& ceux qui avoient quitté leurs
Cà-
f t) Sol's , ibidem, & Herrera, Chap. 7.
^ 8. Herrera fait remarquer que le carac-
tère d'Aguilar ne permet pas de douter de
fon rét it. Solis , fe recriant fur l'aveuglement
de Guerrero, ajoute , que c'eft le feul exem-
ple d'un excès dé cette nnture , qu'il ait
trouvé dans toutes les Relations des Conquê-
tes Efpagnoles en Amérique, & qu'il ne l'au-
roit pas placé dans fon Hiftoire , s'il avoit
pu TeiFacer de toutes, les autres.
■■?i..f-
EN A M E R I Q U E, Liv. I.'
afp
Pernano
C O R T E Z.
I 5 ï S>«
Il force la
Sa hardicfle
& valeur.
Cancts, s'étoient raflemblés pour revenir à la charge. Les flèches , les
dards & les pierres incommodèrent beaucoup les Caftillans: mais Cortez
eut l'habileté de former un Bataillon, fans cefler de combat^tre, c'eft-à-dire,
que fes premiers rangs , faifant tête à l'Ennemi, couvroient ceux qui def-
cendoient des Vaiffeaux, & leur donnoient le tems de fe ranger pour le»
foutenir. Auffi-tôtque le Bataillon fut formé, il détacha cent Hommes,
fous la conduite d'Avila, pour aller au travers du Bois attaquer la Ville de ^'f'.^'*^
Tabafco, Capitale de la Province, dont on connoiflbit la fituation par les '*!; ^ ^
Mémoires des Voyages précédens. Enfuite il marcha fort ferré contre une
multitude incroyable d'Indiens , qu'il ne cefla point de poufler avec au-
tant de hardieiTe que de danger. Les Caftillans combattoient dans l'eau juf-
qu'aux genoux. Le Général même s'expofa comme le moindre Soldat ; &
l'on rapporte qu'ayant laiffé , dans l'ardeur de l'aélion , un de fes Souliers
dans la fange, il combattit long-tems dans cet état, fans s'en appercevoir,
& fans en reifentir l'incommodité^
•Cependant les Indiens difparurent entre les buiflbns, apparemment
pour la défenfe de leur Ville, vers laquelle ils avoient vu marcher d'Avila*
On en jugea par la multitude de ceux qui s'y étoient ralTemblés. Elle écoit :
fortifiée d'une efpèce de. muraille, compofée de gros troncs d'arbres, en-
manière de paliflades, entre lef^uels il y avoit des ouvertures pour le pafla->
ge des âéches. L'enceinte étoit ronde, fans autre défenfe; & vers l'ex-
trémité des deux lignes, qui formoient le cercle, l'une avançoit fur l'autre, -
en laiffant pour l'entrée un chemin étroit, à pluileurs retours , avec deux ou
trois Guérites de bois , qui fervoient à loger leurs Sentinelles. Cortez ar-
riva plutôt à la Ville que d'Avila, dont la marche avoit été retardée par
des Marais & des Lacs. Cependant les deux Troupes fe rejoignirent ; &
fans donner aux Indiens le tems de fe reconnoître, elles avancèrent, tête
baiflee, jufqu'aupié de la paliffade. Les diftances fervirent d'embrafure» ^
pour les arquebufes. Il s'y préfenta pei^ d'Indiens, parce que la plupart
s'étoient retirés au fond de la Ville; mais on reconnut qu'ils avoient cou-
pé les rues par d'autres paliffades. Ce fut là qu'ils firent tête avec zÇCez,
d'audace, quoique fans fuccès, dans l'embarras qu'ils fe caufoient mutuelle-
ment par le nombre. Ils redoublèrent leurs efforts, à l'entrée d'une gran-
de Place, qui faifoit le centre de la Ville: mais ils fe virent encore forcés
d'abandonner ce poftej & bientôt, il ne leur refta plus d'autre reflburce
que de prendre la fuite vers les Bois. Cortez défendit de les fujvre, pour
leur lailTer la liberté de fe déterminer à la paix, & pour donner à fes gens
le tems de fe repofer. Ainfi Tabafco fut fa première conquête. Cette
Ville étoit grande & bien peuplée.. Les Indiens en ayant fait fortir leurs
familles & leurs principales richefles ^ elle n'offrit prefque rien à l'avidité
du Soldat : mais il s'y trouvoit des vivres en abondance. Entre plufieurs
Caftillans bleffés, on nomme Diaz de Caftillo, & Solis lui fait honneur de
fon courage. Les Ennemis perdirent beaucoup de monde f mais , faifant
confifter une partie de leur gloire à cacher leur perte, ils eurent l'adreffe
d'enlever leurs Morts.
Les Caftillans paffèrent la nuit dans trois Temples, dont la fituation les
mettoit à couvert de toute furprife. Cortez ne fe repofa que fur lui-même
Ll 3 du^
^ . ,"
270
PREMIERS VC'iAGES
TeRNAND
CORTEZ.
IJIP.
Trahifon
d'un Inter-
prète, & fon
•fort.
Les Indiens
fe raffembient
contre les
Cafl.illans.
Marche &
difpofition de
lArmée In-
dienne.
du foin de faire la ronde , & de pofer les Sentinelles. Le jour n'ayant * fait
appercevoiraucupj trace de l'Ennemi, il envoya reconnoître les Bois vol-
fins, où l'on trouva la m^me folitude. Cette tranquillité lui fit naître des
foiîpçons, qui augmentèrent en apprenant que Melchior, un des anciens
Interprètes, avoit difparu cette nuit, après avoir fufpendu aux branches
d'un arbre les habits qu'il avoit reçus en embraflan»- le Chriftianifme. Les
avis qu^il alloit porter aux Indiens pouvoient être dangereux. En effet ,
on vérifia, dans la fuite, qu'il les avoit excités à continuer la guerre, en
les aflurant çiae les Caflillans n'étoient pas immortels, & que ces armes,
qui répandoient tant d'effroi , n'étoient pas le tonnerre. Mais il ne tira
aucun fruit de fa trahifon. Les Barbares mêmes , auxquels il avoit donné
ces lumières, n'en ayant pas trouvé la viftoire plus facile, le facrifièrent
à leurs Idoles.
CoRTEZ n'auroit penfé qu'à remettre à la voile, s'il n'eût juge qu'après
avoir commencé la guerre , une retraite trop prompte reffembleroit trop
à la fuite, ou du moins qu'une viftoire imparfaite, fur la première Nation,
avec laquelle il en étoit venu aux mains , n'établiroit point afl*ez la terreur
de fon nom. Après avoir fait reconnoître le Pays par Ces détachemens ("«),
il fut informé que près d'un lieu , nommé Cinthla , on découvroit une Ar-
mée innombrable d'Indiens , qui ne pouvoient s'être raflemblés que dans
le deffein de l'attaquer.
DiAZ décrit l'ordre de leur marche, pour donner une idée générale de
toutes les aélions de cette conquête, dans une Région, dont tous les Peu-
ples ont les mêmes ufages de Guerre. Leurs armes ordinaires étoient l'arc
& les lîéches. La corde de leurs arcs étoit compofée d'un nerf de quelque
Animal, ou de poil de Cerf filé; & leurs flèches étoient armées d'un os
pointu, ou d'une arrête de Poiffon. Ils avoient une forte de dards, ou de
zagaie , qu'ils lançoient dans l'occafion , & qui leur fervoit quelquefois auffi
de demi-pique. Quelques-uns portoient des épées , ou de larges fabres d'un
bois fort dur, incrufté de pierres tranchantes, & s'en fervoient à deux
mains. Les plus robuftes y joignoient des maflues fort pefantes, dont la
pointe étoit armée de caillou. Enfin, d'autres n'avoient que des frondes,
avec lefquelles ils jettoient d'aflez grofles pierres , avec autant de force
que d'adreffe. Leurs armes défenfives, dont l'ufage fe bornoit aux Caci-
ques & aux Officiers , étoient des c«ira(îes de coton , & des rondaches de
bois ou d'écaillé de Tortue, garnies de métal; quelques-unes d'or-même,
dans tous les endroits où le fer efl employé parmi nous. Tous les autres
combattoient nus; mais ils avoient le vifage âc le corps peint de diverfes
couleurs, pour fe donner un air plus terrible. La plupart portoient autour
de la tête une couronne de plumes fort hautes , qui fembloit ajouter quel-
que chofe à leur taille. Ils ne manquoient pas d'inllrumens militaires , foit
pour les rallier, ou pour les animer dans Toccafion: c'étoient des flûtes de
rofeau, des coquilles de Mer, & une efpèce de tambours, d'un tronc d'ar-
bre
("j) Diaz de Caftillo & Solis rapportent
en détail toutes ces courfesj mais on s'en
tient au fil général de l'Hiftoire, avec le
foin de ne rien d^robber au caraélère de
Gonu.
' EN AMERIQUE, Lrv. I. " jjr
bre creufé , dont ils tiroient quelque Ton avec des grofles baguettes. Leurs
Bataillons étoienc fans aucun ordre de rang & de files ; mais ou y remar*
quoit des divifions, dont chacune avoit fes Chefs,* & le corps d'Armée é-
toit fuivi de quelques Troupes de réferve, pour foutenir ceux qui venoient
à fe rompre. Leur première attaque étoit toujours furieufe, & les cris
dont elle étoit accompagnée pouvoient infpirer de la terreur. Après avoir
épuifé leurs flèches, s'ils ne voyoient pas leurs Ennemis ébranlés , ils fe
précipitoient fur eux , fans autre méthode que de fe tenir (erres dans leurs
Bataillons: mais comme ils attaquoient enfemble, ils fuyoienc aulîi tous à
la fois , & lorlque que la crainte ou d'autres raifons leur avoient fait tour-
ner le dos , il étoit impoffible de les arrêter.
Le s Caftillans , qui ne connoiflbient point encore le carafbère & les ufa-
ges de ces Barbares , ne purent voir, fans quelque efiroi , la Campagne
inondée d'une Armée H nombreufe. Ils apprirent, dans la fuite, qu'elle
étoit de quarante mille hommes ; & quand ils ne leur auroient pas fuppofé
cette valeur ferme & régulière, qui eft le partage des Nations civilifées,
ils favoient, du moins, que leurs Ennemis avoient des mains & des armes,
& qu'ils étoient capables de cet emportement féroce que la Nature a mis
jufques dans les Bêtes. Cortez fentoit le péril dans lequel il s'étoit engagé.
Cependant, loin d'en être abattu, il anima fes gens par un air de joie <k de
fierté. Il leur fit prendre polie au pié d'une petite éminence, qui ne leur
laiflbit point à craindre d'être enveloppés par derrière , & d'où l'Artillerie
pouvoit jouer librement. Pour lui , montant à Cheval avec tout ce qu'il
avoit de Cavaliers, il fe jetta dans un taillis voifin, d'où il fe propofoic de
prendre l'Ennemi en flanc, lorfque cette diverfîon deviendroit néceiTaire.
Les Indiens ne furent pas plutôt à la portée des flèches , qu'ils firent leur
première décharge ; après quoi , fuivant leur ufage , ils fondirent avec tant
d'impétuofité fur le Bataillon Efpagnol , que les arquebufes & les arbalètes
ne purent les arrêter. Mais l'Artillerie faifoit une horrible exécution dans
leur corps d'Armée ; & comme ils étoient fort ferrés , chaque coup en ab-
battoit un grand nombre. Ils ne laiiToient pas de fe rejoindre, pour rem-
plir les vuides qui fe faifoicnt dans leurs Bataillons; & pouflant d'épouvan-
tables cris, ils jettoient en l'air des poignées de fable , par lefquelles ils ef-
péroient cacher leur perte. Cependant ils avancèrent , jufqu'à fe trouver
en état d'en venir aux coups de main; & déjà les Kfpagnols commençoienc
à s'appercevoir que la partie n'étoit pas égale , lorfque les Cavaliers , for-
tant du Bois, avec Cortez à leur tête, vinrent tomber à bride abbattue fur
la plus épaifle mêlée de ces Furieux. Ils n'eurent pas de peine à s'ouvrir
un paflage. La feule vue des Chevaux , que les Indiens prirent pour des
Monfl:res dévorans , à têtes d'Homme & de Bête , fit defefpérer de la vic-
toire aux plus braves. A peine ôfoient-ils jetter les yeux fur l'objet de leur
terreur. Ils ne penfèrent plus qu'à fe retirer, en continuant néanmoins de
faire tête , mais comme s'ils eulTent appréhendé d'être dévorés par derriè-
re, & pour veiller à leur fureté plutôt que pour combattre. Enfin, les
Efpagnols, à qui cette retraice donna la liberté de fe fervir de leurs arque-
bufes, recommencèrent un feu û vif, qu'il fit prendre ouvertement la fui-
te à leurs Ennemis. • .-, ,s V i tiî-..'
C o a-
Fermanv
CORT KZ.
15 19.
Embarras
des Efpa-
gnois. ,
V ■
Mefurcs de
Cortez,
Il met 1 es-
Indiens en
fuite.
272
PREMIERS VOYAGES
F E R N A N D
COBTEZ.
1519-
CoRTEZ fe contenta de les faire fuivre à quelque diftance, par fea Ca-
valiers, dans la vue de redoubler leur eiFroi, mais avec ordre d'épargner
leurfang, & d'enlever feulement quelques Prifonniers qu'il vouloit faire fer-
vir à la Paix. On trouva fur le Champ de Bataille plus de huit cens Indiens
morts , & l'on ne pue douter que le nombre de leurs blefles n'eût été beau-
coup plus grand. Les Caftillans n'y perdirent que deux Hommes ; mais ils
eurent foixante & dix bleffés. Ce glorieux eflai de leurs armes leur parue
digne, après la Conquête, d'être célébré par un Temple, qu'ils élevèrent
Monument en l'honneur de Nôtre Dame de la nâoire; & la première Ville, qu'ils fon-
de fa Viftoire. dèrent dans cette Province, reçut auffi le même nom (x).
Il fait !a La Paix fe fit de fi bonne-foi , qu'après l'avoir confirmée par des préfens
Paix avec les mutuels , entre lefquels le Cacique de Tabafco fit accepter, à Cortez, vingt
fent^de Fem- femmes Indiennes, pour faire du pain de Maïs à fes Troupes (y), on le
vifita, pendant quelques jours , avec autant de civilité que de confiance.
Mais n les magnifiques peintures que les Caftillans firent au Cacique, de la
puiflance & de la grandeur du Roi d'Efpagne , lui infpirèrent de l'admira-
tion pour un fi gcand Monarque, elles ne purent le difpofer à fe rangejr au
nombre de fes Sujets (z).
CoRTEZ, appréhendant de s'affoiblir s'il pouflbit plus loin fes préten-
*^°'^^!',jSaint ^ions , & rapportant toutes fes vues à dé plus hautes entreprifes , remit à
Jean d uJua. j^ yoile, le Lundi de la Semaine Sainte, pour continuer de fuivre la Côte
à rOuefi:. Il reconnut, dans cette route, la Province de Guazacoalco, les
Rivières d'Alvarado & de fianderas , l'Iûe des Sacrifices , & tous les autres
Jieux (a) qui avoient été découverts par Grijalva. Enfin, il aborda le Jeu-
di
mes qu'il en
reçoit
La Flotte
(«) Quelques Ecrivains Efpa^ols racon-
tent qu'on avoit vu l'Apôtre Saint Jacques
combattre en leur faveur , monté fur un Che-
val blanc; mais que Cortez avoit prétendu
que c'étoit Saint Pierre , auquel il avoit une
dévotion particulière. Diaz de Caftillo re-
jette ce miracle , & rend témoignage que
non-feulement, ni lui, ni fes Compagnons
navolent rien vu d'approchant, mais qu'on
ii'cn avoit rien dit alors dans toute l'Armée.
( 31 ) Ce fut le prétexte qui les fit recevoir;
mais il efl. certain que Cortez prit de l'incli-
nation pour une de ces Femmes, qu'il fit ba-
tifer fous le nom de Marina , & dont il fit fa
Maîtreffe. Elle étoit , fuivant Diaz, d'une
beauté rare & d'une condition relevée. Son
Père étoit Cacique de Guazacoalco , Provin-
ce Mexiquaine. Divers incident i'avoient
fait enlever , dans fes iremières années , à
Xicalongo, Place forte fur la Frontière d'Yu-
catan; & par une autre injure de la fortune,
elle avoit été vendue au Cacique de Tabafco.
Elle avoit ia niéi'-oire fi heureufe & l'efprit fi
vif. qu'elle apprit en peu de tems la Langue
CailiUanc , ce qui la rendit fort utile à fes
nouveaux Mnîtrcs. Cortez en eut un B'ils,
qui fut notumé Dom Martin Cortez , & qui
devint Chevalier de Saint Jacques, en conil-
dératioD de la NoblelTe dfe fa Mère. Solis
relève ici quelques méprifes d'Herrera , &
l'accufe de ne s être pas alTez attaché à la Re-
lation de Diaz. Liv. i. Cbap. 21.
N«ta. On a emoloyé au Tome XVL, la
Figure qui étoit jointe ici , repréfentant Mi-
rina £7* les autres Femmes données à Cortez.
R. d. E.
(z) Ce ne fut. pas faute d'adrefie de la
f)art de Corfjz. Les Seigneurs du Pays, qui
'avoient vifité , entendant hennir les Che-
vaux dan'i fa Cour, demandèrent avec em-
barras d«j quoi fe plaignoicnt les Teguanez ,
nom qui fignifie dans leur Langue Puiffance
terrible. Cortez leur dit qu'ils étoient tâchés
de ce qu'il n'avoit pas châtié plus févèrement
le Cacique & fa Nation, pour avoir eu l'au-
dace de réfiller aux Chrétiens. Aufli tôt les
Seigneurs firent apporter des couvertures pour
coucher les Chevaux , & de la volaille pour
les nourrir, en leur demandant pardon. &
leur promettant, pour les appaifer, d'être
toujours Amis des Chrétiens. Herrera, Liv.
4. Chap. 12.
( a ) Tous ces lieux cnfemble fe nommaient
Calcbicoeca, Le même, Liv. $-. Cbai. 4.
r
'r. E N A M E R I Q U E, Liv. I. 273
di Saint à Saint - Jean d'Uliia. A peine eut - il fait jetter l'ancre entre l'Ifle
& le Continent, qu'on vie partir de la Côte deux de ces gros Canots, que
les Indiens du Pays nomment Pirogues. Ils s'avancèrent jufqu'à la Flotte,
fans aucune marque de crainte ou de défiance; ce qui fit juger favorable-
ment de leurs intentions. Cortez ordonna qu'ils fuflent reçus avec beau-
coup de carefles. Mais Aguilar, qui avoit fervi jufqu'alors d'Interprète,
ceflant d'entendre la Langue, on tomba dans un embarras donc il eût été
difficile de fortir; lorfque le hazard fit remarquer qu'une des Femmes, qu'on
avoit amenées de Tabafco , qui avoit déjà reçu le Baptême fous le nom de
Marina ^ s'entretenoit avec quelques-uns de.ces Indiens. C'efl; de ce jour,
que Solis compte fa faveur auprès du Général ; & que par Çqs fervices , au-
tant que par fon efprit & fa beauté, elle acquit fur lui, dit-il , un afcendant
qu'elle fçut conferver.
Les Indiens déclarèrent à Cortez, par la bouche de Marina, que Pilpa-
toé&Teutilé, le premier. Gouverneur de cette Province, & l'autre. Capi-
taine général du Grand Empereur Motezuma , les avoient envoyés au Com-
mandant de la Flotte, pour favoir de lui même quel deflein l'amenoit fur
leur rivage. Cortez traita fort civilement ces Députés, & leur répondit
qu'il venoil en qualité d'Ami , dans le deflein de traiter d'affaires importan-
tes pour leur Prince & tout fon Empire ; qu'il s'expliqueroit davantage a-
vec le Gouverneur & le Général , & qu'il efpéroit d'eux un accueil aulii fa-
vorable qu'ils l'avoient fait, l'année précédente, à quelques Vaifltaux de fa
Nation. Énfuite, ayant tiré, des mêmes Indiens,, une connoiflance gé-
nérale des richefles , des forces & du Gouvernement de Motezuma , il les
renvoya fort fatisfaits. Le jour fuivanc, fans attendre la réponfe de leurs
Maîtres , il fit débarquer toutes fes Troupes , fcs Chevaux & fon Artille-
rie. Les Habitans du Canton lui prêtèrent volontairement leurs fecours ,
pour élever des Cabanes, entre lefquelles il en fit drefler une plus grande,
qu'il dellinoit au fervice de la Religion , & devant laquelle il fit planter une
Croix (b). Il apprit des Indiens que Teutilé commandoit une puiffante
Armée dans la Province, pour foumettre quelques Places indépendantes,
que l'Enyjereur vouloit joindre à fes Etats. Tout le jour & la nuit fuivan-
te fe paflerent dans une profonde tranquillité.
Elle fut troublée le lendemain, par une nombreufe Tr.oupe d'Indiens
armés, qui s'avancèrent fans précaution vers le Camp. Mais on fut bien-
tôt informé que c'étoient les Avant -coureurs de Teutilé & Pilpatoé , qui
s'étoient mis en chemin pour venir faluer le Général. Ils arrivèrent , le
jour de Pâques, avec un Cortège digne de leur rang. Cortez, ayant con-
çu qu'il avoit à traiter avec les Miniltres d'un Prince fort fupérieur aux Ca-
ciques , réfolut d'afi\:6ler auflî un air de grandeur , qu'il crut propre à leur
en impofer. Il les reçut au milieu de tous fes Officiers , qu'il avoit enga-
gés à prendre une pofture refpeftueufe autour de lui. Après avoir écouté
leurs premiers complimens, auxquels il fit une réponfe fort courte, il leur
i I :| ï<- J J! : '• j. ) ,1 • -.1 ' ■ ■■'- : lit
F E R If A X D
Coûtez.
1519-
. 1.1 I ,V<I
(J) Solis railfe tel quelques Illdoriens ne s'ctre pas fouvt nus qu'on étoit au Ven-
d'avoir prétendu que le même jour <:k)rtez di°di Saint, jour auquel on ne dit point de
fit dire la Mefle dans cette Chapelle, & de Meffe, Liv, i, C/jûP. 21.
XniL Fart. M la
Paflîon de
Cortez p«ur
Marina, & fa-
veur do cette
Indienne.
Elle fort
d'Interprète
avec les In-
diens.
'Cortez dé-
barque fei
Troupes.
Teutilé &
Pilpatoé, Of-
ficiers Mexi-
quains, vien-
nent au Camp
Efpagnol.
Cortez les
reçoit avec
ollentation.
274
PREMIERS VOYAGES
FeRN AND
C O R T E Z.
Déclaration
qu'il leur l'ait.
Prifens
3u'il reçoit
eux.
lîs lui con-
fcillent de fe
letirer.
Sa réponfe.
fit déclarer, par Marina , qu'avant que de traiter du fujet de fon Voyage,
il voiiloit rendre fes devoirs à fon Dieu , qui étoit le Seigneur de tous les
Dieux de leur Pays ; & les ayant conduits à la Cabane qui leur fervoit d'E-
glife, il y fit chanter une MelTe folemnelle, avec toute la pompe que les
circonftances permettoient (c). On revint de l'Eglife à la,Tente, où il fit
dîner les deux Officiers Mexiquains avec la même oftentation. Enfiiite ,
prenant un air grave & fier, il leur dit, par la bouche de fon Interprête,
qu'il étoit yenu de la part de Charles d'Autriche, Monarque de l'Orient ,
pour communiquer , à l'Empereur Motezuma , des fecrecs d'une haute im-
portance, mais qui ne pouvoient être déclarés qu'à lui-même; qu'il da»
mandoit , par conféquent , l'honneur de le voir , & qu'il fe promettoit
d'en être reçu avec toute la confîdération qui étoit due à la grandeur
de fon Maître.
Cette propofition parut caufer, aux deux Officiers, un chagrin, dont
ils ne purent déguifer les marques. Mais, avant que de s'expliquer, ils
demandèrent la liberté de faire apporter leurs préfens. C'étoient des vi-
vres , des robbes de coton très fin , des plumes de différentes couleurs , &
une grande caifle remplie de divers bijoux d'or, travaillés avec une extrê-
me délicatefle. Trente Indiens entrèrent dans la Tente , chargés de ce
fardeau , & Teutilé 6n préfenta fucceflivement chaque partie au Géné-
ral {d). Enfuite, fe tournant vers lui, il lui fit dire par l'Interprète, qu'il
le prioit d'agréer ce témoignage de lellime & de l'afFeftion de deux Efcla-
ves de Motezuma, qui avoient ordre de tfaiter ainfi les Etrangers qui abor-
doient fur les Terres de fon Empire , à condition néanmoins qu'ils s'y arrê-
teroient peu , & qu'ils fe hâteroient de continuer leur Voyage ; que le def-
fein de voir l'Empereur fouffroit trop de difficultés, & qu'ils croyoient lui
rendre fervice en Ini confeillant d'y renoncer. Cortez , d'un air encore
plus fier, répliqua que leis Rois ne refufoient jamais audience aux AmbafFa*
deurs des autres Souverains, & que fans un ordre bien précis leurs Minif-
tres ne dévoient pas fe charger d'un refus fi dangereux; que dans cette oc-
cafion leur devoir étoit d'avertir Motezuma de fon arrivée, & qu'il leur ac-
cordoit du tems pour cette information ; mais qu'ils pouvoient aflurer en
même tems leur Empereur , que le Général étranger étoit fortement réfolu
de le voir, & que pour l'honneur du grand Roi qu'il repréfentoit , il ne
rentreroit point dans fes Vaifleaux fans avoir obtenu cette fatisfaftion. Les
deux Mexiquains , frappés de l'air dont Cortez avoit accompagné cette dé-
claration, ne répondirent que pour le prier, avec foumiffion, de ne rie»
entreprendre, du moins avant la réponfe de la Cour, & pour lui offrir toii'
te l'affillance dont il auroit befoin dans l'intervalle. - :'; '•' -' r 'f^'
(c ) Cortez n'avoit que deux Aumôniers ;
mais , pour rendre le Clergé plus nombreux ,
on prit les Soldats qui favoient le chant de
l'Eglife, & l'on en forma le Chœur. Solis,
Liv. 2. Chap. i.
( d ) Herrera place au contraire la réponfe
de Teutilé avant l'arrivée des préfens. Xi a-
joûte qu'après les avoir reçus , Cortez fit
auffi lÊs fiens , qui ccnfifloient en un fauteuil'
fort bien couvert, une r':r:-^ife ouvragée, uo
bonnet 'le velours craii'-ifi, une médaille d'or
qui repréfentoit Saini George, & quantité d(.
grains & de bracelets de verre. lÀv, /«
Cbap. 4.
n
o
E N A M E R I Q U E, Liv. î.
donc
ils
Ils
275
Ils avoient, dans leur Cortège, des Peintres de leur Nation, qui s'é-
toient attachés, depuis le premier moment de leur arrivée, à repréfenter,
avec une diligence admirable, les Vaifleaux, les Soldats, les Chevaux ,
l'Artillerie , & tout ce qui s'étoit offert à leurs yeux dans le Camp. Leur
toile écoit une étoffe de coton orcparée , fur laquelle ils traçoient aflez na-
turellement , avec un pinceau & des couleurs , toutes fortes d'objets & de
figures. Cortez, qui fut averti de leur travail, fortit pour fe procurer ce
fpeftacle, & ne vit pas fans étonnement la facilité ^vec laquelle ils exécu-
toient leurs deffeins. On l'aflura qu'ils exprimoient, fur ces toiles, non-
feulement les figures , mais les difcours même & les avions ; & que Mote-
zuma feroit informé, par cette méthode, de toutes les circonftances de
l'entretien qu'il avoit eu avec Teucilé. Là-deifus, pour foutenir les
apparences de grandeur qu'il avoit affeftées , 6i dans la crainte qu'une
image fans force &: fans mouvement ne donnât des idées peu conve-
nables à fes vues , il conçut le deflein d'animer cette foible repréfen-
tation , en faifant faire l'exercice à fes Soldats , pour faire éclater leur
adrefle &.leur valeur aux yeux de deux des principaux Officiers de
l'Empire (e).
L* o R D R £ fut donné fur le champ. L'Infanterie Caflillane forma un Ba-
taillon, & tout le canon de la Flotte fut mis en batterie. On déclara, aux
Mexiquains , que le Général étranger vouloit leur rendre les honneurs qui
n'étoient accordés, dans fon Pays, qu'aux Perfonnes d'une haute diftinc-
tion. Cortez, montant à Cheval avec fes principaux Officiers', commença
par des Courfes de bagues. Enfuite, ayant partagé fa Troupe en deux Ef-
cadrons, il leur fit faire entr'eux une efpècede Combat, avec tous ks mou-
vemens de la Cavalerie. Les Indiens , dans leur première furprife, regar-
dèrent d'abord avec frayeur ces Animaux , dont la figure & la fierté leur
paroiflbient terribles ; & n^étant pas moins frappés de leur obéiflance , ils
conclurent que des Hommes, capables de les rendre fi dociles, avoient quel-
que chofe de fupérieur à la Nature. Mais , lorfqu'au fignal de Cortez l'In-
fanterie fit deux ou trois décharges, qui furent fuivies du tonnerre de l'Ar-
tillerie, la peur fit fur eux tant d'impreflion, que les uns fe jettèrent à ter-
re, les autres prirent la fuite, & les deux Seigneurs cachèrent leur effroi
fous le mafque de l'admiration. Cortez ne tarda point à les rafTurer, en
leur répétant d'un air enjoué que c'étoit par ces Fêtes Militaires , que les
Efpagnols honoroient leurs Amis. Il vouloit leur faire comprendre, ob-
ferve l'Hiftorien, combien fes armes étoient redoutables dans une Aftion
férieufe, puifqu'un fimple amufement, qui n'en étoit que l'image, avoit
pu leur caufer tant de frayeur. Les Peintres Mexiquains inventèrent de
nouvelles figures , pour exprimer ce qu'ils venoient de voir & d'entendre.
Les uns defiinoient des Soldats armés & rangés en Bataille; &. les autres
i .: ■ , '. .- . ;:;. ■: \ '- :^ -:■: ..; ' ■■■ T'^ ./,:;;^ . ;::::„■; .- /. pei-
( e )Diaz del Caftillo exagère fans doute, remarque que c'étoit auflî leur manière d'é-
lorfqu'il aflurc qu'ils tirèrent au naturel les crire , & que n'ayant pas l'ulage des lettres ,
Portraits de tous les Capitaines Efpagnols. ils confcrvoient les événemens dans ce Uyle.
Le tems leur auroit manqué, quand ils en Voyez, ci-i.kiïo\is, h Defcripiion du Mexique
aufoient eu l'habileté, Le même Hif '
FCRNAN»
C 0 a T £ z.
15 19.
Peintres
Mexiquains ,
qui defllnent
les Vaifleaux
& le Camp
des Efpa-
gnols.
Adrefle a-
vec laquelle
Cortez profi-
te de leur eu*
riofité.
Il fait faire
devant eux
l'exercice à
fes Troupes.
Frayeur que
leur caufe
rArtilIerie,
Hiftorien
Mm 2
Frrnand
C 0 K T B Z.
II fe forme
nnj Bourgade
de Mcxi- _
fluains près
ciu Cn inp Ef-
pagnol.
Coiiriers In-
diens par lef-
qucls rEinpc-
rciir du Me-
xique e(l in-
formé de l'ar-
rivée de Cor-
tez.
Préfens que
ce Monarque
envoie au
Général Ef-
pagnol.
27(5 PREMIERS VOYAGES
peignoient les Chevaux , dans l'agitation du Combat. Ils repréfentoient
fort bien un coup de Canon , par du feu & de la fumée; & le bruit même,
par des traits lumineux, qui failbicnt naître une idée plus forte que celle de
l'éclair. ■> -••' - •
CoRTEZ avoit employé le tems, que les Mexiqiiains donnoicnt à l'ad-
miration, pour faire préparer des préfens confidérablcs, qu'il les pria d'en-
voyer de fa part à leur Empereur. Pilpatoé s'arrêta près du Camp de? Ef-
pjgnols, avec une Troupe aflez nombreufe pour élever en peu d'heures
une multitude de cabanes, qui prirent l'apparence d'une groHe Bourgade.
Les Caftillans n'eurent pas de peine à comprendre que Ton deflein étoit do
les obferver : mais comme il les avoit avertis qu'il ne penfoit qu'à fe met-
tre à portée de leur fournir des provifions, ils lui lalifèrent le plaifir de
croire qu'il les trompoic^jar une politique dont ils recueilloient tout l'avan-
tage. Teutilé reprit le chemin de Ton Camp, d'où il fe hâta d'envoyer, à
Motezuma , fes informations , avec les tableaux de fes Peintres & les pré-
fens de Cortez. Les Rois du Mexique entretenoient , pour cet ufage, un
grand nombre de Couriers , difperfés fur tous les grands chemins de l'Em-
pire. On choififlbit, pour cet Office, de jeunes gens fort difpos, qu'on
exerçoit à la courfe , dès le premier âge. Acofta , dont on vante l'exafti-
tude dans fes Defcriptions , rapporte que la principale Ecole, où l'on drtf-
foit ces Couriers, étoit le grand Temple de la Ville de Mexico, qui conte-
noit une Idole monftrueufe, au fommet d'un efcalier de fix-vingt dégrés,
& qu'il y avoit des prix, tirés du Tréfor public, pour celui qui arrivoit le
premier aux pieds de l'Idole. Dans les Courfes , qu'ils faifoient quelque-
fois d'une extrémité de l'Empire à l'autre, ils fe relevoient de diftance ea
diftance , avec une mefure fi proportionnée à la force humaine , que mal-
gré toute leur vîtefle, ils fe fuccedoient toujours avant qu'ils euITent com-
mencé à fe lafler (/). =:i;J:]*i.; •'
La réponfe de Motezuma vint en fept jours; quoique par le plus court
chemin, on compte foixante lieues de la Capitale à Saint-Jean d'Ulua (g):
& ce qui augmente l'admiration , c'efl; qu'elle étoit précédée par un prélent,
porté l'ur les épaules de cent Indiens. Avant l'audience, Teutilé , qui l'toic
chargé de négocier avec le Général étranger, fit étendre les préfens ^-.ï des
nattes (^), à la vue des Efpagnols. Enfuite. s'étant fait introduire dans;
la
iii :î,: "; u- M
(/) Hifloire Naturelle des Indes Occiden* té de la viie dès peintures , non-feulement
taies, Liv. 3. parce qu'elles lui préfentoient des objets tcr-
(g) i^uelques Hifloriens racontent que ribles, mais plus encore parce qu'il y trou-
Teutilé même porta les dépêches & revint
dans huit jours, avec celles de la Cour & les
préfens. Diaz de Caftillo dit que c'étoit un
Ambaffadeur exprès , nommé Quintelbor ,
qui étoit accompagné de cent nobles Mexi-
quains," ce qui paroît encore moins vraifem-
blable. Mais Solis attribue cette addition à
l'Editeur, qu'il nomme le Refteur de Filla
Hermoja.
( /; ) Herrera donne plus d'étendue à ce
récit. 11 prétend que Motezuma , épouvan-
voit raccompliflement de quantité de préfa-
ges & de prédiftions, qui le menaçoient de
la ruine de fon Empire, ne fe raflTura qu'ea
appcrcevant que les Etrangers aimoient beau-
coup l'or. 11 fe flatta qu'un gros préfcnt de
ce précieux métal les fatisferoit aflTez pour
les difpofer à partir; & ce fut dans cette uni-
que vue qu'il leur envoya, deux fois confér
cutives, de grandes richefles cn or. Mais
il ne confideroit pas que c'étoit, au contrai-
re, une amorce capable de les retenir. Ou
don-
EN AMERIQUE, Liv. I.
27?
la Tente de Cortez, il lui dit que l'Empereur Motezuma lui envoyoitces
richcfîes , pour lui témoigner rdlime qu'il faifoit de lui , tS: la haute opi-
nion qu'il avoit de fon Koi; mais que l'éiat do Tes aliaires ne lui permet-
toit pas d'accorder à des Inconnus la periniiîton de Te rendre à la. Cour.
Teutilé s'efforça d'adoucir ce refus par divers prétextes, tels que la dilfi-
culté des chemins, & la rencontre de plufieurs Nations barbares, que tou-
te l'autorité de l'Empereur n'empécheroit^ pas de pr mire les armes , pour
fermer les paffagcs. Cortez reçut les prélens , avec toutes les marques d'un
profond refpeft; mais il répondit que malgré le chagrin qu'il aurou de dé-
plaire à ri'*mpereur, en négligeant l'es ordres, il ne pouvoit retourner en
arrière fans bleiler l'iionneur de fon Roi. ^ Jl s'étendit fur fon devoir, avec
une fermeté qui déconcerta le Mexiquain; & l'exhortant à faire de nou-
velles infiances auprès de l'Empereur, il promit d'attendre encore fa ré-
ponfe. Cependant il ajouta qu'il feroit fore affligé qu'elle tardât trop à ve-
nir, parce qu'il fe verroit alors forcé de la folliciter de plus prés.
Teutilé infifta fur la déclaration de l'Empereur; mais n'obtenant point
d'autre réponfe , il partit avec quelques prélens de Cortez, pour aller ren-
dre- compte de fa CommilTion à la Cour. Les Caftillans, après avoir admi-
ré la richelTe des fiens , fe partagèrent avec beaucoup de contrariété dans
le jugement qu'ils portoient de leur fituation. Les uns concevoient les plus
hautes cfpérances de l\ beaux commencemens. Les autres , mefurant la
f)uillance de Motezuma fur fes richefles, s'épuifoient en raifonnemens fur
es difficultés de leur entreprife, & trouvoient de la témérité dans le deffein
de lui faire la loi avec fi peu de force. Cortez même n'étoit pas fans inquié-
tude, lorfqu'il comparoit fa foibleire avec la grandeur de fes projets; mais,
n'en étant pas moins réfolu de tenter la fortune, il eut foin d'occuper fes
Soldats jufqu'au retour de l'Ambafladeur Mexiquain, pour lei^r ôter le tems
de fe refroidir par leurs réflexions; & fous prétexte de chercher un jnouil-
F B B N A M D
Cortez.
1519.
Il lui rcfiifcî
la pcrmilfioii
a-allcr il fa
Cour.
Corfbz in-
fifle à la de*
mander.
Partage des
Caflillans fur
leur fituation.
Cortez fait
chercher un
autre uiouiU
lage.
dorne le décail de ces préfens, jîour com
mencer à faire connciître le Mexique , & pour
faire juger combien cette montre dcvoit ex-
citer l'avidité des Efpagnols. C'étoient de
riches tapis & d'autres étoiTes de coton, tif-
fucs de plumes d'oifeiux fort délicates & de
diverfes couleurs; des boucliers nattés, &
couverts de petites plaques d'or & d'argent;
d'autres enrichis de petites perles; un mo-
rion de bois , couvert de grains d or non
fondiT; un cafque de lames d'or , entouré de
fonnettes , orné d'éméraudcs par le haut,
avec des panaches de grandes plumes , au
bout defquelles pendoient dçs mailles d'or;
des chalTe-mouchcs de plume?, avec mille or-
nemtns d'or & d'argent; des biairaits& d'au-
tres armures, de cuir de Cerf, corroyé en
rouge, & revêtu de plaques des mêmes mé-
taux: des efcarpins & des fandalcs de même
cuir, coufus avec du fil d'or, dont les femel-
les étoicnt d'une pieirc couleur d'azur, ^
M
doublées de coton ; des miroirs d'un très,
beau métal, nommé Margacbita, qui reluit
comme de l'argent, enchairés en or; quanti-
té de pièces d'or & d'argent j un collier d'or,
entouré de plus de cent éméraudes &. d'au-
tant • de rubis , auquel pendoient de petites
fonnettes d'or ; d autres colliers coufus de
perles & d'éméraudes, dun ouvrage admira-
ble; diverfes figures d'animaux d'or; des ef-
pèces de médailles d'or & d'argent, dont le
travail furpalToit la matière; des grains d or,
tel qu'on le tire des Mines , de la grofleiir
d';;ne noifctte; deux. roues, l'une d'or, qui
rcpréfentoit le Soleil avec fes rayons , ât
Quantité de feuillages & d'animaux , du poids
e plus de cent inarcs ; l'autre d'argent , a-
vec la figure de la Lune, & du même travail ,
de plus de cinquante marcs. Tous les Caftil-
lans demeurèrent comme épouvantés, à la.
vue de tant de richeffes. Herrera , Liv, 5,
Cliap. 5. , •
m a
Frrnand
C U R T K 2.
1519-
11 reçoit une
nouvelle fom-
ination de
partir.
Mélange de
ru le & de Re-
ligi 'H qu'il
employé inu-
tilement.
Xléconten-
temcnt des
Officiers Me-
xiquaiiis.
178 PREMIERSVO. YAGES
lage plus fur, parce que la Rade de Saint -Jean d'Ulua etoit battue de«
vents du Nord, il chargea Montejo d'aller reconnoître la C6te, avec deux
Vaiflcaux, fur lefquels il fit embarquer ceux dont il appréhendoit le plu»
d'oppofition. Montejo revint vers le tems où l'on attendoit Teutilé. 11 a-
voit fuivi la Côte, julqu'à la grande Rivière de Panuco, que les Courans
ne lui avoient pas permis de pafTer j mais il avoit découvert une Bourgade
Indienne, nomniéa Chianbuitzlun ^ où lu Mer formoit une cfpèce de Port,
défendu par quelques Rochers , c^ui pouvoient mettre les VailTeaux à
couvert du vent. Elle n'étoit qu à dix ou douze lieues de Saint-Jean.
Cortez fit valoir cette faveur du Ciel, comme un témoignage de iàfpro-
tcélion.
T E u T j L K arriva bientôt , avec de nouveaux préfens. Sa harangue fut
courte. Elle portoit un ordre aux Etrangers de partir fans réplique. On
ignore quelle auroit été la répor.fe de Cortez; mais, tandis qu'il la prépa-
roit, avec quelque embarras, il entendit fonncr la cloche de rEglife(^i),
& prenant occatiun de cet incident pour former un delfein extraordinaire,
il fe mit à genoux, après avoir fait ligne à tous fes gens de s'y mettre à fon
exemple. Cette aftion , qui fut fuivie d'un profond filence , ayant paru
caufer de l'étonnement à l'Ambafladeur, Marina lui apprit, par l'ordre du
Général , que les Efpagnols , reconnoiflant un Dieu fouverain , qui déteftoit
les Adorateurs des Idoles , & qui avoit la puiflance de les détruire, ils s'ef-
forçoient de le iléchir en faveur de Motezuma , pour lequel il? craignoient
fa colère. Olmedo , l'un des deux Aumôniers , reçut ordre uufli d'employer
fon éloquence, pour découvrir, à Teutilé, quelques lumières de la Foi (k);
& lorfqu'il eut cefle de parler, Cortez, d'un air plus impofant que jamais,
déclara „ que le principal motif du Roi fon Maître, pour offrir fon amitié
„ à l'Empereur du Mexique, étoit l'obligation où font les Princes Chrétiens
„ de s'oppofer aux erreurs de l'Idolâtrie; qu'un de fes plus ardens defirs
étoit de lui donner les inftruélions qui condriP^nt à la connoiflance de la
Vérité, & de l'aider à fortir de l'efclavage du Démon, horrible Tyran,
qui tenoit l'Empereur même dans les fers, quoiqu'eii apparence il fût un
puiflant Monarque; que pour lui, venant d'un Pays fort éloigné pour
„ une affaire de cette importance, & de la part d'un Roi, plus puilfant
„ encore que. celui des Mexiquains, il ne pouvoit fe difpenfer de faire de
„ nouvelles inftances , pour obtenir une audience favorable ; d'autant plus
„ qu'il n'apportoit que la Paix, comme on en devoit juger par ceux qui
„ l'accompagnoient , dont le petit nombre ne pouvoit faire foupçonner
„ d'autres vues (/)'*.
Ce difcours, par lequel il avoit efperé de fe faire du moins refpecler,
n'eut pas le fuccès qu'il s'en étoit promis. Teutilé , qui ne l'avoit pas é-
couté fans quelques marques d'impatience, fe leva brufquement, avec un
mélange de chagrin & de colère , pour répondre que jufqu'alors Motezuma
n'avoit employé que la douceur, en traitant les Etrangers comme fes Hô-
tes; mais que s'ils continuoient de réfifler à fes ordres, ils dévoient s'at-
•.•■■■' v- ten-
(»■) Cétok celle qu'on nomme ordinaire-
Hient VAngdns. »
C ife ) Solis , Liv. 2. Chap. 5.
(i) Ibidem,
cler,
as é-
c un
Izuma
HÔ-
s'at-
ten-
E N A M E R I Q U E, Liv. I. 279
tendre d'être traités en Ennemis. Alors , fans demander plus d'explica-
tion, ni prendre congé du Général, il Ibriit à grands pas, avec tous les
Indiens de Ton Cortège. Un procédé fi fier caufa quelques momens d'em-
barras à Cortez. Mais , tournant aufli-tôt fon attention à rallurer fcs gens,
il parut s'applaudir (w) d'un refus, qui lui donnoic la liberté d'employer
les armes fans violer aucun droit; & quoiqu'il y eût peu d'apparence que
les Mexiquains euilent une Armée prête à l'attaquer, il pofa de tous côtés
des Corps -de -Garde, pour faire juger qu'on n'avoit rien à craindre de Ja
furprife avec lui.
Cependant, le jour d'après fit découvrir un changement, quijetta
l'allarme dans le Camp Efpagnol. Les Indiens , qui s'étoicnt établis à peu
de diSance, & qui n'avoient pas cefie jufqu'alo^s de fournir des vivres,
s'étoient retirés fi généralement , qu'il ne s'en préfentoit plus un feul. Ceux,
qui venoient des Villages & des Bourgs voilins , rompirent aufli toute com-
munication avec le Camp. Cette révolution fit craindre fi vivement, aux
Soldats, de manquer bientôt du nécefliire, qu'ils commencèrent à regar-
der le deflein de s'établir dans un Pays fi ftérile , comme une entreprife mal
conçue. Ces murmures firent lever la voix à quelques Partifans de Diego
Velafquez. lis accufèrent le Général d'un excès de témérité; & leur har-
diefle, croiflant de jour en jour, ils follicitèrent tou't le monde de s'unir,
pour demander leur retour dans l'Iile de Cuba, fous prétexte d'y fortifier
la Flotte & l'Armée. Cortez, informé de ce foulevemcnt, employa fes
plus fidèles Amis, pour reconnoître les fentimens du plus grand nombre.
Il trouva que celui des Mutins fe réduifoit à quelques anciens Mécontens,
dont il avoit toujours eu de la défiance. Lorfqu'il fe crut afluré de la dif-
pofition des autres , il déclara qu'il vouloit prendre confeil de tout le mon-
de, & que chacun avoit la liberté de lui apporter fes plaintes. Ordaz&
quelques autres Officiers fe chargèrent-de celles des Mécontens. Elles fu-
rent écoutées, fans aucune marque d'offenfe. Comme elles tendoient prin-
cipalement à retourner dans l'Ule de Cuba, pour remettre la difpofition de
la Flotte à Velafquez, & qu'il n'y avoit point , en effet, d'autre moyen
de la fortifier, Cortez fe contenta de répondre qu'elle avoit été jufqu'alors
afl^ez favorifée du Ciel pour en efpérer conllamment les mêmes fecours;
mais que fi le courage & la confiance manquoient aux Soldats, comme on
l'en amiroit, il y auroit de la folie à s'engager plus loin; qu'il falloit pren-
dre fes mefures pour retourner à Caba, en leur avouant néanmoins qu'il
s'arrêtoit à cette réfolution pour fuivre leur confeil , & fur le témoignage
Su'ils lui rendoient de la difpofition des Soldats. Auflj-tôt il fit publier,
ans le Camp, qu'on fe tint prêt à s'embarquer le lendemain pour Cuba;
(Se l'ordre fut donné, aux Capitaines, de remonter, avec leurs Compa-
. , Snies,
' (m) Diaz lui fait dire à fes Officiers, d'nn tolent des gages de leur foibleflê, & de leur
air riant; „ Nous verrons comment ils fou- crainte, mais qa;ils n'acheteroient pas à fi
„ tiendront la guerre; en tout cas, nous fa- bon marché la retraite d'une Armée Efpa-
„ vons de quelle manière ces gens-là fo bat- gnoie. Ibidem. On aura continuellement oc-
„ tent ". Et pendant qu'on ferroit les pré- cafion d'obfcrvcr que Cortea employa la ru»
ftns, il railloit encore, ea difant que c'é- fe autant que la valcuir
F E R N A M>
CORTCZ.
. 1 5 ' 9.
Comnicni
Cortez rulfurs
fes gens.
Occaflon
qui excite
leurs murui»
res. ^
Habileté'
avec laquelle
Cortez prend
l'afcendant
fur les Mu-
tins.
28o
PREMIERS VOYAGES
Fbimand
C O R T E Z.
1519-
I
Heureux
fiicccs de fon
artifice.
Députation
qu'il reçoit
de la part du
Cacique de
Zampoala.
f;nics , fur les mêmes Vaifleaux qu'ils avoienc commandés. Mais cette ré-
oliition ne fut pas plutôt divulguée, que tous ceux, qui ëtoient prévenu!
en faveur du Général, s'écrièrent , avec beaucoup de chaleur, qu'il les a*
voit donc trompés par de faulTes promeflcs? Ils ajoutèrent, que s'il étoie
rcfolu de fc retirer, il en étoit le maître, avec ceux qu'il trouveroic difpo-
fcs à le fuivre; mais, que, dans les cfpérances qui les attachoicnt au Me-
xique, ils n'abandonneroiçnt pas leur entreprife, & qu'ils fauroient choifir
un Chef pour lui fucccder. Les Officiers , qui fervoicnt Cortcz , feignant
d'approuver cette ouverture, demandèrent feulement qu'il en fût informé.
Ils fe rendirent à fa Tente, accompagnés de la plus grande partie des Sol-
dats, pour lui repi-éfenter que toute l'Armée étoit prête à fe foulever; &
cette Comédie fut poufTée juCqu'à lui reprocher d'avoir pris la réfolution de
partir, fans confulter fi^s principaux Officiers. Ils fe plaignirent de la hon-
te, dont il vouloit couvrir les Lfpagnols, en abandonnant fon Expédition ,
au feul bruit des obllacics qu'il avoit à furmontcr. Ils lui repréfentèrent
ce qui étoit arrivé à Grijalva , pour avoir manqué de faire un Etabliflement
dans le Pays qu'il avoit découvert. Enfin, ils lui répétèrent fidèlement
tout ce qu'il leur avoit didé lui-même. Cortez parut lurpris de les enten-
dre. Il rejetta fa conduite fur l'opinion qu'il avoit eue des dilpofitions de
l'Armée. Il affc6la de fe défendre, de balancer, d'avoir peine à fe per-
fuader ce qu'il defiroit le plus ardemment; & fe plaignant d avoir été mal
informé , fans nommer néanmoins ceux qui lui avoient rendu ce mauvais
office, il protefld que les ordres qu'il avoit donnés étoient contre fon goût;
qu'il n'avoit cédé qu'à l'envie d'obliger fes Soldats; qu'il demcureroit au
Mexique avec d'autant plus de fatisfadion , qu'il les voyoit dans les fenti-
mens qu'ils dévoient au Roi leur Maître & à l'honneur de leur Nation:
mais qu'ils dévoient comprendre que pour des entreprifes aufli glorieufes
que les fiennes, il ne vouloit que des Guerriers libres & dévoués à fes or-
dres ; que fi quelqu'un fouhaitoit de retourner à Cuba, il pouvoit partir fans
obflacle; & que fur le champ il alloit donner ordre qu'il y eût des Vaifleaux
prêts, pour tous ceux qui ne feroitnt pas difpofés à fuivre volontairement
fa fortune. Ce difcours produifit des tranfports de joye, dont il fut furpris
lui-même; & ceux, qui avoient fervi d'Interprètes aux Mccontens, n'eu-
rent pas la hardiefle de fe déclarer. Ils lui firent des excufes, qu'il reçut
avec la même diffimulation («).
La Fortune, qui fembloit le conduire par la main, amena, dans le mê-
me tems, cinq Indiens, que Diaz dcl Caftillo vit defcendre d'une Colline,
vers un Porte avancé qu'il gardoit. Leur petit nombre, & les fignes de
paix, avec lefquels ils continuoient de s'approcher, ne lui laiflant aucune
défiance de leurs intentions, il les conduifit au Camp. On crut remarquer,
à leur air & à leur habillement, qu'ils étoient d'une Nation différente des
Mexiquains; quoiqu'ils euflent aulli les oreilles & la lèvre percées, pour
foutenir de gros anneaux d'or & d'autres bijoux. Leur langage ne reflem-
bloit pas non plus à celui des autres, & Marina né l'entendit pas fans diffi-
culté. On apprit néanmoins, par fon organe, qu'ils étoient Sujets du Ca-
cique
{n) Ibidem , Chzp, s ^ 6, Herrera, iW*/, ■ . ■ • ; "i".
. . 1'
Il ', • • • •
EN A M E R I Q U E, Liv. If
281
F t R M A N »
I 5 19.
cique de Tampoala, Province peu cloigndc, & qu'ils vcnoient faire des corn*
plimcns de fa part au Chef de ces braves Étrangers, dont les Exploits dans
fa Province de Tabafco s'étoient dé_ja répandus jufqu'à lui. C'dtoit un Prin-
ce guerrier» qui faifoit profelîion d aimer la valeur jufques dans fes Enne-
mis. Les Députés infiltèrent beaucoup fur cette qualité de leur Maître, •
dans la crainte apparemment que fes avances ne fuflent attribuées à des mo-
tifs moins dignes de lui. Cortez les reçut avec de grands témoignages d'ef-
time & d'affetlion. Outre l'effet que cet heureux mcident pouvoit produi- Fruits qii'H
re fur les Mexiquains, pour arrêter leurs cntrcprifes, & fur les Kfnagnols s'c» promcu
mêmes , pour leur inlpirer une nouvelle confiance , il apprit que la novin-
ce de Zampoahi étoit vers le Port que Montejo avoit découvert fur la Cô-
te; & fon dcflein étoit toujours d'y tranfporter fon Camp. Cependant fa
putation ,
pas volontiers avec les Mexiquains , dont ils ne loullroicnt Jes cruautés
qu'avec horreur. Nouveau fujet de fatisfaftion pour Cortez, fur-tout lorf-
que les Indiens eurent aioûté que Motezuma étoit un Prince violent , qui
s'étoit rendu infupportable à Tes Voifins par fon orgueil , & qui tenoit fes
Peuples foumis par la crainte.
Il efl: tems de faire connoître quelles étoient fes forces, & d'où venoit
le trouble que l'arrivée des Efpagnols avoit jette dans fon efprit. L'Empi-
re du Mexique étoit alors au plus haut point de fa grandeur, puifque toutes
les Provinces , qui avoient été découvertes dans l'Amérique Septentrionale
étoient gouvernées par fes Miniftres, ou par des Caciques, qui luipayoienc
un Tribut. Sa grandeur, du Levant au Couchant, étoit de plus de cinq
cens lieues, & fa largeur, du Midi au Nord, d'environ deux cens. Il a-
voit pour bornes,- au Nord, la Mer Atlantique, dans ce long efpace de
Côte qui s'étend depuis Panuco jufqu'au Yucatan. L'Océan , qu'on nomme
jîjiatique (0) i le bornoit au Couchant, depuis le Cap Mindorin jufqu'aux
extrémités de la Nouvelle Galice. Le côté méridional occupoit cette vafte
Côte qui borde la Mer du Sud, depuis Acapulco jufqu'à Guatimala, & qui
vient près de Nicaragua, vers l'iflnme du Darien. Celui du Nord, s'éten-
dant jufqu'à Panuco, comprenoit cette Province entière; mais fes limites
étoient reflerrées, en quelques endroits, par des Montagnes, qui fervoient
de retraite aux Chichimegues & aux Ototnies; Peuples farouches & barbares,*
auxqueiis on n'attribuoit aucune forme de Gouvernement, & qui n'ayant,
pour Habitation , que. les Cavernes des Rochers , ou quelques trous fous
terre, vjvoient de leur chafle & des fruits que leurs Arbres produifoient
fans cultufv: Cependant ils fe fervoient de leurs flèches avec tant d'adref-
fe & de force , & la fituation de leurs Montagnes aidoit fi naturelle-
ment à leur défenfe, qu'ils avoient repoufle plulieurs fois toutes les for-
ces des Empereurs du Mexique. Mais ils ne penlbient à vaincre que
(0) On le Golfe d'Jnian. ~
Nota. Voyez la Carte du Mexique, au Tome XVI, R. d. E, '
XniL Part. N n
Idtîe de l'c-
tat uù le Mt.'
xique titoit. '.
alors. * \
f •
f KRNAKB
CORTEZ.
Caraftère
de l'Empe-
reur, qui fe
nommoitMo-
tezuma.
Combien il
s'étoit rendu
odieux.
282 PREMIERS VOYAGES
pour éviter la tyrannie, & pour conferver leur liberté au milieu des Bê-
tes fauvages.
Il n'y avoic pas plus de cent trente ans que l'Empire du Mexique étoit
parvenu à cette grandeur, après avoir commencé à s'élever, comme la plu-
part des autres Etats, fur des fondemens aflez foibles. Les Mexiquains,
portés par inclination à l'exercice des armes, avoient aflujetti par dégrés
pluficurs autres Peuples qui habitoient cette parcie du Nouveau Monde.
Leur premier Chef avoit été un fimple Capitaine, dont radreflTe & le cou-
rage en avoient fait d'excellens Soldats. Enfuite ils s'étoient donnés un
Roi , qu'ils avoient choifi entre les plus braves de leur Nation , parce qu'ils
ne connoiflbient pas d'autre vertu que la valeur; & cet ufage, de donner
la Couronne au plus brave, fans aucun égard au droit de la naiflance, n'a-
vcit été interrompu que dans quelques occafions, où l'égalité du mérite a-
voit fait donner la préférence au Sang Royal. Motezuma , fuivant les
peintures qui compofoient leurs Annales, étoit l'onzième de ces P.ois (p}.
Quoique fon Père eût occupé le Trône, il n'avoit dû fon élévation qu'à
fes grandes qualités naturelles, qui avoient été foutenues long tems par l'ar-
tifice. Mais lorfqu'i' s ecoit vu le Maître, il avoit làché la bride à tous les
vices qu'il avoit fyu déguifer. Son orgueil avoit éclaté le premier, en lui
faifant congédier tous les Officiers de fa Maifon , qui étoient d'une naiflan-
ce commune, pour n'tmployer que la Nobleife, jufques dans les Emplois
les plus vils ; afFeftation également choquante pour les Nobles , qui fe trou-
voient avilis par des fondions indignes d'eux , & pour les Familles populai-
res, qui s'étoient vu fermer l'unique voie qu'elles avoient à la fortune. U
paroiflbit rarement à îa vue de fes Sujets, fans excepter fes Miniftres mê-
mes & fes Domefl:iques, auxquels il ne fe communiquoit qu'avec beaucoup
de réferve,* „ faifant entrer ainfi, fuivant l'expreflion de Solis, le chagrin
„ de la folitude dans la compofition de fa Majeflé ". Il avoit inventé de
nouvelles révérences & des cérémonies gênantes, pour ceux qui appro-
choient de fa Perfonne. Le refpeft lui paroiflbit une ofl^enfe , s'il n'étoit
pouffé jufqu'à l'adoration ; & dans la feule vue de faire éclater fon pouvoir,
il exerçoit quelquefois d'horribles cruautés, dont on ne connoiffoit pas d'au-
tre raifon que fon caprice. Il avoit créé , fans néceffité , de nouveaux
impôts , qui fe levoient par tête, avec tant de rigueur, que fes moindres
Sujets, jufqu'aux Mandians, étoient obligés d'apporter quelque chofe au
pié du Trône. Ces violences avoient jette la terreur dans toutes les par-
ties de l'Empire, & cette terreur avoit produit la haine. Plufieurs Pro-
vinces s'étoient révoltées. Il avoit entrepris de les châtier lui-même.
Mais celles de Mechoacan, de Tlafcala & de Tepeaca, fe foutenoient
encore dans la révolte. Motezuma fe vantoit de n'avoir différé à les
foumettre, que pour fe conferver des Ennemis, & fournir des Victimes
à fes cruels Sacrifices. Il y avoit quatorze ans qu'il règnoit fuivant ces
maximes (j).
" ' ^ ' Mais
(p) Voyez ci-delTous, dans la defcription
de l'Empire, les noms ôc la fuite de fus Pré-
déccffcurs , avec les principales circonHaa*
CCS de leur Hifloire.
(j) Solls, Liv. 2. Cbap. 3.
n
EN A M E R I Q U S, Liv. I.
283
•fi»
Mais la dernière de ces années avoit été remplie d'affreux prodiges ,
qui commençoienc à lui faire fentir des remords & des craintes. Une ef-
froyable Comète avoit paru , pendant plufieurs nuits, comme une pyrami-
de de feu. Elle avoiç été fuivie d'une autre, en forme de Serpent à trois
têtes, quife levant de l'Oueft, en plein jour, couroit avec une extrême
rapidité jufqu'à l'autre Horifon, où elle difparoiffoit après avoir marqué fa
trace par une infinité d'étincelles. Un grand Lac, voifm de la Capitale,
avoit rompu fes Digues, & s'écoit répandu avec une impétuofité dont on
n'avoit jamais eu d'exemple. Un Temple s'étoit embraie, fans qu'on eût
pu découvrir la caufe de cet incendie, ni trouver de moyen pour l'arrêter.
On avoit entendu, dans l'air, des voix plaintives, qui annonçoient la fin
de la Monarchie; & toutes les réponfes des Idoles s'accordoient à répéter
ce funefte pronoftic. Laiflbns (r) aux Hiftoires Efpagnoles ce qui com-
raence à prendre un air fabuleux: mais, le récit des deux Indiens faifant
juger à Cortez qu'il ne lui feroic pas difficile de former un parti con-
tre un Tyran , entre des Peuples révoltés contre fes injuftices , il en-'
vnva, au Cacique de Zampoala, des préfens & tout ce qui pouvoit le
difpofer à l'amitié.
CETlicureux incident lui fit naître une autre idée, que les Hiftoriens
regardent comme le chef-d'œuvre de fa Politique, & qu'il exécuta auffi ha-
bile-
confcil fur fon tranfport, qui parut furnatu-
rel , & l'on réfolut de l'écouter. Il fit un ré-
cit qu'on pouvoit prendre pour un fonge,
quoiqu'il le donnât comme une vérité, par
lequel il prétcndoit qu'ayant vu l'Empereur en-
dormi dans un lieu écarté, & qui tenoit à la
main une paftille allumée, une voix lui avoit
ordonné de prendre la paftillc, & de h lui
appliquer fur ia cuiffe; ce qu'il avoit fait fans
que 1 Empereur fe fût éveillé Alors la voix
lui avoit dit ; c'eft ainfi que ton Souverain
s'endort , pendant que le tonnerre gronde fur
fa tête, & qu'il lui vient des Ennemis d'un
autre Monde, pour détruire fon Empire &
fa Religion. Sur quoi le Laboureur. -ayant
fait une exhortation fort vive à Motezuma ,
prit la fuite avec beaucoup de vitcffe. On
penfoit d'abord à le faire arrêter, pour le pu-
nir de fon infolence; mais une douleur ex-
traordinaire , que l'Empereur fcntit à la cuif-
fe, y ayant fait regarder aulFi-tôt, tous ceux
qui étoient préfens apperçurcnt la marque
cl une brûlure récente , dont ia vue effraya
Motezuma , & lui fit faire de férieufcs réfle-
xions. Le paflage de Grijalva & l'arrivée
de Cortez, femblant repondre à tous ces a-'
vis du Ciel, la Cour du Mexique étoit dans'
le trouble; on y avoit tenu quantité deCon-
feils , & c'étoit après de longues délibéra-
tions que l'Empereur s'étoit déterminé à re-
fufer, aux Etrangers, la liberté de le voir.'
S«lis, Chap. <J.
(r) On ne doit pas paffer néanmoins deux
traits , que le Père d' Acofta , Botero , & d'au-
tres Écrivains du môme poids, ont cru af-
fez vériliés , pour les donner comme cer-
tains, & qui expliquent d ailleurs les queC
tions qu'on faifoit l'année précédente à Gri-
jalva. Quelques Pêcheurs prirent, au bord
du Lac de Mexique, un Oifeau d'une gran-
deur & d'une figure monftrucufe , qu'ils pré-
fentèrent à l'Empereur. Il avoit fur la tête
une efpèce de lame luifante , où la reverbe-
ration du Soleil produifoit une lumière trille
& aifreufe. Motezuma, fixant fos y^-ux fur
cette lame, y appcrçut la repréfcntation d u
ne nuit, avec des Etoiles, qui brilloient af-
fez , d'efpace en cfpace , pour l'obliger de fe
tourner aufl[îtôt vers le Soleil , dans le doutj
s'il n'avoit p;is cciTo tout" d'un coup de luire.
Enfuite, retournant à cet étrange miroir, il
y vit des Soldats inconnus & bien armés , qui
vcnoient du côté de 1 Orient, &quifaifoient
un horrible carnage de fes Sujets. Il fit ap-
peller fes Prêtres & fes Devins, pour lescon-
fulter fur ce prodige. L Oifeau demeura im-
mobile , tandis que plufieurs d'entr'eux firent
là même expérience. Enfuite, «'échappant
tout d'un coup de leurs mains, il leur lailHi
un nouveau fujet de frayeur par une fuite fi
brufque.
Peu de jours après , un Laboureur vint au
Palais, à demanda fort inftanunent d'être in-
troduit à l'Audience de l'Eu>parcur; on tint
' • . >' Nn
Fernand
Cortez.
15 19.
Prodiges
qui avolent
annoncé la'
ruine de l'Em-
pire.
Chef-dœn-
vre de la Po-
litique de
Cortez.
Teumand
Ç0RTE2.
11 étaWk
une Colonie,
fous lo nom
de Villa ricca
de la Vera-
Cni2.
Comment il
fo fait revêtir
de [autorité
.:.brolue»
iU PREMIERS VOYAGES
bilement qu'il l'avoit conçue. Comme elle l'obligeoit d'avancer le defTein
qu'il avoic toujours eu de former une Colonie dans le lieu où il éroit cam-
pé, il fe hâca de la communiquer aux Officiers , dont il connoilîbit l'atta-
chement pour fa perfonne; & lorfqu'il eut réglé avec eux tout ce qui pou-
voit en alTurer le fuccés, il tint une Aflemblée générale, pour donner une
forme au nouvel Etabliflement. La Conférence fut courte. Ses Pàrtifans ,
qui compofoient le plus grand nombre, fécondèrent toutes fes propofitions
par leurs fuffrages. On nomma pour Alcaldes , ou Chefs du Conleil Sou-
verain, Porto-Carrero & Montejo; & pour Confeillers, d'Avila, Alvara-
do & Sandoval. D'Efcalante fut créé Alguazil Major, ou Lieutenant Cri-
minel ; & l'Office de Procureur Général fut confié à Chico. Tous ces Of-
ficiers , après avoir prêté le ferment ordinaire à Dieu 6 au Roi , prirent
pofleflion de leurs Charges, avec les formalités ordinaires en Efpagne, &.
commencèrent à les exercer, en donnant, à la nouvelle Colonie , le nom
de yitla ricca de la Fera-Cruz^ qu'elle a confervé dans un autre lieu. Ils la.
nommèrent Ville riche , parce qu'ils y avoient commencé à voir beaucoup '
d'or ; & Vraie Croix , parce qu'ils y étoient defcendus le jour du Vendredi-
Saint (j).
CoRTEz afi'eéh d'affifter à leurs premières fondions, comme un fimple
Habitant , qui ne tiroit aucun droit de fa qualité de Général de la Flotte &
de Commandant des Armées. Il vouloit autorifer le nouveau Tribunal par
fon refpedt;, & donner au Peuple l'exemple d'une jufte foumilîion; parce
qu'il croyoit avoir également befoin & de l'autorité civile & de la dépen-
dance des Sujets, pour remplir, par le bras de la Juilice & par la voix du
Peuple , les vuides de la Jurifdiélion Militaire , dont on le fuppofoit toujours
le Chef, en vertu de la Commiffion du Gouverneur de Cuba. Mais elle a-
voit été révoquée; & dans le fond fon pouvoir étoit appuyé- fur des fon-
demens trop foibles. Ce défaut ne l'obligeoit que trop fouvent de fermer
les yeux fur la réfiftance qu'il trouvoit à fes ordres. Il le mettoit dans le
double embarras de penfer à ce qu'il devoit commander & aux moyens de
fe faire obéir. De -là fon impatience, pour l'exécution d'un projet, dont
toutes ces difpofitions n'étoient que les préparatifs.
Le lendemain, pendant que le Confeil étoit aflèmblé, il demanda mo-
deftement la permiffion d'y entrer. Les Juges fe levèrent pour le recevoir.
Il leur fit une profonde révérence, & fe contenta de prendre place après le
premier Confeiller. Là , dans un Difcours où l'arc étoit revêtu des appa-
]^ences du desintérelTement &. de la iimplicité (t), il leur repréfenta que
.-,,-. ... : de*-
(s) Ibidem, Chap. 6<
( t ) On le donnera ici tel que Solis le rap-
porte après Diaz , fuivant la loi qu'on s'eft
impofée de conferver tous les grands traits
qui portent un caraftère original. „ Sei
„ gnetirs , ce Confeil , que Dieu par fa bon-
„ té nous a permis d'établir, repréfcnte la
„ Perfonne du Roi , à qui nous fommes obli-
„ gés de déclarer la vérité; hommage que
„ tous ceux qui aiment l'honneur & la vexta
lui rendent volontiers. Je parois donc de-
vant vous comme fi j'étois en fa préfence,
fans autre vue que celle de fon fervice,
fur lequel vous me foufFrirez l'ambition de
ne, le céder à perfonne. Vous êtes aflem-
blés pour délibérer fur les moyens d'éta-
blir cette nouvelle Colonie , trop heureufe
d'avoir des Chefs tels que vous. J'ai cru
vous devoir propofer ce que j'ai médité;
fur le même fujcc, dans la crainte que
„ voua
&.
Z- E N A M E R I Q U E, Lrv. I.
285
depuis les variations du Gouverneur de Cuba, dont ii tenoit fa Commiflîon,
il ne fe croyoit plus un pouvoir afTez abfolu pour commander; & que les
circonflances demandant une pleine autorité dans un Capitaine Général,
il fe défitioit de toutes Tes pré^^ ntions entre les mains du Confeil, auquel il
it d'en nommer un, jufqu'à ce qu'il plût au Roi d'en ordonner
appartenoit
autrement.
après
Il n'oublia pas de demander Aéle de fon défiftement;
quoi , jettant fur la table les Provifions de Diego Velafquez , & baifant le
Bâton de Général, qu'il remit au Chef de rAlîcmbléc, il fe retira feul dans
fe Tente.
Quoique fes mefures lui lainafTent peu d'incertitude pouf le fuccès de
l'événement, perfonne n'a parlé, fans admiration, d'une rufe fi noble. Le
choix du Confeil ne fut pas différé iong-tems. La plupart des Confeillers
y étoient préparés , & les autres n'y pouvoient rien oppofer. Toures les
voix s'accordèreno à recevoir la démiliion de Cortez; mais à condition qu'il
reprendroit auffi-tôt le Commandement, avec des Patentes au nom du Roi,
& qu'on informeroit le Peuple de cette éleélion. Elle n'eut pas été plutôt
publiée , qu'on vit éclater la joie par de vives acclamations. Ceux qui pri-
rent le moins de part à la fatisfaÀion publique fe virent forcés de difllmu-
Jer leur niécontentement. Enfuite le Confeil , accompagné de la plus graa-
de partie des Soldats, qui repréfentoient le Peuple, fe rendit folemnelle-
ment à la Tente de Cortez, & lui déclara que la Ville de la Vera-Cruz, au
nom du Roi Catholique , l'avoit élu Gouverneur de la nouvelle Colonie , &
... ....^:-.... Gé-
Fbrn-anu
Coûtez.
15 19.
oncde-
fence ,
rvice ,
tion de
affem-
d'éta-
ureufe
ai cru
médité
te que
vous
II
M
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*l
VOUS arrêtant à des fuppofitions mal fon-
dées, vous ne vous trouviez obligés de
prendre de nouvelles conclufions. Cette
Ville, qui commencé à s'élever fous vôtre
Gouvernement, e(t fondée dans- un Pays
peu connu & fort peuplé , où nous avons
trouvé des marques deréfiftance, qui nous
annoncent une entreprife périlleufe , où
nous aurons befoin de la tête & des mains,
c'eft-àdire, où il faudra fouvent que la
force achève ce que la prudence aura com-
mencé. La politique & les confeils nefiif^
fiftnt pas dans nôtre fituation. Vôtre pre-
mier foin doit être de conferver l'Armée
qui nous fert de rempart; & mon premier
devoir eft de vous avertir qu'elle n'-a pas
tout ce qui eft néceflaire pour nôtre fure-
té & pour le foutien de nos efpérances.
Vous favez que jufqu'à préfent je l'ai com-
mandée, fans autre titre que la nomina-
tion de Dom Diego de Velafquez , qui n'a
pas été plutôt expédiée en ma faveur, qu'il
l'a révoquée. Je n'examine point ici l'in-
juftice de fa défiance. Ce n'eft pas dequoi
il eft queftion. Mais on ne peut desa-
vouer que la Jurifdiftion Militaire, dont
vous fentez l'importance pour nous, ne
fubfille plui dans ma perfonne, ^^e con-
tre la volonté de celui qui en pouvoit dif-
pofer. Elle n'a donc plus d'autre fonde-
ment qu'un titre forcé, qui porte avec foi
la folbleife de fon principe. Les Soldats
n'ignorent point ce défaut. Je n'ai pas le
cœur aflcz bas pour exercer une autorité
précaire ; & nôtre entreprife demande une
Armée, que la raifon co.itienne dans l'o-
béllfance plutôt que l'habitude. C'eft à
vous. Seigneurs, qu'il appartient de re-
médier à cet inconvénient. Vôtre Aflem-
blée, qui repréfente nôtre Souverain, aie
droit de pourvoir, en fon nom, au Com-
mandement de fes Troupes. Cette Armée
vous offre plufieurs Sujets. Pour moi je
me dépouille ici de tous mes droits. Je
renonce , entre vos mains , au titre qui peut
me les avoir acquis. Soyez libres dans
vôtre choix. Aflurezvous que mon am-
bition» fe borne au fuccès de nôtre entre'
prife ; & que fans aucune violence pour
mes inclinations , cette main , qui a porté
le Bâton de Général, faura fort bicr. ma-
nier le fabre ou la lance. Si l'on apprend;
à commander en obéiffant ; c'eft quelque-
fois aulli par le Commandeiaeot qu'on le
forme à l'obéiflance ".
Nn 3
Kerkand
Coûtez.
1519-
NoblclTo a-
vec laquelle il
fouticnt la
rufo.
Premier
ufage qu il
foit de fon
autorité.
Sa marche
vers Zampoa-
la.
Temples
qu'il rencon-
tre & vifti-
mes humai-
nes.
Livres Me-
iiquains.
285
PREMIERS VOYAGES
Général de l'Armée Caftillane, en plein Confeil, avec la connoiffance &
l'approbation de tous les Habitans (v).
Il reçue ces deux nouvelles Charge^, avec tout le refpeél qu'il auroit eu
pour le Roi même, dont on employoit le nom & l'autorité. Il afFefta tou-
jours de les appeller nouvelles , pour marquer la différence qu'il faifoit de
l'autre, à laquelle il avoit renoncé; & dés ce moment, il donna Tes ordres
avec un caraflère de grandeur & de confiance , qui n'eut pas moins de pou-
voir pour exciter tout le monde à la foumiffion. Cependant les Partifans
de Velafquez lâchèrent la bride, en fecret, à tous les reflentimens qu'ils
n'avoient ôfé faire éclater. Ils attaquèrent fourdement l'autorité du Con-
feil, les pouvoirs du Général, & tout ce qui commençoit à porter fur ces
deux fondemens. Cortez , après avoir éprouvé que la douceur & la patien-
ce n'arrêtoient pas le cours du mal, fit mettre aux fers, fur les Vaiffeaux,
Ordaz , Efcudero , & Jean Velafquez , trois Chefs de la faftion oppofée.
Cette fermeté jetta la terreur dans l'efprit des autres, fur-tout lorfqu'il eut
déclaré que fon deflein étoit de faire le procès aux Séditieux. Mai" , pen-
dant qu'il marquoit une fé vérité feinte, il employoit toute fon adreife pour
les ramener infenfiblement à la raifon j & cette conduite lui en fit à la fia
des Amis fidèles (x).
Aussi-TÔT qu'il crut fon autorité bien affermie , il détacha cent Hommes ,
fous le Commandement d'Alvarado, pour aller reconnoître le Pays, &pour
chercher des vivres, qui commençoient à manquer depuis que les Indiens
avoient ceffé d'en apporter au Camp. Alvarado n'alla pas loin fans rencon-
trer quelques Villages, dont les Habitans avoient laifle l'entrée libre, en fe
retirant dans les Bois. Il y trouva du Maïz, de la Volaille, & d'autres
provifions, qu'il fe contenta d'enlever, fans caufer d'autre defordre ; & ce
fecours rétablit l'abondance. Alors Cortez donna fes ordres pour la mar-
che de l'Armée. Les Vaiffeaux mirent à la voile vers la Côte de Ouiabizîan ^
où Ton avoit découvert un nouveau Port, & les Troupes fuivirent par ter-
re le chemin de Zampoala. Elles fe trouvèrent , en peu d'heures, fur les
bords d'une profonde Rivière, où l'on fut obligé de raffembler quelques
Canots de Pécheurs pour le paffage des Hommes, tandis que les Chevaux
pailérent à la nage. On s'approcha d'une Bourgade, qui ne fut reconnue
que dans la fuite pour la première du Pays de Zampoala. Les Habitans a-
vûient non-feulement abandonné leurs Maifons , mais emporté jufqu'à leurs
meubles; ce qui caufa d'autant plus d'inquiétude à Cortez, que leur retraite
fembloit préméditée. Ils n'avoient même laifTé, dans leurs Temples,
qu'une partie de leurs Idoles, avec des couteaux de bois garnis de pierre,
QL quelques miferables relies de la peau desviélimes humaines, qu'ils avoient
facrifiées, & qui caufoient autant de pitié qtie d'horreur. Ce fut dans ce
heu que les Caflillans virent , pour la première fois , la forme des Livres
Mexiqùains. Us en trouvèrent quelques- uns, qui contenoient apparem-
ment les cérémonies d'une cruelle Religion. Leur matière étoit une efpè-
ce de parchemin, enduit de gomme ou de vernis, & plié en double, pour
fai-
(•u) Solis, Liv. 2. Cbup. 7.
(.r) Ibidem.
■ EN AMERIQUE, Liv. I.
"87
faire un grand nombre de feuilles, qui compofoient chaque Volume. Us
paroiflbient écrits de tous côtés, ou plutôt chargés de ces images & de ces
chiffres, dont les Peintres de Teutilé avoient donné des exemples beau-
coup plus réguliers. L'Armée pafla la nuit dans cette Bourgade, avec tou-
tes les précautions qui pouvoient affurer fon repos. Le lendemain , elle
reprit fa mardie dans le même ordre & par le chemin le plus frayé , qui
defcendoit vers l'Oueft, en s'écartant un peu de la Mer. Cortez fut fur<
pris de n'y trouver, pendant tout le jour, qu'une continuelle folitude, dont
le filence lui devint fufpeft. Mais vers le foir, à l'entrée d'une belle Prai-
rie, on vit paroître douze Indiens, chargés de rafraîchiflemens , qui s'étant
fait conduira au Général , lui offrirent ce préfent de la part de leur Caci-
que, avec une invitation à fe rendre dans le lieu de fa demeure, où il
avoit fait préparer des logemens & des vivres pour toute l'Armée. On
apprit d'eux qu'il reftoit un Soleil ^ c'efl à dire, dans leur langage, une jour-
née de chemin , jufqu'à la Cour de Zampoala. Cortez renvoya fix de ces
Indiens au Cacique, avec des remercimens fort nobles, & garda les autres
pour lui fervir de Guides. Une civilité fi peu prévue n'avoit pas laifTé de
luicaufer quelque défiance; mais, le foir, iî trouva tant d'empreflement à
le fervir, dans les Habitans d'une Bourgade, où fes Guides lui confeillèrent
de s'arrêter , qu'il ne douta plus de la bonne-foi du Cacique , & cette opi-
nion fut heureufement confirmée par tes fruits importans qu'il tira de Ion
amitié (y).
^ Le jour fuivant, en continuant de marcher vers Zampoala, il rencontra,
prefqu'à la vue de cette Place, vingt Indiens, fort galamment équipés, qui
étoient fortis pour le recevoir. Après l'avoir falué , avec beaucoup de cé-
rémonies, ils lui firent un compliment civil , au nom du Cacique, „ à qui
„ fes incommodités n'avoient pas permis de fe mettre à leur tête, mais qui
„ l'attendoit, avec une extrême impatience de connoître des Étrangers,
„ dont la valeur avoit tant d'éclat". La Ville étoit grande & bien peu-
plée, dans une agréable fituatîon, entre deux RuifTeaux qui arrofoient
une Campagne fertile. Us venoient d'une Montagne peu éloignée, revê-
tue d'Arbres, & d'une pente aifée. Les Edifices de la Ville étoient de pier-
re, couverts & crépis d'une forte de chaux blanche, polie & luifante, dont
l'éclat formoit un fpeftacle fort brillant. Un des Soldats , qui furent dé-
tachés, revint avec tranfport, en criant de toute fa force que les murail-
les étoient d'argent (z).
Toutes les Rues & les Places publiques fe trouvèrent remplies d'Indiens ;
mais fans aucune efpèce d'armes qui pufTent donner du foupçon , & fans
autre bruit que celui qui eft inféparable de la multitude. Le Cacique s'of-
frit à la porte de fon Palais., Ses incommodités n'étoient qu'une prodigieu-
fe grolTtiur. Il s'approcha lentement , appuyé fur les bras de quelques In-
diens , au fecours defquels il fembloit devoir tout fon mouvement. Sa pa-
rure étoit une mante de coton , enrichie de pierres précieufes , comme fts
oreilles & fes lèvres. La" gravité de fa figure, «'accordant avec le poids de
fon corps, Cortez eut befoin de toute la lienne, pour arrêter les éclats de
rire
(y) Ibidem, Chap. 8. .^ (2) Diaz fie Solis, ubifuprà.
CORTliï.
1519.
Députés de
Zampoala qui
viennent au-
devant des
Ef^iagnols.
Cortez ar-
rive à Ziim*
poala.
Sa récep-
tion dan» cet-
te Ville.
Figure du-
Cacique.
!^88
PREMIERS VOYAGES
CORTEZ.
1519-
Corte?, ju-
ge bien de ce
Prince.
Sa Confé.
rencc avec
lui.
Plaintes ôw
Cacique con-
tre Molczii-
ma.
Idée que
Corcez lui
donne de Tes
forces & de
Tes dellcins.
rire des Efpagnols , & pour fe faire cette violence à lui-même. Mais , a-
près avoir entendu le Prince Mexiquain , dans le compliment qu'il lui fit en
l'embraflant , il en prit une idée fort différente. Son difcours fut fimple &
précis. 11 le félicita defon arrivée ,• il fe félicita lui-même de l'honneur qu'il
avoit de le recevoir; & fans un mot inutile, il le pria d'aller prendre quel-
que repos dans fon Quartier , où il lui promit de conférer avec lui de leurs
intérêts communs (a).
Les logemens, qu'il avoit fait préparer , étoient fous les portiques de
plulieurs Maifons , dans un aflez grand efpace, où tous les Efpagnols furent
placés fans embarras, & trouvèrent abondamment tout ce qui étoit nécef-
faire à leurs befoins. Le jour fuivant, la vifite du Cacique fut annoncée
par un préfent, dont la valeur moncoit à deux mille marcs d'or. Il le fui-
vit de près , fur une efpèce de brancard , porté par fes principaux Officiers.
Cortez, accompag'né de tous les ficns, alla fort loin au-devant de lui, &
le conduifit dans fon Appartement, où il ne retint que i'cs Interprètes,
pour donner, à cette première Cor.férence, l'air important du fecret. A-
prés l'exorde ordinaire , fur la grandeur de fon Roi, êc fur les erreurs de l'I-
dolâcrie, il ajouta fort habilemenc, qu'une des principales viles des Soldats
Efpagnols étoit de détruire l'injultice, de réprimer la violence, & d'em-
brafler le parti de la juftice & de la raifon. C'étoit ouvrir la carrière au
Cacique, pour apprendre de lui-même ce qu'on pouvoit efpérer de fes dif-
pofitions. En effet, le changement qui parut fur fon vifage, fit connoître
au Général qu'il l'avoit touché par l'endroit fenfible. Quelques fqupirs fer-
virent de préludé à fa réponfe. Enfin, la douleur i -«roiffant l'emporter, il
confeffa que tous les Caciques gémiffoient dans un tfclavage honteux, fous
le poids de la tyrannie & des cruautés de Motezuma , fans avoir la force de
fecouer le joug , ni même affez de lumières pour en imaginer les moyens ;
que ce cruel Maître fe faifoit adorer de Ces Vaffaux comme un des Dieux
du Pays, & qu'il vouloit que fes injurtices & fes violences fuflent révérées
comme des Arrêts du Ciel; que la raifon néanmoins ne permettoit pas de
demander du fecours à des Etrangers pour tant de Miférables, nonfeule-
ment parce que l'Empereur du Mexique étoit trop puiffant, mais plus en-
core parce que Cortez n'avoii; pas allez d'obligation aux Mexiquains pour
fe déclarer en leur faveur, & parce que les loix de rh'ohnéteté ne permet-
toient pas de lui vendre à fi haut prix les petits fervices qu'ils lui avbient
rendus.
Un langage fi fin caufa beaucoup de furprife & d'admiration au Général
Efpagnol. 11 feignit néanmoins de s'y être attendu ; & répondant avec la
même nobleffe, il affura le Cacique qu'il craignoit peu les forces de Mote-
zuma, parce que les fiennes étoient favorifées ^uCiel, fS: qu'elles avoient
un avantage naturel fur les Tyrans; mais qu'étant appelle par d'autres vues
dans le Quiabizlan, il y attendroit ceux qui fe croyoient opprimés, & qui
auroient quelque confiance à fon fecours. Jl ajouta que, dans l'intervalle,
le Cacique pouvoit communiquer cette propolitron à fes Amis. ,, Soyez
„ fur, lui dit-il du même ton, que les infultes de Motezuma cefferont, ou
» qu'el-
(«) Ibidem. '; ' ' . .;..,-..•
^'
EN AMERIQUE, Lit. I.
289
,» qu'elles tourneront l fa honte, lorfque j'entreprendrai de vous proté-
„ ger (b)". Ils fe réparèrent, après cette courte explication. Cortez
donna auflî-tôt des ordres , pour continuer fa marche. A fon départ , qua-
tre cens Indiens fe préTentèrent , pour porter le Bagage de l'Armée, &pour
aider à la conduite de l'Artillerie.
Le Pays, qui reftoit à traverfer jufqu'à la Province de Quiabizlan , offrit
un mélange de Bois & de Plaines fertiles, dont la vue parut fort agréable
aux Efpagnols. Ils fe logèrent le foir dans un Village abandonné , pour ne
fe pas préfenter la nuit aux portes de' la Capitale. Le lendemain , ils dé-
couvrirent, dans l'éloignement , les Edifices d'une aflez grande Ville, fur
une Hauteur environnée de Rochers, qui fembloit lui fervirde Murailles.
Ils y montèrent avec beaucoup de peine , mais fans oppofition de la part
des Habitans, à qui la frayeur avoit fait abandonner leurs Maifons. Tan-
dis qu'ils s'avànçoient vers la Place , ils virent fortir de quelques Temples ,
qui en faifoient l'ornement, douze ou quinze Indiens d'un air diflingué, qui
les prièrent civilement de ne pas s'offenfer de la retraite du Cacique & de
les Sujets , & qui offrirent de les rappeller fur le champ , fi le Général é-
tranger vouloit s'engager à les traiter avec amitié. Cortez leur donna
toutes les afforances qu'ils defiroient , & ne fut pas peu furpris de voir pref-
qu'auffi-tôt la Ville repeuplée de tous fes Habitans. Le Cacique arriva le
dernier. 11 amenoit celui de Zampoala, pour lui fervir de Protecteur; &
tous deux étoient portés par quelques-uns de leurs Officiers. Après quel-
ques excufes fort adroites , ils tombèrent fur les violences de Motezuma, en
joignant quelquefois des larmes à leurs plaintes. Le Zampoalan , qui pa-
roiffoit le plus irrité, ajouta pour conclufion: „ Ce Monftre eft fi fier
„ & fi cruel , qu'après nous avoir appauvris par fes impôts , il déclare
„ la Guerre à nôtre honneur, en nous raviffant nos Filles & nos Femmes".
Cortez s'effor'ça de le confoler, & lui promit ouvertement d'aider à fa ven-
geance (c).
Pendant qu'il s'informoit'des forces &de la fituation des deux Caciques,
il vit entrer quelques Indiens , qui leur parlèrent avec tant de marques de
crainte, que s'étant levés auffi-tôt d'un air tremblant, ils fortirent fans
prendre congé de lui , & fans avoir achevé leurs difcours. On fut bientôt
informé du fujet dcleur crainte, lorfqu'on vit paffer, dans le Quartier mê-
me des Efpagnols, fix Officiers de Motezuma, du nombre de ceux qu'il
envoyoit dans les Provinces pour y lever les Tributs. Ils étoient riche-
ment vêtus, & fuivis d'un grand nombre d'Efclaves , dont quelques-uns
foutenoient au-deflu*s d'eux des Parafuls de plumes. Cortez étant forti
pour les voir , à la tête de fes Capitaines , ils paflerent d'un air méprifant.
Cette fierté irrita les Soldats Efpagnols , qui l'auroient châtiée fur le champ,
fi le Général ne les eût retenus. Marina fut envoyée aux informations,
avec une efcorte. On apprit, par cette voie, que les Officiers Mexiquains
avoient établi le Siège de leur Audience dans une Maifon de la Ville, où
ils avoient fait citer les Caciques; qu'ils leur avoient reproché publique-
ment d'avoir reçu, dans leurs Villes, des Etrangers ennemis de leur Maî-
tre,
(i) Ibidem. ^ , (c) Ibidem, Chap. 9.
Xnil. Fart. O o
Fernano
c o 11 T E 2.
II continue
de marcher
vers Quiabiz-
lan.
Arrivée de
quelques Offi-
ciers de Mo-
tezuma, &
fujet de leur
voyage.
FSRlf AND
C O R T E Z.
Nouvelle
rufe de Cor-
tez.
Il fait enle-
ver les Offi
ciers de Mo-
tezuma.
Il en déli-
vre deux, &
leur perfuade
qu'ils lui ont
obligation de
leur falut.
11 les ren-
voie à l'Ein-
pcreur.
290 PREMIERS VOYAGES
tre, & que pour l'expiation de ce crime, ils avoient demandé , avec le
Tribut ordinaire, vingt Indiens qui dévoient être facrifiés. Cortez , in-
digné de cette audace , fit appeller aufli-tôc les Caciques, & recommanda
quils fuflent amenés (ans bruit. Il feignit d'avoir pénétré leurs penfées,
par une fupériorité de lumières; & louant le relîtntimcnt qu'il leur fuppo-
foit, d'une violence qu'ils n'avoient pas méritée, il leur dit qu'il n'étoit
plus tems de fouffrir un abominable Tribut fur le'fang humain; qu'un or-
dre fi cruel ne feroit pas exécuté devant fes yeux; qu'il vouloit au contrai-
re que ces infâmes Miniftres fullent chargés de chaînes, & qu'il prenoit
la défenfe de cette aflion (ur lui- même- & fur la valeur de fes Soldats. Les
Caciques furent embarrafies. L'habitude de Tefclavage leur avoit abbattu
le cœur & l'efprit. Cependant, Cortez ayant répété fa déclaration, d'un
air d'autorité auquel ils n'oférent réfider, les Officiers de Motezuma furent
enlevés , à ,1a vue de tous les Indiens , qui applaudirent à cette exécution.
On leur mit une efpéce d'entraves, aÔez femblable à la cangue de l'Oriene,
qui leur ferroit le cou, & qui les obligeoit de foulever à tous momens les
épaules contre le poids du fardeau, pour fe donner la liberté de refpirer.
Alors les Caciques , animés par une fi vigoureufe entreprife , offrirent de
les facrifier eux-mêmes à leurs Dieux. Mais Cortez s'afTura des Prifonnier»
par une bonne Garde. Ses réflexions ne lui firent pas trouver peu d'em-
barras , dans l'engagement qu'il avoit pris de protéger les Caciques. U ne
vouloit pas rompre ablbluracnt avec Motezuma. Son defl'ein n'avoit été
que de lui caufer de la crainte & de la jaloufie. Etoit-ce le moyen de fe
contenir dans ces bornes , que de foutenir , par les armes , quelques Vaf-
faux mécontens, fans y avoir été provoqué par un nouvel outrage, & de
fermer, fans aucun prétexte, toutes les ouvertures au raccommodement?
D'un autre côté , il lui paroifîbit important de maintenir un Parti , que la
fortune fembloit avoir formé en fa faveur, & dont il pouvoit efpérer, dans
le befoin, une puiflante afîiftance. La réfolution à laquelle ^1 s'attacha,
comme à la plus fûre, fut de garder quelques ménagemens avec Motezu-
ma, en fe faifant un mérite auprès de lui d'avoir fufpendu les effets de cet-
te révolte; & d'attendre, pour appuyer ouvertement les Rebelles, qu'il y
fût forcé par d'autres événemens. Il paroiffoit difficile d'informer la Cour
qu'il lui avoit rendu ce 'oon office ; mais les expédiens ne manquèrent point
à fon adreffe. Il fe fit amener, pendant la nuit, deux des Prifonniers; &
feignant de n'avoir pas eu de part au traitement qu'ils avoient effuyé , il
leur dit qu'il avoit deffein de les mettre en liberté , & que c'étoit de fa
main qu'ils alloient la recevoir; qu'ils pouvoient aflurer l'Empereur qu'il
s'efforceroit de la rendre auffi à leurs Compagnons, qui étoient encore au
pouvoir des Caciques ; qu'il n'épargneroit rien pour ramener les Rebelles à
la foumifiion, & que, fouhaitant la Paix, il vouloit mériter, par fon ref-
peél & fa conduite, les civilités qui étoient dues à l'Ambaffadeur d'un très
grand Monarque. Enfuite , faifant conduire les deux Mexiquains à Ces
Vaiffeaux, par une bonne efcorte, il donna ordre qu'ils fuffent embarqués
dans un Elquif ,- & mis à terre hors des limites de la Province de Zampoa-
la. Les Caciques vinrent lui raconter, le jour fuivant , avec de grandes
marques de trifteffe ôc d'inquiétude, que les deux Prifonniers s'étoient é-
chap-
^ E N A M' E R I Q U E, Liv. I. » spi
chappés. Il témoigna de la furprife & du chagrin. Il blâma la ndgligen-
ce des Gardes; & prenant cette occadon pour ordonner, devant les Caci-
ques , que les autres Officiers de Motezuma fuflent menés à la Flotte , il
promit qu'ils ne fortiroient pas fi facilement de cette Prifon. Mais il re-
commanda, aux Officiers des Vaifleaux, qu'ils fuflent bien traités. Les
Hifl:oriens de fa Nation relèvent beaucoup cet heureux artifice, qui lui
fit conferver tout -à-la* fois la confiance des Caciques «& celle de l'Empe-
reur (d).
• La douceur afFeflée des Cafl:illans, <!k, le zèle, qu'ils avoient fait éclater
pour leurs Alliés , s'étant bientôt répandus dans les Cantons voifins , plu-
fleurs autres Caciques, informés par ceux de Zampoala & de Quiabizlan du
bonheur dont ils jouifibient fous la proteélion d'une Nation invincible , qui
pénétroic jufqu'à leurs plus fecrettes penfées , & qui fembloit défier toutes
les forces de l'Empire du Mexique, s'aflemblèrent pour implorer un fecours
fi puifl*ant, contre la même oppreflîon (e). En peu de jours, on en vit plus
de trente à Quiabizlan , la plupart fortis des Muntagnes qu'on découvre de
cette Ville. Leurs Peuples, qui fe nommoient Tutonagues ^ avoient plu-
fieurs Bourgades fort peuplées , dont le langage & les coutumes refiem-
bloient peu à celles des autres Provinces de l'Empire. C'étoit une Nation
extrêmement robufle, endurcie à la fatigue, <& propre à tous les exercices
de la Guerre. Non - feulement les Caciques offrirent leurs Troupes à Cor-
tez; mais s'étant engagés à la fidélité par des fermens, ils y joignirent un
hommage formel à la Couronne d'Efpagne (/). Après cette efpèce de
confédération , ils fe retirèrent dans leurs Etats , pour y attendre les ordres
de leur nouveau Général. Alors Corttz, ne voyant plus d'obftacle à re-
douter, prit la réfolution de donner une forme régulière & confiante à la
"Ville de Vera-Cruz , qui étoit comme errante avec l'Armée dont elle étoit
compofée, quoiqu'elle en fût diftinguée par différentes fonftions. Sa fi-
tuation fut choifie dans une Plame , entre la Mer àc Quiabizlan , à une demie
lieue de cette Place Indienne. La fertilité du terroir, l'abondance des eaux,
& la beauté des arbres , femblèrent inviter les Cadillans à ce choix. On
creufa les fondemens de l'enceinte. Les Officiers fe partagèrent , pour ré-
gler le travail & pour y contribuer par leur exemple. Le Général même
ne fe crut pas difpenfé d*y mettre la main. Les murs furent bientôt éle-
vés & parurent une défenfe fuffifante contre les armes des Indiens. On bâ-
tit des Maifons aiTez bafles, avec moins d'égard aux ornemeris qu'à la com-
modité (g). / ' ^ v,;A^' .^
Dans cet intervalle, les deux Officiers de Motezuma étoient retournés"
à la Cour, & n'avoient pas manqué, dans le récit de leur difgrace, de fai-
re valoir l'obJigation qu'ils avoient de leur liberté au Général des Etran-
gers. Cette nouvelle eut le pouvoir d'appaifer la fureur de Motezuma ,
V- -' '■• ■ ''■'■■''"- • ■-• -'- ■ qui
( d ) Diaz & Solis , ubi fuprà. Herrera,
Liv. s. Cbap. lo ^ n.
( e ) Les mêmes , aux mômes endroits.
(/) Herrera dit qu'ils offrirent plus de
cent mille Hommes ,* mais Diaz n'exprime
Fernan»
C O R T E 9.
Les autres
font conduits
•lur la Flotte.
Alliances de
Cortcz avec
pluficurs Na-
tions.
Peuples
nommés ïo-
tonagues.
Cortez rend
fa Colonie fé-
dentaire, &
jette les fon-
demens de la
Ville de Vera»
Cru7.
Difpofitions
de l'Empe-
reur Motezu-
ma.
point le nombre, quoiqu'il aflure que le Pays
étoit fort peuplé.
(^) L'Afte en fut paffé par devant un No-
taire , nommé Diego de Sodois. Herrera,
ibid. . , . , , , ,.,. ...... ,. , . ,
Oo 2
S92
PREMIERS VOYAGES
KeXN AND
C 0 R T B Z.
1519.
Il dt'pute
deux de fcs
Neveux aux
CaHiilaiis.
E^licadons
de Cordez
avec eu)..
• ■.'■
II infifte fur
h permidion
d'aller à la
Cour de Mo-
tezDioa.
qui n'avoit penHé d'abord qu'à lever une Armée formidable, pour extermi-
ner les llebelles & leurs Partifans. La colore (% l'orgueil ne pouvant lui
faire oublier les marques du courroux du Ciel & les menaces de Tes Idoles*
il prie le parti d'en revenir à la négociation , & de tenter, par une nouvel-
le Ambaliade & de nouveaux préfens , d'engager Cortez à s'éloigner de
l'Empire. Ses Ambafladeurs arrivèrent au Camp des Efpagnols , lorfqu'on
achevoit de fortifier Vera Cruz Ils amenoient avec eux deux jeunes Prin-
ces, Neveux de l'Empereur, accompagnés de quatre anciens Caciques, qui
leur fervoient de Gouverneurs. Leur préfent étoit d'une richefle éclatan-
te. Après avoir remercié le Général , du fer vice qu'il avoit rendu aux
deux Officiers de l'Empire, & l'avoir afluré que la punition des Caciques
rebelles n'avoit été fufpendue qu'à fa confidération , ils renouvellèrent les
anciennes inftances, pour l'engager à partir; & cet article fut répété avec
tant de détours & de raifons myflérieufes , qu'il parut aflez que c'étoit le
principal objet de leur CommilTion.
Cortez leur fît rendre de grands honneurs, & marqua beaucoup d*ef-
time pour le préfent. Avant que de leur répondre, il fit paroître les qua*
tre Prifonniers , qu'il avoit eu la précaution de faire venir , & qui le re-
mercièrent du bon traitement qu'ils avoient reçu fur les Vaifleaux. Il les
remit aux Ambafladeurs , pour les prévenir en faveur de fes intentions.
Enfuite, s'expliquant par la bouche de Marina, qu'il avoit eu le tems de
préparer à ce rôle, il leur dit que la liberté qu'il donnoit aux Miniflres de
l'Empereur devoit être une expiation fuffilànte pour l'emportement des
Caciques fes Alliés, comme elle étoit une heureufe occafion , pour lui , de
donner à ce Prince un témoignage de fon refpeft & de fon zèle ; qu'il re-
connoiflbit de bonne foi que l'emprifonnement des Officiers Impériaux avoifi
été oiFenfant pour la Cour, quoique cette violence pût être excufée par
celle de ces Officiers mêmes , qui avoient exigé , au • delà des Tributs ordi-
naires , & fans doute de leur propre autorité , vingt Hommes defliinés à
mourir dans un odieux facrifice ; qu'une propofition H cruelle étoit un
abus qui ne pouvoit être fupporté par les Efpagnols , élevés dans une au-
tre Religion , plus amie de la nature & de la véritable piété ; qu'il avoit
d'ailleurs une extrême obligation aux Caciques fes Alliés, de lui avoir ac-
cordé de bonne grâce une retraite dans leurs Terres, lorfque Teutilé &
Pilpatoé , Gouverneurs de ces Provinces , l'avoient abandonné fort incivi-
lement, au mépris du droit des gens & de l'hofpitalité , fans l'ordre, &
vraifemblablement fans la participation de l'Empereur, qui ne pouvoit ap-
prouver un procédé fi barbare; qu'il n'en parloit d'ailleurs "que pour en in-
former la Cour, parce que n'ayant en vue que la Paix, il ne vouioit point
qu'on s'aigrît mutuellement par des plaintes ; que les Totonagues ne fe-
roient rien de contraire au fervice Impérial , & qu'il ôfoit en répondre, lui
qui fe croyoit aflez de leurs Amis pour fe promettre qu'ils ne mépriferoient
pas fes ordres; mais que cette raifon même l'obligeoit d'intercéder pour
eux , & de repréfenter qu'ils ne méritoient aucun reproche pour avoir re-
çu favorablement des Etrangers : qu'à l'égard des inftânces qui regardoient
fon départ , il n'avoit pas d'autre réponfe que celle qu'il avoit déjà répé-
tée plufieurs fois , c'efl;-àdire, qu'auffi-tôt que l'honneur de voir le grand
' • Mo-
r EN AMERIQUE, Liv. I. . 293
Motezuma lui feroit accordé , il lui feroit connoître les motifs & l'impor-
tance de Ton Ambaflade; mais qu'aucun obftacle n'auroit le pouvoir de
l'arrêter , parce que les Guerriers de fa Nation , loin de connoître la
crainte, fcntoient croître leur courage à la vue du danger, & s'accou-
tumoient dés l'enfance à chercher la gloire dans les plus redoutables
entreprifes (h). ,, .
Après ce difeours , qu'il accompagna d un air majeftueux & tranquille,
il fit donner avec profufion, aux AmbalTadeurs Mexiquains, toutes les ba-
gatelles qui venoient- de Caftille ; & fans marquer la moindre attention
pour le chagrin qu'ils firent éclater fur leur vifage, il leur déclara qu'ils é-
toienc libres de retourner à la Cour. Cette indifférence apparente pour
l'effet de fa réponfe, les démarches de l'orgueilleux Motezuma, qui folJi-
citoit fon amitié par des préfens, &, s'il en faut croire un Hiflorien (i),
l'éloquence même de Marina & fa facilité à parler la Langue Mexiquaine,
qui la faifoient prendre pour une Divinité venue de l'Europe, redoublèrent
la vénération des Indiens pour les Efpagnols , aux dépens de celle qu'ils a-
voient eue jufqu'alors pour leur Souverain. On ne remarqua plus rien de
forcé dans leur foumiffion. Bientôt un fervice confidérable, que le Géné-
ral rendit aux Caciques de Zampoala & de Quiabizian , leur fit pouH'er l'at-
tachement jufqu'à l'affeftion. Il hunâilia, par la terreur de fes armes, les
Habitans de Zimpazingo^ Contrée voifine, dont ils lui avoient fait beau-
coup de plaintes, & les força de jurer des conditions qu'ils obfervèrent
fidèlement. A la vérité ces Caciques l'avoient trompé, en lui repréfentant
leurs Ennemis comme des Mexiquains, qui cherchoient à nuire aux Cadil-
lans; & le motif de Cortez, dans cette Guerre, fut bien moins d'obliger
fes Hôtes, que de faire prendre, à la Cour du Mexique, une idée de fa va-
leur: mais lorfqu'il eut découvert l'artifice des deux Caciques, il fe fit de-
mander grâce pour eux par tous fes Capitaines ; & l'ayant accordée , avec
des circondances qui relevèrent fa bonté , il acheva de les lier à fes inté<
rets par cette faveur (k).
Mais rien n'eut tant de force, pour affurer leur fidélité, que le change-
ment qu'il trouva l'occafion de mettre dans leur Culte. Un jour , qui étoit
celui d'une de leurs plus grandes Fêtes , tous les Indiens du Canton s étoient
affemblés dans le plus célèbre de leurs Temples, pour y faire le Sacrifice de
plufieurs Hommes par le miniftère de leurs Prêtres. Quelques Efpagnols ,
que le hazard rendit témoins de cette horrible fcène , fe hâtèrent d'en infor-
mer le Général. Son zèle, ou fa colère, s'alluma jufqu'au tranfport. 11
fit prendre aulfi-tôt les armes à toutes fes Troupes; ôc commençant par fe
faire amener le Cacique & les principaux Indiens , il fe mit en marche a-
vec eux vers le Temple. Les Minillres des Sacrifices parurent à la porte.
Le foupçon , que ce mouvement les regardoit , leur fit pouffer d'effroya-
bles cris, pour appeller le Peuple au fecours de leurs Dieux. On vit pa-
.;.-...„. . ., - . roître.
FfRNAND
C 0 H T K Z.
Rcfpcct
qu'il s'attire
lies indiens.
11 rend un
fervice im-
portant aux
Caciques de
Zampoala &
deQuiabiZ'
lan.
Il entre-
prend d'abo.
lir leur Culte.
(A) Solis après Diaz, Cbap. 10.
ii) Herrera, Liv. 5. Cbap. u.
C * ) Solis , ubi fup. Chap. 1 1 . Htrrera ,,
Chap. 12, . ■,-»,'.'
Oo 3
t94
PREMIERS VOYAG'ES
FBRNANn
CORTBZ.
Danger
qu'il furmon-
te pnr fa fer-
meté.
Il fait bri fer
toutes les I-
doles, & cé-
lébrer les
Myftères du
Chriftianifme
dans leur
Temple.
roître, fur le champ , quelcjues Troupes d'Indiens armés , que leur défian-
ce, comme on l'apprit cnfuite, avoit fait apofter, & dont le nombre aug-
menta bientôt julqu'à cauCcr de l'inquiétude au Général. Cependant , avec
la préfcnce d'efprit qui ne l'abandonnoit jamais dans roccafion, il fit crier,
par Marina, qu à la première flèche qui feroit tirée, il feroit égorger te
Cacique, & qu'il lâcheroit la bride à les Soldars, pour châtier cette info-
Icnce par le fer & par le feu. Cette menace arrêta les plus emportés. Le
Cacique même leur ayant ordonné, d*une voix tremblante, de quitter les
armes & de fe retirer, ils obéirent avec un empreflement, dans lequel on
ne put diftinguer ce qui venoit de la crainte ou de la foumiflion.
CoKTEZ, demeuré avec le Cacique & les Indiens de fa fuite, le fit amener
les Sacrificateurs. Il les ralTura , par un langage plein de douceur & d'hu-
manité. Enfuite, leur repréfentanc toutes les raifons qui dévoient les des-
abufer de leurs erreurs , avec une force que THidorien nomme plus que Mi«
litaire, & qui leur expofoit, dit-il, la vérité fous une forme prefque via-
ble , il leur déclara qu'il avoit réfolu de ruiner toutes leurs Idoles , & que
s'ils vouloient employer leurs propres mains à cette exécution, il leur pro-
mettoit une éternelle amitié. Alors il voulut leur perfuader de monter les
dégrés du Temple, pour abbattre tout ce qu'ils avoient adoré. Mais ils ne
répondirent que par des cris & des larmes; & s'étant jettes tous à terre,
ils proteflérent qu'ils foufifriroient mille fois la mort, avant que de porter
la main fur les Dieux. Cortez, fans infider fur une propofition qu'il des-
efpera de leur faire goûter, n'en ordonna pas moins, à fes Soldats, de met-
tre les Idoles en pièces. A l'inflant on vit fauter, du haut des dégrés, le
principal de ces Monflres, & les autres à fa fuite, avec les Autels mêmes
& tous les inflrumens d'un exécrable Culte. Les Indiens ne virent pas ce
débris , fans beaucoup d'étonnement & de frayeur. Ils fe regardoient , d'un
air interdit , comme s'ils eufTent attendu des effets préfens de la vengeance
du Ciel. Mais, lorfqu'ils le virent tranquille, ils jugèrent, comme les In-
fulaires de Cozumel , que des Divinités , qui n'avoient pas le pouvoir de
fe vanger , ne méritoient pas leurs adorations. S'ils avoient regardé juf-
qu'alors les Efpagnols, comme des Hommes d'une efpèce fupérieure, ils
commencèrent à les croire au-defTus de leurs Dieux mêmes ; & cette per-
fuafion les rendit fi dociles, que Cortez, ayant profité du nouvel afcen-
dant qu'elle lui procuroit fur eux, pour leur donner ordre de nettoyer le
Temple, ils s'y employèrent avec une ardeur qui leur fit jetter au feu tou-
tes les pièces difperfées de leurs Idoles. Les murailles furent lavées , pour
en effacer les taches de fang humain , qui en faifoient le principal ornement.
On les revêtit d'une couche de Gez, efpèce de vernis d'une blancheur bril-
lante, dont l'ufage étoit commun .dans toutes les Maifons du Mexique; &
Cortez y fit élever un Autel, où l'on célébra, dès le jour fuivant, les plus
faints Myftères du Chrlflianifme. La plupart des Indiens y alfiflèrent, a-
vec plus .d'admiration à la vérité que de foi. Le tems ne permettoit
pas d'achever l'inflruélion d'un Peuple fi nombreux , & le deffein du Gé-
néral étoit de commencer la Converfion de ce grand Empire par celle de
Motezuma. Cependant on les laifTa dans un profond mépris pour leurs
..: j .. ,-. Idoles,
' r
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
t^"
if.<rJf »•
T;«z. . ..
. ' ArrivHje ■
(i';iilV V'aiiïiiau
& de (il}ci- ".■
que;! ,rci{tucsV'
Idoles, & dam la difpofition d'entretenir l'Autel, qui avoit été dreffé fuf f«M
Kur luinc (/)• „ , . ,./.., y-
Les Efpagnols quittèrent Zampoila, qui reçut dans la Uiite le nom de
h^ouvelU Sevillcy & Te r'^iirèrent dans Vera-Cruz. En y arrivant, ils virent
paroître, dans la Rade, un petit Vaifleau, qui yenoit d'y mouiller. Il étoit
parti de Cuba, fous le Commandement du Crpitaine Sanjedo; & quoiqu'il
n'amenât que'dix Soldats & deux Chevaux, ce fecours parut conlidérabjè
dans les circonftances. On ne trouve, dans aucun Hiftorien, le motif qui:
amenoit Sancedo; mais l'utilité, dont il fut pour Cortez, en lui apprenant
que le Gouverneur de Cuba continuoit de le menacer, & que la qualité
d'Adëlantade, dont il avoit été nouvellement revêtu, lui donnoit plus que
jamais le pouvoir de lui nuire, fait juger qu'il n'éioit venu que pour s'at-
tacher à fa fortune. La Colonie fut allarmée de cette information, & fen-
tit de quelle importance il étoit, pour la fureté du nouvel Etablillement,
de rendre compte au Roi de toutes fes opérations. Les principaux Officiers,
dans une Lettre qu'ils fe hâtèrent d'écrire à Sa Majefté, lui firent une ex-
pofition fidèle des Provinces qui lui étoient déjà foumifes, & de refpoir
qu'ils avoient d'étendre fon autorité dans une li belle & fi riche partie dCi
Nouveau Monde. Ils lui repréfentoient l'injullice & les violences du Gou-
verneur de Cuba, les obligations que l'Efpagne avoit à la conduite de Coe,-
tez autant qu'à fa valeur, le parti qu'ils avoient pris, au nom de Sa Ma-
jefte, de le rétablir dans une Dignité qu'il étoit feul capable de remplir, &
que fa modedie lui avoit fait abandonner; enfin, ils fupplioient le Roi de
confirmer leur élection , fans aucune dépendance de Dom Diego de Velaf-
quez. Le Général écrivit de fon côté, & rendoit àpeu-près le mèvoK^
compte de fa fituation : mais , remettant au Roi la difpolition de fon fort ,
avec une noble indifférence, il ne s'expliquoit fortement que fur l'efpéran-
ce qu'il avoit de foumettre l'Empire du Mexique à l'obéilfance de Sa Ma-
jefté , & fur le deflein qu'il fe propofoit de combattre la puilTance de Mote-
zuma par fes Sujets mêmes, révoltés contre fa tyrannie. On choifit, pour
envoyer ces dépêches à la Cour, Porto-Carrero & Montejo, qui furent
c^iargés auffi de l'or, & des bijoux, rares ou précieux, qu'on avoit reçus
de Motczuma & des Caciques. '1 ous les Officiers , & les Soldats mêmes , cé-
dèrent volontairement la part qu'ils avoient à cet amas de richefles(w);& .&de préfens
quelques Indiens s'offrirent à faire le Voyage, pour être préfelités au Roi, P°"' la\.our
comme les prémices des nouveaux Sujets qu'on acqueroit à l'Efpagne. "On * ' ■'■'.
V. ,; - " équi*° ..
de là (.'vloniff.
CalUlliinc ti-.-.
crivcnt à 'là ■•'..
Cour d'Kfp.a-.
gne en faveur
dç..Co'rteif. ' ' .
r éprit, lùû
mêm». . •
Porto-Car^
rero & Mon-
tejo font:; .
chsyrgés nés . .
deux Lctire?..'
(/) Herrera, Œap. 13. fif 14. Diaz &
Solis, Ibidem. Les Hiftoriens n'oublient
point la pic'ufo réfolution d'un Soldat , nom
mé Jean de Torrez , natif de Cordoue , qui ,
fe voyant fort âgé, voulut demeurer f.ul en-
tre ces Indiens , pour avoir foin de l'Autel
jufqu'à la fin de fa vie. Cette aftion mérite ,
fuivant Solis , de pafler avec fon nom à la
Pofterilé. Ibid. Le même Ecrivain rapporte
que le Cacique de Zampoala offrit à Cortez
huit belles Filles, entre lefquelles étoit une
de fes Parentes, qu'il lui piopofa d'époufer;
mais que le Général répondit qu'il n'étoitpas
permis aux Efpagnols d'époufer des Femmes .'
qui n'étoicnt pas de leur llelijiyon. Herrera •
nous apprend qu'après la Mciie , qui fut ce- '
lébrée lums le l'emple, on y batila ce» huit •,
Indiennes ; que Cortez prit pour lui la Nièce •
du Cacique, qui fut nommée Catherine y &■
que les fept autres furent données à fept de"
fes Oâkier-ti , Cliap. 14. 11 parolt que Marin» .
n'en cocferva pas moins fon ancienne îx-
veur.
(m) Solis, Liv, 2. Cbap. 13» • -■"'
■<■ ...il
■ V ■•
!' E H W A N D
C 0 R T B 2.
15 19.
Confpira-
tion (éteinte
par Cortez.
Il prend le
parti de dé-
truire fa Flot-
te pour rete-
nir fcs gens
dans le de-
vpif.
Il
I i
Grandeur
de cette réfo-
lution.
2()t5 PREMIERS VOYAGES,
équipa le meilleur Vaifleau de la Flotte. Alaminos fut nommé pour le com»
mander. II mita la voile le 16 de Juillet, avec l'ordre précis de prendre
fa route par le Canal de BaTîama, fans toucher à l'Ifle de Cuba , où les ca-
prices de Velafquez étoient un écueil redoutable.
Pendant les préparatifs de cet embarquement, la fortune du Général
lui ménageoit une autre occafion de faire éclater fon adrefle & fa fermeté.
Quelques Soldats , avec un petit nombre de Matelots , fatigués peut-être
de leurs courfes , ou tentés par les récompènfes qu'ils efpéroient de Velaf-
quez, formèrent ledefTein de prendre la fuite fur un Vaifleau , pour lui por-
ter avis des Lettres que la Colonie écrivoit au Roi, & de tout ce qu'elle
avoit fait en faveur de Cortez. Ils furent trahis par un de leurs Complices,
qui fervit même à les faire arrêter au moment de l'exécution, fans qu'ils
puflent desavouer leur projet. Cortez crut devoir un exemple à la fûreté
de la Colonie. Il en condamna deux des plus coupables au dernier fuppli«
ce. Mais la hardiefle de ces Mutins lui laiffa beaucoup d'inquiétude. C'é-
toit le relie d'un feu , qu'il croyoit avoir éteint. Il confidéroit qu'étant ré-
folu de marcher vers le Mexique , il pouvoit fe trouver dans l'occafion de
mefurer fes forces avec celles de Motezuma , & qu'une entreprife de cet-
te nature ne pouvoit être tentée par des Troupes mécontentes , ou d'une
fidélité fufpecle. Il penfoit à fubfifter encore quelques jours dans un Can-
ton qui lui étoit afFeftionné , à faire quelques expéditions de peu d'impor-
tance» pour donner de l'occupation à fes Soldats, & à jetter, plus loin dans
les Terres, de nouvelles Colonies, qui puflent fe donner la main avec celle
de Vera-Cruz. Mais tous ces projets demandoient beaucoup d'union &de
correfpondance , entre le Général & l'Armée. Dans cette agitation, ne
confultant que fon courage, il prit la réfolution de fe défaire de fa Flotte,
en mettant fes Vaifl^eaux en pièces , pour forcer tous fes gens à la fidélité
par cette voye , & les réduire dans la nécefllté de vaincre ou de mourir a-
vec lui; fans compter l'avantage d'augmenter fes forces de plus de cent
Hommes , qui faifoient les fondions de Pilotes «^ de Matelots. Ses Con-
fidens , auxquels il communiqua ce defl'ein , le ondèrent avec beaucoup
d'habiiecc , en difpofant les Matelots à public jue les Navires s'étoient
entr'ou verts depuis le féjour qu'ils avoient fait c^ns le Port, & qu'ils étoient
menaces de couler à fond. Ce rapport fut fuivi d'un ordre preflant du Gé-
néral, pour faire mettre à terre les voiles, les cordages, les planches &
tous les ferremens , dont il pouvoit tirer quelque utilité. Le Public ne vit
d'abord, dans cette précaution , que l'effet d'une prudence ordinaire. Mais,
aufli-tôt que les Vaineaux eurent été déchargés, un autre ordre, dont l'ex-
plication fut confiée à la plus fidèle partie de l'Armée, les fit tous échouer,
a l'exception des Chaloupes , qui furent réfervées pour la Pèche. On comp-
te, aveeraifon, la conduite & l'exécution d'un deflein fi hardi, entre les
plusgrandes avions de Cortez (n).
' Quoi-
(n) Il n'étoit pas fans exemple. On cite
Agathocles , Tyran de Sicile , Timarque ,
Chef des Etoliens, & Fabius Maximus; mais
ils conduifoient des Armées nombreufes ; au
lieu que Certes n'avoit qu'une poignée
d'Hommes Cependant Diaz de Caltillo
ftinble diminuer un peu fa gloire, en s'at-
tribuant à lui-même, & à quelques autres
Con-
r
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
207
Secours
"* Quoique le débris de la Flotte parût aflBIiger quelques Soldats, les mé- Fernano
contentemens furent étouffés par la joie \ les applaudiflemens du plus Cobtez.
grand nombre. On ne parla plus que du Voyage de Mexico ; & Cortez af- ' 5 » 9-
fembla toutes fes Troupes, pour confirmer le fuccés de fon entreprife par ^''"^f"'
fes promefles & fes exhortations. L'Armée fe trouva compofée de cinq Soubie '
cens Hommes de pied, de quinze Cavaliers (o), & de flx pièces d'Artil- ^ ^^
lerie. Il étoit refté, dans la Ville, une partie du Canon , cinquante Hom- leurs forces,
mes & deux Chevaux, fous la conduite d'Efcalante, dont Cortez eftimoit
beaucoup la prudence & la valeur. Les Caciques Alliés reçurent ordre de ^^^ •
refpefter ce Gouverneur , de lui fournir des vivres , & d'employer un bon x -"
nombre de leurs Sujets aux Fortifications de la Ville; moins par défiance
du côté des Indiens , que fur les foupçohs de quelque infulte de la part du
Gouverneur de Cuba. Cortez n'accepta, de leurs ofires, que deux cens
Tamenesy nom d'une forte d'Artifans qui fervent au tranfport du Bagage, & ?"„J des C?i
quatre cens Hommes de Guerre, entre lefquels on en comptoit cinquante ques.
de la principale Noblefle du Pays. C'étoient autant d'Otages , pour la
Garnifon de Vera-Crux , & pour un jeune Efpagnol qu'il avoit laiflTé au '
Cacique de Zampoala , dans la vue de lui faire apprendre exaftement la
.Langue du Mexique (p).
Tout étoit difpofé pour la- marche, lorfqu'un Courrier, dépêché par ,,Af''^^/%.
Efcalante, informa le Général qu'on voyoit paroître quelques Vaifleaux neda avec
dans la Rade, & que les fignaux de Paix n'avoient pu les engager à ré- quatre Vaif-
. pondre avec amitié. Un incident de cette importance obligea Cortez de féaux.
retourner fur le champ à Vera-Cruz , avec quelques-uns de fes Officiers.
Quatre Hommes, détachés d'un des Vaiffeaux inconnus, s'approchèrent
tJentôt dans une Chaloupe, & fe firent connoîcre pour des Efpagnols,
qui cherchoient Fernand Cortez. L'un étoit l'Ecrivain de ce Vaiffeau,
& les autres l'accompagnoient , pour être témoins d'une fignification qu'il
avoit ordre de faire au Général. Elle portoit que Garay^ Gouverneur de la. Objet de
Jamaïque, étant chargé, parla Cour d'Efpagne , de découvrir & de peu- fon Voyage.
pler de nouveaux Pays , avoit équipé trois Navires , montés par deux cens
foixante Hommes, fous le Capitaine Alfonfe de Pineda, pour prendre pof-
feàioQ d'une partie de cette Côte , vers Panuco; & que Pineda, qui fe dif-
■^%- ; ■ ■'i*>^;^.*36rîïU'f^' ,■■■
Confeillers , l'honneur de l'invention. SoliV
accufe cet Ecrivain de malice ou d-^ vanité ,
& lui reproche de s'ûtre contredit, en ajou-
tant, quelques lignes après; ,, que Cortez
,, avoit déjà pris la réfolutidn de faire é-
„ chouer les Navires, mais qu'il vouloit
„ qu'elle parût venir de fes Officiers". Her-
rera parok encore moins fupportable à So-
lis, lorfqu'il affure „ que les Soldats dcinan'
„ dèrent eux mûmes qu'on fe défît de la Flot-
„ te, & qu'ils y furent pouflTés par l'adrefle
,, de .Cortez, qui,fcif^nantde ne pasviuloir
„ fournir feul à l'entretien des Vaifleaux ,
„ propofa d'y faire contribuer toute l'Armée".
Solis répond „ que cette rufe eut été fans
XniL Part.
po-
„ vraifemblance, que Cortez n'étoit plus en
„ état de craindre qu'on lui fit un procès
„ pour avoir détruit la Flotte, & que cette
„ idée ne peut être conciliée avec les grands
„ delTeius dont il étoit uniquement rempli.
„ Il ajoute que li c'eft une fimplc conjeftu-
„ re d'Herrcra, cet Hiftorien a tort d'avilir
„ les belles aftions par la baflefle des motifs
„ qu'il leur attribue, & qu'il pèche contrôla
„ proportion, en faifant produire de grands
„ eifets par de petites caufes ". Solis , h&»
fuprà., Chap 13. *
(0) Il en étoit mort quelques-uns.
{p ) Les Hiftoricns font admirer une atten-
tion qui s'étendoit à tout,
P p
Fbrktand
COKTEZ.
15 19.
Rufe de
Cortez pour
fe faifir de
Quelques-uns
île fes gens.
. ■- i.'K.'.'\ .
Départ pour
la Cour Im-
périale.
Extrêmes
difEcultés de
la route.
Province
de Zocothla,
Caftel-BIan-
co.
298 PREMIERS VOYAGES
ppfoit à former une Colonie près de Naothian, donnoit avis, à €ortez, de
ne pas étendre fes EtablilTemens du même côte. Quoique cette déclaration,
fût moins redoutable, de la part de Garay , que de celle du Gouverneur de
Cuba, le Général , après avoir offert inutilement d'ajufter toutes les préten-
tions avecle Chef d'iifcadre, prit le parti de faire arrêter l'Ecrivain, qui
refufoit de retourner a Bord avec cette réponfe. Enfuite, s'étant caché
derrière les Dunes, il y pafla toute la nuit <& une partie du jour fuivantjdan»
l'efpérance que le retardement de la Chaloupe ameneroit à terre quelques au-
tres perfonnes du Vaiffeau. En effet , quinze Hommes s'approchèrent dan3
une autre Chaloupe. Cortez fit dépouiller les quatre Prifonniers de leurs
habits, dont il fit revêtir quatre de fes Soldats, avec ordre de fe préfenter
fur le rivage. L'effet de ce flratagéme fut d'attirer les quinze Hommes juf-
qu'à terre: mais ils reconnurent trop tôt qu'on cherchoit à les tromper; &
lorfqu'ils virent fortir Cortez & ks gens de leur embufcade, ils rentrèrent
fi légèrement dans leur Chaloupe, qu'on n'en put retenir que trois. Cortez,
s'allarmant peu des prétentions de Garay , qui pouvoient être ajuflées dans
d'autres tems , rejoignit fon Armée avec la fatisfaftion d'y, mener une re-
crue de fept Efpagnols, qu'il regardoit comme un fupplément précieux
dans fa fituation. 11 donna aulTi-tôt fes ordres pour la marche. Les Efr
pagnols compoférent l'Avant-garde,-& les Indiens fuivirent à peu de diflan-
ce, fous le Commandement deManegi, Teuche^ & Tamelli y trois des, plus
braves Caciques de la Montagne.
On partit le 16 d'Août, ;/alapa, Socothhna & Techucla forent lès pre-
miers lieux qui s'offrirent fucceflîvement. La beauté du chemin , & la dif-
polition des Peuples, qui étoient du nombre des Alliés, firent trouver |)eu
de difficultés dans cette route. Mais, au-delà de ces Bourgs, pendant trois
jours qu'on mit à traverfer les Montagnes , on ne trouva que des fentiers
étroits & bordés de précipices, où l'Artillerie ne put paffer qu'à force de
bras. Le froid y étoit cuifant & les pluyes continuelles. Les Soldats , obli-
gés de paH^er les nuits fans autre couverture que leurs armes, & fpuvenjt
preffés par la faim, y firent le premier effaides fatigues qui les attendoient.
En arrivant au fommet de laMontagne, ils y trouvèrent un Temple & quan-
tité de Bois, qui ne leur cachèrent pas long-tems la vue de la Plaine. C'é-
toit l'entrée d'une Province, nommée Zocothla, fort grande â: fort peuplée,
dont les premières Habitations leur offrirent bientôt affez de commodités
pour leur faire oublier leur mifère. Cortez, apprenant que le Cacique fai-
foit la demeure dans une Ville du même nom, peu éloignée de la Monta-
gne, l'informa de fon arrivée & de fes delTeins , par deux Indiens, qui lui
furent renvoyés avec une réponfe civile. Bientôt on eut la vue d'une Ville
magnifique, qui s'étendoit dans une grande Vallée, & dont les Edifices ti-
roient beaucoup d'éclat de leur blancheur. Elle en reçut le nom de Caftel-
Blanco {q).
Le Cacique vint au-devant des Etrangers, avec un nombreux Cortège^
mais, au travers de fes politeffes, on crut diftinguer que cette démarche
étoit forcée. Cortez n'affefta pas moins de le recevoir avec un mélange de
dou-
(2.) Solis, ubi Juprà, Chap. 14, ' '' ,
»»
9i
9y
: f: EN A M E R I Q U E, Liv. I. ^ B99
douceur & de majefté ; & s'imaginant que les marques de chagrin , qu'il
découvroic fur Ton vifage, pouvoienc venir de Tes reflentimens contre Mo*
tezuma, il crut lui donner occafîon de s'expliquer, en lui demandant s'il
étoit Sujet de l'Empereur du Mexique? L'Indien répondit brufquement:
„ Efl-il quelqu'un, fur la Terre, qui ne foit Efclave ou Vaflal de Motezu-
„ ma?" Un ton fi fier révolta Cortez jufqu'à lui faire répliquer, avec un
fourire dédaigneux, „ qu'on connoifllùt fort peu le Monde à Zocothla,
„ puifque les Efpagnols étoient Sujets d'un Empereur fi puilTant , qu'il
„ comptoit , entre les Vaflaux , plulieurs Princes plus grands que Mote-
„ zuma". Les Hifi:oriens, s'accordant à rapporter cette étrange conver-
fation dans les mêmes termes, font prendre ici un ton plus grave au Caci-
que, pour faire une expofition de la grandeur de fon Maître, qu'il crut
capable dé décider la queftion : „ Mocezuma , dit il , étoit le plus grand
„ Prince que les Indiens connuflent dans les 'l'erres qu'ils habjtoient. Per-
fonne ne pouvoit retenir dans fa mémoire le nombre des Provinces qui
lui étoient fountlifes. Il tenoit fa Cour dans une Ville inacceflible , fon-
dée au milieu de l'eau , entourée de Lacs , & dans laquelle on n'entroic
que par des Chaufllées, ou des Dig-es, coupées d'une fuite de Ponts-le-
vis, dont les ouvertures fervoient à la communication des eaux". Il
exagéra les immenfes richefles de l'Empereur , la force de fes armes , &
fur tout le malheur de ceux qui lui refufoient leur foùmiffion, dont le fort
étoit de iervir de Viftimes dans fes facfifices. „ Tous les ans, plus de
vingt raille de fes Ennemis, ou de fes Sujets rebellei, étoient immolés
fur les Autels de fes Dieux" (r).
L'expérience fit connoître que le Cacique n'ajoutoit rien à la vérité;
mais on reconnoilîbit , au ton même de fa voix , que par cet étalage de puif-
fance & de grandeur, il vouloit caufer plus d'efiroi que d'admiration. Cor-
tez, qui pénétra fes vues, n'entreprit point de rabbaifler ce qu'il venoit
d'entendre; mais, feignant au contraire de ne pas ignorer les grandeurs
deMotezuwa, il répondit que s'il l'avoit crû moins puiflant, il ne feroic
pas venu de l'extrémité du Monde pour lui offrir l'amitié d'un Monarque
encore plus grand que lui ; qu'il venoit avec des intentions pacifiques ; &
que s'if étoit armé , c'étoit uniquement pour donner plus de poids & d'au-
torité à fon Ambaffade ; mais qu'il vouloit bien informer Motezuma, &tous
les Caciques de fon Empire , qu'il deliroit la Paix fans craindre la Guerre,
& que le moindre de fes Soldats étoit capable de défaire une Armée de Mexi-
quains; qu'il ne tiroit jamais l'épée s" n'étoit attaqué, mais qu'auffi-tôt
qu'il lui faifoit voir le jour , il mettoit . feu & à fang tout ce qui fe pré-
fentoit devaat lui ; que la Nature produifoit des Monfl:res en fa faveur, &
que le Ciel lui prêtoit fes foudres , parce qu'étant fous la proteftion d'un
Dieu terrible, dont il foutenoit laCaufe, il en vouloit particulièrement aux
faufles Divinités qu'on adoroit au Mexique, & à ces mêmes facrifices du
fang humain, dont Motezuma prétendoit tirer fa gloire. Enfuite, ne pen-
fant pas moins à rafllirer fes gens contre de vaines frayeurs , qu'à réprinier
l'orgueil du Cacique: „mes Amis, leur dit-il, en fe levant fièrement, & fe
„ tour-
, ,v C'") SoUs, ibid, Çhap. 15. ^ ,£. ^^-jv .», i*>>^ t- i -«-*-ii ^^ * > -••
. , . Pp 2 , ^ *
Fernan»
Cortb2.
I 5 1 9.
Fierté d'un
Cacique, &
portrait qu'il
fait de fon
Empereur.
9i
•Réponfe
adroite de
Cortez.
■l :'fl
3C0
PREMIERS VOYAGES
Fbrnand
CoRT£Z.
Comment
il ralTure fes
gens.
>>
»
Il prend par
la Province
de Tlafcala.
Etat de cet-
te Province.
Comment
elle s'étoic
formée en
République.
tournant vers eux , voilà ce que nous cherchons ; de grands périls & de
grandes richefles. C'eft; de ce jour que je vois nôtre fortune & nô-
tre réputation bien établies". Solis ne fait pas difficulté d'aflurer ,
qu'il n'exprimoit que fes véritables fentimens, & qu'aulfi-tôt qu'il eut
formé de fi grands defïeins, Dieu lui remplit le cœur d'une fi noble fer-
„ raeté , que , fans fermer les yeux fur le péril , & fans le méprifer , il y
„ entroit avec autant- de confiance que s'il eût tenu, dans fes mains, la
„ difpofition des événemens (s)".
Sa conduite eut tant de fuccès, que pendant cinq jours , qu'il palTa dans
Zocothla, il ne reçut que des inarques extraordinaires de la confidération
du Cacique. Cependant, il rejetta le confeil de ce Seigneur Indien, qui
lui propofoit de prendre fa route par la Province de Cbeiula^ fous prétexte
que les Habitans, moins portés à la Guerre qu'au Commerce, n'apporte-
roient pas d'obftacle à fon pafiâge. 11 aima mieux s'en rapporter aux Zam-
poalans , fes Alliés , qui le preiîerent de prendre par la Province de Tlafca-
la, où les Peuples étoient, à la vérité, plus guerriers & plus féroces, mais
unis par d'anciens Traités avec les Zampoalans & les Totonaques. Après
s'être arrêté à cette réfolution , il prit le chemin de Tlafcala , dont les fron-
tières touchoient à celles de Zocothla. Sa marche fut tranquille, pendant
les premiers jours. Mais , en fortant du Pays q,u*il avoit traverfé , il
entendit quelque bruit de Guerre; & bientôt il apprit que la nouvel-
le Province, où il étoit entré, avoit pris les armes, fans que les Cou-
reurs, dont il fe/aifoit précéder, puffent l'informer encore de la caufe
de ce mouvement. Il s'arrêta, pour fe donner le tems de prerxdre des
informations {t).
Tl AS CAL A étoit alors une Province extrêmement peuplée, à laquelle
on donnoit environ cinquante lieues de circuit. Son terrain efl inégal, &
s'élève de toutes parts en Collines, qui feniblent naître de cette grande
chaîne de Montagnes , qu'on a nommée depuis la grande Cordelière. Les
Bourgades Indiennes occupoient le haut de ces Collines , par ime ancienne
politique des Habitans, qui trouvoient, dans cette fituation, le double a-
vantage de fe mettre à couvert de leurs Ennemis, & de laifler leurs Plai-
nes libres pour la culture.- Dans l'origine, ils avoient été gouvernés par
des Rois ; mais une Guerre civile leur ayant fait perdre le goût de la fou-
miffion, ils avoient fecoué le joug de la Royauté , pour former une efpèce
de République , dans laquelle ils fe maintenoient depuis plufieurs fiècles.
Leurs Bourgades étoient partagées en Cantons , dont chacun nommoit
quelques Députés , qui alloient réfider dans la Capitale ,^nommée Tlafcala,
comme la Province ; & ces Députés formoient le Corps d'un Sénat, dont
toute la Nation reconnoiflbit l'autorité. Cet exemple du Gouvernement
Ariilocratîque efl afiez remarquable entre des Barbares. Les Tlafcalans,
s'étant toujours défendus contre la puiflance des Empereurs du Mexique,
fe trouvoient alors au plus haut point de leur gloire, parce que les tyran-
nies de Motezuma avoient augmenté le nombre de leurs Alliés, & que de-
puis peu ils s'étoient ligués, pour leur fureté commune, avec les Otomies ^
Peu-
• (f) Hcrçera, Liv. 6. Cbap. 2. s; (0 Solis, ibidem.
EN AMERIQUE, Iliv. T.
''^0t
F B R N A N D
CoRT£Z.
1519-
Cortez ten-
te les difpofi-
tions du Se-
Ufages Me-
xiquains dans
les Ambafla-
des.
Peuples fort barbares, mais d'une grande réputation à la Guerre, où la fé-
rocité leur tenoit lieu de valeur.
Cortez, informé de toutes ces circonftahces , crut devoir garder quel-
ques ménagemens avec une République fi puiflante, & ne rien tenter fans
avoir fait preflentir les difpoiitions du Sénat. Il chargea de cette Corn-
miffion quatre de fes Zampoalans, les plus diftingués par leur nobiefle & nat Tiâfcafan
leur habileté. Marina prit foin de les inftruire, jufqu'à compofer avec eux par des Dé-
le difcours qu'ils dévoient faire au Sénat, & qu'ils apprirent par cœur (t)). P"'"'
Ils partirent , avec toutes les marques de leur dignité. C'étoient une man-
te dé cotor , bordée d'une frange treflee avec des nœuds ; une flèche fort
large, qu'ils dévoient porter dans la main droite, les plumes en haut; &
fur le bras gauche , une grande coquille , en forme de bouclier. On ju-
geoit du motif de l'Ambaffade par la couleur des plumes de la flèche. Les
rouges annonçoient la Guerre, & les blanches marquoient la Paix. Ces ca
raftères faifoient connoître & refpefter les Ambafladeurs Indiens dans leur
route; mais ils ne pouvoient s'écarter des grands chemins ^ fans perdre leur
droit de franchife: Loix facrées, entre ces. Barbares, auxquelles ils don-
noient, dans leur Langue, des noms qui revenoient à celui de droit àes
gens & de foi publique.
Les quatre Zampoalans fe rendirent à Tlafcala, & furent conduits ci-
vilement dans un lieu (x) deft:iné au Logement des Ambafladeurs. Dès le
jour iuivant, ils furent introduits dans la Salle du Confeil, où les Sénatei^rs xiafS
étoient aflis , fuivant l'ordre de Tancienneté , fur des tabourets aflez bas ,
d'un bois extraordinaire & d'une feule pièce (y). En entrant dans l'Aflem-
blée, la tête couverte de leurs mantes , Gequipaflbit parmi eux pour une
grande marque dé foumiffion, ils tinrent leurs flèches levées. Auflî-tôt
qu'ils parurent, tous les Sénateurs fe levèrent à demi de leurs fiéges, & les
reçurent avec une certaine modération dans leurs civilités. Pour eux , ils
firent la révérence au Sénat, fuivant leurs ufages; & s'étant avancés gra-
vement jufqu'au milieu de la Salle, ils fe mirent à genoux, les yeux baif-
fés , pour attendre la permiflion de parler; Alors , le plus ancien des Séna-
teurs leur ayant demandé le fujet de leur Ambaflade , ils s'affirent fur leurs
jambes: & celui, que Cortez avoit choifi pour l'Orateur , prononça le Dif-
cours dont on avoit chargé fa mémoire (z). Aufli-tôt qu'il fut achevé,
.;, • ,,___„_,.,,.,, ils.
Comment
les Députés
font reçus à-
LeurDiP
cours au Sé-
nat.
mmoïc
a/cala,
dont
ement
alans,
dque,
tyran-
e de*
omies ,
Peu.
(v) Solis, ibidem.
( X ) On nomme ce lieu , la Calpifca;
( y ) Ils les nommoient Topales.
( 2 ) Cette circonftance ne permet pas de
le regarder comme une fiftîon dans les Hifto-
riens. „ Noble République, braves & puif-
„ fans Peuples , le Cacique de Zampoala &
^ les Caciques de la Montagne, vos Amis
„ & vos Alliés, vous faluent. Après vous
avoir fouhaitë une récolte abondante & la
mort de vos Ennemis, ils vous font fa-
voir qu'ils ont vft arriver dans leur Pays ,
du côté de l'Orient, des Hommes extra-
ordinaires , qui feujbient être des Dieuî
9»
»
PP
qui ont paffé la Mer fur de grands Palais,
& qui portent dans leurs mains le tonner-
re & la foudre, armes dont le Ciel s'tft
réfervé 1 ufage. Ils fe difent les Miniftretf
d'un Dieu fupérieur aux nôtres, qui ne
peul r^ufFrir la tyrannie, ni les facrifices
du fang des Hommes; leur Capitame eft
AmbalTadeur d'un Ptince trèspuiflant, qui
étant pouiTé par le devoir de fa Religion,
veut remédier aux abus qui règncm pnr.ni
nous , & aux violences de Motezuma Cet
Homme , après nous avoir délivrés d^; l'op-
prefïion qui nous accabloit , fe trouve
obligé de fuivre le chemin de Mexico par
3 ■ " l'^s
FiRKAND
COBTEZ.
Réponfe
des Séna-
teurs.
Leurs déli-
bérations.
Avec quel-
les vues ils fe
déterminent à
la Guerre,
fous le Com-
mandeinent
ije Xicoten-
catl.
Cortcz s'ap-
proche de
leur Ville.
30Î PREMIERS VOYAGES
ils fe levèrent fur leurs genoux; ils firent, dans cette pofture, une profon-
de inclination ; & fe iaiffant retomber fur leurs jambes , ils attendirent mo-
dellcment la réponfe du Sénat. Les délibérations durèrent quelques mo*
mens. En fuite un Sénateur répondit, au nom de l'AlIemblée, qu'elle re*
ccvoit avec reconnoilfance la propofition des Zampoalans & des Totona-
ques, dont elle ellimoit l'alliance; mais Qu'elle avoit befoin de quelques
jours, pour délibérer fur une affaire de cette importance. Les Ambaffa-
deurs fe retirèrent. On ferma les portes de la Salle. Dans un fort long
Confeil, Maxïfcatzln^ Vieillard refpeélé de toute la Nation, fit prévaloir
d'abord le goût de la Paix, par cette feule raifon, que les Etrangers pa-
roiflbient envoyés du Ciel (a), & que, ne demandant que la liberté du
paflage, ils avôient pour eux la raifon & la volonté des Dieux. Mais le
Général dQS Armées, nommé Xicotencatl^ jeune homme plein de courage &
de feu , repréfentafi vivement le danger qu'il y avoit, pour la Religiun &
pour l'Etat , à recevoir des Inconnus , dont on ignoroit les intentions ,
qu'il excita tout le monde à la Guerre. Cependant un troilième Sénateur,
nommé Temilotecatl, ouvrit urje opinioa plus modérée, qui fembloit con-
cilier les deux autres, ou du moins qui favorifoic le parti de la Guerre fans
ôter le pouvoir de revenir à la Paix. C'étoit de faire partir fur le champ
Xicotencatl, avec les Troupes, qui étoient prêtes à marcher, pour met-
tre à' l'épreuve ces Inconnus , qu'on faifoit pafler pour des Dieux. S'ils é-
toient battus dans leur première rencontre, leur ruine faifoit évanouir tou-/
tes les craintes, & la Nation demeuroit glorieufe & tranquille. Si la vic«
toire fe déclaroit pour eux , on auroit une voie toujours ouverte pour trai-
ter, en rejettant cette infulte fur la férocité des Ocomies , dont on le plain-
droit de n'avoir pu réprimer l'emportement. Cette propoficion ayant réU'
ni tous les fufFrages , on trouva le moyen d'amufer les Ambafladeurs , par
des Sacrifices & des Fêtes , fous prétexte de confulter les Idoles ; & Xico-
tencatl fe mit fecrettement en Campagne, avec toutes les Troupes qu'il
put raflembler (è).
CoRTEZ, qui vit pafTer huit jours, fans recevoir aucune information de
fes Députés , commençoit à fe livrer aux foupçons. Les Zampoalans lui
confeillèrent de continuer fa marche , & de s'approcher de TIafcala, pour
obferver du moins la conduite d'une Nation, dont ils commenjoient eux-
„ les Terres de vôtre Etat, & fouhaite de
„ favoir en quoi ce Tyran vous a ofFtnfés ,
„ pour prendre la défenfe de vôtre droit
„ comme du fien, & la mettre entre les au-
„ très motifs de fon Voyage. La connoif-
„ fance, que nous avons de fes intentions,
„ & l'expérience, que nous avons faite de
,, fa bonté, nous ont portés à le prévenir,
,, pour vous exhorter, de la part de nos
„ Caciques , à recevoir ces Etrangers , com-
„ me les Bienfaifteurs & les Amis de vos
„ Alliés; & nous vous déclarons, delà part
,, de leur Capitaine, qu'il vient avec un ef-
„ prit de Paix, & qu'il ne demande que la
• -. ' ^- me-
„ liberté du paflage fur vos Terres. Soyez
,, pcrfuadés qu'il ne defire que vôtre avanta-
„ go ; que fes armes font les inllramens de
„ la juftice & de la raifon; qu'elles foiitien-
,, nent la caufe du Ciel; que ceux qui les
,, portent recherchent la paix & la douceur,
„ naturellement & par inclinacion , & n'em-
„ pioient la rigueur que contre ceux qui les
„ attaquent, ou qui les offenfent par leurs
„ crimes ". Solis, après Diaz, ubifuprà,
Chap 16. Hcrrerar, ubifuprà, Chap. 3.
\^a) Teuler dans leur Langue.
\b) Herrera, Lîv. 6, Cbap. 3. Solis,
Liv. 2. Cbap. iz.
EN A M E R I Q U E, Liv. I. ! 503
mêmes à (e défier. S'il ne pouvoic éviter h Guerre, il étoit réfolu d'ôter,
à Ils Ennemis, le tems de s'y préparer, & de les attaquer dans leur Ville
même, avec toutes les précautions que la prudence exigeoit dans un Pays
fufpeél. Sa marche fut libre, pendant quelques lieues, entre deux Mon-
tagnes, réparées par une Vallée fort agréable. Mais il fut furpris de fe
voir tout d'un coup arrêté par une Muraille fort haute, qui, prenant d'une
Montagne à l'autre , fermoit entièrement le chemin. Cet ouvrage , dont il
admira la force, étoit de pierre de taille, liée avec une efpèce de ciment.
Son épaifleur étoit d'environ trente pieds, fa hauteur de neuf. 11 fe ter-
minoit en parapet , comme dans les Fortifications de l'Europe. L'entrée
en étoit oblique & fort étroite, entre deux autres Murs qui avançoient l'un
fur l'autre (f ). On apprit des Zocothlans que cette efpèGe de rempart
faifoit la féparation de leur Province & de celle de Tlafcala , qui l'avoit fait
élever pour fa défenfe , depuis qu'elle s'étoit formée en République. Cor-
tez regarda comme un bonheur, que fes Ennemis n'eullent pas fongé à lui
difputer ce pallage; fr'i •; le le tems leur eût manqué pour s'y rendre, foit
que fe fiant à leur nomb. :, ils enflent réfolu de tenir la Campagne, pour
employer librement toutes leurs Troupes. Les Efpagnols paflerent fans
obfl:acle; & s'étant arrêtés pour rétabhr leurs Bataillons, ils s'avancèrent
en bon ordre dans un terrein plus étendu, où ils découvrirent bientôt les
pannaches de vingt ou trente Indiens. Cortez décacha quelques Cavaliers,
pour les inviter à s'approcher, par des cris & des fignes de Paix. Dans le
même infl:ant, on apperçut une féconde Troupe, qui s'étant jointe à l'au-
tre, tint ferme avec une apparence aflez guerrière. Les Cavaliers , n'en
ayant pas moins continué de s'avancer, fe virent aulfi-tôt couverts d'une
nuée de flèches , qui leur bleflerent deux Hommes & cinq Chevaux. Un
gros de cinq mille Indiens, qui s'étoient embufqués à peu de diftance, fe
découvrit alors , & vint au fecours des premiers. L'Infanterie Efpagnole
arrivoit de l'autre côté. Elle fe mit en Bataille, pour foûtenir l'effort de ces
Furieux , qui venoient à la charge avec une extrême ardeur. Mais au pre-
mier bruit de l'Artillerie, qui en fit tomber un grand nombre (d)^ ils tour-
nèrent le dos; & les Efpagnols , profitant de leur desordre, les prefl'èrent
avec tant de vigueur, qu'ils leur firent prendre ouvertement la fuite. On
trouva foixante Indiens morts fur le champ de Bataille, & quelques blefles,
qui demeurèrent Prifonniers. Cortez, arrêté par la fin du jour , fit paiTer la
nuit à fes Soldats dais quelques Maifons voifînes, où ils trouvèrent toutes
•fortes de rafraîchiflemens (e).
Après la retraite des Indiens, on vit arriver deux des AmbaflTadeurs
Zampoalans, accompagnés de quelques Députés de la République, qui firent
des excufes.à Cortez de la témérité que les Otomies avoient eue de l'atta*
* quer.
ij^ '.a: :l''
(c) Herrera donne dix pieds de large à
cette entrée & quannte de long, Cbap. 4.
( d ) Herrera s'écarte beaucoup ici de DIaz
& de Solis. Il prétend que ce fut à coups
de lances , que les Efpagnols défirent leurs En-
noinis, & que la vue des Chevaux contribua
F E R K A N D
Coûtez.
1519.
Muraille
finguiière,
qui bouche le
chemin.
Les Efpa-
gnols la paf-
fcnt.
Ils mettent
en fuite un
Corps d'In-
diens.
Rufe des-
Tlafcalan».
beaucoup à leur viftoire. Ils en perdirent
deux, que Cortez eut foin de faire enterrer,
afin que les Indiens n'euflTent pas occafion de
reconnoltrc que ces Animaux étoient mor-
tels. Liv. 6. Chap. 4 ^ 5,
(e) Solis, IbideiA,
F E R K A N D
C O R T E Z.
Cortcz ren-
contre fes
Députés en
fort mauvais
état.
Il fe difpofe
férieufemcnt
à la Guerre.
'il
Il remporte
une Viftoire
importante.
Détail de
cette action.
»»
304 PREMIERS VOYAGES
quer. Ils s'emportèrent vivement contre cette Nation féroce ; & l'acccfanc
de ne connoîcre aucun frein , ils ajoutèrent que le Sénat fe réjouiflbit qu'elle
eût été punie par la perte d'un grand nombre de fes Chefs, qui avoient été
tués dans le Combat. Ils offrirent , au nom des Sénateurs , de payer en or
le dommage qu'elle avoit pu caufer aux Efpagnols ; mais , ne s'expliquant pas
avec plus de clarté fiu les difpofitions delaRépublique,ilsfe retirèrent après
avoir fini leur compliment.
CoRTEZ ne balança point à continuer fa marche. Il rencontra peu d'ob-
flacles. La Province lui parut femblable à l'Andaloufie; grafTe, chaude &
fertile, remplie d'eaux douces & poiflbnneufes , & couverte d'un grand
nombre de Forêts. Il rencontra, près d'un fort mauvais paÎTage, fes deux
autres Ambafladeurs , fuant , pleurant , & fi maltraités , que dans la crainte
qui leur reftoit encore, à peine avoient-iis la force de refpirer. Ils fe jet-
tèrent à terre ; ils embrafJerent fes pieds. „ Les perfides Tlafcalans , lui
dirent-ils, violant le droit facré des AmbafTades, les avoient chargés de
chaînes, pour les facrifier au Dieu de la Viftoire; mais ayant trouvé le
moyen de fe détacher mutuellement , ils s'étoient échappés pendant la
nuit. Ils avoient entendu dire, à ces Barbare», que leur deflein étoic
auffi de facrifier tous les Efpagnols (/)".
Ce récit ne laifla plus de doute, àCortez, que la République de Tlafca-
la ne fût ouvertement déclarée contre lui. Il en eut d autres preuves un
quart de lieue plus loin, dans un Détroit fort difficile, que fon feul coura-
ge lui fit heureufement traverfer au milieu d'une foule d'Ennemis. Ce n'é-
toit plus la fortune, qu'il propofoit pour motif à ks Soldats: il les exhor-
toit à combattre pour leur vie; & les Zampoalans mêmes, effrayés de la
grandeur du péril , dirent fecrettement, à Marina, que la perte de l'Armée
leur paroiflbit inévitable. Elle leur répondit, d'un air comme infpiré, que
le Dieu des Chrétiens avoit une particulière affeélion pour les Caftillans , &
qu'il les fauveroit de ce danger. Cette réponfe fit une égale impreflion fur
les Soldats de Cortez & fur leurs Alliés. Ils fe crurent tous fous la pro-
teftion déclarée du Ciel ; & s' étant dégagés du Détroit , dont on leur avoit
difputé le paflage, ils arrivèrent dans la Plaine, où le même tranfport
de valeur & de Religion leur fit renverfer une Armée fprt nombreufe (g).
Herrera ne donne aucun détail de cette féconde Aftion , qui fut beau-
xroup plus régulière que la précédente , & dont les autres Hiftoriens
ont cru le récit d'autant plus indifpenfable, qu'en faifant connoître le ca-
raftère des Ennemis de Cortez, elle doit être regardée comme la plus im-
portante de fes Vidloires , puifqu'elle fervit bientôt à lui ouvrir l'entrée du
Mexique.
Après avoir pafTé le Détroit, en combattant de loin, fuivant Diaz &
Solis, parce que les Ennemis, qu'on y avoit rencontrés , affeéloient de fe
tenir à quelque diftance, dans le deffein apparemment d'attirer l'Armée
Efpagnole jufqu'au centre de leurs forces, on découvrit, d'une Hauteur qui
dominoit fur la Plaine, une multitude innombrable d'Indiens , que plufieurs
Ecrivains ont fait monter à quarante mille Hommes. Ces Troupes étoient
com-
(/) Herrera, ubifuprà, Chap. 5.
(g) Ibidem.
/-■',
>?':•£ N A M E R I Q U E, Liv. I. 305
compoféesde diverfes Nations , didinçuées par les couleurs de leurs En-
feignes & de leurs plumes. LaNoblefle deTlafcala tenoit le premier rang,
autour de Xicotencatl , qui avoit le Commandement général; & tous les
Caciques auxiliaires étoient à la tête de leurs propres l'roiipes. Cortez re-
connut alors que la facilité qu'il avoit trouvée, dans le paffage du Détroit,
n'avoit été qu'un ftratagême; & tous les Caflillans parurent étonnés du dan-
ger. Cependant la crainte n'entra point dans leur cœur avec la furprife. Le
îouvenir de Tabafco fervit à les animer. Ils defcendirent d'un air gai dans
la Plaine; & Cortez, qui reconnut cette difpofition fur leurs vifages, ne
s'arrêta pas même à les haranguer. Comme le terrein étoit inégal & rude,
fur-tout pour les Chevaux, on eut d'abord beaucoup de peine à repoufTer
les Ennemis. Il fallut tirer de haut en bas une volée de toute l'Artillerie ,
pour écarter quelques Bataillons , qui fembloicnt avoir entrepris de difpu-
ter la defcente. Mais aulTi-tôt que les Cavaliers Ëfpagnols eurent trouvé
le terrein plus commode, & qu'une partie de l'Infanterie eut mis le pied
dans la Plaine, on gagna bientôt afTez de champ pour mettre le Canon en -
Batterie. Le gros des Ennemis avoit eu le tems de s'avancer à la portée du
moufquet. Ils ne combattoient encore que par des cris & des menaces.
Cortez fit faire un mouvement à fon Armée , pour les charger. Mais ils fe
retirèrent alors, par une efpèce de fuite, qui n'étoit en effet qu'une nouvelle
rufe,- pour faire avancer les Ëfpagnols, & pour trouver le moyen de les en-
velopper. On ne fut pas long-tems à le reconnoître. A peine eut- on quit-
té la Hauteur, qu'on laiffoit à dos, & par laquelle on avoit efperé de de-
meurer couvert, qu'une partie de l'Armée ennemie s'ouvrit en deux Aîles,
& s'étendant des deux côtés enferma Cortez & tous fes gens dans un grand
cercle. L'autre partie, s'étant avancée avec la même diligence, doubla
les rangs de cette enceinte, qui commença aulîi-tôt à fe reflerrer. Le pé-
ril parut (i preffant, que Cortez, fongeant à fe défendre avant que d'atta-
quer, prit le parti de donner quatre faces à fa Troupe, & recommanda
inflamment de fuppléer, par l'union & lé bon ordre , à l'inégalité du nom-
bre. L'air , déjà troublé par d'effroyables cris , fut alors obfcurci par une
nuée de flèches, de dards & de pierres- Mais les Indiens, remarquant que
ces armes faifoient peu d'effet , fe difpofèrent à faire ufage de leurs épées
& de leurs maflues. Cortez attendoit ce moment pour faire jouer l'Artille-
rie, qui en fit un grand carnage. Les arquebufes ne caufèrent pas moins
de defordre dans leurs rangs. Comme leur point d'honneur étoit de dérob-
ber la c ..nnoiffance du nombre de leurs Morts & de leurs BleiTés , ce foin ,
qui ne ceifoit pas de les occuper , contribua beaucoup à les jetter dans la
confufion. Cortez n'avoit penfé , jufqu'alors, qu'à courir avec fes Cava-
liers aux endroits où le péril étoit preffant , pour rompre à coups de lances
& dilîiper ceux qui s'approchoient le plus. Mais reconnoiffant leur trou-
ble, il réfolut de faifir ce -moment pour les charger, dans l'efpérance de
s'ouvrir un paflage & de prendre quelque Pofle , où toutes fes Troupes
puffent combattre de front. Il conimuniqua fon delfein à fes Officiers; Les
Cavaliers furent placés fur les Aîles; & tout d'un coup, invoquant Saint
Pierre à haute voix, le Bataillon Efpagnol s'avança contre les Indiens, ils
foutinrent afTez vigoureufement le premier eflfort ; mais la furie des Che-
Xrill Part. Q q vaux,
I ' e R N A N ■
COBTEZ.
1519.
1 .'
FRRNAIf O
CORTBZ.
15 19.
Les Indiens
tuent un Che-
val, lui cou-
Sunt la tête
; la portent
en triomphe.
Ils prennent
la fuite.
Poae où
Cortez s éta-
blit.
306 'PREMIERS VOYAGES
vaux, qu'ils prenoient toujours pour des Etres furnaturels , leur eau fa tant
de frayeur, qu'ils s'ouvrirent enfin avec toutes les marques d'une affreufe
conflernation. Dans le tems qu'ils fe heurcoienc entr'eux, & que fe ren*
verfant les uns fur les autres, ils fe faifoicnc plus de mal qu'ils n'en vou-
loient éviter, il arriva un incident qui ranima leur courage, & qui faillit
d'entraîner la ruine des Efpagnols. Un Cavalier, nommé Pierre de Moron ^
qui montoit un Cheval très vite , mais un peu rétif, s'engagea H loin dans
la mêlée, que plufieurs Officiers Tlaicalans , qui s'étoient ralliés, & qui le
virent féparé de Tes Compagnons, l'attaquèrent de concert. Les uns fai*
firent fa lance & les rênes de la bride, tandis que les autres percèrent le
Cheval de tant de coups, qu'il tomba mort au miJieu d'eux. Âuiîi-tôt, ils
lui coupèrent la tête {h)-, & l'élevant au bout d'une lance, ils exhortèrent
les plus timides à redouter moins des monflres , qui ne réfldoient pas à la
pointe de leurs arrhes. Moron reçut plufieurs bleflures, & demeura quel-
ques momens Prifonnier; mais il fut fecouru par d'autres Cavaliers, qui-
l'enlevèrent à fes Vainqueurs. Cependant une partie des Tlafcalans, en-
couragée par la mort du monilre , reprit fes rangs & parut fe difpcfer au
Combat. Mais [orfque les Efpagnols fe croyoient menacés d'une nouvelle
attaque, ils furent furpris de voir fucceder tout-d'uncoup un profond fî-
lence aux cris des Indiens , & de ne plus entendre que le bruit de leurs tim-
bales & de leurs cors. C'étoit la retraite, que ces Barbares fonnoient à leur
manière. Un mouvement , qu'ils firent aufli- tôt vers TIafcala, ne permit
pas de douter qu'ils ne fulTenc prêts d'abandonner le Champ de Bataille.
En effet, ils s'éloignèrent infenfiblement, jufqu'à ce qu'une Colline les dé-
robba tout-à-fait aux yeux des Efpagnols. Une avanture fi extraordinaire
fut attribuée d'abord à des caufes furnaturelles ; mais on apprit enfuitev
de quelques Prifonniers , qu'elle venoit de la perte des principaux Chefs de
l'Armée Indienne, & que Xicotencatl, voyant la plupart de fes Bataillons
fans Commandans, avoit craint de ne pouvoir fuffire feul pour faire agir
ce grand Corps. Cependant il n'en prit pas moins les airs du triomphe ; &
la tête du Cheval, qu'il portoit lui-même, & qu'il envoya bientôt au Sénat,
lui tint lieu de tous les avantages de la Viftoire (1).
Ils étoient demeurés à Cortez, puifqu'il fe trou voit Maître du Champ
de Bataille, après avoir repouffé tant d'Ennemis. Mais il fe voyoit forcé
d'accorder quelque repos à fes Troupes, qui étoient accablées de fatigue.
D'ailleurs , informé par les Prifonniers , que l'animofité des Tlafcalans ve-
noit de fopinion qu'ils avoient conçue de fon Voyage à la Capitale du Mexi-
que, où ils s'imaginoient qu'il alloit rechercher l'amitié de Motezuma,pour
lequel ils avoient une haine mortelle, & lui offrir contr'eux le fecours de
fes armes, il fe flattoit encore de pouvoir les détromper fur fes intentions,.
& leur infpirer du goût pour la Paix. Ces deux raifons le déterminèrent à
fe faifir d'un petit Bourg, qu'on découvroit à peu de.diftance, fur une
Hauteur qui commandoit toute la Plaine. LesHabitans, s'étant letirés à
, >,. , ,. . ., ... .-■..... , .- . . . Ion
( /) ) Solis reproche à quelques Auteurs
d'avoir dit qu'ils la lui coupèrent d'un feul
coup d'épée. Ces exagérations, dit-il, font
peu d'honneur auxHinoriens, & ne rendent
point l'aftion plus confidérable. Ibid.
(i) Solis, uM fupràt Chap. 17, ' •• '
ren»
rendent
? E N A M E R I Q U E, Liv. I.
fon approche, laiflerent aflez de vivres pour renouveller Tes provifions. Un
lieu, naturellement capable de défenfe, ne fut pas difficile à fortifier par
quelques Ouvrages; & les Zampoalans, irrités du mépris avec lequel ils
voyoient traiter leur Alliance, apportèrent une ardeur infatigable au travail.
Aulfi-tôt que le Général Efpagnol fe crut en fureté dans ce Polie , il le mit
à la tête de deux cens Hommes, moitié des Troupes Zampoalanes & moi-
tié des Tiennes, pour aller lui-même (*) obferver la dilpolition des Enne-
mis, aux environs de Tlafcala. Il y fit quelques Prifonniers, qui lui ap-
prirent que XicotencatI étoit campé aflez proche de la Ville, & qu'il y af-
fembloit une nouvelle Armée. Cette nouvelle l'obligea de retourner à fon
Quartier; mais ce ne fut pas fans avoir brûlé quelques Villages, pour fai-
re connoître , à fes Ennemis , qu'il ne craignoit point la Guerre : & revc'-
nant néanmoins à l'efpérance de leur donner une meilleure idée de fes in-
tentions, il rendit la liberté à deux de Ces Prifonniers, avec ordre de dé-
clarer à XicotencatI ; „ Qu il étoit affligé de la mort d'un fi grand nombre
„ de braves Tlafcalans , qui avoient péri daiwle dernier Combat , mais que
„ ce malheur ne devoit être attribué qu'à ceux qui l'attiroient à leur Pa-
„ trie, en recevant , à main armée, des Etrangers qui venoient leur de-
„ mander la Paix; qu'il la demandoit encore, malgré les outrages qu'il
„ avoit reçus, & qu'il promettoit de les oublier ; mais que s'il ne recevoit
„ cette grâce à l'heure même, il juroit de détruire la Ville de Tlafcala,
i, pour en faire un exemple, dont tous les Peuples voifins feroient effrayés".
Après la perte que les Tlafcalans avoient réellement elFuïée, cette déclara-
tion auroit pu faire quelque impreffion fur le Sénat , fi toutes les voye«
n'euflent été fermées pour la faire pafler dans la Ville; mais elle étoit
adrefl'ée à XicotencatI , qui en fut irrité jufqu'à couvrir de bleflures ceux
qui avoient eu l'audace de s'en charger ; & les renvoyant dans cet état à
Cortez, il lui fit dire; „ Çu'il n'avoit pas voulu leur donner la mort, afin
que les Efpagnols apprilfent d'eux quelles étoient fes dernières réfolu-
tions; que le lendemain, au lever du Soleil, ils le verroient en Cam-
pagne, avec une Armée innombrable; que fon defTein étoit de les pren-
dre tous en vie, & de les porter fur les Autels de fes Dieux, pour leur
faire un facrifice du fang & des cœurs de leurs Ennemis (/) ": Enfuite,
joignant la raillerie à cette brutale réponfe,il fit porter, au Camp Efpagnol,
trois cens Poulets d'inde & d'autres provifions; „ afin que les Ennemis de
fes Dieux, fit-il dire à Cortez, ne s'imaginaflcnt point qu'il aimât mieux
les prendre par la faim que par les armes , & qu'après avoir bien man-
gé , leur chair , dont il vouloit faire un grand fefl:in , fût d'un goût plus
favoureux {m)".
Cette infolence caufa moins d'effroi , que d'indignation dans le Camp.
Les Efpagnols ne laiffèrent pas de réparer leurs forces , avec les provifions
;: '' qu'on
if
>»
9)
FevNiK»
C0BTE7.
15 i 9-
Il va lui-
même obfef'
ver les Enne-
mis. .
.u.;*.;
iS .
rV'
( fc ) On fait un reproche à Cortez de se-
tre trop expofé dans cette occafion. Il de-
voit fc ménager , dit Solis , pour le falut de
tous fts gens, qui étoit attaché à fa pcrfon-
Déclaration
qu'il fait faire
i XicotencatI.
Elle eft re-
çue avec une
fierté barba-
re.
Les Efpa-
gnols font at-
taqués dans
leur porte.
ne, Cbap. 18. "
il) Solis, ubifuprà, Chap. y 8»
\,m) C'eft Herrcra qui rapporte un trait fi
fîngulier. Liv. 6. Cbap. 6,
Qq2
y
308
PREMIERS VOYAGES
f irnand
COITBZ
1519.
^ ' qu'on leur envoyoit (n); & Cortez profita de l'avis qu'il avoit reçu, pour
' ie difpofer à tous les dvénemens. Il prit avantage de la nature du tcrrein ,
pour former piiifieurs Batteries, qui lui promettoient une fanglan^e exécu-
tion; & Tes Bataillons furent diHribués, l'iiivant l'expérience qu'il avoit dti
la méthode de ces Barbares. A la pointe du jour, on vit, en effet, la
Campagne inondée d'Indiens, qui dévoient avoir fait beaucoup de diligen-
ce, pour s'être approchés du Camp dans l'efpace d'une nuit. Cette Armée
montoit à plus de cinquante mille Hommes lo). C'étoit , comme on l'ap-
prit bientôt d'eux-mêmes, le dernier effort de la République & de tous (es
Alliés. On découvroit , au centre , une Aigle d'or fort élevée , qui n'a*
voit point encore paru dans les autres Combats , & que les l'iafcalans ne
portoient pour Enfeigne, que dans les plus prenantes occafîons. Ils fem-
bloient courir, plutôt que marcher. Cortez, les voyant à la portée du
Canon , fît faire une décharge générale , qui modéra beaucoup cette ar-
deur. Cependant , après avoir paru quelque tems arrêtés par la crainte , ils
reprirent courage, pour s'avancer juf^u'à la portée des frondes & des arcs.
Mais ils furent arrêtés une féconde fois par de nouvelles décharges de l'Ar-
tillerie & des arquebufes, dont chaque coup faifoit de larges ouvertures
dans leurs rangs. Le Combat dura long-terns fous cette forme, avec peu
de dommage pour les Efpagnols , qui voyoient tomber à leurs pieds les flè-
ches & les pierres, tandis que leurs boulets & leurs balles portoient le des-
ordre & la mort dans tous les Bataillons ennemis. Cependant un gros d'In-
diens, comme tranfporté de fureur , s'approcha jufqu'au pied des Batte-
ries, àc commençoit à caufer de l'inquiétude à Cortez, lorfque la confu-
flon fe répandant plus que jamais dans le Corps de leur Armée > on y re<*
marqua divers mouvemens oppofés les uns aux autres, qui aboutirent à
une retraite fans desordre, pour ceux qui compofoient l'Arriére-garde, &
qui fe tournèrent bientôt eu fuite pour ceux qui combattoient dans les Pof-
tes avancés. Alors Cortez les fit charger avec l'épëe & la lance; mais fans
permettre à fes gens de s'écarter trop, dans la crainte de quelque rufe qiji
pouvoit les expofer au danger d'être enveloppés (p). ^
Cette étrange révolution pafTa d'abord, aux yeux des Efpagnoîs, pour
fcor déroute, un miracle du Ciel en faveur des armes Chrétiennes. Mais on fçut bien-
tôt que Xicotencatl, jeune Homme fort emporté, avoit outragé un des Ca-
ciques auxiliaires , parce qu'il avoit différé d'obéir à fes ordres , & que le
Cacique s'étoit refTenti de fes injures jufqu'à lui propofei^ un Combat fingu-
lier. Tous les Alliés de la République s'étoient foulevés à cette occafion.
Ils avoient réfolu brufquement de quitter une Armée, où l'on marquoit Çi
peu de reconnoiflance pour leur zèle & leur valeur. Ce deflein s'étoit exé-
cuté avec une précipitation, qui avoit jette le desordre dans les autres
Troupes ; & Xicotencatl , troublé par un incident qui lui donnoit de la dé*-
fiance pour fes propres Soldats , avoit pris le parti d'abandonner la Vi6loi-
re
Ils repouf*
fent les In-
diens.
Cames de
(n) Herrera, ibidem,,
(0) Solis, ubifuprà. Herrera la fait mon-
ter à cent cinquante mille Hommes , mais
fur le feu! témoignage des Prifonniers TJal-
calans, Cbap. 6
(/)) Solis, ibidem.
• t
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
'M
re
'CJ'Ô » T El.
M.urmftrca»,
re & le Champ de Batailte aux Efpagnols. Cette querelle niértie, au juge-
ment de quelques Hiftoriens, & l'heureux effet qu'elle produifit, doi('ent.
être regardes comme l'ouvrage d'une Puiflance (upéricure , qui yeilloit'à
la conicrvation des Efpagnols (q).
Malgri^, tant de- marques de la proteftion du Ciel, le péril, dontjls
fe voyoienc délivrés, & qui pouyoit Te renouveller à tous momens, les jet-. „ [^,^1, '''^.' <•
ta dans une vive inquiétude, qui produifit de nouveaux murmures.' Cor- '
tez retomba dans la néceflité d'employer fon éloquence & Ton adrefle, pour
les appaifer. 11 ordonna une Aflemblée générale, fous prétexte de délibé-, ••• ■:•' ."
rer en commun fur une fituation dont il reconnoiflbit le danger. Il ^voit •
recommandé, à fes Confidens, de placer fans affeftation les plur mutVij» • ' '.~>!..''
{)rès de fa perfonne, autant pour s'aflurer d'en être entendu, que pour fe •.'*.';,
es concilier par cette apparence de diftin^ion & de faveur. Le difcours •.'•>.'
qu'il leur tint fut bien perfuafif, puifqu'il l'eût à peine achevé, qu'un Fac-
tieux des plus emportés éleva la voix, & dit à fes Partifans: ,, Mes Aniis,
„ le Général nous confulte; mais, en nous demandant le parti qui nous
„ refle à prendre, il nous l'enfeigne. Je crois, comme lui, qu'il eft
„ impofllble de nous retirer fans nous perdre ". Tous les autres entrè-
rent dans le même fentiment , & reconnurent l'injullicc de leurs plain-
tes (r). , /'•
• • •
■
DLfcoùi^ lié"- _
Cortcz, qui' ^•■'
Icb mipaifs;.' '
D'ùir.
(q) Ibidem.
( r ) Un Difcours fi puiflant , que Solis
rapporte après Diaz, qui l'avoit entendu, ne
peut être dérobbé à l'Hiftoîre. Les circon-
fiances qu'on a rapportées font tirées des mê-
mes Ecrivains. „ U n'eft pas befoin de s'é-
„ tendre beaucoup fur le parti que nous a-
„ vons à prendre, après avoir gagné deux
„ Batailles . où vôtre valeur n'a pas moins
„ éclaté que la foiblefle de nos Ennemis. II
„ eft vrai que les travaux de la Guerre ne
„ conduifcnt pas toujours à la Victoire. La
„. manière d'en profiter n'eft pas non plus
„ fans difficultés. Il refte du moins à fe pré-
t, cautionner contre le& périls qui environ-
„ nent fouvent les plus grands fuccès. C'eft
M une efpèce de tribut, impofé au bonheur
„ des Hommes. Cependant j'avoue , mes
I, Amis, que ce n'eft pas là le motif de mon
„ inquiétude. Des raifons plus fortes & plus
„ prenantes me rendent vôtre confeil né-
M ceflàirc. On m'a dit que 1 envie de retour
.„ ner en arrière eft tombée dans l'efprit de
„ quelques - uns de nos Soldats , & qu'ils
„ s'excitent mutuellement à me faire cette
.„ propofition. Je m'imagine qu'elle n'eft pas
„ fans fondement. Mais il n'eft pas honnête
„ qu'une affaire de cette importance foit
„ traitée fourdement, avec un air de caba-
„ le. Il faut que chacun explique librement
„ ce qu'il en penfe, afin que fon zèle pour
„ le Bien public foit autorifé. Comme»-
.,\1.-
Q.4
çôns pnr confiâerer l'état ofî' nous fom--
mes; c'eft le moyen de fupiliter les raifon-
nemens fur l'avenir , & de prehilrt une
fois des réfolutif)ns confiantes. Cette Ex-
pédition a été non- feulement approuvée, .
mais généralement applaudie par tous ceux '
3ui m'écoutent. Nous avons entrepris •*
'aller jufqu'à la CourdeMotezuma. Nous
nous fommes facrifiés à ce deftein , en fa-
veur de nôtre Religion & de nôtre Rcff. ,
Nous y avons attaché nôtre honneur &
nos efpérances. Les Indiens de Tiafcali; ,
gui ont voulu s'y oppofcr avec toutes les
forces de leur République &,, de leuç» Al-
liés , ont été vaincus ou diiïïpcs ; & fui- ° -
vaut toutes les règles de la prudence hy.--
maine, il n'eft pas pofllble quiis demeii'- ,
rent long-tems fans nous accorder I^ Pçix,
ou du moins un paftage libre fur jeurs „
Terres. Si nous obtenons cet avantag^i
quel éclat pour nôtre, réputation! & que
n'avons-nous pas à nous promettre do l'cl-
time de ces Barbares , qui nous regardent
déjà comme des demi-Dieux. Si Motezu-
ma nous attend avec crainte , comme fi
eft aifé de le roconnuître par tant d'artiiî-
cieufes Amlniflades.avec quel refpeftnous
regardera- t'il après la défaite des Tiafca- .
lans , qui font les braves de l'on" Empire", •
& qui ne dovoitiit leur indépendance qu'à*..
la force des armts? 11 y a beaucolip^ "d^aff-
parence qu'il nous fera, , des, offres" fujpd-.
»• m
■"t
• • t
310
PREMIERS VOYAGES
Fbrnand
CORTEZ.
Embarras
des Tlafca
!ans.
Ils ont re-
cours à leurs
M;igiclcriS.
Raifonne-
nwiit de ces
Iinpoftcurs.
Xicoten-
catl attaque
les Efpagnols
pendant la
nijit.
D'un autre côté, la nouvelle déroute de l'Armée Indienne avoit jette
tant deconfternation dans la Ville de Tlafcala, que le Peuple y demandoic
la Paix à grands cris. Les plus timides proporoient de fe retirer dans les
Montagnes, avec leurs Familles ,• mais la plupart, perfuadés que les Efpa-
gnols étoient des Dieux , vouloient qu'on fe hâtât de les appaifer par des
adorations. Le Sénat , s'étant aifemblé , pour chercher quelque remède
aux malheurs publics, conclut que les merveilleux exploits des Etrangers
dévoient être l'effet de quelque enchantement; & cette idée le fit recourir
aux Magiciens du Pays , pour détruire un charme par un autre. Ces Im*
porteurs furent appelles. Ils déclarèrent qu'ayant déjà raifonné fur les cir-
conftances , ce qui paroiflbit obfcur aux Sénateurs étoit d'une extrême clar-
té pour eux ; que par la force de leur Art , ils avoient découvert que les
Efpagnols étoient des Enfans du Soleil , produits par l'aélivité de fes in^
fluences fur la terre des Régions orientales ; que leur plus grand enchante»
ment étoit la préfence de leur Père, dont la puiflante ardeur leur commu-
niquoit une force fupérieure à celle de la Nature, qui les faifoit approcher
de celle des Immortels; mais que l'influence ceflant lorfque le Soleil décli-
noit vers le Couchant , ils s'affoibliflbient alors & flétriflbient comme l'her-
be des Prairies : d'où les Magiciens inféroient qu'il falloit les attaquer pen-
dant la nuit, avant que le retour du Soleil les rendît invincibles. Le Sénat
donna de grands éloges à cette découverte , & fe flatta d'une Vifloire cer-
taine. Quoique les Combats noélurnes fuflent oppofés à l'ufage de la Na-
tion , l'ordre fut donné à Xicotencatl d'attaquer le Camp Efpagnol après le
coucher du Soleil. Heureufement aue la vigilance de Cortez n'étoit jamais
en défaut. Il avoit des Polies avances & des Sentinelles dans l'éloignement.
Il faifoit faire exaftement les rondes. Les Chevaux étoient fellés pendant
toute la nuit, & les Soldats dormoient armés. Le foir avant celle qu'on
. K avoit
aUlOv-i
«;!;-Ii
rieiires à nos propres dcfirs , par la feule
crainte de nous voir embralFer le parti d'un
Peuple qui s'eit révolté contre lui Ainfi
les obllacles niC'ines, que nous avons ren-
contrés dans cette Province, auront été
l'indrument, dont le Ciel fe fera fervi pour
avancer nôtre entreprife. Il veut les faire
,, fervir d'épreuve à nôtre confiance, parce
,, qu'il ne nous doit point des miracles aux-
,, quels nous n'ayions pas contribué de nô-
„ tre cœur & de i os mains. Mais fi nous
„ tournons aujourd'hui le dos , ne voyez-
„ vous pas que nous perdons tout à la fois
„ nos travaux & le fruit qui dovoit les fui-
„ vre ? fans compter que nous ferons les
■„ premiers à qui la Viftoirc aura fait perdre
,, le courage. Que nous rcllera-t-il à efpé-
„ rer ? ou plutôt que n'avons nous pas à
,, craindre? Ces mômes Peuples, que nous
„ avons vaincus , & qui font encore trem-
„ blans & fugitifs, s animeront par nôtre ro-
„ lâchement. Ils font les maîtres des défi-
,, lés. ils ne cefferout pas de nous fuivre.
„ Ils nous accableront dans nôtre marche.
„ Ceux qui nous fervent avec autant de Mé-
„ H té que de courage, ces Zampoalans &
,, ces Totonaques, nos Alliés & Tunique ref-
„ fource de nôtre retraite, chercheront l'oc-
„ cafion de s'échapper. Us nous abandon-
„ neront , pour aller publier nôtre honte.
,, Peut-être confpireront- ils contre nous,
,, après avoir perdu l'opinion qu'ils avoient;
,, de nos forces. Je le répète, mes Amis,
„ il eft auffî important, pour nôtre fiiretc
,. que pour nôtre honneur, de confidcrer
„ tout avec beaucoup d'attention , en mefu-
,, rant les efpéranccs qu'il e(l quellion d'a-
,, bandonner , avec les périls qui peuvent
,, nous relier à vaincre. Propofez, difcu-
„ tez, ce qui vous paroltra convenable a nô-
„ tre fituation. Je vous Inifle une pleine ii-
„ bcrté. J ai touché ces inconvéniens , fans
•^chaleur, fans art, fans recherche d'élo-
„ quence, moins pour défendre mon fenti-
„ ment que pour le difculper ". Sulis, Liv.
2, Chap. ig.
^ -EN" A M E R I Q U E, Li V. I. 311
avoit marquée pour l'attaque, les Sentinelles découvrirent un gros d'Enne-
mis, qui s'avançoient à petit» pas vers le Camp, dans un filence qui ne leur
étoit pas ordinaire, CorteZ en fut averti. , Quoiqu'il ignorât encore le def-
fein des Indiens, non-feulement il donna fes ordres pour la défenfe, mais il
recommanda qu'à leut exemple le filence fût obfervé dans tous les Portes.
La confiance de Xicotentfatl augmenta la promelTe des Magiciens , lorfqu'à
peu de diftance du Camp, il fe crut afluré, par ces apparences de langueur,
que les Efpagnols fe relîentoient de l'abfence de leur Père. Il approcha juf-
qu'au pied du rempart, où il forma trois attaques, qui furent eKécutées
avec beaucoup de hardiefle & de diligence. Mais les premiers Indiens,
qui entreprirent de nj<dnter, furent reçus avec une vigueur à laquelle ils ne
s'attendoient pas ; & ceux qui les fuivoient prirent l'épouvante, envoyant
tomber les plus avancés, dont les corps rouloient jufqu'à eux. Xicotencatl
reconnut l'impofture des Magiciens. Cependant fa colère, ou fon courage,
le fit retourner à l'afTaut.. Ses gens donnèrent des témoignages extraordi-
naires de valeur. Ils s'aidoient des épaules de leurs Compagnons, pour
monter fur le Rempart, où ils recevoient fans étonnement de mortelles
bleflures, qui continuoient de les faire tomber, fans que les autres paruf-
fent rebutés de ce fpeélacle. Le Combat dura long-tems, avec tout le
defavantage qu'on peut s'imaginer pour eux, dans une fituation où les
Efpagnols n'avoient que la peine d'allonger le bras pour les tuer à coups
de lances. Enfin- Xicotencatl , defefpérant de fon entreprife, prit le parti
de faire fonner la retraite. Cortez , qui favoit que la méthode des Barba-
res étoit de fe retirer en pelotons & fans ordre, fortit alors avec une par-f
tie de fon Infanterie , tandis que fes Cavaliers , qui avoient garni de fon-
nettes le poitrail de leurs Chevaux , defcendirent aulïï dans la Campagne ,
pour augmenter la terreur des Indiens par la nouveauté de ce bruit. Une
charge, à laquelle ils s'attendoient fi peu, acheva de les mettre en fuite;
& le jour ne revint que pour faire admirer le nombre des Morts & des Blef-
^és, qu'ils avoient laifles, contre leur ufage, au pied du Rempart. Les
Efpagnols perdirent un Zampoalan , & n'eurent que deux ou trois Blefles
de leur Nation,* ce qu'ils regardèrent comme un miracle, à la vue de l'ef-
froyable quantité de flèches, de dards & de pierres, qui étoient tombés
dans l'enceinte de leur Quartier (s).
Leur joie n'eut d'abord, pour objet, qu'une Viftoire qui leur avoit fi
peu coûté; mais elle augmenta beaucoup, en apprenant, des Prifonniers ,
quelle avoit été l'efpérance de leurs Ennemis. Cortez ne douta point que
la réputation, qu'il dçvoit fe promettre d'un événement de cette nature,
ne fervît plus que la force des armes au fuccès de fes delTeins. En effet ,
tous les Sénateurs de Tlafcala, croyant reconnoître, dans ces invincibles
Etrangers, les Hommes céleftes qui étoient annoncés-par leurs Prophéties,
craignirent de s'attirer les derniers malheurs en rejettant plus long - tems
leur amitié. Ils commencèrent f>ar facrifier à leurs Dieux une partie des
Magiciens qui les avoient trompés , comme des Viftimes de propitiation ,
pour appaifer le courroux du Ciel. Enfuite, penfant à nommer desAm-
''[.À bafla*
(f) Solis, ubifuprà, Chap. ip, ..• ,.. . ... ..;... ;. ..-,, .. , .;
Fermakû
C O II T E 2.
IJI9.
Il efl: re-
poufi'é mai-
gre fa fuiic.
Des Che-
vaux garnis
de fonnettes
achèvent de
le mettre ai
fuite
I-cs Magi-
ciens de TUif-
cala font fa-
critiiis aux
Idoles.
312
PREMIERS VOYAGES
FSRNANn
Co-RTE^.
1519.
Le Sénat
fe détermine
â la Paix.
Rufe de Xi-
cotencatl
pour s'y op-
î>ofer.
Cortez s'en
.défend par
une autre ru-
le.
II fait mu-
tiler quantité
d'Indiens.
bafladeiirs, qui dévoient être chargés de négocier la Paix, ils envoyèrent
d'avance un ordre exprès à Xicotencatl , de faire cefler toutes fortes d'hof-
tilités. Ce fier Indien , loin d'approuver la Délibération de fes Maîtres,
répondit à leur Envoie, que fon Armée étoit le véritable Sénat, & qu'il
auroit foin de foutenir la gloire de fa Nation , puifqu'elle étoit abandonnée
par les Pères de la Patrie ( f ). Quoiqu'il fût desabufé de la folle opinion
qu'il avoit -conçue du raifonnement des Magiciens^ il n'avoit point encore
perdu l'efpérance de forcer , pendant la nuit, les Etrangers dans leurs murs.
11 attribuoit fa dernière difgrace à l'imprudence qu'il avoit eue de les atta-
quer fans avoir fait reconnoître la difpofîtion de leur Camp ; & dans cette
idée, il réfolut d'y envoyer quelques prions, avec ordre d'en examiner
toutes les parties. Les Habitans des Villages vdifins, attirés par les pré-
fens des Efpagnols, ne faifoient pas difficulté d'y porter des vivres. Il
choifit quarante Soldats, qu'il fit déguîfer en Païfans , avec des Fruits, de
la Volaille & du Maïz. Il leur recommanda d'obferver les endroits, par
lefquels on pouvoit attaquer la Place avec plus de facilité (v). Quelques
Hiftoriens prétendent que ces quarante Emiflaires s'y introduifirent en
qualité d'Envoyés de Xicotencatl , qui feignit de propofer un Accommo-
dement; & cette fuppofition rendroit l'inadvertance des Efpagnols plus
excufable. Mais il eft certain que les Indiens traveÂis entrèrent dans le
Camp, qu'ils y pafTèrent quelques heures, & que ce fut un Zampoalan,
qui remarqua le premier la curiofité avec laquelle ils dbfepvoient la hauteur
du Mur. Cortez, qui en fut averti, fe hâta de les faire arrêter. La for-
ce des tourmens en fît parler quelques-uns. Il forma là-defTus un àtf-
i^in , qui lui réuflit au-delà de fes efpérances. Ce fut de feindre qu'il a-
voit pénétra celui de Xicotencatl , par des lumières fupérieures aux con-
noiffances des Indiens , & de lui renvoyer la plus grande partie de fes
Efpions, pour lui déclarer, de fa part, que les Efpagnols craignoient aufli
peu la rufe & la trahifon , que la force des armes ; qu'ils l'attendoient fans
crainte , & qu'ils avoient lailTé la vie à la plupart de fes gens , afin que leurs
obfervations ne fuflent pas perdues pour lui. Mais, jugeant à propos aulli
de répandre la terreur dans toute l'Armée Indienne, il fit mutiler diverfe-
ment les Malheureux qu'il renvoyx)it (1). Ce fpeftacle fanglan* caufa tant
d'horreur aux Troupes qui marchoient déjà pour l'attaque , qu'elles*^arurent
balancer fur l'obéiflance qu'elles dévoient à leur Chef. Xicotencatl , frappé
lui-même de voir fon projet éventé, fe figura que les Etrangers n'avoient
pu connoitre fes Efpions & pénétrer jufqu'au fond de leurs penfées , fans
avoir quelque chofe de divin. 11 étoit dans cette agitation , lorfque deux
Minillres, envoyés par le Sénat, qui avoit été choqué de l'infolence de fa
réponfe, vinrent lui ôter le Commandement; & Ces Troupes, peu dif-
pofées à le foutenir dans fa desobéilTance , ne tardèrent point à fe diflî-
per. Il rentra néanmoins dans Tlafcala , fous la proteftion de fes Parens
& de fes Amis , qui le préfentèrent aux Sénateurs , avec lefquels ils firent
fa paix (y). . -■.■ -..h , i..ii ,» j, '-Ut»*'^'' '''''-^ ;;..•.';•..; . . ,:. JUEs
(0 Solls. Ibidem. ''' *• ''1 :»-J^'J«' ' les pouces 'à tous Ic's autres. Ibid. Hcrr. uM
(v ) Ibidem. fup.
( x } Il fit couper les mains à 14 ou 15, & (y) Solis & Herrera. Ibidem.
^y
EN AMERIQUE, Liv. I.
313
Les Efpagnols avoient pafTé la nuit fous les armes, & dans une vive in-
quiétude. Le jour fuivant ne fut pas plus tranquille; & quoiqu'ils apprif-
fent , des Indiens qui leur apportoient des vivres , que l'Armée des Tlafca-
lans étoit rompue, leur incertitude dura jufqu'au lendemain. Mais les Sen-
tinelles découvrirent , au point du jour, une Troupe d'Indiens, quis'avan-
çoient vers le Camp; &Cortez donna ordre qu'on leur laiflat la liberté d'ap-
procher. C'itoit rAmbaflade du Sénat, compofée de quatre vénérables
Perfonnages, dont l'habit & les plumes blanches annonçoient ouvertement
la Paix. Ils étoient environnés de leur Cortège, après lequel marchoient
quantité de Tamenes , chargés de toutes fortes de provifions. Ils s'arrê-
toient par intervalles, avec de" profondes inclinations de corps vers le Camp
des Efpagnols; & bailTant les mains jufqu'à terre, ils les portoient enfuite
à leurs lèvres. A quelques pas des Murs, ils rendirent leur dernier hom-
mage , par des encenfemens qu'ils firent au Fort. Marina parut fur le
bord du Rempart, & leur demanda , dans leur Langue, de quelle part &
dans quelles vues ils fe préfentoient. Ils répondirent qu'ils étoient envoyés
par le Sénat & la République de Tlafcala , pour traiter de la Paix. On ne
leur refufa point l'entrée,' mais Cortez les reçut avec un appareil de gran-
deur & d'un air de févérité, qu'il jugea néccffaires pour leur infpirdr du
refpe6l& de la crainte. Après avoir recommencé leurs révérences & leurs
encenfemens, ils expofèrent le fujet de leur Députation, qui fe réduifit à
des excufes frivoles , tirées de l'emportement brutal des Otomies , que tou-
te l'autorité du Sénat n'avoit pu réprimer, & à J'offre de recevoir les Ef-
pagnols dans leur Ville, où ils promettoient de les traiter comme les Frè-
res de leurs Dieux. Cortez, diflîmulant la joie qu'il reffentoit de ce lan-
gage , affefta de les laiffer dans le doute de fes intentions. Il leur fit va-
loir la bonté qu'il avoit de les écouter, lôrfqu'ils avoient mérité fa colère,
&le penchant qu'il confervoit encore pour la Paix, après une Guerre- in-
iufte . qui lui donnoit fur eux tous les droits de la Viéloire. Cependant il
promit de ne pas reprendre les armes , s'il n'y étoit forcé par de nouvelles
offenfes, & de laiffer le tems, à la République, de réparer le paffé par une
prompte fatisfaélion. Il avoit deux vues, dans cette réponfe; l'une, de
s'affurer, en effet, delà bonne foi des Tlafcalans ; & l'autre, de prendre
quelques jours pour rétablir fa fanté , qui avoit beaucoup fouffert d'une fi
continuelle fatigue (2).
A peine les Ambaffadeurs étoient fortis du Fort, qu'on y vit arriver cinq
Mexiquains, qui fe firent annoncer au nom de l'Empereur Motezuma. Ils
avoient pris des chemins détournés pour entrer fur les Terres des Tlafca-
lans , & c'étoit à force de précautions qu'ils les avoient traverfées fans obf-
tacle. Motezuma , informé par la diligence de fes Courriers , de tout ce
qui fe paffoit à Tlafcala, fentoit redoubler fes allarmes , en voyant une Na-
tion belliqueufe, qui avoit rélifté tant de fois à toutes fes forces, vaincue,
dans
Fernand.
Cortez./
I 5 1 9.
Députation
du Sénat Tlaf-
calanauCamp
de Cortez.
Cérémonies
de la marche
des Députés.
"'"* (2) Les Hidoricns obfcrvcnt qu'ayant
pris médecine un jour qu'il fut attaqué par
les Indiens , il ne lailFa pas de monter à Che-
val , de combattre , de filre toutes les tbnc-
yLVllL Part.
fions de Général & de Soldat , & que fa mé-
decine ne fit fon opération que le jour fui-
vant. Herrera, Liv. 6, Chap. 10. Solis,
Liv. 2. Chap. 21.
R r . •
Offres qu'ils
font à Cor-
tez.
Sa réponfe,
& fa réfolur
tion.
Nouveaux
AmbaiTadeurs
de Motezu-
ma.
Fernanu
COKTEZ.
I 5 I 9.
Explication
delà conduite
de ce Prince.
Quel fruit
Cortez tire de
l'AmbalTade
Impériale,
Xîcotencatl
vient lui -mô-
me en dépu-
tation au
Camp Efpa-
Snol.
Son Cortè-
314 PRËMIERSVOYAGES
dans plufieurs Batailles , par un petit nombre d'Etrangers. Il commençoit
à craindre qu'après avoir fournis ces Rebelles, Cortez ne formât de plus
grandes entreprifes , & n'employât leurs armes à la Conquête de l'Empire.
11 paroît étonnant qu'avec de fi juftes foupçons, il n'aflemblât point une
Armée pour fa défenfe. Mais on obferve , dans toute fa conduite , qu'il
fe fioit beaucoup aux artifices de fa Politique , & que fon efpérance étoit en-
core de rompre l'union qui pouvoit fe former entre les Elpagnols & les
Tlafcalans. C'étoit dans cette vue qu'il envoyoit une Ambaflade à Cortez,
fous prétexte de le féliciter de l'heureux fuccès de fes armes , & de l'ex-
horter à traiter fans ménagement leurs Ennemis communs, pour lefquels
il fe flatioit de lui infpirer de la défiance & de la haine, par les plus odieu-
fes peintures de leur mauvaife foi. D'ailleurs, fes Ambafladeurs avoient
ordre de faire de nouvelles inftances au Général étranger , pour lui faire
abandonner le deflein de fe rendre à fa Cour , en lui expliquant , avec des
apparences d'amitié, les raifons qui ne permettoient point à leur Maître de
lui accorder cette liberté. Leurs inftruclions portoient auflTi de reconnoître
la fituation des Tlafcalans ; & s'ils les voyoient portés à la Paix, de faire
naître aflez d'obftacles , au Traité , pour fe donner le tems de l'informer
du fuccès de leur négociation (a).
Cortez les reçut avec d'autant plus de joie & de civilité, que le filence
de ce Monarque commençoit à lui caufer de l'inquiétude. Il marqua une
extrême reconnoiflance pour leurs préfens, qui montoient à la valeur de
deux mille marcs d'or. Mais il trouva des prétextes pour différer fa répon-
fe , parce qu'il vouloit qu'avant leur départ ils viflent avec quelle foumiflîon
les Tlafcalans lui demandoient la Paix ; & de leur côté , ils ne demandèrent
point d'être dépêchés , parce que ce délai fembloit favorable à leur Com-
miflion. Cependant, ils ne furent pas long-tems ftns la faire pénétrer, par'
des queftions indifcretes , qui firent connoître toutes les frayeurs de Mote-
zuma, & de quelle importance il étbit, pour le réduire à la raifon, de con-
dure avec les Tlafcalans.
La R'^publique , qui vouloit perfuader les Efpagnols de la fincérité de fes
intentions , envoya ordre , à toutes les Bourgades voifines du Camp , d'y
porter des vivres , fans payement & fans échange. L'abondance y régna
auffi-tôt; & les Payfans du Canton pouflerent la fidélité jufqu'à refufer les
moindres recompenles. Deux jours après, on découvrit 1 fur le chemin
de la Ville , un gros d'Indiens qui s'approchoient avec toutes les marques
de la Paix. Cortez ordonna que le Fort leur fût ouvert, fans aucune appa-
rence de foupçon. Il fe fit accompagner, pour les recevoir, des cinq Am-
bafladeurs Mexiquains , après leur avoir fait entendre , avecnoblefle, qu'il
ne vouloit rien avoir de réfervé pour Ces Amis. Le Chef des Tlafcalans
étoit Xicotencatl même , qui avoit brigué cette Commiflîon , pour achever
de fe rétablir dans l'efprit des Sénateurs, ou peut-être, fuivantla conjeélu-
redeSolis, parce qu'ayant reconnu la nécelfité de la Paix, fon ambition
lui faifoit délirer que la République n'en eût l'obligation qu'à lui. Il avoit,
pour Cortège, cinquante Seigneurs, des plus diftingués, tous dans une
magni-
(«) Solis, uhiftipràt Chap. 21. ^
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EN A M E R I Q U E, Liv. I. 315
magnifique parure. Sa taille étoit au-deflus de la médiocre, affez dégagée,
mais droite & robulle. Il étoit vêtu d'une robbe blanche, qu'il foutenoit
d'un air Cavalier , avec quantité de plumes , & quelques pierreries aflez ga-
lamment diftribuées. Les traits de ion virage , quoique fans proportion ,
formulent une phyfionoinie majeftueufe & guerrière. Après quelques ré-
vérences Indiennes, il s'aflît, fans attendre l'invitation de Cortez; & le
regardant d'un œil ferme , il lui dit , „ qu'il fe reconnoiflbit feul coupable
de toutes les hoftilités qui s'étoient commifes ; qu'il s'étoit imaginé que
les Efpagnols étoient dans les intérêts de Motezuma & des Cuhasy dont
ilïvoitlenom en horreur; mais qu'étant mieux informé, il venoit fe
rendre entre les mains de fes Vainqueurs, & qu'il fouhaitoit de mériter,
par cette foumiflion , le pardon de la République, au nom de laquelle il
fe préfentoit pour demander la Paix , & pour la recevoir aux conditions
qu'il leur plairoit de l'accorder ; qu'il la demandoit une, deux & trois
fois, au nom du Sénat, de la Noblefle & du Peuple, & qu'il fupplioit
le Général d'honorer leur Ville de fapréfence; qu'il y trouveroit des
Logemens pour toute fon Armée ; que jamais les TIafcalans n'avoient été
forcés d'en ouvrir les Portes ; qu'ils menoient, dans ces Montagnes , une
vie pauvre & laborieufe, uniquement jaloux de leur liberté; mais que
l'expérience leur ayant fait connoître la valeur des Efpagnols, ils ne
vouloient pas tenter plus long-tems la fortune ; & qu'ils leur deman-
doient feulement en grâce d'épargner leurs Dieux, leurs Enfans & leurs
Femmes (ô)".
Cortez, dans l'eftime qu'il avoit naturellement pour la grandeur d'ame,
fut fi touché de la noblefle de ce difcours & de l'air libre & guerrier de Xi-
cotencatl, qu'après l'avoir témoigné aux Affiftans , il voulut que Marina fît
la même déclaration à ce brave Indien, autant pour fe l'attacher, par cette
marque de confidération , que pour l'empêcher de croire que l'accueil ,
qu'on lui faifoit, vînt de quelque autre ménagement. Enfuite, reprenant
un air févère, il lui fit des reproches fort vifs de l'obftination avec laquelle
il avoit entrepris'de réfifter à fes armes; il exagéra la grandeur du crime,
pour faire valoir celle du pardon; & promettant enfin la Paix, fans aucu-
ne réferve, il ajouta que lorfqu'il jugeroit à propos d'aller à.Tlafcala, il
en donneroit ayis aux Sénateurs. Ce retardement parut affliger Xicoten-
eatl, qui le regarda comme un refte de défiance, ou comme un prétexte
pour mettre la bonne foi des TIafcalans à l'épreuve. 11 fe hâta de répon-
dre, que lui, qui étoit le Général, & la principale Noblefle de la Nation,
dont il étoit accompagné, s'offroient à demeurer Prifonniers entre les
mains des Efpagnols , pendant tout le tems qu'ils voudroient pafl^er dans la
Ville. Cortez, quoique fort fatisfait de cette offre, aflTefta de la rejette/
par une générofité fupérieure. .11 fit dire, au Général Indien, que les Es-
pagnols n'avoient pas plus befoin d'Otages, pour entrer dans fa Ville, qu'ils
n'en avoient eu pour fe maintenir dans le Pays des TIafcalans au milieu de
leurs nombreufes Armées; qu'on pouvoit s'alfurer de la Paix fur fa parole,
& qu'il iroit à la Ville aufli-tôt qu'il auroit dépéché des Ambalîadeurs , que
Mo-
(t) Hcrrera, Cbap. 10. Solis, Chap. 21.
Rr a
F R R N A K »
C o R T 1: a.
1519-
Sa figure !i
fon habillC'
ment.
Son dif-
cours à Cor-
tez.
Cortez cher*
che à fe l'at-
tacher.
Comment
il fe conduit
à l'égard du
Sénat.
Fbrnand
CORTEZ.
15 19.
La Paix eft
Çubliée â
'lafcala.
Chagrin
qu'elle caule
aux Mexi-
«inains.
Prëfens que
Cottez reçoit
de leur Cour.
(;^uelles con-
ditions Mote-
zuma lui fait
propofer.
316 PREMIERS VOYAGES
Motezuma lui avoit envoyés. Ce difcoiirs , que fon habileté lui fit lâcher
comme fans deflein, eut le pouvoir d'échauffer également les Minières
des deux Nations. Xicotencatl fe hâta de retourner à Tlafcala , où la Paix
fut auffi-tôt publiée avec des réjouiflances fort éclatantes. Les Mexiquains ,
qui demeurèrent dans le Camp , firent d'abord quelques railleries fur le
Traité & fur le caraftère ^e ceux qui le propofoient. Enfuite, feignant
d'admirer la facilité des Efpagnols, ils pouffèrent l'artifice jufqu'à dire à
Cortez qu'ils le plaignoient de ne pas mieux connoître les Tlafcalans, Na-
tion perfide, qui fe maintenoit moins par la force des armes que par la ru-
fe, oc qui ne penfoit qu'à le tromper par de fauffes apparences, pour le
perdre avec tous fes Soldats. Mais lorfqu'il leur eut répondu qu'il ne crai-
gnoit pas plus la trahifon que la violence , que fa parole étoit une loi fa-
crée, & que la Paix d'ailleurs étant l'objet de fes armes, il ne pouvoit la
refufer à ceux qui la demandoient, ils tombèrent dans une profonde rêve-
rie, dont ils ne fortirent que pour le fupplier de diflférerde fix jours fon
entrée dans Tlafcala. Cortez paroiffant furpris de cette demande, ils lui
avouèrent que, dans la fuppofition de la Paix, ils avoient ordre d'en don-
ner avis à l'Empereur avant qu'elle fût conclue, & d'attendre fes ordres
pour s'expliquer davantage. L'habile Efpagnol leur accorda volontiers
cette grâce, non-feulement parce qu'il vouloit conferver des égards pour
Motezuma , mais parce qu'il demeura perfuadé qu'elle pourroit fervir à le-
ver les difficultés que ce Prince faifoit de fe laiffer voir (<:).
Les Députés revinrent, le fixième jour, accompagnés de fix autres
Seigneurs de la Cour Impériale, qui apportoient de nouveaux préfens à
Cortez. Ils lui dirent que l'Empereur du Mexique defiroit avec paffio'
d'o Jtenir l'alliance & l'amitié du grand Monarque des Efpagnols , dont ja
Majefté paroiffoit avec tant d'éclat dans la valeur de fes Sujets, & que ce
deflein le portoit à partager avec lui fes immenfes richeffes ; qu'il s'enga-
geoit à lui payer un Tribut annuel, parce qu'il le révéroit comme le Fil»
du Soleil, ou du moins comme le Seigneur des heureufes Régions, où les
Mexiquains voyoient naître la lumière; mais que ce Traité devoit être pré-
cédé de deux conditions : la première , que les Efpagnols ne formaflent
aucune Alliance avec la République de Tlafcala , puifqu'il n'étoit pas rai-
fonnable qu'ayant tant d'obligation à la générolîté de l'Empereur, ils prif-
fent parti pour ies Ennemis j la féconde , qu'ils achevaffent de fe perfuader
que le deflein, qu'ils avoient d'aller à Mexico, étoit contraire aux Loix
de fa Religion , qui ne permettoient pas , au Souverain , de fe laifler voir
à des Etrangers; qu'ils dévoient confidérer les périls, dans lefquels l'une
ou l'autre de ces entreprifes ne manqueroit pas de les engager; que les
Tlafcalans, nourris dans l'habitude de la trahifcn & du brigandage, ne
cherchoient qu'à leur infpirer une fauffe confiance, pour trouver l'occafion
de fe vanger , & pour fe faifir des riches préfens qu'il avoit faits à Cortez ;
& que les Mexiquains étoient fi jaloux de l'obfervation de leurs Loix, &
d'ailleurs fi farouches , que toute l'autorité de l'Empereur ne feroit pas ca-
pable d'arrêter leurs emportemens: (^ue par cgnféquent les Efpagnols , a^
près
(c) Solis, ibidem.
EN A M E R I Q U E, Li V. I. 317
près avoir été tant de fois avertis du danger, ne pourroient fe plaindre
avec juftice de ce qu'ils auroient à foufFrir.
CoRTEZ fe trouva fort loin de fes efpérances. Il comprit plus que ja-
mais que Motezuma le regardoit avec toute l'horreur que fes funeftes pré-
fages lui avoitnt infpirée pour les Etrangers, & qu'en feignant d'obéir à
fes Dieux, il fe faifoit une religion de fa crainte. Cependant, il diffimu-
la fon cliagrin, pour répondre froidement, aux nouveaux Ambafladeurs,
qu'après les fatigues de leur Voyage, il vouloit leur lailTer prendre un peu
de repos, & quil ne tarderoit point à les congédier. Son deflein étoit de
les rendre témoins de fon Traité avec les Tlafcalans , & de fufpendre fes
dernières explications, pour ôter, à Motezuma, le tems d'aflembler une
Armée. On étoit bien informé qu'il n'avoit point encore fait de prépara-
tifs pour la Guerre.
Cependant les délais affeftés de Cortez caufoient beaucoup d'inquiétude
au Sénat Tlafcalan , qui croyoit ne les pouvoir attribuer qu'aux intrigues
des Ambafladeurs Mexiquains. Les Sénateurs prirent la réfolution de fe
rendre au Camp des Kfpagnols, pour les copvaincre de leur affeétion , &
de ne pas retourner dans leur Ville fans avoir déconcerté toutes les négo-
ciations de Motezuma. Ils partirent , avec une nombreufe fuite & des or-
nemens, dont la couleur annonçoit la Paix. Chacun étoit porté dans une
forte de litière , fur les épaules des Miniflres inférieurs. Magifcatzin , qui
avoit toujours opiné en faveur des Etrangers, étoit à la tête, avec le Pè-
re de XicotencatI , vénérable Vieillard , que fon grand âge avoit privé de
l'ufage des yeux, fans avoir afFoibli fon efprit, qui faifoit encore refpeéler
fon fentiment dans les délibérations. Ils s'arrêtèrent à quelques pas du
Logement de Cortez; & le vieil Aveugle, étant entré le premier, fe fit
placer proche de lai, âcTembrafla d'abord avec une familiarité noble & dé-
cente. Enfuite , il lui pafla la main fur le vifage & fur différentes parties
du corps, comme s'il eût cherché à connoître fa figure , par le fens du tou-
cher, au défaut de fes yeux, qui ne pouvoient lui rendre cet office. Cor-
tez fit aflicoir autour de lui tous les Sénateurs , & reçut , dans cette fitua-
tion , un nouvel hommage de la République par la bouche de fes Chefs.
Leur difcours fut adroit oc preflant (rf). Solis reproche, comme une in-
jufti-
• ■ ' ,j. . 1,' '.'.'' >■■ f ' '■■ ■• •" ' •'''■'''
{d) Ce fut l'Aveugle même qui "parla,
dit-on, à-pcu-près dans ces termes; , Gé-
j, nércux Cupftaine , foit que tu fois , ou
„ non, de la race des Immortels, tu asmain-
„ tenant, dans ton pouvoir, le Sénat de Tlaf-
„ cala, qui vient te rendre ce dernier té-
„ moignage de fon obéiflance. Nous ne ve-
„ nons point excufer les fautes de nôtre Na-
„ tion , mais feulement nous en charger,
„ avec l'efpérancc d'appaifer ta colère par
,., nôtre fincerité C'cR nous qui avions ré-
„ folu de te faire la Guerre ; mais c'efl nous
„ aufli qui avons conclu de te demander la
„ Paix. Nous n'ignorons point que Mote-
;„ 2uma s'eiForce de te détourner de nôtre
Fernaiîd
Cortez.
1519-
Cortez fiif-
pend fa ré
ponfc.
Il etlprefTé
de fe rendre
à Tkifcala.
DéputatioB
u'il reçoit
es princi-
paux Séna-
teurs«
3:
Difcours de
Magifcatzin j
Vieillard a-
veugle.
Il
Rr
Alliance. Ecoute- le comme nôtre Enne-
mi , fi tu ne le confidères pas comme un
Tyran , tel qu'il doit déjà te le paroître ,
puifqu'il te recherche dans le deritin de te
perfuader une injuftice. Nous ne deman-
dons pas que tu nous afiiftes contre lui ;
nos feules forces nous fuffifent contre tout
ce qui ne fera pas toi ; mais nous verrons
avec chagrin que tu prennes confiance i
fes promefles , parce que nous connoiiFons
fes artifices. Au moment que je te parle ,
il s'offre à moi, malgré mon aveuglement,
certaines lumières , qui me découvrent de
loin le péril où tu t'engages. Tu nous as
offert la Faix , fi Motezuma ne te retient.
3 „ Pour»
FBRNANn
CORTEZ.
1519-
S18 PREMIERS VOYAGES
jullicc, à quelques Ecrivains étrangers , peu affeftionnés . dit-il, à fa Na-
■ d'avoir repréfenté ces Indiens comme des Bêtes dépourvues de rai-
Girtez mar-
che vers
Tlafcala,
Marques de
joye qu'on
lui donne fur
fa route.
Son entrée
«l:;ns Tlal'cala.
Defcription
de cette Ville.
tion,
fon, dans la vue de rabbaiffer les conquêtes de l'Efpagne. Il ajoute qu'à la
vérité ils admiroicnt des Hommes , qui leur paroiiToient aifez difFérens
d'eux , pour les croire d'une autre efpèce. Ils regardoient leur barbe com-
me une fingularité merveilleufe, parce qu'ils n'en avoient pas eux-mêmes.
Ils prenoienc les armes à feu pour des foudres, & les Chevaux pour de re-
doutables Monflres. Ils donnoient de l'or pour du verre. Mais leur éton*
nemcnt ne venoit que de la nouveauté de ces fpc6lacles, & ne doit pas fai-
re juger plus mal de leur raifon. L'admiration fuppofe l'ignorance, mais
elle ne prouve point l'incapacité.
Cor TEZ ne put réfifter à des foumiffions, qiii portoient un caraflère de
bonne-foi fi peu fufpeft. Après avoir fait une réponfe favorable aux Séna-
teurs, il exigea feulement qu'ils lui envoyaflent des Indiens, pour la con-
duite de l'Artilierie & le tranfport du Bagage. Dés le jour fuivant, on vit
arriver, à la porte du Fort, cinq censTamenes, qui fe difputérent entr'eux
l'honneur de portei* les plus pefans fardeaux. Aufli tôt Cortez fit difpofer
tout pour la marche. On forma les Bataillons , & l'Armée prit le chemin
de Tlafcala , avec l'ordre & les précautions qu'elle obfervoit dans les plus
grands dangers ; fur quoi les Hift:oriens remarquent que la meilleure partie
des profperités de Cortez étoit due à l'exaélitude de la difcipKne , dont il
ne fe relâcha jamais. La Campagne fe trouva couverte d'une multitude in-
nombrable d'Indiens. Leurs cris & leurs applaudifiTemens diiferoient peu
des menaces qu'ils employoient dans les Combats; mais les Efpagnols a-
voient été prévenus fur ces témoignages de joye, qui étoient en ufage dans
les plus grandes Fêtes du Pays. Le Sénat vint au-devant d'eux , efcorté
de toute la Noblefl^e. A l'entrée de la Ville , les acclamations redoublè-
rent avec un nouveau bruit d'inftrumens barbares , qui fe mêlèrent à la voix
du Peuple. Les Femmes jettoient des âeurs fur les Hôtes; & les Sacrifi-
cateurs, revêtus des habits de leur miniflère, les attendoient au paflage,
avec des brafiers de copal , dont ils dirigeoient vers eux la fumée. Ils trou-
vèrent des logemens, fournis de toutes fortes de commodités, dans un fpa-
cieux Edifice, où l'on entroit par trois grands portiques, & qui contenoic
tant d'apparten 2ns , que toute l'Armée y fut logée fans embarras. Cortez
avoit amené les Ambaifadeurs Mexiquains, malgré leur réfiflance./ Il leur
fit donner un appartement prés du lien, pour les mettre à couvert fous fa
proteftion (e). Tlafcala étoit alors une Ville fort peuplée, bâtie fur qua-
tre éminences, qui s'étendoient de l'Eft au Couchant, & qui avoient l'ap-
parence de quatre Citadelles, avec des rues de communication , bordées de
murs fort épais , qui formaient l'enceinte de la Place. Ces quatre parties
••• -: -, étoient
„ Il n'y a point de milieu, pour nous, en-
„ tre la néceffité d'être tes Amis ou tes Ef-
„ claves ". Solis, ibid.
( e ) Herrera met l'entrée de Cortez dans
Tlafcala au i8 de Septembre; & Solis , apràs
Diaz , au 23.
' * ■ r
„ Pourquoi te retient-il ? Pourquoi te refu-
„ fes-tu à nos prières? Pourquoi ne veux- tu
,, pas honorer nôtre Ville de ta préfence ?
„ Nous venons réfolus d'obtenir ton amitié
,, & ta confiance, ou de mettre entre tes
„ mains nôtre liberté. Choifis, de ces deux
„ partis , celui qui te fera le plus agréable.
tcz dans
s . après
EN A M E R I Q U E, Liv. I. giP
ëtoient gouvernées par autant de Caciques, defcendus des premiers Fon-
dateurs , mais fournis néanmoins à l'Ademblce du Sén:it , où ils avoient
droit d'aflifter, & dont ils recevoient les ordres pour tout ce qui concer-
noit le bien public. Les Maifons étoient d'une hauteur médiocre, «5c d'un
feul étage. Klles étoient de pierre & de brique , avec des terraflls & des
coridors au lieu de toît. La plupart des rues étoient étroites & tortueu-
fes, fuivant les différentes formes des Montagnes. Enfin, l'Architeélure,
aulîî bifarre que la fituation, faifoit juger qu'on avoit eu moins d'égard à la
commodité des Habitans qu'à leur fureté.
La Province entière, dans une circonférence de cinquante lieues, qui
en avoit dix de longueur, de l'Efl: à l'Oueft, fur quatre de largeur, du
Nord au Sud , n'offroit qu'un Pays inégal & montueux , mais fertile néan-
moins, & foigneufement cultivé. Il étoit borné, de tous côtés, par des
Provinces de l'Empire du Mexique, à l'exception du Nord, où fes limites
étoient reflerrées par la grande Cordelière, dont les Montagnes, prefqu'in-
accelTibles , lui donnoient communication avec les Otomies , les Totona-
ques & d'autres Nations barbares. 11 s'y trouvoit quantité de Bourgs &
de Villages fort peuplés. Le Pays abondoit en Maïs ; d'où la Province ti-
roit le nom de Tlafcaia, qui fignifie Terre de, tain. On n'admiroit pas
moins l'excellence & la variété de Ïqs fruits , & l'abondance de fes Ani-
maux , fauvages & domefliques. Elle produifoic auiïl quantité de Coche-
nille, qui efl; encore une de fes plus grandes richeffes, & dont Solis aflure
que fes Peuples ne connoiflbient pas l'ufage avant l'arrivée desEfpagnols(/^."
