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Full text of "Histoire générale des voyages ou Nouvelle collection de toutes les relations de voyages par mer et par terre, qui ont été publiées jusqu'à présent dans les différentes langues de toutes les nations connues [microforme] : contenant ce qu'il y a de plus remarquable, de plus utile et de mieux averé dans les pays ou les voyageurs ont pénétré : touchant leur situation, leur étendue ... : avec les moeurs et les usages des habitans ... : enrichi de cartes géographiques nouvellement composées sur les observations les plus autentiques, de plans et de perspectives, de figures d'animaux, de végétaux, habits, antiquités, &c"

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23  WfST  MAIN  STRIiT 

WEBSTER,  N.Y.  14SS0 

(716)  S72-4S03 


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CIHM/ICMH 

Microfiche 

Séries. 


CIHM/iCIVlH 
Collection  de 
microfiches. 


Canadien  Institute  for  Historical  Microreproductions  /  Institut  canadien  de  microreproductions  historiques 


C^ 


Technical  and  Bibliographie  Notas/Notes  tacliniquas  at  bibiiographiquas 


Tha  instituta  bas  attamptad  to  obtain  tha  baat 
originai  copy  availabla  for  filming.  Faaturas  of  this 
copy  which  may  ba  bibiiographicaliy  uniqua, 
which  may  altar  any  of  tha  imagas  in  tha 
raproduction,  or  which  may  aignificantly  changa 
tha  usual  mathod  of  filming,  ara  chacicad  balow. 


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Colourad  covars/ 
Couvartura  de  coulaur 


I      I    Covars  damagad/ 


Couvartura  endommagea 


Covars  restored  and/or  laminatad/ 
Couverture  restaurée  et/ou  pelliculée 


I      I    Cover  title  missing/ 


Le  titre  de  couverture  manque 


I      I    Coloured  maps/ 


Cartes  géographiques  en  couleur 

Coloured  init  (i.e.  other  than  blua  or  black)/ 
Encre  de  couleur  (i.e.  autre  que  bleue  ou  noire) 


I      I    Coloured  plates  and/or  Illustrations/ 


Planches  et/ou  illustrations  en  couleur 

Bound  with  other  matériel/ 
Relié  avec  d'autres  documents 

Tight  binding  may  cause  shadows  or  distortion 
along  interior  margin/ 

La  re  liure  serrée  peut  causer  de  l'ombre  ou  de  la 
distortion  le  long  de  la  marge  intérieure 

Blank  laaves  addad  during  rastoration  may 
appaar  within  tha  text.  Whenever  possible,  thèse 
bava  been  omitted  from  filming/ 
Il  se  peut  que  certaines  pages  blanches  ajoutées 
lors  d'une  restauration  apparaissent  dans  le  texte, 
mais,  lorsque  cela  était  possible,  ces  pages  n'ont 
pas  été  filmées. 

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Commentaires  supplémentaires: 


Thac 
toth( 


L'Institut  a  microfilmé  la  meilleur  exemplaire 
qu'il  lui  a  été  possible  de  se  procurer.  Les  détails 
de  cet  exemplaire  qui  sont  peut-être  uniques  du 
point  de  vue  bibliographique,  qui  peuvent  modifier 
une  image  reproduite,  ou  qui  peuvent  exiger  une 
modification  dans  la  méthode  normale  de  f ilmage 
sont  indiqués  ci-dessous. 


I     I   Coloured  pages/ 


D 


Pages  de  couleur 

Pages  damagad/ 
Pages  endommagées 

Pages  restored  and/oi 

Pages  restaurées  et/ou  pelllculées 

Pagos  discoloured,  stained  or  fox» 
Pages  décolorées,  tachetées  ou  piquées 


I — I   Pages  damagad/ 

I — I   Pages  restored  and/or  laminatad/ 

r~|   Pagos  discoloured,  stained  or  foxed/ 


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□   Pages  detachad/ 
Pages  détachées 

0Shovvthrough/ 
Transparence 


Transpar 

Quailty  c 

Qualité  inégale  de  l'impression 

Includes  supplementary  materii 
Comprend  du  matériel  supplémentaire 

Only  édition  availabla/ 
Seule  édition  disponible 


I      I   Quailty  of  print  varias/ 

I      I   Includes  supplementary  material/ 

I — I    Only  édition  availabla/ 


Thaï 
shall 
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whici 

Mapi 
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right 
raqui 
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Pages  wholly  or  partially  obscured  by  errata 
slips,  tissuas,  etc.,  bava  been  refilmed  to 
ensure  the  best  possible  image/ 
Las  pages  totalement  ou  partiellement 
obscurcies  par  un  feuillet  d'errata,  une  pelure, 
etc.,  ont  été  filmées  à  nouveau  de  façon  à 
obtenir  la  meilleure  image  possible. 


This  item  is  filmed  at  the  réduction  ratio  checked  below/ 

Ce  document  est  filmé  au  taux  de  réduction  indiqué  ci-dessous. 


10X 

14X 

18X 

22X 

26X 

30X 

/ 

3 

12X 


16X 


20X 


24X 


28X 


32X 


The  copy  fllmed  hare  ha«  b««n  raproduced  thanks 
to  the  ganarotity  of  : 

Library  of  tha  Public 
Archivas  of  Canada 


L'axampiaira  filmé  fut  raproduit  grflca  à  la 
générosité  da: 

La  bibiiothéqua  das  Archivas 
publiquas  du  Canada 


Tha  imagas  appaaring  hara  ara  tha  bast  qualHy 
possibia  considaring  tha  condition  and  lagibility 
of  tha  original  copy  and  in  icaaping  with  tha 
filming  contract  spacifications. 


Las  imagas  suivantas  ont  été  raproduitas  avac  la 
plus  grand  soin,  compta  tanu  de  la  condition  at 
da  la  nattaté  da  l'axampiaira  filmé,  at  an 
conformité  avac  las  conditions  du  contrat  de 
filmaga. 


Original  copias  in  printed  papar  covars  ara  filmad 
beginning  with  the  front  cover  and  anding  on 
the  lest  page  with  a  printed  or  illustratad  impres* 
sion,  or  the  back  cover  when  appropriata.  Ali 
other  original  copies  are  filmed  beginning  on  the 
f  irst  page  with  a  printed  or  illustratad  imprea- 
sion,  and  anding  on  the  lest  page  with  a  printed 
or  illustratad  impression. 


Les  exemplaires  originaux  dont  la  couverture  en 
papier  est  imprimée  sont  filmés  en  commençant 
par  la  premier  plat  et  en  terminant  soit  par  la 
dernière  page  qui  comporte  une  empreinte 
d'impression  ou  d'illustration,  soit  par  le  second 
plat,  salon  le  cas.  Tous  les  autres  exemplaires 
originaux  sont  filmés  on  commençant  par  la 
première  page  qui  comporte  une  empreinte 
d'impression  ou  d'illustration  et  en  terminant  par 
la  dernière  page  qui  comporte  une  telle 
empreinte. 


The  lest  recorded  frame  on  each  microfiche 
shall  contain  the  symbol  -^  (meaning  "CON- 
TINUED"),  or  the  symbol  ▼  (meaning  "END"), 
whichever  appl^as. 


Un  des  symboles  suivants  apparaîtra  sur  la 
dernière  image  de  chaque  microfiche,  selon  le 
cas:  le  symbole  — ►  signifie  "A  SUIVRE",  le 
symbole  y  signifie  "FIN". 


IVIaps,  plates,  charts,  etc.,  may  be  filmed  at 
différent  réduction  ratios.  Those  too  large  to  be 
entirely  included  in  one  exposure  are  filmed 
beginning  in  the  upper  left  hand  corner,  left  to 
right  and  top  to  bottom,  as  many  framas  as 
required.  The  following  diagrams  illustrate  the 
method: 


Les  cartes,  planches,  tableaux,  etc.,  peuvent  être 
filmés  è  des  taux  de  réduction  différents. 
Lorsque  le  document  est  trop  grand  pour  être 
reproduit  en  un  seul  cliché,  il  est  filmé  è  partir 
de  l'angle  supérieur  gauche,  de  gauche  è  droite, 
et  de  haut  en  bas,  en  prenant  le  nombre 
d'images  nécessaire.  Les  diagrammes  suivants 
illustrent  la  méthode. 


1 

2 

3 

1 

2 

3 

4 

5 

6 

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HISTOIRE 

GÉNÉRALE 

DES    VOYAGES, 

OU  ^ 

NOUVELLE     COLLECTION 

DE  TOUTES  LES  RELATIONS  DE  FOXAGES 

PAR    MER    ET    PAR    TERRE, 

q^ui  ont  tri.  publiées  jusq.u'à  présent  dans  les  différentes 
Langues   oe   toutes  les  Nations   Connues: 

CONTENANT 

Ce  qiCil  y  a  de  plus  remarquable ,  de  plus  utile ,  £5'  de  mieux  avéré ,  dans  les  Pays  oît  les 

Voyageurs  ont  pénétré , 

Touchant  leur  Situation  ,  leur  Etendue  ,  leurs  Limites ,  leurs  Divifions ,  Iciiï 

Climat ,  leur  Terroir  ,  leurs  Produftions  ,  leurs  Lacs  ,  leurs  Rivières , 

leurs  Montagnes  ,  leurs  Mines ,   leurs  Citez  &  leurs  principales 

Villes ,  leurs  Ports ,  leurs  Rades ,  leurs  Edifices ,  &c. 

AVEC  LES  MOEURS  ET  LES  USAGES  DES  HABITANS, 

leur  Religion,  leur  Gouvernement,  leurs  Arts  et  leurs 

Sciences,  leur  Commerce  et  leurs  Manufactures; 

POUR  FORMER   UN  SYSTEME  COMPLET  D'HISTOIRE  ET 

DE  GEOGRAPHIE  MODERNE,   f^U I  REPRESENTERA 

L^ETAT  ACTUEL  DE  TOUTES  LES  NATIONS: 

ENRICHIE   DE   CARTES    GEOGRAPHIQUES 

Nouvellement  compofécs  fur  les  Obfcrvations  les  plus  autentiqucs  ; 

DE  PLANS  ET, DE  PERSPECTIVEiT;  de  FIGURES  d'ANIMAUX, 
j        DE    VEGETAUX,    HABITS,    ANTIQUITE/.,    &c. 

NOVVELLE     EDITION^ 

Revue  fur  les  Originaux  des  Voyageurs ,  6?  ou  hn  a  mn- feulement  fait  des  Aàr 
ôiùon^.^^  d:s  Corrcèiions  très-conftilàab'ts  ; 

Mais  môme  ajoute  plufieurs  nouvelles  Canes  &.  Figures,  qui  ont  été  gravées  par  &  fous  laDi-« 
redion  de  J.  mander  Schlev,  Elève  diftinguc  Uu  célèbre  PicAax  le  Romain. 

TOME    D  I  X-IIUI  TI  È  ME. 

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Chez      PIERREDE      HONDT, 

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jlvtc  Privilège  de  Sa  Mni  lié  Tm^Wiîf  £<f  de  Ns  Seigneurs  Us  Etats  dt 


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AVANT-PROPOS. 


L 


E  titre  &  la  nature  de  cet  Ouvrage  ne  m'obligent  pas  de  remon- 
ter  au-delà  du  quinzième  ficcle,  ni  de  chercher,  dans  les  Ecri- 
vains qui  l'ont  précède  ,  ce  qui  peut  faire  juger  que  longtems 
avant  la  Découverte  d'un  Nouveau  Monde  ,  on  étoit  pcrfuadé  de  fon 
exiftence  («). 

Il  n'eft:  pas  moins  confiant  que  dans  les  bornes  où  je  fuis  renfermé  par 
l'engagement  de  mes  premiers  Guides,  qui  ne  comprend  que  les  Relations 
des  Voyageurs,  je  m'éloignerois  trop  du  Plan  que  j'ai  adopté,  fi  pour  l'or- 
ner, ou  pour  lui  donner  plus  de  plénitude,  j'allois  puifer,  dans  d'autres 
fources,  dequoi  fuppléer  à  la  ftérilité  des  miennes.  Ce  feroit  abandonner 
la  route  où  j'ai  marché  jufqu'aujourd'hui,  m'en  ouvrir  une  nouvelle  à  la 
fin  du  terme,  faire  l'Hiftoire  de  l'Amérique  au  lieu  de  celle  des  Voyages, 
&  me  jettcr  dans  des  longueurs  qui  reculeroient  beaucoup  la  fin  de  mon 
entreprife. 

Ce- 


(a)  C'cft  afTez  de  remarquer  ici  que  les  An- 
ciens en  ont  eu  réellement  quelque  idée. 
Acorta,  qui  s'eft  attnché  particulièrement  à 
cette  recherche,  &  d'après  lequel  tous  les 
Ilifloricns  poflérieurs  font  partis  comme 
mol,  avec  moins  de  franchife  à  le  déclarer, 
obferve,  dans  fon  premier  Livre,  „  que 
„  Platon  rapporte  l'entretien  d'un  Prêtre  d  IC 
j»  Rypt*^  '^'^^'^  Solon,  fur  une  Ifle  qu'il  nom- 
„  me  AtlointUe  y  fituée  au-delà  des  Colom- 
„  nés  d'Hercule:  qu'il  fait  dire  à  Critias 
„  que  cette  llle  étoit  auHî  grande  que  toute 
„  l'Afie  &  l'Afrique  enfemble;  qu'on  y  voyoit 
^,^  Temple  long  de  mille  pas,  large  de 
„  cinq  cens,  dont  le  dehors  étoit  revêtu 
„  d'argent.  &  le  dedans  tout  brillant  d  or , 
„  d'ivoire  &  de  perles;  qu'au-dclù  de  cette 
„  grande  Ifle,  il  y  en  avoit  un  grand  nom 
„  bre  de  petites,  près  defqu-lles  on  trou- 
,,  voit  un  Continent,  &  quenfuite  on  arri- 
„  voit  à  la  vraie  Mer",  lleflaflez  (ur[)renant 
qu'à  la  réferve  de  la  grande  Ifle,  qui  avoit 
difparu,  fuivant  le  même  Philofophe,  appa- 
remment par  un  tremblement  de  terre,  ob 

XVm,  Part. 


ait  reconnu,  deux  mille  ans  après,  que  la 
vérité  répondoit  à  cette  defcription  Ariftotc 
&  Theophralle  nous  apprennent  „  que  l'an 
„  356  de  la  fondation  de  Rome,  un  Vaif- 
„  feau  Carthaginois ,  ayant  pris  fa  route  en- 
„  tru  le  Couchant  &  le  Midi,  ofa  pénétrer 
„  dans  une  Mer  inconnue;  qu'il  y  décou- 
,,  vrit ,  fort  loin  de  la  terre,  une  Ifl'j  dé- 
„  ferte ,  fpacieufe ,  arrofée  de  grandes  ri- 
,,  vieres ,  couverte  de  forêts  ,  dont  la  beau- 
„  té  femblolt  répondre  de  la  fertilité  du  ter- 
„  roir;  qu'une  partie  de  l'Equipage  ne  put 
„  réfilter  à  la  tentation  de  s'y  établir;  que 
„  les  autres  étant  retournés  à  Carthngc ,  le 
,,  Sénat,  auquel  ils  rendirent  compte  de  leur 
,,  découverte  ,  crut  devoir  enfevelir  dans 
„  l'oubli  un  événement  dont  il  craignit  les 
,,  fuites;  qu'il  fit  donner  fecrétement  la  mort 
„  A  ceux  qui  étoient  revenus  dans  le  Vaif- 
„  feau ,  &  que  ceux  qui  étoient  reflés  dans 
,,  rille  demeurèrent  (;ins  relTource  pour  en 
„  fortir".  Avitus  rapporte,  dans  Scncque  le 
Rhéteur,  „  que  lOcéan  contient  des  Ter- 
„  res  fertiles".  Et  perlbonc  n'ignore  la  Pré- 
*  diclioi 


IV 


AVANT. PROPOS. 


CiPENDANT  j'ai  conçu  que  l'il  eil  trop  tard  pour  renoncer  au  Plan  des 
Anglois,  il  n'cll  pas  impolîiWc,  dans  une  Partie  qui  a  peu  de  liaifon  avec 
les  précédentes,  de  remet/ier  à  la  plupart  des  défauts  qu'on  reproche  aux 
premières,  &  pour  le/^uels  j'ai  fouvent  demandé  grâce.  Le  remède  con- 
fillc  dans  un  nouvel  ordre  ,  que  j'ai  déjà  fuit  entrevoir.  11  ell  tems  de 
ru\plii.juer. 

1^  Al 


dfc'ioniicScr.cquc  le  TraRiiiuc,  dans  fa  Mj- 
d^cjurla  Découverte  d'un  Nouveau  Mondj. 
Kiiin,  fans  l'iirlcr  d'un  ?uiti;i' iWManclliu  , 
iliii  donro,  à  cette  Mer,  une  Ule  pliisgraiule 
.juc  toute  riviro;e,  on  lit  plus  particulière- 
uicnt  dans  Etien,  ,.  «luc  i'Kuropc,  l'Alic  6i 
„  hi  Lybie,  qui  c,l  l'Afrique,  font  environ- 
,,  nées  de  rUeé.m  ;  quaudeli  il  fe    trouve 
,,  un  Continent  d'une  valle  étendue,  où  Us 
„  Ilamnies  &   les   Animaux   font  bcuieoup 
„  plus  î^rands  que  dans  le  neutre,  i^  oh  les 
„  premiers  vivent  plus  lon;;-ie!ns;  quMs  y 
„  ont  des  Ura.;cs  &  des  Loix  contraires  à 
„  ce!!ei  des  autres  Peuples  ,  &  une  ineroya- 
„  h'e    qur.'uité   d'or   6c    d'argent ,     métaux 
,,  inoins  c'.limés  parmi  eux  ,  q-ae  le  fer  no 
„  l'cll  en  Kiro;ie".    Orert'iJUA-,  qui  remnr- 
que,  à  l'oecaHon  d:  l'iaton .  que  les  plu=  fa- 
ireux   Pères  de    rK,'iife,     tels  qu'Ori,;:enc, 
I.aflancc,  St.  Au;^uùiii ,  &c.     ont  rejette  le 
récit  du  Tiiiée  de  l'iaton  comme  une  fable , 
l'emble  avoir  ijnoré   que  St.  Grégoire  ,     fur 
l'Epitre  de  Si.  Clément,  a  déclaré,  fans  aucune 
marque  d'incertitude,  qu'au-deià  de  l'Océa:! 
il  y  avoit  un  autre  Mon. le.     Ajoutons,  pour 
defcen^ire  vers  nous,  que  s'il  faut  s'en  ra;i- 
jiortcr  à  quatre 'Vers,  cirés  en  Langue  du  Pays 
de  Galles  dans  la  Colleftion    d'Z/acWwvt,  cV 
au  témoii;nage  de  Powd ,  qui  nous  a  donné 
l'Hiftoirc  du  même  Payj,  un  Prince,  nom- 
01M    Madoc  ,    fécond    fils   d  Oiufu    Guyncd  ^ 
Prince  de  Galles,  s'étant  embarqué  l'an  mille 
cent  quatre- vingt  dix  ,  dans  la  feule  vue  de 
fatisfaire   Ai  curiofité ,  „  découvrit ,     après 
„  quelques    femaines    de    navigation    vers 
,,  rOucll ,  une  Terre ,  où  il  trouva  toutes 
„  fortes  de  vivres,  un  air  frais,  &  de   l'or; 
„  qu'après  s'y  fcxre  arrêté  afTez   long-tcms, 
„  il  y  lailTa  fix-vingt  Hommes,-  il  revint  en 
„  Angleterre  avec  le  m&me  bonheur,  il  y 
„  équipa  une  Roue  de  dix  VaJeaui;,  cbai- 


„  pés  d'Hommes,  &  de  provifions  conve- 
„  nables  A  fts  dJllins,  avec  icf(iuel$  il  re- 
,,  touijia  dans  le  Pays  <]u'il  avoit  découvert- 
,,  inaistjue.d.  ijueî'iue  manière  que  fes  Avnn- 
,,  tures  aient  j^u  fe  ti'rmincr,  on  n'en  eut 
,,  jamais  d'autre  information  ".  Ceux  qui 
ado|  tent  ce  récit,  croient  que  Madoc  avoil 
abordé  dans  queNiue  partie  de  la  Floride  ou 
de  la  Virginie,  &  fe  croient  autorifés  à  lui 
attribuer  1  honnctir  de  la  première  décou- 
verte de  l'Amérique,  en  avouant  néanmoins 
qu'il  ne  la  dut  qu'au  hafard;  au  litii  qu'en. 
vir<n  trois  cens  vingt-deux  ans  après,  ce 
fut  le  fruit  des  réflexions,  des  recherches 
volontaires  &  de  l'habileté  d'un  Génois. 

Oii  verra  ,  ci-defTou»,  page  103,  les  quatre 
Vers  (jui  regnrdent  Madoc;  mais  qu'il  me  foit 
permis  d  en  joindre  ici  cinq  autres ,  qui  fe 
trouvent  d.an$  la  même  Collcâion  ,  &  que  je 
n'y  ai  pas  découverts  alFcz-tôt  pour  lesj«)indrt 
à  l'Article  qu'ils  regardent,  lis  continnent  le 
Voya,;e  du  Frère  dt-  Clirilloplie  Colomb  en 
Angleterre,  parcequ'ils  éioicnt  écrits,  fuivant 
Ilacl'luyt,  fur  la  Mappemonde  dont  il  lit  pré- 
fent  au  Roi  Henri  Vil. 

Jcnua  cui   Putria  ejl   nomcn^   cui   Banl». 

loinuus 
CotuT.hus  de  Terra-rubra  ^  opus  edidit  iilud 
LonÂoniis y  anno  Domini  1480  atque  inj'u^tr 

anno  "^ 

03at'o ,  decimat^ue  die ,  cum  tertia  Menfis 
Ftbruarii,  Laudes  Cbrifto  cantentur  abunde. 

Le  CoUefteur  Anglois  obferve  que  Terré- 
rubra  étoit  un  furnom  de  ces  fameux  Génois, 
&  que  ChriUophe  le  prenoit,  comme  Barthé • 
lemifon Frère,  avant  fa  glorieufe  expédition. 
C'cll  un  nouvel  argument  pour  la  noblelTe  de 
leur  naifTince.  Voyez,  ci-dcflfous,  page  3,4 
note  (0  de  la  page  5. 


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I 


■ouvtrf; 


4 


i 


AVANT. PROPOS.  ▼ 

1*.  AtJ  lieu  de m'abandonner  tout  d'un  coup  aux  Voyageurs,  en  les 
fuivant,  comme  au  hafard,  dans  les  courfcs  que  je  vais  faire  avec  eux, 
il  me  paroît  ndceflaire  de  commencer  par  une  Expolkion  générale, qui  con- 
tiendra riliftoire  des  Découvertes  &  des  EtablilTemens.  C'eft  le  feul 
moyen  de  répandre  aflez  de  jour  fur  tout  ce  qui  doit  fuivre,  pour  évi- 
ter l'embarras  de  revenir  fans  celfe  à  des  éclairciircmcns,  qu'on  a  traités, 
avec  aflTez  de  jaftice,  d'ennuyeulcs  rcpiititions  dans  les  premiers  lomcs. 
D'ailleurs,  ce  que  je  propole  comme  un  expédient,  pour  la  jufleffe,  la 
précifion  &  la  clarté,  cil  réellement  indifpenfable,  par  la  nature  des  four- 
ces  qui  contiennent  les  premiers  Voyages  en  Amérique.  On  n'a  jamais 
publié  les  véritables  Journaux  des  Colomb  s  ^  des  Pinçons ,  d'Ojeda^  d'Ovandû, 
de  Balboa,  de  Ponce  de  Lcon^  d'Hermindiz  de  Cordoue,  de  Cortcz^  &  de  la  plu- 
part des  premiers  Navigateurs ,  qui  ont  découvert  fucccinvenient  les  dif- 
ft'rentcs  parties  du  Nouveau  Monde.  C'ell  à  divers  I  lilloriens,  dont  quel- 
ques-uns n'avoienc  jamais  quitté  leur  Patrie ,  qu'on  cil:  redevable  d'avoir 
ralTemblé  des  Mémoires  particuliers,  fur  lefquels  ils  ont  formé  des  corps 
d'Hiftoire;  &  ft  l'on  excepte  quelques  Pièces  échappées  à  leurs  recher- 
ches, ou  qui  ne  font  forties  de  l'obfcurité  que  depuis  la  publication  de  leurs 
Ouvrages ,  c'efl:  prefqu'uniquement  à  leur  témoignage  qu'on  eft  réduit.  Aufli 
vont-ils  faire  le  fond  de  mon  Expofiiion  hiftorique,  dans  tout  l'intervalle 
qu'ils  remplilTent  ;  fans  autre  interruption  que  celle  dont  je  ne  puis  me  dif- 
penfer  à  chaque  nouvelle  entreprife,  pour  la  dillinguer  par  le  nom  du 
principal  A6leur,  c'eft-àdire,  du  Voyageur  ou  du  Conquérant.  Les  plus 
célèbres  de  ces  Ecrivains  font  Martyr^  Oviedo,  Gamara^  Jntûine  Hcneray 
Benzoncy  Las  Cafas ,  Diaz  del  CajîillOy  Soïis  &  quelques  autres.  Comme  leur 
poids  n'efl  pas  le  même  .'ans  la  balance  de  la  Critique,  il  efl  important  de 
faire  quelques  obfervations  fur  leur  caraftere. 

Pierre  Martyr  d'/inglerie  ,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  un  autre 
Pierre  Martyr,  né  à  Florence  &  fon  contemporain,  ccoit  Milanois,  & 
prend  lui  même  la  double  qualité  de  Protonotaire  ApoAolique,  &  de  Con- 
feiller  du  Roi  Terdin:  i  II  fe  trouvoit  attaché  au  fervice  de  ce  Prince, 
dans  le  tems  même  de  u  Découverte  du  Nouveau  Monde,  dont  il  nous  a 
donné  l'IIiftoire,  en  trente  Livres,  ou  plutôt  en  trente  Lettres,  divifées 
en  trois  Parties,  fous  le  titre  de  Décades  Oceanes. 

La  première  de  ces  Lettres,  qui  eft  adreiTée,  comme  la  féconde,  au 
Cardinal  AfcagneSforce,  offre  pour  date  l'année  I493,j:'efl:-à-dire  celle  où 
Chriflophe  Colomb  apporta  lui-même,  en  Efpagne,  la  nouvelle  des  pre- 
miers fuccès  de  fon  entreprife.  Elle  eft  écrite  de  la  Cour,  où  Martyr  étoit 
employé,  &  témoin  par  conféquent  du  récit  de  Colomb,  des  honneurs  qui 
lui  furent  accordés ,  &  des  nouveaux  ordres  qu'il  reçut.  Les  Lettres  fu> 
vantes,  adrelTécs ,  les  unes  au  Cardinal  Louis  d'Arragon,  les  autres  au  Pape 

*  a  Léon 


F.xplicnt'on 
d'un  nouwl 
oulrc  l'Oiir 
l.i  fuite  Je 
cet  Uuvrj;ic, 


Recueil >  i!ci 
prcniicrcs  Fie 
Intions ,  6c 
fourccs  lii'.'io- 
rUiuos. 


Martyr. 


li" -Vf 


vj  A    V    A    N    T  .  P    R    O    P    O    s. 

Lcon  X,  &c.  rcponJcnt  dc-mcinc  au  pro^'^rcs  dcsDccouvertes,  &  au  tcm» 
cks  informations.  Klks  font  toutes  en  latin  aiVcz  pur.  Le  mérite  tic  l'Au- 
leur  (/;)i  l'occalion  qu'il  avoit  de  s'inllruirc,  Os:  la  lîmplicitii  même  de  fon 
Ihlw  où  rien  nj  p:\roii  donné  à  l'imagination  ni  au  di^llcin  de  furpren* 
drc  p'ar  l'Lclat  du  merveilleux,  ont  acquis  à  l'un  Ouvrage  une  réputation 
dilliu'niéw'.  C'i.i\  une  fource  où  l'on  a  toujours  puile  Tans  défiance.  Mais 
il  n'y  t\'Mt  pas  elurelur  les  détails,  ni  l'cxiclitude,  qu'on  ne  peut  attendre 
que  des  Témoins  oculaires  d'u-K-  Kxpedition,  &  qui  font  précieux  néan- 
muins  dans  le  récit  des  [^i.uiJs  cvéneniens.  On  n'y  trouve  pas,  non  plus, 
des  Delcriptions  fort  étendues,  ni  beaucoup  d'Obfervaiions  qui  puiflent  en- 
richir la  Cleogra^'^hie  &.  la  l'hylique;  à  la  referve  de  quelques  Remarques  fur 
les  Vents  tS:  les  AJarees,  que  l'Auteur  avoit  recueillies  des  entretiens  de 
Dieguc  Colomb  &  des  Navigateurs  du  même  tems. 
Ovicdo.  Gufiçale  lernaml  Ovieih  ^  l^aUeZj  gouverneur  du  Fort  de  la  Ville  de  St. 

Domingue,  publia,  en  1535,  Ton  Hilloire  des  Indes  Occidentales,  qu'il 
nomme  Hijhire  Générale  &>  Naturelle  ,  (c),  à  l'exemple  de  Pline,  qu'il  s'étoit 
propofé  pour  modèle;  mais  avec  cette  différence,  dit-il,  qu'il  veut  com- 
mencer par  l'I  lifloirc  de  la  Découverte  &  de  la  Conquête  des  mêmes  Ré- 
gions. Il  éioit  parti,  en  151 3  ,  de  Madrid,  lieu  de  fa  naiflance,  avec  Ici 
ordres  du  Roi  Ferdinand,  pour  exercer,  aux  Indes,  l'Office  de  Controlleur 
des  tontes  £5*  des  Mines  d'or.  Les  fondions  de  cet  Emploi  le  conduilirent  à 
la  Tcriefcrmey  où  il  ne  fe  rendit  pas  moins  utile  pour  la  Conquête  du  Pays 
&  pour  la  pacification  des  Indiens.  Douze  ans  après ,  il  revint  en  Jifpa- 
gne;  &  n'y  trouvant  que  des  Relations  imparfaites,  fur  quantité  de  chofes 
qui  lui  étoient  familières,  il  y  compofa  d'abord  ,  fans  autre  fecours  que  fa 
mémoire,  un  Sommaire  de  l'I lifloire  Naturelle  des  Indes.  Mais  étant  re- 
tourné à  riile  Ffpagnole,  avec  la  qualité  de  Gouverneur  du  Fort  de  St.  Do- 
mingue, fes  papiers,  qu'il  y  avoit  Kiiffés,  «S:  dix  ans  d'un  nouveau  féjour 
dans  les  Etabliflemens  de  fa  Nation ,  le  mirent  en  état  de  perfectionner  fon 

Ou- 


Ouvri 
d'éteii 
ue  à  i 
vécu 
la  l-a 
me  il 


(h)  \\  prit  foin  Iiii-nicinc  ilc  rafTcmblcr 
toutes  ks  Lettres,  qu'il  dtidia ,  en  1516, 
ù  Charic-quint  Klics  furent  réimprimées  à 
Alcala,  en  1530  On  lit,  dans  fon  Kpltrc, 
qu'il  avoit  été  envoyé,  par  le  Roi  IVrJinand 
éi  la  Reine  Ifabellc,  en  Ambaflade  à  Venife 
&.  au  Soudan  de  Babylone.  Antoine  de iVf- 
trijja,  fon  Ami,  qui  lit  réimprimer  enfuitc 
fes  trois  Décades,  y  joignit  le  Traité  des 
Ijles  nouvellemtnt  découvertes,  &  la  Rela- 
tion de  rArabalTadc  de  Venife  &  de  liaby- 
lonc;  deux  Ouvrages  de  Martyr,  qui  n'a- 
voicnt  point  encore  été  publiés.    Enuc  les 


éloges  qu'il  lui  donne,  il  dit,  en  fe  plaignant 
de  fa  modcllie  qui  lui  faifoit  craindre  l'hon- 
neur de  l'imprcflîon  ,  ,,  Mon  cher  Martyr  cfl 
,,  capable  de  fe  aillingucr  dans  tous  les  gen- 
,,  rcs  de  compoftion;  mail  c'efl  le  plus  mo- 
„  délie  des  hommes"".  Edit.  deHâle,  in  foi, 
1533.  chez  Jean  Rebcl. 

(c)  La  Hifloria  Généra!  y  Naturel  de  las 
Indias,  por  cl  CapitanGonçaloHemandczdc 
Oviedo  y  Valdez,  in  foi,  enScvilla.  1335. 

L'Edition  de  Salamanquc,  de  1546,  cft 
groflîe  d'une  Relation  de  la  Comiuôte  ik» 
Pérou,  par  Xcrcz, 


AVANT.  PROPOS. 


VIJ 


au  tcms 
de  l'Au- 
e  de  Ion 
furpren* 
putation 
Mais 
attendre 
X  néan- 
3n  plus, 
[Tent  en- 
•ques  fur 
tiens  de 

Ile  de  St. 
es,  qu'il 
il  s'étoic 
:ut  com- 
nes  Ile- 
avec  lei 
mtrolleur 
ifircnt  à 
du  Pays 
pn  pfpa- 

chofcs 

■s  que  fa 

tant  re- 

St.Do. 

féjour 
incr  foa 
Ou. 

>laignant 

re  l'hoii- 

dartyr  cft 

les  f^cn. 

plus  mo- 

,  in  fel., 

cl   de  las 
tinndcz  de 

I53S- 

546,  cft 

]u£te  iHi 


Ouvrage,  ou  plutôt  d'en  compofer  un  autre,  avec  plus  d'exaftitude  & 
d'ctcnduc.  Il  Te  croit  exempt  de  reproche  pour  le  ftyle,  parcequ'ctant 
ué  à  Madrid,  ayant  reçu  Ion  éducation  dans  la  Maifon  du  Roi,  &  n'ayant 
vécu  qu'avec  des  Perlbnnes  de  dillinftion,  il  fe  llate  de  favoir  parfaitement 
la  Langue  Callillane,  dont  il  a  fait  ufagc,  &  qui  palTe,  dit-il,  pon-  la 
meilleure  des  Langues  vulgaires.  A  l'égard  des  faits,  il  n'auroit  pu  man- 
quer de  bonne  foi  fans  s'attirer  l'indignation  du  Ciel  &  de  la  Terre;  car  il 
prend  à  témoins,  Dieu,  l'Empereur  Charles  fon^MaUre,  &  tous  les  hon- 
nêtes gens  du  monde,  qu'il  a  fuivi  les  plus  rigoureufes  loix  de  la  vérité. 

Il  ne  publia  d'abord  que  vingt  Livres,  dans  un  feul  Volume,  qui  con- 
tient tout  ce  qui  regarde  les  premières   Découvertes ,  &  qui  dcvoit  être 
fuivi  de  deux  autres,  où  il  promettoit   les  Expéditions  de  la  Terre-ferme. 
Mais  après  avoir  paflé  plus  de  vingt-deux  ans  dans  les  Colonies  Efpagno- 
les,  il  paroit  que  le  Voyage  qu'il  fit  en  Efpagne,  pour  offrir  ce  premier 
Tome  à  l'Empereur  Charles ,  qui  l'avoit  honoré  du  titre  de  fon  Hiftorio- 
graphe ,  avec  une  penlion  confidérable ,  fut  la  dernière  de  fes  courfes.  Ce- 
toit  la  huitième  fois,  dit-il,  qu'il  avoit  traverfé  l'Océan.     Je  n'ai  pu  dé- 
couvrir s'il  étoit  retourné  à  St.  Domingue,*  &  ^ean  tokur{d)^  à  qui  nous 
devons  la  Traduction  de  fon  Ouvrage,  en  1556,  ne  donne  aucun  écluir- 
ciflement  fur  fa  vie  &  fa  mort,  ni  fur  la  continuation   de  fon  travail.     Il 
n'en  efl  pas  moins  certain  qu'Oviedo  tient  rang  entre  les  plus  célèbres  E- 
crivains  d'Efpagne;  &  que  n'ayant  prefque  rien  rapporté  qu'il  n'eût  véri- 
fié par  fes  propres   yeux,  ou  par  des  Témoins   exiftans,  il  doit  être  re- 
gardé comme  une  des  meilleures  fources  pour  l'Hifloire  des  premières  Ex- 
péditions.    La  paffion  qu'il  avoit  d'imiter  Pline  l'a  rendu  fort  attentif,  en 
efl'et,  à  tout  ce  qui  regarde  l'Hifloire  Naturelle.     Il  s'efl:   étendu  parti- 
culièrement fur  celle  de  l'Ille  Efpagnole  ,  qui  paroît  avoir  été  fon  prin- 
cipal objet. 

fiariçois  Lopcz  de  Gomara,  autre  Iliflorien  Efpagnol,  dont  nous  avons 
une  ancienne  'lradu6lion ,  en  François,  par  Martin  Fumée ^  Sieur  de  Ge- 
nillé,  a  donné,  en  fix  Livres,  l'Hifloire  générale  des  Indes  Occidenta- 
les (f).  Cet  Ecrivain,  que  nous  n'avons  commencé  à  connoîcre,  dans  fa 
Langue  naturelle,  que  par  l'Edition  d'Anvers,  de  1554,  a  joui  long-tems, 
en  Irance,  d'un  fuccès  extraordinaire  (/),  dont  il  femble  qu'on  peut 
apporter  trois  raifons.     Premièrement,  il  a  donné,  à  fonfujet,  beaucoup 

plus 

(.i)  Valet  de  Chambre  de  François  de  Va-        (/)  L'Edition  de  T581,  i  Paris ,  chez  A/i- 

fois.  Dauphin  de  France.  rltl  Sounius,  cft   annoncée,  au  titre,  pour 

(e)  Hiftoria  gênerai  de  las  Indias,  y  Todo  la  cinquième;  &  le  Tradudeur   ea  marqur 

lo  acacfcido  en  ellas,  dendc  que  fe  ganaron  de  l'étonncmcnt,  dans  fa  Préface, 
bafla  cl  anno  15.51,  ^ç.  m  8''.  Anvers  1554. 


Gomara. 


VIIJ 


AVANT- PROPOS. 


,?} 


Bcnzone. 


plus  dcienduc  qut  ceux  qui  l'avoicnt  traicé  avant  lui ,-  &  dans  un  temi  où 
la  curiofitc  ctoit  extrême  pour  les  progrès  de  rEfpagnc  ,  il  n'cll  pas  fur- 
prcnint  qu'on  reçût  avec  «vidité  tout  ce  qui  fcmbioit  offrir  de  nouvelles 
informations.  Il  parcourt,  non-feulement  toute  l'Amérique  jufqu'i  l'cxtrê- 
mite  Méridionale,  mais  les  parties  mêmes  des  Indes  Orientales,  qui  ctoient 
alors  contcflt'f«  entre  les  Êfpagnols  &  les  Portugais  ;  il  fe  fait  Juge  du 
différend  des  deux  Nations;  il  raifonnc  avec  beaucoup  de  hardiefle  fur 
leurs  prétentions  &  leurs  intérêts;  &  l'érudition  ne  lui  manquant  point 
pour  foutenir  ks  paradoxes,  il  y  répand  un  air  de  vraifcmblance,  qui  • 
fuutenu  longtcms  rillufion.  En  fécond  lieu,  il  s'écarte  fouvent  du  récit 
des  Ililloriens  qui  l'ont  précédé;  &  de  fon  tems,  comme  du  nôtre,  on 
fe  plaifoit  à  découvrir  cette  efpècc  de  contradiélion  entre  les  meilleurs  E- 
crivains.  Enfin,  jamais  on  n'avoit  porté  fi  loin  que  Gomara  l'exaftiiude 
&  la  précifion  dans  la  melure  des  dillances.  Il  femble  qu'il  marche  la  toife 
à  la  main.  Les  Mers,  les  Terres,  l'intérieur  de  l'Amérique,  &  fvB  Cô- 
tes, tout  s'offre  à  les  yeux  dans  fa  grandeur  réelle.  Cette  apparence  de 
julUffe  doit  en  avoir  impofé  à  ceux  qui  n'étoient  pas  mieux  inftruits.  Mais, 
i"^.  en  voulant  trop  embraffer,  Gomara  s'écarte  quelquefois  de  fon  fujet, 
&  n'a  pu  réduire  une  matière  fi  vallc  à  des  bornes  fort  étroites,  fans  tom- 
ber fouvent  dans  la  confufion.  a''.  Lorfqu'il  abandonne  l'opinion  des  autres 
1  lilloriens , il  n'explique  point  fur  quel  fondement  il  établit  la  fienne.  s^'.U- 
ne  grande  partie  de  ces  mcfures,  qu'il  donne  avec  une  confiance  furprenan- 
tc,  ont  été  démenties  par  des  Voyageurs  plus  éclairés.  Cependant  on  re- 
connoît  du  favoir  dans  la  plupart  de  fes  recherches,  &  de  la  chaleur  dans 
fon  llylc;  deux  qualités  qui  foutiennent  encore  fa  réputation,  quoique  dans 
les  récits  qu'il  hafarde  fans  garants,  il  y  ait  peu  de  fond  à  faire  fur  l'on  té- 
moignage. 

Jérôme  Benzone  ,  Miianois  ,  réunit  les  deux  qualités  de  Voyageur  & 
d'IIidorien.  Nous  avons  de  lui ,  fous  le  titre  d'Hiftoire  du  Nouveau  Mon- 
de, une  Relation  de  Ces  Voyages,  depuis  15 \i  juHju'en  155^,  dans  laquel- 
le il  joint,  à  fes  propres  Avantures ,  les  Découvertes  &  les  Conquêtes  des 
Efpagnols;  avec  cette  différence,  que,  fur  les  événemcns  qu'il  n'avoit  pas 
vus,  il  fait  profeffion  de  fuivre  quelques  Ecrivains  qui  les  avoient  déjà  pu- 
bliés; &  que  dans  tout  le  refle,  c'eft  à-dire,  jufqu'à  la  fin  de  fes  courlcs, 
il  ne  rapporte  rien  dont  il  n'ait  été  témoin,  ou  qu'il  n'ait  appris  de  divcrfcs 
Perfonncs  dont  il  vante  le  caraftère.  Cet  Ouvrage  cfi  d'autant  plus  tflima- 
ble,  qu'avec  de  juftcs  éloges  du  courage  &  de  la  confiance  des  Efpagnols, 
on  y  trouve  une  fidèle  peinture  de  leurs  cruautés ,  de  leur  avarice ,  0^  de 
tous  les  autres  excès  auxquels  ils  fc  laifierent  emporter  par  la  foif  de  l'or  & 
par  leurs  propres  divifious.  Benzone  a  cet  avantage  fur  Barthelemi  de  las 
Cafas,  qu'en  relevant,  comme  lui,  leurs  palFions  &  leurs  vices,  il  a  rendu 

plus 


)• 


"•SH 


AVANT.  PROPOS. 


IX 


n  temi  oùr 
:  pal  fur* 
nouvellef 
'i  l'cxtrê- 
ni  dtoicnt 
:  Juge  du 
dicflc  fur 
ant  point 
ce,  qui  • 
;  du  rticit 
lôtrc,  on 
:illeiirs  E- 
.'xaé^itiide 
ic  la  toife 
k  fcs  C<i. 
irence  de 
ts.  Mais, 
on  fujet, 
fans  tom- 
ics  autrei 
e.  3«.U- 
jrprenan- 
,nt  on  re- 
Icur  dans 
que  dans 
Ion  té- 

agcur  6c 
au  M  un- 
is laquel- 
êtcs  des 
ivoit  pas 
déjà  pu- 
courlcs, 
di  Ver  fcs 
s  tftima- 
pagnols, 
S:  de 
l'or  & 
i  de  las 
a  rendu 
plus 


plus  de  juftice  h  leurs  vertus;  &  de  toutes  les  qualit^^i  qui  forment  les  bons 
llilloricns,  cette  égalité,  dans  IdUniation  des  vertus  tlii  des  vices,  palle, 
raiCoM,  pour  la  plus  dillicilc  &  la  plus  rare,  rrain  Chauveton,  à  qui 
(ommcs  redevables  d'une  alL/ bonne  Traduction  deJk-nzone.en  1579, 


Ji    avec 
nous 


a  grolli  le  premier  des  trois  Livres,  dont  l'Ovrage  cil  compofé,  par  des 
llclkxions  lulloriqucs  fur  chaque  Chapitre. 

Jntoine  i /encra  ell  depuis  long  tcms  en  ponelHon  d'une  haute  eftime,      Ucmni» 
qu'il  ne  doit  pas  moins  au  caractère  judicieux  de  fon  efprit  &  de  fon  fty- 
Ic,  qu'à  l'cxaètitude  6i  à  l'étendue  de  Tes  connoiflances.     C'eft  proprement  « 

rilillorien  des  Indes  Occidentales,  comme  Harros  eft  celui  des  grandes  In- 
des. On  ne  lui  reproche  qu'un  peu  d'alFeflation  à  déguifer  quantité  de 
faits  odieux,  fur  IcHiuels  il  palfe  toujours  légèrement.  Son  Ouvrage,  corn- 
pofe  de  huit  Décades,  renferme  l'ililloire  d'environ  foixante  ans,  depuis 
la  premiert  ani.ée  des  Découvertes  jui'qu'en  1554  (g).  Comme  on  ne  con- 
nolt  point  de  fource  plus  abondante  &  plus  pure,  il  n'eft  pas  furprenant 
qu'il  ait  été  traduit  dans  toutes  les  Langues  de  l'Europe,  &  que  tous  les  * 

Ecrivains,  qui  ont  traité  le  même  fujet  après  lui,  faflent  profeflion  de  le 
prendre  pour  guide  &  pour  modèle.  11  ne  paroit  pas  qu'il  eût  beaucoup 
voyagé,  ni  que  dans  les  chofes  mêmes  qui  s'étoient  paflees  de  fon  tems,  il  s 

donne  jamais  rien  fur  la  foi  de  les  propres  veux;  mais  la  qualité  d'IIidorio- 
graphe  de  Sa  Majelk*  Catholique  lui  ayant  fait  obtenir  tous  les  fecours  né- 
celVaires  à  fon  travail,  une  ardeur  infatigable  lui  fit  découvrir  la  vérité  de 
l'Hilloire,  &  fa  droiture  naturelle  ne  cella  point  de  l'y  tenir  attaché.  Tel 
ell  le  témoignage  qu'il  fe  rend  lui-même,  &  que  la  Critique  n'a  jamais  con- 
tredit. Nicolas  lie  la  Cofle,  qui  a  fait  paffer,  en  i<j6o,  fes  deux  premières 
Décades  en  François,  par  une  allez  bonne  Traduftion  pour  le  tems, déclare 
que  „  c'ell  la  naù'cté  de  l'Ouvrage  &  la  réputation  de  l'Auteur,  qui  lui  en 
„  ont  infpiré  le  deflein  (*)". 

C\es  cinq  Ecrivains  font  non-feulement  les  premiers  ,  mais  Icsfeuls,  qui  LasCafai, 
aient  publié  l'I  lilloire  des  Découvertes ,  jufqu'à  leur  tems.  On  pourroit 
compter  aufli  dans  ce  nombre,  le  fameux  Traité  de  la  Tyrannie  des  Efpa- 
gnols,  par  Ihrtbelimi  de  Las  Cajas  (i),  s'il  n'avoit  été  plutôt  compofé  pour 
nous  rcpréfenter  le  malheur  des  Indes,  que  pour  en  écrire  l'Hiftoire.  L'Au- 
teur, qui  s'ctoit  engagé  dans  l'Etat  ecclériallique ,  après  avoir  accompagné 

fon 


(g)  iliftoria  giîncral  de  los  Ilcchos  de  lo3 
Caflcllanos  en  his  Iflas  y  Ticra-firina  dcl  Mar 
Oci'ino,  pur  Anton,  de  Hcrrera,  dcfdi.'  cl 
anno  14^2 ,  liaila  el  de  1554,  in-fol.  Madrid. 
16OJ ,  4  '^«»« 


(A)  La  troifièinc  Décade  n'a  paru  qu'en 
1671,  après  la  mort  du  Traduftcur;  &  le 
rcfte  n'a  jamais  été  traduit. 

(  ï  )  Relacion  de  la  Dcftruycion  de  las  In- 
dias  occidentales  por  los  CaQcilauos.  Ediiink- 
it  SivUle  1552. 


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X  A    V    A    N    T  .  P    R    O    P    O    s. 

Ton  Pore  au  premier  \5oyage  de  Chriftophe  Colomb ,  avoit  employé  la  plus 
grande  partie  de  fa  vie  à  prêcher  aux  Efpagnols  qu'ils  dévoient  traiter  les 
Indiens  avec  douceur,  &  leur  donner  des  exemples  de  religion  &  d'huma- 
nité. L'inutilité  de  /es  efforts ,  &  peut  être  les  perfccutions  qu'il  avoic 
cfluyces  lui-même,  l'avoient  porté  à  fe  jcttcr  dans  l'Ordre  de  St.  Domini- 
que. Mais/a  Cour  d'Efpagne,  qui  reconnut  la  droiture  de  Tes  intentions, 
l'ayant  forpé  d'accepter  l'Evêché  de  Ch'iapa,  dont  il  remplit  les  fonélions 
pendant  plufieurs  années,  &  que  Tes  maladies  l'obligèrent  de  quitter  en  1551, 
il  donna  le  refte  de  fa  vie  à  la  compofition  de  plufieurs  Ouvrages,  entre!  ef- 
quels  celui  qu'on  vient  de  nommer  tient  le  premier  rang.  Autant  que  tous 
les  autres  refpirent  la  douceur  &  la  piété,  autant  celui-ci  fe  relTent  du  cha- 
grin qui  l'avoit  fait  entreprendre.  Le  Prélat,  qui  n'avoit  de  foible  que  fa 
fanté ,  y  répand  toute  l'amertume  d'un  zèle  aigri  par  de  longues  travcrfes 
&  par  le  fouvenir  toujours  préfent  des  injuftices  <&  des  cruautés  dont  il 
avoit  été  témoin.  Il  porta  cette  efpèce  de  vangeance,  ou  (i  l'on  veut,  cet- 
te chaleur  pour  la  défenfe  des  Indiens,  jufqu'à  déclarer  la  guerre,  par  plu- 
fieurs Traités ,  à  ceux  qui  entreprenoient  de  jullifier  la  violence  &  la  bar- 
barie des  Efpagnols.  Cependant  fon  Ouvrage  renferme  un  grand  nombre 
d'événemens  hilloriques,  qu'on  ne  peut  foupconner  d'infidélité,  &  qui  ont 
le  mérite  extrêmement  fingulier  d'être  fortis  de  la  plume  d'un  Homme  de 
bien ,  qui  ne  les  avoit  prefquc  pas  perdus  de  vue ,  depuis  la  première  Dé- 
couverte d^s  Indes,  c'efl-à-dire,  pendant  l'efpace  d'environ  cinquante  ans. 
Mais  pour  lever  vOus  les  fcrupules,  fur  un  témoignage  que  la  faveur  qu'il  a 
trouvée  chez  les  Proteflans  femble  avoir  un  peu  décrié  dans  l'efprit  des  Ca- 
tholiques, il  fuffit  de  rapporter  le  jugement  d'unllifborien  moderne,  qui  ne 
doit  être  fufpcfl  pour  aucun  Parti ,  dans  un  problème  de  cette  nature.  „  On 
ne  peut  difconvenir,  dit  le  Père  de  Charlevoix,  qu'il  régne  dans  l'Ouvra- 
ge de  Las  Cafas  un  air  de  vivacité  &  d'exagération,  qui  prévient  un  peu 
contre  lui,  &  que  les  faits  qu'il  rapporte  ^fans  are  altérés  dans  lafubJtaticCy 
ont,  fous  fa  plume,  je  ne  fais  quoi  d'odieux  &  de  criant,  qu'il  pouvoir 
peut-être  adoucir.  Il  n'avoit  pas  aflez  fait  rélîexion  qu'il  ne  fufKt  pas  à 
un  Hiftorien  d'être  véridique,  &  qu'il  doit  encore  être  extrêmement  en 
garde  contre  ce  que  la  prévention,  la  haine,  l'intérêt,  l'amicié,  l'enga- 
„  gement,  un  zèle  trop  amer,  ou  trop  ardent,  peuvent  donner  de  cou- 
leurs, ou  étrangères,  ou  trop  vives,  aux  faits  d'ailleurs  les  plus  certains. 
Maison  peut  bien  aflurer  que  le  St.  Evêque  de  Chiapa,  df>nt ,  malgré 
„  fes  défauts,  ou,  pour  parler  plus  jufte,  les  excès  de  fes  vertus,  le  nom 
„  cft  demeuré  très  refpeiSlable  dans  les  Annales  du  IVuuveau  MtiiiJe  & 
„  dans  les  ililloires  d'Efpagne,  ne  prévoyoit  pas  les  mauvais  cfTets  que  Ibn 
„ -Ouvrage  produifit ,  peu  d'années  après  fa  publication,  lorfqu'il  eut  été 

„  traduit 


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„  tradu 

vérifié  d 
ne  lui  f« 
reproch 
fions  de 
des  évéi 

Bernai 
les  Gue 
^Un  Ecri 
qui  ne  r 
fans  dou 
fe-t-on 
çonne  d 
ner  la  ce 
fes  vues 
fon  flyle 
J  donne  d 
mens,  c 
détails  ï 
dire ,  lu 
d'une  6i 

Les  I 
rHiftoir 
dant  l'E] 
portent 
pour  un 
curieufe 
de  la  fil 
date  de 
des  plai 

L'Hii 

(*)  Il 

duns  leur 
derSt  Dom 

(  i  >  On 
tophi'  Col 
cidejjous, 

(m)  Si 
l'épée  qii  ; 

(  r»  ,  Sot 
Conquirta 
Capit.in  U 
drid,i632 


AVANT.  PROPOS. 


xj 


»*■■■ 


/ 


DItz  Jcl 
Caftillo. 


„  traduit  par  un  HoIIandois  (*)".  Comme  l'IIiftoire  ne  demande  que  la 
vérieé  des  faits,  &  que  les  motifs  de  l'Ecrivain  n'y  changent  rien,  lorftju'ils 
ne  lui  font  pas  blefler  les  régies  de  la  bonne  foi,  on  doit  conclure  que  le 
reproche  de  chagrin  &  d'amertume  ne  pouvant  tomber  que  fur  les  expref- 
fiuns  de  Las  Cafas,  fon  témoignage  n'en  a  pas  moins  de  poids  pour  le  fond 
des  événemens  (/). 

Bernard  Diaz  del  Cafiillo  ne  s'efl:  attaché  qu'à  l'Hiftoire  des  Voyages  & 
es  Guerres  de  Fernand  Cortez,  dans  la  fameufc  Expédition  du  Mexique, 
n  Ecrivain,  qui  fait  profelTion  d'avoir  fuivi  conftamment  fon  Héros,  & 
qui  ne  rapporte  rien  dont  il  n'ait  été  fans  cefle  A£leur  ou  Témoin,  mérite, 
fans  doute ,  une  confiance  proportionnée  à  ces  deux  titres.  AulTi  ne  l'accu- 
fet-on  point  d'avoir  manqué  de  refpeél  pour  la  vérité;  mais  on  le  foup- 
çonne  d'un  excès  de  jaloufie  ik  d'ambition ,  qui  lui  fait  quelquefois  condam- 
ner la  conduite  de  fon  Général ,  ou  donner  de  malignes  interprétations  à 
fes  vues.  Solis,  qui  lui  fait  ce  reproche,  n'en  rcconnoît  pas  moins  que 
fon  flyle,  rude  &  groflier  (w),  porte  une  apparence  de  bonne  foi,  qui  lui 
doniie  du  crédit,  &  qu'en  mettant  à  l'écart  fes  conjeélures  &  Çqs  raifonne- 
mcns,  on  trouve,  fous  ces  deux  nuages,  beaucoup  de  lumières  dans  fes 
détails  hiHoriques.  Son  Ouvrage  ne  fut  publié  (n)  qu'en  1632,  c'efl-à- 
dire,  lung-tems  après  fa  mort,  par  un  Religieux  de  la  Merci,  qui  le  tira 
d'une  Bibliothèque,  où  il  ctoit  comme  enfeveli. 

Les  Lettres  de  Fernand  Cortez  font  une  autre  fource  de  vérité,  pour 
l'Hiftoire  des  mêmes  événemens.  Elles  furent  écrites  à  Charle-quint,  pen-  Portez. 
dant  l'Expédition  même,  &  dans  la  confudon  des  armes;  mais  quoiqu'elles 
portent  un  cara£lère  de  nobleiTe  &  de  bonne  foi ,  qui  doit  les  faire  pafTer 
pour  un  monument  refpeflable,  il  ne  faut  pas  y  chercher  de  longues  & 
curieufes  explications.  Les  premières  contiennent  une  courte  peinture 
de  la  fituation  de  Cortez ,  qui  ne  peut  fervir  qu'à  vérifier  l'ordre  &  la 
date  de  fes  entreprifes.  Dans  les  autres ,  on  ^'^  lit  que  des  demandes  & 
des  plaintes  (0). 

L'Histoire  de  la  Conquête  du  Mexique,  par  ArMtîne  de  Solis  (p),  quoi- 
que 

(o)  Elles  ont  été  publiées,  à  Madrid, fous 
le  titre  de  Cartas  de  D.  Hernando  Corces, 
Marques  delValle.  de  la  Conquifla  de  Mexi- 
co, al  Emperador  Gemelli  Carreri  fe  fait 
honneur  d'en  avoir  vu  quelques-unes ,  en  ma- 
nufcrit,   dans   la  Nouvelle  EJ'pagne.    Fo-jei 


Lettres  de 


Solis. 


(  t  )  II  confirma  les  Rehelles  des  Pays-bas 
dans  leur  haine  pour  les  Efpagnols.  Hijîoire 
drSt  Domingue ,  Liv  6,  />.  325   ^  autres. 

(  <  >  On  ne  dit  rien ,  ici ,  de  la  vie  de  Chrif- 
tophc  Colomb ,  par  Fernand  fon  Fils.  Foyez, 
ci  dejjous ,  les  Notes  qui  le  regardent. 


(m)  Solis  dit  qu'il  s'expliquoit  mieux  avec    fon  Journal,  au  TomeXFl  de  ce  Recueil 


l'épée  qii  avec  la  plume 

(  fj ,  Sous  le  titre  de  Hilloria  Verdadera  de  la 
Conquiftade  laNueva  Erpanna,  efcrita  por  el 
Capican  Bernai  Diaz  del  Callillo.  in  fol.  Ma- 
drid ,1632  Nous  n'en  avons  pas  de  TraduQiori, 

XrUl  l'art. 


(p)  Hiftoria  de  la  Conquifla  de  Mexico, 
Problacion  y  proi^refTos  de  la  America  fep- 
tcntrional  conocida  por  el  nombre   de  Nue- 
va  Efpanna,  por  D,  Aiîtooio  de  SoHs,  inftl. 
Madrid  t  1(84. 


•  * 


XIJ 


A    V    A    N    T-  P    R    O    P    O    S. 


Autres  Hif- 
loricns. 


Le  Père'de 
ttiarlcvoiz. 


que  poftérisure,  de  long-tems,  à  celles  qu'on  a  nommées,  &  componie 
même  d'après  elles,  ne  peut  être  négligée  pour  toute  entreprife  hiftorique, 
où  ce  grand  événement  /êra  rappelle.  D'ailleurs ,  en  rcconnoiflant  ce  qu'il 
doit  aux  anciennes  fources,  l'Auteur  afflire  qr.'il  en  a  découvert  de  nouvel- 
les; &  quoiqu'il  Te  difpenfe  de  les  nommer,  le  Tuffra/^c  confiant  de  fa  Na- 
tion prouve  alTez  que  cette  noble  hardicfle  n'a  jamais  été  démentie.  Ci 
n'eft  pas  faire  un  éloge  exceflif  d'un  Hiftorien  dont  la  réputation  cfl  Ci  bien 
établie,  que  de  le  compter  entre  les  meilleurs  Ecrivains  d'Eipaî^ne.  Le  fuc- 
cès  de  la  Traduftion  de  fon  Ouvrage,  en  François  (ç),  n'empêche  pas 
qu'elle  ne  foit  fort  inférieure  à  l'Original. 

Corneille  IVytfiiet^  Jean  de  Laët  ^  Montan^  Ogilby  y  Torquemadat  &  quel- 
ques autres  dont  nous  avons  des  Hiftoires  ou  des  Defcriptjons  générales  de 
l'Amérique,  n'ont  fait  que  répéter,  fous  différentes  formes,  ce  qui  avoit 
été  publié  avant  eux.  Si  l'on  confidere  la  jufle  diftinélion  qu'il  faut  tou- 
jours mettre,  entre  les  Auteurs  originaux  &  ceux  qui  n'ont  écrit  qu'alTez 
long-tems  après,  on  ne  s'étonnera  point  que  je  cite  rarement  des  Produc- 
tions Cl  tardives ,  du  moins  dans  ce  qu'elles  ont  de  commun  avec  les  premiè- 
res, dont  elles  empruntent  leur  autorité  ;  &  que  je  ne  les  employé  qu'à  ti- 
tre de  fupplémens  pour  les  événemens  poftérieurs,  qui  ne  peuvent  fe  trou- 
ver dans  les  Hiftoriens  des  premières  Découvertes.  Par  la  même  raifon, 
lorfqu'ayant  préfenté  l'Amérique  ouverte  aux  Européens  par  les  Efpagnols, 
il  faudra  paffer  à  l'Hilloire  des  Découvertes  particulières ,  dont  plufieurf 
Nations  de  l'Europe  ont  partagé  la  gloire,  je  ne  confulterai  point  d'autres 
Relations  que  celles  que  je  nomme  originales  ;  &  je  referverai  tout  ce  qui 
8'efl:  publié  depuis ,  pour  la  troifième  Partie  de  mon  nouveau  Plan. 

Exceptons  néanmoins  l'Hiftoire  de  Saint  Domingue,  parceque  remon- 
tant jufqu'à  l'origine  des  Découvertes ,  elle  embrafTe  une  partie  de  mon 
fujet.  L'eftime  dont  elle  eft  en  poffeffion  doit  la  faire  regarder  comme 
une  fource  avouée  du  Public;  &  quoique  dans  la  première  moitié  de  fon 
Ouvrage,  l'Auteur  n'ait  pas  eu  d'autres  fources  que  les  miennes,  les  Mé- 
moires anecdotes  du  P.  Pers,  &  les  Aéles  du  Dépôt  de  la  Marine  (^),  dont 
il  déclare  que  la  féconde  eft  compofée,  en  font  une  Hiftoire  originale. 
Tout  ce  que  j'emprunte  d'elle  eft  cité  fidèlement  ;  feul  mérite  que  j'en  veux 
tirer,  avec  celui  d'avoir  un  peu  réparé  le  ftyle. 

C'est  donc  à  cette  fuite  de  récits  &  de  témoignages ,  que  j'entreprens  de 
donner  une  forme  hiftorique  ;  autant  du  moins  qu'il  eft  polTibie,  dans  une 
matière  dont  les  parties  ont  fouvent  peu  de  liaifon.  L'exécution  de  ce  projet 
me  jetie  dans  un  travail  extrêmement  pénible,  mais  j'y  fuis  engagé  par 

d'an- 

(f)  Par  Citri  De  la  Gu«tte,  i>j-4">.  Paris,  1691.  Nous  en  avons  plufieurs  Editions. 
(f  )  Préface  de  l'Hiftoire  de  St.  Domiaguc 


d'ancj 

çoit 

des 

II. 
pasqil 
drai  a| 
ur,| 
re  ai 
vent 
del'i 
étéqi 
verte^ 
tions 
cher 
faire 
réfolu 
déjà 
tant  c 
nomn 
pour 
phie, 
ordon 
Journ 
partie 
longu 
tile. 

III 

'dans 

chaqi 

à  ccll 

&de 

5  ferm( 

*  vragc 

répar 

reçue 

s'eft 

llift< 

peut 

fujet 

profi 


AVANT-PROPOS. 


xiïî 


compofde 
hiftorique, 
int  ce  qu'il 
de  nouvcl- 

de  fa  Na- 
entie.  C« 
I  cfl  Cl  bien 
c.  I,e  fuc- 
pêchc  pas 

I  &  quel- 
.^nérales  de 
î  qui  avoic 
faut  tou> 
ic  qu'aflez 
:s  Produc- 
es premiè- 
re qu'à  ti- 
nt fe  trou- 
le  raifon, 
îfpagnols, 
t  piufleurs 
t  d'autres 
mt  ce  qui 

le  remon- 
de mon 
T  comme 
ié  de  Ton 
les  Mé- 
C?),dont 
originale, 
j'en  veux 

sprens  de 
dans  une 
ce  projet 
gagé  par 
d'an- 

:>ns. 


d'anciennes  promeffes;  &je  n'aurai  rien  à  regretter,  fi  le  Public  s'apper- 
çoit  que  mes  nouvelles  vues  apportent  un  changement  avantageux  au  Plan 

des  Angiois. 

II.  Ensuite,  n'oubliant  pas  que  je  marche  fur  leurs  traces,  &  qu'il  n'efl 
•pas  queftion  de  jetter  fi  tard  les  fondemens  d'un  autre  Ouvrage,  je  revien- 
drai aux  véritables  Journaux  des  Voyageurs.  Mais  ils  recevront  tant  de 
de  l'expofition  qui  va  les  précéder,  qu'on  ne  doit  plus  craindre  d'ê 


ae  arrêté  par  des  récits  obfcurs  ,  ni  fatigué  par  des  répétitions ,  trop  fou- 
vent  néceflaires  pour  les  éclaircir.  Comme  la  route ,  aux  différens  Ports 
de  l'Amérique,  eft  fujette  à  peu  d'incidens,  parceque  les  difficultés  n'ont 
été  que  pour  les  premiers  Navigateurs ,  &  que  depuis  les  grandes  Décou- 
vertes, on  n'a  qu'une  Mer  fort  connue  à  traverfer,  le  détail  des  Naviga- 
tions fera  court  ;  à  la  réferve  néanmoins  des  Voyages  entrepris  pour  cher- 
cher  un  PafTage  au  Nord-Eft  &  au  iNord-Oueft,  que  leur  fingularité  doit 
faire  excepter.  D'un  autre  côté ,  je  me  confirme  plus  que  jamais  dans  la 
réfolution  d'abréger  les  Journaux,  &  de  fupprimer  même,  comme  je  l'ai 
déjà  fait  dans  les  derniers  Tomes,  ceux  qui  ne  contiennent  rien  d'impor- 
tant ou  qu'on  ne  trouve  dans  les  autres,  en  les  bornant  à  l'honneur  d'être 
nommés  dans  un  Index.  Si  j'ajoute  qu'avec  plus  de  fidélité  que  les  Angiois 
pour  leur  propre  Méthode,  j'en  détacherai  tout  ce  qui  regarde  la  Géogra- 
phie, la  Religion,  les  Mœurs  &  les  Ufages,  pour  en  faire  un  corps  mieui 
ordonné,  fous  le  titre  ordinaire  de  Defcription,  on  concevra  que  chaque 
Journal,  réduit  aux  avantures  perfonnelles  du  Voyageur,  à  fes  obfervations 
particulières ,  &  aux  fimples  recherches  de  fa  curiofité ,  ne  fera  jamais  d'une 
longue  étendue ,  ou  du  moins  qu'il  ne  contiendra  rien  que  d'agréable  ou  d'u- 
tile.   Seconde  réformation  de  l'ancien  Plan.     '  '*'     * 

III.  Ce  que  je  continuerai  de  nommer  les  Defcriptions  fera  formé,  comme 
dans  les  Volumes  précédens ,  des  Remarques  de  tous  les  Voyageurs  fur 
chaque  Pays  &  fes  Habitans.  Mais  la  partie  hiftorique,  qui  va  conduire 
à  celle  des  Journaux ,  ne  s'étendant  point  au-delà  du  tems  des  Découvertes 
&  des  Conquêtes,  qui  eft  celui  dans  lequel  tous  les  Hiftoriens  fe  font  ren- 
fermés, il  relie  un  long  efpace  à  remplir;  &  fuivant  la  nature  de  cet  Ou- 
vrage, il  ne  peut  l'êtie  que  par  divers  lambeaux  d'Hiftoire,  qui  fe  trouvent 
répandus  dans  les  Relations  de  quelques  Voyageurs.  LaiiTons  le  foin  de 
recueillir  d'autres  Mémoires  &  d'autres  Aftes,  au  P.  de  Charlevoix,  qui 
s'efl  chargé  de  cette  grande  entreprife,  &  qui  a  déjà  fait  connoître,  par  fes 
lliftoires  du  Japon,  de  St.  Domingue  &  de  la  Nouvelle  France,  ce  qu'on 
peut  attendre  de  fes  laborieufes  recherches.  Mais  fi  c'efl:  forcir  de  mon 
fujet  que  de  porter  les  miennes  hors  des  Relations  de  Voyages,  je  dois 
profiter  aufli  de  tout  ce  qu'elles  peuvent  m'offrir,  pour  enrichir  cette  der- 
nière 


m  » 


■#■■ 


XIV  AVANT- PROPOS. 

niere  Partie  de  mon  Ouvraga  Ainfi  non  •  feulement  je  promet»  plis 
d'exaélitude  &  de  régularité  dans  les  Dcfcriptions;  mais  tirant  des  Voya- 
geurs tout  ce  qui  apparrienc  à  l'Hilloire  de  ehaciuc  Pays,  j  en  compofcrai 
une  forte  de  Supplément ,  pour  l'Expoiiiion  hiftorique  par  laquelle  je  vais 
commencer.  'J Voificme  réformaiion ,  qui  ne  m'a  pas  ftmblé  moins  utile 
que  les  deux  autres. 

IV.  Les  Voyages  au  Nord  Efl  &  au  Nord-Oucfl,  qui  feront  le  terme 
démon  travail,  étoient  annonces  dans  cet  ordre,  par  la  Préface  des  An- 
glois.  Comme  ils  forment  un  corps  détaché,  qui  J. -vient  plus  important 
que  jamais  par  les  dernières  Navigations,  &  par  les  nouvelles  Cartes  de  M. 
de  rifle,  je  remets  à  régler  leur  diftribution  dans  une  Préface  qui  ne  regar- 
dera qu'eux  ,  &  qui  contiendra  les  motifs  de  ces  fameufes  Expéditions. 

Tels  font  les  changemens  que  je  me  fuis  propofés,  &  dont  je  devois 
l'explication.  S'ils  obtiennent  la  faveur  du  Public,  je  remets  en  Mer  à  plei- 
nes voiles,  avec  un  vent  fi  flatteur;  &,  dans  toute  la  confiance  d'un  Voya- 
geur exercé,  je  ne  connoîs  plus  d'obftacles  jufqu'au  Port,  •   ' 

Laiflbns  le  relie  de  l'efpace  au  Géographe.  ,      ^,       ,     ^^    .     . 


'  Nota.  Quoique  nous  ayons  déjà  fait  le 
Jufte  éloge  de  ce  nouveau  Volume  de  Mr. 
f  Abbé  Prevoft ,  nous  ne  pouvons  qu'expri- 
mer encore  la  fatisfaftion  que  nous  a  donné 
fa  lefturc  ;  &  fi  nos  Correftions  font  moins 
fréquentes ,  c'cfl  que  l'exécution  de  l'Ouvra- 
ge étoit  plus  parfaite  que  celle  des  Tomes 
précedens.  Ainfi ,  dispenfés  ilc  rendre  comp- 
te, par  un  Jvtrtiffement  particulier,  des 
Améliorations  que  nous  y  avons  apportées 
en  fort  petit  nombre ,  nous  ne  dcQinons  cet- 
te Remarque  que  pour  ajouter,  à  la  premiè- 
re Note  de  I'Avant-Propos  de  Mr. 
Frcvod ,  deux  Fuits  /Ingulicrs  qui  ont  rap- 
port à  la  Découverte  du  Nouveau  Monde. 

L'un  eft  en  faveur  des  Anglois     En  1741 
il  parut  à  Londres  un  Ecrit ,  ayant  pour  Ti- 
tre ;  Lt  Droit  de  la  Couronne  de  la  Grande  Bre- 
tagne fur  l' ylmirique ,  plus  ancien  que  celui  de 
t'EJpagne.    On  prétendoit  y  dtinontrcr ,  que 
plus  de  trois  fièclcs  avant  Colomb,  les  An- 
glois s  y  étoient  établis,  &  que  leur  Pofté- 
lité  formoit  encore  aujourd'hui  une  Nation 
yarticulièie ,  qui  avoit   confervé  fa   langue 
©riginale.     On  apportoit   en  preuve  „  une 
„  Lettre  du  Sr.  Morgan  Joties  ,     Chapelain 
,,  poux  la  Colonie  de  la  CatoKne  Méridiona- 


„  le ,  au  Prédicateur  Thomas  Lloyd  de  PcnfyV 
„  vanie,   qui  la  remit  à  Charles  Lloyd  de 
„  Dolytran,  dans  le  Comté  de  Montgomery, 
.,  &  communiquée  depuis  au  Prédicateur  A*- 
„  bert  Phtt,  par  Mr.  Edouard  Lloyd  â  Oz- 
„  ford".    Voici  la  tradudion  de  cette  Letue. 
„  En  l'an  1660,  du  tcms  que  je  me  trou- 
M  vois  dans  la  Virginie,  en  qualité  de  Cha- 
„  pelain  du  Général  Major  Bennet,  du  Dif- 
„  trift  de  Manfeman   Berkly,   l'on    équipa 
„  deux  VaiflTeaux  pour  Port -Royal,    qu'on 
„  nomme  aujourd'hui  Caroline  Méridionale, 
„  à  60  miles  au  Sud  du  Cap  Pair ,  &  je  fus 
„  en  même  tems  envoyé  pour  être  leur  Pré* 
,,  dicnteur.    Le  19  Avril  nous  partîmes  de 
„  la  Virginie ,  &  arrivâmes  le  30  du  même 
„  mois  à  la  Rade  de  Port -Royal,  où  nous 
„  attendîmes  'es  autres  Vaiflcaux  de  la  Flot- 
„  te,  qui  étoit  fur  le  point  de  mettre  à  la 
„  voile  des  Barbades   pour  fe  rendre  aux 
„  Bermudes,    avec    Mr.  Weft,  alors  Vice- 
„  Gouverneur  de  cette  Place.    Dés  que  la 
„  Hotte  fut   arrivée,    nos    Chaloupes    re- 
„  montèrent  la  Rivière  jufqu'à  un  lieu  nom- 
„  mé  Doejler-  Punt,  où   nous  fejournâmea 
„  environ  huit  mois,   pendant  lequel  tems 
„  la  plupart  de  nos  gen*  mouiutcut  faut* 

de 


>» 


M 


net}  plis 
les  Voya- 
ïmporcrai 
le  je  vais 
oins  utile 

le  terme 
r  des  An- 
imporcanc 
tes  de  M. 

ne  regar» 
ions. 

je  devois 
1er  à  plei* 

un  Voya- 


yd  de  PcnfyV 
{S  Lloyd  de 
lontgotneryt 
^dicateur  Rê' 
poyd  à  Oz- 
cette  Le  tue. 
je  me  trou* 
ilité  de  Cha- 
net,  du  Dif- 
on    équipa 
oyal ,    qu'on 
Méridionale  t 
ir ,  &  je  fus 
tre  leur  Pré* 
partîmes  de 
)o  du  même 
rai ,  où  nous 
IX  de  laFIot- 
mcttre  à  la 
rendre  aux 
alors  Vice- 
Dès  que  la 
laloupes    re- 
un  lieu  nom- 
fejournàmea 
lequel  tems 
iiuicut  faut* 


AVANT-PROPOS. 


XV 


t> 


>• 


de  fubfiaanccs.    Je  m'engageai  avec  cinq 
„  autres  à  travers  les  Dcferts.  &  ayant  Ragiié 
le  Pays  de  Tufcoraraj  les  Indiens  nous  fi- 
rent Prilonnicrs,   parceque    nous  leur  a- 
viens  dit  que  nous  devions  nous  rendre  à 
Rofnock.    Cette  môme  nuit ,  ils  nous  con- 
duifirent  dans  leur  Ville ,  &  nous  garJè- 
rent  fort  étroitement  ik  notre  grande  fra- 
yeur &  détrefle.    Le  jour  fuivant  ils  tin- 
rent Confcil  cntr'eux  pour  favoir  ce  qu'ils 
feroicni  de  nous,  &  peu  de  tems  après, 
1  interi  réte  vint  nous  dire  que  nous  n'a- 
vions qu'à  nous  préparer  i  la  mort  pour 
le  lendemain  matin.    Moi,  fort  de  mau- 
vaife   humeur,  je  dis  entrautres,  en  Lan- 
gue Angloife;    Suisje   icbappé  à  tant  de 
périls,  ^faut-il  que  je  fois  aujourd'hui 
affommi   cmme  un    Cbien  !     A  peine  a- 
vois-je  profeié  ces  mots    que  je  vis  venir 
,  à  mol  un  Indien,  qu'on  reconnut  depuis 
„  pour  un  Capitaine  des  Indiens  Doegs ,  le- 
„  quel  me  faifiOant  par  le  milieu  du  corps , 
„  me  dit,  en  Langue   Angloife,   que  je  ne 
„  mourrois  i>oint     Là-deflus  il  fe  rendit  au-  ^ 
•„  près  de  l'Empereur  de  Tuscorara    dont  il 
„  ob  ini  ma  liberté  &  celle  de  mes  Com- 
„  pagnons.     Le»  Indiens  nous  fouhaitèrent 
„  enfuite  beaucoup   de   bonheur  ,  &  nous 
„  traitèrent  fort  civilement   pendant  quatre 
„  moi».     Dans  cet  intervalle  j'eus   fouvent 
..  l'occafion  de  converfer  familièrement  avec 
eux   en    Langue   Angloife ,  &  je  prêchai 
trois  fois  la  femaiiie  dans   la  même  Lan 
gue  devant  ces  Indiens,   qui  m'iiitcrrom- 
„  poient  à  tous  momens  lorfqu'ils  ne  com- 
prenoient  pas  bien  ce  que  je  voulois  dire. 
A  notre  départ,  ils  nous  pourvurent  abon- 
,»  damment  du   néceflaire.     Les  Tuscoraras 
«,  habitent  le  Long  de  la  Rivière  Fantigo^ 


*i 


» 


»» 


„  pas  loin  du  Cap  yfrtcs.    Voilù  une  ReU- 
„  tion  fuccintc   de   mon  Voyai^c,  chez  les 
„  Indiens   Doji^s.     A  la  Nauvelle    l'jrk    le 
„  21  Mars  1668. 
(Signé) 

„  Morganjones  Fils  dv  John  jones , 
„  natif  de  Ba  «/exprès  dt: Neiuport , 
f'f  „  dans  le  Coiiné  de  Munmoutb  '. 
Le  Second  Fait  e(l  à  l'honneur  des  Alle- 
mands. 

Suivant  Doppelmayer  &  les  Auteurs  qu'il 
cite,  dans  fon  Ouvrage  touchant  la  Vie  des 
MatWmaticicns  de  Nuremberg,  l'un  d'eux, 
nommé  Afartin  Bebaim ,  de  l'ar.cftnne   Fa- 
mille   nohie  des   Bebaime    de  Scbivarzbacb  y 
originaire  de  cette  Ville,  d»;couvrit  aiilll  l'A- 
mérique peu   de   tems    avant  Colomi) ,  qui 
pourroit  bien  avoir  profité  de   fes  lumières. 
On  veut  que  ce  Mathématicien    qui  s'étoit 
fort  appliqué  à  l'Etude  de  la  Geo:;raphie, 
dans  la  perfuafion  qu'il   devoit  y  avoir  en- 
core beaucoup  de  Terres  au  Couchant ,  fc 
rendit  aux  Pays-Bas,  &  foUicita,' de  la  Du- 
cheflTe //"aif i/e ,  Gouvernante,  Fille  de  jPea/»/. 
Roi  de  Portugal,  un  VaifTeau  pour  en  faire  la 
recherche,  il  l'obtint,  &  découvrit, en  i4'^o-, 
rifle  de  Fayal  ;  mais ,  fans  en  relier  là ,  il 
porta  le  Roi  Jean  II.  de  Portugal  à  lui  ac- 
corder encore   quelques  Navires,   avec  les- 
quels il  partît  en  compagnie  d'un  Portugais, 
nommé  Jaques  Canut,  &  découvrit  en  148S 
non  -  feulement  cette  Partie  de  l'Amérique, 
qu'on  a  atpelléc  depuis  le  Brefil,  mais  en- 
core le  Détroit  qui  y  efl.  contigu  au  Sud, 
connu  d'abord  fous  le  nom  des  Patagons,  8c 
enfuite  fous  celui  de  Magellan.    Il  en  drefla 
une  Carte .   que  Ferdinand  Magellan  vit  ea 
15:9,  dans  le  Cabinet  du  Roi  de  Portugal, 
&  doDt  il  fçut  bicD  tirer  avantage.  R.  d.  £, 


« 


'••il 


«• 


REMAR- 


XVJ 


il 


'J     /v 


IPI 


II 


i 


REMARQUES 


D  E 


M.     B    E   L   L   I   N, 

SUR  LES  CARTES    GEOGRAPHIQUES 


DE    L'A  MER  I  au  E. 


l-  '     i  <     .     »;, 


L 'Histoire  de  t  Amérique  ^  &  des  Voyages  qui  y  ont  été  faits  tant  pour 
la  Découverte'de  fes  différentes  Parties ,  que  pour  y  former  des  EtabliJJèmens , 
ejl  trop  iiitcrcffante  pour  rien  négliger  de  ce  qui  peut  y  répandre  quelques  lumières, 
Cejl  dans  cette  vus  que  t  Auteur  de  cet  Ouvrage  m'en  a  confié  la  Partie  géographi- 
que,  dontjefens  toute  la  difficulté;  puifqu'il  s'agit  de  fixer  les  connoijfances  qui  font 
répandues  dans  tous  les  Auteurs^  avec  fefprit  de  critique  6f  de  cotjibinaifon  nécejfaire^ 
f^  de  mettre  fous  les  yeux  fétat  a£tuel  de  ces  vajles  Contrées. 

Quoiqu'il  y  ait  un  grand  nombre  de  Cartes  géografAiques  fur  F  Amérique ,  h  peu 
â'exa^itude  qui  fe  trouve  dans  la  plupart  laiffe  beaucoup  à  défirer  (a).  Je  n'ai 
point  envie  d'en  faire  î examen  ni  la  critique,  &  encore  moins  d'en  attaquer  les  Au- 
teurSy  dont  je  cannois  tout  le  mérite  ^  le  favoir;  mais  les  contioiffancts  fur  ces  Pats 
étûient  alors  fort  boiTiées',  elles  fe  font  étendues  ^  multipliées  depuis;  deforte  que  nouf 
fomvies  aujourd'hui  en  état  défaire  mieux ,  quoiqu  éloignés  de  la  perfeHion.     '  •-  '  ■  <« 

Je  ne  parle  point  ici  de  la  belle  Carte  de  r  Amérique,  publiée  par  M,  Banville  en 
174(5 ,  ni  de  celle  que  M.  Green  a  publiée  à  Londres  en  j  753.  La  première  cjl  d'un 
grand  détail,  ^  fupéricure  à  tout  ce  qiû  aparu;  la  féconde ,  quoique  beaucoup  moins 
détaillée ,  cjl  recommandable  par  l'cfprit  de  critique  Q*  de  comparaifon  qu'on  y  a  etnployé 
pour  fixer  la  pofition  des  principaux  lieux. 

Je  fais  cette  remarque  avec  d'aidant  plus  de  plaijir ,  que  regardant  ces  deux  Ou,- 
vrages  comme  excellcns  dans  leur  gcme,  quoique  différens,  je  compte  de  faire  paffer 
dam  mes  Cartes  tout  ce  que  je  trouverai  de  bon  dans  l'un  ^  dans  t autre  ;  je  ne  crains 
point  que  leurs  Auteurs  m'en  fâchent  mauvais  gré ,  non  plus  que  des  changemens  que 

'       '■  je 


(  a)  Les  Cartes  du  Canada  du  P.  Cort>- 
iiclli. 

Celles  lie  l'Amérique  fcptfntrionale  &  nié- 
riiUonale  de  Mrs.  Sanfon. 

Les  Cartes  gt^néralts  &  particulières  dcJ'A- 
loériquc  de  M.  de  riile. 


La  Carte  Aft^îloirc,  en  20  feuilles,  de 
l'Amérique  feptentrionaic ,  de  M.  Poople,  & 
quelques  autres  Cartes  publiées  à  Londres. 

A  l'égard  de  celles  publiées  d  Anillerdam, 
elles  font,  prefque  toutes,  des  copies  des 
précédente*. 


I»^^<^ 


s 


iUES 


V-' 


tant  pour 
^lijjemcns  , 
•  lumières, 
géographi' 
:es  qttifont 
nécejjàire^ 

Vf,  le  peu 

rr  les  Au- 
ces  Pats 

^e  que  nous 

anville  en 

re  cjl  iun 

îûup  moins 

a  etnplcyé 

deux  Oti' 

lire  pqffer 

ne  crains 

emens  que 

uillcs ,  de 

)0])lc,  & 

^ondrcs. 
inllcrdam , 
:opic8  des 


i 


'■'^ 


REMARQUES  SUR  LES  CARTES  GEOGR API  KQUES.       xvij^ 

l  je  croirai  devoir  faire  fur  pbtjteurs  parties  de  lettr  travail.     Chacun  afes  recherches,- 
fes  cmnoifjances ,  ^  fa  manière  de  les  mettre  en  œuvre.  =-  • .  ,-i 

•  Outre  ces  morceaux  généraux,  les  Anglais  ont  donné,  en  dif/erens  tems ,  des  par- 
ties détachées  qui  oni  leur  mérite,  ^  qui  feules  peuvent  nous  donner  une  connoijfancâ 
exa£te  de  leurs  Colonies. 

,;  A  regard  des  partits  de  P Amérique  que  nous  pojfédons,  fen  ai  donné  des  Cartes, 
1744.,  qui  font  jointes  à  fHifloire  de  la  Nouvelle  France  du  P.  de  Charlevoix. 
_  ofe  même  dire  que  fat  été  le  premier  qui  ait  fait  connaître  le  Canada  6?  la  Louijîa- 
neavec  quelque  forte  de  précifion.     Les  détails,  dans  lefquels  je  fuis  entré,  avoicnt 
été  inconnus  jufqu^alors.     Pour  s'en  convaincre  y  H  ne  faut  quejetter  les  yeux  fur  tou- 
tes les  Cartes  qui  ont  paru  avant  1744.     Mais  fai  eu  la  fat'tsfaStïon,  depuis  cette 
époque ,  de  les  retrouver  dans  les  Ouvrages  de  nos  plus  habiles  Géographes,  qui  les 
ont  adoptés  avec  une  confiance  qui  me  flatte  beaucoup.     On  voit  donc  que  mon  drjfcin 
tjl  depuifer  dans  toutes  les  four  ces  ^  ^  de  m' approprier ,  pour  ainji  dire,  tout  ce  que 
je  trouverai  de  bon,  pour  former  un  Corps  de  Géographie  fur  î  Amérique;  ^  ce  que  je 
joins  à  ce  Volume- ci  n'ejl  qu'un  foible  échantillon  de  ce  que  je  projette  pour  les  Volu- 
mes fuivans;  obligé,  comme  je  le  fuis, de  me  conformer  à  l'Ordre  des  Découvertes, 
pour  fuivre  mon  Auteur,  emec  lequel  je  dois  marcher  de  concert.      •"-  - 

J'ai  commencé  par  une  Carte  générale  du  Golfe  du  Mexique  £3*  des  IJles  de 
t Amérique,  oitfm  tracé  les  routes  des  premiers  Navigateurs .  Enfuite ,  fai  donné 
une  Carte  de  Tljk  de  St.  Domingue^  fous  le  nom  d'Hayti,  telle  qu'elle  était  poffédée 
far  fes  premiers  Habitons  ,  à  laquelle  fai  ajouté  les  principaux  Etabriffemcns  que  les 
Efpagnols  y  firent  après  la  Découverte.  Cette  Carte  eft  en  très  petit  point ,  mais 
fuffifante  pur  cet  objet.  J'en  donnerai ,  dans  la  fuite ,  une  beaucoup  plus  grande  ^ 
plus  détaillée ,  où  l'on  trouvera  Pétât  actuel  de  cette  IJk ,  avec  tous  les  Etabliffemens 
François. 

La  Décoieuerte  de  la  J'erre  Ferme  de  l'Amérique  ayant  fuivi  de  près  celle  des 
IJles,  j'ai  donné  fixpeti: es  Cartes  particulières ,  qui  comprennent  toute  la  Cote,  de- 
puis la  Rivière  de  l'Orenoque  jufqu'au  Mexique  inclufivemmt.  Jejliivrai  de  même 
toutes  les  autres  parties  ;  ce  qui  formera  une  fuite  de  Cartes  de  la  même  grandeur, 
qu'on  pourra  raffembkr  en  ttn  feul  Corps ,  à  la  tête  duquel  je  mettrai  une  Carte  géné- 
rale ,  qui  cfl  indifpenfahle ,  piu  faire  connaître  Peufemble  ^  le  rappoi-t  de  chacune 
délies  avec  le  tmtt. 

Outre  les  Cartes,  je  dotmerai  les  Platis  des  endroits  les  plus  remarquables.  Ceux 
de  ï ancien  ^  du  nouveau  Mexico,,  qu'on  donne  dans  ce  Volume ,  font  tirés  du  Re- 
cueil Hollandais  :  mais  f  y  ai  joint  deux  Plans  particuliers,  qui  n'ont  point  été  rendus 
aiec  jufîclje  dans  aucun  Ouvrage  public  ;  l'un  efi  la  Rade  de  VeraCrux,  avec  les 
Jfles  voiflnes;  l'autre,  le  Port- Royal  ^fes  environs ,  fit  ués  dans  la  Baie  de  Campêche. 
A  f  égard  des  deux  petites  Cartes  des  Environs  de  Mexico  £jf  de  fes  Lacs ,  on  voit 
aifément  d'oît  je  les  ai  tirées  ;  ^  quoiqu  elles  ne  s'accordent  pas  trop  bien  avec  les 
Defcriptions qu'on  trouve  dans  les  Auteurs ,  je  les  ai  laijjhs  telles  quelles  étaient , 

fans 


^'ï|! 


n 


xviij     REMARQUES  SUR  LES  CARTES  GEOGRAPHIQUES. 

fjns  y  rien  changer,  n  étant  pas  #2  inpuit  du  local,  pour  entreprendre  de  le:  m- 

riger  avec  quelque  fiiccès. 

Il  ne  rejle  plus  qu'une  remarque  à  faire  fur  l'accord  qu'on  croirait  devoir  fe  ren- 
contrer eiitte  les  Mations  des  Voyageurs  6f  les  Cartes  que  nous  y  joignons,  ^uon 
ne  [oit  point  Jurpris  de  quelques  différences  qui  s'y  trouvent  Les  premiers  Naviga- 
teurs élo'ient  plus  occupés  de  la  grandeur  des  entreprijes ,  ^  des  difficultés  qu'ils  a- 
voietU  à  vaincre,  que  de  la  prétifton  des  oh/ervatiuns.  Plus  braves  que pcans ,  ils 
nous  ont  donné  des  Relations  curieufes  ^  admirables ,  mais  fvuvent  peu  exaâes  pour  la 
pofuion  des  l  eux.  Je  n'en  citerai  qu  un  exemple  Dans  le  Voyage  de  i  >  1 2 ,  pour 
h  Découverte  de  la  t'Ioride,  la  Relation  de  Ponce  de  Léon  dit  que  les  Martyrs,  IJÎcs 
au  Sud  de  la  prefquc  Jjle  de  la  iloride ,  Jont  par  les  a 6  dégrés  15  minutes  de  latitu- 
de i  au  lieu  que  ces  Ifles font  par  les  .$  dégrés  (  ).  Dans  le  même  Voyage,  on  lit 
17  dé  grés  pour  la  latitude  de  la  y  ùtc  du  Sud  de  l'Ijle  de  lioriqiicn ,  aujourd'hui  Por- 
terie ,  au  lieu  quelle  ejî  par  les  i\i  degrés.  Cette  Relation  n'ejl  pas  la  feule  oii  ion 
trouve  de  ces  anciennes  erreurs.     C'ejl  au  Géographe  à  les  réparer. 

Les  changemens de  nous  ne  demandent  pas  moins  d'attention;  ^  ton  y  apperçoit 
bien  des  variétés ,  depuis  la  première  Découverte ,  jufquà  ceux  qui  fubjijlent.  Il  y 
en  a  même  un  grand  nombre ,  dont  il  ejl  impojjibic  de  trouver  la  trace ,  particulière- 
ment de  ces  Fillages  ou  Bourgades  Indiennes  ,  célèbres  dans  ces  lems ,  aujourd'hui 
détruites.  Ajoutez  que  les  noms  fixes  ^  conmis  ne  font  pas  toujours  écrits  de  môme 
par  les  différens  ravageurs.  Je  ne  poujjerai  pas  plus  loin  ces  réflexions  ;  elles  me 
pa  oifjent  fuffire  pour  mettre  le  Leëteur  en  état  de  juger  de  mon  Ouvrage ,  ^  de  ce 
qu'il  m'efl  pofjtble  défaire. 


(b)  II  y  a  aufll  une  faute  d'imprcflion ; 
Nord-Eft  pour  Nord-Oueft. 

Nota.  On  avertit  ici  que  les  Cartes,  Plans 
&  Figures ,  qu'on  ne  trouvera  pas  dans  ce  Vo- 


lume, ont  éié  employées  dans  le  XVI.  Nous 
avons  eu  foin  de  les  indiquer  chaque  fois. 
R.  d.  E. 


'^.  %' 


0€^ 
Pre 


ti' 


tugaii 
tint  1( 
d'un 
obfcu 


HISTOIRE 


XI 


JEs; 

e  de  les  cor- 

voir  fe  ren- 
mm.  Çhion 
ers  Naviga- 
tés  qnils  a- 
fivans,  ils 
i^Us  pour  la 
i>i2,  pour 
rtyrs,  JJks 
ts  de  latitu- 
pge ,  on  lit 
od'bui  Vor- 
tule  oit  l'on 

y  apperçoit 
lent.  Il  y 
particulière- 

aujourd'hui 
ts  de  même 
r;  elles  me 
e ,  i^  de  ce 


lXVI.  Nou» 
chaque  foiii. 


^t| 


TOIRE 


HISTOIRE 

GÉNÉRALE 

DES   VOYAGES 

Depuis  le  commencement  du  xv™«  Siècle, 
DIXHUITIÈME  PARTIE. 

L  IV  R  E     P  RE  M  I  E  R.^ 

Premiers  Voyages,  Découvertes,  et  Etablis- 

SEMENS    D£3   EUROPÉENS   EN   AmÉRIQ.UE. 

INTRODUCTION. 

Andis  que  la  Nation  Portugaife  pouflbit,  avecautant  d'u-  IifTRobuc» 
tilité  que  de  gloire,  Tes  découvertes  &  Tes  conquêtes  en       tion. 
Afrique,  &  dans  les  Indes  Orientales,  d'habiles  Navigateurs, 
formés  par  l'exemple  &  l'émulation ,  portoient  leurs  vues 
d'un  autre  côté  du  Globe  terreftre,  après  avoir  conçu  l'ef- 
pérance  de  s'ouvrir  une  route  à  l'Occipent,  comme  les  Por- 
tugais en  avoient  découvert  une  à  l'Orient.    L'incertitude  du  terme  les 
tint  long  tems  fufpendus.     Quelques  foupçons  des  Anciens  fur  l'exiftence     Les  Anciens 
d'un  autre  Monde  (rt),  des  récits,  qui  n'avoient  pour  fondement  qu'une  foupçon- 
obfcure  tradition,  les  raiibnnemens  d'une Philofophie  au  berceau,  dont  le  "°'^'"^i'^^''^^ 

jL  LCJiC  L    Vf  11  II 

goût   ,u^rc  Môru^r. 
(a)  Voyez  V^'fvartt-ProiiOi. 

Xnil.  Pan.  A 


>îiS, 


\ 


â        PREMIERS      VOYAGES      ^  . 

iNTRonuc-  goût  commcnçoit  à  fc  répandre,  mais  qui  n'avoit  point  encore  de  princî- 

^'°^*       pes  fermes  &  bien  cclaircis,  ctoient  des  motifs  trop  foibics  pour  engager 

Ls  plus  hardis  dans  une  fi  grande  entrcprile.     Mais  lu  rrovldence  du  Ciel, 

qui  avoit  réglé  l'orilre  des  événemens,  rafleinhla,dans  un  cfpacc  fort  court, 

Exr^rimocs  un  grand  nombre  d'cxpériences,  (\'n  fortifièrent  lui  conjeâlur^s,  &  qui  de- 

qui  dit  forme  vinrent  comnu  une  dcmonflration  fenlible.     Ces  fccours ,   qui  paroiflcnt 

cette  iwitr.       ^^,^jj.  j^^;  ,]t:^^.(^jYiiir^.s  pour  animer  le  courage  &  l'habileté,  méritent  d'être 

confacrts  par  riliiluire,  dans  le  fuuvenir  éternel  des  honime»  (/»}.     , 

Le 


(b)  I.c?  premiers Ililloricns  dci'Amiîriquc 
s'ac^-ordcnt  ùir  co  rtScit;  mais  o!i  le  lioriKia 
au  tcmoii;;n,^c  ilii  plus  iuditi.iix  ^c  da  plus 
a'.èbrc,  par  unr  (impie  traiiudion  de  fcs 
termes.  Sl.iitii;  fir.cc^-.t ,  fiiauuR Pilote,  af- 
fuiM.  que  s'cHiirt  rciicoiitiô  à  450  lieues  au 
Coudrir.t  liu  Cap  Saii.tV'iiiecin  en  Afrique, 
il  avoit  trouvé  une  pii^e  lie  bois  travni.lt-j 
par  artili.e,  iSc  dont  l'ouvr.isje  n'avoit  pas^ité 
fait  avee  du  fer.  Les  ver.fs  d'Ouell  ayant 
règne  pendant  piufieurs  j'ours,  il  jugea  (ju'el- 
Ic  venoit  nécedairement  de  (]uclque  l\  rre 
Oecideimle.  Feàro  Cpirca ,  iiui  av«)iL  époufj 
une  des  fiL-urs  de  la  femme  de  Colo:nl' ,  ccr- 
lifntjiie,  dans  Vlûc  AcPuirto  Santo,  il  nvoit 
vil  une  autre  picee  de  bois,  que  les  iiiêaies 
vents  y  avoient  jetée  ,  &  qui  rv^lUmbioit  d 
In  préeédente.  Il  y  avoit  vO  aulVi  lie  fort 
groiFes  cannes,  dv.vx  clricunc  pouvo^t  cuii- 
ter.ir  fix  pintes  d'eau,  qui  dévoient  y  ;'.V(>ir 
été  poairées  par  I  impctuofiié  des  vents,  par- 
ce <iu'Llks  n'étoient  pas  connues  dans  rill.*, 
lii  dans  toute  l'Europe.  Les  Inlulaires  dts 
Acores  rendirent  ténioi-^nagc  o.ue  pend  nit  les 
verts  de  l'Ouell  &  du  Nord  ■  Kit  (  i  ) ,  la  \k  r 
tranfj  ortoit  des  pins  aux  G^tcs  de  la  Gra- 
cieuù'  ^  de  Fayul,  où  la  Nature  ne  produit 
point  de  ces  arbres,  &  que  dans  lllle  de 
flore  la  Mer  avoit  jette  deux  cadavres  hu- 
mains, qui  avoient  la  face  fort  large  (Ji  d'v.n 
autre  air  que  celui  des  Européens.  Une  au- 
tre fois,  on  a\()it  vu,  près  des  mêmes  llks, 
deux  Canots  d'une  forme  extraordinaire ,  qui 
n'enfoncent  jamais,  &  que  le  vent  y  avoit 
fait  aborder.  Antonio  Leme ,  qui  s'étoit  ma- 
rié dans  l'ille  de  Madère,  raconta,  qu'ayant 
couru  allci:  loin  au  Couchant  avec  la  Cara- 
Telle,  il  croyoit  avoir  appcrçu  trois  Terres 
qui  lui  étoient  inconnues.  Un  Habitant  de 
la  nvi;me  Ifle  demanda,  vers  ce  tems,  au  Roi 
•Je  Portup;;ii,  la  permilCon  de  découvrir  une 
certaine  Terre,  qu'il  prétendoit  avoir  vue 
tous  les  ans,  &  toujours  fous  la  mcnie  appa- 
rence. Quoiqu'il  ne  paroifle  point  qu'il  eût 
T  uffî,  c'eit  de-là,  &  du  témoignage  précé- 
écnt,  que  dans  les  Cartes  Marines,  qui  fe 


(xj  Ou  plutôt  du  Nord-OiieJ).  R.  d.  E. 


firent  alors  ,  on  rcpréfenti  quelques  Ifles 
dans  ces  Mers,  particulièrement  celle  qu'on 
y  n  mmoit  //-ifriir.  6.  (ju  on  mi  ttoit  à  deux 
cens  lieues  ;ui  Coucîiain  des  Canaries  &  des 
Açorcs.  Les  Portugais  la  piireni  pour  l'illc 
de  las  Sietc  GudaJas,  c'tiliidirc,  des  Je (> t. 
Cites ,  peuplée,  fuivant  leur  tradition  .tn  714, 
au  ttms  de  rinvalii'i  des  Mores,  par  quan- 
tité dKfpagnoli,  qui  s'cmbarmicrent,  pour 
fuir  la  perf-cution  ,  avec  fept  Kv{î(iues,d()nt 
cliaeun  bâtit  fa  Ville;  de  quoi  ils  prétendent 
qu'on  fut  informé,  du  tems  de  Dom  Henri 
de  Portugal,  par  im  Navire  que  la  tempête 
y  jetta,  &  qui  étant  revenu,  ne  put  trouver 
cninite  le  moyen  d  y  retourner.  Ils  ajoutent 
tjUL'  ce  qui  empêcha  l'Equipage  d'en  rappor- 
ter de  plus  amples  informations,  fut  la  crain- 
te d  être  retenu  par  les  Infulaires,  qui  obli- 
gea le  Capitaine  de  faire  remettre  prompte- 
mcni  ù  la  voile.  Di^go  de  Tient  &  d'autres 
Portugais,  s'etnni  eml-arqués  pour  l'Kle  de 
Fayal,  avec  un  Pilote  nommé  Diego  Telaf- 
^ue3,  alUirèrent  <iu'ayant  manqué  cette  Illc, 
ils  avoient  gaijné  cent  cinquante  lieues  pnr 
un  Vint  de  SuJ-E(l,  &  iju'iiu  retour  ils  a- 
voicnc  découvert  l'itle  de  More ,  Ruidés  par 
quai.iitc  d'o!fe;iUX,  auxquels  ils  voyoient 
prendre  cette  briféc ,  &.  qu'ils  n'avoicnt  pas 
reconnus  pour  des  oifoau\  maritimes;  qu'en- 
fuite  ils  étoient  allés  fi  loin  vers  le  Nord , 
qu'ils  avoient  appcrçu  le  Cap  deCiare,  en 
Irlande,  \eis  l'Eil.  où  ils  avoient  tro;ivé  (]ue 
les  vents  dOuell  fouflloient  impétueufcment, 
&  que  la  Mer  néanmoins  étoit  fort  unie;  et 
qui  leur  avoit  fait  juger  que  celi  venoit  de 

3uelque  Terre  peu  éloignée,  qui  étoit  à  l'abri 
u  côté  de  l'Occident;  mais  qu  ils  n'avoicnt 
pas  voulu  s'en  approcher,  parcequ'étant  a- 
vancés  dans  le  mois  d'Août,  ils  avoient  ap- 
préhendé l'hiver.  Un  autre  Pilote  racontoit, 
que  faifaiir  route  en  Irlande,  il  avoit  apper 
çu  cette  Terre,  qui  depuis  a  été  reconnue 
pour  celle  de  Bacalaos ,  mais  que  l'impétuo- 
fité  des  vents  l'avoit  empêché  d'y  aborder. 
Pedro  de  Vtlaj'co  de  Galice  difoit  qu'en  faifan: 
lu  uiêuic  route  il  étoit  paiTé  II  loin  dans  Ir 

Nord, 


„,îord , 

fae  l'Irh 

a  «nis,  v{ 

!r?5  Wad:re 

,r^-  véritabli 

.là  un  M: 

"  trma  po 

,    la  pernii 

,     donna  d 

&  quoic 

Îartit  aN 
'açana, 
fort  loir 
à  leurs  t 
tereal, 
■f  couvert 
i;  me  entr 
ignorer 
'•%  Jiijloire 
'   'découv  r 
■•^-Xfles  A^ 
'    le  pieri 
piedelhi 
olfroier 
ne  put 
.  ;  à  la  mn 

fioint  ; 
'Occid 
trouver 
>  llerrert 
^        (c) 
très  a  S 
^    fcrent  { 

■l'       (i)E 
Gfnei. 


s  .-.-. 

de  princî* 
ur  engager 
:e  du  Ciel , 
fort  court, 
&  qui  de- 
paroiflcnt 
iunc  d'être 

Le 

uciqucs  ini's 
it  celle  qu'on 
(  tU)it  à  deux 
narics  &  iks 
tu  pour  rjllc 
ro ,  des  J'ejii 
ition.tfi  714, 
pnr  qur.n- 
icrcnt,   pour 

vCilUfs.doDt 

protctulfiit 
Doin  Henri 
':  lu  tcniiicte 
put  trouver 
lis  ajoutent 
d'en  rappor- 
fiit  la  cr.iin- 
rs,  qui  obli- 
;re  prompte- 
le  &.  d'autres 
our  ruie  de 
Dit'iro  rdaf- 
lé  atlc  lllc, 
e  lieues  pnr 
retour  ili  a- 
,  Ruidés  par 
lis  voyoietit 
l'a  voient  pas 
nues;  qu'en- 
rs  L-  Nord, 
le  Ctare .  en 
t  trouve^  que 
tueulcmcnt, 
ort  unie;  et 
i  vcnoit  de 
étoità  l'abri 
ils  n'avoient 
equ'<*tant  a- 
avoient  ap- 
e  racontoit, 
avoit  appcr 
ré  recfMinuf 
ic  l'impétuo- 
d'y  nborder. 
Qu'en  fa  i  fan: 
oin  dans  le 
Nord, 


'^ 


EN      A    M    E    !l    I    Q    U    C,    Lit.   ï. 


I/cnvIc 

V(;ut  lui  eu 

di'iobbcr 

riioijntur. 


fca 


Le  premier,  qui  trouva,  dans  fa  grandeur  d'ame  &  dans  fcs  rénexions ,  I'^troucc 
tlTez  de  force  Ck  de  lumière  pour  s'élever  au  deiïijs  di:s  obdacles,  fut  un       tk  V 
Ccnois ,  nommé  Chrillophc  Lulumb,  fi  peu  connu  jufqu'alors ,  qu'on  ne  s'tll  Cul.-ml.  St  !e 
jamais  accordé  fur  Ton  cxtrailion ,  ni  même  fur  le  lieu  de  fa  nailTance  (f  ) ,  premitr  qui 
igt  que  l'es  propres  Enfans  n'ont  pu  lever  ce  doute.     Les  ennemis  de  la  ^V  auaci.o. 
ùrc  publièrent  qu'il  avoit  hérité  du  Journal  d'un  Pilote,  qui,  portant  de« 
tid'Efpagne  en  Angleterre,  avoit  été  contraint,  par  les  vents  ,  de  cou- 
d'abord  au  Sud,  enfuiie  à  lOucfl:,  où  il  avoit  trouvé  des  terres  &  des 
mmes  nuds ,  &.  qui ,  ayant  perdu  prefque  tous  fes  gens  dans  cette  Cour- 
,  étoit  revenu  chez  Colomb,  fou  ancien  Ami,  auquel  il  avoit  laifTé,  en 
ourant ,  fes  Papiers  &  les  Cctrtcs.     Mais  ce  bruit,  que  la  jaloufie  n'a  pas 
Igiflé  de  faire  adopter  à  plufieurs  Ilifloriens  Efpagnols  {d)t  paroit  dcrruic 

Sar  la  n:;vigation  même  de  Colomb,  qui  ne  pcnla  point  à  tourner  au  Sud, 
i  par  toutes  les  circonflances  de  fa  conduite.  Il  n'avoit  donc  que  l'opi- 
oion  des  Anciens,  foutenue  par  quelques  expériences  récentes,  avec  la 
fcâriliefle  naturelle  &  fes  railonnemcns,  pour  guides,  dans  une  cntrcprife 
einc  de  diflieultés'^  de  dangers,  dont  le  fuccès  a  rendu  fa  mémoire  im< 
ortelle. 

L'état 

le.  Plufieurs  le  mettent  danr  Ii  lie  du  peu- 
ple (i).  Quelques  uns  lui  font  tirer  fon  ori- 
gine de  Plaifanee  en  Lonibardie.  Ferdinand, 
le  fécond  de  fes  deux  fils,  qui  a  conipofc  foii 
Iliftoire,  •;mbrafle  ce  dernier  fentimcnt,  & 
parle  des  tombeaux  des  Colombs  ,  qu'on 
voyoit  encore  dans  cette  Ville,  avec  Kurs 
armes  Jl  paroît  que  1h  difpiite  fur  ce  point 
fut  portée  au  Confcil  des  Indes.  f;.ns  que 
perlb'inc  nous  ait  appris  quel  en  fut  le  réùil- 
tat.  Ilerrcra,  où  l'on  trouve  fculeinnt  qu'el- 
le y  dovoit  être  décidée,  ajoijte,  qu'on  prou- 
voit  que  l'ICmpereur  Otlion  11,  en  940,  con- 
firma aux  Comtes  l'ierre,  Jean  l'i.  Alexandre 
Colonibos  ,  frères  ,  les  biens  fcudataires 
qu'ils  avoient  dans  la  Jiirifdidion  des  Vilics 
d'Afiui,  deSaona,  d'Aile,  de  Moinferrat,  de 
Turin  &.  de  Verceil;  qu'il  pr,roilT)ii,  par 
d'autres  titres, quj  lea  Colombos  de  Plaifan- 
ee, de  Cuearo  &  de  Cugurco  étoiei.t  les 
mêmes,  defecndus  de  ces  trois  frères,  aux- 
quels le  même  Empereur  avoir  fait  plufieurs 
donations  eonlidérabks.  IIcn\}.% .  /,/t'.  i. 
Cb.  7.  Chriltopbe  Colomb  lui-même,  par- 
venu aux  honneurs  qu'il  obtint  après  fon 
expédition,  alRiroit  une  Dame  Efpagnolc, 
dans  une  Lettre  citée  par  fon  fils,  qu'il  n'é- 
toit  pas  le  premier  Amiral  de  fa  famille.  J'ie 
de  Cukmb ,  T.  i.  p,  5. 

(rf)  Particulièrement  Cornera ,  Liv.i.Ch. 
14.  Oviedo,  en  le  rapportant,  déclare  qu'il 
le  croit  faux,  Liv.i.  Cb.  2  llerrera  l'attti- 
buc  à  l'envie,  Cba[).  8. 

(1)  Enir'autres   on    le   fait   fiU   cî'iiti  Ordcur  de  laine  de   Co^iireto  ,  Village  du  Territoire   de 
Genei.   Sa  naiirance  cil  fixCi-  en  laii.  U.  d.  E. 

A    2 


ord ,  qu'il  avoit  vu  des  Terres  au  Coucbant 
de  l'Irlande.     Finccnt    Dlnn .,   Pilote  Portu 

fais,  venant  de  Guinée  .  fort  au  lar;;c  de 
'lad.re,  crut  avoir  obfervé  à  l'iJuelt,  une 
véritable  Terre.  Il  en  communiqua  le  fceict 
i  un  Marchand  Génois ,  fon  intime  ami ,  qui 
arma  pour  la  découvrir ,  iSt  qui  en  demanda 
la  permllFion  au  Roi  de  Portugal.  Ce  Prince 
donna  des  ordrej:  favorables  A  ion  eritreiirife; 
S^&  quoiqu'ils  culTent  été  mal  exécutJs.  Uiaz 

Ïartit  avec  fon  ami ,  qui  fe  nommolt  Lucanh 
'apana.  Mais  ils  pouffèrent  leur  navigation 
fort  loin,  fans  rien  appercevoir  qui  répondit 
i  leurs  efpérnnces.  Gafjiar  &  Michel  de  Cor- 
tereal,  deux  fils  du  Capitaine  qui  nvoit  dé- 
couvert la  Tercere ,  le  pei  dirent  dans  la  mê- 
me entreprife.  Enfin ,  perfonnc  ne  pouvoit 
ignorer  alors  ce  que  .Wurro^  rapporte  dans  fon 
JHiJloire  des  Indes  Orientâtes,  il  allure  qu  en 
.'découvrant  Corvo,   la   plus  Occidentale  des 

i-lfles  Açores,  on  trouva  une  Statue  équefire 
ée  pierre,  ou  de  terre  cuite  ,  montée  lur  un 
picdc'dal  de  même  matière,  dont  les  d'étés 
ofTroient  des  infcriptions,  en  caraftères qu'on 
ne  put  déchiffrer,  &  que  le  Cavalier,  vêtu 

, ,  à  la  manière  des  Amériqunins,  qui  ne  font 
point  abfolumcnt  nuds ,  montroit  du  doi^t 
l'Occident  ,  comme  pour  avertir  qu'on  y 
trouveroit  des  terres  &  des  hommes,  ^nt. 
llerrera,  Liv.  1.  Chap.  2.  ^  3, 

(c)  Les  uns  le  font  naître  à  (îcnes,  d'au- 
tres à  Suvone,  .ACui^urco,   iNeri.  6cncdif- 

^    fcrent  pas  inoins  fur  la  condition  de  fa  famil- 


PREMIERS     VOYAGES 


TION. 

Oblbdcs 
qu'il  cil  obli- 
gé de  fiinnon- 
tcr ,  &  iiroiio- 
lltions  nu'il 
fait  A  plu- 
sieurs Cours. 


1 1| 


•tablifll 


le  hafard  lui 


L'état  de  fa  fortune,  dans  un  ctablilkmcnt  mciiiocre, 
avoit  oiicrt  à  Lisbonne  (0«  l'airujcttilToit  à  communiquer  des  yftei,  qu'il 
ne  pou  voit  exécuter  (|u*avec  de  puiflans  fecours.  Il  crut  devoir  la  préfé- 
rence à  fa  Patrie  :  mais  les  Génois,  refroidis  pour  les  Voyages  de  Mer, 
par  le  tort  que  Jcs  découvertes  des  Portugais  caulbicnt  à  leur  Commerce, 
rejettèrent  les  propolltions  comme  des  fables.  (  ^n  !ic  trouve ,  ni  l'an- 
née, ni  lei  circonllances  de  cette  négociation.  11  offrit  enfuitc  Tes  fervi- 
ccsàDom  Juan,  Roi  de  Portugal.  Cette  ouverture  fut  d'autant  mieux 
reçue  à  la  Cour  de  Lisbonne,  que  le  mérite  de  Colomb  y  étoit  plus  con- 
nu que  dans  la  République  de  Gènes,  d'où  il  étoit  forti  dès  l'enfance.  On 
favoin  qu'il  s'étoit  apnliqjié  conflammcnt  à  l'étude  de  la  Cofmographie ,  de 
l'Aftronomie,  de  la  Géométrie  «Se  de  la  Navigation ,  &  qu'il  avoit  joint  une 
longue  pratique  à  fes  connoiflances.  On  remarque  en  particulier  qu'il  fa- 
voit  parfaitement  l'art  d'obfervcr  la  latitude,  ou  la  iiauteur  du  Pôle  par 
l'Aftrolabe  ;  ce  que  perlbnne,  avant  lui,  n'avoit  exercé  en  haute  Mer, 
quoiqu'on  en  fît  des  leçons  publiques  dans  les  Kcoles:  &  Ton  Frère,  qui 
s  étoit  retiré  comme  lui  en  Portugal,  s'y  étoit  acquis  beaucoup  de  réputa- 
tion pour  les  Cartes  marines  &  les  Spiières,  quil  faifoit  dans  une  perfec- 
tion, dont  on  n'avoit  pas  encore  eu  d'exemple.  Aulll  fut-il  écouté  Ci  favo- 
rablement, que  la  Cour  nomma  d'abord  des  Commill'aires  (/)  pour  exami- 
ner ks  offres.  Mais  il  devint  la  dupe  de  leur  mauvaife  foi.  Lorfqu'ils  eu- 
rent reçu  les  explications,  ils  perfuadèrent  au  Roi  de  faire  partir  lecrette- 
ment  una  Caravelle,  avec  ordre  de  fuivre  exatlement  fes  Mémoires,  qu'ils 
avoient  recueillis  dans  leurs  conférences  (g).  A  la  vérité,  leur  artifice  ne 
tourna  qu'à  leur  honte.  Le  Pilote  Portugais,  qui  n'avoit  ni  la  tête,  ni  le 
courage  du  (îénois,  n'alla  pas  fort  loin  fans  être  effrayé  par  les  difficultés 
de  l'entreprifc,  &  revint  publier,  à  Lisbonne,  que  les  nouveaux  projets 
étoient  autant  de  chimères.  Colomb,  dans  l'indignation  de  fc  voir  trompé, 
prit  aulïï-tot  la  réfolution  de  quitter  le  Portugal.  Il  n'y  étoit  plus  attaché 
par  fa  femme,  que  la  mort  lui  avoit  enlevée  depuis  peu;  <îic  craignant  mê- 
me 


(e)  Son  fils  raconte  qu'nyint  couru  lont^. 
teins  les  Mers  av(.c  un  Corlairc  fameux  ,  qui 
fe  nommoit  Colomb  le  jeune,  ik  qui  ctoit  ilc 
fa  Maifoii,  le  feu  [.rit  3  ù  G:tlcre,  dans  un 
Combat  contre  les  V^éniticns,  ciure  Lisbon- 
ne &  le  Cap  Snint-Vinctnt  ;  rju'il  ne  fe  fau- 
va  qu'à  l'aide  d'une  rame,  fur  laciueile  il  lit 
deux  lieues  ,  avant  que  d'arriver  à  terre; 
qu'étant  ai!(i  à  Lisbmne,  où  il  trouva  quel- 
(jues  Génois  de  fa  eonLoiflancc,  il  y  avoit 
paru  aimable  à  une  Demoifelie  ,  qui  avoit 
fouliaiié  de  le  connoJtrr,  &  qui  1  avoit  en- 
fuite  époufé;  que  cette  jeune  ptrlbnne  étoit 
fille  de  Pierre  Mugniz  Percjlrello,  après  la 
mort  duquel  les  deux  Kpoux  avoient  demeu- 
ré avec  leur  JVlùre .  &  que  Colomb  avoit  lié- 
rité  non-feulement  de  les  biens ,  mais  enco- 
re dune  Relation  des  Voyages  de  fon  Mari, 
']ui  avoit  aidé  à  la  découverte  des  llles  de 


Madère  &  de  Porto  Santo.  De  ce  Mariage 
naquit  Diego  Colomb,  premier  Q\  de  Chrif- 
tophc;&  c'eft  apparemment  une  erreur,  fon- 
dée fur  le  nom  de  fa  femme ,  qui  a  porté 
quelciues  llilloriens  à  le  faire  delcenJre  des 
PerellreHos.  Etant  devenu  veuf,  il  prit  en 
fécondes  noces  Beatrix  Ktiriquez,  native  de 
Cordoue,  dont  il  eut  Ferdinand,  qui  n'eût 
de  (;oùt  que  pour  une  vie  pailibie,  &  qui 
comnofu  la  Vie  de  fonPcre 

(/)  Do;n  Diego  Ortii,  Kvôquc  dcCcuta, 

3u'on  nommoit  auparavant  le  V  'dteur  Caicê- 
>7/a,  du  lieu  de  fa  naifTancc,  ôt  dt.ux  Mé- 
dtciiis  Juifs,  nommés  Jofepb  &  Rodrigue, 
fort  habiles  dans  la  Cofùio;;raphie.  llerrera, 
Cbap.  7. 

{g)  Fernand  Colomb  dit  nettement  que 
ce  fut  pour  fc  difpculer  de  faire  uuc  (grande 
récoiupcnfc  à  fon  Père.       , 


'!    E    N      AMERIQUE,!. 


1  V. 


hafard  lui 
vùc$^  qu'il 
ir  la  prcfé- 
I  de  Mer, 
'ommcrce, 
L>,  ni  Tan* 
;  fei  fervi- 
anc  mieux 
:  pluicon- 
ànce.  On 
raphie,  de 
t  joint  une 
cr  qu'il  fa- 
I  Pôle  par 
iuic  Mer, 
l'rère,  qui 
de  répuca- 
le  pcrfcc- 
ité  li  favo- 
)ur  exami- 
rfqu'ils  cu> 
r  iecrette- 
rcs,  qu'ils 
artifice  ne 
été,  ni  le 
diflicultés 
X  projets 
r  trompé, 
us  attaché 
;nant  mê- 
me 


ce  Mariage 
<  tic  Clirif- 
erreur,  fon- 
t]ui  a  porté 
rccndrc  des 
,  il  prit  en 
,  native  de 
,  qui  n'eût 
jic,    &  qui 

c  doCcuta, 
i\ci\T  Caicê- 
<■  deux  Mé- 

Ilirrera, 

tctncni  que 

uiic  grande 


I  me  d' 


J'y  Être  arrêté  malgré  Kii ,   parce  que  le  Roi  n'attribuoit  le  mauvais  lurno 
Ibccès  de  la  Caravelle  qu'au  défaut  d'expérience  &  d'habileté  du  Pilote,  il        '^'° 
l'embarqua  furtivement  pour  l'Krpagnc,  avec  fon  Frère  &  fon  Fils  (b). 
|l  arriva  fans  obftaclc  à  Palos ,  Port  d'Andaloulle.  La  Cour  d'Elnagne  étoit 
iJors  à  Cordoue.     Comme  les  dégoûts,  qu'il  venoit  d'effuver,  lui  faifoient 
cqiindrc  de  n'y  pas  trouver  plus  de  faveur ,  il  ne  voulut  s^y  préfenter  qu'a- 
lés  avoir  engagé  fon  Frère  (i)  k  fe  rendre  en  Angleterre,  pour  tenter  de 
Ire  entrer  iTenti  Fil  dans  les  vues  qu'il  alloit  propofer  lui-même  aux  Efpa- 
»ols;  réfolu  apparemment  de  vendre  fes  fcrvices  à  ceux  qui  les  mettroicnc 
^  plus  haut  prix. 

l  II  parut  à  Cordoue,  vers  la  fin  de  l'année  1484.  Le  nouvel  Iliftorien 
||e  Saint-Domingue  raconte  qu'il  fit  préfenter  d'abord ,  au  Roi ,   un  Mé- 
moire, dont  il  rapporte  jufqu'aux  termes.  Mais  on  lit  fimpiement,  dans  les 
ïlilloircs  Efpagnoles,  que,  prenant  toutes  les  mefures  de  la  prudence,  il 
commença  par  fe  lier  avec  quelques  Perfonnes  de  dillinélion  &  de  meri- 
tc{k)^  qu'il  crut  capables  de  difpofer  Leurs  Majeflés  Catholiques  à  goû- 
jkr  fes  propofitions.     Cette  voye  lui  réuOit  pour  les  faire  entendre,  mais 
jjpvcc  beaucoup  de  lenteur.  Heniand  de  Talavera ,  Prieur  de  Prado ,  &  Con* 
flfefleur  de  la  Reine ,  reçut  ordre  de  former  une  Aflemblée  de  Cofmogra- 
phes,  pour  conférer  avec  lui.     Les  Savans  étoient  rares  alors  en  Efpagne; 
&  Colomb  ,  porté  à  la  défiance ,  par  fon  avanturc  de  Lisbonne,  craignoic 
de  s'expofer  trop  ouvertement.     Le  réfultat  lui  fut  fi  peu  favorable,  qu'a- 
près avoir  employé  près  de  cinq  ans  à  combattre  inutilement  les  préjuges 
<&  les  objeflions  (/),  il  obtint,  pour  unique  reponfe,  que  la  Guerre  de 


DUC' 
N. 


(fc)  Il  parolt  que  fon  fécond  Mariage  fe 
lit  en  Efpagne.  On  n'en  trouve  pas  l'aninic; 
mais,  à  juj^er  p.u  l'âge  de  I-'ernand,  qui  a- 
▼oit  environ  treize  ans  en  1502,  ce  ne  peut 
être  avant  1489. 

(1)  Ce  l''rèrc  Çcnommok  Barthélémy.  Fer- 
tiand,  fon  neveu,  dit  qu'il  c^toit  peu  favant, 
mais  homme  dj  bon  fens ,  &  que ,  dans  te 
Voyage,  il  fut  volé  par  des  Corfliires.  Il  a- 
joftie ,  (jne  fc  voyant  dans  des  P.oys  inconnus, 
&  réduit  à  la  dernière  mifère  ,  il  fit  long- 
teins  ufigo,  pour  gagner  fa  vie,  du  mlent 
f<|qu'il  avuit  de  compofcr  des  Cartes  marines; 
-^ju'ayant  ainalfé  quelque  ar^^ent,  il  alla  juf- 
qu'à  Londres ,  oii  il  exécuta  la  commiffion 
de  fon  Frère,  en  faifint  préient  au  Roi  d'u- 
ne  Mippeinoiutc;  que  ce  Prince  la  reçut 
bien,  le  pria  de  faire  venir  Chriftophe,  & 
promit  de  faire  tous  les  fraix  de  l'entrepri- 
fc;  ninis  qnj  Ciiiiflonhc  étoit  alors  engagé 
au  Roi  de  Cadille.  Ch.  lo  royez  les  Vers 
«le  Barthélémy  dans  \\^vaTtt   Propos. 

(k)  Alfuiile  de  (^litUanilla,  grand  Tré- 
r.rier  de  Callille,  fut  fon  principal  pr  )tec- 
tfur.  fui\aiu  Ilerrera.  Mais  Kernand  Co- 
lomb ne  noiiiiiie  que  Louis  de  S.iiut  -  yiiigt , 
qu'Herrcra  nomme  auflî;  Se'gncur  Arragonois, 


qui  tcnoit  un  ranr;  fort  élevé ,  d  qui  pouvoit 
beaucou;i  fur  l'efpr.t  du  Roi,  Cbap.    il 

(/)  lierrera  &  Fcrnand  nous  ont  confer- 
vé  les  objedions:  „  Les  uns  difuient  que 
„  puifqu'en.tant  d'années,  depuis  la  Créa- 
,  tioM  du  Monde,  tint  de  grands  hommes  , 
,,  qui  avoitnt  connu  la  Navi,.:ut'on ,  avoient 
,,  ignoré  les  Terres  que  Coior.ib  iirétendoit 
,,  trouver,  il  n'étuit  pas  vraifemblable  qu'il 
„  f."it  plus  éclairé  (juVux.  D'autres ,  tirant 
,,  leuis  raiibns  de  la  Cofino-;np!iic,  alTu- 
„  roieni  que  le  Mondj  étoit  d'une  li  gran* 
„  de  étendue,  que  trois  ans  ne  fuffifoicnl 
,,  pas  pour  aller  à  l'extrémité  de  l'Orient, 
,,  oii  Colomb  fe  flattoit  de  pouvoir  arriver. 
,,  Ils  alleguoicnt  Seneque,  qui  avoit  mis  ea 
,,  quellion  fi  le  Monde  n'étoit  pas  infini, 
,,  «  qui  avoit  douté  du  moins  qu'on  pftt  al- 
„  Itr  au-delà  de  certaines  bornes.  Ils  ajoù- 
,,  toient  nue  h  Terre  occupoit  la  moindre 
„  partie  cm  Globe,  &  qne  routlercfle  étoit 
„  en  Mer;  que  pour  aller  à  l'Occident,  fui- 
„  vant  le  d;.'tVcin  de  Colomb,  il  falloit  toû- 
„  jours  dcfccndre,  à  ciufc  de  h  rondeur  de 
„  la  Sphère;  que  par  conféqaent  il  feroit 
,,  impollîble  de  rt tourner,  &,  qu'on  fe  trou. 
„  veroit  dans  le  cîs  de  remonter. comme  Ut 

A3  •■  "C 


•■^JQ 


Jw.. 


IIEMIERS      VOYAGES 


cr.tiv'prifc. 


M 


Toutes  les  circonflanccs  d'une  négociation,  (jiii  dévoie  aboutir  à  la  dii- 
couverte  d'un  nouveau  Monde,  étant  importantes  pour  l'IIilloire  ,  fuivons 
1  terrera,  qui  n'a  pas  apprchenùé  qu'on  lui  reprochât  de  rexcès  dans  ce 
détail.  Colomb  perdit  l'elpérance.     il  prit  trillement  le  chemin  de  Scvil- 
le,  d'où  il  ne  lailla  point  de  faire  de  nouvelles  ouvertures  à  divers  Sei- 
gneurs ,  dont  on  vantoit  le  crédit.     Enfin,  rebuté  de  trouver  la  même  in- 
■Jiirercnce  dans  tous  Ls  OrJres  de  rClpagne,  il  écrivit  au  Iloi  de  France, 
au'il  crut  pouvoir  engager ,  du  moins  par  le  motif  de  la  gloire;  mais  les 
r'/ançois   etoicnt  aiors'oc.iipés  de  leurs  Guerres  d'Italie.     Cette  obllina- 
tion  de  la  fortune,  à  lui  fermer  toutes  fortes  de  voyes ,  ne  paroît  point 
l'avoir  abbattu.     11  revint  aux  anciennes  vues ,  qu'il   avoit^  formées  du 
côté  de  l'Angleterre;  &,  quoique  ,  depuis  tant  d'années  ,  il  n'eût  reçu  au- 
cune nouvelle  de  Hm  Frère,  il  fe  promit  de  le  retrouver  <  n  prenant  la  mê- 
me route.     Les   [)remier3  lliiloricns  ne  font  aucune  mention  de  fon  fé- 
cond Mariage  ;  mais  ils  lui  donncn":,  pour /)/>([rv ,  fon  Fils,  qu'il  avoit  laif- 
fé  près  de  l'alos,  dans  un  Cni.vent  de  Francifeains,  nommé /a  Rab'ida,  une 
tendreffe  (jui  ne  lui  permit  poini:  de  quitter  l'I'^rpagnc  fans  l'avoir  cmbrafTé. 
Son  deHlui  ctoit  de  l'envoyer  à  CorJouj  ,  apparemment  dans  le  fein  de 
lafaniille;  car  il  faut  fuppofer  <j'i'il  s'é^oit  remarie  pendant  le  long  féjour 
qu'il  avait  fait  dans  cette  Ville ,  &  qu'il  avoit  déjà  un  fécond  Fils.     Le  Su- 
périeur du  Couvent  de  la  Rabida ,  qui  fe  nommoir  J^an  Perez  de  Mnrcbe- 
VéU,  homme  d'un  méiite  connu,  n.-  put  l'tntcndre  ;.ar!er  de  la  réfolution  où 
il  étoic  de  porter  fes  limiières  aux  Etrangers,  la;is  en  regretter  la  perte 
pour  l'Efpagne.     11  le  preifa  de  fufpendrc  fon  départ.     Il  nlîembla  cpiel- 
ques  habiles  gens,  qu'il  mit  en  conférence  avec  lui;  &  leur  voyant  ap- 
prouver fon  projet  avec  beaucoup  d'éloges,  il  fe  flatta  qu'ayant  l'honneur 
d'être  eftimè  de  la  Reine,  qui  l'avoit  employé  quelquefois  (.Uns  Ls  exerci- 
ces de  piété,  il  obticndroic  d'elle,  en   faveur  de  fon  Ami,  ce  nui  avoit 
été  refufé  aux  inflances  des  principaux  Courtifans.     Il  écrivit  à  cette  Prin- 
celle,   qui    étoit  alors  à  Sanîa-'r'ê  ,  pendant  le  Siège  de  Grenade.     Il  fut 
appelle  aulfi-tôt  à  la  Cour.     Le  fruit  de  ce  voyage  fut  de  procurer  une 
Audience  à  Colomb.     La  Rciuc  fcrnia  la  bouche  à  fes  Ennemis,  en  louant 
fon  efprit  &  fes  proj.ts;  mais  elle  jugea  qu'il  portoit  trop  haut  fcs  préten- 
tions.    11  demandoit  d'être  nommé  Amiral,  &  Vlceroi  perpétuel  &  hé- 
réditaire, de  tous  les  Pays  &  de  toutes  les  Mi.rs  qu'il  pourrait  découvrir. 
Cette  récompeiife   paroilloit  excellive  ,    dans    les  plus   heureufes   fuppo- 
(itions  ;    iS:  ,  s'il  manquoit  de  fuccès,   la  Reine  craignit  quel .jue  repro- 
che de  légèreté  ,   pour  avoir  pris  trop  de  confiance  aux  promeflls  d'un 
Eiran^v.r. 

Ce  nouveau  refus,  quoiqu'adouci  par  des  témoignages  d'eflime  ,  le  dé- 
*  ter- 

„  nerrp:ccdc  Mortngne,  ce  qui  cbnquoit      „  Pilote".  Herrera .  Ch.  VU.  ^  )'III.  Fer- 
„  nhlolamcnt  !;i  raifnn ,  <iiic!quc  fond  qu'on      uand  Colomb,  Clj.  XI. 
„  pût  faire  fur  les  vents  à  fur  l  liabilcic  lîu 


tcrmlr 

tâniicl  1 

^|è']ue| 
ikoniml 
Colonf 
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m 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.   L 


^ 


de  fe  jettcr 

crmince,  il 
nonter. 
itir  à  la  dc- 
re  ,  fuivons 
:cs  dans  ce 
n  de  Scvil- 
divers  Sei- 
i  même  in- 
de  France, 
2;  mais  les 
te  obllina- 
aroîc  point 
formées  du 
ûc  reçu  ail- 
lant la  me- 
de  Ton  le- 
1  avoit  iaif- 
\abida^  une 
'  cmbraflc. 
le  Jcin  de 
ong  ftjour 
s.     Le  Su- 
ie Mnrche- 
ohifion  où 
)x  la  perte 
Tibia  (juel- 
'oyant  ap- 
'honneur 
ts  excrci- 
nui  avoit 
cite  Prin- 
e.     Il  fut 
curer  une 
en  louant 
s  prcten- 
lI  6l  hé- 
découvrir. 
l'S   fuppo- 
e  rcpro- 
fTcs  d'un 

e  ,  le  dé- 
ter- 

f  r///.  Ftr- 


iNTROPL'C 
T  l  O  N. 


icrmina  plus  abfolument-  que  jamais  à  quitter  rEfpagne.  Qii'ntanUla ,  Sur. 
Imngel,  «X  le  Père  Marchena ,  étoient  dercfperés  de  voir  néglig.r  une  ai- 
jjire  de  cette  importance.  Ils  engagèrent  le  Cardinal  de  Mei.do2a,  Arche- 
3|é-iue  de  Tolède  &  Ciief  du  Confeil  de  la  Reine,  à  ne  pas  lailTcr  partir  un 
Jiommc  n  précieux  pour  l'Etat,  fans  lui  avoir  fuit  l'iionncur  uc  rentendre. 
Colomb  eut  une  longue  Audience  du  Cardinal,  qui  parut  fort  fatisfait  de 

\  cfprit  &  de  fon  caraftèrc  ,   mais  qui  n'entreprit  rien  en  fa  faveur. 

iir  de  la  Cour,  fuivant  les  termes  d'un  Miftorien,  n'éti 


.'toit  pas  favorable 
IX  Avanturiers.  On  y  dilbit  hautement  qu'il  ne  falloit  pas  être  furpris 
ifn'un  Etranger  fans  biens  preilat  l'exécution  d'une  entreprife,  où  il  met- 
îoit  fi  peu  du  fien,  qui  devoit  lui  alTurer  un  Polie  honorable,  &  où  le  pis 
«1er  pour  lui  étoit  de  fe  retrouver  ce  qu'il  étoit  (t«).  Colomb,  qui  ne 
îkit  ignorer  ce  langage,  le  fitcefler,  en  offrant  de  payer  un  huitième  de 
il  dépenfe,  &  de  ne  partager  les  profits  que  fur  ce  pied.  Mais  cette  offre 
même  ne  lui  ayant  rien  fait  obtenir,  il  partit  fort  chagrin  de  Santa -Pé, 
mois  de  Janvier  1492,  pour  aller  faire,  àCordoue,  les  derniers  prépa- 
tiis  de  fon  départ. 

C'e  fut  dans  ces  circonfbances  que  Grenade  ouvrit  Tes  Portes  aux  Efpa- 
lois.     Santangel  prit  cette  heureufc  conjon£lure,  pour  repréfenter  à  la  circunibmccs 
fine  le  tort  qu'elle  faifoit  à  fa  propre  gloire,  en   refufant   l'occafion  'L"' '''^ '^^"^ 


Ileiireufc 


mieux  ccou- 


d'augmenter  la  puiffance  &  l'éclat  de  fa  Couronne;  fans  compter  que  les  j^.!-, 
avantages,   qu'elle  paroiffoit  négliger,  pouvoient  tomber  entre  les  mains 
j3e  quelque  autre  Prince, &  devenir  pernicieux  à  l'Efpagne.     Il  mit  tant  de 
force  dans  fon  difcours,  que  cette  Princeife,  déjà  ébranlée  par  les  follici- 
tations  de  Quintanilla,    fe  rendit  à  leur  confeil;  &  pour  ménager  les  fi- 
nances, que  la  Guerre  avoit  épuifées,  elle   déclara  que  fon  deffein  étoit 
d'engager  ,    pour  la  nouvelle  Expédition  ,    une  partie   de   fes  pierreries. 
"Santangel,   dans  le  mouvement  cic  l'a  joye,  répondit  que  cette  reffource 
n'étoic  pas  néceffaire  ,    &  qu'il  iourniroit  la  fomme  de  fon  propre  fond. 
La  Reine  fit  rappeller  aufli-tôt  Colomb,  qui  étoit  déjà  au  Port  de  Pinos, 
ir  f\-,u\  lieues  de  Grenade  («).     Son  reflentiment  ne  l'empêcha  point  do 
fctounier  fur  fes  pas ,  &  l'accueil  qu'il  rc(;ut  à  la  Cour  effaça  le  fouvenir 
des  chagrins  qu^il  y  avoit  elliiyés  pendant  plus  de  huit  ans.     Dom  Juan      (^^^^  Tr>  t^ 
de  Ccl'niia  (0),  Secrétaire  d'Etat,  reçut  ordre  de  traiter  avec   lui,  Se  de  nvcclaCnur' 
lui  expédier  un  Brevet  &  des  Lettres  Patentes,  par  lefquelles  on  lui  accor-  d.-  Cuilillf. 
da  volontairement  plus  d'honneur  qu'il  n'en  avoit  déliré  (/>). 

Ces 


(m)  Ilift.  lie  Saint  -  Donilnguc  ,  1.  r. 

(n)  C'cd  ce  (iii'IIi.rrcr.i  die  riinpicmcnt, 
Cb.  X.  1,'Hillorieii  ilc  Saint-Domingue  pré- 
tend (]u'\\  ttoit  déjà  parti  pour  la  France. 

(  0)  Suivant  Tcrnand  Colomb;  &  Coloma, 
fuivant  Ilcrrci:'. 

( p)  On  nt)us  a  confcrvii  ces  deux  Monu- 
îiicns;  c'clt  ■  ;\  -  dire  ,  le  Traité  qu'IIcrrcra 
no'.iMm:  Capitulation ,  avec  fa  datte,  qui  cil 
!c  17  d'Avril  149a,  &  les  Lettres  datrées  le 
30  du  même  mois.  Gardons -nous  de  fup- 
jtimcr  deux  Picccs, <iui appartiennent  û  put- 


ticulic-remenc  à  riîifloire  des  Vo>ages. 

Le  Traité  contient,  i".  Que  L:urs  Ma- 
jellés  Catholiques  ,  comme  Seigneurs  dei 
Mers  Occidentales ,  créent ,  dès  à  préfent  ^ 
pour  toîljours,  Chrilloplie  Colomb  ,  leur 
Amiral  dans  toutes  les  Kles  &  'l'errcs  fermes 
qu'il  découvrira  &  qu'il  prendra  dans  les 
Mers,  pour  jouir  de  cette  dignité  pendant 
fa  vie,  «S:  la  faire  palTer ,  après  la  mort,  à 
fes  héritiers  &  fuccelTcurs,  de  l'un  à  l'autrt* 
perpétuellement,  avec  toutes  les  prééminen- 
ces &  prérogatives ,  dont  AlfonU'  Enrliiih-z, 


'•r 


I        PREMIERS     VOYAGES 

iHTBODuc-  Ces  fameux  A6les,  qui  dévoient  acquérir  à  rEfpagne  la  Souveraineté 

'*"^'''  d'un  nouveau  Monde,  rurcnt  fignés,  l'un  à  Santa -té  &  l'autre  à  Grena- 

Toutrecoii-  jg    j^jjj  jg  jgj^j  qyg  Leurs  Majeftés  Catholiques  venoient  d'achever  la 

î'nx  s  df  ruine  des  Maures ,  après  une  domination  de  huit  cens  ans.    Mais  obfer- 

cctlc  Courv)ii-  ^  -  VOns , 

Be. 


•,6 


Amirantc  àc  CaQillc ,  jouiflbit  dans  la  fien- 

ne. 

2".  Que  Leurs  Majellés  cré'-nt  Q-iriftophe 
Colomb  leur  Viceroi  &  Gouverneur  général 
dans  tous  les  mêmes  Lieux,  &  que,  pour  les 
Gouvernemens  particuliers ,  il  tcra  choix  de 
trois  fujcts^  entre  lefquels  Leurs  Majeftés  ff 
réfcrvcnt  le  droit  de  nommer. 

3».  Que  fur  toutes  les  Marchandifes,  de 
quelque  nature  qu'elles Ibyent,  perles,  pier- 
res précieufes ,  or,  argent,  épiceries,  aau 
très ,  qui  feront  apportées  des  limites  de  la 
nouvelle  Amîrauté,  l'Amiral  aura  un  dixiè- 
me ,  après  le  rembourfemcnt  des  fraix,  & 
que  les  neuf  autres  parties  feront  pour  Leurs 
Majeftés. 

4».  Que  tous  les  procès  &  différends, 
qui  pourroient  naître  au  fujet  des  Marchan- 
difes &  du  Commerce,  dans  l étendue  de  la 
Jurifdiétion  de  l'Amiral ,  feront  foumis  à  û 
décifion ,  ou  à  celle  de  fes  Licuttnans  en  fon 
nom,  comme  il  fe  pratiquoit  à  l'égard  de 
l'Amirante  de  Caftille. 