Mais ces avantages de la Nature étoient balancés par de grandes incommo-
dités. Le voifmage des Montagnes expofoit la Province à de furieufes
tempêtes , à des ouragans terribles , & fouvent aux inondations d'une Ri-
vière, nommée Zahual^ dont les eaux s'élevoient jufqu'au fommet des Col-
lines. On leur attribue la propriété de caufer la galle à ceux qui en boivent
& qui s'y baignent (g). Le défaut de fel étoit une autre difgrace pour
les Tlafcalans ; non qu'ils n'en puffent tirer des Provinces de l'Empire , en
échange pour leurs grains; mais, dans leurs idées d'indépendance, ils ai-
moient mieux fe priver, de ce fecours , que d'entretenir le moindre com-
merce avec leurs Ennemis (A). Une politique de cette nature, & d'autres
remarques , qui firent connoître à Cortez le caraftère extraordinaire de cet-
te Nation , ne lui caufèrent pas moins d'inquiétude que de furprife. H
diffimula fes foupçons ; mais il faifoit faire une garde exafte autour de fon
logemen^tj & jamais il n'en fortoit, fans être efcorté d'une partie de fes
gens , avec leurs armes à feu. Il ne leur permettoit d'aller à la Ville qu'en
troupe nombreufe, toujours avec les mêmes précautions. Les Indiens s'af-
fligèrent de cette défiance, & le Sénat en fit des plaintes. Il répondit qu'il
, connoiflbit la bonne foi des Tlafcalans ; & qu'ils dévoient avoir la même
opinion de la Tienne,' mais que l'exaftitude des Gardes étoit un ufage de
l'Europe , où les Soldats faifoient les exercices de la Guerre au milieu de la
Paix, pour conferver l'habitude de la vigilance & de la foumiflîon ; & que
les
Imc R » A N o
C O R T F, Z.
I5I9.
Etat du Pays.
Ce qu'elle
produifoit à
fes Habitans.
Eaux quî'
caufent la gal-
le.
Difette do-
fel.
Ordre que
Cortez mec
dans fou
quartierfc
(/) Solis, Liv. 3.
Juprà, Chap. 14,
Cbap. 3. Herrera, uU
(e) Solis, uhijupiii,
(0) Ibidem,
320
PREMIERS VOYAGES
FnRNAwn
C u n T E z.
1519-
I! fo fait
■niincr des
'l'Iafcuianj.
Difcours
d'un Sénateur
lur la Ri:li-
gion des Caf-
tillans.
Cortez peri'
fc à détruire
les Idoles.
les armes, qu'ils portoient fanscefle, étoient une marque honorable, qui
diftinguoic leur profelîîon. Les Sénateurs parurent fatisfaits de cette rai-
Ion; & XicotencatI, naturellement guerrier, prit tant de goût pour la
méthode fCfpagnole, qu'il entreprit d'introduire les mêmes rfages parmi
k's Troupes de la République (i). Cet éclaircilTement, ayant fait cefler
les allarmes des TIafcalans, Cortez, qui fentit ce qu'il avoit à fe promet-
tre d'une Nation fi prudente & fi guerrière, n'épargna rien, pour fc les
attacher par l'eftime & l'affeftion. Il fit entrer tous fes Soldats dans les
mêmes vues , & le fuccés de cette conduite répondit bientôt à Tes efpéran-
ces. Chaque jour lui en donnoit des preuves , par les civilités (Se les pré*
fens qu'il recevoit de toutes les Villes & des autres Places de la Républi-
que. Le Sénat ne parut point mécontent, que la plus belle Salle du Lo-
gement des Elpagnols eût été defl:inée à fisrvir d'Eglife. Ils y élevèrent
un Autel, où les faints Myfl:ères étoient célébrés à la vue des principaux
Indiens, qui obfervoient refpe^ueufement les cérémonies. Un des plus
vieux Sénateurs demanda un jour à Cortez, s'il étoit mortel? „ Vos ac-
„ lions, lui dit -il, paroifi*ent fijrnaturelles. Elles ont ce caraftère de
„ grandeur & de bonté que nous attribuons à nos Dieux. Mais nous ne
„ comprenons pas ces cérémonies , par lefquelles il femble que vous ren-
„ diez hommage à une Divinité fiipérieure. L'appareil efl: cl'un Sacrifice :
„ cependant nous ne voyons pas de Viftimcs ni d'Offrandes". Cortez
avoua que lui & Tes Soldats étoient des Hommes mortels ; mais il ajouta
qu'étant nés fous un meilleur climat , ils avoient beaucoup plus d'efprit &
de force que les autres Hommes : & prenant occafion de cette ouverture
pour fonder les difpofitions des TIafcalans , par celle du Sénateur , il lui
dit adroitement ^ue non-feulement les Efpagnols reconnoiflToient un Supé-
rieur au Ciel , mais qu'ils faifoienc gloire aufil d'être les Sujets du plus grand
Prince de la Terre, à qui les Peuples de TIafcala obéiflbient maintenant,
puifqu'étant les Frères des Efpagnols ils étoient obligés de reconnoître le
même Souverain. Le Sénateur & ceux qui l'accompagnoient ne marquè-
rent point d'éloignement pour devenir VaflTaux de l'Elpagne , à condition
d'être protégés contre les violences de Motezuma ; mais ils parurent peu
difpofés à renoncer à leurs erreurs. Ils répondirent que le Dieu des Ef-
pagnols étoit très grand , & peut-être au-deflus des leurs; mais que cha-
que Pays devoit avoir les fiens; que leur République avoit befoin d'un
Dieu contre les tempêtes, d'un autre contre les déluges qui ravageoient
leurs moiflbns, d'un autre pour les afllfl:er à la Guerre, & de même pour
les autres néceflités , parcequ'il étoit impofllble qu'un feul Dieu fût capable
de fuffire à tant de foins. Là-deflus , Cortez ayant chargé un de fes deux
Aumôniers de combattre ces malheureufes préventions, ils l'écoutèrent
avec afiez de complaifance ; mais lorfqu'il eut ceflTé de parler, ils priè-
rent le Général, avec beaucoup d'empreflTement, de ne pas permettre que
cet entretien fur la Religion fe répandît hors de fon Quartier, parceque
fi leurs Dieux en étoient informés, ils appelleroient les tempêtes, pour
ruiner entièrement la Province. Cortez, dans le tranfporc de fon zèle , mé-
ditoic
( i ) Ibidem, ■ ■', -
EN A M E R I Q U E, Liv. I. 321
ditoit déjà de faire brifer les Idoles. Il fembloit fe fier au fuccés que la
même entreprifc avoit eu dans Zampoala. Mais l'Aumônier lui repréfenta
que la Ville, où il fe trouvoit, étoit incomparablement plus peuplée, & la
Nation plus guerrière; que la violence d'ailleurs ne s'accordoit pas avec ks
maximes de l'Kvangile, & qu'avant aue d'introduire le vrai Culte, il fal-
loit penfer à le rendre aimable, par des in(lru6lions & des exemples (/t).
Cependant les repréfentations du Général convainquirent le Sénat, que les
Sacrifices du fang humain étoient contraires aux Loix' de la Nature. Elles
€urent le crédit de les faire cefler. On délivra quantité de miférabl es Cap-
tifs, qui étoient deftinés à fervir de Viftimes aux jours des plus grandes
Fêtes, Les Prifons, ou plutôt les Cages où ils étoient engraifl'és, furent
brifées en plein jour, fans aucun ménagement pour les Prêtres, qui fe vi-
rent forcés d'étouffer leurs murmures ( /).
Après avoir. donné Tes premiers foins à ces importantes occupations,
Cortez fe crut obligé de congédier les AmbalFadeurs Mexiquains , qu'il n'a-
voit retenus que pour les rendre témoins de fon triomphe. Sa réponfe avoit
été différée jufqu'alors. Il leur fit déclarer, en fa préfence, par la bouche
de Marina, qu'ils pouvoient rapporter, à l'Empereur, ce qui s'étoit paffé
devant leurs yeux , c'eft-à-dire , l'empreffement des Tlafcalans à demander
la Paix , qu'ils avoient méritée par leurs foumiffions , & la bonne foi mu-
tuelle avec laquelle elle étoit obfervée; que ces Peuples étoient maintenant
dans fa dépendance, & qu'avec le pouvoir, qu'il avoit fur eux, il efpéroit
les faire rentrer fous l'obeiffance de l'Empire ; que c'étoit un des motifs de
fon Voyage, entre quelques autres d'une plus haute importance, qui l'obli-
geoient de continuer fa route & d'aller folliciter de plus près la bonté de
Motezuma, pour mériter enfuite fon alliance & fes faveurs. Les Ambaffa-
deurs comprirent le fens de ce difcours , & partirent avec les marques d'un
vif chagrin, fous l'efcorte de quelques Efpagnols, qui les conduilîrent juf-
qu'aux Terres de l'Empire. Leur départ fut fuivi de l'arrivée d'un grand
nombre de Députés des principales Places de la Province. Ils venoient
rendre leurs foumiflions à l'Efpagne, entre les mains de Cortez, qui en fit
dreffer des A6les formels au nom du Roi Charles ( w ).
Il arriva, dans le même tems, un accident qui furprit les Efpagnols, &
qui caufa beaucoup d'épouvante aux Indiens , mais que l'habileté de Cortez
fit tourner à l'avantage de fes entreprifes. De l'éminence où la Ville de
Tlaf-
FlRN AND
C O K T li Z.
Raifonsqui
l'arrOtetu.
II délivre
les V'i(?tinics
iluflinécs aux
Sacrifices.
Il congédie
les Ambanb-
deiirs Mexi-
quains.
Ils parten'.
incinc con-
tons.
Volcan qui
fe forme près
de Tlafcala.
(k) Sofis, ibidem.'
(/) Tous les Hilloriens Efpagnols rappor-
tent, fans aucune marque de doute, que Cor-
tez, ayant fait planter , proche de la Ville,
une grande Croix, le jour de fon entrée,
une nuée miraculeufe defcendit du Ciel, &
baiffa infenfiblcment, jufqu'àce qu'ayant pris
la forme d'une Colomne, clic s'arrêta per-
pendiculairement fur la Croix -î^^'elle s'y
foutint pendant l'efpace de trois ou quatre
ans ; qu'il en fortoit une lumière douce , qui
n'étoit point afFoiblie pat les ténèbres de la
. XFIII. Fart.
nuit; que ce prodige effraya d'abord les In-
diens , mais quVtant revenus de leur crain-
te, ils le regardèrent comme une marque de
la protcftion du Ciel en faveur des Efpa-
gnols , & qu'ils s'accoutumèrent à rendre du
refpecl à la Croix. 11 dura, fuivant Solis ,
jufqu'à la convcrfion de la Province, tibi
fuprà , Chap. 4. Hcrrera dit , jufqu'à la
pacification de tout le Pays, ubi fuprà ^ Ch.
14.
(îtt) Solis , ibidem, ;
S S " ■ —
Opinion des
Indiens , fur
ce l'iiénumd:-
Dici^oii'Or
^;v/. vilitc le
Viilcun.
Sfl» PREMIERS VOYAGES
Pernand Tlafcala efl fmiée» on découvre, à la dirtance de huit liciics, le fommet
^'^^^ d'une Montagne qui s'tMévc beaucoup auilcllus de toutes ks autres. 11 en
^5^9- fortit, tout-d'uncoup, des tourbillons de fumée, qui montoicnt en l'air
avec beaucoup de rapidité, lans céder à l'impetuolité des vents, julqu'à
ce qu'ayant perdu leur force, ils fe diviloieiit , pour former des nuce» plus
ou moins obfcures, fuivant la quantité de cendres & de vapeurs qu'elles
avoient entraînée. Hientôt ces tourbillons parurent mêlés de llammes, ou
• de globes de feu, qui fe léparoient, dans leur agitation, en une infinité
d'éiincelles. Les Indiens n'avoient pas marqué de crainte à la vue de la
fumée. Ce fpeftacle n'étoit pas nouveau pour eux. Mais les ilammes ré-
pandirent une horrible frayeur dans la Nation. Klle fe crue menacée de
quelque redoutable événement. Les principaux Sénateurs parurent per-
fuadés que c'étoient les Ames des Méchans, qui fortoient pour chiiiier les
liabitans de la Terre ; & cette opinion, qui renfermoit du moins quel-
qu'iuée de l'immortalité de l'ame, fut une occafion , pourCortez, de leur
infpirer les efpérances & les craintes qui convenoient à Tes grandes vue».
Pendant que toute la Nation étoit confternée, Diego d'Ordaz demanda la
pernulTion d'aller reconnoître de plus nrès ce Volcan. Une proportion il
hardie fit trembler les Indiens. Ils s'efforcèrent de lui faire perdre un def-
fein , dont ils lui repréfentèrent tous les dangers. Jamais les plus braves
Tla^calans n'avoient ofé s'approcher du fommet de la Montagne. On y
entendoit quelquefois des^ mugUleniens effroyables. Mais les difl^cultés
ne faifant qu'animer d'Ordaz, il obtint facilement la permifllon de Cor-
tez , qui s'applaudit de pouvoir faire connoître , à Tes nouveaux Al-
liés , qu'il n'y avoit point d'obftacles inllirmontables pour la valeur des
El'pagnols.
D'Okdaz partit, avec deux Soldats de fa Compagnie, & quelques In-
diens , qui ne refufèrent pas de le conduire jufqu'au pied de la Montagne,
après lui avoir déclaré qu'ils s'afîligeoient d'avoir été choifis pour être les
témoins de fa mort. La première partie de la Côte eil un Pays charmant,
revêtu des plus beaux Arbres du Monde, qui forment un délicieux om-
brage: mais on ne trouve, au-delà, qu'un lerrein ftérile, & couvert de
cendre , que roppo(ition de la fumée fait paroître auffi blanche que la nei-
ge. Les Indiens s'étant arrêtés dans ce lieu, d'Ordaz continua de monter
courageufement avec fes deux Efpagnols. Ils eurent befoin de s'aider au-
tant des mains que des pieds. julq;iau fommet de la Montagne. En ap-
prochant de l'ouverture, ils.fcntireit que la terre trembloit lous eux , par
de violentes fecouffes Bientôt ils entendirent les mugiffemens qu'on leur
avoit annoncés , & qui furent fuiviii immédiatement d'un tourbillon , ac-
compagné d'un bruit encore plus hyrrible, & de flammes enveloppées de
cendres & d'une affreufS fumée. (Quoique le tourbillon fût forti ii rapide-
ment qu'il n'avoit pas échauffé l'air, il s'étendit en parvenant à fa hauteur,
& répandit, furies trois Avanturiers, une pluye de cendres, fi épaiffe &
fi chaude, qu'ils furent obliges de fe mettre à «ouvert fous un rocher, où
ils perdirent quelque tems la refpiration. Cepuftdant, lorfque le tremble-
ment eut celle , à que la fumée fut devenue moins épaifle , d'Ordaz , ani-
mant fes Compagnons , acheva de monter jufqu'à la bouche du Volcan.
Récit de fa
voûte (!i de
Ces oblcrva-
■^
EN A M E R I Q U K, Li V. I.
>av
Il remarqua, au fotid do cette ouverture, une grande maffe de feu,,qui lui
parut s'élever en bouillons, comme une matière liquitle & forl brillante.-
La circonférence de cette horrible boucne, qui occupoit prefque tput le.
fominet de la Montagne, n'avoit pas moins d'un quart de liLue. DOrdàii'
revint tranquillement après ces oblervations, & fa hardielTe fit Tétonne-
ment de tous les Indiens. Klle n'avoit palFt d'abord , 'aux yeux de Cortez ^
que pour unecuriofité bifarre Ck tcmcraire; mais il en reçut , dans.la ftii-
te, un fruit plus conlidérable que l'admiration des Tlalealans. Quelqi;it'
tems après, manquant de poudre dans une des plus importantes- circorifi;anV
ces de fon Expédition , il fe relfouvint de ces bouillons de matière liqui-
de & cnllamniée, que d'Ordaz avoit obfervés au fond du Volcan; &
fes gens en tirèrent aflez d'excellent foufre, pour la munitipn, de toute
l'Armée («).
Les Efpagnols pafTèrent vingt jours à Tlafcala , qui furentautant de
Fêtes, pendant lefquelles ils ne reçurent que de nouveaux témoignages de.
la fidélité des llabitans. Enfin, Cortez ayant marqué le jour de Ion de-
part, on lui fit naître quelques diificultés fur le chemin qu'il dévoie tenir.
Son inclination le portoit à prendre celui de Cholula, grande Ville fort pLU-
plée, qui n'étoit quà cinq lieues de 'l'Iafcala, & Capitale d'une autre Rév
publique, avec laquelle Motezuma vivoit en fî bonne intelligence, qu'il y
avoit ordinairement fes vieilles Troupes en Quartier ( o ). Mais cette rai-,
fon, qui caufoit le penchant du Général Elpagnol, étoit celle, au contrai*
re, que les Tlafcalans faifoient valoir, pour lui confeiller de prendre tou-
te autre route. Ils lui repréfentoient les Cholulans comme une Nation* pef- '
rER.N.A'NO»".»
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duni iii >ruito. ■
fartez fî*- ^
difpolli ;\ lin».
VIO f;i marclïc °
vers la Tout
Imjiciiale. " ••
1 •
fermoit, dans l'enceinte de fes Murs, plus de quatre cens Temples', ,$c-
des Divinités fi bifarres, qu'il étoic dangereux de s'approcher , fanç Jeur
approbation , des lieux qu'elles protegeoienc. Pendant cette irréfolution ,
de nouveaux Ambalîadeurs arrivèreat, avec des préfens , de la part de
Motezuma. Leurs inftruftions ne portoient plus de détourner Cortez du
Voyage du Mexique; mais paroiflint fuppofer qu'il y étoit déterminé, ils,
lui témoignèrent que l'Empereur, ayant jugé qu'il prendroit le chemin» de
Cholula, lui avoit fait préparer un logement dans cette Ville. Les Séna-
teurs Tlafcalans ne doutèrent plus alors qu'on n'y eût drefle quelques em*^
bûches. Cortez , furpris lui-même d'un changement fi peu prévu , ne put»
fe défendre de quelques foupçons. Cependant, comme il croyoit impor-
tant de les déguifer aux Mexiquains, il conclut, avec fon Confeil, quill
ne pouvoit refufer le logement qu'ils lui ofFroient , fans marquer lyie dé^-
'■ • ■ •-«:';'•- '^' -,<■■ ^•: --ri- V ,; . ■ , .40 -^ , ■ , " . fiàn;:
(n) Charles - Quint , informé de l'aftion f>ou, & n'a pas ccflTc de jcttcr, par intcfval-.
de d'Ordaz, & do l'utilité qu'on en avoit los, de la i'uniéc, & doS danîmc!,' So'ii/;>
tirée pour fon forvicc, le réconiponfa par di- ibidem-. Hcrrora ajoute, à to ré.cit, qucd'n.
verfes faveurs , & donna, pour armes, à ce fummet on découvre la Ville de Mexic©.,-
Capitaine, un Volcan. Cette famé ufe Mon ubi J'uprà , Chd\-) 19. ' ' •.■■•••;;•■ /-A.' ■■•
Hgnc aconfcrvé le nom Indien ^k Popocaie- {0) Solis, ubi Jttbr'à', Chap;-^" ' ' ■■ '
Si - • • .•; ',.■■».•■ ■'....
3 2 . .•-.••.
AnibalTa-
deurs de |kIOo
tozuina , qui
entrepren-
nent de le
trompai;
A *'^4-fc'->-. I
. /
' '.' (.
324
PREMIERS V O Y A G E S
Fep.nand
C 0 R T £ Z.
1519.
Hardiefle
avec ]r.quclle
il brave Je
11 fe rend à
Cliolulu.
Ses foup-
çons en ap-
prochant de
cette Ville.
^ Fidélité des
Tlafcalans.
fiance à laquelle ils n'avoient encore donné aucun fondement ; & qu'en la
ruppcfant jufte, loin de s'engager dans de plus grandes entreprifes, en
laiflanc derrière lui des Traîtres, qui pouvoient l'incommoder beaucoup,
il devoit, au contraire, aller droit à Choluia, pour y découvrir leurs def-
feins, & pour donner une nouvelle réputation à fes armes par le châ-
timent de leur perfidie. Les Tlafcalans, qu'il fit entrer dans fcs vues,
lui offrirent le fecours de leurs Troupes, & plufieurs Ecrivains les font
monter à cent mille Hommes; mais il leur déclara qu'il n'avoit pas be-
foin d'une efcorte fi nombreufe ; & pour marquer néanmoins la con-
fiance qu'il avoit à leur amitié, il accepta un Corps de fix mille Hom-
mes (p).
La marche fut paifible, pendant quatre lieues, jufqu'à la vue de Cholu-
ia. Cortez fit faire alte à fon Armée, fur le bord d'une agréable Rivière,
pour ne pas entrer la nuit dans une Ville fi peuplée. A peine eut-il donné
cet ordre, qu'on vit arriver des Ambaffadeurs Cholulans, qui lui appor-
toient diverles fortes de provifions. Leur compliment fe réduifit à excu-
fer leurs Caciques de ne lui avoir pas rendu plutôt ce devoir, parce qu'ils
ne pouvoient entrer dans Tlafcala , dont les Habitans étoient leurs anciens
Ennemis. Ils lui offrirent un logement, qu'on lui avoit préparé dans leur
Ville, avec des témoignages exagérés de lajoye que leurs Citoyens alloient
reffentir, en recevant des Hôtes fi célèbres. Cortez les reçut fans affec-
tation. Le jour fuivant, il continua fa marche. On ne vit fortir perfon-
ne de la Ville, pour le recevoir; & cette remarque commentant à réveil-
ler fes foupçons , il donna ordre à fes gens de fe tenir prêts à combattre.
Mais à peu de diflance des Murs, on vit paroître enfin les Caciques &1es
Sacrificateurs, accompagnés d'un grand nombre d'Indiens desarmés. Cor-
tez s'arrêta pour les laiffer venir jufqu'à lui. Ils donnèrent d'abord des mar-
ques affez naturelles de joye. Cependant, comme on obfervoit leurs moin-
dres aftions, on fut furpris de voir tout- d'un- coup un grand changement
fur leurs vifages, & d'entendre un bruit desagréable, qui fembloit mar-
quer entr'eux quelque altercation. Les Efpagnols redoublèrent leurs pré-
cautions ; & Marina eut ordre de leur demander la caufe de ce mouve-
ment. Ils répondirent qu'ayant appersli des Troupes Tlafcalanes, ils é-
toient obligés de déclarer, au Général étranger, qu'ils ne pouvo-ient re-
cevoir leurs Ennemis au milieu de leurs Murs; & qu'ils le prioient, ou de
les renvoyer dans leur Ville, ou de les faire demeurer à quelque difl:ance,
comme un obftacle à la Paix qu'ils defiroient. Cette demande caufa quel-
que embarras à Cortez. Il y trouvoit une apparence de jurtice, mais peu
de fureté pour lui-même. Cependant il fit efpérer, aux Caciques, qu'on
trouveroit le moyen de les fatisfaire. Ses Capitaines, qu'il aflembla auffi,-
tôt , furent d'avis de faire camper les Tlafcalans hors de la Ville , pour fe
donner le tems de pénétrer les deffeins des Caciques. On leur fit cette
propofition, à laquelle ils confentirent plus facilement qu'on ne l'avoit
efperé.
(p) Bernard Diaz n'en met que deux mil-
le, & Herrera trois mille; mais Cortez, dans
fa courte Relation, en met fîx; & vraifem-
blablement il n'a pas voulu diminuer fa gloi-
re, en faifant fes Troupes plus uombreufes
qu'elles n'étoient.
EN A M E R I Q U E, Liv. I. 325
erperé. Leurs Chefs firent afTurer Cortez qu'ils n'étoient venus que pour re-
cevoir fes ordres, & qu'ils alloient établir, fur le champ, leur Quartier
hors de Cholula; mais qu'ils vouloient demeurer à la vue des Murs, pour
voler au fecours de leurs Amis , puifque les Efpagnols vouloient rilquer
leur vie en la commettant à des l'raîtres. Ce parti fut approuvé des Caci-
ques (q).
L' ENTRÉE des Efpagnols à Cholula fut accompagnée de mille circon-
ftances , qui lui donnèrent l'apparence d'un triomphe. La Ville parut fi
belle aux ECpagno's, qu'ils la comparèrent à Valladolid. Elle étoit fituée
dans une Plaine ouverte. On y comptoit environ vingt mille Habitans,
fans y comprendre ceux des Fauxbourgs, qui écoient en plus grand nom-
bre. Elle étoit fréquentée fans celfe par quantité d'Etrangers, qui s'y ren-
doient de toutes parts, comme au fanftuaire de leur Religion. Les Rues
étoient bien percées; les Maifons plus grandes, & d'une Architefture plus
régulière que celles de Tlafcala. On diftinguoit les Temples par la multi-
tude de leurs Tours. Le logement , qu'on avoit préparé pour les Efpa-
gnols, étoit compofé de plulieurs grandes Maifons , qui fe toachoient, &
où leur premier foin fut de ft fortifier avec les Zampoalans. D'un autre
côté , les Troupes Tlafcalanes avoient pris , à cinq cens pas de la Ville ,
un fort bon Pofte , qu'elles fermèrent de quelques FolTés , avec des Corps-
de-Garde & des Sentinelles, fuivant la méthode dont elles étoient redeva-
bles à l'exemple de leurs nouveaux Alliés. Les premiers jours fe paflerent
aVLC beaucoup de tranquillité. On ne vit, dans les Caciques, que de l'em-
prefTement à faire leur Cour au Général. Les vivres venoient en abon-
dance , & tout fembloit démentir l'idée qu'on s'étoit formée des Cholu-
lans. Cependant, ils n'eurent pas l'adreflTe de cacher long- tems leurs def-
feins. L'abondance des provifions diminua par dégrés. Enfuite les vifi-
tes & les carefifes des Caciques ceflert nt tout-d'un-coup. Dans l'interval-
le, on remarqua que les Ambalfadeurs Mexiquains avoient des Conféren-
ces fecrettes avec les Chefs de la Nation. Il fut même aifé d'obferver,
fur leur vifage, un air de mépris, qui venoit apparemment de la confiance
qu'-.ls avoient au fuccès de leurs complots. Mais , tandis que Cortez ap-
porcoit tous fes foins à pénétrer la vérité, elle fe découvrit d'elle-même,
par un de ces coups du Ciel, qui préviennent toute la diligence des Hom-
mes, & dont les Efpagnols furent fouvent favorifés dans cette expédition.
Une vieille Indienne, d'un rang diflingué, qui avoit lié une amitié fort é-
troite avec Marina , la prit un jour à l'écart. Elle plaignit le miférable
efclavage où elle étoit réduite ; & la preffant de quitter d'odieux Etran-
gers, elle lui offrit un afyle fecret dans fa Maifon. Marina, toujours dé-
vouée à Cortez, feignit d'être retenue par la violence , entre des gens
qu'elle haïflbit. Elle accepta l'offre de l'afyle. Elle prit des mefures pour
fa fuite. Enfin, l'Indienne la crut engagée fi loin, qu'achevant de s'ouvrir
fans ménagement, & lui confeillant de hâter fa réfoluticn, elle lui apprit,
que le jour marqué pour la ruine des Efpagnols n'étoit pas éloigné ; que
l'Era-
(q) Solis, Chap. 5. Herrera dit au contraire qu'il fortit beaucoup de monde pour all«
au-devant des Efpagnols.
Ss 3
Fernand
Cortez.
1519.
Entr(?e de
Cortez dan»
Cholula.
Trahifon
des Habitans.
Comment
ei'ecuJ "ou-
verte par Ma-
rina.
326
PREMIERS VOYAGES
'Fernand
Coûtez.
15 19.
Préparatifs
pour uccabltT
Conduite
de Coïtc<J.
l'Empereur avoit envoyé vingt mille Hommes , qui s'étoient approchés de
la Ville ; qu'on avoic diftribué des armes aux Habitans , amafle des pierres
fur les terrafles des Maifons, & tiré dans les Rues plufieurs tranchées, au
fond defquelles on avoit planté des pieux fort aigus, qu'on avoit couverts
JcsErpagnoIs, de terre llir des appuis légers & fragiles, pour y faire tomber les Chevaux;
que Motezuma vouloit exterminer tous les Efpagnols , mais qu'il avoit or-
donné qu'on en réfervât quelques-uns, pour fatisfaire la curiofité qu'il a-
voit de les voir, & pour en faire un facrifice à Tes Dieux ; enfin , que
pour animer les Habitans de Cholula, par une faveur extraordmaire , il
avoit fait préfent d'un Tambour d'or à la Ville. Marina parut fe réjouir
de ce qu'elle avoit entendu , & loua la^ prudence avec laquelle on a-
voit conduit une fi grande entrepriie. Elle ne demanda qu'un moment,
"pour emporter ce qu'elle avoit de plus précieux. Mais elle en profita
pour avertir Cortez , qui fit arrêter aulfi-iôt l'Indienne; & cette Mal-
heureufe , effrayée ou convaincue , acheva fa confeflion dans les tour-
mens (r).
Deux Soldats Tlafcalans , qui s'étoient déguifés pour entrer .dans la
Ville, arrivèrent preiqu'en même tems au Quartier des Efpagnols; Si. fe
préfentant à Cortez, de la part de leurs Ciiefs, ils l'afllirèrent, que, de
leur Camp, on avoit vu pafler quantité de Femmes & da.meubles , que
les Cholulans envoyoient dans les Villes voifines; ce qui fembloit marquer
quelque deflfein extraordinaire. On apprit d'ailleurs, que, dans un Tem-
ple de la Ville, on avoit facrifié dix Enfans de fun & de l'autre Sexe; cé-
rémonie commune à tous ces Barbares, lorfqu'ils fe préparoient à la Guer-
re. Quelques Zampoalans, qui s'étoient promenés dans la Ville, avoient
découvert auflî plulieurs tranchées , quoiqu'on eut pris le tems de la nuit
pour ce travail. Tant de preuves paroifl'oient lulîïre. Cependant, comme
il étoit important de porter la convi£tion au dernier degré , Cortez fe fit
amener, fous divers prétextes, trois des principaux Sacrificateurs. 11 les
interrogea féparcment , fans avoir fait éclater le moindre foupçon. Dans
l'étonnemcnt qu'ils eurent de s'entendre reprocher leur perfidie, avec un
détail du complot, qui leur fit juger que le Général Efpagnol étoit un Dieu,
& qu'il pcnetroit jufqu'au fond de leurs penfées, ils n ofèrent desavouer la
moindre circonflance; & fe reeonnoiflant coupables, ils rejettèrent leur
crime fur Motezuma, qui avoit drelTé le plan de la confpi ration , & qui
les y avoit engagés par fes ordres. Cortez les mit fous une garde fine.
Enfin , ayant afl^emblé fes Capitaines , il prit avec eux la réiblution de fi-
gnaler fa vengeance par un exemple éclatant.
1 L fit déclarer fur le champ , aux Caciques de la Ville , que fon dcflein
étoit de partir le jour fuivant. Non feulement il leur ôtoit, par cet avis,
le tems de faire de plus grands apprêts, mais les mettant dans la nécJTité
de changer toutes leurs mefures, il leur caufoit un trouble dont il efpéroic
tirer quelque avantage. En même tems il li^ur fie demander dt^s vivres,
pour la fubfiftance de Ces Troupes pendant la marche, des l'amènes pour
le tranfport de Ion Bagage, & deux mille Hommes de Guerre pour l'ac-
. . com-
(;•) Solis, Liv. 3. Chap. 6, .
-â.
EN A M E R I Q U E, Liv. I. 327
compagner, à l'exemple des Tlafcalans & des Zampoalans. Les Caciques Fernaku
firent quelques difficultés fur les vivres & les l'amènes. Ils accordèrent Cortez.
volontiers l'Efcorte militaire, mais par des raifons fore oppolées à celles ^SiP*
qui la fdifoient demander. Cortez avoit en vue de divifer leurs forces, &
d'avoir fous les yeux une partie des Traîtres qu'il vouloit punir; au lieu
que le deflein des Caciques étoit d'introduire des Ennemis couverts parmi
les Efpagnols, pour les déchaîner contr'jux dans l'occafion.
Avant la fin du jour, les Tlafcalans reçurent ordre de pafler la nuit fous Précaution
les armes , & de s'approcher des murs , le lendemain au matin , comme s'ils q"'il picn^l *
ne penfoient qu'à fuivre la marche de l'Armée; mais prêts, lorfqu'ils en- 'Jfif^lJi-j.''^^
tendroient la première décharge, à pénétrer dans la Ville pour fe joindre ^"ilrs! *
au2i Efpagnols. Les Zampoalans eurent aufli leurs inftruftions. Enluite le
Général fit appellcr les Ambufladeurs Mexiquains; & feignant de leur ap-
prendre un îecret, dont il ne doutoit pas qu'ils ne fufleni: bien inflruits ,
il leur dit qu'il avoit découvert une horrible conjuration, qui violoit éga-
lement les Loix de l'hofpitalité , le nœud facré de la Paix , & le refpeft
que les Cholulans dévoient aux intentions de l'Empereur; qu'il devoit cet-
te connoiflance , non-feulement à fa pénétration, mais à l'aveu même des
principaux Conjurés; que pour fe jurtifier , ils s'étoient rendus coupables
d'une lâcheté encore plus énorme, puilqu'ils avoient ôfé dire qu'ils agif-
foient par l'ordre de l'Empereur ; mais qu'un fi grand Prince , ne pouvant
être foupçonné d'un projet fi noir, c'étoit cette railbn même qui le por-
toit à les châtier rigoureufement de l'outrage qu'ils faifoient à leur Maî-
tre. Il ajouta, que des Ambalfadeurs repréfentani; celui qui les avoit en-
voyés, il avoit voulu leur communiquer fon deffein, pour leur en faire
connoître la juflice , & pour les mettre en état de rendre témoignage à
l'Empereur, que les Efpagnols étoient moins offenfés de l'injure qui re-
gardoit leur Nation , que de voir d'indignes Sujets autorifer une trahifon
par le nom de leur Souverain.
Les Mexiquains, faifiifant l'ouverture qui leur étoit préfentée, feigni- II, feignent
rent aflez adroitement d'ignorer la conjuration; tandis que Cortez, ravi d'ignorer la
de les voir donner dans le piège, s'applaudiflbit de puuvoir éviter une '^""'P'^^^''^'^-
Guerre ouverte avec Motezuma, & faire tourner contre lui les propres
rufes. 11 fe perfuada plus que jamais qu'un Ennemi, qui n'ofoit l'attaquer
ouvertement, ne prendroit pas le parti le plus rigoureux; & le fiant à les
mefures , il fit garder étroitement les Ambafladeurs. Cependant on vit Rufc des •
arriver les Tamenes à la pointe du jour, mais en petit nombre, avec fort Conjunî-s.
pvu de vivres. Ils furent fuivis des gens de Guerre, qui ne vinrent qu'à
la file, & pour cacher mieux qu'ils etoient en plus grand nombre quon
ne l'avoit demandé. On apprit , dans la fuite , qu'ils avoient ordre de
charger les Elpagnols au fignal dont ils étoient convenus. Cortez les fit
porter féparcment, en divers endroits de fon Quartier, où ils étoient gar-
dés à vue, fous prétexte que c'étoit fa méthode, lorfqu'il avoit un ordre
de marche à former. Pour lui , montant à Cheval , avec quelques uns de
fes plus braves gens, il fit appellcr les Caciques, pour les informer enfin
de la réfolution. Quelques-uns fe prcfeiuèrcnt, ik d'autres cherchèrenr.
des >
Fernand
C O R T E Z.
1519-
Vengenncc
qiR- Cortcz ti-
re d'eux.
Il attnqiic
â force leurs
'i'roupo? ,
flans les Tcm-
})l»^ de la
Ville.
Bouchorie
qu'il en lait.
La Ville cd
pillée par les
Tlalcaians.
Cortez par-
donne aux
Traîtres , t^
rtitablit 1 or-
dre à Chulu-
la.
32S PREMIERS VOYAGES
des excufes. Marina fut chargée de déclarer , à ceux qui avoient eu la
hardieflc de paroître, que leur trahifon étoit découverte , & qu'ils alloient
apprendi;p qu'il leur auroit été plus avantageux de conferver la Paix. A
peine eut-elle parlé de châtiment, qu'ils fe retirèrent, en donnant à grands
cris le fignal du Combat. Mais Cortez fit tomber aufli-tôt Ton Infanterie,
fur les Cholulans, qui étoient divifés dans fon Quartier. Quoiqu'étant fous
les armes ils Hlfent des efforts extraordinaires pour fe réunir, la plupart fu-
rent taillés en pièces; & ceux qui fe dérobbèrent à la fureur des Èfpagnols,
ne durent leur falut qu'à leurs lances, dont ils fe fervoient a /ec une adrefle
extraordinaire pour fauter par-deflus les murs.
Aussi-tôt qu'on fe fut défait de ces Ennemis inreflins , on donna le fi-
gnal aiixTlafcalans,& l'Infanterie Efpagnole s'avança par la principale rue,
après avoir lailfé une Garde au logement. Quelques Zampoalans eurent
ordre de marchera la tète, pour découvrir les tranchées. Le cri desCa-
ciques avoit déjà produit fon effet; & pendant l'Aélion du Quartier, les
îlibitans avoient introduit dans la Ville le rdte des Troupes Mexiquaines.
Elles s'étoient raffemblées dans une grande Place, bordée de plufieurs Tem-
ples. Une partie avoit occupé les Portiques & les Forts; tandis que le relie,
divifé en plufieurs Bataillons , fe difpofoit à faire face aux Efpagnols. Le
Combat alloit commencer avec les premiers rangs de Cortez, lorfque les
Tlafcalans vinrent tomber fur l'Arrière-garde ennemie. Cette attaque im-
prévue les jetta dans une confternation dont ils ne purent fe relever. Les
Efpagnols couvèrent 11 peu de réfiftance, qu'après avoir tué un grand nom-
bre de ces Miférables, dont la plupart fembloient avoir perdu l'ufage de leurs
mains, &prélentoicnt l'eflomac aux coups, ils forcèrent les autres de fe
réfugier dans les Temples. Cortez, s'approchant en bon ordre du plus
grand de ces Edifices , fit crier à haute voix qu'il accordoit la vie à tous
ceux qui defecndroient pour fe rendre. Mais cet avis ayant été répété inu-
tilement, il lit mettre le feu aux Tours du Temple , & quantité d'Indiens
y furent confumés par les flammes (s). Une fi rigoureufe exécution ne
put vaincre l'obllinarion des autres; & les Iliftoriens admirent qu'il n'y
en eut qu'un feul , qui vint fe rendre volontairement entre les mains des
Efpagnols. Cependant il paroîc que tous les autres Temples & les Maifons
mêmes, où le refl:e de ces Malheureux fe tenoient renfermés, furent atta-
qués aufli par le feu. La Guerre, dit Solis , ceffa fatite d'Ennemis; & les
Tlafcalans profitèrent des circondances pour fe répandre dans la Ville, où
le pillage fut le moindre de leurs excès. Il ajoute que cette horrible journée
ne coûta pas un feul Homme aux Efpagnols.
Cortez retourna dans fon Quartier, avec les Efpagnols & les Zampoa-
lans. 11 en marqua un, dans la Ville, aux Tlafcalans; après quoi, il fit
ren-
(s) Un riiflorien , s'efforçant d'cxcufer
les Efpagiiols, fait, naître des doutes fur la
facilité de mettre le feu à des hâtiniens lî éle-
vés ; & diminuant beaucoup l'incendie, il
fait entendre que Icj linncaiis furent délo-
gés par le fecours do l'Artillerie. Ce qui pa-
rtit eertiin par tous les témoignages, c'eit
(jue le nombre des Morts ne monta qu'à fix
mille. Diaz , Chap. 13. Solis, Cliup. 7.
Ihircra, Liv. 7. Chap. 2 & 3.
EN A M E R I Q U E, Liv. I. 329
rendre la liberté à tous les Prifonniers. Mais il les fit amener fous Tes
yeux, avec les Sacrificateurs qu'il avoit fait arrêter, l'Indienne, qui avoit
découvert la confpiration , & les Ambafladeurs Mexiquains. Il témoigna
un extrême regret de la néceflicé où les Habitans l'avoient mis de les châ-
tier avec tant de rigueur. Il exagéra leur crime, il raflura les efprits par
de meilleures efpérances. Enfin, proteflant que fa juftice étoit fatisfaite
& fa colère appaifée, il accorda un pardon général, qui fut publié avec
beaucoup d'appareil. Les Cacique» reçurent ordre de rappeller les fugitifs,
& de rétablir l'ordre dans la Ville. J^n peu de jours, un efl^royable tumul-
te fut changé en une pleine tranquillité ; fur quoi Solis obferve qu'on ne
connut pas tant la facilité avec laquelle ces Indiens pafl'oient d'une extré-
mité à l'autre ,• que la haute opinion qu'ils avoient conçue des Efpagnols,
puifque les mêmes raifons, dit-il, qui juflifioient lé châtiment de leur fau-
te, firent aflez d'impreflion fur leurs efprits pour leur perfuader qu'on l'avoit
oubliée (t)* 1 . , a 1
Le jour fuivant,on vit arriver Xicotencatl , a la tête de vingt mille Hom-
mes, que la République de Tlafcala envoyoit au fecours des Efpagnols,
fur le premier avis qu'elle avoit reçu de la conjuration. Cortez les remer-
cia vivement de ce zèle. Mais , après leur avoir appris que leur fecours
ne lui étoit plus néceflaire pour la réduûion deCholula, il leur fit com-
prendre que fon deflTein étant de prendre b:;;ntôt le chemin du Mexique ,
il ne vouloit pas réveiller la jaloufie de Motezuma, ni l'obliger de prendre
les armes , en introduifant dans fes Provinces une fi grofl'e Armée. Les
ïlafcalans ne firent pas difficulté de fe retirer , & lui promirent feulement
de fe tenir prêts à marcher au premier ordre. Avant leur départ , il en-
treprit d'établir une amitié fincère entr'eux & les Cholulans. Cette propo-
fition trouva d'abord beaucoup de difficultés; mais elles furent levées en
peu de jours, & l'alliance fut jurée entre les deux Peuples, avec toutes les
cérémonies qui pouvoient la rendre confiante. La politique de Cortez ou-
vroit , par ce Traité , un chemin fibre aux Tlafcalans pour lui conduire tou-
tes fortes de fecours, & lui afTuroit un paflàge pour fa retraite, fi le fucccs
de fon Voyage ne répondoit pas à fes efpérances (v).
Il avoit marqué le jour de fon départ, lorfqu'une partie des Zampoalans,
qui fervoient fous fes ordres, lui demandèrent la liberté de fe retirer; foit
qu'ils fuffent efi'rayés du deflein de pénétrer jufqu'à la Cour de Motezuma,
ou qu'ils appréhendafTent feulement de s'éloigner trop de leur Patrie. Il
confentit fans peine à leur demande ; & témoignant même beaucoup de
TcconnoifFance pour leurs fervices , il prit cette occafion pour informer
d'Efcalante & les Efpagnols de Vera-Cruz, du fuccès que le Ciel avoit ac-
cordé à fes armes (x). De nouveaux Ambaffadeurs de Motezuma, qui
arrivèrent dans le même tems, mirent encore à l'épreuve fa modération &
fa
FerNA ND
Coûtez.
1519.
Il refufe un
puiflant fe-
cours, de
Xicotencatl &
des Tlafca-
lans.
Il unit ÏCii
Tlafcahins &
les Cholulans
par une Al-
liance foleni-
ncUe,
(t) Ibidem.
(îj) On doit remarquer ici que Las Cafas
repréfente le niaflacrc de Cholula comme une
de» plus atroces cruautés des Efpagnols , &
ou'il l'attribue à la foif de l'or ; Solis la croit
qu
XFIII. Part.
juflifi(ic par l'utiliti5 dont elle fut pour ouvrir
le chemin au Chriltianifmc.
( X ) Ilerrera place cette information avant
l'entrée de Cortez dans Tlafcala. Liv. 6»
Cbap. 12.
T t
Au très Am-
bafladeurs de
Motezuma, &
leur diflîmu-
lation.
Fbxnand
CORTEZ.
1519-
Di5pnrt des
Efii;i,.',iiols
pour la Capi-
tale de 1 Em-
pire, & leur
route.
Trnliifon
méditée con-
U'cux,
Comment
Cortcz s'en
tlélivre.
Irréfolution
de Motezu-
ma.
330 PREMIERS VOYAGES
fa prudence. Ce Monarque, informé de tout ce qui s'étoic paflTé à Cho»
lula, vouloit diiîiper les défiances des l'^fpagnois. Ses Miniftres pouirèrent
la diirimulation , julqu'à rendre grâce à Cortcz d'avoir puni les Cholulans.
Ils exagérèrent la colère & le relTentiment de leur Maître, traitant de Per-
fide un malheureux Peuple, ipi n'avoit mérité cette qualité que pour avoir
exécuté fes ordres^ Cette harangue étoit accompagnée d'un magnifique
préfent, qui fut étallé avec beaucoup d'oftentation. Mais on eut bientôt
occaûon de reconnoître que c'ecoit un nouvel artifice , pour engager les
Efpagnols à sobferver moins dans leur marche, & pour les faire tomber
dans une embufcade qui étoit déjà dreflee. 1
On partit tnfin, quatorze jours après la réduction de Cholula. L'Ar-
mée pafla la première nuit dans un Village de la Jurifdiftion deCuagnxinjo^
pente République peu arffeftionnée à Motezuma. Cortez fut ravi d'y trou-
ver les mêmes plaintes, qu'il avoit entendues dans des Provinces plus é-
loignées. Le jour fuivant, il continua fa marche par un chemin fort rude,,
fur des Montagnes d'une hauteur égale à celle du Volcan. Un Cacique de
Guagoxinjo l'avoit averti qu'il étoit menacé de quelque danger, à la défcen-
te des Montagnes, & que depuis plufieurs Jours on y avoit vu les Mexi-
quains boucher, avec des pierres & des troncs d'arbres, le chemin qui
conduit à la Province de Chalco^ tandis que d'autres avoient applani l'en-
trée d'une route voifine. On parvint, avec beaucoup de fatigue, au fom-
met de la Montagne, parce qu'il tomboit de la rîège, avec un vent furieux.
11 s'y préfentadeux chemins, à peu de diftance l'un de l'autre,- & Cortez
n'eut pas de peine à les reconnoître, aux marques que le Cacique lui avoit
données. Maigre l'émotion qu*il relTentit en vérifiant cette nouvelle tra-
hifon, il demanda tranquillement, aux Ambafladeurs Mexiquains, qui
marchoient près de lui, dans quelle vue on avoit fait des changemens aux
deux chemins? Ils répondirent que pour la commodité de fa marche, ils
avoient fait applanir le plus aifé, & boucher l'autre, qui étoit le plus dif-
ficile. Cortez reprit , avec la même tranquillité : „ Vous connoiUez mal ,
leur dit-il, les Guerriers qui m'accompagnent. Ce chemin, que vous
avez embarraflé, efl: celui qu'ils vont fuivre, par la feule raifon qu'il
efl difficile. Dans le choix de deux partis , les Efpagnols fe détermi-
nent toujours pour le moins aifé". Alors, fans s'arrêter, il ordonna^
aux Indiens Alliés, de prendre les de ants, & de débarraflîer le chemin,
en écartant les obftacles qui le couvroient ; & , s'y étant engagé fans crain-
te, il laifla les Ambafladeurs dans l'admiration de fon choix, qu'ils attri-
buèrent à une efpèce de divination. Il étoit vrai que les Mexiquains a-
voient drefle une embufcade au pied de la Montagne; mais, fe croyant
découverts, lorfqu'ils virent prendre, aux Efpagnols , un chemin différent
de celui qu'ils avoient préparé , ils ne penférent qu'à s'éloigner, comme
s'ils euflent été pourfuivis par une Armée viélorieul'e. L'Armée defcendic
librement dans la Plaine.
Cependant Motezuma, desefperé du mauvais fuccès de fes artifices,
demeuroit dans fes irréfolutions , fans ôfer faire ufage de fes forces. Il fe
réduifoit à confulter fes Dieux, en faifant ruifleler le fang fur leurs Autels.
Mais il ne trouvoit rien qui n'augmentât fon trouble. Les léponfes de ÏQi
Pre-
j»
î»
i'
à Cho-
lifèrent
ulutans.
de Per-
r avoir
^nifique
bientôt
iger les
tomber
L'Ar-
Roxinjo,
l'y trou-
plus é-
rn rude,.
:ique de
dêfcen-
s Mexi-
nin qui
ini l'en-
au fom-
furieux.
: Cortez;
ui avoit
^elle tra-
ins, qui
tens aux
che, ils
atlus dif-
fez mal ,
ue vous
bn qu'il
iétermi-
rdonna»
chemin,
is crain-
ils attri»
uains a-
croyant
lifFérent
comme
efcendic
rtifices ,
. Ilfe
Autels.
t$ de Tes
Fifc-
!
: EN AMERIQUE, Liv. I. 331
Prêtres fe contredifoient fans cefle. Enfin , lorfqu'il eut appris aue les Es-
pagnols étoient dans la Province de Chalco , & que Ton dernier ftratagéme
n'avoit tourné qu'à fa confufion , il aiFembla tous Tes Magiciens & Tes De-
vins; &, dans la confiance qu'il avoit à leur Art, il leur donna ordre d'al-
ler au-devant des Efpagnols, pour les mettre en fuite, ouïes endormir par
la force de leurs charmes (y).
L'Armée Efpagnole ne continuoit pas moins fa marche. Elle arriva, le
jour fuivant , dans un Village de la Province de Chalco , à deux lieues du
pied des Montagnes. Le Cacique, en préfentant des vivres à Cortezjui
fit des plaintes amères de la tyrannie de Motezuma. On fit quatre lieues ,
le jour fuivant, au travers d'un Pays fort agréable, pour aller pafler la
nuit dans le Bourg û'Jmatneca^ fitué fur le bord du grand Lac de Mexico.
Il fefit, dans ce lieu, un fi grand concours de Mexiquains, la plupart ar-
més, que les Efpagnols en conçurent de l'inquiétude. Cortez fit faire
quelques décharges de l'Artillerie & des Arquebufes. Il donna ordre
que les Chevaux fuflcnt préfentés à cette muUitude de Curieux , & ma-
niés avec aflTez d'aftion pour leur inlpirer de l'efFroi ; tandis que fes plus
fidèles Interprètes afFeftoient de répandre que ce bruit & ces terribles A-
nimaux annonçoient quelque chofe de finiflire. Tous les Indiens efi'rayés
s'éloignèrent aulTi-tôt du Camp, fans qu'on pût juger quel defiein les a-
voit amenés. Mais il refta quelque foupçon, au Général, qu'ils étoient
venus pour l'attaquer.
Cependant, lorfqu'il étoit prêt à fe remettre en marche, quelques Sei-
gneurs Mexiquains vinrent lui donner avis que Cacumatzin, Neveu deMo-
(51) Le Père d'Acofta & d'autres Ecri-
vains eftimés, rapportent ici pluficurs cir-
conflances, qu'il n'eft pas permis de ("uppri-
mer fur de tels témoignages, quoiqu elles ne
. puiflent entrer dans une Hifloirc férieufe.
Lorfque ces Magiciens , difent - ils , furent
arrivés au cjiemin de Chalco , par lequel nô-
tre Armée s'avançoit vers Mexico, & qu'ils
eurent commencé à faire leurs invocations , un
Fantôme leur jjpparut fous la forme d'une
de leurs Idoles, qu'ils nommoient Telcatle-
pulca , c e(t-à-dire Dieu malfaifant ^ redou-
table, & qui, fuivant leur tradition, avoit
entre fes mains les peftes , les famines , &
les autres fléaux du Ciel. Cet Efprit donna
des marques d'une horrible fureur. Il avoit
.reftomac entouré d'une corde , qui le ferroit
à plufieurs retours, pour leur faire compren-
dre qu'il étoit arrêté par une main inviflble.
Tous les Magiciens fe proflernèrent pour l'a-
dorer; &. lui, fans fe laifler fléchir par leurs
humiliations, empruntant la voix de l'Idole,
dont il imitoit la figure , leur parla dans ces
termes: „ Le tems eft venu, mi fé râbles Mc-
♦, xiquains, oh vos conjurations vont perdre
„ toute leur force. Tous nos liens font
„ rompus. Rapportez à Motezuma que fa
,, ruine efl. réfolue ; & pour être en état de
„ lui parler avec plus de force, jettez les
„ yeux fur cette miférable Ville, dont vous
„ allez voir le fort ". LEfprit difpaïut, &
fes Minillres virent auiïï- tôt la Ville de Me-
xico en feu. Mais les flammes s évanoui-
rent, & ne iaifférent qu'une aifreufe fumée
fur la Ville. Ils revinrent communiquer leur
avanture à l'Empereur. Les menaces du B'an-
tôiiie furent fur lui tant d'impreflîon , qu'il
demeura quelque tems fans force & fansvMi.i.
Il fe dépouilla de fa férocité naturelle, ■^mr
dire aux Magiciens: |„ Que pouvons -r/)us
„ faire de plus , puifque nos Dieux not s
„ abandonnent? Que les Etrangers viennent,
„ que le Ciel tombe fur nous , il ne faut pas
„ nous cacher, ni foufFrir que le malheur
„ nous accable en fuyant comme des lâches.
,. Il ajouta: J'ai feulement une extrême coin-
„ paflion des Vieillards, des Enfans, & des
„ Femmes, qui n'ont pas de mains pour fc
„ défendre ". Solis, .Liv. 3. Chap. 8.
Fernand
CoRTEi;.
1519.
Il employé
le fecours de
la Magie.
Les Klpa-
gnols arrivent
dans la Pro»
vincc de
Chalco.
Effroi quff
les Chevaux
caufent aux
Indiens.
Cacumatzin
Prince de
Tezcuco &
Neveu de
Motezuma ,
va au-devant
de Cortez.
Tt
332
PREMIERS VOYAGES
F E R N A N D
CORTEZ.
1519-
Dcfcription
de Tezcuco.
Belles
Chauirées &
Lac de Mexi-
co.
Villes &
Bourgades du
Laç.
tezuma, & Prince deTezcucOj s'approchoit avec une fuite nombreufe, pour
le vifiter au nom de l'Empereur. En effet , ce Prince arriva bientôt , por-
te fur les épaules de plufieurs Indiens, dans une elpèce de chaife , dont le
principal ornement étoit une multitude de plumes fort bien aflbrties. C'é-
toit un jeune Homme d'environ vingt-cinq ans , & d'une figure agréable.
Aufli-tôt qu'il fut defcendu, quelques gens de fa fuite s'empreflerent de
nettoyer devant lui le terrein fur lequel il devoit marcher. Cortez le reçut
à la porte de fon logement , avec toute la pompe dont il favoit fe faire
honneur. Après les premières civilités, le Prince témoigna la fatisfaftion
qu'il reflentoit, de voir un Homme fi célèbre; mais, revenant aux difficul-
tés , qui ne permettoient pas de recevoir les Efpagnols dans la Capitale de
l'Empire, il feignit que la difette avoit été fort grande cette année, &
que les Habitans ne verroient pas volontiers une Armée étrangère dans le
fein de leur Ville, lorfqu'ils manquoient eux mêmes de ce qui étoit nécef-
faire à leur fubliflance. Gortez répéta ce qu'il avoit mille fois dit, delà
grandeur de fon Maître, & des importantes raifons , qui lui faifoient defî-
rer de voir l'Empereur du Mexique. A l'égard de la flérilité du Pays, il
afTura que les Efpagnols , accoutumés à la fatigue , & fupérieurs aux infir-
mités communes, n'avoient pas befoin de beaucoup d'alimens pour con-
ferver leurs forces. Le Prince Mexiquain , n'ayant rien à répliquer , ac-
cepta quelques préfens, que Cortez lui fit offrir, & prit le parti d'accom-
pagner l'Armée jufqu'à Tezcuco.
Cette Ville étoit alors une des plus grandes de l'Empire. Elle le dif-
putoit à la Capitale même, fur laquelle on lui donnoit d'ailleurs rav3ntage
de l'ancienneté. Ses Maifons s'étendoient fur les bords du grand Lac , dans
une belle fîtuation , à l'entrée de la Chauffée principale qui conduifoit à
Mexico. Cortez paffa fur la Chauffée, fans s'arrêter à Tezcuco, pour fe
rendre le foir à Iztacpalapa, d'où il fe propofoit de faire, le jour fuivant,
fon entrée dans Mexico. La Chauffée, qui avoit, dans ce lieu, environ
vingt pieds de largeur, étoit compofée de pierres liées avec de la chaux, &
bordée, par intervalles, de quelques ouvrages. On avoit, des deux cô-
tés, la vue d'une grande partie du Lac, fur lequel on découvroit plufieurs
autres Chauffées qui le croilbient diverfement , & quantité de Bourgades
embellies de Tours , d'Arbres & de Jardins, qui paroiffoient nager dans
l'eau, & comme hors de leur élément. Les Efpagnols arrivèrent, entre
Tezcuco & Iztacpalapa, dans un Bourg d'environ deux mille Maifons,
nommé Quitlavaca^ auquel ils donnèrent alors le nom de Fenezuela^ ou pe-
tite Venue, parce qu'il étoit réellement bâti dan» l'eau. Le Cacique, é-
tant venu au-devant d'eux, les preffa fi vivement de pafTer la nuit dans fon
Domaine, que Cortez, augurant bien de ces témoignages d'affeftion, lui
fit la grâce qu'il defiroit. Il trouva des logemens commodes pour toute
fon Armée ; & les Habitans , dont la politeiïe fembloit annoncer le voifi-
nage de la Cour, lui fournirent des provifions en abondance. Il ne s'étoit
pas trompé dans l'opinion qu'il avoit eue des motifs du Cacique. Ce Sei-
gneur lui confia fes chagrins , & l'envie qu'il avoit de fecouer un joug in-
fuportable. Il lui peignit l'Empereur coamie un Tyran ; & pour l'animer
dans
EN AMERIQUE, Lrv. I.
[
333
dans fon entreprife , il lui donna toutes les inflruélions qu'il auroit pu atten-
dre du plus fidèle Ami de TF/pagne. Cortez apprit de lui c|ue le refte de
la ChaulTée ctoit plus large & mieux entretenu; qu'il n'avoit rien à redou-
" ' " I- u„-j„:„^ „ i_ ir-... . , "Iztacpala-
& ne
_ oppoferoit point à ion paiiage ; que cette inaiircrence des Mexiquams
venoit de l'extrême abbattement de Motezuma , dont l'efprit paroiflbit
troublé par les prodiges du Ciel, par les réponfes de fes Oracles, & par
les merveilles qu'on lui racontoit des Etrangers. Enfin le Cacique l'aflura
lu'il trouveroit la Capitale prête à le recevoir, & l'Empereur plus difpo-
è à fouffrir des humiliations , qu'à fe livrer aux emportemens de fa fier-
Ces lumières venoient d'autant plus à propos, qu'une partie de l'Ar-
Fernan»
Cortez.
1519-
In(hii(flionn
qui niirurcnr
Coric;^.
?.
Marche des
Cartillans fur ,
la Chaulluo.
Ville d'Iz-
tjcpalapa.
Comment
les Caflillans
te. . - _ . .
mée avoit commencé à s'effrayer de tant de grands objets, qui dévoient
faire prendre une magnifique idée de la grandeur & de la force de l'Em-
pire (z).
Le lendemain, Cortez fit partir toutes fes Troupes en ordre de Batail-
le, fuivant la largeur de la Chauffée, qui ne pouvoit contenir que huit Ca-
valiers de front. L'Armée étoit alors compofée de quatre cens cinquante
El'pagnols, fans y comprendre les Officiers, & de fix mille Indiens, Zam-
poalans & Tlafcalans. Elle marcha fans obftacle jufqu'aux Portes d'Iztac-
palapa. Cette Ville fe faifoit diflinguer entre toutes les autres par la beau-
té de fes Tours, & par la hauteur de fes Edifices, dont une partie étoit
bâtie dans l'eau , & l'autre fur les bords de la Chauffée. On y comptoit
environ fix mille Maifons. Le Cacique, accompagné de plufieurs autres
Princes, vint recevoir le Général étranger, & chacun fe fit connoître par
fon nom & fa dignité. Les préfens , qu il reçut à l'entrée de la Ville , mon-
tèrent à deux mille marcs d'or, l'ous les Efpagnols furent logés dans le
Palais même du Cacique, & les Indiens de l'Armée dans les Portiques & . . ,^^j
les Cours. Cortez eut un Appartement de plufieurs Salle'^ fort ornées, dont ^ ^" ^^' '
le platfond étoit de cèdre, & les tapifferies de coton, avec des figures &
des compartimens de plufieurs couleurs. Il admira, dans la Ville, quanti-
té de Fontaines d'eau douce, dont l'eau venoit des Montagnes voifines,
par des canaux , qui fervoienc enfuite à la répandre dans plufieurs Jardins
fort bien cultivés. Celui du Cacique étoit d'une beauté fingulière. On y
voyoit quantité d'arbres fruitiers, qui formoient de larges allées, & des
parterres, divifés par de fort beaux treillages en plufieurs formes, qui of-
froient une variété admirable d'herbes odoriférantes & de fleurs. Le cen-
tre étoit un Etang quarré, d'eau douce & fort pure, qui n'avoit pas moins
de quatre cens pas fur chaque face, & dont les bords étoient revêtus d'un
mélange de brique & de pierre, avec des dégrés de chaque côté pour def-
€endre jufqu'au fond du baffm. On y nourriffoit toutes fortes de Poiffons
& d'Oileaux de Rivière. Cet ouvrage, que les Efpagnols jugèrent digne
de l'Europe , & qui n'étoit que l'entreprife d'un Sujet de l'Empire du Me-
xique, augmenta l'opinion qu'ils avoient des richeffes & de la grandeur du
Souverain (a). li,.
(z) Solis, Liv. 3,
^«) Ibidem.
Cbap. 9. rierrera, Liv. 7. Cbap. 4.
Tt 3
334
PREMIERS VOYAGES
Ff-rnand
C O R T E Z.
15 ï 9.
Suite de la
luarchc.
rrcmicre
vi'ic (.le ûlcxi-
co.
Se; Fortifi-
cations.
I/F!mpe-
rriir vient au
devant i.ic
Cortcz.
Son Coric-
2C\
Il ne refloit que deux lieues de Chauflee , jufqu'à la Capitale. Cor-
tez, rcfolu d'y faire fon entrée le lendemain, donna ordre que l'Année fût
prête à la pointe du jour. La nuit le pafla trant|uillenient ; de le lendemain
on continua la marche dans l'ordre établi, en luillant à côté la Ville de Ma-
gifcatzmgOj fondée aulVi dans l'eau, & celle de uyoacan fur le bord delà
Chaullee, outre quantité de grofles Bourgades qu'on découvroit fur le Lac.
Enfin l'on eut la vue de la grande Ville de Mexico , qui le failbit reconnoî-
tre pour la Capitale de l'Empire, à la hauteur & la magnificence de Tes Bâ-
timens. Un Corps de plus de quatre mille Hommes, qui paroiflbit compo-
fc de la Noblefle Ck des Oiriciers de la Ville, vint ici au devant du Géné-
ral ; & qiiuique leurs complimens ne fiiflent qu'une fimpic révérence , que
chacun fail'oit en pafTant à la file devant la tête de l'Armée, cette cérémo-
nie l'arrc i long-tems. 1
Mexico étoit défendu, de ce côte là, par un Boulevard de pierre, qui
le couvroit dans toute la largeur de la Chaulllc, & dont la Porte donnoic
Au- un autre bout de Chaullee, terminé par un Font-levis, après lequel
on trouvoit ime féconde Fortification, qui failbit proprement l'entrée de
la Ville. Aulfi LÔt que la Noblelle Mexiquaine eut pallé le Pont, elle fc
rangea des deux côtés, pour laifler l'entrée libre; & les Efpagnols décou-
vrirent alors une fort grande Rue , dont toutes les Maifons éioient bâties
fur le même modèle , avec des terrailes &, des balcons , qui parurent
chargés d'une multitude infinie d'IIabitans. Il ne s'en préfentoit pas un
dans la rue : mais Cortez fut averti qu'on la tenoit dégagée par l'ordre
exprès de l'Empereur, qui vouloit venir le recevoir lui même, à la tête
des Seigneurs de fa Cour, pour honorer fon arrivée par une diftinftion fans
exemple.
En efi'et, on découvrit bientôt la première partie du Cortège de ce Mo-
narque, compofée de deux cens Oilieiers de la Maifon Impériale, tous en
habit uniforme, avec de grands panaches de même ligure & de même cou-
leur. Ils marchoient deux à deux, les pieds, nus & les yeux baillés. En
arrivant à la tête de l'Armée, ils fe rangèrent le long des Murs, pour laif-
fer voir dans l'éloigncment une autre Troupe, plus nombreufe & plus ri-
chement vêtue, au milieu de laquelle Motezuma etoit élevé, fur les épau-
les de fes Favoris, dans une litière d'or bruni, dont l'éclat perçoit au tra-
vers de quantité de belles plumes. Qtiatre des principaux Seigneurs de
f Empire marchoient autour de lui, 6c foutenoient, au-delftisde fa tcte,
un Dais de plumes vertes, tiffues avec tant dart, qu'elles formoient une
efpèce de toile, mêlée de quelques figures en argent, 'l'rois des princi-
paux Magillrats la précédoient , armes chacun dune ver^^e d'or, qu'ils
levoient par intervalles , pour avertir que l'Empereur approchoit. A ce
fignal, tout le Peuple, dont les Mailons écoient couvertes, le profler-
noit & baiflbit le vifage. Lever les yeux , dans cette occalion , etoit
un crime qu'on ne diltinguoit pas du facrilège. Cortez defc^ndit de
Cheval, à quelque diilance de Motezuma; Ck ce Prince mit en méme-
tems
Nota. Voyez la Carte du Liuc 4e Mexico fy* fss Environs, lors de la Conqutte , au Tome
XVI. R. d. E.
4
En
laif.
us ri-
épau-
ftu tra-
iirs de
tece,
: une
princi-
qu'ils
A ce
rofter-
ecoic
ic de
nême-
tems
: E N A M E R I Q U E, Liv. I. 33^-
tems pied à terre. Quelques Indiens étendirent aufli-tût des tapis duns
l'intervalle.
L'IiMPHHEUR s'avança lentement, avec beaucoup de gravité, les deux
mains appuyées fur les bras des Princes d'Iztacpalapa & de 'J'ezcuco, les
Neveux. 11 fit ainli quelques pas vers Cortez. Son âge paroiflbic d'envi-
ron quarante ans. Il avoit la laille de hauteur moyenne, mais plus déga-
gée que robuile, le nez aquilin, & le teint moins bafanné que le commun
des Indiens. Ses cheveux defcendoient juR|«'au dcllbus des oreilles. Ses
yeux étoient fore vifs; & toute fa perlbniic avoit un air de majeflé , dans
lequel on remarquoit néanmoins quelque chofe de compofé. Sa parure é-
toit un Manteau de coton très lin, attaché fjmplemcnt fur fes épaules; aflez
long pour lui couvrir la plus grande partie du corps, & bordé d'une frange
d'or qui traînoit jufqu'à terre. Les joyaux d'or, les perles & les pierres pré-
cieufes , donc il étoit couvert, méritoienc plutôt le nom de fardeau que d'or-
nement. Sa Couronne étoit une efpèce de Mitre d'or, qui fe terminoit
en pointe par devant, & dont l'autre partie, moios pointue, fe recour-
boit vers le derrière de la tête. Il portoit des fouliers d'or maiîif. Plu-
fieurs courroies, qui étoient ferrées par des boucles de même métal, &
qui remontoient en fe croifant jufqu'au milieu de la jambe, repréfentoient
aflez bien l'ancienne chauflure des Romains (b).
Cortez s'avança de fon côté, d'un air noble, mais à plus grands pas, &
fit une profonde révérence , que le Monarque du Mexique rendit , en baiflant
la main jufqu'à terre, fuivant l'ufage commun de fa Nation, 6i. la portant
enfuite à fes lèvres. Cette civilité, qu'on n'avoit jamais vu pratiquer aux
Empereurs Mexiquains, parut encore plus étonnante dans Motezuma, qui
faluoii à peine fes Dieux d'un ligne de tête, & dont le principal vice étoit
l'orgueil. Une déférence de cette nature, jointe à la démarche d'être forti
pour recevoir le Général étranger, fit, fur fefprit des Indiens, une im-
preflion d'autant plus avantageulé à Cortez, que, révérant tous les Décrets
de leurs Empereurs avec une foumiflion aveugle, ils fe perfuadèrent que
Motezuma, dont ils connoiflToient la fierté, n'avoit pu s'abbaifler à ce point
fans de puiflantes raifons, dont ils dévoient refpefter la juftice & la force.
Cortez portoit fur fes armes une Chaîne d'émail , chargée de pierres faufles ,
mais d'un grand éclat, qui repréfentoient des diamans ik des éméraudes;
& fon deflein avoit toujours été d'en faire le préfent de fa première Au-
dience: mais, fe trouvant fi proche de l'Empereur, il prit cette occafion
pour la lui mettre au cou. Les deux Princes , qui Ibutenoient ce Monar-
que, s'efforcèrent en vain de rarréteiL, en lui faifant connoître que cette
galanterie étoit trop libre. Motezudîa blàma lui-même leur fcrupule, &
parut fi latisfait du préfent , qu'il le regarda quelque tems avec admira-
tion. Il voulut s'acquitter fur le champ par une action éclatante; & pre-
nant le tems, que tous les Officiers Efpagnols employoient à lui faire la
révérence, pour fe faire apporter un Collier, qui paflbit pour la plus riche
pièce de fon Trefor , il le mit auffl de fes propres mains au cou de Cortez.
C'étoic un grand nombre de coquilles fines, & fort précieufes dans cette
par-
Ci/) Herrera, ubifuprà, Chap. 5; & Salis, Chap. lo»,
f*' iî R N A K »
C 0 u T B Z.
1519-
Son àgc &
fa figure.
Son habille-
ment.
Ci rcon [lan-
ces de fuii en-
trevue avec
Cortez.
Cortez lui
mei une Chaî-
ne d'émail ii\
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WEBSTER, N.Y. UStO
(716) 872-4503
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'-^^
Fernand
CORTSZ.
Palais d'A-
Tayaca, oii
Cortcz eft
logé.
Motezuma
le vifite dans
ce Logement.
Son Dif-
couis.
33(î PREMIERS VOYAGES
partie du Nouveau Monde , à chacune defquelles pendoient de chaque côté
quatre EcreviflTes d'or. Cette nouvelle faveur fit monter au comble l'éton-
nement des Mexîquains. Les complimens furent courts dans cette premiè-
re «ntrevûe. Motezuma donna ordre à l'un des deux Princes, fes Ne-
veux ) d'accompagner Cortez jufqu'au Logement qui lui étoit^deftiné ; &
continuant de s'appuyer furie bas de l'autre, il remonta dans fa litière,
pour fe retirer avec la même pompe. Tous les Hiftoriens rapportent l'en-
trée des Efpagnols dans la Capitale du Mexique, au huitième jour de No-
vembre (c).
Ils font une brillante defcription du Logement qu'on avoit préparé pour
Cortez; c'étoit un des Edifices qu'/^xaya<ra , Père de l'Empereur, avoit fait
bâtir. Il égaloit en grandeur le premier des Palais Impériaux. On l'auroit
pris pour une Fortereire,par la force & l'épaifFeur de Ces murs, qui étaient
flanqués, par intervalles , de tours & de parapets. Toute l'Armée trou-
va facilement à s'y loger; & le premier foin du Général fut d'en récon-
noîcre lui-même toutes les parties, pour y placer des Corps -de -Gar-
de , & pour y pofler fon Artillerie. Quelques Salles , dedinées aux Of-
ficiers , étoient tendues de tapifleries de coton ; principale étoffe du
Pays, mais d'un prix fort différent, fuivant la variété des couleurs «Se la
délicatefle du travail. Les chaifes étoient de bois, & d'une feule piè-
ce, variées néanmoins par l'induflrie des Ouvriers. Les lits n'étoient
compofés que d'une natte étendue, & d'une autre roulée, qui en fai-
foit le chevet; mais ils étoient environnés fort proprement de courtines,
fufpendues en forme de Pavillon. Dans un Pays , où l'on ne connoifFoit
point encore les recherches de la volupté , les Princes mêmes n'avoienc
point de lits plus délicats.
Le foir du même jour, Motezuma, fuivi du même Cortège, fe rendit
au Quartier des Efpagnols, & fit avertir Cortez, qui alla le recevoir dans
la première Cour, d'où il le conduifit jufqu'à fon Appartement. L'Empe-
reur s'y aflît d'un air familier , & fit approcher un fiége pour Cortez. Ses
Officiers fe rangèrent le long des murs , & ceux de Cortez fe mirent dans
la même fituation. Marina fut appellée pour fervir d'Interprète , & Cor-
tez fe dirpofoit à s'expliquer le premier : mais l'Empereur témoigna qu'il
vouloit parler avant lui. Son difcouis , tel que les Hilloriens le rapportent,
renferme tout-à la-fois beaucoup d'adrelFe & d'ingénuité (d). La réponfe
.,,,■:. '.,.„-■: de
(c) On trouve quelques légères difKrcn-
ces dans le récit qu'ils font des événemcns
de ce grand jour : mais elles peuvent venir
de la diiférente pofition de ceux qui les a-
voient obfcrvés. La feule , qui mérite d'ê-
tre remarquée, regarde le nombre des Ef-
pagnols, quHerrera ne fait monter qu'à trois
cens , & Gomera à quatre cens, quoique Diaz
& Solis en comptent quatre cens cinquan-
te. Herrera raconte qu'en fortant de Tlaf-
cala , Cortez fut fi furpris de voir les Efpa-
gnols réduits à une fi. petit;? troupe, que d'i-
maginant qu'il en étoit demeuré plufieurs en
arrière, il envoya Alvarado pour les preflbr
de fortir, mais qu'il ne s'en trouva aucun.
Ibidem.
(rf) Quoique la plupart de ces Pièces
foient ordinairement fort fufpeftes , on a dé-
jà remarqué que celles-ci paroiflènt d'un au-
tre ordre, parce qu'elles tirent une efpèce
d'autenticité , de leur reflemblance dans tous
les Hiftoriens, qui doivent les avoir tirées
d'une iburce commune.
„ Seigncarôc vaillant Capitaine, avant que
„ je puiflè écouter rAmbaflade du grand Prin*
„ ce, dont vous êtes leMinidrc, nous de<
„ vons
EN AMERIQUE Liv. I.
337
de Cortez fut celle d'un Homme fupérieur, qui fait tirer avantage des il- Ter n an»
lufions mêmes qu'il trouve établies, & qui fait tourner, au fuccés de fes ^°^'^''^^-
vues, '5 19.
„ vons commencer, vous & moi, par ou-
„ blicr ce que la Renommée a publié de nos
„ pcrfonnes & de nôtre conduite. On vous
„ aura dit de moi, dans quelques endroits,
„ que je fuis un des Dieux immortels. D'au-
,, très vous auront fait entendre que la For-
„ tune s'eft épuifée à m'enrichir , que les
„ inurs & les toîts de mes Palais font d'or ,
„ & que la terre eft afFaiiTée fous le poids
,, de mes richelFes. Enfin , d'autres auront
„ voulu vous perfuader que je fuis un Tyran
„ cruel & fuperbc, qui abhorre la juftice,
>, & qui ne connoit pas l'humanité. Les uns
„ & les autres vous ont également trompé
„ par leurs exagérations. Cette partie de
„ mon corps, dit -il, en découvrant fon
„ bras , vous fera connoître que je fuis de
,, chair & d'os, un Homme mortel, de la
„ même efpèce que les autres Hommes,
„ mais plus noble & plus puiffant qu'eux. Je
„ ne desavouerai pas mes richclTes; mais 1 i-
„ magination de mes Sujets les grolFit beau-
„ coup. Cette Maifon , où vous êtes logés ,
„ eft un de mes Palais; regardez ces mu-
„ railles, elles font compofees de pierre Se
„ de chaux, matière vile, qui ne doit fon
„ prix quà la manière dont elle cft employée.
„ Par ces deux exemples , jugez fi l'on ne
„ vous a pas trompé de même , lorfqu'on a
„ pris plaifir à vous exagérer mes tyrannies.
Sufpendez du moins vôtre jugement, pour
„ être éclairci de mes raifons ; & ne vous en
„ rapportez point au langage de mes Sujets
„ rebelles , fans avoir examiné U les mifc-
„ res, dont ils fe plaignent, ne font point
„ un châtiment, & s'ils ont droit de m'en
„ faire un reproche fans avoir celTé de les
„ mériter. C'cfl; avec la môme obfcurité,
„ qu'on m'a rendu compte de vos perfonnes
„ & de vos aftions. Les uns m'ont aflliré
„ que vous étiez des Dieux , que les Bêtes
„ farouches vous obéiflbicnt, que yous te-
,, niez les foudres entre vos mains, & qug
„ vous commandiez aux Elémens. D'autres
„ ont voulu me perfuader que vous étiez
„ méchans, emportés, fuperbes, que vous
„ vous laifTicz gouverner aux vices , & que
„ vous aviez une foif infatiable de l'or. Ce-
„ pendant je reconnois déjà que vous êtes
„ des Hommes de la même nature que nous;
„ quoiqu'il y ait quelque différence, qu'on
„ ne doit fans doute attribuer qu'à la diver-
„ firé des climats. Ces Animaux, qui vous
.■j.obéifTent, ne font, à mon avis, qu'une ef-
„ pèce de grands Cerfs, un peu plus dociles
Xnil. Part.
•)
„ que les nôtres, que vous avez apprivoi-
,, fés, & foigncufcment inflruits des fcien-
„ ces qui conviennent à leur capacité natu-
relle. Je conçois auftî que ces armes , qui
rcflemblwit à la foudre, font des tuyaux
d'un métal, qui n'ert pas connu parmi
nous , dontl'eftet , feinblabic à celui de nos
farbacanes, vient d'un air prelfé qui cher-
„ che à fortir , & qui pouffe impétueufement
„ tout ce qui s'oppofe à fon palfage. Le
„ feu, que ces tuyaux jettent avec un bruit
,, terrible, eft tout au plus un fecret de la
„ fcience, dont vos Sages font profelïïon.
„ Dans tout ce qui m'eft revenu d'ailleurs ,
„ je trouve encore que vous fouffrez les fa-
„ tigues avec confiance , & qu'entre vos ver-
„ tus on voit la libéralité, qui ne s'accorde
„ guères avec l'avarice. Ainfi, d« part &
„ d'autre , nous devons effacer les fauffes im-
„ prellions qu'on a voulu nous donner. En
„ vous y croyant aulfi difpofé que moi , j'ai
,, fouhaité qu'avant que de me parler, vous
„ fuilîez que l'on n'ignore pas entre nous ,
,, & que nous n'avons pas befoin de vôtre
„ témoignage pour croire , que le grand
„ Prince, à qui vous obéiffez, defcend de
„ nôtre ancien Q^uezalcoal , Seigneur des fept
„ Cavernes des Navatlaques , & Roi légiti-
„ me de ces fept Nations, qui ont fondé
„ l'Empire du Mexique. Nous avons ap-
„ pris, par une de fes Prophéties, confer-
„ vée dans nos Annales , qu'il étoit forti de
„ ce Pays, pour aller conquérir de nouvel-
„ les Terres, du côté de l'Orient, & qu'il
„ avoit laiffé des promeffes certaines, que
,, dans la fuite des tems fes Defcendans vien-
„ droi^nt corriger nos Loix , & reformer nô-
„ tre Gouvernement par les règles de la rai-
„ fon. Comme les caraftères que vouspor-
„ tez ont beaucoup de rapport à cette ï'ro-
„ phétie , & que le Prhice , qui vous envoie
,, de l'Orient, fait éclater, par vos Exploits ,
„ la grandeur d'un fi noble Ayeul , nous a-
„ vons déjà réfolu de confacrer à fon fervice
„ tout le pouvoir qui eft entre nos mains.
»i J'ai i^'é^ <)"'i' ^^oit à propos de vous en
„ avertir, ahn qu'il n'y ait aucun embarras
„ dans vos propofliions , & que vous attri-
„ buïez l'excès de ma douceur à cette illuftre
„ origine". Solis, tibijuprà, Chap. 11.
Herrera, qui rapporte le môme difcours,
ne fait que changer l'ordre des idées, fans
rien omettre d'effentiel ; mais au lieu de fai-
re defcendre les Rois d'Eftwgne du Selgneuj
Indien des fept Cavernes «c. , il fait dire , à
V V ^lo'
338
PREMIERS VOYAGES
5ERNAKD
C O R T E Z.
1519-
Réponfc de
Cortez.
vues, la politique de ceux qu'il veut perfuader (e). Son difc
deux grands objets; l'un de faire refpefter fon Ambaflade, &
difcours avoit
l'autre de
jet-
Motezumn , que les Empereurs Mcxiquafns
dc'fcjndoicnt d'un grand Prince Oriental, qui
étoit venu au Mexique, & qui étoit retourné
dans fon P ys. lien. , Décud. 2. Liv, l. Ch. 6.
(e) Soiis diîclare qu'il tient fon Difcours
de fes propres Mémoires : ., Grand Roi , a-
„ près vous avoir remercié de l'excès de bon-
„ té qui vous fait recevoir fi favorablement
„ nôtre AtubafTadc, & de la communication
., de ces hautes lumières qui vous portent à
„ méprifer, dans des termes fi honorables
„ pour nous , les faux préjugés de l'opinion ,
„ je puis vous dire auffi que, de nôtre part,
„ nous avons traité celle qu'on doit avoir de
„ vous , avec tout le refpcét & toute la vé-
„ nération qui font dûs à vôtre majeflueufe
„ Grandeur. On nous a p:trlé dfFéremmeiit
„ de vôtre Perfonne, dans les Terres de vô
,, tre Empire. Les uns la mettoient au rang
„ des divinités; d autres noirciflbient juf-
„ qu'à fes moindres aftions. Mais ces dif
„ cours fontordinnirement des outrages pour
„ la vérité. La voix des Hommes , qui eft
„ l'organe de la Renommée, prend fouvent
„ la teinture de leurs paillons; & celles-ci ne
„ conçoivent jamais les chofes comme elles
font, ou ne lea rappQrtent jamais comme
elles les conçoivent. Les Efpagnols ont
„ une vue pénétrante, qui fait didinguer les
„ difFérentes couleurs qu'on donne au dif
„ cours, & par la même lumière, les faux
„ femblans du cœur. Nous n'avons ajoi'ité
„ foi, ni à vos Sujets rebelles, ni à vosKiat-
„ teurs ; & nous paroiflbns devant vous,
„ convaincus que vous êtes un grand Monar-
„ que, ami de la juftice&de la raifon, fans
„ que nous ayions befoin du rapport de nos
„ fens pour connoitre que vous êtes mortel.
„ Nous fommes aufli de la même condition,
„ quoique plus vaillans fans comparaifon
„ que vos Sujets , & d'une capacité d'efprit
„ fort au-deflus du leur, parce que nous
„ fommes nés fous un climat dont les influen-
„ ces ont beaucoup de vertu. Les Animaux ,
„ qui nous obéiffent , ne refleniblent point
„ à vos Cerfs , ils ont beaucoup plus de no-
„ blefle & de fierté; & quoiqu'inférieurs à
„ l'efpèce humaine, ils ont de linclination
„ pour la Guerre . avec une forte d'ambition
„ qui les fait afpirer à la gloire de leurs Maî-
„ très. Le feu, qui fort de nos armes, eft
„ un effet naturel de nôtre induftrie, dans la
„ produftion duquel il n'entre rien de ces
„ connoiflances dont vos Magiciens fon^ pro-
„ fciîion; fcience abominable parmi Aous,
s>
& digne d'un plus grand mépris que l'i-
gnorance même. J'ai cru devoir commen-
cer par ces éclairciflemens, pour répon-
dre aux avis que vous nous avez donnés.
Après cela, je dirai, Seigneur, avec tou-
te la foumiflîon qui eft due à Vôtre Ma-
jefté , que je- viens la vifiter en qualité
d'Ambairadeur du plus paiirmt & du plus
glorieux Monarque que le Soleil éclaire
dans les lieux oii il prend fa nniflancc. J'ai
ordre de vous apprendre, en fon nom,
qu'il fouhaitc d'être vôtre Ami & vôtre
Allié, fans s'appuicr fur ces anciens droits
dont vous avez parlé , & fans autre vue
que d'ouvrir le Commerce entre les deux
Empires , & d'obtenir, par cette voie,
le plaifirdevous desabufer de vos erreurs.
Quoique fuivant vos propres Annales il
pût prétendre une reconnoilTance plus po-
fitive dans les Terres de vôtre Domaine,
il ne veut ufer de fon autorité, que pour
gagner vôtre confiance fur un principal
point , dont tout l'avantage fe rapporte à
vous. 11 veut vous informer que vous.
Seigneur, & vous Nobles Mexiquains qui
m'écoutez , vous vivez dans un abus ter-
rible de vos lumières naturelles, en ado-
rant des Statues infenfibles, qui font l'ou-
vrage de vos propres mains, & qu'il n'y
a qu'un feul Dieu, fans principe & fans
fin , qui eft lui-môme l'éternel Principe de
tout ce qui cxifte. C eft lui , dont la puif-
fance infinie a tiré l'Univers du néant,
qui a fait ce Soleil qui nous éclaire , cette
"Terre qui nous fournit des alimens, & qui
a créé un premier Homme dont nous def-
cendons, avec une égale obligation de re-
connottre & d'adorer nôtre première cau-
fe C'eft cette première obligation qui eft
imprimée dans vos âmes, & qui s'y fait
fentir, puifque vous reconnoiflez l'immor-
talité , mais que vous proftituez & que
vous cherchez à détruire, en rendant vos
adorations à des Efprits immondes, qui
doivent auffi leur exiftence à Dieu , mais
qui ont mérité, par leur ingratitude & leur
révolte contre leur Auteur, d'être préci-
pités dans des feux fouterrains , dont vos
Volcans font une imparfaite repréfentation.
La malice & l'envie , qui les rendent en-
nemis du genre humain , les portent con-
tinuellement à folliciter vôtre perte , en fc
faifant adorer fous la figure de vos abomi-
nables Idoles. C'eft leur voix que vous
entendez quelque-fois, dans les réponfes
,. de
E N A M E R I Q U E, Liv. I. 339
jetter les premiers fondemens du Chriftianifme. Il ne trouva, dans les ap-
parences, que de la facilité pour le premier; mais l'Empereur, chagrin
d'entendre maltraiter ks Idoles, eut peine à prendre patience jufqu'a la
fin , & fe leva pour déclarer d'un air ému , qu'il recevoit , avec beaucoup
de reconnoiflance , les offres d'alliance & d'amitié qu'on lui faifoit de la
part d'un grand Prince , defcendant de Quezalcoal ; mais qu'il croyoit que
tous les Dieux étoient bons , & que celui des Efpagnols pouvoit être tel
qu'il le repréfentoit , fans faire tort aux fiens. Enfuite il exhorta Cortez
à fe repofer dans un Palais , dont il pouvoit fe regarder comme le Maî-
tre ; & s'étant fait apporter de riches préfens , qu'il le pria d'accepter ,
& dont il diftribua quelques-uns aux Officiers Efpagnols qui aflîftoient à
l'Audience , il fe retira fans avoir fait connoître autrement fes véritables
difpofitions.
Le jour fuivant, Cortez lui fit demander Audience dans le Palais Im-
périal, & l'obtint avec tant de facilité, que les Seigneurs Mexiquains ,
qui dévoient l'accompagner, arrivèrent avec la réponfe. C'étoient les
Maîtres des Cérémonies de l'Empire. Le Général prit un habit fort ga-
lant , fans oublier néanmoins fes armes , qu'il fit pafier pour une parure
militaire. Son Cortège ne fut compofé que de quatre Capitaines , Alvara-
do, Sandoval, Velafquez de Léon , & d'Ordaz, avec fix de fes plus bra-
ves Soldats , entre lefquels étoit Bernard Diaz del Caflillo , qui commençoit
à recueillir tout ce qui fe paflbit fous fes yeux , pour en compofer fon
Hifloire (/). Les rues fe trouvèrent remplies d'une multitude infinie de
Peuple, à qui l'on entendoit fouvent répéter, entre leurs acclamations , le
nom de Teules , qui fignifie , dans leur langue , Dieux , ou gens deicendus
du Ciel. Les Efpagnols découvrirent de fort loin le Palais de Motezuma,
& furent frappés de fa magnificence. On y entroit par trente Portes , qui
répondoient au même nombre de rues; & la principale face , qui donnoit
fur une Place fort fpacieufe , dont elle occupoit tout un côté , étoit bâtie
de Jafpe, noir, rouge & blanc, avec beaucoup de proportion dans ce
mélange. On remarquoit , fur la principale Porte , un grand Ecuflbn ,
chargé des Armes de Motezuma. C'écoit une forte de Griffon (g), dont
la
F E n K A N 1#
Coûtez.
15 19.
Explication
de Motczuina
fur fiî Reli-
gion.
Audience
quMl donne i
Curtcz dans
fon Palais.
Defcriptîoi
du Palais Im»
périal.
„ de vos Oracles. Mais ce n'eft pas ici le
„ lieu de traiter les Myflères d'une fi haute
,, Doftrine. Ce même Monarque , que j'ai
„ l'honneur de repréfenter, & dans lequel
„ vous reconnoiffez une fî ancienne fupério-
„ rite, vous exhorte feulement , par mon
„ miniftère, à m'écouter fur ce point fans
„ aucune préoccupation. C'eft la première
„ chofe qu'il fouhaite de vous. C'eft le prin-
„ cipal fujct de mon Ambaffade, & le plus
„ puiflant moyen d'établir une ferme Allian-
„ ce entre les deux Empires , fur les fonde-
„ mens inébranlables de la Religion , qui ,
„ ne laiflant aucune diverfué dans les fenti-
„ mens , unira les efprits par les liens d'une
„ même volonté ". Solis , ubi fuprà.
if) Solis, Cbap, 12, Quoique cefoit lui
V
qu'on fuit ici prefque continuellement, on
le cite moins que Solis , dont l'Hifloire eft
principalement compofée de la ficnne.
(g) Les Hiftoriens ne s'accordent point
fur cette figure. Quelques-uns, dit Herre-
ra , veulent que dans les Montagnes de Te-
guacan il y eût de vrais Griffons, qui dé-
peuplèrent la vallée A'Avacatlan , & foutien-
nent que ces Montagnes , qui font aulfi nom-
mées Ciutlachtpcll , tirent ce nom de CiHt-
lachili, qui Jîgnifie Griffon, ou Aniuial en
forme d'Aigle & de Lion. Mais il y a peu
de fond, continuc-t'il, à faire là-deffus, par-
ce que les Caftillans n ont point encore vîl
de Griffons dans tous leurs .Voyages , quoi-
que Motezuma & d'autres Seigneurs Mexi-
quains en cuffcnt dans leurs Amies. Ils les
V 2 r-i-
Fernanu
COKTE^.
ijrp.
Conrérencc
entre Mote-
zuma & Coi^
xez.
340 P R K M I E R S VOYAGES
f
la moitié du corps repréfentoit un Aigle, & l'autre un Lion. 11 avait les-
ailes écendiics, comme prêt à voler; & de fes griffes il tenoit un Tigre,
qui fembloic ie débattre avec i'ureur. En approchant de la Porte , les Of-
ficiers Mexiqaains, qui accompagnoicnt le •Général, s'avancèrent prés de
lui, & formèrent une double ligne, avec quelques cérémonies myftérieu-
fes pour ne palTer que deux à deux. Après avoir traverfé trois veftibules
incrullés de Jafpe, ils arrivèrent à l'Appartement de l'Empereur, dont Cor-
tez admira la grandeur & les ornemtns. Les planchers étoient couverts^
de nattes , d'un travail fort délicat & fort varié. Les tentures de coton ,
dont les murs étoient revêtus , formoient une tapifTerie fort brillante par
Téclat de leurs couleurs <& la beauté des figures. Les lambris étoient com-
pofés d'un mélange de cyprès, de ccdre, & d'autres bois odoriférans, a-
vec des feuillages & des fedons en relief Les Mexiquains , fans avoir
l'ufage des doux , ni des chevilles , ne laiiïbient pas de faire de très grands
platfonds, qui dévoient leur folidité à l'art avec lequel toutes les pièces ie
foutenoient mutuellement (A). Chaque Sallon de l'Appartement Impérial
offroit un grand nombre d'Officiers, de divers rangs, qui exerçoient dif-
férentes fonflions. Les premiers Minillres attendoient Cortez à la porte
de l'Anti- Chambre. Ils le reçurent avec beaucoup de civilités ; après quoi
ils prirent un moment , pour fe revêtir d'habits fimples , au lieu des riches
manteaux , & des fandales dorées , avec lefquels ils avoient paru d'abord.
Mais, quoique l'ufage de la Cour Mexiquaine ne permît point de fe préfen-
ter devant l'Empereur avec un habit brillant, on ne propofa point aux
Elpagnols de faire le même changement à leur parure.
Ils furent introduits, avec un filence qui augmenta lenr admiration pour
l'air de grandeur qu'ils voyoient régner autour d'eux. Motezuma étoit de-
bout , & revêtu de toutes les marques de la dignité fuprême. Il fit quel-
ques pas, pour aller au-devant du Général, & lui mit les mains fur les é-
paules lorlqu'il fe fut baiffé pour le faluer. Enfuite, ayant jette un regard
doux & careflant fur les Efpagnols du Cortège, il s'affit; & l'on donna, par
Ton ordre, des fiégcs à Cortez & à tous fes gens. L'Audience fut longue,
& prit la forme d'une fimple converfation. Motezuma fit diverfes queflion»
fur l'Hiftoire , les Produélions & les Ufages des Pays Orientaux. Les expli-
cations qu'il demanda, fur plufieurs difficultés , firent connoître qu'il ne fe
livroit pas légèrement à des témoignages étrangers. Enfin^ revenant à la
confidération que les Mexiquains dévoient aux Defcendans de leur premier
Roi , il s'applaudit particulièrement de voir accomplir, fous fon règne, une
Prophétie qui s'écoic confervée depuis tant de fiécles. Cortez fit tourner
adroitement le difcours fur la Religion ; mais fe bornant à vanter la Morale
du Chrillianifme, qui venoit naturellement à la fuite des éclairciffemens
qu'il avoit donnés fur les Loix de fa Nation , il en prit occafion de fe ré-
crier, avec beaucoip de force, contre ks Sacrifices du fang humain, &
contre le barbare ufage de manger la chair des Viftimes. Ses repréfenta-
• < tiens-
pcignoient avec quatre pieds , des dents , &
du poil, qui «5toit plutôt laine que plume,
un bec , des griffes , & dçs ailes pour yokr,
uhifuprà, Chap. 9.
(i6j Solis, Jbidiiiti
E N
A M E R I Q U E, Liv. I.
3ti
&
tions
lions durent être fort vives, puif^u'à la fin de cette première Audience,
Motezuma bannit de fa tab!e les plats de chair humaine (/). Cependant
il n ofa la défendre abfolument à fes Sujets; & loin de fe rendre fur l'article
des Sacrifices , il foutint qu'il n'y avoit pas de cruauté à tuer , aux pieds de»
Autels, des Prifonniers de Guerre, qui étoient déjà condamnés à la mort.
Cortez ne put lui faire comprendre que, fous le nom de Prochain, on dût
compter jufqu'à fes Ennemis.
Ce Prince donna d'ailleurs peu d'efpérance de lui voir ouvrir les yeux à
la Vérité. Dans les converfations, que l'Aumônier de Cortez eut fouvent
avec lui, il reconnut quelques avantages du Chriftianifme fur la Religion
de fes Pères; mais on ne put lui faire abandonner le principe dans lequel
il fe renfermoit toujours, que Ces Dieux écoient bons au Mexique, comme
celui des Chrétiens l'étoit dans les lieux où il étoit adoré. Dès les premiers
jours , après avoir fait voir aux Efpagnols la grandeur & la magnificence
de fa Cour , il voulut, par un autre fentiment de vanité, leur montrer aufli
le plus grand de fes Temples. Il les pria néanmoins de s'arrêter peu de
rems à l'entrée, tandis qu'il alla confulter un moment, avec les Sacrifica-
teurs, s'il pouvoit faire paroître, devant leurs Dieux, des Etrangers qur
ne les adoroient pas. La réponfe ayant été qu'ils pouvoient être admis,
pourvu qu'ils n'y commiflTent rien d'offenfant , deux ou trois des plus an-
ciens Sacrificateurs fortirent pour l'apporter à Cortez , avec la prière qu'on-
lui faifoit. Auffi-tôt toutes les portes de ce vafte & fuperbe Edifice s'ou-
vrirent en même tems; & Motezuma prit foin lui-même d'expliquer, aux
Efpagnols, ce qu'il y avoit de plus faint & de plus myflérieux. Il leur
montra les lieux deftinés au fervice du Temple, fufage des vafes & des
inilrumens facrés. Il leur apprit le nom de chaque Idole, & le culte par-
ticulier qu'on lui rendoit. Quelques-uns n'ayant pu s'empêcher de rire, il
feignit de ne s'en être pas apperçu ,* mais il fe tourna vers eux d'un air
impofant , pour arrêter leur indifcrétion par Ces regards. Cortez ne lailTa
point de lui dire, avec la confiance d'un Millionnaire, que s'il vouloir per-
mettre un moment que la Croix des Chrétiens fût plantée au milieu du
Temple , il reconnoîtroit bientôt que toutes ces faufles Divinités n'en fou-
tiendroient pas la préfence. Les Sacrificateurs parurent irrités d'une pro-
pofîtion fi hardie; & Motezuma même, embarralTé pour fa réponfe, lui
dit , après avoir paru balancer entre fon reflentiraent & le defîr de fe con-
traindre , que les Efpagnols pouvoient accorder, au lieu où ils étoient , l'at-
tention qu'ils dévoient du moins à fa perfonne. Il fortit auffi-tôt; & s'ar-
rêtant fous le Portique , il leur dit , avec moins d'émotion , qu'ils étoient
libres de retourner à leur Quartier, tandis qu'il alloit demeurer dans le
Temple, pour demander pardon à fes Dieux de l'excès de fa patience.
Après une avanture fi délicate , Cortez fe détermina , fuivant le con-
feil de fes Aumôniers , à demander au Ciel des cohjonftures plus favora-
bles, pour traiter l'affaire de la Religion; ce qui n'empêcha point qu'il
n'obtînt, de Motezuma, la liberté de changer en Eglife une des Salles de
fon Quartier {k).
Les
ii) Ibidem, (^k) SoWs , ibidem, Herrcra , Lrj. 8. CZia/».
Vv 3
Cortez.
1519.
mène
LEmpereui-
Cortez
dans le prin-
cipal Temple
de Mexico.
Ce qui s'y
pafle.
Propofition
kardie de
Cortez.
Réponfe
de Motezu-
If
Fbrnand
C 0 R T E Z.
1519-
Comment
Cortcz fe fait
rcfpcftcr dans
Mexico.
Nouvelles
qu'il reçoit de
Vcrii-Cniz.
Guerre en-
tre les Efpa-
{^uols de la
Colonie & les
Troupes Me-
xiquaincs.
D'Efcalante
cH: tué dans
un combat.
344 PREMIERS VOYAGES
Les premiers jours , qui fuivirent celui de Ton arrivée , s'ctoient paflTéi
en réjouiflances; & la difcipline, qu'il faifoit obferver par fes Troupes, ré-
pondant à ridée qu'il avoic donnée des principes de fa Religion , & des mo-
tifs de fon Ambaflade , il obfervoit avec joie que la vénération des Mexi*
quains croiflbit pour le nom Efpagnol , & que l'Empereur même revenoit
heureufement de fes préventions. Ce Prince lui rendoit de fréquentes vi-
fites , dans lefquelles il ne fe lafToit point d'admirer tout ce qui venoit d'Ef-
pagne. Il n^* mettoit point de bornes à fes préfens. Les Nobles s'effor-
çoient, h fon exemple, de s'attirer l'eftime oc l'amitié de leurs Hôtes, par
des foins & des fervices , qui approchoient de la foumilîion ; & le Peuple
plioit les genoux devant le moindre Soldat Efpagnol (/). Enfin le Quartier
des Etrangers étoit refpeélé comme un Temple, & l'Armée s'y ctoit déjà
rétablie de fes fatigues, dans l'abondance de toutes fortes de provifions;
lorfque deux Zampoalans, déguifésen Mexiquains, arrivèrent dans la Ville
par des chemins détournés, & rendirent, au Général, une Lettre du Con-
feil de Vera-Cruz , qui troubla cette agréable fituation.
D'EscALANTE , Commandant de la nouvelle Colonie , n'avoit penfé qu'à
fortifier la Place, & à fe conferver les Amis que Cortez lui avoit laifles. Sa
tranquillité ne reçut aucune atteinte des Peuples du Pays; mais if fut infor-
mé qu'un Général de Motezuma étoit entré dans la Province avec une Ar-
mée confidérable, pour chiitier quelques Alliés des Efpagnols, qui s'étoient
difpenfés de payer , à l'Empereur, le Tribut ordinaire, dans la confiance
qu'ils avoient à la.proteftion de leurs nouveaux Amis. Ce Capitaine Mexi-
quain, nommé (^ualpopocay qui commandoit toutes les Troupes répandues
fur les Frontières de Zampoala, les avoit aflcmblées, dans la feule vue de
foutenir les Commiffaires Impériaux qui venoient recueillir le tribut; mais,
fous ce prétexte , elles s'étoient emportées aux plus horribles violences. Les
Tôt onaque s ÛQ h Montagne , dont elles détruifoient les Habitations, portè-
rent leurs plaintes à la Colonie Efpagnole, D'Efcalante tenta les voyes
de la négociation. Il dépêcha , au Général Mexiquain , deux Zampoa-
lans, qui demeuroient dans Vera-Cruz, pour le prier, en qualité d'Ami,
de fufpendre les Hoflilités jufqu'à l'arrivée d'un nouvel ordre de la Cour,
parce qu'étant informé , depuis peu , que l'Empereur avoit permis , aux
AmbafTadeurs d'Efpagne, d'y pafler, pour établir une Alliance conftante
entre les deux Couronnes, il ne pouvoit fe perfuader que ce Prince eût on
même tems des intentions contraires à la Paix. La réponfe de Qualpopocà
fut injurieufe, & le Confeil Efpagnol ne put diflimuler cet outrage. D'Ef-
calant: forma un Corps de Montagnards , qui fuyoient les violences des
Mexiquains. Il fe mit à leur tète , avec quarante Efpagnols ai. deux piè-
ces d'Artillerie. Qualpopocà vint au devant de lui en fort bon ordre. Le
Combat fut engagé; & les Efpagnols remportèrent une viftoire éclatante;
mais elle leur coûta la perte de leur Commandant & de fept de leurs bleflii-
res. Un d'entr'eux , nommé à'Arguello , homme d'une taille & d'une force
extraordinaires, ayant été mortellement blefle, à quelque diftance de fes
Compagnons , fut enlevé par les Vaincus, avec la promptitude qu'ils avoient
CO Solis, Liv. 3. Chap. 18.
• EN A M E R I Q U E, Liv. I. 343
à retirer leurs propres Morts; circonflancc qui augmenta beaucoup le cha-
grin de la Colonie, & qu'on verra décider de la conduite de Cortcz dans la
plus importante de fes entreprifes.
Le Confeil de Vera-Cruz lui rendoit compte de tous ces e'vénemens, en
reconnoiflant que la viftoire même lailToit des fuites fiicheufes à redouter,
&lui demandoic, avec fes ordres, un Succefleur pour d'Efcalante. Un
contre-tems fi cruel & fi peu attendu le jetta dans une alîliftion , qu'il ne
put déguifer à fes Officiers. Il les afPembla tous ; & n'ôfant fe ner aux
premières Délibérations, il les pria de prendre quelque tems, comme il
leur avoua qu'il en avoit befoin lui-même, pour rélléchir fur le fond de cet
incident. 11 leur recommanda lefccret, dans la crainte que le Soldat ne
prît trop vivement l'allarme; & fes Aumôniers reçurent ordre d'implorer
le fecours du Ciel par leurs plus ardentes prières. Enfuite, s'étant retiré
dans fon Appartement , il y pafla feul le relie du jour & une grande par-
tie de la nuit. On rapporte qu'en s'y promenant avec beaucoup d'agita-
tion, le hafard lui fit découvrir un endroit, nouvellement ma^anné, où
l'Empereur avoit fait cacher tous les Tréfors de fon Père; & qu'étant rem-
pli de foins plus importans, il fe contenta de le remarquer, fans être tenté
alors de le faire ouvrir. Avant la fin de la nuit, il fe fit amener fecrette-
ment les Indiens les plus habiles & les plus affeftionnés qu'il eût à fa fuite,
pour leur demander s'ils n'avoient pas remarqué quelque chofe d'extraordi-
naire dans la conduite ou dans l'efprit des Mexiquains , & s'ils jugeoient
que l'eftime de cette Nation fe foutînt pour les Efpagnols. Les Indiens
répondirent que le Peuple ne penfoit qu'à fe réjouir, dans les Fêtes qui
fe faifoient en faveur des Etrangers , & qu'il paroiflbit les révérer de bon-
ne foi, parce qu'il les voyoit honorés de l'Empereur; mais que les Nobles
étoient devenus rêveurs & myftérieux, & qu'ils tenoient des Conférences,
dont il étoit aifé de voir que la caufe étoit déguifée; & qu'on avoit enten-
du, de quelques-uns, des difccurs interrompus, qui pouvoient recevoir
une interprétation finiftre, particulièrement fur la facilité de rompre les
Ponts des Chauflèes. Deux ou trois des mêmes Indiens avoient appris, dans
la Ville, qiie peu de jours auparavant on avoit apporté, àMotezuma, la
tête d'un Efpagnol, & que ce Prince, après en avoir admiré la grofleur &
la fierté, ce qui convenoit la;, aucun doute à celle d'Arguello, avoit re-
commandé qu'elle fût cachée ' _,iieufement (m). Cortez fut d'autant plus
frappé de ce dernier récit , qu'il y crut trouver une preuve certaine que Mo-
tezuma étoit entré, par fon approbation, ou par les ordres, dans l'entre-
prife de fon Général ( n ).
Fermand
C 0 1 T E z.
15 19.
Conduite
de Cortcz îi
l'occafion de
cet incident.
Tréfors
qu'il décou-
vre.
( m ) Herrcra s'étend fur cette tête. Il dit
qu'elle étoit fort groiTe , à barbe noire & fri-
fée , que Motczuma l'envoya dans un Tem-
ple; qu'il fut extrêmement troublé de cette
vue, parce que ne pouvant plus douter qiie
les Efpagnols ne fufl'ent mortels , & confide-
rant néanmoins que de nombreufes Armées
n'avoient pu vaincre un fi petit nombsc
Il commen-
ce à fe défier
de Motezu-
ma.
d'Hommes, il en conclut qu'ils étoient con-
duits par une Puiflance fupérieure, & que
les Pronoftics , qui lui annonçoient la ruine
de fon Empire fc de fa Religion , étoient plus
que vérifiés. Arguello n'étoit mort que de
fes blefliires. Ibidem.
(») Solis & Heirera, mêmes Chapitres.
3+4
PREMIERS VOYAGES
Fer N ANu
CORTt/.,
is I 9.
Confcil
qu'il tient a-
VLC Iqs Ollî-
ckts.
•Il prend la
réfoliition de
fc faifir de
l'Empereur.
• Hardieffede
cette entre-
prilc.
Comment
Cortez l'exé-
cute.
A la pointe du jour, il fit rappeller tons fes Capitaines, avec quelques-
uns des principaux Soldats , auxquels leur mérif:e ou leur expérience avoic
fait donner entrée au Conleil. 11 leur fit une nouvelle expofition du fujec
de rAlll'mblce, & de tous les avis qu'il avoit reçus des Indiens. On pro-
pofa diverfes ouvertures. Les uns vouloient qu'on demandât un Paireport
a Motczuma, pour aller au fecours de la Colonie. D'autres, à qui cette
voye parut dangcreufe, témoignèrent plus d'inclination à fortir lecrette-
ment de la Ville, avec toutes les richejrcs qu'on y avoit amaflees. Le
plus grand nombre fut d'avis de demeurer, fans faire connoître qu'on eût
appris ce qui s'étoit pafle à Vera-Cruz, & d'attendre l'occafion de fe reti-
rer avec honneur. Cortez recueillit toutes ces propofitions, mais ce fut
pour les rejetter, après en avoir fait fentir le danger. Il pefa fur la tête
d'Arguello, qui ne devoit laiffer aucun doute que Motezuma ne fût informé
de la conduite de fon Général, & fur le filence de ce Prince, dont on de-
voit conclure, avec la même certitude, qu'il falloit fe défier de fes inten-
tions. Là-delfus, il établit la nécefiité de tenter quelque chofe de grand,
qui fût capable de faire une profonde impreflion fur l'efprit des Mexiquains,
& de leur infpirer autant de refpeft que de crainte. Enfin, il propofa,
comme le feul parti dans lequel il vît de la fureté , ou comme le feul du
moins dont on pût efpérer une compofition qui convînt à la dignité du
nom Efpagnol , de fe faifir de la Perfonne de l'Empereur , «& de le retenir
dans le Quartier, en donnant pour prétexte la mort d'Arguello, dont il
avoit eu connoiflance, & la perfidie avec laquelle fon Général avoit violé
la Paix. Il ajouta , qu'après aVoir confideré les difficultés d'une entreprife
û hardie, il y en trouvoit beaucoup moins que dans toute autre réfolution;
& s'appliquant à repréfenter les avantages qu'il croyoit attachés au lue-
ces, il en fit une peinture fi plaufibje, qu'elle entraîna toute l'Aflemblée
dans fon opinion (0).
L'Histoire n'a pas d'autre exemple d'une audace de cette nature. Mais
Cortez fe voyoit également perdu, foit par une retraite qui lui ôtoit fa ré-
putation, foit en fe maintenant dans fon Polie, fans la rétablir & l'augmen-
ter par queKjue adlion d'éclat extraordinaire. Il n'y a point de témérité à
fermer les yeux au péril , lorfque la prudence n'ofire plus d'autre relîburce;
& les Efpagnols , accoutumés d'ailleurs à voir la fortune comme enchaînée
à leurs armes , ne pouvoient fe perfuader qu'après les avoir conduits (i
loin , par une fuite de miracles , elle fe laflât d'en faire en leur faveur.
Mais , quelque nom qu'on veuille donner à leur réfolution , ils tournèrent
tous leurs foins à l'exécuter habilement. Cortez , pour ne pas caufer d'al-
larme aux Mexiquains , choifit l'heure à laquelle il rendoit fa vifite ordinai-
re à l'Empereur. Il donna ordre que toute l'Armée prît les armes dans le
Quar-
(0) Diaz del Caftillo prétend que Iui,&
.quelques autres avoient donné ce confeil au
Général , plufieurs jours avant qu'on eût re-
Çi avis de ce qui s'étoit palTé à Vera-Çruz.
Mais les autres Relations ne lui font point
cet honneur; &Solls, lui reprochant d'avoir
voulu s'attribuer lagloire des plus grands dcf-
feins , le raille ici de n'avoir pas différé de
quelques jours un confeil qui cîit été ridicu-
le plutôt, Ibidem.
EN A M E R I Q U E, Liv. I. 345
Qoartier, que les Chevaux fuflTent fellés, & que tous cci mouvemens fe
fif. ,nt fans bruit & fans afFeftation. Enfuite , ayant fait occuper , par quel-
ques Brigades, l'entrée des principales rues aui conduifoient au Palais, il
?y rendit , accompagné d' Alvarado , de Sandoval , de Velafquez de Léon ,
de Lugo, & d'Avila, avec une efcorte de trente Soldats choifis. On ne
fut pas furpris de les voir entrer avec leurs armes, parce qu'ils avoient prii
l'habitude de les porter, comme un ornement militaire. Motezuma les re-
çut fans défiance; & les Officiers fe retirèrent dans un autre Appartement,
fuivant l'ufage qu'il avoit lui-même établi. Les Interprètes s'étant appro-
chés, Cortez prit un air chagrin, & commença fon difcours par des plain-
tes. Il peignit vivement l'infolence de Qualpopoca, qui avoit attaque les
Efpagno^ de Vera-Cruz , au mépris de la Paix, & de la proteélion de
l'Empereur, fur laquelle ils dévoient fe repofer. Il traita comme le plus
noir & le plus infâme de tous les crimes , le malTacre d'un de fes Soldats ,
qui avoit été tué de fang froid par les Mexiquains, pour vanger apparem-
ment la honte de leur défaite; & s'échauffant par dégrés, il donna des
noms encore plus odieux à Qualpopoca & fes Capitaines, pour avoir ôfé
publier qu'ils avoient commis cet attentat par l'ordre de l'Empereur. Mais
il ajouta, que loin d'avoir prêté l'oreille à cette indigne iuppofition, il
l'avoit regardée comme un autre crime, qui bleflblt l'honneur de Sa Ma-
jeflé. Motezuma parut interdit; & changeant de couleur, il fe hâta de
protefter que ces ordres n'étoient pas venus de lui. Cortez répondit qu'il
en étoit convaincu , niais que les Soldats Efpagnols ne fe le perfuaderoienc
pas fi facilement; & que les Sujets de l'Empire ne cefferoient pas d'en croi-
re le récit du Général , fi cette calomnie n'étoit effacée par un desaveu pu-
blic; que dans cette vue, il venoit propofer, àSaMajefté, de fe rendre
fans bruit, & comme de fon propre mouvement, au Quartier des Efpa-
§nols, pour y pafler quelque tems avec fes Amis; qu'une fi généreufe con-
ance n appaiferoit pas feulement le chagrin du puifi^ant Monarque qui les
avoit envoyés à fa Cour & le foupçon des Soldats, mais qu'elle tourneroic
à fon honneur, en effaçant une tache oui le terniflbit; qu'il lui donnoit fa
parole, au nom du plus grand Prince de la Terre, qu'il feroit traité entre
les Efpagnols , avec tout le refpef): qui lui étoit dû ; & qu'ils n'avoient pas
d'autre deffein que de s'afllirer de fa volonté, pour lui rendre leur^ fervi-
ces avec plus d'obéiffance & de vénération (p).
Cortez fe tut; & Motezuma, frappé d'une Ci étrange propofition,
demeura comme immobile, de colère ou de furprife. Ce filence avant du-
ré quelques momens, Cortez, qui ne vouloit employer la force qu après a-
voir perdu l'efpoir de réufllr par l'adreffe & la douceur, continua de lui re*
préfenter, que le Logement, qu'il avoit donné aux Efpagnols, étoit un
de fes Palais, où il leur avoit fait fouvent l'honneur de les vifiter, & que
fes Sujets ne s'étonneroient point de l'y voir pafTer quelques jours, fur-tout
pour
toire ; & cette raiibn oblige d'en rapporter
toutes les citcondances.
• (p) Cet événement a l'air fl fabuleux,
ou'on ne s'y arrôteroit point s'il n'étoit vé-
iifié par tout ce qu'il y a de certain danslUis-
XFIII Part,
FtRNAN»
Cortez.
1519.
Rcprocbes
Xu'il fait \
lotczunia.
Comment
il lui déclare
fes intentions.
Embarras de
ce Prince,
Xx
34<S PREMIER
F s R N A N »
Coii r Kl.
Ofi'ros qu'il
fait à Cortcz.
rmporte-
mciu lie quel-
ques Olucicis
.igiiols.
Avec quel-
le ailrcllcMn-
rina détermi-
ne l'Eiiipe-
j-eur à fe li-
vrer aux Ef-
l^guols.
î;
VOYAGES
pour le laver d'un* imputation qui faifoit tort à fa gloire. Enfin, le fier
MoM.irquc perdit pat Kiice, 6c ne dilVimulant pas même qu'il pcnctroit le
motif de cette demande, il repondit, d'un air aflez brufque, qu'un Empe-
reur du Mexique n'ctoit pas fait pr)ur la prifon, va que quand il Jeroic ca-
pable de s'abhaiflVr ju'quà ce point, fcs Sujets ne nunqueroient pas de s'y
oppi)llr. Alors Cortc/., prenant un ton plus ferme, lui déclara, ciuc s'il
ccdoit de Lunne g^ice, lans i»bliger les Efpagnols de perdre le relpeèt au'ils
avoi.nt pour lui, il s'imbarralVoit fort peu de la refillance de fes Sujets,
contre kriiiLJiJ il pourroit employer toute la valeur de les Soldats, fans
que l'amiiié. ([u'il vouloit entretenir avec lui, en reçût la moindre diminu-
tion. Cette difpure dura long • tems. Cortez fe llattoit toujours de l'em-
porrcr, par un ii:c!!-\ti;c de relptél & de hauteur. Motezuma, qui com-
nienço.if- à oeeouvrir h péril où il étoit, fe jetta fur diverfes propofitions.
Il offrit de faire arrêter (^tialpopoca & tous les Officiers, pour les livrer
entre ks mains de ("ortez 11 vouloir donner fes deux Kils en otages. Il
réperoic. avic une vive agitation, qu'on ne devoit pas craindre qu'il prît
la fuite & qu'il allât Ce cacher dans les Montagnes, Cortez refufoit toutes
les ot]V.^s. L'ICmpercur ne fe rendoit point. Cependant il s'étoit palTd
trois tieuns , & les Olficiers Efpagnols commençoient à s'allarmer d'un fi
long délai. Velafquez de Léon dit hautement, dans fon impatience, que
les dilcdurs e oient inutiles , & qu'il falloit s'en faifir ou le poignarder. Mo*
ttzuma voulut lavoir, de Marina, ce qu'on difoit avec tant d'emporte-
ment. Cette habile Interprète faifit l'occafion, pour l'embarrafler par de
nouvelles allarmes j &, feignant de craindre que fon difcours ne fût enten-
du des Efpagnols, elle lui répondit qu'il étoit en danger, s'il réfiftoit à
des gens dont il connoilfoit la réfolution , & qui étoienc alîiftés d'un fe-
cours extraordinaire du Ciel; qu'étant née dans fon Empire, elle n'avoit
en vue que fes intérêts; que s'il confentoit fur le champ a fuivre le Géné-
ral étranger, elle lui garantiffoit qui! feroit traité avec tous les égards dûs
à fon rang; mais que s'il s'obftinoit à réfifter , elle ne répondoic pas de fa
vie. Ce difcours triompha de fa fierté. Il fe leva brufquement, pour dé-
clarer à Cortez qu'il fe fioit à lui , qu'il étoit prêt à palfer dans fon Quar-
tier; & que c'étoit la volonté des Dieux du Mexique, puifqu'ils permet-
toient que les perfuafions des Efpagnols l'emportalfent fur toutes i'es diffi-
cultés. Il appellà aufli-tôt fes Officiers Domeftiques, pour leur ordonner
de préparer fa litière. Il nomma ceux qui dévoient l'accompagner, après
leur avoir dit que, par des raifons d'Etat, qu'il avoit concertées avec fes
Dieux, il avoit réfolu d'aller pafler quelques jours dans le Palais de fon Pè-
re. Ses Minières , qu'il fit appeller aufli , reçurent ordre de communi-
quer fa réfolution au Peuple. Il ajouta qu'il l'avoit formée volontairement
& pour le bien de l'Empire. D'un autre côté , chargeant un Capitaine de
fes Gardes d'aller fe faifir de Qualpopoca & de tous les Chefs de l'Armée,
il lui remit, pour la fureté de fa Commiffion, un Sceau qu'il portoit atta-
clié au bras droit. En donnant publiquement tous ces ordres, il prioit Ma-
rina de les expliquer aux Efpagnols , dans la crainte de leur donner de
l'ombrage , & de s'expofer à quelque violence.
Il
EN AMERIQUE, L i v. I.
S<^
Tl fortit de Ton Palais, avec une fuite affcz nombrcufe. Les Efpagnols
dtoicnt autour tle fa litière, & le gardoicnc fous prétexte de l'efcorter. Le
bruit s'étant répandu dans toute la Ville que les Etrangers cnlevuient l'Em-
pereur, 011 vit aulTi-tôt les rues pleines de Peuple, qui pouHbit de grands
cris , avec l'apparence d'un foulevcment général. Les uns fe jettoicnt à
terre; d'autres témoignoiciu leur afUiftion par leurs larmes. L'Empereur
prit un air gai & tranquille, qui appaifa ce tumulte, fur-tout lorfqu'ayant
fait ligne de la main , il eut déclaré, que, loin d'être Prironnicr, il alluic
paiTer librement quelques jours avec les Etrangers, pour fe divertir avec
eux. En arrivant au Quartier des Efpagnols, il fit écarter la foule, qui
n'avoir pas celfé de le fuivrc, avec ordre, à fes Minières, de défen'.re les
alTemblees tumukueufes fous peine de mort. ^ Il fit beaucoup de c^Tclfes
aux Soldats Efpagnols, qui vinrent le recevoir avec les plus grandes mar-
ques de refpeét. Il clioifit l'appartement qu'il vouloit occuper. On mit ,
à la vérité , des Corps-de-Garde à toutes les avenues. On doubla ceux
du Quartier. On plaçi des Sentinelles dans les rues. Aucune précaution
ne fut oubliée. Mais les portes demeurèrent ouvertes pour les Olficiers de
l'Empereur, que l'on connoiflbit tous, & pour les Seigneurs ^1pxiquains,
qui venoient lui faire leur Cour; avec cette réferve, que, fous prétexte
d'éviter la confufion, on n'en admettoit qu'un certain nombre, à mcfure
que les autres étoient congédiés. Dès le premier jour, Cortez rendit une
vifite au Monarque , après lui avoir fait demander Audience , avec les mê-
mes cérémonies qu'il avoit toujours obfervées. Il le remercia d'avoir ho-
noré cette Maifon de fa préfence, comme fi fon féiour y eût été libre; &
ce Prince afFefta de paroître aufli content, que fi les Efpagnols n'eufll^nt
pas été témoins de fa réfifiiance. Il leur diftribua, de fa main, quantité de
préfens, qu'il fe fit apporter dans cette vue; &, loin de découvrir, à fes
Miniftres, le fecret de fa prilon, il s'efforça de diffiper toutes leurs dé-
fiances, pour conferver du mo;ns la dignité de fon rang dans l'opinion des
Mexiquams. Entre ceux qui n^^ pouvoient fe perfuader qu'il fût libre, les
uns, condamnant la conduite de Qualpopoca, louèrent celle de leur Sou-
verain, & donnoient le nom de grandeur d'ame à l'effort qu'il avoit fait
d'engager fa liberté pour faire connoître fon innocence. D'autres étoient
perfuadés que leurs Dieux, avec lefquels ils lui fuppofoicnt une commu-
nication familière , lui avoient infpiré ce qu'il y avoit de plus convenable à
fa gloire. Les plus fages refpeéloient fa réfolution , fans fe donner la li-
berté de l'examiner, d'autant plus qu'il exerçoit les fon6lions Impériales
avec la même régularité. Il donnoit fes Audiences & tenoit fon Confeil
aux mêmes heures. Les affaires de l'Etat n'étoient pas plus négligées; &,
ce qui furprenoit les Efpagnols mêmes, chaque jour fembloit augmenter
pour eux fa confiance.
On apportoit, du Palais Impérial , tout ce qui devolt être fervi fur fa ta-
ble. Le nombre des plats étoit beaucoup plus grand qu'il ne l'avoit jamais
été; & ceux auxquels il n'avoit pas touché étoient aulTi tôt diflribués aux
Soldats Efpagnols. Il connoiffoit tous les Officiers par leurs noms , & l'un
remarqua qu'il avoit même étudié la différence de leur génie & de leurs in-
Xx 2 cli-
F f. !» If •, rr »
C O 11 T F. /.,
I
S 1 9.
II
fil cou-
liait
;ui Quai-
de C.'t-
ticr
tcz.
Mcfares
(iLi'oii y u!i-
foivc avec lui.
Il diffimule
fa fitiiation |
fts Sujets,
Jugement
qu'ils en por-
tent.
Conduite
de Motezu-
ma dans fa
captivité.
Feen.and
CORTEZ.
1.5 1 p.
Son obfti-
nntion dans
l'Wolàtrie.
La mort
d'Efcalantc &
d'ATgucllo
cft vangée.
Sentence
PjonQncée.
contre les
Coupables.
348 P R E M I E R S V O Y A G E S
clination» (q). La familiarité (r), dans laquelle il vivoit avec eux, leur
fit croire à la fin qu'il avoit oublié fes reflentimens , ou que les témoigna^
ges continuels , qu'il recevoit de leur refpeft & de leur aflFeftion, l'a-r
voient perfuadé qu'ils n'avoient en vue que fa gloire & la juftice (s).
On lui expliquoit ibigneufement les principes du Chriftianifme ; & Cortcz
poufla le zèle jufqu'à demander une AiTemblée deS: principaux Seigneurs
de la Nation, pour leur repréfenter les abfurdités de l'Idolâtrie, dans une
harangue fort fingulière, qu'Herrera nous a confervée ({)• Mais elle fit
auiTi peu d'impreilion fur leur efprit , que les inllru6lions particulières fur
celui de Moteziima. Un miracle même, dont les Hidoriens font honneur
à la foi de Cortez (v), ne put vaincre des coeurs endurcis par l'habitude
de l'erreur & du vice.
Cependant le Capitaine des Gardes, qui avoit été dépêché dans la
Province des Totonaques, amena, chargés de chaînes, Qualpopoca &
fes principaux Officiers. Ils s'étoient rendus fans réfiflance, à la vue du
Sceau Impérial. Cortez, permit qu'ils fufient conduits droit à Motezuma»
parce qu'il fouhaitoit que ce Prince les obligeât de cacher qu'ils euifent
agi par fes ordres. Enfuite ils lui furent amenés; & l'Officier, qui les
conduifoit, lui dit, de la part de l'Empereur, qu'il pouvoit tirer d'eux la
vérité, & les punir avec toute Ja rigueur qui convenoit à leur crime. Ils
confefTèrent d'abord qu'ils avoient rompu la Paix par une Gujerre injufte ,
es. qu'ils étoient coupables du meurtre d'Arguello, fans chercher à s'excufet
par Tordre de leur Maître : mais lorfqu'on leur eut déclaré qu'ils alloient
être punis rigpureufement , ils s'accordèrent tous à rejetter leur faute fut
lui. Cortez refufad'écou<:'2r leur dépofition , qu'il traita d'impoilure. La
caufe futjpgée militairement; &, les Coupables reçurent leur Sentence , qui
les condami\pit à être brûlés vifs devant le Palais Impérial,
On délibéra aulTi-tôt fur la forme de l'exécution. Il parut important de
ne la pas différer ; mais , dans la crainte que Motezuma ne s'aigrît & ne
vpulût foutenir des Malheureux, (dont tout le criipe étoit réellement d'avoic
■' o
exe?
(q) IKprit une afFeftîon particulière pour
un Caflillan , nommé Penna , qu'il combla de
rtcheiïes, & fans lequel il ne pouvoit être
un moment. Herrera, Liv. 8. Chap. 5.
(r) Il paflbit les foirs à jouer, avec Cor-
tez , au Totoloque , cfpèce de jeu de quilles ,
qui fe jouoit avec de petites boales & de pe-
tites quilles d'or. Motezuma diftribuoit fon
gain aux Soldats Efpagnols,. & Cortez don*
noit le fien aux petits Officiers Mexiquains.
Alv^arado marquoit ordinairement, & favori-
foit fon Général. L'Empereur , qui s'en ap-
peiçi^t fo£t bien , le railloit agréablement de
compter mal , & ne laiflbic pas de l'engager,
chaque fois à prendre la même peine. So-
lis, Chap. 20. Soit qu'il fût naturellement
doux & libéral , & que la difgrace l'eût ra-
DLçné.à.fQn caraftèrç aatiuel» foit qu'il fe fit
violence pour plaire aux Efpagnols , il par .
vint à s'en faire aimer comme un Frère ou un
Père. Herrera, ubi fuprà.
( f ) On lui accordoit quelquefois la liber-
té, d'aller fe. promener fur le Lac, & fe ré.-?
jouir même dans fes Maifons de Plaiiànce ;,
mais il étoit toujours accompagné d'une Gar«
de Efpagnole, & d'un grand nombre de Tlaf-
calans , qui le ramenoient le foir dans fa Pri-r
fon. Herrera, Liv. 8. CUap. 4. ,^ ,.
(t) Ibidem, Chap. 7. "^* " ^
(v) Ils racontent que la fàîfon étant forD
feche , & les Prêtres Idolâtres ayant deman-
dé en vain de la pluye à leurs Dieux, Cor-i
tez en promit pour un jour marqué , & qu'il
en tomba effeAivement une fort abondante^
IM. Chap. 6t
., -J^.
EN A M E R I Q U E, Liv. I. 345^
exécuté Tes ordres, Gortez forma un deflein, qui furpafTe tout ce qu'on a
vu jufqu'à préfent de plus audacieux dans fes réfoludons, & qui ne peut
êtrejuflifié que par la facilité avec laquelle il avoit réduit ce Prince à fe
laifler conduire en Prifon. Il fe fit apporter des fers, tels qu'on les met-
toit aux Espagnols qui avoient mérité cette punition ; il fe rendit à l'appar-
tement de l'Empereur , fuivi d'un Soldat , qui les portoit à découvert , de Ma-
rina, pour lui fervir d'Interprète, & d'un petit nombre de fes Capitaines;
il ne le difpenfa d'aucune des révérences & des autres marques de refpeél,
qu'il rendoit ordinairement à ce Monarque, enfuite élevant la voix, d'un'
ton fier, il lui déclara que fon Général & les autres Coupables étoient con*
damnés à mourir , après avoir confeifé leur crime ; qu'ils l'en avoient char-
gé lui même, en foutenant qu'ils ne l'avoient commis que par fon ordre;
que des indices fi violens l'obligeoient de fe purger , par quelque mortifica-
tion perfonnelle j qu'à la vérité les Souverains n'étoient pas fournis aux pei-
nes de la'Juftice commune, mais qu'ils dévoient reconnoîcre une Jufti-
ce fupérieure, qui avoit droit fur leurs Couronnes , & à laquelle ils dé-
voient quelque fatisfaélion. Alors il commanda , d'un air ferme & ab-
folu, qu'en lui mît les fers; & s'étant retiré, fans lui laiflTerle tems de
répondre, il donna ordre qu'on ne lui permît aucune communication avec
fes Miniftres.
Un traitement fi honteux jetta le malheureux Motezuma dans une fi pro-
fonde conflernation , que la force lui manqua également pour réfiflier & pour
fe plaindre. Il fut long tems dans cet état, comme un Homme abfolument
hors de foi. Quelques-uns de fes Domeftiques, qui étoient préfens, ac-
compagnoient i"a douleur de leurs larmes, fans avoir la hardiefle de parler.
Ils fe jettoient à fes pieds, pour foutenir le poids de fes chaînes. Ils fai-
foienc pafler , entre la chair & le fer , quelques morceaux d'une étofl^e dé-
liée , dans la crainte que fes bras & fes jambes ne fuflTent oflFenfés. Lorf^
qu'il revint de ceti.e efpèce d'égarement, il donna d'abord quelques mar-
ques de chagrin & d'impatience; mais ces mouvemens s'appaiférent bien-
tôt, & ion malheur lui parut une difpofition du Ci''!, dont il attendit la
fin avec aflez de confiance. D'un autre côté, les ^fpagnols preflbierit
l'exécution des Coupables. Ils avoient reçu avis, quelques jours aupara-
vant, que dans une des Maifons Impériales, nomraie Tlacochako, il y
avoit un amas de lances , d'épées , de boucliers , d'arcs & de flèches , qu'ils
craignirent de voir quelque jonr employés contr'eux. Ils en avoient parlé
à Motezuma, & ce Prince leur avoit répondu naturellement que c'étoit un
ancien Magafin d'armes , tel que fes Prédécefl^urs l'avoient toujours eu ,
pour la défenfe de l'Empire. L'occafîon leur parut favorable , pour fe dé-
livrer d'un fujet d'allarme. Ils employèrent toutes ces armes à compofer
le bûcher, dans lequel Qualpopoca & fes Complices furent brûlés (a).
Cette a£lion eut pour témoins tous les Habitans de la Ville , fans qu'on en-
tendît aucun bruit qui pût caufer le moindre foupçon. Il fembloit, dit un
grave Hiftorien (y), qu'il fût tombé» fur les Mexiquains, unefprit dV
(^) Herrera, Liv, 8. Cbap, 8. (y) Solis, Llv, 3. Cia}, zo,
Xx 3
Fehnano
Gortez.
1519.
Célèbre au-
dace de Cor-
tez, qui mec
les f' r.; aux
mains de
l'Empereur.
Conflerna-
tion de Mo-
tezuma & de
fes Sujets.
Exécution
de la Senten-
ce portée
contre les
Meurtriers-
d'Arguello.
350
Fernan»
Coûtez.
1519-
Comment
Cortez ôtc
les ÏJïi à
l'Empereur.
PREMIERS VOYAGES
tourdiiTement, qui tenoit tout à la fois de l'admiration, de la terreur & du
refpeft. Leur furprife étoit extrême, de voir exercer une Jurifdiftion ab-
folue, par des Etrangers, qui n'avoient au plus que le caraftère d'Ambafla-
deurs d'un autre Prince ; mais ils n'avoient pas Ja hardielfe de mettre en
queftion un pouvoir qu'ils voyoient établi par la tolérance de leur Souve-
rain. D'ailleurs, ils avoient condamné la conduite de Qualpopoca; &
fon crime leur parut d'autant plus odieux, qu'il en chargeoit Ion Maître,
quoique ce Prince n'eût pas celfé de le desavouer. Mais , n'attirons point
Cortez au Tribunal de la raifon. S'il n'étoit pas enivré lui-même, par l'ex-
cès de fes profpérités , il faut fuppofer que là prudence le conduifoit par
des règles que les Hifloriens ont ignorées, & qui étoient alors les plus fa-
ges, parce qu'elles étoient les plus convenables aux circonftances.
Aprks l'exécution, il fe hâta de retourner à l'Appartement de Motezu-
qu'il falua d'un air gai & careflant. Il lui dit qu'on venoit, de punir
ma
Artifices
par lefqucls il
iiicnagc l'ef-
prit de ce
Friucc.
11 entre-
prend de fc
Tendre maître
des paffages
du Lac.
des Traîtres, qui avoient eu l'infoknce de noircir la réputation de leur
Souverain; & l'ayant félicité du courage qu'il avoit eu lui-même de fatis-
faire à la juftice du Ciel par le facrifice de quelques heures de liberté , il lui
fit ôter fes fers. Quelques Relations aiïiirent qu'il fe mit à genoux, pour
les lui ôter de fes propres mains. Ce Monarque humilié s'applaudit du re-
tour apparent de fa grandeur, avec des tranfports fi vifs, qu'il ne ceflbit
pas d'embralfer Cortez & de lui exprimer fa joye. Tandis qu'il s'y livroit
fans mefure, le Général Efpagnol, par un autre trait de cette Politique,
qu'il favoit transformer en généroficé, donna ordre en fa préfence qu'on
levât toutes les Gardes, & lui dit que la caufe de fa détention ayant cefle,
il étoit libre de fe retirer dans fon Palais. Mais il favoit que cette offre ne
feroit point acceptée. On avoit entendu dire , à Motezuma , que jufqu'au
départ*des Efpagnols il n'étoit plus de fa dignité de fe féparer d'eux, par-
ce qu'il perdroit l'eftime de fes Sujets , s'ils pouvoient s'imaginer qu'il tînt
fa liberté d'une main étrangère. C'étoit Marina, qui lui avoit infpiré ce
fentiment, par l'ordre même de Cortez, qui n'avoit pas ceffé d'employer
l'adreffc , pour le retenir dans fa prifon, Cependant , quoique ce motif
confervât fur lui toute fa force, il eut honte de l'avouer; & prenant un au-
tre prétexte , dont il crut fe faire un mérite dans l'efprit des Efpagnols , il
répondit que leur propre intérêt ne lui permettoit pas de les quitter, par-
ce que fa Noblefle & fon Peuple le prefferoient de prendre les armes con-
tr'eux. Cortez loua fa générofité , & lui rendit grâces de l'attention qu il
failbit à fes Amis: nouvelle rufe, qui fervit à rétablir toutes les apparen-
ces de la bonne foi, entre des gens qui croyoient fe tromper mutuellement.
Elle fe foutint, avec des affectations, dont le récit bleffe quelquefois la
vraifemblance (z).
Dans cet intervalle, Cortez n'oublia aucune des précautions qui pou-
voient "♦■iblir fa fureté. Les Hiiloriens n'expliquent point quels étoient
particulièrement fes deffeins; mais ayant nommé Sandoval, pour fiicceder
à d'Efcalante dans le Gouvernement de Vera Cruz, il fe fit apporter les
mâts, les voiles, la ferrure, & tous les agrets des Navires qu'il avoit fait
cou-
..(3) Solis, Liv. 4. Chap. i.
; E N A M E R I Q U E, Liv. I. 351
couler à fond. II. ne pouvoit oublier ce que les Tlafcajans avoient enten- Ferkano
du, fur la facilité de rompre les Chauflees & les Ponts; & Ton dcllein é- Coktez.
toit de f lire conftruire deux Brigantins dans Mexico , pour fe rendre maître ^5^9-
dés Paflages du Lac 11 fit agréer cette entreprife à Mocczuma, fous le
prétexte de lui donner quelque idée de la Marine de l'Europe. Ce Prince
lui fournit du bois ; & les Charpentiers Efpagnols achevèrent en peu de
tems un ouvrage, qui devint un nouveau fujec d'admiration pour les Me-
xiquains. . On s'en fervit pour faire des Promenades & des Chafles, qui
donnèrent occafion, à Corte:&, d'obferver toutes les parties du Lac. En
même tems, il s'informoit de la grandeur & des limites de l'Empire; &
les queftions, qu'il faifoit fur une matière (i délicate, étoient amenées fi
habilement, que loin d'en concevoir aucun foupçon , l'Empereur lui fit def-
Cner, par fes Peintres , une efpèce de Carte, qui repréfentoit l'étendue &
la fituation de Tes Etats.. Dans ces explications , les Provinces , d'où l'on
tiroit l'or, furent nommées; & Cortcz, qui tendoic , par mille détours,
à cette importante connoiflance , offrit aulli-tôt d'y envoyer quelques Ef-
pagnols ,. qui entendoient parfaitement le travail des Mines. Sa propofi-
tion fut acceptée. Motezuma lui apprit alors que les plus riches étoient îles Mines du
dans la Province de Zrtfflf M/a , du côté du Sud, à douze journées de Mexi- ^'•'-'"a^i'-'-
co; & dans celle de Chivantlay fituée au Nord, qui ne dépendoit pas à la
vérité de fon Empire, mais où fon nom étoit afl'ez refpeclé pour garantir
ceux qui feroienc ce Voyage i'ous fa protedion. Il lui nomma auffi le
Pays des Zapotecas, en lui promettant des Guides, qui connoiflbierit tous
ces lieux. Cortez choilit C/?«èrw & P/za/ve, pour une Commiflion qui fut
briguée de tous les Efpagnols. Ils partirent avec quelques Soldats de leur ?."'pl"Q,V""^
Nation , & .une bonne Efcorte d'Indiens. Umbria , qui revint le pre- r^^.^^^
mier, apporta trois cens marcs d'or, & rendit témoignage que les Mi- ,
nés du Sud étoient fort abondantes. Pizarre apporta mille marcs de
celles du Nord (a).
■ C'est pendant leur Voyage, qu'on place une entreprife beaucoup plus
dangereuie , qui efl rapportée avec une forte de farte par les Ililloriens ori-
ginaux, comme le plus glorieux exploit deCortez,& fur laquelle néanmoins |?['|"' .'■^':5''""'*
iiolis fait naître des doutes (/>). Elle regarde la Religion, dontonprétend
•'' ■• que
Il s'informe
II y envoyé
Kntrrprife
qu'il lurine
(a) Hcrrera, Liv. g. Cbap i;
( i» 3 ^l t^ft importais de les rapporter, pour
donner plus de crédit à tout ce qui vient
d'un P:erivain fi mefuré. „ Bernard Diaz
„ alVure, dit -il, qu'on fe détermina, dans
„ le niéiiie teins, à mettre en pièces toutes
„ fes idoles du Mexique, & à convertir en
„ Eglife le principal Temple de cette Ville.
,^ Lopez de Gomara , qui s'accorde quel-
A quefois avec cet Auteur fur ce qui paroît
,,, le moins vraifemblable, avance la même
„ chofe. Ils alTurent que les Efpagnols for-
„ tirent de leur Quartier dans la rcfo'.ution
„ d'exécuter ce projet, malgré ks prières &
„, la rcGIlancc de Motezuma,- que les Sacri-
ficateurs prirent les armes, & que toute
la Ville fe fouleva pour défendre fes Dieux;
qu'enfin la confidération de la Paix obli-
gea Cortez de laifier les Idoles en repos,
fe contentant d'élever , dans le^ Temple
même, un Autel fur lequel on plaça une
Croix & une Image de la Sainte Vierge;
qu'on y célébra folemnellement la Meile ;
que cet Autel y fubfiila long-cems par les
foins des^ Sacrificateurs, qui s'appliquoient
à le tenir propre & à le parer, llerrera
confirme cette Relation , & la poulFe en-
core plus loin , par des circonftances ou-
trées. 11 nous repréfente une Proccflloa
fort dévote, quoique faite les armes à la
„ uiaiu,
352
PREMIERS VOYAGES
f ERN AND
' CORTSZ.
Elle irrite
les Seigneurs
]\l(;xi(2uains.
Confpira-
tion étoufFée
dansl'origine.
Politique de
Motczunia.
que le zèle tranrporta Cortez jufqu'à le faire entrer à force ouverte dans le
principal Temple de Mexico , pour y faire célébrer la Mefle au milieu des
Idoles. Ceux qui croyent ce récit injurieux pour fa prudence, & qui le
traitent de fiftion , conviennent , du moins , que fon emportement , con-
tre l'Idolâtrie , allarma les Sacrificateurs. Cacumatzin , Prince de Tetzuco ,
animé par leurs follicitations , prit ce prétexte pour fe déclarer fortement
contre les Efpagnols. II y joignit celui de rendre la liberté à Motezuma , &
de foutenir tout-à-la-fois 1 honneur de fes Dieux & de fon Souverain. 'Quoi-
que ces fpécieux motifs ne fuflent qu'un double voile pour couvrir Tambî"
tion qui le faifoit afpirer au Trône, il les fit valoir avec tant de force &
d'adrefle, qu'ayant engagé , dans fa caufe, un grand nombre de Seigneurs,
qui n'attendoient que l'occafion pour faire éclater leur haine contre les £-
trangers , il fe vit bientôt à la tête d'un Parti formidable. A cette nou-
velle , Gortez réfolut d'employer les armes , pour étouffer la révolte dans
fa naiflance. Mais l'Empereur , qui pénétra l'intention réelle de fon Ne-
veu, & qui, dans l'illufion où les Efpagnols Tentretenoient fur fa liberté ,
ne mettoit plus de différence entre leurs intérêts &. les deT^ , trouva des
voyes plus courtes pour arrêter les Rebelles. L'afcendant, qu'il confervoic
encore fur quelques-uns des plus puilTans, & les récompenfes, qu'il leur
fit offrir en fecret, les difpoférent à trahir leur Chef. Cacumatzin fut ar-
rêté par fes propres Complices, & conduit au Quartier des Efpagnols, où
Cortez demanda que fa punition fût bornée à la perte de fon Domaine, qui
fut tranfporté à Cucuzca fon Frère ( c ).
Cependant , lorfque le calme eut fuccedé à cette révolution , l'Empereur
ouvrit les yeux fur le danger dont il étoit forti. En réfîéchiffant fur fa fi-
tuation , il lui parut que les Efpagnols faifoient un long féjour dans fa Capi-
tale. Quoiqu'il ne pût lui tomber dans l'efprit qu'un fi petit nombre d'E-
trangers en vouluflent à fa Couronne, il s'appercevoit de la diminution de
fon autorité parmi fes propres Sujets, & la Guerre, qu'il venoit d'étein-
dre, pouvoit fe rallumer. Il fentoit la néceflîté d'engager Cortez àprefler
fon départ; mais fa fierté lui donnoit de la répugnance pour une ouvertu-
re qui renfermoit l'aveu de fes craintes ,• fans compter que l'imprefïion da
premier avis de Marina duroit encore, & l'allarmoit pour la fureté de fa
• Per-
„ main , pour accompagner les faintes Ima-
„ ges jufqu'au Temple. 11 rapporte l'Oral-
„ fon que Cortez fit devant le Crucifix, & il
„ place , dans cette occafion , le Miracle de
„ la pluye accordée à la dévotion du Géné-
„ rai. On ne fera point de réflexion fur
„ l'embarras où Cortez fe feroit jette, en
„ garantiflânt , aux Infidèles , un Miracle
„ qui devoit être une preuve de la vérité de
„ fa Religion ; mais quand on voudroit at-
,, tribuer cette imprudence à l'ardeur de fort
„ zèle, elle paroîtra choquer la raifon, fi
„ l'on confidère fes lumières, le favoir du
„ Père Olmedo fon Aumônier, & l'obilina-
I, tion de Motezuma & de fes Sujets, qui n'a-
„ voient donné aucune marque de penchant
„ pour le Chriftianifme. D'ailleurs , on ne
,, fe contente point de placer la Croix dans
,, un lieu déteuable; on la commet encore à
„ la difcrétion des Sacrificateurs idolâtres,
„ expofée à leurs irrévérences, onfaitcélé-
„ brcr les plus faints Myftères de la Reli-
„ gion au milieu des Idoles, Voilà les at-
„ tentais qu'on ôfc donner non -feulement
„ pour vrais , mais comme glorieux & mé-
„ morables C'eft au Lefteijr à décider fur
, la qualité de ces éloges ". Solis ,_ ubi
fuprà.
( c ) Herrera , Liv. 9. Cbap. 2. £5* fuiv.
Solis, Liv. 4. Cbap. 2.
• EN AMERIQUE, Lïv. I.- 353.
Perfonne. Ces incertitudes produifirent une rdfoUition fort étrange. Il
conçut que le moyen de fe délivrer honnêtement des Efpagnols étoit de
marquer une extrême impatience de fe lier avec leur Prince, & non-feule-
ment de les charger de richelTes , qu'il les prefleroit de lui porter en fon
nom, mais de lui rendre, entre leurs mains, un hommage folemnel, ea
qualité de SucceiTeur de Quezalpoal & de premier Propriétaire de l'Empire
du Mexique. Cette propofition, qu'il trouva le moyen de leur faire allez
adroitement, étoit, en eiFet, ce qu'il y avoit de plus propre à flatter leur
avarice & leur ambition. Auffi Cortez parut il extrêmement fatisfait, de
fe voir offrir ce qu'il n'auroit ôfé demander. Il pénétra néanmoins l'artifice;
mais, quelles que puffent être fes vues, fur lefquelles il ne s'étoic encore
ouvert a perfonne, il prit le parti d'accepter les avantages qu'on lui préfen-
toit , fans renoncer au fond de fon entreprife , fur lequel il remettoit à
s'expliquer après l'arrivée des ordres qu'il attendoit d'Efpagne.
MoTEZUMA ne différa point à faire affembler fes Caciques. Ils fe ren-
dirent dans l'Appartement qu'il occupoit, au Quartier des Efpagnols. Diaz
aflure qu'il eut avec eux une longue Conférence , à laquelle Cortez ne fut
point appelle, pour les difpofer apparemment à goûter fes propofitions.
Mais, dans une autre Affemblée, où il tenoit la première Place après l'Em-
pereur, avec les Interprètes & quelques-uns de fes Capitaines , Mocezuma
fit une courte expofition de l'origine des Mexiquains , de l'expédition des
Navatlaques, des prodigieux Exploits de Quezalpoal, leur premier Empe-
reur, & de la Prophétie qu'il leur avoit lailîëe, en partant pour la Conquê-
te des Pays Orientaux. Enfuite, ayant établi, comme un principe incon-
teftable, que le Roi d'Efpagne , Souverain de ces Régions , étoit le légiti-
me Succefleur de Quezalpoal , promis tant de fois par les Oracles , & de-
firé fi ardemment de toute la Nation, il conclut qu'on devoit reconnoître,
dans ce Prince , un droit héréditaire , qui appartenoit au fang dont il étoit
defcendu. Il ajouta , que s'il étoit venu en perfonne, au lieu d'envoyer fes
Ambaffadeurs, la juilice auroit obligé les Mexiquains de le mettre en pof-
feffion de l'Empire; & que lui-même, qu'ils reconnpiffoient pour leur Sou-
verain, il auroit remis fa Couronne à fes pieds, pour lui en laiffer la dif-
pofition abfolue, ou pour la recevoir de (a main: «-mais que la même rai-
ibn l'obligeoit de lui en faire hommage dans la perfonne de ceux qui le re-
préfentoient, & de joindre, à cette déclaration , la plus riche partie de fes
tréfors ; & qu'il fouhaitoit que tous les Caciques de l'Empire fuiviffent fon
exemple , par une contribution volontaire de leurs biens , pour fe faire un
mérite de leur zèle aux yeux de leur premier Maître (rf).
La réfolution de Motezuma paroîtroit incroyable, après l'opinion qu'on
a dû prendre de fa puiffance, & plus encore après les premières idées qu'on
a données de fon caraftère , fi t'on ne fe rappelle qu'il fe croyoit menacé de
la perte de fon Empire, & que cette crainte l'avoit difpofé à toutes fortes
d'humiliations. Il ne paroît pas moins , que fon orgueil fouffroit une mor-
telle violence. Tous les Hiftoriens conviennent qu'en prononçant le terme
d'hommage, il s'arrêta quelques momens, & qu'il ne put retenir fes larmes.
., - . Coï-
(d) Solis, Cbap. 3. . , • i •.
XniL Part. Y V
Fbrkaii»
Cortez.
1519-
Cortez la
fait tourner i
fon avantage.
Motezuma
fait hommage
de fes Etats i
l'Efpagne.
Son motif
dans cette
étrange dé-
marche.
354
P R E^ M I E R S VOYAGES
FCRKAND
C O R T E Z.
Ses regrets.
Adrefle de
Cortez.
PréCens
3u'il reçoit
e l'Empire
iM Me:ùque.
Diftribu-
tion qu'il en
fait.
Motezuma
le prefle de
quitter fes
Etats,
Cortez, s'il faut s'en rapporter aux mêmes témoignages, voyant que la dou*
leur du Souverain faifoic impreffion fur les Caciques, fe hâta de les raflurer,
en leur déclarant que l'intention du Roi Ton Maître n'étoit pas d'introduire
une nouvelle forme de Gouvernement dans l'Empire, & qu'il ne demandoit
que réclaircifTement de fes droits en faveur de fes Defcendans ; mais qu'au
refle il étoit fî éloigné du Mexique, & partagé par tant d'autres foins, qu'on
ne verroit peut-être de long-tems l'effet des anciennes prédirions. Mais
il n'en accepta pas moins la difpofition qui venoit de fe faire en faveur
desEfpagnols (e).
Cette fameufe cérémonie , qui a fait le principal titre de l'Efpagne pour
juflifîer la Conquête du Mexique , fut accompagnée de toutes les formali-
tés qui pou voient lui faire mériter le nom d'Aébe national (/). Peu de
jours après, Motezuma fit remettre, à Cortez, les riches préfens qu'il te-
noit prêts. C'étoient quantité d'ouvrages d'or, curieufement travaillés,
des figures d'Animaux, d'Oifeaux & de Poiflbns, du même métal; des
Pierres précieufes , fur-tout un grand nombre de celles que les Mexiquains
nommoient Chalcuites^ de la couleur des Emeraudes, & qui leur tenoienc
lieu de Diamans; de fines éto£fes de coton; des tableaux & des tapifTeries,
d'un tiflu des plus belles plumes du Monde; enfin, tout l'or qui fe trou*
voit en mafle dans la Fonderie Impériale. Les Caciques , ayant apporté
leur contribution de toutes les Provinces, cet amas de richeffes monta
bientôt, en or feulement, à plus de fix cens mille marcs (g), que Cor-
tez prit le parti de faire fondre en lingots de différens poids, &dont il tira
le quint pour lui, après avoir levé celui du Roi d'Efpagne. Il fe crut en
droit de prendre aufli les fommes, pour lefquelles il fe trouvoit engagé dans
rifle de Cuba. Le refte fut partagé entre les Officiers & les Soldats , en y
comprenant ceux qu'on avoit laifTés à Vera Cruz. Quelque foin qu'on pût
apporter à mettre une jufle proportion dans les parcs , il étoit difficile d'al-
ler au-devant de toutes les plaintes, entre des gens dont l'avarice étoit éga->
le, & qui ne fe rendoient point juilice fur l'inégalité du mérite & des droits ;
mais Cortez , avec un desintéreflement digne de fa grandeur d'ame , four-
nit , de fon propre fond ,. ce qui manquoit à la facisfaélion de ceux qui fe
croyoient maltraités.
Motezuma n'eut pas plutôt rempli fes engagemens, qu'il fit rappeller
le Général EfpagiTol. Celui qui fut chargé de cet ordre étoit un Soldat de
Cortez , que ce Prince avoit pris en affeftion , parce qu'il parloit déjà faci-
lement la Langue Mexiquaine, & qui avoit remarqué, pendant la nuit pré-
cédente, que plufieurs Seigneurs oc quelques Prêtres s'étoient introduits
fecrétement dans l'Appartement Impérial. Cortez , allarmé d'un meflage
qui venoit à la fuite d'une ConféreiiCe, dont on lui avoit fait myftère, fe
fit accompagner de douze de fes plus braves Soldats. Il fut furpris de
trouver, fur fe vifage de l'Empereur, un air de fé vérité qu'il n'y avoit ja-
mais vu pour lui. Ses foupçons augmentèrent lorfqu'il fe vit prendre par
la main, & conduire dans une Chambre intérieure, où ce Prince, l'ayant
' . . . . prié
( * ) Solis & Herrera , ibidem.
.{/) Herrera, ubi fuprà, Chap. 4. Solis,
"Qiap. 4-
(g) mdm,
: B N AMERIQUE, Lxv. I. ^ jyy
prié gravement de l'écouter, lui déclara qu'il étoit tems de partir, puif-
qu'il ne lui refloit rien à demander, après avoir reçu toutes Tes dépêclies;
que les motifs , ou les prétextes de fon féjour ayant ceilé , les Mexiquains
ne pourroient fe perfuader qu'un plus long retardement ne couvrît pas des
vues dangereufes. Cette courte explication, qui paroilToit préméditée, &
même accompagnée d'un air de menace, allarma îi vivement Cortez, qu'il
ordonna fecrétement, à un de fes Capitaines, défaire prendre les armes
aux Soldats , & de les tenir prêts à défendre leur vie. Cependant , ayant
rappelle toute fa modération , il prit un vifage plus tranquille pour répon-
dre à l'Empereur , qu'il penfoit lui-même à retourner dans fa Patrie, èc
qu'il avoit déjà fait une partie de fes préparatifs ; mais qu'on n'ignoroit
pas qu'il avoit perdu fes Vaifleaux, & qu'il demandoit du tems & de l'aHl-
llance pour conllruire une nouvelle Flotte.
"On prétend que l'Empereur avoit cinquante mille Hommes armés, &
qu'il étoit déterminé à foutenir fa réfolution par la force. Maii , comme
il ne vouloit rompre qu'à l'extrémité, fa joye fut fi vive, de voir le Gé-
néral difpofé à le fatisfaire, que l'ayant embrafle avec tranfport, il lui pro-
tefta que fon intention n'étoit point de précipiter le départ des Efpagnols,
fans leur fournir ce qui étoit néceflaire à leur Voyage, & qu'il alloit don-
ner des ordres pour la conflruélion des VaifTeaux. Il ajouta dans cette ef-
fufion de cœur, avec une imprudence qui fit pénétrer fes motifs, qu'il lui
fuffifoic, pour obéir à fes Dieux & pour appaifer les plaintes de fes Sujets,
d'avoir déclaré qu'il faifoit attention à leurs demandes. Ce langage fît ai*
fément juger qu il étoit violemment combattu par la Religion & la Politi-
que. Cortez, informé, en efi^et, que les Sacrificateurs avoient demandé
fon départ au nom des Idoles , avec d'horribles menaces , prit le parti de
céder à l'orage par toutes les apparences d'une prompte foumifiion. Les
ordres furent donnés pour raflembler des Ouvriers fur la Côte, & le départ
des Efpagnols fut publié. Motezuma nomma les Bourgs qui dévoient con-
tribuer au travail , & les lieux où les bois dévoient être coupés. Cortez
fit partir aufii fes Charpentiers , avec ce qui lui refloit de cordages & de
fer. Il ne s'entretint, en public, que de l'ouvrage auquel il paroiflbit don-
ner tous fes foins dans l'éloignement. Mais il avoit chargé ceux qui en a--
voient la conduite , de faire naître des obflacles âc des contre-tems. En
un mot, fon but, fur lequel il fe vit forcé de s'ouvrir. à fes Officiers, étoit
de fe maintenir à toute forte de prix dans cette Cour, & d'y faire un Eta-
blifTement qui le mît en état de braver toutes les forces de l'Empire. Il
vouloit gagner du tems, jufqu'au retour de Montejo qu'il avoit envoyé en
Efpagne, & qu'il efpéroit de voir revenir avec un puilFant fecours, ou du
moins avec des ordres de l'Empereur, pour autorifer fon entreprife; &
Vil fe trouyoit réduit, par la violence , à quitter le Pofle qu'il occupôit
dans la Capitale, il fe promettoit du moins de s'arrêter à Vera-Çruz, où,
fe couvrant des Fortifications de cette Place, & s'appuyant du fecours de
fes Alliés, ilfecroyoit capable de faire tête afTez long-tems, aux Mexi-
quains, pour attendre des nouvelles d'Efpagne (h).
. (b) Ibidem, -
- Vy 2
Fernano
C 0 n T B '/.
15 19.
Réponfe
qu'il fiilt à ce
filnce.
Diflîmuh;-
tion des Ef-
pagnols.
1520.
Projet d<j'
Cortez.
r
Fernand
C O H T B Z.
15 20.
Arrivée de
dix-huit Vaif-
i'eaiix Ëfpa-
Ifiiois.
Cortcz con-
tinue de mé-
nager l'Empe-
reur.
Occafion
qui avoit a-
mené une
Flotte Efpa-
gnole au Me-
xique.
Voyage de
Montejo «Se
de Porto-
Carrero.
Avis que le
Gouverneur
de Cuba en
ivûk. eu.
35(J PREMIERS V O Y A G E* S
Pendant qu'il rapportoit tout à ce grand projet, Motezuma fut aver»
ti, par fes Courriers , qu'bn avoit vu paroître , fur la Côte, dix-huit Na»;
vires étrangers; & la defcription qu'il reçut de cette Flotte, par les por-
traits qui tenoient lieu d'écriture aux Mexiquains, ne lui laiflant aucun
doute qu'elle ne fût Efpagnole, il fit appeiler aufli tôt le Général, pour
lui déclarer, en lui montrant fes peintures, que les préparatifs , qu'on fai-
foit pour fon départ, devenoient inutiles, lorfqu'il pouvoit s'embarquei
fur des V^aifleaux de fa Nation. Cortez regarda ces tableaux avec plus
d'attention que d'étonnement. Quoiqu'il ne comprît rien aux caraftéres
qui leur fvrvoient d'explication , il crut reconnoître l'habit Efpagnol. &
la fabrique des Vaifleaux de l'Europe. Son premier mouvement fut un
tranfport de joye , proportionné à la faveur qu'il recevoit du Ciel , en
voyant arriver une Flotte fi puifTante, qu'il ne pouvoit prendre que pour
le fecours qu'il attendoit fous les ordres de Montejo. Mais , diliimulant
fa fatisfaftion , il fe contenta.de répondre qu'il ne tarderoit point à partir^
fi ces Vaifleaux retournoient bientôt en Efpagne; & fans être plus furpris
que l'Empereur eût reçu les premiers avis de leur arrivée , parce qu'il con-
noiflbit l'extrême diligence de fes Courriers, il ajouta, que les Efpagnols-,
qu'il avoit laifllés à Zampoala , ne pouvant manquer de l'informer bientôt
des mêmes nouvelles , on apprendroit d'eux , avec plus de certitude , la
route de cette Flotte, & l'on verroit s'il étoit nécelîaire de continuer les
préparatife. Motezuma parut goûter cette réponfe, & reprit toute fa con-
fiance pour les Efpagnols.
Il étoit vrai qu'une Flotte étrangère s'étoit approchée des Côtes du
Mexique; & les Lettres de Sandoval , Gouverneur de Vera-Cruz, appor-
tèrent bientôt d'autres lumières à Cortez. Mais la liaifon des événemens
oblige de reprendre ici le Voyage de Montejo & de Porto-Carrero , qu'il
avoit envoyés en Efpagne. Ils étoient partis de Vera-Cruz , le i6 de
Juillet de l'année précédente, avec l'ordre précis de prendre leur route
par le Canal de Bahama , fans toucher à rifle de Cuba. Leur Navigation
fut heureufe; mais ils s'étoient expofés au dénier danger, par une impru-
dence , dont aucun Hiflorien ne les excufe. Montejo avoit une Habita-
lion dans l'Ifle de Cuba. 11 ne put fe voir à la hauteur du Cap Saint-
Antoine , fans propofer à fon Collègue d'y relâcher , fous prétexte d'y
prendre quelques rafraîchifTemens. Ce lieu étant fort éloigné de la Ville
de San - Yago , où Diego de Velafquez faifoit fa réfidence , il lui parut
peu important de s'écarter un peu des ordres du Général. Cependant c'é-
toit rifquer, non - feulement fon VaifTeau & le riche préfent qu'il avoit à
Bord , mais encore toute la négociation qui lui avoit été confiée. Velaf-
quez, que la jaloufle tenoit fort éveillé, n'avoit pas manqué de répandre
des Efpions fur toute la Côte , pour être averti de tous les événemens.
Il craignoit que Cortez n'envoyât quelque Navire à Saint-Domingue, pour
y rendre compte de fa découverte, & demander du fecours à ceux
qui gouvernoient cette Ifle. Ses Efpions lui ayant appris l'arrivée
de Montejo , il dépêcha deux Vaifleaux bien armés , avec ordre de
ffe faifir de celui de Cortez. Ce mouvement fut fi prompt, que Mon-
icjo eut befoin de toute l'habileté du Pilote Alaminos, pour écha-
per.
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
357
F E R N A N D'
C 0 R T E Z.
1 J20,
Les En-
voyés de Cor-
per d'un péril , qui mie au hazard la Conquête de la Nouvelle Efpa-
gne (i)'
Le refte de fa Navigation fût heureux jufqu'à Seville, où il arriva dans
le cours du mois d'Oétobre de la même année. Mais il y trouva les con«
jonftures peu favorables à fes prétentions. Diego de Velafquez avoit en- tez arrivent
core , dans cette Ville , les mêmes Envoyés qui avoient obtenu pour lui en Efpagnc.
l'Office d'Atelantade,. & qui attendoient un embarquement pour retourner
à Cuba. Surpris de voir paroître un Vaifleau de Cortez , ils employèrent
tout le crédit qu'une longue négociation leur avoit fait acquérir auprès des
Miniflres , pour faire valoir leurs plaintes à la Contratacion ; nom qu'on a-
voit déjà donné au Tribunal des Indes. Benoît Martin y Aumônier de Ve-
lafquez , repréfenta vivement que le Navire & fa Charge appartenoient au
Gouverneur de Cuba, fon Maître, comme le premier fruit d'une Conquê-
te qui lui étoit attribuée par fes Commilfions ; que Fernand Cortez étant
entré furtivement, & fans autorité, dans les Provinces de la Terre-ferme,
avec une Flotte équipée aux fraix de Velafquez, Montejo & Porto-Carrero ,
qui avoient l'audace de fe préfenter en fon nom , méritoient d'être punis fé-
vérement, ou du moins qu'on devoit fe faifir de leur Vaifleau jufqu'à ce
qu'ils euflent produit les titres fur lefquels ils fondoient leur Commiflîon.
Velafquez s'étoit fait tant d'Amis par \'qs préfens , que les repréfentations
de fes Agens furent écoutées. On failit le Navire & fes effets, en
laiflant néanmoins, aux Envoyés de Cortez, la liberté d'en appeller à
l'Empereur.
Ce Prince étant alors à Barcelone, les deux Capitaines & le Pilote fe Dic.^îodeVc
hâtèrent de prendre le chemin de cette Ville; mais ils y arrivèrent la veille 'afqucz.
du départ de la Cour, qui fe rendoit à la Corogne , où les Etats de Cadille
avoient été convoqués. Ils jugèrent, avec prudence , qu'une affaire de fi
grand poids ne devoit pas être traitée dans l'agitation d'un voyage ; & s'é-
tant informes de la marche de l'Empereur, qui devoit aller prendre congé
de la Reine Jeanne fa Mère, après la tenue des Etats, & palfer quelque
tems avec elle, pour fe rendre enlùite en Allemagne, où il étoit appelle
par les cris de l'Empire, ils réfolurent de l'attendre à Tordefillas, féjour
ordinaire de cette Princeife. Dans l'intervalle, ils employèrent le tems
à vifjcer Martin Cortez, Père de Fernand. Outre la fatisfaèlionde leçon-
■;'■; i.*».y:'.;f , ■ i- .•:■ .• . - r^*^, ; . .. ^:, fbler
Leur Vnif-
fcau eft faili ,
par le crédit
des An)i!> de
lA.V
■ (i) Diaz del Cadillo l'accufe d'avoir mal
reconnu ce qu'il devoit à la confiance de
Cortez. Il prétend qu'il ne vifita fon habi-
tation , que dans le delTein de retarder fon
voyage , & de donner , à Velafquez , le tems
de le faifir du Navire ,• qu'il lui écrivit une
Lettre , dont un Matelot fut chargé , & que
ce MelTager la porta , nageant entre deux
eaux. Mais il paroit fe contredire enfuite ,
•lorfqu'il rapporte avec quelle ardeur & quel-
Iç activité Monteio combattit , à la Cour
d'Efpagne, les Agens de Velafquez. 11 a-
joûte fauffcment que les Envoyés de Cortez
Ils portent'
leurs plaintes
à la Cour,
avec le Père
de Cortez.
ne trouvèrent point l'Empereur Charles en
Efpagne. D'autres particularités , fur lef-
quelles il eft certain qu'il fe trompe , doivent
donner une jufte défiance pour fon témoigna-
ge fur tout ce qu'il n'avoit pas vu de les
propres yeux ; & c'ell la raifon qui ne le fait
citer ici qu'avec beaucoup de réferve. Ala-
minos ne trouva point d'autre moyen , pour
fauver le Vaifleau de Cortez , que de repren-
dre par le Canal de Bahama, dont il fur-
nionta le premier les rapides courans, pour
fe jetter proniptement en pleine Mer. Salis ,
Liv. 3. cbap. i.
Yy 3
\
Tbrnand
C 0 K T E Z.
1520.
Jls font re-
çus favorable-
ment.
OhfTades
qui s'oppo-
iL-nt au fucccs
de leur Com-
m;lfio!i.
Diego de
Vclafquez en
cfi. averti.
358 PREMIERS VOYAGES
foler par de glorieufes nouvelles , qui dévoient lui caufer autant de Joye
que d admiration , ils avoient conçu , que s'ils pouvoient l'engager à fe
rendre à la Cour avec eux , la prcfence de ce vénérable Vieillard donne-
roit beaucoup de force aux demandes de Ton Fils. En effet, l'ayant dé-
terminé à les accompagner, ils ne trouvèrent que de la faveur dans leur
première Audience. Un heureux incident fervit encore à lever les diffi-
cultés. Les Officiers de la Contrâtacion n'ayant ofé comprendre, dans
leur faifie, le préfent qui étoit defliné à l'Empereur, il arriva précifcment
à Tordefillas dans le tems que les Envoyés de Cortez avoient choifi pour
s'y préfenter. Cette conjonélure les fit écouter avec d'autant plus de plai-
fir, que toutes les merveilles-, qu'ils avoient à raconter , étoient foutenues
par des témoignages préfens. Ces bijoux d'or, aufîi précieux par l'induflrie
du travail que par leur matière , ces curieux ouvrages de plume &. de co«
ton, ces Captifs Indiens, qui applaudiiToient eux-mêmes aux grandes ac
tions de leurs Conquérans, pallèrent pour autant de preuves, qui don-
noient de l'autorité a des Relations incroyables (k).
Aussi furent-elles écoutées avec toute l'admiration qu'on avoit eue pour
les premières découvertes des Colombs. L'Empereur , après avoir fait
rendre à Dieu des grâces folemnelles , pour la gloire qui étoit réfervée à
Ton règne, eut diverfes Conférences avec les deux Capitaines & le Pilote;
& vraifemblablement il auroit décidé en leur faveur, s'il ne lui étoit fur-
venu des affaires plus prefTantes , qui le mirent dans la néceffité de hâter
fon départ. La Requête de Cortez fut renvoyée au Cardinal Adrien, &aii
Confeil qui avoit été nommé pour l'alTifler, avec ordre, à la vérité, de
favorifer la Conquête de la Nouvelle Efpagne, mais de trouver auffi des
expédiens pour fauver les prétentions de Velafquez. Le Préfident du Con-
feil des Indes étoit toujours ce même Fonfeca , alors Evêque de Burgos,
qui, après avoir été fi long-tems l'Ennemi des Colombs, ne s'étoit pas
moins prévenu contre Cortez. Son penchant déclaré pour le Gouverneur
de Cuba lui fit diffamer ouvertement l'Expédition du Mexique, comme
un crime, dont les conféquences étoient dangereufes pour rEfpagne. Non-
i'eulement il foutint que la conduite de l'entreprife appartenoit à Velafquez,
& qu'elle nepouvoit lui être ôtée fans injuflice; mais, indflant fur le ca-
ra£lère de Cortez , il prétendit qu'on ne pouvoit prendre de confiance aux
intentions d'un Avanturier, qui avoit commencé par une révolte fcanda-
leufe contre fon Bienfaiteur & fon Maître, &que, dans des Contrées é-
loignées , on ne devoit attendre que des defordres d'une fi mauvaife four-
ce. Il protefla de tous les malheurs, que l'avenir préfentoit à fon imagina-
tion. Enfin , fes remontrances ébranlèrent le Cardinal & les Miniflres du
Confeil , jufqu'à leur faire prendre le parti de remettre leur décifion au re-
tour de l'Empereur (/). L'unique grâce, qu'ils accordèrent pendant ce
délai , à Martin Cortez & aux Envoyés , fut une médiocre provifion fur les
effets faifis, pour fournir à leur fubfiflance en Efpagne.
D'un autre côté , TAumônier de Velafquez ayant faifi la première occa-
fîon pour informer fon Maître de l'arrivée du VailTeau de Cortez, & de
l'ac.
(k) Herrera & Solis, ibidm.
(/) Ibidem.
Fernan-o
Cortex.
Il fc hlte
d'équiper uiM
Flotw,
Pamphile de
Narvacz eft
nommé pour
la comman*
der.
Oppofitions
inutiles des
Jéronunites.
EN A M E R I Q U E, Liv. I. 359
faccueil que Tes Envoyés avoienc reçu à la Cour, cette nouvelle, jointe au
titre d'Adelantade, dont le Gouverneur de Cuba fe voyoit honoré , réveil-
la fi vivement fa colère & fcs prétentions, qu'il réibiut d'équiper une
puiflante Flotte, pour ruiner Cortez & les Partifans» L'intérêt, au'il y fit
prendre à tous les fiens, en partageant d'avance , avec eux, les trélors qu'il
devoit tirer des Régions conquifes, le rendit capable d'aflembler , en peu
detems, huit cens Hommes d'Infanterie Efpagnole, quatre-vingts Cava-
liers, & dix ou douze pièces d'Artillerie, avec une abondante provifion
de vivres, d'armes & de munitions. 11 nomma, pour commander cette
Armée, Pamphile de Narvaez, né à Valladolid; Homme de mérite Ôc
fort confideré, mais trop attaché à fes opinions , qu'il foutenoit avec quel-
que dureté. Il lui donna la qualité de fon Lieutenant, en prenaqt lui mê-
me celle de Gouverneur de la Nouvelle Ëfpagne, & l'ordre fecrct de s'at-
tacher particulièrement à fe faifir de Cortez.
Les Jéronimites , qui préfidoient encore à l'Audience Royale de Saint-
Domingue, furent inftruits de ces préparatifs; & leur autorité s'étendant
fur toutes les autres liles , ils fe crurent obligés de faire repr'îfenter , à Die-
go deVelafquez, les malheurs qui pouvoient réfulter d'une fi dangereufe
CûiiCUirence, & de l'exhorter à foumettre fes querelles & fes prétentions,
aux Tribunaux de la Juftice. Le Licentié Luc Velafquez d'/Iillon , qui fut
chargé de cet ordre, trouva la Flotte de Cuba compofée d'onze Navires de
haut bord & de fept firi^antins , & prête à mettre à la voile. Ses remon-
trances n'ayant fait aucune imprelîion fur le Gouverneur, qui fe croyoit
trop relevé par fa nouvelle qualité d'Adelantade pour reconnoître des Su-
périeurs dans fon Gouvernement, il produifit fes ordres; mais ils n'eu- *
rent pas plus de pouvoir, & cet efprit violent fe précipita ainfi dans la>
même desobéiflance dont il faifoit un crime à Cortez. D'Aillon, le voyant
ebdiné dans fon entreprife, témoigna quelque deiîr de voir un Pays aufîi
renommé que le Mexique, & demanda la permilîion de faire ce Voyage,
par un fimple motif de curiofité. On doute fi fa réfolution venoit de lui,
ou de fes inilruélions , mais elle fut approuvée de toute l'Armée , qui la
crut capable d'arrêter les fuites d'une rupture éclatante entre les deux Par-
tis; & Velafquez même ne s'y oppofa point, quoique fon feul motif fut
d'empêcher qu'on n'apprît trop tôt, à Saint Domingue, le refus qu'il
avoit fait d'obéir. André Duero , fon Secrétaire , le même qui avoit
contribué anciennement à la fortune de Cortez , s'embarqua fur la mê-
me Flotte, dans le delFein apparemment de faire aulfi l'office de Mé-
diateur.
La Flotte mit à la voile , & n'eut qu'un vent favorable Jufqu'à la Terre Départ de
qu'elle cherchoit. C'étoit elle, dont les Couriers Mexiquains avoient déjà la Flotte de
porté la defcription à Motezuma , & que Cortez, dans la flateufe opinion pjego de Ve-
qu'il avoit de fa fortune, prenoit pour un fecours que Montejo lui amenoit fonïrîiVée
d'Efpagne. Elle jetta l'ancre dans le Port d'Ulua , & Narvaez mit quelques au Mexique.
Soldats à terré, pour prendre langue & reconnoître le Pays. Ils rencon-
trèrent deux Efpagnols , qui s'étoient écartés de Vera-Cruz, & qu'ils ame-
nèrent à Bord. Ces deux Hommes n'ayant pu cacher ce qui fe paflbit au;
Me-
F C K N A N n
C 0 R T E Z.
.1520.
N.irvacz
tente de ré-
duire Sundo-
val, Cn-iivcr-
«car de Vcra*
Cruz.
FidiSIité de
Sandoval
puur Cortez.
Emporte-
ment d'un
IVÙire.
Sandoval
fait tranfpor-
ter les En-
voyées de Nar-
vaez à Mexi-
co.
I
360 PREMIERS VOYAGES
Mexique «Se dans la Colonie, Narvaez, qu'ils flattèrent peut-être aux dé-
pens de Cortez, fe promit de traiter facilement avec Sandoval , & d'en-
trer dans Vera-Cruz, foitpour la garder au nom de Velaf<juez, ou pour
la rafer, enjoignant, à fon Armée, les Soldats de la Garnifon. Il com-
mit cette négociation à un Ecclefiallique qui le fuivoit, nommé JeanRuiz
de Guevarat homme d'efprit, mais plus emporté qu'il ne convenoit à fa
profefllon. Un Notaire eut ordre de îe (uivre, avec trois Soldats qui
dévoient fervir de témoins.
Sandoval, qui avoit doublé les Sentinelles, pour être averti de tous le«
mouvemens delà Flotte, fut informé de l'approche des Envoyés, & ne fit
pas difficulté de leur faire ouvrir les portes. Guevara lui remit fa Lettre
de créance; & lui ayant expofé les forces que Narvaez conduifoit, il ajou-
ta qu'elles venoient tirer falisfaélion de l'outrage que Cortez avoit fait au
Gouverneur de Cuba, & fe mettre en poncHion d'une Conquête, qui ne
pouvoit appartenir qu'à lui, après avoir été entreprife h Tes fraix & par Tes
ordres. Sandoval répondit, avec une émotion qu'il eut peine à cacher , que
Cortez & Tes Compagnons étoient fidèles Sujets du Roi , & que dans l'état,
où ils avoient poulie la Conquête du Mexique, ils dévoient efpérer, pour
l'honneur & l'intérêt de KKIpagne , que Narvaez s'uniroit à eux ^jour ter-
miner une fi belle entreprifei mais que s'il tentoit quelque violence contre
Cortez, il pouvoit compter qu'ils perdroient tous la vie pour la défenfe de
leur Chef & pour la confervation de Tes droits. Guevara, ne fuivant que
i'impétuofité de fon humeur, s'emporta jui'qu'aux injures. Il donna le nom
de Traître à Cortez; & ceux qui le reconnoiflbient pour Chef ne furent pas
plus ménagés. Ils s'eiForcèrent en vain de l'appaifer, en lui repréfentant
la bienféance de fon caraélère, pour lui faire comprendre du moins à
quoi il avoit obligation de leur patience. Sandoval lui pardonna Tes invefli-
ves; mais voyant que, fans changer defhyle, il ordonnoit, à fon Notai-
re, de fignifier les ordres dont il étoit chargé, pour faire connoître, à
tous les Efpagnols , qu'ils étoient obligés , fous peine de la vie , d'obéir à
Narvaez, il jura qu'ilferoit pendre fur le champ celui qui auroit la har-
diefle de lui fignifier des ordres qui ne vinflent pas du Roi même; & dans
le mouvement de cette première chaleur, il fit arrêter les Envoyés. En-
fuite, faifant réflexion que s'il les renvoyoit à Narvaez après cet outrage,
ils pourroient lui communiquer leur reflentiment , il prit le parti de les tai-
re tranfporter à Mexico. Des Indiens, qui furent appelles aufll-tôt, les
mirent dans une efpéce de litière , qu'ils nomment Jndas , & les portèrent
fur leurs épaules , efcortés de quelques Soldats fous la conduite de Pierre
de Solis. Sandoval informa le Général , par un Courrier , de l'arrivée de
fes Ennemis & de fa conduite ; après quoi , s'étant aflliré de la fidélité de
fes Soldats, il fe fortifia par le fecours des Indiens alliés, & par toutes
les reflTources du courage & de la prudence (m). Quelques Ecrivains lui
reprochent d'avoir poufle la vengeance trop loin , £n faifant arrêter un
Homme d'Eglife, revêtu d'ailleurs du caraftère d'Envoyé; mais d'autres
..-r- • ■ ' aflTu-
(m) Solis, ubi/uprà, Chap. 5. '' ''
£!
EN AMERIQUE, Liv. r.
3^
aflurent, pour i'excufer, que la colère eut moins de parc k cette aélion
que la Politique, & qu'il jugea qu'un Confeiller H violent ne pouvoit faire
qu'un rôle dangereux dans le Cortège de Narvaez (n).
Pendant que la fortune ort'paroit ce» obllacles a Cortez, divers avis,
qu'il reçut par intervalles, lui donnèrent des lumières certaines fur ce qui
n'avoit encore excité que fes foupçons. Il apprit, enfuite, par le Cour-
lier de Sandoval , non-reulement que Narvaez avoit débarqué fes Troupes
& déclaré fa Commifllon , mais qu'il s'avançoit droit à Zampoala avec ion
Armée. Sa raifon, dit un llidorien, lui fit paflcr alors quelques heures
fâcheufes, en lui donnant des vues fort étendues fur les dangers qui le
menaçoient , & beaucoup d'incertitude fur les remèdes qu'il y devoit appor.
ter. Il ne pouvoit entreprendre, fans témérité, d'aller combattre Narvaez
avec des forces inégales, dont il étoit même obligé de lailfer une partie à
•Mexico , pour maintenir le Quartier , pour garder ks tréfors qu'il avoit
acquis, &pour conferver cette efpèce de Garde que Motezuraa fouffroit
encore. La prudence ne lui défendoit pas moins d'attendre l'Ennemi dans
Mexico, au hazard de remuer l'humeur féditieufe des Ilabitans, en leur
donnant un prétexte d'armer pour leur confcrvation. Il ne fe fentoit point
d'éloignement pour traiter avec Narvaez & pour joindre leurs intérêts &
leurs forces; mais ce parti, qui lui fembloit le plus raifonnable, étoit auffi
le plus difficile. Il connoiflbit la rudeflc & la fierté de cet Officier. Enfin ,
la néceflîté de s'expliquer avec Motezuma , & de donner une couleur hono-
rable à fes démarches, quelque parti qu'il pût embrafler, étoit un autre
ïujet d'embarras , & d'autant pluspreflant, que ce Prince, allarmé lui-mê-
me des nouvelles qu'il recevoit de jour en jour, attendoit de lui des éclair-
ciflemens, & paroiflbit étonné de Ion filence. Il commença par fe délivrer
de cette inquiétude, en lui difant, avec une feinte afllirance, que les Ef-
pagnols de la Flotte étoienc des Sujets de fon Roi , & de nouveaux Am-
baliadeurs, <]ui venoient fans doute appuyer fes premières propositions;
qu'ils formoient une efpèce d'Armée fuivant l'ufage de leur Nation, mais
qu'il les difpoferoit à retourner en Efpaçne , puifqu'ils n'avoient rien à dé-
lirer de Sa Majellé après ce qu'il en avoir obtenu , & qu'il étoit même ré-
folu de partir avec eux. L'adrefle ne lui parut pas moins néceffaire , pour
animer fes propres Soldats. " • ^- ^'^ . • -
& qu'il lui connoiiFoit aifez
l'honneur de l'Efpagne &
qu'à la vérité VeJafquez ne penfoit qu'à la vengeance ; mais que les Trou-
pes , qu'il croyoit envoyer contr'eux , étoient plutôt un fecours qui les ai»
deroit à poufler leurs Conquêtes , & qu'au lieu d'y trouver des Ennemis,
ils pouvoient fe promettre de les voir bientôt leurs Compagnons. Cepen-
dant il s'ouvrit plus librement avec fes Capitaines ; & s'étant contenté de
leur faire obferver que Narvaez entendoit peu la Guerre, que la plupart
de fes Soldats n'avoient pas plus d'expérience , &que tant defoiblcfle,
pour le foutien d'une caufe injufte, devoit donner peu d'allarme à des
cœurs éprouvés, il ne laiflapas de les faire entrer, par des wifons de pru-
, X r . • -• dence
Oi) Ibidem. ,,, ,•.,-■,,_.., .. ,t ■ ., ,.,^.. v^ .(:.,.-;■.■•.
XFIII. Tart, ' Z z '
COBTEZ.
1520.
Ftnbarrns où
l'arrivtîo de
Narvaez jctl»
Cortca.
Comment il
s'en explique
avec Motezu-
ma, &.avcc
fes propres
Soldats.
PeRNAND
CORTEZ.
1520.
Il fc déter-
mine à tenter
un accoiniuo-
demcnt.
Il gagne les
Envoyés de
Narvaez par
fcs carefles.
Conduite ■
."mprudente
de Naxvacz.
3<J2 P R E. M I E R S V O Y A G E S
dence & d'honneur, dans la réfolution de tenter la voye d'un accommo-
dement, en offrant, à Narvaez, des conditions fi railonnables , qu'il ne
pût les refufer fans fe couvrir de tout le blâme d'une rupture; ce qui ne
l'empêcha point de prendre diverfes précautions qui répondoient à fon afti-
vité. Il avertit fes Amis de Tlafcala de tenir prêt un Corps de fix mille
Guerriers. Les Efpagnols , qu'il avoit employés à la découverte des Mi-
nes,, dans la Province deChinantla, reçurent ordre de difpofer les Caci-
ques de cette Province à lui envoyer deux mille Hommes. Ces Peuple»
étoient belliqueux & fort ennemis des Mexiquains. Ils avoient témoigné
beaucoup d'affeélion pour les Efpagnols, Cortez les crut propres à for-
tifier fes Troupes ; Ck fe fouvenant d'avoir entendu vanter le bois de
leurs piques , il en fit venir trois cens , qu'il fit armer d'excellent cui-
vre , au défaut de fer , & qui furent diflribuées à fes Soldats. Ce foin
regardoit particulièrement la. Cavalerie de Narvaez, qui faifoit fa princi-
pale crainte.
Les Prifonniers de Sandoval étant arrivés au bord du Lac, & Solis
l'ayant informé qu'il y attendoit fes ordres , il fe hâta d'aller au-devant
d'eux ; mais ce fut pour leur ôcer leurs fers & pour les embraflTer avec
beaucoup de bonté, en aflurant Guevara qu'il puniroit Sandoval d'avoir
manqué de refpeft pour fa Perfonne & fon Caraftère. Il le conduifît au
Quartier , après avoir recommandé , à tous fes gens , de le recevoir avec
beaucoup de gayeté & de confiance. Il le rendit témoin des faveurs dont
Motezuma l'honoroit , & de la vénération que les Princes Mexiquains
avoient pour lui. Parmi toutes ces careffes, il lui répétoit, fans affec-
tation, qu'il fe félicitoit de l'arrivée de Narvaez, parce qu'ayant tou-
jours été de fes Amis , il s'en promettoit tous les fruits d'une heureufe
intelligence. Enfin , l'ayant comblé de préfens , lui & fes Compagnons ,
il les renvoya, quatre jours après , également touchés de fes raifons <&de fes
bienfaits.
Guevara trouva Narvaez établi dans Zampoala, où le Cacique l'avoit
reçu comme l'Ami de fes ^Alliés, qui venoit à leur fecours , & dont il at-
tendoit les mêmes témoignages de confiance & d'affeéHon. Mais il reçoit-
nut bientôt , dans ces nouveaux Hôtes , un air de fierté , qui fe déclara d'a-
bord par la violence qu'on lui fit pour enlever , de fa Maifon , tout ce que
Cortez y avoit laifTé. Guevara , aufll rempli de la grandeur & de l'opu-
lence de Mexico, que de l'accueil doux & généreux qu'il y avoit reçu,
vint dans le même tems raconter fes avantures; & s'étant expliqué avec
force fur la nécelTité de ne donner aucune marque de divifion, il ne ba-
lança point à conclure pour des propofitions d'accommodement. Ce langage
dépkit fi fort à Narvaez , qu'après l'avoir brufquement interrompu, & lui
avoir dit de retourner à Mexico , fi les artifices de Cortez l'avoient déjà
féduit , il le chaffa de fa préfence avec indignité. Dans fon refl^entiment ,
Guevara chercha d'un autre côté à fe faire entendre, & releva de toute fa
force les généreufes bontés de Cortez. Les uns furent touchés de fes rai-
fons, d'autres furent charmés par la vue de fes préfens; & l'inclination gé-
nérale étoit pour la Paix. -Ainfi les Efpagnols & les Indiens commencèrent
également à juger fort mal de la dureté de Narvaez.
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
3^3
Barthelemi d'Olmedo, premier Aumônier de Cortez, dont l'éloquence
& la fagefle donnoient beaucoup d'autorité à fon caraftère, fuivit de près
'Guevara. Il étoit chargé de propofer tous les moyens qui pou voient con-
duire à l'union , avec des Lettres particulières pour Luc Velafquez d'Ail-
Ion, & pour André Duero, auxquelles Cortez avoit joint des préfens, qui
dévoient être diftribués fuivant l'occalion. Un Député fi refpeélable ne fut
pas écouté plus favorablement de Narvaez. On répondit, à fes offres de
Paix & d'amitié , qu'il ne convenoit point , à !a dignité du Gouverneur de
Cuba, de traiter avec des Sujets rebelles, dont le châtiment étoit le pre-
mier objet de fon Armée; que Cortez, & tous ceux qui lui demeureroient
attachés, alloient être déclarés Traîtres, & que la Flotte avoit apporté
alTez de forces pour lui enlever fes Conquêtes. Olmedo repartit, avec au-
tant de fermeté que de modération , que les Amis de Diego de Velafquez
dévoient penfer deux fois à leur entreprife; qu'il n'étoit pas aufli facile qu'ils
le fuppofoient , de vaincre un Général de la valeur & de l'habileté de Cor-
tez , adoré de tous fes Soldats, fjui étoient prêts à mourir pour lui, &. fou-
tenu par un Prince aufli puiffant que Motezuma , qui pouvoit mettre au-
tant d'Armées /ur pied que Narvaez avoit d'Hommes dans fa Flotte ;
enfin, qu'une affaire de cette importance demandoit une mûre délibé-
ration , & qu'il laiffoic, aux Amis de Velafquez , le tems de penfer k
leur réponfe.
Après cette efpèce de bravade, qu'il avoit crue néceffaire pour dimi-
nuer la confiance de Narvaez , il vit ouvertement d'Aillon & Duero , qui
ne firent pas difficulté d'approuver fon zèle & fes ouvertures de Paix. Il
continua: de voir les Officiers & les Soldats de fa connoiffance; & mena-
séant avec adreffe fes difcours & fes préfens, il avoit déjà commencé à
former un parti, en faveur de Cortez ou de la Paix , lorfque Narvaez, a-
verti de fes progrès ^ les interrompit par des injures & des menaces. Il
l'auroit fait arrêter, fi Duero ne s'y étoit oppofé par fes repréfentations ;
& dans fa colère , il hii ordonna de fortir fur le champ de Zampoala. D'Ail-
lon prit part à ce démêlé ,' pour foutenir qu'on ne pouvoit renvoyer un Mi*
niftre de Paix, fans avoir délibéré fur la réponfe qu'on devoit faire à Cor-
tez. Plufieurs Officiers appuyèrent cette propofition. Mais Narvaez,
tranfporté d'impatience <5c de mépris, ne répondit que par un ordre de pu-
blier, à l'heure même, la Guerre à feu & à fang contre Fernand Cortez, &
de le déclarer Traître à l'Efpagne. Il promit une recompenfe à celui qui
le prendroit vif, ou qui apporteroit fa tête; & fur le champ il donna des
ordres pour la marche de l'Armée. D'Aillon ne put fupporter cet excèt>
d'emportement; & s'armant de l'autorité d'un premier Juge de l'Audien-
ce Royale, il fit fignifier, à Narvaez, défenfe, fous peine de la vie, de
fortir de Zampoala , ou d'employer les armes , fans le cohfentement una-
nime de tous les Officiers de l'Armée. Il y joignit des proteftations folem-
nelles. Mais cette barrière fut trop foible. L'ardent Général, oubliant
^u'il manquoit de refpeft pour le Roi, dans la Perfonne de fon Miniftre, le
it arrêter honteufement & reconduire à Cuba fur un Vaiflcau de la Flotte.
Olmedo, épouvanté de cette violence , reprit le chemin de Mexico, fans
avoir demandé d'autre réponfe; & les Troupes même de Velafquez fe re-
Zz 2 " froi-
i
FERNANè
C O R T E a.
i S ^o.
Olmedo ,
Aumônier de
Cortez , en-
treprend la
négociation.
D'Aillon *
Duero fe dé-
clarent pour
la Faix.
Narvaez
met la tête de
Cortez à prix.
Ses ;uuics
violences.
Fbrnand
GORTEZ.
1520-
On croît
Narvaez d'in-
telligence a-
vec Mote^u-
IX».
Raifonne-
mens de
Motezuma
fur la divifion
des £fpa>
gools.
Comment
Cortez lui
répond.
364 PREMIERS VOYAGES
froidirent pour une Caufe, qu'ils voyoient foutenir avec tant d'orgueil âip
d'-'ndécence (0).
Quelques Auteurs Efpagnols ont écrit que Narvaez avoit formé une étroi-
te correfpondance avec Motezuma, & que par des Courriers fréquens,.
qu'il dépêchoit de Zampoala à Mexico , il fe vantoic d'être venu avec une
Commiffion du Roi d'Efpagiie, pour châtier l'infolence d'une troupe de Su-
jets rebelles & bannis, qui rendoient le nom Efpagnol odieux par leurs bri-
gandages. Mais cette fuppofition paroît peu vraifemblable à Solis , qui ne
peut comprendre , dit-il , comment Narvaez , fans Interprètes , & fans au-
cune relation à la Cour de Mexico , auroit trouvé le moyen de lier tout-
d'un-coup un commerce de cette nature avec l'Empereur. Il en conclut
que le retour d'Olmedo, avec de fâcheufes. nouvelles , qui caufèrent aflez
de chagrin à Cortez pour en faire paroître quelques traces fur fon vifage^
& les avis, qui venoient continuellement à la Cour, par des Courriers Me*
xiquaîns, font les feules lumières qu'on puiife attribuer à Motezuma fur la
divifion dès Efpagnols (p). Cependant ce Prince devoit avoir pénétré
fort habilement la vérité, puifque, dans le premier entretien qu'il eut avec
Cortez, il lui parla ouvertement des mauvais defTeins que le nouveau Ca-
pitaine de fa Nation faifoit éclater contre lui. Jl ajouta qu'il n'étoit pas
furpris qu'ils euffent enfemble quelque différend particulier , mais de ce
qu'étant Sujets du même Prince, ils commandoient deux Armées qui pa-
roiffoient ennemies ; 6c qu'il falloit néceffairement qu'au moins l'un des
deux Commandans fût hors des bornes de robéiiTance qu'il devoit à fon
Souverain. Le Général , d'autant plus embarraffé de cette concludon qu'il
ne croyoit pas l'Empereur fi bien inftruit , rappella toute fa profence d'ef-
prit pour lui répondre, que ceux qui l'avoient averti de la mauvaife difpo-
fition du nouveau Capitaine ne s'étoient pas trompés fur ce point, & que
venant d'en recevoir avis lui-même par Olmedo, il s'étoicpropofé de com-
muniquer cette nouvelle à Sa Majefté ; mais- que cet Officier, qui fe nom-
moit Narvaez, étoit moins un Rebelle qu'un Homme abufé- par de fpé-
cieux prétextes; qu'étant envoyé par un Gouverneur mal informé , qui ré-
fidoit.dans une Province fort éloignée de la Cour d'Efpagne,& qui ne pou-
voit- avoir appris les derniers ordres de leur Souverain, il s'étoit vainement
perfuadé que les fonctions de cette Ambaffade lui appartenoient ; préten-
tion imaginaire, qui feroit bientôt diillpée , lorfqu'il auroit fait lignifier
lui-même, à cet inutile Ambafladeur, les pouvoirs en vertu defquels il
devoit commander à tous les Efpagnols qui aborderoient fur la Côte du Me-
xique; que pour remédier promptement à cette erreur, il avoir réfolu de
fe rendre à Zampoala, avec une partie de fes Troupes, dans la feule vue
de renvoyer celles qui s'y étoient arrêtées , & de leur déclarer qu'elles dé-
voient du refpefl aux Peuples de l'Empire , depuis qu'ils étoient fous la
\ ... i .?-,.?■- , . .r»Y(-- ; • pro»
(0) Solis, LÎV.4. Chap."!. Hèrrera, Liv,
g: Chap. 18, 19 6f 20-
(p ) Herrera parle de quelques préfens que
ce Prince avoit envoyés à Narvaez, & qui
Teinblenl fuppofei une cocrefpondance ; mais
on répond que c'étoit l'ufage des Mexiquains
à l'égard de tous les Etrangers qui abordoient
fur leur Côte , comme on l'a vu dans l'e»
xempie de Cortez.
EN A M E R I Q U E. Liv. L-
3^5
ueîl 6ç
î étroi-
iquens ,•
^ec une
i de Su-
urs bri-
qui ne
fans au-
er tout-
concluÊ
înt aflez
vifage^
ers Me»
la fur la
pénétré
eut avec
veau Ca-
étoit pas
lis de ce
i qui pa-
l'un des
oit à fon
fion qu'il
nce d'ef»
fe difpo-
f & que
de com-
c nom*
de fpé-
qui rê-
ne pou-
iinement
préten-
fignifier
"quels il
duMe-
réfolu de
euie vue
elles de-
fous la
pro-
ilexlquains
abordoient
dans l'e^
Fernanb
CORTEZ.
1520.
Motezuma
ofFre une Ar-
mée à Coitez.
proteftion del'Erpagne; & qu'il vouloit exécuter promptement ce defTein,
par le jufle empreflement qu'il avoit d'empêcher qu'elles n'approchaflent
de la Cour , parce qu'étant moins difciplinées que les Tiennes , il craignoit
que leur voifinage n'excitât des mouvemens dangereux pour le repos de
l'Empire.
Cette réponfe étoit d autant plus adroite, qu'elle intéreflToit la Cour
Mexiquaine à la réfolution qu'il avoit déjà formée d'aller au-devant de
Narvaez. Aufli l'Empereur , qui n'ignoroit pas les violences auxquelles-
fes Ennemis s'étoient emportés, ni la fupériorité de leurs forces, lui re-
préfenta-t'il qu'il y avoit de la témérité à s'expofer avec fi peu de l'roupes.
11 lui offrit une Armée, pour foutenir la Tienne, & des Chefs qui refpe^le-
roient fes ordres. Mais Cortez fentit le danger d'un fecours, dont il pou-
voit être forcé de dépendre; & s'étant excufé fur ladiligence qui étoit né-
ceflaire à Tes vues , il ne penfa qu'aux préparatifs de fon départ. Il fe flat-
toit encore, Tinon d'engager Narvaez à l'union, du moins de faire fervir'
ies intelligences qu'Olmedo lui avoit ménagées, à le forcer d'accepter des
conditions raifonnables. Cependant , pour ne pas donner trop au ha-
zard , il envoya ordre , à Sandoval , de venir au-devant de lui avec la'
Garnifon de Vera-Cruz, ou de l'attendre dans quelque Porte où ils puflent
fe joindre fans obllacle, & d'abandonner Ta ForterelTe à la garde des In-
diens alliés.
En quittant Ton Quartier, il y laifla quatre-vingts ETpagnols, Tous le"
Commandement d'Alvarado , pour lequel il avoit remarqué de TafFeftion
aux Mexiquains, & dont il connoiflbit d'ailleurs le courage & la conduite.
Il lui recommanda particulièrement de conTerver à l'Empereur cette efpéce Ue defés
de liberté qui l'empêchoit de fentir les dégoûts de Ta PriTon , & d'apporter' gen» à Mexi-
néanmoins toute Ton adrefle à lui ôter les moyens d'entretenir des pràti-- *^°'
ques Tecrétes avec les Prêtres & les Caciques. Il remît à Ta charge le tré-
for du Roi & celui des Particuliers. Les Soldats , qui demeuroient Tous'
lès ordres, promirent, non-Teulement de luit>béir comme à Cortez même,
mais encore de rendre à Motezuma plus de reTpeél & de Toumiflîon que ja-*
mais, & de vivre dans une parfaite correTpondance avec tous les Mexi-
quains. La principale difficulté Tembloit confifter à s'aflurer des difpofi-
tions de l'Empereur, dont le moindre changement pouvoit renverTer les'
plus Tages précautions. Cortez, par des reflburces de génie, qui augmen-
toient dans Tes plus grands embarras , parvint à lui perTuader qu'il n'avoit
pas d'autre intention que de le Tervir ; & qu'il reviendroit bientôt prendre
congé de lui , pour retourner en Efpagne avec Tes préTens , & l'alTurance
de Ton amitié , qui paroîtroit d'un prix ineflimable au grand Prince dont il
avoit accepté l'alliance. Il le toucha par TesreTpefts ÔL par Ton langage,
juTqu'à lui faire engager fa parole de ne pas abandonner les Efpagnols , qui
Te noient à Ta protedlion, & de veiller à leur Tûreté, en continuant Ton
Téjour dans leur Quartier. Quelque explication qu'on puifTe donner à cet-
te promefle , la Tuite des évenemens ne permet pas de douter qu'elle ne
fût Tincère, & qu'H errera ne Te Toit trompé, lorfque, faifant Tortir l'Em-
pereur, Tuivide toute Ta Cour, pour accompagner fort loin le Général,
2^3. il
' Cortez va
au-devant de
Narvaez, &
laiflc une par-
11 s'affurc
des difpofi-
tions de l'Eua»
percur.
Fernand
;CORTEZ.
1520-
Sa marche
par ïlafcala.
11 trouve
Narvaez à
ZamiK>ala.
Ses efioïts
jiour la Paix.
Nouveaux
cmportcmcns
de Narvaez.
366 P R E M I E R S V O Y A G E S ,
il attribue cette extrême^civilité au défir qu'il avoit de fè voir délivré dei
Efpagnols (q). ,\;iv • .;:
Ils prirent leur chemin vers Choiula, où ils furent reçus avec de gran-
des marques d'afFeâion. De-là , s'étant rendus à Tlafcala, ils trouvèrent,
à quelque diflance de cette Ville, le Sénat & la Noblefle, qui s'écoient af-
femblés pour venir au devant d'eux. Il fembloit que Cortez eût acquis un
nouveau mérite aux yeux de ces fiers Républiquains , par l'humiliation de
Motezuma. Cependant les Hiftoriens font partagés fur le fecours qu'il
leur avoit demandé. Quelques-uns affurent qu'ils le refuférent , fous pré-
texte qu'ils n'ôfoient prendre les armes contre des Efpagnols. D'autres
foutiennent qu'ils accordèrent fix raille Hommes < & qu'ils en offrirent un
plus grand nombre, mais qu'en arrivant fur leurs Froncières, les Troupes
demandèrent d'être congédiées , parce qu'elles n'étoient point accoutu-
mées à combattre hors de leur Province. Il paroit ^ronflant du moins,
qu'aucun Tlafcalan ne fer vit dans cette Expédition. Mais Cortez for-
tit de leur Ville fans fe plaindre , & fans donner aucune atteinte à la
confiance établie; & dans la fuite, lorfqu'il rechercha leur fecours, con-
tre les Mexiquains, il les trouva toujours prêts à le fervir.
Il fe rendit , à grandes journées , fous les murs de Motaliquita , Bourga-
de d'Indiens alliés , à douze lieues de Zampoala , oy Sandoval arriva pref-
qu'en même tems , avec fa Troupe , & quelques Soldats de l'Armée de
Narvaez, que la violence exercée contre d'Aillon en avoit détachés. Cor-
tez apprit d'eux le desordre qui règnoit dans l'Armée ennemie.; & ce ré-
cit lui fut confirmé par Sandoval, qui avoit fait entrer, dans Zampoala ,
deux Efpagnols déguifés. Il regarda la négligence de Narvaez comme une
marque de la confiance qu'il prenoit à fes forces^ & du mépris qu'il faifoit
du petit nombre de fes Adverfaires. Mais quelque avantage qu'il crut pou-
voir tirer de cette vaine préfomption ,. il ne voulut pas rompre ouverte-
ment , fans avoir fait de nouveaux effosts poin* obtenir la Paix. Oimedo
fut envoyé pour la féconde fois 4 & fa négociation n'ayant pas mieux réuf-
fi , le Général , foit pour mettre toute la juftice de fon côté , foit pour fe
donner le tems de recevoir les deux mille Indiens qu'il attendoit de Chi-
nantla , réfolut d'envoyer Jean Velafquez de Léon , que la diftinélion de
fa naiilance, & l'honneur qu'il avoit d'appartenir de près, par le fang, au
Gouverneur de Cuba , rendoieht for: propre à cette médiation. Narvaez
avoit tenté inutilement de l'attirer dans «fôn parti ; & Cortez avoit eu
d'autres preuves de fa fidélité ,, auxquelles il ne pouvoit répondre a-
vec plus de nobleffe , qu'en remettant une affaire fi délicate à fa bon-
ne foi (r). , ..:.. . .
Lorsqu'il entra dans Zampcala, tous les Efpagnols fe perfuadèrent qu'il
ve-
i(lJ„ :;i . ■
îi *i :iA
(q) Herrera, Liv, 10. Cbap. i. Un autre
Hiftorien , fentant la difficulté d'expliquer
cet excès de bonté dans un caraftère tel que
celui de Motezuma , fe réduit à regarder cet
te révolution comme un miracle du Ciel
pour faciliter aux Efpagnols la Conquête, du
Mexique. De -la, dit- il, cette crainte rcf-
peiJkucufc pour Cortez, qui étoit diredement
oppoCée à l'orgueilleufe lierté de ce Prince.
Solis, Liv. 4. Cliap. 7. , ,,.
(r) Soifs, nbifuprà, Clnp. 8.
' E N A M E R I Q U E, Liv. I.
3^7
venoit fe ranger fous leurs Etendarts , & Narvaez s'emprefTa d!allcr au-
devant de lui: mais, après quelques explications, ces civilités furent fui-
vies de tant d'emportement & de: violence, que Velafciuez, irrité jufqu'à
défier ceux qui ôferoient blefler l'honneur de Cortez, fe vit dans la né-
ceflîté de retourner fur fes pas^ Olmedo le fuivit. Narvaez les eut fait
arrêter , fi la plupart de fes Officiers , ofFenfés de voir traiter fi mal un
Homme du mérite & du rang de Velafquez, ne s'y fuflent oppofés avec
beaucoup de chaleur (0- Ce mécontentement palîa bientôt des Capitai-
nes aux Soldats. Ils s'expliquèrent fi librement , fur le peu dp foin qu'on
prenoic de juftifier leur conduite dans cette Guerre, que Narvaez n'ôfa ré-
fifter au confeil qu'on lui donna d'envoyer promptement après Velafquez ,
pour lui faire quelques extufes, & pour apprendre de lui quelles étoient
fes propofitions qu'on avoit refufé d'écouter. Duero fut choifi pour cette
Commiffion. Mais n'ayant pu le joindre, fur la route, il prit le parti de
le fuivre jufqu'au Camp de Cortez, qu'il trouva prêt de changer dePofte,
dans la réfolution de commencer la Guerre. Son arrivée fit renaître quel-
que éfpérance de Paix. Cortez le reçut comme fon Ami. Dans plufieurs
Conférences qu'ils eurent enfemble, il s'ouvrit avec tant de franchife fur le
defir qu'il avoit d'adoucir Narvaez , dont l'obfliination étoit l'unique obfta-
cle à l'accommodement, que Duero, charmé de le voir agir fi noblement
avec un Ennemi déclaré, propofa une entrevue entre les deux Généraux,
comme le feul moyen d'abréger des difficultés, dont la fin paroiflbit fort
éloignée. Cette propofition fut acceptée avec joye. Tous les Hiftoriens
conviennent que Duero étant retourné à Zampoala avec la parole de Cortez,
on drefla une Capitulation authentique, par laquelle l'heure & le lieu de la
Conférence étoient défignés, & que chacun des Ccmmandans s'engagea par
écrit à s'y rendre , accompagné feulement de dix Officiers , qui dévoient
fervir de Témoins à leurs Conventions. Mais , tandis que Cortez fe dif-
pofoit à remplir fon engagement, il reçut avis, par un Courrier fecret de
Duero, qu'on lui préparoit une enibufcade, dans le deflTein de l'enlever, ou
de lui ôter la vie; & cette étrange information lui fut confirmée par d'au-
tres Officiers de Narvaez, qui fe fentoient de l'horreur pour la trahifon.
Un deflein fi noir, l'obligeant de renoncer à toutes fortes de ménagemens,
il écrivit à fon Ennemi , non-feulement pour lui reprocher fa perfidie, mais
pour lui déclarer qu'il rompôit le Traité, & qu'il remettoit la décifion de
leur querelle à la voye des armes (f ).
Quoiqu'il n'eût encore aucune nouvelle de la marche des Indiens auxi-
liaires, il hâta celle de fon Armée. Elle n'étoit compofée que de deux cens
foixante fix Efpagnols, & des Indiens décharge: mais jugeant qu'un En-
nemi capable de tant de balFefl^es avoit peu de fond à faire fur fes propres
Troupes , il ne craignit point d'alFeoir fon Camp à moins d'une lieue de
Zampoala, dans un Poftei à la vérité, qui fe trouvoit fortifié en tête par
un RuifTeau, que les Efpagnols avoient nommé Rivière des Canots, & der-
rière lequel il avoit à dos fa Ville de Vera-Cruz. Narvaez fut informé de
ce mouvement. Son impétuofité, plus que fa diligence, le fit fortir aufTi-
tôc
FerwanD'
Cortez.
152c.
Duero cH
envoyé à
Cortez.
Trahifon
de Narvaea.
Cortez
rompt abfo-'
lumcnt avec
lui.
Porte qu'il
prend.
{^) Ibidem, Herrera, Liv. lo. Cbap. i.
(t) Solis, ibidem.
F B R :i A N n
C 0 R T E Z.
1520.
Prudence
avec laquelle
il attire Nar-
vaez dans les
pièges.
11 le fur-
prend dans
Zanipoala,
Conduire
de cette en-
trcprife.
Ci
368 PREMIERS VOYAGES
tôt de Ton Quartier pour tenir la Campagne, mais avec une confufion qui
répondoit à celle de fes idées. II fit publier encore une fois la Guerre. 11
mie la tête de Cortez à prix pour deux mille écus, & celles de Sandoval
& de Velafquez pour quelque chofe de moins. „ Ses ordres, dit un Hifto-
„ rien , étoient mêlés de menaces. Il en donnoit pludeurs à la fois. Oa
„ découvroit un air de crainte , dans le mépris qu'il afFeéloit pour Cortez.
„ Enfin, Ton Armée fe mit d'elle-même en Bataille, comme par hazard,
„ & fans attendre fes ordres («J*. Après l'avoir, fait avancer l'efpace
d'un quart de lieue, il réfolut d'attendre l'Ennemi , dans la folle perfuafion
qu'un Général, de l'habileté de Cortez, pourroit oublier le desavantage du
nombre , & que la force de ^qs reflentimens lui feroit quitter fon Pofte. Il
palla tout le jour dans cette fituation. La nuit approcnoit, lorfqu'un nua-
ge, où le Soleil fe cacha tout- d'un-coup, répandit une pluye fi froide &
fjL abondante, que tous Çqs Soldats demandèrent d'être reconduits auQuar-
tier. Il céda facilement à leurs inflànces. r^i
Cortez, qui fut bientôt averti de cette retraite, regreta beaucoup que
le Rùifleau , fur le bord duquel il avoit fon Camp , fût trop enflé par la
pluye pour lui permettre de le pafler à gué, & de tomber fur un Ennemi
qui fembloit fuir. Mais fon génie guerrier , & le fond qu'il faifoit fur fes
intelligences , lui infpirèrent un deflein qui demandoit toute fa hardiefle
pour le tenter, & la confiance qu'il avoit à fon bonheur pour s'en pro-
mettre le fuccès qu'il obtint. Ce fut de furprendre, pendant la nuit, au
milieu de Zampoala , fes Ennemis mouillés & rebutés de la fatigue du jour.
Après avoir communiqué ce projet à ks Troupes , & les avoir animées a-
vec la plus vive éloquence , il les divifa en trois Corps , dont il donna le
premier à Sandoval, & le fécond à d'Olid. Letroifième, dont il prit le
Commandement lui-même, avec quelques-uns de fes plus braves Ofliciers,
donna l'exemple , en paflant dans l'eau jufqu'à la ceinture. Herrera pré-
tend que par repréfailles , la tête de Narvaez fut mife à prix (x), & que
Cortez, pour juftifier plus que jamais fa Caufe, donn^ par écrit, à San-
doval, qui faifoit l'Office de Général Major, un ordre, qui portoit „ que
Narvaez étant entré dans le Pays à force ouverte, au préjudice des in-
térêts de l'Efpagne, de la Religion, & du Domaine Royal, & n'ayant
voulu ni montrer fes Provifions , ni prêter l'oreille aux propofitions
d'accommodement, Fernand Cortez, Commandant de la Nation Ef-
pagnole au Mexique, ordonnoit à tous les Capitaines, Cavaliers & Soir
dats de fon Armée, de fe faifir de fa perfonne, & de le tuer s'il faifoit
quelque réfiftance (y)".
L'Armée avoit fait près d'une demie lieue dans les ténèbres , lorfque les
Coureurs amenèrent une Sentinelle de Narvaez qu'ils avoient enlevée; mais
ils rapportèrent qu'il leur en étoit échappé une, qui s'étoit dérobbée entre
les buiflbns , à la faveur de l'obfcurité. Cet incident fit perdre l'efpérance
qu'on avoit eue de furprendre les Ennemis Cependant, comme il y avoit
beaucoup d'apparence que la crainte i'f^rre arrêté feroit prendre quel-
que détour au Fugitif, ^on rplblut de s'avancer prompternent, foit pour
ar-
»»
»
>»
5>
(4) Ibidem,
(;c) Ubifuprà, Chap. 8.
(y) Ibidem, Ghap. 3.
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
i^9
FruNAWO
C O B T E Z.
1520.
arriver avant lui, foit pour attaquer les Ennemis mal éveillés, s'ils étoient
avertis , & dans le trouble d'une première allarme. La Sentinelle , que la
peur avoit rendue fort légère, arriva dans la Ville avant Cortez, & répan-
dit fes frayeurs. Mais Narvaez, ne pouvant fe perfuader qu'une troupe
d'Avanturiers , dont il méprifoit le nombre, ofat l'attaquer dans une gran-
de Ville, ni qu'elle eût pu quitter Ton Pofte , d'un fi mauvais tems, rejetta
brufquement 1 avis dfc celui qui l'apportoit (2).
Il étoit minuit, lorfque Cortez entra dans Zampoala; & Ton cri de guer- Narvaez
re, Saint -Efprit, qui étoit pris, fuivant la remarque des Hiftoriens, de la ^.^ ^^^f ^=
Fête qu'on avoit célébrée le même jour, nous apprend que c'étoit celle de cortez/*^ *
la Pentecôte. Narvaez étoit logé, avec toute fon Armée, dans le plus
grand Temple de la Ville. Ses Coureurs pouvoient s'être égarés ou s'ê-
tre mis à couvert pendant lapluye; mais des Soldats, tels que ceux de
Cortez , endurcis à la fatigue & fupérieurs à la crainte , pénétrèrent juf-
qu*au pied du Temple , ftns s'embarrafler s'ils avoient été découverts.
Leurs Chefs furent furpris néanmoins de ne rencontrer aucune Garde. La
difpute de Narvaez duroit encore avec la Sentinelle qui l'avoit averti.
Quoique cet avis paflat pour une faufle allarme , quelques Soldats in-
quiets s'étoient mis en mouvement. Cortez, qui s'en apperçut, ne ba-
lança point à les attaquer avant qu'ils enflent le tems de fe reconnoître.
Il donna le fignal du Combat, & Sandoval entreprit auffi-tôt de monter
les Dégrés du Temple. Les Canoniers de garde entendirent le bruit, &
mirent le feu à deux ou trois pièces , qui donnèrent férieufement i'allar-
me. Les tambours fuccedèrent au bruit du canon. On accourut de toutes
parts , & le Combat fe réduifit bientôt aux coups de piques & d'épées. San-
doval eut beaucoup de peine à fe foutenir dans un Pofte desavantageux , &
contre une Troupe plus nombreufe que la fienne. Mais d'Olid vint à pro-
pos le fecourir j & prefqu'auflî-tôt Cortez, ayant laifl*é fon Corps dé refer-
ve en Bataille, parut l'épée à la main , fe jetta dans la mêlée , & s'ouvrit
un paflage , où tous {es cens fe -précipitèrent après lui. Les Ennemis ne
réfiftèrent point à cet effort. Ils abandonnèrent les Dégrés , le Veftibule
& l'Artillerie. Plufieurs fe retirèrent dans leurs logemens, & les autres al-
lèrent fe raflembler à l'entrée de la principale Tour, où l'on combattit long-
tems avec une égale valeur.
:' Najivaez parut alors. Il avoit employé quelque tems à s'armer ; mais
on convient qu'en fe préfentant au Combat , il fit des efforts extraordinai-
res pour ranimer fes gens, & qu'il marqua de l'intrépidité au milieu du
danger. Elle alla jufqu'à le mettre aux mains avec les Soldats de Sandoval ;
mais il en reçut , dans le vifage , nn coup de pique qui lui creva l'œil , Si
qui le fit tomber fans connoiflance. Le bruit fe répandit qu'il étoit mort.
Ses gens s'efirayèrent. Les uns l'abandonnèrent par une honteufe fuite; les
autres ceflerent de combattre; & ceux qui s'empreflerent de le fecourir, ne
faifant que s'embarrafler mutuellement , il fut aifé de les poufler , quoiqu'a-
vec beaucoup de peine & de confufion. Les Vainqueurs prirent ce tems
pour
( 2 ) Le même Hiftorien dit nettement Tjue quelques Officiers , qui favorifolent Cortez ,
aidèrent à l'erreur.
XniL Part,
A a a
3?o
PREMIERS VOYAGES
FBRNiND
CORTEZ.
1520.
Tous les
Efpafinols fe
réuni (Tent
fous Cortez.
pour enlever Narvaez, en le traînant au bas des Degrés, d'où Sando-
val le fie tranfporter au milieu da Corps de referve. Sa honte fut éga-
le à fa douleur, lorfqu'étant revenu à lui-même, il fe trouva les fers
aux pieds & aux mains, & qu'il fe vit livré à la difcrétion de fcs En-
nemis (a).
Le Combat ayant cefTé , par la retraite de tous fes gens , qui s'étoienc
jettes dans les Donjons, ceux de Cortez firent retentir le cri de f^i£loire ,
pour le Roi, pour Cortez, pour le Saint Efprit, & ces tranfports de joye
augmentèrent beaucoup la frayeur des Ennemis. Mais on remarque une
circonflance, qui, jointe à la prife de leur Chef & aux intelligences de
Cortez, peut fervir à diminuer leur honte. Des fenêtres de leur loge-
ment, ils découvroient, à diverfes diflances, & dans plufleurs endroits,
des lumières qui pcrçoient Tobfcurité , avec l'apparence d'autant de mè-
ches allumées, qu'ils prirent pour celles de plufleurs Troupes d'Arquebu-
ilers ; c'étoit des vers luifans , qui font beaucoup plus gros & plus brillans
que. les nôtres , dans cette hémisphère , & qui leur firent croire que l'atta-
que de Cortez étoit foutenue par une puiflante Armée {b). L'Artillerie,
qui fut tournée auffi-tôt contre les Donjons, la menace du feu qu'on y pou-
voit mettre aifément , & le pardon , qui fut ofi^ert à tous ceux qut vou-
droient s'enrôler fous les Etendarts du Vainqueur, avec la liberté du dé-
part & le pafTage pour ceux qui fouhaiteroient de retourner à Cuba, firent
quitter les armes au plus grand nombre. Cortez donna ordre qu'elles fuf-
fent reçues & foigneufement gardées , à mefure qu'ils venoient les rendre
en troupes, fans excepter celles de fes Partifans fecrets, qu'il ne vouloit
' pas
»»
*•
*i
(a) On fuit ici Diaz & Solis, Herrera
s'en écarte un peu. Ces difFérenccs méritent
d'être remarquées , dans un événement fi cé-
lèbre. „ L'approche, dit Herrera, n'ayant
„ pu. fe faire fi fecrétement qu'on ne s'en
apperçut, on en avertit Narvaez, qui fe
revêtoit d'une côte d'armes. Il répondit;
qu'on ne fe mette point en peine ; nous y
donnerons bon ordre. Auflî - tôt il fit fon-
ner l'aliarme. Dans le Temple où il é-
toit , il y avoit deux Tours , qui fervoient
auflî de logement au refte de fon Armée;
mais il n'en fut pas fecouru. Les uns di-
fent que fes gens firent la fourde oreille,
& d'autres, qu'étant arrêtés par ceux de Cor-
tez, ils ne purent approcher. Cependant
Sandoval étant arrivé , les Sentinelles , qui
étoient au pied des dégrés , commencèrent
à s'écarter. Sandoval fe voyant décou-
vert, commanda de battre la caifle. Cor-
tez en même-tems cria; /erre, ferre'. Saint
Efprit, Saint Ffprit; à eux, à eux. San-
doval monta vivement les premiers degrés,
& rencontra une chambre pleine de Nè-
gres, un defquels étant forti avec de la
lumière à la main fut tué de deux coups de
pique. De-ià Sandoval & Tes gens arrivé*
•1
,, rent à la chambre de Narvaez. Ils y trou-
„ vèrcnt l'Artillerie en état, & ne purent
„ empêcher qu'une pièce, qui fut tirée, ne
,( leur tuât deux Hommes; Mais ils ferré-
„ rent de fi près, qu'on n'eut pas le tems de
„ tirer les autres. Cortez, qui furvint, fit
„ jetter toutes les pièces au bas des dégrés.
„ Alors on vom'.Uv entrer dans la chambre de
„ Narvaez, qui n'avoit pas avec lui moins
„ de quarante Soldats , & Sandoval le fom-
„ ma de fe rendre. Mais , étant Homme de
„ cœur, il combattit vaillamment avec les
„ fiens, quoique leurs lances, n'étant pas fi
„ longues que les piques de Cortez , ne fif-
„ fent pas tant d'effet. Lopez , Soldat de
„ Sandoval , mit le feu à la paille , dont la
„ Tour étoit couverte; ce qui força Narvaez
,!j & fes gens de fortir. Là, il reçut un coup
„ de pique dans un œil ; Sanchez Forfan le
„ ferra de près, avec Sandoval. qui lui dit,
« Je te fais prifotmier. Ils le traînèrent le
„ long des dégrés en defcendant, & lui mi-
„ rent les fers aux pieds ". Herrera, Liv,
10. Chap. 3.
(ft) Solis, Qiap. 10. Herrera n'en dit
xién.
■ I . .M .. *.'«.)
EN AMERIQUE, Liv. I.
■37t
B'ëtoient
Fi6toïre ,
j de joye
:que une
ences de
mr loge-
endroits,
c de mé-
Arquebu-
s brillans
ne Tatta-
^rtillerie,
>n y pou-
qui voû-
té du dé*
aa, firent
elles fuf-
;s rendre
i vouloit
pas
Ils y trou*
ne purent
tirée, ne
is ils ferré-
e tcms de
irvint, fit
des dégrés.
lambre de
lui moins
val le fora-
Homme de
it avec les
étant pas fi
.ez, ne fif-
Soldat de
>e , dont la
ça Narvaez
jut un coup
z Forfan le
qui lui dit,
linèrent le
& lui mi-
rera, Liv*
a n'en dit
»}
pas faire connoître, jparce que leur exemple fervoit à déterminer les au-
tres. Ce foin de les desarmer étoit d'autant plus important, qu'à la poin-
te du jour, s'appercevant que leurs Vainqueurs étoient en fi petit nom-
bre, ils regrettèrent beaucoup de s'être abandonnes à d'indignes frayeurs (c).
Cependant les: civilités de Cortez, & l'opinion, qu'ils prirent bientôt de
fon caraftère, devinrent un lien fi puiflant pour les attacher à lui, qu'il
n'y en eut pas un feul qui acceptât l'olFre d'être reconduit à Cuba. Il ne
reftoit à foumettre que la Cavalerie , qui n'ayant pu prendre part au Com-
bat, en attendoit le fuccés dans la Plaine; mais elle fut réduite aifcraent
par 'les voyes de la douceur. Cortez ne perdit que deux Hommes dans
ÎAftion , & deux autres , qui moururent quelques jours après de leurs blef-
fures. Entre les gens de Narvaez , on compta quinze morts 6c un fort
grand nombre de bleffés {d).
Cortez ne fe refufa point le plaifir de voir fon Prifonnier , mais loin de
Tinfulter dans fa difgrace , il affefta de ne pas lui faire annoncer fon arri-
vée; & Solis aflure même que fon deflein etoit de le voir fans fe faire con-
noître. Mais le refpeâ des Soldats l'ayant trahi, Narvaez fe tourna vers
lui, & lui diiWun air aflez fier («); „ Seigneur Capitaine, eftimez l'a-
„ vantage qui me rend aujourd'hui vôtre Prifonnier ". Cortez jugea que
cet orguf^il méritoit d'être humilié. Il répondit fans s'émouvoir : „ Mon
Ami, il faut louer Dieu de tout; mais, je vous aflure, fans vanité,
que je compte cette Viftoire & vôtre Prife entre mes moindres Ex-
ploits". Après l'avoir fait panfer foigneufement , il le fit conduire à
I Vera-Cruz (/). , .„ ^^.
A la pointe du jour, on vit arriver les deux mille Chinantleques, à qui
J toute leur diligence n'avoit pu faire furmonter plutôt les difficultés d'une
I longue route. Cortez leur fit le même accueil que s'il eût tiré quelque fruit
I de kur zèle, & les renvoya quelques jours après dans leur Province, avec
^ des remercimens & des carefles , qui les difpoférept plus ^ue jamais à lui
offrir leurs fervices. Le Cacique de Zampoala, qui s'étoit vu longtems
comme Efclave de Narvaez, fit éclater aulîi fa joye, & tous les Habitans
du Pays célébrèrent la Viéloire de leurs anciens Alliés (g). Au milieu de
ces foins, Cortez n*oublia point combien il étoit important pour lui de s'af-
furer de la Flotte. Il dépêcha fes plus fidèles Officiers , pour faire tranfpor-
ter, à VeraCruz, les voiles, les mâts &les gouvernails des Vaifleaux,&
pour
■.■-.'• , . ■' ..'
( f ) ., D'un air, dit SoHj , qui faifoit con-
„ noitre qu'il ne fentoit pas encore toute
„ l'étendue de fa difgrace ". Ibii,
if) Herrera, Chap. 3.
(g) Ces Vainqueurs Efpagnols ne fe pi-
quoient pas de continence. Le Cacique de
Zampoala fit préfent , à Cortez , d'une Fem-
me oe condition & fort belle , qui fut nom-
mée Catherine. Il en donna d'autres aux Ca-
pitaines. Cortez fe logea dans la Maifon de
Catherine, qui étoit forte, & où il fut traité
magnifiquement. Herrera, Chap. 4.
F E R-N .i N I»
C O R T F z.
I 5 - .>•
Humiliation
de Narvaez.
Zèle des
Indiens pour
le fervice de
Cortez.
y,.- i.':
l-jj
(/:*) On lit, dans Herrera, que deux Da-
mes Efpagnolesj qui étoient venues avec
Narvaez, apprenant fa déroute & fa captivi-
té, fe mirent à une fenêtre & s'écrièrent:
„ Méchans Soldats , la quenouille vous con-
„ venoit bien mieux que l'épée. Malheu-
„ reufes les Femmes qui font venues avec
„ vous " ! Après quoi s'étant fait conduire à
Cortez, elles louèrent beaucoup fa valeur,
vhijuprà, Chap. 4.
w (d) Solis, après Diaz, ubi fuprà. Her-
ïera ne met qu'onze morts, Cbap. 4.
Aaa 2
il'
372
PREMIERS VOYAGES
B
•■^FURWANn
C O R T E Z.
1520-
li retourne
à Mcxicu.
Il apprend
que fes gens
y font aflîe-
fés par les
lexiquains.
Fidélité de
l'Empereur.
Les Tlafca-
îans ofFrent
leur fecours
aux Efpa-
gnols.
pour mettre fes Pilotes & fes Matelots à la place de ceux de Narvaez; a*
vec un Commandant que Diaz nomme Pierre CavallcrOf & qu'il honore du
titre d'Amiral de la Mer.
Le fouvenir d'Alvarado & de fes Compagnons, qui fe trouvoient com-
me abandonnés à la bonne foi de Motezuma, ctoit l'unique fujet de cha-
grin qui troublât Cortez (h ). Il étoit rtifolu de ne pas perdre un moment
pour fe délivrer de cette inquiétude, en retournant à Mexico; mais plus
de mille Efpagnols , qu'il voyoit réunis tranquillement fous fes ordres, lui
parurent une Armée trop nombreufe, & capable d'allarmer los Mexiquains»
Il n'auroit pas fait difficulté d'en laifler une partie à VcraCruz, s'il n'eût
craint les mouvemens ciui pouvoient naître de l'oifiveté; fur-tout parmi de
nouvelles Troupes, qu il n'avoit point encore eu le tems de former à fa dif-
cipline. Dans cet embarras , il réfolut de les employer à d'autres Con-
quêtes. Il nomma Jean Velafquez de Léon, pour aller foumettre, avec
deux cens Hommes, la Province de Panuco; & d'Ordaz, avec le même
nombre, pour peupler celle de Cuazacoulco. Environ fix cens Soldats Ef-
pagnols, qui compofoient le refte de l'Armée, lui parurent fuffifans pour
faire fon entrée dans Mexico, avec l'éclat d'un Vainqueur q«i vouloit con»-
ferver quelque apparence de modération.
Mais, lorfqu'il fe préparoit au départ, ,"l reçut une Lettre, par un
Courrier d'Alvarado , qui l'obligea de changer toutes fes réfolutions. On
l'informoit que les Mexiquains avoient pris les jimes, & que, malgré Mo-
tezuma, qui n'avoit pas quitte le Quartier des Efpagnols , ils y avoient
déjà donné plufieurs alfauts. Le Soldat, qui apportoit cette nouvelle, é-
toit accompagné d'un Meflager Impérial, chargé de repréfenter qu'il n'a-
voit pas été au pouvoir de l'Empereur d'arrêter l'emportement des Rebel-
les ; & non-feulement d'aflurer Cortez qu'il n'abandonneroit point Alvara-
do & les Efpagnols , mais de preTer fon retour à Mexico , comme le feul
remède qu'on pût attendre au ce^ordre. Soit que ce Prince fût allarmé
pour lui-même, ou que fon inquiétude ne regardât que fes Hôtes, cette
démarche ne laifla aucun doute de fa bonne foi.
On n'avoit pas befoin de délibération, pour fe déterminer dans une c(»i*
jonflure fi preflante. Les anciens & les nouveaux Soldats de Cortez firent
éclater la même ardeur pour fe rendre à Mexico; & cet incident, qui fer-
voit de prétexte pour éviter le partage de l'Armée, fut regardé comme
un préfage de la Conquête de l'Empire, dont la rédu6lion devoit commen-
cer par la Capitale. Range! fut laifTé à Vera Cruz, en qualité de Lieutenant
deSandoval, avec une aflez forte Garnifon', qui n'empêcha point que,
dans la revue du refte des Troupes, il ne fe trouvât encore milleHommes
d'Infanterie & cent Cavaliers bien armés. Cortez leur fit prendre différen-
tes routes, pour ne pas incommoder les Peuples. On arriva, le 17 de
Juin, à Tlafcala, où le Sénat, toujours animé contre les Mexiquains, offrit
toutes fes forces pour la délivrance d'Alvarado. Mais Cortez, qui crut re-
marquer,, dans le zèle des Sénateurs, plus de haine contre leurs anciens
(«) Herrera dit néanmoins qu'Alvarado que Cortez en avoit envoyé au Quartier par
avoit envoyé des informations à Cortez , & Olmedo. Liv. 10, Cbap. 9.
EN A M E R I Q U E, Liv. I. 373
Ennemis que d'affeftion pour les Efpagnols, fe contenta de prendre deux
mille Hommes, dans la crainte d'effrayer Motezuma & de poufler les Re-
belles au dernier desefpoir. Son defTein étoic de faire une entrée pacifique
dans la Capitale, & de ramener les efprits par la douceur, avant que de
penfer au châtiment des Coupables.
Il fe préfema devant Mexico , le 24, fans avoir trouvé d'autre embar-
ras, dans fa route, que la diverficé & la contradiélion des avis qu'il rece-
voit. L'Armée pafla la grande Chauffée du Lac, avvC la même tranquilli-
té; quoiqu'à la vue de plulieurs indices qui dévoient réveiller l'es défiances.-
Les deux Brigantins, fabriqués par les Efpagnols , étoient en pièces. Quel-
ques ?onts , qui fervoient à la'communication du Quartier , avoicnt été
rompus : les Remparts & les Donjons iparoifToient déferts. Un morne fi-
îence règnoit de toutes parts. Des apparences fî fufpefte» obligèrent le
Général de régler fa marche, & de n'avancer qu'après avoir fait recon-
noître fuccefTivement tous les Portes. Ces précautions durèrent jufqu'au
Quartier des Efpagnols , oit les Gardes avancées , découvrant le fecours
qui leur arrivoit, poufTèrent des cris de joye, qui rendirent la confiance
à Cortez. , . . • .
Alvarado vint le recevoir à la porte du Quartier, accompagné de tous
fes Soldats, dont les tranfports & les acclamations ne peuvent être repré-
fentés. La préfence de Motezuma , qui parut oublier la fierté de.fon rang ,
pour accourir avec la même ardeur ( i ) , retarda de quelques momens les
explications. Mais cet emprefiTement fît connoître qu il fouhaitoit l'arrivée
de Cortez autant que les Efpagnols mêmes ; & fi l'on croyoit pouvoir dou-
ter de fes difpofitions 5 il feroit difficile d'expliquer pourquoi, n'étant
plus retenu par la forée, il n'avoit pas fait ufage de cette liberté, pour
retourner dans fon Palais , pendant l'abfence du Général. Tous les Hiflo*
riens reconnoiffent que, moitié politique, pour foûtenir l'opinion qu'il
fe ilattoit d'avoir fait prendre à fon Peuple, & aux Efpagnols mêmes,
des motifs qui l'arrêtoient dans leur Quartier ; moitié crainte , depuis
la révolte du Prince de Tezcuco; & peut-être auifi par attachement
pour fes Hôtes , qui étoient parvenus a lui infpirer de la confiance , &
qu'il regardoit comme un appui contre fes propres Sujets , il ne varia
plus dans les témoignages de fon affeélion» ni dans l'exécution de fes
promefTes (k).
Cortez fe fit raconter ce qui s'étoit palTé dans fon abfence. Un Corps
nombreux de Mexiquains, animés & conduits par quantité de Seigneurs,
avoient attaqué plufîeurs- fois les Efpagnols dans leur Quartier , fans
• (O Solis, Liv. 4; Cbap. ir, - '
(k) Cependant Diaz & Herrera préten-
àâit que Cortez reçut mal fes premières hon-
nêtetés , qu'il fe retira dans fon appartement
fens lui répondre, & qu'il lailTa môme «échap-
per quelques termes injurieux pour lui, de-
vant les Officiers Mexiquains. Ces deux E-
crivains l'accufent de s'être enorgueilli de
fes forces. Mais Cornera & Solis s'efFor-
PtRIf AN».
G o n T u s.
1520.
Préfagcs fâ-
cheux.
Cortez arrive
à Mexico.
Conduite de
Motezuma
difficile à ex-
pliquer.
Ce qui s'é-
toit pané dans-
l'abfence de-
Cortez.
cent de laver leur Héros de cette tache. 11
put afFefter quelque froideur, fuivant Solis,
pour fe donner le tems de prendre des in-
formations ; mais outre qu'il ne pouvoit
foupçonner l'Empereur de mauvaife foi , lôrf-
qu'il le retrouvoit parmi les liens , il auroif
été indigne de fa prudence de le maltraiter,
dans des conjonâures où il avoit befoiu ^
lui, ubi fuprà.
Aaa a
FenNANn
C 0 R T E z.
1520.
Cmfos de
h révolte des
Mcxiquaiiii).
374 PREMIERS VOYAGES
refpefl: pour la perfonne & les ordres de leur Souverain , qui n'avoit rien
épargné pour appaifer la fédition. Ils avoicnc tenu lon^-cems Alvarado
comme allicgé ; oc quatre de Tes plus braves Soldats avoicnt été tués dans
le dernier alTaut. Les Rebelles s'étoienc retirés depuis deux jours ; mais
loin d'avoir quitté les armes, leur grand nombre, & la mort des quatre
Efpagnols, leur infpiroient tant d audace, qu'ayant appris le retour de
Cortez, ils n'avoicnt pris la réfolution de s'éloigner du Quartier que pour
lui laiiTer le tems &. la liberté d'y revenir, dans la confiance qu'y étant une
fois renfermé avec tous fes gens, ils réuHlroiciic plus heurcuiement que
le Prince de Tezcuco , à détruire les Ennemis de leur Religion & de leur
Empire.
La caufe d'une fi furieufe animofité ne paroît pas bien éclaircie entre
les Hilloriens (/); & Cortez même en parle avec incertitude, dans la fé-
conde de fes deux Relations (m). Solis, qui fait profeflîon d'avoir pefo
tous les témoignages , afllire, comme une vérité confiante, qu'après le dé-
{)arc de Cortez , les Efpagnols obfervèrent beaucoup de relâchement dans
'attention & la complaifance que les Nobles avoient témoignées pour eux ,
& qu' Alvarado, en ayant pris occafion de veiller fur leurs démarches, ap-
prit, de fes Emiflaires, qu'on faifoit des aifembléei dans quelques Maifons
de la Ville. On approchoit d'un jour folemnel , où l'ufage étoit d'hono-
rer l"s Idoles par des Danfes publiques. Alvarado, fuivant le même récit,
fut informé que les Conjurés avoient choifi ce tems pour foulever le Peu-
ple , en l'exhortant à prendre les armes pour la liberté de leur Empereur
& la défenfe de leurs Dieux. Le même jour au matin , quelques-uns affec-
tèrent de fe montrer dans le Quartier des Efpagnols , & demandèrent mê-
me au Commandant la liberté de célébrer leur Fête, dans l'efpoir de lui
fermer les yeux par cette apparence de foumiffion. Elle le fit douter , en
effet , de la vérité de fes informations ; & dans cette incertitude il leur ac-
corda ce qu'ils demandoient, à condition qu'ils ne portaffent point d'ar-
mes , & qu'ils ne répandiffent point de fang humain dans leurs Sacrifices.
Mais il apprit bientôt qu'ils avoient employé la nuit précédente à tranfpor-
ter fecrétemenc leurs armes dans les lieux voifins du grand Temple. Sur
' fe. q ■ cet
(/) Les uns vtfulent que ce fut un effet
des intrigues & des mauvais ofllces de Nar-
vaez j ce qui paroît fans vraifeinblance : d'au-
tres, que c'étoit fimplement l'envie de ren-
dre la liberté à Motezuma : d'autres , que
c'étoit pour fe faifir de l'or, des pierreries
& des bijoux qui étoicnt demeurés dans le
Quartier Efpagnol , & dont on faifoit mon-
ter la valeur à plus de fept cens mille écus ;
■eniîn d'autres encore, que c'étoit par haine
pour les TIafcalans , mortels Ennemis de la
Nation, fur lefquels on rejettoit le deflein
'que les Efpagnols avoient eu de ruiner les
Idoles. Barthelemi de. Las Cafas , qui ne
ménage point fa Nation , raconte que les
Mexiquains, ayant voulu divertir leur Em-
pereur, aroîent préparé une Fête publique,
de l'efpèce de Danfeurs qu'ils nommoient
Mitoles, & qu' Alvarado, fâchant qu'ils s'é-
toient parés de leurs plus riches joyaux , é-
toit venu les attaquer avec tous fes Soldats,
Qu'il les avoit malTacrés & dépouillés , & que
dans cette occafion plus de deux mille Me-
xlquains avoient été paffés au fil de l'épée.
Dans cette fuppofitlon, la révolte n'étoit
qu'une jufte vengeance. Mais tous les au-
tres Ecrivains Efpagnols ont prétendu que
Las Cafas avoit été mal informé, Solis , ib. ,
page 153.
( m J Cartas de D. Hemando Cortez al Em-
perad9r.
EN AMERIQUELxv. I.
875
cet avis
kur Danfe
I 530.
Rcproclici
is, il prit des mefurcs pour attagucr les principaux Conjurés pendant FinHANq
anfe, c'eft:-à-dire, avant qu'il» fuflcnt armés , & qu'ils cuilbnt corn- Co-rt«z.
mencé à foulever le Peuple. Il fortit avec cinquante Efpagnols , fous pré-
texte de fatisfaire fa curiofité en afliftant à la Fête. Il s'approcha du Tem-
ple, où les Conjurés , qui s'y ëtoient déjà rendus, la plupart ivres & fans
défiance, fe difpofoient à danfer, pour attirer le Peuple au fpeftacle. Mais,
fan» leur laifler le tems de fe reconnoître, il les fit charger par Ç^is gens,
qui en tuèrent une partie, & qui forcèrent les autres de fc jcttcr par les
lenêtres du Temple.
OuELQUE jugement qu'on doive porter de cette entreprife, l'Miflorien
coritefle qu'elle fut exécutée avec plus d'ardeur que de prudence , & que *?"'°," .^'*'^ ^ '"*
les Efpagnols déshonorèrent leur motif, cn>fe jettant fur les Morts & fur d'Alvaudo,
les Blefles, pour arracher les joyaux dont ils les voyoient couverts. D'ail-
leurs Alvarado fe retira, fans prendre foin d'informer le Peuple des raifons
de fa conduite, & Solis lui en fait un reproche. Il devoit, dit -il, publier
la confpiration, & montrer les armes que les Nobles avoient cachées. Le
Peuple, qui ne fut informé que du carnage de fes Chefs & du pillage de
leurs joyaux , attribuant cette exécution à l'avarice efifrenée des Efpa-
gnols , en conçut tant de fureur , qu'il prit aufll - tôt les armes , fans
?|ue les Conju'-es y euffent contribué par leurs exhortations ou par leurs
oins (n).
La nuit, qui fuivit l'arrivée de Cortez , ne fût pas moins tranquille que
le jour précédent. Ce filence , qui duroit encore le lendemain , paroifiant
couvrir quelque myftère, Ordaz fut commandé pour aller reconnoître la
Ville, à la tête de quatre cens Hommes, Efpagnols & Tlafcalans. Il s'en-
§agea dans la plus grande rue , où il découvrit bientôt une troupe d'In-
iens armés , que les Séditieux n'y avoient poflés que pour l'attirer dans
leurs pièges. En effet, lorfqu'il fe fût avancé, dans le defifein de fai-
re quelques Prifonniers, dont il vouloit tirer des informations, il fe vit
couper le paflage par des Armées entières , qui vinrent le charger de
toutes les rues voidnes ; tandis qu'une Populace innombrable , qui fe
montra tout -d'un -coup aux fenêtres & aux terraifes, remplit l'air de
pierres & de traits.
Ordaz eut befoin de toute fa valeur & fon expérience, pour repôufler
une Cl vive attaque. Il forma fon Bataillon , fuivant l'étendue & la difpo-
fition de fefpace , avec la précaution de le border de Piquiers , tandis que
les Arquebuuers , qui compofoieftt le centre , eurent ordre de tirer aux fe-
nêtres & aux terrafles. Il lui étoit impoflible de faire avertir Cortez de fa
fituation; &, dans l'opinion, oi l'on étoit au Quartier, qu'il avoit aflez
de force pour exécuter fa Commiffion, on ne fe défia point qu'il eût befoin
de fecours. Cependant la chaleur des Indiens ne fut pas long -tems à fe
rallentir. L'excès du nombre leur ôtant l'ufage de leurs armes , ils s'étoient
avancés avec une confufion qui les livroit lans défenfe aux coups des Pi-
quiers.
(»0 Page 137. Le même Ecrivain croit & par l'ofFre qu' Alvarado lui fit de fe rendre^
fon récit bien confirmé par la réfolution que en pjrifon, pour appaifcx le Peuple en jufli-
Coïtez prit de faire pubher la vérité du fait, fiant fa conduite.
Combat en-
tre les Efpa-
gnolii & les
llcbcllc3.
• •
Prudence
& valeur
d'Ordaz.
I
Fbrnand
Cortex.
1520.
Il fe retire
avec gloire.
Les Mexi-
quains atta-
quent le
Quartier de
Cortez.
Leur fureur.
Ils font re-
pouiréi!.
S75 PREMIERS VOYAGES
quiers. Ils perdirent tant de monde à la première charge, que leur retrai-
te devenant aulTi tumultueufe que leur approche, ils fe précipitoient en ar-
rière les uns fur les autres , pour fe dérobber à la pointe des piques. Les
Arquebufiers n'eurent pas plus de peine à nettoyer les terrafles. Ordaz,
qui n'étoit venu que pour reconnoître, ne jugea point à propos de pouiTer
plus loin fa viftoire; & fans faire changer de forme à fa Troupe, il char-
gea fi vigoureufement ceux qui l'avoient coupé par derrière, qu'il s'ouvrit
le chemin jufqu'au (Quartier. Cette aflion lui coûta néanmoins du fang.
La plupart de Tes gens furent blefTés. 11 le fut lui-même, & huit de fes
plus braves Tlafcalans furent tués fous fes yeux ; mais il ne perdit qu'un
Efpagnol, que Diaz nomme Lezcano, & dont il vante beaucoup la va-
leur.
CoKTEz avoit penfé à ramener les efprits par des propofitions de Paix ;
mais outre qu'il n'avoit perfonne, dont il pût attendre ce fervice, & que
Motezuma même fembloit fe défier de fa propre autorité, le fuccés d'Or-
daz lui fit juger qu'il n'étoit pas tems de s'abbaifler à des offres qui pou-
voient augmenter l'infolence des Rel jlles. 11 fut confirmé dans ce fenti-
ment, parla fureur avec laquelle ils fe rafi^emblèrent, après leur défaite,
pour fuivre Ordaz jufqu'à la vue du Quartier. Leur deflein étoit d'y don-
ner un afi^aut général. En vain tenta- t'on de les efirayer par le bruit de
l'Artillerie. Leurs timbales & leurs cors donnèrent aullî-tôt le fignal du
Combat. Ils s'avancèrent, en même tems, avec un emportement fans
exemple. Plufieurs troupes d'Archers , dont ils avoient compofé leur A*
vant-garde, tiroicntaux créneaux, pour faciliter les approches à ceux qui
les fuivoient. Leurs décharges furent fi épaiflfes & fi fouvent répétées , pen-
dant que-lcs autres pafibient entre leurs rangs pour monter à l'aflaut , qu'el-
les caufèrent beaucoup d'embarras aux Efpagnols , qui fe trouvoient parta-
gés tout-à-la-fois par la néceflTité de fe défendre des fiéches, & par celle de
repoufler leurs Ennemis; fans compter un troifième foin, qui confifiioit,
s'il faut en croire un de leurs Hiftoriens, à ramaflTer ces flèches, dont la
multitude bouchoit les pafl^ages (0). L'Artillerie & les Arquebufes ne laif-
foient pas de faire un afiVeux carnage ; mais ces furieux étoient fi détermi-
nés à mourir ou à vaincre, qu'ils s'empreflbient de remplir le vuide, que
hs Morts avoient laifle, & qu'ils fe ferroient avec le même courage, en
foulant aux pieds , fans din:in(Slion , leurs BlefTés & leurs Morts. Plufieurs
s'avancèrent jufques fous le Canon, où ils s'efforcèrent, avec une obftina-
tion incroyable, de rompre les Portes, & d'abbattre les Murs, avec leurs
haches garnies de pierre tranchante. Quelques-uns, élevés fur les épaules
de leurs Compagnons , cherchoient le m»yen de combattre à la portée de
leurs armes. D'autres fe fervoient de leurs zagaies, comme d'échelles,
pour monter aux fenêtres & aux terrafles. „ Tous enfin, pour employer
les termes de THifliorien , fe lançoient au fer & au feu comme des Bêtes
farouches; & ces efl^ets d'une témérité brutale auroient pu pafler pour
des prodiges de valeur, fi la férocité n'y avoit eu plus de part que ie
„ courage".
)»
(0) Ibidem, 165.
' ç -t^-iv* (■'-«..■
E N A M E R
rT
X
o
U E, Liv. î.
377
Cependant , après avoir été repouffés de toutes parts , Us fe retirèrent
dans leurs rues , pour s'y- mettre à couvert des boulets & des balles qui les
pourfuivoient. Leur ufage n'étant point de combattre dans l'abfence du
Soleil , il fe réparèrent à la fin du jour ; ce qui n'empêcha point les plus
hardis de venir troubler, pendant la nuit, le repos des Efpagnols, en met-
tant le feu à plufieurs endroits du Quartier. On ignore s'ils l'avoient jette
à Force de bras, ou s'ils s'étoient fervis de leurs flèches, auxquelles ils pou-
voient avoir attaché quelque matière embrafée; mais la flamme s'empa-
ra tout - d'un • coup des Edifices , & s'y répandit avec tant de violence ,
qu'on fut obligé d'en abbattre une partie; après quoi, la néceflité démet-
tre les brèches en défenfe, on impofa un autre travail , qui fit durer la fatigue
jufqu'au jour.
Les Indiens reparurent au lever du Soleil ; mais au lieu de s'approcher
des murs, ils fe contentèrent d'infulter les Efpagnols par des reprochés in-
jurieux , en les accufant fur-tout d'être des lâches, qui ne fe défendoient
qu'à l'abri de leurs murailles. Cortez, qui s'étoit déjà déterminé à faire
une fortie, prit occallon de ce défi pour animer fes Soldats. Il forma trois
Bataillons; deux pour nettoyer les rues de traverfe; & le troifième, dont
il prit lui-même la conduite, pour attaquer le principal Corps des Enne-
mis, qu'on découvroit dans la grande rue (p). Avec la grandeur d'ame
qui le rendoit fupérieur aux petites jaloufies, il fit l'honneur, au brave
Ordaz, d'imiter la difpofition de rangs qui l'avoit rendu viélorieux dans
fa retraite. Les trois Bataillons , étant fortis enfemble, n'allèrent pas loin
fans trouver l'occafion de combattre. Mais l'Ennemi foutint cette premiè-
re décharge fans, s'étonner. L'A6lion devint fort vive. Les Mexiquains
fe fervoient de leurs maflues & de leurs épées de bois , avec une fureur
defefperée. Ils fe précipitoient dans les piques & les autres armes , pour
frapper les Efpagnols aux dépens de leur vie, qu'ils paroiflbient méprifer.
On avoit recommandé . aux Arquebufiers, de tirer aux fenêtres; mais leurs
décharges continuelles n'arrêtant point une grêle de pierres, que les Mexi-
quains avoicnt trouvé le moyen de faire pleuvoir fans fe montrer, on fut
obligé de mettre le feu à quelques Mailbns, pour faire cefler cette impor-
tune attaque. Enfin, les Rebelles tournèrent le dos; mais en fuyant, ils
rompoient les Ponts îk faifoient tête de l'autre côté des Canaux. Cortez fit
donner la chafle aux autres , dans plufieurs Quartiers. Cependant, par pi-
tié pour tant de Miférables, qui fuyoient en defordre, il rappella fes Trou-
pes, & fe retira fans oppofition. Il perdit douze Hommes, dans cette
glorieufe journée; & la plupart des autres ne revinrent pas fans bleflTures.
Du côté des Mexiquains , le nombre des Morts fut fi grand , que les rues
étoient couvertes des corps qu'ils n'avoient pu retirer, & les Canaux teints
de lang. ^.^^ ,Li;.^„y,K, ^ ; .,, =.",.. ^.j
On donna quelques jours au repos, mais toujours à la vue de l'Ennemî,
qui revenoit un moment à l'attaque , & qui fe dilfipoit avec la même faci-
lité. Dans cet intervalle , Cortez hazarda quelques propofitions d'accom-
modement , par divers Officiers de Motezuma , qui ne s'étoient point é-
5 ; >/ ^ loignés
^ ' ( /» ) Elle fe nommoit Tobaca, ^ y-
XniL Part. B b b- '" "' "•' •
Fernand
Cortez.
Cortez fait
une fortie.
Avantage
qu'il en tire.
11 fait prcv
pofcr un ac-
commode-
ment.
378
p 'r E m I E R S
VOYAGES
PbRH AND
£ORTEZ.
1520.
Tours ou
Châteaux mo-
biles.
•Nouvelle
fortie de Cor-
tes.
Difficultés
qu'il trouve à
vaincre.
Craintes qui
l'agitent.
loigncs de leur Maître. Ce foin ne lui fit pas perdre Tàttention qu'il dé-
voie à fa défenfe. 11 fit conftruire quatre Châteaux mobiles , en forme de
Tours , qui pouvoient être traînés fur des roues , pour les employer dans
l'occafion d'une nouvelle fortie. Chaque Tour pouvoit contenir vingt ou
trente Hommes. Elles étoient de fortes planches , qui pouvoient réfifter
aux plus grofles pierres qu'on jettoit des fenêtres ou des terrafles; &
fur toutes leurs faces elles étcient percées d'un grand nofïlbre de trous ,
par lefquels on pouvoit tirer fans fe découvrir. Cette invention parut
propre, non feulement à garantir les Soldats, mais encore à leur facili-
ter le moyen de mettre le feu aux Edifices de la Ville , & de rompre les
tranchées qui traverfoient les rues. Quelr les Hiftoriens ajoutent qu'il en-
troit aufli dans les vues deCorte^, d'épouvanter les Mexiquains par la nou-
veauté de ce fpeclacle.
DÉ plufieurs Officiers, qui étoient fortis pour tenter un accommodement ,
les uns revinrent fort maltraités , & les autres demeurèrent avec les Re-
belles. L'Empereur, qui fouhaitoit la réduélion de fes Sujets, fut fi vive-
ment irrité de leur obftination, qu'il confeilla lui-même, àCortez, de les
traiter fans ménagement. On réfolut Une nouvelle fortie. Cette journée
fut terrible. Les Ennemis n'attendirent point le coup qui les menaçoit. Ils
vinrent au-devant des Efpagnols , avec une réfolution furprenante. On s'ap-
perçut qu'ils étoient conduits avec plus d'ordre & de jufleflfe, qu'on ne
leur en connoifibit. Ils tiroient enfemble. Ils défendoient leurs Poftes fans
confufion. A peine les Efpagnols furent-ils engagés dans la Ville, que tous
les Ponts furent levés pour leur couper la retraite. Il fe trouva des Mexi-
quains jufques dans les Canaux, pour les percer de leurs flèches ou de leurs
zagaies, lorfqu'ils approchoient des bords. Les Châteaux de bois furent
brifés, par des pierres d'une énorme groffeur , qui dévoient avoir été tranf-
portées dans cette vue fur les terrafles. On combattit pendant la plus gran-
de partie du jour. Les Efpagnols & leurs Alliés fe voyoient difputer le
terrein, de tranchée en tranchée. La Ville en foufi*rit beaucoup. Plu-
fieurs Maifons furent brûlées ; & les Mexiquains , s'approchant de plus près
des armes à feu , perdirent encore plus de monde que dans les deux Aftions
précédentes. A l'approche de Ja nuit , Cortez, maître de plufieurs Pofl:es,
qu'il ne défiroit pas de garder , conçut qu'il avoit peu d'utilité à tirer de fon
Expédition, & ne fe fervit de fes avantages que pour retourner heureufe-
ment au Quartier. Il avoit perdu quarante Hommes , la plupart à la véri-
té Tlafcalans; mais les deux tiers de fes Efpagnols étoient blefles, & lui-
même avoit la mai.i percée d'un coup de flèche.
Sa bleflfure lui fervit de prétexte pour fe retirer au fond de fon Apparte-
ment; mais il reconnoît, dans fa première Relation (^), qu'il y porta une
playe plus profonde, il revenoit convaincu, par les événemens du jour,
qu'il lui étoit impofllble de foutenir cette Guerre fans perdre fon Armée ou
fa réputation. Il ne pouvoit penfer, fans une vive douleur, à quitter la
Capitale du Mexique, & toutes fes lumières ne lui offroienc aucune refifour-
ce pour s'y maintenir.
(^q) Cêrtas al Emperador. • 'r
EN A M E R I Q U E, Liv. I. 379
Après avoir pafTé la nuit dans cette agitation, il reçut, dès la pointe
du jour, un autre fujet de trouble, par la déclaration de Motezuma , qui ,
desefpérant de ramener fes Sujets à la foumiflîon, .tandis qu'ils verroient
les Efpagnols fi prus d'eux, lui ordonna, d'un ton abfolu, de fe difporer à
partir. Quoique cet ordre parût venir de fa crainte, plutôt que d'une fé-
rieufe confiance à fon autorité, Cortez, perfuadé que la retraite étoit né-
ceflaire, prit le parti de lui répondre qu'il étoit prêt d'obéir; mais qu'il le
prioit de faire quitter les armes aux Mexiquains avant qu'un feul Efpagnoi
fortît du Quartier. Cependant, pour joindre la fierté à la complaifance,
il ajouta que l'obUination des Rebelles , le touchant moins que fon refpedl:
pour l'Empereur, c'étoit ce dernier fentiment qui lui faifoit laifler, à Sa
Majeflé, le foin de punir les Coupables, & qu'il portoit, à la pointe de
fon épée , le pouvoir de fe faire refpeéter dans fa marche. Motezuma , qui
n'avoit pas compté fur une décifion fi prompte, parut refpirer après cette
réponfe , & ne penfa qu'à donner des ordres , pour faire exécuter unt con-
dition qu'il trouvait jufl:e.
Pendant qu'il fe livroit à ce foin , oh entendit fonner l'allarme dans tou-
tes les parties du Quartier. Cortez y courut , & trouva fes gens occupés
à foutenir un nouvel afl*aut des Mexiquains , qui , fermant les yeux au pé-
ril, s'étoient avancés fi brufquement , que leur Avant-garde , emportée par
le mouvement de ceux qui la fuivoient, fe trouva tout-d'un-coup au pied
du mur. Ils fautèrent en plufieurs endroits fur le Rempart. Les Efpagnols
avoient heureufemeht , dans la grande Cour du Château, un Corps de ré-
ferve , qui fut diftribué aux Poffes les plus foibles. Mais Cortez n'avoit
jamais eu tant befoin de fa diligence & de fa valeur. Motezuma , informé
de l'embarras des Efpagnols, envoya dire, à leur Général, que dans une
conjonfture fi preflante, & fuivaht la réfolution qu'ils avoient prife enfem-
ble, il jugeoit à propos de fe montrer à fes Sujets, pour leur donner ordre
de fe retirer, & pour inviter les Nobles à lui venir expofer paifiblement
leurs prétentions. Cottez approuva d'autant plus cette ouverture , qu'elle
pouvoit donner quelques moniens de repos à fes Soldats.
L'Empereur, quoique fort agité par le doute du fuccès , fe hâta dj
prendre tous les ornemens de fa dignité , le Manteau impérial , le Diadè-
me, & toutes les Pierreries, qu'il ne portoit que dans le plus grand étalla-
ge de fa grandeur. Cette pompe lui parut néceflaire , pour fe faire recon-
noître & pour impofer du refpeft. Il fe rendit , avec les Nobles Mexi-
quains qui étoient demeurés à fon fervice, fur le Rempart oppofé à la prin-
cipale avenue du Château. Les Soldats Efpagnols de ce Porte formèrent
deux hayes à fes .côtés. Un de fes Officiers, s'avançant jufqu'au parapet,
avertit les Rebelles , à haute voix , de préparer leur attention & leur ref-
peél pour le grand Motezuma , qui venoit écouter leurs demandes , & les
honorer de fes faveurs. A ce nom , les mouvemens & ies cris s'appaifè-
rent. Une partie des Mutins fe mit à genoux. Quelques-uns fe profl;er-
nérent iufqu'a baifer la terre. L'Empereur, après avoir parcouru des yeux
toute 1 Afîemblée, les arrêta fur les Nobles; & diftinguant ceux qu'il con-
noiflbit, il leur commanda de s'approcher. Il les appella par leurs noms;
il leur prodiga les titres de Parens & d'Amis. Leur filence paroiflant ré-
Bbb 2 poa-
Feunakd
Coûtez;
i5?o.
Il confcnt
à partir.
Cette réfo-
lution elt
troublée par
un alTaut des
Mexiquains.
Motezuma
propofe de fe
montrer à les
Sujets.
Circonftan*
ces de cetta
eiitreprife.
Difcours
qu il lient aux
Séditieux.
Fernand
COBTEZ.
1520.
EfFet qu'il
produit.
Motezuma
eft dangereu-
fement blelTé
par fes Sujets.
380 PREMIERS VOYAGES
pondre de leurs difpofitions , il fit violence à Ton reflentiment jufqu'à le»
remercier du zèle qu'ils faifoient éclater pour fa liberté: mais après avoif.
ajouté qu'il étoic fort éloigné de leur en faire un crime , quoiqu'il y trou- ,
vât de l'excès, il les aflura qu'ils s'étaient trompés, s'ils avoient cru que
les Efpagnols le retinflent malgré lui; que c'étoit volontairement qu'il, de-
mcuroit avec eux, pour s'inftruire de leurs ufages, pour reconnoître le-
refpedl qu'ils lui avoient toujours rendu, & pour marquer une jufte confi-
dération au puifTant Monarque qui les avoit envoyés : qu'il avoit pris néan*,
moins la réfoiution de les congédier, & qu'ils confentoient eux-mêmes ai
s'éloigner inceflamment de fa Cour; mais qu'il ne pouvoir exiger, avec;
juftice, que leur obéilfance prévînt celle de fes Sujets. Là-deflus il donna,
ordre , à tous ceux qui le reconnoiffoient pour leur Maître , de quitter
les armes , & de retourner paifiblement à la Ville ; contens , comme
ils dévoient l'être, ajoûta-t'il, de fa parole, & du pardon qu'il leur ac-
cordoit. , ; ' r<i. ,i;;
Ce difcours, que les Hifloriens rapportent avec plus d'étendue, fut é-
couté fans interruption; & perfonne n'eut l'audace d'y répondre. Mais
perfonne aulfi ne parut difpofé à quitter les armes. Un profond filence,
qui continua pendant quelques momens , fembloit marquer de l'incertitude.
Le bruit ne recommença que par dégrés. Il venoit de ceux qui travail-
loient fourdement à rallumer le feu ; 8i le nombre en étoit fort grand , puif-
que, fuivant quelques Ecrivains, on avoit déjà fait l'éleélion d'un nouvel
Empereur, ou que, fuivant les autres, elle étoit du moins réfolue. En-
fin , la fédition reprit toute fa force, & l'infolence fut bientôt pouflee juf-
qu'au mépris. On entendit crier que Motezumja n'étoit plus Empereur du
Mexique; qu'il étoit un Lâche, un Traître, & le vil Éfclave des Ennemis
de la Nation. En vain s'efforçat'il de s'attirer de l'attention par divers
fignes. Les cris furent acfcompagnés d'une nuée de traits, qui paroiiToient
lancés contre lui. Deux Soldats Efpagnols, que Cortez lui avoit donnés
pour Gardes, le couvrirent de leurs boucliers; mais tous leurs foins ne pu-
rent le garantir de plulieurs coups de flèches, ni d'une pierre qui l'atteignit
à la tête, & qui le fit tomber fans aucun fentiment. Cet accident fut ref-
fcnti de Cortez , comme le plus cruel contre-tems qui pût arriver. Il fit
tranfporter ce malheureux Monarque à fon Appartement; & dans fon pre-
mier trouble , il courut à la défenfe avec un emportement terrible : mais
il fe vit privé de la fatisfaélion de fe vanger. Les Ennemis n'eurent pas
plutôt vu tomber leur Maître, que reconnoifl!ant l'énormité de leur crime,
ils furent faifis d'une affreufe épouvante , qui les fit fuir & difparoî-
tre en un moment, comme s'ils eulfent été pourfuivis par la colère du
Ciel (r). * ^
L'Empereur étoit revenu à lui, mais avec tant dedesefpoir & d'impa-
tience, qu'il fallut retenir fes mains, pour l'empêcher d'attenter à fa vie»
Il ne pbiivoit foutenir l'idée d'avoir été réduit à cet état par fes Sujets. Il
rejettoit les médicamens. Il pouflbit d'eflfroyables menaces, qui fe termi-
noient par des gemiflemens & des pleurs. Le coup , qu'il avoit reçu à la
tête»
, (r) /iiV, pages 185 & précédentes. /. i '. •
E N A M E R I Q U E, Li V. 1.
381
II
ance, &
tête, parut dangereux ; mais Tes agitations Je rendirent bientôt mortel
expira le troifiéme jour, en chargeant les Efpagnols de fa vengeance,
fans avoir voulu, prêter l'oreille à leurs infl:ru6tions. On rcgreta beaucoup
de n'avoir pu remporter cet avantage fur l'Idolâtrie; & fi l'on fe rappelle
que, dans un fi long commerce avec des Ciircdens, Motezuma n'avoit pu
manquer de lumières, on fera porté à croire que l'endurcifl^tment, dans le-
quel il mourut, venoit. moins de fon attachement pour fes Dieux ( .r) , que
des tranfports de fureur qui avoient obfcurci fa raifon. Diaz alfure que
tous les Efpagnols furent également fenfibles à la mort d'un Prince, qui
s'étoit attiré leur affeftion par fes carefll^s & fes préfens. Cortez en parut
inconfolable. Ses plus hautes efpérances ayant eu pour fondement la fu-
jettion volontaire à laquelle il avoit trouvé Je fecret de l'engager , ce coup
imprévu déconcertoit toutes fes mefures , & le mettoit dans la nécelfité de
former un autre plan.
Il prit d'abord le parti d'affembler les Officiers Mexiquains , qui n'avoient
jamais quitté leur JVIaître , & d'en choifir fix , qu'il chargea de porter fon
corps dans la Ville. Quelques Sacrificateurs, qui avoienc été pris dans les
aftions précédentes , fervirent de Cortège, avec ordre de dire aux Chefs
des Séditieux ; „ que le Générai étranger leur envoyoit le corps de leur
Empereur, malTacré par leurs mains, & que ce crime donnoit un nou-
veau droit à la jufl:ice de fes armes; qu'en expirant, iVIotezuma l'avoit
chargé de la vengeance de cet attentat, mais que le prenant pour l'effet
d'une brutale impétuofité du Peuple, dont les Nobles avoient reconnu
fans doute & châtié l'infolence, il en revenoit encore aux propofitions
de Paix ; qu'irs pouvoient envoyer des Députés pour entrer en conféren-
ce, & s'afiTurer d'obtenir des conditions raifonnables ; mais que s'ils tar-
doient à profiter de ces offres , ils feroient traités comme des Rebelles
& des Parricides".
Les Seigneurs Mexiquains partirent, avec le corps de Motezuma fur
leurs épaules. On remarqua, du haut des murs, que les Séditieux venoient
le reconnoître avec refpeft , <St qu'abandonnant leurs Pofles , ils fe raifem-
bloient tous pour le fuivre. Bientôt la Ville retentit de gemilfemens, qui
durèrent toute la nuit ; & le lendemain, à la pointe du jour, le corps fut
tranfpofté, avec beaucoup de pompe, à la Montagne de Chapultepeque\ fé-
pulture des Empereurs du Mexique, où leurs cendres étoient réligieufe-
ment confervées ( f ). , if ,.;»?; ? » i " . ; Ce
F E R K A N l>
Cortez.
1520.
Sa mort.
Regrets
qu'elle caufe
îitix Eipa-
gnols.
S)
»
(j) Quelques Hiftoriens rapportent qu'il de leur Empereur, qu'ils le mirent en piè
avoit commencé à marquer du goût pour les ces & ou'ils ne traitèrent cas mioux fes Fem
principes du Chriftianifme : d'autres ont ac
ces & qu'ils ne traitèrent pas mioux fes Fem-
mes & fes Enfans D'autres ont prétendu
qu'ils l'avoient expofé feulement aux raille-
ries du Peuple , jiifqu'à ce qu'un de fes Do-
mefliques , ramalFant un peu de bois , dont
il fit un bûcher, le brûla dans un endroit é-
cufé les Efpagnols de négligence pour fa con-
verfion. Un autre, que Solis cite fans le
nommer , paroît perfuadé que ce fut Cortez
même, qui fit tuer ce Prince; mais cette im- n m un oucner, le oruia aans un enaroit e-
putation blefle toute vraifemblan-e , fur-tout carte. Mais Solis, qui fait profeflîon d'a-
cans un teuis où Motezuma étoit fi nécelTai- voir porté tous fes foins à vérifier le fait par
le aux Efpagnols. Solis la réfute avec in- la comparaifon des témoignages , afliire que
dignation , page 196. le fentiment le plus certain ell celui auquel
(t) Quelques Hiftoriens ont écrit que les on s'attache après lui, ubifuprà, pag. 195.
Mexiquains traînèrent indignement le corps
Bbb 3
Nouvelles
mefures de
Coitcz.
Le corps de
Motezuma eft
jnvoyé aux
Rebelles.
Ils l'enfeve-
liflent avec
honneur.
Pernand
CORTEZ.
1520.
Son carac-
tère.
I I
Nouvel Em-
pereur du
Mexique.
DelTein
Cortez.
de
La Guerre
recommence.
382
PREJMIERS VOYAGES
Ce Prince avoit règne dix-fcpt ans. Il étoit l'onzième Souverain da
Mexique, & le fécond du nom de Motezuma. Si l'on excepte l'orgueil &
la cruauté, qui avoient commencé, depuis longtems, à le rendre odieux
à Tes Peuples, il paroît qu'il n'étoit point fans vertus , & que la libéralité,
du moins, en étoit une, qu'il ne cefla point d'exercer à l'égard des Ef-
pagnols. ils reconnoiflent d'ailleurs qu'il étoit fobre, & fi zélé pour là
juftice , que fes plus cruelles rigueurs tomboient fur les Miniftres qui la
violoient dans leurs fondions. Ils lui attribuent un efprit pénétrant, un
jugement folide, de la valeur & de l'habileté dans les armes. S'il manqua
de prudence & de courage, en prenant le parti de fe foumettre à Cor-
tez, on a vu qu'outre les préventions fuperftitieufes , qui lui faifoient
craindre la ruine de fon Empire , il fut conduit par dégrés à des réfolu-
tions fort éloignées de Ces vues ; & l'on ne fera point furpris que la politi-
que d'un Barbare ait été déconcertée par celle du plus aftif & du plus
adroit de tous les Honmes (v).
Les Mexiquains n'avoient fait aucun mouvement confidérable, pendant
que l'Empereur avoit langue de fes bleffures ; & Cortez commençoit à fe
natter que cette fufpenfion d'armes venoit du remord de leur crime , ou
de la crainte du châtiment qu'ils dévoient attendre de la colère de Mote-
zuma. Mais il apprit, par quelques informations de fes EmiiTaires, qu'ils
avoient employé ces trois jours , à fe donner un nouveau Maître , & qu'ils
avoient couronné Quetlavaca. Cacique d'Iztacpalapa , & fécond Eleéleur
de l'Empire. Les Officiers , qui étoient fortis avec le corps de Motezu-
ma, s'étant difpenfés de revenir, cette opiniâtreté fit mal juger des dif-
pofitions du nouveau Monarque. Cortez ne fouhaitoit , au fond, que de
faire fa retraite avec honneur. Ses forces ne lui permettoiént pas d'entre-
prendre férieufement la Conquête d'une grande Ville, où le nombre des
Habitans croiffoit tous les jours , par le foin que les Caciques avoient eu
d'appeller les Troupes des Provinces ; mais dans la réfolution où il étoit
de revenir avec une Armée plus nombreufe^ & de faire valoir le pt'é-
texte de vanger Motezuma,. il vouloit laifler, aux Mexiquains , une plus
haute idée que jamais de la fupériorité de fes lumières, & de la valeur
des Efpagnols. Ce deflein occupoit toutes Ç&s réflexions, lorfqu'il vit re-
commencer la Guerre , avec un ordre^ dont il n'avoit point encore vu
d'exemple au Mexique.
Le jour même des funérailles de Motezuma , toutes les rues voifines du
Quartier furent garnies d'un grand nombre de Troupes, dont quelques-
" ' ■ ' '• ; . . \.\nQ&
Pays, prit au batême le nom de Donna Ma-
ria lie Niagua Fucbtit , titres qui marqiioient
la nobleiïe de fes Ancêtres. Charles- Quirt
donna de grandes Terres à Dom Pedro, dans*
la Nouvelle Efpagne , avec la qualité de
Comte de Motezuma, que fes Defcendans
confervent encore; & c'eft de l'un d'en-
tr'eux que Gemelli Carreri obtint la lefture
d'une Lettre originale de Cortez. Voyez
ci-delTus , fa Relation , au Tome XVL de ce
Recueil. . .
(t>) Motezuma laifla quelques Énfans.
Deux de fes Fils furent tués par les Mexi-
quains , dans la retraite de Cortez. Trois de
fes Filles embraffèrent le Chriftianifme , &
furent mariées à des Efpagnols. Mais le plus
illuftrc de fes Enfans fut Dom Pedro de Mo
tezuma, qui reçut le batême fous ce nom,
peu de tems après lu mort de fon Père. 11
étoit né d'une PrincefTe de la Province de
Tula; & fa Mère , qui étoit une des Reines
du Mexique , ayant abjuré aufli les Dieux du
EN AMERIQUE, Liv. I.
383
unes s'établirent dans les Tours d'un Temple peu éloigné , d'où l'on pou-
voit battre, avec l'arc & la fronde, une partie du logement des Efpagnols.
Ils auroient pu fortifier ce Porte , s'ils avoicnt eu allez de force pour les
divifer. On montoit par cent dégrés à la terrafle du Temple, qui foute-
noit plufieurs Tours , où les Mexiquains portèrent des munitions d'armes
& de vivres pour plufieurs jours. Cortez fentit la néceffité de les déloger
d'un lieu, d'où ils pouvoient l'incommoder beaucoup. Tous Ls délais é-
tant dangereux, il fe hâta de faire fortir la plus grande partie de fes gens,
dont il forma plufieurs Bataillons, pour défendre les avenues, & couper le
paflage aux fecours. Efcobar fut nommé pour l'attaque du Temple , avec
fa Compagnie & cent autres Soldats d'élite. Pendant qu'on fe faififlbit des
avenues, en écartant les Ennemis à coups d'arquebufe, il marcha vers le
Temple,. où il fe rendit maître du Veftibule & d'une partie des degrés,
avec fi peu de réfiftance, qu'il jugea que le deflein des Indiens étoit de lui
laifler le tems de s'engager. En effet, ils parurent alors aux Balufbrades,
qui leur fervoient de Parapets ; & leur décharge fut fi furieufe , qu'elle for-
ça les Efpagnols de s'arrêter. Efcobar fit tirer à ceux qui fe découvroient ;
mais il ne put foutenir une féconde décharge, qui fut encore plus violente.
Ils avoient préparé de grofles pierres & des pièces de bois , qu'ils pouf-
foient du haut des dégrés , & dont la rapidité , croiflant par la pente , fit
reculer trois fois les Efpagnols. Quelques - unes de ces pièces étoient à
demi enflammées, par une ridicule imitation des armes à feu. On étoit
obligé de s'ouvrir, pour éviter le choc; & les rangs ne pouvoient fe
rompre fans perdre néceflairement du terrein.
Cortez, qui couroit à Cheval dans tous les lieux où l'on combattoit,
reconnut l'obflacle qui arrêtoit la Troupe d'Efcobar : fur quoi , ne conful-
tant que fon courage, il mit pied à terre, il fe fit attacher une rondache au
bras où il étoit blefle , il fe jetta fur les dégrés , l'épée à la main , & fon
exemple infpira tant de courte à fes gens , qu'ils ne connurent plus le
péril. Dans un inftant, les difficultés furent vaincues. On gagna heureu-
fement la terraflTe, où 1 on en vint aux mains à coups d'épées & de maf-
fues. La plupart des Mexiquains étoient des Nobles ; & leur réfiftance
prouva quelle différence l'amour de la gloire eft capable de mettre entre
\es Hommes. Ils fe laiflbient couper en pièces , plutôt que d'abandonner
leurs armes. Quelques-uns fe précipitèrent par-deflTus les baluftrades, dans
l'opinion qu'une mort de leur choix étoit la plus glorieufe. Tous lesMi-
niftres du Temple, après avoir appelle, par de grands cris, le Peuple à
la défenfe de leurs Dieux , gmoururent en combattant ; & dans l'efpace
d'un quart d'heure, Cortez fe vit maître de ce Porte, par le maflâcre de
cinq cens Hommes qui le gardoient (a).
Il
Ferkand
Co R T li Z.
1520.
Dangereufc
entreprifc des
Efpagnols.
Valeur ex*
trême de Coi-
tez.
Carnage de
cinq cens Me-
xiquains,
(jc) Plufieurs Hittoriens traitent de mira-
cle le bonheur qu'il eut , en montant les dé-
grés , de ne pas rencontrer une feule pièce
de bois qui ne roulât dans Ci longueur. El
les n auroient pu rouler en travers , fans le
précipiter; & c'étoit cette crainte qui avoit
arrêté la Troupe d'Efcobar. Solis rapporte
un autre événement, qui ne fut pas moins
miraculeux : deux Indiens entreprirent de fe
précipiter du haut du Temple avec Cortez.
Us marchèrent unis . &. lonqu'ils virent Cor-
tez fur le bord du précipice , ils jettèrenÈ
leurs
Il'
II- I
I !
Ih
l ' U R N A N n
C c) Il T P. Z.
1520.
Autres Ex-
ploits de
Cortcz,
11 fauve Ui
vie à Duero
fon Ami.
Peinture
que les Me-
xiquains font
de l'alTaut du
Temple.
Ils entre-
prennent d'af-
famer les Ef-
pagnols.
3S1 P R E M I E R S VOYAGES
Ir. fit tranfporter, à fon Quartier, les vivres qu'il trouva dans les Maga-
fins du Icmple; & les Tlafcalans furent chargés de mettre le feu aux
Tours, qui furent confumées en un inftant. Le Combat duroit encore à
l'entrûe des rues; fur tout dans celle deTacuba, dont la largeur donnoic
plus de facilité aux Mexiquains pour s'approcher, & par conféquent plus
d'embarras aux Efpagnols. Cortez, qui s'en apperçut, remonta aufli-tôt
achevai; &paflant*le bras blefle dans les rênes, il s'arma d'une lance,
pour voler au fecours de fes gcrns , avec quelques Cavaliers qui le fuivoient.
Le choc des Chevaux rompit d'abord les Ennemis ; & chaque coup de lan-
ce étoit mortel pour quelqu'un, dans l'épaifiTeur de la foule. Cependant
Cortez fut emporté fi loin par fon ardeur, que fe trouvant fépare de fes
gens lorfqu'il fe reconnut, il vit fa retraite coupée par le gros des Enne-
mis, qui fuyoient devant fon Infanterie. Dans cette extrémité, il fe
hâta de prendre une autre rue, qu'il jugea plus libre; mais il n'y marcha
pas long-tems fans rencontrer un parti d'Indiens, qui menoient Prifonnier
i\ndré de Duero , un de fes meilleurs Amis , tombé entre leurs mains par
la chute de fon Cheval. Ils le conduifoient au premier Temple , pour le
facrifier aux Idoles. Ce deflein, qiû avoit fufpendu leur fureur, lui fauva
heureufement la vie. Cortez poufla au milieu de la Troupe, écarta cçux
qui tenoient fon Ami, & le mit en état de fe fervir d'un poignard qu'ils
avoicnt eu l'imprudence de lui laifler. Duero en tua quelques Mexiquains,
& trouva le moyen de reprendre fa lance & fon Cheval. Alors les deux
Amis fe joignirent, & percèrent enfemble, au travers de la foule, jufiju'au
premier Corps des Efpagnols, qui avoient fait tourner le dos de toutes
{)arts à leurs Ennemis. Cortez compta toujours cette avanture entre
les plus heureufes de fa vie (y). Il fit fonner la retraite. Tous fes Sol-
dats revinrent accablés de fatigue ; mais la joye de fa viéloire fut augmen-
tée par celle qu'il eut de n'avoir pas perdu un feul Homme, & de ne trou-
ver qu'un petit nombre de Blefles L'aflaut du Temple fut d'un fi grand
éclat , entre les Mexiquains , qu'ils firent peindre cette aftion avec toutes
fes circonftances. On trouva , dans la fuite, quelques toiles qui repréfen-
toient l'attaque des dégrés, le combat fur la terrafle, & leur défaite en-
tière , dans laquelle ils n'avoient pas fupprimé l'incendie & la ruine des
Tours. Mais, pour fauver la gloire de leur Nation, ils y avoient joint
plufieurs Efpagnols eftropiés & blefles; & leur pinceau faifant plus d'exé-
cution que leurs armes, ils avoient cru rendre leur perte honorable, par le
prix qu'elle avoit coûté (2).
Le jour fuivant , quelques Députés des Giciques s'avancèrent au pié du
mur, avec des fignes de Paix; & Cortez ayant paru lui-même pour les
.;^,^v. •■-■^ ■/•;" a-.*. ^. ■ recevoir,
leurs armes à terre , en feignant de fe ren-
dre. Mais le faififlant, ils s'élancèrent par
dclFus-la baludrade dans l'efpérance de l'cn-
traincr par le poids de leur corps. Il s'atta-
cha Il heureufement à la baluftrade, qu'il
trouva le moyen de réfifter à cette fecoulfe,
& les deux Indiens achevèrent le faut. L'Hif-
torieii ajoute qu'il frémit du péril, mais que
cet attentat lui caufa moins de colère que
d'admiration, ubi fuprà, pages 206 & 207.
(y) Solis, ubifuprà, page 210.
(z) Quelques Hiftoriens mettent cette
fortic entre celles qui fe firent avant la mort
de Motezuma ; mais on ipprend , dans la fé-
conde Relation de Cortez mOme , qu'elle fui-
vit la mort de l'Empereur.
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
385
recevoir, ils lui dëclarérent, de la part du nouvel Empereur, que ce Prince
étoic réfolu de faire cefler les attaques, & de Jaifler, aux Efpagnols, la
liberté de fe retirer jurqu'à la Mer; mais à condition qu'ils ne prendroient
que le tems néceflaire pour le voyage , & qu'ils accepteroient fur le champ
cette offre: fans quoi il leur juroit une haine implacable, qui ne finiroit que
par leur deftrudlion. Il faifoit ajouter que l'expérience lui avoit appris qu'ils
n'étoient pas immortels, & que la mort de chaque Efpagnol dût -elle lui
coûter vingt mille Hommes, il lui en refteroit encore alTcz pour chanter fa
dernière Viéloire. Cortez répondit , avec un mélange de modeftie & de
fierté , qu'il n'avoit jamais prétendu à l'immortalité ; mais qu'avec le petit
nombre de fes gens , dont il connoiffoit le courage & la fupériorité fur tous
les autres Hommes , il fe croyoit capable de détruire l'Empire du Mexi-
que; que regrétant néanmoins ce que les Mexiquains avoient fouffert par
leur obftination , fon deflein étoit de fe retirer , depuis que fon Ambafia-
de avoit ceffé par la mort du çrand Motezuma, dont la bonté le retenoit
à fa Cour , & qu'il ne demandoit que des conditions raifonnables pour exé-
cuter cette réfolution. Les Députés parurent fatisfaits de fa réponfe, &
convinrent d'une fufpenfîon d'armes, en attendant d'autres explications.
Mais rien n'étoit plus éloigné de l'intention des Mexiquains, que d'ouvrir
le chemin de la retraite à leurs Ennemis. Ils penfoient au contraire à fe
donner le tems de leur couper tous les paflages , pour les refferrer plus que
jamais dans leur Quartier , & les affamer par un fiége opiniâtre , qui les li-
vreroit tôt ou tard à leur difcrétion. Ils regrétoient à la vérité plufieurs
Caciques , du Cortège de Motezuma , qui fe trouvoient au pouvoir des Ef-
pagnols , & qui étoient menacés de périr avec eux par la faim ; mais on dé-
cida, dans le Confeil du nouvel Empereur, qu'ils feroient trop heureux de
mourir pour la Patrie. Le feul qu'ils fe crurent obligés de délivrer , par
refpeft pour leurs Dieux , fut le Chef des Sacrificateurs , qui étoit dans la
même Prifon , & qu'ils révéroient comme la féconde Perfonne de i'Etat.
C'étoit particulièrement dans cette vue qu'ils avoient propofé la fufpenfîon
d'armes , & leur adreffe eut le fuccès qu'ils s'en étoient promis. Les mê-
mes Députés retournèrent le foir au Quartier. Il firent entendre que, pour
éviter les contellations & les retardemens, Cortez devoit choifir quelque
Mexiquain, d'une confideration qui méritât la confiance de l'Empereur, &
le charger de fes inftrudlions. Cet expédient ayant paru fans difficulté,
on n'eut pas plus de peine à s'accorder fur le choix du grand Sacrifica-
teur. Il fortit , après avoir été foigneufement informé des conditions qu'on
defiroit pour la facilité du chemin , & de tout ce qui regardoit les Otages ,
dont Cortez règloit le nombre & la qualité. Mais on fut desabufé le lende-
main, en reconnoiffant que les Ennemis avoient inverti le Quartier, dans
une enceinte plus éloignée que les précédentes ; qu'ils faifoient des tran-
chées & des remparts, à la tête des Chauffées; qu'ils rompoient tous les
Ponts, & qu'ils avoient envoyé des Travailleurs en grand nombre, pour
embarraffer le chemin de Tlafcala. Quelques Hiftoriens ont prétendu , à
l'honneur de Cortez, qu'il avoit pénétré l'artifice, & qu'il avoit cru moin*
important de fe défaire d'un Prifonnier abominable, que de découvrir les
véritables intentions de fes Ennemis. ' — • ■ , '
XVLlLFart. . Ccc ' "' Lors-
FeRN AN»
Cortez.
I 520.
Adrefle dei
Mexiquains
pour fauvet
leur grand
SacriBcateur.
I|H i
FlIMAMD
COBTEZ.
1520.
Mcfures de
Cortez pour
fa retraite.
i' I
Ordre qu'il
met dans fes
Troupes.
38(5 PREMIERS VOYAGES
Lorsqu'il ne put lui en refter aucun doute, il revint ji fa méthode ordi-
naire , quj étoit de bannir rirréfolution, dès qu'il avoic connu les obflacles,
& de fixer aufli-tôc le choix du remède. Sans expliquer Ton defTcin, il
commença par donner des ordres pour la conllruftion d'un Pont mobile,
de grofTcs lolives, & de planches allez fortes pour foutenir l'Artillerie. Sur
le plan qu'il en fit lui-même , quarante Hommes dévoient fuffire pour le re-
muer & le conduire aifémenc. Ënîuite, aflemblant tout fes Of&ciers, il
leur expofa le danger de leur fituation, & toutes les voyes qu'ils avoient à
tenter dans cette extrémité. On ne pouvoit être partagé fur la nécefljcé
du départ : mais on agita long-tems s'il falloit prendre Te tems de la nuit.
Ceux qui préferoient le jour faifoient valoir la difficulté de marcher dana
les ténèbres , avec l'Artillerie & le Bagage , par de» routes incertaines ,
élevées fur l'eau, avec l'embarras de jetter des Ponts & de reconnoître les
PaiTages. Les autres fe formoient des images encore plus terribles d'une
retraite en plein jour, tandis que les travaux de l'Ennemi dévoient faire
juger qu'il étoit réfolu d'embarraifer leur fortie. Quel moyen de rifquer un
Combat continuel, au paiTage du Lac, où l'on ne pouvoit dreffer les rangs,
ni fe fervir de la Cavalerie ? fans compter qu'on auroit les flânes découverts
aux Canots des Mexiquains , dans le tems qu'il faudroit encore les percer en
tête & les foutenir par derrière. La plupart des voix fe réunirent pour la
réfolution de partir la nuit ; & Cortez , qui n'avoit remis ce point à la plu-
ralité des fuffrages , que pour éviter de prendre fur foi l'événement , parut
fe rendre à l'opinion du plus grand nombre. Une fi grande entreprife ne
fut pas renvoyée plus loin qu à la nuit fuivante, dans la crainte de laiifer
du tems aux Ennemis pour augmenter les obftacles. On prefla fi vive-
ment la condruâion du Pont, qu'il fut achevé à la fin du jour. Mais
cette précipitation fie oublier que les Mexiquains, ayant déjà rompu la
Digue en plufieurs endroits , on avoit befoin de plus d'un Pont ; ou plutôt ,
on fe repofa trop fur la facilité qu'on fe promettoit , à le tranfporter d'un
Canal à l'autre (a).
Vers la nuit, on envoya deux Prifonniers à la Ville, fous prétexte de
hâter la concJufion du Traité, & dans l'efpérance de tromper les Mexi-
quains par cette feinte, en leur faifant juger qu'on attendoit tranquillement
leur rcponfe. Mais Cortez ne penfoit qu'à profiter d'un tems précieux.. Il
donna fes ordres, avec des foins & des précautions -qui fembloient tout em-
brafler.
(«) Dlaz rapporte qu'il donna quelque
foi , dans cette occafion , aux Difcours d'un
Aftrologue Efpagnol , nommé Botello , pour
lequel il n'avoit jamais eu que du mépris,
mais qui, étant venu l'aiTurer qu'il falloit
partir cette nuit même , & que l'Armée pé-
riroit fl l'on ne profitoit d'une conftellation
qui étoit alors favorable , lui infpira tout-
d'uancoup une confiance qu'il n'avoit jamais
eue pour fon art. Solis croit plus volontiers
que , dans la néceflîté des circonftances , il
fe fcrvit habilement de cette vaine prédic-
tion pour animer fes Soldats. Ce Boqello é-
toit Soldat volontaire, & ne portoit, depuis
long-tems , que le nom de Sorcier , dont il
faifoit gloire. Il n'avoit d'ailleurs aucune
connoilmnce des lettres: mais il employoit
des caraftères, des nombres. & des formu-
les, qui contenoient , fuivant l'Hlilorien,
d'abominables conventions avec l'Enfer. So-
lis, ubi/uprà, page 223- Il paroît auffi que
Cortez le repofoit beaucoup fur l'ufage que
les Mexiquains avoient de ne pas combattre
la nuit, quoiqu'ils s'en fuflcnt écartés dans
quelques attaques. ^
EN AMERIQUE, Liv. I.
387
braffer. Deux cens Efpagnols, qui dévoient compofer l'Avant-garde avec
les pkis braves Tlafcalans & vingt Cavaliers , reçurent pour Chefs Gonza-
lez de Gondoval , Azebedo , d'Ordaz , André Tapia & Lugo. L'Arrière-
garde, un peu plus nombreufe, fut confiée aux Officiers qui étoient ve-
nus avec Narvaez , fous le Commandement de Pierre d'Alvarado & de Jean
Velafquez de Léon. Le Corps de Bataille, compofé du refte des Troupes,
fut chargé de la conduite de l'Artillerie, du Bagage & des Prifonmers.
Cortez réferva , près de fa perfonne , cent Soldats choifis, fous les Capi-
taines Alfonfe d'Avila , d'Olid, & Bernardin l'apia, pour être en état de
veiller fur fes trois Divifions, & de porter du fecours aux endroits les plus
preflans. Après avoir expliqué fes intentions, il fe fit apporter le tréfor,
qui avoit été jufqu'alors fous la garde de Chridophe de Guzman. Il en tira
le quint de la Couronne , pour le remettre aux Officiers Royaux ; & quel-
ques Chevaux bleffés en furent chargés. Le refle montoit à plus de fept
cens mille écus, qu'il réfolut d'abandonner , en déclarant qu'il ferait hon-
teux ^ pour des Guerriers, d'occuper leurs mains à porter de l'or, pendant
qu'elles dévoient être employées à la défenfe de lewr vie & de leur hon-
neur. Cependant , la plupart des Soldats , paroiflant touchés de cette
perte, & n'approuvant point un deffein fi généreux , il ajouta quelques
mots , par lelquels il fit concevoir aue chacun pouvoit prendre ce qu'il
fe croyoit capable de porter dans fa marche. C'étoit donner trop de
confiance à là difcrétion du Soldat. Aufll la plupart fe chargèrent • ils
avec line imprudente avidité, qu'ils reconnurent trop tard, & qui leur
coûta cher {b).
Il étoit près de minuit, lorfque les Efpagnols fortirent du Quartier.
Leurs Sentmelles & leurs Coureurs n'ayant découvert aucune apparence de
mouvement du côté de la Ville, ils marchèrent quelque tems, a la faveur
des ténèbres &dela pluye, dans un filence auquel la foumifiion n'eut pas
plus de part que la crainte. Le Pont volant fut porté jufqu'au premier
Canal, & l'Avant-garde s'en fervit heureufement. Mais le poids de l'Ar-
tillerie & des Chevaux ayant engagé cette maife dans la boue & dans
les pierres , on jugea qu'il feroit difficile de Ja retirer aflez proraptement
pour la tranfporter aux autres ouvertures avant la fin de la nuit. Les
Officiers donnoient leurs ordres , & l'ardeur étoit extrême à les exécuter.
Cortez, qui étoit palFé avec la première Troupe, la fit avancer fous le
Commandement de fes Chefs , pour dégager la Chauffée par dégrés , & de-
meura fur le bord du pafiage avec quelques-uns de fes plus braves gens.
Mais avant que le Corps de Bataille eût achevé de pafler, on fe vit dans
la neceflité de prendre les armes.
L'adresse des Mexiquains caufe ici de l'admiration aux Hiftoriens. Ils
avoient obfervé tous les mouvemens de leurs Ennemis, avec une diffimu-
lation dont on ne 'es avoit pas crus capables. Par quelque voie qu'ils euf-
fent appris la réfolation du départ , ils avoient emploie la première partie
de la nuit à couvrir le Lac, des deux côtés de la Digue, d'une multitude
de Canots armés; & s'aidant auffi de Tobfcurité, ils avoient attendu que
l'Avant-
Fetif AN»
Cortez.
Faute qu'il
commet en
permettant à
fes gens de
fe charger
d'or.
Départ noc-
turne des Ef-
pagnols,
Horribles
difficultés
qu'ils ont i
vaincre.
Il font at-
taqués au
partage da
Lac.
(*) Ibid. page 227.
Ccc 2
i
S88
PREMIERS VOYAGES
Fbrnand l'Avant-garcIc fût engagée fur la ChaufTce, pour commencer leur attaque;
CoRTHz. Cette entrcprife fut conduite avec tant de mcfurcs , que dans le même
IJ20. tems qu'ils firent entendre l'eAVoyable bruit de leurs cris & de leurs in-
ftrumens militaires , on fentit les atteintes de leurs iléches. D'un autre
côté, leurs Troupes de terre étant tombées fur l'Arriùre-garde, le Combat
devint général , avec le desavantage, pour les trois Divi ions Efpagnoies,
de ne pouvoir fe raflembler dans leur fituaiion, ni fe prêter le moindre fe-
Bonheur cours. Aulli furent-elles fi maltraitées, que, de l'aveu même de Cortez,
^ul les fauve, dans fa féconde Relation , fi les Mexiquains, qui avoient des Troupes de
refte, avoient eu la précaution d'en jctter une partie au bout de la Digue,
il ne feroit pas échuppé un fcul de Ils gens, àc tous ces braves Guerriers
' auroient trouvé leur tombeau dans le Lac (f). /> '
' • ., -. ... .i' ■ .Le
(c) Il n'cfl: pns furprcnant ouc le rc*cit des
Hittoricns fc fente de la conflilion & dos té-
nèbres de cette fiiiii^Iaiite nuit. Mais quoU
que la vraifcmblaïux' n'y manque pas moins
que l'ordre, on croit devoir le donner, tel
que Soiis l'a réduit fur d.s Relations encore
plus confufes. „ Toute l'Armée, dit- il,
„ étoit perdue fans rclfource» (i les Indiens.
„ avoient gardé , dans la chaleur du coin-
„ bat, le bon ordre (ju'ils avoient tenu en
,, attaquant; mais n'étant pas capables de
modération dans la colère . ils chargèrent
en foule le corps de Bataille, avec une (i
horrible confi'ion, que leurs Canots fc
brifoient en pièces , en heurtant contre la
Chauflee. On lit un furieux carnage par-
mi des gens nuds & en desordre. Les
forces manquoient aux Efpagnols , dans
l'exercice continuel des piques, des épéej
& des mafles. x^'cxécution futcncore plus
terrible à l'Avant-garde , parce que les In-
diens, qui étoicnt éloignés, ou qui s'ini-
patientoient de la lenteur des rames, fc
jettèrent dans l'eau, &, fautèrent fur la
Chaulî'ée en fi grand nombre , qu'ils ne
pouvoient s'y remuer. Ils furent aifément
rompus par les Efpagnols, qui, après les
avoir taillés prefque tous en pièces , fe fer-
virent de leurs corps pour combler le Ca-
nal , & s'en tirent un Pont. C'cll ce que.
pluilcurs Auteurs ont écrit. Mais d'autres
„ prétender.t qu'on trouva hcureufement une
poutre a Tez large, que les Ennemis avoient
laiflïe en rompiint le fécond Pont, fur la-
quelle les Soldats paffèrent à la tile, en
menant leurs Chevaux dans l'eau par la
bride. Ainfi l'Avant-garde continua fu
marche, fans être arrêtée long -tems par
la dernière ouverture, parce que le voifi-
na^:;e de la terre caufoit une grande dimi-
nution aux eaux du Lac. Ce qui reftoit
fut pafTé à gué , avec des leincrciinens au
Ciel, qui n'avolt pas permis que Tes Me*
xiquains miifent des Troupes au bout da
la Digue, pour recevoir des gens fatigués
ou blefl'és, & dans l'eau jufqu'à la cein-
ture.
,, Cependant Cortez, qui étoit demeuré
fur la Chauffée avec Sandoval , dOlid,
d'Avila, Morla, & Dominiquez , s'étoit
jette, l'épée à la main, dans la plus épaif-
fe mêlée, animant fes Soldats par fa pré-
fence & par fon exemple. 11- fit jetter
dans l'eau toute l'Artillerie, qui tmbarraf-
foit le palTage; & pendant qu'il rcpouIToiC
les Ennemis, il voulut que la marche fut
continuée en défilant par le centre. Mais
fon cœur eut beaucoup à foufl'rir , lorf-
qu'au milieu des ténèbres , le vent appor-
ta jufqu'à fes oreilles les cris des Efpa-
gnols , qui invoquoient le fecours du Ciel ,
aux derniers momens de leur vie. Ces fu-
ncftes cris venoient d'un endroit de la Vil-
le, où il étoit d'autant plus impolFible de
porter du fecours, que les Ennemis avoient
eu l'adrefle de rompre le Pont volant, a-
vant que toute l'Arrière- garde fût paffée.
Ce fut en ce litu que les Efpagnols firent
la plus grande perte. Les moins dlligcns
furent taillés en pièces, & le plus grand
nombre fut de ceux qui étoient retardés
par le poids de l'or dont ils s'éloicnt char-
gés. Enfin Cortez s'ouvrit un paffage,
avec tout ce qu'il put recueillir du débris
de fa malheureufe Arrière-garde. Alvara-
do , qui en étoit le principal Oificicr , dut
la vie à un efFort de vigueur & d'agilité,
qui tient du prodige. Etant chargé de tou-
tes parts, voyant fon Cheval tué, & de-
vant foi un Canal fort large , il appuya le
bout de fa lance au fond de l'eau , a. s'é-
lançant en l'air, foutenu par la feule force
de fes bras , il fauta de l'autre côté. On
a regardé cette avanture comme un mira-
» clc.
EN A M E R I Q U E, Liv. I. 389
Le jour commcnçoit à paroître, lorfque tous les débris de l'Arnuie, raf- Ff rnaW»
femblés fur le bord du Lac, allèrent fe pofler près de Tûcnba, Ville fort . *^"*
peuplée, qui donnoit fon nom à la principale rue de la Capitale. On y
pouvoit craindre quelque infulte des llabitans; mais Cortcz crut devoir en
1520.
nag
voilins. On trouva, dans la revue gcnérale de l'Armée, qu'il maïujuôic
deux cens ICfpagnoJs, plus de mille TlalcalanStiîii tous les Prilbnniers Mexi-
i^uains, dont les uns étoient échappés à leurs Gardes, Ck les autres avoienc
péri dans l'obfcurité, par les arme» de leur Nation. Aguilar & Marin aa-
voient pafl'é fort heureufement le Lac; & toute l'Armée, qui lentoit l'im-
portance de leur confervation, revit avec des tranfports de joye deux per-
fonnes fi néccflaires pour traverfer des Nations inconnues ou flilpefles, &
pour le concilier celles dont on efpéroit l'alTiIlance. La plus vive douleur
de Cortez venoit de la perte de fes Officiers. Pendant que le brave Alva-
rado règloit l'ordre de la marche, il s'a'ïit fur une pierre, où fe livrant à
fes triftes réflexions, il s'attendrit jufqu'à répandre des larmes. On remar-
qua fes agitations; & ce témoignage de fenfibilité le fit chérir de fes Trou-
pes, autant que fa prudence de fon courage l'en avoient toujours faie
relpefter.
Il eut un bonheur , auquel il s'attendoit peu. Les Mexiquains lui don-
nèrent le tems de refpirer. Cette inaftion de fes Ennemis vint d'un acci-
dent qu'il ignoroit , oc qu'il n'apprit que par d'autres événemens. Deux y\\s de Mo
des Fils de Motezuma , qui n'avoient pas Quitté leur Père , depuis l'arrivée tczuma.
des Efpagnols , fe trouvèrent entre les Prifonniers qui avoient été malTa-
crés. Ces malheureux Princes ayant été reconnus, le Peuple de Mexico,
qui refpeéloit le Sang Impérial jufqu'à l'adoration , fut faifi d'une forte de -
terreur, qui fe répandit dans tous les Ordres de l'Etat. Le nouvel Empe-
reur, forcé d'entrer dans la douleur publique pour flatter l'efprit de fes
Sujets, fit ûifpendre tous les mouvemens de Guerre, & donna ordre que
les funérailles des deux Princes fuflTent commencées avec les cris & les ge-
mififemens ordinaires, jufqu'au jour oîi leurs corps dévoient être conduits
à la fépulture de leurs Ancêtres. Mais quoique les Efpagnols fuflTent rede-
vables de leur repos à cet incident , ils regrétèrent deux Princes , dans lef-
quels ils refpeftoient la bonté de leur Père, & fur les droits defquels ils •
fondoient une partie de leurs efpérapces. ,
L'Armée fe mit en marche vers Tlafcala, fous la conduite des Trou-
pes de cette Nation. Elle ne fut pas long- tems fans découvrir quelques
r,. :. „,-:^, — . . -. Com*
/.
«^ ...
Repos qu'ili
durent à 1.1
mort lie deux
*«.
„ de. Diaz l'a crue naturellement impofli-
„ ble; & dans la Cuite, Alvarado même, à
,. la vue du Canal, trouva de la difFérence
„ entre le foit & la- poflibilité. Jean Vf laf-
„ que2 de Léon, Amador de LariZi Fran-
„ cols de Morla, François de Salcedo, &
„ d'autres Officiers de l'Arrière - garde , fu^
„ rent tués en combattant. L'Aftrologue
„ Botello périt , des premiers , à l'attaque de
„ la Digue ". Solis, Liv. 4. pages 230"**
fuivantes.
Ccc s
• t-
f BLKNAND-
Ç 0 a T E z,
1520.
I!r. font at-
Mqués dans
leur marche.
Lieu qui
leur fert d'à-
fyle.
Monument
qui en con-
icrvc la mé'
moire.
On conti«
Jiue de le re-
tirer pendant
la nuit.
390 PREMIERS VOYAGES
Compagnies de Mexiquains , qui la fuivoient , fans ôfer trop s'approcher.
Elles étoient forties de Tacuba, d' Efcapulzaco , & de TenecuyaOy par l'or-
dre de l'Empereur, pour arrêter les Efpagnols, jufqu'à la fin des cérémo-
nies funèbres ; & d'abord elles marchèrent à quelque didance, d'où elles
ne pouvoient les oiFenfer que par leurs cris. Mais, s'étanr jointes à quan-
tité d'autres, qui venoient fucceflSvement de divers côtés, elles s'appro-
chèrent d'un air fi menaçant, qu'on fut obligé de faire face pour les rece-
voir. Cortez étendit autant qu'il put fes gens fur un même front , & mit
aux premiers rangs toutes les armes à feu. Dans la néceflité de combattre
en pleine campagne, il vouloit éviter d'être enveloppé. Ses Cavaliers fi-
rent des irruptions fanglantes , qui refroidirent beaucoup les Ennemis ; &
les Arquebufiers faifant tomber les plus ardens , il n'étoit incommodé que
de quelques fiéches , qui lui caufèrent peu de mal dans l'éloignement. Mais
lorfqu'il vit croître le nombre des Ennemis , il réfolut de s'avancer vers une
hauteur , fur laquelle il découvrit quelques Bâtimens , & qui fembloit com-
mander toute la Plaine. Ce mouvement fut d'autant plus difficile , que les
Mexiquains, preflant leur attaque aufiî- tôt qu'ils le virent en marche, l'o'
bligeoient à tous momens de faire tête, pour les repoufTer. Cependant, è
la faveur d*u'n feu continuel , & fur-tout avec le fecours des Chevaux, dont
la feule vue caufoit encore de l'épouvante aux Indiens de la Campagne , il
arriva heureufement au pied de la hauteur, où fon dernier embarras ne fut
qu'à les réprimer , pendant qu'il faifoit vifiter ce Porte , & que fes gens y
montoient en confufion par toutes les avenues. Divers pelotons d'Arque-
bufiers, qu'il plaça fur la pente , ôtèrent aux Ennemis le courage de tenter
un aflaut , & donnèrent aux Efpagnols le tems de fe fortifier. Ce lieu ,
qu'ils regardèrent comme leur falut, étoit unTemple d'Idoles, que les Me-
xiquains invoquoient pour la fertilité de leurs moiflbns. L'enceinte de
l'Edifice étoit fpacieufe, & fermée d'un mur flanqué de Tours, qu'avec
un peu de travail on pouvoit rendre capable d'une bonne défenfe. La joye
fut fi vive , de fe trouver dans une re te qu'on crut devoir à la protec-
tion du Ciel, que cette réflexion fubf" nt même après le péril, Cortez y
fit bâtir, dans la fuite, un Hermltag ., fous le nom de N, S^de los Remé-
dias. Les Ennemis , après avoir employé le refte du jour en cris & en me-
naces, fe retirèrent , fuivant leur ufage, à l'entrée de la nuit (i).
Il étoit quellion de délibérer entre deux partis, dont il fembloit qu'on
avoit le choix ; celui de fe maintenir dans un Pofte , où l'on croyoit pou-
voir défier les Mexiquains, & celui de fe remettre en marche, dans le
cours même de la nuit. Mais la nécefiité des vivres , qui commençoit à
fe faire fentir, ayant fait abandonner le premier, on réfolut, malgré la fa-
tigue des Soldats & des Chevaux , de partir après quelques heures de re-
pos. Ce délaflement fut fi court, que l'ordre fut donné avant minuit. Cor-
tez fie allumer des feux, pour cacher fa réfolution aux Ennemis. 11 donna
le Commandement de l'Avant -garde à d'Ordaz, avec les plus fidèles Tlaf-
calans pour Guides; & l'avanture du Lac, dont il ne pouvoit fe confoler,
lui fit prendre le parti de demeurer lui-même à l'arrière -garde , pour aflu-
- jer
(<2) /2;jfifem, pages 244 & précédentes.
'S
EN A M E R I Q U E, Liv. I. 391
ttT la tranquillité des autres , aux dépens de la fienne. On fit deux lieues
dans les ténèbres ; & Ja pointe du jour ayant fait découvrir un autre Tem-
ple, moins élevé que le premier, mais allez bien fitué pour n'y laifler. crain-
dre aucune attaque, on s'y arrêta, dans le feul deflein dobferver la cam-
pagne, & de prendre de nouvelles mefures pour la marche du jour. Quel-
ques tro'upes de Payfans , quicouroient en desordre, n'empêchèrent point
l'Armée de quitter ce Porte, pour continuer fa marche à leurs yeux. Elle
efluya leurs cris, leurs infultes, & les pierres qu'ils jettoienc des Monta-
gnes, mais fans être obligée d'en venir aux armes. Deux lieues plus loin,
on reconnut un Bourg , dont Cortez réfolut de s'ouvrir l'entrée , pour s'y
procurer des rafrakhiflemens à toutes fortes de rifques. On eut peu de
peine à mettre les Habitans en fuite ; mais on trouva fi peu de vivres ,
qu'après y avoir pafle un jour (^ ), on continua la marche par un Pays ru-
de & ftérile, où les difficultés & le befoin ne firent qu'augmenter. La
faim & la foif aroient jette les Soldat» dans le dernier accablement. Ils é-
toient réduits à manger les herbes & les racines , fans en connoître la na-
ture , & fur le témoignage des feuls Tlafcalans , qu'on détachoit continuel-
lement pour les cueillir. Un Cheval blelfé, qui mourut alors, fut diftri-
bué aux Malades. Cette fâcheufe marche ayant duré plufieurs jours, fans
autre adouciflement que la tranquillité où l'on étoit de la part des Mexi-
quains (/) , on arriva , vers le foir, à l'entrée d'un petit Bourg , dont les
Habitans, loin de fe retirer , comme tous ceux qu'on avoit rencontrés juf-
qu'alors , témoignèrent autant de joye que d'emprelTement à fervir les Efpa-
gnols. Mais ces foins & ces carefies étoient un Uratagême pour les arrê-
ter , & pour les faire donner de meilleure foi dans le piège qui les atten-
doit. Ils ne laiffèrent pas d'en tirer un avantage confiderable , pour réta-
blir leurs forces. On leur apporta des vivres en abondance. Ils en reçu-
rent même des Bourgs voifîns , qui contribuèrent fans violence au foulage-
ment des Etrangers, & qui fembloient vouloir leur faire oublier ce qu'ils
avoient fouffert, dans une route fi pénible (g).
L'Armée fe remit en marche, vers la Montagne A'Otumha, dont la Côte
oppofée donnoit fur une Vallée de même nom, & qu'il falloit néceflaire-
ment traverfer pour arriver fur les Terres des Tlafcalans. On reconnut ,
en quittant le Bourg, que les Habitans prenaient des manières fort diffé-
rentes, & que leurs difcours n'étoient plus que des railleries, qui fembloient
témoigner une autre efpèce de jdye. Marina obferva qu'ils' répétoient en-
tr'eux; „ allez, Brigands, vous ferez bientôt dans un lieu où vous périrez
.,, tous". Un langage de cette nature donna de l'inquiétude à Cortez. Il
ne douta point que l'Armée ne fût menacée d'une embufcade ou de quel-
que autre trahifon. U avoit remarqué , plus d'une fois , dans les Mexi-
quains, cet empreflement imbecille à découvrir ce qu'ils avoient le plus
d'intérêt à cacher. Ses foupçons nQ retardèrent point fa marche, mais
il
Fernanv
Cortez.
1520.
Extrêmes
difficultés^ de
celte route.
Trahifon
bien déguifée*
( e ) Quelques Hîftoriens difent deux jours ,
en faveur des Blefles.
(/) II paroît que pour éviter la rencontre
des Mcxiquains, les Tlafcalans avoient fait
prendre à l'Arméo une route fort déferte.
Solis dit qu'elle paiTa plufieurs nuits à décou-
vert, ibid. page 252.
(g) Ibid, page 253,
Les Efpa'»'
gnols ^ont ar-
rêtés dans la
Vallée d'O-
tuaiba>
FkrnAnd
CORTKZ.
1520.
Année ter-
rible qu'ils
ont à com-
battre.
Cortcz fo
détermine à
forcer le paf-
fegc.
Moyens
qu'il emploie.
392
PREMIERSVOYAGES
il en prit occafion d'animer Ces Troupes ; & s'étant fait précéder de quel-
ques Coureurs, il apprit d'eux, que du haut de la Montagne on décou-
vroit, dans la Vallée , une multitude innombrable d'Ennemis. C'étoit
non-feulement la même Armée qui «'étoic retirée la première nuit, mai*
l'Aflèmblée régulière des principales forces de l'Empire, qui, ayant été
convoquées à Mexico pour attaquer les Efpagnols dans leur Quartier , a-
voient reçu ordre, après leur dépare, de s'avancer, par divers chemins,
jufqu'à la Vallée d'OtumSa, où leurs Ennemis dévoient néceflairemenc
paner , & d'y faire un dernier effort pour les accabler par le nombre. El-
les avoient marché avec tant de diligence , qu'elles occupoient déjà toute
la Vallée. Un projet concerté avec cette juftefle paroît à Solis , digne
des lumières & de l'expérience des Nations les plus éclairées (A). Ces
Troupes étoient compofées de différens Peuples , qui fe faifoient diftinguer
par la diverfité de leurs Enfeignes & de leurs Plumes. Au centre, le Ge-
neral de l'Empire, élevé fur une magnifique litière, paroiffoit donner fes
ordres , & les faire exécuter à fa vue. Il portoit fur fa cuiffe l'Etendart
Impérial , qui n'étoit jamais confié à d'autres mains que les fiennes ,& qu'on
n'employoit que dans les plus importantes occafions. C'étoit un filet d'or
maiïif , pendant au bout d'une pique, & couronné de plufieurs plumes, qui
tiroient beaucoup d'éclat de la variété de leurs couleurs.
Ce fpeftacle, que Cortez eut bientôt lui-même, le jetta dens un étonne-
ment dont il ne revint que pour implorer le fecours du Ciel. Il ne pou-
voie s'imaginer d'où tant d'Hommes armés étoient fortis ; & lojfque les
Tlafcalans lui eurent fait reconnoître, aux Enfeignes, ceux qu'il avoit déjà
rencontrés, en lui expliquant le chemin qu'ils avoient dû prendre pour
une marche fi prompte, il comprit à quoi il étoit redevable du repos donc
on l'avoit laifle jouir dans la fienne. Toutes fes efpérances ne confiftant
plus que dans la valeur de fes Troupes, il leur déclara qu'il étoit queftion
de mourir ou de vaincre. Sa première réfolution fut de s'ouvrir un pafla-
ge au travers des Ennemis, dans l'endroit le plus étroit de la Vallée, où il
iembloit que l'efpace leur manquant pour s'étendre devant lui , il n'auroit
à forcer que ceux qui occupoient ce terrein , fans craindre l'effort de leurs
plus nombreufes Légions, qui demeureroient inutiles des deux côtés, ou
qui ne pourroient l'incommoder beaucoup dans l'éloignement. Il forma,
fuivant cette idée , une feule eolomne de fon Infanterie, dont toutes les
files furent bordées alternativement d'arqûebufes & de piques. La Cavale-
rie, qui étoi» en pofleflion d'épouvanter les Mexiquains par le feul mouve-
ment des Chevaux , fut rangée en partie au front , pour ouvrir leurs pre-
miers rangs , en partie à dos , pour les empêcher de fe rejoindre. On def-
cendit dans cet ordre. La première décharge des arquebufes & des arba-
lètes fe fit avec tant d'Intelligence & de fuccès, qu'elle ôta le tems aux
Ennemis, qu'on avoit en face, de lancer leurs flèches & leurs dards. Ils
furent chargés auflî-tôt à coups de piques & d'épées, tandis que les Ca-
valiers perçoient, en rompant tout ce qui fe trouvoit devant eux. On gagna
beaucoup de terrein , à cette première charge. Cependant les Mexiquains
- . ^ com-
( h ) Ibidem , page 255. . .
i
EN A M E R i Q U E, Liv. I. 393
combattirent avec tant d'opiniâtreté, qu'à mefure qu'ils étoient forcés de
fe retirer, par la Cavalerie & par les arnies à feu, un autre mouvement les
repouflbit fur le terrein qu'ils avoient perdu. Le fond delà Vallée, fui-
vant l'exprefllon d'un Hiflorien , avoit l'apparence d'une Mer agitée par
le flux & le reflux de fes vagues. Cortez, qui s'écoit placé à la tête des
Cavaliers, où il faifoit une exécution terrible avec fa lance, commençoit
^ craindre que cette continuelle agitation n'épuifàt les forces de ks gens;
lorfqu'en jettant les yeux de toutes parts, il fut fecouru par une de fès
heureufes réflexions, que la Fortune fembloit lui tenir en réferve, pour
l'extrémité du danger.
A la vue de l'Etendart Impérial , qui fe faifoit remarquer à quelque dif-
tance, il fe fouvint d'avoir entendu dire que tout le fecret des Batailles
confiftoit, parmi ces Barbares, dans l'Etendart général, dont la perte ou
le gain décidoit de la Viftoire entre deux partis; fur quoi, ne pouvant
douter du trouble & de l'épouvante, que le mouvement de fes Chevaux
caufoit auxjEnnemis, il réfolut défaire un effort extraordinaire pour en-
lever cette fatale Enfeigne. Il appella Sandoval , Alvarado , Olid & d'A-
vila, auxquels il communiqua ion deflein; & fuivi de ces quatre Braves,
avec une partie des Cavaliers , qu'ils avoient fous leurs ordres, il poulFa
au grand galop vers le Général des Mexiquains. Les Chevaux n'ayant
pas manqué de s'ouvrir un paflage, il pénétra heureufement jufqu'à l'E-
tendart, qui étoit environné d'un Corps de Nobles; & pendant que fes
Compagnons écartoient cette Garde à coups d'épée, il porta au Général
un coup de lance, qui le fit tomber de fa litière. Les Nobles étant déjà
difperfés, un fimple Cavalier (i) defeendit de fon Cheval, ôta au Géné-
ral le peu de vie qui lui reftoit, &prit lEcendart, qu'il préfenta refpeélueu-
fement à Cortez. >< .
Les Barbares n'eurent pas plutôt vu ce précieux dépôt au pouvoir de
l'Ennemi, qu'ils abbatirent les autres Enfeignes & que jettant leurs armes,
ils prirent de tous côtés la fuite, vers les Bois qui couvroient le revers des
Montagnes. Dans un infiant , le Champ de Bataille demeura libre aux Ef-
pagnols. Cortez fit pourfuivre les Fuyards , parce qu'il étoit important de
les difperfer. Il avoit reçu à la tête un coup de pierre, qui avoit percé
fon cafque , & qui lui laifFa une douloureufe contufion. La vue de fa
blelTure animant fts Soldats à la vengeance, ils firent main baffe fur un
fi grand nombre de Mexiquains qu'on ne le fait pas monter à moins de
vingt mille. Cette Viftoire p- . pour une des plus célèbres que les Eu-
ropéens ayent jamais remportées dans l'Amérique; & quelques pieux E-
crivains n'ont pas manqué d'y faire intervenir l'Apôtre Saint Jacques,
que plufieurs Prifonniers , difent • ils , virent combattre en faveur des Ef-
pagnols (k). .. .
i- -.-T'-î ■ ., :: -^ '^ • :• . -"' " : ;''- ^^ -..'.. COR-
Ferkanb
Cortez.
1520.
Heureux
fouvenir qui
le fauve , avec
fon Armée.
Mort du
Général Me-
xiquain, &
prife de l'E-
tendart Impé-
rial.
(f) II étoit Gentilhomme, & fon nom é-
toit Jean de Salamanque. L'Iiinpcreur Char-
les-Quint récompenfa fon aftion , en lui don-
nant, pour cimier de fes Armes, le Panache
XFIIL Fart.
dont l'Etendart du Mexique étoit couronné.
Solis, ubifuprà, page 26.
(*) Ibia. page 260. lis prétendent que
l'Armée ennemie étoit d'environ deux cens
D d d mil-
Fbbnakd
C O R T E Z.
1520.
L'Armée
nrrlve fur les
Terres des
Tlafcalans.
Accueil
qu'elle y re-
çoit.
394 PREMIERS VOYAGES
CoRTEE, ayant raflemblé fes Troupes, ne penfa qu'à profiter de ia
çonfternation des Ennemis, pour continuer fa marche, iffe trouva le
lendemain fur les Terres des Tlafcalans , qu'il reconnut k la grande iVIu-
raille que ces Peuples avoient élevés pour la défenfe de leurs Frontières
& dont les ruines fubfiilent encore. La joye des Efpagnols fut propor-
tionnée aux fouflfrances & aux dangers donc ils fe voyoient heureufemenc
délivrés. Les Tlafcalans baifoient la terre de leur Patrie, qu'ils avoient
descfperé de revoir. On paiTa la nuit près d'une Fontaine, qui acquit,
dans cette occafion, une célébrité, qu'elle conferve dans l'Hiftoire. Cor-
tez prit ce tems pour repréfenter à fes Soldats, de quelle importance il
étoit d'entretenir, par toutes fortes d'égards , l'amitié d'une Republique à
laquelle ils avoient tant d'obligations ; & quoiqu'il y eût la même confian-
ce, il réfolut de s'arrêter en chemin, pour s'aflurer de la difpofîtion da
Sénat. On alla loger, avant la fin du jour, à Gualipar^ grolTe Bourgade,
dont les Habicans vinrent au-devant de l'Armée, avec des tranfports de
joye & d'affeèlion. Cortez accepta leurs offres, & prit le parti d'établir
fon Quartier dans leurs Murs.
Son premier foin fut d'informer les Sénateurs de fes Exploits & de fon
retour; mais la Renommée avoit prévenu fes Envoyés; &, dans le mo-
ment qu'ils partoient, on vit arriver une Députacion de la Republique,
compofée de Magifcatzin, ami zélé de l'Efpagne, de Xicotencatl l'aveu-
gle, du Général fon Fils, & de quelques autres Perfonnes du même rang.
Tous les Hiftoriens peignent vivement cette première entrevue {/). Après
les félicitations & \qs carefles, Cortez apprit, des Députés, que fur le
bruit de fon retour la Republique avoit armé trente mille Hommes , &
qu'elle les auroit envoyés au-devant de lui, fi îa rapidité de fon triomphe
leur eût laiiïé le tems d'exécuter ce deflein ; mais qu'il les trouveroit prêts
à tout entreprendre fous fes ordres. Ils lui oflfrirent toutes leurs forcés ,
avec de nouvelles proteftations de zèle & de fidélité. Leur plus vif em-
preffement étoit de le revoir dans leur Ville; niais ils convinrent d'autant
plus aifément de lui accorder quelques jours de repos î qu'ils vouloient fai-
re les préparatifs d'une magnifique réception , telle que l'ufage en étoit éta-
bli pour le triomphe de leurs Généraux. 11 fit éclater à fon tour une vive
reconnoiflance pour ces témoignages d'affeèlion , qui lui paroilTdîent autant
de nouveaux liens par lefquels toute la Republique s'attaçhoit à lui; & com-
mençant à juger mal du fecours qu'il s'étoit prorais de l'Efpagne ,, il ne des-
mille Hommes , qui avoient apporté ce qu'ils
avoient de plus précieux pour honorer un
triomphe qu'ils croyoicnt certam , & que
par conféquent le butin fut confidérabie ,
ibid.
(/) Ils rapportent que Magifcatzin s'a-
vança le premier, pour faluer le Général, &
qu'après l'avoir ferré long-tcms entre fes
bras, il fc retira de quelques pas, pour le
regarder avec une tcudcclîe touchante , &
pour fatisfaire fon admiration. L'aveu;;Ie
Xicotencatl , tendant les mains où le fon
des voix le conduifoit , fit éclater fon af-
feftion par les mômes cmbraffemens & par
une grande abondance ' de larmes. Son Fils
parut moins emprclTé ; & foit fierté ou ja-
loufie, il lai (Ta remarquer , dans fon compli-
ment, quelque chofc de froid & de farou-
che , qui anuonçoit le changement de fes in-
clinations. ' .
EN AMERIQUE, Liv.I.
395
efpcra point que celui d'une fi brave Nation ne.pût lui fuffire, pour tenter
régulièrement la Conquête du Mexique.
Son entrée dans Tlafcala ne fut différée que de trois jours, & fe fit
avec une pompe, dont la defcription n'a rien de barbare (/«). Mais, au
milieu des Fêtes, fa dernière bleflure, qui avoit été mal panfée dans un fi
continuel exercice, porta au cerveau une violente inflammation, fui vie
d'une fièvre qui abbatit entièrement fes forces , & qui fit tout appréhender
Eour fa vie. Les Êfpagnols regardèrent ce contre-tems comme un mal-
eui qui menaçoit plus que leurs fortunes, & tombèrent dans une confier-
nation qui leur fit enfuite remercier le Ciel de s'être trouvés au milieu d'un
Peuple ami de la bonne toi. Loin de penfer à tirer parti de leur trouble
& de leur abbatement, pour fecouer le joug, toute la Nation ne parut pas
moins afiligée qu'eux. Non - feulement les réjouiflances furent interrom-
Eues , mais on y vit fucceder toutes les marques d'une profonde triftiefiTe.
,es Nobles palToient le jour & la nuit dans le Palais de Magifcatzin , où Cor-
lez avoit pris fon logement. Le Peuple y venoit en foule, avec des cris
& des emportemens de douleur, qu'on ne put arrêter qu'enpubliant, dans
toutes les parties de la Ville, que ce bruit étoit mortel au Malade. Le
Sénat fit aflembler tous les Médecins de la Republique, & propofa de hau-
tes récompenfes à celui qui découvriroit un remède fi certain , qu'il pût
donner, pour garant du fuccès ^ fa vie & celle de toute fa famille. Leur
fcience confiftoit uniquement dans la connoiflance des Simples , qu'ils
appliquoient avec un fagè difcernement de leurs vertus & de leurs ef-
fets, en changeant le remède fuivant l'état & les accidens de la mala-
die. Auffi Cortez ne dût -il fa guerifon qu'à leur habileté; & la joye
publique , qu'on vit éclater auffi - tôt avec autant d'impétuofité que la
douleur , acheva de le convaincre qu'il pouvoit tout attendre de l'affec-
tion des Tlafcalans. , . ..^n..,.,v
Depuis les troubles de Mexico» il n'avoit reçu aucune nouvelle de fa Co-
lonie; & cette négligence de Rodrigue Rangel , que Sandoval y avoit laiflfé
pour fon Lieutenant , commençoit t lui caufer de l'inquiétude. Les Cou-
rier^de la République, auffi prompts que ceux des Mexiquains, lui rap-
portèrent, en peu de jours , que tout étoit tranquille à Vera-Cruz, & que
les Alliés voifms vivoient dans une parfaite intelligence avec leurs Hôtes ;
mais que cinquante- huit Soldats Efpagnols, qui étoient partis pour lejom-
dre , n'ayant pas fait connoître ce qu'ils étoient devenus , il y avoit beau-
coup d'apparence qu'en traverfant la Province de Tepeaca , ils avoient été
maflacrés par les Habitans. Cette difgrace l'affligea beaucoup , parce que ,
dans fes projets, il avoit compté fur ce fupplément, & que l'expérience
lui avoit appris qu'un Efpagnol va! :t plufieurs miliers d'Indiens (n). Il
fentit la nécèffité de châtier les auteurs de cette perfidie, d'autant plus que
la Province de Tepeaca fe trouvant dans une fituation qui rompoit la com-
munication de Vera-Cruz à Mexico, il falloit s'afllirer de ce paffage, avant
que
(»») La plupart des RelBtlors mettent cette entrée au mois de Juillet, & quelques-unes
au mois d'Aoûc. («) Jbid. page 287,
Ddd 2
Ferma»»
Cortez.
1520.
Son entrée
dans Tlafca-
la.
. ,1
Maladie de
Cortez, &fe«
effets.
Nouvelle!
qu'il reçoit de
Vera-Cruz.
1 •^
Cinquante-
huit Efpa-
gnols mafla-
crés par les
Tcpeaqucs.
f ERNAND
ÇORTEZ.
I 5 2 0.
L'Empe-
reur du Me-
xique envoie
des AinbafTa-
deursàTIaf-
Propofi-
tions qu'il
fait faire au
Sénat,
Rëponfe
qu'ils en
reçoivent.
•Confpira-
tion de Xico-
tencatl.
395 P R E M I E R S V O Y A G E S
que de former d'autres entreprifes. Cependant il fufpendit la propofition^
qu'il vouloit faire au Sénat i d'alTifter les Efpagnols dans cette Expédition,,
parce qu'il apprit que depuis peu de jours les Tepeaques avoient ravagé
quelques Terres des Tlafcalans, & qu'il jugea que la Republique auroit
recours à lui pour vanger cette infulte. En effet, les principaux Séna-
teurs l'ayant fupplié d'embralTer leurs intérêts, il Te vit en état d'accorder
une grâce qu'il penfoit à demander. -
Un autre incident vint troubler Ces réfolutions. On reçut avis deGua-
lipar, que trois Ambafladeurs de la Cour Impériale, envoyés à la Republi-
que , n'attendoient que la permiflion du Sénat, pour venir exécuter leur
Commiffîon. Cette démarche parut fort étrange. Quoique les Sénateurs
nepufTent douter qu'elle ne regardât les Efpagnols, & qu'ils fuflent bien
affermis dans la fidélité qu'ils avoient promife à leurs- Alliés , ils fe déter-
minèrent à recevoir les Ambaffadeurs , pour tirer avantage de cet a6le d'é-
galité, dont l'orgueil des Princes Mexiquains n'avoit point encore fourni
d'exemple. Mais on ne fauroit douter qu'ils n'euffent fait approuver leur
conduite à Cortez. Les Mexiquains firent leur entrée avec beaucoup d'é-
clat. Leurs Tamenes marchoient devant eux, & portoient leurs préfens,
compofés de diverfes pièces d'or & d'argent , dftines étoffes du Pays , de
plumes & d'autres curiofités, avec plulieurs charges de fel, qui étoit la
plus précieufe marchandife du Pays. Ils tenoient eux-mêmes les marques
de Paix entre leurs mains. Leur parure , & le cortège , dont ils étoient
fuivis, formèrent un Ipeélacle impofant, pour une Nation qui ne connoif-
foit que l'Agriculture & la Guerre. Ils furent admis dans l'Affemblée du
Sénat. Après avoir nommé leur Maître, avec un grand nombre de titres
& de profondes foumiflions , ils offrirent, de fa part, aux Tlafcalans , une
Paix fincère, une Alliance perpétuelle, un Commerce libre & des Intérêts
communs , à condition que la Republique prendroit inceffamment les armes
contre les Efpagnols, ou que, pour s'en défaire plus facilement, elle tire-
roit avantage de l'imprudence qu'ils avoient eue de fe livrer entre fes mains.
A peine eurent - ils le tems d'achever cette odieufe propofition ; ils furent
interrompus dès les premiers mots, par un murmure confus, d'où l'on pafla
bientôt aux plus vives marques d'indignation & de colère. Cependant, a-
près les avoir renvoyés à leur Logement, pour y attendre une réponfe, le
Sénat prit un tempérament digne de fa prudence & de fa bonne foi. II
leur fit déclarer, par quelques Députés, qu'il accepteroit volontiers la Paix,
lorfqu'elle fcroit propofée à des conditions raifonnables & glorieufes pour
les deux Etats; mais que les Tlafcalans refpeéloient les Loix de l'hofpitalité,
& n'étoient point accoutumés à rendre de la perfidie pour de la bonne foi.
Diaz ajoute que les Ambaffadeurs partirent fans réplique, avec autant de
précrpitation que de frayeur^ parce que le bruit de leur Commilïïon ayant
fûulevé le Peuple , ils fe crurent menacés de n'être pas à couvert fous la
dignité de leur caraftère.
Quoique cet artifice des Mexiquains n'el^t tourné qu'a leur honte, il
produifit un autre effet, qui caufa plus d'allarme à Cortez. Le jeune Xi-
cotcncatl, emporté par le torrent des opinions, n'avoit ôfé déclarer la
fienne au Sénat; mais, dans les mouvemens de haine ou d'envie qu'il
con«
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
391
Jugcmrnt'
r tnarqiiable
cUi SciKic.
j€ttant les ottres de l'Empereur, & qu'il falloit s'aveugler pour ne pas
Gonnoître que le delfein des Efpagnols étoit de renverfer la Religion & la
forme du Gouvernement. Ces inlînuations n'étoient pas fans vraifemblan-
ce. Aufll commençoient - elles à lui faire des Partifans, lorfqu'clles vinrent
à la connoiflance de Cortez. Il en fit des plaintes au Sénat. L'affaire y
fut traitée avec toutes les précautions qu'elle méritoit par Ton importance.
l\ étoit impoflTible que la plupart des Sénateurs ne reconnuflent point le dan-
ger dont la Republique étoit réellement menacée; & les motifs de Xico-
tencatl , tels que l'Hiflorien les fuppofe , ne cliangcoient rien à la force de
fes raifonnemens. Cependant l'intérêt de l'honneur & de la bonne foi pré-
valut dans l'Aflemblée. Toutes les voix fe déclarèrent contre l'attentat
d'un jeune Mutin, qui vouloit troubler la tranquillité publique , diffamer
les Décrets dv ^(.: at , & ruiner le crédit de la Nation. Quelques avis al-
lèrent à la moi. ju Coupable; &, ce qui doit caufer encore plus d'éton-
nement/le Père même de Xicotencatl, que cette qualité n'avoit point em-
pêché d'affilier au Sénat, fut un de ceux qui foutinrent cette opinion avec
plus de force , facrifiant toutes les afftftions du fang à Thonn^ur de fa Pa-
trie (o). Mais fa confiance & fa grandeur d'ame touchèrent fi vivement
ceux qui avoient penfé comme lui, qu'ils revinrent , en fa faveur, au fenti-
ment le plus modéré. Son Fils fut arrêté par les Exécuteurs ordinaires de
la Juflice. 11 fut amené devant fes Juges, fans armes, & chargé de chaî-
nes. On lui ôta le bâton de Général , avec l'ignominieufe cérémonie de
le jetter du haut en bas des dégrés du Tribunal (p). Cette humiliation '
le força de recourir à Cortez , qui s'emprefTa aulîi - tôt de demander
grâce pour lui , & de le faire rétablir dans fa dignité. Mais la playe
étoit trop profonde pour fe fermer aifément; & ce cœur farouche ne
déguilk les projets de vengeance, que pour attendre l'occafion de les fai- ,'
re éclater.
La Guerre, qui fut entreprife auffi-tôt contré les Tepeaqiies , donna Guerre con-
pendant quelques femaines un autre exercice à fa fureur. Elle fut poufTée tre les Tcpeî<-
fi vivement, que malgré le fecours des Mexiquains, auxquels il parut fuffi- q"^**
reque les Efpagnols y fuffent mêlés, pour y faire marcher une partie de
leurs force:, Cortez fe rendit maître de la Capitale du Pays, après avoir
défait, dans plufieurs Combats,' les Ennemis de la Republique & les fiens.
Il ne lui refloit que quatre cens vingt Soldats Efpagnols & feize Cavaliers ;
mais, laiflant à Xicotencatl le Commandement des Troupes de l'Etat, il
s'étoit contente de prendre un Corps de huit mille Tlafcalans, des mieux
faits & des plus réfoius, fous des Capitaines, dont il avoit éprouvé la va-
leur à Mexico. LeS' 'Tepeaques, forcés dans le centre de leur puiflance,
prirent le parti de la foumilïion , & reconnurent qu'ils s'ëtoient laifFés en-
traîner à la révolte, par les artifices des Mexiquains. Ils étoient fi desa-
bufés des efpérances qu'ils- avoient conçues de leur fecours , qu'après avoir
accepté un pardon général au nom du Roi d'Efpagne, ils fupplièrent Cor-
tez
(o) Ibid. Liv, 5. page 286. (^) IbUem. -•
Ddd 3.
r E n N A N D
Coûtez.
1520.
Fon.lntion
de la Ville de
Scgura de la
i'rontcra.
Movt du
nouvel Ein
pereur.
SuccelTeur
3u'on lui
onne, & fes
qualités.
Méditation
& proj^ de
Cortez,
Ses prépa-
ratifs pour la
Conquête du
Mexique.
398 PREMIERS VOYAGES
tez de ne pus abandonner leur Ville : fur quoi il forma le deflein d'y con-
ftiuirc une Fortcrelle, en leur faifant comprendre qu'il ne penfoic qu'à les
protéger: mais il vouloic s'aflurer le chemin de Vera-Cruz, par un Porte
que la Natii-e avoic fortifié, & qui pouvoit devenir, avec un peu de tra-
vail , une rcllburce pour lui contre tous les accidens de la Guerre. On fer-
ma l'enceinte intérieure par des remparts de terre ; & pour murailles , on
n'eut que le roc à couper, dans quelques endroits où la pente étoit moin»
efcarpée. Au fommet de la Montagne, on éleva une elpéce de Citadelle,
qui dominoit fur la Ville & fur la Plaine. L'Ouvrage fut conduit avec tant
d'habileté, pur les Officiers Efpagnols, & poulfé avec tant de chaleur,
par les Tepeaques mêmes , qu'il fut achevé dans l'efpace de quelques
jours (q). Cortez laifla un Sergent & vingt Soldats pour la garde de cette
Place, qu'il nomnja Segura de la Frontera^ & qui fut la féconde Ville Efpa-
gnole de l'Empire du Mexique (r).
Une autre Expédition, à laquelle il ne paroît pas certain que Cortez
ait aflifté (j), fournit aux armes de l'Efpagne Teeamalchadec «^quelques
autres Places. Mais il fut bientôt occupé par des foins plus importans.
On apprit que l'Empereur, qui avoit fuccedé à Motezuma, étoit mort, &
que les Mexiquains avoient élevé fur le Trône Guatimoziny jeune Prince,
dont le caraélére fembloit promettre un règne éclatant. Il avoit commen-
cé par fe livrer entièrement au foin des affaires. Plufîeurs Réglemens en
faveur de la Milice lui avoient attaché les Officiers & les Soldats. Il ne
s'étoit pas moins efforcé de gagner l'afFeftion du Peuple; en le déchar-
geant d!une partie des impôts; & prenant, avec les Nobles, une Métho-
de inconnue jufqu'alors au Mexique , il s'établifToit un nouvel empire fur
leurs cœurs, par une familiarité majeftueufe, qui temperoit ces excès d'a-
doration que Ç(^s Prédéceffeurs avoient exigés. Cortez regarda ces prélude»
d'une fage adminillration , comme autant d'obflacles qui fe formoient con-
tre fes deffeins. Il s'étoit promis la Conquête du Mexique; & l'inviola-
ble fidélité des Tlafcalans le confirmoit dans cette réfolution; fans comp-
ter un grand nombre de nouveaux Alliés , qui lui ofFroient de fe joindre à
fes Troupes. JLe paU'age du Lac faifoit fon principal embarras. Cette
difficulté lui paroifToit terrible, depuis que les Mexiquains, ayant trouvé
le fecret de rompre les Ponts des Chauffées , il n'avoit pas d'autre reiTource
que les Ponts voians. Il s'arrêta au projet de faire conftruire douze ou
treize Brigantins, capables deréfifter à leurs Canots, & de conduire fon
Armée juiqu'au centre de leur Ville. Quoique des Montagnes de Tlafca*
( 5 ^ Dans ce court intervalle , on fut in-
formé que Magifcatzin, le lidèle Ami des
Efpagnols, touchoit au dernier moment de
fa vie. Cortez lui envoya fon Aumônier,
qui le difpofa heureufement à recevoir le
Baptême , & qui le vit mourir avec de grands
fentimens de Religion. Solis, ibid. pages
217 & 318.
(r) Ibid. page 299.
{s) Diaz del Callilio dit pofitivemcnt
qu'il n'y affifla point , non plus qu'à la Ba.
taille de Guacachula , contre une Armée Im-
périale de trente mille Hommes. Cependant
Cortez même , dans fa Lettre du 30 d'Ofto-
bre, explique les motifs qui l'obligèrent de
fe mettre à la tète de l'Armée. Solis, qui
croit ce témoignage irrécufable , & qui n'ôfe
rejetter tout- à- fait celui de Diaz, le foup-
çonne feulement d'avoir ici manqué de mé-
moire. Ibid, page 314,
EN A M E R I Q U E, Li V. I. ♦ 399
la, au bord du Lac, on ne comptât pas moins de feize lieues, il fc flatta
de pouvoir faire porter cette petite Flotte, en pièces, fur les épaules des
Tamenes Indiens. Martin Lopez, dont il connoiilbit l'habileté pour ces
entreprires, ayant trouvé de la vraifemblance à Ton delTcin , il lui donna
le Commandement de tous les Efpagnols qui entcndoient la Charpente,
avec le pouvoir d'employer les Indiens à couper du bois. L'ordre fut
donné en même-tems d'apporter de Vera Cruz le fer, les mâts &
tous les agrets des Vaifleaux qu'on avoit coules à fond. Cortez avoit
obfervé que les Montagnes de Tlafcala produifoienc quelques efpèces
d'arbres, dont on pouvoit tirer de la poix; il les fit ébranler, dit
i'Hillorien; & l'on en tira tout le brai nécelFaire pour caréner fes Bri-
gantins.
La poudre commencoit à lui manquer. Sa pénétration lui fit imaginer
le moyen d'en compoler, d'une qualité très fine, en faifant tirer du Ibu-
fre, dont les Indiens ignoroientl'ufage, de ce Volcan qu'Ordaz avoit re-
connu. Il jugea qu'une matière fi combuitible devoit être un aliment cer-
tain , pour la fiamme. Montano & Mefn, Commandans de l'Artillerie,
offrirent de tenter l'avanture avec quelques Soldats. Ils revinrent avec une
provifion de foufre, qui ne demanda point d'autre préparation , pour fer-
vir à l'Artillerie comme aux Arquebufes à mèche (0.
Pendant qu'il fe livroit à ces grandes idées , il apprit que deux VaiflTeaux
Efpagnols^, qui apportoient de Cuba un fecours d'Homuies & de Muni-
tions à Narvaez, avoient été faifis fiicceflivement par l'adrelFe & le zèle de
Pedro Cavallero, qu'il avoit chargé du Commandement de la Côte. Le
Gouverneur de Cuba, ne doutant point que Narvaez ne fût en pofleflfion
de toutes les Conquêtes de la Nouvelle Efpagne, lui envoyoit Pierre de
Barba, Gouverneur de la Havane, le même, à qui Cortez avoit eu l'obli-
gation du dernier fervice qui l'avoit dérobbé aux perfécutions de fes En-
nemis. Cavallero ëtoit allé reconnoître fon Navire. 11 avoit pénétré le
deflein qui l'amenoit, à l'eraprefiTement avec lequel on s'étoit informé de
la fituation de Narvaez. Il avoit répondu, fans héfiter, que ce Général
ëtoit en pofleflion de tout le Pays , & que Cortez fuyoit à travers les Bois
avec un petit nombre de Soldats qui lui étoient reliés. Barba & tous Tes
gens n'avoient pas fait difficulté, fur cette alFurance, d'aller droit à Vera-
Cruz, où ils furent arrêtés, au nom de Cortez. Mais loin d'en être affli-
gés, ils s'étoient engagés volontairement à le fervir; & Barba obtint bien-
tôt le Commandement d'une Compagnie d'Arbalétriers. Un fécond Vaif-
feau, conduit par Rodrigue Moreyon de Lobera, tomba de même au pou-
voir de la Colonie , & ne s'attacha pas moins joyeufement au fervice du
Général. Bientôt on eut d'autres preuves de l'afcendant que la Fortune lui
promettoit fur fes plus redoutables Concurrens. Le Gouverneur de Cuba
lui avoit fourni jurqu'alors du fecours, par les voyes mêmes qu'il vouloit
employer à fa ruine; & les efforts de Garay, pour ufurper une partie de
fon Gouvernement , ne tournèrent pas moins lieureufement ea fa faveur.
Gn doit fe rappeller qu'après avoir paru fur la Côte de Vera-Cruz, les Vaif-
feaux
(i) Ibidem, pages 321 & piécédcmes. ^ > ■ ' . . .,*
FCRNANn
C 0 R T B 35.
1520.
Arrivée de
deux Vaif-
féaux de Cu-
ba , dont les
Officiers de
Cortez fe fai-
filîent.
Autres fe-
cours que !a
]"ortune pro-
cure à Cor-
tez.
400
PREMIERS VOYAGES
FeRN ANn
C o a T E z.
1520'
féaux de cet Avanturier avoient dté repouiTés par les Indiens de Panuco.
Ils ne s'écoient pas rebutés de leur difgrace. Garay écoic revenu avec de
nouvelles forces : mais la féconde Epédition n'eue pas plus de fuccés que
la première. A peine fes gens eurent touché au rivage, que la réfiftancc
des Indiens les 'força de rentrer dans leurs Navires. Alors , chacun pre-
nant différentes routes , ils coururent pendant quelques jours au hazard ;
& fans s'être communiqué leur deffein, ils vinrent aborder prefqu'en mê-
me-tems à Vera-Cruz , où la feule réputation de Cortez les rangea fous fes
Enfeignes. Le premier de leurs Vailfeaux, commandé par CamargOy por-
toit k>ixante Efpagnols. Le fécond, qui en avoit cinquante , avec fept
Chevaux , étoit beaucoup mieux armé , fous le commandement de Michel
Diaz dJ'iXi Gentilhomme Arragonois, dont la valeur fe diflingua fi fin»
gulièrement , que fa feule perfonne auroit tenu lieu d'un grand fecours.
Un troifième, qui arriva plus tard, avec quarante Soldats, dix Chevaux,
& quantité d'armes & de munitions , étoit conduit par le Capitaine Rami-
rez. Cette Troupe de Guerriers prit auffi-tôt le chemin de Tlafcala, où
Cortez fut agréablement furpris de leur arrivée (u). Enfin, le hazard a-
raena auflî,fur la Côte, un Navire des Canaries, chargé d'Arquebufes , de
poudre, & d'autres Munitions de Guerre, avec trois Chevaux & quelques
Paflagers , qui cherchoient l'occafion de vendre leurs marchandifes aux
Conquérans Efpagnols. Non-feulement le Gouverneur de Vera-Cruz ache-
ta d'eux toute la charge de leur VaiflTeau, mais il perfuada, aux Officiers,
d'aller fervir dans l'Armée de Cortez , avec treize Soldats qui venoient cher-
cher fortune aux Indes (x).
La joye de tant d'heureux événemens n^empêcha point les Officiers Ef-
- - pagnols de prendre le deuil (y) à Tlafcala, pour la mort de Magifcaczin,
Se Magifcat" S"^ ^^°^' regardé comme le Père de la Patrie; & ce témoignage de fenfibi-
lité , pour la douleur publique , fit tant d'impreflSon fur les Sénateurs &
fur le Peuple , qu'ils prièrent Cortez de remplir la Place qui vaquoit
au Sénat. Magifcatzin joignoit à cette dignité celle de Gouverneur du
principal Quartier de la Ville. Deux Offices de cette importance, de-
mandant une affiduité qai ne pouvoit s'accorder avec les vues de Cor-
tez, il fe contenta de faire tomber le choix de la Republique fur le Fils
aîné du Mort , qui avoit hérité de tous les fentimens de fon Père pour les
Efpagnols ( 2 ).
Ensuite, ne s'occupant que de fes grands defleins, dont il conçut que
le luccès dépendoit de la bonne volonté de fes Troupes , il fit publier que
ceux, qui eomnrcnçoient à fe dégoûter du métier des armes, étoient li-
bres
Deuil des
Efpagnols
•un.
(v) Ibîd. pûgc ^iQ. ,'.': I i .:
(.v) Ibid. page 365.
(y) Ils parurent tous avec des cafaques
noires , qu'on fit teindre exprès , & qu'ils
portoient p^r-defllis leurs habits militaires.
Ibid. page 324.
( 3 3 Ce jeune Indien reçut le Batême , à
l'exemple de fon Père , & prit le nom de
Dom Laurent de Magifcatzin. Le Cacique
d'Izucan, & le vieux XicotencatI embraiîe-
rent auifi le Chriftianifme. On ne fit point
alors d'autres converfions; ce que les Hif-
toriens attribuent au bruit des armes, plu-
tôt qu'à réioignement des Efprits pour les
principes de la Religion. D'ailleurs le Père
Olinedo , dit Solis , n'avoit perfonne qui pûc
l'allifter. ubi/t^prà, page 327.
Feuwani»
Coûtez.
1520.
EN AMERIQUE, Liv. I. 401
très de retourner à Cuba, fur une partie des VaifTeaux ou^il avoit fur la
Côte. Plufieurs Soldats de Narvaez acceptèrent cette offre , & Duero
même fuivit leur exemple (a). Alvarado conduilît jufqu à bord ceux que
la crainte du danger, ou l'amour du repos, faifoit renoncer honteul'ement
à la gloire.
Une reftoit qu'un fujet d'inquiétude à Cortez. Les Députés , qu'il a-
voit envoyés à la Cour d'Efpagne , ne l'informoient point du fuccés de
leur Commiflion; & ce long retardement Uevoit le faire douter qu'ils euf-
fent obtenu toute la faveur qu'il avoit efperée. Avanc que de s'engager
dans de nouvelles entreprifes, il réfolutde faire partir d'autres Agens, pour
folliciter l'expédition des premiers. Ordaz & Mendoza furent deftinés au
Voyage de l'Europe , tandis que d'Avila & Chico reçurent ordre de fe rtn* ^
dre à rille Efpagnole. Les deux premiers furent chargos d'une Relation ' ''
en forme de Lettre (A), qui contenoit le détail des avantages & des dif-
grâces qui étoient arrivés aux Troupes Efpagnoies , depuis leur premier
départ de Zampoala. On y joignit un nouveau préfent pour l'Empereur ,
coinpofe de l'or & des raretés qu'elles avoient fauvées dans leur retraite.
Les deux autres étoient envoyés à l'Audience Uoyale de San -Domingo,
pour en obtenir des fecours plus prompts qu'on ne pouvoit les attendre
d'Elpagne. • ^ • ■' - » .^ . Vv.. , - :■,. .
L'Année approchoit de fa fin, lorfque Cortez prit ouvertement la
réfolution d'entrer , avec toutes fcs forces, dans les Terres de l'Em-
pire, & de remettre la décifion de fon entreprife au fort des armes. Ses
Brigantms n'étoient point encore achevés; mais les 1 roupes de la Repu-
blique & celles de fes Alliés avoient déjà pris Polie aux environs de TIaf- '...'*'■
cala , & le moindre délai commençoit à lui faire craindre les inconvéniens *" * ^
de l'oifiveté. Il aflembla les Officiers, pour délibérer avec eux fur fes Cottegfe
premières opérations. Tous les avis fe réduifirent à marcher vers Tez détermine à
cuco. Cette Ville étant fituée fur le chemin de la Capitale, & prefqu'aii '^"i'"' 'f S^"*
bord du Lac, on fe propofoit de s'en faifir & de s'y fortifier pour en fai- xique. ^^
re une Place d'armes, avec le double avantage d'y pouvoir attendre les
Brigantins , & d'y être en état de défoler le Pays ennemi par des cour-
fes.
(a) On n'a pas fçu les motifs de fa re-
traite; mais il y a beaucoup d'apparence qu'il
rompit avec Cortez, puifqu'on le vit enfui
te, à la Cour d'Efpagne, dans les intérêts
du Gouverneur de Cuba, ibid. page 333.
(6) C'eft celle qu'on a déjà citée. Cor-
rez y rendoit compte auin des mefures qu'il
avoit prifcs pour retourner à Mexico II
vantoit la richefTe de l'Kmpire, la fertilité
de fes Terres, & l'opulence des Caciques
11 louoiL la valeur & la confiance des Efpa
gools II parloit avec admiration du zèle &
de la fidélité des TIafcalans. Il demandoit
jullice contre l'aveugle perfécutioii du Gou-
XriIL Part.
verneur de Cuba. Il faifoit de fortes infian-
ces pour obtenir un puilFant fecours. Il pe*
foit encore plus fur la néccflîté d envoyer
des Miflîonnnires, pour aider au Père Olme-
do C'eft !a fubftance de fa Lettre, après
le récit de fes Exploits militaires, fur lef-
quels il s'expliquoit fort modeftement- Mais
Diaz alFure qu'il eut foin d'un faire écrire une
autre par les Officiers municipaux de Vcra-
Cru^; & de Segura, où fes louanges ne fu-
rent point épargnées. & qu'il s'accorda le
plaifir de la voir. Le même Hifiorien ajou-
te qu'il ne permit point aux Soldats d'écrire
à part. ~ • ., . .■ .
E e e
402
PREMIERS VOYAGES
f BRNAN»
CORTCZ.
1520.
Rcvftc &
nombre de
fes Troupes.
Rcvûo des
Troupes In-
diennes.
Loix pu-
bliées dans
les deux
Camps,
Leçons mî-
iitaircs que
les 'Efpagnols
donnent aux
tadiens.
Tes. C'étoit d'ailleurs une retraite affurce, dans mille fuppofitions qui
pouvoicnt rendre l'attaque de Mexico difficile, ou faire traîner le Siège
en longueur.
Le jour fuivant fut employé à faire la revue des Efpagnols, dont le
nombre fe trouva d'environ lix cens Hommes d'Infanterie Ck quarante Ca-
valic:r8. L'Artillerie de Campagne confidoit en neuf pièces, les plus légè-
res qa'on cdt tirées des Vaifleaux. Cortez donna tout l'éclat poflible à
cette Fête militaire ; autant pour la faire fervir d'inflru£lion aux Indiens ,
que pour leur en impofcr par la pompe du fpeélacle. A cet exemple , le
Général Xicotencatl , qui continuoit de commander les Troupes de la Re-
publique, voulut aulTi les faire pafler en revÛe. Celles que Cortez defli-
noic à le fuivre ne montoient qu'à dix mille Hommes choiHs ; <Se le rede
avoit ordre de fufpendre fa marche, pour fervir à la garde & au tranfport
des Brigantins. Les tymbales , les cors & les autres inflrumens de cette
Armée, qu'Herrera fait monter à quatre-vingts mille Hommes (c), mar-
choient à la tête de chaque Bataillon; & les Officiers venoient enfuitc, pa-
rés de plumes de divcrlës couleurs, & de joyaux qui leur pend9ienc aux
oreilles & aux lèvres. Ils portoient fous le bras gauche leurs fabres garnis
de pierre , la pointe en haut ; & chacun avoit un Page , dont l'unique office
étoit de porter la rondache de fon Maître, où fes exploits étoient expri-
més par diverfes figures. Chaque Compagnie étoit diftinguée par la cou-
leur de fes plumes , (k par la forme de fes Enfeignes , qui n'étoient que la
repréfentation de quelque Animal , au fommet d'une pique.
Cortez fit publier plufieurs Ordonnances , qui regardoient également les
Efpagnols & les Indiens. Elles portoient défenfe , fous peine de mort , d'em-
ployer les armes dans les différends particuliers , de faire la moindre violen-
ce aux Femmes, & de s'éloigner du Camp pour le pillage, fans l'ordre des
Chefs. Elles défendoient auifi les juremens & les blafphêmes, fous peine
d'infamie & de dégradation. Aguilar & Marina furent chargés d'expliquer
ces Loix aux Indiens, qui ne firent pas difficulté de s'y foumettre; & la
rigueur , que tous les Officiers apportèrent à les maintenir, fit régner , pen-
dant toute la Guerre, une difcipline qui ne fe relâcha pas plus que la va-
leur. Le jour du départ fut confacré par des Prières publiques. Ce fut à
la fin de cette pieufe cérémonie que Cortez fortit de la Ville , à la tête des
Efpagnols. Il avoit donné ordre que toutes les Troupes Indiennes fuffent
rangées fur fon pafTage; pour leur ?».pprendre , par l'exemple des fiennes,
à marcher fans confufion, à garder leurs rangs, à les doubler dans le be-
foin, & d'autres évolutions, dont la feule vue devint une excellente leçon
pour ces Barbares {d). - •
La
(c) Dîaz comprend dans ce nombre les
Alliés de Cholula & de Guacogingo, qui é-
toient campés hors de la Ville. Il paroit
que Cortez ne fe mit en marche qu'avec foi-
xante mille Soldats ; mais il fut joint , dans
.^ fuite, pai tant d'autres Nations alliées «
que pendant le Siège de Mexico il fc vit
deux fois à la tête de deux cens mille Hom-
mes
tes.
Çd) Solis, Liv. 5. pages 373 & précéden-
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
4ûS
m
C u R T E 1, '
1520.
Marchcv c!e
l'Année v.TS
Premier
obllaclc qur
CortfZ lui
f.iit llirmon.
ter.
La marche du premier iour fut defix lieues, jufqu'à Tezmelcuca^ Bour-
gade confidérable, delà cfëpendance du Cacique de Guacczingo^ dont les
'l'erres touchoietit à celles du Mexique. On y apprit, du Cacique, que les
Mcxiquains , informés depuis long-tems des préparatifs de Cortcz,avoient
des Troupes nombrcufes, derrière une Montagne voifine, dont pluficurs j^. j^i^vmu-.
défilés rendoient le paflage fort difficile. Cet avis l'inquicta fi peu , qu'il " , '*
ne lui fit rien changer au plan de fa route. Mais, étant arrivé l'après midi
au pied de la Montagne, il réfolut d'y pafler la nuit, pour ne pas s'enga-
ger, pendant les ténèbres, entre des Rochers qui pouvoient couvrir plus
d'une embufcade. Il fit allumer, dans le Camp, de grands feux, dont la
lumière fe répandoit fur tous les paflages, & qui fervirent en mcmetems
à garantir fon Armée de l'incommodité du froid. Le lendemain , au lever ^
du Soleil , fon Avant-garde monta lentement par les premiers détours de la
Montagne, pour donner, à l'Artillerie, le tems de s'avancer. Elle n'avait
pas fait une lieue, lorfaue les Coureurs vinrent informer Cortcz que les En-
nemis avoient embarralîe le chemin par quantité d'arbres , & par une mul-
titude de pieux fort aigus, qu'ils avoient plantés en divers endroits, où la
terre paroi IToit fraîchement remuée, pour y faire enfoncer les Chevaux. Il
reçut cet avis avec une çayeté , qu'il nt éclater juf^ues dans fa réponfe:
Ces Braves , dit - il a haute voix , n'ont pas envie de nous voir de
" "prés. Ils veulent embarrafTer nos pieds , parce qu'ils redoutent nos
" mains ". Aufli-tôt, comme s'il eût tenu (es réfolutions prêtes pour
tous les obftacles, il fit avancer deux mille Tlafcalans à l'Avant-garde ,
avec ordre d'écarter les arbres. Cette exécution fut fi prompte, qu'el-
le ne caufa pas le moindre retardement à l'Avant-garde. Quelques
Compagnies achevèrent en même - tems de reconnoître les défilés ; &
pendant Tefpace de deux lieues, qui refl:oient jufqu'au fommet de U
Montagne, on continua de marcher aufli tranquillement que fur les Ter-
res de Tlafcala.
D E la hauteur où l'on ëtoit parvenu , on découvroit dans l'éioignement
le grand Lac de Mexico. Le Général ne manqua point d'exciter Tes Trou-
pes par le fouvenir des richefles qu'elles y avoient laifl!es , & des injures
qu'elles avoient à vanger. La fumée, qu'on remarquoit dans les Bourga-
des, & qui paflbit fucceffivement de l'une à l'autre, fut prife pour un avis
que les Mexiquains fe donnoient de fapproche de l'Armée. On n'avança
pae avec moins de réfolution , quoique par des chemins fort rudes , & dans
l'épaifleur des Bois. Enfin l'Armée ennemie s'offrit de loin dans la Plaine.
Les Efpagnols poufiTèrent des cris de joye; & les Tlafcalans entrèrent dans
une efpèce de fureur, que Cortez eut beaucoup de peine à modérer. L'En-
nemi étoit en Bataille, au-delà d'une grande Ravine, formée par les eaux
qui tomboient impétueufement des Montagnes. On la palfoit iur un Pont
de bois , que les Mexiquains auroient pu rompre ; mais Cortez apprit dans
la fuite qu'ils l'avoient confervé , dans le deflein d'attaquer les Espagnols
au paflage. Cependant à peine eurent-ils reconnu la nombreufe Armée qui
les menaçoit, que le courage paroififant leur manquer pour la défenfe de
leur Pofle, ils firent leur retraite avec beaucoup de précipitation. Comme
ils s'étoient dérobbés prefque tout-d'un coup , à la faveur «ks Bois , ians
Eee 2 qu'on
^ .
/«
" On décou-
vre l'Arniéc
Mcxlquainc.
Elle fe re-
tire avec ef-
froi.
Fkrnand
C O R T E Z.
IJ20.
Perfide en-
ti^prife du
Cacique de
Tczcuco.
Comment
elle eft dé-
couverte.
404 PREMIERS VOYA GlE^S
qu'on pût juger fi ces apparences de crainte ne couvroient pas quelque ar-
tifice, Cortez ne diminua rien de Tes précautions. 11 Ce crut fort heureux,
en obfervant les bords efcarpés de la Ravine, qu'on ne lui difputât point
le paflage du Pont. Sa Cavalerie, qu'il fit pafler la première, n'alla pas
loin fans découvrir les Ennemis. Ils s'étoient ralliés derrière les Bois: mais
l'approche des Chevaux , qu'ils n'avoient jamais vus en fi grand nombre,
& quelques décharges de l'Artillerie, que Cortez avoit fait pofler fur un
bord élevé de la Ravine , leur firent oublier toutes leurs rufes , pour s'a-
bandonner honteufement à la fuite. Toute l'Armée, ayant pafle le Pont
avant la nuit , fe logea dans un Bourg défert ; fans autre précaution que de
placer des Corps-de-garde à toutes les avenues (e).
Le lendemain, après s'être mis en marche, on vit paroître dix Indiens,
qui venoient à grands pas vers l'Avant -garde, & qui n'avoient entr'eux
qu'une feule lance, couronnée d'une lame d'or. Ils la portoient élevée,
avec tant de refpeft & de cérémonies , qu'on la prit pour un figne de Paix.
C'étoit une Ambaflade du Cacique de Tezcuco, qui envoyoit prier le Gé-
néral d'épargner les Terres de Ton Domaine, & l'afTurer qu'il defiroit fon
alliance. Il lui faifoit ofi*rir, dans fa Ville, un logement commode pour
tous les Efpagnols ; mais il demandoit que les autres Nations demeuralfent
hors des murs, où il promettoit de leur faire porter toute forte de provi-
fions. Cortez examina long-tems ces Envoyés. Ils répondirent à fes quef-
tions, fans aucune marque d'embarras. Leur Chef ajouta que fon Maître »
ayant à fe plaindre des violences du nouvel Empereur , qui cherchoit à fe
vanger du refus qu'il avoit fait de lui donner fa voix dans l'Eleélion , vou-
loit s'unir avec les Efpagnols pour la ruine de ce Tyran. Quoique les Hif-
toriens n'ayent pas nommé le Cacique, il paroît que c'étoit Gacumazin,
c'eft-à-dire , le même à qui Cortez- avoit fait ôter fa dignité , pour avoir
confpiré contre Motezuma , & qui avoit été rétabli par l'autorité du nou-
veau Monarque. Solis en juge par la défiance que fes offres infpirérenç
aux Efpagnols. Tous les Officiers, dont Cortez prit l'avis pour fa répon-
fe, conclurent que cette politeflle ne pouvoit être fincère dans un Prince
mortellement oflFenfé; qu'il falloit regarder néanmoins comme une faveur
du Ciel la liberté qu'on leur offroit d'entrer dans une Ville qu'ils avoient
réfolu d'emporter par la force des armes , & que lorfqu'ils feroient une
fois dans fes Murs ils s'y conduiroient avec autant de précautions ,
que dans une Place emportée d'affaut. Après cette délibération , Cor-
tez répondit aux Em'oyés qu'il acceptoit l'offre de leur Maître, & qu'il
règleroit toujours fa conduite fur la bonne foi qu'il trouveroit dans fes
Alfîés.
L'Armée continua fa marche, jufqu'au Fauxbourg de la Ville; niais ]'en<-
trée fut remife au lendemain , pour fe donner le tems d'obfcrver de plus
près les difpofitions du Cacique. Ce délai fauva les Efpagnols. Cacuma-
zin, commençant à craindre que fes noirs deffeins ne fuflent éventés, n'eût
pas l'audace de fe préfenter à Cortez; & l'on s'apperçut, pendant la nuit,
que les Habitans du Fauxbourg fe retiroient dans la Ville. Quoiqu'il ne
- ''l ■ ■ u. ,' ■■ ,, ..: , .... -fût-
(.«.) Ibid. pages 382 & précédentes.. » - ^ .''■:, .J.U' - ., .
FCHN ANr»
CORTEZ.
EN AMERIQUE Liv. I. 405^
•
fi\t arrivé, d'ailleurs, aucun mouvement qui pût allarmer le* General , il
n'attendit pas le jour pour difpofer Tes Troupes au combat. Il s'avança
vers la Ville, au lever du Soleil, dans la rélolution de l'attaquer, s'il ne
recevoit pas d'autres éclairciflemens._ Mais il fut encore plus furpris de
trouver les portes ouvertes & fans Gardes. Quelques Compagnies déta-
chées s'en faifirent, & toute l'Armée entra fans réfiftance. Cortez, pré-
paré à tout événement, s'avança dans les rues, fans donner aucune attein-
te à fe Paix. Il arriva dans une grande Place , où il forma quelques Batail-
lons-; tandis que fes Officiers plaçoient des Corps -de -garde aux meilleurs
Pofles. Les Habitans fe montroient par intervalles, mais fans armes &
d'un air tremblant. On obferva qu'il ne paroiflbit aucune Femme, & cet-
te circonftance augmenta les foupçons. Le principal Temple étant fitud
iur une éminence qui commandoit à toute la Ville , & d'où l'on découvroit
la plus grande partie du Lac, Alvarado, d'Olid & Diaz, reçurent ordre
de s'y établir , avec un bon nombre de Tlafcalans & quelques pièces d'Ar-
tillerie. Ils trouvèrent ce Pofle fansdéfenfe; & du haut du Temple, ils
découvrirent, hors de la Ville, une multitude de Peuple, dont les uns
fuyoient vers les Montagnes , & les autres fe jettoient dans des Canots ,
pour fe rendre à la Capitale. Ce fpedlacle ne lailFa plus aucun doute de la
mauvaife foi du Cacique. Cortez le fie chercher , avec ordre de l'amener à
la tête de l'Armée. On apprit enfin qu'il s'étoit retiré , pendant la nuit ,
vers l'Armée des Mexiquains, avec un petit nombre de Soldats, qui a-
voient confenti à le fuivre. La Noblefle & le refle de fes Sujets, qui dé-
teftoient fa tyrannie, étoient demeurés dans la Ville, ou s'étoient difper-
fés dans d'autres lieux, fous prétexte de chercher i'occafion de le joindre.
Mais lorfque les foins de Cortez, & la modération de fes Troupes, eurent
fait renaître la tranquillité, on fut informé, avec plus d'étendue, que le
deflein de ce Prince avoit été de careiFer les Èfpagnols, pour les endormir-
dans la confiance, & d'introduire les Troupes Mexiquaines, qui dévoient
les égorger tous dans une nuit; qu'au retour de fes Envoyés, qui lui a-
voient fait une peinture effrayante des forces de Cortez , le courage avoit
commencé à lui manquer; ôc qu'enfuite la prudence, qui avoit arrêté fes
Ennemis aux Portes de la Ville, lui ayant fait juger qu'ils avoient pénétré
fon deflein , le parti de la fuite lui avoit paru le plus lûr , en laiflant fa Vil-
le & fes Sujets à leur difcrétion (/).
Ainsi la fortune de Cortez lui livra , fans obftacle , une grande Ville , Cortez éta-
u'il avoit crue nécefTaire à Ces defleins ; & le mécontentement des Sujets ^''"'^ "" "9"'
u Cacique les engagea comme volontairement dans le parti des Efpagnols. J tczcucI?"*'
Toute l'Armée paiTa la nuit fuivante dans Tezcuco. Le Palais étoit fi vafte,
que les Efpagnols y trouvèrent tous des logemens commodes , avec une par-
tie des Tlafcalans ; les autres Troupes fe cantonnèrent dans les rues voifi-
nes. Le lendemain , tous les Nobles , revêtus des habits qui diftinguoient
îeuï condition, firent demander une audience à Cortez, avec un jeune
Homme de fort bonne mine, qu'ils paroiflbient honorer comme leur Chef.
Un des plus anciens dit au Général Efpagnol , que le Cacique fugitif n'é^
toit-
(f) Ibid. pages 387 & ptécédentes. ., . .^,\ ..• . , , _. , , ;•.
Eee 3
t
'1-'' E R N A N T)
Coûtez.
1520.
Iztncpalapa
f(i attaquée
par les Efpa-
gnols.
40(5 PREMIERS VOYAGES
*
toit pas le Sefgneur naturel du Pays, mais un Tyran, qui avoit malTacrd de
fa propre main Nebazal Ton Frère aîné, pour ufurper fa Couronne; que le
jeune Prince , qui fe préfentoit à la tête des Nobles , étoit Fils légitime du
malheureux Nebazal , & que la fidélité de quelques Sujets l'avoit dérobbé
au Meurtrier de fon Père; que l'aflaffînat s'étoic exécuté par le fecours de
rKrapereuj: qui règnoit avant Motezuma, & que celui qui gouvernoit ac-
tuellementle Mexique ne favorifoit pq,s moins le Coupable , parce qu'il ef-
peroit d'employer fa perfidie à la deftruélion des Efpagnols ; mais que la
Noblefle de Tezcuco avoit ce Traître en horreur, & que le Peuple détef-
toit fes violences. Cortez avoit été fi charmé de la bonne grâce du jeune
Prince, que, fans être informé de fa naiflance, & fur quelques civilités
qu'il en avoit reçues, il l'avoit embrafliî, dit l'Hiftorien, dans un tranf-
port de joye, dont il n'avoit pas été le maître (g). Mais s'étant fait expli-
quer le dilcours du Vieillard, il comprit tout -d'un -coup quels étoient les
defirs de la Nation. Après avoir fait fentir, à l'Alfemblée des Nobles,
qu'il pouvoit ufer du droit de la Guerre & livrer leur Ville à la difcrétion
de fes Soldats, il ajouta que les Efpagnols ne fouhaitoient que le bonheur
des Peuples qui vouloient accepter leur alliance, & que pour gage de la
fienne, il rendoit, à la Ville de Tezcuco, le Cacique qu'elle avoit reçu
du Ciel. Cette déclaration eXcita de vifs applaudiflemens. Tous les No-
bles s'emprefl"èrent de baifer la main de leur Prince, & leur joye fe com-
muniqua bientôt au Peuple. Les acclamations furent accompagnées de
danfes & de jeux, qui durèrent toute la nuit. La cérémonie du Couron-
nement fut remife au lendemain ; & Cortez y aflîfla fans défiance , avec la
fatisfaélion de s'être acquis plus d'empire fur les Indiens , par cette gêné»
reufe conduite, qu'il n'en pouvoit obtenir par une Viéloire fanglante (A).
Tezcuco devint une Place de fureté pour les Efpagnols, & difputa toujours
aux Tlafcalans l'honneur du zèle & de la fidélité.
Le nouveau Cacique, informé du projet de fes Alliés, qui étoit de rendre
l'entrée du Lac navigable pour les Brigantins , employa fix ou fept mille
de fes Sujets à donner plus de profondeur aux premiers Canaux. Pendant
ce travail, Cortez, dont tous les mouvemens fe rapportoient à fon Expé-
dition, réfolut d'attaquer la Ville d'Iztacpalapa , avec une partie de ks
Troupes. Ce Polie étant avancé de fix lieues , il lui parut important d'ô-
ter leur principale retraite aux Canots des Mexiquains , qui venoient quel-
quefois troubler les Travailleurs de Tezcuco ; fans compter la néceffité de
donner de l'exercice à fes Troupes , pour lefqiielles il craignoit les dan-
gers de l'inaélion. On a déjà fait obferver qu'Iztacpalapa étoit affife fur
la Chaufl'ée, par où les Efpagnols avoient fait leur première entrée, & dans
unefituationfi bifarre, qu'une partie de ïti Maifons, quimontoient à plus
de
(.ç) Ibîd. page 390.
Xh) Ibid. pages 3 96 & prtScédentes. Il fit
la converfîon du jeune Cacique, qui reçut
le Batême des mains d'OIintdo , en prenant
le nom de Fernand , par affeftion pour Cor-
tez. L'Hiftorien avoue que cette cérémo-
nie fut précipitée, & que rinflruftîon avoit
duré peu de jouri.* mais il prend foin d'a-
vertir que ce Prince, quoiqu'âgé feulement
de dix-neuf ou vingt ans , avoit plus d'intel-
ligence que le commun des lauiens. lbid>
Chap. 12.
'EN A M E R I Q U E, Liv. I. 407
de dix mille, étoient bâties dans le Lac même, dont les courans s'intro-
duifoient dans la Ville par des canaux fermés d'éclufes , qui lâchoient ou
retendent les eaux, fuivant le befoin des Habitans. Cortez, fe chargeant
lui-même de cette entreprife, prit trois cens Efpagnols & dix mille Auxi-
liaires , dont Alvarado & d'Olid eurent le Commandement , fous fes ordres.
Il s'engagea fur la Chauffée, dans le deffein de former fon attaque par ter-
re, & d'employer fon Artillerie à déloger l'Ennemi des autres Polies. En
approchant de 4a Ville, fes premiers rangs découvrirent, à quelque diftan-
ce des murs, un gros de fept ou huit mille Hommes, qui fembloient fortis
pour les défendre, & qui attendirent les Efpagnols avec affez de fermeté
pour ibutenir un Combat de quelques momens. Enfuite, faifant leur re-
traite fans desordre, jufqu'aux Portes de la Ville, on fut furpris qu'au lieu
de les fermer , ou de continuer le Combat, ils fe jettèrent tous dans le Lac,
en pouffant des cris & fecouant leurs armes , avec autant de fierté qu'ils
en avoient marqué dans l'Aftion. Cortez jugea qu'une retraite de cette na-
ture couvroit quelque piège. Cependant après avoir fait reconnoître la
Place, avec toutes les précautions militaires, il réfolut d'y entrer. Les
Maifons fe trouvèrent abandonnées, & l'on n'entendoit plus qu'un bruit
confus fur le Lac, dans un affez grand éloignement. L'approche de la
nuit, qui ne permettoit point aux Efpagnols de courir les rifques d'un nou-
veau Combat, leur fit prendre le parti de fe loger dans un lieu, dont on ne
leur difputoit point la poffeffion ; & Cortez étoit déjà réfolu de garder ce
Polie. Mais, quelques heures après, on s'apperçut que l'eau commençoic
à déborder des Canaux , avec une impétuofité qui lui fit couvrir en un mo-
ment les plus baffes parties de la Ville. C'étoit le llratagême que Cortez
n'avoit fait que preffentir, & qui reduifit la plupart de fes Soldats à la
néceffité de aire leur retraite dans l'eau jufqu'aux genoux. 11 fe reprocha
beaucoup de n'avoir pas compris qu'en fermant les Eclufes du côté du grand
Lac, où les eaux fe portoient par leur pente, toute la Ville pouvoit être
inondée. L'Armée fe logea par dégrés dans la plus haute partie , où elle
paffa le relie de la nuit, avec beaucoup d'incommodité , & fans aucune
défenfe contre le froid. A la pointe du jour, Cortez, desefpérant de gar-
der fa Conquête & la remettant à l'arrivée des Brigantins , reprit le chemin
deTezcuco, „ avec l'attention , dit un Hillorien, de faire doubler le pas
„ à fes Troupes, pour les réchauffer par ce mouvement ". Mais il paroît
que le foin de leur confervation n'y eût pas moins de part , puifqu'aux pre-
miers rayons du Soleil, on découvrit une multitude innombrable de Canots,
qui s'avancèrent, des deux côtés du Lac, jufqu'aux bords de la Chauffée.
Les arbalètes des Efpagnols & les fiéches de leurs Alliés furent les feules
armes avec lefquelles on repouffa le premier effort, parce que la poudre
fe trouva mouillée. Cependant l'Ennemi revint plufieurs fois à la charge,
& força Cortez de s'arrêter plus d'une fois, pour faire face aux plus empor-
tés. Ses Piquiers firent une cruelle boucherie de ceux qui ôfèrent s'a-
vancer jufqu'à terre; mais plufieurs Efpagnols furent bleffés, & les Tlaf-
calans perdirent quelques Hommes. Un Cheval , percé d'une infinité de^
flèches, eut la force de foutenir fon Cavalier jufqu'à Tezcuco, où il expira
prefqu'en arrivant. L'attaque des Mexiquains s'étant rallencie à la vue de
oet-
I'ERKANJ)
Cortez.
Une inon-
dation les
force de l'a-
bandonner.
Ils font .1
taqués dar.,
leur Tetra ■.:'.■,
Fernand
C O R T E Z.
1520.
Cortez ad-
mire les ru l'es
des Mexi-
quains.
Il partage
fes forces
pour défen-
dre fcs Alliés.
Son motif.
Vi(îloire de
Sandoval.
Cortez ren-
voyé libres
quelques Pri-
fo uni ers Me-
xiquain?. Dif-
coiirs qu'il
leur tient.
40S PREMIERS VOYAGES
cette Ville, où ils n'ignoroient pas que les Efpagnols avoient le gros de leur
Armée, Cortez y rentra vers le foir; „ après avoir effacé, ditSolis, l'af-
„ front de fa retraite, par trois ou quatre viéloires, remportées comme en
„ courant". L'expérience , qu'il avoit des rufes de fes Ennemis , les lui
avoit fait regarder jufqu'alors avec plus de mépris que d'inquiétude, comme
des inventions groffières, qu'il étoit aifé de faire tourner à leur propre rui-
ne, & dont la moindre attention fufBfoit pour garantir des Efpagnols:
mais celle qu'il venoit d'éviter lui parut fi bien concertée, que, fuivant le
même Hiftorien (i), il n'en forcit pas fans admiration, & fans une efpéce
dejalouûe.
Les Caciques , & les autres Indiens voifins de Tezcuco , ne tardèrent
point à venir offrir leur obciiTance ai. leurs Troupes au Général étranger.
Ils fe plaignoient des violences de l'Empereur du Mexique, fur-tout les En-
voyés des Provinces de Chalco & d'Otuba , contre lefquelles ce Prince fai-
foit marcher une puiflante Armée, pour les punir d'avoir ouvert le paflage
aux Efpagnols. Ils témoignoient affez de refolution pour fe défendre, mais
ils demandoienc quelque lecours;- & Cortez fe crut intérefle à l'accorder,
parce qu'il étoit important pour lui de fe conferver une communication
toujours libre avec la Province de Tlafcala. Sandoval & Lugo , qui fu-
rent charges de cette Expédition avec deux cens Efpagnols , quinze Ca-
valiers & la plus grande partie des Tlafcalans , s'avancèrent par une mar-
che fi prompte, qu'ayant joint l'Armée d Ocumba & de Chalco, avant l'ar-
rivée des Mexiquains , ils allèrent au-devant d'eux jufqu'aux frontières de
ces deux Provinces. La Bataille fut fanglante & fe termina par la fuite
des Knnemis, qui laiffèrent un grand nombre de Prifonniers. Mais San-
doval ne réferva que les principaux , dont il efpéroit tirer quelques lumiè-
res. Les Peuples, qu'il avoit fecourus, ayant été jufqu'alors Ennemis de
la République de Tlafcala, parce qu'ils avoient toujours été fournis aux
Empereurs du Mexique, il leur fit jurer la Paix, fous la garantie du n.)m
Efpagnol ; & les Tlafcalans , à qui cette reconnoiflânce, étoit due pour leurs
ferviccs, fignèrent volontiers Je Traité, avec pronieife de Je faire ratifier
au Sénat.
Le retour de Sandoval à Tezcuco eut tout l'éclat d'un Triomphe. Il
avoit à fa fuite, non -feulement les Prifonniers Mexiquains , mais tous les
Caciques des deux Provinces , qui voulurent faire leurs remercimens au Gé-
néral, du fecours qu'il leur avoit envoyé, &Iui offrir la difpofition de tou-
tes leurs forces. Cortez accepta leurs offres, & leur recommanda de fe
tenir prêts à marcJicr au premier ordre. Enfuite, s'étanc fait amener les
Prifonniers Mexiquains, qui s'actendoicnt à perdre la vie, fuivant leurs
ufages, il leur fit ôter leurs fers, pour les difpofer, par cette indulgence,
(j) Après avoir fait remarqncr l'adreflc
qu'ils avoient eue de faire une fortic pour at-
tirer les Efpacnols de (outcnir une charge
pour les cni^aiÇ', r, de feindre vnv. retraite,
d'abandonner ks lieux qu ils vouloient inon-
der , ëi. de tenir une Armée prête pour aûU-
rer le fuccès de leur flratagême, Solis de-
mande fi ceux, qui cherchent à ubfcurcir la
gloire de fa Nation, peuvent dire à profjnt
que les Indiens fulTcnt des Hommes liitpi-
des, qui nnnqualTent de tête &qui n'eulilnt
que de la férocité. L;v, 5. pags 405.
EN AMERIQUE, Lzv. I. 40f
^ retenir plus fidèlement le difcours qu'il leur fit par la bouche de Tes In-
terpréi:2S (k). Après cette explication, dans laquelle il avoit moins en
vue les Mexiquains, dont il connoiiToit l'cbdination, que fes nouveaux
Alliés, qu'il vouloic perfuader de l'équité de fon entreprife, il fit condui-
re les Prifonniers jufqu'au bord du Lac , avec ordre de leur fournir une
Barque & des provifions pour fe rendre à Mexico. Il n'en reçut aucune
r^ponfe; mais comme il avoit fait peu de fond fur leur fidélité, il fe con-
tenta de faire remarquer, aux Caciques, qu'il avoit o£ferc inutilement la
Paix.
Dans le même tems, Lopez l'informa, par un Courier, que les Brigan-
tins étoient achevés , & qu'il fe difpofoit à fe mettre en chemin pour les
conduire à Tezcuco. La Republique de Tlafcala fourniflbit dix mille Ta-
menes, qui éncreprenolent déporter, fur leurs épaules, planches, mâts,
ferrures , & tous les autres matériaux nécefiaires , avec une efcorte de vingt
mille Soldats (/), fous le Commandement de Chechimical, jeune Cacique
d'une valeur dillinguée. Mais quoique ces forces enflent paru fuffifantes à
Cortez, qui les avoit laiffées à Tlafcala dans cette vue, Lopez le prioic
d'envoyer au-devant de lui quelques Compagnies d'Efpagnols, pour ne rien
donner au hafard , en traverfant les Terres Impériales. L'importance d'un
fecours, fans lequel on ne pouvoic entreprendre le Siège de Mexico, fit
détacher auffi-tôt Sandoval, avec deux cens Efpagnols, quinze Cavaliers,
& quelques Bataillons auxiliaires. Dans fa marche, ce brave Officier réfolut
de viùter Zulepeque , petite Ville peu éloignée du chemin, qui non -feule-
ment
Cortez.
iSao,
15a f.
Les Brigaii"
tins partent
de TlaCcaU,
(Jlt ) On fe gar3e toujours de fapprîmer ce
qui porte le caraftère de la vérité. Diaz fai-
ftnt profeflîon d'avoir copié ce Difcours , tel
qu'il fut donné aux Interprètes , & les autres
Hiftoriens le rapportant après lui , il mérite
d'autant plus d'être confervé , que Cortez
affefta de le faire publiquement, pour jufti-
fier fon entreprife, aux yeux de fes Alliés;
„ Vos propres ulages & les loix de la Guer-
„ j-e me mettent en droit de vous punir avec
„ le fer &le feu, pour vous rendre le trai-
„ temcnt inhumain que vous faites à vos
„ Prifonniers. Mais les Efpagnols ne font
„ point un crime à des Sujets d'être pris en
„ fervant leur Prince, & favent mettre de
„ la diftinftion entre les Malheureux & les
„ Coupables. Je veux feulement vous con-
„ vaincre de l'avantage que la clémence de
„ ma Nation a fur vôtre Barbarie , en vous
„ donnant tout à la fois la vie & Ja liberté.
„ Retournez dès ce moment à vôtre Prince ;
,, & puifqu'étant Nobles vous devez obfcr-
„ ver la loi que j'attache à cette grâce , dites
„ lui , de ma part , que je viens lui deman-
„ der raifon de l'injufte Guerre qu'on m'a
„ faite en rompant avec perfidie les Traités
■fur la foi defquels je m'étois déterminé à
fortir de Mexico; dites-lui que je viens
XniL Fart.
>t
»)
„ vanger auil! la mort de Motczuma , à qui
„ j'ai fait cette promeffe , avant fon dernier
I, foupir; que je fuis fuivi dune Armée re«
„ doutable , non - feulement par le nombre
„ des Efpagnols , dont il connoit la valeur
«, invincible, mais encore par les Troupes
„ de toutes les Nations qui abhorrent la ty-
„ rannie des Mexiquains ; que dans peu de
,, tems je l'attaquerai au milieu de fa Cour
,, niêmc, & que je ne relâcherai rien de ma
,, jufte colère, jufqu'à ce que j'aie réduit en
„ cendre toutes les Villes de fon Empire.
„ Cependant fi, pour éviter fa ruine, &pour
„ épargnur le lang de fes Sujets, il fe fent
„ encore quelque penchant pour la Paix , je
„ fuis prêt à la lui accorder à des conditions
„ raifonnabks; parce que les armes de mon
„ Roi,, que les foudres du Ciel affiftent toû-
„ jours, ne blelTcnt que ceux qui leur ré-
„ fident , & que je préfère l'exercice de l'hu-
„ nv.inité à la vengeance ".
(i) Hcrrera fait fortir de Tlafcala cent
quatre vin<j;ts mille Hommes de Guerre avec
les Brigantins ,• ce qui paroit fi peu vraifem-
blable , que ce doit être une faute d'iuipref -
fion. Diaz n'en compte que quinze mille,
& Solis vingt.
F f f ^
Vengeance
que Sandoval
tire du maffa-
cre de qucl«
ques Efpa-
gnols.
^
F«ltKAND
COBTEZ.
152 I.
Vantte d'un
Cacique ïlaf-
■calan.
^or P R E M I E R S V O' Y A G Ê S
ment refufoit d'obéir au Général , mais où l'on avoit appris que plufieurs
Efpagnols avoient été malTacrés , en paiïiint de Vera-Cruz à Mexico.
L'Armée n'eut pas plutôt pris cette route, que les Habitans abandonnèrent
leurs JVIurs & fe retirèrent dans les Montagnes. Sandoval les fit pourfui-
vre par les Tlafcalans; & lorfqu'il fut entré dans la Place, fa colère aug-
menta beaucoup en voyant des preuves de leur traliifon. On trouva , fur
le mur d'un Edifice , ces mots écrits en Efpagnol avec du charbon : „ L'in-
„ fortuné Jean .'/«/^o & fes Compagnons furent pris en ce lieu ". En fuite,
on crut reconnoître, dans un Temple, les tètes de ces malheureufes Vic-
times, que leurs Meurtriers avoi(yit fait fécher au feu, pour les préferver
de la corruption. Tous les Soldats, furieux de ce fpeftacle, conjurèrent
Sandoval de vanger le fang de leur Nation , avec la dernière rigueur. Il
donnoit déjà fes ordres , lorfque les Tlafcalans revinrent avec un grand
nombre de Prifonniers, après avoir fait main bafle fur ceux qui avoient re-
fufé de fe rendre. Ces Miferables fe jettèrent aux pieds des Efpagnols , &
témoignèrent leur repentir, ou leur crainte, par des humiliations & des
cris. On leur fit grâce de la vie, & Sandoval reçut 4e ferment de leur fou-
miffion, qu'ils exécutèrent fidèlement. Les reftes des Efpagnols, qui a*
voientété facrifiés, furent enterrés avec honneur (m).
L'Armée continua fa marche jufqu'aux Frontières de Tlafcala, où Lo-
pez s'étoit avancé avec Chechimical & fes Troupes. On ne donna que le
tems néceffaire au repos. Sandoval , hâtant fon départ , pour répondre à
l'impatience du Général , mit les Efpagnols à l' Avant-garde , avec les Tlaf-
calans qu'il avoit amenés. Les Tamenes, efcortés de quelques .roupes,
compofoient le corps de Bataille ; & Chechimical fut chargé du foin de
l'Arrière - garde. Mais ce jeune Cacique, quijoignoit à beaucoup de va-
leur un caraftère fort vain , s'oflfença de n'être pas au Pofte le plus avan-
cé; & fon chagrin fit naître une querelle, qui ne fut appaifée que par la
modération des Officiers Efpagnols. En vain lui repréfenta - t'on que fon
Pofte étoit le plus honorable, puifqu'il étoit le plus dangereux, & que les
infultes des Mexiquains n'étoient à craindre qu'à la queue de l'Armée : il
répondit qu'un Chef tel que lui devoit toujours être à la tête, pour donner
l'exemple à toutes les lïoup^, & qu'il vouloit être le premier dans les
moindres occafions, comme il promettoit de l'être à l'aflaut de Mexico.
Son obftination allant jufqu'à menacer de quitter l'Armée, Sandoval eut la
coroplaifance de demeurer à l'Arrière - garde avec lui, pour donner tout
rhonneur à ce Pofte. On marcha fans obftacle, quoiqu'à la vue des Trou-
pes Mexiquaines , qui n'ôfèrent defcendre de quelques hauteurs éloignées.
En approchant de Tezcuco, „ Chechimical demanda le tems de fe parer
„ de fes plus belles plumes & de tous fts joyaux , parce que l'occafion de
„ combattre ne pouvant être éloignée, le premier moment d'une fi douce
„ efpérance devoit être un tems de fête pour un Soldat ". Sandoval , à
qui cette ardeur ne déplaifoit point, & qui reconnoifToit peut-être le ca-
raélère de fa Nation dans un langage fi noble , confentit à faire arrêter
l'Armée, pour le fatisfaire. bientôt Cortez efifuya quelques traits de la
(w) Solis, Ifjv, 5. /»«5e 418. r' "4 ..£ 4 . _ ,
t "E N A M Ë RI Q U E, Liv. 1 41^
tne vivacité. Chechimical fe hâta de lui faire demander audience, & lui
die, „ qu'étant né pour la Guerr.e il craignoit de languir dans roifiveté,
„ fur-tout après avoir pafle cinq jours entiers fans une feule occafion de
„ tirer l'épée; qu'il brûloit de voir les Ennemis, & qu'il fupplioit le Gé-
„ néral de donner fur le champ quelque exercice à fa valeur ". Un em-
portement fi peu mefuré, joint aux informations de Sandoval, fit craindre
à Cortez de ne pas trouver, dans le Chef des nouveaux TIafcalans, autant
de foumiflîon que de courage; & la fuite des événemens juftifia cette crain-
te. Cependant il lui promit de fatisfaire fon ardeur ; „ à condition , lui
„ dit-il, que vous combattrez fous mes yeux, & que vous me rendrez té-
„ moin de vos exploits ". Sur quoi l'Hiftorien obferve flue Cortez haïf-
foit la vanité, dans un Guerrier; parce qu'il avoit reconnu que la vraie va-
leur marche rarement fans la modefl:ie (n).
On s'attacha auffî-tôt à la conftruftion des Brigantins; mais le Général,
apprenant qu'il ne falloit pas moins de vingt jours pour les rendre capables
defervice, réfolut d'employer cet intervalle à vifiter le Pays qui bordoit
le Lac , dans la vue de choifir fes Pofles , & de commencer le ravage fur
les Terres de l'Empire. latokan , Temyuca , Cobatilan , Efcapuzako , furent
les premières Villes qu'il reconnut , & dans lefquelles il répandit la terreur.
Quelques unes furent pillées & brûlées. La fuite fauva le plus grand nom-
bre de leurs Habitans ; mais ayant tenté de fe rafl'embler, avec les Trou-
pes qui avoient toujours fuivi les Efpagnols , ils furent battus plufieurs fois ,
& pouflles jufqu'à l'acuba, où Cortez prit Pofte & paflTa cinq jours à la vue
de cette Ville. Elle le difputoit à Tezcuco, pour la grandeur, & pour le
nombre des Habitans. Son afliéte, quioccupoit l'extrémité de la premiè-
re Chauflee , où les Efpagnols avoient elTuyé tant de pertes & de dangers
dans leur retraite, rendoit ce Poflie d'autant plus avantageux, qu'il étoit le
plus proche de Mexico, & comme la clé du chemin, dont il falloit fe faifir
pour en faire le Siège. Auffi Cortez fe difpofoit- il. à l'attaquer, lorfqu'on
vit paroître, fur la Chauflee, un gros de Mexiquains, forti de la Capitale,
& conduits par l'Empereur même. Comme il y avoit apparence que leur
deflein étoit de fe jetter dans Tacuba , les Efpagnols eurent ordre de les
attendre & de leur laifler la liberté d'avancer , dans l'efpérance de pouvoir
tomber fur eux, entre le Lac & la Ville. Mais ils avoient d'autres vues,
qu'ils exécutèrent avec une adreife extrême. Quelques ■ uns fautèrent né-
gligemment à terre , & formèrent leurs rangs avec tant de confufion , que
Cortez, attribuant cet embarras à la crainte, laifla une partie de ^qs Trou-
pes devant la Ville, & marcha droit à la Chaufl'ée. Ceux qui étoient à
terre parurent déconcertés de fon approche , & fe retirèrent vers leur gros ,
qui fit le même mouvement , en cédant le terrein par dégrés & dans une
efpèce de desordre. Leur efpérance étoit d'engager les Efpagnols. En
effet, le Général fe hâta trop de les fuivre, emporté par des appar -nces
qui lui firent oublier l'avanture d'Iztacpalapa. Lorfqu'ils le virent clans le
détroit de la Chauflee, ils fe rallièrent, ils firent tête; & pendant qu'ils
l'arrêtoient par leur réfiftance , un prodigieux nombre de Canots, qui for»
'" * • • . r. -. ■ "■- ! ' tirent
• ■\ ■'- (h) /iirf. page 424. . ,..:;.■,. . . .. 1
• Fffs
FEnNAitr»
Coûtez.
Î52I.
Cortez at-
taque vive-
ment l'Enipi'
rc.
Les Efpa-
nols donnent
dans un piège
des Mexi-
quains.
414
PREMIERS VOYAGES
FSINAMO
COBTEZ.
Ils ne s'en
retirent point
iàns perte.
Secours
d'Efpagnois
envoyé à Cor^
te?.
Sandoval va
combattre les
Mexiquains
dans la Pro-
vince de
Ch^Ico.
Extrême
danger de
Cortu.
tirent avec une vîtefle incroyable des Canaux de la Capitale, vint invellir
les deux côtés de la Digue. Cortez reconnut Ton imprudence. Il fe vit
forcé de fe retirer, en combattant de front <Se réfidant des deux côtés à
l'attaque des Canots. Les Mexiquains s'étoient pourvus de longues piques ,
dont quelques-unes avoient pour fer la pointe des épées que les Ëfpagnols
avoient perdues dans leur première retraite. 11 eut ainfî la douleur de voir
un grand nombre de Tes gens blefles de leurs propres armes. Mais , fai-
fane feu de toutes parts , & s'expofanc Tépée à la main comme le moindre
Soldat, Ton courage & fa fortune le firent fortir heureufement d'un (1 grand
danger (0). Cependant, l'entreprife de Tacuba lui paroifTant impomble„
à la vue des Mexiquains, qui n'abandonnèrent point leur ChaulTée , il re-
prit, fur lechanôp, le chemin deTezcuco, tandis qu'ils fe bornèrent à le
fuivre de loin , avec des cris & d'impuiffantes menace».
Un fecours conOdérable, qui lui étoit arrivé pendant fon abfence, effa-
ça le fouvenir de cette difgrace. Julien àiAU^erete^ Antoine de Carvajal^
Ruiz da la Mota^ Diaz de Reguera^ <& d'autres Guerriers d'un nom connu ^
avoient mouillé au Port de Vera-Cruz, dans un Vaifleau adreffé à Cor-
tez (p) , avec un fecours de Soldats & des Munitions. Us s*étoient rendus
auiTi-tôt à Tlafcala, d'où le Sénat les ayant fait conduire, fous unenom*
breufe efcorte, ils avoient apporté eux-mêmes, à Tezcuco, la. première
nouvelle de leur arrivée. Mais on apprit ea même-tems que l'Empereur,
du Mexique faifoit avancer une groiTe Armée vers la Province deChalco,
Eour ramener ce Pays à l'obéifTance,. & pour exécuter le deflein qu'il con-
Tvoit toujours de fermer la. communication des Ëfpagnols avec Tlafcala &
Vera-Cruz. Cette entreprife étoit d'une importance qui forçoit Cortez de
fecourir fes Alliés, parce qu'il ne pouvoit efpérer que de leur fidélité la
confervation du pafTage. D'ailleurs les Brigantins n'étant point achevés ,.
il eut le teras d'envoyer Sandoval avec la moitié de fes forces , pour faire
tête aux Troupes Impériales. Deux ou trois Viéloires rendirent la Paix,
aux Provinces menacées; & tandis que Sandoval preffoit cette Expédition,
Cortez ne cefla point de ravager les Terres de l'Empire. Il y courut des.
dangers, qui menacèrent plufieurs fois fa vie & fa liberté, fur-tout à l'atta-
que d^Sucbimilco (3^, Place cpnfidérable,. dont il ayoit entrepris de. fe fai-.
v^i
( û ) Diaz lui reproche vivement cette fau-
te. Herrera n'entreprend point de le défen-
dre. Mais Solis, en panant condamnation
far fa témérité, prétend qu'il ne lailTa point
d'en tirer beaucoup d'avantage, non -feule-
ment parce qu'il n'en coûta pas moins de
inonde aux Ennemis que dans une Bataille
qu'ils auroîent perdue , mais parce que la
réputation des Ëfpagnols en acquit un nou-
veau luQre, qui augmenta bientôt. le nom-
bre de leurs Alliés. Liv. 5. pages 436 6f
précédentes. On ne nous apprend point quel-
le fut leur perte dans cette occafion. Un
Enfeigne , nommé Jean Folante , fut renver-
ié dans le Lac , d'un coup de pjque. JLes
Indiens lès plus proches le prirent dans l'eau ,-
& le mirent dans un Canot, qui prit aulli-,
tôt la route de Mexico pour emmener fon
Prifonnier. Volante fe liiifla conduire, fei-
gnant d'être hors de combat. Mais lorf-
qu'il fe vit éloigné des autres Canots, il fe.
faifit de fes armes, il tua quelques-uns de
ceux qui le gardoient , &" fe jettant à la na-
ge, il arriva- au bord du Lac, fans avoir'
abandonné fon drapeau, ibid..
ip) l[ paroît que ce VailTeau venolt de
rifle Efpagnole.
( 5 ) Il retomba dans une de ces témérités-
qui paroîlfent autant de taches pour fa pru-
dence. S'^anC trop éloigné de fon Armée,
avec
EN AMERIQUE, Lxv. I.
4^3
:an veuoit de
FnXKAND
CoaTXZ.
Confpira-
tlon de quel-
ques Efpa-
fîr, & qu'il fut obligé d'abandonner, avec la douloureufe perte de dix ou
douze Ëfpagnols (r;.
Mais la confiance. fut mife à des épreuves beaucoup plus fenfibles. En
arrivant à Tezcuco, un de fes plus anciens Soldats vint lui demander une
audience fecréte, & lui apprit que pendant fon abrence, il s'étoit formé «uc» r..Ha-
un déteftable complot contre fa vie & contre celle de tous fes Amis parti- gnois contre
culiers. L'auteur du crime étoit un autre Soldat , fans aucune confidéra- la vie
tion , fuivant la remarque de l'Hiftorien , puifque fon nom paroît pour la
première fois avec fon crime. Il fe nommoit Antoine de nllafagna. Sa
première vue n'avoit été que de fe dégager du Siège de Mexico , qu'il re-
gardoit comme une entreprife desefperée. Il avoit infpiré fes fentimens à
quelques Amis du même ordre, en leur repréfentant qu'ils n'étoient pas
obligés de fe perdre , pour fuivre les emportemens d'un Téméraire. 11 leur
avoit propofé de retourner à Cuba ; & c'étoit pour délibérer fur ce dcffein
qu'ils avoient commencé à s'aflembler. Mais quoiqu'ils enflent vu peu de
difficulté à quitter le Camp, & même à traverfer la Province de TIafcala,
ils avoient appréhendé d'en trouver beaucoup plus jufqu'à VeraCruz; fans
compter qu'y arrivant fans ordre, ou du moins fans un congé de Cortez,
ils ne pouvoient efpérer de n'y pas être arrêtés. Ils ne fentirent pas moins
qu'il leur feroit impoffible d enlever un Navire, aux yeux de la Colonie.
Enfin, Villafagna , dont le logement fervoit aux aflTemblées, propofa, com-
me l'expédient le plus fur, de tuer Cortez & fes principaux Partifans, pour
élire un autre Général, qu'il feroit plus aifé de dégoûter de l'entreprife du
Siège, & fous lequel, obtenant la liberté de fe retirer, fans fe noircir de
la tache de Déferteurs, ils feraient valoir, au Gouverneur de Cuba, le fer-
vice qu'ils lui auroient rendu , avec l'efpérance même d'en être recompen-
fés à la Cour d'Èfpagne. Cet avis fut généralement approuvé. On drefla
d'abord un Afte, par lequel tous les Conjurés s'engagèrent à féconder leur
Chef, dans l'exécution de fon crime, & qu'ils fignèrent tous de leur nom.
Cette horrible trame fut conduite avec tant d'adrelTe, que le nombre des
avec quelques Cavaliers , il voulut pouflbr
une Troupe d'Enneinis, & fc jetta au milieu
d'eux, l'épée à la inain. Lorfqu'il voulut
revenir vers fes gens, il fe trouva feu! & en-
veloppé de tomes parts. 11 fe maintint quel-
que tems, en combattant avec la dernière
vigueur, jufqu'à ce que fon Cheval s'abbat-
tit fous lui de pure laflîtude & le mit dans
un extrême danger. Les Mexiquains s'avan-
cèrent, & comme il étoit trop embarraffé
pour fe fervir de fes armes, il n'auroit pu
manquer d'être accablé. Sa feule défenfe fut
l'envie qu'ils avoient de le prendre vivant,
pour le préfenter à leur Empereur. Un Ca-
valier, nommé Chriftophe à'Oka, de Mé-
dina del Campo, qui avoit apperçu fa chu-
te, en avertit fes Compagnons par un cri
terrible; & fans les attendre, il fondit à l'en-
droit où les Mexiquains étoient prêts à fe
faifir de fon Général. Il en tua cinq ou fiX
des plus ardens; & fécondé aulî-tôt de fe»
Compagnons, Il le délivra du plus grand pé-
ril que fa valeur lui eût jamais fait courir.
Cortez n'avoit reçu que deux légères bleflu-
res, Diaz & SoHs , ubi fuprà Horrera néan-
moins prétend qu'il fut redevable de fa liber-
té à un Tiafcalan, inconnu, dit-il, avant &
après l'yVftion ; ce qui femble faire entendre
que ce fut un miracle
(r) Outre ceux qui avoient été tuésà l'at-
taque dn Suchimilco, les Mexiquains en a-
voient enlevé trois- ou quatre , qui s'étoient
écartés pour piller, & deux Valets, qui avoient
donné dans une embufcade. Le fort de ces
Malheureux étoit d'être facrifiés aux Idoles»
& Cortez ne pouvoit foutenir cette idée,
Solis, ubi fuprà, page 413,
Fff 3.
F r. R N A N D
C 0 R T £ K.
I52I.
Plan des
Conjurés.
Modération
de Cortcz
d;ins l'a ven-
geance.
414 PREMIERS VOYAGES
Complices augmenta de jour en jour. Ils avoient concerté de ruppofer uti
paquet, arrivé de VeraCruz avec des Lettres d'Efpagne, & de le prdfen-
ter au Général pendant qu'il feroit à table avec la plupart de Tes Oificiers.
Les Conjurés dévoient entrer alors, fous prétexte de demander des nou-
velles de l'Europe, & prendre le tems où Cortez commenceroit fa lefture,
pour le poignarder, lui & (es Amis; après quoi, ils étoient réfolus de for-
tir enfemble, & de courir dans toutes les rues du Quartier, en criant, £/•
pagne ^ Liberté. Les Officiers , qui dévoient mourir avec le Général , é/
toient d'Olid , Sandoval, revenu glorieux de fon Expédition , Alvarado &
fes Frères , Tapia , les deux Intendans Louis Marin & Pierre d'Ircio , Ber-
nard Diaz, Iliftorien de la Conquête, & quelques autres Guerriers, Confi-
dens du Général. Villafagna deftinoit le Commandement à François Ver-
dugo, Beau -frère du Gouverneur de Cuba; parce que cette qualité fem-
bloit le rendre plus propre à foutenir une faélion: mais comme on lui con>
noiflbit de l'honneur, perfonne n'eut la hardiefle de lui communiquer le
fond du complot; & tous les Conjurés jugèrent qu'après l'exécution du cri-
me , il fe croiroit forcé d'accepter un Emploi , qu'il regarderoit peut • être
comme un remède à de plus grands maux.
Tr.LL£ fut la déclaration du Soldat , qui ne demanda point d'autre récom*
f>enfe(juelavie, parce qu'il étoit entré dans la conjuration. Cortez prit
e parti de faire arrêter fur le champ Villafagna, & d'affilier lui-même à
l'exécution de cet ordre. L'importance de l'accufarion ne lui permettoit
pas d'employer des informations plus régulières, il partit auiTi - tôt , ac-
compagné des deux Intendans, & de quelques Capitaines. Le trouble du
Coupable fut fa première conviftion. Après l'avoir fait charger de chaî-
nes, Cortez fit fortir tout le monde, fous prétexte de l'interroger en fe-
cret; & profitant des informations qu'il avoit reçues, il tira de fon fein
l'Adle du Traité , figné de tous les Complices. Il le lut. 11 y trouva le
nom de quelques Perfonnes, dont l'infidélité lui perça le cœur. Cependant
il réferva ce fecret pour lui-même; & fe contentant de faire écarter ceux
qui s'étoicnt trouvés chez le Criminel, il ordonna que l'affaire fût prompte-
ment inllruite, fans poufler plus loin les recherches & les preuves. Elle
ne traîna point en longueur. Villafagna, convaincu par l'Afte que fon Gé-
néral avoit trouvé fur lui , & fe croyant trahi de fes Aflbciés , confelTa fon
crime. On loi lailTa le tcms de fatisfaire aux devoirs de la Religion; &,
dès la nuit fuivante, il fut pendu à la fenêtre de fon logement. Cortez,
quoique mortellement touché du nombre & de la qualité des Coupables, fe
crut obligé, par les circonftanccs , de fermer l'oreille au cri de la Jullice:
mais , pour éviter tout à la fois la néceffité dfe punir & les confequences de
l'impunité, il publia, fans affe6lation, qu'il avoit pris, dans le fein de Vil-
lafagna, un papier, déchiré en plulieurs pièces, qui contenoit vraifembla-
blement les noms des Conjurés; qu'il s'eftimoit heureux de n'en avoir pu
lire aucun , & qu'il ne chcrcheroit point à les connoître ; mais qu'il deman-
doit en grâce, à fes Amis, de s'informer foigneufement fi les Éfpagnols a-
voient quelque plainte à faire de fa conduite, parce qu'il ne defiroit rien
de fi bonne foi que de 'atisfaire fes Troupes, & qu'il étoit auffîdifporé à
corriger ks propres défauts , qu'à recourir aux voyes de la rigueur & de lu
jufti-
: EN A M E R I Q U E, Liv. r. 415-
juftïce, fi la modération du châtiment affbibliflbit Ja terreur de l'exemple.
D'un autre côte, il déclara que ceux , auxquels on avoit connu quelque liai-
fon avec Villafagna, pouvoient paroicre fans défiance; & le foin qu'il prit,
de ne lailTer voir aucune trace de chagrin fur fon vifage , ayant achevé de
leur perfuader qu'il ignoroit leur crime , ils recommencèrent à le fcrvir a-
vec d'autant plus de zèle, q-i'ils croyoient avoir à laver le Ibupçon d'une
noire perfidie. Cependant il prit occalion de cet événement, pour fe don-
ner une Garde de douze Soldats choifis, fous le Commandement d'un de
fes plus fidèles Olficiers ; & perlbnne ne condamna ce nouvçl air de gran>-
denr (s).
Peu de jours après , il eut une autre occafion d'exercer fa fermeté ; fans
pouvoir écouter l'inclination qui le portoit à fufpendre le châtiment, lorf-
qu'il efperoit quelque fruit, de la patience ou de la diffimulation. Xicoten-
cati, dont il aimoit la valeur, & dans lequel il ne confideroit pas moins
l'attachement que fon Père avoit eu conflamment pour les Efpagnols, prie
tôut-d'un-coup la réfolution de fe retirer, avec deux ou trois Compagnies,
qu'il obligea, par fes infiances, de l'accompagner dans fa défertion. Il pa-
roît incertain fi c'étoit un relie de fes anciens reflcntimens, ou s'il avoit
reçu quelque nouvelle oflfenfe que fa fierté ne pût fupporter. On avoit f<;ii ,
depuis quelque tems, qu'il s'étoit emporté contre la conduite du Général,
& qu'il condamnoit l'entreprife du Siège de Mexico. Les Tlafcalans mê-
mes en avoient averti Cortez , qui s'étoit contenté , par ménagement pour
fon Père, ou pour la Republique, d'en donner avis aux Sénateurs. Cette
fage Aflemblée lui avoit répondu „que fuivant les loix de la Republique,
„ le crime de foulever une Armée contre fon Général méritoit la mort;
„ qu'il étoit libre, par conféquent, d'exercer la plus rigoureufe juflice con-
„ trele Chef de leurs Troupes , & que s'il revenoit à Tlafcala, il n'y fe-
„ roit pas traité avec plus de faveur (t) ". Cependant Cortez avoit ten-
té de le ramener par des voyes plus douces, jufqu'à lui faire offrir, par
quelques Nobles de Tezcuco , la liberté d'expofer fes raifons ou fes plain-
tes. Mais apprenant qu'il avoit fixé l'exécution de fon deffein à la nuit
fuivante, cette audace, à la veille de tirer l'épée pour la décifion de l'Em-
pire, lui parut d'une fi pernicieufe conféquence dans le Chef de fes plus an-
ciens Alliés, qu'il lui fit ordonner de venir fur le champ juflifier fa condui-
te. Non- feulement le fier Indien refufa d'obéir; mais dans le chagrin de
fe voir trahi pir fes propres Troupes, il joignit ouvertement l'infolence à
la révolte. Auffi-tôt Cortez détacha une partie des Efpagnols, avec ordre
de le faifir vif ou mort. On le trouva prêt à partir. Il fe défendit jufqu'au
dernier foupir; quoique foiblement fccouru par les Tlafcalans qui le fui-
voient. Aufll revinrent -ils dans leur devoir, après la perte de leur Chef;
& le Détachement Efpagnol les ramena paifiblement à l'Armée (v).
P£N«
Fernund
C 0 u T E 2,
I 5 2 I.
Rivolte dj
Xicotcncatl &
fa iniuiiion.
tes.
(j) Solis, Liv. 5. page 481 ^ précéden-
(t) Diaz & Salis, uhi fuprà
î») C'tft le récit de Diaz. • U ajoute feu-
lement que Xicotencatl , après avoir été tué, -
fut pendu au premier arbre, llcrrera pré-
tend qu'il fut amené Prifonnicr à Tezcuco,
OÙ Cortez, ufaut du pouvoir qu'il avoit re-
rtKWANn
CORTEZ.
Etat des
Brifiiintlns,
& forces de
Cortcz.
416 PREMIERS VOYAGES
PcndaKt CCS agitations, Lopez avoit mis la dernière main à Ton travail»
& les Brigantins le trouvèrent achevc^s. On intérelTa le Ciel au fuccès de
cette Marine, par des exercices de Religion, donc les exemples font rares
dans une Armée (x). Ënfuite Cortcz m la revue de Tes Eipagnols, donc
le nombre montoïc à neuf cens Hommes d'Infanterie bien armés , & qua-
tre-vingt -fix Cavaliers. L'Artillerie confiftoit en dix -huit pièces, trois
groiTes de fer & quinze fauconneaux Je bronze, avec une abondante pro-
vifion de poudre oc de balles. On mit, fur chaque firigantin, vingt «cinq
Efpagnols, fous un Capitaine (y), douze Rameurs Indiens, & une pièce
d'Ariillcric. Le refte de l'Armée fut partagé en trois Corps, qui dévoient
s'emparer des trois principales ChaulTées, c'eft-à-dire celles de Tacuba,
d'1/.tacpalapa & de Cuyoacan; fans s'attacher à celle de Suchimilco, parce
que réioignement de ce Porte pouvoit mettre trop de difficulté dans la com-
munication des ordres. Le premier Corps, compofé de cent cinquante Ef-
pagnols & trente Cavaliers, divifés en crois Compagnies, fous les Capi-
taines George d' Al varado , Giittiefes de Badajos , & André de Montaraz,
eut pour Commandant général Pierre d'Alvarado, & fut fouienu de trente
mille TIafcalans, avec deux pièces de canon. Le fécond, qui fuc confié à
Chriftophe d'Olid , pour attaquer la ChaufTée de Cuyoacan , étoit de cent
foixante Efpagnols &. trente Cavaliers , divifés aufli fous François Verdu-
go, André Tapia, & François de Lugo, & foutenus d'environ trente mil-
le Indiens alliés; Sandoval, troifième Commandant, & chargé de l'atta-
que d'Iztacpalapa, reçut le même nombre de Soldats & de Cavaliers Efpa-
gnols, fous les Capitaines Louis Marin & Pierre d'Ircio, deux pièces d'Ar-
tillerie & toutes les Troupes de Chalco , de Guacocingo & de Cholula , qui
montoient à plus de quarante mille Hommes (2). Alvarado & d'Olid par-
tirent enfcmble, pour fc féparer à Tacuba, où ils fe logèrent fans réfiftan-
ce. Toutes les Places qui touchoient au Lac étoient déjà défertes. Une
partie des Habicans avoient pris les armes pour aller défendre la Capitale;
çu du Sénat, le fit pendre en public. D'au-
tres fouticniient que les Efp.ijînols du Dtîta-
chenicnt le tuèrent ou le ptndircht après l'a-
voir pris, fuivant l'ordre fecrct du Général.
Solis fe déclare pour Diaz, inn- feulement
parce qu'il étoit pour lors à Tezouco, mais
parce qu'on doit juger, dit-il, «jue Cortcz
étoit trcp éclairé pour humilio' publique-
ment les Troupes Tlafcalanes pa.- le fuppli-
ce honteux de leur Chef. 11 ue pouvoit
ignorer la différence qu'il y a toujours en-
tre l'imprefiion de la vue & celle du récit
d'une aétion. Liv. 5. pages 485 £5" précé-
dentes.
( a:) Le Général & tous les Efpagnols com-
munièrent. On célébra une Méfie du Saint
Efprit. Olinedo bénit le corps des Valdcau.K,
en leur donnant à chacun leur nom. Il lui
étoit venu, avec le dernier fecours, un Vi-
caire , nommé Pierre Melgareio d'Urrea,
iVe'igimxI'rancifcjuain. Ibid. pag.486&487.
(y) Ne dérobbons point à l'Hiftolre les
noms de tant de braves Guerriers. Pierre
Barba, de Sevilic. Garcias Holguin, deCa-
zeres. Jean Portillo, de Portillo. JeanRo-
driguez de Villaforte , de Medellin. Jean
Jaramillo , de Sakaticrra. Michel Diaz
d'Aux , Arragonois. Frnnçois Rodriguez
Margarino, "de Merida. Chriftophe Flores,
de Valence. Antoine de Caravajal , de Za-
mora. Jérôme Ruiz de la Motta, de Bur-
gos. Pierre Briones, de Salamanque. Ro-
drigue Moreion de Lobera , de Médina del
Cainpo ; & Antoine Satelo de Zamora.
( a ) On fuit Herrera dans ce dénombre,
ment des Indiens alliés qui furent employés
aux trois attaiiues. Diaz n'en compte point
un fi grand nombre. Mais Sijis 1 accufe d'a-
voir eu la vanité d'attribuer toute la gloire
aux Efpagnols ; ce qui blcffc, dit -il, loulc
vraifcmblance , ubifuprà, page 489.
£ UN A M E R I <^ U E, Liv. I. ^tr
Se les autres s'étoient retirés dans les Montagnes, avec tout ce qu'iis a*
voient été capables d'emporter.
On fut informé, àTacuba, que les Mexiqiiains avcient des forces con-
fidérabies aux environs de cette Ville, pour couvrir les Aqueducs qui ve«
noient de la Montagne de Chapulteçeque, & qui fournifToient de l'eau à
Mexico. Les deux Commandans Lfpagnols forcirent aulTi-tôt, avec la
meilleure partie de leurs Troupes; & chaflant les Ennemis, de ce Pofle,
ils rompirent en plufieurs endroits les tuyaux de l'Aqueduc, dont l'eau fe
perdit alors dans le Lac. Cette expédition , qui fut regardée comme le
commencement du Siège, réduifit les Alliegés à la nécelîit'é de chercher
leur eau douce dans les Ruifleaux qui defcenJoient de la Montagne , &
d'occuper une partie de leurs Canots à l'efcorte des Convois. D'Olid fe ren-
dit enluite à Cuyoacan, qu'il trouva auffi fans défenfc.
CoRTEz, ayant lailfé à Sandoval le tcms de s'avancer vers Iztacpalapa,
fe chargea de la principale attaque, qui étoit réfervée aux Brigantins. Il
monta le plus léger, pour être en état de veiller fur tous les Polies & d'y
po-rer du fecours, accompagné de Dom Fernand , Cacique deTezcuco,
& de Suchitly Frère de ce Prince , jeune Homme plein d'efprit & de feu,
qui reçut le Ratême, après la conquête, fous le nom de Dom Charles. Les
treize Brigantins furent rangés fur une feule Ligne , parés de tout ce qui
pouvoit fervir à leur donner de l'éclat. Le deflein du Général étoit de
s'avancer d'abord vers. Mexico, pour s'y faire voir triomphant & Maître
abfolu du Lac. Enfuite il fe propofoit de rabbattre fur Iztacpalapa, où
l'entreprife de Sandoval lui caufoit d'autant plus d'inquiétude, que ce bra-
ve'Capitaine étoit fans Barques, & pouvoit trouver beaucoup d'ohftacle
dans la partie bafle de la Ville, qui fervoit continuellement de retraite aux
Canots des Mexiquains. En prenant cette route avec toute fa Flotte, il
découvrit, à peudediftance de Mexico, une petite Ifle, qui n'étoit qu'un
Rocher, mais dont le fommet étoit occupé par un Château aflez fpacieux,
d'où les Mexiquains, qui le gardoient, chargèrent les Efpagnols d'injures &
de menaces , comme d'un Pofle qu'ils croyoient à couvert de toute infulte.
Il jugea que cette infolence ne devoit pas demeurer fans punition , fur-tout
à la vue de la Capitale, dont les terraffes & les balcons écoient couverts
d'une multitude d'Habitans , qui obfervoient les premiers exploits des Bri«
gantins. Cent cinquante Efpagnols , à la tète defquels il defcendit dans
l'Ifle, montèrent au Château par deux fentiers, & l'attaquèrent (î vivement,
qu'après avoir fait main bafîe fur une partie de la Garnifon , ils forcèrent
le refle de fe fauver à la nage. - :'J , ■ )••! < '^ "
Cet exploit, qui les avoit retardés , fit naître un incident auquel ils
s'attendoient peu, & qui changea toutes les mefures du Général. On vit
fortir de la Capitale un grand Jiombre de Canots, dont les premiers s'avan-
cèrent d'abord avec lenteur , pour attendre ceux qui les fuivoient à la file.
On n'en avoit pas compté plus de cinq cens, à la première vue; mais lorf-
"u'ils eurent commencé à s'étendre, avec ceux qui s'y joignirent bientôt
le tous les lieux voifms, on ne douta point qu'ils ne fufTent plus de qua-
re mille. Ce fpeéiacle, relevé par le mouvement des rames & par l'éclat
les plumes & des armes, paruç magnifique & terrible aux veux des Ef-
Xnil Part. G g g ' ,pa.
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FSRNANS
CORTEZ.
I52I.
Ils en dé-
iruifenc un
grand nom-
bre.
ïlazards qui
(ionduifent
Cortez juf-
tju'au dernier
Pont de la
Chauffée.
418 P R E M I E. R S V 0/ Y A G ^ S^
pagnols, qui voyoient le Lac comme abîmé tout -d'un -coup devant eux»,
& changé dans une Plaine , où l'eau ne paroiflbit plus , fous tant d'Hommes
& de Bâtimens qui la couvroient.
Cortez , fans marquer la moindre émotion , & plein de confiance à la
force de fes Brigantins, fe hâta de les former en demi-lune, pour faire un
plus grand front à l'Ennemi, & combattre avec plus de liberté. Il s'avan-
ça, dans cet ordre , contre les Canots des Mexiquains. A quelque diftan-
ce , il fit prendre quelques momens de repos à fes Rameurs , avec ordre de
fondre enfuite à toutes rames dans le gros de la Flotte ennemie. Un cal-
me , qui s'étolt foutenu toyt le jour , n'avoit pas celle de donner de l'exer-
cice à leurs bras: & les Mexiquains, dans la vue apparemment de repren-
dre aufli des forces, firent la même manœuvre. Mais la Fortune, qui s'é-
toit déclarée tant de fois en faveur des Efpagnols, fit lever, dans l'inter-
valle, un vent de terre. Les Brigantins, poufTés par les voiles & les ra-
mes, tombèrent impétueufement fur cette foule épailfe de Canots, & com-
mencèrent un fracas, qui fe conçoit mieux qu'on ne peut le repréfenter.
L'Artillerie, les arquebufes & les arbalètes , qui tiroient fans perdre un
feul coup , les piques , qui faifoient une expédition terrible au paflage , la
fumée, que le vent portoit devant la Flotte , & qui obligeoit les Ennemis de
tourner la tête pour s'en défendre , le feul choc des Brigantins , qui couloit
à fond autant de Canots qu'ils en rencontroient , ou qui les brifoit en piè-
ces , enfin , tous les avantages que la faveur du vent joignoit à la valeur des
Efpagnols, leur aiTurèrent bientôt la Viftoire, avec aufli peu déporte que
de danger. Quelques centaines de Canots, remplis de Nobles, fe foutin-
rent néanmoins avec beaucoup de valeur; mais tout le reflie ne fut qu'u-
ne afifreufe confufion , entre des Malheureux qui fe précipitoient les
uns fur les autres, & qui fe renverfoient mutuellement dans leur fui-
te. 11 en, périt un fort grand nombre; & les débris de leur Flotte fu-
rent pourfuivis à coups de Canon & d'Arquebufe jufqu'à l'entrée de
Mexico (a).
Une Viéloire de cette importance rendit les Efpagnols maîtres de la
Navigation. Cortez retourna le foir à Tezcuco, pour y faire paflTer la nuit
aux Vainqueurs ; &. le lendemain , à la pointe du jour, il tourna fes voi-
les vers Iztacpalapa ; mais, dans cette route , il rencontra un Corps de Ca-
nots , qui ramoient avec beaucoup de vîtefl^e , du côté de Cuyoacan. Ses
allarmes pour d'Olid l'ayant fait voler à fon fecours , il le trouva fur la Di-
gue , réduit à combattre de front , contre les Mexiquains qui la défen-
doient, & des deux côtés, contre les Canots qui venoient d'arriver. La
néceffité avoit donné, à ces Barbares, des lumières qu'ils ne pouvoient ti-
rer de l'Art de la'Guerre, pour la défenfe de leurs Chauffées. Ils avoient
levé les Ponts iufqu'à la Ville, fur-tout dans les lieux où les courant du
grand Lac perdoient leur force, en paffant dans l'autre. Ils tenoient d[es
planches & des claies prêtes, pour s'en fervir à traverfer ces vuides; ,&
derrière fefpace, i's avoient élevé des tranchées, pour défendre les ap-
proches. Ces fortifications étant les mêmes fur les trois Chauffées , pn
avoit
(;») ■f^'rf- pages 495 & précédent».
i
EN A M E R I Q U E, Liv. I. 41^
avoit pris des mefures communes , pour détruire un ouvrage qui n'avoit de
redoutable que fa fituation. Les arquebufes & les arbalètes faifoient dif-
paroître ceux qui fe montroient fur la tranchée, pendant qu'on faifoit paf-
fer de main en main des fafcines pour combler le fofle; après quoi, l'on
faifoit avancer une pièce d'Artillerie, qui ouvroit le paflTage, & les débris
d'une Fortification fervoient à remplir le foffé de l'autre. D'Olid s'étoit
faifi de la première, lorfque les Canots Mexiquains étoient arrivés; & cet-
te attaque imprévue commençoit à lui caufer de l'embarras : mais à peine
eurent -ils découvert les Brigantins, qu'ils prirent la fuite. Cortez, exci-
té par les progrès du travail , le fit pouffer jufqu'au jour fuivant ; &
d'Olid fe trouva le matin au dernier Pont, qui donnoit un Paffagedans
Mexico. , , o , , .
On le trouva fortifié de remparts, plus hauts & plus épais que ceux
qu'on avoit renverfés. Les rues, qu'on découvroit facilement, étoient
coupées d'un grand nombre de tranchées, & gardées par tant de Trou-
pes , qu'il y avoit peu de prudence à rifquer l'attaque. Mais Cortez , fe
voyant engagé fans l'avoir prévu , jugea fon honneur intéreffé à ne pas fe
retirer fans quelque aftion d'éclat. Non- feulement, il fit une décharge de
toute fon Artillerie, dont le ravage fut terrible dans la foule des Habitans,
qui s'étoient raffemblés de toutes parts ; maisenmême-tems, d'Olid, ayant
rompu les Fortifications & comble le foffé, chargea ceux qui les défen-
doient, & gagna bientôt affez de terrein avec fon Avant-garde, i)our don-
ner le tems aux Alliés, qu'il avoit à fa fuite, de fe mettre en Bataille fur le
Quai. Les Mexiquains accoururent au fecours de leurs Ponts , & firent
une longue réfiftance; mais Cortez, fautant à terre avec une partie de fes
Efpagnols, échauffa fi vivement le combat par fa préfence, qu'après avoir
fait tourner le dos aux Ennemis, il fe vit maître de l'entrée d'une des prin-
cipales rues. Les Fuyards s'étoient jettes dans un Temple peu éloigné,
dont ils couvroient les Dégrés & les Tours, & d'où ils le déficient par
leurs cris. L'indignation de leur voir joindre tant d'infolence à leur lâche-
té, lui fit prendre la réfokition de les forcer dans cePofle. Il fe fit amener,
des Brigantins, quatre de fes meilleures pièces, dont le premier fracas mit
les Mexiquains en fuite & lui affura la poffeffion du Temple. Toutes les
Idoles furent jettées au feu, & leurs flammes fervirent comme de luflre à
laViaoire(ô).
La joye de fe revoir dans Mexico faifoit fouhaiter, au Général, lion-
feulement d'y paffer la nuit avec fes Troupes , mais de fe fortifier dans ce
Porte, pour refferrer les Ennemis , & pour y former fa principale atta-
que. Ses Officiers, auxquels il communiqua fou deffein, le combattirent
par des raifons fi fortes, qu'il ne fit pas difficulté de fe rendre à leur avis,
fur-tout en faveur de Sandoval & d'AIvarado , dont on ignoroit la fitua-
tion. D'Olid retourna le foir à Cuyoacan, fous l'ercorte des Brigantins,
qui ôtèrent aux Ennemis la hardieffe de l'inquiéter dans fa marche. Le
Général fe rendit le lendemain à Iztacpalapa, & trouva Sandoval, en ef-
fet, dans le befoin du plus prompt fecours. Il s'étoit emparé de la partie
de
(b) Ibid. pages 501 & précédentes.
Ggg 2
Fërnan»
Cortez.'
1521.
Cortex
pouflc les En-
nemis jufqucB
dans les rues
de Mexico.
Il fe faifîc
d'un Temple
&. brûle les
Idolcï.
f
lill
f ZRNANO
CoikTEZ.
1521-
Sandoval
prend porte
a Tepeaquil-
Nouvelles
mefurcsde
Corcez.
11 fait une
ïiottc de Ca-
hots.
iio PREMIERS VOYAGES
de la Ville qui étoit fur la Digue; mais fe voyant incommodé par les CS'*
nots des Ennemis, qui étoient demeurés maîtres de la partie bafle, & qui'-
ne'ceflbient pas leurs attaques, il avoit entrepris, le même jour, de s'éta-
blir dans quelques édifices, d'où fon Artillerie pouvoit les écarter. Il a-
voit pafle le Canal , à l'aide de plufîeurs fafcineî; & depuis quelques heu-
res, il s'étoit logé dans ce Pofte , avec une partie de Tes Efpagnols. A-
peine y étoit-il entré , qu'une multitude de Canots, qui fe tenoient en em-
bufcade, s'étoient avancés autour de lui; & jettant à l'eau des Plongeurs,
qui avoient écarté les fafcines, non-feulement ils avoient coupé le pafTage
an relie de fa Troupe , mais ils le tenoient lui-même aflliegé de toutes parts ,
& dans rimpcffibilité de faire fa retraite. Son embarras ne pouvoit être
plus preflant , lorfque Cortez , arrivant à pleines voiles , découvrft cette
foule- de Canots , qui occupoient tous les Canaux de la bafle Ville. Il fit
jouer fon Artillerie avec tant de fuccès, qu'il ne fut pas long-tems à les»
difliper; & les Mexiquains furent fi maltraités dans cette occafion, qu'ils-
commencèrent, fuivant Solis (c), à remarquer l'afïbibliflement de leurs
forces. On fit un butin confiddrable , dans la partie de la Ville qu'ils a-
voient occupée. Mais la vue d'une retraite , fi favorable aux Canots , per-
fiiada Cortez, que fans la ruiner entièrement il feroit impofliblâ de tirer lo
moindre avantage de cette Chauflïe ; & tous les délais étant dangereux»
pour les autres attaques, ilprit la réfolution d'abandonner ce Pofl:é,.&de
faire pafler Sandoval avec fes Troupes à celui de Tepeaquilla\ où la Digue
étoit moins large <& moins commode, mais plus utile au deflTein de couper,
à la Capitale , les vivres dont elle commençoit à manquer. Cet ordre fuc
exécuté auffi-tôt, à la vue des Brigantins, qui efcortèrent Sandoval jufqu'au
nouveau Pofle , où il fe logea fans réfifl:ance.
Le Général fit voguer alors vers Tacubà. Pierre Alvarado, qui étoit
chargé de cette attaque, l'avoit poufll'e avec divers fuccès, en détruifant
des remparts, en comblant des fofl^és, & s'avançant quelquefois jufqu'à
mettre le feu aux premières Maifons de Mexico ; mais il y avoit perdu pki-
fieurs Efpagnols, & fes avantages ne compenfoient point cette perte. Le
chagrin que Cortez en reiTentit lui fit juger que toutes les mefures, dans
lefquelhs il s'étoit renfermé jufqu'alors , répondoient mal à fon projet , &
qu'un 2iège, qui fe réduifoit à des attaques & des retraites, expofoit inu-
tilement fes Soldats & fa réputation. Ces tranchées, que les Mexiquains
relevoient fans ceffe, & la perfécution continuelle de leurs Canots j lui pa-
rurent, deux obftacles qui demandoient une nouvelle méthode. Il prit le
parti de fufpendre toutes les attaques , pour fe donner le tems de rafl^em-
bler ou de faire conftruire lui-même une Flotte de Canots , avec laquelle il
pût fe rendre maître de toutes les parties du Lac. Ses Alliés reçurent or-
dre de lui envoyer tous les Canots qu'ils avoient en réferve ; pendant que
'de fon côté il en fit bâtir un grand nombre à Tezcuco: 6c, dans l'efpace
de quelque jours, il en forma un gros redoutable, qu'il remplit d'Indiens,
fous des Capitaines de leur Nation. Il les divifa en trois Efcadres , donc
chacune devoit être foutenue de quatre J3rigantins j l'un pour Sandoval ,
fai'.'
«^
(,c) Page 504.
s
par les Ca-^
îfle , & qui'.
, de s'éta-
rter. Il a-
îlques heu-
agnols. A>
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Plongeurs ,
1 le paflage:
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^ille. Il fit
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ion, qu'ils-
nt de leurs
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mots, per-
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oflé,.&de
lù la Digue
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détruifant
fois jufqu'à
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perte. Le
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Mexiquains
)tSj lui pâ-
li prit le
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: laquelle il
eçurent or-
îendant que
ins l'efpace
: d'Indiens,
idres, donc
Sandoval ,
l'ui'.'
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
431
I :i
f antre pour Alvarado, & le troifième pour le conduire lui-même à d'Olid.
Auffi-tôt, les attaques furent reprifes avec plus d'ordre & de facilité. On
fit, nuit & jour, des rondes fur le Lac, pour arrêter les forties des Mexi-
quains. Leurs Canots n'eurent plus la hardiefle de fe montrer ; ou du moins
on enleva ceux qui tentèrent de pafler avec des vivres & de l'eau. D'Olid >
Alvarado & SandovaJ s'avancèrent en peu de tems jufqu'aux Fauxbourgs
de Mexico, & la face du Siège fut changée par ces heureufes expédi-
tions {d).
Cependant la diligence & l'induftrie ne manquèrent point aux Affié-
®gés. Ils fe réduifirent d'abord à faire leurs fo«ies pendant la nuit , pour
tenir les Efpagnols en allarme, & les fatiguer par l'inquiétude & les veilles*
Enfuite ils envoyèrent, par de longs détours, des Canots chargés de Pion-
niers, qui traverfant direclement le Lac, pendant qu'on- étoit attentif à ceux
qu'on entendoit fortir delà Ville, venoient nettoier, dans un inftant, les
fofles qu'on avoit eu beaucoup de peine à combler. Mais rien ne fait tant
d'honneur à leur adrefle, qu'un llratagême qu'ils imaginèrent contre les
Brigantins. Ils conflruifirent , dans la Ville, trentegrandes Barques, ren-
forcées de grofles planches , pour s'en faire comme un rempart , derrière
lequel ils pouvoient être à couvert. Une nuit fort obfcure fut celle qu'ils
choifirent , pour aller fe pofter dans quelques endroits couverts de grands
rofeaux, au travers defquels la vue ne pouvoit pénétrer. Ils y enfoncèrent
quantité de gros pieux, qui s'élevoient à fleur d'eau, & dont le feul choe
étoit capable de nuire aux plus grands Vaifleaux. Leur efpérance étoit
d'attirer, dans cette forêt de rofeaux & de pieux, quelques-uns des Bri-
gantins , qui alloient fucceflivement en courfe. Ils avoient préparé trois
ou quatre Canots chargés de vivres , pour les faire fervir d'amorce. En
effet, deux des quatre Brigantins de Sandoval donnèrent dans le piège,
fous le Commandement de Pierre de Barba & de Jean Portillo. La vue
des Canots , qui fe préfentèrent fort habilement , & qui feignirent de pren-
dre la fuite, excita fi vivement les Efpagnols , que s'élançant vers les ro-
feaux , à force de rames , ils donnèrent au travers des pieux. En même-
tems, les Mexiquains parurent dans leurs Barques, & vinrent à la charge
avec une réfolution desefperée. Barba & Portillo fentirent la grandeur du
danger. Ils voyoient les Brigantins comme immobiles; & le feul effort des
rames ne pouvoit les tirer de cette fituation. Ils prirent le parti de foute- '
nir le combat , pour occuper les Ennemis ; pendant qu'ils firent defcendre
quelques Plongeurs , qui écartèrent ou coupèrent les pieux , à force de bras
& de haches. La liberté qu'ils eurent bientôt de fe remuer les mit en état
de faire jouer leur Artillerie, & les Barques n'y refiftèrent pas long-tems:
mais la perte fut extrême pour les Efpagnols. Portillo fut tué dans le Com-
bat. Barba y reçut plufieurs coups de flèches, dont il mourut peu de jours
après; ôc peu de leurs gens échappèrent fans blefllires. Cortez, furieux
de cette difgrace, ne perdit pas un moment pour vanger deux Officiers qu'il
aimoic. Les Mexiquains, avec une folk fimplicité, qui répondoiî mal à
(f/) J^jW, pages 508 & Fï^cédcntcs.
Ggg 3
Fermant
Cortez*
1521.
AJveflc" i-
tonnante de 5
Mcxi^uaiUij»
Ven'gcnncC»'
de Coîte2,
I
I'brnand
CORTEZ.
I 521.
Il offre en-
core la Paix
aux Mexi-
quains.
Elle eu re-
jouée.
Triple nt
taque des Ef-
pagnols cou-
UC Mexico.
Obfiaclc
qu'ils ont à
vaincre.
422
PREMIERS V O Y A :G E S
leur invention, s'imaginèrent que leurs Ennemis pourroient donner deux
fois dans le même piège. Après avoir reparé leurs Barques, ils reprirent
leur Pofle entre les rofeaux. Le Général , averti de ce mouvement, n'em-
ploya contr'eux que leur propre rufe, c'eft-à-dire, qu'ayant envoyé à la file
lix Brigantins , qui fe portèrent la nuit fuivante dans un autre lieu couvert
de rofeaux, il engagea le Combat avec tant de fuccôs, qu'il détruifit pref-
qu'entiérement les trente Barques (e).