5".  Que  dans  tous  les  Navires ,  qui  feront 
armés  pour  le  Voyage  .  &  toutes  les  fois 
qu'on  en  armera  d'autres  ,  pour  le  même 
objet,  l'Amiral  pourra  contribuer  d'un  hui- 
tième à  tous  les  fraix  de  l'Armement,  dt  re- 
cevra aufli  la  huitième  partie  du  proiit  lltr- 
rera,  Liv.  i.  Chap.  y 

Le  Brevet  fe  trouve  dans  la  lie  de  Co- 
lomb, par  Rrnand  fon  Fils  ,  Liv  I.  Cbap.  43. 
Il  ell  dans  ci-s  ternus; 
„  Fernand  6c  Ifabel!c  ,  par  la  grâce  de 
Dieu  Roi  (S:  Reine  de  Cartille,  de  i.co', 
d'Arragon  ,de  Sicile,  de  Grenade  ,  de  To- 
lède, de  Valence,  de  Galice,  de  Maj.  r- 
que,  dcMinorque,  deSevillc,  de  Sardai- 
gne,  deCordoue,  de  Corfe ,  de  Murci., 
de  Jaën,  des  Al;;arvcs ,  de  Gibraltar,  tîc 
des  nies  Canaries ,  Comte  &  Comteffe  de 
Barcelone  ,  Seigneurs  de  Bifeaye  &  de 
Molena,  Ducs  d'Atliercs  &  de  Néopiurio, 
„  Comtes  de  Rouflillon  &  de  Sardaigne, 
,,  Marquis  d'Orillin  &  de  Gociado ,  &c. 
„  Puifque  vous,  Chriftophe  Colomb,  allc^, 
„  par  nôtre  commandement  ,  &  avec  nos 
,,  VailTcaux  &  nos  gens  â  la  conquête  des 
„  Iflcs  de  l'Océan,  que  voiis  avez  décou- 
,,  vertes.  &  coiDme  nous  cfpéTons  qu'avec 
„  l'aide  de  Dieu  vous  en  découvrirez  d'au- 
„  très,  il  eft  jufle  que  nous  vous  récompen- 
,,  lions  des  ftrviccs  que  vous  rendrez  à  nùtrc 


„  Etat:  Nous  voulons  donc  que  vous,Chri- 
,,  ftophc Colomb ,  vous  foyicz Amiral,  Gou- 
„  vcrncur  &  Viceroi  des  Ifles ,  &  de  la  Ter- 
„  re  ferme  découverte,  &  de  foutes  celles 
,,  que  vous  découvrirez;  que  vous  vous  ap- 
„  pelliez  Dom  Cbrijlopbe  Colomb;  que  vos 
„  Enfans  fuccèdent  à  toutes  vos  Charges; 
„  que  vous  puiflîcz  les  exercer  par  vous. 
„  ou  par  ceux  que  vous  choilirez  pour  être 
„  vos  Lieutenans;  que  vous  jugiez  toutes 
„  les  affaires  civiles  &  criminelles,  dont  la 
,,  connoiffance  appartient  A  a  appartenu  i 
„  nos  Vtcerois  &  â  nos  Amiraux  ,  &  que 
„  vous  ayiez  les  droits  &  les  prééminences 
„  des  Charges  que  nous  vous  aonnons.  Et 
„  par  ces  Préfentes,  Nous  commandonî  i 
„  nôtre  très  cher  Fils,  le  Prince  Dom  Juan, 
aux  Infans  ,  Ducs  .  Prélats  ,  Marquis , 
Grands  -  Maîtres ,  Princes  &  Conuncndeurs 
de  nos  Ordres  Militaires,  &  à  tous  ceux 
de  nôtre  Confeil,  &  Juges  en  quelque  Ju- 
ftice  que  ce  foit,  Cours  &  Chancelleries 
de  nôtre  Royaume,  aux  Châtelains,  Gou- 
verneurs des  Citadelles,  des  Places  for- 
tes, à  toutes  ks  Conimun.iutés .  Ji'gcs, 
OiBciers  de  la  Marine,  aux  vingt  qua- 
tre? Cavaliers  Jurés,  Ecuyers,  à  toutes  les 
Villes  &  Places  de  nôtre  Etat,  &  à  tous 
les  Peuples  que  vous  découvrirez  &  fub- 
j»:,Merez,  de  vous  reconnoUre,  commi." 
nous  vous  rcconnoiffons ,  pour  nôtre  Ami- 
jal,  vous  &  vos  enfans  en  ligne  droit:  i^ 
pour  toujours.  Ordotinons  à  tous  les  Of- 
ficiers ,  que  vous  établirez  ,  en  quelque 
Charge  que  ce  foit,  de  vous  faire  coiiier 
ver  vos  privilèges ,  immunités  .  honneurs, 
&  de  vous  faire  payer  les  droits  &  é  no- 
lumens  qui  font  dus  à  vos  Charités,  fan» 
permettre  que  pcrfonne  y  meltj  aucun 
obllacle  ;  uir  tellô  eft  nôtre  volonté. 
Nous  commandons  à  nôtre  Chancellier. 
&  autres  Officiers  de  nôtre  Sceau ,  d? 
vous  expédier  au  plutôt  nos  Lettres,  de 
,,  de  les  faire  aufli  amples  &  auifi  avania- 
„  gcufes  que  vous  le  louhaitere/. ,  à  peine 
>,  de  nôtre  difgracc  &  de  trente  ducnts  d'à- 
„  mende  contre  chacun  des  contrevenans. 
„  Donné  en  nôtre  Ville  de  Grenade  .  le  30 
,,  d'Avril  1492.  Moi  !e  Roi,  Moi  la  Rei- 
,.  ne.  Moi  Jean  de  CoIo.;na,  Secrétaire  du 
„  Roi  &  de  la  Reine,  ai  fait  expédier  les 
„  préfentes  Lettres  par  leur  conimandcineni". 
Fie  de  Cbrijîopbt  Cuimb,  'rom.  I.  Cbap  43. 


■  .<m 


«fmm. 


Vend 
drc  ai 


>uveraineté 
;  à  Grena- 
achever  la 
dais  obfcr- 
vons, 

e  vous ,  Chri- 
\miral,  Gou* 
&  de  la  Ter. 
foutes  celles 
'ous  vous  ap- 
nb;  que  vos 
os  Chargos  ; 
T  par  vous, 
'.z  pour  ùttc 
jugiez  toutes 
lies,  dont  la 

appartenu  à 
aux  ,  &  que 
jréémineiiccs 
lonnons.  Et 
muiandons  1 
eDom  Juan, 
,  Marquis , 
ominandcurs 
à  tous  ceux 

quelque  Ju- 
i^hancellerics 
clains,  Gou- 

Places  for- 
âtes. JiîgCS, 

vingt  -  qua- 
à  toutes  les 
t,  &  à  tous 
irez  &  l'ub- 
:re ,  coinmi- 
rnâtre  Ami- 
né droit-  i\: 
tous  les  Ui- 

en  queiquc 
faire  conlcr 
.  honneurs, 

D^tS    &  C  IlO- 

ïiarij;es,  fan» 
nettj  aucun 
re  volonté. 
Clianc'-'llier. 
Sceau ,  de 
Lettres,  & 
lUlfi  avant:i- 
:/  ,  à  peine 
ducnts  d'a- 
>ntrevenans. 
lade  .  le  30 
^loi  la  Rei- 
ïcretaire  du 
;X})édicr  les 
andcinent  ". 
/.  Cbap  43. 


^^^^IS» 


-^ .— -,«.  -«»  |*.w»«iWâ.o  pwui  uu  «II,  \x  ron  mit  a~JT  voit  C  un 

yerdredi  troificine  trAouc.     Dus  le  lendemain  ,  il  arriva  quelque  dcfor- 
dre  au  timon  de  la  PifUa,  Ck  Ton  en  loupçonna  ceux  à  qui  cetcc  Caravelle 
XI  m.  Part.  ]] 


JOJ.    16  0      ^çp       ,^.V       flY      pf>^     (m       flf      P,-i       /A'        fl'      p 

LotCisiIankI 


û       Hf,      tiH      A'^       fio'    >S[,;      8^      8j       8.'      Si 


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•  inMiiiBummii  ~  j^    "  liiiifminiriMii  iiiiniijiinurmTr 


10 j     J(\()    fli)      pH      (/f      p6'     0 


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KAART      vais      1)1        (iOl.F      VAT^     Mi:Xl(H^,l.1N     VAX     3^E    i\MElLI 


A'6'   iS,;     H^     ,<jy      fi.-     .9/     Ho     ~p      ~s'     ~Y      ^d    ^k      jv      7;i      ji      ri     ^0     ^      t>'8     J'y      o'f    ô f;      ô"^     r>j      ô 


•  IIIIIIIIMIIl 


ICI    1l\0       CIO      pS      py      ph*    pl^^       PI 


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('       <V,;      i'\- 


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""vertes.  S  cèmWPïïfitrrcTp ,  .,......, 

l'aido  lie  Dieu  vous  en  découvrirez  d'au 


,;  nw  WPfjean  oe  'aoionm ,  itcrctairc  du 
„  Roi  &  de   la  llc'nc.  ai  fait  expédi«.r  ici 


„  .^...v  ..^  ^.^«  ,^uo  <.,,  u^.i.uuviin;£  uiiu-  „  ivoi  a.  ae  la  kc  ne .  ai  lait  expéUur  Ici 
„  très,  il  elt  jiide  que  nous  vous  récompcn-  „  préfcntcs  Lettres  i^ar  leur  coaimandeineni". 
„  hoiîs  des  fervices  que  vous  rendrez  à  nôtre     Vit  de  Chrijlopbt  Cjiomb,  Tom.  l  Cbap  43. 


nBnçf 


y- 


J<' 


1... 


E    N      A    M    ?.    R    ï    Q    V.     n,   Li  v.   I.  9 

vons ,  avec  un  lli(li)ricn  ninJ^rnc  (7),  que  la  Couronne  d'Arragon  n'en- 
tra pour  rien  dans  cette  entreprife,  quoique  fout  parut  le  faire  c|^a!en.ent 
au  nom  du  Roi  &  de  la  Reine.  Comme  la  Callille  feule  en  fit  tous  les  fiaix  , 
le  nouveau  Monde  ne  fut  découvert  &  conquis  que  pour  elle;  &  p.ndinc 
toute  la  vie  d'ifabelle,  la  pernulVion  d'y  pafTer  &  de  s'y  établir  ne  fut  {;aè- 
res  accordée  qu'à  des  Caflillans:  ce  (jui  n'empêcha  point  que  le  Roi  ne  prit 
tous  les  honneurs  de  la  Souveraineté,  &  quelquefois  même  fans  y  join- 
dre le  nom  de  la  Reine  i.\c  Callillti  au  fien,  parce  qu'il  repréfentoit  ['un 
Epoufe. 

{q^  r,c  p.  do  Ch;'rL'Vo;x  ,  (ji'.i  a  t'ré,  ticr:;  ,  par  cette  raifon,  avec  lo  :\»;ii,  qu'i! 
Jaiis  10:1  llTlluirt'  de  Saint  l)i)iiiiii;;iie,  tovic  n'a  pas  tu,  de  citer  ie^;  jage^  de  1  Auteur 
ce  dctail    d  IlerreiM  ,    i^i   qu'on    fuit   \ulon-      l'ilpaî^nol. 


•i  1  0  ;>• 


C   du 

Vx  loi 
eut  '*. 

^43. 


CillfUToi'llt 
Coî.o.m;;. 

1492. 

I'rép:.r.ilif'^ 
de  loadepaîL. 


5.      I. 

Vrcnilcr  î'yyigc  dj  ChrJjh'fbc  Colomb. 

C'kst  de  ce  point  que  le  jour  commence  à  fe  répandre  fur  rililloire 
de  la  Découverte  Oîy;  de  la  Conquête  des  Indes  Occidentales,  ^  que 
{'ordre  des  années  va  former  une  méthode  certaine  pour  celui  des  évene- 
mens.  Colomb  reçut,  avant  l'on  départ  de  Grenade,  des  Lettres  Paten- 
tes qui  dévoient  le  faire  refpeéter  de  tous  les  Princes  du  Monde,  &  l'or- 
dre de  ne  point  approcher  de  cent  lieues  des  Conquêtes  du  Portugal.  En- 
fuite,  s'ctant  hâté  de  palHr  il  Cordouc,  pour  régler  les  alTaircs  de  fa  Fa- 
mille, il  n'eur  plus  d'autre  empreffement  que  de  ie  rendre  à  Palos,  où  les 
préparatifs  étoicnr  rli^ja  commences  pour  Ton  Armement.  Il  avoit  fait 
choix  de  ce  Port,  parce  qu'on  v  trouvoit  les  meilleurs  iMatelots  de  l'Etpa- 
gne.  Le  Père  Marchena  continuoit  de  le  fervir  avec  zèle,  &  lui  avoit 
déjà  fait  autant  d'Amis  qu'il  y  avoit  de  gens  de  Mer  î»  Palos.  On  compte 
particulièrement  dans  ce  nombre  les  trois  Pinçons,  Frères  ,  qui  pafToient 
pour  les  plus  riches  IlabitansvSc  les  plus  habiles  Navigateurs  du  Pays,  & 
qui  ne  firent  pas  dilliculté  d'engager  leurs  perfonnes  (it  une  partie  de  leur 
bien  dans  la  nouvelle  Expédition. 

La  Ville  de  Palos  étoit  alors  obligée  de  mettre  en  Mer,  pendant  trois 
mois  de  l'année,  deux  Caravelles  pour  la  garde  des  Cotes.  Les  Ilabitans 
eurent  ordre  de  les  donner  à  Chriflophe  Colomb.  Il  en  équipa  une  autre,  Quel  fm  !',;i 
qu'il  monta  lui- même,  Cs:  qu'il  nomma  la  Sainte -Marie.  La  première  des  Anneiiitr.t. 
deux  autres  étoit  la  l'in'a,  à  laquclJe  il  donna,  pour  Capitaine,  Martin 
Allbnfe  Pinçon;  &  pour  Pilote,  l'rançois- Martin  Pinçon,  ie  plus  jeune 
des  trois  Frères.  Vincent  Yanes  Pinçon  commanda  la  féconde  ,  qui  fe 
nommoit  la  Nina.  L'Equipage  île  ces  trois  A^ivires  n'étoit  compofé  que 
de  quatre  vingt- dix  hommes,  Mariniers  &  Volontaires,  les  uns  Amis 
de  l'Amiral,  d'autres  (jui  avoient  fervi  avec  honneur  dans  la  Maifon  du 
Roi.  On  embarqua  des  -provilions  pour  un  an,  &  l'on  mit  ix  la  voile  un 
Vendredi  troifiéme  d'Août.  Des  le  lendemain  ,  il  arriva  quelque  defor- 
drc  au  timon  de  la  Pinla,  <^  l'on  en  loupçonna  ceux  à  qui  cette  Caravelle 

A77/I.  Parr.  n  ap 


•^ 


ÏO 


PREMIERS      VOYAGES 


Cimi-TOP';r. 

COI.OMH. 


11  pnirc  aux 
r;inarios. 


Sa  nnv 
tion  d.;n^ 
rout 

rt'i'. 


une 


Ses  Obfcr- 
.■ations. 


apnartcnoic,  p:ircj  qu'ils  fui^'nJLiu  le  Vovai^j  courre  leur  inclination.  AI- 
fui)!'e  rin(,'(*n  répara  le  ma!  a\  .c  îles  coi\,jgcs,  qui  n'vinpéclicrtnt  poinc 
que  peu  de  jours  apie.  ,  un  coup  de  Mer  ne  detacluic  encore  le  tim  m. 
Cctre  dilgrace,  à  l'cturee  du  Von  ige  ,  eioit  capable  de  refroidir  les  Su- 
pcrllitieux.  Mais,  Colomb  les  ajfà.ic  raiiiniés,  on  arriva,  le  ii  d'/voiic, 
il  la  vue  de  i\  grande  dnarie.  On  y  tir  meure  un  nouveaa  timon  il  la 
rint;i  ;  6^  la  voile  Kuine  de  la  .\ina  l'ut  changée  en  voile  ronde,  pour  la  fa- 
cilite de  la  navij^arion.  On  p.utit  de  la  grande  Canaris-  le  j  de  Sepctnibre; 
*S:  i  uatre  jours  apvcs,  on  j^rta  l'une.e  ii  la  (ioniera,  où  l'on  prit  di.s  ra- 
iVaiehilleniens,  de  l\au  C\.  du  bois.  Sur  l'avis  que  Cu.'oinb  eut,  dans  cet- 
te Ilie,  que  le  Roi  de  Portui^al  ,  i',!di,j;né  de  l'on  acconiniodetjieuL  avec 
rKlpapjne,  avoit  armé  trois  Caravelles  pour  l'cnLve;,  il  le  hâta  de  remet- 
tre à  la  voile. 

Cl  fut  le  Jeudi,  7  du  nicmc  mo:.?,  qu'il  perdit  de  vue  !.i  terre  des  Ca- 
naries ,  en  gouvernant  vers  l'Oeci.Lnt,  ou  il  J'e  promettoi:  de  faire  I'ls  dé- 
couvciTes.  Quelques  uns  del'esg.ns,  elîVayés  de  le  voir  dans  une  .Mer 
inconr.iij,  leniirent  diminuer  leur  cjurage  ju'iju'à  s'abandonner  aux  fou- 
pirs  »^i  aux  larme?.  Il  kur  fit  hoir.e  de  Cwtie  tuibl.de,  &  tt)us  Ws  foins 
furent  employés  à  les  foutenir  par  de  magnifiques  el'peranees.  On  fit  dix- 
iiuit  ligues  avant  la  nuit.  Mais  Colomb  eut  ladrelle  de  cacher,  chaque 
jour,  une  partie  du  eliemin,  pour  ralilirer  ceux  (jui  eraignoient  de  s'éloi- 
gner trop  des  Cotes  d'Efpagne.  Le  ii,  a  Ceiit  cii'.quante  lieues  de  l'Ille 
de  l'er,  on  rencontra  un  mat  de  Navire,  qui  devoit  avuir  été  entraîné 
par  les  courans.  J5ieiitot  Culomb  s'appen;ut  (jue  les  cowrans  portoi^nt  au 
Nord  avec  beaucoup  de  force;  Oc  le  14  au  joir,  cinquante  licues  plus 
loin  à  l'Occident  ,  il  obfcrva  que  l'Aiguille  declinoit  d'un  degré  vers  le 
Nord-Oucli  Le  lendemain,  cette  dtclinailon  etuic  augmentée  d'un  demi 
degré;  mais  elle  varia  beaucoup  IlS  j(jurs  luivans,  (iic  1  Amiral  fut  (lirpris 
lui-même,  d'un  phénomène  (jui  n'avoit  point  tneure  été  remarque.  Le 
15,  à  trois  cns  lieues  (u)  de  l'Iile  de  Ter,  on  vit  tomber  dans  les  Ilots, 
pendant  la  nuit  &.  dans  un  tems  f^rt  calme,  une  grande  llamme  au  Sud- 
Ell,  à  la  diltance  de  quatre  ou  cinq  lieues  des  VaiUlaux.  L  ICquipage  de 
la  \'nu  vit,  avant  le  jour  ,  un  oi:'eau  ,  qui  fut  nomme  J\ato  de  ,7:i>uo,  c  ell- 
à-dire,  Oijeue  de  jonc,  parce  qu'il  avoit  la  (jueue  longue,  vS:  fort  menue. 
Le  lendemain,  on  fut  beaucoup  plus  eiVraye  d'appi. recevoir,  fur  la  furface 
de  l'eau,  des  henes,  dont  la  couLur  etoic  mciee  de  verd  &  de  jaune,  & 
qui  paroiflbient  nouvellement  détachées  de  quelcjue  Ille  ou  de  quelque  Ko- 
che.  On  en  découvrit  beaucoup  davantage  le  jour  d'après;  Oi  la  vue  d'u- 
ne petite  langoufle  vive,  qu'on  remarqua  dans  ces  herbes,  fit  juger  que 
la  'l'erre  ne  pouvoit  être  éloignée.  D'autres  s'imaginèrent  qu'on  etoit  pro- 
che de  quelques  Rochers  dangereux,  ou  llir  quelques  Terres  fubmergees. 
Cetfe  idée  fit  renaître  la  frayeur  ^  ks  murmures.  On  obferva  d'ailleurs 
que  l'ean  de  la  Mer  étoit  la  moitié  moins  falée.  Pendant  la  nuit  fuivantc , 
quantité  de  Tons  s'approchèrent  h  près  des  Caravelles  ,  que  T Equipage  de- 
là Nina  en  prit  un.     L'air  étoit  i\  tempéré ,  qu'il  ne  paroilîoit  pas  diiVe- 

leut 
(1)  On  lit  ici  feulement  mù  lieues  dans  rEdition  de  Paris.  R,  d.  E. 


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1 1 


1492. 
Divers  û^'K». 


rcnt  de  celui  irAndiloiiHc  au  mois  d'Avril.  A  trois  cens  fuixaritc  &  dix  ^'''-'•t"'^""'! 
lieues  OlicÎl  (/;)  de  l'Ille  de  l'er,  011  \\t  tncurc  un  Rabo  de  junco.  \.c  '-"-•■•'•'• 
Mardi,  i)'.  de  Septembre,  Aironll  l'in.oii,  qui  s'ccoit  avancé  avec  la  Ca- 
ravelle, aLtLii>iit  l'Amiral,  pour  lui  dlr^',  qu'il  avoir,  vu  quantité  d'(.ircaux 
qui  tiroicnt  vers  l'Oceideiiti  d'où  il  concluoit  que  la 'l'crre  ne  pouvoit  pas 
être  à  plus  de  quin/.c  lieues.  Il  s'inia^^iiia  même  l'avoir  apperyue  dans  cet 
éloignemenr.  Mais  Colomb  l'allura  qu'il  le  trompuit,  oc  que  ce  qu'il  prc- 
noit  pour  la  Terre  n'etoit  qu'un  gr<js  nuage,  (jui  ne  fut  pas,  en  cilet , 
long  tems  à  le  dilliper.  Le  v^nt  étoit  frais.  On  avan<;oi!:  depuis  dix  jours 
à  pleines  voiles.  1/éconnement  de  n'avoir, depuis  11  long  tems,  que  la  vue 
du  ciel  ^bL  de  l'eau  ,  faiîoit  renouveller  à  tous  momens  les  i^IainLcs.  J/A- 
miral ,  l'e  contentant  d'oblerver  tous  les  lignes,  avoit  toujours  l'AllruIabc 
devant  lui  viL  la  IbnJe  a  la  main.  Le  i<;,  on  vit  un  de  ces  oileaux,  que 
les  Portugais  ont  nommés  yl.'catrns;  CL  vers  le  loir,  pluli^urs  autres  vin- 
rent voliigi^r  autour  des  Caravelles.  (.Jii  fut  confoié  par  un  li  bon  ligne; 
&  dans  l'opinion  que  la  Terre  ne  pouvoit  être  fort  loin,  on  jetta  la  ioti- 
de,  avec  toute  la  j(jye  d'une  vive  efperance.  Mais  deux  cens  bialles  de 
corde  ne  firent  pas  trouver  de  fond.  On  reconnut  que  les  Courans  alloient 
au  Sud-Ell.  Le  20,  deux  Alcatras  s'approchèrent  de  la  Caravelle  de  l'A- 
miral. On  prit,  vers  la  nuit,  un  oiieau  noir,  qui  avoit  la  tête  marquée 
d'une  t;iclie  blanche  Ck  les  pieds  d'un  Canard.  On  vit  quantité  de  nouvel- 
les herbes;  mais  après  les  avoir  pallees  fans  aucun  danger,  les  plus  timi- 
des commencèrent  à  le  rallurer  contre  cette  crainte.  Le  lendemain,  trois 
petits  oileaux  firent  entendre  leur  ramage  autour  des  Vailleaux,  &  ne  cc\- 
ierent  point  de  chanter  juliqu'au  loir.  (Quelle  apparence  qu'ils  fufTent  ca- 
pables d'un  long  vol?  On  fut  porté  à  le  perfuader  qu'ils  ne  pouvoient  être 
partis  de  bien  loin.  L'herbe  devenoit  plus  épailfe  ,  &  le  trouvoif  mêlée  de 
limon.  Si  c'ctoit  un  Injet  d'iiujuictud».  pour  la  fùrrré  des  Caravelles,  qui 
en  étoient  (pielquefois  arrêtées,  on  concluoit  du  moins  qu'on  approchoit 
de  la  Terre.  Le  21  ,  on  vit  une  Baleine;  6i  le  jour  luivant,  quelques  oi- 
feaux.  Tendant  trois  autres  jours,  un  vent  de  Sud-Ell  caula  beaucoup 
de  chagrin  à  l'Amiral.  Il  afùcta  néanmoins  de  s'en  applaudir,  comme  d'u- 
ne faveur  du  ciel.  Ces  petits  artifices  étoient  continuellement  necellaires, 
pour  calmer  l'efprit  de  les  gens,  dont  la  confiance  diminuoit  tous  les  jours 
pour  Tes  promelles.  Heureulemcnt,  il  s'éleva  le  23  ,  un  vent  d'Ell-Nord- 
Ell,  qui  les  remit  dans  la  route  (ju'il  vouloit  fuivre.  On  continua  de  voir 
plulleurs  oileaux  de  dilîerentes  efpèces,  Ck  même  des  'l'ourterelles,  qui 
venoicnt  de  l'Occident  (c). 

Cependant  la  navigation  avoit  duré  trois  femaincs  ;  &  ks  apparences 
n'étant  pas  changées  ,  on  ne  le  croyoit  pas  plus  avancé  que  le  premier 
jour.  Cette  reilcxion,  joint  à  la  crainte  qu'un  vent,  ([ui  avoit  toujours  été 
fa\-orable  pour  aller  à  FOuefl,  ne  rendit  le  retour  impollible  en  Elpagne , 
produillt  tout  d'un  coup  une  révolution  furprenante.  La  plupan.  furent 
pénétrés  de  trayeur,  en  conlideiant  qu'ils  étoient  au  milieu  d'un  abîme  fans 

fond 


Frayeur  & 

iiuitiiicriL'i.lws 
Kijuijuigcs. 


(t)  A  VEjl  l'uivanc  ia  luciiic  iùIiLoii.  R. 
il.  K. 


(r)  Ilcvrciu,  Liv.  I.  Chap.  9.  ij'  ]'■ 


i\    2 


y 


I'    i:    M    i    i:    R    s      \'    O    V    A    G    !•     s 


Ciiv-io;-.!'' 

14:;:. 


l\>rcid\l 
prit  il.  Co- 


Autres  n^n^-i 
(jni  le  UMii-  • 
\ir.t  tro.ii- 
j'Ciirs. 


On  ne  s'ac- 
corde point 
itir  l'ctat  de- 
là route. 


fonj  &.  fans  bornas,  t-u'ijours  piL-t  il  L'S  cnglouiir.     Une  idée  fi  terrible  agit 
avt/o  tant  dv' force,  quj  s'ctJtit  rcpanJue  dans  les  trois  l'..jiii;vigcs,  on  ne 
r  tria  plus  i|ue  de  reprendre  ;uiÛi-io:  la  route  de  IKinope.     \/d  Cour,  di. 
l'oicMt  les  plus  moJcics,  ne  pouvoit  s\)lHn!er,  liu'apres  avoir  pene.re  plus 
loin  (  ii'on  n..'  lavoir  jîmal.s  l'aie  avant  eux,  refij^-ranee  leur  luc  uianipie  plu- 
tôt que  le  courr.^V-,  *>^  qu'iiS  eiilllnt  rd'ule  de  iVrvir  à  la  Toile  ambition  d'un 
y\vanrurier  qui  r/avoit  nen  a  p^rviu;.     D'autres,  s'eniportèr^iit  julqu'a  pro- 
p'jfer  Iiauienient  de  je!  ter  cet  lûran:!,.T  d.ms  les  îlots,  i>';  de  dwe  en  l';r|).ignc 
qu'il  y  é:oit  ttiinbe  par  mallutu',  en  obiervant  l'.s  Alhes  {/!).     I. 'Amiral 
ccmnVii  la  {grandeur  du  p.ril.     Mais  loin  dtn  être  abbatcu,  il  r.ippclla  tou- 
te (a  grandeur  d'anie  pour  conlerver  un  vilaine  tranquille;  ^ïc  feignant  de  ne 
ri. n  entendre ,"11  employuit  tantôt  les  carelfcs  v\:  les  exhortations,  tantôt 
des  rai!'onnemens  fpéeieux  «S:  des  erperauees  leduiîantes,  taniot  U  menaee, 
«Si  l'autorité  du  lloi  dont  il  é'.oii  rtvetu.     l.f  Mardi  25,  à  la  fin  du  jour, 
rip<;"n  s  eeria,  Trrc,'l\rre,  &  fit  remarquer  en  tHet,  ù  plus  de  vint^t  lieues 
aUv^udlCil,  une  épailleur  qui  avoit  lapparL.nee  d'une  Itle.     Cet  avis,  qui 
n'et  »it  (ju'une  invention  coneortce  avee  l'Amiral,  eut  la  forée  de  calmer  les 
Mu'ins.     Leur  joye  devint  livive,  iju'ils  rendirent  a  Dieu  des  ç;raees  Ib- 
Lmnclles;  Ci',  poîir  les  foutenir  daiis  cette  dilpolltion,  Colomb  lit  gouver- 
ner du  même  coté  pendant  toute  la  nui-;.  Ils  furent  détrompas  le  lendemain, 
en  reeonnoillant  qu'on  n'avoit  vu  que  d.'s  nuages;  mais  les  lignes,  qui  re- 
parurent heureiireinent  à  l'Ouell,  lei:r  firent  reprendre   cette  route' avec 
moins  d'inquiétude.     Les   oifeaux  vX  les   poilluns  ne  Celloient  plus  de  fc 
préfentcr  en  grand  nombre.     On  vit  des  poillons  ailes,  tels  que  les  l'ortu- 
gciis  en  renc(»ntroient  fouvent  dans  leur  route  aux  Indes  Orientales,  des 
Dorades,  des  Lmpereiirs,  (S:  l'on  reconnut  que  la  violence  drs  courans  é- 
toit  fort  diminuée.     Colomb  fe  fortiiioit  luinieme  par  tous  ces  lignes,    & 
n'apporioit  jas  moinb  d'attention  à  ceux  du  Ciel.     Il  obferva  que  [)endanc 
la  nuit,  l'.Aiguille  varioit  dtr  plus  d'un  quart  du  cercle,  &  que  le  jt)ur  ella 
demeiiroit  fixe  ati  JXord.     i^cs  deux  étoiles,  qu'on  iu)mme   les  GjnIcs  (e)  ^ 
étoient  enfemble  à  l'Occident  pendant  la  nuit;  e\:  lorfque  le  jour  commen- 
^•oit  à  paroitre,  elles  fe  rencontroient  au  Nord  Kll.  Il  cxpliqtioit  toutes  ces 
apparences  aux  Pilotes,  qui  en  marquoient  autant  de  crainte  que  d'etonne- 
ment;  Ck.  la  confiance,  qu'il  trouvoit  le  moyen  de  leur  infpirer,   fc  commii- 
iiiquoit  aux  Equipages. 

Le  premier  d'Oclobre,  un  Pilote  jugea  qu'on  étoit  à  cinq  cens  qua- 
tre-vingt-huit lieues  des  Canaries;  un  autre,  qu'il  y  en  avoit  fix  cens 
trente  quatre,  &  le  troifieme  ,  qu'on  n'en  avoit  pas  fait  moins  de  llx 
cens  cinquante.  Colomb  eioit  fur  d'en  avoir  fait  fept  cens  fept;  mais, 
pour  éloigner  tout  ce  qui  étoit  capable  de  caulér  de  l'elFroi,  il  all'ura  froide- 
ment que  fuivant  fon  calcul,  il  y  en  avoit  cinq  cens  quatre-vingt-quatre. 
Chaque  jour  de  la  femaine  oifrit  de  nouveaux  fignes.  Le  7 ,  au  lever  du 
Soleil,  on  crut  voir  une  'l'erré;  &  la  petite  Caravelle,  qui  s'étoit  plus  a- 
vancée  que  les  autres,  tira  un  coup  de  canon,  avec  d'autres  marques  de 

joye. 

(d)  Ilcrrcra,  Chap,  10.  Fernand  Culomb.  (O  I/js  Efpagiiols  les  noimucnt  /;y;M  js 
""«»•  19.  la  liuziiia. 


I 


E     X       A     M     !■:     H     I 


u  i:,   î. 


ï3 


joyc.  Maison  reconnut  cn^'orc  que  c'ctuit  iitiL-  crrciii',  c^.uIlc  pir  ';•.;>. !• 
qucs  nur.^cs.  Ia'S  nuiriiuii\s  «X:  I.i  iniuiiv.'iic  rLConini'.îiccrcnt:.  LWr.ili'al  (l* 
vit  plus  en  diinji;ci*quc  jamais,  par  le  clclllpdir  c!c  ceux  ù  (jui  ks  horreurs 
d'une  mort  proeluiine,  (pii  leur  parMillnit  inévitable  p.ir  la  taim  ou  le  n  lu- 
fraise,  laifoienr  c-iihlirr  les  l(»i\  de  l'Iionneur  <!!v:  de  leur  ci'i; t;^.menr.  I.'.s 
Pinsons  numes  ne  firent  pas  dilliculte  dt'  le  déclarer  pour  i.s  Alutins.  J'in- 
fin  la  révolte  devint  li  générale,  que  n'elperant  plus  rien  de  la  leveriié  )ii 
de  la  douceur,  C'cjl'imb  prit  le  parti  de  l'aire,  aux  plus  f'jricux  ,  une  propo- 
fitiun  ipii  liHp  ndit  aulli  tut  leurs  emporte:nen«.  Il  leur  promit  ([i:e  li  dans 
trois  jours  la 'l'uTe  ne  paroilloit  point  (/) ,  il  rcconnojtroit  (ju'il  Ls  avoit 
trompés,  àc  qu'il  s'abandonneroit  voluniairemLiit  à  leur  vengeance.  Cette 
dcchuation  les  toucha:  mais  ils  jurèrent  aufli  que  s'ils  ne  voyoienL  rien  de 
certain  après  les  trois  jours,  ils  reprendroieni  la  route  de  l'ICurope.  On  a 
toujours  été  perluade  cjuil  avoit  couru  peu  de  rifque  à  prendre  un  terme  fi 
court.  Depuis  (jiielque  teins,  il  trouvoit  fond  avec  la  l'onde;  ei  la  qualité 
du  f.ible,  ou  de  la  vale,  devoit  lui  Taire  juger  qu'il  approchoit  réellemenî: 
de  la  Terre.  On  n  .•  pjut  douter  non  plus  qu'il  ne  l'cOt  découverte  plutôt, 
s'il  eut  tourné  au  Midi,  vers  lequel  tous  les  petits  oifeaux  qu'il  a\oit  vûi 
prenoient  leur  vol.  On  contliuioit  iWn  appercevoir  de  nouvelles  troupes, 
dont  le  ramage  le  laifoit  enteuvlre.  On  dillinguoit  leur  couleur.  Les  'l'ons 
étoient  en  plus  giaïul  nombre.  Mais  les  deu.\  jours  luivans  ollVirent  des 
figues  d'une  autre  nuure.  (|ui  ne  purent  manquer  de  rendre  le  courage  aux 
plui  timiJes.  Les  Matelots  de  l'Amiral  virent  palier  un  gros  puillbn  \\\\\ , 
de  l'efjièce  de  ceux  qui  ne  s'éloignent  jamais  des  rociicrs.  Ceux  i\eh  l'iuta 
virent  llotter  une  canne,  Ira'ichement  coupée,  Oîs:  prirent  un  morceau  de 
bois  travaillé,  avec  un  tas  d'herbes ,  qui  paroilloient  ariachées  depuis  peu 
de  tcms,  ilu  boni  de  quelque  l<.i\'ière.  Clux  de  la  i\iihi  virent  une  brar.chc 
d'épine,  avec  Ion  Iruit.  On  refpiroit  im  air  plus  (rais;  eS:  ce  (]ui  lit  encore 
plus  d'iinprelVion  fur  un  Navigateur  tel  que  Colomb,  les  veiits  etoient  iné- 
gaux &  changeoient  l'ouvent  pendant  la  nuit;  ce  (jui  devoit  lui  faire  juger 
qu'ils  coiTunen(,-oicnt  à  ven;r  de  'l'erre.  Au;fi  n'atcendit-il  pas  que  le  troi- 
liL'iMc  j"ur  fut  piiTe,  \vn\r  tieclarer  ()ue  Cette  nuit  même  il  comptoit  devoir 
Ja  Terre.  11  ordonna  de^  prières  publique.s,  après  avoir  recouunandé  aux 
Pilotes  d'être  fur  leurs  gardes;  il  vou.uc  ijue  toutes  les  voiles  fulfent  car- 
guées,  a  l'exception  d'une  trinquette  balle;  Olic  dans  la  crainte  que  les  Ca- 
ravelles ne  fulTent  féparées  par  un  ccnip  de  vent,  il  donna  dts  lignaux  pour 
i"e  reunir.  Kufin,  il  promit  qu'à  la  recompenfe  ordonnée  par  Leurs  Ma- 
jelles  Catholiques  (g),  pour  celui  qui  verroit  le  premier  h  Terre,  il  juin- 
droit  une  Mante  de  velours. 

Vkrs  uix  heures  du  foir,  le  trouvant  lui  même  dans  le  château  de  poupe, 
il  découvrit  une  lumière.  AuiVi-tot  il  fit  app-jHer  fecrettemcnt  Pierre  Gittie- 
rcz  {!))  ancien  Valet  de  Garderobbe  de  la  Reine,  qui  crut  la  voir  comme 

lui. 


Ci:"r.Tvr:;r. 

CkI.uMI. 

I  1  9'.;. 

Ni.iUM.'n:x 
iniix'rii'iiuii-, 
il  >  Mut. 11-. 


O'niii.cnt 

CDii.ll!!)  It- 


les  (.om'o'ici.t. 


Rc-coinpeiMo 
proiiiilea  ce- 
lui qui  li-'c  11- 
vriroit  ls 
terre. 


if)  Ovit\!o,    Cbai>.   5. 
(  ;t  ;  C'tHoit  Ht  lifiix   iiiil'o    M.iravcdis  do 
Kntc,  qui  lont  tiiviron  lia  t  cens   livres   de 


iiAtre  nionnoyc  d'au'ourd'luii.     Trentcdcur. 
Maravidis  font  cinq  fous   d'Kipagnc. 

(  h  )  EJcohedo  ,    fuivaiit  Ovicdo      Gomcra 
fait  ce  rCcit  fort  diirtïcii.incnt,0(ip.  lû. 


u 


PRE     M     I     I'     ^ 


5 


V    0    Y     A    G    F.    S 


'CllMITOi'lir. 

COLOM  ^ 

Coinnu'nt 

vu-. 


Muiv.nciir 
^  le  prix  cil 
fint  tkfcic!)  .i 
CjIo.i;!). 


iniiirit.'uxi]u';l 
■4.  :i  fouiVrir. 


11  iio:iimo 

Il  prwiiiicrc 

Sun- Salvador, 


Circ>i!i(h.i- 
CCS  lie  lu;i  liv.'- 
baniuciujiu. 


Infii''-.irc5 
qu'il  arrctc, 


lui  Ils  iippcllcrcnt  cnfcmblc  Rodrigue  Sakab,  Contrôleur  Militaire  de  \9. 
l'-loLtc  qui  ne  la  dillingiia  pis  tout  d'un  coup;  mai?i  bien-t(.t,  i  virent 
tous  trois  que  cette  lumière  changeait  de  place,  avec  ceux  cjui  la  porcoic-tjt, 
apnu-tmment,  d'une  maiton  a  l'autre.  i\  deux  heures  après  minuit,  les 
M'itelots  d-  la  /'/';;M,  qui  avoit  pris  le  devant,  crièrent  lorc.  Une,  Çk 
donnèrent  thuures  lignes.  Ils  avoicnt  découvert  en  etkt  la  Cote,  dont  ils 
necoicnt  qu'à  deux  lieues.  Le  premier  qui  l'apperçut,  nomme  Uodrigue 
TiUna,  crut  la  fortune  alUiree;  mais  fur  le  témoignage  de  C-utticrc/,  Ci:  de 
Salccdo,  les  dix  mille  Maravulis  lurent  a>ijugés  a  Colomb,  auquel  ils  tu- 
rent payes,  pendant  toute  la  vie,  lur  les  liuuclierics  de  Seviile  (;). 

Lks  premiLTi  ravons  du  jour  lireiit  reconnuître  une  Ille,  longue  d  envi- 
ron vingt  lieues,  pîatte  cS:  remplie  d'herbes.  La  l'hita,  tjui  avoit  continue 
d'avancer  la  première,  attendit  les  deux  autres  CaravtlLs;  e\:  tous  les  E- 
quipaj;-s  le  jetiant  à  genoux  devant  Colomb,  répareront,  par  des  traniports 
d'admiration  cv  de  reipeei,  les  chagrins  qu'ils  lui  avoieiit  cauks.  Cet  Ltran- 
ger,  qu'ils  avoient  traite  avec  tant  de  mépris,  devint  à  leurs  yeux  k  plus 
grand  de  tous  les  hommes;  vSc  les  excès  de  Lur  joye  furent  portes  jultiu'ù 
ladoration.  Malgré  la  force  d'el'prit  êx  la  conllanee  dont  on  lui  a  laii  hon- 
neur, fur  la  foi  de  tous  les  1  lilloriens,  obferv.ins,  avec  quelques  uns  d'en- 
tr'eux  ,  que  dans  un  procès  qu'il  eut  à  foutenir  en  Klpagne,  pour  les  droits 
contre  le  File  Roval ,  on  lui  reprocha  qu'ayant  ete  r.bute  par  l'incertitude 
«i^:  L-s  fatigues  de  la  première  Kxpedition,  il  avoit  voulu  retourner  en  Ki'pa- 
gn:,  »5c  que  les  truis  Pini;ons  l'avoient  forée  de  continuer  la  route.  Mais 
les  J'Jinvinis  nvjuies  inllllerent  peu  fur  cette  ridicule  aceufation  (  O- 

Avec  l'autorité  de  Viceroi,  dont  il  cntroit  en  exercice,  il  donna,  fur  le 
champ,  à  rille,  le  nom  de6'j;j-6'rt.W/(/r,  ([u'clle  n'a  pas  confervé.  Ln  con- 
tiniiant  d'approcliLT,  on  vit  bien-tôt  le  rivage  borpé  d'hommes  nuds,  qui 
dunnèrcntde  granJ.ii  luaiques  d'etonnement.  On  fut  informé,  dans  la  fui- 
te, qu'ils  avoient  pris  les  trois  Caravelles  pour  des  animaux.  L'Amiral  le 
fil  conduire  à  'l'erré  dans  une  lîarque  armée  ,  l'épee  à  la  main  èi:  l'etendart 
déployé.  Les  Commandans  des  deux  Caravelles  fuivirent  l'on  exemple, 
avec  leurs  Enfe'gnes,  fur  lelquelles  on  voyoit  d'un  ecjte  une  Croix  verte 
avec  une  K,  Os:  de  l'autre  plulicurs  FF  couronnées,  à  l'honneur  de  Ferdi- 
nand. 'J'ous  les  Equipages,  s'etant  emprelfes  à  debartjuer,  bailerent  luim- 
bLment  la  Terre,  &  rendirent  grâces  au  Ciel  du  fueees  de  leur  Voyage. 
Chacun  renotivella  aux  pieds  de  Colomb,  les  témoignages  de  fa  reconnoif- 
i'ance  es:  de  fa  fouminion  ,  en  lui  preianc  ferment  de  fidélité,  fous  le  double 
titre  de  X'ic^roi  kï^:  d'Amiral.  JCnfuite,  après  avoir  planté  une  Croix  fur  le 
rivage,  il  prit  pnli'jUion  de  rille  pour  la  Callille,  au  nom  de  Leurs Majelles 
Catiioli.jues;  CîC  ler,  armes  de  cette  Couronne  furent  gravées  fur  la  Croix. 
Les  liifu.'aires,  observant  cju'on  ecrivoit  dans  cette  cérémonie,  s'imaginè- 
rent qu'on  jettoit  queKiue  fort  fur  eux  Cs:  fur  leur  ille.  Ils  prirent  la  fuite 
avec  une  vive  frayeur.  L'Amiral  les  fit  fuivre.  Un  en  arrêta  quelques- 
uns, 

(i)  On  raconte  que  Triana,  dcfcliiort;  de     patTu  dans  \a.  ùiitc  en  Afrique  &  fc  fit  Malio- 
pcrdrc  la  récoinpcnfc  qu'il  cro/OiC  mériter,     nicuui      Ihnzurii,  I.'i   i   Lbaf>.  6. 

{k)  UvicJo  i!a  IVrnaiid  Colutub. 


-     I     .1      il'      M     li-     :     '     'II!-"'-"-     M.IMMIIMM      Il 1 

-iiiiliilJllil[i:liuMi[i[lii[iii.yi!i^^^ 


KKJ^STi:  Jn1)Iaani:rs  du:  zic,  ^^^  ('oLoMH  vkiv'Toonkn 


qii  ils 

fuhiire^ 

iciui^^'i 

&du 

l(.iir  U! 

terre 

prix  c; 

rare, 

kxs  ai 

l'or. 

côté  d 

L'Aiu 

trc  aif 

trauv. 

Vaiir. 

Canoi 


(i) 


EN      AMERIQUE,    L  i  v.    I. 


iS 


3' 


uns,  qui  furent  combles  de  carcfT  s  C<.  île  prefcns,  t-:  (;  'i  enreiu  aufîitoc  la 
liberté  de  joindre  leurs  Coinpaf^non:,.  Ctrc  conduite  ics  rendit  extrcmi;- 
ment  famdiL-rs.  Us  s'apprc^-diercnt  des  Caravelles,  les  uns  à  la  nago,  d'a.i- 
tres  dans  leurs  Ikrcjucs ,  auxquclks  ils  ilonnoicnt  le  nom  de  Cannas.  F.eurs 
cheveux  écoient  noirs  &  épais,  liés  autour  de  la  tète  en  manière  de  trcill,-, 
avec  un  cordon.  Quelques  uns  les  portoicnt  lloitans  fur  leurs  épaules;  la 
plupart  avoient  la  taille  dégagée,  les  traits  du  vifage  allez  agréa[)!es,  le 
front  large  ^i  le  teint  couleiu-  d'olive.  Ils  étoicnt  peints  d'une  manière  ei- 
zarre,  les  uns  au  vifage,  d'autres  aux  yeux  6l  au  ne/-  feulement,  &  quel- 
ques-uns par  tout  le  corps,  'lundis  que  les  Caflillans  admiroieni  leur  iit^a- 
re,  ces  Barbares  n'étoient  pas  moins  étonnes  de  voir  des  hoinmes  véuis, 
avec  une  longue  barbe.  Ils  cunnoillbient  11  peu  le  fer,  (jue  voyant,  pour 
la  première  fois,  des  armes  de  ce  métal,  ils  prépaient  un  labre  par  le  tran- 
chant, Os:  fe  fiilbient  des  bledlires  dont  ils  paroillbieiit  furpris.  Leurs  ja- 
velines Ltoient  d'un  bois  endurci  au  feu,  avec  une  pointe  aiiuië,  allez  pro- 
prement armée  d'une  dent  de  poillun.  Leurs  Barques,  ou  leurs  Caïuits, 
n'étoient  cjue  t-ies  troncs  d'arbres  creules,  dont  les  uns  ne  pou\-oient  porter 
u'un  homme  ,  &  d  autres  en  contenoient  près  de  cinquante.  Ils  les  con- 
uilbient  avec  une  feule  rame  tn  fjrme  de  pelle;  &  les  plus  grandes  é- 
toient  fi  I.geres,  que  lorfqu'elles  le  renverfoienc,  ils  les  redreflbient  dans 
un  inrtant,  ils  les  vuidoienit  (.n  nageant  près  du  bord;  &  s'y  repla(;ant  avec 
une  extrême  agilité,  ils  recommiufoient  à  voguer,  fans  aucune  marque 
d'embarras  ou  de  crainte.  Les  moindres  prcfens  leur  paruillbient  précieux. 
Enfin,  riile  avoit  de  l'eau,  des  arbres  ik  des  plantes;  mais  on  n'y  apper- 
çut  point  d'autres  animaux  que  des  l'errotjuets. 

Di:s  le  même  jour,  I  Amiral  fjt  rembarquer  tous  Tes  gens,  &  quantité  de 
Sauvages  le  fuivirent  abord.  En  les  interrogeant  à  Ktilir,  par  des  lignes 
qu'ils  entendirent  fdcilrMnent ,  on  apprit  d'eux  que  leur  Ille  fe  nommoit 
Gujnahjiii,  qu'elle  étoit  environnée  de  plufieurs  autres,  ^S:  que  tous  les  In- 
fulaires,  dont  elles  rioient  habitées,  prenoient  le  nom  de  Lucayos  ( /).  Le 
lendemain  on  les  vit  revenir  en  plus  grand  nombre,  avec  des  Perroquets 
&duco:on,  qu'ils  doniièrent  en  échange  pour  de  petites  fonnêttes  qu'on 
leur  attaciioit  aux  jambes  &  au  cou,  0^  pour  des  fragmens  de  vafes  de 
terre  ou  de  fayence.  \'ingt-cinq  livres  de  coton  ne  leur  paroilToit  p:;s  un 
prix  cxceùif  pour  un  morceau  de  verre.  Ils  n'avoi^nt  aucune  fjrte  de  [)a- 
rurc,  à  la  reierve  de  cjuelques  feuilles  jaimes,  qu'ils  portoient  comme  cail- 
lées au  bout  ilu  nez,  Ci  qu'on  ne  fut  pas  long-tems  à  reconnuitre  pour  de 
l'or.  On  leur  demanda  d'où  ils  tiroient  cet  ornement.  Ils  montrèrent  le 
côté  du  Sud,  en  faifant  entendre  (lu'il  s'y  tr>)U\uit  plulleurs  grandes  ilLs. 
L'Amiral  ne  balança  point  à  prendre  cette  route.  xMais  il  voulut  conn oî- 
tre  auparavant  le  relie  de  l'Ille.  En  rangeant  la  Côte  au  Nord  Ouell,  il 
trouva  une  efpece  de  Port,  dont  l'accès  lui  parut  facile  aux  plus  grands 
Vaiff.aux.  Les  inf>.;!aires  continuoient  de  le  fuivre,  par  terre  eS:  dms  leurs 
Canots.     Ils  appelloient  leurs  Compatriotes,  pour  venir  admirer  avec  eux 

une 

(  /  ■;  D-'-là  !c  nom  ilo  L'i:\iyes ,  qu'on  a  à  l'Oiicfl  d^'<:  grandes  AnUIIcs,  &  qui  le  tcr- 
tiniuic  à  louics  itt  Ul.b,  qui  l'ont  nu  Nurd&      miiiciît  au  Caiial  do  Eahau'.u. 


CfllUSTOI'HE 
tu  .CM  I. 

Leur  fltjiirc. 


Ixiir  ('to!;- 
ncinoiu  à  ia 
vue  des  Iva- 
ropcoiii. 


Ils  noni- 
nioiciu  !ciiv 
lll-  (u.i;:i. 
l;ai!i. 

I.unii'jrci 

tire  d'eux. 


lû' 


p    II    i:    U    1    E    R    s       V    O    Y    A    G    E    S 


CiiRî.'ToriiF. 

C'oi.OMf». 

149:. 


11  i!(J.:ouvrc 
piiilicuis  ;ui- 
nvs  \l].i,^ 

la  Co;)ccp- 
tiuii. 


Une  autre' 

l';.T!\IIK!iiH'. 

C>.  tiu'.l  y 


note»,  q^i'il 
iKin:n.^  l'.'a- 

ir.Lî  ù'/,rcr.n. 


*  '-T.:  !a;.i::i. 


une  race  d1iomir.cs  cxtr.iordinaircs  ;  &,  Icvan::  les  mains,  ils  mnntroiciu 
qu'ils  les  crovoicnt  clc!lvi]das  du  Ciel.  Dans  le  même  lieu,  les  trois  Ca- 
ravelles découvrirent  une  Prelqu'Ule,  qu'on  p.-.uvoit:  environner  d'eau  avec 
u:\  peu  de  travail,  c^  dont  on  auroit  pu  faire  une  Place  très  forte.  On  y 
vovoit  lix  maifons  &  quantité  d'arbres,  qui  fcmbloient  fervir  d'ornement 
à  quelques  Jardins.  Mais  l'Amiral,  penlant  à  cherclier  quelque  lieu,  d'où 
il  pût  tirer  des  rafraîchilllmcns,  renvoya  les  Sauvages  qui  l'avoient  fui- 
vi  (w)i  à  l'exception  de  fept,  (ju'il  emmena  pour  leur  apprendre  la  Lan- 
gue Çailillanc;  è^  le  15,  après  avoir  apperc;u  quantité  d'Illes,  vertes  *S: 
peuplées,  il  s'approcha  d'une  autre,  qu'il  nomma  la  Conception,  à  fept  lieues 
de  la  première.  Klle  lui  parut  .'i  mal  pourvue  de  vivres,  qu'il  ne  s'y  arrêta 
que  pour  y  pa.n'.r  la  nuit  à  l'ancre.  Mais  le  i"  ,  il  alla  faire  de  l'eau  dans 
une  truilîeine,  dont  les  hahitans  a\  oient  l'air  plus  civilife.  Les  femmes  y 
étoient  couvertes,  depuis  la  ceinture  jufqu'aux  genoux;  les  unes,  de  pièces 
de  coron,  les  autres  de  feuilles  d'arbreS.  Llle  rc^'ut  le  nom  de  bcinandine. 
Les  Callillans  virent  plulieurs  fortes  d'oifeaux,  la  plupart  diiFerens  de  ceux 
de  l'Europe;  des  PoiHbns  de  couleurs  dilTerentes  (Si  fort  vives;  d^s  Lézards 
d'une  grclLur  demefurée,  qui  leur  caulèrent  beaucoup  d'épouvante,  mais 
qu'ils  regrettèrent  de  n'avoir  pas  mieux  connus,  lorfquc  le  tems  leur  eut 
apjiris  que  la  chair  de  cette  elpècc  de  vSerpens  ell  une  excellente  nourritu- 
re {n)\  des  La;)ins  de  h  groileur  des  Rats,  &* quantité  de  Perroquets, 
mais  nul  animal  terr^flrc  dont  ils  pulient  fe  nourrir  avec  confiance.  Ce- 
pendant riile  olTroit  plus  de  maifons  qu  ils  n'en  avoient  encore  vu.  Llles 
étoient  en  forme  de  tentes  ,  avec  une  forte  de  portail,  couvert  de  bran- 
ches qui  les  garantiiloient  de  la  p!uye&  des  vents,  e!!^  plufieurs  tuvaux  pour 
le  palfage  de  la  fumée.  Il  n'y  avoit  point- d'autres  meub'es  (]uc  i\i.'S  u!len- 
e'iles  grolliers,  vS:  quelques  pièces  de  coton.  L. s  lits,  qui  fervoient  au  re- 
pos de  la  nuit,  étoient  une  forte  de  rets,  que  les  Indiens  nummuient  Ila- 
uuhs  (0),  fufpendus  à  deux  pcncaux.  On  y  vit  quelques  petits  chiens, 
muets.  Entre  les  Infulaires,  on  en  dillingua  un, qui  portoit  au  nez  une  pe- 
liie  pièce  d'or,  marquée  de  quelques  caractères ,  que  l'Amiral  prit  d'abord 
p.>ur  des  Lettres:  mais  il  apprit  enfuite  que  l'ufage  de  l'Ecriture  n'etoit  pas 
Connu  dans  les  Indes. 

Il  palïïi  de -là  dans  une  quatrième  Iile,  que  les  lîabitans  appeUoicnt 
Saamotn^  6c  qu'il  nomma  J.iU'lc.  Mais,  fe  reprochant  le  tems  qu'il  per- 
doit,  il  prit  fa  route  ii  l'E'.t  Sud-Ell.  Les  deux  jours  luivans  lui  firent  ap- 
percevoir,  du  Nord  au  Sud,  huit  nouvelles  iiies,  qui  furent  nommées  Ifles 
d'/Ircra,  parceque  les  Caravelles  y  trouvèrent  peu  de  fond.  Le  27  avant 
la  nuit,  il  découvrit  une  grande  Terre,  à  laquelle  il  cntendoit  donner  le 
nom  de  Cu'ui,  par  les  Indiens  qui  l'accompagnoienr  ;  jl  lui  donna  celui  de 
.7if:'î';.i,  qui  ne  s'eil  pas  mieux  coufervé  que  celui  de  im.andinc  qu'on  lui  a 
voulu  lubllituer,  ik  qui  n'a  pu  prévaloir  lur  celui  qu'elle  avoit  reyu  de  Ces 

llabj- 


_  lu     Ce;:  a  1  cr-.n-J  G-Io-t.:)  qu'on  s';;it.v  (  n)  On  les  r;o;r.r)c  Cumai  ou  Ignana  . 

Li^o  ICI.    Ikrr.ra  fa'.t  vilit^T  rui.;  p;  r  t.rri  a         (  0  ,1  C  c!i  d'au  «lu'un  a  pris  ce  nom ,  pour 

I  Aiu:rai;  mais  il  r\\\\  pas  vrailuinblabltMiu'il  ce  qu'un  nûinnic  vii'^:i:rcr.ic:;t  -m  Hrctnlf 
-:t  pu  fe  lier  !i  lu:  auASuuvaj^co. 


'•Pf*!'<!, 


s 

Hitroiciu 
ti')is  Ca- 
eau  avcc 
'.     On  y 
'rncment 
^•11,  d'où 
i^'nt  fui, 
-  la  Lan- 
i-trtcs  c\: 
-'pt  lieues 
y  arrêta 
l-'au  dans 
cm  m  es  y 
le  pièces 
'  nanditic. 
de  ceux 
I-è/.ards 
te,  mais 
leur  ei;t 
lourritu- 
rocjuets, 
:e.     Ce- 
I.     KiL-s 
.le  bran- 
uix  pour 
-'S  uîlen- 
')t  au  re- 
ient  /fa- 
chiens, 
une  pe- 
d'abord 
;toit  pas 

)énûient 
u'ii  per- 
rent  ap- 
ees  Ifies 
7  avant 
muLT  le 
c'ui  de 
n  lui  a 
1  de  Tes 
J  labj 


gnana  . 
Jiii,  j'our 


EN      A    i^.I    E    R    I    Q    U    r ,  L I  v.  J. 


17 


Habitans.  Le  28,  il  entra  dans  un  gv.inJ  Meuve,  qu'il  appe'Ia  S,in-Sa!v(i' 
dor.  Les  bois  y  ccoienc  fort  épais,  les  arbres  d'une  hauteur  extraordinaire, 
les  fruits  difleréns  des  nôtres ,  Ce  les  oifcaux  en  fort  î^rand  nombre.  V)q\.\x 
maifons,  qu'on  v  apperçut  &  qu'il  lît  viliter,  fe  trouvèrent  lans  I  laLitans. 
Il  s'avança  vers  ;  .  autre  l'Icuvc,  auquel  il  donna  le  nom  de  Luna\  &,  plus 
loin,  il  entra  dans  un  autre,  qui  fut  nommé  Mares.  Les  rives  en  parurent  Ilk. 
fort  peuplées:  mais  la  vue  des  trois  Caravelles  fit  prendre  audi  tut  la  fuite 
aux  Indiens.  Ceux  que  l'Amiral  avoit  à  bord  lui  firent  entendre  qu'il  trou- 
veroit  de  l'or  dans  cette  llle,  ik  plufieurs  apparences  fembloient  confirmer 
leur  témoignage.  11  ne  permit  point  à  les  gens  de  defcenJre,  dans  la  crainte 
d'allarmer  trop  les  Inlulaircs:  mais  ayant  eholfi  deux  hommes  intelligensQj), 
dont  l'un  avoit  été  Juif,  (k  favoit  les  Langues  anciennes,  il  les  envoya 
dans  un  Canot,  avec  deux  de  ces  Indiens ,  pour  vifiter  le  Pays.  Il  leur  don- 
na fix  jours  pour  cette  expédition  ;  &  dans  l'intervalle,  il  fit  radouber  Ion 
Navire.  C)n  remarqua  que  tout  le  bois,  qui  fut,  brûlé,  rcndoit  une  forte 
de  gomme  ou  de  mailic,  6:  que  les  feuilLs  reflembloient  à  celles  du  lentif- 
que.  La  profondeur  du  b'Ieuve  étoit  de  fept  ou  huit  brafles ,  à  l'embou- 
chure, ik  de  cinq  dans  l'intérieur  du  Canal.  11  étoit  bordé,  auSud-Ed,  par 
deux  Montagnes;  &  du  cùté  de  l'Etl  Nord- Kit,  par  un  fort  beau  Cap,  qui 
a  pris  le  nom  de  Baracoj,  quoiqu'cnfuite  Diego  Valafquez  lui  ait  donné  ce- 
lui de  r////c>;;j/).'wn  (q). 

Au  retour  des  deux  Caflillans,  qui  amenoient  trois  Indiens  de  TIHe,  on 
apprit  d'eux,  qu'ayant  fait  vingt-deux  lieues  dans  les  terres,  ils  étoient  ar- 
rivés à  l'entrée  d'un  Village  compofé  de  cinquante  maifons,  qui  contc- 
noient  environ  mille  Habitans,  nuds,  hommes  &  femmes  ,  mais  d'un  ca- 
raclère  fi  doux,  qu'ils  s'étoient  emprefies  de  venir  au-devant  d'eux,  de 
leur  baifer  les  pieds,  &  de  les  porter  fur  leurs  bras;  qu'on  les  avoit  fait 
afieoir  fur  des  (ii'ges  d'une  forme  bizarre  &  garnis  d  or;  que  pour  alimens, 
on  leur  avoit  donné  des  racines  cuites,  dont  le  goût  ri^irembloit  à  celui  des 
châtaignes;  qu'on  les  avoit  prelles  de  pafier  quelques  jours  dans  l'Habita- 
tion, pour  fe  repofer;  &  que  n'ayant  pu  les  arrêter  par  leurs  prières  &  leurs 
careiles,  ces  bons  Inîulaires  avoient  permis  à  trois  d'entr'eux  de  les  accom- 
pagner jufqu'au  rivage.  Ils  ajoutèrent  que,  dans  le  Voyage,  ils  avoient  ren- 
contré plufieurs  Hameaux,  dont  Ijs  Habitans  leur  avoient  fait  le  même  ac- 
cueil,' que  le  long  du  chemin,  ils  avoient  vu  quantité  d'autres  Indiens,  la 
plupart  avec  un  tilun  à  la  main,  pour  faire  cuire  leurs  racines,  ou  certai- 
nes herbes,  dont  ils  fe  parfunuiient,  &  que  leur  méthode,  pour  allumer  du 
feu,  étoit  de  frotter  un  morc.au  de  bois  avec  un  autre,  ce  qui  fervoit  fa- 
cilement à  l'enfiammer;  qu'ils  avoient  remarqué  une  infinité  d'arbres ,  fort 
difi'érens  de  ceux  qu'on  voyoir  fur  la  Cote,  Oie  diverfes  efpècés  d'oifeaux, 
entre  lefquels  ils  n'avoient  reconnu  que  îles  Perdrix  Ck  des  Rollignols;  mais 
qu'ils  n'avoient  pas  apperçu  d'autres  animaux  terrellres  que  plufieurs  de  ces 
Chiens  qui  ne  japeni  point;  (jue  les  terres  étoient  couvertes  d'une  forte 
de  grains,  qu'ils  avoient  enten  lu  nommer  Maïs,  <k  dont  ils  avoient  trou- 
vé le  goût  fort  agréable;  qu'ayant  demandé  s'il  y  avoit  de  l'or  dans  l'Ille, 


ClTM-TOrTlt: 
Coi.OM!. 
1492. 

Déoavcr- 
tcs  qu'on  r.iir 
clins  ccUC 


Cap  Baracoi. 


Récit  Je  di. 
vctfj?  obfer- 
vatLoi'.s. 


on 


(p)  .Uodrigiio  Xercs,  (<.  J.ou's  de  Tumz. 

Xmi.  fart. 


(■(/)  IkiTLva,    Chfl[>. 

c 


14. 


COLOMH. 
1492. 

Colomb  cil 
troniiié  par  le 
iiomdcBo- 
feio. 


Rai  ions  qui 
lui  font  enle- 
ver quelques 
Indiens. 


McrnomiTiée 
r>iue(lraSeno- 
ra. 


Nourriture 
xévoltaiicj. 


18       p    11    E    M    ï    E    R    S      V    O    Y    A    G    E    S 

on  leur  avoit  fait  comprendre  qu'ils  en  trouvcroient  bcaucoiip  dans  Bo 
hio,(\uon  leur  avoit  montre  à  l'Eft,  &  dans  un  Pays  qui  le  nommoit  Cuban 

nacan  (;).  ,    .  _      .         _ 

L'i\MiRAL  fçiJt  bien-tôt  que  Ciibannacan  ctoit  une  Province  fituee  ai\ 
milieu  de  riHe,  parce  qu'il  ne  fut  pas  loni;-:cms  à  rcconnoîtrc  que  Nacan ^ 
dans  la  Lan.^ue  du  Pays  ,  fignifioit  le  milieu:  mais  il  n'apprit  que  dans  la 
fuite  la  (ignitication  de  Bohio,  qui  ccoit  moins  le  nom  d'un  lieu  particulier, 
que  celui  de  toute  terre  où  les  Maifons  vît  les  Ilabicans  font  en  grand 
nombre.  Cependant  l'elperance  de  découvrir  une  Kcgion,  dans  laquelle 
on  lui  promettoit  qu'il  trouveroit  beaucoup  d'or,  l'obligea  de  partir,  avec 
plufieurs  Indiens  de  Cuba,  qui  s'offrirent  à  lui  fervir  de  guides.  Il  accepta 
d'autant  plus  volontiers  leurs  offres,  que,  dans  la  multitude  de  ceux  qui 
confentoient  à  lefuivre,  il  pouvoit  s'en  trouver  un  qui  apprit  la  Langue 
Caffillane  avec  plus  de  facilité  que  les  auircs;  &  chaque  inlhint  lui  faifoit 
fentir  l'importance  de  ce  fecours:  fans  compter  que,  dans  ic  deffein  qu'il 
avoit  d'en  tranfporter  plufieurs  en  Elpagne,  il  vouloit  qu'ils  fuflcnt  de  di- 
vers Pays,  pour  rendre  un  témoignage  plus  certain  du  nombre  &  de  la  va- 
riété de  fes  découvertes  {s).  11  en  prit  douze,  d'âge  &  de  fexe  différens. 
Les  vents,  qu'il  trouva  contraires  en  quittant  Baracoa,  l'obligèrent  de  fe  re- 
tirer dans  un  autre  Port  de  la  même  Ille ,  qu'il  nomma  le  Port  du  Prince. 
Cette  Mer  reçut  le  nom  de  Kucjlra  Senorj.  Tous  les  Canaux,  qu'elle  forme 
entre  les  Ules,  fe  trouvèrent  fort  profonds;  &  les  rivages  étoient  couverts 
d'une  verdure  charmante,  qui  formoit  un  délicieux  fpeéhicie  pour  lesCadil- 
lans.  Quoique  les  petites  lilcs  ne  fuffent  pas  peuplées,  on  y  voyoit,  de 
toutes  parts,  des  feux  de  Pécheurs.  Les  Matelots  des  Caravelles  y  paffè- 
rent  dans  leurs  Barques;  &i  leur  étonnement  fut  d'abord  extrême  d'y  voir 
manger,  aux. Indiens,  de  grandes  Araignées,  des  Vers  engendrés  dans  un 
bois  pourri,  6c  des  Poiffons  à  demi  cuits,  dont  ils  ava!oi<'nc  les  yeux  crus: 
mais  ne  pouvant  fe  perfuader  que  ce  qui  paroiHbit  de  bon  goût  a  des  Créa- 
tures de  leur  efpèce  fût  nuifible  pour  d'autres  hommes,  ils  le  hafardèrcnt  à 


Cours  delà 
Eiariic. 


Port  dcl 
Piincipe,  où 
Cf)iom!)  clcve 
une  Croix. 


s'offroient  de  toutes  parts.  L'Amiral  obferva  que  l'eau  croiffi)it  &  dimi- 
nuoit  beaucoup  dans  cette  Mer, ce  qu'il  attribuoit  à  la  quantité  d'Illes.  Mais 
il  lui  parut  plus  difficile  d'expliquer  le  cours  de  la  marée,  qui  étoit  direfle- 
ment  contraire  à  celle  de  Cailille.  Ilerrera  lui  fait  juger  que  la  Mer  dcvolt 
être  plus  baffe  dans  cette  partie  du  Monde  ;  la  Lune  y  étoit  au  Sud-Eft 
quart-deSud  (t). 

Le  19  de  Novembre,  après  avoir  fait  élever  une  fort  grande  Croix  à 
l'entrée  du  Port  del  Principe,  il  remit  à  la  voile,  pour  découvrir  l'Illequ'il 
cherchoit  encore  fous  le  nom  de  Bohio;  mais  il  eut  les  vents  à  combattre, 
&  la  Fortune  lui  préparoic  un  chagrin  beaucoup. plus  vif,  qui  fut  d'appren- 
dre, le  21 ,  que  la  Pihta  s'étoit  féparée  volontairement  de  lui.     Martin  Al- 


(r)  Ilcrxera,  Cbap.  14. 


fépa 
[*)  Là  incffic, Clo/».  15. 


■■■« 


l 


(0  JyiJfm. 


{V 

donn 


l,5t 


I  dans  Bo 
loic  Cuban 

fituce  au 
uc  Nacan^ 
le  dans  la 
articulier, 

en  grand 
is  laquelle 
irtir,  avec 

II  accepta 
ceux  qui 

la  Langue 
lui  faifoit 
flcin  qu'il 
:'nt  de  di- 
:  de  la  va- 
difFérens. 
c  de  fe  re- 
du  Prince. 
elle  forme 
:  couverts 
IcsCadil- 
oyoit,  de 
s  y  pafle- 

d'y  voir 
s  dans  un 
eux  crus: 
des  Crda- 
irdèrcnt  à 
mal.  Ils 
ers.  En- 
:  la  forme 
5  de  perle 

&  dimi- 
les.  Mais 
c  dircéle- 
(cr  dcvoit 
u  Sud-Eil 


,'  Croix  à 
rille  qu'il 
)mbattre, 
d'apprcn- 
lariin  A\- 
funfe 


l 


(•u)  C'cil  un  Port  auquel  IcsFrnnçois  ont 
donnii,  depuis,  le  nom  dcFon-l'Ecu, 


(x)  Hcrrera,  ibidem. 
C    2 


f.V 


v/-i 


"  hmiin      iiimnif  "  "mimm  ....iui'iilll 


LU     F  R  A    C  E  L 


.-''',■'  .''''/  .•'.''  ,<■''' 

lïïTPT  -  Inmm    -imiiinf     i— r     liiiiiiiiii      miiiiiiJ  '  Jiauia.  '  li|iiii.i«^    m^      'iiUffill  7  :  tm      uaiii 

\.-'  .•.'.•yV/'/r'.lV    lu-  ,".'.<■ 

}    l.t''iin'(o  v/in'l  Kil 


^^^  (  (■'/l<'t'/'//tV/ 


'irrAfir/c  ctt  71s\TAt'/Yi' 


Sirma/ut 


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t^hivtt'û-  Jii'-J'n/icf 

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)    Aft^  it  t'  1 V  k  »•  J .  «•  Il o'I  »•  V  R  n  ï rt  i'  V  s . 


|iiiiilii      iiiiiiii|      iiiiiinii      [imiriii      iiiiiiiii|-  miiiiini       [UllllM      IIIIIUIII   ^Jlllimir —p™" 


KaaUT  vaiitElI.AND  IIAYT  I,  lieedeiidnaos  HTSPANI 

Toloens  de  Onttlekking  van'i.Tanr  i-jt,9  ^ ,  en  lie  eerite  Etabliiremeiiteii 


^"  '  -^'  •     ■        ™™^ --- -««r»"  tant— Ttniiiii     wm     "mm     mi^rf    im'   .i«i"  ^aT5nr_  irtor-J^'M^-  » 

Ml  -inniar -ajBifl  ,-™wi-:;  tma.   apÉ',  ww    »Mr:-J!iiiiiiit-_oi™  -  .toEtmmmc .  in™ 


)s  HlsrANIOI.A.oi  S'DOMIlSrcVO.iiu't  aê  imbuui-ioeExLAisîDî::^ 

e  EitabiiiieiiieuteiL  Jei'  SpaiijaiircUMi.Dooi-   tloii  II'' BcIIul.Iuq  ^' ilor  Zce-A'aanl. 


;^'' 

ii 


'^^iimi^i)!:m:^.'0mmmimstm'i»-^x''i,;r  - 


(r)  Ilcrreia,  Cbap.  14. 


(j)  Là  mcme, Chap.  15. 


lonie 


(0  l'^Uem, 


EN      A    M    n     R     I    Q    U    E,    Lt  V.  I. 


ij 


].., 


i 


lonie 


fonfc  Pinçon,  qui  la  comman'.ioir,  excite  par  la  paOion  tic  l'or,  avoit  voulu 
profiter  des  avaiuages  de  la  C.rivelle,  lyAi  étoit  très  légère  à  la  voile,  pour 
arriver  le  premier  dans  cette  llle  li  riche,  que  les  Indiens  avoient  annon- 
cée. On  fit  inutilemc.ic  (juantite  de  iign.s,  pour  le  rappeller  à  la  IbumiiliDn. 
L'Amiral  pénétra  le  fond  de  lej  didléiiis;  mais,  pour  ne  rien  donner  au  lia- 
fard  des  conjectures,  il  réiolut  de  pnrPer  quelques  jours  à  l'attendre  dans  un 
troifième  Port  de  Cuba  ,  également  lïir  <k  fpacieux,  qu'il  nomma  Sainte- 
Catherine,  parcequ'on  étoit  à  la  veille  de  cette  Fête.  En  failant  de  l'eau  ik 
du  bois,  il  vit,  à  peu  de  alliance  du  rivage,  des  pierres,  qui  fembloient 
renfermer  de  l'or.  Quelques  Indiens  étrangers,  qu'il  rencontra  dans  ce  Port, 
&  qui  furent  témoins  de  fes  obtervations,  lui  apprirent  que  l'Ille,  qu'il 
cherchoit  fous  le  nom  de  lii-hio,  étoit  leur  Patrie,  &  qu'elle  fe  nommoic 
ILiyti.  Ils  lui  confirmèrent  ju'd  y  trouveroit  beaucoup  de  ce  métal ,  fur- 
tout  dans  une  Contrée  qu'ils  app.llèrenc  Cihao.  Ce  nom  réveilla  l'idée  qu'il 
n'avoit  jamais  perdue,  d'un  Cip.vigo,  fort  vanté  par  Marc  Paul  de  Venile. 
Il  fe  hâta  de  remonter  vers  le  Sud-Kll:  de  Cuba,  où  il  ne  cella  point  de 
trouver  de  fort  bons  Ports.  Une  Rivière  ,  dont  l'cnirée  lui  parut  fort 
commode,  l'invita  par  la  clarté  de  l'eau,  la  beauté  de  ics  arbres,  u:  le 
chant  d'une  multitude  d'oifeaux,  à  remonter  aflez  loin  dans  les  terres.  Il  y 
vit,  fous  quelques  arbrifleaux,  unel'ulle  de  douze  bancs;  &  dans  une  mui- 
fon  voifinc,  qui  fut  abandonnées  fon  approche,  il  trouva  un  pain  de  cire 
&  une  tète  d'homme.  Ses  gens  n'ayant  pas  découvert  la  moindre  trace  de 
cire  dans  toute  l'Ille  de  Cuba,  il  fit  prendre  ce  pain,  qui  fut  porté  en  Ef- 
pagne;  Ci:  l'on  jugea,  dans  la  fuite,  qu'il  venoit  de  Vïucatan^  par  quelques 
iiaifons  de  Commerce  qui  n'ont  jamais  été  pénétrées. 

L'Amiral,  continuant  de  ranger  la  Cote  de  Cuba,  fe  trouva,  le  3  de 
Décembre,  à  la  Pointe  Orientale  de  cette  llle.  Il  prit  à  l'Ell:  vers  l'Iflc  de 
Hayti,  qui  n'en  ed  qu'à  dix-huit  lieues;  mais  les  Courans  ne  lui  permirent 
d'y  aborder  que  le  jour  d'après.  Il  entra  dans  un  Port,  auquel  il  donna  le 
nom  de  Saint- Nicolas  y  dont  on  célébroit  la  Fête.  Le  mouillage  y  étoit  fur 
&  commode.  Une  Riviè.e,  qui  s'y  déchargeoit  tranquil.  ncnt,  ofiVoit 
quantité  de  grands  Canots  i\m  bordoient  lés  rives.  iVIais  une  jude  in- 
quiétude poiu'  la  Vima^  &  le  confeil  des  Indiens,  qui  vouloient  qu'on  al- 
lât plus  loin  pour  s'approcher  des  Mines  de  Cibao,  firent  remettre  à  la 
voile  vers  leiSJord,  julqu'a  un  petit  lort,  qu'il  nomma  la  Conception  (^), 
au  Sud  d'une  petite  llle,  éloignée  d'environ  dix  lieues,  qui  fut  nommée  la 
Tortue. 

L'IsLE  de  Ilayti  parut  ii  grande  à  l'Amiral,  le  terrcin  &  les  arbres  y 
avoient  tant  de  relTem'blance  avec  ceux  de  Caftille,  le  poillon  même,  que 
fes  Matelots  prenuient  en  abondance,  fe  trouva  ii  contorme  à  celui  qu'on 
prend  fur  les  Côtes  de  l'Europe,  que  toutes  ces  railbns  le  déterminèrent  à 
lui  donner  le  rtomtVlJJe  F.fpA'^uvk  [x).  Il  avoit  nemme  la  première,  San- 
Salvador,  à  l'honneur  di'  Rédempteur  des  Hommvs;  la  feeoiide,  Kle  de  la 
Conception,  à  l'iionneur  de  la  Sainte  Vierge;  &  les  trois  autres,  Fernan- 

dinc , 


("j)  C'cll  un  Purt  auquel  îesTiançcMS  ont 
donné,  depuis,  le  nom  àclort-i'I'.cu. 


(v)  Ilcrrcra,  ilidcm. 
C    2 


CiiprsTr.i-rij 

C<)|.o\[,|, 

1492. 

Alf,  !-,fj  Pin 

ilj  lui. 

Por.JcSni:»- 
leCrulicrinc. 


Krrjur  ciu- 

fix'  p  11'  If  nowi 
de  Cipan;;o. 


Colomb  ar- 
rive à  riile  Je 
Ilayti. 


P.nt  S  Ni- 
colas. 


Pr.rt  la  Con- 
ce['ti()n.  iflcla 
Tortue. 


Ilavti  recofc 

lei-.o'r.i  dMlle 
Klp:iG!;ole. 


•'■l-»').. 


149- 


Conduite 
de  Colomb 
n.\'C  ks  Idiu- 
Kt.rcs, 


ao       P    R    K    ]M    I    K    II    S      V    O    Y    A    G    E    S 

CiiRisrovuE    jIIp^^  Ifabcilc^S:  Jiinnn,  p.ir  rcfpcft  pour  Leurs  iMajJh'S  Catholiques  «& 
C\)LOMi.      j^^  l>,incj  Liir  fils;  le  nom  il:  i'ivpa:»iu)lc,  puiir  la  iixicmc,  lui  parut  un 
tribut  de  rcCDnnoillinKV  i^"'il  crue  devoir  à  ri''Jpiiî;iie.     Cependant  on  lui 
fit  enfuite  un  i\priielie  de  ne  pas  l'avoir  nomnuv  CijiiHdne  ,    parcetiuVn 
v^rru  di'  Ion  'IVaue,  elle  ucvoit  appartenir  propiwmeiu  a  la  Couronne  de 

Callille(v). 

I.KS  Inllilaires  marquoient  d'abord  pju  de  difpolltions  à  s'approcher  dea 
Caravelles.     Ceux  qui  les  avoiiiit  appcrçiks  ks  premiers  avoicnt  pris  la 
fuite  ,  &  leur  rceit  avoit  déjà  repaïK'ai  lallarine  lians  toutes  ks  parties  de 
Jllle.     Ceux  mêmes,  qui  etoienc  venus  avec  TAniiral  ,  s'rtoicnt  échappes 
à  h  nage.     Jls  avoi>.nt  excite  les  autres  à  la  dclimce;  iSi ,  de  toutes  parts, 
on  ne  voyoit  que  des  Cotes  «5:  des  Campagnes  del'ertes.     Quelques  Mate- 
lots, qui'penécrè'rent  dans  un  Hois,  y  découvrirent  une  troupe  de  ces  In- 
diens, accompagnés  de  leurs  femmes  ci  de  leurs  enfans,  que  l.i  crainte  y 
avoit  rallliubles'    Ils  prirent  une  femme,  ipTils  menèrent  à  l'Amiral.     On 
lui  fit  toutes  forces  de  carelîes.     Klle  fut  habillée  proprement,  Ce  recon- 
duite à  fa  Troupe  par  les  mén:es  Matelots,  avec  trois  Sauvages  de  San-Sal- 
vador ,   qui  entendoient  fa  iai\i;ue.     Le  lendemain   l'Amirai    envoya  ,   du 
même  coté,  neuf  autres  Ca:l;;Uns,  qui  trouvèrent  cette  femme  dans  une 
Bourgade,  éloignée  de  quatre  lieues  au  vSud-i'^ll,  &  compofee  d'environ 
mille  maifons.     Leur  vue  mit  tous  les  Ilabiians  en  fuite;  mais  un  Infulairc 
de  San-Silvador,   par  lequel  ils  s'étoicnt  fait  conduire,    infpira  d'autres 
fentimens  à  cjux  qu'il  put  rencontrer.     11  kur  rendit  un  témoignage  fi  fa- 
vorable aux  Etrangers,  que  les  ayant  fait  confentir  à  les  recevoir,  tous  les 
autres  furent  animes  par  l'exemple,  vS:  revinrent  avant  la  nuit.     On  fe  fie 
des  préfens  mutuels  ;  d  les  Callillans  ne  lirent  pas  difficulté  de  palier  la 
nuit  dans  l'Habitation. 

Le  lendemain,  on  vit  un  grand  nombre  d'Infulaires,  qui  prcnoient  vo- 
lontairement le  chemin  du  Port.  (Quelques-uns  portoient  fur  leurs  épaules 
la  femme  qu'on  leur  avoit  renvoyée;  i!v  l'on  mari  l'accompa^noit ,  pour  en 
faire  les  remercimens  à  l'Amiral.  Ces  indiens  etoient  plus  blancs  que  ceux 
des  autres  Illes ,  de  taille  moins  haute  6i  moins  robuite  ,  d'un  vifage  alfeZ 
ditforme,  mais  d'un  cara6lère  doux  (S:  traitable.  Ils  avoient  la  tête  toujours 
découverte,  &  le  cranc  li  dur,  que  ,  dans  un  tems  moins  pailible,  les  Caf- 
liilans  le  trouvèrent  quelquefois  à  l'épreuve  du  fabre.  L'Amiral  leur 
avant  parlé  du  lieu  qu'il  prenoit  encore  pour  Cipango,  ils  crurent  entendre 
Cibao,-  &  lui  montrant  de  cjuel  cote  il  dcvoit  le  trouver,  avec  des  lignes 
qui  lui  promettoient  plus  d'or  que  dans  tu  tes  ks  autres  lllcs,  ils  fervirent 
à  confirmer  Ion  erreur. 

Avant  leur  départ,  on  vit  arriver,  au  rivage,  un  Seigneur  du  Canton, 
accompagné  d'environ  deux  cens  pcrfonnes,  qui  le  portoient  fur  leurs  épau- 
les, &  qui  lui  donnoient-le  titre  de  Cacique  (z).     11  ei  oit  fort  jeune;  sii:  la  cu- 

rjo- 


1!  c{\  vifit-: 

fr.r  Lin  C;iri- 
«l-iC  lie  rillf. 


g»-^' 


{%)  lictma  met  ccuc  vifitc  ('-ins  un  nu-      it  1  llk-  Kipa-nolc.  l'crnn-.a  fu'.omb  U  uict 
trc  Port,  (1111  fut  nommé  ralpar,!fn ,  &  ,,u.'      dans  Tlll.  mciiie  de  la  ■1-ortuc. 
Jcs  l'iançois  jiomme'iit  aujuurd  hai    Port  de 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Li  V.    I. 


21 


1492. 


riofitc  l'amenoit ,  pour  voir  les  Vainiuux.  Un  Indien,  du  Pord  de  l'A-  ^il''™^ 
niral  ,  alla  au-ilcvant  de  lui,  Ov  lui  dcclara  t](ie  les  Jùrangers  ctoicnt  iUC- 
cciidus  (In  Ciel.  Il  inorua  d'un  air  (.'rave  dans  la  C'aravcl!--,  fuivi  de  Tes 
dwUX  piineipaux  Oiii-iers;  <!x:  lorlqu'il  fut  lur  le  poiu .  il  f.:  lij^ne  au  relie 
de  fis  gtiis  de  dcniciiri.r  à  teire.  L'i\iTiiral  lui  prc'lnta  ijutlques  ralVià- 
chilienKiis,  il' nt  il  ne  tic  pas  difïiculfé  de  gi'ùter;  mais  il  ne  toucha  puinc 
aux  liqu.urs,  cSi  ne  iic  (|iic  les  approcher  de  la  bouc'ie.  Un  autre  Indien 
de  San  SaUador,  qui  C'»r,iincnc,-ni  à  l'crvir  d'JiKcrpr'jte  ,  lui  dit  que  IWmi- 
rai  eioit  Cipiraiiie  des  l\(.;,s  de  Calblle  6:  de  Lion,  les  plus  grands  JNiunar- 
que'î  du  Monde.  Il  rcfulh  de  le  croire,  toujours  pcrfuadé,  fur  k  témoi- 
gnage du  premier,  que  les  Etrangers  croient  des  Ilabitans  du  Ciel.  Ee 
lendemain,  il  revint  avec  la  même  fuite;  ik  l'on  vu  paroîtrc  en  nicmc- 
tems  un  Canot,  qui  venoit  de  la  Tortue,  chargé  d'environ  quarante  hom- 
mes. Ec  Cacique  prit  un  ton  mena(;anr  j)uur  leur  ordonner  de  le  retirer, 
«Se  leur  jetia  même  de  l'eau  tSc  des  pierres  (a).  Ils  obéirent  avi.c  de 
grandes  marques  de  Ibumilîîon  ;  les  Caltillans  s'employèrent  librement, 
pendant  tout  le  jour,  à  tro  juer  des  grains  de  verre  pour  des  feuilks  d'or. 
Leur  paiîiun,  ou  plutut  celle  de  l'Amiral,  etoic  de  porter  de  l'or  en  Ca- 
ftillc(/^). 

Les  deux  \7ailTeanx  remirent  à  la  voile,  pour  aller  mouiller,  la  veille 
de  S.iint  'i'homas ,  dans  un  Von  qui  reçut  le  nom  de  ce  (aint  Apôtre  (r), 
&  d'oii  l'on  découvrit  quelques  Ihi)itations.  Il  n'efl  pas  aifé  de  ddmckr, 
dans  le  recii  des  Ililtoriens  ,  ii  le  Caci([ue,  qui  avoit  dcja  paru  (Lu.\  fois, 
e!l  le  même  qu'un  autre  i'rince  auquel  ils  donnent  enfuire  le  nom  de  Roi, 
ni  tlans  lequel  de  ces  Ports  il  rendit  à  l'Amiral  une  vifitc  beaucoup  plus 
folemnelle.  l'ern  ;nd  Colomb  raconte  (juc  le  Mardi  i3  de  Décembre,  un 
Roi,  qui  faifoit  fa  demeure  a  la  diiiance  d'une  journée  ,  parut  fur  le  riva- 
ge, vers  trois  heures  après  midi,  pendant  (jue  plulieurs  Callillans  y  ctoicnt 
defcendus;  qu'd  étoit  fuivi  d'une  troupe  de  Oardes,  «!!c  porté  par  quatre 
Indiens  fur  un  lîrancart;  qu'à  la  vCie  des  Caravelles,  il  le  repo'a  un  peu, 
«Is:  que,  s'avançant  enfuite  avec  beaucoup  de  familiarité,  il  entra  d.ir.s  ce! 
le  de  l'Amiral  avec  tous  les  gens  (^/).     Le  INIardi  ell  le  même  jour  aui|Ue 


l'ortSt.Tho- 

11. Ui. 


Antic  v^fite 
d'iVA  Rci  du 


(a)  Hcircrn,  Cbap.  \6 ,  fi  rcrnand  Co- 
loinl) ,  0^,1.  3?. 

{b  )  lli.rrjra,  ibidem. 

(  c  )  C'cit  ,  fuivar^t  l'IIidoricn  de  Siinr- 
D.)ininj;uc,  cjUii  que  IcsTmiiçoi^  ont  depuis 
a'i;H'l!é  la  Buye  du  Can  de  Louij'e ,  ^  (jui 
l'oitj  aujourd'hui  plus  comimintiinent  le  nom 
de  \.Lul,  Toin.  I.  pai;.  122. 

(.•/)J.i  préférence  d')it  être  accordée  à 
ca  Hiui'riei,  (niifciii  il  le  f«)nde  fur  une  I.et- 
ire  de  ton  Per(  au  K  \  dl'lfpat^ne,  nppuein- 
nient  du  noir.bre  de  celles  que  i'Ainira!  écri- 
vit à  ce  Trinire,  de  Lisbonne  &  de  I*:ilos. 
Kile  mérite  d'èir."  confi.rvéo  ici  dr>ns  L-^  ter- 
nies •  ,,  Vôtre  M.i]ellé  auroit  pri'^  pinifir  ;\ 
,,  \o;r  !a  };ra\  ité  de  ce  jeune  Roi,  tSi.  la 
,,  \én',ra;:on  i^ue  les  gens  avoicnc  pour  lui. 


Her- 

,.  Audi  tôt  qu'il  l'ut  entré  Jr-ns  ir.oii  V^ii  rcni, 
„  (5>.  qu  il  ri,"ut  que  je  dî;-ois  dans  la  ctv.uu- 
,,  bre  de  poupe,  il  y  vinc  iai.s  nie  faire  n- 
.,  vertir  ;  cSc  me  trouvait  à  ti'>le  ,  il  s'aille 
,,  près  de  moi.  11  cominan.i;:  :\  ils  G:irdie.-i 
,,  de  foriir;  ce  qu'ils  firent  nan-toC,  après 
„  l'avoir  falue  d'une  profonde  révérence.  Il 
,,  ne  retint  que  deux  Indiens,  hommes  d'à- 
,.  ^e,  qui  s'alllreiit  à  Tes  pieds.  Comme  je 
„  crus  (].i'il  s'étoit  ver.u  mettre  ;\  table  pouc 
,,  inp.n;;er  ,  je  lui  préfentai  ce  qu'on  m'a- 
,,  voit  Itrvi'.  Il  en  prit  un  peu;  t*i.  lorfqu'on 
,,  lui  (j  'Vit  A  boire  ,  ayant  approché  le  verre 
,,  de  fi  bùuche ,  il  envoya  le  reile  à  fei 
,,  t:ens,  comme  il  avok  fait  poer  la  viande, 
,,  Ils  étoicnt  t>:us  trois  fert  j-^raves  mais  ils 
„  parloiciiL  en  même- teins,  &  il  me  parut., 
C  3  „  ;ia 


1492. 


I.c  Coin. 
nicr>;c  scm- 
blit  ciurc  les 
C:irtiHnns  ..^c 
les  Inùùaircs. 


32      r  11  n  M  I  n  II  s    voyages 

îlcrrcra  lait  lever  l'ancrj  aux  iLiix  Cir.ivcllci.  11  les  ftit  arriver ,  le  Jciuli 
d'après,  au  Porc  ilc  v^aint-Th-Mnis  ;  &  lorfqu'il  pirle  criin  Uoi,  nomnic- 
G'.vJM'.'JC'»"" ,  '!"'  '•'i'^''^  '"*''^  rc)Miir  à  (jiiatre  oa  citvi  lieues  lie  ce  l'orr,  OS; 
qui  f\i:  connu  enfyice  pour  un  des  Souverains  de  i'iilj,  il  paroît  le  dil>iu. 
guer  du  Caeique,  visc  le  UDumier  pour  la  première  lois.  CciK-nJatu  il  ut* 
iribue,  au  Caei  jne  ,  dans  une  viiiie, qu'il  donne  pour  la  troilième,  tout  ce 
qui  cil  contenu  dans  la  Lettre  de  l'Amiral;  pendant  (juc  T'crnand  Cofumb  , 
qui  dilling'ie  aut'li  le  Cacique  du  Roi,  ne  cefle  point  de  faire  rc^!;arder  l,i 
vilite  du  Koi  comnic  la  première,  cSi  comme  le  fondement  de  l'afl'cdion 
qu'il  conçut  pour  les  Caltillans.  (^U'.liiue  parti  qu'on  prenne  dans  c^s  ob« 
fcirires,  il  paroît  certain  cjue  ce  lut  dans  le  Port  de  Siint  - 'lliomas.  le  22 
de  l)ecemh;c  ,  que  l'Amiral  re<-ut  i.ne  depntatKUi  du  Rii  (luacanapjari , 
qui  le  failoit  prier  de  le  rendre  a  fa  Cour ,  »N:  qui  lui  envoyoit  un  prclliit 
aùl/.  rielus  c'cioic  un  Mafque,  dont  les  oreilles,  la  lanmic,  vi  le  ne/,, 
ctoienc  d'or  battu,  avjc  une  ceinture  de  la  lirgeur  de  quatr^.'  doigts,  bor- 
dée d'os  de  Poillbn  fort  incnus,  Ci:  travailles  lmi  forme  de  perles.  I/A- 
mirai  pro'.nit,  aux  Députés , d'aller  voir  inCwllamni-nt  leur  Maî'.re;  mais  il 
le  crut  obligé  ,  par  la  prudence,  d'y  envoyer  d'ai  ord  quelques-uns  de  fes 
Olîiciers.  Ceux  qu'il  ciiargea  de  cette  cummiiVion  revinrent  11  fatisfaits 
de  l'accueil  èv  d(.s  préllns  du  Koi,  qu'il  ne  bal.mya  point  à  faire  le  même 
vovage(f).  Cîuaeanagiri  faifoit  Ion  lejour  ordinaire  à  quarre  ou  cinq 
lieues  du  Port  de  Saint- Ihomas.  Le  fruit  de  cette  entrevue  fut  un  Trai- 
té de  Commerce,  qui  parut  établir  la  confiance.  On  vit  aulVi-  tôt  un  con- 
coure furprenant  d'Iiuliens,  de  tout  .ige  6:  de  tout  fcxe,  autour  des  deux 
CaravelLs.  Les  grains  d'or,  le  coton  eV  les  !\rroquets  furent  prodigues 
aux  Callillans.  Ceux  qui  \ilitérent  les  Hourgad.s  y  furent  traités  comme 
des  hommes  célelLs.  Cette  iieureufe  prévention  ne  diminuoit  point  dans 
refpnc  des  Infulaires.  lis  baifoient  la  terre  où  K's  Cailillans  avoienc 
pali-i,  (Si  tous  les  biens  de  l'Ille  ctuient  comme  abandonnes  à  leur  dif- 
creùon. 
La  jMer  fut  extrêmement  agitée  pendant  deux  jours.     ALiis ,  au  retour 

du 


,,  ;iu  ton  1.1c  Iciirvrix,  qu'iU  sY'ntrotoiioi,-it 
..  dr  choûs  li'inijMTtnnc  •.  Aprc.^  le  ili/K.-, 
„  un  Ôl  ;  OlTiciurs  (1;i  Roi  !iii  a;  jH)!!!  u:ij 
„  cciniurc.  Il  la  prit,  &  mj  li  d 'ima ,  awc 
„  doiix  morccciix  vl'or  bien  travniilLS.  Je  lui 
,,  !!•;  prûfjnt  dii;ic  couv^rtwro ,  que  j;'.v.)i> 
,,  ùir  mon  lie,  ifun  colii.-r  d';i:;;bfc,  d'ir;o 
,,  p'iirc  d'cfeirpin;  rou-^e; ,  0^  dune  ph'n  0 
,,  d'oaii  de  (leur  d^onn^c,  dont  il  iianitfo;t 
„  content.  1!  ir.niquoit  du  cln^rin  de  ne 
„  pn?  entendre  mon  langage,  li  fjs  fî  ixs 
.,  ne  firent  c  mnoître  (;irii  in'o.Troit  t  it 
,,  ce  (jui  dépendait  Je  Ini.  J'envoy  j  pr>  .> 
„  dre  alors  un  porto  L. tire,  fiù  j'r.v.r'-.  ]m< 


le  l'ortrait  de  Vôtre   M 


lie  i- 


J^ 


!e   ku 


,,  montrai.  ]c  lu;  ùis  <^(.:o  vous  éiij/.  un 
,,  i'ra.-,d  Prinee,  &  ly.v:  v  )U';  !;()'.iverf.i'-/.  la 
„  plui  grande  partie  de  la  Terre.     Knluile, 


je  lui  fis  voir  nos  KcenJarts,  qu'il  confT- 
dtroii  avec  admiration.  Sa  vifite  dm  i 
jiilqn'au  foir.  II  s'en  alla.  On  le  cividui 
lit  au  rivage,  dins  ma  B:  rque  ,  avec  beau- 
cou,i  d'honneur  ,  &  je  le  tU  faluer  de 
l'Artillerie  de  mon  Vai'.llau.  Ktant  à  ter 
re,  il  remont i  dani  Ton  Hrancart  6c  s'en 
retourna.  11  :iv(iit  un  i'ils  ,  qu'un  Sci- 
;',n;ur  portoit  après  lui  fur  le-;  épaule. 
S  n  l'rère  nnre'io'c  à  p'ed ,  au  milieu  de 
d.MX  ho^nmcs  de  nr.irtiue  ,  qui  lui  don- 
noi.i.t  II  main,  l.e  Roi  fit  donner  à  man- 
;-"-r  à  ceux  de  mes  gens  cju  il  trouva  en 
cliemin.  Un  Piloio  ne  dit  (ju'il  faitbir 
I  orter  devant  'ni,  par  le->  principuix  d. 
fa  (!o'jr,  tous  'es  préf-ns  que  je  lui  .avoÎN 
faits  ".  l'ic  (te  CLrIjhpbc  Colomb  ,  Ctap.  3 1 . 
(O  llerrera,  CV.'c/>.  17. 


du  beau 
luiita  S 
deux  ]' 
fon  lu 
nail;  n 
olfice  à 
rans,  1» 
par  Ls 
tard;  t 
n'ayant 
ment  il 
yeux  (. 


ferve  qM 
ché.  éto 
tié  ibenii 
au  ('ai'  1 
rent  en'i 

Îue   les 
'nvf  </'■ 
til  de  e. 
]i!us  \ol> 
rappf'it. 
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Ciimoi'Kîs 
C'l>l.o^;ll, 

I  ^  y  2. 


jluUi'j. 


du  beau  tcms,  l'Amiral  rcfolut  de  s'appvoclurcriin  li.ii,  'ju'il  nvoit  n^miivi 
Jiihta  S.ntt.i.     Il  tut  ItConJc  par  un  petit  vent.     Comme  il  avoic  nulle  ces 
deux  j'.iirs  fans  Uormir,  lu  necelVué  do  le  repofcr  rnSlif-'ca  de  le  jelttr  fur        ^^  ,.,  ^ 
foii  lu,  après  avoir  n  commandé  aux  i'iI..'.LS  de  n.'  pas  qnlucr  le  ;;oiivcr-    a^Mi'lics'frnl^ 
nail;  mais  n'ctuiu  pas  moins  prclles  que  lui  ilu  lomuieii,  ns  conlicretit  leur    \',  itruuis  d<. 
office  à  uMJLime  homme  laus  expérience,  iini   (ut  enu.nné,  par  IwS  cou-    C\  '  - '■ 
rans,  fur  un  Manc  de  fable  où  le  Navire  telioua.     L'Amiral  fut  réveille 
nar  les  cris  qu'il  lui  entendit  j.rter  au  milieu  du  jeril.     Mais  il  étoic   trop 
tard;  6:  Ks  ordres,  qu'il  fe  haia  de  doiitier,  furent  11  mal  exécuus,  que 
n'ayant  pCi  tirer  aucun  llcours  de  les  jjropres  gj;is,  (jui  penlerent  unique- 
ment à  lauver  leur  vie,  il  eut  le  cha^;ii,i  de  voir  périr  la  Caravelle  à  les 
yeux  (/).     LaA7«rt,  ct>mmandee  par  VanePin^-on,  étoit  éloignée  d'ime 

lieue 


retour 

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du 

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cnf!. 

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c    dur  i 

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co'uiui 
c  Ik'UU- 

(/")  Î/Hinorioii  i!c  Saint  •l")onnii(';iic  o!i. 
fcrvi'  qiK'  11"  H^'iic  ■•  <^"'  li-'li"-!  «-'Hi'  'i'*'''t  '«-'H- 
chc,  titoit  à  I fîuriJc  d  un  l'oit  qui  tlli  nir)i- 
tic  l'iiomin  de  S:iiiU  Tlioni:;s .  ou  de  I  AtuI , 
au  (':ii'  l'r.iii';"is  «lU"-'  It-s  l'-fi':':;!''!  iLtiMi- 
rent  cnfiiitc  foi^  k'  nom  de  Puerto  /?.•,/,  iS: 

ÏUf  les  rian(,-ois  le  iioin  i  ent  iinj^urd  luii 
ayc  lie  Caraco'.f.  llerrera  fait  un  ioii,^  ré- 
cil'dc  te  n;ait'r;i';c  :  nr.iis  à  qui  s'en  titri  l'on 
j)!us  voiontier-;  «lu'à  l'Auiir.il  lu.ine,  iji  i_  le 
rapport?  d:".ns  une  de  iVs  I.eitns?  I'!iles  loîit 
tu  (i  p-tit  nonilMe ,  qu'on  ne  croit  p:>s  de- 
voir jierdre  !  (i:ealiuii  lie  les  fiiire  tiUv.  rduis 
quel(]ues  Note'^.  „  I.e  l.iiiuli  24,  la  r.!er 
„  l'ut  ealine  On  n'eut  cju'un  p' lit  ver.t . 
„  (jui  me  cun  luifit  de  Saint  'rhon.'.s  à  la 
„  l'ointe  S:iiiitL\  Je  veillai  envirvui  jufqu'.l 
„  on  e  heure-:;  tV  n'ayvuit  pas  repofé  ;  t.n- 
„  dunl  deux  jo;  is  i!^».  une  nuit,  je  me  Kii- 
„  rni  di:is  ma  cl  aiiibrc.  J'avois  jbuvei  t  i!é- 
„  fendu  rux  Pilotes  de  laillVr  fouw  r;  er  le 
tÏMon  aux  Marinier-?,   pentiani    le  cn'me 


niO.v.e. 


Maii  ils  ne  m'obéïrent  i.a-;.  Quand 
ils  luirent  ijue  jVtois  à  prendre  un  pu  de 
repoi  ,  celui  qui  tloit  de  ferviec  le  mit 
ctrc  leurs  main.->  i.\  s'end('rin  l.  il  ell  \i.ii 
qu  •  je  ne  crui^r.ois  ni  Keueils.ni  lJ;;i.c> 
de  f..ble,  pruce  que  ni  s  lî;  rques  avoieiU 
pulTe  trois  lieues  vers  l'Ouell  île  la  IViin 
,,  V:  Sainte,  iS'  cju'cllus  avoient  ù>\h]C'  !>s 
,,  endroits  dan^^er-iiv  ,  pour  s'en  éloii^ner. 
,,  Pendant  que  les  Pile.tes  donnoient,  l'eu, 
,,  quoique  ft-u  tranquille,  ne  iailiii  point  de 
,,  nun  r  iiiûi.filî'einent  le  Vaiire;;u  vêts  un 
,,  liane,  qu'j  Ton  pouvait  facilem  ni  éviter, 
,.  t'.r  le  biuit  le  I'  iioit  (.ntmJre  d'une  lieue. 
,,  ].:  Mati'.ot  ,  qui  lenoit  le  gouvej-nail , 
,,  fentart  le  fihle,  ù- mit  à  crier,  j'ei.t^n- 
,,  dis  fa  voi\,  &  je  me  levai  aullî-tôt.  Au- 
,,  eun  des  l'i'oics  ne  favoit  que  nouj  luf- 
.,  fions  éil-oué.  l's  v:;r.-cnt  à  moi.  Je  leur 
,,  cnivimr.ndii  de  di'e'Mrj^cr  le  \'ai  l'eùn  d'iss 
„  uue  iùurcjuj  qui  y  ci^ii   attachée,   ils  l';.u- 


,  tèrcnt  vi*ritab!emcnt  dans  la  Barque;  mai'i 
,  111  lieu  d'.xécuter  nu  ;  ordres  ,  i!>  prirent 
,,  la  fuite,  &.  m'abaiulDîiiièreiu  au  dani;er. 
,  Dans  cet  unbarra- ,  je  j^riai  ctux  (;ui  é- 
I,  toieiit  dein  uré.-.,  de  couper  le  iiiùt ,  pour 
,.  foulai;  r  Ii  Caravelle,  (<.  pour  tel  ter  li.' 
la  tinr  du  f.ible.  Nt^is  n'en  j-ùmes  venir 
i\l)Out  Klles'ouvrt,  fe  remplit  d'eau, 
tï  p.érit.  je  piis  une  iiarque,  pour  nous 
fiuver;  ci  l'on  paila  le  relie  d:  la  r.uit 
éu:^  cet  endroit.  A  la  pciinte  du  jour, 
„  je  dépcchai  DieRue  de  //nm  ,  Ci  Purre 
,,  Gutticrez,  vers  le  Roi  de  l'ille,  pour  lui 
,,  d,re,  (j'.;u  l'.iilatu  vifiter  d<\\i  f'ii  Port, 
,,  comme  il  m'en  a\oit  prié  deux  jours  au- 
„  paravart,  j"avoi>  perdu  un  de  nus  \'aif- 
fer.ux  dnns  Ks  Bancs  de  fible.  Ce  Prince 
fut  toucl'é  de  n.on  malheur  julqu'à  pleu- 
rer.  e^  m'envoya  tous  f.s  gens,  avic  de 
l^rand.s  Ikirqu;  s  pour  me  fe.ouiir.  Oïl 
,,  fe  mit  ;\  diichar.^er  la  Caravelle  ,  è;  t.  ut 
,,  fut  achevé  en  p.u  d'iicures,  l,e  'loi  v.iic 
,,  tnl'uite  me  cijnfokr,  aceo.;ip:;;;r.é  d,'  luu- 
,,  te  fa  famille,  il  (rit  foin  luin;^me  de 
,,  ce  qu'on  ;î\o;t  fauve.  II  le  lit  port  r  dans 
,,  fon  l'alais,  i^'c  le  lie  !;ard^r  par  d. -^  Sol- 
,,  dats.  'l'ous  ces  Inùiluires  rei;rv.ttoiciu  ;iion 
,,  inl'iirlune,  ^  s'e!roi\*oie.;c  de  l'a  !oue;r 
,.  pir  leurs  carelLs.  llu.i.i ,  j.-jure  à  \  ùirc 
,,  .Mijelié  qu'il  ;i'y  a  pas  au  Mor.de  i;:i  l'^a» 
.,  pie  plus  (.loux ,  ni  un  Pays  plus  c!;:irmint 
,,  6c  plus  fertile  Les  Ilabitar.s  parlent  d'u- 
,.  ne  muniére  at;réi!i!e,  c^  rient  preique  toi:- 
,,  jours.  Ils  vont  luiJs,  Leurs  loix  fo!;t  juf- 
„  tes.  Ils  f.rvtiU  leur  Ile/i  avec  un  pril'o.id 
,,  rci"->cct  ,  f<,  ni  re:e;T'Js  ciur'eux  ,  (Je  ùir- 
,,  tout  devai't  ki:rs  femmes.  J'i.i  reinaïqut;, 
,,  par  les  qi.;ut;ons  qu'ils  me  fail'oient  , 
„  qu'ils  ont  iifrrit  curieux,  &  un  lt:  nd 
,,  uellr  deconnoirrj  la  caufe  ile  tout  ctia  ils 


,,  voyent  durs  la  i>ature 
Loliimb ,  Cij   12. 


f  ',C  de  Cti'.jt  J^  -.S 


I  4  9  2. 

Enipc'Vo 
nur.t  ilii  R  .i 

à  iVc'-.urir  !c;j 
CalUHans. 


Tn.l-c-'.<  p"ur 
les  ;"o;:riCUL's. 


C)!on;b  fdr.- 
gj  'it"-r;iU"rn:i 
lù-.bliilur.ot. 

lîr-i  (  :i 

S;iiiK-!)vi;;;n- 
m-: 


Ovrircrti! 
f 'it  -."trcr 
luii--.n:\::;;ii 


1^  r 


1'    R    E    ÎM    I    F, 


il 


S      VOYAGES 


lijiic.  Elle  i-cfiifa  de  prcn.Irc  à  bord  ceux  qui  avoietit  quitté  l'Amiral  ;  vX 
ne  pouvant  arriver  allez  toc  pour  fccnurir  Ion  VaiHeau,  tlle  fervit  du  muiiiji 
ù  fauver  la  perlunne  «S:  ceux  qui  avoient  couru  le  même  danger. 

Clu.\CAN.\t;\i;i  ne  fut  pas  plutôt  intbriné  du  malheur  de   les  nouveaux 
Alliés  ,  qu'il  aeeourut  av.'C  le  plus  vif  emprefremcnt ,  pour  leur  offrir  tou- 
tes fortes  de  fecours.     Il  les  fir.  aider,  par  fes  vSaj'jts,  à  reeueillii'  les  dé- 
bris de  leur  naufrage.     Dans  plulieurs  vilitcs,  (ju'ij  rendit  à  l'Amiral,  il  L- 
oinjîn-oit,  les  larmes  aux  yeux,  fui  vaut  K-s  termes  de  tous  les  ilifloricns, 
d'o'.;b!ier  une  perte  dont  il  fe  repr oeiioit  d'avoir  été  l'occalion.     Il  lui  pré- 
ienra  tout  ce  qu'il  polîédoit,  pour  la  réparer,     'i'ous  Ls  Habitans  de  cette 
partie  de  l'Iile  entrèrent  dans  les  fer.iimtns  de  Lur  Souverain;  &  voyant 
1  arJear  des  Callil'ui;  pour  l'or,  ils  leur  appnrtèrent  tout  ce  qu'ils  avoient 
de  cepiéeieux  mL.al.     A  la  veriré  leur  pailion  n'étoit  pas  m>'ins  ardente 
pour  Ls  ba^;arelles  qu'ils  reeevoietu  en  echani^e,  mais  lin*- tout  pour  ks 
fonnettes.     ils  approehoiint  t-omme  à  l'envi  de  la  Caravelle,  eu  levant  (ks 
lames  d'or  fur  leur  te:e.     Ils  paroilloijnt  craindre  que  leurs  olVres  ne  fuf- 
fent  rLfufé.s.     Vn  d'entr'eux,  qui  en  tenoit  à  !a  main  un  morceau  du  poids 
d'un  demi -mare.  e..nùit  l'autre  main  puur  reca'oir  une  fonnctte,  donna 
fon  or,  &   fe  mie  a  fuir  de  toutes   fes  forces,  dans  la  crainte  appirem- 
nvnt  que  le  Callil'an  ne  fe  crût  trompe  ((t). 

Des  marques  li  conllanies  de  fimplieiie  èv  d'nmitié,  joint  à  l'efpoir  de 
parvenir  fans  viulcnce  à  découvrir  la  fcurce  de  tant  ilj  ricli JTes,  firent 
naïrrc  à  fAmiral  le  deffein  île  former  un  Ktabllilémeut  ilans  les  Terres  de 
(îuicar.nii;ari.  S.s  ;!;.'ns  ajinlauJiren:  à  ceîte  ouverture,  eS:  jugèrent  que 
Dieu  n'avoit  permis  li  p.rte  âj  fi)n  iUriment  que  pour  le  comiulrc  par  de- 
grés à  la  !culerefo!urion  ijui  pût  aiiurer  le  finit  de  lés  travaux  (A).  C'aoit 
le  feul  moyen  ci'ae.|Uerir  une  parfiite  connoillance  du  ravs,&  d'en  appren- 
dre la  Lan.!;uc.  Il  n'e:oit  quellion  (jae  île  fiire  goii'.-r  ce  deiîein  au  Roi. 
I/A;niral  s\iLtucl!a  p'us  que  jamais  à  .>';.igner  l\i  confiance,  par  des  carelTes 
îk  ÙL-s  prvfcns.  Mais  comme  H  n'et'-.t  pas  moins  néceflaire  de  lui  inf,)irer 
du  refp.ft,^  il  lit  faire  qu-lj  ,  décharges  de  fon  Ardllerie.  La  foudre, 
ddc.ndiie  lûr  h  s  IniliLiires ,  i:ur  auroit  pas  caule  plus  de  fraveur.  Ils 
tomboienr  a  ti  rre  ,  en  le  cu.ivrant  ia  tête  de  Lurs  nuins.  C'.uaeinagiri 
n'éiaîU  piànt  ex.'npt  j' et  elTroi ,  l'Amiral  le  haca  de  le  ralTurer.  AveC 
es  ariv.es,  lei  dit  il ,  je  vjus  rendrai  victorieux  de  teus  vos  Ennemis  {i); 


( r^  lî^rrcr.i  ,  p'ilirt  r.vcc  itlnir.itio-i  de 
<:(\.U'  f:.i  itvi  lies  liiiiir;'..;  ;i  donner  ci-  qu'ils 
avo!L':it  dj  plus  prt;ci'.i,\,  fia  ur.c  re';ic<'')n 
(nt  llng'.iîicrc  II  leiiilhc,  dit  il,  que  Di  a 
\oul:r,t  tiiirc  co.iii-.ic'KX'r  \:\t  cette  Iilo  !a 
?iv>icitio'i  du  Chrl'l'inifinc:,  iV  voyant  ij'te 
les  iv.irojûens  n'étoient  jvis  cirribles  d i  .ire- 
)'rcnd-e  un  tn\:ui  (1  peii'i  ;Io  l;ins  iVlV--r:-co 
d'rueun  |,:i;n,  le  foit  cunîjit  comme  u;i  l'è- 
re qui  pai;r_  v..:\wr  iinj  ililc  ù-it  lii.ic,  fup 
r'ec  H  ce'  défaut  jv.i-  une  An  foii  avanti;i.a 


i  i  1   C 


Cil  le  Ui'.ine  ili'.'eiri'.n  rui  r.ur  ;a- 


cSc 


trnu..'  cctt.'  i.lce:  mu.;  quelfiucs  •  uns  on: 
inèmc  ioufçoirié  l'Auiir  1  d'avoir  conecr'.c 
Uin  n:uifia,;j  ;i\ee  (:=.  l'ilot;.s,  p.  ur  avoir, 
:;ux  j'LiK  de  Cniacana^nn  ,  u  i  prétexte  ;\  lai:- 
r  r  dan>  lllle  ii.ic  iiaitied.-  ùs  .:.•».;.  0;iVi/.% 

{i)  Ces  r.r.î'jmis.  dont  il  hldnt  louvc;: 
i-k-^  pianccs,  i^c  rju'il  no;nino;t  driibcf,  i' 
tt'iL'.t  d.s  Flahifii);  de  pliiliours  lllos  vtiH 
lies  .  .iv^c  !cr,(ue!s  il  éiuit  fui's  Ci  iFe  en  j.'acr- 
re  .  k  quM  ttpv.'tinti'it  conv.nc  lis  p'i.; 
crui;!;  i!c  tous  les  liotDr.u-s.  l'ieirt  iM„ityr 
en  ta  t  ici  uncaiVn'ufe  i>u!uurc.  {iJccad.  U. . 

1-   ;. 


'1: 


m^" 


s 

Tiiral  ;  Ot 
du  moins 

ouvcatix 
jtîVir  ton- 
V  les  clti- 
irai,  il  L- 
'loricns, 

lui  pic- 
<ie  cette 
■  voyant 

avoicnc 

arJcntLj 
pour  les 

\Mllt  (I.S 

j  ne  ful- 

u  poids 
cicrina 
ippirciu- 

fpoir  de 
>,  iii\nc 
'erres  de 
rent  que 
I  par  de- 
.  Ce  toit 
appren- 
au  Koj. 
carelTes 
ii)r,)irer 
fou. Ire, 
.'ur.     Ils 
em.igiri 
Avi.e 
mis(^/); 
Ce 

-  uns  ont 

concerte 

ur  avoir, 

jxt.  ;\  1.1  ;.- 

i.  Ojiid:, 

it  louvc':: 
r.iïucs  ,  c- 
lles  Vi.!] 
'(-•  en  <^ucï- 

Il  V      p'l,5 

rc  ,M;,r;yr 
kcaii.  l.t. . 


EN      A    M    E    R    1     Q    U    E,    L  i  v.    1.  25 

4^  pour  le  pcrfuader  par  des  effets,  il  fit  tirer  un  coup  contre  le  Navire 
.^clîoué.  Le  boulet,  ayant  percé  le  Navire,  alla  tomber  dans  la  Mer.  Ce 
.■/pe6lacle  caufa  tant  d'ctonnement  au  Roi,  qu'il  s'en  retourna  chez  lui  dans 
une  rêverie  profonde,  &  perfuadé  que  ces  Etrangers  étoient  les  Enfans  du 
«l'onnerre. 

Dans  cette  difpofition,  il  leur  accorda  volontiers  la  liberté  de  bâtir  un 
Fort  ,  qui  futcompofé,  en  dix  jours,  des  débris  du  Vailleau  ,  &  dans  le- 
quel on  mit  quelques  pièces  de  canon.  H  reçut  le  nom  de  la  h'avidail^ 
Îjarce  que  c'étoit  le  jour  de  Noël  qu'on  étoic  arrivé  dans  ce  Porc.  Un  fof- 
é  alFez  profond,  dont  il  fut  environné,  &  la  feule  vue  de  l'Artillerie, 
►parut  fuflire  pour  tenir  en  relpeèl  des  gens  nuds,  &  déjà  fubjugués  par  la 
.crainte.  Pendant  ce  travail,  l'Amiral  defcendoit  chaque  jour  à  terre, 
;OÙ  il  paiToic  toutes  les  nuits.  Guaeanagari  prit  cette  ocealîon  pour  le  fur- 
prendre  par  divers  honneurs,  auxquels  il  ne  s'attendoit  point.  Un  jour, 
en  defcendant  de  fa  Chaloupe,  il  rencontra  un  des  Frères  de  ce  Prince, 
qui  le  conduifit  par  la  main  dans  une  Maifon  fort  ornée  ,  où  le  Roi  vint  le 
trouver  aullitot  &  lui  mit  au  cou  une  lame  d'or.  Un  autre  jour,  cinq 
Caciques  ,  fujets  tlu  Roi,  l'étant  venu  voir  avec  des  couronnes  d'or  fur  la 
tête,  ce  Prince  o!)ferva  le  moment  où  l'Amiral  defcendoit  au  rivage,  pour 
fe  prefenter  avec  les  V'aHaux  ,  la  tête  couverte  aulîi  d'une  couronne;  & 
l'ayant  conduit  dans  le  même  lieu,  il  le  fit  aireoir  avec  beaucoup  de  véné- 
ration, vNl  lui  mit  fa  couronne  fur  la  tête.  L'Amiral  portoit  un  collier  de 
grains  fort  menus.  11  fe  l'ota  fur  le  champ  ,  pour  le  mettre.au  cou  de  Gua- 
eanagari; il  fe  dépouilla  d'un  fort  bel  habit  qu'il  avoit  ce  jour -là,  &  l'en 
couvrit  de  i'us  propres  mains;  il  fe  fit  apporter  des  bottines  rouges,  qu'il 
lui  fit  chaufler;  enlin,  il  lui  mit  au  doigt  un  anneau  d'argent.  Cette  céré- 
monie fut  comme  un  nouveau  Traité  ,  qui  parut  augmenter  l'afteftion  des 
Infulaires  pour  les  Callillans.  Deux  Caciques  accompagnèrent  l'Amiral  juf- 
Gu'à  fa  Chaloupe,  &  lui  préfentèrent,  en  le  quittant,  chacun  leur  lame 
a''or.  Ces  lames  n'étoient  pas  fondues;  elles  etoient  compofées  de  plu- 
fieurs  grains.  Les  Indiens,  n'ayant  pas  l'induflrie  de  les  mettre  en  œuvre, 
prenoient  les  parties  d'or,  telles  qu'ils  les  tiroient  des  IMines,  (Î!c  n'emplo- 
yoient  que  des  pierres  j)our  les  allonger  (v). 

.  Dans  cet  intervalle,  les  Infulaires  avertirent  l'Amiral,  qu'ils  avoient  dé- 
couvert un  Navire,  cjui  rodoit  à  l'Ell ,  autour  de  la  Côte.  11  ne  douta 
point  que  ce  ne  fût  la  Viiita  ^  dont  la  dcfertion  lui  caufoit  beaucoup  plus 
de  chagrin,  depuis  la  perte  de  fa  Caravelle.  Il  dépêcha  une  Chaloupe, 
avec  ordre  de  la  chercher;  mais  il  remit  à  l'Oflicier,  qu'il  chargea  de  ce 
foin,  une  Lettre  pour  Alfunfe  Pinçon,  par  laquelle,  dilîimulanc  fon  ref- 

feu- 


CiiRisTorna 

Coi.OMrt. 
1-492. 


îl  bdtit  Ml» 
Furt. 


l.);  nn\>  comme  les  Caflillans  nVn  rappor- 
tèrent, dans  ce  Voyai^c,  (juc  des  informa- 
tions Fort  ohicures ,  telles  (jifils  noiivoient 
les  recevoir  par  lie-,  'i.;;nes  ,  il  n'dt  pas  tems 
de  s'arrêter  à  ces  ilcfcriptions. 

(A' )  ilerrera,  Chap.  19.  11  ajoute  que 
l'Amiral  ne  juriloit  pas  l'occalion  de  s'infor- 
mer d'où  vendit  tant  d'or,  «ic  mi'U  caivoit 


les  noms  tics  lieux  qu'on  lui  nommoit,  matv 
avec  beaucoup  de  confufion,  parceqa'il  n'en- 
tendoit  pas  la  langue.  11  y  a  fan;>  doute  un 
peu  d'exagération  dans  cette  (luantité  de  la- 
mes ,  de"lin,L;ots  cS:  de  couronnes,  l'icrrp 
Martyr  dit  limplemcnt  que  les  Callillans  troU' 
vèrcnt  une  certaine  quanÙLc  d'or,  aiiqu»  co- 
pia. 

D 


Abon  dance 
d'or  (lu'ii  re- 
çoit de  Gua- 

canai^iri  &  ds 

Ici    CjC!iiUi.j, 


C;  qu'il  doîi 
ne  Cil  rctui.r. 


Alfonfe  Piii- 
V)n  veut  por- 
ter en  Efpa- 
;^iiela  prcuv.c- 
!c  nouvelie 
dos  découvcc- 


I 


mbA' 


.* 


''■-^'■.. 


26 


PREMIERS      VOYAGES 


CriRTSTOPHE 
COLOMD. 

i  4  9*2. 


Colomb  fe 
hâte  pour  le 
prc  venir. 
Garniloniju'il 
lui  lie  i.hni  luii 
Fore. 


•     Daii'^  quel- 
rs  dirpol' 
lions  i 


KulFc 


49- 


ô' 


Son  retour 

Caaille. 


fcntiment,  il  Vexhortoit  à  rejoindre  fon  Chef.  La  Chaloupe  fit  inutile- 
ment  plus  de  vingt  lieues.  On  ne  douta  plus  que  Pinçon  n'eût  fait  voi- 
le  en  Efpagne,  pour  y  porter  la  première  nouvelle  des  découvertes,  & 
pour  s'en  attribuer  peut  -  être  toute  la  gloire.  Ce  Ibupçon  détermina  l'A- 
miral à  prellcr  fon  départ ,  &  lui  fit  remettre  à  d'autres  tcms  la  vifitc  des 

Mines.  ,    ,    .^  r. 

Il  aflembia  tous  fes  gens,  entre  lefquels  il  choifit  trente -neuf  hommes, 
des  plus  forts  &  des  plus  réfolus.  Il  leur  donna,  pour  Commandant,  un 
Gentilhomme  de  Cordoue,  nommé  Diego  d'/Iratia,  qu'il  revêtit  d'un  pou- 
voir abfolu,  tel  qu'il  l'avoit  reçu  lui-même  de  Leurs  Majcllcs  Catholiques. 
Il  nomma  Pedro  Guttienz  &  Rodrigue  iïEJ'cobedo ,  pour  le  remplacer  fuc- 
ceflivement,  fi  la  mort,  ou  quelque  autre  accident,  l'enlcvoit  à  la  Colonie. 
Un  Cordonnier,  un  Tailleur  d'habits,  &  un  Charpentier,  furent  les  feuls 
Ouvriers  qu'il  crut  néceflaires ,  dans  un  Etablifllment  où  tout  autre  An 
étoit  inutile.  Mais  il  y  laifla  tout  ce  qu'il  put  fe  retrancher  de  vin ,  de 
bifcuit  ,  &  d'autres  provifions ,  avec  diverfes  fortes  de  grains  pour  femer, 
&  quantité  d^  marchandifes ,  qui  dévoient  fervir  à  l'entretien  du  Commer- 
ce avec  les  Infulaires.  Comme  l'engagement  de  ceux  qu'il  avoit  choifis 
étoit  volontaire,  il  n'eut  à  leur  reprelcnter  que  l'importance  dont  il  étoit 
pour  eux  &  pour  leur  Patrie,  de  vivre  dans  l'union,  de  ménager  les  Infu- 
laires, &  d'apprendre  la  Langue  de  ces  Peuples.  Les  provifions,  qu'il 
leur  laiflbit  dans  le  Fort ,  fuffifoient  pour  une  année  ;  &  fon  abfence  ne  de- 
voit  pas  durer  fi  long  tems.  Il  ne  lui  refloit  qu'à  prendre  congé  de  Gua- 
canagari.  Cette  entrevue  fut  célébrée  par  de  nouveaux  témoignages  d'ef- 
time  &  de  confiance.  Les  préfens  ne  furent  point  épargnés ,  ik  l'Amiral 
promit  d'en  apporter  bien -tôt  de  plus  riches,  de  la  part  du  grand  Roi 
qu'il  ne  faifoit  que  repréfenter.  En  recommandant  fes  Gens  à  Guacanaga- 
ri,  il  l'afFura  qu'il  leur  avoit  ordonné  de  le  fervir  contre  les  Caraïbes,  & 
que  ces  machines  terribles,  qu'il  leur  laiffoit  pour  fa  defenfe,  étoient  ca- 
pables feules  de  le  délivrer  de  tous  {qs  Ennemis.  Ce  Prince  s'engagea  fo- 
lemnellement  à  traiter  les  Chrétiens  comme  fes  Enfans ,  &  pour  gage 
de  ^cs  promeffes  ,  non  -  feulement  il  conlentit  que  plufieurs  de  \^qs  Sujets 
fiffent  le  Voyage  de  l'Europe,  mais  il  confia  un  de  fcs  Parens  à  l'Amiral. 

L'Ancre  fut  levée,  le  4  de  Janvier.  On  prit  d'abord  la  route  de  l'Efl, 
dans  le  deflein  de  reconnoître  toute  la  Côte  de  l'ille.  Après  avoir  double 
le  premier  Cap,  que  l'Amiral  avoit  nommé  Pmta  Santa,  &  qui  cil  aujour- 
d'hui le  Cap  François  y  on  apperçut  une  Montagne,  fort  haute  &  fans  ar- 
bres, qui  en  eft  à  dix-huit  lieues,  &  qui  reçut  le  nom  de  Morne-  Chrtjlu(i). 
Un  grand  Fleuve,  qui  fort  à  côté  de  ce  Mont,  reçut  celui  de  Rio  del  Oro, 
parce  qu'on  y  trouva  quelques  pailles  d'or  dans  le  î'able.  A  cette  vue,  l'A- 
miral fe  perfuada  plus  que  jamais  que  l'ille  Efpagnole  étoit  le  véritable 

d")  Ulliaorien  de  Saint-Domingue  re-  c(l  à  troi^  lieues  nu  vent  de  la  Granire ,  au 
marque  que  nus  Cartes  Françoifes    lui    ont     tre  Montagne  ainli  nommée,  pu  1  ce  \uie  a 

f,?ùw-'"f, "'""'""•  '^  'l"i"/"^'"x  qui  croyent     h  Mer  011  h  prendroit  tu   câel  pour  uu? 
t)uc  Luli  te   que    nus  Marins  nummeiit  /.»     dranue. 
Crante ,  fyni  dans  Vurcur.    Moaie-ChiUly 


o 


Cipango 

nés  de  C 

erreur  ( 

Le  E 

faifoit  v 

gueur  ( 

n'empé 

tant  alU 

4ont  il 

L'Amir 

les  arri 

trente 

Port, 

diens , 

nom  de 

dans  la 

Pinçon 

En  ri 
fommet 
le  nom 
à  chevi 
ranger 
noms  qi 
12,   il 
grande 
Prefqu' 
jourd'ni 
lots,   q 
grand  r 

3ui  étoi 
'abord 
en  échj 
accomp 
nés  d'01 
gence. 
qui  le  c 
vironnt 


(«0  I 
(n)  t 
dêtre  ai 
fein  de  1 
fe  Pinço 
(0)  1 
ties,  qt 
Poëtes  1 

(P)I 
luption, 


^^ 


s 

fît  inutile- 
t  fait  Vol- 
ivertcs,  èi 
îrmina  l'A- 
i  vifitc  des 

f  hommes, 
indant,  un 
:  d'un  pou- 
atholiqucs, 
placer  fuc- 
la  Colonie, 
it  les  feuls 

autre  An 

e  vin ,  de 
)ur  femcr, 
1  CommcT- 
oit  choifij 
nt  il  etoit 
r  les  In lu- 
Dns ,   qu'il 
ice  ne  de- 
t'  de  Gua- 
lagcs  d'ef. 
i-  l'Amiral 
;rand  Roi 
uacanaga- 
■aïbes,  & 
coicnt  ca- 
gagca  fo- 
our  gage 
fes  Sujets 
Amiral. 

del'Ed, 
ir  double- 
Il  aujour- 
.  fans  ar- 
hnjlu{i). 
1  (iel  Uro, 
l'île,  l'A- 
véritable 
Ci- 


range,  au 

ce  (juc  Ce 

pour  ua? 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.   I. 


27 


Cipango;  &  s'il  s'étoit  cru  ,  dit  Ilerrera ,  aufli  proche  qu'il  n'étoit  des  Mi- 
nés  de  Cibao  ,  d'où  l'on  tira  tant  de  richcffes,  il  fe  feroit  confirmé  dans  fon 
erreur  (m). 

Le  Dimanche  6,  en  fortant  de  Rio  dcl  Oro,  il  découvrit  la  Pinta,  qui 
faifoit  voile  avec  le  même  vent.  Pinçon,  l'ayant  aborde,  rejetta  la  lon- 
gueur de  fon  abfence  fur  le  mauvais  tems.  La  faulfeté  de  cette  excufe 
n'empêcha  point  l'Amiral  de  recevoir  fes  foumiflîons  (n).  11  raconta  qu'é- 
tant allé  de  Port  en  Port,  il  avoit  trocjué  fcs  marchandifes  pour  de  l'or, 
dont  il  avoit  pris  la  moitié  pour  lui  6c  diftribué  l'autre  à  fon  Equipage. 
L'Amiral  ferma  les  yeux  fur  cette  nouvelle  témérité  ;  &  les  deux  Caravel- 
les arrivèrent  enfemble  près  d'un  Cap, qui  fut  nommé  Piwta  Roxa  (0), 
trente  lieues  à  l'Efl  de  Alonte  -  Chrifto.  De-là  elles  fe  rendirent  dans  un 
Port,  où  Pinçon  avoit  fait  fes  échanges  ,  &  d'où  il  avoit  enlevé  quatre  In- 
diens, que  l'Amiral  l'obligea  de  remettre  au  rivage.  De-là  peut-être  le 
nom  de  Puerto  de  Gratta  ,  qui  fut  donné  à  ce  Port  ;  quoiqu'on  ait  publié , 
dans  la  fuite  ,  que  ce  fut  en  mémoire  de  l'amniftie  qui  fût  accordée  à 
Pinçon. 

En  remettant  à  la  voile,  on  découvrit  une  haute  Montagne,  dont  le 
fommct  parue  couvert  de  -cige,  ou  comme  argenté;  ce  qui  lui  fit  donner 
le  nom  de  Monte  de  Pîata.  Un  Port ,  qui  efl:  au  pied,  de  la  forme  d'un  fer 
à  cheval,  reçut  celui  de  Puerto  de  Plata  (p).  L'Amiral,  continuant  de 
ranger  la  Côte  ,  rencontra  plufieurs  autres  Caps  ,  auxquels  il  donna  des 
noms  qu'IIcrrcra  nous  a  confervés,  fans  expliquer  leur  fituation  {q).  Le 
12,  il  fit  trente  lieues,  avec  beaucoup  d'étonnement  de  trouver  l'Ifle  fi 
grande.  Là,  fe  trouvant  vis-à-vis  d'une  grande  Baye,  formée  par  une 
Prefqu'ino,que  leslnfulaires  nommoient  Samana^  &  qui  porte  encore  au- 
jourd'nui  le  même  nom,  il  entreprit  de  la  faire  vifiter.  Quelques  Mate- 
lots, qu'il  envoya  dans  une  Chaloupe,  obfervèrent,  fur  le  rivage,  un 
grand  nombre  de  Sauvages  ,   armés  d'arcs  &  de  tléchcs.     Ce  fpe6lacle , 

aui  écoic  jufqu'alors  fans  exemple  pour  les  Callillans,  ne  les  empêcha  point 
'aborder.  Ils  furent  (i  bien  reçus,  qu'après  avoir  donné  des  bagatelles 
en  échange  pour  quelques  armes  des  Indiens,  ils  en  engagèrent  un  à  les 
accompagner  jufqu'à  Bord.  L'Amiral  lui  fit  diverfes  queliions  fur  les  Mi- 
nes d'or  o:  fur  les  Caraïbes,  auxquelles  il  fatisfit  avec  beaucoup  d'intelli- 
gence. Lorfqu'il  eut  été  renvoyé,  avec  quelques  préfens,  les  Matelots, 
qui  le  conduifoicnt,  furent  furpris ,  en  defcendant  a  terre,  de  fe  voir  en- 
vironnés d'une  Troupe  de  Sauvages  armes,  qui  5'étoient  tenus  cachés  der- 

riè- 


CHRT<;Tfli»rif 
Colomb. 

149  3- 

Alfonfe  Pin. 
çon  rcparoit 

mal. 


Punta  Roxa. 


Puerto  de 
Gratia. 


(m)  IIcruTH,  TAv.  2.  Cbap.  t. 

(«)  Ovicd  )  prctciul  iiuc  ce  fuc  la  crainte 
dètri;  .irrcto,  pour  avoir  cundamnô  le  dcf- 
fcin  de  l:iiircr  Uarnifon  dans  l'ide,  qu'Altbii- 
fc  Pinçon  avoit  pris  la  fuite.   Ujap.  VI. 

(0)  L'Amiral  vit ,  dans  ce  lieu,  trois  Sini- 
ties,  qu'il  ne  trouva  pas  fi  belles  que  les 
Poètes  les  refirùfentent.  Ilerrera,  ibidem. 

(p)  Les  l'"ran(;ois  l'ont  noinuîé- ,  par  cor- 
lUption,  PtrtoljlMii. 


'4 


(î")  Les  noms  font,  del  Angel ,  la  Tunt* 
dd  Vcrro,  El  Rcdondo .  FA  Frances ,  El  Ct- 
ho  de  buen  Tiempo ,  El  Tajado ,  El  Cabo  de 
Fadre  y  bijo ,  Puerto  facro ,  &  l  s  Enamora' 
dos.  On  prétend  ,  fuivanc  lliidorien  de 
Saint-Domingue,  que  celui  qu'on  apuelle 
aujourd'hui  le  Fiettx  Cap  ,  tS;  qui  cft  a  55 
lieues  du  Cap  François,  cft  celui  qui  fut 
nuiuiué  aloij  C(èb9  Francei, 

D  » 


Monte  de 
Plata  &  Puer- 
to de  Plata. 


Prcsqu'Ifle 
de  Samanit. 


0»f 


38 


PREMIERS      VOYAGES 


ClIRISTOniE 
COLOMII. 

1493- 


Trcmicr  f.ing 
i|ue  les  VA'pii- 
giiols  font 
cmilcrdans  le 
noiivcnu 
AlonJe. 


B:!ye  des 

Fiteheà. 


Tempère 
i'.irieiite,  iS: 
Weiix  des 

E'iiiip-.iges. 


rière  les  arbres.  Ils  fc  crurent  en  danger.  L'Indien ,  qu'ils  avoicnt  rame- 
né, s'appcrçut  de  leur  dcfiance,  &  s'etforça  de  les  ralTurer.  Mais,  quel- 
que  nouveau  tumulte  ayant  lait  renaître  leurs  foupçons ,  la  crainte  d'être 
prévenus  leur  fit  prendre  le  parti  de  fe  fauver;  &,  pour  fe  faire  redouter 
de  ces  Uarbarcs,  ils  en  bleflercnt  deux  de  quelques  coups  de  fabres.  'J  oiis 
les  autres  prirent  la  fuite,  en  jcttant  leurs  arcs  &  leurs  flèches.  Ce  fut  h 
première  fois  que  les  Callilians  firent  couler  du  fang  dans  cette  lOe.  L'A- 
miral en  parut  d'abord  allligé;  mais  il  reconnut  cnluite  nue  ce  n'étoit  pas 
un  mal,  d'avoir  appris  aux  Infulaires  que  les  Cafliilans  favoient  faire  ufagc 
de  leurs  armes  (;  ;,  fur-tout  lorfquc,  le  jour  fuivant,  on  eut  fait  la  paix  avec 
le  Cacique  du  Canton,  qui  vint  le  faluer  à  J3ord,  &  qui  lui  fit  prcfent  d'une 
couronne  d'or.  Cet  événement  fit  donner,  à  la  Baye,  le  nom  de  B,iye  des 
Flèches  f  qu'elle  n'a  pas  conlervé. 

Cependant  l'ennui  d'une  fi  longue  navigation,  autant  que  le  mauvais 
état  des  Caravelles,  qui  faifoient  beaucoup  d'eau,  déterminèrent  l'Amiral 
à  prendre  direclement  la  route  de  l'Europe.  Les  voiles  furent  tournées  au 
Nord-Ell,  le  1 6  de  Janvier  ;  ei:  l'on  découvrit  piufieurs  petites  Illes,  que 
perfonne  ne  fut  tenté  de  reconnoître.  La  navigation  fut  heureufe  julqu'au 
Mardi,  12  de  Février  (j)  ,qu()iqu'ane/.  incertaine,  parla  variété  des  oblèr- 
vations  &  du  jugement  des  Pilotes.  Mais,  après  avoir  fait  environ  cinq 
cens  lieues,  les  deux  Caravelles  elluyèrcnt  une  li  furieufe  tempère,  que  le 
naufrage  parut  inévitable  (t).  Un  lit  diverfes  furtes  de  Vœux,  pour  obte- 
nir 


(■  f  ,  Hjrrcra,  ;.'. ;./;•'« 

(s]  Ce;'!  IleiTLi-p.  i;ui  niirque  cctt  d::ttc. 
D'autres  la  !nettet)t  (jiicKjiic.^  jours  plus  tard. 
Ail  vérité,  Jlerrcra  donne  la  (iemie  pour 
C(.lle  du  premier  jour  de  la  tempête. 

(c  )  Le  uieiiie  llillorien  l'a  déerite  fort  au 
long;  mai- on  en  wrra  plus  \o!ontii.rs  quel 
quLS  circonùanci-s  dans  une  troilicme  Lettre 
de  Chriftojijic  Colomb  au  Roi  d'Krpagnc. 
,,  J  aurj.'s  (buflert  mon  mnllieur  avee  plus  de 
,,  fatJLncc,  (îj'avois  étéf.ul  en  danger.  J\i- 
,,  vois  vi'i  n  fouvcnt  la  n^ort  de  prés,  que 
„  je  ne  l'aurois  pas  .ipprehcnd.ee;  mais  ma 
,,  douleur  etoit  de  voir  périr  tant  de  gens, 
)i  que  Vôtre  Majefté  m"avo;t  confiés  pour 
„  mon  cntreprife.  D'ailleurs,  j'étuis  dele.s- 
„  pcré  de  ne  pas  porter  moi-même,  à  Vôtre 
„  IVIajeri.é,ia  nouvelle  de  mes  découvcrit.-) , 
„  pour  taire  connoître,  à  ceux  qui  s'étoient 
„  oppofes  à  mes  delfeins ,  que  j'avois  \\u  les 
„  exécuter.  Je  [tcnfois  aulîi  à  mes  deux 
„  Fils,  qui  font  à  Cordoue.  Leur  jeunelle 
,,  m'atlligeoit.  Je  me  rcprefentois  l'état  mal- 
„  heureux  où  ils  pcavoicnt  tomber  après  ma 


„  mort,  abandonnés  de  tout  le  monde,  & 
»  peut -être  oubliés  de  Vôtre  Majelié,  qui 
»  n'aiiroit  j-imais  f\-u  le  fervice  que  j'avois 
„  eu  le  bonheur  de  lui  rendre.  11  y  avoit 
„  des  momens ,  où  je  eroyois  que  pour  le 
„  chaïunent   de-  mes  p.ichés  ,  la  jullicc  de 


„  Dieu  ne  voulo.'t  p.ns  me  laiiTer  j-ii'ir  de  ma 
,,  i;loire.  Cvpen.lant  je  ne  pou\  ois  me  per- 
,,  fuadcr  que  nus  découvertes  ne  vinlUrt 
,,  quelque  jour  à  vôtre  connoiiîar.ce  ;  t\,pour 
„  \ou-  en  informer  u;oi -n'.êiiH- ,  j'avois  (.•• 
„  crit,  i^r.dai'.t  la  t^nqiête,  iiu.hjues  lij^ne? 
„  fur  un  parchemin ,  avec  le  nom  des  'l'er 
„  res  <îue  j'avois  acquifes  à  vôtre  Couronne, 
„  la  route  qu'il  fallu. t  tenir  pour  y  aller,  i<. 
,,  le  t:ir.-  que  j'avois  enijiloye  à  mon  \\>:  ■ 
„  ge.  J  infirmois  N'ôtre  Majellé  des  couiu- 
„  nus  des  ilabitans,  de  I.i  fertilité  du  Pay., 
M  &.  de  la  Colonie  que  j'y  avois  lailVee  jioiii 
„  voih  en  cunferver  la  polRllion.  J  avols 
I,  Icniic  le  par«.l,i.inin  de  mon  eaelxt.  le 
„  l'avois  enveloppe  d'une  toile  cirée,  pii'i 
,,  dans  de  la  cire,  &  je  j'avois  mis  dans  u;) 
„  baril  bien  bouché,  avec  une  inferiinion  à 
Vôtre  Majel':é.  Je  l'.ivois  jette  dans  i: 
Mer,  dans  l'efpérance  (jue  (i  nous  avio;  i 
IKTi  tous  dans  les  f.ot>,  quelque  Navi;.- 
tcur,(iuir.uiruit  trouvé,  vuu-.  l'eut  portét'i 
Kfpa,:;ne.  15ien  |i!us  ,  craij;nant  (juc  la 
tenqête  ne  poulI.\t  le  baril  trop  loin ,  j.i- 
M)!sniis,  daiH  un  .uitre,  «pie  je  gar.'.i' . 
.i  Hord,  un  fécond  parcb.enun ,  tel  tjue  'j 
»  premier,  aCiii  (lu'aj^re^  nôtre  naufra;;e ,  l'i  r. 
„^des  deux  mit  être  rendu  à  Vôtre  Ma;e!lé  ', 
ne  de  fLiillciiiv  folfjmb  ,  C/.i/i.  36.  On  1 
reproché,  à  r.tVuiiral-,  d  avoir  ici  manqué  .' • 


paru, 


>> 
>i 
»i 
*• 
>i 

H 

»• 


»1 

M 


ent  rame- 
ais,  quel- 
ntc  d'étrc 

redoiucr 
PS.     'J'oiis 

Ce  fut  la 
le.  L'A. 
t'etoit  pas 
il  ire  iifagc 
paix  avec 
cnt  criine 
c  B.iyc  des 

mauvais 
:  l'Amiral 
urnccs  ;ui 
Hcs,  que 
:  ju (qu'au 
es  oblcr- 
iron  cinq 
■,  que  le 
our  obte- 
nir 

jtiuïr  de  111,1 
ois  nio  p'vT- 
no  vinlRnt 
ce  ;  6i  pour 
,  j'.ivuis  (.• 
i]ues  li^,;iK^ 
m  lies  Ter 
Couronne, 

y  aller,  Ci 
mon  \'uy.- 

des  coutil- 
te  ihi  I':iys, 
lailVce  jiuui 
m,  J  avilis 
caeliet.  jj 
circ^-,  puii 
nis  ilans  ii;i 
nferiiuion  :i 
ué  dans  i: 
,ous  avior.i 
jiie  Navi  ;  - 
Liit  porté  in 
aiic  <iue  ii 
)p  loin,  ju- 

je  gardij.s 

tel  que  'o 

iit"ra;;e ,  l'i  n 

•:  Majelic  '. 

3(3.     On   1 

manqué  .'  • 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Li  v.    I. 


29 


nir  la  protc6lion  du  Ciel  (u).     Enfin  l'Amiral,  croyant  toucher  au  dernier  Curi^jtophk 

moment  de  fa  vie,  àc  s'alîligcant  moins  d'un  malheur,  dont  il  ne  pouvoit  i^^g^' 

fe  garantir,  que  de  la  perte  de  fes  Mémoires,  qui  alloit  rendre  Ton  Voyage  j  .J^^.^^'^ 

inutile  à  ri':rpagne,  prit  le  parti  de  les  réduire  en  peu  de  lignes  fur  un  par-  j^,^^;^^  f^.^-^,^^, 

chemin,  qu'il  enferma  foigneufement  dans  un  baril;  &,  fans  communiquer  moires  dans 

fon  ieeret  à  fes  gens,  il  jetta  le  baril  dans  les  Ilots.'    Ils  s'imaginèrent  que  l'-s  îlots, avec 

c'étoit  quelque  nouvelle  reflburcc  de  Religion  (x);  &  le  vent  s'étant  ap-  ^1^'s  pi'ccau- 
mile  tout  d'un  coup ,  1  lerrera  fiiit  entendre  qu'ils  attribuèrent  cet  heureux 
changement  à  la  piété  de  l'vXmiral.     Cependant  l'autre  Caravelle  uvoit  dif- 


tions  puur  Ic;i 
fiiuver. 


paru, 


dès 


le  c 


ommencemont  de  la  tempête;  &.  n'étant  point  ramenée  par 


îc  beau  tems,  on  ne  douta  point  qu'elle  n'eût  péri.  Le  15,  on  apperçut  !a 
terre  à  l'ElVNord-Efl: ,  mais  fans  aucun  ligne  qui  pilt  aider  ù  la  reeonnol- 
tre.  Les  uns  la  prcnoient  pour  l'Ille  de  Madère,  &  d'autres  pour  la  Roche 
èc  Cintra,  qui  cil  proche  de  Lisbonne.  Colomb  feul  jugea,  par  fes  obfer- 
vations,  que  c'étoit  une  des  A(;orcs(}'),  qu'on  reconnut  bientôt,  en  efl'et, 
pour  Sainte-Marie. 