On eut, dans le même tems, divers avis de ce qui fe paflbit à Mexico,
parles Prifonniers qu'on faifoit continuellement aux attaques; & le Géné-
ral , apprenant que la foifi& la faim commençoient à preffer les Habitans , ®
apporta plus de foin que jamais à leur couper les vivres. Mais , pour don-
ner un nouvel éclat à la jullice de fes armes , il rendit la liberté à deux ou
trois des principaux Prifonniers, en les chargeant de dire à l'Empereur
qu'il lui offroit la Paix , avec promefTe de ne rien entreprendre fur fa Cou-
ronne, à la feule condition qu'il s'engageât à reconnoître la Souveraineté
du Roi d'Efpagne , dont les droits étoient fondés, entre les Mexiquains ,
fur leur tradition & l'autorité de leurs Ancêtres. D'autres Prifonniers rap-
portèrent que Guatimozin avoit reçu cette propofition fans orgueil, &
qu'ayant aflemblé tous fes Caciques, il leur avoit repréfenté le miférable état
de la Ville , avec des témoignages d'attendriffement qui fembloient mar-
quer de l'inclination pour la Paix. Tout ie Confeil étoit entré dans les
mêmes fentimens ; à l'exception des Sacrificateurs , qui les avoient com-
battus avec la dernière opiniâtreté, en feignant que leurs Idoles leur pro-
mettoient la Viéloire. Le refpeél , dont ils étoient en pofleffion , avoit ra-
mené tous les Caciques à leur avis; & l'Empereur, poufle du même efprit,
malgré divers préfages par lefquels il croyoit fa ruine annoncée , avoit fait
publier qu'il puniroit de mort ceux qui auroient la hardiefle de lui propofer
la Paix (/).
CoRTEz ne fut pas plutôt informé de cette réfolution , qu'il entreprit
d'attaquer enlnême tems Mexico par les trois Chauflees , & de porter le
fer & le feu jufqu'au Palais Impérial. Après avoir envoyé fes ordres aux
Portes de Sandoval & d'Alvarado, il fe mit avec d'Olid à la tête des Trou-
pes de Cuyoacan. Les Ennemis avoient r'ouvert leurs fortes , & relevé les
autres Fortifications de la Digue : mais l'Artillerie des cinq Brigantins de ce
Porte rompit aifément de fi foibles remparts, tandis que les Troupes de
terre combloient les fofles. Ainfi Cortez trouva d'abord peu d'obftacles.
Mais il fut arrêté par des embarras d'une autre nature , près du dernier
Pont , qui touchoit au Quai de la Ville. Les Mexiquains avoient coupé la
Chaufl^ée, dans un efpace d'environ foixante pieds de longueur ; ce qui a-
voit fervi à rendre l'eau plus haute & plus groflTe vers les Quais. Le bord,
du côté de la Ville, fe trouvoit fortifié de deux ou trois rangs de poutres
& de groffes planches , liées par des traverfes & de longues chevilles ; &
cette redoutable barrière étoit défendue par une multitude innombrable de
Soldats. Cependant quelques décharges de l'Artillerie la renverfèrent, a-
vec
(î) Ibtd, pages 514 & précédentes.
(/) Bill, page 51(5.
irl)
EN A M E R I Q U E, Liv. I.
.423
1 , avoit ra-
i
vec un fracas, qui en rendit les débris mortels à quantité de Mexiquains.
Les plus avancés, fe voyant à la bouche de ces terribles machines, dont la
flamme & le bruit les effrayoicnt autant que l'exécution dont ils avoient été
témoins, reculèrent fur ceux qui les fuivoient, & les forcèrent de rentrer
avec eux dans la Ville. Le Quai, fe trouvant nettoyé dans un infiant,
Cortez fit approcher les Brigantins , & les Canots de fes Alliés , pour gagner
la terre avec fes Troupes. Il fit pafler fa Cavalerie par la même voye.
Trois pièces d'Artillerie, ru'il fit débarquer, lui parurent fuffire àfon en-
treprife.
Avant que d'aller aux Ennemis , qui fe montroient encore derrière quel-
ques tranchées , il chargea Julien Alderete d'employer tous fes foins à ré-
parer l'efpace rompu de la Chauflfée, fous la proteélion des Brigantins, qui
continuoient de border le Quai. Le Combat ayant commencé dans les pre-
mières Rues, Alderete, échaufi^é par le bruit des Armes, ëc craignant peut-
être que remploi de combler & de garder un foflc ne fît tort à fa gloire,
tandis qu'il voyoit fes Compagnons aux mains, fe laiffa tranfporter par une
ardeur indifcréte. Toute la Troupe qu'il commandoit le fuivit au Com-
bat ; & ce folTé , qu'on n'avoit pu traverfer en arrivant , fut abandonné a-
vec une imprudence qui coûta cher aux Efpagnols. Les Mexiquains fou-
tinrent les premières attaques. Qa força néanmoins leurs tranchées , mais
avec beaucoup de perte, & le danger devint beaucoup plus grand, lorf-
qu'après être- entré dans les Rues, on eut à fe garantir des traits & des
pierres qui pleuvoient des terraflies & des fenêtres. Mais, dans la plus vi--
ve chaleur de l'Aftion , Cortez crut s'appercevoir que celle des Ennemis fe
relâchoit; & ce changement parut venir de quelque nouvel ordre, qui leur
fit abandonner le terrein , avec la dernière précipitation. C'étoir affez pour
faire naître le foupçon de quelque nouvelle rufe. Le jour étoit avancé, &
les Efpagnols n'avoient que le tems de retourner à leur Qiiartier. Cortez,
qui ne pouvoit encore penfer à s'établir dans la Ville, & qui n'avoit eu def-
fein que d'y répandre la terreur, donna l'ordre de la retraite, en profitant
néanmoins de celle des Ennemis, pour faire abbattre & brûleries Maifons
voifmes du Quai , d'où il ne vouloit plus que leurs traits & leurs pierres pûf-
fent fincommoder dans Ces attaques. On fut éclairci, dans la fuite, du
motif qui avoit fait difparoître les Mexiquains ,• & l'événement même en
donna dp triftes indices. Guatimozin avoit appris que la grande ouverture
de la Digue étoit abandonnée; & fur cet avis il avoit fait ordonner, à fes
Capitaines, de fe retirer avec leurs Troupes, pour retourner vers le Quai ,
par d'autres Rues, & pour charger les Efpagnols à leur paflage. Aufli
Cortez n'eut-il pas plutôt tourné le dos à la Ville, que fes oreilles furent
frappées par le fon lugubre d'un inflrument, qui portoit le nom de Toc/infa-
cré , parce qu'il n'étoit permis qu'aux Sacrificateurs de le fonner , pour
annoncer la Guerre , & pour anjmer le cœur des Mexiquains à la dé-
fenfe de leurs Dieux. On entendit auflTi - tôt d'eflfroyables cris ; & les Ef-
pagnols, qui compofoient l'Arrière-garde, virent tomber fur eux des Lé-
gions d'Ennemis.
Les Arquebufiers firent tctej (S{ Cortez, fuivi des Cavaliers, repoufla
les
F E R » A N I>
Cortez.
1521-
Iinprudcrice
funeftc aux
Efpaguoh.
Us font for !:
maltraités en
repaflant la
Digue.
Sanglant i
if
rnnNAND
CORTEZ.
152 1.
Perte des
Efpagnols.
Autre perte
du côté de
Sandoval &
d'Alvarado.
RéjoiHfTan-
ces des Me-
xiqiiains. Ils
tacrifient les
Prifonnicrs
Efpagnols.
4H
PREMIERS VOYAGES
les premiers efforts de cette impétueufe attaque. Mais , n'étant inflriiic
qu'alors de l'indifcrétion d'Alderete , il tenta inutilement de rallier fes Trou-
pes & de les former en Bataillons. Ses ordres furent mal entendus ou peu
refpeélés. Les Indiens, qu'il avoit fait marcher vers la Digue, fe précipi-
tèrent confufément dans l'ouverture. Les uns paflbient fur les Brigantins
& dans les Canots; les autres, en plus grand nombre, fe jettèrent dans
l'eau , où ils trouvoient des Troupes de Nageurs Mexiquains , qui les per-
çoient de leurs dards , ou qui les étouffoient au fond du Lac. Cortez fou-
lenoit encore ces Furieux , qui continuoient de le preffer ; mais fon Cheval
ayant été tué fous lui, il fe vit forcé, pour conferver fa vie, d'accepter
l'offre de François Guzman , qui lui préfenta le fien , & de fe retirer vers
les Brigantins , fur lefquels il arriva couvert de fang & de playes. Cette
généreufe aélion coûta la liberté à Guzman. Quarante Efpagnols furent
enlevés comme lui par les Mexiquains , & tous les autres revinrent dange-
reufement bleffés. On perdit mille Tlafcalans, & la meilleure des trois
pièces d'Artillerie.
Le chagrin du Général fut plus dangereux pour fa vie, que la multitu-
de de fes bleffures. 11 ne pouvoit fe confoler de la perte de Guzman &
des quarante autres Efpagnols. Alderete, pénétré de douleur, à la vue de
tant de maux, qu'on ne pouvoit reprocher qu'à lui, offrit fa tête pour l'ex-
piation de fon crime. Il reçut une vive réprimande aux yeux de toute l'Ar-
mée; mais Cortez ne jugea point à propos de faire un exemple, qui ne lui
parut propre qu'à décourager fes plus braves Guerriers. Son affliélion re-
doubla le jour fuivant, lorfqu'il apprit qu'Alvarado & Sandoval avoient
perdu vingt Efpagnols (g^ dans leurs attaques; & tous les avantages, qu'ils
y avoient remportés , lui parurent un foible dédommagement pour une fi
grande perte. Il fallut fufpendre les attaques. On fe réduifit à ferrer plus
étroitement la Place, pour couper le paflage des vivres, pendant les foins
qu'on étoit obligé de donner à la guérifon des Bleffés (/>).
Les Mexiquains célébrèrent leur Vidloire avec des tranfports de joye.
Tous les Quartiers de la Ville furent éclairés, pendant la nuit, par de grands
feux. On entendit le fon des inflrumens militaires, qui fe répondoient en
différens Chœurs; & les Temples jettant un éclat particulier, qui paroiffoic
accompagner quelque cérémonie barbare, on ne douta point que cet appa-
reil
((§■) On fuit Diaz. Horrera fe contente
de dire que Cortez perdit ce jour-là foixante
Efpagnols.
(h , Tous les Hiftoriens rapportent qu'on
employa , dans cette occafion , une pratique
qu'ils reconnoilTent contraire aux principes
de la Religion , mais qui elt quelquefois per-
mife, fuivant Solis, lorfqu'elle e(î employée
par de bons motifs. On ne peut croire, a-
Joute-t'ij, pour la juflifier ici, que le Démon
concourut à guérir les Efpagnols , qui ne
^'occupoient qu'à lui faire la Guerre. Il é-
toit quoltion d'un peu d'huile «Si de quelques
vcjfets de l'Ecriture Sainte, feu! moyen pnr
lequel on guéri (Toit les playes en fort peu de
tems. C'ed ce que le Peuple appelle en Et"
pagne curar por Enfalmn; & en France, gué-
rir du Seeret. Diaz, qui avoit été témoin
de ces merveilleufes opérations, les attribiic
à un Soldat , nommé Jean Catalano. Herre-
ra prétend qu'on en fut redevable à une Fem-
me Efpagnole, nommée Ifabelle Rodrigui^z.
Solis fe déclare pour le premier. Un autre
concilie tout, en difant que le remède fut
donné par une Femme, & employé par un
Soldat.
: E N A M E R I Q U E, Liv. I. 425
reil ne regardât les Prifonniers Efpagnols , & qu'ils ne fuflent facrifiés cet-
te nuit aux Dieux de l'Empire. Quelques Soldats , qui s'avancèrent vers
le Quai dats des Canots , crurent entendre les cris de ces malheureufes Vic-
times , & reconnoître même ceux qui les pouiToient. „ Pitoyable fpefta-
„ cle, s'écrie Solis, qui frappa peut-être leur imagination plus que leurs
„ oreilles & leurs yeux; mais li funefte & fi fenfible, que Cortez, & tous
„ ceux qui fe trouvèrent près de lui , ne purent entendre ce récit fans ver-
„ fer des larmes (»')"•
GuATiMoziN tira plus heureufement , defon propre fond, un artifi-
ce, dont le mêmeHiftorien juge que le plus grand Capitaine auroit pu s'ap-
plaudir. Il fit courir le bruit que Cortez avoit été tué dans fa retraite; &
cette idée n'eut pas peu de force pour infpirer un nouveau courage au Peu-
ple, avec l'efpérance de fe voir promptement délivrés. Les têtes des Ef-
pagnols facrifiés furent envoyées dans toutes les Villes voifines, comme des
témoignages fenfibles d'une Viftoire qui devoit les ramener à l'obéiflance.
Enfin , pour confirmer ces heureux préfages , on publia que le Dieu des Ar-
mes^ principale Idole du Mexique, adouci par le fang des Viftimes Ef-
pàgnoles, avoit annoncé, à l'Empereur, d'une voix . intelligible, que la
Guerre finiroit dans huit jours , & que tous ceux qui mépriferoient cet
avis périroient dans l'intervalle {k). Guatimozin hafardoit cette impofture ,
dans la confiance qu'il avoit à fes derniers avantages; & fe perfuadant, en
eflfet, que la faveur de fes Dieux avoit commencé à fe déclarer pour lui, il
eut TadreiFe d'introduire, dans le Camp des Alliés de Cortez, plufieurs E-
miflaires qui répandirent les mêmes menaces. Les Oracles du Dieu des
Armes avoient une réputation fi bien établie dans toutes ces Contrées ,*
que les Indiens des différentes Nations étoient accoutumés à les refpedter.
Un terme fi court frappa leur imagination, jufqu'à les déterminer auffi-tôt
à quitter les Efpagnols; & dans l'efpace de deux ou trois nuits, tous leurs
Quartiers fe trouvèrent abandonnés. Les TIafcalans mêmes délogèrent
avec le même desordre , à l'exception de quelques Nobles, fur lefquels la
crainte n'agiflbit pas moins, mais qui fembloient préférer l'honneur à la
vie. Cortez, allarmé d'un incident qui entraînoit la ruine de fon entre-
prife, jugea le remède d'autant plus difficile, qu'il ne connoiflbit point en-
core la nature du mal. Mais après s'être heureufement éclairci, il fehâta
de faire fuivre les Déferteurs , pour les engager à fufpendre du moins lei"*
marche jufqu'à la fin des huit jours, en leur faifant confiderer que ce di 'ai
ne changeroit rien à leur fort , & les afTurant d'ailleurs qu'ils regréti/oit nt
de s'être laiffés tromper par de faulTes prédirions. Ils confentirent à patJer
le refle de la femaine dans les lieux où ils s'écoient arrêtés ; & reconnôiilant
enfin leur illufion , ils revinrent à l'Armée , avec ce renouvellement de har-
diefle & de confiance , qui fuccede ordinairement à la crainte. Dom Fer-
nand, Cacique de Tezcuco, avoit envoyé, aux Troupes de fa Nation, le
Prince fon Frère, qui les ramena le huitième jour, avec de nouvelles le-
vées , qu'il trouva prêtes à le fuivre. Les TIafcalans , retenus par la crain-
te
(i) Solis, Liv, 5. page 526. (*) Ihid. pages 27 & a8.
_ XniLPart. Hhh
FeRW AIfft
C o a T E z.
1521.
Artifices de
l'Empereur
& fes effets.
Cortez eft
abandonné de
fes Alliés.
Comment it
les rappelle.
rSKNAND
CORTEZ.
152 X.
11 fe voit
deux cens
mille lloin
mes fous fes
ordres. Jonc-
tion des Oto-
mies.
Murmures
du Peuple de
Mexico.
Les Efpa-
jnols par-
viennent à fe
loger dans
Mexico.
42(J PREMIERS VOYAGES
te de leur Sénat, autant que par les repréfentations de Cortez, ne s'étoient
pas beaucoup éloignés; mais la honte étok ciipable de retarder leur retour,
lorfqu'ils virent arriver un nouveau fecours que leur Republiqu^j envoyoit
à Cortez. Ils s'unirent à ce Corps, pour venir reprendre leur Quartier; &
le Général, feignant de confondre les Fugitifs, avec ceux dont il devoit
louer le zèle , afFeéla de leur faire le même accueil.
Ces Reciues, qui augmentoient conlidérablement les forces des Efpa-
gnols, & les honteufes relfources de l'Empereur, qui trahiflbient fa toi-
blelTe & fon embarras, portèrent quelques Nations neutres à fe déclarer
en faveur ; de Cortez. La plus conlidérable fut celle des Otomies; Mon-
tagnards féroces, qui confervoient leur liberté dans des retraites inacceffi-
bles, dont la ftérilité & la mifére n'avôient jamais tenté les Mexiquains
d'en entreprendre la conquête. Ils avoient toujours été rebelles à l'Empi-
re , fans autre motif que leur averfion pour le fafle & la molefle. On ne
nous apprend point quel nombre de Troupes ils amenèrent aux Efpagnols ;
mais Cortez fe vit encore une fois à la tête de deux cent, mille Hommes , &
pafla , fuivant l'expreflion de Solis , d'une furieufe tempête au plus agréable
calme (/).
Les Mexiquains n'étoient pas demeurés dans l'inadlion , pendant que
leurs Ennemis avoient fufpendu les hollilités. Ils avoient fait de fréquen-
tes forties , la nuit & le jour ; fans caufer à la vérité beaucoup de mal aux
Efpagnols , pour qui la feule préfence des Brigantins étoit un rempart aflii-
ré contre les Canots. On apprit, de leurs derniers Prifonniers, que la ra-
reté des vivres augmentant, dans la Ville, les murmures du Peuple & des
"Soldats commençoient également à s'y faire entendre; que la malignité de
l'eau du Lac , à laquelle on étoit réduit , y faifoit périr beaucoup de mon-
de, & que le peu de vivres qu'on y recevoit, par quelques Canots, qui
échappoient aux Brigantins, étant partagé entre les Grands , c'étoit un nou-
veau fujet d'impatience pour le Peuple, dont les cris alloient fouvent juf-
qu'à faire trembler l'Empereur pour fa fureté. Cortez afTembla tous fes
Officiers, pour délibérer fur ces avis. Toutes les opinions fe réunirent,
non-feulement à continuer les attaques, mais à recommencer celles des
trois ChaulTées, avec l'elpérance de prendre pofle dans la Ville, & la
réfolution de s'y maintenir. Les Corps des trois Portes reçurent ordre
de s'avancer, à toutes fortes de rifques, jufqu'à la grande Place, qui fe
nommoit Tlateluco, pour s'y joindre, & pouffer leurs attaques fuivant l'oc-
cafion.
Après avoir fait une abondante provifion de vivres, d'eau, & de tout
ce qui parut néceffaire à la fubfiftance des Troupes dans une Ville où l'on
manquoit de tout, les trois Capitaines fortirent de leurs (Quartiers , à la pre-
mière clarté du jour. Chacun étoit foutenu par fes Brigantins & fes Ca-
nots; Ils trouvèrent les trois Chauffées en défenfe, les Ponts levés, les
Foffés ouverts , avec un auffi grand nombre d'Ennemis, que fi la Guer-
re eût commencé de ce jour. On apporta les mêmes foins à furmonter les
mê-
(/) Ibidem, page 531,
EN AMERIQUE, Liv. I. 427
mêmes obflacles, &.les trois Corps arrivèrent prefqu'en même-tems à la
Ville. On s'avança facilement jufqu'à l'entrée des Rues, où les Maifons
ctofent ruinées. 'Les Ennemis, desefpéranc de fe foutenir dans ce Porte,
Icmbloient avoir remis leur défenle aux fenêtres & aux terraffes. Mais les
Efpagnols n'employèrent ce premier jour qu'à faire des logcmens, & à fe
retrancher dans les ruines des Maifons, avec le foin d'établir leur fClreté
par des Sentinelles & des Corps avancés (m).
Cette conduite jetta les Mexiquains dans la confternation. Elle rom-
poit les mefures qu'ils avoient prifes pour charger l'Ennemi dans fii retrai-
te; & la naiflance d'un mal imprévu leur fit mettre beaucoup de précipi-
tation dans les remèdes. Tous les Caciques s'afl'emblèrent au Palais Impérial.
Ils fupplièrent Guatimozin de fe retirer plus loin du péril. Les uns, ne pen-
fant qu'à la fureté de leur Maître, demandoient qu'il abandonnât la Ville.
D'autres vouloient fortifier fon Palais; & quelques uns propofèrent de dé-
loger les Efpagnols , des Portes , dont ils s'étoient faifis. Guatimozin em-
brafla le plus généreux de ces trois partis, & prit la réfolution de mourir
au milieu de fes Sujets. Il donna ordre que toutes les Troupes de la Ville
fuflent prêtes, le lendemain, à fondre fur les Ennemis. Elles s'avan-
cèrent, à la pointe du jour, vers les trois Quartiers Efpagnols, où l'on
étoit déjà informé de leur mouvement. L'Artillerie & les Arquebufes , qui
avoient été difpofées fur toutes les avenues, en abbattirent un fi grand
nombre, que tous les autres, perdant l'efpoir d'exécuter l'ordre de leur
Maître , ne penfèrent qu'à fe retirer. Leur retraite laifTa tant de champ
libre aux Efpagnols, qu'ils s'avancèrent l'épée à la main; &, fans autre fa-
tigue que celle de pouflTer des Ennemis qui ne ceflbient pas de reculer, ils
fe logèrent plus avantageufement pour la nuit fuivante.
D'autres difficultés les attendoient. Ils fe virent obligés d'avancer pas
à pas, en ruinant les Maifons, & de combler une infinité de tranchées,
que les Ennemis avoient tirées au travers des rues. L'ardeur du travail a-
brégea le tems. Dans l'efpace de quatre jours , les trois Commandans fe
trouvèrent à la vue du Tlateculo, par difi'érens chemins, dont cette Place
étoit comme le centre. La Divifion d'Alvarado fut la première qui s'y éta-
blit, après avoir chaiïé quelques Bataillons, que les Ennemis y avoient raf-
femiîlés. On découvroit, à peu de diftance , un grand Temple, dont les
Tours & les Dégrés étoient occupés par une foule de Mexiquains. Alva-
rado , ne voulant rien laiffer derrière foi , fit avancer quelques Compa-
gnies, qui nettoyèrent facilement ce Porte, tandis qu'il mit le refte de fes
Troupes en Bataille, dans la Place, pour y faire un logement. La précau-
tion , qu'il eut en même tems , d'ordonner qu'on fît de la fumée au fom-
met du Temple, ne fervit pas moins à guider la marche des autres Capitai-
nes, qu'à faire connoître la diligence & le fuccès de la lienne. Bientôt la
Divifion d'Olid, commandée par Cortez même, arriva au même lieu; &
la foule des Mexiquains, qui fuyoient devant elle, venant fe jetter dans
le Bataillon d'Alvarado, y fut reçue à coups de piques <Sc d'épées, qui en
firent
(m) Solis, Liv. 5. Cbap. 24.
Hhh 2
Kern AND
C O R T E ?,
1521.
Confufioii
clans le Con-
fcil de l'Em-
pereur.
Vaine atta-
que des Me-
xiquains.
Les Efpa-
gnols avan-
cent jufqu'au
centre de Me-
xico.
C;irnn!^e
dos Mexi-
quains.
k I
11
FiRNANU
CORTBZ.
I52I.
Les Indiens
alliés veulent
manger leurs
corps.
Humanité
de Cortez.
Il ofFre en-
<lore la paix.
Situation
«lu Quartier
de rempc-
leur.
Trêve de
trois jours.
Evéneincns
3u'elle pra-
aie
428 P R E M I E 11 S V O Y A G E S
firent périr un grand nombre. Ceux qui fuyoicnt devant Sandoval eurent
le même fort, & la Divillon de ce Cominandant ne îarda point à joindre
les deux autres (n). Alors tous les Enn mis, qui occopoient les autres
Places & les Rues de communication , ne doutèrent point que le dcflcin des
Efpagnols, dont ils voyoient les forces réunies, ne fût d'attaquer l'Empe-
reur dans fon Palais. Ils s'emprellerent de courir à fadéfcnf^; & cette
perfuafion donn;i letems, au Général, d'établir avancagcufement tous fes
Portes. *On employa quelques Compagnies des Alliés à jetter les JVIorts
dans les plus grands Canaux ; mais il fallut mettre des Commandans Efpa-
gnols à leur tête, pour les empêcher de fe dérobbcr avec leur charge, &
d'- ri faire ces abominables feftms, qui étoient la dernière Fête de leurs vic-
toires (0). Cortez envoya ordre, aux Officiers des Brigantins & des Ca-
nots, de courir inceflamment d'une Digue à l'autre, & de lui donner avis
de tous les mouvemens des Afliégés. Il diftribua fes Troupes avec tant
d'intelligence, qu'à la faveur de cette difpofition, il leur promit le repos
dont elles avoient befoin pour la nuit. En effet, il ne fut troublé que par
les fupplications de plulieurs Troupes d'Habitans, demi-morts de faim, qui
s'approchoient fans armes, pour deman:ler des vivres, en oflrant de ven-
dre leur liberté à ce prix. Quoiqu'il y eût beaucoup d'apparence qu'ils a-
voient été chaffés des autres Quartiers, comme des bouches inutiles, ils
firent tant de pitié à Cortez, qu'il leur fournit quelques rafraîchi flemens,
poar leur donner la force d'aller chercher leur fubfiflance hors des murs (/»).
Le jour fuivantfit découvrir un grand nombre de Mexiquains armés, dans
les rues dont ils étoient encore en pofleflion ; mais ils n'y étoient que pour
couvrir divers ouvrages, par lefquels ils vouloient fortifier leur dernière re-
traite. Cortez, ne leur voyant aucune difpofition à l'attaquer, fufpendic
aufli la réfolution de marcher à l'afl^aut. Il fe flatta même de leur faire goû-
ter de nouvelles propofitions, dans une extrémité qui devoit leur donner
d'autant plus de confiance pour fes oifres , qu'elles pouvoient leur faire con-
noître que fon intention n'étoit pas de profiter de fes avantages pour les
détruire. Il chargea de cette Commiflion trois Prifonniers d'un nom con-
nu; & vers le milieu du jour, il en conçut quelque efpérance , lorfqu'il
vit difparoître les Troupes qui gardoient les Rues.
Le Quartier, où Guatimozin s'étoit retiré avec fa Nobleffe & fes plus
fidèles Soldats, formoit un angle fort fpacieux, dont la plus grande partie
étoit entourée des eaux du Lac. L'autre, peu éloignée du Tlateluco,- a-
voit été fortifiée d'une circonvallation de groifes planches , garnies de faf-
cines & de pieux, & d'un profond fofle, qui coupoit toutes les Rues voi-
fmes. Cortez, ayant pafle la nuit fuivante aufli tranquillement que la pre-
mière, s'avança le lendemain dans les Rues que les Ennemis avoient abaa-
données. Toute la ligne de leurs fortifications étoit couronnée d'une mul-
titude innombrable de Soldats, mais avec quelques marques de paix, qui
coa-
Cn) Ibid. page 538 & précédentes.
(0) Les Hirtoriens remarquent qu'on ne
put arrêter tout-û-fait le mal, & qu'on dilU'
mula ce qu'il fut impoflîlile d'empâdier.
{p) Soiis, ubij'up-à, page 539..
EN A M E R I Q U K, Li V. r. ' 42g
coiifilloient dans le filence de leurs inflrumcns militaires, &dans l'intcrrup-
lion de leurs cris. 11 s'approcha deux fois à la portée des flèches , après
avoir donne ordre, aux Efpagnols qui le fuivoient, de ne faire aucun mou-
vemenc d'attaque. Les Mcxiquains baifl'èrent leurs armes; & ce repos,
qui fut accompagné du même filence, nc»/f.ji lailla aucun doiire qucfes ou-
" - ■' -^ ''^-^ttribuer , ne fullent agréables
tVorts, pour cacher ce qu'ils
-e qu'ils ne manquoient ni de
er publiquement, fur leurs
qui tendoient les bras, de
e feeours. Pendant trois
plufieurs de leurs Capi-
les plus braves Efpagnols.
I'brnanb
Coûtez.
1521.
verturcs de paix , auxquelles il crut dcvc
à toute la Nation. Il remarqua autfi lei.
fouffioient de la faim, & pour faire co*
vivres, ni de réfolution. Ils aifetiiloient dti
terrafles, & de jetter leurs reftes aux Habr
l'autre côté du fofle, pour recevoir ce
jours, oui fe palîerent dans cette efpèce dei
taines fortirent de l'enceinte & vinrent d(
Leurs inftances duroient peu ; & la plupart lenutoient de repafler le foflfé ,
lorfqu'on fe difpofoit à leur répondre. Mais ils fe retiroient aufli contens
de leur bravade, qu'ils l'auroient été de la viftoire (q}.
Dans cet intervalle, le Confeil de l'Empereur n'avoit pas ceite de déli-
bérer iur les propofitions de Cortez , & la plupart des Caciques avoient
marqué du penchant pour la Paix. Elle n'avoit trouvé d'oppofition que de
la part des Sacrificateurs, qui croyoient leur ruine attachée à l'alliance des
Efpagnols. L'adrelFe , avec laquelle ils fçurenc mêler les promefles & les
menaces de leurs Dieux, fit prévaloir enfin le parti de la Guerre; & l'Em-
pereur déclara que fon refpeél pour la Religion l'obligeoit de fe rendre à
leur avis: mais, avant que de rompre la trêve, il ordonna qu'une partie
ci la Noblefle, avec tous les Canots qu'il avoit autour de lui, fe rendiflent
dans une efpèce de Port que le Lac formoit derrière fon Palais. C'étoit une
reflburce qu'il ménageoit pour fa retraite , fi la fortune l'abandonnoit dans
fes derniers efforts. Cet ordre fut exécuté avec tant de bruit & de confu-
fion , que les Capitaines des Brigantins s'apperçurent aufli - tôt du mouve-
ment qui fe faifoit fur la Digue. lis en informèrent le Général , qui péné-
tra facilement l'objet de ces nouvelles mefures. Il dépécha fur le champ
San*-
Défis &
combats jiai-
ticuHcvs.
Lc3 Sacrifi-
cateurs por-
tent 1 Knipc-
rcur ù la guer-
re.
( 5 ) Il y eut néanmoins quelques combats
particuliers, qui ne tournèrent point à leur
ronneur. Diaz raconte qu'un de ces Avan-
wriers , armé de Tépée & du bouclier de quel-
que Efpagnbl qui avoit été facrifié , s'appro-
cha fort hardiment du Quartier de Cortez, &
répéta plufleurs fois fon défi avec beaucoup
d'arrogance. Plufieurs Efpagnols oflfrirent
de fe mefurer avec lui. Cortez les arrêta ;
& dans fon indignation , il lui fit dire , par
un Interprète, que s'il vouloir fe faire ac-
compagner dfc dix autres Mexiquains, on per-
mettroit qu'un jeune Efpagnol , qu'on lui
montra, les combattît tous enfemble. Ce
jeune Homme, âgé de feize ou dix-fept ans,
étoit un Page de Cortez , & fe nommoit Jean
Nugnez de Marcado, Le Mcxiquain parut
Hhh
Irrité d'un lailgage fi méprifànt , & recom-
mença fes bravades avec plus d'infolcnce.
Alors , Marcado , qui crut que ce combat le
regardoit, depuis que fon Général l'avoitdé-
figné , fe dérobba fi légèrement qu'on ne put
le retenir. Il paffa de même ie foflTé qui bor-
doit le Quartier; & chargeant le Mcxiquain,
avec autant de force que de courage, il le
perça d'un coup qui le fit tomber mort à fes
pieds. Cette aftion , qui eut pour témoins
quantité d Ennemis & d'Efpagtiols , lui atti-
ra les applaudi ficmcns des deux Partis. Il
revint aux pieds de fon Maître , avec l'épée
& le bouclier du V^aincu. Cortez, charmé
de fa valeur , l'embrafTa plufieurs fois , & lui
ceignit de fa main l'épée qu'il avoit gagné fi-
noblement.
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430
PREMIERS VOYAGES
•F E R N A N D
C O R T E Z.
I 5 2 !•
N(5goci;i-
tion <iui fc
forme au mi-
lieu dis ar-
mes.
L'Empe-
reur trompe
les Efpagnols.
Sandoval, avec la qualité de Capitaine Général des Brigantins, & la com-
milHon exprefle d'affiéger le Port avant la fin du jour. Enfuite, ayant dif-
pofé fes l'roupes au Combat, il s'approcha des Fortifications, pour hâter
la conclufion de la Paix, par les menaces d'une fanglante Guerre.
Les Mexiquains avoient déjà .reçu l'ordre de fe mettre en défenfe , &
leurs cris annoncèrent la rupture du Traité. Ils fe préparèrent au Combat
avec beaucoup de réfolution ; mais , les premiers coups de canon leur ayant
fait connoître la foibleffe de leurs remparts , ils ne virent plus que le péril
dont ils étoient menacés. On ne fut pas long-tems fans voir paroître quel-
ques Drapeaux blancs, & fans entendre répéter, en Elpagnol, le nom de
Paix, quils avoient appris à prononcer. Cortez leur fit déclarer, par fes
Interprètes , qu'il étoit tems encore de prévenir feffufion du fang , & qu'il
écouteroic volontiers leurs propofitions. Après cette afllirance , quatre Mi-
niftres de l'Empereur fe préfentèrent fur le bord du foffé , en habits qui
répondoient à leur office. Ils faluèrent les Efpagnols , avec de profondes
humiliations,' & s'adreflanc au Général, qui s'avança aufli fur le boid op-
pofé, ils lui dirent que le puiflant Guatlmozin , • leur Empereur, fenfible
aux mifères de fon Peuple, les avoit nommés pour traiter Be bonne foi;
qu'il fouhaitoit la fin d'une Guerre également funefle aux deux Partis , &
qu'il n'attendoit, que les explications du Général Efpagnol pour hii envoyer
les fiennes. Cortez répondit que la Paix étoit l'unique but de fes armes , &
que malgré le pouvoir qu'il avoit d'employer la force contre ceux qui tar-
doient fi long-tems à connoître la raifon, il revenoit volontiers au Traité
qu'on avoit rompu; mais que pour abréger les difficultés, il lui paroiffoic
néceffaire que l'Empereur le lailfât voir , accompagné , s'il le deliroit,de fes
Minidres & de fon Confeil; que les Efpagnols accepteroient toutes les con-
ciliations qui ne bleiferoient point l'autorité du Roi leur Maître ; & qu'ils
engageoient leur parole, non-feulement de finir les hoftilirés, mais d'em-
ployer toutes leurs forces au fervice de l'Empereur du Mexique. Les En-
voyés fe retirèrent avec toutes les apparences d'une vive fatisfaftion ; &
Cortez fe hâta d'envoyer ordre à Sandoval , de fufpendre l'attaque du Port.
Un quart d'heure après , les mêmes Officiers reparurent au bord du foifé ,
pour affurer le Général que l'Empereur viendroit le lendemain avec fes prin-
cipaux Miniftres; & qu'ayant la Paix fort à cœur, il ne fe retireroit point
fans l'avoir conclue (r).
CfPENDANT il ne penfoit qu'à faire traîner la négociation en longueur,
pour fe donner le tems d'embarquer fes richeffes & d'affurer fa retraite.
Ses Envoyés revinrent à l'heure qu'ils avoient marquée ; mais ce fut pour
donner avis qu'un accident, furvenu à l'Empereur, ne lui permettoit de"
fortir que le jour d'après. Enl'uite l'entrevue fut remife, fous prétexte
d'ajuftçr quelques préliminaires de bienféance, & d'autres formalités. Qua-
tre jours fe paflerent en vaines cérémonies : & l'Hiflorien le plus déclaré
pour Cortez convient , qu'après tant d'expériences de la perfidie des Mexi-
quains , il fe défia trop tard de leurs artifices. Le fond qu'il faifoit fur un
en-
ir) SoUs, Liv,5. pages $^6 (^précédentes, ' ' ' '' '
'f 4
vî E ISr A M E R I Q U E, Liv. r.
431
engagement, auquel il croyoit Guatimozin forcé par fa fituation , lui avoit
fait prendre des mefures pour le recevoir avec éclat ; & ce foin paroît l'a-
voir occupé tout entier. Aufli n'appric-il ce qui fe paflbit fur le Lac, qu'a-
vec un tranfport de colère, & des menaces, par lefquelles il s'eiforça, fu^
vant Solis, de déguifer fa confufion.
Le matin du jour marqué pour la conclufion du Traité, Sandoval recon-
nut qu'un grand nombre de Mexiquains s'erabarquoient à la hâte, fur les
Canots qu'ils avoient reffemblés dans leur Port. Il en fit avertir auffi-tôt le
Général; tandis qu'aflemblant fes Brigantins , qui étoient difperfés en dif-
férens Polies , il leur recommanda de fe tenir prêts à tout événement.
Bientôt les Canots ennemis fe mirent à la rame. Jls portoient la Noblefle
Mexiquaine & les principaux Chefs des Troupes de l'Empire , qui s'étoient
déterminés à combattre les Brigantins , pour favorifer, au prix de leur
fang , la fuite de l'Empereur. Leur delîein , après le fuccé» de cette di-
verfion, étoit de fe difperfer par autant de routes qu'ils avoient de Ca-
nots, & d'attendre le tems de la nuit pour le fuivre. Ils exécutèrent leur
entreprife en voguant droit aux Brigantins, & les attaquèrent avec tant de
furie, que fans paroître eflPrayés du premier fracas de l'Artillerie, ils s'a-
vancèrent jufqu'à la portée de la pique & du fabre. Pendant qu'ils com-
battoient avec cet emportement, Sandoval obferva que fix ou fept grandes
Barques s'éloignoient a force de rames. Il donna ordre à Garcie Holguin,
qui commandoit le Brigantin le plus léger, de les fuivre avec toute la dili-
gence des rames & des voiles, & de les attaquer à toutes fortes de rifques,
mais moins pour les endommager que pour les prendre. Holguin les poufla
fi vigoureufement, qu'ayant bientôt aflez d'avantage pour tourner la proue,
il tomba fur la première, qui paroiiFoit commander toutes les autres. El*
les s'arrêtèrent comme de concert. Les Matelots Mexiquains hauHerent
leurs rames; & ceux de la première Barque pouffèrent des cris confus,
dans lefquels plufieurs Efpagnols , qui commençoient à favoir quelques
mots Mexiquains, crurent démêler qu'ils demandoient du refpeft pour la
Ferfonne de l'Empereur. Leurs Soldats baiifèrent les armes; & cette fou-
miffîon fervit encore mieux à les faire entendre. Holguin défendit de
faire feu: mais abordant la Barque, il s'y jetta, l'épée à la main, avec quel-
ques Efpagnols.
Guatimozin, qui étoit effeftivement à bord, s'avança le premier; &
reconnoiffant le Capitaine à la déférence qu'on avoit pour lui , il lui dit ,
d'un air affes^ noble, qu'il étoit fon Prifonnier, & difpofé à le fuivre fans
réfiftance , mais qu'il le prioit de refpeâer l'Impératrice & les Fem-
mes de fa fuite. Il exhorta cette Princefle à la confiance , par quel-
ques mots qui ne furent point entendus. Enfuite , il lui donna la main
pour monter dans le Brigantin; & s'appercevant qu'HoIguin regardoit
les autres Barques avec quelque embarras, il lui dit; „ k)yez fans in-
„ quiétude: tous mes Sujets viendront mourir aux pieds de leur Prince".
En effet, au premier ligne qu'il leur fit, ils laiflerent tomber leurs armes;
& fe reconnoiffant Prifonniers par devoir, ils fuivirent tranquillement le
Brigantin*
San-"
C 0 R T E Z.
1521.
II prend la
fuite.
lléfolution
dcCiiNobldla
pour le faii-
ver.
Il eft pris
par Garcie
Holguin.
Sa fermeté.
"432
PREMIERS VOYAGES
Ternand
.C o R T e z.
1521-
l.a guerre
cefTc aulli-tôt.
Cortez va
au-devant
de l'Einpe-
reiu:.
Circondan-
ces de leur
entrevue.
Sandoval continuoit de combattre, & s'appercevoit , à la réfiftance
des Caciques, qu'ils étoient réfolus de Tarréter, aux dépens de leur vie.
Cependant leur valeur parut les abandonner, auflî-tôt qu'ils fe crurent cer-
Ains de la captivité de l'Empereur. Ils palfèrent, en un inftant, de la fur-
prife au desefpoir ; & les cris de Guerre fe changèrent en gémiflemens la-
mentables. Non-feulement ils prirent le p?rti de fe rendre, mais la plû<
part s'empreflerent de pafîer furies Brigantins, pour fuivre la fortune de
Jeur Maître. Holguin, qui avoit dépêché d'abord un Canot à Cortez, paffa
dans ce moment à la v^e de Sandoval; & voulant conferver l'honneur de
conduire fon Prifonnier au Général, il évita de s'approcher des Brigantins,
dans la crainte d'être arrêté par un ordre auquel il n'auroit pas obéi volon-
tiers. Il trouva l'attaque des tranchées commencée dans la Ville, & les
Mexiquains employés de toutes parts à les défendre. Mais l'infortune de
l'Empereur, qu'ils apprirent bientôt de leurs Sentinelles, leur fît tomber
les armes des mains. Ilsfe retirèrent, avec un trouble, dont Cortez ne
pénétra pas tout-d'un-coup la caufe, & qui ne fut éclairci qu'à l'arrivée du
Canot d'Holguin. Dans le premier mouvement de fa joye , Solis lui fait
lever les yeux vers le Ciel , comme à la fource de tous les fuccès humains.
Son premier foin fut d'arrêter l'ardeur de fes Troupes , qui commençoient
k traverfer le fofle. Enfuite, ayant envoyé deux Compagnies d'EfpagnoIs
.au bord du Lac , pour y prendre Guatimozin fous leur garde , il s'avança
lui-même après eux, dans le feul deflein de lui faire honneur, en allant le
recevoir affez loin (s).
Il lui rendit, en effet, ce qu'il crut devoir à la Majeflé Impériale; &
Guatimozin parut fenQble à cette attention du Vainqueur. Lorfqu'ils fu-
rent arrivés au Quartier des Efpagnols, toute la fuite de ce Monarque s'ar-
rêta d'un air humilié. Il entra le premier, avec l'Impératrice. Il s'affit
un ihflant; mais il fe leva prefqu'aufTi-tôt, pour faire affeoir aufTi le Géné-
ral. Alors , demandant les Interprêtes, il leur ordonna, d'un vifage affez
ferme, de dire à Cortez „ <Ju'il s'étonnoit de le voir tarder fi long-tems à
„ lui ôter la vie ; qu'un Prilbnnier de fa forte ne caufoit que de l'embar-
„ ras après la Viéloire, & qu'il lui confeilloit d'employer le poignard qu'il
„ portoit au côté , pour le tuer de fa propre main". Mais, en achevant
ce difcours , la confiance lui manqua , & fes larmes en étouffèrent les der-
niers mots. L'Impératrice laifTa couler les fiennes avec moins de réferve.
Cortez, attendri lui-même de ce trifle fpeftacle, leur lailTa quelques mo-
mens pour foulager leur douleur, & répondit enfin „ que l'Empereur du
„ Mexique n'étoit pas tombé dans une difgrace indigne de lui; qu'il
„ n'étoit pas le Prifonnier d'un Cimpls Capitaine, mais celui d'un Prin-
„ ce fi puiffant, qu'il ne reconnoifToit point de Supérieur au Monde,
„ & fi bon , que le grand Guatimozin pouvoit efpérer , de fa clemen-
„ ce, non - feulement la liberté, mais encore la paifible pofTefîion de
„, l'Empire Mexiquain , augmenté du glorieux titre de fbn amitié; &
qu'en attendant les ordres de la Cour d'Efpagne, il ne trouveroit
point
{ 0 Solis, Liv. ^. pages 554 ^ précédentes i Herrera, Dec, 3. Liv,
î»
I.
'fi/;.
^ ENAMERIQU E, Liv. I. 433
„ point de différence entre la foumiffion des Efpagnols & celle de Tes
„ propres Sujets".
GuATiMoziN étoit âgé d'environ vingt-quatre ans. Sa taille étoit haute
& bien proportionée. Il avoit le teint d'une blancheur , qui le faifoit pa-
roître Etranger au milieu des Indiens. Mais quoique Tes traits n'euflent
rien de desagréable, une majeftueufe fierté, q[u'il afFeftoit de conferver
dans fon malheur, fembloit plus propre à lui attirer du refpeft que de l'af-
feàion ou de la pitié. L'Impératrice étoit àpeu-près du même âge. Elle
intéreflbit d'abord par la grâce & la vivacité de Tes manières ; mais fon
vifage n'avoit qu'un premier air de beauté , qu'il ne foutenoit pas , &
qui laiflbit découvrir de la rudefle dans fcs traits. Elle étoit Nièce de
Motezuma ; & Cortez ne l'eut pas plutôt appris , que lui renouvellant
fes offres de fervice, il déclara hautement que tous les Efpagnols dé-
voient refpeéler, dans cette Princeffe , la mémoire & les bienfaits de fon
Oncle (0-
On vint l'avertir que fans continuer le Combat les Mexiquains fe mon-
troient encore fur leurs remparts, & qu'on avoit peine à retenir l'empor-
tement des Alliés. Il mit fes Prifonniers entre les mains de Sandoval : &.
îans s'expliquer avec eux, il fe difpofoit à partir, pour achever lui-même
de foumettre la Ville ; lorfque l'Empereur , pénétrant la raifon qui l'obli-
geoit de fe retirer, le conjura fort ardemment de ménager le fang de fes
Sujets. Il parut même étonné qu'ils n'euffent pas quitté les armes après
avoir fçû qu'il étoit au pouvoir des Efpagnols; & reprenant toute fa li-
berté d'efprit, il propofa d'envoyer un Miniftre^e l'Empire, par lequel il
promit de faire déclarer , aux Soldats & au Peuple , qu'ils ne dévoient point
irriter les Efpagnols , qui étoient maîtres de fa vie , & qu'il leur ordonnoit
de fe conformer à la volonté des Dieux , en obéiffant au Général étranger.
Cortez accepta cette offre; & le Miniflre n'eut befoin que de paroître,
pour les difpofer à la foumiffion. Ils exécutèrent aufli promptement l'ordre
qu'ils reçurent, de fortir fans armes & fans bagage; & le nombre de Trou-
pes, qui leur refloit après tant de pertes (v), caufa beaucoup de furprife
aux Efpagnols. Cortez défendit , fous les plus rigoureufes peines , qu'on
leur fît la moindre infulte dans leur marche; & fes ordres étoient fi refpec-
tés, qu'on n'entendit pas un mot injurieux de la part de tant d'Alliés, q^i
avoientles Mexiquains en horreur (x).
Toute l'Armée entra, fous fes Chefs, dans cette partie de la Ville, &
n'^r trouva que des objets funefl:es; des Bleffés & des Malades, qui deman-
doient la mort en grâce , & qui accufoient la pitié des Vainqueurs. Mais
rien ne parut plus effroyable, aux Efpagnols, qu'un grand nombre de Cours
& de Maifons défertes , où l'on avoit entaffé les cadavres des Morts , pour
célébrer leurs funérailles dans un autre tems (y). Il en fortoit une in-
fe6tionj
Ferna yn-
Cortex.
152 I.
Portrait Je
Guatimo/iii
& de rimi'é-
ratricc.
Trnnquilli-
té qui renaît
dans Mexico.
Trifle état
de cette Vil-
le.
(t) SoRs, page 555. Quelques Relations
la font fa Fille; ce qui paroît alfez {prouvé
rians la fuite.
(v ) Soixante-dix mille Honunes.
Xnil. Part. I
(.V) Ibîd. page 557.
(y) Tous les Hiftoriens font monter la
perte des Mexiquains , dans la feule Capita-
le, à plus de cent vingt mille Hommes, Cor-
i i ''7-
FCRNAND
CORTKZ.
152 1'
Covtc7. fou-
met facilc-
mein le rcflc
de l'Empiri;,
& d'autres
Contrtics voi-
fincs.
Jaftice
qu'on lui
rend en Efpa-
gnoe
434
PREMIERS VOYAGES
feftion , qu'on crut capable d'empefter l'air : ce qui fit prendre à Cortez le
parti de hâter fa retraite. Il diftribua les Troupes d'Alvarado & de Sando-
val dans les Quartiers de la Ville, où la contagion lui parut moins dangereu-
fe ; & bientôt il reprit le chemin de Cuyoacan , avec celles d'OIid & fcs
Prifonniers.
Telle fut la fin du Siège de Mexico (2), & la Conquête abfolue d'un
Empire , dont toutes les Provinces , entraînées par l'exemple de la Capitale,
fe réunirent fous la domination de Cortez. Jufqu'alors , il n'avoit connu la
grandeur de fon entreprife, que par les difiicultés qu'il avoit eues à fur-
monter; mais la foumilïïon volontaire d'un grand nombre de Provinces, &
la découverte de quantité d'autres Pays, qu'il eut peu de peine à réduire,
lui apprirent mieux que jamais l'importance du fervice qu'il avoit eu le bon-
heur de rendre à fa Patrie. On n'en porta point un autre jugement en
Europe ; & pendant qu'il s'employoit à rétablir le calme parmi tant de
Nations qu'il avoit fubjuguées, à rebâtir Mexico & plufieurs autres Villes,
à confirmer Tes Etabliilemens pardesLoix, en un -mot, à jetter les fon-
démens de l'ordre qui règne aujourd'hui dans fes Conquêtes, & dont
l'Article fuivant contient la defcriptipn , tous les efforts de la haine & de
l'envie («) ne purent empêcher qu'on ne lui rendît juftice, à la Cour d'Ef-
pagne.
L'Empereur Charles, libre enfin des grandes occupations qui Tavoient
retenu en Allemagne, crut fa gloire intéreflfée à terminer un différend , dont
il fe reprocha d'avoir abandonné la connoiffance à fes Miniflres. L'Eve-
que de Burgos, qui s'étoit déclaré l'Ennemi de Cortez, comme il l'avoit
été des Colombs, fut éloigné du Confeil. Un Tribunal, compofé des plus
grands Perfonnages (è) de l'Efpagne, eut ordre d'éclaircir les ténèbres
qu'on avoit jettées fur les droits de la valeur & de la fortune. Les Agens
des
tez n*avoit perdu que cinquante Efpagnols&
fix. Chevaux , dans la dernière attaque : mais
la perte de fes Alliés fut d'environ huit rail-
le Hommes.
(s) On fixe le jour au 13 d'Août, Fête
de Saint Hippolyte, qui en efl devenu JePa-
tr<9h de la Ville. L'anniverfaire d'un fl grand
événement s'eft célébré depuis par une Pro-
cefllon folemnelle, où l'on porte la princi-
pale Enfeigne de l'Armée viftorieufe. Le
Blocus de la Ville avoit duré trois mois ; mais
on ne compte que quatre-vingts jours de Siè-
ge, pendant lefquels il y eut foixante Com-
bats fangians. Herrera , Dec. 3. Liv. 2.
Cbap. 8. Solis, qui termine ici fonHiftoire,
paraît perfuadé que les Mexiquains furent
épargnés après leur reddition : mais Diaz
& Herrera déclarent nettement que la Ville
fut abandonnée au pillage, & que tous les
Alliés de Cortez partirent chargés de ri
d'autres circonftances de fa Viftoire.
(») Diego deVelafquez, Gouverneur de
Cuba, tenta encore de lui ôter le fruit de
fes travaux , par une Flotte confiderabie qu'il
arma contre lui fous le commandement de
Chriilophe Tapia; mais elle trouva Cortez
fi bien affermi , qu'elle n'ôfa rien entrepren-
dre. François Garay remua auffi du côté de
Panuco, & fut vaincu dans une Bataille.
D'ailleurs i'Ëvêque de Burgos & les £mif>
faires de Velafqucz ne ceflbient point d'agir
en Efpagne.
(.6) Solis nomme pour Préfident, Mercu-
re de Gattinara , grand Chancelier d'Efpagne,
& pour Confeillers , Hernand de Vega ,° le
grand Commandeur de Caftille, le Dofteur
Laurent Galindez de Carvajal, François de
Vargas , Camerier de Sa Majefté , & le Doc-
teur Rofe, Flamand & Miniftre d'Etat. Diaz
^ ^.. & Herrera fe trompent en y joignant JM. de
cheflès. On verra , 'dans la Defcrfption , ce la Chaux , qui étoil moit depuis ua an A Sf||>
qui lui revint desTïéfors de l'Empereur, & ragolTe,. .
EN AMERIQUE, Liv. I.
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9*
435
des deux Partis aififlèrent à toutes les Aflemblées. On lut leurs Mémoires.
Ils furent interroges; ils répondirent. Enfin, quelques jours de délibéra-
tion mirent les Commiflaircs en état de juger „ que Velafquez, n'ayant
point d'autre titre fur la Nouvelle Efpagne que celui d'avoir fait quel-
que dépenie pour cette entreprife & d avoir nommé Cortez, fea-préten-
tions dévoient fe réduire à la reflitution de ce qu'il y avoit employé ,
après avoir prouvé que ces avances étoient de fon propre bien , & n'a-
voient point été priles fur les effets royaux , dont il avoit la difpofition
dans fon Gouvernement; que la nomination de Cortez lui donnoit d'au-
tant moins de droit fur la gloire & le profit de la Conquête, que fans la
participation de l'Audience Royale de l'Ille Efpagnole, dont il auroit dd
recevoir les ordres, elle avoit manqué de force & d'autorité; que d'ail-
leurs il étoit déchu de fon pouvoir, le jour qu'il avoit révoqué Cortez;
& que cette révocation ayant détruit fon unique Titre, qui confiftoit
dans fes premiers fraix, il avoit laifle à Cortez la liberté de fuivre fes
propres vues pour le fervice de l'Efpagne , fur-tout depuis que cet illuftre
Avanturier avoit levé , à fes dépens , la plus grande partie de fes Trou-
pes, & qu'il avoit équipé la Flotte viélorieufe, ou de fon propre fond,
ou de l'argent qu'il avoit emprunté de fes Amis ". Ces Conclufions fu-
rent envoyées à l'Empereur, qui ne différa point à les approuver; & pat
une Sentence folemnelle , on impofa un éternel filence à Diego de Velaf-
quez fur la Conquête de la Nouvelle Efpagne, avec réferve néanmoins de
fes droits pour les premiers fraix de l'Armement. '^11 fut il couché d'une
nouvelle fi funede à fon ambition , & d'une Lettre de l'Empereur , qui
condamnoit fa conduite , qu'il ne furvécut pas long-tems à cette double in-
fortune. Garay n'obtint point un traitement plus favorable. Il fut blâmé,
par le même Tribunal , d'avoir ôfé former des entreprifes fur la Nouvelle
Efpagne, & forcé de renoncer pour jamais à fes prétentions (c).
Cortez, aufli triomphant par la difgrace de fes Ennemis, que par les
faveurs dont il fut comble perfonnellement, fe vit honorer, non-feulement
des titres de grand Capitaine & de fidèle Sujet de Sa Majeilé , mais de la
dignité de Gouverneur & de Viceroi de la Nouvelle Efpagne, avec unç
exhortation, de la main de l'Empereur, à terminer glorieufement fes tra-
vaux, dans l'efpoir certain d'une recompenfe égale à fes fervices. Martin
Cortez, fon Père, reçut les gages de cette promeffe par diverfes marques
d'une conddération diflinguée; & tous les Guerriers, qui avoient eu parc
à l'Expédition , fe reffentirenc de la reconnoiffance de leur Maître. On fit
efpérer, au nouveau Gouverneur, des fecours qui lui furent envoyés fidè-
lement. Toutes ces faveurs furent confirmées par le Sceau Impérial , le
22 d'Oélobre 1522. Deux des Envoyés de Cortez (i), chargés de ces
agréa-
(c") Solis, Liv. 4. pages 362 (^précéden-
tes. Herrera, Décad. 3. Liv. 2.
(d) Outre ceux dont on a vu !es noms,
il avoit fait partir, après la prifede Mexico,
pour porter à l'Empereur la principale par-
tie de fon butin , cri plaques d*or On pré-
tend que d'Avila fut pris aux Terceres par
un Corfaire François , qui le conduifit en
Fernani»
Cortez.
15^1.
Jugement.
I 5" 2 2;
Il avuii lait ^aiLii , a^i\.o la pmc lie iVlCXlLU , Ull V^uriUUC rrUllÇUlii , qui IC tUlJUUUit 1-11
Alfonfe d'Avila & Antonio de Quinones, France, & que François i , .voyant le tréfor
^.\; J ^l\ll '" iii 2 <i''''^
43<5 PREMIERS VOYAGES EN AMERIQUE, Lxv. I.
Fbrnand agréables dépêches, mirent à la voile auflltôt pour Vera-Cruz ; âc les au*
CoRTEz. jj.gj j^Q furent retenus en Efpagne, que pour prendre le Commandement de
15*2. ]a Flotte qu'on lui deftinoit.
Revers de CEPENDANT après avoir joui, pendant quelques années , de fa Gloire &
fuit"TT' ^ ^^ ^* Fortune, il fe vit rappeller en Europe, fur quelques accufations, qui
Avamures? ^^ mirent dans la nécefTité de judifier fa conduite. On ne laifla point de le
recevoir svec la plus haute diflinflion. L'Empereur le créa Marquis de!
Falle, Terre Mexiquaine d'un revenu condderable, & lui fit l'honneur de
le vifiter, dans une maladie, dont il eut beaucoup de peine à fe rétablir.
Il retourna même aux Indes , avec le titre de Capitaine Général de la Mer
du Sud , & l'ordre de poufler les découvertes. Mais celle de la Californie»
qu'on lui verra faire avec la même grandeur d'ame, âc qui lui coûta une
partie de fon bien , ne le fauva point d'une nouvelle difgrace qui le fit mou-
rir dans l'humiliation. Ce récit appartient à d'autres tems.
qu'il portoit en Efpagne , lui dit „ Vdtre
„ Maître & le Roi de Portugal ont partagé
„ entr'eux le Nouveau Monde , fans penfer
â mol. Je voudrois qu'ils me Ment voir
le Teftament d'Adam, d'oii ils tirent ap-
,. paremment leur droit ". D'Âvila n'en ob-
tint pas moins la liberté d'achever fon Voya-
ge ; mais Quinones étoit mort dans fa navi-
gation. Peu de tems après , G^rtez , en-
voyant un autre préfenc à l'Empereur, y
>»
joignit une Coulevrine d'un môiange d'or &
d'argent, qu'il avoit nommée le Phénix, &
qui portoit cette infcription :
yfoe Nacio fin par .''
To en ferviros fin fegundo,
T vos fin ygual en mundo.
c'c(l-à-dire ; „ comme le Phénix e(l un Oifeau
„ fans pareil, de même perfonne ne vous
„ fert comme moi, & vous n'avez point d'ë-
„ gai au Monde ", > > .
HISTOIRI
H I S T O I R E
GÉNÉRALE
DES VOYAGES,
Depuis le commencement du xv™« Siècle.
DIXHUITIÈME PARTIE.
LIVRE SECOND.
Premiers VoyageSi Découvertes, et Etablis»
semens des européens en amériq.ue.
DESCRIPTION DU MEXIQUE, ou de la NOUVELLE
ESPAGNE.
;NE première Defcription du Continent de l'Amérique fem-
bleroit demand'-r oour introdu6lion , quelques remarques
fur la pofition géu ' aie de ce Nouveau Monde, fur fon éten-
due, & fur le rapport de fes parties avec celles du Monde,
ancien, c'eft-à-dire avec l'Afie, l'Europe & l'Afrique. Mais
fi l'on confidère que jufqu'ici les Européens font comme à
rentrée d'une fi vafte Région, « que tout ce qui n'étoit pas découvert a-
lors, ou qui ne l'étoit qu'imparfaitement, par des effais & des conjeétures,
doit encore paffer ici pour inconnu , on approuvera que l'idée d'un meil-
leur ordre me faife remettre, à d'autres tems, des Obfervations qui fuppo-
fent d'autres lumières. Comment juger, comment efpérer de fe faire en-
tendre en jugeant , d'une infinité de lieux dont on doit fe figurer que l'e-
xiftence & les noms font encore ignorés ? C'efl: donc nar dégrés qu'il faut
conduire un Lefteur à ces connoiffances ; comme c'eft par dégrés que les
Voyageurs y font parvenus: & le jour ne fera pas plutôt répandu fur la to-
tfilitfi de l'objet, qu'il en fera dillinguer aiîement toutes les parties.
lu 3 T':.
Description
DB LA Not;i
V£LLE Eirt'
CNS.
^^^
DBfcnTrTTOïi
ne LA Nou-
V£LLF. ESI'A-
CNE.
Siiuntion &
bornes de la
Nouvelle Ef-
pagiic.
Ses divi-
fions.
Trois Au-
diences 6c
vingt-deux
Provinces.
438 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Je me crois ici borné, comme on IVcolt au tems que je reprcfente, à la
dividon générale qui didingue l'Amérique en deux gj^andes moitiés , Tune
Septentrionale, & l'autre Méridionale {a). Les Elpagnols , en entrant
dans le Pays auquel ils donnèrent le nom de Nouvelle Efpagne^ ne purent
ignorer qu'il étoit dans la première. Lorfque leur Conquête les eut
mis en état d'en connoître l'étendue , ils obfervèrent bientôt qu'il efl: fitué
entre les fept & trente degrés de Latitude du Nord, & entre les deux cens
foixante-trois & deux cens quatre-vingt-quatorze de Longitude; que dans
fa plus grande étendue, qui eft du Nord- Oued au Sud Ouefl:, il contient
plus de lix cens lieues, & que la largeur, qui efl fort irrégulière, n'en a
pas plus de deux cens cinquante. Mais c'cfl: dans la fuite qu'ils lui ont re-
connu pour bornes , au Nord , la grande Contrée qu'ils orft nommée iVoM-
vcau Mexique,, & celle que les Franyois ont nommée la Loutjîanc; au Midi,
la Mer du Stid; & au Couchant, la Mer vermeille. Du côré de l'Orient, par
lequel ils étoient venus, ils ne pouvoient douter qu'il n'eût la Mer qui
a pris le nom de Golfe du Mexique ^ & Vljîhme du Darien, qu'ils avoîent
déjà découvert.
Ce ne fut pas tout d'un coup qu'ils apprirent aufTi le nombre & la divi-
fion des Provinces de l'Empire Mexiquain , foit de celles qu'ils avoient trou*
vées aftuellement foumifes à l'Empereur Motezuma, foit de plufieurs autres
qui avoient fecoué le joug , fous fon règne ou fous celui de ks Prédécef-
feurs. Il ne paroît pas même que leurs Ecrivains en ayent jamais eu d'exac-
te connoiflance; & quoique la plupart fe trouvent nommées dans les Rela-
tions, c'efl: avec fi peu d'ordre & de clarté,, que pour fe former une jufle
idée de ce grand Empire, on efl obligé de fuivre la nouvelle divifîon , c'efl-
à-dire, celle qui fut établie parCortez& fes SucceiTeurs, dans laquelle une
partie des anciens noms ont été confervcs.
Les Efpagnols ont divifé la Nouvelle Efpagne en trois Gouvernemens ,
qu'ils appellent /ludiences,, ou Governacions, & qui contiennent enfemble
vingt-deux Provinces, mais qui reconnoiffent toutes l'autorité d'un feul
Viceroi. i. L'Audience de ikr<?a;/Vo , qui efl la première , & dont la fîtua-
tion efl au milieu des deux autres , efl compofée de fept Provinces : celle
même de Mexico; Mechoacan.; Panuco; Tlafcala; Cuaxaca; Tabafco;
Yucatan. 2. L'Audience de Guadalaraja , fltuée au Couchant d'Eté de
Mexico, contient aufïï fept Provinces : celle de Guadalajara ; Los Zacate-
cas; Nueva Bifcaia, ou Nouvelle Bifcaie; Cinaola; Culiacan; Chiamet-
lan; Xalifco, ou Nouvelle Galice. 3. L'Audience de Guatimala, fituéeà
l'Orient d'Hiver de Mexico , renferme huit Provinces; Soconufco; Chia-
pa; Vera Paz; Guatimala j Honduras, ou Hibueras; Nicaragua; Coda-
Ricca, &Veragua. - , v; ^
(a) On remarquera , dans un autre lieu, les premiers Ecrivains la priiTcnt de la Ligne
que cette divifion fe prend aujourd'hui de Oquinoxiale.
rilthme du Daricn ou de Panama, quoique
f< i. ',-.ç!;-..=
•i •
5-f
nt de la Ligne
OV DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL ^39
s. L . . •. ..
Audîtnce de Mexico. • •
DEÏCItlPTIOir
DU LA Nou*
vtM.K EsrA-
ON concevroit difficilement tout ce qui regarde la première Province
d'où cette Audience tire fon nom , Ç\ l'on n'étoic guidé par la Def-
cription&par le Plan du fameux Lac, qui fcrvit comme de champ aux
principaux Exploits de Cortez.
Il eft fitué dans la partie orientale d'une Vallée prefque plate , dont la
longueur, ïuivant Gemelli Carreri (a), eft d^ cjuatorze lieues d'Efpagne,
du Nord au Sud, la largeur de fept, & le circuit d'environ quarante. On
donne plus de cent mille niés de hauteur aux Montagnes qui environnent
cette Vallée. Le Lac ert compofé de deux parties , qui ne font féparées
que par un efpice fort étroit; l'une d'eau douce & tranquille, fort poif-
fonneufe, & plus haute que celle de l'autre, dans laquelle elle tombe, fans
retourner en arriére , comme plufieurs Ecrivains fe le font imaginé. La
féconde partie ell d'eau falée , qui ne nourrit aucune forte de poiflbn , &
qui eft fujette à des agitations fojrt violentes. Elles ont toutes deux envi-
ron fept lieues de long & fept de large , quoiqu'avec différentes inéga-
lités dans leur figure j & leur circonférence commune efl d'environ tren-
te lieues {b).
Depuis fi long-tems que les Efpagnbls font en pcfTeffion du Pays, leS'
opinions ne s'accordent point encore fur l'origine de ces eaux. Quelques-
uns prétendent qu'elles n'ont qu'une même fource, qui vient d'une grande
& haute Montagne , fituée au Sud-Ouefl de Mexico , & que ce qui rend
une partie du Lac falée eft le fond de la terre, que cette partie couvre, &
qui efl plein de fcl. Il efl certain qu'on en fait tous les jours de fon eau,
& qu'on en tire alTez, non- feulement pour en fournir à toute la Province,
mais pour en tranfporter , tous les ans , une quantité confiderable aux Phi-
lippines (c). D'autres font perfuadés que le Laça deux fources, & que
fi l'eau douce fort de la Montaghe , qui efl au Sud-Ouefl de Mexico , l'eau
falée vient de quelques autres Montagnes qui font plus au NordOuefl. Ils
ajoutent que ce qui la rend falée n'efl que fon agitation, ou fon flux & fon
reflux , qu'on ne doit pas traiter néanmoins de marée régulière , mais qui
étant caufé par le fouffle des vents , rend quelquefois cette partie du Lac
aufli orageufe que la Mer même. Gage , qui fe déclare pour la première
de ces deux opinions, croit renverfer la féconde en demandant pourquoi
les vents ne produifent pas le même effet dsins le Lac d'eau douce? Que
le*-
Province
du Mexico,
Defcriptioa
du Lac de
Mexico.
(a) Voyage autour du Monde, Tome 6.
page 34-
(i) Herrera, Décad a. Thomas Gage,
Liv. I. Cbap. 1$. leur en donne cinquante ;
cequiferoit impoffible, fi la Vallée n'en a-
voit elle-même que quarante : mais cette dif-
ficulté fe ttouve levée par 6u:re];i, qui en
prenant la Vallée depuis les Montagnes, lui
croit foixante-dix & même quatre- vingt -dit-
lieues de circuit, quoiqu'elle n'en ait quç
quarante de fond plat. Ibidem.
(c) Voyage de Thomas Gage, ubifuprk
„ le puis témoigner, dit* il, que j'en ai Wl'
„ rexp.éiieûctj ".
440
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
np. I.A Nou
OMB.
|i '
nEfciiiPTtoN lyg Jeux eaux, dit-il, fortent de la même fource,. ou Qu'elles ayent une
fourçe diflfcrcnte, il lui paroît également certain que la falure de l'une vient
de quelques terres minérales qu elle traverfe en dcfccndant , & qui la char-
gent d'un ici <jui fe fond dans fa courfe (^d). Cependant il rapporte lui-
même une troillcme opinion, qui fait venir la partie falée du Lac, de la
Mer du Nord, par des canaux fouterrains (*), & qu'il préféreroit encore
à la féconde, s'il ne trouvoit pas une forte apparence de vérité dans la
première. Quelque jugement qu'on en puiflTe porter, concliK-il, on ne
connoît point de Lac au Monde qui relFemble à celui ci, c'eflà-dire, qui
foit d'une eau douce & d'une eau falée , dont une partie produit du poif-
fon , tandis que l'autre n'en produit aucune efpèce. Mais la Capitale , &
quantité d'autres Villes, placées fur fes bords , étoient fujettes à des inon-
dations qui en rendoient le féjour fort dangereux. Les Digues , qu'on a
nommées tant de fois , & que plufieurs des anciens Rois avoient fait
conftruire avec une dépenfe & des travaux incroyables , ne fuffifoicnt
pas toujours pour arrêter la violence des eaux qui tomboient des Mon-
tagnes. Cortez éprouva lui-même qu'il y avoit peu de fureté contre un
péril fi preffant, & ce fut lui qui entreprit le premier d'y apporter d'au-
tres remèdes. On ne trouve que dans -Carreri , les grandes opérations,
par lefquelles on ell parvenu fucceiîlvement à couper le mal dans fa
fource. Ce curieux détail (/) feroit déplacé, dans tout autre endroit
que cet article.
L'année qui fuivit la prife de Mexico, c'efl-à-dire, avant que les Ef-
pagnols enflent achevé de rebâtir cette Capitale, les eaux s'élevèrent avec
tant de danger, que Cortez abandonna les travaux de la Ville, pour faire
conftruire une nouvelle Chauflee, qui fut nommée Saint • Lazare. Elle
fervit, aulfi long-tems que les inondations ne furent pas plus violentes:
mais en 1556, fous le Gouvernement de Dom Louis de Felafco^ elle ne
put empêcher que la Ville ne fût prefqu'entiérement fubmergée. On ef-
fuïa la même difgrace en 1580. Dom Martin Enriquez , qui gouvernoit
alors la Nouvelle Efpagne, conçut le deflein de delYccher abfoiument le
Lac. Il crut avoir trouvé, près d'un Village nommé GHeguctoca^ un lieu
• ; • *: ' \ '-•:-■ par
(c) Quoique les eaux qui viennent de 1.1
Mer perdent leur falure en paffnnt dans la
terre, celle-ci, dit-il, en peut co er une
partie, non-fculeincnt parce que le l'ays eft
rempli de minéraux, mais encore plus, par-
ce g^e les tremblemcns de terre y font fi fré-
quens, qu'on peut fuppofer qu'ils forment
de grandes cavités , par lefquelles les eaux
de la Mer paiTcnt fans filtration. Ibid.
(f) Cirreri fait profefllon de l'avoir tiré
non-feulement du récit des Efpagnols de Me-
xico, mais d'un Mémoire, qui fut imprimé
dans cette Ville, le 7 d'Avril 1637 ; fans comp-
ter fon témoignasL" oculaire, pour l'état pré«
fciit de l'Ouvrage. , . , -
Ouvrages
Efpagnols ,
pour préftT-
ver Mexico
de l'inonda-
tion.
' (d) ]l confirme fon fentiment par ce qu'il
a vu dans la Province de Guatimala, où,
proche d'une Ville nommée y^matitlan, on
trouve un Lac d'eau dormante, qui eft un
peu falée, & qui fort d'une Montagne brû-
lante, ou d'un Volcan, dont le feu eft caufé
par des Mines de foufre. Il en fort auJîî ,
proche de la môme Ville, deux ou trois Foii-
taines d'une eau extrêmement chaude & fou-
frée, qui forme des bains très falutaires. Ce-
pendant le Lac. qui vient inconteftablemcnt
Uc la même Montagne, eft dune telle pro-
priété qu'il rend la terre même, falée aux
environs; & tous les matins, le Peuple va
recueillir le fel qui fe trouve au bord de l'eau,
?n conûftance de gelée blanche. Ibidem.
le
. ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 441
,ar lequel on pouvoit faire paHer les eaux dans la Rivière de Tula. Mais
orrque lepéril eut celTé, on perdit l'idée de cette entreprife. En 1604,
l'inondation fut fi grande , qu elle faillit d'abîmer toute la Ville. Le Mar-
quis de MontcfclaroSt qui avoit été chargé de l'exécution du débouche-
ment , reprit fa CommilTîon avec beaucoup de chaleur. Il étoit prêt k
commencer, lorfquc les eaux ayant baillé, le Confeil de Ville repréfenta
qu'un travail de cette nature dcmandoit un fiécle, & qu'il n'en coûteroit
pas moins à conferver l'ouvrage qu'à l'exécuter, puifuu'il ctcit quellion
'^ f.i ^ j< :_ .._ /^ I .1 ;. ._ i: J„ I JB. j * ^ . /•
DeicMFTroi»
i)B i.A Nou-
velle lijPA.
inondation, & l'inutilité de quelques travaux, qu'on avoit faits dans l'in-
tervalle, ramenèrent tout le monde au projet du débouchement. Le Vi-
ceroi, le Confeil, tous les Magiftrats de la Ville, & le Clergé même, fe
rendirent en Corps à Gueguetoca, le 28 de Novembre de la même année.
L'ouvrage fut commencé le même jour; & Martinez^ Ingénieur Efpagnol,
en obtint la direftion. Une dépenfe, telle qu'on fe la propofoit, mit le
Viceroi dans la néceflité d'établir un impôt fans exemple au Mexique. Il ■
fit apprécier les Maifons, les Terres, les Marchandifes , en un mot, tous
les biens connus des Habitans, pour en tirer le centième, qui rapporta
304013 pièces de huit.
On creufa d'abord un Canal fouterraln depuis le Port de Gueguetoca , juf-
au'au Lac de Zitlaltepeque; & 47 11 54 Indiens y furent employés pendant
iixmois. Mais après tant d'efforts, on reconnut que les mefures avoient
manqué de juftefTe, & que toute la dépenfe d'un H long travail étoit inuti-
le. Un Ingénieur , nommé Alfonfe d'Arias , jugea que le Canal devoit avoir»
beaucoup plus de profondeur, & 217500 pies de plus en longueur vers
Mexico, pour mettre cette Ville à couvert ; que d'ailleurs il étoit impoffi-
ble de finir celui qu'on avoit commencé, parce qu'il fe trouvoit trop étroit,
& qu'il y avoit encore moins d'apparence de pouvoir l'entretenir. On
conclut que Martinez s'étoit trompé, pour n'avoir pas fuivi le premier
plan. La dépenfe étoit déjà montée à 413324 pièces de huit. On en
écrivit en Efpagne; & Martinez, de fon côté, ne négligea rien pour
fe juftifier.
La Cour de Madrid prit le parti d'envoyer, au Mexique, Martin Boof,
Ingénieur François, qui n'y put arriver qu'en i<5i4. Après avoir fait la
viiite des Lacs & des Rivières qui pouvoient incommoder la Ville , il
déclara que tout ce (^u'on avoit fait jufqu'alors n'étoit en effet d'aucune
utilité , ou ne pouvoit fervir qu'à la garantir des eaux de la Rivière de
Guautitlan, dont la plus grande partie fe jette dans les Lacs de Mexico,
de Zitlaltepeque & de Zumpango. Il propofa au Marquis de Guadalacafa
de faire multiplier les Digues autour de la Ville: mais fa proposition ne
fut point écoutée, parce que cet expédient n'aVoit produit aucun efi^ec
dans d'autres années. Martinez reçut ordre de reprendre l'Ouvrage fur
l'ancien Plan; & la Cour d'Efpagne céda, .pour Texécution, fes droitg fur
les vins qui fa tranfporteoj; à Mexico. *
Wm, Part, K k k . - " . Le
\ ■•
Dasckiption
SE LA NOU-
fULE Espa-
cée.
442 DESCRIPTION DU M E X I Q U E,.
Le Comte de Priego, Gouverneur de la Nouvelle Elpagne en 1623, eut
la curiofité de vouloii' éprouver combien l'eau devoit être élevée pour inon-
der la Ville. Il fit cefler l'ouvrage du Canal & rompre les Digues , pour
laifTer entrer la Rivière de Guautitlan, & les autres eaux, depuis le 13
Juin jufqu'au dernier d'Oflobre.. On remarqua que dans cet efpace, l'eau
n'avoit crû que d'environ deux pies ; mais elle augmenta fi conddérable-
mentau mois de Décembre, que la Ville retomba dans un grand danger.
Le Marquis de Serralm^ trouvant les chofes au même état en 1627 , fit fai-
re, à l'exemple de fes Prédécefleurs^ plufiears Digues, qui n'empêchèrent
point que dans le cours de cette année la Ville ne fût inondée à la hauteur
d'environ deux pies. On reprit l'ouvrage du Canal ; mais le jour de Saint
Matthieu de l'année fui vante, quelques Digues ayant manqué, l'inonda-
tion fut fi confîdérable, que l'eau montoit à quatre pies & demi dans
toutes les rues. LesHabitans, menacés de leur ruine, commencèrent à
fe laffer d'une fi. fâcheufe fituation, & parlèrent de bâtir la Ville dans
un lieu plus élevé.. Mais , après l'écoulement des csux,, on revint , en
1629, à la continuation du Canal de Gueguetoca. L'entreprife fut re-
commencée, au mois de Janvier 1630, fur un nouveau Plan de Marti-
nez, qui ne devoit coûter que 280000 pièce? de huit, & qui devoit être
fini dans l'efpace de vingt & un mois. Mais cette nouvelle tentative ne
promettant pas plus de fuccès , la Cour d'Efpagne fe perfuada qu'il étoit
impoffible de donner. une décharge à toutes les eaux, & régla, par une
Ordonnance du. 19 de Mai 1631, qu'on bâtiroit une nouvelle Ville entre
Tacuba & Tacubaja, dans la Plaine de SanSlorum. Cependant, comme
elle faifoit dépendre l'exécution d'un 11 grand projet, du Confeil général
de Mexico , les Magiftrats Civils & les Chefs du Clergé refufèrent d'y
confentir, fous prétexte qu'il n'étoit pas jufte de facrifier la valeur de plus
de cinquante millions en Édifices, pour épargner quatre millons en efpè*
ces, au-delà defquels ils jugeoient que le deflechement entier du Lac ne
pouvoit monter. En vain Chriftophe MoHna, Contrôleur général, s'ef-
força de leur prouver qu'ils fe trompoient dans le dernier de ces deux
calculs , fes raifons ne prévalurent point fur l'intérêt particulier. Marti-
aez mourut, en 1632, du chagrin d'avoir fi mal exécuté fes engagemens,
& de voir toutes. fes fautes au grand jour, par les Obfervations de l'Audi-
teur Villabuem.
Le Marquis de CadereyrUy qui vint prendre le Gouvernement en i<535,
commença par faire nettoyer tous les Canaux de la Ville, pour faciliter le
. paflage des eaux, & pour la commodité des Barques. L'année fuivante, il
chargea Zepeda & Carrillo de raflembler , dans un Mémoire, toutes les
méthodes qu'on avoit employées depuis 1607, datte du premier travail.
Trois points furent examinés dans cet Ecrit: i". S'il étoit utile de conti-
nuer le Canal de Gueguetoca, c'efii-àrdire, fi ce Canal fuffîfoit, en le faî-
j^nt plus large Si plus profond, pour l'écoulement du Lac de Mexico; &
dans cette fuppofition , s'il étoit poflible de l'entretenir: z^. Si, ne trou-
vant point, par le Canal de Gueguetoca, ou par les autres méthodes
^u'on avoit tentées, de fortie entière pour les eaux, on pouvoit efpérei
^econfervet Mexico par le fe^l fecours des Digues: â^* Si, dans l'im-
. poffi-:
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 443
rtoffibilité de l'un & de l'autre, on devoit changer la fituation de la Vil-
le. Enfin, le compte de toutes les fommes qu'op avoit employées mon-
toit à 2950164 pièces de huit, fept réaies & demie; qui font près de trois
millions d'or. ^
On ne nous apprend point quelle fut la décifion fur ces trois articles r
mais quoiqu'il paroifle que la difficulté du Canal fût mieux prouvée que ja-
mais, puifque les Géomètres aflurèrent que pour faire fortir feulement dix
pies & demi d'eau du Lac, il falloit enlever i85<543i93 pi^s cubiques de
terre, le Marquis de Cadereyra, défefpérant de vaincre la répugnance des
Habitans à quitter leurs murs, fit reprendre l'ouvrage de Gueguetoca. Il
fallut rompre les anciennes voûtes , pour réparer les fautes palTées, & pour
continuer le travail dans une meilleure efpérance. C'efl: en 1637 qu'il fut
recommencé; & Carreri , qui fe nouvoit à Mexico, en 1697, c'eft-à-dire,
foixante ans après, rend témoignage qu'il reftoit plus à faire, pour la per-
feftion de l'entreprife, qu'on n'avoit fait jufqu'alors (g). On ne cef-
fa point d'y travailler, dit-il, fur- tout dans les tems de pluie, parce que
le courant des eaux aide à charier les pierres qu'on tire continuellement.
Il ajoute que ce qu'il y a de plus fâcheux eÔ: la BéceflTité d'ouvrir des
allées très profondes, pour découvrir le lit des anciennes Voytes, que
les premiers Travaille^jrs #rent, comme des Lapins, en perçant la terre
au hafard (h).
Mais le fpe6lacle, qu'il fe donna, mérite d'être rapporté dans fes ter-
mes: „ L'envie que j'avois de voir ce grand ouvrage me fit monter ache-
vai, le Lundi^ij d'Avril 1697, fans autre fuite qu'un Efclave. Après
avoir fait trois lieues dans une Plaine, j'arrivai au Village de Tanipant-
la. Enfuite, montant la Colline de Varrientos, je me trouvai, après
deux autres lieues , à Guautitlan , où l'on fait de la Poterie , fi eftimée
en Europe, que les Dames en rongent les morceaux. Je dînai chess
l'Alcalde. Sur le foir je paflai la Rivière, qui tire fon nom de ceBour^,
l\ & qui fe rend dans le Canal du <iébouchement. Vl i lieue plus loin, je
„ m'arrêtai à Teplofotlan, dans une Maifon de Jefâtes, qui ell leur
„ Noviciat, & dont la fituation efl: fur une Montagne. Elle a des loge-
mens commodes pour cincmante- deux Religieux. L'Eglife, dédiée k
Saint François Xavier , otire fix Autels richement dorés , fur-tout le
grand, qui efl d'une rare magnificence. Elle contient d'ailleurs une
Chapelle de Nôtre-Dame de Lorette, de la même grandeur & de la
même forme que celle d'Italie. Le Jardin, qui efl fpacieux, ne man*
que d'aucun fruit de l'Europe.
„ Le Mardi, après avoir marché quelque tems par des Plaines bien cul-
tivées, j'arrivai à Gueguetoca; premier endroit où les eaux ont leur paf-
fage, fous la àireBÀon d'\in Guardatnayor. Les ordres delà Cour obli-
gent le Viceroi de faire tous les ans, au mois d'Août, la vifite de ce
lieu, pour obferver les progrès du travail, & pour y donner de nou-
„ veaux ordres. Dans l'abfence du Guardamayor , je fus re$u civilement
»
5>
J>
J»
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J>
J»
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II
»
1»
S»
>»
DEScniPTibâ
DE LA NOU-
V£LLe EErA*
cas.
Carreri vî«
fite les Oii'
vrages.
»
par
{s) Voyage de Cemelli Carieil, lîv, i. Chap. 8.
Kkk 2
(/j) Ibidem.
*
Descriftion
DE LA Nou-
velle Espa-
gne.
Belle Per-
fpeftive du
Lac, & nom-
bre de fes
Villes.
Defcription
de l'ancien
Mexico/,
444 DESCRIPTION DU MEXIQUE,.
„ par Dom Thomas de Buytron y Moxîcea^ Curé du Bourg, qui me donna.
„ l'Hiftoire des opérations de près d'un fiécle. Il me conduifit lui-même
„ au Canal. Je le trouvai découvert pendant refpace d'une lieue & de-
„ mie, jufqu'àGuignata, où il fait un coude, le long d'une pierre dure
„ qu'on n'a pu percer, & de-là tout couvert pendant une demie lieue, juf-
„ qu'à la bouche de Saint-Grégoire, excepté dans quelques endroits pour
les évents. Je remarquai que pour le mettre de niveau , il faudroit creu-
fer beaucoup dans ce lieu ; ce qui demanderoit des milliers d'Hommes ,
& des fommes fort au-deflus des cent mille pièces de huit , que le Roi
donne aujourd'hui. Avec ce travail même, on ne préferveroit pas tout-
à-fait Mexico de l'inondation; car outre cela, il faudroit un lit alTez
large pour recevoir toutes les eaux qui s'aflemblent dans le Lac après les
grandes pluies. J'allai voir enfuite la Digue qu'on a conftruite , une de-
raie lieue au-deflus de Gueguetoca , 'pour empêcher que la Rivière de
Guautitlan n'entre dans les Lacs, & pour la retenir dans le petit Cuya^
tepeque, afin qu'elle ne rompe point le Canal , dont le lit n'eli pas capa-
ble de la recevoir dans le tems des grofles eaux. Les fiennes fe dégor-
gent quelquefois dans le Lac de Zumpango, qui efl: plus bas, de quatre
pieds, que celui de Cuyatepeque, a plus haut d'autant, que celui de
Xaltocàn, & c'efl-là quelles demeurent, comme dans des réfervoirs jaf-
qu'à la fin des pluies. On entretient foigneufement plufieurs autres Di-
gues , pour arrêter la première impétuofité des eaux , & leur donner le
tems de s'écouler par un grand nombre d'éclufes (i) ".
On connoît, par ce récit, qu'outre les deux Lacs d'eau douce & d'eau
falée , qui font contigus , & qui forment proprement le grand Lac dé
Mexico , il s'en trouve plufieurs petits à quelque diflance du grand , fur-
tout au Nord-Ouefl: de cette Ville, qui a, de ce côté-là, des Marais der-
rière elle, jufqu'au pié des Montagnes. Mais la belle perfpeftive , qu'on
a vantée plufieurs fois, efl celle du grand Lac, dont les bords ojffroient,
avant la Conquête, plus de cinquante Villes, ou Bourgades confidérables,
& n'en confervent pas aujourd'hui moins de. trente (/t).
Mexico, que les Indiens nommoient Tenuchtitîan (/), comme ils don-
noient le nom.de Themijihan, à fa Province, efl fitué fur le bord fepten-
trional du Lac falé , de manière néanmoins que par fa forme, & par la mul-
titude de fes Canaux, tout le corps de la Ville paroît bâti dans l'eau, à-peu-
près
»
>»
»
»
s>
("O îhidem.
(^k) Herrera, Décad. 2. Liv. 7. Cbap. 12.
Thomas Gage, Tome i. Cbap, 15.
Nota. La Vue de V Ancien Mexico , a été
emplu;--! :^ dans le Volume XVI. R. d. E.
(</Le nom de Mexico, que les Efpa-
gnols lui ont donné, & qui fignifie fource
d'eau, n'étoit que celui d'une des deux par-
ties de la Ville , dont l'autre fe nommoit
Tlateluco, c'^eft-à-dire , IJle. Quelques-uns
font venir Tenuchtitîan de Tenuz , fon pre-
mier Fondateur ; d'autres , du nom Mexi-
-fiuain de la Cochenille, Herrera , ubi Juprui
d'autres encore veulent que Mexico ait été
le premier nom de toute la Ville , quoiqu'il
n'ait été donné enfuite qu'à l'une de fes par-
ties, & le font venir de Mejcit/j, ancien Prin-
ce, ou ancienne Idole des Habitans, & la
même que celle qu'ils nomment aulfi Fizif-
liputli. Il paroît du moins inconteilable
qu'ils donnoient le nom de Mexitl â tout
l'Empire, & celui de ThemiftiUm à la. Pro-
vince particulière de Mexico. Cortez n'em-
ptoyre lui-même que ce deriiJer nom, dana
fes Lettres,
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. ^4S
Descriptioî/
Dlî i.\ Nou-
VELi-E Espa-
ce c.
près comme Venife l'eft dans la Mer. L'ancienne Ville étoit compofée
d'environ vingt mille maifons, & l'on y diftinguoit trois fortes de rues,
toutes fort larges & fort belles. Les unes, qui étoient des Canaux, tra-
verfés de plufieurs Ponts ; d'autres , fur la terre ; les troifièmes , moitié fur
la terre & fur l'eau, c'eft-à-dire , fur une partie defquelles on pouvoit mar-
cher, tandis que l'autre partie fervoit aux Canots qui apportoient des vi«
vres. La plupart des maifons avoient deux portes, l'une vers la chaulfée
& l'autre vers l'eau. Elles étoient petites , bafles & fans fenêtres ; par une
Police fmgulière , qui ordonnoit que les fimples Habitans fuflent plus hum-
blement logés que les Seigneurs ; mais elles étoient propres , commodes ,
& capables, dans leur petitefTe, de fervir de logement à plufieurs ména^
ges. Les premières Relations donnent, à l'ancien Mexico, deux fois k
grandeur de Milan. Elles affurent que par l'apparence il l'emportoit beau-
coup fur Venife; ce qui venoit de la multitude des Palais impériaux, de
ceux des Seigneurs , qui étoient environnés de jardins , & fur-tout de la
hauteur des Temples. Mais , quoique la Ville fût fi remplie d'eau , la prin-
cipale incommoaité des Habitans étoit de n'en pouvoir faire aucun ufage
pour les befoins communs de la vie. Celle qu'ils buvoient leur venoit de
Chapultepeque, petite Montagne à trois miles de la Ville, par des Aque-
ducs de terre cuite. Aujourd'hui même, les Ëfpagnols la tirent encore du
même lieu, par deux tuyaux, foutenus fur des arches de pierre & de bri-
que, qui forment un très beau Pont. Mexico n'avoit proprement que trois
entrées , dont on a dû fe rendre les noms familiers , dans le récit des trois
attaques de Cortezj celle de Tabuca, qui regardoit l'Occident, par une
Chauffée d'une demie lieue de longueur; celle d'Jztacpalapa, dont la Chauf-
fée, longue d'une lieue, venoit du Sud- Eft, & de la Digue de pierre qui
féparoit la partie d'eau douce de celle de l'eau falée ; celle de Cuyoacan ,
par laquelle Cortez fit fon entrée, & qui venoit du Sud-Ouefl: par une Chauf-
fée de deux lieues. Les Ëfpagnols en ont condruit deux autres ; & Carre-
ri nous apprend, fans les diftinguer, que les cinq Chauffées , qui fervent
aujourd'hui d'entrée à Mexico, portent à préfent les noms de la Ptedad,
Saint- Jntôine t Guadeloupe ^ St. • Came ^ & Chiapuhepeque. Il ajoute que celle
par où Cortez prit la Ville, & que les Ëfpagnols avoient nommée del ?c*
gnon, ne fubfifle plus (m).
Le principal des Palais impériaux, qui fe nommoit Tepac\ étoit d'une Palais de
grandeur & d'une magnificence, dont la defcription caufe de l'étonnement. ^'Empereur,
On y comptoit vingt belles Portes , qui donnoient fur autant de Rues , &
dont la principale offroit les armes de l'Empire, déjà repréfentëes dany la
première Audience de Cortez. La partie des Edifices, qui fervoit de lo-
geriient à l'Empereur , l'enfermoit trois grandes cours , chacune ornée d'u-
ne belle Fontaine; cent chambres , de vingt-cinq ou trente pieds de long,
& cent bains. Quoiqu'il n'entrât pas un clou dans ce valle Bâtiment, touc
y étoit d'une folidité ,que les Ëfpagnols ne fe laffèrent point d'admirer. Les
murs étoient un mélange de Marbre, de Jafpe, de Porphyre, & de difFé-
jrentes pierres; les unes noires & rayées de rouge, d'autres blanches, qui
jet"
(m) Carreri, Tonte ç. Çbap. 3. page 31. ' j ^ k '"^ . -
Description
DR LA Nou*
V£LLE Espa-
gne.
^cs Femmes.
Autres Mai-
fons impéria-
les , & leurs
iïngiilarités.
446 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
jetcoiencun éclat merveilleux. Les toîts écoient de planches, jointes a-
vec beaucoup d*artj minces, fans en être moins fermes. Toutes les cham-
bres étoient curieufement parquetées de cèdre ou de cyprès, & nattéi^s à
hauteur d'appui. Les unes étoient enrichies de Tableaux &, de Sculptures,
qui repréfentoient différentes fortes d'Animaux; & les autres revêtues de
riches TapifTeries de coton, de poil de Lapin, & de différentes fortes de
plumes. A la vérité , les lits ne répondoient point à cet air d'opulence &
de grandeur. C'étoit de (impies couvertures , étendues fur des nattes. Mais
peu d'Hommes couchoient dans ce Palais. Il n'y refloit , le foir , que les
Femmes de l'Empereur, dont on fait monter le nombre jufqu'à trois mille,
en y comprenant les Suivantes & les Ëfclaves. 11 n'étoit pas rare d'en voir
cent cinquante, qui fe trouvoient groffes à la fois; mais l'héritage du Thrô-
ne regardant les leuls Ënfans des trois Impératrices, les autres étoient dans
l'ufage de prendre des médicamens pour faire périr leur fruit. La plupart
étoient les Filles des principaux Seigneurs, entre lefquelles Motezuma s'é-
toit attribué le droit de choiHr celles qui lui plaifoient. Elles étoient en-
tretenues avec autant de propreté que d'abondance ; mais leurs moindres
fautes étoient févérement punies. Chriftophe d'Olid , & d'autres Officiers
de Cortez, en épouférent quelques-unes, dont l'Empereur leur fit pré-
fent, & qui reçurent le baptême pour fe rendre dignes de l'Alliance £fpa-
gnole (n).
Outre le Tepac, qui fignifie proprement Palais, l'Empereur avoit dans
la Ville plufleurs autres Maifons , dont chacune -offroit des fpeélacies fort
flnguliers. Dans l'une , qui contenoit de grandes galeries fur des colom-
nes de Jafpe , on voyoit toutes les cfpèces d'Oifeaux qui nq'ifTent au Mexi-
que, & dont on eflime le plumage ou. le chant. Les Oiieaux marins é-
toient nourris dans un Etang d'eau falée , & ceux de Rivière dans de gran-
des Pièces d'eau douce. Mais chaque galerie étoit peuplée de ceux des bois
^ des champs, entre lefquels il s'en trouvoit de fort étranges, dont les
Ëfpagnois n'avoient aucune connoiiTance. On les plumoit dans certames
faifons, pour tirer un grand profîfde leurs plumes; marchandife précieufe,
qui fervoit à faire des étoffes , des tableaux & d'autres ornemens. Plus de
trois cens Hommes étoient employés au fervice de ces Animaux. Dans une
autre Maifon , l'Empereur avoit ion Equipage de chafTe , compofé particu-
lièrement d'un grand nombre d'Oifeaux de proye; les uns dans des cages
nattées & commodes; d'autres fur la perche, ik dreffës à tous les exerci*
ces de la Fauconnerie. Une féconde cour de la même Maifon étoit rem-
plie de Bêtes 'féroces, telles que des Lions, des Tigres, des Ours, & di-
verfes efpèces inconnues en Europe , rangées en fort bel ordre dans de
grandes cages de bois. Quelques Relations vantent, dans. ce nombre, un
Animal très rare, qu'elles nomment le Taureau du Mexique, & qui rcu-
nilToit les propriétés de plufleurs autres Animaux. Il tenoit, du Chameau,
la
(«) Il paroît que Cortez époufa lui-mê- fieurs Femmes, quoiqu'elles fufient Sœurs,
me, ou prit pour MaîtrelTe, une Fille de ce Ce fut l'une de ces deux Princcfles, qui fut
Pïince, qui lui en avoit ofFert deux , croyant , mariée à d'Olid. i/errera, Décad. 3. Liv. 8.
dit Herrera, qu'il pouvoit avoir auffi plu- page 535*
ans.
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. H. 447
]à bofle des épaules; du Lion, le flanc fec & retiré, la queue touffue, De-criptiow
& le col arjué d'une longue crinière; du Taureau, les cornes, le pied ""^ ^^ ^°^'
fendu , & fur-tout la vigueur & la férocité. Les mêmes Ecrivains ra- ^'^^^^ '
content qu'une troifième cour renfermoit dans des vafes , dans des ca-
ves & d'autres trous, un horrible affemblage de Vipères, de Scorpions
& d'autres Animaux venimeux , jufqu'à des Serpens à fonnettes & des
Crocodiles, qu'on nouriffoit du fang des Hommes qui avoient été facri-
fiés (0).
Dans les chambres hautes de la Maifon, l'Empereur faifoit nourrir des
Bouffons & des Bateleurs, des Nains, des Boffus, des Aveugles & tous
ceux qui avoient apporté, en naiffanc, quelque flngularité monUrueufe. Us
avoient des Maîtres qui leur faifoient apprendre divers tours de fouplelTe,
convenables à leurs défauts naturels; & leToin qu'on prenoit d'eux rendoit
leur condition fi douce, qu'il fe trou voit des Pères qui eftropioient volon-
tairement leurs Enfans , pour fe procurer une vie paifible & l'honneur de
fervir à l'amufement de leur Souverain. Mais ce qui doit paroître encore
plus étrange, c'étoit cette Maifon que l'Empereur avoit choifie pour exer-
cer particulièrement fes pratiques de Religion; On y voyoit une Chapel-
le, dont la voûte étoit revêtue de lames d'or & d'argent, enrichies d'un
grand nombre de pierres précieufes, où il fe rendoit chaque nuit, pour y
confulter fes Dieux, au milieu des cris & des hurlemens qu'on vient de re-
préfenter.
D£ux autres de fes Maifons tenoient lieu, l'une d'Arfenal pour fabriquer
des armes , & l'autre de Magafin pour les conferver. Les plus habiles Ou-
vriers écoient entretenus dans la première, chacun à la tête de fon attelier,
avec la diflindlion qui convenoit à fes talens. L'art le plus commun étoit
celui de faire des flèches , & d'éguifer des cailloux pour les armer. On en
faifoit de prodigieux amas , qui fe diflribuoient régulièrement aux Armées
& aux Places frontières, mais dont il redoit toujours une grande partie
dans le Magâfîn. Les autres armes écoient des arcs, des carquois, des-
maffues , des épées garnies de pierre, qui en faifoit le tranchant , des dards ,
deszagaies, des frondes, &jttfqu'aux pierres qu'elles fervoient à lancer,
, des
(0) Solis doute de la vérité de ce récit',
& ne le croit fonde que fur de faux bruits ,
parce que les Hiftoriens de fa Nation , qui
l'ont publié, ajoutent, dit -il, que cet af-
freux étalage ne parut point aux yeux des
Efpagnols , qui en trouvèrent feulement des
veftiges , Tome i. Cependant voici les pro-
pres termes d'Herrera:. „ Us donnoient aux
„ Serpens le fang des Viftimes humaines.
,y Quelques-uns difentmême qu'on leur en
„ donnoit de la chair; ce qui les faifoit crol-
„ tre prodigieufement. Les Caftillans ne
„ leur en virent pas manger; mais ils trou-
„ vèrent le lieu figé de fang & d'une horri-
„ ble puanteur- Us admirèrent l'emprelTe-
„ mène des Hommes qui ètoleat occupés
„ dans cette Maifon au foin des Oifeaux,
„ des Bêtes farouches & des Serpens. Ils
„ n'entendoient pas d'abord fans horreur &
„ fans épouvante les fifflemens des Serpens,
„ les rugiffeméns des Lions , les glapiflemens
„ des Ours & des Tigres, & d'autres cris
„ que la faim ou la contrainte de leur cap-
„ tivité faifoit pouffer à tant d'efpèces diffé-
„ rentes. Cependant ils s'y accoutumèrent
4, à la fin , & quelques-uns difoient feulement
„ que cette Maifon étoit une véritable ima-
„ ge de l'Enfer".. Décad. 5. Liv. 7. Cbap.
10. Thomas Gage , qui avoit fait un fi long
féjour dans la Nouvelle Efpagne, s'accorde
avec Herrera, & ne rabbat rien de cette
peinture. Liv. i. Cbap, 16,
D£ LA NOU.
VliLLB ËSPA
CNB.
448 D E S C R I P T I O N D 0 M E X I Q U E,
Descriftion des cuirafles, des cafques , des cafaques de coton piqué qui réfiftoient aux
T,„ ,. v„„ j^^^i^gj^ jç petits boucliers, & de grandes rondaches de peau, qui cou-
vroient tout le corps, & qui fe portoient roulées fur l'épaule, jufqu'à l'oc-
cafion de combattre. Les armes deftinées à l'ufage de l'Empereur étoient
dans un appartement particulier, rufpendues en fort bon ordre, ornées de
feuilles d'or & d'argent, de plumes rares & de pierres précieufes, qui for>
moient un fpeélacle éclatant. Cortez, & tous les Efpagnols qui l'avoient
accompagné dans le premier Voyage, ne s'étoient point lafTés d'admirer
ce dépôt militaire. Ils l'avoient trouvé digne du plus grand Mo.::arque&
de la plus brave Nation.
,' Mais de tous les Palais de Motezuraa, celui qui leur caufa le plus d'é-
tonnement fut un grand Edifice, que les Mexiquains nommoient laMaifon
de triflefle. C'étoit le lieu où' ce Prince fe retiroit avec peu de fuite,
lorfqu'il avoit perdu quelque Femme ou quelque Parent ^u'il aimoit , &
dans les calamités publiques qui demandoient un témoignage éclatant
de douleur ou de compaHion. La feule architedlure de cette Maifon
fembloit capable d'infpirer les fentimens qu'il y portoit. Les murs, le
toît, & tous les meubles, en étoient noirs & lugubres. Les fenêtres é-
toient petites, & couvertes d'une efpèce de jaloufies fl ferrées, qu'elles
laiflbient à peine quelque paflage à la lumière. Il demeuroit dans cette
affreufe retraite, auffi long-tems que fes regrets lui faifoient perdre le goût
du plaidr.
Toutes les autres Maifons impériales étoient accompagnées de Jardins
fort bien cultivés. Les fruits & les légumes en étoient banni« , par la feu-
le raifon qu'il s'en vendoit au Marché , & que fuivant les principes de la
Nation, un Prince ne devoit pas chercher du plaifir dans ce qui iaifoit un
objet de lucre pour fes Sujets. Mais on y voyoit les plus belles fleurs d'un
heureux climat, difpofées en compartimens jufques dans les cabinets, &
toutes les herbes médecinales que la Nouvelle Efpagne produit avec autant
de variété que d'abondance. Motezuma fe faifoit honneur de laiffer pren-
dre gratuitement dans {es Jardins tous les Simples dont les Malades de
Mexico avoient be'foin , & dont les Médecins du Pays compofoient leur»,
remèdes. Tous ces Jardins & toutes ces Maifons avoient plufîeurs Fontai-
nes d'eau douce, qui venoient des deux grands Aqueducs, par des conduits
détachés.
Les Maifons de la Noblefle dévoient être en fort grand nombre , puifque
l'Empire n'avoit pas moins de trois mille Caciques, ou Seigneurs de Villes,
qui étoient obligés de venir pafler une partie de l'année dans la Capitale ;
fans compter laNobleiTe inférieure & les Officiers du Palais. Elles étoient
bâties de pierre, vaftes, environnées auffi de jardins, & de toutes les com-
modités qui font le partage de la fortune & de la grandeur. Les Edifices
public^ n'étoient pas moins magnifiques, fur-tout les Temples, dont on
remet la defcription à l'article des Divinités & des Sacrifices. Entre plu-
fîeurs grandes Places , qui faifoient un des principaux ornemens de Mexi-
co, & qui fervoient de Marchés, fous le nom général de TianguitzU^ que
les Efpagnols ont changé depuis en Tianguez, on vante beaucoup celle
flu'on a déjà nommée Tlateluco. Il ne paroîtra point furprenant qu'elle
. eûif
Autres Edi-
fices, & Pla-
ces de Mexi-
Ç9. ■
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 440
eftt pu contenir les trois Divifions de l'Armée Efpagnole, à la dernière at-
taque de Cortez, puifqu'on lui donne tant d'étendue, que dans les Foires,
qui s'y tenoient à certains jours , il s'y raflembloit plus de cent mille Hom-
mes. On y voyoit paroître toutes les produftions de l'Empire. Elle étoit
remplie de tentes , fi ferrées dans leurs alignemens , qu'à peine y trouvoit-
on la liberté du paflage. Chaque Marchand connoifloit k)n pofle; & les
Boutiques étoient couvertes de toiles de coton , à l'épreuve du Soleil & de
la pluye. Toutes les Relations Efpagnoles s'étendent beaucoup fur le nom-
bre & la variété des marchandifes.(/)). , .
Si
(p ) Hcrrcra ne fe lafle point de ce détail,
ubifuprà, Chap. 15. & 16. Gage fe conten-
te d'en donner une idée qu'on croit devoir
placer ici, parce qu'elle contient les feules
lumières qu'on att fur le Commerce & les
Arts des anciens Mexiquains.
Les Marchandifes les plus communes é-
toient diverfes fortes de nattes, fines & gref-
fes; toutes fortes de vaifleaux de terre peints
ou vernis,' des peaux de divers Animaux,
fur-tout de Cerfs, apprêtées fans poil & a-
vec le poil, & diverfement colorées. Des
Oifeaux en plumes , de toutes les cfpèces &
de toutes les couleurs; des amas de plumes,
dont on dépouilloit les Oifeaux, en certai-
nes faifons; du fel; des toiles & des draps
de coton; des toiles compofées de feuilles
& d'écorce d'arbres, de poil de Lapin, &
de plumes ; du fil de poil de Lapin ; d'autres
fils de toutes les couleurs. Il y avoit des
lieux particuliers pour les chofes qui tenoient
beaucoup d'efpace , comme la pierre , la
chaux, la brique, & les autres matériaux de
conftruflion.
Mais la plus riche partie du Marché étoit
celle où l'on vendoit les ouvrages d'or & de
plumes. On y trouvoit tout ce qui pouvoit
demander d'être repréfenté au naturel, en
plumes de toutes fortes de couleurs. Les
Mexiquains étoient fi • experts dans cet art ,
& repréfentoient fi bien les Animaux, les
Arbres , les Fleurs , les Herbes & les Raci-
nes, que ces Ouvrages faifoient l'admiration
des Efpagnols. Us dévoient leur habileté à
leur application ; car fouvent un Ouvrier
pafibit un jour entier fans manger, pour met-
tre une plume à fa vraie place , la tournant
& la retournant, une infinité de fois au jour
& à l'ombre , pour juger mieux de fon effet.
Leur Orfèvrerie étoit auflî fort belle. Us
faifoient d'excellens ouvrages au moule , &
les gravoient enfuite avec des poinçons de
caillou; entr^autres des plats à huit faces,
chacune d'un métal différent, c'eft-à-dire al-
ternativement d'or & d'argent , fans aucune
foudure, & des chaudrons avec des anfes.
XriII. Part.
DESCSTPTToiè
DB LA NOU-
V£LLI! EsfA'
ONE.
Grand Mar-
ché de Tiatc-
luco, & fes
marchandifc9.
Ils jettoient aufllî en moule desPoifl*ons, dont
les écailles étoient mêlées d'or & d'argent ;
des Perroquets, qui remuoicnt la tête, h
langue & les allés ; des Singes , qui faifoient
divers exercices, tels que de filer au fufeau,
de manger des pommes , &c. Ils enten-
doient auin fort bien l'art d'émailler, & da
mettre en œuvre toutes fortes de pierres pré-»
cieufes.
Dans la même partie du Marché, on ven-
doit de l'or, de l'argent,* du cuivre, du
plomb, du laiton & de l'étain, mais peu de
ces trois derniers métaux. On y vendoit des
perles , des pierres précieufes , toutes fortes
de coquilles & d'épongés, des amandes de
cacao , qui /ervoient de monnoie courante
dans le Pays ; comme à préfent même fix ou
fept vingts de ces plus groffes amandes , &
deux cens des moindres , valent une réale de
cinq fous, & fervent encore-, aux Indiens
de -la Nouvelle Efpagne , pour acheter les
denrées. On y vendoit diverfes fortes de
couleurs & de belles teintures , qu'ils fai-
foient avec des tofgs & d'autres fleurs , avec
des fruits, des écorces d'arbres & diverfes
efpèces de végétaux.
II y avoit un quartier pour les herbes , les
racines & les graines , tant celles qui fe man-
gent , que celles qu'on employoit à la Méde-
cine; car ils avoient tous une grandg con-
noilTance des Simples , jufqu'aux Femmes &
aux Enfans. Dans un autre quartier, on
vendoit toutes fortes de fruits, tant verds
que murs. Dans un autre, toutes fortes du*
viande, entièreou par quartiers; comme des
Chevreuils, des Lièvres, des Lapins , des
Chiens fauvages , & d'autres Animaux qu'ils
prenoient , ou qu'ils tuqient , à' la chalTe.
On y vendoit jufqu'à des Couleuvres , aux-
quelles on avoit coupé la tête & la queue,
de petits Chiens châtrés , des Souris , des
Rats & de longs Vers. Une vente confidé-
rable étoit celle d'une forte de terre , ou d'un
limon poudreux, qui s'auiairoit, dans une
certaine faifon de l'année, fur l'eau du Lac,
& qui reffembloit d'abord à l'écume de la
L 1 I Mer;
PBfCRirTION
I)E LA NOU'
V«LLE EtI'A-
Mefurcs de
Cortcz pour
rcl)âtir Mexi-
co.
♦50 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Si l'on joint à tous les traits de cette Defcription , deux cens mille Ca*>
nots de différentes grandeurs , qui volcigcoient fans cefTe fur le Lac , pour
les communications d'un bord à l'autre , & plus de cinquante mille qui é-
toient habituellement occupas dans les feuls Canaux de la Ville (9), on ne
trouvera point d'exagération dans la première idée que les Mexiquains a-
voient fait prendre, aux Ëfpagnols, de la Capitale de leur Empire. Ccpen*
dant cette magnificence barbare n'approchoit point de celle où Cortez 1 éle*
va bientôt, en lui donnant une nouvelle forme.
Pendant qu'il prenoit quelques jours de repos à Cuyoacan , il fit faire de
grands feux dans toutes les rues de Mexico, pour purifier l'air. Un grand
nombre d'Habitàns, qu'il deflinoit aux travaux publics, fut marqué d'un
fer chaud (r). Le relie obtint la liberté de fe retirer, ou de contribuer
volontairement au rétablilTement de la Ville. Tous les Indiens , qui l'a-
voient fervi pendant le Siège, reçurent des récompenfes proportionnées
à leur zèle; fur^tout les Tlafcalans, qui partirent chargés de richefres,&;
que la Cour d'Efpagne diftingua, dans la fuite, par une exemption perpé-
tuelle de toutes fortes de tributs. Ceux , qui fe trouvèrent difpofés à s'é-
tablir dans la Ville , en reçurent la permifTion. Mais entre ces premiers
foins, Alderete, qui avoit été nommé Tréforier général, n'oublia point
les tréfors de'Cuatimozin, fur lefquels il fembloit que les Vainqueurs pou-
voient s'attribuer de juftes droits. Le délai, que Cortez apportoit à cette
recherche, avoit déjà fait naître des murmures. On le foupçonnoit de
s'entendre avec les principaux Officiers , pour détourner l'or & l'argent ; &
les plus hardis menaçoienrouvertement d'en écrire à la Cour. Il y a beau-
coup d'apparence qu'un motif d'honneur lui fit fermer les yeux fur les
moyens
JMer; mais qui étant enlevée avec dés re-
féaux , & condenfée en grnnds tas , fervoit à
faii« des gâteaux plats , en forme de brique.
Cette marchandife n'étoit pfis recherchée feu-
lement des Habitans de Mexico ; elle s'en-
voyoit au loin dans les Provinces, où elle
étoit auflî eftimée que le meilleur fromage
l'eft en Europe. On crojroit même que c'é-
toit l'excellence de cette écume qui attiroit
tant dlOifeaux fur le Lac , particulièrement
en Hiver, où le nombre en étoit infini.
Tous les Marchands du Tlateluco payoient
à l'Empereur un droit pour leurs Boutiques ;
moyennant lequel ils dévoient être garantis
des Voleurs, par des Officiers qui veilloient
inceflamment à la fureté du Commerce. Il
y avoit, au milieu de ce grand Marché, un
Edifice , d'où l'on en pouvoit voir toutes les
parties; & dans lequel douze Vieillards te-
noient leur Siège» pour juger toutes fortes
dç Procès & de différends. Le principal
Commerce fe faifoit par échange. On don-
îioit une Poule pour un faifceaude maïz,
de la toile pour du fel, &c. Les cacaos fer-
voicnt de monnoie courante pour les ap-
lîoints lis avoicnt des mefures de bols , pour
les grains fie les blés ; des mefures de corde ,
pour les herbes , & des mefures de terre, pour
l'huile, fe miel & les liqueurs. Toutes les
infraftions de la juftice naturelle ctoicnt pu-
nies avec la dernière févérité. L'Empereur
traitoit favorablement ceux qui apportoient
de nouvelles marchandifes , des Pays étran-
gers. Voyage de Thomas Gage, Tome i.
Chapitre 19. Herrera , parlant des ouvra-
ges d'or & d'argent, qui fe vendoient au
Tlateluco, affùre qu'ils donnoient de l'ad-
miration aux meilleurs Orfèvres de Caflillc,
qui ne concevoient point comment des Bar-
bares pouvoient atteindre à cette perfeftion ,
fans marteau & fans cifeau. 11 parle des ou-
vrages de plumes avec le même étonnenient,
fur -tout aes portraits d'Hommes & d'Ani-
maux. Il ajoute qu'on en apporta au Pape,
dans un tems où la Peinture étoit déjà fort
cultivée en Italie, & qu'il n'y avoit point
de deffein, ni de coloris, qui les furpiffît,
ubifuprà, Chap. 15»
(î) Herrera, ubifuprà, Thomas Gage,
Tome I. Cbap. iç-
(r) Herrera, ubifuprà, Chap. 8* -^
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 1^51
*
moyens qui furent employés pour forcer l'Empereur à déclarer fea richef-
les (f). Après crinutiies menaces, on prit le parti de livrer ce malheu-
reux Prince à laquedion, avec un des principaux Seigneurs de fa fuite,
qui expira dans les tourmens , fans aucune marque de foiblefle. On jugea
néanmoins, par les regards touchans qu'il jettoit fur fon Maître, quau
milieu de fa douleur il lui demandoit la permiflion de parler; & l'on crut
comprendre aulFi, par ceux de l'Empereur, & par quelques mots, dont ils
furent accompagnes, qu'il lui reprocnoit de manquer de confiance & d'hon-
neur. Enfin Cortez employa fon autorité pour faire ceflTer cette odieufe
exécution , & fa conduite fut applaudie de toute l'Armée. Cependant il
paroît aufli qu'il ne prit cette refolution , qu'après avoir fait confeffer à
Guatimozin qu'il avoit jette fon tréfordans le Lac (t). Tous les Hifto-
riens affurent du moins mie lesEfpagnols s'attachèrent long-tems à le cher-
cher au fond des eaux, oc que n'en ayant rien découvert , ils demeurèrent
furpris qu'on eût trouvé le moyen de leur dérobber tant de richeffes. Quel-
ques Prifonniers indiquèrent pluiîeurs fépultures, où l'on trouva une petite
quantité d'or.
(s) Ibid. L'HIftorien s'enveloppe ici dans
des exprefllons aiTez obfcurcs. il convient
que Cortez fut fenfible aux murmures de fos
Soldats , & qu'il chercha quelque moyen de
les fatlsfairc; mais il rejette les réfolutions
violentes „ fur plufleurs perfonnes qui de*
„ meurèrent d'accord, dit-il, que Guatimo-
„ zin devoit être mis à la quedion ".
(t; Ibid. Cortez, ajoute encore l'Hifto-
den, s'excufa du fait, & dit qu'il avoit été
DciCnTPTrrtN
DB i.A Mou-
ville JLtPk'
ONt.
L'Empe-
reur cft mià à
la qucftioii.
Sa conllancc.
prié, importuné, & môme menacé par AI-
derete. Ce qu'il y a de certain , c'eft que
le malheureux Empereur du Mexique ne
prolongea fa vie que pour en pafler le refte
dans l'humiliation, & qu'environ deux ans
après il fut condamné à la perdre par un fup-
plice honteux , fur la dépofition d'un Sei-
gneur du Pays, qui l'accufa d'avoir confpiré
contre les Éfpagnols, Herrera, Décad. 3.
Liv. 7. Cbap. g.
5. IL t.
Nouvelle forinc de Mexico y après la Conquête.
>i'i
COrtez, s'étant déterminé à rebâtir la Capitale du Mexique fur de
nouveaux fondemens , commença par y rétablir l'ordre, en créant de
nouveaux Magiflrats , & fur-tout un grand nombre d'Officiers pour l'entre-
tien de la Police. Ses Brigantîns , qui demeurèrent à la vue du Rivage ,
fous le commandement de Rodrigue de Villa- Fuerte^ & la meilleure partie
de fon Canon, qu'il mit en batterie dans le Pofle qu'il avoit fait prendre
à fes Troupes, lui répondoient de la foumiflion des Habitans. Mais, pour
ne rien donner au halard, il fit féparer la demeure des Efpagnols, de celle
desIndienSi, par un large Canal; & cette féparation a duré jufqu'aujour-
d'hui. La promefle qu'il avoit fait publier, de donner, à tous les Indiens,
qui voudroient s'établir fous fa proteélion, un fond pour bâtir, dont leurs
Enfans hériteroient après eux , & des privilèges qui les diflingueroient du
refte de la Nation , lui attira plus de monde qu'il n'avoit ôfé l'efpérer. Il
donna, aux principaux Seigneurs, des rues entières à bâtir, en les nom-
mant Chefs des Quartiers qu'ils auroient peuplés. Dom Pierre Motezuma ,
fils de l'Empereur de ce nom, ^Xitinaco, Général des Troupes de Guati-
Lll a
mo'
DlICftlfTION
VU LA NOU-
VILLI EsPA-
osri.
45» DESCRIPTION DU MEXIQUE,
mozin, furent didingiids dans cette diftribution. On prit le parti de rem--
plir la plupart des anciens Canaux, iorfqu'on eut obiervé qu'ils jettoient
Suelquefois une vapeur incommode. Le travail fut poufTë avec tant d'ar<
eur, que dans rcfpace de peu de mois, on vit naître environ cent mille
Maifons, beaucoup plus belles, & dans un meilleur ordre que les ancien-
nes. Les Efpagnols bâtirent à la manière d'Efpagne; & Cortez fe fit éle-
ver, fur les débris du Tezpac, un Palais fi fomptueux (a), qu'aujourd'hui
même, qu'il continue de fervir de logement aux Vicerois, il n'eft pas loué
moins de quatre mille ducats , au profit de fes Defcendans. Pour faire
prendre une forme folide à fon Ëtabiiiremcnt , il engagea tous les Efpagnols
mariés à faire venir leurs Femmes; & quantité d'autres familles Caltilîanes
y vinrent à fa follicitation. Le Commandeur Leonel de Cervantes donna
l'exemple, avec fept Filles & plufieurs Fils qu'il avoit eus d'un feul maria-
ge, & qui trouvèrent aufiitôt l'occafion de s'établir avec honneur. On fit
apporter, des Ides conquifes, un grand nombre de Vaches, de Truies,
de Brebis, de Chèvres, &de Jumens; deS' Cannes de fucre, & des Meu*
riers pour les Vers à foie. Plufieurs Flottes, arrivées fucceflTivement de
Cadille , répandirent dans la Colonie une grande abondance des plus utiles
provifions de l'Europe. Jl y arriva des Ouvriers, qui formèrent toutes for-
tes de Manufa£lures. L'Imprimerie même y fut introduite, & l'on y fa-
briqua de la. Monnoie. Cortez , n'ayant pas manqué de faire travailler aux
Mines, en tira beaucoup d'or & d'argent. 11 découvrit des Mines de fer
& de cuivre, qui le mirent en état de faire fondre de TArtillerie: & dés
Tannée fuivante, il s'en trouva trente-cinq pièces de bronze, & foixante
de fer. Enfin, peu de tems après la conquête, Mexico étoit la plus belle
Ville des Indes; Herrera dit, la plus grande & la plus peuplée (6); & par
dégrés, elle efl: devenue, fuivant le témoignage de tous les Voyageurs,
une des plus riches & des plus magnifiques du Monde.
Quoiqu'ils s'accordent tous dans cet éloge, leurs Defcriptions fe reflem-
blent moins. Comme cette différence femble venir de celle des tems, qui
changent la perfpeélive par des progrès & des embelliflemens continuels,
on ne voit point de meilleure méthode, pour lever les doutes du Leftetir
& l'embarras de ceux qui feront le même Voyage , que de rapporter cha*
que peinture à l'année qu'elle regarde. Commençons par celle de Ga-;
ge (c ), qui paroît la plus ancienne.
S. III.
Nota. Voyez le Nouveau Mexico, au To-
me XVr. R. d. E.
(a) Gaj^e, ubifuprà, page 157. II rap-
porte, après Herrera , qu'on y avoit employé
fept mille grofles poutres de cèdre.
( é ) Herrera, Décad. 3. Liv. 4. Chap. 8.
( c) f^oyage de Thomas Gage, Jacobin An-
glois, qui s'etant embarqué à Cadix, en 1625,
pour les Milfions des Philippines , trouva
tant d'agrément dans la Nouvelle Efpagftc,
qu'il prit le parti d'y demeurer. Après y a-
voir fait un long féjour , il revint en Angle-
terre, oùfaFaioille teuoic un rang conlide-
rable. Sa Relation , qu'il publia bientôt en
Anglois, eut un fuccès étonnant; parce qu'il
étoit le premier Etranger qui eût parlé , a-
vec connoifTance, d'un Pays dont les Efpa-
gnols ferment foigneufement l'entrée. L'Au-
teur de la Préface nous apprend que cctt«
raifon porta Mr. Colbert à charger Mr. de
Carcavi de la faire traduire en François par
Beaulicu, Hues o Neil. Thevenot ra don-
née auffi en François dans le fécond Tome
de fon Recueil, avec une Hirtoire des Me-
xiquains, en Figures hiéroglyphiques, dont
on a. l'obligation au même Voyageur: C'elt
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 453
particulières n'ayant rien d'utile ni d'intéref-
fant, on fe croira difpcnfé d'en faire un ar-
ticle particulier ;*innis Ils remarques enrichi'
xont fouvent no9 Dcfcriptions.
l'Edition d'Amfterdam du 1722, à laquelle
on s'attache ici. Gage cft un Kcrivain alTcz
judicieux, dont on ne peut foupçonner rai-
fonnablomcnt U bonne foi. Se» avanturcs
DEfCRiPTtOW
1)1! i.\ Nou>
V1;LI.B EsrA«
5. I I L
Dcfcription de Mexico en 162$.
MEXICO, dit-il, efl à préfent une des plus grandes & des plus riche*
Villes du Monde. Comme les Indiens des Pays voinns ont été fub»
jugués, & la pli^parc même anéantis, les Efpagnols y vivent dans une fi
§rande fécurité, qu'ils n'ont point de Portes, de Murailles, de Battions,
e Tours & de Plate -formes, non plus que d'Arfenal, d'Artillerie & de Mu-
nitions. Saint- Jean d'Ulua leur paroit fuffire, pour les défendre contre les
invafions des Etrangers. On peut dire que la Capitale de la Nouvelle Ef-
pagne a été rebâtie une féconde fois, depuis Cortez; carperfonne n'ôfe^
roit prétendre qu'elle contienne cent mille Maifons, comme ehe les conte-
noit d^iàs ia Conquête, ce(l*à-dire, dans un tems où Cortez en faifoît ha^
biter la plus grande partie par des Indiens. Ceux , qu'on y voit aujour-
d'hui, demeurent dans un des Fauxbourgs de la Ville, nommé Guadalupa,
qui pouvoit avoir, en 1625, environ cinq mille Habitans. ^PluOeurs pau-
vres Efpagnols époufent des Indiennes. D'autres les débauchent. Ils ufur-
pent, de jour en jour, les fonds fur lefquels leurs Maifons font bâties; de
de trois ou quatre Maifons d'Indiens, ils en bâtiiTent une grande, à la ma-
nière d'Eiçagne, avec des Jardins & des Vergers: de forte que la Ville efl:
prefqu'entièrement rebâtie de beaux & grands Edifices de pierre & de bri-
que, mais peu élevés," parce qu'il y arrive fouvent des tremblemens de ter-
re qui les mettroient en danger , s'ils avoient plus de trois étages. Les
Hues font (1 larges , que trois carofTes peuvent aller de front dans les plus
étroites, & (ix au moins dans les plus larges; ce qui fait paroître la Ville
beaucoup plus grande qu'elle n'eft en effet. On m'affura (a) que fes Ha-
bitans Efpagnols étoient environ quarante mille; la plupart H riches, que
plus de la moitié de ce nombre entretenoit de fomptueux équipages. Il e(t:
certain qu'on comptoit dans la Ville plus de quinze mille caroffes.
Les Rues des Villes de l'Europe n'approchent point de la netteté de cel-
les de Mexico. La plus grande Place efl celle du Marché , qui fe nommoic
Tlateluco, avant la Conquête. Quoiqu'elle ne foit plus fi fpacieufe que du
tems de Motezuma, eUe efl encore fort belle & d une flnguliére étendue.
Un des côtés efl bâti en arcades , fous lefquelles on efl a couvert de Iji
pluie, & qui font bordées de Boutiques; il y a toujours des Femmes qui
vendent des légumes & des fruits. Du côté qui fait face aux arcades , là
Place offre le derrière du Palais, qui contient prefque toute fa longueur au-
vec les Cours & les Jardins qui en dépendent. Au bout du Palais, on trou-
ve la principale Prifon de la Ville. Proche de-li efl la belle Rue^ qui fê
nom^-
(a.) Quoiqu'on faffe parler Gage, ceci n'eft qu'un extrait de piuricur^s Chapitres-
- LU 3 • .
■ t
454 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Oejcrtptiox nomme Plattria, ou Rue des Or/éwes ^ dan» laquelle on peut voir, en moini
VILLE* eIJa ^*""*^ heure, plufieurs. millions en or, en argent, en Perle» & en Pierrei
cNc. précieufes. La Rue de Saint /iugujlin, qui contient la plupart dei Mar-
chands de foye, efl auÛI fort riche & fort agréable. Mais une des plus
longues & des plus larges Rues de la Ville ett celle qu'on nomme Tacuba,
où prcfque toutes les Boutiques font remplies d'ouvrages de fer , d'acier «Sf
de cuivre. Elle s'étend jufqu'à l'Aqueduc, qui conduit l'eau des Monta-
gnes à Mexico; & fon nom lui vient de l'ancien Buurg de Tacuba, dont
elle eH le chemin. Sa longueur & fa largeur la rendent encore moins cé-
lèbre que les aiguilles qui s y vendent , & qui paflent pour les meilleures de
r Amérique. Une autre Rue, qui tient le premier rang par la magnificence
de Tes Maifons, cil celle de V Aigle ^ ainfi nommée dune ancienne Idole,
qui cd une grofle Aigle de pierre, placée au coin de la Rue, où Ton aflure
qu'elle s'efl confervée fans altération depuis la Conquête. C'eil dans cette
Rue que demeurent la plupart des Seigneurs Efpagnols & les OiSciers de la
Chancellerie. On y voit aulli la façade du fameux Palais des Marquis del
Valkt Defcendans de Cortez. '
On compte, dans Mexico, plus de cinouante Eglifes, foit c!°s ParoiiTes
ou des Monaftéres. Je n'ai vu nulle part de il beaux Cou vcns. Les toits
& les poutres en font dorés ; la plupart des Autels , ornés de colomnes du
plus beau marbre , & leurs degrés , de divers bois précieux ; avec de fi ri-
ches Tabernacles , que le moindre efl: eflimé vingt mille ducats. Les ri-
chcfles intérieures , en Chafles d'or & d'argent , en Couronnes, en Joyaux,
en Ornemens, en Tapifleries, feroient 1 opulence d'une grande Nation.
L'Eglife des Jacobins poflede un Candélabre d'argent à trois cens branches,
& cent Lampes du même niétal, d'un travail ù. exquis, qu'on fait monter
leur valeur à quatre cens mille ducats.
La Ville étant bâtie fur des Canaux comblés, & fur des terres deflechées,
qui ont fait partie du Lac, l'eau pafle fous toutes les Rues. Je puis aflurer
que vers la Rue Saint Auguflin , & dans les lieux aufli bas , les Cadavres font
plutôt noyés qu'enterrés dans leurs fépultures. On ne peut creufer une
fofle fans trouver l'eau , & j'ai vu des cercueils y difparoître tout d'un-coup.
Si le Couvent des Augufl:ins n'avoit été fouvent réparé , & prefqu'entière-
ment rebâti, il feroit aétuellement abîmé. On y travailloit, pendant mon
féjour à Mexico ; & je remarquai que les anciennes colomnes étoient tel-
lement enfoncées , qu'on les faifoit fervir de fondemens pour le nouvel
Edifice. C'étoit la troifième fois qu'on avoit pofé de nouvelles colomnes
Ajr les anciennes ; & tous ces matériaux s'abîmolent comme à la file.
L'usage des Habitans eft d'aller fe promener tous les jours, vers qua-
tre heures du foir, les uns à cheval, les autres en carofle, dans un fort
beau Cours , qui fe nomme la Alameda , & dont les arbres forment des al-
lées impénétrables au Soleil. On y voit régulièrement plus de deux mille
carofles. Ceux des Hommes font fui vis d'un grand nombre d'Efclaves Mo-
res, en riches livrées d'or & d'argent, en bas de foye, avec des nœuds de
ruban à leurs fouliers, & tous l'épée au côté. Le cortège du Vi^eroi, qui
fe fait voir fouvent dans cette promenade , n'a pas moins de magnificence
& d'éclat que celui du Roi d'Efpagne. Les Dames font efcôrtées auffi d'u-
- ♦ * nç
-^
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 455
ne troupe d'Indiennes, la plupart mulùtrcs, vécues d'ucoffes de foye, âc
couvertes de pierres prdcieufcs. L'ajuftcment de ces Créatures cil fi iaf-
cif , éc leurs manières ont tant d'agrément , que la plupart des ICfpagnoIs lea
profèrent à leurs propres Femmes. Klles portent ordinairement une Juppé
chamarrée de galons ou de dentelles d'or & d'argent, avec un grand ruban
de couleur vive , & frangé d'or , dont les bouts leur dcfcendent jufqu'aux
pieds. Leurs corfets font fans manches, & lacés de rubans d'or ou d'ar-
gent. Leurs ceintures font d'un tiflii d'or, enrichi de perles 6c de pierre-
ries. Leurs manches font de toile d'Mollande ou de la Chine, fort larges
éi fort ouvertes , enrichies d'une broderie de foyc, ou d'or & d'argent, &
pendantes de la longueur de leur juppe. Elles couvrent leurs cheveux d'u-
ne coefFe ouvragée; & par-deiïus, elles mettent un rézeau de foye, atta-
ché négligemment avec un beau ruban d'or, ou de couleur, qui croife fur
le haut du front, & fur lequel il y a toujours quelques lettres en broderie,
qui expriment une maxime ou un fentiment d'amour. Leur fein efl: cou-
vert d'une toile fine, qui prend au-deflus du cou, en forme de mentonié-
re, Cette parure efl celle qui ne les quitte pas , dans l'intérieur même des
Maifons; car, lorfqu'elles en furtent, elles prennent une mante de la plus
fine toile, garnie de rubans; &. la plupart le la font pafier fur la tête, de
manière qu'elle ne defcende pas au deflbus du milieu du corps-, pour laifler
voir leur ceinture & leurs autres ornemens. Quelques- unes ne portent leur
mante que fur une épaule; & la pafiant fous le bras droit, elles rejettent
l'autre bout fur l'épaule gauche , pour conferver la liberté de remuer les
deux brns, & de montrer leurs belles manches. D'autres fe fervent, au •
lieu de mante, d'une riche juppe de foie, dont elles jettent une partie fur
l'épaule; & foutenant l'autre de la main, elles accordent librement la vue
de leurs jambes. Leurs fouliers font fort hauts. Ils ont plufieurs femel-
les , garnies d'un bord d'argent , qui ell attaché avec de petits doux de mê-
me métal , dont la tête e(l très large. La plupart de ces Femmes font des
kfclaves, ou l'ont été, & ne doivent la liberté qu'à l'Amour. En général,
le goCit du fade règne à Mexico dans toutes les conditions. Les carofles y '
font beaucoup plus riches que dans les principales Cours de l'Europe. On.
n'épargne point, pour les embellir, l'or, l'argent, les pierres précieufes,
le drap d'or, & les plus belles foyes de la Chine. Les brides des Chevaux
font enrichies de pierres précieufes; & tout ce qui eft de fer ailleurs ell ici
d'argent. Il eft pafle en proverbe qu'il y a quatre belles chofes à Mexico;;
les Femmes , les Habits , les Equipages & les Rues. Le Viceroi , qui gou-
vernoit en 1625, fit faire un Oifeau , plus grand qu'un Faifan , d'or, d'ar-
gent & de pierres précieufes , dont toutes les parties étoient ajuftées avec
tant d'art, pour repréfenter naturellement le plumage, qu'il fut eftimé quin-
ine cens mille ducats (Z>). C'étoit un préfent qu'il deftinoit au Roi d'Efpa-
gne. Rien n'eft fi commun que de voir des cordons & des rofes de diaraans
aux chapeaux des Perfonnes de condition , & des cordons de perles à ceux
des plus vils Artifans. Mais , quoique tous fes Habitans paroifient livrés
aux plaifirs , il n'y a point de Ville au Monde où le Clergé foit traité avec
plu^
(t) Ceft peut-êtte une faute d'impreffion; car cette fommc paroît cxceflîvçt-
DlSCftlPTlO»
OK LA NOU*
VCLLK Eirv»
ONK. .
Ï)B8CRIPTI0N
DE LA Nou-
velle EsrA-
• OME.
4^6 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
de faveur. Chacun afpire à fe diftinguer par les libéralités qu'il fait aux E-
glifes &.aux Couvens. Les uns font bâtir de riches Autels, dans les Cha*
pelles des Saints qu'ils prennent en affedion; les autres préfentent des Cou-
ronnes d'or, des Chaînes & des Lampes, aux Images de la Vierge, bâtif-
fent des Couvens, ou les font rebâtir à leurs fraix, & leur donnent jufqu'à
deux ou trois mille ducats de revenu.
Je ne m'étendrai pas fur les Religieux de cette Ville : mais qu'il me foit
permis d'obferver , qu'ils y ont beaucoup plus de liberté qu'en Europe. C'ell
un ufage établi pour eux de vifiter les Religieufes de leur Ordre, & de don-
ner une partie du jour au plaifir d'entendre leur Mufique & àe manger leurs
confitures. Les Couyens de Filles ont des apartemens fort ornés , qui font
partagés par des grilles de bois , pour la réparation des deux Sexes.. Tous
lesHabitans d'une naiflance honnête font élever leurs Filles dans ces lieux;
& l'éducation qu'elles y reçoivent confifte à faire toutes fortes de confitures
& d'ouvrages 3 l'aiguille, à fe perfeftionner dans la Mufique, qui efl: fort
en honneur à Mexico, & à jouer desC(Mnédies, quife repréfentent dans les
Eglifes, aux grandes Fêtes.
La Capitale de la Nouvelle Efpagne reçoit un grand luftre de fon Univer-
fité , dont les Edifices font l'ouvrage de Dom Antoine de Mendoza. Outre
le fomptueux Palais que les Vicerois ont dans la Ville, on leur en a fait bâ-
tir un à Chapultepeque , ancienne fépulture des Empereurs Mexiquains. Ce
lieu efl: devenu comme l'Efcurial de l'Amérique , depuis qu'on y enterre les
Vicerois qui meurent pendant leur adminifl:ration. Les Bâtimens en font
magnifiques , & les Jardins y répondent , par la beauté de leurs parterres ,
de leurs allées & de leurs eaux. On allure que la Chapelle vaut plus d'un
million d'or.
En 1625, Mexico n'avoit encore que trois entrées, par les trois ancien-
nes ChaulTées qui fervirent aux attaques de Cortez (c).
(c) Foyage de Gagg, Toine 1. Part. prem. Chap. 21 & fuiv. & Part. 2. Chap. i.
"^ *. '-"'-',.' ..„.,'-J. ^. IV.' ■ -^*';'., , ,
- Defcription de Mexico en 1678. * *^.-
M Ex ICO efl: bâti (a) fur un Terre-j^ein, & fitué au bord d'un Lac,
qui par fa vafte étendue forme une efpèce de Mer; il efl: entouré,
des autres côtés , de quatre autres plus petits Lacs , qui ne font féparcs les
uns des autres que par de larges Chauflees pavées & revêtues de pierre
de taille. ' , ■ ■ •
■ ' ' ' ■ - -■-■.'■. ■^^■:n ., ... Le
Nota. Voyez la Carte des Environs de Me-
xico, au Tome XVI R. d, E.
(a) Cet article efl tiré de Lionnel fVaffer^
autre Voyageur Anglois , qui étant parti
d'Angleterre en 1677 . PO"r Bantain dans
l'Jfle de Java, ût l'année fuivante le Voyage
de la Jamaïque, & de-là, par diverfes aven-
tures, celui de plufieurs Etablifleniens Efpa-
gnois. On loue beaucoup l'txaftitudc de les
connoiflances , & nous aurons fouvcnt l'oc»
ciifion de les employer. Sa Relation tut tra-
duite en 1706 par Mo/itiVat,' Interprète des
Lan-
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 457
Le Plan de cette Babylone Indienne efl uni. Elle a trois lieues de lon-
gueur, à prendre depuis Guadalupa jufqu'à Saint Antoine, & prefqu'autant
de large, depuis l'Arfenal & l'Hôpital de Saint Lazare jufqu'à Tacuba. Les
rues font fi droites, qu'elles paroifTent tirées au cordeau, &fi larges que
fix carofles de front peuvent y pafler fans embarras. Quelques-unes font
divifées en trois parties égales, dont celle du milieu efl; le lit d'un des cinq
Canaux qui fortent d'un des Lacs , & qui arrofent la Ville , par plufieurs
détours , dans fes différens Quartiers. C'efl à ces Canaux que les Habitans
doivent l'abondance &* les commodités dont ils jouifTent , par un Commer-
ce continuel. Chaque jour de la femaine a fes diâférentes marchandifes ;
mais le Samedi fe fait diflinguer. C^efl le jour où l'on voit arriver de tou-
tes parts , à Mexico , des Flottes de 'fruits & de fleurs , qui donnent' à tou-
te la Ville l'apparence d'un Jardin. La grande Place ell: d'une Ci vaflie é-
tendue, qu'aux jours deilinés pour lescourfes de Taureaux & pour les Jeux
de cannes, le Peuple en remplit à peine la troifiéme parcie. L'Ëglife Ca-
thédrale, bâtie d'un mélange de pierre de taille, & de brique, borne le
milieu d'une de Ces faces , du côté du Nord. A l'oppofite, du côté du Mi-
di, font l'Hôtel de Ville, la Maifon du Juge de Police, les Greniers pu-
blics , & la Prifon. Chacun de ces Edifices offre un grand Portail de pierre
de taille, foutenu de deux Piliers de la même pierre, & tout d'une piéoe.
On trouve enfuite les Boutiques & les Magaflns de plufieurs riches Mar-
chands. Le côté- du Couchant efl prefqu' entièrement occupé par un grand
nombre de Maifons , qui fervent de demeure aux plus riches Particuliers de
la Nouvelle Efpagne. Elles font fuivies de cinq ou fix grands Magafins d'é-
toffes d'or , travaillées en Europe. Du côté de l'Orient font le Palais du
Viceroi, l'Audience royale , l'Univerfité, le Collège des Religieux de Saint
Dominique, & le Saint Office, c*efl-à dire , la Maifon de l'Inquifition. L'en-
cognure efl remplie par l'Hôtel de la Monnoye. Cinq rues , par lefquelles
on entre fur la Place, font toutes fi larges, qu'un carofTe à fix Chevaux y
tourne fans peine-
Le Palais du Viceroi efl un Edifice de Fernand Cortez. Il efl plus grand
& plus magnifique que le Palais royal de Madrid. La Cour, qui efl fort fpa-
cieufe, efl entourée de riches balcons de fer; & l'on voit au centre un fort
beau
Descriptioa
De LA Nou-
velle EsrA.
GNS,
Langues , & publiée à Paris chez Claude Cel-
lier, in-12. On a donné en Hollande une
traduftion du même Voyage , duns le Recueil
de Paul Maret , à la fuite du Voyage de Dam •
pier aux Terres auftrales. Elle contient
quantité de defcriptions , fur-tout d'Animaux
& de fruits, qui ne font point dans l'original
Anglois, & qui paroiffent empruntées de di-
vers autres Ecrivains; tandis qu'au contrai-
re, on y a fupprimé tout ce qui regarde la
Nouvelle Efpagne, apparemment parce que
WafFer fait profeiîion de le tenir d'un autre.
Mais l'éclairciffement , qu'il y joint , doit
donner beaucoup de poicfs à fon récit. Ibid.
page 253. Montirat , dont la traduction pa-
Xf^IlL Part. M
rut l'année d'après , fe garda bien de faire le
même vol au Public, & loue particulière-
ment, dans Waffer, fa defcription de l'Ifth-
me du Darien & celle de la Nouvelle Efpa-
gne. Celle-ci d'ailleurs eft confirmée par
Fiançois Correal , Efpagnol , né à Cartilage-
ne, qui étant parti en 1666. pour voyager
en Amérique, fe trouva dans la fuite, à Me-
xico, vers le tems que WafFer rcpréfente;
& fi l'on ne donne point place ici à la, def-
cription de Correal; c'ell qu'elle ne contient
prefque rien qui ne foit dans l'autre, avec
un détail plus inftruélif. Mais on en tirera
quelques lumières pour la defcription des
Provinces. - . • ■■ ;.
m m
458 DESCRIPTION DU M E X I Q U E,
Description beau Cheval de bronze, fur un large piédeftal. Le Portail de la principale
vfiL ^a E °" Ejlife foutient une efpèce de petite Tour, où le Duc d'Albuquerque fit po-
"ke."^* fer un fanal de cryftal, dans lequel on allume tous les jours, à l'entrée de
la nuit , un Flambeau de cire blanche. Le centre de la Place eft marqué par
un très beau Pilier de marbre, au fommet duquel un Aigle de bronze fe fait
admirer par l'excellence du travail. Autour du Pilier , quatre rangs de pe-
tites Boutiques de bois, d'une extrême propreté , oflFrent tout ce qu'on peut
defîrer de curieux en foie, en or, en linge, dentelles, rubans, gazes, coëf*
fures, & autres marchandifes de mode.
En for tant de la Place par le côté oppofé à l'Eglife, on entre dans la rue
des Orfèvres, qui efl extrêmement longue, & d'une richeffe furprenante.
Elle conduit dans une grande Aulnaiê , dont les arbres font très hauts, &
forment un charmant Quinconce, au milieu duquel fort une très belle Fon-
taine d'eau vive & pure. Il y a peu de promenades aulli délicieufes. Le
terrein , qu'occupe à préfent la Maifon profeiTe des Jéfuites , contenoit au-
trefois un des Palais de Motezuma, qui fervit long-temsde demeure à Cor-
tez avec les Efpagnols & les Tlafcalans. On y conferve encore , dans une
petite partie de l'ancien Edifice, la fenêtre où ce Prince fut tué d'un coup
de pierre. Elle a fix pies de hauteur. Sa forme efl en arc , foutenue d'un
pilier de marbre blanc. Il y a , dans Mexico , deux très beaux & très fpa-
cieux Amphithéâtres , deflinés pour la Comédie & autres fpeâacles. Cette
infigne Capitale de la Nouvelle Efpagne efl remplie de Noblefle, & de gens
conlidérables par leurs richeifes, leur mérite, & leurs fervices. On nom-
moit, entre les principaux, Dom Fernand d'Altamirono , Comte de Saint-
Jacques de Colimaya , & Sénéchal des Philippines ; Dom Garci»;: de Valdez
Ôforio, Comte de Pennalva , & Vicomte de Saint-Michel ; & Dom Nicolas
de Bivero Peredo , Comte d'Orizalva. Je n'entreprens point de rapporter
lés noms de plus de cent Chevaliers de tous les Ordres Militaires d'Efpagne.
Le nombre des carofTes montoit à quatre (b) mille. On comptoit dixfept
Couvens de Religieufes, &unn grand nombre de Monaflères ou de Cou-
vens d'Hommes, que je pourrois nommer jufqu'à quatre-vingt-neuf grandes
& fomptueufes Églifes (c), fans parler de celles des Mandians, qui font
moins fuperbes , mais fort propres. Mexico n'a qu'un Collège pour l'édu-
cation de la jeuneife.
La beauté des Maifons efl: incomparable, foit qu'on en confidère l'éten-
due , ou la matière, . la figure & la commodité. Les plus hautes n'ont pas -
plus de trois étages. Toutes les murailles font incruflées, en dehors, de
petits cailloux de diverfes couleurs, taillés, les uns en cœur, d'autres en
foleils, en étoiles, en roues , en fleurs de toutes les efpèces, & d'autres fi-
gures , dont la variété forme un agréable fpeftacle. Les Portes font fort
grandes & fort hautes. Prefque toutes les fenêtres ont des balcons de fer,
dont la plupart tiennent toute la face de l'Edifice. Ils font ornés , dans tou-
tes les faifons , d'un grand nombre de caifTes d'Orangers & de toutes fortes
de fleurs } car le Printems règne îans cefTe à Mexico. Le climat y efl: fî
doux
~, :ié:.
i...t.
i ^*
iHO
(h) Dimlnuéparconféquem des dewx tiers (c) Augmentation de nombre, depuis le
depuis Gage. même teœs.
u •*■.-.
! dans la rue
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 459
doux & il tempéré, qu'on n'y reflent jamais de chaleur incommode, ni de
froid qui oblige dV allumer du feu. L'eau d'ailleurs y efl: très faine ; & le
§rand Aqueduc , loûtenu de trois cens foixante & cinq arcades de pierres
e taille, qui l'amène au travers du Lac, fait un des principaux ornemens
de cette Dartie
La Ville eft divifée en dixfept Paroifles, cinq d'Efpagnols & douze d'In-
diens. On y compte vingt-deux mille Efpagnols habitués avec leurs famil-
les, environ vingt mille qui n'y font que peur un tems, & trente mille
Femmes de la même Nation, qui font généralement belles, & d'une ma**
gnificence furprenante. Les Indiens établis ne montent pas à plus de qua-
tre-vingts-mille; mais le nombre de Paflagers va toujours beaucoup plus
loin. Si l'on y joint çlus de cent mille Efclaves & Domeftiques , de l'un &
de l'autre fexe, on doit fuppofer que Mexico ne contient pas moins de qua-
tre cens mille Ames, fans y comprendre les Enfans. Pedro Ordognez af-
fure, dans fon Voyage autour du Monde, qu'il y avoit, de fon tems, deux
cens mille Indiens, «un plus grand nombre d'Indiennes; vingt mille Nè-
gres, & plus de Femmes du même fang; trente mille Efpagnols, &plus
de Femmes de leur Nation.
Les Mexiquains", qui habitent la Ville, font dociles, bons Catholiques ,
& prefque tous riches, parce qu'ils s'attachent beaucoup au Commerce,
d'une Province à l'autre. Les principaux ne font pas moins confiderésque
les Habitans de race Efpagnole. 11 n'eft relié du fang de Motezuma, que
Dom Diego Cano Motezuma, Chevalier de l'Ordre de Saintr Jacques ; fon
Fils, Dom Juan; fon Neveu, Dom Diego, & fa Nièce, Donna Leonor;
Enfans de Dom Antoine Motezuma. Ils jouiflenc tous d'une penfîon, fur
là Caifle royale, qui aide à les faire fubfîfter avec honneur.
On ne fera point furpris que Mexico foit dans l'abondance de tout ce qui
peut fervir au luxe comme aux befoins de la vie, fi l'on confidère qu'outre
là merveilleufe fécondité du Pays, il y arrive tous les ans deux Galions d'Ef-
pagne , avec une Frégate légère, qu'on nomme la Patache du Roi , & plus
de quatre-vingts Vailfeaux marchands , qui lui fourniflent ce qu'il y a de plus
précieux en Europe; & que de l'autre côté, une Flotte, qui part réguliè-
rement des Philippines , lui apportant les raretés de la Chine, du Japon,
de 1 Indoullan & de la Perfe , il jouit continuellement de toutes les richef-
fes de l'Europe & des deux Indes. ^
C'est une tradition du Pays , qu'il y avoit autrefois des Géans , aux envi-
rons de Mexico. J'y ai vu, fous le Gouvernement du Duc d'Albuquerque ,
des oHemensât des dents d'une prodigieufe grandeur; entr'autres, une dent
de trois doigts de large ,& longue de quatre. Les plus habiles gens du Pays,
qui furent confultès, jugèrent, fur les proportions ordinaires, que la tête
ne devoit pas avoir moins d'une aulne de largeur ; & le Duc s'attachant à
leurs idées, fit faire deux Portraits de cette énorme tête, dont il envoya l'un
auRoid'Efpagne (rf).
(d) LionnelWaffer, uhijuprà, pages 367 & fuivantes.
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DucMmàH
DB LA Nou-
velle EWA:
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.5. V.
Omcription
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460 DESCRIPTION DU ME XI Q U E, .
!" ' '. Defcription de Mexico en n5<)7. . ..
..li -
'.a
C^ A R R E R I efl le dernier Voyageur qui ait publié Tes Obfervations fiir la
> Nouvelle Efpagne. Il reconnoîc , dans la Capitale , toute la magni&-
cence qu'on y admiroit avanblui. U joint même, à cet aveu, des remar-
ques qui doivent faire "fuppofer que dans Tincervalle, elle a reçu de nou-
veaux accroiflemens. Cependant , on eft furprîs de fé voir ennuyé (a) d'un
fi beau féjour ; & l'on croit pouvoir conclure qu'en s'embelliiTant par une
augmentation d'Edifices, elle a perdu des avantages plus eflêntiels à fa véri-
table grandeur.
Mexico, dit-il, eft (Itué proche du Lac, dans une Plaine fort maréca-
geufe , à dix-neuf dégrés quarante minutes de latitude du Nord. Quelque
loin que les Habitans apportent à faire de bons fondemens, leurs Maifons
font a demi enfevelies , dans un terrein qui n'efl pas capable de les foutenir.
La forme de cette grande Ville eil quarrée; & les rues droites, larges &
bien pavées, qui répondent aux quatre Vents principaux,, lui donnent qpel-
Î[ue reflemblance avec un Echiquier. Auffi la voit-on toute entière , non»
eulement du centre , mais de toutes Tes parties. Son circuit eft de deux
lieues, & fon diamètre, d'environ une demie. On y entre aujourd'hui par
cinq ChaufTées , qui fe nomment la Piédad, Saint- Antoine, GuadaIupa,Saint-
Côme , & Chiapultepeque. Celle de Cuyoacan, ou del Pennon , par laquelle
Cortez y fît fon entrée, ne fubfifte plus.^
On peut dire que Mexico le difpute aux meilleures Villes d'Italie, par
les Edifices ; & qu'il l'emporte, par la beauté des Femmes. Elles font paf-
fionnées pour les Européens, qu'elles appellent Câ^^opinx ;& quelque pau*
vres qu'ils foyent, elles préfèrent leur main à celle des plus riches Créoles.
De-là vient que les Créoles ont tant d'averfîonpour les Européens, qu'ils les
înfultent par des railleries continuelles. Les Éfpagnols , qui arrivent , s'en
trouvent quelquefois offenfés jufqu'à répondre à leurs plaifanteries par des
coupsr de piftolet. *
On compte aujourd'hui, dans la Capitale de la Nouvelle Efpagne, envi-
ron cent mille Habitans, dont la plus grande partie eft de Noirs ou dé
Mulâtres; ce qui paroît venir , nou- feulement du grand nombre d'Efcla-
ves qu'on y a mçnés, mais encore de ce que tous les biens étant paffés
entre les mains dès Ecdefiaftiques:, les Efpagnols &. les autres Européens ,
qui ne trouvent plus moyen de fe faire un fond certain, ont peu de goût
pour le mariage, & fe jettent eux-mêmes, à la fin, dans l'Etat eccle«
liaftique. Quoique la Ville n'ait pas moins de 29 Couvens d'Hommes &
22 de Filles, ils ifont tous d'une opulence qui caufe de l'étonnement aux
Etrangers (b). On prendra quelque idée des richeffes de l'Eglife Mexi-
quaine,
(a) Tome 6. page 236.
(6) Il s'efl formé , dans le cours de ce
fiécle , un grand nombre de ces Eubliiïc-
mens. Dom Melchîor ^uallar employa fix
cens mille piaftres , tant à bâtir qu'à dotter
le Couvent des Carmes , qui fc nomme VHer-
'..é**
mi'
ONE.
OU DÉ LA NOUVELLE ÉSPACÏN'E, Liv. II. 4^*
qmlne, par celies du Chapitre de la Cathédrale} ^ui n'efl compofé que de r>wcMpwoir
neuf Chanoines, & d'une dixième place, gu'on nomme le Canonicat du JJ^le* '
Roi, mais dont le revenu fe paye au Tribunal de l'Inquifltion, comme
dans tous les^Diocefes de la Nouvelle Efpagne; de cinq Dignités, qui font
le Doyen, l'Archidiacre, le Maître d'école, le Chantre & le Tréforier; de
i'ix Chapelains, Scfix demi-Chapelains, un Sacriflain principal , quatre Cu-
rés que le Viceroi nomme, douze Chapelains Royaux à la nomination du
Chapitre, & huit autres , qui portent le titre de Laurenzana. Leurs ren-
tes annuelles font de 300006 pièces de huit , dans lefquelles il faut compren-
dre k la vérité le revenu de l'Archevêque , qui eft de foixante mille pièces :
mais le Doyen en th-e onze mille; chacune des quatre autres Dignités huit
mille; les Chanoines , chacun fix mille ; les Chapelains , cinq mille; les de-
mi-Chapelains trois mille; chaque Curé <juatre mille, & les Chapelains
Royaux trois cens. Le relie paile aux Sacriflains & à d'autres Clercs , qu'on
fait monter à trois cens. Mexico eft une petite Ville, pour le nombre de
les Ëglifés. La plupart des Habitans ne peuvent plus s'y faire des loge-
mens commodes. Cependant on y vit à fort bon marché. Une demie piè-
ce de huit fuffit chaque jour pour la dépenfe d'un Homme. Mais comme
il n'y a point d'efpèces de cuivre, & que la moindre pièce d'argent eft une
demie- réale, on eft dans un embarras continuel pour le commerce des den-
rées, tels que les fruits & les légumes* Aujourd'hui, comme avant la
Conquête, les noix de cacao font la monnoye courante du Marché aux her-
bes, fur le pié de 60 ou 80 pour une réaie, fuivant le prix aéluel du cacao,
qui n'eft jamais fixe.
L'Eglise Cathédrale eft fort grande. Elle a trois nefs , foûtenues par dfe
hauts piliers de belle pierre. Le Bâtiment n'étoit point encore fini ; mais
i^ fe continuoit aux dépens du Roi, qui faifoit joindre néanmoins, aux
fom-
.4h-
nitage ou le Defert , à peu de diflance de
Mexico ; & fa Femme fonda , pour le mê-
me Ordre , un Collège qui porte le nom de
Snint j4nge. Diegue del Cajlilh, qui étoit
venu d'Efpagne, très pauvre, & qui avoit
commencé fa fortune par le métier de Chau-
dronnier , bâtit le grand Couvent des Pères
de Saint Pierre d'Alcantara, celui des Reli-
gieufes' de Saint François , & celui de Sainte
Agnès : ce qui ne l'empêcha point de laiflèr,
en mourant , un million à une Fille qu'il a-
voit élevée par charité. Jofeph de ReteSt
après avoir fait bâtir un fuperbe Couvent
dé Religieufcc , fous le titre de Saint Ber-
nard, laifla aulïï un million à faFilie. Dom
François Canales , Chevalier de Calatrava,
ayant laiffé à fa Femme tout fon bien, qui
étoit dé fix cens mille pièces, cette Dame,
quoique jeune, méprifa tous ceux qui s'of-
froientpour l'épouier, diflribua fon bien aux
Pauvres, fe fit Religieufe en 1695, & fonda
le Couvent des Capucines. Simon de Haro ,
qui étoit venu d'£fpagne avec la cappe &
l'épée, fonda celui de la Conception. Do*
minique Laurenfana , pauvre aulfi à fon ar-
rivée , bâtit le fameux Couvent des Filles de
l'Incarnation. Enfuite une Religieufe de ce
Couvent fonda celui des Religieufes de Val-
vaneda. Jean Navarro Prejlana , gagna tant
de bien dans la profeflion de Maître Carof-
fler, qu'il fit bâtir le Couvent de Saint Jo-
feph de Gratias , & celui de la Conception ,
tous deux de Filles. Etienne de Molina Mo-
fcbera , après avoir bâti le Couvent des Car-
mélites, làifiTa encore en mourant cent mil'e
pièces de huit. Dom Marc de Guevara, fit
faire les Aqueducs de Mexico, dont les ar-
cades font en fi grand nombre , dans l'efpace
d'une lieue , que la dépenfe doit en avoir été
prodigieufe. En récompenfe , il obtint la-
Charge d'Alguafil Major ,. avec une Place
dans le Chapitre pour lui & fes Defcendans.
J'omets une infinité d autres exemples : mais-
on voit que tout ce qu'il y a de magnifique,
à Mexico , eft l'ouvrage des Particuliers.'
Carrer» , Tome 6. Cbap, 4, ..,,». .
Mram â
DUCKIPTXON
jOI LA NOU*
VBLLB ElPA-
CNB.
\
4(5a D E S Ç R I P T ION DU ME XI Q D E,
fommes tirées du Tréfor, uqq, taxe d'une demi-réale par i;ête, fur tous les
Diocéfains. Le Chœur e{l orné de quantité d'ouvrages de fculpture^ en
bois aromatiques , & de quatre Autels qui forment les coins du quarré , in-
dépendamment du grand , dont la magnificence efl furprenante. Pluneurs
Chapelles, richement dorées, augmentent l'éclat du fpeflacle. Le For-
tail efl fomptueux: il ed compoie de trois portes; & l'Eglife en a cinq
autres dans les côtés. . Quelques-uns prétendent qu'elle fut commencée par
Cortez , fur les débris du grand Temple des Mexiquains ; mais d'autres
prouvent, par d'anciennes peintures^ c|ue ce Temple étpit dans le lieu que
" le Collège de Saint Alfonfe occupe aujourd'hui. Le Siège Arcihiepifcopal
de Mexico a onze SufFragans; la Puebla de los Angeles, Mechoacan,
Guaxacca, Guadalaxara, Guatimala, Yucatan, Nicaragua, Chiapa, Hon-
duras, & Nueva Bifcaya. On fait monter le revenu de ces onze Evêchés
à plus d'un million deux mille piaflres ; & la dépenfe pour le Bâtiment de
ia Cathédrale de Mexico, jufqu'au tems de Carreri., à un.millioQ cinquante-
deux mille. • ' î V, ud.ifijif i > •- nfeuffci ./* i
Le Collège des Carmes Defchaux , qui fe nomme Saint Ange , pofTède
une des plus belles Bibliothèques de l'Amérique. Elle contient douze mille
volumes. Le jardin , qui s'étend hors de la Ville dans une circonférence
d'environ trois quarts de lieue, efl arrofé par une grofTe Rivière; ce qui le
rend fi fertile , que Tes Arbres fruitiers rapportent plus de treize nulle piaf-
très au Couvent.
La Conception efl un célèbre Couvent de Filles , dont le nombre n'efl
que d'environ quatre-vingt-cinq: mais elles ont plus de cent Domefliques à
leur fervice; parce que dans la plupart des Monâftères de la Nouvelle Ef-
pagne , on ne vit point en Communauté. Chaque Reiigieufe reçoit , de
la mafle commune, de quoi fournir à fon entretien, & peut avoir juf-
qu'à cinq ou fix Servantes. Les Edifices & l'Eglife de cette Maifon font
magnifiques. Le Couvent de l'Incarnation efl d'une grandeur extraordi-
naire. AufTi contient-il cent Religieufes & plus de trois cens Domefliques
du même fexe.
Carreri fuit, dans fes defcrîptions , l'ordre de fes vifîtes. Il vit le Tré-
for royal , qui efl dans le Palais du Viceroi. Trois Officiers en ont la gar-
de, fous les titres de Contador^ ou Contrôleur, de Faâeur & de Tréforier.
L'argent qu'ils reçoivent , pour les droits du Roi dfe pour le cinquième de
la marque, ou du contrôle des monnoyes , monte annuellement à 600000
marcs: mais il s'y commet beaucoup de fraude; & l'Effayeur ne fit pas dif-
ficulté d'avouer à Carreri, qu'en 1691, il en avoir marqué 800000 marcs.
On frappe cet argent au coin de Sa Majeflé lorfqu'on en a fèparé l'or; c'ell-
à-dire , s'il s'en trouve 40 grains par marc , car autrement on ne croit pas
qu'il vaille la peine de le féparer.
Le Canal deXamaicâ efl une promenade charmante, qu'on peut nom-
mer le Paufylipe de Mexico. On s'y pro neo^ également liir l'eau, & fur
fes bords. Quantité de petites Barques, remplies de Muficiens, font en-
tendre des concerts de voix & d'inflrumens. Les bords du Canal font cou-
verts de petites maifons & de cabarets d'Indiens , où l'on prend , pour ra-
fraîchiffemcns , du chocolat, de l'acole & des tamales. L'atole qk une li-
queur
OtJ DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 4^3
queur compofée de blé d'Inde, dont Carrerî fe fit expliquer la préparation.
Elle confifte, dit-il, à faire bouillir le maïz avec de la chaux; & lorfqu'il
eft repofé , à le broyer comme le cacao. On pafle cette pâte , avec de
l'eau, au travers d'un tamis. Il en fort une liqueur blanche & épaiflp,
?u'on fait un peu bouillir , & qui fe boit , ou feule , en y mettant du
ucre , ou mêlée de chocolat. Elle eft aflez nourriflante. De la même
pâte, bien lavée, on fait des tamales, avec un mélange de viande bien
hachée , de fucre & d'épiceries. L'atole & les tamales font d'un goût
fort agréable.
L'Eglise de Saint François le Grand renferme le Tombeau de Fernand
Gortez, Conquérant du Mexique. Son Portrait eft à la droite de l'Autel,,
fous un dais; & prés du même lieu,- on montre un Tombeau, peu élevé,
où Ton prétend que fes os furent apportés d'Efpagne : mais Carreri ne le
trouva pas digne d'un fi grand Homme.
Le Collège de l'Amour-de-Dieu, eft une forte d'Hôpital, fondé par les
Rois d'Efpagne, avec 36000 piaftres de revenu, pour la guérifon des maux
vénériens. On y enfeigne d'ailleurs les Mathématiques. Dom Carlos de
Syguenza y Gongora, revêtu alors du double emploi de Direfteur & de
ProfefFeur, étoit un fort favant Homme, dont Carreri reçut quelques Anti-
quités Indiennes qu'il a fait graver dans fa Relation.
Dans l'Eglife de Saint Dominique on voit la Chapelle d'un Fils de l'Em-
pereur Motezuma , & fon Tombeau , avec l'infcription fuivahte : „ Dom
„ Pierre Motezuma , Prince, Héritier de l'Empereur Motezuma , & Sei-
„ gneur de la plus grande partie de la Nouvelle Efpagne ". L'Eglife eft
fort riche; & le Couvent, d'une fi grande étendue, qu'il contient 130 Re-
ligieux , dans des dortoirs fort commodes. C'étoit un des defcendans de
Dom Pierre, qui rempliflbit alors la dignité de Viceroi, fous le titre de
Comte de Motezuma. Il perdit , pendant le féjour de Carreri à Mexico , l'Aî-
née de fes deux Filles, nommée Donna Faujta Domenica^ qui mourut à l'âge
de huit ans , & dont la mort fit hériter à fa Sœur un revenu de 40000 piaf-
très. Carreri en prend occafion de nous donner la généalogie de cette Mai-
Ibn Royale. Entre les Femmes de l'Empereur Motezuma , il y en avoit une
qui fe nommoit Miyahuaxochitl ^ & qui étoit en même-tems fa Nièce, com-
me Fille d'ixtiicuechalmaquej Frère de ce Prince. Il eut d'elle un Fils, qui
fut nommé T'.aca Huque Fantzin Tobualica Hua-catzin , & qui reçut le baptê-
me après la Conquête, fous le nom de Dom Pierre. Ce' Fils époufa Donna-
MdiàddÀne Quû^ouhxocitl y fa Confine germaine , c'eft-à-dire. Fille de T/aca
Hue Pan, troifierae Frère de l'Empereur Motezuma; d'où vint Dom Diego-
Louis Ihuil TemoSlzin , qui fe maria en Efpagne. De lui font defcendus les
Comtes de Motezuma, Tula, &c, auxquels le Tréfor Royal de Mexico
paye tous les ans quatre mille piaftres. Les Armes de cette Maifon font
un Ai^le, regardant le Soleil, les aîles éployées, & plufieurs figures des
Indes à l'entour. Motezuma eut d'une autre Femme, nommée Teitako,
une Fille, qui prit au baptême le nom de Donna Ifabellej pour celui de Te-
cubîcbpotzin y qu'elle avoit porté jufqu'alors. Elle eut pour premier Mari
fon Oncle Cuîtlabuatzin , qui auroit dû fucceder à Motezuma , fi Quauhtimoc
n'eût profité des troubles publics pour s'emparer du Trône. Son fécond <
Ma-
Descriptiom
DE LA Nou-
velle ESPA-
OMB.
4^ -DESCRIP T ION DU MEXIQUE,
DitcâTFTrow jjjjj fut Guatimozin (r)^ après la mort duauel Fernand Cortez la fit ëpou-
vsLLîf Eirï' ^^^ ^ Grades , qui n'en eut point d'£nfan8. Elle fe maria, pour la quacriè-
ONE. me fois , avec Pierre Gallgo à'/înârada , d où font venus les ândradat
Motezumas , c^ui ont leurs ËtablifTemens dans la Nouvelle Ffpagne ; <Sc
pour la cinquième , avec Jean de Cano , d'où defcendeni les Canos Mo-
tezumas.
On pafle fur quantité d'autres Couvens & d'Hôpitaux de Mexico que
Carreri eut la curiofité de vifiter, mais dans lefquels il n'obferva rien qui
mérite la nôtre. Ce qu'il rapports des Mines de Pachuca, & des Cous ou
des Pyramides de Saint Jean Tediguacan , qui font à peu de diUance de cet-
te Capitale, a déjà trouvé place dans fa projpre Relation (</), dont ces
deux Articles ne pouvoient être détachés. Il tait -après une bifarre peintu*
re des Procefllons de la Nouvelle Elpagne, qui ne donnent pas une nonnê*
te idée de la Religion des Habitans (e), au milieu de tant d'ËgUfes & de
Prêtres.
Le Roi d'Efpagne donne ordinairement, aux Vicerois, cent mille du*
cats à prendre fur les revenus de la Couronne , pendant la durée de leur
Gouvernement , qui efl ordinairement de cinq années. Mais la plupart ob<
tiennent, par les préfens qu'ils font au Confeil des Indes, que leur Com-
miffion foit continuée jufqu'à dix ans ; & la çart Qu'ils peuvent prendre au
C(Mnmerce leur donne continuellement l'occalion d'acquérir d'immenfes ri-
chefles; fans compter que les Gouverneurs particuliers des Audiences &
des Villes étant dans leur dépendance, ils tirent des femmes conddérables
de ceux qu'ils nomment à ces Emplois (/), ou qu'ils fedifpenfent deré-
vo-
C e ) Cette remarque éclaircit le doute des
Hiftoriens fur cette Princeflc, que les uns
font Nièce de Motezuma , & confirme le fen-
timent de Solis, fur la diftinftion de Quauh-
timoc & de Guatimozin.
( d ) Tome XVI. de ce Recueil.
( e ) II fu£ra d'en rapporter quelques
traits: Un jour, il en vit pafler trois l'une
après l'autre; celle des Frères de la Trinité ;
celle des Frères de Saint Grégoire, & celle
des Frères de Saint François, quon appelle la
ProceJ/îon Cbinoije , parce qu'elle eft compo-
fée d'Indiens des Philippines. Chacun portoit
fes Images , avec quantité de lumières , &c.
lorfqu'eTles furent arrivées au Palais, les Frè-
tes Chinois & ceux de la Trinité prirent que-
relle pour la prefféance; & l'on fe bâtit fi vi-
vement, qu'il y eut beaucoup de BleflTés. Le
•jour du Vendredi Saint, Carreri vit pafler
une fameufc ProçelTion, qui fortit de S»int
François le Grand, avec l'Enfeigne du faint
Sépulcre. A huit heures du matin , on avoit
entendu trois Trompettes . qui fonnoient des
airs fort lugubres. Bientôt on vit marcher un
faraud nombre de Confrères, avec des cier-
ges en main, & quantité de Pénitcns, qui
fe donnoient la diicipllne. Us étoient fuivis
d'une Compagnie de gens armés , quelques-
uns â cheval, portant la Sentence, l'Ecri-
teau , la Robbe & les autres fymboles de la
Paffion. Pui« rcnoient plufieuis perfonnes ,
gui figuroient le bon & le mauvais Larron ,
Nôtre-Seigneur , la Sainte Vierge , Saint
Jean , la Sainte Véronique , deux Prêtres
uifs montés fur des Mules, &c. Au retour,
on repréfenta au naturel les trois chûtes de
Nôtre-Seigneur, & d'autres fpeftaclcs. L'a-
près-midi , les Indiens , les Nègres & les Ef-
pagnols donnèrent fuccefldvement de nouvel-
les fcènes.
(/) Il y en a de fi lucratifs, qu'en moins
de deux ans ils rapportent deux cens mille
écus à ceux qui les obtiennent. Il en eft de
cent mille & cinquante mille, de 40, de 30,
de 20, de 10, de 6 & de 4. Ceux qui
commencent par les petits , fe mettent peu-à-
peu , par leurs profits cnfuels & leurs épar-
gnes, en état d'afjiirer aux plus confidéra-
bles. Lionnel Waffer, ubi/uprà, pag. 351
/'
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 465
voquer à la fin du terme. Gage nomme un Viceroi, qui mettoit un mil-
lion , chaque année , dans Tes coffres (5 ) » & qui exerça l'Adminiftration
pendant dix ans. Elle n'eft pas fi abfolue, que le Confeil, qui eft com-
pofc de deux Préfidens, de fix AlTelTeurs, & d'un Procureur du Roi, n'ait
le pouvoir de s'oppofer à tout ce qui blefle les Loix & le bien public :
mais ces Officiers, qui ont un intérêt continuel à ménager leur Chef,
n'uient de leur autorité que pour juger avec lui les Caufes civiles & cri-
minelles (*).
La Province de Mexico contient plufieurs autres Villes , dont la plupart
ont confervé les noms qu'elles portoient avant la Conquête, fur- tout celles
qui environnent le Lac: mais, loin d'être aujourd'hui plus riches & plus
peuplées, l'incroyable diminution des Indiens, par les travaux exceffifs aux-
quels ils ont été "forcés , en a fait autant de folitudes ; & le plus grand nom-
bre ne peut pafler que pour de médiocres Bourgades , dont les Habitans fuf-
fifent à peine pour la culture des Terres voifines. Tezcuco, qu'on a repré-
fenté fi grand & fi florilTant , ne contient pas à préfent plus de cent Ef-
pagnols & de trois cens Indiens , dont les richelles viennent uniquement
des fruits & des légumes qu'ils envoyent chaque jour à Mexico. 7acuba
n'eft plus aufli qu'un Bourg agréable. La Piedad en efl: un autre , que les
Efpagnols on: biiti affez régulièrement , au bout de la nouvelle Chauffée de
ce nom , & qui s'efl accru par la dévotion des Mexiquains pour une célèbre
Image de la Vierge, à laquelle ils ne ceffent point de porter de riches pré-
fens. Toluco, efl un Bourg fitué vers le Midi, où il fe fait un riche com-
merce de Jambons & de Porc falé. Efcapuzaïco^ célèbre encore par le Pa-
lais de fon ancien Cacique, n'eft qu'un Village, & ne feroit rien, fans un
Couvent de Dominiquains qui aide à le foutenir. En un mot , d'environ
trente Villes, Bourgs ou Villages , qui retient autour du Lac, il n'y en a
pas fix qui contiennent plus de cinq cens Maifons. Gage affure que deux
ans avant fon départ de Mexico , un travail extraordinaire , pour faire un
nouveau chemin au travers des Montagnes , avoit fait périr un million d'In-
diens (i).
Tous les Voyageurs , comptent dans la même Province, le fameux Port
à'Acapulco, quoiqu'il foit à quatre-vingts lieues de la Capitale {k) fur le
bord de la Mer du Sud, c'efl-à-dire, à-peu-près au même éloignement de
Mexico , que le Port de VeraCruz. On n'en trouve point d'autre raifon ,
que fa dépendancejmmédiate du Viceroi de la Nouvelle Efpagne, comme
la plus importante'Place de fon Gouvernement , par l'avantage qu'elle a de
fervir d'entrée aux richcffes des Indes Orientales & des Parties Méridionales
de l'Amérique , qui viennent tous les ans à Mexico par les Vaifieaux des
Philippines & du Pérou. Cependant la defcription , que Carreri nous en
<lonne, répond mal à cette grande idée.
• ■ ' . ACA-
DescriptioîT
ne. LA Nou-
velle KSPA-
ONB.
Autres Vil
les de la Pro-
vince de Me-
xico.
DefcriptioU
d'Acapulco,
(g) Le Marquis de Senalvo. Ce fiit lui
qui envoya au ïloi un Papegay de 1 500000
livres, & plus d'un million" aux Minières,
pour faire prolonger fon Gouvernement.
Gage, Part. i. page 183.
( b ) Ibidem, Correal , Voyageur Efpagnol ,
Xnil. Paru
rend le même témoignage dans un tcms pof-
térieur, ubifuprà, page 52.
(f) Part. I. page 117.
(.*) Il devroit appartenir nnturellement \
la Province de Guaxaca , ou à celle de Me-
choacan , entre lefquelles il efl fitué.
Nnn
DlfORIfTlON
DE LA N0U>
VILLB Efl'A'
CNE.
A
4^(5 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
AcAPULco , dit-il , mérite plutôt le nom d'un pauvre Villaffe de Pécheur»,
que celui de première Foire de la Mer du Sud & d'Echelle de la Chine. Ses
Maifons ne (ont que de bois, de boue & de paille. Il ed fîtué au dixfep-
tième degré de latitude, moins quelques minutes, & au deux cens foixante-
quatorzicmc de longitude (/), au pié de plufieurs Montagnes fort hautes,
qui le couvrent du côte de l'Ell, mais qui expofent Tes Habitans à de gran-
des maladies, depuis le mois de Novembre jufqu'à la fin de Mai. J'y
arrivai au mois de Janvier, & j'y fentis la même chaleur que celle de la
Canicule en Europe. Elle vient de ce qu'il n'y ttirribe aucune pluye pen-
dant ces fept mois , & que le relie même de l'année il n'en tombe
point aflez pour y rafraîchir l'air. Cette mauvaife qualité du climat
& la (lérilité du terroir obligent de tirer d'aflez loin toutes les provi-
fions néceflaireo à la Ville, & les y rendent par conféquent fort chè-
res. On n'y fauroit vivre à moins d'une piaftre par jour; & ks !oge-
mens n'y font pas moins incommodes par leur mal-propreté que par leur
chaleur.
La Ville n'eft habitée que par des Noirs & des Mulâtres. Il efl; rare
qu'on y voyedes Originaires du Pays, avec leur teint olivâtre; Se. les Mar-
chands Efpagnols fe retirent dans d'autres lieux, lorfque le Commerce efl
fini avec les Vaifleaux des Philippines & ceux du Pérou. Les Officiers du
Roi, & le Gouverneur même du Château, prennent le même parti , pour
ne pas demeurer expofés au mauvais air. Âcapulco n'a de bon que fon
Port, dont le fond efl égal, & dans lequel les Vaifleaux font renfermés
comme dans une cour, & amarrés aux arbres du rivage. On y entre par
deux embouchures; l'une au Nord-Oueft, & l'autre au Sud-Efl:. Il efl dé-
fendu par un Château , qui a 42 pièces de canon de fonte , & 60 Soldats de
Garnifon (m), Cet-
*-».
( l ) D'autres mettent dix- fept dégiés juf-
tes, & deux cens foixante - feize de longi-
tude.
Cm) Dampier, qui avoit vifité ce Port a-
vCc beaucoup de foin , en fait la defcription
fuivante: Il e(t également large & commo-
de, ©n rencontre à l'entrée une petite Iflo
baffe , qui s'étend d'un demi mile « demi de
l'Eft à rOueft, & qui n'a pas plus d'un de-
mi mile de largeur. Le Canal efl bon de
chaque côté, en prenant l'avantage du vent.
On entre par un vent de mer, comme on
fort par un vent de terre ; & ces deux vents
font favorables toor-ù-tour , l'un de jour &
l'autre de nuit. Le Canal occidental eft le
plus étroit; mais il cil fi profond, qu'on ne
peut y mouiller. C'cfl. celui par lequel paf-
fent les Vaiffenux de Manille; au lieu que
ceux de Lima prennent le Canal du Sud-Eft..
Le Port s'étend d'environ trois miles au
Nord ; enfuite , s'étréciffant beaucoup , il
tourne à l'Ouelî;,' & règne encore l'efpace
d'un mile. La Ville eft au Nord-Ouell , à
l'entrée de ce pallhge étroit. Elle eft défen*
due, vers le rivage, par une plate -forme,
montée de plufleurs pièces de canon. Sur
la rive oppoféc, du côté de l'Eft, on a bâti
un Fort, qui n'a pas moins de 40 pièces de
gros calibre. Les 'Vaiffcaux palTent ordinai-
rement vers le fond du Havre , entre le ca-
non du Fort & celui de la plate-forme; A
une lieue d'Acapulco , à l'Eft , on trouve un
bon Havre, nommé Port Marquis. En cCi-
toyaniJ'Oueft vers ^capulco, on découvre,
à la diftance d'environ douze lieues , une
Montagne ronde, entre deux autres, dont
la plus occidentale , qui eft fort greffe & du-
ne hauteur extraordinaire , fe termine par
un double fommet de la forme de deOx mam-
melles. Celle qui regarde l'Orient eft plus
haute & plus pointue que celle du milieu.
Depuis la dernière de ces trois Montagnes,
la terre s'allonge en panchant du côté de la
Mer , & finit par une pointe haute & ronde.
Voyage autour du Momie , Tome. i. Cbap. 9.
Le Plan qu'on donne ici , avec les nouveaus
Ouvrages, eft tiié d'Anfon.
)
%* . t':
-a**
i plate -forme,
e canon. Sur
Eft, on a bâti
e 40 pièces de
)afrent ordinai-
i, entre le ca-
late-forine; A
on trouve un
rquis. En cù-
on découvre,
î lieues , une
: autres, dont
t grofle & du-
'e termine par
de deux niam-
>rient eft plus
lie du milieu.
is Montagnes ,
du côté de la
aute & ronde.
te. 1, Cbap. ç.
: les nouveaux
n./w/ } ■///,•
1'.^ ,Aôuyfttux 'Jïastùvts
Y. . -Ituuiii/f
O.U'M/ito </f/ Crifo l't/ //y
Vi.CAtmm i/c . ^f.xtco.
\i.nU a /'tfifr<'r i/ti'Pcrt.
0'J>i'//.v. //•//•rw on u Crrt/ion t/e
../titiuUf ii/lacAe un Caéte.
KO
Enq-eJiclie Myleii
GROND TE KE NING van den HAVE N van AC APUL C O.
ip de Kult van Mexico, in de Z^uid- Zee, op i6''*45'
loorder Breedte, en 108? 22 ' "VVfefielyJte Lengte van London .
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 467
Cette Place rapporte annuellement au Gouverneur, ^ui e(l auffi Alcalde
Major, vingt mille piaflrci, & prefciu'autant à Tes principaux OiBcier».
LeCuné, qui n'a que 180 piadrei du Roi, en gagne quelquefois dans une
année jufqu'à 14000, parce qu'il fait payer fort cher la (épulture des E-
irangers; non-feulement de ceux qui s'arrêtent dans la Vil[e, mais de ceux
même qui mcurenr. en Mer fur les VailTeaux des Philippines & du Pérou.
Comme le Commerce y monte à plufieurs millions de piallrcs , chacun fait
en peu de tems d'immcnfes profits fuivant fa profeffion. Enfin, tout le
monde y vit du Port. Les VailTeaux du Ptrou, qui apportent des marchan*
difes de contrebande, vont mouiller, pour les vendre, dans le Port Mar-
quis, qui n'eft qu'à deux lieues d'Acapulco. Malgré la ftérilité des Mon-
tagnes voifines , on y trouve une grande abondance de Cerfs , de La-
f>ins, & de plufieurs autres animaux, fur-tout des Perroquets , des Mèr-
es à longue queue, des Canards, & des Tourterelles plus petites que les
nôtres, qui ont la pointe des aîles colorée, ai qui volent jufques dans les
maifons («).»
Mechoacan, féconde Province delà première Audience, au N. O. de
Mexico, a 80 lieues de tour. C'eft un Pays fertile en foye, en miel, en
foufre, en cuirs, en indigo, en laine, en coton, en cacao, en vanille, en
fruits, en cire, en mines d'argent & de cuivre. On y excelle d'ailleurs à
fabriquer ces ouvrages & ces étoffes de plumes , dont l'invention efl parti-
culièrement aux Mexiquains , & que tous les Voyageurs ne fe laflent point
de vanter. Le langage de cette Province efl: le plus élégant ds la Nouvel-
le Efpagne; & fes Ilabitans l'emportent fur le commun des-Indiens, par
la taille & la force, autant que par l'efprit & l'adreffe. Elle s'étend juf-
qu'à la Mer du Sud , par quelques Villes Qu'elle a fur fes bords, telles que
Sacatula & Colima', fans compter deux tort bons Ports, qui fe nomment
Saint Antoine 6c Sant-Jago ou Saint Jacques. Sa Capitale, ç|ui portoit au-
trefois le nom de Mechoacan , a reçu des Ëfpagnols celui de Falladoliâ.
C'ert un riche Evêché. Pafcuar , Saint Miguel & Saint Philippe font trois
autres Villes bien peuplées, & fituées fort avantageufement dans les terres.
La troiliéme Province eft celle de Panuco. Elle tire» ce nom d'une an-
DKscKirnotf
n» LA Nou-
VILLl iJifA.
UNK.
Mcchoscan,
II. .Province
de l'Aiulicnce
de Mexico.
(«) Ln route, d'Acapulco à la Capitale
de la Nouvelle Efpagne, eft dans le Toaie
XVI. dj ce Recueil, mais un peu allongée,
avec des circondances qui n'ont pas permis
lie la détacher de la llelation de Carrori. H
fuïllira de ralTembler ici les noms de lieux &
icar diflance. Le premier jour, ii fit trois
lieues jufqu'à Ataxot à. trois d'Attaxo à Le
xicio. Le fécond jour, quatre lieues jufqu'i los
Jrroyos , & quar.re enfuice jufqu'à los Pofuehs.
Letroifième, fix lieue;; ii\Çq\i'aCaccavotal. Le
quatrième , quatre lieues jufqu'à los Caminos ,
& quatre autres jufqu'à ^ccaguifutta. Le
cinquième, quatre lieues jufqu'à Trapkhe de
Majfatlan, & deux de-là iufqu'à las Pata-
quillas. Lefixième, deux lieues jufqu'à Ci/
pancingo', & deux jufqu'à Zumpango, dans
N
cien-
la Vallée que les Ëfpagnols nomment Cana-
(la. Le fcptième, onze lieues jufqu'à Nopa-
lilh , dans la Vallée del Carizai Le huitiô-*
me, quatre lieues jufqu'à Rancbo de Palulat
& trois autres jufqu'à PHei/o-nMero. Le neu-
vième, douze lieues jufqu'à jinacujac. Le
dixième, trois lieues jufqu'à Alpugteco. Le
onzième, une lieue jufqu'à Cucitepeque, &
quatre jufqu'à Cornavacca, Capitale d'une
Prévôté de ce nom , qui appartient au Mar-
quifat del Valle. Le douzième, une demie
lieue jufqu'à Taltenango, une lieue jufqu'à
Guifilac, & fept jufqu'à Saint ' Auguflin dt
las Cnevas. Le treizième , trois jufqu'à la
Chauirée du Lac de Mexico Voyages da
Gemelli Carreri , Tçke VI. Cbap. 2.
nn a .
Panuco,
III. Province.
VfflLLE EbPA-
G£f£.
Tlafcala,
^V, Province.
468 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Description cienne Ville Indienne, qui le conferve encore, quoique les Erpagnols aïent
DE LA Nou- yQ^iiu lui fjire prendre celui de San-StUvara dcl Fiierto , en lui donnant le
titre de.Capitale de la Province. Sa fituation eft à deux cens ibixante-
dix-fept dégrés de longitude, & trente dégrés vingt-quatre minutes de la-
titude du Nord ^ Air une belle Rivière, qui fe nomme auffi Panuco^ & qui
va fe jetter dans le Golfe du Mexique, dont la Ville eft éloignée de quel-
ques lieues. Tampice , Sain$ Jacques de los Vallès , & quelques autres Places
du même Pays , méritent à peine le nom de Villes.
Tl ASC AL A, Province célèbre dans les Annales de la Nouvelle Efpagne,par
les fervices que Cortez reçut de fes Habitans, s'étend fort loin dans les ter-
res; c'efl-à-dire, qu'étant bordée au Nord -Eft par le Golfe du Mexique,
elle court jufqu'au Mechoacan, & jufqu'aux Montagnes qui environnent
le Lac de Mexico. Ses principales Places font la Puebla de los /Angeles y
qui a dérobbé le titre de Capitale à l'ancienne Ville de Tlafcala , Cbo-
lula f Tlafcala^ Goacocingo , Segtira de la Frontera^ Tepeaca, Xalcrppay &
Vera - Cruz , principal Port de la Nouvelle Efpagne , fur le Golfe dC^
Mexique. '
Angeles eft devenue une Ville confidérable , depuis que le Siège Epif-i
copal y a été transféré de Tlafcala. Elle eft fituée à 25 lieues de Mexico,
& trois lieues de Tlafcala , dans une agréable Vallée , éloignée , d'envi-
ron dix lieues , d'une fort haute Montagne qui eft toujours couverte de
nege (0). Tous les Edifices en font de pierre, & ne le cèdent pas à ceux
de Mexico: mais, en 1697, tems de fa dernière defcription (/»), fes
rues, quoique droites & fort propres, n'étoient point encore pavées. El-
les fe croifent les unes les autres, vers les quatre Vents principaux. La
grande Place eft fermée de trois côtés par des portiques uniformes, fous
lefquels on voit de riches boutiques. La quatrième face eft remplie par
î'Eglife Cathédrale , qui offre un Portail magnifique & des Tours fort é-
levées. On doit juger de fa fplendeur par les revenus du Clergé , qui pro-
duifent à l'Evêque 80000 piaftres; 5000 à chacun des dix Chanoines-,
14000 au Doyen, 8000 au Chantre, 7000 à l'EcoIâtre, & prefque autant
à l'Archidiacre & au Tréforier. La Ville a plufieurs ParoifTes, & quanti-
té de Couvens& d'Eglifes, dont Carreri rapporte les noms (q). On ne
comptoit, du tems de Gage, que dix mille Habitans dans cette Ville: mais
le nombre en eft fort augmenté, depuis la dernière inondation de Mexico;
.& cette raifon explique en même-tems la diminution extraordinaire des Ha-
bitans de la Capitale. L'air d' Angeles efk d'une pureté qui rend les mala-
dies fort rares. On y fait des Draps qui ne font pas moins eftimés que
ceux de Ségovie, d'excellens Chapeaux, & des Verres, dont le Commer-
ce eft d'autant plus confidérable , que c'eft la feule Verrerie de cette Con-
trée. Mais rien ne fert tant à l'enrichir que faMonnoye, où l'on fabri-
; • • 'r .. . , . que
(0) Elle /ut bâtie en 1530, fur les ruines
d'une Ville Indienne, nommée Cuetlaxcoa-
pan , par l'ordre de Dom Antoine de Men-
ih»a, Viceroi de la Nouvelle Efpagne, ubi
Juprà, page 89.
(p ) Par Carreri.
iq) Tome 6. page 240. & précédentes.
Voyez fon Journal au Tome XVL de ce Re-
cueil, •
;e , qui pro-
vellf. espa-
u:ïe.
ou DE LA NOUVî:LLE ESPAGNE, Liv. II. 469"
que la moitié de l'argent qui fort des Mines de Zacatecas, comme l'autre l^f crtptioi*
moitié fe fabrique à Mexico. Le terroir eft fertile en toutes fortes de '"^ ''^ ^°"'
grains, en légumes, en cannes de fucre; & la campagne efl; remplie de
belles Fermes , entre lefquelles Gage vante celle de fon Ordre , où 1 on en-
tretient plus de deux cens Nègres, de l'un & de l'autre fexe, fans com-
prendre leurs Enfans dans ce nombre.
• Tlascala eft fituée fur le bord d'une Rivière qui fort d'une Montagne
nommée Adancatepeque , & qui, arrofanc la plus gramme partie de la Provin-
ce, va fe jetter dans le Golfe par Zacatulan. Les Indiens de la Ville ob-
tini;entde GharlesQuint, après la Conquête, une exemption perpétuelle
de toutes fortes d'impôts & de tributs : mais , quoique cette faveur eût dû,
fervir à la rendre long-tems floriflante, il paroît que rien n'a pu l'emporter
fur les incommodités de fa fituation. Elle a néanmoins quatre belles rues ,
qui fe nomment encore Tepeîiepaque ^ Ocoteluïco^ Ttzatkn^ & Qiiiabu'nzlan.
La première eft fur un coteau, éloignée d'une demie lieue de la Rivière;
une autre eft fur le revers* d'une féconde hauteur, & defcend jufqu'au bord'
de l'eau. Cette féconde rue étoit anciennement fort habitée. On y voyoit
une grande Place , qui fervoit de Marché , fous le nom de Tianguitzli. La
troifiéme & la quatrième font dans la Vallée. Tous les anciens Bâtiment
ont été changés fous la domination desEfpagnols. L'Hôtel de Ville & d'au-
tres Edifices publics font dans la Plaine , lur le bord même de la Rivière.
On voit encore , à Tlafcala , des Orfèvres , des Plumafliers , & fur-tout
des Potiers , qui font d'auffi belle Terre qu'il s'en fafle en Efpagne ; mai?
tous Indiens, qui ne fe fentent plus de l'ancienne noblefle de leur Nation.
On parle, dans cette Ville,, trois langues différentes: l'une qu'on nommo
Nahuahlt langue des Empereurs & des Courtifans, qui eft encore aujour-
d'hui celle des principaux Indiens ; la féconde, nommée Ofon«> , qni eft I0
langage commun; & le Pinomer, qui étoit particulièrement en ufage dans
la République de Tlafcala, mais qui, paflant pour la plus groffière, nes'eft
confervée que dans une feule rue d'Artifans. Au riefte , on a trouvé , par
d'exafles obfervations , que cette République , fi formidable & fi vantée ,
ne comprenoit que vingt-huit Bourgades, où l'on comptoit environ cent
cinquante mille Chefs de famille. Ocotelulco & Tizatlan font à préfent
les deux rues les plus habitées. 11 y a dans la première un Couvent de
Francifcains, & deux Chapelles dans celles de Tepetiepaque & de Quia*
huitzlan. Les Habitans font un mélange d'Efpagnols & d'Indiens , qui mè-
nent une vie aflez douce, parce que les Campagnes voifines leur fournif-
fent du blé & des fruits , & que l'herbe croiflant dans les Bois entre les
plus grands arbres , ils y élèvent des Beftiaux à peu de fraix. Gage apprit
que la première caufe de la décadence de Tlafcala fut la rigueur des Offi-
ciers Efpagnols , qui, fous prétexte que cette Ville étoit exempte de tri-
but , employoient le Peuple à toute forte de travaux , fans aucun falaire:
Quarante ans après, Carreri voulut voir aufli les reftes d'une République,
qui avoit réfifté de tout tems aux armes de l'Empire Mexiquain, & qui a-
voitaidé Cortez à le détruire. En venant de Mexico, il avoit pafle par
Mexicalfingo, qui n'eft aujourd'hui qu'un Village; par Iztacpalapa &Chalco-f
qui ne foutiennent pas mieux leur ancienne réputation; par lordovay Rio
Nnn 3 Frioy
DE LA NuU
VKIXE ESPA
ONE.
' 470 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
J^^scntiTioN ffio^ Tefmolucca & San-MartinOt qui ne font que des Hameaux ou de mau-
vaifes Hôtelleries. Il ne lui reftoit que trois lieues , qu'il fit par des Plai-
nes marécageufes ; & paflant la Rivière à gué , il entra dans une Ville qu'il
ne trouva pas différente d'un Village. Le Couvent des Cordeliers, & la
figure du Vaifleau, qui apporta Cortez à la Vera-Cruz, gravée fur les murs
de l'Eglife Paroiffiale , furent les feuls objets qui lui parurent dignes de fon
attention. Cholula, que fa curiofité lui fit aulîi vifirer, entre Tlafcala &
Puebla de los Angeles, a du moins l'avantage d'être rempli de beaux Jar-
dins ; & quoiqu'il n^ mérite pas non plus le nom de Ville , il eft habi-
té par quantité de riches Marchands. On voit , au centre de cette Pla-
ce, une ancienne Pyramide, dont le fi mmet étoit alors la retraite d'un
Hermite (r).
GuAcociNGO , qui eft un peu au Nord , entre Tlafcala & les Montagnes,
qui féparent cette Province de celle de Mexico, eft peuplé d'environ cinq
cens Indiens & cent Efpagnols. Cette Ville jouit de prefqu'autant de pri-
vilèges que Tlafcala, parce qu'elle joignit aufli fes forces a celles des pre-
miers Conquérans.
Segura j>e la Frontera, qui fut bâtie par Cortez, pour faciliter aux
Efpagnols le paffage de Vera-Cruz à Mexico, eft dans une f-^uation
fort avantageufe , un peu au Sud - Oueft de Tlafcala. La Plaine , qu'el-
le commande par fon élévation , produit en abondance toute forte de vi-
vres & de fruits. On compte, dans fes murs^ mille Habitans , Efpagnols
& Indiens.
Tepeaca & Culhuûf font deux anciennes Bourgades , qui fubfiftent avec
peu de. changement , parce qu'elles n'ont que des Indiens pour Habitans.
Xalappa, dernière Place de la Province du côté de Vera-Cruz (j),
dont elle o'eft éloignée que de cinq ou fix lieues, eft une Ville Epifcopale,
qui n'a pas plus de deux mille Habitans. Son Siège eft un démembrement
de los Angeles ; mais il ne laiffe pas de valoir dix mille ducats , parce
qu'il eft fitué dans un canton également fertile en froment, en maïz, en
cochenille & en fucre. Cette Ville eft environnée de plufieurs Bourgades,
où l'on élève un grand nombre de Mules & de Beftiaux , qui fervent aufli
à l'enrichir.
Vera-Cruz ou Saint -Jean à'Ulua^ Port moins célèbre par fa beauté que
par fon Commerce, n'eft pas la première Ville du même nom, que Cortez
bâtit en arrivant fur cette Côte. Elle fut fondée après la Conquête , à fix
lieues de la première, dont les débris fubfiftent encore, avec un fort petit
nombre d'Habita.is. L'ancien Port étoit fi dangereux par la violence des
vents du Nord , que les Efpagnols prirent le parti de tranfporter un Eta-
bliflTeraent de cette importance vis-à-vis de l'ille d'Uiua, où la Rade eft plus
fûre, & défendue d'ailleurs par quelques Forts. On y comptoit, du tems
de Gage, environ trois mille Habitans, parmi lefquels il s'en trouvoit plu-
fieurs qu'on eftimoit riches de trois & quatre cens mille ducats. Mais tous
,.•-■' ^^
(♦•) Carrcri , Tome 6. pages 224 ^ fui- tre chemin, fur lequel il rencontra quelques
vantes. autres Places. Voyez fon Journal,
(j-) Gage, uhifuprà, Carreri prit un au-
GNE.
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. Il 471
les Edifices, fana excepter les Convens & les Eglifes, étoient'de bois; & nRscnrptibsi
la principale force delà Ville confiftoit, dit-il, en ce que l'entrée du Havre "" ^^ Nou-
étoit très difficile. G- a vu , dans le Journal de Carreri , l'état ou il trou- ^^^^^ ^*''**
va cette Place en 1697. 11 refle à la repréfenter telle qu'elle eft aujourd'hui,
fur les Mémoires d'un Voyageur Anglois , qui paroît avoir apporté beau-
coup d'exaftitude à fes oblervations.
L'ancienne Vera'Cruz, qui dans fon origine avoit été nommée auffi Fîl-
la ricca^ & qu'on appelle aujourd'hui plus ordinairement ^era-Cruz vieja,
pour la dillinguer de la Nouvelle y efl: fituée dans une grande Plaine. Elle a
d'un côté la Rivière, & de l'autre des Campagnes couvertes de fable, que
la violence du vent y pouffe des bords de la Mer. Ainfi le terroir eft fort
inculte aux environs. Entre la Mer & la Ville efl une efpèce de Bruière,
remplie de Daims rouges. La Rivière coule au Sud ; & pendant une par-
tie de l'année, elle eft prefque fans eau; mais elle eft afîez forte, en hi-
ver , pour recevoir toute forte de Vaiffeaux.
La Ville contient encore quatre ou cinq cénsMaifonà. Une grande
Place, qui en fait le centre , offre quelques arbres d'une prodigieufe gran-
deur. L'air eft fî mal fain, dans l'intérieur des murs , que les Femmes
quittent toujours la Ville dans le tems de leurs couches , parce que ni
elles , ni les Enfans qu'elles mettent au monde , ne peuvent réfilter a-
lors à l'infeélion; &, par un ufage extrêmement fmgulier, on fait paf-
fer le matin, dans toutes les Rues, des Troupes de Beftiaux fort nom-
breufes , pour leur faire emporter les pernicieufes vapeurs qu'on croit for-
ties de la terre.
Villa ricca, ou la vieille Vera-Cruz , étant dans cette Mer le Port le
plus voifm de Mexico, qui n'en eft éloigné que de foixante lieues d'Efpa-
gne (f ), on a continué fort long -tems d'y décharger les Vaiffeaux. En-
fuite les dangers du Port ont fait penfer à choifir un autre lieu. Avant
qu'on fe fût déterminé à ce changement , les plus riches Négocians ne ve-
noient, à l'ancienne Ville, que dans le tems où les Flottes arrivoient
d'Efpagne. Ils faifoient leur féjour habituel à Xalappa, Ville fituée à feize
miles de la Mer, furie chemin de Mexico; mais comme ils avoient befoin,
à cette diftance , de quatre ou cinq mois pour décharger les Vaiffeaux, &
pour tranfporter les marchandifes , une incommodité , fi nuifible au Com-
merce, le fit penfer à prendre un lieu nommé Buytron (u) , fitué dix-fept
(t) La plupart des Voyageurs difent 80
lieues.
(v) Il s'-efl glifTé beaucoup d'erreurs, dans
h Géographie , fur la fituation de cette fa-
mcufc Place. Quelques-uns la mettent au
dix-i)uitiùme degré de latitude du Nord , &
d'autres au dix-huitième trente minutes. La
Carte de PoppZe^marque dix-huit dégrés qua-
rante-huit minutes. Hawkings veut dix-neuf
dégrés. Mais, fuivant les obfervations de
Caranza, Pilote de la Flotte en 1718, Vera.
Cruz ell au dix -neuvième degré dix minu-
tes ; & fuivant celles du célèbre Halky, qui
font poftérieures , à dix-neuf dégrés douze
minutes. Quantité de Cartes ont commis
une faute beaucoup moins excufable , en
confondant lancieniie & la nouvelle Vera-
Cruz. Dans l'AtlM maritime, & dans la
Carte dePopple, l'iile de Caint-Jean d'Ulua
efl: placée, avec fon Château, vis-àwis de
l'ancienne Ville; & l'Ille des Sacrifices, qui
n'clt qu'à deux miles de celle d'Ulua & à ufl
mile de la Côte, eft reculée de quarante mi-
les, & féparée de la Côte d'environ trente
miles. Quoique l'Auteur du Géographe corn'
plet diftingue par leurs noms Vera - Cruz &
Saint-
475
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
VELLR EstA
ONfi.
Description ou dix-huit miles plus bas fur la même Côte, vis-à-vis de l'Ifle Saint- Jean
DE L\ Nou- j'uiua, qui n'efl: guères à plus de huit cens pas du rivage. Outre la dé-
VELLE <SPA. ^^^^^ ^^g jg p^j.j. y jeçQij. jg çgjfg i(]g ^ contre la fureur des vents du Nord,
on trouva qu'il n'y falloit que fix femaines pour décharger les Vaifleaux, &
ces deux avantages firent prendre la réfolution d'y bâtir une Ville, qui ell
aujourd'hui Vera Cruz. ;. i:;
En approchant de l'Ifle d'Ulua , qui eft à l'entrée du Port , ou plutôt qui
fert à le former, fa fituation fait juger qu'il feroit dangereux d'y vouloir
entrer dans l'obfcurité. On découvre , à fleur d'eau , quantité de petites
Roches , qui- n'ont au dehors que la grofleur d'un tonneau. L'Ifle n'efl: el-
le même qu'un Rocher fort bas , qui n'a que la longueur d'un trait de flèche
dans toutes fes dimenfions. Ces défenfes naturelles font la force de la Vil-
le. Cependant l'Ifle d'Ulua contient un Château quarré , qui en couvre
prefque toute la furface. Il efl; bien bâti, & gardé par quelques Soldats,
avec quatre-vingt-cinq pièces de Canon & quatre Mortiers. Les Efpagnols
confeflent qu'il doit fon origine à la»crainte qu'ils eurent, en 1568, d'un
Capitaine Anglois nommé Hawkings; âc Tomfon nous apprend, en effet,
dans la Relation de fes Voyages, qu'en 1556 il ne trouva dans l'Ifle qu'une
petite Maifon, avec une Chapelle. Seulement, du côté qui fait face à la
Terre, on avoit conftruit un Quai de grofles pierres, en forme de mur
épais, pour fe difpenfer d'y entretenir, comme on i'avoit fait long-tems,
vingt Nègres des plus vigoureux, qui réparoient continuellement les brè-
ches que la Mer & le mauvais tems faifoient à l'Ifle. Dans ce mur, ou
dans ce Quai, on avoit entremêlé des barres de fer, avec de gros anneaux,
auxquels les Vaifleaux étoient attachés par des chaînes; de forte qu'ils é-
toient fi près de l'Ifle, que les Mariniers pouvoient fauter du Pont fur le
Quai. Il avoit été commencé par le Viceroi Dom Antoine de Mendoza,
qui avoit fait conftruire deux Boulevards aux extrémités. Hawkes , qui fit un
Voyage dans le Golfe en 1572, rapporte qu'on s'occupoit alors à bâtir le Châ-
teau; 6c. Philips rend témoignage qu'il étoit fini en 1582. C'efl: donc cette
Ifle, qui défend les Vaifleaux contre les vents du Nord, dont la violence
efl: extrême fur cette Côte. On n'ôferoit mouiller au milieu du Port mê-
me, ni dans un autre lieu qu'à l'abri du roc d'Ulua. A peine y efl: -on en
fureté avec le fecours des ancres & l'appui des anneaux qui font aux murs
du Château. Il arrive quelquefois que la force du yent rompt tous les liens,
arrache les Vaifleaux & les précipite contre les autres Rochers, ou les pouf-
fe dans l'Océan. Ces vents furieux ont quelquefois emporté des Vaifleaux
& des Maifons, bien loin dans les terres. Ils caufent les mêmes ravages
dans toutes lés parties du Golfe. Une tempête en fait fouvent traverfer
toute l'étendue au Navire le plus péfant ( x). Depuis le mois de" Mars juf-
<qu'au mois de Septembre, les vents de bife y fouiBeot entre le Nord-Efl; &
5aint-Jean d'Ulua , il femble néanmoins qu'en
mettant le Château à Vefa-Crux, il confond
mal-à-propos ces deux lieux.
-(x) Hawkes rapporte qu'ayant vu nager
quantité d'arbres vers le rivage de Vera-
Cruz, on i'affma qu'ils y avoient été pouf-
fes par quelque orage , de la Floride , qui c;i
efl; a trois cens lieues; & Cfage raconte qu'é-
tant à Vera-Cruz en 1625, il fut tcînioin des
iiorribles eftets d'un ouragan , qui renvcrfa
la plus grande partie des maifons, ubifuprà,
Part. I. Chap. 8.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL
475
leSud-Efl: mais, depuis Septembre julqii'au mois de Mars, c'efl le vent DEfcumio»
du Nord qui règne, 6<: qui produit d'afiVeux orages, fur tout aux mois de "^^r^!^ t^crïl
Novembre, de Décembre & de Janvier. Cependant il y a des intervalles Vne.*"
de beau tems, fans quoi l'on n oferoit entreprendre de naviguer dans cette
Mer. Les Marées mêmes & les Courans y ont peu de régularité. En gé-
néral le vent du Nord fait remonter les flots vers les Côtes ; ce qui rend
l'eau beaucoup plus haute alors le long du rivage.
Le Port de Vera-Cruz ne peut contenir à l'aife plus de trente ou trente-
cinq Vaifleaux. On y entre par deux Canaux, l'un au Nord, l'autre au
Sud. Outre l'ifle de Saint- Jean d'Ulua, il en renferme trois ou quatre pe-
titet , que les Elpagnols nomment Cayos , & les Anglois Keyf , ou Clés. A
deux miles, au Sud, eH ceWe des Sacrifices ^ où Grijalva & Fernand' Cor-
tez abordèrent , & dans laquelle ils trouvèrent des figures affreufes , des
papiers enfanglantés , & des refies de Viélimes humaines. On découvre
à peu de diftance, en venant du Nord, les Ifles de Gallega,, à'/lnagada^ &
quelques autres.
La figure de Vera-Cruz eft ovale, mais plus large dans la partie du Sud-
Eil que dans celle du Nord-Ouefl;. Sa longueur eft d'un demi mile, & fa
largeur, de la moitié. Les rues font droites, & les Maifons régulières,
quoique la plupart des Edifices foyent de bois , jufqu'aux Eglifes ; ce qui a
produit fouvent des incendies terribles , qui n'ont point empêché qu'on ne
les ait rebâtis de la même matière. Au Sud-Efl coule une Rivière, qui
prenant fa fource au Sud, defcend vers le Nord, fort près de la Ville, &
delà fe jette dans la Mer, auNord-Eft, par deux Bras qui forment une
petite Ifle à fon embouchure. La Ville eft fituée dans une Plaine fabloneu-
fe&ftérile, environnée de Montagnes , au-delà defquelles on trouve des
Bois remplis de Bêtes fauvages , & dés Prairies pleines de Beftiaux. Du
côté du Sud font de grands Marais , qui contribuent beaucoup à rendre l'air
mal fain. Le vent du Nord poufl^e, comme à Villa -ricca , tant de fable
du bord de la Mer , que les murs de la Ville en font prefqu'entiérement
couverts. Les Eglifes font fort ornées d'argenterie, & les Maifons, de
porcelaine & de meubles de la Chine. Il y a peu de Noblefl'e à Vera Cruz ;
mais les Négocians y font fi riches, qu'il y a peu de Villes auflî opulentes
dans l'Univers. Le nombre des Efpagnols ne pafle pas trois mille, la plu-
part Mulâtres, quoiqu'ils aflfeélent de fe nommer Blancs, autant parce qu'ils
le croyent honorés de ce titre, que pour fe diftinguer des Indiens & des
Efclaves Nègres. On ne pafle point pour un Homme de confidération par-
mi eux , lorfqu'on n'eft pas riche de cinq ou fix cens mille piaftres. Leur
fobrieté va fi loin, qu'ils fe nourriflent prefqu'uniquement de chocolat' &
de confitures. Les Hommes font fiers; & les Femmes vivent retirées
dans leurs appartemens d'en-hauc, pour éviter la vue des Etrangers , qu'el-
les verroient néanmoins volontiers , Çï leurs Maris leur en laiflbient la li-
berté. Si elles for tent quelquefois , c'eft dans une voiture; & celles, qui •
n'en ont point , font couvertes d'une grande mante de foye, qui leur pend
de la tête jufqu'aux pies , avec une petite ouverture du côté droit , pour les
aider à fe conduire. Dans l'intérieur des Maifons , elles ne portent , fur
leur chtmife, qu'un petic corfet de foye, lacé d'un trait d'or ou d'argeijt;
XVllL Part, O o o . &
DSSCRIPTION
Vt LA NOU-
YfiLLlî K'PA-
CA'£«
474 D E S C R I P T I O N D U M E X I Q U E,.
& pour toute coefFure , leurs cheveux font noués d'un ruban fur la tête.
Avec un habillement fi fimple, elles ne laiflent pas d'avoir une chaîne d'or,
autour du cou , des braflelets du même métal aux poignets , & des émerau-
des fort précieufes^ux oreilles. Les Hommes entendent fort bien le Com-
merce ; mais leur indolence naturelle leur donne de l'averfion pour le tra-
vail. On leur voit fans ceffe des Chapelets & des Reliquaires aux bras
& au cou. Toutes leurs Maifons font remplies de Statues & d'Images
de Saints (y).
L'air eft aufïï chaud que mal fain, à Vera-Cruz, dans toutes fortes de
vents , excepté celui du Nord , qui fouffle ordinairement une fois tous les
huit ou quinze jours, & qui dure l'efpace de vingt ou vingt-quatre heures.
11 eft alors fi violent , qu'on ne peut pas fortir d'un Vaifleau pour aller au
rivage; & le froid qu'il porte avec lui eft très perçant. Le tems, où l'air
eft le plus mal fain, eft depuis le mois d'Avril jufqu'au mois de Novembre,
parce qu'alors les pïuyes font continuelles. Depuis Novembre jufqu'au mois
d'Avril, lèvent & le Soleil, qui fe tempèrent mutuellement, rendent le
Pays fort agréable. Ce climat chaud & mal fain règne dans l'efpace de
quarante ou quarante-cinq miles vers Mexico; après quoi l'on fe trouve
dans un air plus tempéré. Les fruits , quoiqu'excellens , y caufent des flux
dangereux ; parce que tout le monde en mange avec excès , & qu'enfuite
on boit trop avidement de l'eau. La plupart des VaifTeaux étrangers per-
dent ainfi, dans le Port de Vera-Cruz, une partie de leurs Equipages;
mais les Hubitans mêmes ne tirei^-, là-deflus, aucun avantage de l'expé-
rience. On découvre de la Ville deux Montagnes couvertes de nege, dont
lefommet eft caché dans les nues,& qu'on voit diftinélement dans un tems
clair, quoiqu'elles- foytnc à plus de quarante miles fur la route de Mexico.
C'eft-là que commence proprement la différence du climat.
Vera-Cruz eft non-feulement le principal, mais, à parler proprement ,
l'unique Port de la Nouvelle Efpagne dans le Golfe. Les Efpagnois , &
peut-être le Monde entier, n'ont point de lieu dont le Commerce ait tant
d'étendue. C'eft-là que fe rendent toutes les richeffes des Indes Orientales
par les Vaifleaux qui arrivent des Philippines au Port d'Acapulco. C'eft le
centre naturel de toutes celles de l'Amérique; & la Flotte y apporte an-
nuellement, de la Vieille Efpagne, des marchandifes d'une immenfe va-
leur. Le Commerce de Vera-Cruz, avec Mexico; & par Mexico, avec
les Indes Orientales ; avec le Pérou , par Porto-Bello ; avec toutes les Ifles
de la Mer du Nord, par Carthagene ; avec Zapotecas, Saint- Alphonfe &
Guaxaca, par la Rivière d'Alvarado; avec Tabafco., los Zoques & Chiapa
dos Indos, par la Rivière de Grijalva; ^nfin, celui de la Vieille Efpagne,
de Cuba, de l'Efpagnole, del'Yucatan, &c. rendent cette petite Vill; fi
riche, qu'elle peut paffer pour le centre de tous les tréfors & de toutes les
commodités des deux Indes. Comme le mauvais air caufe le petit nombre
de fes Habitans , leur petit nombre fait aulTi qu'ils font extrêmement riches,
& qu'ils le feroient encore plus , s'ils n'avoienc pas foufferc des pertes irré-
para-.
( y) Carreri nomme un Efpagnol dont la dévotion lui avoit fait raiTtiffiblcr tous les Stiints
du -Calendrier,
cous les Saints
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. ÏI. 47^
parables, par le feu. Les marchandifes , qui viennent de l'Europe, font
tranfportées de Vera-Cruz à Mexico, Xalippa, Puebla de los Angeles, Za-
catecas, San-Martijio , & d'autres lieux, fur le dos des Chevaux & des
Mulets, ou fur des Chariots traînés par des Bœufs. La Foire reffemble
à celle de Porto-Bello , mais elle dure plus long-tems; car le départ de la
Flotte, quoique fixé au mois de Mai, eft quelquefois différé jufqu'au
mois d'Août. On n'embarque l'or & l'argent , que peu de jours avant
qu'on mette à la voile Autrefois le Tréfor roval étoit envoyé de
Mexico , pour attendre , à Vera - Cruz , l'arrivée de la Flotte : mais depuis
que cette Place fut furprife & pillée, en 1683 , par les Boucanniers (2 ) , il
s'arrête à Puebla de los Angeles , où il demeure jufqu'à l'arrivée des Vaif-
féaux; & fur l'avis qu'on reçoit de Vera-Cruz, on l'y tranfporte pour l'em-
barquer fur le champ.
La cinquième Province de l'Audience de Mexico eft fituée au Sud-Eft,
& porte le nom de Guaxaca^ qu'elle tire de fa Capitale. Elle contient
quelques autres Villes , dont les principales font , Antequera , Nizapa , San-
Jago , Aguatulca ou Guatulco , Tucutula , Capalita & Tecuantepeque. Le Pays
eft extrêmement fertile en Froment, en Maïz^ en Cochenille & en Cacao.
Quelques Ports, qu'il a fur la Mer du Sud, le mettent en Commerce avec
le Pérou. Il s'y trouve d'ailleurs des Mines d'or, d'argent & de cryftal.
Plusieurs Géographes , qui n'ont pas confulté les Voyageurs , nom-
ment Antequera pour la Capitale de cette Province : mais fur quelque
autorité qu'ils fè fondent , ils n'en trouveront point de comparable à cel-
le de Gage, qui défigne Guaxaca, & qui n'en parle que fur le témoigna-
ge de fes propres yeux , après avoir vifité ces deux Places & la plupart des
autres Villes du Pays. C^tte raifon fera trouver ici beaucoup d'utilité k
fuivre fon Journal.
Il partit de Mexico, vers lefliïlieu de Févrkf , en fe détournant un peu
du chemin ordinaire, pour fe dérobber à quelques Importuns qui vouloient
s'oppofer à fon Voyage. Il étoit à cheval, avec deux ou trois Amis. Ses
deux premières marches , qu'il fit pendant les deux nuits fuivantes , le con-
duifirent à la petite Ville (i*Atlizco , fituée dans une Vallée de fept lieues
de tour , qui porte le même nom > & qui eft fi fertile en Froment , que
Mexico & plufieurs Villes voifines. en tirent leur fubfiftance. On y voit
quantité de riches Bourgs, Efpagnols & Indiens. De-là, commençant à
marcher de jour , il arriva dans une autre Vallée , qui fe nomme Saint'
Faulf & qui, fans être fi grande que celle d'Atlizco, eft plus riche enco-
re, parce qu'on y recueille , chaque année, une double moiflbn de Froment.
On le feme, la première fois, dans la faifon ordinaire des pluyesj & la
féconde fois , en Eté , lorfque la première moiflx)n eft recueillie. Les pluyes
ceflant alors, on employé, pour arrofer la Vallée, un grand nombre de
tuifleaux qui tombent des Montagnes dont elle eft environnée, & qu'on a
trouvé l'art de conduire & de retirer par de petits Canaux. Les Fer-
miers
(2) Elle a efluyé la même difgrace en oîi ils entretiennent continuellement des Sen-
1712; & depuis ce tems-là les Efpagnols ont tinelles, qui les garantiffent de ces tcniblc»
b&ti, fur la Côte, des Tours fort élevées, furprifcs
Qoo a
Descrtjtiow
DE L\ Nou-
velle ILiTàr
ONE.
Guaxacsi ,
V. Province.
Route de
Thomas
Cage.
Description
DE LA Nou
V£llë EsrA>
oaz.
un-
ne
47<5 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
miers de cette heiireufe Vallée font dans une fi fingiiliére opulence, qu'
d'entr'eux, chez lequel Gage & Tes Compagnons pailcrent trois jours ,
les fit fervir qu'en vaiflelle d'argent, les logea dans des Chambres parfu-
mées , & leur fit donner un concert par fcs Tilles , qui favoicnt parfaitement
la Mufique (a).