Il  aborda,  le  18,  au  Nord  de  cette  lOe.     Dom  Juan  de  CaJlamJa ,f\\.û.      jiarrivcà 
y  commandoit  pour  le  Portugal,  l'envoya  complimenter  aulll. tôt,  Oi:  lui  fit   Sainte  Mmie 
t)orter  quelques  rafraîchillemens.     Cette  politcllc  lui  infpira  tant  de  con-    '•''- ^'^ ';"''■'• 
îlance,  que  ne  penfant  qu'à  rendre  grâces  au  Ciel,  par  l'exécution  du  Vœu 
public,  il  fit  defcendre  le  lendemain  une  partie  de  les  gens,  pour  fe  rendre 
en  proceflion  dans  une  Chapelle  voifine,  où  il  fe  propolbit  d'aller  lui-même 
le  jour  d'après,  avec  le  refle  de  l'Equipage.     Les  Cadiilans  éto.icnt  non- 
feulement  fans  armes,   mais  nuds  en   chemife,  fuivant  la  promelTe  qu'ils 
iivoient  faite  au  Ciel.     A  peine  eurent-ils  perdu  de  vue  le  rivage,  qu'une 
Troupe  de  Portugais  fondit  fur  eux  &  les  fit  prilbnniers.     L'Amiral,  fur- 
pris  de  ne  pas  les  revoir  à  la  fin  du  jour,  fit  avancer  fon  VailTeau  vers  une 

Poin- 


prudeiiec;  car  les  hr>rils  pouvoiein  tomber 
en  toute  autre  main  (jue  celle  d'un  l'^lpa.i^nol , 
&  fes  lumières  auroient  tourné  au  protU  de 
quelque  autre  Cuur. 

(c)  llerrera  lesexjlique.  ,,  L'Amiral ,  dit- 
„  il,  ne  fâchant  plus;!  quoi  le  refondre,  or- 
,,  donna  que  l'on  tirùt  au  fort,  pourfaireun 
,,  Pèlerinage  à  Ni')tre-Dame  de  Guadaloupe, 
c'^  (]ue  Li'lui ,  fil»  e,ui  le  fort  to;ii')eroit,  y 
porteroir  un  C,'lor;;e  du  poids  de  cin(i  li- 
vres; c'eft  un  dL\uir  des  Mariniers,  lorf- 
qu'ils  font  en  grand  péril,  éc  Dieu  les 
exauce  fouvent.  Le  fort  tomba  fur  l'yXmi- 
lal ,  qui  promit  auditôt  de  l'accomplir.  On 
tira  une  autre  fois,  pour  aller  à  Nôtre- 
D.une  de  Lorette,  lieu  tiès-fain.  dans  la 
M.irche  d'Ancon,-,  ii  le  fort  étant  échu  à 
Pierre  Ac  rHl:  ,  Marinier,  l'Aminl  lui 
promit  de  fournir  à  la  d.^penfe.  Comme 
„  Il  Teiiii  été  ne  laiti'oit  pas  de  continuer, 
,,  o;i  lit  ei.eore  un  autre  Vteu ,  qr.i  fut  d'al- 
„  1er  veiller  une  nuit  dans  Sainte-Claire  de 
„  iVlogues,  &  d'y  faire  duc  une  ^kilc.    Le 


„  fort  tomba  pour  la  fc  ;o  idc  fois  fur  l'Ami- 
,,  rai..  Enfin,  voyant  que  le  tems  ne  chaii- 
„  f^coit  point,  ils  firent  vœu  tous  cnfemble 
,,  de  fortir  en  chemife  à  la  pre:iiicre  terre  où 
„  ils  arriveroient,  &.  d'aller  en  procelFion 
„  dans  une  Eglife  dédiée  à  la  Sainte  'Vierge. 
„  Mais,  malgré  tout  cela,  le  mauvais  tems 
,,  ne  difcontinuoit  point.  '  iibifup.Cbap.  x. 

(x)  Ibidem. 

(>')  C'ell  llerrera,  qu'on  fuit.  Cependant 
l'Amiral  même  ne  s'attribue  point  tan  de  lu- 
mières ,  dans  un  fraf^ment  de  Lettre  cité  par 
{on  Kils.  ,,  Le  Samedi  16  de  Février,  i'arri- 
,,  vai  la  nuit  à  uni"  de  ces  llles;  mais  le  tems 
„  étoit  fi  obleur,  que  je  ne  pus  l'avoir  où  j'é- 
„  toi>i.  Je  dormis  un  peu  ,  parce  (ju'il  y  avoit 
„  trois  jours  que  je  n'avois  repofé.  En  m'é- 
„  veillant,  je  me  fentis  les  jambes  comme 
,,  perclues,  par  la  i^rande  fati;;ue  (Se  l'humi- 
,,  dite  de  l'air.  Les  vivres  nous  avoient 
„  prelo,ue  manqué.  J'appris,  le  Lundi  fui- 
,,  V  aiu  ,  <iue  nous  étions  à  TlHe  Sainte-Marie. 
,,  une  des  Açores".     riv  du  Culon;b,Ci'j3p.2"- 

^  3 


"Vf».,. 


se 


PREMIERS      VOYAGES 


I 


COLOMt». 

149  3- 

Les  CiRil- 
lans  y  font 
nialtraiti-^s. 


Fermetiî  de 
Colomb  à  ré- 
roiilFer  l'in- 
fuite. 


Comment 
©Il  te  récon- 
cilie. 


Nouvelle 
Tempôte ,  & 
Vœux  renou- 
velles. 


la  lîarquc,  apparemment  pour  le  venir  attaquer.  Il  fc  mit  aulli-tôt  fous  les 
armes,  dans  la  rclblution  néanmoins  de  ne  pas  commencer  les  hoflilités. 
Les  Portugais,  s'étant  avancés  à  la  portée  de  la  voix,  demandèrent  un  11- 
gnc  de  Alrcté.  Il  ne  balança  point  à  le  donner:  mais  voyant  qu'ils  ne  s'en 
tenoient  pas  moins  éloignés,  il  leur  dit  qu'il  avoit  quelque  étonnement  de 
ne  voir  aucun  de  Tes  gens  dans  la  Barque;  qu'il  ne  s'ctoic  pas  imaginé  qu'on 
ne  l'eût  fait  faluer  que  pour  le  trahir;  au'il  avoit  l'honneur  d'être  Amiral  de 
l'Océan,  &  Viceroi  des  Indes  pour  l'Eipagne,  &  qu'il  étoit  prêt  à  montrer 
Tes  Provifions.  Un  Officier  Portugais  lui  repondit  qu'on  ne  connoilToitjdans 
l'ille,  ni  le  Roi  d'Efpagne,  ni  les  Lettres,  &  qu'il  fcroit  traité  comme  ll-s 
gens,  s'il  avoit  l'audace  d'entrer  dans  le  Port.  Vn  langage  li  oftcnçant  fit 
clouter,  à  l'Amiral,  fi  depuis  Ton  départ  les  deux  Couronnes  n'avoient  pas 
rompu  la  paix.  Il  prit  tous  Tes  gens  à  témoin  de  ce  qu  ils  avoient  enten- 
du; &  s'armant  de  fierté  à  Ton  tour,  il  jura  qu'il  ne  partiroit  point  fans  une 
vengeance  éclatante.  Le  tems  devint  fi  mauvais,  qu'après  avoir  perdu 
quelques  ancres,  il  fut  contraint  de  chercher  un  abri  dans  rifle  de  Sahit- 
Michel:  mais  l'orage,  qui  continua  toute  la  nuit,  ne  lui  ayant  pas  permis 
d'y  aborder,  il  revint  le  jour  fuivant  à  Sainte-Marie,  dans  la  rcTolution  d'at- 
taquer cette  llle,  Ck  d'employer  toutes  fes  forces  pour  tirer  vengeance  des 
Portugais.  Pendant  qu'il  le  difpofoit  à  cette  entreprifi.*,  un  Oflicier  de  l'Illc 
&  deux  Prêtres,  avec  cinq  Matelots,  s'approchèrent  de  ja  Caravelle  dans 
une  Barque,  &  demandèrent  la  permiirion  de  monter  à  Bord.  Ils  venoicnt , 
dirent-ils,  de  la  part  de  leur  Commandant,  pour  s'informer  s'il  étoit  vrai 
que  le  Vaifil-au  portât  un  Amiral  d'Efpagne;  avec  ordre,  dans  cette  fuppo- 
fition,  de  lui  rendre  tous  les  honneurs  qui  étoient  dûs  à  fa  dignité.  I/A- 
mirai  feignit  de  croire  ce  compliment  fincère,  &  leur  montra  non  feule- 
ment fes  Provifions,  mais  les  Lettres  du  Roi  fon  Maître,  qui  le  recomman- 
doient  à  toutes  les  Puiffances  du  Monde.  Alors ,  on  lui  rendit  fa  Barque 
&  fes  gens,  avec  des  excufes  dont  il  affedlade  paroitre  fatisfait.  Mais  il 
apprit,  des  Prifonniers  qu'on  lui  ramena,  que  tous  les  Sujets  du  Roi  de 
Portugal  avoient  ordre  de  l'arrêter ,  dans  quelque  lieu  du  Monde  qu'il  pût 
tomber  entre  leurs  mains,  &  qu'il  n'auroit  pas  évité  cette  difgrace,  s'il 
étoit  defcendu  avec  la  première  partie  de  fes  gens,  comme  les  Portugais  fe 
l'étoient  pcrfuadé  (z). 

Le  tems  étant  devenu  favorable  à  la  navigation,  il  fit  prendre  la  route 
de  l'Eft,  qu'il  fuivit  heureufement  jufqu'au  fécond  jour  de  Mars.  Vn  oifeau 
fort  gros,  qu'il  prit  pour  un  Aigle,  à  qui  vint  fe  percher  fur  un  mù:,  fut 
comme  l'avant-coureur  d'une  féconde  Tempête,  aulli  terrible  que  la  premiè- 
re. Elle  fit  recommencer  les  Vœux  tîour  un  Pèlerinage;  &  l'I  iillorien  ob- 
ferve  avec  admiration ,  que  le  Ciel  fit  tomber  encore  une  fois  le  fort  fur 
l'Amiral  (a).     On  s'abandonna  aux  vents,  pendant  deux  jours,  fans  règle 

& 


1  ^r?-\S*^  ^^^  '"'  ^^^  J^Ser,  dit  Herrera,  que     shumiliàt  au  milieu  des  faveurs  qu'i 
le  Ciel  l  uccompagnoit  toujours ,  aûn   qu'il     reçues.  (  4  )  Ibidm. 


il  caaYolC 


)É0 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I. 


8« 


^rqiu;;  mais 
grand  nom- 
trcrcnt  dans 
•tôt  fous  les 
;s  hoftilitcs. 
Icrcnt  un  11. 
iu'ils  ne  s'en 
inemcnc  de 
aginc  qu'on 
e  Amiral  de 
ta  montfLr 
îilToit.dans 
comme  les 
lilcnçant  fit 
i voient  pas 
ient  enten- 
nt  fans  une 
voir  perdu 
w  de  Stiifit- 
pas  permis 
lution  d'at- 
;cancc  des 
icr  de  riile 
ivclle  dans 
ven  oient, 
étoit  vrai 
tte  fuppn- 

itc.    i;a- 

nonfeule- 
ecomman- 
Harque 


fa 


Mais  il 

Roi  de 

qu'il  pù: 

race,  s'il 

Ttugais  le 


u 


la  route 
Jn  oifeau 

ma:,  fut 
a  iireniiè- 
orien  ob- 
.'  fort  fur 
ans  règle 

l'il  cntToIC 


f 
II 


êi  fans  efjîcrancc.  Enfin ,  le  4  ,  après  avoir  vu  la  Terre  de  près ,  dans  une 
nuit  fort  ohfcure,  on  reconnut,  à  la  pointe  du  jour,  la  Roche  de  Cin- 
tra; &  quoique  le  vent  parue  bon  pour  s'avancer  vers  l'Efpagne,  la  Mer 
continuoit  d'être  fi  grofle,  qu'on  fe  crut  obligé  d'entrer  dans  la  Rivière  de 

Lisbonne.  .  .  ,,  , 

Le  Roi  de  Portugal  fe  trouvoit  alors  a  Valparaifo.  L'Amiral ,  après  avoir 
commencé  par  dépécher  un  Courier  à  la  Cour  d'Efpagne,  écrivit  à  ce  Prin- 
ce, pour  lui  demander  la  permilîjon  de  mouiller  dans  le  Port  de  fa  Capita- 
le; avec  la  précaution  de  f  avertir  qu'il  ne  venoit  pas  de  Guinée,  mais  des 
Indes.  Cette  déclaration  n'empêcha  point  que  fon  Vaifleau  ne  fut  vifité 
aar  un  Officier  Portugais,  qui  lui  fignifia  l'ordre  de  defcendre  à  terre  avec 
:ui ,  pour  rendre  compte  de  fon  Voyage  au  Commandant  du  Port.  Il  ré- 
;)ondit  qu'il  étoit  Amiral  d'Efpagne  ,  &  que  cette  qualité  le  difpenfoit 
d'une  ioumiflion  que  fes  pareils  n  avoient  jamais  rendue.  On  lui  propofa 
d'y  en\oyer  du  moins  fon  Pilote,  ce  qu'il  ne  refufa  pas  avec  moins  de 
fermeté:  mii's  il  conlentit  à  montrer  fes  Lettres;  &  lOiïicier  n'eue  pas 
plutôt  fait  \}V:  rapport,  que  le  Capitaine  (b)  d'un  Gallion,  qui  attendoit 
cet  éciairch.'wment,  s'approeha  de  la  Caravelle,  au  bruit  des  timbales  & 
des  trompettes,  &  vint  lui  ofirir  à  Bord  toutes  fortes  de  fecours  &  de 
rafraîchi  llemens. 

Le  bruit  de  fon  arrivée  s'étant  répandu  dans  Lisbonne,  tous  les  liabi- 
tans  s'cmprellerent  de  venir  admirer  des  Hommes  qui  avoient  découvert 
un  nouveau  Monde,  &  la  Rivière  fut  bien-tôt  couverte  de  Barques.     L'A- 
miral reçut ,  le  lendemain ,  une  Lettre  du  Roi  de  Portugal ,  qui  l'invitoit  à  fe 
rendre  à  fa  Cour,  avec  parole  de  lui  faire  un  accueil  diftingué,  &  qui  lui 
confeilloit  de  prendre  d'abord  quelques  jours  de  repos  à  Sacaben.     L'ordre 
étoit  déjà  donné  de  fournir  gratuitement  à  tous  i'cs  befoins.     11  ne  fit  pas 
difficulté  de  fe  fier  aux  promeffes  d'un  Monarque,  Ami  de  fes  Maîtres ;& 
dés  le  jour  fuivant,  il  fe  rendit  à  Valparaifo.     Tous  les  Seigneurs  de  la 
Cour  vinrent  au-devant  de  lui,  &  l'accompagnèrent  jufqu'au  Palais.     Le 
Roi  le  reçut  avec   beaucoup  d'honneurs,  le  fit  aiïeoir  Ck  couvrir  devant 
lui ,  &  prit  long-tems  plailir  à  lui  entendre  raconter  toutes  les  circonftances 
de  l'on  Voyage.     Cependant,  après  l'avoir  félicité  de  fa  gloire,  il  ajouta  , 
que  fuivanc  les  Conventions  entre  les  Couronnes  de  Caflille  &  de  Portugal, 
toutes  les  nouvelles  découvertes  dévoient  lui  appartenir.     Colomb  répondit 
qu'il  ignoroit  les  Traités  ;  mais  que  fuivant  les  ordres  qu'il  avoit  reçus  de 
Leurs  ivlajeflés  Catholiques,  il  s'étoit  bien  gardé  de  palier  en  Guinée,  ni 
vers  les  iVlines  du  Portugal.     „  Je  fuis  perluadé,  lui  dit  agréablement  le 
„  Roi,  que  nous  n'aurons  pas  befoin  d'un  tiers  pour  juger  ce  différend". 
L'Audience  finit  avec  les  mêmes  égards,  pour  un  homme  que  l'envie  même 
ne  voyoit  pas  fans  admiration  ;  car  tous  les  Hilloriens  obfervent  qu'on  fen- 
tit  alors ,  en  Portugal ,  le  tort  qu'on  avoit  eu  de  négliger  ies  offres.     Le 
chagrin  d'en  voir  recueillir  le  fruit  aux  Efpagnols  alla  li  loin,  s'il  en  faut 
croire  llcrrtra,  que  plulîeurs  Particuliers  offrirent  leurs  bras  pour  le  poi- 

gnar- 

(h)  Sonnoiu,  fuivant  Ilcrrcra.eft  Alraro  Daman i  6c  Alvaro  i^Jama,  fuivant Fcrnund 

Colomb. 


Christophi 
Colomb. 

1493» 


L'Amiral 

cïitrcdans  h 
Uivicrc  de 
Lisbonne. 


Civilités 
qu'il  reçoit 
la  Cour  vie 
Turtugal. 


Ses  cxj'li' 
cations  avttw 
le  Roi. 


On  piopofir 
au  Iloi  de  1'; 
faire  poigna;. 
dcï, 


^■J*'^;, 


■*t 


Christophe 
Colomb. 

1493' 


U.irrivc  eu 

El'lKllJIlC. 


Comment 
'  il  cil  reçu. 


Il  trouve 
Pinçon  arrivé 
avant  lui. 


Il  fc  rend 
k  Sevillc. 


32 


PREMIERS      V    C)    Y    A    G    E    S 


M 


gnardcr  &  lui  enlever  les  papiers  (<:).  Mais  Jean  H.  rcjctta  cette  propo. 
fition  avec  horreur.  Il  donna  ordre,  aux  premiers  SL-igneurs  de  la  Cour, 
de  loger  &  de  traiter  l'Amiral.  Il  le  revit  deux  fois,  ;.vcc  la  même  laiis- 
faflion;  &  l'ayant  comblé  d'honneurs  ^deprefens,  il  le  lit  conduire  jul". 
u\\ix  Lisbonne  par  Dom  Martin  de  \'orona.  Colomb  vit  la  Kcine  ,  en  paf. 
Tant  à  Villa -Kranca,  &  n'en  fut  pas  ref;u  avec  moins  de  dillincîion.  A 
peine  fut-il  entré  dans  la  Capitale,  qu'on  lui  otlVit,  au  nom  du  Roi,  la  li- 
berté de  faire  le  refle  du  V'oyage  par  Terre,  avec  une  efcorte  Ct  toutes  ks 
commodités  qu'il  pouvoit  délirer  juîqu'à  la  IVoutière.  II  marqua  beaucoup 
de  reconnoiliance  pour  cette  nouvelle  faveur;  rnais,  n'ayant  pas  jugé  a 
propos  de  l'accepter,  il  remit  à  la  voile  pour  riClpagne,  le  13,  av^c  un 
vent  fi  favorable,  que  le  Vendredi  15,  il  entra  vçrs  midi  dans  le  Port  dj 
Palos.  On  remarque  qu'il  en  étoit  parti  le  même  jour  de  la  icmainu,  iroi- 
fièmc  d'AoCu.  Ainli,  dans  l'ePpace  d'environ  fept  mois  Ck  demi,  il  avoic 
achevé  une  entreprile,  qu'il  avoit  peut-être  regardée  lui-même  comme 
l'ouvrage  de  pluiicurs  années  (d). 

Cet  heureux  retour  fut  célébré  par  des  tranfports  de  joyc;&,dansla  pre- 
mière furprife  d'un  événement  ii  merveilleux ,  on  avoit  peine  à  ne  le  pis 
prendre  pour  une  imagination.  Sans  attendre  les  ordres  de  la  Cour ,  L-s 
Boutiques  furent  fermées  à  Palos,  toutes  les  Cloches  fonnèrent,  &  l'Ami. 
rai,  en  fortant  de  la  Caravelle,  reçut  des  honneurs  qu'on  n'avoit  jamais 
rendus  qu'aux  Têtes  couronnées.  Sa  modeftie  ne  l'abandonna  point  dam 
cette  efpéce  de  triomphe.  Son  premier  foin  fut  d'écrire  à  Lein-s  Majelleà 
Catholiques,  &  de  leur  envoyer  une  exade  Relation  de  fon  Voyage.  La 
Pinta^  qui  avoit  été  féparee  de  lui  par  la  tempête,  avoit  pris  terre  à  Hayon- 
ne;  &  quelques  llilloriens  racontent  que  Pinçon  s'etoit  rendu,  par  le  plus 
court  chemin,  à  Barcelonne,  où  la  Cour  étoit  alors ,  dans  rdperance  de 
paroître  le  premier  aux  yeux  du  Roi,  &.  d'y  recueillir  peut-être  le  prix  du 
courage  &  de  l'habileté  d'autrui;  mais  que  ce  Prince,  à  qui  il  fit  demander 
Audiciice,  refufa  de  l'écouter,  &  que  le  chagrin  qu'il  en  eut  le  mit  en  peu 
de  tems  au  tombeau  {e).  D'autres  ont  écrit  que  de  Hayonne,  il  ;il!a  droit 
à  Palos,  où  il  arriva  le  même  jour  que  l'Amiral;  <jue  cette  rencontre,  à 
laquelle  il  ne  s'étoit  pas  attendu,  l'alTligea  d'autant  plus  que  Colomb  avoit 
déjà  fait  des  plaintes  de  fa  défertion,  &  l'accuibit  d  avoir  empêche,  par 
ce  contre-tems,  qu'il  n'eût  vifité  les  Mines  cie  Cibaj,  d'où  il  pouvoic  ap- 
porter beaucoup  d'or  en  Efpagne;  ti  que  la  crainte  d'être  arrêté  le  lit  for- 
tir  fur  le  champ  de  la  Ville,  où  il  ne  lailfa  point  de  revenir  après  le  départ 
de  fon  Chef,  mais  Ii  malade  de  fatigue  &  de  chagrin,  qu'il  y  mourut  peu 
de  jours  après  (/). 

Colomb  ne  différa  point  à  partir  pour  Seville,  avec  toutes  les  richefles 
qu'il  avoit  apportées  du  nouveau  Monde,  &  fept  Indiens  qiiil  avoit  em- 
barqués. Il  lui  en  étoit  mort  un  fur  Mer,  &  deux  repèrent  malades  à 
Palos.     L'impatience  de  le  voir  étant  auiïi  vive  à  la  Cour,  que  celle  qu'il 

avoit 


(c)  11  cft  ctonnant  que  fon  l'ils  n'en  dife 
rien. 
C  d  )  Ilcrrcra ,  ubi  fuprà ,  Chap.  4. 


(  e  )  Vie  de  Cliriflophe  O)lomb,  Chap.  41. 
(/)  Uviedo,  Liv.2.  Chap.  6. 


les 


"^^'^.rv 


.s 

:c  prnpo. 
ù  Cour, 
mu  laiis- 
Il  ire  juf. 
.en  paf. 
lion.  A 
oi,  la  !i. 
outcs  Jcs 
jcajcoup 

•iVtC    11  M 

l'oit  cL' 
le,  iroi- 
il  avoit 
comme 

is  la  prc- 
i.'  le  pas 
biir,  les 
l'Ami, 
c  jamais 
int  dans 
Majelles 
gc.     La 
i  Hayori- 
r  le  plus 
an ce  de 
pi'ix  du 
-■mander 
t  en  peu 
IIu  droit 
)ntrc,  à 
ib  avoit 
ho,  par 
l'oit  ap- 
.'  lit  for- 
.'  départ 
irui  peu 

•ichcHes 
:)it  em- 
dadcs  à 
Ile  qu'il 
avoit 

Chap.  41. 


EN      AMERIQUE,  Liv.  I. 


33 


avoit  lui-même  de  fe  préfenter  à  Leurs  Majcfles  Catholiques,  il  en  reçut 
une  Lettre  à  Seville ,  avec  cette  infcription  ;  „  A  Dom  Chriftophe  Colomb , 
„  nôtre  Amiral  fur  l'Océan ,  Viccroi  &  Gouverneur  des  liles  qui  ont  été 
„  découvertes  dans  les  Indes  ".  Ferdinand  &  Ifabelle  ra/Turoicnt,.dans 
les  termes  les  plus  Hatceurs,  de  leur  alTeélion,  de  leur  ellime  &  de  leur 
reconnoilTance;  le  preflbient  de  fe  rendre  auprès  d'eux,  &  le  confultoient 
d'avance  i'ur  les  ordre,»  qu'ils  avoicnc  ù  donner  pour  achever  fon  ouvra- 
ge Il  fit  une  réponfe  modclle ,  ù  laquelle  il  joignit  un  Etat  des  Vaif- 
Jeaux,  des  Troupes  &  des  Munitions,  qu'il  croyoit  nécciraires  à  lés  gran- 
des vues. 

La  renommée  ayant  déjà  publié  fon  retour  &  fa  marche ,  lorfqu'il  fortit 
de  Seeille,  fon  Voyage,  jufqu'à  Barcelonne,  fut  un  véritable  triomphe. 
Les  chemins  &  les  campaj^nes  retentirent  d'acclamations.  On  s'empref- 
foit,  dans  tous  les  lieux  habités,  d'aller  au-devant  de  lui,  pour  contem- 
pler cet  Homme  extraoïdinaire,  qui  s'étoit  ouvert,  par  des  routes  incon- 
nues: avant  lui,  l'entrée  d'un  nouveau  Monde.  Les  Indiens,  dont  il  é- 
toit  accompagné,  les  Perroquets  rouges  &  verds,  &  quantité  d'autres  cu- 
riofités,  qu'il  ne  manquoit  pas  d'étakr  aux  yeux  des  Spe6lateurs,  eurent 
aulTi  beaucoup  de  part  à  leur  admiration.  11  arriva,  vers  le  milieu  d'A- 
vril, à  Barcelonne. 

On  lui  fit  une  réception  digne  du  fervice  qu'il  avoit  rendu  à  l'Efpagne. 
L'Hiflorien  de  Saint-Domingue  s'élève  audellus  de  la  fimplicité  ordinaire 
de  fon  rtyle,  pour  donner  un^i  peinture  fort  noble  de  cette  cérémonie  (g)' 
On  n'avoit  rien  vu,  dit-il,  qui  repréfentàt  mieux  le  triomphe  des  anciens 
Romains.  Tous  les  Courtifans,  luivis  d'un  Peuple  innombrable,  allèrent 
fort  loin  au-dcvann  de  lui;  &  lorfqu'il  eût  reçu  les  premiers  complimens, 
de  la  part  du  Roi  &  de  la  Reine,  il  marcha  jufqu'au  Palais,  dans  cet  or- 
dre: Les  fept  Indiens  paroiflbicnt  les  premiers.  Ils  ornoient  d'autant  mieux 
fon  triomphe,  qu'ils  y  prenoient  part;  au  lieu  que  les  Triomphateurs  Ro- 
mains fondoient  une  partie  de  leur  gloire,  fur  le  malheur  de  ceux  qu'ils  traî- 
noient  après  leur  char.  On  voyoit  cnfuite  des  couronnes  tS:  cks  lames  d'or, 
qui  n'étoicnt  pas  le  fruit  de  la  violence  &  de  la  rapacité  du  Soldat  viclo- 
rieux;  des  balles  de  coton,  des  caiffes  remplies  d'un  poivre,  qu'on  croyoit 
au  moins  égal  à  celui  de  l'Orient  (/;);  des  Perroquets,  portés  fur  des  ro- 
feaux  de  vingt- cinq  pieds  de  hauteur;  des  dépouilles  de  Caymans  &  de  La- 
mantins, qu'on  donnoit  pour  les  véritables  Sirènes  des  Anciens;  des  Quadru- 
pèdes &  des  Oifeaux  de  plufieurs  efpèces  inconnues,  Ck  quantité  d'autres 
raretés  que  la  nouveauté  rendoit  précieufes.  Cette  multitude  d'objets  étran- 
gers, cxpofée  à  la  vue  d'un  Peuple,  dont  l'imagination  &  la  vanité  portent 
ordinairement  les  choies  au  delà  du  naturel ,  lèmbloit  le  tranfporter  dans 

ces 


(g)  11  Jt)nnc  un  détail  li'ordrc,  que  je  no 
trovivc  d;iiis  :iucim  Hilloricn;  niais  i\\  rkiclitc, 
(jiic  je  vcriiie  coinimicllcnier:t  fur  tout  le 
relie,  dans  l'occaliuii  que  j'ai  de  coniulter 
Icsnic'incs  Iburces,  ne  Joie  lallFer  iei  aucun 
'.crupulc. 

Xnil.  Van. 


(h)  C'étoit  du  Piment;  &  la  jaloulîe  du 
Commerce,  entre  les  Klpai^nuls  (^  les  l'ortu 
f^ais ,  donna  d'abord  cours  à  ce  poivre  Anié- 
riquain;  mais  on  reconnut  bieVitôt  qu'il  étoit 
trop  cautlique. 


E 


CiinTSTontK 

C'oi.uMn. 

14  9  3' 

Faveurs  (}u' il 
reçoit  de 
I-curs  Ma- 
jellés  Catho- 
liques. 


Son  arrivée  A 
Uarcelonneoù 
ctoit  la  Cour. 


Magniliceu- 
ce  delà  ré- 
ception. 


0mim 


34 


PREMIERS      VOYAGES 


ClIRI.«TOriIE 

M  s;  3- 


Honneur'; 
qu'il  rtiçoitdii 
Rcii  cv  tl.  tou- 
te lu  Cour. 


Armc>  iJ: 

1 

itijs  iv-'Cnr- 
■<  à  l3  la- 

niilio. 

Si 
1\ 

Le  Snirt 

C^C  cil  CC'H- 

'i 

ignc  o'.nicr.c 
nvLliiturc 

1  noiivc'^u 

OiiJc. 

CCS  nouvelles  Rci^ions,  d'oii  il  H.'  llutoit  tic  voir  licn-tùt  coulor  des  richcf- 
Ics  inqniilablcs  clins  le  lliii  de  l'IOpagne.  AiuVi  les  accKimaiions  rcdou- 
bloieiu-elLs  à  cIlii]uc  iiilhnt,  »is:  jamais  liommc  nVùL  pjiitctrc  un  jour 
plus  glorieux  t\;  plus  llati^ur;  fiirtouL  s'il  rapproehoit ,  eoniiDc  il  cil  natu- 
rel de  le  penler,  l'a  lituation  prcientc  de  celle  uii  il  s'cloit  vu  (luckpics  mois 
aup.uavanc.  Il  lu:  conduit,  avcc  cette  pi>mpe,  au  travers  d'une  grande 
partie  de  la  Ville,  ù  l'Audience  dts  Rois  C'athtii  (ucs»  qui  l'attcnduient  hors 
du  l'alais,  fous  un  Dais  magn:liiue,  rev'.':us  d^s  h.ibits  Koyaux ,  le  l'rince 
d'IOrp.igne  à  leur  cote,  au  milieu  de  la  plus  brillante  Cour  (ju'ils  cull'ent 
rall'euiblce  depuis  long  tems.  Aulli-tut  i|u  il  appciçut  Luirs  Majellcs,  il 
courut  l'e  prolterncr^i  leurs  pieds,  pour  leur  Inui'cr  !,i  jnaiii:  mais  T'crdi- 
nand  le  fit  relever,  èîc  lui  or.'.oiina  de  s'ail'eoir  fur  une  cliiil'e  (jui  lui  avoit 
tte  préparée;  après  cjuoi,  il  ri.t;ut  ordre  i!e  raconter,  à  haute  voix,  ce 
qui  lui  ccoit  arrive  de  plus  reinarquahle.  11  parla  d'un  air  il  noble,  que 
l'on  récit  parut  cliarmcr  toute  l'Alijiublee.  'l'or.t  le  monde  fe  mit  cniuite 
à  genoux,  à  l'exemple  du  Roi  e\:  de  la  Heine,  cjui  rendirent  grâces  au  Ciel 
les  larmes  aux  yeux;  <I\;  les  Hymnes  de  joye  l'urcu:  chaiKts  par  la  Mufiquc 
de  la  Chapelle. 

Depuis  ce  grand  jour,  le  Roi  ne  parut  pjint  dans  la  Ville,  fiins  avoir  à 
fa  droite  le  Prmee  l'on  l'ils,  clc  Colomb  à  l'a  guielie.  Tous  les  (îrands ,  à 
l'exemple  du  Souverain,  s'accorderont  à  combler  d'ho.'ineurs  l'Amiral- Vice- 
roi  des  Indjs.  Le  Cardinal  d'Kipagne,  Vlcric  Gon/..i'ics  de  Mciulozc ,  aulli 
dillingué  par  Ton  mérite  que  par  l'on  rang  Oie  la  naill'ance,  fut  le  premier 
qui  le  traita  dans  ti:i  i'ellin ,  oii  nonleulcmcnt  il  lui  fit  prendre  la  pre- 
mière place,  mais  il  le  fit  (Irvir  à  plats  couverts  (/),  avec  ordre  de  ne  lui 
rien  prélénter  dont  on  n\v\i  fait  l'elVai;  ce  que  tous  les  Scii'neurs  obfer- 
vèrcnt  en  le  trairar.t  à  Lur  to^ir.  HartliJemi  Oi:  I.)ie_i:;o  Colomb,  les  d^ux 
l'rcres,  eurent  part  aux  libéralités  du  Roi,  (juoi  juablens  tous  deux  de  Tes 
Etats.  Le  titre  de  Dom  leur  fut  accorde,  dv^sc  de  magnifiques  Armoiries 
pour  toute  la  l'amille  (k). 

QUOIQ.UE  Leurs  Àlaj. dis  Caihuliqucs  n  eudVnt  riLn  de  plus  prtlTant  que 
derenvoyer  l'Amiral  aux  Ind.'S,  pour  y  conrinuer  Tes  deoiivcrtes ,  leur 
reipect  pour  le  Saint  Siège  Ls  fit  penllr  à  donner  avis,  au  Souverain  l'on- 
tife,  du  l'uccès  d'une  li  belle  entreprife;  non  qu'elles  l'e  cruHént  obligées, 
faivant  l'obfervatiun  d'un  fage  llillorien,  d'obtenir  une  invefliture,  ou 
des    permllFiuns,    pour  jouir  légitimement  du  nouveau  Monde  (/)  :    mais 

c'étoit 

(j)  IIciTira  obfervc  cette  circonfiancc, 
uli  fuira,  Chnp.  3. 

(  *  )  Au  ;neir.!cr ,  c!e  Cafiillc.  Au  r^conil , 
de  Ltoii.  Au  tioifîèmc,  u::e  Mer  d'r.ziir, 
feniéc  d'Jiles  d';ir:;ciit,  la  ino'tic  de  la  circon- 
férence enviroiiiiéc  de  la  'l'crrcferaïc,  des 
!;rains  d'Or  répandus  p:'rtoLU  .  les  'IVrres 
&  les  Illts  couvertes  darbres  toû  ours  wrJs. 
Au  qu;arièii!e,  d'azur  à  quure  ar.cres  d'or, 
;;vec  les  Armes  det,  anciens  Co'.ouibs  dePlai- 
fancc  audeffus;  &.,  pour  cimier,  un  Globe 
lunnoncé  d'une  Croix,  avec  cette  devjfe: 


For  Caftiiîa  y  p>^r  \.tc\r\ 
Nuc/n  Muiuli)  hallo  Colon. 
Nos  arcicns  Tn.dartfur'-  ont  rendu  cc<!  deux 
Vers  Ca.iiliaiis  p-.r  deux  \'ersl'rai;(,-ois  : 
Hi  ur  laC'aiUlli'  &  pour  l.^cn  , 
Afoiui;  ne  uvtau  trouva  CjU  n. 

(O  C'ert  ILrrcra  ,  qui  rapporte  qu'on 
avoa  déjà  coi-fulté  plufieurs  perf  nncs  dé- 
r.ilrente  do6lrinc,  \  que  tous  furent  d'avis 
que  cetit'  formalité  n'éioit  pas  du  tout  ud- 
ccflairc,  ubifuprà,  Chapitre  V. 


c'étoit 
inoins 
d'Arra 
gca  fo 


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„  non 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I. 


(.s  richcP. 
is  rcdou- 
-  lin  jour 

cfl  natu- 
lucs  mois 
c  grande 
lient  liors 

c  Prince 
s  ciifllnt 
.i^-!U's,  il 
is  l'crdi- 
lui  a  voie 
voix,  ce 

-,  que 
t  cnîuite 
s  au  Ciel 
Mufiquc 

avoir  à 
ands ,  à 
•V'icc- 
;^,  aulîi 
premier 

la  pre- 
0  ne  lui 
5  oh  fer- 
^•s  daix 
>v  de  Tes 
moirie* 

int  que 
s .  leur 
in  J'on- 
'ligces, 
rc,  ou 
:  mais 
c'ctoit 


CCS  deux 

is  : 


c  qii  on 
lies  d'é- 
U  d'avis 
touL  ht' 


95 


CiiRisTormc 

Coî.OMt. 


c'ëtoit  une  cérdmonic  de  bicnfdance,  dans  laquelle  on  rirquoît  d'autant 
inoins,  que  le"  Saint  Siôf^f  ctoir  alors  occupé  par  un  AijeC  de  l.i  Coiironne 
d'Arragon.  C  éiok  ^  cxwilrc  /l.  de  la  Mailbn  de  liorgia.  l'crdinand  cliar- 
gea  foii  Amballadcura  Koine  d'a(rui\r  Sa  Sainteté,  (jue  l'Kxpedltirin ,  (jui 
ffctoit  faite  par  les  ordres,  ne  caulbit  a'icun  préjudice  aux  droits  du  Por- 
tugal, &  que  Ibn  Amiral  s'etoit  contenu  lidelcment  dans  l'ordre  qu'il  avoit 
reçu  de  ne  pas  s'appioclicr  à  plus  de  cent  lieues  des  PolTenious  de  cette 
Cburonne;  mais  que  pour  l'intérêt  de  la  Religion,  qu'il  le  propofoit  d'é- 
tendre autant  que  l'on  Knij)ire,  il  ne  lailluit  pas  de  dimiandcr  dos  ]5ullcs. 
Le  Pape  en  envosn  d.ux,  qui  furent  expédiées  le  2  &  le  3  de  Mai,  avec 
Jes  mêmes  claufes  &  ks  mêmes  conditions  que  fes  PrédécelTeurs  avoienc 
jugé  ncecirair  s  pour  celles  qu'ils  avoient  accordées  aux  Kois  de  Portu- 
gal. Mais,  dans  la  vflc  de  prévenir  les  diiTérends  qui  pouvoient  naître 
entie  les  deux  Couronnes ,  il  y  fit  ce  faniiMix  partage,  qu'on  a  nommé  Liirnj  „  .  - 
de  Déman-atioit,  par  lequel  il  regloit  leurs  bornes  pour  les  l'avs  déia  décou-  .Vn.nni'winl 
verts,  oc  pour  ceux  quon  deeouvru'oit  a  1  avenir,  Ck  qui  ne  leroient  occu-  d.  Dj.nirca- 
pés  par  aucun  Prinee  Chrétien,  avant  le  jour  de  Noël  de  l'année  préeéden-  t-n. 
te.  Cette  Ligne  imaginaire,  tirée  d'un  Pùle  à  l'autre,  coupoitcn  deux  par- 
ties égales  l'elpaee  qui  le  trouve  entre  les  Iiles  Ayores  vili  celles  du  Cap 
Verd.  'l'out  ce  qui  té  trouveroit  au  Couchant  &  au  Midi,  devoit  appar- 
lir  à  la  Couronne  de  Callille,  &  tout  ce  qui  étoit  à  l'Orient  demeuroi 


P.irfiî;c'  ni. 
tiv  rivpi^nv.: 
&lc'  Port'.i  ;.-iI, 


au  Portugal  (m).  Les  Décrets  arrivèrvUt  en  Efpagne,  dans  le  tems  que 
l'Amiral  avoit  déjà  reyu  lés  dépêches,  &  tout  ce  qu'il  avoit  demande  pour 
fon  retour  aux  Indes. 

Il 


(hi  )  Cromcr;!  nous  donne  la  nulle  f]iiicon- 
'tlcnt  Cl-  pirtagc,  par  un  motif  (jui  ne  s'ac- 
COrdc  point  avec  les  idées  d'IIerrera  tSi  de  hi 
Cour  d'Klpai^ne:  c'ejl  dit-il,  afin  que  tant; 
le  mondi'  f.ichi'  que  cette  Conquête  [^  roii'-ja-- 
Jion  des  Indes  ejl  fuite  avec  l'anti>r'\  (^  do- 
nation du  Uwind  J'icaire  de  Jefus-L'hrijl.  ();i 
ne  peut  refuler  place  ici  à  cet  étrange  Mo- 
nument. 

,,  Ai.F.xANnRK  ,  Kvètiue ,  Servitair  des 
Serviteurs  de  Dieu,  à  nAlre  très  chcrl'ils 
en  Jelus- Clirill ,  FerdinanJ  Roi.  cS:  i\  nô 
tre  très  chèrcl'ille  en  Jefus  Chrifl,  Ifahel- 
le  Reine,  de  Callilie.  de  l.éon,  d'/\rra- 
„  f^on  .  de  Sicile  iV  de  Cïre-ade;  Siiut  i\.I5é- 
né'licUon  ApolU>li(iue.  Kutre  toutes  les 
œuvres  agréables  à  la  Majellé  Divine,  & 
que  nous  délirons  le  plus,  elt  que  la  Foi 
C;u!u)liquc  &  la  Religion-  Chrétienr.e 
foie^u  ,  pri  cipaleineiit  tu  nôtre  tems , 
exiliées ,  i^:  p;'r  tout  amplifiées  6c  répan- 
dues ,  &  que  le  falut  des  aines  foit  procu- 
ré d'un  chacun ,  t!t  que  les  Nations  Bar- 
ban  s  foiei'.t  (ulMUj.niées,  tSc  rÀluitLS  ;\  la 
l'oi:  ce  qui  el^  caulè  que  Nous ,  étant  par- 
venus par  la  feule  Divine  Clémence,  cV 
„  non  pour  nos  miSritcs,  à  cette  facréeChai- 


»» 

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•  I 
II 


,,  re  de  Saint  Pierre,  nous  devons  à  hou 
,,  droit  de  notre  bon  f:ré  (S:  avec  toute  fa- 
,,  vcur,  vous  donner  les  moyeni  &  occa- 
,,  fions  pour  exécuter  &  pourfuivre  de  jour 
,,  en  jour.  .Tvec  un  ardent  eour.i;;e,  à  l'iion- 
,,  neur  d;'  Dieu  cS:  de  l'Kinpire Chrétien,  une 
,.  fi  louable  (X  li  fainte  œuvre ,  que  vous 
,.  avez  commencée  par  I  infpiration  de  Dieu 
,  iuimortel,  conliiiérant  que  connue  vrais 
,,  Rois  (^  Princes  Catlmliques ,  tels  que 
,,  Nous  vous  avons  toùi.airs  connus,  & 
I,  e>)mmc  il  efl:  alfe/  notoire  A  tout  le  nion- 
,,  de  par  vos  grandes  entre  rifes,  vous  n'a- 
,  ve/  pas  feulement  le  même  defir  que  Nous, 
,  mais,  ce  qui  ell  davanta;e,  (]ue  de  tout 
,  vôtre  pouvoir,  foin&  dili;,'encc,  vous  exé- 
,  cutez  ce  bon  v  ailoir  fL.n:-  épargner  aucuns 
„  travaux  ni  dépenfes  fans  \ous  fouoier 
„  d'aucuns  périls,  même  en  répanJant  vôtre 
,.  propre  fin;,  (!v  que  vous  ave/  voué  dès 
.,  long  tems  à  cela  tout  vôtre  cœur  (S:  toutes 
,,  vos  forces,  comme  le  démontre  allez  le 
,,  recouvrement  (ju'avez  fait  naguerre  du 
„  R'.iyr.Uiiie  de  éîrenide,  de  la  tirannie  des 
,,  Sai  va/.ins ,  avec  une  fi  grande  gloire  de 
.,  vôtre  nom  Nous  avons  entendu  comni.; 
„  ci-de\ant  vous  aviez  propofé  de  faire clur- 
E   2  V  cher 


3<5 


PREMIERS      VOYAGES 


CnM!ITOrtlE 

G.)LOMn. 

1493- 

L'Amiral 
Coliiiiil)  ponte 
àfaiii-  un  ù- 
rond  Voy-igi." 


Il  obtint  un  Hrcvct  particulier,  (jui  lui  ilunnoit  1j  Commandement  i!c  Iï 
riottc  juHiu'à  l'ille  Elpagnolc,  d'où  elle  devoit  revenir  Tous  les  ordres  d'An- 


» 

II 
II 
II 
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I» 

If 
II 


„  cher  .luclqiic^  idcs  .^i  Tcrics-fcrmcs  lo'iv 
„  taiiK'S  &inLo;iiuiLN,  &  non  cncoa- ikVmi- 
vertes,  pour  rOiluiro  leurs  llabitaiN  a  ta!- 
,7  re  protVirKMi  Je  la  l'oi ,  e\  reeoii:u.itre  hù 
"  trc  Keileniptcur  ;  mais  que  vous  n  aviez  pu 
eon.liiire  à  tin  cette  ft^inte  tS:  louaWe  déli- 
bération pour  la  C'iuerre   iL'   r.renade,  en 
laquelle  vous  étiez  alors  eiii;^êcliés  ;  iS:  (]uc 
depuis,  ce  lli'vnuiiie  étant  recouvert  par 
la  perinitHon   r)ivine  ,    vous  aviez  ,   non 
fans  !,'ranJs  périls  \  dépenfes,  envoyé  Uir 
cette  L;raiKle  Mer ,  où  perùmne  n  avoit  en- 
core vo-ué,  Chrinophe  Colomb,  homme 
dipie,  re:oinnundablc .  c\  propre  à  telle 
einrepriie,  pour  dilit^cmment  chercher  ces 
Terre,  fermes  &   IlL's  K.intaiiies  (.\  incon- 
nues ;  Lfquelles,  après  avoir  cinglé  i.u  tia- 
vcrsc'.t  Océan,  il  .luroit  trouvées  par  li 
„  grande  dili^en.e,  avec  l'aide  deDieu,  tou- 
„  tes  peupleestS.  remplies  dT.oiiimes,  vi\ant 
„  pailiblement  enfemble,  fe  tenant  midi,  eV 
,,  fe  noi:rrili;.nt  de  chair,  iV  qui,  ftlon  le 
,,  rapport  de  vos  Amhalladeurs,  cro/entqui! 
,,  y  a  un  Dieu  Creiteur  au  Ciel,  6c  kfiiueU 
„  femhlent  capables  d  embr.'lïïr  laloiCitho- 
„  liquc.e^ d'être  inl'iruitsauxinmnes  mceins; 
„  ce  qui-Noi.s  do))nc  efpuaiice  que  le  nom 
„  de  nôtre  S;iu\eur  JeûisChrill  fcroit  facile- 
„  ment  répandu  dans  ces  'l'err^^^  &  cc.s  llles, 
,,  n  leurs  Habitans  étoieiU  eiidoeiriné-.     De 
„  plus.  Nous  avons   été  infurmés  (ju'en  la 
,,  principale  de  ces  Ifles  ledit  Co'.omb  a  b;.ti 
„  un   Fort,   dans    lequel  il   a  mis  quelques 
,,  Chrétiens,  ijui  l'avoient  fiiivi ,  tar.t  jiuur 
„  le  garder  tiue  pour  s'enquérir  des  autres 
„  nies   &.  Terrcj- fermes,  lefquelle.s  lui  é- 
,,  ti'ient  encore  inconnius;  qu'il  a  rapporté, 
„  qu'aux  llles  qu'il  a  dcja  decouvertci,  on 
irouvoitdel'Or,  des  Kpiceries  (S.  plufieurs 
autres  chofes  j  récieufes  :  ce  <iu'etuit   par 
vous  d:lit;emmcnt  eonfidéré  ,    principale- 
ment ce  qui  ri;;'.irde  lexaltaton  vV  amplia 
tion  de  la  l'i'i,  comme  il  ap.partiein  à  des 
Rois  Catholiques,  vous  avez  pionoi'e,  fui- 
„  vant  la  bonne  coutume  de  vos  l'redéeef- 
,,  feurs,  Rois  d'éternelle   mémoire,  do  fub- 
,,  juf^uer,  avec  l'aide  de  la  Divine  Clémen- 
,,  ce,  toutes  ces  Terres,    Ifles  fufdites.  & 
,,  tous  leurs  Ilabitins ,  &.  les  amener  à  la  l'oi 
,,  Chrétienne.      Voyant    vôtre    délibération 
,,  telle,  Nous,  qui  defirons  ail'ectuouùuKiit 
„.(iu'une  fi  fainle  f<,  fi  louable  eiitreprife  l'oit 
„  bien  commencée ,  &  encore  mieux  achc- 
„  véc ,  vous  exhortons ,  par  le  faint  liatême , 
«,  par  lequel  vous  ccc>  oblii^és  aux  Commaii. 


j' 


tOUl'. 

„  démens  Apolloliqiics,  <(i  vous  fommo:»* 
„  par  l'intérieur  de  la  niifericord  •  de  Nôtre 
„  Seij^neiir  jefus  Chrill,  que  tiuaiul  ifvec  un 
,,  bon  /ele  de  h  fainto  l'oi  \u\i>  loinmcncc'- 
,,  rez  cette  Kxpéditiiin,  vou.  indu.lkz  le, 
„  Habitans  de  ces  llles  eSi  'l'erres  fermes  a 
„  recevoir  la  Kelif;i<'n  Chrétirnne ,  fans  qui 
,,  les  périls  i\  les  travaux  .puilleiu  jamais 
,,  vous  ditournor,  vous  ti  iiit  airureminiTit 
,,  que  Dieu 'l'out  puilHint  conduira  en  toute 
„  profpérité  vos  eiurepril'es.  Ktatin  <iue  par 
,,  la  lar.H'Ure  Apollolnjue  vous  entrepreniez 
,,  pl.i- coura:;eufement  la  eliari^e  d'unligranj 
„  ouvra.i^e,  de  nôtre  propre  inouveinent,  fans 
„  éjîird  a  aucune  reciuctc,  (jui  par  vous  ou 
„  par  autrui  pourroii  nous  avoir  été  préfen- 
,,  tee,  mais  feulement  mus  par  nôtre  purj 
,,  \  fru'.ehe  libéralité.  tVc  pour  Acrette  eau- 
,,  fe.  Nous  vous  donnons  toutes  les  llles  i!v 
.,  Terres  fermes  qui  ont  dc^ja  été'  trouvées (!c 
,,  qui  font  encore-  à  tiouver,  leùiuelles  font 
,,  découvertes  e\  à  découvrir  vers  l'Oecidenc 
,,  (îv  le  Mali,  tirant  une  lii;ne  liroite  du  l'ôle 
,,  Arctifjue  au  Pôle  Autarcique,  foii  ijue  ces 
,,  llles  c\  Terris  fermes  fiaient  trouvées  t\.  à 
,.  trouver,  lôit  vers  linde,  ou  vers  quelque 
,,  autre  (juartier.  Nous  er.teiidons ,  toute^ 
,.  fois,  (juc  cette  lii^nc  foit  dillante  de  cent 
.,  lieues  vers  l'Uecider.l  cSc  le  Midi  des  llles 
.,  cu:e  vuli'airemeiit  on  apj'elle  Jçi^rcs  \  du 
,,  i'.ii'  l'erd.  Nous  donc,  par  l'autorité  de 
,,  Dieu  Tout-piiilfant,  qui  nous  a  été  don- 
,,  née  en  la  pe-rfonne  de  Saint  Pierre,  &  df? 
,,  la(]uelle  nous  jouillofis  en  ce  Mor.de  eoiu- 
,,  nie  Vicaire  de  Jefus- Cliriit ,  vous  don.* 
,,  ni'is,  avec  leur^  Seigneuries,  Villes  ,  Ch.'.- 
,,  t'.:;ux,  l.i^ux.  N'illages,  Droits,  jurifdie- 
„  tions,  &  toutes  autres  appartoninecs (S. dé- 
„  pendanees,  toutes  les  llks  cV 'l'erres-fer- 
,,  mes  trouvées  »S.  a  trouver,  decou\erte,s  i^ 
,,  à  découvrir,  depuii  ladite  liiiiie  vers  l'Uc- 
„  cidelH  c\.  le  Midi,  qui  ywx  .uitreKoi,  (a 
,,  Prince  Chrétien,  n'etuient  point  actuel'' - 
„  ment  polTedées  jufqu'au  jour  de  Noël  der- 
,,  nier,  autjuel  commence  la  prei'ente  aimes 
-,  14931  lorfque  (lueUiues-une.^  des  llles  fui- 
,,  dites  cmt  été  trouvées  par  vos  Lieutenans 
,,  &  Capitaines;  Leijuel  don  Nous  ctendor.s 
,,  en  la  perfonne  de  vos  Héritiers  (S.  Suceel- 
„  feurs  Rois  de  Ca'.lille  c"»*  de  Léon,  les  e:i 
,,  faifant  Soi,i;neurs  avec  pleine  iS.  libre 
,,  pullfance,  autorité  éc  jurifdiction  ;  fans  dé- 
,,  ruger  néanmoins  au  droit  d'aucun  Prin.e 
,,  Chrétien  ,  qui  acUielleniciit  en  auroit  poi- 
^  féd<i   quelques-unes,  jufqu  ;.u   jour   fuù'.l 


"ci ne  de 
tvoit  dfj 

Îu'il  avo 
ndiens; 
ccretiion 
Prince  le 
ces  de 
l^c  Parei 
xe<,'ut:  le  : 
à  ia  Cuu 
les  autre 
en  Erpap 
Enfuite 
firent  c 
pour  Su 


h 


„  de  la 

„  vanlage 
„  vant  la 
„  devez 
,,  nous  a' 
,,  point  ' 
„  pour  1; 

„  tes  in 

„  bien, 

„  pour  i 

„  l'oi  C; 

„  bonne: 

«H  emi^lo 

■„  Nous 

„  nicatie 

„  dignit 

„  ou  Ri 

„  coiidii 

„  onve.y 

„  de  vo 

„  aucun 

„  font  ( 

„  décoi 

„  vant  I 

fer  di 

cent 

;;  <^^>p  ' 

„  llituti 
.,  ce  e( 


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V'S  d'An- 
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il'.  Nôtre 

il  .(\i.'c  un 

■  "înmaiiv. 

ilii.licz  lu 

.'■sfiriiics  g 

,  r-iDs  (]u,. 

^"t  jnm.ii. 
rurcniiiicnt 
•:i  (Il  toute 
'm  <jik'  p;ir 
i"i<-'pr(.ni,7 

iiinit.fiiiii 
r  Vdiis  ou 
■•tii  prcfcn- 
iiltrt'  jiurj 
■rcttc  c;iu- 
es  Kics  & 

K-lli's  ("on: 
'<  Vci.lent 
t'-'  du  IWc 

il  <)IIC  Cl  i 
.IVlc'S  dV  ù 
3  vjudquc 
IS,    tOllti'- 

to  lie  c(  i;c 
lies  Jllc'i 

l'ffS  \  Jll 

itorité  àc 

cte^  don- 
re,  &  li-; 
luie  coin- 
DUS  dor> 
Ik'S.CI:,'.- 

Jiirifdn.- 

:rres-fer. 
l\ei-tes  i^ 

i  r,  1  (J.-- 

Kt)i ,  (  i 

actuelle 
v,'ijel  dtr- 
te  aunes 
llles  lu:- 
eiitefia'is 
étendons 
L  Sucec.'- 

,  les  en 

;  fans  lit'- 
il  Prin.e 
roit  [>(<:• 
ur  fuùi.: 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    K,    Liv.    I. 


37 


*ioinc  de  Tnrrrz,  &  de  nouvelles  Patentes,  qui  confirmoient  celles  dunt  il    f'iif<i^Top;rE 
tvoit  déjà  Tiir  un  glorieux  ulage  («).     Dans  l'elpace  d'environ  deux  mois,        *^"-"'''i'- 

Î|u'il  avoit  paiïes  à  Hareeionne,  il  avoir,  pris  foin  de  faire  inllruire  les  fepc 
ntliens;  &  fur  la  demande  qu'ils  firent  volontairement  du  J5atcme,  cette 
cérémonie  fut  célébrée  avec  beaucoup  de  pompe.  T.c  Roi,  la  Reine  &  le 
Prince  leur  l'ils,  fe  firent  honneur  d'offrir  eux  mêmes  au  Ciel  ces  prémi- 
ces de  la  Cîentilité  du  nouveau  Monde  (o),  en  leur  fervant  de  Parrains. 
1,0  Parent  de  (îuacanagari  fut  nommé  Dom  Ferdinand  d/lnairnn.  Un  autre 
re<;ut  le  nom  de  Dom  Juan  de  Cajlille ,  (|ui  étoit  celui  du  i'rince  d'Kfpagne, 
à  la  Cour  dii'juci  il  fut  retenu  (p).  La  prudence  obligea  de  renvoyer  tous 
les  autres  dans  leur  i'atrie,  pour  y  publier  les  bienfaits  qu'ils  avoient  reçus 
en  F/pagne,  ik  les  apparences  de  grandeur  dont  ils  avoient  été  témoins. 
Enfuite  I.eurs  Majeflés,  tournant  leurs  foins  à  la  publication  de  l'Evangile, 
firent  choix  de  douze  Prêtres,  Séculiers  &  Religieux,  ik  leur  donnèrent 
pour  Supérieur  im  13énédi6lin  Catalan  (7)  d'un  mérite  dillingué,  avec  un 

Bref 


149  3- 

Se:  iir^'-ara- 

tir». 


Indiens  bâ- 
ti les. 


Prêtre;  i^ 
Relii^ieiix  i.k'î- 
liiiiî'i  a  pre 
cher  l  Evangi- 
le. 


„  de  la  Nativité*  de  Nl^tre  vSeif;ncnr.  Da- 
„  vantaf^e ,  Nous  vous  iiiandoiis  ([iie  ,  i"ui- 
„  vaut  la  faiiite  obéillaiiee  (jue  vous  nous 
y,  devez  ,  &  fiiivant  la  iiroiiiefTe  que  vous 
nous  ave^  faite ,  latjuelle  nous  ne  doutons 
point  que  vous  ne  f;;ardiez  entièrement, 
pour  la  grande  dévotion  »!^i.  royale  Majellé 
(jui  ell  en  vous ,  vous  envoyiez  ,  aux  fufdi- 
tes  nies  &  Terres  -  fermes,  i\i:i  t^eiis  de 
bien,  craignant  Dieu  ,  dodes  &  experts, 
pour  inllruire  les  llaliitans  fuldits  en  la 
..  l'"oi  Catholique,  &  pour  les  a!)reuver  de 
„  bonnes  UKinirs,  vous  ehar:;eant  de  vous  y 
„  cmjïloyer  foigncufemcnt.  Kt  d'aurre  part, 
y,  Nous  défendons ,  fiiu>  peine  d'exeominu- 
M  nieation,  à  toutes  perfonnes  de  (juelqiie 
di^'nité  qu'elles  foient,  fut-ce  Impériale 
ou  Ktiyale,  de  que!(|ue  état,  ordre,  ou 
condition  (jue  ce  puille  être  ,  d'aller  ou 
envoyer  fans  avoir  pcrmillion  de  vous, 
de  vos  Héritiers  &  Suceefleurs  l'uklits,  à 
aucune  de  ces  llles  iJi  Terres- fermes  qui 
font  déjà  découvertes  ,  6c  font  encore  à 
décduvrir  vers  l'Occident  cV  le  Midi,  fui- 
vant  ladite  liqne,(]ue  nous  entendons  paf- 
„  fer  du  F'ôle  Àrftique  au  Pôle  Antaj'ttique, 
cent  lieues  loin  des  Kles  Açores,  ik  du 
Cap  \'erJ ,  nonobllant  toutes  autres  Con- 
llituti'ins  (Sl  Ordonnances  Apolloli(iues  à 
ce  contraires  ;  ayant  hop.ne  contiance  que 
celui  (|ui  ell  dillributeur  des  Empires  & 
Seigneuries  conduira  vos  aftions .  li  vous 
pourfuivez  une  (i  faiiUe  &  louable  entre- 
„  pril'e,  t!^  que  vos  peines  &  travaux  auront 
„  bientôt  une  fin  très  heureufe,  qui  appor- 
„  tera  une  grand-,  gloire  &  une  félicité  non- 
„  p.ireille  ;\  tout  le  Peuple  Chrétien.  Mais 
,,  parce  qu'il  fcroit  dillicile  que  tes  Pj'Hen- 


»• 
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II 
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,,  tes  fufTent  portées  aux  lieux  oii  il  feroit 
,,  befoin  ,  Nous  voulons  «lUe  pareille  foi  foit 
„  ajoutée,  comme  à  ces  Prédntes,  aux  Co- 
„  pies  qui  liront  lignées  par  main  de  Notai- 
,,  re  iniblic,  h  fcellées  du  fceau  de  (]uelquc 
,,  peribnne  conlUtuée  en  dignité  l'icelefialU- 
,,  que, ou  de  quelque  Cour  dlC^lilè.  Qu'au- 
,,  cun  ne  foit  donc  fi  téméraire  (jue  d'en- 
,,  fraindrc  ce  qui  el>  porté  par  nôtre  Man- 
..,  dément,  l'Ahortation ,  Requête,  Dona- 
,,  tio;i,  Concelîîon ,  Alllgnation,  Conllitu- 
,,  lion.  Décret,  Défenfe,  cSc  Volonté.  Kt  fi 
,,  (]ueliju'un  avoit  la  hardieffe  d'attenter  au 
„  contraire .  (ju'il  s'alFure  d'encourir  l'indi- 
,,  gnation  de  Divu  Tout- puillant ,  ôi  des  A- 
,,  pôtres  Saint  Picirc  c\  Snint  Paul. 

„  Donné  ;i  Rome,  à  Saint  Pierre,  l'an  de 
,,  l'incarnation  de  Notre  Seigneur  1493,  le 
,,  4  des  Nones  île  Mai,  c^v  la  première  an- 
,,  née  de  nôtre  Puinilicat''.  Jlerrcru,  Liv.  i. 
Cbap.  19. 

(  n  •;  Ce  nouveau  titre  d'honneur  fc  trouve 
au  Chapitre  4s.  de  fa  \'ie 

(0)  lierrera.  I.   2.  Ch.  5. 

C/i)  Il  mourut  deux  ans  après.  Ilerrcia , 
ibidem,  6i.Oviedo,  Cbap.VII.  Ici  Oviedo 
prutelle  qu'il  ne  r;:nportera  plus  rien  qu'il 
n'ait  vil.  i!  ohferve  (jue  l'erdinand  avoit  be- 
foin de  courage  pour  entrer  dans  cette  quan- 
tité d'afiaircs,  parce(iu'il  étoit  encore  très 
foible  d'un  coup  d'éj'ée  fort  dangereux ,  qu'il 
avoit  reçu  fur  le  cou,  à  Barcelonne .  parla 
main  d'un  i'ou  ,  nommé  Jean  de  Canamari's  , 
([ui  s'étoit  mis  dans  la  tête  qu'il  étoit  Roi, 
à.  qu'on  avoit  ufurpé  fa  Couronne. 

iq)  Uerrera  lui  donne  le  nom  de  Bvyl  ■, 
Cornera  celui  de  Hi-vii  ,  Oviedo  celui  de 
Buyl. 

E3 


38        P    R    E    INI    I    E    R    S      V    O    Y     A    G    E    S 

:i!RUTON«     Bref  du  Pape,  qui  coiuenoit  des  pouvoirs  fortctcndus,  &  L'ordre  particu- 

Coi.oMB.      j-^^  ^^  veiller   ùir  la  conduite  qu'on  devoit  tenir  a  l'égard  i\cs  Indiens, 

•^  "^  ^  3-      pour  empêcher  qu'ils  ne  fuiVent  maltraiies.     On  leur  h)urnit  tout  ce  qui 

titoic  néccll'.iire  à  leurs  fonilions ,   èi:,    pour  relever  l'éclat  du  culte,    k 

zèle  de  la  Reine  alla*  jufqu'à  leur  faire  donner  des  ornemens  de  la  Ciu- 

pelle. 

Seccml  ri^yage  de  Chiijîopbe  Colomb. 


S  K  0  o  N  n 

Vo  Y  ACE. 


clL'tlinc 
le  r.i)uvc:m 


T'Amiîmt,  en  prenant  congé  de  Leurs  Majefles ,  obtint  la  pcrmiflion 
_j  de  hii'lwT  les  deux  Kils  à  la  Cour,  en  -jualite  de  Pag's,  p.uii-  y  rece- 
voir une  éducation  digne  de  leur  Père,  &  convenable  à  leurs  elpcrunces. 
Il  le  rendit  à  Seville,  où  il  trouva  la  Flotte,  iju'il  devoit  couiinandcr, 
prefqu'cn  état  de  mettre  à  la  voile.  I/arJeur  des  Conimillaires  avoit  re- 
Flotte  Je  lix-  pondu  à  l'inipatience  de  la  Cour.  Dix-lept  X'ailleaux,  donc  cet  Armement 
foptV.iiùc.ax,  étoit  compile,  le  trouvoient  déjà  bien  piiurvus  d'.AniILrie  \Nc  de  Muni- 
tions ,  non-leulement  pour  le  Voyage  ,  mais  encore  pour  i.'S  C'>luni-;s 
qu'on  le  propùfoit  d'établir.  On  y  avoit  embarque  i;n  grand  ivimlire  de 
Chevaux,  des  ferremens  de  toute  efpèce,  des  inllrumens  pour  tra\-aiILr 
aux  Mines  &  pour  purifier  l'or,  des  Marchandlles  pour  |j  Commerce  eS; 
pour  les  prellns,  du  troment,  du  ri/.,  des  graines  de  toutes  fiirces  de  légu- 
mes ,  enfin,  tout  ce  (jui  peut  fervir  aux  progrès  d'un  nouvel  lùabliiîlinenr. 
Quinze  cens  Volontaires  [a),  entre  kfquels  on  coinptoit  beaucoup  déjeu- 
ne Nobiclle  (Z»),  attendoient  l'Amiral,  avec  une  egde  pallion  pour  l'or  Os: 
pour  la  gloire. 

Pendant  le  fejour  qu'il  fit  .à  Seville,  l'éclat  de  fcs  nouveaux  préparatifs, 
joint  à  la  renommée  des  richeHes  qu'il  avoit  apportées  en  l'Jpigne,  fit  re- 
gretter plus  que  jamais,  au  Roi  de  Portugal,  d'avoir  laillc  échapper  un 

nou- 


Portii;^,iis ,   Oc 
ii'Uis  tt.i:UL;- 

TCS. 


(.i)  Ovivxlo  ne  fait  inontcT  le  fond  de  1  Ar- 
menuT,:  qu'à  c^nq  cens  hummcs,  fans  ycuin- 
pre:idre  les  Voinnra're-.. 

(i)  narrera  r.omnie  les  principniix  ;'ciir'; 
noir.s  n.critir.t  d'autant  plus  dctrc  rjiiuir- 
qtie^,  qu'on  les  verra  reprrdue  fouvcrit  a- 
yiv  hor.iu-;;;-.  On  .1  dc,a  dit  (]u'A;-toiii.'  de 
Ti^rr."-.  av.jic  éiij  iio:iimii  pour  enin;iinnd:r  la 
Fotte  au  ranur.  Les  deux  Ciiefs  Mil.iaitcs 
eUoienc  iJançMs  de  Fcanlnji  &  AifonO.-  de 
ViiV.cjti  Mcmard  de  /'-/i  ti.ï  fait  'iïeroriir 
des  IiukN  ,  Ot  n.cH)  M'ircd  Cor.trAleur  I.cs 
Voi.ii.niios  do  tiiitiidion  t'r>iii;i  le  Cv)!ii 
ninndair  de  Cill-^nna,  Sehall  en  de  Cavi'o 
le  Co.;-;mr.iuk'i:i-  .\Arroro,  R.  dri;uc  d  Â^ar- 
Cl,  MiCvji-dj  C;;^^,  JL'an  de /,!/.v,i;i .  IV-ho 
Uj  Nivarni.  IV-ùvo  Hcrinnd.-/  de  Coronel  , 
iiomiini  Mr,lor  de  lllle  r.f,)a.;nole  ,  Mofes 
Pierre  do  Af.n-^ari:  » ,   Allbnle  Saiie'.Ka  de 


Cardajdl  ,  d'  Gorhilan  ,  I.oiii*;  (iWcriis^^i. 
Ah'mK  Pcrez  de  .V/irtri,  François  d/  'Awii. 
ga,  Alfoiiie  d'Or'fs,  l'ran(,-ois  de  /'("//, i/rt/"i;, 
l'erafan  ('e  Riii'r  s ,  Mcleluor  ilc  AlaiioiuJj, 
&  Alfonf-  de  A/rt/.:rf rn.  Aifonfc'  ii'Ojeiio,  (iiii 
devint  enfuite  fort  ci.Mù!ire  aux  Indes,  et.iit 
uv\  (.icntilhomnie  .-.tiiclH^  au  Due  de  Medin.1 
CVii,  homme  de  potitf  taide  ,  mais  nicii 
propuriioiiné,  beau  de  vifii^e  ,  adroit,  fort, 
Hi  l\  let;er,  qu'étant  incnti.^  dans  la  Tour  de 
Sevii'e.  à  la  fuite  d.'  la  Heaie  Ifalulle  ,  il 
s'ivrinça  fur  li  eh:rpente,  (jui  a  vin;;t  pied» 
de  f.illie  hors  d  œuvre,  &  li  mefurà  de  ÙJ 
pieds,  auin  vît',  auiîl  adro  tcr.ient ,  que  s  il 
eitt  été  dans  une  falle;  ii  lev.i  le  p  ed  en 
l'air  au  bout  de  l'eCviee,  i*^  ritourni  dans  la 
Tour  avec  !a  même  vîteil'e  ;  ce  (]u'()n  au- 
roit  ju^ii  impoiljjlc  à  tout  autre  ubi  fui. 
Cbap    5.  •'  • 


nouvel  I 
•es  qui 

ion  clia^ 
côté,    d 

r)ini  en. 
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Bulles  d. 
contenir 

Religi-;' 
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Bulle,  r 
fiût  au  l 
qui  leur 
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l'Ame  ri< 
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-  ftructioi 

te   ou    p 

néccifitt 

la  crain 

On  r 


(f)  n 

{d)  P; 

H  Ugnc 
Ifeues  à  1 

,f  clueîit 
„  leur  d 
„  ]  ;!r,( 
„   vl\  \''>' 
a.  le  r<(il 


re  pnrticu. 

Indiens , 

■Hit  ce  ijui 

culte  ,    le 

le  la  Ciia- 


pcrminion 
I'  >    rccc- 
pcranccs. 
'l'iianiicr, 
avoit  rc- 
armement 
■le   Miini- 
C'olonios 
)m[)re  de 
t:ra\ailLr 
mer  ce  eS: 
s  de  Icgu- 
illemenr. 
\p  de  jeu. 
Hir  J"or  eS: 

cparauTs, 
!-■,  lit  re- 
apper  un 

nuu- 

•»  (K-  'Au'ii. 
f'ilLUohns, 

Ifrtli  •O/JJ./j, 

Ojeiio,  (jui 
iiics ,  et' lit 
lie   McililLi 

iiKiis  oicii 
roit.  Tort, 
1  i'our  lie 
label  le  ,  il 
■ii);:;t  picJ» 
ura  Ac  Ks 
t,  (]iie  s  il 

C    p  -d    fil 

rn  ilitis  la 
•lu'on    :iu- 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Li  V.  I.  39 

nouvel  Empire,  &  de  voir  tomber,  entre  les  mains  d'autrui,  des  avanta- 
ges cjui  cLoicnc  comme  fortis  des  Tiennes.  La  pcjliiique  robli{^coit  de  tenir 
ion  chagrin  r.nfernié:  mais  il  arma  lecrettement ,  pour  .'nvoycr  du  même 
côté,    dans  l'elpcrance  d'y  faire  d'autres  découvertes;    Ck,   ne  renonçant 

r)in!,  encore  à  tirer  parti  de  celles  des  Kipagnols,  il  employa  Ruy  de  Sande 
la  Cour  des  Uois  Catholiques,  pour  luire  valoir  premiércmenc  l'accueil 
qu'il  avoit  fait  à  leur  Amiral,  &  pour  déclarer  enfuite  qu'il  fe  promettoic 
de  leur  juîlice,  que  le  hazard  leur  ayant  lait  découvrir  des  llles  à  des  'l'er- 
les  qui  lui  app.rtenoient ,  ils  lui  conllrveroient  les  droits,  avec  les  é^^ards 
oa'il  auroit  eus  pour  eux  dans  le  même  cas.     Cette  déclararion,  foutcnue 

Sir  des  préparatifs,  qui  ne  pouvoient  être  ignorés  en  Elpagnc,  fit  pren- 
re  ,  à  Leurs  iMajelles,  deux  réfolutions  également  in^lllpcnlablcs;  l'une, 
4e  mettre  leur  Flotte  en  état  de  fe  défendre  &  d'attaquer,  fi  les  Portugais 
entreprjnoient  d'apporter  tiuelque  obibcle  à  fa  navigation;  l'autre,  d'envo- 
yer un  AmbalfaJeur  à  la  Cour  de  Lisbonne,  pour  communiquer  au  Roi  les 
èuUes  da  Saint  Siège,  &  lui  déclarer,  à  leur  tour,  qu'étant  réfolus  de  fe 
contenir  dans  leurs  bornes,  ils  efperuient  qu'en  faveur  de  la  Paix  &  de  la 
Religion,  il  fe  renfermeroit  aulfi  dans  les  liennes.  On  demeura  quelque 
tems  incertain  du  fuccjs  de  cette  importante  négociation.  ALiis ,  dans 
rintcrvalle,  les  Rois  Catholiques  ayant  fait  reprél  enter ,  à  Rome,  que  Ls  chi- 
QftQes  du  Portugal  arrétoient  1  elfe  t  des  IJuIIjs,  &  retardoient  l'avancêinenc 
4e  la  Religion,  Ale.xanJre  prit  le  parti  de  confirmer,  par  une  nouvelle 
SuUe,  revêtue  de  toute  l'autorité  du  Saint  Siège  {c),  le  partage  qu'il  avoit 
^c  au  Mois  de  Mai,  Os:  ne  lailfa,  aux  Portugais,  qu'une  ardente  jaloufie, 
C|Qi  leur  fit  tenter  du  moiiis  de  pouller  plus  loin  leurs  bornes  du  coté  de  l'Uc- 
ddent  {(l). 

Enfin,  le  25  de  Septembre,  la  Flotte  Rfpagnole  fortit  de  la  Baye  de 
Cadix;  &  le  2  d'()e*l"brc ,  elle  eut  la  vue  de  la  grande  Canarie.  'i'rois 
jours  après  ,  elle  en:ra  pailiblement  dans  le  Port  de  Gomera,  pour  y  faire 
de  nouvelles  provil'i'tns  fur -tout  de  X'eaux,  de  Chèvres,  de  MreLis,  de 
Porcs,  vS:  de  Poules,  dont  lont  fortis,  remar  jue  ILrrera,  tous  ceux  dont 
l'Amirique  etl  aujourd'iuii  peuplée.  L'Amiral  donna,  au  Commandant  de 
chaqueVaiirv.au,  ur.  Kcrit  loigncufeiiunt  cacheté,  qui  dintenoit  des  in- 
ftructions  fur  la  route  (ju'on  devoit  t.idr ,  li  l'on  étoit  féiriré  par  la  tempê- 
te ou  par  d'autres  acci.lens  ,  a\'ec  defcnfe  de  l'ouvrir  \\\\\%  une  pr^ffante 
nëceiiite.  11  fouhaiioit  que  cette  rou:e  ii -•  fût  co;inue  de  perfonne ,  dans 
la  crainte  que  les  i\')riugais  n'en  lullent  informés  (c). 

On  remit  à  la  voile  le  7  d'Octobre;  6l  l'Amiral  fit  prendre  un  peu  plus 


(c)  Datf.'i-  du  :6  Sopt.'nibrc  r^Qi. 
■  (.-/  i  P,  r  iKTonl  tf.tro  les  tLiis  Couronnes 
hf  Li};!ic  de  DciiKircition  fut  reculée  de  ;,7o 
Ireuc"^  à  rOiic'î,  ,,  l'c  les  l'iirtiij,:i!s  cii  eon- 
,f  clueiit,  (!;t  Ovitdo,  (]iic  tout  le  I.evnnt 
„  leur  deiiieinc  ;  tn  (j'ioi  ils  le  trompent, 
„  !  ;ir:e  que  le^  Moiiiqucs  &  toi:te--  les  llle; 

„  1111  l'on  pi .  ad  ;:i  ("me'le  i\.  ri''-p!eer;.'  .  i.^      l;i  luifuu  d'une  conduite  (i  niylUiieiià 
M  ie  rtdlc  du  AIoikIc,  rttoun.unt  piur  l'O- 


au 


,,  vient  iuri]u';"i  la  prem'èrc  r,i:;no  du  di;nné- 
,,  tre,  l'ont  eoniprife.s  d:uis  hi  pi\n:ière  do- 
,,  maion  fjiu:  a  hi  Couroni.e  de  C.tllùlc", 
ubi  fii^i'i ,  Cli;ip.  N'ill. 

(c)  C'ell  ce  (lU'IIerrer;!  dt  po'it'vcmont 
(  f.:j.  2.  Ch,i[>.  y  )  quoiqu,'  ril'.loiicii  do 
SunL- Domif.nie  dite,  qui!   n  ;i  pit  trou\cï 


ClîRT^TOPriE 
Col.OMIi. 

11.  Voy;igc. 

1493- 


Ambriuiid^:-» 
entre  les  deux 
Couronnes. 


D-'-.nt  de 

la  FIjuc. 


T. 'Amiral 
i liante  uu 
peu  de  route. 


40 


PEMIERS      VOYAGES 


Colomb. 
II.  Voya;;!.'. 


d 

que 

n'Lj.ihiiue ,  & 


au  Sud  que  l'année  prccedcnte,  jurqu'au  24,  qu'jl  crut  avoir  fait  450  lieue*. 
La  vue  d'une  Hirondelle,  qui  s  approcha  des  Vaiifeaux ,  &  celle  de  quel- 
ques grolles  nuées,  dont  le  Ciel  étoit  couvert,  lui  firent  juger  que  la  'l'cr- 
^y^^'      re  ne  pouvoit  être  éloignée.     On  cargua  les  voiles  pendant  la  nuit.     U 
m'dTuiT  Dimanche,  3  de  Novembre,   toute  la'  Flotte  découvrit  une  Ifle  ,   qui   fir 
""^  \kS-'  nommée  la  Dominique  (f).     On  en  apperçut  plulkurs  autres  (5)  au  Nord- 
Oued  &  au  Nord ,  &  l'odeur  des  tleurs  &  des  herbes  commen(;oit  à  le  fai- 
re fentir.  L'Amiral,  craignant  de  prendre  trop  à  l'Ell,  fit  gouverner  direc- 
tement vers  la  féconde,  &  lui  donna  le  nom  de  Marigalante^  qui  étoit  ce- 
lui  du  VailÛ^au  qu'il  montoit.     Il  y  fit  Hefcciidrc  quelques  Oihciers,  pour 
en  prendre  pollelîlon.    Le  4,  il  s'approcha  d'une  autre Ille, qu'il  nomma  h 
Giudc'.oupe,  comme  ul'avoit  promis,  en  Efpagne,  au.K  Religieux  d'un  Cou- 
vent de  ce  nom.     A  trois  lieues  de  la  Cote,  on  ne  vit   pas,  fans  quelque 
frayeur',  un  Rocher  pointu  &  fort  eleve ,  d'où  fortoit  quantité  d'eau  ,  avec 
un  fi  grand  bruit  qu'on  l'entendoit  à  cette  diftance.     Quelques  Soldats , 
qui  furent  envoyés  pour  reconnoître  l'Ille,  n'y  trouvèrent  d'abord  qu'un 
petit  Village  abandonne;  mais  ils  furent  furpris  de  rencontrer,  fur  le  Ri- 
vage, une  pièce  de  Navire,  ijui  paroillbit  un  ouvrage  de  l'Europe.     Ils  vi- 
rent, dans  les  Cabannes ,   des  Oyes;  des  Terroquets  de  la  grofieur  d'un 
Coq  CJifc  de  différentes  couleurs ,  auxquels  ils  donnèrent  le  nom  de  Guacama- 
3flî;  quantité   d'exceîlcns  fruits;   des  herbes  extraordinaires;  plufieurs  de 
ces  filets  de  coton, que  les  Indiens  nommoient  Hamacs ,6:  qui  leur  fervoient 
de  lit,  des  arcs,  &  un  grand  nombre  de  fiéches.    Ce  qui  leur  caufa  le  plus 
d'étonnement  fut  une  Plaque,  qu'ils  prirent  pour  du  fer,  mais  qui  n'étoi: 
que  d'une  pierre  noire  «ic  luilante,  &  qui  fervoit  de  foyer  aux  Ilabitan:. 
Après  avoir  erré  long-tems  fans  en  rencontrer  un  feul,  ils  revinrent  à 
Bord;  mais  l'Amiral,  qui  s'étoit  propofé  d'emmener  quelques-uns  de  ces 
Infulaircs,  pour  en  tirer  diverfes  lumières  fur  les  autres  llles,  &  fur  la  rou- 
te, fit  defcendre  ,  le  lendemain,  d'autres  Soldats,  qui  lui  amenèrent  deai:  ■ 
jeunes  Garçons.     Ou  apprit  d'eux  (lu'ils   écoient  d'une  Ille  nommée  Boir:- 
qicn,  &  que  les  Caraïbes  ,  11  ibirans  de  la  Guadeloupe,  les  avoient  enlèves 
de  leur  Patrie.     D'autres  ETpagnols  trouvèrent  fix  Femmes,  qui  leur  lie- 
Lumières     mandèrent  du  fecours ,  en  leur  faifant  comprendre,  p.ir  des  fignes  capables 
^"'"î'"  \''^'f  .^"^  de  les  attendrir,  que  les  ILibirans  de  l'Ille  mangt.'oient  les  hommes  <&.  t.- 
riies Indien- '"  '^oi'-''"'^  ^'-^  femmes  dans  l'efclavage.     Elles  fiirent  menées  a  Bord  avec  deux 
Enfans,  après  avoir  fait  connoi're  (ju'elles  aimoient  mieux  s'abandonnera 
des  hommes  ineoniuis,  que  de  demeurer  expofées  à  la  barbarie  des  Caraï- 
bes.    Elles  firent  entendre  qu'il  y  avoit  quantité  d'illes,  du  cuié  du  Midi; 
les  unes   peuplées,  &  d'autres  "défertes,    qui   fe  nommoient  CiaramaJr,, 
Cairoaco,  I/:iinû,  Dioiani  ^  /Jrubcira,  SiX'bui,  &  une  Terre -ferme,  qu'elles 
appelloient  Ou.nica;  que  le  Roi  de  la  Guadeloupe  étoit  aile  courir  les  IllcS 
voilines,  avec  dix  grolTes  Barjues  ,   &  trois  cens  Indiens,  pour  enleVc: 
des  hommes;  Ck  que  le  fort  de  ces  malheureux  Prlfonniers  étoit  de  fervir  s 

\i 

(f)  A  caufc  du  jour  de  Dimanche.  Il  no      R.  d   E. 
faut  1  as,  coinmc  quelques  Ailleurs,  eoiifon-         ((;)  llerrern,    ihiJ ,  Cla;>.   lo  ,  t!t  Vie  ^•• 
the  cctt.-  lUc  awc  celle  de  Ht,  /Jvmi/i^Kf.     Columb,  Cbap.  45. 


nés. 

Barbarie  d'. 
Car^ïijis. 

Nor.is  In- 
diens de  di- 
verfes llles. 


.il  noun 
ftir  la  rc 

ràl  auro 
s'étoien 
fi  peu  d 
cruauté 
res  de  le 
les  déco 
Bois  d'à 
ficurs  P 
Jiaflfé  à 
îèment 
èufe  de 
Bois  fer 
parti  di 
princip:i 
dats  fui 
l'intervi 
ques  Ca 
irifles  n 
fê  crure 
•    hv.  1 
fez  haut 
diers  d^ 
âpper^u 
fembloit 
la  Rotoh 
quinze  ( 
couvroi 
Bois  épî 
jour  fui' 
Cruz. 
Saint  -  C 
d'hui. 
fit  donr 
très  cel 
ne  autt 
Baptille 
froit  d' 
'tes  de  ' 
la  Mcv 
la  Plot 
Alofes 
délieie 


celui    d 


"Vfi 


t  450  licuej, 
■'le  de  qut|. 
que  la  'l'cr. 
1  nuit.     Le 
c,  qui  fu' 
,0  au  Nord. 
oit  à  fc  fa;. 
crner  dircc- 
ui  ctoic  ce- 
cicrs,  pour 
il  nomma  h 
X  d'un  Cou- 
ins  qucKju. 
eau  ,  ave: 
es  Soldats, 
bord  qu'un 
:  fur  Je  Ki. 
pe.     Ils  vi- 
ofTcur  d'un 
-  Guacama- 
iluficurs  dj 
r  fcrvoicn: 
lufa  le  phis 
qui  n'ecoi: 
I  lubitan:. 
■evinrcnt  à 
uns  de  Ces 
iur  la  rou- 
vrent deux  . 
mee  I^orn- 
nt  enlèves 
li  leur  de- 
■s  capables 
T>es  &  u- 
avec  deux 
ndonner  à 
Jes  Caraï- 
du  MiJi; 

■,  qu'elles 
r  les  Illcj 
r  enlever 
le  fervir  a 

la 


cm 


■m 


u   E,  Li  V.  r. 


4r 


?'  EN      A    M    E    R    I    Q 

.fk  nourriture  de  leurs  Ennemis.  Elles  donnèrent  auffi  quelques  lumières 
Ihr  la  route  qu'il  falloit  fuivrc  jufqu'à  Ilayti,  ou  rifle  Efpagnole.  L'Ami- 
ral auroic  levé  l'ancre  aufli-tôt,  s'il  n'eût  attendu  plufieurs  de  Tes  gens,  qui 
8*étoient  écartés  fans  la  pcrmilTion  de  leurs  Ofiicicrg.  Le  chagrin,  de  voir 
fi  peu  de  difcipline  à  Hord ,  lui  fit  feindre  de  vouloir  les  abandonner  à  la 
cruauté  des  Caraïbes;  mais,  feignant  aulVi  de  fe  laiflcr  lléchir  parles  priè- 
res de  leurs  Amis,  il  les  fit  chercher  par  (juarante  hommes,  qui  ne  purent 
les  découvrir,  ik  qui  rapportèrent,  pour  unique  fruit  de  leur  courfe,  du 
Bois  d'aloës  &  de  fandal ,  du  Gingembre,  de  l'Encens,  du  Cocon,  &  plu- 
fieurs Plantes,  dont  l'odeur  approchoit  de  celle  de  la  Canelle.  Ils  avoicnt 
ftaflc  à  gué  vingt-deux  petites  Rivières.  Enfin,  ceux  qu'ils  avoient  inuù- 
remcnt  cherchés,  revinrent  d'un  autre  coté,  &  ne  purent  donner,  pour  ex- 
éufe  de  leur  abfence,  que  la  dillicuké  de  retrouver  leur  chemin  dans  des 
Bois  fort  épais.  L'Amiral,  à  qui  cette  licence  parut  dangcreufe,  prit  le 
parti  de  faire  refpeélcr  l'ordre  par  un  exemple  de  rigueur,  il  fit  mettre  les 
principaux  à  la  chaîne,  fans  égard  pour  le  rang  &  la  nailTcincc;  &  les  Sol- 
dats furent  punis  par  le  retranchement  d'une  partie  de  leurs  vivres.  Dans 
l'intervalle,  il  étoit  defccndu  lui-même  à  terre,  où  il  avoit  vu,  dans  quel- 
ques Cabannes ,  plufieurs  têtes  d'hommes  6i  divers  oflemens  fufpendus; 
trilles  monumens  de  la  cruauté  des  Infulaires ,  que  les  Coureurs  imprudens 
fe  crurent  trop  hcuicux  d'avoir  évitée. 

'■,  Le  10,  après  avoir  rangé  riile  au  Nord-Ouefl;,  on  en  découvrit  une  af- 
HjSZ  haute,  qui  fut  uommcc  Montfcrrjî y  pour  fa  reflemblance  avec  les  Ro- 
chers de  Notre-Dame  de  Montferrat ,  en  Catalogne,  lîien-tût,  on  en 
Éppcrçut  une  autre,  que  fa  forme  ronde,  eSt  li  efcarpéc  de  toutes  parts  qu'il 
fembloic  impollîble  d'y  monter  lans  échelles  ,  fit  nommer  Sainte-  Marie  de 
la  Rotonde.  Eilê  étoit  fuivie  d'une  autre,  qui  ne  prefentoit  pas  moins  de 
quinze  ou  feize  lieues  de  Cote,  &  qui  reçut  le  nom  (Ï/Intii^oa.  On  en  dé- 
couvroit  quelques-unes  du  coté  du  Nord,  fort  hautes  &  couvertes  de 
Bois  épais.  Celle,  où  l'on  aborda  le  18,  fut  nommée  San-Martiuo;  &  le 
jour  fuivant  on  endéct)uvrit  une  autre,  à  laquelle  on  donna  le  nom  deSnnta- 
Cniz.  L'Amiral  n'oublia  pas  le  Saint  dune  il  portoit  le  nom  ,  &  nomma 
Saint  -  Chrijlophe  une  fort  belle  Ille  ,  qui  a  confervé  ce  nom  jufqu'aujour- 
cThui.  La  multitude  de  celles,  (jui  ne  ceiToient  plus  de  fe  prétenter,  lui 
fit  donner,  à  la  plus  grande,  le  nom  de  Saii.tc-UrJ'ulc ,  &  à  toutes  les  au- 
tres celui  des  O^jîc  rfùlle  t^'iergcs.  Cependant ,  après  avoir  fuivi  la  Côte  d'u- 
ne autre,  que  les  Indiens  appcUoient  Boyiqiun,  il  la  nomma  ^aint  ,%\in- 
Baptijie  (h).  Il  s'v  arrêta  quelques  jours,  dans  une  Baye  à  l'Ouefl:,  qui  of- 
froit  d'affez  belles  Alaifons,  défendues  par  des  tours  de  cannes,  &  couver- 
tes de  branches  entrelafl'ees,  avec  une  forte  de  balcons  ,  qui  donnoicnt  fur 
la  Mer.  On  y  vit  des  Faucons  &  des  Vignes  fauvages;  mais  l'arrivée  de 
la  Flotte  avoit  fait  prendre  la  fiùte  à  tous  les  Habitans.  Les  Rayes  ,  les 
Aloles  tS:  lLS%Sardines ,  qui  étoient  en  abondance  dans  la  Baye,  furent  un 
délicieux  rafraichilîemenc  pour  les  Efpagnols  (/). 

Ii.s 


CjiRISTOPHK 
COI.OMU. 

II.  Vovn:;v 


Procliiftionj 
naturelles  de- 
là Guadcloii- 


po. 


DeCûU'\  cnc 
des  Jlles  de 
Montterrat. 
deSe.iMariL 
de  la  Roton- 
de, d'Anti- 
j^oa,  de  S. 
Martino  de 
Saïua-Cruz , 
de  Se.  IJrfu- 
le,  des  Onze 
mille  Vierges, 
de  lïorio'ten  , 
noiiip'      vS. 
Jenr  1.,      'le, 
eS:  à^i.'    .  or- 
turi  : 


c\  v; 


C    u'. 


(h)  On  .ijoiitn,  dans  la  fuite,  à  ee  nom, 
celui  lie  l'i:rt()yicn ,  ^   ks  Franij'ois  !i  nuiii- 

XVILL  tan. 


ment  Fortoyic. 
(i)  Herrera,  uhifuprà.  Qi/i.  7. 
F 


CimriTnpiiE 
CoioM  ;. 

]l.  Voy.':;c. 
I  4  9  3- 

I.;i  l'lotto:ii-' 
rivo  ;i  l'UL- 
Efp.igr.oL'.    • 


ni:'u-(.'>. 


i;.\nir.\lr. 
vvirouvc  au- 
cun do  r.3 


li  trouw  ;"i 
l'ort^it-ùl'nii- 
nv.c.  '.^  tous 
î.s  Ca!iii!a.;s 
lî.'itracrcs. 


Ses  cxt'îica- 
tiorm  iwxx  Ic- 
Infiilairts. 


42        r    R    1:    INI    I    E    R    s       V    O    Y    A    G     E    S 

Ils  cCDicnt  plus  proches  de  l'Illc  Klpa^^nolo,  qu'ils  ne  fe  le  tigiiroicnt. 
Ll'  22  de  Novembre,  à  15  lieuc!^  de  l'itcrto  Ricco,  ils  rcc<innurent  la  iiayc 
de  Sivnami,  où  IWmiral  fit  mouiller,  pour  mettre  à  terre  un  Je  Hs_ Indiens, 
qui  droit  de  cette  partie.de  Tille  ,  ^S:  cjui  dcvoit  iervir  11  répandre  une  hau- 
te opinion  de  la  nuii.!,nirieonce  des  llois  Catholi  jues,  6:  de  la  puilîanec  de 
rKrpaj;ne:  mais,  quoiqu'il  le  fût  olVcrt  volontairement,  on  n'entendit  pUs 
parler  de  lui;  &  les  informations,  (|u'on  prit  inutilement  dans  la  fuite,  fi. 
refit  jugjr  qu'il  etoit  mort  à  fon  arrivée.  On  s'avan-.M  vers  le  Cap  //«j^f/, 
d'où  quelques  Indiens  apportoient  des  vivres ,  (juViu  re<,-uc  en  ecliange  pour 
des  marehandifes.  Le  25,  en  pallant  devant  Monte  Chri/lo,  l'Amiral  envo- 
ya fa  Chaloupe  à  rernbouehure  d'une  Rivière.  Ceux  qui  defcendirent  a 
terre  y  trouvèrent  deux  homuKS  morts,  dans  une  fituatinn  qui  fut  regar- 
dée coinir.j  un  faelieux  preiage.  L'un  avoit  une  corde  de  natte  autour  d:i 
cou,  les  bras  étendus,  è\£  les  mains  attachées  comme  en  croix  à  deux  po- 
teaux: maison  ne  put  rceonnoitre  s'ils  etoient  Indiens  ou  Cudiilans.  Le 
lendemain,  quelques  Soldats,  envoyés  dans  un  autre  endroit  du  rivage, 
pour  s'infoiiner  de  l'état  de  la  l'orterefie,  trouvèrent  quantiti:  d'IndieEi 
qui  s'approchèrent  d'eux  fr4ns  c'ellar.ee,  (li  qui  prenoient  plaifir  à  toucher 
leurs  habits  è\:  leurs  chemiles,  en  rc()ét:\m  jubon ,  Camifa,  pour  faire  con- 
noitre  qu'ils  en  Javoieiit  les  iiijms.  (Quoiqu'on  n'eut  pu  en  tirer  d'autres 
éelaircilîemens,  l'Amiral  donna  une  expheation  favorable  ù  ces  apparen- 
ces. Le  27  au  foir,  on  jetta  l'ancre  à  l'entrée  tle  l'w:rto  Real.  Quelques 
Indiens  s'approcîièrent  dans  nw  Canot ,  en  criant  Jimiraf.îc.  On  les  pre;î,i 
de  monter  à  JkjrJ.  lis  dcmantlèrent  avoir  auparavant  l'Amiral:  d  lor;- 
qu'il  fe  fût  montré,  ils  abordèrent  fans  crainte.  Apres  l'avoir  falué  de  \\ 
part  de  (îuacanagari,  ils  lui  firent  un  prcfent  ail'ez  riche  cii  or.  Il  leur  de- 
manda pourquoi  li  ne  voyoit  aucun  de  les  LÇensV  lis  r.pondlrent  que  les  ur.< 


ctoiént  morts  de  maladie,  iS:  que 


s  autres  etoient  entres  dans  le  Tavs  avee 
oup<;ons  qu'il  devoit  concevoir  de  ce  dil'- 


des  fenv.Ties.     iMalgré  les  cru-ls  ,,„....  ^„  ..  „, ^. 

cours,    il  prit  le  parti  de  la  diiliiuulation,  Oi:  les  Indiens  furent  reiivowi 


avec  des  preiens 


pa 


Li:  lendemain,  en  s'avanpnt  dans  le  IV.rt,  le  premier  fpeélaelc  qui  frjp- 
fes  yeux,  fut  la  ruine  entière  île  la  Forter.fl'e,  qui  pa-'oillbit  avoir  eu 


s  tle.i;- 


jui    p. 

Non  feulement  il  ne 


détruite  parle  feu.     lien  lit  vifiter ........w -• 

trouvoin  aucun  Efpagnol,  mais  la  terreur  fembloic  répandue  parmi  les  In- 
diens, &  l'on  n'en  découvrit  point  un  fai!  aux  environs.  L'Amiral  fit  net- 
toyer un  puits ,  dans  lequel  il  avoit  recommande,  aux  Oilleiers  de  la  Car- 
nilon,  de  jetter  leur  or,  tic  ce  qu'ilsavoienc  de  pius  précieux,  s'ils  etoient 
prelks  detiuelque  danger;  on  n'y  trouva  rien.  Il  s'approcha  iScs  1  Iabi!.i- 
lions  les  plus  voilines;  elles  etoient  defertes.  Enfin,  la  viie  d'un  endroit, 
ou  la  terre  avoit  été  fraîchement  remuée,  lui  fit  naiire  l'idée  d'y  fouiller: 
on  y  trouva  fept  ou  huit  corps,  qui  paroilluient  enterrés  depuis' un  mois, 
&  que  leurs  habits  feuls,  dont  ils  etoient  encore  revêtus,  firent  reetjnnoitrw 
pour  des  Elpaj-rnols. 

Pendant  qu'on  poulfoit  les  rcdierchcs,  &  qu'on  délibéroic  (ur  ces  étrar.- 
gesconjonaurcs,  un  Prince  de  l'Ille,  IVere  de  Cuiacanag iri ,  parut  avee 
une  fuice  afVc^  nombrcufe ,  &  fit  demander  Audience  a  fAmiral.  Les  1  lilK  • 

riens 


■tiens  rc 

ftillann( 

tôt    C  )! 

n'étant 
odieux 
enlever 
de  diUi 
^ns  la 

{fin  'à  C; 
tué  un 
'les  fen^ 
Caon.ibc 
'  Mines 
avoir  [- 
fiéger  I 
d'allaui 
meures 
.  tant  de 
.  polTiblt 
Mer, 
palier  i 

Î;e,  le 
ènfe  d 
courir 
au  Cac 
eu,  du 
fa  Vid 
étoit  d 
pouvoi 
gnoit  ( 
mirai , 
deman 
leur  an 
Il  r 
le  port 
circon 
rejette 
l'exciti 

rifie  n 

falloit 
certaii 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.   I. 


43 


'guroicnt. 
.•ne  la  liavc 
Ils  Indiens, 
ro  une  iiau. 
miiruicc  de 
lucnjic  plas 
la  fuite,  f;. 

Cap  /y«^f/, 
■hdngQ  pour 
mira]  cnvo- 
l'en  cl  iront  a 
i  fut  r^gar- 
-■  autour  Jj 
ù  deux  po- 
Hilans.     Le 
du  rivage, 
i;  d'Indiens 
*  à  touche: 
r  faire  cun- 
cr  d'autrcj 
•S  apparcn- 
Quelque? 
n  Ls  priiia 
al:  d  ior:- 
fa  lue  de  !; 

Il  leur  de- 

que  les  i.:;; 

2  l'ays  av.. 

de  ce  dil- 

t  renvoyi.s 

le  qui  frap- 
;  avoir  c:. 
c  il  ne  S) 
'ini  les  in- 
rai  fit  net- 
dj  la  Gar- 
'ils  ctoicnt 
es  Habit;!- 
in  endroit, 
'y  fouilkr: 
i  un  mois, 
cet)nnoitr: 

■  ces  etran- 

parut  ave: 

Lesllill^- 

riens 


tiens  remarquent  qu'il  avoic  déjà  fait  quelques  prnn;rès  dans  la  Î.nn{^u3  Ca- 
■ftillanne.  Il  r.ieonta  qu'après  le  départ  de  l'Amiral  j  la  dilcorde  avoit  bien- 
tôt cjmmencé  à  régner  dans  la  Colonie;  que  les  ordres  du  Commandant 
n'étant  plus  refpeclés,  chacun  étoit  forti  du  fort,  Ck  s'étoit  livré  aux  p'us 
odieux  emportemens;  que  les  Infulaires  avoient  vu  ravir  leurs  femmes, 
enlever  leur  or,  &  commettre  à  Lurs  yeux  toutes  fortes  de  brigandages  (X: 
de  dillblutions;  que  le  Roi  fon  l'rère  n'avoit  pas  lailfé  de  contenir  fes  i^ujets 
dans  la  foumillion,  en  leur  promettant  que  le  retour  de  l'Amiral  mettroic 
«fin  ù  cet  aifreux  defordre,"  mais  que  GutLierv.z  61  d'Efcovedo,  après  avoir 
lue  un  indien  du  Pays,  étoient  pâlies,  avec  neuf  de  leurs  C()mp:i{Ti]o;:s ,  Ck 
îles  femmes  qu'ils  avoient  enlevées  ,  dans  les  Etats  d'un  Caeijue  nomme 
Caonabo,  qui  Ls  avoit  maiiacrés  jufqu'au  dernier;  que  ce  Prince,  don'  les 
Mines  de  Cibao  dcpendoient  ,  allariné  apparemment  pour  fes  riciieiT.;? , 
avoir,  pris  la  relolution  d'exterminer  tous  les  lùrangers;  qu'il  etoit  Venu  aV- 
fiéger  la  Forterelle  avec  une  puillante  Armée,  d'  que  n'ayant  pu  l'emporicr 
d'allant,  quoique  la  CJarnifon  fût  réduite  à  dix  hommes,  qui  écoient  d>;- 
meurés  fidèles  à'  Diego  d'Arana.  il  y  avoit  mis  le  feu  pendan:  la  nuit,  avec 
tant  de  fureur,  Ov.  dans  un  fi  grand  nom':)re  d'endroits,  qu'il  avoit  été  i:r.- 
pollible  de  l'éteindre;  que  les  Al'liegés  avoient  tenté  de  fe  fauver  par  la 
Mer,  mais  qu'ils  s'étoient  noyés  tous,  avec  leur  Commandant,  en  voulant 
pafler  à  la  nage  de  l'autre  cô:é  du  Port;  qu'à  la   première  nouvelle  du  Sié- 

Î;e,  le  Roi  Guacanagari  s'étoit  hâté  de  rallembler  des  Troupes,  pour  la  de- 
énfe  de  Ils  Amis  &  de  fes  Alliés;  ((u'ri  etoit  arrivé  trop  tard  pour  les  fe- 
«ourir ,  mais  qu'il  avoit  entrepris  de  Ls  venger;  qu'il  avoit  livré  Bataille 
au  Cacique,  &  qu'il  l'avoit  délait,  avec  le  malheur  néanmoins  d'avoir  re- 
çu,  dans  le  combat,  quelques  b]enurcs,qui  lui  avoient  derobbé  Ls  fruits  de 
fa  Vièfcoire,  &  dont  il  n'etoit  pas  encore  guéri  ;  que  le  reile  des  Calliilans 
étoit  difperfe  dans  l'ille,  &  que  jufeu'alors  il  avoit  eu  le  chagrin  de  ne 
pouvoir  découvrir  leurs  traces:  entin  ,  qu'à  de  fi  juftes  douleurs,  il  joi- 
gnoit  celle  d'être  encore  trc^p  luihle,  pour  aller  témoigner  lui-même,  à  l'A- 
mirai ,  combien  il  étoit  Jlnlible  à  l'infortune  de  fes  gens  ;  mais  qu'il  lui 
demandoit  une  vifitc,  dans  laquelle  il  promettoit  de  ferrer  leur  alliance  & 
leur  amitié  par  de  nouveaux  nœuds  (k). 

Il  paroit  que  ce  difcours  ne  perfuada  point  entièrement  Colomb.  Tout 
le  portoit  à  la  défiance;  &  dans  fes  recherches  mêmes  il  avoit  trouvé  des 
circonllances ,  qui  lui  faifoient  foupçonner  ion  Allié,  de  tout  le  mal  qu'il 
rejettoit  fur  Caonabo  (/).  Cependant  loin  d'écouter  !'avis  de  ceux  qui 
l'excitoient  à  la  violence  ,  il  leur  repréfenta  qu'on  ne  pouvoit  s'établir  dans 
rifle  fans  le  confentement  d'un  de  Ils  principaux  Princes  ;  qu'autrement  il 
falloit  s'attendre  à  ties  Guerres  fanglantes ,  dont  le  fuccès  n'étoit  pas  alLz 
certain  pour  lui  faire  choilir  une  voye  fi  dangereufe;  que  ii  Guacanagari 

étoit 


r'iiPT'T.T'if 

('"l-'U»!'). 

il  YcA-i"-. 

I  '!  9  3 
Fup  iir  .  'I 

Roi  i':\r.\:  t'.ii 


I")o;;te.s  Je 
i'Ainiral  fur  la 
boniie'foi  d-.; 
Guacanagari, 


Sa  policiqu.' 
les  lui  i'iitdii- 
fiir.uicr. 


(k)  Ilcrrçra,  Cijp.  9.    Vie  do  Colomb, 
Cbap.  4y.  • 

{ /     Pierre     Martyr    riippiifL-    l.i    truliilon 
certaine,  tSc  raconte   cjuc  l'Amiral  ayant  a\ 
voyé  un  de   les  Oilieiers  vers  Guaeana^:;ari  , 


avant  que  d"y  aller  lui -mémo,  cet  Oflicicr, 
nuinme  MilcL>:oi  ,  ne  lui  vit  aucune  trace  de 
bleliure,  (  le  Dec.  Liv.  2.)  Ceiiendarit  tous 
les  Hitloriens  Elpiigr.oLs  teimelU  un  ten:oi- 
gnai^e  oppole. 

F    -2 


m'' 


4+ 


P    R    iM    I    E    H    S      V    O    Y-  A    G    E    S 


CHUIJTPriIE 

11.  Voya.,v. 
1493- 


PriMcns 

«lu'ils  L'  tout 

iniuiicllc- 

mail. 


L'Amiral 
,\;ifc  à  ù<r- 
:iier  une  nou- 
•cllc  Colonie. 


•qu'oïl  .1  nora- 
liiccs  Nords. 


Ville  bitic 
Tous  le  nom 

..ilfabcllc. 


écoit  un  'l'niîcrc,  il  piroilTuit  (Jifporc  tlii  mnins  ù  gnnîcr  les  apparences  de 
la  bonne-foi;  qu'il  n'etoit  quellion  que  de  le  comluire  avec  allez  de  pruJ(.n- 
ce  pour  n'écre  pas  (iirpris;  (juc  lorlcju'une  t"*>is  un  llroit  bien  Ibrtiiic,  il  |^'. 
roir  tcms  de  punir  ks  Coupables,  &  que  l'avenir  appreiulroit  infaiinblt. 
ment  ù  les  dillinguer.  Cette  fage  Politique  emporta  tous  les  fulVraiies, 
L'Amiral  ne  fit  pas  ditliculte  de  le  rendre  à  la  Cour  du  Koi,  (jui  lui  lit, 
d'un  air  trille,  le  récit  du  malheur  des  Callillans,  &  qui  lui  montra  Ils 
bleiîlires.  La  confiance  &  l'amitic  reprirent  une  nouvelle  force.  (îuaca- 
nagari  lu  prélent.  à  l'Amiral ,  de  huit  cens  petites  coquilles,  fort  ellin-.cu 
des  Indiens,  lous  le  nom  C/V/j-,  de  cent  plaques  d'or,  d'une  couronne  du 
même  métal ,  èx;  de  trois  petites  calebafTes  remplies  de  grains  dur,  dont  le 
poids  montoit  entlmble  à  deux  cens  livres.  De  fon  cote,  l'Amiral  lui  Uuii- 
na  quantité  de  petits  vafes  de  verre,  des  couteaux,  des  ci/.caux,  des  epin- 
gles ,  des  aiguilles  vi  de  petits  miroirs,  qui  furent  revus  comme  des  ri- 
chefle's  ineftimables.  Il  y  joignit  une  imatre  de  la  Vierge,  qu'il  lui  pen- 
dit au  cou  (;/;).  La  vile  des  Chevaux  d'Kfpagne,  auxquels  on  fit  faire  I; 
nianége  en  fa  prelence,  lui  caufa  beaucoup  d'admiration. 

Apki.s  ce  nouveau  Traite,  l'Amiral  ne  peiifaqu'a  donner  une  forme  fo- 
lide  à  Ion  Ktablillement.  Son  inclination  le  por'.oit  a  rebâtir  le  fort  fur  l'cs 
premiers  fondemens;  mais ,  jugeant  du  Pays  par  la  connoillance  qu'il  en 
avoit  prife  en  rangeant  la  Cni^,  il  craigni.it  que  les  eaux  dormantes  n'en 
renJillent  l'air  fort  ii; al  lain.  11  avoit  remarque  aulli  ([u'on  y  manquoit  de 
pierres,  pour  ks  IvJilices;  <îs:  d'ailleurs,  il  vouloit  s'approcher  des  Min.s 


de  Cibao.     La  reli  lution  ,   à  laquelle  il  s'arrêta,    fut  dr  ^avancer  plus  u 


ILll;  6i:  le  7  de  J)ecembre,  il  partit  de  Puerto  Kéal  av.  e  toute  fa  Flotte, 
poui- aller  former  une  nouvelle  Colonie  à  Puerto  de  Piata,  ou  le  Pavs  lui 
avoit  paru  plus  agréable  ,  Oi:  le  terroir  plus  fertile.  Dans  une  route  1: 
courte  ,  il  fut  l'urpris  par  une  de  ces  tenipétes,  auxquelles  les  l-'ranruis  ont 
donné  depuis  le  nom  deAV,/»,  parcequ'elles  viennent  de  ce  point.  Tous 
les  VailTe-aux  n'auroient  pu  fe  garantir  d'être  jettes  a  la  Cote  ,  li  quelques 
inllans  de  lumière  ne  leur  eulVent  fait  appercevoir,  deux  lieues  uu-deiibus 
de  Monte  Chnilo.  une  Rivière  qui  leur  ottVit  une  retraite. 

Ql'oiqu'ellf.  n'eut  pas  plus  de  cent  pas  de  large,  elle  formoit  un  Por: 
ailez  commode,  mais  un  peu  découvert  au  Xord  KiL  L'Amiral  dj'eendi: 
près  d'un  Village  d'Indiens,  qui  bordoic  le  rivage  ;  Ci:,  remontant  la  Riviè- 
re, d  ou  Ion  découvrit  une  Plaine  fort  agréable,  il  remarqua  qu'on  pou- 
voit  détourner  les  eaux,  c^  Jeur  faire  traverfer  le  Village,  pour  les  em- 
ployer  a  des  Moulins,  &  Ls  rendre  utiles  à  tous  les  beloins  d  une  CMionic 
Les  terres  lui  parurent  fertiles.  11  y  trouva  des  pierres  pour  bâtir  Ci:  puur 
taire  de  la  chaux.  Tant  de  commodités  le  deternuiierent  a  ne  pas  cher- 
cher d  autre  heu,  pour  y  jetter  les  fondemens  d'une  Ville.  11  fit  bâtir  d'a- 
bord une  hgjife  c\:  un  Magazin.  Enfuite  il  drelTa  le  plan  des  quartiers  & 
des  rues.  Les  Ldiliccs  publies  furent  bâtis  de  pierres;  mais  tous  les  au- 
tres ne  1  ayant  etequede  bois,  de  paille  &  de  feuilles  de  palmiers,  on  v:r 
bientôt  tout  le  monde  à  couvert.  Cette  nouvelie-Ville,  la  première  appa- 
reil;- 
r  'n  )  Ilcrrcra ,  Cbap.  9.     ' 


belle 


■''{*■'?» ,. 


E    N      A    M    E    R    I    Q    U    E ,   L  i  v.   I. 


45 


arcnccs  de 
Iç  pruJcn- 
ilic,  il  (o 
iiifuill:l,;^.. 

l'iilVraifcs. 
ni  lui 'lie. 
noiura  11$ 
Cluac:- 

ironne  du 

tiont  le 

lui  ciun- 

des  cpin- 

Ile  lies  ri. 

ui  pcn. 

it  faire  k 

forme  fo- 
•rt  fur  Ils 
.'  qu'il  LU 
m  tes  n'en 
Kjuoit  ell- 
es MiîKs 
cr  plus  a 
a  Mot  te, 
.'  Pays  Ju; 
L"  route  f: 
n(;eis  ont 
t.     'ions 
iJUeKjikS    ' 
i-  d^iibus 

un  Por: 
jeleendi: 
la  llivic- 
'on  pou- 
•  les  em- 

Colonie. 
r  &  pour 
),is  cher- 
Li.uir  d'a- 
irtiers  & 
s  les  au- 
5,  on  vit 
iff  appa- 
relli- 


>*cmmcnt  qu'on  eut  jamais  vue  clans  le  nouveau  IVIondc,  refut  le  nom  d' Ifa- 
belle,  à  riioniKur  de  la  Reine  de  C'a'lillc  ,  que  rAmirai  reg..rjûit  comme  ia 
fource  de  l'a  fortune  ii\:  de  fa  gloire  (n). 

Mais,  foit  que  les  provilions  n'eulfent  pas  été  ménagées,-  ou  qu'elles  fc 
fuHent  corrompues,  on  ne  fut  pis  loni^  -  tems  fans  tomber  dans  la  difette 
de  vivres.  D'ailleurs,  la  continuité  d'un  travail,  donc  perlbnne  n'étoit 
difpcnfé,  les  fa'igucs  du  Voyage,  la  difàrence  du  climat,  vit  l'extrême 
chaleur,  caufèrent.  de  faeheufes'maladies.  L'Amiral,  qui  ne  s'épargnoic 
pas  plus  que  le  moindre  Callillan,  fut  v.n  des  premiers  qui  s'en  relfjntit.  De 
ion  lit  meaie,  oii  la  force  du  mal  le  retint  pendant  plulieurs  jours,  il  ne 
■  celTa  point  de  donner  des  ordres,  &  d'en  preillr  l'éxecution,  il  avoit  ob- 
fervc  que  fidée  des  treiurs,  dont  tous  lés  gens  avoienc  l'imagination  rem- 
plie^  fervoit  à  les  foutenir  contre  la  faim  6i  la  mifére.  Ps'on- feulement  il 
profitoit  de  cette  difpolition,  pour  les  animer  continuellement  par  les  plus 
hautes  efperanccs  ;  mais,  craignant  qu'à  la  fm,  ils  ne  tulîent  plus  découra- 
gés par  le  retardement  que  par  les  obllacles,  il  réfolut  de  ne  pas  différer 
plus  long-rems  la  découverte  des  Mines;  &,  dans  l'impuinance  où  il  étoic 
d'y  marcner  lui-même,  il  chargea  de  cette  entreprilé  Alfonfe  d'Ojeda,  donc 
on  a  déjà  vante  le  courage,  la  force  èjc  radreife. 

OjiiDA  partit  à  la  tête  d'un  Détachement  de  qitinzc  hommes  bien  armés. 
11  s'avanç;a  au  Midi,  l'efpace  de  huit  ou  dix  lieues,  par  un  Pays  defert, 
qui  te  terminoit  au  pied  d'une  Montagne;  où  trouvant  une  Gorge  fort  étroi- 
te, il  ne  fit  i)as  dilficulté  de  s'y  engager.  Elle  le  conduillt  dans  une  gran- 
de &  belle  Plaine,  qu'il  fut  lurpris  tle  voir  entourée  d'Habitations,  6:  cou- 
;  pée  d'un  grand  nombre  de  Ruilleaux,  dont  la  plupart  fe  rendent  dans  la 
Kiviere  T^qui.  11  ne  lui  relloic  pas  plus  de  douze  lieues  jufqu'à  Cibao; 
mais  l'agréable  accueil  ,  qu'on  lui  faifoit  dans  chaque  Bourgade  ,  &  la 
quantité  de  Ruilleaux,  qu'il  avoit  à  traverfer ,  retardèrent  la  marche  de 
cinq  jours.  Dans  une  route  lî  lente,  chaque  pas  iui  faiibit  découvrir  des 
apparences  de  richefle.  Les  Inuiens,  qui  lui  fervoient  de  guides,  ramaf- 
foient,  à  les  yeux,  des  pailles  <ic  des  grains  d'or  dans  le  fab|e.  Il  conjec- 
tura, par  cet  heureux  eilai ,  quelle  devoit  être  l'abondance  de  ce  ir.étal  dans 
les  Montagnes;  &  jugeant  avec  prudence  qu'il  n'avoit  rien  de  plus  pref- 
fanc  que  de  porter,  à  la  Colonie,  de  fi  llatteufes  nouvelles,  il  reprit  le 
chemin  d'Piabelle,  avec  une  allez  grofle  quantité  d'or  qu'il  avoit  recueillie. 
Son  récit,  &.  les  preuves  qu'il  en  fit  briller  aux  yeux  des  Callillans,  rani- 
mèrent ceux  que  la  faim  &  les  maladies  coramençoient  à  jetter  dans  un  mor- 
tel defefpoir. 

CLTTt  conjoncture  parut  heureufe  à  l'Amiral ,  pour  rcnvovcr  la  Flotte 
enElpagne  U  remit, a  'l'orrez,  (jui  devoit  la  commander,  l'or  d'Ojeda, 
avec  tous  les  préfens  qu'il  avoit  reyus  de  Guacanagari  ;  &  des  dix-fept 
VailTeaux,  qu'il  avoit  amenés ,  il  en  retint  deux  de  moyenne  grandeur,  & 
•  trois  Caravelles.  Le  relie  avoit  déjà  mis  à  ia  voile,  lorfqu'il  fut  informé 
qu'une  troupe  de  Mécontens,  ayant  choifi  Hernard  do  Vifc  pour  leur  Chef, 
avoient  formé  le  delfein  d'enlever  quelques-uns  des  cinq  Bàtimens  qu'd  s'é- 

tolr 


Cui'.i'Tcni». 

Cui.OMB. 

II.  \'oy?^^,-. 

1  4  9  3- 
I.L's  v'ivrt'> 

mr'.nqucnt.uK 

CalUlians. 


Alfonfe  Oje. 
lia  c'I  L'iivoyC' 
à  la  lU'coiivcr- 
te  iii'5  Minci. 


11  troMVcile 
l'or  en  abon- 
dance. 


Cûloniti  reii- 
voyc  fa  Ficif.t: 
euKfpi'.grM-, 


f'i)  Le  mcm-,  CUp,  lo. 


r  ? 


4tf 


i>  R  r.  M  I   i:  H   s    V  o   V  A   g   e  s 


C.inisToriiu 

C">I.'   Mil. 

JI.  \  oy;ii;i.'. 

14.9:.- 

ronlpiraiiou 
ilont  il  p'.iivc 


toit  rolcrvcs,  o 


rc 


r 


tour  arrcrir  ce 


5c  iL-  retourner  en  Mipaî^nc.     I/\  rigueur  lui  parut  ncccfTii. 
tte  c()ri!pir;uiun  dans  ta  naiir.UKo.     JLTnard  d:  l^lj  lut 


faili,  CiL  renvovO  en  Elp.i.mie  i.ans  un  descniq 


Navii 


es,  a\'ec  les  inlornia- 


lions  (S:  les  preu 


eur  châtiment  au 


ves  de  l'on  crime;  mais  Ils  principau:;  Complices  rcçureiu. 
X  veux  de  la  Colonie.     Un  llillori.n  re^naniue  (]u'ii  ne 


fut  pas  aulii  revèrc(o),  quj  fembîoit  le  demander  une  première  Icditi.jn, 
dont  il  etoit  important  de  faire  un  exemple  !i;;M.i:e.  CVpendant  les  Kn:v.. 
mis  Je  l'AtDirai  commenecrent  à  lui  reprocner  de  la  cruuite;  0^  c^icc  fuili: 
opir.ion,  cju'on  p:-ii  de  Ion  caractère,  fur  un  acte  de  Juilice,  ou  toutes  ks 
formalités  avoicnt  éie  gardées,  produiilc,  dans  un  autre  tems,  des  tllltà 


r.indl 


•s  pour  lui  o 


5:  poi 


r  toute  Kl 


l'amilli 


14  94- 

Voy.i;^' 

(lu'il  Ùitllli- 

ir.c  rc  nux 

MiiuSvk'Ci- 
bao. 


r;u:s  avoir  retu'oli  le  calme  da'is  la  Cohmie,  il  prit  h  reloltuinn  de  vi  I- 
ter  lui-menu  Ls  Mines  de  Cibao,  Cn:  d'y  faire  tranfporcer^  d.s   matériaux, 


pour  la  conllruction  d'un  Fort.     Il  le  tit  accomp 


dats,  tic  d  un  ^rand  nom 


<X    L         Vj    1    1 

r.Viiu:;.!-.' 


.l'Hier  de  Ils  meilleurs  Soi- 
bre  de  Volontaires,  tous  a  cheval  (p);  tîv:  laillaiu 
Dicgue  fon  l'rere  pour  commander  dans  Ilabelle,  il  le  mit  en  marche,  Ij  i: 
de  Mars,  Kntlignes  déployées,  a'Hln  de.uambours  e\:  des  trompettes.  L- 
premier  jour,  il  ne  i\:  cjuj  trois  lieues,  jalV«»''ii'  V^^<^  d'une  iMouMî^nc  fori 
efcarpée,  d'où  ilenvova,  fous  la  conduite  de  tjueiiiuesl  lidalgos,  des  Pion- 
niers à  la  même  Gorge,  pir  Luiuellc  Ojeda  s'cioiL  ouvert  un  palfige;  Ls 
ciiemins  des  Indiens'n'ctant  que  des  fenriers,  il  faliolc  élargir  ce  Detroic 
S.imr.chc,  p:.ur  la  Ca\a!erie.  lin  y  arrivant  le  jeudi,  Colomb  lui  d^nna  le  mmi  de 
Puerto  (te  /  r  yy;.û'f;vj;  d^  montant  au  ioir.met  de  la  Montagne,  ildec^ju\ri: 
avec  admiration  cette  belle  &  valle  Tlaine  qui  la  fuie,  Cîi;  cjui  n'a  pas  moins 
de  vingt  luucs  de  longueur.  Klle  fut  nommée  l'oiJ  Rc.il  y  c'ella-dire.  Cm:- 
pagne  Rox.ili:  11  la  traverfa  dans  fa  largeur,  qui  ifeit  que  tie  cinq  lieues  en 
Cet  endroit;  cl  tous  les  Indiens,  d'un  grand  nombre  d'Habitations,  dont 
elle  eil  remplie,  Kii  frent  un  bon  accueil.  Il  ar.iva  au  bord  d'un  grand 
Fleuve,  que  es  Peuples  nommoient  }\iqui ,  à -peu -près  de  la  mCine  lar- 
geur q^îe  lEbre  à  l'ortofe;  lil  ne  faifant  point  attention  que  c'etoit  la  mi- 
inv.K!vière,  qu'il  avoic  appellec  li'iJiïOio,  à  fon  premier  Voyage,  i!!l  qui 
fe  décharge  d.ms  la  Mer  au  dellous  de  Munte-Chriilo,  il  la  nomma  Rio  d: 
las  C.viis  (q). 

0.\' palTa  tranquillement  la  nuit ,  fur  !a  rive.  Les  Indiens,  que  l'Amir.il 
avoii  amenés  dlfabelle,  entroient  dans  les  Maifons  qui  fe  trouvoient  !br 
il  route,  6t  prenoient  librement  ce -qui  tomboit  lous  leurs  mains,  comme 
'.'.  cous  les  biens  eufllnt  été  communs;  fans  que  les  llabitans  donnalfent  la 
ir.jinJre  marque  de  furprife  ou  de  mecontent;.ment.  Ils  en  ufoient  de  mê- 
me dans  Us  lugem.ns  d.s  Espagnols;  *ïl  l'on  n'eut  pas  peu  de  peine  à  leur 
l.iire  perdre  une^hauitude,  Joai  ils  n'apprireu':  à  fe  corriger  qu'aux  dépens 
de  leur  IJmplieite  (îv  de  leur  innoceiîce.  Le  lendemain ,  après  avoir  paîle 
h  Rivière  dans  des  Canots  &  fur  des  RaùcaUX,  on  arriva,  une  lieue  èi  de- 
mi: 


(  o)  Cyd\h'rKr?v>)i,vi:-''Cb'ip.ii  );q\\o'.-  pcnJn;  l'.s  principaux. 

quu  riI.lUjri'jn  ùe  Saint   Domuiijuf  ,  qui  fait  (  /)  )  Au  nombre  de  quatre   cens  honu;  iJ 

d'ai'leurs  profelTion  de  le   l'uivre,  iraciule,  'tant  .'i  pied  qa  à  c 'icv  ;1.     R.  d.  K. 

je  ne  fui  fur  qu-l'.c  autorité,  que  Colomb  tic  {qj  Ucrrcr.!,  Lbap.  ii. 


5 


mie  pi 

ga,  ^ 

métal. 

ceux  d 
cette  1^ 
Habita] 
djins  lei 
admirai 
plus  loij 
JiiorcT] 
&  de  f 
dont  lej 
près  a\i 
tes.     l'i 
fait  la 
bao. 
t»gnc. 
drlà  l 
Lf.  r 
la  nati: 
de  r(ic^ 
Ventre, 
fort  la; 
brage  ; 
Its  eau 
près  le: 
ii  belh 
vin ce , 
féaux 
du  Me 
tiré  d' 
La 
dix-hr; 
une  ^ 
cile  di 
Pa\s  1 
pour  1 
nioins 
.       11  en 
qjc  fa 
Rivit 
•        fut  h: 
Kivic 
pour 


;«*a-"- 


s 

it  nciccITii. 
^!j  l'iil-  fut 
s  inlorma- 

lC_(|u'll  11^,, 

les  Enm. 

cLtC  fuilj'. 
t'">utc,s  i^s 

■'Il  lie  vi.î- 
latcruiix, 
licurs  Sf^i- 
^S:  laillant 
."hc,  L-  i: 
cctcs.  I., 
Jjrr.c  (or. 
(Ils  Pioii. 

.'  i>ctroit 

nu  m  cic 
IcC'.nurit 
las  moin.» 
iro,  Cj//;« 
lieues  en 
lis,  don: 
m  ^raïui 
i?.:ie  hir- 
it  li  nu- 
ùc  (jiii 
a  /i/o  il: 

l'Amiral 
i.nc    lur 

;iircnr  la 
.  de  me- 
R'  à  Lur 
dépens 
)ir  pu  lie 
le  <!k  Jc- 
mir 


;  honui  e« 


£    N      A    iM    E    R     I    Q    U     E,    L  i  v.  I. 


47 

mie  plus  loin,  fur  le  bord  d'une  autre,  que  les  Indiens  app.jlI.Mcnt  iV/c-'îy^- 
ga,  Ck  qui  liiL  noiiimce  O/o,  parce  qu'on  y  ii-ou\a  (|iie!i.iucs  forains  de  ce 
mcial.  I''!!c  reçoit  trois  Kuillcaux  ,  donc  le  premier,  qui  le  iiommoic /.'-/c- 
mcinii,  prit  le  nom  de  Rio  Scco.  Ije  fécond  Cs:  le  troiliomc  ont  conforvé 
ceux  de  C'jaîdilcii  &  de  Cibi,  qu'ils  iivoionc  portes  jufqii'alors.  Au-delà  de 
cette  Rivière,  o!»  s'apprireha  tlune  j^rode  Hourgade,  dont  la  plupart  di^s 
Habitans  prirent  la  lujtc;  tandis  (juc  les  autres ,  le  croyant  plus  en  fùrcté 
duns  leurs  M, liions,  en  barricadèrent  !. s  portes  avec  des  cannes.  L'Amiral 
admira  leur  llinpliciie ,  &  les  ral'fara  faeilemcnt  par  les  carelles.  11  paflu  , 
plus  loin  ,  une  troiliènie  Ivivière,  que  la  fraîcheur  de  Tes  eaux  fit  nommer 
^i(,rcTik.  Toutes  les  terres  voifines  n'odroient  que  îles  pierres  fort  vives, 
&de  forme  prefque  ronde.  Le  Samedi  15,  on  traverla  piufieursVilIaï'^es , 
dont  les  Jlabitans  le  crurent  à  couvert  aulli  de  toutes  fortes  de  daupjers,  a- 
près  avoir  mis  des  cannes  Kk  d'autres  fortes  de  rofeaux  devant  leurs  por- 
tes. Knlîn,  l'on  le  trouva,  le  fuir,  au  pied  d'une  haute  Montagne,  qui 
fait  la  feparation  du  Pays  (lu'on  avoit  traverle,  d'avec  la  Province  de  Ci- 
bao.  11  fallut  employer  les  Pionniers,  pour  s'ouvrir  laccès  de  cette  iMon- 
tagne.  L'Amiral,  ayant  eu  la  curiofite  de  monter  au  Ibmmet,  découvrit 
de  la  riile   prefiju'enlière. 

Lr.  nom  de  Cihan^  (pie  les  Inùilaircs  donnent  à  cette  Province,  vient  de 
la  nature  du  terroir,  qui  n'ell  compole  que  de  Montagnes  pierreufes,  & 
de  rocs  ou  de  cailloux  ,  qui  s'appellent  Ciha  dans  leur  Langue.  (^);ioique 
Vtiuree  du  Pays  ibit  alfreule,  on  s'apperçoit  bientôt  t|ue  l'air  y  e(l  duux  Oi: 
fort  lain.  Il  y  coule  de  toutes  parts  des  Rivières  à  des  Ruillèaux.  L'om- 
brage y  efl;  rare  fur  les  Montagnes;  mais  les  lieux  bas  &  le  bord  de  toutes 
les  eaux  font  couverts  de  Pins  d'une  extrême  hauteur,  qui,  fans  erre  fore 
près  Us  uns  tles  autres,  paroilllnt  former,  dans  l'eloignemenr ,  d.  [î;randes 
Qi:  belles  JL'orcts.  ]  lerrera  ne  donne  pas  moins  d'étendue,  à  toute  la  Pro- 
vince, qu'au  Royaume  de  Por.'ugal  (r).  Il  affure  que  la  plupart  des  Ruif- 
feaux  y  rouloient  alors  des  grains  d'un  or  très  pur,_  dans  la  plus  belle  eau 
du  Monde  (;).  On  ne  peut  douter ,  du  moins,  (jue  les  Calliilans  n'en  ayenc 
tiré  d'immenfcs  trelbrs. 

La  vue  d'un  Pays  fi  riche  les  fit  p.nfer  férieufement  à  s'en  alTurcr.  A 
dix-huit  lieUes  d'Ifabelle,  ils  avoient  deja  trouve  ijuanticé  de  Mines  d'or, 
une  Mine  de  enivre,  &  deux  Carrières  d'ambre  tic  d'a/.ur.  11  étoir  [\  diiH- 
cile  de  revei.ir  fouvent  à  cheval,  ou  de  conduire  de:>  voitures,  dans  un 
Pays  rempli  de  pierres  iS:  de  Monta'^Pes,  que  cet  oblliele  ièul  auroit  fiiJri 
pour  les  obliger  d'y  former  un  EtabiiiL-inent.  Mais  l'-Ainiril  ne  femit  pas 
moins  l'impurtance  de  bâtir  un  l'^ort.  pour  mettre  les  1  hibitans  fous  le  joug. 
11  en  traça  lui-mèinc  le  plan,  fur  une  Montagne,  dont  Ja  Ri\-ière  de  Aani- 
q:tc  failbit  une  Prelqu'llle.  (Quoiqu'il  n'y  eût  pas  beaucoup  d'or  dar.s  cette 
Rivière,  Ij  é'anton  qu'elle  arrofe  étoit  rempli  de  Mines.  La  Forterefie 
fut  bdtie  de  pierre  (ÎÎl  de  bois,  &  ceinte  d'un  bon  folTe,  dans  l'endroir  où  la 
Rivière  laiilbjr.  un  paHagc  par  terre.  On  lui  doni:a  le  nom  de  .S'f.  7/V,>//,?y, 
pour  railLr  les  incrédules,  qui  n'avoient  pas  voulu  croire  ce  qu'on  publioit 

des 


CmubTOfiiB 
Coi.oMij, 

II,  Voy.igf. 

1 .}  ()  +, 


D.'icripiion 


ii'i'i!  iHMinr.c 
>S.  '1  huuuu. 


(r)  Hcrrcra ,  O' 1,'/.  12, 


(.f)  Ibiikm. 


lu' s  (jili   !c 

ir^aiwilt  i.!u)3 
il''  l'un. Il,;- 
iiuii.;, 


■^n^wto 


!1  Vori-.'. 


I,  An*.!,  il 


Lninifcrv' 

fut  d'.'   M()U- 


l.'Aminl 
ir.  iivc  des 
]:/iiv,.iiii5  jul"- 
cjucs  chus  les 
GcnâdEgliic. 


,^S        1'    R     K    M     I    K    II    S      V    O    Y    A    G    E    S 

des  Milice  de  Cihao,  f.ms  les  avoir  viU'S  de  leurs  propres  yeux.  Il  fc  frn;i. 
\M,  d;ins  les  totulcmcns,  des  nids  de  p:iille,  qui  parurent  a/Tc/ anciens,  oc 
qui  contenoient  des  amis  pétrifies,  aulVi  ronds  &;  aulVi  ;:;r(.3quc  des  or.in- 
j:.'S.  La  verru  minérale,  qui  les  avoit  convertis  en  pierre,  pouvoit,  Hij. 
vaut  la  remarqiij  d\m  llillorien,  'leur  avoir  donne  par  degrci  cette  gr.jf. 
)t>iir  extraordinaire  (f  ). 

{/Amiral  confia  le  Gouvernement  de  cette  importante  Place  au  Comnnn. 
deiir  Dnm  Pedro  d:  .U,7r/:,/r/.M ,  Ov  lui  laiffa  cinquanre-lix  hommes,  qui  c- 
toicMit  un  mélanine  de  Soldats  &  d'Ouvriers.  Knfuite.  craignant  pour  lî'.i- 
be'.ie,  d.ins  une  ii  longue  abfcnce.  il  le  hâta  d'y  retourner  par  la  même  rou- 
te.  Une  grande  p'uve,  qui  n'avoit  pis  celle  depuis  quelques  jours,  lui  lit 
trouver  tant  de  uitHeulte  au  palHige  des  Ulvieres,  qu'il  fut  obligé  de  cam- 
per plulkurs  fois  entre  ks  liai  ita'ions  des  Indiens.  _C"ftoit  autant  d'ce- 
calions  tle  fe  les  attacher,  par  fes  carelfes  &  l'es  bienfaits.     Kn  approehan: 


fruits  étoient  mûrs  dans  IVTpace  de  trois  reinames. 

le  du  terroir  venoit  de  l'admirable  température  de  l'air  &  des  eau\,  qui 
■pénetroient  aulVi-tot  les  germes,  &  qui  fournilî'oient  ime  nourriture  conti- 
nuelle aux  racines  ("j). 

Cfpr.NDANT  dv.s  f'.'cours  fi  foibles  ne  fufiifai;:  point  à  la  fubfillance  deli 
Colonie,  on  v  ctoit  menace  de  toutes  ks  extrémités  ilu  befoiii.  Les  provi- 
lions  qu'on  av<jit  apportées  touchoient  à  leur  lin.  La  chaleur  &  l'humicH- 
te,  qui  fervoi^nt  11  promptemeiit  à  la  végétation  ties  plantos,  corrompoien^ 
les  vivres  de  l'Kurope.  (Jn  a  remarcjue  d'ailkiirs  (|u'i!s  n'avoicnt  pas  ete 
bien  ménagés* dans  la  navigation.  La  farine  commençant  à  niiènquer,  il 
fallut  drelVer  des  Moulins  p(;ur  moudre  le  JJled.  Ce  travail  demandoit  de  i  i 
vigueur.  Les  Soidats  (5>:  les  Ouvriers,  qu'on  avoit  occupes  (ans  relâche  a 
bâtir  la  Ville,  etoient  foibles  ou  malades.  L'Amiral  lé  vit  oblige  d'em- 
ployer les  bras  de  la  NoblelTe;  humiliation  inflipp^rtable  pour  des  Volon- 
taires, (lui  ne  s'étoient  einbap^ues  que  par  des  motifs  de  fortune  <i^  d'hon- 
neur. Les  mécontentemens  éclatèrent;  <kh  violence,  qui  parut  nécelfai- 
re  pour  les  appaifer,  ne  fervit  qu'à  ks  aigrir.  Boyl ,  Chef  des  Millionnai- 
res,  fut  un  des  plus  emportés.  11  traita  l'Amiral  de  cruel  (x).  La  prin- 
cipale caufede  fa  haine,  <]ui  ne  lit  (lu'augm.nter  de  j'.jur  en  jour,  paroi: 
avoir  été  le  chagrin  de  n'être  pas  excepte  dans  le  retranchement  des  vivres; 
mais  il  ell  certain  aulli  que  la  feverite  de  Colomb,  à  punir  les  plus  légères 
fautes,  l'avoit  fouvent  choqué,  &  q'i'apres  lui  en  avoir  fait  des  reproches, 
il  étoit  allé  plufieurs  fois  jufqu'a  mettre  l'Eglife  en  interdit.  L'Amiral  n'a- 
voit rien  rabbaru  d'une  rigueur  qu'il  jugeoit  indii'penîahle;  &,  liiivant  le 
récit  d'un  Hiflorien,  il  failoit  lever  l'interdit  en  retranchant  tout-i-fait  les 
vivres  au  Miflbnnaire  (}).  Dans 


(t)  Ibidem. 

i/v)  Vie  de  ChriiV.phe  Colomb, Chap.  52. 

(x)  I-Jtricr:i,  Liv.  ;.  Ch:ip.  12. 


.  (y)  Hifloirc  de*  Suint-DonUr.gue ,  Liv.  2. 


E    N      A    M    F.    Il    I    O    U    E,    E 


I  \' 


I. 


Il  fo  rro;i. 
icicns ,  Ci: 
(les  oran. 
ivoit,  ibi. 
cUc  gruf. 

Oimrmn. 
."S,  rjtii  li. 
pour  Ilj. 
icinc  roii. 
rs ,  lui  lir 

de  c.nn- 

anr  (l\;c- 

prochan: 

Ticr  deux 

:s  ctoicru 

la  fin  de 
p-irt  des 
le  lertili- 
aux,  qui 
l'e  conti- 

nce  de  li 
es  provi- 

hmnic'i- 
impoiein 

pas  ctc 
Kjuer,  il 
luic  de  II 
elàche  a 
fe  d'em- 

\'(ilon- 
»:  d'hon- 
[K'Ceirai- 
iTlonnai- 
L:i  prin- 
,  p:\ro.: 
i  vivTcs; 
1  légères 
yroelies, 
irai  n'a- 
ivant  Ij 
.-laie  les 
Dans 

,  Liv.  2. 


/  Dans  CCS  circonllanccs  (z)  on  reeiit  avis;  du  Fort  de  Saint-Tlioma'?, 
•que  les  Indiens  ahandonnoient  les  I  Ial)itations  voiliries,  ÙL  que  le  redouu- 
ble  Caonabo  le  dirpolbit  à  cliail'er  les  CuiVillans  de  les  Ktats.  L'Amiral  fe 
hùta  d'y  envoyer  (juatre  cens  honinies,  Ibus  le  Cornmaiuljinent  d'Ojeda, 
avec  ordre  de  gard(.r  le  i'orc,  tandis  «juc  Murgarica,  tenant  la  Campi'gnc 
avec  les  liens,  s'elForceroic  de  contenir  les  Indiens  dans  la  founiilîion.  L'n 
autre  Mioùf,  pMur  faire  partir  un  Detaeliement  fi  cunùdé'rable,  ctoit  de  mé- 
nager les  provit'ions  d'iiabellc,  Ov;  d'accoutumer  les  Ca'lillans  à  la  nourriture 
,des  Indiens,  (^jda  le  lie  redtuiter  dans  cette  route,  par  (juciques  eXcrripL-s 
de  fevérité.     Apres  avoir  laiç  couper  les  oreilles  à  un  Indien,  pour  avoir 

fris  la  fuite  avec  quel-jues  hardes  qu'on  lui  avoit  confiées,  il  lie  conduire, 
l'Amiial,  cjuatre  ou  cint]  autres  Criminels ,  dont  il  lui  reineitoit  la  puni- 
tion. Colomb,  entrant  dans  les  vues,  lit  publiera  feu  de  trompe  qu'ils 
dévoient  avoir  la  tête  tranchée;  mais,  avant  le  jour  de  l'exécution  ,  il  f^i:.i;nlt 
d'accorder  leur  grâce  aux  inllances  d'un  Cacique,  qui  av^it  rendu  fcrvice 
à  la  Colonie.  Li  nouvelle,  cju'il  re;;uc  en  menvj-tems,  q.ùni  feul  Cavalier 
du  i'ort  de  Saint-Thomas  avoit  mis  plus  de  qiia':re  cens  Indiens  en  fuite  par 
la  vue  &  les  mouvemens  de  fon  Cheval ,  lui  lit  juger  que  les  révoltes  d'une 
Kationli  l"imple\S:li  timide  ne  ieroient  jamais  fort  dangercufes  pour  fes  nou- 
veaux lùabliirviuens. 

Il  lui  tardoit  de  pouvoir  exécuter  les  ordres  de  Leurs  MajcfLes  Catholi- 

Sues,  qui  lui  avoient  recommande  particulièrement  d'eten  Ire  leur  Domaine 
c  leur  gloire,  par  de  nouvelles  découvertes.  Cette  cntreprile  demandant 
une  longue  ablence,  il  commen^'a  par  établir,  dans  la  Colonie,  un  Confeil, 
ou  un 'l'ribunal,  comnofé  de  Boyl,  de  Pero  Fernande/.  Cortocl,  d'Alfonfe 
Sanchez  .'/r  Carv.ijal^  à<.  de  Jean  <lc  L'jxm^  auxquels  il  donna  pour  Prelident 
Dom  Diegue  Ton  Frère,  qui  n'avoit  pas  cefle  de  conunand.'r  dans  la  Vaille. 
Enfuite,  ayant  donné  fcs  ordres  <!;!(:  fes  inllruclions,  il  partit, le  24  d'Avril, 
avec  un  Navire  vS:  deux  Caravelks. 

Sa  route  fut  d'abord  à  l'Oucil,  par  Monte-ChrilT:o  vS:  Puerto  de  Xavldad, 
d'où  il  palTa  dans  l'Ille  de  li  Totuc,  mais  un  vent  contraire  l'obligea  d'entrer 
dans  une  Rivière,  i.\ii''iï  nomma  Guadû!qnivir.  De-là,  s'étant  rendu,  le  29, 
au  Port  (le  Sai'it-\^ic'jlai ^  il  apper(,-ut  la  l'ointe  de  l'Ille  de  Cuba,  c|ue  les  In- 
diens appeiloient  Bayatiquiri  ^  6:  que  des  raifons  inconnues  lui  firent  nom- 
■  n\i:r  /Jlpha  iy  Omc^tj.     Il  traverla  le  Golfe,  qui  fépare  les  deuxllks,  par 

un 


CimrsTnciiE 

Coi.OMÎI. 

JI.  Vcjyn^i:, 
1491. 

Cioi/,'.) .  r? 

ilTp.a'ij  à  il 
Gjcrr.. 


Ri;ucur3  , 

t;-clc.-:l!i- 
ci:c!:,. 


(3)  KIIls  d 'vinieiit.  encore  pliis  f;;chcii- 
fcs ,  p:ir  K.S  mnlaiiics  mortclli  ■;  qui  conimcii- 
(j'uinit  à  icgncr  dans  l;i  Ville,  (k  par  iridilH- 
culte  dy  remédier.  Une  p:iriie  des  II.ibit;in.s 
en  fortit;  &  comme  le  merveiileiiA  ic  troi've 
toujours  '.né!c  dans  les  uviuiture-;  des  Va]u- 
gnols,  ceux  qui  avoient  (quitté  !;.i  Ville  di- 
rent ,,  ([u'on  avoit  e'itendu  d.ins  leur  (iu;ir- 
„  lier  des  voix  épouvant:ibles.  Ils  afiuré- 
„  rent,  (jne  i]uelqucs-in>  d'entr'eux  avoicni 
,,  apperçu  ,  dans  une  rue,  d.ux  ranî.',écs 
„  d'iiommeà  tort  bien  vêtus,  l'é^u'e  aucùté, 
I,  avec   des  bonnets  rctroullls ,  comme  on 

Xnil.  Van. 


les  portoit  alors  en  Caftillj;  que  dans  l'c*- 
tonneincnt  de  voir  des  gens,  dont  on  n'a- 
voit pp.s  entendu  parler  dans  Tille,  ils  les 
avoient  lalués,  en  leur  de.nandant  com- 
ment i.Nl  quand  ils  étoient  arrives;  (!s.\i'où 
ils  étoient  venus;  qiie  ces  inconnus  n':i- 
voient  répondu  (lue  par  des  figncs ,  (S:  qu'en 
Ataiit  leurs  bonnets  pour  Ciliier  ,  ils  avoient 
die  leur  tète  de  leur  corps,  après  quoi  ils 
avoient  auflî-tôt-difparu;  ce  qui  n'avo'c 
pli  manquer  d'effrayer  beaucoup  les  Spec- 
tateurs",    llcncra,  ibiiii;m. 


Coni'ei: 
é'Jlhli  dllis  la 

Colonie. 


[.■A:':ir;d 
Colomb  en- 
ti'jpieiid  de 
nouvelles  de- 
couvettci. 


G 


1'    R    E    M    I    K    R    s      VOYAGES 


Cof.OMIl. 

1494- 


Dt'L-oiivi'i- 
ttuKla  J;iin.iï- 
c;wc. 


5^ 

un  cfiv.iv  aVnviron  (liN-iuiit  lii-iics,  tl'iinc  Tointc  à  l'autre;  &  rangeant  la 
Corc  .Mi.iulionalc  JjCuIm,  il  (Lcotivrlf.  une  graïuic  Wwc,  à  lai|UL:ie  il  don- 
ni  le  lu.m  ilc  Ncrtn-Granic.  l.c  Dimanche,  H'-dc  Mai,  en  foriant  de  ci' 
l'.trt  il  conriniji  d'en  ddcmivrir  pluticurs  autres,  d(^nt  >!  uihuira  li  bcauié. 
11  vit  dw'  lKUirv'SiMoiiraj;!^i.'s  vis:  i]uantitc  liw*  !<iviLrcs,JMHju  a  l.i  ''«■'teSud-i>uti. 
Eli,  (iti'il  t-ntrcprit  de  Tuivre  auOi,  pour  s'avanCvi-  v.rs  une  fj.runde  Jlk-, 
ruc'li:J  /ndi-ns  nomnioicnt  ;/,/;«../-. 7.  Kilo  lui  p.uut  la  plus  b-lle,  de  tuu. 
t'es  celles  qu'il  avoit  viles  dans  cette  Mer;  tS:  l'apprijchc  d'une  ijuantiic  in- 
nombrable de  Canots  .ui  apprit  qu'elle  ctcic  fort  peuplie:  nuis  les  r.ar(|ucs, 
quiUnvova  pour  jeitcr  la  lunJe  à  peu  de  dillanee  du  rivaj^e,  y  découvri- 
rent un  Corps  d'Indiens  armes  ,  qui  ne  leur  permit  pas  d'y  aborder.  Jj 
;ne  rel'ilbuice  dans  un  autre  Port,  qi'ii  uo\x\m:\  Pitetto-hucno^ 
r  de  cette  barbarie,  il  fit  faire  une  dtchirti^e  de  les  arbalètes, 


trouva  la  mcuie  reli 
&  s'ciiVuican 


C.ip  Jcl.1 
Cruz. 


nv.:c?Ic  j;irv'.;ii 
0'.;  la  Reine. 


Rcves . 

Poiilons,  Ce 
leurs  pro- 


T 

non 

« 

a 

d 


S:i;iuc-M;.r- 
lliC. 


i  rendit  Its  InTulaires  moins  audacl.ux,  en  voyant  tomber  lix  ou  llp 
uumtn. s  de  leur 'l'roup;.  LeiS,  il  fuivit  la  Cote  à  l'Ouell.  Mais,  ayant 
à  combattre  le  vent,  il  prit  le  parti  de  rerourn.r  à  Cuba,  dans  iareloluiiua 
d'approt'indir  ii  c'étoit  une  Ille  ou  la  Terre  lerme. 

II.  arriva  fous  le  Cap  de  Cuba,  qu'il  nomma  «/«?  A?  Cruz,  apparemment 
parce  (]ue  les  Vaille  ux  y  clTurerenL  une  horrible  timt  eie,  dont  ils  ne  k 
crurent  délivres  (iue  par  rinvoea'i'>n  de  la  Croix.  Enliiite,  continuant  an 
ran/7,er  laCoLe,  ils  rencontrèrent  quantité  de  peT-cs  llKsJes  unes  couvertes 
deiable,  d'autres  remplies  d'arhrcs,  mais  plus  hautes  c^  pîi.s  vertes  à  pro- 
portion (ju'ellts  étoient  nîoins  éloignées  deCuiia.vik:  la  pliipirt  à  deux,  trois, 
ou  quatre  lieues  de  uiîlance  entr'eHes.  Leur  nombre  paroifl'ant  croître,  It 
troilieme  jiiur,  l'Amiral  perdit  l'e'.perance  de  les  compter,  iSc  leur  ilonna  le 
nom  gênerai  de  JanUn  d:  la  Reine.  KlLs  lont  Icjiarées  par  des  Canaux,  où 
les  Navires  peuvent  palier.  On  y  vit  divi-rfes  lortes  d'oi'"'e.iux ,  les  uns  rou- 
ges «ISc  de  la  forme  des  Crues,  qui  ne  le  trouvent  que  dans  ces  Illes,  où  ils 
vivJiL  d'eau  l'aK.e,  ou  plutôt  de  ce  ({u'il.5  y  trouvent  de  propre  à  les  iiour- 
rir.  On  y  prit  des  licjcs,  efiuve  de  poill'ons,  de  la  grolVeur  dvS  lKirane;s, 
(\:  dont  les  intell  ins  ont  tant  d'amertume  »iv:  d'ùcreté,  (juc  pour  les  man^',er 
rôtis,  il  faut  les  mettre  en  pièces  avant  cjue  de  les  vuider.  L'expcrienee, 
ouïe  témoignage  des  Indiens,  y  fit  reeonnoitre  une  autre  propi.ete,  ijui 
n'ell  pas  moins  fmguliere.  Avec  une  corde  délice,  d'en\'iron  cent  br.ilt-s 
de  long,  qu'on  leur  attache  à  la  queue,  i!i  vlont  on  retient  le  btnit,  ils  m- 
gent  er.'re  deii\  eaux,  wrs  les  'l'oiLUes  (jiii  ne  font  pas  au-delà  de  c^tîc 
diltance;  &  lurîqi.'ils  en  trouvent  un^t^  ils  s'attaehent  li  f>,rt  à  la  partie  in- 
férieure de  fun  éciille,  tju'en  reiiran:  !a  Corde,  on  attire  quelquefois  une 
'l'eTtue  qui  pefe  j.kis  de  c^nt  livres  (</). 

J/ Amiral,  apprenant  des  Peelieurs  Indiens  qu'il  trouveroit  plus  loin  beau- 
coup d'autres  Iiles,  con'uiua  l'a  route  a  l'Ouell,  ians  être  arrêté  par  le  dan- 
ger continuel  d'échouer  fur  les  fables ,  ou  de  le  brifer  contre  les  Côtes.  Une 

(«"■'  11  rrcn,  Cbap.  13.  C:.-  Poiir-n  lachc  cmbufcu-ie  pour  fiiirc  de  nourclîcs  ri^iturts, 

f.i  pr<.yc;ium-t.'jt  iiu'ilclt  à  l'uir;  car  il  mour  fur  Iclq.!:  Iles  il  i'ciancc  uvcc  la  t-.èeie  vit.-'.ï 

roit  lur  le-  champ ,  fi  on  ne   le  rt.ncttoil  c^u'une  il^ichc  duoche\.  II.  d.  L. 

prwniptcmcnt  fuub  l'eau  ,  où  il  le  lieu'    ca 


s 

rangeant  la 
ic'lc  il  don. 
•riant  de  c 
i  li  bcauie, 
^t'Siid-S(ii|. 
rando  Jll,", 

K' ,    UL'   t()U- 

'liMuitc  in. 
■  S  I>ar(jin.s, 
'  dccoiivri- 
)urJcr.  Jl 
letto-hucii,)-^ 

:i  ri)  al '.Tes, 
^     ou   ftp; 

^is,  ayanc 
rclblutiun 

irtmmcnL 

it  ils  ne  fc 
in  liant  do 
couvert.  5 
tos  à  p ro- 
ux, f  rois, 
foitrc,  Il 
•  tîonna  le 
naiix,  où 
s  uns  rou- 
-s ,  où  \h 
Il's  iiO'jr- 
I  larangs, 
s  nian^',cr 
vjrifn^v, 
.t'tc,  ijiii 
it  br.ilts 
c,  il^  ni* 
i!c  CM  te 
^aitic  )ii- 
^Ibis  Ulk 

>iin  beau- 
r  le  dan- 
:cs.  Une 

c-iptuns, 

;uic  Vit. ils 


E  N    A   M   r.   Il   I   g   u   r.,   iwv.  r. 


5t 


fflc ,  plus  pr.iiulc  tiiic  les  autres ,  reçut  le  nom  de  SMute-Manhe.  On  y  trou- 
va quantité  de  l'oillbns,  des  Cliienîi  muets,  de /grandes  tr(<upes  de  (irues 
TOU'^es,  des  l'erro^uets  &  d'auLrcs  Oifeaux;  mai.5  la  crainte  fit  fuir  ks  Ila- 
bltans  du  feul  Vi!!aî»cî  qu'on  y  découvrit,  l^'eau  coimnenroÏL  à  man  jtKr  fur 
le»  troi^  i'mrds  CaihlLuis.  On  avoit  des  rtilbuie .s  prefentes  «lans  l'illi:  tlj 
Cuba,  li  l'Amiral  n\.ilc  rouiiaité  de  faire  auparavant  qu.Kpie  liailbn  avec  les 
Infulaires.  Kniin,  prcll'e  aulîi  par  les  gens,  ii  abandonna  ies  petites  Illes, 
pour  retourner  au  (.'ap  Jj  la  Cru/,.  Un  Alitelut ,  <)ui  delcendii  feu!  au  riva- 
ge, rencontra  trente  liomm. s  armes  de  lances,  6i  diiuc  ù)v:^^  de  iMairues 
planes,  qie  les  Iii.iienî  nommiji.nt  Muanas.  il  en  di.Unj;i:a  un,  qui  ,v)r- 
Coit  un^  longue  robbe  de  coton:  mais  c.tte  Troupe  ayant  dif'paru,  It  ih  laif- 
fer  aucune  elpéraricj  de  pouvoir  fuivre  (es  traces,  on  coiumu'i  d'avancer 
rcfp.u:  •  .le  dix  lieues,  juiqu'à  la  vue  de  (iueîqiie.s  Maifons,  d'où  l'on  vit  (or- 
tir  plii'.ieurs  autres  IniuiairL.s,  qui  eurent  la  liardi-ile  o  j  s'apprcclicr  des  irois 
Vaill'eaux.  Ce  fut  d'eux  que  l'Amiral  apprit,  par  fes  interprètes,  (|ue  Cuba 
ëtoit  une  lile.  ôc  qu.-  le  Koi,  qui  la  gouvernoit,  depuis  la  CoceUceidenta- 
le,  ne  le  faifoit  obeu*  de  Ces  Sujets  cpie  par  des  lignes.  Pendant  tj  i  il  reCe- 
voit  ces  explication'!,  ii  s'apperait  que  Ls  Couraiis  lavoient  jet;e  fur  un 
Bine  de  fable,  d'où  il  n'eût  pas  peu  de  peine  à  ('e  dégager,  pour  aller  j\l- 
ter  l'ancre  dans  un  Canal  fort  profond.  Il  y  vit  les  (lots  tout  couverts  île 
Tortues;  &  dans  le  nienie-tems,  plufleurs  nuées  d'oifeaux,  qui  venoient 
de  la  Mer  vers  fille  de  C  uba,  lui  déroberont  la  vue  du  Soleil.  Le  lende- 
inain,  on  vit  arriver,  autoiu*  des  VuilVeaiix,  un  li  grand  nombre  de  l'apil- 
lons,  que  l'air  en  étoit  obfcurci;  ôi  cetr.e  elpècc  d'orage  ne  fe  dilîipa  quo 
vers  le  foir.  On  prit  le  parti  de  faire  de  l'eau  àc  du  bois,  dans  une  Ide  ijui 
ne  paroilVoit  pas  avoir  moins  de  trente  lieues  de  tour.  Elle  fut  nommée 
VEvanirclijle,  &  l'on  croit  ijue  c'eft  l'/yi^?  dis  Pins  d'aujourJ  hui.  L'Amiral 
la  crut  eloir,nec  d'environ  fept  cens  lieues  de  la  Dominic[ue.  Cette  derniè- 
re découverte  étant  de  trois  cens  trente-trois  lieues,  il  jugea,  parla  mc- 
furc  adrononiique  de  fon  Voyage,  que  depuis  Cadix  il  avoit  parcouru  l'ef- 
pace  de  ^'oixante-quinze  degrés  en  longitude,  qui  faifoient,  pt)ur  le  tems, 
une  diiVérence  de  cinq  heures  (/>). 

Le  13  de  Juin,  il  lit  gouverner  vers  le  Sud;  mais,  étant  forti  par  un 
Canal  qu'il  avoit  jugé  le  plus  fur,  il  eut  le  chagrin  de  le  trouver  fermé. 
Les  murmures  de  fes  gens,  6i  Wi  ()r(ipre  inquiétude,  ne  rallentirer.t  point 
fon  courage  &  fon  indullrie.  Il  retoiirna  fur  i'cs  traces  jufqu'à  l'F.vange- 
Mfle,  d'où  il  prit  fa  route  au  Nord-Lil ,  pour  rcconnoitre  quelques  liles 
qui  fe  préfentoienr  a  la  dill  uice  de  cinq  lieueS.  C)n  s'y  trouva  dans  une 
Mer  taclietée  de  verd  viv;  de  blanc ,  dont  le  fond  n'étoit  que  d'environ 
deux  bralVes.  A  fepr  lieues  de-là,  elle  paru:  fort  blanche  &  comme  ligée. 
Sept  autres  lieues  plus  loin,  on  fut  beaucoup  plus  furpris  de  la  troin"er  aulîi 
noire  que  de  l'encre;  les  plus  habiles  Matelots  admiroient  cette  djlférence 
de  couleurs,  ilans  un  efpace  fi  court.  On  fe  rapprocha  de  Cuba,  d'où  l'on 
prit  la  route  de  rr.fl:,  avec  cics  vcms  fort  variables,  Ck  par  des  Canaux  rem- 
plis de  fable.     L'Amirai  y  échoua  fort  dangereufenient,  &  ne  fut  redevi- 


Cifin-rcMti! 
C'i.   Mu 

Il.Nnv  ;;. 

I4yi' 


OlilcivJt .  ,1. 


ir-ivwi!i. 

i;>.îiru.'. 

S'.ippiuation 
ik'  l.i  n'.i'jj  de 
rAïuir.tl. 


I^kr  taclk-. 
&.  Je  bluic. 


bl 


l.'Amir.il 
(.'■'.■Iiouc  avec 


{h)  Le  niûme,  Cb.ip.   14. 


Cr    2 


5"- 


Cirj^Torrii:    t^je  tic  la  con'-crva 


PREMIERS      VOYAGES 

ion  de  fon  V'aifTcau  qu'à  la  propre  habilctc.     Jl 


COI.OMI'. 

jl  Vo\M.;c. 
14^4- 


tVavanccr 

dans  une 

0!c  des  Coiiraiis 


fans  delllin  vS:  lans  ordre,  c 


n 


luivant  les  lianes  &  les 


contimij 
anaux 


Mer  fort  blaneho,  cxpule  chaque  jour  à  la  violence  des  Marées 

ns.     Enfin  ,  les  trois  Vailïcaux  fc  retrouvèrent  près  de  Cuba, 

Cote  d'où  ils  avoient  pris  leur  route  à  l'Kll.     On  y  fentit  lc5 

ne  des  feux  li'ime  l!le  v\.i  les  Ihbiians  ne 


fur  la  même 

plus  douces  odeurs  ,  qui  venoi 


bruloienr  qu 


des  herbes  aronv.u: ques  vX  des  arbr 


oJo'.iferans. 


11 


qui" 


i:.: 


'  Ci.j:: 


Lr.  I-  de  juin  ,  pendant  que  l'Amiral  faifoit  célébrer  les  Saints  Myflèrcs, 
fur  le  rivage,  on  v  vit  arriver  un  via.x  Cacique,  qui  parut  lurpris  du  rel- 
ies Caliilians  /Tardoiint  au  pied  de  l'Aiftel.     Jl  contem- 


p  CCI 'a  eux  lilence  qu 


la  ionff-tems  tou 


tes  les  cérémonies  ecelefiailiques;  Cs:  rcconnoilTant  la  fu 


pu- 


riorite  cle  l'Amiral,  a  la  i'aix  que  le  Prêtre  lui  fit  baifer,  il  s'approcha  de  ù 
perfonne,  pour  lai  prcfenter  modeilement  quelques  fruits  de  fille.  Enfui- 
te  s'etant  atîis  à  terre,  les  genoux  plies  iuf|u'aii  menton,  il  iui  tint  ce  di!- 
d'un  ton  dont  Colomb  fut  li  frappe,  qu'il  fe  le  fit  expliquer  aullî-to: 


cours , 


K-i  idcjs  l'iir 


l'A:iar;:l 


55 
55 
>) 
5» 


par  Tes  Interprètes.  „  i  u  es  \enu  nans  ces  i  erres,  que  tu  n  avois  jamaij 
vues,  avec  des  forces  qui  répandent  l'elVroi  parmi  nous.  Apprens"  néan- 
moins que  nous  rcconnoillbns,  dans  l'autre  vie,  deux  lieux  où  doiven; 
aller  les  âmes;  l'un  redoutable  tS:  rempli  de  ténèbres,  qui  ell  le  partage 
des  mèchans;  fautre,  bon  è^'v:  délectable,  où  rcpofent  ceux  qui  ainient'h 
paix  eic  le  bonheur  iles  hommes.  Si  tu  crois  mourir,  lî  tu  crois  que  1: 
bien  ou  le  mal  que  tu  auras  i'uL  te  iera  rei;.!u,  j'eïpere  que  tu  ne  feras 
point  de  mal  à  ceux  qui  ne  t".n  feront  puiiit.  'i^out  ce  que  tu  as  fai: 
jur.|u'à  prefent  ell  fans  reproe'ie,  parée  qu'ù  me  lèmble  que  tes  dcfleins 
ne  tendent  qu'à  rendre  graces  à  i)ieu  (c).  ^ 

Dans  l'étonnen^.cnt;  d'entendre  Ibrtir  ce  difeours  de  la  bouche  d'un  In- 
Rcprinfcdo  dien,  l'Amiral  lui  répondit;  ,.  C^u'il  le  rejuuiffuit  beaucoup  de  voir  l'im- 
„  mortalité  de  l'ame  au  nombre  de  les  eonnoillànees;  qu'il  lui  apprenait , (S: 
,,  à  tous  lesHabitans  de  fa  Terre,  que  les  Ruis  de  Cailille,  leurs  Seigneurs, 
,,  l'avoient  envoyé  pour  favoir  s'il  yavoit,  dans  leurs  Pays,  des  hommes 
,,  qui  fifTent  du  mal  aux  autres,  comme  on  le  difoit  des  Caraïbes;  qu'il  a- 
,,  voit  ordre  de  les  corriger  de  cet  ufage  inhumain,  *S:  de  faire  régner  la 
,,  Paix  entre  tous  les  liabitans  des  liles".  LeCaeique,  à  qui  l'on  expli- 
qua auiVi  cette  reponfe,  verfa  quelques  larmes  après  l'avoir  entendue.  1! 
fit  dire  à  l'Amiral,  que  s'il  n'eût  été  retenu  par  iun  aiieCtion  pour  fcs  fem- 
mes &  fes  enfans,  il  auroit  fiit  volontiers  le  \'o\age  de  Callillc  avec  lui. 
On  lui  fit  quelques  prefens.  1!  les  reçut  avec  adiuiration;  vS:  mettant  les 
genoux  à  terre,  il  demanda  plulkurs  fois  il  e'etoit  du  Ciel  que  ces  Hom- 
mes étoient  descendus  (^/)y 

En  quittant  ce  lieu, les  Caftillans  efTuyèrent  une  fi  furieufe  tempête,  qu'ils 
ne  crurent  devoir  leur  falut  qu'au  fecours  du  Ciel.  D'ailleurs,  les  vivres 
étoient  prelqu'èpuifcs  fur  les  trois  X'^aiileaux,  vîiv:  l'on  y  etoit  réduit  à  vivre 
de  Poiflun  ,  qui  ne  manquoit  pas,  à  la  veritc,  dans  les  Caïuux  v.S>;  fur  le 
bord  des  illes.  Le  i8,  on  revit  encore  le  Cap  de  la  Cru/,  où  les  récits  du 
vieux  Cacique  avoient  rendu  les  liabitans  fi    traitables,  qu'ils  apportoient 

volotl' 
(c)  Le  mcme,  Ga;-.  14.  (d)  JlUan, 


TcnipCtc 


vol  ont  al 


'»■*»■, 


m>, 


n  continu? 
es  Canaux 
es  Marccs 
i  de  Cuba, 
'cntit  les 
abiians  r.^ 


-My/lcrcj, 
fis  du  rcl- 
cc;ntcir.- 
fit  la  iljpc. 
3cha  (le  /a 
i'infui. 
n  ce  dif. 
r  aul]î-to: 
JÏs  jamais 
LUS  ncan- 
1  doivent 
•  partage 
îinKiuYi 
is  que  le 
ne  feras 
I  as  fal: 
dcfllins 

d'un  h:- 
oh-  J'im- 
:noit,& 
igneurs, 
honiUKS 
(ju'il  a- 
gncr  la 
n  cxpli- 
Jue.     Il 
rcs  fi.m- 
vec  lui. 
tant  les 
i  Ilom- 

",  qu'ils 

Vivres 
à  vivre 
:  fia-  le 
cits  du 
rtoienî: 

voloa- 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.   I.  53 

'Volontairement  à  Hord  dos  fruits  &  d'autres  provifions.  L'Aniiial  prit, 
avec  confiance,  trois  jours  de  repos  parmi  eux;  <b'v  L-  22,  il  fe  rapprocha 
de  la  jamaUftc ,  à  laquelle  il  donna  le  nom  de  St.  J(i:\o,  (in'ellc  n'a  pas  c;  n- 
Ifervé.  Ses  oblervations  fur  la  Côte,  en  defcendauc  vers  1  Oucll,  lui  firent 
'(âécouvrir  quantité  de  beaux  Ports,  &  reconnoltre  les  cxcelkntcs  qualités  de 
la  terre.  Il  vit,  dans  une  très  belle  Baye,  un  grand  nombre  d'I.la'oitans,  fms 
recevoir  des  Infuliires  aucune  invitation  à  defcendre;  ce  qui  n^.  l'empêcha 
Étoint  de  prendre  une  exacte  mefurc  de  l'Illc,  qu'il  trouva  longue  d'tnvi- 
ton  cinquante  lieues,  Ol^  large  de  vingt. 

Le  tems  n'a\-uit  pas  celle  d'être  orageux;  mais  d'autres  vents  l'ayant 
fait  changer  tout  d'un  coup,  il  rcfolut  de  prendre  la  route  de  l'Kil:,  Vers 
'TJCfpngnole,  pour  s'avancer  jufqu'à  l'extrén^.ité  de  cette  iile.  Un  Cap, 
qu'il  y  découviit  pour  la  première  fois  ,  &  d'où  l'on  voit  fille  entière,  re- 
çut le  nom  d'cl  C.ibo  de  i'croL  Le  Mercredi,  20  d'Août,  i!  apper^j'ut  le 
Cap  Occidental  de  la  même  Kle  ,  qu'il  nomma  San  Miguel ,  &  qui  s'appelle 
aujourd'hui  Tiburon,  éloigné  d'environ  trente  lieues,  de  la  Pointe  Orien- 
tale de  la  Jamaïque.  Vers  la  fin  du  mois ,  il  alla  mouiller  près  d'une  pe- 
tite llle  (ort  liante,  à  laquelle  il  donna  le  nom  d'/Hto-ve'o,  à  douze  lieues 
d'une  autre,  qui  {\\t  nommée  la  Bcaîa.  \Jn  coup  de  vent  l'ayant) fépare  de 
fes  deux  autres  Vailfeaux,  il  fit  monter  au  fommet  d'Alto- vélo,  pour  les 
découvrir.  Ses  INIatelots  tuèrent,  dans  cette  llledefertc,  plufieurs  Loups 
marins,  qui  ilormoient  fur  le  fable,  &  prirent  à  la  main  quantité  d'Oi- 
feaux ,  que  la  vue  des  hommes  ne  paroiflbit  point  effrayer.  Les  deux  Na- 
vires arrivèrent  lix  jours  après.  Ils  n'avoient  pas  ete  jettes  plus  loin  que 
la  l^ata;  d'où  s'étant  rapprochés  de  l'Efpagnole  ,  ils  avoienc  découvert 
une  Campagne  ibrt  peuplée,  qui  prit  enfuite  le  nom  de  Catalina^  de  celui 
d'une  Dame  Indienne  à  qui  elle  appartenoit.  L'Amiral  fit  remettre  à  la 
vt'ile  vers  l'E;l ,  Ok;  vit,  fiir  la  même  Cote,  une  grande  llabitat-t.n,  où 
fes  Marques  trouvèrent  moyen  de  faire  de  l'eau.  jNlais  les  Indiens  fe  pré- 
fentèrenr  fur  le  rivage,  armes  d'arcs  <k  de  lleehcs.  Ces  Peuples,  dont  la 
Province  fe  ncjmnioit //;>'/(y,  palfoient  pour  la  plus  bclliqueufe  partie  d<.i 
Infulaires.  Ils  avoient  fart  d'envenimer  la  pointe  de  leurs  ILculS,  av^c 
«ne  préparation  de  certaines  herbes  qui  croillbient  dans  leurs  Montagnes. 
Cependant  auil;- lot  qu'ils  virent  aborder  les  Barques,  avec  des  lign.s  de 
paix  &  d'amitié,  ils  s'cmprefferent  d'y  apporter  de  l'eau  (iJc  des  vi\res. 

Dans  le  cours  de  cette  navigation,  qui  fut  continuée  vers  i'Ell,  on  vit 
un  Peillun  f  "-t  monllrueux.  Sa  graïuieur  étoit  celle  tl'une  petite  i)a!:'ine. 
Il  portoit  fur  le  dos  une  cfpèce  de  conque  ,  qu'on  aiiroit  prife  j-'Oiu'  un 
bouclii.r.  Sa  tête  ,  qui  paroillbit  hors  de  l'eau,  n'etoit  pas  moins  groiié 
qu'un  tonneau  de  mer;  cî^  ia  queue  ,  aiTez  femblable  à  celle  d'un  ton,  al- 
loit  toi.JMurs  en  groniiPant  vers  le  corps.  Deux  ailes,  (jui  lui  fervoient  à 
nager  ,  eu  i^nt  d'une  grandeur  extraordinaire.  L'Amiral  {irit  moins  de 
plaifir  q'ie  i'.s  gens  à  le  conliderer,  parceque  fon  expérience  lui  faifant  re- 
cueillir Ls  m':'indres  figncs,  il  conclut,  de  la  vue  de  ce  Monllre  C'^  de 
quei'jues  autres  obfervations,  qu'il  etoit  menacé  d'une  nouvelle  tem.peie. 
Il  s'eObrp  de  le  m.ttre  à  couvert,  fais  une  llle,iiue  les  Indiens  nomm.}i.tit 
/^Jainuhuy  y  6*  qui  reyut  de  lui  le  nom  de  Sama.     Lllc  forme  un  detr^ii  u'u- 

G  3  ra 


CniusTorijE 

COI.OM!!. 

II.  \'oy;i[;e. 

I  4  9  -y 

C    iI0II|!k'.(I:1. 

lie  If  i:or,i  de 
S'.   Ju;o  à  lu 
Ji,iii;.Ï4UC. 


Il  rcvicn  i 
li>rp;i,';no!e. 

CapïiicIVri»; 
£^  dcSc.  Mi- 
f  iic'l  ou  Tibu- 
ron. 


KL-  .l'Ait.. - 
vclo  1^  de  la 
Ikata. 


d  une  ;Hicre 
p  irtic  de  I  Ef- 
p-iiri',i,.lc. 


r'iiTi.nmon- 

l.!liwt..\. 


ifli-rniliméft 
S..c:.U.       . 


■»1W»J!,| 


CiinïSTorTiE 
11.  Voya-c. 


tlL'piiisik'l  En- 
g:ino. 

Uh  lie  ;,i 


i;,\in:;:il 
t.  .iivc  iJ.ir- 
t'iL'le;:!y  ,  ùva 
Frère,  à  iù- 

de  Do'Ti   Uiir- 

t;v.!e;i;7. 


S.,.         P    R    E    i\r    I    K    R    S      V    O     Y     A     G    E     S 

uc  lieue  de  largeur,  qui  hi  Icparc  de  rEfpagnolc,  &  long  d'environ  daix 
lieues.  ÎNÎais  iorfLiu'il  V  entroit  fort  hcurciilcmenr,  iVs  (.\cu}i  autres  Navi- 
ves  furent  enlevés  ù  fa  vue,  par  un  tourbillon  qui  les  porta  bien  loin  ciiliau- 
te  Mer.  La  tcmp-."e  ayant  liuré  luii:  jours,  iiu'il  palTa  clans  cette  rcir;;!- 
te,  il  eut  la  latisfafLi  tn  de  voir  reparoicre  Us  deux  llifunciis,  Ci;  àc  pariir 
avec  eux  le  24.  de  Septcnibre.  Ils  arrivèrent  au  Cap  dj  l'ij'pa.^nole,  (prun 
CL  niimmé  depuis  (Ici  /-ji^m??!;  ,  tlk  qui  re(;ut  alors  le  nom  de  .S';;i  Ruph.icl. 
])e-là  ils  s'avanccTcnt  encore  plus  droit  à  J'Kll,  julqu'à  um  petite  Me,  qui 
n'e'l  (ju'à  huit  lieues  de  l'orrorie,  c\:  qu'ils  appellèrent  la  Mon.i.  Ce  fut  le 
terme  de  cette  lonj^ue  vîs:  d  ini^ereufe  courfe.  I/.\niiral  y  tomba  dans  une 
Icihargie  li  profonde,  que  tous  fcsr;ens,  allarmes  pour  ia  vie,  tournèrent 
auni-tuL  la  pr>Hie  vers  leur  Colonie  d  Ifabelle  (c). 

(^uoiQ,Ui.  fa  fanrè  fut  foibie  encore,  à  fon  arrivée,  Iaj<'ye  qu'il  eut  d'v 
trouver  Duni  iju'di^lemy ,  l'on  Frère  a'nè,  ler\ic  prninpremeiu  à  !a  rcM- 
blir.  lis  ne  s'etoienr  pas  vus  depuis  treize  ans.  U:i  doit  fe  rappeller  Ls 
premières  avantures  de  Bartiielemy ,  après  l.ur  fcparation.  Il  ctoit  palTc 
en  An;];'ercrre,  où  Ton  fcjour,  qu'l  lerrera  fiit  dur^r  fept  ans,  ne  peut  cnv- 
explique  que  par  des  fuppoùuons  arbitraires,  telles  ijuc  ia  Uniear  de  \\ 
Cour  a  l'eeouter,  es:  l'.-.vantige  qu'il  trouva  lui-memc  à  s'arrec.r  dans  cet- 
te Lie,  p  )ur  y  vendre  des  Cartes  (Jeographi(j!!cs  èv;  d.s  Sphères.  Il  n'^a 
cft  pas  m')in3  è'range  qu'il  eut  laillè  paffer  tant  d'années  lans  donner  de 
les  nouvelles  à  fon  l'rère,  &  qu'il  n'eut  appris  qu'en  France,  en  v  padant 
à  Ion  retour  .  rinutili.e  des  ouvertures  qu'il  venoit  défaire  au  Roi  Henri 
\U.  Ce  fur  à  Paris,  dans  une  audience  qu'il  obtint  de  Charles  VIII,  cju'ii 
fut  infor;rè,  par  la  bouche  de  ce  i'rince,  de  la  découverte  d'un  nouveau 
Mon  le.  Il  fit  beaueoi'.p  de  diii.j;ence  pou;-  arriv.r  en  Efpague  avant  le  fe- 
comi  Voya;j;e  tle  i'r.:\  Frcre;  mais  la  Flotte  Callill.uie  avant  déjà  mis  à  la 
voile,  0,1  lui  remit  une  nntruction ,  que  l'.Amiral  avoit  laill'è'e  poui 


!l!l. 


va  l'es  deux  Neveux,    l)ie:j;o  &  Ferii.md   Colomb,  Paires    du  Prince 


mini  ir(^  i.c 

r.l  Ciii>.i.!,  ;, 


C-rr;ie-,  C  ,- 

ï\..ï:..:u 


iro; 

ù'I'if^a^ne.  _  Leurs  Majelles  Caruoliijues  le  re(;urent  avec  des  témoijuagcs 
cxtra-»r.iin  lires  de  faveur,  6c  lui  .i.îniitrenc  prcfquc  aulii-tot  le  Commande- 
ment de  trois  ^'all^eaux,  char,e,es  de  vivres  ,  qu'elles  env^y  )ient  il  l'Ami- 
ral, li  avoir  mouiiiè  dans  le  l'e.rt  d  Ifubwlle  au  mois  d'Avril,  peu  de  jaur^ 
après  le  départ  de  {vn  l'rère  (/'). 

Li-s^  proyiiions ,  qu'il  avoic  apportéesà  laCoionie,  ne  pouvoient  arriv.r 
dans  des  circonlbuces  plus  prj.iantes;  mas  elles  ne  fulHîbicnt  pas  p^".r 
tant  de  bouches,  c\;  1 1  necelliie  reconiinen^a  bientôt  à  l'c  laire  f.ntir.  Ciie 
autre  lource  de  del'ordre  fat  la  iiccnce  des  (îens  de  (guerre  ,  (jue  l'Amira, 
avoît  laiiles  fous  la  conduite  de  Mai^arita,  Cet  Oilicier  avoit  reçu  ordre 
de  viliter  toutes  les  Province-,  de  rille,  en  fùfant  obl'ervcr  une  exacte  dn'- 
Cîp.jue;  c'ec*.it  trop  cx!^^•r  d'un  Corps  de 'l'ro'ines,  (jui  manq-ioit  du  ne- 
ceilan-e.  Aufti  les  Sol.iits  CallilLns,  qui  trouveVeuî  les  In  liens  p.u  difpa- 
iei  a  leur  iournir  d.s  vivres,  empl  ^yer.iu-  ils  l.i  vin!..nce  pour  s'en  procu- 
r .;.  ^  A;ors  toutes  Ls  Puillauces  oe  fille  l'c  reunirent  contr'eux,  a  la  refer- 
ve  ue  (uuacanugtn  ,   donc  Lo  Etats  porioicnt  le  nom  de  Maricn.     Dora 

Du- 


Dieguc, 
la  part  i 
fance  lui 
dans  le  I 
Joutes  11 
expo  lé  1 
ble,  qui 
ration  d 

(^U\     1 

vivantes 
partie  la 
die ,  ti  ce 
irepas,  t 
.1:  n 
foullViiit 
qu'elles  ' 
les  atiril 
enfin  la 
belle  ,01 
blelTe  di 
ménagei 
de  Partil 
jMiilionn 
idées  qu 
gnant  l'e 
res  qui  r 
gne,  Li 
ma  ri  (le 
,  ès:c; 
'te  d'ur 
moins  ds 
de  la  goi 
dit  un  A 


pordrc  M 
éu  ■  tout , 
confulier  i 
pciiuuie  f( 
Callillaiis 
tt  t'a -il, 
„  qui   ètu 
„  Ils   mur 
t,  nus  k's 
^  Muhny!. 
„  flirte  d> 
,,  avec  lei 
„  i  :i-:h-. 

„      îl'-'vN    Cil 


:0  ^'f'.  Cri-    I-. 


(/)  ll'i'.iin.  Chv\  1.1. 


f-lf^h-f^. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Li  V.  I. 


5S 


Diegiic,  Gouverneur  dlfabclle,  fit  Aiircsù  IMar/'arira,  deS  remontrances  de 
îa  part  du  Confcil.  l'J.les  ne  fervirenc  qu'à  l'irriLer.  Iva  ûjviù  de  fa  naif- 
fane\' lui  rnifant  loufTrir  impar.iemment  l'autoiitc  des  Colombs ,  il  Te  retira 
dans  le  l'urL  de  SainL-Thoinas ,  d'tni  Ils  gens  eurs^nc  la  libjrté  d'employer 
Joutes  forces  dévoyés  pour  remédier  à  la  faim  cjui  ks  prcflbit.  11  y  etoit 
expole  lui-même;  C\:  les  Jliiloriens  lui  font  honneur  d'une  action  fort  no- 
ble, qui  mériteroit;  plus  d'é!o|.;es,  s'il  y  avoit  feu  joindre  un  peu  de  modé- 
ration dans  la  conduite.  Un  jour,  que  les  indiens  lui  avoienc  apporté 
j^ux  Toarierwlles  ,  il  les  re(,-ur. ,  &  les  paya  liberalen-ient.  Elles  eioient 
vivantes  encre  les  mains.  Il  pria  fes  Officiers  de  monter  avec  lui  dans  la 
partie  la  plus  élevée  du  IVjrc  ;  &  dunnanc  la  liberté  aux  deux  Oileaux ,  il 
dit, Il  ceux  qui  l'avoienc  fuivi,  qu'il  ne  pouvoic  fe  réfoudre  à  faire  un  bon 
jrepas,  tandis  tju'd  les  voyoit  mourir  de  faim  (g). 

Cv.  n'étoit.  pas  le  feul  niai  qui  le  tourmentoit.  Depuis  quelque  tems  il 
foulTroic  de  vives  douleurs,  qui  troubloienc  jufqu'à  fon  fommeil.  On  a  cru 
qu'elles  venoienc  d'un  commerce  trop  libre  avec  les  fcmnics  de  l'Jile.  Mais, 
les  atiribunn  au  climat,  ou  à  la  mauvaife  qualité  des  nourritures,  il  prit 
enfin  la  rélb!u;.ion  de  retourner  en  l^lpagne.  Ce  deflein  le  conduiiîc  à  Ifa- 
belle  ,ou  l'on  mécontentement, &  le  mépris  qu'il  avoit  pour  la  nouvelle  ^s'o* 
bielle  du  Gouverneur,  lui  firent  éviter  de  le  voir.  Il  ne  garda  pas  plus  de 
ménagcmenc  d-ins  11  s  diîcours  ;  &  cette  conduite  lui  fit  un  gi'and  nombre 
de!\iru!ans,  entre  kMqueLs  lîoyl  affeela  de  fe  dillingu.r.  Let  imprudent 
îldiiîionnaii'e  publia  qu'il  aboie  détromper  les  Ruis  Cathuliv^u^s  des  faulîes 
idées  qu'on  leur  iailbit  concevoir  de  l'Amiral  Ck  de  fes  entreprifes  ;  Ck  ,  joi- 
gnant l'elTet  aux  menaces,  il  paitit,  avec  AJargarita,  l'ur  les  mêmes  Navi- 
res qui  avoicut  apporté  ])om  Barthélémy.  En  arrivant  à  la  Cour  d  i'^fpa- 
gnc,  leur  hiine  fe  déchaîna  contre  les  Colombs.  Ils  publièrent  qu'à  la  vé- 
rité riile  Eipagnole  avoit  un  peu  d'<jr  ,  mais  qu'un  en  verroic  bien-  tuC  la 
|p,  Ox  qu'un  avantage  fi  léger  ne  valoic  pas  tant  de  depenfes,  ni  le  i'acri- 
fijfce  d'un  fi  grand  nombre  d'honnêtes  gens;  lîs:  cjue  s'il  éioic  quelHon  néan- 
moins de  îb'iLenir  la  Colonie,  on  lui  lievoit  donner  des  Clï:fs  pius  ca[);U)les 
de  la  gouwrner.     Telle  fut  la  lin  de  l'apollolat  ilu  Père  i)o\\ ,  le  premier, 

nouveau 
Mua- 


dit  un  /Vuteur  tie  l'on  CJrure,  qui  ait  annoncé  l'Evangile  dans 


(,fj)  I.cs lliPicricnsn:' s'accordent  pr.p  dans 
ÉorJrc  ùiî  tous  ces  l',vci!C!mns.  Ov'cdo, 
Au"-iont,  i)'(.n  ;::!ritc  .uicun ,  cs:  iVsniile  ne 
confiilrer  que  l'i  iiKinoiic;  ni.iis  il  fait  imo 
peintuie  fort  étrniitr'  des  cxocmitc.i  i>ii  les 
Callillaiis  furent  réduits.  ,,  Ils  iiKiiif^ùeiit , 
,,  dit -il,  tous  les  Chieiij  CoUiucs  de  rifle, 
„  qui  ét>'ient  nua-ts  «S:  n'abvivoicnt  point. 
Ils  in;ini:èrent  aulîl  toutes  'lus  Ilutious, 
tîus  les  Ou^niis,  &  ;;utres  nnimniix,  t:int 
Mohnys  ijûe  C'/ri.i- ,  c|ui  font  connue  iii;e 
forte  de  pitits  I.îipiiis  ,  qu'ils  pr^noient 
avec  les  Chiens  qu'ils  avoieni  aiiiuiésd'Kf- 
„  iv,i'j;ne.  Iv-siin  ,  i!^  miiv^èrent  leurs  pro- 
„  nr->,  Cijci.s,  iS.  Ijrùiu'di  cuieiu  dépcu^Mé 


,,  ri  fie  de  ccf.  cinq  efpèca^  dePètcî  à  qii;  tvr 
„  pi:ds  ,  ils  furent  coiurnints  de  mnn.rvr  d.s 
,,  SerpeiLS,  ne  pardoUMniit,  ni  aux  l.é/.-.-n.^, 
,,  ni  aux  Couleuvrvs  .  i;ui  t^tvient  en  ;;i;ind 
,,  nombre,  taclictées   de  couleurs  diveri^s, 


ni:i!s 


fans    être  vciiinieafes  ' 


.e  nieiîie 


Ill'dovien  s'éfriu  bcinicoup  fur  un  autre  mai, 
qu'iis  avoient  à  combjttre,  e^  qui  tto  t  ce- 
lui qu'on  a  nommé  nud  ■  à- propos  le  mal 
(,'c  jV..'//.'v  cV  le  mal  François,  il  rend  comp- 
te  ;iudi  naturellemenr  de  fun  origine,  que? 
de  la  manière  dont  il  cil  puî'é  en  Kurone. 
I.'V.  ?..  Cbap.  IT.  tv  14..  l'oyez  ci-defioji 
lu  Defcriptioii  de  l'Ul'i  a^'.ole." 


Citl'.MTOPHE 
Co!.OM,l. 

11  Voy:,:;c, 


Action  no- 
ble de  \).m 
Pedre  Marga- 
rita. 


Ses  infiriP' 
tés  le  font  re- 
tourner en  Ef- 
p:!  ;i:e  avec 
d  aiitrcs  Mé- 
conteiu. 


Mauvais  of- 
fice (p.riis  y 
rend,  i  r  -lux 
Colouibii. 


Wy^'' 


"^♦.«; 


(.iii.ifTCiiir. 

C'Jl.OMH. 

IL  Voy.ij-. 
14  9  4- 


U.ircl-.clcniy 
Colomi)  c;l 
uvt}t;i  du  :!• 
irodAdch::- 

t.uic. 

S  or.  cnr.ic 


L'Amiral  c:i- 
tripr^nJ.  l;i 
(;Lii.'rrc  con- 

qiîjî  L.i;:c- 


Aitiiiccd'O- 

jc'J'i  ;  (iiir  ic 
laifir'dj  C.io- 
iiubo. 


56        p    R    E    M    I    E    R    S      V    O    Y     A    G     R    S 

Monde,  *S:  qu'il  Te  plaint  qu'on  n'ait  pas  mis  clans  les  Têtes  de  i'E^life, 
avant  Saint  François  Xavier  (/.' ). 

L'Amiral,  qui  le  trouva  parti  à  Ton  retour  (0,\  s  altliii.ea  d  un  mal,  au- 
quel  il  ne  pouvoit  plus  remédier.  11  reçut  une  vilite  de  Cîuaeanagari,  qi:i 
lui  témoigna  l'on  cliaifrin,  de  n'avoir  pu  lauvcr  plulieurs  Callillans  de  ij 
fureur  de  leurs  Ennemis  ,  Cis:  (jui  lui  olVrit  Ion  lecours  pour  les  vanger. 
Ces  offres  furent  acceptées.  l/Aniiral  relblut  de  porter  la  (".ucrrc  aux  Ci- 
ciqujs:  mais,  avant  Ion  départ,  il  reVv.'cit  ion  l"rère  d'un  titre  qu'il  cru: 
ea^xible  de  le  l'aire  refpLCt.r.  Ce  l'iir  eelui  d'.IidnitûJc,  eu  ^  Lieutrn-uiî 
Cîeneral  dans  toiites  les  In  Je?.  La  Cour  l'Efpaijjne  trouva  d'abonl  alk; 
mauvais  qu'un  Emploi  de  cette  importance  eut  etc  donne  fans  la  participa- 
tion; mais  elle  ne  lailla  point  de  le  confirmer.  Au  fond,  Dorn  HaniicL- 
my  en  etoit  digne.  Il  entendoit  parfaitement  la  Navigation.  11  avoit  d, 
la  prudence  6c  du  cGura;j;e.  'IV-ns  Ls  Hilloriens  conviennent  qu'il  auro/. 
pu  rendre  de  grands  Icrvices  àrEfpagne,  i\  fon  humeur  un  peu  violcnu 
n'eût  e.xcite  des  jaioulljs  Se  des  h. unes,  qui  firent  manquer  plulieurs  Li 
les  plus  fages  Os:  ies  plus  glorieulls  melure?. 

Cr.rf:ND.\NT  quelques  jours  de  redexion  firent  juger  à  l'Amiral ,  que  !.- 
petit  nombre  de  Troupes,  avec  lequel  il  fc  propjfoit  de  tenir  la  Campa- 
gne, pourrolt  é:re  accablé  par  les  Indiens  reunis.  I!  crut  devoir  tenter  !.i 
furpnfe  &  la  ru'.e,  avant  que  de  faire  éclater  les  dedéins.  Caonabo,  lui 
paroilVant  le  plus  redoutable  des  Caciques,  il  tourna  tous  fes  foins  ;i  le  lai- 
re  enlever  au  milieu  de  fes  Liais.  11  lavoit  que  ce  Prince,  (|ui  prenoit  l: 
titre  de  Loi  de  MiJ_:^uana,  faifut  beaucoup  plus  de  es  du  cuivre  tS:  du  lai- 
ton, que  de  ''or,  <!\:  qu'il  avoit  fouvent  marqué  une  vive  palîion  d'obtenir 
la  Clocne  de  l'P^glile  d'ifabelle,  parce  qu'il  s'etoit  ima^^iné  qu'elle  parloir. 
Il  fe  fervit  de  cette  connoilTance  ,  pour  le  faire  donner  dans  un  piège,  i.l>r 
Ojeda,  qui  conv.nancloit  toujours  (Kins  le  l'ort  deCibao,  prit  fur  lui  l'exé- 
cution. Oa  fit  courir  le  bruit  qu.  les  Callillans  fouliaitoient  une  Paix  coi:- 
ILmte;  &  que  par  dts  fentinvjns  particuli>.rs  d'eflime  pour  Caonabo,  i:? 
penfoi^nt  à  lui  faire  des  préfens  confuierahlcs.  Ojeda  partit  du  Tort,  avi.o 
neuf  Cavaliers  bien  montés,  fiu.^  prétexte  de  porter  les  préfens  de  l'Ami- 
ral. Une  fuite  11  peu  nombreui'e  ne  pouvant  înfpircr  aucune  défiance,  . 
iiit  reçu  fort  civilement  à  M:i;;uana  ,  qui  etoit  la  relidence  ordinaiie  du  Cr 
cique.  y\près  quelques  expiicuions,  il  lit  voir,  à  Caonabo,  les  pre'ciis  (j.'. 
avoit  à  lui  ollVir.  C'étoient  c;.\s  i^'ers,  tels  qu'<'n  les  met  aux  pieds  vN;  ..:..\ 
muins  des  l'or(;ats,  niais  de  laictn  il  j^oli,  qu'ils  paroillV'ient  d'argent.  1. 
lui  tiit  ijuc  Ces  inftrumens  etoi-nt  des  marques  d'iinnneur  ,  dont  rulaj. 
etoit  relerve  aux  Rois  de  Callille,  Oie  que, dans  le  d.lîein  oii  l'Amiral  ét.>  i: 
de  le  traiter  avee  la  plus  liante  di'.'tinction  ,  11  ne  failoit  pas  diilicuiié  de  !... 

eP.- 


{b)  Ililloir!.' JjS.-i:n-Du:-,iiiij!;o,  Lk.  2. 
pvc.  ifr. 

(  i)  On  Ht  d.!i\>  (/M'fdo  ,  OUI.'  .M«:!.;.uit;i 
&  l-uyl  fiircvt  rn!.;-c;;c-,  p;r'le  Roi  C^i  I:i 
Rei:-.  •  ,  (|ui  voulini.r.t  ûtic  inftruits  do  la 
tuiKÎv.'t:  de;    Coion.bs  ,   coiiUC  leùiiicl,  i',-; 


avolfit  àiia  reçu  di.>  plainte-;.  H. ri.  : 
(ii:  (]iic  ce  tut  la  crainte  du  chàtimcnc  i!  • 
tic  i  .iitir  Marfi'.iriia,  C'c  qu'il  tut  .-iccom;'.;- 
Rné  lie  Boyl  (S:  de  quelques- uns  de  l-'i^-' 
Partiiaib. 


ènvoycl 
feilloit 
bue  fc 
de  m:ij(i 
fe  déliai 
milieu 
mirent 
la  vue 
Tétant 
fa  proyl 
ftru61ei| 
tât  l'au 
îiéanmij 
pett  & 
qifil  le 
jeda. 
„  lui  n 
„  Mail 
folu  pat 
î'envoy 
étoit  pr 
Batirnet 
ceux  qu 
On  ! 
étoit  rc 
munitio 
quelles 
fcrvices 
diftanci 
nus  en  1 
Monde 
les  moi 
cour  le , 
On  avo 
MajeiL 

Îjrellan 
e  tcms 


viodo  (!s. 
ici  avec 

prender 
ayant  éi 
Tes,  nu 
conduit 
trc  dit 
d'entrer 
une  lui 


s 

n  mal ,  au- 
a^ari,  (p. 
Ilans  de  la 
ts  vangor. 
rc  aux  Ci- 
(ju'il  cru: 

'^ord  a;Kv. 
i>:irticipj. 
ihrihcL- 
I  avoit  ci. 
l'il  aiii'o;. 
'_  violent.' 
licurs  L.i 


a  Camj):i. 

tenter  ;,i 
nabo,  h;; 
;  à  le  l.i!- 
irenoit  i: 
-S:^  du  Lii- 
(.l'tjbteriir 
.'  parloir, 
ge,  ^Iry 
lui  l'exc- 

ai  A  e'oii- 
nabû,  i:$ 
rt ,  a\\: 
ie  ï'AvM- 
lanee,  , 

c  du  C^- 
"dis  q:jï 
•s  0\:  a:.x 
\cm.  l: 
l  l'n';;j. 
irai  e[>,.': 
é  de  I,.; 

ILrr-ri 

imcnc  i]'- 

:iccom;  .;• 

lie     IvU.J 


K    N      A    r^I    F.     R    I    Q     U    !•:,    L  i  v.  f. 


57 


envoyer  ce  qui  n'avoit  appartenu  jufqu  alors  qu'à  Tes  IVIairres;  qu'il  lui  Cf^n- 
feilloit  de  fe  retirer  à  l'écart,  pour  le  parer  de  ce  précieux  ornemuni:,  Os: 
bue  fc  prefentanc  cnfuitc  aux  yeux  de  ies  vSujets,  il  paroîtroic  avec  nuniuc 
de  inajcllé  que  les  Rois  de  Caltillc.  Caonibo  donna  dans  le  piegi-;  &  ne 
fe  déliant  pas  que  neuf  ou  dix  hommes  eufient  la  liardiellc  t!.'  Tiplulrer  ;ia 
milieu  de  la  Cour  ,  il  fit  l'gne  à  les  gens  de  ie  retirer.  Ceux  d'Ojeda  lui 
mirent  les  Fers,  le  iailirent  brurjucment  de  lui,  après  l'av^.ir  intimidé  par 
la  vue  de  leiH-s  armes,  &  le  placèrent  en  croiipo  derrière  leur  Ctitf,  qui  le 
rétant  fait  lier  autour  du  corps,  reprit  au  galop  le  chemin  d'l<ab.lle,  avec 
fa  proye.  La  joye  de  l'iAmira!  lut  extrême ,  en  fe  voyant  maître  du  13c- 
ilruàle'ur  de  foii  premier  Etabli iTement,  &  du  feul  Ennemi  dont  il  redou- 
tât l'audace.  11  le  tir.t  enchainé  dans  fa  Mailbn,  l'ans  pouvoir  adoucir 
néanmoins  ce  carnélere  farouche.  Loin  d'en  tirer  quelque  mar  |uc  de  rel- 
peèt  &  de  Ibumiluon,  il  remarcjua  qu'il  aileftoit  de  ne  le  pas  laluer,  lorf- 
qu'il  le  voyoit  paroitre;  tandis  qu'il  en  ufoit  plus  civilement  à  l'égard  d'O- 
jeda. Il  voulut  lavoir  de  lui-même  la  raiibn  de  c^'tte  diilerence:  ,,  c'ell, 
„  lui  répondit  Caonabo ,  que  tu  n'as  pas  ofé  me  venir  prLudre  dans  ma 
„  INIailbii,  &  que  ton  Olficier  a  plus  de  cœur  que  toi".  Un  homme  lî  ré- 
folu  parut  dangereux  jufques.  dans  les  chaînes.  On  prit  enlliite  le  parti  de 
l'envoyer  en  Elpagne,  &  de  l'cîmbarquer,  malgré  lui,  fur  un  Navire,  qui 
étoit  prêt  à  faire  voile;  mais  une  tempête,  qui  enfevclit  dans  les  Ilots  ce 
Bâtiment  &  plulîeurs  autres,  fit  périr  le  malheureux  Cacique,  avec  tous 
ceux  qui  l'accompagnoient  ((■). 

On  vit  bientôt  arri\er ,  au  Port  d'Kabelle  ,  Antoine  de  Terrez,  qui 
ëtoit  renvoyé  avec  quatre  grands  VailToaux,  bien  fournis  de  vivres  &  de 
munitions,  &  qui  remit,  à  l'Amiral,  des  Lettres  du   i6  d'Aoïit,  par  lef- 

Îiuelles  le  Roi  &  la  Reine  lui  témoignoicnt  une  extrême  fatisfaction  de  les 
crvices.  Ils  lui  demamloient  le  récit  de  Tes  Obfervations,  les  noms  &  les 
diftances  des  Illes ,  &  toutes  les  elpeces  d'Oifeaux ,  qui  n'etoient  pas  con- 
nus en  Eri)agiie;  <k  pour  établir  un  Commerce  régulier  entre  le  nouveau 
Monde  Ck  ranciuii,  ils  règloient  que  des  deux  côtes  on  feroir  partir,  tuus 
les  mois,  une  Caravelle,  qui  n'auroit  pas  d'obllacle  à  redouter  dans  ia 
courfe,  parce  que  tous  les  difl'érends  étoient  terminés  avec  le  Portugal. 
On  av<KL  fixé,  par  de  nouvelles  mefures,  la  Ligne  de  démarcation.  Leurs 
Majeilcs  Catholiques  envoyoient ,  à  r.\miral,  une  copie  du  Traité,  en  le 
reliant  de  veiller  ù  l'exécution ,  lui  ou  Dom  Barthélémy  Ton  Frère,  pour 
le  tcms  dont  on  étoit  convenu  entre  les  deux  Couronnes.     A  l'égard  d'Iia- 


Cn-i''-T.  i'fie 

C'.T.OM!!. 
II.  Vi'Vvzc, 

1494'. 


C'onniciit;  À 
innicr 
ll/iracr. 


cinnicr.c  yvi' 


l 


(fc)  Hcrrcr:\  ,  Livre  2.  Ch.ipitr-'  ifu  ()• 
yicdo  i.^  l'icnr  AInrtyr  ni;  s':iccoi\lc!it  point 
ici  avec  ILircta,  \n  inùinc  cntrciix.  Le 
priMuicr  ricoiuc  fimplcniciic  (juc  le  Caciiiiic, 
ayant  été  faic  piifonnicr  avec  un  ilc  tes  !''rè- 
res,  niiiirut  en  Mer  du  cha;;rin  de  le  voir 
tondiiit  en  Klpiii^ne,  J/tv.  2.  Cb  tp.  i.  L'au- 
tre dit  (jiie  Cauna'io  ,  foilicité  \\\r  Ojeda 
d'entrer  en  néj;ociation  ,  alla  le  Unnver  avec 
une  fuite  no!ii!)reine,  pour  cîicrclv.r  l'occa. 

Xnn.  Part. 


bel- 


fi(>n  de  Liicr  l'Amiral;  que  dans  la  nécefTité 
de  le  prévenir,  on  trouva  le  moyen  de  te 
tiiilir  lie  [a  perlonne  ,  iX  qu'il  mourut  de 
eliai^riii  fur  Mer.  DccaJ.  i^.Liv  3.  {j*  4  U 
tenible  que  ce.>  premiers  Ilitlorien.s  n'étoiciv 
point  encore  informés  du  fond  de  lartilke, 
tlonc  on  peut  croire  ,  en  eiVet,  iiue  les  Caflil- 
laiis  ne  le  lircr.t  pas  d'abord  homuiir.  l.'oc- 
calion  &  ies  circonfiances  du  dépait  dcCi'.o- 
nabo  tetcv.t  remarquées  dans  la  fuite. 

II 


l'icrté  de  cr 
Cacique   da'^k 

ijS  cl'.. 1111-'». 


Comment  il 
périt  d.ii:s  la 
l'uite. 

Arrivée  d'u- 
ne noti\e!le 
Flotte  d'Et^-a- 


Inforinatiop.ï 
(Te  favc'.'.rs  qus 
l'Amiral  rc- 
ç  lit  de  la 
Cour. 


♦^*. 


58 


P    R    E    ]M    I    E    R    S      V    (^    Y    A     G    R    S 


CiiRisToniu 
Cui.oMn. 

II.  Voy.u;c;. 


^(•'.iiov.'nio'it 
^:  t  iiitf  I  liL' 


belle,  du  Fort  do  i-'aiiU-'i  lunns,  vSc  tic  to;is  \<:s  nouveaux  Etablilllmcns, 
comme  de  Temploi  i.ï^s  '1 /oupes  CailillaTics,  le  i\ui  vSc  Kl  Kciiie  appioii. 
voient,  laiis  exception,  ce  qu'il  avoic  juge  convenable  t-'i  ncccllaire,  p.it 
dts  râlions  génciaa's  d"elVune  &  de  cûnliaiiec,  ijui  lair  .luruicnt  fait  preii- 
dre  l'on  conJei!.  s'ils  eulV-ni  é'é  prti'ens  {  /).  L\s  marq^ic^  de  la  plus  ha:;. 
te  f.uvur  ie  confolCvv'nt  des  ch,i{;iins  qu'il  elîuyoit  conLin'aelleintnt,  «!S:  dun- 
iièrtni.  beaucoup  plus  de  poids  à  l'on  autoriic. 

L'\NME  touchoit  il  la  fin,  lor-'lju'il  apprit  (]Ue  l'cnicvemcnt  de  Caonabo 
avoit  lluilcvé  l'iùe  entière,  Cv:  qu  ;  k.s  trois  l'rères  de  ce  l*riiice  alllm- 
bloieni  une  nombrcufe  Arniec  dans  la  \'ega-Keal.  Il  ne  s'étonna  point  d. 
leurs  préparatifs,  l.v  Roi  de  .Maricn  ,  qu'il  lit  avertir  du  dcilein  où  il 
cioit  de  l'e  mettre  à  la  tête  de  r«.s  'rr(nipLS,  vint  L'  joimlre  avec  un  Corps 
de  i'es  plus  braves  Sujets.  Les  Callillans,  capables  de  llrvicc,  ne  mon- 
toi^nt  pas  à  plus  de  deux  cens  hommes  d'Inlantcrie  Oi:  vingt  Cavaliers, 
mais  l'Amiral  y  joignit  vingt  Chiens  d'attaciie,  dans  l'opinion  que  leurs 
morfures  e\:  leurs  aboyemens  contribueroient  autant  (pie  le  Tabre  Ci:  la 
mo'.iiqueterie,  à  répandre  l'épouvante  dans  une  multitude  d'Indiens  nuds 
C^  lans  ordre.  I!  partit  d'iliibeile,  le  24  de  Mars,  av;c  l'Atlelantadc  e\; 
Guacanagari.  A  peine  fut -il  entre  dans  la  Vega-Keal  ,  qu'il  decouvri: 
l'Armée  ennemie,  forte  de  cent  mille  hommes  l  >«  \  c5c  commandée  par 
Manlcatcx  ,  un  des  Frères  de  Caonabo.  L'Adelantade  entreprit  l'ur  ie 
ciiamp  de  l'attaquer.  Jl  y  trûu\a  peu  de  reiiilance.  Ces  malheureux  In- 
fulai/es,  d(;nt  la  plupart  n'avoieni  que  l.urs  Iras  pour  defenfe.  ou  cjui  n'c- 
toieîit  pas  accoutumes  du  moins  à  des  combats  fort  fanglans,  furent  étran- 
gement furpris  de  voir  tomber  j>armi  eux  des  files  entières,  par  le  prompt 
ell'et  des  armes  à  feu,  de  voir  trois  ou  quatre  hommes  enfiles  à  la  fois  avee 
les  longues  épées  des  Espagnols,  d'être  fou'es  aux  pieds  des  Chevaux,  eV 
faifis  par  de  gros  Matins,  qui  leur  i'autant  à  la  gorge,  avec  d'horribLs  hur- 
lemens ,  l.s  etrangloicnt  d'abc^-d  ,  ou  les  renverfuunt,  *l!i:  m.'ttoieiit  faci- 
Lanent  en  pièces  tics  corps  iv.;.:s,  dont  aucune  partie  ne  rti:iluit  a  Lur; 
dents.  ^  ilientot  Je  champ  de  bataille  demeura  couvrir  tie  Mort?.  Les  au- 
tres prirent  la  fuite.  On  les  pourfuivit,  «!\:  les  TriUnnicrs  lureiit  en  grane 
nombre.  L'Amiral  employa  neuf  ou  dix  mois  à  lairc  des  courles  ,  qu: 
achevèrent  de  répandre  la  terreur  dans  toutes  les  parties  de  l'itle.     11  ren- 

^  ]U..umct      contra  plulieurs  fois    .s  trois  Caciques,  avec  le  r^ile  de  leurs  forces;  eV. 

A-MHi;-.c!pr.ux  chaque  rencontre  fut  une  nouvelle  vicloire.     Enfin  ces  trujs  Princ.s,  eV 
"  ""'•         (J:uth:.ex,  qui  étoient  les  PuiiTances  de  l'inc,  prirent  ie  parti  Je  la  l'uumlf- 


149  5- 

l.'A'   ir.I  va 
.■•nibaurc  L's 


JJhej, 


lion 


Tri'r  t^  ^ 
I.<îi:.i]u"i!liiir 
impolc. 


(,;). 


Après  les  avoir  alTiijettis,  l'Amiral  leur  impofa  un  Tribut,  (jui  conlllh  ir, 
pour  les  vnilins  des  ^llnes  ,  à  piver  par  ic:e.  de  iruis  ui  truis  mois,  un. 
petite  mefure  d'or,  &  pour  tous  les  autres,  a  fMirnir  vingt -cinc]  livres  Je 
c-oton.  Guarinoex,  Roi  de  la  Vega-Real ,  onVi-  de  faire  iabourer  la  terre, 
ce  femer,  par  fis  Sujets,  le  Blé  que  les  Cailii:a:;s  vnuJroient  lui  confier,  a 
1  exemple  de  Guucanagari,  qui  leur  avuit  déjà  rendu  cet  important  lèi vi- 
ce. 


(/)  ITirri.rn,  Cli}>.   i-. 

(«;  Uvicdâ  Ait    (]uin«  imUe.    Lfj.  ?. 


Cha;^  2. 
\n]  llcrrcra,  xibi jui>rà» 


blinimcns, 

'';iit  prei). 
'  l^îus  Jiai;. 

'^'  nionubo 

'>_  point  iIl' 
y^ln  où  il 
-■  ui]  ('(irps 

ne  uion* 
Cavaliers, 
que  leurs 
'bre   éc  la 
iens  nuds 
ancadc  d 
ilecoiivri: 
ndce  par 
"it    /ur  le 
ireux  In- 
Li  qui  ii'c. 
;nt  etra:> 
-  proiiipr. 
iuis  a\\.c 
vaux,  e\: 
iblvS  htn- 
ent  iaci- 
C  à  leur? 
l-.es  au- 
.11  gran- 
<-s  ,   qm 

il  rea- 
rces;  eV 
1CCS,  ti- 

iuLim-l- 

)ntl(loir, 
'is,  u:k 
ivres  Je 
1  terre', 
v.d.r,  à 
It  ieni- 


n    N      A    M    E    II    I 


Q 


U    E,   Liv.   I. 


ro 


ée.  Sa  prùpoliLinn  fut  rcjer.tce,  fans  (\\\'on  puilll'  comprendre  les  rai^H  ns 
îtle  ce  refus,  dans  un  tcnns  ou  la  dillicuiLc  de  iaire  venir  des  vivres  d  JCjpa- 
Knc  avoii  reduir  plufieurs  fois  la  Loionie  aux  dernières  cxireinirés.  Mais, 
comme  ce  Trince  ne  cherciunr.  qu'à  le  dilpenler  de  fournir  de  J'or,  Itjus 
prétexte  que  fes  Peuples  ignoroient  le  moyen  d'en  recueillir,  un  Ilillorien 
juge,  avec  allez  de  vrailemblance,  que  l'Amiral,  faisant  peu  de  fond  lur 
la  faveur  des  Klpagnols,  vS:  te  voyant  expofe  à  de  grandes  révolutions  par 
fa  qualité  d'iCtranger,  rapportoit  toutes  Us  vCles  à  s'enrichir,  &  préferoic 
l'or  à  tout  autre  loin  (o).  Il  o'Liligca  Alanicatex  ,  principal  auteur  de  la  ré- 
volte, de  lui  en  fournir,  chaque  mois,  une  mclure  qui  montoit  à  cent 
cinquante  écus  (/)).  En  méme-tcms  il  lit  fabriquer  des  Médailles  de  cui- 
vre ou  de  laiton,  tju'on  donnoit  à  ceux  qui  npportoicnt  le  tribut,  6c  qu'ils 
^toient  obligés  de  porter  au  cou,  pour  faire  loi  qu'ils  avoient  payé  ,  avec 
ordre  de  les  changer  à  chaque  payement.  Ilohsohio,  puillant Cacique,  dont 
les  Etats  étoicnt  les  plus  éloignés  d'Ilabelle,  fut  le  feul  (jui  continua  de  ré- 
fifter  aux  Vainqueurs,  anime  par  Anacaona,  fa  Sœur,  vii:  Veuve  de  Cao- 
nabo,  dont  il  avoit  cmbrafle  la  vengeance  (</). 

Tous  les  autres  fentircnt  bientôt  le  poids  du  joug  :  mais,  dans  la  fim- 
plicité  qu'ils  confervoient  encore,  ils  demandoient  fans  celfe,  ù  leurs  nou- 
veaux iNJaîtres ,  s'ils  ne  retourncroient  pas  bientôt  en  Efpagne  (r).  Ce- 
pendant, lor(i.|u'ils  eurent  perdu  i'cljK'rancc  d'en  être  délivres  par  une  re- 
traite volontaire,  ils  refolurent  de  s'^n  défaire  en  leur  coupant  les  vivres; 
c'cll-à-dirc,  de  renoncer  à  la  culture  duiVîaïs,  &  de  lé  retirer  dans  les 
Montagnes.  Ils  fe  llattoicnt  que  les  productions  naturelles  de  la  terre  y 
fufliroient  pour  leur  nourriture,  pendaiît  que  les  Etrangers  périroicnt  de 
faim,  ou  feroient  forcés  de  quitter  fille.  Guacanagari  même,  qu'on  ccf- 
fa  de  ménager,  ik  qui  fe  vit  forcé  aux  travaux  les  plus  huniilians,  pour  fa- 
tisfaire  l'avarice  de  fes  Allies,  ou  pour  fournir  à  leur  fublillance,  fuivit 
l'exemple  des  fugitifs.  Cette  réiblutioa  defefperée  produilk  une  partie  de 
l'effet  qu'ils  en  avoient  attendu.  Les  Conquérans  de  l'Efpagnole  retombè- 
rent bientôt  dans  le  même  excès  de  milerc,  qui  les  avoit  déjà  réduits  à  fe 
nourrir  de  ce  que  la  IVature  a  de  plus  révoltant.  Mais  les  Indiens  n'en  ti- 
rèrent pas  d'autre  fruit  pour  eux-mêmes,  que  de  fe  voir  pourfuivis  par  des 
Ennemis  alfamés ,  (]ui  ne  leur  firent  aucun  quartier,  ou  qui  les  forcèrent  de 
-fe  tenir  cacluis  dans  des  Cavernes,  fans  oljr  faire  un  pas  pour  chercher  leu"* 
nourriture.  On  ailurc  que  la  faim,  les  maladies,  &  les  armev  di.o  C.illii- 
lans  firent  pér-r,  en  peu  de  mois,  la  troitièmc  partie  des  lîàl:i::ins  oe  lii- 
le.  (iuaeanagari  eut  le  même  fort;  &,  pour  récompenfe  de  tant  de  !Lrvi- 
ces,  q!''il  avoit  rendus  à  l'E.rpagne,  les  ililtoriens  ont  noirci  la  niémoirc 
par  les  plus  odieufes  aecufations  (  j). 

Pen- 


(ly)  lU'rr^ra,  Liv.  2.  C'uap.  14. 

iq)  Ov'olo,  /./:•.  3.  Cbap.  2. 
()•)  M;u-i,T,  IXcad.  I.   /./•:',  4, 
(f)  OwAv  lo  iv'j.vofl'.c  Je  traliifun,  Ovic- 
(!o  le  cIui!,;l'  cn:ii  aiFroii.\  crijort:-  '.ciit  pour 
!■  ;  plui   laits  débuiichos.     Il    .iVuit,  dit -il, 


certaines  femmes  ,  avec  Iciquelles  il  pre- 
noit  le  plaifir  des  vipèivs  ;  t^v  pour  cxpii- 
cation  il  ciic  Albert  1>  Cîraiv.l,  au  Livre  18. 
lie  kl  Pn>pri  té  des   chorv.s  ;    au  /.reivi2. 

(7.7!/i.  y.  C.  PliiK',  l.lv.  10,  Ch'i'.  62.  Ovic- 
do ,  Lh\  5.  Cù.;;i.  3. 

II   2 


CiUM'iTorir» 

C'il.OM,:. 

11.  VoyiiL'i:. 


Ca.onibo  t\- 
l'irc  l'un  Vxixc 
^  i-i   \tn!jc:;'!- 
ee. 


D'.uuies  II"' 
leiL'S  {c  Kii- 
rert  dans  les 
JMoiiL-'.gnci. 


T.cnr  di  fff- 
poir  cil  aufîl 
iurcfte  à  eux- 
iiièmc^  qu'aux 
C.ilUil-uis. 


-^      PREMIERS      VOYAGES 


Ci!Ri?Toriir 

11.  Voyart. 

1495' 
RlFct  des 

flr.int.s  Je 

lie  l'.oy! .  à  la 
Cuir  (.1  Ei\'A- 


îcnn  J  Art  a- 
l'o  (.it  cnvoyj 
.;  rr,r(  n:;r.()Ic, 
avcclaqa^iKté 
ticGi.i'.'.nifrii- 
>t'v,l>.'  la  Cu.ir. 


îî  .V  co;;Ju, 
irtiprudc.n- 


fii^c  cicl'Ar.ii- 
ral 

inf  iv.v.-v  con- 
lic  li.i. 


Pendant  ces  tragiques  avaiuiircs,  Hoyl  Ci:  Margarita  ctoicnt  arrives  x 
h  Cour  d'Ki pagne ,\\:  f^ituieui  raentir  leurs  plaintes  contre  l'Attiiral  c\: 
Ils  lieux  Krères.  Ils  traituient  de  clùm>-r(.s  tout  ce  (lu'on  avoit  public  de  h 
dec<uivcrtc  des  Mines  d'or,  ils  accalbiciit  l'Amiral  d'nnprudLncc,  d'or- 
gueil, cS:  decruauLc;  tS:  n'épargnant  pas  même  Ils  intentions,  ils  lui  rc- 
proehoient  de  cotupter  pour  rien  la  vij  des  Callillans,  qu'il  avoit  cmplo. 
ycs  aux  plus  vils  travaux,  &  qu'il  avoit  crluite  abandonne^'s  pendant  quatre 
inofs ,  pour  aller  découvrir  de  nouvelles  'i'^rrcs,  ou  des  trtiors  <|ui  ctoicin 
demtiircs  apparemment  daiis  les  coUVls.  C'n  avoit  rcyu  ,  d'ailleurs,  au 
premier  retour  de  'l'orrcz,  des  l^cttres  particulières  de  quelques  Mecon- 
tens,  qui  n'avoicnt  pas  fait  une  pcimurL'  a\ant.igture  île  la  conduite  des 


C'ilombs.     (Cacique  pré 


vcntion  que  le  Rui  Ci  la  i\tinc  ciiHent  en  leur  /: 


veur  ,  il  ctoi:  diilicile  de  rélilUr  à  tant  de  preuves.  _  Leurs  Majeilcs  p 


iri- 
or- 


rent  le  parti  d'envoyer,  à  l'Elpagnule,  un  Commiliairc,  charge  de  I 
dre  vague  d'approfondir  la  vérité,  iS:  d'une  limple  Lettre  de  créance  pour 
le  faire  relpeàLT.  Cette  voye  leur  pa'uc ,  av.c  raifon  ,  la  plus  pruden- 
te cS;  la  plus  l'ùre  ;   mais  elles  fe  trompèrent  nalhcureulcment  dans  leur 


choix. 


Jr.AN  d'//c.W';,  qui  fut  honore  de  Lur  confiance  pour  Cêfte  Commifllop, 
étoic  un  efpric  vain,  qui  s'enil.i  trop  d'une  faveur  a  lajuelle  il  ne  s'étoit 
pwint  attcnàu  (t).  Il  arriva,  au  Port  d'Ifabelie,  vers  la  fin  du  mois  d'Oc^ 
tûbre,  lorfcjue  l'Amiral  étoit  occupe  à  terir.in.r  (]UeKjUeS  nouveaux  niouvc- 
m.iis  dans  la  Province  de  Àlnf^;:.,!:.-;.  L'AdeiaiiiaJe  commandiit,  dans  l'ab- 
fence  de  fon  Frère.  Aguado  le  traita  d  abord  avec  beaucoup  de  hauteur. 
il  employa  même  les  menaces;  &,  fous  prétexte  d'écouter  les  plaintes  qu'on 
avoit  a  faire  contre  IcCiouvcrnement ,  il  prit  uneaut(<ritè  qui  exce.loit  beau- 
cviip  fes  pouvoirs.  Enfuite,  tt.mt  parti  pour  cb.eivher  l'.Amiral,  il  publia, 
dans  fa  route,  qu'il  etoit  venu  pour  faire  le  procès  aux  Colombs,  eV'  pour 
tn  délivrer  la  Colonie.  Ses  gens  le  reprefuuoicnc,  aux  Indiens,  comme 
un  nouvel  Amiral  ,  qui  devoit  tt;er  l'autre;  &  ce  bruit  fut  répandu  avec 
tant  d'alilcbition,  que  plulleurs  Caciques  en  prirent  occafion  de  s'all'em- 
bler ,  pour  tirer  parti  de  ce  changement.  Aguado  n'alla  pas  loin  fans  ap- 
prendre que  l'Amiral ,  rappelle  par  un  Courrier  de  fu!>  l'rere,  ttuir  rentre 
ilans  Ifabelle.  Il  y  retourna  aulli-iut;  Ci:  fa  fuite  ayant  été  gruOie  par  tous 
lesMicontens,  il  y  entra  eomme  en  triomphe.  Sa  CummiMion  fut  procla- 
mée au  lun  des  trompettes.  L'Amiral  aida  lui-même  à  la  iblemnite  de 
cette  publication,  C^,  fe  prèfentant  au  Cummili'aire,  il  l'ailura  d'une  fou- 
miffnn  abfolue  pour  les  ordres  de  Leurs  Majellcs.  Audi -tut,  les  infbr- 
iiiitions  lurent  commencées  dans  les  plus  rigoureufes  formes.  Indiens  eV 
Ccitl.ilans,  la  plupart  faiiirent  arden.nunt  ruccalion  de  pt-rdre  des  lùran- 
gers  qu'ils  n'aimoient  pas,  Ci:  que  la  Cour  fembioit  abandonner.  D'ailleurs 
les  plaintes  ètoient  bien  reçues,  Ci:  la  faveur  du  Commillairc  fe  déclare  it 
ouvertement  pour jes  plus  graves.  PenJant  cette  humiliante  cérémonie, 
l'Amiral  fe  conduifit  avec  une  modération, dont  on  ne  l'auroit  pas  cru  capa- 
ble.    11  défera  tous  les  honneurs  à  fon  Adverfaire.     11  foufirit  paticnmunt 

fin- 
(0  Cé'tMit  un  des  Maitrcs  dllôiel  t'..  L  Rànc. 


Knfolenc 
«fcms  ioni 
d'un  halij 
Enfin , 

VauLoriti 
expliqué! 
Ai'ivi.s| 

en  Eip  H 
soient  ai 
les,  que] 
choix 

,  l'autre, 
leur  reni 
qu'ils  lui 
Callille  . 
L'Amir.i 
les  droit 
vernenu 
lé,  fut  1 
en  dllVei 
de  f  i  m 
devnr-  e 
ConllaiK 
abondai! 
nouvelK 
leur  lire 
cnirèrei; 
vière  i'^) 
.  d'or  Ci: 
frit  une 
qu'il  fit 
&  es  , 
d'imme 
dans  la 
priiuip: 
aarolen 
de  fes  ' 
&lêur; 


(V)  C 

(  ^'  '  ' 
,,  Cîcriul 

,.    foîVK: 

,,  orJ.re 
,,  nôtre 
,.  de     II 


..  dr.d  I 
C'.ay    II 


EN      AMERIQUE,    L  l'v.  I. 


Cl 


nrrivcs  % 
Amiral  c\: 
iiblic  de  k 
»<-'*-',  d'or. 

Is  lui  rc- 
'it  cniplo. 
iiit  quatre 
ii  ctoiciî; 

^■iTs  ,  au 

liuitc  des 
leur  fa- 

•■'^<-'S  prj. 

de  l'or- 
iicc  pour 

prcd^n. 

ans  leur 

inii(îîo:7, 
-  s'etoir 
is  d'Uc- 
niouvf 
ins  l'ab- 
lauccur. 
-S  (ju'on 
'it  beau- 
pubiia, 
^.'  pou: 

(I   a\'cc 
l'alîlm- 

uis  ap- 

r(.ntro 
ir  lous 
procla- 
11  Le  de 
le  fuii- 

infwr- 
cns  eV 
iùran- 
iillttjrs 
«:,'ar(  iL 
nonie, 
i  cap.i- 
luiunt 


Finfolcncc  de  fcs  reproches.  11  afTcda  même  de  la  trifl<.nV  0;;:  de  rcmbair.is 
^ns  Ion  exiciieur,  juRiu'à  lugligcr  les  cheveux  &  fa  harhj,  cV  (e  revc'ir 
d'un  habic  de  deuil,  qu'un  llillorien  nomni':  un  liul)it  j!,iis  de  Moine  (o). 
Enlîn,  luin  de  relever  les  r.iulles  démarches  d'Aguadu,  il  ne  eonlidera  que 
VauLorite  donc  il  tenoit  fes  pouvoirs,  (juoiqu'jls  ne  fulieiu  pus  clairemenc 
expliqués  (.v)  dans  fus  I.etLres. 

Ai'Ki.s  les  iiijoiinations,  lorfque  le  Comniiflaire  le  di'ptjfoit  à  retourner 
enElpagne,  un  lurieux  ouragan  brifa,  dans  le  Port,  les  Navires  qui  Ta- 
C'oieni  apporte.  Il  n'en  relluir  pas  d'autres,  aux  Indes,  (jue  deux  Caravel- 
lies,  cpie  l'Amiral  avoit  fait  conflruire  de[»uis  peu.  Il  oiVrit  noblement  le 
choix  de  l'une  des  deux  à  l'on  Adverfaire;  mais  il  déclara  iju'il  monieroit 
l'autre,  pour  aller  plaider  l'a  eaule  au  'l'ribunal  incorruptible  de  fcs  Maîtres, 
leur  rendre  compte  de  l'es  nouvelles  découvertes,  Ck.  leur  donner  les  avis 
qu'ils  lui  avoient  demandés  fur  la  Ligne  de  jiartage  entre  les  Couronnas  de 
Calliile  tS:  de  Portugal.  Agua.Io  n'ola  combattre  une  réfulution  11  l'erme  (v). 
L'Amiral,  C'intinuant  de  lui  tain'er  de  vains  honneurs,  n'en  retint  pas  moiiis 
les  droits  el]eiuiels  de  fa  dignité.  11  confia,  pendant  Ion  ablence,  le  (îou- 
vernement  général  à  les  deux  l'rères.  Roician,  dont  il  connoillbit  riiai)i!e- 
lé,  fut  nomme  Chef  de  la  Jullice.  Plulîeurs  l''orteren'es,  qu'il  avoit  bâties 
en  diiVerens  lieux,  puur  contenir  les  Caciques,  reçurent  des  Commandans 
dcfamiiii;  fur-tout  C-'lle  de  Aï  C(';;rf;)r;o«,  dans  la  J^laine  de  la  Vega,  ciui 
devait  enlliite  unj  X'ille  conllderable.  L'avis  qu'il  reçut,  dans  les  mêmes  cir- 
conllinces,  qu'on  avoit  découvert,  au  Sud  de  riHe,  des  Mines  d'or  fort 
abondantes,  lui  fr.  rui'pendre  fbn  départ,  pour  éclaircir  cette  importante 
nouvelle.  Il  y  ( nvoya  l'uvay  &.  Diaz,  avec  une  efcorte  e:^:  des  Guides,  qui 
leur  lirent  tr.n'erfer  la  Vcga-Real,  d'où  payant  entre  des  Montagnes,  ils 
entrèrent  dans  une  autre  Piaine,  (jui  les  conJuilît  au  bord  tfe  la //« y>;iî ,  Ri- 
vière fort  poiirjnncule,  où  quantité  de  KuiiTeaux  apportoient  un  mélange 
.  d'or  e\:  de  fable.  La  terre,  qu'ils  liront  ouvrir  en  divers  endroits,  leur  of- 
frit une  abondance  de  grains  d'or.  L'Amiral  n'en  fut  pas  plutôt  infornié, 
qu'il  fit  conltruire,  dans  ce  lieu  ,une  Forcertire,  qu'il  uomun  Saiut-Chrijlapkc  ; 
ai.  cjs  .Mines,  auxquelles  il  donna  le  mémo  nom,  fournirent  long-tems 
d'immenles  richeires.  il  ne  pouvoit  riiii  arriver  de  plus  heureux  pour  lui , 
dans  \\\  litvU'ion.  Cette  nou\'elle  décou\-erte  fulîil'oit  pour  faire  tomber  la 
principale  accul'ation  de  les  Ennemis;  <i,  ([uand  leurs  autres  reproches 
.  auroient  ete  mieux  fondes,  il  nignoroit  pis  qu'on  obtient  grâce  a;''enKnt 
de  fcs  M.v'tres,  lorlqu'on  leur  apporte  le  lecreC  d'augmenter  leur  pitillance 
&  leurs  trelbrs  (z). 


(-.■)   0.-ic:lo,    r.'V.   2.   Cl'ip.  !-„ 

(.VI  lL-rr.T:i  tS:  Ovicdo  les"  r:ippr)rtenf  : 
„  (îcr)iu-;iioni:ncs,  Kcuyers ,  &  ;uitrcà  Pcr- 
,.  foivK^.  q.:i  Ctf'i  diiis  l«'s  Indes  par  rn'irrc 
,.  orJ.rc,  N()'.;s  v.)'!>;  uivoy'oiis  Jean  y\iîuuJo 
,,  nôtre  i\iji;re  li'ilùie',  qui  vous  parlera 
,.  de  nôtre  pnrt;  i\  Nmis  \oiis  niandu:ii 
,,  d  •.■('ùrcr  fil'  .1  ii-  qu'il  voih  d:.-;i.  A  .M;i- 
.,  drid  le  y  d  Avril  U';^'-  i  lerrcra ,  Lrj.  2. 
Clu[>   j8.  Ovioeo,  uiij'ip.t. 


Les 

(y)  Draitrrs  rncnntcnt  que  ce  fut  pir 
l'orJrj  du  Coir.miiraire,'  qu'il  fit  le  \'oy;i;;e 
d'l''J'p:i;^ne;  nv.ib-  on  ?'en  tient  uu  récit  d'JL'r- 
rer.i,  qui  a  d'autant  plus  de  vraifenihiaiiCc 
qu'AguaJo  n'avoit  pas  cett;,'  autorité  ,  «Nt 
n'auroit  pas  dà  en  ufer  pour  fun  propre  ia- 
teret ,  quniJ  il  l'aur jU  eue. 

(s  ■  II-Trera,  Cia[>.  ib.  Hitt,  de  S.uiit- 
Doin:n::ue,  Li'ù.  2.  {(ig.  lë:'. 


CiiRi'Tfrni 

(.'(.II. "M!!. 

11.  Vwy  i--. 
1  \^J5' 


i, 'A  mira! 
]  rend  l;i  n  To 

Ultioll  d'util  1 
le  ;u1!i!i?r  i  11 

l''.ipa(;ne. 


Ordre  qu'il 
nv.l  dans  ia 
Culouie  avant 
ion  dcpair. 


Il  lait  dé- 
Ci)iivrir  les 
A'ine-  de  St. 
Chrill'jplK". 


II 


Jl.  \'0)1l,\'. 

I  49  (?. 

s  )M  l'cp.irt 
pour  i'Iùi!.i> 


J 


"1  i\  : 


iw..n;i..i:i:c. 


62        r    R    E    M    I    E    R    s      V    O    V    A     c;     K    S 

Lus  ilciiA  Caravelles  mirent  à  la  voile,  le  lodcMars  ^149^.  L'Amirr; 
fit  embarquer,  tlans  lafiuine,  environ  deux  cens  vingt  Kfpagnols,  les  plus 
pauvres  6:  les  plus  infirmes  de  la  Colonie,  que  hurs  l-'cmmcs  6:  leurs  l'j. 
rens  avoicnt  redemandes  a  la  Cour,  «5s:  (|uc  les  bons  traitcnicns,  dans  !,• 
cojrs  de  la  na\i.a;atloii,  dirpolcri^nt  a  prendre  i-arti  p  jur  lui  contre  A^^iu- 
do.  li  le  fu  aceompagncr  de  l'Avulan'ul:,  jul'iu'a  l'uerto  de  Plata,  (jui, 
voUi'oit  viùter  avee  Un,  ilans  le  dcllein  il'y  bâtir  une  Ville..  1  •ifiùtc,  \)\. 
nanr  conj;é  de  Ion  l'rère,  qui  retourna,  p,ir  terre,  à  la  Colonie,  il  fit  gou- 
verner à  1  lCll,'vjr^  l:  Cap  il'Kni^ano;  Ci;  layant  linuble  le  'JJ,  il  abonla  le; 
a  Mariai;:!. mie.  Ma'iS  la  tiillieultc  d'y  l'aire  de  i'eau  eS.  du  buis  l'oblii^ea  d\\\- 
Lr  mou'.iier,  le  jour  fiuvant,  à  la  CoiaJeluupe.  Sa  furprifc  fut  extrême  d"v 
v>)li  le  rivage  borde  d'un  i^rand  nombre  de  Icmmes,  arnices  d'arcs  vîi:  de  lit. 
ches,  (i;i  s'oppolerent  à  rapproche  de  les  Barques.  Deux  Indiens,  de  tren- 
te qu'il  avoir  amenés  de  riit'pignole.  Ce  jetterent  à  la  nap;e,  p  jur  averti: 
ii.ii.  liTc- uj  cettj  troupe  d'Amazones,  qu'on  n:'  penibit  p<)int  à  leur  nuire,  eX;  qu'(jn  Pu 
J.ur  demancioit  que  des  vivres.  Kiles  répondirent  (jue  leurs  Maris  etoient 
de  l'autre  coté  de  rjl'ie,&que  e'ctuit  à  eux  ijuil  ialioit  s'adrcU'er;  Oie  voyan: 
i, 'je  les  jj.n-ques  n'ava;i<;oien:  \\\i  moins,  elles  tirèrent  une  nuec  de  llec'hco, 
dont  perfonne  ne  fat  bleiVe.  Un  les  lalua  au'li-tut  d'une  deciiarge  d'annii- 
baies  il  croc,  qui  Ls  mirent  en  fuite.  Les  Calliiians  entrèrent  dans  l'Iil:', 
fans  être  lurs  (juj  ce  ne  fut  pas  la  'l'erre-ferme.  Ils  y  trouvèrent  de  trcs 
j^ros  rerrocjiiLts,  djMiel,  de  la  Cire,  i^  q'.iantité  de  ces  Plantes,  dwnt  Ls 
Lifuliires  faifoicnt  di  Pain,  vS:  qu'ils  nominoient  ('(i^îZ'/,  iVoii  les  l'rançcu 
cnt  fait  Ciijf.iic.  Un  Detaeliement,  qui  fut  envuye  dans  K  s  Terres,  ame- 
na quarante  fenimcs,  entre  lelquelles  etoit  l'Kpoule  du  Cacique,  qu'<in  n'a- 
voit  pas  eu  peu  de  pei'.ie  à  joindre  dans  fa  fuite:  lorliju'elle  s'etoit  vue  pref- 
fee  pur  celui  qui  la  pourfuivoit,  elle  s'etoit  tournée  tout  d'un  coup  ;  A 
l'ayaii:  Paifi  de  Ils  ticux  bras,  ell.-i'avoit  renverle  avec  tant  de  fucccy  que 
fans  le  fecours  qu'il  reçut,  il  confeila  qu'elle  l'aur-it  etoUiVe.  Cepencl.n: 
les  cartlles  (S:  les  préfens,  qje  ri\miral  fit  à  toutes  ces  femmes,  établir;  ' 
bientôt  la  confiance  (!;!:  l'ami'j' .  Llles  procurèrent  toutes  fortes  de  rai"  .  ■ 
chliT,nieiis  aux  deux  Caraveli.s,  pendant  neuf  jours  que  les  '.'allillans  pa::".- 
rent  dans  l'iile;  &  lorfqu'ijn  remii  à  la  voile,  l'Kpoule  du  Cacique  ofirit  J. 
s'embarquer  avec  fa  1  ille,  pour  fuivre  l'Amiral  en  Eipa^ne  (a). 

On  continua  de  porter  à  l'Ivl.  \ms  avanc.r  guères  au-delà  de  vingt-Jjux 
degrés,  parce  que  l'expérience  r.'avoit  point  encore  appris  (ju'il  cil  ['aï 
lur  cS:  plus  court  d'aller  jufqu'aux  trente-deux  il  plus  loin,  pour  éviter  li- 
rudes  vents  d Mit,  ijui  fouillent  prefque  toute  fanu^e  dans  cette  Mer.  Aiii!l 
h  navif,ation  fut-elle  fi  hngue,  qu'elle  cxpijfa  les  Calliiians  à  foufiVir  b.a;.- 
coup  de  la  faim.  On  ne  deeouvnt  point  Ii  Te.re.  avant  l'onze  de  |ui.i. 
L/imnid  la  reconnut  pour  le  Cap  d^  caint- Vincent,  contre  l'opinion  d.s 
Pilotes,  qui  le  croyr>icnt  à  la  vue  des  Açore.^.  Kn  enti.mt,  le  lendemain, 
dan.;  le  Porc  de  Cadix,  il  y  r  .  uva  trois  X'aifleaux  prêts  à  faire  voik , 
av.c  des  vivres  eS:  des  mani:i..ns  pour  rEi'pagnole;  &  n'ofant  ks  arr:- 
ter,  -«-.es  avoir  vu  les  ordres  du  Koi,  il  eut  du  moins  le  tems   de  fin'': 

cet:- 
(3)  IL:rji:i.  Llv   •;.   C,  o.  i. 


de  h  r.uvi. 


Il  •;,r;v> 


en 


cette  oc( 
de  l'es  V 
,    II,  le 

Îenieiu 
ilion,  o 
à  Loredi 
fa  Fille, 
reur  Ma^ 
cefl'c  M- 
pagne, 
tvec  aut. 
minel , 
d'Aguac 
des  eloi 
Ua:ns 
rieufeine 
demanda 
munition 
dres.     C 

étoit  qu. 
à  l'aveui 
fer,  dan 
de  quara 
•en  or ,  c 

auxquels 

mois,  dt 

.  boil1'eau.> 

{loiir  viv 
'inllrucl 
pour  c<J!' 
de ,  iS:  y 
Joueurs 
re  aux  r 
être  ent 
d'en  me 
qui  voUv 
Hotte, 

3u'ils  p< 
eja  pri 
d:xie;ne 


(  i>  )  1-' 
pui  Luntr 
ccuc  d,!',! 
„  d'or  ri 
„  les.  Ml 
„  que  di, 
„  li  Ivur 


s 


E    N      A     ]\I    E    R    I    Q     U    r,   1. 1  V.    l 


C- 


ï-'Amirr; 

^»    le:;  |ilu5 

:  iciii)  l'.i. 
s,  u.ins  !,' 
itrc  Agiu. 
'I.na,  (jui 

il  lit  ^<ju. 
tK>riIu  le 9 

tremc  cFv 
vii:  (le  lie. 
»  lie  trcn- 
T  a  vert:: 
qu'(jn  r.. 
:3  etoicnt 
Oc  vovanr 

'  d'ariiiL. 

/is  rii],, 

t  de  tr.s 
d(»nt  '.s 
l'ran<;-(  ij 
:s,  amc- 
u'oii  n'a- 
'ûc  prci' 

'ce,  que 
pend.n: 

tablirt-t 
e  Tà\  .  ■ 
ns  pa;;".- 
oiiVit  J. 

clt  1  u. 
l'iter  iL 
•r.   Ai:::; 

ir  b.i  .• 

Je  jui:. 
lion  J.-s 
lcrnai:i, 
voik' , 
ls  arr:- 
Je  \\i\'  ;■ 
cct;c 


cette  occafi-n  pour  animer,  par  Tes  Lettres,  le  courage  u  la  conQan:c 
de  les  i'rères. 

,  II,  le  reiuiit  à  Ikirgos,  oi'i  Leurs  Majcne;>  Catfioli'jues  (c noient  orilinai- 
TCmeiit  leur  Cour;  mais  il  n'y  trouva  ni  le  Roi,  qui  é cuit  occupe,  en  Rouf- 
hllon ,  d'une  (îuerre  contre  lu  i'rance,  ni  laH.ine,  (]ni  s'icoit  trjnfportée 
àLoredo,  pour  ordonner  les  préparatifs  du  X'oya.'^e  A.-  l'Infan''.'  Jeanne, 
fal'"ille,  qui  alloit  cpouf'er  en  l'iandres  l'Areiiiduc  i'Iiilippo,  l'il^  deÏKirpe- 
reur  MaxiniiJien.  A  leur  retour,  ils  vinrent  attendre,  à  lUiigos,  la  t'riii- 
cefTe  Marj^ueritc,  Sœur  de  rAreliiduc,  qui  dévoie  cpoufer  le  l'riiice  '..'ï.\'- 
pagne.  L.s  circonllanees  étoieiit  heureule.';.  Colomb  parut  à  l'Audijnce 
avee  autant  de  fermeté  que  de  motieflie.  J^oin  de  le  traiter  comme  un  Cri- 
minel, doiK.  on  attend  l.s  judillentions,  on  ne  lui  parla  ni  des  informati^iiis 
d'Aguado,  ni  des  aecufations  de  Doyl  Cv  dy  IMargarcta.  11  ne  reçut  que 
des  éloges  &  des  remereimens,  pour  fjs  nouveaux  ferviejs  (/;). 

Dans  la  joye  d'un  accueil ,  qui  couvroit  les  Ivmemis  de  honte,  il  fit  glo- 
rieuleineut  le  récit  de  les  découvertes  ;  (ic,  proi>o!ant  de  les  cintiinur,  il 
demanda  huit  Vailleaux,  dont  il  dellinoit  deux  à  jiorter  des  vivres  C\:  des 
munitions  à  la  Colonie  d'Ifabeîlc,  «le  les  ^\x  autres  à  demeurer  fous  Ts  or- 
dres. Cette  demande  lui  fut  accordée.  Knfuite,  ayant  rcpréfenLe  qu'il 
étoit  fjuellion  de  former  un  lùablillemeni  folide,  qui  pût  llrvir  de  modèle 
à  l'avenir  pour  d'autres  Colonies,  il  obtint  que  Leurs  Majelles  feroic'U  paf- 
fer,  dans  î  Lfpagnole,  un  Corps  de  recrue  de  trcjis  cens  hommes,  compole 
de  quarante  Cavaliers,  cent  FantalTins ,  Ibixante  jMutelots,  vingt  Ouvriers 
en  or,  cinquante  Laboureurs,  Oi:  vingt  Artiihns  de  dillercntes  proferiions, 
aux  juels  on  joindroit  trente  femmes;  que  le  fond  de  ler.r  lolde  feruit,  par 
mois,  de  foixante  TvLiravedis,  de  ^\\\n  llanega  de  blé,  qui  revient  à  Tx 
boiileaux  d..-  l'iance,  &  que  par  jour  on  leur  donneroit  quatorze  iMar.ivedis 

fjo'tir  vivre;  qu'on  eiiverroit  dj.s  Religieux,  pour  leur  Service  divin  es:  pour 
'inilruclion  de.s  Iiivliens;  des  Médecins,  des  Chirurgiens  ci:  des  Apoiieaires, 
pour  conno'ire  la  nature  des  maladies,  qui  avoient  emporté  tant  de  nion- 
de,  cSl  p 'ur  en  chercher  le  re:r,ède;  eniin,  jufqu'à  d.s  MuficiLns  «S:  des 
Joueurs  c'iml.imKns,  pour  bannir  la  triftelle  qui  faii:  ordinairement  la  guer- 
re aux  nouvelles  Colonies.  Outre  les  trois  cer.s  perlennes,  qui  devuicnî; 
être  entretenues  aux  dépens  de  Leurs  ?\Iaj.lles,  ry\niir;d  eut  la  pcrmidion 
d'en  mener  cinq  eer..s  a  ils  propres  fiaix.  Il  ^\.\t  permis  auùi,  à  tous  ceux 
qui  voddroieni  palier  aux  In. les,  fans  aucune  Iblde,  de  s'embar.juer  fur  !a 
ijoîte,  avec   cet  avantage  léduifant,  qu'ils  auroient  le  ti.rs  de  cou:  l'rr 

3u'iis  pouiroieni  découvrir,  dans  d'autres  Mines  que  celles  dont  on  avc'ic 
eja  pris   pojlélli.;n,    &    qu'ds  ne  payeroient,  à  Leurs  JNLajeltes,  que  le 
dixuiiie  de  tous  Ls  autres  profits  du  Commerce. 

'l'ot;- 


(  b  )    L,T  VÊ!' 

put  ciintri'HKr  a 
Cette  d.r,iu(iu\i;i. 


lU'i  nt  iclics  qii  il  rnpporto:t 
.  il. .'tire  Leurs  Miijdics  (.'ans 

,,.w..w, ,.  lîIi-iirlU  un  riche  preiciit 

„  d'fir  :i  fonJiv-,  Ici  qu'il  s'ctoit  trouvéd:ms 
„  les  Miiics,  cuiiipul'é  Je  (^r;Mi;;i  \m\\\  :,ros 
,,  que  des  pois,  des  tVivcs  &  même  de^mux. 
„  li  K  ur  donna  iiuaniilJ    de  Pciruqueir; ,  il:':. 


,,  de  inaf(]acs,  dont  les  yeux  (Tclenozéti-'ici!!: 
„  d'or,  (k  d  autres  riiretis  des  Indjs".  //•.•- 
rfri,  Liv,  3.  G).î/..  I.  M.ircvr  tuUir.  (ju'il 
vit  &.  qu'il  touciia  de  ils  inaiiis  un  lin,;v'i  -ic 
vin^t  onces ,  6t  un  morceau  d'a'.ii'.re  (ji!  'A 
avoit  peii'.c  ;;  ibutcnir.  Dccid.  i,  l.ij.  4, 


rîmi^Torrii 

^.cil.i  Mil. 

li.  Voy;rc. 
I  4  y  ('». 


Co'.timtit 

.1  cflreÇtl  tii* 

laCi-ur. 


Dctnaiidc 
r:\  il  y  l'a!\ 


Or.ir.s   l'c 
R6.;le'inens  de 
l.cins  Mu 
ieftes  i  uur  !a 
nouvt  \',L  Co- 
la,;.e. 


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1.0 


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11.25 


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■  2.0 

^1^ 


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Hiotograidiic 

Sciences 

Corporation 


23  WBT  MAIN  STMIT 

WIBSTM,N.Y.  145S0 

(716)  872-4503 


CiiBi>Toriir. 

Jl.VoyiMc, 
I  49  (5. 


64       P    11    E    INI    I    E    R    S      V    O    Y    A    G    E    S 

Toutes  ces  mcfuivs  ctoicnt  fligcs;  mais,  comme  on  ne  pouvoit  fe  pro. 
mettre  do  tiouvcr  buiucnup  cIj  Vclontiiircs,  qui  fuilcnt  ilirpofcs  à  fc  tranf- 
porter  aux  Incita  pour  y  palV^-r  toute  leur  vie,  lur-fo;it  depuis  le  retour  do 
ceux  qui  n'en  avoii-nt  rapporté  qi'une  couleur  lividj  &  diverfes  fortes  de 
maladies,  l'yAmiral  propola  de  changjr  la  peine  des  crimes,  à  l'exceprion 
des  plus  noirs  (<:),  dans  un  exil  perpétuel  aux  nouvelles  Colonies.  Sur 
cette  ouverture, qui  i\r  approuvée, on  llatua  que  les  Criminels,  quiavoienc 
mérité  la  mort,  lervircicnt.  djux  ans  ians  gages,  *5!i  les  autres  une  année 
jeulemcnt;  après  quoi,  ils  feroient  à  couvert  de  toutes  les  pourfuites  de  la 
Juflicc,  fans  autre  condition  que  d^  ne  jamais  retourner  en  Europe.  D'un 
autre  coté,  l'ordre  fut  donné,  à  tous  les  Tribunaux  d'Efpac^ne,  de  condam- 
ner déformais,  au  travail  dts  Mines,  ceux  qui  avoient  mérité  quelque  puni- 
tion équivalente.  Ces  tieux  llèjjlemens,  qui  reçurent  le  «Sceau  de  l'autorité 
foiiveraine,  le  22  de  Juin,  à  Médina  delCampo,  répondirent  mal  aux  cfpc- 
ranees  de  l'Amird.  Ils  eurent  des  fuites  fàclîcufes,  qui  ne  dévoient  point 
cehapper  à  ù  péiierration  ,  vîv' qui  ont  fiiit  jui^er,  à  quelques  lliltoricns,  qifil 
s'etoit  laiife  tromper  par  cie  mauvais  conteils.  Ee3  nouveaux  Ktats,  remar- 
que un  d^s  plus  judici'^iix  ,  doivent  être  érab'is  fur  de  meilleurs  fondc- 
mens  (  /).  C\'ioinb  obtmt  aulli  le  pouvoir  de  dillribuer  des  terres  à  ceux 
qui  feroient  en  état  de  les  cultiver  ^i  d'y  bâtir;  avcc  releive  d^s  droits  du 
Siuverain ,  fur  l'or,  l'argent,  &  les  autres  méraux.  Enfin,  la  Keine,  ([ui 
s'attribuoit  juftenKnr  i'honneur  des  premières  entrcprifes,  qui  avaient  con- 
duit fnn  Amiral  à  la  découverte  du  nouveau  Monde,  fit  publier  une  défenfe 
de  paifer  il.uM  les  InvLs,  pour  tous  ceux  qui  n'etoicnt  pas  nés  Sujets  de  la 
Couronne  de  Cailille  ;<■).  Cependant  il  paroît  (jifeiie  joignit,  au  motif  do 
ia  gloire,  celui  de  faire  fitisfaction  à  l'Amiral,  fur  la  conduite  èi:  les  dif- 
cours  de  iioyl  &  de  Margirica,  dont  le  premier  etoit  Catalan,  &  l'autre 
Sujet  de  la  Couronne  il'Arragon.  I,es  llifori^ns,  qui  lui  attribuent  ce 
deffein,  ajoutent,  que  l'Amiral  fut  foup<,M;mé  de  l'avoir  obtenue,  com- 
me une  recompenfe  de  fcs  l'erviccs:  mais  il  ne  porta  pas  plus  loin  la  ven- 


geance. 


t:!. 


Les  Vaiffeaux,  qu'il  avoit  rencontrés  à  Cadix  ,  ayant  achevé  leur  Voya- 
'c,..it  tics  in.  gc  au  commencement  de  Juillet,  l'AJclaniade,  encouragé  par  la  m^uvclle, 
i.:'  r.ifions.li.'  qu'il  avoit  rctj'ue  de  l'arrivée  de  fon  Frère  en  Eipagie,  le  hâta  de  les  ren- 
'"•'  ''•*'^''^'*  vover  avec  tie  nouveaux  trefors ,  tS:  trois  ct^ns  luilfaires,  aecuîes  d'avoir 
repris  les  armes,  pour  leù]uels  Leurs   Mij^iLs  avoient  juge  que  la  meil- 
leure punition  étoit  de  les  condamner  à  l'elelavage.     Dans  le  compte,  qu'il 
rendoit  de  fes  opérations  à  l'Amiral,  il  lui  faifoic  fentir  que  If  elioix  du  ter- 
rain n'avoir  pas  été  heureux  pour  fi  \*ille  d'Ifabelle,  Ci:  que  s'il  vouloir  for- 
?t\)\-.-   Il  mer  une  Ci^luiiie  tlu.able,  il    falloir  fongcr  à  d'aiitres  lùaMillimcns.     I.a 
Cour,  à  qui  l'Amiral  {"iz  c.:te  propolition  ,  s'en  étant  remife  a  fes  lumiè- 
res, il  fe  rappeila,  que  dans  iun  dernier  \'o_,age,  en  rangeant  la  Cote  du 

SuJ , 

^c  ;  l,c^  criiViCS  excepte;:  Aircrt  ceux  li'i^tj- 
rt;llc,  d:  lî:/.c-Majcfté,  de  tiahubii,  l'.c  ^^sct- 
à  •,->:rs,co;nir.is  \y.\x  le  feu  ou  !cfcr,  tifraiiue 

inwniK'yc.    de  StKiômic,  (ui   d'avoir   eiiic.t:      fut  ;-:i.s  C(»nù;lu^.     La /ùw'dc",  liit  rililloricu 
(dciuid  d','  l'iJij.iii  hors  ùu  Jloyaume.    ]hr-     U  i<juhiI  ainli. 


aiurc 

fcnici 


;r.-i; 


2. 


ifia,  Liv   2    Chap 
(  d  )  Ibidem, 
(c.  Ibidem,     ii  pnrt)ir  que  Fer.îirunil  ne 


.. 


r. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I. 


^5 


Sud,  il  avoit  remarque  de  bons  Ports,  d'cxcellcns  Pâturages,  &  des  Ter- 
res, qui  lui  avuicnt  paru  fertiles;  fans  compter  que  cette  partie  de  Tlfle 
ne  devoir,  pas  être  fort  éloignée  des  Mines  auxquelles  il  avoit  donné  le 
nom  de  Saiiit-ChriJ'Iophc.  Il  fit  partir  aulTi  tôt  une  Caravelle,  pour  commu- 
niquer ces  idées  à  Ton  Frère,  avec  ordre  de  travailler  inccflamment  au 
tranfport  de  la  Colonie.  Elle  arriva  dins  les  plus  heur^ufcs  circonftances, 
loriljue,  par  d'autics  informations,  I)om  JKirtliclemy  ctoit  à  la  veille  d'exé- 
cuicr  lun  dcff^in  dans  le  même  lieu.  Ovicdo  lait  le  récit  de  cet  événe- 
ment. 

Un  jeune  Arrag^nois,  nommé  Mich:!  Dbz,  le  même  qui  avoit  reconnu 
les  nouvelle^  Mines  avec  Garay ,  s'ctuii  bacai  contre  un  autre  Eîpagr.ul ,  & 
l'avoit  daiigereullment  bleiVé.  (^uoiiju'il  illc  au  llrvice  particulier  de  l'A- 
deluntade,  la  crainte  du  cliÙLimcnL  l'avoit  fait  fuir.  Il  avoit  pris  fa  route, 
avec  cinq  ou  fix  de  fes  Amis,  vers  la  Partie  Orientale  de  riile,  d'où,  cô- 
toyant le  rivage  au  Sud,  il  fut  arrêté  par  l'embouchure  d'un  Fleuve,  fur 
la  rive  duquel  il  trouva  une  iiourgaJe  Indienne.  Les  Ilabitans,  qui  n'a- 
voient  point  encore  été  maltraités  par  les  Elpagnols,  ne  firent  pas  difficul- 
té de  le  recevoir.  Une  Femme,  qui  les  commandoit,  &  dont  on  a  déjà 
parlé  fous  le  nom  de  Cataliua^  qu'elle  ne  prit  néanmoins  que  dans  la  fuite, 
conçut  tant  d'inclination  pour  lui ,  qu'elle  rel'o'uL  de  lé  l'attaclier  par  Çi:s  ca- 
rclTes  &  fes  bienfaits.  Après  l'avoir  traité,  pendant  quelque- tems,  avec 
toutes  les  familiarités  de  l'Amour  (/),  elle  lui  découvrit  des  Mines,  qui 
n'étoient  qu'à  fept  lieues  de  fa  demeure  ;  &,  dans  la  crainte  de  perdre  un 
Homme  fi  cher ,  elle  lui  propofa  d'engager  les  Efpagnols  à  s'établir  fur  Çqs 
Terres.  Le  Pays  étoit  agréable  &  fertile.  Diaz  ne  balança  point  à  faifir 
cette  occallon,  pour  fe  reconcilier  avec  la  Colonie.  Catalina  lui  donna, 
■pour  Guides,  quelques  Indiens,  dont  elle  lui  garantit  la  fidélité.  Ifabelle 
étoit  éloignée  d'environ  cinquante  lieues.  Il  y  arriva  fecrettement.  Quel- 
ques Amis,  qu'il  trouva  le  moyen  de  voir  en  fecret,  lui  apprirent  que  l'on 
Âdverfaire  étoit  guéri  de  fa  blefllire.  Rien  ne  l'empêchant  plus  de  fe 
montrer,  il  fe  prefenta  devant  Dom  Barthélémy,  qui  le  revit  avec  joye, 
parce  qu'il  avoit  regreté  fa  perte,  &  qui  ne  fut  pas  moins  fatisfait  de  fes 
ofl'res. 

Elles  avolent  eu  la  force  de  le  déterminer  à  faire  un  Etabliflement  du 
cote  du  Sud,  lorfqu'etant  confirmé  dans  cette  rcfolution  par  les  Lettres  de 
fon  Frère,  il  partit  aulli-tôt  avec  Dia/.  &  les  plus  robulles  de  fes  gens. 
Après  quelques  jours  de  marche,  il  arriva  au  bord  de  la  Rivière,  que  les 
Indiens  nommoient  Uzanui^  &  dont  il  fut  furpris  de  trouver  les  rives  fort 
bien  peuplées.  Le  Port  étoit  fur,  &  capable  de  recevoir  des  Vaifleaux 
de  plus  de  trois  cens  tonneaux.  Les  Terres  paroiflbient  excellentes,  «îfetous 
les  1  labitans  fort  prévenus  en  faveur  des  Efpagnols.  L'Adelantade  ne  ba- 
lança point  à  tracer  le  Plan  d'une  nouvelle  Ville,  à  l'embouchure  du  Port, 

fur 


CfiRi.noprtE 

Colomb. 
II.  Voyage. 


(f)  Cctic  l'iliiccfTo  Indienne  ,  raconte 
ntttv'UKnt  Ovicdo ,  ,,  mit  fon  :mioiir  c\\  lui , 
,,  6l  le  traita  comme  un  homme  à  qui  clic 
,,  sctt)it  abaniionncc.    Jillc  en  eut  deux  liu- 

XrilLl\irt. 


„  fans".  I/IIifloricn  de  Saint-Domingue 
lui  pr(}te  plu^  de  délicatelTe,  &dit,  ,,<iu'elle 
„  lui  fit  entrevoir  qu'il  ne  cicnJruit  qu  à  li>i 
„  de  l'é[)oulCi:  ". 


Occafioij 

que  Icha.  arj 
ol'iYe  à  Doiu 
Barthélémy. 
Avanturc  de 


Origine  de 
la  Ville  de 
San-Domin- 

go- 


66 


PREMIERS      \'    O    Y    A    G    E    S 


CiiRisToruE 
Colomb. 

II.  Voyage. 

1496. 


Dom  nar- 

ihciciiiy  w'iit 
fouiiKttrc  lo 
Pays  de  Xara- 
gua. 


Succès  i.k 
cctii;  cntrc- 
{■iriff. 


fur  la  Rive  Orientale.     li  y  fit  venir,  en  peu  de  tcms,  la  plus  grande  par- 
tie des  Ilabitans  (l'Ifabelle',  où  il  ne  lailla  (lu'iin  pviit  nombre  d'Ouvriers 


Elle  pri 


t  le  nom  de  Sa  i- Domingo -,  les  uns  dillnc,  du  nom  du  Père  Civs 


trois' Colombs,  qii  s'appelloit  Donùiiiqui  :,  les  autres,  du  jour  où  lAde- 
lantade  v  etoit  arrive,  qui  étoit  la  Kete  du  ce  Saint,  &  tout-ù-la  fois  un 
Dimanclic:  mais  il  paroic  que  l'Amiral  avoic  fouhaité  qu'elle  fût  nommée 
Nouvelle  Iphcllc;  &.  l'on  remarque,  du  moins,  qu'il  ne  lui  a  jamais  donne 

d'autre  nom  (,i,0- 

Dom  Ihrthelcmv  ne  man]ua  point  d'y  joindre  une  FortercfTc,  dont  il  fit 
jetter  les  fondcmciis  en  fa  préfence.  Knluite  ,  laillant  Tes  ordres  pour  la 
continuation  du  travail,  il  forma  le  d.nein  d'un  autre  Voyage,  à  la  Cote  de 


compte  d  abord  lur  1  éloigne 
mé  par  la  fondation  de  San-Domingo,  qui  lui  apprcnoit  avec  quelle  faci- 
lité Tes  Ennemis  pouvoicnt  paOlr  d'une  extrémité  de  l'ille  à  l'autre,  il  pcn- 
foit  ferieufement  à  rallembler  des  'l'roupes.  C'etoit  po.ir  dilîlpcr  ces  def- 
feins  dans  leur  naiflance,  que  l'Adclantade  étoit  relblu  de  s'approcher  de 
fes  Etats;  fans  compter  que  fe  croyant  bien  informe  qu'Anacaona ,  Sœur 
du  même  Cacique,  &  Veuve  de  Caonabo,  étoit  prefqu'entiérement  reve- 
nue de  Tes  relTentimens,  il  fe  flatta  d'échauffer,  par  Tes  préfens  tS:  fcs  flat- 
teries ,  l'inclination  qu'elle  commençoit  à  prendre  pour  les  Efpagnols.  Mais , 
volontairement  ou  de  force,  il  jugeoit  fort  important  de  réduire  une  fi  puif- 
fante  Province  à  fuivre  l'exemple  de  toutes  les  autres. 

Jr.  partit  de  San-Domingo  à  la  tête  de  trois  cens  Hommes,  en  ordre  de 
Bataille,  au  fon  des  Infirumens  militaires  (/);  &,  publiant,  dans  lamar-" 
che,  qu'il  alloit  rendre  une  vifite  d'amitié  au  Cacique  Rohechio,  il  feiçnit 
d'ignorer  qu'il  étoit  attendu  par  un  Corps  de  Troupes  Indiennes,  au  pallage 
d'une  Rivière,  qui  faifuit  la  moitié  du  chemin.  On  ne  comptoit  pas  moins 
de  foixante  lieues,  de  San-Domin^^o  à  Xaragua.  l'n  approchant  de  cette 
Rivière,  qui  fe  nommoit  iVayi-a,  loin  de  cîiangcr  de  langage  à  la  vue  de 
l'Ennemi,  il  députa  quelques  Oliiciers  au  Cacique,  pour  l'avertir  civile- 
ment de  fon  dedein  ,  qui  étoit  de  faire  v;nc  liailun  d'elVmie  avec  un  Prince 
&  unePrincelle,  dont  la  réputation  étoit  venue  jufqu'à  lui.  Rohechio  pa- 
rut 


(g)  ITerrera,  L'i-  1  Ch-.p.  5.  cS:  O..''.' V, 
I.n.  ^.  Coa}'.  13.  l.'Hirtor'.L'n  lic  Siii.t-Do- 
i.iingut'  rcg.irJc,  connue  l'opinio"  I  p!'.isvi^i- 
r?mbl;iblc' ,  que  la  i:c;;r.ii'r--  EgHlc  tic  li  nui- 
vcl'c  Viilc  ay;:!it  àw  conOicrcL',  fous  l:  nom 
(.\vSiint  Dominique ,  qui  c(l  tn cure  le  l\itron 
du  Di.icdfc,  ce  i".o:n  a  tt-'  cioniic,  avec  le 
tems,  à  toute  la  Ville;  toin:nc,  lie  la  \'i!!c 
luêmcjt^  l'ranç■Ji^  l'ont  tîct:dii  à  t'aitel'l/ltr. 
Liv  2.  f.aq;.  19:,.  Uvi(.do  coiifjril  ici  les 
tem';,  &  rcnvcrle  parconf.qucnt  IVirilrc  iL'S 
faits.  qui;iaroît  jilus  nr.tur;^^!  dans  lUrrera. 

(i)  Tuutc  U  cote  Cxid'-niik  cIi  une 


f'irr  "rande  Bnye,  à  latjiiclle  icf  FrMiço's  ont 
dor.i.é  le  nom  dj  Cul-àc  j'tc  ( Hit rc  cette 
l):\\,  les  Ktatj  dj  Ijuheciiiu  cniniirenoieiit 
roii  feulement  le  Cap  de  ']"ibiiroii  Ci  le  Mole 
Saint  Nicolas,  qui  en  foi,t  les  deux  pointes, 
mais  encore  toute  cette  ii:;rtie  de  la  0")tc  du 
Sud,  qui  s'c'tend  jurqu'a  l'ille  BeaM. 

(  i ,.   l\  T'Uible   néanmoins,    par   quelques; 
trme^  du  récit  dUerrera,  que  ce  Voyage  ff 
fit  par  Mer,  autour  des  Cotes;  mais  les  pria 
t  pales  cironlianccs  ne  conviennent  qu'à  lyi 
Voyage  par  Terre. 


EN      A    INl    E    R    I    Q    U    Ê,  Liv.   r. 


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rnt  charme  de  ce  compliment,  &  fi  joyc  fe  repandit  auiïi-tôt  dans  Ton 
Armée.  La  piupart  de  les  gcnSjCiu'il  mcnoit  combattre,  maigre  eux,  des 
Ennemis,  d<  iit  le  nom  &  les  armes  les  failbicnt  trembler,  fe  perfuadtirent 
fi  voiiMuiers  (|ii"ils  n'avoient  plus  rien  ù  craindre,  qu'on  les  vit  courir  auflî- 
tôn,  comme  de  concert,  au-devant  des  Kfpagnols.  Ils  les  rencontrèrent  à 
p. Il  (le  dillaiice  de  !.i  Nayva.  De  paît  Cl'  d'autre,  on  le  donna  des  marques 
éclatantes  de  bonne  foi  &  d'amitié.  'I/:s  Indiens  rechargèrent  du  bagage 
de  leurs  no'.iVLMv.x  Allies,  0!c  leur  rendirent,  penJiiit  le  relie  du  chemin, 
toutes  fortws  de  fervices ,  judju'à  les  porter  fur  Lurs  épaules  au  paflage  des 
Uivières.  A  l'approche  de  Xjrngm,  grande  Bourgade,  où  le  Cacique  te- 
noit  la  Cour,  v5^  d'où  le  Royaume  tiroit  ("on  nom,  on  vit  fortir  d'abord  les 
principaux  I  labitans,- pour  célébrer  leur  joye  par  des  chants  ik  des  danfes. 
Knluice  trente  l''emnics,  qui  étoient  celles  du  Cacique,  parurent  avec  des 
Rameaux  vcrds  à  la  main,  couvertes  de  Pagnes  fort  blancs,  depuis  la  cein- 
-turc  julqu'à  la  moitié  des  jambes,  danlant  Ce  chantant  avec  décence.  El- 
les s'approchèrent  du  Général;  &,  llechillant  les  genoux  devant  lui,  elles 
lui  prélentèrent  leurs  Palmes.  (Quantité  d'autres  Indiens,  qui  venoient  a- 
près  elles,  rendirent  le  même  hommage  à  tous  les  Elpagnols.  L'Armée, 
conduite  avec  cette  pompe,  arriva  au  Palais  de  Hohechio,  où  elle  trou- 
va un  grand  Feftin  ,  que  ce  Prince  y  avoit  fait  préparer,  compofé  de  Caza- 
bi^  d'Uti.u,  &  de  diverfes  fortes  dePoillbns  de  lUvière  Ofe  de  Mer.  Cljacun 
eut  Ton  logement,  Ck  fon  Hamac  garni  de  coton,  avec  des  ornemens  alTez 
riches.  Le  lendemain,  lîohcchio,  &  la  Princelîe  fa  Sœur,  s'étant  préfen- 
tés  fort  civilement  à  l'Adelantade,  lui  propolèrent  un  Spe6lacle  dans  le  goût 
de  leur  Nation.  Deux  Troupes  d'Indiens,  armées  d'arcs  &  de  flèches, 
s'approchèrent  l'une  de  l'autre  en  ordre  de  Bataille,  &  donnèrent  une  ima- 
ge cle  la  méthode  qu'ils  obfervoient  dans  les  Combats.  Ce  divertillement 
reflembla  d'abord  aux  Jeux  de  Cannes,  dont  Tufagc  efl  commun  en  Efpa- 
gnc;  mais  les  Combattans  s'échauffèrent,  &  l'aélion  devint  fi  vive,  qu'il  y 
en  eut  quatre  de  tués.  Le  nombre  des  blefles  fut  plus  grand,  &  n'auroit 
fait  qu'augmenter,  fi  les  prières  de  Colomb  &  des  Caflillans  n'eullent  arrê- 
té un  exercice  d'autant  plus  dangereux ,  qu'il  paroillbit  animé  par  la  joyc , 
fans  aucime  attention  pour  les  blefles  &  pour  les  morts. 

ApRi:s  CCS  rejouillances,  l'Adelantade  repréfenta  au  Cacique  &  àfaSœur 
qu'ils  etoicnt  les  feuls  Princes  de  l'Ille,  qui  n'eufTent  pas  recherclié  la  pro- 
tection lies  Rois  Catholiques;  que  l'Amiral,  Ton  Frère,  étant  allé  rendre 
compte  j  Leurs  Majeilés  de  la  difpofition  de  tous  les  Caciques,  il  étoit  à 
craindre  qu'il  ne  revint  avec  l'ordre  de  porter  la  guerre  dans  le  Royaume 
de  Xaragua;  &  que  l'expérience  devoit  avoir  appris,  à  tous  les  Inlulaires, 
qu'il  leur  étoit  impoflible  de  refiller  aux  armes  Efpagnoles.  Bohechio,  per- 
l'uadé  par  ce  railbnncment,  &  fbllicité  par  fa  Sœur,  qui  prenoit  de  jour 
en  jour  plus  d'alTeftion  pour  les  Chrétiens,  ne  fît  valoir  que  l'impuilTance  où 
il  étoit  de  le  Ibumcttre  au  Tribut,  parce  qu'il  n'avoit  pas  d'or  fur  fesl'erres. 
On  lui  répondit  que  les  Efpagnols  avoient  trop  d'équité  pour  exiger  l'impof- 
fible,  mais  qu'il  pouvoit  fournir  une  certaine  quantité  de  coton  <bc  de  vivres. 
Le  Traité  d'alliance  fut  conclu  à  cette  condition  (k).  Après 

(*)  Ilcrrcra,  ubifii^r>\,  Cliap.  5. 

I  î 


CimsTotm 
CoLOMa. 

II.  Voyage. 
149  <î. 

Accueil  qu'il 
reçoit  liu  Roi 
Doliechio, 


Fcllins  ft 

Spectacles 

aue  les  In- 
iens  donnent 
auxCaUIilani. 


Le  Roi  5c 

fa  Sœur  fe 
fouincttent  at 
tribut. 


68 


r   u   E   M  I   i:  il   s    V   o  y  a   c  n   s 


ClIRIJTOniF. 

CoLOMn. 

II.  Voya;::. 

1496. 

TrilU'ctaC 
.lc5  C.iftillans 
li'IùibL'lIc. 


I-rRoiCrU;!-- 
riuOi'x  prciul 
!(.•>  armes 
coinr'ciix, 


Il  cd  fait 
\-r;ioii;iicr. 


Dom  ]]ar- 
thclcmy  va 
rcccoir  le 
tribut  c!e  l^o- 
hccliioiv.  vi'A- 
nac'Una  ù 
Sœur. 


Ari;i:s  avoir  foiimis  !a  Province  av^c  li  peu  de  peine  &  de  dang  r ,  IWd*;- 
lanta.lj  le  ren^lit  par  Terre  à  llabelle,  oii  il   trouva  que  la  miier^'  Os:  ks 
mahiJi'.  s  avt^ient  ciTiportc  preique  tcut  le  relie  des  I  labiuiiis.     Dans  le  eha- 
grin  c'j  ne  voir  arriver  aucun  Navire  d'Klpagne,  il  prit  le  parti  d'en  fiiic 
conltiiiire,  p^ur  y  envoyer  clurcher  des  vivres;  èJc,  dans  l'intervalle,  il 
dilperia  les  K!pnp;nols,  fuibks  on  malades,  dans  les   Villages  Indiens  les 
plus  vuilins  des  l'^M-tercOcs.     Mais  lès  llibitans  le  lallerent  bientôt  d'cntre- 
t;.nir  des  I  lotcs  qu'ils  ne  pou  voient  rallaiier,  &  dont  ils  ne  recevoient  que 
de  mauvais  traitement  p'Uir  rceompenle.     Les  Sujets  de  (îuarinoex,  (jui  fc 
relllncoienc  le  plus  tij  cette  vexation,  furent  les  premiers  q:ii   relulurenc 
de  Iccouer  un  joug  ip'upporîable.     Leur  Cacique  etoit  ami  de  la  paix  ;  mais 
ils  le  forcèrent  de  le  mettre  à  Lur  tête,  par  la  menace  de  le  donner  un  au- 
tre Maître.     L'AdeiantaJe ,  informé  de  ce  foulevement  à  San- Domingo, 
dont  il  avoit  fait  fa  principale  refidence  (/),  ne  lailVa  point  le  tems  à  ce 
Prince  de  groHlr  fes  Troupes,  ni  aux  autres  de  fuivre  Ton   exemple.     11  fe 
hâta  de  marcher  coR'.relui;  tS:  l'ayant  rencontre  à  la  tête  de  (juinze  mille 
Hommes,  il  l'attaqua  11  brurquement,  pendant  la  nuit,  qu'après  avoir  mis 
en  pièces  une  partie  de  les  g-ns ,  il  le  fit  lui-même  Prifonnier.     Il  Je  relâ- 
cha néanmoins,  à  la  prière  de  les  Sujets,  qui  le  lui  redemandèrent  avec  les 
plus  vives  inrtances;  mais  ce  ne  fut  qu'après  avoir  fait  jullice  de  ceux  qui 
i'avoient  excité  à  prendre  les  armes. 

Vers  le  même  tems,  il  reçut  avis  de  Bohechio  &d'Anacoana,  que  leur 
Tribut  étoit  prêt,  &  qu'ils  étoient  difpofcs  à  le  livrer.  Il  chargea  Dom 
Diegue  fon  Frère ,  qui  commandoit  toujours  dans  Ifabelle ,  de  faire  palier  une 
Caravelle  à  la  Cote  deXaragua;  mais  il  voulut  s'y  rendre  lui-même  par 
Terre,  ôi.  recevoir  le  premier  hommage  que  ces  Caciques  rendoient  à  i'Kf- 
pagne.  L'accueil,  qu'ils  lui  firent,  le  confirma  dans  l'opinion  qu'il  avoit 
prife  de  leur  bonne-foi.  Ils  allèrent  au-devant  de  lui,  avec  un  Cortège  de 
trente-deux  Seigneurs  ;  tan. lis  qu'un  grand  nombre  de  leurs  Sujets  appor- 
toient  à  leur  fuire  quantité  de  Cot<3n,  cru  Ot  fiié,  &  toutes  fortes  de  Provi- 
fions.  La  Caravelle  ayant  abordé  au  Port  de  Xaragua,  qui  n'étoit  éloigné 
du  Palais  de  liohechio  que  d'envinui  deux  lieues,  Anacoana  ne  fit  pas  d'iffi- 
culré  de  le  ivnJre  à  IJord  avec  ('.m  Frère.  File  avoit  fait  préparer,  vers 
le  rivage,  un  l<.geir.cnt  fort  bien  meuble  pour  TAdelantade,  ou  il  fut  furpris 
de  trouver,  entre  divers  ornemens,  des  lièges  de  bois,  travailles  avec  tant 
u'art.  qu'on  les  auroir  crus  ouverts  de  Ibye;  &  le  lendemain,  quoi^iu'elle 
clV.  fait  armer  de  f<.;t  beaux  Caiiots,  elle  entra  fans  défiance  dans  la  Harque 
E'pagnole.     C'etoit  la  première  fuis  qu'on  voyoit  un  Bâtiment  de  l'Europe 

lur 


(/)  Les  Eipai^v.c',  t!a  Fort  .'.  B.mr.o  c-n 
furent  avertis  par  <;  II.  icjcc"  InJiens  (jui  '.ci.r 
furent  lideles.  Un  ilillur.L:!  ijppu.te,  (,jc 
pour  comnnniiqiier  Cette  noavtiie  àCoion.h. 
ils  profit'.rent  tic  liJOe  où  ces  Infulaiies 
étoient  encore  que  les  Le'trcs  parloiei  t 
11  falloit  tvuvcrfer  le  Pays  tiiiituii.  On  ii,it 
une  Lettre  pour  rAdeltUiiade  dans  un  \L- 
ton  creux,  aiiès   avou  luit  entendre  à  llL- 


dien,  qui  en  fut  chargé,  que  s'il  muKjUoit 
de  diligence,  la  Lettre  ne  uianiiUiroit  pan 
d'j  le  dire  ,  pur  le  nicnie  pouvoir  ([u'elic 
àvoit  d'ixp!iqucr  ce  (yion  y  avoit  <ierit.  El- 
le fur  portée  avec  une  adrelfe  &  une  promp- 
titude furprenante;  &  les  lifpignois  fe  cru- 
len:  redeva'jles  de  leur  couler vatioa  ;\  cette 
ruic.  Ljv.  3.  Cbap.  C. 


i:   X     A 


!■:   R   I 


u   j:  ,   L I V.  1. 


69 


II.  V.yn.c. 

1    [  9  C'. 

Mtiif  lie  la 

,1- 


:j,  que  Ils  Kfpignols  g.irJoiont:  encore  avec  les  Infiilaircs,  collcrcnt  par 
Icgrés ,  à  melure  que  leur  puilKmce  punie  s'éta'jlir;  èN»:  les  clii]en';i;:'S,  qui 
'élevèrent  bienrùt  entr'eux,  leur  ayant  fait  oublier  ce  qu'ils  Jevoi.nc  éi  leur 


Origine  du. 
ne  !o|-;;iic  fc- 
cl.tioîi ,    cxci- 


fur  cette  Corc.     Les  Caflil'ans  firent  une  tl'char^c  de  i'Arriik'rlc  ,  qui  cail- 
la une  fravcur  extrême  aux  Indiens  :  mais  Anacuana,  remarquant  que  l'A- 
tLlantade  ne  faifoit  qu'en  rire,  fut  la  première  à  les  rallurer.     Elle  monta 
fur  le  Tillac,  où  le  bruit  de  plufieurs  Inftrumens  de  Muliquc  fit  fucceder     i^^^■y^^.>  ^,^. 
les  rejouitlances  à  l'effroi.     Elle  prit  plaifir ,  avec  Ton  Frère,  à  vifiter  tou-   Prin.circAn 
tes  Ls  parties  du  Vailfeau;  &  i'Adelantadc  n'en  eut  pas  moins  à  conlidcrer    coana 
leur  econnement  ,   h  la  vue  de  cette  merveilleufc  machine.     On  s'arrête 
volontiers,  avec  tous  les  llifboriens,  à  relever  le  mérite  d'Anacoana,  & 
fur-tout  un  caractère  de  policelTe  &  de  galanterie  ftjrt  lingulier  dans  une  In- 
dienne; pour  tli'pofer  le  l/eeieur  à  la  plaindre,  lorlqu'il  la  verra  indigne- 
ment traitée  })ar  ceux  qui  croyoient  ne  lui  devoir  alors  que  de  la  reconnoif- 
fance  tS:  de  i'.i.lmiraLion.     iMais  les  mén  igemens  d'humanité   (S:  de  julli- 
c 
d 

s  .  _ 

propre  Nation  ,    ils  rcfpedèrent  beaucoup   moins  de  milerables  Indiens, 

auxquels  ils  accordoient  à  peine  la  qualité  d'Hommes. 

Pendant  que  Dom  Barthélémy  apportoit  tous  les  foins  au  bien  public, 
Roldan  Ximenes^  que  l'Amiral  avoit  revêtu,  en  partant  pour  l'Efpagne,  ^^^^^^,^ 
de  WMicc  d'/Jlcalde  Major  ^  c'eft-à-dire,  de  Ju;;e  luporieur,  ou  de  Cirand  tJc  par  Rd- ' 
Sénéchal  del'Ille,  Homme  d'cCprit,  mais  ambitieux  &  violent,  forma  des  dan Xima-iiii.. 
delTeins  qui  faillirent  de  caufer  la  ruine  entière  de  la  Colonie.  Il  p.iroît 
que  les  hauteurs  d'Aguado  avoient  jette,  dans  Ion  e(]-»rit,  djs  idées  u'indé- 
pendance  &  des  femences  de  rcvokc.  La  prefence  de  i'Adeîantade  fervit 
d'abord  à  le  contenir:  mais,  le  voyant  engagé  dans  un  Voyage  de  longue 
durée,  &,  fe  perfuadant  que  l'Amiral,  accablé  par  les  aceulations  de  les 
Ennemis,  ne  rctourneroit  jamais  d  uis  Ls  Indes,  il  forma  le  projet  de  fe 
failir  du  Oo-ivernemenr.  Les  Artifans  lui  étoient  dévoues,  depuis  qu'il 
les  avoit  commandes  au  t'econd  Voyj;2;e  de  l'Amiral.  Il  leur  fit  entendre 
que  les  Colombs  afpiroient  à  l'autorité  Ibuveraine;  qu'ils  avoient  déjà  com- 
mencé à  les  traiter  en  Elelaves  ;  que  la  faim  &  la  mifere  etoicnt  les  mo- 
yens qu'ils  avoient  réfulu  d'employer,  pour  les  tenir  dans  la  plus  rigoureu- 
fe  dépendance;  qu'il  ne  falloit  pas  chercher  d'autre  raifon  du  retardement 
des  Vailfeaux ,  ri  douter  que  les  Provifions,  qu'on  envoyoit  à  rEfpagno-' 
le,  ne  fullént  adroitement  dcLournées.  Par  ces  odicufes  infir.uations,  il 
cngag  a  les  plus  hardiis  à  demander  qu'une  Caravelle,  qui  étoit  fort  mal 
équipée  dans  le  Port,  fut  mile  en  éiat  de  faire  voile  en  Elpagne,  pour  re- 
préfenter  ;ui  Roi  la  ma'heureufe  (iruation  de  la  Colonie.  Dom  Diegue, 
qu'ils  prefVèrent  aulli-tot  de  leur  abandonner  la  Caravelle,  .eut  d'autant 
moins  de  peine  à  penéiter  leur  defîcin,  qu'ils  ne  degiiilbier.t  pas  même  ce- 
lui de  poignarder  I'Adeîantade,  aidîi  tôt  qu'il  tomberoit  entre  leurs  mains. 

Cependant,  comme  il  ne  pouvoit  s'imaginer  que  les  Séditieux  fulfent  en 

and  n(     '         ■■''■■'•' 


gran 


ombre,  il  fe  llatta  de  remédier  au  mal,  en  trouvant  un  prétexte 
peur  éloigner  Roldan  ,  qu'ils  avoient  reconnu  pour  ]v.ur  Chef.  11  lui  pro- 
pofa  de  fe  mettre  à  la  tête  de  que!(]ues  'l'roupes,  qu'il  vouloit  employer  ù 
prelllr  le  Tribut  des  Caciques.  L'/\lca!de,  voyant,  fous  les  ordres,  une 
troupe  de  Suldats  choills ,  ne  pcnia  qu'à  tenter  leur  fidélité.     Il  congédia 


la. 
cciln; 


COT.OMI. 

1497. 

RolJ.in,  d:ini 
Iiubdlo. 


Il  (.'n  ù>'t.  a- 
vic  les  Troa- 


Xi'gocia- 
tions  troin- 
iLufcs. 


T  4  Q  H. 

Diin\  Hm- 
thclciiiy  re- 
çoit un  re- 
cours d'Efpa- 


70 


P    U    E    M    I    n    R    S      VOYAGES 


ceux  qui  rcfiirèrcnt  Je  s'attacher  à  lui;  &,  loin  lU-  rtortcr  les  Ciciqucs  û  U 
f.tnr.nirion  ,  il  ne  tr.iv.iill.i  (m'a  leur  infpirLT  de  l.i  haine  pour  ks  Colombs, 
vSi  par  eonfcqucnt  de  la  rcùliancc  à  leurs  ordres  (  m). 

A  peine  futii  rentre  dans  llabclle,  que,  levant  le  mafque,  »S:  s'.iutori- 
fant  du  nom  du  Koi,  il  employa  la  force  pour  fe  fiiilr  des  clefs  du  Mi;;i- 
lln  Royal.  II  protclla  qu'elles  ne  dévoient  pas  demeurer  plus  lon^j-tenis 
entre  les  mains  de  Dom  DiL^ue;  &  ,  foutcnu  par  fes  Complices,  il  enleva 
autant  d'armes  «S:  de  provilie/ns  qu'il  jugea  convenable  ù  Con  entreprile. 
Les  troupeaux  du  Uoi  ne  furent  pas  plus  épargnes.  Il  en  prit  la  meilleu- 
repartie;  vS:,  foryint  Diegue,  par  ils  menaces  Oi:  l'es  iniidtci,  de  Te  reti- 
rer dans  le  Cnàteau ,  pour  mettre  la  vie  à  couvert,  il  prit  le  chemin  de  !.i 
Conception,  avec  foixantc-di\  I  lommes.  Son  efpérance  etolt  de  s'empa- 
rer de  ce  Fort.  Mais  Dailcjlcr,  qii  y  commandoit,  lui  ferma  les  portes,- 
&  le  bruit  de  tant  de  delbrdres  ayant  fait  accourir  l'Adelantade  avec  Ils 
Troupes,  les  Rebelles  n'ofèrent  foutcnir  fa  prefence.  Il  n'en  fut  pis  moins 
ctonné  du  progrès  de  la  révolte,  fur-tout  lorfqu'il  apprit  que  plulieurs  Of- 
ficiers de  dillinclion,  tels  ([u' EJ.objr ,  (rouvcrneur  du  Fort  de  LtMaJcLiinc, 
Moxica  &.  BahlivieJJc  ,  y  etoient  entres  ouvertement.  Son  inquiétude, 
pour  Dom  Diegue  ,  lui  fit  tourner  la  marche  vers  Ifabelle.  En  y  arrivant, 
il  reçut  avis ,  de  Balleller,  que  fa  vic  n'y  étoit  pas  en  fiircté;  &,  la  crain- 
te de  fe  trouver  trop  foible,  en  clTet,  pour  rcililUr  à  la  multitude  de  les 
Ennemis  ,  l'obligea  de  retourner  à  la  Conception,  dans  la  vile  d'employer 
les  voyes  de  la  douceur,  pour  app.iifer  des  Furieux  qu'il  dcfefperoit  de  ré- 
duire par  la  force.  Il  fit  reprerenti.r ,  àRoklan,  tout  ce  qu'il  crut  capa- 
ble de  le  rappelLr  au  devoir.  Malibcr ^  qui  fat  employé  à  cette  négoeii- 
tion,  parvint  à  rè:;Lr  une  entrevue  entre  les  deux  Chefs.  Elle  fe  fit  uai;.s 
la  Conception  même,  avec  la  précaution  de  fe  donner  mutuellement  des 
otages,  OJc  d'une  fenêtre  à  l'autre.  Mais  tn  ne  Ik  qu :  s'aigrir  dans  les  ex- 
plications. On  étoit  Certain  (u)  que  Roîdan  s'etoit  ilatté  de  pouvoir  fe 
failîr  du  Fort  Oie  de  la  perfonne  mcme  de  Ccj'omh.  Après  avoir  reconnu 
que  Ça  forces  ne  fuffilbi^nc  pas  encore  ,  ou  qu'on  avoit  déconcerté  Ils  me- 
furcs,  il  le  retira  chez  le  Cacique  ManiCiV,t:x^  dont  il  reçut  le  Tribut  en  or. 
La  licence,  qu'il  accordoi:  à  les  Troupes,  les  grolViiloit  de  jour  en  jour, 
tandis  que  la  fai'Ti  fiifoit  déferter  toutes  les  (îarniluns;  &  Dom  l>arthe!c- 
my  coniniençûit  à  craindre  -Je  II-  voir  accablé  par  le*  nombre  ,  lorlque  l'ar- 
rivée de  deux  Caravelles,  chargées  de  v.vres,  lui  donna  le  tenis  de  rel- 
pirer. 

C'ktoieni  elles  que  l'Amiral  avoit  fait  partir,  du  nombre  des  huit  qu'il 
avoit  00: cniics  du  Rui,  e\:  qui  dévoient  être  bientôt  fuieies  par  le  relie  de 
r.Arm.mcnt.  Elles  moiiiilèrent  à  San -Domingo,  le  3  de  Février  14.98, 
fous  le  commandement  du  Sergent  Major,  Pierre  Fernandcz  Coroncl.  L'A- 
dclantaJ'.'  connoiffoit  le  mérite  de  cet  Officier  èJe  fon  attachement  pour  l'A- 
miral. Il  il- hâta  de  le  joindre;  mais  Roldan  poulPu  l'audace  jufqu'à  s'ap- 
procher auili  de  San -Domingo,  dans  l'cfpcrance  apparemment  de  dilpol'cr 

les 


:  I 


(m)  Ilcrrcra  ,  Liv,  ^..Cbap.  7. 