Ils continuèrent leur marche, en tournoyant, jufqu'à Ta/cOy Bourgade
d'environ cinq cens Habitans, qui font un grand Commerce de coton avec
leurs Voifins. Enfuite, étant entrés dans la route de Guaxaca, ils fe ren-
dirent à Cbautla, qui n'elt pas moins riche en coton. Après cè Bourg, ils
trouvèrent une Ville nommée Ziimpango^ compofée d'un mélange d'Efpa»
gnols & d'Indiens , la plupart fort riches. Leur principal Commerce efl
celui du Coton, du Sucre, & de la Cochenille. Au-delà de cette Ville,
on dticouvre les Montagnes de A/i/?^^;/e, remplies de grands & riches Bourgs
d'Indiens, où fe fait la meilleure foie du Pays, & qui produifent auflî beau-
coup de miel & de cire. Une partie de ces Montagnards exercent leur
Commerce à Mexico. D'autres parcourent le Pays, en négociant, avec
trente ou quarante Mulets. Depuis les Montagnes jufqu'à Guaxaca, Ga-
ge ne vit rien de plus confidérable que quelques Bourgades de deux ou trois
cens Habitans, qui ont des Eglifes fort bien bâties, ornées de Lampes &
de Chandeliers d'argent, & de riches Couronnes fur les Images des Saints.
Mais , dans tout le chemin , il obferva que le terroir efl extrêmement ferti-
le en Froment d'Efpagne, en Maïz, en Sucre, en Coton, en Miel, en
Cochenille, en Fruits de plufieurs efpèces, & fur-tout fort abondant en
Beftiaux, dont les cuirs paflent pour excellens, & font une des principa-
les marchandifes qui fe tranfporcent de ce Pays en Efpagne. On lui dit
qu'autrefois les Montagnes de Mifteque fourniifoient beaucoup d'or , & que
les Indiens en faifoient un ufage fort commun ; mais que dans la crainte
d'être tyrannifés par les Efpagnols, ils feignent à. préfent d'avoir perdu la
connoiiîance des Mines.
Gage arriva heureufement à Guaxaca , que fa Defcription fait reconnoî-
tre pour la Capitale de la Province, fur-tout lorfqu'on la compare à celle qu'il
fera bientôt d'Antequera. C'efl, dit-il, non-feulement le Siège Epifcopal ,
mais encore la réfidence de l'Alcalde Major, dont l'autorité s'étend julqu'à
Nixapa, & prefque jufqu'à Tecoantepeque, Place maritime fur la Mer du
Sud. Sans être une grande Ville, Guaxaca lui parut très agréable. Sa fi-
tuation efl à foixante lieues de Mexico , dans la belle Vallée dont Charles-
Quint fit préfent à Cortez, avec le titre de Marquis del Valle. Cette Val-
lée, qui a quinze miles de long & dix de large, efl arrofée par une Rivière
fort poifToneufe , dont les bords font toujours couverts d'un grand nombre
de Beftiaux, fur-tout de Brebis, qui fourniffent d'excellente laine aux Ma-"
nufa6lures dç los Angeles. Les Chevaux de ce Canton paflent pour les
meilleurs de la Nouvelle Efpagne. On n'en eflime pas moins les fruits &.
le fucre; & delà vient que les confitures de Guaxaca l'emportent fur celles
de toute l'Amérique. La Ville n'a pas plus de deux mille Habitans. Elle
efl ouverte, c'efl- à- dire, fans Murailles, fans Baflions & fans Artillerie;
. . . . ccm-
C<s) Voyages de Thomas Gage, Part, 2, Chap, 7'Î^S^ ^l»
7 n
<. s' i -^
GNC.
au DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 477
c'omttte toutes les Villes du Pays, à la refcrve des Places maritimes. On y DEscniPTiow
compte fix Couvens des deux Sexes , qui font tous d'une opulence extraor- ^li^^^ i^^p^l
dinaire, mais entre lefquels celui du Saint Dominique tient le premier rang,
par Ion Trcfor, qu'on eftime deux ou trois millions, & par la beauté de
l'on Eglife. Guaxaca doit Tes richefles à la grande Rivière d'Alvarado, où
la Tienne fe jette, & qui lui ouvre un Commerce fur avec Vera Cruz, par
las Zapotccas & Saint-Alphonfe; fur quoi Gage obllrve qu'il ell étonnant
que les Elpagnols n'ayant pas une feule Place de défenfe , ni la moindre
Garde , le long de cette Kivière , qui monte jufques dans le centre du*
Pays. Quoiqu'elle ne fuit pas navigable pour les grands Navires , il feroit
aife, dit-il , d'y pénétrer avec desBrigantins, ou du moins avec des Barques
de la grandeur'de celles qui fervent au tranfporc des marchandifes. Enfin ,
l'air de Guaxaca efl: fi tempéré, les provifions y font dans une fi grande a-
bondance, & la fituation en ell fi commode, entre le Port de Tecoantepe-
que fur la Mer du Sud, & Vera -Cruz fur celle du Nord, qu'il n'y a point'
de Ville en Amérique où Gage & fes Compagnons fe fuflent établis plus vo-
lontiers (b).
La première Place qu'ils rencontrèrent, en continuant leur Voyage, fut
/intequera , grand Bourg d'Indiens , dans lequel Gage ne loue que la charité
avec laquelle il y fut reçu. De-là il fe rendit à Nixapa^ Ville biitie fur un
des bras de la Rivière d'/Jlvarado , & par conféquent d'un riche Commerce.
Le nombre de fes Habitans efl: d'environ mille Efpagnols ôi Indiens, On
y recueille beaucoup d'indigo, de fucre , de cochenille, & particulière-
ment de cacao & d'Achiote^ dont on fait le chocolat. Gage obferve que
les Anglois & les Hoilandois , qui enlevoient des Navires Efpagnols
chargés de cette marchandife , croyoient faire un butin méprifuble ^
parce qu'ils ne favoient point encore qu'elle a la vertu de fortifier i'cf-
tomac {c).
De-lA , il s'avança vers 'Agiiatuko & CapaJiia^ deux Villes afiez g'-'^des,
fituées dans un Pays bas & marécugeux, où l'on nourrit quantité de Bef-
tiaux, & où les fruits font excellons. Tccoantepeque ^ qui fuit Capalita, efi:'
une Place maritime , dont le Port fert de retraite aux petits Bâtimens qui
font le Commerce d'Acapulco, de Realejo, de Guatimala, & de Panama.
Les Vaiiïeaux, qui viennent de Callao & des autres Ports du Pérou à celui
d'Acapulco, relâchent aulfi à Tecoantepeque, lorfqu'ils ont le vent con-
traire. Ils n'y font défendus par aucune forte de Fortification. C'eft une
Rade ouverte , par laquelle il efl: toujours facile aux Etrangers de faire des
courfes dans les Terres. Toute la Côte de la Mer du Sud , depuis Acapul-
cojufqu'à Panama, c'efl à-dire, dans une étendue de plus de fix cens cin-
quante lieues , n'a point d'autres Ports que celui ci, pour Guaxaca, celui
de la Trinité pour Guatimala Realejo; pour Nicaragua, & le Golfe des
Salines pour les petits Vaiiïeaux qui vont à Colla ricca. Ils font fans dé-
fenfe, & véritablement ouverts à tous les Avanturiers qui ne craindroient
p?.&'
i^b) Ubifuprài page 67.
Ooo 3
(f) Ibidem, page 72.
478 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
DascnimoN pas de faire le tour du Monde pc^ir s'enrichir aux dépens des Efpagnols (fi.
PE I.A NOU
VELUE liSPA-
CMC.
Montagnes
nomtiiccs
Qucicncs.
Tecoantepeque efl: le meilleur de tous les Ports du Pays pour la pêche.
Gage rencontra fouvent, dans fa route, des Convois de x]uatre- vingts &
cent Mulets, chargés de Poiilbn falé pour Guaxaca, Mexico & los Ange-
les. Depuis ce lieu jufqu'à Guatimala, le chemin e(l plat & fort uni le long
des Côtes de la Mer du Sud , par les Provinces de Soconufco & de Suchu-
tepeque (e).
Quoiqu'on ignore les bornes exafles de la Province de Guaxaca, & que
le voyageur, auquel on s'attache ici, n'eût pas d'autre deflein , dans cet-
te route, que de fe rendre à Chiapa, on ne peut manquer l'occafion de
nommer après lui quatre Bourgs fort riches , qu'il place aux environs de
Tecoantepeque. 11 fait obferver que tous les noms des Places de ce Quar-
tier, fe terminent de même. Ainli les quatre Bourgs qu'il vifita fuccefli-
vement s'appellent , EJkpeque , Ecatepeque , Sanatepcque & Tapanatepeque,
Cette Plaine, dit-il, efl: li découverte du côté de la Mer, & le vent y
foufHe avec tant de violence, que les Voyageurs ont peine à fe foutenir
fur leurs Chevaux ou leurs Mulets; ce qui n'empêche point qu'elle ne foit
remplie de Befliaux. Gage eut beaucoup à fouffrir pendant deux jours ,
pour fe rendre du premier de ces Bourgs au fécond , quoique la diftance
foit médiocre. D'Ecatepeque, il découvrit les hautes Montagnes des (^ue-
îenes. On l'avoit averti qu'elles étoient dangereufes , parce qu'il s'y trou-
ve des paflages fort étroits, & d'une élévation qui expofe les Voyageurs à
des coups de vents fi furieux , que les Hommes & les Chevaux font quel-
quefois renv.erfés de cette hauteur, & périiTenc mifërablement dans les pré-
ci-
(d) Gage, iUd. page 73. Il paroît que
c'eft fur ce récit que pluficurs Avanturiers
Anglois ont entrepris de chercher fortune
dans la Mer du Sud. Dampicr avoue plu-
ficurs fois qu'il avoit profité de la Relation
de Gage.
( e ) Le même Dampier , parcourant les
Côtes méridionales delà Nouvelle Efpagne,
en 168s, entra dans le Port de Tecoantepe-
que; mais fcrappellant mal, apparemment,
le récit de Gage , il lui donne le nom de Ca-
tulco, & femble prendre l'un pous l'autre
Voici la defcription qu'il fait de ce Port.
„ Il eft à quinze dégrés trente minutes de
„ latitude du Nord, & un des meilleurs du
„ Mexique. A la diftance d environ un mi-
„ le de l'entrée du Havre, on trouve, du
„ côté de l'Ert , une petite Ifle fort proche
„ de la terre; & du côté de l'Oucft, un gros
„ Rocher creux, où la Mer, qui y entre
„ & qui en fort continuellement , fait un
„ bruit qu'on entend de fort loin. Chaque
„ vague, qui entre dans cette Roche, fait
„ fortir l'eau par un petit trou gui eft au
„ fommet, comme par un tuyau, oc lui fait
„ faire, eo formant, à-peu-prè» la figure de
„ l'eau que jettent les Baleines. Les Efpa-
„ gnols la nomment le Buffadore, Dans le
„ calme même, la Mer fait fortir l'eau par
„ ce trou; de forte qu'en tout tems, c'eft
„ une bonne enfeigne, pour trouver le Ha-
„ vre, qui a trois miles de long, & un de
„ large, tirant au Nord-Oueft. Le côté de
„ rOueft eft le meilleur mouillage pour les
,» petits Vaiffeaux; on y eft fort à couvert;
,, au lieu qu'f. illeurs on eft fouvent expofé
„ aux vents du Sud-Oueft Le fond eft bon
„ par tout, depuis fix braftes jufquà feize.
„ Le Havre eft borné par une terre unie &
„ fabloneufe , très propre au débarquement.
,, On trouve, au fond, un beau ruilTeau
„ d'eau douce qui fe jette dans la Mer II
„ y avoit autrefois là un Village d'Efpa-
„ gnols; mais à préfent, il n'y refte qu'u-
„ ne petite Chapelle , entre des arbres , â
„ 200 pas de la Mer. Le Pays eft orné de
„ fort grands arbres fleuris , qui font de
„ loin un efi'et très agréable. Je n'ai rien
„ vu de pardi ailleurs". Dampier, Foyage
autour du Monde , Tome I. pages 248 &
249.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGN'E, Liv. Il, 479
cipices qui font au-deflbus. La feule vue de ces affreux Rochers caufe de
répouvante. Gage ne pouvoit les éviter qu'en fuivant la Mer par la Pro-
vince de Soconulco; mais c'étoit fe détourner beaucoup, & fc mettre dans
la néceflîté de prendre enfuite par. Guatimala. 11 réfolut , à toutes fortes de
rifques, d'aller jufqu'à Tapanatepeque , qui efl au pied des Quelenes, en
remettant à délibérer, dans ce lieu, fur les lumières qu'il y recevroit des
Habitans. 11 y arriva le foir, après avoir pafle par Sanatepeque. Depuis
Guaxaca, il n'avoit rien vu de plus agréable que le Pays qui eiî bordé par
les Montagnes; comme fi le Ciel, dit-il, avoit voulu raflembler, à l'entrée
d'un fi terrible paflage, tout ce qui peut en adoucir l'horreur. Les Beftiaux
y font en fi grand nombre , qu'une feule Terme Indienne nourrit trois &
quatre mille Bœufs. La Volaille ôc le Gibier n'y font pas moins abondans.
11 n'y a point dé Canton, depuis Mexico, où le Poiifon foit meilleur & fi
commun. Les Ruiffeaux, qui dcfcendent des Montagnes i apportent une
eau charmante, dont il eft fi facile aux Habitans d'arrofer leurs Jardins,
qu'ils y ont continuellement toutes fortes d'herbes & de légumes. Les o«
ranges, les limons, les figues, & quantité d'autres fruits, s'y préfentent
de toutes parts ; & leurs arbres y fourniflent allez d'ombre, pour faire fup*
porter aifémenf la grande chaleur du climat.
L'air jétoit fi tranquille, que Gage & fes Compagnons y prirent confian-
ce, & fe déterminèrent à tenter le paflage. On les aflura que le fommet
le plus haut n'étoit que de fept lieues, & qu'une lieue au-delà, ils trouve-
roient à l'entrée de la Province de Chiapa une des plus riches Fermes du
Pays , où l'on nourrilToit quantité de Chevaux , de Mulets & de Beftiaux ,
& qui étoit la demeure habituelle d'un Elpagnol, nommé Dom Juan de Tôle-
dCf chez lequel ils comptoient d'être bien reçus. Les Habitans de Tapana-
tepeque leur donnèrent deux Guides Indiens, avec une provifion de vivres,
qyi devoit fuffire pour un jour. Ils partirent bien montés. Leurs avantu-
res, & la naïveté de Gage à peindre fes craintes, jetteront quelque agré-
ment fur une defcription , dont la. féchtrefle fe fait quelquefois trop fencir.
Employons jufqu'à fes termes.
Quoique ces Montagnes fe fafTent aflèz remarquer par le grand nombre
de leurs pointes aigiies , & qu'elles foient compolées de quantité de têtes ,
qui fe joignent , fous le nom de Quelenes , on ne connoît bien que celle qu'on
appelle Maquihpa , parce que c'eft la feule qu'on puiffe traverfer , pour en-
trer dans la Province de Chiapa. Après dîner, nous commençâmes à mon-
ter cette haute & raboteufe Montagne; & nous nous arrêtâi^es le foir, dans
un lieu plat, qui reflemble à un Pré, fitué fur le penchant. Nos Guides
nous firent obferver qu'il y avoit apparence de beau tems pour le lende-
main. Nous foupâmes joyeufement, & dans cette efpérance, les provi-
fions furent peu ménagées. Nos Mulets trouvèrent auflî de quoi paître.
La nuit étant venue, nous nous endormîmes agréablement, au bruit des
Fontaines qui couloient entre les arbres. L'air du matin nous paroiflant
aufli calme que celui du jour précédent, nous achevâmes de manger ce qui
nous reftoit de vivres, pour être en état d'avancer plus légèrement. Mais
nous n'eûmes pas fait mille pas , en continuant de monter , que nous enten-
dîmes le vent, qui commençoit à fouffler. 11 devint plus impétueux, à
cha«
DeïCMïTIOW
DK LA NOU.
V«LLE EsfA-
ti^'£.
Avanturea
de Gage en
les pafllmt.
41)0 DESCR'IPTION DU MEXIQUE,
DEsrRTPTTON chaquc pas que nous faifions ; & bientôt il le fut tellement , que nous de»
m; i,A Nou- jT^^.iii-iiines incertains (i nous devions retourner fur nos traces, ou nous ar-
^'^'oKE.^'^ rèter. Cependant les Guides excitèrent nôtre courage, en nous dilaiu que
nous avions déjà fait la moitié du chemin. Ils nous afTurèrent que ce qui
pouvoit nous arriver de pis étoit de nous voir forcés de nous repofer un
mile plus loin, près d'une Fontaine, & dans une Loge qu'on avoit dref-
fée Ibus des arbres, pour les Voyageurs qui fe trouvoient iurpris par la
nuit, ou arrèrés par la force du vent.
Nous montùmce, avec beaucoup de peine, jufqu'au lieu qu'on nous an-
nonçoit, &. nous le trouvâmes tel qu'on nous l'avoit repréfeiué. La Fon-
taine & la Loge nous furent également agréables: mais le vent, dont la
violence ne fiiiloit qu'augmenttr, redoubla li vivement nos craintes, qu'au-
cun de nous ne ie (entit la hardiefle d'avancer, ni de retourner en arrié-
re. La nuit approchoit. Il ne nous reiloit rien pour fouper. Tandis que
nous nous regardions les uns les autres, fans favoir comment nous appaife-
rions la faim qui commençoit à nous prefler, nous apperçClmes entre les ar-
bres, un citronier clîirgé de fruits. Les citrons étoient aigres; mais nous
ne laillVimes point d'en manger avidement, allez facisfaits de la facilité que
nous avions à les cueillir.' Vers la pointe du jour, le venfdevint plus im-
pétueux que jamais. Il étoit impollible d'avancer en montait, & prefque
aulîi dangereux de defccndre. Nous nous déterminâmes, par le conJeil
même de nos Guides, à palfer plutôt le jour entier dans la Loge, que de
halardcr témérairement nôtre vie. Les citrons aigres & l'eau de Fontaine
furtnt nôtre feule nourriture. Cependant j'obfervai que les Indiens met-
taient, dani leur eau, une poudre, dont ils avoient quelques fachets pleins.
Ils avouèrent que c'étoit de la poudre de leurs gâteaux de Maïz, dont ils
étoient accoutumés à faire une petite provifion pour ce Voyage. Nous en
achetâmes d'eux un fachet, qu'iU nous firent payer vingt fois au-delfus de
foif prix. Ci foible fecours nous foutint pendant tout le jour; & vers le
foir , nous nous endormîmes dans la réfolution de braver le lendemain tous
les dangers, fuit pour arriver au fommet de la Montagne, ou pour retour-
ner à 'J'apanatepeque. Le vent ayant paru diminuer un peu , dans le cours
de la nuit fuivante, nous nous dilpofions à partir le matin pour avancer,
lorfqu'il redevint plus violent. Nous attendîmes jufqu'à midi. Comme il
ne faifoit qu'augmenter, l'impatience d'un de mes Compagnons lui fit pren-
dre le parti de monter à pied un mile .ou deux plus haut, pour oblervcr
les padtiges &"hous en faire fon rapport , dans l'idée qu'on avoit pu groffir
le d.anger. 11 revint deux heures après, & nous dit que nous pouvions
monter fans crainte, en conduifant nos Mulets par la bride. Mais les In-
diens étoient d'un autre avis ; ce qui nous fit pafler le refte du jour en con-
teftation. L'eau, les citrons aigres & la poudre de maïz furent encore nô-
tre unique rtflburce. Mais on ne s'endormit, qu'après avoir abfolument
réfolu de méprifer toutes les difficultés û le vent n'etoit pas changé le len-
demain. Il fe trouva le même. Jeudi au matin, qui étoii le cinquième
jour. Alors, nôtre courage fut excité fi vivement par la faim, qu'après
avoir invoqué celui qui commande à ia Mer & aux Vents, nous montâmes
fur nos Mulets, pour nous avancer vers" le fommet delà Montagne. Ce
ne
PI LA N0U>
VILLR EiFA*
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 451
ne fut pas fans avoir écrit, fur l'écorce d'un grand arbre, noi noms, & le DsscaiPTiow
nombre des jours que nous avions pafles à jeun dans la Loge. "' ' * ^'^"'
Nous marchâmes afTez long - tems , avec le feul embarras de rdfifler au
vent. Les bords de quelques fentiers étroits & taillés dans les Rochers fer»
voient à nous foutenir, à: nous caufqient moins de crainte aue de fatigue.
Auflî quittâmes-nous nos Mulets , pour marcher à pied ; & le chemin noui
en parut plus facile. Mais lorfque nous fûmes au fommet de Maquilapa ,
qui fignifie, dans la langue du Pays, une tête fans poil, nous reconnûmes
la grandeur du péril dont on nous avoit menacés. Nous regrettâmes la
Loge & nos Citrons aigres. Cette terrible hauteur efl; véritablement chau-
ve, c'efl-à-dire, fans arbres, fans pierres & fans la moindre inégalité qui
puifle fervir d'abri. Elle n'a pas plus de deux cens cinquante pas de long j
mais elle eft fi étroite , fi rafe & fi élevée, qu'on fe fent tourner la tête en
y arrivant. Si l'on jette les yeux d'un côté, on découvre la vafte Mer du
Sud , fi fort âu-deflbus de foi , que la vue en e(l éblouie. De l'autre côté,
on n'apperçoit que des pointes de rochers & des précipices de deux ou trois
lieues de profondeur. Entre deux ipeélucies , fi capables de glacer le fang,
le paflage ou le chemin n'a pas , dans quelques endroits , plus d'une toife
de largeur. Quoique le vent fût diminué, nous n'eûmes pas la hardiefle
de païïei* fur nos Mulets. Nous en laiflumes la conduite aux Indiens ; &
nous courbant fur les mains & les genoux , fans ôfer jetter un regard de
l'un ni de l'autre côté , nous paflTàmes aufli vîte qu'il nous fut poflible, l'un
après l'autre , fur les traces & dans la poflure des Bêtes qui paflerent devant
nous. AuÂl-tôt que nous nous vîmes dans un lieu plus large, entre des ar-
bres, où la crainte nous permit de nous relever, nous regardâmes plus
hardiment derrière nous ; mais nos premières réflexions tombèrent fur nô-
tre folie, qui'nous. avoit fait prendre un ii dangereux chemin, pour gagner
quelques jours que nous n'avions pas moins perdus. De-là nous nous ren-
dîmes fans peine à la Ferme de Dom Juan de Tolède , où , dans l'aiFoiblif-
fement de nos forces, par le jeûne, la fatigue & la crainte, nôtre edomac
eut befoin de quelque tems pour foufFrir d'autres nourritures que des bouiN
Ions & du vin (/).
La fixième Province , qui porte le nom de la feule Ville qu'on y connoif-
fe, occupe une grande Côte du Golfe de Mexique, à laquelle on donne en-
viron quarante lieues de long, fur la même largeur. Elle efl bordée, au
Nord, par la Baie de Campeche; à l'Elt, par l'Yucatan; au Sud, par la
Province de Chiapa , & à l'Ouefl; , par celle de Guaxaca. On vante fa fer-
tilité, fur-tout en Cacao, qui fait fa principale richefle; mais les pluies,
qui durent neuf mois de l'année, y rendent l'air extrêmement humide. La
Ville de Tabajco^ dont elle tire fon nom , fut la première Conquête des
Efpagnols fur cette Côte ; ce qui la fait nommer au;Ti Nuejlra Signora de la
ViStorïa. Elle eft à dix -huit dégrés de latitude du Nord, & deux cens
quatre-vingt-cinq de longitude. Sa Rivière, qui fe nomme auffi Tabafco,
ou Gri/afea, forme, avec celle de Saint-Pierre Ôt Saint-Paul, une Ifle d'en-
viron dou2e lieues de long & quatre de large. , . ,,^ - . ...^
Dam-
(/) Ibid,
XFIIL Part. * • p pp' - '
Tabafco ,
VI. Province»
Description
De la Nou-
velle EstA-
•NE.
48!i DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Dampikr efl le feul Voyageur qui ait obfervé foigneufement cette Côte,
pendant une année de féjuur dans la Baie de Campeche. Il nous apprend
que la Rivière de Sàint-Pierre & Saint-Paui vient des hautes Montagnes de
Chiapa, qui commencent à plus de vingt lieues dans les terres, & nui ti-
rent leur nom d'une Ville qui n'en efl pas éloignée. Elle coule d'abord af-
fez loin vers l'Eft, jufqu'à d'autres Montagnes qui la font tourner au Nord.
A douze lieues de la Mer , elle fe divife en deux bras. Celui de l'Ouefl fe
jette dans la Rivière de Tabafco ; l'autre fuit fon cours jufqu'à quatre lieues
de la Mer, où il fe divife auifi en deux branches, dont la plus avancée à
l'Eft forme Vljle des Bœufs , qu'elle fépare du Continent, & vafe jetter
dans un Lac qu'on nomme des Guerriers. L'autre, gardant fon cours & fon
premier nom, fe jette dans la Mer, entre l'IUe des Bœufs & celle de Ta-
baico. Son entrée efl: bouchée par une barre, qui n'empêche point les pe-
tits Vaifleaux d'y pafFer avec le fecours de la Marée, & le mouillage efl
excellent au-delà , fur quinze pu feize pieds d'eau. Quelques Boucaniers,
qui avoient remonté cette Rivière, afluroient qu'elle ell fort large avant fa
divilion; & que plus loin, dans le Pays, elle a fur fes bords plulieurs gran-
des Bourgades Indiennes, dont la principale fe nomme Sumtnafenta; qu'on
y trouve de vafl:es allées de Cacaotiers & de Plantains , & que le Pays eft
d'une extrême fertilité fur les deux rives. Les, terres les plus incultes y
font chargées d'arbres fort hauts , & de pluHeurs efpèces ; & dans quelques
endroits , peu éloignés de la Rivière , on voit de grandes Savanes , rem-
plies de Vaches, de Chevaux , & d'autres Bêtes fauvages.
Le Bras occidental de la Rivière de Saint-Pierre & Saint-Paul ne fe jet-
te dans celle de Tabafco qu'à quatre lieues de la Mer , après avoir coulé
huit ou neuf lieues vers le Nord- Ouefl:. Elle aide ainfî à former l'Ifle de
TabalcQ, qui efl; longue de douze lieues, & large de quatre, à fon Nord;
du moins, on compte quatre lieues depuis la Rivière de Saint -Pierre &
Saint-Paul jufqu'à l'embouchure de 'le de Tabafco , & le rivage s'étend
de l'Efl: à l'Ouefl:. Pendant la preW' e lieue , vers l'Efl;, le terrein efl: cou-
vert de Mangles , & l'on trouve 4 elques Baies fabloneufes. Le côté de
rOuefl: efl: fabloneux auffi jufqu'à la Rivière de Tabafco , & la Mer y efl
fort grofTe. Le Nord -Ouefl ell rempli de ces arbres qu'on nomme Guavers,
donc on y trouve quantité d'efpèces , qui donnent toutes un fruit excellent.
Cet endroit parut délicieux à Dampier. Il y vit des Cocos & du Raifin.
Les Savanes y font naturellement environnées de Bocages, de Guavers, &
très bien fournies de Vaches fauvages , qui s'engraiflent de leurs fruits. Ces
fruits , dit-il , étant remplis de petites graines , que les Vaches avallent en-
tières, & qu'elles rendent de même, prennent racine dans leur fiente; &
de-Ià vient l'étrange multiplication de l'efpèce (g).
La Rivière de Tabafco, ou de Grijalva, qui efl la plus remarquable du
Golfe de Campeche, prend aufli fa fource dans les hautes Montagnes de
Chiapa, mais beaucoup plus à l'Oueft que celle de Saint-Pierre & Saint-Paul.
De-là, elle coule vers le Nord- Eft jufqu'à quatre lieues de la Mer, où elle
reçoit le Bras de l'autre. La largeur de fon embouchure eft d'environ deux
mi*
(X) Voyages de Dampier, ToffM///. Port, 2. I'a5'025«
"^
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Lïv. IL 483^
miles. Elle n'a qu'onze ou douze pieds d'eau fur fa barre ; mais le mouil-
lage eA commode au-delà, fur trois brafles, dans un enfoncement qu'on
apperçoit à la rive de l'Eft. Le flot de la Marée y monte près de quatre
lieues dans la faifon féche; au lieu qu'à peine y entre-t'il dans le tems plu-
vieux, où les torrens d'eau douce ont la force de le repouffer. Pendant la
durée des Vents du Nord , cette Rivière inonde tout le Pays , jufqu'à dou-
ze ou quinze lieues du rivage ; & l'on trouve alors de l'eau fraîche au - delà
de la barre. Dans quelques endroits néanmoins , une fuite de petites Colli-
nes , qui demeurent toujours à fec , & qui font revêtues d'arbres , forment
un PaïTage agréable. Toute la Côte ell déferte jufqu'à huit lieues de l'em-
bouchure de la Rivière; mais à cette diflance on rencontre un Parapet,,
gardé ordinairement par un Efpagnol & huit ou dix Indiens , pour veiller
fur les Barques qui prennent cette route; & de ce Pofte , on place des Sen-
tinelles dans quelques Bois voifins , d'où l'on a la vue des Savanes. Quatre
lieues au-delà du Parapet, on rencontre, fur la rive droite de la Rivière,
une Bourgade Indienne, nommée Filla de Mofe. Quoiqu'il y ait peu d'Ef-
pagnols , elle efl défendue, à fon Ouefl:, par un Fort qui commande la Ri-
vière. Les Vailfeaux apportent leurs marchandifes jufqu'à ce lieu , fur-tout
celles qui viennent de l'Europe. Ils y arrivent dans le cours de Novembre
& de Décembre. Ils y demeurent jufqu'aux mois de Juin ou de Juillet,
pour fe défaire de leur charge, qui confifte en draps, en ferges, en bas de
fil , en chapeaux , &c. ; & celle qu'ils prennent efl ordinairement du Ca-
cao. Tous les Négocians du Pays fe rendent à Villa de Mofe vers Noël,
pour ce commerce, qui en fait le plus gros Marché du Pays après Campe-
che. Lorfque les Vaifleaux ne trouvent pas à charger du Cacao, ils pren-
nent des peaux & du fuif : cependant le principal endroit pour les peaux
ell une autre Bourgade, fituée, fur un bras de la même Rivière, qui fe dé-
tache trois miles au-deflbus du Parapet. Les Barques Efpagnoles y vont
charger une fois tous les ans.
EsTAPo efl encore une Bourgade fur la Rivière, quatre lieues au-delà de
Villa de Mofe. Elle efl habitée d'un mélange d'Efpagnols & d'Indiens;
quoique les derniers y foient en plus grand nombre , comme dans la plu-
part des autres Habitations du Pays. Dampier ne pénétra pas fi loin ; mais
il apprit qu'elle efl riche, qu'elle efl au Sud de la Rivière, tellement fituée
entre deux Anfes , qu'elle n'a qu'une avenue ; qu'elle ell défendue d'ail-
leurs par un bon Parapet , & qu'un Armateur Anglois , à la tête de deux
cena Hommes, y fut repouffé avec perte. Ce Capitaine, qui fe nommoit
Henuity s'étoic faifi de Villa de Mole, où il avoit laifle un Détachement
pour favorifer fa retraite. S'il eût pris Eflapo , fon deflein étoit de s'avan-
cer vers Haïpo, Bourgade opulente, à trois lieues plus haut fur la Rivière,
& de pafler enfuite jufqu'à Tacatalpo^ qui ell plus loin encore de trois ou
quatre lieues , & qui palFs pour la plus riche des trois. Les Efpagnols la
nomment Tacatalpo de Sierra ; fans qu'on fâche fi c'ell pour la diflinguer
d'une autre Place de même nom, ou pour marquer feulement qu'elle ell fi-
tuée près des Montagnes.
Depuis la Rivière de Tabafco jufqu'à celle de Chscapcque on compte
fept lieues. La Côte s'étend de l'Ell à l'Ouell. Le terrein en ell bas &
P p p 2 cou-
DlgCRTPTIOir
DE LA NOU-
V£LLB ESPA-
OMI,
48+ DESCRIPTION DU MEXIQUE,
"Descrwtiow couvert d'arbres. On trouve le mouillage bon dans la Baie j mais les va-
vellIT EsÎa- ê"^^ y ^°"' ^* fortes, qu'il n'eft pas aifé d'aborder au rivage. Il n'y a point
GNE. d'eau douce entre les deux Rivières. Celle de Checapeque ne mérite que
le nom d'Anfe ; car Ton embouchure li'a pas plus de vmgt pas de large , ni
plus de huit ou neuf pieds d'eau fur la barre. Cependant un demi-mile au-
delà, le mouillage elt bon pour les Barques. Cette Rivière, ou cette An-
fe, s'étend deux miles à l'Efl-Sud Eft ; après quoi, elle tourne vers le Sud
& s'avance dans les terres. On remarque une propriété fmgulière d'une
Pointe fabloneufe & ftérile, qui s'avance entre ion embouchure & la
Mer. En creufant dans le fable, avec les mains, fur le côté qui touche à
la Rivière, on y trouve de l'eau douce; mais fi l'on n'approfondit guè-
res, elle devient falée prefqu'aufli-tôt. Il ne fe préfente point d'Ha-
bitation plus proche qu'une Ferme de Befliaux , qu'on découvre à la
dirtance d'une lieue, & qui paroît dépendre de quelque Village Indien.
Les Bois voifms font remplis de Guanas , de Tortues de terre , & de-
Perroquets.
Une lieue plus loin, à TOuefl: de Checapeque, on remonte une petite-
Rivière, qui fe nomme Boccas^ mais qui ne peut porter que des Canots,
' pour lefquels même fa barre n'eft pas fans danger. L'eau en eft falée, juf-
qu'à un mile de fon embouchure. Enfuite, on trouve un beau courant d'eau
douce & très claire, qui s'avance une lieue dans le Pays, & l'on découvre
de vaftes Campagnes , dont le terroir paroît extrêmement fertile. Il n'y
a point de Villages Indiens à quatre ou cinq lieues de la Mer ; mais plus
loin, ils font en affez grand nombre, à deux ou trois lieues les uns des au-
tres. Les Indiens de ce Canton ne cultivent pas plus de terres qu'ils n'en
ent befoin pour la fubfîftance de leurs familles , & pour payer le Tribut.
Cependant ils nourriflent quantité de Volaille, telle que des Coqs d'Inde,
des Canards & des Poules , & quelques-uns entretiennent des allées de Ca-
caotiers. Une partie de leur Cacao eft embarqué pour Villa de Mofe. Le
tefte fe vend à des Courtiers errans, qui voyagent avec des Mules, & qui
arrivent ordinairement ici aux deux derniers mois de l'année, pour s'y ar»
rêter jufqu'au mois de Mars. Ils emploient huit ou quinze jours dans cha-
que Village à fe défaire de leurs marchandifes , qui font , pour les Indiens,
des couperets, des haches, des couteaux fort longs, descifeaux, des ai-
guilles , du fil & de la foye pour coudre , du linge & des bijoux de Fem-
mes , de petits miroirs , des chapelets , des bagues d'argent ou de cuivre
doré, montées de verre, des images de Saints, &c; & pour les Efpa-
gnols, du linge, des habits de laine, des étoffes de foye, des bas de
hl , de vieux chapeaux raccommodés , dont on fait ici beaucoup de cas.
Ces Courtiers font ordinairement payés en Cacao , qu'ils tranfportent à
Vera-Cruz.
Depuis Boccas jufqu'à la Rivière de Palma^ on compte quatre lieues,
d'un terrein bas & fabloneux; & deux lieues de Palmas à Halover (A), pe-
tit Ifthme qui fépare la Mer, d'un grand Lac du même nom. De Halover,
.... - .. j^
{h) Ccft-un nom AngIois,que les Boucaniers lui pnt donné, & quifigtiifîe celui qui tiic
OM qui haie une Barque,
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 485
H y a fîx lieues jufqu'à Sainte- j^nne^ qui efl: l'embouchure du Lac, où l'on
ne trouve pas plus de fix ou fept pieds d'eau. De Sainte- Anne à Tondelo,
la didance efl: de cinq lieues, toujours à l'Ouefl: ; Pays bas & Baie fabloneu-
fe : mais , à quelque difl:ance de la Baie , on découvre des Dunes aflez hau-
tes. Les Savanes du Canton font remplies de Vaches fort grafles. La Ri-
vière de Tondelo , quoiqu'aflèz étroite , & fermée d'une barre , reçoit des
Barques de cinquante ou foixante 1 onneaux. Son Canal efl: tortueux. On
peut mouiller en fureté, du côtédel'Eft, à un quart de mile de l'embou-
chure ; mais il faut tenir auflfi le côté de 1 Efl: à bord pour y entrer. Qua-
tre ou cinq lieues plus loin, cette Rivière efl: guéable. De Tondelo à G'«a-
fickevalpi il y a huit lieues de plus, toujours à l'Ouefl:, & Baie fabloneufe.
La Rivière de Guafickevalp efl: une des principales de cette Côte , moins
large que celle de Tabafca, mais plus profonde; fa barre a quatorze pieds
d'eau, & l'on en trouve beaucoup plus au-delà, fur un fond de vafe. Elle
prend fa fource fort près de la Mer du Sud; &les Barques y peuvent re-
monter fort loin. Celle de Tecoaniepeque y qui fe décharge dans la même
Mer, a fon origine aufll dans le ...ême Canton ; & l'on raconte que les pre-
miers agrets pour les VaifTeaux de Manille furent envoyés de la Mer du
Nord à celle du Sud par ce» deux Rivières , dont les fources ne font qu'à
dix ou douze lieues l'une de l'autre. Keybooca efl: la Ville la plus proche de
l'embouchure du Guafickevalp. Elle en efl: à quatre lieues vers l'Ouefl:. On
vante fa granéeur & fes richefles. Ses Habitans Efpagnois font en petit
nombre; mai*elle efl: fort bien peuplée d'Indiens & de Mulâtres, la plu-
part Marchands Voyageurs , qui vifitent tout le Pays entre Villa de Mofe
& Vera-Cruz, pour y acheter le Cacao»
Depuis la Rivière de Guafickevalp , la Côte continue de s'étendre deux
ou trois lieues vers l'Ouefl:. Le terrein efl: bas & couvert d'arbres , "Baie
fabloneufe. A cette difl;ance, la Côte tourne vers le Nord; & courant du
même côté l'efpace de feize lieues , elle s'élève infenfiblement depuis le ri-
vage , pour former un fort haut Promontoire , qu'on nomme Terre de-Saint-
Martïn^ mais qui fe termine par une Pointe aflfez large. C'efl:-là que le
Golfe de Campeche fe termine à fon Ouefl:. On compte près de vingt
lieues, de cette Pointe à la Rivière d'Alvarado. Pendant les quatre pre-
mières, le rivage efl: haut, pierreux, êfcarpé, & le Pays couvert de Fo-
rêts. Enfuite, on trouve de hautes Collines de fable, qui bordent la Mer;
& les vagues y font fi .violentes qu'il efl: impoflTible d'y aborder avec les
Chaloupes. Au-delà, le Pays eli oas, aflez uni, & fertile en gros arbres.
La Rivière d'Alvarado a plus d'un mile de large, à fon embouchure.
L'entrée efl: pleine de bas-fonds, qui continuent l'efpace d'environ deux
miles à quelque difl;ance du bord , \k qui traverfent d'un côté à l'autre. Ce-
pendant elle a deux Canaux entre ces écueils. L« plus commode, qui efl;
celui du milieu , n'a pas moins de treize ou quatorze pieds d'eau. Les deux
Rives font bordées de Dunes , auxquelles Dampier donne plus de deux cens
pieds de hauteur. Cette Rivière fe divife, dans fon cours, en trois bras,,
qui fe rejoignent à fon embouchure. L'un vient du côté de l'Efl:; un au-
tre , de l'Oueft,- & le troifième, qui efl: le plus grand & le véritable Alva-
Pp p 3 rado.
iDESCRirTIOM
DE LA NOU-'
VKLLB ËSrA-
ONE.
y
OcgcDiPTioir
DS LA N0U«
VILLE Espa-
gne.
486 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
rado , defcend direélement vers la Mer. Il a fa fource fort loin j & les fer-
tiles Pays qu'il arrofe font.remplis de Bourgs Efpagnols & Indiens. La Ri-
ve de rOueft, vis-à-vis de l'embouchure, efl: défendue par un petit Fort,
muni de quelques pièces de canon , qui commande une Ville voifme. Il fe
fait ici une pêche conGdérable; & par conféquent un aflez grand Commer-
ce de Poiiron falé, que lesHabitans changent contre d'autres marcttandifes :
mais la Ville n*en eu pas moins pauvre , quoiqu'elle y joigne celui du Poi-
vre fec, tant en gouffe, que confit au Tel & au vinaigre.
A fix lieues d'Alvarado vers l'Oueft , on trouve une grande ouverture qui
fe joint à ia Mer, &qui communique avec cette Rivière , par une petite
Crique où les Canots peuvent paffer. On voit, près de l'ouverture, un
Village Indien , qui n'efl compofé que de Pêcheurs. Le bord de la Mer
eft une haute Colline de fable ^ & les vagues y font fi grofles, qu'il efl: im-
pofllbleaux Chaloupes d'y aborder. Il ne refle, de-là, que fix lieues juf-
qu'à Vera-Cruz , toujours à l'Ouefl:. Une chaîne de Rochers , qui s'étend
d'Alvarado à Vera-Cruz, c'efl:-à-dire l'efpace de douze lieues (f), n'empê-
che point que les petits VaiiTeaux ne puiflent pafler dans le Canal qui efl:
entre ce Récif & la Côte, quoiqu'elle foit auflî fort pierreufe. L'Iile des
Sacrifices n'efl: qu'à deux lieues de Vera-Cruz à TEft.
Après avoir palTé les deux Vera-Cruz , qui font à cinq lieues l'une de l'au-
tre, on a quinze lieues jufqu'à Tifpo^ petite Ville aflez jolie, fituée au bord
de la Mer, fur un Ruifleau qui ne forme point de Havre. Aufli n'a- 1- elle
aucun Commerce maritime. La Côte, depuis Villa-riccaf^ ou la vieille
Vera-Cruz, s'étend Nord & Sud. De Tifpo, on compte environ vingt
lieues jufqu'à la Rivière de PamcOy Nord& Sud, au plus près. Cette Ri-
vière, qui eft fort grande, vient du cœur du Pays, & fe jette dans le Gol-
fe du Mexique, à vingt & un dégrés quatre-vingts minutes de latitude du
Nord. Elle a dix ou douze pieds d'eau fur fa barre; & les Barques peuvent
la remonter jufqu'à la Ville de même nom, qui efl: fituée à près de vingt
lieues.de la Mer. C'efl: la Capitale de cette Province, avec un Siège Epif-
copal, deux Paroifles, un Couvent & une Chapelle. Elle contient environ
cinq cens Familles d'Efpagnols , de Mulâtres & d'Indiens. Ses maifons font
grandes, bâties de pierre, & couvertes de feuilles. Quatre lieues plus
loin, la Rivière de Panuco en reçoit une autre, qui vient du Lac de Tom-
pequcy fitué au Sud, avec une Ville de fon nom, dont les Habitans n'ont
pas d'autre exercice que la Pêche. Au-delà de ce Lac, on en trouve un
plus grand , qui contient une Ifle avec un Bourg nommé Haniago , dont
toute la richefle confifte aufli dans le Commerce du Poiflbn. On y prend,
fur-tout, quantité de Chevrettes, qu'on fait fécher au Soleil, après les a-
voir fait cuire au fel & à l'eau , & qu'on tranfporte dans les meilleures Vil-
les de la Nouvelle Efpagne , où elles font fort efl:imées.
L'Vu-
(»') Dampier prend parti contre les Car-
tes, qui mettent vingt- quatre lieues entre la
Rivière d'Alvarado & Vera-Cruz. Il croit,
iit-il, que douze eft la meilleure fupputa-
tion, Ibid. page 343; & pour toutes fes re-
marques , il donne en preuve les courfcs qu'il
fit fur cette Côte pendant une année entière,
page 346.
\
Campeche
& Bois de j
teinture.
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 487
■ LTucATAN, feptième Province de l'Audience de Mexico , eft une Pref- Descriptio»
qu'Ifle découverte en 1517, c'eft-à-dire avant la Nouvelle Efpagne» par JJ^^^* £j][.*
Hernand de Cordoue , & fituée entre les Golfes de Campeche & de Hondu- one.
ras. Sa Capitale, nommée Merida^ réfidence du Gouverneur & de l'Eve- Yucatan,
que de la Province , ell à douze lieues de la Mer , à vingt dégrés dix minu- VlI.ProviLce,
tes de latitude du Nord. Elle eft peuplée d'un mélange d'Efpagnols & d'In-
diens. Campeche j Valladolid & Simancas font fes autres Villes. La premiè-
re, q'ii fe nomme aufli St.Francifco, eft célèbre par le Commerce du Bois de
teinture. Sa fituation eft fur la Côte orientale de la Baye de Campeche , à
dix-neuf dégrés vingt minutes de latitude. Quoique les Efpi^gnols l'euflenc
rendue capable de défenfe , elle n'a pas réfillé aux Aventuriers qui l'ont
furprife plufieurs fois , fur- tout en i685> q^i'ils la brûlèrent après en avoir
fait fauter la Citadelle. On place Valladolid fur les confins de Nicaragua à
treize dégrés trente minutes. Quoique la jaloufie desEfpagnols ne permette
guères aux Etrangers de connoître l'intérieur du Pays, quelques Voyageurs
ont trouvé le moyen d'y pénétrer, & c'eft ici l'occafion d'employer leurs
lumières {k).
Dampier, étant parti de la Jamaïque pour aller charger du Bois de tein-
ture à Campeche , fit des obfervations , lur cette Province , qui obligent de
le fuivre dans fa route. Il arriva au Cap de Cotoche. Depuis ce Cap , dit-
il , la terre s'étend vers le Sud environ quarante lieues ; & d'ici elle conti-
nue au Sud-Oueft jufqu'à la Baie de Honduras. Entre le Cap de Cotoche
& l'Ille de Cozumel , on trouve une petite Ifle , que les Efpagnols ont nom-
mée VJJle des Femmes ^ parce que dans l'origine de la Colonie ils y laiflerent
leurs Femmes , pour chercher plus loin des habitations commodes. Cepen-
dant ils n'ont à préfent aucun Ei:abliflement de ce côté- là, quoiqu'ils puif-
fent en avoir eu dans les premien; tems. A trois lieues & vis-à-vis du Cap
de Cotoche, eft une autre petite Ifle, que les Anglois ont nommée Log-
gcrheady parce qu'on y voit une forte de Tortues à grofl^e tête, auxquelles
ils donnent ce nom. Les vagues font toujours fort agitées près de cette
■^le. ■ Quoiqu'elle paroifle toucher au Continent, elle en eft féparée par une
/infe fort étroite. Le terrein da. Cap eft fort bas proche de la Mer; mais
il s'élève à mefure qu'il s'éloigne. 11 eft couvert de différentes fortes d'ar-
bres, fur- tout de Bois de teinture., dont les Anglois de la Jamaïque ont cou-
pé une fi grande partie , que ce qui en refte eft fort éloigné du rivage.
De ce Cap, Dampier rangea la Côte au Nord de l' Yucatan , vers le Cap
Concededo. Elle approche de l'Ouefti & la diftance, entre ces deux
Caps , eft d'environ quatre-vingts lieues. Le rivage eft affez égal. On n'y
voit pas de pointe ni d'enfoncement ronfîdérable. Il eft bordé de Forets ,
& toutes fes Baies font fabloneufes. Le premier endroit remarquable , à
J'Oueft du Cap de Cotoche, eft une Colline, qu'on appelle fimplement le
Mont^ & qui eft éloignée de la Mer d'environ quatorze lieues. C'eft la
iîeule hauteur qu'il y ait fur cette Côte. Tous ceux qui l'ont obfervée de
près font perfuadés qu'elle eft un ouvrage de l'art. Il y a n>éme aflez d'ap-
parence qu'elle étoit autrefois habitée , puifqu'on y uouve quantité de Ci-
ternes,
(*) Voyages de Dampier, Tome lll Part, 2. pag.es 212. & fuivantcs.
:DEicitinriON
■DK LA N0U>
V£LLB BfPA<
«MB.
I 'i
488 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
ternes, qui doivent avoir été faites pour recevoir l'eau de pluie, dans un
Canton qui n'a point d'eau douce , & dont la terre même efl: fî falée , que
les Efpagnols en vont prendre pour faire du Salpêtre. Peut-être ces Citer-
nes ne font-elles que d'anciennes Salpêtrières. Entre le Mont, & le Cap Con-
cededo , on découvre pluHeurs petits Bois de Mangles, qui reflemblent de
Join à de petites liles. Le Pays, qui préfente de loin une face fort unie,
«ft inégal & rompu lorfqu'on s'en approche.
Rio de Lagartos , qu'on rencontre prefqu'à moitié chemin , entre les
Caps de Cotoche & Concededo , arrofe un fort beau Pays , qui préfente
deux petits Bois de Mangles fort hauts, de chaque côté de la Rivière. Elle
a peu de largeur, mais elle efl: aflez profonde pour les Chaloupes. L'eau
en efl: bonne ; & depuis le Cap de Cotoche jufqu'à trois ou quatre lieues de
la VilledeCampeche, Dampier ne connoît point d'autre: eau douce fur
toute cette Côre. Il fe fait une Pêche confidérable à r£fl;tde Rio de La-
gartos. Les Pêcheurs Indiens , Sujets du Roi d'Ëfpagne, y ont des Caba-
nés, pour la faifon, des pieux auxquels ils fufpendent leurs fijets, & de pe-
; ■ tites couches pour y faire fécher leur Poiflbn. Depuis que les Etrangers,
jT qui vont charger le Bois deCampeche, ont pris cette route, les Indiens
' •' iont devenus fi timides, qu'auflîtôt qu'ils découvrent un Vaifl'eau en Mer,
' ' ils enfoncent leurs Canots à fleur d'eau (/) ; & ne montrant eux*mêmes que
la tête, ils attendent que le Vaifleau foit pafle, ou que la nuit Toit venue.
. Dampier les a vus quelquefois à la voile, & difparoître ainfi tout-d'un-coup.
Al'Ouefl: de la Rivière, on voit une Guérite, nommée Selam ^ que les Ef-
pagnols entretiennent fur le bord de la Mer , pour y mettre leurs Indiens
en fentinelle. La Côte en aplufieurs autres; les unes bâties à terre, en bois
'de charpente, & d'autres placées fur des arbres, comme des cages, mais
aflez grandes pour contenir deux Hommes, avec une échelle pour mon-
"'' ter & defcendre. Une de ces Guérites, à trois ou quatre lieues de Selam,
-,-•■ porte le nom de Linchanchi^ de celdi d'une Ville Indienne, qui efl: quatre
lieues plus loin dans les terres.- Une autre, à deux lieues de celle-ci , fe
nomme Chinchanchi. J'ai pris terre, dit l'Auteur, vers ces lieux d'obferva-
tion, & j'ai parcouru toute cette Côte, foit par Mèr dans un Canot, ou
par "Terrô à pié, depuis Rio de Lagartos jufqu'au Cap Concededo : mais je
d'y ai pas vu de Villes, ni de Villages, ni d'autres Maifons que des Caba-
nes de Pêcheurs, à la réferve de Sifal. On trouve, entre Selam & Linchan-
chi, plufieurs petits Réfervoirs falés, d'une figure aflTez régulière, & fépa-
rés les uns dt^s autres par de petites levées de tçrre. Le plus grand n'a pas
~ * plus de dix verges de long, fur fix de lar^e. Leis Habitans de ces deux
. villes fe rendent à ces Réfervoirs, aux mois de Mai, de Juin & de Juillet,
'< pour en recueillir le fel, dont ils fourniflent tout le Pays d'alentour; mais
ils y viennent à la faveur des Bois, qui les dérobbent, eux & leurs Villes,
il la vue des Vaifleaux.
Trois ou quatre lieues plus loin, vers rOuefl:,on trouve une autre Glié-
Mtite, nommée Sifal, qui ellla plus haute iSc la plus remarquable de cette
;^ Côte.
. (0 Uq grik&d avantage des Canots,
illft plus bas;
;'eft que lorfqu'Us font pleins d'eau, ils ne peuvent
lie, danrun
û falée, que
re ces Citer-
kleCapCon*
ilTemblent de
:e fort unie ,
in, entre les
qui préfente
Rivière. Elle
:ipes. L'eau
itre lieues de
m douce fur
Rio de La-
int des Caba>
ts, &depe-
;s Etrangers ,
, les Indiens
eau en Mer,
x>mêmes que
c foit venue.
at-d'un*coup.
, que lesEf-
leurs Indiens
erre, en bois
cages, mais
; pour mon-
tes de Selam ,
|ui e(l quatre
celle-ci , fe
IX d'obferva-
n Canot, ou
;do: mais je
[uc des Caba-
i & Linchan-
ère, & fépa-
;rand n'a pas
de ces deux
& de Juillet,
^ntour; mais
leurs Villes ,
le autre Gué-
ibie de cette
Côte.
, ils ne peuvent
\
i:t DES Ejsrvinojsrs .^^^^
(/ans la £ajre i/e CampecAe.
CVrnieeae Trajiae Z«t>
/^M-Z,
Tf-.
^jïT^^yT^S^^
Oinltreelcen. in de Caiixpeclie Baa^.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. H. 489
Côte. Elle eft bâtie de bois , & fort proche de la Mer. On la prend quel-
quefois pour un Vaifleau, jufqu'à ce qu'on foit détrompé par la vue des
Mangles voifins. Les Efpagnois ont, près de-là, un Fort, gardé par qua-
rante ou cinquante Hommes, qu'ils y envoyent de Mérida. Cette Ville,
la plus confiderable de l'Yucatan, n'en cft éloignée que de douze lieues;
& la plupart de fes Habitans font Efpagnois. On met beaucoup de diffé-
rence entre les Parties de l'Efl: & du Nord de la Province, & celle de
rOuefl , dont le terroir efl: incomparablement plus fertile : cependant elle
efl: par-tout aflez bien peuplée d'Indiens , qui font raflemblés cUns des Vil-
les & des Bourgs, fans qu'on trouve une feule Habitation moins éloignée
de la Mer que de cinq ou de fix miles. La diftance de Sifal au Cap Con-
cededo , efl: d'environ huit lieues. Vingt lieues plus loin , vers le Nord ,
on trouve une petite Ifle, que les Efpagnois appellent lia das Arenas\ nom
que les Anglois ont défiguré en De/ares ^ & d'autres en Defarcujfcs. Depuis
le Cap de Cotoche jufqu'à celui de Conceùedo , la Mer devient infenfible-
ment plus profonde, à mefure qu'on s'éloigne du Rivage; & les Vaifleaux
peuvent mouiller, fur un fond de fable à toute forte de profondeur, depuis
fept ou huit pies jufqu'à dix ou douze braflfes d'eau. Dans quelques endroits,
on juge de l'éloignement où l'on efl: du rivage par la profondeur de la Mer,
à compter quatre brafles pour la première lieue, & enfuite une lieue de plus
pour chaque brafle (/«)•
C'est au Cap Concededo que commence la Baie deCampeche. Cette Baie
efl: un enfoncement alfez confiderable, qui efl: renfermé entre leCap, du cô-
té de l'Efl:, & une Pointe qui s'élance du Pays montagneux de Saint-Mar-
tin à rOuefl:. Dans cette difl:ance , qui efl: d'environ cent vingt lieues , il
fe trouve plufieurs grandes Rivières navigables, de grands Lacs , &c. Con-
cededo efl: éloigné de quatorze ou quinze lieues du petit Havre de la Saline.
La Baie efl: toute fabloneufe dans l'intervalle, & la Côte s'étend vers le
Sud. Quoique le terrein du Pays foit aufl!i couvert de fable, fec, & fans
autres produélions que de petits arbres informes , fi l'on y creufe à moitié
chemin entre ces deux Places, au-deflTus de la marque de la haute Marée,
on y trouve d'excellente eau douce. Le Havre de la Saline efl une retraite
fort commode pour les Barques ; mais il n'a pas plus de fix ou fept pies d'eau.
On voit, près de la Mer, un grand Etang falé qui appartient à la Ville de
Tampeche, & qui rapporte beaucoup de fel. La méthode efl: fingulièrepour
le faire. Dans le tems qu'il fe grene, c'eft' à-dire aux mois de Mai & de
Juin , les Indiens s'afTemblent fur les bords de l'Etang , & ramaflant le fcl
en gros monceaux, de forme pyramidale, ils les couvrent d'herbe feche &
de rofeaux, auxquels ils mettent le feu. La fuperficie brûlée forme une
croûte noire, & fi dure, qu'elle garantit ces maffes de fel contre lespluyes,
qui commencent alors, & qu'elle les" tient fort feches dans une faiibn très
humide.
Depuis les Salines jufqu'à la Ville de Campeche,on compte près de vingt
lieues. Dans l'efpace des quatre premières, en fuivant la Côte, qui s'étend
au Sud-quart-à-l'Ouefl:, le Pays eft fubmergé & couvert de Mangles; mais
à
DBtCRIPTIOy
Dl LA NOU'
V£LLE ËiFAr
SNB.
(m) Ibidem, page 251,
Xnil. Part.
Qq q
Descriptioiî
RE LA NOU*
VELLB ËSFA*
GNE.
490 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
à deux miles au Sud delà Saline, <Sc à deux cens verges de la Mer, on troir-
ve une fource d'eau douce , qui ed la feule du Canton. Un petit fentier y
conduit au travers des Mangles. Enfuite, la Côte s'élève déplus en plus,
&, l'on rencontre quantité de Baies fabioueurts , où les Chaloupes peuvent
aborder; mais il ne faut plus efpérer d'eau fraîche jufqu'à la Rivière qui etl
proche de Campeche. Au-delà, toute la Côte efl: couverte de Mangles,
le terroir fec, & fans bois de teinture. Six lieues en-deça de Campeche,
on trouve une Colline, nommée Nina, d'où l'on peut découvrir les Vaif-
feaux à la voile, & qui produit d'excellent bois de chauffage, mais fans
eau ; ôc. la Mer, près du rivage, offre une grande abondance de ces coquil-
les, que les Anglois nomment dans leur Langue Pies de Cheval, parce que
le delTous en efl: plat & reffemble, par fa figure & fa groffeur, à la corne du
pié d'un Cheval; mais le dos efl: rond, comme celui d'une Tortue, & fon
écaille efl; auffi mince que celle des Ecreviffes de Mer. Elles ont aufli plu-
fleurs petits bras, & leur Poiffon efl: un mets fort vanté. Trois petites Ifles,
baffes&fabloneufes, à vingt-cinq ou vingt-fix lieues de Hina vers le Nord,
& à trente de Campeche , préfentenc un fort bon ancrage , du côté du Sud ;
mais elles font fans eau , fans bois , & fans autres Animaux que de gros Rats ,
des Boubies & des Gueniers. Ces Ifles ont reçu le nom de Triangle , parce
qu'elles forment cette figure , par leur fituation.
Campeche efl: une fort belle Ville, fituée au bord de la Mer , dans un petit
enfoncement; & c'efl: la feule qu'il y ait fur toute cette Côte, depuis le Cap
de Cotoche jufqu'à Vera-Cruz. Elle efl: bâtie de bonnes pienes, qui lui
donnent beaucoup d'éclat. Ses Maifons ne font pas hautes, mais les mu-
railles en font très fortes , les toits plats & couverts de tuiles. Elle efl: dé-
fendue par une Citadelle («), où le Gouverneur fait fa réfidence avec une
petite Garnifon. Quoiqu'elle foit le feul Port de cette Côte, on vante peu
fes richeflTes. La principale Manufafture du Pays efl: de toiles de coton, dont
les Efpagnols & les Indiens font éçalement vêtus , & qui fe vendent au-de-
hors pour faire des voiks de Navires. Si l'on excepte cette vente & celle
du feî , Campeche n'a jamais eu d'autre avantage que de fervir de centre au
Commerce du bois de teinture; & de-là vient le nom de Bois de Campeche.
quoiqu'il ne s'en trouve qu'à plus de douze ou quatorze lieues de la Ville.
Les Efpagnols l'ont coupé longtems, à cette diftance , près d'une Rivière
nommée Cbainpeton, du côté du Sud, dans un terrein haut & pierreux. Ils
y employoient les Indiens du Canton, pour une réale par jour; & le ton-
neau valoit alors jufqu'à cent dix livres llerling. Lorfque les Anglois fe fu-
rent établis à la Jamaïque, & qu'ils commencèrent à croifer dans le Golfe
de Campeche, ils y trouvèrent plufieurs Barques chargées de ce bois; mais
'n'en connoiffant point encore le prix, ils fe contentoient de prendre les
doux & toute la ferrure des Barques. ' Un de leurs Capitaines, ayant enle-
vé un gros Vaiffeau qui n'avoit pas d'autre charge, le conduifit en Angle-
terre, dans le feul deffein de l'armer en courfe ; &, contre fon attente, il
y vendit fort cher un bois, dont il avoit fait fi peu d'eftime, qu'il n'avoit
pas ceffé d'en brûler pendant fon Voyage. Alors , les Anglds de la Jamaï-
que
( n) On a remarqué que les Boucaniers l'ont fait fauter & qu'ils oat brûlé la Ville.
ice avec une
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. H. 491
que découvrirent bientôt le lieu où il croifToit ; & lorfqu'ils ne faifoient au-
cune prife en Mer, ils alloicnt à la Rivière de Champeton, où ils étoient
fûrs d'en trouver de grandes piles, dcja tranfportées au bord de la Mer,
qui ne leur coCltoient que la peine de les embarquer. Cette pratique fe
foutint, jufqu'à ce que les Efpagnols y mirent une forte Garde. Mais les
Anglois, qui n'ignoroient plus la valeur de ces arbres, vifitèrent les autres
Côtes du Pays pour en chercher. Ils en trouvèrent d'abord au Cap de Co-
toche , d'où ils en tirèrent la charge de plufieurs Vaifleaux ; & lorfqu'il y
devint rare, ils découvrirent un Lac, nommé Trijle, dans la Baie même
de Campeche, où leur travail fut continue avec le même fucccs.
De la Rivière de Champeton à Port-Roïal, on compte environ dix huit
lieues. La Côte eft au Sud-Sud Ouefl, ou Sud-Oueft-quart-au Sud. Le ter-
rein , qui efl bas vers la Mer , s'ouvre par une Baie fabloneufe , où l'on voit
([uelques Arbres, & de petites Savanes mêlées de Buiflbns. On ne trouve,
entre Champeton & Port-Roïal, qu'une feule Rivière, qui fe nomme Porta
Efcondido. Port-Roïal eft une grande entrée, dans un Lac falé, de neuf ou
dix lieues de long, fur trois ou quatre de large, avec deux embouchures,
c'eft-à-dire, une a chaque bout. Celle de Port-Roïal eft reflerrée par une
barre, fur laquelle on ne laifle pas de trouver neuf ou dix pies d'eau. Le
mouillage eft bon de l'un & de l'autre côté ; & l'entrée n'a pas moins de
deux miles de long, fur un de larçe, avec quelques anfes fabloneufes, où
l'on entre fans danger. Les Vaifleaux mouillent ordinairement du côté de
l'Eft , après Champeton ; autant pour la commodité des Puits , qu'on y a
creufés, que pour fe mettre à couvert de la Marée, qui eft ici très violente.
Cet endroit eft remarquable par le détour de la terre, qui prend tout d'un-
coup vers l'Oueft , & qui s'étend l'efpace de foixante & cinq ou foixante &
dix lieues dans cette direélion. Une petite liîe bafle , qu'on nomme Vljîe
de Port-Roïal y forme, à l'Oueft, un des côtés de l'embouchure, & le Conti-
nent fait l'autre. A l'Oueft de cette 111e , on en trouve une autre , petite
& bafle, q\i on nomme Tri/le. Un Canal fort étroit les fépare. L'IlleTrifte
eft , en quelques endroits , large de trois miles , & longue de quatre. Elle
s'étend de l'Eft à l'Oueft.
La féconde embouchure, qui conduit dans le Lac, eft entre riile Trifte
& une autre Ifle, qui fe nomme l'IJle des Bœufs. Sa largeur eft d'environ
trois miles. Elle eft remplie de bancs de fable audehors, qui ne laiflTent
que deux Canaux pour y entrer. Le plus profond eft vers le milieu de l'em-
bouchure, & n'a pas moins de douze pies d'eau dans la haute Marée. Ce-
lui de l'Oueft en a près de dix. Il n'eft pas fort éloigné de l'Ifle des Bœufs.
On y entre par une Brife de Mer, la fonde à la main, fur-tout du côté de
cette Ifle. A fa pointe , on a trois braflès d'eau ; & l'on peut tourner alors
vers Trifte, jufqu'aflez près du rivage, où rien n'empêche de mouiller li-
brement. Quoique le mouillage foit bon par-tout , au-delà de la barre , en-
tre Trifte & l'Ifle des Bœufs, la Marée y eft beaucoup plus forte qu'à Port-
Roïal. Cette embouchure a reçu des Efjpagnols le nom dé Laguna Termina.
Les petits Bâtimens, tels que les Barques, les Chaloupes & les Canots,
trouvent une égale fureté dan$ toutes les partie* du Lac. Ilf peuvent paifer
. Q^^ 3 d'une
DascniPTioH
I)E LA NOU-
DlifCltlPTION
P> LA NOU-
VILLU ËSPA'
Il
4P2 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
d'une embouchure à l'autre, aller dans les Anfcs, les Rivières, & les autres
petits Lacs qui fe déchargent dans le grand.
La première Rivière confidérable qu'on rencontre à l'Efl: de ce Lac, en
entrant à Port-Roïal , eft celle de Simmnfema. Kilo cfl: afFez grande pour
recevoir des Chaloupes. C'eft du côté du Sud qu'elle fe décharge, veis !e
milieu du Lac. On voyoit autrefois, à Ton embouchure, un Village du mê-
me nom. Sept ou huit lieues plus loin dans les terres, on trouve une gran-
de Ville Indienne, compofée d'environ deux mille familles, & de quelques
Moines Efpagnols , qui leur fervent de Curés dans deux ou trois Kgliles,
fans qu'il y ait d'autres Blancs. A quatre ou cinq lieues de la Rivière d»?
Summafenta, où le rivage s'étend vers rOueft,on rencontre une petite Ifle,
qui fe nomme le Buiffbn^ & vis-à-vis de cette Ifle une Crique fort étroite,
0£ longue d'un mile, qui conduit dans un autre grand Lac, qu'on nomme
Lac de l'EJt. Il a près d'une lieue & demie de large, fur trois de long, &
fes bords font couverts de Mangles. Une autre Crique, qui s'ouvre à fon
Sud Eft, & qui s'avance fix ou fept miles dans les terres, offre quantité de
bois de teinture fur fes bords. Au bout de cette Crique efl une grande
Savane, remplie de Vaches fauvages, de Chevaux & de Daims. Du côté
feptentrional , & vers le milieu du Lac de l'Efl:, on trouve une autre petite
Crique, qui communique à Laguna Termina, vis-à-vis d'une petite lile fa-
bloneufe, que les Anglois nomment Tlfle de Ferles. A l'Oueft du même Lac,
un petit Bois de Mangles le fépare d'un autre Lac, qui lui eft parallèle, ôc
qu'on nomme le Lac de ÏOueJl. Il eft à-peu-près de la grandeur du pre-
mier; & vers fon Nord il fe joint avec lui par un Canal, qui efl: afjez pro-
fond pour les Barques. Au Sud de ce dernier Lac, une Crique, dont l'em-
bouchure efl d'un mile, fe divife en deux branches, où l'on trouve de
l'eau douce pendant dix mois de l'année. La terre, aflez près de leur di-
vifion , produit, non -feulement quantité de bois de teinture, mais de
gros Chênes, \qs feuls que Dampier ait vus, dit -il, entre les Tropiques.
A trois miles de la branche orientale , une Savane fort graffe eft ordinai-
rement remplie de Bêtes à cornes ; ce qui attire les Coupeurs de Bois dans
cette Crique.
Toutes ces Terres, près de la Mer ou des Lacs, font chargées dcMan-
ffles, & toujours humides; mais un peu plus avant, le terrein efl: fec &
ferme, & n'eft jamais inondé que dans la faifon des pluyes. C'efl: une ar-
gile forte & jaunâtre, dont la fuperficie eft d'une terre noire, fans profon-
deur. Il y croît quantité d'arbres, de différentes efpèces, qui ne font ni
hauts, ni fort gros. Ceux qui fervent à la teinture & qu'on appelle Bois de
Campeche , y profitent le mieux ; & l'on n'en trouve pas même dans les
lieux où la terre eft plus graffe. Ils reffemblent affez à nôtre aubépine ;
mais ils font généralement beaucoup plus gros. L'écorce des jeunes bran-
ches eft blanche & polie, avec quelques pointes, néanmoins, qui Ibrtent
de côté & d'autre ; mais le corps & les vieilles branches font noirâtres , l'é-
corce en eft plus raboteufe, & prefque fans aucune pointe. Les feuilles
font petites , & reffemblent à celles de l'aubépine. Leur couleur eft d'un
verd pâle. Oajchoiût, pour la coupe, les vieux arbres, qui oiK l'écorce
noire.
VELLE E!rA>
OME.
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. H. 493
rtoire, parce qu'ils ont moins de fève, & qu'ils donnent peu de peine à les DiicBirTioN
couper, ou à les réduire en morceaux. La l'éve en eft blanche, & le cœur ""..''* |?°V*
rouge. C'clliccœur qu'on employé pour la teinture. On abbat toute la
fcve blanche pour le tranfporter en Europe. Quelque tcms après qu'il eft
coupé, il devient noir; Ck s'il eft mis dans l'eau, il lui donné une fi vive
couleur d'encre, qu'on s'en fert fort bien pour écrire. Entre ces arbres,
il s'en trouve de cinq ou fix pies de circonicrence, dont on a beaucoup de
peine à faire des bûches, qui n'excèdent point la charge d'un Homme; &
aulfi les fait-on fauter avec de la poudre. Le bois eft fort péfant. 11 brûle
fort bien, & fait un feu clair, ardent & de longue durée. Les Flibuftiers
fc fervent de ce feu pour endurcir le canon de leurs fufils, lorfqu'ils s'apper-
çoivenc de quelque défaut dans le fer. Dampier eft perfuadé que le vérita-
ble bois deCampeche ne croît que dans l'ïucatan. Les principaux endroits,
où il fe trouve, font celui qu'on a di :rit, le Cap de Cotoche, & la partie
méridionale du Pays*, dans le Golfe de Honduras.
Le commerce de ce bois étoic devenu fort commun parmi les Anglois en
1*675 , lorfque Dampier arriva dans le Golfe de Campeche. Il y trouva plus
de 260 Travailleurs de fa Nation, qui s'étoient établis autour du Lac Trif-
te, ou dans l'Ifledes Boeufs. Ce négoce, dit-il, doit fon origine à la dé-
cadence de la Piraterie. Aulfi-tôt que les Anglois fe virent maîtres de la
Jamaïque & qu'ils eurent conclu la Paix avec l'Efpaçne, leurs Boucaniers,
qui n'avoient vécu jufqu'alors que du pillage des Eipagnols, fe trouvèrent
dans le dernier embarras. Les uns fe retirèrent au petit Gouave, où la Pi-
raterie fubfiftoit encore, & les autres prirent le parti de s'établir dans la
Baye de Campeche pour y couper du bois. Ils y auroient pu faire un profit
confidérable ; mais l'habitude de l'oillveté rendit leur travail fort lent. La
plupart étant bons Tireurs, ils paflbient le tems à la challt: & leur ancien
goQt pour le brigandage fut réveillé par cet exercice. Bientôt ils commen-
cèrent à faire des courfes dans les Villes Indiennes , dont ils enlevoient les
Hubitans. Ils gardoicnt les Femmes, pour les fervir dans leurs cabanes.
Les Hommes étoicnt vendus à la Jamaïque & dans les autres Ules. Enfin,
ces Avanturiers prirent tant d'averfion pour la difcipline, que n'ayant pu fe
réduire fous aucune forme de Gouvernement, il fut aifé aux Efpagnols de les
fuiprendre au milieu de leurs débauches, & de les enlever prelque tous dans
leurs cabanes, lis furent conduits Prifonniers à Campeche & à Vera-Cruz,
où ils furent vendus aux Marchands de Mexico.
Ajoutons, après le même Voyageur, que cette partie du Golfe de Cam-
peche, eft à près de dix- huit dégrés de latitude du Nord. Dans le beau tems,
les Brifes de Mer y font au Nord-Nord-Eft, ou au Nord, & les vents de
"Terre font Sud-Sud-Etl &Sud. La faifon feche y commence enSeptembre,
&dure jufqu'à la fin d'Avril. Alors, les pluyes arrivent & commencent par
des ouragans, dont on n'efTuye d'abord qu'un feul par jour, mais qui aug-
mentent comme par dégrés jufqu'au mois de Juin , où les pluyes deviennent
continuelles , pour ne finir que vers la fin d'Août. Ce déluge d'eau fait dé-
border les Rivières. Toutes les Savanes s'en trouvent couvertes; & l'inon-
dation ne croît & ne diminue point jufqu'à ce que les vents du Nord foyei»£
fixés; ce qui arrive ordinairement vers le mois d'Odobre. Ces vents fouf-
- Qqq 3 ikn:
404
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
V
nEscRipTioN i^ent vers la terre avec tant de violence, que pendant le tems qu'ils régnent
CE LA Nou- 'ig troublent le cours des marées , ils arrêtent celui des Rivières; & qiioi-
^^'■^^«r. ou'il V ait moins de pluye qu'auparavant, les dcbordemens ne laiflent pas
d'augmenter. Limpetuofite des mêmes vents croit encore, aux mois de
Décembre & 3e janvier. Mais enfuice elle diminue ;& les eaux commencent
à s'écouler dans les lieux bas. Vers le milieu de Février tout efl: fec; & dés
le mois de Mars, on a quelquefois cle la peine à trouver de l'eau pour boire,
dans ces mêmes Savanes, qu'on prenoit lix femaines auparavant pour une
Mer. Vers le commencement d'Avril tous les Etangs ne font pas moins à
fec; & les Etrangers, qui ne connoîtroient point les rellburccs du Pays (o) ,
feroient menacés d'y mourir de foif.
( 0 ) La principale cfl: de fc retirer dans
les Bois, pour fc rafraîchir de l'eau qu'on
trouve alors dans les feuilles d'un arbre , que
Dampier nomme Pin fativagc , parce qu'il
a quelque relTeniblance avec le véritable
Pin. Son fruit, qui croît fur les bofles, les
nœuds & les excrefcences de l'arbre, cil: en-
vironné de feuilles t-paifles , .& longues de
dix ou douze pouces, fi fL'rrées entr'ellcs &.
fi droites, que retenant i'eaii de pluye lors-
qu'elle tombe , cllos en contiennent jufqu'à
une pinte & demie. Il fufiît d'y enfoncer un
couteau vers leb;is pour la faire fortir. Dam-
pier cite fa propre cxpériencr, ubi fupri,
page 21^6.
Guadalajara,
i. Province.
II. Los
Zacatecas.
S- V I.
Audience de Guadalajara.
LES Provinces de cette Audience font peu connues des Etrangers & des
Efpagnols mêmes, qui n'en ont jamais fait de defcription régulière.
Leur fituation vers le Nord ne tente point la curiofité des Voyageurs ; &
les premiers Hifloriens , ayant écrit fur des Relations aiîez confuiés , n'ont
pu nous donner plus de lumières, qu'ils n'en ont trouvé dans leurs Mé-
moires. Ceux qui font venus après eux , tels que Laet , Ogilby , & les
Compilateurs Hollandois, n'ont fait qu'augmenter robfcurité, en altérant
quelquefois les noms & les diilances , pour concilier les témoignages op-
pofés, ou pour fuppléer aux omifllîons par des conje6lures. Ainfi l'on ert
réduit à des homes fort etrui:es, quand on n'y veut rien faire entrer d'in-
certain.
La première Province, qui donne fon nom à l'Audience, & qui tire le
fien de fa Capitale, eft repréfentée comme un Pays fain & fertile, où l'on
•trouve quelques Mines d'argent. La Ville de Guadalajara eft fituée fur la
Rivière de ZJar^MW , qui va fe perdre , foixante lieues au-deflbus, dans la
Mer du Sud. C'eft le Siège du Gouverneur de la Province , & d'un Eve-
que SufFragant de l'Archevêché de Mexico. On la place à vingt dégrés
vingt minutes de latitude, & à deux cens foixante & onze degrés quarante
minutes de longitude. Son éloignement de Mexico eft d'environ quatre-
vingt-dix lieues.
Cette féconde Province de l'Audience de Guadalajara, tire fon nom de
celui de fes anciens Habitans. Sa Capitale qui eft un Siège Epifcopal & la
rcfidence du Gouverneur, fe nomme auffi S. Luis dt Zacatecas; à fes au-
'. . ■ très
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. XL 495
cres Villes font, Xeresàe la Frontera^ Erena ou Ellerena, Nombre de Ûios^ &
Jvino, célèbre par fes Mines d'argent. Quelques-uns y mettent aufli Du-
Tango j que d'autres font Capitale de Nueva Bifcaia. Le Pays eft fec &
montagneux , mais fertile dans les Vallées, & riche par fes Mines d'argent.
11 s'étend du Sud au Nord , depuis la Province de Cuaxaca vers le Golfe du
Mexique.
LAtroiftcme Province, nommée Nw^u^ Bifcaia ^^ ou Nouvelle Bifcaïe^ efl:
conrigiij au Nouveau Mexique ^ vafte Pays feptentrional, dont les bornes ne
font pas encore connues, mais qui paroît fuivi du Quivira & de la Mer de
rOuefl, & dont on remet à parler dans l'Article des Voyages au Nord. Le
Mémoire de Lionnel VVaffer {a) nomme Durango pour Capitale de la Nou-
velle Bifcaie, & donne plufieurs Mines d'argent à cette Province. Ses au-
tres Villes font ^.irrox, Sainte-Barbe y o\x Barbota Enâeba^ &. Saint-Juan. On
la place à vingt-cinq dégrés vingt-huit minutes de latitude, fans expliquer
de quel lieu l'on prend cette polition. Une grande partie du Pays efl arro-
{ÙQ par la Rivière de Na{Jas.
La Province de Cinaoîa ell la plus feptentrionale de toute la Nouvelle Ef-
pagne. Sa fituation , fur la Mer de Californie , la fait toucher aufli au Nou-
veau Mexique; mais dans cet éloignement elle contient fort peu d'Efpa-
gnols, quoique l'air y foit fort fain, & qu'on vante fa fertilité en fruits, en
légumes & en coton. Ils y ont néanmoins deux Villes, qui fe nom-
ment Saint -Jacques & Saint - Philippe ^ & dont on ne cornoît guères que
les noms.
La cinquième Province, qui fe nomme Culiacan, n'efl pas mieux connue
que celle de Cinaola. On lui donne néanmoins quelques Mines d'argent,
èc deux Villes , Culiacan , fa Capitale , & Saint-Miguel. Comme elle ell bor-
dée aufli par la Mer Vermeille, ou de Californie, on trouve quelques détails,
fur fes Côtes, dans les Voyages de Dampier, de Cooke, de Rogers& des
autres Avanturiers Anglois qui les ont vifitées en divers tems. Mais , à l'ex-
ception des vues & des diftances , qui paroiflent aflez fidèlement recueillies
dans la Relation d'Edouard Cooke (Z>), il y a peu d'utilité à tirer, pour la
Géographie , de la plupart de ces Obfervations , où l'ordre manque toujours,
& qu'on a peine d'ailleurs à concilier avec d'autres lumières , par la difficulté
de reconnoître des noms que chaque Nation défigure ou change entièrement
dans fa langue.
La fixième Province, nommée Chiametlan, fituée fur le bord de la même
Mer , efl peuplée prefqu'uniquement d'Indiens. Les Efpagnols y ont néan-
moins deux Villes; Saint -Sebafiien^ qui en efl: la Capitale, ikAguacera, On
vante la fertilité du terroir, fon miel, fa cire, & fur-tout fes Mines d'ar-
gent, qui firent établir ces deux Colonies Efpagnoles en 1554. Lesifles de
Chametly, qui paroiflent tirer leur nom de cette Province, ont été décrites
dans la Relation de Dampier.
La dernière Province de la féconde Audience s'appelle Xalifco^ de fon an-
cien nom. Elle efl: fituée en partie fur la Mer du Sud. Sa Capitale efl Coin-
pojîella
DEScaimôir
DE LA Noo-
VCLLB £(FA-
ONE.
iir.
Niicva Bif-
caia.
IV.
CinaoIà,
V.
Ciiliaciiu.
VI,
Chiamctlan.
VII.
Xalifco.
(a) Ubifuprà, pnge 334.
(b) Voyages d Edouard Cooke, Tome II.
On donnera les diftanccs , d'aprùs lai &
Woodes Rogers.
DE LA
VELLE
4t;6 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Description pojiella nueva , bâtie en 1531 par Nugnez Guzman, qui conquit une partie
n» r » Nou- jg çgjj.g Région. On place cette Ville à vingt & un degrés de latitude du
^^'^ Nord , & deux cens foixante & dix degrés quinze minutes de longitude.
C'étoit autrefois un Siège épifcopal, que le mauvais air du Pays a fait trans-
férer à Guadalajara , dont elle efh éloignée d'environ trente lieues. Xalifca
& la l'urification font deux autres Villes de la même Province. ■
C'est dans cette Province, à vingt degrés vinvc& une minutes du Nord,
/uivant Dampier (c), qu'on ^lace le Cap àe Corrientes ^ d'où la plupart des
Avanturiers ont marqué le point de leur départ , pour pafTer de la Mer du
{sud aux Indes Orientales. En approchant de ce Cap , les terres font aflez
élevées & bordées de Rochers blancs. L'intérieur du Pays efl: rempli de
Montagnes llériles & defagréables à la vue. Une chaîne d'autres Mon-
tagnes, parallèles à la Côte, finit à l'OLiefl par une belle pente; mais, à
l'Ell, elles confervent Surélévation, & fe terminent par une hauteur ef-
<:arpée , qui fe divife en trois petits foramets pointus , auxquels cette figure ,
qui approche aflez d'une couronne, a fait donner, par lesEfpagnols, le nom
jdQ CoTonada. La hauteur du Cap eil médiocre, & le fommet plat & uni;
mais il efl remarquable par quantité de Rochers efcarpés , qui s'avancent
jufqu'à la Mer. A deux lieues du Cap, entre lui «Si la Pointe de ^entique^
qui en efl à dix lieues, on trouve une profonde Baie , fabloneufe accommo-
de pour une defcente, au fond de laquelle elT: une grande Vallée de trois
lieues de long , qui fe nommQ FaJderas ^ ou Val d'Iris. Une belle Rivière,
qui en fort pour le jetter dans la Baie , reçoit facilement les Chaloupes ; mais
vers la fin de la failbn feche, qui comprend Février, Mars & une partie
d'Avril, l'eau n'efl pas fans un petit goût de fel. La Vallée efï enrichie de
Pâturages fertiles , mélès de Bois, entre Jefquels on voit croître uns fi gran-
de abondance deGuaves, d'Oranges & de Limons, qu'il femble que la Na-
ture en ait voulu faire un Jardin. Les Pâturages font remplis de Befl:iaux,
fans qu'on y découvre une Maifon.
On ignore fi c'ell dans la Province de Chiametlan, ou dans celle de Xa-
lifco, qu'il faut placer la Rivière & la Ville Indienne âeRofariOy dont le
même Ecrivain fixe la hauteur à vingt-deux degrés cinquante minutes, & le
Village maritime de Al7//ar/flw. On voit, dit- il, dans l'intérieur des terres,
une Montagne en forme de pain de fucre, au Nord E(l Quart de Nord ; &
vers rOueft de cette Montagne , on en découvre une autre de forme longue,
que les Efpagnols nomment Cabo dcl Cavallo.
A l'Eft deRorario,il trouva la Rivière de Saint-Jago^ où l'on peut mouil-
ler, près de l'embouchure, à fept brafTes d'eau fur un bon fond. On voit
de-là, fur la Côte, à trois lieues OueflNord Ouefl, un Rocher blanc, nom-
mé Maxcutelba-, & dans le Pays, au Sud-Eft, la haute Montagne de Zelif'
co (rf), dont le milieu s'enfonce en forme de felle. La Rivière de Sant-
Jago, qui efl une des principales de cette Côte, eft à vingt-deux degrés
quinze minutes. On y trouve dix pies d'eau à la barre, après le départ mê-
me
(f) Table du Sillage, Tome I. page
301.
Crf) Si Zclifço siï une faijte d'Qithographe
pour Xalifco , comme il y a beaucoup d'ap-
parcnco, il fera certain que tous ces lituj:
font de cette Province,
/
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 457
me de la Marée. Elle n'a guères moins d'un demi mile de large, à l'embou-
chure; &fa largeur augmente au-delà, par la jonftion de trois ou quatre Ri-
vières qui s'y jettent. L'eau en eft un peu falée; mais en creulànt deux ou
trois pies à l'embouchure même, on trouve de l'eau douce. A quatre lieues
de la Côte, les EPpagnols ont une Ville nommée Sainte-Pecaque, fituée dans
une Plaine, proche d'un Bois. Sans être grande, elle efl extrêmement ré-
gulière ; & la plupart de fes Habitans font leur principale occupation de
1 Agriculture, à la réferve de quelques Voituriers , que les Marchands de
Compoftelle employent au fervice des Mines. On compte vingt & une lieues
de Sainte- Pecaque à Compoftelle , & cinq pu fix jufqu'aux Mines. L'argent
de ce Canton, & généralement celui de la Nouvelle Efpagne, eft eftimé
plus fin que celui du Pérou. Les Voituriers de Sainte-Pecaque le tranfpor-
tent à Compoftelle pour y être rafiné , & fourniflent aux Efclaves qu'on fait
travailler aux Mines, leur provifion de Maïz, dont le Pays abonde. On y
trouve auffi du fucre, du fel & du poiflbn falé.
Enfin, c'eft à l'autre extrémité de cette Province, ou dans la partie de
celle de Mechoacan , qui touche auffi à la Mer du Sud , qu'il faut placer le
Volcan de la Ville Efpagnole de Colimay & dont le même Voyageur fait la
defcription fuivante. {e) „ Nous vîmes le Volcan de Colima. C'eft une
fort haute Montagne , vers les dix-huit degrés trente- fix minutes du Nord,
à cinq ou fix lieues de la Mer, & au milieu d'un agréable Vallon. On y
voit deux petites Pointes, de chacune defquelles fortent toujours des
flammes ou de la fumée. La Ville du même nom eft dans une Vallée
voifine, qui pafle pour la plus agréable & la plus fertile du Mexique.
Elle n'a pas moins de dix lieues de large, près de la Mer, où elle for-
me une petite Baie. On alTure que la Ville eft grande, riche & Capi-
tale du Pays. T. es Efpagnols ont deux ou trois autres Villes aux envi-
rons; entre lefquelles on diftingue Sallagua^ qui eft à l'Oueft de la Baie
de Colima, avec un petit Port au dix huitième degré cinquante-deux
minutes.
Chequetan, que Dampier nomme auffi, fans en déterminer la pofition,
trouve foigneufement décrit dans le Voyage d'Anfon, & paroît apparte-
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nir au Mechoacan. ,> Ce Port, ou cette Rade, eft à dix-fept degrés trente-
„ fix minutes du Nord, & à trente lieues d'Acapulco , du côté de l'Oueft.
„ Dans l'étendue de dix-huit iieues, depuis Acapulco, on trouve un Riva-
„ ge fabloneux, fur lequel les vagues fe brifent avec tant de violence, qu'il
eft impoffibie d'y aborder. Cependant le fond de la Mer y eft fi net, que
dans la belle faifon , on peut mouiller fûrement à un mile ou deux du Ri-
vage. Le Pays eft afl'ez bon. Il paroît bien planté , rempli de Villages ; '
& fur quelques éminences on voit des Tours , qui fervent apparemment
d'Echauguettes. Cette perfi)e6live n'a rien que d'agréable. Elle eft bor-
née, à quelques lieues clu Rivage, par une chaîne de Montagnes, qui
s'étend tort loin à droite & à gauche d'Acapulco. Cinq miles plus loin ,
on trouve un Mondrain, aui fe préfente d'abord comme une Ifle. Trois
miles au-delà, vers l'Ouelt, on voit un Rocher blanc afl'ez remarquable,
{e) Dampier , uVt fuprà , page 368. . , . . •
XFIII. Part. R r r ^
498 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
DUCBIPTION
DE LA NOU*
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à deux cables du Rivage, dans une Baie d'environ neuf lieues d'ouvertu-
re. Sa Pointe occidentale forme une Montagne qui fe nomme Petaplan.
C'efl; projprement une Prefqu'Ifle , jointe au Continent par une langue de
terre baffe & étroite , couverte de brofluilles , & de petits Rochers. Ici
commence la Baie de Seguataneio, qui s'étend fort loin à rOuefl de cel-
le de Petaplan, & dont celle-ci n'elt qu'une partie. A l'entrée de cette
Baie, & à quelque diflance de la Montagne, on découvre un amas de
Rochers, blanchis des excrémens de divers oifeaux. Quatre de ces Ro-
chers, qui font plus gros que les autres, & qui ont alTez l'apparence d'u-
ne croix, s'appellent ks Moines blancs. Ils font à l'Ouefl vers le Nord
de Petaplan; & fept miles à leur Oueft, on entre dans le Port de Che-
quetan , qui eft encore mieux marqué par un gros Rocher à un mile &
demi de fon entrée , au Sud-demi-quart-à-l'Ouefl;.
„ Si l'on côtoie la terre d'aflez près, il eft impoffible de ne pas reconnoî-
tre le Port de Chequetan à toutes ces marques. La Côte elt fans dan-
ger , depuis le milieu d'Oftobre jufqu'au commencement de Mai ; quoique
dans le refte de l'année elle foit expofée à des tourbillons violens, à de»
pluyes abondantes , & à des vents impétueux de toutes les pointes du
Compas. Ceux, qui fe tiendroient à une diftance confidérable de la
Côte, n'auroient pas d'autre moyen de trouver ce Port, que par fa la-
titude. Le dedans du Pays a tant de Montagnes , élevées les unes au-
deflus des autres, qu'on ne diftingue rien par les vues, prifes d'un peu
loin en Mer. L'entrée du Port n'a qu'un demi-mile de largeur. Les
deux pointes qui la forment , & qui préfentent deux Rochers prefque
perpendiculaires, font, l'une à l'égard de l'autre, Sud-Eft &Nord-Ouefl.
Le Port eft environné de liautes Montagnes , couvertes d'arbres , excep-
té vers rOueft. Son entrée eft fûre, de quelque côté qu'on veuille paf-
fer du Rocher, qui eft fitaé vis-à-vis de fon embouchure. Hors du Port,
le fond eft de gravier, mêlé de pierres. Mais dans l'intérieur, il eft de
vafe molle. La feule précaution néceflaire, en y mouillant, regarde les
grofles houles, que la Mer y poufle quelquefois. La Marée eft de cinq
pies, & court à-peu-près Eft & Oueft. L'Aiguade ne paroît qu'un grand
Etang, fans décharge, & féparé de la Mer par le Rivage. 11 eft rempli
par une fource, qui fort de terre, un demi-mile plus loin dans le Pays.
L'eau en eft un peu faumache, fur-tout du côté de la Mer; car plus on
avance vers la fource, plus elle eft douce & fraîche. Cette différence
oblige de remonter auffi haut qu'il eft poffible pour remplir les tonneaux.
Quoique cet Etang n'ait aucune communication avec la Mer, il peut en
avoir dans la faifon des pluyes ; & Dampier en parle comme d'une gran-
de Rivière. Cependant le terrein eft fi bas, aux environs, qu'il doit être
prefqu'entiérement inondé , avant que l'eau puifle déborder par-deflus le
Rivage. On ceffe ici de voir des Tortues , après en avoir trouvé une
grande abondance devant la Baie de Petaplan. La terre ne fournit gué-
res d'autres animaux que des Léfards, qu'on y trouve en grand nombre;
& qui ne font pas un mauvais aliment. Tous les jours, au matin, on
apperçoit fur le fable de l'Alguade, les traces d'un grand nombre de Ti-
gres; mais loin d'être auÛi dangereux que dans l'Afrique <& l'Afie, ils
• i >» n'atta-
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL
499
n'attaquent prefque jamais les hommes. Les Faifans font fort communs
fur la Côte ; mais leur chair efl: feche 3l fans goût. On y voit d'ailleurs
une grande variété d'autres oifeaux de moindre grofleur, particulière-
ment des Perroquets , que les Anglois tuoient fouvent pour s'en nourrir.
Les fruits , les racines & les herbages y font rares. Les Bois fourniflent
quelques Limons , des Papas, & une efpèce de Prunes. La feule her-
be, qui mérite d'être nommée, efl la Morgeline, qui croît fur les bordi
des ruifleaux, & que fon amertume n'empêche point les Matelots de
manger avidement, parce qu'elle pafle pour un anti-fcorbutique. On
prend, dans la Baie, diverfes fortes de PoilTons, telles que des Ma-
quereaux, des Brèmes, des Mulets, des Soles & des Homars. C'eft
le feu! endroit de ces Mers, où les A vanturiers Anglois ayent pris des
Torpilles. A l'Oueft du Port, on trouve une Ville , ou un Bourg, qui
n'efl: éloigné que de deux miles de l'endroit où le chemin fe divile. Du
même côté , le Pays eft aifez étendu , & préfente une efpèce d'ouver-
ture, qu'on prendroit de loin pour un fécond Port; mais, en appro-
chant , on ne voit que deux Montagnes , qui rendent ce terrein comme
double , & qui étant jointes par une Vallée , ne laiiTent entr'elies ni
Port, ni Rade (/)".
Il a paru néceffaire de rappeller ici cette defcription , parce que , de l'a-
veu de tous les Voyageurs , la connoiflance du Port de Chequetan efl: d'une
extrême importance pour la Navigation. C'eft le feul mouillage fur pour
les Etrangers , dans une fort grande étendue de Côtes , à l'exception d'A-
capulco , qui eft occupé par les Efpagnols. On y peut faire tranquillement
de l'eau & du bois, malgré les Habitans du Pays. Les Bois, qui l'environ-
nent, n'ont qu'un chemin étroit, du Rivage aux Terres voifines ; & ce paf-
fage peut être gardé par un Parti peu confidérable , contre toutes les forces
que les Efpagnols font capables de raflembler dans ces Mers {g).
trait du Voyage d'Anfon, au Tome XV;
mais Mr. Prevoft ne les a pas données dans
l'Edition de Paris. R. d. E.
(g) Ibidem.
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DE LA NOO-
VELLB EsrA'
CKE.
(/) VojTîtge d'Anfon , Tome III. pages
399 & précédentes. On a, ci-defliis , la Vue
de Chequetan avec celle d'Acapulco.
Nota. Ces deux Vues font dans nôtre Ex-
5. vn.
Audience de Guatimala,
ON donne le premier rang , dans cette Audience, à la Province de 50-
conufco, qui eft bordée au Nord par celle de Chiapa, à l'Eft par cel-
le de Guatimala, au Midi par la Mer du Sud, & k l'Oueft par la Province
de Guaxaca. Sa longueur eft d'environ trente-cinq lieues , à*peu-près fur la
même largeur. Quoique le Pays foit ouvert & plat (a), on n'y connoît
aux Efpagnols que la Ville de Soconufco. Coaevatlan eft un petit Port , que
les Cartes placent à dix-huit degrés de latitude; & Scbutepequt, une grofte
Bourgade Indienne , dans l'intérieur des terres (6).
La
[
Soconufco,
I. Province.
a") Gage, Part. 3. page. 9. Voyageurs , pour la connoWTance de cette Cô-
b] Suppléons à ce qui manque dans les te, depuis le Port de Matanchel dans Xalif-
Rrr 2 co,
500
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Dkscriwion La Province de Chiapa eft afTez connue par la Defcription de Gage, qui
DB LA Nou- pfQÊta, dic-il, d'un aflez long fejour dans la Capitale, pour connoître les
II
I ■>
co, jufqu'à rextrômité de Socomifco, par
la mefure des diftances qui ont été annon-
cées dans le Journal de Rogers , au Tome
XV. de ce Recueil. Edouard Cooke
obferve quon ne trouve aucune defcrip-
tion qui aille plus loin vers le Nord , Tome
II. page 309.
De Matanchel ou Maxantella , la Côte
court au Sud-Oueft l'efpace de vingt lieues ,
Jufqu'aux Rochers de Ponteque. A quatorze
lieues au Nord-Oueft-quart-d'Ousft de ces
Rochers , on rencontre trois Ifles affez gran-
des & une petite, dont les trois premières
fe nomment les trois Maries, & la dernière,
Baxa. De Ponteque , qui eft la Pointe d'une
grande Baie , jufqu'au Cap Corriente qui
fait l'autre Pointe , il y a dix lieues en tra-
verfant l'embouchure de la Baie, c'eft-à-dire
d'une Pointe à l'autre. On trouve enfuite,
fort près du Cap, un petit Port, nommé /ax
Salinas del Pilota , parce qu'il eft voifm de
quelques Salines , & quatre lieues plus loin ,
une Pêcherie, qui appartient à la Ville de la
Purification. De-Ià on rencontre fucceflive-
ment,dans l'efpace de quatre ou cinq lieues,
les deux petits Ports de Malaque & de la
Nativité. A fept lieues du dernier, on arri-
ve au Port de Salagua, qui offre une petite
Rivière d'eau douce. Huit lieues plus loin
eft la Vallée de Colima, dont on lit la def-
cription dans le Journal de Dampier, avec
celle de plufieurs autres lieux qui font ici
nommés (Voyc^ le Tome XV. de ce Re-
cueil). On trouve enfuite à trois lieues,
la Bourgade Indienne de Pomero, fituée fur
^ une haute Pointe, & fa Rivière d'eau dou-
ce, qui ne coule qu'en hiver. Huit lieues
au-delà, on arrive à Tutapan, Ville Indien-
ne de bonne grandeur. On a de-Ià douze
lieues jufqu'à la Rivière de Sacatula , qui eft
accompagnée d'une Ville Efpagnole du môme
nom. Iftapa eft une Ville Indienne. Trois
lieues plus loin eft le Port de Seguataneio ,
ou de Cbequetan, fuivi, quatre lieues après,
de la Pointe de Petaplan ; & dix lieues au-
delà, de celle de Tequepa, après laquelle il
ne refte que dix-huit lieues jufqu'au Port
d'Acapulco. De la Nativité, jufqu'à ce der-
nier Port , on compte ainfi environ quatre-
vingts lieues de Côte , fans y comprendre ap-
paremment les détours des Baies.
Rogers n'entreprend point de décrire les
Anfes, les Rivières & les Ifles, qui fe trou-
vent entre Acapulco & Puerto Efcondido,
dont le nom vicat d'une petite Iftc qui le
couvre. II lui fufiît, dit-il, de les nommer:
Le Port Marquis eft une petite Baie, qu'on
découvre par quelques Brifans blanchâtres
qui s'élèvent vis-à-vis de fon entrée; Pref-
qtteria de Dom Garcit eft une Anfe ou une
Rivière fort poiiToncufe; Rio de'Taquelame-
na & Rio de Maffia font deux autres Riviè-
res ; les Ifles nommées ^Icatraces font à
l'embouchure de la dernière.. On compte
d'Acapulco au Port Marquis deux fort peti-
tes lieues. Si l'on entre de ce côté-là dans
Acapulco, il faut Être fur fes gardes avant;
que d'arriver à Ptmta del Marquis , oii le ri-
vage eft haut & fabloneux. On doit fe tenir
à l'Eft vers la chaîne des Montagnes d'où
l'on voit le Port Marquis; ranger enfuite la
Côte jufqu'à ce qu'on découvre un haut Ro«
cher blanc à l'entrée du Port d'Acapulco ,
avec une Iflc pleine d'éminences rouges ; a-
mener la Pointe Eft & Oueft avec l'Ifle , &
courir droit vers le Rocher blanc. Alors on
verra le Griffo , qui eft un Banc au - deflus de
l'eau, dont il faut fe tenir à peu de diftan-
ce; & l'on y trouve aflez de ,.;ofondeur.
On doit courir enfuite vers P ^ta Morrillio ,
qui eft un petit précipice; & cette route con-
duit à Bocacbicca , ou la petite Entrée , d'où
l'on voit le Château & la Ville, & où l'on
peut mouiller. Mais fi. le vent de Mer
foufHe avec trop de violence , & qu'on ne
putfle pas gagner le Port , il faut donner
fond , & attendre la brife de terre , avec la-
quelle on eft fur d'y entrer. C'eft un ex-
cellent Havre, & un fond de fable net.
Lorfqu'on vient de la Mer , droit vers Aca-
f)ulco, on voit plufieurs Montagnes, dont
a première eft un peu haute. Celles qui
font derrière s'élèvent les unes audelTus des
autres , & la plus exhauflfée a un Volcan au
Sud-Eft. Le Havre eft au pié de ces Mon-
tagnes , couvert par une Ifle vers le Nord-
Oueft , entre laquelle & la haute Mer il y a
an Canal. L'entrée au Sud-Eft eft large. Le
plus grand danger qu'on y trouve eft un pe-
tit Banc , qui fe, nomme El Griffo , dont une
partie fe montre audcflus de l'eau. Il faut
le lailTer fur la gauche, à une petite diftan-
ce; &ron voit deux Rochers, qui s'élèvent
à quelque hauteur fur le rivage. Voyez ci-
defliis , le Plan & la Defcription de ce
Port.
D'Acapulco jufqu'aux 5arraneannax, c'cft-
à-dire aux Monticules, on compte 25 lieues.
Ces Monticules font au nombre de 15 ou 16.
Toitt le rivage , dans l'efpace de 30 lieues juf-
q,u'à
es rouges; a-
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. H. 5c.
richeffes & le Gouvernement du Pays (c). On doit fe rappeller que dans
la Defcription de la Province de Guaxaca , nous l'avons fuivi jufqu'au fom-
met des Quelenes. 11 defcendit delà au Bourg Indien âHAcapala^ fitué fur
la même Rivière qui paffe à Chiapa dos Indos. Enfuite, ayant traverfé Chta-
p el RéaU il pafla par deux petites Villes EPpagnoles , nommées Saint-Chrif.
tophe & Saint-Philippe, d'où il fe rendit à Chiapa dos Indos, qui eft à douze
lieues de l'autre.
On conçoit d'abord que cette Province a deux Villes principales, qui lui
donnent leur nom , ou dont elle tire le fien. Quoique dans l'opinion des Ef-
pagnols elle foit une des plus pauvres de l'Amérique, parce qu'on n'y a point
encore découvert de iVlines , ni trouvé de fable d'or dans les Rivières , &
qu'elle n'a aucun Port fur la Mer du Sud , Gage alTure qu'elle l'emporte fur
beau-
OE'CRIPTTOW
DE .LA NOU-
vem-r" Espa-
gne.
! .^
qu'à Puerto Efcondido, eft d'ailleurs couvert
de monceaux de fable, fans aucun Havre. De
ce Port à Rio de Calera , on compte treize
lieues , d'une Côte fort faine , & trente-une
jufqu'à Puerto de los Angeles, d'où l'on
en compte trente -huit jufqù'aux Salines.
Mais , dans l'intervalle , on trouve , à trois
lieues au Sud- Eft de Puerto de los Angeles,
une Anfe nommée Calleita, devant laquelle
eft une chaîne de Rochers qui s'étendent une
lieue en Mer. Deux lieues plus loin, on
rencontre la Rivière de Julien CaroTco, &
un Banc à demi-lieue de la terre. Un peu
plus au Sud-Eft . on peut mouiller fûre-
ment fous une Ifle nommée Sacrificios. A
trois lieues de Calleita, on arrive à Gua-
tulco , Port de la Province de Guaxaca , au
Sud-Eft, duquel on voit une Ifle haute &
ronde, qui fe homme Tongolotatiga , éloi-
gnée d'une lieue & demie du Port , & deux
lieues plus loin une grande Rivière nommée
Capalita. A fix lieues de Capalita , tou-
jours au Sud-Eft, on trouve le Motro, ou
Pointe &j4ytula. L'ifle à'Ifiapa eft fept
lieues plus au Sud; & le Cap de Bamba trois
lieues au-delà de cette Ifle. La Côte eft ici
fort haute , avec un grand Banc d'une lieue
de long, qui court du Nord au Sud.
C'eft dix lieues plus loin , vers l'Eft , qu'on
trouve les Salines; & pour marque de Mer,
deux grands Rochers , fort près l'un de l'au-
tre, où la terre haute fe rejoint & court
jufqu'à Puerto de los Angeles. Des Salines ,
à Puerto - Ventofo , ainfi nommé parce que
le vent y fouffle avec plus de violence , que
fur tout le rcfle de la Côte , on compte qua-
tre lieues. Depuis le Port Ventofo jufqu'à
la Rivière de Tecoantepeque , on en compte
auflî quatre. La Côte court au Nord-Oueft
& Sud-Oueft. Entre la Rivière de Tecoan-
tepeque & la Barre du Port Mufqueito , il y
% huit lieues , & la Côte court i^oid-Oucft
ôcSud-Ert. De cette Barre znCzp Bernai , on
en compte fept ou huit , Eft-Sud-Eft &
Oueft-Nord-Oueft. Depuis le Port du Cap
Bernai, la terre commence à baiflêr, & ne
s'élève point dans le Pays ni le long du riva-
ge, qui eft celui de la Province de Soconuf-
co. Tout l'efpace, qui eft entre Guatulco &
le Cap Bernai , forme un Golfe d'enviror»
Quarante lieues , qui porte le nom de Golfe
e Tecoantepeque. On y peut mouiller par
tout , aflez prés du rivage.
Depuis le Cap B'irnal jufqu'à celui à'In-
comienda, on comotc fix lieues, & la Côte
court Nord-Oueft oc Sud-Eft. De la dernière
de ces Montagnes à celle qu'on nomme le
Volcan de Soconufco, parce qu'elle jette
eiTcAivement des flammes , il y a fix autres
lieues , dans la même direflion. Incomienda
n'eft qu'à trois lieues au Sud-Eft du Port
Bernai. Du Vo\can k las Milpas , on compte
douze lieues , Nord-Oueft & Sud-Oueft. De
las Milpas au Volcan de Zapotielan^ on en
compte huit , & même gifement de Côte.
De ce dernier Volcan à celui de Saclantepe-
que , il y en a fix ,• & fept de celui-ci à celui
{.V^tilan. Enfuite la Côte court Oueft-quart-
au-Nord-Oiieft & Eft-quart au Sud-Eft juf-
qù'aux Anabacas, qui terminent vraifembla-'
blement la Province de Soconufco , en la fé-
parant de celle de Guatimala. On donne le
nom d'Anabacas à de petites Plaines divifées
en monticules , & couvertes de petits Buif-
fons. Le rivage, qui eft élevé, &qui fe re-
tire pour former une Baie , offre quantité
de beaux arbres. On découvre , dans le
Pays , trois Volcans , à la diftance d'environ
huit lieues l'un de l'autre; & c'eft celui du
milieu qui fe nomme Zatipoclan. Foyage de
IVoodes Rogers , Tome IL pages 8 & précé-
dentes du Supplément,
(c) Gage, ubifuprà, page 2, Ch. 13.
Rrr 3
50Î
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
GN£.
^
DtscaifTioM beaucoup d'autres par la grandeur de fes Villes & de Tes Bourgs: fans
va LA Nou- compter qu'étant placée entre celles de Mexico, deGuaxaca, deSoconuf-
VKLLE t.^.?A. ^^^ aeGuatimala, de Vera.Paz, d'Yucatan, & de Tabafco, elle tire un
grand avantage de cette fituation. Le même Voyageur ajoute que c'ell de
U\ force ou de fa foibkiTe que dépend toute la Nouvelle Efpagne , parce
qu'on y peut entrer par la Rivière de Tabafco & par l'Yucatan, & fe trou-
ver ainfi comme au centre de cette grande Région (d).
La Province de Chiapa eft divifée en trois parties , qui fe nomment Chia-
pas les Z'jques & les Zeldaks, La première contient les deux Villes de Chia-
pa; tous les Bourgs & les Villages (itués au Nord, vers les Quelenes, &
à rOueft de Comitlan; la grande Vallée ùq Capanabajlla^ qui s'étend vers
Soconufco, & qui efl arroiée par une belle Rivière, forlie des Montagne»
àQ Cuchumatlancs ^ d'où, fuivant cette Vallée, elle va pafler à Chiapa dos
Indos, & fe rendre dans la Mer du Nord par la Province de Tabafco, dont
elle prend le nom. (Quoique l'air de Chia^ia el Real & de Comitlan foit très
froid , à caufe du voilinage des Montagnes , il efl fort chaud dans toute la
Vallée; & depuis le mois de Mai jufqu'au mois de Septembre, elle eft fu-
jette à de grands orages , accompagnés de tonnerres elFrayans. Sa longueur
eft d'environ quarante miles, fur dix ou douze de large. Le principal
Bourg, qui lui donne fon nom, contient plus de huit cens Familles Indien-
nes. Celui à' Izquintenango ^ qui eft fitué au fond de la Vallée, vers le Sud,
c'eft-à-dire, au pié des Montagnes de Cuchumatlanes , eft beaucoup plus
grand. Le Bourg de Saint-Banhelemi ^ qui eft à l'autre bout vers le Nord,
l'emporte encore car fa grandeur & par le nombre de fes Habitans. Tous
les autres Bourgs îbnt fitués vers Soconufco, où la chaleur va toujours en
augmentant , parce qu'ils approchent plus des Côtes de la Mer du Sud. Une
prodigieufe quantité de Beftiaux, qu'on nourrit dans cette Vallée, le Poif-
fon qui fourmille dans la Rivière, le coton, principale marchandife du
Pays, le maïz, qu'on y cultive de toutes parts, le gibier, la volaille,
les fruits , le miel , le tabac & les cannes de fucre , y mettent tous
les Habitans dans l'abondance. Mais l'argent y eft beaucoup moins
commun que dans les Provinces de Mexico & de Guaxaca. D'ailleurs
cette même Rivière, qui répand la fertilité fur fes bords , eft remplie
de Crocodiles , dont les dents font terribles pour les Enfans & les jeunes
Beftiaux.
Chiapa des Efpagnols , ou Ctudad RêaJ, eft une des moindres Villes de
TAmérique (e). Elle ne contient pas plus de quatre cens Familles Efpa-
gnôles, avec environ cent Maifons Indiennes, qui font jointes à la Ville,
& qui en compofent leFauxbourg. Elle n'a point d'autre Paroifle que TE-
glife Cathédrale ; mais on )r voit deux Couvens d'Hcmmes, l'un de Saint-
Dominique & l'autre de Saint- François, & un Couvent de Religieufes afluz
pauvres , qui font à charge aux Habitans. Le principal commerce eft en
cacao, en coton, & quelquefois en cochenille, que les Marchands de la
Ville vont acheter dans ks campagnes voifines , & qu'ils paient en Mcrce-
. . .-• _;, ., ries.
id) Ibid. Chap. 14. • - • . ' ,
(e) On le place à feize dégrés vingt minutes du Nord. ■» •- -'-.' "' '
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 503
ries. Ils ont leurs Boutiques dans une feule petite Place, qui efl: devant
1 Eglife Cathédrale , & où les Indiens vendent aulîl diverfes fortes de dro-
gues & de licjueurs. Cependant quelques Marchands plus riches vont à Ta-
bafco, d'où ils rapportent des marchandifes d'Efpagne, telles que des vins,
des toiles, des figues, duraifm, des olives & du fer: mais ils n'ofent en
prendre beaucoup, dans la crainte de ne pas trouver à s'en défaire; & la
plus grande partie de ces petits convois efl: deft:inée aux deux Couvens
d'Hommes , qui font les Maifons du Pays où l'abondance & la joie régnent
le plus (/). Le Gouverneur ne laifle pas de s'enrichir par le commer-
ce du cacao, ^ fur- tout par celui de la cochenille, qu'il fe réferve pref-
qu'entiérement. On fait monter les revenus de l'Evêque à huit mille
ducats, dont la meilleure partie lui vient des offrandes qu'il va recevoir
chaque année dans l'es gros Bourgs Indiens, en donnant la confirmation
aux En fans (g).
Chiapa dos Indos mérite plus d'éloges. C'efl une des plus grandes Vil-
les que les Indiens ayent dans toute l'Amérique. On y compte au moins
quatre mille Familles, & les Rois d'Eipagne l'ont dillinguée par divers
Privilèges. Mais quoiqu'elle foit gouvernée par des Indiens, elle dépend
du Gouverneur de Chiapa el Real , qui nomme à fon gré des Officiers de
cette Nation, & qui doit veiller fur leur conduite. Le principal, qu'on
honore aufli du titre de Gouverneur, efl: enpofleffion, depuis long-tems ,
du droit de porter l'épée & le poignard. Celui qui étoit revêtu de cette
dignité, du tems de Gage, fe nommoit Dom Philippe de Guzman. Il étoit
fi riche, qu'ayant gagné un procès à la Chancellerie de Guatimala pour la
. défen-
nB'cntPTioir
HE LA Nou-
V£LLP. liiVX'
O.NC.
(/) Les Gentilshommes de Chiapa, dit
Gage , paiTent en proverbe pour rcpréfenter
des Fanfarons , qui font les grands Seigneurs
ou les Capables , quoiqu'ils foyent tout à la
fois pauvres & ignorans. Ils fe prétendent
tous defcendus de quelques Ducs d'Efpagne
ou des premiers Conquerans. Rien, néan-
moins, n'cft fi greffier que leur efprit &
leurs manières. Les principaux portent des
noms magnifiques, tels que ceux de Cortez,
de Felafco , de Tolède , de Zerna fit de Men-
doze : ce qui n'empêche point qu'ils ne vi-
vent très pauvrement, & que leur unique
occupation ne foit d'élever des Beftiaux.
Quelques-uns demandèrent à Gage fi le So-
leil & la Lune étoient de la même couleur
en Angleterre tiu à Chiapa, & fi les Femmes
d'Angleterre portoicnt leurs Enfans aufiî
long-tems que celles des Efpagnols , &c.
Ibid.
( g ) L'Evêque , dit Gage , qui fe nom-
moit Dom Bernard Salazar , me pria de
l'accompagner pendant l'efpace d'un mois
dans la vifite des Bourgs qui font proche
de Chiapa , oii il me chargea de tenir le
baffin des offrandes , tandis qu'il confîrmoit
les Enfans. Comme j'avois foin, avec un
autre Chapelain, de compter l'argent avant
que de le porter à la chambre de l'Evêque ,
je trouvai qu'à la fin du mois il avoit reçu
fcize cens ducuts , pour les feules offrandes ,
fans compter fcs droits pour la vifite des
Confréries , qui font fort riches en ce Pays-
là. .. . Je vis mourir ce pauvre Prélat. Le»
l'emmes de la Ville fc prétendent fujettcs à
de fi grandes foiblefles d'eftomac , qu'elles
ne fauroient entendre une Méfie balïè, &
bien moins la grand-McfTe & le Sermon,
fans boire un verre de chocolat chaud' &
manger un peu de confitures. Leurs Servan-
tes leur apportoicnt du chocolat dans TE-
glife; ce qui ne le pouvant faire fans quel-
que confuiion , l'Evêque voulut remédier à .
cet abus. Après avoir employé inutilement
les voyes de la douceur, il publia une ex-
communication. Perfonne ne vint plus à
TEglif .■. U publia une autre excommunica-
' tion pour faire rentrer tout le monde dans
le devoir; mais on n'en fut pas moins obfli-
né à lui defobéir; & pour finir cette que-
relle, on prit le parti de le faire empoifon-
ner. Il mouryt en demandant pardon à Dieu
pour les auteurs de fa mort, Ibid, Ch. 16.
DsscniPTioN
l)B 1.A NoU-
VBLL.B ]LtV\-
ont.
Pays des
Zoqiics.
504 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
défcnfe des privilèges de fa Ville, il fit faire, fur terre & fur l'eau, des
l'^êtes aulTi magnifiques que celles de la Cour d'Efpagne. Il n'y a point de
Ville où l'on trouve autant de Noblefle Indienne c^u'à Chiapa dos Indos.
Comme elle cfl: fituée fur le bord d'une grande Rivière, c'elt un Théâtre
continuel où les Habitans exercent leur courage & leur adrefle. Ils font
des Flottes de bateaux , ils combattent entr'eux , ils attaquent & fe dtfen-
dent, avec une habileté furprenante. Ils n'excellent pas moins à la courle
des Taureaux, au jeu des Cannes, k dreflur un Camp, à la Mufique, à la
Danfe, & à tous les exercices du Corps. Ils bàtiUent des Villes & des
Châteaux de bois , qu'ils couvrent de toile peinte , & qu*ils afllégent. Gage
appréhende que les Efpagnols ne fe repentent un jour, de leur avoir infpi-
ré des goûts , qui peuvent devenir funelles au repos de la Province. Enfin
ils ont aufli des Théâtres & des Comédies , qui font leur amufement ordi*
naire. * Ils n'y épargnent point la dépenfe, pour traiter les Religieux de
. leur Ville & les Habitans des Bourgs voifms ; fur-tout aux jours de Fête,
où leur géncrofité les porte à rafPembler une multitude de Speflateurs. La
Ville eu riche, par le commerce & l'indudrie avec laquelle ils cultivent
tous les Arts. On n'y manque d'ailleurs d'aucune commodité néceflaire à
la vie. Entre un grand nombre de Religieux, qui s'y font formé des Eta*
bliflemens, ceux de Saint- Dominique tiennent le premier ran^ par leur
opulence & par la beauté de leur Maifon. Ils ont, à quelques lieues de la
Ville, deux Fermes à fucre, qui en fournirent à tout le Pays, & dans cha-
cune defquelles ils employent au travail près de deux cens Nègres & quan*
tité d'Indiens. Ils y font élever aufli un grand nombre de Mulets & d'ex*
cellens Chevaux. Chiapa dos Indos n'a befoin que d'un air plus tempéré ,
pour être une des plus agréables Villes de la Nouvelle Efpagne. Mais la
chaleur y efl; exceffive pendant le jour; & les Habitans n'ont point d'autre
reflburce que la fraîcheur des foirées , qu'ils employent aux exercices qu'ils
aiment, ou à fe promener dans les Allées & les Jardins qu'ils ont au bord
de leur Rivière.
Le Pays des Zoques , qui fait la plus riche partie de la Province , s'étend
d'un côté jufqu'à celle de Tabafco, d'où les marchandifes du Pays fe tranf.
portent à Vera-Cruz par la Rivière de Grijalva. Il commerce aufli avec
l'Yucatan par le Havre de Port-Royal. Mais les Efpagnols y vivent dans
la crainte continuelle de quelque invafion, à laquelle il leur feroit difficile
de s'oppofer. Gage efl perfuadé qu'ils n'ont dû leur tranquillité, julqu'à
préient, qu'à la chaleur du climat, à fincommodité des moucherons, &
peut-être au peu de profondeur de la Rivière de Grijalva, ou Tabafco,
Jiui ont empêché les Anglois & les Hollandois de pénétrer jufques dans le
ein du Pays ; obllacles légers , ajoute le même Voyageur ,& qui ne dévoient
pas leur faire abandonner unefi belle entreprife ( A ).
Les Bourgades des Zoques ne font pas grandes; mais elles font riches,
parce qu'elles recueillent quantité de foie, & la meilleure cochenille de
toute l'Amérique. On y voit peu d'Indiens dont les Vergers ne foient bien
plantés des arbres qui nous fourniirent ces deux précieufes marchandifes.
Ils
(h) Ibidem. Chap. 18. ... ' v:> . 1: .,
.a
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Lrv. II. 505
Ils font des tapis de toutes fortes de couleurs, que les Efpagnols achètent
pour rEfpagnc. Ces ouvrages font d'une beauté, qui pourroit fervir de
modèle aux meilleurs Ouvriers de l'Kurope. Les Habirans des Zoques
font ingénieux & de fort belle taille. Le climat ell chiud vers l'a-
bafco; mais l'intérieur du Pays jouit d*un air plus tempéré. Il y croît
peu de froment , quoique le maïz y vienne en abondance. Aulîi n'y
voit -on pas tant de Beftia'ix que dans le Pays de Chiapa; mais la Volail-
le & le Gibier y font auflTi communs que dans aucune autre partie du la Nou-
velle Efpagne.
Le Pays, qu'on nomme les Zeldaks, eflfitué derrière celui des Zoques.
11 s'étend depuis la Mer du Nord jufqu'à la partie de Chiapa; & dans
quelques endroits, vers le NordOuell, il touche au Canton de Comitlan.
Vers le Sud-Oueft, il touche à des Terres Indiennes, qui n'ont pas encore
reçu le joug de l'Efpagne , & dont les Habitans font fouvent des courics fur
les Indiens foumis. La principale Ville des Zoques fe nomme Ococingo,
& iert de frontière contre ces Barbares. Ce Pays ell ellimé des Efpa-
gnols, parce qu'il produit quantité de cacao, qu'ils recherchent beaucoup,
& de graine d'achiote, qu'ils employent à colorer le chocolat. Ce qu'on
nomme Àchiotey dans la Nouvelle Efpagne, efb la teinture qui fe nomme
Rocou dans d'autres lieux, ou plutôt, la graine dont elle fe fait (i). Les
Bv?fl:iaux, la Volaille, le Gibier, le Maïz & le Miel, font fort communs
dans les Zoques. Quoique la plus grande partie du Pays foit haute & mon-
tagneufe, Ococingo efl fitué dans une belle Vallée, où fe réunilTent plu-
sieurs Ruifleaux d'eau douce, qui ont fait croire ce lieu propre à la cultu-
re du fucre. Gage y vit commencer une Machine, dont on fe promettoit
autant de profit que des Moulins à fucre de Chiapa dos Indos. On y avoit
femé aufli du froment , qui croît fort bien , & dont la qualité fe trouve ex-
cellente.
A toutes ces lumières, joignons celles qu'on peut tifer de la route de
Gage, depuis Chiapa dos Indos jufqu'à l'entrée de la Province de Guatima-
la. 11 fe rendic le premier jour à Teopi/ca, par une marche de (îx lieues,
C'efl une grande Ville d'Indiens, qui onc non-feulement une fort belle Egli-
fe, miis une très bonne Mufique. Delà, il prit le chemin de Comitlan,
autre Ville Indienne, dont il ne marque point la difbaiice. Huit jours, qu'il
y employa fort agréablement à fe promener dans les Bourgs voilins & dans
la Vallée de Capanabaftla , lui apprirent, dit-il, qu'on n'y ell pas moins
verfé dans h fcience d'Epicure, que dans les meilleurs Pays de l'Europe. Il
ajoute, comme on l'a déjà fait obferver, que les Efpagnols ont appris des
Mexiquains pluQeurs manières d'apprêter les viandes, qu'ils ignoroient avant
la Conquête.
De Comitlan, Gage fe fit conduire à Izquintenango, pour fe procurer
diverfes commodités , fans lefquelles on ne palle pas facilement les Monta-
gnes de Cuchumatlanes. Cette Bourgade Indienne , dont on a repréfcnté la
iituation , au bout méridional de la Vallée de Capanabaftla , eft une des
plus belles & des plus riches de la Province. Comme elle eft fur la route de
Gua-
(t) Ibidem»
XVIIL Part. S s 8
nïscmpTTôft
DR i.A Nou-
velle ESPA-
ONK.
Pays de»
Zcldalcs.
Route de
Gage de Chia-
pa a Guati-
mala.
DXCRIPTION
TE LA NOU-
VELLK EiFA-
eut.
506 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Guatimala, tous les Marchands du Pays, qui font le commerce avec leurs
Muleta, y paflent continuellement, & rcnrichifll-nt des marcliandifcs ou de
l'argent des Provinces plus éloignées. On y trouve quantité d'cxccllen»
fruits, fur- tout des ananas. La Rivière, qui ne fait que forcir des Mon-
tagnes de Cuchumatlancs, ed déjà large & profonde dans cette partie de la
Vallée; & les Bateaux, qui fervent à la palfer, font une autre fource de
richefles pour les llabitans. Gage, ayant pris fon logement chez les Reli-
gieux de fon Ordre, apprit que le iîupérieur de cette Maifon, nommé Jé-
rôme de Guerrera^ vcnoit d'envoyer fix mille ducats à la Cour d'EI'pîigne,
pour obtenir l'Ëvéché de Chiapa.
Les fecours qu'on fe procure à Izquintenango , pour travcrfer les Mon-
tagnes, font un Mulet, un lit renfermé dans une malle de cuir, un Indien
qui porte la provifion de chocolat avec les udenciles qui fervent à le Hiire,
oc trois autres Indiens dont l'unique emploi efl de faciliter le pallage & d'é-
carter les dangers. Ces Montagnes paroilfent fort hautes à quelque diftan-
mais le chemin n'y feroit pas défagréable, s'il n'étoit extrêmement ra-
ce
boteux dans la belle faifon & remph de fange pendant la faifon des pluycs.
Le premier Village qu'on y rencontre fe nomme Saint- Martin. On s'y ap-
perçoit que l'air y eH beaucoup plus froid que dans la Vallée de Capanabalt-
îa. Le lendemain, entre ce lieu & l'Habitation fuivante, qu'on appelle le
grand Cucbumatlariy les Guides de Gage lui montrèrent la fource d'où fort la
grande Rivière de Chiapa dos Indos. l'ous les Indiens du Pays marquent
de l'emprefFement à fervir ks Voyageurs ; & fuivant fufage établi dans la
Nouvelle Efpagne, ils leur fournillent gratuitement des vivres, avec l'u-
nique foin de conferver par écrit les noms & la dépenfe, dans unRegiftre
public qu'ils préfentent aux Officiers Royaux, & qui leur fait obtenir une
ilédui^ion proportionnée, fur les impôts.
C'est dans les termes de Gage qu'il faut achever ce récit. „ En palTant,
dit- il, pour aller au prochain Village, je ne voulus pas fuivre le chemin
ordinaire , non-feulement parce qu'il falloit faire fept ou huit lieues fans
trouver le moindre rafraîchilTement , mais parce qu'on ra'avoit dit qu'en-
tre ces Montagnes il y avoit une Image miraculeufe, dans un Village
d'Indiens, nommé Chiamla. Je n'avois qu'une lieue de détour; & quoi-
que les chemins fuffent très rudes, j'arrivai à Chiantla vers midi. Ce
Village appartient aux Religieux de la Merci , qui n'auroient pu fubfifter
dans un lieu li pauvret, s'ils n'avoient eu l'Image à laquelle ils attribuent
(les vertus furprcnar. tes , & qui leur attire fans cefTe un grand nombre de
Pèlerins. Cette dévotion les a tellement enrichis , qu'ils fe font trouvés
en état de faire bâtir un Couvent, où l'on voit , dans une fomptueufe E-
glife, l'image qui fait le fond de leur revenu, couronnée d'or, de dia-
mans & d'autres pierres précieufes. Douze lampes d'argent pendent
devant l'Autel. Les chandeliers , les encenfbirs & les autres ornemeas
de même métal, les dais, les tapiiferies, enfin un air de magnificence
dont je fus frappé > nie firent dire de ce Couvent que c'étoit un grand
tréfor caché dans les Montagnes. Pendant tout le jour, les Religieux
ne m'entretinrent que des miracles de leur Image.
„ Lë lendemain, ayant repris la route commune, j'arrivai au dernier
Vil.
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ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. lî. 507
„ Village des Cuchumatlanes, qui fc nomme Chautlan. On y mange d'ex-
„ cellent raifin de treille, qui me fit juger que fi les vignes y étoient culti-
„ vées , elles donneroicnt d'aulTi bon vin qu'en Efpagne. Il fe tranfporte
„ jufqu'à Guatimala, qui eft éloigné d'environ quarante lieues. Le jour
„ fuivant, après trois lieues de marche, je commençai à découvrir une
„ Vallée fort agréable, & coupée d'une belle Rivière. Au bas de la Mon«
„ tagne, je trouvai le Prieur de Scapula^ Bourg voifin, & plufieurs In«
„ diens du Canton, qui m'attendoient avec des ratraîchilTemens. Leur pre-
„ mière vue me Caufa une forte d'horreur. Ils avoient d'énormes loupes,
„ qui leur tomboient du menton; & celle du Prieur étoit fi grande, que
„ lui derccndant jufqu'à la ceinture , il ne pouvoit remuer la tête que pour
„ regarder le Ciel. 11 me dit que cette incommodité lui venoit d'avoir bu,
„ depuis dix ans, de l'eau delà Rivière, & que la plupart des Ilabitans
du Bourg s'en rclTentoient comme lui. Ce difcours me donna tant d'a-
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DifcRiPTion
De i.\ Nou«
V£Ll.lt VmA'
CMC.
„ je confentis , pendant quatre ou cinq jours de repos , à prendre du cho-
colat. Quoique Chautlan ne foit pas un lieu riche, on y trouve pluficurs
Marchands Indiens qui font le commerce du cacao , & qui le tirent par-
ticulièrement de Suchutepeque dans la Province de Soconufco. D'autres
trafiquent en vaiflelle de 'lerre, qui fe fait dans le Canton; «Se en fel,
qu'ils recueillent le matin fur les bords de la Rivière. L'air eft fort chaud
dans cette Vallée, parce qu'elle cfl environnée de hautes Montagnes.
Entre plufieurs fruits dont on vante la beauté, il y croît des dattes,
qu'on n'eftime pas moins que celles de Barbarie.
„ De Scapula, je me rendis à Saint -Andréa grande Bourgade qui n'en
„ efl: qu'à fix ou fept lieues, & qui n'a de remarquable que l'abondance de
„ fon coton , de fes Befl:iaux & de fes Coqs-d'Inde. Elle termine la Val-
„ lée, qui efl: bordée, dans ce lieu, par une fort haute Montagne. Il fal-
„ lut prendre, le lendemain, une route fi difficile, pour faire neuf gran-
„ des lieues, qu'on compte de Saint- André à Sacuaîpa. Ce Bourg, qu'on
„ nomme 2i\im Sainte-Marie de Zoiaba^ me parut fuir long-tems devant
„ moi, fur-tout lorfque j'eus commencé à le découvrir du fommet delà
„ Montagne. Le chemin va toujours en ferpcntant; & je frcmilTois, en
„ jettant les yeux vers la Vallée, de ne découvrir de toutes parts que d'af-
freux Rochers. Quelques Indiens de Zoiaba , que je fis avertir par un
de mes Guides, vinrent au devant de moi avec deux Mules. La def-
cente étoit très rude, & bordée par un précipice d'une lieue de profon-
deur. J'étois porté à defcendre à pié: mais les Indiens m'ayant raflii-
ré , je me laifTai perfuader par leurs confeils. Cependant je ne fus pas
plutôt monté fur une des Mules qu'ils m'avoient amenées, Si, dont ils
m'avoient répondu, que s'étant cabrée avec beaucoup de furie, elle me
précipita le long des Rochers, c'efl: à-dire dans le chemin d'une mort
inévitable, fi le Ciel n'eût permis que je fufle arrêté par un arbrifleau.
Les Indiens fe mirent autfi-tôt à crier, Miracle! & dans l'opinion qu'ils
conçurent de ma fainteté, ils fe mirent à genoux devant moi pour me
S ss a ., baifer
508 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
DE<CRtPTION
DE L\ NOU'
V£LLE ESPA
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1)
baifer les mains. Ceux qui arrivèrent les premiers dans le Bourg y ré-
pandirent le bruit de mon avanture, qui fit prmdre à tous les Habitans
la même idée tle moi. Elle me valut des préfens li confidérables , qu'en
faifant le compte de mes richefles, dans le Couvent de mon Ordre, je
me trouvai quiir^nte réaies en argent, & la valeur de cette fomme en
œufs, en miel, en étoffes, en fruits & en volaille. Le Bourg de Zoiaba
ou Sacualpa, qui efl; le dernier de la Province que je quittois, me parut
riche & bien peuplé d'Indiens. 11 refte cinq lieues d'un Pays plat, mais
défert, jufqu'à la Montagne qui fépare la Province deGuatimala, de celle
de Chiapa (*)".
Vera-Paz, On donne, à la Province de Fcm-P^x, environ trente- cinq lieues de long
m. Provi.i.:c. fui- la même largeur. Elle efl bordée au Nord par l' Yucatan , à l'Efl; par le
Honduras & la Province de Guatimala, au Sud par celle de Soconufco & à
rOuefl: par celle de Chiapa. C'efl: un Pays montagneux & rempli de Bois ,
qui produit néanmoins du maïz & tout ce qui efl nécefTaire à la vie. Son
nom lui vient de la facilité avec laquelle il fe foumit aux Efpagnols, lorf-
qu*ils eurent achevé la Conquête de Guatimala & des Pays voifins. Cepen-
dant il efl reflé , entre cette Province & celle d' Yucatan , un grand nombre
de Barbares qu'ils n'ont encore pu fubjuguer, malgré l'intérêt qu'ils ont ?,
s'ouvrir un chemin de ce côté-là, jufqu'à Campcn, Ville de l'Yucatan, qui
fourniroit aux Négocians de VeraPaz & de Guatimala, une voie plus fûre
que le Golfe, pour conduire leurs marchandifes à la Havane. Gage racon^
te qu'un Religieux de fes Amis , nommé François Moran , hafarda de tra-
verler avec deux ou trois Indiens, tout ce Pays jufqu'à Campen, où il trou-
va quelques Efpagnols , qui admirèrent fon audace. Etant retourné en fuite
à Vera-Paz, il fe loua du traitement qu'il avoit reçu des Barbares; mais
comme il entendoit leur langue, il avoit découvert que le motif qu'ils a-
voient eu pour le traiter avec tant de douceur , étoit la crainte d'exciter
les Efpagnols à reprendre les armes contre leur Nation. Il afTura que leur
Pays étoit incomparablement meilleur que la partie de cette Province , dont
les Efpagnols font en poircfîîon, & qu'il y avoit vu, dans une belle Vallée
fur le bord d'un grand Lac, une Ville Indienne qui ne contenoit pas moins
de douze mille Habitans. La connoifTance qu'il avoit acquife du Pays le
fit pafTer en Efpagne, pour engager la Cour à tenter encore une fois cette
Con-
( k ) Voyage de Thomas Gage , féconde
Partie, page 171 & précédentes. On pafle
fur quelques circondances indécentes , aux-
quelles ce Voyageur Jacobin s'arrête trop
volontiers; telles que le confeil qu'il reçut,
d'un autre Religieux du même Ordre, de
recevoir p.ir politique tous les honneurs
que les Indiens lui rendoient. „ Tant que
„ nous palFcrons pour Saints, me difoit-il,
„ nous ferons toujours en état de les gou-
„ verner, & de difpofcr de leurs perfonncs
„ & de leurs biens Là-deflus , je m'en allai
„ à l'Eglifc, & m"aflls avec lui fur une chai-
„ fe,. dans le Chœur, rcpréfentant le Saint
qu'ils s'imaglnoient , quoiqu'on vérité j'c
ne fulfe qu'un miférable Pécheur. Aufll-tôf
que nous eûmes pris place, les Indiens,
tant Hommes que Femmes & Enfans,
vinrent dans le Chœur, trois à troi?,
quatre à quatre, &mème des Familles en-
tières , fe mettre à genoux à mes jim
pour recevoir ma bénédiftion ; & mayant
baifé les mains, Ils me faifoient des coin-
plimens à leur mode, difant que leur
Bourg étoit boni du Ciel par mon arrivée,
& qu'ils efpéroient de nouvelles, gracue
pour leurs âmes , fi je voulois prier poiu,
eux".. Ibiii. pages 168 & 169.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. H. 509
Conquête. On n'a point appris que Ton zèle aie eu le fuccès qu'il s'étoit
promis. Mais quoique cette barrière fubfifte toujours entre Vera-Paz &
l'Yucatan, les Efpagnols de Vera-Paz ont d'un autre côté le paflage libre,
pour fe rendre au Golfe, d'où ils apportent aflez facilement les marchandi-
fes qui leur viennent par les Vaifleaux d'Efpagne (/).
La Capitale, que nos Géographes nomment auflî Fera-Paz y & dont ils
font un Siège Épifcopal , porte le nom de Coban , dans Gage, & n'avoit plus
d'Evéque long-tems avant lui, c'eft-à-dire, il y a plus de cent trente ans.
Elle ell gouvernée par un Alcalde Major , qu'on y envoyé d'Efpagne , &
qui ne laifle pas de dépendre de l'Audience royale de Guatimala Elle n'a
qu'un feul Couvent, qui efl; de l'Ordre de Saint-Dominique. Quoiqu'on ne
compte point d'autre Ville dans la Province , il s'y trouve des Bourgs afllz
confidérables pour mériter ce nom, fur- tout dans les Montagnes qu'on nom--
me Sacatepeques y c'efl-à dire Montagnes d'herbes, qui la féparent de celle de
Guatimala. On en diftingue quatre , dont le premier, qui fe nomme 5flf;2f-
JacqneSf contient plus de cinq cens Familles. Le fécond, nommé Saint-
tierre^ en a fix cens. Saint- Jean ^ qui efl: le troifième, a le même nombre;
& le quatrième, qui s'appelle Saint-Dominique de Senaco^ peut en avoir en.
viron trois cens. Ces quatre Villages font très riches. L'air efl: froid ,
dans les deux premiers. Il efl: plus chaud, dans les deux autres; & l'on re-
cueille aux environs beaucoup de froment & de maïz. Leurs Habitans ont
une réputation de courage & d'honneur. Les Eglifes y font extrêmement
riches; & Gage parle d'un Indien du Village de Saint- Jacques, qui fans a-
voir renoncé à l'Idolâtrie, & par vanité leule, donna fix mille ducats à
l'Eglife du Bourg. Les Marchands de ces quatre Habitations gagnent beau-
coup à louer de grands panaches , qui fervent aux danfes. Cgs panaches
ont fouvent foixante plumes de diverfes couleurs ; & le loyer de chaque
plume efl: d'une demi-réale. Depuis le Village de Saint-Jean , qui efl: le
plus avancé au Sud , on ne trouve qu'un chemin agréable jufqu'au Village
de Saint- Raimond. Mais enfuite, pendant une bonne journée , il faut mon-
ter & defcendre par de véritables précipices , pour arriver au bord de la
même Rivière qui pafle dans la Vallée deCapanabafl:la. De-là , on rencon^
tre une Montagne fort pierreufe, où l'on a taillé des marches dans le Roc,
pour la commodité des Mulets , qui font menacés , à chaque pas , de tom-
ber d'une affreufe hauteur. Mais ce danger ne dure pas plus d'une lieue
& demie, après laquelle on rencontre une fort belle Vallée, qui fe nomme
Saint- Nicolas y & qui appartient aux Dominiquains de la Capitale. Cette
Vallée contient le grand Bourg de Robinal^ compofé de plus de huit cens
Familles Indiennes, & plufieurs Fermes, qui s'enrichiflent continuellement
par la vente d'un excellent fucre, & par celle d'un grand nombre de Che»
vaux & de Mulets. On y trouve tous les fruits d'Efpagne , avec ceux des
Indes, du maïz que la terre y produit, du pain de froment qu'on y apporte
en deux jours des Bourgs de Sacatepeque, toute forte de Befl:iaux, de Vo-
laille & de Gibier , & quantité de PoiiFon , que la Rivière oifre continuel-
lement. Les Habitans de ce Bourg reflfemblent beaucoup à ceux de Ghia-
pa-
(/} Gage, Parc, 3. pages 61 & précédentes.
Sss 3
Description
DE LA NOU-
VEL!. E EîP^A.-
Description
DE LA Nou-
velle Espa-
gne.
510 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
pa dos Indos . par leur induftrie & leurs goûts d'amufemens. Depuis cette
Vallée jufqu'à la Capitale , on ne rencontre qu'un feul Village , nommé
Saint Chriftophe , & fitué près d'un grand Lac, dont on attribue la forma-
tion aux tremblemens de Terre. Delà jufqu'à Coban , le Pays eft mon-
tagneux , fans aucune difficulté qui puilTe couper le paflage aux Mulets.
l La Province de . Guatimala eft: une des plus grandes & des plus riches
la Nouvelle Efpagne. Depuis fa Capitale , qui porte le même nom (;«) ,
ui eft; le Siège de l'Audience , fa Jurifdiftion s'étend , fuivant Ga-
l'efpace de trois cens lieues au Sud vers Nicaragua, Colta-ricca
eragua , cent lieues au Nord vers les Zoques de Chiapa , foixante
"/"cra-Paz & Golfo dolce à l'Eft:, .& dix à douze à fOueli, vers la
I Sud.
is Tecoantepeque, dans Guaxaca, il y a llx- vingts lieues de Côte
port, jufqu'au Havre de la Trinité. Cependant, toute cette
fort riche parla culture de l'indigo, qui pafle dans le Golfe de
uras pour être tranfporté en Efpagne , & par la multitude de fes
Beftiaux. Mais la principale partie de Guatimala eft; celle qui s'étend à
l'Eft vers Golfo dolce, grand Lac navigable , qui a fon embouchure dans le
Golfe de Honduras. C'eft la plus fréquentée des Marchands & des Voya-
geurs , parce que Mexico eft à trois cens lieues au Nord de la Capitale de
cette Province, & que ce Lac n'en eft; éloigné que de foixante, fans au-
cun embarras fur la route, avec l'avantage d'ouvrir une voie continuelle
pour le commerce avec l'Efpagne. Dans le cours de Juillet & d'Août, il
y aborde ordinairement deux ou trois Navires qui déchargent leurs mar-
chandifes au Bourg de Saint-Thomas de Cajîille, dans de grands Magafins,
bâtis exprès pour la confërvation de ce dépôt. Ils fe chargent de celles
qu'on y envoyé de Guatimala , & qui attendent quelquefois leur arrivée
pendant deux ou trois mois. Gage admire que les Efpagnols ne fortifient
pas mieux l'entrée du Lac, qui cil fans cefle expofé aux invafions des E-
trangers. lis le pourroient, dit-il, d'autant plus facilement que cette en-
trée eft 'retrécie par deux Montagnes, ou deux Rochers, qui s'avancent
des deux côtés à la portée du canon , & qui étant capables avec un pt;u
d'Artillerie, d'arrêter toute une Flotte, aflureroient la Province de Guati-
mala, & même une grande partie de l'Amérique Kfpagnole. Le Lac for-
me une Rade fi fpacieufe, que mille Navires y peuvent être à l'ancrt-.
Ceux, qui croyent le chemin fort difficile, de St. l'homas jufqu'à Guati-
mala, ignorent qu'après les pluyes, c'eft:-àdire depuis la Saint Michel juf-
qu'au mois de Mai, les terres font fechées par le vent. D'ailleurs, le plus
mauvais tems n'empêche point que les Mulets, chargés de quatre quintaux,
ne palfent aifément les Montagnes qui bordent le Lac. Les routes y font
fort larges; & dans l'efpace de q'iinze lieues, qui en font la plus dange-
reufe partie, on trouve, de diftance en diftarice, des Loges pour fe repo-
fer, des Beftiaux & des Mules entre les Bois & les Montagnes, & d'autres
commodités pour le foulagemtnt des Voyageurs. Enfuite le chemin s'a-
doucit, on y rencontre quantité de Villages In.diens. ÂcaJ'.ibaJtkn eft un
grand
(«0 On la place à quatorze dégrés cinq iT.inutes de latitiuic du Norc'.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 5Î1
grand Bourg, à quinze lieues des Montagnes , fitué fur le bord d'une Ri- DcscRiptroii
vière fort poiflbneufe, & renommé par Tes Beftiaux & Tes Fruits. Tout le J^: ^'^ ^°"'
rt'dedii Pays, jufqu'à Guatimala, eft: fort cultivé («). '"'^^cm^^^'^'
Les principales Villes de la Province, après la Capitale, font S. Salva-
dor ^ S. Miguel, la Trinité , Acaxittla, Amatitlan^ Mixco, Pinnola^ & quel-
ques autres. Reprenons Gage à Sacualpa, ou Zoiaba, dernière Bourgade
tleChiapa, pour le fuivre dans fes oblervations. Il pafla une Montagne
fort pierreufe, à l'extrémité de laquelle il rencontra un Village fitué fur la
hauteur, d'où la vue s'étend fort loin dans un Pays très fertile. Ce lieu,
qui fe nomme Saint- Martin , eft le premier de la dépendance de Guatimala.
On arrive enfuite dans une belle Vallée, où l'on trouve Chimaltenango, un
des plus grands Bourgs de ce Canton , & célèbre par la Foire du 26 de
Juillet, qui raOemble une infinité de riches Marchands. Une lieue plus
loin, la Vallée fe reflerre encre des Montagnes, qui ne ceflent point de
régner des deux côtés jufqu'à la Capitale, mais qui n'empêchent point que
le chemin ne foit fort uni. On y rencontre un autre Bourg, nommé Xo-
cotenaiigo, d'un fruit eflimé qui s'appelle XocottCt ôc qui eft une efpèce de
prune dont tous les environs font' remplis. Gage n'eut pas fait mille pas
hors de ce Bourg, qu'il lui fembla que les coteaux fe féparoient, pour laif-
fer un efpace plus libre à fa vue. Il lui reftoit deux lieues . jufqu'à Guati-
mala, qui n'eft éloigné de Saint-Martin que d'une bonne journée. La ré-
putation de cette Ville lui avoit fait juger qu'elle devoit être revêtue de
bonnes murailles; mais lorfqu'il s'y attendoit le moins, il fe trouva dans
h première rue, fans avoir pafle la moindre porte. Quelques maifons mal
bâties ne lui en donnèrent pas une bonne idée: cependant il entra bientôt
dans une rue plus large, où il découvrit un magnifique Couvent, qui étoit
celui de fon Ordre. Cette rue, qui fe nomme Saint •Dominique y & celle
qui la précède, ne font proprement qu'un Fauxbourg de Guatimala, ou
plutôt un refto de l'ancienne Ville (0). '.
Saint Jacques de Guatimala, c'eft le nom que lui donnent les Efpagnols,
eft fitué dans une Vallée qui n'a pas tout-à-fait une lieue de largeur, & qui
eft bordée des deux côtés par de hautes Montagnes. Elle s'élargit un peu ,
au delà du Fauxbourg ou de la vieille Ville, dans le lieu où la nouvelle
commence; & par dégrés les Montagnes s'écartent, pour lailfer entr'elles
un Pays fore ouvert jufqu'à la Mer du Sud. Quoiqu'elles paroifiTent pen-
dre fur la Ville, du côté de l'Orient, on y a fait des chemins fort commo-
des. En venant de Mexico par la Côte de Soconufco & de Suchutepeque ,
c'eft à-dire du côté du NordOueft, on arrive par une route large, ou-
verte & lab'.oneufe; & deméme en venant de l'Oueft: mais du côté de
Cliiapii, qui eft au Nord- Eft,. on a vu qu'il faut palTer, comme de celui.
(n") Gage, troificme Partie, Chap.io.
(o") 11 y î'iiroit peu d'utilicé à tirer des a.
vantures monalliqucs de Gage, qui raconte
ici comment il fut reçu c'ans fon Couvent ,
ics études auxquelles il s'y appliqua, les thc-
fcs qu'il y foutint contre lesjéfuitos, le choix
qu'on fit du lui pour enfeigncr fucceffiveiuent
de
la Philofophie & la Théologie , & pour prô-
cher avec commlinon de l'Evêque ac Mais
on en doit conclure , comme 11 le defirj^,
qu'ayant palfé fcpt années en divers litux de
la Province, il a pu mettre autant d'exaftitu-
de, qu'il garantit de fidélité daas les xcuiur-
qucs, Ihid. Chap. 4.
5i:
DESCRIPTION DU MF. XIQUË,
Description de l'Eft, entre des Monrarrnes. Au Sud & au Siid-Ed, le chemin cfl
Pli LA Nou- ijij^ucoup plus difficile. C'cll un terrein fort rude & fort elevc, qui eft la
^^^'gne.'*'*' roure de Comayagua, de Nicaragua, & de Golfo dolce. Les deux Mon-
tagnes, q .i s'approchent le plus de la Vallée & de la Ville, portent le
nom de Volcans, quoiqu'ilconvienne peu à l'une, qui n'eft, fuivant l'ex-
prcflTion de Gage, qu'un Volcan d'eau; mais l'autre efl: un Volcan réel,
qui brûle, & qui jette du feu. Elles font à peu près vis-à vis l'une de
l'autre, des deux côtés de la Vallée. La Montagne d'eau, qui efl du cô-
té du Sud, pend prefque perpendiculairement fur la Ville; celle de feu efl
un peu plus bas, & plus proche du Fauxbourg ou de la vieille Ville. La
première efl: plus haute que l'autre, & fort agréable à la vue par la verdure
dont elle efl: prefque toujours couverte. On y trouve des champs femés
de blé d'inde; & dans quantité de petits Villages, qui occupent les pentes
& les fommets, des rofes, des lis oc d'autres fleurs, avec une grande abon-
dance d'excellcns fruits. Les Efpagnols lui donnent le nom de Volcan
d'eau, parce qu'il en fort quantité de ruifleaux , vers le Bourg de Saint-
Chriflophe, & qu'il fe forme de fes eaux un grand Lac d'eau douce, pro-
che d'Amatitlan & de Petapa. Du côté de Guatimala & de la Vallée, elle
produit un fl grand nombre de Fontaines, qu'elles compofent une Rivière
qui court dans la Vallée, & qui fait tourner les Moulins de Xocotenango.
Cette Rivière n'étoit pas connue au tems de la Conquête (p). Mais au-
tant que la Montagne d'eau a d'agrément, autant rafpeft de l'autre efl
épouvantable. On n'y voit que des cendres, & des pierres calcinées. Ja-
mais il n'y paroît de verdure. Nuit & jour, on y entend le bruit d'une
efpéce de tonnerre, que les Habitans attribuent aux métaux qui fe fon-
dent. On en voit fortir des flammes, avec des torrens de foufre, qui
brûlent fahscefle, & qui rempliflent l'air d'une mortelle infeélion. Ainfi
Guatimala efl: fltué, fuivant le proverbe du Pays , entre le Paradis & l'En-
fer; fans que les bouches infernales s'ouvrent jamais aflez, pour engloutir
le corps de la V^ille. Il s'étoit fait néanmoins, avant l'arrivée de Gage,
une fort large ouverture, par laquelle il étoit forti tant de cendres arden-
tes, que non-feulement toutes les maifons voiflnes en avoient été cou-
vertes , mais que les arbres & les plantes s'en étoient reflentis. Une nuée
de pierres qui les avoient accompagnées , n'auroit pu manquer de ruiner la
Ville, fl l'aélion du feu les eût portées vers les Edifices: mais elles tom-
bèrent à côté, dans un fond (-ù elles font encore, & où ceux qui les voyent
ne fe lallent point d'admirer que h feule impétuolîté des flammes ait pu
tranfporter dçs mafles de la grofleur d'une maifon , que vingt Mulets,
comme on l'a tenté pluficurs fois , n'ont pas la force de remuer. Cette
violence du feu n'ell pas toujours égale; & celle du bruit ne 1' :fl: pas non
plus;
(p) Gage raconte, fur la tradition dos
EipaRnols, qu'en 1534, une Dame nommée
^■layie de Cajlille,, qui avoit perdu fon Mari
à la ,L;ucrie, & qui avoit vu mourir tous fes
Ent'ans dans le cours de la même année,
s'abandonna aux blafphômcs. A peine eut-
cllc fini, qu'un i;ros torient d'eau , forti du
Volcan, l'emporta, clic & fa maifon , & for-
ma une Rivière qui a confervé fon cours. La
vieille Ville fut alors abandonnée de fes Ha-
bitans, qui ai'èrent s'établir dans le lieu où
la Ville de G'iatiiwala el1: aujourd liai. Jbid.
Chap. I, licrrcra fait IcmOme récit.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. ÎL 513
plus: n^ais il augmente en Eté , c'eft-à-dire, depuis Oftobre jufqu'à la fin Dtsenn-rrow
d'Avril. Gage, qui s'y étoit accoutumé par un long féjour, ne regarde J|j^^^* Zsvl'
pas moins Guatimala comme la plus agréable Ville qu'il ait vue dans tous onb.
fes Voyages. Le climat y eft fort tempéré. Mexico & Guaxaca ne jouif-
fent pas d'un air fi fain, & ne reçoivent pas avec plus d'abondance toutes
les commodités de la vie. Il n'y a point de Beftiaux , de Volaille & de
Gibier, qui ne foyent communs dans la Province. La Mer du Sud, le«
Rivières , & les Lacs d'eau douce fourniflent toute forte de Poiflbns. Le
Bœuf y eft à fi bon marché, que le poids de treize livres & demie fe don-
ne pour une demi-rtiale; c'eft-à-dire, du tems de Gage, deux fous fix de-
niers de France, il n'y a point de Fermes où l'on ne nourriiïe une pradi-
gieufe quantité de ces Animaux. Un feul Fermier, connu du même Voya-
geur, en comptoit plus de quarante mille dans fes terres; fans y com-
prendre ceux qu'on nomme Simarroties ou fauvages , qui ne quittent point
les Montagnes , où l'on employé les Nègres à les tuer , dans la crain-
te qu'ils ne deviennent incommodes ou dangereux par l'excès du nom-
bre ((?)•.
La nouvelle Ville de Guatimala, n'efl pas fort éloignée de l'ancienne,
puifqu'elle s'y joint par la rue qu'on a nommée Saint-Dominique; & fa plus
belle partie eft celle qui touche à cette efpèce de Fauxbourg. C'eft là qu'on
voit les plus beaux Edifices & les plus riches Boutiques. Il s'y tient tous
les jours un Marché, où rien ne manque pour les befoin^ & l'agrément de
la vie. On compte, dans toute l'étendue de la Ville & des Fauxbourgs,
environ fept mille Familles, entre lefquelles il s'en trouve plufieurs dont le
bien monte à cinq cens mille ducats. AulTi le Commerce y eft-il florifl'ant.
Elle tire par terre les meilleures marchanclifes de Mexico, de Guaxaca, de
Chiapa , de Nicaragua & de Cofta-ricca. Du côté de la Mer , elle com-
munique avec le Pérou, par le Port de la Trinité, qui appartient à la Pro-
vince, & par Realejo, Port de Nicaragua fur la même Côte. On a parlé
de fon Commerce avec l'Efpagne, par Golfo dolce & le Golfe de Hondu-
ras. Le Gouvernement de toutes les Provinces qui l'environnent dépend
de fa Chancellerie , ou fon Audience. Cette Cour eft compofée du Gou-
verneur, de deux Préfidens, de fix Confeillers & d'un Procureur du Roi.
Quoique le Gouverneur n'ait pas le titre de Viceroi, comme ceux de la
Nouvelle Efpagne & du Pérou, fon pouvoir n'eft pas moins abfolu. Si
fes appointemens ne montent qu'à douze mille ducats , il peut gagner
le triple , par le commerce & par d'autres voyes. Les autres Officiers
du Tribunal ne reçoivent point annuellement plus de quatre mille du-
cats , de la recette du Domaine ; mais les préfens , dont l'ufage eft éta-
bli, font regarder leurs Charges comme les plus lucratives de l'Améri-
que Efpagnole , quoique celles de Mexico & de Lima paflent pour les
plus honorables.
Guatimala n'a qu'une Eglife Paroillîale, qui fait le principal ornement
de la grande Place; mais on y compte un grand nombre deCouvens. Ceux
des Jacobins, des Cordeliers, & des Pères de la Merci font d'une magnifi-
cence
(«) lliti. • "
XFU. Pan. T t t
DucairTzoK
PS LA Nou-
VSLLB Csj>A-
514. DESCRIPTION DU MEXIQUE,
cence extraordinaire, & contiennent chacun cent R<.^Iigieux. Le revenu
annuel des Jacobins eH: de trente mille ducats. Les riciielFes de leur Egli-
fe, en or & en argent , montent à cent mille; & Gage avoue qu'il ne man-
que rien à leurs plaillrs ( r ). Mais quelque riches que les autres foient auOi ,
gucun de ces Etabliflemen s n'approche de celui des Dames de la Concep-
tion , où l'on ne compte pas moins de mille perfonnes, foit Religieufes ( y ) ,
ou jeunes Filles qu'elles indruifent, ou Domediques employés aies fervir.
A Guatimala comme à Mexico , les richefTes & le goût du luxe font régner
le vice dans toutes les conditions, fur-tout parmi les Femmes, fans dillinc-
tion d'EfpagnoIcs & d'Indiennes.
Gage continue de donner les feules lumières qu'on ait fur l'intérieur de
Ja Province. Il place entre Acafabaftian & Guatimala une Rivière nommée
Jgua Caliente, qui charioit autrefois de la poudre d'or; & quatre lieues plus
loin , vers Guatimala, celle qui fe nomme FaccaSyOii quantité de Mulâtres,
ui nourriflent des Beiliaux fur fes bords , s'emploient encore à chercher
es paille." d'or dans le fable. De la Rivière de Vaccas , on découvre la
plus agréable Vallée de la Province, à (ix lieues de la Capitale. Sa lon-
gueur eft d'environ cinq lieues , fur trois ou quatre de large. On y re-
cueille le meilleur froment de la Nouvelle Efpagne; & c'eft de- là qu'on ti-
re tout le bifcuit néceilàire, pour les Vailfeaux qui viennent chaque année
dans le Golfe du Mexique. Cette Vallée porte le nom de M'ixcoikPinnola^
deux groifes Bourgades fituées vis-à-vis l'une de l'autre, aux deux extrémi-
tés de ce grand efpace; Pinnola , du côté gauche de la Rivière, & Mix-
co, de l'autre. Les Négocians Éfpagnols y font ii riches, qu'un des Amis
de Gage, nommé Jean Palomeque, entretenoit pour fon Commerce trois
cens Mulets & une centaine de Nègres. On trouve, dans la Vallée, tren-
te ou quarante Fermes, d'où l'abondance fe répand dans tous les lieux vol-
fms. Le feu 1 paifage des Voyageurs & des Marchands du Pays apporte
beaucoup d'argent à la Bourgade de Mixco, qui ne produit d'elle-même,
avec le froment, qu'une forte de terre, dont on fait de la vaiflelle & des
uftenciles. Les Femmes Créoles mangent de cette terre à pleines mains,
fans ménager leur faute, dans la féale vue de paroîrre plus blanches; quoi-
qu'au jugement de Gage les ne parviennent qu'à fe rendre plus pâles (t).
Pinnola ell célèbre par fon Marché , où l'on trouve ians cefle toute forte
de viandes, de volaille & de fruits. Le Nord de la Vallée n'a que des
coteaux femés de froment. A l'Ouell, on trouve deux autres Bourgades,
plus grandes encore que Mixco & Pinnola. La première, qui fe nomme
Petapa, contient environ cinq cens Familles, Efpagnoles & Indiennes, «Se
tire
(r) Il fait une délicieufc peinture de leur
jiirdin.
(s) Gage raconte l'Hidoirc d'une jeune
Religieufe, nommée Jeanne Maldonado de
Paz, qui réuniiroit toutes les perfections
de refprit & du corps. Elle étoit aimée de
l'Evoque , qui vouloit la faire Abbefle de
fon Rionaftère; & cette entreprife faillit de
wuter du fang, Mais pour ne prendre de ce
récit que ce qui convient à mon fujct, cette
belle Religieufe étoit fi riche, des préltns
qu'elle recevoit, qu'elle fit bâtir à fes fraix
un magnifique appartement pour elle, avtc
des galeries , & un jardin particulier , où
elle étoit ferviepar fix Négreflès. Ibid. pages
25 & fuiv.
(«) Hid, page 46,
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL gig
tire beaucoup, d'avantages d'un Lac voifin, qui fournit d'exceHenc PoifTon.
C'efl le chemin qui conduit de la Capitale à Comayaga, SanSalvador, Ni-
caragua & Cofta-ricca. Elle efl; gouvernée , de Père en Fils , par une Fa-
mille qu'on croit defcendue des anciens Rois du Pays y & que les Efpagnols
ont honorée du noble nom de Guzman. Ils n'accordent point au Gouver-
neur de Petapa, comme à celui de Chiapa dos Indos, la permiffion de por-
ter l'épée ; mais entre fes privilèges , il peut nommer chaque jour un cer-
tain nombre d'Habitans Indiens pour le f ervir à table , pour lui apporter du
poiflbn, du bois, & d'autres commodités; & fon pouvoir n'eft limite que
par un Religieux Efpagnol, qui tient le premier rang après lui, & dont il
efl obligé de prendre l'avis & le confentement dans tout ce qui regarde l'ad-
miniftration. Gage obferve que ce Confeiller Ecclefiaftique vit avec la ma-
gnificence d'un Evêque (u). Petapa efl: arrofé d'une petite Rivière , qui
augmente la fertilité naturelle du Canton.
Amatitlan, féconde Bourgade à l'Ouefl: de la Vallée, n'efl: éloignée de
Petapa , que d'une lieue. Les rues y fojic larges , droites & régulières. L'E-
glife des Dominiquains pafle pour une des plus belles de la Province; &
leur Couvent ell ii riche qu'ils l'ont érigé en Prieuré, dont l'autorité s'é-
tend fur tous les Villages de la Vallée. D'Amatitlan, le chemin qui con-
duit à Guatimala pafle par un grand Bourg nommé San-Lucar^ où l'air eft
toujours froid , fans qu'on en connoiflfe d'autre raifon que la fituation de
cette Place , qui efl: fur un coteau vers le Nord. Elle en tire l'avantage
d'être le Magafin du Pays. Non-feulement le blé s'y conferve mieux que
dans tous les Bourgs de la Vallée; mais Gage vérifia, par fa propre expé-
rience , qu'il y augmente contidérablement , & que fi l'on en met deux cens
boiflTeaux dans un grenier , il s'en trouve près de deux cens vingt au bout
de l'année. Aulfi SanLucar n'efl:-il compofé que de granges , qui s'appel-
lent TrojaSy & qui confifl:ent dans un plancher, haut d'un ou deux pies &
couvert de nattes, fur lequel on met le blé, qui fe conferve ainfi deux ou
trois ans (ar).
Dans le relie du chemin , qui n'efl: que de trois lieues jufqu'à la Capita-
le , on rencontre plufieurs petits Villages , qui portent le nom général de
MilpaSy accompagné de celui d'un Saint, & dont chacun ne contient pas
plus de vingt maifons.
Gage achève fa defcription par celle du côté méridional de la Provin-
ce, qu'il parcourut, en fe rendant de Petapa au Port de la Trinité, pour
entrer dans la Province de Nicaragua par Realejo. Il traverfa d''i]i';r'l un
Pays montagneux, qui le fit arriver au fommet de Sierra redonda c'eù-à-
dire la Montagne ronde , lieu fort renommé par fexcellence de fes pâtani-
ges, où l'ufage du Pays efl: de conduire les Beft:iaux, lorfqu'il ne refl:e plus
d'herbe dans les Vallées. Cette Montagne efl: auflTi d'un grand foulage-
ment pour les Voyageurs. On y trouve des Hôtelleries, qui ne manquent
d'aucune commodité , & des Fermes où fe fait le meilleur fromage de la
Province. Elle efl: à cinq lieues de Petapa. Quatre lieues plus loin , on
DstciiipTiofr
OB LA Nou-
velle EtVA<
ong.
rcn-
{v) Ibid. page 49.
(x) Ibid. page 5p.
Ttt 2
DE LA NOU
T£LLE ESPA
GNB.
516 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
DctcRiPTioN rencontre un grand Village d'Indiens , qui fe nomme Loi Efclavos. Quoi-
BB LA Nou. qyg ^gj Habitans ne foient point aujourd'hui dans l'cfclavage, ce nom
s'efl confervé d'un ancien ufage, qui les afluietinbit, avant la Contjuête , i
porter les fardeaux & fur-tout les Lettres de ceux d'Amatitlan: iur quoi
Cage obferve que le nom d'Amatitlan eft compofé de deux mots; Amaty
qui fîgnifie Lettre ^ & Itlan^ qui fignifie A'»//?. Il ajoute que fous le règne
des Rois ou des Caciques qui dépendoienc de l'Empire Mexiquain , Ama-
titlan méritoit en effet le nom de Ville des Lettres , parce qu'on y excel-
loit dans l'art d'écrire fur de l'écorce d'arbre;, c'ell-à-dire d'y graver les
caraftères hiéroglyphiques qui compofoient l'écriture de cette Contrée.
Le Village de Los Efclavos eft fitué proche d'une Rivière , fur laquelle les
Efpagnols ont fait bâtir ua fort beau Pont de pierre, pour la feule com-
modité des Marchand» & des Voyageurs , qui. n'y pouvoient pafler fans
péril avec leurs Mules. Dix lieues au-delà, on trouve un Bourg nommé
Aguacbapa^ fî voifin de la Mer du Sud, que Gage arriva le même jour à
la Trinité.
Ce Port {y) eft moins renommé par fes avantage* maritimes , quoiqu'il
foit le feul où les grands Vaifleaux puiflent aborder fur la Côte de Guati-
mala , que par une efpèce de Volcan qui n'en eft éloigné que d'une demi-
lieue, oç que les Efpagnols croient une des bouches de l'Enfer (z). Ce
n'eft point une Montagne , comme la plupart des lieux auxquels on donne
le même nom ; au contraire le terrein en eft fort bas & n'eft voifin d'aucu-
ne hauteur: mais il en fort continuellement une fumée noire & épaifle,
qui jette une forte odeur de foufre, & dans laquelle il fe mêle fouvent des
flammes. Les Indiens mêmes n'ofent s'en approcher ; & ceux qui l'ont
entrepris ont payé leur hardielTe par une mort fubite, ou par d'affreufes
maladies dont ils ont eu beaucoup de peine à fe rétablir. Un Religieux,
Ami de Gage, n'ayant pas laiflé de tenter l'avanture, fut arrêté, à la
diftance d'environ deux cens cinquante pas , par l'épaifTeur d'une puante
fumée , qui le fit tomber prefque fans force & fans connoiflance. Il fe re-
leva néanmoins; mais il revint avec une fièvre chaude, qui mit fa vie fort
en danger (a). Gage, qui n'afpiroit point à ces téméraires expériences,
rend témoignage feulement qu'il vit de loin beaucoup de fumée. La Tri-
nité eft célèbre auflî par fa Poterie , qui pafl'e pour meilleure encore que
celle de Mixco.
De-là , fuivant la route qui conduit à. San-Salvador , on arrive par qua-
tre ou cinq lieues de marche à Cbalevapan^ grand Bourg d'Indiens. San*
Salvador, ou Cuzcatlan^ n'en doit pas être fort éloigné j puifque dans l'in-
tervalle. Gage ne nomme point d'autre lieu où il ait paffé la nuit. Cette
Ville, dit-il, eft à vingt-quatre lieues de Guatimala. Sa grandeur eft à-
peu-près celle de Chiapa. Elle eft peuplée d'Efpagnols , fous un Gouver-
neur de leur Nation, avec un Couvent de l'Ordre de Saint -Dominique.
De hautes Montagnes , qui l'environnent du côté du Nord, fe nomment
Chuntales; & les Indiens y font fort pauvres. On cultive des cannes de
fucne
{•>l) Woodcs Rogers le notfjtne Sor^onate, dans fou Supplément, Tome II. pagç x,
(2;) Gage 4, Pwtie, Cliap. 2. page »'^Q, C») ^^i^'
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. H.
51?
j;icre autour de la Ville, & l'on y fait même de l'indigo; mais, dans les DBsc«i^T:3jr
principales Fermes, on nourrit des Ikftiaux. Dix lieues plus loin. Gage "^j^^^* ^^^";
arriva fur les bords d'une grande Rivière, qu'on nomme Rio de Lcnipa. 11 j.. c:;2.
obferve comme un privilège fingulier de cette Rivière, que fi l'on a com-
mis quelque crime, ou contrafté des dettes du côté de Guatimala ou de •
San-Salvador , on eft en fiireté fur l'autre bord, qui appartient à la Provin-
ce de Nicaragua, & d'où l'on compte dix lieues jufqu'à 6t. Michel ^ premiè-
re Place de .cette Province.
Mais, en fuivant la Côte, les deux Provinces font féparces par le Golfe
à'Amapalîa (Z>), qui s'étend de huit ou dix lieues dans les Terres. On
découvre à fon entrée, du côté méridional , la Pointe de O^ima ou Co/?u/-
na, & les Montagnes de St. Michel au Nord-Ouefl:. Cofivma eft à douze
dégrés quarante minutes de latitude feptentrionale. G'eft une Pointe haute
& ronde, qui fe préfente comme une llle, du côté de la Mer, parce que
les Terres en font fort balTes. Les Chuntales , ou les Montagnes de St.
Michel , font fort hautes , mais peu efcarpées. Les Terres , qui los bor- •
nent au SudEft, font baltes ik. unies, & c'efl: à ces Terres balles que com-
mence le Golfe d'Amapalla. On rencontre, à l'entrée, deux Ifles alTez con-
lidérables, l'une à deux miles de l'autre, dont la plus méridionale fe nom- «
me Mangera , & l'autre Amapalla. Mangera eft ronde , & d'environ deux
lieues de circuit. Elle paroît comme un grand Bois environné de Rochers,
avec une petite Baie fabloneufe du cb:é du Nord-Eft. La terre en eft noi-
re, peu profonde, & mêlée de pierres, qui ne l'empêchent pas de produi-
re de fort gros arbres. Les Indiens ont une Ville au centre, d'où l'on fe
rend à la Baie par un chemin étroit & pierreux. L'Ifle d'Amapalla eft plus
grande; mais fon terroir eft à- peu-près le même. Elle contient deux Vil-
les, l'une au Nord& l'autre à l'Orient. La dernière, qui n'eft pas à plu» ,,
d'une mile de la Mer, eft fituée au fommet d'une Montagne; & le chemin,
par lequel on y monte, eft fi difficile, qu'un petit nombre d'Hommes la
défendroit à coups de pierres contre de nombreufes Troupes. On décou-
vre au milieu, de la Ville une fort belle Eglife , que les Compagnons de Dam-
pier eurent l'occafion de vifiter: & fur leur récit, il obferva que dans tou-
tes les Villes Indiennes qui font fous la domination des Efpagnols , les Ima-
ges & les Statues des Eglifes font vêtues à l'Indienne; au -lieu que dans les
Villes où les Efpagnols font le plus grand nombre, elles font vêtues à l'Ef-
pagnole. La Rade de l'ifle eft à fOrient, vis-à-vis d'une terre bafle. Un
peu plus haut , on peut mouiller auffi fort près de terre au Nord- Kft'. C'eft.
le lieu que les Efpagnols fréquentent le plus-, & qu'ils nomment Port de
Martin Lnpez. Le Golfe a plufieurs autres Ifles , plus bafles & moins habi-
tées; mais il a fi peu d'eau vers le fond., qu'il eft impoifible aux. Vaiifeaux.
d'y pénétrer (c).
(b) Dampier lui donne ce nom, d'une
dû fes Ifles. Woodea Rogcrs le nomme Fon-
Jeca.
(c) Foyage de Dampier autour du Monde,
Tome I. pages 32 & fuivantes. Woodes
Roirers & Cuoke continuent de donner les
La>
Tîiefures de la Côte , & de nous apprendre
quelques autres noms de lieux. Des y^na-
bacas à la Barre à'EJlapa , on compte en-
viron vingt-trois lieues j de la Barre d'Efla-
pa, dix lieues a la Rivière de Meticalco; Ae-
cette Rivière au Volcan du Sud - Elt , dix-
Ttt 5 i-»**t.
Pescbiftion
I>E LA NOU.
VCLLU GSI'A-
ONI£.
Honduras,
ou llibucras,
V. l'rovihco.
518 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
La cinquième Province, qu'on nomme Honduras & Hibueras, efl fituce
fur le Golfe du même nom, qu'elle a pri. (qu'au Nord, comme elle efl: à-
peu-prés au Sud-Ell de Guatimala, à l'Ell de Vera-Paz, & au Nord-Eftde
Nicaragua. On ne lui donne [.as moins de cent cinquante lieues de long,
fur quatre-vingts de large. Dans cette étendue elle efl prefgue défeiLc,
quoique très fertile en Maiz & en Beftiaux; mais, fi l'on en croit Barthele-
mi de Las Cafàs, c'étoit autrefois un des Pays les plus peuplés de l'Améri-
que, lorfqu'il fut découvert en 1502 dans le quatrième Voyagqde Chriflo-
phe Colomb, & la diminution de Tes Habitans ne doit être attribuée qu'à
1' cruauté des Efpagnols. Correal, Voyageur de cette Nation, avoue de
bonne foi que de fon tems (d), on n'y auroit pas trouve quatre cens In-
diens, capables de porter les armes; que le fer, le feu, le travail des Mines
& les rigueun de l'efclavage en avoient fait périr un nombre infini, & que
le refl:e s'étoit fiiuvé dans des Bois & des Rochers impénétrables. Cepen-
dant les Efpagnols ont bâti plufieurs Villes dans cette grande Province. Les
principales font Truxillo, Valladolid , ou Comayaga, Siège Epifcopal , dont
le Prélat porte ordinairement le titre d'Evêque de Honduras; San -Pedro,
Puerto de Cavallos , Naco & Triomfo de la Cruz. Gage y joint Saint-Tho-
mas de Cafl:ille, qu'il traite de vieux Château ruiné, & le Village Indien
de Saint-Pierre, qui fervent au Commerce entre la Province de Guatimala
& les Vaifleaux du Golfe de Honduras (e).
Correal fe fuppolè placé à la Pointe de l'Yucatan , pour mefurer la
grandeur du Golfe. Il y a cent lieues, dit-il, de cette Pointe à Rio grande,
donc le Cap fait l'autre Pointe; & dans l'intervalle on hi^Qpuntade las Mu-
gcres
huit lieues; & dix-huit jufqu'au Port de Son-
J'onate ou de la Trinité. Entre la Barre d'Kf-
tapa, &; la Trinité, le rivage court Oueft-
quart-au-Nord-Oiiefl: & Eft-quart-au-Sud-
Eft. Il y a une Rivière à fix lieues de celle
de Mcticalco. Si l'on veut mouiller au Port
de la Trinité, il faut cenir la droite, où la
terre cil plus bafle , avoir toujours le plomb
à la main, jufqu'à ce qu'on ait douze braffcs
d'eau, courir droit vers les Magafins, &
laifler tomber l'ancre au Sud-Eft; avec de
grandes précautions néanmoins, parce qu'il
y a plufieurs Bancs jufqu'à la hauteur de P«n-
ta de los Remédias, qui court Nord & Sud.
Depuis ce Havre de la Trinité, aux Volcans
Jfalcas, quatre lieues, & de-là huit à Rio
Lsinpa;.aii Rio Lempa jufqu'à la terre bafle
d'Ibaltique , cinq lieues , avec des bas-fonds
6t une iVfer rude. Il faut courir Efl-quart-
au Siid-Kft pour aller à la Barre d'ibaltique,
qui ell quatre lieues plus loin, & d'où quel-
ques lianes s'avancent plus de deux lieues en
Mer. Trois lieues à l'Eft au delà de cette
Pointe, on voit ViMonU^inc Ferrie l, qui eft
d'une hauteur médiocre ; deux lieues plus
loin , à l'Eft , OQ trouve le Volcan de Cotecu-
lo ; & trois lieues Nord & Sud de la Barre
d'ibaltique, on voit un autre Volcan, qui
porte le nom de Saint-Michel. l,à efl une
Rivière de môme nom De cette Rivière ;iu
Port Martin Lopez , ou El Condadillo , environ
dix-huit lieues. On peut connoître ce Port
à fes rivages blancs, les feuls qu'il y ait fur
cette Côte, qui fe joint ici au GoUc d'Ama-
palla. De cette jonftion à la Pointe de Cojî-
vina, il y a neuf lieues. On connoît cette
Pointe, à de petits Rochers qui vont jufqu'au
rivage. D'ici jufqu'à la Mefa. , ou la Table
de Foldan, petite Montagne entre Ojfivina
& Realejo, on compte fept lieues, Oucfl-
quart au-Nord-Ouell; & route Eft-quart au-
Sud-Eft; de Mefa do Voldan aa\ ^Jexadocs ,
oa Mix Scieurs , quatre lieues; cell-à-dire
environ douze de la Pointe de Cofivina au
Port de Rinicxa ou Realejo, dans la Provin-
ce de Nicaragua. Supplément au Foyage de
M'^u'jdes Rogers, Tome II. & Foyage d'E-
douard Cooke , Tome IL
. (d) Voyages de François Correal , pnge>
83 6f fuivantes.
(e; Ibidem.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IT. 515
gères & la Baie <lc V/lfcerfmu Rio grande c(l entre fcizc & clix-TcpC degrés ncîcnifrr^if
de latitude du Nord. De Putita de ifivicrns, qui ell au fond du Golfe, & "^ j'* .^'^"'
qui fcpare l'Yucatan de Honduras, Pays habite par les Indiens libres, il y ^^"''"
a trente lieues à l'Eft jufqu'au Cap de rr^j Puntat; & de ce Cap on compte
VEt.I.R
& la Ville de Gracias à Bios ne font pas tMoignés de San -Pedro. De Puerto
Cavallos au Port qui le nomme Tiiowfo de la Cruz , il y a trente -deux
lieues. On rencontre TnixillOy à cinquante lieues de ce dernier Port; &
la Cote tourne enfuite au Nord - Eft jufqu'au Cap de Honduras, qui ell
proprement l'entrée du Golfe, du côte de la Province dont il porte le nom.
Cependant il refte de -là vingt lieues jufqu'â Rio grande 6c au Cap de Cnwa-
run, vers lefquels la Côte court à l'Eft; & c'cft entre cette Pointe & celle
d'Yucatan , que Correal a compté cent lieues. De • là jufqu'au Cap de Gra-
cias à Dios, qui eft à quatorze dégrés de latitude du Nord, il y a foixante-
neuf lieues; & là finit la Côte de Honduras , après laquelle on trouve cel-
le de Nicaragua. Le même Voyageur, rapportant les Colonies Efpagno-
les à l'ordre des tems, nomme Truxillo pour la première, Puerto de Ca-
vallos pour la féconde , San -Pedro pour la troifième , Gracias à Dios pour
la quatrième, &c.
La Ville de Truxillo eft fituée fur une Colline, à peu de diftance de la
Mer. Gage, qui s'y rendit de Coban, Capitale de Vera-Paz, dans le tems
i^ le les Vaifleaux d'Efpagne arrivent au Golfe, n'en donne pas une haute
idée. Cette Place, dit -il, eft fans réfiftance, comme on en doit juger par
la facilité que les Anglois & les Hollandois ont eue à s'en faifir. Elle eft à
quatre- vingt ou cent lieues de Guatimala, par terre. Le Pays eft plein de
Bois & de Montagnes , incommode pour les Voyageurs , pauvre , &. fans
autres marchandifes que des cuirs, de la cafle & de la falfepareille. On ne
mange , autour de Truxillo, que de la calTave, & fi féche, que pour l'a-
valler on la trempe dans de l'eau , du bouillon , du vin ou du chocolat. Le
maïz eft plus commun du côté de Valladolid, ou Comayaga, qui eft la
Ville Epifcopale, quoiqu'elle n'ait pas plus de cinq cens Habitans. Il s'eft
raflemblé, dans les Campagnes voifmes, un aflez grand nombre d'Indiens
'^ui les cultivent, & qui ont formé plufieurs Villages. Cette Contrée,
ajoute Gage, me parut la plus pauvre de l'Amérique. Sa partie la plus fai-
ne, & la plus commode pour les Habitans , eft la Vallée de Gracias à Dios,
qui contient quelques riches Fermes de Bétail & de Froment : mais comme
elle eft auffi proche de Guatimala, que de Comayaga & de Truxillo, &
que les chemins font beaucoup plus aifés vers Guatimala, on y tranfporte
plus volontiers ces riches produftions (/).
De Honduras, dit Correal, on prend par les Mines de Chalatecca {g)
pour
Nota. Voyez la Carte des Provinces de Ni'
têragua 6f Cojla-ricca, au Tome XVI.
R. d. E.
(/) Gage, 3- Pa«- Chap. 19.
. Is) Les (ieux Pioviaces font réparées par
Nicaragua ,
VI. Provincf.
une chaîne de Montagnes , que Walfcr nom-
ine Tegujigalpa, & qu'il traite aulfi de Pro-
vince, riche, dit -il, en Mines d'argent, làt»,
Juprà, page 322. '
'^^^
V..^.
IMAGE EVALUATION
TEST TARGET (MT-3)
1.0
1.1
liâ|28 12.5
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1.6
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Photographie
Sdenœs
Corporation
23 WEST MAIN STREET
WEBSTER, N.Y. MStO
(716)872-4503
5^0
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
OEscRiPTiort pour entrer dans la Province de Nicaragua , qui s'étend jufqu'à la Mer du
DE iJk Nou- gyj Gage y entra, comme on Ta rapporté d'après lui, par Saint • Michel ,
^^"^"cNE. "^^ première Ville de la Province du côté de Guatimala; & s'étant embarqué
fur le Golfe d'Amapalla , il arriva le foir à Realejo, premier Port qui fe
préiente fur cette Côte. En général, cette Province pafle pour une des plus
i)elles de la Nouvelle Efpagne. Mai» la chaleur y eft fi grande, qu'on n'y
peut voyager de jour en Eté. Il y pleut l'efpace de fix mois ; & cette fai-
ibn, qu'on y nomme l'hiver, commence ordinairement au mois de Mai.
I^ rede de l'année fe pafle dans une continuelle féchereffe; ce qui n'empê-
che point que la cire, le miel, & les fruits, n'y foient en abondance. 11
s'y trouve de fi gros arbres, que, s'il en faut croire un célèbre Voyageur,
douze Hommes peuvent à peine les embrafler (h). On y voit peu de gros
Beftiaux; mais les Porcs, dont les premiers y font venus d'Efpagne, ont
extrêmement multiphé. Correal, qui paroît avoir obfervé fort foigneufe-
jnent le Pays, ne croit point qu'il ait jamais produit d'or, quoique les pre-
miers Voyageurs de fa Nation fe vantent d'y en avoir trouvé. Maïs il con-
vient que l'abondance & la tranquillité, qui régnent dans cette Province,
la rendent digne du nom de Paradis terreftre qu'on lui donne. Aufli les Ha-
bitans y font ils fort voluptueux. On y parle quatre Langues , dont la
principale efl le Mexiquain, qui s'étend, fuivant le même Ecrivain , dans
une.grande partie des deux Amériques; il ajoute, dans l'efpace de quinze
cens lieues à la ronde (i). La Capitale de Nicaragua fe nomme Léon, &
fes autres Villes, fur la Mer du Sud, font Grenade , Segovia Nueva, Nica-
ragua, Realejo y oa Rialexa , Nicoya , Mafoya^OM Mafava, Jaën ôc Porto San-
Juan , à l'embouchure du Lac , fur la Mer du Nord.
Léon eft fitué {k) entre Realejo & Grenade, à la diftance d'une jour-
née de ces deux Places , fur le bord & comme à la naillance d'un grand
Lac, qui traverfant la Province dans fa plus grande longueur, vafejctter
dans l'Océan feptentrional , par une embouchure qui fe nomme le Defagua-
dore. Les Maifons de cette Ville font fort bien bâties , mais baflTes , parce
qu'on y eft dans la crainte continuelle des tremblemens de terre. On en
compte plus de douz;2 cens, la plupart accompagnées de jardins & de beaux
vergers. Le Commerce des deux Mers y fait régner l'abondance; & la
beauté du climat fe joignant aux commodités de la vie, pour faire un heu-
reux fort aux Habicans, ils s'abandonnent à la moliefle, dans leurs déli-
cieux jardins , où ils pafTent la plus grande partie du jour à dormir, à nour-
rir des Oifeaux , à faire bonne chère du Poiifon du Lac , & des autres pro-
Uuélions admirables du Pays. Ce voluptueux repos n'eft troublé que par I3
crainte d'un Volcan voifin , qui leur a fouvent caufë beaucoup de mal,
quoiqu'il foit devenu moins ardent , & qu'il n'en forte aujourd'hui que de la
fumée : mais elle fait juger qu'il y refl:e encore du foufre; & tôt ou tard on
, { - s'attend à de nouvelles éruptions ( /).
De
fé) ODrreal, ubifuprà,
(t) Ibidem.
^ ( * ) A douze dégrés vingt • cinq minutes
de latitude du Nord.
(i) Suif âne Gage & Coircal , pluGeurs
Efpagnols fe font imaginé que la matière du
feu étoit de l'or, & n'onr pas manqué de
faire inutilement de grandes reciierches , ubi
fuprà. Gage raconte qu'un Religieux de la
Merci fie faire un ctiaudron fort épais, &
qu il
DE LA NOU'
VfLLE EifK-
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. îl 521
De Léon à Grenade, le chemin efl: d'une beauté qui caufe de l'admira- P"5^"^'°î*
tion aux Voyageurs; & tous les agrémens de la nature s'y iroiivent joints
à labondance. Grenade efl; une Ville mieux bâtie encore & plus peuplée
que Léon (m). Les Négocians y font plus riches , les Kglilcs plus belles,
& les Couvens y jouiflTent d'un immcnfc revenu. Gage en vante quatre;
deux de la Merci, un de Saint François, & celui des Rcligicufcs, qui efl
le feul de ce fexe , mais dont l'opulence cft extraordinaire. L'Eglife Paroif-
fiale l'emporte fur la Cathédrale de Léon, parce que l'Evêque préfcre le fc-
jour de Grenade à fon Siège. Le principal Commerce de cette Ville efl à
Carthagene, à Guatimala, à San -Salvador , ôi. à Comayaga. Le même
Voyageur y vit entrer, dans un feul jour, plus de trois cens Mulets, qui
venoient de San -Salvador Ck de Comayaga, chargés d'indigo, de coche-
nille & de cuirs. Deux jours après, il y en vit arriver, de Guatimala,
trois autres troupes, dont l'une portoit les revenus du Roi,- la féconde,
une grande quantité de fucre , & la troiflème, de l'indigo. 11 ajoute qu'au
déparc des Frégates , Grenade efl une des plus riches Villes de l'Amérique
fep-
«ju'il le fit dcfcendre , foutcnu par une chaî-
ne Je fer, dans l'ouverture du Volcan U
clpcrou de le retirer plein d'or fondu; mais
la force du feu détacha le chaudron & le fon-
dit auflî- tôt. Ibid.
(m) Outre les ravages du Volcan, Léon
eft plus cxpofe^ que Grenade aux infultes des
Ennemis de l'Efpa.^ne ; témoin le malheur
(]ti'il eut d'être brûlé, en 1684, par quel-
ques Avanturiers Anglois Dampier , qui
étoit de l'expédition, en fait un récitqui fcrt
ù faire connoîtrc mieux ce Canton II y a,
dit - il , au Sud - Efl de Roaiejo , un petit brss
de Mer qui s'approche de Léon. Nous en-
trâmes, à la pointe du jour, dans cette An-
le, qui efl: extrôinement ferrée, & fi hafle
des deux côtés , que la niarOe couvre les deux
rives. Le Pays produit des manglcs rouges,
en fi grande abondance qu'il n'y a pas moyen
d'y paiTer Au-delà des mangles , les Ifpa-
gnols ont une Redoute, prés de la Rivière,
pour empêcher l'Lnnemi d'y faire defcente.
Quand nous fiimes à la vue de la Redoute ,
nous finies force de rames pour ga^jner la
terre. Le bruit de nos avirons donna laliar-
me aux Gardes, qui prirent auflî-tôt la fui-
te. Nous defcendîmcs , pour les fuivre. On
fit un Détachement de 470 Hommes, pour
marcher droit à la Place.
La Ville de Léon efl. à vingt miles de la
Mer dans les terres. On y va par un chemin
uni , au travers d'un Pays plat , compofé de
grands Pâturages , & de quelques Bois de
haute futaie. A cinq miles du lieu de nôtre
débarquement , il y a une Manufadlure de
fucre, & trois miles plus loin une autre, à
deuK miles de laquelle on rencontre une bel-
Xyin. l'art. V
le Rivière, qu'il faut pafiTer, mais q^ui n'eft
pas fort profonde. Après cette Rivière, on
ne trouve d'eau que prés d'une Ville Indien*
ne, qui e II à deux miles de Léon. De -là,
le chemin efl agréable, fabiontux & étroit.
La Ville de Léon efl dans une Plaine, à peu
de dillance d'une haute Montagne, qui vo-
mit fouvcnt du feu & de la fuiiiée. On la
voit de la Mer. Les maifons de Léon ne font
pas hautes; mais elles font fortes, grandes
& entourées de jardins. Les murailles font
de pierre , & la couverture de tuiles. 11 y a
trois Eglifes , outre la Cathédrale. Nôtre
Compatriote Gage, qui avoit voyagé dans ce
Pays, en parle comme du lieu de l'Amérique
le plus agréable. A la vérité, fi l'on confidè-
re la fituatlon de la Ville , il fe trouvera
peu de Places dans rA.iiériqi.c , que celle-
ci ne furpaflfe pour le plaifir & la fanté. Le
Pays des environs efl: fabloneux & boit in.
continent les pluies , qui font fréquentes
dans ces Contrées. La Ville efl; environnée
de pâturages ; de forte qu'on y a l'avantage
de tous les vtnts ; ce qui épure beaucoup
l'air. Elle nell pas d'un grand Commerce.
Auflî n'eft-elle pas fort riche en argent. Ses
richefl*es confident en Befliaux & en Canned'
de fucre. On dit qu'on y fait auflî des cor-
des de chanvre; mais cette Manufiifture doit
être à quelque diftance de la Place; car je
n'y ai rien vu de femblable. Dampier conti-
nue de raconter comment les Anglois firent
leurs approches , la réfiflance qu'ils trouvè-
rent dans la Ville, & la convention à laquel-
le ils la forcèrent, mais qui ne les empêcha
point d'y mettre le feu on fe retirant, f'oja-
ge autour du Monde, Tome l. Chap. 8.
V V
VJtLLB ESPA
ONE.
522 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
DifÇRirTioN feptentrionale. L'inquiétude des Ndgocians pour leurs marchand ifes , qu'ils
vlil'w r»p!!' craignent de voir tomber entre les mains des Ennemis de l'Efpagne dans
le Golfe de Honduras, porte le plus grand nombre à les envoyer par le
Lac à Carthagene; & fouvent même on fait prendre la même route aux
revenus de la Couronne. Cependant quoique ces Navires faflent voile en
afflirance fur le Lac de Nicaragua, leur defcente efl: retardée fi long-tems
par la chute des eaux , qui les oblige fouvent de décharger & de recharger,
a l'aide des Mulets, dont ils fe font fuivre pour ti'anfporter alors une partie
des tnarchandiles , que cette incommodité détermine les plus hardis à pren-
dre la voie du Golfe ( n ).
Segovie & les autres Villes n'ont rien de remarquable , à l'exception
de Nicaragua, qui étant fituée fur les bords du Lac , vers le milieu de foii
cours, a vis-à-vis d'elle une très belle Ifle, dont un Voyageur vante la fer-
tilité en ouatte , en cacao , en teinture d ecarlate, & en fruits d'un excel-
lent goût (0).
Les Ports de cette Province font plus célèbres dans nos Relations. Ce-
lui qui fe nomme Reakjo , ou Riaîexa , efl à trente lieues de Saint-Michel ,
à quatre de Léon, & à treize de la Pointe de Cofivina. Il fe fait reconnoî-
tre par fa Montagne ardente, que les Efpagnols nomment Vokano Vejo. Il
n'y a point, aux environs, de Montagne fi haute, ni de la même forme;
fans compter qu'elle jette de la fumée pendant tout le jour, & quelquefois
des flammes pendant la nuit. On Tapperçoit de vingt lieues en Mer ; &
n'étant qu'à trois lieues du Havre, elle en fait découvrir aifément l'entrée.
Ce Havre efl formé par une petite Ifle, platte & baffe, d'un mile de long,
& d'un quart de mile de largeur, éloignée de la Côte d'environ un mile &
demi. Les deux côtés de l'ifle ont leur canal, & celui de l'Occident efl
k plus flir. Cependant, à la pointe de l'ifle, vers le Nord-Oueft, l'eau
efl fi baffe, que les Vaifleaux doivent s'en garder. Du côté de l'Orient,
le Canal efl moins large , & les Courans y font fi forts qu'il n'y a jamais
de fureté pour la Navigation. Deux cens voiles feroient à l'aife dfans le
Havre. Le mouillage efl prés de la terre , fur un fond de fable clair &
dur , à fept ou huit brafTes d'eau. La Ville du même nom en efl à deux
lieues ; & l'on peut s'en approcher par deux Anfes, qui baiffent du même
côté. La plus occidentale defcend derrière la Place, & l'autre conduit juf-
qu'au pié des murs ; mais le pafTage a fi peu de largeur, & fes bords font fi
couverts de mangles , que l'accès n'en efl pas plus facile aux Chaloupes
qu'aux VaifFeaux {p).
A trois lieues au-defTus de Realejo, on trouve un grand Bourg d'In-
diens, que Gage nomme la f^eja^ & Rogers, Pueblo vejô{q), dans lequel
Waffer alFure qu'on ne compte pas moins de vingt mille Ames. On y voit ,
dit -il, dans un Couvent de Saint François , une Image de Nôtre- Dame,
dont les fréquens miracles donnent encore plus de célébrité à ce lieu que le
nombre de fes Habitans.
- Ni-
[ ») Gage, Ibidem.
^ 0 ) Lionnel WafFer , ubi fuprà , pag. Jao,
[#) Dampier, ubi/uprA, pagç 129.
(a) Supplément Je Rogers, pageia.
idu ' - - - •
Le
Tradufteui de WafFer l'appelle, en François,
.le Vieux Bsurg, page 320,
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 523
' NicoYA efi: un autre Porc, à neuf degrés dix -huit minutes de latitude
du Nord, dans le Golfe de SalinaSy ou la Caldera, qui termine la Province
de Nicaragua vers celle de Coftaricca. On n'en trouve point de defcrip-
tion , dont il y ait beaucoup de lumières à recueillir. Dampier l'appelle
une petite Ville de Mulâtres (r), fituée fur le bord d'une Rivière de mê-
me nom. Elle efl: fort propre, dit -il, à la conftruftion des Vaifleaux.
Aufli la plupart de fes Habitans font -ils des Charpentiers, dont toute l'oc-
cupation efl: de bâtir des Vaifleaux neufs ou de radouber les vieux. Ce
fut dans ce Port que Scharp, célèbre Avanturier, fit réparer le fien en 168 r,
pour abandonner la Mer du Sud , où il s'étoit fait redouter par Çqs brigan-
dages. Quelques Indiens , enlevés par Dampier , lui dirent que les Cam-
pagnes voifines étoient foigneufement cultivées, & qu'on y élevoi: quanti-
té de Bediaux dans des Pâturages d'une grande étendue; qu'en plufleurs
endroits voifms de la Mer, il croiiToit du bois rouge, propre à la teinture,
dont ils ne tiroient pas beaucoup de profit, parce qu'ils étoient obligés
de le voiturer au Lac de Nicaragua , qui fe jette dans la Mer du Nord ;
& qu'ils y envoyoient aufli des peaux de Taureaux & de Vaches, pour lef-
âuelles ils rapportoient , en échange, des chapeaux, des toiles & des laines
e l'Europe.
L«
DefCRiPTioir
Ds LA Nou-
velle Esu-^
GNB.
(r) Dampier, ubifuprà, pages 114 &
125. Gage nomme Nicoya un fort beau
Village, gouverné néanmoins par un Aicalde
Efpagnol, 11 ajoute au'on y nie une herbe
nommée Pite , qui eft unemarchandife fort
eftimée en Efpagne, particulièrement celle
qui efl: teinte à Micorza , en couleur de
pourpre ; & qu'on emploie quantité d'In-
diens à chercher fur le bord de la Mer une
efpèce de coquillage qui fert à cette tein-
ture. On en teint aum le drap deSégovie,
qui efl: fort cher en Efpagne. Ce poifTon à
coquille fe cache pendant trois cens jours de
l'année , & ne fe trouve qu'au Printems.
C'efl: le fang de fa tcte qu'on emploie. 3.
Part pag. 276.
Les difl;anccs de cette Côte , fuivant Ro-
gers & Cooke , font de Realejo à Rio de
Tojia, huit ou neuf lieues, Sud - Eft • (juart-
au-Sud. De cette Rivière à Meja ou Table
de Sutiabo, dix lieues, Nord-Ouefl:. On
voit paroître le Volcan yinion , au Sud - Eft
de la même Rivière , à trois ou quatre lieues
dans le Pays. De la Table de Sutiabo au
Volcan de Léon, il y a quatre lieues. De ce
Volcan à celui de Telica, douze lieues; de
ce dernier à la Table de Molic^fe , deux ; & de
celte Table à la terre haute de Sinotepe, trois;
de Sinotepe à Majaca, ou JPort Saint yean,
Ïuatre; & de ce Port à la Pointe de Sainte'
atherine dix- huit, qui font la largeur d'un
Golfe qu'on nomme Papagaio . ou des Per-
roquets. Il faut courir Nurd - Oueft & Sud-
Eft , même route qu'il faut tenir pour aller
de Rio Tofta au Port Saint Jean La Côte
eft fort faine, mais la Mer eft rude; il y a
d'ailleurs une Table, d'environ deux lieues
de long. Les vents du Nord font très ora-
geux dans ce Golfe ; & l'on ne s'eQ garantit
qu'en rangeant de près la Côte.
La Pointe de Sainte -Catherine eft foua
l'onzième degré de latitude. A la hauteur de
cette Pointe , on trouve un gros Rocher,
qui en couvre de plus petits. D'ici au Cap
Guiones , il y a trente - deux lieues Nord-
Oueft. Dans l'intervalle , on rencontre le
Port de Fêlas à huit lieues, & l'on voit au*
dcffus de ce Port deux grandes Montagnes,
avec une profonde ouverture entre deux; une
lieue ou plus , au Sud-Eft , il y a quelques Ro-
chers qui reflemblent à des Navires fous les
voiles , & de là vient fon nom. Du Port de
Vêlas jufqu'au Cap Hermofo , on compte dou-
ze lieues, Nord-Oueft-quart-au-Nord&Sud-
Eft-quart-au-Sud. Il refte environ douze lieues
du Cap Hermofo au Cap Guiones , Nord*
Oueft & Sud-Eft, fond de fable. Côte faine.
Du Cap Guiones au Cap Blanc , i! y a quin-
ze lieues Eft-Sud-Eft & Oueft Nord -Oueft.
On peut connoltre le Havre à une petite Ifle
qui eft à fa Pointe , & que les Cartes Efpa-
gnôles nomment Cbira C'eft ce dernier. Cap
qui forme la Pointe du Golfe de Salinas, ou
Nicoya eft fituée, dans une petite Baye qui
prend fon nom. Supplément de Woodcs Ro-
gers , ubi fuprà.
V VV 2
DESCttirTTOK
Dl LA NOU*
VELLB ESPA-
ont.
Cofta-rîcca,
VII. Provin-
ce.
B-oute de Ga-
ie dans la
rovince de
CoIU-iicca.
524 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Le Cap Bluncy qui fait la pointe du Golfe de Salinas, & qui termine la
Côte de Nicaragua , eft foigneufement décrit par Dampier. 11 lui fait cirer
ion nom de deux Rochers blancs , qui fe découvrent de loin. A les voir en
IMer, & vis-à-vis de la Côte, il femblj (ju'ils en falTent partie. Mais
plus proche de terre, foie à l'Ell ou à l'(">ac;ll du Cap, on les prendroit
pour deux VailH:aux à la voile. A les voir de plus près encore, on croi-
roit que ce font deux hautes tours. On les trouve petits, hauts, efeiirpcs
fur toutes leurs faces, à la ditldjice d'un demi -mile du Cap. Sa fuuation
fcft à neuf degrés cinquante- fix minutes de latitude du Nord. C'cll uik;
Pointe complette, où des Rochers cfcarpés régnent julqua la Mer. Son
Ibmmet cil: plat & uni, rtfpace de prés d'un mile; après quoi il commence
à bailler peu -à-peu, en formant de chaque côté une très agréable pente.
De grands & magnifiques arbres, dont il eil couvert, augmentent la beau-
té de la perlpeftivç. La Cote, qui règne du Nord - Ouell au Nord -Eft,
pendant quatre lieues, forme la Baie que les Elpagnols nomment Cadcra.
Du fond de cette Baie juiqu'au Lac de Nicaragua , on ne compte que qua-
torze ou quinze lieues (j).
En avançant de la Province de Nicaragua au Sud -Eft vers l'ifthme de
Darien, on entre dans la leptième Province, qui s'appelle Cojla-riccai
nom que Lionnel Waff'.'r prend pour une ironie, parce que loin d'y avoir
obfervé des marques d'opulence, il la trouva pauvre & ftérile, ou du moins
fans autre richelfe qu'une grande quantité de Beftiaux. Elle dépend
pour le fpirituel, de l'Evéché de Léon ou de Nicaragua. Sa Capitale fe
nomuiQ Canhagu ; & Tes autres Villes, fans mériter beaucoup ce titre, font
KJ'parza^ /Iranjuez ik Cajlro (V/luJhia. On doit juger par fa fituation, qui
cil refferfée entre la Mer du Sud & celle du Nord , qu'elle a des Ports llir
l'une & fur l'autre; cependant on n'y connoît fur la Mer du Sud, que le
Havre de Caldera, dans la Baie de même nom; & fur celle du Nord, trois
Rivières nommées Sucre ^ lus /inzuelos & Vafquez^ qui forment, à leur em-
bouchure, des anfes aflez commodes pour fervir de retraite aux petits
VaiiTeaux. Porto San- Juan , petite Place maritime de la Province de Ni-
caragua, efl: fitué entre la Rivière de "Vafquez & le Defaguador, auquel il
fert de Port.
On connoît peu l'intérieur de Coda - ricca. Waffer qui fit naufrage (/)
fur fa Côte méridionale, à trois ou quatre lieues de la Caldera, fait le ré-
cit d'un pénible "Voyage de fepc ou huit jours, qu'il fit par terre jufqu'au
bord d'une belle Rivière qu'il nomme Saint - Antoine ^ à quatre lieues de la-
quelle il trouva une groile Ferme, d'où il fe rendit à Efparza , petite Ville
voifme : mais il ne traverfa , dans cette route , qu'un Pays inculte & fans
Habitans ; & tout ce qu'il nous apprend d'Efparza même , où il pafla plus
de trois femaines, c'eil qu'elle n'a qu'une ParoiiTe & deux Couvens: mais
Gage, qui n'eut pas moins a fe plaindre de la fortune dans cette Province,
donne plus d'étendue à fes obiervations.
Il partit de Grenade ; & pendant deux jours de marche fur le bord du
Lac
{s) Voyage autour du Monde, Tome I. page 121. *
(r) Voyage de Lionnel Waffer, pages 281 & fwvantcst
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 52^
Lac de Nicaragua, il ne ceiTa point , die* il , de jouir des délices d'un Pays DEtcsrpTioïr
qu'il croit digne du nom de Paradis terreflre, par la beauté de fes Campa- ^^ ^' * ^°"*
gnes, de fes Villages & de fes Chemins. Un mondrueux Crocodile, forti ^""cMi.'"'*
du Lac, l'cxpcfa au plus mortel danger. Il en fut pourfuivi avec tant de
vitelfe, que fi les EPpagnoIs , qui l'accompagnoicnt , ne lui eullent crié de
fe détourner du chemin, & de marcher en tournoyant, lui , ou fa Mule,
auioit été la proie de ce terrible Animal. Kn avançant ainfi par divers
détours, il eut enfin le bonheur de le laiflcr bien loin derrière lui. Le
troiiicmc jour, il avoit encore la vue du Lac, après l'avoir eue pendant
plus de vingt lieues. Enfuitc il entra dans un, Pays difficile & pierreux,
qui panchoir plus du côté de la Mer du Sud , que de celle du Nord. Dans
tout le relie du Voyagj jufqua Carthago, il ne vit rien de plus remar-
quable que de grands Bois, dont les arbres lui fcmblcrent propres à con-
ftruire des V^ailîeaux. Il traverfa plulkurs Montagnes & des lieux dé-
ferts, où il fut quelquefois obligé de palTer deux nuits confécutives ,
fans rencontrer le moindre Village ; mais on y trouve des cabanes ,
que les Magirtrats des Habitations voiiînes ont fait bâtir pour la com-
modité des Voyageurs. Cette ennuyeufe 6i pénible route le conduifit en-
fin à Carthago.
Cette Ville , qui eft la Capitale de la Province , contient environ qua-
tre cens Familles & quantité de riches Marchands, fous un Gouverneur*
Efpagnol. Elle avoit alors un Evéque & trois Couvens. Dans l'impatien-
ce de s'embarquer pour Carthagene ou Portobello, Gage n'eut pas plutôt
appris qu'il en pouvoit trouver l'occafion dans la Rivière de Sucre ou de lûs
Anzuclos ^ qu'il fe remit en chemin. On lui confeilla d'aller à Suere, parce
qu'on rencontre, fur cette route, plus de Villages Indiens & de Fermes
Efpagnoles. Le Pays eft montagneux ; mais on y trouve des Vallées fer-
tiles <& d'excellentes Fermes, où l'on nourrit quantité de Porcs. Les In-
diens y font moins civilifés que dans les autres Provinces de la Nouvelle
Efpagne, quoiqu'ils y portent le joug d'auffi bonne grâce. Une Ferme
Efpagnole fervit de retraite à Gage fur la Rivière de 6uere , jufqu'au dé-
part d'une Frégate, chargée de miel , de cuirs & d'autres provifions. On
l'aflura que le plus grand danger de la navigation , qu'il alloit entrepren-
dre, étoit à fortir de la Rivière, qui eft fort rapide en quelques endroits,
bafle en d'autres , & pleine de Rochers jufqu'à fon embouchure. Cepen-
dant, après en être forti fort heureufement, il eut le malheur de tomber,
à deux lieues de la Côte, fous le canon de deux Vaifleaux Hollandois,qui
trouvèrent peu de réfiftance dans fa Frégate. Environ huit mille piaftres,
qu'il avoit amaffées depuis douze ans , <x qu'il devoit à la bonne volonté
des Indiens de M ixco, dePinola, d'Amatitlan & de Petapa («) lui furent
enlevées par ces Pirates. On ne lui laifla d'abord que ^&s Livres, quel-
ques tableaux peints fur du cuivre & fes habits, que fa qualité de Reli-
gieux lui fit obtenir j mais ayant pris droit de cette indulgence pour deman-
der
{•o) Cela me fit appliquer à inoi-mûme,
dit-il naturellement , le proverbe , que le
bien mal acquis ue proGcc jamais, voyant
que je nerdois tout d'un coup ce que 1';^-
veugie aévotion des Indiens m'avoit fait ac-
quérir parmi eux uhi , juyrà , page 2,63.
V vv 3
DcscaiPTioN
DE LA NOU-
VBLLK ESPA-
OMC.
Veragua ,
VIII. Provin-
ce,
526 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
der aufli Ton lit, qui lui fut accordé, il fauva près de mille ccus en doubles
pilloles, qu'il avoic eu laprécaucion de coudre dans Tes matelats. Le Ca*
pitaine de la Fregace & les autres Efpagnols furent traités avec tant de ri-
gueur, qu'on ne leur rendit que le corps de leur Bâtiment, après l'avoir
déchargé de tout ce qu'ils avoient de précieux ou d'utile.
Ils prirent triftement leur route vers los Anzueios; mais apprenant que
les Frégates de ce 'te Rivière étoient parties. Gage réfolut de retourner
à Carthago. La compafTion, qu'il trouva dans les Efpagnols & les Indiens ,
lui procura des fecours qui réparèrent une partie de fa perte. Il arriva ,
dans le même tems, à Carthago, trois cens Mulets fans charge, avec quel*
ques Marchands de Comayaga & de Guatimala, qui les conduifoient par
terre au-delà des Montagnes de Veragua, pour les vendre dans l'Iflhme de
Darien. Ce Commerce , qui fe fait tous les ans , efl: le feul qu'on ôfe ha>
farder par terre avec Panama. Le chemin etl également dangereux , par
les Montagnes qu'il faux traverfer , & par le voifinage de plufleurs Nations
barbares , que les Efpagnols n'ont point encore aiTujetties. Gage n'en é-
toit pas moins difpofé a prendre cette route, avec trois Marchands , qui
témoignoient le même courage. Quelques Amis, que fes prédications lui
avoient faits à Carthago , lui firent perdre ce deflein. Bientôt il regarda
leur confeil comme une faveur du Ciel, en apprenant que tous les Mule-
tiers avoient été maflacrés par les Barbares , & qu'il n'auroit point évité le
même fort. On lui propofa de tenter G. la Mer du Sud ne lui feroit pas
plus favorable que celle du Nord, & de fe rendre dans cette efpérance à
Nicoya, au Golfe des Salines & à Chira , où l'occafion ne lui manqueroit
point de s'embarquer pour Panama. Il faifît aviderament cette ouverture.
Le chemin par lequel il fe rendit de Carthago à Nicoya efl: montagneux , &
d'une difficulté qui lui fît dire, en arrivant dans ce Port, qu'il nomme un
fort beau Village , c'efl: mon non plus ultra. Il parla d'y ériger une colom-
ne, avec cette infcription , parce qu'il n'efpéroit plus de trouver d'autre Port
où il pût s'embarquer pour Panama. Perfonne, ajoûte-t'il, n'avoit jamais
rien exécuté avec plus de courage. Il avoit fait par terre , depuis Mixco
jufqu'à Nicoya, environ fix cens lieues, où dix -huit cens miles d'Angle-
terre, du Nord au Sud; fans compter ce qu'il avoit fait depuis la Vera-
Cruz jufqu'à Mexico, deMexicoà Guatimala, enfuite à Vera-Paz, àGol-
fo dolce, jufqu'à Puerto de Cavallos , & de- là, dans fon retour à Guatima-
la; ce qu'il fait monter encore à treize ou quatorze cens miles d'Angleterre,
& ce qu'il penfoit à faire graver à Nicoya fur une colomne , pour en. éter-
nifer la mémoire (a;),
CoRREAL, qui avoit traverfé , comme Gage , cette partie de la Province,
dit que les Indiens des Montagnes, entre Carthago & Nicoya, font extrê-
mement barbares, & qu'ils haïflent mortellement les Efpagnols, qui les. ap-
pellent Indios bravos y parce qu'on n'a point encore trouvé le moyen de les
foumettre (y).
La dernière Province de l'Audience de Guatimala efl: celle de Fera^;ua ,
qui
{x) Ubi fuprà, 4 Part. Chap. 7. Ce velle Efbagne.
Voyageur s'embarque kl & quitte la Nou- (y) Ubi fuprà, page 915.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 527
qui touche à l'Ifthme de Darien, & qui efl: fituée comme la précédente en- DejcRiPTroir
tre les Mers du Nord & du Sud. On lui donne environ cinquante lieues,
de l'Eft à rOuefl: , & vingt-quatre , du Nord au Sud. Si;s principales Villes
font la Conception., qui porte le titre de Capitale , avec un Port aiïcz confi-
derable fur la Mer du Nordj la TrimdadÔL Santa te y qui font dans les Ter-
res; Carlos , petit Port de la Mer du Sud; <Sc Parita^ autre Port de la même
Mer, qui donne fon nom au Golfe dans lequel il eft fitud. Cette Provin-
ce , ayant été découverte dés l'an 1 502 , par Chriftophe Colomb , reçut en
fa faveur le titre de Duché ; & de toutes les récompenfes qui lui furent ac-
cordées par la Cour d'Efpagne, c'efl: prefque la feule qu'il ait tranfmife à
fes Defcendans. Mais 1 intérieur du Pays , efl: peu connu des Etrangers.
Les Efpaçnols fe font toujours réfervé des lumières, qu'ils craignent de
ne pouvoir communiquer fans nuire à leur Commerce , ou fans ouvrir
un paflagc de la Mer du Nord à celle du Sud. Cependant quelques A-
vanturiers l'ont tenté avec fuccès ; comme on le rapportera dans la Def-
cription de l'Iflhme. 11 n'eft queftion ici que de recueillir des éclaircifle-
mens fur le Veragua.
D4MPIER, qui avoit entrepris de traverfer l'Ifthme de Darien en 1681,
raconte, qu'ayant pris terre au Cap de Lorenzo dans la Mer du Sud, il em-
ploya vingt jours à fe rendre au bord du Chepo^ dernière Rivière qu'il ren-
contra, de celles de flilhme qui coulent au Sud. Delà il fit neuf miles,
pour traverfer une fort haute Montagne. Le lendemain il en pafla une au-
tre, fur le fommet de laquelle il fit quelques miles. Il en defcendit; & la
marche de ce jour ayant encore, été de neuf miles , il trouva une belle Fon-
taine, auprès de laquelle il paiTa la nuit. Le jour d'après, il traverfa une
troifième Montagne, fur le fommet de laquelle il fit cinq miles. £n arri-
vant à fa pente , du côté du Nord , il découvrit la Mer. Une Rivière, qu'il
rencontra bientôt dans la plaine, & la premiè-e qui fe jette dans la Mer du
Nord , traverfe des champs d'une fort large étendue. C'eft celle de la Con-
ception de Veragua. Ses Compagnons prirent des Canots dans une Habita-
tion d'Indiens. Il defcendit avec eux jufqu'à l'embouchure de cette Riviè-
re; & depuis le pié de la Montagne, cette journée fut d'environ fept mi-
les. Il trouva, vers l'embouchure, quantité d'Indiens, qui s'y étoient éta-
blis, pour tirer avantage de l'arrivée de? ' vanturiers, auxquels ils four-
nilToient des yames , des plantains , du fuci«. des cannes, des oifeaux, &
des œufs; mais Dampierne parle point delà Ville, ni même de fa fitua-
tion. Les Indiens lui dirent qu'ils voyoient fouvent des Avanturiers An-
glois & François; qu'à trois lieues de l'embouchure, on trouVoit unelfîe,
nommée la Clé^ ou 1 IJle de la Sonde ^ qui efl la dernière des Sambales (z) à
rOuefl. Depuis l'Anfe du Cap Lorenzo , où il avoit pris terre avec fes
Compagnons, il avoit employé vingt-trois jours, pendant lefquels il n'avoir
pas fait moins de cent dix-miles jufqu'à la Conception; mais la nécellité de
fuivre fouvent les Vallées, pour éviter de hautes Montagnes, leur en avoit
fait faire inutilement trinquante, qu'ils auroient évités, dit-il, s'ils avoient
pu
(3) Nous les nommons Zemilesy & les Efpagnols ^an-^/as , dont Sambales ficZeinblM
font une corruption.
08 LA NùU-
VELLE E'PA-
CM.
52S DESCRIPTION DU MEXIQUE,
fix cens Hommes peut exdciiter cette entreprifo fans la permiflion des In-
diens (a). Il place, dans la Province de Veragua, une Rivière, qu'il ap-
pelle lilcwfield, du nom d'un fameux Avanturier de fa Nation, quidemeu-
roit dans riHc de la Providence^ une des Sambalcs, habitée autrefois par des
Anglois. Cette Rivière, dit-il, a fon embouchure dans une belle Baie fa-
bloneufe. L'entrée en cft profonde ; mais plus loin, elle ne peut recevoir
que des Barques de foixante à foixante & dix tonneaux. On y trouve
beaucoup de Lamantins, ou de Manates, qu'on nomme auflfi Vaches ma-
rines. Bocca Tûro eft une ouverture, ou une anfe, vers dix dégrés dix
minutes de latitude du Nord , entre la dernière Rivière de Veragua &
celle de Chagre. Les Indiens de Bocca Tore font trts barbares & n'ont
aucun Commerce avec les Elpagnols. Leur Côte produit quantité de Va-
nille (^).
Of.xmelin (c)y dont les defcrîptions font ordinairement très fidèles,
par l'intérêt que les Voyageurs de Ion Ordre 'ont toujours eu à connoître
exaélement la fituation des lieux, nous donne aufll quelques lumières fur
la Côte occidentale de Veragua. Il place Bocca Toro à trente lieues de la
Rivière de Chagre, & tout cet efpace eft habité, dit-il, par des Indios
Bravos , ou des Indiens Guerriers ; nom que les Efpagnols donnent à ceux
qu'ils n'ont encore pu réduire. La Baie de Bocca Toro a vingt -cinq ou
trente lieues de circuit, & quantité de petites llles, dont l'une efl: pourvue
d'ex'cellente eau. La Pointe, qu'on nomme Diego, eft arrofée d'une petite
Rivière d'eau douce, où l'on trouve dans le fable , quantité d'œufs de Cro-
codiles , d'auflî bon goût que des œufs d'Oie. Les Indiens du Canton por-
tent encore des ornemens d'or ; ce qui femble prouver qu'il s'en trouve dans
leur Pays, qui s'étend allez loin i & peut-être pourroit-on s'y établir mal-
gré les Elpaj^nols, qui n'y ont pas plus de droit que toute autre-Nation (^).
Le terroir en cft humide, parce qu'il y pleut trois mois de l'année; mais
il ne laifTe pas d'être merveilleufement bon. La terre en eft noire, & pro-
duit de très grands arbres. Bocca del Drago communique avec Bocca Toro.
On eft perfuadé qu'une partie des petites Jfles, qui n'eft éloignée de la terre
que d'environ deux lieues, eft habitée par des Indiens. L'odeur de leurs
fruits, ou de leurs alimens, fe fait fentir à ceux qui s'en approchent. Mais
jamais les Européens n'ont pu faire d'alliance avec eux. Les Flibuftiers
même n'ôfent prendre de l'eau fur leurs Terres ; & ceux , qui l'ont tenté
avec un nombreux Détachement , ont été forcés de fe retirer , après avoir
perdu beaucoup de monde, qu'on leur tuoit à coups de flèches, fans qu'ils
puflent découvrir d'où elles partoient. Ces Indiens courent avec une ex-
trême agilité dans les Bois. Ils mènent une vie errante , depuis que les
EfpagDols ont entrepris de les fubjuguer. Elle eft partagée entre les liîes,
ou
(a) Voyage autour du Monde, Temel.
Cbap. 2.
(i) Ibid. Chap. 3.
(c) Hiftorien des Flibuftiers.