(  n  )  Par  le  témoignage  de  Gonçal  Gomez  Collado.  Hcrrcra ,  ibii. 


l'L'tl- 

:  Il 


jr- 


"'ty 
m 


£    K      A    M    i:    R    1    (^    U    E,   Liv.  I.  71 

les  Caravelles  à  prendre  parti  pour  lui;  mais,  fc  voyant  prévenu  par  la  di- 
1-ftciico  de  Ton  Knncmi,  &  n'ayant  rien  à  fe  promettre  des  llabitans  de  l:i 

Ville,  c]u\  s'éioivUt  déclarés  contre  fa  rcvolie,  il  afîit  Ton  Camp  ù  qujl.jius 
lieues  des  murs.  L'AdeiantaJe  publia  les  Lc-ttres  qu'il  avoit  reçues  du  Kui 
Ciuhuh.iue,  l'honneur  ijue  Sa  MajefttMui  faifoit  de  confirmer  ion  litre,  la 
iiaute  lavLur  où  Ton  Frère  étoit  à  la  Cour;  tS:  Ton  retour,  qui  ne  pouvoit  tar- 
der, avec  lix  Navires.  KnRiite  ,  délirant  encore  que  l'ille  fiU  pacifiée 
avant  l'arrivée  de  l'on  Frère,  il  envoyaCoronel  même  à  Roldan,  pour  j'cx- 
liorter  à  rentrer  dans  la  foumillion ,  o<:  lui  promettre  un  oubli  gênerai  de  les 
excès.  lyauiVt  loin  que  les  Rebelles  l'apper^i'urent ,  ils  le  couchèrent  en 
iouc  ,  lappellant  'J'raitre  ,  &  lui  reprochant  d'être  arrivé  huit  jours  trop 
lot  pour  le  r.iccès  de  l.urs  delVeins.  Cependant  Coronel  vit  leur  Cii.f,  (S: 
lui  repréfenta  vivement  le  tort  qu'il  caufoic  à  la  Colonie;  mais  il  ne  re^uc, 
de  lui  «S:  de  Tes  Complices ,  que  des  réponfes  iufukant.s,  C^:  des  marques 
d'arrogance.  On  fçut ,  peu  de  jours  après,  qu'ils  avoi.nt  pris  le  clicmin 
de  \aragua,  où,  dans  l'abondance  des  fublillances,  dont  ce  Pays  étoit 
rempli,  ils  fe  promettoicnt  de  vivre  avec  la  dernière  licence.  En  arrivant 
dans  cette  Province,  Roldan  déclara  au  Cacique  qu'il  venoit  le  délivrer 
d'un  'l'ribut  qui  lui  avoit  été  impofé  fans  la  participation  du  Roi.  1!  t«- 
noit  le  même  langage  à  tous  les  autres  Princes ,  quoiqu'il  ne  fût  pas  long- 
tems  fur  leurs  Terres,  fans  exiger  beaucoup  au-delà  du  Tribut  dun:  il  les 
délivroit.  L'Adelantade,  après  plufieurs  proclamations  contre  lui  ik.  fes 
Partifans,  les  fit  enfin  déclarer  Rebelles,  Ck  condamner  au  chùtinKnt,  fui- 
vant  les  Loix  d'Efpagne. 

Dans  l'intervalle,  on  apprit,  à  San- Domingo  ,  que  les  Sujets' de  Gua- 
rinocx,  également  vexés  par  les  deux  Partis,  l'avoient  preiîé  de  profiter 
de  leur  divifion  pour  fecouer  le  joup;;  niais  que  ce  pailible  Cueiqjc,  in- 
flruit,  par  fes  difgraces ,  avoit  pris  le  )«arti  de  fe  retirer  avec  un  grand 
nombre  de  fes  g^ns  chez  les  Ci^Uii\"s^  Peuple  guerrier,  qui  liabitoit  les 
Montagnes  du  Nord,  \ers  le  Cap  dcl  Cabion  ,  &  qu'il  y  avoit  été  bien  re- 
^u  de  MiyobiincXy  leur  Souverain.  Li  retraite  de  c:  Prince  faifoi:  perdre, 
aux  Callillans,  le  'J'ribut  auijuel  il  s'ttoit  engagé.  C'écoit  allez  pour  lui 
en  faire  un  crime,  &  l'Adelantade  fe  crut  obligé  de  l'en  punir.  Il  eut  à 
padér  des  Montagnes  fort  Lfearpccs,  .ùs  lefquelles  i!  deTcendit  dans  une 
Plaine,  qui  cft  arrofée  par  une  grande  >  /ière.  Bientôt  il  y  découvrit  une 
Armée  nombreufe,  qui  fembloit  l'attenare  de  pied  ferme.  iNIais,  s'étant 
avancé  avec  beaucoup  de  rétolutiun,  il  en  fut  quitte  pour  cOuyer  une  grê- 
le de  ileches,  qui  ne  blelTa  point  un  Callillan;  &  fes  Ennemis  fe  dilîipè- 
rent  aufli-  tôt  clans  les  Montagnes.  (Quoiqu'il  ne  penfut  point  aies  pourfui- 
vre,  la  perte  de  quelques-uns  de  fes  gens,  qui  furent  maflacres  à  l'écart, 
lui  tic  prciî  ire  la  refoluticn  de  donner  la  chalTe  à  ces  Barbares.  Oii  en  tua 
plufieurs;  &  l'on  apprit,  d-^s  Prifoniiiers,  que  Mayobanex  s'ctoit  fortifié 
dans  un  \'ili.:ge  avec  l'élite  de  (es  forces.  L'Adelantade  ne  dilFera  point  à 
s'avancer  vers  cette  retraite.  Cependant,  comme  il  cherchoit,  dans  la  fi- 
tuation  de  fes  afiaires,  à  gagner  les  Indiens  plutôt  qu'à  les  vaincre,  il  prit 
le  parti  de  faire  offrir  fon  amitié  au  Cacique,  fîms  autre  condition  que  de 
livrer  Guarinocx.    Mais  le  fier  Indien  répondit    ,,  que  fon  Allié  étoit  un 

„  hom- 


C:ir',i.iroPiie 

Cui.OM.i. 

!'■  ^'f'/«■;c. 
1  4  (>  0. 


lur  ; 


oiir  ;''.iu.\; 


]; 


u..;  .i;  Cv 


k:   C'Jlî'j.l.t'.'j 

ù  rarua 
de  Xa; .gu.i. 


Gur.rinocx 
fc  faiivc  il  .ni 
les  Muiiu- 


I,"Aclel:!n:Li- 
lij  l'y  po.tr- 
fuit.' 


72 


1'    K    K    M    I    i:    R    S       VOYAGES 


CiiBt<Toriir. 

COLOM  1, 

II.  Voyi.^t'. 

No!)!c  licite 
il  II  Caci']!!.' 
M;iyob:iiicx. 


Comment  i! 
e\\  pris  pnr 
ks  Ciùiilar.^. 


Tcndrr.To 
ti'iin  Indien 
pour  ù  fcm- 
jne. 


„  homme  d'honneur,  à  (jui  l'on  ne  pouvoit  reprocher  d'avoir  jamais  fait 
,,  tort  à  pcrfor  ne;  nu  heu  que  les  Ktpai^nols  ne  dévoient  palVer  que  pour 
„  dos  lîrigantls  c\:  des  Ufurpatcurs,  dont  il  méprifoit  Us  oiVres  &  l'ami- 
„  tie''.  il  ne  rvjett.ipas  avec  moins  de  eonllanee  les  r^prclentations  de 
ils  Sujets,  qui  cammenfj-oÏLnt  à  craindre  les  fuites  de  la  (iucrre.  Il  fit  ap- 
peller  Guarinocx,  pour  l'informer  de  fa  réfolution;  *îs:,  lembrafTint  ten- 
drement, il  lui  promit  de  périr  phuùt  que  de  le  livrer  à  Ils  lùinoinis.  Kn- 
liiite,  il  fit  occuper  toutes  les  avenues  cks  .Mo.itagnes  qui  lenvironnoient, 
avec  ordre  de  fiire  main-baiîe  fur  tous  les  Calliliaii-î  (o). 

Cette  injuricufc  obflination  n'empêcha  pas  l)om  Harthelemy  de  renvo- 
yer ,  au  Cacique  ,  trois  de  fcs  vSujets,  qu'il  ayoit  faits  prifonnicis,  c\:  d'tn 
prendre  cccalioii  J.e  lui  faire  de  nouvelLs  oflVes.  Il  s'avança  mcmc  avic 
de  meilleures  efperances  :  mais,  pour  unique  reponfe,  Mayobanex  fit  don- 
ner la  mort  à  ccux  qui  avoient  ofc  fe  charger  de  cette  commillion.  Alors 
les  Callillans  furieux  fe  mirent  en  mouvement  pour  l'attaquer  ;  mais,  au 
premier  coup  de  feu,  tous  ks  Indiens  prirent  la  finte  vi  rs  les  Montagnes, 
&  les  (\cux  Caciques  ,  abandonnes  preliiue  feu!s ,  le  virent  forces  de  cher- 
cher Lur  falut  dans  la  même  retraite.  L'Adclaniade  ,  quoiqu'obligé,  par 
la  difettc  des  vivres,  de  renvoyer  une  partie  de  fes  Troupes,  ne  craignit 
point  de  s'engiger  dans  ces  lieux  l'auvages,  avec  trente  Hommes  qui  s'of- 
frirent à  le  hiivre.  II  etoit  réfolu  de  donner  la  chalfe  aux  Fugitifs,  de 
Montagnes  en  Montagnes;  mais,  deux  jours  après,  quelques  Indiens  étant 
tombes  entre  fes  mains ,  la  force  des  tourmens  leur  fit  découvrir  celle  que 
Mavobanex  avoit  choille  pour  n/.ijj.  Aulli-tot  douze  Callillans  fe  degui- 
fèrent  à  la  manière  du  Pays,  en  fe  mettant  nuds  ,  &  fe  frottant  le  corp:; 
d'une  couleur  rouge  &  noire  (/)),  compofee  du  fruit  de  certains  Arbres, 
que  les  Indiens  nommoient  lUxa.  Ils  ne  prirent  point  d'autres  armes  (jue 
leurs  épces,  qu'ils  enveloppèrent  dans  des  feuilles  de  Palmier;  &,  fe  fai- 
l'ant  conduire  par  leurs  Priibnniers,  ils  pénétrèrent ,  fous  cette  forme,  jul- 
qu'à  la  retraite  de  Muyobantx.  Hz  le  trouvèrent  avec  fi  femme  &  ils 
cnfans.  A  la  vue  de  Lurs  épées,  qu'ils  firent  briller  tout  d'un  coup  de- 
vant lui  ,  ce  malheureux  Cacitjue  ne  fit  point  de  réfiriance.  Il  fut  con- 
duit au  Cjénéral,  qui  reprit  aulVi«tôt  le  chemin  de  la  Conception,  avec  \\i 
proye.  Les  douze  Callillans  avoient  enlevé,  dans  la  même  expédition, 
une  fort  belle  Indi 'nne,  iN':v.ce  de  Mayoban.x,  0?l  Temme  d'un  des  princi- 
paux Seigneurs  du  Pays.  Son  Maii,  qui  s'ctoit  uadi  réfugie  dans  les  Mon- 
tagnes ,  tut  li  lieferperé  de  i'd  p.'rte  ,  que  ,  lans  redouter  le  ]-)eril  qui  le 
menaçoit  lui-même,  il  le  h.a.a  de  luivre  l'Adelantade;  &  l'ayant  rencontre 
dans  l'on  retour,    il  le  conjura,  les  larmes  aux  yeux,  de  lui  rendre  une 

feni- 


Mj 


'   'I 

4 


^o)  Avec  le  ir..-;!f  de  la  j-rrbitc,  qu'il  fit 


valoir  a  l^s  buicis 


Hcrrcra  iiii  en   fait  ap- 


portci  r.n  (]iii  mcrite  d'èrro  rcnijiijué  :  ,,  11 
,,  leur  rvi pondit  qu'il  n't'ttjit  pas  raifor-inablf 
,,  de  livrer  à  tes  Knncnii.s  un  lioinnie,  (]iril 
„  avoit  pris  fous  la  protection;  que  dail- 
,,  leur-  il  avoit  toujours  M  fou  Anù  ,  parce 
j,  9UC  Guarinocx  avoit  appris,  à  lui  &  à  la 


„  Reine  (n  femme  .    le  Branle  de  M/j/^tn'. 

C'étoit  une  lurte  de  daiife  ,  que  ks  l'j';  a- 
gnol.s  nommèrent  le  Branle  d^^  ta  Tf/::.! . 
où  le  R(jyauiiie  dcGuaiinoex  étoit  (itué.  u'ii 
fupra,  Chan.  8. 

ifi  )  C'elt  apparemment  ce  que  toutes  no«; 
Relations  nouiuient  du  Rocou. 


EN      A    M    E    R    T    Q    U    E,  Liv.   I. 


f.iit 
pour 
atni- 
is  de 
t  ap- 
tcn- 

Kn- 
lent. 


Femme  qui  lui  âuic  plus  chère  que  la  vio.  I/Adclaniadc  fut  touche  d 
cette  teiKlreH'  Ci':  cœur  dans  un  Ikubarc.  Il  lui  rendit  lu  lÀmme,  fans  e.\i« 
n.r  aucune  ranf;(jn.  Mais  ce  bienfait  ne  fut  pas  perdu  pour  les  CaCtilIans. 
ils  furent  furpris  l\c  revoir  bien'ùt  ce  ^énér.iix  InJijn  ,  avec  quatre  ou 
cinq  cens  de  les  vSiijcts,  dont  chacun  portoit  un  O/./j-,  efpèce  de  hâtons 
brilles  qui  leur  fervoient  à  remuer  la  terre.  Il  demanda  un  teirain  pour  le 
cultiver.  Son  oilVe  fut  acceptée;  &  le  travail  de  Ces  gens,  animé  par  In 
rcconnoiflancc,  eut  bientôt  défriché  de  vailles  Champs,  où  TAdelantade  fit 
femer  fort  utilement  du  lilé  (q).  Cet  exemple  fit  efpérer,  aux  Sujets  de 
Mayobancx,  qu'ils  obtiendroient  aulli  facilement  fa  liberté.  Ils  vi'irent  la 
demander  en  i^ranJ  nombre,  &  chargés  de  prefeiis,  avec  promefil  de  de- 
meurer fidèles'à  rEfpagne.  L'Adelantade  fe  crut  obligé  de  donner  un  ex- 
emple de  rigueur,  pour  retenir  tous  les  autres  Caciques  dans  la  foumilUMn. 
Il  rendit,  aux  Ciguayos ,  toute  la  famille  de  leur  Prince,  mais  il  fut  iiKXu- 
rable  pour  fa  pcrlbnne.  Ce  refus ,  dont  ils  parurent  conllernés,  leur  ayant 
fait  tourner  leurs  relTentimens  fur  Guarinoex,  ils  le  livrèrent  aux  Callillans, 
comme  la  première  caufe  du  malheur  de  leur  Maître.  La  vie  de  Guari- 
noex fut  ménagée ,  par  des  raifons  qui  ne  font  pas  expliquées  dans  l'Ililloi- 
re;  tandis  que  Mayobancx ,  condamné  à  la  mort  (r)  dans  toutes  les  for- 
mes de  la  Judice  Espagnole ,  expia  leur  faute  commune  par  le  plus  infdme 
fupplicc. 


1 ,     CrirTSTôfriE 

('•■^I.OMII. 

Sa  rccun. 
noiir.incc 
I  our  les  Ci- 

lUU.ins. 


(  Il  coiul.iiiiné 
au  fupplicu, 


(q)  Ilericra  dit  qu'ils  fircni. ,  en  yen  de 
tcm-.,  pour  trente  mille  écus  de  travail.  Ubi 
fup.  Cli;ip.  9 

(r)  Hiiloire  de  Saint  Domingiic,  I.iv.  3. 
pag.  2o3.  i^  prie  éd.  lierrcra  &  Ovicdo  ne 


parlent  point  de  cette  mort.  L'antre  Cacî(]iie 
fut  épTr;;né,  apparemment  parce  qu'il  s'é'toit 
fait  inllruire  des  princi,vs  du  Chrillianifine, 
quoiqu'il  ne  les  eut  point  encore  ciiibruirés. 
Ilerrera ,  Liv,  3.  Cbap,  4. 


5.      I  II. 

Ti  ùifième  f'oyage  de  Chrijîophe  Colomb. 

1  Rendant  que  les  progrès  de  la  Colonie  étoient  retardés  par  tant  d'agi-   '^^f^^^'^^^^y'- 
tarions,  l'Amiral  n'avoit  pas  celle  de  preller  fon  Armement  dans  les       ()?\'^'i!î' 
Ports  d'Efpagne.     Mais,  les  obllacles  qu'il  avoit  trouvés,   de  la  part  de    qui  urùtenc 
ceux  qui  avoient  été  d'abord  les  plus  ardcns  à  le  fervir,  lui  avoient  fait    lAmiralen 
douter  plufieurs  fois  fi  le  but  de  cette  conduite  n'étoic  pas  de  rebuter  ïon.   trpaijue. 
zèle  &  fa  condance.     Cependant  il  n'avoit  point  à  fe  plaindre  du  Roi  & 
de  la  lljine ,  qui  ne  fe  laffoient  pas  de  le  combler  d'honneurs  &  de  biens. 
Après  avoir  confirmé  tout  ce  qu'ils  avoient  fait  jufqu'alors  en  fli  faveur, 
ils  lui  ofTrirent,  dans  l'Ille  Efpagnole,  un  terrain  à  ^on  choix,  de  cinquan- 
te lieues  de  long,  fur  vingt -cinq  de  large,  avec  le  titre  de  Duc  ou  de  Mar- 
quis.    Alais  il  n'accepta  point  cette  grâce,  autant  pour  éviter  toutes  for- 
tes de  dilculHons  avec  les  Officiers  Royaux  ,  que  dans  la  crainte  tl'irriter  la 
j  al  nulle  des  Grands,  qu'il  voyoit  déchaînée  contre  lui.     Knfuite,  Leurs      Nouvelles 
MaJLJlés,  en  coolldération  de  la  découverte  de  Cuba  &  de  la  Jamaïque,    f^iwurs  qu'il 
dont  il  n'aviMt  tiré  aucun  avantage,  le  déchargèrent  du  huitieme'd.s  avan-    '^^'^m  ''''  ^^ 
ces ,  auqi:el  il  étuit  obligé  pour  recueillir  la  même  portion  des  profits,  fur 
Xl'IU.  l'art.  K  tous 


7+ 


P    R    M    I    E    11    S 


O    y    A    G    E    S 


OiRHTOPIIR 
CoLOMH. 

111.  Voy:.Ko. 
I  4i^S' 


InciJens  qui 
n'tcrtiit  les 
ditpolitions 
>'c  la  Ri'inc. 


Autres  chan- 
.jcincns. 


Départ  Je 
l'Amiral  pour 
loti  troificaïc 
Voyage, 


tous  les  Navires  qui  failoicnt  le  Voyage  des  Inks.  KWcs  lui  acconlèrcni , 
dans  fa  Jurilllictii'n  des  fiidcs,  tous  les  dt\>iis  &  Lt.  honneurs,  dont  l'Ami 
rautc  de  Callillc  jouilK'it  dans  la  tienne;  Cs: ,  nvilj;:.'  les  ripréfcnrations  de 
rAmiraiitc,  qui  le  ))Liiji;noit  ijue  cetie  t'aveiu*  avoir  uop  d'ctenduc,  elles  re 
changèrent,  à  Tes  Frovillons,  que  (juelques  termes  généraux  ,  contre  ief- 
quels  il  y  avoit  plus  do  jullicc  ù  le  récrier.  En  mciî'.e- tems,  elles  lui  rc- 
coinniandèrenc  de  prtfcrer  toujours  la  douceur  à  la  féveritc ,  du  moins 
quand  elle  pourroit  s"accorJer  avec  les  droits  de  la  Juflice.  Ce  conleil  pa- 
roît  avoir  été  la  feule  marque  que  le  Koi  tîi:  la  Reine  culVent  fait  quelque  at- 
tention aux  p'aintcs  &  aux  aecufations  de  fes  Knnemis  (a). 

Mais  les  trois  Navires,  qu'il  avoit  vfi  partir  de  Cadix,  en  arrivant  dans 
ce  Fort,  y  étoicnt  revenus  dès  le  ;o  d'Octobre  n^)6.  Ils  avoient  amené 
les  trois  cens  Indiens,  (jue  l'Adelantade  avuit  pris  le  parti  d'envoyer  en  Kl*. 
pagne.  Alfonfe  Nigno,  (jui  les  commandoir,  avoit  malignement  afTedé 
d'écrire,  de  Cadix  à  la  Cour ,  qu'il  appurtoit  beaucoup  d'or;  &  ces  richcf- 
fes  prétendues,  qu'on  artcn.îojc  impatii  mment,  fe  trouvèrent  réduites  à 
trois  cens  Milerables  ,  qi:i  n'étuient  propres  qu'à  rdclavage.  Soit  guc  Ni- 
gno  eiU  agi  de  concert  avec  les  Ennemis  de  l'Amiral,  ou  qu'ils  enflent  pé- 
nétré d'abord  cet  indécent  badinage,  ils  en  avoient  pris  occafion  de  faire 
un  autre  emploi  des  fonimes  delhnees  à  l'^^rmemenr ,  fous  prétexte  qu'elles 
aHoient  être  remplacées  par  l'ur  de  Nignu;  eV  ks  alVaires  des  InJes  furent 
d'autant  plus  decréditees,  après  l'cclaircinement ,  (jue  la  môme  malignité 
ne  manqua  pas  de  publier,  que  tout  ce  qu on  en  avoit  dit  jufqu'alors  n'é- 
toit  pas  plus  réel.  Leurs  Majeflés  mêmes  ouvrirent  quelque  tems  l'oreille 
à  rimpolhirc;  &,  dans  leur  chagrin  ,  elles  desapprouvèrent  l'envoi  des 
trois  cens  Elclavcs,  jul'qu'à  dire  hautement,  (|ue  li  ces  Infulaires  s'étoient 
luulevés  contre  les  Caflillans,  ils  y  avoient  fans  doute  été  contraints  par  la 
rigueur  avec  laquelle  ils  étoient  traités.  I/Amiral  n'eut  pas  d'autre  parti  à 
prendre  que  de  blâmer  fon  Krère,  dk.  de  ic  borner,  en  attendant  de  nou- 
veaux fonds,  à  faire  équiper  les  deux  Butimens  qui  furent  confies  à  Pierre 
Ilernandez  Coronel.  Ikureufement,  néanmoins,  Jean  Rodrigue/,  de  l'on- 
fc:a,  Doyen  de  Seville,  qui  avoit  toujours  eu  la  dircélion  des  Armemens 
pour  les  Indes,  &  qui  étoit  devenu  Ion  Ennemi,  fut  nomm.e  à  l'Eveché 
de  Badajos,  &  fa  Commiflion  fut  donnée  à  'J'orrez,  qui  avoit  ramené  la 
Flotte  du  fécond  Voyage.  Cette  révolution  accéléra  rArnicmcnt;  mais  il 
fut  encore  retardé  par  la  mort  du  Roi  j[can  de  Portugal,  &  par  celle  du 
Prince  héréditaire  d'Elpagne  ,  qui  arrivèrent  fucceUivement.  Enfuite, 
Torrez  ayant  fait  des  propofitions  qui  déplurent  à  la  Cour,  on  y  rappella 
l'Evêque  de  Badajos,  qui,  par  haine  pour  les  Colombs,  ou  par  dégoût 
pour  l'entreprife  des  Indes,  fit  naître  mille  diflicultés  ,  qui  retardèrent  en- 
core les  préparatifs  du  départ.  Cependant  les  ordres  de  la  Reine  devinrent 
fi  preflans,  par  les  follicitations  continuelles  de  l'Amiral,  qu'enfin  la  Flotte 
fut  en  état  de  mettre  à  la  voile. 

Elle  partit,  fous  fes  ordres,  le  30  de  Mai  1498 ,  compofée  des  fix  Vaif- 
feaux  qu'il  avoit  obtenus;  &,  pour  éviter  une  Flotte  Portugaifc,  qu'oft  crai- 

"  gnoic 

(a)  Ilcrrcra  ,  Lit'.  3.  CJjap.  9.  '' 


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Situées  t^ans  TAjut 

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KAAIiT  VAN  PE   Pr  OVIN  TIEN    CARACAS,  C 

Do  or  (len   Hf  I 


EN     A    M    E    R    I    Q    Ù    E,  Liv.  I. 


75 


gnoit  de  rencontrer  vers  le  Cap  de  Saint -Vincent,  elle  gouverna  droit  à 
rifle  Porto-Santo,  où  elle  arriva  le  7  de  Juin.  Après  y  avoir  fait  de  l'eau , 
elle  fe  rendit  à  Madère.  Le  19,  elle  jetta  l'ancre  à  la  Gomera ,  où  l'Ami- 
ral ,  apprenant  qu'un  Vaiiïeau  François  avoit  pris  deux  Caravelles  Efpagno- 
les ,  lui  donna  la  chafTe  &  reprit  une  des  deux  Caravelles.  Enfuite ,  étant 
pafTé  à  rifle  de  Fer ,  il  fe  livra  au  defir  d'entreprendre  de  nouvelles  décou- 
vertes :  mais,  pour  ne  pas  laifler  fa  Colonie  fans  fecours,  il  réfolut  d'en- 
voyer direéîement  trois  de  fes  Vailfcaux  à  l'Ifle  Efpagnole;  le  premier, 
fous  la  conduite  d'Alfonfe  Sanchez  de  Carvajal,  Officier  de  mérite  &  de 
naiflance;  le  fécond,  fous  celle  de  Pierre  d'^rûna,  Parent  de  l'ancien  Gou- 
verneur dû  Fort  de  Navidad ,  qui  avoit  été  détruit  par  Caonabo  ;  &  le 
troifième,  fous  celle  de  Jean  -  Antoine  Co/o7«i ,  Génois,  qui  lui  appartenoit 
par  le  fang.  Ces  trois  Capitaines  dévoient  commander  tour  à  tour.  Ils  eu- 
rent ordre  de  faire  rEfl:-quart-de-SudEfl:,  pendant  l'efpace  d'environ  huit 
cens  lieues;  enfuite,  de  porter  à  l'Ouefl: -Nord- Oued  ,  pour  reconnoître 
l'Ifle  de  Portoric,  d'où  la  navigation  eft  aifée  jufqu'à  San  -  Domingo. 

Pour  lui ,  s'étant  pourvu  de  tout  ce  qu'il  jugea  néceffaire  pour  une  lon- 
gue courfe,  il  prit  la  route  de  l'Ifle  de  Fer,  la  dernière  des  Canaries  à 
rOuefl:.  Son  intention,  fuivant  les  termes  d'Herrera,  étoit  de  fuivre,  au 
jiom  de  la  Sainte  Trinité,  le  Sud  jufqu'à  la  Ligne,  &  de  prendre  enfuite  à 
rOuefl:,  jufqu'au  Sud  -  Efl:  de  l'Ifle  Efpagnole,  dans  l'efpoir  de  rencontrer 
des  Ifles  ou  la  Terre  -  ferme.  C'étoit  une  route  qu'il  croyoit  encore  incon- 
nue: mais  il  avoit  appris,  des  Infulaires  de  TEfpagnole,  qu'il  étoit  arrivé, 
dans  leur  Ifle,  des  hommes  noirs,  avec  des  lances  garnies  d'un  fort  beau 
métal,  qu'ils  nommoient  Guanin.  Il  avoit  eu,  entre  les  mains  ,  quelques 
bouts  de  ces  lances ,  qu'il  avoit  envoyés  en  Efpagne,  &  dans  lefquels  on 
avoit  trouvé  3I  d'or,  6  d'argent  &  8  de  cuivre.  Toutes  fes  lumières  le 
portèrent  à  croire  qu'on  ne  pouvoit  venir  d'aufli  loin  que  de  l'Afrique  aux 
Antilles,  fur  des  Bâtimens  aufli  fragiles  que  ceux  des  Africains;  d'où 
il  concluoit  que  ces  hommes  étoient  venus  d'un  Pays  beaucoup  moins  éloi- 
gné (6). 

Après  avoir  doublé  l'Ifle  de  Fer ,  il  prit  la  route  des  Ifles  du  Cap  Verd , 
qu'il  fe  plaignoit  qu'on  avoit  mal  nommées ,  parceque  dans  fes  anciens  Vo- 
yages il  les  avoit  toujours  vues  féches  &  fl:ériles  (r).  Le  2V  de  Juin,  il 
apperçut  celle  de  Sal ,  qui  fe  préfente  la  première.  Enfuite ,  pafl'ant  à 
celle  de  BuenavJjla,  il  fe  rendit,  le  30,  à  San-Jago.  Son  deflein  étoit  d'y 
prendre  quelques  Befl;iaux,  pour  les  tranfporter  à  l'Efpagnole:  mais,  les 
maladies ,  qui  commençoient  à  régner  dans  fes  Equipages ,  lui  firent  crain- 
dre le  mauvais  air  de  cette  Ifle.  Il  ne  penfa  qu'à  s'en  éloigner ,  en  regret- 
tant d'avoir  allongé  inutilement  fa  route.  Le  4  de  Juillet ,  il  fit  gouverner 
au  Sud -Efl:,  jufqu'à  cinq  dégrés  de  latitude  du  Nord.  Le  13,  à  cette 
hauteur,  &  fous  un  Ciel  fort  couvert,  il  efluya  une  chaleur  fi  exceflive, 
que  le  godron  n'y  réflfl:ant  point ,  fon  Vaifleau  fit  eau  de  toutes  parts.  Ses 

vi- 


(J)  Herrcra,  Liv.  3.  Cbap.  9. 
(c)  11  ne  faifoit  pas  attention  que  c'cft 
du  Cap  Vcrd  que  ces  Ifles  ont  tiré   leur 


CuRisTorue 

Colomb. 
III  Voynçc, 

1490. 


Divifion  qu'il 
fait  de  fa  Hot- 
te. 


II  fe  fépare, 
pour  aller  fai- 
re de  nouvel- 
les découver- 
tes. 


nom ,  parce  qu'elles  en  font  voifines ,  &  que 
ce  Cap  eft,  en  effet,  d'une  charmante  ver- 
dure. 

K  2 


Quels  étoient 
fes  motifs. 


Il  pafTe  aux 
Ifles  du  Cap. 
Verd. 


Embarras 
oîi  le  jette  l'ex- 
cès de  la  chsi* 
leur. 


76        PREMIERS      VOYAGES 


CiinisTOPiis 

Colomb. 

m.  Voyage, 


Il  dL^coiivrc 
une  Terre  in- 
connue. 


C'écoiî  une 
Ifle,  qilMl 
nomiiK'la'lVi- 


-lia  Santa. 


Golfe  qu'il 
n&mme  la  Val- 
kna ,  ou  la 
Baleine. 


Un  Indien 
lui  met  fur  la 
tête  une  cou- 
ronne d  or. 


vivres  fe  corrompirent.     Le  bled  jettoitdcs  flammes.     Le  lard  couloit  en 
graifle,  &  le  vin  fuyoic  ck's  tonneaux  encr'ouvcrcs  (d).     Mais  Colomb, 
quoiqu'alHigé  delà  goLite,  &  fatigué  d'un  travail  continuel,  voulut  avan- 
cer plus  au  Sud,  pour  tourner  enfuite  à  l'Ouefl.     Il  ne  changea  point  de 
réfolution  jufqu'au  31,  que  l'eau  commençant  à  lui  manquer,   il  fe  crut 
dans  la  ncceflicc  de  prendre  au  Nord-  quart  -  de-  Nord-Efl;,  pour  s'avancer 
vers  les  IlLs  des  Caraïbes.     Il  avoit  vu,  le  22,  un  grand  nombre  d'oi- 
feaux  ,  qui  paflbient  de  l'Efl:  -  Sud  •  Efl:  au  Nord  •  Efl ,  &  qui  lui  avoient  fait 
juger  qu'il  étoic  proche  de  quelque  Terre:  cependant  il  fembloit  avoir  per- 
du cette  efpérance,  lorfqu'après  avoir  changé  déroute,  &,  pendant  qu'il 
regrettoit  d'avoir  manqué  ion  defiein,   un  Matelot,  nommé  Ferez j  natif 
de  Huelva,  qui  ctoit  à  la  Hune,  découvrit  la  Terre  à  quinze  lieues  au 
Sud-Eil.     C'étoient  trois  Montagnes.     On  porta  auffi-tôt  vers  la  Côte. 
En  approchant,  l'Amiral  apperçut  un  Cap  à  l'Oueft,  fous  lequel  s'ouvroit 
un  Port,  formé  en  partie  par  un  Rocher  de  la  forme  d'une  Galère  à  la 
voile.     Il  lui  donna  le  nom  de  Calera  :  mais  ayant  tenté  inutilement  d'y 
entrer  ,  parcequ'il  ne  s'y  trouvoit  point  aflez  d'eau,  il  tourna  vers  un  au- 
tre Cap  ,  qu'il  découvrit  à  fept  lieues  vers  le  Sud.     Il  n'y  trouva  point  de 
Port,  &  toute  la  Côte  étoit  revêtue  d'arbres  jufqu'à  la  Mer. 

On  reconnut  que  cette  Terre  étoit  une  Ifle.    Elle  reçut  le  nom  de  la  Tri* 
nhù,  apparemment  parce  qu'elle  s'étoit  préfentée  fous  la  forme  d'une  Mon- 
tagne à  crois  têtes  ;  quoiqu'un  Hiftorien  aflure  aufli  (  e  )  que  l'Amiral  s'étoit 
propofé  de  donner  ce  nom  à  la  première  Terre  qu'il  pourroit  découvrir.  Le 
lendemain,  on  rangea  la  Côte  à  l'Ouefl:,  l'efpace  d'environ  cinq  lieues,  juf'- 
qu'à  une  langue  de  terre  où  l'on  fît  de  l'eau ,  &  qui  fut  nommée  Punta  de  la 
Plaga.     Les  Cafliillans ,  ayant  pénétré  dans  l'Ifle,  y  trouvèrent  des  traces 
d'hommes  &  des  inflrumens  de  pêche.     Ils  crurent  voir  aufli  plufieurs  ha- 
bitations dans  l'éloignement,  &  une  autre  Ifle  vers  le  Sud,  à  la  diflance 
d'environ  vingt  lieues ,  qu'ils  nommèrent  IJla  Santa.    Mais ,  continuant  de 
chercher  un  Port,  ils  s'avancèrent,  le  jour  d'après ,  vers  un  Cap  à  l'Oueft, 
qui  reçut  le  nom  de  Punta  ds  l'Jrenal;  &  ce  fut  fans  s'en  être  apperçus 
qu'ils  le  trouvèrent  dans  un  Golfe,  auquel  ils  donnèrent  le  nom  de  la  Valle- 
na.  La  longueur  de  l'Ifle,  depuis  laiGalera  jufqu'à  Punta  de  l'Arenal,  ne  pa<- 
rut  pas  moins  de  quarante- cinq  lieues.     L'Amiral  fit  defcendre  une  partie 
de  fes  gens  à  cette  Pointe;  &  fes  incommodités ,  l'ayant  obligé  lui-  même 
de  prendre  un  peu  de  repos  fur  le  rivage,  il  fut  furpris  de  voir  paroître  un 
Indien ,  qui  s'approcha  de  lui  fans  défiance,  &  qui  lui  voyant  un  bonnet  de 
velours  cramoili,  le  prit  hardiment,  s'en  couvrit  la  tête,  &  mit  fur  cel- 
le de  l'Amiral  une  couronne  d'or  qu'il  avoit  fur  la  fienne.     On  jugea  que 
c'étoit  le  Cacique  de  l'Ifle,  quoiqu'il  fe  fût  préfenté  fans  aucune  fuite.     Le 
même  jour  ,  un  grand  Canot  s'approcha  des  Navires ,  chargé  de  vingt- 
cinq 


{d)  Ovicdo  fait  elTuycr  à  la  Flotte  une 
terrible  tempête,  il  peut  ne  pas  fe  tromper 
fur  ce  point,  puifqu'il  cite  le  témoignage  du 
premier  Pilote  de  l'Amiral  :  nnis  11  fe  trom- 
i'c  fans  doute  lorrqu'il  n:ctj  de  ce  Voyr.ge; 


le  fécond  Fils  de  Colomb,  Dom   Fernnnd, 
qui  (!'toit  Page  de  la  Reine,  depuis  la  mort 
du  Prince  d'Efpagne. 
(e)  Ilcrrera,  ulifuprà,  Chap.  10. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,   L'iv.  /. 


17 


cinq  Indiens,  jeunes,  de  fort  belle  taille  ,  &  plus  blancs  que  les  Infulaires 
des  Antilles.  Ils  avoient  la  tête  enveloppée  d'une  toile  de  coton  de  divcr- 
Tes  couleurs,  &  le  devant  du  corps,  depuis  la  ceinture  jufquaux  genoux, 
couvert  de  la  même  toile.  Leurs  cheveux  étoient  longs ,  &  coupes  à  la 
manière  de  l'Efpagne.  Leurs  armes  n'étoient  que  des  arcs ,  des  ficelles  & 
des  boucliers.  L'Amiral  fit  tirer  quelques  coups  de  moufquet,  pour  fc  faire 
refpefter;  &  ce  bruit  leur  fit  tomber  les_ rames  des  mains.  Ils  parloienc 
entr'cux  avec  aflez  de  chaleur;  ce  qui  fit  juger  qu'ils  fe  demandoicnt  quels 
pouvoient  être  les  Etrangers.  On  leur  montra  quelques  bagatelles  de  l'Eu- 
rope ,  pour  les  attirer  par  cette  vue.  Leur  eflProi  paroiflant  le  même,  l'A- 
miral fit  jouer  de  divers  inftrumens,  tels  que  le  Tambourin  &  la  Flutte,  & 
donna  ordre,  à  quelques  jeunes  gens,  de  danfer  fur  le  Tillac.  Mais  les  In- 
diens, prenant  cette  fymphonie  pour  un  fignal  de  combat,  fe  couvrirent 
de  leurs  boucliers  &  lancèrent  quantité  de  flèches.  Deux  coups  d'arbalé- 
tes,  qui  furent  tirés,  dans  la  feule  vue  de  les  intimider,  leur  firent  quitter 
aufli-tôt  lesc  armes.  Ils  vinrent  fe  ranger  fous  la  Poupe  d'un  des  Navires , 
dont  le  Pilote  defcendit  hardiment  dans  leur  Canot,  &  leur  fit  quelques  pré- 
fens.  Ils  l'invitèrent  à  les  fuivre  à  terre;  mais ,  tandis  qu'il  alla  confultcr  là- 
deflus  fes  Officiers,  ils  s'éloignèrent  à  force  de  rames  (/). 

Rien  ne  caufa  plus  de  furprife ,  à  l'Amiral ,  que  le  froid  qu'on  reflen- 
toit  tous  les  matins  fur  cette  Côte,  à  dix  dégrés  de  la  Ligne  &  dans  les  jours 
caniculaires.  Il  remarqua  auffi  que  les  eaux  couroient  fort  rapidement  vers 
rOuefl,  &  que  la  marée  montoit  &  defcendoit  foixante  pas  plus  qu'à 
Saint-Lucar  de  Barameda  (g).  La  grande  étendue  d'eau,  qu'il  avoit  de- 
vant lui ,  dans  le  Golfe  de  la  Vallena ,  lui  fit  prendre  encore ,  pour  des 
Ifles  ,  quelques  terres  qu'il  voyoit  à  peu  de  diftance,  quoiqu'elles  fuffent 
des  parties  du  Continent.  Il  en  nomma  une,  Gratîa.  Enfin,  pafllint  le 
Canal ,  dont  la  largeur  n'efl  que  de  deux  lieues ,  avec  un  danger  continuel , 
qui  venoit  de  rimpétuofité  du  Courant,  &  qui  lui  fit  donner,  à  ce  paflage, 
le  nom  de  Boca  de  Sierpe ,  ou  Bouche  du  Serpent  (A),  il  aborda  heureufement 
à  la  Terre-ferme ,  mais  fans  la  diflinguer  encore.  La  Côte,  qu'il  trouva 
fort  agréable ,  reçut  le  nom  de  Paria.  Les  fruits  y  étoient  fcmblables  à 
ceux  de  l'ille  Efpagnole  ,  les  huîtres  fort  grandes  &  le  poiflbn  en  abondan- 
ce. On  ne  fut  pas  long-tems  à  découvrir  que  le  mouvement  &  le  bruit  des 
eaux  venoit  d'une  grande  Rivière,  nomméQ  2uyapan  (i),  qui  fe  décharge 
dans  le  Golfe.  .  L'Amiral  apperçut  deux  petites  llles,  au  milieu  d'une  autre 
embouchure  formée  par  un  Cap,  qu'il  nomma  Boto,  parce  qu'il  s'avance  peu 
en  Mer.  Il  découvrit  enfuite  un  autre  Cap ,  qui  lui  parut  appartenir  à  la 
Trinité ,  &  qui  fut  appelle  Lapa.  Les  deux  llles  reçurent  les  noms  d'El 
Caraco!  &  d'£/  Delfin.    De  la  pointe  du  Cap  de  Lapa,  on  vit,  à  la  diilance 

de 


Christophk 

C(  TXMI). 

149  ii. 


Obferva- 
tions  de;  l'A- 
miral fur  cette 
Côte. 


Ifle  de  Gratia. 


Paflage  nom- 
mé Boca  de 
Sierpc*. 


CapsdeBti- 
to ,  &  de  La- 
pa. 

IHos  de  Ca- 
raco! &  du 
Dauphin. 


(f)  Ilcrrcra,  uii  Juprà. 

{g)  Ibidem. 

(  h  )  Dillereiuc  de  la  Boitchs  du  Dragon , 
comme  on  le  verra  ci-delTous.  R.  d.  E. 

(/)  Cctoit  l'Orenoque.  On  fuit  Ilcrrcra, 
fiui  lui  donne  toujours  le  nom  d'ïuyâpayi. 


I/HiOorien  de  Saint-Domingue  prétend  que 
c'étoit  aux  Singes,  que  les  ilabitans  don- 
noient  ce  nom;  mais  il  fc  peut  aullî  qu'ils 
noiinnaJcnt  une  des  liouchts  de  l'Orenoque, 
Tu)apari ,  ou  Rivière  des  Singes, 

K3 


78 


PEMIERS      VOYAGES 


CiinisTOpne 

CoLOMn. 

m.  Voyiigc. 

1498. 

'J'crrc  nom- 
inéolk'lla 
Tonna. 


Indiens  du 
P:ns ,  &  leur 
couleur. 


roînte  d'A- 
guja. 

Les  Jardins. 


Pointe  Sabeta. 


Indiens  parés 
de  morceaux 
d  or  &  de 
perles. 


de  vingt-fix  lieues  vers  le  Nord-Efl: ,  une  Terre  fort  haute,  que  fa  beauté 
fin  nommer  Bel! a  Forma.  La  muliitude  des  enfoncemens,  qui  paroiflbient 
autant  de  Canaux  ou  de  PaiTages ,  continuoit  de  faire  prendre  toutes  ces 
Terres  pour  des  Illcs.  On  s'avança,  d'environ  cinq  lieues,  au-delà  du 
Cap  de  Lapa;  &,  dans  cet  efpace,  on  obferva  de  très  beaux  Ports,  fort 
proches  les  uns  des  autres.  Quelques  Matelots ,  qui  furent  envoyés  au  ri- 
vage, y  trouvèrent  du  feu,  des  fentiers,  &  une  cabane  découverte.  En 
rangeant  la  Côte,  huit  lieues  plus  loin,  on  ne  cefla  point  de  voir  de  très 
bons  Ports ,  des  Terres  cultivées  ,  &  quantité  de  Rivières.  On  trouva  des 
railins  d'excellent  goût,  &  divers  autres  fruits. 

Le  6  d'Août ,  après  avoir  fait  encore  cinq  lieues,  on  vit  paroître  un  Ca- 
not, qui  portoit  cinq  Indiens.  Ils  s'approchoient ,  pour  répondre  à  l'invita- 
tion des  Caflillans;  lorfqu'un  coup  de  vent  ayant  renverfé  le  Canot,  ils  s'ef- 
forcèrent de  fe  fauver  à  la  nage.  On  en  prit  quatre.  Ils  étoient  de  la  mê- 
me couleur  que  le  commun  des  Indiens.  L'Amiral  leur  fit  donner  des  fon- 
nettes  &  des  grains  de  verre,  avec  lefquels  ils  retournèrent  gaiement  au  ri- 
vage; mais  ce  fut  pour  revenir  bientôt  avec  quantité  d'autres,  qui  appor- 
tèrent des  boucliers,  des  arcs  &  des  flèches,  du  pain,  de  l'eau,  diverfes 
viandes ,  &  deux  fortes  de  liqueurs ,  l'une  blanche  &  l'autre  verte.  Avant 
que  d'entrer  dans  les  Barques,  où  ils  fe  préfentoient  volontairement,  ils 
liairoicnt  &  les  Barques  &  les  Matelots.  De  tous  les  préfens  qu'on  leur  fit , 
ils  ne  paroiflbient  elhimer  que  les  fonnettes ,  &  les  moindres  morceaux  de 
laiton.  Les  mouchoirs  de  coton ,  dont  ils  fe  couvroient  la  tête  &  la  cein- 
ture ,  étoient  de  diverfes  couleurs ,  &  fort  bien  travaillés.  La  nuit ,  qui  com- 
mençoit  à  s'approcher  ,  les  fit  partir  fi  légèrement  à  la  nage,  que  l'Amiral 
ne  put  exécuter  le  deflein  qu'il  avoit  eu  d'en  retenir  quelques-uns.  Mais, 
le  lendemain ,  il  en  prit  fix ,  avec  lefquels  il  fit  voile  vers  une  Pointe ,  qui 
fut  nommée  Punta  del  ^guja^  &  d'où  l'on  découvroit  de  fort  belles  Terres. 
Il  aborda  dans  un  lieu ,  qu'il  nomma  los  Jardinos.  La  perfpe6tive  en  étoit 
charmante,  &  l'on  y  voyoit  quantité  de  Maifons,  qui  paroiflbient  contenir 
un  grand  nombre  d'Habitans.  Ceux ,  qui  vinrent  à  Bord ,  portoient  de  pe- 
tites lames  d'or  autour  du  cou.  De  la  Pointe  d'Aguja,  on  en  découvrit  une 
autre  vers  le  Sud ,  que  l'Amiral  prit  encore  pour  une  Ifle.  Il  lui  donna  le 
nom  de  Sabeta;  &,  vers  le  foir,  il  en  apperçut  une  troifième,  dont  il  prit 
la  même  idée.  Mais  on  reconnut  enfuite  que  c'étoit  autant  de  parties  de  la 
Terre- ferme  (^). 

Les  deux  Vaifleaux  revinrent  mouiller  à  los  Jardinos  ,  &  fe  virent  bien- 
tôt environnés  de  Canots,  chargés  d'Indiens,  qui  portoient  au  cou  des  la- 
mes d'or  de  la  grandeur  d'un  fer  à  cheval.  Quoiqu'ils  parufl*ent  efl:imer  ces 
ornemens,  ils  les  donnoient  volontiets  pour  des  fonnettes;  &  l'Amiral  ne 
s'ennuya  point  d'un  fi  beau  Commerce.  Mais ,  les  fonnettes  lui  manquant 
bientôt,  il  eut  recours  à  fon  imagination,  pour  tenter  les  Indiens  par  d'au- 
tres amorces.  Les  Canots  arrivoient  en  foule,  &ne  ceflbient  point  d'ap- 
porter de  l'or,  en  colliers  ou  en  grains.  Il  s'en  trouva  un  lingot,  de  la  grof- 
leur  d'une  pomme  (/).    On  vit  arriver  aufli  des  femmes,  les  bras  garnis 

de 


(/t)  Ibidem. 


(1)  Ibidem. 


EN      A    M    E    R    1    Q    U    E,    Liv.   I. 


'0 


Men- 
és la- 
ler  ces 
rai  ne 
iquanc 
d'au- 
d'ap- 
grof- 
^arnis 
de 


de  bracchts  de  perles,  qui  firent  ouvrir  les  yeux  aux  Cadillans.  L'Amiral 
fe  haca  de  demander  d'où  leur  venoient  tant  de  richeflls.  Eiles  lui  montrè- 
rent les  co'juilles  où  naiflbient  les  Perles;  &  leurs  lignes  lui  firent  compren- 
dre qu'elles  les  tiroient  du  côté  de  l'Ouefl:,  derrière  le  Cap  de  Lapa,  entre 
cette  Pointe  &  la  Terre-ferme.  Il  trouva  tous  ces  Peuples  fort  traicables, 
de  très  belle  taille,  &  plus  blancs  que  les  autres  Indiens.  Leurs  cheveux, 
qui  étoicnt  proprement  coupés,  &  les  mouchoirs,  qu'ils  portoient  fur  la 
tête,  leur  donnoient  beaucoup  de  grâce  (?«)• 

Le  io,  on  fit  voile  vers  l'Ourfe,  non  pour  continuer  de  fi  riches  échan- 
ges ,  que  la  diminution  des  vivres,  &  celle  des  fonnettes  obligeoicnt  de  re- 
mettre à  d'autres  tems,  mais  pour  fe  dégager  de  tant  de  Canaux,  qui  fai- 
foient  croire,  à  l'Amiral,  qu'il  voyoit  autant  d'illes  que  de  feparations. 
Il  donna  les  noms  (ÏTJabeÙa  &  de  Tramontanay  à  deux  Terres  qu'il  prit  en- 
core pour  deux  Ifles,  &  qui  étoient  d'autres  parties  du  Continent.  Le  i  r , 
prenant  à  l'Eft,  dans  l'efpcrance  de  fortir  entre  la  Pointe  de  Paria,  &  la 
Côte  oppofée,  .il  traverla  le  Golfe;  &  le  13,  il  entra  dans  un  très  beau 
Port,  qu'il  nomma  El  Puerto  de  Gaîos^  trompé  par  la  vue  d'un  grand  nom- 
bre de  très  gros  Singes,  qu'il  prit  d'abord  pour  des  Chats.  Ce  Port  elT: 
proche  de  la  Bouche  de  l'Orenoque,  qu'Herrera  nomme  Tuyapari^  &  qui 
contient  les  deux  petites  Ifles  del  Caracol  &  del  Delfin.  A  peu  de  diftance, 
on  vifita  un  autre  Port,  qui  fut  nommé  Pw^rfo  de  las  Cabavas,  parce  qu'on 
y  vit  quantité  de  Cabanes.  Le  14,  on  doubla  le  Cap  de  Lapa,  pour  fortir 
du  Golfe  au  Nord.  Entre  ce  Cap ,  qui  fait  la  pointe  de  la  Côte  de  Paria, 
&leCapBoto,  qui  eft  au  Nord-Ouefl:  de  la  Trinité,  la  difl:ance  eit  d'en- 
viron deux  lieues  ;  mais,  un  peu  audeflus,  le  Canal  en  a  cinq  de  largeur. 
Les  trois  Vaifleaux ,  y  étant  entrés,  avant  midi,  trouvèrent  les  flots  dans 
un  mouvement  terrible,  &  fi  couverts  d'écume,  par  le  combat  du  Courant 
avec  la  Marée ,  que  le  danger  leur  parut  extrême.  Ils  s'efforcèrent  en  vain 
de  mouiller.  Les  ancres  furent  enlevées  par  la  force  des  vagues.  Ils  a- 
voient  trouvé  la  Mer  aufll  fougueufe,  en  entrant  dans  le  Golfe  par  le  Ca- 
nal qui  avoit  reçu  le  nom  de  Sicrpe  ;  mais  ils  y  avoient  eu  la  faveur  du 
vent:  au  lieu  que,  dans  le  Paflage,  où  ils  fe  voy oient  engagés,  le  vent, 
avec  lequel  ils  efpéroient  fortir,  s'étant  calmé  tout  d'un  coup,  ils  demeu- 
roient  comme  livrés  àl'impétuofité  des  flots,  fans  aucun  moyen  d'avancer 
ou  de  retourner  dans  le  Golfe.  L'Amiral  fentit  la  grandeur  du  péril.  Il 
confefla,  que  s'il  en  étoit  délivré  par  le  Ciel,  il  pourroit  fe  vanter  d'être 
forti  de  la  gueule  du  Dragon  ;&  cette  idée  fit  donner,  au  Détroit,  le  nom  de 
Bocadel  Drago,  qu'il  a  confervé  jufqu'aujourd'hui.  Enfin,  la  marée  perdit 
fa  force ,  &  le  courant  des  eaux  douces  du  Fleuve  jetta  les  trois  Vailfeaux 
en  haute  Mer  («). 

De  la  première  Terre  de  la  Trinité  jufqu'au  Golfe,  qui  fut  nommé  Golfe 
des  Perles^  on  n'avoit  pas  compté  moins  de  cinquante  lieues.  L'Amiral  fui- 
voit  la  Terre  ,  qu'il  prenoit  pour  celle  qu'il  avoit  nommée  IJle  de  Gratta  ^  & 
tourna  Nord  &  Sud  autour  du  Golfe,  dans  la  vûe  d'approfondir  fi  cette 

grande 

fm)  Ibidem. 

in)  Herrcra,  Liv. 3.  Chap.ji.  Veycz,  ci-delTous,  k Foynge d'OjedaSi à'Jmsric t'efpncf. 


CiiRisTorriE 

CoT.OMîi. 

111.  Voy;iv,c. 
149  ^• 


L'Amirnl 
prend  diver- 
iespnrticsdu 
Coiitincnt 
pour  des  illcs. 

Terres  nom- 
nées  Vùlv^-lla 
&  'i'rauiou- 
tuna. 

Port  de  Ga- 
tos ,  ou  des 
Chats. 


Port  des 
Cabanes. 


Roca  del 
Drago.  Ori- 
gine de  ce 
nom. 


Golfe  d«S 
Perles. 


80 


PREMIERS      VOYAGES 


C;rnT<:TnniE 
CoLOMn. 

m.  Voyage. 

I  4  98. 

Piikiic'.icufo 

li'ctui. 

Crij  s  de  Con- 
clu', lie  Liicn 
;;i),i.lc  Sabor, 
^  jcRicco. 

Ifl.-srAflbm- 
]-ti(in  JaCon- 
it'i'tion,   los 
Tclligos ,  Ca- 
bcllos  c!  llo- 
tntro,  las 
(îiiarJas,  la 
Miirgiierite.el 
IMartiiictc, 
Ciibigiia  & 
Coc'uni, 

L'Amiral 
croit  nvoir 
dJicoiivcrt  un 
Continent. 


idance  d'eau  vcnoit  des  Rivières,  fiiivant  l'opinion  des  Pilotes, 
la  ficnne;  parce  qu'il  ne  pauvoit  s'imaginer  qu'il  y  eût  un  Fleu- 


II  s'imagine 
avoir  trouvé 
la  vraye  fitua- 
tion  du  Para- 
dis rcrreftre. 


grande  abonde 

mais  conrrc  la  lionne;  parce  qu'il  ne  pauvoit  s'imaèiner  qu  ji  y 
vc  au  Monde,  qui  produifit  tant  d'eau,  ni  que  les  J'errcs,  qu'il  voyoit,  en 
pu  lient  tant  fournir  non  plus,  à  moins  qu'elles  ne  fuflent  la  Terre -ferme. 
Il  trouva,  fur  cjtte  Côte,  quantité  d'exccllens  Ports,  &  plufieurs  Caps, 
auxquels  il  donna  fuccellivement  des  noms,  tels  que  Cabo  de  Conchas^  Cabo 
Luengo^  Cabo  de  Sabor  ^  &  Cabo  Ricco.  En  Portant  du  Canal  il  avoit  décou- 
vert, à  vingt-fix  lieues  au  Nord,  une  Ille,  qu'il  avoit  nommée  l'y/^ci/Mpïwn , 
une  autre ,  qui  fut  nommée  la  Concept itn,  &  trois  autres  qui  reçurent  le  nom 
de  los  Tcjliiios.  Une  cinquième  prit  celui  de  Cabellos  el  Romcro,  &  plufieurs 
petites  celui  de  las  Guardas.  Après  toutes  ces  Ifles,  il  trouva  celle  qui  re- 
çut, &  qui  porte  encore  le  nom  de  la  Marguerite^  près  de  laquelle  il  en 
trouva  trois  petites  à  l'EflSud-Efl:,  &  deux  vers  le  Nord  au  Sud.  El  Mar- 
tmctc,  Cubagua&Cochem^  furent  les  noms  qu'il  impofa  aux  principales, mais 
qui  ne  fe  font  pas  confervés.  Ce  ne  fut  qu'après  avoir  fait  environ  quaran- 
te lieues  au-delà  de  Boca  del  Drago,  que,  voyant  la  longueur  de  la  Côte, 
qui  continuoit  toujours  de  defcendre  à  l'Oueft,  il  crut  pouvoir  juger,  avec 
une  véritable  certitude,  qu'une  fi  vafle  étendue  de  Terre  ne  pouvoitêtre  une 
Ifle,  &  que  c'étoit  le  Continent.  Il  fit  cette  déclaration  le  Mercredi,  pre- 
mier jour  d'Août.  Ainfi,  malgré  les  prétentions  de  quelques  autres  Navi- 
gateurs, dont  on  verra,  par  degrés,  les  Voyages  &  les  Découvertes,  c'efl: 
à  Chrifbophe  Colomb  qu'on  croit  devoir  attribuer  la  gloire  d'avoir  reconnu 
le  premier  une  partie  du  Continent  de  l'Amérique  (o). 

Mais,  dans  l'étonnement  d'avoir  vu  de  l'eau  douce  fi  loin  en  Mer,  & 
de  trouver  l'air  fi  tempéré  proche  de  la  Ligne,  qui  avoit  toujours  paflç 
pour  inhabitable ,  il  lui  tomba  dans  l'efprit  une  idée  fort  fingulière ,  à  la- 
quelle il  demeura  long-tems  attaché.  Comme  il  avoit  obfervé  d'ailleurs, 
qu'à  la  difl:ance  d'environ  cent  lieues  des  Açores ,  &  dans  la  même  hauteur 
du  Nord  au  Sud,  l'Aiguille  déclinoit  d'un  quart  au  Nord-Ouefl,  &  que 
plus  il  avançoità  l'Ouell,  plus  l'air  étoit  doux  &  ferein,  les  Peuples  moins 
noirs  &  d'un  caraftère  plus  traitable,  le  Pays  plus  beau  &  plus  fertile,  il 
s'imagina  que  c'étoit  de  ce  côté  du  Monde ,  que  le  Paradis  terrefl:re  devoit 
être  fitué  ;  que  la  Mer  montoit  infenfiblement  vers  le  Ciel  ;  que  la  Terre 
n'étoit  pas  ronde,  &  qu'en  pénétrant  plus  loin,  on  arriveroit  au  fommet 
d'une  éminence  où  fe  terminoit  le  Monde,  &  fur  laquelle  étoit  le  Paradis 
terretlre  (p).  Il  jugea  même  que  l'eau  douce,  à  laquelle  il  avoit  trouvé 
tant  d'abondance  &  de  force,  dans  une  étendue  de  cinquante  lieues  de  Mer, 
pouvoit  venir  de  la  Fontaine,  dont  les  Livres  Saints  nous  apprennent  que 
ce  lieu  de  délices  étoit  arrofé,  &qui,  defcendant  dans  le  Golfe,  produi- 
foit,  par-defl'ous  la  Terre  &  le  fond  de  la  Mer,  les  quatre  grands  Fleuves 

qui 


(o)  Heri-tra,  Z,/î).  3.  Chap.  il.  On  re- 
garde comme  une  chimère ,  le  bruit ,  qui  avoit 
couru,  dès  fcs  premières  découvertes,  qu'il 
avoit  profité  des  Mémoires  d'un  Pilote  mort 
chez  lui.    Vu-jez  ci-dcdlis,  page  3. 

(p)  Ibidem.  Voici  les  termes  dTIerrera: 
„  Son  imagination  étoit  que  la  Terre  ref- 


fembloit  à  la  moitié  d'une  poire ,  ayant  le 
bout  de  l'effieu  élevé ,  ou  au  téton  d'une 
femme  ;  que  le  côté  élevé  de  l'elTieu  étoit 
plus  haut  &  plus  proche  de  l'air  &  du  Ciel; 
qu'il  croit  fous  la  Ligne  équinoxialc,  & 
que  c'étoit  fur  le  haut  de  cet  eflicu  qu  é- 
toit  fitué  le  Paradis  terreftre".  îbid.  Ch  12. 


K    N      A     M    E    R    I    Q    U    E,    L  i  v.  I. 


8r 


avec 


Ikircra,  qui  s'(itc-ncl  fur  cette  cliimcvc, 
où  l'on  étoit  encore  fur  toutes  les  mcrvcil- 


qui  font  nommés  d  ins  la  Cîenefo. 
cxcule  l'Amiral  par  les  ténèbres 
les  qu'on  commençoic  à  découvrir  clans  le  nouveau  Monde;  &  l'Iliftorien 
de  Saine-  Domingo-  veut  qu'on  la  regarde  „  comme  un  de  ces  délires,  aux- 
queiG  les  grands  Hommes  font  fouvent  plus  fujots  que  les  autres;  d'au- 
tant plus  excufablc  dans  Colomb,  qu'il  étoit  peut-être  un  peu  ébloui 
''  du  merveilleux  de  fes  découvertes  (î)". 

"  Ses  infirmités,  qui  augmentoicnt  de  jour  en  jour,  ne  lui  permettant  point 
d'écrire  le  relie  de  fa  Navigation,  il  en  laifla  le  foin  à  les  Pilotes,  dont 
il  ne  parojt  pas  que  les  Journaux  ayent  jamais  été  publiés.  L'Hiftoire  ajou- 
te feulement,  qu'après  avoir  formé  la  réfolution  de  retourner  à  l'Efpagno- 
le ,  il  gouverna  au  Nord-Ell-Quart-de-Nord.  Avec  l'attention  qu'il  appor- 
toit  à  tous  les  cftets  de  la  Nature,  il  fit  réflexion,  qu'en  allant  des  Canaries 
à  rErpa^^nole,  loriqu'il  eut  pafle  trois  cens  lieues  à  l'Ouefl:  (r),  l'Aiguille 
nordelloit  d'un  quart,  &  que  l'Etoile  du  Nord  ne  s'élevoit  que  de  cinq 
déférés;  au  lieu  que  dans  la  route  qu'il  venoit  de  faire,  l'Aiguille  n'avoic 
pofnt  varié,  jufqu'à  ce  qu'elle  nordelh  toutd'uncoup  d'un  quart  &  demi, 
&  même  d'un  demi  vent,  qui  fait  deux  quarts  entiers.  11  remarqua  aufli 
que  l'Etoile  du  Nord  étoit  au  quatorzième  degrd ,  lorfque  les  Gardes  a- 
voient  pafle  au-delà  de  la  tête  l'efpace  de  deux  heures  &  demie.  Dan« 
les  premières  Lettres  qu'il  écrivit  aux  Rois  Catholiques,  il  les  pria  d'atta- 
cher une  grande  importance  à  ces  Obfervations  (s).  Il  étoit  parti,  le  15 
d'Août,  du  petit  Golfe,  qui  eft;  fermé  parles  Ifles  voifines  de  la  Margue- 
rite, après  avoir  reconnu  que  les  Indiens  y  pêchoient  de  fort  belles  Perles. 
Les  vents  &  les  courans  lui  furent  fi  favorables,  que  le  19,  il  fe  trouva 
devant  la  Beata,  c'efl:-à-dire,  vingt  -  cinq  lieues  au  -  delà  de  San  -  Domingo. 
Ce  ne  fut  pas  fans  chagrin ,  qu'il  s'apperçut  de  l'erreur  de  fes  Pilotes.  El- 
le venoit  delà  néceflité  où  l'on  étoit  encore,  dans  un  tems,  où  ces  Mers 
étoient  fi  peu  connues,  de  voguer  toutes  les  nuits  en  tournoyant,  foit 
pour  éviter  les  Bancs ,  dont  on  ignoroit  la  fituation ,  foit  pour  fe  dérobber 
aux  Courans,  qui  baiflent  à  l'Ouefl:,  &  qui  pou  voient  jetter  fort  loin  les 
Navires.  Lorfqu'on  fe  vit  entre  la  Beata  &  l'Efpagnole,  où  la  dillance 
n'efl  que  de  deux  lieues  d'une  Ifle  à  l'autre ,  l'Amiral  envoya  fes  Barques 
au  rivage,  pour  fe  faire  amener  quelques  Infulaires ,  qu'il  vouloit  char-» 
ger  d'une  Lettre  pour  fon  Frère.  Une  arbalète  Efpagnole ,  qu'il  vit  en- 
tre leurs  mains,  lui  parut  d'un  fi  trifte  augure,  qu'elle  lui  fit  rappeller 
les  premiers  malheurs  de  la  Colonie.    Mais  on  avoit  vu  pafl'er  les  trois 

Na- 


(?)  Hiftoire  de  S.  Domingue,  Liv.  2. 

(r)  Non  à  VEJl,  comme  pdrte  l'Edition 
de  Paris.  R.  d.  E, 

(^)  Il  les  prioit  aufli  de  ne  pas  prêter 
l'oreille  à  la  calomnie.  Il  les  alTuroit  qu'il 
avoit  découvert  des  lieux ,  où  il  fe  trouvoit 
des  grains  d'or  du  poids  de  vingt  onces  ;  des 
morceaux  de  cuivre  de  cent  cinquante  livres, 
de  l'azur,  de  l'ambre,  du  coton,  du  poi- 

XriIL  Part. 


vre,  de  la  canelle ,  du  ftorax,  du  citrin, 
de  l'aloës ,  du  gingembre ,  de  l'encens ,  des 
mirabolans  de  toute  efpcce,  &  dehCalniya, 
herbe  à  côte ,  dont  on  pouvoit  faire  de  très- 
bonne  toile.  Mais  il  ne  parloit  pas  apparem- 
ment des  perles ,  qu'il  avoit  vues  en  fi  grand 
nombre ,  puifquc  fes  Ennemis  l'accufèrent 
d'avoir  déguifé  cette  préçicufc  découverte  k 
la  Cour. 


Cof.'  Ml, 

llI.Voy.v.e. 


Il  reprend 
vers  I  Jde 

Efpagnole. 


Ses  O'jfiT- 
v.iiior.s. 


Il  arrive  a  Iw 
vi^c  de  San- 
Domingo. 


o  • 


PREMIERS      VOYAGES 


ChutstopHe 
Colomb. 

111.  Voyage. 
1493. 
Il  n'y  trouve 

point  fcs  trois 

autres  Vuif- 

fcaux. 

• 

Route  qu'ils 
«voient  pril'c. 


Ils  ff  trou- 
vc-n  fur  la 
Côte  de  Xa. 


rngui. 


En  qi;cl 
état  ils  Tirri- 
vcnt  à  Sun- 
Domingo, 


Navires  au-dcflbus  de  San-Domingo  ;  &  l'Atlelantade ,  ne  doutant  pas  que 
ce  ne  ftlc  les  ficns,  avoit  aiiflQ-tôt  dépêché  une  Caravelle,  qui  ne  tarda 
point  à  les  joinclre. 

L'Amiral  entra,  le  22  ,dans  San-Domingo,  qu'on  nonimoit  déjà  la  Capî* 
taie  de  rifle.  Jl  fut  reçu  avec  beaucoup  d'iicclamations  ik  d'honneurs. 
Mais  la  joye,  qu'il  en  devoit  rcflcntir,  fut  tempérée  par  de  fàcheules  in- 
formations. Outre  le  trille  état  de  la  Colonie,  qui  avoit  eu  fi  long-tems 
la  faim  &  la  difcorde  à  combattre,  les  trois  Vaifleaux,  qu'il  y  avoit  en- 
voyés des  Canaries,  n'étoient  point  encore  arrivés.  Ils  avoient  été  em- 
portés par  des  Courans,  dont  les  Pilotes  ne  connoifToient  point  encore  la 
violence,  plus  de  cent  foixante-dix  lieues  au-delà  du  Port  de  San-Domin- 
go; &  n'ayant  pu  reprendre  leur  route,  ils  fe  trouvèrent  fur  la  Côte  de 
Xaragua,  fort  près  de  la  retraite  que  Roldan  avoit  choifie  avec  fa  Trou- 
pe. Ces  Rebelles  furent  d'abord  allarmés  de  voir  paroître  trois  Navires, 
&  les  crurent  envoyés  pour  leur  faire  la  Guerre;  mais,  un  peu  d'explica- 
tion les  ayant  détrompés,  lis  allèrent  à  Bord,  avec  la  précaution  de  diill- 
muler  leur  révolte.  Ils  demandèrent  des  nouvelles  de  l'Amiral;  &  tandis 
qu'ils  jouiflbient  des  rafraîchiflemens  qu'on  envoyoit  d'Efpagne  à  la  Colo- 
nie, ils  eurent  l'adrefle  de  perfuader,  aux  trois  Capitaines,  que  dans  la 
difficulté  de  remonter  à  San-Domingo,  contre  les  vents  &  les  courans,  qui 
portent  prefque  toujours  à  l'Oueft  dans  ces  Mers ,  ils  n'avoient  pas  d'autre 
réfolution  à  prendre  que  d'y  envoyer ,  par  Terre ,  une  partie  de  leurs  Ma- 
lades &  de  leurs  Ouvriers.  Cet  avis  couvroit  des  vues  fort  malignes.  II 
fut  fuivi;  &  Jean -Antoine  Colomb,  un  des  trois  Commandans,  fut  prié 
de  prendre ,  fous  fa  conduite,  quarante  Hommes  qu'on  fit  débarquer.  Mais, 
à  peine  furent-ils  à  terre,  que  Roldan  leur  exagéra  la  longuem*  &  les  diffi- 
cultés du  chemin.  Il  leur  repréfenta  les  travaux  qui  les  attendoient  aux 
Mines ,  la  faim  &  la  mifère  qui  règnoient  dans  les  Forts ,  la  hauteur  &  la 
dureté  des  Colombs;  &  leur  offrant  le  moyen  d'éviter  tant  de  malheurs, 
s-'ils  vouloient  s'attacher  à  lui  dans  une  Province  agréable  ,  où  les  vivres 
écoient  en  abondance ,  il  n'eut  pas  de  peine  à  féduire  des  Miférables ,  dont 
la  plupart  avoient  été  tirés  des  Prifons  &  dérobbcs  au  fupplice.  Il  ne  s'en 
trouva  que  huit,  qui  demeurèrent  fidèles  à  letir  Chef,  &  qui  retournèrent 
à. Bord.  Après  avoir  fait  des  efforts  inutiles  pour  rappeller  les  autres,  le 
Confeil  des  Vaifleaux,  très  certain  de  la  trahifon  de  Roldan,  prit  le  parti 
d'envoyer  Carvajal  par  Terre,  mais  avec  une  efcorte  mieux  choifie,  & 
plus  capable  de  fe  faire  refpe6ler ,  pendant  qu'Arana  &  Colomb  condui- 
roient  les  Navires  à  San-Domingo.  Carvajal  fe  chargea  aufllî  d'employer 
Bous  fes  foins,  pour  faire  rentrer  les  Rebelles  dans  la  foumiflfion.  Heureu- 
fement  l'Adelantade,  averti,  par  les  Indiens,  qu'on  avoit  vu  trois Vaifl^eaux 
fur  les  Côtes,  s'étoit  hâté  d'envoyer  une  Caravelle  pour  leur  fervir  de  gui- 
de. Ils  la  rencontrèrent;  &,  malgré  quelques  non  veaux  accidens ,  qui  fi- 
rent perdre  à  l'un  fon  gouvernail ,  ils  arrivèrent  au  Port  de  San-Domingo, 
peu  de  jours  après  l'Amiral.  Mais  la  plus  grande  partie  de  leurs  vivres, 
ayant  été  confommée  dans  un  fi  long  Voyage,  ils  n'apportoient ,  à  la  Co- 
lonie ,  que  de  nouvelles  bouches ,  qui  augmentèrent  la  famine. 


ce  qu 

gociat 
?y  del 

fidélit| 

toienci 

faite, 

grofTirl 

non-fel 

mode 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I. 


83 


CarvaJal  fuivit  de  près  fes  deux  Collègues.  Il  avolt  renoncé  à  l'cTpcratj- 
ce  de  ramener  Roldan  par  la  douceur.  Mais,  la  voyc  de  la  force,  qui 
reftoit  feule  à  tenter,  écoit  contraire  aux  inclinations  Je  l' Amiral.  Quoi- 
qu'en  arrivant  il  eût  commencé  par  fe  faire  montrer  le  Procès  que  l'Adelan- 
tade  avoit  inlîruit  régulièrement  contre  les  Rebelles,  ^  qu'il  en  eût  fait 


gociation  animée  par  la  prcience  «  par  les  loins.  L<epenuanc  ii  ne  crut  pas 
ry  devoir  engager,  fans  avoir  mis,  dans  fes  intérêts,  tous  ceux,  dont  la 
fidélité  lui  fcmbloit  fufpefte.  Comme  il  n'ignoroit  pas  que  plufieurs  fouhait- 
toient  vivement  de  retourner  en  Efpagne ,  &  que  la  difficulté ,  qu'on  avoit 
faite,  jufqii'alors ,  de  leur  accorder  cette  grâce,  n'avoit  pas  peu  fervi  à 
groflîr  le  Parti  des  Mécontens ,  il  fit  publier,  le  12  de  Septembre,  que 
non-feulement  il  feroit  permis  de  repafler  la  Mer,  à  ceux  qui  ne  s'accom- 
modfîroient  pas  du  féjour  de  l'Ille,  mais  qu'on  leur  fourniroit  des  Bàti- 
mens  &  des  vivres.  Cette  offre  fut  acceptée  d'un  grand  nombre ,  &  fidè- 
lement remplie. 

D'un  autre  côte ,  Roldan  n'eût  pas  plutôt  appris  le  retour  de  l'Amiral , 
qu'il  s'approcha  du  Fort  de  Bonao,  dans  une  Plaine  agréable  &  fertile,  h 
vingt  lieues  de  la  Capitale.  On  douta  d'abord  Ci  fon  deflein  n'étoit  pas  de 
l'attaquer.  Mais  l'Amiral  prévint  cette  réfolution ,  en  lui  faifant  ofi'rir  fon 
amitié.  Carvajal  «ScBallefler,  qui  lui  furent  envoyés  à  Bonao,  le  trouvè- 
rent avec  Efcobar ,  Mexica^  Gamits  &  Riquelme^  les  trois  principaux  Offi- 
ciers. Ils  n'épargnèrent  rien  pour  lui  faire  comprendre  que  fon  propre  in- 
térêt devoit  le  porter  à  fe  j-econcilier  avec  un  Chef,  qui  l'honoroit  encore 
du  nom  de  fon  Ami,  &  qui  étoit  difpofé  à  payer  fa  foumiffion  par  de  nou- 
velles faveurs.  La  négociation  dura  quelques  femaines.  On  s'écrivit ,  de 
part  &  d*autre ,  dans  des  termes  aiTe?  mefurés.  Mais ,  la  concUifion  n'en 
paroifFoit  pas  moins  éloignée,  furtout  lorfque  les  Complices  de  Roldan  fe 
furent  oppofés  à  l'entrevue  que  l'Amiral  demandoit  avec  lui ,  dans  la  crain- 
te apparemment  d'être  facrifiés  au  reflentiment  des  Colombs.  Enfin  Bal- 
lefter  fit  avertir  l'Amiral ,  que  ce  délai  n'étoit  pas  fans  danger  ;  que  le  nom- 
bre des  Mutins  croifToit  de  jour  en  jour  ;  qu'ils  avoient  déjà  féduit  plufieurs 
Soldats  de  fon  Efcorte,  &  qu'ils  paroilfoient  attendre  que  ce  pernicieux 
exemple  leur  en  attirât  d'autres ,  pour  fe  trouver  en  état  de  poufifer  plus 
loin  leurs  entreprifes.  Cette  Lettre  jetta  l'Amiral  dans  un  cruel  embarras. 
Il  fentit  la  nécelfité  de  prendre  une  réfolution  vigoureufe.  Les  Tributs 
n'étoient  pas  payés,  ou  pafToient  entre  les  mains  des  Rebelles;  &  les  In- 
fiilaires ,  charmés  de  voir  leurs  Vainqueurs  prêts  à  s'entre-détruire ,  laiflbient 
la  terre  fans  culture,  dans  l'efpérance  que  la  famine  acheveroit  de  les  en 
délivrer.  Il  étoit  même  à  craindre  qu'ils  ne  faillirent  une  fi  belle  occafion 
pour  recommencer  la  Guerre.  Des  raifons  fi  puifl^antes  firent  penfer,  aux 
Colombs,  qu'il  étoit  tems  d'employer  la  rigueur. 

^  Mais,  lorf qu'ils  entreprirent  de  raflembler  leurs  Troupes,  dans  la  réfolu- 
tion de  marcher  à  Bonao,  la  plupart  de  leurs  Soldats  refufèrent  de  les  fuivre. 
Il  ne  s'en  trouva  que  foixante-dix,  qui  paroi^bient  difpofés  à  prendre  les 

L  2 


Cor.oMi. 

lu  Vo5'P4;f. 

149  ^'• 


E.xpcdici.t 
dj  l'Amiral 
pour  nppri;;"i.'. 

les  Mc'cOU' 

tons. 


NégO':iatii>nfe 
avec  Roltltii. 


Raifons  qui 
empêchent  les 
Colombs 
d'enipl(.>yer  h 
rigueur. 


CnUT'!TO>ri»'. 

CoI.o^^ll. 
m.  VoyM^c. 

1 4y«« 


Retour  des 
Nav;n.s  en 


(S:  rcpi-Llcn- 

MtiullS  (]Uo 

l'Aiiîinl  fait 
à  la  Cour. 


84        P    R    E    M    I    lî    11    S      V    0    Y    A    G    E    S 

armes  (f)»  «Se  quelt^ucMins  fi  riifpcifts,  que  1* Amiral,  comptant  peu  fur 
leur  fidélité,  fit  publier  une  Déclaration,  qiii  portoit  l'abolition  du  pafiTé  , 
pour  ceux  qui,  dans  refpacc  de  leize  jours,  ou  il'un  mois,  s'ils  étoient  trop 
éloignés,  rcndroient  l'obéin'ance  qu'ils  dévoient  au  Roi,  leur  Souverain; 
avec  promcfil'  de  les  traiter  humainement,  lie  leur  payer  ce  qui  étoit  dû  de 
leur  mide,  &  d'accorder  le  paflage  à  ceux  qui  fouhaiteroicnt  de  retourner 
en  Efpagne.  Cette  efpèce  d'/\mniflie  fut  aflichée,  le  9  de  Novembre,  aux 
Portes  de  San-Domingo.  En  mémetems  il  envoya,  non-feulement  pour 
Roldan,  mais  pour  tous  ceux  qui  voudroient  l'accompagner,  un  Sauf-con- 
duit(v),  revécu  des  plus  fortes  afliirances  de  l'honneurtSc  de  la  bonne  foi. 

Dans  l'iniervalle,  il  comprit  que  les  Navires  ne  pouvoient  plus  dilVérer 
leur  départ  pour  l'fîfpagne.  Le  terme  prefcrit  étoit  expiré  depuis  près  de 
trois  femaines.  Quantité  d'Indiens,  qu'on  y  avoit  embarqués,  y  mouroient 
fans  pouvoir  être  fecourus  ;  &  les  Equipages,  dans  la  crainte  de  manauer 
de  vivres,  demandoient  impatiemment  qu  on  mît  à  la  voile.  11  fe  vit  aans 
la  nécelTité  de  les  faire  partir,  &  par  conféquent  d'informer  la  Cour  des 
defordrcs  auxquels  il  s'tffurçoit  i\c  remédier.  Il  dcmandoit  en  mêmc-tems 
des  Religieux,  peur  annoncer  l'Evangile  aux  Infulaires;  &  quelque  perfon- 
nage  d'un  mérite  diftin^ué  pour  l'adminidration  delà  Jul'lice,  fans  quoi  H 
fe  promettoit  peu  de  fruit  du  zèle  dos  MiflionnrJrcs.  Il  mandoit  aufll,  que, 
malgré  les  maladies,  que  la  fubtilité  de  l'air,  l'excès  de  la  chaleur,  &  la 
mauvaife  qualité  des  eaux,  avoient  caufées  dans  l'origine, les Caftillans  s'ac- 
coutumoient  au  climat,  &  fe  portoieiu  mieux  avec  les  alimens  Indiens, 
qu'avec  le  pain  de  Blé;  qu'ils  ne  manquoient  point  de  Porcs  &  de  Volaille, 
Si.  que  leur  principal  befoin  étoit  de  Vin  vis:  d'Habits;  que  l'Ifle  étoit  rem- 
plie de  gens  oififs;  qu'il  lui  paroiflbit  nécellairc  de  renvoyer,  en  Efpagne, 
à  chaque  Voyage,  ceux  qui  manqueroient  de  conduite  ou  de  foumiilion, 
6c  que  c'étoit  le  plus  rude  châtiment  qu'on  pût  leur  impoler;  d'autant  plus 
que,  depuis  la  révolte ,  il  étoit  devenu  fort  difficile  d'exercer  la  Juilice , 
fans  augmenter  le  nombre  des  Mécontens:  qu'à  l'égard  de  Roldan, il  croyoic 
Uwvoir  renvoyer,  à  Leurs  Majeftés ,  le  Jugement  d'une  Caufe  qui  rcgardoit 

par- 


(t)  L'un  faifoit  le  boiteux,  l'autre  le 
nialatij  ;  un  autre  donnoit  poi^r  cxcuTo  que 
fon  axi  étoit  avec  Roldan ,  &.  un  autre  fc 
difoit  fon  parent,  Hcrrcra,  ibidem,  Chap. 
14. 

(v)  La  finguiarité  de  fa  fonnc  l'a  fait 
coiiferver;;  „  Moi  ,  Chrifloplie  Coloml) , 
„  Amiral  de  l'Océan  ,  Viccrôi  &  Gouvcr- 
„  ncur  perpétuel  des  Iflcs  &.  Terre  •  ferme 
„  des  Indes  pour  le  Roi  &  la  Reine  nos 
„  Seigneurs,  leur  Capitaine  Général,  &  de 
„  leurConfeil.  Comme  il  efl:  néceflairc,  par 
„  rapport  aux  différends  qui  fe  font  élevés 
„  entre  lAdelantade,  mon  Frère,  &  l'Al- 
,,  calde  François  Roldan ,  &  fa  Compa,^nie, 
„  pendant  mon  abfencc ,  &  pour  y  apporter 
„  quelque  remède,   aOii  que  Leurs  Alteffes 


foycnt  r>.rvics,  qtic  l'Alcaiùe  vienne  ni'in- 
ftruire  de  ee  qui  s'eft  pafle,  particulière- 
ment de  ce  (pii  regarde  rÀdelnntadc  ,  A 
cnufe  qu  il  eft  mon  Frère:  Je  donne,  par 
ces  Prtfentes ,  au  nom  de  Leurs  Aitelfes  , 
toutes  les  alfuranccs  qu'il  peut  fouliaiter, 
tant  pour  lui  que  pour  ceux  qui  voudront 
l'accompagner,  en  cette  Ville,  promet- 
tant que  pendant  leur  voyage  &  leur  fé- 
„  jour  ici,  comme  dans  leur  retour  à  Bo- 
„  nào .  il  ne  leur  fera  fait  aucun  tort  ni  dé- 
„  plaifir.  Dequoi  je  donne  ma  foi  &  ma 
„  parole  de  Gentilhomme,  fuivant  la  coutu- 
„  me  d'Efpagne,  en  témoignage  dequoi  j'ai 
„  figné  le  préfeiit  Ecrit  de  mon  nom",  //ev 
rera,  Liv.  3.  Cbap.  14. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.   I. 


nf 


particulidrcmcnt  l'Aùclantade,  &  qu'il  les  prioit,  ou  de  faire  venir  los  Par- 
ties en  ECpagne,  ou  de  Taire  prendre  des  informations  par  des  Commillaircs 
dcfintércfll's;  qu'il  confcntoic  volontiers  que  les  Coupabl-.'s  c'ioiliUcnt  des 
Avocats,  auxquels  ils  rcmettroient  leurs  intciréts,  pourvu  qu'en  attendant 
la  décifion  de  Leurs  Majellés,  ils  fuflcnt  exafts  aux  devoirs  du  Service, 
ou  que,  pour  lever  le  Icandalc  d'un  exemple  dangereux  ,  ils  paflaUcnt  dans 
rilk  de  Portoric;  mais  que,  s'ils  continuoient  leurs  brigandages ,  il  ne  ré- 
pondoit  pas  que,  pour  fauver  la  Colonie,  il  ne  fût  bientôt  obligé  d'emplo- 
yer contr'eux  toutes  les  forces  qu'il  avoic  entre  les  mains  :  que  leur  obfti- 
naiion  dans  la  révolte  étoit  l'unique  raifon  qui  l'eut  empêché  de  faire  par- 
tir  l'Adelantade,  pour  continuer  la  découverte  de  la  Terre  -  ferme ,  avec 
trois  Vailieaux  qu'il  tenoit  prêts  pour  cette  expédition;  mais  qu'il  ne  pou» 
voit  fe  priver  de  cette  reirource,  Ck  fur -tout  du  fecours  d'un  auffî  brave 
Homme  que  Ton  Frère,  tandis  qu'il  étoit  à  peine  en  ftlreté  dans  la  Capita- 
le. En  elFet,  il  paroît  certain  que,  fans  cet  obflacJe,  l'Adelantade  eue 
découvert  la  Nouvelle  Efpagne  (x).  L'Amiral  envoya,  par  les  mêmes 
Vailieaux,  cent  foixante- dix  Perles,  &  quelques  pièces  d'or,  avec  quan- 
tité de  ces  Mouchoirs  de  différentes  couleurs  &  d'un  fort  beau  tiilu,  qu'il 
avoit  rapportés  de  fa  dernière  courfe.  Il  y  joignit  une  Defcription  des  Ter- 
res  qu'il  avoit  découvertes,  le  Pian  des  iJles,  &  la  Relation  de  toutes  les 
circonflances  de  Ton  Voyage  (y).  Mais  Tes  Lettres  ne  furent  pas  les  feu- 
les qui  partirent  de  l'Iile.  Koldan  &  Tes  Amis  envoyèrent,  à  Fonfeca,  Eve- 
que  de  Badajos,  des  Mémoires,  où  tout  leur  fiel  étoit  répandu  ,  &  qui  de- 
vinrent, entre  les  mains  de  ce  Prélat,  le  fondement  d'une  infinité  de  mau- 
vais oiïiccs  contre  les  Colombs.  Ce  fut  de  lui,  du  moins,  que  l'Amiral 
crut  avoir  reçu  les  plus  rudes  coups  (2). 

Apkiis  le  départ  de  fa  Flotte,  Koldaq,  fe  voyant  fans  prétexte  pour  re- 
fufer  le  Sauf- conduit  qu'on  lui  avoit  envoyé  ,  prit  le  parti  de  fe  rendre  à 
San -Domingo  ;  mais  avec  autant  de  diilimulation  que  d'audace,  &  moins 
dans  la  vue  de  fe  reconcilier  avec  l'Amiral ,  que  pour  débaucher  une  par- 
tie de  fes  gens.  Il  y  pallîi  quelques  jours ,  pendant  Icfquels  on  lui  fit  di- 
verfes  propoliiions,  dont  il  affeéloit  de  ne  pas  s'éloigner.  Cependant  il 
répondit  enluite  qu'il  ne  pouvoit  fe  déterminer  à  rien  fans  la  participation 
de  fes  Amis,  &.  cette  feinte  parut  juflifier  fon  retour  à  Bonao.  L'Amiral, 
malgré  toute  Ton  indignation  ,  le  fit  accompagner  par  Diego  de  SuJamnnca^ 
Ilomme  grave  &  judicieux,  pour  recevoir  les  explications  du  Confeil  des 
Rebelles.  Mais  elles  furent  exprimées  dans  des  termes  infolcns;  &  les  ar- 
ticles bleiïbient  également  l'autorité  de  la  Cour  &  l'honneur  du  Viceroi. 
Roldan,  qui  fçavoit  bien  qu'elles  ne  pouvoient  être  acceptées,  n'attendit 
point  laréponle,  &  partit  brufquement  pour  la  Conception,  qu'il  fe  llat- 
toit  de  furprendre.  Cette  Forterefie  étoit  en  fureté  fous  le  Commande- 
ment de  Ballefler.  Cependant,  après  avoir  defefperé  de  l'emporter  d'af- 
faut,  les  Rebelles  fe  promirent  de  la  prendre  par  famine,  &  commencèrent 
à  détourner  les  eaux. 


CllRt^trp.ts 

OlI.OMll. 

111.  \'0Y\v. 
I4i>8. 


Prtfcns  c]u'u 
y  cnvovf. 


Nouvelles 
inf()!cnc.3 
lie  RoUluii, 


f.r)  lî'rrcra,  Liv.  3.  Cba^.  1.5. 
Cï;  Ibidem, 


(2)  Ibid, 
L3 


86 


PREMIERS      VOYAGES 


CfirTSTorniî 

C  1.,     M. 

III.  Voyage. 

I  4  9  y. 

Tvaiti';  de 
l'Aiiiiral  avec 
les  Rebelle:;. 


11  cil  rompu 
par  h  perlklic 
de  Roklan. 


Moile'vation 
avec  laquelle 
il  cil  renoué 
par  l'Amira!. 


Ils  prefloient  ardemment  le  travail,  jorfqiie  l'Amiral,  fans  fe  rebuter 
de  tant  d'indignités,  leur  envoya  Carvajaî ,  pour  lequel  ils  avoient  toujours 
marqué  de  la  conlldération ,  avec  une  efpèce  de  plein -pouvoir,  qui  n'étoit 
burné  que  par  la  jufbice  &  l'honneur.  L'arrivée  de  cet  Officier  fit  recom- 
mencer les  négociations.  Elles  fe  terminèrent  par  un  Traité ,  dont  la  con- 
cluàon  fut  qu'ils  retourneroient  tous  en  Efpagne  ;  qne  l'Amiral  leur  feroit 
conduire,  au  Port  de  Xaragua,  deux  Vaifleaux  bien  équipés;  qu'ils  au- 
roient  la  liberté  d'y  embarquer,  avec  eux,  leurs  Maîtrefles  Indiennes, 
groflfes  ou  nouvellement  accouchées  ;  que  l'Amiral  leur  donneroit  des  Cer- 
tificats de  fervice  &  de  fidélité ,  &  qu'il  leur  feroit  reftituer  tout  ce  qu'ils 
fe  plaignoient  qu'on  leur  avoit  pris  (a).  Roldan  figna  ces  Articles,  le  14 
de  Novembre ,  à  condition  qu'ils  feroient  ratifiés  dans  l'efpace  de  dix  jours; 
&  l'Amiral,  en  les  lignant,  peu  de  jours  aprè^,  y  mit  auflî,  pour  condi- 
tion ,  que  les  Rebelles  partiroient  dans  cinquante  jours.  11  donna  aulfi-tôt 
des  ordres,  pour  faire  préparer  les  deux  Vaifleaux,  &  Roldan  reprit  le 
chemin  de  Xaragua.  Plufieurs  de  fes  Complices  ayant  témoigné  qu'ils  n*é- 
toient  pas  difpofés  à  pafl^er  en  Efpagne ,  l'Amiral  leur  fit  déclarer  qu'ils 
étoient  libres  de  demeurer  dans  l'Ille ,  de  s'y  établir,  &  de  s'y  remettre 
même  à  la  folde,  fans  autre  condition  que  le  refpeél  &  la  fidélité  qu'ils  dé- 
voient aux  Loix.  Les  Bâtimens,  qu'il  leur  avoit  promis,  partirent  pour 
Xaragua;  mais,  ayant  été  battus  d'une  violente  tempête,  ils  n'y  purent 
arriver  dans  le  tems  dont  on  étoit  convenu.  Roldan  prit  ce  prétexte  pour 
rompre  abfolument  le  Traite  ,  en  publiant  que  l'Amiral  n'avoit  eu  deflein 
que  de  le  tromper.  En  vain  Carvajaî,  au  defefpoir  de  cette  perfidie,  fit 
retentir  fès  plaintes,  &  fomma  même  les  Rebelles,  par  un  Afte  authentique, 
d'exécuter  des  conventions  qu'il  avoit  garanties  (  b). 

Mais  tout  le  poids  d'un  chagrin  fi  fenfible  tomba  fur  TAmiral ,  qui  avoit 
facrifié  fes  deux  Vaifll'aux  au  falut  de  la  Colonie.  Les  Illes  des  Perles ,  & 
la  découverte  uii  Continent,  étoient  deux  objets  ,dont  il  ne  pouvoit  fe  dé- 
tacher ;  &  la  fidélité ,  qui  lui  faifoit  préférer  un  rigoureux  devoir  à  de  fi 
belles  efpérances,  lui  fit  fentir  une  extrême  douleur,  de  voir  ks  foins  fi 
mal  reconnus.  Cependant  il  écrivît  encore  à  Roldan  ,  &  dans  des  termes 
qui  n'auroient  pas  manqué  de  faire  imprefllon  fur  un  cœur  moins  farouche; 
mais  il  n'en  reçut  qu'une  réponfe  arrogante  &  préfomptueufe.  On  ne  s'ar- 
rèteroit  pas  fi  long -tems  au  récit  de  cette  odieufe  querelle,  fi  tous  les  Hif- 
toriens  n'avoicnt  jugé  ce  détail  important,  pour  l'explication  des  événe- 
mens  qui  doivent  le  fuivrc.  Enfin,  Carvajaî  ayant  renoué  la  négociation, 
fa  fermeté  parut  en  impofer  aux  Rebelles.  On  fit  un  nouveau  Traité, 
dont  le  principal  Article  rétabliflbit  Roldan  dans  l'exercice  de  fon  Emploi , 
&  hillbit,  à  fes  Complices,  la  liberté  de  partir  ou  de  demeurer,  avec  des 
avantages  que  ks  plus  fidèles  Sujets  de  l'Efpagne  n'auroient  ofé  demander 
pour  de  longs  fervices  (c).    L'Amiral  accorda  tout,  avec  une  modération 

qui 


qui  1 
lemj 
del'J 
méni 
aux  r 
la  Pi 


C  h  )  IbicL 

le)  Le  Traité  portoit  „que  François  Roi- 
5,  (.laii  laoit  cré^i  de  nouveau  Alcaklo  Ma- 


,,  jor ,  par  des  Provifions  Royales  ;  qu'il 
,,  pourroit  envoyer,  do  l";n  propre  choix, 
„  quinze  hommes  en  Caftillc;  qu'à  tous  ceux 
„  qui  demeurcroient,  il  feroit  donné  des  Dé- 

„  par- 


EN      A    M    E    R    I-  Q    U    E,    Liv.  I. 


sr 


qu'il 

hoix, 

ceux 

par- 


Roldan  ren- 
tre dans  fcs- 
£iiipIoU. 


qui  lui  fit  étouffer  jufqu'à  l'apparence  du  reflentiment.    Il  confKÎeroît  que    ^colS'* 
le  mal  étoit  devenu  plus  contagieux  que  jamais;  que  dans  pjuficurs  parties    j^j  Voyage. 
de  rifle  ,  les  Indiens  paroiffoient  prêts  à  fe  foulever;  &  que  les  Caftillans       1498. 
même,  qui  lui  avoient  été  le  plus  attachés,  commençoient  à  porter  envie 
aux  richelTes  des  Rebelles.     Quelques-uns  parloient  déjà  de  fe  retirer  dans 
la  Province  delliguey,  vers  le  Cap  de  San-Rafaei,  où  ils  fe  flattoient  de 
trouver  de  l'or,  &  de  vivre  dans  l'indépendance.    D'un  autre  côté,  l'Ami- 
ral avoit  reçu  des  Lettres  de  l'Evéque  de  Badajos,  qui,  s'appuyant  fur  la 
faveur  de  la  Reine ,  lui  reprochoit  de  manquer  d'habileté  pour  faire  régner 
la  paix  dans  fon  Gouvernement.     Ces  raifons  eurent  tant  de  pouvoir  fur 
fon  efprit  &  fur  celui  de  ^ts  Frères,  que,  n'ayant  fait  difloiculté  de  rien, 
les  Articles  furent  fignés  &  s'exécutèrent  enfin  de  bonne  foi.     Roldan  ren- 
tra comme  triomphant  dans  la  Capitale.    Il  reprit  les  fondions  d'Alcalde 
Major ,  avec  quantité  de  nouvelles  prétentions ,  qu'il  fit  valoir  infolem- 
ment,  &  que  perfonne  n'ofa  lui  contefler  {d). 

Les*  deux  Caravelles  mirent  à  la  voile  pour  l'Efpagne.  L'Amiral  avoit 
été  tenté  de- s'y  embarquer ,  pour  aller  rendre  compte  lui-même,  à  la  Cour, 
d'une  affaire  à  laquelle  il  voyoit  qu'on  ne  donnoit  point  un  tour  favorable 
en  Efpagne.  Il  regretta  dans  la  fuite  de  n'avoir  pas  fuivi  ce  mouvement. 
Mais  fa  préfence  lui  parut  néceffaire  dans  l'ifle ,  où  la  Province  des  Cigiu- 
yos  commençoit  à  remuer;  &  l'intérêt  public  l'emporta  fur  le  fien.  Ce- 
pendant il  fit  partir  Ballefter  &  Garcias  de  Barantes,  chargés  de  toutes  les 
informations  qu'il  avoit  fait  recueillir  contre  les  Rebelles.  Dans  la  Lettre 
qu'il  y  joignit,  il  expofoit  les  funeftes  effets  de  la  révolte,  la  néceffité  où 
il  s'étoit  vu,  pour  conferver  la  Colonie,  de  figner  des  Articles  dont  il  gé- 
miffoit,  &  combien  il  feroit  dangereux  que  Leurs  Majeftés  ratifiafl'ent  un 
Traité  ,  qui  bleffoit  tous  les  droits  de  l'autorité  fuprème.  Il  ajoûtoit  que , 
depuis  la.  conclufion  du  Traité,  les  Rebelles  tenoient  une  conduite  qui  au- 
lorifoit  la  Cour  à  defavouer  ce  qu'on  leur  avoit  promis  en  fon  nom;  que 
d'ailleurs  ils  étoient  redevables  de  tous  les  tributs  des  Rois  &  des  Seigneurs 
Indiens,  qu'ils  avoient  détournés;  qu'il  n'avoit  pu  leur  donner  un 'acquit 
de  ces  dettes ,  ni  révoquer  deux  Sentences ,  par  lefquelles  ils  avoient  été 
déclarés  Traîtres,  convaincus  de  rébellion,  &  condamnés  à  ce  titre.  Il 
faifoit  de  nouvelles  infiances  pour  obtenir  un  Magiftrat  habile ,  auquel  il 
demandoit  qu'on  joignît  un  Intendant  des  Finances  &  un  Tréforier  Royal. 
Il  repréfentoit,  que  H  Leurs  Majeftés  vouloient  être  fidèlement  fervies, 
par  les  Gouverneurs  qu'il  établiffoic  fous  leurs  ordres,  il  étoit  important  de 
leur  accorder  des  honneurs  &  des  récompenfes  proportionnées  à  leurs  fcr- 

viccs. 


CommeiK 
l'Amiral  rend 
compte  de  la 
révolte  à  U 
Cour. 


,,  partemcns  en  propre,  des  Terres  pour  la- 
,,  bourcr,  &  à  chacun  une  Ordonnance  pour 
„  être  payés  de  leur  folde;  que  l'Amiral  fe 
„  roit  publier,  à  fon  de  trompe,  que  tout 
„  ce  qu'on  attribuoit  de  mal  à  Roldan  &  à 
„  fcs  Amis,  étoit  fuppolc  par  de  faux  té- 
,,  moins,  qui  leur  vouloient  du  mal,  &  qui 
,,  n'aimoicnt  pas  le  Service  du  Roi  ".  Ces 
Articles  ayant  été  accordés ,  Roldan  en  alla 
rendre  compte  à  fes  Complices;   &,   deux 


jours  après ,  ils  envoyèrent  un  modèle  des 
Provifions  Royales,  qui  conte, loit  plufiairs 
articles  indéccns ,  ridicules  &  infupportabîcs. 
Le  dernier  portoit,  que  fi  l'Amiral  u'eilectuoit 
pas  ce  qu'il  avoit  promis ,  il  leur  feroit  per- 
mis de  le  raflembler  &  de  réunir  toutes  leurs 


forces  pour  l'y  contraindre. 
16. 
{d)  Ibidem. 


Liv.  3.  Cbai'. 


ss 


PRE    M    1ER'   s      VOYAGES 


CriRTSTorriE 

CoLOMil. 

m.  Voyage. 
1498. 

11  dc'nanclc 
qu'oii  lui  vn- 
voyofonfils. 


Divers  Eta- 
hlliremcnsqui 
fc  forment 
dans  rillc  Ef- 
prignoie. 


vices.'  Enfin  ,  il  fnpplioit  !e  Roi  &  la  Reine  de  confidérer  qu'il  touchoit  à 
l'iige  caduc;  que  Dom  Diegue,  Ton  Fils  aîné,  commençoic  à  fe  trouver 
capable  ae  les  fervir,  &.  qu'étant  dcfliné  à  lui  fucceder,  il  ctoit  à  propos 
de  l'envoyer  aux  Indes,  pour  le  former  aux  afi'aires,  6c  le  rendre  digne 
de  leur  confiance  ,  dans  les  deux  grandes  Charges  d'Amiral  &  de  Vice- 
roi  (c). 

A  peine  les  Caravelles  furent  parties ,  que  Roldan  prtTenta  un  Memoir» 
à  l'Amiral,  au  nofn  d'une  centaine  de  fes  Partifans,  qui  demandoient  des 
Terres  dans  la  Province  de  Xaragua.  Cette  propofition  avoit  fus  dangers. 
La  prudepce  ne  permettoit  pas  de  laifTer  prendre  des  Etabliflemcns ,  dans 
le  même  Canton,  à  tant  de  gens  qui  faifoient  profeflîon  des  mêmes  prin- 
cipes ,  &  qui  étoient  capables  de  perpétuer  la  révolte.  L'Amiral  traîna  fa 
réponfe  en  longueur.  Il  fit  naître  adroitement  des  occafions  ,  qui  infpirè- 
rent ,  aux  Mécontens ,  du  goût  pour  d'autres  parties  de  J'Iile.  Les  uns 
s'établirent  à  Bonao  ;  d'autres  au  milieu  de  la  Vega  Real ,  fur  les  bords  de 
Rio  -  verde.  Quelques-uns  paflTèrent  fix  lieues  au  -  delà  de  San  -  Yago ,  dans 
la  même  Plaine ,  en  tirant  vers  le  Nord.  L'Amiral  leur  diftribua  des  Ter- 
res, avec  environ  vingt  mille  pieds  de  Manioc  (/),  &  nomma,  dans 
leurs  Patentes  ,  les  Caciques  de  chaque  Canton,  pour  obliger  ces  petits 
Princes  de  faire  cultiver,  par  leurs  Sujets,  les  terrains  qui  étoient  dans 
leur  dépendance.  Telle  eft  l'origine  de  ces  partages  Indiens ,  qui  fe  mul- 
tiplièrent enfuite  fous  les  noms  de  Repartimemos,  &  fous  d'autres  titres. 
Roldan  demanda,  pour  lui  -  même ,  des  Terres  confidérables ,  qui  lui  furent 
accordées  ,  avec  toutes  fortes  d'avantages ,  aux  environs  d'Ifabelle  (g). 
Quoiqu'il  ne  changeât  rien  à  fa  conduite,  l'Amiral  diffimuloit  des  infjl- 
tes,  dont  il  efpéroit  d'être  vangé  par  la  Cour.  Il  fe  détermina  même  à 
lui  donner  fa  confiance,  dans  une  occafion  fort  délicate,  où  les  vues  de 
fa  politique  ne  fur€;nt  pas  trompées ,  <Sc  dont  le  récit  appartient  à  l'Article 
fuivant. 


(  e  )  Ibidem. 

(f)  Herrera  dit ,  „  vingt  mille,  plus  ou 
moins,  de  ces  fouches  qui  produifent  le 
pain  ;  on  diroit  des  feps  de  vignes ,  ajoû- 
te-t'il ,  avec  cette  difFérence ,  que  les  feps 
de  vigne  durent  long-tems  ,  &  que  ces 
fouches  ne  durent  pas  plus  de  trois  ans 
fans  les  renouveller  ". 
{g)  Ibidm. 


Nota.  On  peut  voir,  pour  l'Article  fuivant,  la 
Carte  des  Provinces  de  Cartbagene  ,  Sainte 
Marie  &f  Venezuela,  au  Tome  XVI.  pag. 
246.  de  nôtre  Edition,  où  nous  avons  cru 
pouvoir  l'employer  à  propos .  d'avance ,  ainfi 

3ue  quelques  autres ,  auxquelles  on  aura  foin 
e  renvoyer ,  aux  endroits  de  ce  Volume,  où, 
fans  cela,  elles  auroient  dû  être  placccs,  ce 
qui  revient  au  même.  R.  d,  E. 


^ 


I  y. 


t  ;•» 

'f; 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.   I.  89 

§.    I  V. 

Foyage  à'/îlfonfe  d'Ojeda ,  de  Jean  de  la  Cofa  ,  ^  d'Mmc  Vefpce. 

LA  découverte  du  Continent  &  des  Perles ,  dont  les  premières  nouvel- 
les étoient  arrivées  en  Efpagne ,  par  la  Flotte  aue  l'Amiral  y  avoit 
renvoyée  à  Ton  retour,  avoit  caufé  beaucoup  de  fatisfaélion  à  Leurs  Ma- 
jeftés  Catholiques;  mais  un  événement  ,  qui  lui  faifoit  tant  d'honneur, 
n'avoit  pas  manqué  de  réveiller  la  haine  &  la  jaloufie.  L'Evêque  de  Bada- 
jos,  qu'on  pouvoit  alors  nommer  le  Miniftre  des  Indes,  parce  qu'il  étoit 
chargé  de  tous  les  ordres  qui  regardoient  les  nouveaux  Etabliiremens ,  prit 
cette  occafion  pour  lui  nuire.  Il  recevoit  familièrement  Alfonfe  d'Ojeda  , 
qui  étoit  retourné  depuis  peu  à  la  Cour  d'Efpagne.  Cet  adroit  Avanturicr, 
n'ayant  pas  eu  de  peine  à  découvrir  qu'il  avoit  pris  de  l'averfion  pour  les 
Colombs  ,  lui  infpira  le  defir  de  partager  avec  eux  la  gloire  des  décou- 
vertes. Après  avoir  obtenu  la  communication  des  Plans  &  des  Mémoires 
de  l'Amiral,  il  follicita  la  permilVion  d'armer,  pour  continuer  une  entre- 
prife ,  qui  ne  demandoit  plus  que  de  l'induftrie  &  du  courage.  11  l'obtint 
de  TEvêque,  qui  la  figna  de  fon  nom  ;  mais  elle  ne  fut  point  fignée,  & 
peut-être  fut -elle  ignorée,  des  Rois  Catholiques.  Elle  portoit  qu'Ojeda 
pourroit  découvrir  le  Continent,  &  tout  ce  qui  s'offriroit  à  fes  recherches, 
fans  autre  condition  que  de  ne  pas  entrer  fur  les  Terres  du  Portugal ,  ni  fur 
celles  qui  avoient  été  découvertes,  au  nom  de  TEfpagne ,  jufqu'à  l'année 
1495.  C'étoit  violer  formellement  les  conventions  de  l'Amiral  avec  la 
Couronne. 

Cette  Commiffion  ,  d'un  Miniftre,  à  qui  Leurs  Majeftés  avoient  confié 
toutes  les  affaires  des  Indes ,  eut  bientôt  raflemblé  quantité  d'Efpagnols  & 
d'Etrangers,  qui  brûloient  de  tenter  la  fortune,  ou  de  fe  lîgnaler  par  des 
avancures  extraordinaires.  Ojeda  trouva  des  fonds  dans  Seville,  pour  ar- 
mer quatre  Vaifleaux.  Il  prit,  pour  premier  Pilote,  Jean  de  la  Cofa,  na- 
tif de  Bifcaye,  homme  d'expérience  &  de  réfolution.  Jmeric  (-"efpuce,  ri- 
che Négociant  Florentin ,  verfé  dans  la  Cofmographie  &  la  Navigation , 
s'intérelTa  dans  l'Armement,  &  voulut  courir  aufîi  tous  les  dangers  du  Vo- 
yage (a).  La  Flotte  fe  trouva  prête  le  20  de  Mai ,  &  mit  le  même  jour 
à  la  voile. 

On 


CiiRisTorjic 

CoLOMU. 

m.  Voyage. 
1499. 


Ojeda  et 
Vespuce. 
L'Evêque 
de  Badajos 
futcitc  des 
Concurrcns  ;'i 
l'Amiral. 


Alfonfe  Oje- 
da cfl  envoyé 
pour  tenter 
de  nouvelles 
découvertes. 


Il  s'aflbcie 
avecjeandela 
Cofa  &  Ame- 
ric  Vefpucc. 


I  V. 


(a)  C'cft  le  même,  qui  a  donné, au  Con- 
tinent du  nouveau  Monde,  le  nom  d' Améri- 
que, malgré  toutes  les  réclamations  des  Ef- 
pagnols.  ils  laccufcnt  de  s'en  être  attribué 
iiijuilcment  la  découverte  ,  &  d'avoir  dérob- 
bé  cet  honneur,  foit  à  leur  Amiral,  foit  à 
Ojeda  &  Jean  de  la  Cofa,  tous  deux  de  leur 
Nation.  J-a  quefiion  eR  de  favoir  de  quel 
côté  ell  l'injudice  :  cet  examen ,  demandant 
des  difcuflîons  qui  ne  conviennent  point  ici , 
on  croit  devoir  fe  borner  aux  llemarques  de 

XriII.  Part. 


rintroduftion ,  &  répéter  feulement  que  Vcf- 
puce  e(t  même  accufé  d'avoir  publié  de  faul"- 
ies  Relations  ,  pour  en  impafer  nùeux  au 
Public.  11  y  a  tranlpofé,  dit -on,  les  tems 
&  les  Faits.  "  C'eft  le  doute  où  l'on  e(l  relié 
là-deirus,  qui  empêche  rie  lour-donner  place 
ici.  Klks  fe  trouvent  au  nombre  de  trois, 
à  la  fuitj  di-'S  Décades  de  Pierre  Martyr,  & 
dans  le  Recueil  de  Ramufio  ;  Cs;  quelque  idée 
qu'on  doive  prendre  de  la  bonne  foi  de  leur 
Auteur,  elles  s'accordent  alFez  avec  ce  qu'on 

M 


va 


90 


PREMIERS      VOYAGES 


CHRtSTOPIlE 

Colomb. 

III.  Voyage. 

1499. 

O  J'"  DA   ET 

Vkspuce. 
Sa  route. 

Il  arrive  au 
Continent  de 
l'Amérique. 


Simation  du 
Pays  qu'il  dé- 
couvre. 


Caraftère  & 
ufagcsdesHa- 
<bitans. 


On  prit  la  route  de  l'Ouefl:;  &,  tournant  enfuite  au  Sud,  on  ne  fut  pas 
plus  de  vingt -fept  jours  à  découvrir  une  Terre,  qu'on  reconnut  bientôt 
pour  le  Continent.  La  crainte  des  écueils  obligea  de  mouiller  à  quelque 
diflance  du  rivage;  mais  plufieurs  Matelots,  s'en  étant  approchés  dans  les 
Barques,  y  virent  un  grand  nombre  d'Indiens  nuds,  qui  paroiflbient  les 
conlidérer  avec  beaucoup  d'admiration  ,  &  qui  s'éloignèrent  promptement 
lorfqu'on  s'efforça  de  les  attirer  par  des  fignes.  Comme  la  Flotte  étoit 
dans  une  Rade  ouverte,  où  les  moindres  vents  étoieut  redoutables,  Ojeda 
réfolut  de  fuivre  la  Côte  pour  chercher  un  Port.  Après  deux  jours  de  navi- 
gation, il  en  découvrit  un;  &  la  vue  d'une  multitude  d'Indiens,  qui  ac- 
couroient  de  toutes  parts,  ne  l'empêcha  point  d'y  faire  defcendre  quarante 
Hommes,  avec  d-^s  fonnettes,  dont  le  bruit  eut  plus  de  pouvoir  que  les  té- 
moignages de  paix  &  d'amitié  ,  pour  arrêter  ces  Barbares.  Cependant,  la 
nuit  ayant  rappelle  les  Cartillans  à  Bord ,  ce  ne  fut  que  le  lendemain ,  à  l'ai- 
de des  fonnettes  &  de  divcrfes  bagatelles  de  l'Europe,  qu'on  vit  naître  tout 
d'un  coup  la  confiance.  Ces  Indiens  étoient  d'une  taille  médiocre,  mais 
bien  proportionnée.  Ils  avoient  le  vifage  &  le  front  larges,  la  peau  d'une 
couleur  qui  pouvoit  être  comparée  à  celle  du  poil  de  Lion,  &  toutes  les  ap- 
parences d'un  caraftère  fort  humain. 

Ojeda  fe  crut  allez  fur  de  leurs  difpofitions,  pour  efpérer  d'eux  tous  les 
rafraîchiiremens  qu'ils  pourroient  fournir  à  la  Flotte.  11  fit  defcendre  une* 
partie  de  fes  gens,  pour  vifiter  le  Pays.  Les  Plantes  &  le  Poiflbn  y  pa- 
roiflbient faire  la  principale  nourriture  des  Ilabitans ,  avec  une  efpèce  de 
Pain,  compofée  d'une  racine,  qu'ils  nommoient  Tuca.  Mais  les  Animaux 
fauvages  ,  qui  s'y  trouvoient  en  abondance,  offrirent  une  chalTe  facile  aux 
Caftillans.  L'eau  y  étoit  fi  faine,  que  pour  guérir  les  Malades,  fur -tout 
ceux  qui  étoient  attaqués  de  la  fièvre,  l'ufage  du  Canton  étoit  de  les  pion, 
ger  dans  l'eau  froide  ,  &  de  les  mettre  enfuite  devant  un  grand  feu  ,  après 
quoi  quelques  heures  de  fommeil  achevoient  de  les  rétablir.  La  fituation 
&  la  fraîcheur  des  Terres  en  rendoient  la  vue  &  le  féjour  fort  agréables. 
Mais  on  n'y  découvrit  aucune  apparence  d'or.  Ce  Pays,  autant  qu'on  en 
pût  juger  par  la  fuite  du  Voyage,  eft  d'environ  deux  cens  lieues  au-deffus 
de  rOrenoque. 

Pendant  vingt-fept  jours,  que  les  Caftillans  donnèrent  au  repos,  ils  de- 
vinrent allez  familiers  avec  les  Habitans,  pour  reconnoître  une  partie  de 
leurs  ufages.  Ces  Peuples  ne  conlervoient  pas,  fur  le  corps,  d'autre  poil 
que  les  cheveux ,  pour  ne  pas  relTembler  ?.ux  Bêtes.  Ils  étoient  extrême- 
ment agiles  &  fort  bons  nageurs.  On  ne  remarqua  point  qu'ils  eulTent  un 
Roi,  ni  des  Chefs  auxquels  ils  fuflent  obligés  d'obéir.  Ils  n'avoient  point 
de  règle  ,  ni  d'heure  fixe  pour  leurs  repas.  Chacun  mangeoit  lorfqu'il  y 
étoit  excité  par  la  faim.  Ils  mangeoient  afiTis,  &  toujours  fort  peu.  Leur 
vaiflTelle  étoit  des  vafes  de  terre,  qu'ils  fabriquoient  eux-mêmes,  &  des 

cale- 


va  lire  d'après  les  EPpa^noIs.  lïcrrcra  ne 
m(inage  point  Vcfpucc  ;  &  l'Hiftoricn  de 
Saint  Doiningue  foutient  là-defliis  toutes  les 
prétentions  des  Efpagnols.    Mais    il  paroît 


impoflîble  de  démêler  exadcmcnt  h  vérité, 
dans  un  fi  grand  éloignement ,  au  travers 
des  ténèbres  que  les  deux  Parties  y  ont  ré- 
pandues. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I. 


91 


s  de- 
de 
poil 

eme- 
un 

■)oint 

'il  y 

.eur 

des 

:ale- 

'■rité, 
avers 


caiebafles  de  diverfes  formes.  Ils  dormoient  dans  des  Hamacs  de  coton , 
fulpcndus  à  des  arbres,  par  les  quatre  coins.  Quoiqu'ils  obfervaflent ,  de- 
vant les  Femmes,  une  forte  de  décence,  ils  ne  fè  retiroient  point  à  l'écart 
pour  les  befoins  naturels.  Leurs  mariages  étoient  libres  ;  c'eftàdire,  qu'ils 
marquoient  auflî  peu  de  jaloufie  que  d'attachement  pour  leurs  Femmes ,  & 
qu'ils  ne  paroiflbient  tirer  aucun  droit  de  la  qualité  de  Maris.  Elles  ne  laif- 
foient  pas  de  multiplier  beaucoup ,  &  la  groflefle  ne  les  difpenfoit  pas  du 
travail.  L'accouchement  leur  caufoit  fi  peu  d'embarras  &  de  douleur,  qu'a- 
près s'être  lavées  dans  une  Rivière ,  elles  fembloient  n'avoir  rien  perdu  de 
leur  vigueur  &  de  leur  gaieté  :  mais ,  au  moindre  fujet  de  plainte  contre  le 
Père,  elles  prenoient  le  jus  de  quelques  Herbes,  qui  détruifoit  infaillible- 
ment leur  fruit,  &  cette  facilité  à  fe  faire  avorter,  leur  attiroit,  de  la  part 
?|  des  Hommes ,  beaucoup  de  complaifance  &  de  ménagement.  Les  deux 
Sexes  étoient  nuds,  à  l'exception  des  reins,  qu'ils  fe  couvroient  d'une  cein- 
ture de  feuilles  ou  de  coton  ;  mais  ils  étoient  fort  propres ,  par  le  foin  con- 
tinuel qu'ils  avoient  de  fe  laver.  Leurs  Maifons  étoient  communes  ,  &  la 
plupart  allez  grandes  pour  contenir  foixante  perfonnes.  Elles  pouvoient 
palfer  pour  de  fimples  retraites,  contre  l'excCs  de  la  chaleur  &  les  autres 
injures  de  l'air;  car  elles  n'étoient  habitées  que  paflagèrement ,  &  dans  les 
Qccalîons  où  les  Animaux  mêmes  cherchent  à  fe  mettre  à  couvert.  Dans 
cette  grandeur ,  leur  forme  étoit  celle  d'une  cloche ,  quoique  le  toît  ne 
fût  compofé  que  débranches  d'arbres  &  de  feuilles  de  Palmier;  les  murs 
étoient  aflez  folides ,  pour  réfifter  à  la  violence  des  vents.  On  crut  com- 
prendre, par  les  fignes  qui  fervoient  à  s'expliquer,  que  les  Indiens  en  chan- 
geoient  de  huit  en  huit  ans ,  pour  éviter  les  maladies  qu'ils  craignoient  de 
l'infeélion  de  l'air.  Leurs  richeflTes ,  ne  confiftant  que  dans  leurs  ornemens 
perfonnels,  qui  étoient  quelques  plumes  de  diverfes  couleurs,  de  petites 
boules  d'os  de  PoiiTon,  &  des  pierres  vertes  ou  blanches,  qu'ils  portoient 
pendues  aux  lèvres  &  aux  oreilles ,  ces  tranfmigrations  n'avoient  rien  d'em- 
barralTant;  &de-là  venoit ,  fans  doute,  l'indifférence  qui  les  empêchoit 
aufli  d'avoir  plus  d'attachement  pour  une  "Maifon  que  pour  une  autre.  Ils 
n'avoient  aucune  idée  de  commerce  ni  d'échange;  &  leurs  defirs  ne  s'éten- 
dant  pas  au-delà  de  leurs  befoins,  dont  la  Nature  faifoit  prefque  tous  les 
fraix,  par  l'abondance  des  Herbes,  des  Racines  &  du  PoilTon,  ils  don- 
noient  libéralement  tout  ce  qu'on  leur  demandoit,  mais  ils  prenoient,  avec 
la  même  franchife,  ce  qui  piquoit  leur  curlofité,  qui  étoit  fatisfaite  néan- 
moins par  un  moment  de  pofl'^fliou;  comme  fi  le  même  fond  de  carafilère, 
qui  leur  faifoit  délirer  peu ,  ne  leur  eût  pas  permis  de  s'attacher  beaucoup. 
Cependant,  ils  paroifToient  fenfibles  à  l'amitié  ;  &  parmi  les  Caflillans,  ils 
diftinguoient  ceux  dont  ils  avoient  reçu  le  plus  de  carelfes.  Ils  leur  ame- 
noient  leurs  Femmes  &  leurs  Filles,  avec  lefquelles  ils  les  excitoient  à  fe 
réjouir;  &  les  vivres  du  Pays  étoient  offerts  de  même  à  ceux  qui  vouloient 
les  accepter.  On  obferva  qu'ils  ne  pleuroient  point  leurs  Morts ,  &  qu'ils 
ne  paroilîbient  pas  même  touchés  de  leur  perte.  Lorfqu'un  de  leurs  Pa- 
rcns  étoit  attaque  d'une  maladie  mortelle,  &  qu'ils  le  croyoient  proche 
de  fa  dernière  heure ,  ils  le  portoient  à  la  Montagne  voifine ,  dans  un  Ha- 
mac, qu'ils  attachoient  aux  arbres;  ils  chantoient  &  danfoient  tout  le  jour 

M  2  au- 


CuRrsToriiE 
Colomb. 

m.  Voyage, 
1499. 

OjEVîA  £T 

Vespuce. 


9» 


PREMIERS      VOYAGES 


CURTSTOptlE 
COLOMÎI. 

III.  Voyage, 
ï  499. 

O  ]  1;  u  A  n  T 
Vespuce 


Ojeda  dé- 
couvre iri 
Village  lULié 
comme  Veni- 
se. 

II  le  nomme 
Venezuela. 


Démêlé  des 
Callilbns  a- 
vec  les  In- 
i^icns. 


Utilité  qu'O- 
ieda  tire  des 
Mémoires  de 
Colomb. 


autour  de  lui.  Enfuice,  lui  laiflant  à  boire  &  à  manger  pour  trois  ou  qua* 
tre  jours,  il  fe  retiroient,  fans  lui  rendre  d'autres  foins  dans  l'intervalle. 
S'il  rtprcnoit  alfez  de  force  pour  revenir  à  l'Habitation ,  il  y  étoit  reçu 
avec  beaucoup  de  joye  &  de  cérémonie.  Si  la  langueur  continuoit ,  on  ne 
ceflbit  de  lui  fournir  de  l'eau  &  des  alimens;  mais  lorrqu'on  le  trouvoic 
mort ,  on  l'enterroit  fur  le  champ  ,  dans  une  folle  aflez  profonde ,  fans  au- 
tre formalité  que  de  mettre  encore  des  alimens  &  de  l'eau  dans  le  même 
trou.  Outre  la  méthode  de  plonger  les  malades  dans  l'eau  froide  ,  la  diè- 
te étoit  un  remède  fi  commun  parmi  ces  Indiens,  qu'à  la  moindre  incom- 
modité, ils  paflbienc  trois  ou  quatre' jours  fans  manger.  Us  avoient  aulli 
l'ufage  de  !a  faignée  ,  mais  au  lieu  de  fe  faire  ouvrir  la  veine  du  bras ,  ils  fe 
faifoient  tirer  du  fang  des  reins  &  des  flancs.  Leurs  autres  remèdes 
étoient  plulleurs  fortes  de  vomitifs,  qu'ils  compofoient  de  différentes  her- 
bes {b). 

Ojeda,  fatisfair  des  rafraîchiiT-mens  qu'il  avoit  trouvés  fur  cette  Côte  y 
remit  à  la  voile  pour  la  fuivre,  jufqu'à  la  vue  d'un  Port,  où  il  fut  furpris 
d'appercevoir  un  Village  bâti  comme  Venife,  c'efl;  à-dire,  dans  l'eau,  & 
fur  des  pilotis.  Le  nombre  des  maifons  étoit  de  vingt-fix  ,  qui  fe  commu- 
niquoient  par  des  ponts-levis.  Il  lui  donna  le  nom  de  Venezuela  (c).  Les 
Habitans,  effrayés  à  la  vue  des  quatre  Navires,  avèrent  aufli-tôt  leurs 
ponts,  &  fe  retirèrent  dans  leurs  édifices.  Cependant  ils  envoyèrent  bien- 
tôt ,  vers  la  Flotte ,  douze  Canots ,  chargés  d'Indiens ,  qui  ne  s'approchè- 
rent d'abord  qu'avec  des  marques  extraordinaires  d'admiration.  Les  fignes, 
par  lefquels  on  croyoit  exciter  leur  confiance,  ne  fervirent  qu'à  les  faire 
rétourner  au  rivage.  Ils  fortirent  de  leurs  Canots,  pour  fe  mettre  en  che- 
min vers  une  Montagne  voifine.  Mais,  lorfqu'on  avoit  perdu  l'efpérance 
de  les  revoir,  ils  revinrent  fur  leurs  traces,  avec  feize  jeunes  Filles  qu'ils 
amenèrent  jufqu'à  la  Flotte,  &  dont  ils  firent  entrer  quatre  dans  chaque 
Navire.  On  les  reçut  avec  tant  de  civilité,  que  la  joye  &  l'amitié,  paroif- 
fant  fucceder  à  la  crainte,  on  vit  fortir  des  Maifons  un  grand  nombre  d'Ha- 
bitans,  qui  s'approchèrent  des  Vâifleaux  à  la  nage.  iMais,  par  une  révo- 
lution, dont  les  Caflillans  ne  purent  découvrir  la  caufe,  quelques  vieilles 
Femmes,  qui  nageoient  aufTi,  fe  mirent  à  poufler  des  cris  affreux.  Aufîi- 
tôt  les  feize  Filles  fe  précipitèrent  dans  les  flots  ,•  &  les  Indiens  des  Canots 
s'éloignèrent  de  la  Flotte,  en  y  lançant  une  grêle  de  flèches.  Ojeda  les  fit 
pourfuivre  par  Çqs  Barques,  qui  renverférent  plufieurs  Canots,  &  qui  ne 
tuèrent  pas  moins  de  vingt  Indiens.  Il  n'avoit  pu  fe  défendre  de  cet  em- 
portement de  colère,  à  la  vue  de  cinq  de  fes  gens,  qui  étoient  dangereufe- 
ment  blelfés.     On  prit  deux  jeunes  Filles ,  &  la  Flotte  remit  à  la  voile. 

Elle  continua  de  ranger  la  Côte  pendant  l'efpace  de  quatre- vingt  lieues, 
jufqu'à  celle  de  Paria,  que  l'Amiral  avoit  découverte.  Ojeda  n'eut  pas  de 
peine  à  la  reconnoître ,  fur  les  Mémoires  qu'il  avoit  reçus  de  l'Evéque  de 
Badajos.  Mais  les  Indiens,  qui  fe  préfentèrent  au  rivage,  ne  dévoient 
pas  être  ceux  que  l'Amiral  y  avoit  rencontrés  l'ar.!:,.'  précédente;  puif- 
t^u'ils  firent  connoître,  par  leur  effroi, que  les  VaifTcaux  de  l'Europe  étoient 

un 
(b)  Herrera,  Liv.  4,  Cbap.  i.  (c)  Qui  fignifîe  petits  Venife, 


I 


UTlfl 
par 
fe  re 
ne  fit 


EN      AMERIQUE,    Liv.   I. 


1^3 


un  fpedlacle  qu'ils  n'avoicnt  jamais  vu.  Cependant,  après  avoir  été  raflurcs 
par  des  préfens  &  des  témojgnagtîs  d'amitié ,  ils  preflercnc  les  Caftillans  de 
fe  rendre  à  leurs  Habitations ,  qui  écoient  à  trois  lieues  du  Port.  Ojeda 
ne  fit  pas  difficulté  d'y  envoyer  vingt-trois  hommes  armés.  Trois  jours  , 
qu'ils  y  palTérent,  au  milieu  d'une  foule  innombrable  d'Indiens,  qui  s'y  é- 
toient  raflemblés,  furent  un  tems  de  l'été,  où,  fans  pouvoir  fe  faire  en- 
tendre autrement  que  par  des  fignes ,  ils  goûtèrent  de  tout  ce  que  le  Pays 
aVoit  d'agréable  en  chanfons,  en  danfes,  en  alimens,  &  même  en  Femmes, 
qui  leur  furent  offertes  avec  une  importunité  à  laquelle  ils  eurent  peine  à 
réfifter  (d).  Ils  fe  laifTèrent  engager,  par  tant  de  carelTes,  à  pénétrer 
dans  des  Villages  plus  éloignés;  &  leur  abfence,  qui  dura  neuf  jours,  ne 
caufa  pas  peu  d'inquiétude  à  Bord.  Mais  ils  revinrent  avec  un  air  de  fatis- 
fàftion,  qui  rendit  témoignage  à  l'humanité  de  leurs  Hôtes.  Un  prodi- 
gieux nombre  de  ces  bons  Indiens  les  efcortèrent  jufqu'au  rivage.  S'ils  s'ap- 
percevoient  qu'un  Caftillan  fût  las,,  ils  le  ponoient  dans  un  Hamac.  Au 
paflage  des  Rivières,  ils  s'empreflbient  d'offrir  leurs  épaules.  En  arrivant 
aux  Barques,  ils  y  entrèrent,  avec  tant  d'ardeur  &  de  confufion ,  qu'ils  fail- 
lirent de  les  fubmerger.  On  en  compta  plus  de  mille ,  qui  ne  montèrent 
pas  moins  impétueufement  fur  les  quatre  Vaifleaux ,  &  qui  firent  tomber 
leur  admiration  fur  tout  ce  qui  fe  préfentoit  à  leurs  yeux.  Ojeda  fe  donna 
le  plaifir  de  faire  jouer  tout  d'un  coup  fon  Artillerie.  Cette  Troupe  cu- 
rieufe  &  timide  s'élança  dans  les  flots;  „  comme  on  voit  au  moindre  bruit", 
fuivant  la  comparaifon  de  l'Auteur  Efpagnol ,  „  des  millions  de  Grenouil- 
„  les  fauter  dans  l'eau,  lorfqu'elles  font  à  fec  fur  la  rive".  Mais  l'air  tran- 
quille &  riant  des  Matelots,  ayant  bientôt  diflipé  leur  crainte,  ils  revin- 
rent avec  un  nouvel  empreflement,  &  l'on  n'eut  pas  peu  de  peine  à  les 
congédier.  Leurs  terres  produifent,  fans  interruption,  une  grande  variété 
de  fleurs  &  de  fruits.  On  y  voit  auffi  une  extrême  abondance  des  plus  bel- 
les efpèces  d'oifeaux. 

Les  Caflillans  fortirent  avec  regret  de  ce  beau  Golfe  d'eau  douce.,  qui 
e'fl:  formé  par  la  Côte  de  Paria  &  l'Ifle  de  la  Trinité;  deux  noms ,  qui,  s'é- 
tant  confervés,  avec  celui  de  Boca  del  Drago,  fuffifoient  pour  ôter,  à 
Vefpuce,  le  defTein  d'une  odieufe  injuftice,  &  du  moins  pour  lui  faire  per- 
dre l'efpérance  qu'elle  pût  jamais  trouver  la  moindre  faveur  aux  yeux  du  Pu- 
blic. C'efl:  dans  ces  termes  que  les  Hifloriens  Efpagnols  parlent  de  l'entre- 
prife  qu'il  forma,  de  s'attribuer  l'honneur  de  la  découverte  du  Continent: 
mais  leurs  plaintes  n'ont  point  empêché  que  le  nouveau  Monde  n'aît  pris  fon 
&,  quelque  jugement  qu'on  doive  porter  de  fcs  droits,  il  efl  trop  tard 


nom; 


OiKisTorat 

CoLOMil. 

111.  Voyap,e. 

Oj  TiD  A    ET 

V  E  S  P  L'  C  E. 

A;i6ible 
accufi!  que 
les  ;;ciis  le- 
çoivjin  (l'une 
Nation  in- 
dienne. 


pour  les  contelter  après  une  ii  longue  pofrefTion.  De  Paria ,  la  Flotte  fe  ren- 
dit à  la  Marguerite,  qui  tenoit  auffi  fon  nom  de  l'Amiral.  Ojeda  fe  rap- 
procha ici  du  Golfe  de  Venezuela,  que  les  Indiens  nommoient  Coquibocao. 
Enfuite  s'étant  avancé  vers  un  Cap,  auquel  il  donna  le  nom  de  la  Fêla ^  il 
rencontra  une  longue  fuite  d'Ifles,  qui  s'étendent  de  l'Ell:  à  l'Oueft,  &  dont 
quelques-unes  reçurent  celui  de  Giganîes.  On  avoit  compté  environ  quatre 
cens  lieues,  depuis  la  première  Terre,  où  là  Flotte  avoit  abordé;  c'eft-à- 

dire 


Americ 
Vcipuceuriir- 
pc  l'honneur 
d'avoir  dé- 
couvert le 
Continent  de 
l'Amérique, 
&  lui  donne 
fon  nom. 


Divers  lieux 
nommés  par 
Ojeda. 


(rf)  Herrcia,  Liv.  4,  Cbap.  2. 


M  3 


9+ 


PREMIERS      VOYAGES 


Christophe 

COt.OMO. 

m.  Voyage. 
14  99- 

O  J  l'.  n  A    ET 

VEsrucu. 


Service  qu'il 
rend  aux  In- 
diens, en  fai- 
fane  la  guerre 
à  leurs  Eu- 
hcinis. 


dire  deux  cens  jurqu'à  Paria,  &  deux  cens  de  Paria  au  Cap  de  la  Vcla.  Les 
Callillans  troiivcrcnc  de  l'or  &  des  perles  fur  cette  Côte.  De  la  Margueri- 
te, ilspalTèrenc  à  C'«wfl«fl  &  Maracapana^  deux  Villages  fitués  fur  le  rivage 
du  Continent,  à  fept  lieues  de  cette  Ule.  Un  Golfe,  ijui  s'ouvre  au-deff-is 
de  Cumana  ,&  qui  étoit  environné  d'Habitations, leur  parut  s'enfoncer  d'en- 
viron quatorze  lieues  dans  les  Terres.  Ils  virent,  dans  une  grande  Rivière, 
dont  ce  Village  eft  arrofé,  quantité  de  ces  monftrueux  Poilfons,  qui  fe 
nomment  Lagaros  en  Efpagne,  &  que  les  Indiens  appellent  CaymanSy  mais 
qu'on  ne  croit  pas  différens  des  Crocodiles.  Le  mauvais  état  cle  la  Flotte 
l'ayant  obligée  de  mouiller  à  Maracapana,  on  y  déchargea  tous  les  Navires 
pour  les  caréner;  &  pendant  vingt  fept  jours,  qui  furent  employés  à  ce  tra- 
vail, on  reçut,  des  Indiens  ,  plus  de  fecours  qu'on  n'en  auroit  efperé  dans 
un  Port  d'Efpagne.  Outre  les  fervices  du  radoub,  ils  apportèrent  conti- 
nuellement, au  rivage,  toutes  fortes  de  rafraîchiflemens  oc  de  commodi- 
tés. Les  Caftillans  eurent  la  liberté  de  fe  répandre  dans  les  Villages ,  &  fu- 
rent traités  avec  tant  d'abondance  &  de  foins ,  qu'ils  y  rétablirent  parfaite- 
ment leurs  forces. 

Mais  ce  zèle  étoit  intérefle.  Les  Indiens  avoient  beaucoup  à  fouffrir  de 
quelques  Infulaires  voifins ,  qui  leur  faifoient  une  guerre  cruelle,  &  qui  é- 
toienc  dans  le  barbare  ufage  de  manger  leurs  Captifs.  Ils  attendirent  que 
la  Flotte  fût  prête  à  lever  l'ancre ,  pour  fupplier  Ojeda  de  les  venger.  Cet- 
te prière  fut  accompagnée  de  tant  de  refpedl ,  &  des  marques  d'une  fi  vive 
douleur,  que  tous  les  Caftillans  en  furent  touchés.  Ojeda  réfolut  de  rendre 
cet  important  fervice  à  fes  Hôtes.  Mais,  quoiqu'ils  s'offriflent  à  l'accom- 
pagner ,  il  n'en  prit  que  fept,  à  condition  même  qu'il  ne  feroit  point  obli- 
gé de  les  ramener  dans  leur  Patrie,  &  qu'ils  y  retourneroient  dans  leurs  Ca- 
nots. Il  avoit  compris  que  ces  Ennemis,  qu'on  lui  donnoit  à  combattre, 
étoient  des  Caraïbes;  &  malgré  l'opinion  qu'il  avoit  prife  de  leur  férocité, 
dans  fon  féjour  à  l'Efpagnole,  il  le  flattoit  que  le  bruit  de  fon  Artillerie 
fuffiroit  pour  les  réduire.  Sept  jjurs  d'une  heureufe  navigation  le  condui- 
firent  *à  leur  Ifle  (e).  En  approchant  du  rivage,  il  fut  furpris  de  le  voir 
bordé  de  plus  de  quatre  cens  hommes,  armés  d'arcs,  de  flèche:  oc  de  bou- 
cliers ,  qui  l'attendoient  avec  une  audace  dont  il  n'avoit  pas  encore  vu 
d'exemple  parmi  les  Indiens.  Loin  de  reculer  à  l'approche  des  Barques ,  ils 
s'avancèrent  jufqu'au  bord  de  l'eau,  pour  y  lancer  une  grêle  de  flèches.  Ce- 
pendant le  bruit  de  l'Artillerie  &  des  arquebufes  parut  leur  caufer  quelque 
épouvante,  fur-tout  lorfqu'ils  virent  tomber  parmi  eux  un  grand  nombre 
de  morts  &  de  blefles.  Ojeda  faifit  ce  moment,  pour  faire  defcendre  qua- 
rante hommes.  Mais  les  Cara'ibes ,  bientôt  revenus  de  leur  étonnement, 
firent  face  avec  une  intrépidité  merveilleufe ,  &  combattirent  vaillamment 
pendant  deux  heures.  S'il  en  périt  un  grand  nombre,  les  Caftillans  eurent 
beaucoup  de  blefles.  Ojeda,  commençant  à  fe  défier  du  fuccès,  envoya 
cinquante-fept  hommes ,  qui  firent  abandonner  le  champ  de  bataille  à  ces 
redoutables  Ennemis.  Mais  le  jour  fuivant ,  ils  reparurent  en  plus  grand 
nombre;  &  les  Officiers  Caftillans  fe  virent  obligés  d'employer  leur  habileté 

pour 

C  e  )  L'Hiftorien  ne  la  nomme  point;  mais  il  paroit  que  c'étoit  une  des  Antilles.  Ibidem. 


>■■ 


pour 

des, 

autrt 

tains 

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EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  L  i  v.  I. 


OS 


ces 

and 

leté 

■)Our 


pour  former  une  attaque  régulière.  Ils  divifèrent  leurs  gens  en  quatre  ban- 
des,  qui  prirent  des  portes  où  le  feu  des  uns  ne  pouvoit  iucommodLr  Ils 
autres;  &,  dans  cette  licuation,  qui  rendoit  prelque  tous  leurs  coups  cer- 
tains, ils  renverfèrent  tant  de  Caraïbes,  que  ces  malheureux  Sauvages  pri- 
rent le  parti  de  fe  retirer  dans  leurs  Montagnes,  en  pouflant  d'horribles 
cris.  Les  caftillans  ne  perdirent  qu'un  homme;  &  dans  la  fuite  de  leurs 
Ennemis,  ils  en  prirent  vingt -cinq,  fans  compter  ceux  qui  étoient  demeu- 
rés à  demi-morts  dans  le  heu  du  combat,  &  dont  ils  ne  jugèrent  point  à 
propos  de  charger  inutilement  leurs  Vailleaux.  Une  partie  des  Prilonnii-TS 
fut  abandonnée"  aux  fept  Indiens  de  Maracapana,  qui  partirent  fort  contens 
avec  cette  proie. 

OjEDA,  revoyant  fi  proche  de  Tlfle  Efpagnole,  prit  la  réfolution  d'y 
tourner  Tes  voiles.  L'Mifloire  n'explique  point  dans  quelle  vue;  quoiqu'on 
puifle  juger .  par  fa  conduite ,  que  pour  faire  apparemment  fa  cour  à  lEvê- 
que  de  Badajos ,  il  ne  penfoit  qu'à  braver  l'Amiral ,  en  lui  apprenant  le 
fticcès  de  Ton  expédition.  11  aborda,  le  5  de  Septembre,  au  Port  d'Taquhm, 
dans  les  Etats  d'un  Cacique,  qui  fe  nommoit  Haniguayaba.  Les  Caftillans 
de  cette  Province  en  donnèrent  avis  à  l'Amiral ,  qui  n'augura  pas  bien  de 
l'arrivée  de  quatre  Vaifleaux ,  fous  le  Commandement  d'un  Homme  de  ce 
caraftère.  Ce  fut  dans  cette  ocrafion  qu'il  crut  devoir  employer  Roldan , 
dont  il  ne  connoiflbit  pas  moins  la  hardiefle.  Il  lui  donna  deux  Caravelles , 
avec  ordre  de  fe  faire  expliquer  les  motifs  qui  amenoient  Ojeda,  &  de  lire 
fa  Commiflion.  Roldan  ne  put  arriver  que  le  29  au  Port  d'^aquimo.  11 
n'y  trouva  point  la  Flotte,  qui  étoit  à  l'ancre  huit  lieues  audeflus;  mais, 
apprenant  qu'Ojeda  étoit  defcendu,  avec  quelques-uns  de  fes  gens,  dans  un 
Village  voilin ,  il  s'y  rendit  avec  cinq  ou  fix  Hommes  d'efcorte.  Leur  en- 
trevue fut  d'autant  plus  tranquille,  qu'C^eda,  éloigné  de  fes  Vaifleaux,  af- 
feéla  toute  la  modeftie  qui  convenoit  à  ia  fituatioh.  Roldan  lui  ayant  de- 
mandé ce  qui  l'amenoit  dans  cette  Ifle,  &  pourquoi  il  s'arrêtoit  dans  un 
lieu  fi  écarté ,  fans  avoir  commencé  par  fe  préienter  à  l'Amiral ,  il  répon- 
dit que  la  néceflité  de  le  radouber  l'avoit  obligé  de  fe  jetter  dans  le  premier 
Port,  &  qu'ayant  été  chargé  de  découvrir  le  Continent,  par  des  ordres  de 
la  Cour,  qu'il  avoit  exécutés ,  il  avoit  regardé  comme  fon  premier  devoir 
de  penfer  à  la  confervation  des  Vaifl^eaux  qu'on  lui  avoit  confiés.  Roldan 
voulut  voir  fes  ordres ,  &  fçavoir  particulièrement  s'il  en  avoit  pour  tirer 
des  fecours  &  des  provifions  de  l'Efpagnole ,  fans  la  permiflion  de  celui  qui 
la  gouvernoit.  Sa  réponfe  fut  embarraflee.  Cependant,  il  déclara  que  fes 
ordres  ne  portoient  aucune  exception ,  mais  qu'il  les  avoit  laiiTés  à  Bord. 
La  vanité  du  commandement,  ou  le  defir  de  répondre  à  la  confiance  de 
l'Amiral,  fit  prendre,  à  Roldan,  un  parti  qui  trompa  la  pénétration  d'O- 
jeua.  Il  fehâta  de  retourner  à  fes  Caravelles;  &  levant  l'ancre  aulîi-tôt, 
il  fe  rendit  à  la  Flotte,  où  il  fe  fit  montrer  les  Provifions  du  Général,  qu'il 
trouva  fignées  feulement  de  l'Evêque  de  Badajos.  Après  cet  éclaircifle- 
ment ,  il  n'eut  rien  de  û  prelTant  que  dé  retourner  à  San-Domingo ,  pour 
en  infliruire  l'Amiral.  Mais  Ojeda,  bientôt  infl:ruit  lui-même  de  ce  qui  s'é- 
toitpafle  dans  fon  abfence ,  &  plein  des  informations  qu'il  s'étoit  procurées 
fur  les  derniers  mouveraens  de  l'Ille,  delcendit  vers  lOuell,  au  Golfe  de 

Xara- 


CllRlSTOPJlR 

CtiI.cMj, 

m.  Voyaije. 
1499. 

Oj  I   IJ  A   ET 

V  csrucE. 


Ojeda  pafle 
par  ride  VA'. 
p;i|fiu)lc,  où 
ilcUii.ahxçi. 


Roldan  cfl 
ciiiployc  con- 
tre lui. 


Ojeda  va 
joindre  les 
Rebelles  de 
Xaragua.  ' 


riimsTni'irF. 

Coi  iiMii. 
111  Vi.y.i-c. 

Oj  K  !•  A    f.  T 
V  lib  I'  UCR. 


riir>\'  lie  if- 
111  (trt  à  ui 
voilo. 

Il  \;i  j,'ri»fnr 
Ir  lumil'i'c  lies 
KiiiH'inisdo 
I  Amiral  cil 


ptf       PREMIERS      VOYAGES 

XnragiKi,  tUins  rcfpcnincc  de  s'y  faire  autant  de  Partifans  qu'il  y  trouvcroit 
d'anciens  Kebclles.  Knetfec,  il  tut  reçu,  avocjoye,  de  ceux  qui  s'y  c- 
toient  établis;  iS:,  reconnuiilant  bientôt  qu'ils  confervoient  encore  des  l'en- 
liincns  de  révolte,  il  les  anima,  contre  l'Amiral,  avec  tant  de  chaleur  & 
lie  malignité,  que,  (bus  prétexc  de  les  faire  payer  de  ce  qui  leur  ctuit  dû 
p.ir  le  C'rouvernement,  il  leur  fit  prendre  les  armes.  Les  plus  fidèles  ayant 
lelillé  à  l'es  l'ollicitations,  il  fe  forma  deux  Partis,  entre  lefquels  on  en  vint 
aux  mains  dans  quelques  occalîons  fanglantes.  Roldan  fut  envoyé  dans  la 
Province,  avec  une  Efeorte  allez  nombreufc  pour  le  faire  ret'peiler.  Ce- 
pendant, comme  il  regrettoit  de  ne  s'être  pas  fail'i  d'Ojeda,  dans  leur  pre- 
mière entrevtk',  il  crut  encore  que  l'adreffe  ctoit  une  voye  pluj  IVirc  que  la 
force;  Ci:,  pendant  quelques  jours,  il  s'ellorya  de  l'engager  dans  une  négo- 
ciation ,  qui  n'étoit  qu'un  piège  pour  le  faire  tomber  entre  fes  mains.  Mais 
l'autre,  étant  retourné  fur  les  VaUreaux,pafra  dans  la  Province  de  Câ/My(/), 
douze  lieues  plus  loin,  fur  la  même  Cote.  Roldan  l'y  fuivit.  Alors,  ces 
deux  efprits ,  qui  étoient  à -peu -près  de  la  même  trempe,  s'obfcrvèrent 
commea  l'envi,  &  cherciiêrent  mutuellement  à  fe  tromper.  De  part  & 
d'autre,  on  s'enleva  quelques  Officiers.  Enfin  l'Alcalde  fut  le  plus  adroit  ou 
le  plus  heureux.  Un  llratagême,  afiez  bien  con^-u,  !e  rendit  Maître  de  la 
Jîaujue  d'Ojeda,  qui,  ne  pouvant  aborder  à  terre,  m  remettre  à  la  voile 
fans  ce  fecours,  fe  vit  obligé  d'entrer  en  compofitiun  pour  l'obtenir.  Elle 
lui  fut  rendue  lous  des  conditions  qu'il  n'ofa  violer, &  dont  la  principale  fut 
de  lever  l'ancre.  Mais,  en  p;jrtant ,  il  déclara,  que  n'ayant  pil  perdre  l'A- 
miral dans  Ton  lile,  il  alloit  le  faire  connoîtrc  à  la  Cour,  <5c  foiilever  contre 
lui  coûte  rEi'pngne  (^). 

(f)  Elle  k  nomme  aujourd'lini  Ar<aba'j.  t 

(g)  Il  ne  p;init  qu'à  la  lin  do  Février  i^oo,  Ucnera,  Liv.  4.  Chap.  4. 


Ai  Fri\«E  Nt 

Ne    KT    LES 

DEl  X  (ÎUER- 

RF.S. 

Autres  Avan- 
turicrs  qui  cn- 
tre;M\"niioiu 
des  Décou- 
vertes. 


Ils  viiitcnt 
les  mêmes 
lieux  qu'Oje- 
da.  • 


f'oy.igc 


d\l'.fonfe  Nino  6f  des  deux  Guerres. 


SI  l'avcificieux  Ojeda  fatisfit  fon  rcffentiment  contre  l'Amiral,  par  quan- 
tité de  mauvais  oifices,  qui  contribuèrent  à  fa  ruine,  il  eut  le  chagrin 
de  trouver,  à  Seville ,  d'autres  Avanturiers,  qui,  ayant  tenté  la  fortune 
comme  lui,  étoient  revenus  avec  plus  de  diligence,  &  lui  avoient  ravi 
l'honneur  d'apporter  le  premier,  à  la  Cour,  une  Relation  du  Continent.  A- 
près  fon  déparc,  Pedro  yJifofife  !<^tno,  qui  avoit  accompagné  l'Amiral  à  la  dé- 
couverte de  Paria,  &  deux  Marchands  de  Seville,  nommés  Chriflophc  & 
Louis  Guerre,  .u'écoient  hâtés  d'armer  à  fon  exemple,  &  n'avoient  pas  trou- 
vé plus  de  difficulté  que  lui  à  fe  procurer  une  permillion  de  l'Evéque  de 
Badajos,  pour  aller  découvrir  de  nouvelles  Terres.  Ils  avoient  pris  aufli 
vers  le  Sud ,  &  le  hafard  les  avoit  conduits  à  la  Côte  de  Paria.  Plus  heu- 
reux qu' Ojeda,  ils  avoient  recueilli  quantité  de  Perles,  dans  le  Golfe  qu'il 
avoit  nommé  las  Perlas,  &  qui  eft  formé  par  les  Ifles  voifines  de  la  Margue- 
rite.   Delà,  ils  étoient  paîles  à  Cumana ,  à  Venezuela,  &  dans  d'autres 

lieux 


EN      A    iM    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I. 


97 
lus,  ils 


lieux  qui  avoientetë  dc'j.i  vifitcs;  d'où  s'ctant  avancés  beaucoup  pli 
avoicnt  découvert  une  Haye  fcniblablc  ù  cclk-  de  Cadix.     Cinquante  In- 
diens y  étoicni  venus  au  devant  d'eux,  le  cou  «Se  les  bras  chargés  de  Perles, 
qu'ils  leur  avoienc  données  vclontairement.     Le  lendemain,  ils  étoient  âef- 
ccndus  dans  un  Village,  nommé  Curiana^  où  ils  avoient  été  traités  avec 
une  abondance  furnrenante  de  toutes  fortes  de  Venaifon.     Mais,  ce  qui 
leur  avoit  caufé  plus  d'étonnement ,   ils  avoient  obfervé  que  les  Indien* 
portoient,  entre  les  Perles  de  leurs  colliers,  des  Grenouilles  &  d'arbres  In- 
feéies  d'or.     Ils  avoient  demandé  d'où  venoit  ce  précieux  métal.     On  leur 
avoit  répondu  qu'il  s'en  trouvoit  beaucoup  à  fix  journées  de-là,  dans  une 
Province  qui  fe  nommoit  Curiana  Canchieta.     Ils  s'y  étoient  rendus;  &  les 
Ilabitans  s'étoient  préfentés,  en  effet,  avec  quantité  d'or  &  de  joyaux, 
qu'ils  avoient  troqués  pour  des  bagatelles  de  l'Europe.     Mais,  quoiqu'ils 
porcaflent  aulll  des  Perles,  ils  avoient  refufé  de  s'en  défaire.     Les  Callil- 
lans,  ayant  voulu  pénétrer  plus  loin,  s'étoient  vus  arrêtés,  fur  les  Cotes 
fuivantes,  par  des  légions  d'Indiens,  armés  d'arcs  &  de  lléches,  qui  bor- 
doient  le  rivage  pour  s'oppofer  à  leur  defcente;  &,  ne  fe  trouvant  pas  ca- 
pables de  leur  faire  la  loi  avec  un  feul  Vaiffeau,  ils  étoient  retournés  à 
Curiana ,  où  ils  avoient  été  reçus  avec  la  même  joye  qu'à  leur  paffage. 
Pour  des  Epingles  &  des  Aiguilles,  ils  avoient  tiré  des  Ilabitans  plus  de 
cent  cinquante  marcs  de  Perles,  dont  quelques-unes  étoient  de  la  groffeur 
d'une  Aveline ,  &  d'une  très  belle  eau ,  fans  autre  défaut  que  d'être  mal 
percées  (  a  ).  Ils  avoient  repris  delà  vers  Paria  &  la  Boca  del  Drago ,  d'où , 
remontant  le  long  de  la  Côte,  ils  avoient  découvert  la  Pointe  d'/frfl}!^ ,  au 
Nord  de  la  Pointe  Occidentale  de  la  Marguerite;  &  là,  defcendant  pour 
faire  de  l'eau  &  du  bois,  qui  commençoient  à  leur  manquer,  ils  avoient 
découvert ,  les  premiers ,  ces  fameufes  Salines ,  qui  font  formées ,  à  douze 
ou  quinze  pas  du  bord  de  la  Mer,  par  un  Lac,  au  fond  duquel  on  trouve 
continuellement  du  fel ,  &  qui  en  porte  même  fur  la  furface  de  fcs  eaux , 
lorfqu'il  fe  pafTe  quelques  jours  fans  pluye.    On  voit  arriver ,  à  cette  Poin- 
te, une  infinité  de  Rayes,  d'un  excellent  goût,  &  quantité  de  Sardines. 
C'étoit  de-là  que  le  Vaiffeau  Caftillan  avoit  remis  à  la  voile  pour  l'Efpagne, 
çù  il  étoit  arrivé  le  6  de  Février  1500  (ô). 


(a)  Herrera,  Cbap.  5. 

(b)  Ibidem  Nino  aborda  an  Royaume  de 
Galice  au  bout  de  foixante  jours.  On  l'ac- 
cufa  d'avoir  détourné  la  plus  grande  partie 
de3  marchandifes,  qui  appartciioientau  Roi; 


ce  qui  fut  caufe  que  Fernand  deMeea,  Gou- 
verneur de  Galice,  eut  ordre  de  T'arrôtcr; 
mais  il  prouva  fon  innocence  &  obtint  fa  li- 
berté.   R.  d.  S. 


5.    VI. 

Voyage  d'Tanez  Pinçon. 

D'Un  autre  côté ,  Vincent  Yanez  Pinçon ,  qui  avoit  accompagné  l'A- 
mirai  dans  le  premier  Voyage ,  étoit  forti  du  Port  de  Palos ,  au  mois 
de  Décembre ,  avec  quatre  Vaiffeaux  armés  à  fes  frais  (  a  ).   U  prit  la  route 


CtintsTopr;»: 

Coi.OMl. 

Jli.  Voyn;;e. 
1499. 

AfFONSE    Nf- 
NO   ET    LPS 
«EUX  GUKR- 


l\$  décou- 
vrent la  Poiii- 
tcd'Araya,  Ct 
lc3  Salines. 


(a)  Ibid.  Chap.  d, 

Xnil.  Part. 


Yanez  Pin- 
çon. 

1500. 

j         Nouvelles 
du  Découvertes. 


N 


CdI.OM'I. 

III  VnjMi;c. 

1500. 

Yani.z  Pin 
ço.v.  , 

Pin(;on  c(l 
le  prcinicr 
Cullilian  (]iii 
pullcLt  l-itjiic. 


Prcmicrc 
Dccouvtrtc 
i!u  Hrclil. 


Ciimhr.t  en- 
tre unCallil- 
[111  &  plu- 
Geiits  Indiens. 


9§        PREMIERS      VOYAGES 

du  Sud,  comme  ceux  qui  l'avoient  prcccdc;  mais,  tournant  cnfuitc  au  Le- 
vant, il  s'avan<;d  l'efpacc  de  (cpt  cens  lieues,  jul'nu'à  ce  qu'ayant  perdu  le 
Nord,  il  palla  la  Ligne  équinuétialo.  ClU  le  premier  C'alliilan  ipii  l'ait 
traverlee,  malgré  la  violence  de  plufieurs  tempêtes,  qui  faillirent  de  l'en* 
fevelir  (bus  les  Ilots.  Enfin,  pénétrant  deux  cens  cinquante  lieues  plus  loin, 
il  découvrit  un  Cap,  auquel  il  donna  le  nom  de  ODiJ^iLithiuc,  Ck  t-[u\  porte  au- 
jourtriuti  celui  de  Saint  •  /Ju^i^ujtin.  La  Mer  y  ctoit  bourbeule  «Scblanciiùtre, 
comme  l'eau  d'une  Rivière.  On  y  jetta  la  fonde,  qui  donna  feizc  bralles. 
Les  Callillans  ne  virent  paroître  nerfonne  au  rivage;  mais  ils  y  trouvèrent 
quelques  traces  d'Ilonmes.  C'clt  cette 'J'erre,  que  les  Portugais  nonmiè- 
rent  enfuite  Terra  de  Santa  Cruz,  (ît  qui  n'a  pas  laille  de  conferver  le  i»om  de 
Jiicjil,  que  lui  donnoient  fcs  anciens  llabitans.  Vincent  Yanez  en  prie 
polfeliion,  au  nom  des  Couronnes  de  Caftille  Ci:  de  Léon.  Quelques  feux, 
qu'on  appcrçut  pendant  la  nuit,  firent  marcher  le  lendemain,  vers  le  même 
lieu, quarante  lîommes,  qui  furent  tout-d'un-coup  furpris  par  la  vue  de 
trente-flx  Indiens,  armés  d'arcs  &  de  lléches,  &  d'une  taille  extraordinaire. 
Le  combat  paroillbit  inévitable,  entre  àvux  Partis  prefqu'égaux,  qui  fe 
voyoient  avec  un  même  étonntmcnt,  <St  que  rien  n'avoit  difpofés  à  la 
confiance.  Les  Caflillans  firent  briller  des  miroirs  &  des  grains  de  verre. 
Ils  firent  entendre,  fur-tout,  le  bruit  de  leurs  fonnettes,  qui  avoit  caufé 
tant  de  fois  de  l'admiration  aux  Indiens.  Mais  ces  fiers  Sauvages  en  pa- 
rurent fi  pei  touches,  qu'après  avoir  confideré  froidement  ce  qu'on  leur 
oflfroit ,  ils  s'éloignèrent  d'un  pas  grave  ix  fans  aucune  marque  de  crainte. 
Un  caradlère  û  ferme,  ou  fi  farouche,  détermina  Yanez  à  lever  l'ancre 
avant  la  nuit. 

Il  s'approcha  de  l'embouchure  d'une  Rivière,  qui  n'avoit  point  aflez  d'eau 
pour  recevoir  fa  Flotte;  mais,  quelques  Soldats,  defcendus  dans  les  Bar- 
ques, apperçurent  un  aflez  grand  nombre  d'Indiens  armés,  vers  lefquels  ils 
prirent  le  parti  d'envoyer  un  Homme  léul ,  fans  autres  armes  que  fon  épée. 
Le  Caltillan,  qui  ne  pouvoit  avoir  accepté  cette  commiiîion  fans  beaucoup 
de  courage,  s'avança  vers  eux,  de  l'air  qu'il  crut  le  plus  propre  à  les  adou- 
cir ,  &  leur  jetta  une  fonnette.  De  leur  côté ,  ils  lui  jeitèrent  un  bâton  doré , 
d'un  ou  deux  pieds  de  long.  Mais  lorfqu'il  fe  fût  baifle  pour  le  prendre, 
ils  fe  précipitèrent  fur  lui,  dans  le  deflein  apparemment  de  le  tuer  ou  de 
s'en  faifir.  11  fut  abbattu  par  le  premier  eftbrc;  mais,  fe  relevant  aufl!î-tôt, 
il  fe  fervit  de  fon  épée,  avec  tant  de  vigueur  &  d'adrefl^e,  qu'après  les  avoir 
écartés  aflTez  loin,  il  les  réduifit  à  faire  un  cercle  autour  de  lui,  dans  le- 
quel il  continua  de  fe  défendre,  &  dont  il  leur  ôta  la  hardielîe  de  s'appro- 
cher. Ce  courage  extraordinaire ,  qu'ils  n'attendoient  pas  d'un  Homme 
feul,  parut  les  frapper  d'admiration.  Mais,  voyant  accourir  les  autres 
Caftillans,  qui  venoient  au  fecours  de  leur  Compagnon,  ils  décochèrent  fur 
eux  une  gréle  de  flèches,  qui  en  tuèrent  huit  ou  dix,  &  qui  en  bleflèrent 


IT 


un  plus  grand  nombre  (^).    Le  combat  devint  furieux;  oc  les  Cafl:illans, 

forcés 

(h)  11  eft    étonnant    que    ces    Indiens     fi  utilement  pour  rcpoufler  ce  grand  nombre 
n'aycr.t  point  employé,  contre  un  feu!  hom-     d'Etrangers.    R.  d,  E. 
me,  les  mômes  armes,  dont  ils  fe  («virent 


EN      A    M    E    R    r    Q    U    E,    Liv.  I. 


00 


forcé$  de  reculer «.fe  virent  pourfiiivis  jiiftiiics  dans  leurs  Harqucs,  où  les 
Indiens  entreprirent  de  failir  leurs  ruines.  Ils  enlevèrent  même  une  liar- 
que,  après  avoir  tué  celui  qui  la  gurdoit,  malgré  les  coups  d'épées  &  de 
lances  dont  on  leur  perçoit  le  ventre,  &  qui  en  firent  tomber  une  partie 
dans  les  Ilots.  Enlln,  ils  fe  retirèrent;  »i!i  les  Callillans,  fort  allliges  de 
leur  perte,  ne  pcnl'è'-ent  qu'à  rentrer  dans  leurs  Vuifleaux  (c). 

Ir.s  dercendircnt  à  l'Ouell,  rcfpace  de  cjuarante  lieues,  julqu'à  une  gran- 
de Rivière,  qu'ils  nommèrent  Maraitnon  (J),  dont  l'embouchure  n'a  pas 
moins  de  trente  lieues;  &  l'eau  fe  trouvant  potable  dans  cette  étendue,  ils 
en  remplirent  leurs  tonneaux,  avec  la  fatisfaètion  de  pouvoir  fe  vutitcr  d'a- 
voir fait  de  l'eau  douce  en  i\Ier.  Mais  en  traverfant  cette  vade  embou- 
chure, qui  eft  coupée,  vers  h  Terre,  par  quantité  de  petites  IHcs,  ils  trou- 
vèrent les  vagues  li  fortes,  qu'elles  èk'voient  les  Vaifleaux  à  deux  ou  trois 
picques  de  hauteur.  Yanez  defcendit  cnfuitc  avec  trente  Hommes,  pour 
s'avancer  vers  la  Côte  de  Paria:  iiiais  il  fut  arrêté  en  chemin  par  une  autre 
Rivière,  qui,  fans  être  aufli  forte  que  celle  de  Maragnon,  a,  comme  elle, 
vingt-cinq  ou  trente  lieues  d'embouchure,  &  ne  mêle  pas  moins  d'eau 
douce  à  celle  de  la  Mer.  AulTi  lui  donna- 1- il  le  nom  de  îiio  Dolce.  Mais 
on  a  jugé,  depuis,  que  c'tioit  un  des  Bras  de  ÏOrenoquet  ou  le  Golfe  mê- 
me qui  fépare  rifle  ae  la  Trinité,  de  la  Côte  de  Paria  (<?);&  vraikmbla- 
blement  c'étoit  le  Bras,  dont  les  bords  font  habités  par  la  Nation  des  /Jnta- 
cas.  Les  Caflillans ,  étant  pafles  de-là  aux  Illes  qui  fe  rencontrent  fur  la 
route  de  l'Efpagnole,  y  eiïuyèrent  une  horrible  tempête,  qui  fit  périr 
deux  de  leurs  Vaifleaux  à  la  vue  des  autres  ;  &  le  refte  de  cette  malhcu- 
reufe  Flotte  rentra  dans  un  Port  d'Efpagne  au  mois  de  Septembre,  avec 
la  feule  gloire  d'avoir  découvert  Hx  cens  lieues  de  Côte  au  -  delà  du  Gol- 
fe de  Paria. 


CfiRTiTfVfrit 

Cnf.OMll. 
III    Voy;if;t?, 

1500, 

Yam/.  Pin- 

llivicic  Je 
Mai:ii(^iion. 


Riu  Dolcç, 


Pinçon  re- 
vient en  mau- 
vais ordre. 


(  c  )  Relation  Efpagnolc  du  Voyage  d'Ya- 
rez  Pinçon. 

(  rf  )  On  a  reconnu  depuis  que  ce  n'étoit 
qu'une  Baye,  dans  laquelle  fe  déchargent  trois 
Rivières;  elle  contient  une  Ifle.qui  a  retenu 


le  nom  de  Maragnon,  ou  Maraguan,  &qui 
le  donne  à  toute  une  Province  du  Brtfil. 

(e  )  yîcuna,  Defcrlption  de  la  Rivicri  des 
Amazones. 


Sj.   VII. 

Voyage  de  Diego  de  LopeZ, 

CE  fuii  encore  avant  la  fin  de  1499,  que  Diego  de  Lopez,  Négociant, 
de  l'a!  js,  partit  avec  deux  Navires,  qui  pénétrèrent  heureufement 
jufqu'au  Cap  de  Saint- Auguftin.  Les  Hifîoriens  Efpagnols  prennent  tou- 
jours foin  d'obferver,  que  ces  premiers  Navigateurs  faifoient  autant  d'Aftes 
depofleflion,  qu'ils  reconnoifioient  de  lieux,  au  nom  de  la  Couronne  de 
Cafliille.  Un  d'entr'eux,  pour  confirmer  le  droit  de  fes  Maîtres,  écrivit 
fon  nom  fur  un  arbre  d'une  fi  prodigieufe  grofleur,  que  feize  Hommes,  fe 
tenant  par  la  main,  ne  pouvoient  rembraifcr  (a).    De-là,  Diego  Lopez 

alla 


(«)  Ilerrcra,  Liv,  4.  Cbap,  7. 


N  2 


Diego  dc 
LorEz. 

II  tente  de 
nouvelles  Dé- 
couvertes. 


■< 


100 


PREMIERS      VOYAGES 


Christophe 

Colomb. 

III.  Voyage. 

I  50  0- 

DlliGO  DE 
LOP£Z. 


Alvarez 
DE  Cadrai.. 

Les  Portu- 
gais abordent 
iu  lirefil. 


Y'  décou- 
Trt;nt  Puerto- 
Scguro. 


Alvarez  de 
Cabrai  prend 
poireflion  du 
Tays, 


alla  vifiter  le  Fleuve  Maragnon  ;  mais  l'efFroi  que  Vinceit  Yanez  venoit  dV 
répandre,  avec  Tes  trentefix  Hommes,  ayant  armé  tous  les  Habitans,  il 
les  trouva  difpofés  à  défendre  l'entrée  de  leurs  Terres  j  &  la  tentative  qu'il 
fit  pour  aborder,  lui  coûta  dix  Caflillans.  Il  paroît  que  d'autres  combats, 
dont  il  ne  remporta  pas  plus  de  fuccès  fur  cette  Côte,  &  la  diminution  de 
fes  vivres,  que  tant  d'obftacles  ne  permettoient  pas  de  réparer,  lui  firent 
prendre  le  parti  de  retourner  en  Efpagne  (b). 

(&)  Ibiii. 

g.    VIII. 

Voyage  et  Alvarez  de  Cabrai 

M  Aïs,  dans  le  même-tems,  uns  Flotte  Portugaife  de  treize  Navires, 
que  le  Roi  Dom  Manuel  envoyoit  aux  Indes  Orientales,  <&  qui,  pour 
éviter  la  Côte  dé  Guinée,  où  les  calmes  font  fréquens,  avoit  pris  le  large 
aux  Ifles  du  Cap- Verd ,  en  tirant  droit  au  Sud  dans  la  vue  de  doubler  plus 
facilement  le  C?.p  de  Bonne  -  Efpérance ,  aborda,  le  24  d'Avril,  après  un 
mois  de  navigation  en  haute  Mer,  à  la  Côte  d'une  Terre  inconnue,  qui, 
fuivant  le  calcul  des  Pilotes,  pouvoit  être  éloignée  d'environ  quatre  cens 
cinquante  lieues  de  la  Côte  de  Guinée ,  &  vers  les  dix  dégrés  de  latitude 
Auftrale.  Alvarez  de  Cabrai ,  qui  commandoit  la  Flotte ,  s'imagina  fi  peu 
que  cette  Terre  pût  être  le  Continent ,  qu'il  ne  la  prit  d'abord  que  pour 
une  grande  Ifle.  Mais,  après  l'avoir  fuivie  aflez  long-tems,  il  fit  descen- 
dre quelques  gens  éclairés,  qui  lui  en  firent  prendre  une  autre  opinion.  Le» 
Indiens,  qui  fe  préfentèrent  en  grand  nombre,  étoient  noirs ,  quoiqu'ils  ne 
le  fuflent  pas  autant  que  ceux  de  Guinée.  Leurs  cheveux  étoient  moins 
crépus ,  &  reflembloicnt  beaucoup  plus  aux  nôtres.  A  l'approche  des  Portu- 
gais ,  ils  fe  retirèrent  fur  une  Montagne ,  d'où  ils  paroiflbient  les  obferver 
avec  un  mélange  d'étonnement  &  de  crainte.  Le  mauvais  tems  n'ayant  pas 
permis  aux  Barques  d'entrer  dans  un  Port  voifin ,  Alvarez  en  fit  chercher 
audefiTous  un  plus  commode,  où  il  mouilla  le  même  jour,  &  qu'il  nom* 
ma  Puerio-Seguro.  Ses  gens  y  prirent  deux  Indiens ,  qu'il  fit  vêtir  propre- 
ment ,  &  qu'il  renvoya  au  rivage.  Bientôt ,  on  en  vit  arriver  un  grand 
nombre,  avec  des  fluttes  &  d'autres  infi:rumens,  au  fon  defquels  ils  don- 
noient  de  grandes  marques  de  joye.  C'étoit  le  jour  de  Pâques.  Cabrai  étant 
defcendu  avec  la  plus  grande  partie  des  Equipages ,  pour  entendre  une  Mef- 
fe  folemnelle  fous  un  grand  arbre ,  au  pied  duquel  il  avoit  fait  drefl'er  un 
Autel,  la  vue  de  cette  augufte  cérémonie  fit  approcher  les  Indierrs,  avec 
une  confiance  qui  parut  venir  d'un  fentiment  de  Religion.  Il  fe  mirent  à 
genoux ,  &  fe  profternérent  comme  les  Chrétiens  ;  ils  fe  frappèrent  l'efto- 
mach,  ils  imitèrent  toutes  les  avions  du  Prêtre  &  des  Aflîftans;  &,  pen- 
dant la  Prédication,  dont  les  faints  Myftères  furent  fuivis,  ils  marquèrent 
autant  d'attention  &  de  pieté ,  que  s'ils  euflent  compris  les  vérités  qu'on 
leur  annonçoit.  Cette  apparence  de  docilité  ne  put  être  attribuée  qu'à  la 
force  de  l'exemple.  Mais  Cabrai  en  augura  bien  pour  l'avenir  ;  & ,  dans  la 
jûye  d'une  fi  belle  découverte,  il  fit  partir  un  Vaiflfeau  pour  en  porter  la 
première  nouvelle  »  Lisbonne.    Il  planta,  dans  le  même  lieir,  une  Croix 

de 


de 
tre 
gai 


EN     AMERIQUE,  Li  V.  I. 


lOI 


e,  qui. 


propre- 
grand 
s  don- 

lal  étant 
eMef- 
fler  un 


.,  pen- 
Uièrent 

qu'on 
■qu'à  la 
Idans  !a 
irter  ia 

Croix 
de 


de  pierre,  qui  lui  fit  donner,  au  Pays , le  nom  de  5a«f a  Cr«2 :  origine  &  ti- 
tre de  pofleflîon  refpeftables ,  fuivant  la  remarque  de  l'Hiftoricn  Portu- 
■  ,  qui  n'a  point  empêche,  qu'à  la  longue  ,  le  nom  de  Breftl,  ou 
étoit  celui  que  les  Habitans  naturels  donnoient  à  leur  Patrie , 


CimisTOPHS 
Colomb. 

m.  Voyage. 
rais,  mais,  qui  na  poinL  eiupci.uc ,  ijua  miongue  ,  ic  iiuiu  uc  uic,n,  wu        , -qJ 

Jrafilf  qui  étoit  celui  que  les  Habitans  naturels  donnoient  à  leur  Patrie,    ^^varez  *de 
n'ait  prévalu  en  Portugal  comme  dans  toutes  les  autres  Nations.    Cabrai ,      cab^au. 
appelle  aux  grandes  Indes  par  des  ordres  plus  importans ,  remit  à  la  voile  , 
après  avoir  laiffé  au  rivage  deux  Bannis ,  du  nombre  de  ceux  qu'il  avoit 
à  Bord,  pour  apprendre  la  langue  des  Indiens,  &  fe  familiarifer  avec  leurs 
ufages  (c). 


(c)  Relation  Portugaife  du  Voyage  (TAl- 
Wez  de  Cadrai,  &.Herrera,  Liv./^.  Cbap.7. 


NB.  La  Relation  de  fon  Voyage  eft  au  pre- 
mier Tome  de  ce  Recueil.  R.  d.  E. 


5.   I  X. 

Voyage  de  Cafparâ  de  Corte-Reaï. 

LA  jaloufie  des  Portugais ,  qui ,  malgré  le  Traité  de  Partage ,  leur  fai» 
foit  toujours  regarder  les  découvertes  &  les  progrès  des  Efpagnols 
comme  autant  d'ufurpations  fur  leurs  propres  droits ,  porta  ,  dans  le  cours 
de  cette  année,  Gafpard  de  Corte-Real,  Gentilhomme  d'une  haute  diflinc- 
tion  ,  à  tourner  fes  recherches  vers  le  Nord  de  l'Amérique ,  tandis  que  les 
Rivaux  de  fa  Nation  fembloient  porter  toutes  leurs  vues  vers  le  Sud.  Quel- 
ques Auteurs  ne  le  font  partir  néanmoins  que  Tannée  d'après.    Il  paroît 
que  le  feul  hazard  fit  aborder  fon  Vaifleau  à  l'Ifle  de  Terre- Neuve ^  dans 
une  Baye,  à  laquelle  il  donna  le  nom  de  la  Conception j  qu'elle  conferve  en- 
core.   Il  vifita  toute  la  Côte  Orientale  de  l'Ifle  î  &,  de -là,  pouffant  juf- 
qu'à  l'embouchure  delà  grande  Rivière  du  Canada ^  il  découvrit  un  Pays, 
qu'il  nomma  Terre -Ferte  ,   &  'qui  fut  nommé  enfuite  Terre  de  Corte-Real. 
C'eft  la  partie  Septentrionale  de  la  Terre  de  Labrador  y  dont  les  Habitans 
fe  nomment  Efquhnaux  ;  Sauvages ,  abfolument  différens  de  tous  les  autres 
Peuples  de  l'Amérique  ,  auprès  deîquels  ils  paroiffent  étrangers.     Ils  font 
fi  farouches  &  fi  défians  ,  qu'on  n'eft  jamais  parvenu  à  les  apprivoifer. 
Corte-Real  vint  rendre  compte  de  fon  expédition  au  Roi  fon  Maître; 
mais,  s'étant  hâté  de  retourner  vers  les  mêmes  lieux,  il  eut  le  malheur 
d'y  périr,  fans  qu'on  aît  jamais  fçû  s'il  y  fût  tué  par  les  Sauvages,  ou  s'il 
fut  enféveli  dans  les  flots.     Michel  de  Corte-Real,  fon  Frère,  entreprit  de 
marcher  fur  fes  traces  avec  deux  Vaifleaux  ;  &  n'étant  jamais  revenu  en 
Portugal ,  fon  fort  n'efl:  pas  mieux  connu.     Le  Roi,  qui  regrettoit  la  per- 
te de  ces  deux  Officiers ,  ne  voulut  pas  permettre  à  Jean  Fafquez  de  Corte- 
Real ,  leur  aîné,  ik  Grand -Maître  de  faMaifon,  de  tenter  le  même  Vo- 
yage ,  dans  l'efpérance  de  les  retrouver.     Il  ne  laiffa  point  d'y  envoyer 
d'autres  Vaiffeaux,  qui  revinrent  plus  heureufement ,  mais  dont  toutes  les 
recherches  furent  inutiles  pour  vérifier  la  funefte  avanture  des  deux  Frè- 
res (a). 

§.     X. 

(a)  C'eR  à  Cbamptain  qu'on  doft  te  détail.   Foyiz,   ci-cTeffous,  la  Relation  de  ft>a 
voyage. 

N  3 


CORTERliAt. 


Il  aborde  à 
rifle  de  Tcr- 
re-Ntuve. 


Il  découvre 
une  partie  du 
Continent , 
qu'il  nomme 
Terr«-Vcrtcv 


Il  périt  dans 
un  fécond  Vo- 
yage, &  ion 
Frère  aprc%^ 
lui.. 


102 


PREMIERS      VOYAGES 


Christophe 

Colomb. 

m.  Voyage. 

1500. 


Jean  Cabot, 

£t  ses  trois 

Fils. 

Leurs  dé- 
couvertes font 
cloiitciifcs. 


Prétention 
des  Vénitiens. 


■    Prétention 
des  Anglois. 


.  5.    X. 

royage  de  Jean  Cabot ,  6f  de  fes  trois  Fils. 

<  \'j  .-.'1. 

HACKLUYT  a  publié  ,  dans  fon  Recueil,  des  Lettres  Patentes  du  Roi 
Henri  f^II,  qui  accordent  à  Jean  Cabot ,  Marchand  Vénitien  ,  établi 
à  Londres ,  &  à  Tes  trois  Fils ,  Louis  ,  Sébajlien  &  Sancius  ,  la  permillîon  de 
faire  des  découvertes  dans  le  nouveau  Monde.  Piufieurs  Ecrivains,  fe 
fondant  fur  la  datte  de  ces  Lettres,  qui  eft  l'onzième  année  du  rè?ne  de 
Henri  ,  font  partir  Jean  &  Sebaftien  C?bot  dès  l'a  ;  1497 ,  leur  font  re- 
connoîcre  alors  l'Ifle  de  Terre-  Neuve  &  la  Terre  de  Labrador  ,  &  fuppo- 
fent  qu'ils  s'élevèrent  jufqu'au  cinquantième  degré  de  latitude  du  Nord  (a). 
Mais  d'autres  raifons  portent  à  croire  que  ce  Voyage  ne  fût  entrepris  que 
piufieurs  années  après  (/>),&  qu'il  efl  poftérieur  à  celui  de  Corte-  Real. 

Les  Vénitiens  prétendent  auiîi  à  l'honneur  d'avoir  découvert  le  Nord 
de  l'Amérique  ,  ou  d'avoir  été  les  premiers  qui  en  ayent  répandu  la  con- 
noifl'ince  en  Europe.  Ils  font  valoir  le  témoignage  d'Antoine  &  de  Nico- 
las Zcno  ,  Frères ,  &  Nobles  Vénitiens ,  qui  étant  partis  des  Côtes  d'Irlan- 
de,en  1390,  furent  poufles ,  par  une  tempête,  Ç\iv  \q  Frijland  ^  qu'on  prend 
pour  une  partie  du  Continent  de  Groenland  (f),  où  ils  furent  informés,  à 
la  Cour  même  du  Roi,  qnQl'EJlotiland^  nom  qu'ils  ont  donné  à  la  partie 
Septentrionale  de  la  Terre  de  Labrador,  venoit  d'être  découvert  par  quel- 
ques Pêcheurs ,  Sujets  de  ce  Prince. 

On  a  vû,  dès  l'entrée  de  ce  Volume, que  les  Anglois  ,s'attribuant  le  mê- 
.   ,.  ...    ...  me 


(«■)  Ranuifio  dit  jufqu'à  foixante  -  fcpt 
degrés  &  demi.  Préface  de  fon  III.  Tome. 
Goinara  dit  plus  de  cinquante  -  huit.  Liv.  2. 

Chap.  4. 

{b)  i'^.  Les  Patentes  de  Henri  VII  ne 
contiennent  que  la  permillîon  vague  de  par- 
tir &  de  faire  des  découvertes  ;  &  ce  Prince 
n'y  joignit  que  deux  ans  après  ,  celle  de 
prendre  un  certain  nombre  de  VaifTeaux  dans 
les  Ports  d'Angleterre.  Hackiuyt  rapporte 
aufll  cette  féconde  permiflîon.  2°.  Pierre 
Martyr,  Goniara ,  &  Ramufio,  qui  parlent 
du  premier  Voyage  de  Sébaflien  Cabot,  ne 
marquent  point  l'année  ,  t\;  ne  nomment 
point  fon  Pcre.  s'".  Séballien  Cabot  même, 
dans  un  Difeours ,  que  Ramufio  (  //.  Tome  de 
fnn  Recueil  )  rapporte  de  lui  à  Gdeas  Butri- 
piarius.,  Légat  du  Pape  en  Elpa,.;nc,  allure 
que  ce  fut  aprcs  la  mnj  t  Je  fon  Père  ,  &  iorf- 
quon  fçût  en  Angleterre  que  Chriflophe  Co- 
l'.inib  avoit  découvert  les  Côtes  do  l'Améri- 
que,  qu'il  fut  envoyé,  par  Henri  VII,  pour 
trouver  un  Ciieniin  au  Catlr.;y  par  le  Nord. 
A  la  vérité ,  il  ajoute ,  que ,  fî  fa  mimuirc 
ne  le  trompe  point  ,  ce  fut  x-n  1496.  Mui.s  il 
paroî:  évidemment  que  fa  mémoire  l'a  trom- 


pé, puifque  Chriflophe  Colomb  n'avoit  pas 
encore  découvert  le  Continent  de  l'Amérique 
en  1496,  &  puifqu'il  n'efl;  pas  moins  cer- 
tain, par  les  Patentes  d'Henri  Vil,  que  Ca- 
bot le  Père  vivoit  alors.  Aulîî  l'Auteur  de 
Plntrodudtion  à  l'Hiftoire  Univerfelle  ,  ne 
met- il  ce  premier  Voyage  qu'en  1516,  fans 
dire  néanmoins  fur  quel  témoignage  il  fe  fon- 
de. Cbap.  20,  de  V Amérique,  pag.  392.  Au 
milieu  de  ces  obfcurités,  on  prouve  claire- 
ment ,  &  perfonne  ne  contefte ,  que  dès  l'an- 
née 1504,  des  Bâtimcns  Bafques.  Normands, 
&  Bretons,  faifoient  la  Pôclic  de  la  Morue 
fur  le  grand  Banc  de  Terre  -  Neuve ,  &  le 
long  de  la  Côte  Maritime  du  Canada;  ce  qui 
doit  faire  préfumer  qu'ils  avoicnt  connu  ces 
lieux  plutôt,  &  peut  être  les  iiremiers.  Va- 
7^2  ci-delluus,  année  1523. 

(  c  )  On  attribue  la  découverte  du  Frifland 
à  ces  deux  Frères.  Leur  Relation  efl:  dant 
Ramufio.  il  paroît  certain,  par  un  h.d:c  de 
Louis  le  Débonnaire,  que  le  Groenland  étoit 
connu  au  neuvième  fièele,  comme  Vlflmdc, 
&:  d'autres  Illes  du  Nord.  Cet  Acte"  cft  un 
Privilège  accordé  il  l'Eglife  de  Hambourg, 
du  15.  Mai  834. 


' 


I 


P 


103 


Li  Roi 

établi 
on  de 
ns,  fe 
;ne  de 
nt  re- 
Puppo- 
d(a). 
•\s  que 
.eal. 

Nord 
a  con- 

Nico- 
i'Irlan- 
i  prend 
nés,  à 
i  partie 
ir  quel- 

;  le  mê- 
me 

voit  pas 
mérique 
ins  cer- 
que  Ca- 

tcur  de 
•Ile  ,  ne 
1(5,  fans 
il  fc  fon- 
392-  Au 
le  claire- 
tU's  Van- 
)nnands, 

Morue 
jc,  &  le 
;  ce  qui 
m  nu  ces 

ers.  Fe- 

JFrifland 
lefl:  dans 
1a6Vc  do 
iiul  étoit 

[Ifî.inde, 
'  ctt  un 

hibourg, 


EN      AMERIQUE,    Liv.    I. 

me  honneur,  font  remonter  leurs  prétentions  jufqu'à  l'an  1170,  dans  un 
Vovage  qu'ils  donnent  à  AWrjc  Frère  de  David,  Yilsd'Ovjen-Guyncd,  Prn> 
ce  de  Galles,  auquel  ils  font  uccouvrir  une  belle  Terre  au  Nord  de  1  Ame- 
riaue  Malheureufement  cette  navigation  ne  fe  trouve  appuyée  fur  aucun 
monument  certain;  &  les  preuves,  qu'on  en  apporte  {d)\  n'ayant  paru 
ou'aorès  la  découverte  de  Colomb,  on  peut  les  regarder  comme  un  ouvra- 
ge de  la  jaloufie  ÔL  de  l'ingratitude,  pour  lui  enlever  un  honneur  qui  pa- 
roît  n'appartenir  qu'à  lui. 


CURtSTOPHÏ 

Colomb. 
m.  Voyage. 

1500. 
Jean  Cauot, 

tT"îESTUOlà 
l'iLS. 


(d)  Recueil  (le  Hackluyt ,  pag.  i.  Ces  preu- 
ves fe  trouvent  dans  lUiftoire  du  Pays  des 
Galles,  par  Fowell.  On  rapporte  aurtî  une 
Epi"ramme  de  Meredith,  en  Langue  Galloi- 
fe;  mais  ce  Meredith  ne  vivoit  qu'en  1477. 

MadocWyf,  Mwyedic  ÏVeedd ,     ..  ■  .: 
Jawn  genau,  O'vnyn-Gyiedii, 


Nî  fynnum  dir ,  fy  enaid  oedd, 
Na  damawr,  ond  y  moroedd. 

C'cft-à-dire,  „  Je  fuis  ce  Madoc,  fils  d'O- 
„  wcn-Guynéd,  à  qui  fa  patrie  &  fes  richelFes 
■  „  ne  plurent  point,  mais  qui  prit  plaiiïr  à  cher- 
„  cher  de  nouvelles  Terres  ". 


5.     XI. 
Suite  du  tro'ifième  Voyage  de  Chriftophe  Colomb.      ./ 

PENDANT  que  les  Ennemis  de  l'Amiral  attentoient  à  fa  gloire,  ou  que, 
par  un  motif  plus  noble,  d'autres  cherchoient  à  la  partager,  il  avoit  à 
réprimer,  dans  fon  Ule,  les  flammes  de  la  fédition  ,  qu'Ojeda  y  étoit  venu 
rallumer ,  &  des  foins  à  prendre  dans  l'éloignement ,  pour  fe  défendre  con- 
tre les  accufations  dont  on  le  noirciflbit  en  Efpagne.     La  préférence ,  qu'il 
crut  devoir  au  premier  de  ces  deux  objets,  parce  qu'il  ne  mettoit  rien  en 
balance  avec  les  obligations  de  fon  Emploi,  lui  fît  oublier  trop,  long-tems 
fes  intérêts  perfonnels.     Un  Caftillan ,  nommé  Peniand  de  Guevare ,  proche 
Parent  de  ce  Moxica ,  qui  étoit  entré  dans  les  anciens  complots  de  Roldan , 
enleva,  au  Cacique  Bohechio,  une  jeune  &  belle  Indienne,  qui  fe  nom- 
moit  Hy;^ucyiiiotci.    Il  s'étoit  flatté  de  pouvoir  fe  dérobber,  avec  faMaîtref- 
fe,  fur  les  "VaifTeaux  d'Ojeda ;  mais,  les  ayant  trouvés  partis,  il  ne  penfa 
qu'à  fufciter  de  nouveaux  troubles,  pour  fe  mettre  à  couvert  fous  le  voile 
des  mécontentemens  publics.     Il  trouva  quantité  de  Partifans,  entre  ceux 
qui  s'étoient  déclarés  pour  Ojeda;  &  fa  révolte  auroit  eu  des  fuites  dange- 
reufes,  fi  Roldan,  qui  commençoit  à  refpefter  fincérement  les  Loix,  n'eut 
trouvé  le  moyen  de  fe  faifir  de  lui,  &  de  fept  ou  huit  de  Ces  principaux 
Complices,  qu'il  fit  conduire  prifonniers  à  San  -  Domingo.     La  tranquilli- 
té paroilToit  rétablie,  lorfque  Moxica,  informé  de  la  difgracc  de  fon  Fi- 
rent ,  parcourut  tous  les  Villages  de  la  Vega  pour  exciter  le  Peuple  a  fe 
foulever,  en  déclarant,  avec  la  dernière  audace,  qu'il  étoit  réfolu  de  tuer 
l'Amiral  &  l'Alcalde.     Dans  la  néceffité  de  fe  défendre  ,  l'Amiral  négligea 
d'envoyer  fes  Mémoires  en  Efpagne,  &  d'informer  la  Cour  de  l'injurieule 
condilke  d'Ojeda.     Il  prévint  les  Rebelles ,  en  leur  portant  la  guerre  dans 
leurs  retraites.     Il  les  défit;  &  Moxica,  étant  tombé  entre  fes  mains  avec 
quelques  autres,  il  les  fit  pendre  aux  crenaux  de  la  Fortcrefle.    L'Ade- 

lan- 


Suit?  du  111. 

Voyage. 


Nouvelles 
fc^ditions  dans 
1  Ule  Efpagno- 
Ic.    . 


Guevare  cft 
arrêté. 


L'AnvïalfaLt 
mourir  quel- 
qucïRcbdIfd. 


104 


PREMIERS      VOYAGES 


COI.O.MI. 

Suite  du  III. 
Voyago, 
1500. 

Révolution 
fiincllc  aux 
Coloiiibs, 


Haine  qu'on 
feurfuicitc  en 
A'^fpagnc. 


La  Reine  fe 

prévient  con- 
tre l'Amiral. 


lantadc  en  prit  auffi  plufieurs,  qui  furent  deftines  au  même  fort;  mais  une 
étrange  révolution  leur  fauva  la  vie,  lorfqu'on  s'y  attendoit  le  moins. 

Dks  l'année  précédente,   un  grand  nombre  de  Mécontens,  qui  étoient 
fortis  de  rifle  Efpagnole,  avoient  entrepris ,  comme  de  concert ,  de  foule- 
ver  toute  rEfpagne  contre  les  Cplombs.     Ils  s'étoient  rendus  à  Grenade, 
où  h  Cour  étoit  alors;  &,  répandant  les  plus  noires  calomnies  contre  l'A- 
miral ,^  ils  avoient  également  réufli  à  le  rendre  odieux  au  Peuple,  &  fufpeà 
au  Roi.     Un  jour  quelques  •  uns  de  ces  Séditieux  ,  ayant  acheté  une  char- 
ge de  raifin,  s'étoient  alîis  à  terre  pour  la  manger,  au  milieu  d'une  Place 
publique,  &  s'étoient  mis  à  crier  que  le  Roi  &  les  Colombs  les  avoient  ré- 
duits à  cette  mifère,  en  refufant  de  leur  payer  le  falaire  qu'ils  avoient  mé- 
rité dans  les  pénibles  travaux  des  Mines.    Si  le  Roi  paroiflbit  dans  les  rues 
de  Grenade,  ils  le  pourfuivoient,   pour  lui  demander  leur  paye  avec  de 
grands  cris;  &  s'ils  voyoient  pafler  les  deux  Fils  de  l'Amiral,  qui  étoient 
encore  Pages  de  la  Reine,  ,,  voilà,  s'écrioient-ils,  les  Enfans  Je  ce  Trai- 
„  tre  ,  qui  a  découvert  de  nouvelles  Terres  pour  y  faire  périr  toute  la 
„  NoblelTede  Caflille  (a)".     Le  Roi,  qui  n'avoit  pas  pour  l'Amiral  au- 
tant d'adeélion  que  la  Reine,  ne  fc  défendit  pas  û  long-tems  contre  le 
foulevement  général  ;  oc  la  Reine  même,  après  avoir  fait  plus  de  réfiftan- 
ce ,  fut  entraînée  par  la  force  du  torrent.  Mais  rien  ne  fit  tant  d'imprefGon , 
fur  elle ,  qu'une  circonftance  qui  n'avoit  point  été  prévue.     On  doit  fe 
rappellcr  qu'une  des  conditions  du  Traité  de  l'Amiral ,  avec  Roldan ,  por- 
toit,  que  les  Rebelles,  qui  voudroient  retourner  en  Éfpagne,  auroient  la 
liberté  d'emmener  leurs  Maîtreiïes  Indiennes  qui  fe  troavoient  enceintes , 
oii  qui  étoient  nouvellement  délivrées.     Plufieurs  ne  fe  bornant  point  à 
leurs  MaîtrefiTes ,  avoient  apparemment  embarqué  des  hommes  fans  la  par- 
ticipation ,  ou  par  la  connivence  de  l'Amiral ,  qui  étoit  fouvent  réduit  à 
fermer  les  yeux  fur  ce  qu'il  n'avoit  pas  le  pouvoir  d'empêcher.    On  vit  ar- 
river ces  Efclaves,  au  nombre  d'environ  trois  cens;  &la  Reine,  qui  n'a- 
voit rien  recommandé  avec  tant  de  foin  que  de  ne  point  attenter  à  la  liber- 
té des  Indiens,  ne  put  apprendre  fans  une  vive  colère,  que  Tes  ordres 
avoient  été  û  peu  relpeélés.    Non  feulement  elle  en  fit  un  crime  à  l'Ami- 
ral ,  mais  elle  jugea  qu'il  ne  pouvoit  être  plus  innocent  fur  tout  le  refte; 
&,  commençant  par  ordonna*,  fous  peine  de  mort,  que  tous  les  Efcla- 
ves, qu'on  tenoit  de  lui,  fuflent  remis  en  liberté,  elle  prit  en  méme-tems 
la  réfolution  de  lui  ôter  l'autorité  dont  elle  l'avoit  revêtu.    Jamais ,  fuivanc 
la  remarque  d'un  fage  Hiftorien ,  elle  n'en  prit  aucune,  dont  elle  aît  eu  plus 
d'occafions  de  fe  repentir.    L'Amiral  lui  auroit  paru  moins  coupable,  fi, 
rendant  plus  de  juflice  à  fon  caraélère  ,  elle  eût  jugé  de  fa  conduite  par  les 
embarras  &  les  néceflîtés  qu'elle  ne  pouvoit  ignorer.    Avec  un  peu  de  mo- 
dération ,  pour  attendre  de  lui  plus  d'éclaircilTement ,  elle  auroit  appris 
qu'il  avoit  extirpé  enfin  jufqu'aux  moindres  femences  de  révolte;  qu'il  gou- 
vernoit  avec  une  autorité  abfolue  ;  qu'il  voyoit  les  Caftillans  foumis ,  les 
Infulaires  difpofés  à  recevoir  le  joug  de  l'Evangile,  &  celui  de  la  Domina- 
tion de  Callille  ;  &  qu'il  ne  demandoit  pas  plus  de  trois  ans  pour  augmen- 
ter 
(«)  Vie  de  Colomb,  par  fon  Fils,  Liv.  2,  Cbap.  23  ^  24. 


>» 


9> 


EN      AMERIQUE,  Llv.   I. 


105 


ter  defoixante  millions  les  revenus  de  la  Couronne,  en  y  comprenant,  à 
la  vérité,  la  Pêche  des  Perles,  dont  il  penfoit  à  s'afllirer  par  une  bonneFor- 
Cerefle(Z>).  ^ 

Dans  cette  fatale  conjoncture,  les  accufations  d'Ojcda  vinrent  achever 
fa  perte.  Cependant  elle  ne  fut  fignée  qu'au  mois  de  Juin;  comme  fi  le 
Roi  &  la  Reine  euflent  afFe6lé  de  prendre  du  tems,  pour  ne  confulcer  que 
la  Juftice.     On  publia ,  pour  colorer  fa  dépofition  ,  qu'il  avoit  demandé 


1 

qu 


ui-même  un  premier  Adminiftrateur  de  la  Juftice  dans  l'IHe  Efpagnole ,  & 
^u'il  avoit  prié  Leurs  Majeftés  de  faire  juger  fes  différends  perfonnels  avec 
l'Alcalde  Major ,  par  des  CommilTaires  desintérefles  ;  que  ces  deux  propo- 
fitions  paroihbient  raifonnables ,  mais  qu'on  ne  jugeoit  point  à  propos  de 
partager  deux  Emplois  qui  demandoient  une  autorité  abî'olue;  &  que  d'ail- 
leurs on  ne  pouvoit  en  revêtir  qu'un  Homme  de  diilinftion ,  avec  lequel  il 
ne  convenoit  pas  de  laifler  un  Etranger,  qui  exerçoit  deux  aulTi  grandes 
Charges  que  celles  d'Amiral  &  de  Viceroi  perpétuel.  Le  Roi  &  la  Rei- 
ne crurent  trouver  toutes  les  qualités  qui  cohvenoient  à  leurs  vues ,  dans 
François  de  Bovadilla,  Commandeur  de  Calatrave.  Avec  le  titre  de  Gou- 
verneur Général ,  ils  lui  donnèrent  celui  d'Intendant  de  Juflice,  &  l'ordre 
de  tenir  fes  Provifions  fecrettes  jufqu'au  jour  de  fa  réception  à  San  -  Do- 
mingo; d'où  les  mêmes  Hiftoriens  croyent  pouvoir  conclure,  que  les  Rois 
Catholiques  avoient  prêté  l'oreille  au  bruit,  que  les  Ennemis  de  f  Amiral 
avoient  répandu,  qu'il  penfoit  à  fe  rendre  Souverain  du  nouveau  Monde  (c). 
Bovadilla  mit  à  la  voile,  vers  la  fin  du  mois  de  Juin,  avec  deux  Caravel- 
les; &  le  23  d'Août  on  apperçut,  de  San  -  Domingo ,  ces  deux  Bâtimens, 
qui  s'efforçoient  d'entrer  dans  le  Port ,  d'où  ils  étoient  repouiTés  par  le 
vent  de  Terre.  L'Amiral  étoit  alors  occupé  à  fortifier  la  Conception  de  la 
Vega;  &  l'Adelantade  s'étoit  rendu,  avec  Roldan  ,  vers  Xaragua,  pour  y 
faire  une  exafte  recherche  des  Complices  de  la  dernière  révolte. 

A  la  vue  des  deux  Caravelles,  Dom  Diegue  Colomb,  qui  commandoit 
dans  l'abfence  de  fes  deux  Frères,  les  envoya  reconnoître,  par  Chrifloph^ 
Rodriguez  dslaLengua,  avec  une  vive  impatience  d'apprendre  fi  le  jeune 
Diego  ,  l'aîné  des  deux  Fils  de  l'Amiral  ,  n'étoit  pas  fur  l'un  des  deux 
Vailleaux.  Ce  fût  Bovadilla  même,  qui  fe  préfenta  fur  le  bord  de  fa  Ca- 
ravelle ,  pour  répondre  aux  queftions  de  Rodriguez.  Il  lui  déclara ,  non- 
feulement  fon  nom,  mais  la  Commiffion  d'Intendant  de  Juftice  qu'il  ve- 

noit 


Chri-îtothi^ 

.CoLOM3. 

Suite  du  III.  - 
Voy.ige. 
1500. 

Dom  Vvn^- 
çois  de  Bova- 
dilla  cft  envo- 
yé à  l'Kfpa- 
.cînolc  en  qua- 
lité de  Giii 
verneurC(îii«f- 
ral. 


(J)  Hcrrera,  ubi  fup.  Hiftoire  de  Saint- 
Domingue,  Liv.  3,  Oviedo,  nui  fup. 

(c)  Ces  Provifions  portoient  ,,  que  l'A- 
„  mirai  ayant  donné  avis ,  à  Leurs  Majeftés , 
„  que  pendant  le  Voyage  qu'il  avoit  fi.it  à 
„  la  Cour,  un  Alcaldc  &  quelques  autres 
„  Officiers  s'étoient  foulevés  avec  un  grand 
„  nombre  de  Parti  fans,  &  que  toutes  fesex- 
„  hortations  n'avoient  pu  faire  celTcr  le  des- 
„  ordre,  au  grand  préjudice  du  Service  de 
„  Dieu  &  de  Leurs  Majeflés,  elles  ordon- 
„  noient,  au  Commandeur  François  de  Bova- 
dilla ,  de  faire  une  exafte  pei-qui0tion  des 

XFIJL  Part. 


>> 


„  Coupables,  de  fe  faifir  d'eux,  après  avoir 
„  reconnu  la  vérité,  de  fequellircr  leurs  bi(.ns, 
,,  &  de  procéder  contr'eux,  comme  il  le  ju- 
„  geroit  à  propos,  fuivant  les  formes  de  la 
„  Juftice  :  mandant  en  outre  à  l'Amiral,  à 
,,  tous  les  Officiers,  Gouverneurs  de  Poli- 
„  ce ,  Nobles  &  Roturiers ,  &  généralement 
,,  à  tous  leurs  Sujets  de  rifle,  de  prêter  la 
„  main  à  l'exécution  de  leurs  ordres  ".  Cet- 
te Provifion  étoit  lignée  du  Secrétaire  d'Etat, 
Michel  Perez  iVJlmanzan,  Herieraj  Liv.  4. 
Cbap.  8. 


o 


Premières 
circonftances 
de  fon  arrivée 
à  San  Domin- 
go- 


Chrïstophk 
Colomb. 
Suite  du  III. 

1500. 


Son  cnrac- 
tàc. 


oc 


Ouverture 
ion  adini- 


i"iiilratioii. 


to6        P    U    E    M    I    E    R    S      V    O    Y    A    G    E    S 

noit  exercer  contre  les  Rebelles  ;  & ,  s'informant  à  Ton  tour  des  affaires  de 
l'Ifle ,  il  apprit  l'exécution  de  Moxica  &  de  fcs  Complices ,  l'ardeur  des 
Colombs  dans  la  recherche  des  Coupauies ,  &  la  rcfolution  où  ils  ctoient  de 
faire  encore  un  exemple  de  Guevare,  de  Riquclmej&  de  quelques  autres, 
qui  ctoient  deftinés  au  fupplice  pour  le  même  crime.    Ces  informations  ir- 
ritèrent le  Commandeur,-     Quoiqu'on  ne  puifle  douter  que  le  Roi  &  la  Rei- 
ne, en  l'honorant  de  leurs  ordres,  n'euffent  crû  trouver,  dans  fa  perfon- 
ne,  toutes  les  qualités  qui  convenoient  à  leurs  vues,  on  (reconnoicra  bien- 
tôt qu'il  ctoit  ambitieux,  violent,  intérefle,  &  que  par  conféquent  Leurs 
Majellés  s'étoient  trompées  dans  leur  choix.    Soie  qu'il  eût  apporté  d'a- 
veugles préventions  contre  les  Colombs,  ou  que  lajaloulie  de  l'autorité  lui 
fît  déjà  regarder  tout  ce  qui  ne  venoit  pas  de  lui  comme  une  ufurpation  de 
la  Tienne,  il  ne  put  entendre,  fans  indignation ,  qu'on  lui  parlât  de  fuppli- 
ce ,  pour  des  Criminels  dont  il  devoit  être  l'unique  Juge.     Cette  difpofi- 
tion  ne  fît  qu'augmenter,  à  la  vue  de  deux  Gibets  ,  oc.  de  quelques  Caftil- 
lans  qu'il  y  vit  attachés,  en  arrivant  dans  le  Port.    Un  reflentiment ,  fi 
mal  conçu ,  lui  fit  prendre  la  réfolution  de  pafler  la  nuit  dans  fon  Vaifleau. 
Le  lendemain,   24  d'Août,  étant  defcendu  dans  la  Ville,  il  fe  rendit 
d'abord  à  l'Eglife,  où  il  entendit  la  Mefle  avec  une  grande  oflentation  de 
pieté.     Dom  Diegue  Colomb ,  &Perez,  Major  de  l'ille,  y  affilièrent,  ac- 
compagnés de  la  plupart  des  Habitans  de  San -Domingo.    En  fortant,  il 
tira  des  Lettres  qui  portoient  le  Sceau  Royal  d'Elpagne ,  &.  les  remit  à  un 
Notaire  de  fa  fuite,  avec  ordre  de  les  lire  déviant  l'Àflembiée.    C'étoient 
celles  qui  le  créoient  Intendant  de  Jullice.    Eniulte,  s'adreflant  à  Dont 
Diegue ,  il  demanda ,  au  nom  de  Leurs  Majeflés ,  qu'on  lui  livrât  tous  les 
Prifonniers  qui  étoient  arrêtés  pour  la  révolte.    Dom  Diegue  lui  répondit 
qu'ils  lui  avoient  été  confiés  par  l'Amiral ,  dont  l'autorité ,  fans  doute ,  étoit 
lùpérieure  à  la  fienne,  &  qu'il  n'en  pouvoit  difpofer  fans  fon  ordre.     „  Je 
„  vous  ferai  connoîtrc,  reprit  Bovadilla,  que  vous  &  lui  devez  m'obéir  ". 
Le  rcfte  du  jour  fe  pafla  dans  une  extrême  agitation.    Mais ,   le  lende- 
main, après  la  Méfie,  à  la  vue  de  toute  la  Colonie ,  que  la  curiofité  n'a- 
voit  pas  manqué  de  rafl'embler,  Bovadilla  fit  lire  d'aufes  Patentes,  qui  le 
conflituoient  Gouverneur  Général  des  liles  &  de  la  Terre  •  ferme  du  nou- 
veau Monde,  avec  un  pouvoir  fans  bornes  (rf).    Enfuite,  ayant  prêté  le 
Serment  ordinaire ,  il  invita  tout  le  monde  à  la  foumiflîon  ;  &  pour  la  met- 
tre à  l'épreuve,  il  renouvella  la  demande  des  Prifonniers.     On  lui  fit  la 
môme  réponfe,  &  cette  fermeté  l'embarrafla.    11  fit  lire  deux  autres  Man- 

de- 


dem 
&à 
&ai 
doit 

leau 


(cl)  Elles  contenoient  „  que  Leurs  Ma- 
Jcltc's  Catholiques,  pourraccomplifleinent 
du  Service  de  Dieu  &  du  leur  ,  pour  l'exé- 
cution delà  Juflicc,  pour  l'établiflement de 
la  Paix  &  du  bon  Gouvernement  des  Ilîes 
&  de  la  Terre -ferme  ,  avoient  ordonné 
que  le  Commandeur  François  de  Bovadil- 
la exerçât  en  leur  nom  le  Gouvernement 
des  mûmes  lieux,  auffi  long-tems  qu'elles 
!c  iugeroient  à  propos,  avec  TOiEce  d'In- 


„  tendant  do  JuP.ice ,  Civile  &  Criminelle; 
„  &  qu'elles  entcndoient  qu'après  qu'il  au- 
,,  roit  prêté  le  Serment  dans  la  formes  éta- 
„  blies ,  tous  leurs  Sujets  le  reconnuflênt  & 
„  lui  rendiffent  obéiflance,  comme  à  leur 
„  Gouverneur  &  leur  Juge;  pour  l'exécution 
„  de  quoi  elles  lui  accordoient  un  plein  pou- 
,,  voir,  avec  ordre  i  tous  de  lui  obéir".  La 
datte  de  cette  CouuuilCop.  étoit  du  21  de  Mai. 
Herxera ,  ibul 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  T. 


lo- 


démens  des  Rois  Catholiques,  par  i'im  defciuels  il  ctoic  oi\]onnd,à  r>\mlral, 
&  à  tous  les  Commandans  des  FcrtercQcs  &  des  Navires ,  aux  Trcfoners 
&  aux  Gardes  Macafins  de  le  reconnoître  pour  Supérieur.  L'autre  regar- 
doit  la  folde  Militaire  &  la  paye  des  Artifans  &  des  Engages.  Après  cette 
lefture,  qui  mit  tous  les  Gens  de  Guerre  dans  fes  intérêts,  il  foinma, 
pour  la  troifième  fois,  Dom  Diegue,  de  lui  remettre  les  clés  de  la  Prifon. 
Sur  fon  refus,  il  fe  rendit  à  la  Citadelle,  où  Michel  Diaz  commandoit  en 
qualité  d'Alcalde ;  &  lui  ayant  fait  fignifier  fes  pouvoirs,  il  ordonna  que 
fur  le  champ  tous  les  Prifonniers  fuffent  amenés  devant  lui.  Diaz  deman- 
da du  tems  pour  en  informer  l'Amiral ,  dont  il  tenoit  fa  Commiffion.  Mais 
le  Commandeur,  appréhendant  que  ce  délai  ne  fût  employé  à  faire  exé- 
cuter Guevare  &  fes  Complices ,  lit  mettre  à  l'inftanc ,  fous  les  armes , 
toutes  les  Troupes  qu'il  avoit  amenées,  &  celles  même  de  la  Ville,  qui  re- 
connoiflbient  déjà  fes  ordres.  La  Citadelle  étoit  encore  fans  défenfe  ;  & 
quoique  Diaz  fe  montrât ,  l'épée  à  la  main,  fur  les  créneaux,  avec  Ahara- 
do,  fon  Lieutenant,  il  y  entra  fans  réfiftance.  11  fe  fit  conduire  à  la  Pri- 
fon ,  où  il  trouva  les  Coupables  chargés  de  chaînes.  Un  léger  interroga- 
toire parut  le  fatisfaire  ;  &  leur  ayant  fait  efpérer  leur  grâce ,  il  fe  conten- 
ta de  les  laifler  fous  la  garde  d'un  de  fes  gens. 

.  L'Amiral,  bientôt  informé  de  cette  révolution,  en  reçut  afTez  tranquil- 
lement la  première  nouvelle.  La  confiance,  qu'il  croyoit  devoir  aux  bon- 
tés du  Roi  &  de  la  Reine,  après  les  avoir  fi  bien  fervis,  lui  fît  juger  que 
Bovadilla  étoit  quelque  Avanturier ,  tel  qu'Ojeda  ,  dont  il  ne  lui  feroit  pas 
plus  difficile  de  fe  défaire  ;  ou  du  moins  que  fa  Commifllon  n'avoit  pas 
plus  d'étendue  que  celle  d'Aguado.  Mais ,  lorfqu'il  eut  appris  que  le  Com- 
mandeur s'étoit  rendu  maître  de  la  Forterefle,  &  que  toutes  les  Troupes 
étoient  foumifes  à  fes  ordres ,  il  confidéra  cette  affaire  d'un  autre  œil. 
L'opinion-,  qu'il  confervoit  encore,  que  c'étoit  quelque  nouvelle  fourbe- 
rie, dont  il  avoit  à  fe  défendre,  ne  l'empêcha  point  de  prendre  des  mefu- 
res  pour  le  foutien  de  fon  autorité.  Il  fe  rendit  à  Bonao  ,  après  y  avoir 
donné  rendez -vous  aux  Caftillans,  qu'il  croyoit  dans  fes  intérêts  ,  &  l'or- 
dre, à  plufieurs  Caciques,  de  l'y  venir  joindre,  avec  toutes  les  Troupes 
qu'ils  feroient  capables  de  raffembler.  En  y  arrivant,  il  y  trouva  un  Huif- 
fier  à  Verge,  qui  lui  remit  des  Copies  de  chaque  Provifîon  du  nouveau 
Gouverneur.  Après  les  avoir  lues,  il  déclara  que  la  première  ne  conte- 
noit  rien  qu'il  n'eût  demandé  lui-même;  mais  que  l'autre,  ne  s'accordant 
point  avec  les  Patentes  irrévocables  de  Viceroi  oc  d'Amiral ,  qu'il  avoit  re- 
çues de  Leurs  Majeflés,  il  ne  pouvoit  fe  perfuader  qu'elle  vint  de  cette 
refpeftable  fource  ;  qu'il  ne  s'oppofoit  point  à  l'adminiflration  de  la  Jufti- 
ce,  dont  Bovadilla  étoit  chargé;  mais  qu'il  alloit  écrire  en  Efpagne;  & 
qu'en  attendant  les  explications  de  la  Cour,  fiir  des  évenemens  qui  lui  pa- 
roiflbient  obfcurs,  il  fommoit  tous  les  Sujets  des  Rois  Catholiques,  de  de- 
meurer dans  la  foumiffion  qu'ils  lui  dévoient.  On  ne  douta  point  alors 
que  cette  querelle  ne  dégénérât  en  guerre  civile ,  furtout  lorfque  le  Com- 
mandeur eut  affefté  de  ne  pas  répondre  à  une  Lettre  qu'il  reçut  de  l'Ami- 
ral, &  qu'on  apprit,  au  contraire,  qu'il  avoit  écrit  à  Roldan  &  à  ks  an- 

O  2  cicns 


ClIBlSTCrilK 

Coi.oMn. 

2u;tc  tlu  lll. 

Voyn;:;e. 

1500. 

Violrnci.* 

il  c'iablit  fon 
autoriC'i, 


Embarras  do 
l'Ainiral, 


L'Iflccflmc' 
nacéc  d'une 
guerre  civile. 


'lo3 


PREMIERS      VOYAGES 


15  oo. 

Lcttro  du 
Roi  qui  o!)li- 
gcrAminilàia 

roiiîiiiflîun. 


Bovatîina  in- 
forme contre 
lui. 


l'Amiral,  une  Lettre  flgnce  de  la  main  du  Roi  (S:  de  la  Reine.  Elle  étoit 
dans  ces  termes:  „  Dom  Chrillophe  Colomb,  nôtre  Amiral  dans  l'Océan: 
„  Nous  avons  ordonné  au  Commandeur ,  Dom  François  de  Bovadilla,  de 
„  vous  expliquer  nos  intentions.  Nous  vous  ordonnons  d'y  ajouter  foi, 
,,  &  d'ex'jcuter  ce  qu'il  vous  dira  de  notre  part.  Moi  le  Roi,  moi  la  Reine*\ 
Les  réllexions  que  l'Amiral  fit  fur  cette  Lettre ,  dans  laquelle  il  ne  manqua 
poin:  d'obferver  qu'on  ne  lui  donnait  pas  le  titre  de  Viceroi,  le  détermi- 
nèrent à  reconnoître  Bovadilla  dans  toutes  les  qualités  qu'il  s'attribuoit.  Il 
partit  auffîtôt  pour  la  Capitale. 

A  fon  exemple ,  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  Caftillans  à  I3onao ,  dans  la  Ve- 
ga,  &  dans  tous  les  nouveaux  Etablillemens ,  prirent  le  chemin  de  San- 
Domingo.     Bovadiila ,  pour  les  attirer  par  l'intérêt,  avoit  déjà  fait  publier 
que  pendant  vingt  ans,  ceux  qui  travailloient  à  chercher  de  1  or  n'en  paye- 
roîent  au  Roi  que  le  vingtième;  qu'il  alloit  acquitter  les  arrérages  de  la  Ibl- 
de  Militaire ,  &  contraindre  l'Amiral  de  fatisfaire  tous  ceux  auxquels  il  avoit 
donné  quelque  fujet  de  plainte.     Les  Mécontens  s'empreflerent  de  venir 
dépofer  contre  les  trois  Colombs,  &  toutes  leurs  accufations  furent  reçues. 
Ms  chargèrent  l'Amiral  de  les  avoir  maltraités,  dans  la  fondation  des  "Villes 
(îc  des  Forts,  en  les  aflujettiflant  à  d'indignes  travaux,  qui  en  avoient  fait 
périr  un  grand  nombre ,  &  de  leur  avoir  refufc  les  fecours  les  plus  nécef- 
iaires  à  la  vie;  d'avoir  impofé,  pour  des  ftiutes  légères,  des  châtimens 
trop  rigoureux,  fouvent  injuftes,  &  quelquefois  deshonorans;  de  n'avoir 
pas  vjuUi  confentir  que  les  Infulaires  fuiïent  baptifés,  parce  qu'il  aimoit 
mieux  les  voir  Efclaves  que  Chrétiens  ;  de  leur  avoir  fait  la  guerre  fous  de 
Tout  le  mon-  vains  prétextes,  pour  avoir  occafion  de  les  condamner  à  l'efdavage,  & 
de  déclare       pour  les  faire  palier  en  Caftille  ;  de  n'avoir  pas  permis  qu'on  tirât  tout  ce 
contre  l'Ami-  qij'gn  pouvoit  trouver  d'or ,  pour  ne  pas  diminuer  trop  les  richefles  de  l'If- 
le,  dans  la  vue  de  s'y  rendre  un  jour  indépendant,  ou  de  la  livrer  à  quel- 
que PuilTance  ennemie  de  l'Efpagne;  enfin,  d'avoir  excité  les  Caftillans & 
les  Indiens  à  fe  foulever  contre  le  nouveau  Gouverneur.    L'Hiftorien  re- 
marque que  parmi  tant  d'imputations  &  de  plaintes,  il  ne  fe  trouva  point 
une  dépofition  favorable  à  l'Amiral:  étrange  effet  de  l'infortune,  qui  fait 
oublier  toutes  lesjoix  de  l'amitié  &  de  la  reconnoiflance,  &  qui  ne  laifle 
voir,  dans  un  Malheureux,  qu'un  objet  de  haine  &  de  mépris  (/). 

Christophe  Colomb  fut  extrêmement  furpris,  en  arrivant  à  San-Domin- 
go,  d'apprendre  que  le  Commandeur  s'étoit  logé  dans  fa  Maifon,  qu'il  avoit 
i'aifi  fes  papiers ,  confifqué  fes  meubles ,  fes  chevaux ,  &  tout  ce  qu'il  avoit 
d'or  &  d'argent,  fous  prétexte  de  payer  ceux  qui  fe  plaignoient  de  ne  l'a'- 
voir  pas  été;  qu'il  avoit  fait  arrêter  Dom  Diegue,  fon  Frère,  fans  aucune 
formalité  de  Juftice,  &  qu'il  l'avoit  fait  transférer  dans  une  des  Caravelles 
qu'il  avoit  amenées,  avec  ordre  d'employer  les  fers  pour  l'y  retenir.    A 

pei- 

(e)  Herrera,  Ljr.  4.  Œflii.  $.  (^f)  Ibidtm, 


Ses  biens 
funt  luiiis. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I. 


ICf) 


peine  avoit-il  eu  le  tcms  de  fe  faire  expliquer  tant  de  violences,  qu'il  fc  vit 
enlevé  lui  même  &  conduit  dans  la  Citadelle,  où  il  fut  enfermé  les  fers  aux 
pieds.  Ilcrrera,  quoique  fort  prévenu  en  faveur  de  la  Nation,  donn.ici 
le  nom  de  Tyrtin  au  nouveau  Gouverneur.  Il  traite  de  cruel  6:  de  détella- 
ble,  un  cmprrtcment  de  cette  nature,  contre  un  lloiv.ir.c,  que  les  Huis 
Catholiques  avoicnt  élevé  aux  premiers  degrés  d'honneurs ,  <1\£  qui  avoit  ac- 
quis tant  de  gloire  à  TKfpagne.  La  fuite  des  événemens  fit  même  connuî- 
ire  que  le  Commandeur  avoit  paflé  fes  pouvoirs ,  <5c  que  s'il  étoit  chargé 
d'intormer,  c'étoit  avec  refpecl  pour  la  perfonnc  des  Colofnbs  {g).  Mais 
fa  cruauté  ne  fut  pas  plus  furprenante  que  l'applaudifTement  qu'elle  reçut 
de  tous  les  Caftillans  de  fille.  Ceux  mêmes  qui  dévoient  leur  fortune  à 
l'Amiral,  &  qui  ne  fubfifloient  que  par  fa  faveur,  curent  la  lâcheté  de 
l'outrager;  &,  pendant  que  fes  Ennemis  fe  contentoient  du  moins  de  le 
noircir  par  leurs  accufations,  ce  fut  fon  propre  Cuifinier,  qui  s'offrit  in- 
dignement à  lui  mettre  les  fers  aux  pieds. 

Il  foiifl'rit  fa  difgrace  &  toutes  les  humiliations  dont  elle  fut  accompa- 
gnée, avec  une  fermeté  qui  fut  peut-être  le  plus  glorieux  trait  de  fon  ca« 
raftère.  Cette  force  d'efprit,  qui  ne  l'abandonna  jamais,  paTut  bientôt 
avec  un  nouvel  éclat.  Il  y  avoit  toute  apparence  que  fAdelantade,  qui  é- 
toit  encore  en  liberté ,  ne  ménageroit  rien  pour  arracher  fes  Frères  d'entre 
les  mains  d'un  Homme,  dont  il  devoit  appréhender  les  derniers  excès.  Bo- 
vadilla,  qui  en  comprit  le  danger,  envoya  ordre  à  l'Amiral  de  lui  écrire, 
non-feulement  pour  arrêter  l'exécution  de  plufieurs  Criminels  dont  il  s'é- 
toitfaifi,  mais  pour  le  prefler  de  revenir  promptement  à  San -Domingo. 
L'Amiral  écrivit.  Il  joignit,  à  ces  deux  ordres,  les  plus  vives  infiances  , 
pour  engager  fon  Frère  à  venir  partager  fa  mauvaife  fortune  avec  lui. 
„  Nôtre  refTource ,  lui  difoit-il,  efl  dans  nôtre  innocence.  Nous  ferons 
„  menés  en  Efpagne.  Qu'avons  nous  à  defirer  de  plus  heureux ,  que  de 
„  pouvoir  nous  juflifier)"  Cette  propofition  d'it  révolter,  fans  doute,  un 
Homme  du  cara6lère  de  l'Adelantade.  Mais  il  ne  laifla  pas  de  fe  rendre  à 
l'avis  de  fon  Frère.  Il  vint  à  San-Domingo.  A  pein€  y  fut-il  arrivé  qu'il 
fut  chargé  déchaînes,  &  conduit  dans  la  Caravelle  qui  fervoit  de  Prifon 
à  Dom  Diegue.  Bovadilla  mit  le  comble  à  fes  injuftices ,  en  accordant 
toutes  fortes  de  faveurs  à  Roldan ,  à  Guevare  &  à  leurs  Partifans.  Après 
avoir  tourné  fes  premiers  foins  à  fauver  une  troupe  de  Séditieux,  qui  étoient 
fur  le  point  d'expier  leurs  crimes  par  le  dernier  fupplice,  on  s'étoit  attendu 
qu'il  feroit,  du  moins,  des  informations  fur  leur  conduite  ;  mais  il  leur  ren- 
dit la  liberté ,  fans  s'embarraffer  même  de  fauver  les  bienféances. 

Des 


('ai.OMi!. 
Siiitocliilll. 

1500. 

]|  cA  pla-'m 
jnr  les  Ilido- 
riens. 


On  lui  met 
les  fers  aux 
pieds. 


Avec  quel- 
le fcrriKtt:  il 
Ibuticnt  fa 
dirgracc. 


Il  eriRfige 
fon Frùe  à  fe 
foumc^'  •  ri. 


(g)  Voici  les  termes  d'Herrera:  „  Beau- 
„  coup  de  gens  aflurent  que  l'intention  des 
„  Rois  n'avoit  jamais  été  que  Bovadilla, 
„  quelle  que  iùt  la  force  de  fes  Provifions , 
„  dût  attaquer  la  perfonne  de  l'Amiral  ni 
„  de  les  Frères ,  &  que  comme  fa  prudence 
»,  fuffifoit  pour  lui  faire  voir  qu  il  ne  le 
,.  devoit  pas,  ils  ne  l'en  avoient  pas  averti". 
ifo.4.  Cbap.  10.  Ovicdo  s'exprime  à  peu  près 


de  môme:  „  Les  uns  difcnt  qu'on  n'avoit 
„  pas  commandé  à  Bovadilla  de  prendre 
,,  l'Amiral,  &  qu'il  n'étoit  venu  que  comme 
„  Juge  de  réfidence,  pour  s'inforner  feule- 
„  nient  de  la  rébellion".  Liv,  3.  Cbap.  6. 
Gomcra  dit  i qu'il  avoit  ordre  d'envoyer  en 
Efpagne  ceux  qu'il  trouveroit  coupables.  Liv, 
I.  Cbap,  23. 


IIO 


PREMIERS      VOYAGES 


CiinrîTorriE 

Colomb. 

Suite  du  m. 

1500. 

1,0  prn^.-Ô5 
lies  trois  Co- 
loinbs  L'It 
iiillniic. 


L'Amii-al 
cfi  cnibaniuô 
pour  l'Ef^ia- 


;iie, 


Il  refufe  de 
ffuittcr  fcs 
fers. 

Ufagc  qu'il 
en  lit  en  mou- 
rant. 


Son  r.rrivt;e 
en  Kipr.gn-j  & 
it^parnciuiià 
qu'il  y  rcçoic. 


Des  cmpoi'ccmens  ù  peu  ménages  firent  cfindre  pour  la  vie  des  trois 
Frères.  Leur  Procès  fut  inflruit.  Bovadilla  Icmbloit  avoir  été  trop  loin , 
pour  s'impoler  des  bornes,  ou,  i\  la  facilité  qu'ils  eurent  à  détruire  des  ac- 
cufations  vagues,  don:  la  plupart  ne  rcgardoient  même  que  leurs  intentions, 
parut  lui  caufer  de  l'embarras,  c'étoit  un  motif  de  plus  pour  fc  défaire  de 
trois  Ennemis,  dont  la  juflification  entraînoit  infailliblement  fa  perte.  Ce- 
pendant ,  il  n'ofa  pouffer  l'audace  jufqu'à  faire  conduire  au  fupplice  un  grand 
Oihcier  de  la  Couronne;  &,  fe  contentant  de  rendre  un  Arrêt  de  mort  con- 
tre lui  &  fes  Frères,  il  prit  le  parti  de  les  envoyer  en  Efpagne,  avec  l'in- 
llruélion  de  leur  Procès ,  dans  l'idée  apparemment  que  le  nombre  &  l'uni- 
formité des  dépollcions,  l'importance  des  articles ,  a:  la  qualité  des  Accufa- 
teurs,  dont  la  plupart  avoient  eu  d'étroites  liaifons  avec  les  Accufés,  fe- 
roicnt  confirmer  fa  Sentence.  Les  Prifonniers  n'étoient  pas  fans  incjuiétu- 
de  pour  la  décifion  de  leur  fort.  Un  Hiftorien  raconte  (\vCAlfonfe  ae  Fal- 
Icjo,  Capitaine  de  la  Caravelle  qui  devoit  les  conduire,  étant  allé  prendre 
l'Amiral  pour  le  faire  embarquer,  cet  illuflre  Vieillard  lui  dit  triftement: 
„  Vallejo,  où  me  mènes-tu?  En  Efpagne ,  Monfeigneur  „  répondit  le  Capi- 
taine. „  Efl-il  bien  vrai?  „  reprit  l'Amiral.  „  Par  vôtre  vie  y  „  repartit  Val- 
lejo „  fai  ordre  de  vous  faire  embarquer  pour  l  Efpagne".  Ces  aflurances  cal- 
mèrent fon  efprit.  Mais,  pour  ne  laifler  rien  manquer  à  fon  humiliation, 
Bovadilla  fit  publier,  avant  fon  départ,  un  pardon  général  pour  ceux  qui 
avoient  eu  le  plus  de  part  aux  révoltes  paîfées ,  &  remplit  plufieurs  Bre- 
vets, quil  avoit  apportés  en  blanc  >  des  noms  deRoldan,  de  Gucvare  & 
des  Mutins  les  plus  décriés  par  le  mal  qu'ils  avoient  caufé.  Vallejo  reçut 
ordre ,  en  mettant  à  la  voile ,  de  prendre  terre  à  Cadix  &  de  remettre  fes 
Prifonniers ,  avec  toutes  les  Procédures ,  entre  les  mains  de  l'Evêque  de  Ba- 
dajos  &  de  Gonçalo  Gomez  de  CervantSy  Parent  du  Commandeur ,  tous  deux 
Ennemis  déclarés  des  Colombs  (/&). 

En  fortant  du  Port,  Vallejo  voulut  ôter  leurs  chaînes  aux  trois  Frères: 
mais  l'Amiral  protefta  qu'il  ne  les  quitteroit  que  par  l'ordre  du  Roi  &  de  la 
Reine  ;  ce  qui  ne  fempêcha  point  d'être  fort  lenfible  i  pendant  toute  la  navi- 
gation, aux  civilités  qu'il  reçut  du  Capitaine.  On  aflure  qu'il  ne  cefla  jamais 
de  conferver  fes  fers,  &  qu'il  ordonna  même,  par  fon  Teftament,  qu'après 
ia  mort  on  les  mît  avec  lui  dans  fon  Tombeau,  comme  un  monument  cfe  la 
reconnoiflance  dont  le  monde  paye  les  fervices  qu'on  lui  rend  (/}.  Vallejo 
mouilla ,  devant  Cadix ,  le  25  de  Novembre.  Un  Pilote ,  nommé  /Indre  Mar- 
tin, touche  des  malheurs  de  l'Amiral,  fortit  fecrettement  du  "^'"aifTeau,  & 
fe  hâta  de  porter  fes  Lettres  à  la  Cour,  avant  qu'on  y  pût  recevoir  la  nou- 
velle de  fon  arrivée. 

Le  Roi  &  la  Reine  n'apprirent  point  fans  ctonnement  &  fans  indignation, 
qu'on  eût  abufc  de  leur  autorité  pour  s'emporter  à  des  violences,  dont  ils 
fe  crurent  déshonores.  Ils  envoyèrent,  fur  le  champ,  l'ordre  de  délivrer 
les  trois  Frères,  &  de  leur  compter  mille  écus,  pour  fe  rendre  à  Grenade, 
où  ia  Cour  ctoit  alors.  Ils  les  y  reçurent,  avec  des  témoignages  extraor- 
dinaires de  compalîion  &  de  faveur.    La  Reine  confola  particulièrement 

l'Ami- 


(i)  Ilcrrcra,  ulifuprà,  Chap.  10. 


(i)  Ibidtm, 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I. 


ll£ 


nou- 


rAmîral.    Comme  il  avoit  plus  de  confiance  ù  fa  bonté  qu'à  celle  du  Roi, 
il  lui  demanda  une  Audience  fccrcttc ,  dans  laquelle,  s'étanc  jcué  ù  fcs  pieds , 


il  V  demeura  quelque  tems,  les  larmes  aux  yeux,  &  la  voix  écouUee  par  Tes 
fanfflots     Cette  excellente  Princefle  le  fit  relever.     11  lui  dit  les  chofes  les 


fanglots.    Cette 


CfniSTorHK 
Suite  tUi  III. 
,„„    ^^ .  1500. 

plus  touchantes ,  fur  l'innocence  de  les  mtentions ,  fur  le  zèle  qu'il  avoit  toa-  comment  il 
fours  eu  pour  le  fervicc  de  Leurs  Majeflés,  fur  le  témoigiiage  qu'il  le  ren-  cil  traité  par 
doit  au  fond  du  cœur,  que  s'il  avoit  manqué,  dans  quelque  point,  c'étoit  lallciuc. 
pour' n'avoir  pas  connu  de  meilleur  parti  dans  l'occafion,  &  fur  la  malignité 
de  fes  Ennemis ,  que  la  feule  jaloufie  de  fon  élévation  portoit  à  lui  chercher 
des  crimes;  peu  contens  de  lui  nuire,  s'ils  ne  le  deshonoroient.  La  Reine 
parut  fort  attendrie  de  fon  difcours  (k).  L'Hillorien  de  Saint-Domingue, 
qui  fait  profeflion  d'avoir  fuivi  des  Mémoires  fidèles ,  prête  à  cette  Princef- 
fe  une  réponfe  véritablement  noble ,  qui  convient  parfaitement  aux  circon- 
flances  &  qui  ne  s'accorde  pas  moins  avec  la  conduite  qu'elle  ne  celfa  point 
de  tenir  à  l'égard  de  l'Amiral.  On  ne  fera  pas  difiiculté  de  l'adopter,  parce  Difcoms 
qu'elle  fupplée  au' filence  des  Ecrivains  Efpagnols.  „  Ifabelle ,  dit-il ,  en  qui  d.-  cotte  Pria- 
,  l'indignation  prit  la  place  de  la  douleur,  releva  TAmiral,  &  fut  quelque  '^'-'"'■• 
,1  tems  auffi  fans  trouver  le  pouvoir  de  parler.  Elle  fe  remit  enfin,  &  lui 
J,  dit  avec  beaucoup  de  douceur:  Voiis  voyez  combien  je  fuis  touchée  du 
,1  traitement  qu'on  vous  a  fait.  Je  n'omettrai  rien  pour  vous  le  faire  ou- 
„  blier.  Je  n'ignore  pas  les  fervices  que  vous  m'avez  rendus,  &  je  conti- 
,1  nuerai  de  les  récompenfer.  Je  connois  vos  Ennemis,  &  j'ai  pénétré  les 
„  artifices  qu'ils  employent  pour  vous  détruire  :  mais  comptez  fur  moi. 
„  Cependant ,  pour  ne  vous  rien  diflimuler,  j'ai  peine  à  me  perfuader  que 
vous  n'ayez  pas  donné  lieu  à  quelques  plaintes.  Elles  font  trop  univer- 
felles  pour  n'être  pas  fondées.  La  voix  publique  vous  reproche  une  fève, 
rite  peu  convenable  dans  une  Colonie  naiflante ,  &  capable  d'y  exciter 
des  révoltes ,  qui  peuvent  ébranler  des  ibndemens  encore  mal  affermis. 
Mais  ce  que  je  vous  pardonne  moins,  c'efl:  d'avoir  ôté,  malgré  mes  dé- 
fenfes,  la  liberté  à  un  grand  nombre  d'Indiens,  qui  n'avoient  pas  méri- 
té une  fi  rigoureufe  punition.  Vôtre  malheur  a  voulu  (ju'au  moment 
,,  que  j'ai  appris  vôtre  desobéiflîince ,  tout  le  monde  fe  plaignoit  de  vous 
]\  &  perfonne  ne  parloit  en  vôtre  faveur.  Je  n'ai  donc  pu  me  difpenfer 
„  d'envoyer  aux  Indes  un  ConrniiflTaire ,  que  j'ai  chargé  de  prendre  des 
informations  &  de  me  les  communiquer,  avec  ordre  de  modérer  une  au- 
torité qu'on  vous  accufoit  de  porter  trop  loin.  Dans  la  fuppoficion  que 
vous  fufiicz  coupable  de  tous  les  crimes  dont  vous  étiez  accufé ,  il  de- 
voit  fucceder  au  Gouvernement  général,  &  vous  envoyer  en  Efpagne, 
pour  y  rendre  compte  de  vôtre  conduite.  Mais  fes  inftruélions  ne  por- 
toient  rien  de  plus.  Je  reconnois  que  j'ai  fait  un  mauvais  choix;  j'y 
mettrai  ordre,  ôc  je  ferai  de  Bovadilla,  un  exemple,  qui  apprendra 
aux  autres  à  ne  point  pafTer  leurs  pouvoirs.  Cependant  je  ne  puis  vous 
promettre  de  vous  rétablir  fi-tôt  dans  vôtre  Gouvernement.  Les  ef- 
prits  y  font  trop  aigris  contre  vous.  Il  faut  leur  donner  Je  tems  de  re- 
venir.   A  l'égard  de  vôtre  Charge  d'Amiral,  mon  intention  n'a  jamais 

„  été 
(i)  Tout  ce  qui  priîccdc  cfl  tiré  d'Iierrera,  X.!*,  4,  Chap*  jo. 


» 

fi 
»» 

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tI2 


PREMIERS      VOYAGES 


CHnisToniiR 

Cou 'Mil, 

Suite  du  111. 
X'oya^c. 
1500. 

Ce  qui  s'op. 
pdfu  au  ic't.i- 
l)liiHinciit  lie 
rAinii'.il. 


II  forme  un 
jinuvc;ui  pro- 
jet lie  Voya- 
ges. 


Ew'nenicns 
rjui  jufliflè- 
lent  les  Co- 
lonibs. 


Conduite 
udieuie  Ju 
nouveau  Gou- 
verneur lie 
l'Efpa.qnole. 


„  été  de  vous  en  occr  la  pnfTeflîon,  ni  rexcrcicc.    Laiflez  faire  le  reftc  au 
„  tcms,  ik  fit'Z-vous  à  moi  (/)". 

CoLoMH,  fuivanL  le  même  Ililloricn,  comprit  par  ce  difcours ,  plus  aue 
la  Reine  n'avoic  eu  deflein  de  lui  faire  entendre.  Il  jugea  que  fun  rctablif- 
fcment  auroic  blcile  les  règles  de  la  Politique  Efpagiiole;  que  le  Roi  étoit 
vraifcniblablement  fa  Partie  fecrctte;  en  un  mot,  qu'on  fe  repentoit  de  l'a- 
voir fait  fi  grand ,  &  qu'il  ne  dcvoit  pas  fe  llatter  de  faire  changer  la  Cour 
en  fa  faveur.  AulVi,  ians  s'arrêter  ù  d'inutiles  infiances,  après  avoir  remer- 
cié la  Reine  de  fa  bonté,  il  la  fupplia  d'agréer  qu'il  ne  demeurilt  pas  inuti- 
le à  fon  fervicc,  &  qu'il  contini:àt  la  découverte  du  nouveau  Monde, pour 
chercher,  par  cette  voye  ,  quelque  palTage  qui  pût  conduire  les  Vaifleaux 
de  l'Elpagne  aux  Moluques.  Ces  Illes  écoient  alors  extrêmement  célèbres, 
par  le  trafic  que  les  Portugais  y  faifoient  des  Epiceries;  &  les  Elpagnol» 
fouhaitoient  ardemment  de  partager  avec  eux  un  Commerce  fi  lucratit;  Le 
projet  de  l'Amiral  fut  approuvé  avec  de  grands  éloges.  La  Reine  lui  pro- 
mit de  faire  équiper  autant  de  Vaiflfeaux  qu'il  en  dcmandoit,  &  l'aflura  que 
fi  la  mort  le  furprcnoit  dans  le  cours  de  cette  Expédition,  fon  Fils  aîné  fc- 
roit  rétabli  dans  toutes  Ijs  Charges  (m). 

QUoKiUE  les  affaires  de  l'Ifle  Efpagnole  ceflent  ici  d'appartenir  à  l'Hiftoi- 
^re  générale  des  Indes  Occidentales,  &que,  dans  le  nouvel  ordre  qu'on 
fe  propofc,  elles  foient  renvoyées  à  laDefcription  particulière  de  cette  Ille, 
le  jufi:e  intérêt,  qu'on  a  dû  prendre  à  la  fortune  des  Colombs,  ne  permet 
pas  de  rentrer  dans  le  cours  des  nouvelles  Découvertes ,  fans  avoir  expli- 
qué les  réparations  qu'ils  reçurent  de  la  Reine,  &  qui  furent  confirmées  par 
la  jufl:ice  même  du  Ciel.  On  s'attachera  d'autant  plus  volontiers  au  derniec 
Hifl:orien ,  que  c'efl  la  partie  de  fon  Ouvrage  à  laquelle  il  paroît  avoir  ap- 
porté le  plus  de  foin. 

Rien  ne  fervit  tant,  dit  il,  à  juftifier  l'Amiral  dans  l'efprit  de  ceux  cjui 
jugeoient  de  lui  fans  pafllon ,  que  la  conduite  de  Bovadilla.  Il  s'efforça  d  a- 
bord  d'augmenter  de  plus  en  plus  la  haine  qu'on  portoit  dans  les  Indes  aux 
Colombs;  fans  faire  réiîexion  que  cette  animofité  leur  faifoit  honneur  au- 
près de  ceux  qui  connoiffoient  les  Habitans  du  nouveau  IMonde.  En  ef- 
fet, à  la  réferve  de  quelques  DHiciers,  le  refte  n'étoit  qu'un  affemblage  de 
la  plus  vile  Canaille,  ou  d'un  grand  nombre  de  Criminels,  fortis  des  Pri- 
fons^de  Caftiile,  fans  mœurs,  fans  religion,  &  qui,  n'étant  venus  fi  loin 
que  pour  s'enrichir,  fe  perfuadoient  que  les  Loix  n'étoient  pas  faites  pour 
eux.  D'ailleurs,  malgré  toutes  les  précautions  de  la  Reine,  il  s'en  trouvoic 
de  toutes  les  Provinces  d'Efpagne,  entre  lefquclles  on  fait  qu'il  y  a  des  an- 
tipathies infurmontables;  foiirce  de  querelles  &  de  divifions  d'autant  plus 
fimefies  dans  un  nouvel  Etabliffement',  qu'il  s'y  trouve  toujours  des  Mécon- 
tens,  &  que  les  Loix  y  font  moins  en  vigueur.  On  doit  conclure  qu'en 
voulant  prendre  le  contrepied  de  l'Amiral ,  le  nouveau  Gouverneur  ne  put 
éviter  de  commettre  de  grandes  fautes.    11  n'y  avoit,  au  fond,  de  repré- 

hen- 

(/)  Il  refle  h  regretter  qu'on  n:  nous  apprenne  point  comment  une  fi  belle  réponfc  cf. 
vejiue  jufqu'à  nous.  {m)  Ibidem. 


re, 


EN      A    iM    E    R    I    Q    U    E,   Li  v.  1. 


i'3 


henfiblc  dans  l'ancien  (îouvcrnement,  qu'un  p:u  tr(«p  de  fcivcrité  po'.ir  les 
Elpagnols.  l'rcmlre  une  méthode  enticremenL  (jppol'éc,  c'éroit  (e  deelurcr 
pour'dcs  llrigands.  IJovadilIa  donna  dans  cet  excès,  avec  fi  peu  de  niefii- 
re,  qu'on  entendoit  les  plus  honnêtes  gens  fe  dire  entr'eux  tous  les  jours, 
qu'ils  étoienc  bien  malheureux  d'avoir  faic  leur  devoir,  puifque  c'cioit  un 
titre  pour  être  exclus  des  grâces. 

Le  Commandeur  ne  traita  pas  les  Infulaircs  avec  plus  de  prudence  &  d'é- 
quité. Après  avoir  réduit  les  droits  du  Prince  à  l'onzième,  <k.  donné  la  li- 
berté de  taire  travailler  aux  Mines,  il  falloit,  pour  ne  rien  faire  perdre  au 
Domaine,  que  les  Particuliers  tiralfent  une  prodigieufe  quantité  d'or.  Aurti 
les  Caciques  le  virent-ils  contraints  de  fournir  à  chaque  lifpagnol  un  certain 
nombre  de  leurs  Sujets,  qui  faifoient  l'office  d'autant  de  IJetes  de  charge. 
Enfin,  pour  retenir  ces  Malheureux  fous  le  joug,  on  fit  un  dénombrement 
de  tous  les  Infulaires,  qui  furent  rédigés  par  dalles,  &diftribués,  luivant 
le  degré  de  faveur  où  l'on  étoit  dans  l'elprit  du  Gouverneur.  Ainfi  rifie 
entière  fe  trouva  réduite  au  plus  dur  efclavage.  Ce  n'étoit  pas  le  moyen 
d'infpirer  de  l'aflcflion  pour  le  Chriftianifme  &  pour  la  domination  des 
Rois  Catholiques;  mais  Bovadilla  ne  penfoit  qu'à  s'attacher  les  Caflillans, 
qui  étoient  fous  Tes  ordres,  &  qu'à  faire  en  méme-tems  de  gros  envois  d'or 
en  Efpagne,  pour  fe  rendre  néceflaire,  &  pour  confirmer  les  foupçons  qu'il 
avoit  répandus  contre  la  fidélité  de  l'Amiral. 

Effectivement,  dans  l'cPpace  de  quelques  mois,  on  tira  tant  d'or  de 
toutes  les  Mines,  que,  fans  un  malheur,  qu'on  étoit  fort  éloigné  de  prévoir, 
l'arrivée  d'une  feule  Flotte  auroit  pu  dédommager  l'Elpagne  de  toutes  Tes 
avances,  &  les  payer  même  au  centuple.  On  fc  hàtoit  de  profiter  du  tems , 
parce  qu'on  prévoyoit  qu'il  dureroit  peu.  Il  en  coûta  la  vie  à  un  fi  grand 
nombre  d'Indiens,  qu'en  peu  d'années  l'Ille  Efpagnole  parut  déferte.  On 
ne  lit  point  fans  horreur,  dans  le  récit  même  des  Efpagnols,  les  traitemens 
barbares  auxquels  ces  Infortunés  furent  afiujettis.  Si  l'inhumanité  pouvoit 
êtrejuftifîée  par  le  profit  qu'elle  rapporte,  jamais  on  n'avoit  trouvé  des 
Mines  plus  abondantes  ,  ni  d'un  or  plus  pur.  Herrera  raconte  que  Diaz  & 
Garay,s'étant  airociés  pour  faire  travailler  aux  Mines  de  Saint-Chrifl:ophe, 
un  de  leurs  Efclaves,  qui  étoit  à  déjeûner  fur  le  bord  de  la  Rivière  deHay- 
na ,  s'avifa  de  frapper  la  terre  d'un  bâton ,  &  fentit  quelque  chofe  de  fort 
dur.  Il  le  découvrit  entièrement.  C'étoit  de  l'or.  Un  grand  cri,  que 
l'Efclave  jetta,  dans  l'étonnement  de  voir  un  fi  gros  grain,  fit  accowjrir 
aufli-tôt  fes  Maîtres.  Ils  ne  le  virent  pas  avec  moins  d'admiration.  Garay, 
tranfporté  de  joye,  fit  tuer  un  Porc,  le  fit  fervir  à  fes  Amis  fur  le  grain, 
qui  fe  trouva  aflez  grand  pour  le  tenir  tout  entier,  &  fe  vanta  d'être  plus 
magnifique  en  vaiflelle  que  les  Rois  Catholiques.  Bovadilla  l'acheta  pour 
Leurs  Majefl:és.  Il  pefoit  trois  mille  fix  cens  Ecus  d'or;  &  les  Orfèvres, 
après  l'avoir  examiné,  jugèrent  qu'il  n'y  en  auroit  que  trois  cens  de  dimi- 
nution dans  la  fonte.  jlDn  y  voyoit  encore  quelques  petites  veines  de  pier- 
re, mais  qui  n'étoient  guères  que  des  taches,  &  qui  avoient  peu  de  pro- 
fondeur. Cette  découverte  étant  fans  exemple,  on  peut  juger  combien  elle 
anima  les  efpérances  de  ceux  qui  s'occupoient  à  la  même  recherche. 

XFIII.  Pan.  P  Cepen- 


*J     •„' 

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CrfRr'Ti^rrfi 

C'iI.liMil 

Su  te  ilii  III. 

1500. 

F.II'.'  iiiwilte 
('Cùcincnt  Ii'« 
l',lp:i{;iu)ls  (Se 
L^iiiluluiics. 

'  "  *    '  ■  •      '  '.      '     *; 

Avec  quelle 
aviJitO  Rova- 
liilla  tire  de 
l'ur. 


Ilidoirc  d'un 
prodigieux 
morceau  d'or. 


114 


PREMIERS      VOYAGES 


Christophe 

COL'^MU. 

Suite  du  m. 
Voy.gc. 

BoviiLli'Ia 
cfl  ruppi,!  I . , 
&  Nicolas 
Ovando  nom- 
me pour  lui 
fucceda. 


Ordres  don- 
îiés  en  faveur 
'k's  Colombs. 


1502- 

Ovando  fe 
rend  à  I  Klc 
Efpagnolc. 


Ci-PENDANT,  on  apprit,  à  la  Cour,  la  uianière  dqnt  les  Ilabitan'  de 
l'Elpagnoie  étoienc  traites;  &  le  Roi  &  la  Reine  en  conçurent  une  égale 
indignation.  Le  rappel  de  Bovadilia  étoic  déjà  réfoUi.  comme  une  fatis- 
faébon  que  Leurs Aiajeilés  croyoïent  devoir  à  l'Amiral;  mais  cette  nouvelle 
devant  lelutcr,  elles  nommèrent,  pour  lucceder  au  Gouvernement  de  l'Ille, 
Dom  Niolas  O'y^w^/o,  Gmiinandeur  de  Larex,  de  l'Ordre  d'Alcantara,  qui 
devint  bientôt  (îrand  Commandeur  de  l'Ordre  entier  par  la  mort  d'Alfonfe 
de  SantiHirnc.  Ses  l'roviùons  ne  furent  que  pour  deux  ans;  apparemment 
parce  que  la  Reine  vouloit  rétablir,  à  la  fin  de  ce  terme,  Chriftophe  Co- 
lon)b  dans  la  dignité  de  Viccroi.  Ovando  étoic  homme  de  mérite,  fenfé, 
Ami  de  la  juftice  ,  &  C\  modcfle  ,  qu'il  refufoit  jufqu'aux  marques  de 
dilUnélion  qui  étoienc  attachées  à  Tes  Emplois.  On  lui  fit  équiper  en  di- 
ligenc>r  une  Flotte  de  trente-deux  voiles,  fur  laquelle  on  embarqua  deux 
mille  cinq  cens  Hommes,  fans  y  comprendre  les  Equipages,  pour  rem- 
placer, dans  yii\^  Efpagnole,  quantité  de  perfonnes  dont  la  Reine  vouloit 
purger  la  Colonie.  Entre  ces  nouveaux  Habitans,  on  comptoit  plufieurs 
Gentilshommes,  tous  Sujets  de  la  Couronne  de  Caflille.  Ifabelle  fe  con- 
firmoic,  de  plus  en  plus,  dans  la  rélblution  d'exclure  du  nouveau  Monde 
tous  ceux  qui  n'étoient  pas  nés  Sujets  de  la  Caftille.  Cependant,  après  fa 
mort,  on  ne  mit  plus  de  diftinflion  entre  les  Caftillans  &  les  Arragonois; 
&  fous  Charles  Quint ,  tous  les  Sujets  des  différens  Etats ,  qui  compofoient 
la  Monarchie  Efpagnole ,  obtinrent  la  même  liberté.  Comme  la  Cour  étoit 
réfoluede  rappeller  particulièrement  l'Alculde  Major  ,  Roldan  Ximenès, 
&  que  l'adminillration  de  la  Juftice  convenoit  mal  à  un  Homme  de  guerre, 
chargé  d'ailleurs  du  Gouvernement  Général,  elle  nomma,  pour  cette  im- 
portante fonélion ,  Alfonfe  Maldonat ,  habile  Jurifconfulte.  Les  inftruélions 
de  ces  deux  Officiers  fuprémes  furent  dreffées  avec  des  foins ,  qui  répon- 
doient  aux  vues  de  Leurs  Majeftés.  Celles  d'Ovando  portoient  particu- 
lièrement d'examiner  la  conduite  &  les  comptes  du  Commandeur  de  Bo- 
vadilia, de  le  renvoyer  en  Efpagne  par  la  même  Flo'  ^,  &  d'apporter  tou- 
te fon  attention  à  faire  dédommager  l'Amiral  &  fes  jres  de  tous  les  torts 
qu'ils  avoient  foufî'erts.  Carvajal,  dont  on  a  déjà  ité  le  mérite,  &  qui 
étoit  demeuré  fort  uni  avec  les  Colombs  pendant  leur  difgrace  ,  eut  ordre 
de  refier  dans  rifle ,  pour  veiller  à  leurs  intérêts. 

L'année  s'étant  pafîee  en  préparatifs,  Ovando  reçut  ordre  enfin  de  met- 
tre à  la  voile.  Dans  fa  dernière  Audience,  un  Confeiller  d'Etat  lui  fit  un 
difcours  fort  long  &  fort  touchant  («),  fur  la  conduite  qu'il  devoit  tenir 
dans  fon  adminiftration.  Il  s'embarqua  le  13  de  Février  1502.  Une  tem- 
pête, qu'il  elfuya  près  des  Canaries,  diffipa  fa  Flotte  ,  &  fit  périr  un  de 
les  plus  grands  Navires ,  avec  cent  cinquante  Hommes.  Tous  les  autres 
fe  rejoignirent  à  la  Gomera  ,  qui  étcic  le  rendez-vous  général,  où  l'on 
acheta  un  Navire,  pour  remplacer  celui  qui  avoit  été  fubmergé.  Quan- 
tité d'Efpagnols,  Habitans  des  Canaries,  en  formèrent  l'Equipage.    Enfui- 

.  te 

(n)  Hcrrcra  le  rapporte  ai  entier,  Lîv.  4.  Chop,  3.,  mais  ces  longues  harangues  font 
ùjfpi-ites  dans  l'Hiftoire. 


EN      AMERIQUE,    Liv.  I. 


15 


te  Ovando  partagea  fa  Flotte  en  deux  bandes,  prit  fous  Tes  ordres  celle 
qu'il  crue  la  meilleure  à  la  voile,  &  laifla  le  refle  fous  ceux  d'Antoine  de 
Torrez,  qui  dévoie  tout  commander  au  retour.  Il  arriva,  le  15  d'Avril, 
au  Port  de  SanDomingo. 

BovADiLLA  s'attcndoit  peu  à  recevoir  fi-tôt  un  Succcfleur.     Cependant  il 
vint  le  recevoir  fur  le  rivage,  &  le  conduifit  à  la  Forterefle,  où  les  nou- 
velles Provifions  furent  lues  devant  tous  les  Officiers  de  la  Colonie.     Ovan- 
do fut  aufli- tôt  reconnu  &  falué  fous  tous  fes  titres,  tandis  que  Bovadilla 
fe  vit  tout-d'un-coup  abandonné.     Quelques  Hiftoriens  ont  écrit  qu'il  avoit 
été  fait  Prifonnier.     Mais  on  n'en  trouve  aucune  trace  dans  ceux  qui  pa- 
roilTent  les  mieux  inftruits,  &  l'on  y  voit  même  qu'il  fut  toujours  honora- 
blement traite.     Roldan  fut  moins  ménagé.    Le   nouveau  Gouverneur, 
après  avoir  informé  contre  lui  &  contre  fes  principaux  Complices ,  les  fit 
tous  arrêter,  &  les  diftribua  fur  la  Flotte,  pour  être  conduits  en  Efpagne 
avec  l'inllruélion  de  leur  Procès.     Auflî-tôt  les  Indiens  furent  déclarés  li- 
bres, par  la  publication  d'une  Ordonnance  du  Roi  &  de  la  Reine,  qui  por- 
toit  aulFi  qu'on  payeroit  au  Domaine  la  moitié  de  l'or  qu'on  tireroit  des 
Mines,  &  que  pour  le  pafle  on  s'en  tiendroit  au  tiers ,  fuivant  les  Ré. 
glemens  de  l'Amiral.     A  la  vérité,  cette  Ordonnance  ne  fut  pas  plutôt 
en  exécution,   que  le  profit  des  Mines  celfa  tout-d'un-coup.     Toutes 
les  offres  qu'on  fit  aux  Infulaires  n'eurent  fur  eux  aucun  pouvoir  ,  lorf- 
qu'ils  fe  crurent  afliirés  qu'on  ne  pouvoit  les  forcer  au  travail.     Ils  pré- 
férèrent une  vie  tranquille,   dans  leur  première  fimplicité ,   à  la  fa;igue 
de  recueillir  des  biens  dont  ils  ne  faifoienc  aucun  cas.     D'ailleurs,  tout 
le  monde  fut  révolté,  qu'on  obligeât  de  payer  au    Souverain  la  n.oitié 
de  ce  qui  coiltoit  tant   de  peine  &  de  dépenfe.     Une  partie  des  Cafliil- 
lans,  qui  étoient  arrivés  fur  la  Flotte,   s'offrirent  pour  remplacer  ceux 
qui  s'étoient  retirés  ;  mais    ils  ne  furent  pas  long-tems  à  s'en  repentir. 
L'ouvrage  le  plus  facile    étoit   fait.     Il   falloit  déjà  creufer  bien  loin , 
pour   trouver  de  l'or.     Les  nouveaux  Ouvriers  manquoient   d'expérien- 
ce; &  les  maladies,  dont  ils  furent  attaqués,   en  emportèrent  un  grand 
nombre.     Ils  fe  dégoûtèrent  d'une  entreprife ,  qui  les  accabloit  fans  les 
enrichir.     Le  mauvais  fuccès  des  Ordonnances  fit  juger  au   Gouverneur 
qu'elles  demandoient  quelque  modération.     Il  écrivit  à  la  Cour  ,  pour  en- 
gager Leurs  Majeftés  à  fe  contenter  du  tiers  ;  &  cette  efpérance  ren- 
dit le  courage  à  quelques  Ouvriers.     Ses  repréfentations  furent  écoutées; 
mais,  dans  la  fuite,  il  fallut  fe  relâcher  encore.     On  fe  borna   au  quint 
des  Métaux ,  des  Perles  &  des  Pierres  précieules  ;  Règlement  qui  a  tou- 
jours fublillé  depuis. 


CnRISTOPHl 
Colomb. 

Suite  du  III. 
Voyage. 
1502. 


Etonneincut. 
deB(,vadilla, 
qui  fc  voit 
abandonné. 


Roldan  & 
les  anciens 
Rebuilcs  font 
conduits  Pri- 
fonniers  en 
Efpagne. 


Nouveaux; 
Réglcmens 
pour  les  In- 
fulaires. 


s  font 


P  2 


5.    XII. 


ll6 


PREMIERS      VOYAGES 


ClIRISTOPHI 

& 

Bartuelemi 

Colomb. 
IV.  Voyage. 

1502. 


Objet  de 
cette  nouvel- 
le cncreprife. 


I/Ainiral 
part  de  Cadix. 


Raifonsqui 
le  font  relâ- 
cher à  ri  lie 
Erpasnolc,  6c 
qui  empê- 
chent Ovando 
de  l'y  rece- 
voir. 


Il  nnnoncc 
*iit;TcmpCtc. 


5.    XII. 

Quatrième  Foyage  de  Chrijlophe  Colomb. 

OVando  continuoit  de  faire  régner  le  bon  ordre  &  la  tranquillité  dans 
l'Ifle,  lorfqu'on  y  vit  arriver  une  Chaloupe,  envoyée  par  l'Amiral» 
qui  demandoit  la  permiflion  d'entrer  dans  le  Port  de  San-Domingo ,  pour 
y  changer  un  de  fes  Navires,  qui  ne  pouvoit  plus  tenir  la  Mer.  Après 
le  départ  de  la  Flotte,  Ferdinand  avoit  goûté  le  projet  que  les  Colombs  a- 
voient  formé  dans  leur  inaélion,  d'entreprendre  de  nouvelles  découvertes; 
&  quoique  le  délai  des  Miniftres,  à  leur  fournir  des  Vaifleaux,  eût  été  ca- 
pable de  les  rebuter,  ils  avoient  été  foutenus  par  une  Lettre  de  ce  Prince, 
qui  reconnoiflant  enfin  le  mérite  de  leurs  fervices ,  s'étoit  expliqué  dan» 
des  termes  qui  ne  pouvoient  leur  laifler  aucun  doute  de  fes  intentions  (a). 
Cette  Lettre  avoit  été  fuivie  des  ordres  les  plus  preflans  ;  &  les  prépara- 
tifs n'avoient  pas  langui,  pour  le  départ  de  quatre  Vaifleaux  qu'on  avoit 
accordés  à  l'Amiral.  Il  étoit  parti  du  Port  de  Cadix ,  le  9  de  Mai ,  avec 
Dom  Barthelemi  fon  Frère ,  &  Dom  Fernand ,  le  fécond  de  fes  Fils ,  âgé 
d'environ  treize  ans.  La  Forterefle  d'Arzilla,  fur  la  Côte  d*Afrique,  étant 
alors  afliégée  par  les  Maures ,  il  s'en  étoit  approché  pour  la  fecourir  ;  mais 
l'ayant  trouvée  libre,  par  la  levée  du  Siège,  il  étoit  venu  mouiller,  le  19 
de  Mai,  devant  la  grande  Canarie,  d'où  les  vents  lui  avoient  été  fi  favo- 
rables, que  fans  changer  de  voiles ,  il  étoit  arrivé  ,  le  13  de  Juin,  à  la  vue 
de  riHe  Marînino,  qui  a  pris  depuis  le  nom  de  la  Martinique.  Il  y  avoit 
pafi'é  trois  jours;  après  lefquels,  s'étant  apperçu  que  fon  plus  grand  Navire, 
qui  étoit  de  foixante  &  dix  tonneaux,  ne  foutenoit  plus  la  voile,  il  avoit 
pris  le  parti  de  fe  rendre  à  l'Ide  Efpagnole. 

Le  nouvcpu  Gouverneur,  qui  n'avoit  point  encore  fait  partir  Rovadilla, 
ni  les  auteurs  des  anciens  troubles,  lui  fit  dire  qu'il  craignoitque  fa  préfen- 
Ci  ne  caufùt  quelque  dcfordre  dans  la  Colonie.  Cette  réponfe,  à  laquelle 
il  devoit  s'attendre,  ne  laifla  point  de  le  mortifier:  mais,  apprenant  que 
la  Flotte  étoit  fur  le  point  de  mettre  à  la  voile,  il  fit  le  facrifice  de  fon 
chagrin,  au  bien  public;  &  par  un  fentiment  degénérofité,  digne  de  fon 
caraftère ,  il  fit  avertir  Ovando ,  que  fi  l'on  vouloit  s'en  rapporter  à  fon  ex- 
périence, on  étoit  menacé  d'une  tempête  prochaine,  qui  devoit  engager 
Torrez  à  diftcrer  fon  départ.  Son  avis  fut  méprifé,  &  la  Flotte  leva  l'an- 
cre.   Elle  étoit  encore  à  la  vue  de  la  Pointe  orientale  de  l'Ille,  lorl  qu'un 

des- 


(«)  Cette  Lettre  e(l  venue  jufqu'à  nous, 
flans  la  Vie  de  Chriflophc.  ,,  \''ous  devez 
„  être  perfuadé  du  déplaifir  que  nous  avons 
,,  eu  de  vôtre  Prifon  ,  puifquc  nous  vous 
„  avons  mis  en  liberté  autlî-tôt  qu'il  nous 
„  a  été  poflîble.  Tout  le  monde  connoit 
„  vôtre  innocence.  Vous  favez  avec  quel 
„  honneur  &  quelle  amitié  nous  vous  a- 
,,  vons  traité.  Les  grâces  que  nous  vous 
„  avons  accordées  ae  ^feront  pas  les  derniù- 


res.  Nous  vous  confirmons  vos  Privilè- 
ges, &  nous  voulons  que  vous  en  jouif- 
fiez,  vous  &  vos  Enfans.  Nous  vous 
offrons  même  de  les  conlirmcr  de  nouveau, 
&  de  mettre  vôtre  Fils  aîné  en  policinoii 
de  toutes  vos  Cliarges  ,  quand  vous  L' 
fouhaitercz.  Nous  vous  prions  donc  de 
partir  au  plutôt.  A  Valence,  !:  14  de  Mars 
150/'.    Vie  de  Colomb.  Liv.  2  Ciap.  25. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I. 


tiT 


Christophe 

& 
Barthelemi 

Colomb. 
IV.  Voyage. 

1502. 


Naufrage  de 


des  plus  grands  ouragans  qu'on  eût  vus  dans  ces  Mers  en  fie  périr  vingt  & 
on  Navires ,  chargés  d'or ,  fans  qu'on  en  pût  iauver  un  feul  Homme.  Ce 
beau  grain  d'or,  dont  on  a  raconté  la  découverte,  périt  dans  cette  fatale 
occafion;&  jamais  l'Océan  n'avoit  englouti  tant  de  richefles  (b).  Mais 
c'étoit  le  fruit  de  l'injuftice  &  de  la  cruauté.  Le  Ciel  voulut  vanger,  fans 
doute ,  par  la  perte  de  tant  de  tréfors ,  le  fang  d'une  infinité  de  Malheu- 
reux ,  qu'on  avoit  facrifiés  pour  les  acquérir.  Le  Capitaine  Général ,  An- 
toine de  Torrez;  le  Commandeur,  François  de  Bovadilla;  Roldan  Xime-  Bovadilla& 
nés;  un  Cacique  Chrétien,  dont  on  ignore  le  nom  ;  l'infortuné  Guarinoex,  d'un  grand 
qui  avoit  été  retenu  jufqu'alors  dans  les  fers  des  Caftillans,  &  tous  ceux  Seï  "" 
qui  avoient  fait  profeflion  de  haine  pour  les  Colombs,  furent  enfevelis 
dans  les  flots.  Mais  ce  qui  ne  put  laifler  aucun  doute  qu'une  difgrace  fi 
terrible  ne  fût  l'effet  de  la  juflice  du  Ciel ,  c'efl  que  les  onze  Navires ,  qui 
furent  épargnés ,  étoient  les  plus  foibles  de  la  Flotte  ;  &  que  celui ,  donc 
on  fe  promettoit  le  moins ,  fur  lequel  on  avoit  chargé  tous  les  débris  de  la 
fortune  des  Colombs,  fut  le  premier  qui  toucha  au  rivage  d'Efpagne. 

On  doit  juger  de  la  conflernation  ,  qu'un  fi  funeft:e  événement  répandit      H  cù.  rcgar- 
dans  les  deux  Mondes.     Il  fut  regardé  ,  par  les  plus  infenfîbles ,  comme  un   ^^commeunc 
châtiment  de  l'injufliice  qu'on  avoit  faite  à  l'Amiral;  &,  lorfqu'on  fut  in-   ci"i'/°" 
formé  de  l'avis  qu'il  avoit  donné  au  Gouverneur  de  l'Efpagnole,  il  efl:  im- 
polfible  de  repréfenter  les  regrets  de  la  Cour  &  du  Public.     Mais  la  Flotte 
ne  fe  reflfentit  pas  feule  de  la  colère  du  Ciel.    San -Domingo,  dont  les 
Maifons  n'étoient  encore  que  de  bois  &  de  paille,  en  fut  prefqu'entiéremenc 
renverfée. 

La  feule  perfonne  de  difl:inftion,  qu'on  vit  arriver  en  Efpagne,  avec  les 
débris  de  la  Flotte ,  fut  Roderigue  de  Bajlidas ,  Homme  d'efprit  &  d'hon- 
neur ,  qui  s'étant  allbcié  avec  fean  de  la  CoJ'a^  pour  tenter  de  nouvelles  dé- 
couvertes ,  avoit  armé  deux  Navires  à  Cadix ,  &  s'étoit  mis  en  Mer  dès  le 
commencement  de  l'année  précédente,  avec  CommilTion  du  Roi.  Il  avoit 
cherche  la  Terre -ferme,  par  la  même  route  que  l'Amiral  avoit  fuivie  dans 
fon  troifième  Voyage;  &,  du  Golfe  de  Venezuela,  où  il  étoit  arrivé  heu- 
reufcmenc ,  il  avoit  poufle  fa  navigation  jufqu'au  Golfe  à'Uraba  ,  cent 
lieues  plus  loin  que  ceux  qui  l'avoient  précédé.  Il  avoit  nommé  Carthage- 
ne,  le  Port  où  l'on  a  vu  naître,  depuis,  une  fameufe  Ville  du  même  nom; 
&  continuant  de  lliivre  la  Côte  à  l'Ouefl: ,  il  avr^*-.  découvert  un  autre  Port, 


Voyage  de 
Roderigue  de 
Ballidas. 


qu'il  avoit  appelle  ,  Port  delRetrette  ,  nom  qui      il:  changé  dans  la  fuite  en  jjuïs 
celui  de  Nombre  de  Dios.     Ses  deux  Vaifl'eaLix  n'étant  plus  en  état  de  tenir  la 
Mer ,  il  étoit  venu  pour  les  radouber,  dans  l'IOe  Efpagnole,  où  ils  a 
échoué  fur  la  Côte  de  Xaragua.     De-là,  s'étant  rendu  par  terre  à  S; 


Découverte 
du  Golfe  d'U- 
raba,  &  des 
Poità  où  Car- 
thagcne  & 
Nombre  de 
I)iûs  fe  font- 
fonr.écs  de- 


avoient 
San-Do- 

mmgo,  Il  y  avoit  été  fait  Piifonnier  par  Bovadilla,  fous  prétexte  qu'il  avoit 

JMais  la 
a  fa  con- 


traicé  avec  les  Infulaires,   fans  participation  du  Gouvernement. 
Cour,  informée  par  d'autres  témoignages,  rendit  plus  de  jullice  à  .^ 
duite  ;  (Se  dans  fon  retour,  il  fut  vangé  d'une  oJicufe  perfécution  {c  ). 

{h)  Les  foinmcs  en  or  inontoicnt  à  qu>     druplc  aiiîourihui. 
trc  cens  mille  Pcfos,  qui  faifoient  alors  en-         (c)  Ikireva,  /Jr.  4.  Cbap.  îi. 
Tiron  (iiiatro  uùliions,  &  q.ii  fwrole.u  ie  qui- 

r  2 


C'^ 


ii8      PREMIERS      VOYAGES 


CURISTOPIIE 

& 

lÎARTIIELf'MI 

Coi.OM.1. 

IV.  Voyage. 

1502. 

Nouvelles 
courfcs  d'Ojc- 
da  &  d'Ame- 
rie  Vefpuce. 

A van tare 
dOjcda. 


L'Amiral 
Colomb  re- 
met à  la  voi- 
le. 


Vents  con- 
traires, & 
Tempête 
qu'il  cffiiie. 

Ifles  qu'il 
nomme  i,os 
Guajiajos. 


Canot  qu'on 
croit  venu  de 
1  Yucatan. 


yf.ToiT  peu  de  tcms  après  Ton  départ,  qu'Alfonfe  Ojeda  &  Vefpuce 
icnt  encore  une  fois  forcis  du  Porc  de  Cadix;  l'un  toujours  rempli  des 


C  ^ 

ctoicnt  encore  une  fois  forcis  du  Porc  de  Cadix;  l'un  toujours  rempli 
fçrandcs  efptirances  qu'il  fondoic  fur  fa  hardiefle  &  fon  habileté  ;  &  l'autre, 
dans  la  vanité,  qu'il  confervoir  toujours,  de  s'attribuer  la  Découverte  de  la 
Terre-ferme.  Mais  ils  ne  firent  que  fuivre  Baftidas ,  fans  fçavoir  qu'il  eût 
pris  cette  route.  Ojeda ,  croyant  arriver  le  premier  dans  le  Golfe  d'Ura- 
ba,  où  Baflidas  avoit  déjà  paiïe,  y  bâtit  un  Fort  de  bois  &  de  terre,  pour 
s'alTurer  une  entrée  libre  dans  le  Continent.  Il  vifita  auflî  le  Port  del  Re- 
trette.  Mais  l'on  avarice,  dans  la  diflribution  des  vivres,  fouleva  contre 
lui  fon  Equipage.  On  lui  mit  les  fers  aux  pieds ,  &  les  Mutins  fe  rendi- 
rent au  Port  d'Yaquimo,  dans  l'Ifle  Efpagnole.  Ojeda,  voyant  fon  Navi- 
re à  l'ancre  fort  près  de  la  Terre ,  eut  aflez  de  confiance  à  fa  force  &  à  fa 
légèreté  naturelles,  pour  cfpérer  de  fe  fauver  à  la  nage,  en  fe  jettant  la 
nuit  dans  les  flots.  Mais  comme  il  n'avoit  que  les  bras  libres,  &  que  le 
poids  de  fes  fers  entraînoit  fes  jambes  vers  le  fond,  il  fut  obligé- d'im- 
plorer le  fccours  de  ks  gens ,  qui  le  prirent  dans  la  Barque  au  moment  qu'il 
fe  noyoit  (d). 

Pendant  la  tempête,  l'Amiral  s'étoit  retiré  dans  le  Port  d'^zuac  (e), 
où,  malgré  fes  lumières,  il  n'eut  pas  peu  de  peine  à  fe  défendre  de  l'hor- 
rible agitation  des  Elemcns,  qui  fit  périr  ^qs  Ennemis  prefqu'à  fes  yeux. 
Trois  de  Ces  Vaiffeaux ,  qui  furent  féparés  de  lui  par  la  violence  des  flots , 
ne  purent  le  rejoindre  de  plufieurs  jours.  Enfin ,  les  ayant  tous  raflemblés , 
il  fe  rendit  au  Port  d'Yaquimo  (/),  d'où  il  partit  le  14  de  Juillet,  dans  le 
defl'ein  de  gouverner  vers  la  Terre-ferme.  II  s'approcha  des  Kles  voifines 
de  la  Jamaïque;  mais  les  vents  contraires ,  les  calmes,  pendant  lefquels  il 
étoit  entraîné  vers  de  petites  Ifles,  au  Sud  de  Cuba,  qu'il  avoi»"  déjà  nom- 
mées les  J'ardins  de  la  Reine  (^),  &  une  nouvelle  tempête  auflî  terrible 
que  la  précédente ,  lui  firent  employer  plus  de  deux  mois  à  faire  foixante 
lieues.  La  première  Terre,  qu'il  appcrçut  alors ,  fut  une  petite  Ifle,  fui- 
vie  de  quelques  autres.  Il  les  nomma  toutes  Los  Guanajos  (é),  du  nom 
de  la  première,  que  les  Indiens  nommoient  Guanaja.  Mais  Dom  Barrhele- 
mi  Colomb,  qui  fe  chargea  de  la  vifiter,  l'ayant  trouvée  remplie  de  Pins, 
elle  reçut  particuiicremenc  le  nom  à'IJle  des  Pins.  Sa  fituation  efl:  à  douze 
lieues  du  Cap  de  Honduras  &  de  la  Ville  de  Truxillo.  D'autres  ont  voulu 
s'attribuer  l'honneur  de  Cette  découverte;  mais  il  fut  prouvé  dans  la  fuite 
que  perfonne ,  avant  l'Amiral  ,  n  avoit  tourné  fa  navigation  du  même 
côté  (  /). 

En  approchant  de  l'Ifle  des  Pins ,  l'Adelantade  rencontra  un  Canot,  à- 
peu-près  de  la  forme  d'une  Galère,  large  de  huit  pieds,  &  d'une  longueur 

pro- 


(d)  Ibidem. 

(e)  Hcrrcra  le  nomme  Puerto  Ilcnnofo, 
ou  Puerto  Ej'coiidido. 

(/)  Les  Caliillans  lui  donnèrent  le  nom 
de  Fort  de  Rrefil. 

{ p  )  Dans  un  Voyage  qu'on  a  rapporté , 
l'Hiliorien  de  fa  Vie  dit ,  qu'il  en  nomma 
quelques- unt s  les  Puits  ^  parce  qu'ayant  fait 


crcufer  le  fable  il  y  trouva  de  bonne  eau. 
Liv.  2.  Cbap.  27. 

(  h  )  Guanari ,  fuivant  Fernand  Colomb. 
Ibidem. 

(»■)  Herrera,  Liv.  5.  Chap.  <;. 

Nota.  Voyez  la  Carte  de  rifthme  de  Pa- 
nama ,  au  XVIe.  Volume.  11.  d.  E. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.    I. 


IIP 


proportionnée,  qui  portoic  vingt-cinq  hommes,  avec  quantité  de  femmes 
Cl  d'enfans.  Dans  ce  petit  Bâtiment,  qui  fut  conduit  à  l'Amiral,  il  fe  trou- 
va divcrfes  fortes  de  marciiandiles,  dont  quelques-unes  dévoient  venir  de 
TYucatan.     C'étoit  des  couvertures  &  des  tapis  de  coton  ouvragés,  des 
nattes  de  Palmiers  ,  des  épées  d'un  bois  fort  dur ,  des  couteaux  de  cail- 
loux   de  petites  haches  de  cuivre  ,  des  fonnettes,  des  médailles,  des  creii- 
feis  pour  la  fonte  du  métal ,  avec  une  efpèce  d'amandes ,  que  cvs  Indiens 
nommoient   Cacao  ,    &  qui  leur  fervoient  de  monnoye.     Leurs   alimens 
étoient  du  Maïs  61.  des  Racines;  &  leur  breuvage,  une  liqueur  compofée 
aulïi  de  Maïs,  qui  reflembloit  aflez  à  la  Bierre.     Ils  paroilibient  honteux 
de  leur  nudité,  qu'ils  s'efForçoient  de  cacher  de  leurs  mains;  &  les  fem- 
mes   fur-tout ,  eurent  beaucoup  d'empreflement  à  fe  couvrir  la  tête  &  le 
corps,  d'une  forte  de  Mantes.    L'Amiral,  augurant  bien  de  cette  décence, 
leur  fit  beaucoup  de  carefles,  &  les  renvoya  chargés  de  prélens.     Mais  il 
retint  un  Vieillard,  auquel  il  crut  reconnoîcre  de  l'cfprit,  &  dont  il  fe  pro- 
mit de  tirer  des  connoUFances  favorables  à  fes  defleins.    Sa  première  quef- 
tion  fut  celle  qu'on  faifoit  toujours  aux  Indiens;  c'elli-àdire,  s'il  y  avoit  de 
l'or  dans  fon  Pays?  Le  Vieillard  ,  qui  comprit  aulîl-tôt  ce  qu'on  lui  deman- 
doit  par  des  fignes ,  fit  entendre  de  même,  qu'il  y  avoit,  de  ce  côté-  lu, 
des  Régions  où  ce  métal  étoit  fi  commun ,  que  les  Peuples  en  portoient  des 
couronnes  fur  la  tête  ,  &  de  fort  gros  anneaux  aux  bras  &  aux  pieds  ;  que 
les  tables,  lesfièges  &  les  coftres  en  étoient  revêtus;  &  que  les  Mantes 
des  femmes  ,  ou  les  couvertures,  qui  leur  fervoient  de  robbes,  n'étoient 
pas  tiflues  d'autres  matières.     On  lui  montra  du  Corail ,  des  Epiceries  ,  & 
d'autres  marchandifes  précieufes:  il  donna  les  mêmes  efpérances  fur  tout  ce 
qui  lui  fut  demandé ,  foit  qu'il  ne  cherchât  qu'à  plaire  par  cette  complai- 
fance,  ou  que,  départ  &  d'autre,  on  s'entendît  mal.     Il  fit  même  con- 
noître  que,  dans  le  Pays  dont  il  parloit ,  on  trouveroit  des  Navires,  de 
l'Artillerie,  toutes  fortes  d'Armes,  en  un  mot,  tout  ce  qu'il  voyoit  à  bord 
ou  dans  les  mains  des  Elpagnols  (k). 

Ces  aflurances  étoient  li  conformes  aux  anciens  préjugés  de  l'Amiral, 
qu'il  les  crut  capables  de  lever  tous  fes  doutes.  11  s'imaginoit  encore  que 
le  Catay  devoit  être  peu  éloigné  ;  que  la  Mer  baiffoit  vers  Cigtiaro,  qui  de- 
voit  être  une  Province,  ou  une  Ville,  des  Etats  du  Grand  Kam,  &  qu'à 
dix  journées  de-là,  il  devoit  trouver  le  Fleuve  du  Gange.  Ce  Pays,  que 
le  Vieillard  Indien  repréfentoit  fi  riche  en  or,  étoit  vraifemblablement  le 
Pérou  :  mais  Colomb  lé  perfuada  que  le  Royaume  du  Grand  Kam  &  le  Catay 
étoient  fitués ,  à  fon  égard ,  comme  Tortofe  l'efl:  à  l'égard  de  Fontarabie  ; 
fur  deux  Mers  difi*érentes ,  mais  peu  éloignées  l'une  de  l'autre.  Dans  cette 
idée,  que  l'Indien  paroiflToit  confirmer,  il  cefl^a  de  j^uaverner  à  l'Ouefl: ;  ce 
qui  nuifit  beaucoup  à  fes  efpérances ,  puifqu'en  continuant  de  fuivre  cette 
route,  il  eut  bientôt  rencontré  l'Yucatan,  dont  il  n'étoit  qu'à  trente  heues, 
&  toute  la  Côte  du  Mexique  (/). 

Mais  ,  après  avoir  rendu  la  liberté  au  Vieillard  ,  la  première  Terre  qu'il 
découvrit,  au  Levant,  fut  une  Pointe,  qu'il  nomma  Cafmas^  parce  quil  y 

trou- 


CMRISTOPItP. 
Ci 

E.«.RT:ir.i.EMt 

Cui.OMB 

IV.  Voyu,;c. 
150'.:. 


KJalrcific- 
«uiis  que  l'A- 
iiiir;il  tire  il'un 
Vieillard  In- 
dien. 


Anciens  pré- 
jugés,  qui 
trompent  l'A- 
miral. 


Il  manque  la 
découverte  de 
l'Yucatan  & 
du  Mexique, 


(fc)  Herrcra,  ibidem. 


(i)  Ibidem, 


120 


PREMIERS      VOYAGES 


Christophe 
& 

BARl'HUr.FMI 
Coi.OMi. 

IV.  Voyage. 

1502. 

Terre  Jont 
il  pr'juJ  pof- 
fcllioii. 


Ufagcs  des 
Habitans. 


Coda  de  O- 

Cap  de  Gra- 
cias à  Dios. 


Autres  dé- 
couvcites. 


Accord  avec 
les  Indiens. 


trouva  quantité  d'arbres,  qui  portoient  une  efpèce  de  petites  pommes, 
auxquelles  il  entendit  donner  ce  nom  par  les  Habitans.  Ces  Indiens  étoient 
vêtus  d'une  forte  de  camifoles,  en  forme  de  chemife.  L'Adtlantadc  prit 
pofTeflion  de  cette  Terre,  le  17  d'Août,  au  nom  des  Rois  de  Caflille.* 
Quantité  d'Habitans  s'empreflerent  de  lui  apporter  du  Maïs,  diverfes  forets 
de  Viandes  &  de  Volailles,  du  Poiflbn  &  des  Fruits.  Le  Pays  lui  parut 
agréable,  par  fa  fraîcheur  &  fa  verdure.  Entre  les  arbres,  il  vit  des  Chê- 
nes, des  Pins,  ik  lix  ou  fept  fortes  de  Palmiers.  Quelques  jours  de  com- 
merce lui  firent  rcconiioître  que  les  Peuples  de  cette  Cote  parloienc  dilFé- 
rentes  langues.  Ils  avoient  le  corps  marqué,  par  le  feu,  de  pludeurs  fi- 
gures ,  qui  rcpréfentoient  des  Lions ,  des  Cerfs  &  d'autres  animaux.  Les 
principaux  portoient  des  bonnets  de  drap  de  coton  ,  blancs  &  rouges. 
Quelques-uns  avoient  le  vifage  peint  de  noir,  d'autres  de  rouge,  ou  rayé 
de  diverfes  couleurs;  &  d'autres  fe  peignoient  feulement  les  lèvres,  les 
narines  &  les  yeux.  Leurs  oreilles  étoient  fort  grandes ,  &  quelques  -  uns 
les  avoient  percées  d'un  trou  de  la  grandeur  d'un  œuf.  L'Amiral  en  prit 
occafion  de  donner,  à  leur  Pays,  le  nom  de  Cojla  de  Ojeja  ,  ou  Côte  de  l'O- 
reille (m). 

Le  12  de  Septembre,  on  doubla  un  Cap,  qui  fut  nommé  Cap  de  Gracias 
à  Dios;  parce  que  la  Terre  y  tournant  au  Sud,  on  trouva  plus  de  facilité 
pour  la  navigation.  Mais  la  perte  d'une  Barque,  qui  fut  fubmergée  par  la 
violence  de  la  marée,  à  l'embouchure  d'une  Rivière  voifme,  fit  donner,  à 
cette  Rivière,  le  nom  de  Rio  del  defajlre.  Le  17,  on  mouilla  prés  d'une 
petite  Ille,  nommée  Quiritini ,  vis-à-vis  d'une  grofPe  Bourgade  du  Conti- 
nent, que  fes  Habitans  nommoient  Cariari.  On  n'avoit  point  encore  trou- 
vé de  fi  beau  Pays ,  ni  des  Indiens  fi  doux.  Ils  fe  préfentèrent  d'abord  ar- 
més d'arcs,  de  lléches  &  de  dards,  pour  défendre  leur  Patrie.  Les  Hom- 
mes portoient  leurs  cheveux  treffés  autour  de  la  tête,  &  les  Femmes  au  con- 
traire les  avoient  fort  courts.  Auflî-tôt  qu'on  les  eut  excités  à  la  confian- 
ce, par  les  figues  ordinaires  de  paix  &  d'amitié,  ils  apportèrent,  au  riva- 
ge, ce  qu'ils  avoient  de  plus  précieux,  tel  que  des  couvertures  de  coton, 
&  des  camifoles.  L'Amiral  défendit  qu'on  prit  rien  d'eux ,  &  leur  fit  don- 
ner diverfes  bagatelles  de  l'Europe,  qu'ils  acceptèrent  d'abord  avec  joye: 
mais  voyant  qu'on  n'avoit  pas  pris  ce  qu'ils  avoient  apporté,  ils  lièrent  en- 
femble  tout  ce  qu'ils  avoient  reçu,  &  le  laiflerent  dans  l'endroit  le  plus  pro- 
che des  Vaifleaux.  Le  lendemain ,  s'étant  fans  doute  imaginé  qu'on  fe  dé- 
fioit  d'eux,  ils  envoyèrent  à  Bord  un  Vieillard  vénérable,  accompagné  de 
deux  jeimes  Filles ,  dont  la  plus  âgée  n'avoit  pas  plus  de  quatorze  ans ,  avec 
une  forte  d'Enfeigne,  qui  voltigeoit  au  bout  d'un  bâton.  Ce  Député  fit 
entendre  aux  Caflillans,  par  des  lignes  fort  humains,  qu'ils  pouvoient  def- 
cendre  fans  crainte ,  &  leur  laifla  les  deux  jeunes  Filles,  qui  ne  parurent 
point  allarmées  de  fe  trouver  feules  au  milieu  de  tant  d'Etrangers.  L'Ami- 
ral les  fit  vêtir  &  les  renvoya  au  rivage ,  chargées  de  préfens.  Mais  le  jour 
d'après ,  on  fut  furpris  de  les  voir  revenir  nues  avec  le  Vieillard,  qui  rap- 
portoit  les  habits  &  tout  ce  qu'on  leur  avoit  fait  accepter.  Dans  l'admi- 
ration 

(m)  Ibidem ,  Cbap,  6.  à.  Vie  de  Colomb,  Tome  2.  Cbfip.  28. 


EN      AMERIQUE,    Li  V.   I. 


121 


ye: 
en- 

pro- 

dé- 

de 

avec 
fit 

def. 

rent 

\mi- 
our 
•ap- 


ration  de  ce  denntéreflTement,  l'Adelantade  réfolut  de  prendre  plus  de  con- 
noiflance  du  Pays.  Deux  Indiens,  qui  paroiflbicnt  d'une  condition  rele- 
vée, le  reçurent,  à  fa  defcente,  le  prirent  par  les  bras,  &  le  menèrent  en- 
tr'eux  fur  un  tas  d'Herbe  fraîche,  où  ils  le  firent  aileoir.  En  leur  faifanc 
des  queftions ,  par  divers  lignes,  il  donna  ordre,  à  quelqu'un  de  fa  fuiie, 
d'écrire  ce  qu'on  pourroit  comprendre  à  leurs  réponfes.  Mais ,  à  la  vue 
de  l'encre,  du  papier  &  des  plumes,  ils  parurent  fi  troublés,  qu'ils  prirent 
tous  la  fuite.  Ils  revinrent  néanmoins;  mais  ce  fut  en  jettant,  vers  les 
Caftillans  ,  une  forte  de  poudre,  qui  fembloit  fe  difliper  en  fumée,  &  dont 
ils  challbient  la  vapeur  vers  l'Ecrivain.  On  crut  comprendre,  alors,  pour- 
quoi ils  avoient  refufé  tout  ce  qu'on  leur  avoit  offert.  L'Adelantade  n'en 
alla  pas  moins  jufqu'à  leur  Bourgade.  Il  n'y  vit  rien  de  plus  remarquable 
qu'un  grand  Edifice  de  bols,  couvert  de  rofeaux,  qui  contenoit  plulieurs 
fépultures  ,  dans  l'une  defquel'f^'S  il  trouva  un  corps  fort  fec,  enveloppé 
d'un  drap  de  coton ,  &  fi  bir  i  c  nbaumé  qu'il  n'avoit  aucune  marque  de 
corruption.  Au-deiïïis  de  chaque  Tombeau ,  on  voyoit  un  portrait  d'hom- 
me, qui  étoit  apparemment  celui  du  Mort,  gravé  fur  une  forte  de  tableau, 
entre  plufieurs  figures  de  Bêtes;  &,  près  du  coips,  ce  qu'il  avoit  pofledé 
de  plus  précieux  («).  Ces  Indiens,  ne  paroiflant  pas  moins  diitingués 
par  leur  efprit  que  par  la  douceur  de  leur  cara6lère,  l'Amiral  ordonna  qu'on 
en  prît  deux  pour  lui  fcrvir  de  Guides ,  mais  avec  des  mefures  de  politefle 
&  d'amitié  qui  fuflent  capables  de  raffurer  une  Nation  li  douce.  Cependant 
on  vit  fortir,  le  lendemain,  de  la  Bourgade,  une  multitude  d'PIabitans, 
qui  s'etant  avancés  jufqu'au  rivage  ,  envoyèrent  quatre  Députés,  dans  un 
Canot,  pour  fupplier  qu'on  leur  rendît  les  deux  Prifonniers.  Ils  apportè- 
rent deux  Porcs;  &,  dans  le  difcours  qu'ils  tinrent  à  l'Amiral,  on  comprit 
qu'ils  oflroient ,  pour  la  rançon  de  leurs  Amis,  tout  ce  qu'il  lui  plairoit 
d'exiger.  Mais  il  demeura  inflexible,  &fe  contenta  de  leur  préfenter  di- 
vers bijoux ,  qu'ils  refuférent. 

Le  Vieillard  des  Ifles  de  Guanajos  avoit  affuré  qu'on  trouveroit  de  l'or, 
dans  un  lieu  qu'il  avoit  nommé  Caravaro.  On  crut  avoir  tiré,  des  deux 
Guides,  allez  de  lumières  pour  s'y  faire  conduire.  Les  ancres  furent  le- 
vées, le  5  d'06tobre,  pour  avancer  vers  le  Levant,  où  la  Mer  formoit  une 
Baye  longue  de  fix  lieues,  &  large  de  trois, dans  laquelle  on  découvroit  plu- 
fieurs petites  nies.  Cette  !'aye  avoit  quatre  bouches,  par  où  les  Navires 
pouvoient  entrer  &  fortir  fans  danger,  &  qui  formoient  autant  de  Canaux, 
où,  des  deux  cô:és  ,  les  branches  des  arbres  touchoient  aux  cordages. 
L'Amiral  fit  deicendre  quelques  Soldats  dans  une  des  Ifles.  Ils  y  trouvè- 
rent des  Hommes  nuds,  avec  des  plaques  d'or  au  cou,  en  forme  de  Patè- 
nes ,  &  fi  luifantes ,  que  les  Hiftoriens  leur  donnent  le  nom  de  Miroirs.  Ces 
Infulaires  parurent  peu  timides ,  après  avoir  parlé  aux  deux  Indiens  de  Ca- 
riari.  Ils  donnèrent,  pour  trois  fonnettes ,  un  Miroir,  qui  pefoit  dix  écus; 
«Se  lorfqu'on  leur  en  demanda  davantage,  ils  répondirent  qu'on  en  trouve- 
roit en  abondance  au  Continent  (o). 

En 

■  («)  Ilcrrera,  &  Vie  de  Colomb,  mûme  Chapitre.  (o)  Ibidem. 