(rf) Le même, Tume II. page 211.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 525
où ils s'exercent a la pêche , & la partie de la Terre-ferme qu'ils occupent ,
où ils paflent le tems à la chafle. Ils font continuellement en guerre avec
le» Indiens fournis; parce qu'ils ne les croient pas moins Ennemis de Jeur
liberté, que les Efpagnols.
En quittant Bocca del Drago, les Avanturiers fuivirent la Cote jufqu'à
eî Portete t qui efl: une petite Baie où l'on eft à l'abri de tous les vents, à
l'exception de celui de l'Oueft. El Portete fignlfie petit Port. Celui-ci fert
aux Efpagnols, lorlqu'ils arrivent avec des Vaifleaux chargés de marchan-
difes de l'Europe à la Rivière de Suere, où ils ont des Habitations, & où
ils plantent du cacao qui pafle pour le meilleur des Indes. De- là leurs mar-
chandifes font portées par terre à Carthago. Ils entretiennent , à l'embou*
chure de cette Rivière, une Garnifon de vingt-cinq ou trente Hommes, avec
un Sergent, & une Vigie qui découvre en Mer. Les Avanturiers ont don-
né le nom de Pointe blanche à la Rivière de Suere. On y trouve des Ba-
nanes en abondance. Nous fortimes de Suere, continue Oexmelin, &
nous paflames devant la Rivière de Porto San- Juan , jju'on nomme le Defa-
guador(e) où nous prîmes quelques Requins. Enfuite nous entrâmes dans
la grande Baie de Bluk/velt, ainfi nommée d'un vieil Avanturier Anglois qui
en faifoit fa retraite. Cette Baie a peu de largeur à fon embouchure , mais
elle eft fort étendue dans l'intérieur, quoiqu'elle ne puilfe recevoir que de
petits Bâtimens , parce qu'elle n'a pas plus de quatorze à quinze pieds d'eau.
LePays qui l'environne eft marécageux & coupé d'un grand nombre de Ri-
vières. Elle contient une petite Ille, qui nourrit d'excellentes Huîtres.
Nous mouillâmes vis-à-vis de cette Ifle, en terre-ferme, près d'une Pointe
qui fait une Peninfule. On n'y trouve point d'eau douce ; mais nous creufâ-
mes des puits , qui nous en donnèrent de très bonne. Nos Chafleurs tuè-
rent une Biche & quelques Faifans. Ils avoient vu quantité de Singes , qui
nous firent naître l'envie d'en manger. Leur chair reflemble à cçlle du
Lièvre; mais elle demande d'être cuite avec beaucoup de fel. La graiffe
en eft jaune & de fort bon goût. La rareté du gibier nous réduifant à vi-
vre de ces Animaux, j'eus la curioftté d'aller à la chafle, fur le récit que
j'entendois faire de l'inftinfl qui les porte à fe défendre. Lorfqu'ils vo-
yoienc approcher lesChaflfeurs, ils fe joignoient en grand nombre, en pouf-
lant des cris épouvantables. Ils jettoient fur leurs Ennemis des branches
feches , qu'ils rompoient avec beaucoup de force. Quelques-uns faifoient
Itur fiente dans leurs pattes & nous la Jettoient à la tête. Je remarquai
qu'ils ne s'abandonnent jamais, & qu'ils fautent de branche en branche avec
une légèreté qui éblouit la vue. Çn n'en voit pas tomber un feul ; s'ils
gliflcnt quelquefois, en s'élanyant d'un arbre à l'autre, ils s'accrochent avec
les pattes ou la queue. Aulîi ne gagne-t'on rien à les blefler. Un coup de
IFufil , qui ne les tue pas fur le champ , n'empêche point qu'ils ne demeu-
rent accrochés à leur branche. Ils y meurent, & n'en tombent que par
pièces. Mais je vis, avec plus d'étonnement, qu'aulîi-tôt qu'on en blef-
foit im, fes voifins s'aflembloient autour de lui, mettoient leurs doigts dans
fa
(«) C'cft l'embouchure du Lac cîc Nicaragua, qui le reflcrrc beaucoup vers la Mer.
Xmi. Part. X X X
Dpscriptio'V
»E LA NOU-
VELLB Espa-
gne.
/^
?)j5ciiifTfftN fa plaie, comme s'ils euflcnt voulu la fonder, & que s'il en
V? ^* E«'" coup de fang ils la tcnoient fermée, pcndimt que d'autres ap|
^'^''''^KE "''* ^"^'' ^<-'i''"*-'' ^li-i'ils machoientun momenc, tS; qu'ils poulToiLi
Nations des
Mofquites,
ou MouIU-
qucs.
530 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
en couloit beau-
apportoicnt quel-
' ;nt Tort adroite-
ment dans l'ouverture. C'cll un fpcdacle que'j'ai eu pluljeurs fois, & qui
m'a toujours caufé de l'aàmiration (/).
On trouvclur toute cette Côte, julqu'à celle de Honduras, une cfpècc
de iîinges qu'on a THjtnnxK^s PareJJiux , parce qu'ils ne quittent point le mcnit
arbre aulîi long tems qu'il y relie une feuille à manger, &. qu'ils mettent
plus d'une heure à l'aire un pas, lorfqu'ils lèvent les pattes pour fe remuer
Leurs cris font fort perçans. Ils ne font dirterens" des autres que par une ex-
trême maigreur, qui rend leur figure hidcufc. Oexmelin juge qu'ils font
fujet:» à quelque mal des jointures, tel que la goutte. 11 en prie plufieurs
qu'il eut foin de bien nourrir, & qUi n'en confervèrent pas moins leur fé-
ciiereile & leur lenteur. Les jeunes ne font pas plus agiles que les vieux.
On les prend aulfi facilement avec les mains, fans qu'ils fe défendent autre-
ment que par des cris (g).
Les Indiens du Pays doivent être fort fauvages, puifque fans avoir reçu
ia moindre oifenfe, ils eurent la perfidie de s'approcher, à la faveur des ar-
bres , & de faire fur les Avanturiers une décharge de Âéches , qui en tua
plufieurs. Après leur retraite, qu'ils firent très légèrement, Oexmelin ob-
ferva la forme de leurs flléches. Non-feulement elles n'avoient aucune poin-
te de fer , ou d'autre métal , mais elles fembioieni faites fans le fecours d'au-
cun inflrument. Elles étoient longues de cinq ou fix pies, de la grolTeur du
doigt, pliantes, & bien arrondies. L'un des bouts écoit armé d'une pierre
à feu , tort aigiie, enchaffée dans le bout même, avec un petit croc de bois
en manière de harpon , & liée d'un fil û fort , qu'elles pouvoient être lan-
cées fans fe rompre contre les corps les plus durs. La pierre caflbit plutôt
que de. quitter le bol». L'autre bout étoit pointu. 11 s'en trouva quelques-
l^nes de bois de palmier, travaillées plus curieufement, & peintes en rouge.
L'un des bouts étoit armé aufli d'une pierre à feu , mais l'autre étoit garni
d'un morceau de bois creux , de la longueur d'un pié , dans lequel étoient
renfermés de petits cailloux ronds, qui faifoient un bruit aflez fonore, au
moindre mouvement qu'on donnoit à la Héche. Oexmelin croit que ces cail-
loux ne fervoient qu'à lui donner du poids ; mais il remarqua aufifi que pour
les empêcher apparemment de faire du bruit, on avoit eu 1 adrefle de mettre
des feuilles d'arbre dans la partie creufe du bois.
Les Avanturiers, remettant à la voile , traverfèrent quantité de petites
Illes, qu'on nomme les Perles ^ & qui forment une efpéce de labyrinthe,
fort agréable à la vue , où Ton trouve des Tortues en grand nombre. Le
lendemain, ils fe trouvèrent devant les Ifles de Carneland; & fans ceiler de
fuivre la Côte, avec un vent favorable, ils arrivèrent en peu de jours au Cap
de Gracias à Dios. De ce Cap au Defaguador, Correal répète plufieurs
fois (h) qu'il y a foixante-dix lieues.
C'est au Cap de Gracias à Dios qu'on trouve une Nation d'Indiens , célè-
bres
(/) ibid.
(g) Ibid.
page 214 & Ciiiv.
( /j ) Voyages de François Correal , pages
8s & 94.
; '
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 531
bres dans les Relations Angloifes fous le nom de Mofquhos (1), & qu'Oex-
melin nomme Moujliques. ils ont toujours léfif^é aux armes des Efpagnols ;
mais ils traitent fans répugnance avec les François & les Anglois. Cette
efpèce d'alliance vient d'un Avanturier François, qui n'ayant pas fait diffi-
culté d'aller à terre & d'offrir quelques prcfcns à ces Indiens, reçut d'eux
des fruits & d'autres provilîons en échange. Enfuite, étant prêt à lever*
l'ancre, il enleva deux Hommes de leur Nation, qu'il traita bien, & qui
apprirent affez facilement la Langui Françoife. Deux ans après , il les re>
conduifit lui-même dans leur Pays, où ils rendirent un fi bon témoignage
des Avanturiers, qu'ils infpirùrent les mêmes fentimens à toute la Nation,
fur-tout lorfqu'ils eurent ajouté que les Avanturieri tuoient les Efpagnols.
Les Mofquites s*emprefl*èrcnt alors de careffer les François, qui leur don-
noient de leur côté des haches, des ferpes, des clous, & d'autres udenciles.
La confiance s'établit mutuellement, jufqu'à vivre dans une étroite familia-
rité. On parvint à s'entendre , par l'ufage commun des deux Langues , &
les Avanturiers demandèrent des Femmes Indiennes, i^ui leur furent accor-
dées. Ils ne partoient plus fans quelques Indiens , ^ui les accompagnoient
volontairement, & qui leur étoient d'une grande utilité, par l'adrefTe ex-
traordinaire qu'ils ont à la pêche {k). Dans la fuite, les François en don<
nèrent quelques-uns aux Anglois, avec lefquels ils étoient liés, dans ces
Mers, par l'intérêt commun de la Piraterie. Ils leur apprirent la manière
dont il falloit les traiter , comme ils aiTurèrent les Indiens qu'ils feroient bien
traités des Anglois. „ Aujourd'hui, fi l'on en croit Oexmelin, ils ne font
„ aucune difficulté de s'embarquer fur les Vaiffeaux de l'une&de l'autre Na-
„ tion. Lorfqu'ils ont fervi trois ou quatre ans , & qu'ils favenf la Langue
5, Françoife ou l'Angloife , ils retournent chez eux , fans demander d'autre
„ recompenfe que des inftrumens de fer, raéprifant l'or & tout ce qui paffe
„ pour précieux en Europe (/)". Dampier, fans remonter jufqu'à la four-
ce de leur liaifon avec les Anglois, prétend „ qu'ils reconnoiflent le Roi
d'Angleterre pour leur Souverain. Ils regardent, dit-il , le Gouverneur
de la Jamaïque comme le plus grand Prince du Monde. Pendant qu'ils
font avec les Anglois , ils portent des habits , & fe font même honneur
de leur propreté; mais ils ne font pas plutôt retournés dans leur Pays ,
que reprenant leurs ufages, ils ont pour toute parure une finvple toile at-
tachée au milieu du corps, qui leur pend jufqu'aux genoux (mi)". Quel-
que
OiiCRirTio:;
Di LA Nou-
velle KirA-
ONe.
( j ) On en' trouve un détail curieux dans
le Voyage de Robert Laie. Dampier en parle
aulH avec aflez d'étendue, Tome I. page 12
^fuivantes; mais il ne leur donne de l'af-
feftion que pour les Anglois. Ils n'aiment
pas tes François, dit- il, & leur haine ed
mortelle pour les Efpagnols.
( fe ) Dampier dit qu'ils ont la vue extraor-
dinairement perçante, qu'ils découvrent un
Vaifleau de beaucoup plus loin que nous , &
qu'ils voient bien mieux toutes fortes d'ob-
jets. Ils font exercés dès l'enfance à fc fer-
vir du harpon pour pêcher. Leur adrefll" cil
fi fingulicre, .que tout nus qu'ils font, ils
prennent plaifir à fcrvir de but aux flèches
qu'on peut leur tirer. Pourvu qu'on n'en
tire qu'une à la fois , ils font fùrs do parer
ie coup , avec une petite verge , aullî dé-
liée que la baguette d'un fufil. Ils font
grands , bien faits , agiles & vigoureux. Ils
ont le vifage long , les cheveux noirs &
luilans, l'air rude , 6c le teint bafanné,
ubi J'uprà.
(/) Oexmelin, ubi J'uprà, pages 231 6c
précédentes.
(7») Dampier, page 15, vbi fnprà.
»
■'■ \
532
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
DU. LA
VELLE
CM£.
Descrtptton que parti qu'on prenne entre Oexmelin &Dampier, qui exerçoient à-peu-
"" ' * ^ou- pj^j çj^„3 ig méme-tems la profelfion d'Avanturiers, il paroît, par des Re-
^'^' lations plus récentes, que l'afFedlion & les fervices des Mofquites font au-
jourd'hui déclarés pour les Anglois. • .<
Oexmelin ajoute que le Gouvernement de cette Nation cfl abrolument
•Républiquain. Elle ne reconnoît aucune forte d'aiicoritt. Dans les guer-'
res qu'elle a fouvent contre d'autres Indiens , & qui nuifent beaucoup à fa
multiplication, elle clioifit pour Commandant le plus brave & le plus ex-
périmenté de les Guerriers , celui, par exemple, qui ayant fervi ionj];-tems
fous lesAvanturiers eft revenu avec des témoignages de prudence &de va-
leur. Après le combat, Ton pouvoir celfe. Le Pays que les Marquites oc-
cupent n'a pas plus de quarante ou cinquante lieues d'étendue, & la Nation
n'etl compofée que d'environ quinze cens Hommes, qui forment comme
deux Colonies; l'une, qui habite le Cap; l'autre, établie dans le Canton
qui le nomme proprement Moufquite ou Moujîique. Mais dans les deux Ha-
bitations, il y a beaucoup de Nègres, libres ou efclaves, dont la race eft
venue de Guinée par une avanture extraordinaire. Un Capitaine Portu-
gais, qui apportoit de Guinée des Nègres au Brefil, les obferva fi mal,
qu'ils fe rendirent maîtres du Vaiffeau. Ils jettérent leurs Condufteurs
dans les liots. Mais, ignorant la Navigation , ils fe laifierent condui-
re par le vent, qui les porta au Cap de Gracias à. Dios, où ils tombè-
rent entre les mains des Mofquites. Ils ne purent éviter l'efclavage;
mais ils fe crurent plus heureux que dans le fort dont ils s'étoient déli-
vrés. On en compte encore pli^s de deux cens, qui parlent la langue du
Pays, & qui mènent une vie aflez douce,, fans autre affujétilTement que
d'aider leurs Maîtres à la. péche^ & de partager les travaux communs de
la Nation (m)»
. Dampier avoue, comme Oexmelin, que les Mofquites n'ont aucun prin-
cipe de Religion. Cependant on a découvert que leurs Ancêtres avoient
des Dieux & des Sacrifices. Ils donnoient, tous les ans, à leurs Prêtres,
un Efclave qui repréfentoit leur principale Divinité. Après l'avoir lavé
avec beaucoup de foin , on le revétoit des habits & des ornemens de l'Ido-
le. On lui impofoit le même nom. Il recevoit, pendant toute l'année, le
même culte & les mêmes honneurs. UneGarde de douze Hommes veilloit
fans cefle autour de lui, autant pour l'empêcher de fuir, que pour fournir
à fes befoins , & lui rendre un hommage continuel. Il occupoit le plus ho.
notable appartement du Temple. Les principaux Mofquites l'y fervoient
régulièrement. S'il lui prenoit envie d'en fortir, il étoit accompagné d'un
grand nombre de Courtifans ou d'Adorateurs. On lui mettoit entre les
mains une petite flutte, qu'il touchoit par intervalles , pour avertir le Peu-
ple de fon paflage. Ace fon, les Femmes fortoient, avec leurs Enfans
dans les bras, & les lui préfentoient pour les bénir. Tous les Habitans
du Bourg marchoient fur ^es traces. Mais on lui faifoit pafTer la nuit
dans une étroite prifon , à laquelle on donnoit le nom deSanéluaire, &
dont la fituation répondoit de fa perfonne autant que la vigilance de fes
Gardes,
(n) Oexmelin, ubi fuprà, page 243., > .;.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 53^3
Gardes. Ces foins & ces adorations duroient jufqu'au jour de la Fête.
On le facrifioit alors , dans une Aflemblée générale des deux parties de la
Nation (0). ■ ' "•
Une autre bifarrerie de la Religion de leurs Ancêtres , qui ne paroiflbit
point abolie depuis longtems , écoit d'enterrer avec chaque Père de Fa-
miUc, non - feulement les Efclaves, mais fon Prêtre, & tous ceux qu'il
avoit entretenus dans fa maifon en qualité de Domeffciques. Oexmelin ra-
conte qu'un Portugais, devenu i Efclave de ces Barbares, après avoir per-
du un œil dans le combat, eut le malheur de furvivre à fon Maître, &
d'être nommé pour l'accompagner au tombeau. 11 touchoit au moment
d'être égorgé , lorfqu'il lui vint à l'efprit de repréfenter qde le Mort feroit
peu conlidcré dans l'autre Monde, s'il y paroiiFoit avec un Borgne à fa fui-
te.. Le» Indiens goûtèrent cette raiibn, & firent choix d'une autre Vifilime.
Un de leurs ufages, qui n'tll pas moins fmgulier, eft celui qui regarde les
Femmes veuves. Après avoir enterré leurs Maris, & leur avoir porté,
furlafoffe, à boire & à manger, pendant quinze Lunes, elles font obli-
gées à la fin de ce terme , c^'cxhumer leurs os, de les laver foigneuferaent,
& de les lier enfemble , pour les porter fur leur dos aufli long-tems qu'ils
ont été en terre. Enfuice elles les placent au fommet de bur cabane, fi el-
les en ont une, ou fur celle de leur plus proche Parent. Elles n'ont la li-
berté de prendre un autre Mari, quaprès s'être acquittées de ce devoir (p)»
Tous ces Indiens ont fi peu de goût pour ce que nous appelions les Richef-
fes, que ceux qui accompagnèrent les Avanturiers au pillage de Panama,
leur apportoient l'or & l'argent qu'ils pou voient découvrir, & refulbient
même de prendre des habits & des étofftîs, par la feule raifon qu'ils n'en
avoient pas befoin dans leur Pays , où l'air ne leur paroiflbit point in-
commode. Ils ne recherchent que ce qui eft abfolument nécellaire à la
vie (q).
Du côté de la Mer du Sud , WafFer raconte qu'étant parti de Panama le
10 de Mai 1678, pour fe rendre à Nicoya, il fut obligé de jetter l'ancre à
l'embouchure d'une Rivière qu'il nomme Manglares , dans la Pi Dvince de
Veragua, & qui defcend de Chïrïqui^ haute Montagne, fameur-. par ,'es
Mines d'or. • 11 y prit des provifions , qui s'y trouvent en abondance , tel-
les que des Veaux, des Porcs, de la Volaille, du Maïz & des Fruits. En
remettant à la voile, il fut battu d'une tempête, qui ne Tempécha point
d'arriver à la Pointe du Cap de Borka , oi\ le calme le retint vingt - deux
jours. Avec un meilleur tems ; il n'auroit eu befoin que de quatre jours
pour arriver à la Caldera; mais ayant été forcé de retourner à l'embouchu-
re du Fleuve de Chiriqui, il revint par la Pointe de Borica jufqu'à la vue
de rifle deï Canno, ou du Chien ^ d'où fes Matelots l'aflurèrent qu'il ne reftoit
que deux jours jufqu'à la Caldera. Cependant un nouvel orage l'ayant re-
pouffé encore à Chiriqui, il revint, pour la troifième fois, vers Borica,
après avoir déjà compté 81 jours dans une navigation qui n'en prend pas
or.-
Deicription
DE LA Nou-
velle Esi'A-
GME.
(0) Ibid. page 24.2.
(p) Oexmelin, iibi J'uprà, page 240 &
précédentes.
(?) Ibid. page 245.
Xxx 3
DescP.irTTON
ne LA Nou
VELLB Ef PA-
ON iù
534 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
ordii^airement pius de huit ou neuf. Le vent devenoit quelquefois favora-
ble; mais par la force des courans contraires, on reculoit prefqu'autant la
nuit qu'on avoic avancé du matin au foir. Doflze jours fe palTérent enco-
re , & les pro vidons commençoient à manquer. Il n'étoit plus tems de re-
tourner à Chiriqui. La néceffité devint fi preffante , qu'elle mérite d'être
repréfentée (;) , comme un exemple fîngulier des Avantures de Mer, à la
vue des Côtes , & dans un trajet fi cyurt. Cependant un Vaifleau Mexi-
quain, qu'on découvrit fort heureufement , & qui étoit chargé de vivres ,
arrêta les derniers effets du derefpoir. On relâcha dans l'ifle del Canno , qui
efl; devant la Pointe de la Caldera , & que Waffer nomme une Ifle délicieu-
fe, par la fraîcheur de Tes eaux & de Ton ombrage. Le lendemain j ayant
remis à la voile , il fe trouva vers le foir à la vue du Port qu'il cherchoit ;
mais la joie qu'il en reflentit lui coûta cher. Il fît préfent , à Tes Matelo.ts ,
de ce qui lui refloit de vin. Dans le trouble de l'ivrefle, les ordres furent
mal donnés & mal entendus^ Le Pilote cria, Nord-Ouejl; le Timonier en-
tendit Nord-Nord-Ouefi y & porta vers la Côte, au lieu de gouverner vers le
Port. L'effet de cette fatale méprife fut de donner contre un écueil , qui
mit la Frégate en pièces. Ne dérobons point au Leéleiir la peinture d'un
naufrage. „ Tout le monde , raconte Waffer , étoit plongé dans un pro-
., fond fommeil. Cependant je fus éveillé par le bruit des vagues, qui fe
„ brifoient impétueufement contre les Rochers de la Côte; & je m'écriai;
„ Qu'e/l'Ce donc ^ Seigneur Pilote y Entrons • nous déjà dans le Fort? A cet
„ avis, répété deux ou trois fois, le Pilote fortit de fa léthargie, ouvrir
,, les yeux pour s'éclaircir, & vit avec épouvante un Roc , que robfcurité
„ d'une haute Montagne, couverte d'arbres , n'avoit pas permis de recon-
„ noîcre. Il cria , Tourne en arrière, mais il étoit trop tard; & la Fréga-
„ te , pouffée avec une égale violence par le vent & la marée, heurta fi
„ furieufement , qu'elle s ouvrit de toutes parts. Une Montagne d'eau , qui
„ venoit de fc brifer contre le Roc, fe releva dans fon retour, entra dans
„ la chambre de pouppe, & l'inonda prefqu'entiérement. Aulîitôt les la-
„ mentations fe firent entendre. La confufion & les téné])res augmenté-
„ r;;iit l'cirroi. Chacun fe crut au dernier moment de fa vie; & pejrfonne
ne
(f) „ II ne leftoit qu'un peu de Maïz,
dans l'auge uux Porcs , que ces vilains
Aniinaux avoient remplie de fiente. Ce
défagvéablc mets fut partagé entre nous ,
à portions égales. Enfuite il fallut faire
ufte capilotade des membres coriaces d'un
vieux Barbet, qui avoit fait jufques-Ià mes
délices. Le jour fuivant , on prépara un
nouveau fcflin d'un cuir de Taureau, qui
avoit fervi de coucher à mon Chien ,
& qui par fa mort étoit. devenu un meu-
ble inutile. On le fit bouillir long -teins
à gios bouillons, jufqu'à ce qu'il fut
converti en colle noirâtre. Mais loin d'en
être dégoûtés , nôtre faim étoit devenue fi
dévorante, qu'il fut mangé comme la plus
dclicieufe gelée. Ce même jour, uu Wa-
telot Jifégre qui avoit tenu cachés juf-
qu alors deux de ces fruits qu'on nomme
Plantains , en mangea Un , pelure , coque
& tout. 11 vint fccrétemcnt me préfenter
l'autre, me priant de lui en donner feu-
lement la coque; & fi-tôt qu'il l'eut, il la
dévora fort avidement , dans la craiuta
que quelqu'un ne la lui vînt arracher. 11
„ cft certain que fi nous avions pu aborder
„ à quelque terre peuplée de Sauvages In-
,, diens , qui font fur cette Côte irréconci-
,. liables Ennemis des Efpagnols, nous y fc-
,, rions defcendus à toutes fortes de rifques,
„ pour nous délivrer de cette cruelle extre-
,, mité". Foyages de Liow.id l'/affcr^ pa^^;
271 & précédentes.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 535
ne pouvoit s'imaginer par quel étrange revers il fe voyoit englouti dans Deschiptios
les flots , lorfqu'il avoit cru toucher au Port. Les uns s'abandonnoient "" ■•* ^°^'
au derefpoir; d'autres, à genoux & les mains jointes, imploroient la mi- ^"''^one. "^^
feficorde du Ciel; d'autres confeflbient à haute voix leurs péchés les plus
fecrets. Pour moi , qui n'étois pas mieu:^ informé de la caufe du mal ,
je coqfervai lé fang froid que j'ai le bonheur de ne jamais perdre; &nous
voyant prêts à périr, faute du fecoursqui pouvoit nous fauver, j'encou- .
rageai mes malheureux Compagnons à donner toutes leurs forces au tra-
vail. Je leur perfuadai d'abord de couper les mâts, & de nous faifir de
toutes les planches & les poutres qui pouvoient nous foutenir fur l'eau.
Enfuite, je fis jetter dans la Mer tout ce qui pouvoit fubmerger le Vaif-
feau par fa péfanteur. Cette reflburce , avec celle des pompes , retarda
le naufrage jufqu'à l'arrivée du jour. Mais le plus utile de mes confeils
fut de prendre, deux à deux, une longue corde, que j'exhortai chacun
à tenir par un bout. Cet expédient fauva la vie au plus grand nombre.
Lorfque la Frégate eut coulé à fond , malgré le fecours des pompes , tout
le monde étant forcé de fe jetter à la nage fur les planches dont on avoit
pu fe faifir, le premier qui abordoit au rivage tiroit après lui fon AfiTocié,.
qui tenoit l'autre bout de la corde, & qui étoit quelquefois prêt à fe no-
„ yer. Nous échapâmes au plus redoutable de tous les dangers, à l'excep-
„ tion de cinq ou fix Malheureux, qui périrent moins dans l'eau, qu'en
donnant de la tête contre les écueils, & contre les débris mêmes duNa-
„vire(0".
Waffer ne fut point abbatu de fa difgrace. Il eut le bonheur de re-
cueillir une partie de ce qu'il avoit jette dan? les flots ; & le corps même
du Bâtiment ayant été tiré fur le fable, il le fit brûler, pour en fauver tout
le fer. On a déjà remarqué que le récit , qu'il fait de fa marche jufqu'à Ef-
parza , a fait peu connoïtre un Pays défert qu'il traverfa pendant plufieurs
jours, fans rencontrer une feule Place qu'il ait pu nommer. Mais comme
on n'a repréfenté fa navigation & fon naufrage, ^e pour fe donner l'occa-
fion de reprendre les difl:ances de la Côte, il fumt de l'avoir conduit, le
long des deux Provinces de Veragua & de Cofta ricca, jufqu'au Golfe des
Salines, où Ton s'eft arrêté avec Cooke & Woodes Rogers (f ).
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{s) Lionnel Waffer , pages 282 & précé-
dentes.
{t) Du Cap Blanc à celui de Herradura ,
on compte dix-huit lieues , Nord-Oueft&
Svid-Efl:. Le Golfe des Salines, dans lequel
cft la Baie de Nicoya , & dont la partie 4u
Sud-Eft fe nomme Caldera , efl; entre ces
deux Caps ; mais ce Golfe n'eft pas décrit.
Du Cap Herradura à Rio de la Stella , onze
lieues Nord-Oueft & Sud- Ed. & d'ici h Rio
del Canno , huit lieues en fuivant la môme
route. De la Pointe Mala à Golfo doke ou
Baie d'eau douce , fept lieues & même route.
Du Cap Blanc à l'Ifle delCannp , trente -huit
lieues Sud-Eft & Nord-i)ueft. Cette lOe-
n'cff qu'à une lieue du Continent , fous le
huitième degré trente-cinq minutes de latitu-
de du Nord.
Cooke marque 15 lieues, Nord-Nord-Oucfl:
& Sud-Sud-Eft, d'Herradura à l'Ifle àcCbira
qu'on a déjà nommée, & place à moitié che-
min , fur la Côte, une Ville Efpagnole qu'il
appelle Landecbo, où les Befl:iaux font en
abondance. La Côte efl bafle , avec quanti-
té d'anfes bordées de mangles , jufqu'à la
Rivière de Cipanfo, qui efl: deux lieues au-
delà de Chira; ou les Vaiffeaux , dit-il, vont
prendre les chargemens qu'on y apporte de
Nicoya; ce qui s'accorde avec la Relation
de Gage. Cette Ifle efl habitée par des In-
diens
JDebcription
DB LA Nou-
velle Efv\'
UNE.
536 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Raveneau de LuJJan , Flibuftier François , dont la Relation compofe le
troifième Tome de l'Hiftoire de ces Avanturiers (t>), décrit plufieurs Pla-
ces delà même Côte, mais avec aulTi peu d'ordre, qu'il en mettoit dans
Ces courfes. On doit regretter qu'en traverfant la Terre- ferme pour palTer
de la Mer du Sud dans celle du. Nord , il n'ait pas nommé d'autres lieux que
Segovie la Neuve , une des Villes de Nicaragua que nous avons lailTées fans
defcription. 11 avoit pris terre au Golfe d'Amapalla (a;), d'où il rie comp-
te pas moins de quarante lieues jufqu'à cette Ville. La route de deux cens
quatre-vingts Hommes au travers d'un Pays qu'ils ne connoiflbient point, &
fans ceiïe à la vue des Efpagnols, qui ne leur lailToient pas un moment de
repos, paruîcroit incroyable dans le récit de Luflan, s'il n'étoit vérifié par
d'autres témoignages. Ils employèrent près dé deux mois & demi à fe ren-
dre auC^p de Gracias à Dios, qui fépare la Province de Nicaragua de cel-
le de Honduras ; fur quoi Luiïan obferve qu'ayant prefque toujours marché
au Sud Eft, ils avoicnt fait plus de trois cens lieues, fuivant leur eftime,
quoiqu'en droite route les Efpagnols n'en mettent qu'environ quatre-vingts
de ce Cap, ou de l'embouchure de fa Rivière, à la Mer du Sud. Mais il y
a peu d'utilité à tirer de fcs Obfervations , dans des lieux dont il ignoroic
les
(.liens & ne manque point d'eau ni de provi-
sions. Elle a, fort près, à l'Ell, uac autre
illc, balXc & ronde, 6c au Nord-Efl, un Banc
de Ihblc couvert d'eau A huit lieues de i'Iflo
de Chira elt- celle dt: Scint-Luc ; & dans l'in-
tervalle on rencontre trois autres Iflesqui fe
nonimtnt IJlas eu medio , environnées de bas
f jivJs. Proche de la plus avancée de ces
trois lùacû cdlciic Gtiayavas. J^'Ifle Saint-
Luc forme un Port, (-ù l'on charge des Mu-
lets & d'autres iviarchandifes pour Panama. 11
fe nomme Foro , avec un Bourg Indien à une
dciKi-licue de J'Ifle
Dj ruie del Canno à la Pointe de Borica.
qui cil fous' le liiiitième degré vingt minutes,
i! faut courir Nord -Oucll- quart- au -Nord &
Sud ■ Eil-quait-au-Sud. De écttu Pointe au
Goîfo dolce, on compte quatre lieues, Nord
Ouefl&Sud-Ell, & d'ici à la PoiiUe IVIala
fix lieues, dans la même dircdion. t)e la
Foirte de Bnrica, oii commence une ^ure
Baie., il y a (ix lieues jufqu'aux Iflcs deChiri-
'H i. Du cùié Nord de cette Pointe on trouve
un Port où 1 on peut mouiller & faire de l'eau.
Au Nord-Ouc'l de la même Pointe, après
avoir pafl'é quelques Rochers, on découvre
.in autre Port, qui fe nomme Port des Li-
mons. Enfin, deux lieues à l'Oueftde la Poin-
te de Borica , près d'un petit Bois de man-
gles blancs, on trouve un tioifième Port,
où les Mariniers s'occupent à ramafler des
noix de coc.:, lorfqu'ils font arrêtés par le
vent. Les liles de Chiriqui , au nombre de
ne'.;f, font rangées trois à trois, prefqu'à
mûme diftance cntr'elles, mais fort petites:
& la dixième, qui peut avoir une lieue de
tour, eft plus proche de la Côte, vis-à-vis
de l'embouchure d'une Rivière de inûme
nom, fur laquelle eft une Bourgade Efpa-
gno!e,quife nomme aiUR Chiriqui . oxiChe-
riquc. On peut entrer, dans cette Rivière,
des deux côtés de I Ille. Toutes les Iflcs de
Chiriqui ont de l'eau douce & des noix de
coco. On rencontre , plus loin à l'Eft , quatre
petites Iflcîs , qui fe nomment Seccas, ou
IJÎes fecbes , 6c au Nord-Efi: trois ou quatre
autres qu'on apnolle Contreras. De Chiri-
qui aux Secas, on compte quatre lieues , &
une lieue des Secas aux Contreras ; quatre
enfuite d..s Secas à Pueblo Niievo , qui eft
un Bourg EÇn^nol avec une Ifle & une Ri-
vière Pueblo Nuevo eft à fept dégrés vingt-
deux miv.utcii du Nord. De -là jufqu'à iïa}'a
Honda, fept lieues. A deux lieues de cet-
te lîaic , an Sud, eft une Ifle qui fe nomiiic
Cinahs. On rencontre enfuite les Iflcs do
Copa ou Ojiilo \ers fept dégrés trente mi-
nutes. Il îî"')' a que vingt lieues Sud-Eft, de
la Pointe de Borica aux Iftes de Quibo II
faut courir dans cette direftion jufqu'à ce
qu'on découvre celle deOuicara, qui eft ;ui
Sud de toutes les autres. De l'Ifle de Qnica-
ra jufqu'à la Pointe Manafo, il ne refte que
dix lieues. Supplément de Woodcs Rogers , pa-
ges 1 4. & 15. Foyages d'Edouard Cooke , To.ne
H. pages 264 & fuiv.
(■y) Hiftoire des Avanturiers Flibufticr.s
en Anglols ,■ par Ocxinelin, & publiée ci.
François en 1744. à Trévoux, 4. vol. J//-12.
(x) A 12 dégrits 20 minutes du Nord.
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au DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 537
les noms. A l'égard de Ségovie, que les Géographes placent à treize dé-
grés vingt «cinq minutes de latitude du Nord, <& deux cens quatre-vingt-
treize de longitude, fur la Rivière d'/^yar^, „ elleeftaffife, dit -il, dans
„ un fond , & comme prifonniére au milieu des Montagnes qui l'environ-
„ nent. Les Eglifes y font mal bâties : mais fa Place d'armes eu, fort bel-
le, aufTi bien que les Maifons delà Ville. On compte, de-là, qoaran-
te lieues jufqu'à la Mer du Sud. Le chemin, du lieu d'où il étoit parti ,
efl d'une extrême difficulté. On n'y trouve que des Montagnes d'une
prodigieufe hauteur, fur le fommet defquelles il faut monter fans cefTe,
avec beaucoup de danger; & les Vallées y ont (Ipeu d'étendue, que
pour une lieue en Pays plat , on en a fix à monter ou à defcendre. Le
froid y ed piquant, & le brouillard ordinairement (1 épais , pendant la
„ nuit, qu'à l'arrivée du jour les Avanturiers ne fe connoifToient qu'à la
„ voix. Il y a vingt lieues de Ségovie jufqu'à la Rivière qui defcend à peu
„ de diftance du Cap de Gracias a Dios (y)".
Luss«.N décrit la Caldera , dont Rogers 6c Cooke fe plaignent de n'avoir
pas trouvé la defcription dans leurs Mémoires Efpagnols ; mais il femble
donner ce nom à tout le Golfe , que d'autres nomment SalinaSj & dont ils
prétendent que la Caldera n'efl qu'une partie. C'eft une Baie, dit -il , qui
porte le nom de flx MagaHns , qui font à la diftance d'environ trois lieues
de fa Bouque , & fur le bord de X Embarcaàore <ÏEfparfa , Ville qu'on a vue
décrite par WafFer (z), & qui n'en eft auffi qu'à trois lieues. „ Cette
Baie, où Nicoya eft litué au Nord-Eft , & que cette raifon a fait nom-
mer Baie de Nicoya par quelques Géographes , eft un des plus beaux Ports
du Monde. Son entrée eft pourtant fort large; mais en récompenfe, elle
a pour le moins douze lieues de profondeur , & elle renferme quantité
d'Ifles,*de différentes grandeurs. Il n'y a, de tous les vents, que celui
de l'Eft qui puiiTe y nuire aux Vaifleaux. Le fond de la Baie eft ouvert
par de très belles Rivières qui s'y déchargent , & qui conduifent à des
i. Sucreries, dont ce Pays eft rempli. On peut choifir les mouillages, fui-
vant la longueur des cables ; c'eft- à- dire depuis dix braftes, en augmen-
tant par cinq, juft[u'à cent. Les fîx Magafins de la Caldera ont été bâtis
par les Habitans de Carthago (a), pour le Commerce qu'ils entretien-
nent avec le Pérou. On trouve , dans la même Baie , une grofle Banane'
rie'*; c'eft le nom que Luflan donne à un beau Plant d'arbres à fruits,
fur- tout de Bananiers, qui offrent des rafraîchiflemens continuels aux Vaif-
feaux (b). Il fait aulîî la defcription de quelques Villes & Bourgades de la
même Côte,
Chirâquia eft une petite Ville, aflîfe dans une Plaine , dont la vue n'eft
bornée que par de petits Bois fort agréables , & qui eft coupée en divers
endroits par différentes Rivières. Elle n'a point d'autre Commerce que ce-
- . lui
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SI
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M
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J»
J»
DBScumoir
DE LA Nou-
velle ESPA*
(y) Ibid. Tome III. page 305.
(2) WaiFer la nomme Efparza; mais fui-
vant fon récit elle doit être beaucoup plui
loin de la Mer ; à moins qu'il n'eût marché
plufieurs jours fur les bords du Golfe.
A>7//. Fart,
(a) L'Auteur, ou le Traduéleur, mettent
toujours Cartbagene, qu'ils confondent ain(i
fort mal-à-propos avec Cartbago, Capitale da
Cofta-ricca. ; :. : , - .
( i ) Ibid. page 96. •■ r^^l iw^l A ; i ;
Yyy
pffciirrioir
BI LA N0U>
TU.I.B EtfA-
«MU
538 DESCRIPTION DU ME XI Q U«,
lui du fuif & des cuiri. Son Port efl dans une aflez grande Rivière (c),
qu'il faut remonter près d'une lieue pour y arriver, & qui n'a qu'une Pafle
à Ton embouchure. Les Erpagnols mêmes n'y ofent entrer fans une Balife.
De ce Port il relie encore trois lieues jufqu'à la Ville, mais le chemin eft
d'une fingulière beauté. A Jeux lieues de fa Rivière^ oa rencontre une
petite Ifle nommée San • Pgeîro.
LussAN confirme (</) qu'Efparfa n'efl: qu'à trois lieues de la Mer, 6i
que le chemin e(t rempli de petites Montagnes , d'où Ton découvre néan-
moins un très beau Pays. La Ville eil bâtie fur uneéminence, qui fait ap-
percevoir tout ce qui fe pafTe dans la Baie. Elle efl environnée d'une petite
Rivière, qui en fait exaftement le tour; & du côté de Carthago on ren-
contre de très belles Plaines , coupées par des chemins Royaux , qui ne le
cèdent point à ceux de l'Europe.
San LoRENza efl une Ville , à la didance d'une lieue & demie de la Mer,
proche du Cap ou de la Pointe du même nom (« ). Elle efl habitée par des
Efpagnols & des Indiens. On la prendroit pour Chiriquita, tant il y a dé
reflemblance entre ces deux Places, foit par leur fituation, foit pour le
cours des Rivières dont elles font environnées. Le Pays efl fort décou-"
vert.
Four aller à Pmblo Nuev^^ il faut monter deux lieues dans une fort belle
Rivière. Cette Ville, ou cette Bourgade, n'efl pas des mieux fîtuées,
quoiqu'afTife fur le bord de la Rivière. Elle efl environnée de marécages.
On trouve fur le chemin un retranchement pour fa fureté , mais peu capa-
ble d'une longue défenfe (/). ? j ; '«^"^1* ^ %
BoccA del Tora ât Cofia-rieca^ efl une grande Baie, à dix lieues de la
Pointe de Borica (g). La largeur de fon embouchure efl de (juatre ou cinq
^eues d'une Pointe à l'autre , oc fa profondeur d'environ huit lieues. Il y
9 du péril à ranger à TEfl; mais on y trouve par -tout un bon mouillage;
& dans le fond de la Baie on peut jetter l'ancre fort près de terre. Quatre
liles y qu'elle contient dans fon enceinte , aifez proche du rivage de l'Eft-
Nord Efl , font environnées de Roches qui en rendent l'accès difficile. Plu-
fîeurs belles Rivières fe déchargent dans la Baie, & conduifent, en lés re-
montant , à diverfes Habitations d'Indiens qui n'ont pas reçu le joug des
Efpagnols; ce qui n'empècbe point que les Caravanes de Carthago ne pren-
nent cette route pour fe rendre à Panama, mais bien efcortées, & par un
chemin qui paiTe à flx lieues du bord de la Mer (&). .^"v - > : '
On compte vingt- fept lieues d'Elfparfa à Carthago (ly.
LussAN fait obferver que depuis Realejo jufqu'au Golfe de Panama, on
pafTe devant quantité de petits Ports , dont if faut avoir une parfaite con-
BoifFance pour les trouver. La Bouque, dit -il, en efl fi cachée, quelorf-
qu'on les manque , il efl abfolument impofTible de mettre à terre te long de
^ Côte. Non>feulement la Mer y efl toujours émue; mais aux moindres
vents
.( c ) A luiit dégrés trente- fept minutes du
Nord.!
(d) Ibii. page 1x4.
{ff) Â huit degrés dix mtoutes duNoxdt
Itrx 'i
(/) Ibii. page 70.
( £■) A fept dégrés vingt- deux minut«e.
(*) Ibid. page 190.
(») Ibii. pi«eao3. • '''-
ï
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL ^3^1
rents de Sud-Ed & de Sud - Oued , elle y e(l affreufe. II compte de l'Ide
de Quebo , où les Avanturiers avoienc choifi' leur retraite , quatre • vingts
lieues jufqu'à Panama , dix à Pueblo Nuevo, & cinq jufqu'à la Côte.
Entre les Ifles qui bordent la Côte de la Mer du Sud, depuis le Cap
Blanc jufqu'au Golfe de Panama, Dampier fait une curieufe defcription de
celles deOuibo. La Côte , dit il, s'étend à rOueft, depuis le Golfe juf*
u'à ces liies. Elle efl en partie montueufe , en partie bafle , & couverte
e bois fort épais. Mais, quelques lieues plus loin dans les Terres, la Cam-
pagne n'efl compofée que de pâturages , bien pourvus de Beftiaux. Cette
Côte ed médiocrement habitée. Les Efpagnols peuvent aller par terre de
Panama par tout le Mexique , ou n'y trouvent pas d'autre obflîacle , que la
barbarie de quelques Nations Indiennes du Veragua , qu'ils n'ont point en-
core fubjuguées: mais vers la Côte du Pérou, ils ne fauroient aller plus loin
que la Rivière de Chepo , parce que le Pays ed couvert de Bois fi épais, &
traverfé par tant de grofles Rivières , fans parler des petites & de plufieurt-
Bras de Mer , que les Indiens mêmes qui l'habitent ne peuvent y pénétrer
fans beaucoup de peine.
La principale des Ifles qui portent le nom de Quibo ed à fept degrés
quatorze minutes de latitude du Nord. Sa longueur eî[ de flx ou fept lieues,
fur trois ou quatre de large. Ses terres font baiTes , à l'exception de celles
qui font l'extrémité Nord Ed. On y trouve plufieurs fortes de grands ar-
bres , de l'eau excellente , à l'Ed & au Nord-Ed , quelques Bêtes fauves ,
& quantité de gros Singes noirs , dont la chair ed un fort bon aliment.
On y rencontre aufll des Guanas & d'autres Serpens. Le Sud - Ed de la
Pointe de l'Ifle a fes dangers par un Banc de fable , qui s'étend d'une de-
mi-lieue en Mer, & par un Rocher éloigné d'un mile de la Côte, une lieue
au Nord-Ed de ce Banc. Si l'on excepte ces deux Ecueils , on peut mouil-
ler autour de l'Ifle , à (5, 8, 10, ou 12 brades d'eau, fur un fable clair & de
bonne tenue.
On découvre plufieurs autres Ifles, les unes au Sud -Oued, les autres au
Nord & au Nord-Oued de celle-ci, telle que Quicaro, qui en ed une aflez
grande au Sud -Oued. Au Nord de la première, on trouve celle de Rati'
chenUf qui ed couverte d'une efpéce d'arbres , qu'on nomme Pû/wia Maria,
Cet arbre ed droit & d'une grande hauteur. La reflemblance des noms
n'empêche point qu'il ne foit fort différent du Palmier. Il ed edimé pour
les mâts. Ses veines , au lieu d'aller droit comme celles des autres arbres ,
circulent autour du tronc. Les Cannales & ks Camarras font d'autres peti-
tes Ifles au Nord-Ed de Rancheria , toutes féparees par des canaux où l'on
peut mouiller. Elles font toutes comprifes fous le nom général d' Ifles de
Quibo {k). ' ri'-'U 'S<.
Il ne rede, pour achever ce tableau de la Nouvelle Efpagne, que d'y
joindre quelques traits de Lionnel WafFer , qui ne fe trouvent dans aucune
autre Relation. Il aflure que cette vade Région contient plus de quarante
mille Eglifes, quatre-vingt-cinq Villes confidérables, cinquante huit peti-
•• ' • -- -^ -■ -""•''• ■' "ii^ V -■- ■■'■•"■ ■' -"■ •■-"•'-■ . teg^
(fc) Voyage de Dampier autow da Monde , Tome L Cbap, •, ;.>; -^ ' • /
Y y y a
Dnatmrum
Di! LA Nou-
velle EtrA-
otrk.
Idée gënéra-
le de la Nou-
velle Efpa-
gne.
Dueurtioir
DE LA NOU-
TKU.K ESPA-
540 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
tes, & un nombre infini de Bourgs & de Villages. Aux trois Audiencei
qui forment fon Gouvernement, il ajoute celles de l'ille Efpagnole & des
Philippines , auxquelles il prétend que le Viceroi peut nommer provifion-
nellement des Gouverneurs & d'autres Officiers, lorfcjue ces Places devien*
nent vacantes par la mort de ceux qui les pofledent. Indépendamment de
cette prérogative, il compte centtrente- cinq Villes (/), où ce Dépofitai-
re de l'autorité fuprême établit des Chefs Civils & Militaires par fon pro-
f)re choix & fans la participation de la Cour. Il en no mme quatorze, dans
efquelles il comprend à la vérité Manille, Saint Domingue, la Havane &
Fortonc, «où il met des Tréforeries royales. Les autres font Mexico,
Guaxaca, VeraCruz, Merida, Guadaiacara, Guatimala, Chiapa, Duran-
go, San Luis, Zacatecas & Tafco. Les Tréforiers généraux de ces qua-
torze Villes ont chacun leur Jurifdiélion , qui s'étend fur un grand nombre
de Tréforiers fubalternes. C e(l par cette voie que les 1 nbuts , les Im<
pots & les autres Droits de la Couronne font raiTemblés , tous les ans , pour
attendre l'arrivée de la Flotte qui les tranfporte en Efpagne. Tout ce qui
concerne d'ailleurs TAdminidration , le Commerce, la Religion & les Ufa*
ges , efl: renvoyé aux Articles qu'on va donner fuccelTivement fous ces
titres.
(/) On ne peut fe dirpenfer de les nom-
mer, parce qu'une partie ne fe trouve point
dans les autres Voyageurs & n'a point paru
dans la Defcription. St. Ildefonre, Xigoyan,
Mexapa, TIapa, Terules, los Angeles, Me-
choacan , San Luis, Tafco, Xiquiipar la
grande, Chilchota, Talnfltaro, Pintzardaro,
Colima, Sayula, Chametla, Motinez, Amu-
la , Zamora , Xacona , Aguaria , Miaguat-
lan, Tinguindin,Salaya, St. Michel & Saint
Philippe, Guanaguato, Cinàloa, Meftitlan,
Sueretaro, Alamillo, Sombrerete, Cholula,
lialco, Suchimiico, Atrifca, Guacozingo ,
Zapotlan, Sacatula, Tutepeque, Tecoante-
Ïeque, Tepeaca , Teguacan, Tulanfingo,
Ihichicapa, Oaxaca, Xilotepeque, Panuco,
Itampico ou Tampica , los Vallès , Villa
ricca, qui eiï l'ancienne Vera-Cruz, Xaîappa,
Mexicalfingo, Tacubaya, Coantnavat, Teu-
titlan , Âcatlan, Serrogordo , £1 Saltillo,
Agualulcos , Sultepeque , Tlafafalou, Iftepec',
Izucar , Yapotlan , Guatulco , Titzla , Chantla
de la Sal , Tetela , Itmiguilpa, Xiguilpa,
los Lagos , Léon , Pachuca , "Totonicapa ,
Guadalcazar, Xiguipiia , Teutila, Orifaha,
Xalofingo, Papantia , Quantitlan de los Jar-
res, Tezcuco, San-Tuan de los Llanos, St.
Jacques de Tecalinutlan , Saint- Antoine , Gua-
tifco , Tulpa , Petaltepeque , Zapotitlan ,
Cuig^acan, Xafoitremendo, Yurirapundaro ,
Topila , Teuficalco , Marabatio , Tuximar.
ca , Guaufacalco , Xitopeque , Zumpango ,
Guauchinango , Simatlan , Xiquililco , Otum.
ba, Saint- Chriftophe, Chacalluta, Compua.
la, Yautttlan, laMifleca, Teutitlan du che-
min , Tepabotiflan , Culiacan , Zapotecas ,
Petatlan, Compoflela, Quatagualpa, Ck>fa-
maluapa , & quelques autres , dont WafFer
n.a pu retrouver les noms , ubi fuprà , page
349.
Supplément pour la Province de Guaxaca.
LE doute qu^on a fait nattre fur le récit de Dampier, dans une Note
qui appartient aux Ports de cette Province, efl heureufement levé par
Luflan ; & l'bn ne regrette que d'avoir eu fa Relation trop tard , pour join-
dre cet éclaircifTement à l'article qu'il regarde.
La Baie deTecoantepeque, où il arriva le 28 d'Août 1687, eft, dit -il,
à vingt lieues du Potc de Guatulco, qu'il nomme Fatulco (a). Il y prit
terre
(a) A quinze dégrés cinquante loinutes du Nord, --i:- -'
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. I L 541
terre, pour fe rendre à la Ville , qui efl: à quatre lieues de la Baie,
découvre à demi-lieue, d'une élévation , d'où l'on diftingue huit Fauxbourgs
qui l'environnent. Elle efl commandée par une très belle Abbaïé, bâtie
en plateforme, qui pafleroic plutôt pour un Fort que pour une Maifon Re-
ligieufe, & qui porte le nom de San-brancifco. Depuis le Port Sonfonate,
ou la Trinité , dans la Province de Guatimala , jufqu'à celui d'Acapulco , il
ell: impoflible d'aborder dans d'autres lieux que les Haies ; & quoique celle
des Salines foit petite <& de difficile accès , parce que la Mer y ed très
grofle , on ne laifle pas de la compter pour un Port. Elle eft la premiè-
re après Sonfonate, à vingt lieues au vent de celle de Tecoantepeque,
que les Efpagnols marquent aufli pour Baie dans leurs Cartes , quoiquelle
aie n peu de profondeur qu'à peine la didingue-t'on H l'on n'elt à terre.
Elle eil terminée par un petit Lac qui porte fon nom , avec lequel elle
communiquoit autrefois, & dont l'embouchure e(l aujourd'hui bouchée de
fable. Le VaifTeau d'Acapulco y relâchoic anciennement, à fon retour
de Manille; & quelques Efpagnols apprirent à Luflan qu'il aboutit par
fon autre extrémité à la Rivière de Vadagua, qui va fe rendre dans la
Mer du Nord (ô).
Le Port de Guatulco, dont on répète que la fituation efl à vingt lieues,
fous le vent de la Baie de Tecoantepeque, n'a d'étendue que pour contenir
onze ou douze Navires; encore doivent*ils être amarrés, devant & derriè-
car s'ils n'avoient que leurs ancres , ils fe briferoient les uns contre les
On la tie^cRipTioir
np. \.K Nou.
VkLLE li'TA-
OMfi.
re
autres au changement des marées & du vent. C'ed à l'entrée de ce Port
qu'ed le Goufre, dont on a donné la defcription d'après Dampier, & dont
le bruit fe fait entendre à plus de quatre lieues. Luflan le nomme Bof adora.
Quatre lieues plus bas , on trouve un autre Port , très dangereux par fes
Rochers, &dans la Paffe duquel un Rocher, qu'on nomme le i^or;7/o», efl
fans cefTe couvert de Boubies, de grand-Gofiers & d'autres Oifeaux de Mer.
Un peu plus loin , on rencontre Yljle dos Sacrificios. Huit lieues au-delà ,
font trois petits Forts, éloignés d'une lieue l'un de l'autre, dont le plus
beau porte le nom de los Angeles, Son entrée ne s'apperçoit qu'en fur-
vant la terre, & préfente un Rocher, percé comme une porte cochere.
De ce Port à celui d'Acapulco, c'eflà-dire dans une diflance de foixan^
te lieues, on n'en trouve aucun autre que le Port Marquis (<:), à deux
lieues du dernier.
(&) Ravcnau de Luflan, uiifuprà, page 276.
(c) Ibid, page 274.
Origine, Monarchie ^ Chronologie y Cour Impériale y Revenus de T Empire ^
& Gouvernement des anciens Mexiquains.
Hidoire
univeifeU
LES anciennes Hifloîres des Mexiquaîns rapportent, dit-on, quelques
circonflances d'un Déluge qui fît périr tous les Hommes & les Ani- Mexïquaine
maux , à l'exception d'un Homme & d'une Femme, qui fe fauvèrent dans «^'".° Ddug«
une de ces Barques qu'ils nomment Acalles. L'Homme , fuivant le carac-
tère qui exprime fon nom, s'appelloit Coxcox, & la Femme Chichequetzal,
Cet heureux couple arriva au pied de la Montagne de Culhuacan , une de
Yyy 3 cel*
DEfCRIPTinit
DB LA NOU*
ViiLLE ESPA*
ONB.
Origine que
les Hiftoriens
Jonnent aux
Peuples de la
Nouvelle
Efpagne.
54a DESCRIPTION DO MEXIQUE.
celles qui environnent la vallée du Lac. Il y mit au monde un grand nom*
bre d'Enfans, qui naquirent tous muets, & qui reçurent un jour la faculté
de parler» d'une Colombe qui vint fe percher fur un arbre fort haut. Mais
l'un n'entendant point le langage de l'autre, ils prirent le parti de fe répa-
rer. Quinze Chefs de famille , aui eurent le bonheur de parler la même
langue, s'unirent pour aller chercher une nouvelle Habitation. Après avoir
erré pendant l'efpace de cent quatre ans, ils arrivèrent dans un lieu au'ils
nommèrent /Iztîani & de-là, continuant leur Voyage, ils vinrent d'abord
àChiapultepeque, enfuite, à Culhuacan, & pour terme, au bord du Lac
oCi ils fondèrent une Ville qui efl: aujourd'hui Mexico. On trouve dans
Carreri la copie d'un ancien lableau du Pays, qui contient leur route, avec
les hiéroglyphiques qui marquent les noms des lieux, & d'autres fingulari-
tés (a), dont chacune porte fon explication. L'objet de l'Auteur Mexi-
Suain étoit de faire voir que fa Nation étoit aufld ancienne que le Déluge ,
ï que la Ville de Mexico avoit eu fon origine dans l'année que Tes Habi-
tans nommoier.: Omeccagli^ qui répond à 1 an 1325 de la Création du Mon-
de. Mais cette Chronologie ne peut être exafle , puifqu'elle met fi peu
d'années entre le Déluge & la fondation de leur Ville.
Il paroîc évident à tous les Hifloriens Efpagnols (&), que les premiers
Habitans de la Nouvelle Efpagne ont été des Sauvages, qui habitoient de
rudes Montagnes , fans cultiver la terre, fans Religion & fans Gouverne-
ment , fe nourriflant de leur chafie & de racines , d'où leur font venus les
noms à' Otomies & de Cbichimeques ^ & dormant dans des grottes ou des buif-
fons. Les Femmes s'occupoient des mêmes exercices , & laifFoient leurs
Enfans attachés à des arbres. On trouve encore aujourd'hui, dans le Nou-
veau Mexique, des Hommes de cette race, qui fe prétendent defcendus de
Coxcox & de Chichequetzal , & qui font reftés dans un Pays flérile & mon-
tueux , fans pcnfer à chercher des habitations plus douces. Ils vivent aufli
des Animaux qu'ils tuent dans leurs chaiTes , & ne s'aiTemblent que pour
voler & tuer les Voyageurs. Les Efpagnols n'ont pu les fubjuguer , dans
l'épaiffeur des Bois qui leur, fer vent de retraite.
On donne le nom de Navat laques ^ pour les diilinguer desChichimeques,à
cette race d'Hommes plus polis & plus fociables , qu'on fait defcendre de
fcpt des quinze Chefs qui fe déterminèrent à chercher de meilleures terres.
Ils vinrent, fuivant les mêmes Hidoriens, d'un Pays éloigné vers le Nord ,
qu'on prend pour celui qui porte aujourd'hui le nom à'Aztlan^ ou Teukul^
dans le Nouveau Mexique. Quelques-uns les font fortir de cette Contrée
en 820 , & les font errer l'efpace de quatre-vingts ans, avant que d'arriver
à Mexico, où ils s'arrêtèrent en 900. Mais ces fuppofitions s'accordent mal
avec le Tableau & les Hiftoires Mexiquaines La raifon, qui les obligeoit
de s'arrêter par intervalles , etoit leur foumillion pour une de leurs Idoles,
qui
(0) Carreri obtint cette copie â Mexico,
de Dom Charles de Siguema , qui confer-
voit précicufement le Tableau. La ligne
marque le chemin des Fondateurs , les figu-
res voiCnes (oat les lieux où ils s'arrêtè-
rent; les cercles, le nombre d'amécs qu'if J
y paffèrent.
(b. Herrera. Décad. 3. Lir. 1. Gomara,
Liv.2. Acofta, JJv. <5 & 7. , ,,
• ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 543
qui leur ordonnoic de peupler certains lieux , & qui rcgloic cnfuicc le tcms
de leur départ. Ils n'arrivèrent pas tous enfemblc au Lac de Mexico. Les
Suchhnilques , dont le nom fignifie J^atdiniers de fleurs ^ turent les premiers qui
ie logèrent fur la rive méridionale, où ils fondèrent une Ville de leur nom.
Les féconds furent les CbalqueSy c'e(l-à-dire, Peuples des Bouches^ qui vinrent
long tems après, & qui fondèrent une Ville de leur nom, aflez proche de
Suchimilco. Les Tepeaneques ^ ou Peuples du Pont ^ vinrent enfuite, & peu-
plèrent n heureufement , que leur principale Ville fut nommée Azcapu-
zalcoy c'eft-à-dire Four millier e. Les Fondateurs de Tezcuco^ nommés Cul-
JyuaSj Q\x Peuple bojju y parce qu'ils avoient une Montagne boflue dans leur
Canton , s'établirent ver§ l'Orient. Ainfi le Lac fut environne par ces qua-
tre Nations. La cinquième, qui portoit le nom de Tatluques^ trouvant, à
fon arrivée, toute la Plaine remplie, fe retira au-delà des Montagnes , dans
un Canton très fertile, où elle fonda la Ville de Quahuacy qui Cigniûe y^igle ,
&que , par corruption, on iippelle aujourd'hui Guornavacca^ C'efl à préfenc
la principale Place du Marquifat del Valle, dont on a déjà remarqué que
CharlesOuint fit préfent à Cortez. La fizième Nation fut celle des Tlafco'
Uns y ow Peupla du Pain, qui pafTant les Montagnes vers l'Orient alla fonder
piufieurs Villes, dont la Capitale fut nommée. Tiafcala. Les anciens Sau-
vagesy qui portoient le nom de Chichimeques & d'Ocomies, voulurent s'op-
pofer à ion établifTement ; mais ils furent vaincus dans cette entreprife, &
voyant vivre les fix Nations dans une intelligence qu'ils attribuèrent à la
f^gefTe de leur Gouvernement, ils commencèrent à changer auflfi de mœurs
& d'ufages. Ils bâtirent des cabanes, ils reconnurent des Supérieurs j fans
quitter néanmoins leurs Montagnes, & fans lier aucun commerce avec leurs
Voifins. On croit que c'efl d'eux que les Habitans de toutes les autres Pro-
vinces tirent leur origine.
Les fix Nations étoient en pofFefnon depuis 302 ans, fuivant Acofla (c),
des EtablifFemens qu'elles avoient choifis , lorfque celle des Mexiquains , qui
tiroit ce nom de Mai, fon Chef ou fon Prince, partit du Pays qu'elle avoit
occupé jufqu'alors, fur un Oracle de l'Idole ^irz///p»2:{/f , qui lui avoit pro-
mis un grand Empire. Quatre Prêtres , Interprêtes des volontés de l'Idole»
faifoient arrêter en divers lieux cette Troupe errante , pour cultiver pen-
dant quelque tems les terres ; & commencèrent l'ufage de facrifier des Vi£li-
mes humaines. En partant^ ils laifToient derrière eux les Vieillards & les
Infirmes , qui n'en peuplèrent pas moins piufieurs Cantons. Les Mexiquains
s'arrêtèrent, entr'autres lieux , dans le Pays qu'ils nommèrent Mechoacan,
c'efl-à-dire Pays de PoiJJon, parce qu'il s'y en trouve beaucoup dans fes
Lacs. Après y avoir fondé piufieurs Habitations, ils pafTèrent à Molinalco;
& de- là s'étant rendus à Chapultepeque y ils s'y fortifièrent avec tant d'audace
& de fuccès, qu'en peu de tems ils réduifirent les fix Nations ^ fur- tout les
Chalques, qui entreprirent de leur réfifler. Le tems, fixé par l'Oracle,
arriva» Vitzilipuztli leur ordonna, par la bouche des Prêtres, d'établir le
Siège de leurpuifTance dans un endroit du Lac où ils trouveroient une Aigle»
perchée fur un figiûer qui avoit pris racine fur un Rocher. Us en virent une»
{e) Ubi fuprà, Liv. j.
De^crtptto»
Dr. LA Nou-
V£LI.R V.ftA-
r.ME.
DtscntrTtoii
ni LA Nou<
VCLLB f^PA'
ONB.
Fondation de
Tftnuchitlan .
ou Mexico.
Formation
tic la Monar»
chic,& fuc-
cclTion de fes
Rois.
Acamapitcblf.
Vitzipolutzli.
Chimalpo-
poct.
544 DESCRIPTION DU MEXIQUE, *
que lei Prêtres avoient fans doute obfervée avant eux. A cette vue, ili
s inclinèrent tous ; & ce fut dans ce lieu même qu'ils commencèrent à bâtir
leur Ville, à laauelle ils donnèrent le nom de Tettiuchitlan', c'efl-à-dire.dans
leur langue , le Figuier fur Un Rocher. De-Ià vient que jufqu'à préfent les Ar-
mes de Mexico ont toujours été une Aigle, regardant le Soleil, les aîlei
éployées, tenant un fcrpent dans une de fesgriflPes, & l'autre patte ap-
puyée fur une branche de figuier des Indes {dy On éleva un Temple pour
ridule, & la Ville fut divifée en quatre Quartiers , dont les deux principaux
prirent les noms de Mexico & de Tlateluco. LesEfpagnols confervcnt enco-
re cette divifîon, fous les noms de Saint- Jean ^ de Sainte-Marie la ronde, de
Saint-Paul & de Saint-Scbaflien.
Les Mexiquains , ayant perdu leur Chef, & Tentant l'importance d'un
fage Gouvernement pour s'affermir dans leurs pofTefTtons , élurent Acama-
pitcbli, né parmi eux d'un de leurs Princes & d'une Fille du Roi de Cuchua-
can. Ils continuèrent néanmoins de vivre en forme de République, après
avoir confenti, pour éviter la Guerre dans l'origine de leur Ville, à payer
un tribut au Roi des Tepaneques d'Azcapuzalco, comme les derniers q;n
s'étoient établis dans cette Contrée. Mais bientôt ils acquirent tant de puif-
fance & de gloire, que leur profperité réveilla la jalouue de leurs Voifîns.
Le Roi d'Azcapuzalco, cherchant des prétextes pour rompre la paix-, leur
fit déclarer que le tribut ne lui fuffifoit point , & qu'il exigeoit d'eux des
matériaux pour bâtir fa Ville « avec une certaine quantité déplantes nées
dans l'eau même du Lac. Le premier de ces deux ordres fut exécuté ,
mais le fécond paroifToit impoflible. Cependant l'induflrie des Mexiquains
leur fit imaginer de porter au Roi un jardin flotant, plein de légumes (e).
Ce Prince , extrêmement furpris de leur adrelTe , les mit encore à l'épreu-
ve, en leur demandant une Canne, couvant des œufs, qu'il vouloit voir
éclore au moment qu'elle lui feroit préfentée. Il fut obéi ; & dans l'admi-
ration qu'il conçut pour eux, il dit hautement que leur Empire s'étendroit
un jour fur toutes les Nations.
AcAMAPiTCHLi mouFut , après une adminiflration de 40 ans, fans avoir
nommé d'Héritiers. La République , par reconnoiflance pour fa lagefle &
fon défintéreflement , élut pour lui fucceder un de fes Fils , avec le titre
de Roi, &lui fit époufer la Fille du Roi d'Azcapuzalco, qui engagea fon
Père à convertir le tribut en quelques Oifeaux & quelques PoiiTons du Lac.
Ce fécond Roi de Mexico, qui fe nommoit f^itzipolutzli ^ mourut dans la trei-
zième année de fon règne, & laifTa un Fils âgé de dix ans, qui lui fucceda
par éleftion , fous le nom de Chimalpopoca. Dans une grande difette d'eau
douce.
■( d ) Cependant Charles Quint y en joignit
d'autres , qui font un Château d'or , en champ
d'azur, pour fignifier le Lac , avec trois
Ponts, fur deux defqucis font deux Lions
rampans; en pointe, deux feuilles de figuier
finople , en champ d'or.
{e) Que ce récit foit fabuleux ou non,
Carreri alTure que jufqu'à préfent on a con-
fervé l'ufage de cultiver fui le Lac (quelques
pièces de ces terres flottantes. Les Mexl-
t}uains font un tilTu de joncs & de rofeaux,
qu'ils couvrent de terre; &lorfque les grains
qu'ils y ont femés font mûrs , ils coupent les
racines des joncs & ^es rofeaux, qui fo-t
nés dans l'eau, & conduifent fans peine le
jardin flottant dans tout autre endroit du Lac.
T«me VI. page $0,
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. H. 545
tlouca. il obtint du Roi d'Azcapuzalco, Ton ayeul, la permidlon d'en tirer
de la Moncajçnc de Cliapiilccpeciue: mais les Mcxiquains, manquant de ma-
tériaux pour leurs Aqueducs, curent la liardiefle d'exiger de leurs Voifins,
des pierres, de la cliaux, du bois & des Ouvriers, par reprélailles du tribut
qu'ils avoicnt payé long-tcms aux 'Jepeaneques. Il s'éleva une guerre fi
fanglante, que le vieux Koi d'/\/capuzalco prévoyant la ruine de Ion Petit-
fils en mourut de chagrin ; &cc jeune Prince, incapable en effet de réfitler à
les Ennemies, fut allalîiné dans Ion propre Palais. Ses Sujets lui donnèrent
pour rucvcfleur, Ttzcoatl, Fils d'Acamapitchtli, leur premier Roi, & d'une
limple Elclave. Ils y trouvèrent un Vangeur. A peine YtzcoatI fut fur le
Trune, qu'il défit les 'repeaneques , dans une Bataille fanglante; & s'étant
faifi de leur Ville, il les força cle le reconnoître pour leur Souverain. Ta-
cuba, Tezcuco, Cuyoacan, Suchimilco, & Cutîavaca, éprouvèrent le mê-
me ibrt. Aiiifi, dès la première année de (on règne, YtzcoatI fe vit maî-
tre de tous les EtabliOemcns qui s'étoient formés autour du Lac. Il mou-
rut après dix ans de profpérité, pendant lefquels il avoit contraint les Su-
chimilques de faire une Chaulfée de Communication entre leur Ville &
Mexico. Tlacaetlelf fon Général , propofa de remettre l'Eleélion d'un nou-
veau Roi à fix Caciques , entre lefquels il n'y avoit de fixe que ceux de
Tezcuco & de Tacuba. Cette méthode, établie pour éviter la confufion
des fuffrages , dans une Nation qui commençoit à devenir fort nombreufe ,
lubfiftoit encore à l'arrivée des Efpagnols. Le choix des Elcfleurs tomba
fur un Neveu de TIacaellel, qui prit le nom de Motczurna^ c'e(l-à-dire Pr/w-
ce couronné y & qui donna naiflance au barbare ufage de ne pas couronner
les Rois fans avoir facrifié quelques Prifonniers, qu'ils dévoient faire eux-
mêmes après leur éleftion. Le deifein de fon Oncle, auquel on attribue
ce confeil , étoit d'entretenir le goût de la guerre dans la Nation. Motc-
zuma ne manqua point de prétexte pour attaquer les Chalqucs , & leur en-
leva quantité cle Vi6limes , dont le fang fut verfé au pié des Idoles , le jour
de fon couronnement. La forme de ce Sacrifice, t^ui fut réglé dans le mê-
me tems, confiftoit à fendre l'eftomac du Prifonnier avec un couteau de
pierre , pour en tirer le cœur , & pour en frotter la face de l'Idole. TIa-
caellel, par une autre politique, réprima l'ardeur qui portoit fon Neveu à
foumettre la Province de Tlafcala. Il lui fit comprendre que le nouvel Em-
pire ne pouvant fe foutenir que par les armes, il étoit important de fe con-
ferver toujours des Ennemis belliqueux, pour aiguifer le courage des Mcxi-
quains; fans compter la néceflîté qu'il avoit impofée, à fes Succelfeurs , de
fournir des Viftimes pour les Sacrifices. Ce fut le premier de ces deux
motifs qui lui fit infliituer auffi l'ufage de fe tirer un peu de fang de quelque
endroit du corps, dans les balfins qui fervoient au culte des Idoles. Il fal-
loit que les offrandes fuflent toujours fanglantes; & lorfque le fang ennemi
manquoit dans les l'cmples , il n'y avoit point de iMexiquain qui ne fût
prêt à répandre une partie du fien.
MoTEzuMA I. un des plus grands Empereurs du ]\Iexique, car c'efl; de
fes Conquêtes que les Iliftoriens commencent à leur donner ce titre, éta-
blit des tributs dans les Provinces qu'il avoit affuj nties , fe fit bâtir un ma-
gnifique Palais, éleva un fuperbe Temple pour ia principale Idole , & for-
XFIII. Part. Z z z
DcfCiurrroit
Pt i.A l'.nu*
VkLI.B LlfA*
Ytzcoatî.
Prcmicrcï
COIKJUCU'S
des Mcxi-
quains.
Mûtczuma l
Iiiflituion
de quelques
ulligcs cruels,
PBICBtrTIOR
DE LA Nou-
velle ESPA*
Axayacac.
Ahuitzotl.
Jilotczuma II.
Quuuhtimoc.
Cuatimozin.
Chronolo-
gie des Mexi-
(^uains.
Leur ma-
nièie d'éciire.
54(5 DESCRIPTION DU MEXIQUE^
ma divers Tribunaux de Juftice , qui reçurent leur perfeélion fous fes Suc»
cefleurs. Il régna 20 ans. Après fa mort, les fix £le£leurs déférèrent la
Couronne à Tlacaellel ; mais if refufa de l'accepter, en répondant que l'in-
térêt de la République demandoit qu'elle fût fur la tête d'un autre , auquel
il continueroit de fe rendre utile par Tes fervices & fes confeils. Cette gé-
nérolîté porta les Eltéleurs à lui donner le pouvoir de choifir un Roi. Il
nomma Tico cic\ Fils d'ItzcoatK Mais les Mexiquains, qui ne connoif-
foient point de vertus militaires à ce Prince, l'empoifonnèrent^ & mirent
fur le TràuQ Axayacae y fon Frère, de l'avis même de Tlacaellel , qui mou-
rut refpeâé, dans une extrême vieillefTe. Axayacac déclara la guerre , a-
vant fon couronnement, à la Province de Tecoantepeque, & la fournit
toute entière dans la feule vue de faire hommage à fes Idole» du fang de
fes Prifonniers. Son règne ne fut que d'onze ans.
Ahuitzotl, qui lui fucceda, ne fe fit point couronner fans avoir cimen-
té fon Trône par la mort d'un grand nombre de Viftimes, qu'il enleva dans
plufieurs guerres, fur-tout contre les j^f'^^^'^^'^'" » qui s'étoient attiré cet-
te punition en pillant le Tribut que diverfes Provinces envoyoient à
Mexico. Il étendit les limites de l'Empire jufqu'au Pays ^e Guâtimala;
& ne perdant point de vue fes avantages domefliques , il environna d'eau
fa Capitale» en y faifant amener, à grands fraix , un bras de la Rivière qui
paiTe à Cuyoacan. On aflure que pour la confervation d'un Temple qu'il
fit élever à la principale Idole du Mexique, il fit facrifier, dans l'elpace de
quatre jour», 64080 Hommes. Ce Nsron de l'Amérique, illuftre d'ail-
leurs par (es exploits, & par les dépenfes extraordinaires qu'il fit pour
l'embelliflement de Mexico, mourut dans l'onzième année de l'on règne.
Il eut pour 'Snccaffeva Mutezumt ^ fécond du nom, que les Efpagnols
trouvèrent fur le Trône, & qui le perdit avec la vie, dans la plus grande
fplendeur de l'Empire.
QuA.uaTiMoc prit fa place & la conferva fi peu, que fon nom s'eft à pei-
ne fauve de l'oubli (/). «; : :.^; ir- >r.f,i .^n ;
GuATiMoziN, dernier Einpereur du Mexique, ne fut couronné après
QuauhtimoG, que pour oflfrir une viélime plus illuftre aux Efpagnols.
Tous les Hilloriens s'accordent fur cette fucceflîon (^); & la croyant
bien établie par les Fartes des Mexiquains, il ne refte qu'à donner quelque
idée de leurs Calculs chronologiques , tels qu'on prétend les avoir tirés de
leurs propres Tables, pour faire juger de la confiance qu'ils méritent. Ces
ingénieux Indiens, n'ayant point de lettres, employoient des figures hiéro-
glyphiques pour exprimer les chofes corporelles qui ont une forme, & fe
îervoient de divers cara6lères pour l'êxprefiTion des fimples idées. Leur
manière d'écrire étoit de bas en haut, c'efl:- à-dire contraire â celle des
Chi-
(/) On a fait remarquer qu'il paroît in-
certain fi ces deux derniers Princes ne font
pas le même, dont le nom fe trouve écrit
différemment par les premiers Hlftoriens ; ou
s'il y eut fucceffivement deux éieftions après
la mortdeMotezuma; l'une deQuauhtimoc,
%wi vécut peu de jours, fuivant l'o^jinion.
qu'on a cru devoir embraffer avec Soiis;
l'autre de Guatimozin , qui furvécut quelque
tems à la ruine de l'Empire..
(g) Herrera, Décade S-Liv. 2. Chap. 12,
flcfuiv. Acoîla, Liv.5&(5. Gomara, Liv. 2.
& plufieurs auues.
.4-
V^
fous fes Suc»
léferèreïit la
ant que l'in-
itTGy auquel
. Cette gé-
un Roi. II
ne connoif.
;» & mirent
1 , qui mou-
a guerre , a-
& Ja fournit
du fang de
ivoir cimen-
enleva dans
lit attiré cet*
ivoyoient à
Guatimala;
ronna d'eau
Rivière qui
7fcmple qu'il
1 l'elpace de
luftre d'ail-
u'il fit pour
on règne.
j Efpagnols
plus grande
s'eft à pei-
onné après
;noIs.
la croyant
ner quelque
oir tirés de
•itent. Ces
jures hiero*
irme, & fe
lées. Leur
à celle des
Chi.
r avjc Solis;
vécut quelque
2. Chap. 12,
inara, JLiv. 2.
/3
- Y, IZlt
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J
ROUE CHRONOLOGIQUE
RAD DER TYDREKENINGE
• ^ ?' ScA/ifv a'f^wi»- .
DES MEXIQUAINS
VAN DE MEXICAANERS
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KOUE CHRONO
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ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 547
Chinois. Ils avoient une forteide roues peintes , qui contenoient l'efpace
d'un fiécle, diftingué par années avec des marques particulières, pour y
delîiner, avec les caraftères établis, le tems où chaque chofe arrivoit. Ce
fiécle étoit compofé de cinquante-deux années folaires, chacune de 365
jours. La roue étoit divifée en quatre parties , dont chacune contenoit 13
ans , ou une indidlion , & répondoit de la manière fuivante à une des quatre
parties du Mo'nde.
Cette roue, ou ce cercle, étoit environné d'un Serpent, & c'étoit le
corps du Serpent qui contenoit les quatre divifions. La première, qui
marquoit k Midi , nommé Futztlampa j avoit pour hiéroglyphique, un La-
pin fur un fond bleu, & s'appelloit Tocbtli. La féconde, qui fignifioit
l'Orient, nommé Tlacopay ou Tlahuilcopa, étoit marquée par une Canne,
fur un fond rouge, & s'appelloit Jcatl. Le hiéroglyphique du Nord, ou
Micolanipat étoit une Epée à pointe de pierre, fur un fond jaune, & fe
ïïommoit Tecpatf. Celui de l'Occident , ou Sihvatlcftnpa , étoit une Maifon
fur du verd , & portoit le nom de Cagli.
Ces quatre diviHons étoient le commencement des quatre indiélions qui
compofoient un fiécle. Il y avoit, entre l'une & l'autre, douze autres pe-
tites divifons, dans lefquelles les quatre premiers noms étoient fucceffive-
ment diftribués, chacuii avec fa valeur numérale , jufqu'à 13, qui étoit le
nombre dont une indiélion étoit compofée. Cette ma nière de compter par
13 s'obfervoit non-feulement dans les années, mais de même dans les
mois ; & quoique le mois des Mexiquains ne fût que de 20 jours , ils re-
commençoient lorfqu'ils arri voient 313. Si l'on demande , d'où leur ve-
jioit cet ufage , on répond qu'ils fuivoient apparemment leur calcul de la
Lune. Ils divifoient le mouvement de cette Planette en deux tems ; le
premier, du réveil, depuis le lever folaire jufqu'à l'oppofition , qui étoit
13 jours, & l'autre du fommeil , d'autant de jours, jufqu'à fon coucher du
matin. Peut-être auffi n'avoient-ils pas d'autre vue que de donner, à cha-
cun de leurs Dieux du premier ordre, qui étoient au nombre de 13 , le gou-
vernement des années & des jours. Mais ils ignoroient eux-mêmes 1 ori-
gine & le fondement de leur méthode.
Il naît d'autres difficultés: la première, pourquoi ils commençoient à
compter leurs années du Midi ; la féconde, pourquoi ils fe fervoient des
<juatre figures d'un Lapin, d'une Canne, d'une Pierre & d'une Maifon. Ils
répondoient , à la première, par des traditions fabuleufes, qui leur faifoient
conclure que la lumière du Soleil avoit commencé dans fon Midi. D'ail-
leurs, ils croyoient que l'Enfer étoit du côté du Nord; & cette idée fuffi-
foit feule pour leur perfuader que le Soleil n'avoit pu naître que du côté le
plusoppofé, qu'ils regardoient comme la demeure des Dieux. Ils ajou-
toient que le Soleil fe renouvelloit à la fin de chaque fiécle, fans quoi le
tems auroit fini avec un vieux Soleil. C'étoit un ancien ufage, dans la Na-
tion, de fe mettre à genoux, le dernier jour du fiécle, fur le toît des mai-
sons, le vifage tourné du côté de l'Orient, pour obferver fi le Soleil re-
commenceroit fon cours, ou fi la fin du Monde étoit arrivée. Le Soleil
d'un nouveau fiécle étoit un nouveau Soleil, qui, fuivanc l'ordre de la Na-
ture, devoit reproduire tous les 3ns, après le mois de Janvier, la verdure
2zz 2 fur
DHïcmrTrotr
TE LA Nou-
velle ESPA<
CMC,
Roue Cliro-
nologique , -Ci
Tes divifions.
Il
DecCRtPTTON
I)»- LA Noi'.
VSLLB EsFA-
VUE.
\\
MoisMcx'
qu.iins, au
Honibrc de
dix-huit.
Jours inter-
calaires.
548 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
fur les arbres : & pouflant encore plus loin cette analogie entre le fiécle &
l'année, ils voulurent que comme il y a quatre faifons dans l'année, il y
en eût quatre aufli dans le fiécle; Tochtli fut établi pour le Printems , où la
jeunefTe de l'âge du Soleil , comme fon commencement dans la partie mé-
ridionale; ^catlj pour fon Eté; Tecpatl pour fon Automne, & Cagli pour
fon Hiver ou fu vicillefle. Ces quatre figures , dans h même ordre, ctoienc
encore les fymboles des quatre Elémens; c'e'1-à-dire que Tochtli étoit con-
facré à Tevacayuhua^ Dieu de la l'erre; Acatl à Tlalocaietuhtli , Dieu de
l'Eau; Tecpatl à Chetzalcoatl t Dieu de l'air, & Cagli à X'mhtcaih'iï y Dieu
du Feu.
A regard de leurs mois, qu'ils ne compofoient que de vingt jours, il ef^
clair que ce calcul étoit fort régulier, puifqu'ils en comptoient dix-huit,
qui reviennent aux douze mois Egyptiens de trente jours. Leurs noms é-
toient; i Tlacaxipohualiztli y 2 Tozoztli, 3 Hueytozoztliy ^Tvxcatl^ 5 EtzaU
cualiztliy 6 TecuyUmïtl^ 7 Hueytecuylhuitl y 8 Micaylhuitl ^ Q'Hueymicaylhuitly
.îo Ochpaniztli, iiPachtli, 12 Hucypachtli , i^Checiogn^ 14. Panchetzaliztliy
15 Aremoztliy iG Tithly 17 Izcagliy 18 Àilacoalo. Ils font repréfentés dans
le cercle intérieur de la figure. Chacun des vingt jours avoit auflî fon nom
particulier, favoir; CipatîUy Cecatî y Cagli y CncizpaglWy Coatïy Michiztliy
Mazatly Tochtli y jtly Itzcuintliy Ozomaîliy Malinagliy JcatlyOcelotly Ouaii-
litliy Cozcaquauhtliy OglUiy Tecpatl y Quiahmtly & Xocitl. Ces mois ne fe
divifoient pas en femaines (/;). Quoiqu'il n'y eût que 20 jours dans ceux
des Mexiquains, leur divifion étoit aufli par 13; apparemment pour éviter
laconfufion; car avec cette méthode, il fuffifoit de donner le nom de
quelque jour que ce fût, avec fon nombre correfpondant félon cette dif-
tribution de 13 en 13, pour favoir à quel mois il anpartenoit, fans au-
cun rifque d'erreur. Mais outre la divifion des jours par 13, il y en
avjoit une autre de 5 en 5, qui fervoit à régler les TiangueZy c'eft-à- dire
les Marchés. C'étoit le 3, le 8, le 13 & le 18 de chaque mois; jours
comme dédiés aux quatre figures Tochtli, Acatl, Tecpatl, & Cagli. Cet-
te règle étoit invariable, quand même les années n'auroient pas commencé
par Tochtli.
Aux dix-huit mois, qui faifoient 360 jours, les Mexiquains ajoutoient,
à la fin de chaque année, cinq autres jours, qu'ils appelloient Nenontemi.
Non-feulement ces cinq jours avoient leur nom propre , mais ils entroient
auffi dans le compte des 13 (»)• Ceux qui fivent dans quelles erreurs la
plu-
( h ) Oirreri qui paroît avoir étudié foi-
gneufcmcnt la Chronologie des Mexiquains ,
obierve que fuivant Berofe ( s'il efl; vrai que
les Livres que nous avons fous fon nom
foicnt de lui ) les Egyptiens dévoient à Noé
Ja forme de leur année folairc , qui étoit de
36s jours , & que toutes les Nations qui ont
iuivi cette doftrine, dévoient la tenir appa-
remment delà même fource; mais qu'il n'efl:
pas étonnant que les Mexiquains ne divi-
f-ifTcnt point leurs mois en femaines, parce
^ue cette divifion ne commença chez les Hé-
breux qu'au tems de Moïfe , en mémoire des
jours de la création , long-tems après l'ori-
gine du cercle des Mexiquains. D'autres veu-
lent même qu'elle ait été inventée par les
Babyloniens, quelque tems après, pour dif-
tingucr les jours par les fcpt Planètes, aux-
quelles ils attribuoient le gouvernement des
heures inégales, dontils'ont ér-* '^s premiers
Obfervateurs. Tome VI. pagt • i . CT* fuiv.
( j) Le mémo Voyageur jbferve que plu-
fieurs Hiftoriens fe font trompés en croyant
que ces cinq jours étoieut hors du nombre
dt'S
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv IL 549
plupart des Nations Orientales font tombées fur cette matière, ne verront
point fans admiration le cercle artificiel des Mexiquains. Leur année bif-
fextile avoit aulTi les règles. La première année du fiécle commençoit le
10 d'Avril; la féconde & la troifième de même; mais la quatrième, qui efl:
la biffextile, conimençoit au 9, la huitième au 8, la douzième au 7, le
feizième au 6, & de même jufqu'à la fin du fiécle, qui fe tcrminoit le 28
de Mars, jour auquel on commençoit la célébration des Fêtes, qui duroienc
lés 13 jours de billextile, jufqu'au lo d'Avril.
Avant que de commencer le nouveau fiécle, on rompoit tous les vafes,
& l'on éteignoit le feu; dans l'idée que le Monde devoit finir avec le fié-
cle. Mais aulîl tôt que le premier jour commençoit à luire, on entendoit
retentir les tambours dk les autres inftrnmens, pour remercier les Dieux
d'avoir accordé au Monde un autre fiécle. On achetoit de nouveaux vaif-
féaux, & l'on alloit recevoir du feu des Prêtres, dans des Proceflions fo.
kmnclles(/l). , La
Descripttôiï
DE LA Nou-
velle Espa-
gne.
Année Inf-
fcxtilc.
des mois ; qu'ils n'avoicnt point de nom , &
que le piomier jour de chaque année étoit
toujours Cipaftii, 11 éclaircit ce point par une
fuppofuion. Imaginons - nous , dit- il. un
fiécle , dont la première année foit un Tochtli,
à laquelle réponde un Cipa(îlli pour le pre-
mier jour du mois. Si les 360 jours, qui ré
lulient des 18 mois, fe comptent de 13 en
13, le dernier jour du dernier mois fera 9
Xocitl. Mais n les cinq jours deNenonteml
n'avoient pas eu de nom; on auroit eu à
commencer l'année fuivante par deux Ac;:ti
avec l'o Cipaftli , &Je compte de 13 auroit
été Interrompu avec Ci jiaclli. Les Mexiquains
répondent à cette difficulté en difant que
les jours Cipa6t!i , Michizt'i, Ozomatli &
Co^caquauhtii , font compagnons , c'eft-à-
dire, fuivent en tout l'ordre des quatre figu-
res Tochtli, Acr.tl, Tecpatl & Cagli, qui
inarquent les années d'un fiécle; que chaque
année, par exemple , dont le fymbole eft
Tochtli, aura Cipaftli pour le premier du
mois; qu'AcatI aura Michiztli; TecpatI, Oxo-
matli; & Cigli , Cozcaquauhtli. On doit
remarquer encore que la valeur numérique,
félon les 13, comptée régulièrement depuis
le commencement du fiécle, en y compre-
nant les s Nenontemi, répondra à celui qui
appartient au premier jour de l'année , fui-
vant la fucceiïion de Tochtli. On le verra
clairement dans Ja figure oîi les mois de la
première année du fiécle propofé finirent a-
vcc 9 Xocitl. Les noms coj.me les nom-
bres, répondant aux 5 jours-^^'enontcmi , é-
toient 10 CipaélLi, 12 Cccatl, 12 Cagli, 13
Cuetzpaglin, & i Coati, qui firent l année
de 365 jours. Enfuite . fiuis rompre l'ordre
des noms, l'année fuivante commença par
Michiztli, qui efl le jour d'après Coati.
Continuant avec les 13, le premier jour de
la féconde année fera le 2 Michiztli , parco
que le dernier des cinq Nenontemi a été le
I Coati Cela n'efl pas accidentel , mais
très régulier dans toutes les années d'un
fiécle. Ainfi cette féconde année ayant corn-
mencé par 2 Michiztli, elle finira fcs mois
par 10 Coati , & fcs 365 jours par 2 Itz-
cuintli. De même la troifième année Tec-
patI commencera par 3 Ozomatli; la qua-.
trième, qui cil Cagli. par 4 Cozcaquauhtli,
& ainfi des fui vantes jufqu'à la fin des 13.
On voit par- là, conclut Carrcri, que les 4
jours (JipaClli, &c. ne répondoient pas feu-
lement aux quatre fymboles des années-
Tochtli, &c. mais, qu'ils avoient auflî la
môme dénomination numérique, formée par
les 13. Ubifuiirà, pages 75 & fuivantes.
(k) Carrcri, dont on emprunte les recher-
ches, les devoit à D. Carlos de Sigiiença y
Gongora, Profeffeur de Mathématiques dans
rUniverfité de Mexico, qui s'étoit attaché à
recueillir les traditions Indiennes, des pein-
tures & des hiéroglyphiques, dont la plùpait
lui venoient de Dom Juan àtAlva, Seigneur
de Catzicazgo & de St. Juan de TcotiLuacan,
dtfcendant en droite ligne mafculine des an-
ciens Rois de Tezcuco. Ce Seigneur les avoit
hérités de fcs Ancôtres. On n'en trouve
point d'autres dans la Nouvelle Efpagnc. Les
premiers Efpagnols , prenant tous ces titres
pour des objets de fuperllition, parce qu'i's-
n'y voyoient que des figures bifarres, bril-
lèrent tout ce qu'ils en purent découvrir; &
le premier Evoque do Mexico, nommé M.
de Sumarica , fe fit un point de confcicnce
d'achever de les détruire. Ibidem, page 77.
Acofta , Liv. 6. Chap. 2. parle aulïï des.
Roues Mexiquaines; & Solis après lui, Liv.
Ch-ip. 17. mais toii^ dcvix uvcc moijis d'cxi^U-
cation.
Zzz 3
Descrtftion
SB I.A NOU-
V2LLB Ë^PA•
ONE.
Cour Impii-
lialc.
550 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
La magnificence, qu'on a vantée dans les Palais des Empereurs Mexl*
?|uains , étoic foutenue par l'appareil fadueux avec lequel ils fe faifoienc
èrvir. Motezuma U, qui s'étoit attaché plus que fca Prédécefleurs à rele-
ver la majellé de l'Empire, avoit inventé de nouvelles cérémonies; ou du
moins il s'en attribuoit l'honneur; & les Ecrivains Efpagnols font regarder
cette pompe comme une gloire particulière à Ton régne. On a déjà fait
obferver qu'en montant fur le Trône, non feulement il avoit augmenté le
nombre des Officiers de fa Maifon, mais qu'il en avoit exclu les perJbnnes
d'une naiiTance commune , & qu'il ne vouloit voir autour de lui que des
Seigneurs du premier ordre. En vain fon Conftil lui avoit repréfenté le
danger d'un changement , qui pouvoit lui faire perdre l'affctilion de fes
Peuples. On lui donne pour maxime „ que la confiance des Princes n'ell
„ pas faite pour le vulgaire, & qu'ils ne doivent favori !lr que dans l'éloi-
„ gnement ceux à qui la mifére ôte le fentiment , ou le pouvoir de recon-
T)oiiblcGar- „ noître le bien qu'on leur fait (/)". Il avoit deux fortes de Gardes; l'u-
^' ■• ne de Soldats, qui occupoient toutes les cours de fon Palais; l'autre inté-
rieure, & compofée de deux cens Nobles, qui entroient chaque jour au
matin dans les appartemens. Leur fervice fe faifoit tour à tour, & par Bri-
gades, qui comprenoient toute la NoblelTe de l'Empire. Ils venoient fuc-
ceflTivement des Provinces les plus éloignées. Leur principal porte étoit les
antichambres, où ils étoient nourris de tout ce qui Jbrtoit de la table de
leur Maître , qui leur permettoit quelquefois d'entrer dans fa chambre, ou
qui les y faifoit appeller. Son-delTein, comme il l'apprit lui-même aux Ef-
pagnols, étoit moins de les favorifer, que de les accoutumer à la foumif-
iion , & de connoîtie par fes propres yeux ceux qui méritoient d'être eni-
AuJionccs ployés. Ses Audi-ences publiques étoient rares ; mais elles duroient une
publkiiiLE. grande partie du jour; & les préparatifs en étoient. impofans. Tous*les
Grands, qui avoient feutrée du Palais, recevoient ordre d'y alFifter; & les
Confeillcrs d'iitat y dévoient être rangés autour du Trône , pour être prêts
à donner leur avis fur les points importans ou difficiles. Quantité de Secré-
taires, placés fuivant leurs fondions, marquoient, avec les caraélèrcs qui
leur fervoient de lettres , les demandes des Supplians, & les réponfe? ou
les Arrêts du Prince. Ceux, qui vouloient fe préfenter , avoient donné
leurs noms à des Officiers, charges de ce foin. Ils étoient appelles l'un
après l'autre. Chacun entroit nus pies, & les yeux baifles, en faifant fuc-
ceflîvement trois révérences, à la première dcfquellcs il difoit Seigneur; à
la féconde, Monfeigneur ; à la troilîème. Grand Seigneur. Après avoir ex-
pofé fa demande, & reçu la réponfe, à laquelle il ne lui étoit pas permis
de répliquer , il fe retiroit fur les mêmes pas , en répétant les trois révéren-
ces , fans tourner le dos, & fur-tout fans ofer lever la vue. La 'moindre
faute, dans l'obfervation de ces cérémonies, étoit punie fur lechamj) avec
une extrême rigueur, & les Exécuteurs du châtiment attendoient le Coupa-
ble à la porte. L'Empereur écoutoit les moindres affaires avec beaucoup
d'attention; mais il afFeftoit de répondre avec févérité. Cependant, s'ilre-
marquoit quelque trouble dans le vifage ou la voix de celui qui parloit , il
l'ex-
(0 Iliidm, Cliap. ij.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 551
DEîCRTPrroii
DR LA NOU»
VEi.LB E;r\*
ONK.
Texhortoit à fe raiïiirer; & lorfque cette exhortation ne fuffifoit pas, il
nommoit un des Miniltres pour lécouter clans un autre lieu. Motezuma fai-
foit beaucoup valoir, aux Efpagnois, la patience avec laquelle iJ ticoutoit
les plus ridicules demandes de fon Peuple.
Il mangeoit feul , & quelquefois en public ; mais toujours avec le même Rcpa<s de
air de grandeur. On lui fervoit,- ordinairement, environ deux cens plats, l'Empereur,
li bien allaifonnés, que non-feulement ils plurent aux premiers Efpagnois ,
mais qu'enfuite l'ufage de les imiter paflTa jufqu'en Efpagne (w). Avant
que de fe mettre à table, Motezuma faifoit la revue de tous les mets, qui
étoient rangés d'abord autour de la faile, fur plulieurs buffets. Il marquoit
ceux qui lui plaifoient le plus. Le refte éiÀt diftribué entre les Nobles
de fa Garde ;.& cette profufion , qui fe renouvelloit tous les jours, dtoit la
moindre partie de la dépenfe ordinaire de fa table, puifque tous ceux, que
leur devoir appelloit autour de fa perfonne, étoient nourris au Palais. La
table de l'Empereur étoit grande, mais fore bafle; & fon fiége n'étoit
qu'un tabouret (n). Après fes repas, il prenoit ordinairement d'une ef-
pèce de chocolat , qui confiftoit dans la fimple fubftance du cacao, battue
en écume. Enfyite il fumoit du Tabac , mêlé d'ambre gris ; & cette
va-
(m) Ibid. page 535.
( n ) Herrera fait un afTez curieux détail
de la- manière dont Mot.zuma étoit fcrvi.
,. La table, dit -il, n'étoit qu'une forte de
„ coullîn , ou une pnire de ptaux rouges.
„ La felle, fur Inquei.o il étoit allîs, étoit
un petit banc tout d'une pièce, creufé à
l'endroit où il s'alîlyoic, façonné & riche-
ment peint Les nappes & les ferviettes
étoient de coton , fort déliées plus blan-
ches que la nége, & ne fervoient qu'une
,^ feule fois pour lui ; mais elles fervoient
„ après cela aux Officiers. Quatre cen^ Pa-
„ gcs, tous Gentilshommes, portoient les
,, viandes , & les mcttoient tout de fuite
[, dans une folle; puis l'Empereur ks con-
,, fidcroit; & dune baguette, qu'il avoit à
i, la main , il défii^noit celles qu'il vouloit
„ qu'on lui préfentât. Enfuite les M.ltres
,, d'Hôtel les mcttoient réchauffer fur der
„ brafiers. y\vant qu'il fe mît à table, il fe
„ préfentoit vingt Femmes des plus belles ,
„ avec des baflins, pour lui donner à laver.
„ Lorfqu'il étoit alfis , un Maîire d Hôtel
„ tiroit une baluftrade de bois qui divifoit
„ la faile , pour empocher que eux qui
^ venoient le voii dîner ne lui caufallent de
„ l'embarras. On obfervoit un grand fiicnce,
„ excepté quelques Boulions, qu'ii prtnoit
„ plaifir à faire parler. Les Ecu'icrs le fer-
„ voient à genoux, fans haufll-r les yeux,
„ & nus pies; car il n'entroit perfonne dans
„ la faile , qui ne fut nus piés , fous peine
„ de U vie, Six Seigneurs, qiU (,HoivQt obU-
„ gés d'aiTiftcr toujours à fcs repas , quoi-
„ qu'un peu éloignés de la table, recevoicnt
,, Quelques plats qu'il marquoit pour eux,
„ oc les mangeoient refpeftueufement. Il y
„ avoit ordinairement une Muflque de ilù-
,, tes , de cornemufes , de hautbois d'os,
„ & de petits tambours de cuivre , dont le
„ fon avoit peu d'agrément pour les Efpa-
,, gnols U y avoit auflî des Nains, des
,, Eofïïis & d'autres gens contrefaits, pour
„ exciter à rire, qui mangeoient quelques
,, relies au bout de la table, avec les Bouf-
,, fons Les plats & le fervicc n'étoient que
,, de terre; & quoique fort bien travaillés ,-
„ ils ne paroilToient qu'une fois devant 1 Em-
,, pereur: mais les vaies & les coupes étoient
,, dor avec leurs foucoupes de môme métal;
,, ou quelquefois, cé'.oit des coquilles, ri»
,, chemont garnies. On tenoit prûtes plu-
„ Heurs fortes de boilTons, quelques -uncs-
., relevées par de bonnes odeurs ; & l'Empe-
,, reur défignoit celles qu'il vouloit boire. U
,, mangeoit rarement de la chair humaine,
, & il falloit qu'elle eût été fucriliée. Lorf-
„ qu'on avoit levé le couvert, les Dames,
, qui lui avoient donné à laver, & qui é-
„ toient demeurées debout pendant tout le
,, repas , fortoient , comme tous ceux aux-
., quels il avoit été permis d'y alTfler. Il ne
„ reftoit, dans la faile, que les Officiers de
,, Garde ;& fi l'Empereur avoit envie de dor-
,, mir , il s'appuyoit contre le mur , allîs-
,, fur le banc qui lui avoit fervi à dlio*"».
Décade 2, Liv. 17. Cbap. 7.
ss*
D E s C R I P T I O-N DU MEXIQUE,
DR l.k NOU-
UNB.
Hc\ . IIS lie
ri'jnpirc
Mt.\i<[ii;iiii.
UescRii'TioN vapeur l'cxcitolt à dormir. Lorfqu'il avoit donné quelques momens au
repos, on faifoit entrer les Muficiens , qui chantoient, au Ton des inrtru-
mens, divcrfes Poëlîes, donc les vers avoienc leur nombre & leur cadence.
Le fujct ordinaire de ces compofitions dtoit quelque trait de l'ancien-
ne Hilloire du Pays , ou des Conquêtes du Monarque & de les Préde-
cefTeurs (o).
Les revenus delà Couronne dévoient être immenfes; puirqu'avcc tant
de fraix pour l'entretien & les délices de la Cour, elles lliHifoient non- feu-
lement à tenir fans cefle deux ou trois grolVes Armées en Campagne & de?
Garnifons dans les principales Villes , mais encore à former un tond conii-
dérable, qui croiflbit, chaque année , de ce qu'on mettoic en réfcrve. Lcî
Mines d'or & d'argent apportoient beaucoup de profit. Les Salines & tous
les anciens droits de l'Empire n'en produifoient pas moins : mais les prin-
cipales richelfes venoient des nouveaux tributs , que Motezuma poulîoit à
l'excès. Tous les Payfans payoient le tiers du revenu, des terres qu'ils
faifoicnt valoir. Les Ouvriers rendoient autant, de la valeur de leurs Ma-
nufiiftures. Les Pauvres mêmes étoient taxés à des contributions fixes,
qu'ils fe mettaient en état de payer, foit en mandiant, foit par de rudes
travaux. Il y avoit divers Tribunaux, répandus dans toutes les parties de
l'Empire, qui recueilloient les impôts avec le fecours des Jurif liitions or-
dinaires , & qui les envoyoient à la Cour. Ces Miniftres , qui dcpendoient
du Tribunal de l'Epargne, anciennement établi dans la Capitale, rcndoienc
un fi rigoureux compte du revenu des Provinces , que leurs moindres né-
gligences étoient punies. Pe-là toutes les violences qu'ils exerçoient dans
la levée des droits Impériaux, & la haine qu'elles avoicnt attirée à Mote-
zuma, fous le règne duquel l'indulgence, dans ces odieufes commilîlons , n'é-
toit pas un moindre crime que la fr?ude & le larcin. Motezuma n'igno-
roit pas la mifère & les plaintes de fes Sujets; miis il mettoit l'opprelfion
entre les fines maximes de fa Politique. Les Places voifines de la Capita!c
lui fournilfoient des matériaux & des Ouvriers pour fes Edifices, qu'il mul-
tiplioit par des travaux continuels.
Le tribut des Nobles, outre l'obligation de garder fa perfonne dans l'in-
térieur du Palais , & de fervir dans fes Armées avec un certain nombre de
leurs Vaflaux, confiftoit à lui faire quantité depréfens, qu'il recevoit com-
me volontaires, mais en leur faifanc fentir qu'ils y étoient obligés. Ses
Tréforiers, après avoir délivré tout ce qui étoit néceflaire pour la dépenfe
de fa Maifon & pour l'entretien des Troupes, portoient le refte au Tre-
for , & le réduifoient en efpèces, fur tout en pièces d'or , dont les M?xi-
quains connoiflbient la valeur , fans en faire néanmoins beaucoup d'ufa-
ge; foit qu*ils n'en confidéraffent que la beauté, ou que, fuivant la ré-
llexion de l'Auteur Efpagnol, la deftinée de ce métal foit d'être plutôt
l'objet de l'avarice des Hommes, que le fecours de leurs véritables be-
ibins(p). -• •
• Le
(o) Solis, Liv. 3. Chap. 15. Herrcra dit llquc venoit cnfuito, & que les Spedacics
qu'auflî-tôt après fon foinuieil rEmpereur lui fiiccedoicnt, ubijui^rà, Ciiap. 7.
donnoit audience aiix Seigneurs i que la Mu- ip) Solis, Liv. 3. pajjc 543.
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. SS^
Le Gouvernement de l'Empire tutoie remarquable par le rapport de tou-
tes les parties. Comme il y avoit un premier Confeil des linanecs, dont
toutes les Cours fubalternes étoicnt dépendantes, il y avoit un Confeil lii-
prême de Juflice, un Confeil de Guerre, un Confeil de Commerce, & un
Confeil d'Etat, où non-feulement les grandes aiîaîrcs étoieiu portées direc-
tement, mais où les Sentences des l'ribunaux inférieurs pouvoient être re-
levées par des appels; ce qui n'empêchoit point que chaque Ville n'etk
d'autres Minières particuliers, fous I autorité 'de fon propre 'i'ribnnal, pour
toutes les caufes qui demandoicnt une prompte expédition. Cls Oilieiers,
3ui répondoient aux Prévôts de l'Europe, faifoicnt régulièrement leurs ron-
es, armés d'un bâton, qui étoit la marque de leur charge, & fuivis de
quelques Sergens. (Quoique leur pouvoir ne regardât que la Police , ils
avoient une Cour, dont les Jugemens ctoient fommaires 6: fans écriiures.
Les Parties s'y préfentoient avec leurs Témoins; iS. la conteltation étoit
décidée fur le champ. Mais il refloit toujours la voie de l'appel au Tiibu-
nal fupérieur j & le feu! frein de la chicane étoit une augmentation de pei-
ne d'amc?nde, pour ceux qui s'obftinant à changer de Juges étoieiit égale-
ment condamnés dans tous les Tribunaux. L'Empire n'avoit point de Loi.t
écrites. L'ufage tenoit lieu de Droit , & ne pouvoit être altéré que par
la volonté du Prince. Au refle tous les Confeils étoient compofés, non-
feulement de Citoyens riches, qu'on fuppofoit à l'épreuve de la corruption,
mais de ceux qui s'étoient diftingués par leur conduite dans les tems de paix
ou c\q guerre. Leurs fondions ne s'étendoient pas moins à récompenfer le
mérite, qu'à punir le crime, lis dévoient connoître & vérifier les talens
extraordinaires, pour en informer la Cour. Le principal objet de leur zè-
le étoit la punition de l'homicide, du vol, de l'adultère, & des moindres
irrévérences contre la Religion & la majâiîé du Prince. Les vices fe par-
donnoient aifément, parce que la Religion défarmoit la Juflice en les per-
mettant. Mais on punilfoit de mort tous les défauts d'intégrité dans les
Minillrcs. Il n'y avoit point de faute légère, pour ceux qui excrçoient des
Offices publics. Motezuma pouflbit la rigueur fi loin , qu'il failoir même
des recherches fecretes fur la conduite des Juges , jufqu'à les tenter par des
fommes confidérables , qu'il leur faifoit préfenter fourdement, par différen-
tes mains dont ils ne pouvoient fe défier; & le fupplice du Coupable faifoit
éclater auffi-tôt fon crime.
Le Confeil d'Etat n'étoit compofé que des Elefteurs de l'Empire, dont
les deux principaux étoient les Caciques de Tezcuco & de Tacuba , par une
ancienne prérogative, qui fe tranfmettoit avec le fang. Ils n'étoient appel-
lés néanmoins que dans les occafions extraordinaires , & pour les affairco de
la plus haute importance; mais les autres, au nombre de quatre, étoient
logés & nourris dans le Palais, pour fe trouver toujours prêts à paroîtrc
devant l'Empereur, qui n'ordonnoit rien fans les avoir confultés. C'etoienc
ordinairement des Princes du Sang Impérial , qui rempliiToient ces grandes
dignités. Ils étoient diflingués par des titres fort étranges, compofés de
pluiieurs idées, qui ne formoient qu'un mot dans la langue <lu Pays. L'un
fe nommoit Prince des Lances àjctter, un autre Coupeur iC Hommes; le troifiè-
me, EpiVicbcur de fang; & le quatrième, Heigncur de la Alaijon noire, l'ouï
XniL Par:. A a a a les
Dt'.?ci»rfTTOîif
ONS.
Conrcî
ta'-.
'TL-
DcscnirTiDN
rt. i..\ Nou-
VBLLB MSPA
Couronne-
iiKiu dcsMm-
licrciirs, &,
ilcvoirs qu'on
Iwi!!' in)puiuit.
554 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
les autres Conn.ils rclcvoicnt d'eux. Il ne fc palToit rien dans l'KmpIrc dont
on ne leur rendit compte. Leur principale aiterition rcgurdoit les .Sen-
tences de mort , qui ne s'executoient que pur un ordre formel de kur
main (</).
On a déjà remarqué que les Kmpcrairs Mexiquains ne reccvoicnt la Cr.ii-
ronno que Ibiis des coniiitions fort onéreulls. Après i'dicftion, le nouveau
Monarque ctoit obligé de Ce nv.ttre en Campagne à la rece de Tes 'l'roupcs,
6i de ri'mportcT quelque \ lélôirc lur les Knnemis de l'Kcac, ou dr conqu.:-
rir quelque nouvelle Province. C étoit par cette Politique militaire, que
riCmpire avoit reçu tant d'accroilllment, dans les derniers règnes. Aulli-
tôt que le fuccès des armes avoit jullifié le choix des Kki^^eurs, l'Kmpe-
reur rentroit triomphant dans la Capitale, 'l'ous les Nobles, les iMiniftrcs
& lesfSacrificateurs l'accompagnoicnt au 'l'emple du Dieu de la Guerre.
On y facrifioic, fous Tes yeux, une partie des Prilonniers. Il étoit rcvéïii
du Manteau Impérial. On lui mettoit dans la main droite une épéc d'or,
garnie de pierre à fulil, qui étoic le Cynibole de la Juftice ; & dans la main
gauche un arc & des tléches, qui délignoicnt le Commandement fuprême.
Alors le Cacique de Tczcuco lui couvroit la tétc d'une riche couronne. Un
des principaux Seigneurs, que fon éloquence failbit choidr pour cette fonc-
tion, lui adreflbit un long difcours, par lequel non feulement il le féliei-
toit de fa dignité au rom de fes l'euples, mais il lui repréfentoit les de-
voirs qui s'y trouvcient attachés. Enfuite le Chef des Sacrificateurs s'ap-
prochoit, pour recevoir un ferment, dont on ne connoît pas d'autre exem-
ple dûîîs tous les Gouvernemens humains. Outre la promcfTe de maintenir
la Religion de fes Ancêtres, d'obferver les loix de l'Empire, & de rendre
]a juflice à fcs Sujets, on lui faifoit jurer que pendant tout le cours de fon
règne, les pluies tomberoient à propos, les Rivières ne cauferoient point
de ravages par leurs dél>ordemens , les Campagnes ne feroient point affli-
gées par la flérilité, ni les Hommes par les malignes influences de l'air &
du Soleil (r). Un Hiftorien (j) prétend que l'intention des Mexiquains,
dans un ferment fi bifarrc , n'étoit que de faire comprendre à leur Souve-
rain , que les malheurs d'un Etat venant prefque toujours du défordre de
fadminiftration, il devoit régner avec tant de modération & de fagefle,
qu'on ne pût jamais regarder les calamités publiques comme l'efFét de fon
imprudence, ou comme une juile punition de fes déréglemens (t).
On
(q) Acofta, Liv. 6. Chap. 25.; Ilerrcra,
3 Décade, Liv. 2. Chap. 1 5-
(r_) Gomara, Liv. 2. Chap. 77.
(s) Solis, Liv. 3. Chap. 17.
(t) Gomara , qui paroît s'être attaché
beaucoup à la recherche des cérémonies du
Couronnement , en rapporte de fort fingu-
lières. „ On portoit, dit-il, le nouveau Priii-
„ ce au grand Temple , tout nu , avec un
„ profond filence. 11 s'y proflernoit à terre ,
,, & baifoit le pavé, devant l'Idole de Vitzi-
„ lipuztli. Le grand Prôtre, en habits Pon-
i, tilicaux, & fuivi de pliificurs autres Prâ-
., très vôtus de longues robbes, lui venoit
,, oindre tout le corps d'une teinture fort
,1 noire. Enfuite, faifant fur lui quelques
,, bénédiftions , il l'arrofoit d'une eau mêlée
„ de feuilles de cèdre , qui étoit gardée
,, dans le Temple. Il lui mettoit, fur la tè-
„ te, un manteau blanc, tout femé de figu-
„ res de têtes de Morts , fur lequel il en met-
,, toit un autre de couleur noire , & fur ce-
„ lui-ci un autre encore , blanc célefte. H
„ lui mettoit au col certains lacets rouges ,
,, auxquels étoient attachées les marques Ro-
„ yales, & fur les épaules, une petite co-
i> qui!-
ou DE LA NOUVELLE ESPACNE, Liv. II. $55
On ne connoifToit point de pliii grand bonheur, au Mcxîqilc, que celui IJeMJ-^irmw
plaire u l'Empereur, & fur tout d'obtvnir Ton eftime par la voie tle« ar- JJ^j';.* jvljjj*
;s. C'étoit l'imique chemin qui fût ouvert au Peuple pour s't'Ievcr au raii^ ' oxe/
de
mes
des Nobles, & aux Nobles m-imes pour arriver aux plus hautes dignités
de l'Empire. Motczuma H , ayant compris de quelle importance il etoit,
pour le Ibiitien de la grandeur, d'entr^'icnir cette idée parmi Çqs Sujets,
avoit inventé des prix d'honneur pour ceux qui fe diflinguoicnt à la Guer-
re. C'étoit une efpèce de Chevalerie, ou d'Ordres militaires, qui ctoit
didinguée par un habillement particulier & par d'autres marques. Lei
llilloriens nomment trois de ces Ordres , fous les titres de Chevaliers de
l'Aigle , du Tigre, & du Lion, qui portoienc la figure de ces Animaux,
pendue au cou , & peinte fur leurs habits. Le même Prince avoit
fondé un Ordre fupérieur, pour les Princes & les Nobles, où il s'étoit en*
rollé lui-même , pour lui donner plus de conlidération. Les Chevaliers
avoient une partie de leurs cheveux liée d'un ♦•uban rouge & de gros cor-
dons de même couleur , qui fortant d'entre les plumes dont leur tète étoit
ornée, pendoient plus ou moins fur leurs épaules, fuivant le mérite de
leurs exploits, qu'on diftinguoit par le nombre des cordons. On augmen-
toit ce nombre, avec beaucoup d'appurei!, à mefure que le Chevalier fc
diflinguttit par de nouvelles vertus; réferve fort adroite, qui mettoit des-
degrés dans l'honneur même, & qui ne laifToit jamais refroidir l'émulation.
te dignité, qui étoit la première, après l'Empereur, n'étoit accordée qu'aux
Fils des principaux Seigneurs de l'Empire. Trois ans avant l'initiation ,
celui qui étoit deftiné à la Chevalerie invitoit à la Eéte, fes Parens, fes
Amis, les Seigneurs de fa Province, & tous les anciens Tecuitles. 11 pa-
roît que cet intervalle étoit établi, pour donner le tems au Public de faire
des recherches fur la condite du Novice, & pour former des objections
contre fon courage & fes mœurs. On n'obfervoit pas moins, fur-tout en-
tre les Parens &* les Amis, s'il n'arrivoît rien dans un li long efpace, qui
dût pafler pour un mauvais augure. Le jour de TAflemblée, tous ceux qui
la compofoient , parés de leurs plus riches ornemens, conduifoient le No-
vi-
OrJrc lie
Chcviilcrio
McxltiuaiiK-,
r'i.'rcinônir.s
de 1.1 'vccp-
tiyi).
„ quille pleine de poiulr.
,, fcrvcr de fortilcgc, di-
qui djvoit leprc-
y;\\c , & de tout
autre mal. Enfin, il lui ii' richoit, au bras
„ gauche, un fachet plein d'jnccns, &. lui
„ mettoit dans la main droite uw encenfoir,
.. rempli de charbons ardens. l/Kmpercuv fe
,, Icvoit alors, encenfoit l'Idole, & s'aireyoiL
„ pour' entendre le difcours qui lui étoit a-
„ drclTé par un Seigneur , i^c. II étoit con-'
,, duit cnfuite dans une grande fa'.lc duTem-
,, pic, & chacim s'étant retiré, il fe plaçoit
„ fur un lit, pour ne \)as fortir de quatre
j, jours, qu'il cmployoit en orailoiis, en pé-
nitences & en f icrifices. Il ne mangcoit
qu'une fois le i<>ur. 11 fc baigrtoit la nuit
en {grande eau , ec s'y tiroit du fang des
oreilles. I,es onVandcs de pain, de fleur-;
& de fruits, q'i'jl i'aifoit aux Idolçs, dé-
voient être teuii.es du fang de fa langue^
de l'on nez, de fes mains, & d'autres par-
ties. Après les quatre jours, on le vcnoit
j)rendre pour le conduire à fon Palais avec
des rw^jouifllmccs fort éclatantes. Ces céré-
monies, (juc Gomara nomme fon Sacre,
le rcndoicnt fi relptclable, qu'on n'ofpii;
ï au vifi^e", Ubl fiiprà.
„ plus le rcgni'ae
A aa a 2
55(5 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Descrwtjôm yice ^ l'Autel. Il fe mettoit à genoux, avec une égale aiFeftation de gran-
vitE* Espa'. *^^"^ ^^^^^ ^ ^^ P*^^^- ^" Prêtre, qui fe préfentoit auflî-tôc, lui perçoit
cNE. ' le nez, d'an os pointu de Tigre, ou d'un ongle d'Aigle, & mettoit de pe-
tites pièces d'ambre noir dans les trous. Après cette douloureufe opéra-
tion, qu'il de voit Touifrir fans aucune marque d'impatience, le Prêtre lui
adreflbit un difcours auflî ennuyeux par fa longueur, que piquant par les
injures dont il étoit rempli; & paflant des paroles aux aftions, il lui fai-
foit diverfes fortes d'outrages , qui aboutiflbient à le dépouiller de tous fes
habits. Il fe retiroit nu dans une Salle du Temple, où il s'afleyoit à ter-
re, pour y pafTer lerefle du jour en prières. Pendant ce tems-là, toute
l'Aflemblée faifoit un grand feflin, auquel il n'avoit aucune part, & quoi-
Jjue la joie fût poulTée fort loin en fa préfence, c'étoit fans lui adrefler un
èul mot. A l'entrée de la nuit , tout le monde fe retiroit , fans le regarder
& fans lui dire adieu. Alors les Prêtres apportoient un manteau fort grof-
■ der, pour le vêtir; de la paille, fur laquelle il devoit coucher, & une piè-
ce de bois fort dur , pour lui fervir de chevet. Ils lui '^onnoient de la tein-
ture, pour fe frotter !c corps; des poinçons pour fe percer les oreilles, les
bras & les jambes ; un encenfoir & de la poix groffière pour encenfer les
Idoles. Ils ne lui laiflbient pour compagnie que trois vieux Soldats, des
• plus endurcis aux fatigues de la guerre , qui étoient chargés , non - feule-
ment de l'inftruire, mais de troubler continuellement fon fommeil, parce
qu'il ne devoit dormir que quelques heures, & aflis, pendant l'efpace de
quatre jours. S'il paroiflbit un peu s'aflbupir, ils le piquoient avec des
poinçons pour le réveiller. A minuit, il devoit encenfer les Idoles, &
leur offrir quelques goûtes de fon fang. Il faifoit, une fois pendant la nuit,
le tour de l'enclos du Temple; & creufant la terre en quatre endroits, il y
enterroit des cannes & des cartes teintes du fang de fes oreilles, de fes
pies , de fes mains & de fa langue. Enfuite il prenoit fon repas , qui con-
fiftoit en quatre- épis, de maïz & un verre d'eau. Ceux, qui vouloient fe
diflinguer par leur force & leur courage, ne prenoient rien pendant quatre
jours. A la fin de ce pénible terme, le Chevalier demandoit congé aux
Prêtres , pour aller continuer fon Noviciat dans les autre* Temples. Ses
exercices y étoient moins rigoureux , mais ils duroient pendant tout le ref-
te de l'année ; & dans une fi longue pénitence il ne pouvoit aller à fa Mai-
fon , ni s'approcher de fa Femme. Vers la fin de l'an , il commençoit à
chercher un jour heureux , pour fortir avec des augures aulîî favorables
qu'il étoit entré ; & lorfqu'il croyoit avoir fait un bon choix , il en faifoit
avertir fes Amis , qui venoient le prendre à la pointe du jour. On le la-
voit, on le nétoyoit foigneufement. On le remenoit, au milieu des inf-
trumens & des cris de joie, au premier Temple, qui étoit celui de l'Idole
Camaîlé. Là , fes Amis le dépouilloient de l'habit groflTier qu'il avoit por-
té fi long-tems , & lui en faifoient prendre un très riche. Ils lui lioient
les cheveux d'un ruban rouge , & le couronnoient des plus belles plumes.
On lui mcccoit un arc dans la main gauche, <& des fiécnes dans la droite.
Le grand Prêtre lui faifoit une longue harangue , qui ne contenoit que des
éloges de fon courage , & des exhortations a la vertu. Il lui recomman-
doit particulièrement la défenfe de fa Patrie & de fa Religion j & lui rap-
pel-
ion de gran-
, lui perçoit
ettoic de pe-
reufe opera-
e Prêtre lui
[uant par les
s, il lui fai-
r de tous fes
Teyoit à ter-
as -là, toute
irt, & quoi-
i adrefler un
s le regarder
:au fort grof-
, & une piè-
nt de la tein-
oreilles, les
encenfer les
Soldats, des
, non-feule-
imeil, parce
; l'efpace de
mt avec des
s Idoles, &
dant la nuit ,
ndroits, il y
illes, de fes
as , qui con-
vouloient fe
idant quatre
congé aux
impies. Ses
t tout le ref-
r à fa Mai-
mmençoit à
î favorables
il en faifoit
On le la-
ieu des inf-
ui de l'Idole
1 avoit por-
s lui lioient
:Iles plumes,
us la droite,
noit que des
recomman-
& lui rap-
pel-
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 557
pellant qu'il avoit eu le nez percé d'un os de Tigre & d'une griffe d'Ai-
gle, le nez, c'eft-à-dire la plus haute partie de l'Homme , & ceJJe qui fe
pféfente la première , il lavertifloit qu'auffi long-teras qu'il porteroit les
cicatrices de ces glorieufes bleflTures , il devoit faire éclater dans tou-
tes fes aftiorts la noblefle de l'Aigle & l'intrépidité du Tigre. Enfin ,
le grand Prêtre lui donnoit un nouveau nom, & le congedioit en le bé-
niflant.
GoMARA pafle, de ce récit, à celui de la Fête qui fuivoit l'initiation du
nouveau Tecuitle. Après avoir décrit les viandes , les préfens , les réjouif-
fances & toutes les folemnités de ce grand jour , il craint que fa relation ne
paroiffe incroyable ; mais il n'en aflfure pas moins qu'elle efl: certaine, &
qu'il ne la donne que fur le témoignage de ies propres yeux. Il ajoute que
les Tecuitles fe mettoient , dans les trous que le Prêtre leur avoit fait au
nez , des grains d'or, de petites perles, des turquoifes, des émeraudes, &
d'autres pierreries ; qu'avec cette principale marque de leur Ordre , ils fe
lioient les cheveux au fommet de la tête, lorfqu'ils alloient à la guerre;
qu'ils jouiiToient d'ailleurs du droit de preféance dans toutes les AiTem-
blées de guerre & de paix , & du privilège de pouvoir faire porter un fiége
à leur fuite, pour s'alTeoir lorfqu'ils le defireroient (î>).
(^v) Gornara, ubifuprà, Liv. 2. Ch. 78.
Acofta parle d'un Monument de Chapulte-
peque, où l'on voyoit encore Motezuma &
fon Fils en habits de Chevaliers. 11 compte ,
entre les diftinftions du premier Ordre, le
droit d'avoir tout le corps armé en tems de
Guerre ; au lieu que les Chevaliers des autres
Ordres n'étoient armés, dic-il, quejufqu'àla
ceinture. Les Chevaliers de tous les Ordres
pouvoient porter de l'or & de l'argent, fe
vêtir de riche coton , fe fervir de vafes peints
& dorés , & porter des fouliers ; mais il n'étoit
pas permis au Peuple d'avoir les pies chauffés,
ni d'employer d'autres vafes que de terre, ni
de fe couvrir d'autre étoffe que de Neguen ,
qui étoit un drap fort groflîcr. Chaque Or-
dre de Chevalerie avoit fon logement au Pa-
lais, diftingué par fa marque: le premier fe
nommoit le quartier des Princes ; le fécond
celui des Âiglos; le troiflème celui des Lions
& des Tigres, & le quatrième des Gris, qui
étoit le dernier Ordre, diftingué par la forme
de leurs cheveux , qu'ils portoient coupés en
rond par deffus l'oreille. Les autres Officiers
occupoient des logemens inférieurs ; & per-
fonne ne pouvait changer le fien, fous peine
de mort. Acofla^ vbijuprà, Liv. 6. Ch. 26.
C'eft cet étallage de grandeur qui fait dire au
même Ecrivain , que les Péruviens étoicnt le
plus riche Peuple de l'Amérique en cr & eu
argent, mais que lesMexiquainsl'empo.rtoient
par la magniiicence de leur Cour , & par la
beauté de leurs Paldis.
Descsiptio»
DE LA Nou-
velle ESPA*
GNE.
Religion, Divinités, Temples, Prêtres, Sacrifices, 0* Fêtes des
Mexiquains.
SoLis prétend que malgré la multitude des Dieux du Mexique, que les
premières Relations font monter jufqu'à deux mille, on ne lailToit pas
de reconnoître, dans toutes les parties de l'Empire, une Divinité fupé-
rieure, à laquelle on attribuoit la création du Ciel ik de la Terre; mais
que cette première caufe de tout ce qui exifte étoit pour les Mexiquains
un Dieu fans nom, parce qu'ils n'avoient point, dans leur larigae, de ter-
me pour l'exprimer («). Ils faifoient feulement comprendre ij^u'ils la con-
nojf..
(a^ UM fuprà, Liv. 3. Chap. 17. lier- & que c'étoit le principal point de itW
ïcta dit qu'ils couÊeûbient UQ Dii'U fuprôxne , croyance; qu'ils toi)K'inpioiN,ut k Ciel, ^.
A au a q 'j'-'*-'
Principes de
iaPvcligion du
Mexique,
V£LtE
ONE,
l
558 DESCRIPTION DU MEXIQUE;
DaicniPTioN noiflbient, en regardant le Ciel avec vénération. Cette idée, ajoute le
ïîiA* ÈspA- n^éme Hiftorien , fervit peu à les défabufer de l'idolâtrie. Il fut impoflible
de leur perfuader tout d'un coup que le même Pouvoir qui avoit créé le
Monde, fût capable de le gouverner fans fecours. Ils le croyoient oifif
dans le Ciel. Ce qui paroîc de plus clair dans leurs opinions , fur l'origi-
ne des Divinités qu'ils adoroient, c'efl que les Hommes commencèrent à
les connoître à mefure qu'ils devinrent miferablej, & que leurs befoins fe
multiplièrent. Ils les regardoient comme des Génies bienfaifans, dont ils
ignoroient la nature, & qui fe produifoient lorfque les Mortels avoient bc-
foin de leur affiftance. AinCi c'étoient les néceflîtés de la race humaine
ui donnoient l'être, fuivant des notions fi confufes, aux â-fférens objets
e leur culte.
Ils ne laiflbient pas de reconnoître l'immortalité des Ames, & de les
croire deflinées à des punitions ou à des récompenfes. Toute leur Reli-
gion , dit Gomara (A), étoit fondée fur ce principe; mais ils expli-
quoient mal leurs motifs d'efpérance & de crainte, c'efl-à-dire, en quoi
confifloit le mérite ou l'ofFenfe qui devoit décider de leur fort. Cependant
ils diftinguoient quantité de' lieux où l'Ame pouvoit palier en fortant du
corps. Ils en mettoicntun, près du Soleil, qu'ils nommoient la Maifon
du Soleil même, & qui étoit le partage des gens de bien, de ceux qui é-
toient morts au combat, & de ceux qui avoient été facrifiés par leurs En-
nemis. Les' Médians étoient relégués dans des lieux fouterrains. Les
Enfans, & ceux qui nailToient fans vie, avoient leur demeure marquée.
Ceux qui mouroient de vieillefle ou de maladie en avoient une autre. Ceux
qui mouroient fubitement , ceux qui s'étoient noyés, ceux qui étoient pu-
nis de mort pour le vol ou radultère, ceux qui. avoient tué leur Père, leur
Femme ou leurs Enfans, leur Seigneur, ou un Prêtre, enfin , tous avoient
leur deilination dans des lieux féparés, qui cûnve;iojent à leur âge, à la
conduite de leur vie & au genre de leur mort.
La principale Idole desMexiquains, qu'ils traitoient, fuivant Acofl:a(c),
de Tout-puillhnt Seigneur du Monde, étoit adorée fous le nom de Fitzi-
ïipuztU. C'étoit une Statue de bois, taillée en forme humaine, aflîfe fur
une boule couleur d'azur , pofée fur un Brancard , de chaque coin duquel
fortoit un Sei-pent de bois. Elle avoit le front azuré , & par-defTus le nez
une bande de la même couleur, qui s'étendoit d'une oreille à l'autre. Sa
tête (?toit couronnée de grandes plumes, dont les .pointes étoient fort bien
dorées. Elle portoit dans la main gauche une rondache blanche, avec
cinq figures de pommes de Pin diipofées en croix , & au fomrnet une forte
de cimier d'or accompagné de quatre. flèches, que lesMexiquains croyoient
envoyées du Ciel.. Dans la main droite, elle avoit un Serpent aznrc.
Vit-
Principales
Idoles.
qu'ils lui donnoient les noms de Créateur ,
à d'Admirable ; mais qu'outre leurs Idoles,
ils adoroient le Soleil, la Lune, l'Etoile Cid
jour, la Mer & la Terre, & que c'étoit par
cette railbn qu'ils appellùrv.nt Cortez Fils
du Soleil; que d'ailleurs , ils fe faitbicnt
fouvent de bouvcavu objets de culte & des
Images dj diverfes fiq:ur(N , fur-tout à Mexi-
co, à Tezcuco, à Tlarcala &: à Cliolula, où
la fiiperltition étoit i:lus lU'.l-iite que dans les
Provinces éloignées, î(/'i/«;)r.'t Cliup, 15,
(h) Ubifupi-à, Liv. 2. Chap. 79.
(c) Ubi fiiprà, Liv. 5. Chap. 4.
OV DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II.
SS^
DE i.A Nou-
velle EïrA"
CNB.
Vitzilipir/iii (d) étoit le Dieu de la Guerre. Tcfcatilputza, qui paroîc DsscnrpTTO»
avoir tenu ir iecond ""ang, ctoïc le Dieu de la Pénitence; c elt-a-dire que
les Mexiqu.iins s'adr'^irojent à lui pour obtenir le pardon de leurs fautes.
Cette iùole étoit de pierre noire, auflî 1 fante qu'un marbre poli, vêtue
& parée de rubans. Elle avoit, à la lèvre d'enbas, des anneaux d'or &
d'argent, avec un petit tuyau de cryftal , d'où fortoit une plume verte,
qu'on changeoit queli^uefois pour une bleue. La trèfle de fes cheveux, qui
lui férvoit de bande, éroit d'or bruni; & du bout de cette trelfe pendoic
une oreille d'or, un. peu fouillée d'une efpèce de fumée, qui repréfentoit
les prières des Pécheurs & des Affligés. Entre cette oreille & l'autre, on
voyoit fortir des aigrettes; & la Scatue avoit au cou un lingot d'or,, qui
delcendoit aflez pour lui couvrir tout le fein. Ses bras étoient ornés de
chaînes d'or. Une pierre verte, fort précieufe, lui tenoit lieu de nombril.
Elle portoit , dans la main gauche, un chatle-mouche de plumes, vertes,
bleues ôi jaunes, qui fortoient d'une plaque d'or fi bien brunie, qu'elle
faifoit l'effet d'un miwir ; ce qiii fignifioit que d'un feu! coup d'œil, l'Idole
voyoit tout ce qui fe fai'bit dans l'Univers. Elle tenoit dans la main droite
quatre dards, qui marquoient le chfitimenc dont les Pécheurs étoient me-
nacés. Tefcatilputza étoit le Dieu le plus redouté des Mexiquains , parce
(. .'ils appréhendoient qu'il ne révélât leurs crimes; & fa Fête, qu'on ce-
lébroit de quatre en quatre ans, étpit une efpécè de Jubilé, qui appdrtoit
un pardon général. 11 pafToit aufl» pour le Dieu de la (lérilité & du deuiK
Dans les Temples où il étoit honoré à ce titre, il étoit aftîs dans un fau-
teuil avec beaucoup de Maîeflé, entouré d'un rideau rouge, fur lequel
étoient peints des cadavres & des os de Morts. On le repréfentoit auffî
tenant de la main gauche un Bouclier, avec cinq pommes de Pin, & delà
droite un dard prêt à frapper. Quatre autres dards fortoient du Bouclier.
Sous toutes ces formes, il avoit lair menaçant, le corps noir, & la tête
couronnnée de plumes de Caille.
Les Cholulans, Peuple aiTez voifins de Mexico, adoroient une Idole,
dont la réputation attiroit des Pèlerins de toutes les Provinces de l'Empire.
C'étoit la Divinité des Marchands, qui fe nommoit Quatzakoatl Elle é-
toit dans un Temple fort élevé , au milieu d'un tas d'or & d'argent , de
plumes rares & de marchandifes d'un grand prix. Sa taille étoit celle d'un
Homme, mais avec une tête d'Oifeau , qui avoit le bec rouge; & fur ce
bec , une crête & des verrues, avec plufieurs rangées de dents & la lan-
gue en dehors. Sa tête étoit couverte d'une efpèce de mîtrc, qui fe ter-
minoit en pointe, & fa main étoit armée d'une faulx. On lui tenoit les
jambes ornées de diverfes fortes de bijoux d'or & d'argent , pour exprimer
les faveurs qu'elle avoit le pouvoir d'accorder. Son nom fignifioit , Set'
pent de plume riche (e). Le Mexique avoit auflli des Déeiles, dont la
principale fe nommoit TdZi^ c'eft-à-dire, V/Jyeule commune. Matlalcuict
étoit
{à) Diaz de Caftro dit que les premiers riiiain. II fignifioit, fuivant Acofla, Maîfon
Efpagnols l'avoient noumiée Huicbilobos, rehiifante déplumes; & {uW^ntliQïïex^, ft'
& n'en apporte pas d'autre rai fou que la dif- mitres de plumes reluifantes.
Cculté d'écrire & de prononcer le nom Mcxi- ( e ) Acgfta & Herrera , itbi fuprà.
560
li
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
PtSCniPTION
UE T,.\ Nuu-
VEM.P Ei-I'A-
OHE.
Temples &
Chapelles.
Defcriptîon
«lu grand
Temple de
Mexico.
étoit Dcefle de l'eau , comme Ometocbtli étoit le Dieu du vin. Elle étoic
revêtue d'une chemife de couleur bleu célefte. On trouva, du côté d'A-
cipulco, des Idoles qui portoient des bonnets de la forme des nôtres. Il
paroît d'ailleurs que le Peuple adoroit tout ce qu'il croyoit utile ou nuifible
aux Hommes (/).
Il ert: difficile de donner une jufte idée des Temples Mexiquains. Tous
les Hiftoriens conviennent que leur forme étoit d'une finguiarité, dont l'I-
dolâtrie n'a jamais rien eu d'approchant. Mexico en contenoit un grand
nombre, difperies dans les différens quartiers, auxquels Herrera ne fait
pas difficulté de donner le nom de Paroifles. Ils avoient tous leurs Tours ,
où l'on montoit par des dégrés. On y voyoit, non-feulement quantité
d'Autels, qui ofFroient les Images & l'es Statues des Dieux, mais plufîeurs
rangs de Chapelles , qui fervoient de fépultures pour les Seigneurs ; comme
les cours & les efpaces voifins du Temple étoient le Cimetière du Peuple.
Tous ces Edifices étoient bâtis dans le même goût , excepté que les uns
étoient plus fpacieux, plus hauts & plus ornés que les autres. On trcave,
dans les premiers Hiftoriens, une defcription du grand Temple, qui étoit
confacré à Vitzilipuztli, & qui portoit,par excellence, le nom A^Teutcalli ^
c*eft-à-dire. Mai/on de Dieu. Donnons celle d'Herrera, mais fans en ga-
rantir la juftefle (g).
Sa forme générale étoit quarrée ; & d'angle en angle, il avoit en lon-
gueur la portée d'une balle de moufquet. L'enceinte étoit de pierre, d'en-
viron fix pies de hauteur. Quatre grandes portes, qui fervoient d'entrée,
répondoient aux trois Chaufiées du Lac, & du côté de la terre, à lapins
large rue de la Ville. Au milieu de cet efpace quarré, qui étoit découvert
& fort uni, s'élevoit une plate-forme, fur laquelle étoit un bâtiment de
pierre, quarré comme la cour, & long de quinze toifes d'angle en angle,
avec plufieurs faillies, qui foutenoient autant de pyramides, de la forme
qu'on donne à celles d'Egypte. L'Edifice diminuoit en largeur, comme ks
pyramides, à mefure qu'il s'élevoit: mais, au lieu de fe terminer en poin-
te , le fommet étoit plat & uni, & formoit un efpace quarré de fix ou fepL
toifes. La face de l'Occident étoit fans faillie; mais elle avoit des dégrés,
pour monter à découvert jufqu'au fommet. Ces dégrés étoient d'environ
huit pouces, & l'on en comptoit cent treize ou cent quatorze; quelques-
uns difent, cent trente. Ils étoient de très belle pierre, & faits avec tant
d'art, qu'ils paroiflbient également beaux, de prés & dans i'éloignemenr.
C'étoit
(/) Ils adoroicnt, ditGomara; le Soleil,
le Feu, l'E-ui & la Terre pour le bien qu'ils
en recevoient; le Tdnnerre, les Eclairs &
tous les Météores, parce qu'ils les redou-
toicnt ; quelques Aniuiaux , A caufe de leur
douceur, & d'autres à caufe de leur fierté.
Îe ne fais dans quelle vue ils avoient des Ido-
es qui rcpréfentoient des Papillons. Ils ado-
roicnt des Sauterelles, & des Grillons, afin
que leurs moiflbns n'en fulFent pas mangées;
les Puces & les Mouches, pour n'en être
pas piqués pendant la nuit; les Grenouil-
les, afin qu'elles leur donnaient du poif-
fon, dont ils les reconnoiflbient pour les
Déeflcs , parce que c'efl le feul poilTon qui
ait une forte de voix, ubi J'uprà, Liv. 2.
Chap. 90.
(g) Celle d'Acofla efl peu différente;
nuiis il paroît qu'elle réunit deux Tcnipleà,
& Solis, qui l'adopte, n'a pas fait cette ob-
fervation.
Nuta. Voyez le Grand Temple de Mexico ,
«uTomeXVI. R. d, E.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. s6t
C'é toit un fpèftacle magnifique, que d'y voir monter & defcendre les Prê-
tres , vêtus des habits qui répondoient à leurs fondions. L'efpace , qui
formoitle fommet du Temple, contenoit deux grands Autels, féparéslun
de l'autre, & fi proches au mur d'appui, qu'il ne refl:oit de place entre
deux que pour le paflage d'un Homme. L'un des deux Autels étoit à droi-
te , & l'autre à gauche. Leur hauteur n'étoit que de cinq palmes : mais
chacun étoit adolTé contre fon mur de pierre, qui fe courbant en ceintre
formoit une Chapelle; & ftir les deux Chapelles, comme Air une bafe com-
mune, onavoit conftruit trois planchers de charpente, l'un fiir l'autre à
difl:ance égale, revêtus & lambrifles avec tant d'art, qu'on auroit pu les
prendre pour un ouvrage de maçonnerie. Ce fiircroît d'édifice, qui s'éle-
voit par-defllis la pyramide , lui donnoit l'apparence d'une très haute Tour.
Auffi la voyoit-on de fort loin ; comme on découvroit de ce lieu toute la
Ville & le Lac , avec les Villes & les IJourgades voifines , qui compofoient
une des plus belles perfpe6lives du monde. Motezuma y conduifît Cortez
& Tes Omciers, peu de jours après leur arrivée, Cette vue les frappa d'ad-
miration. Cortez en loua Dieu , fuivant les termes de l'Hiftorien. Il de-
manda aux Ëfpagnols qui l'accompagnoient , s'ils ne fe croyoicnt pas dé-
dommagés de tous leurs travaux par un fi beau fpeélacle ? & cette idée lui
échauffant l'imagination , il fe promit , du même lieu , la Conquête de l'Em-
pire, comme du centre d'une vaflie contrée, dont fon courage lui faifoit
embrafler toute l'étendue (h).
Pendant les Prières & les Sacrifices, c'étoient les Prêtres feuls qui occu-
poient le fommet du Temple. Tous les Aflîfl:ans fe tenoient au bas des
dégrés , les Hommes d'un côté & les Femmes de l'autre , le vifage tourné
au Levant. Chacun des deux Autels avoit fa Statue. La ^principale étoit
celle de Vitzilipuztli ; mais on lui aflTocioit Tlaloch, autre Divinité qui par-
tageoit les mêmes honneurs ( / ). Outre la Tour que les deux Chapelles
formoient fur la grande pyramide, on en comptoit plus de quarante autres ,
. . - ■ - . . - : .. .-. -^ - : de
DEJCRIPTtOïT
nB LA Nour
VELLE EsrA-
UNI.
> )
' de Mexico ,
(fc) Herrera, Décade 3. Chap.17.
(») Suivant Acofta & Solis le plancher
étoit fort proprement couvert de carreaux
de jafpe de diverfes couleurs. Les piliers
d'une forte de baluflrade, qui règnoit autour
de cet efpace, étoient tournés en coquille de
Limaçon, & revêtus fur les deux faces,
de pierres noires femblables au jais, ap-
pliquées avec art . & jointes avec un bitume
rouge & blanc Aux deux bouts de la ba-
luflrade, ceft-à-dire dans l'endroit où les
dégrés finiflbient, deux Statues de Marbre
foutenoient , dans une attitude qui exprimoit
fort bien la péfanteur du poids , deux grands
candélabres d'une forme extraordinaire. Plus
avant, une pierre verte, haute de cinq pal-
mes, taillée en dos- d'âne, & placée entre
les deux Autels . étoit le lieu où l'on plaçoit
fur le dos les Victimes humaines , pour ^eur
Xmi. Part.
fendre reftomac & leur arracher le cœur.
Le tréfor des deux Chapelles étoK d'un prix
ineflimable. Les murs mêmes, comme les
Autels , étoient couverts de pierres précieu-
fes & de joyaux d'or & d'argent fur des plu-
mes de toutes fortes de couleurs. Jcojla,
Liv. 5. Ch. 13; & Solis, Liv 3. Ch 13. A
la defcription qu'on a faite de la grande Ido-
le, telle qu'elle étoit dans tous fcs Temples,
Herrera joint, dans celui de Teutcalli, une
grpffe chaîne d or , qui la ceignoit au milieu
du corps, &un gros collier d or, qui s'éten-
doit jufques fur les épaules, orné de dix
cœurs d'Hommes du même métal. Les deux
Statues avoient, pour yeux, des pierres fort
luifantes, qui caufoient beaucoup d'effroi,
fur-tout pendant la nuit; & fur la nuque du
cou, un vifage de Mort , aufTi épouvantable
que tout le refte. Ubifupr^,.Ch,iii, ,
B b b b
S6i D ES C JR. J PT lO N DU MEXIQUE,
BuaimoM de différentes grandeors, fur les pyramides des faillies, & dans plufieuri
yitix EuA- *"^^* P^"" Temples qui étoient autour du grand. Quoiqu'ils fulîbut de
mn. même (Inifture, ils n'étoienz pas tournés vers l'Orient, mais vers d'autres
endroits du CieJ; pour honorer Vitzlipiuttili pjir cette diftinéèion. Ceux
qui étoient confacrés à QuatzalcoatI étoient ronds dans leur fornne, >&kur
porte reiTembloit à la gueule ouverte d'un Serpent. A chacune des <|na4:re
portes du grand Temple, on trouvoit une valle falJe, àc des chambres han-
tes Abafles, qui fervoient de Magallns d'armes: car les Temples Soient
tout à la fois des lieux de Prières & des Fortereflès , où l'on portoit pen-
dant la Guerre toutes fortes de munitions pour la défenfe de la ViPle. Quani-
tité d'autres Edifices aboutiflbient de toutes parts aux murs d'enclos ,
& fervoient de logement aux Minières des Idoles. On y voy<Mt de
grandes cours , de« jardins , des étangs , & toutes les commodités né>cef-
faires à plus de cinq mille perfonnes , qu'on y entretenoit pour le fervi-
ce de la Religion, lls^jouiflbient du revenu de plufieurs Villages, qui les
mettok dans une abondance, réfervée dans toutes les Nations pour les
Qiefs du Clergé.
Holechcrie. QtJCMQUE Vitzilipuztli fût le principal Dieu des Mexiquains, on confef-
Toit, dans un des étages qui étoient au-defTus des deux Autels du grand
Temple, une Idole plus chère encore à la Nation, mais dont le cukeétoit
moins régulier, & n'avoit que des jours foleranels, où la dévotion du Peu-
ple éclatoit avec beaucoup d'ardeur. Elle étoit compofée de toutts les fè-
menées des choies qui fervent à la nourriture des Hommes, moulues &
paîtries enfeiwble avec du fang des jeunes Enfans , des Veuves & des Vier-
ges facrifiées. Les Prêtres la faifoient fécher foigneufèment ; & toute gran-
de qu'elle étxntf elk pefoit peu. Le jour de fa confécration , non-feule-
ment tous les Habitans de Mexico, mais ceux de toutes les Villes voi-
fines aiffilloient à cette JFéte , avec des réiouïiTances extraofviinaires.
Les plus dévots approchoient de f Idole , Id ùouchoient avec la main ,
appliquoient à fes principales parties divers bijoux , qu'ils croyoient fanfti-
fiés par fa vertu , & lés regardoient comme un préferva^if contre toutes
fortes de maux. Après- cette cérémonie , l'Idole étoit renfermée dans un
San£luairê, dont l'entrée étoit interdite aux Séculiers, & même au com-
mun des Prêtres. On béoiObit en même teros, avec de graïuks cérémo-
' nies, un vafe plein d'eau., qu'on gardoit dans le même lieu. Cette eaa
facTce n'avoit que deux ufages, l'un pour le couronnement de l'Empe.
reur , & l'autre pour l'éleâion du Général des Armées. On les arrofoic
par afperQon , & l'on en £iifoit boire au Général. L'Idole étant d'une
matière que le tems ne manquoit point d'akerer , on la renouvelloit quel-
quefois avec les mêmes formalités. Alors la vieille éto'.t raife en piè-
ces, qu'on diftribuoit comme de préoieufes reliques entre les premiers
Seigneurs de l'Empire, fur-tout aux Officiers militaires. On iàiknt auifi
dans le grand Temple, à certains jours de Tannée, une Idole dont la ma-
tière pou voit fe manger, & que les Prêtres dépeçoient, pour ea donner
les fragmens à ceux qui venoient les recevou-. C'éioit une efoèce de
communion, à laquelle on fe préparoit par des prièree & des parifications
ita-
(
au DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL s^
établies. L'ExMpeieur même alSifh)ic k cette cérémonie, avec une partie
de fa Cowc (k).
SoLis ne met pas moins de deux mille Temp^'es (/) dans la Capitale
du Mexique, fans y comprendre le grand, & huit autres qui ëtoienc,
dit-il y auffi riches , & bâtis à-peu-prés fur le même modèle. Mais il y
a beaucoup d'apparence qu'il a pris le nombre des Divinités pour celui des
Temples, ou qu'il a cru que las Mexiquains comptant environ deux mille
Dieux, ils devaient leur avoir élevé le même nombre d'Edifices. AcoAa,
qu'il fain profeffion de fuivre, n'en nomme (m) que huit avec le grand.
Herrera. nTen coxnpte pas plus ( » ) ; <& Gomara dit encore plus Amplement
qu'il y avrjt plufieurs autres Temples dans Mexico (o). On a fait obfer»
ver auffî que dans- la Defcription du Teuccalli, Solis avoit confondu les
propriétés de quelques autres Etabliffemens Politiques ou Religieux. Tel
efl celui qu'Herrera nomme \e Cimetière des Sacrifices y & donc les premières
Rjektions Eipagnoles ont donné la rcpréfentation. ' ■• • ' ' ■■'■^
QuoBQp'uiNE.partie des Viélimes- humaines fût facrifiée dans le grand Tem-
ple (p)v & que les Mexiquains euffent l'horrible ufage d'en manger la
chair, ils réfecvoient les têtes, foit comme un trophée qui faifoit honneur
à leurs, Vidtûires , foit, au jugement dHerrera, pour fe familiarilèr avec
l'idée dfi Èx nwwt. Le lieu , qui contenoit cet affreux dépôt , étoit devant
la principale porte du Temple, à la diftance d'un jet dte pierre. C'étoit
une efpèce de Théâtre, de forme longue, bâti de pierre, à chaux & à ci*-
ment. Les dégrés, par lefquels on y montoit, étoient auflS de pierres,
maiS; entremêlées de têtes d'Hommes, dont les dents s'offroient en dehors;
Aux côtés da Théâtre, il y avoit quelques Tours, qui n'étoient fabriquées
que de têtes & de chaux. Les murailles étoient revêtues , d'ailleurs , de
cordons de têtes, en plulîeurfr compartimens; & de quelque côté qu'on y
jettâl les yeux:, on. ne voyoit que des images de mort. Sur le Théâtre
même, plus de foixante poutres, éloignées de quatre ou cinq paimes les
unes des années, & liées entr'elles par de petite» Iblives qui les traver-
foient, offroient une infinité d'autres têtes, enfilées fiicceflivement par
les temples. Le nombre en étoit fi grand , que les Efpagnols en compté"
rent plus de cent trente mille, fans y comprendre celles dont les Tours
étoient compofees. La Vrlle entreienoit plufieurs perfonnes ,, qui n'a-
voient point d'autre fonftion que de replacer les têtes qui toraboient , d'en
remettre de nouvelles, & de conferver l'ordre établi dans cet abomina*
ble Eeui^
• ' ■ • :• ■• ''^ ' '■ ' ''' / Après
TfttCMtmofi
vu LA NCHN
V£LLE EtfA*
ONI.
(*) Hferrera, im. On fe baignoit, la
nuit précédente ; on fe làvoit plufieurs fois
la tète & les; maiçs; on s'ajudoit les. che-
veux , & l'on ne dorinoit prefque point j;UC-
qu'à l'heure de la Fête , Ibid.
(l) Tomat Liv. 3. Ch. 13 pagesitf.
(m) Liv. s. page.
Ç») Décade, 3 Liv. 2 page 175.
(0) Liv 2. ch. 4
(p) O-nus peut simagjner qiifellesy fuf-
fent facriiiées toutes, quand on confîdére
des Sacrifices.
quel en étoit quelquefois le nombre. Auflî
Herrera, dit- il ici, que ces facriftccs fe hU
foient dans le Cimetière même. Cependant
Il dit, dans un autre lieu, qu'on Gentoit à
l'entfée du Temple, une puanteur infuppor»
table, qui venoît du maflTacre des Vifliimes;
qu'on frottoit de fang tous lés murs de».
Cabinets ou des Chapelles, & qu'il s'y étoit
formé une croûte noire, épnifle de deyx
doigts par le haut, & de flx' pouces' par le
bafr, &c. ubifufirà, Chapi 17. '
Bbbb 2
DHcairrioR
Dl LA NOU-
VILLE ESPA-
ONB
Sacrifices
humains.
Cérémonies
qui les ac-
compa-
gaolen^
564 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
ApRàs avoir parlé tant de fois des Sacrifices du Mexique & des Viélimes
humaines, on doit auLeéleur une peinture de ces abominables Fêtes. Tous
les Hifloriens conviennent qu'il ne s'en trouve point d'exemple aufli révol-
tant pour l'humanité, dans les plus barbares Nations de l'Afrique & des
deux Indes. C'étoit dans la vue d'immoler paifiblement des Hommes à leurs
Dieux , que les Mexiquains épargnoient le fang de leurs Ennemis pendant
la Guerre , & qu'ils s'efforçoient de faire un grand nombre de Prifonniers
vivans. Motezuma ne fit pas difficulté d'avouer, à Cortez, que malgré le
pouvoir qu'il avoit continuellement de conquérir la Province de Tlafcala ,
il fe refufoit cette gloire, pour ne pas manquer d'Ennemis» c'efl-à^dire,
pour aflurer des Viéfcimes à Tes Temples ; & l'on a vu que le premier de-
voir des Empereurs , après leur éleélion , étoit d'enlever des Captifs & de
les préfenter au couteau des Prêtres.
Herrera donne les cérémonies du Sacrifice. On faifoit une longue file
des Viélimes , environnée d'une multitude de Gardes. Un Prêtre defcen-
doit du Temple, vêtu d'une robbe blanche, bordée par le bas de gros Hoc-
cons de fil , & portant dans fes bras une Idole compofée de farine de maïz
& de miel. Elle avoit les yeux verds & les dents jaunes (q). Le Prêtre
defcendoit les dégrés du l'emple avec beaucoup de précipitation. Il mon-
toit fur une grande pierre , qui étoit comme attacn»^e à une plate-forme
fort haute, au milieu de la cour, & qui fe nommoit Quahtixicali (r). 11
pafiToit fur la pierre par un petit efcalier , tenant toujours l'Idole entre ki
bras ; & fe tournant vers les Captifs , il la montroit à chacun , l'un après
l'autre, en leur difant; c'eft ici votre Dieu. Enfuite, defccndant de la
pierre par un fécond efcalier oppofé à l'autre, il fe mettoit à leur tête,
pour fe rendre par une marche folemnelle au lieu de l'exécution, où ils
étoient attendus par les Miniftres du Sacrifice. Le grand Temple en avoit
fix, qui étoient revêtus de cette dignité; quatre pour tenir les pies & les
mains de la Vidime , le cinquième pour la gorge, & le fixième pour ou-
vrir le corps. Ces Offices étoient héréditaires , & paiToient aux Fils aînés
de ceux qui les poiTedoient. Celui qui ouvroit le fein des Viélimes tenoit
le premier rang, & portoit le titre fupréme de Topilzin. Sa robbe étoit
une forte de tunique, rouge & bordée de floccons. Il avoit, fur la tête,
une couronne de plumes vertes & jaunes , des anneaux d'or aux oreilles ,
enrichis de pierres vertes, & fur la lèvre inférieure, un petit tuyau de
pierre , de couleur bleu - célefte. Son vifage étoit peint d'un noir fort é-
pais. Les cinq autres avoient la tête couverte d'une chevelure artificiel-
le , fort crépue , & renverfée par des bandes de cuir qui leur ceignoient le
milieu du front. Ces bandes foutenoient de petits boucliers de papier,
peints de différentes couleurs , qui ne pafToient pas les yeux. Leurs rob-
bes étoient des tuniques blanches, entremêlées de noir. Le Topilzin a-
voit la main droite armée d'un couteau de caillou, fort large & fort aigu.
Un autre Prêtre portoit un collier de bois, de la forme d'un Serpent re-
plié en cercle.
Aussi-
i^q) Les yeux étoient des pierres vertes,
ttci mes; a les dents, des grains de maïz.
(r) Ceft-à-dire, en Mexiquain, Pierre
d'aigle.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 56s
Dbicription
PB LA NOU'
VELLP. EsrA-
ONE.
Aussi-tôt que les Captifs étoienc arrivés à l'amphithéâtre des Sacrifices ,
on les faifoit monter , l'un après l'autre, par un petit cfcalier, nus & les
mains libres. On étendoit fucceflîvement chaque Viftime fur une pierre.
Le Prêtre de la gorge lui mettoit le collier ; & les quatre autres la tcnoienc
par les pies & les mains. Alors le Topiizin appuyoït le bras gauche fur Ton
ellomac ; & lui ouvraut le fein , de la main droite , il en arrachoit le cœur ,
qu'il préfentoit au Soleil , pour lui offrir la première vapeur qui s'en exha-
loit: après quoi fe tournant vers. l'Idole, qu'il avoit quittée pendant l'opé-
ration , il lui en frottoit la face , avec quelques invocations myfterieufes.
Les autres Prêtres jettoient le corps , du haut en bas de l'efcalier, fans y
toucher autrement qu'avec les pies ; & les dégrés étoient ù roides , qu'il
étoit précipité dans un indant. Tous les Captifs dedinéc au Sacrifice rece-
voient le même traitement jufqu'au dernier. Enfuite , ceux qui les avoienc
pris , & qui les avoient livrés aux Prêtres, enlevoient les corps , pour les
diilribuer entre leurs Amis , qui les mangeoient folemnellement. Dans
toutes les Provinces de l'Empire , ce cruel ufage étoit exercé avec la même
ardeur. On voyoit des Fêtes , où le nombre des Viftimes étoit de cinq
mille , raffemblées foigneufement pour un fi grand jour. 11 fe faifoit des
Sacrifices à Mexico , qui coutoient la vie à plus de vin^t mille Captifs. Si
l'on mettoit trop d'intervalle entre les Guerres, le Topiizin portoit les plain-
tes des Dieux à l'Empereur , & lui repréfentoit qu'ils mouroient de faim.
AufTi-tôt on donnoit avis à tous les Caciques , que les Dieux demandoienc
à manger. Toute la Nation prenoit les armes; & fous quelque vain pré-
texte, les Peuples de chaque Province commençoient à faire des incurUons
fur leurs voifins. Cependant quelques Hifloriens prétendent que la plu-
part des Mexiquains étoient las de cette barbarie, & que s'ils n'ofoienc
témoigner leur dégoût , dans la crainte d'offenfer lés Prêtres , rien
ne leur donna plus de difpofition à recevoir les principes du Chriflianif-
me {s).
Il y avoit d'autres Sacrifices , qui ne fe faifoient qu'à certaines Fêtes ,
& qui fe nommoient Racaxipe f^elitzli, c'eft- à- dire, E,orcbement d'Hommes.
On prenoit plufieurs Captifs , que les Prêtres écorchoient réellement ; &
de leur peau ils revêtoient autant de Miniftres fubalternes, qui fe diflri- ment dHom
buoienc dans tous les quartiers de la Ville, en chantant & danfant à la por- ^^^'
Autres Sa-
crifices.
Ecorche-
(j) Herrera . Décade 3. Chap. 16. Acoda,
Liv. 5. Chap. 20. & 22. Sur ce propos , dit
Acofta dans le vieux ftyle de fon Traduc-
teur , „ un Religieux grave en la Neuve Ef-
„ pagne, me contoic que quand il fut en ce
„ Royaume , il avoit demandé à un vieil In-
„ dien, Homme de qualité, comment les
„ Indiens avoient reçu la Loi de Jefus-Chrift
„ & lailTé la leur , fans faire davantage de
„ preuve , d'effai ni difpute fur icelle , car
„ il fembloit qu'ils s'étoient changés fans y
„ avoir été efmeusparraifonfuififante, L'in-
„ dien répondit , ne croi point , Père , que
„ nous prenions fi inconfidérément cette Loi
te
„ comme tu dis , parce que je t'apprens que
„ nous étions déjà mécontens des chofes que
„ les Idoles nous commandoient , & que
„ nous avions déjà parié de les lailTêr &
„ prendre une autre Loi. Et comme nous
„ trouvâmes que celle que vous prêchiez
„ n'avoit point de cruautés , & qu elle nous
„ écoit convenable, jufte & bonne, nous en-
„ tendîmes & crûmc» que c'(itoit la vraie
„ Loi, & ainfi la reçûmes fort volontaire»
,, ment". Ibidem. Le même Ecrivain ob-
ferve qu'après tout les Mexiquains étoient
moins cruels que les Péruviens, qui facri-
fioient leurs propres Enfans. Ibid.
Bbbb 3
DfsCRtrTioB:
DB LA Nou*
VILLB K^PA-
ONE.
Combat en-
tre le Sacrifi-
cateur & la
Viûinic.
Efclave ré-
véré comine
un Dieu.
Fêtes Rc!i-
gieufcs.
5(55 DESCRIPTION DU MEXIQUE;
te des Maifoiu. Chacun devok leur faice ^lelque libe itié; di caa qui
ne leur offroienc rkn étoient frappés au vifage , d'un çqm ëe lai p«an , qui
leur lainbit quelques traces de fang. Cette cérémonie > qui ne fimlfoic que
lorfque le cuir commençoit à fe corrompre , donnoit le cems aux Prêtres
d'amafTer de grandes richefles. Dans quelques autres Fêtes , on faifoit un
défi entre le Sacrificateur & la Victime. Le Captif était attaché » par un
pié , à une grande roue de pierre. On Tarmoit d'une épée ôl d'une ronda-
che. Celui qui s'offroit pour le facriEer paroiflbit avec les mêmes armes ; &
le combat s'engageoit a la vue du Peuple. Si le Captif demeuroit vain-
queur, non feulemept il écûappoit au facrifîce, mais il recevoit le titre &
les honneurs que les Loix du Pays accordoient aux plus fameux Guerriers ;
& le Vaincu fervoit de Viélime. Enfin Tufage qu'on a décric , en parlant
des Mofquites, & que Luflan traite de finguiier, s'obfervoit auffîi cnez les
Mexiquains; c'edà-dire, que dans les grands Temples on DOUBrifiait, pen-
dant toute l'année, un Efclave qui repréiencoit la principale Idole, &, dont
le fort, après avoir joui des honneurs de l'adoration , étoic d'écse facrifié ,
à la fin de fon règne ( r ). , -, . . , , . ..;,
L'ordre des Fêtes Religieufes n'étoit pas moins bifarre. La pnncipale,
qui fe faifoit à l'honneur du Dieu Vitziîipuztli ,. éooit. célébrée régulière-
ment au mois de Mai. Quelques jours: auparavant, deux jeunes Filles,
confacrées au fervice du l'emple, paîtriflbient. » avec du miel,, de la fari-
ne de maïz , dont on faifoit une grande Idole. Tous les Seigneurs afltil^
toient à la compofition. Enflùte , on paroit l'Idok d'habits & d'ornemens
magnifiques. On la plaçoic dans un fauteuil bku, pofé fur un brancard,,
avec des allonges qui le rendoient facile à porter. Le j.our delà Fête, aux
premiers rayons du Soleil , toutes les jeune» Filles ptaroàiToiienc au Temple,,
vécues de robbes, blanches, couronnées de majfz xàâ , aisec des bracelets
de grains de maïz enfilés, le refle deS: bras couiv^rt. jufqtt'aa poignet, de
plumes rouges , & les joues peintes de vermillon. On les nommoin, pen-
dant tout ce jour , Soeurs, du Dieu donic elles animoient le cuite. Elles por-
toient l'Idole, fur le brancard, jufqu'èt la cour du. Templfc De jeunes;
Hommes la recevoient de leurs mains , pous l'aller placer au pàé des grands
dégrés , oii le Peuple venoit fe prollerner devant eiJfi , en fe mettant fur
la tête un peu de terre , que chacun devoit prendre fous fes piésL La Pro-.
cefTion commençoit alors, vers la Montagne de Chapultepeque. On y fai-
foit un Sacrifice qui duroit peu. Avec la même précipitation , l'Anem-
blée le rendoit dan» un autre lieu, nommé Atkcuja-^ célèbre par les tra-
ditions de leurs Ancêtres , & de la dans une troinème flation, qui Te nom-
raoit Cuyoacan» On revenoit à Mexico fans, s'arrêter i & cette Proceflion ,
qui étoit die quatre lieues , devoit fe faire en quatre heures f d'où lui ve-
noit le nom d'ïpaiiut, qui fignifie Chemin précipité'. Les jeunes' Hommes
portoiene le brancard au pié des grands dég):és» ôîi ils Tavoient pris», &
l'élevoient au fommet du Temple avec un grand appafeil de poulies & de
cor-
Nota. La Figure de FîtzilipuztU. ayttnt pa- Cérémottits. ReligieuJJis de- Plcart. R. d E.
ru fort mamraife dans l'Edition de Paris, (t) Acofta, Linr. S[. Chap. ai. Herraa,
nous y en avons ûjbfUuiéunç autre, tirée des uHfuprà,
È^J!!ll!:[!l!l'lli;!':|i!l!!llllll!ll,l!l!li;i.ll!lll!yiIl.mil
inninïïnîîiîi™
''. ). *,^<vf<^j', yvttZr
^ilil!lillll!!l!lllll
Sac RTF ici: des CyiPTirs à lhoi^.veuji j>e VlTZILIPUZTZI.
OFFERHANDJE der GEVANGEN ter eere vanVITZLIPUZTLI.
'.. •* V
' . • > .
;■■>
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 5^7
cordei , au bruit de toutes fortes d'indrumens. Les adorations du Peuple
reilouWoicnt pendant cette cércmonic. L'idole étoit pofée dans une riche
cafl'ette, au milieu des parfmns & des fleurs. Dans l'intervalle, de jounes
Filks apportoient des morceaux de la même pâte dont elles avoient fait la
Statue, paîtris en forme d'os, qu'elles nommoient la chair de Vitzilipuxtii.
Les Sacrificateurs venoient à leur côté , parés de guirlandes & de brafle-
lets de fleurs, faifant porter à leur fuite les figures de leurs Dieux & de
leurs DéeflTes. H« fe pl<»çoient autour des morceaux de pâte , qu'ils bénif-
foient par des c'hants <k des invocation». Cette bénédiftion étoit furvie
des Sacrifices ; & dans une fi grande falemnité, le nombre des Viftimes
étoit toujoHTS plus grand qu'aux autres Fèces. H fe faifoit, pendant ce
tems-là , des danfes & d'autres cérémonies dans la cour du Temple. Les
jeunes Filles chantoient au Ton d'un tambour ; & tous les Seigneurs répon-
doimt à leurs chants , en matiière de clMBur. Le Peuple jouïTloit du Ipeo-
tacle, mais il quelque diftance , & ne s'y méloit que par fes acclamations.
Après les Sacrifices , on voyait revenir les Prêtres, qui fe mettoient i
couper en pièces tous les morceaux de pâte , &. qui les diftribuoient enfui-
te au Peuple , fans diftinélion d'âge &. de fexe. Chaam recevoit le (ien
avec des apparences de piété qui a^loient jufqu'aux larmes , le mangeoit
avec la même dévotion, & croyoit avoir mangé la chair de fon Dieu. On
en portoit même aux Malades. C'étoit un péché du premier ordre, de
prendre quelque autre nourriture avant midi. Tout le monde étoit averti
de s'en garder; & chacun prenoit foin de cacher jufqu'â l'eau, pour en pri-
ver les Enfans. La folemnité finifl^oit par un fermon du grand Prêtre, qui
recommandoit l'oblervation des Loix & des cérémonies («).
De quatre en quatre ans, les Mexiquaims célébroient une Fête, qu'A-
cofta nomme Jubilé (x). Elle commençoit le 10 de Mai, & fa durée
^oit de neuf jours. Un Prêtre fortoii jouant d'une flûte , & fe tour-
noit fucceflivement vers les quatre parties du Monde. Enfuite, s'incli-
■nant vers l'Idole, il prenoit de la terre «& la mangeoit. Le Peuple faifoit
la même diofe après lui, en demandant pardon de fes péchés & priant
qu'ils ne fuifent pas découverts. Les Soldats demandoient la viftoire dans
leurs gutTres, & des forces pour enlever un grand nombre de Prifonnier^
qu'ils pûflent offrir aux Dieux. Ces prières fe faifoient pendant huit jours,
avec des gémiifemens & des larmes. Le neuvième, qui étoit proprement
celui de la Fête , on s'aifembloit dans la cour du grand Temple; & le prin-
cipal objet de la dévotion publique étoit de demander de feau: ce qui fai-
foit
Dt!ciiTrnoff
l'E I,A Nou-
vel.LR Kirt.
flXB.
(v) Herreza, tAiJuprà Cbap. 17. Acof-
ta, Liv. S- Chap. 24. On auroit eu peîne
i rapporter cette dpèce d'hnitstion du plus
faint de nos Sacremens , fur tout autre té-
moignage que celui du fête AcokHa. Mais U
infilTe uir ces récits , avec d autant plus tle
force, qu'il croit trouver une preuve de la
faintcté même de nos inftitutions, dans la
malfce de l'Ëfpilt (ferrenr là les contrefaire.
., Par cela feul, dit -il, on voit clairement
„ vérifié que Satan s'efforce autant qu'il peut
Le Toxcoatl
ou l'été du]*
bile.
„ d'ufiuper pour foi l'honneur & te fervk»
,, qui elt dû à Dieu feul, quoiqu'il y mêle
„ toujours fes cruautés & fes ordures*. Il
pouffe cette idée beaucoup plus loin, Jorf-
qu'il prétend reconnottre, dans diveries pra-
tiques de 1 Idolâtrie Indienne, les Sacremens
de la Pénitence & de l'Extrême Onftion , I»
Confefllon auriculaire, le Myftëre de la
Sainte Trinité, & la plupart des objets de
notre Fol. Ibidtn Orap 25 , & fulvans^
{x) Ubijiiprà, Chap. ajj.
DESCRi'rTION
DE LA NOU-
vEiLK EsrA-
GNC.
563 DESCRIPTION DU M E X^I Q U E,
foit donner à cette Fête le nom de Toxcoatl^ qui fignifie Sécher ejje. Quatre
Prêtres portoient l'Idole autour du Temple fur un brancard, & les autres
lui préfentoient de l'encens ; tandis que le Peuple fe frappoit les épaules
avec un fouet de cordes. Après cette Proceffion , le Temple étoit parfemé
de fleurs , & l'idole demeurpit découverte jufqu'au foir. On lui offroit di-
verfes fortes de pierreries , de la foie , des fruits & des cailles. Tout le
inonde fe retiroit, vers l'heure du dîner, à l'exception des Femmes qui
avoient fait vœu de fervir l'Idole pendant ce jour , & des Minières ordi-
naires du Temple , qui continuoient leurs cérémonies. Au retour du Peu-
ple , on faifoit paroître le Captif qui avoit repréfenté l'Idole pendant cette
année; on le facrifîoit, avec des chants & des danfes. EnUiite, on pla-
çoit q^iielques mets devant l'Idole; & toute l'Aflemblée fe retirant à quel-
que didance , les jeunes gens couroient pour s'en faiilr. Il y avoit des
prix, pour les quatre premiers qui arrivoient; & jufqu'au lenouvellement
de la même Fête, ils obtenoient plufieurs marques de diflinélion. A la fin
du jour & des cérémonies, les Filles & les Garçons , qui avoient fervi le
Temple ,fe retiroient dans leurs familles , comme à l'expiration du terme.
Ils pou voient alors s'engager dans le Mariage; mais ceux qui prenoient
leur place les pourfuivoient avec de grands cris , en leur jettant des
pelotes d'herbe, & leur reprochant d'abandonner le fervicedes Dieux (y).
Les Marchands avoient une Fête annuelle, qui portoit leur nom, oc
qui s'obfervoit à l'honneur de Quatzalcoatl , Dieu des Marchandifes. Qua-
rante jours avant la célébration , ils achetoient un Captif de belle taille.
Ils le paroient des habits de l'Idole; & dans cet intervalle, ils s'attachoient
foigneufement à le purifier, en le lavant deux fois chaque jour dans l'E-
tang du Temple. Il étoit traité avec toutes fortes d'honneurs & de frian-
difes. La nuit, on le tenoit enfermé dans une cage; & pendant le jour,
on le conduifoit par la Ville , au milieu des chants & des danfes. Neuf
jours avant le Sacrifice , deux Prêtres venoient lui annoncer fon fort. Il
devoit répondre qu'il l'acceptoit avec foumiflîon. S'il .^n afiligeoit, fon
chagrin pafiToit pour un mauvais augure ; & les Prêtr faifoient diverfes
cérémonies , par lefquelles on fuppofoit qu'ils avoient changé fes difpofi-
tions. Le Sacrifice fe faifoit à minuit , & fon cœur étoit offert à la Lune.
On portoit le corps chez le principal Marchand. Il y étoit rôti , & pré-
f)aré avec divers aflaifonnemens. Les Convives danfoient, en attendant
e Feftin. Après avoir mangé leur part de cet horrible mets , ils alloient fa-
luer l'Idole au lever du Soleil; & continuant leurs réjouiifances pendant le
refte du jour , ils paroilToient déguifés en diverfes formes ; les uns d'Oi-
feaux, de Papillons, de Grenouilles , de Guêpes, & d'autres infeftes; les
autres , de Boiteux , de Manchots , & d'Eflropiés. Ils faifoient des récits
agréables de leurs accidens, ou de leur métamorphofe, & la Fête fe ter-
mincit par des danfes ( z ).
Prêtres du Outre les Hx Sacrificateurs du grand Temple , dont la fucceflion étoit
Mexique. * hé-
Fête des
Marchands.
(y) Herrera, Dec. 3. Chap. 17.
( 2 ) Ceux à qui ces trois Fêtes ne fuffi-
ront pas , ea trouveront plufieurs autres
dans les Hiftoires & les Relations qu'on a d
tées. •
1 •;■,
tions qu'on a d
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 569
lïéréclitaire , chaque Quartier & chaque Temple avoient leurs Prêtres , qui
étoient appelles à cet Office par éleftion, ou qui s'y confacroient , dans
leur jeunefle, par un vœu particulier. Leur fon6lion ordinaire étoit d'en-
cenfer les Idoles. Ils renouvelloient cet exercice quatre fois le jour; c'eft-
k-dire au lever du Soleil, à midi, au Soleil couchant, & à minuit. A cha-
cune de ces heures, on entendoit dans les 'icmplts le Ion des trompettes,
des tambours & d'autres inftrumens , qui formoient un bruit fort lugubre.
Cetoit le fignal auquel le Prêtre, défîgné pour la femaine, fe mettoit en
marche, vêtu d'une robbe blanche, avec fon encenfoir à la main». Il pre-
noit du feu, dans un grand brafier, qui brûloit continuellement devant l'Au-
tel ; & de l'autre main il tenoit un vaifleau, dans lequel étoit l'encens. Il
encenfoit feul, quoiqu'il fût accompagné de tous fes Collègues. Enfuite,
on lui préfentoit un linge, dont il frottoit l'Autel & les rideaux. Après
cette cérémonie, ils alloient enfemble dans un lieufecret, où ils faifoient
quelque; rude pénitçnce , telle que de fe meurtrir la chair & de fe tirer du
fang de quelque partie du corps. L'Office de la nuit s'obfervoit fcrupu-
leufement. Chaque Temple avoit fcs revenus ; & les Prêtres étoient bien
payés pour les rigueurs qu'ils exerçoient fur eux-mêmes.: D'ailleurs, on a
déjà remarque qu'une partie commune de la piété des Mexiquains confiiloic
à le tirer du fang.
L'usage des Prêtres étoit de s'oindre , depuis les pies jufqu'à la tête , &
les cheveux mêmes, .d'une graifle claire & liquide, qui leur faifoit croître
le poil dans toutes les parties du corps , & qui le faifoit dreffer comme le
crin des Chevaux. Ils en étoient d'autant plus incommodés, qu'il ne leur
étoit pas permis de le couper jufqu'à la mort, ou dii moins jufqu'à leur
dernière vieilleire , où ceux qui vouloient quitter leur profeifion étoient
exempts de toute forte de travail, & jouïflbient d'une diftinftion propor-
tionnée à l'opinion qu'on avoit de leur vertu. Ils trefïbient leurs cheveux
avec des bandes de coton, larges de fix doigts. L'encens qu'ils emplo-
yoient ordinairement n'étant que de la réfine , leur teint , naturellement ba-
îanné , en devenoit prefque noir. Lorfqu'ils alloient rendre hommage aux
Woles qu'ils tenoient dans des Caves, dans des Bois touffus , ou fur les
Montagnes, ils s'y difpofoient par une autre on6lion,compoféede la cendre
de plulieurs Bêtes venimeufes, de tabac & de fuie,paitris enfemble (,a). Le
DCSCRTmÔH
UB LA NOU-
VELLU EsrA'
GN£.
(a) Acorta nous donne exa^ement cette
titrange compofition. Ils prcnoient, dit -il,
des Araignées, des Scorpions, des Clopor-
tes, des Salamandres, des Vipères, qu'ils
faifoient amafler par de jeunes Garçons ; ils
les brûloient au brafier du Temple jufqu'à
ce qu'elles fafTent réduites en cendres, puis
les mettoient en des mortiers avec beaucoup
de tabac , ou petun. Avec cette cendre , ils
jnettoient quelques Scorpions , Araignées &
Cloportes vives, mêlant le tout enfemble;
puis ils y mettoient d'une femence toute
moulue, qu ils appelloient G/oiMcfcîMt , de
t]uoL les Indiens font un breuvage pour fc
Xrill Pân.
procurer dés vifîons ; parce que l'efFet dé
cette herbe e(t de priver l'Homme du fens;
Ils mouloier.t aufli avec ces cendres , des
Vers noirs & velus , defquels le poil feule-
ment eft venimeux, & ramaflant tout cela
enfemble avec du noir ou fumée de réfine,
ils le mettoient en de petits pots , qu'ils po-
foient devant l'Idole . dont Ils difoie'nt que
cétoit la viande. Aufli nommoient-ils cela,
dans leur] langue, manger divin. Etant bar-
bouillés de cette pâte, ils perdoient toute
crainte, & prenoîent un efprit de cruauté,
Liv. 5. Cb. 26. On a vu que, fuivant Her»
rera, l'onftion étoit claire & liquide. ^
Ccc C
.u
DK LA NOU
TtLLB EbFA-
ONI.
Monaftères
Mexiquains.
5?o DESCRIPTIONDUMEXIQUE,
DEscRtraoH Peuple étoic perfuadé que cette préparation les élevoit au-deflus du corn*
M ^^^ j^^ hommes & les mettoit en commerce avec les Dieux. Il y a mê-
me afTez d'apparence que leur propre imagination fe rempliflbit de là mê-
me idée , car ils perdoient alors toute forte de crainte ; & fe croyant ref-
pe£lés de toute la Nature, ils fe hafardoient la nuit au milieu des Bois les
plus fauvages ; dans la confiance que les Tigres , les Ours & les Lions
ne pou voient leur nuire. Ils employoient aufli cette efpéce de bitume,
pour fortifier les Enfans & pour guérir les Malades. Toute la Na*
tion en vantoit les effets. Un Hillorien juge que fa vertu pouvoit ve-
nir du tabac , & des autres mélanges , dont la plupart avoient quelque pro-
priété faiutaire.
L'enceinte du grand Temple de Mexico contenoit deux Monafléres,
ou deux Maifons de retraite; l'une de jeunes Filles, entre douze ôe. treize
ans, & l'autre de jeunes Garçons. Ces deux Etabliflemens , qui regar-
doient le fervice du Temple, étoient vis-à-vis l'un de l'autre, mais fans au-
cune communication. Ils avoient leurs Supérieurs du même fexe. L*£m-
{>loi xies Filles étoit d'apprêter à manger pour les Idoles , c'e(t-à-dire pour
es Prêtres, auxquels il n'étoit permis de rien avaller qui n'eût été préfenté
devant l'Autel. La plupart de ces alimens étoient une efpéce de Beignets ,
les uns paîtris en forme de mains & de pies , d'autres en manière de Tour-
teaux ; ordinairement de maïz & dé miel , &. quelquefois fricsifés avec des
légumes & d'autres herbes. Ces jeunes Filles fe failbient couper les che-
veux , en entrant au fervice des Idoles ; enfuite , on leur permettoit de les
laifFer croître. Elles fe levoient la nuit , pour prier , & pour fe tirer du
fang , dont elles étoient obligées de fe frotter les joues ; mais elles fe la-
vaient auflS-tôt , avec de l'eau confacrée par les Prêtres. Leur habillement
étoit une robbe blanche. On les occupoit à faire de la toile pour le Tem-
ple. Elles étoient élevées d'ailleurs dans une fi grande retenue, que leurs
moindres fautes étoient punies avec la dernière rigueur ; & la mort étoit
infaillible pour celles qui manquoient à l'honneur. S'il fe trouvoit, dans l«
"Temple , quelque chofe de rongé par un Rat ou une Souris , c'étoit un (î-
§ne de la colère du Ciel , qui faifoit juger qu'il étoit arrivé quelque défor-
re parmi les jeunes Religieufes. On recherchoit les Coupables; & mal-
heur , dan; ces circondances , à celles qui étoient foupçonnées de quelque
dérèglement. On ne recevoit , dans ce Monaftère , que des Filles de Mexi-
co. Leur clôture duroit un an , au bout duquel elles fortoient pour fe
marier.
Les jeunes Garçons dévoient être âgés de dix huit à vingt ans. Ils
avoient les cheveux coupés en couronne , & ne les laiflbient croître que
jufqu'à la moitié de l'oreille, mais plus longs fur la nuque du cou, jufqu'à
les pouvoir mettre en treffe. Leur nombre étoit de cinquante, & leur clô-
ture ne duroit qu'un an , comme celle des Filles. Mais ils étoient aiTuiet-
tis, dans cet efpace , aux plus rigoureufesloix delà chadetè, de l'obéilTan-
ce & de la pauvreté. Leur ofiSce particulier étoit de fervir les Prêtres
dans tout ce qui concernoit le culte. Ils balayoient les lieux faints. Ils
fourniffoient de bois le brafier qui brûloit fans cefFe devant la grande Ido-
le. La modâllie leur étoic recommandée A foigtieufemenc, que c'étoit un
cri-
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. I L 571
crime pour eux de lever les yeux devant une Femme. On les employoit à
demander l'aumône » dans les Maifons de la Ville. Ils marchoient quatre
ou fix enfemble d*un air humble & mortifié. Cependant , s'ils n'obtenoient
rien de la charité d'autrui, ils avoient droit de prendre ce qui leur étoit
néceflaire pour fe nourrir; parce qu'ayant fait vœu de pauvreté, on fup-
pofoit leur» befoins toujours preflans. On favoit d'ailleurs que leur péni-
tence étoit continuelle. Ils étoient chargés de fe lever la nuit pour faire
retentir les trompettes & les autres inftrumens. Ils veilloient fuccelTîve-
ment autour de l'Idole , dans la crainte que le brafier ne s'éteignît. Ils af-
fifloient à l'encenfement des Prêtres; après lequel ils entroient aulïi dans un
lieu qui leur étoit defliné , pour s'y tirer du fang avec des pointes algues ,
& s'en frotter les temples jufqu'au bas des oreilles. Leur habit étoit un cili-
ée blanc, mais âpre.
A certaines Fêtes de l'année, les Prêtres du grand Temple & tous les
jeunes Religieux du Monadére s'aflembloient dans un lieu environné de fiè-
ges, armés de cailloux pointus & d'autres lancettes, avec lefquelles ils fe
tiroient, depuis l'os de la jambe jufqu'au mollet, quantité de fang, dont
ils dévoient non- feulement fe frotter les temples, mais enfanglanter les lan-
cettes. Ils les fichoient enfuite dans des boules de paille , entre les cré-
neaux de la cour, afin que le Peuple jugeât de leur ardeur pour la Péni-
tence. Le lieu où ils fe baignoient , après cette opération , portoit le nom
à'Ezaparty qui fignifie Eau dejang. Une même lancette ne fervant jamais
deux fois , ils en avoient un grand nombre en réferve. Avant les mêmes
Fêtes, ils jeûnoient rigoureufement cinq ou fix jours; ils fe réduifoient à
l'eau , ils dormoient peu , ils fe mortifioient le corps par de fréquentes dif-
ciplines. On a vu que le Peuple avoit aufli cet ufage aux Proceflions fo-
lemnelles, fur-tout pendant la Fête du Toxcoatl, ou du Jubillé. Leurs di(^
ciplines étoient compofées de fil de Maguey (Z>), toutes neuves, longues
d'une bralTe, & terminées par des nœuds, dont ils fe donnoient de grands
coups fur les épaules. Quoique les Prêtres ne fufi*ent obligés, par aucu-
ne loi , de fe priver du commerce des Femmes, ils y renonçoient dans ces
grandes occafions ; & quelques - uns s'y formoient des obdacles invincibles ,
par des bleflures volontaires , qui leur ôtoient pour quelque tems l'ufage &
le goût du plaifir (c).
Le foài des Funérailles appartenoit aufli aux Prêtres; mais leur métho-
de n'avoit rien d'uniforme, & dépendoit prefque toujours de la dernière
volonté des Mourans. Les uns vouloient être ent es dans leurs héri-
tages, ou. dans les cours de leurs Maifons. D'autr.j fe faifoient porter
dans les l^^ontagnes , à l'imitation des Empereurs , qui avoient leurs Tom-
beaux dans celle de Chapultepeque. D'autres ordonnoient que leurs corps
fuffent brûlés > & que leurs cendres fuflent enterrées dans les Temples ,
avec leurs habits & ce qu'ils avoient de plus précieux. /\ufll-tôt qu'un
Mexiquain avoit rendu l'ame, on appelloit les Prêtres de fon quartier, qui
DEsctimoN
DB LA NOU'
VELLE EsrA-
0»E.
FuQéraillN.
( i ) Le Tradufteut d'Heirex» veut que ce ( f ) Herrcra , ubi fuprà , Ch. 1 6 ; Acofla ,
foit \Arritt-B<tuf. Liv. 5. Ch. 17. & fuiv. Cotnaia » Ûv. a,
Cccc 2
DE LA
V£LLE
GME.
572 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Description Je mettoient à terre de leurs propres mains, aflîs à la manière du Pays, &
E'PA- '■^v^'" ^^ fes meilleurs habillemens. Dans cette pofture, fes Parens & fes
Amis venoient le faluer & lui faire des préfens. Si c'étoit un Cacique, ou
quelque autre Seigneur , on lui offroit des Efclaves , qui étoient facrifiés fur
le champ, pour l'accompagner dans un autre Monde. Chaque Seigneur
ayant une efpèce de Chapelain , pour le diriger dans les cérémonies reli-"
gieufes , on tuoit aufli ce Prêtre domeflique & les principaux Officiers qui
avoient fervi dans la même Maifon ; les uns pour aller préparer un nou-
veau domicile à leur Maître, les autres pour lui fervir de cortège; & c'é-
toit dans la même vue que toutes les richefles du Mort étoient enterrées
avec lui. Si c'étoit un Capitaine, on faifoit autour de lui des amas d'ar-
mes & d'enfeignes. Les obfeques duroient dix jours, & fe célebroient par
un mélange de pleurs & de chants. Les Prêtres chantoient une forte d'Of-
fice des Morts, tantôt alf ernativement , tantôt en chœur; & levoient plu-
fieurs fois le corps , avec un grand nombre de cérémonies. Ils failoient
de longs encenfemens. Ils jeuoient des airs lugubres fur le tambour & la
flûte. Celui, qui tenoit le premier rang, étoit revêtu des habits de l'Ido-
le que le Seigneur mort avoit particulièrement honorée , & dont il avoit
été comme l'image vivante: car chaque Noble repréfentoit une Idole, &
de-làvenoit l'extrême vénération que le Peuple avoit pour la Noblefle.
Lorfqu'on brûloit le corps , un Prêtre recueilloit foigneufement fes cen-
dres; & fe couvrant d'un habit terrible ( rf) , il les remuoit long - tems avec
le bout d'un bâton ^ & d'un air qui répandoit la frayeur dans toute rAiTem-
blée (e). ^ . < . ■ .
Lorsque l'Empereur jparoiflbit atteint d'une maladie mortelle, on met-
toit desmafques fur la face des principales Idoles, & cette cérémonie du-
roit jufqu'à fa mort ou fa guérifon. S'il mouroit, on en donnoit avis auffi-
tôt à toutes les Provinces de l'Empire, non - feulement pour rendre le deuil
public, mais pour convoquer tous les Seigneurs à la cérémonie des funé-
railles. Ceux , qui n'étoient éloignés que de quatre journées du lieu de la
mort, dévoient s'y rendre les premiers. C'étoit en leur préfence, qu'après
avoir lavé le corps , & l'avoir parfumé pour le garantir de toute pourriture,
on le plaçoit aflis fur une natte , où il étoit veillé pendant quatre nuits avec
beaucoup de pleurs & de gémilTcmens. On coupoit une poignée de fes
cheveux , qui fe confervoit fous une Garde , pour l'ufage qu'on en devoit
faire. On lui mettoit,. dans la bouche, une grofle émeraude ; & dans la
pofture où il étoit, on lui couvroit les genoux de dix • fept couvertures fort
dches, ^ont chacune avoit fon allufion. Par-deflus, on attachoit ladevife
de
Obfeques de
f l'empereur.
li I
(d) „ Incontinent, dit Acofta , fortoit
ï, un Prctre eii liabits & ornements de Dia-
,, bic, ayant des bouches & des yeux de
,, miroirs à toutes les jointnres, avec des
„ gefl.es & des repréfcntations terribles ".
(e) Herrera , iibi fuprà, Cliap. 18; A-
cofla, Livre 5. Chap. 8. Gomara dit que
ceux qui ne mouroient pas d'une mort natu-
relle , étoient enterrés fous ua habit qui
défignoit leur genre de mort. „^ Celui qui
„ mouroit pour adultère étoit vêtu coiiiiiic
,, le Dieu de la Luxure , qui le noiumoit
„ Tlaxûteutl ; celui qui étoit noyé , comme
,, Tlaloc, Dieu de l'Etat; celui qui mouroit
, d'ivrognerie, comme Ometocbli, Dieu du
,, Vin. Le Soldat étoit vcfi comme Vitzili-
„ puztli". Liv. 2. Chap. 79.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 573
DEScnirTior»
DE LA Nou-
velle EsPA'
GKE.
de l'Idole, qui étoit l'objet particulier de fon culte, ou dont il avoit été
l'image. On lui couvroit le vifage d'un mafque, enrichi de perles & de
pierres précieufes. Enfuite on tuoit, pour première Viélime, l'Officier qui
avoit eu l'emploi d'entretenir les lampes & les parfums du Palais ; afin que
le voyage du Monarque dans un autre Monde ne fe fît point dans les ténè-
bres, ni fur une route où fon odorat fût blefle. Alors, on portoit le corps
au grand Temple ; & tous ceux qui compofoient le cortège étoient obligés
de donner des marques extérieures d'affliftion , par des cris ou des chants
lugubres. Les Seigneurs & les Chevaliers étoient armes ; & tous les Do-
meftiques du Palais portoient des Mafles , des Enfeignes & des Panaches.
On arrivoit dans la cour du Temple, où l'on trouvoit un grand bûcher,
auquel les Prêtres mettoient le feu; & pendant que la flamme s'y répandoit,
le grand Sacrificateur proferoit, d'une voix plaintive, des prières & des
invocations. Enfin, lorfque le bûcher étoit bien allumé, on y jettoit le
corps, avec tous les ornemens dont il étoit couvert; & dans lé même in-
ftant , chacun y jettoit auflî fes Armes , fes Enfeignes & tout ce qu'on avoit
apporté dans le convoi. On y jettoit un Chien , pour annoncer par fes
aboiemens l'arrivée de l'Empereur, dans les lieux par lefquels il dévoie
pafler. C'étoit alors que les Prêtres commençoient le grand Sacrifice. Il
falloit que le nombre des Viftimes fût au moins de deux cens. On leur
ouvroit la poitrine , pour en arracher le cœur, qui étoit jette auflî-tôt
dans le feu; & les corps étoient dépofés dans des Charniers, fans qu'il fût
permis d'en manger la chair. Ceux qui avoient l'honneur d'être làcrifiés
étoient non-feulement des Efclaves, mais des Officiers du Palais, entre lef-
quels il y avoit auffi plufieurs Femmes. Le lendemain on fe raflembloit, a-
près avoir fait garder le bûcher pendant toute la nuit. On ramaffoit la
-cendre du corps, fur-tout les dents, qui ne fe confument point par le feu,
& l'émeraude qu'on avoit enfoncée dans la bouche. Les Prêtres mettoient
ces refpeftables dépouilles dans un vafe, qu'ils portoient folemnellement
à la Montagne de Chapultepeque. Ils les y renfermoient , avec la poignée de
cheveux , de quelques autres qu'on avoit coupés à l'Empereur le jour de fon
Couronnement & qu'on gardoit toujours pour cette de/nière cérémonie,
fous une petite voûte , dont l'intérieur étoit revêtu de bifarres peintures.
Ils en bouchoient foigneufement l'entrée; & par-deflus, ils plaçoient une •
Statue de bois , qui repréfentoit aflez naturellement la figure du Mort. Les
folemnités continuoient l'efpace de quatre jours, pendant lefquels fesFem-
mes, fes Filles & fes plus fidèles Sujets venoient faire de grandes oflFrandes,
qu'ils mettoient devant la voûte, fous les yeux de la Statue. Le cinquiè-
me jour , les Prêtres faifoient un Sacrifice de quinze Efclaves. Le ving-
tième, ils en facrifioient cinq; trois, le foixantième ; & neuf , vingt jours
après, pour terminer la cérémonie (/).
Celle duMechoacan, pour les funérailles du Cacique, avoit quelques Obfequesdu
circonftances , d'une fingularité extraordinaire. Lorfque ce Prince, dont Cacique de
Ja puiflance n'étoit guères inférieure à celle de l'Empereur du Mexique, fe I^^choacan,
fentoit proche de la mort , fon unique foin étoit de nommer , entre fes Èn-
■j . . ..• • :• .1 fans,
(/) Comara, uhifnprà, Liv. 2. Chap. 80. :/:^
C c c c 3
r. i.'.
Diteiin'ioif
DB t^ Nou-
VSLLB ESFA-
OMI,
h
574 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
fans, celui qu'il deftinoit à lui fucceder. Enfuite, l'Héritier qu'il s'étoit
donné aflembloic tous les Seigneurs de la Province & tous ceux qui avoient
exercé- quelque Emploi fousTautorité de Ton Père. Ils commençoient par
lui apporter des préfens, qui paflbient pour une reconnoilTance de Tes droits.
Si le Cacique n'étoit pas mort , Tes anciens Sujets ne paroiflbient plus de-
vant lui. Son appartement étoic fermé avec foin, & l'on mettoit fur U
porte fa devife & fes armes. AuflStôt qu'il avoit rendu le dernier foupir,
il fe formoit une Affemblée fort nombreufe de l'ancienne Cour, & de tous
ceux qui avoient été convoqués. Leur premier devoir étoic de poufler en-
femble des cris & des gémilfemens , avec d'autres marques de clouleur que
l'Hillorien nomme un deuil merveilleux. Après ce lugubre exorde, on
leur ouvroic la porte de l'appartement. Ils y entroient. Chacun touchoit
le Mort , de la main , & lui jettoit quelques gouttes d'une eau parfumée.
On lui mettoit une chaufFure de peau de Chevreuil , qui étoit celle des Ca-
ciques. On lui attachoit aux genoux des fonoettes d or, des anneaux aux
doigts , des bracelets d'or aux poignets, une chaîne de pierres précieufes
au cou, & des pendans aux oreilles. Ses lèvres mêmes étoient couvertes
de pierreries; oc fes épaules, de pludeurs treffes des plus belles plumes.
Dans cette parure, on le plaçoit aflis fur une efpèce de litière découverte,
avec un arc & des flèches d'un côté , & de l'autre une grande Figure arti-
ficielle, qui repréfentoit l'Idole à laquelle il avoit été le plus attaché, &
qu'on fuppofoit empreflee alors à récompenfer fa piété. Pendant ce tems-
là, ion Succefleur nommoit ceux qui dévoient aller fervir fon Père dans un
autre Monde. Quelques-uns regardoient comme une faveur d'être choifis
pour ce miniftère, à d'autres s'affligeoient de leur fort; mais on prenoit
foin de leur faire avaller auffi-tôt toutes fortes de viandes & de liqueurs,
pour les fortifier contre la crainte & les autres foibleifes de la nature. On
choififlbit particulièrement fept Femmes, d'une haute naiflance; l'une pour
garder tout ce que le Cacique emportoic de précieux; une autre, pour lui
préfenter la coupe; la troiOème, pour laver fon linge, & les quatre autres
pour divers offices. Outre les Viélimes nommées par le nouveau Cacique,
on raflembloit pour le Sacrifice un grand nombre d'Efclaves, & de per-
fonnes libres. Chaque condition étoic obligée de fournir une Viélime de
fon Ordre , fans compter celles qui avoient le courage de s'oiFrir volontai-
rement. On apportoit beaucoup de foin à les laver. On leur teignoit le
vifage de jaune. On leur mettoit fur la tête une couronne de ileurs ; &
fur* tout on les enivroic aflez pour ne rien craindre de leur incondance.
La marche funèbre commençoit par cette troupe de Malheureux, qui pa-
roiiïant fermer les yeux fur le terme, faifoienc retentir leurs inflirumens d'os
& de coquilles, comme dans une Fête de joie. Gomara, qui les avoit en-
tendus , obferve néanmoins que le fon de cette muHque étoit trille. Après
eux, venoient les Parens du Mort. La litière étoic porcée par les princi-
paux Seigneurs du Pays, & fuivie de tous les autres, qui chantoient une
efpèce dePoéOe fort trille, fur des airs auflli mélancoliques. Ceux qui a-
volent poflTedé des emplois s'avançoient enfuite ; & la marche étoic fermée
par les Domeftiques du Palais, chargés tous d'Enfeignes & d'Eventails de
plumes. Une multitude infinie de Peuple, qui formoic comme un cercle
autour
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 575
autour du Convoi, troubloic moins l'ordre, qu'elle ne fervoit à Tentrete- D««cnimo»
nir, par le foin qu'elle avoit de veiller fur les Viftimes, & de fermer le JJ^le* Es»a-
paflage à celles qui auroienc voulu fe fauver par la fuite. one.
C£TT£ Procenion partoit à minuit, éclairée d'une infinité de flambeaux. On fait un»
Les rues de la Ville avoient été nettoyées avec mille formalités fuperdi- pite & une
tieufes. En arrivant au Temple, on faifoit quatre fois le tour d'un grand ^«'«'^•«Jel»
bûcher, qui fe trouvoit prêt à recevoir le feu de la main des Prêtres. Le *^®""®*
Corps étoit placé au fommet , dans fa litière , & brûlé avec tous fes orne-
mens. Pendant qu'il étoit en proie aux flammes, on afTommoit toutes les
Victimes j & fans les ouvrir, comme à Mexico, on les enterroit derrière
le mur du l'emple. A la pointe du jour , les Prêtres ramaiToient la cen«
dre & les os du Cacique. Ils y joignoient l'or fondu , les pierreries calci-
nées, & tout ce qu'ils pouvoient recueillir du corps & de fa parure. Ces
reftes étoient portés dans le Temple à- bénis avec des invocations & des
cérémonies myflérieufes , après lefquwl.es on y méloit différentes fortes
de pâte, pour en compofer une grande Idole de forme humaine, qu'on pa-
roit de plumes , de colliers, de bracelets & de fonnettcs d'or; <x l'ayanc
armée d'un arc, de Héches& d'un bouclier, on la préfentoit dans cet é-
tat aux adorations du Peuple. Enfuite les Prêtres ouvroient la terre, au
pié des dégrés du Temple. Ils faifoient une large foffe , dont toutes les
parties intérieures étoient auilitôt revêtues de nattes. Ils y dreflbient
un lit, fur lequel ils plaçoient la Statue, les yeux tournés au Levant. On
fufpendoit, autour d'elle , plufîeurs petits boucliers d'or & d'argent, des
arcs, des flèches & des panaches. On mettoit près du lit, quantité de
baflins , de plats & de vafes. Le refte de l'efpace étoit rempli de coffres ,
pleins de robbes , de joyaux & d'alimens. Enfin les Prêtres couvroient la
folie, d'un grand couvercle de terre, au-deflus duquel on plaçoit diverfes
figures , qui fembloient veiller à la confervation d'un fi refpeftable Monu-
ment. L paroît qu'après la Conquête même, les Efpagnols ne purent abo*
lir tout d'un coup cet ufage. Mais il a cédé , par dégrés , aux infl:ru£lions
du Chriflianifme, avec les autres fuperflitions de l'Idolâtrie {g).
(_g) Gomara, ibii Chap. 81.
^gurêf Habilknunti CaraSière^ Ufages^ Maurs , Jrts ^ Langues
des Mexiquains.
0U01Q.UE l'efpace d'environ de'ix fiécles n'ait pu mettre beaucoup de
changurment dans les qualités naturelles des Mexiquains , la domina-
tion & le commerce de l'Efpagne ayant prefqu'entiérement changé leurs
ufages , il n'eft pas furprenant qu'une fi grande révolution , dans k^urs ha-
bitudes morales , ait eu quelque influence fur le fond de leur caraflère &
fur leur figure même, qui dépendent aflez fou vent, dans les Hommes, des
occupations & du genre de vie dans lefquels ils fe trouvent engagés. AufTi
les peintures des Hifl:oriens & des Voyageurs diffèrent-eHes beaucoup , fui-
vant la différence des tems. Oo Ut, daos les premières Relations, que
Changement
q.!c les Mexi*
q.iains ont
éprouvé.
Figure des
les Hommes.
576 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
VtLI.E
Description les Hommes du Mexique étoient d'une taille médiocre, & plus gras que
DE LA Nou- maigres; que la couleur de leur teint tiroit fur celle du poil de Lion; qu'ils
î. '^*' avoient les yeux grands, le front large, les narines fort ouvertes, les che-
veux gros, plats & diverfi ment coupés; qu'ils étoient fans barbe, ou qu'ils
en avoient fort peu, parce qu'ils fe l'arrachoicnt , ou qu'ils soignoient la
peau, d'un onguent qui l'empêchoit de fortir. Il s'en trouvoic d'aufli blancs
que les Européens. Leur ulage commun étoit de fe peinche le corps, &
de fe couvrir la tête, les bras & les jambes, de plumes d'oifcaux, ou d'é-
cailles de poilfun , ou de poil de Tigres & d'autres Animaux. Ils fe per-
çoient les oreilles, le nez, & le menton même, pour y porter ,^ dans de
grandes ouvertures, des pierreries, ou de l'or, ou quelques oflemens.
On y voyoit , aux uns , les ongles & le bec d'une Aigle ; aux autres , les
dents machelicres de quelque Animal , ou des arrêtes de divers Poiffons.
Les Seigneurs y portoient des pierres très fines, & de" petits ouvrages d'or
d'un travail fort recherché.
La taille & la couleur des Femmes étoient peu différentes de celles des
Hommes ; mais elles entretenoient leurs cheveux dans toute leur longueur,
avec un foin extrême de les noircir, par diverfes fortes de poudre & d'on-
guent. Les Femmes mariées fe les lioient autour de la tête, & s'en fai-
foient un nœud fur le front. L'ufage des Filles étoit de les porter flot-
tans, fur le fein & fur les épaules. A peine étoient-elles devenues Mères,
que leurs mammelles croifToient , jufqu'à pouvoir en nourrir les Enfars
qu'elles portoient fur le dos. Elles mettoient leur principale beauté dans
la petitelTe du front; & par des onftions continuelles, elles faifoient croî-
tre leurs cheveux jufques fur les temples. Il ne manquoit rien à leur pro-
preté. Elles fe baignoient fouvent; & cette habitude étoit fi forte, qu'en
fortant d'un bain chaud, elles entroient fans danger dans un bain froid,
pour fe farder enfuite avec un lait de grains & de femences, qui fervoit
moins à les embellir, qu'à les garantir, par fon amertume, de la piquurc
des Mouches, & d'autres infcdes.
l'i'îîurc des
Leurs Habits.
Le commun des Mexiquains avoit le corps & les pies nus , à l'exception
des Soldats, qui pour fe rendre plus terribles fe couvroient de la peau en-
tière de quelque animal, dont ils ajuftoient même la tête fur la leur. Cette
parure, avec un cordon de cœurs, de nez & d'oreilles d'Hommes, en
bandoulière, terminé par une tête qu'ils y portoient fufpendue , leur don-
noit un air de férocité qu'on peut fe repréfenter. Mais ordinairement le
Peuple Mexiquain étoit nu; les Empereurs même & les Seigneurs ne fe
couvroient que d'une forte de manteau , compofé d'une pièce de coton
quarrée, & noué fur l'épaule droite. Ils avoient, pour chaufTure, des
iandales, alTez femblables à celles que les Efpagnols nomment y^pojîoiiques.
Sur la tête, ils ne portoient que des plumes, & quelques légers cordons
qui fervoient à les foutenir. Les Femmes du. Peuple étoient auffi prefque
nues. Elles avoient une efpèce de chemife, à demi -manches, qui leur
tomboit fur les genoux, mais ouverte fur la poitrine, & fi légère qu'é-
tant ajuftée fur la peau à peine en paroifFoit - elle diflinguée. Elles ne
portoient pas d'autre coejQfure que leurs cheveux ; fur quoi les Efpagnols
obfer«
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 577
obfervérent qu'elles avoient la tête plus forte & le crâne plus endurci que Descriptio!?
les Hommes {a). . ^l^^^ Nnu-
Si l'on confulte des Relations plus modernes, tous les Mexiquains, oj,e.
Hommes & i''emmes, font naturellement d'une couleur brune. La plû-
part font d'afllz haute taille, fur-tout dans les Provinces qui regardent le
Nord. Us fe garantiffent les joues, du froid & de la piquure des mouches,
en fe les frottant avec des herbes pilees. Us fe barbouillent auflî d'une
terre liquide, pour fe rafraîchir la tête, tf: fe rendre les cheveux noirs &
doux. ,, Leur habillement confifle aujourd'hui dans un pourpoint court,
,, ik des haut-de-chaufles fort larges. Us portent fur les épaules un man-
teau de diverfes couleurs, qu'ils appellent Tilma, & qui paflant fous le
bras droit fe lie fur l'épaule gauche par les extrémités. Us font chauf-
fés; mais ils fe fervent de focs, au lieu de fouliers. Jamais ils ne quit-
tent leurs cheveux , quand la pauvreté les obligeroit d'être nus , ou de
fe couvrir de haillons. Les Femmes portent le Guaipil^ qui efl: une efpè-
ce do fac, fous la Cobixa^ fine étoffe de coton; à laquelle elles en ajou- •
tent une autre furies épaules, lorfqu'elles paroiffent en public. A lE-
glife , elles relèvent la dernière, jufqu'à s'en couvrir la tète. Leurs jup-
pes font étroites , ornées de figures de Lions, d'Oifeaux, ou de fleurs,
& comme tapifl'ées, en plufieurs endroits, de belles plumes de Canards.
Les Femmes des Metices , des Noirs , & des Mulâtres , qui font en fort
grand nombre, ne pouvant prendre l'habit Efpagnol , & dédaignant ce-
lui des Indiennes, ont inventé le ridicule ufage de porter une efpèce
de juppe en travers, fur les épaules ou fur la tète {b). Mais leurs
Maris, & leurs Enfans du même fexe, font parvenus par dégrés à s'at-
tribuer le droit de fuivre tous les ufages d'Efpagne. Leur infolence va
il loin , que fans pofi'eder aucun emploi , ils s'honorent entr'eux du titre
de Capitaine" {c).
Un des premiers Hiftoriens attribue aux Femmes Mexiquaines deux
pernicieufes pratiques , dont la figure & la fanté de leurs Enfans ne pou-
voient manquer de fe reflfentir. Pendant leur groffeflTe, elles fe médica-
mentoient les unes les autres avec différentes herbes, qui produifoient .
d'aufli mauvais effets furies Mères, que furie fruit qu'elles portoient dans
leur fein; & lorfque les Enfans commençoient à voir le jour, non -feule-
ment elles s'efforçoient de leur raccourcir la nuque du cou , en la compri-
mant vers les épaules, mais elles la lioient dans le berceau, d'une manière
qui l'empéchoit de croître. On n'en apporte pas d'autre raifon qu'un pré-
jugé naturel, qui leur faifoit attacher des grâces à cette difformité {d),
A
>)
)»
)»
î>
>»
î>
Enfans &
leur Educa-"
tion. •
(a) Ibidem, Chap. 83 & 84.
( h ) Voyez ci - dcfllis la defcriptioii de
Mexico en 1625.
(c) Gcmelli Carreri, Tome FI. page 82
& fuivantes. -Cette canaille de Noirs & de
gens au teint brftici , difent les Efpagnols,
s'cft fi fort accrue, qu'on appréhende qu'ils
ne fe révoltent un jour & qu'ils ne fc ren-
dent maîtres du Tays. Ibid. page 83. Gage
en parloit de môme, dès l'année 1625. II
XFIIL Pan.
ajoutoit que les Efpngnols les plus pieux &
les plus fcnfés craignoient que Dieu ne dé-
truisît Mexico &. le Pays, en punition de la
vie fcandaleufe de ces gens-là. Tome I. pa-
ges 167 & 168.
(d ! Gomara, Liv. 2. ClMp. 82. Ilerrera
dit qu'on jettoit l'Er.fant dans l'eau froide,
au moment de fa naillancc, en lui difmt;
„ tu viens au monde pour fouffrir ; endur-
„ cis toi".
Dddd
578 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Description A peine les Garçons étoient nés , qu'on appelloit un Prêtre pour leur fai-
1)S LA NOU
TELLIt KsPA
Education
^cs Garçons.
I
1
rc, aux oreilles & aux parties viriles, une petite incifion de laquelle il
devoit couler quelques gouttes de fang (<?). Après les avoir lavés lui-
même, le Prêtre mettoit à ceux des Nobles & des Guerriers une petite
épée dans la main droite, & un petit bouclier dans la gauche. Aux En-
fans du commun , il mettoit Its outils de la profelfion de leur Père (fj.
Toutes les Filles recevoient des inftrumcns pour filer, pour coudre &
pour d'autres occupations de leur fexe- C'étoit la Mère qui devoit les
nourrir de fon lait. Mais fi quelque accident la forçoit d'employer une
Nourrice, elle faifoit tomber lur Ion ongle quelques gouttes du lait étran-
ger; & fi fon épaiffeur l'empêchoit de couler, la Nourrice étoit reçue fans
objeélion. Une Femme, qui nourriiroit un Enfant, devoit toujours man-
ger des mêmes viandes jufqu'à ce qu'il fût fevré; & ce tems étoit de qua-
tre années entières, pendant lefquelles Ilerrera fait admirer l'amour ma-
ternel, qui faifoit éviter aux Femmes toute forte de commerce avec leurs
Maris, dans la crainte d'une nouvelle groflefle (g). 11 ajoute que celles,
qui devenoient veuves dans cet intervalle, n'avoient pas la liberté de fe
remarier. Tous les Enfans étoient foigneufement recommandés à la pro-
teélion des Dieux. On faifoit des offrandes, des vœux & des facrifices ,
pour leur fortune & leur fanté. On leur mettoit au cou des billets &
d'autres amuletes, qui contenoient des figures d'Idoles & des caraélères
myftérieux.
Chaque Temple avoit une Ecole, où les jeunes Garçons du Quartier
alloient recevoir les inflruftions des Prêtres. On leur apprenoit, non-feu-
lement la Religion & les Loix, mais tous les exercices qui pouvoient être
utiles à la Nation, tels que la danfe, léchant, l'art de tirer des fiéches,
de lancer le dard & la zagaie, de fe fervir de l'épée & du bouclier, &c.
On les faifoit coucher fouvent fur la dure, manger peu, & fe remuer beau-
coup. Il y avoit un Séminaire particulier pour les Enfans nobles , où leur
nourriture étoit portée de leur Maifon. Ils y étoient inftruits & gouver-
nés par d'ancien? Chevaliers, qui les élevcicHt dâhs les plus rudes travaux,
& qui joignoient à leurs leçons de grands exemples de toutes les vertus.
On lesenvoyoit, dès leur première jeunefle, au milieu des Armées, pour
y porter des vivres aux Soldats. Ce prétexte, qui leur donnoit occafion
de prendre quelque idée des exercices & des périls militaires , fervoit auflî
à faire connoître leur vigueur , leur courage & leurs inclinations. Ils
irouvoient fouvent , dans ces efiais , le moyen de fe diflinguer par des
allions d'éclat; & celui qui étoit parti fous un vil fardeau, revenoit quel-
quefois avec le titre de Capitaine. Après le cours des inftru6lions , ceux
^ui marquoient du penchant pour le fervice du Temple , entroient dans le
Monaftère de leur fexe; & s'ils fe deftinoient au Sacerdoce, ils avoient des
Maîtres particuliers, qui leur apprenoient les fecrets & les cérémonies de
la
(e) Acofta s'obftine toujours à faire ve-
nir ces ufages de la Religion des Juifs , ou
de celle des Maures , ou du Clirillianifme.
li trouve ici la circoncilion , comme il veut
Îue le lavement foit une efpèce de Baptômei.
.itj. 4. Cbap. 27.
(/) Herrera, Dec. 3. Liv. 2. Cbap. 17.
{g) Ibidem, Llv. 4. Chap. 16.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL S79
la Religion. Mais lorfqu'il» s'étoient conflicrcs à cette profeflîon, ils dé-
voient y perfevcrer jiifqu'à la vieillelle (/;).
Les Filles n'étoient pas élevées avec moins d'honneur & de retenue.
Dés l'âge de quatre ans, on les formoit, dans la folitude, aux travaux de
leur fexe, à la pratique de la vertu; & la plupart ne fortoient point de la
maifon de leur Père jufqu'au tems du mariage. On les menoit rarement
aux Temples. Ce n'étoit que pour accomplir les vœux de leurs Mères , ou
pour implorer le fccours des Dieux dans leurs maladies. Elles y étoient;
accompagnées de plufieurs vieilles Femmes , qui ne leur permettoient point
de lever les yeux , ni d'ouvrir la bouche. Jamais les jeunes Filles & les
Garçons ne mangeoient enfemble, avant que de fe marier. Les Seigneurs
oblervoient cette loi jufqu'au fcrupule. Leurs maifons étant fort grandes,
ils y avoient des jardins & des vergers , où l'appartement des Femmes étoit
féparé des autres édifices. Celles , qui faifoient un pas hors de leur en-
ceinte, étoient châtiées féverement. Dans leurs promenades mêmes, el-
les ne dévoient jamais hauITer les yeux , ni tourner la tête en arrière. El-
les étoient punies, lorfqu'elles quittoient le travail fans permiffion. On
leur faifoit regarder le mcnfonge comme un fi grand vice, que pour une
faute de cette nature on leur fendoit un peu la lèvre (i).
L'ÂGE de fe marier, pour les Hommes, étoit vingt ans; âc quinze,
pour les jeunes Filles. Cette cérémonie fe faifoit par le minirtère d'un
Prêtre, qui prenoit les deux Parties par les mains, en leur demandant quel-
le étoit leur intention? Sur la réponfe du jeune Homme, il prenoit le bord
de la robbe dont il devoit être revêtu pour la Fête, & le bout d'un voile
que la jeune Fille portoit aufli dans cette occafion , il lioit l'un à l'autre ;
& conduifant les Mariés à la maifon qu'ils dévoient habiter, il les faifoit
tourner fept fois autour d'un fourneau (k). Rien ne manquoit alors à leur
union : mais ils dévoient avoir obtenu la permiffion de leurs Pères & ceHe
du Capitaine de leur Quartier. Si leurs Pères étoient pauvres , ils s'enga-
geoient, en les quittant, à leur faire part du bien qu'ils pourroient ac-
quérir ; comme les Pères, qui étoient riches, joignoient au bien, qu'ils
leur donnoient , la promefle de ne les jamais laifler tomber dans la mifère.
Un Homme avoit la liberté de prendre plufieurs Femmes; & quoique la
plupart n'en euflent qu'une , on ne s'étonnoit point d'en voir quelques-uns
qui n'en avoient pas moins de cent cinquante (/). Les dégrés de Mère&
de Sœurs étoient les feuls défendus. On n'a point connu d'Indiens plus
délicats fur la virginité. Une Femme fufpefte étoit renvoyée à fesParens,
le
(h) Herrera, ibid. Liv. 2. Chap. 15.
(i) Ibidem, pages 188 & 365.
(ik) Un Hittorien ajoute qu'il y avoit des
tems oîi le Mariage étoit prohibé; qu'il fe
inifoit par l'entremifc de quelques vieilles
Femmes; que les Pères ne dévoient jamais
y confentir tout d'un coup; que pendant la
ntigociation , les deux jeunes gens obfer-
voient un jeûne de quatre jours , & de vingt
diins quelques endroits ; qu'on les tenoit en-
icniiés jufqu'à la conclufion , &c. A l'égard
des Concubines , ceux qui defiroicnt une
Fille à ce titre la dcmandoient au Père, fous
prétexte d'avoir des Enfans. Lorfqu'il en
naiflbit un Fiis, le Père prioit l'Homme d'é-
poufcr la Fille, ou l'obllgcoit de la lui ren-
voyer; & fi l'Homme prenoit le fécond de
ces deux partis , il ne pouvoit plus avoir de
commerce avec elle. Ilerrera, Dec.2. l.iv. *.
Chap. 16. ' .
(/) Gomara, Liv. 2. Chap. 83.
Dddd 2
DESCRTpnOtf
UE LA Nou-
velle Espa-
gne.
Cduottiot
des Fillei,
IMariagcs.
DetCKIPTION
va LA Nou>
VCLLB ESPA'
C.NB.
Ecriture OU
Cjradcrc des
Alexifiuaius.
580 DESCRIPTION DlJ MEXIQUE,
le lendemain de Tes noces; & celle , dont le Mari était fatisfait, recevoic
des prefens «Se des honneurs extraordinaires à ce titre (»«). Aufli la crain-
te d y être trompés faifoit-elle tenir aux Hommes un compte exaft de tout
ce qu'ils donnoicnt dans l'engagement , pour le l'aire reftitucr jufqu'aux
moindres bijoux, fi la fagcflc de leurs Femmes no répondoit pointa leurs
efpéranccs. Après le divorce , il leur étoit défendu de fe rejoindre, fous
peine de mort; mais les Femmes avoient la liberté de fe remarier, lorf-
qu'elles en trouvoient l'oecafion; &ccux, dont la dclicatefle alloit fi loin
pour les Filles, prenoient fans peine une Veuve, ou la Femme qu'un au»
tre avoit répudiée. Une Mère, en mariant fa Fille, lui recomm.andoit
particulièrement la propreté, le culte des Dieux, & les foins intérieurs de
la Maifon. Un Père exhortoit fes Fils à bien vivre avec leurs Femmes , ù
fe rendre aimables à leurs Voifins, & fur tout à refpefler leurs Supérieurs.