CimifTOPns 
& 

BAnTHKI.EMt 
CoLOMIi. 

1502. 

Diverfcs' 

marcjucs  de 
leur  fiinplici- 
tc. 


Tombeaux 

Indien  j. 


Pays  où  l'A- 
miral trouve 
de  l'or. 


x* 


Xnil  Part. 


122 


PREMIERS      VOYAGES 


Christophe 
& 

lÎARTIIEl.F.Ml 
COI.OM.1. 

IV  Voyiigc. 
I  5  o  ^. 

Miroirs, 
plnqiies  &  ai- 
gles tl'or. 


Terre  de  Ca- 
ti'ua. 


Roi  du  Pays. 


Bonrg  d'ITu- 

liran. 

Cubisa. 


Découverte 
«l'un  Port  que 
rAiniral  nom- 
me  Porto- 
Ucllo. 


Port  di  Baf 

limcntos 

Guixa. 


Port  el  Re- 
trette. 


En  elFet,  les  Barques  s'ctant  approchccs,le  7,  du  rivage  de  la  Terre- 
ferme,  rencontrèrent  deux  Canots,  ch;ir[ics  d'Indiens,  qui  avoient  pref- 
qas  tous  des  Miroirs  au  cou  ,  &  quelques-uns  une  autre  figure  d'or  ,  feiti- 
blable  à  celle  d'un  Aig'e.  On  prit  deux  de  ces  Indiens,  dont  ks  Miioirs 
pefoient,  l'un  quatorze  teus,  Si  l'autre  vingt-deux.  Mais  l'on  vit  bientôt 
pareître  un  fi  grand  nombre  de  Canots,  &  les  Indiens,  armes  d'arcs  6i  de 
Zd.^aïVs,  montrèrent  tant  de  dirpofitioii  à  défendre  l'accès  de  leur  Cote, 
qUi'  les  iiarques  prirent  le  parti  de  retourner  à  I3ord.  Elles  reçurent  même 
qu'^lques  infultes,  qui  obligèrent  l'Amiral  de  faire  tircr*un  coup  de  canon, 
dont  le  bruit  fit  difparoître  tous  les  Indiens.  Il  devint  fort  dillicile,  après 
ces  hodilités,  de  renouer  avec  eux.  Aulîi  n'en  tira-t'on  que  dix-neuf  Mi- 
roirs. De  cette  Terre,  on  s'avança  vers  une  autre,  qui  fe  nommoit  Cati- 
ba^  où  l'Amiral  fit  mouiller  à  l'embouchure  d'une  grande  Rivière.  Les 
Habitans  s'ademblèrent  d'abord  fur  le  rivage;  mais  avec  autant  d'humanité 
que  de  prudence,  ils  envoyèrent  deux  Hommes,  dans  un  Canot,  pour  s'in- 
former de  ce  qu'on  defiroit  d'eux,  &  quel  étoit  cet  appareil  étranger.  Les 
Députes  entrèrent,  d'un  air  ferme,  dans  le  Vallfeau  de  l'Amiral;  &,  fe 
liant  tout-d'un-coup  avec  les  Guides  deCariari,  ils  donnèrent  volontaire- 
ment leurs  Miroirs.  Le  commerce  fuivit  aufli  •  tôt  cette  marque  de  con- 
fiance.  Les  Caftillans,  defccndus  au  rivage,  trouvèrent  le  Roi  du  Pays, 
qui  n'étoit  diftingué  des  autres  que  par  un  Parafol  de  feuilles  ,  qu*on  lui 
foutenoit  fur  la  tête,  «Se  par  les  refpeèls  qu'il  recevoit  de  fes  gens.  Ce 
fut  lui  qui  troqua  le  premier  fon  Miroir  ;  mais  fon  exemple  ne  fut  imite 
que  par  dix -neuf  de  fes  Sujets.  L'Amiral,  n'efpérant  point  de  la  force  ce 
qu'il  ne  pouvoit  obtenir  par  la  douceur,  s'avança  vers  une  Bourgade,  nom- 
mée Hurirafiy  où  il  trouva  les  Indiens  fi  favorablement  difpofés,  que  pour 
trois  douzaines  de  fonnettes  il  obtint  quatre-vingt-dix  marcs  d'or.  De -là, 
il  pafla  dans  une  autre  Habitation,  qui  fe  nommoit  Cubiga^  où  finiffoit  l'u- 
fage  de  porter  des  Miroirs  &  des  Aigles.  Cette  riche  Côte  efl  d'environ 
cinquante  lieues,  depuis  la  Bourgade  de  Caravaro  (/>). 

(3n  arriva,  le  2  de  Novembre,  dans  un  Port,  que  fa  beauté  fit  juger 
digne  du  nom  de  Porto  -  Bello.  C'eft  celui  dont  le  nom  s'efl:  corrompu ,  de- 
puis, en  Fortobele.  On  y  pafla  fept  jours,  à  la  vue  d'un  Pays  fort  agréa- 
ble, où  les  Terres  étoient  fi  bien  cultivées,  qu'elles  avoient  l'apparence 
d'un  Jardin.  Mais  on  n'y  reçut ,  des  Habitans ,  que  des  fruits ,  des  vivres 
6{  du  coton  filé.  Quatre  ou  cinq  lieues  plus  loin ,  l'Amiral  s'arrêta  dans  un 
autre  Port,  que  la  multitude  de  fes  Habitations  &  des  Terres  cultivées, 
lui  fit  nommer  Puerto  di  Baftimentos.  11  y  demeura  jufqu'au  23,  pour  r»ipa- 
rer  le  defordre  de  fes  VaifiTeaux.  Enfuite,  après  avoir  paflTé  devant  un 
lieu  nommé  Guiga^  où  les  Cafi:illans  perdirent  l'occafion  de  fe  procurer  des 
vivres ,  &  quelques  pièces  d'or ,  que  les  Habitans  portoient  au  nez  &  aux 
oreilles,  il  entra,  le  26,  dans  un  troifième  Port,  fort  étroit,  mais  extrê- 
mement profond ,  qu'il  nomma  El  Retreîte.  La  difpofition  du  Canal ,  per- 
mettant aux  Vaifîeaux  de  s'approcher  beaucoup  de  la  Terre ,  les  Caftillans , 
qui  pouvoient  defcendre  fans  le  fecours  des  Barques ,  profitèrent  de  cette 

fa- 
(p)  Herrera,  Liv,  5.  Chap.  6.  Vie  de  Colomb,  ulifuprà. 


faciii 

lorfq 

fons, 

arme 

faifat 

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L' 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  r. 


123 


fa- 


facilité  pour  fe  lier  tout-d'iin-coiip  avec  les  Indiens  du  Pays.  Cependant, 
lorfqu'ils  voulurent  porrer  la  familiarité  jufqu'à  s'introduire  dans  leurs  Mai- 
fons ,  ces  Barbares ,  qui  leur  avoient  d'abord  paru  fort  affables ,  prirent  les 
armes  &  femblèrent  menacer  les  Navires.  L'Amiral  crut  les  intimider,  en 
faifant  tirer  quelques  coups  de  canon  à  poudre  feule  ;  mais  loin  de  s'effra- 
yer du  bruit,  qu'ils  prirent  apparemment  pour  celui  du  tonnerre,  ils  y  ré- 
pondirent par  de  grands  cris ,  en  frappant  les  arbres  avec  des  bâtons.  C'é- 
toient  les  plus  hauts  &  les  plus  vigoureux  Indiens  qu'on  eût  vCis  jufqu'alors. 

Un  feul  boulet,  qui  en  abbatit  quelques-uns,  diminua  leur  audace  & 
les  mit  en  fuite.  Leur  Pays  efl  fort  uni,  &  couvert  de  grandes  herbes, 
dans  lefquelles  il  fe  trouvoit  des  Caymans  d'une  prodigieufe  grofîeur ,  qui 
rendoient  une  très  forte  odeur  de  Mufc. 

L'Amiral,  defefpérant  de  tenir  plus  long-tems  la  Mer,  au  milieu  des 
tempêtes  qui  commençoient  à  s'élever ,  &  contre  les  vents  d'Eil  &  de 
Nord-Efl,  qui  devenoient  fort  impétueux,  prit  la  réfolution  de  retourner 
fur  fes  traces ,  pour  chercher  les  Mines  d'or  qu'on  lui  avoir  annoncées , 
proche  d'un  Fleuve ,  que  les  Indiens  nommoient  l^eragua.  U  reprit  vers 
Porto-Bello ,  où  il  arriva  le  5  de  Décembre.  Mais ,  à  peine  eut  •  il  remis 
en  Mer,  qu'il  y  efïïiya,  pendant  trois  femaines,  les  accidens  les  plus  re- 
doutables à  la  Navigation.  Une  furieufe  agitation  des  flots,  le  feu  du  Ciel, 
la  faim,  la  foif ,  furent  autant  d'ennemis  qui  fembloient  avoit  confpiré  fa 
perte.  Dans  un  fi  long  intervalle,  on  n'avoit  fait  qu'environ  trente  lieues, 
depuis  Porto-Bello,  lorfqu'enfin  on  fe  rapprocha  de  la  Côte.  L'Amiral  lui 
donna  le  nom  de  hs  Contrajtcs.  Outre  le  danger  continuel  de  fes  Vaiifeaux, 
qui  n'étoient  échapés  au  naufrage  que  par  une  faveur  extraordinaire  de  la 
Providence,  il  voulut  exprimer,  par  ce  nom,  fes  douleurs  particulières, 
dans  les  accès  d'une  cruelle  goûte ,  qui  ne  lui  avoit  pas  laillé  un  infiant  de 
repos  {q). 

Il  prit  d'abord,  pour  le  Veragua,  une  Rivière,  que  les  Habitans  du 
Pays  nommoient  Tahra^  &  qu'il  nomma  Bekm,  après  l'avoir  reconnue,  par- 
ce qu'il  y  étoit  entré  le  jour  de  l'Epiphanie ,  auquel  les  Mages  entrèrent  dans 
Bethléem.  Le  lendemain,  fur  les  lumières  qu'il  reçut  des  Naturels  du  Pays, 
il  paffa  dans  la  Rivière  de  Veragua ,  dont  il  n'étoit  éloigné  que  d'une  lieue. 
Après  quelques  obflacles ,  qui  furent  terminés  par  un  traité  d'amitié  avec 
les  Indiens  de  rette  Rivière ,  il  reçut  d'eux  beaucoup  d'or  ;  mais ,  pour  ti- 
rer plus  d'avantage  de  leur  commerce ,  ils  feignirent  qu'ils  alloient  chercher 
fort  loin  ces  richeffes  ,  dans  des  Montagnes  efcarpées ,  &  qu'ils  étoient 
obligés  de  fe  préparer  à  cette  recherche  par  le  jeûne  &  la  continence.  L'A- 
miral affefta  des  difficultés  à  fon  tour;  &  la  Rivière  de  Belem  lui  ayant  pa- 
ru plus  commode  pour  fes  Vaiffeaux ,  il  prit  le  parti  d'y  retourner.     Bien- 

tôt 


CiiRiiTonw 
& 

BlRTriELEAM 
COI.OMII. 

IV.  Voyuge. 

1502. 

Les  Indicnn 
ne  s'efFrayent 
point  du  ca- 
non. 


Concralles. 


1503- 

Rivière  d'Va- 
bra,  que  l'A- 
miral nominç 
Belem. 


(î)  Herrera  fait  une  horrible  dcfcrlptioii 
de  l'état  des  Caftilians.  Entre  les  Phcnomcnes 
extraordinaires  de  la  Tempête,  il  raconte  que 
l'écume  de  la  Mer  brîiloit  comme  de  l'eau 
bouillante  ;  que  ce  qui  rcfloit  de  bifcuit  fe 
trouva  fi  rempli  de  vers,  qu'il  fut  impoHîblc 
d'en  manger;  &  qu'une  trombe  d'eau,  fpec- 


tnclc  inconnu  aux  Caftilians ,  leur  caufa  un 
genre  de  frayeur  qu'ils  n'avoient  point  enco- 
re fenti.  Cependant,  dit  il,  ,,  ilï  y  trouvé- 
,,  rcnt  un  fbuverain  remède,  qui  fut  de  dire 
,,  l'Evangile  de  Saint  Jean  ;  &  ayant  ainli 
,,  coupé  la  trombe  ils  s'en  crurent  garanti? 
par  la  vcrtn  divine".  îibi  fuprà,  Cliap.  9. 


q  2 


124 


PREMIERS      VOYAGES 


Christoi'iie 

& 

Bartiiei.emi 

COLOMI. 

IV.  Voyage. 

1503- 
Il  envoyé 
fon  l'"rèrc  i\  la 
Rivière  de 
Vcragua. 


Montagnes 
qu'il  nomme 
Saiiit-Chiillo- 
plic. 

Village  de 
Quibia. 


Mines  d'or 
•VUrira. 


Bourgs  Du- 
ruri,  Zobra- 
«ia  &  Cateba. 


EtnblifTement 
entrepris  fur 
les  bords  du 
Belcin. 


tôt  les  Indiens  y  accoururent  en  foule  ,  pour  faire  avec  lui  divers  échan- 
ges. Ils  apport'crcnt  aulli  de  l'or,  qu'ils  donnèrent  pour  des  grains  de  ver- 
re, des  épingles  Oc  des  fonnettes.  Cependant,  comme  l'Amiral  nepcrdoit 
pas  de  vue  KÎ  Rivière  de  Veragua  ,  qu'il  rcgardoit  comme  la  fourcc  des  vé- 
ritables trélbrs,  il  y  renvoya  Dom  lîarthelemi,  fun  I  rére,  avec  les  Bar- 
ques ,  pour  remonter  jiifqu'à  la  demeure  d'un  Cacique  ,  nommé  Quibia , 
dont  on  lui  avuic  vanté  les  richelles.  Quibia  fe  lailfa  facilement  perluader 
de  rendre  une  vilice  au  Général  des  Efpagnols  ;  mais ,  dans  la  dilliculté  de 
s'entendre,  cette  entrevue  n'aboutit  qu'à  des  prélens  mutuels.  Les  avan- 
tages, que  l'Amiral  s'en  étoic  promis,  furent  encore  retardés  par  un  pro- 
digieux débordement  de  la  Rivière  de  lîelem,  qui  caulh  beaucoup  de  dom- 
mage aux  Vaillciiux.  Ces  aceidens,  auxquels  elle  ell  Ibrt  fujette,  font  at- 
tribués à  de  fort  hautes  Montagnes,  qti'on  rencontre  en  remontant  le  Ve- 
ragua, 6c  qui  reçurent ,  de  l'Amiral,  le  nom  de  ^aiut-  Chrijiophe(r). 

Éniin  ,  le  calme  ayant  fucccdé  à  l'orage,  Dom  Barthelemi  retourna,  le 
6  de  Février ,  à  la  Rivière  de  Veragua,  avec  Ibixante-huit  Hommes,  & 
monta  l'efpace  d'une  lieue  &  demie,  julqu'au  Village  de  Quibia,  pour  s'in- 
former du  chemin  des  Mines.  Le  Cacique  lui  donna  trois  Guides,  qui  le 
conduifirent ,  versl'Ouefl;,  dans  des  lieux  fort  abonJans  en  or.  Pendant 
deux  heures ,  les  Caflillans  en  recueillirent  ail'ez  pour  s'en  retourner  fort 
contens  de  cet  elTai.  Ils  apprirent  bientôt  que  ces  Mines  n'étoient  pas  cel- 
les de  Veragua ,  dont  Quibia  n'avoit  pas  voulu  leur  donner  connoiflance, 
mais  celles  d'O/Va ,  demeure  d'un  autre  Cacique,  avec  lequel  il  étoit  en 
guerre.  Cependant,  comme  elles  étoient  fort  riches,  &  que  les  noms  im- 
portoient  peu,  l'Adelantade  fe  rendit,  le  16,  à  la  Rivière  même  d'Urira, 
lix  ou  fept  lieues  à  l'Ouefl;  de  celle  de  Beicm.  Il  y  fut  agréablement  reçu, 
non-feulement  par  le  Cacique  &  les  Sujets;  mais,  ayant  pénétré  plus  loin 
vers  d'autres  Bourgades,  qui  fe  nommoient  Dururi,  Zibrada  &  Cateba,  il 
ne  fut  pas  moins  fatisfait  de  leurs  Habitans,  qui  occupoient  un  Pays  fort 
bien  cultivé,  &  qui  troquèrent,  avec  lui,  quantité  de  Miroirs  d'or,  dont 
chacun  ne  valoit  pas  moins  de  dix  ou  douze  écus.  La  crainte  de  s'éloi- 
gner trop  des  V^aiifeaux  l'y  fit  retourner  avec  fes  richc-fles.  L'Amiral, 
charmé  de  cette  vue,  prit  la  réfolution  de  former  un  Etabliflement  fur  les 
bords  du  Belem,  aflez  près  de  fon  embottchure,  6c  d'y  luifler  fon  Frère, 
avec  la  plus  grande  partie  de  fes  gens ,  tandis  qu'il  retourneroit  lui  -  même 
en  Efpagne,  pour  en  ramener  de  plus  grandes  forces.  Il  donna  un  Vaif- 
feau  6c  quatre- vingt  Hommes  à  l'Adelantade,  qui  commença  aulïi-  tôt  à  fai- 
re bâtir  des  Maifons  de  bois,  couvertes  de  feuilles  de  Palmier,  à  la  ma- 
nière des  Indiens.  On  en  fit  une  plus  rpacieufe,  qui  devoiti'crvir  de  Maga- 
iîn,  &  dans  laquelle  on  mit  d'abord  l'artillerie  6c  tous  les  inftrumens  nécef- 
faires  au  travail.  Les  vivres  furent  laiffés  à  Bord ,  pour  la  filreté  d'un  fond 
fi  nécirflaire;  quoiqu'on  m  fe  crût  pas  menacé  d'en  manquer  lur  une  Côte, 
où  le  Poiflbn,  du  moins,  c(t  dans  une  extrême  abondance.  Les  Indiens 
faifoient  d'cxcellens  rets,  &  des  hameçons  d'os  ou  d'écaillé  de  Tortue.  Au 
lieu  de  fer,    qui  leur  raanquoit,   ils  i'e  fervoient  des  fils  d'une  efpèce  de 

Chan- 
ce) Vie  de  Colomb,  Tom,  2.  Ciap.  33.  Hcrrera,  ubi  fuprà,  Chap.  lo. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I. 


125 


CnRi^TrptiB 

BAHTiri.rkit 
IV.  Voyn.'V-. 

G larix*  con- 
tre les  Cad- 


Chanvre,  qui  coupoicnt  comme  le  fer  même.  Ils  avoient  du  Maïs,  donc 
ils  faifoient  ilu  Pain,  &  ditttrcntcs  fortes  de  breuvages;  fans  compror  leur 
vin  de  Palmier,  &  d'autres  arbres,  (ju'ils  rendoienc  fore  a;^réable,  en  y  mè- 
l;\nc  des  épices  &  divers  fucs.  Le  luccès  du  travail  répondit  à  h  diligence 
des  Ouvriers;  &  cetEtablillcment,  quoique  de  courte  durée,  fut  le  premier 
qii^  les  Efpagnols  formèrent  dans  le  Continent  (s). 

Mais  l'Adelantad^.  remarqua  bientôt  que  les  Indiens  fouffroient  impatiem- 
ment Ion  entreprile,  &  qu'ils  étoitnt  ofFenfés  de  voir  bâtir  à  leurs  ycnx, 
fans  avoir  été  conlulcés.     L'Amiral  étoit  retenu  dans  la  Rade  par  les  vents 
contraires,  qui  avoient  fait  périr  fa  Chaloupe;  &  le  danger  continuel  de  (e 
brifer  contre  la  Cote  lui  otoit  le  moyen  d'être  informé  de  ce  qui  le  paflbit 
au  rivage.     Sa  vue  néanmoins  avoit  contenu  les  Indiens  dans  la  Ibumilllon. 
Mais,  jugeant  enfin  des  obUacles  qui  l'arrétoient,  ils  témoignèrent  allez  de 
chagrin,  pour  faire  foupç;onner,  qu'après  fon  départ  ils  penibient  à  brflL'r 
la  nouvelle  Bourgade.     Uom  Bartiielemi  fe  crut  obligé  de  les  prévenir.    Il 
partit,  le  30  de  Mars,  à  la  tête  de  foixante  &  quatorze  Hommes,  pour 
entrer  dans  les  Terres  de  Quibia,  qu'il  reg'irdoit  comme  le  plus  dangereux 
de  fes  Ennemis.     Ce  Cacique,  apprenant  qu'il  s'approchoit,  le  fie  prier  de 
ne  pas  monter  jufqu'à  fa  Mai  fon  ,  qui  étoit  fituée  fur  une  éminence,  au 
bord  du  'Veragua.     L'Adelantade  vouloit  le  furprendre.     11  ne  laifia  pas  de 
continuer  fon  chemin,  mais  avec  cinq  Hommes  feulement,  après  avoir 
donné  ordre,  à  ceux  qu'il  paroillbit  laifler  derrière  lui,  de  filer  deux  à  deux, 
&  de  le  fuivre  de  fi  près,  qu'au  bruit  d'un  coup  d'arquebufe  ils  puninc 
être  en  état  d'environner  la  Maifon.    En  avançant,  il  rencontra  un  fécond 
MeflTager  de  Quibia ,  qui  le  faifoit  fupplier  de  ne  pas  entrer  dans  fa  Rlailbn, 
&  qui  lui  prometcoit  de  fortir  pour  le  recevoir.     L'Adelantade  jugea  que 
cette  prière  du  Cacique,  venoit  moins  de  fa  défiance,  ou  de  fa  crainte  pour 
lui  même,  que  de  fa  jaloufie  pour  fes  Femmes.     Comme  il  n'étoit  plus  qu'à      Comment 
vingt  pas  de  ("ts  murs ,  il  lui  laifia  le  teras  de  venir  à  fa  l^orte;  &  ,  donnant  ^^  OicifjMc  Je 
ordre  à  fes  cinq  Hommes  de  fe  jetter  fur  lui,  lorfqu'ils  le  lui  verroienc  fai-  ^'^."'"''  ^^^ 
fir  par  le  bras,  il  s'approcha  de  lui  avec  un  ieul  Indien,  qui  entendoit  affez  ^'''^' 
les  deux  langues  pour  lérvir  d'Interprète.    11  eut  avec  lui  quelques  momens 
d'eniretiv-îi,  pendant  lefquels  il  trouva  le  moyen  de  le  prendre  au  collet. 
Les  premiers  mouvemens  furent  très  vifs ,  parce  que  le  Cacique  étoit  d'une 
force  égale  à  la  iienne.     Mais  les  cinq  Cafl:illans ,  étant  accourus ,  en  tirant 
un  coup  d'arquebufe,  qui  fit  paroitre  aulîî-tôt  tous  les  autres,  n'eurent  pas 
de  peine  à  fe  rendre  maîtres,  &  du  Cacique  &  de  cinquante  perfunnes  qui 
étoient  dans  fa  Maifon.     C'étoient  fes  Femmes,  les  EnBms,  ô:  plulLurs 
Indiens ,  de  fes  Amis  ou  de  Cas  Sujets.     Cette  malheureule  troupe  oiirit  de 
grandes  richeOes,  pour  fa  liberté.     Mais  l'Adelancade,  afiez  lùr  c]ue  l'or 
du  Pays  ne  lui  échapperoit  point ,  lorfqu'il  en  auroit  les  Maîtres  dans  {'i:s 
chaînes,  les  envoya  fur  le  champ  vers  fon  Vailleau,  ^  s'arrêta  dans  la 

Mai- 


(s)  Ik-rrcra,  Cba[).  10.  Vie  de  Colomli, 
Cbap.  35-  I-i  Province  de  Vciaguu  fut  éii^^éc 
enfuite  en  Duché,  pour  Louis  Colomb,  l'ctit- 
lils  de  Chrillophc ,  (Scpalili,  pur  fa  Sœur  lùi- 


bellc,  dans  ur,e  Brandie  de  la  Maifon  de 
Bragance,  qui  i(l  tombée,  de  nos  jours,  clans 
celle  de  JLiria  liervjick. 


<^ 


\i6 


PREMIERS      VOYAGES 


ClIRISTOriIE 

lÎAiniICl.F.Ml 
CoLOMt). 

IV.  Voyage. 

1503- 
11  éciiappe 
à  ceux  qui  !c 
incnoitnt  pri- 
fonnicr. 


lUitin  lies 
CV.llillans. 


Vengeance 
de  Qiiibia. 


VMiïll:clcr;i^ 

fcinMiPi  ia 
jionvclle  Co- 
lonie. 


Maifon  avec  le  refle  de  Ton  Détachement,  pour  faire  face  à  ceux  qui  pour- 
rount  entreprendre  de  les  fecourir. 

(^L'iBiA  fut  livré,  pieds  d' mains  liés ,  à  un  Cartillan  fort  réfolu,  qui  rd- 
ponùit  de  lui  fur  fa  tête.  On  fit  entrer  tous  lesPrifonniers  dans  les  Barques, 
pour  leur  faire  dei'cendrc  la  Rivière.  Le  Cacique,  qui  étoit  fous  les  yeux 
dj  fou  Cîarde,  &  lié  même  au  bord  de  la  Barque,  fc  plaignit,  pendant  la 
route,  d'avoir  les  mains  fi  ferrées  contre  le  bois,  qu'il  fouffroit  une  vive 
douleur:  un  fenciment  de  compalïïon  porta  le  Garde  (r  )  à  le  détacher,  pour 
fe  contenter  de  le  tenir  en  lefle.  A  l'entrée  de  la  nuit,  lorfqu'on  s'appro- 
choit  de  l'embouchure  du  Fleuve,  Quibia  prit  un  moment  où  il  fe  fentic 
moins  ferré,  &  Ce  précipitant  dans  l'eau,  il  y  entraîna  fon  Homme  avec 
lui.  On  n'a  pas  l(;ri  co.nrn  .nt  il  avoit  trouvé  le  moyen  de  nager  avec  fes 
liens;  mais  les  ténèbres  aidèrent  à  fa  fuite,  <k  l'on  fut  bientôt  allure  de  fa 
vie  par  les  entrepri.'cs  qu'il  forma  pour  fe  varger.  Les  autres  IVifonniers 
furent  conduits  plus  heureufemcnt  jufqu'au  Vaifleau. 

J^Adllantadi.  y  retourna,  quelques  jours  après,  avec  les  .dépouilles  du 
Cacique,  qui  conlîlloient  en  quantité  de  Miroirs  6i  d'Aigl.s  d'or,  en  grains 
du  même  métal,  dont  les  Indiens  faifoient  des  colliers  Ck  des  braflelets,  & 
en  trenes,dont  ils  fe  faifoient  des  couronnes.  Il  avoit  vifité  les'i'erres  voi- 
fines,  qui  lui  parurent  couvertes  de  Bois  6i  remplies  de  Montagnes.  Les 
Habitations,  d'ailleurs,  étoient  fi  éloignées  les  unes  des  autres,  qu'il  avoit 
defefperé  de  tirer  d'autres  avantages  de  cette  expédition.  A  fon  retour,  la 
Mer  devint  aflez  calme  pour  lui  permettre  de  conduire  fes  Prifonniers  & 
fon  butin  à  l'Amiral ,  qui  difliribua  l'or  entre  fes  Equipages ,  après  en  avoir 
pris  lu  cinquième  partie  pour  le  Roi. 

Rii;n  ne  s'oppofant  plus  à  fon  départ,  il  laiiïa  de  nouveaux  ordres  pour 
la  fCireté  Je  la  Colonie;  <S:,  pendant  que  fa  Barque  étoit  à  faire  de  l'eau,  il 
alla  mouiller  au-delfus  de  l'embouchure  du  Beleni.  Quibia,  furieux  de  fon 
avanture,  &  fartout  de  la  perte  de  i'as  Femmes,  obfervoit  tous  les  mouve- 
mens  de  t:s  Ennemis.  Il  avilit  eu  le  tems  de  raflembler  un  Corps  d'Indiens 
afllz  confidérable;  &,  voyant  les  trois  Navires  éloignés,  il  vint  fondre, 
avcc  une  horrible  furie,  fur  le  nouvel  Etabliffement.  On  ne  s'étoit  point 
apperçu  de  fon  approche,  parce  qu'il  s'étoit  couvert  de  la  Montagne;  & 
les  cris  épouvantables,  qu'il  titjetter  à  fes  gens,  en  defcendant  fur  la  rive 
du  Fleuve,  firent  trembler  les  plus  braves  Caftillans.  Leurs  Maiibns,  qui 
n'étoicnt  couvertes  que  de  feuilles  féches,  furent  en  danger  d'être  brûlées 
au  premier  inllant ,  par  une  grêle  de  dards ,  que  ces  Barbares  avoient  allu- 
més par  un  bout.  Mais,  cet  artifice  ayant  produit  peu  d'effet  dans  l'éloigne- 
ment,  l'Adelantade  rappella  tout  fon  courage  pour  s'avancer  vers  eux  avec 
une  partie  de  fes  gens,  «ilies  repoulfa  jufques  fur  la  Montagne.    En  vain  fi- 

rent- 


'  t)  C'cfi  Ilcrrcni  qu'on  fuit  ici.  Fcnv.-.nd 
Colomb  s'en  écarte  un  peu.  Il  nomme  ce 
Callillan  Snncics.  Ce  fut,  ilicil,  r.prds 
avoir  pafie  l'cmboucluire  du  l'Ieuve  ,  d'une 
demie  lieue,  que  Quibia ,  ou  Quibio,  fe 
plaif^ric  {[uc  fes  mainr,  étoient  trop  ferrées, 
l.c  iuûme  liidoricn,  rnrportant  la  manière 


dont  Quibia  fut  enlevé  [  nr  l'Adelantade, 
dit  qu  il  vint  s'adeoir  à  fa  porte;  que  l'Ade- 
lantade, ayant  fçu  qu'il  étoit  bleiVé,  demanda 
à  voir  fa  blefl'u"re  ,  &  (jue  pendant  qu'il 
ôtoit  fa  bande,  il  le  faifit  &.  le  tint  li  bien 
qu'il  ne  put  lui  écbnppcr.  Coup.  3  \. 


qui 

ces 
lu- 

;ne. 

vec 
fî- 


bien 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.   I. 


'îi? 


rent-ils  face  pUifieurs  fois,  pour  lancer  leurs  tIarJs.  I-cs  fabrcs  des  Caf^il- 
lans,  dont  ch.H|Uc  cotu)  leur  emporcoit  queKiuc  memorc,  Ck  K.s  cru.-lk'S 
'Tiorliircs  d'un  i^ros  Djruc,  qu'ils  redoutoii-nc  autant  que  k  iranclianc  du 
loi"  leur  11.  jnt  chercher  leur  lalur.  dans  la  fuite.  Te  ne  lut  pas  néanmoins 
fans  avoir  tm-  un  de  leurs  Knncmis,  &  fans  en  avoir  blciré  daurjerculcm-  nt 
plufieurs.  L'Adclaiitade  meine  reçue  un  coup  de  dard,  ru  milieu  de  l'ello- 
mac.  La  Ibniue  de  l'Amu-al,  qui  entroic  alors  dans  la  Rivière,  n'eut  cjuc 
ieVpeiflaelc  du  combat.  Ceux  qui  la  conduiibienc  crurent  ks  Indiens  p-it 
redoutables,  après  une  déroute  qui  devoit  avoi'-  répandu  l'eirioi  dans  rouie 
la  Nation.  Ils  s'avancèrent,  malgré  les  avis  (I-j  l'AdelantaJc,  julqu'à  des 
Canaux  d'eau  douce,  où  celle  de  l;i  Mer  n'a  pomt  de  commimicaiion. 
Mais,  pendant  qu'ils  y  rempliflToient  tranquillement  leurs  tonneaux,  des 
légions  d'in/iiens,  qui  s'étoienc  caches  dans  des  lieux  couverts  d'arbres, 
tombèrent  fur  eux  avec  leurs  armes  &  leurs  cris  ordinaires.  Le  Capitaine, 
nommé  'Dijtan ,  après  s'être  lon,'!;-tems  défendu,  fut  frappé  dans  l'œil  droit, 
d'un  coup  de  dard ,  dont  il  expira  fur  le  champ.  Tous  les  autres  furent  ac- 
cablés par  le  nombre,  à  l'exception  d'un  feul,  qui,  étant  tombé  dans  la 
Rivière,  fe  laiifa  emporter  l\  lieureufetnent  au  fil  de  l'eau,  qu'il  arriva  de- 
vant la  Bourgade  Callillane.  Les  triftes  nouvelles,  qu'il  y  apportoit,  y  jet- 
tèrent  la  con'lernation.  L'Adelantadiï  comprit  que  les  Indiens,  animés  par 
l'avantage  qu'ils  venoient  d'obtenir,  fe  radembleroient  en  plus  grand  nom- 
bre, pour  l'attaquer  dans  fes  foibles  murs;  &  qu'avec  beaucoup  de  malades 
&  de  blelTés,  il  ne  feroit  pas  long-tems  en  état  de  leur  réfifter.  Son 
"Vailleau  écoit  échoué,  par  la  retraite  des  eaux.  Les  corps  des  Matelots 
de  la  Barque,  qui  Ilottoient  fur  la  Rivière,  &  fur  lefquels  on  voyoit  volti- 
ger diverfes  fortes  d'Oifeaux  de  proye,  furent  regardés  de  tous  fes  gens 
comme  un  préfage  fimefte.  Il  fe  vit  forcé ,  par  leurs  plaintes  ,  de  pafier 
dans  une  Prelqu'llle,  où  la  Rivière  ne  laifloit  qu'un  palfage  étroit  du  cô- 
té de  l'Efl:.  Un  Boulevard,  qu'il  y  fit  faire  avec  les  tonneaux  des  vivres, 
&  devant  lequel  il  pointa  fon  Artillerie,  lui  donna  quelque  relâche;  parce- 
que  les  Indiens  n'ofèrent  paroître  à  la  portée  des  boulets  (v). 

D'un  autre  coté ,  l'Amiral ,  qui  n'avoit  pas  vû  fa  Barque  depuis  huit  jours , 
&  qui  ne  rccevoit  aucune  information  de  fon  frère  ,  fouflVoic  tous  les 
tourmens  d'une  vive  inquiétude.  Elle  fut  augmentée  par  une  autre  dif- 
grace.  Les  Temmes,  les  Enfans  &  les  Amis  de  Quibia,  qu'on  avoit  ame- 
nés dans  fon  Navire,  étoicnt  enfermes,  chaque  jour  au  foir,  fous  le  tillac , 
près  de  l'ccoutille,  qui  efl:  une  coulille  quarrée,  dont  on  fermoit  la  cham- 
bre de  poupe,  avec  une  chaîne,  fon  cadenat  &  fa  clé.  Ils  ne  pouvoient 
atteindre  à  la  coulllfe  ;  mais ,  ayant  conçu  qu'ils  n'avoient  pas  d'autre  voye 
pour  s'échapper,  ils  eurent  l'adrefle  de  fe  faire  des  dégrés  de  pierres  de  leil, 
qui  étoient  au  fond  du  Vaifleau,*  &  les  ayant  élevées  jufqu'à  la  coulifle, 
fur  laquelle  quelques  Matelots  étoient  couchés,  fans  y  avoir  pafle  la  chaîne, 
qui  auroit  rendu  leur  fituation  fort  incommode,  ils  la  pouffèrent  de  leurs 
épaules,  avec  tant  de  force,  qu'ils  renverfèrent  tout  à  la  fois,  l'ais,  &  les 
Matelots  qui  dormoient  deflus.    Les  plus  heureux,  c'efl-à-dire,  ceux  qui 

paiTè- 

(»)  HcTïcra  fc  Vk  de  Colomb,  ibidtm. 


'           .*■'•■    's      '".'.' 

'            .                 '              .V- 

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1'    '■■  , .'  •• 

IUrT.'IHI.I'.MI 

CiM.oivi.  .    '.■'''■ 

IV  Vov«rA    • 

1503. 

lU'iibioini.   ■• 

1       "     * 
•  '■   ■■ 

Plufirur» 
Prlfonnicrii 
s'cchuppt-nt 
(la  Vaiiicnude 
l'Amiral. 


■*  •; 


128 


PREMIERS      VOYAGES 


Christophe 
& 

Barthelkmi 

CoLOMn. 
\V.  Vcjyage. 

1503- 

Fin  clcfclpc- 

ICO  des  autres. 


d'LinCuUlIjn. 


Eir.I^aiTns 
lie  l'Ainiial 
poiif  fauvcr 
ion  I  itTC. 


La  Colonie 
eil  abandon 

née. 

Retour  de 
J'Aniival&de 
T)oni  Barthc- 
L'ini. 

Ides  aux- 
(jucilcs  ils 
donnent  des 
noms 

Las  Barbas, 
de.niis,  S. 
Blaife. 

Las  Tortu- 
«;as,  depuis, 
los  Caynia- 
nés. 


pairèrent  les  premiers,  fe  jcttèrent  aiifTi-tôt-dans  la  Mer.  Mais,  le  bruit 
ayant  attire  d'aqtres  Matelots,  qui  fermèrent  auiritùt  l'écoutille,  ceux  qui 
fe  trouvèrent  enfermés  ne  confukèrent  plus  que  leur  dcfefpoir,  &  fc  pen- 
dirent aux  cordages.  Le  lenden:ain,  en  les  vifitant,  on  les  trouva  tous 
étrangles  ,  foie  que  fucceflivement  ils  fe  fuflent  rendus  ce  funefte  oifice  juf- 
qu'au  dernier,  ou  que  l'emportement  de  leur  rage  leur  eût  f^iit  vaincre  les 
difticultés;  car  ils  avoient  les  pieds,  &  même  les  genoux,  fur  le  fond  du 
Navire,  parmi  le  lell,  qui  ne  leur  avoit  pas  laifle  allez  d'efpace  pour  le 
pendre  dans  toute  leur  étendue  (.v). 

Au  milieu  de  ces  horreurs ,  &  fans  autre  refTource  que  les  cribles ,  qui 
tcnoient  encore  aux  ancres,  quelques  Matelots  offrirent,  à  l'Amiral,  de  fe 
rendre  au  rivage,  quoiqu'on  en  iùc  éloigné  de  plus  d'une  lieue,  &  que, 
depuis  plufieurs  jours,  on  eut  tout  à  craindre  de  la  fureur  des  venus.  Mais 
ils  étoient  encouragés  par  l'exemple  des  Indiens,  qui  n'avoient  pas  redou- 
té le  danger,  pour  fauver  leur  vie.  Ils  demandèrent  uniquement  que  la 
feule  Chaloupe,  qui  relloit  aux  trois  VaifTeaux,  &  trop  précieufe  pour  être 
rifquée  témérairement,  les  menât  jufqu'à  l'endroit  où  les  vagues  perdoienc 
un  peu  de  leur  force,  &  d'où  ils  étoient  réfolus  de  palier  le  reîle  de  la 
diilance  à  la  nage.  Cette  ofire  fut  acceptée.  Pierre  Lcdefmay  un  des  Pi- 
lotes, fut  celui  qui  eut  le  courage  de  fe  jetterdans  la  Mer  irritée,  &  qui, 
nageant  tantôt  fur  les  vagîmes,  tantôt  entre-deux  ou  deflbus,  aborda  heu- 
reufement  à  la  Côte.  Après  avoir  vu  l'Adelantade,  &  jugé  par  ^k^s  yeux 
du  miferable  état  de  la  Colonie,  il  retourna  aux  VailTeaux  avec  le  même 
bonheur.  Son  récit  détermina  l'Amiral  à  tout  entreprendre,  pour  fauver 
fon  Frère  &  les  Malheureux  qu'il  avoit  Jbus  fes  ordres.  La  rigueur  du 
tems  ne  cefla  pas  de  s'y  oppofcr  pendant  plufieurs  jours  ;  mais,  enfin,  les 
vents  s'étant  appaifés,  l'Adelantade,  qui  ne  vit  plus  de  péril  qu'à  traverfer 
Je  courant  du  Fleuve,  amarra  fa  Chaloupe  entre  deux  grands  Canots,-  & 
dans  l'efpace  de  deux  jours,  il  fit  tranfporter,  furies  deux  VailTeaux,  fes 
gens  &  tout  ce  qifil  avoit  de  précieux.  Il  ne  refla,  fur  la  rive  du  Fleuve, 
que  le  corps  de  \'q\\  Navire,  dans  un  état  qui  le  rçndoit  inutile,  &  qui  ne 
permetioit  pas  de  le  regretter  (v).  •■ 

Alors,  on  profita  du  premier  vent  pour  remettre  à  la  voile;  &,  remon- 
tant à  l'Ell:,  lans  perdre  de  vue  la  Côte,  on  arriva  dans  peu  de  jours  â 
Porto-Bello.  JSIais  on  fut  contraint  d'y  abandonner  un  des  trois  Vailîeaux, 
qui  faifoit  eau  de  toutes  parts,  &  qu'il  fut  impoffible  de  radouber.  De-là, 
les  deux  autres  paflerent  au-deffus  du  Port  del  Retrette  vers  plufieurs  pe- 
tites liles,  (\ViQ\  Am\\'di\  novnxn-A  las  Barbas ,  &  qui  ont  pris,  depuis,  le  nom 
de  Saint-BlaJfe.  Dix  lieues  plus  loin,  on  réfolut  d'abandonner  le  t  ontinenc, 
&  de  prendre  la  route  du  Nord  pour  retourner  à  l'ille  Efpagnole.  Un  fi 
long  Voyage,  &  tant  de  difgraces,  avoient  rebuté  tous  les  Caflillans.  Il 
ne  leur  reftoit  qu'un  peu  de  bifcuit  rongé  de  vers.  Les  jours  <!k  les  nuits 
étoient  employés  à  faire  jouer  trois  pompes,  qui  ne  fuliifoient  pas  pour 
foula2;er  les  VaifiTeaux.  Ils  abordèrent,  le  i  j  de  Juin,  à  deux  petites  Illes, 
dont  les  bords  étoient  couverts  de  Tortues  ;  ce  qui  leur  fit  donner  le  nom 

de 


(,v)  Ibidem. 


()ij  Ibidem. 


EN      AMERIQUE,  Liv.   I. 


129 


de  las  Tortugas.  On  les  a  nommées,  depuis,  loi  Caymanes.  Elles  font  é- 
ioignées  de  vingt  lieues  à  l'Oueft  de  la  Jamaïque ,  &  de  quarante-cinq  au 
Sud  de  Cuba  ;  avec  l'avantage  d'être  les  feules  fur  toute  la  route  que  l'A- 
miral avoit  fuivie.  De-Ià ,  il  entreprit  d'aller  mouiller  aux  Ifles  de  los  Jar- 
dines, qui  ne  font  qu'à  dix  lieues  de  Cuba;  mais  il  s'éleva  tout -d'un -coup 
un  vent  fi  furieux ,  que  les  deux  Navires,  s'étant  choqués  avec  beaucoup 
de  violence,  furent  confidérablement  endommagés,  &  n'eurent  pas  d'autre 
reflburce  que  d'aborder  à  l'ifle  de  Cuba,  dans  un  Village  nommé  Maxaca, 
où  ils  reçurent  quelques  fecours.  Enfuite,  ayant  voulu  tourner  vers  l'Ef- 
pagnole ,  les  vents  &  les  courans  les  forcèrent  de  relâcher  à  la  Jamaïque. 
Ils  étoient  entr'ouverts,  &  l'eau  montoit  fur  le  tillac,  lorfqu'ils  arrivèrent 
dans  un  Port ,  que  la  joye  de  s'y  voir  en  fureté  fit  nommer  Fuerto-Bueno , 
quoiqu'il  ne  s'y  trouvât  point  d'eau  ni  de  vivres.  On  s'efforça  de  paffer  dans 
un  autre ,  auquel  on  donna  le  nom  de  Santa  -  Gloria  :  mais  à  peine  les  deux 
Vaiffeaux  y  étoient  entrés,  que  ne  pouvant  plus  fe  foutenir,  il  fallut  pren- 
dre le  parti  de  les  faire  échouer.  Dans  cet  état ,  ils  furent  amarrés  enfem- 
ble,  avec  de  bons  cables,  &  par  des  échafaudages,  qui  les  rendoient  im- 
mobiles. Bientôt  ils  furent  remplis  d'eau  jufqu'au  tillac;  &  l'Amiral 
fit  conîlruire  des  Barraques  aux  deux  bouts ,  pour  le  logement  des  Equi- 
pages (z). 

La  plus  preflante  de  fes  néceffités  étoit  les  vivres.  Il  en  obtint,  des  In-- 
fulaires ,  par  l'échange  de  diverfes  marchandifes  de  l'Europe ,  pour  lefquel- 
les  ils  étoient  paffionnés.  Ils  donnoïent  deux  Oyes  pour  une  feuille  de  lai- 
ton ,  deux  de  leurs  Pains  pour  deux  grains  de  verre ,  &  ce  qu'ils  avoient  de 
plus  précieux  pour  des  fonnettes.  L'Ifle  étoit  abondante  en  toutes  fortes  de 
commodités,  &  les  Habitans,  d'un  naturel  fort  humain.  On  obtint  d'eux 
dix  Canots,  pour  fervir  aux  Vaiffeaux  échoués.  L'Amiral,  dans  la  crainte 
de  voir  troubler,  par  la  mauvaife  conduite  de  fes  gens,  une  bonne  intelli- 
gence fi  néceffaire  à  fa  fituation ,  les  retint  dans  leurs  logemens  par  des  or- 
dres fort  févères.  Enfuite,  fe  trouvant  fans  Ouvriers ,  &  ne  voyant  aucu- 
ne apparence  de  pouvoir  rétablir  fes  deux  Vaiffeaux ,  il  prit  la  réfolution  de 
donner  de  fes  nouvelles  au  Gouverneur  de  l'Efpagnole,  &  de  faire  acheter, 
dans  cette  Ifle ,  parCarvajal,  auquel  il  avoit  remis  le  foin  de  fes  affaires, 
un  Bâtiment  tout  équipé,  pour  s'y  tranfporter  avec  les  débris  des  fiens.  Ce 
Voyage  n'étoit  pas  une  entreprife  aifée.  On  ne  comptoit  pas  moins  de 
deux  cens  lieues,  du  lieu  où  l'on  étoit  jufqu'à  la  Capitale  de  l'Ifle  Efpagno- 
le,  du  moins  en  fuivant  les  Côtes  des  deux  llles,-  car  la  traverfe  n'étoit  que 
de  trente  lieues:  mais,  quel  moyen  de  prendre  cette  route,  avec  de  petits 
Canots,  qui  n'avoient  prefque  pas  de  bord,  &  que  la  moindre  vague  étoit 
capable  de  remplir  ou  de  renverfer?  Le  Golfe  n'a  d'ailleurs  qu'une  feule  Kle, 
ou  plutôt  une  Roche,  nommée  Navafa,  à  fept  ou  huit  lieues  de  l'Elpagno- 
le;  &  quoique  vingt-quatre  heures  fuffifent  ordinairement  pour  faire  ce  tra- 
jet de  TEil  à  rOuelt,  les  vents  y  font  quelquefois  employer  plus  d'un  mois 
dans  la  pofition  coniraire,  qui  étoit  celle  desCallillans. 

Cepen- 


Christophe 

& 

rARTIIEIESIt' 

Cor.oMn. 
IV  Voyage. 

1503- 


Ils  font  for- 
cés de  relâ- 
chera la  Ja- 
maïque. 

Puerto- 
Bueno,  & 
Saina-Gloria. 

Trille  état 
de  leurs  Vaif- 
feaux. 


Mefures  & 
Régicniens  de 
l'Amiral,  pour 
fa  fureté. 


Difficulté 
qu'il  tioivei 
donner  de  fes 
nouvelles  à 
l'illeiirpagno. 
le. 


(2)  Herrera,  Liv.  6.  Cbap.  2.  &  3.  Vie  de  Colomb.  Cbap.  39, 
Xrni.  Part.  R 


130 


PREMIERS      VOYAGES 


Christophe 

& 
Barthklemi 

Colomb. 
IV.  Voyage. 

1503. 
Hardieflcdc- 
deux  Cailil 
lans  qui  l'en- 
treprennenc. 
Lettre  de 
l'Amiral  aux 
Rois  Catholi- 
ques. 

Navigation 
fîngulièredei 
deux  Avantu- 
riers  Caflii- 
lai)s. 


Cependant,  il  fe  trouva,  parmi  eux,  deux  Horames  aflez  hardis  pour 
fe  charger  du  fuccès  d'une  fi  téméraire  entreprife;  l'un  nommé  Diego  Mendez^ 
qui  faifoic  lOffice  de  Notaire  fur  l'Efcadre;  l'autre,  Génois,  qui  Te  nom- 
moit  Fiefchif  &  que  fes  grandes  qualités  rendoient  cher  à  l'Amiral.  Ils  pri- 
rent chacun,  dans  leur  Canot,  fix  Caflillans  &  dix  Indiens,  avec  tous  les  vi- 
vres qu'ils  y  purent  faire  entrer.  Mendez  eut  ordre  de  prendre  la  première 
occafion  pour  palier  en  Efpagne;  &Fiefchi,  celui  de  revenir  promptement, 
avec  le  VaiiTeau  qu'on  efpéroit  de  Carvajal.  Ils  reçurent  tous  deux  des  Let- 
tres de  l'Amiral;  le  premier,  pour  Leurs  Majellés  Catholiques  (aj;  &  l'au- 
tre, pourOvando,  qui  n'avoit  encore  donn  uucun  fujet ,  aux  CoIombs,de 
fe  défier  de  fes  difpolitions. 

Les  deux  Canots  fe  mirent  en  Mer  le  7  de  Juillet.  Mendez^  Fiefchi ,  & 
les  autres  Caflillans,  n'avoient  que  leurs  épées,  &  des  boucliers.  Avec  fi 
peu  d'envie  d'attaquer  &  de  nuire,  ces  armes  fuffifoient  pour  leur  défenfe. 
Les  Indiens  furent  chargés  du  foin  des  vivres ,  &  de  l'eau  qu'ils  avoient 
dans  des  Calebafles;  &,  pour  ménager  une  provifion  fiprécieufe,  on  leur 
fit  promettre,  fur  leur  vie,  de  fuivre  les  loix  qu'on  leur  avoit  impofées. 
L'Adelantadc  conduilit  fes  deux  Canots  jufqu'à  la  Pointe  de  l'Ifle,  dans  la 
crainte  qu'ils  ne  fuflent  arrêtés  par  les  Infulaires  de  cette  partie,  avec  la- 
quelle on  n'avoit  encore  fait  aucuns  liaifon.  Là,  furie  foir,  après  avoir 
imploré  ardemment  le  fecours  du  Ciel,  ils  commencèrent  à  prendre  leur 
route  vers  le  milieu  du  Golfe.  Les  Indiens,  ramoient  incefiamment  ;  & 
Jorfqu'ils  étoient  fatigués  de  la  chaleur  ou  du  travail,  ils  fe  jettoient  un  mo- 
ment dans  la  Mer,  d'où  ils  fortoient  avec  un  renouvellement  de  fraîcheur 

& 


(a)  Elles  étoient  fort  touchantes.  Her- 
Tcra  nous  en  a  confervé  la  llibllance.  „  A- 
près  y  avoir  rendu  compte  de  fon  Voyage , 
des  malheurs  &  des  périls  qu'il  y  avoit 
efluyés,  des  Terres  qu'il  avoit  découver- 
tes, &  des  riches  Mines  de  Veragua, 
il  faifoit  un  dénombrement  de  fes  fervices 
&de  fes  travaux,  depuis  qu'il  s'étoit  atta- 
ché à  l'Efpagne.  11  y  peignoit  vivement  fa 
prifon  &  celle  de  fes  Frères ,  la  tache  qu'el- 
le avoit  imprimée  à  Thonneur  de  fa  Famil- 
le, &  la  perte  du  fruit  de  toutes  fes  pei- 
nes. Jfimais  perfonne  n'avoit  acquis  de 
plus  jufles  titres  à  la  faveur  de  les  Mnî- 
tres,  &  jamais  on  n'avoit  vu  de  Serviteur 
plus  maltraité,  11  leur  demandoit  de  le 
rétablir  dan?  un  état  qu'il  n  avoit  pas  mé- 
rité de  perdre  ,  de  lui  accoidcr  quelque 
réparation  pour  les  torts  qu'il  avoit  reçus, 
&  fur-tout  défaire  punir  ceux  qui  l'avoient 
traité  avec  tant  d'injullice.  Il  ir.vitoit  le 
Ciel  &  la  Terre  à  pleurer  fes  difjraces. 
Je  n'ai  eu  jufqu'à  préfent,  difoit-ii, 
que  des  fujets  de  larmes,  &  je  n'ai  pas 
cclfé  d'en  répandre  (^ue  le  Ciel  me  falfe 
mifiricorde,  &.  que  la  Terre  pleure  puur 
moi!  Que  ceux  qui  ont  de  la. chante,  de 


la  bonne  foi  &  de  la  juflice,  mêlent  leur» 
larmes  avec  les  mennes.'  11  faifoit  obfer- 
ver,  au  Roi  &  à  la  Reine,  qu'après  vingt 
ans  de  fervicc  ,  après  des  fatigues  fans 
exemple,  il  ne  favoit  pas  s'il  poffédoit  un 
fou;  qu'il  n'avoit  pas  une  Maifcn  à  lui;  & 
que,  dans  toute  l'étendue  de  leurs  Etats, 
fa  feule  relTource,  pour  la  nourriture  &  le 
fommeil ,  c'eft-à-dire  pour  les  befoins  les 
,.  plus  coiiiunins  delà  Nature,  étoit  les  Hô- 
„  tellerics  publiques.  11  parloit  avec  beau- 
,,  coup  de  reTpefl;  de  la  Religion,  &  de  la 
,,  néccffité  où  il  feroit  bientôt  de  recevoir 
„  les  fieours  de  l'Eglife,  accablé,  comme 
,,  il  étoit ,  d'années  &  de  maladies.  11  pro- 
„  tcftoit  que,  dans  cette  langueur,  ce  n'é- 
„  toit  pas  le  defir  de  la  fortune  &  de  la  gloire 
„  qui  lui  avoit  fait  entreprendre  fon  dernier 
,,  Voyage ,  mais  le  pur  zèle  &  la  fincère  in- 
,,  tention  de  firvir  Leurs  Majeflés  jufqu'au 
„  dernier  tpuil'emci't  de  fes  i'orces  ;  après 
,,  quoi,  s'il  lui  en  refloit  affez  pour  retour- 
„  ner  en  Cnflille,  il  leur  demandoit  d'avan- 
„  ce  la  perniillîon  de  faire  le  l'élerinage  de 
,,  Rome,  &  de  vifîter  d'autres  lieux  de  pie- 
„  té",  ilerrera,  ibidem. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I. 


131 


&  de  force.  A  l'arrivée  de  la  nuit ,  on  avoit  déjà  perdu  de  vue  la  Jamaïque. 
Lt  s  Caftillans  fe  mêlèrent  alors  avec  leurs  Rameurs,  non-feulement  pour 
les  foulager ,  mais  dans  la  crainte  que ,  fe  rebutant  d'une  fatigue  fi  conti- 
nuelle, ils  ne  fuflent  capables  de  quelque  funefle  entreprife.  Le  jour  fui- 
vant,  ils  fe  trouvèrent  tous  fi  las,  que  les  deux  Capitaines  fe  virent  obligés 
de  mettre  aufli  la  main  à  la  rame.  Le  plus  terrible  obftacle  étoit  un  Soleil 
brûlant,  à  l'aftion  duquel  on  ne  pouvoit  rien  oppofer.  Il  en  fit  bientôt  naî- 
tre  un  autre.  Les  Indiens,  ne  réliftant  plus  au  feu,  dont  ils  étoient  confu- 
més,  oublièrent  la  loi  qui  menaçoit  leur  vie,  ôc  fe  hâtèrent  trop  de  vuider 
les  Calebaiîes.  On  fe  vit  dans  la  néceflîté  de  fermer  les  yeux  fur  un  defor- 
dre,  dont  les  fuites  ne  laiflbient  pas  d'être  effrayantes.  Avant  midi,  les 
Caftillans  furent  réduits  à  leur  petite  provifion  de  liqueurs ,  avec  Tobligation 
même  d'en  diftribuer  une  partie  aux  Indiens,  pour  les  foutenir  jufqu'à  la 
fraîcheur  du  loir.  Le  fécond  jour  apporta  d'autres  inquiétudes,  parce  qu'a- 
près de  fi  longs  tourmens ,  on  ne  découvroit  point  la  petite  Ifle  de  Navafa , 
où  l'on  avoit  efperé  de  trouver  du  moins  de  l'eau  fraîche ,  &  qu'on  craignit 
d'avoir  manqué  la  route.  On  avoit  déjà  jette  dans  les  flots  un  Indien  mort 
de  foif.  D'autres  étoient  étendus  fans  connoifliance ,  &  les  plus  robuftes 
s'attendoient  au  même  fort.  Les  liqueurs  mêmes  étant  épuifées,  leur  uni- 
que rafraîchiflement  étoit  de  prendre  dans  la  bouche  un  peu  d'eau  de  Mer , 
qui  ne  faifoit  qu'augmenter  leur  altération.  Enfin,  la  lumière  de  la  Lune,  qui 
parut  à  demi  couverte  en  fe  levant ,  leur  fit  juger  que  c'étoit  flfle  qui  cau- 
foit  cette  efpèce  d'Eclipfe.  Ils  y  arrivèrent  heureufement  à  la  pointe  du 
jour.  Elle  n'a  pas  plus  d'une  demie  lieue  de  circuit  ;  &  loin  de  contenir 
de  l'eau  douce,  elle  n'eft  compofée  que  de  Rochers  fort  pointus.  Cepen- 
dant, il  s'y  trouva  des  reftes  d'eau  de  pluye,  dans  diverfes  fentes.  Mais 
ce  fecours  devint  funefte  aux  Indiens.  Ils  en  burent  avec  tant  d'avidité , 
que  plufieurs  en  moururent  fur  le  champ ,  &  d'autres  tombèrent  dans  de 
grandes  maladies.  L'expérience  ayant  appris,  aux  Caftillans,  à  fe  modé- 
rer dans  ces  dangereufes  circonftances ,  ils  prirent  d'abord  quelques  Poiifons, 
qui  fe  préfentèrent  fur  le  rivage,  pour  appaifer,  par  degrés,  l'excès  de 
leur  foif  &  de  leur  faim.  U'.i  jour  de  repos,  dans  l'ille,  rendit  un  peu  de 
vigueur  à  ceux  qui  avoient  été  capables  de  cette  modération.  Comme  ils 
découvroient  déjà  le  Cap  de  l'ille  Efpagnole,  que  l'Amiral  avoit  nommé 
Saint- Michel  y  &  qui  a  pris,  dans  Ja  fuite,  le  nom  de  Tiburon^  il  leur  fut 
aifé  d'y  arriver  avant  la  fin  de  la  nuit  {b).  ]\s  y  apprirent  que  le  Gouver- 
neur Général  étoit  dans  la  Province  de  Xaragua..  Mendez  rentra  dans  fon 
Canot,  pour  fe  hâter  de  prendre  cette  route,  en  fuivant  la  Côte,  pendant 
que  Fiefchi  fe  rendit ,  avec  la  même  diligence,  à  San-Domingo.  Mais  ils 
furent  long-tems  arrêtés  tous  deux,  par  les  fuites  d'un  événement,  qu'on 
ne  peut  fe  difpenfer  de  rapporter  après  les  Ecrivains  Efpagnols,  quoiqu'il 
fafi'e  peu  d'honneur  à  leur  Nation. 

Il  fembloit  alors,  fuivant  la  réflexion  de  l'Hiftorien  de  cette  Ifle,  que 
la  qualité  de  Gouverneur  fut  contagieufe,  &  qu'elle  transformât  les  Hom- 
mes du  naturel  le  plus  doux  &  le  plus  modéré,  en  Tyrans  fufcités  pour  la 

deftruc- 


CHRI«TOPnB 

& 

Barthelemi 

COI.OMD. 

IV.  Voyage. 
^503. 


Ils  arrivent 
à  ride  Efpa- 
gnole. 


Barbare  en- 
treprife d'O- 
vando. 


(/;)  Herrera,  Liv,  6.  Cbap,  3. 


R  2 


Christophe 
& 

Barihclemi 

COI.OMI. 

IV.  Voyage. 
J[  5  o  3. 


Comment 
ilfedéfuit  Je 
la  Princellc 
AnacoLina,  & 
de  tous  les 
Seigneurs  du 
X;UMgu;i. 


r'ruclle  pcr- 
f  du  Gou- 
Vcincur. 


132       PREMIERS      VOYAGES 

defl:ru6lion  des  Indiens.    Ovando,  donc  on  loue  d'ailleurs  la  fagefTe  &  la 
piété ,  ne  fe  vit  pas  plutôt  en  poUeflion  du  pouvoir  fuprême ,  qu'entre  les 
mefures,  qu'il  jugea  néceflaires  pour  confénir  ces  Malheureux  dans  la  fou- 
milîion ,  il  prit  la  réfolution  de  dépeupler  une  de  leurs  plus  grandes  Provin- 
ces.    On  n'a  jamais  bien  expliqué  quels  furent  particulièrement  Tes  motifs; 
mais,  par  un  incroyable  oubli  de  Ton  propre  caraftère,  il  ne  fit  pas  difficul- 
té d'y  employer  également  la  perfidie  &  la  cruauté.     On  a  vu  que  depuis 
le  foulevement  de  l'Alcalde  Major,  Roldan  Ximenés,  il  étoit  relié  ,  dans 
le  Xaragua,  un  aflez  grand  nombre  de*  fes  Complices,  qui  n'avoient  pas 
celle  d'y  vivre  avec  beaucoup  de  licence ,  &  fur  lefquels  on  croyoit  avoir 
beaucoup  gagné  en  les  empêchant  de  caufer  de  nouveaux  troubles.  Le  Ca- 
cique Bohechio  étoit  mort ,  depuis  peu ,  fans  enfans  ;  &  fa  Sœur  Anacoa- 
na  avoit  fuccedé  à  fes  Etats.  Cette  PrincelTe,  par  le  goût  qu'elle  avoit  tou- 
jours eu  pour  les  Callillans,  s'étoit  d'abord  appliquée  à  bien  traiter  ceux 
qu'elle  y  avoit  trouvés  établis;  mais  elle  n'en  avoit  été  payée  que  d'ingra- 
titude,  <5c  peut-être  la  haine  avoit-elle  fuccedé  à  fon  affection.     Ils  fe  le 
perfuadèrent  du  moins,  parce  qu'ils  dévoient  s'y  attendre;  &,  départ  & 
d'autre,  ce  changement  produifit  quelques  hollilités.    Quoiqu'elles  euflenc 
peu  duré,  les  Caftiilans  mandèrent,  au  Gouverneur  Général,  que  la  Reine 
de  Xaragua  méditoit  quelque  deflein,  &  qu'il  étoit  important  de  la  préve- 
nir.   Ovando  connoiflbit  lecaraélère  de  ceux  qui  lui  donnoient  cet  avis.  Ce- 
pendant ,  il  prit  ce  prétexte  pour  fe  rendre  dans  la  Province",  à  la  tête  de 
trois  cens  Hommes  de  pied  &  foixante  &  dix  Chevaux ,  après  avoir  publié 
que  le  fujet  de  fon  Voyage  étoit  de  recevoir  le  Tribut  que  la  Reine  devoit 
à  la  Couronne  de  Cafl:ille,&  de  voir  une  Princefle,qui  s'étoit  déclarée, dans 
tous  les  t'^'ms ,  en  faveur  de  la  Nation  Efpagnole. 

Anacoana  reçut  cette  nouvelle ,  avec  de  grandes  apparences  de  joye.  Soie 
qu'elle  n'eût  rien  à  fe  reprocher,  ou  qu'elle  fe  crût  fûre  du  fecret,  elle  ne 
parut  occupée  qu'à  faire  au  Gouverneur  une  réception  digne  d'elle  &  de  lui- 
Elle  aflemblâ  tous  fes  Vaflaux,  pour  ^rolîir  fa  Cour,  <&  donner  une  haute 
idée  de  fa  puiflance.  Les  Ecrivains  Lfpagnols  en  comptent  jufqu'à  trois 
cens,  auxquels  ils  donnent  le  titre  de  Caciques.  A  l'approche  du  Gouver- 
neur, elle  fe  mit  en  marche  pour  aller  au-devant  de  lui,  accompagnée  de 
cette  Nobleffe  (S:  d'un  Peuple  innombrable,  tous  danfant  à  la  manière  du 
Pays ,  &  faifant  retentir  l'air  de  leurs  chants.  La  rencontre  le  fit  aflez  pro- 
che de  la  Ville  de  Xaragua ,  &  l'on  fe  donna  mutuellement  des  marques  de 
confiance  &  d'amitié.  Après  les  premiers  complimens,  Ovando  fut  con- 
duit, parmi  des  acclamations  continuelles,  au  Palais  de  la  Reine,  où  il 
trouva,  dans  une  Salle  très  fpacieufe,  un  Feflin  qui  l'attendoit.  Tous  fes 
gens  furent  traités  avec  profulion ,  &  le  repas  fut  fuivi  de  danfes  &  de  jeux. 
Cette  Fête  dura  plulieurs  jours,  avec  autant  de  variété  que  de  magnificence; 
&  les  Callillans  ne  purent  voir,  fans  admiration,  le  bon  goût  qui  règnoic 
dans  une  Cour  barbare. 

Ovando  propofa,  de  fon  côté,  à  la  Reine  de  Xaragua,  une  Fête  à  la  ma- 
nière d'Efpagne,  pour  le  Dimanche  fuivant,  &  lui  fit  entendre  que,  pour 
y  puroître  avec  plus  de  grandeur,  elle  y  devoit  avoir  toute  fa  Noblelfe  au- 
tour d'elle.     Cet  avis  étant  plus  capable  de  tlatier  fon  ambition  que  de  lui 

infpi- 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I. 


^33 


infpirer  de  la  défiance,  elle  retint  Tes  trois  cens  Vaflaiix  ,  &  leur  donna  le 
même  jour  un  grand  ùîner,  à  la  vue  d'un  Peuple  infini,  que  la  curiolîté 
du  fpeftacle  n'avoit  pas  manqué  de  raflembler.  Toute  la  Cour  Indienne  fe 
trouva  réunie  dans  une  Salle  fpacieufe,  dont  le  toît  étoit  foutenu  d'un  grand 
nombre  de  piliers ,  &  bordoic  la  Place,  qui  devoit  fervir  de  Théâtre  à  la 
Fête.  Les  Efpagnols,  après  s'être  un  peu  fait  attendre,  parurent  enfin 
en  ordre  de  bataille.  L'Infanterie,  qui  marchoit  la  première,  occupa  fans 
affe6lation  toutes  les  avenues  de  la  Place.  La  Cavalerie  vint  enfuite,  avec 
le  Gouverneur  Général  à  fa  tête  ,  &  s'avança  jufqu'à  la  Salle  du  Fellin, 
qu'elle  invertit.  Tous  les  Cavaliers  Caftillans  mirent  alors  le  fabre  à  la 
main.  Ce  fpeftacle  fit  frémir  la  Reine  &  tous  fes  Convives.  Mais ,  fans 
leur  laifTer  le  tems  de  fe  reconnoître ,  Ovando  porta  la  main  à  fa  Croix 
d* Alcantara  ;  fignal ,  dont  il  étoit  convenu  avec  fes  Troupes.  Aulîi  -  tôt 
l'Infanterie  fit  main-baflTe  fur  le  Peuple,  dont  la  Place  étoit  remplie;  tandis 
que  les  Cavaliers ,  mettant  pied  à  terre ,  entrèrent  brufquement  dans  la 
Salle.  Les  Caciques  furent  attachés  aux  colomncs  ;  &  ,  dans  ce  moment , 
fi  l'on  en  croit  Oviedo  (c) ,  ils  avouèrent  le  crime  de  révolte,  dont  lesCaf- 
tillans  de  Xaragua  les  avoient  accufés.  Enfuite,  fans  autre  forme  de  Jufti- 
ce,  on  mit  le  feu  à  la  Salle,  &  tous  ces  Infortunés  y  furent  bientôt  réduits 
en  cendre.  La  Reine,  deflinée  à  des  traitemens  plus  honteux,  fut  char- 
gée de  chaînes,  &  préfentée  au  Gouverneur,  qui  la  fit  conduire,  dans 
cet  état,  à  San-Domingo  ,  où  fon  Procès  fut  inftruit  dans  les  formes  d'Ef- 
pagne.  Elle  fut  déclarée  convaincue  d'avoir  confpiré  contre  les  Efpagnols, 
&  condamnée  au  plus  ignominieux  fupplice  (  d).  On  fit  périr,  dans  la  fa- 
tale journée  de  Xaragua ,  un  nombre  infini  d'Indiens ,  fans  diftinclion  d'â- 
ge &  de  fexe.  Quelques  Cavaliers  ayant  fauve,  par  un  mélange  d'intérêt 
&  de  pitié,  plufieurs  jeunes  Enfans ,  qu'ils  menoient  en  croupe,  &  qu'ils 
réfervoient  pour  l'efclavage ,  d'autres  venoient  percer  derrière  eux  ces  pe- 
tits Miferables ,  ou  leur  coupoient  lesjambes  &  les  abandonnoient  dans  cet 
état.  De  ceux  qui  échappèrent  à  la  fureur  du  Soldat,  quelques-uns  fe  jet- 
tèrent  dans  des  Canots,  que  le  hafard  leur  fit  trouver  fur  le  bord  de  la  Mer, 
&  paflTèrent  dans  une  Ifle  nommée  Guanabo  (<?),  à  huit  lieues  de  l'Efpagno- 
le  ;  mais  ils  y  furent  pourfuivis ,  &  s'ils  obtinrent  grâce  de  la  vie  ,  ce  fut 
pour  tomber  dans  une  fervitude  plus  dure  que  la  mort.  Un  Parent  de  la 
Reine,  nommé  Guarocuya^  fe  cantonna  dans  les  Montagnes  de  BanucOy 
les  plus  hautes  &  les  plus  inaccelîibles  de  Tlfle,  qui  s'étendent,  par  l'in- 
térieur des  Terres,  depuis  le  Xaragua  jufqu'à  la  Côte  du  Sud,  &  dont  les 
Habitans  étoient  d'une  extrême  férocité.  Plufieurs  pénétrèrent  dans  celles 
qui  forment  le  milieu  de  l'Ille.    Ovando  fit  marcher  des  Troupes  vers  ces 

deux 


CflUtSTOPHE 
& 

Barthklpmi 

Cf'T.i'MQ. 

IV.  Voyage. 
1503- 


(c)  Herrcra  ne  cefTe  point  de  répéter  que 
les  indices  &  les  p-euvcs,  comme  l'accufa- 
tion ,  ne  venoient  que  des  Complices  de  Rol- 
dan.  Il  traite  l'aftion  de  barbare,  plus  bar- 
bare, dit- il,  que  les  Barbares  mêmes.  Ce- 
pendant il  ne  la  donne  pus  comme  un  def- 
fein  formé  contre  tous  les  Caciques.  Il  racon- 
te qu'Anacoaiia  ,   dont  il  pcnfoit  peut-être 


uniquement  à  fe  faifir ,  lui  dit  que  les  Caci- 
ques feroient  bien  ailes  de  voir  les  Jeux  El- 
pagnols,  &  quelà-dclïïis  il  lui  dit  de  les  af- 
fembler  tous.  Liv.  6.  Cbap.  4. 

(rf)  Elle  fut  pendue.  Herreia  ,  Liv.  6. 
Chap.  4. 

(e)  Que  les  François  nommèrent  la  Cp- 
nava. 

I^  .3 


Tou^  les  Sei- 
gneurs duXa- 
raj^ua  font 
brûlés  vifs. 


La  Reine  efl 
pendue. 


Autres  cruau- 
tés 


Le  rcde  des 
Habitons  a- 
bandonne  le 
Pays. 


134 


PREMIERS      VOYAGES 


CilRISTOriIE 

& 

Baktiim.kmi 

CciLOM.J. 

IV.  Voyage. 

PlLilkiirs 
Villes  fondées 
dans  Ullo  El- 
l'agiiolc. 


Armoiries 
accordées 
pour  toutes 
ces  Places. 

Ovando  pa- 
roit  s'intéref 
fer  peu  à  la  lî- 
tuacion  de 
iAmiral. 


deux  Retraites.  Les  Indiens  s'y  défendirent  quelque  tems:  mais  Guaro- 
cuya,  Haniguayiyay  &  leurs  autrss  Chefs  ,  ayant  été  pris  &  condamnés  à  la 
mort ,  le  relie  fût  fi  généralement  diflipé ,  que  dans  refpace  de  fix  mois , 
on  ne  connut  plus  un  Infuiaire  qui  ne  fût  foumis  au  joug  Efpagnoi  (/). 

Ce  fut  après  cette  fanglante  guerre,  qu'Ovando,  tournant  tous  Tes  foins 
à  l'affermiltemeuc  de  la  Colonie,  entreprit  de  fonder  des  Villes  dans  les 
lieux  dont  il  goûcoit  la  fituation.  Il  obligea  les  Caflillans,  qui  reftoient  dans 
leXaragua,  de  fe  réunir  pour  en  former  une,  qui  fut  nommée  Santa  Ma- 
ria de  la  l'aéra  Paz  ,  aflez  proche  d'un  fameux  Lac  de  cette  Province ,  à 
deux  lieues  de  la  Mer,  donc  elle  fut  encore  approchée  dans  la  fuite  ,  fous 
le  nom  de  Santa  Maria  del Puerto:  mais  le  nom  à^Taguana^  que  les  Infulai- 
res  donnoient  à  ce  lieu,  ne  laifla  pas  de  fe  conferver  dans  l'ufage  vulgaire, 
&  les  François  en  ont  fait  celui  de  Leogane  (g).  A  huit  lieues  de  la  Capita- 
le, au  Nord,  Ovando  fonda  la  Ville  de  Buenaventura ;  &  dans  le  milieu  de 
rifle,  encre  les  deux  Rivières  deTaqui&  deNayoOy  il  fonda  celle  de  San  Juan 
delà  Maguana.  A  vingt-quatre  lieues  de  San-Domingo,  un  Commandeur 
de  Galice,  dont  les  Hilloriens  n'ont  pas  confervé  le  nom ,  avoit  commen- 
cé une  Ilabicacion  proche  du  Porc  dAzua^  fur  les  fondemens  d'une  Bour- 
gade de  Sauvages:  on  en  fit  une  Ville,  qui  fuc  nommée  Azua  de  CompoJteU 
la.  Celle  du  Porc  d^Taquimo^  ou  du  Brelil,  &  de  Salvatiera  de  la  Savana^ 
s'élevèrenc  avec  le  même  fuccès.  Dans  le  même  tems,  Rodrigue  de  Me/- 
cia ,  qui  avoit  beaucoup  contribué  à  la  rédu6lion  des  Infulaires ,  fut  char- 
gé d'en  bâtir  trois  ;  l'une  à  Puerto  Real ,  une  autre  à  feize  lieues  de  San- 
Domingo  ,  vers  le  Nord ,  fous  le  nom  dV/  Cotuy  ;  &  la  troifième  fur  la  mê- 
me Côte  Hu  Nord,  dans  un  Canton,  que  les  Naturels  nommoÏQnt  Guahaba. 
Elle  fuc  appellée  Larez  de  Guababa ,  du  nom  de  l'ancienne  Commanderie 
d'Ovando.  Ainfi  ,  dès  l'année  1504,  on  comptoit,  dans  l'Ifle  Efpagnole, 
quinze  Villes ,  ou  Bourgades ,  toutes  peuplées  de  Caflillans  ;  outre  deux 
Fortereffes  ,  dans  la  Province  de  Higuey ,  à  la  place  defquelles  on  bâtit  en- 
core deux  nouvelles  Villes,  au  commencement  de  l'année  fuivante.  Ifa- 
belle,  &  plufieurs  Forterefles  ,  qui  avoient  d'abord  écé  conllruices  pour 
s'aflurer  des  Mines  de  Cibao  &  de  Saint  -  Chriftophe ,  furenc  entièrement 
abandonnées.  Le  Gouverneur  Général  obtint  de  la  Cour,  avant  la  fin  de 
fon  adminillration ,  des  Armoiries  pour  toutes  ces  Places ,  &  pour  l'Ifle  en 
général  (/>). 

Quand  cette  variété  d'entreprifes  &  de  foins  n'auroit  pas  été  capable  de 
dimmuer  l'intérêt  qu'il  dévoie  prendre  à  la  trifle  ficuacion  des  Cafl;illans  de 

la 


(/)  Malgré  les  elTorts  dOvandopour  jiif- 
tifier  fa  conduite  ,  les  Rois  Catholiques  en 
furent  cxtrê.nement  irrités;  &  l'on  entendit 
dire  à  Dom  Alvare  de  Portugal,  premier 
Comte  de  Gelbes ,  qui  étoit  alors  Préfidcnt 
du  Confeil  Royal  de  Juftice,  7o  le  haro  to- 
mar  una  rejidencia ,  quai  nunca  fue  tomada  ; 
c'eft  à-dirc,  „  Je  lui  ferai  rendre  un  comp- 
„  te  de  fes  aciions  qui  n'aura  jamais  eu  d'ex- 
„  emple".  Herrera,  ibidem.  Cependant,  la 


Reine  étant  morte  peu  après ,  Ovando  fçut 
fe  rendre  néceflaire,  &  ne  fut  rappelle  qu'en 
1508. 
(g")  Hiftoire  de  Saint-Domingue,    ubi 

(b)  Elles  fe  trouvent  exaftement  blazon- 
nées  dans  Herrera,  Liv.  7.  Chap.  2.  Celles 
de  rillc  étoient  un  Ecu  de  gueules  à  l;i  ban- 
de d'argent ,  accompagnée  de  deux  têtes  de 
Dragon  d'or ,  &  pour  orle ,  Caftille  &  Léon. 


toic 

Lfpi 
lutir 
accc 


EN      AMERIQUE,  Liv.   I. 


135 


la  Jamaïque,  il  avoit  un  autre  prétexte  pour  y  paroître  moins  fenfible;  c'é- 
toic  la  crainte  que  les  Envoyés  de  rAmiral  ne  s'entendi fient  avec  lui  pour 
grolîir  Tes  infuruines,  &  pour  lui  ouvrir,  par  cette  feinte,  l'entrée  de  Tlfle 
Efpagnoîe.  Aulîi  retint- il  long-tems  Mendez,  fans  prendre  aucune  réfo- 
lution  ;  &  ce  ne  fut  qu'après  avoir  été  fatigué  par  fes  inftances  ,  qu'il  lui 
accorda  la  permiflion  de  fc  rendre  à  la  Capitale.  Mendez  y  acheta  un  Na- 
vire; &  fuivant  les  ordres  qu'ils  avoient  reçus  en  cogimun  ,  Fiefchi  fe 
chargea  de  le  conduire  à  la  Jamaïque.  Mais  on  lui  fit  naître  des  difficul- 
tés, qui  retardèrent  encore  fon  départ;  &,  dans  l'intervalle,  Ovando  fie 
partir  fecrettement  Diego  d'Efcobar  ,  avec  une  Barque,  pour  aller  prendre 
des  informations  plus  certaines  fur  l'état  de  l'Amiral  &  de  fon  Efcadre. 

On  peut  s'imaginer  à  quelle  extrémité  les  Colombs  &  leurs  Gens  étoient 
réduits  ,  par  le  délai  du  fecours  qu'ils  attendoient  depuis  plus  de  fix  mois. 
La  mauvaife  qualité  des  nourritures  &  les  fatigues  d'une  fi  rude  navigation 
avoient  déjà  caufé  parmi  eux  un  grand  nombre  de  maladies.  S'ils  avoient 
reçu  quelque  foulagement  de  l'humanité  des  Indiens  de  la  Jamaïque  ,  il  ne 
leur  avoit  pas  ôté  la  crainte  de  fe  voir  abandonnés  dans  une  llle  fauvage , 
&  condamnés  à  ne  revoir  jamais  leur  Patrie.  Cette  idée ,  qui  n'avoit  agi 
que  foiblement  fur  les  Equipages ,  tandis  qu'ils  avaient  efperé  quelque  cho- 
^  du  Voyage  de  Mendez  &  de  Fiefchi,  produifit  des  mouvemens  propor- 
tionnés à  leurs  allarmes ,  lorfqu'ils  eurent  commencé  à  perdre  cette  efpéran- 
ce.  Ils  foupçonnèrent  l'Amiral  de  n'ôfer  retourner  à  l'Ille  Efpagnoîe ,  dont 
on  lui  avoit  refufé  l'entrée;  de  n'avoir  envoyé  Mendez  &  Fiefchi  que  pour 
faire  fa  paix  à  la  Cour,  où  l'on  ne  vouloit  plus  entendre  parler  de  lui;  & 
de  s'embarrafier  fi  peu  du  fort  de  tous  fes  Gens,  qu'il  n'avoit  peutécre  fait 
échouer  fes  Navires ,  que  pour  faire  fervir  cet  accident  au  rétabliflement 
de  fa  fortune.  Ils  en  conclurent  qu'une  jufle  prudence  obligeoit  chacun  de 
penfer  à  foi ,  &  de  ne  pas  attendre  que  Je  mal  fût  fans  remède.  Les  plus 
violens  ajoutèrent,  qu'Ovando,  qui  n'étoit  pas  bien  avec  les  Colombs,  ne 
feroit  un  crime  à  perfonne  de  les  avoir  quittés  ;  que  le  Miniftre  des  Indes , 
leur  Ennemi,  n'en  recevroit  pas  plus  mal  ceux  qu'il  verroit  arriver  fans  eux; 
&  que  la  Cour,  perfuadée  enfin  que  perfonne  ne  pouvoit  vivre  avec  ces 
Etrangers  ,  prendroit  une  fois  le  parti  d'en  délivrer  l'Efpagne  (i). 

Ces  difcûurs,  qui  avoient  d'abord  été  fecrets,  fe  communiquèrent  avec 
tant  de  chaleur ,  que  les  Mécontens  ,  ne  gardant  plus  de  mefures,  s'aflem- 
blèrent,  le  2  de  Janvier  1504,  &  prirent  les  armes,  fous  la  conduite  des 
Porras'j  deux  Frères,  dont  l'un  avoit  commandé  un  des  quatre  Vaifleaux 
de  fEfcadre,  &  l'autre  étoit  Tréforier  Militaire.  L'Amiral  étoit  retenu 
au  lit  par  la  goûte.  L'aîné  des  Porras  vint  le  trouver ,  &  lui  dit  infolem- 
ment,  qu'il  voyoit  bien  que  fon  deflein  n'étoit  pas  de  retourner  fi  tôt  en 
Caftille ,  &  qu'il  avoit  réfolu  de  faire  périr  tous  les  Equipages.  L'Amiral 
répondit  qu'il  ne  comprenoit  pas  d'où  pouvoit  lui  venir  cette  idée;  que  tout 
le  monde  favoit ,  comme  lui ,  que  fi  1  on  avoit  relâché  dans  cette  llle ,  & 
fi  l'on  y  étoit  encore,  c'étoit  parce  qu'on  n'avoit  pas  eu  d'autre  choix; 
qu'il  avoit  envoyé  demander  des  Navires  au  Gouverneur  de  Tille  Efpagno- 

(i)  Herrcra,  Liv.  6.  Cbap.  6, 


Cn^iîTOPH* 
& 

DARTIl^I.EMt 
Ci'I.OMB. 

IV.  N'oynf^e. 


Exti-ô.nltii 
oîi  les  Co- 
lombs fu.t  ré- 
duits  à  la  J,v 


Une  parrie 
de  leurs  Equi- 
pages fe  ré- 
volte contre 
eux. 


1504. 

Les  Rebelles 
prennent  les 
armes. 


Maladie  d« 
l'Amiral. 


13(5       PREMIERS      VOYAGES 


CriRTîTonia 

I5artiiei.fm: 
Colomb. 

1\^  Voyng:. 
1504. 

I,cs  R.-bdl.'s 
voulcnt  par- 
tir. 


Leurs  vio- 
lences, &  fer' 
nieté  de  l'A- 
dclantLitlc. 


Départ  des 
Rebelles. 


1 

qu 


Obllacles  qui 
ki  arrêtent. 


e  ,  &  qu'il  ne  poiivoit  rien  faire  de  plus  ;  qu'il  n'étoit  pas  moins  intdrene 
]uc  tous  les  autres  à  repafler  en  Caftille;  que  d'ailleurs  il  n'avoit  rien  fait 
fans  avoir  demandé  l'avis  du  Confeil,  &  que  fi  l'on  avoit  queli^ie  chofc 
d'utile  à  propofer ,  il  étoit  toujours  difpofé  à  l'embrafler  avec  joye.    Ce 
difcours  auroit  fatisfait  des  gens  moins  emportés;  mais  l'efprit  de  révolte 
ne  connoiflant  point  la  raifon  ,  Portas ,  dont  la  Sœur  étoit  Maîcrefle  d'un 
Homme  fort  puifljnt  à  la  Cour,  reprit  encore  plus  brufquement,  &  décla- 
ra qu'il  n'étoit  plus  queftion  de  difcourir,  mais  de  s'embarquer  à  l'heure 
même  ;  qu'il  vouloit  retourner  en  Caftille,  &  que  ceux  qui  ne  vouloient 
pas  le  fuivre  pouvoient  refter  à  la  garde  du  Ciel.    Il  s'éleva  aulîî-tôt  un 
bruit  confus  des  Gens  de  guerre,  qui  crioient;  les  uns,  nous  vous  fuivrons  ; 
d'autres ,  Cajlille ,  Cajlille  ;  &  d'autres ,  Capitaine ,  que  ferons-nous  ?  Quelques- 
uns  même  firent  entendre,  en  parlant  fans  doute  des  Colombs,  qu'ils  meu- 
rent.   L'Amiral  voulut  fe  lever;  mais  il  ne  put  fe  foutenir,  &  l'on  fut  obli- 
gé de  le  remettre  fur  fon  lit.    L'Adelantade  parut ,  une  hallebarde  à  la 
main ,  &  fe  pofla  courageufement  proche  d'une  poutre  qui  traverfoit  le 
Vaifleau ,  pour  couper  le  paflage  aux  Mutins.    Ses  meilleurs  Amis  le  for- 
cèrent de  rentrer  dans  fa  chambre;  &  prenant  le  ton  de  la  douceur  avec 
Porras ,  ils  lui  repréfentèrent  qu'il  devoit  lui  fuffire  qu'on  ne  s'oppofât  point 
à  fa  réfolution.     Il  fe  retira  ;  mais  ce  fut  pour  fe  faifir  des  dix  Canots ,  que 
l'Amiral  avoit  achetés  des  Indiens,  &  pour  s'y  embarquer  auffi •  tôt ,  lui  & 
tous  les  Mutins ,  avec  autant  d'empreflement  &  de  joye ,  que  s'ils  euflent 
été  prêts  de  débarquer  à  Seville.     Il  ne  relia  guéres,  avec  les  Colombs, 
que  leurs  Amis  particuliers  &  les  Malades.  L'Amiral ,  les  ayant  fait  aflem- 
bkr  autour  de  lui,  les  excita,  par  un  difcours  fort  touchant,  à  prendre  con- 
fiance au  Ciel,  &  leur  promit  de  fe  jetter  aux  pieds  de  la  Reine,  pour  faire 
récompenfer  leur  fidélité  (k). 

Dus  le  même  jour ,  les  Séditieux  prirent  le  chemin  de  la  Pointe  orientale 
de  rifle.  Ils  s'y  arrêtèrent,  pour  commettre  les  dernières  violences  contre 
les  Indiens,  auxquels  ils  enlevèrent  tout  ce  qui  fe  trouvoit  dans  leurs  Habi- 
tations, en  leur  difant  qu'ils  pouvaient  fe  faire  payer  par  l'Amiral,  ou  le  tuer, 
s'il  refufoit  de  les  fatisfaire.  Ils  ajoutèrent  qu'il  étoit  réfolu  de  les  extermi- 
ner, qu'il  en  avoit  ufé  de  i.iême  avec  les  Peuples  du  Veragua,  &  que  le 
feul  moyen  de  fe  défendre,  contre  un  Homme  fi  cruel,  étoit  de  le  prévenir. 
Lorfqu'ils  fe  virent  à  l'extrémité  de  l'Ifle,  ils  entreprirent  d'abord  de  tra- 
verfer  le  Golfe ,  fans  faire  réflexion  que  la  Mer  étoit  fort  agitée.  A  pei- 
ne eurent  -  ils  fait  quelques  lieues ,  que  leurs  Canots ,  s'étant  remplis  d'eau , 
ils  crurent  les  foulager  en  jettant  leur  bagage  dans  les  flots.  L'inutilité  de 
cette  reflburcc  leur  fit  prendre  le  parti  de  fe  défaire  des  Indiens ,  qu'ils  a- 
voient  embarqués  pour  la  rame.  Ces  Malheureux,  voyant  des  épées  nues  , 
&  quelques-uns  de  leurs  Compagnons  déjà  étendus  à  leurs  pieds,  fautèrent 
dans  l'eau;  mais,  après  avoir  nagé  quelque  tems,  ils  demandèrent  en  grâ- 
ce qu'on  leur  permît  de  fe  délafler,  par  intervalles,  en  tenant  le  bord  des 
Canots.  On  ne  leur  répondit  qu'à  coups  de  fabre ,  dont  on  leur  coupoit  les 
mains;  &  plufieurs  fe  noyèrent.    Le  vent  augmentoit,  &  la  Mer  devint 

fi. 

(k)  Ilerrcra,  Liv.  6.  Cbap.  5. 


EN     AMERIQUE,   Liv.  I.  I 


137 


t 


fi  grolTe,  que  cette  troupe  de  Furieux  fe  vit  contrainte  de  retourner  au  ri- 
vage. Après  y  avoir  délibéré  fur  leur  fituation,  &  propofé  plufieurs  par- 
tis, qui  ne  pouvoicnt  venir  que  d'un  excès  d'aveuglement  &  de  defefpoir, 
ils  tentèrent  encore  une  fois  le  paflage  :  mais  la  Mer  ne  devenant  pps  plus 
calme,  ils  fe  répandirent  dans  les  Bourgades  voifines,  où  ils  commirent 
toutes Vortes  d'excès.  Six  femaines  après,  ils  tentèrent  de  pafler  pour  la 
troifième  fois ,  &  leurs  efforts  ne  furent  pas  plus  heureux.  Alors,  aban- 
donnant un  deffein  dont  l'exécution  leur  parut  impolTible,  &  ne  doutant 
plus  que  Mendez  &  Fiefciii  n'euflfent  péri  dans  les  Hots ,  ils  fe  mirent  à  fai- 
re des  courfes  dans  toutes  les  parties  de  l'Illc ,  en  caufant  mille  maux  aux 
Infulaires ,  pour  en  tirer  des  vivres. 

L'Amiral  étoit  réduit  à  vivre  auflî  par  le  fecours  des  Indiens;  mais  fa 
conduite  étoit  fort  différente.  Il  faifoit  régner,  parmi  fes  gens,  une  exac- 
te difcipline  ,  qu'il  adouciffoit  par  des  attentions  continuelles  fur  leurs  be- 
foins ,  &  par  des  exhortations  aufli  tendres  que  fes  manières.  D'ailleurs , 
il  ne  prenoit  jamais  rien  qu'en  payant,  &  jufqu'alors  il  n'avoit  rien  reçu 
d'eux  qulils  n'euffent  volontairement  apporté.  Cependant,  comme  ces 
Barbares  n'étoient  pas  accoutumés  à  faire  de  grandes  provifions,  ils  fe  laf- 
fèrent  enfin  de  nourrir  des  Etrangers  affamés ,  qui  les  expofoient  eux-mêmes 
à  manquer  du  néceffaire.  Les  difcours  des  Mutins  pouvoient  avoir  fait  aufli 
quelque  imprefllon  fur  eux.  Ils  commencèrent  à  s'éloigner,  &  les  Cafliil- 
lans  fe  virent  menacés  de  mourirtie  faim.  Dans  cette  extrémité,  l'Amiral 
s'aviia  d'un  ftratagême  qui  lui  réulîit.  Ses  lumières  aflfonomiques  lui  avoient 
fait  prévoir  qu'on  auroit  bientôt  une  Eclipfe  de  Lune.  Il  fit  dire ,  à  tous 
les  Caciques  voifins,  qu'il  avoit  à  leur  communiquer  des  chofes-fort  impor- 
tantes pour  la  confervation  de  leur  vie.  Un  intérêt  fi  preffant  les  eut  bien- 
tôt ailemblés.  Après  leur  avoir  fait  de  grands  reproches  de  leur  refroidif- 
fement  &  de  leur  dureté,  il  leur  déclara,  d'un  ton  ferme,  qu'ils  en  fe- 
roient  bientôt  punis;  &  qu'il  étoit  fous  la  proteélion  d'un  Dieu  qui  fe  pré- 
paroit  à  la  venger.  N'avez-vous  pas  vu,  leur  dit- il ,  ce  qu'il  en  a  coûté  à 
ceux  de  mes  Soldats  qui  ont  refufé  de  m'obéir?  Quels  dangers  n'ont -ils  pas 
couru,  en  voulant  palier  à  l'Ifle  Hayti,  pendant  que  ceux  que  j'y  ai  envo- 
yés ont  traverfé  fans  peine  ?  Bientôt  vous  ferez  un  exemple  beaucoup  plus 
terrible  de  la  vengeance  du  Dieu  des  Efpagnols  ;  &  pour  vous  faire  con- 
noître  les  maux  qui  vous  menacent,  vous  verrez,  dès  ce  foir,  la  Lune 
rougir ,  s'obfcurcir ,  &  vous  refufer  fa  lumière.  Mais  ce  n'efl:  que  le 
prélude  de  vos  malheurs ,  fi  vous  vous  obftinez  à  me  refufer  des  vi- 
vres (/). 

En  effet,  l'Eclipfe  commença  quelques  heures  après  ;  &  les  Barbares 
épouvantés  pouffèrent  d'effroyables  cris.  Ils  allèrent  auffi-tôt  fe  jetter  aux 
pieds  de  l'Amiral,  &  le  conjurer  de  demander  grâce  pour  eux  &  pour  leur 
Ifle.  Il  fe  fit  un  peu  preffer,  pour  donner  plus  de  force  à  fon  artifice;  & 
feignant  de  fe  rendre,  il  leur  dit ,  qu'il  alloit  fe  renfermer ,  &  prier  fon 

,.■-  .  :.     :•  '■>..     Dieu, 


Cnnis  Torri» 

& 
Barthelemi 

Colomb. 
IV.  Voyage. 

1504. 

Excès  qu'ils 
commettent 
dans  rillc. 


Snge  con- 
duite de  l'A- 
miral. 


Célèbre  ftra- 
tagême par  le- 
quel il  con- 
tient les  Infu- 
laires. 


Il  leur  pré- 
dit une  Eclip- 
fe, comme  u- 
ne  vengeance 
du  Ciel, 


1  ■W  k 


'^ 


(l)  Herrera,  uhifuprà.  Ce  trait  eft  fi  con- 
nu ,  qu'on  ne  fait  pas  iiiificulté  de  le  rappor- 

XFIII.  Part. 


ter,  quoiqu'il  falTe  peu  d'honneur  à  h  reli- 
gion  de  l'Amiral.  ^ 


Chkiitofiie 

& 

Barthelemi 

COLOMD. 

IV.  Voyage. 
1504. 


La  vie  des 
deux  Colombs 
cÙ.  menacée. 


Arrivée  d'u- 
ne Barque 
d'Ovando. 


Ordres  o- 
dieux  dont  le 
Capitaine  é- 
coit  chargé. 


Comment  il 
les  exécute. 


L'Amiral 
licrit  àOvan- 
do. 


138        PREMIERS      VOVAGES 

Dieu  ,  dont  il  cfpcroic  d'appaifer  la  colère.  Il  s'enferma,  pendant  toute 
la  durée  de  l'Ecliple,  &  les  Indiens  recommencèrent  à  jctter  de  grands 
cris.  Enfin,  lorfqu'il  vit  reparoître  la  Lune,  il  forcit  d'un  air  joyeux, 
pour  les  affurer  que  fes  prières  ècoient  exaucées  ,  &  que  Dieu  leur  pirdon- 
noit  cette  fois,  parce  qu'ayant  répondu  pour  eux,  il  l'avoit  afiTuré  qu'ils 
feroient  déformais  bons  &  dociles,  &  qu'ils  fourniroient  des  viwcs  aux 
Chrétiens.  Depuis  ce  jour,  non -feulement  ils  ne  refufèrent  rien  aux  Ef- 
pagnols,  mais  ils  évitèrent  avec  foin  de  leur  caufer  le  moindre  méconten- 
tement. 

Ce  fecours  étoit  d'autant  plus  néceflaire  à  l'Amiral,  qu'il  fe  formoit, 
fous  fes  yeux,  un  nouveau  Parti,  qui  l'auroit  jette  dans  de  mortels  em- 
barras. Un  Apotiquaire,  nommé  Bmidrdi,  &  deux  de  fes  Compagnons, 
Fillatora  &  Zamora,  avoient  entrepris  de  foulever  tous  les  Malades,  par 
d'anciens  reffentimens,  qu'ils  crurent  avoir  trouvé  l'occafion  de  faire  écla- 
ter ,  &  qui  ne  menaçoient  pas  moins  que  la  vie  des  Colombs.  L'effet  n'au- 
roit  pu  manquer  d'en  être  extrêmement  funelle ,  fi  l'arrivée  de  la  Barque 
d'obfervation  ,  qu'Ovando  avoit  fait  partir  de  l'Efpagnole  ,  n'eût  arrêté 
ceux  que  le  feul  chagrin  de  leur  mifère  avoit  engagés  dans  cette  confpira- 
tion.  Le  Capitaine,  Diego  d'Efcobar,  étoit  un  de  ceux  qui  s'étoient  ré- 
voltés avec.  Roldan  Ximenès,  &  que  l'Amiral  avoit  deftinés  au  fupplice. 
Ovando  l'avoit  choifi  pour  cette  commiflion ,  parce  qu'avec  la  haine  qu'il 
lui  connoiflbit  pour  les  Colombs,  il  l'avoit  jugé  plus  propre  que  perfonne  à 
remplir  exaélement  fes  vues.  Les  ordres  ,  qu'il  lui  avoit  donnes ,  por- 
toient  de  ne  point  appfocher  des  Vaifleaux  de  l'Amiral  ;  de  ne  pas  defcen- 
dre  au  rivage  ;  de  n'avoir  aucun  entretien  avec  les  Colombs ,  ni  avec  ceux 
qui  les  accompagnoient  ;  de  ne  donner  aucune  autre  Lettre  que  la  fienne, 
&  de  n'en  pas  recevoir  d'autre  que  la  réponfe  de  l'Amiral  ;  enfin  de  conce- 
voir qu'il  n'étoit  envoyé  que  pour  reconnoître  l'état  de  l'Efcadre  (;«). 

Escobar  exécuta  tous  ces  points  avec  une  brutale  exaélitude.  Après 
avoir  mouillé  à  quelque  diflance  des  Vaifleaux  échoués ,  il  alla  feul  à  terre , 
dans  un  Canot,  il  fit  débarquer  un  baril  de  Vin  &  un  Porc,  il  fit  appeller 
l'Amiral,  pour  lui  remettre  la  Lettre  d'Ovando;  &  s'étant  un  peu  éloigné, 
il  lui  dit,  en  élevant  la  voix,  que  le  Gouverneur  Général  étoit  bien  fâché 
de  fes  malheurs  ,  mais  qu'il  ne  pouvoit  encore  le  tirer  de  la  fituation  où  il 
fe  trouvoit,  quoiqu'il  fût  dans  le  deflein  d'y  apporter  toute  la -diligence  pof- 
fible  ;  &  qu'en  attendant ,  il  le  prioit  d'agréer  cette  légère  marque  de  fon 
amitié.  En  achevant  fes  mots,  ii  fe  retira,  pour  aller  attendre  à  Bord 
que  l'Amiral  eût  écrit  fa  réponfe,  qu'il  prit  enfuite  avec  les  mêmes  précau- 
tions. Elle  contenoit  le  récit  des  peines  qu'il  avoit  effuyées,  avec  celui 
de  la  découverte  d'ime  grande  Contrée  &  de  la  révolte  de  Porras.  Il  re- 
mercioit  Ovando  de  fes  bonnes  intentions,  quoiqu'il  en  reçût  de  fi  mau- 
vaifes  preuves.  Il  lui  reccmmandoit  Mendez  &  Fiefchi ,  &  pour  l'at- 
tendrir, du  moins  par  la  compalTion ,  il  lui  repréfentoit  fon  logement, 
&  la  dépendance  où  il  étoit ,  pour  vivre ,  des  fecours  d'une  Nation 
barbare.  , 

'  \     ■  L'His- 

(m)  Herrera,  Liv.6.  Ch«p.  7. 


EN      AMERIQUE,  Liv.  I. 


I3P 


is- 


L'IIisTORiEN  s'efforce  de  juftifier  cet  étrange  procédé.  Ovando  craignoit 
avec  raifon ,  dit-il ,  que  fi  la  Barque  s'étoit  approchée  des  Navires ,  on  ne 
l'eût  chargée  de  Lettres  pour  l'Ille  Efpagnole,  où  l'Amiral  avoit  plufieurs 
Créatures  à  un  (Sus  grand  nombre  d'Ennemis,  qui  auroicnt  pu  former  de 
nouvelles  laélions  &  caufer  du  trouble.    Il  ajoute  que,  dans  cette  crainte,  le 
Gouverneur  n'avoit  pu  faire  un  choix  plus  judicieux  que  celui  d'Efcobar: 
enfin, qu'il  ne  s'imaginoit  pas  que  les  vi"res  pufll-nt  manquer  aux  Efpagnols 
dans  une  IHe  aulTi  grande  que  la  Jamaïque.     Mais  le  Public  n'en  porta  pas 
le  même  jugement.     On  regarda,  comme  une  infulte  pour  Chriftophe  Co- 
lomb ,  le  choix  d'un  Envoyé  de  ce  caractère ,  qui ,  d  ailleurs ,  fuivant  les 
ordres  de  la  Cour,  ne  devoit  plus  être  aux  Indes;  &  la  modicité  du  pré- 
fent  ne  fut  pas  moins  blâmée,  pour  un  Homme  de  ce  rang,  dont  on  pou- 
voit  juger  que  la  ficuation  n'étoit  pas  abondante.     L'Amiral  s'apperçut  aulfi- 
tôt  du  mauvais  effet  que  la  conduite  d'Ovando  avoit  produit  fur  f'es  gens. 
Il  les  affembla,  pour  les  affurer  qu'ils  recevroient  de  prompts  fecours;  mais 
il  nepcrfuada  pas  les  plus  clairvoyans,  qui,  jugeant  mal  de  l'affeftation 
d'Efcobar  à  ne  converler  avec  perlbnne,  commencèrent  à  craindre  que  le 
deffein  du  Gouverneur  ne  fut  de  laiffer  périr  les  Colombs,  &  tous  ceux 
qui  leur  marquoient  de  l'attachement.    Cependant  les  promeffes  de  l'Ami- 
ral calmèrent  la  multitude.    Il  fe  flatta  même  de  pouvoir  engager ,  par  la 
mêmevoye,  les  Déferteurs  à  rentrer  dans  le  devoir.    Il  leur  communi- 
qua l'agréable  nouvelle  qu'il  venoit  de  recevoir,  &  leur  fit  porter  un  quar- 
tier de  la  Bête  dont  on  lui  avoit  fait  préfent.    Mais  cette  honéteté  fut  mal 
reçue.    Porras  jura  que  de  fa  vie  il  ne  fe  fieroit  aux  Colombs,  &  que  juf- 
qu'à  l'arrivée  du  fecours,  il  continueroit  de  vivre  dans  l'indépendance.    Il 
ajouta  que  fi  l'on  envoyoit  deux  Vaiffeaux,  il  en  prendroit  un  pour  lui  & 
pour  fa  troupe  ;  que  s'il  n'en  arrivoit  qu'un ,  il  fe  contenteroit  de  la  moitié  ; 
&  qu'au  refle ,  fes  gens  ayant  été  forcés  de  jetter  à  la  Mer  toutes  leurs  bar- 
des &  leurs  marchandifes ,  il  convenoit  que  l'Amiral  partageât  avec  eux  ce 
qui  lui  en  reftoit.    Les  Envoyés  ayant  repréfenté  qu'ils  ne  pouvoient  faire 
des  propofitions  de  cette  nature  à  leur  Chef  commun ,  la  fureur  des  Rebel- 
les augmenta,  jufqu'à  leur  faire  protefter  que  ce  qu'on  ne  vouloit  pas  leur 
accorder  de  bonne  grâce,  ils  l'enleveroient  par  force;  &  Porras.,  fe  tour- 
nant vers  eux,  leur  dit  que  l'Amiral  étoit  un  Cruel,  dont  ils  avoient  tout 
à  craindre  pour  leur  vie;  qu'il  joignoit  la  perfidie  à  la   cruauté,  pour  les 
faire  tomber   entre  fes  mains;  que  cette  Barque,  qui  n'avoit  paru  qu'un 
infiant,  étoit  l'effet  de  quelque  prellige;  qu'il  excelloit  dans  ces  inven- 
tions ,  &  qi\e  fi  la  Barque  eîit  été  réelle ,  il  n'auroit  pas  manqué ,  dans  l'ex- 
trémité à  laquelle  il  étoit  réduit ,  de  s'y  enibarquer  avec  fon  Fils  &  fon  Frè- 
re ;  que  le  plus  fur  étoit  de  lu  vifiter  l'épée  à  la  main ,  de  fe  faifîr  de  fa  per- 
lbnne, &  d'enlever  tout  ce  qu'il  avoit  fur  fes  Vaiffeaux  («). 

En  effet,  il  s'avança  bientôt  jufqu'à  la  vue  des  Navires;  &  s'étant  arrê- 
té dans  un  Village  d'Indiens,  nommé  Mayma  ^  où,  quelques  années  après , 
on  vit  naître  une  Bourgade  Cafl:illane ,  fous  le  nom  de  Seville ,  il  parut  fe 
difpoier  à  forcer  les  Colombs  dans  leur  retraite.    L'Amiral  étoit  encore  at- 
taché 
(n)  Le  même,  Liv.  6.  Cbap.  8. 

S  2  ' 


Chkistomu 

& 

Barthblemx 
Colomb. 

IV.  Voyage. 
1504. 

Remarques 
fur  la  condui- 
te de  ce  Gou. 
vcrncur. 


Efforts  de  • 
l'Amiral  pout 
ramener  les 
Mutins. 


Ils  répon- 
dent mal  à  fes 
intentions. 


lis  s'avan- 
cent peur 
l'attaquer. 


140 


PREMIERS      VOYAGES 


CmiSTOPHE 

& 

Barthelemi 

COLOMO. 

IV.  Voyage. 
1504. 


Combat. 


Porrns.leur 
Chef,  cft  en- 
levé par  Dom 
Barchclciiii. 


Plufienrs 
CafliUaus  font 


tllt('S. 


Vigueur  du 
Pilote  Le- 
defma. 


Comment 
il  cfl  f;iieri  de 
fcs  blcUurcs. 

Les  Rebelles 
le  founietttnt. 


taché  au  lit,  par  le»  douleurs  de  la  goutc.  Il  frcmit  d'indignation,  en  ap- 
prenant que  les  Rebelles  étoicnt  prêts  à  l'attaquer:  cependant  fa  prudence 
l'emportant  fur  fa  colère  ,  il  chargea  Dom  Barthelcmi ,  au'il  envoya  con- 
tr'eux  avec  cinquante  Hommes,  de  les  exhorter  encore  a  la  foumilîîon,  & 
d'offrir  un  pardon  général  à  ceux  qui  voudroient  l'accepter.  Mais  ils  ne 
lui  donnèrent  pas  le  tems  de  faire  cette  propofition.  A  peine  eurent-ils 
apperçu  fa  Troupe,  qu'ils  s'avancèrent  les  armes  à  la  main,  en  criant  Tue^ 
Tue.  L'Adclantade  excita  fes  gens  par  les  motifs  de  l'honneur,  &  ne  leur 
demanda  rien,  dont  il  ne  promit  l'exemple.  Le  combat  fut  engagé.  Une 
décharge,  qui  fe  fit  à  propos,  renvcria  d'abord  lîx  des  Conjurés.  L'aîné 
desPorras,  furieux  de  les  voir  tomber,  s'élança  vers  l'Adelantade,  &  fen- 
dit fon  bouclier  d'un  coup  de  fabre,  qui  le  bIciVa  même  à  la  main.  Mais 
Dom  Barthelemi,  qui  étoit  dune  vigueur  extraordinaire,  le  laifit  par  le 
milieu  du  corps  &  le  fit  fon  Prifonnier.  Enlliite,  preflant  ceux  qui  con- 
tinuoient  de  réfifler ,  il  en  tua  pluiîcurs ,  &  le  refte  fc  fauva  par  la  fui- 
te.  Ainfi  l'Amiral  fut  redevable  de  fon  falut  à  la  valeur  de  fon  Frère;  car 
les  Rebelles  avoient  juré  de  ne  pas  ménager  fa  vie,  fi  la  viéloire  s'étoit  dé- 
clarée pour  eux  (0). 

Elle  ne  coClta  qu'un  feul  Homme  à  l'Adclantade  ;  mais  quelques-uns  fu- 
rent dangereufement  blefles.  Un  Maître  d'Hôtel  de  l'Amiral  reçut,  à  la 
hanche,  un  coup  de  lance,  dont  il  mourut  peu  de  jours  après.  Ledefma, 
ce  même  Pilote,  dont  on  a  déjà  vanté  le  courage  &.  la  force,  fut  fi  maltrai- 
té d'un  coup  de  fabre  à  la  tête,  que  la  cervelle  étoit  à  découvert;  un  autre 
coup  faillit  de  lui  abbatre  le  bras,  &  d'un  troifiéme  il  eut  la  jambe  fendue 
jufqu'à  l'os,  depuis  le  jarret  jufqu'à  la  cheville  du  pied.  Comme  on  l'avoit 
cru  mort,  &  qu'il  étoit  demeuré  fur  le  champ  de  Bataille,  les  Indiens  du 
Village  de  Mayma,  furpris  de  voir  étendus  par  terre,  &  fans  mouvement, 
des  Hommes,  qu'ils  avoient  crus  immortels,  s'approchèrent  de  lui,  entre  plu- 
fieurs  autres,  &  voulurent  toucher  fes  blelFures,  pour  obferver,  dit  l'Hifto- 
rien,  quelles  playes  faifoient  les  épées.  Ce  mouvement  ayant  rappelle  fes 
efprits:  Si  je  me  levé!  s'écria-t'il  d'une  voix  terrible;  &  de  ce  feul  mot, 
il  caufa  tant  d'épouvante  à  ces  Barbares ,  qu'ils  fe  mirent  à  fuir,  fans  ofer 
tourner  les  yeux  derrière  eux.  On  obferve ,  comme  une  fingularité  mer- 
veilleufe, qu'il  fut  plus  de  vingt- quatre  heures  dans  cet  état;  &  qu'après  l'a- 
voir reconnu  vivant,  &  l'avoir  tranfporté  à  Bord ,  on  n'eut  pas  d'autre  moyen 
de  le  panfer,  qu'en  brûlant  fes  playes  avec  de  l'huile.  Elles  étoient  en  fi 
grand  nombre,  que  pendant  la  première  "emaine,  le  Chirurgien  jura  qu'il 
en  découvroit  chaque  jour  de  nouvelles  (p). 

Le  lendemain  du  combat,  vingtième  jour  de  Mai,  tous  les  Rebelles, 
qui  étoient  échappes  par  la  fuite ,  prirent  le  parti  d'aller  fe  jetter  aux  pieds 
de  l'Amiral,  &  de  s'engager  à  la  fidélité  par  d'horribles  fermens  (q).     Il 

les 


(0)  Le  môme,  Liv.  6.  Chap.  ri. 

{p)  Ibidem. 

(q)  L'Iiidoricn  en  rapporte  les  termes: 
„  Ils  le  fiippliercnt  d'ufer  envers  eux  de  mi- 
,,  fericorde,  reconnoillanc  bien  que  Dieu  les 
„,  avoir  châtiés ,  &  promettant  de  fervirfidc- 


lement,  ce  qu'ils  jurèrent  fur  un  Crucifix 
&  un  Millel  :  &  que  s'ils  vinloicnt  leur 
ferment,  pas  un  Confelieurou  autre Chré. 
tien  ne  les  pût  entendre  en  confcinoii; 
que  la  Pénitence  leur  fût  inutile;  qu'ils  re- 
nonçoient   aux   Sacremens    de   l'Eglife  ; 

„  qu'au 


■»..•> 


fe; 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Li  V.  I. 


141 


les  reçut  avec  bonté,  mais  à  condition  que  Portas,  leur  Ciicf,  dcmcure- 
roit  clans  les  chaînes,  &  qu'ils  rccevroient  eux-mén.es,  jufqu'au  départ 
pour  l'Kle  Efpagnolc ,  un  Capitaine  de  fa  main ,  fous  la  conduite  duquel  ils 
auroient  la  liberté  de  s'établir  dans  le  lieu  qu'ils  voudroient  choilir,  pour 
y  fublllier  du  commerce  de  quelques  marcnandifes  qu'il  leur  feroic  déli- 
vrer (r). 


CiiRiJTorA»'. 

DARTIIIiT.RMl 
C"  1.0 MB.  ,, 

IV.  Vôyii^e;: 

i5:0  4v 


Fiefchi 

mirai 

en 

vire,  aux  fraix  des  Colombs.     Enfin  ,  tous 

le  28  de  juin ,  on  mit  à  la  voile  pour  l'Ule  Efpagnole. 


es  Caftillans  s'étant  ralTembles 
Les  vents  contrai- 


,,■>.•■•■'  ■- 


res  rendirent  le  pallage  fi  difficile,  qu'on  eut  beaucoup  de  peine  à  gagner 

rifle  Beata  ,  à  vingt  lieues  du  Port  d'Yaquimo.     L'Amiral  ne  voulut  pas  al-  ;  „    ;  ;   ,. 

îer  plus  loin,  fans  en  avoir  fait  demander  la  liberté  au  Gouverneur  Gêné--  ■•  •        ,  •:,• 

rai;  &  non-feulement  il  l'obtint,  mais  étant  arrivé  à  San-Domingo,  le  13  ;.    >, 

d'Aotlt,  il  y  fut  reçu  avec  les  plus  grandes  marques  de  joye  &  d'honneur.  ; .     .;. 

Ovando  vint  lui-même,  à  la  tête  de  tous  les  Habitans,,  le  recevoir  à  fa  def-  Conimein. 

cente.    Il  lui  donna  un  logement  dans  fa  Mailbn,  &  ne  cefla  point  de  le  rAniir;ii  «11 

traiter  fort  civilement.     Cet  accueil  furprit  un  peu  les  Colombs,  qui  ne  s'y  [;Çf^a?nûi'/'' 

étoient  pas  attendus  ;  mais  ils  dévoient  s'attendre  encore  moins  à  quelques  *"  '^  ''''''"*i'.*^'  -, 
aélions  du  Gouverneur,  qui  fembloient  démentir  de  l\  belles  apparences.. 

Il  les  obligea  de  lui  livrer  François  Porras ,  qu'ils  avoient  laifle  à  Bord ,  &  :       " . 

qu'ils  fe  propofoient  de  mener  en  Efpagne.  C'étoit  h  lui,  leur  dit  il ,  qu'ap-  Dt'goûts  S 

oartenoit  la  connoiflancc  des  affaires  Criminelles:  mais  il  n'eut  pas  plutôt  chagrins  qu'i.li 


partenoit 

le  Prifonnier  entre  fes  mains ,  qu'il  lui  rendit  la  liberté. 


pas  plu 
Enfuitc ,  il  décla- 


y  reçoit. 


ra  qu'il  vouloit  informer  fur  tout  ce  qui  s'étoit  pafle  à  la  Jamaïque,  &ju-  •   ',  • 
ger  quels  étoient  les  Coupables,  de  ceux  qui  s'étoient  foulevés,  ou  de  ceux 
qui  étoient  demeurés  fidèles  à  l'Amiral  ;    infulte  auffi  vive  que  l'injuftice  ,"  ;.  - 
étoit  criante,   mais  que  les  Colombs  diflîmulèrent ,   parce  qu'ils  n'étoient  /.;,..:/ 
point  en  état  de  s'y  oppofer.     L'Amiral  fe  contenta  de  dire,  avec  affez  de  .  .  .:v 
modération,  que  les  droits  de  fon  Amirauté  avoient  des  bornes  bien  étroi-  ' 
tes    s'il  ne  pouvoit  pas  juger  un  de  fes  Officiers,  qui  s'étoit  révolté  con- 
tre lui  fur  fon  propre  Bord;  &  pour  fortir  promptement  d'une  Ifle,  qui*  '  ;■  ■' 
étoit  devenue  le  théâtre  de  fes  humiliations,  après  avoir  été  celui  de  fa  gloi-  V  ..  , 
re,  il  fretta  deux  Navires,  dont  il  partagea  le  Commandement  avec  fon.  .         :•  V 
Frère.  •'''.■.■;  '-V,' 
Il  mit  à  la  voile  pour  l'Efpagne,  le  12  de  Septembre,  avec  fon  Fils  &  .  li'rétoùrna^ 
tous  ceux  qui  lui  étoient  attachés.     En  fortant  du  Port,  le  Navire  qu'il  ^'^ ^.^P^S'^?' 
montoit  perdit  fon  grand  mât.    Mais  cet  accident  ne  fut  pas  capable  de  le  •  ••      ^,  ' 

fai^  ':■■■.::■■[■-':: 

„  auflî  ;),  toute  iibfolution  de  Panes,  deCar'--  ■'..■■...'■.■' 
„  dinaux  ,  d'Archcvûques,  d'Eveques  (Scd'aii- ,      •^•'.       '■  ., 
„  très  Prêtres".  Herrera,  Liw.  6.  Chap.'ii-.  .  'i.       ;  .  . 

(r)  Ibidem.  -      •■■•■;    ,..'•■..;..    '■.., 

\s)  On avoitôté,  à  Fiefchi,  tous-lcs.moycn&i       ,     ,:. 
de  revenir  plutôt.  ..  ''•■•;:■■■■        ...'.,.'•'"■•• 


„  qu'au  tems  de  leur  mort,  ils  ne  partici- 
„  peroicnt  point  uux  Bulles  &  Indulgences 
,,  accordées  par  N.  S.  P.  le  Pape;  &  qu'on 
„  traiteroit'leiirs  corps  coinrrie  ceux  des  Re- 
„  ncgats,neles  enterrant  point  en  Terre  fain- 
„  te,  mais  les  expofant  en   pleins  champs 


comme  les  Hérétiques.    Ils  renoncèrent 


V  .  ■,•■" 


142 


PREMIERS      VOYAGES 


CriRIFTOPHE 

& 
lÎARTUELEMI 

IV.  Voyngc. 
1504. 

Deux  tempe 
tes  qu'il  clluio 
dans  la  route. 

11  arrive  ù 
Ssn- Lucar. 


Mort  de  la 
Reine  Ifabel- 
!e,  lîi.  tbntilo- 


Comment 
l'xXiniial  elt 
reçu  du  Roi 

Feruluand. 


faire  retourner  dans  un  lieu,  où  il  venoit  d'efïïiyer  tant  de  dégoûts.  Il  ai- 
ma mieux  renvoyer  le  Bâtiment  à  San -Domingo,  &  pafler  dans  celui  de 
fon  Frère.  Le  19  d'06lobre,  après  avoir  efluyé  une  fiirieufe  tempête,  & 
lorfquon  fe  croyoit  délivré  du  danger,  le  mat  de  ce  fécond  Vailfeau  fe  fen- 
dit en  quatre  pièces ,  &  ne  laifla  point  d'autre  rciïburce  que  l'antenne, 
dont  on  fut  obligé  de  faire  un  petit  mat,  en  la  fortifiant  avec  des  perches 
&  d'autres  pièces  de  bois.  Une  nouvelle  tempête  brifa  la  contre-  mifene. 
yVinfi  la  fortune,  fuivant  la  réikxion  de  l'Hiftorien  ,  vouloit  perfécuter 
l'Amiral  jufqu'au  dernier  moment,  pour  ne  lailTer  aucun  tems  de  fa  vie  fans 
difgrace.  Il  continua  fa  navigation,  l'efpace  de  fept  cens  lieues,  dans  ce 
dangereux  état,  qui  ne  l'empêcha  pas  néanmoins  de  mouiller  heureufement 
à  San  •  Lucar ,  avant  la  fin  de  l'année  (  f  ). 

Mais  il  y  étoit  comme  attendu  par  une  nouvelle,  qui  devoit  mettre  le 
comble  à  tous  fes  malheurs.  C'étoit  la  mort  d'ifabelle,  Reine  de  Cafbille, 
arrivée  à  Médina  del  Campo  le  9  de  Novembre.  Toute  l'Efpagne  pleuroit 
encore  une  Princefle,  qui  avoit  égalé  les  plus  grands  Ro's  par  fes  qualités 
pcrfonnellcs,  &  que  la  ruine  des  Maures,  la  conquête  de  Grenade,  &  la 
découverte  du  nouveau  Monde  ,  relèvent  au-defTus  de  tous  les  Souverains 
de  fon  fiècle.  Il  paroît  même  qu'il  n'avoit  pas  dépendu  d'elle  que  cette  dé- 
couverte eût  été ,  pour  les  Habitans  de  ces  vaftes  Régions,  la  fource  d'au- 
tant de  biens  qu'elle  leur  a  caufé  de  maux.  En  les  afitijettiffant  à  fa  Cou- 
,  ronne ,  elle  s'étoit  toujours  propofé  d'en  faire  des  Chrétiens.  Elle  ne  re- 
commandoit  rien  avec  tant  d'inflances,  à  ceux  qu'elle  envoyoit  pour  les* 
gouverner ,  que  de  les  traiter  comme  les  Caftillans  mêmes  ;  &  jamais  elle 
ne  fit  éclater  plus  de  févérité,  que  contre  ceux  qui  contre- venoient  à  cette 
partie  de  fes  ordres.  On  a  vu  ce  qu'il  en  coûta  aux  Colombs,  pour  avoir 
ôté  la  liberté  à  quelques  Indiens.  Cependant  elle  les  aimoit.  Elle  connoif- 
foit  tout  leur  mérite.  Elle  attachoit  un  jufle  prix  à  leurs  fervices.  On  ne 
douta  point ,  en  Efpagne ,  que  fa  mort  n'eût  fauve  le  Gouverneur  Ovando 
d'un  châtiment  exemplaire,  pour  le  mafiacre  de  Xaragua,  dont  elle  avoic 
appris  la  nouvelle  avec  beaucoup  de  chagrin  ;  &  dans  les  articles  de  fon 
Teilament,  elle  inlifb  particulièrement  fur  le  bon  traitement  des  In- 
diens (v). 

Mais  perfonne  ne  perdit  plus  que  les  Colombs ,  à  la  iriort  de  cette  gran- 
de Reine.  L'Amiral  comprit  d'abord  qu'il  tenteroit  inutilement  de  fe  faire 
rétablir  dans  h  dignité  de  Viceroi.  Cependant,  pour  ne  fe  pas  manquer  à 
lui-même  ,  après  avoir  pris  quelques  mois  de  repos  à  Sevilie,  il  partit, 
avec  fon  Frère,  pour  Ségovie,  où  la  Cour  étoit  alors;  &  dans  une  audien- 
ce particulière  du  Roi,  qui  les  reçut  tous  deux  avec  quelque  apparence  de 
fatisfa6lioh,  il  lui  fit  un  récit  fort  touchant  de  fes  longs  &  pénibles  fervi- 
ces (x).  Ferdinand  lui  donna  de  belles  efpérances;  mais  il  s'apperçut  bien- 
tôt 


(0  Ubifup.  Chap.  12. 

(il)  Hilloire  de  Suint -Domingiic,  Lii:  4. 
pages  i\6  &.  41.  llerrera,  Liv.  5.  Cba^j.  13. 

(x)  On  nous  a  confervé  julqu'aux  Pla- 
cct': ,  qu  i!  priifenta ,  pL'ndant  quinze  ou  vingt 
jours  de  vie  qui  lui  rcftoicnt.  Dans  l'un  „  il 


fupplioit  le  Roi  de  fe  fouvenir  des  fervices 
qu'il  lui  avoit  rendus.  Il  lui  rappelioit  que 
trois  Princes  l'avoicnt  prié  d'entrer  à  leur 
fervice  ;  que  la  Reine  avoit  l\\  leurs  Let- 
tres ,  &  qu'elle  l'avoit  traité  depuis  avec 
beaucoup  d'honneur;  que  Sa  Majefté,  é- 

,,  tant 


tôt  q 

l'IIifl. 

le  voi 

marqi 

les  int 

qii'on 

Deza, 

Franç( 

deux 

les  au 

deflus 


tantf 


aux  ' 


EN      AMERIQUE,    Liv.  I. 


14: 


marque  de  faveur  &  d'amiric.  La  Cour  ccoic  d'ailleurs  aflez  partagée  fur 
les  intérêts  des  deux  Frères.  Les  uns  fouhaitoient  qu'on  leur  tint  tout  ce 
qu'on  leur  avoic  promis.  On  comptoit  dans  ce  nombre  Dom  Diegue  de 
Deza,  Archevêque  de  Seville,  Précepteur  du  Prince  Héréditaire,  &  Dom 
François  Ximenès  de  Cifneros ,  Archevêque  de  Tolède.  L'autorité  de  ces 
deux  Prélats  entraînoit  une  partie  des  Courtifans  dans  leur  opinion:  mais 
les  autres  difoient  hautement  que  les  prétentions  de  l'Amiral  étoitnt  au- 
deflus  de  fes  fervices ,  &  qu'il  ne  convenoit  pas  de  rendre  un  Etranger  fi 

puif- 


CiiuisTupiie 
& 

BARTIilCI.ERJI 
Gir,(.MIl. 

IV.  Voy;igc. 
I  5  o  5- 

p:iit;ii;i.  ùirics 
inu-rêrs  des 
Colombs. 

lis  fonfmal 


» 


tant  fort  aunchée  au  Cliriftianifnie ,  tout  le 
monde  attendoit  d'elle  qu'elle  ferait  juftice 
aux  Colombs ,  non- feulement  parce  qu'elle 
favoit  bien  qu'ils,  avoient  rendu  un  grand 
fervice  à  la  Religion  ,  en  lui  ouvrant  la 
porte  du  nouveau  Monde  ,  mais  encore 
parce  qu'elle  s'y  étoit  engagée,  verbale- 
ent  &  par  des  Ecrits  fignés  de  fa  main, 
roinettoit   de  s'en  rendre  digne  ,  en 

nt  de   fervir    l'Efpagne  pendant 

te  fa  vie ,  avec  l'efpérance  que  fon  fer- 
apporteroit  cent  pour  un  ,  en  com- 
bn  du  palTé  ".  Le  Roi  répondit; 
voyoit  aflez  que  les  Indes  lui  rappor- 
„  tôient  beaucoup ,  &  que  l'Amiral  méritoit 
„  toutes  les  faveurs  qu'on  lui  avoit  accor- 
„  dées;  mais  que  cette  affaire  demandoit 
„  plus  de  délibération".  La  crainte  des  lon- 
gueurs fit  revenir  l'Amiral  à  la  charge.  II 
fupplia  le  Roi  „  de  fe  fouvenir  de  fes  travaux 
„  &  de  fon  injufle  Prifon  ;  avec  quel  mépris 
„  de  fa  perfonne ,  de  l'état  &  de  l'honneur 
„  où  Leurs  Majcftés  l'avoient  élevé,  il  avoit 
„  été  dépouillé  de  tous  fes  biens.  Un  Roi 
,,  jurte  &  bien  aimé  ne  devoit-il  pas  exercer 
,,  fa  bonté  royale,  &  lui  conferver  des  pri- 
„  vi'.èges  qu'il  lui  avoit  accordés?  Tout  ce 
„  qiïi  s'étoitfait  contre  lui  avoit  été  fait  fans 
„  l'entendre,  fans  lui  laifTer  le  moyen  de  fe 
„  défendre,  fans  l'avoir  convaincu,  fans  au- 
„  cune  Sentence,  en  un  mot,  contre  toutes 
„  fortes  de  droits".  11  rappelloit les  nouvelles 
promefles  que  Leurs  Majeftés  lui  avoient  fai- 
tes ,  lorfqu'il  étoit  parti  pour  fon  dernier 
Voyage. 

Un  autre  jour ,  dans  une  audience  qu'il 
obtintduRoi,iliuidit  „  quefavieil!efle&  fes 
„  infirmités  no  lui  permettoient  plus  d'atten 
„  dre  long-teras  fes  faveurs;  que  SaMajeflé 
„  n'avoit  qu'à  prendre  tous  fes  Privilèges , 
„  &  lui  donner  ce  qu'elle  jugeroit  à  propos; 
,,  que  dans  la  langueur  où  il  étoit ,  il  ne  de 
„  firoit  qu'une  retraite,  &  la  liberté  de  s'y 


„  rendre  promptement".  Le  Roi  lui  répon- 
dit „  qu'il  ne  defiroit  pas  fon  départ;  qu  il 
„  fe  fouvenoit  bien  de  lui  avoir  donné  les 
,,  Indes;  &  qu'il  jugeoit  à  propos,  non  feu- 
„  lement  de  lui  rendre  tout  ce  qui  lui  appar- 
„  tenoit  par  fes  Privilèges,  mais  encore  de 
„  le  rccompenfcr  des  biens  de  fa  Couron- 
„  ne". 

Dans  un  troifième  Placet ,  l'Amiral  fit  une 
peinture  fort  vive  de  l'infâme  traitement  qu'il 
avoit  reçu  de  IJovadilla,  des  violences  de 
Roldan  &  de  fes  Complices,  &  de  la  ven- 
geance éclatante  que  le  Ciel  avoit  exercée  fur 
tous  fes  Ennemis.  11  fe  juRifiGic,  fur  lu  trai- 
temcnt  qu'il  avoit  fait  aux  Indiens,  en  aliù- 
rant  que  s'il  "en  avoit  envoyé  quelques-uns 
en  Callille,  „  c'étoit  afin  quils  fuifent  in- 
„  flruits  dans  la  Foi  Catholique,  &  qu'ils 
appriflent  les  coutumes  politiques  du  Ro- 
yaume, pour  retourner  enfuite  aux  Indes, 
où  ils  ieroient  devenus  fort  utiles  aux  Na- 
turels du  Pays.'  II  fupplioit  Sa  Majellé  de 
recevoir  fon  -Fils  à  fa  place ,  de  le  faire 
jouir  des  Biens  &  des  Gouvernemens  qu'on 
lui  avoit  accordés  à  lui-même.  C'étoit  un 
point  d'où  il  faifoit  dépendre  fon  honneur. 
Mais,  après  tout,  il  s'en  remcttoit  au  bon 
,,  plaifir  du  Roi;  il  fe  foumettoit  à  toutes 
I,  fes  volontés;  &  l'aflliition,  qu'il  avoit  du 
„  retardement  de  fes  faveurs,  lui  faifoitaOez 
,.  feniir  qu'il  lui  rcfioitpeu  de  temsàvivre". 
Enfin,  le  dernier  Placet,  qu'il  fit  prélcnter, 
fut  au  nom  de  Diego  Colomb ,  l'aîné  de  fes 
deux  Fils.  .„  Ce  jeune  homme  conjurent  Sa 
„  Majcfté  d'accorder  ce  que  fon  Père  lui 
,,  demandoit.  Il  ajoûtoit  qu'il  s'ellinieroit 
„  fort  heureux  d'être  envoyé  pour  ferVir 
„  l'Efpagne  à  ki  place  de  fon  Pcre ,  &  que 
„  fi  Sa  Majedé  nommoit  quelque  Offî- 
„  cier"  pour  l'accompagner  ,  il  pronietioic 
,.  de  fuivre  fes  confeilb".  Hcrrcm ,  Liv.  6, 
Cbap,  14. 


ClUUSTÔPHE 

& 
JJARTHEr.F.MI 

Coi.omu. 
IV.  Voyage. 

1505- 


Kflorts  qu'ils 
font  pour  ob- 
tenir plus  de 

j.illiCC.    • 


Moit  de 
Ciiriltophe 
Colomb. 


Son  carac- 
tère. 


144      PREMIERS      VOYAGES 

puiffant.  Malheiireufement  pour  l'Amiral,  le  Roi  s'étoit  déclaré  au  fond 
du  cœur  pour  le  fccond  de  ces  deux  Partis.  Enfin  ,  ee  Prince  lui  fit  pro- 
pofer  de  renoncer  à  tous  Tes  Privilèges,  en  lui.  offrant,  pour  récompenfe, 
des  Terres  en  échange  dans  la  Caflille.  Il  détacha  effeétivement  du  Do- 
maine une  petite  Ville,  nommée  Canion  de  los  Comles ,  à  laquelle  il  joignit 
quelques  penfions  ;  &  tel  devoit  être  le  fruit  d'un  fi  grand  nombre  de  tra- 
vaux, que  l'Amiral  avoit  eflliyés  pour  la  gloire  de  rÈfpagne.  Son  chagrin 
en  fut  d'autant  plus  vif,  qu'il  crut  avoir  raifon  de  conclure  que  la  Cour 
n'obferveroit  pas  mieux  les  promefles  qu'elle  avoit  faites  à  fa  Famille.  Mais 
ayant  appris,  en  méme-tems,  que  le  Roi  Philippe  d'Autriche  &  la  Reine 
Jeanne  d'Arragon,  fonEpoufe,  dévoient  arriver  inceflamment  en  Caflille, 
pour  prendre  pofTeffion  de  cette  Couronne ,  il  fe  flatta  encore  que  la  Fille 
&  le  Gendre  d'iiabelle  croiroient  leur  honneur  intéreffé  à  dégager  la  parole 
de  leur  Mère.  AufTi-tôt  qu'ils  furent  entrés  en  Efpagne ,  il  leur  écrivit, 
dans  l'impuifTance  où  fes  infirmités  le  mettoient  d'aller  leur  rendre  fes  hom- 
mages; &  Dom  Barthelemi,  fon  Frère,  fe  chargea  de  leur  préfenter  fa 
Lettre.  Ils  la  reçurent  avec  beaucoup  de  fatisfaélion  ;  &  les  marques  de 
faveur ,  qu'ils  donnèrent  à  l'Adelantade ,  durent  être  accompagnées  de  for- 
tes promefTes ,  puifqu'elles  lui  firent  concevoir  de  nouvelles  efpérances. 

Mais  la  déclaration  de  Ferdinand  avoit  porté  le  coup  mortel  à  l'Amiral, 
Il  paroît  qu'il  mourut  avant  le  retour  de  fon  Frère,  &  qu'il  n'eut  pas  la  con- 
folation  d'apprendre  ce  qu'il  pouvoit  attendre,  pour  fa  Famille,  de  la  dif- 
pofition  de  les  nouveaux  Protefteurs.  Le  dernier  jour  de  fa  vie  fut  le  20 
de  Mai,  Fête  de  l'Afcenfion.  Il  fe  trouvoit  alors  à  Valladolid ,  d'où  fon 
corps  fut  porté  au  Monaflère  des  Chartreux  de  Seville,  &  dans  la  fuite  à 
rifle  Efpagnole,  pour  être  inhumé  dans  la  grande  Chapelle  de  l'Eglife  Ca- 
thédrale de  San-Domingo  (3;). 

Il  avoit  été  marié  deux  fois,  comme  on  l'a  déjà  fait  remarquer.  De 
Philippe  Monniz  Pereflrello  ,  il  eut,  en  Portugal ,  Dom  Diegue,  qui  lui 
fucceda  dans  fes  Dignités;  &  de  Beatrix  Henriquez,  qu'il  avoit  époufé  en 
Efpagne,  il  eut  Dom  Fernand,  l'Ecrivain  de  fa  Vie,  qui  n'eut  d'inclination 
que  pour  le  repos ,  <5c  dont  tous  les  Hifloriens  ne  laiflent  pas  de  parler  avec 
éloge  (s). 

Christophe  Colomb  mourut  dans  fa  foixante-cinquième  année.  Tous 
les  traits  de  fon  caraOïère  ont  été  recueillis  par  divers  Hiftoriens  de  fon 
tems.  Sa  vie  avoit  é'-é  mêlée  de  bonheur  &  d'adverfités ,  d'opprobres  & 
d'applaudiffemens ,  de  ce  que  la  Fortune  peut  procurer  de  grandeurs ,  & 

de 


(y)  Rapportons  la  fin  de  ce  grand  Hom- 
me, dans  les  termes  d'un  Auteur  Efpagnol. 
,,  Ses  douleurs  croiffoient  tous  les  jours, 
I).  ïoit  par  les  incommodités  de  la  Taifon , 
,,  foit  par  l'affliftion  de  fe  voir  abandonné 
„  de  tout  fecours  &  deflitué  de  biens ,  tandis 
„  qu'on  oubliait  fes  fervices,  &  que  chaque 
„  jour  les  richclfes  de  la  Caftiile  augmentoient 
„  par  celles  qu'il  avoit  acquifes  à  cette  Cou- 
„  ronne.  Voyant  donc  que  fes  forces  dimi- 
„  nuoient,  il  fe  lit  apporter  le  Corps  deNô- 


„  tre  •  Seigneur ,  &  le  reçut  avec  beaucoup 
,,  de  piété.  Enfuite,  Tentant  approcher  \'he\x- 
„  re  de  la  mort,  il  fe  fit  donner  l'Extrême- 
,.  Onélion,  &  rendit  l'ame  à  fon  Créateur, 
„  dans  l'état  d'un  viiritable  Chrétien  ".  Her- 
rera,  Liv.  6.  Chap.  15. 

(2)  Oviedo  ,  qui  l'avoit  connu  particu^ 
Hérement,  loue  fon  caraftère,  fon  goût  pour 
l'étude  des  Sciences,  &  le  foin  qu'il  avoit 
apporté  à  fe  faire  une  belle  Bibliothèque. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.   I. 


145 


& 
& 

de 


de  ce  qu'elle  peut  faire  efTuycr  d'humiliations.     Il  jouit  peu  de  fa  gloire    CunisroinE 
&  des  dignités  dont  il  fut  revêtu.     Au  contraire,  il  ne  pafîa  prefque  pas  un   barthelemt 
jour  fans  avoir  à  fouffrir,  ou  les  douleurs  les  plus  aiguës, ou  les  contre-tems      Coi.oMii. 
les  plus  fâcheux,  ou  les  chagrins  les  plus  cuifans.     Il  étoit  d'une  taille  hau-  IV,  Voyage. 
te  &  bien  proportionnée.     Son  regard  &  toute  fa  perfonne  annonçoient  de      ^505. 
la  noblefle.     Il  avoit  le  vifage  long,  le  nez  aquilin ,  les  yeux  bleus  &  vifs, 
&  le  fond  du  teint  blanc,  quoiqu'un  peu  enflammé.     Dans  fa  jeunefle  fes 
cheveux  avoient  été  d'un  blond  ardent;  mais  la  fatigue  du  travail  &  le  poi- 
fon  du  chagrin  y  répandu'ent  bientôt  la  blancheur  du  grand  âge.     Il  avoit 
d'ailleurs  le  corps  bien  conftitué,  &  autant  de  force  que  d'agilité  dans  les 
membres.     Son  abord  étoit  facile  &  prévenant  ;  fes  mœurs  douces  &  ai- 
fées.     Il  étoit  affable  pour  les  Etrangers ,  humain  à  l'égard  de  fes  Domefti- 
ques,  enjoué  avec  fes  Amis,  &  d'une  admirable  égaUté  d'humeur.     On  a 
dû  reconnoître,  dans  les  événemens  de  fa  vie,  qu'il  avoit  l'ame  grande, 
un  génie  élevé,  l'efprit  toujours  préfent  &  fécond  en  relfources,  le  cœur 
à  l'épreuve  de  tous  les  contre-tems, beaucoup  de  prudence  &  circonfpeélion 
dans  toute  fa  conduite.     Quoiqu'il  eût  paffé  les  deux  tiers  de  fa  vie  dans  une 
fortune  des  plus  médiocres ,  il  n'eut  pas  plutôt  changé  de  condition ,  qu'il 
prit  naturellement  des  manières  nobles,  &  qu'il  parut  né  pour  comman- 
der.  Perfonne  ne  prenoit  mieux  que  lui  cette  gravité  bienféante,  &  ne  pof- 
fedoit  plus  parfaitement  cette  éloquence  infînuante  &  judicieufe,  qui  don- 
ne du  poids  à  l'autorité.     Il  parloit  peu;  mais    toujours  avec  grâce.     Il 
étoit  fobre,  &  modefle  dans  fon  habillement,  plein  de  zèle  pour  le  Bien 
public,  fur-tout  pour  la  Religion.    Il  avoit  une  piété  folide,  une  probité 
fans  reproche ,  &  l'efprit  fort  orné  par  les  Sciences ,  qu'il  avoit  étudiées 
dans  rUniverfité  de  Padoue.  En  un  mot,  il  ne  lui  manqua,  fuivant  l'Hifto- 
rien,  dont  j'emprunte  les  termes  (a),  pour  être  l'Idole  des  Callillans,  & 
dans  leur  efprit  im  des  plus  grands  Hommes  de  fon  liècle ,  que  d'être  né 
dans  leur  Pays.    On  ne  fauroit  même  douter  qu'il  n'eût  fait  beaucoup  plus 

pour 


(a")  A  ce';  traits  généraux,  dont  le  fond 
efl;  tiré  d'Hcrrcra ,  on  joindra  ici  quelques 
détails  du  même  Hifhorien. 

Chriflophe  Colomb  entcndoit  parfaitement 
l'Aflronomic  &  l'Art  de  la  Navigation.  11 
lavoit  le  Latin  &  faifoit  des  Vers.  11  étoit  fi 
bon  Chrétien  ,  qu'il  commençoit  tous  fes 
difcours  &  toutes  fes  actions  par  l'invoca- 
tton  de  la  Sainte  Trinité.  A  la  tCte  de  toutes 
fes  Lettres,  il  mettoit  ces  mots  Latins;  ^efiiSy 
Crtix,  Maria,  Jîntnobisinvia.  Son  ferment 
étoit  quelquefois ,  Juro  à  San  -  Fernando  ; 
&  lorfqu'il  vouloit  alairer  quelque  chofe 
dans  les  Lettres  mûmes  qu'il  écrivoît  au  Roi , 
ildifoit,  Hagu  juramento  que  ei'verdad  eflo. 
Une  autre  de  fes  exprelHons  familières,  foit 
dans  la  gaycté ,  (bit  en  colère ,  &  lorfqu'il 
réprimandoit  quelqu'un  ,  c'étoit  Do&oj  àdias-, 
no  os  parue  cjîo  y  ejlo;  ou,  parque  hiziejL's 
Jio  ye  cjlo.    U  obfervoit  régulièrement  les 

Xnil.  Fart. 


Jeûnes  de  l'Eglife.  Il  approclioit  fouvent  des 
Sacrcmens.  11  récitoit ,  chaque  jour,  les 
Pleures  Canoniales.  Il  étoit  grand  ennemi 
des  juremens  &  des  biafphômes.  11  étoit  fort 
dévot  à  la  Vierge  &  à  Saint  François.  On  lui 
entcndoit  répéter  fouvent ,  que  Dieu  lui  avoit 
fait  de  grandes  grâces ,  comme  à  David.  Lorf- 
qu'on  lui  portoit  de  l'or  ,  ou  quelque  chofe 
de  prix  dans  fon  cabinet ,  il  s'agenouilloit  fur 
fon  Oratoire,  pour  rendre  grâces  à  Dieu  de 
ce  qu'il  lui  avoit  fait  découvrir  tant  d  .  biens. 
Avec  un  grand  zèle  pour  le  Service  de  Dieu 
&  la  propagation  de  l'Evangile,  il  dcfiroit 
particulièrement  que  Dieu  le  rendit  digne 
d'aider  à  l'acquifition  du  Saint  Sépulcre;  & 
fouvent  il  fupplioit  la  Reine  de  s'engager  pnr 
Vœu  à  faire  ulagcdes  richeffes,  qu'il  fc  pro- 
mcttoit  de  faire  entrer  en  Efpagne ,  pour  ac- 
quérir la  poffelïïon  de  la  Terre  Suijite.  Li- 
vre 6.  Cbap.  15. 


14<5        PREMIERS      VOYAGES 


Christophe 

Bautiiei-emi 

Colomb. 
IV.  Voyngc. 

1505. 

Défauts 
qu'on  repro- 
che à  Chrillo- 
phc  Coluiiib. 


Eloge?  qu'il 

a  reçus  des 

Hiduricns 

dEfpasnc. 


pour  cette  Coiironnne,  s'il  n'eut  pas  eu  le  malheur  d'y  être  regardé  comme 
un  Etranger  (//). 