Il y avoit des formules d'exhortations , pour les Pères & les Mères , com-
me des règles de. conduite pour les Enfans. Elles fe confer voient dans les
Familles,- & les jeunes gens ne quittoient point la maifon paternelle, pour
s'établir ou pour changer d'état, fans en prendre une copie dans les ca-
raftères qui fervoient d'écriture à la Nation («).
AcosTA ne parle jamais fans étonnement, de l'art avec lequel un Peuple,
enfeveli d'ailleurs dans les plus épaifles ténèbres de l'ignorance & de la bar-
barie, avoit trouvé le moyen de fuppléer à l'ufage des lettres. Il y avoit
au Mexique une forte de Livres, par lefquels on perpétuoit non-feulement
la mémoire des anciens tems , mais encore les ufages , les loix & les céré-
monies. On a vu que la Ville d'Amatitlan, dans la Province de Guatima-
la, étoit célèbre par l'habileté de fes Habitans à compofer le papier & les
pinceaux. On trouvoit dans plufieurs autres Villes , des Bibliothèques, ou
des amas d'Hiftoires, de Calendriers, & de remarques fur les Planètes &
fur les Animaux. C'étoient des feuilles d'arbres, équarries, pliées & raf-
femblées ( o ). Quelques Efpagnols , qu'Acofta traite de Pedans , prinent les
figures qu'elles contenoient pour des caraftères magiques , & livrèrent au
feu tout ce qu'ils en purent découvrir. Les plus fenfés , après avoir re-
connu l'erreur d'un faux zèle, en regrettèrent beaucoup les effets. Un Je-
fuite, dont on ne rapporte point le nom, affembla, dans la Province de
Mexique, les Anciens des principales Villes, & fe fit expliquer ce qu'il y
avoit de plus curieux dans un petit nombre de Livres qui leur reiloient.
Il y vit plufieurs de ces roues, qui repréfentoient leurs fiécles, & dont on a
donné un exemple après Carreri. Il y admira d'ingénieux hiéroglyphiques,
qui repréfentoient tout ce qui peut être conçu. Les chofes , qui ont une
forme, paroifToient fous leurs propres images; & celles, qui n'en ont point,
étoient repréfentées pax des caraéîères qui les fignifioient. C'eft ainfi qu'ils
avoient marqué l'année où les Efpagnols étoient entrés dans leur Pays ,
en peignant un Homme avec un chapeau & un habit rouge, au figne
' - . ■ ■ '■ •■ -r ■^-'' ;■• ■■". - ' ■■." de
(m) „ Les Maris , dit Acofta , le recon-
noinbient par fignes ou par paroles çfnou-
ciies", »i'//îi/)r<i,. Chap,27. ,...
f
(n) Voyez ci-deflus la Figure œcono-
mique.
(o)Herrera, Ibiil. Chap. 14; Acofla,
Liv. 6. Cbap. 7.
, recevoit
fi la crain-
ft de loue
jufqu'aux
int à leurs
idre, fous
ricr, lorf-
oit fi loin
qu'un au*
mmandoit
(irieurs de
smmes, à
upéricurs.
res, corn-
U dans les
ïlle, pour
ns les ca-
n Peuple,
de la bar*
Il y avoit
feulement
i les ceré-
Guatima-
>ier & les
cques, ou
'lanetes &
les & raf-
jrinent les
rèrent au
avoir re-
Unje-
)vince de
:e qu'il y
refloient.
donc on a
yphiques,
1 ont une
)_nt point,
inli qu'ils
;ur Pays ,
au figne
de
jre œcono-
ii AcoAa,
\
Prod TTC Tioj^rs JSr^ Tzr^iJj.Lj:s £ t Trib ut .
KATIJïIRLYKJ: VO or TURKI^CtZ EL s e k SCHA.T t IIS' g
k&i^TO^i^^i
^^^1
|§§8^^oW^
d: c o isr o A£ I JE 3fx:jczc.AiJVM.
M E X I C A. A N « E H TJ TT S H O XI B I N G E .
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 5gi
de la roue qui couroic alors (/>). Mais, ces caraélères ne fuffifant point Descriptiow
pour exprimer toutes les paroles , ils ne rendoienc que la fubllance des ^b^le E^r"'
idées. Cependant, comme les Mcxiquains aimoienc à faire des récits & à, oj,e.
conferver la mémoire des événemcns, leurs Orateurs & leurs Poëces avoient
compofé des Difcours, des Poëmes 6c des Dialogues, qu'on faifoit appren-
dre par cœur aux Enfans. C'étoit une partie de l'éducation qu'ils recevoient
dans les Collèges, & toutes les traditions fe confervoient par cette voie.
Lorfque les Efpagnols eurent conquis le Mexique & s'y furent établis,
ils apprirent aux Habitans l'ufage des lettres de l'Europe. Alors une par-
tie de ce qu'ils avoient dans la ménwire fut écrite avec toute l'exaélitude
qu'on
(p) Cefl pour en donner une jude iâéc,
qu'on a fait graver ici quelques pages d'une
liilluire iVlexiquaine que l'urciias 6c The-
vtiiot ont publiée dans kurs Recueils. Ce
ne fut pas fans peine, dit Thevenot, qii un
t'iouvcrncur du Mexique la tira des uiuins
d.s Indiens, avec une traduclio:i, en langue
IMexiquaine , des ligures (jui la conipofent.
Il la lit traduire en Efpagnol. Le Vailllau,
qui l'apportoit à Ciiarles- Quint , fut pris par
un François , & la pièce tomba entre les mains
d'André Thcvct. llaekluyt, qui étoit alors
A'.imônier de rAnibalîlKlLur d'Angleterre en
France , l'acheta depuis , dts Héritiers de
Thcvet, ôc la lit traduire d'EfpagnoI en
Anglois par l'ordre de Waltcr Raleigli. En-
fuite Her.ri Spcelman , fi célèbre par fes
Ouvrages, obligea l'urciias d'en faire tailler
les figures , qui fe font ainfi confervées.
Thevenot, 4 Partie. Ce Recueil ert divifé
en trois Parties. La première contient les
Annales de l'Empire du Mexique; la fé-
conde, fes Revenus, c'ell-à-dire, ce que
chaque Ville ou Bourgade payoit de Tribut,
avec les richefles mturelles de chacime; la
troifième, l'Occonomie Mexiquaine, la Dif-
cipline de l'Empire, en Paix & en Guerre,
& fes Pratiques Religicufes & Politiques. On
donne ici un exemple de chaque Partie; &
voici l'explication avec les letti'cs qui répon-
dent aux Figures.
I. Figure. En 1417 , Chimalpupuca B,
fucccda à lluicilihuit Ton Père. 11 conquit
par les armes C les Villes de Texquiquiac
D t & celle de Chalco E, qui étoit fort gran-
de. (Quelques années après, Chalco fe ré-
volta, G . & cinq Mexiquains furent tués , I ,
dans la fédition. Les Habitans de Chalco bri-
furent quatre Canots H Chimalpupuca régna
dix ans, F, qui font marqués par les corn-
parte nens de la marge, y^, dont chacun vaut
un an,fuivant laRùue Dans l'Original Mexi-
quain, ces comparlimcns étoient peints en
bJeu.
II. Figure. Tribut des Villes fituées dans
le Pays chaud , qui payoient tous les fix
mois 24.00 poignées de plumes choifies ,
A, B, C, D, E, F, bleues, rouges, cou-
leur de turquoife, & vertes; ces couleurs é-
toient dans l'Original ; 160 Oifeaux morts,
G, L, d'un plumage couleur de tiu-qtioift:
fur le dos, & brun fous le ventre , 800 poi-
gnées , M, //, de plumes jaunes choifies ; 8oo
poignées, /, N, de plumes vertes, larges,
dcQueçaly; deux lîecotcs d'amlire, K, O,
enrichies d'or ; 200 charges , P , /f , de cacao ;
40 peaux de Tigre , (^, S; 800 Tecomatcs
ou Coupes, T, U, à boire du cacao; 2 mor-
ceaux d'ambre clair, chacun de la grofTeur
dune brique, /^, X. Foyez ci dejjm l Arti-
cle des Langues.
111. Figure. Le Père, //, doit mettre fon
Fils, B, à l'âge de 25 ans, H, qui font
marqués par les ronds, entre les mains du
Tlamacazqui, C, Grand Prêtre du Temple
Camalcac,Z),pour l'inflruire 6c en faire un
Prêtre; ou l'envoyer E , au même âge. H,
à l'Ecole, G, pour y recevoir les inllruàions
communes du l'eachcauh , F, c'ell-à-dire du
Maître qui inflruit la Jeunelfe.
Lorfqu'une Fille fe marie, ITMitrcmetteur
du mariage, /, doit la porter le loir fur fou
dos , IV, chez le jeune Homme qui veut l'é-
pouftr, U cft éclairé par quatre Femmes,
X, Z , qui portent à la main une efpècc de
torche, de bois de Pin, i, 2, 3, 4. La
Fille & le jeune Homme s'alTeyent dans une
f\illc , fur des fîèges placés fur une natte,
O; ik toute la cérémonie du mariage cou-
fille à nouer un coin du bas de ]a robbe d j
l'Homme, L, avec un coin du voile de la
F'ille , M. Ils offrent aux Dieux du parfum de
Copal Q, fur im réchaud. Deux V^ieillards,..
/, R, de deux vieilles Femmes, N, F, fer-
vent de témoins. K,P , repréfentent les vian-
des qu'on fert aux Mariés, lis mangent les
viandes, &. boivent dans des talFes^ T. du-
Pulque, repréfcnté par le pot, i'.j
Dddd 3
Description
J)E LA NOU-
VHLLE E'PA-
GNU.
Mailbns,
Meubles tx
Nourriture
commune des
Mcxiquains,
582 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
qu'on voit dans nos Livres (q). Mais ils n'ont pas laifTé de conferver l'ha-
bitude de leurs anciens cara6lores, fur -tout dans les Provinces éloignées
de la Capitale Ç^).
Ce n'efl: point par la defcription des Palais de Motezuma, qu'il faut ju-
ger des Maifcns communes du Mexique, & du goût de la Nation pour
les Edifices. Les Seigneurs & les perfonnes riches étoient libres, à la vé-
rité, d'imiter la magnificence du Souverain; & fans rcpcter ce qu'on a
dit de la multitude ôc de l'étendue des Hôtels de Mexico, le Palais de cha-
que Cacique, dans la Ville ou la principale Bourgade de l'on Domaine (j),
n'avoit giiéres moins d'éclat que le Tezpac, féjour ordinaire de l'Empe-
reur. Mais il étoit défendu au commun des Mcxiiiiiains d'élever leurs
Maifons au-deflus du rez-de-chaulTée, & d'y avoir des fenêtres & des
portes. La plupart n'étant compofées que de terre, & couvertes de plan-
ches, qui formoient une efpèce de plate- forme â laquelle tous les Hifto-
riens donnent le nom de terrafle, on conçoit que la commodité n'y étoic
pas plus connue que l'élégance. Dans les plus pauvres, néanmoins, l'in-
térieur étoit revécu de nattes de feuilles. Quoique la cire & l'huile fuflent
en abondance au Mexique, on n'y employoit, pour s'éclairer, que des tor-
ches de bois de Sapin. Les lits étoient des nattes . ou de la fimplc paille,
avec des couvertures de coton. Une grofle pierre, ou quelque billot de
bois, tcnoit lieu de chevet. Les lièges ordinaires étoient de petits facs,
pleins de feuilles de Palmier. Il y en avoit aufli de bois , mais fort bas ,
avec un dolTier d'un tilTu des plusgrofles feuilles; ce qui n'empêchoit point
que l'ufage commun ne fût de s'alleoir à terre, & même d'y manger. On
reproche aux Mexiquains d'avoir été fort (aies dans leurs repas (f). Ils
man-
(q) Acofla fc croit en droit de conclure
que les Dilcours qui leur font attribués par
I*fsHiftoricns ne doivent point pafler pour u-
ne invention des Elpa^nols ., On en a con-
,, nu, dit-il, la vérité certaine, qui doit y
,, raireajoua-riinccatièrefoi". Liv,6. Cb.f,
()■) Le n'.cme Ecrivain rend témoignage
qu'il a vu le Pater nojier, VAve Maria, le
Symbole f le Confit e or , écrits à leur manière.
„ Quiconque les verra, dit- il, s'en émcr-
,, veillera ; car pour lignifier ces paroles,
„ Moi Pécheur je me confejfe , ils peignent
,, un Indien à genoux, aux pies d'un Reli-
,, gieux, & lui parlant à l'oreille. Pour cel-
,, Ics-ci, à Dieu Tout-puijjant , ils peignent
,, trois vifagcs, avec des' couronnes , en fa-
:, çon de la Trinité. Pour celles-ci, ^ à la
„ g'-orîeufe J^ierge Marie , ils peignent un
,, vilagc de Femme & un demi-corps de pe-
., t't Enfant ; ef « Saint Pierre ^ Saint
.„ Paul, dos tctcs , avec des couronnes, u-
,, r.c c!é t^c une épée. Si les images leur dé
,, failloient, ils mcttoient des caraétèrei,
,, comme, en quoi j'ai pàhé , &c. D'où l'on
„ peut connoïtre ia vivacité de leur enten-
„ dément, puifque cette façon d'écrire ne.
,, leur a pas été enfeignée par les Efpagnols.
„ J'ai vu la confeflîon de tous fes pèches ,
,, qu'un Indien apportoit pour fe confclTcr,
écrite de la même forte de peintures & de
caraftères , en peignant chacun des dix
Commandemens de Dieu , d'une certaine
façon , oîi il y avoit pour chiffres certai-
nés marques, qui étoient le nombre des
péchés , (ju'il avoit faits contre chaque
Commandement. Ees plus habiles El"; a-
gnols , qui voudroient faire de tels mé-
moires par images, n'y parvicndroient pas
en un an , non pas en dix ". Ibidem.
(s) Voyc2 ci-delïïjs l'arrivée de Cortcz à
Tczcuco.
(t) Gomara donne ;.'Our exemple, non-
feulement qu'ils prenoient toutes fortes d'a-
limcns avec les mains, 6c qu'ils s'eflTuyoient
les doigts à d'autres parties du corps, mais
que pour manger dfs œufs durs, ils arra-
choient un poil de leurs c'icvcux, avec le-
quel ils les coupoic;',t en pièces après en a-
voir ùté l'écaillé. C'elt une pratique, dit-il,
qu'ils confervent encore aujourd'hui. Liv. 2.
Ch. 85.
■ver rha-
éloignées
il faut ju-
ion pour
, à la vé-
: qu'on a
s de cha-
line (j),
; l'Empe-
vcr leurs
es & des
de plan-
es lîifto-
n'y étoit
ins, l'in-
ilc fuflent
e des tor-
ilc paille,
billot de
îtits facs,
fort bas ,
loit point
gcr. On
(0- Ils
man-
Efpngnols.
[es pèches ,
2 confefTer,
mires & de
:un des dix
ine certaine
iffrcs certai-
nonibre des
ntre chaciuc
ibiles El*; a-
de tels nié"
idroient pas
biilem.
de Concz à
mple , lion-
, fortes d'à-
s'eiTiiyoient
corps, mais
•s, ils arra-
.IX, avec le-
apics en a-
que, dit- il,
hui. Liv. 2.
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 583
Dbscriptio»
DB LA Nnu«
VELLU EtrA*
GNE.
mangeoient peu de chair ; mais quoiqu'ils cuflent du dégoût pour celle de
Mouton & de Chèvre , parce qu'ils la trouvoient puante, ils ne rejettoient
aucune autre efpèce d'Animaux vivans (v). Leur principale nourriture
ctoit le maïz , en pâte , ou préparé avec divers afPaifonnemens. Ils y joi-
gnoient toutes fortes d'herbes , fans autre exception que les plus dures &
celles qui font de mauvaife odeur. Le plus délicat de leurs breuvages étoit
une compofition d'eau & de farine de cacao, à laquelle ils ajoutoieni du
miel. Ils en avoient plufieurs autres , mais incapables d'enivrer. Les li-
queurs fortes étoient fi rigoureufement défendues, que pour en boire il fal-
loit obtenir la permiflion des Seigneurs ou des Juges. Elle ne s'accordoit
qu'aux Vieillards & aux Malades; à l'exception néanmoins des jours de
Fête, & de travail public, où chacun avoit fa mefure, proportionnée à
l'âge. L'ivrognerie paflbit pour le plus odieux de tous les vices. La pei-
ne de ceux qui tomboient dans l'ivrefle étoit d'être rafés publiquement; &
pendant l'exécution, la maifon du Coupable étoit abbattue, pour faire
connoîcre qu'un Homme, qui avoit perdu le jugement, ne méritoit plus de
vivre dans la fociété humaine. S'il pofledoit quelque Office public, il en
écoit dépouillé , & l'intcrdidlion duroit jufqu'à fa mort. Cette loi s'étant
affoiblie depuis la Conquête, on obferve que les Mexiquains font aujour-
d'hui les plus grands Ivrognes de l'Amérique.
Leur ancienne fobriété n'empéchoit point qu'ils ne fufTent paflîonnés Jeux publics
pour la Danfe & pour diverfes fortes de Jeux. Herrera fait une curieufe
defcription du jeu qui fe nommoit TlatchtU, & dont les Caftilians aban-
donnèrent l'udige, parce qu'ils y trouvèrent du danger. La fcène de cet LeThtchtIi
exercice étoit une efpèce de Tripot , & l'inflrument , une Pelote , compo-
fce de la gomme d'un Arbre, qui croît dans les terres chaudes. On en fait
diftiller, par incïfion , une liqueur blanche & grafle, qui fe congelé pref-
qu'auffi-tôt , & qui étant paierie devient aulïi noire que la poix. Cette
Pelote , quoique dure & pefante , voloit auflli légèrement qu'un Ballon , qui
ja'ell: rempli que de vent. On ne marquoit point de chafle ; comme au jeu
de Paume. L'avantage confiftoit à faire toucher la Pelote , au mur qui fer-
voit de but , & dont la partie contraire devoit empêcher qu'elle n'appro-
chât. Elle n'étoit pouflee qu'avec les feffes ou les hanches ; & pour la fai-
re mieux rebondir, les Joueurs s'appliquoient fur les fefles une forte de cuir •
bien tendu. Ils fe préfentoient mutuellement le derrière, pour la renvoyer,
à meiure qu'elle s'élevoit , ou qu'elle faifoit des bonds. On faifoit des par-
ties réglées, pour lefquelles on dépofoit , de part& d'autre, de l'or, des-
ta-
(v) Pas 1 ;ine leurs propres Poux, fui-
vant le niêr Auteur; ils les croyoient bons
pour la fancé. D'ailleurs ils difoient qu'il
étoi": plus honnôtc de les manger, que de
les tuer entre les ongles. Ibidem. Cette
idée donne quelque vraifemblance à ce qu'on
lit dans Herrera, Dec. 2. Liv. 8. Chap. 5.
Dans le Palais, dit-il, où Cortez fut logé,
en arrivant à Mexico, on trouva quantité de
fjcs & de befaces bien liées, Ojeda en prit
une & l'ouvrit. Elle étoit pleine de Poux.
Les Efpagnols apprirent que c'étoit un tribut
que les Pauvres payoicnt à l'Empereur. Tel-
le étoit, ajoute THiftorien, la fujettion où'
Motezuma tenoit fon Peuple. 11 ne dit point
quel ufage l'Empereur faifoit de cet odieux
préfent. Peut-être n'avoit-il pas d'autre def-
fein que de fair- régner la propreté dans fes
Et.its.
584
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
il
fi!
Mi
fi
Description
DE LA Nou-
velle KSPA-
Miifiquc &
Dan les.
La Nctûti-
Utzle.
tapis, des ouvrages de plume, & les avantages étoicnt marqués par des
raies. Quelquefois les Mexiquains jouoient jufqu'à leurs perfonnes. Le
lieu étoic une falle balTe, haute, longue, étroite, mais plus large par le haut
que par le bas, & plus haute des deux côtés qu'aux deux bouts.- Les mu-
railles étoient fort unies, & blanchies de chaux. On y mettoit des deux
côtés, quelques grofTes pierres, alfez femblables à des meules de moulin,
& percées au milieu, mais dont le trou n'avoit que la grandeur néceflaire
pour recevoir la Pelote. Celui, qui l'y mettoit, gagnoit le jeu, par une
vidloire extraordinaire, qui arrivoit rarement. Un ancien ufage le ren-
doit maître alors des robbes de tous les Speftateurs. Le jeu en devenoit
beaucoup plus agréable; parce que ceux qui étoient couverts de quelque
vêtement ie metcoient à fuir, pour les fauver, & qu'ils étoient ordinaire-
ment pourfuivis par le Vainqueur. Le fouvenir d'un fi grand événement fe
conl'crvoit jufqu'à ce qu'il fût effacé par un autre; & ce'ui , qui devoit
cette difpolition au hafard plus qu'à fon adrefle, étoit obligO de faire quel-
ques offrandes à l'Idole du Tripot & de la pierre, il y avoit toujours deux
Statues de la Divinité du Jeu, fur les deux plus balles parties des murs.
On choinilbit, pour les y placer, quelque jour de marque; & cette céré-
monie étoit accompagnée de chants, qui en faifoient une efpèce de confé-
cration. Auffi chaque Tripot étoit -il refpeélé comme un Temple. On
n'en bâtiflbit point làns y appeller des Prêtres, qui le béniflbient avec di-
verfes Formules, & qui jettoient quatre fois la Pelote dans le Jeu. Le Maî-
tre du terrein, qui étoit toujours un Seigneur, ne jouoit jamais fans avoir
commencé par des cérémonies religieufes & des offrandes. Motezuma ai-
moit beaucoup ce fpeftacle, & fe faifoit honneur de le donner fouvent aux
Elpagnols, qui n'y prenoient pas moins de plaifir qu'aux plus agréables Jeux
de leur Nation (x).
La Mufique étoit une autre paffîon des Mexiquains. Ils avoient divers
inflrumens groffiers , auxquels l'exemple des Conquérans leur fie bientôt
joindre la Hûte , le hautbois & la trompette. Quoique naturellement fleg-
matiques, ils étoient .l fenfijles à l'harmonie, qu'ils fe raffcmbloient fou-
vent pour aller donner à l'Empereur, qui n'en étoit pas moins touché, le
plaifir d'entendre leurs chancs & de voir leurs danfes , au milieu d'une
grande cour qui étoit devant les falles du Palais. Leur manière de danfer
reffembloit peu à celle des autres Nations. Après avoir dîné, ils commen-
çoient une Ibrte de Bal, qu'ils nommoient NitoiiJiizle. On étendoit une
grande E/lera, qui étoit une natte fort déliée, fur laquelle on pofoit deux
tambours, l'un petit, qui- s'apelloit Teponatzh^ & qui étoit d'une feule
pièce de bois fort bien travaillé , creux , fans peau ni parchemin par de-
hors, avec une feule fente au principal bout: on le touchoit avec des
bâtons, comme nos tambours, quoique les extrémités ne fuffent pas de
bois, mais de laine ou de quelque fubftance moIIafTe. L'autre étoic plus
grand, rond, creux, & peint en dehors. Il avoit, fur l'embouchure, un
cuir, bien courroyé & fort tendu, qu'on ferroit ou qu'on lâchoit, pour
élever ou pour baiffer le ton. On le batcoit avec les mains, ^ cet exer-
• cice
(.r) Ilcrrcra, Dec. 2. Liv. 7. Chap. 9. -
!;l
iî'-.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 585
eîce étoic pénible. Ces deux inftrumens , accordés avec les voix , produi-
foient une fymphonie aflez mélodieufe, mais qui paroiflbit fort trille aux
Cadillans. Les chanfons des Mexiquains contcnoient la vie & les aétions
héroïques de leurs anciens Rois. Mais , s'échaufFant par dégrés, ils y mê-
loient des compofitions plus badines , en couplets rim^s, qui n'étoient pas
fans efprit & fans agrément. Ceux qui danfoient devant l'Empereur étoient
les principaux Seigneurs du Royaume, richement parés, avec des bouquets
de rofes dans les mains, ou des éventails de plumes tiflues d'or. Les uns
avoient la tête couverte d'une tête d'Aigle, ou de Tigre; d'autres por-
toient fur le bras droit, ou fur les épaules, des devifes d'or ou d'argent,
& de riches plumes. Dans les Affemblées de la Ville, le nombre des Dan-
feurs montoit quelquefois à huit ou dix mille, & les Seigneurs ne faifoienc
pas dilBculté de s'y mêler. On commençoit à marcher par rangs, de huit
ou plus, fuivant la quantité des Aéleurs. Les principaux fe plaçoient prés
des tambours. Après une marche aflez lente , qui duroit quelque tems en
différentes formes, on s'entremêloit , pour danfer en branle, en fe tenant
par la main. Enfuite les uns danfoient feuls , & d'autres deux à deux. La
danfe confidoit dans quelques fauts & divers mouvemens alternatifs des
pies &£les mains. Deux Chefs de rang recommençoient à danfer feuls, &
conduifoient les autres, qui les fuivoient en imitant tous leurs mouvemens
6: tous leurs pas. Ils chantoient , & tous les autres répondoient en chœur.
Lorfqu'ils étoient en grand nombre , les derniers faifoient un cercle , pour
fe retrouver vis-à-vis des autres. La danfe duroit quatre ou cinq heures ,
fans que perfonne parût fe lalfer. Les mouvemens néanmoins étoient
quelquefois fort vifs , & répondoient par intervalles à la vivacité de l'air.
Il étoit permis de quitter l'Aflemblée pour fe rafraîchir ; mais on devoit
fortir fans rompre la cadence, & la reprendre en rentrant. Quelquefois
on voyoit arriver des Mafques & des Bouffons , qui fe mêloient dans la
danfe, en faifant des fauts extraordinaires, en difant des plaifanteries , en
contrefaifant d'autres Nations par leurs geftes & leur langage , ou les Fous,
les Ivrognes & les vieilles Femmes. Ce Bal, fuivant la remarque d'un
Hiflorien, parut plus agréable aux Efpagnols que la Zambra même de Gre-
nade (y). Motezuma fe donnoit fouvent, en fecret, le plaifir de faire
danfer devant lui , dans cette forme, les plus belles Femmes & les plus qua-
lifiées de l'Empire (2).
Herrera parle d'une danfe encore plus folemneille, qui fe nommoit
Mitote (a), & qui fe faifoit dans les cours du Temple; fi noble, dit-il,
que les Empereurs même ne dédaignoient pas de s'y mêler. On y formoic
deux grands cercles , au milieu defquels étoient placés les inflrumens. Le
cercle intérieur étoit compofé des Seigneurs, des Anciens, & de toutes
les perfonnes au-defTus du commun. Le fécond, de la plus grave partie
du Peuple, qui fe paroit, dans ces grands jours, de ce qu'il avoit de plus
précieux en plumes & en bijoux. Il n'y avoit perfonne, qui n'eût été for-
mé
DESCRlfTIOj*
DE LA Nou-
velle Espa-
gne.
La Mircttft.
(y) Ibidem.
(z) Ibidem.
XFIII. Part.
(a) II donne, dans un autre endroit, le
même nom à toutes les danlcs Mexiquaincs.
£ ece
1>B I.A
VILLE
S8(5 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
DBtcurTioî» mé dès l'enfance à cet exercice chéri. On voyoit plufieurs Mexiquains fur
^J"* des figures d'Homme, d'Animal ou de Colomnes, (jui cliantoient «Se dan-
[. * foient clans cette poflure , avec tant dcjullcfle & de grâce, qu'ils ne s'é-
cartoient point de l'ordre dans leurs mouvemens ni dans leurs Ions. D'au-
tres montoient fur des bâtons, s'y tenoient droits, ik faifoient mille figu-
res plaifantes des pies & des mains.. J3'autrcs paflant leurs mains fous la
plante de leurs pics le courboient encercle, fe ri;muoient avec une agili-
té furprenante, s'élançoient dans l'air, & retombaient, en tournant, com-
me une lourde maile. Enfin, d'autres voltigcoient, funtoient, & fai-
foient mille fortes de cabrioles , avec de gros poids fur l'cftomac & fur l'é-
paule, qui ne femblûicnt rien diminuer de leur fouplefle (b). Souvent
le Peuple s'afTembloit dans les Places publiques , ou fur les dégrés des
Temples, pour faire des défis au blanc, «Se d'autres preuves d'adrcfle,
avec l'arc & la flèche. On couroit , on luttoit , fous différentes con-
ditions; & le Vainqueur recevoit un prix, aux dépens du Public. II
fe paflbit peu de jours où la Ville de Mexico n'eût quelque divertiflTe-
ment de cette nature. Motezuma , qui en avoit inventé la plupart , ju-
geoit cette diveriion néceflfaire pour des efprits inquiets, dont il foup-
çonnoit la fidélité (c). Ces Fêtes devinrent encore plus magnifiques &
plus fréquentes en faveur des Elpagnols. Cependant , quelque goût qu'ils
y eufi^ent pris d'abord , elles difparurent , par dégrés , fous leur propre
Gouvernement (rf).
Chaque Province du Mexique ayant été réunie fuccelTivement au çorp5
de l'Empire, il n'efl pas furprenant qu'il y reAât des différences confidera-
• .- . — . ' • '.,-.!■■. bles
Siiccelîîons
dans les Fa-
milles.
(&) Le même, Dec. 3. Liv. 2. Chap. 15.
(c) Soiis, Liv. 3- Chap. 16.
Id) Corrcal, Voyageur Efpagnol, comp-
te , entre les caufes de la haine des Indiens
pour fa Nation , en Amérique , la fubftitu-
tion qu'elle y a faite d'un mélange de fpefta-
cles ridicules, aux anciens exercices des
Mexiquains. „ Les Indiens, dit-il, qu'çn
„ convertit à la Religion Chrétienne, n'en
„ font pas moins Idolâtres , car ils adorent
,, nos fiintes Images comme rutant de Dieux.
„ Les Curés le fouft'rent,^& difent (jue cela
„ vaut encore mieux que* s'ils n'étoient pas
„ baptifés. Le Saint, ajoutent-ils, aura pi-
„ tié d'eux & les délivrera pour l'amour de
,, fon Image. L'envie de faire des Profely-
tes fait tolérer aux Millionnaires d'autres
abus de la même force; mais ils la paient
quelquefois bien cher. Les Sauvages , qui
ne font pas toujours d'humeur à fe con-
vertir, maffacrent fouvent ces Miflîonnat-
res. Aulli leurs Sermons font -ils pleins
de bouffonneries , plates & groflîères. Les
Fêtes font encore plus fcandaleufes. Etant
à Carthagcne , le jour de la Proceflîon du
Saint Sacrement , j'eus occafion de voir
u)mment on y profanoit cette fainte céré-
9>
„ monie. Des gens mafqués y faifoient tou-
„ tes fortes de geflcs bouirons; quelques-
„ uns tulbutoient devar;t le St Sacrement , &
„ d'autres faifoient le moulinet. On y por-
„ toit des Chat8 & des Cochons emmaillo-
„ tés , qui en miaulant & en grognant coni-
„ pofoient, avec les voix humaines, uncon-
„ cert des plus impcrtinens. L'enterrement
„ de Jelus-Chrift & toutes les folemnités de
„ la Semaine fainte, font à- peu.-près auilî
,, édifiantes. N'oublions pas la MefTe de
„ Minuit. Les Religieux y danfent au fon
,, des inftrumens, comme les Séculiers, fc
„ cela avec les geftes & les grimaces ordinai-
„ res aux Mafcaïades du Carnaval. Les uns
„ fe déguifent en Diables , les autres en An-
,, ges. Ces Anges & ces Diables fe difent
,, fouvent de grofles injures , & les accom-
„ pagnent prefque toujours de coups de
„ poing; mais les Diables font enfin battus
„ oc chaffés, &c. Ces Fêtes déplaifent dau-
„ tant pluâ aux Indiens , qu'on leur fait payer
,, bien cher Its yfg7ius Dei & les petites Ima-
„ ges qu'on ydiuribue, & qu'on les force
,. d'acheter". Foyages de François Corrtal ,
Giap, 10 & II.
i>
iquains fur
^ dan-
lis ne s'é-
îs. D'au-
mille figu-
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une agili-
ant, com-
itf & fai-
: & fur l'é-
Souvent
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L'enterrement
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t enfin battus
5p!aifent d au-
leur fait payer
;s petites Ima-
l'on les force
nçois Contai ,
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 587
blés dans les loix &. les ufages. La Religion dcoit l'unique point fur lequel
il paroît que la politique des Empereurs, plutôt que le penchant des Peu-
ples ou la perfuafion, étoit parvenue à faire régner l'uniformité. A l'é-
gard des fuccelîions , par exemple , dans la Capitale & tout le Pays de Ton
reffort, elles fuivoient les dégrés du fang. Le Fils aîné cntroit dians toui
les droits de fon Père , lorfqu'il étoit capable de les maintenir. Autrement
le fécond Fils prenoit fa place"; & s'il n'y avoit point d'autre mâle, c'é-
toienr les Neveux qui fe voyoient appelles à l'héritage. Au d.éfaut de Ne-
veux, on appelloit les Frères du Père. S'il n'en reftoit point, fur-tout en»
tre les Seigneurs qui jouiQoient de quelque Gouvernement par le droit de
leur n ai (Tance, tous les Vaflaux avoient recours à la voie de 1 éleftion, pour
faire tomber leur choix fur le plus digne; datis l'opinion que l'intérêt pu-
blic devoit l'emporter fur les droits d'une parenté fort éloignée. Dans le
Pays de Tlafcala, de Guacoxingo & de Cholula, on fuivoit la même rè-
gle, avec cette différence, que celui qu'on fubflituoit au véritable fang étoit
fournis à de rigoureufes épreuves.^ Il devoit s'expofer, dans la Place pu-
blique, à toutes les injures qu'on jugeoit à propos de lui faire efluyer, &
les fouffrir fans aucune marque d'impatience. Enfuite il étoit mené au
Temple, pour y paffer quelque tems en pénitence. Tous fes exercices
étoient contraires à ceux de la vie commune. 11 fortoit du Temple, lorf-
qu'on y venoit pour les Sacrifices ; il mangeoit à des heures qui n'étoient
pas celles du Public ; il veilloit dans le tems deftiné au fommeil ; il dor-
moit lorfqu'il falloit veiller; & pendant qu'il étoit endormi, on venoit le
piquer avec des poinçons, en lui difant; „ éveil!e-toi, fonge qu'il faut
„ que tu prennes foin de tes Vaflaux, & que l'Office dont tu t'es chargé
„ ne te permet pas de dormir". Après ces pénibles cérémonies , on lui pré-
paroit un grand feftin; mais pour le tems qu'il fe devoit faire, on comp-
toit tous les jours, depuis celui de fa naiffance, & l'on choiliffoit un im-
pair, parce que tous les nom'ores pairs étoient de mauvais augure. Ses
Convives étoient nommés par les Prêtres. Si quelqu'un d'entr'eux s'excu-
foit, on n'en apportoit pas moins fon fiége. On le mettoit à la place qu'il
devoit tenir , avec les vivres qu'il devoit fournir & fon préfent. Le nou-
vel Héritier faifoit au fiége les mêmes carefles & les mêmes remercimens
qu'il auroit dû faire au Convive. Lorfque la table étoit fervie, on fe ren-
doit au- Temple voifin , fans faire attention fi les mets pouvoient fe refroi-
dir ; & l'Héritier y recevoit l'invefliiture de tous fes droits. Le feftin com-
mençoit enfuite, &finiflbit par des chants & des danfes. Les Seigneurs
de Chiapa dévoient paffer par diverfes Charges fubalternes, avant que d'en-
trer en poffeffion du rang pour lequel ils étoient nés ou choifis. Dans la
Province de Guatimala, les Héritiers de naiffance ou d'éleélion étoient
obligés de faire des prières & des jeûnes. Les plus dévots dormoient les
pies en croix, pour fe fatiguer jufques dans le tems du fommeil (e).
Si le Mort laiflbit un Héritier trop jeune , on lui donnoit pour Tuteur
un de fes plus proches Parens ; ou s'il n'avoit perfonne dans fa Famil-
le, qui méritât cette confiance, on élifoit uq des plus fages Amis du
Mort
DescicpTtoif
DS LA îir)\j.
VILLE EiPA*
OKK.
((?) Herwa, Dec. 3. Liv, 4, Chap.
15-
Eeee
l
j
DcfCRirTION
rs i.A Nou-
velle DSI'A-
ONI.
Différence
d'Ordres dans
:;i NoblcfTe.
Régicmcra
des Thbiiis.
588 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Mort pour y lupplc'cr; & Hc (lucKiiie mérite ou de quelque dirtinftion
que fût rilciiticr, il n'ct.-it pas aiVranchi de cette tutclc avant l'âge de
trente ans (/).
Le Mexique avoit une furte dev^*cigneurs,qu'Ikrrcra compare aux Corn-
manJeurs de Caftille, c'efl-à-dire, qui recevoient de la faveur du Souve-
rain, ou pour récompenfe de leurs lervices, des l'crres dont ils n'avoient
la propriété que pendant leur vie. Il y avôit un autre Ordre, qui le nom-
moit, en langage du Pays, les grandes Parentés y & qui ctoit compofé des
Cadets du premier Ordre. Il étoit fubdivile en quatre autres clallcs, qui
répondoient aux quatre premiers dégrés de Parenté, & qui tiroient leur
diitinélion du plus ou moins d'éloignement de leur origine. Tous ceux
qui delcendoient plus loin étoicnt compris dans la quatrième claflTe. Ou-
tre le droit de pouvoir iucceder aux Chefs de leur race , lorfqu'ils y é-
toient appelles , leur Noblefle les exemptoit de tributs. La plupart étoient:
employés dans les Armées; & c'étoit parmi eux qu'un choififlbit les Am.-
balladeurs, les OlHciers des Tribunaux de Juflice, & tous ks Minières
publics. Les Chefs de race étoient obligés de leur fournir le logement &
la fublillance.
Tous les Caciques jouiObient des droits de la Souveraineté dans l'éten-
due de leur Domaine. Ils tiroient un Tribut particulier de tous leurs Vaf-
faux , fans en excepter cette efpèce de Seigneurs dont les biens ne fe
tranfmettoient pas par lucceffion , Ck qui n'en jouiiroienc que par la dona-
tion de l'Empereur. Les Officiers mêmes payoient le tribut de leurs Offi.
ces, comme les Marchands celui de leur Commerce. Mais ils n'étoienn
pas obligés à d'autres fervices, tels que les ouvrages publics, le labourage
pour les Seigneurs , & divers anujetifTemens qui étoient Je partage du
Peuple. Ils avoient même cntr'eux une efpèce de Syndic , choili dans
leur Corps, pour traiter de leurs affaires avec les Seigneurs, & pour régler
annuellement leurs compte». Le plus malheureux Ordre des Tributaires
étoit celui des Laboureurs , qui tenoient les Terres d'autrui. Ils fe nom-
moient Mayequcs. Tous les autres Vaflaux pouvoient avoir des Terres en
propre ou en commun ; mais il n'étoit permis aux Mayequcs que de les te-
nir en rente. Ils ne pouvoient quitter une Terre pour en prendre une
autre, ni jamais abandonner celles qu'iU- labouroient, & dont ils payoient
la rente en nature , par d'anciennes convenions dont l'origine étoit incon-
nue. Leurs Seigneurs avoient fur eux la jurifdiftion civile & criminelle.
Ils fervoient à la guerre, parce que perfopne n'en étoit exempt; mais on
apportoit beaucoup d'attention à ne pas trop diminuer leur nombre, & le
beîbin de Troupes devoit être fort preflant pour faire oublier que les Maye-
ques étoient néceflaires à l'agriculture.
L'exemption du Tribut n'étoit accordée qu'aux Enfians qui étaient fous le
pouvoir de leurs Pères , aux Orphelins , aux Vieillards décrépits , aux Veu-
ves & aux Blefles. Il fe levoit avec beaucoup d'ordre, dans les Villages
comme dans les Villes. Le plus commun étoit celui de maïz, de faféoles,
& de coton. Les Marchands & les Ouvriers le payoient de la matière or-
dinaire
(/) Ibidem, ' " i- .•■-.• •
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. sS9
tliii.iir'e de leur commerce ou de leur travail. On ne l'impcfcit point par
trie, mais chaque Communauté avoit fa taxe, qui le divifoit enuc IV^
Membres ; & cuua#ècs Particuliers railbicnc leur premier devoir de payer kut
p<>rtion. Les Tributs de grains étoicnt recueillis au tcms de lu récolte. Ceux
des Marchands ôc des Ouvriers fe délivroicnt de vingt en vingt jours, c'ell:-
à-dire, de mois en mois. Ainli l'on portoit des l'ributs pendant toute l'an-
née. La même règle s'obfcrvant pour les Fruits, le l'oilTon, les Oifeau.^,
les Plumes, & la Vaiflelle de terre, les Maifon» des Seigneurs fe trouvoicnc
fournies, fans embarras & l'ans interruption. Dans les années ftériles &
dans les maladies contagieufes, non-feulement on ne levoit rien; mais li
les VaiTaux d'un Cacique avoient belbin d'être fccourus, il fournitroit, de
fes MagaOns, des alimens aux plus pauvres, & des graines aux autres pour
femer. Le fervice perfonnel des Mayeques confilloit à bâtir pour leurs
Seigneurs, & fur tout à leur porter chaque jour de l'eau & du bois. Ce
dernier oiiicc étoit reparti entre les Villages & les Quartiers ; de forte que
le tour de chacun ne revenoit pas fouvent. S'il étoK quertion d'un Edifi-
ce, ils s'y employoient avec autant de fatisfaftion que de zèle. Hommes,
Temmes Ck Enfans, ils mangeoient à des heures réglées. On a fouvenc
obfervé qu'ils font peu laborieux, lorfqu'on les applique feuls au travail, &
que fix Mexiquains, occupés féparément, avancent beaucoup moins qu'un
Efpagnol. Comme ils mangent peu , leurs forces fcmblent proportionnées
à leur nourriture. Cependant lorfqu'on trouve le moyen de les faire tra-
vailler enfemble, & par quelmie intérêt difl'erent de la crainte, ils ne per-
dent pas un inftant. Leur refpeft étant prefqu'égal pour leurs Caciques &
pour leurs Dieux, ils n'épargnoienc pas leurs peines dans la conftruftion des
l'emples & des Palais. On les voyoit fortir de leurs Villages au lever du
Soleil. Après avoir laide palTer le froid du matin , ils mangeoient fobre-
ment quelques provilîons qu'ils portoient avec eux. Enfuite, chacun
mettoit la main à l'ouvrage , fans attendre qu'il fut prefle par l'ordre ou
les menaces des Chefs; & le travail continuoit jufqu'à la première fraî-
cheur de la nuit. La moindre pluie leur faifoit chercher à fe mettre à
couvert; parce qu'étant nus & connoiflant le dangereux effet de leurs
pluies, ils craignoient d'y être long-tems expofés. Mais ils r-evenoienc
gayement, aulîi-tôt qu'ils voyoient le tems s'éclaircir; «Stle foir, retour-
nant fans impatience à leurs maifons , où leurs Femmes leur faifoienc du
feu & leur apprétoient à fouper, ils s'y amufoient innocemment au milieu
de leur Famille {g). i :' • .
La Province des Matalzingas n'avoit que trois véritables Seigneurs ; l'un,
qui tenoit le premier rang ; & les deux autres qui le reconnoiifoienc pour
leur Supérieur commun, avec quelque inégalité entr'eux-mêmes. Lorfque
le premier venoit à mourir, le fécond prenoit fa place, & le troifième pre-
noit celle du fécond. A la place du troifième , on nommoit le V'ûé du pre-
mier, lorfqu'il en paroiflToit digne; ou fon Frère, s'il manquoit quelque
chofe au mérite du Fils. Ainïï nul d'entr'eux ne fuccedoic à fon Père.
Lorfque c'étoit celui du milieu qui étoic enlevé par la mort, on lui donnoit
pour
Ci") Herrera, ibid. Chap. 17. ": . . .
F. e e e 3
DnfCRIPTIÔM
DU l,A NOU-
VELLF. liîl'A"
OMC.
590
DESCRIPTION DU M JE X I Q U E,
•fîBtcnirTioN
DÉ i.A Nou.
CNC.
i,
i
r
(!
Il;
I:
pour SuccefTeur le Fils du premier. Il n'y avoit que le troifième , auquel
Ton propre Fils ou Ton Frère pouvoic fucceder; mais dans tou< les cas,
c'ccoic toujours le plus digne qui étoic appelle à fa fucceûTion. Ces trois
Caciques avoient leurs Terres réparées l'une de l'autre, qu'ils nommoient
KalpuleSf .& les deux fubalternes faifoient affidûment leur cour au premier.
Dans la Province d' (Jtlatan, qui touchoic à celle de Guatimala, les Efpagnols
vérifièrent , par des peintures , que depuis plus de huit cens ans il y avoit
auiïi trois principaux Seigneurs, dont la fucceflion avoit toujours fuivi le
même ordre. La diflinélion de leur rang n'étoit marquée que par celle de
leurs fiéges.: le premier avoit au iien trois tapis de plumes pour doflier ; le
fécond en avoit deux, & le troifième un feul (A).
Mcchoacan. Avant la Conquête du Mechoacan , le principal Cacique de cette grande
Province faifi^it là réfidence dans une Ville confiderable , qui fe nommoit
Zinzoaizot c'efi:-à-dire Lieu rempli étOifcaux. Quoique le Pays produifit
abondamment toutes fiertés de biens , la plus riche partie du Tribut con-
fiiloit en plumes , dont on faifoit de précieux tapis & d'autres ouvrages.
On obferve que de tous les Peuples du Mexique , c'étoit celui qui avoit la
plus jufiie notion d'une Divinité fiiprême, d'un Jugement dernier, du Ciel
& de l'Enfer. Le Dieu du Mechoacan fe nommoit Tucapacha. Il étoit re-
gardé comme l'Auteur de tout ce qui exide, & comme l'unique arbitre de
ia vie & de la mort. Ses Adorateurs l'invoquoient dans leurs affliélions , en
jettant les yeux vers le Ciel, qu'ils prenoient pour la bafe de fon Trône.
Leurs idées fur l'origine des chofes fembloient venir de plus loin que les
fables du Paganifme. Ils racontoient que Dieu avoit créé de terre un
Homme & une Femme; que ces deux modèles de la race humaine, s'étant
allés baigner , avoient perdu leur forme dans Teau; mais que leur Auteur
la leur avoit rendue, avec un mélange de certains métaux, & que le
.Monde étoit defcendu d'eux ; que les Hommes étant tombés dans l'oubli
de leurs devoirs & de leur origine, ils avoient été punis par un Déluge
univerfel^ à l'exception d'un Prêtre Indien , noxtmié Tezpi ^ qui s'étoit mis
avec fa Femme & fes Enfans dans un grand coffre de bois , où il avoic
ralTemblé aufii quantité d'Animaux & d'excellentes femences; qu'après la
retraite des eaux, il avoit lâché un Oifeau nommé Aura y qui n'étoit pas
-revenu, & fucceflivement plufieurs autres, qui ne s'étoient pas fait re-
voir ; mais que le plus petit , & celui que les Indien^ efi:iment le plus pour
la variété de fes couleurs, avoit reparu bien- tôt avec une branche d'ar-
bre dans le bec. Les Prêtres du Mechoacan portoient des Tonfiires,
comme ceux de TEglife Romaine, & faifoient retentir dans leurs Temples
]a menace des punitions d'une autre vie, avec des peintures fi vives &
Si elFrayantes , que , fuivant l'expreflîon d'Herrera , elles forçoient leurs
Auditeurs d'abandonner le vice, malgré le penchant qui les y attachoit (i).
-Cependant les Sacrifices humains n'étoient pas moins fréqucns parmi eux,
que dans la Capitale de l'Empire, dont ils paroiflbieîit avoir emprunté leurs
principaux ufages.
Mifceque. Dans la Province de Mïjieque , dont les Efpagnols n'ont confervé le
nom
(6) Ihid. Chap. 18.
(0 Jbid. tiv. 3. Chap. 10.
aat.
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 591
nom qu'aux Montagnçs qui là féparoient de Chiapa, il n'y avoit aucun l'>fiscRimojr
Temple public; mais chaque Mailbn avoit fon Dieu Se fon Oratoire. Les ^l^^^^ g°J[;
Monaftèr'sîi y étoient en fort grand nombre,- & c'etoit d'eux, comme des
fources de la Religion, que chaque Famille rccevoic la Divinité qu'elle
devoir adorer. La Loi de l'héritage écoit en faveur des Aînés; mais elle
les obligeoit d'entrer dans un Monallère ëç d'y porter l'habit Religieux
pendant rçfpacê d'un an. Les Aînés des Caciques mêmes n'étoient pas
difpenfés de cet ufage. Le jour qu'ils choififlbient pour l'obferver, les
principaux Habitans de leur Canton venoient les prendre en proceflîon fo'
lemnelle, au bruit de tous les inftrumens de leur mufique. En approchant
du Monaftère, ils étoient dépouillés de leurs habits par les Prêtres, qui les
revêtoient de haillons , oints de gomme. On leur donnoit une lancette de
caillou, pour fe tirer du fang. On leur frpttoit le vifage, l'eftomac &
les épaules, de feuilles venimeufes, qui étoient comme le fceau de leur
confécration ; parce qu'on fuppofoit qu'elles ne permetcoient plus de tou-
cher à ces parties fans danger. iJs entroier» alors dans- le Monaftère, où
ils étoient formés à l'abflinence, fournis à toutes fortes de travaux, & châ-
tiés rigoureufement pour les moindres fautes. A la fin de l'année, leurs
Parens & leurs Amis venoient les reprendre, avec la même pompe. Quatre
jeunes Filles les lavaient dans une eau parfumée, pour leur ôter la noir-
ceur de réfine qu'ils avoient contraÊtée au fervice des Autels, & fur-tout
jufqu'aux moindres traces du poifon des feuilles. Ceux qui attendoient la
mort de leur Père , pour commencer leur épreuve, n'y étoient pas moins
obligés avant que de recueillir fa fucceffion (k). Lorfqu'un Cacique étoit
attaqué d'une maladie mortelle, tous les Monaftéres de fon Domaine fai-
foient des Sacrifices , des Pèlerinages & des Vœux pour fa guérifon. Les
Fêtes étoient magnifiques après fon rétablitremenjc. Mais s'il mouroit, on
continuoit de lui parler, comme s'il eût été vivant; & dans l'intervalle on
mettoit devant lui un Efclave vêtu de tous les ornemens des Caciques , qui
recevoit, pendant le refte du jour, les honneurs dûs à cette dignité. Qua-
tre Prêtres enlevoient le Cadavre vers minuit, & alloicnt l'enterrer dans
les Bois ou dans une Cave. A leur retour, l'Efclave qui repréfentoit le
Mort étoit étoufTé. On l'enfeveliffoit, avec un mafque au vifage & le
manteau de la dignité dont il avoit porté les appareneeî. Il étoit enterré
dans cet état, avec ceux qui avoient joué le même rôle avant lui, mais
dans une fépulture creufe, fur laquelle on ne mettoit aucune terre. Tous
les ans on faifoit une Fête à l'honneur du dernier Cacique ; mais c'étoit
fa naiflance qu'on célébroit , & jamais on ne parloit du jour de fa mort. Les
Peuples de la même Province avoient treize langages différens ( /). On
attribue cette étrange variété à la difpofition du Pays, qui étant rempli de
Montagnes fort hautes , rendoit le commerce fort difficile d'un Canton à
l'autre. Les Efpagnols y ont trouvé des cavernes & des labyrinthes, de
plus d'une lieue de longueur, avec des grandes places, & des fontaines
d'excellente eau. Dans la partie des Montagnes qui fe nomment aujour-
d'hui Saint • Antoine y les Indiens n'habitoicnt que des antres, de dix ou
vipg.ç
C^) hiii. Chap. 3. (J) Ibid. Chap. i?.
Ufngc forf
fiugulicr.
592
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
UG LA NOU
VELLK ESPA
GNZ.
Zapotccas.
DejcnTPTioN vingt pies de circonférence, qu'ils paroiflbient avoir creufés , par un long
NT^.,. jjjj^j^-j^ j^j^g les plus durs Rochers. On remarque deux Montagnes d'une
hauteur extraordinaire , qui font fort éloignées l'une de l'autre par le pié ,
mais dont les fommets s'approchent fi fort, que les Indiens fautent d'un
côt;J à l'autre ( vi ).
Les Habitans de la Province de Zapoîccas étoient une Nation terrible.
Leur principal Cacique faifoit fa demeure dans une grande Ville , qu'ils
noramoient Tcozapotlan. Ils étoient en Guerre continuelle avec les Mixos ;
autres Barbares , dont les Montagnes du Pays étoient peuplées. Quoique
nus, les uns & les autres, ils avoient inventé des armes fort meurtrières.
Jamais ils ne fe rencontroient fans fe battre. Les Vainqueurs lioient leurs
Prifonniers par les parties viriles , avec la corde de leurs arcs, & les me-
noient ainfi comme en triomphe, pour les employer aux fervices de l'ef-
clavage ou pour les facrifier dans leurs Temples. Ils avoient à-peu-prés
la même Religior que lesMexiquains; mais leur ufage étoit de facrifier des
Hommes aux Dieux , des Femmes aux Déefles , & des Enfans aux petites
Divinités. Ils obfervoient des jeûnes de quarante & de quatre- vingt jours ,
pendant lefquels ils ne mangeoient, dans l'efpace de quarante ou de quatre-
vingt heures, qu'une hefbe médecinale, nommée Pifate. Leur principal
Cacique, qui étoit celui de Coatlan^ fe difoit defcendu en droite ligne
du Chef de ceux qui échapèrent au Déluge général. Ses Vafiaux, à qui
cette opinion le rendoit fort refpeélable, Juifaifoient des Sacrifices, com-
me à leurs Dieux. Quelques Efpagnols, d'un nom connu, ont rendu té-
moignage qu'ils avoient vu le dernier de ces Princes , & que fes Sujets ne
l'avoient enterré qu'après avoir embaumé fon corps. Depuis qu'ils ont
reçu le Chrillianifme , une maladie contagieufe ayant fait beaucoup de
ravage dans leur Nation, ils recommençoient à facrifier à leur ancien Ca-
cique; & la plupart feroient retombés dans les abominations de l'Idolâ-
trie, s'ils n'cuflent été retenus par le zèle d'un Evêque de Guaxaca. On
aflure qu'ils ont, dans leur Canton, l'ouverture d'une Cave qui a deux cens
lieues de longueur («).
Les Tcpeaques forme lent une Nation particulière, qui étoit venue afi^ez
récemment de Chimoz^oc^ Région feptentrionale dont le nom fignifie les
fept Caves. Ils étoient partis , fuivant leurs propres Annales , fous la con-
duite d'un Chef, nommé Quavifthzac ; & n'ayant point trouvé d'Habitans
dans le Canton qu'ils occupent aujourd'hui, ils y bâtirent la Ville de Te-
peaca au fommet d'une Montagne triangulaire; ce que fon nom fignifie.
Enfuite s'étant répandus dans les Plaines voifines , ils partagèrent leur Pro-
vince entre les trois Fils de leur Chef, dont les Defcendans règnoient en-
core à l'arrivée de Cortez, & ne reconnoifilbient les Mexiquains que pour
leurs Alliés. Les Temples du Pays font dans une fituation li bien entendue,
que le Soleil y donne un Eté continuel. Mais toute la Province éfi: fans
Rivières & fans Fontaines , à l'exception de quelques eaux aigres , qui for-
tent entre des pierres. Les Indiens n'y boivent que de l'eau de pluie;
&
Tepeaques.
(m) Ibid. Chap. 14.
(n) Mil. Ccfl; pciit-ctrc une faute d'im-
prcffion , pour vingt ou pour deux.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II.
593
ces, com-
& les Efpagnols, qui s'y font établis, font venir à grands frais celle d'une
lource vive de la Montagne de Tlafcala , par un canal qui la conduit juf-
qu'au milieu de leur Place. Malgré cette ftérilité d'eau , le Pays desTepea-
qucs eft rempli d'excellens pâturages. Quoique leur Nation eût adopté une
partie des ufages du Mexique, on y remarque plus d'efprit & de politefle
que dans la plupart de leurs Voifins. Ils adoroient, ious le nom de Ca-
matzleque, une Idole de figure humaine, armée d'un arc «Se d'une flèche;
mais ils n'en reconnoilfoïent pas moins un Dieu fupréme, Créateur de l'U-
nivers. Les Eclairs, la Foudre & tous les Météores palloient entr'eux
pour des Efprits defcendus du Ciel, qui venoient obferver la conduite des
Hommes, punir quelquefois les crimes, & veiller à la confervation du
Monde. L'éducation des Enfans & le bon ordre de la Police faifoient
leur principal foin. Ils étoîsnt gouvernés, au nom de leurs Caciques, par
quatre Juges, qui tenoient leur fiége dans une grande Salle, où non-feu-
lement les caufes étoient vuidées fur le champ, mais où les Sentences de
mort s'exécutoient à leurs yeux. Les crimes capitaux étoient l'homicide,
l'adultère, le vol & le menlbnge, parce qu'ils étoient regardés comme les
plus nuifibles à la Société (o).
Les Tlafcalans, dont on a tant de fois vanté le courage & la fidélité,
n'avoient pris des Mexiquains que l'horrible ufage de facrifier leurs Enne-
mis & d'en manger la chair. Il parpît même qu'ils ne s'y étoient accoutu-
més que par repréfailles , pour rendre à ces cruels Ennemis le traitement
qu'ils ne ceflbient pas d'en recevoir. On a vu que l'amour de la liberté
avoit donné naiflance à leur République, & que la valeur & la juftice en
étoient comme le foutien. Les Relations Efpagnoles s'étendent beaucoup
fur leur cara6lère Ils vouloient être élevés & corrigés par amour. Ils
mangeoient peu , & leurs alimens étoient légers. La plupart étoient in-
duftrieux, & capables d'apprendre ou d'imiter tout ce qu'on leur montroit.
Ils punifltfient de mort le menfonge, dans un Sujet de la République; mais
ils 1'^ pardonnoient aux Etrangers , comme s'ils ne les euflent pas crus ca-
pables de la même perfeftion qu'un Tlafcalan. Auffi tous leurs Traités
publics s'exécutoient-ils de bonne foi. La franchife ne règnoit pas moins
dans leur Commerce. C'étoit un fujet d'opprobre, entre leurs Marchand*,
que d'emprunter de l'argent ou des marchandifes , parce que l'emprunt ex-
pofe toujours à l'impuiflance de rendre. Ils cheriflbient les Vieillards. Ils
cbâtioient rigoureufement l'adultère & le larcin. Les jeunes Seigneurs,
qui manquoient de refpefil & de foumiffion pour leurs Pères, étoient étran-
glés par un ordre fecret du Sénat, comme des monftres naiffans, qui pou-
voient devenir pernicieux à l'Etat , lorfqu'ils feroient appelles à le gouver-
ner. Ceux qui nuifoient au Public , par quelque défordre qui ne méritoit
pas la mort, étoient relégués aux Frontières, avec défenfe de rentrer dans
l'intérieur du Pays ; & c'étoit le plus honteux de tous les châtimens , parce
qu'il fuppofoit dts vices dont on craignoit la contagion. On faifoit mou-
rir, avec les Traîtres , tous leurs Parensjufqu'au fepcième degré; dans l'i-
dée qu'un crime fi noir ne pouvoit venir à l'efprit de perlbnne, s'il n'y étoit
porté
(o) Ibid. Dec. 2. Chap. 21. '
xnii. Put t. Ffff
Dbîcriptiow
DE LA Nou-
velle ESPA-
RNK.
Tlafcalans.
Vertus & Vi».
ces de leur
République-'^
594
DESCRIPTIONDU MEXIQUE,
DS LA Nou
VXLLB ËifA-
Descriftiow porté par l'inclination du fang. Les défordres fenfuels , qui bleflent la na-
tare, ccoienc punis de mort, comme autant dobltacles a la propagation
des Citoyens, dans le nombre defquels la République faifoit confifter tou-
tes Tes forces, Entre mille fujets de haine, les Tlafcalans reprochoient
aux Mexiquains d'avoir infefté leur Nation de ce déteflable goût. L'ivro-
gnerie étoit li rigoureufement défendue, qu'il n'étoit permis de boire des
liqueurs forces , qu'aux Vieillards, qui avoicnt épuifé leurs forces dans la
profellion des Armes. Le Territoire de la République ne produifanc point
de fel, ni de coton, ni de cacao, ni d'or & d'argent, il n'y avoit point
d'excès, ou de luxe à craindre, dans la bonne chère & dans les habits:
cependant les Loix y avoient pourvu , en défendant de porter des étoffes
de coton, de boire du cacao, & d'employer de l'or & du fel, fi ces richef-
fes n'avoient été gagnées par les Armes. Les Tlafcalans n'étoient pas nus.
Ils portoient une camifole fort étroite, fans collet & fans manches, avec
une ouverture pour y pafler la tête. Elle defcendoit jufqu'aux genoux;
& par-delfus, ils avoient une forte de foutane, d'un tiflu de fil. La Plan-
te, dont ils tiroient ce fil, étoit fi commune dans le Pays, qu'ils l'em-
f)loyoient à divers ufages. C'efl une efpèce de Chardon , qui jette des feuil-
es , larges de deux palmes , très dures , & des épines fort pointues. Le
fil fe tire des feuilles : mais les Tlafcalans employoient l'étouppe à faire des
efcarpins & de la corde; les bouts leur fervoient à couvrir leurs Maifons.
Ils tiroient aufli , de cette Plante, d'afl^ez bon miel, du vin , & du vinaigre.
Ils en faifoient du papier gris, qui fervoit pour leurs caraftères. Des re-
jettons, ils compofoient une conlerve, d'un goût fdtt agréable & d'un ufa-
ge fort fain. Les pointes rôties leur donnoient un baume, qu'ils emplo-
yoient heureufement pour les playes. Enfin ces pointes tenoient aufîî lieu
de plumes d écriture, & les Efpagnols mêmes s'en fervoient dans le befoin.
La Plante dure vingt ans , & ne commence à porter fon frui^ (j[^ij^£,,,fe^.fl^v
après avoir été plantée (p). - ■ — ~
Les Caciques, ou les Seigneurs Tlafcalans, étoient adorés du Peuple,
qui s'accroupiflbit prefqu'à terre pour leur parler, baiflant la tête & les
yeux , fans ofer faire le moindre mouvement, & fe retirant en arrière fans
tourner les épaules. Les l'ributsfe payoient en fruits de la Terre, avec une
jufte proportion , qui n'étoit point à charge aux plus pauvres. La liberté
qui règnoit àTlafcala, & les avantages d'un bon Gouvernement, y atti-
rant de toutes parts quantité d'Etrangers qui cherchoient à fe garantir de
la Tyrannie de leurs Caciques, ils y étoient reçus, à la feule condi-
tion de s'y conformer aux Loix. On y comptoit parmi la Noblefi^e envi-
ron foixante Seigneurs, qui s'étoient mis volontairement fous la proteftion
de la République , en q'uîi'^é de Vaflaux. Elle avoit des Chevaliers , qui
avoient mérité ce titre par des aftions héroïques ou des confeils falutaires,
& qui en avoient été revêtus dans le Temple avec beaucoup de cérémo-
nies. Les riches Marchands obtenaient auflfi des difiindtions , qui les élevoient
par
(p) Herrera prétend que c*eft le Maguey
de rifle Efpagnole , dont le véritable nom,
Hit- il , ell Metl, On a déjà rciuarqué que
fon Tradufteur veut que ce foit l'Arrête
Bœuf. Voyez ci-deflbus , l'Article des Arbres
& des Plantes.
ii^jàè^&^»?%I^M.
C\V DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 595
par degrés à la Nobleffe. Mais quelque pauvre que fût le Noble , il ne Descriptio*
pou voit exercer aucun office méchanique. Les feuls dégrés défendus, pour yj^LE h/pï»
le mariage, étoient ceux de Mère, de Sœur, de Tante & de Belle-Mèçe. gni.
L'héritage ne paflbit point aux Enfans , mais aux Frères du Père; & plu-
fieurs Frères pouvoient époufer fucceffivemtnt leur Belle-Sœur. Non-feu-
lement les Loix permettoient la pluralité des femmes , mais elles y exhor-
toient ceux qui pouvoient en nourrir plus d'une. Xicotencatl en avoit
cinq cens (q). Cependant il n'y en avoit que deux, qui portaifcnt le ti-
tre d'Epoufe. Elles étoient refpeftées de toutes les autres; & leur Mari
ne devoit pas coucher avec une Concubine, fans les avoir averties. Un
Enfant étoit plongé dans l'eau froide au moment de fa naiflance, & les
Femmes s'y iavoient aufll dès qu'elles étoient délivrées. Rien n'eft égal à
l'attention qu'on apportoit à les faire vivre dans la modeftie & la propreté.
Les Enfans des Caciques avoient des Précepteurs, qui leur formoient égale-
ment le corps & l'efprit (r).
La profperité de la République n'étant due qu'à la valeur Militaire, les
Tlafcalans rapportoient tout à l'honneur des Armes. Dans la Guerre, ils
élifoient un Capitaine général. L'Etendart de l'Etat demeuroit toujours à
l'Arriére - Garde. Après une Bataille, ils le fichoient en terre, dans un
lieu expofé à la vue de tout le monde; & ceux, qui ne fe retiroicnt pas
fous leur Etendart particulier, étoient punis rigoureufement. Comme ils
n'afpiroient point à s'étendre par des Conquêtes , ils ne profitoient de la
Viftoire que pour faire des Prifonniers. Entre les flèches qu'ils portoient
dans leur carquois , ils en avoient deux , qui reprélentoient les deux Fonda-
teurs de leur Ville. Ils en tiroient d'abord une; & s'ils tuoient ou blef-
foient quelque Ennemi , c'étoit un heureux préfage. L'inutilité du premier
coup paflbit pour un mauvais augure; mais chacun fc faifoit une loi d'hon-
neur de reprendre fa première flèche, & ce préjugé contribuoit fouvent à
'•3HJg»*fîftoire. Dans la chaleur même du combat, ils avoient l'art de fe reti-
rer & d'attaquer fuivant les occafions. Un Bataillon fortoit de fon Pofl:e;
. il étoit foutenu par un autre; & fucceffivement ils fe portoient dans les
lieux
(q) Herrera donne pour certain , un fait
ù extiuordinaire, qu'on ne le rapporteroit
pus fur l'autorité d'un Hiftorien moins judi-
cieux. On emploiera jufqu'aux termes, du
ïradudleur. „ Xicotencatl s'amouracha d'une
„ jeune Inlle, fort belle, qui avoit les deux
, natures & qu'il demanda pour Femme. Il
,, la mit avec les autres, & la tenoit comme
,; l'une d'elles. Après qu'elle eut pair<^ qucl-
,, que tons en cette qualité, elle s'amoura-
„ cha de quelques-unes de cel'.es avec lef
,, quelles elle étoit, &. fc fervit avec elles
„ du fexe mafculin, en forte que pendant
,, une année que le Seigneur fût abfent, elle
„ en rendit grofles plus de vingt Cela ayant
„ été découvert caufa beaucoup de trouble ;
,, & le Sei;,neiir voyant que lui-même avoit
„ commis ia faute , d'avoir r. irocfuit, en-
,, tre fes Femmes, une Hermaphrodite, ne
,. les fit mourir mais feulement les répu-
,, dia; qui n'étoit pas pour elles un petit
,, châtiment. Pour l'Hermaphrodite , elle
„ fut expofée en public , & menée au lieu
„ du Sacrifice deftiné pour les Malfaiteurs;
„ & là, après lui avoir reproché fa grande
,, trahifon , elle fut dépouillée & toute vive
,. eut le côté ouvert avec un caillou fort
,. aigu: ils la firent fortir, & la lailFèrent al-
„ 1er où fa bonne fortune laconduiroit;maij
„ comme elle voulut s enfuir toute cnfan*
„ glantéc comme elle étoit , les K^fans la
,, pourfuivirent plus dun quart de lieue à
,, coups de pierres, jufqu'à ce qu'elle tomba
, morte'. Dec. a. Liv. 6, Chap, 17.
(r ; Ibidem. . ,
Ffff 2
DiSCRIPTtON
DE LA NOU'
V£LLB ES?A-
GNJE.
P
59(5 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
lieux où raflîdance paroiiroit néceflaire ou plus prefTante. S'ils avoient le
moindre avantage, ils pouflbient les cris du triomphe, en invoquant les
Dieux de la Patrie, & faifant des Prifonniers qu'ils promettoient de facri-
fier dans leurs Temples. Ils employoient les embufcades, les furprifes &
tous les (Iratagemes que nous admirons dans nos plus fameux Guerriers.
Leurs tambours & leurs autres inflrumens de Guerre étoient redoutables par
le bruit. Leurs premières Armes avoient été des flèches; mais ils avoient
enfuite inventé les frondes & les dards brûlés par le bout. Ils y avoient
joint des zagaies, de cinq ou fix pies de long, qu'ils tiroient avec une cou-
roie en forme d'arc, & dont la pointe étoit d'os de poiflbn, de cuivre ou
de caillou. On leur atcribuoit 1 invention des Macanas ou mafTaes de bois,
& des épées garnies de cailloux aigus ou tranchans. ils prirent auffi des
boucliers; & par degrés ils employèrent desfoiTés, des caves & des tran-
chées pour leur defenfe Ils favoient diflinguer les fituations fortes;
ils mettoient autour d'eux des pointes aigiies , qu'ils couvroient de ter-
re , pour tromper ceux qui les attaquoient. Ils empoifonnoient les Ri-
vières & les Fontaines. Mais , ce qui paroît étrange , un Peuple qui
ne pouvoit foutFrir la nudité dans Tes murs, combattoit nu, & le corps
peint des plus bifarres couleurs. La feule Noblefle portoit une cuirafTe de
coton piqué, relevée par des figures d'Animaux farouches, avec une forte
de cafque, où les plumes & les plus précieux joyaux formoient un brillant
fpeftacle.
Les Tlafcalans avoient des Jardins, des Fontaines, des Bains, des Co-
médiens, des Nains, & des BolTus. Ils aimoient la Mufique, les Danfes
& les Chanfons. Le jeu du Tlatchtli, ou de la Pelote, étoit un exercice
commun dans la Nation; mais il étoit réfervé à laNobleffe, & le Peuple
n'en avoit que le fpedbacle. Quoiqu'il y eût des Temples dans les Villes
de la République , les plus célèbres étoient dans les Bois & les hautes Mon-
tagnes. La Religion des Tlafcalans étoit moins fenfée que leur Politique.
Avec une prodigieufe variété de Dieux, ils avoient quantité de Déciles,
dont la principale étoit celle de l'Amour, à laquelle ils attribuoient aufli
l'empire des Vents. Ils la croyoient fervi'^ par d'autres Femmes, qu'ils
aflbcioient à fon Culte, par des Bouffons & des Nains, qui s'employoient
à fon amufement dans une délicieufe demeure , & qui lui fervoient de
Meflagers pour avertir les Dieux dont elle defiroit la compagnie. Son
Temple étoit fomptueux , & fa Fête y étoit célébrée tous les ans , avec
une pompe qui attiroit toute la Nation. Les Vices avoient leurs Divinités
comme les Vertus ; le Courage & la Poltronerie, l'Avarice & la Libéralité
étoient honorés fous de bifarres figures. On gravoit leurs noms fur les
Rochers ; & ces Monumens d'une aveugle Idolâtrie fubfiftent encore.
Le Dieu des Eaux & du Tonnerre portoit le nom de Huloc. Dans un
Pays chaud , où de longues fécherefles faifoient le malheur public, c'étoit
à cette Idole qu'on rendoit les principaleis adorations. La pluie tenoit lieu
d'or aux TIa'calans; parce qu'en rendant leurs terres fécondes, elle leur
procuroit les feules richeffes à l'amas defquelles ils croyoient l'or utile.
Pour le fond des principes , toutes les extravagances de leur Polytheifme
fie les empechoient pas de reconnuître un Dieu fupérieur, {nais fans le
dé-
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE. Liv. H. 597
DP5CRIPTI0M
L)E LA Nou-
velle EsrA
0N£,
dëfîgncr par aucun nom. Ils admettoient des récompenfcs & des peines,
dans une autre vie ; des Efprits, qui parcouroienc l'air; neuf Cicux , pour
leur demeure & pour celle des Hommes vertueux après leur mort. Ils
croyoient la Terre plate; & n'ayant aucune idée de la révolution des Corps
célefles, ils étoient perfuadés que le S"oleil & la Lune dormoient tous les
jours, à la fin de leur courfe. C'étoit pour eux, le Roi & la Reine des
Etoiles. Ils regardoient le feu comme le Dieu de la Vieilleffe, parce qu'il
n'y a point de corps qu'il ne confume. Le Monde étoit éternel , dans leurs
idées; mais ils croyoient, fur d'anciennes traditions, qu'il avoit changé
deux fois de forme; l'une, par un déluge, & l'autre par la force du vent&
des tempêtes. Quelques Hommes , qui s'étoient mis à couvert dans les Mon-
tagnes, y avoient été couvertis en ùinges; mais par dégrés, ils avoient re-
pris la figure humaine, la parole & la raifon. La Terre devoit finir par le
feu, & demeurer réduite en cendres, jufqu'à de nouvelles révolutions qu'ils
faifoient profelfion d'ignorer (s).
Dans le Pays des Yziatlans, on élifoit un fouverain Pontife , qui ne for- Yzcadans.
toit jamais du principal Temple, & qui ne devoit approcher d'aucune Fem-
me. S'il violoit l'une ou l'autre de ces deux loix , il étoit mis en pièces ;&
fes membres fanglans étoient préfcntés tous les jours à fon Succefleur, pour
lui fervir d'exemple. Un Yzcatlan, qui penfoit au mariage, étoit obligé
de s'adrcfler aux Prêtres. Ils choififloient un jour de Fête, pour le faire
monter au fommet du Temple; ils lui coupoienc quelques cheveux, en di-
fant à haute voix, cet Homme veut fe maner ; enfuite, ils le faifoient def-
cendre , & la première Femme qu'il rencontroit dans fon chemin étoit à
lui. Mais cette loi n'étant ignorée de perfonne, & l'heure de l'exécution
n'étant pas moins connue, les Femmes, qui n'avoient pas dé goût pour
l'Homme qui devoit fe préfenter, évitoient foigneufement de paroître. Oi\
ne voyoit , devant le Temple , que celle qui étoit convenue de s'y trouver.
Ainfi la plupart de ces Mariages n'avoient de fmgulier que la forme. Dans
le Canton des Guaxhiitlans^ les Mariages fe faifoient comme à Mexico, Guaxlot».
en nouant la robbe du Mari avec le voile de la Femme : mais fur l'accufa- t'ans.
tion d'adultère, une Femme étoit forcée de paroître devant le Cacique; &
fi les preuves étoient convainquantes, elle étoit tuée fur le champ, pour
être coupée en pièces & mangée par les Témoins. Chez les Tzipeques , l'in- Yzipequcv
fidélité d'une Femme étoit punie par les mains de fon Mari , qui devoit lui
couper publiquement le nez & les oreilles. Celui , qui fe plaignoic d'un vol,
étoit obligé d'en nommer l'auteur; & s'il prouvoit la vérité de l'accufation ,
il étoit chargé de l'office de Bourreau, pour l'exécution du châtiment; mais
s'il manquoit de preuves, il étoit puni lui-même par le rainiftère de l'Accu-
fé. Tous les Hiftoriens obfervent que l'adultère & le vol étoient d'autant
plus odieux aux Mexiquains , que leurs maifons étant fans portes & fans
fenêtres, il n'y avoit pas d'autre frein pour ces deux crimes que l'honnê-
teté naturelle & la rigueur des loix. Dans la Province de Teuthlan on avoit Temitlaos.
l'horrible ufage d'écorcher toutes les Viflimes humaines , & de fe revêtir
de leur peau. Dans celles d'Uzila & à' Atlantîaca ^ lorfqu'on manquoit
d'Efcla-
(f) Uerrtra, Dec. 2. Chap. 16. & fuivans. . v
5v8
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
DE LA NcU-
VKLLF Ks^PA-
Gtit.
Mazaicqucs.
Tuatequcs.
h
i
DcfCRirrioN dEfclaves pour les Sacrifices, le Cacique avoit droit de choifir des Viftimes
entre fes Sujets. Les Exécuteurs de Tes ordres alloicnt les enlever avec
beaucoup d'appareil; & ceux, qui refufoient de fe laifler conduire à l'Au-
tel , étoient tués fur le champ. Les Mazateques avoient une Fête annuelle,
qui coûtoit beaucoup de fang à leur' propre Nation. Quelques jours aupa-
ravant , les Prêtres faifoient entendre leurs inflrumtns , au fommet du 1 em-
ple, pour avertir tout le monde de fe retirer dans les maifons. Aufli tôt
ils fe rcpandoient dans les campagnes , avec la cruelle adreiïe de laifler le
moins cfc tems qu'ils pouvoient aux Malheureux, qui cherchoient à fuir; &
depuis le matin juf^u'à midi, tous ceux qui tomboient entre leurs mains
étoient marqués à la têcc pour fervir de Viélimes au Sacrifice. Les Tua-
tcques n'avoient, pendant'toute Tannée, qu'un Sacrifice fanglant. Ils fai-
foient mourir un Enfant, dans l'âge de l'innocence, une Poule & quelques
autres Animaux ; & fe contentant d'arrofer les Idoles de leur fang, ils a*
bandonnoient les corps aux Oifeaux de proie: mais ils tuoient, hors du
Temple, un certain nombre d'Ëfclaves, pour achever la folemnité par un
feftin de leur chair.
Enfin les Otomies ^ que leur haine pour les Mexiquains, le féjour de
leurs Montagnes & leur ancienne (implicite , fembloient devoir préferver
du barbare ufage d'immoler des Victimes humaines , font ceux qui l'ont
confervé les derniers , après l'avoir reçu de leurs Ennemis. Ils ne facri*
fioient, à la vérité, que les Captifs qu'ils faifoient dans leurs Guerres; mais
ils les hachoient en pièces , qui fe vendoient toutes cuites dans les Bouche-
ries publiques. Quelques Mifllonnaires Efpagnols , qui s'étoient hafardés
à vivre parmi eux pour les inftruire, commençoient à s'applaudir du fuc-
cès de leur zèle, lorfque dans une maladie contagieufe,qui faifoit beaucoup
de ravage, ils furent furpris de voir toute la Nation raflemblée fur une hau-
te Montagne. C'étoit pour y facrifier une jeune Fille, à leurs anciennes
Divinités. Les Mifllonnaires s'efforcèrent en vain de les arrêter. On leir
répondit qu'en embrafl'ant un nouveau Culte, l'ancien ne devoit pas être
o^iblié; & la jeune Fille eut le fein ouvert à leurs yeux. Après le Sacrifi-
ce, tous les Otomies revinrent tranquillement à rinfl:ru6lion («)• La plus
Otonitj.
( t) Ce trait doit faire juger de la plupart
des autri-s converlinns. Citons un Auteur
original , dans les vieux termes de fon Tra-
dufteur. Certainement, fi je n'étois Efpa-
gnol, je louerois grandement ces premiers
Conquérans, non point tant que leurs bra-
ves (. onquêtcs le niéritent , mais autant que
mon petit efprit & ma langue béante y pour-
roient fournir Oa ne fauroit aflèz louer ni
magnifier ceux qui font caufe que fix millions
d'Habitans de cette Nouvelle Efpagne ayent
reçu le Sacrement de baptôme Aucuns en
comprcnntnt huit millions; autres dix. Mais
on diroit mieux qu'en quinze cens miles de
Pays, il n'ell dumcurt' créature liumaiiie qui
n'ait été baptifée. Cette converfion com
mer. ça avec la ConquC'te du Pays: mais le
commencement étoit petit , parce que nos
gi ns s octupoient plus à la guerre & au bu-
tin ; & avoient avec eux bien peu de Pr6«
très. L'an 1524, on en vit les fruits plus
grands par la venue de Frère Martin de Va-
lence & de fes Compagnons ; & trois ans a-
près , elle fut plus avancée par 1 ordre qu'y
mit à fa ^enue Frère Julien Garzez , Jacobin,
élu Evêque de TIafcala, comme aulu fcitau
même an Frère Jean Zurnarranga, Cordelicr,
élu Evoque de Mexico. Ces Prêcheurs eu-
rent au commencement bien de la ; eine,
pour ii'étre entendus par ceux du Pays &
pour ne pouvoir entendre leur langage, l'our
à quoi remédier, ils tiroicnt par dtvejs ux
la plus grande part des jeunes Enfans .les
Gentils-hommes , lefqucis demouroicnt en
chaque
i
11
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. S99
flngulière de leurs coutumes étoit celle qui regardoic les Mariages. Ils
vivoient librement avec toutes les Femmes, jufqu'aii jour qu'ils choifif-
foient pour fc marier. Mais lorfqu'ils écoient détermines à l'engagement
conjugal, ils paifoient une nuit avec la Femme dont ils vouloient taire leur
Epoule; & s'ils lui trouvaient quelque défaut, ils étoient libres de la ren-
voyer. Au contraire, s'ils déclaroient le lendemain qu'ils en fullent con-
tens, il ne leur étoit plus permis d'en prendre une autre. Alors, ils com-
mençoient à faire pénitence de tous les péchés de leur vie, fur-tout des
libertés qu'ils avoient prifes avec d'autres Femmes. Elle conliitoit à fe
priver, pendant vingt ou trente jours, de tous les plailirs des fens, à fe
purifier par des bains, & à fe tirer du fang des oreilles & des bras. La
Femme cxerçoit aulTi toutes ces rigueurs fur elle-même. Enfuite ils fe
rejoignoient , pour vivre enfemble jufqu'à la mort. Il paroît néanmoins
que cette loi ne regardoit que le Peuple; car les Chefs de la Nation avoient
plufieurs Femmes (u).
Un Hiftorien obferve que les Miflionnaires ont tenté de réduire les prin-
cipes du Chriftianifme en langue Otomie, fans y avoir jamais pu réulîîr.
Elle eft non- feulement fort groflière, mais compofée de li peu de mots,
que celle des Chinois n'en approche point pour la brièveté. Une pronon-
ciation plus haute ou plus bafle, plus vive ou plus lente, efl l'unique
méthode de ceux qui la parlent , pour exprimer la différence de leurs
idées {x). On ne trouve d'ailleurs aucune explication lur les langues de
tant de Peuples. Dans la feule Province des Miftequcs , on en comptoit
treize différentes Çy), Ceux, qui nous apprennent que le Chontal, le
Zoque & le Mexiquain étoient les plus communes , n'ajoutent prefque
rien qui puifle en éclaircir la nature «Se les principes. Herrera dit uni-
quement que le Mexiquain efl devenu, par dégrés, la Langue prefque gé-
nérale, non - feulement parce qu'elle eft la plus douce & la plus polie,
mais
DaiicRifTioj»
DU t.iV Nou-
VBLI.Iî litPA*
chaque Ville, pour leur apprendre la langue
Efpagnole; & auflî s'efForçoient, en la plus
grande diligence qu'ils pouvoient . d'appren-
dre leur langue. Ce ne fut pas aufli une pe-
tite difficulté pour leur ôter leurs Idoles, par-
ce que plufieurs opiniâtres ne les vouioient
point quitter, les ayant par fi longs fiécles
retenues pour leurs Dieux; difant qu'il de-
voit fuffire qu avec eux ils milFent la Croix
& Marie (ainfi appelloient-iis Dieu & tous
les Saints) & qu'il leur pouvoit être permis
d'avoir & retenir leurs Idoles, comme aux
Chrétiens d'avoir plufieurs Images Sur cet-
te opiniâtreté, ils caclioient en terre ces Ido-
les; \ par-deflus ils plantoient uiîe Croix,
aiîn que fi on les trouvoit prians & faifan«
leurs oraifons à Icuis idoles, on penfat qu'ifs
adorafiTent la Croix. IMais étant recherchés
fur telles rufes, &. ayant perdu leurs Tem
pies, lefquels on mit par terre & auflî leurs
Idoles, & les accoutumant & contraignant
d'aSkr à nos Ëglifes , iuiûl'rent enfin cette
damnable idolâtrie. Sur la peine qu'ils a«
voient de quitter ce grand nombre & plura-
lité des Femmes, alléguant qu'ils avoient
trop peu d'enfans d'une Femme feule , qu'ils
étoient bien fervis & aimés de celles qu'ils
avoient déjà, qu'ils ne vouloient fe lier pour
toujours avec une feule, laquelle feroit lai-
de ou Itérile, que nos gens leur comman-
doient ce qu'eux-mêmes m faifoient pas,
s'accoftant d'autant de Femmes que bon
leur fembloit , &c le Pape Paul , tiers du
nom, confideranC leurs coutumes en matière
de fuccefliim, pour bonnes & juftes raifons,
permit à tous les Habitans de ce P;iys , de fe
marier enfemble jufqu'au tiers degré de con-
fanguinité. . . Mexico fut vingt ans Evê-
chéj & 1 an mille fix cens quarante- fept, le
Pape Paul tiers 1 érigea en Archevtcné. Go-
mara, Liv. 2 Chap. 95.
( V ) Herrera , Dec, 3. Liv. 4. Chap. ^
(x) Ibid.
(y) Ibid. Liv. 3. Cliap. 14.
DifTérentc»
L;;:i,:^UL<; Ju
Mexiiiue.
«
6oo
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
DaicaiPTroN
DE I.A NOU-
V£LLI{ Ei^rA-
ONE.
i
i
I
mais parce que les Miflîonnaires l'ayant employée dans leurs Cantiques
fpirituels (z), le goût des Indiens pour le chant contribue de jour en jour
à la rt'pandre. Laet en donne une autre raifon , qui paroît plus vrailèm-
blable ; c'eft la force des Armes , & l'autorité abfoiue des Empereurs Mcxi-
quains , qui firent adopter leur langue dans toute l'étendue de leurs Con<
quêtes. Ils entrctenoient , dit-il, dans chaque Province de l'Empire, des
Interprètes & des Maîtres , qui fe nommoient Naguatlatl. On trouve,
dans le même Hillorien, quelques mots de cette langue, qu'il prétend
avoir tirés d'une efpèce de Dictionnaire publié à Mexico (û); & l'on a
vu (A), dans les l'igures tirées de leur Hiftoire, comment ils exprimoient
les nombres avec le pinceau.
• ' " A
(a) Ibid. Liv. 7. Chap. 3,
(flj Nous ne les dérobbeions point à ceux
qui croient trouver , ou qui cherchent , des
Partiei du Corps.
Tête,
Tzontecontli.
Cheveux ,
TiiontH.
Front,
Ixcuaitl.
Yeux ,
Ixtelolotli.
Oreilles,
Nacaztli
Mâchoires ,
Camachalli.
Bouche,
Camanii.
Dents ,
Tlantli.
Langue,
Nenepilli,
Cou,
Cocotl
Poitrine,
Telcbiquiubtli.
Epaules,
Ahcolli.
Bras,
Matzotzopatli.
Mains ,
Maytl.
Nerfs.
Tlalbuyaotl.
Doigts ,
Mabpaii.
Veines ,
Tetzalbuyotl.
Ongles ,
Iztitl.
Ventre ,
Xillantli.
Dos,
Cuitlapantli.
Foie,
Teltepacbtlu
Cœur,
Tollocbtli.
Poumons ,
Cbicbitl.
Ratte,
Taxixtecon.
Reins ,
NetloSetenca.
Genoux,
Tlanguaitl.
Cuiffes,
Metzquaubirtl.
Pies,
Jcxitl.
Jambes ,
Talons ,
CotztU
Xoquocbtlantli.
." '
Couleurs.
Blanc,
Iztal.
Noir,
Tliltic.
Verd,
Quiltîc.
Texutic.
Bleu.
Rouge,
. Cbkiltit.
rapports entre la plupart des Langues.
( i> ) Au bas de la Figure des Froduclions
naturelles, &c.
Jaune ,
Tigré.
Coztic.
Nextic.
minimaux tS chofes naturelles.
Cerf,
Lapin ,
Porc,
Lion,
Loup ,
Renard,
Chat,
Chien ,
Cheval ,
Taureau,
Léfard ,
Puce,
Vautour,
Aigle,
Corbeau ,
Perroquet,
Pie,
Caille,
Oie,
Canard,
Pigeon ,
Paon,
Scorpion ,
Poux,
Or,
Argent,
Plomb,
Fer,
Ciel,
Soleil,
Lune,
Etoile,
Nuée,
Tonnerre,
Foudre ,
■)
' i V.
Mazatl.
Tocbtli.
Pitzotl.
Ocelotl
Ouetlacbtli.
Coyotl.
miztli.
Cbichi. ,
Cabuyao. '
Quaquabue.
yicuetzpalin,
Tecpin.
Cacalin.
Cuaubtli.
Acatlotli.
Tuznene.
Hueytzanatl.
Zulin.
Dalalacatl.
Canaubtlù
Huilotl.
Pelompatox,
Colotl.
Atemitî.
Coztic.
Teocuitlatl.
Temeztli.
Tepo.tli.
Jlbuicatl.
Tonatiub.
• Metztlt.
Citlabin.
Mixtli.
Tlatlatzinil.
Tlabuitequiliztli.
i,:'
t
Mont,
c*
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1>
»>
Art&Iîit-
cip'inc mili-
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. €01
A l'égard de leur Difcipline militaire & de leurs Arts, les Relations DcscnirTroff
n'ofirent rien dont on piiifle tirer plus de lumière que du récit qu'on a fait '^^, ,'g* l'î^p^'
de la Conquête de leur Empire, & do la dcfcription du grand Alarclié de
Mexico. Carreri obfcrve feulement „ que l'indulbie des Mexiquains d'au-
jourd'hui diffère beaucoup de celle des Anciens, quicultivoienc les Arts
avec autant de fuceès que de goût. Ils font plongés à prcfent dans l'ui-
fiveté. Cependant le petit nombre de ceux qui s'attachent au travail
f)rouve encore qu'ils ne font pas fans talens. Les uns compofcnt p!u-
ieurs fortes de figures, avec des plumes de différentes couleurs, fur-
tout avec celles d'un Oifeau que les Efpagnols noiamtnt Ch'ippajîur y ou
Suce-fleur. D'autres travaillent fort délicatement en bois. Mais la pUl-
part ne font propres qu'aux plus vils travaux, où les El'pagnols ne cef-
fent point de les employer; & leur plus grande habileté confiflie dans
les rufes , qu'ils inventent alfez heureufement , pour prendre toutes for-
tes d'Oifeaux (c)".
Ter-
Mou t.
Colline,
Vallée ,
Arbre ,
Herbe,
Fonifiine,
Torrent,
Fleuve ,
Pont,
Lac,
Anguille,
Foirrtni ,
Feu,
Cendre ,
Charbon ,
Pluie ,
Vent,
Gelée,
Quauhtla,
Tepetl.
Ixtlahuatl.
Quahuitl.
Xibuitt.
j^meyatli.
Atlautitli.
Qtiauhpantli.
Afihv.nrntl/t.
Cthuatl.
Azcatl,
Ttell.
NextU.
Tecolli.
Qtiiabuiztlù
Tetcatl.
Zetl.
Moi,
Toi,
Lui, ou il.
Père,
Mcre ,
Fils,
.Fille,
Frcre ,
Sœur,
Aïeul ,
Oncte,
Seigneur ,
Pronoms perfonneh.
K'ehuatl.
Tebuatl.
Tehuatl.
Dégrés du fang.
Takli.
Nantit.
Tepiltzin.
■ Teuchpocb.
Teoquicbtuicb,
Tehneltiuh.
Tecoltzin.
Tetlahtzin.
Teuthli.
Serviteur , ou Sujet , Tlacoti.
Nombres, i. Ce, ou Cenltttl, 2, Orne.
XyiIL Fart,
3, Tei. 4, Nahm. S, Muuilli. 6, Cli-
tuacen. j , Chicome. S , Cbicuey. 9, Cbi-
cténabuni. 10, MatlaÙli. 15, Caxtolli. uj,
Zempobualli 40, Ompnhualli. 50, Ompo-
buaili on Matla&li 60, Tcpolualli. 70,
TcpobuaUi on MatlaSli- 80, Nabupobualii.
90, Nabupobualii on MatlciQli. 100, Ma-
cuilpobualli. 1000, Ontzontliipanmacuilpo-
bualli. r.aet.Defc del Aincriq. L. 5. C. 10.
On lit, dans Gomnra, qu'en 1534 le Vi-
ccroi Dom Antoine do Mendoza aflembia an
Concile de tous les livêques, les Prûtrcs &
les Religieux du Pays, & qu'il y fut réglé
qu'on feroit apprendre aux Indiens le Latin
&rEfpagnol; Surquoi l'Hiftorien remarque
qu'ils apprennent aflez bien ces deux Lan-
gues, mais qu'ils ne veulent point parler
celle d'Efpagne. 11 ajoute qu'ils apprennent
facilement auflî à jouer de nos inftrumens ,
fur-tout delà flCite, mais qu'ils ont la voix
mauvaife pour chanter en paitic. Liv. 2.
Chap. 98.
(c) Voynges de Gemclli Carrer!, Tome
VI Chap. 6. L'cdime de ce Voyageur pour
les Ouvnigcs des anciens Mexiiiuains paroît
moins fondée l'ur ce qu'il en avoit vu dans
leur Pays, que fur un curieux riîcit de Go-
mara. On ne changera rien aux termes du
vieux Traducteur. En 1541, Cortcz fuivit
l'Empereur Charles contre la Ville d'Alger;
& étant en la Galère de Dom Henri Henri-
quez, nommée lEfperance, fe voyant allailli
de la tourmente . comme le fut toute l'Ar-
mée, & que ce Vailfeau alloit donner à tra-
vers, il fe ceignit d'un linge , dans lequel
étoit cinq riches émtraudes, qu'on difoit va-
loir cent mille ducats , peniart p:ir ce moyen
les fauver du naufrage; mais par néceÛité
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IMAGE EVALUATION
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Sciences
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WiBSTIR.N.Y. I4SS0
(716) S72-4503
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6oi
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
DsSCRTPTrON
i)E i.A Nou-
velle Espa-
gne.
Obfervations
fur le Gouver-
nement du
Prtys.
Ter:.iinon3 cet article par quelques obfervations fur le Gouvernement
des Efpagnols, dans les Pays qu'on a fait parcourir aux Leâeurs, & fur la
difpofition des anciens Habitans pour leurs nouveaux Maîtres. Le témoi-
gnage des Etrangers feroit fufpecl ; mais , on n'oppofera rien à celui d'un
fidèle Sujet de l'Efpagne , dont le zèle alloit fi loin pour fa Nation , que
dans un tems où la fortune fembloit l'avoir abandonné, il ne trouvoit rien
de fi douloureux que l'orgueil des Ennemis de fon Roi, & que la fureur
avec laquelle ils s'emportoient contre lui (d).
Il efl: certain , dit Correal , ^ue nous devons la rapidité de nos Conquêtes
en Amérique, à la frayeur fubite & prefque miraculeufe, dont les Indiens
fe trouvèrent frappés à notre approche ; & que fans cette faveur du Ciel ,
nos armes n'auroient pas eu les mêmes fuccès. Mais l'Artillerie, inconnue
jufqu'alors dans ces grandes Régions , la vue de nos Chevaux , <Se la DifcL-
pline militaire , nous ouvrirent le chemin avec une rapidité fans exemple.
Malheureufement cette facilité de nos Conquêtes produifit bientôt une né-
gligence, qui n'a fait que s'accroître par le luxe & l'oifiveté. Dans le mé-
pris que nous conçûmes pour les Indiens, & qui nous les faifoit regarder
comme des Etres d'un ordre inférieur au nôtre, nous nous perfuadâmes que
des avantages qui nous avoient fi peu coûté ne pouvoient nous être enlevés
au même prix ; & cette idée n'étoit pas fans vraifemblance , parce que
n'ayant point alors de Rivaux fur Mer, nous n'avions à redouter que les
Indiens mêmes , dont nous connoiffions toiîte la foibleiTe. Les motifs de
notre fécurité augmentèrent, avec l'afcendant que la Monarchie d'Efpagne
prit fur toute l'Europe; & lorf^u'èlle devint moins formidable, il arnva
tant de changemens dans lapohtique & les intciréts, ^u'on fut obligé de
nous laifler paifibles pofiefTeurs d'un bien que nous aurions pu perdre avec
autant de facilité que nous l'avions acquis. Telle eil ia^ première caufe de
notre décadence en Amérique: mais on en doit compter beaucoup d'autrev.
Àuffi-tôt que les Vainqueurs fe furent établis dans le Nouveau Monde, on
y vit paroître un grand nombre d'Avanturiers, qui fe revêtant du nom
d'Officiers ou de Soldats , & fous mille prétextes indignes du ChriftianiTme
& de la générofité E^agnole, ravagèrent ces riches Contrées, pillèrent les
tréfors des Indiens , ôc leur inlevèrei\t leurs biens & leur liberté. Flufieors
Na-
ce
ou nonchalance, il les perdit, & churent
intre les faiiges. Entre toutes les pierres
qu'il avoit eues des Indiens , ces cinq étoient
les plus riches & les plus fines. L'une étoit
taillée comme une rofe ; la féconde étoit en
façon d'une petite couronne; la tierce te-
préfentoit un poiflbn, ayant pour les yeux
deux grains d'or. Icelle démontroit l'ouvra-
ge merveilleux des Indiens. La quarte étoit
taillée en forme de Clochette , laquelle avoit
pour batal une grofle perle fine, & tout
«utour étoit garnie d'un cercle d'or. La
cinquième étoit comme une petite taflê, ou
encenfoir, ayant le pié d'or, avec quatre pe-
tites chaîaes pour la tenir, lefquelles pas
en haut étoient jointes enfemble moyennant
une groiTe perle longue, laquelle fervoit de
bouton. Des Marchands Génois , pour cet-
te feule pierre , avoient voulu lui don-
ner quarante mille ducats, efperant la re-
vendre à Sultan Soliman, Empereur des
Turcs. Cortez fut fort dolent de cetteper-
te ; & ce voyage lui coûta plus qu'à nul ao*
tre , excepté à Sa Majefté , encore que le Prin»
ce André Dorie y perdît onze Galères. Liv. 2.
Chap. 99. Gomara fe donne ici pour témoia
oculaire.
{d) Voyage de François Correal, troUi%
me Partie, Chap. xx.
que
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. H. 603
Nations, qui s'étoient déclarées pour nous, cherchèrent à fecouer le joug. pEs«i"ioif
L'autorité Royale étant mal foutenue par les Auteurs du défordre, tous ces JJ^^^e Espa*
Peuples, que nous regardions comme des Efclaves fort fournis, confpirè- on£.
rent notre perte. Jufqu'à préfent la hardiefle & les forces leur ont man-
qué ; mais je fuis fllr qu'avec quelques Troupes bien difciplinées , qu'on
feroit entrer dans le Pays, fur-tout par Cofta-ricca, où font les Indiens que
nous nommons Bravos ^ ou Tndios de Guerra^ & du côté de Guatimala, en
ïuivant la Côte de l'une ou de l'autre Mer, on exciteroit tout d'un coup à
la révolte, non-feulement les anciens Naturels, les Efclaves Nègres & les '
Metices, mais une partie même des Créoles. Il fuffiroit de leur fournir
des armes , de la poudre , du plomb , & de les traiter avec affez de douceur &
de défmtérefTement pour leur ôter la prévention dans laquelle ils font tous
aujourd'hui, que les Européens n'en veulent qu'à leurs richefles. L'impa-
tience de voir finir leur efclavage efl devenue li vive, que tous les jours on
en voit paffer un grand nombre dans l'intérieur des Terres & dans des Mon-
tagnes inacceiîibles , d'où ils ne fortent plus que pour maifacrer les Voya-
geurs Efpagnols (^).
Je n'ai pas dit fans raifon que l'autorité Royale efl comme anéantie , par
l'infatiable avidité de ceux qui font établis pour la foutenir. Dans l'éloigne-
mentoù les Officiers Royaux fe voient du Prince, ils ne confultent que
leur intérêt pour l'interprétation des Loix. Les Vicerois font d'intelligen-
ce avec les Miniftres fubalternes. Us épuifent les Indiens par leurs exac-
tions; ils vendent la Judice; ils ferment les yeux &les oreilles à tous les
droits. On voit de toutes parts une infinité de Miferables , que l'indigen-
ce réduit au défefpoir, & qui font retentir inutilement leurs plaintes.
L'ignorance va de i>air avec l'injuftice & la cruauté. „ J'ai vu porter,
„ dans le même Tribunal & prefqu'à la même heure , une même Senten-
„ ce fur deux cas direftement oppofés. En vain s'efforça- t'on d'en fai-
„ re comprendre la différence aux Juges. ' Cependant le Chef, fortant
„ enfin des ténèbres, fe leva fur fon îiége, retrouffa fa moufïache, &
„ jura par la Sainte Vierge & par tous les Saints , que les Luthériens
„ Angiois lui avoient enlevé parmi fes Livres ceux du Pape Jtiftinien^
„ dont il fe fervoit pour juger les caufes équivoques; mais que fi ces
„ Chiens reparoiffoient dans la Nouvelle Efpagne , il les feroit brûler
„ tous (/)".
D'une fi mauvaife adminiltration , il réfulte que les Places importantes
font mal munies , prefque fans Soldats , fans Armes & fans Magafins. Les
Troupes n'ont point de paie réglée. Leur reffource efl de piller les In- *
diens. Jamais on ne les forme à l'exercice des armes. A peine font-el-
les vêtues. Aufli les prendroit-on moins pour des Soldats, que pour
des Mandians ou des Voleurs. Les Fortifications font abfolument négli-
gées, parce que la Nouvelle Efpagne n'a point d'Ingénieurs. Eile^ n'efl
pas mieux fournie d'Artifans pour les Ouvrages militaires, & pour les be-
foins les plus communs. On n'y trouve perfonne qui fâche faire un bon
Inflrument de Chirurgie. La fabrique de ceux qui regardent les Mathé-
mati-
(f) Ibidem, Part. i. Chap. lo»
(/) Ibid.
Cggg 2
VELI.E
OHE,
604 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Dejcriptton matiques & la Navigation n'y efl pas moins ignorée. Le Commerce
"^ ''* £°^'. même n'y confifteque dans l'arc de tromper, parce qu'il n'a point de rè-
gles bien établies; ou s'il en relie d'anciennes, elles font méprifées. Le
quint de l'or & de l'argent, qui doit entrer dans les coffres du Roi, efl
continuellement diminué par la fraude. 11 ne revient point au Tréfor un
quart de Tes droits. Les Gouverneurs, leurs Olficiers , & les riches. Négo-
tians, fe prêtent la main pour fupprimer les Ordonnances Royales, ou pour
les faire tomber dans l'oubli. De- là viennent tous les avantages que les
François & les Anglois tirent de nos Ecabliflemens pour leurs propres Co-
lonies. La plupart des enregiftremens font faux dans les Ports Efpagnols.
Un Paffeport des O.nciers Royaux fait pafler toutes fortes de marchandi-
fes, à la vue de ceux qui n'ignorent pas l'impodure. Les Curés & les
Pveligieux fe mêlent aulïi de Commerce, avec d'autant plus de licence &
d'impunité, qu'ils fe font redouter par la fâinteté de leur Miniftère & par
l'abus des armes ecclefiafliques. Ils arrachent d'ailleurs, aux Indiens, tout
ce que ces Malheureux gagnent par leur travail. Rien n'efl égal à leur
avidité, que leur luxe, leur emportement pour le plaifir & leur profonde
ignorance (g). Aufli tous les Indiens qu'ils paroillenc convertir n'en de-
meu-
(g ) On doit quelques exemples à la vé-
rité de l'Hifloire, mais en proteflant qu'on
n'a point d'autre vue. Gage , Religieux lui-
même , & qui ne peut être accufé d'avoir
pris des maximes trop fevères dans la Pro-
vince d'Aiidaloufie , où il avoit embraffé cet
état, ne parle jamais des Couvens de la
Nouvelle Efpagnc, fans gémir de la vie pro-
fane qu'il y vit mener, & des excès dont il
fut témoin. En arrivant à Vera-Cruz, il fut
reçu dans le Couvent de fon Ordre , où fa
première furprifc fut de le trouver gouverné
par un jeune Galant, qui avoit obtenu cet
emploi du Supérieur, pour la fomme dt; mil-
le ducats. Il s'attendoit à voir une belle Bi-
bliothèque; mais elle confiftoit dans une
douzaine de vieux Livres , relégués dans un
coin, & couverts de toiles d'Araignées, fur
Icfquels on avoit placé une guitarre. La
chambre du Supérieur étoit revêtue d'une
riche tapiffcrie de coton , & d'ouvrages de
plumes de Mechoacan, ornée d'un grand
nombre de beaux tableaux; les fables cou-
vertes de lapis de foie, & les buffets garnis
de valcs de Porcelaine , tous remplis de di-
vcrfes fortes de confitures & de conferves.
Ses difcours , ajoute Gage , roulèrent fur fa
iiaifllince & fes bonnes qualités, fur la fa-
veur qu'il avoit auprès des Grands, fur l'a-
mour que les Dames lui portoient, fur fa
belle voix & fon habilité en Mufique, dont
Jl nous donna auflî-tôt des preuves, eu
chantant & jouant fur fa guitarre quelques
Vers qu'il avoit faits en faveur d'une Ama-
rillis. Nos oreilles ne furent pas plutôt
fatisfaites du côté de la Mufique, & nos
yeux par la magnificence des meubles, qu'i[
nous fit fervir une prodigieufe quantité de
délicateffcs ; de forte qu'étant réel'cment
paires d'Europe- en Amérique, le Monde
nous paroifibit changé. Nous entendions
une voix douce & nette, avec un inilru-
ment bien accordé; nous voyions des iré-
fors & des richefles; nous mangioni des
chofes délicates, & parmi ces délicatefTes
nous fentions le mufc & l'ambre. Fart. i.
Ciiap. 7.
Le troifième jour de fa route. Gage lo-
gea dans un Couvent de Cordeliers, où il
fût magnifiquement traité. „ Non-feule-
„ ment, dit-il, en ce lieu-là, mais dans tous
„ les autres endroits , nous remarquâmes
„ dans tous les Prêtres & les Religieux une
„ grande moilefle de vie , & des manières
,, u'agir fort contraires à leur profefllon.
„ Nous trouvâmes fort étrange de voir un
,, Religieux de Saint François monter à Che-
,, val , avec fon Laquais derrière lui , pour
,, aller feulement au b ut de la Ville cnten-
,, dre la Confeiîîon d'un Homme agoni-
„ fant , fa robbe relevée & attachée à la
,, ceinture, pour faire voir un bas de foie
,, orajjgé, & des fouiiers de maroquin pro-
,, premcnt faits , avec des caleçons de loile
„ de Hollande, & une dentelle de quatre
„ doigts attachée au haut de la jambe. Les
,, autres Religieux faifoicnt paroître, fous
„ leurs larges manches, des pourpoints pi-
„ qués de foie, & la dentelle qui étoit aux
f, poignets de leurs cbemifes d'Hollande.
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II
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Oa DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Ltv. IL 60^
tneuîent-îls pas moins Idolâtres. Les Créoles ne font pas mieux inflruits :
mais ils font ignorans fans honte, & les idées qu'ils ont des chofes divines
& humaines font également ridicules. Si l'on y joint l'ardeur du climat,
qui leur brûle fouvcnt le cerveau, on dira d'eux, fans injuflice, qu'ils n'ont
prefque pas le fcns commun (h). 11 leur efl défendu d'avoir des Livres;
& dans toute la Nouvelle Efpagne on en voit très peu d'autres que des
Heures, des MiflTels & des Bréviaires (i). Un Créole, qui meurt, croit
fon ame en fûreié lorfqu'il a laifTé de grofles fommes à l'Eglife. Ses
Créanciers & fes Parens font fouvent oubliés , & la plus grande partie des
biens paflent toujours aux Couvens. Enfin le défordre ell: fi général ; &
fes racines, qui font la fenfualité, l'avarice & l'ignorance, ont acquis tant
de force depuitf deux fiécles, que tout le pouvoir des Hommes n'y pou-
vant apporter de remède, & la nature même du mal ne permettant point
d'en efperer du Ciel , il ne faut pas douter que les affaires des Efpagnols,
dans cette grande partie de leurs Etabliflemens , ne loient menacées de
leur ruine ( * ).
Entre les raifons de cette extrême décadence, il faut auffi compter la
haine qui fubfifte depuis long-tems entre les Efpagnols venus de l'Europe
& les Créoles. Elle vient, à ceux-ci, du chagrin qu'ils ont de fe voir ex-
clus de toutes fortes d'Emplois. 11 eft inoui qu'on prenne parmi eux des
Gouverneurs & des Juges. (Quoiqu'il s'y trouve des Cortez, des Girons,
des Alvarados , desGuzmans, c'eft-à dire, des Familles réellement defcen*
dues de tous ces grands Capitaines, ils font regardés des^ vrais Efpagnols
comme à demi Indiens, par conféquent à demi Barbares, & incapables
des foins du Gouvernement Dun autre côté ceux, qui arrivent d'Ef-
pagne, ne reconnoilfant point leurs ufages & leurs goûts dans les Créoles,
s'attachent de plus en plus à cette opinion, & perfiftent non-feulement à le»(
éloigner de toutes les Charges publiques, majs à redouter leur nombre, qui
peut faire appréhender qu avec de J.uftes fujets de reflenciraent , ils ne
ten-
Descriptiou"
DE LA NOU-
VELLB Esta-
CM.
»>
„ Dans leur entretien, comme dans leurs
habits, nous ne vî.iies quo la plus mon-
daine vanité. Après fouper , ils nous
., propofèrcni de jouer aux carteis & aux
„ dez. La plupart de nous refufèrent; les
„ uns faute d'argent, & les autres pour ne
„ fuvoir pas le jeu; mais deux fe laiirérv.nt
„ féduire. Nous eûmes le loifir . une par
„ tie de la nuit, de faire réflexion fur cette
,, manière de vivre; car plus le jeu conti-
„ nuoit, plus le fcandale augmentoit, tant
„ par la boiffbn , que les juremens , les nio-
,, queries & les rifécs. Ce fut là que je
„ commençai de xeconnoîire la manière de
„ vie de tous les Eccléfiafliques du Pays.
„ Elle fait voir clairement que l'amour de
„ l'argent, de la vaine gloire ^ du pouvoir
„ & de l'autorité qu'ils ont fur les pauvres
„ Indiens, efl plutôt la fin & le but où ils
„ vifent , que l'amour & l'avancement de la
„ gloix^deDicu". Ibid. Chap. 9, Les^plus
fagcs Voyageurs en rendent le même té-
moignage. Voyez divers traits de CarrcrI
d;ins la Dcfcription de Mexico ; & fur-tout le
troifiéme Chapitre de Correal.
( h ) Correal , Chap. ii.
(i) Le hafard, raconte Correal, fit tom-
ber, un jour, les Métamorphofcs d'Ovide
entre Ks mains d'un Créole. Il retnit ce Li-
vre à un Religieux, qui ne l'entendoit pas
mieux, & qui fit croire aux Habitans de la
Ville que c'étoit uile Bible Angloife. Sa
preuve étoit les figures de chaque Métamor-
phofe, qu'il leur montrok, en difant; voilà
comiue ces Chiens adorent le Diable qui
les change en Botes. Enfuite la prétendu;;
Bible fut jcttée dans un feu , qu'on alluma
exprès i & le Relijjicux fit un grand dif-
cours, qui confilloit à remercier Saint Fran-
çois de cette heurcufe découverte. Cornai:,
Chnp. X ( .
(*) Ibidem,
Gggg 3
DftfCKIPTION
OC LA N0D«
VILU ESPA-
ANS.
606 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
tentent un jour de fecouer le joug. Gage eft perfuadé que tôt ou tard
cette feule divifion fera perdre une H belle Conquête à rÉfpagne. Il efl
aufii aifé , dit-il , de foulerer les Créoles que les Indiens. Il leur a fouvent
entendu dire qu'ils aimeroient mieux fe voir fournis à tout autre Pouvoir ,
qu'à celui de l'Efpagne. Ils ont regretté que les Hollandois ne fe fuflent
point arrêtés à Truxillo , lorfqu'ils prirent cette Ville, ou qu'ils n'euflent
point pénétré dans le Pays (/). C'eftà cette mortelle animofité, que le
même Voyageur attribue la fame'ufe révolte de Mexico contre le Comte de
Gelves, Viceroi de la Nouvelle Efpagne (w). Les Créoles fe joignirent
aux Indiens , & paroiflbient déterminés à détruire le Gouvernement Ëfpa-
gnol , s'ils n'euiient été retenus par l'autorité des Prêtres.
Ce mépris de tout ce qui n'efl pas venu d'Efpagne s'ed répandu juf*
qu'à l'Eglife. Rarement un Prêtre Créole eft pourvu d'un Canonicat,&
bien moins d'un Ëvêché. Dans les Couvens mêmes , on s'eft long*tems
efforcé d'abbaifler les Créoles qu'on y avoit reçus, de peur que par le mé-
rite ou le nombre ils ne l'emportaifent fur les véritables Efpagnoîs. Quoi-
qu'on ne pût fe difpenfer d'en admettre quelques» uns, tous les Supérieurs
étoient envoyés d'Efpagne. Cependant, peu d'années avant les obferva-
tions de Gage, les Créoles avoient çrls lafcendant, dans pluHeurs Pro-
vinces, & s'étoient tellement multipliés, qu'ils avoient abfolument re-
fufé de recevoir les Religieux qui venoient de l'Europe. Dans la Pro-
vince de Mexique, qui a des Jacobins, des AugufUns, des Cordeiiers,
des Carmes, des Pères de la Merci & des Jefuites, il n'y a que les Je-
fuites & les Carmes qui ayent confervé la Tupériorité aux Européens,
en faifant venir annuellement d'Efpagne deux ou trois recrues de leur
Ordre. La dernière , que Gage vit arriver pour les Religieux de la
Merci, vécut en fi mauvaife intelligence avec les Créoles, qu'à l'élec-
tion de leur Provincial commun , ils en vinrent aux mains , prêts à
s'entretuer fi le Viceroi ne fe fût rendu à leur Affemblée , & n'en eût
mis quelques-uns dans les chaînes. Les Créoles l'emportèrent à la fin,
par la pluralité des fuffrages j & jufqu'à préfent ils ont rejette tout ce
qui leur eft venu d'Efpagne, fous prétexte que ne manquant point de
Sujets de leur Nation , ils n'ont pas befoin de fecours étranger. On les
laiffe paifibles dans la pofleilion de cette liberté ; parce qu'avec beaucoup
de foumifiion pour le Pape , ils envoient à Rome autant de préfens que les
ECpagnols.
Dans la Province de Guaxaca, on ne reçoit aucun Miflionnaire d'Ef-
pagne. Les , Jacobins font ceux qui ont réfifté le plus long - tems aux
Créoles. Cette querelle Monaftique n'étoit pas terminée du tems de Ga-
ge. Les deux Partis plaidoient encore à Rome; & celui des Efpagnoîs
alleguoit, avec beaucoup de chaleur & de vérité, que la Religion fouf-
froit beaucoup dans la Province , depuis que les Miflionnaires de l'Europe
y étoient rejettes.
Dans l'Audience de Guatimala, qui eft d'une fort grande étendue,
, puifqu'elle
(0 Part. I. Chap. i.
(hi) Ibid. Chap. 24. & fiiiv.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 607
puifqu'elle comprend la Province iii même nom, celle de Chiapa, les Zo- DescRirrioff
qiies, une partie de Tabafco, les Zeldales, Zacapula, Vera-Paz, toute ^l^^l^^ ^^p"*
la Côte de la Mer du Sud, Suchutepeque, Soconufco, Comayagua, Hon- qne.
duras , San Salvador & Nicaragua , on trouve des Jacobins , des Corde-
liers, des Auguftins, des Jefuites & des Pères de la xMerci ; mais les Cor-
deliers , la Merci , & les Jacobins font feuls en pofleflion du droit de prê-
cher & de gouverner des Eglifes Paroiflîales. Ces trois Ordres ont tou-
jours tenu les Créoles dans l'abbaifTement. Ils ne les ont jamais admis ^
aux Emplois ; & de deux en deux ans ils appellent d'Efpagne un lupplé-
ment nombreux, pour foutenir leur faftion.
La Province d'Yucatan n'a que des Cordeliers , d'une richefle extraor-
dinaire, qui foutiennent vigoureufement les intérêts Efpagnols. Celle de
Mechoacan , qui efl: dépendante de Mexico pour le Spirituel , fe conferve
dans les mêmes principes.
Gage, pouHant plus loin cette énumeration (n), ajoute que dans le
Royaume de la Nouvelle Grenade, à Carthagene, à Santa -Fé, à Sati-
nas, à Popayan, à Sainte- Marthe, les Jefuites , les Jacobins & les Cor-
deliers tirent encore leurs Supplémens de l'Europe; mais qu'à l'exemple
de la Nouvelle Efpagne, les Couvens de Carmes, d'Auguflins & de Pè-
res de la Merci, ne font compofés que de Créoles. Ceux des iHes de
Cuba, de la Marguerite & de Porto ricco, dépendent des Provinciaux
de Saint-Domingue, & reçoivent, par intervalle, des MifTionnaires Ef-
pagnols; mais on ne voit, dans ces trois Ides, que des Jefuites, des Ja-
cobins & des Cordeliers. Les Couvens du Pérou ne reçoivent point di-
refilement leurs Supplémens de l'Europe. Ils font en u grand nombre,
de toutes fortes d'Ordres, & fi loin de l'Efpagne, qu'on auroit peine à
les fournir régulièrement. Outre les Créoles, qu'ils admettent avec de
fages mefures, ils tirent des Européens, de toutes les Provinces voifi-
nés. Aux Philippines, il n'y a que des Jefuites, des Jacobins, des Au-
guftins & des Cordeliers , prefque tous de l'Europe , à l'exception de
quelques Créoles favorifés , & de quelques Chinois convertis par les Mif-
Honnaires (0).
Il refte à conclure, pour la Nouvelle Efpagne, que dans une (î gran- Conclufion.
de étendue de Pays qui reconnoît la domination Eipagnole, cette Cou-
ronne n'a de véritables Sujets que ceux qu'elle y fait pafler , pour re-
tenir les autres fous le joug ; & qu'une autorité (1 foible , diminuant
tous les jours , il ne feroit pas furprenant qu'elle fût anéantie tout d'un
coup, comme la plupart des Voyageurs l'annoncent, par des révolutions
dont les caufes augmentent fans cefTe , & dont il eil impollible que le
tems n'amène pas ï'occafion. ^
(n) Elle ne regarde «lUc fon. tems. ; (0) Voyages de Gage, Part. i. Chap. x, '
. :'-!!v7
XyiII. Paru
H h h h Climat,
DEJCRTrrroN
DU LA Nou-
velle ËSPA*
CKB.
do8 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Climat y Petits y Marées, Arbres, Plantes, Fruits, Fleurs, Aniviaux,
. Minéraux, ^ autres Produâions de la Nouvelle F.fpagne.
Qualités du
Ciimat.
.-a
■ ..■j -.j
5. I.
';■" -^ ^[' ■'[;'[' '^'^ Climat, Vents ^ Marges. • • / •
ON n'entreprendra point de repréfenter toutes les variétés du Climat,
dans un Pays auquel on donne plus de quatre cens lieues de lon-
gueur, de l'Efl: à lOueft, &deux cens de largeur, du Nord au Sud: mais,
en prenant le centre pour règle moyenne, la Province de Mexique, qui eft
fituée entre dix-neuf & vingt dégrés de latitude feptentrionale, jouit d'un
air fi tempéré, que fuivant l'expreflîon d'un Voyageur, on y a prefque
toujours froid & chaud dans le même tems ; froid a 1 ombre, & chaud lorf-
qu'on s'expofeau Soleil. Ainfi ni l'un, ni l'autre, n'efl: exceflîf dans au-
cune faifon. Cependant, depuis le mois de Mars jufqu'à celui de Juillet,
la mollefTe des Habitans les rend plus fenfibles au froid , le matin , & leur
fait trouver la chaleur trop vive, pendant le jour. Après le mois de Juil-
let, des pluyes abondantes rafraichiiTent l'air, comme dans les parties des
Indes Orientales dont la fituation efl: la même. Depuis le mois de Septem-
bre jufqu'au mois de Mars, elles deviennent tout à la fois plus rares &
moins fortes. Les Indiens donnent le nom d'hiver, ou de faifon froide,
aux douces nuits qui commencent en Novembre, & qui durent jufqu'au
mois de Février; mais c'eft la faifon dont les Européens s'accommodent le
mieux (a ). En général , ils fe trouvent bien d'un Climat, qui n'eft jamais
incommode par l'excès du chaud ni du froid : d'autant plus , ajoute le mê-
me Ecrivain , que l'eau qu'on y boit n'y efl jamais plus froide que l'air. 11
n'y a point d'année où la terre n'y clonne trois récoltes. La première,
qui fe fait au mois de Juin, des grains femés en Oftobre, fe nomme Moif-
Jm de Riegê, ou d'Eau. La féconde, nommée deî Temporale, ou deSaifon,
fe fait en Ofilobre, de ce qu'on a femé au mois de Juin. Pour la troifiè-
me, qu'on appelle Aventurera, ou accidentelle, parce qu'elle efl: moins
certaine {b), on feme en Novembre, fur la pente des Montagnes fraî-
ches, & le tems de la récolte dépend des qualités de l'air. Une expérien-
ce confiante a fait reconnoître que le maïz, qiil efl la principale nourriture
des Habitans. rapporte beaucoup plus lorfqu'il eflfemié entre les mois de
• . 1: ■ , . >■>■■_ •-..,•- t..-. ."I. ^. i,.t...-v. Mars
(a) Carreri, Tome VI. Chap. 3.. Les
Sremiers Hiftoriens en rendent à- peu - près
( même compte. Gomara obferve qu'à
Mexico „ le Soleil L' levé plus tard de huit
„ heures qu'à Tolède en Efpagne, comme
„ on le vérifie, dit- il, par les Eclipfes;
„ que le 8 de Mai, il palTe fur Mexico
„ vers la Tramontane, & tourne jufqu'au
„ 15 de Juillet, pendant lequel tems il jette
„ fes ombres vers le Midi ; que le Pays eft
„ de telle qualité, que les hablllemens ne
„ font pas grand ennui : & quelquefois n'y
„ fait gueres bon s'habiller légèrement;
„ mais il eft très fain pour la vie humai-
„ ne". Liv. a. Chap. 97, Correal fe plaint
qu'il eft quelquefois mal fain autour du
Lac, à caufe des vapeurs qui s'en exhalent.
Chap. 3. pag. 66.
( & ) Auffi Acofta & Laet n'en comptent-
ils que deux. Acofta, Liv.s.Chap, 24.JLaet,
Liv. s. Chap. z.
, . . .
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Li\6 H. Cop
Mari & de Mai (c). C'efl: alors que les Volcans, qui font en fi grand
nombre dans la Nouvelle Efpagne, func leurs plus grandes éruptions; d'où
l'on conclue que les foufres de la terre l'ont dans une agitation favorable à
cette efpèce de grain.
Dampier obicrve que les vents certains des Côtes font les mêmei dans
la Nouvelle Efpagne, qu'en Guinée, & que depuis la latitude de dix dégrés
aux vingt, du côté du Nord, ils font condamment pr.efque d'Ouefl:, fur
toute la Côte. Entre les vents changeans, les plus incertains & les plus
irréguliers font ceux qui foufHent entre le Cap Gracias de Dios & le Cap h
Vêla. Le plus ordinaire eft entre le Nord-Ëlt & l'Efl:. Il Touffe conftam*
ment entre Mars & Novembre, excepté lorfqu'il fe trouve repoufTé par les
ouragans, qui fe lèvent prefque toujours contre le vent, & qui font ff^<
quens fur cette Côte, dans le cours de Mai, de Juin, de Juillet & d'Août;
fur- tout entre la Rivière de Darien , & Cofla ricca. Depuis Oâobre juf^^
qu'à Mars , on y a des vents d'Oueft , mais qui ne font ni certains , ni
violens. Ils régnent principalement aux mois de Décembre & de Jan-
vier. Avant comme après ces deux mois , le vent réglé n'eft interrompu
que fefpace d'un ou deux jours , vers le tems de la pleine ou de la nou-
velle Lune; & lorfque les vents d'Ouefl: foufHent le plus fort ôc le plus
long- tems fur cette Côte , le vent réglé d'Ed n'en règne pas moins fut
Mer, comme dans tout autre tems. Cependant un vent du Nord repouiTe
quelquefois le vent réglé fur Cofla ricca. Ceux , qui ont un voyage de
long cours à faire du côté du vent , doivent cboifir le tems des vents
d'Oueft. Autrement ils paflent le Golfe de Floride & font route au Nord
jufqu'à la hauteur où l'on rencontre les vents variables; & de-là ils tour-
nent à l'Eft auffi loin qu'ils le jugent à propos , avant que de revenir âu
Sud. C'eft la route qu'on doit faire pour le voyage de la Nouvelle EÎr
pagne à la Guinée (d).
Les vents de terre font d'une force extrême dans la Baie de Campeche,
entre le Cap Concededo & le Pays montagneux de Saint-Martin; À leur
force fe foutient jufqu'à deux ou trois lieues en Mer. Au milieu de la
Baie, où la terre court de l'Eft à l'Oueft, les vents de Mer font au Nord,
& ceux de terre au Sud. Ils commencent à foufSer vers fept ou huit heu-
res du foir, & continuent, fur-tout dans k faifon feche, jufqu'à huit ou
neuf heures du matin. Dans une Ide de . ' . Baie, que le grand nombre
de Taureaux & de Vaches, dont elle eft rei^plie, a fait nommer ïljle aux
Bœufs , les vents de terre font fi frais & portent fi loin l'odeur de ces A-
nimaux fauvages, que des Pilotes, faifant voile dans l'obfcutité de la nuit
près de cette Côte, dnt reconnu l'Ifle à ces deux marques j fans quoi, ils
le feroient trop détournés à l'Oueft.
Dans tout le fond du Golfe du Mexique , depuis les Montagnes de
Saint- Martin jufqu'à Vera-Crux, & de-là au Nord jufqu'à ia Rivière de
MiiTiiripi , les vents de terre font auflTi fort bons. Ils ne le font pas moins
au fond du Golfe de «Honduras, & fur toute la Côte, entre ce Golfe & te
Cap
DifcRtmott
DE LA NOU-
viLLK EsrA-
ONX.
Vents dei
Côtes.
(c) Carreri, uhi fuprà.
(d) Ceux, à qui ces termes ne font pas
familiers , peuvent conûilter l'article tk-s vcntr,
au Tome XVII. de ce Recwcil.
Hhhh 2
DCfCRIPTION
I>C LA NOU-
viLLB E.in-
OMI.
Vent nommé
Suomafenta.
6io DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Cap de la Vêla , fans autre exception que les Caps & les Pointes , où ce
vent manque plus ou moins, à proportion qu'ils font plus expofés aux vents
de Mer. Du côté de la Mer du Sud , les Baies ont auHi leurs vents frais
déterre; mais dans quelques-unes, ils ne fe lèvent qu'à minuit; & vers
le Nord , ils ne font pas H certains dans la faifon humide que dans celle de
la fécherefle. Les plus petites Baies de Campéche, jufqu'aux Lagunes,
jouiflent de l'avantage des vents déterre. Telle eft la Lagune de 'J'ii/i^
qui n'a que trois lieues de largeur, & qui ed féparde de la Mer par Tlfle de
même nom. Les vents déterre y foufflent, dans la faifon feche, depuis
cinq ou fix heures du foir, jufqu'à neuf ou dix du matin. Cette Lagune
communique à deux autres, qui en font féparées par des terres baffes , &
dans lefquellcsjes vents de terre font plus frais encore. Quelquefois ils y
foufHenc tout le jour, ôc même trois ou quatre jours de fuite & autant de
nuits. Ils femblent impofer filence aux vents de Mer; ou s'il arrive à
ceuX'Ci de s'échapper quelquefois dans ces Lagunes , ce n'efl jamais pour
long-tems. En général les vents de terre font plus forts ou plus foibles ,
fuivanc les Pointes & les détours des Côtes. Sur celle du Mexique , dans
la Mer du Sud , le vent de terre fouffle prefque toujours de la terre en
droite ligne; ce qui donne, aux Pécheurs, de la facilité à fe mettre en
Mer dans leurs Canots d'écorce. Le vent de Mer n'y étant pas moins ré-
gulier, ils partent pour la pèche avec le vent de terre, & reviennent avec
celui de Mer. Dans quelques endroits, au lieu de ces Canots d'écorce,
ils fe fervent de peaux de Veau marin, qu'ils ont l'art d'ajufter fort pro-
prement. Ils y font comme un cou de velTte , auquel ils mettent un tuyau
pour les enfler. Deux de ces peaux étant attachées enfemble, le Pê*
cheur fe met deflus comme à cheval , & s'y tient aufli ferme qu'un Ca-
valier fur la felle. Pour fe conduire fur Mer, il a dans la main un bâton,
en forme de rame aux deux bouts , avec lequel il pouffe l'eau en arriére
d'un côté & de l'autre. Ces vents de Terre & de Mer font d'une admi-
rable utilité dans cette partie du Monde, où les vents généraux régnent
fi impérieufement , comme les Mouffons aux Indes Orientales , que fans ce
fecours la Navigation y feroit impoifible. On fait ainfi jufqu'à deux ou
trois cens lieues malgré le vent général , particulièrement de la Jamaïque à
la Lagune de Trifl , dans la Baie de Campéche , & de l>ifl à la Jamaïque.
C'efl à la vérité , fuivant l'obfervation de Dampier , un des plus longs voya-
ges qui fe faffenc à la faveur de ces vents. On s'en fert de même , pour
aller de quelque endroit du Golfe du Mexique à l'Ifle de Cuba. Dans la
Mer du Sud , au Nord de la Ligne , c'efl à la faveur des mêmes vents , que
les Efpagnols font tous leurs voyages fans s'éloigner de la Côte. On fe pro-
met un bon vent de terre , lorfqu'on voit, avant la nuit, des brouillards
épais qui fe répandent fur la terre, & qui paroiffent y croupir comme
une fumée. Si ce ligne manque , le vent efl foible & de peu de durée ,
du moins dans la belle faifon ; car pendant celle des pluies on voit fouvent
croupir les brouillards, fans qu'ils foient fuivis d'aucun vent. Dampier
remarque auffi que ces vents de terre font beaucoup plus froids que les
vents de Mer.
La Baie de Campéche efl fujette à d'autres vents , qui ne foulflent
ou DF LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 6ii
3u*aux mois de Février, de Mars & d'Avril, entre le Pays montagneux
e Saint-Martin & le Cap Concedcdo, c'eft-àdire , dans l'efpacc d envi-
ron cent vingt lieues. On les nomme Summafenta. Ils ne font, ni vents
de Terre, ni vents de Mer; puifqu'ils diffèrent également des uns & des
autres en durée; mais ils foufflent de terre en partie. Leur cours ordinai-
re efl à l'Eft-Sud Cft, & dure quelquefois nuit & jour pendant toute une
femaine. Ils font frais & fecs. Les Vaiffeaux , qui partent de Trift à
. la faveur de ces vents , arrivent au Cap Concededo en trois ou quatre
jours; tandis qu'avec tout autre vent, de Terre ou de Mer, ce voyage
ne fe fait jamais en moins de huit ou dix jours. Ils font plus froids que
les vents de Mer, fans l'être autant que ceux de terre, & beaucoup plus
forts que les uns & les autres. On ne s'apperçoit point d'ailleurs qu'ils
altèrent plus la fanté. C'efl ordinairement dans les plus bafles marées qu'ils
fe font fentir.
Sur la Côte du Mexique dans la Mer du Sud , entre le Cap Blanc (*) &
Realejo (/), c'eft-àdire dans une diftance de quatre-vingts lieues, on
trouve un vent, que les Efpagnols nomment Popoga'ios^ & qui ne règne qu'aux
mois de Mai, de Juin & de Juillet. Il fouffle jour & nuit, fans intermil-
fion, quelquefois trois ou quatre jours» &jufqu'à huit de fuite. C'efl: un
vent frais , mais fans violence. Dampier le trouva au Nord , dans fon
Voyage autour du Monde.
On diftingue, dans le Golfe du Mexique, trois fortes de Tempêtes,
fous les noms de Norrfj, de Suds^ & d'Ouragans. Elles reviennent à-peu-
près dans les mêmes faifons ; & fuivant l'obfervation commune elles font
annoncées, quelques heures auparavant, par divers préfages.
Les Nords font des vents d'une violence extrême, qui foufflent fréquem-
ment dans le Golfe, entre le mois d'Oftobre & celui de Mars. On s'y at-
tend alors vers la pleine ou la nouvelle Lune : mais les plus violens arri-
vent aux mois de Décembre & de Janvier. Quoiqu'ils s'étendent plus loin
que le Golfe, c'efl:-là qu'ils font plus fréquens & qu'ils caufent leurs plus
grands ravages. Leur plus grande force eft toujours au Nord Nord-Oueflr.
Ils font ordinairement précédés d'un tems clair & ferein. Si quelque vent
fouffle, c'eft un fort petit vent, qui n'efl: pas proprement le vent réglé de
Côte, mais un vent d'Ouefl: ou deSud-Oueft:, dont la durée eft d'un jour
ou deux avant la tempête. Un reflux extraordinaire , qui laifTe à peine re-
marquer aucun flux pendant un ou deux jours , eft un autre préfage du
Nord. Les Oifeaux de la Mer en font un troifièmer ils fe retirent en grand
nombre , fut des Terres qu'ils ne fréquentent point dans un autre tems. Mais
le plus remarquable de tous les lignes eft un nuage fort noir , auNord-Oueft,
qui s'élève jufqu'à dix ou douze dégrés au-defl"us de l'horifon. Le bord de
fa partie fupérieure paroît fort uni; & lorfqu'elle arrive à fix, huit, dix,
ou douze dégrés , le nuage demeure parallèle à l'horifon dans cette forme
-& fans aucun mouvement. Cet état continue quelquefois deux ou trois
jours avant la tempête, <& quelquefois douze ou quatorze heures feulement,
mais
(e) A neuf degrés cinquante-fix minutes (/) A onze dégrés de la mêmelatitude^
du Nord.
Hhhh 3
Dbscrîption
Ds L\ Nou-
vel LK li^r*-
u.sr.
Vent iiommié
Temjiêccs
du Golfe du
Mexique.
Nords.
613 DESCRIPTION DU M E X I Q.U E,
DifcnirrioN niais jamais moins. Si proche de l'horifon , le nuace (g ) ne paroît que
vtii'u^ l^rïi '^' ^^'^^ ®" '•-' '"'*''" » ^'^^ '^'^"' ^^ moins, qu'il eii le plus noir; & l'cx-
o.\K. pcricncc a trop apf)ri8 que dans cette partie du Monde, & dans la faifon
qu'on a nommée, il annonce toujours une furicufe tempête. Quoiqu'on
n'en rcfllnte pas toujours les clfcts, parcequ'clle pafle quelquefois laos
nuire beaucoup , on s'y prépare avec toutes fortes de précautions. Si le
vent tourne au Sud avec un beau tcms, c'efl: im fiene infaillible du plui
§rand défaflre. Pendant qu'il continue au Sud-SudOuell , ou à l'Ouefl:
u côté du Sud , il Ibulîle alfez doucement j mais dès qu'il arrive au Nord
de l'Ouefl:, fa force augmente. 1! tourne aulTi-tot au NordOueft, où U
redouble encore; & de-là au Nord- Nord- Ouefl, où il le foutient le plui
long-tcms, avec la dernière force. La tempête ne dure pas moins dé
vingt-quatre heures, & continue quelquefois jufuu'au double. Lorfque le
vent commence au NordOueft, fi le nuage palle, elle n'a que la duréç
paflagère d'un Tornado^ & le tems redevient fort ferein. Alors le vent fe
ioutient au Nord Ouefl:, avec une force médiocre; ou bien il retourne à
l'Ell, & continue dans cette direâion. Quelquefois, le tems e(l clair &
fec pendant la tempête, & quelquefois elle efl: accompagnée de beaucoup
de pluie. Quoique les nuées , qui amènent la pluie, viennent du NordOuefl:
& du Nord- Nord Ouefl: , le nuage qui efl: proche de l'horifon paroît immo-
bile. Si le vent change tout-àf coup du Nord NorJ-Ouefl: au Nord, c'efl;
un figne que la tempête a fait Ton plus grand effort; fur tout, lorfqu'il tour-
ne à l'Efi: du Nord. Alors il change bientôt à l'Efl:, où il fe foutient, &
le beau tems renaît. Mais s'il retourne du Nord au Nord-Ouefl:, il conti-
nue plus d'un jour, avec fa première force ik quantité de pluie. Les An-
glois ont trouvé l'arc de fe fervir heureufement des Nords pour revenir char-
gés, de Campèche à la Jamaïque; & quoiqu'ils arrivent quelquefois fort mal-
traités , ils fe vantent de n'avoir jamais perdu de Vailfcau dans ces tempê-
tes: mais les Efpagnols, donc la manœuvre ell diiféreute, en fouffrent beau-
coup, & palTent rarement une année fans perdre quelqu'un de leurs meil-
leurs Bâtimens (A).
Suds. Les Suds font aufli fort violens. Leur faifon efl: dans le cours de Juin,
Juillec & Août, tems où les Nords ne foufflenc jamais. Comme leur plus
grande violence efl: au Sud, il y a beaucoup d'apparence que c'efl: de-là
n u-?: ;". . i r^ '' > -J-v "' • ■ . -f ^TJ^; «/ 'il v^ qu ils
( g^ Les Angiois l'appellent, dans leur
Langue, Banc du Nord.
(b) Oïl croyoit autrefois , dit Dampicr ,
qu'il étoit fort dangereux d'être furpris dans
le Golfe du Mexique par la tempête qu'on
appelle Nord. Pour l'éviter, nos Vaifleaux
de la JamaïqUw- faifoient route Eft , dans
cette (aifon ; & paflTofent par les Cacufes ,
Bancs de fable au Nord-Oued de l'ifle lif-
pagnole. Ceux qui partoient de Port-Royal
dans la Jamaïque avoient raifon; car (1 le
Nord les prenoit à leur départ, il les avan-
çoit dans leur route ; au lieu qu'en paflant
par le Golfe il les auroit repoulTés; outre
que le vent, qui foufilo contre le courant,
enfle fi furicufcmcnt lu Mer, qu'à peine un
VaiflTeau peut y réfiftcr M;iis on pafle au-
jourd'hui le Golfe en tout tems de l'année.
Quand il arrive un Nord, on s'abandonne
au vent & à la Mer avec une feule voile. La
force du vent. quigrolUt la Mer en vagues,
& qui les emporte au Sud , n'empêche pas le
courant, fous la (urfacc de l'eau, de courir
9U Nord; & ce n'ert pas une chofe extraor-
dinaire de voir deux courans oppofés, en
môme tems & en môniL: lieu, la furfucc de
l'eau s'avançant d'<on côté t\ le relie à l'op-
pofé. /Ippendix auTome m, page 97.
ii.i
' j '
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. f^ri
qu'ils tirent leur nom. Ils ne difTèrtnt tics ourap;ans, qiVcn ce qu'ils lont
nioiiiîi fiijcts à fauter de rhumb en rhumb, Ci: qu'ils les devancent pour U
faifon. «.
Les Ouragins font les plus terribles tempêtes, auxquelles !e Golfe duMexi-
que Se toutes les Antilles foient expuîes. Elles arrivent ordinairemenr, aux
mois de juillet, d'Août & de Septembre, toujours annoncées, comme les
Nords ôi iesSuds, par des fignes qui leur font propres. Les defcripuons
3u'on en trouve dans les Voyageurs , s'accordent toutes a les faire précé-
er d'un fore beau tcms, avec un petit venx ihutcur, qui ne refl'emblc point
aux vents communsi ou par une très grolle pluie; ou par un mélange de
pluies & de calmes. Les nuages, qui précèdent l'Ouragan, dilfèrent de
ceux qui précèdent le Nord, en ce que les derniers font unis, réguliers,
& d'une exadle groiïeur, depuis l'boiifon jufqu'à leur partie fupérieure; au
lieu que les nuages de l'Ouragan s'élèvent avec une efpèce de pompe, &
s'avancent fi rapidement, qu'on croit remarquer entr'eux une forte d'ému-
lation. Cependant, comme ils font engagés l'un dans l'autre, leur mouve-
ment eft égal. On donne encore pour diflérence, que les bords de ces nua-
?;es font de diverfes couleurs, dont le contrafte forme un fpeftacle ef-
rayant: l'extrémité paroic couleur de feu pàl2, fuivie d'un jaune foncé,
puis d'une couleur de cuivre; & le corps du nuage, qui efl: extrémemcnc
épais, efl: d'une horrible noirceur. Les effets des Ouragans font trop con-
nus pour demander une longue peinture. Dampier efl perluadé que l'Ou-
ragan des Indes Occidentales & le Typhon des grandes Indes font la mê-
me tempête fous des noms différens. Ils ont, dit il, les mêmes préfages,
le nuage divcrlifié par la même variété d'affreufes couleurs, le vent qui fe
lève au même point, & d'une force étonnante, avec des torrens de pluie;
tout cela fuivi d'un calme, & puis d'un vent au SudOueft, aufli violent
que le premier l'eft au Nord EU. L'un & l'autre arrivent dans la même
laifon de l'année, & prefque toujours vers la pleine ou la nouvelle Lune.
Enfin les Régions où ces météores fe forment font dans l'hémifphere du
Nord, quoique leurs latitudes ne foient pas exaftement les mêmes.
Comme on n'a rien die des Saifons , &. de la nature des Marées & des
Courans (i), qui ne puilTe être appliqué, du moins par les principes,
aux différentes parties de la Nouvelle Efpagne & des Mers qui lavent
fés Côtes, il fuffira de raffembler ici quelques obfervations difperfées dans
les Voyageurs.
Sur la plus grande partie de la Côte du Mexique ,' dans la Mer du Sud,
le flux & le reflux font d'environ cinq pies. A Realejo & dans le Golfe
d'Amapalla , ils font d'environ huit ou neuf pies. Dans le Golfe dolce &
la Rivière deNicoya, la marée monte jtifqu'à dix & onze pies. Sou cours
efl: à l'Efl; & fon retour à l'Oueft.
Dans la Baie de Campêche, la Mer qui flue & reflue dans toutes les
Lagunes en fort avec tant de rapidité , que les Efpagnols ont donné , à la
grande Lagune deTrifl:, le nom de Laguna. Termina^ c'efl-à-dire Lac des
DR I.A NdO-
Vul I i. Ivi'A-
C.NH.
Oiur.gar.:.
Comprjaifon
de r(3iiia;:;an
&duTyiihon.
Marée».
<i) Tome XVII. de ce ÏLecueil.
;li.-.i
DESCRIPTION
DE L.\ NOO-
VCLI.K EîI'A-
GMÎ.
Courans.
614 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Marées. Cependant l'élévation de l'eau n'y a point de proportion avec fa
rapidité; & le ilux n'y ell: ordinairement que de fix ou fept pies.
On a remarqué, dans un autre endroit, que par tout où les vents réglés
prédominent, les Courans fuiventle Vent, & que leur plus grande force
eft toujours près des Côtes, fur-tout vers les Caps qui s'avancent fort loin
en Mer. Cette obfervation ne fuffit pas feule pour. expliquer l'extrême va-
riété des Courans fur la Côte de Veragua, de Coda ricca , de Honduras, &
dans toute la grande Baie qui eft entre le Cap de Vêla & celui de Gracia
de Dios. Tous les Voyageurs conviennent qu'il n'y a point de partie des
Indes Occidentales où les Courans foient moins réguliers, & n'en peu-
vent trouver d'autre caufe que la figure de la Terre, qui court Sud, entre
ces deux Caps.
Depuis le Cap Gracia de Dios\ le Courant fe porte au Nord-Oueft vers
le Cap Cocoche, dans l'Yucatan, & pafle de là au Nord entre cp dernier
Cap & celui de Saint- Antoine dans l'Ille de Cuba. Au Nord de l'Yucatan,
paflant dans la Baie de Campêche, on trouve un petit Courant qui fe por-
te à rOueft jufqu'au fond du Golfe du Mexique; mais, du côté Septentrio-
nal du Golfe , il fe porte à l'Eft. C'eft ce qui oblige les Navigateurs de
ranger cette Côte, en venant de Vera-Cruz. On juge que le Courant, qui
fuit la Côte depuis le Cap Saint- Auguftin jufqu'au Cap Cotoche, n'entre
jamais dans le Golfe du Mexique, mais panche du côté du Nord, jufqu'à
la Côte de Floride; d'où tournanr à l'Eft vers l'embouchure du Golfe &
fe joignant avec le petit Courant qui fe porte aux parties feptentrionales
de rifle Efpagnole & de celle de Cuba, il pafle avec ce Courant par le
Golfe de Floride, dont le Courant, fameux par fa rapidité, va toujours
au Nord. Cependant comme il y a des marées de chaque côté du Golfe,
fur- tout du côté de la Floride, un Pilote bien inftruit pafle & repafle aifé-
ment (*). Au refte tous les Courans , fuivant l'obfervation de Dampier,
changent leurs cours en certains tems ; avec cette différence, que dans les
Indes Orientales, ils courent de l'Eft à l'Oueft, pendant une partie de l'an-
née, & de rOueft à l'Eft, pendant l'autre; au lieu que dans les Indes Oc-
cidentales , ils ne changent que vers la pleine Lune. Sur les Côtes de la
Nouvelle Efpagne, dans la Mer du Sud, le même Voyageur croit avoir
vérifié que les Courans fuivent exaélement le vent réglé delaCôte(/). Woo-
des Rogers remarque ( m ) que ies Vers , qui fourmillent , dit-il , le long
de ces Côtes , font plus gros & rongent beaucoup plus la carène des Vaif-
feaux, que tous ceux qu'il avoit trouvés dans d'autres lieux.
(*) Voy. ci-deflus.
(i) Dampier, ubi fuprà.
(m) Voyage autourduMonde,T,]I. p.98.
5. II.
ArhteSi Plantes , Fruits & Fleurs..
LA fituation des principales Provinces de la Nouvelle Efpagne & les
qualités du climat ne doivent laiflTer aucune défiance des Voyag^nirs,
lorfqu'ils nous repréfentent cette grande Région comme une des plus àgréa-
blçs
avec fa
its réglés
de force
fort loin
rême va-
duras, &
e Gracia
artie des
l'en peu-
id, entre
)ueft; vers
f dernier
Yucatan ,
Il fe por-
iptentrio-
iteurs de
rant, qui
, n'entre
l, jufqu'à
Golfe &
ntrionales
nt par le
toujours
lu Golfe,
lafle aifé-
Dampier,
e dans les
e de l'an-
ndes Oc-
ites de la
roit avoir
;/).Woo-
, le long
des Vaif-
, T. II. p. 98.
;ne
& les
oyagv-nirs,
3lus àgréa-
blçs
.,': >.-.l7></5^ ul/r.i-
j.^Xajpote^ Ole tJàfo(ze'?\ z . */àpodllt^. j . Cacaodcr. 4 . Cacao
Choco
en éto
voir
peuve
Jus,
Père
a.
Labat
VKLLE
CNB.
pu DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 615
blés & des plus fertiles du Globe terreftre. Outre Tes produftions naturel- DMCRirrio»
les, on fe perfuade aifément que depuis la Conquête des Efpagnols, elle eft ^l^^^ ^"i".
enrichie de la plupart des Plantes de l'Europe , qui doivent avoir acquis de
nouvelles perfeélions fous un 11 beau Ciel. Mais cet article ne contiendra ,
fuivanc notre ancienne méthode, que les produflions particulières au Pays
& celles qui fe font diftinguer par leur excellence. Toutes les autres font
renvoyées à l'article qu'elles regardent, fous le titre général d'Hiiloire na-
turelle de TAmérique.
Donnons le premier rang au Cacaotier, qui tire proprement Ton origi- Le Cacaotier.
ne du Mexique (â), conmie il en fait une des principales richefles. On
nous donne, non-feulement fa figure, mais la manière dont les Mexiquains
le cultivent (b). On feme les grains de cacao dans une terre chaude &.
humide , l'œil en haut & bien couverts de terre. Les arbrllfeaux paroiflent
vers le quinzième jour ; mais ils font deux ans à croître de la hauteur de
trois palmes. On les tranfplaite alors , en les arrachant avec toute la terre
qui couvre leurs racines. On les met en allignement , à dix-huit palmes
l'un de l'autre , avec un échalas à chacun pour les fupporter , & des pla-
tanes ou d'autres arbres fruitiers à rentour,parcequ'iIs demandent de l'om-
bre. On retranche du pié tous les rejetions , qui les empêcheroient de s'é-
lever. On nettoie 1^ terrein de toutes fortes de mauvaifes herbes ; & l'on
s'attache fur- tout à garantir les Plantes , du froid, de l'excès d'eau, & de
certains Vers qui les rongent. Dans l'efpace de cinq ans, elles deviennent
hautes de fept palmes, & çrolTes comme le poing. C'eft alors qu'elles
commencent à porter du fruit. Leurs feuilles reflemblent à celles du Châ-
taignier, mais elles font un peu plus étroites. La fleur croît, comme
aux Jafmins, fur le tronc & fur les branches; mais à peine refte-t'il un
quart du nombre. Il s'en forme une goufle, delà forme de l'épi du blé
d'Inde, verdâtre avant fa maturité, ordinairement brune lorfqu'elle eft
mûre, mais quelquefois jaune, blanche & bleue. Cette goufle contient
les grains, ou les amandes du cacao , couverts d'une fubftance mucila-
gineufe dont ils tirent leur nourriture. La récolte s'en fait un peu a-
vant la nouvelle Lune. On ouvre les gôufles avec un couteau ; on en tire
le fruit, qu'on fait fecher à l'ombre pendant trois jours, & pendant trois
jours au Soleil," & cette opération le renouvelle alternativement jufqu'à
ce qu'il foit tout-à-fait fec. On remarque que les Cacaotiers ne rendent pas
l'air fort fain.
La Vanille, fuivant le même Voyageur, eft une canne d'Inde de la
grofleur du doigt , que les Efpagnols nomment Fexuco ou Banilla (<;),&
■ /- - • _ - . - • •::---. -r.,r 'r - ■ _ qui
La Vanille
ou le Meclia-
fuchil.
rav
(a) C'eft-à-dire, pour fon ufagc dans le
Chocolat, car d'autres parties de l'Amérique
en étoient rempiles. Ceux, qui veulent la-
voir comment il fe cultive dans nos Ifles,
peuvent confulter le Traité de Mr. de Cai-
lus , Ingénieur d^s Illes Françoifes , & le
Père Labat, TonicVL Chap. 17.
(6) Carreri, TomeVL page 221, & fuiv.
Labat le cenfure durement, fans faire attuii*
XniL Part.
tion que ce Voyageur ne parle que de la mé-
thode des Mexiquains, bonne ou mauvaife.
On parlera du cacao des Ifles, & de fa cul-
ture, dans leur article.
( c ) Dampier donne à la Vanille le nom
de Vinello. Voici fa defcription. C'eft une
petite goufle, pleine de petites graines noi-
res, longues d'environ quatre ou cinq pou-
ces , & de la grofleur de la côte d'une feuille
liii de
DiscifPTioir
ne LA Nou-
▼U.LE EiFA-
GMB.
L'AcIiiote.
Comment
?cs Mexi-
«juains font
2c chocolat.
! I
6î6 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
qui s'entortille, comme le Lierre, autour des Orangers. Elle produit des
goufles, vertes quand on les prend fur l'arbre, mais qui étant léchées au
Soleil , avec le foin de les étendre pour les empêcher de s'ouvrir , devien-
nent à la fin dures & noires. Les Ëfpagnols jettent deflus , par interval-
les, du vin fort, après y avoir fait bouillir une des goufles , coupée en
plufieurs pièces. La Vanille croîc particulièrement fur la Côte méridionale
de la Nouvelle Efpagne.
L'AcHioTE croîc auflî fur un arbrifleau , dans des goufles rondes & rem-
plies de grains rouges, qu'on réduit premièrement en pâte. Enfuite, après
l'avoir fait fécher, on en forme des boules rondes, des gâteaux, ou de
petites briques (d).
C'est particulièrement des trois graines précédentes, que lesMexiquains
compofoient la fameufe liqueur à laquelle ils donnoienc le nom que les
Ëfpagnols ont emprunté d'eux, en adoptant le mêmeufage, & qu'ils ont
communiqué à toute l'Europe. On le croit formé du mot Indien Âtl ou
j/ittl, qui lignifie de l'eau , & du bruit ou du fon , que l'eau rend dans le
vaifleau où l'on met le Chocolat , lorfqu'on la remue avec un moulinet , pour
la faire bouillonner en écume. Il ne fera pas inutile de rapporter, après
Gage , la préparation des Mexiquains: le principal ingrédient, dit-il, après
en avoir fait douze ans fon étude, efl: le Cacao, qui eft une forte de noi-
fette ou de noyau, plus gros qu'une amande, .& qui croît fur un arbre qu'on
nomme
â
de tabac, à laquelle elle reffemble fort, lorf-
[u'ellc efl: feche. Elle croît fur \m petit pié
e vigne, qui monte & fe foutient à la fa-
veur des arbres voiflns , autour defquels il
s'entortille. Il poufTe d'abord une fleur jau-
ne, d'où procède enfuite la gouflTe, qui eil
verte au commencement, & jaune lorlqu'elie
eft mûre. Alors les Indiens , qui cultivent
cette Plante, la vendent aux Ëfpagnols à
bon marché, la cueillent & la mettent au
Soleil; ce qui la rend douce & d'un gris châ-
tain. Enfuite ils la preflent fouvent entre les
doigts , mais fans l'applatir. Je ne fais fi les
Indiens y font autre chofe, mais j'ai vu les
Ëfpagnols polir ce fruit avec de l'huile. La
première fois , que j'ai eu l'occaHon d'en
voir, efl à Gatulco fur la Mer du Sud. Il s'en
trouve aullî près d'une \'ille nommée Car-
bouca , dans le Pays de Campêchc. On en
fait beaucoup de cas pour parfumer le cho-
colat. Foyage autour du Monde, Tome I.
pag. 2 o On ne peut concilier ces deux té-
moignages, qu'en fuppofant la Plante & les
méthodes différentes , dans les Cantons du
Pays que les deux Ecrivains avoient vifités.
F'oyez le Père Labat, qui a trouvé de la Va-
nille en divers endroits.
Nota. I.a Figure de la Vanille fe trouve
auTomeXVi. de ce Recueil. R. d. E.
(J) Gage, Part. 2. page 143. Le nom
Jblexiquain eft Acbiotk D'autres rappellent
Cban^uarîc , & d'autres Pamae. Voici la
defcription de François Ximenez. L'arbre a
le tronc , la grandeur , & la forme de l'O-
ranger. Ses feuilles refl*emblent i celles de
l'Orme, par la couleur & la rudeflè. L'é*
corce du tronc & des branches font d'un roux
verd. Les fleurs forment une forte d'étoile à
cinq rayons, dont la couleur eft d'un blanc
rougeàtre. Le fruit eft dans une efpëce de
coque, de la grandeur & de la forme de
celle de l'amande. Elle s'ouvre, dans fa
maturité, & laiflTe voir une graine rouge,
aflez femblnble à celle du tailin , mais plus
ronde. Les Indiens eftiment beaucoup l'A-
chiotl , & le cultivent autour de leurs Habi-
tations. Il eft verd toute l'année. La fai-
fon de fon fruit eft le Printems. On coupe
enfuite fes branches, dont le bois eft em-
ployé, comme le caillou, pour en tirer du
feu. De lécorce, on fait des cordes, plus
fortes que celles de chanvre. Sa graine
donne une teinture rouge, qui fert à la
peinture, & qui n'eft point inutile à la Mé-
decine. On lui trouve une qualité froide.
Mêlée avec de l'eau, elle appaife les ardeurs
de la fièvre, elle arrête la diflTenterie. Elle
entre, à ce titre, dans la compofition du
chocolat, dont on prétend d'ailleurs qu'elle
relève la couleur & le goût. Liv. 5. Cbap. 3.
Labat la confond avec le Roucou.
)duit des
rhécs au
devien-
interval-
upée en
ridionale
5 & rem-
te, après
[, ou de
xiquains
que les
|u'ils ont
n Atl ou
dans le
let, pour
:r, après
•il , après
de noi-
are qu'on
nomme
Voici la
L'arbre a
me de l'O-
i celles de
defle. L'é-
t d'un roux
te d'étoile à
d'un blanc
; efpëce de
i forme de
e, dans fa
ine rouge,
, mais plus
lucoup l'A*
leurs Habi-
ie. La fai-
On coupe
ois eft em-
en tirer do
ordes, plus
Sa graine
li fert à la
ile à la Mé-
ilité froide,
î les ardeurs
iterie. Elle
ipofîtion du
eurs qu'elle
S. Cbap. 3.
1.
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 617
nomme Vjirbre de Cacao ^ dans une grande goufle où il fe trouve quelque-
fois jufqu'à trente ou quarante amandes. Quoique le Cacao , comme tous
les autres Simples « participe des quatre Elemens, l'opinion la plus reçue
eil qu'il eft froid & fec, comme l'Elément de la terre, & par conféquent
de qualité aftringente: mais comme il participe aufll des autres Elémens,
il a des parties onélueufes, & l'on en tire une efpèce de beurre, dont j'ai
vu que les Femmes des Créoles fe frottoient le vifage, pour fe rendre le
teint plus uni. On n'en doit pas être furpris, fi l'on confidére qu'en le
changeant en breuvage, à peine eft-il remué qu'il s'en élève une écume
graife. D'ailleurs , il y entre tant d'autres mélanges , qui font naturelle-
ment chauds, qu'il doit avoir nécefTairement la faculté d'atténuer & d'ou-
vrir, plutôt que celle de reflerrer.
Ajoutez que s'il n'eft ni moulu, ni remué, ni compofé, comme il eft
dans le Chocolat, mais feulement mangé dans le fruit, fuivant l'ufage des
Femmes, Indiennes & Créoles, il caufe des obftru6lions, qui rendent le
teint fort pâle; d'où l'on peut conclure que ne produifant point le même
effet lorfqu'il eft préparé, il doit une partie de fes vertus au mélange dont
les Mexiquains ont l'ancien ufage. L'arbre qui le porte, eft fi tendre , <Sc
le terroir dans lequel on lui fait prendre naiflance eft ordinairement fi chaud,
que pour le garantir des ardeurs du Soleil , on y plante d'autres arbres , qui
s'appellent Meret du Cacao. On attend même, pour femer les Cacaotiers,
que ces autres arbres foient d'une hauteur dont ils puiflent recevoir de l'om-
brage. Le fruit ne vient pas nu. 11 eft enveloppé, comme on l'a dit, dans
une grande gouffe; & chaque amande eft revêtue d'une peau blanche, plei"
ne de jus, que 'es Femmes fucent avec délices, parcequ'il fond dans la bou-
che avec une charmante fraîcheur. On diftingue deux fortes de Cacao:
l'un, qui eft le commun, d'un rouge obfcur, rond & piquoté par le bout;
l'autre, plus large, plus gros, plus plat, qui fe nomme Patlaxe. Le der-
nier eft plus blanc {e) & plus defficatif que l'autre. Cette raifon le rend
moins cher , fans compter qu'il eft plus contraire que l'autre au fommeil.
Auffi n'tft-il guères en ufage que pour le Peuple. •■ '■' ' "
Les Mexiquains font partagés , fur les autres ingrédiens qui doivent en-
trer dans la compolkion du Chocolat. Quelques-uns y mettent du poivre
noir , que d'autres n'approuvent point , parce qu'il eft chaud & fec , ou
(ju'ils ne donnent qu'à ceux qui ont befoin de fecours pour la chaleur natu-
relle. Au lieu de ce poivre, ils y mettent ordinairement du poivre rouge
& long, qu'on nomme Chileou Piment, dans lequel ils croient avoir recon-
nu des qualités froides & humides, quoiqu'il ait une vive chaleur dans la
bouche. Ils y font entrer aulTi du fucre blanc, delà canelle, du girofle, de
l'anis, des amandes communes, des noifettes , deYOrejevalOy de la vanil-
le, du fapoyal, de l'eau de fleurs d'Orange, du mufc, oc ce qu'il faut d'A-
chiote pour lui donner la couleur d'une brique rouge. Mais la dofe de ces
ingrédiens eft proportionnée au tempérament de ceux qui doivent en ufer.
C'eft ordinairement une centaine de noix de cacao , deux gouffes de chile
ou
(«) Labat prétend, fans raifon, qu'U n'y a point de cacao blanc, contre le témoignage
réuni de Gage & de Dainpicr.
m 2
DESCRfPTIOff
DB LA Nou-
velle Espa-
gne.
ONT..
Qun're for-
ets de Poivre
ton
'o*
tfi8 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Da'CRiPTtriN ou de piment , une poignée d'anis & d'Orejevala , & deux de fleurs de va*
^^ '* Eivt' "i'ie, qu'ils apwWeni Mecbafuchil. D'autres prêtèrent lix rôles en poudre,
deux dragmes de canelle, une douzaine d'amandes communes & autant de
noifettes, du fucre blanc, & la quantité d'Achiote qui fuiiit pour la couleur.
Les plus lages n'y joignent point de girofle, ni de mule, ni d'aucune eau
parfumée: mais cette fagefle n'efl pas le partage du plus grand nombre.
D'autres y mettent du maïz, qui ell venteux. La canelle pafle pour le
meilleur de tous les ingrédiens , parce qu'elle eil: feche & chaude , qu'elle
provoque l'urine, & qu'elle foulage les reins, dans les indifpofltions froides.
Elle pafle aufll pour cordiale & pour amie des yeux.
On fuppofe à l'Achiote, des qualités incifives & atténuantes, qui le font
ordonner tous les jours, par les Médecins Indiens, pour les humeurs craf-
fes & groflfières, & pour toutes fortes d'obn:ru6lions ou d'opilations. A
l'égard du Cbile ou poivre long , ils en diflinguent quatre fortes ; fun , qu'ils
appellent Chilchote', le fécond, plus petit, nommé Chilterpin\ ces deux efpé-
ces font fort piquantes; le troifième, qui fe nomme Tonalcbiles, efl: médio-
crement chaud, <& les Indiens le mangent avec leur pain de maïz, comme
d'autres fruits. Enfin le quatrième, qu'on employé dans le chocolat , & qu'on
appelle Chilpelague^ a la gouflfe fort large, & n'eft, ni fi doux que le troifiè-
me, ni fi piquant que le premier.
Chacun confulte aujourd'hui fon goût & fon tempérament, pour faire
entrer plus ou moins de tous ces ingrédiens dans la compofition (/); mais
les Indiens n'y mettent encore que du cacao, de l'achiote, du maïz, avec
un peu de chile & d'anis. Ils broient le cacao & tout le refte, fur une lar-
ge pierre, qu'ils appellent M^raf/, & qui ne fert point à d'autre ufage. Mais,
avant cette opération , ils font fécher tout fur le feu , à l'exception de l'A-
chiote, en remuant inceflTamment leur matière, dans la crainte qu'elle ne fe
brûle ou ne fe noircifle: car, trop defifechée, elle devient amere & perd fa
force. La canelle, le poivre long, & l'anis font broyés à parc , avant qu'on
les mêle avec le cacao. Enfuite on recommence à piler tout enfemble , avec
un foin extrême de le réduire en poudre très fine. L'Achiote y efl: rois par
intervalles , broie aufiS , mais fans avoir été feché , afin que la matière en
prenne plus aifément la couleur. Ils la mettent alors dans un vaifleau de
terre, pour la braflcr avec une jufle quantité d'eau, fur un fort petit feu;
& cette féconde opération fe fait avec une efpèce de cuilliere. Lorfque
tout efl: bien incorporé, ce qu'ils connoiflent à la qualité de la pâte, qui
devient
{/) On croit devoir donner auflî la pré-
paration des Efpagnois du Pays. Ils pren-
nent les grains de cacao, & les font rôtir
dans une poelle percée, comme on fait pour
les niarons en Europe. Enfuite ils ôtent la
petite peau qui les enveloppe, pour les met-
tre dans un mortier , où ils les broient jufqu'à
ce qu'ils foicnt réduits en pâte, à laquelle
ils ajoutent deux fois autant de fucre , avec
du poivre & de la vanille, du mufc & de
l'ambre gris. Dç tout ce mélange , ils font
<ies rouleaux ou de petits pains, qu'ils con-
fervent; & lorfqu'ils veulent s'en fervir,
ils râpent ces rouleaux comme nous râpons
la mufcade. Enfuite ils font chauffer de l'eau
dans des vaiflTeaux de cuivre ou d'argent , &
la verfent bouillante dans leurs coupes de
porcelaine ou de cacao. Enfin ils ont un pe-
tit morceau de bifcuit prêt , qu'Us trempent
dans la liqueur. On a déjà remarqué que
l'ufage de la vanille eft venu d'eux , & que
les Mexiquains ne l'avoient point avant la
Conquête, ,, - ,.
avant la
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 619
devient courte, ils en font des tablettes; s'ils n'aiment mieux la mettre dans
des boettes , où elle durcit en refroidiflant. Ceux , qui en font des tablet-
tes, mettent une cuijlerée de la pâte fur une feuille de palmier, &luilaif-
fent le tems de durcir à lombre, car elle fond & fe liquéfie au Soleil: en-
fuite, tournant la feuille, ils en font tomber facilement leur tablette, par-
ceque là pâte efl: grafle encore. Mais lorfqu'on la met Pécher dans un vaif-
feau de terre ou de bois, elle s'y attache ii fort, qu'il devient difficile de
l'en tirer fans rompre le vailleau.
La manière de boire le chocolat n'efl: pas la même, parmi tous les Indiens
de la Nouvelle Efpagne. A Mexico, ils le prennent chaud, avec un mé-
lange de cette autre liqueur qu'ils nomment /étoile ^ & dont on a déjà rap-
porté la compofition {g). Leur méthode confifte uniquement à faire dif-
foudre une tablette dans de l'eau chaude; à la remuer enfuite dans la cou-
pe, avec un inftrument, qu'ils appellent Moulinet dans leur langue; &
lorsqu'ils en voient fortir 1 écume, à verfer de l'Atolle chaud par deîîus.
Ils le boivent ainfi , fans bifcuit & fans fucre. D'autres font diflbudre le
chocolat dans de l'eau froide , & le font écumer avec le moulinet. Enfuite
ôtant l'écume, qu'ils confervenc dans un autre vafe, ils mettent le relie fur
le feu, avec autant de fucre qu'il en faut pour le rendre doux. Lorfqu'il
efl chaud , ils le verfent fur l'écume qu'ils ont féparée ; & c'efl dans cet état
qu'ils le boivent. La manière la plus commune efl: de faire chauffer l'eau
& d'en remplir la moitié d'une coupe; d'y faire diffoudre une tablette ou
plus, Jufqu'à ce que l'eau foit bien épaiffie; de remuer & de battre tout,
pour (aire naître l'écume, & d'jr remettre alors de l'eau, pour achever de
remplir la coupe. Mais les Mexiquains ont une autre manière de prendre
le chocolat, qu'ils n'emploient que dans leurs Fefl:ins & leurs réjouilTances,
pour fe rafraîchir après la danfe ou la bonne chère, ils font difloudre les
tablettes, dans l'eau froide; ils en ôtent l'écume, qu'ils mettent à part; ils
mêlent du fucre dans ce qui relie; & le verfant de fort haut fur l'écume,
ils fe font de ce mélange un breuvage fi froid, qu'ils font les feuls qui
puiffent en ufer. L'expérience a fait connoitre aux Efpagnols qu'il efl fort
nuifible à l'eflomac, jufqu'à caufer de violentes douleurs, particulière-
ment aux Femmes. Gage , de qui l'on emprunte ce détail , protefle
qu'ayant employé pendant douze ans la troiliéme de ces quatre prépara-
tions, il a joui d'une parfaite fanté dans la Nouvelle Efpagne. Son ufa-
ge, dit-il, étoit de prendre un verre de chocolat le matin; un autre,
deux heures avant le dîner; un autre encore, deux heures après, & un
quatrième vers le foir {h). S'il avoit defTein de donner toute la foirée à
l'étude , il en prenoit encore un verre fur les fept ou huit heures ; après
quoi, il bravoit le fommeil & toute forte d'appélantiffement jufqu'à mi-
nuit. Au contraire, lorfqu'il manquoit à prendre cette liqueur favorite ,
aux mêmes heures, il fentoit des foiblelTes d'eilomac, des maux & des
défaillances de cœur (t). Il
DBfCHIPTIOW
DE LA Nou-
velle l'".ï FA-
GME.
Différentes
manières lioiic
les Indiens
prennent le
Chocolat.
(g) C'eft un breuvage des anciens Mexi-
5uains , couipofé de fleur de farine de Maïz ,
'Atolle & de Chile , infufés dans l'eau.
li) Oq a vu ^u'à Chiapa Icâ Femmes ne
pouvoient entendre une Mefle entière, fans
lie faire apporter du chocolat à l'Eglife.
( » ) Tome I. Paru 2. pages 146 & ptécéi.
T • • •
liii 3
620
DESCRIPTION DU ME X:I QUE,
DascRiPTioK
D8 LA Nou-
velle ESPA*
ONE.
Le Metl.
Pulque, li-
queur Mexi-
^uaine.
Il y a quelque différence, dans le récit des Voyageurs, fur une des meil-
leures Plantes du Mexique, que les uns confondent avec le Magbey de
J'IOe Efpagnole, & que d'autres nomment Metl^ en prétendant que fa
reflemblance avec le Maghey , par un grand nombre de propriétés commu-
nes, n'empêche point qu'elle n'en diffère efTentiellement. Gage, qui con-
noiflbit le Pays par un u long féjour , ne lui donne point d'autre nom que
Metl, & lailTe douter s'il le croit connu hors de la Nouvelle Efpagnc, lorf-
qu'il die fimplement qu'il croît aux environs de Mexico beaucoup mieux
qu'ailleurs ( ^ ). Suivant fa defcription , c'efl un excellent arbriffeau , qu'on
plante & qu'on cultive, comme les vignes en Europe. Il a prés de qua-
rante feuilles , différentes les unes des autres , qui fervent à quantité d'u-
fages. Dans leur jeuneffe , on en fait des confitures, du papier, de la
Êlulfe, des mantes, des nattes, desfouliers, des ceintures, des cordages,
du vin, du vinaigre & de l'eau-de-vie. Elles font armées d'une forte d'é-
pines, fi fortes & fi aigUes, qu'on en fait une efpèce de fcie, pour fcier
du bois. L'écorce brûlée guérit les bleflures; & la gomme, qui fort des
branches, efl un excellent antidote contre toute forte de poifon (/). Car-
reri , qui prend cet arbriffeau pour le Maghey , en reconnoiffant qu'il efl
fupérieur à celui de l'Efpagnole , ne lui donne que la qualité de Plante, &
le repréfente femblable à la joubarbe, mais plus haut, avec des feuilles plus
grofl^s & plus folides. Il ne dit point qu'on le cultive, mais qu'il croît
dans des lieux tempérés. Après avoir fait à-peu-prés le même dénom-
brement de Çqs propriétés , il ajoute que du fil de \es feuilles on fait juf-
qu'à des dentelles & des ouvrages d'une extrême délicateffe. Lorfqu'il eft
âgé de fix ans , on ôte les feuilles du milieu , pour y faire un creux dans
lequel s'affemble une liqueur, que les Indiens recueillent chaque jour au
matin , Hl qu'ils mettent daits plufleurs fortes de vaiffeaux. Cette fécondité
dure un mois entier; après lequel la plante feche, & pouffe des rejettons.
Lorfqu'ellen'efl pas coupée, elle ne produit qu'une tige, en forme de fé-
rule, avec des fruits inutiles. La liqueur efl auffi douce que le miel, lorf*
qu'elle fort de la plante. En peu de tems, elle prend la force de l'hydro-
mel & devient excellente pour diverfes maladies. Les Indiens y mettent
une racine , qui la fait bouillir & fermenter comme le vin. Aufli efl-elle
capable d'enivrer. Elle fe nomme Bulque ou Poulcré, On en fait Une eau-
de vie très forte; & ce n'efl pas fans raifon qu'on nomme la Plante, vignfi
de l'Amérique. L'ufage de cette liqueur étoit devenu fi général parmi les
Indiens, depuis la Conquête , que les droits qu'on en tiroit pour l'Efpagne
mont:>ient à iioooo piailres. Ils furent levés en 1692, & le pulque fut
défendu. Mais les Indiens violant fans ceffe un ordre rigoureux , & les
Efpagnols n'ayant pas plus de foumiffion pour la loi , les droits furent
rétablis & la défenfe levée en 1697 , pendant le féjour de Carreri à
Mexico («>. , .. .,,. . „, ,
( *) On a remarqué qu'Herrera diftingue le
Maght^ du Metl , du moins par le nom ,
& que ion TraduAeur le donne pour l'Ârrêcc-
Bœuf.
" 1 ' )
(/) Voyages de Gage, Part, i.pâg. î8i.
(«) Voyages de Gemelli Carreri, Tome
VI. pages 226 & précédentes. , ' ;-
VA'
M
<l7. y.tScÀÙY, *'5''***^
Î3
jMlllll'
1
S
Ma g h i: y
(:Ly€co€^
ges,
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL 6ai
VJtoïki qui fe nomme auflî Jnate^ efl une fleur rouge qui croît fur un
arbrifleau de même nom, & qui ferc non-feulement au chocolat des Mexi-
quains, mais à la compoficion d'une autre liqueur & à la Teinture. Elle
croit particulièrement dans la Nouvelle Ëfpagne, fur-tout aux environs de
Guatimala, d'où elle s'ed répandue dans la Terre-ferme & dans les Ifles.
L'arbrifleau s'élève de fe^t ou huit pies. On jette la fleur, comme l'in-
digo , dans une citerne remplie d'eau ; avec cette diftcrencc qu'elle ed fans
tige & fans tête, parcequ'clle fc détache elle-même du bouton. On la
laiflTe pourrir dans l'eau ,• où par le foin qu'on prend de l'agiter, elle fe ré-
duit en fubftance liquide, comme l'indigo. Lorfqu'elle elt raflife ,& qu'on
en a tiré l'eau, on en fait des tourteaux & des briques, qu'on laiiTe fé-
cher au Soleil. Dampier, de qui l'on emprunte cette defcription, a-
voit vu tenter inutilement d'élever des Atolles dans quelques Planta-
tions Angloifes, & ne connoifToit cette teinture que dans la Nouvelle
Efpagne; d'où fortanr ^z: le Commerce, elle fe vendoit cinq fchellings à
la Jamaïque («).
Le Silvejlre efl: la graine d'un autre Arbre du Mexique, qui reiTemblc
beaucoup au cochenillier. Sa fleur efl: jaune, & fon fruit rouge. Le fruit
s*ouvre dans fa maturité; & comme il ell plein de cette graine, qui n'eflpas
moins rouge que lui , la moindre agitation fuffit pour la faire tomber. Les
Indiens mettent une toile ou des plats fous l'arbre, & le fecouent. Huit ou
dix de ces fruits ne produifent pas plus d'une once de graine. La teintu-
re duSilveflre ell prefqu'égale en beauté à celle de la cochenille, & lui
reflemble aflTez pour être une fource d'erreurs: cependant elle efl: beau-
coup moins ellimée. Les Efpagnols ont afFeélé fl long-tems de cacher la
paiuancedu Silvefl:re & de la Cochenille, que jufqu'au tems de Dampier
perfonne n'en avoit été bien infl:ruit. 11 reçut les lumières , qu'on donne
ici fur le Silveftre , d'un Gentilhomme Efpagnol , dont il eut occafion de
connoitre la bonne -foi, & qui avoit pafl!e plufieurs années dans les lieux
où cet Arbre croit (o).
', Quoique la Cochenille foit aujourd'hui mieux connue , on ne doit pas dé-
robber au Mexique, la gloire de fon origine & de fon premier ufage. Dam-
pier apprit, du même Efpagnol, ce qu'on ignoroit avant lui,- c'ell-à-dire,
que c efl: un Infeâe, qui s'engendre dans une efpèce de fruit. L'arbrifleau ,
qui le porte, efl: armé d'épines, & d'environ cinq pîés de haut. Il reflem-
bleroit au Poirier piquant, H fes feuilles étoient plus larges & fon fruit plus
eros. Il porte des fleurs rouges au fommet. Dans leur maturité, ces
Heurs fe renverfent fur le fruit , qui commence alors à s'ouvrir , & le cou-
vrent fi parfaitement, que ni la pluie, ni la rofée ne peuvent mouiller l'in-
térieur. Le lendemain , ou deux jours après que la fleur efl: tombée , ce
qui la fait rôtir aufli-tôt par les ardeurs du Soleil , le fruit s'ouvre de la
largeur d'environ deux pouces , & tout y efl: plein de petits infeftes rou-
ges , dont les ailes font d'une petitefle curieufe. Comme ils y font nés ,
ils y mourroient faute de nourriture, ayant déjà dévoré le fruit qui leur a
donné la vie, & bientôt ils pourriroient dans leur enveloppe, û les In-
diens,
(«) Toine I. page 24a." (0) Ibidtm, page 246. i < ' 1
DBSCRTfTtOir
08 LA NoO-
VELI.B E^^*•
ONE.
i;Atoiic,tiu
l'Aiiate. •
Le Silvcftrr.
Cochenille.
022
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
I)E»CRirTtON
ur. LA NoU'
V£LI,K EitA'
ONE,
T-ePoiricr
piquant un h
Raquette ; &
fon fruit avec
fon Infecte.
I ■
I
1 I
dicns, qui font de grandes Plantations de ces arbres, n*avoient foin c\c
les en tirer lorfau'iU voient le fruit ouvert. Ils étendent fous l'arbre un
frand drap; cnmite, agitant les branches avec des bâtons, ils forcent
infeéle de fortir & de voltiger autour de fon arbre. L'ardeur du Soleil
fait tomber prefqu'aulTi tôt ces pu'tits Animaux,^ fur le drap qu'on a tendu
pour les recevoir. Ils y meuFent, & les Indiens les y laiflent fécher deux
ou trois jours. De rouges qu'ils étoient en volant, ils deviennent noirs
lorfqu'iis font tombés ; & peu après , ils blanchifTent en fechant , quoi-
qu'ils prennent enfuite une autre couleur. C'efl; cet infefte qui fait l'é-
carldce. Les Ëfpagnols donnent le nom de Tuna au Cochenillier. On en
voit de vailes Plantations dans les i'rovinces de Guatimala, de Chiapa &
de Guaxaco (/)).
La plupart des Relations, qu'on a citées pour la Nouvelle Efpagne, par-
lent de l'Arbrifleau que Dampier nomme ici le Poirier piqiant^ oc que d'au-
tres fe contentent de mettre au rang des Tunas , fans expliquer fcs proprié-
tés. Un Voyageur plus moderne , cjui le donne pour le même que celui
qu'on nomme Raquette ^ aux Ifles , nous aflure qu'on trouve dans (on fruit,
les véritables Infeéles du Cochenillier, & nous en apprend des Hngularités
qui peuvent jetter du jour fur cette fameufe Teinture. Le Poirier piauant ,
ou la Raquette , efl: une Plante qui aime les terres feches & fabloneules, &
dont les feuilles forment un ovale, un peu allongé par l'un de fes bouts.
Dans leur grandeur naturelle, elles ont depuis feptjufqu'à neuf pouces de
long, fur trois ou quatre de large; & leur épaifleur efl; de neuf à dix
lignes. La peau en eft verte, mince <& licée, aux endroits qui ne font
pas chargés d'épines. La chair efk blanchâtre, fouple, de la confidence
d'une rave un peu flétrie, & d'un goût qui feroit entièrement infipide,
fans une petite amertume qu'il laifle dans la bouche. Les bords font char-
gés de petits bouquets d'épines droites, courtes & pointues. Les deux fu-
periicies le font aufli; mais les bouquets font bien plus gros, & les épines
plus longues & plus fortes; ils font éloignés d'un pouce les uns des autres,
& pofc's régulièrement en quinconce. Chaque bouquet efl compofé de
fept, neuf & onze épines, dont celles qui approchent du centre ont un
pouce de longueur , & les autres moins , à mefure qu'elles s'en éloignent.
Elles font toutes extraordinairement fortes, roides & pointues; & quoi-
qu'à leur bafe elles ne foient pas plus gro/Tes que les plumes de l'aîle d'un
Moineau , elles percent un foulier du cuir le plus dur. Lorfque la tige a
deux ou trois pies de hauteur, les feuilles, ou les pattes, pouffent un fruit
à leur extrémité, dont la figure approche beaucoup de celle d'une Poire,
ou plutôt d'une Figue. Il efl: d'abord verd & dur; mais il change de cou-
leur encroilTant; il rougit par degrés, & devient enfin d'une vive couleur
de feu, lorfqu'il efl: tout-àfait mûr. Il tient à fa tige, par le plus petit
bout, & préfente le plus gros ,' droit en l'air. C'efl dans le point de <a
maturité qu'il fort de fon centre un bouton compofé de cinq feuilles , qui
forment, en s'épanouilfant , une efpèce de tulipe , de couleur orangée , ou
d'un rouge pâle. Cette Heur n'a point aflez de confiflence pour le tenir
droite ;
ip) Dampier, ubifuprà, page 244. • . " " ' -
fo
it foin de
l'arbre un
Is forcent
du Soleil
m a tendu
cher deux
ncnt noirs
nt , quoi-
ui fait l'é-
r. On en
Chiapa &
agne, par-
: que d'au-
es proprié-
iie celui
on fruit ,
Iingularités
;r piauant ,
meules , &
fes bouts,
pouces de
leuf à dix
ui ne font
:onfi(lence
indpide,
font char-
;s deux fu-
ies épines
les autres ,
)mporë de
:re ont un
éloignent.
,• & quoi-
l'aîle d'un
; la tige a
nt un fruit
me Poire,
TQ de cou-
;e couleur
plus petit
)int de ^a
uilles , qui
angée , ou
Lir le tenir
droite ;
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 623
droite; mais fe renverfant fur le fruit, deux ou trois jours après qu'elle
efl édufc, elle fe fanne, elle feche & tombe en moins de deux fois vingt*
Îuatre heures. Le fruit s'ouvre alors , comme une grenade ou une figue.
.e dedans paroît rempli de petites graines, dont le defTus e(l d'un très
beau rouge incarnat. Elles font enveloppées dans une matière, épailTe
comme de la gelée, du plus beau rouge du monde, <& d'un goût char-
mant, avec une petite pointe d'aigreur qui aiguifc l'appetir, rejouit le
cœur & rafraîchit extrêmement. Mais ces rofes font environnées d'épi-
nes; car la belle peau de ce fruit efl couverrc d'une infinité de petites
pointes, prefqu'imperceptibles , fi fines, fi faciles à rompre & Ci piquan-
tes, qu'on n'y peut toucher fans fe mettre les doigts en fang. Elles per-
cent au travers des meilleurs gants, & caufent une demangeaifon infup-
portable. Pour les cueillir fans fe blelfer, on les reçoit dans une manne
a mefure qu'on les fépare de leur tige avec un couteau ; après quoi on levé
de chaque côté, avec le couteau, une petite tranche dont l'efpace fert à les
tenir d'une main, tandis qu'avec le couteau qu'on tient de l'autre, on en-
levé toute la fuperficie épineufe. Quelques jours après que le fruit s'ed
ouvert de lui-même, il n'a prefque plus de confiltence, & refTemblanc
alors à une gelée liquide, on le mange avec une cuillière. Son fuc tache
le linge, &. teint les urines, corhme celui du Nuchtli, mais avec fi peu de
danger, qu'on en fait prendre aux Malades.
C'est dans ce fruit qu'on trouve un Infefte que Labat nomme Coche-
nille ^ & qui ert , dit-il , à-pcuprès de la taille d'une grofl*e Punaife. Sa tê-
te ne fe diftingue du refte du corps, que par deux petits yeux qu'on y re-
marque & par une très petite gueule. Le deflbus du ventre ell garni de
fix pies, trois de chaque côté. Ils ont chacun trois articles; ils ne font
pas plus gros par une extrémité que par l'autre, & ne paflent pas la grof-
feur d'un cheveu fort délié. Le dos de l'Animal efl couvert de deux aîles,
ui ne font pas étendues comme celles des Mouches, mais qui fans exce-
ier la longueur du corps en embraflent & couvrent cxaélcment toute la
rondeur. Leur délicatefle cil fi grande , qu'elles font prefqn'inutiles à
l'Animal , qui ne peut s'en fervir pour s'élever , mais feulement pour fe
foutenir quelques momcns en l'air, & pour retarder un peu fa chute, lorf-
qu'on lui fait quitter les fruits où il fe nourrifPoit, & où il prenoit la cou-
leur qui le fait rechercher. Les aîles, Its pies, & l'extrémité de la tête
font fi délicates, qu'elles ne peuvent refPentir l'ardeur du Soleil, fans être
bientôt réduites en pouffière; aulTi l'Animal perd-il fa figure, & n'a-t'il
plus que celle d'une graine, de médiocre groffeur, brune & prefque noire,
chagrinée, luifante <& comme argentée, ou du moins légèrement couverte
d'une poudre impalpable, & tout à fait adhérente à la peau.
Le même Voyageur éleva deux fois plufieurs de ces Infeéles. La pre-
mière fois, ce fut le hafard qui les lui fit remarquer dans le fruit des Ra-
quettes. Il les y laifla, jufqu'à ce que le fruit commençant à pafTer, il
les fit tomber, en frappant la Plante d'un bâton, fur une ferviette qu'il
avoit étendue fous les branches. Ces petits Animaux , contraints de quit-
ter leur demeure, tâchoient de fe fauver en s'élevant un peu en l'air avec
luers aîles ; mais leur foiblelTe 6c l'ardeur du Soleil ne leur permettoienc
XniL Part. Kkkk pas
l
Ditciimoir
m LA Nou-
velle Eifii-
OMI.
Defcriptîon
de rinfe£le.
Expériences
qui le font
prendre pour
la Cothenille.
VliLLE EsPA
GN£.
624 DESCRIPTION DU MEXIQUE»
P'î'f^i''TJ'>» pas d'aller bien loin. Ils tomboient fur la ferviette, ou à peu de diftancé.
vlJ'!^ K- 1^'»^^ très beaurougç, qui étoic leur couleur, ils dcvcnoienc noirs, quel-
ques momens après leur more; & lorfqu'ils étoient fecs, ils paroiffoient
bruns & argentés. L'Auteur les réduifît en poudre, & s'en fervic, au lieu
de carmin , pour laver des Plans.
Une autre fois il vit de petits Infeéles, de la grofleur des plus petites
Puces, qui couroient fur des pies d'Acacia» environnés de Raquettes. Il
en fit tomber plufieurs fur une feuille de papier; & il les mit fur des poires
ou figues de Raquette , qui commençoient à "s'ouvrir. Ils s'y nourrirent ,
ils y groflîrent , & fe trouvèrent de la même efpèce que ceux qu'il avoic
trouvés la première fois dans le même fruit ; d'où il conclud que ces petits
Infeéles ne prenoient pas naiflance dans le fruit des Raquettes, mais que
dans le teras de leur femence ils la jettent indifféremment fur tous les arbres
où ils fe rencontrent, & qu'étant éclos Us fe retirent dans les fruits des Ra-
quettes , ou dans tout autre fruit dent ils peuvent tirer leur nourriture.
De-là vient, ajoute t'il, qu'on en trouve fur les Acajous, les Goyaves, les
Ceriiiers, les Orangers &. d'autres Arbres. On y fait peu d'attention,
parce qu'ils ne font pas de ce beau rouge qui fait tout leur prix; car il eft
certain que c'efl: le fruit, dont la Cochenille fe nourrit, qui lui communi-
que fa couleur. Auffi voit -on changer celle de l'Infefte, à proportion
que le fruit efl: plus ou moins coloré. Lorfqu'il atteint un certain âge &
une certaine groffeur , il y a beaucoup d'apparence qu'il acquiert la force
de voler, ou qu'il change de figure, comme le ver à foie, le ver des Pal-
miftes, & d'autres Infeétes. C'eft fans doute alors qu'il jette fa femence,
& qu'il fe reproduit avant fa mort; car on le trouve toujours de la même
groueur: au lieu que s'il confervoit toujours la même figure, ceux qui au-
roient plus d'une année devroient être plus gros que ceux qu'on trouve deux
fois par an , à-peu près dans le tems de la maturité des fruits, & qui font
extrêmement petits , parce qu'ils ne font que de naître.
Cet Infeéle multiplie prodigieufement. On en trouve une prodigieufe
quantité, malgré ce que les Poules, les Fourmis & les Vers, qui le recher-
chent avidement, en confomment dans les deux faifons. Il paroît éton-
nant, au PèreLabat, qu'après cette explication, quelqu'un puiflTe demeu-
rer dans Je doute fur la nature de la Cochenille. Les Raquettes peuvent
être aifément multipliées. 11 n'eft queftion que d'enterrer à moitié une de
leurs feuilles, pour lui faire prendre racine, & pour la faire produire beau-
coup en peu de tems. On en tireroit, fuivant fes idées, un avantage ex-
trême pour la nourriture des Cochenilles , qui feroient le fond d'un très
riche Commerce , & qui donneroient lieu d'employer , dans nos Colonies ,
quantité de terres inutiles , c'eft-à-dire trop ufées & trop maigres pour pro-
duire des Cannes de fucre , du Tabac , de l'Indigo , du Roucou , du Manioc ,
& d'autres Marchandifes. D'ailleurs le fruit des Raquettes a quantité de
vertus, dont il fait une longue énumération (q).
Un arbre des plus particuliers à la Nouvelle Efpagne, & qu'on ne voit
aux
f/Aguacat".
» T *-^ i » t ■ t * ■
(f ) Voyages du Père Labat, édition de 1742, Tome 4, Chap. 4. ; .î ;;
î diftancè.
irs, quel-
iroiflbienc
t, au lieu
us petites
lettes. Il
des poires
3urrirent ,
lu'il avoit
ces petits
mais que
les arbres
:s des Ra-
ourriture.
graves , les
ittentioD ,
car il eft
:oinmuni-
roportion
in âge &
t la force
r des Pal-
femence,
la même
IX qui au-
suvedeuz
qui font
'odigieufe
le recher-
oît éton-
fe demeu-
i peuvent
ié une de
aire beau-
ntage ex-
d'un très
Colonies ,
pour pro-
1 Manioc,
lantité de
m ne voit
aux
>jy,^j
ou DE LA NOU\ ELLE ESPAGNE, Lit. IL 625
aux Philippines & dans les Ifles de la Mer du Nord, que parcequ'on a pris Oescrjptio»
foin de l'y tranfplanter, eft ïy^guncate ou ï/Jvora$ (r). Il reflemble au JJ^^^* £°l\
Woïer, mais il eft plus touffu. La figure de Ton fruit, qui porte le même om.
nom, eft celle d'une poire, & quelquefois celle d'un limon. Sa couleur
eft verte en dehors , verte & blanche en dedans , avec un gros noïau dans
le centre. On le mange cuit ou crud , en y joignant un peu de fel , parce-
u'il eft doux & huileux. D'autres y mêlent du fucre, du jus de limon,
du plantain rôti. Tous les Voyageurs conviennent que le goût en eft
délicieux, & que l'Europe n'a rien qu'on puifle lui comparer {s).
Le Sapotier tient le fécond rang pour le goût. Son fruit fe nomme Sa- LeSapotier
potille. On en diftingue quatre fortes, l'une qu'on appelle Sapotille iio/Ve , *. 'P* ^"^"*
dont l'arbre eft touffu & de la grandeur d'un Noïer; mais fes feuilles font ^ ^'^"*"
plus petites & plus vertes. Le fruit eft rond , & revêtu d'une écorce ver-
te très fine. Sa poulpe a la couleur & le goût de la cafle, avec quatre
petits noyaux. Avant fa maturité , il empoifonne le Poilfon ; & lorfqu'il
eft mûr, on en fait prendre aux Malades. La féconde efpèce, eft la Sa-
potille blanche, qui croît fur une efpèce de Poirier, & qui ne diffère de
l'autre, que par la blancheur de fa poulpe. On lui attribue la qualité de
provoquer le fommeil. Latroifième, qui Ce nomme Sapotille ivrogne, eft le
fruit d'un arbre qui reffemble au précédent, mais dont les branches font
beaucoup plus belles. Son goût , qui tire un peu fur l'aigre , eft extrême-
ment agréable. Son écorce eft jaune & verte; fa poulpe eft blanchâtre &
ti'a que deux petits noyaux. La quatrième eft la petite efpèce, qu'on ap-
pelle Amplement Sapotille. Son arbre eft grand , & plus touffu que les
trois autres. Le fruit eft purpurin en dehors , & d'un pourpre encore ^ "
plus vif en dedans. 11 a quatre petits noyaux, placés chacun dans une , 1 ' ^
forte de niche. Carreri lui donne la préférence, pour le goût, fur tous r; )
les fruits des Régions chaudes. On en fait une compofition fort agréa- ,
ble, que les Dames prennent plaifir à mâcher, & qui leur tient les dents
-nettes (0*
Le Mamey de la Nouvelle Efpagne ne diffère de celui de l'Ide Efpagno-
le, dont on a donné la defcription, que par la couleur de fon fruit, qui eft
jaune au- dehors, & rouge en dedans , avec un gros noyau violet. L'aman-
de.
Le Marne»
de la Nouvel-
le Efpagne,
-■ ■>.-■■- '-
( r "i D'autres nomment Avogate , fc AvO'
cat. Dampier a déciit, fous le premier de ces
deux noms , celui des Ifles de la Mer du Sud.
(j) Carreri, Tome VI. page 211. Laet
en donne la defcription fuivante. L'Ahua-
cahuitl, que les Efpagnols ont nommé A-
guficate par corruption , arbre de la gran-
deur de 1 Ilex,avcc les feuilles de l'Oranger,
mais plus vertes, plus grandes, & plus ru-
des, & de petites âeurs d'un blanc jaunâ-
tre, porte un fruit de la forme d'un œuf,
plus gros néanmoins & plus inégal , noir
dans fon écorce & tirant quelquefois fur
le verd obfcur , couleur d'herbe dans fa
poulpe, fi gras, qu'il a la motleire da beur-
re du Vache , & d'un goût qui tîre liir ce-
lui des noiiettes fraîches. Ses feuilles jet-
tent une ;igréable odeur, font feches& chau-
des , au fccoiid degré , & s'emploient uti-
lement dans les bains. Le fruit n'clt pns
moins chaud , quoi<iue d'un ;^oût fort a^^réa-
ble. Il excite aux piaifirs dos fcnf. Sa poulpe
contient des pépins, d'un blanc rougeâtre,
unis, durs. &péfans, divifés en deux par-
ties, comme des amandes, mais plus longs
& plus gros qu'un œuf de Pigeon, avec le
goûc des amandes ameres. Aulfi en tire-t on
une huile, qui eft à-peu-près du même goCit
* & de la même odeur.
(t) Ibid, page aïs. »^ ;- ^-^ •' .; .
Kkkk a
DeSCRTPTION
DR I.A* NOU-
V£LLE ESI'A-
GNC.
LaGranadiîlc.
Le Nuchtli.
Al larmes
içue le Nuchtli
rouge caufe
aux premiers
Efpagnols.
626 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
de, que le noyau renferme, & amere, & fc nomme Pejîle. On lui attribue
des vertus medecinales, fut tout dans les lavemcns.
Le fruit, que les Efpagnols ont nommé Granadillet croît dans la Nou-
velle Efpagne fur une Plante femblable au Lierre, qui s'entortillant autour
d'un arbre le couvre tout-à-fait de fes feuilles. II ell: de la grofleur d'un
œuf, aulii uni , jaune & vert en dehors , blanchâtre en dedans , avec des
pépins qui reifembient beaucoup à ceux du raiHn. Il joint, à la douceur
de Ion guiît, une charmante acidiié, qui le fait aimer beaucoup des Fem-
mes. On croit diftinguer dans fa fleur, tous les inflrumens de la Paf-
fion (t). comme dans celle de la Grenadille Chinoife.
Le fruit qui porte le nom de Nuchtli ^ & dont on croit que Mexico avoit
tiré celui de Tenuchtiiclan, ell aujourd'hui répandu dans toute l'Amérique;
mais il paroît originaire de la Nouvelle Efpagne, où du moins il efl plu$
commun ^ meilleur que dans toute autre Contrée. C'efl: une forte de Fi-
gue , dont la poulpe cfl: mêlée de pkilieurs grains, mais plus gros que ceux
des figues. 11 elt couronné , comme la neile. On en diftingue plufîeurs
efpèces , dont les noms ne font pas moins différens que la couleur. Les
uns lont verds en dehors; d'autres jaunes; d'autres tachetés; mais quoi-
qu'ils foient tous d'un goût excellent, c'efl: au blanc qu'on donne la préfé-
rence. On lui trouve le goûi de la poire & du railln. Il fe conferve long-
tems. Sa principale qualité efl: de rafraîchir beaucoup ; ce qui le fait re-
chercher avidement pendant l'Eté. Le meilleur efl: celui qui croît dans les
terres labourées. Gage parle d'une efpèce rouge, qu'il ne trouve pas de
mauvais goût, mais dont on fait peu d'ufage, parcequ'elle teint, de cou-
leur de fang , la bouche , le linge «St l'urine. Ces effets donnèrent de l'in-
quiétude aux premiers Efpagnols. Ils avoient recours aux Médecins , pour
arrêter le fang qu'ils croyoient perdre; & les remèdes, qu'ils employoient
à la guerifon d'un mal imaginaire , leur caufoient de véritables maladies.
La peau extérieure de ce Nuchtli efl: épaiffe & remplie de petites pointes;
mais en l'ouvrant jufqu'aux grains, on en tire aifément le fruit fans la rom-
pre. Aujourd'hui , les Efpagnols fe font un jeu de ce qui les a jettes long-
tems dans une vive allarme. Il n'arrive point d'Etranger auquel ils ne pren-
nent plaifir à préfenter des Nuchtlis rouges. Ils agitent aufli le fruit entier
dans une ferviette. Les petites pointes, qui font prefqu'imperceptibles, s'y
attachent fans être apperçues; & ceux, qui emploient la ferviette à s'ef^
fuyer la bouche , fe trouvent tout d'un coup les lèvres collées & comme cou-
fues, jufqu'à perdre le pouvoir de parler. Ils n'en refTentent aucune dou-
leur; mais ce n'eft qu'après s'être lavés <?: frottés long-tems, qu'ils fe dé-
livrent de cet embarras (a;).
Les
(v) Carrcri, Ibidem, page 216.
(x) Gage, ubijuprà, page 179. Herrera
nous apprend que l'arbre ell fort épineux ,
& qu il ne faut pas le confondre avec le No-
fait , qui n'eft prefque coaipofé que de feuil-
JLes vertes. Celles du Nuchtli font d'un gris-
minime. Les feuille^ naiflent les unes fur les
autres. Loifqu'on les plante, elles czoiiTenc
tellement qu'elles deviennent arbres , qui ne
produifent pas feulement des feuilles, les
unes fur les autres , mais qui en pouflent
d'autres par les côtés. 11 ajoute que dans le
Canton des Chichimeques , qui eft ftérile , &
qui manque d'eau, ces arbres fervent d'ali-
ment & de boilTon ; on mange le fruit, & l'oa
boit le fuc des feuilles. Dec. 7, L. 7. C. 13.
ttribue
i Nou-
aucour
ur d'un
vec des
douceur
:s Fem-
la Paf.
:o avoit
lérique ;
eft plus
;e de Fi-
|ue ceux
plufieurs
ir. Les
ais quoi-
la préfé-
:ve long-
; fait re-
i dans les
e pas de
, de cou-
t de l'in-
ins , pour
îioyoient
maladies,
pointes;
is la rom-
tés long-
ne pren-
uit entier
ibles , s'y
te à s'ef-
me cou-
une deu-
ils fe dé-
Vigne delà
Nouvelle
Efpagnc.
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 627
Les Cocos & l'arbre qui les porte ont été mille fois célébrés clans les DEscarp'^ros
Relations; mais on n'y a point vu paroître encore le BurD'ûn des Prunes de J^^^^^ vJlt
CocOi qui efl: fort commun dans l'Yucatan & le Honduras, C'eft un arbrif- ' ^^p"
feau de la hauteur de fept ou huit pies, dont les branches s'étendent beau- Bunron iks
coup, & qui a l'écorce noire & unie. Ses feuilles font aflez grandes, ova- Prunes de
les, & d'un verd foncé. Le fruit eil de la grofleur de nos groiïes Prunes, Coco.
mais rond. Il s'en trouve de blancs, de noirs, & de rougeâtres. La peau
eft très mince & fort unie, la poulpe blanche, molle & fpongieufe, plus
propre à être fucée que mordue. Elle renferme un gros noyau, dont l'a-
mande eft molle. Cet arbre aime les bords de la Mer, & croît même dans
le fable ; mais fes prunes y font falées , quoique dans les autres lieux elles
foient douces , agréables & fort feches ( y ).
La Vigne de la Nouvelle Efpagne, ou du moins l'arbre qui porte une
cfpèce de raifin , a deux ou trois pies de circonférence. Il s'élève de fept
ou huit ; & de cette hauteur il poufle quantité de branches , dont les ra-
meaux ibnt gros & épais. Ses feuilles relTemblent aflez à celles du Lierre,
mais elles font plus larges & plus fermes. Le fruit eft de la grofleur ordi-
naire du railin , & croît en grappes fur toutes les parties de l'arbre. Il de-
vient noir en meurilTant, quoiqu'intérieurement rougeâtre. Un noyau fort
gros lui laiflTe peu de fubftance; mais elle eft agréable & faine. Le tronc &
les branches font un bon bois de chauffage (2).
On a vu , dans la defcription géographique de la Baie de Campeche, tout
ce qui regarde le bois de teinture qui porte c»e nom.
L'arbre que les Efpagnols ont nommé, dans leur langue, //bricotier
Mexiquain , eft plus haut que nos plus grands Chênes. Ses feuilles reflem-
blent à celles du Laurier fauvage, & fon écorce à celle du Poirier. La chair
de fon fruit eft peu difi*érente de celle de nos Abricots, quoiqu'il ne leur ref-
femble nullement par la figure. Il eft de la groflxîur d'un Melon , & couvert
d'une peau dure & épaiflfe. Il l'emporte beaucoup aufll fur l'Abricot par
l'odeur &le goût. Les Efpagnols cultivent ces arbres & font des confitures
de leur fruit. Ils en ont tranfplanté dans l'Ifle Efpagnole, où l'on obferve
que l'odeur du fruit attire les Sangliers dans la faifon, & que ceux qui s'en
nourriflent ont la chair d'excellent goût.
Les Provinces de Chiapa & de Guatimala produifent des arbres qui don-
nent un Baume blanc, mais moins eftimé que celui deTo/Zw, aux environs de
Carthagene (a).
Les Pins de la Nouvelle Efpagne font d'une hauteur médiocre, & ne por-
tent, pour Pignons, qu'une efpèce de pommes vuides {b), qui croiirent
..,.-- fur
Bois de
Campeche.
I/Abricoticr
Mexiquain.
Arbres A
baume.
Pins.
(y) Dampier, Tome 111 page 258.
i'z) Jbid. •
la) Acofta, Liv 4. Chap. 28.
f b ) Ibid. Chap. 30. Le même Hiflorien
donne le nom de Finas ou Pomme de Pin aux
Ananas de la Nouvelle Hirpagne. Voici fa
defcription. „ Klles font, dit -on, delà
„ même figure extérieure que les Pommes
„ de Pin de Callille, mais au -dedans elles
, difFcrcnt du tout, parceqii'elleï n'ont point
, de pignons ni d'écaille; mais le tout y eft
, une chair, que Ton peut manger, quand
, lécorce en eft dehors, & eft un fruit fa-
, voureux & délicieux au goût. U eft plein
,, de fuc, & a la faveur d'aigre -doux; ils le
, mangent coupé en morceaux, (S», trempé
I, dans de l'eau & du fel. Quelques-uns
,, dif'i-m qu'il engendre la colère, & que l'ufa-
K k k k 3 ' « S-î
628
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
DEscnirrtoN
PB LA NoU-
VfLI.R ESPA-
UNS.
Le Molle.
Palto.
fur les bofles , les nœuds , & les autres excrefences de l'arbre. Les feuil-
les de ce fruit en fortent comme enveloppées les unes dans les autres, juf-
qu'à ce qu'elles s elargiflent vers la pointe. Elles font d'une bonne épaif-
fcur, longues de dix à douze pouces, & û ferrées, qu'elles retiennent l'eau
de pluie. On a déjà remarqué que c'efl; une admirable reflburce pour
ceux qui font prefles de la foif. Un couteau , qu'on enfonce dans les
feuilles, en fait fortir l'eau de pluie, qu'on reçoit dans fon chapeau pour
lu boire (c).
Le Molle efl: un arbre Mexiquain , auquel on attribue de grandes vertu».
Quelques uns le croient originaire du Pérou; mais il vient beaucoup mieux
dans la Nouvelle Efpagne, & lesHabitans tirent de fes rameaux une efpéce
de vin, ou de liqueur, qu'ils emploient à divers ufages (d).
Le Palto QÙ. un grand arbre, qui fe trouve auffi au Pérou ; mais fon fruit,
qui eft une efpéce de pomme , donc la chair ert fort molle & renferme un
noyau , y a l'écorcc fort dure: au lieu que dans la Nouvelle Efpagne, il efl:
revêtu d'une peau fi délice, qu'il fe pelé comme nos pommes. On le croit
fort fain (<?).
Les Chicapotes l'ont un excellent fruit , qui croît dans les Provinces les
plus chaudes, & dont les Mexiquains font une efpéce de marmelade, qui
approche du goût & de la couleur du Cotignac. Acofl:a n'efl pas de l'o-
pinion de ceux qui donnent la préférence aux Chicapotes fur tous les fruits
de l'Europe (/). Mais il croit V/innone de la Nouvelle Efpagne fort au-
deflus de celle des Philippines & de tous les autres Pays des Indes. Les
Capollies , qui font une efpéce de Cerifes , dont le noyau efl: plus gros que
celui des nôtres , lui paroiflient un fruit très agréable, qu'il n^ vu , dit -il,
qu'au Mexique (g).
Le Coton croît dans toutes les parties chaudes de cette Région , fur des
arbrifleaux, comme en Afie, & fur de grands arbres, tels qu'on en a décrit
deux, après Dampier, dans la Relation de fon Voyage autour du Monde.
L'Ainatcaflk*. V Amatca(lic ^ que d'autres nomment Texcalamatl ^ &d'àutresTepeamatl^
efl: un grand arbre à larges feuilles , comme celles du Lierre , épaifles , pur-
purines, à-peu-près de la forme d'un cœur. Il porte une efpéce de petites
Figues, d'un rouge qui tire aulfi fur le pourpre, & remplies d'une petite
graine rouge. Laet panche à croire que c'efl: le même fruit , dont Ctufius a
donné la defcription dans fon Tra'té des Plantes exotiques. Ximenez nous
apprend qu'en décoélion il efl: rafraîchifl"ant pour la fièvre , & qu'une de fes
propriétés efl: d'évacuer la bile & le flegme , par des vomiflemens & des
felles. Il en donne la dofe , qui efl: de trois onces de fes racines , dans trois
livres d'eau , qu'il faut laiflfer réduire à la moitié ( * ).
Le
Chicapotes.
Annone.
Capollies.
ge n'en efl: pas trop fain. On préfonta à
riimpereur Charles - Quint un de ces Pi-
nas , qui devoit avoir donné beaucoup de
peine 6c de fouci à l'apporter des Indes
avec fa Plante; toutefois il n'en voulut
pas éprouver le goût. J'ai vu en la Neuve
Efpagne, de la conferve do ces Pinas, qui
étoit fort boaae". Ibid. Cb. 19.
(c) Dampier, uhi fuprà, page 266; mais
il donne à ces Pins le nom de Pins fauvages.
(rf) Acofta, "hi f-jprà, Ch. 30.
(e) Ibiden
If) Ibid. Chap. 25.
Ig) Tome XVI. de ce Recueil.
{b) LaeC, uhi Juprà,
I feuil-
es.juf-
! épaif-
nc i'eau
:e pour
lans les
au pour
vertu».
3 mieux
î efpèce
)n fruit ,
:rme un
le , il efl:
, le croit
nces les
ide, qui
s de l'o-
ies fruits
fort au-
es. Les
gros que
, dit- il,
fur des
a décrit
Monde.
'epeamatl^
(Tes , pur-
le petites
ne petite
t Clufii4S a
înez nous
me de fes
is & des
dans trois
3 a66; mais
fauvages.
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 629
Le CopahncQtl, qui tire ce nom de la refTemblance de Ton odeur avec celle
du Copal, & que d'autres nomment Pompoque, efl un arbre fcmbiable à notre
Cerifier, qui porte pour fruit une efpèce de petites pommes douces, mais
fort aftringentes, dont la principale vertu eftdans fon fuc vifqueux, qu'on
croit bon pour les fièvres dyflenteriques.
Le Quauhayobuatli y nommé aulfi Qnahtlalatzin, efl un grand arbre, dont
le tronc eft fort gros, rouge & tortu, & qui jette beaucoup de branches.
Ses feuilles font celles àoVAdelfe^ ou du Rhododendra , c'eft-àdire longues
& étroites ; fon fruit eft rond , mais applati comme les fèves marines &
moins gros. Cinq ou fept de cette ei'pcce d'amandes , rôties , & macé-
rées dans le vin, font une merveilleufe purgation, lorfqu'on a commen-
cé par en ôter les membranes dont elles font couvertes , & qui les divifent
par le milieu.
XiMENEZ décrit un ::rbre, qu'il nomme Quahtlalatzin ^ & qui tire ce
nom, dit-il, de ce que fon fruit s'ouvre avec beaucoup de bruit dans fa
maturité, & s'élance auffi loin que s'il étoit poufle par une arme à feu. L'ar-
bre eft grand. Ses feuilles font celles du Meurier , mais plus larges , den-
telées par les bords , & divifées par quantité de petites veines. Son trono
éft rouflatre, fon fruit rond, mais applati, & raïé comme le Melon. Il
contient douze pépins , ou plus, ronds & blancs , dont on aflure que deux
fuffifent, après en avoir ôté les membranes qui les féparent , & qui font ca-
pables de caufer des tranchées , pour chafler du corps toutes les humeurs
nuifibles, fur-tout la pituite & la bile. Ils demandent d'être un peu rôtis,
d'être macérés dans l'eau , & d'être pris à jeun. Laet les donne pour un
remède infaillible (i).
Le Xahuali eft un très bel arbre, dont les feuilles reflemblent à celles
du Frêne. Son bois eft pefant, & d'un jaune tigré. Il porte un fruit fem-
blable au Poivre, fans couronne cependant , & que plufieurs mangent dans
fa maturité. Les Indiens en tirent une eau , dont ils fe lavent les jambes
& quelquefois tout le corps, pour fe fortifier & pour fe noircir; car elle a
cette double vertu. Il n'y a point d'autre ablution qui puille en ôter la cou-
leur; mais elle difparoît d'elle-même dans l'efpace de quinze jours, à l'ex-
ception des ongles, qu'elle ne quitte que lorfqu'ils changent en croifl*ant.
C'eft dans la Guerre , que les Mexiquains s'en fervent particulièrement ,
pour fe rendre plus terribles.
Le Coati, que d'autres nomment Tlapakzpatli y eft un grand arbrifleau
qui s'élève quelquefois de la hauteur d'un arbre, & dont le tronc devient
auffi fort épais. Ses feuilles relfemblent à celles des pois ; fes fleurs
font petites, oblongues, difpofées en épi, & d'un blanc obfcur. La fub-
ftance de fon bois eft froide & humide. Elle teint l'eau , d'une couleur
bleue. On la croit excellente pour nettoïer les reins & la velîie, & pour
adoucir l'âcreté des urines. Les Efpagnols en tranfportent en Europe,
fous le nom de Bois néphrétique. Ximencz obferve qu'étant macérée dans
J'eau pendant quinze jouts , elle cefle de la teindre , & qu'elle perd toute
fa vertu.
-, ' • Un
(»■) Ibid. page 226.
DBfCRrPTTOIf
ue LA Noir-
VELLli KfPA-
ONE.
Le Copal xa-
coll.
Le Qnniiha-
yohunrli, ou
(^iiahtlahit-
Le Xaliuali.
Le Coati , ou
TlapalezpatlU
DEICRIPTIOlf
DE LA NOU-
vsLLB Espa-
gne.
Le Higucro.
Le Xalxo-
cotl , ou le
Gua/abo.
Le Yccotl.
LeXocliio-
oHzolquaxi-
liUltl.
630 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Un autre arbre, auquel lesEfpagnols ont fait perdre fon nom Mexiquaîn,
en lui donnant celui de Higuero^ a les feuilles, la figure & la grandeur du
Meurier. Son fruit eft une efpèce de gourde , de diverfes formes , dont
les Mexiquains font les tafles qu'ils nomment Tecomates^ & qui leur fervent
à prendre le chocolat. Ils en mangent la poulpe, lorfqu'ils manquent d'au-
tres vivres.
Le XalxocotU que les Infulaires de l'Efpagnole nomment Guayabo, eft un
grand arbre, dont on didingue plufieurs efpèces au Mexique. Ximenez en
décrit deux : la première a les feuilles de l'Oranger , mais plus petites &
velues, les Heurs blanches, le fruit rond , & rempli degrains comme les fi-
gues. Ses feuilles , qui font acides , aftringentes , & d une odeur très for-
te, gueriflent la galle parles bains. Son écorce eft froide, fcche & fort
aftringente. On lui attribue la vertu de guérir l'enllure des jambes, les
playes fiftuleufes, & même la furdité. Le fruit eft chaud & fec, & fent la
Punaifc; ce qui ne l'empêche point d'être d'un fort bon goût, qui le fait
fcrvir aux meilleures tables. La féconde efpèce porte un fruit beaucoup
plus gros , dont l'odeur n'eft pas fi forte. Oviedo donne aufli la defcription
de cet arbre & de fon fruit ( k ).
L E Mizquitl eft un arbre fort commun dans la Nouvelle Efpagne , fur-
tout dans les parties montagneufes. Il eft épineux. Ses feuilles font longues
& étroites , de la forme de celles de l'ail. Il porte des filiques , comme le
Tamarinde , & prefque de la même figure , remplies de graines d'un goût
agréable, dont les Montagnards font une pâte qui leur tient lieu de pain.
Ximenez juge, fans expliquer fur quel fondement, que c'eft la vrayeCafle
des Anciens, qu'une extrême négligence, dit -il, a fait ignorer jufqu'à
préfent. On tire, des rejettons de cet arbre, ime liqueur excellente pour
les yeux; ôc l'eau même, dans laquelle ils ont trempé, acquiert la même
vertu.
Le Tecot If que les Efpagnols ont nommé Palmier des Montagnes, & que
quelques Indiens nomment ^uauhlopopot H ^ eft un arbre compofé ordinaire-
ment de deux ou trois troncs , qui naiflent d'une même racine. Ses Heurs
font blanches & odorantes, formées en ombelle, de compofées de fix péta-
les. Il en naît des fruits aHez femblables à la pomme de Pin , de difi^éren-
tes grofiTeurs , & de la couleur de nos châtaignes. Laet , qui en avoit vu
plufieurs , n'a pu décrire leur graine; parcequ'on les avoit apportés vuides,
de la Nouvelle Efpagne ( /). Ximenez fe contente de dire que ce fruit eft
froid & vifqueux: mais il obferve qu'on tire, des feuilles de l'arbre, un fil
plus fort , quoique moins gros , que celui du Metl ou du Maghey.
Le Xocbiocotzolquaxtbuitl e(i un arbre réfineux, qui donne une efpèce d'am-
bre liquide. 11 eft d'une grandeur extraordinaire. Ses feuilles reflfemblent
à celles du Larix (?«) , & font divifées dans leurs deux parties en trois an-
gles; blanchâtres d'-jn côté, d'un verd obfcur de l'autre , & dentelées à
l'entour. L'écorce du tronc & des branches eft rouge en partie. On en
tire, par incifion, une liqueur, que les Efpagnols nomment Liquidambar^ &
les
(fe) Liv 8 Chap. 19.
(i) Ubifupra, page 228.
(m) C'eft une efpèce de Sapin.
me,
uns,
DiicKtpTion
Dl tA NOU-
VILLE Eirâ-
OMS.
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. H. ^31
les Mexi(juain8 Xochioeotzol ^ dont l'odeur approche du florax. Elle e(l chau-
de au troifième degré , & fort delîicative. C'efl: un fpécifique contre le
rpafme & contre les affe£lions hyflériques. Il découle aufli, de cet arbre,
une huile dont on ne vante pas moins l'odeur & les vertus ; mais quelques-
uns croient qu'elle ne vient que de la réfme, expofée au Soleil, ou mife fous
le preflbir ( w ).
CoPAL efl: un nom commun que les Mexiquains donnent à toutes les ré> Le Copti>
(ines & les gommes odoriférantes, mais qu'ils diftinguent par l'addition quahuiti, 4
d'un autre nom ; car ils ont un grand nombre d'arbres réfineux. Ils appel- Jg^^ofS*.
lent Copa/, par excellence , une r'Tme blanche & tranfparente, qui découle *^ ^
d'un arbre dont les feuilles reflemblent à celles du Chêne, mais font plus .
longues. Le fruit e(l rond, de couleur rougeâcre, & du même goût que la
réfme. Elle diftille quelquefois d'elle-même, quelquefois par incifion.
L'arbre fe nomme Copal^ahuitl^ c'ed-à-dire, arbre qui porte le Copal. Il
croit en divers lieux ; mais on obferve, dans fa forme comme dans la cou-
leur de fa réline, quelque différence entre celui des Montagnes & celui des
Pays plats.
Le Ccpal quabuitl petlahuac f tire Ton nom de la largeur de Tes feuilles, qui
furpaffe celle des autres arbres du même ordre. Elles font déchiquetées,
& fort femblabies, pai ia couleur «& la rudefle autant que par la forme, à
celles de la Plante que les Efpagnols nomment Sumat. L'arbre eft de hau-
teur médiocre. On prendroit fes branches pour une efpèce d'ailes , d'où
fort une réfme blanche , mais un peu différente de l'autre, & moins abon-
dante.
Le Copal quauhxiotl ed un grand arbre, dont l'écorce efl: unie & fe fépa-
re facilement du tronc. Ses feuilles font longues & étroites, à-peu-près
femblabies à celles de la Rue. Son fruit pend en grappes. La réfme, qui
fort de fon tronc, a l'odeur & la couleur de la précécfente.
Le Tepecopalli quahuiti ^ c'eflià-dire le Copal des Montagnes, efl: un ar-
bre de moyenne hauteur, qui porte un fruit femblable au gland, couvert
d'une peau gluante & réfmeufe, bleu dans fa fubfl:ance, & bon à divers
ufages. Il rend une réfme fort femblable à l'encens des Anciens , que cet-
te raifon fait nommer par les Efpagnols , Incitnfo de los Indios , & par d'au-
tres Gomme anime. On lui attribue d'infignes vertus pour les maladies des
Femmes (0).
Le Cuitla-copalUy qu'on nomme aufll XioquahuttU i^fl: un arbre médiocre,
à petites feuilles rondes, qui porte, pour fruit, de petites graines en om-
belle , vifqueufes & fort odorantes. Il rend une gomme , qui a d'elle-même
quelque odeur, & qu'on prétend chaude au troifîème degré.
Le Tecopal pitzabuac y c'efl:-à dire le Copal à petites feuilles, efl: une lar-
me, ou une efpèce d'encens , qui tire fur le noir. Ses feuilles, un peu plus
grandes que celles la Rue, font rangées comme en ordre aux deux côtés
- . 1 ' ■ . j ■ -. - . i» , . . . il .. . f . - .. i . .•.>i ,' i - L'ji -j I ' ,',^ ... w-^ - - . I des ■
(n) Traité des Plantes Exotiques de Ou-
fins, Chap. 8
(0) Entr'autres celle de rétablir l'utérus
Xrni, Part,
déplacé. Laet, ubi fupra, page 223 II
renvoyé par-tout à Nicolas Monardes , dans
les Exotiques de Clufius.
LUI
OiieaiPTiON
OB i.A Nou-
velle EifA-
•NI.
63» DESCRIPTION DU MEXIQUE,
des branches. Il porte un fort petit fruit, rougeâtre, aflez femblable ta
poivre rond, & qui croît aulTi en ordre, des deux côtés des branches.
Le Xochicopalli ^ c'efl à-dire Copal fleuri, qu'on nomme aufli Xarapifca,
e(l un arbre moyen, qui a les feuilles de la Menthe-faranne , quoique moins
déchiquetées, «jointes trois à trois fur leur tige. Le tronc, qui ed fort
odorant, jette une liqueur de couleur fauve , qui a la plus partaite odeur
du Limon.
Le Mixquixocbicopalli f ou Xocbicopalt efl un grand arbre à feuilles d'Oran-
ger, dont le tronc ell rayé de blanc' Ses fleurs font rougeâcres & fort pe«
tites. 11 donne une réfine couleur de feu, qui fe nomme ^nime & Copaî.
Elle efl chaude prefqu'au troifième degré, un peu adringente &. dellicative,
d'une très douce odeur, bonne par fumigation pour les maux de tête qui
viennent d'une caufe froide. Elle remédie aux fufFocations utérines: en un
root , c'ell un Ipécifique pour toutes les maladies froides ou humides. Tou-
tes les autres elpèces de Copal tiennent de la même vertu.
VtiolquabuUl donne une réfme , que les Mexiquains nomment HqIH , & lei
Efpagnols Ule, Cet arbre a deux efpèces ; l'une , dont le tronc efl uni Si
roufsâtre, rempli d'une poulpe graflc & vifqueufe. Ses fleurs font blan-
ches, & ÎGS feuilles très grandes. Il produit, fur fon ^ronc, une forte de
petites bourfes, rougeâcres, & pleines d'un petit fruit blanc, de la forme
des avelines , couvert d'une peau brune > & d'un goQt fo:r amer. Sa réfine ,
qu'il donne par incifion , efl d'abord couleur de lait , qui devient , par de-
grés, brune & noire. On la forme en boules, dont les Indiens fe fervent
pour fe frotter le corps, & qu'ils mangent auffi, mêlée avec certains Vert
qu'ils nomment ^xin. Ils prétendent qu'elle donne une merveilleufe fou-
SlefTe, qu'elle provoque l'urine, qu'elle nettoyé la veflie, & qu'elle remédie
ans les Femmes à la flérilité. Ses feuilles , fechées & pUées , font un poi»
fon mortel pour. les Lions , les Tigres , &.i plupart des Bêtes féroces.
Le Tecomabuca, nom que les Efpagnols ont corrompu de TecomMayc , eft
un grand arbre (p), dont les feuilles font rondes & dentelées , & qui porta
à l'extrémité de fes branches un petit fruit rond, jaunâtre, plein d'une grai-
ne femblable à celle du Cotonier. La fubflance du tronc eft d'un goût »are,
mais d'une agréable odeur. II en fort, quelquefois naturellement, quelque-
îfois par incifion, une réflne, qui a toutes les qualités des précédentes, & que
quelques-uns prennent pour une force de myrrhe. <
Le Caranna efl une réflne qui fort d'un grand arbre, nommé TIabaUiïloean
par les Mexiquains , dont le tronc efl uni, d'un rouge éclatant, & d'une
forte odeur. Ses feuilles refTemblent à celles de l'Olivier, & font difpofëes
en forme de croix. On n'attribue pas moins de vertus à fa réfine, qu'a celle
du Tecomahuca, quoique jufqu'à-préfent elle ait été moins connue.
Les Mexiquains nomment Huitzil-xocbitly écAnatl-inan^ un arbre qui pro-
duit une gomme, de l'odeur de l'aneth. Son tronc efl droit & uni, fon é-
corce verdâtre, & fa fubflance fort blanche; fes feuilles font aigUes&den-
: .. ..' >. .-: •..• • telées,
ip) Oara|>peUe aufE CopiU^bat^ & Mcmyal fuabuiO,
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 633
celëef, Tes fleuri pâlei , mais jaunifTanc un peu vers les bords. Le goûe,
comme 1 odeur de fa réfine, tire fur celui de l'aneth.
Une autre réfme , blanche & fort odorante , que les Médecins Indiens
emplcient beaucoup pour la dyflenterie, fe nomme Quaubeitlalii ou du
moms ils donnent ce nom à la liqueur laiteufe qu'elle forme, aulTi-tôt qu'on
la jette dans l'eau. Elle arrête le fang , de quelque partie du corps qu'il
Euifle couler; mais on doit fe garder d'en prendre trop (q). L'arbre qui
i donne, & qui fe nomme Quauhcopaltic ■ xixio ^ a le tronc uni, tendre,
Î|ui fe fepare de lui-même en écaille. Il a les feuilles du Bafilic, & le
ruit de l'Oxy-acanthe, mais plus gros, verd en naiiTant, âc tournant bien*
tôt vers le rouge.
VHutzocbitldes Mexiquains, que les Indiens de Panuco nomment Chute t
de les Efpagnols B^ume, parcequ'il donne une liqueur fort femblable au
Baume de Syrie , & qu'il ne lui cède , ni par l'odeur , ni par les autres qua>
lités , efl un arbre de la grandeur de l'Oranger , avec les feuilles de l'Aman-
dier, mais plus grandes oc plus aigQes. Il porte, à l'extrémité de Tes bran-
ches, des fleurs jaunes , à feuilles longues oc étroites, qui contiennent une
forte de femence brune. Dans toutes les faifons, mais fur-tout à la fin
des pluies , cet arbre donne par incifion une liqueur vantée , d'un jaune
noirâtre , d'un goût acre & amer , & d'une odeur forte , mais extrêmement
agréable. On la tire aulTi , en coupant les plus tendres branches & les fai*
fant bouillir dans l'eau en pièces fort menues. Il en fort bientôt une fub-
(lance huileufe, qu'on recueille à mefure qu'elle furnâge; mais ce Baume
efl moins eftimé que l'autre. On tire aufli , des femences de l'arbre , une
huile de la plus agréable odeur, qui relTemble aflez à l'huile d'olive, & qui
a prefque les mêmes vertus que le Baume.
Le QuMticoneXt arbre médiocrement haut, mais d'un tronc épais, dur
& odorant, a les fbuilles larges, la fleur petite & blanche, le fruit fembla-
ble aux bayes du Laurier. On coupe fon écorce en pièces ; on la macère
dans l'eau pendant quatre jours , on l'expofe enfuite au Soleil ; &, lorfqu'elle
commence à s'échauffer, on en tire fous le prelToir une huile balfamique ,
utile 4 divers befoins.
On ne parle point d'une véritable efpèce de laque, qui efl en abondance
aa Mexique, & qui vient d'un arbre nommé Tzinacau Cuit la huahuitl; ni du
fang de Dragon, dont l'arbre n'efl pas plus rare, &fe nomme Ezquabuitl.
Les Provinces méridionales produifent en abondance une forte de Cèdres,
auxquels les Efpagnols donnent du moins ce nom , Quoiqu'il reffemble peu
à ceux du Mont Liban. Labat efl perfuadé que c'eft le même arbre qu'on
appelle Jcajou (r) dans les Ifles du Vent. Les feuilles en font petites
longues & étroites, à-peu-près comme celles du Pécher. Elles croiffent
par bouquets. Leur couleur efl un verd pâle. Elles font minces , fbuples ,
frifées vers la pointe; & lorfqu'on les froiffe dans la main, elles rendent une
liqueur onélueufe , d'une odeur aromatique. L'écorce de l'arbre efl épaifTe,
rude, tailladée, grife> affez adhérente. On prétend qu'il efl: mâle & fe-
melle.
DiiciiPTioir
01 LA N0U4
VILLE EirA-
UMI.
Ernèce de
Cèdres.
(f ) La dofe eft le poids d'une obole,
(r) 11 ne faut pas le confondre avec
l'Acajou i fruit, dont on parlera dans un
autre lieu. ..
LUI 2
634 D E S C R 1 P T ION DU MEXIQUE,
DfSCRtPTtON
DS LA N')U*
«ELLE lC^PA•
CNC.
Trois fortes
i^cMangles.
cil
mais
comt
ce
que le mdie cic non*reu1cment plus rouge,
qui le rend plus facile à travailler que 1 autre, qui ed quelquefois* un peu
cotoncux. Il devient très grand, fur-tout dans les terres arides, qu'il pa-
roît aimer plus que les bonnes; & peut-être lert il beaucoup à leur ftiche*
rcitct en attirant toute la fubflance par Tes cuincs& (es racines, qu'il étend
fort loin du tronc. On le vante pour toutes fortes d'ufagcs. Les Efpagnols
en font des poutres (x), des chevrons, des planches, des cloifons & des
meubles. Les Indiens r'en connoilfent pas de meilleur pour en faire des
Canots & des Pyrogues de toute forte de grandeurs, capables de porter
beaucoup de monde & de faire de longs trajets; outre qu'étant léger &
flottant fur l'eau , il efl comme à l'épreuve du naufrage. On ne lui trouve
pas d'autre défaut que de fe fendre aifément; mais on y remédie, en gar-
nilfant de courbes l'intérieur des Canots, & ferrant les deux extrémités
avec quelques bandes de fer. Son odeur, qui lui a fait donner le nom
de Cèdre, efl; extrêmement agréable. 11 pai!e aufll pour incorruptible,
ou du moins d'une très longue durée ; & l'on croit en trouver la caufe
dans une humeur gommeufe, très acre & très amere, qui en éloigne les
Vers & les Poux de bois, & qui communique de l'amertume jufqu'aux ali-
mens qu'on fait cuire fur un feu de fon bois (t). A l'égard de fon odeur,
elle ne fe fait Tentir que lorfqu'il efl bien fec ; & comme le bois de Sainte-
Lucie, il en jette une fort mauvaife & fore dégoûtante, jufqu'à ce qu'il
«lit perdu toute fon humidité. Le tronc & les grofles branches du Cèdre de
la Nouvelle Efpagne jettent, par intervalles, des grumeaux d'une gomme
claire, nette & tranfparente, qui durcit à l'air , & qu'on emploie aux mêmes
ufages que la gomme Arabique. Peut-être en tireroiton beaucoup plus par
incifion.
On diflingue , fur les Câtes méridionales de la Nouvelle Efpagne , trois
fortes de Mangles ; les noirs , les rouges & les blancs. Le noir , qui efl le
plus grand, a le tronc de la grofleur d'un chêne, & s'élève ordinairement
d'environ vingt pies. Il e(l fort dur, & bon pour la charpente, mais d'une
pefanteur extraordinaire. Le Mangle rouge croît en abondance près de la
Mer & des Rivières. Son tronc efx moins gros que celui du Mangle noir;
mais il pouiTe pludeurs racines, de la grofleur de la jambe, qui s'élèvent à
flx , huit ou dix pies de terre , & qui fortant d'un même tronc , paroiflent
foutenues par autant de pieux artificiels. 11 efl: impofllble de marcher dans
les lieux où cet arbre croît, ou du moins fl difficilement , que pour traverfer
tant de racines entrelacées , on a quelquefois un demi-mile à faire fans tou-
cher la terre du pié, c'efl-àdire, en fautant d'une racine fur l'autre. Le
bois en efl dur, & bon à divers ufages. Son écorce, qui efl rouge en
dedans, fert à tanner les cuirs. Le Mangle blanc n'atteint jamais à la
grofFeur des deux autres, & n'efl; pas non plus de la même utilité. Le
noir
(/) Ce fut de ce Cèdre que Femand
Cortez employa fept mille poutres à la conf-
truflion de fon Palais, en faifant rebâtir
Mexico. yoytZt ci-defTus, la Defcription de
cette Ville.
(t) D'autres bois amers , tels que le
Simarouba de la Cayenne , fi célèbre par fes
vertus pour les dysenteries, produifent le
mâme effet.
C
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 635
»ft;ce
in peu
I émnd
>agnoIs
&des
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porter
iger &
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rèmités
le nom
iptible ,
a caufe
gne les
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odeur ,
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ce qu'il
!edre de
gomme
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e, trois
ni efl: le
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noir
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^bre par fes
:oduiient le
ÙueMfrtcm
Dt LA Non*
VILLI EirA*
ONR.
Le Pcnjoln,
noir & le blanc ne pouffent point , comme le rouge , des racines élevées.
Leur tronc fort immédiatement de terre, comme celui du la plupart des
autres arbres.
On trouve fur les mêmes Côtes, âc dan; la plupart des Ifles, mais plus
particulièrement encore dans la Oaie de Campéchc fur la Mer du Nord , une
efpèce de fruit qui fe nomme Pengoin , âcdont on diUingue le jaune & le rou-
fe. Le premier croit fur une tige verte, de la groHeur du bras, & haute
e plus d un pic. Les feuilles ont un demi-pié de long, fur un pouce de
large, âc font bordées de piquans. Le fruit fort au fommet de la tige, en
deux ou trois gros pelotons, compofés chacun de feize ou vingt pommes,
rondes &, jaunes , de la grofleur d'un œuf de Poule. La peau en eit épaifle ,
& le dedans plein d'une petite graine noire, mêlée dans la poulpe du fruit.
Le Pengoin rouge a la groffeur & la couleur d'un oignon fcc. Sa figure
e(l celle d'une quille. 11 ne croit point fur une tige, mais, fortant de terre
par le bout qui s'élève, il y demeure attaché par l'autre. Soixante ou
foixante & dix de ces fruits croiflent enfemble, auiïï proche les uns des au-
tres qu'il ell pollible, & cous fur la même racine. Ils font environnés &
défendus par des feuilles piquantes, comme celles du Pengoin jaune, &
longues d'environ deux pies. Le fruit de l'un & de l'autre le reflemble par
les qualités. Ils tirent tous deux fur l'aigre. Ils pailenc pour fains, & ja-
mais ils ne nuifent à l'edomuc. Cependant, fi l'on en mange avec excès,
on fent une chaleur extraordinaire au fondement. La UaiedcCampêche en
produit une fi grande abondance , que les piquans des feuilles y rendent le
paflage fort difficile.
La Province de Mechoacan produit un arbre que fes Habitans nomment Le Chupirl,
Cbupiri , c'efl-à«dire Plants de feu , dans leur langue. Il reflemble au Laurier,
avec une forme encore plus agréable. Ses feuilles font plus grandes que
celles de l'Amandier. Ses fleurs font une efpèce de rofes: mais le fuc en
efl: fl acre, qu'il faillit de caufer la mort à un Médecin Ëfpagnol , qui en ofa
faire refl*ai. Les Indiens l'emploient néanmoins à purger la pituite , en le
prenant mêlé avec d'autres fucs. Les Ëfpagnols , redoutant fes efl^ets, fe re*
duifent à l'appliquer en cataplafme fur le nombril , & le croient capable de
purger par cette voie ( v ).
On vante un Arbuflie de la même Province, nommé auflTi Chuptri^ & par LeCharapetî
d'autres Cbarapeti^ qui poufle une longue & grofle racine, d'un blanc fale ^"h^n"^"'
au dehori , & rougeâtre en dedans , d'où fortent quantité de petits rameaux ^'°"'^®'
d'un verd obfcur, tirant fur le bleu , ronds, unis, qui fe couvrent de feuil-
les à-peu p»éi femblables à celles de l'Oranger, & qui portent des fleurs
blanchâtres, en forme d'étoiles, mais fans goût & fans odeur. Les In-
diens font un cas extrême de cette Plante, & la préfèrent à toutes les autres
pour les accidens du mal vénérien. Ils emploient fa racine en déco6lion ,
avec un régime convenable au Pays. Non-feulement elle guérit les tumeurs,
les playes, &les autres efl'ets de ce mal, mais elle arrête la dyflenterie, elle
rétablit les forces, elle excite l'appétit, elle chafle la galle & les maladies les
plus obflinées de la peau.
(v) Fr. Xlinenes, ubifuprà.
Lft
Laet, Livre 5, page 264.
LUI 3
I
DkSCRlPTIOR
OB LA NOU-
VBLLB ESPA-
ONK.
Quammo-
chici, ou. Bois
de fang.
Le Cuhura*
qua.
Le Puntzu-
neti.
fl!
Acuitze*
buarita.
Le TIali-
matl , ou ■
l'Herbe de
Jean-l'infant.
63(5 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Lb Bois de fang, que lesMexiquains nomment QuammcbttI , fe trouve en
abondance dans la Province de Nicaragua fur la Mer du Sud, & fur la Mer
du Nord à la même hauteur.
Le Cuburaqua efl un arbufte duMechoacan, donc le tronc efl épineux. Ses
racines, blanches & farmenceufes , produifenc de petits rejectons, de cou-
leur rougeâtre en dehors & tout-à fait rouge en dedans , tortus , & qui fe
couvrent de petites feuilles fort veinées, de la figure d'un cœur. On en
diilingue deux autres efpèces, dont l'une fe nomme Pinguiquay & l'autre
Jacua. De ces trois arbuftes , on tire une teinture d'un fort beau rouge.
Le Puntzumeti , que Ximenez croit pouvoir nommer ïAfarum duMechoa-
can, efl une Plante vantée, dont les feuilles reflemblent beaucoup à celles
de la Vigne, & dont la tige, qui n'a pas plus d'une coudée de hauteur, efl
ronde & unie. Ses fleurs produifenc de petites femences noires; elles font
jaunes & compofées de filets fort déliés , jen forme de chevelure. Les raci-
nes, qui font en gr<tnù nombre, reflemblent à celles de l'Ellébore blanc.
C'efl la feule partie que la Médecine employé. £lles font d'un goût acre.
Elles jettent une petite odeur de mufc. On les croit chaudes & feches au
troidème degré. Leur poudre , au poids d'une dragme, prife dans du vin ,
ou dans de l'eau de buglofe ou de citron^ adoucit les douleurs néphréti-
ques, nettoyé les reins, fortifie le ventricule dans les affeflions froides, fai>
cilite la digeflion , ôte les crudités, excite les mois, diffipe les vents, 6t
joint, à toutes ces vertus, celle d'être un puiflant antidote contre toutes
fortes de venins.
Les Ëfpagnols ont donné, dans leur Langue, le nom d^ Ennemie desf^eninr^
à la Plante qui fe nomme Jcuitze buarita dans le Mechoacan, ikCbipabuatsàz ,
ou Zozataquamt dans d'autres Provinces. Ses feuilles font celles de To*
feille, & fortent de la racine. Ses tiges ne s'élèvent que de deux ou trois
pouces, & portent au fommet de petites fleurs d'un blanc rougeâtre, oui
forment eniemble un bouquet rond. La racine efl: ronde auUî, blancne
en dedans, & d'un jaune doré en dehors. C'efl: elle qu'on employé, &
dont on vante non feulement l'agréable goût, mais les qualités tempérées,
qui tirent un peu néanmoins fur le froid & l'humide. Son fuc, ou fon
eau, dans quelque quantité qu'on Tavalle, adoucit l'ardeur des fièvres, for-
tifie le cœur-, pafl^epour un excellent antidote, & pour un vulnéraire en-
core plus puiflant, fur-tout fl la racine pilée efl appliquée en forme d'eni-
{>lâtre fur la bleflure^ foulage les douleurs des reins, tempère l'acrimonie de
'urine, excite l'appétit j diflipeles tumeurs du gofier, oc, par des vertus
dont la caufe efl ignorée, remédie prefqu'à tous les maux, de quelque ma-
nière qu on l'employé.
Le Tlalamatly nommé par d'autres T/^r/M^r/, ou petite Ci/»âr/& Tur/nriV/i-
quaram par les Mechoacans, mais que les Ëfpagnols nomment Herbe dejeari'
l'Infant y parce que c'efl à lui qu'ils en doivent la connoiflance, a les feuil-
les prefque rondes, difpofées trois à trois, & femblables à l'herbe que les
Latins appellent Nummulaire. Ses tiges font purpurines ik rampantes ; fes
fleurs , roufl*es , en forme d'épis; fa lemence petite & ronde ; fa racine lon-
gu2 , mince & fibreufe. Elle efl froide , feche ,& aftringente. Elle gué-
rit toutes fortes de playei. On aflure même qu'elle avance la maturité des
•II. . ] tu-
>ûve en
la Mer
:ux. Ses
de cou-
t qui fe
On en
c Taucre
•ouge.
Vlechoa*
à celles
iteur , efl:
îiles font
Les raci-
re blanc,
tût acre,
èches aa
i du vin ,
nephréti*
}ides, fa?
irents, &
re toutes
îe s Venins^
tahttatziz ,
;s de l'o*
: ou trois
âtre. Qui
, blanche
ployé, &
mperées,
;, ou fon
vres , for-
graire en-
me d'eni-
imonie de
es vertus
elque ma-
iTurintita-
iedejean-
les feuii*
)e que les
intes; Tes
'acine lon-
Elle gue-
iturité des
tu-
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 637
tumeurs âi des abfcés. Elle arrête les vomifTemens. Filée , au poids de deux
dragmes , elle adoucit les douleurs qui viennent des maux vénériens ; elle
évacue toutes les humeurs nuifibles; appliquée furies yeux, elle remédie
aux inflammations. Enfin elle tue la vermine (at).
, Les Naturalises Efpagnols prennent le Pebuam de Mechoacan pour la
Plante que Diofcoride nomme /IrifioIocbeClematidey & prétendent que u elle é-
toit plus connue, on n'eftimeroit pas tant le China oc la Sairepareille; par-
cequ'elle a des propriétés fort fupérieures. C efl une efpèce de Volubilis ,
dont les feuilles ont la forme d'un cœur, mais font fort petites. Ses Heurs
purpurines ne font pas différentes de celles des autres Arifloloches. Sa ra-
cine efl: longue, épaifle, & couverte d'une peau rougeâtre. C'eft d'elle
qu'on hk uîage. Elle efl: acre, odorante , feche & chaude au troifîème de-
gré. En décoélion, & préparée comme le china & la falfepareille, elle
guérit le mal vénérien. On lui attribue quantité d'autres vertus, & les In-
diens la comptent entre leurs plus merveilleufes Fiantes.
La racine purgative de Mechoacan étant aujourd'hui fort connue, fon
origine & fa defcription n'en paroîtront que plus curieufes. Les Indiens de
cette Province la nomment rar/bua^^^ , les Mexiquains Tlantlaquacuitlapille ^
&, d'autres Nations Pufquam. Il s'en trouve trois efpèces , dont on regarde
deux comme le mâle & la femelle. Leur forme & leurs qualités font les mê-
mes. Elles ont une racine longue & épaiflTe, de laquelle il fort une efpèce
de lait. La féconde poufle des tiges fort menues , avec de petites feuilles
en forme de cœur, & des Aeurs rouget & longuettes, qui donnent pour
fruits une forte de petits melons (y)^ couverts d'une peau blanche, & rem-
plis de petites femences blanches & plates , avec de petits filamens fembla-
blés à ceux du coton, qui ne fe rompent point aifément. La racine efl fe-
che & chaude au quatrième degré , & d'un goût brûlant ; ce que plufieurs
Natnralifles n'ont point obfervé. Elle pui]ge toutes les humeurs , fur-tout
la pituite. La dofe efl une dragme & demie, ou deux au plus, dans du vin
ou du bouillon , ou dans un œuf frais. Quelques-uns emploient fon fuc au
lieu de fcammonée , dont ils la croyent une erpècc. Ils en font, avec du
fucre, des tablettes auxquelles ils attribuent d'excellens effets. D'autres
réduifent en poudre fix dragmes de la racine, qu'ils font macérer pendant
une nuit dans fix onces d'eau, & donnent cette eau, bien paifée. Enfin d'aiir
très mêlent à 1^ même eau, une once de firop de Mmlatztic , ou de Salfepa-
reille , ou de feuilles de Séné.
La troifîème efpèce croit particulièrement dans les terres noires & pier-
reufes. Sa racine efl moins épaiffe. Il n'en faut que deux dragmes, pour
compofer , avec vingt dragmes de fucre, ou deTzamlifOu deTragacantbe(z)f
un éleâuaire qui purge doucement la bile & le flegme, & qui l'emporte fur
toutes les drogues qui nous viennent des Indes. On fait auffi , de fa dé-
coélion, un firop dont trois onces purgent merveilleufement les mêmes hu«
meurs. La racine doit avoir eu le tems de fecher, pendant toute une an-
née:
( « ) Ximenes , ubi fuprà ; & Monardcs , faute d'impreflîon . au lieu de Peponi.
^ans les Exotiques de Clufius, Chap. i6. (2) C'cfl: ce qu'où nomme vulgairement
(j) Il y a PepiHo, qu'on prend pour une Gomme adragante.
Dttevnion
oc LA Nou*
V£LLE LsrA-
ONE.
Le Fehuam.
Le Tlantla-
quacuitlapil-
le, ou Racine
purgative de .
Mechoacan.
DESCRirTTOM
OK LA NOU'
V£LLB EiTA'
GNE.
Réfine de
couleur d'or.
L'£nguamba.
Montineute,
Plante purga-
tive dcTha-
rimbaro.
Plante veni-
meufe. dont
l'effet eft lè-
«1*.
638 DESCRIPTION DU M Ê X 1 QUE;
née: mais, en la cueillant, il faut favoir la didinguer d'une autre, qui lai
reflemble beaucoup, & qui eft un dangereux poiîon. Lorfqu'Hernandez,
qu'on fuit ici, écrivoit fur les propriétés de cette Plante, elle étoit encore
peu connue Depuis ce tems, on en a découvert quelques autres efpéces,
dont l'opération efl plus douce; quoique les trois premières foient toujours
les plus célèbres.
Celle que les Efpagnols nomment Mecboacan , fans l'addition d'aucun au»
tre mot , purge avec modération ; mais il s'en trouve deux efpéces , donc
Tune eft lort venimeufe. Elles ont toutes deux la racine grande & épaifleu
Celle, qu'on appelle Matlalitztk y q^ beaucoup plus r'ttite que les précéden-
tes. Elle purge moins aufli. On la donne à toute forte d'âges, fans excep-
ter les Femmes grofles. L'efpèce qu'on nomme Xalapa, eft plus forte que
toutes les autres « quoiqu'elle foit moins grande. Elle purge toutes les hu-
meurs nuifibles , mais elle demande beaucoup de précautions. On en fait
un Hrop fort utile {a). Toutes ces efpéces croiiTent abondamment dans la
Nouvelle Efpagne. Elles font toutes feches & chaudes au quatrième de-
gré ; à l'exception du Matlalitztic , qui eft d'une chaleur médiocre & qu'on
employé fans danger. Il n'y a point d'autre différence entre les feuilles , les
fleurs & les fruits de c«s Plantes, que le plus ou moins de grandeur, qui
vient de la qualité du terroir. Leurs fleurs néanmoins varient un peu. Elles
font d'un bleu plus ou moins obfcur (b).
Les Cantons de Xieatlan & d'Urubapa produifent en abondance une efpé*
ce d'arbres , qui donnent une refîne de couleur d'or. VEnguamba , qui ne
croît que dans le Canton d'Urubapa, eft un arbre moyen, dont les feuilles,
larges & concaves , font divifées par de petits nerfs moitié jaunes & moi-
tié rouges. Ses fleurs pendent en grappes , & font couleur d'herbe. Il
s'en forme un fruit noir, plein de grains , dont on exprime une huile jau-
nâtre, qui eft un fpécifique pour réfoudre les humeurs, & pour guérir les
anciennes playes.
Dans le Canton de Tharimbaro, qui appartient comme les deux précédens
à la Province des Zacatules ^ on trouve une Plante, que les Habitans nom-
ment Montineute i dont les feuilles font petites, en forme de cœur, les ti-
ges rouges , & les fleurs de la même couleur , mais formées en petits vafes
orbiculaires qui contiennent la femence, & dont Ig racine eft extrêmement
fibreufe. La femence , broyée , au poids d'une dragme , purge toutes fortes
d'humeurs, fans péril, fans dégoût, & fans tranchées.
Quoique la Province de Guaxaca foit- fort montagneufe, à l'exception
duMarquifat del Valle,elle eft fertile en fruits, & fur-tout en Plantes falu-
taires , entre lefquelles il s'en trouve aufli de fort venimeufes. La Vallée
en produit une , dont on croit les propriétés fans exemple. Sa force pour
empoifonner dépend du tems qui s'eft écoulé depuis qu'elle eft cueillie ; c'eft*
à-dire, que pour faire mourir quelqu'un à la fin de l'année, il faut qu'elle ait
été cueillie depuis un an; ou depuis flx mois, fl l'on veut qu'elle foit mor-
telle au même terme. On l'employé fraîche, pour ceux donc on veut fe
' défaire
(a) Laet, ubifuprà, page 260.
(t) Ibidem,
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. Il
C39
qui lai
landez,
encore
ifpéces,
;oujour»
cun au-
s, donc
épaifTe.
récéden-
s excep-
brte que
s les nu-
I en fait
i dans la
ème de-
& qu'on
tilles , les
eur, qui
m. Elles
ine efpè»^
, qui ne
feuilles,
& moi-
erbe. Il
mile jau'
uerir les
récédens
,ns nom-
r , les ti-
cits vafes
■memenc
ces fortes
xception
ites falu-
a Vallée
rce pour
ieic'eft.
u'elle ait
oit mor-
veuc fe
défaire
Descrtttioî*
DE LA No;i-
VEi.T.ii Espa-
gne.
L'Huitzpa-
coll.
défaire fur le champ (0* ^'ffuitzpacotl efl fort commun dans la même
Province: c'efl un arbrifleau, dont les branches defcendent jufqu'à terre &
dont les feuilles ont trois pointes. 11 porte des fleurs rouges , à l'extrémité
des plus petits rameaux; & les fruits, qui prennent leur place, font une ef-
pèce de petites avelines à trois noyaux. Gn le voit couvert de fleurs & de
fruits pendant la plus grande partie de l'année. Cinq de ces noyaux , ou
fept pour les plus robufles, fans autre préparation que celle d'en ôter la
peau, évacuent le flegme & la bile par les deux voyes, avec tant de dou-
ceur & de fureté, que le moindre aliment pris dans l'intervalle arrête tout»
d'un-coup l'effet du remède (d).
Le Savonîcr y ou l'arbre qui produit une forte de petites avelines, dont LeSavoiiiet
l'écume efl: un excellent favon pour nettoyer les habits , croît abondamment Mcxiquai».
dans les Mifl:eques , & les Zapotecas. Les coques expofées au Soleil pren-
nent un très beau noir , & ne fe fendent jamais. On les fait polir & percer,
pour en faire des grains de Chapelets (e).
Labât en donne la defcription fuivante, & blâme celles qu'on a données
avant lui ; les feuilles ordinaires de cet arbre font longues de trois pouces ,
d'un verd foncé & luifant. Elles font toujours deux a deux, aflez prelTées
le long des branches, dures, feches, & fi recourbées qu'elles laiflent un pe-
tit creux dans le milieu. Comme le nombre en efl: très grand , elles font
un bel ombrage. Les fleurs viennent par bouquets , de plus d'un pié de long,
en forme de pyramide. Elles commencent par de petits boutons blanchâ-
tres, qui s'ouvrent pour compofer une pecice fleur de fept OU huit pétales,
avec un petit pifliil rouge. Son odeur tire fur celle de la fleur de vigne.
Elle fe change en un fruit rond , de la grofleur d'une petite noix verte. La
peau de l'enveloppe efl: aflez forte, & devient brune en meuriflant, après
avoir été fucceffivement verte & jaune. Elle renferme une matière épaiffe,
molalTe, vifqueufe, &fortamere. C'efl: cette matière, dont on fe fert
pour blanchir le linge , & qui a fait donner à l'arbre le nom de Savonier ,
ou d'arbre à Savonettes. Le centre de cette noix offre un noyau rond, ou
prefque rond , rempli d'une matière blanche , ferme , & d'un goût qui ref-
femble aflTez à celui des noifettes. On en tire une huile, qui n efl pas mau-
vaife dans fa fraîcheur, & qui éclaire fort bien. L'arbre efl droit & rond.
Il s'en trouve de deux pies de diamètre & de trente pies de hauteur. Son
écorce efl: grife, mince, feche, & peu adhérente; comme on le remarque
dans tous les bois durs. Il efl: fort pefant. Ses fibres font fines & preflees.
Les meilleures haches fe rompent fouvent pour l'abbatre. AuflTi ne l'em •
ploye-t-ou gueres en charpente. Il fert à faire des rouleaux de moulin &
des moyeux de roue. Labat confirme qu'on fait des chapelets de fes noyaux.
Ceux des vieux arbres ont afTez d'épailleur pour être travaillés fur le tour ; &
pour recevoir de petites moulures ou des compartimens de filigrane, qui
augmentent l'éclat de leur couleur noire & luflrée (/).
(t) Lnet, ubifuprà, page i5o. des, uhifuprà. Voyez, cî-deffus, le Savonier
(d) Ibid. àerille lifpagnoh.
{e) On en lit une defcription dans Monat- (/; Labat, Tome VII. page 383.
XFIIL Part.
M m m m
Description
UE i.A Nou-
velle Espa-
gne.
Co2C)linc-
cntl , cTpcce
de China.
Xccoxo-
cbitl, oiiPoU
vje deTabai-
co.
Lç Zeybo,
Ce qui em-
pêche ks Oli-
viers de don-
ner du fruit.
640 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Du côté de Colima, fur-tout dans le Canton d'Acatlan, on trouve une ef-
pèce de China ^ que les Indiens nomment Cozoîmecatl^ ou Okacazan. Cette
Plante confifte dans une grofle racine, prefque ronde, rouge, fibreufe &
pefante, d'où fortent des tjges menues, rampantes, rouges vers leur racine
commune, pleines de nœuds, & de iilamens par lefquels chaque tige s'at-
tache & grimpe au tronc de l'arbre voiOn. Leurs feuilles font prefque ron-
des, de grandeur moyenne, & divifées dans leur longueur par trois veines.
Le frL>ic cft une baie comme celle du Myrte, mais remplie de femence. On
attribue quantité de vertus à toute la Plante. Les feuilles, appliquées fur
If s yeux , en diflipent promptement toute forte de rougeur. Appliquées
fur la tête, en forme d'emplâtre, elles en gueriflent tous les maux, fans
excepter le mal de dents. Les Indiens jugent de leur effet par le plus ou
moins de fermeté avec laquelle iU les voyent tenir fur la partie affligée, c'eft-
à-dire qu'ils n'en efpèrent rien, lorfqu'ils les voyent tomber trop tôt. I a
racine, quoiqu'alTcz tempérée, eft également contraire à toutes les mala-
dies chaudes & froides. L'excès même n'en efl: pas dangereux. Elle
augmente les forces, elle les rétablit , elle excite la chaleur naturelle. En
emplâtre, elle a plus de vertu encore que fes feuilles, contre les mêmes
maladies. 11 fuffit de la tenir entre les mains, pour en relTentir d'utiles
effets. Enfin , les Indiens prétendent qu'il n'y a point de maux qu'elle ne
puilfe guérir (g).
On vante un arbre, particulier à la Province de Tabafco, que les Habi-
tans appellent XocoxochUly mais que les Efpagnols ont nommé Poivre de
Tabafco. L'arbre eft grand. Ses feuilles font celles de l'Oranger, & jettent
une odeur très agréable. Ses fîeurs font rouges. Elles reffemblent à celles
du Grenadier, mais elles ont l'odeur de l'orange. Ses fruits font ronds, &
pendent en branches. De verds qu'ils font d'abord, ils deviennent roux,
enfuite noirs; & quoique d'un goût fort acre, ils-confervent une fort bon-
ne odeur. Ils font fecs & chauds au troifième degré. On s'en fert , au lieu
de poivre, dans l'aiTaifonnemenr des viandes, & les Efpagnols mêmes y
reconnoiffent beaucoup de vertus.
Les Provinces , que les Efpagnols comprennent fous le nom de Nouvelle
Calice, & qui touchent à la Mer de Californie & au Nouveau Mexique , pro-
duifent plus heureufement que les autres toutes les efpèces de fruits qu'on
y a portées de l'Europe. On y trouve des arbres d'une grandeur furpre-
nante, fur-tout le Zeybo, qu'Oviedo nomme Ceyùa (/;), & dont il donne
la defcription. Mais le bois en eft fi fpongieux, qu'il n'eft d'aucun ufage.
Il porte pour fruit une elpèce de filiques , remplies d'une laine fubtile qui fe
diflîpe dans les airs , lorlqu'elles s'ouvrent dans leur maturité. Les Indiens
ibnt perfuadés que l'ombre de cet arbre eft extrêmement faine. Tous les
Tunas des mêmes Provinces donnent d'excellens fruits. Les Oliviers font
les feuls arbres de l'Europe qui n'y en produifent point: ce qu'on attribue
Çg) Ximenez, ubi fuprà.
(h) Oviedo Livre 9, Chap. ir. Kerrera
parle d'un de ces arbres , que quinze Hom-
mes poiivoicnt à-peiac embraflcr. AcoUa en
vit un, dont on ignoroit le nom dit- il,
„ qui, avant que le tonnerre fut tombé
„ deiTus , pouvoit ombrager nulle Hommes".
Liv. 4. Chap. 30.
une ef-
Cette
reufe &
r racine
ige s'at-
jue ron-
i veines.
:e. On
liées fur
(pliquées
ux, fans
plus ou
ée,c'eft-
tôt. l a
es mala-
IX. Elle
îlle. En
s mêmes
■ d'utiles
[u'elle ne
les Habi-
Poivre de
& jettent
it à celles
ronds, &
înt roux,
fort bon-
t , au lieu
mêmes y
c Nouvelle
ique , pro-
lits qu'on
ir furpre-
il donne
un ufage.
tile qui fe
es Indiens
Tous les
viers font
n attribue
•OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. ÏI. '641
"k l'inftinft qui porte les Fourmis à fe nicher fous leurs racines. Tons les
chanîps produifent fous terre une efpèce de truffes, que les Efpagnols nom-
ment Caflanvchmt& qui engraiflent merveilleufement lesBeftiaux. La pefle
de ces Provinces, pour les fruits & pour les grains, efl: non-feulement fa-
bondance de Fourmis , mais encore plus une multitude incroyable de peti-
tes Pies, de la grofleur de nos Moineaux, qui ravagent les moiflbns, fans
que le bruit & d'autres fecours puiflent les éloigner. En récompenfe , les
Abeilles, dont le nombre efl; prodigieux, y font fans aiguillon , & font leur
miel dans le tronc des arbres.
La Province de Vera-Paz produit des Cannes d'une fi (îngulière grandeur ,
qu'il s'en trouve de cent pies de haut, & fi groflTes que d'un nœud à l'autre
elles peuvent contenir ce que les Efpagnols nomment une Jrobe d'eau. Auffi
les Indiens s'en fervent-ils pour leurs Edifices.
On doit compter, entre les Plantes de la Nouvelle Efpagne, celle du
Tabac, qui paroît avoir été découverte, pour la première fois, en ijao,
dans la Province d'Yucatan (i); & que les Efpagnols y cultivent encore
avec tant de fuccès, qu'ils en tirent une partie de celui qu'on nomme de la
Havane.
La Plante, qui porte le Poivre long, fe nomme au Mexique Tlatlan-
quaie^ & Acapatli. Elle a le tronc tortueux, comme le farment, &les feuil-
les femblables à celles du Poivrier blanc , mais plus longues & plus aigiies.
Son fruit efl: rond ,& de différentes longueurs. Ses feuilles jettent une odeur
affez forte, & font d'un goût fort acre. Elle efl: feche & chaude au troifié-
me degré. Jamais fa femence ne meurit parfaitement. On la cueille, lorf-
qu'elle commence à rougir; on l'expofe au Soleil , pour la faire meurir, &
c'efl: dans cet état qu'elle fe conferve. Quelques-uns la font fecher quoique
verte, & la mangent fans s'en trouver plus mal. Elle donne un fort bon
goût aux viandes, pourvu qu'on ne les approche point du feu après l'aflai-
Ibnnement ; car la moindre augmentation de chaleur en diffipe toute la for-
ce. La longueur ordinaire de ce Poivre efl: d'un demi pié , & fa grofleur
celle d'une corde moyenne (^).
Entre les Arbufl:es, on ne trouve nommé que le PinahuUzxîhuitî , que
d'autres nomment Cocochiatli. Il efl haut de quatre palmes. Ses tiges font
minces , épineufes , & fes feuilles divifées en fix parties , qiii forment en-
tr'elles comme autant de petits faifceaux. La racine efl: farmenteufe: les
fleurs reffemblent à celles du Châtaignier, & le fruit à la châtaigne, mais
il pend en petites grappes, vertes d'abord, enfuite rouflTàtres. Cette Plan-
te efl: une efpèce de Zoophyte, qui fe retire & fe flétrit, non- feulement
lorfqu'on y touche, mais au moindre fouffle de l'Homme & de tous les
Animaux (/).
Avant l'arrivée des Efpagnols, les Mexiquains n'avoient point de Jardins
pota-
DESCRÎPTK'îr
nii LA N<<L-
VEU.E E rÀ-
GNH.
Pctte dc«
fruits & de»
mourons.
Gron'cî
Cannes.
Tabac.
Tlatlan-
quaie, ou
Poivre lonR
du Mexique.
Le Pi'na-
huirzxtb.ui:!;
Avbulle.
nom dit-î! ,
lut tombé
c liomucs".
( i ) Voyez le Tome Vl. des Voyages de
Labat, page 272 & fuivantes. On reniet à
l'article des Ifles tout ce qui regarde le
Tabac.
{k) Monardes, uii fuprà, Chap. 54.
(/) Laet, uM fuprà, page 231. Ceux,
qui foubaiteront un plus grand détail , peu-
vent confultcr le même Ecrivain , dans là
Defcription particulière de chaque Province.
Mmmm ft
Description
D2 LA Nou-
V£LLE EfPA»
Flfiirs Je
îa Nou\c;ic
Pélicieiifés
retvnitcs des
MilFionnai-
tes.
64« DESCRIPTION DU MEXIQU E ,•
potagers. L'Empereur même & les Caciques, qui faifoient cultiver fi
foigneufement des Fleurs & des Simples , dans les grands Jardins dont on a
donné la defcription, n'y entretenoient aucune forte de légumes & de ra-
cines pour l'ufage de leur table. Ils recevoient de leurs Valtaux une partie
de ces fecours, qui ctoit comprife dans le tribut; & le refte leur venoit des
Marchés publics. Mais après le maïz, qui faifoit la principale nourriture
du Pays, c'écoient les racines & les légumes, dont la culture étoic la plus
commune en plain champ ; fans compter ce que la Nature offroit d'elle-mê-
me, dans un terrein où l'union continuelle de la chaleur & de l'humidité
étoit extrêmement favorable à toutes ces produftions. Acofla s'eft conten-
té d'en nommer un grand nombre, fans fe croire obligé de les décrire (in).
Mais il ne ceiïe point de répeter que de tous les climats du Monde , il n'y
en a point de plus riche en Plantca, ni. dans lequel toutes celles de 1 Europe
ayent fru6lifié avec plus de psifeélion & d'abondance («).
Feu de Nations ont autant de goût que les Mexiquains poar les Fleurs.
Ils en font des bouquets fort galans &des couronnes, qu'ils appellent Suchif
les. On a vu que les Jardins de l'Empereur Motezuma oiFroient plus de mil-
le figures humaines, artificiellement comnofées de feuilles & de fleurs. Cetr
te palFion s'eft communiquée aux Efpagnols, fur-tout dans les Couvens &
les Monaftères de tous les Ordres. Oage parle avec admiration des agrér
mens de cette nature, qu'il trouva répandus dans plufieurs Maifons de Cam*
pagne, où les Religieux qui fe deftinent à laMiffion des Philippines font un
féjour de quelques mois, pour fc difpofer par une vie douce aux fatigues de
leur entreprife(o). Mais rien ne paroîc approcher de la. defcription qu'il
fait
Cm) 11 renvoyé les Curieux au Doftéur
ïicrnandez, ., qui a fait, dit -il, un bel
,, Oeuvre de cette matière des Plantes des
„ Indes, liqueurs, & chofes médecinales ,
„ par l'exprès conimandement de Sa Ma-
„ jellé, faifant peindre & pourtrairc au na-
„ turel toutes les Plantes des Indes, lefqucl-
„ les, comme ils difent,.font en nombre
„ de plus de mille deux cens, & difent que
„ cet Oeuvre a coûté plus de foixante mille
,, ducats; duquel Oeuvre le Dofteur Antbo-
„ nius Nardusy Médecin Italien, a fait un-
j, extrait". Ibid. Ghap. 29.
(n) Carreri aflure qu!on y trouve tous
ceux de l'Europe, excepté des noifettes,
des cerift's, des nèfles & des cormes. Tom.VI;
Cbap. 10.
( 0 ) Employons fes propres termes. „ La
j,, crainte que ces Religieux ne perdent cou-
„ rage oblige de leur faire pafler quelque
„ tems dans des Maifons de plaifance qui
„ ne dépendent point des Supérieurs de leurs
„ Otdres à Mexico , mais feulement des
,, Provinciaux qui font aux Pliilippines ,
„ & qui y envoyent des Vicaires pour les
), gouverner. Celle qui fe nomme Saini-
„ H)aciiube, & qui appartient aux Rdi-
II
ti
I»
I)
I)
>i
II
it
II
II
II
II
II
II
u
II
l«
il
II
»»
l>
)l
»'
»
'eux de Saint Dominique, ne manque de
rien de tout ce qui peut fervir aux re-
créations. Les Jardins contiennent environ
quinze arpens de terre, ornés de toutes
fortes de fleurs , & partagés par de belle»
allées de Ctronicrs & d'Orangers, où
nous avions des Grenades , des Figues &
du Raifin en quantité, avec des Ananas ,
des Sapotes , des Chicofapotes , & tous les
autres fruits qui naiflent au Mexique. Les
Herbes, les Salades, & les Cardons d'Ef-
pagne, que l'on vendoit, apportoi£nt un
grand revenu tous les ans; car chaque
jour on en envoyoit une pleine charette au
Marché de Mexico , non en certaines fai-
fons, comme en Europe, mais en tout
tems & en toutes faifons. Nous jouillîons
de ces délices hors de la Maifon ,• & dans
l'intérieur, nous étions traités avec toutes
lortcs de Viandes & de PoilTons. Mai's ce
qui nous étonnoit le plus , étoit la grande
abondance de Confitures & particulière-
ment de Conferves , dont on avoit fait
provifion pour nous. Pendant que nous
y demeurâmes , on nous api-ortoit à cha-
cun , tous les Lundis au matin , une de-
mi-dou.zainc de boëtei dt; Cotignac & de
„ CoJb
•I
5>
il
•)
»l
II
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL
64
fait du Défert des Carmes , qui eft à trois lieues de Mexico au Nord-Ouefl.
Ge lieu, dit-il, ell d'une beauté d'autant plus étonnante, qu'il efl fitué fur
une Montagne au milieu d'une chaîne de Rochers. Les Carmes, qui s'y
font bâti un magnifique Couvent, ont fait faire, entre les Rochers qui en-
vironnent l'Edifice, des caves, ou des grottes, en forme de petites cham-
bres, qui fervent de logement à leurs Hermites, & plufieurs Chapelles, or-
nées de Statues & de Peintures, avec des difciplines de fil de fer, des hai-
res, des ceintures garnies de pointes, ik d'autres inllrumens de mortifica-
tion, qui font expofés à la vue du Public, pour faire connoître l'auflérité
de leur vie. Ce fanftuaire de la Pénitence eft entouré de Vergers & de Jar-
dins , remplis de fleurs & de fruits, qui contiennent près d'une lieue de
tour: on y trouve, en plufieurs endroits, des Fontaines qui fortent des Ro-
chers, & dont l'eau efl d'une fraîcheur, qui jointe à l'ombrage des arbres,
rend cet Hermitage une des plus dclicieufes retraites du Monde. On ne s'y
promené qu'entre les Jafmins, les Rofes&les plus belles fleurs du Pays. 11
n'y manque rien qui puifle donner du plaifir aux fens, & fatisfaire la vue ou
l'odorat. Les Hermites font relevés chaque femaine ; c'efl:-à-dire qu'après
huit jours de folitude, ils retournent au Couvent, pour faire place à ceux
qui leur fuccedent (p).
On met au premier rang des fleurs Mexiquaines celles d'un arbre , que
les Efpagnols ont nommé Florimdio y &. qui ne porte aucun autre fruit.
El-
j)E L.\ Nou-
velle ' ESFA-
DéfLMt &
iltlicieiix jar-
din dcà Cur»
mes.
, Confcrvcs d'autres fruits, fans compter
, les bifcuits pour nous fortifier l'cllomac
„ le matin & durant tout le jour; car nous
„ trouvions que nos eftomacs étoient tout
„ autres en ce Pays là qu'en Efpagne. Deux
,, ou trois heures après avoir fait un repas,
,, où l'on nous avoit fervi divers plats de
,, Mouton, de Bœuf, de Veau, de Che-
,, vreau, de Coqs - d'Indes , & de Gibier,
,, nous n'en pouvions plus de foiblefTe; de
,, (orte que nous étions obligés de nous for-
,, tifier par un verre de chocolat, ou par un
,, morceau de conferve ou de bifcuit. Cela
,, me fembloit étrange , d'autant plus que
., les viandes , à la réfcrve du Bœuf, me pa-
,, roiflbicnt auifi graflTes & auflî fucculentes
„ que celles de l'Europe. Un Médecin me
„ dit que quoiqu'elles fuflent auffi belles
„ que celles d'Efpagne, il s'en falloit beau-
„ coup quelles fuflent aulTi nourriflantes , à
,, caufe des pâturages, qui font plus fecs,
„ & n'ont pas les changemens du Printems,
,, comme ceux de l'Europe; ce qui fait que
,, l'herbe en eft courte & fo flétrit bientôt".
de. Part. I. Cbap. 14..
( ;> ) Le même Voyageur ajoute que fi ce
beau Jardin forme un fpc^acle merveilleux,
c'en eft un plus admirable encore, „ devoir
„ le nombre du caroflcs, pleins de Gentils-
.„ liomracs & de Dames de Mexico , qui
,, viennent vifiter les Ilermitcs &.qui Ics.rc-
Le Flori.-
pcni'io.
„ vcrent comme des Saints. Ils leur portent
,, des confitures & d'autres préfcns , pour
„ obtenir quelque part à leurs prières. On
„ leur fait auflî de grandes aumônes en ar-
„ gent , mais fur-tout de riches offrandes
,, de diamans, de perles, de chaînes & de
„ couronnes d'or , & de précieufts robbcs ,
„ pour une Image de leur Eglife , qu'ils
„ appellent Notre-Dame du Mont Carmel,
„ devant laquelle il y avoit alors vingt lani-
„ pes d'argent, dont la moindre valoit plus
„ de quatre cens piaftres". Gage, Part. 2.
Cbap. I. Carreri, qui vifita le mêmjiicu,
n'en fait pas moins d'éloges. Il lui donrie
fept lieues de terrein , environnées d'un bon
mur de pierre & de chaux. C'eft l'ouvrage
da Dom Melchior Queilar . qui employa
600000 piaftres à cette fondation. Depuis
l'origine de l'Hermitage , on y a toujours vu
deux Corbeaux, qui ne permettent point à
d'autres d'y entrer, & qui chaflfent même
leure Petits , lorfqu'ils font en état de voler.
Le Cuifinier les appelle en fifilant. Ils vien-
nent, ils mangent, & s'en retournent dans le
Bois. Tome FI. Liv. 2. Chap. 2. L'encein-
te renferme de très hautes Montagnes, -où il
fe trouA.'e des Cerfs, des Lions, des Tigres
& des Lapins , qui viennent jufques fous les
fenêtres du CouvtTit. Carreri y tua un Crrf ,
ce qui dé^ilut fort aux iltfligicux. Ibid.
M m m m 3
DecntPTioN
HE LA NoL'-
VELl.IÎ Ltl'A-
Le XucMna-
cn/tli,oiil*'Ior
de la orcja.
I.c Yoloxo-
chitl.
Le Cnca-
loxocliitl.
Le Ccm-
poalxochitl ,
ouClavelli-
lias de las
ludius.
Herbe de
même nom.
Quatre for-
tes d'Herbes
Singulières.
C^[ DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Elles font un peu plus grandes que le Lis , à-peu-près de la même forme,
d'une blancheur cblouifl'ante.avecde grandes étamines comme celle du Lis.
Leur odeur cfl: charmante, fur-tout pendant la fraîcheur du matin. Ce
bel arbre fleurit, fans interruption, pendant toute l'année.
Les Efpagnols ont donné le nom de flor de la oreja à la fleur d'un autre ar-
bre que les Mexiquains nomment Xucbinacaztli , parcequ'elle reprdfente en
effet l'oreille humaine. Les pétales font d'un beau pourpre en dedans, &
verds en dehors. L'odeur en efl; extrêmement agréable.
Le Toloxochitl efl: un troifîéme arbre à fleurs odorantes , qui forment dans
leur ombelle un véritable cœur. Elles font blanches en dehors, & rougcà-
très en dedans, grandes & belles, mais un peu vifqueufes. On leur attri-
bue plufîeurs qualités , fur-tout contre les affeélions hyfteriques.
Enfin le Cacaloxocbitl efl un autre arbre dont on vante beaucoup les
fleurs , autant pour leur beauté que pour l'excellence de leur odeur. Les
unes font bleues , d'autres rouges, d'autres blanches, & d'autres de tou-
tes ces couleurs mêlées. Il en naît un fruit à grandes flliques rouges , dont
la poulpe efl: employée dans la Médecine, pour nettoyer le ventricule & les
inteflins.
La Fleur, que les Mexiquains nomment Cempoalxochitli & les Efpagnols
Cla-oellinas de las IndiaSy efl: moins célèbre par fa beauté, que par fes admi-
rables vertus. Ximenez les décrit (ç). Le fuc des feuilles, & les feuilles
mêmes , broyées , & prifes dans de l'eau ou du vin , gueriflent les refroi-
diflemens du ventricule. Elles provoquent l'urine , les mois, & la fueur.
i\ppliquées extérieurement, avant l'accès des fièvres intermittantes , elles
en diminuent la force. Elles diflîpent les vents. Elles excitent à l'amour.
Elles gueriflfent la cachexie qui vient d'une caufe froide, ou de quelque
defordre du foie. Elles remédient aux obfl:ru6lions. Elles relâchent les
contrarions de nerfs. Elles font un fpécifique pour l'hydropifle. Prifes
dans l'eau froide, elles deviennent un bon vomitif (r). Enfin, c'efl: un
excellent remède contre toutes les afi*eftions froides , en évacuant la caufe
du mal par l'urine & les fueurs (s). On en diftingue plufîeurs efpèces, mais
la principale efl celle qui fe nomme proprement Cempoalxochitl.
Cependant on honore du même nom une Plante fort différente, dont
les feuilles reflfemblent à celles delà Chicorée dentelée, mais font rudes,
épineufes, & noirâtres ou cendrées vers leurs tiges. Elle porte une fleur
qui reffemble au floccon du Chardon ; fa décoflion efl: amere ; mais on lui
attribue la propriété de lâcher le ventre, d'en appaifer les douleurs, d'ex-
citer l'urine, &c.
On ne trouve point d'autres fleurs , décrites ou nommées dans les Re-
lations : mais quelques Voyageurs ont obfcrvé particulièrement quatre for-
tes
>»
(q) Liv. 3. Chap. la.
(r) De-Ià peut-être l'opinion de ceux qui
les croyent un peu venimeufes.
(j) Quelques-uns en font un Eaune
pour les blelfijres. Ils en font bouillir les
rieurs dans de l'huile commune,* ils yjoi-.
gncnt du fuc des mûmes fleurs; & paflant.
tout à la chauffe, ils y mettent un peu de
cire , pour lui donner la confidence d'on-
guent. C'eft un remède fingulier pour les
playes & pour les hemorrhoïdes. Laet, ubi
Juprày Liv, 5. page 230.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. ^45
forme,
: du Lis.
in. Ce
lutre ar-
ente en
Uns, &
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rougcà-
cur attri-
:oup les
ur. Les
de tou-
;es, dont
;ule & les
Efpagnols
Pes admi-
es feuilles
les refroi-
la Tueur,
ites, elles
à rameur,
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c'efl: un
it la caufe
ces , mais
nte, dont
)nt rudes ,
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lais on lui
urs, d'ex-
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uatre for-
tes
s; & paflant
: un peu de
(lence d'on-
lier pour les
Laet, uli
DiîicairTioN
DE LA Nou-
velle Ema"
ONE.
l
tes d'Herbes , duni la figure & les qualités leur ont paru mériter plus d'at-
tention.
1. (.'elle, que les Mexiquains nomment Teutnpatli^ & Quimihpatli^ a re-
çu des EfpagnoJs le nom de Cavadilla. Il s'en trouve pluficurs cfpéceà; mais
la principal',' a les feuilles longues ôc étroites ; avec des lignes féparées qui
régnent dans toute leur longueur. Elle jette une forte de bouton, qui
f)rend la fornu- d'un épi , & qui porte des grains femblablcs à ceux de
'orge, mais de moindre grofleur, ù chauds ai. fi cauftiques , que dans la
gangrené, & pour tous les ulcères malins qui demandent un cautère, ils
produifent les mêmes effets que le fer brûlant.
2. Le ï7//a-&/J^»/ efl: une elpèce de volubilis, qui s'élève autour des ar-
bres & qui les cmbrafle. 11 porte des filiques oblongues, étroites, & pref-
jue rondes , qui ont l'odeur du Baume de la Nouvelle Efpagne. On les
aie entrer dans la compofition du chocolat. Leur poulpe eft noire, &
pleine de petits grains qui reflemblcnt au Poivre. Deux de ces grains,
macérés dans l'eau, provoquent merveilleufement l'urine (O*
3. Le Chichimecapatli a les feuilles longues & minces. Sa racine, qui a
la forme & la groffeur d'une noix, efl blanche en dedans, noire en dehors,
& rend un fuc vilqueux. Cette herbe efl feche & chaude au quatrième
degré, & d'une force fi finguliere, qu'on n'en ufe point fans précaution.
Au poids d'un fcrupule, prife dans quelque liqueur, elle purge par les
deux voies. Les Mexiquains y mêlent une autre herbe, qu'ils nomment
Cocoz/ic ; & de ce mélange ils compofent des Trochifques, dont une dragme
fait encore une puiflante purgation, mais fans danger.
4. Le Mecaxuchitl eft une herbe rampante , dont les épis font ronds ,
unis & tortus. Ses feuilles font grandes, d'une épaifleur qui tire aulTi fur
le rond , & d'une faveur fort acre. Elle porte un fruit qui reffemble au
Poivre long, & qu'on mêle au chocolat pour en relever le goût. Il fub-
tilife les humeurs lentes & épaiffes. C'efl un antidote renommé contre tou-
tes fortes de poifons.
On n'a point fuivi d'autre ordre, dans cette courte peinture des Plantes Progrès des
Mexiquaines , que celui qu'on a trouvé dans les Voyageurs. A l'égard de Plantes d'Ef-
celles que les Efpagnols y ont tranfportées , on a déjà remarqué que chaque Ç!Jf5J|qJ"
Province offre aujourd'hui tout ce qui croît en Efpagne, „ meilleur dans ^' '^
quelques-unes, fuivant le témoignage d'Acofla, & pire dans d'autres;
comme le Froment , l'Orge, les Porées & toutes fortes de légumes, les
Laitues, Choux, Raves, Oignons, Ail, Perfil, Navets, Paflenades,
Berangenes ou Pommes d'amour, Scarolles, Bétes, Epinars, Garances,
Pois, Fèves, Lentilles, enfin tout ce que la Nature donne ici d'utile".
Entre les Arbres, ceux qui ont fru6lifié avec plus d'abondance font les
Orangers, les Limoniers &. les Citroniers. On en vit bientôt des Forêts;
fpeftacle fort étonnant pour le même Ecrivain , qui étant au Mexique de-
manda, dit -il, d'où venoient tant d'Orangers: on lui répondit que c'é-
toit l'effet duhafard, & que les oranges étant tombées à terre, où elles
s'étoient pourries, leurs femences, difperfécs par les eaux & le vent, a-
voienc
(î) Laet, ibid, & Morardes, Chap. 54. ,
3>
»»
Ï1
ne
Vtl.t.B IV^fA
UNE.
645 D E S C II I P T I O N D U M E X I Q U Ë.
D'.^TipTtrtji voient germé d'elles-mêmes. Il ne vifita aucune partie de la Nouvelle
HP. i.A Nou- jrip^gng où les deux qualités dominantes du Pays, qui font la chaleur &
riiumiditc, n'aient multiplié ces arbres & leurs' fruits avec le même fuc-
cùs. Cependant ils ne croifllnt pas facilement dans les Montagnes. Oa
les y tranfplante des Vallées & des Côtes maritimes (v).
Les Figues, les Pêches, les Prcflcs, les Abricots, & les Grenades mè-
mes, ne fc font pas reflentis moins avantageufement de la faveur du cli-
mat. Mais il n'en efl: pas de même des Pommes, des Poires, des Prunes
& des Cerifes ; Ibit que leur culture ait été négligée, ou que dans une
grande Région, dont la température efl inégale, on n'ait pas affez diflin-
gué celle qui leur convient. Il s'y trouve néanmoins une fi grande abon-
dance de Coings, qu'on en donne cinquante à choifir pour une demi-
réale; d'ailleurs, ajoute Acofla, les Mexiquains regrettent peu quelques
fruits groffiers qu'on n'a pu faire croître jufqu'àpréfent dans leur Pays,
tels que les Châtaignes, les Nèfles, les Cormes, les Noifettes , & mê-
me les Amandes, qui n'y viennent pas facilement. On leur en porte
d'Efpagne, & l'on ne s'apperçoit point qu'ils foient fort avides à les re-
chercher {x).
(,v) Acofta, Llv. 4. Chap. 31. (x) Ibid.
§. I I I.
xinitnaux.
CifeanT. ¥* E principal ornement des Mexiquains confidant dans les belles pia-
J_^ mes, qu'ils employent non -feulement à fe parer, mais à faire des
Etoffes & des Tableaux, dont on a vanté mille fois la beauté (a), on
ne regardera point comme une exagération , dans les Voyageurs , ce
qu'ils
(a.) Ecoutons le favant & judicieux A-
colla: „On s'cfnicrvcillc quelonpuifle faire
„ avec des plumes une œuvre fi dtilicate &
„ fi parfaitement (i^alc , qu'elles femblent
„ être de vraies couleurs de peinture & ont
tf un œil & un regard fi gai, fi vif, & fi
„ agréable, que le Peintre n'en peut pas fai-
„ re de fi beau avec fon pinceau & fes cou-
u leurs. Le Précepteur du Prince d'Efpagne
,, Dom Philippe lui donna trois Eftarapcs ou
„ Pourtraits faits de plumes, comme pour
„ mettre en un Bréviaire, Icfquels fon Al-
„ tefle montra au Roi Dom Philippe, nctrj
„ Sieur, fon Pcre, lefquels Sa Majefté con-
,, templant, dit qu'il navoit jamais vu, en
„ œuvre fi petite , une fi grande perfeftion
& excellence Et comme on eut un jour
préfenté à la Sainteté de Sixte V, un au-
y, ire qiiarré plus grand, où étoit pourtnit
,. St Françii? , & qu'on lui eût dit que les
j,, JLniii^ns t'aifoicnt cela de plumes , il le
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voulut éprouver, touchant des doigts le
tableau, pour voir fi c'étoit plume, d'au-
tant que la vue ne pot voit difcerner fi
c'étoit couleurs naturelles de plumes, ou
artificielles de pinceau. C'eil une chofc
fort belle que les rais & regards que jette
un vert , un orangé comme doré , & au-
très couleurs fines ; & cil digne de remar-
que que les regardant d'une autre façon ,
on les voit comme couleurs mortes. Les
meilleures & plus belles Images de plumes
fe font en la Province de Mechoacan &
au Bourg de Pafcaro La façon efl qu'a-
vec de petites pinces délicates, ils arra-
chent les plumes des Oifeaux morts, & sr-
vec une colle déliée qu'ils ont, les vont
attachant légèrement & poliment Les mê-
mes Oifeaux y font encore aujourd'hui ,•
mais les Mexiquains ne font plus tant cu-
rieux, & ne font plus tant de gentillcfics
comme ils fouloient". Liv. 4. Cbap. 37,
ouveîle
[leur <Sc
me fuc-
is. Oa
les mê-
• du c!i-
Prunes
ans une
z diftin-
le abon-
e demi-
quelques
ir Pays,
, & inê-
°n porte
i les ré-
elles pia-
faire des
(a), on
eurs , ce
qu'il*
!s doigts le
lume, d'au-
difcerner fi
plumes, ou
une chofc
ds que jette
florii , & au-
le de remar-
lutre façon,
loites. Les
ts de plumes
echoacaii &
;on eft qu'a-
:s, ils arra-
raorts , & »•
nt, les vont
nt Les mê-
aujourd'hui ;
plus tant cu-
e gentilIclTcs
Cbap. 37,
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 647
qu'ils racontent de l'excellence & de la variétd des Oifeaux de la Nouvel- l^"c:iifTrnM
le Efpagne. Acofta déclare que l'Europe n'a rien qui en approche {b). JJ^^\* J;J';;
Carreri prononce que le refte de l'Univers n'a rien qu'on puifle leur com- one.
parer (c).
On donne le premier rang au Senfoutlé. Cet Oifeau joint à l'éclat du Le Scnfoutléi
plumage un chant fi agréable, qu'on n'a pas cru pouvoir mieux le repré-
fenter que par fon nom, qui fignifie cinq cens voix. Il efl un peu moins gros
que la Grive, & d'un cendré très luifant, avec des taches blanches fore ré-
gulières aux aîles & à la queue.
On n'admire pas moins le beau noir, qui fait la couleur du Gorion, que Le Gorion,
les agrémens de Ton ramage; fur-tout du Mâle, qui efl de la grolTeur d un
Moineau.
Le Cardinal chante bien auflî ; mais il efl: moins difl;ingué par cette qua- Le Cardinal.
lité , que par fa figure. Il eft de la grandeur d'une Alouette de Bois. Son
plumage oc fon bec font du plus beau rouge, & fa tête eft ornée d'une
très belle hupe de la même couleur. On le prend dans les parties tempé-
rées de la Nouvelle Efpagne & de la Floride. Les Efpagnols achètent cet
Oifeau jufqu'à dix ou douze piaftres , pour le tranfporter en Europe. On
en diftingue un plus petit , qui eft de la même couleur , mais qui ne chan-
te jamais.
Le chant du Tigrillo eft eftimé; & fa couleur, c^uï eft un véritable tigré,
ne l'eftrpas moins. Il eft de la grofleur d'une Gnve.
Le Cuirlacocbe a les atles brunes Ce les yeux rouges. Il eft auflî grand
que le Senfoutlé, mais il a le bec plus long. Lorfqu'on le garde en cage,
on eft obligé d'y mettre une pierre de ponce, afin qu'il puifle y limer fon
bec , dont la longueur l'empêcheroit de manger.
Le Cacalotocotl eft de la grandeur d'un Merle. Sa couleur eft jaune, &
fon chant fort agréable.
On recherche beaucoup, pour la cage, le Silgueros, qui eft blanc & LeSilRueros;
noir, & de la groflTeur d'un Moineau.
ËNTivE les Alouettes de Bois, il s'en trouve de jaunes & noires, qui font Alouettes
leurs nids à certaines Plantes , en les y fiifpendant avec des crins, tilTus en J'^""^^ ^ "°i'
forme de bourfe. Elles chantent bien. '"•
On diftingue plufieurs belles efpèces de Perroquets. Les Caterinillas ont Caterlnillas.
le plumage entièrement verd. Les Loros l'ont verd auflS, à l'exception de ^^^9^-
la tête & de l'extrémité des aîles, qui font d'un beau jaune. Les Periccos G™mâvaa
font de la même couleur & n'ont que la grofleur d'une Grive. Les Guava- '
mayas ont celle d'un Pigeon, & l'ont d'une parfaite beauté. Leur cou-
leur eft un mélange de plumes incarnates, yertes & jaunes, avec une très
belle queue, de la longueur de celle du Faifan. Mais ils n'apprennent
point a parler.
On voit, au Mexique, deux efpèces de Faifans; l'une, qui fe nomme Grittone.
Grittone , a la queue & les ailçs noires , & le refte du corps brun ; l'autre , ^^^^^'
nommée Reale^ eft d'une couleur plus claire, relevée par une efpèce de
couronne qu'elle a fur la tête (rf). . L'Oi-
ib) Ibid. (i) Carreri, Tome VI, Chap. 9. pages 210.
(O Tome VI, Chap. g. ' • & précédentes. Goaaia, Liv, 2, Cbap, <?8,
XFlll Part. Nnnn
LeTigrilW
Le CuiilacOr
che,
Le Cacalo-
tocotl.
ORiCRlPTtOM
U,'. LA Non-
VtLI.K EîTA-
UWE.
I.C Vicicili.
Co7.<iuauhfli
ou Aurc.
Jr TzopilotU
Chiacchin-
.accas.
Coqs d'Inde
fuiivagcs.
(îrivcsMexi'
<jjiaincs.
Pivert, &
fcp vertus.-
648 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
L'Oiseau que les Mexiquains nomment Vicicili paroît peu différent do
celui que les Européens ont nommé René dans d'autres Mieux, Tomincios au
Pérou. Gomara le décrit : „ 11 n'a pas le corps plus gros qu'une Guêpe.
„ Son bec eft long & très délié. Il fe nourrit de la rofée & de l'odeur
„ des fleurs, en voltigeant, fans jamais fe repofer. Son plumage eft une
„ efpéce de duvet, mais varié de différentes couleurs, qui le rendent fort
„ agréable. Les Indiens l'elliment beaucoup , fur tout celui du cou & de
„ rdlomac, pour le mettre en œuvre avec l'or. Le Vicicili meurt, oh
„ plutôt, s'endort au mois d'Oélobre, fur quelque branche à laquelle il
„ demeure atttaché par les pies, jufqu'au mois d'Avril, principale faî-
„ fon des fleurs, il fe réveille alors ;.&de-là vient fon nom, qui fignifie
„ relfu/cité".
Le Cozquauhtli f qui fe nomme vulgairement Jurât eft un grand Oifeau,
fort commun dans toute la Nouvelle Efpagne, & de la groffeur d'une
Poule -d'Inde. Tout le plumage de fon corps eft noir, à l'exception du
cou & de la poitrine , où il tire fur le rouge. Ses aîles font noires vers
la jointure, & tout le refteeft mêlé de couleur de cendre , de jaune & de
pourpre. 11 a les oncles fort crochus, le bec des Perroquets, noir k l'ex-
trémité, les narines fort épaiffes, la prunelle des yeux jaune, les paupiè-
res rougeâtres, le front couleur de fang & filioné dérides, qu'il ouvre âc
qu'il reflerre à fon gré , & fur lefquelles flottent quelques poils crépus. Sa
queue, qui eft colle de l'Aigle, elt moitié noire & moitié cendrée. U fe
nourrie de ferpens, de léfards, Ce dexcremens humains. 11 vole pref-
que continuellement, avec une. force qui le fait réfifter au vent le plus
impétueux. Sa chair ne peut être mangée, & jette une odeur fort puan.
te. On diftingue une autre efpéce d'Aure, que les Mexiquains nomment
l'zopikil.
Les Chiacchialaccns font une efpéce de Poules , qui reflemblent beaucoup
aux nôtres ; mais elles font plus petites , & leur plumage eft toujours
brunâtre.
Les Bois & les Campagnes du Mexique font remplis de Coqs d'Inde /au-
vagesj qu'on tue facilement, pendant le clair de Lune, lorfqu'ils font ju-
chés fur les arbres fecs oîi ils paffent la nuit. S'il en tombe un , on ne doit
pas craindre que le bruit de l'arme à feu fiilTe partir les autres («).
On compte diverfes fortes de Grives ; les unes noires , & fi familières ,
qu'elles entrent dans les maifons. D'autres ont les aîles rouges; d'autres la
tète & l'eftomac jaunes. Leur chair fe mange, fans être aufïï fine que cel-
le des nôtres.
Le Mexique a fon Pivert ^ qui n'eft pas plus grand que la Tourterelle,
mais qui a le bec auffi long que le corps. Son plumage eft entièrement
noir, à l'exception de la gorge, où il eft jaune. On affure que de l'eau tiè-
de, où l'on a fait tremper fa langue, eft un fpécifique pour les maux de
cœur , & que la fumée de fes plunies guérit d'autres douleurs du corps, par
une efpéce de fympathie; c'eft-àdire, que celle des aîles guérit les maux
de bras, celle des cuiffes, les maux de cuiiles & des jambes, &c. (/).
Le
(i?) Carrcri, Tome VI, page 210.
(/; ^*i^.
férent do
\incios au
! Guêpe,
e l'odeur
e ed une
dent fort
;ou & de
leurt, OH
aqutlle il
ipale fai'
11 fignifie
J Oifeau,
;ur d'une
option du
aires vers
une & de
)ir à l'ex-
;s paupié-
ouvre ôc
épus. Sa
ée. 11 fe
irole pref-
nt le plus
fort puan*
nomment
beaucoup
toujours
'Inde fan-
s font ju-
an ne doit
àmilieres ,
d'autres la
le que c^\-
)urterelle,
tièrement
; l'eau tie-
maux de
:orps, par
: les maux
le. (/).
Le
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL (549
Le Guacbichilt dont le nom fignifie Sucefteur^ efl un petit Oifeau qu'on
voit fans ccfle en mouvement autour des fleurs & qui vit de leur fuc. Ou
prétend que pour dormir il fe tient par le bec entre les petites branches de
quelque arbre. Les Indiens emploient fes plumes à leurs plus beaux ouvrages.
Les S«ppJ/of« font des Oifeaux de la grandeur du Corbeau, & l'on en
diftingue deux efpèces; l'une qui a fur la tête une crête de chair; & l'au-
tre, une hupc de plumes. Ces Oifeaux fe nourriffent de charognes & d'im-
mondices. Il efl défendu à VeraCruz de les tuer, parccqu'on les cr<Mt
utiles à purifier l'air; comme il y cft permis au contraire de tuer les Pi-
geons , domefliques & fauvages , parcequ'on en craint le mal oppofd.
L'Oiseau, que Dampier nomme Bourdonnant ^ fans nous apprendre fon
nom Mexiquain, a le plumage fort joli, le bec noir & fort délié, les jam-
bes & les pies d'une extrême délicateffe. Sa grofi^eur efl celle d'un Hanne-
ton. Dans fon vol , il ne bat point les aîles ; mais les tenant toujours éten*
dues, il fe meut avec beaucoup de vîcefle, fans celfer jamais de faire en-
tendre une forte de bourdonnement. On ne le voit qu'au milieu des fleurs
& des fruits, voltigeant à l'entour , & paroifTant les examiner fous toutes
leurs faces. Quelquefois il y pofe un pié, ou tous les deux; il fe retire
tout-d'un-coup ; il y revient avec la même légèreté , & chaque fleur l'arrête
ainfi pendant cinq ou fîx minutes. On en diflingue deux ou trois efpèces ,
dont les unes font plus grofTes que les autres, & n'ont pas le même plumage,
mais elles font toutes fort petites. La plus groffe efl noirâtre {g).
Lb Quant 9l \a ^roffcuT d'une Poule-dlnde, comme il en a le bec. Sa
couleur efl un brun noirâtre. Il habite les Bois^ où il fe nourrit de baies,
^ fa chair efl excellente.
Le Correfo efl un autre Oifeau qui fe nourrit de baies , & dont la chair
efl très bonne ; mais on croit fes os fi venimeux , qu'on prend foin de les
enterrer, ou de les jetter au feu, de peur qu'ils n'empoifonnent les Chiens.
Il efl plus gros que le Quam. Le Mâle efl noir, avec une hupe fur la tête ;
& la Femelle efl d'un brun obfcur.
On nomme Subtiles une efpèce de Corneilles, qui font de la grofTeur
d'un Pigeon. Leur plumage efl noirâtre, mais le bout des aîles & le bec
tirent fur le jaune. Elles ont une manière extraordinaire de bâtir leurs
nids. Ils font fufpendus aux branches des plus grands arbres , & même à
l'extrémité des plus hautes, & de celles qui s'écartent le plus du tronc. Ce
qu'ils ont d'étrange, c'efl qu'on les voit toujours à deux ou trois pids de
]a branche à laquelle ils font fufpendus, & qu'ils ont la figure d'un faladier
rempli de foin. Les fils, qui attachent le nid à la branche, & le nid mê-
me, font compofés d'une herbe longue, fort adroitement entrelacée, &
déliés proche de la branche, mais plus gros vers le nid. On apperçoit à
côté du nid , un trou qui fert d'entrée à l'Oifeau ; & le même arbre offre
quelquefois vingt ou trente de ces nids fufpendus , qui forment un fpe£la-
cle fort agréable (h).
Les Corneilles camafjîeres font noirâtres , à-peu-près de la grofïeur de nos
Corbeaux. Elles ont la tête fans plumes & le cou fl chauve & fi rouge ,
DifcniPTroN
»B LA Nnif.
VtLI.E K^!>A-
ONR.
T cGii:^fhi-
cl, 11. ou Su-
ccllciir.
lotcb.
Le Boiif du»-
nant.
Le Q:u;u.
Le Correfo.
Les Corneil-
les fubtilcs ,
fingularitcsdc
leurs uids.
Ciirncilk".
cariiaffiercs.
{g) Dampier, Tome III, page 278.
Nnnn 2
{h) Ibidem.
quen
Descriptiok
DE LA Nou-
velle £srA-
SKfi,
Trois fortes
Hîc Canar Js,
Lefout-l)Pc.
Le Cogreco.
Le Faucon
pécheur.
6so DESCRIPTION DU MEXIQUE;
qu'en les voyant pour la première fois , on les prend pour des Coqs-dTnde.
Il s'en trouve de tout-à-fait blanches, qui n'en ont pas moins la tête & le
cou chauv^es , & qui font de la même grofleur. IMais on n'en voit jamais
plus de deux à la fois ; & dans les troupes des noires , il s'en trouve pref-
que*toujours une blanche. A Campêche , où ces Oifeaux font en fort grand
nombre, les Coupeurs de bois regardent les blancs comme les Rois de
l'efpèce. Ils croient avoir obfervé que lorfqu'une troupe s'aflemble autour
d'une carcafle, c'eft le blanc qui commence la ciirée, fans qu'aucun des
autres ofe y toucher , jufqu'à ce qu'il foit rempli , & qu'aul'it-tôt qu'ils lui
voient prendre fon vol, ils fondent tous enfemble fur la proie. Dampier,
qui avoit pafle quelque tems dans cette Baie , ne fit pas la même obferva-
tion; mais il nous apprend que les Coupeurs de bois ne vivant que des
Vaches fauvages qu'ils tuent fans cefle , & laifTant à l'abandon une partie
de la chair & des intellins, les Efpagnols du Pays défendent aux Habi-
tans , fous de grofles peines , de tirer les Corneilles , parcequ'ils les croient
utiles à garantir l'air de l'infeftion des charognes. Quoique les /\nglois,
qui viennent couper le bois de Campêche, ne croient pas devoir beau-
coup de foumiflSon à cette loi, ils ne laiiTent pas de s'y affujetLir, par un
fentiment de fuperftition , qui leur fait regarder la mort d'une Corneille
comme le préfage de quelque défaftre (/).
La Nouvelle Efpagne a trois fortes de Canards ; les uns , plus petits que
les nôtres , qui fe perchent fur les vieux arbres fans feuilles , & qui ne vont
à terre que pour manger ; d'autres , qui le nomment en langue du Pays ,
Canards Jifflans, parceque leurs aîles font une efpèce de fifflement dans leur
vol, & qui fe perchent comme les premiers; les troifiémes, qui ne fe per-
chent point , & qui reffemblent à ceux de l'Europe. Ils ont tous la chair
très bonne.
L'Oiseau, qu'on nomme To«f-i^<; , tire ce nom la grofleur de fon bec,
qui e£t ZM^i gros que le refle du corps. Les p gros ne le font pas plus
que nos Piverts, & leur reflemblent aflez par la gure: mais il s'en trouve
de plus petks , qui font beaucoup plus rares.
Les Cogrecûs font des Oifeaux qui ont les aîles courtes. Ils^ font moins
gros & moins ronds que la Perdrix, dont ils ont la couleur; mais ils ont les
jambes plus longues. Ils fe plaifent à courir fur terre, dans les Bois maréca-
geux, ou fur le bord des Criques. Ils ont une forte de ramage, qu'ils font
entendre foir & matin , & par lequel il paroît qu'ils s'appellent & qu'ils fe
répondent. Leur chair efl un aliment délicat.
Le Faucon pêcheur relTemble, par la figure & la couleur, à nos plus petits
Faucons. Il en a le bec & les ferres. On le trouve ordinairement perché
fur le tronc des arbres , ou fur les branches feches qui donnent fur feau ,
près de la Mer ou des Rivières, Dès qu'il apperçoit quelque PoifTon , il
y vole à fleur- d'eau, il l'enfile avec fes ergots , & s'élève aufli-tôt en l'air,
fans toucher l'eau de fes aîles. Il n'avale pas le poiflbn entier , comme
d'autres Oifeaux qui en vivent; mais il le déchire de fon bec, pour le man-
ger en morceaux. Les
(i) Dampier , Toinc III. page 280. D'ail-
leurs h mênic Loi, dit -il; elt établie à la
Jamaïque; comme elle l'eft à Vera-Cruz,
pour les Aurcs.
•d'Inde,
ite & le
c jp.mais
ve pref-
rc grand
Rois de
e autour
iicun des
qu'ils lui
)ampier ,
obferva-
que des
ne partie
ux Habi-
ts croient
Anglois,
oir beau-
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Corneille
petits que
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du Pays,
: dans leur
ne fe per-
us la chair
; fonbec,
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qu'ils font
i. qu'ils fe
)lus petits
nt perche
fur l'eau,
•oiflbn, il
t en l'air ,
' , comme
ur le man-
Les
Vera-Cruz,
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL Csi
Les Merles de la Nouvelle Efpagne font un peu plus gros que les nôtres. Description
Ils ont la queue plus longue, & leur ramage eft un caquet comme celui des J^, ^^ ^Z^^;
Pies ; mais leur couleur n'efl: pas différente. On didingue trois fortes de ' one. '
Tourterelles: les unes ont le jabot blanc; les autres font de couleur brune, Merles &
&' les troifièmes d'un gris fort fombre. Les premières font les plus grofles , Tourtcicllcs.
& le refte de leur plumage efl: d'un gris qui tire fur le bleu. Elles font
bonnes , rondes , dodues ik de la grofleur d'un Pigeon. Celles de la fécon-
de efpèce font de couleur brune, mais plus petites & moins grafles que les
premières. Les troifièmes , qu'on nomme auffi Tourterelles de terre , parce-
qu' elles vont fouvent à pie fur la terre, font plus greffes qu'une Allouette,
& rondes de graiffe.
On a donné le nom d'0//crta du Tropique ^ à un Oifeau qu'on ne voit ef- L'Oîieaudc
ièftivement que vers ce cercle, foit en Mer, foit fur les Côtes où il fait Tropique,
fon nid. 11 eft de la grofleur d'un Pigeon , rond comme la Perdrix , &
tout blanc, à la réferve de deux ou trois plumes de l'aîle, qui font d'un
gris clair. Son bec eft jaune, gros & court. Il a fur le croupion une lon-
gue pliime, ou plutôt un tuyau, d'environ fept pouces de long, qui lui tient
lieu de queue. Cette defcription fait juger que c'eft le même que nos
Matelots nomment Paille -en- eu ^ fur les Côtes d'Afriqae, vers la même
hauteur {k).
Le Totoquejîal eft un Oifeau de la groffeur du Pigeon ramier. Son plu- Totoqueftal.
mage eft verd, & fa queue fort longue. Les Mexiquains fe paroient de fes
plumes, dans leurs plus grandes Fêtes (7).
La Boubie, dont on a vu û fouvent le nom dans les Relations de la Mer La lioubic-.
du Sud, eft un Oifeau aquatiqlie, un peu moins gros qu'une Poule, & d'un
gris clair. Dans les Ifles, il eft plus blanc que fur les Côtes de la Terre-
ferme. Son bec eft fort , plus long & plus gros que celui des Corneilles, &
plus large par le bout. Ses pies font plats , comme ceux du Canard. C'eft
un Oifeau fort ftupide, & qui s'écarte à-peine du chemin par lequel il voit
venir des Hommes. Du côté de la Mer du Sud , il fait fon nid à terre ;
& dans la Mer du Nord il le fait fur les arbres (;«). Sa chair eft noire, &
plaît à ceux qui aiment le Poiflbn , parcequ'elle en a le goût.
fife) On ne parle ici d'un Oifeau fi connu,
que pour en prendre occafion de remarquer
qu'il y en a plus d'une efpèce, puifque le
Père Labat, qui l'avoit obfervé auffi près
que Dampier, mais dans un autre lieu, en
donne la def ription fuivantc. Il eft ù-peu-
près de la grofleur d'un Pigeon-. Il a la tête
petite & bien faite, le bec d'environ trois
pouces de longueur , aflez gros , fort &
pointu , tout rouge comme les pies , qui
leflemblent à ceux des Canards. Ses aîles
font beaucoup plus granIBcs & plus fortes
que fon corps ne femble le demander. Les
plumes des aîles & de tout le corps font très
• blanches. La queue eft compofée de douze
à quinze plumes , de cinq à fix pouces de
long, du milieu defquellcs fortent deux plu-
Lfi
mes de quinze à dix-huit pouces de long,
accollées, & qui fcmblent n'en faire qu'une
feule. C'eft ce qui a donné lieu aux Mate-
lots de les nommer Paille -en -eu, ou FetU'
en-cu. Ces Oi féaux volent très bien & très
haut. Ils fe rcpofent fur l'eau , comme les
Canards. Ils vivent de Poiflbn. Ils élèvent
leurs Petits dans des lieux déferts, & dor-
ment vraifemblablemcnt fur l'eau. Toms
VIII, page 305.
(/) Laet, page 324.
(m) L'ifle d'Yves, qui eft à huit ou ncu£
lieues de Buenos - aires , & d'autres Ifles
voifines , où le Comte d'Eftrées fit naufrage
avec toute fa Flotte en 1678, font peuplées
de Boubics, qui ne font leurs nids que fut
les arbres. Dampier, Tome L, page 56.
Nnnn 3
652 DESCRIPTION DU MEXIQU E,
Dr.EcnipTioN l^ Guerrier , autre Oifeau aquatique, eft de la grofleur d'un Milan, au-
vi.Ls* K:"!J- q"^^ i^ reiTemble aiifli par la forme; mais il efl: noir, à l'exception du cou.
ONT.
OlMcvvai'.on
lui les £ou-
bios & les
qu'il a rouge. Il vit de PoilTon. Cependant il ne voltige jamais fur l'eau;
LeGiRviia. mais fe tenant en l'air, comme le Milan, il s'élance fur fa proie, l'empor-
te Icgerement avec le bec, & retourne dans les airs, fans avoir autrement
touché l'eau , que de la pointe du bec. Ses aîles font fort longues , & fes
pies ne diffèrent point de ceux des Animaux terreftres. Il fait fon nid à
terre ou fur les arbres, fuivant les commodités qu'il y trouve.
Dampier fait un curieux récit (n) de l'établifTement des Boubies, des
Guerriers, & d'une autre cfpèce d'Oifeaux qui font de la grofleur d'un œuf^
dans les lîles Alcranes^ fur la Côte d'Yucatan, vers le vingt-troifième degré
de latitude du Nord. Les plus feptentrionales de ces Ifles font habitées par
un prodigieux nombre de ces Oifeaux. Chaque efpèce y occupe fon canton.
Les fioubies tiennent plus de terrein que les autres, parcequ'elles font en
plus grand nombre. Quoique les Oifeaux delà grofleur d'un œuf foient aufll
fort nombreux, leur petiteflTe, qui demande moins de place, les refl*erre
dans un canton plus borné; mais ils ne laifl^ent pas d'y dominer feuls, fans
être inquiétés par leurs voifins. Les trois efpèces font peu farouches, fur-
tout les Boubies, „ dont la foule efl: d'ailleurs fî grande, qu'on ne fauroit
pafler dans leur quartier, fans être incommodé de leurs coups de bec.
J'obfervai , continue le même Voyageur , que ces Animaux étoient rangés
par couples ; ce qui me fit croire d'abord que c'écoit le mâle & la femel-
le: mais les ayant frappés > l'un des deux s'envola de chaque endroit, &
celui qui refl;a de chaque couple me parut aufli malin que ceux quis'étoient
éloignés. J'admirois la hardieflTe de ceux qui ne s'envoloient point, mal-
gré les efforts que je faifois pour les y contraindre, lorfque je m'apperçus
que c'étoient des jeunes, quin'avoient point encore appris à fe fervir de
leurs aîles, quoiqu'ils fuffent aufli gros que leurs Mères, & qu'ils ne fuf-
fent pas moins fournis de plumes. Ils les avoient feulement un peu plus
blanches & plus nouvelles. Je remarquai aufll que les Guerriers & les
Boubies laiflbient toujours des gardes près de leurs petits , fur-tout dans
le tems où les vieux alloient faire leurs provifions fur Mer. On voyoic
un aflez grand nombre de Guerriers, malades ou efl;ropics, qui paroif-
foient hors d'état d'aller chercher de quoi fe nourrir. Ils ne demeuroient
pas avec les Oifeaux de leur efpèce; <Scfoit qu'ils fuffent exclus de la fo-
ciété, ou qu'ils s'en fuffent féparés volontairement, ils étoient difperfés
en divers endroits , pour y trouver apparemment l'occafion de piller. J'en
vis, un jour, plus de vingt, fur une des Ifles, qui faifoient de tems en
tems des forties en plate campagne, pour y chercher du butin: mais ils
fe r«tiroient prefqu'auflli-tÔL Celui qui furprenoit une jeune Boubie fans
garde , lui donnoit d'abord un grand coup de bec fur le dos , pour lui fai-
re rendre gorge ; ce qu'elle faif oit à l'infliant. Elle rendoit quelquefois
un Poiffon ou deux, de la giu)ffeur du poignet, &*le vieux Guerrier l'a-
valloit encore plus vîte. Les Guerriers, qui font en bonne fanté, jouent
„ le.
Cn) Dampier, Tome 3, pages 229 &?/»/- rang des Fables, fi l'on doute ici du témoi-
xnr.tts, il faut mettre toutes les Relations au gnage d'un Voyageur tel que Dampier.
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uelquefois
icrrier l'a-
xé, jouent
„ le.
ici du témoi-
lampier.
OU DE LA ^^OUVELLE ESPAGNE, Liv. II. (553
„. le même tour aux vieilles Boubics qu'ils trouvent fur Mer. J'en vis un moi-
même, qui vola droit contre une Boubie, & qui d'un coup de bec lui fit
]\ rendre le Poiflbn qu'elle venoit d'avaller. Le Guerrier fondit fi rapidement
„ fur la proie qu'il avoit fait rendre à l'autre, qu'il s'en faifit en l'air, avant
^ qu'elle fût tombée dans l'eau".
XiMENEZ décrit un Oifeau du Mexique, qu'il appelle monjlrneux; de la
grandeur, dit-il, du plus gros Coq-d'Inde, & prefque de la même forme.
Son plumage eft blanc , moucheté de quelques petites taches noires. Il a le
bec d'un Epervier, mais plus aigu. Il vit de proie, fur Mer & fur Terre.
Son pié gauche reflemble à celui de l'Oie , &. lui fert à nager. Du pie droit ,
qui eft femblable à celui du Faucon , il tient fa proie , dans l'eau , comme
dans les airs (0). ^ ;
AcosTA dirtingue trois fortes d'Animaux, dans la Nouvelle Efpagne; ceux
qu'on y a portés d'Europe, ceux de la même efpèce, qu'on y a trouvés, &
ceux qui lont propres au Pays. Il met , dans la première dafle , les Vaches-,
les Brebis , les Chèvres , les Porcs , les Chevaux , les Anes , les Chiens &
les Chats, llien ne caufe tant d'admiration , que la facilité avec laquelle ils
s'y font multipliés. Le nombre des Brebis eft au-deflîis de l'imagination.
11 fe trouve des Particuliers qui en pofledent jufqu'à cent mille, avec peu
de difliculte pour les nourrir, dans le choix d'une infinité de pâturages
communs, où chacun a la liberté de faire paître fes Troupeaux. Les lai-
nes feroient une richefle pour l'Europe , fi là qualité dee herbes , qui font
fort hautes, & ibuvent trop dures , ne reudoit cet avantage prefqu'inutiie.
On l'a même négligé long-tems, jufqu'à laifler périr toutes les laines, qui
paroiflbient trop feches & trop groflières pour être employées : mais k la
fin quelques Efpagnols ont trouvé l'art d'en faire des draps & des couvertu-
res, qui ne fervent néanmoins qu'aux Indiens, & qui n'empêchent point que
les draps d'Efpagne ne fe vendent fort cher. Ainfi la principale utilité qu'on
tire de ces Troupeaux innombrables , eft d'en avoir à vil prix la chair , le
lait & le fromage (p).
Les Vaches ne fe font pas moins multipliées , dans la proportion de leur
efpèce , & rapportent plus d'avantages à la Nouvelle Efpagne. On diftingue
les Vaches domeftiques, dont on tire le lait, la chair & les Veaux, comme
en Europe , tandis qu'on employé les Bœufs au travail ; & les Vaches fauva-
ges, qui habitent les Montagnes & les Forérs >ù n'ayant point de Maî-
tres, elles font comptées au rang des Bêtes de chafle, qui appartiennent à
ceux qui les domptent ou qui les tuent. On les rencontre quelquefois par
milUers dans les Campagnes , & les Efpagnols ne leur font la guerre que
pour enlever leurs peaux. La manière de les tuer mérite une defcription.
Ceux qui s'y plaifent, ou qui s'en font un métier, ont des Chevaux élevés
à cette chafle, qui avancent ou reculent avec tant d'intelligence, que le Ca-
valier n'a point d'embarras à les conduire. Les armes font un Fer de la fi-
gure d'un croifiantjdont le tranchant eft fort aigu, & qui a fix ou fcpt pou-
ces de large d'une corne à l'autre. Ce fer eft enchafl'é, par une douille, au
bout
Deîcrtption
UE LA NOU.
VCLLlî Efl'A-
GKi;.
L'Oifcnu
iiionllrunix.
Animaii":
quadrupcdf.;
Vrchcs do-
meftiques &.
fauvagus.
Comment
lesEfprignols
Uient les Va-
ches lliuvrges.
(0) Laet, uhi fuprà.
ip) Acofla, Liv. 4. Cbap. 33.
DcscairTioN
ne i.K Nou-
TKr.LE Esi'A-
UNS.
654 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
bout d'une hampe de quatorze ou quinze pk'S de long. Le ChafTeur pofe
fon épieu fur la tête de fon Cheval , le fer devant , & court après la Bête.
S'il la joint , il lui enfonce fon fer au-deflus du jarret , dont il tâche de cou-
per les ligamens. Son Cheval fait auffî-tôt un tour à gauche, pour éviter
J'Animai furieux, qui ne manque point, lorfqu'il fe fentbleffe, de couri»
fur lui de toute fa force. Si les ligamens n'ont pas été tout-àfait coupés ,
il ne manque prefque jamais de les rompre , à force d'agiter fa jambe ; ou
s'il continue de courir vers fon Ennemi, cen'eftplus qu'en boitant & fur
.trois pies. Le Chafleur, après s'être éloigné au grand galop, fe rapproche
à petits pas , & le frappe de fon fer fur une des jambes de devant. Ce
coup le renverfe.^ Il ne relie alors qu'à defcendre, en tirant un grand cou-
teau fort pointu , dont tous les Chafleurs font armés , & dont ils fe fervent
avec beaucoup d'adrefle. Un feul coup dans la nuque, un peu au-deflbus
des cornes, lui abbat la tête. C'efl; ce qui fe nomme décapiter. Le Vainr
queur remonte enfuite à Cheval , & va chercher une autre proie ; pendant
<jue les Ecorcheurs , dont il eft toujours fuivi , dépouillent celle qu'il leur
laifFe. L'oreille droite du Cheval , qui fert à cette chafle , eft ordinairement
abbatue; ce qui vient de la péfanteur de l'épieu, qu'on tient long-tems fur
fa tête. C'eft à cette marque, qu'on connoît les Chevaux bien exercés.
Dampier obferve que les Efpagnols ne tuent jamais que les Taureaux & les
vieilles Vaches. Il condamne les Anglois de la Jamaïque, & les François
de S. Domingue , qui n'ayant point eu la même modération dans ces deux
Jfles , où les Vaches fauvages ne s*etoienc pas moins multipliées , fe font
privés d'un important fecours, en les détruifant prefqu'entiérement (q).
La guerre qu'on fait fans cefle à ces Animaux les a rendus fi féroces;,
qu'il y a du danger , cour un Homme feul , à les tirer dans les Savanes. Les
vieux Taureaux , qui ont déjà reçu quelques bleflures , n'attendent pas tou-
jours qu'ils foient attaqués, pour fe précipiter fur leur Ennemi. Lorfqu'on
approche d'un Troupeau, toutes les Bêtes , qui le compofent, fe rangent
comme en bataille, & fe tiennent fur la défenfive. Les vieux Taureaux
font à la tête ; les Vaches viennent enfuite , & le jeune Bétail eft à la queue.
Si l'on tourne à droite ou à gauche, pour donner fur l'arrière-garde, les Tau-
reaux ne manquent point de tourner en même-tems , & de faire face aux
Chafleurs. Aufli ne les attaque- t-on prefque jamais en troupe. On les ob-
ferve du bord d'un Bois , pour furprendre ceux qui s'écartent dans les Sava-
nes. Un Taureau , légèrement blefl^é , prend ordinairement la fuite ; mais
fi fa bleflure eft mortelle, ou capable de l'eftropier, il fond, tête baiflee,
fur le Chafl^eur. On prétend que , dans le même cas , une Vache eft plus
dangereufe encore, parcequ'elle attaque fon Ennemi, les yeux ouverts; au
lieu que le Taureau les ferme, & qu'on a , par conféquent, moins de peine
-à l'éviter. Sans décider de cette propriété , qui paroît fort incertaine à
Dam-
(î) Il ajoute que le dégât n'a été reparé
à la Jamaïque , que fous le Gouvernement
du Chevalier Thomas Linch , qui fit venir
de Cuba un renfort de Bêtes a cornes; &
qu'aujourd'hui chacun fait ce qui lui appar-
tient, au Keu qu'autrefois tout étoit com-
mun. Tome III, page ^H. On verra, dans
1 article des Illes, coinuient les Boucanii.rii
tuent ces Animaux.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. H.
CSS
V£LI.B IÙI>A-
CNC.
ChcvsDx,
Clu'vau*
faiivag'es.
Dampier (r), ajoutons que les Cuirs, qu'on tranfporte en Europe, font une DafcniPTioN
des plus confiantes richeires de la Nouvelle Erpagne(j). ^ te i..\ Ncu-
Les Chèvres , qui font aufli en fort grand nombre , fourniflent non-feu-
lement du lait & des Cabris , mais un fort bon fuif , donc on fait plus d'ufa-
ge que d'huile ^ pour s'éclairer & pour la préparation du maroquin dont on
le cnaufle.
Le climat s'efl: trouvé fi propre aux Chevaux, qu'outre l'avantage d'une
nombreufe propagation , la plupart des Provinces en ont d'auffî bonnes ra-
ces , que l'Efpagne.. On s'en fert communément pour voyager , & l'on n'em-
ployé que des Mulets pour le tranfport des Marcnandifes & du Bagage (t).
Une Loi, qu'on fait remonter jufqu'à l'origine de l'Etabliflement Efpagnol,
oblige toutes les Communautés des Villes & des Bourgs, de fournir, à ceux
qui voyagent avec un Pafleport des Officiers royaux j J'Hofpice, des Vivres
& des Chevaux fur toute leur route ; fans autre rétribution qu'une légère di-
minution d'Impôts , qu'elles obtiennent en produifant, dans leurs Regîtres
publics , la dépenfe de l'Etranger , lignée de fon nom , avec 1^ date du jour
& du mois (v).
Il fe trouve aufli des Chevaux fauvages , dans la Nouvelle Efpagne, mais
en moindre nombre que dans l'IfleEfpagnoIe, où les Relations affurent qu'on
en voit quelquefois courir des troupes de cinq cens. Lorfqu'iU découvrent
un Homme à quelque difl:ance , ua d'entr'eux fe détache , approche de la
perfonne qu'il a vue, fe met à fouffler des nafeaux, & prend enfuite une
autre route, en courant de toute fa force. A l'inflant tous les autres le fui-
vent: Quoique ces Animaux foient de la même race que les domelliques ,
ils ont dégénéré dans les Forêts qu'ils habitent; la plupart ont la tête fort
grofle, & les jambes raboteufes, les oreilles & le cou longs. Ils font d'ail-
leurs aflez propres au travail , & s'apprivoifent facilement. Pour les pren-
dre , on tend des lacs de corde , fur les routes qu'Us fréquentent. Ils ne
manquent point d'y donner ; mais ils s'étranglent quelquefois lorfqu'ils font
arrêtés par le coa. Auflî-tôt qu'on les a pris , on les attache au tronc d'un
arbre, pour les y laifler deux jours fans boire & fans manger. Dés le
troifîème , à la vue de la nourriture qu'on leur préfente , ils devien-
nent aufli doux que s'ils avoient toujours vécu parmi les Hommes. On ra-
conte même que ceux qu'on a quelquefois lâchés, après les avoir nourris
pendant plufîeurs jours , font revenus enfuite dans les mêmes lieux , qu'ils
ont reconnu leurs Maîtres, &.que les venant flairer, ils fe font laifles re-
prendre.
On voit dans la Nouvelle Efpagne, comme au Pérou & dans l'Ifle Efpa-
^nole, quantité de Chiens fauvages , dont on att.lbue l'origine à ceux des
premiers Caftillans^qui peuvent avoir quitté leurs Maîtres, & s'être égarés
dans les Bois. Ils marchent en troupes, & la plupart reflemblent à nos Lé-
vriers. Quoiqu'extrêmement voraces, ils manquent de hardiefle ou de
> I • ', force
Chiens fau-
vages.
(r) Dampicr, ubi fuprà, page îjij.
(j) Acofta, Liv. 4. Cbap. 33.
(t; Ibidem.
WIIL Part.
(v) Th. Gage, P. 1. Ch. 20. Waffcr bor-
ne cet ufage à l'Audience de Guatimala. pag.
392.
Oo 0 0
DflscniPTioN
Diî LA Nou-
velle Espa-
gne.
Animaux
Mcxiqiiains
qui refTcm-
blent aux nô-
tres.
Lions.
Tigres.
Ours.
Sangliers.
656 DESCRIPTION DU MEXIQUE,.
force pour attaquer les Chevaux & les Vaches ; mais ils mangent les Veaut
'& les Poulains. Un Sanglier même ies effraye peu (x).
On ne peut douter, fur le témoignage des premiers Cùhquérans , que la
Nouvelle Efpagne n'eût, avant leur arrivée, des Lions, des Tigres, des
Ours, des Sangliers, des Cerfs, & des Renards. Acofla s'efforce d'expli-
quer (y) comment ils ont pu paffcr, depuis le Déluge, dans le Continent de
l'Amérique; mais à quelque opinion qu'on s'attache fur un point fi mal é-
clairci, il paroît que, fi tous ces Animaux font venus de notre Hémifphe-
re, ils n'ont pas confervé une exafte reffemblance avec ceux dont.on veut
qu'ils tirent leur origine.
Les Lions Mexiquains ne font pas roux. Ils n'ont pas ces crins, avec
lefquels on repréfente ceux de notre Continent. Leur couleur eft grife^ &
loin d'être auffi furieux que les Lions d'Afrique & d'Afie,ils fe laiffent pren-
dre, ou tuer à coups de pierres & de bâtons, dans un cercle d'Hommes,
où l'on n'a pas de peine à les renfermer. S'ils font pourfuivis par des
Chiens , ils grimpent fur les arbres , d'où le plus timide ChaiTear les dbbat
facilement à coups de lance & d'arquebure(2).
Les Tigres ont la couleur de ceux d'Afrique, & ne font pas moins dan-
gereux par leur adreffe & leur cruauté; mais ils n'ont pas la mêm.e groffeur.
On prétend qu'ils portent une haine particulière aux Naturels du Pays, &
qu'au miUeu de plufieurs Efpagnols , ils choififfent toujours un Indien pour
le dévorer (a).
Les Ours ont la figure Gc la férocité des nôtres ; mais on en rencontre
peu. Ils fe terrifl!ent, & ne cherchent leur proie que pendant la nuit.
Les Sangliers , que les Mexiquains nomment Sainosy font beaucoup moins
gros qu'en Europe, & diffèrent encore plus par une propriété fort étrange,
' ' .. • ' . . . i ... qui
(x) On lit. dans l'Hiftoîre des Flibnf-
♦Icrs , que vingt- cinq ou trente de ces
Chiens , ayant pourfuivi long-iems un San-
glier, l'entourèrent dans une petite Prairie,
où le combat dura près de deux heures.
L'Hiftorien en fut témoin , fur un arbre où
il s'étoit porté avec un Boucanier François.
Les Chiens déchirèrent enfin la gorge au
Sanglier. Après l'avoir tué, ils fe retirèrent
tous à quelque diftance; & bientôt un d'en-
tr'cux fe détacha, pour aller commencer la
curée. Lorfqu'il eut ceffé de manger , tous
les autres fe jettèrent fur ce qui reftoit de
leur proie. Un coup de fufil.tiré de l'arbre,
en tua deux & fit prendre la fuite à tous
les autres. Ils n'avoient encore mangé que
la gorge & les tefticules. „ Mon Compagnon, ..
„ continue l'Hiftorien Anglois , m'expli-
„ qua pourquoi le premier Chien avoit
,, mange feul : c'eft que dans toutes les
„ Meutes, il y a un Braque qui trouve le
„ Sanglier, & que pour reconnoître ce fer-
„ vice , les autres Chiens lui défèrent l'hon-
„ nt'iir de manger le premier. Il me jura
„ qu'il avoit toujours fait cette obfcrva-
„ tion; & je l'a! faite vingt fois depuis,
„ du moins dans les Meutes des Bouca-
„ niers. Ils ont un Braque , qui marche
,, toujours devant. Au(îî-tôt qu'il a décoa-
,, vert le Sanglier, il aboie deux ou trois
,, fois; & les autres Chiens pourfuivent la
,, Rèie, tandis qu'il demeure à les regarder.
,, Lorfque le Sanglier eft mort, le Chaf-
,, fcur en donne, .^ fon Braque, un mor-
,, ceaa qu'il mnnge feul ; & les autres n'ont
„ rien qu'à la fin du jour, lorfqu'ils foirt
„ revenus de la chafle". Oexmelin conclut
que les Chiens fauvages étant venus appa-
remment de quelques Meutes égarées dans
les Bois , ils ont pu retenir , dans leurs
chaifes , 1 ordre auquel les premiers avoient
été formés. Tome I. pageJ 353 £5*354- 11
faut fe fouvenir que pour faire la guerre aux
Indiens, les Kfpagnols menoient d'Efpagne
un grand nombre de Chiens.
(y) Acofla, Liv.l. Cbap. 20; &. Liv. 4.
Cbap. 34. & fuiv.
(a) Ibidem. Carreri, Tome VI, Ch. 9,
(a) Acolla, ubi fuprà.
Veaut
) que la
es, des
d'expli-
nenc de
i mal é-
mifphe-
on veut
is, avec
;rife^ &
nt prén-
ommes,
par des
;s àbbat
lins dan'
grofleur.
j*ays, &
ien pour
encontre
uic.
ipmoins
étrange,
qui
depuis,
es Bouca-
ui marche
,t a dtcou-
H ou trois
rfuivent la
s regarder,
le Chaf-
iin inor-
utres n'ont
qu'ils foirt
in conclut
:nus appa-
arées dans
dans leurs
;rs avoient
2?3S4. 11
guerre aux
d'Efpagne
& Liv. 4.
I,Ch. 9.
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Lxv. IL 657
qui eft d'avoir le nombril fur le dos. Ils vont en troupes dans les Bois.
Leurs dents font tranchantes, & les rendent d'autant plus terribles, qu'ils
n'attendent point qu'on les offenfe , pour attaquer les ChafTeurs. Ceux , qui
leur font la guerre, font obligés de monter fur des arbres, où ces furieufes
Bêtes ne les ont pas plutôt découverts, qu'elles accourent en grand nombre.
Elles mordent le tronc , lorfqu'elles ne peuvent nuire à l'Homme. Mais on
les tue facilement dans cette Hcuation ; &. la vue de celles qui tombent , ou
le brait des armes à feu, éloigne enfin toutes les autres. Leur chair eft ex-
cellente; mais n l'on ne prend foin de leur couper le nombril, qu'ils ont fur
l'épine du dos, elle fe corrompt avant la fin du jour (b).
On ne reconnoît pas aifément nos Cerfs , dans la Defcription d'Acofla ,
quoiqu'il compte ces Animaux entre ceux de l'Amérique, qui reflemblent
aux nôtres (c). Mais^il eil t . 'tain d'ailleurs que la Nouvelle Efpagne a de
véritables Cerfs (<^). .;
Les Renards n'y font pas plus grands que nosChats. Ils ont le poil blanc
& noir, &la queue très belle. Lorfqu'ils font pourfuivis, ils s'arrêtent,
après avoir un peu couru; & pour leur défenfe, ils rendent une urine û
puante , qu'elle empoifonne l'air dans l'efpace de cent pas. S'il en tombe fur
un habit, on efl forcé de fenfevelir long- tems. fous terre, pour en difllper
la puanteur (e).
Les Loups de la Nouvelle Efpagne, s'il faut s'en rapporter à Gemelli
Carreri, relTemblent au Léopard (/).
Le Beori^ que les Efpagnola ont nommé Dame ^ QU yachc duMextOUe, efl:
un Animal fans cornes , de la grandeur d'une petite Vache, qu'Acofta croit
néanmoins plus femblable au Mulet, & dont le cuir efl fort eflimé pour fa
dureté, qui le rend impénétrable à toutes fortes de coups (^).
Carreri nomme Sibole un autre Animal, de la graodeur d'une Vache,
dont on n'eftime pas moins la peau , pour la douceur & la longueur de fes
poils (6).
On trouve, dans la Province de Vera-Paz, un Animal fauvage, quin'efl:
^ pas
DSfCBIFTIOK
U« LA NdU*
VELLIt E^PA'
o^'l.
(I)) Ibid. Chap. 38.
le) „ Tels font les Cerfs, dit-il, & au-
„ très , dont il y a grande abondance dans
„ les Forêts. Mais la plus grande partie eft
,, unevenaifon fans cornes; à tout le inoins,
„ je n'y en ai pas vu d'autres . ni oui parler
„ qu'on y en ait vu, & tous font fans cor-
„ nés , comme Corcos". Ibid. Chap. 54.
(a[) Carreri, Tome VI,. pages 204, 205
& 207.
(e) Ibid. page 213. Laet, Liv. 5. page
167-
(/J Ibid. • ^
(g) Jcojla, Cb. 38. I-aet en donne cette
defcription : „ C'tft le plus grand des Qua-
„ drupedcs du Pays. Il a la forme d'un Veau ,
,, mais les jambes plus courtes, articulées
,, comme celles de l'Eléphant. Il a cinq doigts,
„ ou cinq gngles aux pies de devant, &
Ccrfii
Renards,
. Animaux
Propres yu
ays,
LeDanf.e.
Le Sibolc.
Animal
fans nom.
„ quatre feulement aux deux autres. Sa tête
„ eft oblonguc, & fon front étroit; fes yeux
„ font petits pour fa grofleur. Il lui pend
,, fur le n\j!ifeau une trompe, longue d'envi-
„ ron quatre doigts. Lorfqu'il eft irrité, il
„ fc drefle, & montre les dents, qu'il a fem-
„ blabics à celles du Porc. U a les oreilles
„ aigiies, le cou ridé, la queue courte &
,, prefquc fans poil, la peau fi épailTe, qu'à
„ peine peut-on la prendre avec la main,
„ ou la Iroinir avec le fer. 11 vit d'herbe
„ & de feuilles. Les Mexiquains mani^ent
„ fa chair, & prétendent tenir de lui l'art de
„ la Saignée. En effet, lorfqu'il a trop do
„ fang, il s'ouvre une veine des jambes, en
„ fe frottant contre une pierre, & fe fou-
„ lage autant qu'il en a befoin". Liv. ?•
Cbap. 7.
(i) Ubifuprà, page 212.
Ooo o a .
65i DESCRIPTION DU MEXIQUE;
Description pas moins gros que l'Ours, &'qui a le poil noir, la queue large, des main»,
ÎIllr e°a' ^ ^^^ P^^' prefque de la forme humaine, la face large, fans poil, ridée, &
0N£ le nez camus , à-peu-pr.s comme les Ncgres.
La Province de Guatimala produit une efpôce de Daims, qui ont reçu
de la Nature deux ventricules ; l'un pour la digeftion des alimens, l'autre
qui fert de réceptacle, comme on l'a fouvent obfervé, à diverfes fortes de
bois pourri, fans qu'on puiflc deviner le but de la Nature dans une organi-
fation il lingulière. Les Indiens mangent la chair de ces Animaux, quoi-
que vifqueufe, & vraifemblablement tort mal faine (i).
Le Sa.aachc. Le Squache ell un Animal à quatre pies, plus gros qu'un Cliat, & dont la
tête reHemble à celle du Renard. 1! a les oreilles courtes, & le milfeau
long. Ses pies font armés de griffes aigUes, qui lui fervent à grimper fur
les arbres. 11 a la peau couverte d'un poil court, fin & jaunâtre; fa chair
efl: faine & de très bon goût. Aulli cet Animal ne vit-il que d'excellens
fruits, furtout de Sapotilles, donc les .arbres font fa retraite ordinaire. Ceux,
qu'on prend jeunes, s'apprivoifent aulVi facilement qu'un Chien , & ne font
pas moins de tours que les Singes. Ils font communs dans la Province
d'Yucatan {k).
i.'Oiirsà VOurs à Fourmis efl une autre Bête à quatre pies , de la grofleur d'un
i'uiinnis. Chien de bonne taille. Il a le poil rude, & d'un brun qui tire fur le noir,
les jambes courtes, le mufeau long, de petits yeux« la gueule fort petite,
& la langue auffî déliée qu'un Ver de terre, de cinq ou fix pouces de long.
Cet Animal fe nourrit de Fourmis, & ne fe trouve guères qu'aupj^és des
Fourmillieres. Il couche fon mufeau à terre, fur le bord du fentier où les
Fourmis paflent. Il poufle la langue au travers du fentier. Les Fourmis s'y
arrêtent; & dans un inllant elle en^ ell couverte. Il la retire alors, pour les
avaller. Enfuite il recommence le même exercice, auflî long-tems qu'il efl:
prefle de la faim. Ces Animaux jettent une forte odeur de Fourmis ; mais
leur chair peut fe manger, quoiqu'elle en ait auffî le goût. Ils font aflez com-
muns dans le Continent du Mexique & fur lesCôtesdelaMerduSud(/).
Le Sloth. Le Sloth (in), autre Bête à quatre pies , ell couvert de poil brun. Sagrof-
feur e(l un peu moindre que celle de lOurs à Fourmis; il n'efl; pas non
plus fi hérilTé. Il a la tête ronde, les yeux petits, le mufeau court, les
dents fort aiguës, les jambes courtes, & les griffes longues & perçantes. Il
fe nourrit de feuilles, fans qu'on fâche s'il en mange indifféremment de tou-
tes les fortes, ou feulement celles de quelques arbres. Ilefl: fi lent à fe re-
• muer, qu'après avoir mangé toutes les feuilles d'un arbre, il employé cinq
ou fix jours à defcendre, pour monter fur un autre; & quoique fort gras
en quittant le premier, il arrive maigçe fuf le fécond. Jamais il n'aban-
donne un arbre , fans l'avoir entièrement dépouillé. Dampier affure qu'il
ne lui faut pas moins de huit ou neuf minutes , pour avancer un pié à la
diilance de trois pouces ^ qu'il ne rejnue l'un qu'après l'autre, avec la mê"
me
(i) Laet, Liv. 7, Chap. il. . l'Illc Pfpagnole , comme une efpcce de Sln-
ik) Dampier, Tome lll, page 27a, ge, fous le nom deFareJpux; car Slotb a la
(/') Jbid. page 272. Laet, page 332. même lignification en Anglois. Cependant ,
(m) II y a beaucoup d apparence que c'eft on y trouvera ici quelques différences.
ic luûme Animal qu'on a déjà décrit, dans
«I
lis; mais
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Lxv. IL 659-
me lenteur; &qiie les coups font inutiles pour lui faire doubler le pas. ,, J'en
„ ai frappé quelques-uns, dit ce Voyageur, dans refpcrance de les animer,
„ Ils paroifTent infenfiblcs. Rien ne les effraie & ne peut les contraindre à
„ marcher plus vîte C«) '•
VArmaiillo de la Nouvelle Efpagne tire Ton nom , comme celui de l'Ifle
Efpagnole , de refpèce d'armure , dont il efl revêtu ; mais il a le corps plus
long, & la groffeur d'un Cochon de lait. Les Mexiquains le nommentJ/yo-
tochtli. Son écaille lui couvre tout le dos, & fe rejoint fous le ventre, où
elle ne laifle que la place des quatre pattes. Il a la tête petite, le grouin
du Porc, & le cou aifez long. Dans fa marche, il laifle voir entièrement
fa tête; mais, à la moindre crainte, il la cache fous fa coquille, où reti-
rant aulTi fes pies, il demeure immobile comme une Tortue de terre. Son
écaille ell partagée en croix , au milieu du dos , & ces jointures lui fervent
à fe tourner. Ses pies reffemblent à ceux de la Tortue de terre. Il a des
ongles très forts, avec lefquels il creufe la terre comme les Lapins. Sa
chair efteftimée (0).
Le. Tlaquatzin eH un Animal de la forme d'un petit Chien , qui a le mu-
feau long & fans poil, la tête petite, les oreilles fort minces, les yeux pe-
tits & noirfr, le poil du .corps affez long, & blanc jufqu'à l'extrémité, qui
efl: noire, la queue ronde, longue de huit ou neuf pouces, de couleur ti-
grée, & fi flexible, qu'il s'en fert pour fe tenir fufpendu à tout ce qu'elle
peut embrafler. La Femelle porte à la fois , quatre ou cinq Petits , qui ne
font pas plutôt nés , «ju'cllt les mec Uaiis uu ftc de peau que la Nature lui
a formé fous les mammelles, où elle les nourrit facilement de fon lait. Ce
facefl: fi bien difpofé , qu'on n'en découvre pas aifément l'ouverture. Le
Tlaquatzin monte fur les arbres avec. une merveilleufe légèreté, &, fait la
guerre , comme le Renard , aux Oifeaux domeftiqucs.. Sa queue pafi'e pour
un fpécifique contre la Gravelle & plufieurs autres maux. Laet alfure qu'el-
le a d'incroyables vertus (p)-
Le Chat-Tigre, qui eft commun dans la Province d'Yucatan, efl; un A-
nimal farouche, de la groflfeur de nos Mâtins. Il a les jambes courtes, &
le corps ramafle comme un Mâtin; mais par la tête, le poil, & la mauiè-
re de quêter fa proie, il reflemble fort au Tigre. Le nombre en efl: fi
grand dans la Baie de Campêche, qu]ils y feroient redoutables aux Habi-
tans, s'ils n'avoient, pour leur nourriture, les jeunes Veaux fauvages qu'ils
trouvent en abondance. Ils ont la mine altiere, & le regard fi farouche,
que le Voyageur, qu'on cite, n'en rencontroit jamais fans frémir (q)..
On compte, entre-les plus .finguliers Animaiix.de la Nouvelle Efpagne,
une efpèce de Vache qui habite les Bois , dans le voifinage des grandes Ri-
vières. Elle eft: de la groffeur d'un Taureau de deux ans, & de la figure
d'Une Vache par 1« corps : mais fa tête efl: beaucoup plus groffe, plus ra-
maffé&4 plus ronde & fans cornes. Son mtifie efl court, l'es yeux ronds j
; . :•■ . . . r..- t, . : . . . Pl^inS ,
(»0 Dampier ,• page 273. rentdans choque Pays, fur tout par la grof-
(0) Laet, avertit que cet Animal fe trouve feur. Liv. 16. page 618.
dans toute l'Amérique,. mais qu'il eft diffé- .(p) Laet, Liv. 5. page 232.
(q) Datnpier, Tome III, page zf^,
Ooo O 3
DiSCRIPTION
nE LA Nou-
velle ESI'A-
ONE.
L'Ayotocluli
ou l'Arina-
dillo.
LeTIaqua;.
zin.
Le Cliat-
Tigre.
La Vache
montngnarde,
&■ fcs lingi'.la-
rit^is.
66o
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
PRfCnWTtOIl
PB LA Nou-
velle EsrA*
ONB.
Cornerai de
tf-Tia,
pleins , & d'une prodigieufe grandeur. Elle a de grofles lèvres , âc les oreil-
les plus longues, mais moins épailTes , que celles des Vaches communes;
le cou épais & court; les jambes plus courtes que celles de nos Vaches; la
queue aflez longue, & peu garnie de poil; le corps entièrement couvert
d'un gros poil , clair femé ; la peau épailTe d'environ deux pouces. Sa chair
efl: rouge , & fa graifle blanche. C'etl un aliment fort fain, & de bon goût.
On trouve de ces Animaux , qui pefent cinq & fix cens livres. Ils fe nour-
rilTent d'une forte d'herbe, ou de moufle longue & déliée, qui croît en
abondance fur le bord des Rivières. Lorfqu'iis font rafl^afiés, ils fe cou-
chent ordinairement dans les mêmes lieux ; & le moindre bruit les réveil-
lant, ils fe jettent dans l'eau, de quelque profondeur qu'elle foit, non pour
y nager, mais pour aller au fond, où ils marchent comme fur un terrein
fec. Ils font alfez communs dans les Provinces d'Yucatan & de Honduras,
jufqu'à la Rivière de Daricn (r).
Outre les Chèvres communes , qui paroiflent venues d'Efpagne, on en
trouve une efpèce fort finguliere , que les Efpagnols ont nommée Corneras
as terra y & dont quelques-uns rapportent l'origine à celles qui portent le
même nom au Chili , d'où elles peuvent avoir été traniportées. WafFer nous
en donne la defcription. Ces Bétes font fort majeuueufes ; & n'ont pas
moins de quatre pies & demi de haut. , Elles s'apprivoifent H facilement ,
que fe laifl^ant brider, elles portent fur le dos deux Hommes des plus ro-
buftes. Pendant que le Cavalier efl dcfl us, leur pas ell l'amble, ou le petit
galop. Leur mufeau reflemble à celui du L.ievrej elles remuent même,
comme lui , les deux lèvres en broutant : mais leur tête approche beaucoup
de celle des Gazelles. Elles font armées de cornes torfes, qu'elles pofent
tous les ans, &qui, n'étant d'aucun ufage, demeurent difperfées dans les
lieux qu'elles habitent. Leurs oreilles font celles de l'Ane. Elles ont le
cou délié , comme les Chameaux , & le portent droit comme les Cygnes ;
la poitrine lar^e, comme le Cheval, & le dos à-peu-près femblable à ce-
lui d'un beau Lévrier. Leurs fefTes & leur queue ne relfemblent pas mal
à celles du Daim. Elles ont le pié fourchu, comme la Brebis, avec un
éperon en dedans, de la grofleur du doigt, auflî pointu que ceux de l'Ai-
gle. Ces éperons, qui font d'environ deux pouces au-defllis de l'endroit
où la corne du pié fe divife, leur fervent à grimper fur les Rochers, & à
fe tenir fermes dans toutes leurs fituations. Le poil , qu'elles ont fous le
ventre, a douze ou quatorze pouces de long; mais elles ont fur le dos une
efpèce de laine plus courte, à demi frifée. Ce font des Animaux fort in-
nocens, d'un grand ufage, & propres à toutes fortes de fatigues. Leur
chair
(r) Quelques-uns ont cru, fut cette
defcription, que c'étoit le Cheval marin:
mais Dampier, & d'autres Voyageurs, qui
connoiflbient parfaitement ce dernier Ani-
mal, y tiouvent des différences effentielles
dans la figure , fur - tout dans la grofleur ,
^]ui l'emporte de plus de la moitié fur celle
de la Vache montagnarde; fans compter que
celle-ci n'approche jamais i}e laMer,& qu'el-
le n'a point les dents longues, &c. D'ailleurs
les Chevaux marins pefent jufqu'à quinze ou
feizc cens livres. Ibid. page 324 & précé-
dentes. La \'ache montagnarde reflemble
encore moins à la Vache marine, qui fe nom-
me Lamanttn ou Manareff. & qui eft commu-
ne fur les Côtes de la Nouvelle Efpague, mais
qui ne vient jauwis à.tcrre.
s oréil-
nunei ;
les; la
rouvert
a chair
1 goût,
e nour-
roît en
fe cou-
réveil-
m pour
terrein
nduras,
, on en
Corneras
rtent le
fer nous
ont pas
lement ,
plus rô-
le petit
même,
eaucoup
'S pofent
dans les
^ ont le
ygnes;
e à ce-
3as mal
avec un
de l'Ai-
endroit
, & à
bus le
os une
brt in-
Leur
chair
D'ailleurs
uinzc ou
& précé-
reflemble
i fe nom-
commu-
me, muiï
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. H. 66i
chair a le goût de celle du Mouton. Waffer en tua plufieuri ; & dans refto- Di ichptiow
inac de l'une il trouva treize pierres de Bezoard.de difFérentes figures, dont J" Ji* JJj"*
quelques unes reflembloient au Corail. Quoiqu'elles fuflent entièrement oj,s.
vertes, lorsqu'il les découvrit, elles devinrent enfuite de couleur cendrée.
Il apprit, des Efpagnols, qu'ils emploient fort utilement ces Bêtes aux Mi-
nes du Pérou. Elles leur fervent à tranfporter le Métal aux Villes fituées
vers la Mer , par des précipices ou des chemins fi rompus, que lesHommei
& les autres Animaux n'y peuvent pafler. On les conduit chargées, juf-
qu'à l'entrée de ces lieux inacceflibles , où leurs Maîtres les abandonnent à
elles-mêmes dans un efpace de feize lieues , tandis qu'ils fbnt obligés d'en
faire plus de cinquante, par de longs détours, au bout defquels ils les re-
trouvent. Les mêmes Efpagnols aiTuroient que dans une Ville de la Côte,
qui n'a de l'eau douce qu'à une lieue de diflance , on drefle ces Chèvres à
l'aller prendre fans guide, avec deux jarres fur le dos; qu'en arrivant à la
Rivière, elles s'y enfoncent alTez pour remplir les jarres, & qu'elles les
rapportent pleines chez leurs Maîtres. Ils ajoutoient qu'elles refufcnt de
travailler aufli-tôt que le jour a difparu, <& que la force ell inutile pour les
y contraindre. WafFer eut la curiofité de vérifier une partie de ce récit.
Il les trouva fi rétives , le foir , qu'il les frappoit en vain pour les faire le-
ver. Les unes poufFoient un cri , les autres un foupir ; & quoiqu'elles n'euf-
fent rien fait de fatiguant pendant tout le jour, il lui fut impoffible de les
mettre en mouvement (s).
Les Serpens font en fi grand nombre au Mexique, & difljngués partant Scrpcns&
de noms diflerens, que, pour éviter une multitude de mots barbares, dont "^^^^^ ^''"^
il y a peu d'utilité à recueillir , on prend , avec quelques Voyageurs , le "^^^^^^'
parti de les divifer en quatre efpèces principales; qui font, les Jaunes, les
Verts, les Bruns ,& ceux qui font mêlés de quelques taches blanches &
jaunes. Les premiers font ordinairement aufïï çros que la partie inférieure
delà jambe humaine, & longs de fix ou fept piés. Ils font lâches, & fi
pareffeux , qu'ils ne s'éloignent guéres du même lieu , lorfqu'ils peuvent y
vivre de Lefards, de Guanos ,& d'autres Animaux , qui paflent dans leur
retraite. Cependant la faim les fait quelquefois monter fur les arbres, pour •
furprendre les gros Oifeaux , & d'autres Bêtes qui s'y retirent. On aflure
que dans cette fituation , ils ont la force d'arrêter une Vache qui s'appro-
che de l'arbre; & que s'entortillant tout-à-la- fois autour d'une branche &
d'une des deux cornes , ils fe rendent maîtres de leur proie. Ils font fi peu
venimeux, qu'on en mange la chair; mais un Voyageur, qui eut la curio-
fité d'en goûter , en parle avec peu d'éloge ( f ). iT apprit qu'il s'en trou-
ve d'aufli gros que le corps d'un Homme («).
Les SerpenS^ verds n'ont qu'environ la grofleur du pouce , quoiqu'ils aient
quatre ou cinq piés de long. ; Leur dos eft d'un verd fort vif; mais la cou-
leur du ventre tire un peu fur le jaune. Ils fe logent entre ks feuilles ver-
tes des buiflbns, où il» vivent des petits Oifeaux qui viennent s'y percher.
Ils font extrêmement venimeux.
• -■•■• ' - . ■ Le
Scrpcns
vcrds.
(x) Voyages de Lionnel WafFer, dans le
Recueil de Paul Marxet, pages 257 ôcfuiv.
(t) Dampicr, Tome III. j-'agc i-j-i.-
(v) Ibid,
682 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
DEJCRÎfTIOÎf
Dt LA NOU-
TCLLB E»rA-
ONE.
Scrpcns
bruns.
Scrpens ta-
rlictcs.
LeCiItctc.
Lcn.'ilipcguc.
Le Tcutlila-
r.i.i/au!iqiiin.
Scorpior.s
il Crapauds
'uoi-Jtnicux.
qu on ne s étonne poinc ae le voir encrer aans les maiions, Oc qu'
taclie pas même à le tuer. Il fait la guerre aux Souris, qu'il prend avec
beaucoup d'adrefle.
Il n'y a point de Serpens tachetés de jaune, qui ne foient redoutables aux
Mexiquains. Celui qu'ils appellent Ca/Wtf, & Tbema Cuilcahugciy eft une
efpèce de Lefard , que les Efpagnols n'ont pas laifle de nommer Scorpion.
11 e(l long de trois Quarts d'aune; mais fa queue fait la plus grande partie
de cette longueur. Il a les jfffhbes fort courtes , la langue d'un rougé ardent,
la peau fort dure , tachetée de jaune & de blanc. L'afpedl e^i efl; ef-
frayant. Cependant Tes morfures ne font que douloureufes , ou ne devien-
nent mortelles que pour ceux qui négligent trop loog-tems d'y remédier.
D'ailleurs il ne blefle que ceux qui roffenfent.
Les Calipegues font une autre efpèce deLefards, tachetés de brun-obfcUr
& de jaune , qui ont la grofleur du bras d'un Homme , quatre jambes , &
la queue fort courte. Ils vivent dans les troncs creux des vieux arbres,
•furtout dans les endroits marécageux; & les Indiens n'en approchent jamais
iàns précaution, parcequ'ils les croient fort venimeux.
Un des plus terribles Serpens de la Nouvelle Efpagne, eft celui que les
Indiens nomment Teuthlacozauhqum ^ & que les Efpagnols appellent yipére^
par la feule raifon que fes morfures caufcnt infailliblement la mort ; il ne
reffembie du moins aux Vipères que par la tête. Sa longueur ordinaire ell
û'environ feize pouces; fa grofleur médiocre. Il a le ventre d'un blanc
jaunâtre, les côtés revêtus d'une efpèce d'écailles blanches, rayées, par
intervalles, de lignes noires; le dos tigré, avec des lignes brunes, qui
abotitiflent à l'épine. On en dillingue piufieurs efpèces, qui ne différent
que par la couleur. Il fe remue fort lentement, entre les rochers, ou dans
les mafures, & plus lentement encore dans les lieux plats; ce qui lui a fait
donner, par les Mexiquains , le furnom d'Ocozoa/f. Chaque année de fon
cxiftence lui apporte, au bout de la queue, une efpèce de fonnette, qui
fe joint, en forme d'anneau, à celles qui y font déjà. Elles fe fuccedent,
comme les nœuds de l'épine du dos, & rendent un véritable fon, lorfqu'il
fe remue. Ses yeux font noirs & d'une moyenne grandeur. 11 a deux
dents, à la mâchoire fupérieure, par lefquelles on croit qu'il jette fon ve-
fiin, &cinq, de chaque côté des mâchoires, qu'on apperçoit aifément,
lorfque fa gueule s'ouvre. Ceux, qui font mordus de ce terrible Animal,
meurent dans de cruels tourmens, avant l'efpace de vingt-quatre heures.
Lorfqu'il efl irrité , il fecoue violemment fes fonnettes , qui font alors beau-
coup de bruit. On prétend que la Province de Panuco a les plus gros Ser-
pens de cette efpèce, & que les Indiens en mangent la chair, après en
avoir ôté le poifon. Leurs Médecins emploient les dents & la graiffe à la
guérifon de quelques maladies (.v).
Le Canton d'Yzalcos, dans la Province de Guatimala, produit des Scor-
pions de la grofleur d'un Lapin, & des Crapauds, qui n'étant gucres moins
.. . gi'os,
(*) Laet, Liv. 5. page 252. . •• '
pas plai
X , puif-
ne 8*at-
nd avec
ibles aux
efl: une
Scorpion.
le partie
i ardent ,
n eft ef-
e dcvien-
emédier.
jn-obfcar
nbes , &
i. arbres,
;nt jamais
ii que les
nt f^ipére,
Dît; il ne
iinaire eft
,'un blanc
yées, par
unes, qui
différent
, ou dans
i lui a fait
;e de fon
lette, qui
uccedent ,
, lorfqu'il
Il a deux
e fon ve-
laifément.
Animal,
e heures.
lors beau-
gros Ser-
après en
raifle à la
des Scor-
feres moins
gros,
VCLLC L*irA-
ONK.
Mdntncnoa
peuplées de
Scrpcns.
Ani^iidcj
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Lxv. IL 66$
gros, Tautent comme des Gifeaux fur les branches des arbres, où ils font Dmcuftiou
u.' étrange bruit dans les tems pluvieux. 11 fe trouve, dans le même Can- JJ^l. K
ton, une efpèce de grandes Fourmis que les Habicans mangent, & qui fe
vendent au Marché.
Dans les Montagnes deMifteque, les Indiens en montrent deux remplies
deSerpens, qui fe tiennent renfermes dins ces bornes, où la vue peut
l'étendre de quelques autres Montagnes voifmcs , mais dont aucun autre
Animal n'ofe approcher.
On voit, dans plufieurs Provinces, une forte d'Araignées, dont le corps
eft de la grofleur du poing, & dont les jambes font aum délices , que celles énonnci
des Araignées d'Angleterre. Elles ont deux dents, ou plutôt deux cornes,
longues d'un pouce «Se demi, ou de deux, d'une grofleur proportionnée,
noires , polies & fort pointues. On garde toujours ces dents, lorfqu'on tue
les Araignées. Quelques-uns les portent dans leur fac à tabac, pour net-
toyer leurs pipes; d'autres s'en nettoyenc les dents, don: on prétend qu'el-
les guérillcnt la douleur. Le dos de ces laids infeéles eft couvert d'un du-
vet jaunâtre & fort doux. On eft partagé fur leur nature , que les uns
croient fans danger, & d'autres fort vcnimeufe, fans que perfonne ait ofé
recourir à l'expérience (y).
Quoique les Parties de hi Nouvelle Efpagne , qui regardent la Mer du
Nord , Ibient fouvent expofées à l'inondation , elles font remplies de diver-
fes fortes de Fourmis. On diftingue les grofles «S: les petii."« , les noires
& les jaunes , &c. La piquûre des groilVo Fourmis noires eft prefqu'aufll
dangereufe que celle des Scorpions ; & les petites Fourmis noires ne font
cueres moins nuifibles. Leur aiguillon perce conmie le feu. Elles font en
fi grand nombre fur les arbres, qu'on s'en trouve quelquefois couvert, a-
vant qu'on les ait apperçues ; mais elles piquent rarement fans être offen-
fées. Dans les Provinces méridionales, c'eft fur les grands arbres qu'elles
font leurs nids, entre le tronc & les branches. Elles y paflent l'hyver ,
c'eft-à-dire , la faifon pluvieufe, avec leurs œufs , qu'elles confervent
foigneufement. Les Efpagnols font beaucoup de cas de ces œufs, pour
nourrir leurs Poules. Pendant la faifon feche, elles fe répandent dans tous
les lieux qui ont des arbres, & jamais on n'en voit dans les Savanes. Les
Bois font alors remplis de leurs fenticrs , qui font aulTi battus que nos
grands chemins, & larges de trois ou quatre pouces. Elles partent fort lé-
gères, mais elles reviennent chargées de pel'ans fardeaux, tous de la mê-
me matière & d'une égale groflfeur. On ne leur a jamais vu porter que des
monceaux de feuilles vertes , Ci gros qu'à peine voi':-on l'Infeéle par-deflbus. •
Cependant elles marchent fort vîte , dans une fort longue tile, & comme
empreflees à fe devancer mutuellement.
On diftingue* une autre efpèce de grofles Fourmis noires, qui ont les Fourmis
jambes longues, & qui marchent en troupes. ' Elles paroiftent occupées d'un errantes.
otjet commun, qu'elles cherchent avec les mêmes mouvemens & la même
inquiétude; ce qui ne les empêche point de fuivre régulièrement leurs
Fourmis de
pliificuri
cfpèccs.
Commcni
elles font
leurs nids
dans les Pro-
vinces méri-
dionales.
Cy) Dampier, Tome III. page 27C. Cette
dcfcription paroit affez convenir à VEfcarlioi
XFIII Part.
Chefs.
Rhinocéros, dont nou5 donnons ci-dcfllis !c.
Figure. R. d, E,
Pppp
DcSCRIPTIQIf
DE LA NOU
V£LLI! ESFA-
CNi.
AbciUcî.
Alligator.
Obfcrvations
fur fa reffeni-
blance avec le
Crocodile.
664 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Chefs. Elles n'ont pas de fentiers battus, ôc leur marche eft^romme incer-
taine. Dans TYucatan, où elles font en fort grand nombre, on en voit
quelquefois entrer des bandes entières dans les Cabanes , où elles s'arrêtent
à fureter & à piller jufqu'à la nuit. L'habitude où l'on efl, de les voir par-
tir avant la fin du jour, rend lesHabitans tranquilles; fans compter qu'il fe-
roit difficile de les chafler. Dampier en vit des bandes fi nombreufes, que
malgré la vîteflTe de leur marche, elles employoient deux ou trois heures
à pafler («}.
Les Abeilles ne s'écartent gueres des Bois , où elles fe nichent dans le
creux des arbres. , Cependant les Indiens ont trouvé le moyen d'en appri-
voifer une efpèce,en leur creufant des troncs d'arbre pour fervir de ruches.
Ils pofent fur un ais l'un des bouts de ce tronc, après l'avoir fcié fort éga-
lement, & laiflent, pour l'entrée & la fortie des Abeilles , un trou fur le
bout fupérieur, qu'ils couvrent d'un autre ais. Ces Abeilles privées ref-
femblent aux nôtres, avec cette feule différence, qu'elles font d'une couleur
plus brune , & que leur aiguillon n'eft pas aflez fort pour percer la peau d'un
Homme. Elles ne s'en jettent pas avec moins de furie fur ceux qui les in-
quiètent; mais leur piquûre n'eft qu'un chatouillement, dont il ne refl:e au-
cune trace. Elles donnent beaucoup de miel, & la couleur en efl blan-
che. Celles des Bois font de deux fortes; les unes aflez grofles, & capa-
bles de piquer fortement; les autres , de la grofl'eur de nos Mouches noi-
res, mais plus longues. Quantité d'Indiens s'occupent à chercher le miel
qu'elles dépofent dans les arbres creux , le vendent fort bien , & vivent
honnêtement de cette profeflîon (a).
Quoique l'Animal amphibie , que la plupart des Relations^ nomment ^l-
ligatofi foit commun à la plus grande partie de l'Amérique , fon abondan-
ce efl: fi fingulière dans la Nouvelle Efpagne, où l'on ne trouve point
de Bayes, de Rivières, de Criques, de Lacs & d'Etangs, qui n'en foient
peuplés (/;), que c'eft proprement ici l'occafîon d'éclaircir- un point,
iur lequel plufîeurs Naturalifles ont comme affeflé de fe partager. Il efl;
quefliion d'examiner s'il efl: vrai qu'il y ait, entre l'Alligator & le Croco-
dile, tant de reifemblanre par la figure & le naturel, qu'on doive les pren-
dre pour deux Animaux de même efpèce, & fuppofer que l'un efl: le Mâle
& l'autre la Femelle. Un Voyageur fort célèbre en appelle aux obfcrva-
tions fui vantes.
De plufieurs milliers d'Alligators qu'il avoit vus dans^fes courfes, il n'en
avoit jamais trouvé un qui eût plus de feize à dix-fept pies de long, ni qui
fût plus gros qu'un Poulain de bonne taille. Cet Animal a la figure du
Léfard. Sa couleur efl: d'un brun fort fombre. 11 a la tête grofle, les mâ-
choires longues, de groflfes & fortes dents, deux defquelles font d'une
longueur confidérable , d( placées au bout de la mâchoire îhférieure, dans
la partie la plus étroite, une de chaque côté. La mâchoire fupérieure ja.
deux trous, pour les recevoir .; fans quoi la gueule ne pourroit fe fermer.
Il a quatre jambes courtes, de larges pattes & la queue longue. Son dos,
de
(«) Dampier, Tome III, page 277.
C « ) IbU. page 330.
i'j) Dainpier, ubifuprà, page 28?.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL Côg
de la tête jufqu'âu bout de la queue, efl couvert d'écailles aflez dures, & ■ Ditscriptiow
jointes enfemble par une peau fort épaifle. Au-deflus des yeux, il a deux J^^e Ea-ï-
bofles dures & couvertes d'écailles , de la grofleur du poing. Depuis la gne. "
têtejufqu'à la queue, l'épine eft comme formée de ces nœuds d'écailles,
qui ne branlent pas comme celles des Poiflbns, & qui font fi fortement
unies à la peau, que ne faifaot qu'un tout, elles ne peuvent être féparées
qu'avec un couteau fort tranchant. De l'épine fur les côtes , & vers le .
ventre, qui eft d'un jaune obfcur «omme celui des Grenouilles, il fe trou-
ve aufli pludeurs de ces écailles, mais moins épaifTes & moins ramaflees.
Auflî ne l'empêchent-elles point de fe tourner avec une extrême vitefle, fi
l'on confidèrela longueur de fon corps. Lorfqu'il marche, fa queue traî-
ne derrière lui. La chair de ces Animaux jette une forte odeur de mufc;
fur-tout quatre glandes, deux defquelles viennent dans l'aine, près de cha-
que cuifle, &les deux autres vers la poitrine , fur chaque jambe de devant.
Elles font de la grofleur d'un œuf de jeune Poule. On les porte comme un
parfum. Mais la force de cette odeur ne permet de manger la chair, que
dans une extrême néceflîté.
Les Crocodiles n'ont aucune de ces glandes , & leur chair ne jette au-
cune odeur de mufc. Leur couleur eft jaune. Ils n'ont point de longues
dents à la mâchoire inférieure. Leurs jambes font plus longues que celles
de l'Alligator. Lorfqu'il: courent , ils tiennent laqueueretrouflee, & re-
coquillée en forme d'arc, par le bout. Les nœuds de leurs écailles, fur le
dos , font beaucoup plus épais , plus gros Qc plus fermes. Ils ne fréquen-
tent point les mêmes lieux. Dans la Baie de Campêche, par exemple,
où le nombre des Alligators eft infini, on n'a jamais vu de Crocodiles.
Au contraire , il y a des Crocodiles dans quelques endroits de la même
Mer, où l'on ne voit point d'Alligators. Les Efpagnols donnent aux
uns & aux autres le nom de Caymans , qu'ils ont emprunté des Indiens ;
ôi c'eft apparemment cette appellation commune , qui a donné naiflanc»
à l'erreur.
D'un autre côté , Dampier convient que les œufs des deux Amphibies
fe reflTemblent fi parfaitement , qu'on ne peut les diftinguer à la vue. Ils
font de la grofleur des œufs d'Oie , mais beaucoup plus longs. Les uns &
les autres font un très bon aliment, quoique ceux de l'Alligator aient l'o-
deur de mufc. Ces Animaux vivent tous deux fur terre & dans l'eau , avec
la même indifférence pour l'eau douce & l'eau falée. Ils aiment également
la chair & le poiffon. De tous les Amphibies, on n'en connoît aucun qui
s'accommode mieux de toute forte de féjour & d'aliment. On prétend
qu'il n'y a point de chair qu'ils aiment mieux que celle du Chien. La plu-
part des Voyageurs obfervent que les Chiens ne boivent pas volontiers dans
les grandes Rivières & les Anfes, où les Crocodiles & les Alligators peu-
vent fe tenir cachés. Ils s'arrêtent à quelque diftance du bord : ils aboient
aflez long- tems, avant que d'en approcher. Si la foif les force, la feule
vue de leur propre ombre les fait reculer, avec de nouveaux aboiemens.
Dampier aflTure que dans la faifon feche, où l'on ne trouvé de l'eau dou-
ce que dans les Etangs & les Rivières, il étoit obligé 'd'en faire apporter
à fes Chiens. SoifVent , lorfqu'il étoit à la chafle , Ec qu'il avoit à traver-
P p p p 2 ftT
Description
DE LA Nou-
fEtLE ESPA-
PoinbHS.
L'Axolotl
ou l'Inguctc
de Aiiua.
Obfeivations
.ur les ïor-
cues.
Huit fortes
de Tortues.
Tortues à
bahu.
GrpfiesTctcs.
Bec-à-Fau-
cous.
ê66 DESCRIPTION DU M E X IQ U lî;'
fer une Criqiie, à gué,, fes Chiens ne vouloient pas le liiîvre, &.roblh
geoient de les faire porter.
Mais ce qui détermine abfolument Dampier à regarder le Crocodile Se
l'Alligator comme deux Animaux d'efpèce différente, c'efl: que le premier,
efl: bien pkis ferocç & plus hardi que l'autre. On fait qu'il pourfuit égale-*
ment les Hommes & les Bétes; au lieu que l'Alligator ne caulw. jamais de
mal que par accident , c'efl-à-dire lorfqu o'" /ôffenfe (c). .
Quoiqu'on ne puifle douter que dans le grand nombre de Rivières, qui
traverfent une fi vafte Contrée, il n'y ait quantité de PoiflTons aufli fingu-
liera que les Plantes & les Animaux des Terres qu'elles arrofent, lesEfpagnols
ont négligé jufqu'àpréfent de les obferver. On n'en connoîc pas de plus re-
marquable que celui que les Mexiquains nomment /Ixolutl, & les Efpagnols
Ingucte de /Jgua. Il a la peau fore unie, mouchetée fous le ventre de peti-
tes taches, dont la grandeur diminue depuis le milieu du corps jufqu'à la
queue. Sa longueur eft d'environ lix doigts, &,fon épaifleur de deux. 11
a quatre jambes, comme le Léfard. Sa queue efl longue, & fort menue
par le bout. Ses pies , qui lui fervent à nager , font diviies en quatre doigts ,.
comme ceux de la Grenouille. Il a la tête plus grofle , qu'il ne convient à
la grofleur du corps, la gueule noire & prefque toujours ouverte. On>
prétend , fur. de, fréquentes obfervations , qu'il a un utérus & fes mois
comme les Femmes. Sa chair efl fort bonije, â; d'un goût qui tire fur ccr
M de l'Anguille {d).
Ce n'eft pas fuppléer dt^favantagoufiament au nience des -Efpagnols &des>
Voyageurs fur le Poiflbn des Lacs & des Rivières, que de joindre ici quel-
ques obfervations fur plufieurs efpèces de Tortues, qui femblent particuliè-
res aux deux grandes Côtes du Mexique.
Les Voyageurs François ne connoiflenc que trois fortes de Tortues: la.
Franche t, qu'ils appellent aufli Jlrtue verfe^Sc qui efl la feule dont la chair
puifTe pafler pour, un bon aliment; le Caret ^ qui n'efl jamais fi grand que
la Tortue franche, & dont l'écaillé efl celle qui porte en Europe le nom.
d'écaillé- de Tortue, mais. dont la chair efl un aliment dangereux; la Caoua-
ne, plus grande ordinairement que les deux autres, mais dont J'écaille eflr
mauvaife, & la chair coriace & de mauvaife odeur (e).
Dampier en nomme un bien plus grand nombre, i. Les groffes Tortues, <
ou Tortues à bahu ; 2 les greffes Têtes ; 3 les Bec- à Faucons ; 4 les Tortues
vertes; 5 les Uccates\ 6 les Terrapenes', 7 les Tprtues bâtardes; 8 la petite.
Tortue.
Les premières font communément plus-grofTes que les autres, ont le dos-
plus haut & plus rond, la chair puante & mal faine. Les grojfes Têtes ont
reçu ce nom, parcequ'elles ont en effet la tête plus groffe qire toutes les au-
tres: la chair en efl aufTj fort puante. Elles fe noiirriffent de la mouffe qui
croît autour, des. Rochers (/). h^^ , Bec- à- Faucons, font les moindres de
tou-,
(c), Dampier, Tome III. pages rgo & naturelk de l'Amérique la defcription , ii
précédente». . pêche, & les propriétés de la Tortue,
(r/) Kr. Ximenez, ttH>ftr.}- (/) Les François confondent apparem-
( e ) Voyez le Tonie I. dts Voya.ecs de ment ces deux preniières efpèces , fous le
T^^abut , Chap. 12, Ou remet i liiilloire nom de CaouantSt
»
5>
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J>
J»
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l'obîi,
dile &.
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Tortues
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^ctes ont
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ufle qui
dres de
ton- .
tion , h
,ue.
apparem-
fous le
DE LA Nou-
velle EifPA»-
ONE.
ou DE LA NOUVELLi: ESPAGNE, Liv. If. <5(5?
toutes (,ç). On les nomme ainfi, parcequ'elles ont la gueule longue & ^"""'no?. *
petite, tirant en effet fur la figure du bec des Faucons. Leur dos ert cou-
vert de cette belle écaille, dont on fait un riche commerce. Les plus gref-
fes ont environ trois livres & demie d'écaillé. Elles ont la chair d'une
bonté médiocre, & fi mal-faine en certains lieux, qu'elle caufe des vomiffe-
mens exceffifs. Leur bonne ou leur mauvaife qualité dépend de leur nour-
riture. Les unes fe nourriflent de bonnes herbes, comme les Tortues ver-
tes ; & d'autres , fe tenant entre les Rochers , né mangent que de la moufle
ou de l'herbe fauvage, dont l'effet fe communique julqu'à leur écaille, qui
efl: couverte de taches & par conféquent peu tranfparente. La chair d'ail-
leurs en efl jaune, fur-tout le gras. Elles cherchent des lieux particuliers
pour leur ponte (A), & rarement elles fe mêlent avec les autres. Leur
faifon ordinaire ell dans le cours de Mai , de Juin , & de Ju-illet. On n'en
voit point dans la Mer du Sud ; mais elles aiment à pondre dans les Ifles de
la Baie de Honduras , & le long de la Côte du Continent, depuis la Trinité
jufqu'à Vera-Cruz. On ne parle point ici de Celles des Côtes de Guinée &
des Indes Orientales. '
Les Tortues vertes tirent ce nom de leur écaille, qu'elles ont plus verte
que les autres. Elle eft fort déliée, fort tranfparente, & les nuages en font
plus beaux que ceux du Bec-à Faucon; mais on ne s'en fert que pour les
pièces de rapport, parcequ'elle efl: extrêmement fine. Ces Tortues font
en général plus grofles que les Bec- à-Faucons, & pefent jufqu'à trois cens
livres. Leur dos^-eft plus plat aufli que celui des Bec-à-Faucons. Leur tête
efl: ronde & petite. ,,'J'ai remarqué, dit le Voyageur dont on donne les
obfervations, qu'à Blanco, Cap de la Nouvelle Efpagne dans la Mer du
Sud, les Tortues vertes, qui font les feules qu'on y trouve, font plus
grofles que toutes celles de la même Mer. Elles y pefent ordinairement
deux cens quatre-vingt ou trois cens livres. Le gras en efl: jaune , le
maigre blanc, & la chair extraordinairement douce. A Bocca-Torode
Veragua, elles ne font pas fi grofl^es , leur chair efl: moins blanche, &
leur gras moins jaune. Celles des Baies de Honduras & deCampêche font
encore plus petites; le gras en efl: verd, &Je mjiigre plus noir: cepen-
Tortues
vçrU's.
»
)>
j>
>»
„. dant un Capitaine Anglois en prit une a Port-Royal, dans la Baie de
„ Campéche, qui avoit quatre pies, du dos au ventre, ik (îx pies de ventre
^ .en largeur. Le gras produiût huit g[;lon8 d'huile, qui reviennent à trentc-
„ cinq pintes de Paris (0"* Celles des petites Ifles, qui bordent le Con-
tinent de la Nouvelle Elpagne au Midi de Cuba , font d'inégale groffeur.
Les unes ont la chair verte; les autres, noire, & les autres, jaune. Cii
y envoyé, de la Jamaïque, des Vaiffcaux qui les prennent au filet, & qui
les portent dans cette llle, où les recevant en vie on leur fait des réfer-
voirs en Mer, pour les garder vivantes. C'efl: la nourriture ordinaire du
Peu-
(if) Ccft rotre Caret. Labat fait con-
finer fa dépouille en treize fcuiUt'S, qui pc-
lent , dit-ll , quatre livres & demie û cinq
livres , ubi Jupri.
(ft) Elles ne pondent que foixante ou qua»
tre vingt ocnfs; au lieu que les autres c:i
pondent, fuivant Labac, JLifqu'ù deux cens
cinquante. '
(0 Dampier, Tome I. page n:\.
PPPP 3
, I BftcaiPTioif
DE LA Nou-
velle Espa-
gne.
Hscates.
Toruie bû
tanlc.
(5(58 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
Peuple. La Tortue verte vit d'une herbe, qui croît à trois, quatre, cinq
ou iix brafles d'eau, dans la plupart des lieux qu'on vient de nommer. Cet-
te herbe e/l différente de celle qui nourrit la- Manatée ou le Lamantin. Sa
feuille efl: plus petite. Dampier lui donne un quart de pouce de large , fur
ÇiK pouces de long.
Les Hecates, nom qui vient des Efpagnols, aiment l'eau douce, & cher-
chent les Etangs & les Lacs , d'où elles viennent rarement à terre. Leur
poids n'ell que de douze ou quinze livres.- Elles ont les jambes petites, les
pies plats , le cou long & menu. Leur chair efl: un fort bon aliment.
Tcrrapcncs: Les Terrapenes font une autre efpèce de Tortues , beaucoup moins gràf-
fes que les lîecates. Elles ont lé dos plus rond ( ^ ) , quoique d'ailleurs el-
les leur reflemblent fort. Leur écaille efl: comme naturellement taillée.
Elles aiment les lieux humides & marécageux. On efl:ime auflî leur chair.
Il s'en trouve beaucoup fur les Côtes de l'Ifle des Pins , qui efl; entre le Con-
tinent & celle de Cuba. Elles pénètrent dans les Bois, où les Chafleurs
Efpagnols, qui les trouvent, ont peu de peine à les prendre. Ils les por-
tent à leurs cabanes; & leur faifant une marque fur l'écaillé, ils les laiflent
aller , avec la certitude de les retrouver à fi peu de difliance , qu'après un
mois de chafle chacun reconnoît les fiennes & les emporte à Cuba.
Les Tortues bâtardes font des Tortues vertes , mais dont l'écaillé efl: beau-
coup plus épaifle que celle des autres Tortues de la même couleur, & dont
la chair n'eft pas fi douce. Elles font fort communes aux Ifies de Gallapa-
gos , v:j-à-vis du Continent de la Nouvelle Efpagne dans la Mer du Sud. On
■ ne connoît point d'efpèce plus large ; car la largeur de leur ventre efl: ordi-
nairement de cinq pies. Dampier croit devoir l'attribuer à l'abondance" de
l'herbe qu'elles trouvent [entre ces Ifles, & qui en fait, dit-il, les Tortues
les mieux nourries de la Mer du Sud. Il s'en trouve de la même efpèce ,
mais beaucoup plus petites, autour de quelques autres Ifles, telles que Pla-
ta, où elles vivent d'une moufle qui les rend fort puantes. Outre la diffé-
rence qu'on a remarquée, ces Tortues viennent à terre en plein jour, Mâle
& Femelle, & fe couchent au Soleil; au lieu que parmi les autres, la Fe-
melle va feule à terre pour y dépofer fes œufs dans le fable, & n'y va jamais
que pendant la nuit.
fetiteTortve. La petite Tortue efl: encore une efpèce différente, qui fe trouve fur la
Côte occidentale du Mexique , & dont on vante la chair: mais Dampier
neladifliingue que par fa petiteffe & n'en donne point d'autre defcription.
Obfervation II ajoute, comme une obfervation très remarquable , & qu'il doit à fon
remarquable, expérience, que les Tortues, dans le tems de leur ponte, abandonnent
pour deux ou trois mois les lieux où elles fe nourriflent pendant la plus
grande partie de l'année, & vont ailleurs, -feulement pour y dépofer leurs
œufs. On croit, dit-il, qu'elles ne mangent rien dans cet intervalle. Auflî
le Mâle & la Femelle deviennent-ils extrêmement maigres, fur-tout le Mâle
qui l'eft alors jufqu'à ne pouvoir être mangé. Les lieux les plus connus,
qu'elles choifîflfent pour leur ponte, font l'Ifle des Caymans & celle de l'Af-
cenfion*:
>>
( ^) Le dos des Tortues f& nomme Carapace.
*.
I, cinq
Cet-
n. Sa
ge,fur
k cher-
Leur
es, les
lis gràf-
îurs el-
taiilée.
r chair,
le Con-
tiafleurs
les por-
laiflent
prés un
îll beau-
, & dont
Gallapa-
3ud. On
eft ordi-
ance de
Tortues
cfpèce ,
que Pla-
a difFé-
Mâle
la Fe-
a jamais
r>
fur la
Dampier
3tion.
it à fon
donnent
la plus
er leurs
Auffi
le Mâle
connus ,
de l'Af-
enfion*:
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. H. 66$
cenfion: mais elles n'ont pas plutôt fini, qu'elles retournent dans leurs re-
traites ordinaires. On ne doute point qu'elles ne faflent des centaines de
lieues à la nage, pour fe rendre à ces Ifles; car on a fouvent remarqué que
pendant la faifon de la ponte, il fe trouve, dans l'Ifle des Caymans , des
Tortues de toutes les efpcces qu'on a nommées. Les Ifles au Midi de Cuba
en font à plus de quarante lieues. • C'eft l'endroit le plus proche d'où ces
Animaux puifîent partir ;& l'on ne peut s'imaginer que laprodigieufe quantité
de Tortues , qui fe voient alors dans l'Ifle des Caymans , y trouve dequoi fub-
fiftcr. Celles qui vont pondre à l'Afcenfion font bien plus de chemin ; car
la Terre la plus proche en efl; à trois cens lieues, & perfonne n'ignore que
dans les autres tems, ces Animaux fe tiennent toujours près du rivage. Des
Ifles Gcillapagos , qui en font remplies pendant la plus grande partie de l'an-
née , elles paflent la Mer & vont pondre fur le rivage du Continent, qui en
efl: éloigné de plus de cent lieues. Cependant on remarque aufll qu'au dé-
part du plus grand nombre , il en reflie toujours quelques-unes dans le lieu .
de leur demeure habituelle & de leur nourriture. • On obferve encore qu'el-
les font fuivies, dans leur route, d'une infinité de Poiflbns, fur-tout de Gou-
lus , dont on n'apperçoit plus un dans les lieux qu'elles quittent , & qui ne
reparoiflent qu'à leur retour.
Dampier nous apprend que les Tortues travaillent dans l'eau à la propa-
gation de leur efpèce, que le Mâle efl: neuf jours fur la Femelle, & qu'il
ne l'abandonne pas aifément dans cette fituation. „ .T'ai pris, dit-il, des
„ Mâles dans cette poft:ure. On pero*. facilement le Mâle, car il n'eft pas
„ fauvage. La Femelle, à la vue d'un Canot , fait des efforts pour s'échap-
.. per ; mais il la retient avec fes deux nageoires de devant. Lorfqu'on les
furprend accouplés., le plus fur efl: de darder h Femelle ; on efl; fur alors
du Mâle (/)".
DwcRiPTioii
DE LA Nou-
velle Espa-
gne.
j>
})
(/) Dampier, Ibid, pages 118& précédentes.
■'■ \ S IV.
Mines, Métaux i Pierres prècïeujes ^ C autres Productions ou fmguhrités
- de la Nouvelle Efpagne.
GAcE fait obferver que dans la première ivrefle du triomphe, les
Efpagnols apportèrent peu de foin à diflTimuler leurs avantages. Loin
de faire myftère des richeiTes qu'ils découvroient de jour en jour, ils les
publièrent avec ofl:entation ; & pendant quelques années , leurs plus célè-
bres Hiflioriens n'eurent pas d'autre objet. Mais la Politique fe fit enten-
dre, après avoir été long-tcms étouffée par la joie, & porta fa jaloufie
jufqu'à défendre , aux Sujets de l'Efpagne , d'écrire ou de parler publique-
ment de ce qui fe paflbit au Mexique. Ainfi l'on n'a gueres d'autres lumiè-
res, fur l'or & l'argent du Pays, que celles qui fe font confervées dans les
anciennes HiftoireîJ 5 joint à quelques traits dont on efl: redevable aux Voya-
geurs étrangers.
Les riches Mines d'argent de Pachuciy dont on a donné la defcription
dans-
r.E LA Nou-
velle Espa-
gne.
Mines d'or,
il'argcnt, de
cuivre , &c.
670 DESCRIPTION DU MEXIQUE,
dans le Journal de Carreri (a), étoienc déjà dans la plus grande fplon-
dcur en 1568. Un Anglois , nommé Milon Phiîipfon, que le Chevalier
Jean Ifawkins avoit abandonné fur la Côte de Panuco , étant tombé en-
tre les mains des Efpagnols, fut conduit à Mexico dans le cours de la mê-
me année. Ce voyage , qui fut de quatre-vingt-dix lieues , lui donna oc-
cafion d'apprendre, en pafTant par Mjî/f /<j« , qui n'efl: qu'à treize ou qua-
torze lieues de la Capitale, que la Ville de Pachuca en eu. éloignée d'une
journée, & que les Mines du même- nom font à fix lieues de cette Ville
au Nord (b).
Dans la Province, qui fe nomme proprement Mexique, les Cantons de
Tuculiila& deTiapa, au Sud, ont quantité de veines d'or. Ceux de Tlafco
& de MaUepeque, à l'Oueft, font célèbres par leurs Mines d argent. Guaxi-
mango, du côté du Nord, ne l'eft pas moins par les Tiennes. Le Canton de
Mejtitlan abonde en Mines de fer & d'alun. Tzquiquilpa, qui efl à vingt-
deux lieues de Mexico, a des Mines de plomb. Taîpayana, qui en efl à
vingt-quatre; 7'(fwo2;f«/rcpqî/e, à dix-huit; C;//rfppjH^, à vingt-deux; ZacuaU
po, à vingt; Zimpaniio , à quarante; Guanaxuato^ à foixante; Comania à
foixante-fept ; Achiacko^ à dix-huit de los Angeles ; enfin Gaz/f /a , Zumatlan
& SanLuiz de la Pas, dont on ne marque pas la dillance de la Capitale , font
autant de Mines d'argent (c).
'La Province de Guaxaca renferme une Montagne nommée Cocola, proche
au Canton de Guaxolotitlan ^ à dix-huit degrés de latitude du Nord, dans
laquelle on a découvert plulîeurs Mlires d'or & d'argent , du cryftal de ro-
che, du vitriol, & différentes fortes de pierres précieufes. A fix lieues
â'Antequera, dans la même Province , entre les Montagnes aue les Efpa-
gnols ont nommées P^MMo/ay , il s'en trouve une qui a confervé lenomMexi-
quain d'Itzquitepeque, où l'on ne fouille pas long tems, fans appercevoir des
paillettes d'or; mais en moindre abondance que les veines de plomb, qui s'y
oiFrent de toutes parts.
On lit, dansHerrera, qu'en 1525, les Efpagnols découvrirent, dans la
Province de Mechoacan, une des plus riches Mmes qu'on ait jamais con-
nues, „ où ks Officiers royaux, ne fe bornant point à tirer le quint de la
Couronne, entreprirent, fous divers prétextes , défaire tourner tout à
leur profit. Mais , foit par un châtiment du Ciel, ou par des caufes na-
turelles, elle difparut tout-d'un-coup, fans qu'on ait jamais pu la retrou-
ver. Quelques uns prétendent que les Indiens la bouchèrent; d'autres,
avec plus de vraifemblance , qu'elle fut couverte d'une Montagne par un
tremblement de terre (d)".
Léon, Ville de la même Province, à foixante lieue; de Mexico, renfer-
me dans fon Canton , un grand nombre de Mines d'argent. Guanaxati &
Talpuiaga font deux autres Mines fort célèbres; la première, à vingt-huit
lieues de Valladolid , au Nord; l'autre, à vingt- quatre de Mexico. Elles
appartiennent toutes deux au Mechoacan.
Tout
»
(a) Voyez le Tome XV. de ce Recueil.
(b) Journal de Sir John Hawkins, dans
'a Collcttion d'Hackluyt.
(c) Lact, Liv. 5. Chap. 6.
{d) Hcrrcra, Dticud.j. Xiv. 8. Cbap.ii.
X
Tout
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. H. 671
Tout le Canton de Colyma, fur-tout vers Acatïan^ efl: rempli de deux
fortes de Cuivre ; l'une fi molle & fi du6lile , que les Habitans en font de
très beaux vaFes; l'autre fi dure, qu'ils 1 emploient , au lieu de fer, pour tous
les inllrumens de l'Agriculture {e).
Toutes les recherches des Efpagnols ne leur ont jamais fait trouver de
Mines d'aucun métal , dans la Province d'Vucatan; d'où Laet prend occa-
fion de reprocher une infigne fauffeté à quelques Ecrivains , qui ont pré-
tendu que les Kfpagnols , en abordant pour la première fois fur cette Côte,
y trouvèrent des croix de laiton. Il ajoute que c'efl: d'ailleurs un métal au-
quel on n'a jamais rien découvert de femblable, dans aucune partie de l'A-
mérique (/).
Dans la Province de GuadaJajara , vers les Zacateques , la Nature a pla-
cé une Montagne d'une lieue de hauteur, inacceffible de toutes parts aux
Voitures & même aux Bêtes de charge , couverte de Pins & de Chênes
d'une grandeur extraordinaire, & fans autres Habitans qu'un prodigieux
nombre de Loups. Elle renferme quantité de Mines d'argent & de cuivre ,
qui font mêlées de beaucoup de plomb.
La Province de Xalifcoy qui ne fut conquife qu'en 1554, par François de
Tbarray paflepour une des plus riches de la Nouvelle Efpagne, par fes Mi-
nes d'argent, autour defquelles il s'efl formé des Habitations nombreufes,
avec des Fonderies, des Moulins, & tout ce qui eft néceffaire au travail.
Celle de Culuacan ne connoiiToit aucune forte de métal , lorfqu'elle fut
conquife en 1531 , par Nunnez Guzman; mais, peu d'années après la Con-
quête, les Efpagnols y découvrirent des Mines d'argent.
Les Zacateques ou Zacatecas^ font un grand nombre de petits Cantons,
qui forment , fous ce nom commun , la plus riche Province de la Nouvelle
Efpagne. On y compte douze ou quinze Mines d'argent , dont les plus cé-
lèbres font, i^. Celle qui fe nomme par excellence Zacatecas^ à quarante
lieues de la Ville de Guadalajara, vers le Nord, & à quatre- vingt de Mexi-
co; 2^. Celle de ji^vinno , qui fut découverte en 1554, par François de
Ybarra, fous le Gouvernement de Dom Louis de Velafco; 3^. Celle de
Saint-Martin y qui efl à vingt-fept lieues, au Nord, de la première; 4.°,
Celle de Saint- i^uc^ proche de Durango; 5°. Celle de Somberîette, vers
Saint- Martin; 6^. Celle à'Erena^ proche de la petite Ville du même nom;
7". Cdle de los Ranchos\ 8". Celles de los Chalcuitos & de las NieveSy toutes
deux abondantes , mais infellées par des Indiens très féroces , qui réfifient
encoreau joug Efpàgnol; 9^. Enfin celle del Frefnillo , qui paroît inépuifa-
ble jufqu'aujourd'hui.
La Province, qm vorte h nom de Nouvelle Bifcaîe, & qui en comprend
une 3'itre nommée Topia^ offre les Mines d'Emle, de Saint- Jean, & de
Sair -Barbe; les deux dernières, à trois lieues fune de l'autre, & toutes
deiwi, à vingt lieues de celle d'Ende. Elles font d'une abondance extraor-
dinaire, & voifines de plufieurs Mines de plomb, qui font d'une extrême
utilité pour la purification de l'argent. Ilerrera place celle de Sainte- Barbe .
Da•cuT^Tro^f
DE I..' Nou-
velle EsrA-
ONB.
(e) Laet, uhifuprà,
XVm. Part.
page
(/) Ibid. page 272.
Q q q q
na LA Nou-
VliLL2 ESM-
CMC.
Vaines cfpé-
r;:ni:t.'s daiisla
Province ilf
Ciboia.
672 DESCRIPTION DU MEXIQUE.
à cent lieues de celle de Zacatccas. Elle eft à cent foixante de Mexico, fui-
vant Jean Gonzales; & cet Ecrivain ajoute, qu'à foixante & dix lieues de
la même, ver« le Nord, on trouve les quatre grandes Villes que les Efpa-
gnols nomment las quatro Ciudades {g).
MAKcde Ktfii, fameux Cordelier , que diverfes avantures avoient conduit
dans la Province de C/A-î/a, publia une Relation de fon Voyage, dans la-
quelle il promettoit plus d'or, aux Efpagnols, qu'on n'en a.jamais tiré de
toutes les parties de l'Amérique. Il reprcfentoit un Pays fi riche, qu'on n'y
employoit que des vafcs d'or, & que les murs des Temples étoient revêtus
du même métal. Antoine de Mcndoza, Viceroi de la Nouvelle Efpagne
en 15 jo, fut affez ébloui de cette magnifique chimère, pour y envoyer un
Corps de Troupes , fous la conduite de François Vafquez de Coromdo. On
n'y trouva que de la mifere & de la barbarie; ce qui n'empêche point que
la Relation de Nifa n'ait eu jufqu'aujourd'hui fes Partifans, qui fe promet-
tent, de l'avenir, des tréfors que les recherches de depx fiécles n'ont pas
encore fait découvrir. A la vérité, Coronado rendit témoignage au Vice-
roi que les Turquoifes étoient fort communes entre les Habitans de Ciboia,
& qu'ayant trouvé peu de Femmes & d'Enfans dans le Pays, -il y avoit beau-
coup d apparence qu'une grande partie de cette fauvage Nation s'étoit re-
tirée dans des lieux inaccefl^ibles avec ce qu'elle avoit de plus précieux:
mais la difficulté d'y pénétrer n'a pas permis jufqu'à préfent de vérifier
une fi flatteufe conje6lure. Alfonfe de Bcnavidez, autre Cordelier, donc
nous avons une Relation du Pays de Quivira & du nouveau Mexique, aulîî
fufpc6le que celle de Nifa, prétend que ces deux Régions , qui font enco-
re peu connues , & qui bornent les Provinces feptentrionales de la Nou-
velle Efpagne , abondent auffi en Mines d'or & d'argent. Il ajoute qu'une
partie de Quivira, qu'il place au trente-feptième degré du Nord, & dont
il nomme les Habitans Aixaoros^ n'eft pas éloignée des Etablifl!emcns An-
glois, où il fuppofe, fans aucune preuve, que ces Barbares répandent con-
tinuellement leurs tréfors (*).
Tous les Hifloriens de la Conquête aflurent que la Province deGuatimala
étoit remplie d'Idoles d'or, que les Indiens livrèrent volontairement aux
Efpagnols; mais il ne paroît point qu'on y ait jamais découvert de Mines,
ni que cette belle Contrée ait aujourd'hui d'autres fources de richefles, que
fon Commerce & la culture de fes Terres.
La Province de Chiapa étoit autrefois riche en or, en argent, en étain,
en plomb, en vif argent & en cuivre. Ses principales Mines font épuifées;
& quoiqu'il fe trouve encore des veines d'or dans fes Montagnes , le travail
ell fi difficile, & le nombre des Indiens qu'on y employoit efl tellement di-
minué , qu'elles font abandonnées depuis plus d'un fiécle.
Vera-Paz avoit donné de grandes efpérances aux Efpagnols, iur-tout
par la qualité de fes eaux, dont l'àcreté femble marquer qu'elles paflent par
«les veines métalliques. On y a fait fouvent de grandes entreprifes , fur les
(^) Ibid. page 290. On n'a pas d'autre
«onr.oiîllince ae ces quatre Villes.
\,b ) Lavt, ubijuprà, page 305 & précé-
iudices
dentés. On renvoie le Nouveau Mexique &
Quivira, à l'année où ces Pays furent dé-
ouverts.
:o , fui-
;ues de
1 Efpa-
•
ronduît
lans la-
tiré de
'on n'y
revêtus
ifpagne
ayer un
lo. On
int que
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ont pas
u Vice-
Cibola,
it beau-
koit re-
récieux :
vérifier
;r, dont
ue , auflli
rît enco-
la Nou-
e qu'une
& donc
»cns An-
ent con-
uatimala
lenc aux
Mines ,
es, que
n étain,
juifées ;
e travail
Tient di-
ur-tout
ffent par
, fur les
indices
Mexique &
furent dé-
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE^ Liv. II. (Î7J
• •
indices & la foi des Habitans; mais elles n'ont eu de fuccès que vers Golfu n^cntm-^r»
dolce, où les Iliftoriens rendent témoignage qu'on a trouvé une Mine d'or JJJ,lr^ Rî'pa^
aflez riche, & quelques veines de fouire. ' onb.'
Les Montagnes, qui réparent le Honduras de la Province de Nicaragua,
ont fourni beaucoup d'or & d'argent aux Efçagnols, quoique les Habitans
naturels ignoraffent qu'ils avoient ces ricliefles autour d'eux, ou que l'ex-
trême fertilité du Pays les leur fit négliger. Elles leur ont coûté, s'il en
faut croire Barthelemi de las Cafas , plus de deux millions d'ames , que les
Conquérans facrifièrent à leur avarice ; comme s'ils ne s'étoient crus fûri
de la pofleflion des Mines, que par la deftrudlion d'un malheureux Peuple,
qui ne leur contefloit rien , & qui préféroit fes belles citrouilles aux plus
précieux métaux. C'ed de l'excellence de ces Plantes , qu'ils nommoient
Hibueratt qu'on avoit donné d'abord le même nom à leur Province. Ses
principales Mines font celles des Montagnes de Valladolid, ou Comayagua^
celle de Gracias à DioSt & celles des Vallées de Xaticalpa & à'Olancbo , dont
tous les torrens roulent de l'or, fur-tout celui de Guayape, à qui on donne
la qualité de Fleuve, & qui coule à douze lieues d'une Ville nommée Saint
Jean (fOlancho.
La Province de Cofta ricca, dontWaflTer, Anglois, Vaz, Portugais, &
d'autres Voyageurs étrangers, font une peinture qui répond mal à fon
nom, nelaiiïbit pas de renfermer aulTi quelques Mines dor & d'argent:
mais la difficulté du travail les a fait abandonner, avec les Habitations voi-
fines , telles que Cajiro d'jinflria & BruxalUt , où les Efpagnols s'étoient éta-
blis pour le travail , & dont il ne refle aucune trace.
Enfin ceux, qui fe rappellent le troifiéme Voyage de Chriftophe Colomb ,
ne doivent pas trouver d'exagération dans l'idée que Laet donne du Vera-
gua, lorfqu'il aflure „ que cette Province eft encore très riche en métaux,
„ fur- tout en or, qu'on y tire du fein de la terre à chaque pas, & qu'on
„ puife, dit-il, avec l'eau dans les torrens & les Fleuves (0"« La petite
Ville de Sainte-Foi ^ fituée à douze lieues de celle de la Conception vers le
Sud, efl le lieu de la fonte, & le.féjour des Officiers royaux.
On a donné, dans une autre partie de cet Ouvrage {k), quelques obfer-
vations fur les Mines du Mexique, la méthode des Efpagnols pour la fépa-
ration & la fonte des métaux. Ne craignons pas de répeter ici, pour l'in-
telligence de cet article, que tout Particulier, qui découvre une Mine d'or
ou d'argent, peut y faire travailler, en payant au Roi le cinquième du pro-
duit: mais s'il l'abandonne, elle tombe, trois mois après, au Domaine. Le
Roi accorde quatre cens pies de terrein, vers les quatre Vents principaux ,
depuis l'ouverture de la Mine; ou d'un feul côté, au choix du Proprié-
taire. Enfuite un autre a la liberté d'en ouvrir une nouvelle, à dix-huit
pies de la première; & quoique cet efpace foit comme un mur de fépara-
tion, il peut entrer dans le terrein du premier, en creufant fous terre, du
moins jufqu'à ce qu'il rencontre fes Ouvriers. Alois il doit fe retirer
dans le fien , ou pouffer fon travail au-defTous de l'autre. Mais fi la
Mine,
(0 Laet, ubifuprà, page 335.
(k) Tome XVI. page 531.
Q q q q 2
Description
on 1.A Nou-
VILLE ËSPA'
Produit nn-
nui'l des Mi-
nes de la Non-
▼«.'Uclili'rgiic.
Uàtcl des
Monnoycs de
ilcxico.
674 DESCR. IPTION DU MEXIQUE,
Mine, qu'il ouvre au-deflbus, efl inondce par quelque fourcc d'eau, celui
(^ui travaille au-defflis doit lui donner la fixicme parcie de ce qu'il lire; &
Il l'eau vcnoic de la Mine fupérieurc, le roileflcur de cette Mine cfî obligé
de la faire vuider.
Tout l'or & l'argent, qui fort des Mines de la Nouvelle Efpagne, doit
être porté à Mexico, & déclaré à rilotcl de la Monnoie. Un Voyageur
célèbre a publié, vers la fin du dernier liéclc, qu'il y entroit chaque an-
née , deux millions de marcs d'argent, outre ce qui paflbit par des voyes
indireftes, & qu'on en frappoit tous les ans, à la Monnoye, 500000 marcs
en pièces de huit.
Les Propriétaires ne payent pas feulement les fraix de la Fabrique, mais
ils joignent au quint, qui efl: le droit royal de l'ancienne déclaration, une
réale, qu'on nomme le droit de ValTelage. Quoique chaque Particulier
puifle faire fabriquer de la monnoye, on travaille prefqu'uniquement pour
les Marchands. Ils achètent tout le métal qu'on veut leur vendre, en re-
tenant deux réaies par marc j l'une pour le droit du Roi & l'autre pour la
fabrique. A l'égard de l'or, qui efl beaucoup moins abondant, on en fait
des pièces de feize, de huit, dj quatre, & de deux pièces de huit, qui
fe nomment des Ecus d'or. La différence pour les droits efh d'une réale
& demie, qu'on paie de plus pour les pièces d'or. Le titre auquel il doit
être pour recevoir la marque eft vingt-deux carats; & celui de l'argent,
deux mille deux cens dix maravedis.
On apprend, du même Voyageur, furies informations qu'il reçut d'un
Gentilhomme Efpagnol , qui avoit exercé , pendant trente ans , l'Olfice
d'Effaycur, qu'il y a, dans Mexico, huit Fourneaux pour la Monnoye, ôc
dans l'Hôtel qui les contient un Chef, fous le titre de Tréforier, avec
huit ou dix principaux Officiers qu'il commande. On configne au Chef
les barres d'argent : elles font pefées devant lui; il tient compte du poids.
Après les avoir mifes au feu pour les couper, on efl: obligé de les mouil-
ler, pour les y remettre, parceque le métal efl: aigre, & qu'il ne fe fabri-
queroit pas aifément fans cette opération.
On fait cinq fortes de Monnoye: des Pièces de huit, de quatre, de deiix,
des Pièces fimples & des deniers. Lorfqu elles ont leur jufle poids, on les
remet au Tréforier, qui les reyoit de la main même duPefeur, fous les
yeux du Secrétaire & des autres Officiers. Comme l'argent fe noircit par
le mélange de l'écume de cuivre, qui fert à la féparation ( / ), on envoyé
d'abord la Monnoye aux Blanchilleurs. Elle paile enfuite chez les Gar-
des, qui vérifient le poids. J)e-là elle efl: confignée aux Monnoyeurs,
qui travaillent dans une même Salle, & qui ont auflTi, pendant le jour,
les cinq coins, nommés Truxeks^ dont les Gardes font chargés, pendant
la nuit, & dont ils répondent fur leur tête. Après ces formalités, laMon-
uoye retourne entre ki mains du Tréforier pour la délivrer aux Proprié-
;L,, : . . *• - taires;
(0 On ne fc fervoit autrefois , à Mexi-
co, que de Mercure & de Sel pour fôparer
l'argent ; mnis cette opération étant fort
longu(.>, an Dominiquain la rendit plus facile^
en donnant l'invention de l'écume de cui-
vre , qui échauffe fur le champ la maflc.
Camri, Tome T/, Liv, i, Cba^. 10.
ou DE LA J^OUVELLE ESPAGNE, Liv. II. 6:s
il
revient aux Officiers , c'ed-à-
talres; mais ii en retire auparavant ce qui
dire à lui-même, àTEflaycur, au Coupeur, au Secrétaire, au Feieur, aux
deux Gardes, au Merino, (jui cft un Sous-rdcretairc, à un Alcalde, aux
Forgerons ik aux Monnoyciirs. Cette deJu(5lion n'rll pus une perte pour
le Propriétaire, parcequ'elle fe fait furies deux ré.ilcs (ju'on ajoute à lu
valeur de l'argent avant qu'il foie frappé. Le paiement fe fait aux Officiers
l>îxr Mara-oedis 6cp:ir Racioucs (m). ^ '' '[
Tous les hauts Officiers font nommés par le Roi ; & les autres achètent
leurs Places, duTréforier, pour la fomme de trois mille pièces de huit.
Les premiers répondent folidairemcnt des fraudes de leurs AfTociés. Quoi-
que toutes ces Charges , & celles mêmes qui s'achètent, ne foient pas hé-
réditaires, chaque Oflicier a le droit de réfigner la fienne; mais, pour la
validité de fa réfignation , elle doit être (ignée vingt jours avant (a mort.
Celui que cette faveur regarde, efl: obligé d'en informer le Viceroi dans
le terme de foixante jours. 11 doit payer au Roi un tiers de la valeur de
fa Charge, & les deux autres tiers, au Propriétaire ou à fes héritiers; fans
quoi elle retourne à la Couronne. Aufli les Pollefleurs font-ils , chaque
mois, leur démiirion , pour éviter toute ombre de difficultés fur les vingt
jours qu'ils doivent furvivre. Le revenu annuel du Tréforier efk d'envi-
ron foixante mille pièces de huit. Les Charges d'Ellayeur & de Fondeur,
qui appartiennent en propriété au Couvent des Carmes Déchaux de Mexi-
co, & qui font exercées par un feul Officier, rapportent feize mille piè-
ces; celle du Coupeur, dix mille ; & les autre», environ trois mille cinq
cens. Les Forgerons, ouïes Maîtres des huit Fourneaux, & les Mon-
noyeurs, qui font au nombre de vingt, ont chacun, depuis huit cens juf-
qu'à mille pièces. Il n'y a point de li bas Offices, qu'ils ne vaillent par
jour une pièce de huit: mais, comme la plupart de ceux qui les pofledent
l'ont des Efclaves du Tréforier , il en tire ouvertement le profit.
Comme l'expérience a fait obferver qu'il y avoit un peu d'or dans l'ar-
gent, les Officiers royaux ont établi un autre Hôtel, qui porte le nom de
A'Iaifon du départ, & qui n'a point d'autre objet que la féparation de ces deux
Métaux. Carreri nous en donne aufli la méthode. On fond l'argent en
très petites balles , qu'on fait diiïbudre dans l'eau forte. L'or refle au fond ,
en poudre noire; & l'on met l'eau, qui contient tout l'argent, dans deux
vaiifeaux de verre , dont les bouches fe joignent. On les échauffe: l'eau fe
retire dans l'un , & l'argent demeure dans l'autre. Enfuite l'or eft fondu
en plaques & en barres, pour être porté à l'Eirayeur, comme l'argent.
On paie, pour cette opération, fix réaies par marc à la Maifon du dé-
part. L'Office de Départeur appartient à un Particulier, qui a paie au
Roi,
DrJCRU'TioN
DE LA NoU-
Vlil,l.R KSPA-
CNC.
Maifon du
déparc.
(m) Chaque ManveJi vaut 137 Racio-
nes. Voici i'ordre & les proportions du
paiement.
MaraveJis. Racioncs.
Au Tréforier 22 . & . . 120
A l'Elluïeur i Co
Au Coupeur 5 60
Au Secrétaire i . . . , , 60
Au Pcfcur I 80
A chacun des deux Gardes i 60
Au Merino 2 16
A l'Alcaldc 2 16
Aux Forgerons 24
Aux Monnoycurs 8
Totil 60 Maravcdis.
Qqqq 3
676 DESCRIPTION DU NTEXIQUE,
Dl'trRIPTION
TK LA NOU
VtU.K EjfA
T5rolt«
roiaux , qui
foiit une trol-
fîciiic cfi'cce
de Mines.
un Major.
On n'ajoutera rien, k ce qu'on a lu jurqu'ici dans un grand nombre de
Relations, fur le tranfport de ces ricliLÏTcs & de celles qui entrent dans
lu Nouvelle Efpagnc par l'arrivée annuelle des VaifTeaux de Manille: mais,
comme on a donné le nom de fécondes Mines du Mexique aux Ports d'A-
capulco & de Vcra-cruz, qui fervent de Paflage à tant de trefors, on peut
regarder comme les troifiômes , une multitude de Droits royaux , qui augmen-
tent fans celle les revenus de la Monarchie Efpagnole, & dont cette idée a
fait remettre ici l'explication.
On met au premier rang le quint de tous les métaux , des perles & de
toutes les pierres précieufes , fans compter un & demi par cent pour la for-
tie , & ce qui fe levé fur toutes les Monnoyes qu'on fabrique ù Mexico.
Les Efpagnols donnent à ce Droit le nom deSemoraje, ou Droit de Seigneu-
rie (0). On peut y comprendre celui qui réferve au Roi d'Efpagne la moi-
tié des Hitvacas; c'ell-à-dire, de tous les tréfors cachés qu'on découvre dans
les anciennes Habitations des Indiens, qui les enfevelifloient en terre, pour
les befoins dont ils fe croyoient menacés après leur mort , & de tous ceux
qui fe trouvent dans les débris des anciens Temples.
Le Droit, qui fe nomme Vacantes en Mojlrcncas^ donne au Roi les biens
de ceux qui meurent fans héritiers, jufqu'au quatrième degré du Sang.
EJîanca de Nayijcs cfï un Droit confidérable fur les Cartes à jouer. Il
s'afferme ; & dans toutes les Indes la Couronne en tire plus de deux mil-
lions d'écus.
On nomme Almajarifaîgos y d'AImajarife, mot Arabe, qui fignifie Hom-
me de métier, un Droit de cinq pour cent, fur tous les Ouvrages des Ma-
nufaélures d'Efpagne, qu'on porte aux Indes. Ces mêmes Ouvrages paient
deux & demi pour cent defortie, & cinq d'entrée, autant de fois qu'ils
changent de heu dans les Indes.
Le Droit d'/kcria efl: un droit de Marine, dont le revenu efl employé à
l'équipement des Vaiffeaux qui portent l'argent du Roi. Il n'a rien de com-
mun avec un autre Droit, qui donne au Roi la cinquième partie de toutes
les prifes de Mer.
Le Droit à'Alcavala ne s'efl: pas établi fans difficulté. Il confifle dans un
Impôt fur tout ce qui fe vend & s'acncte dans le Pays , fur tout ce qui s'y
échange.
(n) Gcmelli Cirreri, Tome VI, Qiap.
I & 2.
(0) L'Auteur, dont on emprunte ce dé-
tail, alTurc qu'outre ces deux droits, la
Couronne prend un certain efpace dans tou-
tes les Mines qui fe découvrent; foixante
pcrcbies, dons celles d'argent, de fer, de
cuivre , d'étain ^ de plomb , cinquante
dans celles d'or," & que pour celles de vit-
argent, comme c'efl un métal néceffaire pour
découvrir les autres , le Roi en retient eu-
tiôrcmcnt la propriété, mais qu'il laifTe trente
ans de jouiflhncc à celui qui les a découver-
tes Mcmoire publié à la fin du fécond To-
me de rililtoirc des Flibulliers , par Oexme-
lin, fous le titre d'Etabliffement d'une Cham-
bre des Comptes dans les Indes Occidentales ;
troijiême Partie, Chap. i. L'Editeur alRire
que c'eft la traduiiion d'un Manufcrit Ef-
pagnol, compofé fur des Pièces autentiqiies
dont il a vu les orijjinaux.
ou DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. II.
^:7
oye a
le com-
toutes
ans un
qui s'y
hange ,
échange, fur les Teftamens & fur les Dons mutucli, enfin fur toutes îcs
Charges qui fe vendent. Il a coramenct' par deux peur cent ; cnfuite on
l'a fait monter jufqu'à quatre. Dans le cours d'une année, il rapporte, à
la Couronne, environ trois cens vingt-cinq mille ducats.
Le Droit de Comm[l]''S regarde tous les biens qui tombent par faifie entre
les mains du Procureur Fifcal, tels en particulier que les Marchandifes de
Contrebande. Il ell défendu de recevoir de la Chme, des Philippines, du
Pérou, &c. & dy envoyer, des Marchandifes qui n'aient point été dé-
clarées aux CommiiVaires du Roi, fous peine du confifcation du Navire &
des eifcts.
Waifer nous apprend qu'en vertu d'une fomme de huit mille ducats que
la Cuntrauicijn do Seville paie annuellement au Roi, elle a fermé la cor-
refpondance des Ports du Pérou avec ceux de la Nouvelle Efpagne; ce qui
fait perdre à la Couronne plus de trois cens mille ducats, qu'elle tireroic
des Droits royaux, fi la liberté du Commerce étoit établie entre ces deux
Régions. Elles s'aideroient mutuellement d'un grand nombre de marchan*
diles, qui abondent dans l'une, & qui manquent dans l'autre (p).
Tribuios vacos ell le nom d'un Droit royal fur tous les Offices qui dépen-
dent de la Cour. Il confille dans la jouïlTance de leurs revenus, julqu'à
ce qu'ils foient remplis.
Le Droit, qui fe nomme Tirc/w de Encommiendos , regarde les Offices qui
changent de Poflefleurs , par réfignation. Ceux qui font choilis pour les
remplir, doivent payer au Roi le tiers de leur valeur.
Le ^anaconased un Droit qui ne regarde que les Indiens, & qui les oblige
de payer leur fortie lorfqu'ils, quittent leurs Bourgs ou leurs Villages.
Le Hatemiras tombe aufli fur les Indiens, lorfque par guerre ou par confif-
cation , ils font chaires de leurs Biens propres. Ce Droit leur impofe l'obli-
gation de fervir à gages; & de travailler tour à-tour aux Mines du Roi.
Les Pulperias font des Cabarets où l'on donne à manger, & le nombre en
cfl règle dans toutes les Villes & dans tous les Bourgs. Ceux qui paflent ce
nombre paient , au Roi , un Tribut annuel de quarante piaflres. Dans la
multitude de Villes & de Bourgs dont la Nouvelle Efpagne eft remplie, ce
Droit rapporte une fort grofie fomme.
Le Droit d'entrée, pour les Nègres , n'efl: pas moins confidérable. Il efl
de deux piaflres par tête ; & tous les ans , on en apporte un grand nombre.
La Cour avoit entrepris de mettre un Impôt fur le Pulqucy breuvage fa-
vori des Mexiquains , pour lequel il paroît que les Efpagnols n'ont pas moins
de goût: mais on a dcja rapporté, d'après Carreri, qu'elle s'efl vue comme
forcée d'abandonner cette entreprife. Celle d'affermer les Salines ne lui a
pas réufli plus heureufement. Les Indiens n'ont point d'argent pour ache-
ter le fel : d'ailleurs, il s'en trouve quantité de Mines dans les Montagnes,
dont il efl imponible de leur fermer l'accès.
On lit , dans Waffer , que pendant la durée de l'Impôt , un Particulier ,
nommé François de Cordoue^ qui en avoit l'adminiftration , devint (i riche
en peu d'années, qu'il bâtit, dans la rue de Saint François, une Muifon,
{p) Voyages de Lionncl WafTcr, édition de Paris, ^agi 253.
|iK I.A NoiJ-
TELLE K PA-
CKR.
678 DESCRIPTION D U M E X I Q U E,
DrîscmrTioN qui paffe pour la plus belle de Mexico, & qui n'efl connue que fous le nom
VV. LA Non- ■^ - * ■ " ' • ,.^ ,.- -
VliLI.E liSl'A-
CNiJ.
I*rni.!ui;tions
mi'o<: ou cu-
ri'-'i-ilcï.
de Pukherrimo, en fous-entenclant le mot d'Edifice, parcequ'eile doit fon
origine au Pulque {q).
On ne parle point du Droit de la Cruzade, qui fe paie avec plus de zèle
dans la Nouvelle Efpagne que dans tout autre lieu; mais on en nomme un
autre, qui regarde aulTi le Saint Siège, & qui eft fondé de même fur une
Bulle de compofition, par laquelle ceux qui pofledent, fans le favoir, quel-
que partie du bien d'autrui, font abfous de la valeur de trente ducats pour
douze reaies. Les droits de Nejada & de Media annata, qui regardent les
Biens ecclefiafliques , font en vigueur dans toute l'Amérique Efpagnole, &
forment, fuivant l'Auteur de ces oblervations, un revenu ù. important pour
la Couronne, qu'elle en tire plus que de l'Efpagne entière (')• .
Pour la levée de tous ces Droits, chaque Province a des Officiers royaux,
qui ont leurs Subllituts , dans les lieux éloignés de leur demeure, & le pou-
voir continuel de faire refpefter leurs ordres.
Cette vade étendue de Pays offre aufli quantité de produftions utiles
ou curieufes. Entre les minéraux, on vante une cfpcce de jafpe, que les
IMexiquains nomment Esff?/, de couleur d'herbe, avec quelques petites ta-
ches de fang, dont la moindre pièce , liée au bras ou au cou, arrête tou-
tes les dyflenteries. Il s'en trouve un autre , qu'ils appellent Iztlia yotli
Qriatzalitztli (r) moucheté de blanc, qui, porté dans la région des reins ,
appaifu les douleurs néphrétiques, diffout la gravelle, & triomphe de tou-
tes fortes d'obflrudlions. Une troifième efpèce, nommée Tlilayàic, de cou-
leur plus obfcure & fans taches, mais plus pefante , ne demande que d'être
appliquée fur le nombril pour guérir les plus douloureufes coliques. Enfin
une autre pierre noire, pefante, & fort unie, palTe pour un admirable fpe-
cifîque contre les maladies de Y utérus (t).
Dans le voifmage de Chiautla, qui appartient à la Province de Mexique,
c'cil-à-dire au milieu duContiutnt, on voit un grand puits d'eau falée,dont
les llabitans font d'excellent fel (v). Les Moncagnes'de Contacomapa &
de Guakepeque, qui font à peu de diflance , fourniffent un beau jafpe verd,
qui approche du porphyre.
Dans un Bourg nommé Guadalupe^ on voit une fource d'eau très froide,
qui gucrit de la fièvre ceux qui en boivent, & qui ne fort jamais de fon lit,
quoiqu'elle bouillonne continuellement plus haut que {'qs bords (.v).
A Querctaro,dans le Canton deXilotepeque, on trouve une fource d'eau
chaude , qui ell capable de brûler en fortant de terre, & qui étant bue tiède
par les Belliaux, fert merveilleufement à les engraiffer. Une autre fource,
du même Canton , coule en abondance pendant quatre ans , & tarit alter-
nativement pendant quatre autres années. 11' doit paroître encore plus fin-
gulier que pendant qu'elle coule, elle n'efl jimais plus abondante que dans
les tems de fe^cherellc {y).
Proche
(■?") WafTcr, ihid pnge 36^.
(f) OLxmcIin, uhij'ujirà, page 411.
is) CMl-à-dire, Emcraude obfcure,
{ t ) Mouardcs , dans les Exotiques de
Cliifuis, ubi fuprà.
(V , I,aet. page 233.
(x) WatVcr, ubi Jupnï , pnge 365.
[y) Laet, y.-.'Z^ 2 3iJ.
le nom
Dit fon
de zèle
ime un
ur une
•, quel-
les pour
lent les
lole, &
inc pour
royaux ,
: le pou-
ls utiles
, que les
stites ta-
rête tou-
'.tlia yofU
les reins,
e de tou-
, de cou-
[ue d'être
s. Enfin
rable fpe-
klexique,
ée,dont
Dmapa &
pe verd ,
s froide,
c fon lit ,
irce d'eau
:)ue tiède
e fource ,
rit al ter-
plus fin-
que dans
Proche
36S.
v;:li.e
GNC.
Caverne
furpronante.
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Lxv. II. 67}}
Proche de l'ancien Volcan de Nixapa, dans la Province de Guatimala, DescRirrioN
un torrent d'excellente eau, qui defcend delà Montagne même du Volcan, J^^^^^ f^^'
coule régulièrement pendant la nuit, & celTe de couler pendant le jour.
Un autre, dans le Canton de Chuleteque, coule chaque jour jufqu'à midi ,
& feche enfuite jufqu'au foir (2).
Il fe trouve des Mouches, entre Mexico & le Port d'Acapulco, dont la
piquûre eft fi dangereufe , qu'elle caufe quelquefois la mort (a).
Dans le Canton de Gualleque , les Habitans font affligés d'une fàcheufe
maladie, caufée par un grand nombre de vers, qui commencent par fe for-
mer dans leurs lèvres. Ils n'y connoiifent point d'autre remède , que de
porter continuellement du fel dans la bouche (ô).
Les eaux d'un Fleuve nommé Zabuatl^ dans la Province de Tlafcala,
donnent la galle à ceux qui s'y baignent; on. y trouve peu de Poiflbn (c).
Entre les Villes de Cuertlavaca & de Tequîcijîepcque ^ on voit, au pie
d'une haute Montagne, une Caverne fort renommée. Un Dominiquain
Efpagnol , ayant eu la curiofité de la vifiter fous la conduite de quelques
Indiens, y defcendit par une ouverture fort étroite, & trouva d'abord un
grand efpace quarré, d'environ cinquante pas, qui contient plufieurs puits,
avec des degrés pour y defcendre. De- là, un chemin fort {tortueux le con-
duifit fous terre dans un autre efpace beaucoup plus grand que le premier ,
au milieu duquel fort impétueufement une fource d'eau vive , qui forme '
un ruiffeau. Après l'avoir fuivi plus d'une heure, la crainte de s'égarer,
dam un lieu dont il ne voyoit pas le terme, le fit retourner fur fes pas,
avec le fecours d'une ficelle dont il avoit attaché le bout à l'ouverture, 6c
qui commençoit à manquer de longueur (rf).
L' iTucATAN jouit d'un air fi fain dans les Montagnes , qu'on y a trouve Longues vies.
des Vieillards de cent quarante ans. Un Milïïonnaire Francifcain a rendu
témoignage qu'en prêchant l'Evangile aux Montagnards, il avoit vu parmi
eux un Homme, qui , de fon propre aveu & fur les informations de fes voi-
fms, n'avoit pas vécu moins de trois fiécles. Il avoit le corps fi courbé,
que fes genoux touchoient à fa tête, & la pesa fi dure, qu'on l'auroit cru
couvert d'une écaille (e).
Dans la Province de Vera-paz, proche d'une Ville EfpagnQle qui fe nom-
me Saint-Augujlin y on voit entre deux Montagnes une Caverne formée
dans le Roc, aflcz fpacieufe pour contenir un grand nombre d'Hommes,
dans laquelle il fort continuellement, de di ver fes fentes, une liqueur qui fe
change bientôt en pierre fort dure, & de la blancheur de l'albâtre. Les
divers obfl:acles, que cette liqueur trouve à fon cours, lui font prendre dif-
-férentes formes dans fa tranfmutation. On trouve, à peu de diftance, des
Colomnes, <St jufqu'à des Statues, qui paroiflent un fimple ouvrage de la
"nature (/). Le froid eil fi vif, dans l'intérieur de la Caverne, que l'Hom-
r^trificaliolis
d'cuu.
(a) WafFer, nhi fiiprà, page 334.
(a) Lact, uli fuprà.
(_i) Journal de Jean Ciiilton, en 1572,
-d^ins Iii CoUcftion 'Ll'Iinckluyc.
Ce) Lacf, page 251 c\ 252:
ïrilL l'art.
(d) Ibid. page 261.
(e) licirciu, Dec. 2.
fil-' 2:3-
(/) Ibid. ingc 318.
R r r r
me
Liv. 3. & Lact [.a.
68o
DESCRIPTION DU MEXIQUE,
DtSCRIPTION
CE lA NOU.
ViiLLE Esl'A-
Eau de
Goltb dolce.
Celobre
Poudre.
Orgues de
bois.
Illcs notantes.
me le plus robufte n'y peux réfifler long-tems. On y entend d'ailleurs un
bruit confus d'eaùx, qui feniblent couler à l'entour, & qui fortant dans les
lieux voifins, par quantité de torrens , fe précipitent d'a'ûord au fond d'un
abyme, où elles forment une forte de Lac, & s'échappent enfuite par un
Canal, qu'elles fe font ouvert d'elles-mêmes, aflez grand tout-d'ûn coup
pour recevoir toutes fortes de Barques.
On admire que l'eau de Golfo dolce , qui touche au Golfe de Honduras
foie parfaitement douce, comme on doit en juger par fon nom. Cette fin-
gularité ne peut venir que de la multitude & de l'impétuofité des torrens,
qui forment ce Golfe en fortant des Montagnes, & qui ont aflez de force
pour repoufler conflamment l'eau iàlée. Quelques Etrangers fe font flattés
de pouvoir pénétrer par cette voie jufqu'à la Mer du Sud. Deux Anglois,
Antoine Shcrlcy & Guillaume Parker^ en avoient formé l'efpérance; mais,
s'étant avancés l'efpace de *Tente miles avec quelques Bâtimens légers , ils
apprirent des Indiens de la Côte, qu'il ne leur refl:oit pas moins de vingt
lieues de terre, & que la route étoit coupée par des Montagnes inaccem-
bles; fans compter que la mauvaife qualité de l'air, & les attaques des plus
cruelles Mouches du monde, les forcèrent d'abandonner leur réfolution {g).
Non-seulement c'ell à Guaxaca que fe fa>.t le meilleur chocolat de toutes
les Indes, mais on y compofe une excellente poudre, nommée PolviUa,
qui efl: la plus eXquife de toutes les odeurs. Elle efl; fi recherchée, & par
conféquent fi chère, que la livre en coûte autant que fix de chocolat. II
s'en fait un débit furprenant , dans toutes Içs Provinces du Mexique , au
Pérou , & même en Éfpagne. Il n'y a que les Religieufes de Sainte Cathe-
rine de Guaxaca, qui en aient la compofition; celles des autres Monafl:eres
de la Ville ne peuvent y parvenir (h).
A Pafcaroy Ville éloignée d'environ huit lieues du Port d'Acapulco, on
admire des Orgues de bois, compofées par un habile Indien, qui rendent
des ibns aufli harmonieux que les meilleures Orgues de l'Europe; la curiofité
porte tous ceux qui arrivent dans la Nouvelle Efpagne à les vifiter.
On a parlé de quelques petites Ifles flotantes , fur le Lac de Mexico j mais
elles n'approchent point de celles d'un autre Lac, queWafFer nomme Mexi-
calfingo , dont l'eau efl: fi favorable à la végétation , que les Indiens l'ont
prefque changé en jardins. Cefpeftacle, dit-il, caufe de l'admiration. Ils
étendent, fur trois'ou quatre grofles cordes, un grand nombre d'ofîers, les
uns fur les autres , de la longueur de foixante pies en quarré , & d'un demi-
pié de hauteur; ils attachent le bout des cordes aux arbres qui bordent hz
Lac, &coi!vrent cette machine, degafon, fur lequel ils répandent de la
terre & du fumier : enfuite ils y fèment des fleurs & des légumes , qui croif-
fent dans une finguliere abondance. De tant de matières différentes, il le
forme avec le tems une mafle épaifle & folide, fur laquelle ils fe conflrui-
fent des maifons, accompagnées de petits bâtimens pour la Volaille, & de
colombiers. Il arrive quelquefois que le Maître d'une Ifle, étant allé ven-
dre fes denrées dans fon Canot , avec fa Femme & fes Enfans , ne retrouve
plus, à fon retour, fon Habitation dans le lieu où il l'avoit laiflTée, parce-
que
(5) 7W. page 330. (/;) VVaffer , page 327.
ir» un
ins les
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)ar un
1 coup
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lie ven-
etrouve
parce-
que
;s
OU DE LA NOUVELLE ESPAGNE, Liv. IL (58r
que les cordages qui l'arrêtoient fe font rompus de pourriture, & l'ont aban-
donnée à r-inconftance du vent. Alors il demande à Tes voifins s'ils n'ont
pas vu pafler fon Ifle; & la retrouvant à force d'informations, il la remar-
que avec de nouvelles cordes (i).
Entre les Volcans , qui font en fi grand nombre dans la Nouvelle Efpa-
gne, &dont les éruptions caufent tant de ravages, Waffer fait admirer
celui du Lac de Nicaragua, qui étant fitué dajs une Ifle, au milieu du Lac,
paroît vomir fes flammes du fein des eaux (k). Le même Ecrivain donne
quatre- vingt lieues de tour à ce Lac (/), & Laet cent trente miles (m).
Quoique l'eau en foit douce, dans toute fon étendue, il a fon flu-^ & fon
reflux , comme la Mer. On fait que fa tête n'efl: féparée de la Mer "du Sud,
que par trois ou quatre lieues de terre (n) ; mais aucun Voyageur n'a mar-
qué la longueur du Defaguador^ qui efl; le Canal par lequel il fe jette dans
celle du Nord , & qui fert au Commerce de la Province avec Carrhagene &
Porto-bello. On i^ repréfente long & fort étroit. Alfonfe Carera &Dida-
ce Machica de Suafo font les premiers Efpagnols qui ont découvert cette
voie de communication , & qui en ont furmonté les dangers (o). Allez
proche de Grenade, féconde Ville de la même Province, on trouve un au-
tre Lac, dont l'ancien nom efl: Lîndiri^ & qui fe joint au grand, par un Ca-
nal , à fept lieues de cette Ville. Sur fes bords s'élève une Montagne , nom-
mée Mumbacho, à la fertilité de laquelle il ne manque rien pour les arbres
& les fruits , mais dont le fommet n'en efl: pas moins un épouvantable Vol-
can. On a décrit, dans un autre lieu, ceux de Tiafcala & de Saint- Jac-
ques de Guatimala (p). Les autres n'ont rien de plus remarquable que leur
nombre.
Ce mélange de fingularités , dont la plupart ne font connues qu'impar-
faitement par les Obfervations des Etrangers, doit augmenter le regret de
voir tant d'utiles cônnoiffances abfolument négligées des Efpagnols , &
comme perdues, entre leurs mains, pour le refl;e de l'Univers. C'efl: une
réflexion qui renaîtra fouvent dans la fuite de cet Ouvrage , fi mes forces
répondent à l'intention que j'ai de l'achever.
DCSCBIPTIOM
DE LA Nou-
velle Espa-
gne.
Volcan*,
( i ) Waffer , pages 397 & paécédentcs.
( k ) Waffer , ibid. page 388.
(l) Ihid. page 387.
{vi) Laet, page 342.
(«) Ibid.
(0) Ibid.
Ip ) Voyez cideflus pages 313 & 495.
En de la Dix •huitième Partie.
<^«H>Am^^
■ <S^<[<g»>'SJ
<&
Rrrr c
TABLE
TABLE
DES
iiV t»> »
TITRES ET PARAGRAPHES
Contenus dans ce Volume.
Avant-Propos, Pag. IIj
Rema RQ.UES de M. Bellin, fur les Cartes Géographiques de l'Amérique , XVJ
Premiers Voyages, Découvertes, et Etablis»;
' semens des européens en amériq.ue.
I
LIVRE F R I^ M I E R.
/
NTRODUCTION, . . . Pag. I
Parag. I. Premier Koyage de Cbrijlopbe
Colombt 9
Parag. II. Second P^oyage de Chrijbopbe
Colomb, 38
Parag. III. Troijîème Voyage de Christo-
phe Colomb, 73
Parag. IV. î^oyage d'Alfonfe d'Ojeda,
àe Jean de la Cofa, Q' d'Americ Vef-
puce, 89
Parag. V. Voyage d'Alfonfe Nino, 0
des deux Guerres, g6
Parag. \1. Voyage d'Tanes Pinçon, 97
Parag. VII. Voyage de Diego de Lopez,
99
Parag. VIII. Voyage d'Alvarez de Ca-
brai, 100
Parag. IX. Voyage de Gafpard de Corte
Real, ICI
Parag. X. Voyage de Jean Cabot 6f de
fes trois Fils, 102
Parag. XI. Suite du troijîème Voyage de
Cbrijtopbe Colovib, .... 103
Parag. XII. Quatrième Voyage de Cbrij-
topbe Colomb 116
Etat 6? Progrès des Découvertes ,. après
la mort de Cbrijlopbe Colomb , . 147
Parag. I. Voyage de Diaz de Solis 6f '
dkTanes Pinçon, 148
Parag. II. Voyage d'Ocampo autour de
Vljle de Cuba , 149
Parag. III. Voyage de l'EtabliJfement
de Jean Ponce à Boriquen , ou Porto-
rie, 150
Voyage d'Alfonfe d'Ojeda fif de Ni-
cuejja. Découverte du Darien S* d'au-
tres Pays, IJ7
Découvertes qui conduifent à celles du
Pérou fous Nugnez Balboa, . 171
Progrès des Cajiillans dans les- IJles de la
Jamdique, l'Efpagnole 6f Cuba, 172
Voyage de Ponce de Léon, Gf Découver-
te de la Floride, ^78
Suite des Affaires des Indes, èf Décou-
verte de la Mer du Sud, par Nugnez
Balboa, ....... 181
Dernier Voyage de Jean Diaz de Solis ,
(^ Découvertes au Sud, . . 209
Defcription de l'Ifîe Ejpagnole , vulgai-
rement Saint Domingue, . . 21T
Voyage d'Hernandez de Cordoiie, ^ Dé-
couv'tu de l'Yucatan, . . . 247
Voyag". de Jean de Grijalva, £f pre-
mière Découverte de la Nouvelle Ef-
pagne, . ....... 251
Voyage de lernand Cortcz , Découverte
fip Conquête du Mexique, . . 257
LIVRE.
i&^.
(' -4
itour di
. 149
ijfement
( Porto-
. 150
de Ni-
a* d'au-
1 . 157
elles du
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. 172
écouver-
?78
Décou-
Nugnez
T81
Solis ,
, 209
'vulgai'
. 211
. 247
S pre-
elle Ef-
251
couverte
257
TABLE DES TITRES ET PARAGRAPHES.
* L I r R E SECOND.
Description, du Mexique ou delà Nouvelle Efpagne, 437
VkSiKc.L Audience de Mexico ^ Pag. 439 Sacrifices, ^ Fêtes des Mexiquains,
Parag. II. Nouvelle forme de Mexico , 557
après la Conquête y . ... 451 Figure , Habillement , Cara^ère , • Uja-
Parag. III. Jjefcription de Mexico, en ses, Mœurs, Arts 6? Langues des
1625 453 Mexiquains, C75
Parag. IV. Defcription de Mexico, en Climat, (-''ents, Marées, Arbres, Plan-
1678, 45<5 tes. Fruits, Fleurs, Animaux, Mi'
Parag. V. Defcription de Mexico, en néraux, fif autres Productions de la
1697, '460 Nouvelle Efpagne, ....
Parag. VI. Audience de Guadalajara, Parag. I. Climat, f^ents fif Marées,
494 <5o8
Parag. VII. Audience de Guatimala, 499 Parag. II. Arbres, Plantes, Fruiis tf
(5i4
646
Supplément pour la Province de Guaxa- Fleurs
ca.
540 Parag. lîl. Animaux,
Origine , Monarchie , Chronologie , Cour Parag. IV. Mines, Métaux, Pierres
Impériale, Revenus de l'Empire, 6? précieufes , 6? autres Productions ou
Gouvernement des anciens Mtxiquains, Singularités de la Nouvelle Efpagne ,
541 669
Religion, Divinité s, Temples, Prêtres,
Fin de la Table des Titres et Paragraphe*, --
De rimprimerie de Jacques van Karnebeek àkHayc.
IVRE
Rrrr 3
AVIS
AVIS AU RELIEUR,
'-'■'"' POUR
PLACER LES CARTES ET LES FIGURES
DU , . ..V , .. ,.,
DIX-HUITIÉME VOLUME.
t
#■
c
_ ART E du Golfe du Mexique, . ... Pag,
■~ Premiers Indiens qui s'offrent à Chriftophe Colomb,
Carte de flfle d'Hayti, aujourd'hui l'Efpagnole ou l'Ifle de Sairic
Domingue,
- Carte de Paria , Comana & Caracas ,
Ville de Saint Domingue,
* Efcarbot Rhinocéros,
. • ' Plan du Port d'Acapulco ,
.."* Plan de Port Royal, & des Environs,
' Roue Chronologique des Mexiquains,
Amufemens de l'Empereur après fon Diner
Cimetière des Sacrifices,
* Sacrificec d«o Captifs . à l'honneur de Vitzilipuztlî,
Annales de l'Empire, . . Fig. I.p
^ Produ6lions naturelles & Tribut , Fig. II. C
Oeconomie Mexiquaine, . Fig. III. j
- Zapota ou Sapotier,
* Maghey Aloé, . ...
_ Aguacate, Granadille, &c. .
* Nouvelles Figures, qui ne font point dans r Edition de Paris.
Ce Dix-Huitième Volume contient
Flor. Sols.
89 Feuilles y compris le Titre Rouge à i fol, font 4-9-0
18 Figures .& Cartes Géographiques , à 3 fols, font 2 -14-0
I Vignette, . , . ^ .-. ; . ; , ^i^/ . 0-2-0
9 w^
15 -
19 <~^
75'w
2l'4 V.
28* '-.
4^-
491
547^^,
i^i
5^3
5<5<îw
581 u-
615 »— -
(520 — ''^'
^24 t..
^■- t
Et pour, le Grand Papier. . . .
Selon les Conditions de Soufcription , ceux qui ont fou-
fcrit ne payeront :
Pour le Petit Papier que . . .
Pour h Grand Papier que . . .
Fin du Dix-Huitième Volume,
7
10
5
18
5 ■ 19
8 - 19
0
o
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LES
g'
rit
9
15
19
75-
28*
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5<J3
56<5>
581
•
•
615
620
624
Sois.
9 - 0
14 ■ 0
2 - 0
5
18
- 0
- 0
/
19 • o
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