Mais  l'Hiftorien  de  Saint-Domingue,  dont  oii  emprunte  les  principaux 
traits  de  ce  caraélère,  obferve  aufli,  que  tant  de  qualités  éminentcs  ne  fu- 
rent point  fans  quelques  défauts.  Colomb,  étant  palfé  tout-d'un-coup  de 
l'état  de  fimple  Pilote,  à  des  dignités, qui  ne  lui  laillbient  voir  au-delîus  de 
lui  que  le  Sceptre,  conferva,  de  fa  première  condition,  une  défiance  ,  qui 
le  rendit  trop  jaloux  de  fon  autorité.  Il  étoit  naturellement  porté  à  la  co- 
lère; mais  il  trouvoit  d'abord  aflez  de  force  en  lui-même,  pour  en  réprimer 
les  faillies.  Peut-être  ne  confidera-if'il  point  aflez  qu'il  avoit  à  conduire  une 
Nation  fière,  &  qui  ne  re^^oit  pas  volontiers  la  loi  d'un  Etranger,  quoiqu'el- 
le ait  été  lon^^-tems  fous  le  joug.  On  lui  reproche  de  la  dureté  pour  les 
Indiens,  &  d'avoir  paru  trop  perfuadé  qu'ils  étoient  nés  pour  être  les  Efcla- 
ves  de  leurs  Conquérans.  Cependant,  il  ne  négligea  point  leur  inftruélion; 
& ,  dans  le  cours  de  fon  Gouvernement,  il  fe  propofa  toujours  de  leur  com- 
muniquer les  lumières  du  ChriHianifme.  Son  amour  pour  l'ordre  &  la 
difcipline  lui  fit  porter  la  févérité  plus  loin  qu'il  ne  convenoit  dans  de  nou- 
velles Colonies.  Il  ne  dévoie  pas  ignorer  que,  dans  la  naiflance  de  cesEta- 
bliflemens ,  une  fage  condefcendance ,  qui  fert  à  faire  goûter  le  joug ,  efl; 
moins  dangereufe  qu'une  dureté  inilexible,  dont  l'effet  ordinaire  efl:  de  con- 
duire, au  defefpoir,  des  efprits  déjà  révoltés  contre  les  fatigues  d'un  genre 
de  vie  fi  nouveau  &  fi  pénible  (c).  Mais  de  fi  légères  taches  n'ont  point 
empêché  les  Hiftoriens  Efpagnols  de  rendre ,  à  fon  caraélère,  toute  la  jufl:i- 
ce  qui  lui  étoit  due.  Oviedo  ne  fit  pas  difficulté  de  dire,  à  Charles -Quint, 
qu'on  n'auroit  pas  porté  trop  loin  la  reconnoiflTance  &  l'efliimc,  en  lui  éle- 
vant une  Statue  d'or.  Herrera  le  compare  à  ces  Héros  des  premiers  tems, 
dont  l'Antiquité  profane  a  fait  des  demi-Dieux  (d).  Gomara  même,  qui 
le  traite  de  Cruel,  reconnoît  que  fon  nom  mérite  de  n'être  jamais  oublié, 
&  que  l'Efpagne  lui  doit  des  éloges  &  des  remercimens  immortels  (e).  Le 
Roi  Ferdinand,  revenu,  fans  doute,  de  l'injufte  prévention,  par  laquelle  il 
s'étoit  laifle  trop  long-tems  gouverner,  ordonna,  non-feulement  qu'on  ren- 
dît des  honneurs  dillingués  à  fa  mémoire  (/) ,  mais  que  fus  Enfans  fe  ref- 
fentifi'ent  des  glorieux  ferviccs  de  leur  Père.  En  efi^et,  on  verra  bientôt 
Dom  Diegue  recueillir  tous  les  avantages  de  fa  naiflance,  &  donner  un  nou- 
veau luftre  à  fon  nom  dans  la  première  dignité  du  nouveau  Monde. 


L 


(6)  Hijloîre  de  Saint-Domingue ,  Liv.  4. 
page  45  &  précédentes. 

(  c  )  Ibidem. 

(  d  )  Outre  les  Temples  &  les  Statues,  dit-il , 
ils  lui  cuffcnt  dédié  quelque  Etoile  dans  les 
Signes  céleiles,,  coinuic  à  Hercule  &  à  Bac- 
clius.  ubifitp. 


(e)  Liv.  I.  Chap.  25. 

(/)  Outre  cei!X  de  fa  fépulturc,  qui  fu- 
rent pompeux,  on  grava,  fur  l'on  Tombeau, 
par  1  ordre  du  Roi,  la  deviie  de  fes  armes; 
^  Cajlilla  y  a  Léon ,  Nusvo  Mundo  dio Colon. 
Chap.  4<5. 


Etat 


-       -^       E    N      A    M    E    R    1    Q    L7    E,    Liv.  I.  117 

'  '     Etat  Êf  Progrès  des  Découvertes ,  après  la  mon  de  Chrijlophe  Colomb. 

I'IsLE  Efpagnole  n'avoit  pas  celTc ,  depuis  plus  d'un  an ,  d'être  en  proyc 
^  àdenouvelle«  guerres,  qui  s'étoient  terminées,  fuivant  la  méthode 
d'Ovando,  par  le  mairacre  d'une  infinité  d'infulaircs ,  &  par  le  Aipplice  de 
Cotiibama,  le  dernier  de  leurs  Souverains  {a).  Le  fucccs  des  armes  Calljl- 
lanes,  &  la  nouvelle  de  la  mort  d'irihelle,  mirent  le  comble  à  l'infortune 
de  ces  mifcrables  Indiens.  Le  falaire  môme ,  qu'un  ordre  de  cetccPrinccfle 
leur  faifoit  accorder  pour  leurs  fi-rvices ,  &  qui  étoit  d'une  demie  Piaftre 
chaque  mois,  parut  une  charge  trop  pelante.  11  fut  retranché  tout-à-fait; 
&  tous  ces  Malheureux  furent  condamnés  au  travail,  fans  diftinflion  d'ugj, 
de  fexe,  ou  de  rang,  &  fans  autre  obligation,  pour  ceux  qui  les  em- 
ployoient,  que  de  les  inftruire  (\i?.s  principes  du  Chriflianifme.  Mais  cet- 
te condition  étoit  fort  mal  remplie  (Z^),  quoique  Ferdinand  ne  celTut  point 
de  la  recommander  dans  (es  Lettres.  Il  étoit  trompe  par  les  faulll-s  repré- 
fentations  d'Ovando,  qui  lui  peignoit  la  Religion  lloriflante,  &  qui  s'atti- 
roit  de  la  confiance  par  la  grande  quantité  d'or  qu'il  envoyoit  régulièrement 
à  la  Cour.  Son  adminiftration  étoit  d'ailleurs  fans  reproche,  &  la  Police 
étoit  bien  établie  dans  l'illc.  Il  s'y  faifoit  quatre  fontes  d'or  chaque  an- 
née, deux  à  Buena- Ventura,  pour  les  vieilles  &  les  nouvelles  Mines  de 
Saint-Chriflophe,  &  deux  à  la  Conception  de  la  Vega,  pour  les  Mines  de 
Cibao.  Dans  la  première  de  ces  deux  Villes,  chaque  fonte  fourniflbit 
cent  dix  ou  fix  vingts  mille  marcs.  Celles  de  la  Conception  donnoient 
ordinairement  cent  vingt-cinq  ou  cent  trente,  &  quelquefois  cent  qua- 
rante mille  marcs  (c):  prodigieufes  fommes,  dont  la  Renommée  fit  tant 
de  bruit ,  en  Efpagne ,  que  bientôt  il  ne  fe  trouva  plus  allez  de  Navires  pour 
le  paflage  de  ceux  qui  s'empreflbient  d'aller  partager  tam:  de  tréfors.  Mais 
il  ne  fut  pas  long-tems  nécellaire  de  palTer  la  Mer.  La  plupart  des  Seigneurs 
&  des  Miniflres  demandèrent  des  Départemens  dans  l'ille  Efpagnole,  & 
n'eurent  pas  de  peine  à  les  obtenir.  Ils  y  établirent  des  Agens,  qui  eurent 
à  pouffer  tou' -à- la-fois  leurs  intérêts  &  ceux  de  leurs  Maîtres.  Les  Infu- 
laires  en  devinrent  la  viftime.  On  les  ménagea  d'autant  moins,  que  ceux 
qui  fuccomboient  fous  le  poids  du  travail  étoient  auffi-tôt  remplacés,  en 
vertu  des  Provifions  de  la  Cour.  Letjouverneur  Général  ^n'ofant  rien  refufer 
à  ce§  impitoyables  Maîtres ,  &  moins  encore  châtier  leur  cruauté ,  on  ne  fiiu- 

roit 


(rt)  Il  fut  pendu  à  San -Domingo.  Ses 
Sujets  ,  prelTcs,  de  toutes  parts,  par  Diego 
d'Iîfcobar,  Jean  Ponce  de  J.éon,  Jean  d"Kf- 
quibcl  ,  &  un  autre  OiRcicr  Jifi^agnol , 
qu'Ovando  avoit  mis  à  la  tète  de  quatre 
Corps  de  Troupes,  avec  ordre  d'ôter.prur 
jamais,  aux  liuiier.s,  Iepou\oirde  luicaurer 
de  ".'iiiquiétude,  furent  réùuits  à  de  li  cruel- 
les extrémités,  quêtant  liletlés  à  mort,  ils 
s'enfonçoient  de  rap]e  leurs  liùcl-.es  dans  le 
corps,  ils  les  retiroienc,  les  prenoieiu  avec 
les  dents,  &  les  niettoiont  en  morceaux, 
qu'ils  jcitoient  contre    Tes  Clirétiens,  dont 


DECOUVERTES 

CuRisToruc 
Colomb. 
1506. 

?.]ifcrab'(f 
fort  dvs  In- 
diens. 

RéKleinen? 
d  Ovau.lo. 


Or  qu'il  ti 
roit  de  1  lile 
Efpagnole,. 


I.csScigneuj-s 

d'Elpagney 

participent. 


ils  croyoient  s'être  bien  vangés  par  cette  in- 
fulte;  d'autres  ayant  été  faits  Prifoîiniers,  & 
fe  voyant  forcés,  par  leurs  Vainqueurs,  de 
courir  devant  eux  pour  leur  moiurer  les 
chemins  ,  fe  précipitoicnt  volontL'.irement 
fur  les  pointes  des  Rochers.  Hcn-cra,  Liv.  i. 
Chap.  8. 

(b)  Barthelemi  de  la';  Cafas  reproche,  au 
Gouverneur ,  de  n'avoir  pas  eu  plus  de  zèle 
pour  !a  converfion  des  Infulaires,  que  s'ils 
cullcnt  été  dos  Animaux  privés   de  ra'fon, 

(<•)  Herrcra,  Liv.  6   Cbap,  i8. 

1     2 


148 


PREMIERSVOYAGES 


Etat  des 

decouvertes 

APlths 

Chuistophe 
Colomb. 

1506. 

Règlement 
pour  les  Fem- 
mes &  les  Ma- 
riages. 


1507- 


Dépeuple-  ' 
ment  desllles 
Lucayes. 


Artifices  par 
Iclquels  les 
Inùilaires  fo 
laillent  trom- 
per. 


roit  croire  combien  de  malheureux  Indiens  furent  facrifiés,  en  peu  de  mois, 
à  Tavidicé  des  Grands  &  de  leurs  EmilTaires. 

Jusq.u'alors  on  n'avoit  fait  paficr,  dans  Tlfle",  qu'un  fort  petit  nombre 
de  Kcmmes  Caftilianes,  &  la  plupart  des  nouveaux  Ilabitans  s  étoient  atta- 
chés à  dp  Filles  du  Pays ,  dont  les  plus  qualifiées  avoient  été  le  partage 
des  Gentilshommes.     Mais  les  unes  &  les  autres  n'avoient  pas  le  titre  de 
Femmes  ;  &  plulîeurs  même  de  leurs  Amans  etoient   mariés   en  Caftille. 
Ovando  ne  trouva  pas  d'autre  expédient,  pour  remédier  à  ce  defordre,  que 
de  chafTer  de  l'Ifle  ceux  qui  étant  mariés ,  refuférent  de  faire  venir  leurs 
Femmes,  &  d'obliger  les  autres,  fous  la  même  peine,  d'époufer  leurs Maî- 
trefles  ou  de  s'en  défaire.     Comme  ceux-ci  embraflerent  prefque  tous  le 
premier  de  ces  deux  partis ,  on  peut  dire  que  les  trois  quarts  des  Efpagnols , 
qui  compofent  aujourd'hui  cette  Colonie,  font  defcendus  de  ces  anciens  Ma- 
riages.    En  1507,  il  n'y  reltoit  déjà  plus  que  foixante  mille  Indiens,  c'eft- 
à-dire,  la  vingtième  partie  de  ce  qu'on  y  en  avoit  trouvé  dans  l'origine  de 
l'Etabliflement.     Ce  nombre ,  ne  Ibffifant  point  pour  tous  les  fervices  aux- 
quels ils  y  étoient  employés ,  Ovando  réfolut  d'y  tranfporter  les  Habitans 
des  nies  Lucayes ,  qui  avoient  été  découvertes  dans  le  premier  Voyage  de 
Chriilophe  Colomb.     Il  fit  goûter  cette  propofition  à  la  Cour,  fous  pré- 
texte de  procurer  les  lumières  de  la  Religion  à  tant  de  Malheureux,  aux- 
quels on  ne  pouvoit  fournir  un  allez  grand  nombre  de  Millionnaires,  & 
Ferdinand  donna  dans  le  piège.     La  permifllon  ne  fut  pas  plutôt  publiée , 
que  plufieurs  Particuliers,  ayant  équipé  des  Bâtimens  à  leurs  fraix ,  pour  al- 
ler faire  des  recrues  aux  Lucayes ,  ils  mirent  toutes  fortes  de  fourberies  en 
ufage,  pour  engager  ces  Infulaires  à  les  fuivre.     La  plupart  les  aiTurèrenc 
qu'ils  venoient  d'une  Région  délicieufe,  où  étoient  les  âmes  de  leurs  Pa- 
rens  &  de  leurs  Amis  morts,  qui  les  invitoient  à  venir  partager  leur  bon- 
heur.    Ces  artifices  en  féduifirent  plus  de  quarante  mille;  mais  lorfqu'en 
arrivant  à  l'ille  Efpagnole,   ils  reconnurent  qu'on  les  avoit  trompés,  le 
chagrin  en  fit  périr  un  grand  nombre,  &  d'autres  formèrent  des  entrepri- 
{qs  incroyables,  pour  fe  dérobber  à  leurs  Tyrans.     Un  Navire  Efpagnol  en* 
rencontra  plufieurs,  à  cinquante  lieues  en  Mer,  fur  un  tronc  d'arbre,  au- 
tour duquel  ils  avoient  attaché  des  Calebafles  remplies  d'eau  douce.     Ils 
touchoient  prefqu'à  leur  lile  ,•  mais  on  ne  manqua  pas  de  les  faire  rentrer 
dans  l'efclavage  (d).    La  violence,  qui  fut  ci    ■)loyée après  la  rufe,  rendit,, 
en  peu  d'années ,  les  Lucayes  abfolument  défei  ces. 


DinzdeSolis 
&.  Yancz  Pin- 
çon fuivent 
fes  découver- 
tes des  Co- 
lombs. 


{(!)  rierrcra,  Ltv,  7.  Cbap.  3. 


5.  r. 


Voyage  de  D'iaz  de  Solis  ^  d'Tançz  Pinçon. 

EAN  Diaz  de  Solis  &  Vincent  Yanez  Pinçon  avoient  entrepris ,  cette  an* 
_  née,  de  fuivre  les  dernières  découvertes  des  Columbs.  Ils  prirent  leur 
route  pur  les  Ifl.s  de  los  Guanajos,  d'où  ils  tournèrc^nt  à  l'Fft;  nuis,  repre- 
nant cnluite  versl'Oueft,  jufquala  hauteur  du  Golfe  Dvue,  fans  le  voir 

néan- 


J 


EN      AMERIQUE,  Liv.  I. 


149 


néanmoins,  parce  qu'il  efl:  caché  par  les  Terres,  ils  reconnurent  la  grande 
Baye,  qui  eft  entre  la  Terre  du  Golfe  &  celle  de  l'Yucatan,  &  lui  donnè- 
rent le  nom  de  Raye  de  Navidad.  Ils  apperçurent,  de -là,  les  Montagnes 
de  Caria\  &,  retournant  vers  le  Nord,  ils  vilitcrent  une  partie  des  Côtes  de 
l'Yucatan.  Après  eux,  cette  découverte  fut  fufpendue  jufqu'à  celle  de  la 
Nouvelle  Efpagne;  &  leur  gloire  fut  médiocre,  puifqu'ils  n'avoient  rien 
ajouté  aux  lumières  qu'on  avoit  déjà  reçues  des  Colombs  {a). 

Cependant,  à  leur  retour  en  Efpagne,  ils  reçurent  ordre  de  fe  rendre  à 
la  Cour,  avec  Americ  Vcfpude  &  Jean  de  la  Cofa,  pour  tenir  un  Confdl, 
dans  lequel  il  fut  arrêté  que  les  découvertes  feroient  continuées  vers  le  Sud, 
le  long  de  la  Côte  du  Brelil  ;  &  que,  pour  tirer  quelque  avantage  de  tant 
de  lieux  qu'on  avoit  reconnus,  depuis  Paria,  vers  les  mêmes  Terres,  on  y 
formeroit  quelque  Etabliifement.  Le  Roi  fit  équiper  deux  Caravelles,  qui 
furent  livrées,  avec  confiance,  à  de  fi  fameux  Pilotes.  Mais  on  jugea  né- 
ceflaire  d'en  retenir  un  àSeville,  pour  faire  les  alignemens  &  les  routes; 
&  Vefpuce  fut  nommé  à  cet  Oliice.  C'effc  proprement  de  ce  choix ,  &  des 
Lettres  Patentes,  par  lefquelles  il  fut  confirmé  à  Burgos,  que  le  nouveau 
Monde  a  tiré  le  nom  à! Amérique.  La  jufl:ice  &  la  railon  demandoient,  fui- 
vant  Herrera,  qu'il  eût  pris  le  nom  de  Chrifi:ophe  Colomb ,  à  qui  l'on  en 
devoit  la  première  découverte:  mais  la  Déclaration  du  Roi  d'Efpagne  de- 
vint comme  une  Loi  pour  toute  l'Europe,  ik  fut  confirmée  par  d'autres  fa- 
veurs, qui  continuèrent  de  tombc;r  lur  Vefpuce  {^b).  Solis  &  Pinçon 
ayant  obtt:nu  le  Commandement  des  deux  Caravelles,  Jean  de  la  Cofa  & 
Pierre  do  Ledefma  furent  chargés  de  TOliice  de  Pilotes. 


Etat  de» 

DECOUVEllTES 

APItfes 
CHRIfcTOITIK 

Colomb. 

1507- 

Première 
découverte 
de  l'Yiicaun, 


(fl)  Le  même,  Liv.  6.  Chap.  17. 

(  i  )  Il  fut  honoré  du  titre  de  Pilote  Major, 
avec  une  pcnlîon  aninicllc  de  ibixante-qiiin- 
ze  mille  Maravcdis.  Cc'te  qualité  lui  doii- 
noit  le  droit,  &  l'obligcoit  même   d'exami- 


ncr  tous  les  Pilotes  ;  ce  qui  enfla  beaucoup 
fa  vanité,  fuivant  les  termes  de  l'HiRorien, 
ibidem,  Chap.  i.  /^oyez ,  ci  -  deUlis ,  fon  in^ 
Julie  ufurpatioH. 


Ce  qai  a 

confirmé  le 
nom  d'Améri- 
que au  nou- 
veau Monde. 


5-   II. 

Voyage  à'Ocampo  autour  de  Plfle  de  Cuba: 

AU  commencement  de  l'année  1508,  le  Roi  fit  des  plaintes,  de  la  né- 
gligence qui  avoit  fait  remettre  de  jour  en  jour  à  s'afîurer  fi  Cuba, 
Terre  fi  voifine  de  flfle  f'-fpagnole,  cioit  une  lîle  ou  quelque  partie  du  Con- 
tinent. Depuis  1494  ,  qu  elle  avoit  été  découverte  par  Chriflophe Colomb, 
on  n'avoit  pas  eu  d'autre  cciairciflement  que  ceux  qu'il  avoit  reçus  lui  mê- 
me d'un  Roi  du  Pays.  Sebaftien  d'O^awpo,  un  des  premiers  Compagnons 
de  Colomb,  reçut  ordre  de  partir  avec  cette  feule  Commiflion.     En  arri- 


1 5  o  81 

Oa  dcutoic 
Cl  Cl, La  éioit 
une  lue. 


le  radoub  à  deux  Vailleanx.  Ceil  le  même"  qui  eîl  devenu  fi'célèbre  de- 
puis, fous  !c  nom  du  la  Uaïam.  Enfuite  Ocampo,  fuivanr,  la  route  de 
iOueflj  trouva  le  Cap,  qu'on  nomme  aujourd'hui  Haint-Àntoine ^  à  la  difl:an- 

T  3  ce 


150 


PREMIERS      VOYAGES 


Etat  des 

ntCDUVEHTES 

CnRijTornE 

COL,UMil. 

1.50  s. 

Succès  du 
V()y:if.;c  ifO- 
campti. 


ce  d'environ  cinquante  lieues  de  ce  Port.  Il  tourna  de  là  vers  l'Orient,  le 
long  de  la  Côte  du  Sud;  &  doublant  le  Cap,  il  entra  dans  le  Port  de  Xngua, 
nom  de  la  Province  où  il  efl:  Htué.  Sa  grandeur  &  la  commodité ,  qui  le 
rendent  capable  de  contenir  jurqu'à  mille  Vailllaux,  caufèrent  de  l'admira- 
tion aux  Efpagnols.  Ils  ne  furent  pis  moins  furpris  de  s'y  trouver  dans  les 
délices,  par  l'abondance  &I1  variété  des  rafraîchifleniens  qu'ils  reçurent 
des  Indiens  (a).  Ocampo  coiuinua  de  faire  le  tour  des  C(kes;  &  Ion  té- 
moignage, après  un  Voyage  de  huit  mois,  ne  lailFa  aucun  doute  que  ia Ter- 
re de  Cuba  ne  lût  une  llle. 


(a)  Ils  avoicnt  un  fort  ,i;r;tncl  nombre  de  fcpircs  les  uns  des    autres.     T. c  Port  efl  R 

Cliicr.r,  de  mer,  qu'ils  tL'iioicnt  dans  des  Pures.  paili:iIo,  que  les   Chiens  de  mer  y   étoient 

On  en  comptoit  des  nirllioiis.     Ces  Pares  e'-  comme  dms  des  Maifons,  ijui  feroitnt  bâties 

toient  faits  de  cannes  ticliées  dans  la  vafc,  &  au  milieu  d'un  Etapg.  Ibidem. 


Motif  de 
i'I'lxiiéditiun 
de  Jean 
Ponce. 


0-1 


i;fner3le  de 
riUe  de  Bo 
iicjiiciî. 


5.      III. 

Voyage  £5'  EtahUJJemcnt  de  Jean  Fonce  à  Boriquen,  ou  Portai  ic. 

DANS  le  même-tems ,  Jean  Ponce,  qui  commandoit  à  Salvahon,  Ville 
nouvelle  de  l'L'Jpagnole,  qu'Ovando  avoit  fait  bacir  fur  le  bord  de  la 
Mer,  à  vingt-huit  lieues  de  San- Dnmin;^o,  ayant  appris,  de  quelques  In- 
diens, qu'il  y  avûit  beaucoup  d'or  dans  i'IOe  de  Boriqum,  que  Chriflophe 
Colomb  avoit  nommée  Saint- Jean  ^  ik  ([ui  a  pris  enfuite  le  nom  de  Portoric^ 
obtint  du  Gouverneur  Général  la  permilîion  de  la  viiiter.  Il  le  mit  dans 
une  Caravelle,  que  les  Guides  (ircnt  aborder  fur  la  Côte  d'une  Terre,  dont 
le  Seigneur,  r\ommé  Agueymba ,  écoit  le  plus  riche  ik  le  plus  puiOant  de 
riile.  Il  y  fut  re(;u  avec  la  plus  fainte  preuve  de  i'amitié  des  Indiens,  qui 
confiftoit  à  prendre  le  nom  de  ceux  qu'ils  \'ouloient  honorer  ilngnliérement. 
i\inri  le  Cacique  fe  fit  nommer,  dès  le  premier  jour,  '/ran  Ponce  /Jgitcynaba. 
Il  conduifit  Ton  Hôte  dans  toutes  les  parties  de  rine,&fur  les  bords  de  deux 
Rivières,  nommées  iVlanatuabon&.Cahiito ,  dont  le  i.ible  c':oit  nulé  de  beau- 
coup d'or.  Ponce  en  fit  faire  des  épreuves,  (î\:  te  lùta  de  porter  c:tte  heu- 
reuie  nouvelle  au  Gouverneur.  Une  partie  de  les  gens  ,  qu'il  avoit  laiilce 
dans  rille,  y  fut  ii  bien  traitée  dans  Ion  abfence,  qu'également  engagé  par 
la  richelle  du  Pays  &  par  l'humanité  ui.s  Habitans,  il  y  revint  pour  former 
une  Colonie.  La  defcription ,  qu'il  fît  de  l'iilj,  poitoit,  que  dans  fa  plus 
grande  partie  elle  cil  remplie  de  Montagnes  &  de  Collines,  quelques-unes 
revêtues  de  Bois  épais  &  d'herbes  fort  agréables  ;  qu'elle  a  peu  de  Plaines, 
beaucoup  de  Vallons,  &  quantité  de  Rivières,  qui  fervent  à  la  rendre  fer- 
tile ;  qu'elle  efl  éloignée,  de  douze  ou  quinze  lieues,  de  la  Pointe  occiden- 
tale de  l'Eipagnole,-  qu'elle  a  quelques  Ports  d'une  bonté  médiocre,  à  l'ex- 
ception de  celui  que  fbn  excellence  fit  nommer  Puerto  Ricco,  d'où  s'ell  for- 
mé Pottoric;  que  la  longueur  efl  d'environ  quarante  lieues,  fur  quinze  on 
feize  de  largeur,  &  fon  circuit  de  cent  vhigt;  que  toute  la  Côte  du  Sud  ell 
au  dix-feptième  degré  de  latitude  du  Nord,  &  cdle  du  Nord  au  dix-huitiè- 
me j  enfin  5  qu'il  s'y  tiouvoit  beaucoup  d'or,  mais  d'un  moindre  aloi  que  celui 

de 


EN      AMERIQUE,   L  i  v.    I. 


151 


Ktat  nt« 

CECOUVKRTEf 
Anù'."' 

CiiuisTorat 

Coi.oMli. 

1508. 


IJoin 
de 


de  riHe  Efpagnole.  Le  feiil  malheur  de  cette  Ifle  étoit  d'être  fouvent  expo- 
fée  aux  attaques  des  Caraïbes ,  qui  pafluient,  dans  l'ciprit  des  autres  Indiens, 
pour  les  plus  barbares  de  tous  les  Hommes  (a). 

La  même  année  apporta  des  cliangcmens,  qui  rendirent,  à  la  réputation 
des  Colombs,  un  éclat  qu'elle  fembloit  avoir  perdu  depuis  la  mort  d'Ifa- 
belle.  Dom  Diegue  Colomb,  IVuié  des  deux  Fils  de  l'Amiral,  avoit  pour-  Rctubliill- 
fuivi  avec  chaleur  les  droits  qu'il  avoit  hérités  de  fon  l'ère.  Les  plus  for-  '"V'J  '',''^1^^^' 
tes  oppiHitions  étoient  venues  du  Roi  même  (b);  mais  après  avoir  long-  lolnf,','^' ils \ 
tems  elVuyé  les  Lnteurs  de  ce  Prince ,  il  avoit  obtenu  enfin  la  permilîion  de  cinillophc. 
recourir  aux  vo^cs  communes  de  la  Juftice.  Un  Mémoire,  compofé  de 
quarante -deux  Articles,  qui  ne  contenoient  que  les  anciennes  Conventions 
du  Roi  6c  de  la  Reine  avec  l'Amiral,  avoit  fait  ouvrir  les  yeux  au  Con- 
îeil.  Après  une  exafte  difcuflion ,  on  avoit  reconnu  la  juftice  d'une  de- 
mande Il  bien  établie;  &  le  jeune  Colomb  avoit  gagné  fon  Procès  d'une 
feule  voix.  Cependant  il  auroit  eu  peine  à  vaincre  l'irréfolution  du  Roi, 
s'il  n'eût  trouvé,  dans  une  alliance  fort  honorable,  des  fecours  qui  lui  fi-  "• 

rent  furmonter  tous  les  obllacles.  Il  epoufa  Marie  de  Tolède^  Fille  de  Fer- 
dinand de  Tolède,  Grand  Commandeur  de  Léon,  Grand  Veneur  de  Caftii- 
le,  Frère  du  Ducd'/^/k,  îk  Coufin •  germain  du  Roi  Catholique,  dont  le 
Duc  d'Albe  étoit  d'ailleurs  fort  aimé.  Le  premier  eftet  de  ce  Mariage 
fut  déporter  les  deux  Frères  à  foUiciter  fortement,  l'un  en  faveur  de  fon 
Neveu ,  &  l'autre  pour  fon  Gendre.  Ovando  fut  révoqué ,  &  Dom  Die* 
gue  fut  nommé  pour  le  remplacer,  mais  avec  le  fimple  titre  de  Gouver- 
neur Général  ;  quoiqu'en  faveur  apparemment  d'une  Alliance  ,  qui  j'ap- 
prochoit  de  la  Maifon  Royale,  on  le  trouve  fouvent  honoré  de  la  quali- 
té de  Vice -Roi,  &  Dona  Maria  de  l'olede,  fon  Epoufe  ,  de  celle  de 
Vice- Reine  (c). 

Il  paroît  que  la  difgrace  d'Ovando  ne  vint  pas  feulement  du  crédit  de  la 
Maifon  de  lolede;  Ci:  que  la  Reine  Ilabelle,  pour  aflurer  la  punition  du 
maflacre  deXaragua,  dont  elle  avoit  toujours  parlé  avec  horreur,  avoit  prié 
Ferdinand  de  rappeller  un  Officier,  qui  avoit  répondu  fi  mal  à  ùi  confiance. 
D'ailleurs,  il  avuic  commis  une  faute,  bien  moins  excufuble,  pour  un  vieux 
Courtifan,  en  s'attirant  la  haine  du  Miniltre  des  Indes,  qui  jouïlfoit  enco- 
re de  la  plus  haute  faveur.  Un  Ilillorien,  qui  paroît  trop  porté  à  le  jufti- 
ficr ,  afllire  qu'Ovando  fut  regretté  dans  les  Indes.     11  ajoute  qu'on  n'avoit 

jamais 


(a)  Le  mcinc,  Liv.  7.  Cha[>.  4. 

(i)  Dom  Dicgiic  eut  ia  fermeté  de  lui 
dire  un  jour,  „  qu'il  dofiroit  lavoir  pour- 
„  quoi  Sa  JVIajcfté  ne  fUi  i'ifoit  pas  la  grâce 
„  do  lui  donner  ce  qui'lui  t.ppartcnoit,  après 
,,  lui  avoir  fait  celle  de  Ic'levtr  dans  la  Mai- 
„  fon ,  &  lorfque  ,  dans  fcs  demandes ,  il 
„  n'avoit  p;is  d'autre  vue  que  de  le  fcrvir 
,,  fidèlement'^"  Le  Roi  lui  répondit  que  pour 
le  bien,  il  le  lui  conlieroit  volontiers,  mais 
à  condition  qu'il  le  gardât  pour  fes  enfans  ik 
les  luccelTeurs.  A  quoi  Dom  Diegue  répli- 
qua „  que  n'ayant  point  d'cnfaiis,  ù.  n'éuas 


,,  pas  certain  d'en  avoir  Jamais,  il  netoit  pas 
,,  naturi  I  qu'il  prît  d'avance  un  engagement 
,.  de  cette  nature."  Ibidem,  Liv.  7.  Chap.  4. 
Mais  fes  plus  chères  prétentions  regardoicnt 
les  Emplois  de  Viceroi  èc  de  Gouverneur  per- 
pétuel des  Iftdos,  tant  des  Terres  découver- 
tes que  de  celles  qui  reltoient  à  découvrir, 
fuivant  le  Contrat  formel  qui  avoit  été  fait 
entre  Leurs  Majetlés  &  fon  Père,  &  dont 
celui-ci  avoit  rempli  lidèiemuiit  les  condi- 
tions, ibidem. 
(c)  Hcrrera,  Liv,  7,  Cba.p.  6^ 


■Etat  dk« 

DECOUVERTES 

APfii;.- 

CimiSTonnî 

COLOM». 

1508. 


Alfonfe 
irOjcda  c(t 
choifi  pour 
de  nouvelles 
ditreprifcs. 


Vîlcs  de  h 
CourdEfpa- 
une. 


Situation 
d'Ojcda  dans 
i'hh  Efpa- 
gnolc. 


Diego  deNi- 
cucŒi  lui  dt 
alTocié. 


I5Î      PREMIERS       VOYAGES 

jamais  vu  d'Homme  moins  intcrefle  ;  qu'il  avnit  employé  tons  Tes  revenus 
à  l'utilité  publique,  &  qu'en  partant  pour  riClpagnc,  il  fut  obligé  d'em- 
prunter cinq  cens  Caftillans,  pour  Ips  fraix  de  Ton  Voyage  (d).  Le  pre- 
mier accueil  qu'il  reçut  du  Roi,  ne  marquoit  point  un  Ilnmmc  difgracié. 
Cependant  on  foufFrit  que  divers  Particuliers  lui  intcntafll  iit  des  Procès, 
&  lui  redemanciaflent  des  fommes  confidérdhlcs,  qu'il  (e  dilpcnfa  depayer| 
par  la  feule  raifon  qu'elles  ne  lui  avoient  pas  été  clemandé;.s  dans  Ls  tren- 
te jours  que  la  Cour  lui  avoit  donnés  pour  rendre  Tes  comptes  à  (on  Suc- 
celfeur  (e). 

Pendant  que  Dom  Die^ue,  qui  ne  paroîtra  plus  que  fous  le  titre  d'A- 
miral, faifoit  les  préparatifs  de  Ion  départ  &  recevoit  les  ordres  du  Roi 
pour  Ton.  adminiftration ,  Solis  &  Pinçon ,  heureufcment  revenus  de  leur 
Voyage,    rapporte  ent,  qu'étant  arrivés  à  la   Terre -ferme,  vers  le  Cap 
Saint- Augufliin,  ils  avoient  fuivi  la  Cote  jufqu'au  quarantième  degré  de  la- 
titude Aultrale,  &  que  dans  tous  les  lieux  où  ils  étoient  defcendus,  ils  a- 
voient  pris  pofleflion  du  Pays  au  nom  de  l'Elpagne.     Quoiqu'ils  n'culTent 
pas  tiré  d'autre  fruit  de  cette  Expédition,  le  Roi ,  qui  avoit  conçu  de  trop 
grandes  efpérances  des  dernières  découvertes  de  Chriftophe  Colomb,  pour 
ne  pas  s'aflurer  la  poilefllon  de  tant  de  riches  Contrées ,  réfolut  d'y  établir 
fa  puiflance  fur  des  fondemens  folides.     Alfonfe  d'Ojeda,  dont  la  hardicffe 
àc  le  courage  étoient  célèbres,  lui  parut  propre  à  cette  entreprife;  mais  les 
courfes  &  les  avantures  d'Ojeda  ne  l'avoient  point  enrichi.     Loin  de  pou- 
voir fournir   aux  fraix  d'un  Armement  conlîdérable,  il  luttoit  alors  contre 
fa  mauvaife  fortune,  dans  l'Ille  Efpagnole,  d'où  il  ne  paroît  pas  qu'il  fût 
forti  depuis  le  fécond  Voyage  qu'il  avoit  fait  avec  Americ  Vefpuce.    Jean 
de  la  Cofa,  qui  eftimoit  Ion  caraftère,  apprenant  l'obftacle  qui  pouvoit 
faire  renoncer  à  ks  fervices,  offrit,  non- feulement  de  lui  porter  les  ordres 
&  les  inllrudtions  de  la  Cour,  mais  de  l'aider  de  fon  bien  pour  une  dépen- 
fe  dont  le  Roi  ne  vouloit  pas  fe  charger.     Le  Miniflre  des  Indes  (/)  ac- 
cepta cette  propofition.     Mais,  dans  le  même  tems,  un  Gentilhomme  fort 
riche,  nommé  Diego  de  NicueJJa,  qui  avoit  fervi,  en  qualité  d'Ecuycr,  Dom 
Henrique  Henriquez^  Oncle  maternel  du  Roi,  &  qui  s'étoit  fait  connoître 
avantagv.^.'ement  à  la  Cour,  arriva,  de  fUle  Efpagnole,  chargé  d'une Com- 
miffion  qui  regardoit  cette  Colonie.     La  nouvelle  de  ce  qui  fe  ménageoit 
en  faveur  d'Ojeda,  lui  fît  naître  du  goût  pour  la  même  entreprife.     Il  de- 
manda qu'elle  ïHt  partagée  entre  Ojeda  &  lui,  &  fon  crédit  le  fit  écouter. 
On  forma  deux  Provinces  de  cette  partie  du  Continent  où  l'on  vouloit  s'é- 
tablir; on  en  régla  les  limites;  &  les  Provilîons  de  deux  Gouverneurs  fu- 
rent expédiées.     Le  partage  d'Ojeda  fut  tout  l'efpace  qui  efl:  depuis  le  Cap 
de  Vêla, auquel  il  avoit  donné  ce  nom,  jufqu'à  la  moitié  çlu  Golfe  d'Uraba; 
&  ce  Pays  fut  nommé  la  Nouvelle  Andaloufie.     Nicueffa  obtint  ce  qui  eft  de- 
puis le  même  Golfe  jufqu'au  Cap  Gracias  à  Dïos  ^  &  cette  Province  reçut 

le 


((/)  Ovicdo,  Liv.  4.  Chap.  5.   Cet  Ilifto-         ("/)  Fonfecn  étoit  pafTé  ruccc(îî\cmcnt  de 

rien  excui'c  jufi]u'à  la  cruiuitc  d'Ovando.  l'Evcché  de  Badajos ,  à  ceux  de  Cordoue  & 

(e)  Herrera,  Lïv.  7.   Chap    10.  Ovicdo,  dePlacentia,  fans  celfcr  d'être  chargé  parti- 

Liv.'x.  Chap,  12.  &  Liv.  4.  Cbap.  i.  cuUèreiucnt  du  MinilUrc' des  Indes.    , 


EN      AMERIQUE,  Liv.   I. 


«53 


Etat  nu 

DECOtVL'RTll 
APHkS 

Christophe 
CoLOMn. 
1508. 
On  partage 
cntr'ciix  le 
Ciouvtri)e- 
mcin  des  Pays 
qu  ilb  de 
voient  divi- 


12,  Dom  Fernand  Ton  Frère  (A) ,  fcs  deux  Oncles,  quantité  de  NobklTe  î;,VusÏNoa 
:  d'Officiers,  &  plulîeiirs  Demoifelles  ,  qui  comporoienc  le  Cortège  de  la  vcllc  Anda- 
'ice- Reine.     Son  Voyage  fut  heureux,  &  ii   Flotte  mouilla,  le  10  de   louiic  &.  de 


CalUlU'  d'oi. 
1509. 


le  nom  de  C/iJlilIc  d'Or.  Jean  de  la  Cofa  fut  créé  Sergent  Major  &  Lieute- 
nant Général  du  Oouvernement  d'Ojeda,  avec  droit  de  furvivance  pour 
fon  !•  ils.  On  abandoniia  auflî  la  Jamaïque ,  en  commun  ,  aux  deux  Cîou- 
verncurs,  pour  en  tirer  des  vivres  &  d'autres  fecours.  L'Amiral  fut  le 
feul,  à  qui  ces  ProviCions  caufèrent  du  chagrin.  C'étoit  donner  atteinte  à 
fcs  Privilèges,  fur- tout  pour  la  Jamaùiue,  dont  on  paroifloit  oublier  que 
la  découverte  étoit  due  à  Ton  Père  (g).  Mais  les  circonlknces  l'obligeant 
de  dilfimuler ,  il  prit  le  parti  d'attendre  quel  feroit  le  luccès  de  l'Armement, 
pour  faire  revivre  fes  prétentions. 

Il  s'embarqua  ,  le  9  de  Juin  1509,  au  Port  de  San-Lucar,  avec  fa  Fem 

m 

& 

Vice- Reine.     Son  Voyage 

Juillet,  dans  le  Port  de  San -Domingo.     Son  arrivée  parut  donner,  à  la 

Colonie,  un  luflre  qu'elle  n'avoit  jamais  eu.     On  y  célébra  des  Fêtes  (»); 

&  quelques  différends  ,  qui  s'élevèrent  pour  le'  Gouvernement  de  la  Forte-     i^o,,,  ni^gue 

refle,  n'empêchèrent  point  lajoye  de  Te  répandre  dans  toutes  les  parties   ferLndàrille 

de  ride.     Elle  fut  troublée,  néanmoins,  par  un  affreux  ouragan ,  qui  ren-   Efpagnolo. 

verfa  une  grande  partie  de  la  Capitale,  &  qui  fit  périr  quantité  de  Vaif-      Afl'reuxou- 

feaux  dans  le  Port.     Mais  les  ordres  furent  donnés  aulfi  ■  tôt  pour  rétablir  la  "S^."  qu'rcn- 

Ville;  &  l'Amiral,  après  avoir  reçu,  par  un  article  exprès  de  fa  Commif-   Ji^îesànSo' 

fion,  les  comptes  d'Ovando  &  de  fes  Lieutenans  Généraux  (*),  demeura  mingo. 

Maître  abfolu  du  Gouvernement. 

Il  avoit  reçu  ordre,  à  l'on  départ  d'Efpagne,  de  faire  un  Etabliffement 
dans  rifle  de  Cuhaiiua^  qu'on  appelloit  communément  Xljle  des  Perles.  Plii- 
fieurs  Habitans  s'offrirent  pour  cette  entreprife,  fur  -  tout  ceux  qui  avoient 
à  leur  fer  vice  «es  l'Tclaves  Lucayes.  Ces  infortunés  avoient  une  facilité  ex- 
trao.  Jinaire  à  demeurer  long-  tems  fous  l'eau,  &  l'expérience  avoit  appris 
qu'ils  étoicnt  moins  propres  au  travail  des  Mines.  L'Amiral  profita  de  cet- 
te connoi  Tance  dans  fon  choix;  &  pendant  plufieurs  années,  il  fe  fit, 
dans  cette  llle  ,  des  fortunes  immenfes,  par  la  Pêche  des  Perles.  Herrera 
fait  monter  le  feul  quint  de  la  Couronne  à  quinze  mille  ducats.  Mais  bien- 
tôt les  Plongeurs ,  qui  furent  peu  ménagés ,  périrent  prefque  tous  ;  &  les 

Per- 


Etablifle- 
mcnt  dans  l'If- 
le  de  Cubagut 
ou  des  Perles. 


m- 
(ap 
\a; 

le- 

tut 
le 

idc 

& 
rti- 


Çg)  Herrera,  L'V.  7.  Chap.  7. 

(h)  Il  parole  que  les  inclinacions  de  ce. 
fécond  Fils  de  C.niflophe  furent  toujours 
pour  une  vie  tranquille.  Herrera  fait  enten- 
dre que  Dom  Dic';ue  eut  ordre  du  Roi  d  em- 
ployer fon  Frère  à  h  fondation  des  Eglifes  & 
des  Monaflères.  Liv.  7.  Chap.  6, 

(  i  )  Toutes  les  Filles ,  que  la  Vice  Reine 
avoit  amenées  ,  furent  mariées  aux  Princi 
paux  de  la  Culonie.  Malgré  l'ordre  d'Ovan'- 
do ,  &  ce  qu'on  a  rapporté  de  fes  eftets  fur 
le  téaioi^nage  de  1  Hiitoricn  de  S.  Dominguc, 
Ovi;do  alfure  que  la  plupart  des  Caftiiian? 
n'avoient  pas  voulu  époufer  des  Filles  de  l'if- 
Ic ,  à  caufe ,  dit  -  il ,  de  leur  incapacité  &  de 

XniL  Fart. 


leur  laideur.  Il  ajoute  que  ces  derniers  ma- 
riages annoblirent  beaucoup  San- Demi  igo, 
&  que  „  ccll  de  là,  aullî  bien  que  des  lien- 
„  tilsbommes  &  graves  Perfonnages  qui  amc- 
,,  nèrent  leurs  Femmes  d  Efpagne ,  que  Ibnt 
„  iifus  les  plus  grands  biefis ,  richciTes  &  hé-  ■ 
,,  ritagcs,  &  les  plus  nobles  fondations  de 
„  cette  Ville".    Liv.  +.  Chap.  i. 

{k  "I  Les  plus  raifonnables  ,  dit  Herrera, 
confiderèrent  le  changement  d.s  chnfes,  & 
fe  fouvinrent  des  mépris  &.  des  torts  qu'on 
avoit  fait  cfluyer  au  Père  de  IVAmiral  :  plu- 
fieurs en  témoignèrent  du  regret.  Liv.  7. 
Chap.  10, 


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154 


PREMIERS      VOYAGES 


Etat  des 
skcouvbktes 

APRÈS 

Christophe 
Colomb. 
1509. 


Les  Pour 
ceaux  d'Kfpa- 
gne  chan,;ent 
de  forme  dans 
cette  Ille. 


EtabliOTe- 
ment  de  Por- 
•oric. 


Jean  Ponce 
ïe  met  en  pof- 
feffion  du 
Gouverne- 
ment de  cette 
Ifle. 


.  DifSculté 
«ju'il  y  trouve 
de  la  part  des 
Infulaircs. 


Perles  difparurent  en  même-tems  des  Côtes  de  Tlfle.  Elle  efl  éloignée, 
de  l'Efpagnole,  de  plus  de  trois  cens  lit?iies.  Sa  fituation  efl:  au  dixième 
degré.  Comme  la  terre  en  efl:  feche  &  ftcrile,  rerhplie  de  Salpêtre,  fans 
eau  douce,  &  fans  autres  Plantes  que  quelques  arbres  de  Gayac  &  des  ron- 
ces, elle  fut  bientôt  abandonnée  de  fes  nouveaux  Habitans,  qui' paflerent 
à  la  Marguerite.  Ils  ne  regrettèrent  qu'une  jolie  Ville  ,  qu'ils  avoient  bâ- 
tie dans  un  excellent  Port ,  fous  le  nom  de  Nouvelle  Cadix  ^  &  une  Fontaine 
odoriférante,  dont  l'eau  pafle  pour  médecinale,  &  furnâge  à  celle  de  la 
Mer.  Les  Infulaires  Naturels  avoient  le  corps  peint,  &  vivoient  des  Huî- 
tres dont  ils  tiroient  les  Perles.  On  remarqua  que  les  Pourceaux,  qu'on 
avoit  apportés  de  Caftille,  &  qui  multiplièrent  beaucoup,  prirent  une  for- 
me qui  les  faifoit  méconnoître.  Leurs  ongles ,  s'il  en  faut  croire  l'Hifto- 
rien,  s'allongèrent  d'un  demi  pied  en  hauteur.  Il  ajoute,  pour  unique  ob- 
fervation  fur  les  Perles,  qu'elles  paroiflent  d'abord  en  forme  de  petits  grains, 
dans  le  fein  de  l'Huitre  ;  que  dans  leur  origine ,  elles  font  de  la  moUefle  du 
lait ,  &  qu'elles  durciflent  pii'  croiflant  ( /).  ,  .       '^ 

Dans  le  cours  de  la  même  année,  l'Ètabliffement  de  Boriquen,  ou  Por- 
toric,  dont  Jean  Ponce  avoit  jette  les  fondemens,  prit  une  forme  plus  foli- 
de  ,  dont  on  n'eut  obligation ,  néanmoins  ,  qu'aux  violences  de  la  guerre. 
Depuis  le  rappel  d'Ovando,  la  Cour  d'Efpagne  avoit  nommé,  pour  Gou- 
verneur de  cette  lile,  Dom  Chriftophe  de  Sotomayor,  Frère  du  Comte  de 
Camina ,  qui  avoit  été  Secrétaire  du  Roi  Philippe  I.  Un  Homme  de  cette 
confidération  ne  devoit  pas  s'attendre  à  trouver  des  obftacles ,  dans  un 
Gouvernement  qu'il  fenoit  immédiatement  du  Souverain.  Cependant,  il 
ne  put  obtenir  d  en  être  mis  en  pofleffion  ;  &  l'Amiral  y  plaça,  de  fon  au- 
torité ,  un  autre  Caflillan  nommé  Michel  Cerron ,  auquel  il  donna  Michel 
Diaz  pour  Lieutenant.  Ce  qu'il  y  eut  de  plus  étrange,  c'efl:  que  Sotoma- 
yor  ne  fut  pas  foutenu  par  la  Cour ,  &  qu'Ovando  ,  apprenant  ce  qui  s'étoit 
pafle  dans  les  Indes,  demanda  &  obtint  le  Gouvernement  de  Portoric  pour 
Jean  Ponce,  qui  en  ayant  pris  pofleflTion  dès  la  même  année,  fit  arrêter, 
fous  quelques  prétextes,  Cerron  &  Diaz,  &  les  envoya  Prifonniers  en  Ef- 
pagne.  Comme  Sotomayor  étoit  demeuré  fans  emploi ,  Ponce  lui  offrit 
fa  Lieutenance,  avec  l'Office  d'Alcalde  Major,  qu'il  ne  fit  pas  difficulté 
d'accepter:  mais  le  reproche  qu'on  lui  fit,  de  s'être  réduit  à  des  Emplois 
fubalternes,  dans  une  Ille  dont  il  avoit  eu  le  Gouvernement,  l'obligea  de 
les  abandonner  pour  mener  une  vie  privée  dans  l'Ule. 

Cependant  le  nouveau  Gouverneur  ne  trouva  pas  autant  de  facilité  à  s'y 
établir,  qu'il  s'en  étoit  promis.  Agueynaba  étoit  mort  ;  &  fon  Frère, 
qui  lui  avoit  fuccedé ,  n'avoit  pas  hérité  de  fon  afi^eélion  pour  les  Efpa- 
gnols.  Ponce  commença  par  bâtir  une  Bourgade ,  &  voulut  faire  enfuite 
des  Départemens  Indiens ,  à  l'exemple  de  l'ille  Espagnole  i,  mais  il  recon- 
nut qu'il  s'étoit  trop  flatté,  en  croyant  pouvoir  difpoier  des  Infulaires  com- 
me d'un  Peuple  conquis.  Si  la  réputation  des  Efpagnols,  qu'ils  regardoient 
encore  comme  autant  de  Dieux  defcendus  du  Ciel,  leur  avoit  d'abord  im- 
pofé ,  ils  n'eurent  pas  plutôt  fenti  la  péfanteur  du  joug ,  qu'ils  cherchèrent 


les 


(/)  Herrera,  Ldv.  7.  Chap.  9^ 


a"- 


EN      AMERIQUE,    Liv.I. 


iSS 


les  moyens  de  s'en  délivrer.  Ils  s'afTemblèrent;  &  le  premier  objet  de 
leurs  Délibérations  fut  d'édaircir  l'immortalité  de  ces  cruels  Etrangers.  Un 
Cacique,  nommé  Brayau^  fut  chargé  de  cette  Commiffion.  Les  Efpagnols 
étant  accoutumés,  dans  leurs  couries,  à  fe  loger  familièrement  chez  les  In- 
fulaires,  un  jeune  Homme ,  nommé  Salcedo^  pafla  çhezBrayau,  qui  le  re- 
çut avec  de  grandes  apparences  d'amitié.  Après  s'être  repofé  quelques 
jours,  il  prit  congé  de  fon  Hôte,  qui ,  le  voyant  chargé  d'un  paquet ,  l'o- 
bligea de  prendre  quelques  Indiens  pour  le  porter,  &  pour  l'aider  lui-mê- 
me dans  quelques  paflages  difficiles.  Salcedo  arriva  au  bord  d'une  Riviè- 
re, qu'il  falloit  traverfer.  Un  de  fes  Guides,  chargé  des  ordres  fecrets 
du.  Cacique ,  fe  préfenta  pour  le  charger  fur  fes  épaules  ;  &  lorfqu'il  fut  au 
milieu  de  la  Rivière,  il  fe  laifla  tomber  avec  Ion  fardeau.  Les  Indiens  j 
qui  le  fuivoient ,  fe  joignirent  à  lui,  pour  tenir  longtems  l'Efpagnol  au 
fond  de  l'eau,  &  le  voyant  enfin  fans  aucune  marque  de  vie,  ils  tirèrent  le 
corps  lur  la  rive.  Cependant,  comme  ils  ne  pouvoient  encore  fe  perfua- 
der  qu'il  fût  mort,  ils  lui  firent  des  excufes  de'lui  avoir  laifle  avaller  tant 
d'eau ,  en  proteftant  que  fa  chute  les  avoit  beaucoup  affligés ,  &  qu'ils  n'a- 
voient  pu  faire  plus  de  diligence  pour  le  fecourir.  Leurs  difcours  étoient 
acconipagnés  des  plus  grandes  marques  de  douleur,  pendant  lefquelles  ils 
ne  ceffoient  point  de  tourner  le  Cadavre,  &  d'obferver  s'il  donnoit  quelque 
figne  de  vie.  Cette  comédie  dura  trois  jours,  c'eft-à-dire ,  jufqu'à  ce 
qu'ils  furent  raflurés  par  la  pwinteur  qui  commençoit  à  s'exhaler  du  corps. 
Brayau,  qu'ils  informèrent  aufli-tôt  de  leur  découverte,  ne  voulut  s'en  rap- 
porter qu'à  fes  yeux.  II  fit  fon  rapport  aux  autres  Caciques  j  & ,  fe  defa- 
bufant  tous  enfemble  de  la  prétendue  immortalité  de  leurs  Tyrans ,  ils  pri- 
rent la  réfolution  de  s'en  défaire  à  toute  forte  de  prix.  Leur  entreprife  fut 
conduite  avec  beaucoup  defecret;  &  les  Caftillans  éfant  fans  défiance,  ils 
en  maflacrèrent  une  centaine  ,  avant  que  les  autres  eufl^ent  ouvert  les  yeux 
fur  le  danger.  Sotomayor  fut  enveloppé  dans  ce  nombre.  11  avoit  eu ,  dans 
fon  Département ,  le  Frère  d'Agueynaba  ;  &  quoiqu'averti  par  la  Sœur  de 
ce  Cacique,  dont  il  étoit  aimé  ,  .1  négligea  fi  malheureufement  fes  avis  & 
ceux  d'un  Caftillan ,  qui  favoit  aflez  la  langue  pour  avoir  compris  que  les 
Indiens  chantoient  déjà  fa  mort ,  qu'il  fut  afifalTmé  le  lendemain  avec  tous 
fes  gens  (m). 

Ponce,  allarmé  pour  lui-même,  raflembla  aufli-tôt  tout  ce  qui  reftoit  de 
Caflillans  dans  l'Hie;  &  preflant  les  Indiens  dans  leurs  retraites,  malgré 
l'arrivée  des  Caraïbes ,  qu'ils  appellèrent  à  leur  fecours ,  il  en  tira  une  ven- 
geance qui  leur  ôta  pour  jamais  l'efpérance  de  rentrer  en  liberté.  Tous 
fes  gens  étoient  d'anciens  Soldats,  exercés  à  combattre  les  Sauvages  dans 
les  guerres  de  l'Efpagnole  ;  mais  aucun  d'eux  ne  contribua  plus  à  la  viéloi- 
re  ,  qu'un  grand  Chien,  dont  l'Hifl:oire  fait  un  éloge  fingulier  (n).     Ce- 

pen- 


Etat  du 
dbcouvehtks 

APRÈS 

Chbistufiib 
Colomb. 
150p. 


Comment 
ils  fe  défont 
de  Salcedo, 
jeune  Efpa- 
gnol. 


Ils  fe  con- 
vainquent que 
les  Éfpagnola 
étoient  mor- 
tels. 


Ils  en  tuent 
un  grand  nom- 
bre. 


Ponce  les 
foumct,  &les 
condamne  aux 
Mines. 


(m)  Herrera,  Lîv.  7.  Cbap.  13. 

(  n  )  „  Ils  furent  admirablement  fécondés , 
„  raconte  le  même  Hiftorien ,  par  un  Chien 
„  qu  ils  appelloient  Bezerrillo,  &  qui  faifoit 
„  des  exécutions  furprenuntes,    Il  favoit  dif- 


„  tlnguer  les  Indiens  Ennemis ,  &  ceux  qai 
„  vivoient  en  paix.  Auflî  rcdoutoicnt- ils 
,,  plus  dix  CalUllans  avec  le  Chien,  que  cent 
„  Caftillans  fans  lui.  Avant  la  guerre  ils  lui 
,.  donnoient,  pour  l'appaifcr ,  la  même  por- 
V  a  M  tion 


/  - 


Etat  du 
decouvertes 

APRÈS 

Christomb 
.    Colomb. 

150p. 


Dom  Die- 

gue  peiife  à 
s'aflurer  de  la 
Jama2(iue. 


Différend 
entre  Ojeda  & 
t^icueiTa. 


■  r-.' 


Efquibel  va 
prendre  pof- 
felfion  de  la 
Jamaïque 
pour  DIegue 
Colomb. 


155       PREMIERSVOYAGES 

pendant  une  Ifle  fi  peuplée  n'auroit  pas  été  facilement  fubjuguée,  fi  les 
Habitans,  qui  virent  leurs  Ennemis  fe  muliiplier  de  jour  en  jour,  par  les 
fecours  qu'ils  recevoicnt  de  l'Elpagnole ,  n'avoicnt  eu  la  fimplicité  de  fe 
perfuader  que  ces  nouveaux  Cartillans  étoient  ceux  mêmes  qu'ils  avoient 
tués,  &  qui  reflîifcicoient  pour  les  combattre.  Dans  cette  idée,  qui  leur 
fit  regarder  la  réfiflance  comme  une  folie,  s'étant  abandonnés  à  la  difcrétion 
de  leurs  Vainqueurs ,  ils  furent  employés  au  travail  des  Mines ,  où  ils  péri- 
rent prefque  tous  (0  ). 

La  Jamaïque  fut  mife  la  même  année  fous  le  joug.  On  a  fait  obferver 
que  Dom  Diegue  Colomb  avoit  rcflenti  fort  vivement  que  la  Cour  eût  dif- 
pofé,  fans  fa  participation,  des  riches  Contrées  que  fon  Père  avoit  décou- 
vertes ,  &  fur-tout  de  la  Jamaïque ,  qui  ôcoit  comme  à  la  porte  de  fon  Gou- 
vernement. Il  trouva  l'occafion,  qu'il  attendoit,  de  fe  faire  juflice  à  lui- 
même.  La  Cpfa  n'avoit  pu  fretter  qu'un  Navire  &  deux  Brigantins ,  fur 
lefquels  il  s'étoit  embarqué  ;  tandis  que  Nicueffa  avoit  armé  quatre  grands 
Vaifleaux  &  deux  Brigantini ,  qu'il  avoit  remplis  de  toutes  fortes  de  provi- 
fions.  Ils  étoient  arrivés  tous  deux,  prefqu'en  même-tems,  à  San -Do- 
mingo, quoique  Nicuefl^a  fût  parti  plus  tard  ,  &  qu'il  fe  fût  arrêté  à  Santa- 
Cruz,  une  des  petites  Antilles,  où  il  avoit  enlevé  cent  Caraïbes ,  qu'il  defti- 
noit  à  Tefclavage,  fuivant  le  droit  qu'on  s'attribuoit  alors  fur  ces  Barbares, 
parce  qu'ils  paiïbient  pour  Antropophages.  Les  deux  Gouverneurs  ne  fu- 
rent pas  long  tems  enfemble ,  fans  avoir  des  démêlés  fort  vifs  fur  leurs 
droits.  La  Jamaïque  fut  le  premier  fujet  de  difcorde,  &  tous  deux  avoient 
des  prétentions  fur  le  Golfe  de  Darien.  Ojeda,  qui  avoit  langui  dans  la 
pauvreté,  &  qui  ne  connoiflbît  pas  d'autres  droits  que  ceux  de  la  valeur, 
propofa  plufieurs  fois  à  Nicuefla  de  vuider  leur  querelle  par  les  armes.  Ni- 
cueffa lui  répondoit ,  avec  la  fupériorité  que  donnent  les  richeffes ,  qu'il 
confentoit  à  fe  battre,  mais  à  condition  qu'ils  mettroient  en  dépôt  chacun 
cinq  mille  Cafl:illans,  qui  appartiendroient  au  Vainqueur.  Enfin,  la  Cofa 
les  mit  d'accord  fur  le  Darien,  &  les  fit  confentir  à  prendre,  pour  Ligne 
de  feparation ,  la  Rivière  même  du  Darien ,  dont  le  côté  du  Levant  appar- 
tiendroit  à  l'un ,  &  celui  de  l'Ouefl:  à  l'autre. 

A  l'égard  de  la  Jamaïque,  ce  fut  l'Amiral  qui  fe  chargea  de  les  accorder, 
en  faifant  valoir  fes  propres  droits  pour  fe  faifir  de  cette  lOe.  Il  y  envo- 
ya Jean  d'Efquibel  avec  un  corps  de  Troupes,  &  l'ordre  d'y  faire. un  Eta- 
bliffement  en  fon  nom.  Ojeda  porta  l'audace  jufqu'à  déclarer  hautement, 
que  s'il  trouvoit  Efquibel,  à.la  Jamaïque,  il  lui  abbattroit  la  tête.  11  par- 
tit. 


,,  tton  qu'à  uri  Arbalétrier,  non  -  feulement 
,,  en  vivres ,  mais  en  or ,  en  Efclavcs ,  à. 
„  autres  cliofcs,  que  fon  Maître  rccevoit. 
„.  Entrf:  plufieurs  preuves  du  difcernement 
„  de  cet  animal ,  on  rapporte  que  les  Callil- 
„  ^lans  ayant  un  jour  réfolu  de  faire  Jévorcr 
„  une  vieille  Indienne,  qui  leur  dépluifoit, 
„  ils  la  chargèrent  dune  Lettre,  qu'elle  de- 
„  voit  porter  à  quelque  didance;  &Iorfquily 
j,  la  virent  fortie ,  ils  lâchèrent  Bczcrrillo.* 

'  '  ■  ='7 


L'Indienne,  le  voyant  accourir  furieufe- 
ment ,  prit  une  poflure  fuppliaiite  ,  lui 
montra  la  Lettre  ,  &  lui  dit  :  Sei^qneur 
Chien  ,  je  vais  porter  cette  Lettre  à  des 
Cbntiens  ;  ne  me  faites  pas  de  mal.  A  ces 
mots,  le  Chien  s'adoucit,  la  llairn,  leva 
la  j;unbe,  piTa  contr'elle,  &  revint  fans 
lui  nuire".  Ibidem. 
(0)  Ibidem,  &  Livre  8   Chap.  13. 


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*• 

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EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  L 


IS7 

tît,  après  cette  menace,  le  lo  de  Novembre,  avec  trois  cens  Hommes, 
fur  deux  Navires  &  deux  Brigantins.  Nicuefla,  retenu  quelques  jours 
de  plus  par  les  dettes,  dans  lefqueiles  il  s'étoit  engagé,  pour  augmenter  Ton 
Armement  d'un  Navire,  mit  à  la  voile  le  22.  Mais  quoique  Efquibel  eût 
levé  l'ancre,  àpeu-prés  dans  le  méme-tems,  il  ne  paroît  pas  qu'ils  le  foyent 
jamais  rencontrés  dans  l'ille  ,  qui  faifoit  le  fujet  de  leurs  différends  (/)). 

,     ji    ,         (/))  Hcrrera,  Liî).  7.  C6ap.  II. 

'■■'■•' 

-'         Voyages  à' Alfonfe  d'Ojeda,  G*  de  Nicueffa.  Découverte  du  Darïen 

d*  d'autres  Pays,         ^ 


Etat  tus 

dec0uvekte8 

APBfen 

CjlKISTi'PME 

Colomb. 
15  10. 

Ojcdu  &  Ni- 
cueira  partent, 
cl-.acun  avec 
fou  Kfcadre. 

OjEDA  ET 

N  1  C  U  L  S  S  A, 


LES  Hiftorîens  font  obferver  que  le  fameux  François  Pizarre  étoit  de 
l'embarquement  d'Ojeda,  &  que  lernand  Cortez,  dont  le  nom  n'efl 
pas  moins  célèbre,  &  qui  le  trouvoit  alors  dans  l'ille  El'pagnole ,  auroit 
fait  le  Voyage  avec  eux ,  s'il  n'eût  été  retenu  par  un  abfcés  qu'il  avoit  au 
genou.  L'Efcadre  prit  par  la  Beata ;  & ,  tournant  au  Sud ,  elle  arriva,  dans 
peu  de  jours,  au  Port,  que  Rodrigue  Baftidas  avoit  découvert  en  1501 ,  & 
qu'il  avoit  nommé  Carthagene.  Les  Êfpagnols  n'y  avoient  encore  aucun  Eta- 
biiflement.  Mais  ils  favoient  que  les  Habitans  du  Pays  étoient  de  fort  hau- 
te taille,  extrêmement  braves;  qu'ils  avoient  Tufagc  d'empoifonner  leurs 
flèches  ;  &  que  le&  Femmes  n'y  excelloient  pas  moins  que  les  Hommes  à 
tirer  de  l'arc  &  à  lancer  la  zagaïe.  Chriftophe  Guerra ,  &  d'autres  Efpa- 
gnols, qui  avoient  vifité  cette  Côte  depuis  Baftidas ,  les  avoient  peu  ména- 
gés. Les  inftruflions  d'OJeda  lui  recommandoient  de  prendre  une  condui- 
te plus  modérée,  &  d'employer,  avec  ces  Peuples ,  la  douceur  &  les  mo- 
tifs de  la  Religion ,  avant  que  de  recourir  aux  armes  pour  les-  foumettre  à 
la  Couronne  de  Caftille.  On  lui  avoit  même  donné  des  Religieux  &  des 
Interprètes ,  pour  leur  prêcher  la  Religion  Chrétienne.  Mais ,  s'ils  s'obfti- 
noient  à  la  rejetter,  il  avoit  ordre  de  les  pourfuivre  fans  pitié,  &  d'en  fai- 
re autant  d'Efclaves  qu'il  en  tomberoit  entre  fes  mains  (a). 

.    j   -.        ...■  ^  :  ■■  ,         '       La 


Route  dOje- 
d.i  vers  le  Port 
de  Carthage- 
ne, 


Singulières 
inftriiftions 
qu'il  reçoit 
pour  fa  con- 
duite avec  les 
Indiens. 


(a)  On  fc  gardera  bien  de  fuppriiner  la 
Formule,  qui  avoit  litc  envoyée  d'Efpagne  à 
Ojeda,  approuvée  &  fans  doute  coinpofée 
par  les  Ooiileurs  en  Tliéol;)gie  &  Droit  Ca- 
non Elle  eft  d'autant  plus  précicufe  pour 
l'Hiftoire,  qu'elle  u  fervi.  dit  Herrera,  dans 
toutes  les  autres  occafions,  où  les  Caftillans 
ont  voulu  s'ouvrir  l'entrée  de  quelque  Pays 
des  Jndes.  Ubifuprà,  Chap- 15 

„  Moi,  Alto.ifo  de  Ojeda,  Serviteur  des 
„  très  hauts  &  très  puilliuis  Rois  de  Caflil- 
„  le  &  de  Léon,  Dompteurs  des  Peuples  Bar- 
bares, leur  RleiVigcr  &  Capitaine,  vous 
notifie  &  vous  lait  favoir ,  autant  qu'il  fe 
peut,  que  Dieu,  nôtre  Seigneur,  Un  & 
Eternel ,  créa  le  Ciel  &  la  Terre ,  &  un 
Hoiuaic  &  une  Femme,  defquels  vous  & 


)> 


>• 


„  nous ,  &  tous  les  Hommes  du  Monde  ont' 
„  été  procréés ,  comme  le  feront  tous  ceux 
„  qui  viendront  après  nous.  Mais  comme 
„  il  a  fallu ,  par  la  multitude  des  générations- 
„  qui  en  font  forties  depuis  plus  de  cinq  mil- 
„  le  ans,  qu'ils  fe  foyent  difperfés  en  diver- 
„  fes  parties  du  Monde,  &  divifés  en  plu- 
„  fleurs  Royaumes  &  Provinces,  parce  qu'un 
,,  feul  Pays  n'auroit  pu  les  contenir,  &  qu'ils 
,,  n'auroient  pu  trouver,  dans  un  feul,  de- 
„  quoi  vivre  &  fe  conferver.  Dieu,  nôtre 
„  Seigneur .  donna  le  foin  de  tous  ces  Peu- 
„  pies  à  un  Homme  clicili,  qui  fut  nommé 
„  Saint  Pierre,  &  dont  il  fit  le  Seigneur  & 
„  le  Chef  de  tout  le  Genre  humain,  afin  que 
,,  tous  les  Hommes  lui  rendillent  obéilfance, 
„  en  quelque  lieu  qu'ils  fuflcnt.&dans  quel. 
V  3  »  que- 


OlBDA  KT 

NiCUESSA. 

1510- 

Ses  premiers 
déniôlés  avec 
eux  font  fpn- 
glaiis. 


158        PREMIERS      VOYAGES 

La  déclaration  d'Ojeda  r.e  fit  pas  plus  d'impreflîon  fur  ces  Barbares,  que 
fes  offres  d'amitié  &  fes  propofitions  de  Commerce.  Il  comprit ,  par  la 
fierté  de  leurs  réponfes,  que  pour  s'établir  dans  leur  Pays,  il  falloit  fe  pré- 
parer à  la  guerre.  La  Cofa,  qui'craignoit  leurs  flèches  venimeufes,  étoit 
d'avis  d'abandonner  leur  Côte,  &  de  pafler  dans  le  Golfe  d'Uraba,  dont 
les  Habitans  étoient  moins  féroces.  Mais  Ojeda,  fe  fiant  à  fon  courage, 
&  au  bonheur  qu'il  avoiteu,  dans  toutes  fes  Expéditions,  de  ne  recevoir 

•   ->'      ;    •  -^        .  .■  aucu- 


„  créance  ou  quelque  loi  qu'ils  euflent  été 
„  élevés.  Il  (bumit  tout  le  Monde  à  fon  Ser- 
,.  vice  &  à  fa  Jurifdiélion,  &  lui  commanda 
„  d'établir  fon  Siège  dans  Rome ,  comme  le 
„  lieu  le  plus  propre  au  Gouvernement  du 
„  Monde.  11  lui  donna  auflî  le  pouvoir  d'é- 
t\  tablir  fon  autorité  dans  tous  les  autres 
„  Pays,  &  de  juger  &  gouverner  tous  les 
„  Chrétiens,  les  Maures,  les  Juifs-,  les  Gen- 
„  tils  &  tous  les  autres  Peuples,  de  quelque 
„  fefte  ou  créance  qu'ils  puflent  être.  A  lui 
„  fut  attribué  le  nom  de  Pape,  qui  fignifie 
„  Grand 6iiyidtnirable,  Père OL Gardien,  par- 
,,  ce  qu'il  eft  Père  &  Gouverneur  de  tous  les 
„  Hommes.  Ceux  qui  vivoient  en  ce  tems- 
„  là  lui  olpéiflbient ,  &  le  tenoient  pour  leur 
„  Seigneur ,  Roi ,  &  Supérieur  de  tout  l'Uni- 
„  vers  ;  ce  qui  a  toujours  été  obfervé  depuis 
„  à  l'égard  de  ceux  qui  ont  été  élevés  au  mê- 
„  me  Ponti6cat.  Ainlî  cette  autorité  s'eft 
„  maintenue  jufqu'à  préfent,  &  continuera 
,  jufqu'à  la  confommation  des  fiécles. 

„  Un  de  ces  Pontifes,  qui  ont  ainfi  gou- 
„  vemé,  fit  donation,  comme  Seigneur  du 
„  Monde ,  de  ces  Ifles  &  Terre-ferme  de  la 
„  Mer  Océane ,  aux  Rois  de  Callille  qui  vi- 
„  voient  alors ,  &  à  leurs  Succefleurs ,  nos 
„  Seigneurs,  avec  tout  ce  qui  en  dépend, 
„  fuivant  ce  qui  eft  contenu  dans  certaines 
„  Ecritures ,  qui  furent  faites  &  palTées  à 
„  cette  occafion.  Ainfi  Sa  Majefté  Catholi- 
„  que  eft  Roi  &  Seigneur  de  ces  Ifles  &  Ter- 
„  re-ferme  en  vertu  de  cette  donation;  & 
.„  tous  les  Peuples ,  parmi  lefqucls  fes  droits 
„  ont  été  notifiés,  le  reconnoiflent  comme 
„  tel ,  volontairement  &  fans  réfiftance.  En 
„  même  •  tems  qu'ils  ont  été  informés  de  ce 
„  devoir,  ils  ont  obéi  à  des  Hommes  rcligi- 
„  eux ,  envoyés ,  par  Sa  Majefté ,  pour  leur 
„  prêcher  l'Evangile  &  leur  enfeigner  les 
„  Myftères  de  la  Foi.  Ils  ont  tous  embralTé 
„  le  Chriftianifme ,  de  bonne  &  franche  vo- 
„  lonté ,  fans  condition  &  fans  récompenfe  ; 
„  &  Sa  Majefté ,  les  ayant  reçus  fous  fa  pro- 
„  teétion ,  a  voulu  qu'ils  fuffent  traités  hu- 
„  mainement  comme  tous  fes  autres  Sujets. 
„  Ainfi,  vous  à  qui  je  parle,  vous  êtes  tenus 
,  &  obligés  de  faire  de  même.  Enfin ,  pour 
„  conclulion ,  je  vous  prie,  autant  qu'il  m'eft 


„  poflîble,  &  vous  recommande  de  bien  con- 
„  fiderer  ce  que  (e  vous  déclare ,  &  de  pren- 
„  dre,  pour  le  bien  concevoir  &  l'exécuter, 
„  le  tems  que  vous  jugerez  convenable,  afin 
„  que  vous  reconnoiluez  l'Eglife  pour  Dame 
„  «  Maîtreflè  de  cet  Univers ,  &  le  Souve- 
„  rain  Pontife,  qui  s'appelle  PaPe^  &  Sa 
„  Majefté  comme  Roi,  Supérieur  oc  Seigneur 
„  des  Ifles  &  Terre-ferme  en  vertu  de  ladite 
„  donation ,  &  que  vous  confentiez  que  des 
„  Religieux  vous  prêchent  &  vous  appren- 
„  nent  nôtre  fainte  Religion,  Si  vous  le  fai- 
„  tes ,  vous  ferez  bien  ,  &  ne  ferez  que  ce  que 
„  vous  êtes  obligés  de  faire.  Alors  Sa  Majefté, 
„  &  moi,  qui  vous  parle  en  fon  nom,  nous 
„  vous  recevrons  avec  amour  &  charité. 
„  Nous  vous  laiflerons ,  vous ,  vos  Femmes 
„  &  vos  Enfans,  libres  &  exempts  de  fer- 
,,  vitude,  &  vous  vous  en  trouverez  bien, 
„  comme  prefque  tous  les  Habitans  des  au- 
„  très  Ifles  s'en  font  bien  trouvés.  Sa  Ma- 
„  jefté,  d'ailleurs,  vous  accordera  plufieurs 
„  privilèges,  grâces  &  exemptions,  dont 
„  vous  aurez  beaucoup  d'avantages  à  tirer. 
„  Mais,  au  contraire,  fi  vous  ne  le  faites 
„  pas,^  ou  fi  par  malice  vous  apportez  du 
„  retardement  à  l'exécution ,  je  vous  déclare 
„  &  vous  afllire  qu'avec  l'aide  de  Dieu ,  je 
vous  ferai  la  guerre  à  toute  outrance,  que 
je  vous  attaquerai  de  toutes  parts  &  de 
„  toutes  mes  forces,  &  que  je  vous  aflujet- 
„  tirai  fous  le  joug  de  î'obéiiTance  de  l'E- 
„  glife  &  du  Roi  Je  prendrai  vos  Femmes 
,,  &  vos  Enfans  Je  les  rendrai  Efclaves, 
„  je  les  vendrai,  ou  les  employerai  fuivant 
„  la  volonté  du  Roi.  J'enlèverai  vos  biens, 
„  &  vous  ferai  tous  les  maux  imaginables, 
,,  comme  à  des  Sujets  rebelles  &  defobéifliins , 
,,  qui  refufent  d'obéir  à  leur -Seigneur:  &  je 
„  protcfte  TJe  les  morts  &  tous  maux  qui 
„  en  réfulteront,  ne  viendront  que  de  vôtre 
„  faute  &  non  de  celle  du  Roi,  ni  de  la 
,,  mienne,  ni  des  Seigneurs  qui  font  venus 
„  avec  moi.  Et  de  la  môme  façon  que  je 
„  vous  le  dis  &  vous  le  déclare,  j'en  deman- 
„  de  Afte  par  devant  les  Notaires ,  qui  foit 
„  figné  d'eux ,  &  remis  entre  mes  mains  pour 
„  témoignage,    "  ubijuprà.  Chap.  14. 


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>» 


r        EN      A    M    E    R    I    Q    U    E ,  L I V.   I.  isç) 

aucune  bleflure  (i) ,  rejetca  un  confeil  fi  timide,  &  prit  le  parti  d'attaquer 
les  Indiens,  qui  fe  difpofoient  à  rinveftir.  Il  en  tua  un  grand  nombre, 
fans  tirer  d'autre  utilité,  de  leur  mort,  que  ces  petits  miroirs  d'or  qu'ils 
portoient  au  cou.  Quelques  Prifonniers ,  qu'il  força  de  lui  fervir  de  guides , 
le  conduifirent  à  la  vue  de  leurs  Habitations.  Les  fugitifs  s'étoient  ralliés 
dans  un  champ  voifin,  &  parurent  prêts  à  foutenir  une  féconde  attaque. 
Leurs  armes  étoient  des  boucliers  &  des  cpées  d'un  bois  très  dur,  des  arcs 
&  des  flèches  garnies  de  pointes  d'os  fort  aigiies,  &  deszagaïes,  qu'ils 
lançoient  fort  habilement.  Mais,  au  fignal  de  l'intrépide  Ojeda ,  qui  fit 
retentir  le  nom  de  Saint  Jacques  avec  un  cri  terrible,  les  Caftillans  fe  firent 
jour  au  travers  de  ces  Barbares ,  &  couvrirent  en  un  moment  la  terre  de 
Morts.  Le  rdle  de  leurs  Ennemis  fe  fauva  par  la  fuite ,  à  la  réferve  de 
huit,  qui  n'a-,ant  pu  joftidre  les  autres,  fe  retirèrent  dans  une  de  leurs  ca- 
banes, &  fe  défendirent  fi  vivement,  à  coups  de  flèches,  que  les  Caftillans 
n'en  ofoient  approcher.  Ojeda,  leur  reprochant  d'être  arrêtés  par  huit  horn* 
mes  nuds,  un  d'entr'eux  s'élança,  tête  bailTée,  au  travers  des  dards  &des 
flèches,  &  touchoit  déjà  au  feuil  de  la  maifon,  lorfqu'il  fut  frappé,  au 
milieu  du  fein  ,  d'un  coup  de  flèche  qui  le  fit  tomber  mort.  On  remarque 
volontiers  ces  grands  exemples  de  valeur ,  qui  ne  peuvent  laiflTer  aucun  dou- 
te que  le  motif  de  l'honneur  n'agît  aufli  puiflamment  fur  les  Efpagnols  ,  que 
lapaffionde  l'or.  Ojeda,  furieux  de  la  perte  d'un  fi  brave  Homme,  fit 
mettre  le  feu  de  plufieurs  côtés  à  la  maifon ,  qui  fut  confumée  en  un  inftant 
avec  les  huit  Indiens.  Soixante  Prifonniers ,  qu'on  avoit  enlevés  dans  le 
combat,  furent  envoyés  aux  Vaifleaux;  &  pendant  le  refte  du  jour  on 
continua  de  faire  main-bafle  fur  tous  les  Indiens  qu'on  put  découvrir.  Le 
lendemain ,  Ojeda  s'ètant  faifi  de  la  Bourgade  d'Yurbaco  ,n'y  trouva  que  des 
maifons  nues  &  défertes.  Tous  les  Habitans  s'étoient  retirés  dans  les  Mon- 
tagnes, avec  leurs  Familles  &  tous  leurs  biens.  Ces  apparences  de  con- 
fternation  portèrent  trop  facilement  les  Vainqueurs  à  fe  difperfer.  Les  In- 
diens*, qui  les  obfervoient  de  leur  retraite,  jugeant  que,  dans  cette  fépa- 
ration,  ils  auroient  peine  à  fe  raflembler ,  fondirent  fur  eux  ,  de  divers  cô- 
tés, avec  des  cris  épouvantables.  La  Cofa  fut  un  des  premiers  qui  furent 
furpris  ,  dans  des  cabanes  où  ils  étoient  à  fe  repofer.  Il  fe  défendit  vail- 
lamment, jufqu'à  ce  qu'ayant  vu  tomber  la  plupart  de  fes  gens,  &  fentant 
lui-même  la  force  du  venin ,  dans  une  infinité  de  bleflures  qu'il  avoit  re- 
çues des  flèches  Indiennes,  il  dit,  à  un  brave  Caftillan ,  qui  fo-  trou  voit  près 
de  lui ,  &  qui  n'avoit  point  encore  été  blefle  ;  „  Sauvez-vous ,  s'il  fe  peut. 
„  Dieu  vous  a  confervé  pour  rendre  compte  de  nôtre  malheur  au  Comman- 
„  dant".  Ce  Soldat ,  dont  l'Hiflioire  n'a  pas  confervé  le  nom,  fut  le  feul, 
en  effet,  qui  eut  le  bonheur  d'échapper  à  la  fureur  des  Indiens. 

Ojeda  ne  fut  pas  moins  maltraité.  Après  avoir  perdu  tous  fes  gens ,  dans 
un  enclos ,  où  ils  avoient  été  percés  de  flèches ,  il  ne  dut  la  vie,  lui-même, 
qu'à  fon  agilité ,  qui  le  fit  paifer  comme  un  éclair  au  milieu  des  Indiens.  Il 
fe  fauva  dans  l'épaiiTeur  des  Bois  &  des  Montagnes ,  fans  autre  guide  que 

le 

(fc)  On  attribuoitce  bonheurà  une  pefite     jours  avec  lui.    Herrera,  Livre   7.  Chapî». 
Image  de  la  Sainte  Vierge,  qu'il  pertoit  toû-     tre  15. 


Ojeda  et 

NiCUKSS  A. 
1510- 


Vn'cur  des 
CaQilIans. 


Ojeda  perd 
un  grand  nom- 
bre de  fes 
gens. 

Mort  de  1» 
Cofa. 


Commenc 
Ojeda  échap- 
pe aux  In- 
diens. 


i6o 


PREMIERS      VOYAGES 


OjEHA  F.T 
NiCUESS  \. 

151  o. 


Arriv(5c  de 
NicueŒi  fur  la 
nie  me  C6tu. 


Générofité 
avec  laquelle 
il  traite  Oje- 
da. 


Il  vange  la 
mort  des  Caf- 
tillans. 


le  hafard,  &  prenant  toujours  vers  la  Mer.  Les  CaftilJans  de  l'Efcadre, 
furpris  de  ne  pas  recevoir  de  fes  nouvelles,  vilitérent  la  Côte  dans  leurs 
Barques,  &  le  trouvèrent  à  peu  de  diUance  du  rivage,  fous  des  Mangles 
fort  épais,  où  il  s'étoit  retiré  l'épée  à  la  main,  &  Ton  bouclier  percé  de 
trois  cens  coups  de  tléches.  La  fatigue ,  la  douleur  &  la  faim  l'avoient  tel- 
lement afFoibli,  qu'il  fut  long-tems  fans  pouvoir  prononcer  un  feul  mot.  Il 
ne  fut  rappelle  à  la  vie  qu'à  force  de  foms,  &  par  la  vigueur  naturelle  de 
fa  conftitution.  Cette  fatale  avanture  avoit  coûté  foixante  &  dix  hommes 
aux  Cadillans. 

Pendant  qu'Ojeda  s'abandonnoit  au  regret  d'avoir  perdu  tant  de  braves 
gens,  fur- tout  laCofa,  qu'il  regardoit  comme  le  meilleur  de  fes  i\rtiis,  & 
dont  il  fe  rcprochoit  amèrement  d'avoir  négligé  les  confeils;  il  appei^çut  au 
large  plufieurs  Navires,  qui  cherchoient  à  s'apprt)cher  de  la  Côte.  C'é- 
toit  Nicuefla-,  dont  l'arrivée  imprévue  lui  caufa  d'autres  inquiétudes.  Les 
différends ,  qu'il  avoit  eus  avec  lui  dans  l'ifle  Efpagnole,  lui  firent  appré- 
hender que  ce  nouvel  Ennemi  ne  faisît  l'occafion  de  fe  vanger.  Il  pria  fes 
gens  de  le  laiffer  feul ,  &  d'aller  au-devant  des  Vaifleaux  qui  paroiflbient. 
Nicuefla  ne  fut  pas  peu  furpris  des  trifl:es  informations  qu'il  reçut.  Mais , 
jugeant  des  allarmes  d'Ojeda  par  les  précautions  avec  lefquelles  il  entendoit 
parler  de  lui ,  il  protefta  fort  noblement  qu'il  s'en  croyoit  offenfé  ,  &  que 
refpeflant  l'infortune  de  fon  Rival ,  il  vouloit  oublier  leurs  anciennes  que- 
relles ,  pour  l'aflîflier  de  toutes  fes  forces ,  &  vanger  avec  lui  le  fang  Efpa- 
gnol,  indignement  répandu  par  des  Barbares.  Ojeda,  qui  fut  inftruit  de 
cette  déclaration ,  y  prit  confiance  avec  la  même  noblelfe.  On  débarqua 
quatre  cens  hommes  des  deux  Efcadres.  Les  deux  Gouverneurs  fe  mirent 
à  leur  tête.  On  marcha  vers  le  Village  d'Yurbaco,  où  l'on  ne  douta  point 
que  l'orgueil  de  la  viéloire  n'eût  raflTemblé  les  Indiens  ;  &  l'ordre  fut  don- 
né de  les  traiter  fans  pitié.  . 

Ils  y  étoient  dans  une  profonde  fécurité,  lorfque  les  cris  d'une  forte 
de  Perroquet?  rouges,  d'une  grofleur  extraordinaire,  qu'ils  appelloierit  Gu- 
acamayas,  les  avertirent  que  leurs  Ennemis  penfoient  à  la  vengeance.  Mais 
l'attaque  fut  fi  brufque ,  que  ceux ,  qui  n'avoient  pas  profité  de  cet  avis 
pour  prendre  la  fuite,  furent  pafles  au  fil  de  l'épée,  ou  tués  à  coups  d'ar- 
quebufes.  Les  Vainqueurs  mirent  le  feu  à  toutes  les  parties  de  l'Habita- 
tion. Ils  fe  donnèrent  le  plaifir  d'attendre,  au  paflage,  le  refte  de  ces  Mal- 
heureux, qui  étoient  échappés  à  leur  première  furie,  &  que  l'impétuofité 
des  flammes  forçoit  d'abandonner  leurs  retraites.  Le  maflacre  fut  û  géné- 
ral ,  qu'on  ne  fit  aucun  Prifonnier  ;  mais  lorfqu'on  ne  vit  plus  d'Ennemis , 
on  fe  livra  au  pillage,  qui  produifit  un  butin  confidérable.  Nicuefla  eut , 
pour  fa  part ,  la  valeur  de  vingt  mille  piftoles.  Dans  les  recherches ,  qu'on 
fît  aux  environs  de  la  Bourgade  Indienne,  on  trouva,  fous  un  arbre,  le 
corps  de  la  Cofa,  hérifle  de  flèches,  &  monfl:rueufement  enflé  par  la  force 
du  poifon.  Ce  fpeélacle  caufa  tant  d'horreur  aux  Cafliillans,  qu'ils  n'ofè- 
rent  paflfer  la  nuit  dans  un  lieu  fi  redoutable  (c). 


(f  )  Herrera,  Liv.  7.  Cbap.  itf. 


'Jti 


EN      AMERIQUE,  Liv.  I. 


i6i 


ApRiis  cette  expédition,  les  deux  Chefs,  unis  d'intérêts  &  d'amitié,  fe 
réparèrent  fort  civilement  pour  fuivre  le  cours  de  leur  fortune.  Nicuefla 
prit  la  route  de  Vcragua;  tandis  qu'Ojcda,  qui  vouloit  prendre  celle  du 
Golfe  d'Uraba,.  fut  arrêté  par  les  vents  coniraires  dans  une  petite  Ifle, 
voifine  de  la  Côte,  o«i  il  enleva  quelques  Indiens  &  de  l'or.  De-là,  étant 
entré  plus  heureufement  dans  le  Golfe,  il  chercha  inutilement  la  Rivière 
de  Darien;  &  s'étant  arrêté  devant  les  Montagnes,  qui  font  à  la  Pointe 
orientale  du  Golfe  d'Uraba,  il  y  jcili  les  fondemens  d'une  Ville,  qu'il  nom- 
ma Saint  Séba/lierty  dans  l'efpérance  que  la  protedlion  de  ce  Saint  le  garanti- 
roit  des  flèches  empoifonnées.  Cette  Colonie  fut  la  féconde  (jue  les  Caftiû 
lans  formèrent  dans  le  Continent,  après  celle  du  Veragua,  qui  avoit  été  la 
première  (d). 

Les  Habitans  du  Pays ,  étant  des  Cannibales ,  auxquels  il  étoit  difficile  de 
réfifter ,  avec  fi  peu  de  forces ,  Ojeda  prit  le  parti  d'envoyer  un  de  fes 
Navires  à  l'Ifle  Efpagnole ,  avec  fon  or  &  fes  Prifonniers ,  fous  la  condui- 
te d'un  Officier  nommé  Encïfoy  auquel  il  recommanda  de  lui  amener  des 
hommes,  des  armes  &  des  provifions.  Enfuite,  il  tourna  tous  fes  foins  à 
fe  retrancher  dans  un  Fort  de  bois,  contre  les  attaques  des  Indiens.  Mais 
les  vivres  lui  ayant  bientôt  manqué,  fes  gens  fe  virent  forcés  d'en  chercher 
dans  les  Campagnes  &  les  Habitations  voifines.  ils  y  trouvèfent,  de  tou- 
tes parts ,  un  grand  nombre  d'Ennemis ,  fi  peu  traitables  &  fi  bien  armés , 
qu'ils  furent  réduits  à  fe  tenir  renfermés  dans  leurs  retranchemens ,  où  ils 
efiuyèrent  bientôt  toutes  les  horreurs  de  la  famine.  Il  en  étoit  déjà  mort 
un  grand  nombre,  &  les  autres  s'attendoient  au  même  fort,  lorfqu'un  Bâ- 
timent, parti  de  l'Ifle  Efpagnole,  vint  mouiller  à  la  vue  de  Saint -Sébas- 
tien. Il  étoit  commandé  par  Bernardin  de  Talavera ,  qui  s'étant  échappé 
d'une  Prifon ,  où  il  étoit  retenu  pour  fes  crimes ,  avoit  trouvé  le  moyen  de 
s'aflbcier  foixante  &  dix  hommes,  recherchés  comme  lui  par  la  Juflice, 
&  s'étoit  faifî ,  avec  leur  fecours ,  d'un  Navire  Génois ,  ^u'il  avoit  rencon- 
tré au  Cap  de  Tiburon.  Cette  Troupe  de  fugitifs  .av^it  mis  à  la  voile  , 
fans  aucune  vCie  bien  éclaircie,  &  la  Providence  avoit  dirigé  leur  route 
vers  Saint -Sébaftien,  dont  les  Habitans  étoient  à  la  veille  de  mourir  de 
faim.  Le  Gouverneur  acheta  toutes  les  provifions  du  V'-  jeau;  Talavera, 
qui  n'avoit  pas  de  meilleur  parti  à  prendre,  s'engagea  lo.  les  ordres  avec 
toute  fa  Troupe. 

Mais  on  a  déjà  vu  qu'Ojeda  n'étoit  pas  heureux  dans  les  partages.  La 
difliribution  qu'il  fit  de  fes  vivres,  entre  des  gens  affamés,  fit  quantité  de 
Mécontens,  dont  il  eut  beaucoup  de  peine  à  calmer  les  plaintes.  -  D'ailleurs 
il  s'étoit  flatté  en  vain  que  les  Indiens  refpeéleroient  fes  nouvelles  forces , 
&  lui  lailferoient  quelque  repos.  Ils  n'en  parurent  pas  moins  acharnés  à  la 
perte  des  Efpagnols.  Dans  toutes  les  forties  de  la  Garnifon ,  ils  s'étoient 
apperçus  que  le  Général  leur  tuoit  feul  plus  de  monde  que  tous  fes  gens 
enlemble.  L'efpérance  d'avoir  bon  marché  du  refl:e,  s'ils  pouvoient  fe  dé- 
faire d'un  Ennemi  fi  terrible,  leur  fit  mettre  quatre  de  leurs  meilleurs  Ar- 
chers en  embufcade ,  avec  ordre  de  ne  tirer  que  fur  lui.    Ojeda  fortit  le 

,    .  ,-    .       pre- 
(f/)  Herrera,  Liv.  7.  Cbap.  16,  /-■..'  ■■ 

XniLPart.  ^  X   ' 


OfRDA   HT 
NiCUESSA. 

I5Ï0- 


Ojeda  fonde 
la  Ville  de 
Saint  Sébafti- 
en ,  dans  le 
Golfe  de  Da- 
rien. 

Il  envoyé 
demander,  par 
Encifo,  des 
provifions  -k 
l'ine  Efpa- 
gnole. 


Extrémités 
auxquelles  il 
eft  réduit  paz 
la  faim. 


Arrivée  d'u- 
ne Troupe  de 
Caftillans  fu- 
gitifs ,  fous  la 
conduite  ^e 
Talavera. 


•    I    1  : 


Ojeda  eft 
blelTé  d'une 
flèche  empcl- 
fonnée. 


.ii-  <  fi'j 


OjBDA  ET 

Ni  eu  ES  S  A. 

IJIO. 


i6i       PREMIERS      VOYAGES 

premier  du  P'ort  ;  &  dans  l'ardeur  ^m  le  portoit  toujours  à  donner  l'excm- 
pie,  il  s'avança  imprudemment  vers  un  gros  d'Indiens,  qui  feignoient  de 
fi 


Remèrfc  ex- 
traordinaire 
que  fon  cou- 
rage lui  fait 
employer. 


La  famine  le 
«ontralnc  d'al- 
ler chercher 
des  vivres  Iui> 
m&me  à  l'Ëf- 
pagnple. 


Ses  gens  irri- 
tés l'enchaî- 
uent. 


Il  échoue 
fur  la  Côte 
de  Cuba. 


uir  pour  l'attirer  dans  le  piège.  Les  quatre  Archers  lui  tirèrent  plufieur» 
coups,  dont  l'un  lui  perça  la  cuifle.  Il  retourna  au  Fort,  avec  d'autant  plus 
d'inquidtùde  pour  fa  vie,  qu'il  n'avoit  jamais  vu  couler  fon  fang,  &  que  la 
flèche  étoit  empoifonnée.  En  effet,  tous  fes gens  s'attendoient  aie  voir 
mourir  dans  une  efpèce  de  rage,  coftime  il  étoit  arrivé  à  tous  ceux  qui  a- 
voient  reçu  quelque  bleflure.  Mais  fon  courage  lui  fit  imaginer  un  remède, 
qui  ne  pouvoit  tomber  dans  un  autre  elprit  que  le  (len.  Il  fit  rougir  au  feu 
deux  plaques  de  cuivre,  qu'il  donna  ordre  à  fon  Chirurgien  de  lui  appliquer 
aux  deux  ouvertures  de  la  playe.  En  vain  le  Chirurgien  refufa  d'obéir,  dan» 
la  crainte  d'avoir  la  mort  de  fon  Général  à  fe  reprocher.  Ojeda  jurant  qu'il 
le  feroit  pendre,  s'il  tardoit  à  le  fatisfaire,  il  fe  rendit;  &  le  Malade  fou- 
tint  cette  cruelle  opération  avec  une  confiance  héroïque.  Il  avoit  reconnu 
que  le  venin  des  flèches  étoit  froid  au  dernier  degré.  La  chaleur  du  feu 
confuma  toute  l'humeur  froide  ;  mais  elle  caufa  une  fi  violente  inflamma- 
tion dans  la  maffe  du  fang,  qu'il  fallut  employer  un  tonneau  entier  de  vi- 
naigre à  mouiller  des  linges  pour  le  rafraîchir  (e). 

Sa  guérifon  ne  fervit  qu'à  le  replonger  dans  d'autres  peines.  On  avoit 
déjà  vu  la  fin  des  vivres  qu'il  avoit  achetés  de  Talavera.  Encifo  ne  rêve* 
noit  point.  La  crainte  des  nouvelles  extrémités ,  qui  paroiffoient  inévita- 
blés,  porta  tous  les  Caflillans,  non -feulement  à  demander  leur  départ, 
mais  à  faire  des  complots  fecrets  pour  fe  faifir  des  deux  Bri^antins.  Ojeda 
ne  vit  pas  d'autre  remède,  au  defordre,que  l'offre  d'aller  lui-même  à  flfle 
Efpagnole,  pour  hâter  le  fecours  qu'il  en  attendoit,  &  d'ajouter,  que  s'il 
ne  paroiffoit  point  dans  l'efpace  de  cinquante  jours ,  ils  feroient  dégagés 
de  l'obéiffance  qu'ils  lui  avoient  jurée.  Cette  propofition  ayant  fatisfait  les 
plus  muiins ,  il  s'embarqua  fur  le  Navire  Génois ,  après  avoir  nommé ,  pour 
commander  dans  fon  abfence,  François  Fizarre,  qui  feformoit,  dans  une 
îi  rude  Ecole,  à  toutes  les  grandes  entreprifes  auxquelles  il  étoit  deftiné  par 
la  Fortune. 

Aussi-  TÔT  que  le  Vaiffeau  fut  en  Mer,  Ojeda  fe  crut  en  droit  d'agir  efl 
Maître  ;  mais  Talavera ,  qui  ne  lui  avoit  pas  vendu  fon  Bâtiment ,  &  qui 
confervoit  le  même  empire  fur  fon  Equipage ,  commença  par  le  mettre  auz 
fers.  Cétoit  comme  le  fort  de  ce  brave  A vanturier ,  de  ne  pas  faire  un 
Voyage  fans  être  enchaîné,  par  ceux  qui  lui  dévoient  de  la  foumiffion.  Mais 
fa  captivité  dura  peu.  Talavera,  &  tous  fes  gens,  fentirent  le  befoin  qu'ils 
avoient  d'un  tel  Chef;  lorfqu'après  avoir  été  fort  maltraités,  par  Ig  tempê- 
te, ils  eurent  échoué  fur  la  Côte  de  Cuba,  la  néceflité  de  réfifler  aux  atta- 
ques des  Infulaires,  qui  fe  préfentoient  l^ns  ceffe,  lui  fit  déférer  le  Com- 
mandement (/). 

Dans  un  Pays,  qu'il  ne  connoiffoit  point,  il  ne  vit  pas  d'autre  reffource 

que 


(  «)  Le  mûme,  Liv.  8.  Cbap.  3.  &  4. 

(/  )  Dans  le  tems  même  qu'ils  le  tenoient 
Prifonnier,  il  les  traitoit  de  lâches  &  de  traî- 
tres ,  il  les  défioit  au  combat ,  il  leur  propo- 


foit  de  fe  battre  tous ,  fucceflîvement  ou  deux 
à  deux  contre  lui,  il  juroit  qu'il  les  extermi- 
ncroit  tous.  Pas  un  n'ôfoit  lui  répondre, 
«i  môme  s'approcher  de  lui,  ibidem. 


\ 


EN      AMERIQUE,  Liv.  ï. 


163 


que  de  s'approcher  de  la  Jamaic^ue ,  où  il  efpcroic  de  pouvoir  fe  rendre  aifé' 
ment ,  avec  quelques  Canots  qu  il  comptoit  d'enlever  aux  Indiens.  Il  fuivit 
les  Côtes  pendant  rcfpace  de  cent  lieues ,  &  le  détail  de  Tes  peines  efl:  in- 
croyable dans  le  récit  des  Hiftoriens.  Un  Marais  fort  humide,  (ju'il  ren- 
contra au  bout  de  cette  marche,  &  dont  il  fe  flatta  de  trouver  bientôt  la 
fin,  n'avoitpas  moins  de  trente  lieues  de  longueur.  Cependant,  comme 
il  s'y  trouvoit  engagé,  fans  aucune  apparence  de  pouvoir  pénétrer  dans  les 
terres,  au  milieu  d'une  multitude  innombrable  d'Ennemis,  il  continua  cette 
route,  fouvent  avec  de  l'eau  jufqu'à  la  ceinture,  manquant  de  vivres ,  n'a- 
yant pour  boire  que  l'eau  bourbeufe  où  il  marchoit ,  &  trop  heureux  lors- 
qu'il pouvoit  rencontrer  quelques  Mangles  pour  s'y  percher  pendant  la 'nuit 
(g).  Enfin,  réduit  à  trente -cinq  Hommes,  déplus  du  double  qu'il  avoit 
en  arrivant  dans  l'ifle,  &  fi  foible  qu'il  avoit  peine  à  fe  traîner,  il  entra 
fur  les  Terres  d'un  Cacique,  dans  lequel  il  trouva  quelques  fentimens  de 
pitié.  11  obtint  du  tems  &  du  fecours  pour  rétablir  Ces  forces  &  pour 
fatisfairefa  piété.  De -là,  étant  pafie  chez  un  autre  Cacique,  qui  ne  le 
reçut  pas  avec  moins  d'afteftion,  &  qui  n'étoit  éloigné  qued  environ  vingt 
lieues  de  la  Jamaïcjue,  il  fit  pafier,  dans  cette  Ifle,  un  Caftillan,  nommé 
Pierre  dOrdas^  pour  aller  demander  du  fecours  à  Efquibel. 

Ordas  préfenta ,  au  Gouverneur  de  la  Jamaïque,  une  Lettre  de  fon  Gé- 
néral ,  qui  le  conjuroit  de  ne  le  pas  abandonner  dans  fon  infortune.  C'étoit 
une  flatteufe  occafion ,  pour  Efquibel ,  de  fe  vanger  d'un  Homme  ^ui  l'avoit 
menacé  avec  tant  de  hauteur  :  mais ,  fe  picquant  de  générofité ,  il  fe  hâta 
d'armer  une  Caravelle ,  qu'il  fit  partir  fous  les  ordres  de  Pamphile  de  Nar- 
vaez.  Ce  fecours  arriva  heureufement  à  Cuba,  &  Narvaez,  qui  rendoit 
juftice  au  mérite  d'Ojeda,  lui  tendit  la  main  avec  autant  de  refpeft  que  d'a- 
mitié. Efquibel ,  aflez  généreux  pour  oublier  qu'il  avoit  juré  de  lui  couper 
la  tête,  le  reçut  dans  fa  Maifon,  &  le  fit  fervir  comme  s'il  en  eût  été  le 
Maître.  Après  quelques  jours  de  repos,  il  le  fit  conduire  à  l'Ide  Efpagno- 
le.  Talavera  n'eut  pas  la  hardiefie  de  le  fuivre,,dans  un  lieu,  où  il  ne 
pouvoit  éviter  le  châtiment  de  ks  crimes;  mais,  ayant  demeuré  trop  long- 
tems  à  la  Jamaïque,  il  n'y  fut  pas  moins  arrêté  par  l'ordre  de  l'Amiral;  & 
fur  la  nouvelle  accufation  d'avoir  enlevé  un  Navire,  il  fut  condamné  au  der- 
nier Tupplice  (  ô  ). 

En  arrivant  à  San -Domingo,  Ojeda  eut  le  chagrin  d'apprendre  qu'En- 
cifo  en  étoit  parti,  depuis  long -tems,  pour  conduire  à  Saint  •  Sébadien  un 
grand  convoi  d'Hommes  &  de  Vivres.  Comme  dans  toute  fa  route  il 
n'en  avoit  appris  aucune  nouvelle ,  il  ne  douta  point  qu'il  n'eût  péri  dans  les 
flots ,  ou  par  les  armes  des  Indiens  ;  &  loin  de  perdre  courage ,  il  fe  fiatta 

que 

(g)  Il  portoit,  dans  fa  beface,  fon  Ima- 
ge de  la  Sainte  Vierge,  qu'il  avoit  reçue  de 
rEvôque  de  Badajos;  &  lorfqu'il  rencontroit 
quelque  Mangle ,  il  la  mettoit  fur  l'arbre , 
pour  lui  addrclTer  fcs  prières ,  exhortant  ceux 
qui  l'accompagnoient  n  demander  fon  aflîftan- 
ce.  H  fit  vœu  de  pofer  cette  Image  dans  la 
première  Habitation  qui  fe  préfenteroit;  ce 


OjiHA  et 

NiCUESSA. 
1510- 

Ce  (ju'il  eut 
àfouflrir  daiii 
cette  iHc. 


11  palTe  heu- 
reufement à  U 
Jamaïque, 


.  I 


&de-lààI'Ef- 
pagnole. 


Talavera  ett 

condamné  à 
mort. 


qu'il  exécuta  chez  le  Cacique  qui  le  reçut. 
'Les  Indiens,  perfuadës  qu  il  devoit  fa  con- 
fervation  à  la  Figure  qu'ils  lui  voyoient  ref- 
pefter,  élevèrent  une  forte  deTemplç,  où 
elle  fut  lai(rée,& célébrèrent  (ii  puiffance  par 
des  Chants  &  des  Fêtes ,  ibidem, 
(ib)  Herrera,  Liv.  8.  Cbap.  $.      '  ". 


X  2 


OjlDA  IT 
NlCUBSSA. 

15  'O. 

Mon  d'Oie- 
da. 


1^4        PREMIERS      VOYAGES 

que  le  fecours  de  Tes  Amis  lui  feroît  bientôt  rt'narer  foutes  fcs  pertes.  Mais 
il  éprouva  que  l'amitié  ne  tient  guùres  contre  la  niauvaife  fortune.  Tout  le 
monde  lui  ayant  tourné  le  dos,  iorfqu'on  le  vit  malheureux,  il  fut  obligé 
d'abandonner  fon  tntreprife,  &  quelque  tems  après ,  il  mourut  h  pauvre, 
qu'on  ne  lui  trouva  pas  de  quoi  le  faire  enterrer  (i).  Dans  le  peu  de  fé- 
jour  qu'il  avoit  fait  à  San  ■  Domingo  jufau'à  fa  mort ,  il  avoit  donné  une 
nouvelle  preuve  de  cette  intrépidité,  qui  1  avoit  rendu  célèbre  pendant  tou- 
te fa  vie.  Il  fut  attaqué,  la  nuit,  par  pluHeurs  perfonnes,  qui  croyoient 
avoir  à  lui  reprocher  la  perte  de  leur  bien ,  &  qui  avoient  juré  d'en  tirer 
Son  carat-  vengeance.  Loin  d'être  effrayé  du  nombre ,  il  fe  jetta  au  milieu  d'eux , 
:érv.  comme  il  avoit  toujours  fait  dans  les  combats;  &  fon  épée  feule,  qu'il  ma- 

nioit  avec  une  adreffe  furprenante,  le  délivra  heurcufcment  de  tous  fes  En- 
-  nemis.  Jamais  perfonne,  en  effet,  ne  fut  plus  propre  pour  un  coup  de 
main  ,  &  pour  l'exécution  des  grandes  entrcprifes ,  qui  ne  demandent  que 
du  courage  &  de  la  fermeté.  Jamais  on  n'eut  le  cœur  plus  haut,  ni  plus 
de  mépris  pour  la  Fortune.  ■  Mais  il  avoit  befoin  de  la  direélion  d'autrui  ; 
& ,  dans  tout  ce  qu'il  tenta  par  fes  propres  vues,  on  remarqua  toujours  que 
la  conduite  &  le  bonheur  lui  avoient  également  manqué. 

D'un  autre  côté,  les  Habitans  de  Saint  -  Sébadien  ayant  vu  expirer  les 
cinquante  jours ,  pendant  lesquels  ils  avoient  promis  d'attendre  leur  Gou- 
verneur,  preffèrent  Pizarre  de  leur  faire  quitter  un  Pays,  où  il  ne  leur  res^ 
toit  aucune  affurance  de  s'établir.  Mais  lorfqu'ils  voulurent  s'embarquer, 
les  deux  Brigantins ,  qu'ils  avoient  confervés ,  fe  trouvèrent  trop  petits  pou  r 
contenir  foixante  Hommes ,  dont  leur  Troupe  étoit  encore  compofée.  Ils 
convinrent  entr'eux  d'attendre  que  la  mifère  &  les  flèches  des  Indiens  eus- 
fent  diminué  ce  nombre;  &  ce  qu'ils  defiroient  arriva  plutôt  encore  qu'ils 
ne  l'avoient  prévu.  Alors ,  ils  tuèrent  quatre  Chevaux  ,  qu'ils  avoient 
épargnés  dans  les  plus  grandes  extrémités ,  parce  que  la  feule  vue  de  ces 
Animaux  épouvantoit  les  Indiens  ;  &  les  ayant  falés,  pour  leur  unique  pro- 
vlflon ,  ils  fe  partagèrent  fur  les  deux  Bàtimens.  Pizarre  monta  l'un ,  & 
donna  le  commandement  de  l'autre  à  un  Flamand ,  qui  entendoit  fort  bien 
la  Navigation.  Mais  ils  n'étoient  pas  bien  loin  de  la  Côte,  lorfqu'un  furi- 
eux coup  de  Mer  ouvrit  leBrigantin  du  Flamand,  &  l'enfevelit  dans  les  flots 
à  la  vue  de  l'autre,  fans  qu'il  fut  poffible  d'en  fauver  un  feul  Homme  (k). 
Les  vents  ne  ceffant  point  d'être  contraires ,  Pizarre  fe  vit  forcé  de  retour- 
ner au  Continent,  o:  tomba  vers  le  Port,  qui  avoit  reçu  le  nom  de  Car- 
thagene.  En  approchant  du  rivage,  il  découvrit  en  Mer  un  Navire  &  un 
Brigantin.  C^étoit  Encifo ,  qui  revenoit  de  l'Ifle  Efpagnole ,  avec  cent  cin- 
quante Hommes  d'éJite,  &  toutes  les  provisions  néceflàires  pour  l'Etabliffe- 
ment  d'une  Colonie.  Comme  ilcroyoït  encore  Ojeda  dans  fa  Fortereffe,  il 
ne  douta  point,  à  la  vue  de  Pizarre  &  de  fa  Troupe ,  qu'ils  ne  fuffent  des 

Trans- 


Mifère  des 
CaÛillans 
qu'ilavoiclaif- 
résASt.Sébaf- 
tien. 


François  Pi- 
sarre  les  fait 
embarquer. 

Naufrage 
d'une  partie. 


Rencontre 
•d'Encifo. 


(  »■)  II  paroif,  par  fe  foin  que  l'Hiflorièn 
prend  d'alTiirer  ce  qu'il  raconte  de  fa  mort , 
qu'on  en  publia  des  récits  fort  rouianefques. 
Ojeda  étoit  né  à  Cucnça.  Il  demanda  d  être 
enterré  à  l'entrée  de  la  porte  du  Couvent  de 
Saint  françoîs. 


(  A  )  Ceux  qui  virent  ce  fpeftacle  afllirè- 
rent  qu'ils  avoient  app'-rçu  un  PoilTon  d'une 
monQrucufc  grandeur,  qui  avoit  brifé  lo  ti- 
mon du  Brigantin  avec  fa  queue.  On  ne  dou-- 
ta  point  que  ce  ne  fût  une  Baleine,  ibid. 


EN      AMERIQUE,    Liv.  1. 


165 


Transfugcs,  qui  avoicnt  abandçnné  leur  Gc'ndral,  &  Pizarrc  ne  gucrit  (es 
foupçons  qu'en  lui  montrant  par  écrit  la  Commiflion  qu'il  avoit  reçue  d'Ojc- 
da.  Mais  ils  n'en  furent  pas  plus  difpofés  à  s'accorder,  lorfque  Éncifo  eut 
déclare',  qu'en  vertu  de  leurs  conventions  avec  leur  Gouverneur,^  ils  dé- 
voient retourner  tous  &  l'attendre  à  Saint  •  Scbaftien.  Cette  propofition  les 
ayant  fait  frémir,  ils  le  conjurèrent  avec  les  dernières  inllances  de  ne  les 
pas  reconduire  dans  un  lieu,  dont  le  feul  nom  devoit  leur  faire  horreur, 
après  ce  qu'ils  y  avoient  fouffert;  &  s'il  ne  vouloit  pas  Lur  permeitre  de 
letourner  à  l'ille  Efpagnole ,  ils  le  prièrent  de  confentir  du  moins  qu'ils 
allalTent  joindre  Nicuella  dans  la  Caflille  d'or.  Encifo  fe  garda  bien  de 
permettre  que  cette  l'rovince  fût  peuplée  aux  dépens  de  la  Nouvelle  An- 
daloufîe.  11  employa  heureufement  les  promefles  &  l'autorité,  pour  les 
engager  à  le  fuivre;  mais  ils  ne  furent  pas  long-tems,  fans  voir  toutes 
leurs  craintes  vérifiées.  En  entrant  dans  le  Golfe  d'Uraba ,  le  Navire  d'£n- 
cifo  toucha  fi  rudement  contre  la  Pointe  orientale,  qu'il  fut  brifé  en  un  in- 
fiant ,  &  qu'on  eut  à  peine  le  tems  de  fauver  les  1  lommes ,  avec  une  fort 

...     ^..  j :«-.—         A:_r.  i_  /-i.i :_  r_  .. jj..:._      ,1^ 


N 1  c  u  e  S  i. 
1  5  lo- 


11  ictuurnc 
avLC  l'i/arrc 
uu  Cuntiaciit. 


SiMi  V:ii(ïï:!U 
fc  bril'c. 


aiTez  grand  nombre  de  Porcs  du  Pays,  oui  defcendirent  des  Montagnes , 
furent,  pendant  quelques  jours,  une  relTource  pour  les  Cadillans;  mais 
lorfqu'elle  fut  épuifée ,  il  ne  leur  refla  plus  d'efpérance  que  dans  la  guerre. 
Encifo  partit ,  pour  chercher  des  vivres ,  à  la  tête  de  cent  Hommes  bien 
armés.  Il  n'alla  pas  loin.  Trois  Indiens  l'arrêtèrent ,  avec  autant  de  gloi- 
re pour  eux,  que  de  perte  &  d'humiliation  pour  les  Efpagnols.  Ils  eu- 
rent l'audace  de  venir  a  lui,  l'arc  bandé;  &  tirant  leurs  flèches ,  avec  une 
vîtefle  étonnante,  ils  eurent  vuidé  leurs  carquois  avant  que  leurs  Ennemis 
fe  furent  reconnus.    Encifo  blefTé ,  comme  la  plupart  de  fes  Soldats ,  n'eut 

f)as  même  la  fatisfaflion  d'arrêter  ces  deux  Braves ,  qui  s'enfuirent  comme 
e  vent ,  après  lui  avoir  ôté  le  pouvoir  d'avancer  (/).  Son  retour,  dans 
ce  trifte  état,  fut  le  fujet  d'un  nouveau  delt-rpoir  pour  la  Colonie.  On  ne 
parloit  que  d'abandonner  cette  fatale  Contrée;  lorfqu'un  jeune  Homme, 
du  nombre  de  ceux  qui  étoient  venus  avec  Encifo,  propoPa  une  ouverture 
qui  rendit  l'efpérance  aux  plus  abbattus. 

Il  fe  nommoit  ^afco  Nugnez  de  Balboa  (;«);'&  cette  occafion  fut  cônime 
la  première  fource  du  crédit  &  de  la  réputation ,  qui  le  conduifirént ,  dans 
la  fuite,  aux  plus  hauts  dégrés  de  la  gloire  &  de  la  fortune.  Quelques- 
uns  prétendent  qu'il  avoit  accompagné  Ojeda  dans  fon  expédition:  mais, 
outre  qu'il  paroît  difficile  qu'un  Homme  de  fon  caraftère  fût  demeuré  fi 
long-tems  dans  l'obfcurité,  d'autres  racontent,  avec  un  détail  qui  donne 
plus  de  vraifemblance  à  leur  récit,  qu'étant  chargé  de  dettes,  &  pourfui- 
vi  par  fes  Créanciers ,  il  avoit  trouvé  le  moyen  de  s'embarquer  fecrettement 
-avec  Encifo,  en  fe  faifant  porter  à  Bord  dans  un  tonneau;  qu'il  avoit  a^- 
tendu,  pour  fe  faire  voir,  que  le  Vaifleau  fût  afl!ez  loin  en  Mer  ;  &  qu'En- 

''•'       ,■:■':;;;':,'■  "-'"^"-i'.w;,.- >  ..à^r  -^  •  %  cifb, 

(/)  Ibidem.  alnfi  " qu'il   faut  expliquer  la  plupart  de  ces 

(wO-C'cU-à-dire,  natif  de  £aiiio«.  C'eft     noms  Efpagnols. 
,   -  X  3 


Nouvelles 
inllcrcs  lies 
CalUlLms. 


Comment  ils 
font  fccourus. 
Origine  de  la 
fortune  de 
Vafco  Nu- 
gnczdeBaU 
boa. 


Comment  ' 
il  part  avec 
Encifo. 


;«:„'■■ 


i66 


PREMIEB.S      VOYAGES 


NiCUESSA. 

15  lO' 


Service  qu'il 
rend  à  fes 
Compagnons. 


n  les  con- 
duitàlaRiviè- 
se  du  Darien. 


Butin  qu'ils 
y  font  en  or. 


Nugnez 
trompe  Enci- 
fo. 


cifo  ,  fort  irrité  de  cette  tromperie ,  l'avoit  menacé  de  le  dégrader  dans  la 
première  Ifle  déferte ,  parce  que,  fuivant  les  Loix  que  le  Gouverneur  de 
î'Efpagnole  avoit  portées  en  faveur  des  Créanciers,  il  méritoit  la  mort; 
mais  qu'adouci  néanmoins  par  fes  foumifllons ,  &  par  les  inftances  de  ceux 
qui  avoient  demandé  grâce  pour  lui ,  Encifo  s'étoic  déterminé  à  lui  pardoh- 
ncr  (»).  »V 

Cet  Avanturier,  qui  n'étoit  d'ailleurs  âgé  que  de  trente- cinq, ans,  &  qui 
joignoit,  à  une  belle  figure,  beaucoup  d'efprit ,  de  vigueur  &  d'intrépi- 
dité ,  voyant  manquer  le  courage  à  tous  fes  Compagnons ,  &  cherchant  à 
fe  diflinguer ,  par  quelque  fervice  imi)ortant ,  leur  dit  que ,  dans  le  Voyage 
qu'il  avoit  fait  avec  Baftidas ,  il  avoit  pénétré  jufqu'au  fond  du  Golfe ,  & 
qu'il  fe  fouvenoit  d'y  avoir  vifité,  à  l'Oued  d'une  belle  &  grande  Rivière, 
une  Bourgade  abondante  en  vivres,  dont  les  Habitans  n'empoifonnoient 
point  leurs  flèches.  Ce  récit  fit  renaître  l'efpérance  des  Caflillans.  Ils  fe 
hâtèrent  de  pafTer  le  Golfe,  dont  la  largeur  n  efl qe^  de  llx  lieues;  &  trou- 
vant la  Rivière  telle  que  Nugnez  l'avoit  repréfentée ,  ils  reconnurent  que 
c'étcit  celle  du  Darien.  Mais,  à  leur  arrivée,  ils  apperçurent  un  Corps  d'en- 
viron cinq  cens  Indiens,  qui  s'étoient  raflemblés  au  pied  d'une  Colline,  & 
qui  fembloient  réfolus  de  s  oppofer  à  leur  defcente.  Le  témoignage  de  Nu- 
gnez ,  qui  les  avoit  aiTurés  que  ces  Barbares  n'empoifonnoient  pas  leurs  flè- 
ches ,  ne  leur  ôtoit  pas  un  relie  de  défiance.  Dans  ce  doute ,  ils  s'engagè- 
rent, par  un  vœu  folemne!,  à  donner  le  nom  de  Santa  •  Maria  delJmiqua 
(0)  au  premier  Etabliflemènt  qu'ils  fonderoient  fur  cette  Côte.  Encifo 
leur  fit  enfuite  jurer  qu'ils  mourroient  plutôt  que  de  fuir;  après  quoi  il  fie 
fonner  la  charge.  Les  Indiens  foutinrent  le  premier  choc;  mais  s'étânt  bien- 
tôt ébranlés,  ils  prirent  la  fuite,  après  beaucoup  de  confufîon.  Les  Caflil- 
lans marchèrent  vers  la  Bourgade,  qu'ils  trouvèrent  abandonnée,  mais  rem- 
plie de  vivres.  Ils  parcoururent  tout  le  Pays ,  fans  rencontrer  un  ,feul  In- 
dien; &  le  butin  qu'ils  enlevèrent  en  bijoux ,  d'or  très  pur,  ne  monta  pas 
à  moins  de  dix  mille  pefos  (  p  ). 

Une  fi  heureufe  expédition ,  &  l'abondance  où  l'on  fe  trouva  tout-d'un- 
coup,  acquirent  une  nouvelle  confidération  à  Vafco  Nugnez.  Il  propofa 
d'accomplir  le  vœu  commun,  &  Ton  jetta  aufli-tôt  les  fondemens  d'une 
Ville ,  qui  fut  nommée  Sainte  -  Marie  l'ancienne  de  Darien ,  parce  qu'elle  fut 
placée  fur  le  bord  de  cette  Rivière.  Il  y  a  beaucoup  d'apparence  qu'En- 
cifo  ne  fit  pas  réflexion,  qu'en  tranfportanc  fa  Colonie  fur  la  Rive  occi- 
dentale du  Darien,  il  la  tiroit  de  la  Nouvelle  Andaloufie ,  qui  étoit  fépa- 
rée  de  la  CûHiilIe  d'or  par  ce  Fleuve.  Nugnez ,  après  l'avoir  adroitement 
engagé  dans  cette  faufle  démarche ,  eut  foin  de  faire  obferver ,  à  fes  Par- 
tifans,  que  la  Colonie  n'étoit  plus  dans  le  Gouvernement  d'Ojeda,  &  que 
par  conféquent  Encifo ,  qui  tenoit  fon  autorité  de  ce  Gouverneur ,  n'avoit 
plus  de  droit  au  Commandement.    Ces  inûnuations  avoient  déjà  remué  les 

•%-rxi  ■■  ef- 


ce  qi| 
appc 
Goul 


'.>)>  f'.-> 


(7j)  Le  même,  Liv.  8.  Chap y  5. 

(  0  )  C'étoit  le  nom  d'une  célèbre  Eglifc  de 
Seville.  lis  y  joignirent  la  promeffe  den- 
voycr  un  d'cutr  eux  en  Pélainagc  à  Seville', 


avec  quelques  offrandes ,  en  or  ou  en  argent, 
pour  rimagcde  la  Sainte  Vierge.  Ibid.  Chap. 

6.  ....-■  y 

(p  )  Ibidem,      »      -  '  -  '     . 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I.    '        i6f 


:i- 


t, 
p* 


N1CUC8SA. 
I  5  ï  o« 


Arrivée  de 
Colmenarez, 
&  fes  infortu- 
nes. 


efprits,  lorfqu'Encifo  commit  une  autre  faute,  en  défendant  la  traite  de 
l'or  aux  Particuliers ,  fous  peine  de  mort.    On  le  foupçonna  de  vouloir  pro- 
fiter feul  d'un  fi  riche  Commerce,  &  l'indignation  porta  tout  le  monde  à 
lui  déclarer,  que  n'étant  plus  dans  la  Nouvelle  Andaloufie ,  on  ne  recon- 
noifibit  plus  fa  Jurifdiftion.     Les  Mécontens  formèrent  enfuite  une  nou- 
velle forte  d'adminiftration,  dont  la  princijpale  autorité  fut  confiée  à  Vafco      il  s'empare 
Nugnez,  avec  deux  autres  Officiers,  qui  furent  Jean  Zamudio  &  François  d"  Couver- 
Faldivia.    Cependant,   comme  ce  changement  ne  fut  pas  univerfellement  "^"'"'■'"^' 
approuvé,  il  fe  forma  trois  Partis,  dont  la  divifion  faillit  de  ruiner  la  Co- 
lonie dans  fa  naiflance.    Les  uns  redemandoient  Encifo  ,  du  moins  jufqu'à 
ce  que  la  Cour  leur  donnât  un  Gouverneur.    D'autres  vouloient  qu'on  fît 
appeller  NicuefFa,  &  qu'on  reconnût  fes  ordres,  parce  qu'on  étoit  dans  fon 
Goiivernement.    Enfin ,  les  Amis  de  Nugnez  foutenoient  leur  éleflion ,  & 
ne  croyoient  digne  de  leur  commander  que  celui  dont  ils  faifoient  profef- 
fion  de  tenir  la  vie. 

Pendant  que  la  difcorde  augmtntoit  de  jour  en  jour,  on  fut  extrême- 
ment furpris  d'entendre ,  dans  le  Golfe ,  le  bruit  de  quelques  pièces  d'artil- 
lerie, &  toutes  les  faftions  fe  réunirent  pour  y  répondre.  Bientôt  on  ap- 
perçut  deux  Navires.  Ils  étoient  commandés  par  Rodrigue  Enriquez  de 
Colmenarez  i  qui  portoit  des  provifîons  &  foixante  Hommes  à  Nicuefla.  Il 
avoit  d'abord  été  jette  par  le  vent  au  Port  de  Sainte-Marie,  éloigné  d'envi- 
ron cinquante  lieues  de  celui  de  Carthagene;  &  tandis  qu'il  y  faifoit  tran- 
quillement de  l'eau,  un  Corps  d'Indiens,  qui  étoient  tombés  fur  fes  gens 
avec  leurs  flèches  empoifonnées ,  lui  en  avoit  tué  quarante-fix.  Il  en  avoit 
perdu  fept  autres,  qui  s'étant  difperfés  dans  leur  fuite,  n'avoient  pu  trou- 
ver le  moyen  de  retourner  à  Bord.  Le  chagrin  de  fon  infortune  &  la  né- 
ceffité  de  fe  radouber,  l'avoient  conduit  au  côté  oriental  du  Golfe,  dans 
l'efpérance  d'y  rencontrer  Ojeda;  mais  n^y  ayant  trouvé  que  des  raifons  de 
le  croire  mort ,  lui  &  tous  les  gens ,  il  avoit  pris  la  réfolution  de  viiiter 
toutes  les  Parties  du  Golfe,  en  tirant  par  intervalles,  &  faifant  allumer  des 
feux,  qui  pouvoient  fervir  à  raflembler  les  malheureux  Caftillans,  s'il  en 
étoit  refté  quelques-uns  fur  cette  Côte  (g). 

Son  arrivée  répandit  une  joye  extrême  dans  la  Colonie;  mais  bieir-tôt 
elle  y  fit  fucceder  de  nouveaux  troubles.  Comme  fon  inquiétude  étoit  fort  P?."'  ^"^ 
vive  pour  NicueflTa ,  qui  étoit  fon  intime  Ami ,  &  dont  il  u'apprenoit  au-  ^^"^  ^' 
cune  nouvelle,  il  prêta  l'oreille  aux  defirs  de  ceux  qui  le  demandoient  pour 
Gouverneur;  &  (e  les  étant  attachés  y  parla  facilité  qu'il  eut  à  leur  don- 
ner des  vivres ,  il  continua  d'employer  la  même  adrelfe  pour  faire  entrer 
les  deux  autres  fa6lions  dans  les  intérêts  de  fon  Ami.  Il  leur  repréfenta,^ 
d'ailleurs ,  l'avantage  qui  reviendroit ,  à  la  Colonie,  de  joindre  fes  forces 
à  celles  de  Nicuefla,  qu'il  fuppofoit  heureufement  établi  ;  &  ce  motif  fit 
tant  d'imprefllon  fur  ceux  qui  paroiflbient  encore  incertains,  qu'ils  s'accor- 
dèrent tous  à  le  charger  de  cette  Commiffion. 

On  fe  rappelle,   fans  doute,  que  Nicuefla  étoit  parti  de  l'Efpagnole 

■vers  la  fin  de  l'année  précédente,  avec  cinq  Bâtimens  de  différentes  gran- 

deursj      ~~ 

(j)  Le  môfee,  Liv,  8.  Chap.  7,  ,■         ■         ■ 


11  prend" 


1(58 


PREMIERS      VOYAGES 


Ni  eu  ES  8  A. 

I  5  I  o. 

Avantures 
de  NiciiefTa, 


11  retrouve 
Olano,  &  ne 
lui  pardonne 
qu'à  demi. 


ExtiêmîttS 
desCaftillans, 
qui  leur  fait 
manger  un 
Cadavfc. 


Nicucfla 
palTe  à  Porto- 
Bello,  &  de- 
là plus  loin. 

Origine  du 
nom  de  Nom-, 
bve  de  Die .. 


deiirs,  &  chargés  de  toutes  les  provifions  qui  convenoient  à  Ton  entreprtfe. 
Une  tempête  les  avoit  prefqu'aunî-tôt  difperfés.  Lope  d*0/a»o,  fon  Lieu- 
tenant, l'avoit  quitté  pendant  la  nuit,  fous  prétexte  qu'il  lui  étoit  impofli- 
blc  de  tenir  la  Mer;  &  s'étant  joint  au  gros  de  l'Efeadre,  qui  étoit  entrée 
dans  le  Chagre,  il  s'en  étoit  fait  reconnoître  le  Chef,  dans  la  faulTe  fuppo- 
fiiion  que  la-  Caravelle  du  Commandant  avoit  été  fubmergée.  Mais  n'ayant 
pu  fe  garantir  de  la  mifère,  qui  fit  périr  quantité  de  fes  gens,  il  avoit  for- 
mé le  deflein  de  retourner  à  rEfpagnoIe. 

NicuESSA,  jette  feul  fur  une  Côte  inconnue,  y  perdit,  en  effet,  fa 
Caravelle,  &  fe  vit  forcé  de  chercher,  par  terre,  le  Veragua,  qui  étoit  le 
rendez- vous  général.  Dans  cette  marche,  un  très  grand  nombre  d'Efpa- 
gnols  périrent  de  mifère,  ou  par  les  mains  des  Sauvages.  D'autres  aban- 
donnèrent leur  Chef,  fans  fuivre  de  route  certaine,  &  fouffrirent  tous  les 
tourmens  de  la  faim ,  de  la  foif  &  de  la  chaleur.  Enfin ,  quatre  Matelots 
arrivèrent,  dans  une  Chaloupé,  à  l'entrée  de  la  Rivière  deBelem,où  ils  ren- 
contrèrent Olano,  qui  avoit  différé  jufqu'alprs  à  mettre  à  la  voile,  &  lui 
donnèrent  avis  que  NicuefTa  venoit,  par  terre,  le  long  du  rivage.  Olano 
crut  l'occafion  favorable  pour  rentrer  en  grâce.  Il  lui  envoya ,  fur  le  champ , 
quelques  provifions  dans  un  Brigantin.  On  n'alla  pas  loin  fans  le  rencon- 
trer. Mais  avec  quelque  joye  qu'il  dût  recevoir  un  fecours  auquel  il 
devoit  la  vie,  il  demeura  long-tems  ferme  dans  la  réfolution  qu'il  avoit 
prife  de  punir  du  dernier  fupplice  la  trahifon  de  fon  Lieutenant,  qui 
lui  avoit  déjà  coûté  environ  quatre  cens  Hommes,  &  qui  l'avoit  réduit 
lui-même  aux  dernières  extrémités.  Cependant  il  lui  fit  grâce  de  la 
vie ,  i  la  prière  de  fes  gens ,  qui  fe  jettèrent  tous  à  {es  pieds  pour  le 
fléchir  ;  mais  jl  le  retint  Prifonnier ,  dans  la  réfolution  de  le  renvoyer 
en  Efpagne. 

Les  Caftillans  tirèrent  peu  de  fruit  de  leur  réunion.  Ils  retombèrent 
bien-tôt  dans  tous  les  maux  dont  ils  s'étoient  crus  délivrés,  &  la  faim  de- 
vint le  plus  prefTant.  NicuefTa  leur  permit  de  fe  répandre  dans  le  Pays, 
&  d'employer  la  violence  pour  forcer  les  Indiens  à  leur  fournir  des  vivres. 
Mais  ces  Barbares,  qui  étoient  bien  armés,  fe  défendirent  avec  beaucoup 
de  vigueur.  Leur  réfîflance  ayant  ôté  toute  reiTource  à  leurs  Ennemis ,  on 
vit  produire ,  au  defefpoir ,  un  effet ,  qui  étoit  peut  -  être  fans  exemple. 
Trente  Caflillans,  ayant  un  jour  trouvé  le  corps  d'un  Indien,  tué  dans  quel- 
que rencontre ,  &  touchant  prefqu'à  la  pourriture ,  le  mangèrent  avide- 
ment, &  moururent  tous  de  cet  horrible  feflin  (r).  Enfin ,  NicuefTa,  de- 
fefpérant  de  pouvoir  s'établir  au  milieu  d'un  Peuple  fi  féroce,  laifTa  une  par- 
tie jde  fbs  gens  dans  la  Rivière  deBelem,  fous  les  ordres  d' Alfonfe  Nugnez  ; 
&,  conduit  par  un  Matelot,  qui  jv:>it  été  du  dernier  Voyage  de  Cliriflo- 
phe  Colomb ,  il  fe  rendit  avec  les  autres  à  Porto-Bello.  Il  jr  trouva  le  riva- 
ge couvert  d'une  multitude  infinie  d'Indiens,  armés  de  zagaies,  qui  lui  tuè- 
rent vingt  Hommes.  Ce  cruel  accueil  le  mit  dans  la  nécefllité  d'avancer  Ox 
ou  fept  lieues  plus  loin ,  jufqu'au  Port,  qui  avoit  reçu,  de  Colomb,  le  nom 
dQ  Bajîimentos.    Il  y  jetta  l'ancre,  en  difant  dans  fa  langue:  Arrêtons ^mus 

ici, 

(»•)  Le  mcme,  Liv.  8.  Cha^.  2.  .       • 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Lîv.  I. 


i6g 


ici,  au  nom  de  Dieu  (s);  &  le  trouvant  commode  pour  s'y  établir,  il  y  jetta 
auài-tôt  les  fondemens  de  la  fameufe  Ville,  que  cette  circonftance  a  fait 
nommer  Nombre  de  Dios. 

Les  Indiens  ne  s'oppofèrent  pas  au  travail;  mais  le  Pays  n'ofFroit  point 
d'alimens.  Aufli  la  famine  y  redevint -elle  extrême;  &  les  maladies,  qui 
s'y  joignirent  bientôt,  enlevèrent  les  trois  quarts  de  la  nouvelle  Colonie. 
Les  autres  étoient  fi  foibles,  qu'ils  ne  pouvoient  foûtenir  leurs  armes.  11 
falloit  néanmoins  prefler  l'ouvrage,  pour  fe  mettre  en  fureté  contre  les  Sau- 
vages, dont  on  craignoit  à  tous  momens  d'être  attaqué.  Le  Général  s'em- 
prefla  de  dbnner  l'exemple.  Mais  quoiqu'il  n'épargnât  perfonne ,  il  ne  put 
éviter  les  murmures  &  les  malédiélions  de  Ces  gens,  à  qui  le  defefpoir  avoit 
ôté  le  courage  &  la  raifon.  Ceux  qui  étoient  reftés  fur  le  bord  du  Belem 
n'étoient  pas  moins  à  plaindre.  La  faim  les  porta  jufqu'à  manger  des  Ani- 
maux venimeux,  dont  la  plupart  furent  empoifonnés;  &  Nicuefla  n'en  eût 
pas  revu  un  feul ,  s'il  ne  fe  fût  hâté  d'en  faire  amener  le  refte.  Enfuite,  il 
fit  partir  une  Caravelle,  pour  aller  demander  du  fecours  à  l'Ifle  Efpagnole. 
Les  efforts  qu'il  fit ,  dans  l'intervalle  ,  pour  fe  lier  avec. les  Indiens.  & 
pour  en  obtenir  des  vivres ,  n'adoucirent  point  la  férocité  de  ces  Bar- 
bares. On  entreprit  de  leur  enlever  ce  qu'ils  refufoient.  Mais  ils  firent 
une  fi  furieufe  défenfe,  qu'ils  forcèrent  toujours  les  Caftillanrde  fe  retirer 
avec  perte. 

Telle  étoit  la  fituation  de  Nicuefla,  lorfqu'il  vit  arriver  Côlmenarez, 
avec  des  propofitions  qui  pouvoient  le  dédommager  de  fes  pertes,  s'il  eût 
été  capable  d'en  profiter:  mais  fes  malheurs  Tavoient  aigri,  jufqu'à  trou- 
bler un  peu  fa  raifon  ;  &  ce  qui  devoit  le  conduire  à  la  fortune ,  ne  fervit 
qu'à  précipiter  fa  ruine.  Côlmenarez,  qui  lui  portoit  une  fincôre  affeftion, 
rayant  trouvé  avec  foixante  Hommes,  tous  dans  le  plus  déplorable  état  du 
monde,  nuds  pieds,  maigres,  décharnés,  leurs  habits  en  lambeaux,  fut 
quelque  tems  fans  pouvoir  s'expliquer  autrement  que  par  fes  larmes  (;).  Il 
lui  apprit  enfuite  le  fujet  de  fon  Voyage ,  qui  fut  écouté  avec  des  tranfports 
de  joye.  Mais  quelle  fut  la  furprife  de  ce  généreux  Ami,  lorfqu'après  lui 
avoir  fait  une  vive  peinture  des  richefles,  qu'on  avoit  trouvées  fur  les  bords 
du  Darien,  il  l'entendit  répondre,  devant  tous  ceux  qui  venoient  le  recon- 
noître  pour  leur  Chef,  que  cette  nouvelle  Ville,  ayant  été  bâtie  fur  fon 
terrain,  fes  Fondateurs  méritoient  d'être  punis,  &  qu'auflî-tôt  qu'il  y  fe- 
roit  arrivé  il  feroit  fentir  fa  colère  aux  Coupables  ?  Un  langage  fi  déplacé 
fit  une  égale  impreifion  fur  tout  le  monde.  Mais ,  par  une  féconde  impru- 
dence, qui  mit  le  comble  à  la  première,  Nicuefl^a  fit  partir,  avant  lui,  une 
Caravelle  pour  le  Darien ,  tandis  que ,  dans  l'efpérance  apparemment  de 
trouver  de  l'or,  il  employa  plufieurs  jours  à  vifiter  quelques  Ifles  voifines. 
Ses  Députés  portèrent  la  nouvelle  de  fes  difpofitions ,  avec  celle  de  fon  dé- 
part. Lorfqu'il  parut  à  la  vue  du  Port,  Vafco  Nugnez  fe  préfenta  fur  le 
rivage ,  &  lui  fit  crier  qu'il  étoit  le  maître  de  retourner  à  Nombre  de  Dios, 
mais  qu'on  étoit  réfolu  de  ne  le  pas  laifl^r  defcendre  dans  la  Province  du 
Darien.  •  * 

Une 


N  I  C  17 1  s  I  A. 

1  5  I  G- 

Nouvelles 
peines  de  Ni- 
cuefla. 


En  quel 
état  Côlmena- 
rez le  trouve. 


Imprudence 
qui  devient  la 
caufe  de  fa 
perte. 


^      (s)  Paremos  aqui  en  tl  nombre  de  Dits. 
XriII,  Part. 


Ibidem. 
Y 


(»)  Ibidem  Qiz^. 


170 


PREMIERS      VOYAGES 


NiCUBtIA. 
1510. 

On  refufe 
de  lerecevcir 
dans  la  Colo- 
nie du  Darien. 

Ses  humi- 
Hâtions. 


II  eft  trahi 
par  trois 
Cailillans. 


Comment  il 
eft  chaiTé  de  la 
Colonie.  & 
fbn  malheu- 
reux fort. 


Une  déclaration  fi  peu  attendue  le  jétta  dans  un  étonnement  qui  lui  ôta  d'a- 
bord la  force  de  répondre.  Après  avoir  rappelle  fes  efprits,  il  repréfenta 
aux  Caflillans  qui  s'oppofoient  à  fa  defcente,  qu'il  étoit  venu  fur  leur  invi- 
tation, &  qu'il  ne  penfoit  qu'à  fe  rendre  utile  a  la  Colonie  par  un  fage  Gou- 
vernement. Il  demanda  du  moins  la  liberté  de  defcendre  &  celle  de  s'ex- 
pliquer. Il  s'abbaifla  jafqu'à  i)rotefler,  que  s'ils  ne  le  jugeoient  pas  digne 
du  Comtnandement  après  l'avoir  entendu ,  il  confentoît  à  le  voir  ttaité  com- 
me ils  le  jugeroient  à  propos.  On  ne  répondit,  à  ce  difcours,  que  par  des 
railleries  &  des  menaces.  Cbmme  il  étoit  fort  tard,  -il  prit  le  parti  de  jet- 
ter  l'ancre,  &  de  palfer  la  nuit  dans  fa  Caravelle.  Lor/que  le  jour  parut, 
on  lui  fit  dire  qu'il  pouvoit  débarquer:  mais  au  moment  qu'il  toucha  la  ter- 
re, il  s'apperçut  qu'on  cherchoit  à  fe  faifîr  de  fa  perfonne;  &  c'étoit  en  ef- 
fet le  deifein  de  lès  Ennemis.  Il  eut  aflez  de  légèreté  pour  leur  échapper  par 
la  fuite;  d'autant  plus  que  Vafco  Nugnez  empêcha  qu'il  ne  fût  pourfuivi. 
La  crainte  dé  tomber  entre  les  mains  des  Sauvages  le  fit  fortir  d'un  Bois,  où 
il  s'étoit  retiré  ;  &  s'étant  j-approché  de  la  Colonie ,  il  fit  dire ,  aux  Habitans , 
que  s'ils  ne  vouloient  pas  le  recevoir  en  qualité  de  Gouverneur  <  il  deman- 
doit  d'être  reçu  du  moins  comme  leur  Compagnon ,  ou  d'être  enchaîné  s'ils 
le  defiroient;  &  qu'il  aimoit  mieux  mourir  près  d'eux,  dans  les  fers,  que 
de  retourner  à  Nombre  de  Dios  pour  y  périr  par  des  flèches  empoifonnées. 
Cette  propofition  ne  fervit  qu'à  lui  attirer  du  mépris,  &  de  nouvelles  injures. 
CependantNugnez ,  qui  regrettoit  de  s'être  oppofé  à  fa  réception ,  entreprit 
de  faire  revenjr  les  efprits  en  fa  faveur.  Il  fie  même  punir  ceux  qui  l'avoient 
outragé;  &  lui  confeillant  de  rentrer  dans  fa  Caravelle,  il  lui  recommanda 
de  n'en  point  fortir ,  s'il  ne  le  voyoit  lui-niême  au  nombre  de  ceux  qui  pour- 
roient  l'inviter  à  defcendre.  De  quelque  fource  que  fut  parti  ce  confeil ,  le 
dernier  malheur  de  Nicuefla  vint  de  ne  l'avoir  pas  fuivi.  Trois  Cafl:illans 
de  la  Colonie  (v),  feignant  de  la  chaleur  pour  fes  intérêts,  fe  rendirent  à 
fon  Bord,  rejettèrent  ce  qui  s'étoit  paffé  fur  l'emportement  de  quelques  Mu- 
tins ,  &  l'afiTurèrent  que  tous  les  honnêtes  gens  le  fouhaitoient  pour  Gou- 
verneur. Il  donna  dans  le  piège ,  malgré  l'avis  de  Nugnez.  Ces  trois  Traî- 
tres, auxquels  il  ne  fit  pas  difficulté  de  fe  fier,  l'ayant  livré  à  fes  Ennemis, 
il  fut  embarqué,  peu  de  jours  après  ,^  fur  un  méchant  Brigantin,  avec  dix- 
fept  Hommes,  qui  s'attachèrent  volontairement  à  fa  fortune.  En  vain  prit- 
il  le  Ciel  à  témoin  de  cette  cruauté ,  &  cita-t'ii  fes  Ennemis  au  Jugement  de 
Dieu  &  des  Hommes.  On  lui  reprocha  d'avoir  fait  périr  une  infinité  de 
Caflillans,  par  fon  ambition  ou  fa  mauvaife  conduite;  &  les  plus  modérés 
furent  ceux  qui  lui  confeillèrent  ironiquement  d'aller  rendre  compte ,  en 
Efpagne,  des  fervices  qu'il  avoit  rendus  à  la  Nation.  Il  mit  à  la  voile,  fans 
qu'on  ait  jamais  fçu  dans  quel  lieu  du  Monde  fa  mauvaife  fortune  l'avoic 
conduit  (.r).  ûécou- 

(v)  Ils'ie  nommoient  Barrientos,  uilhitcz     ie  témoignage  de  plufieurs  perfonnes  dignes 


&  Veginez. 

(  X  )  Quelques  Ecrivains  ont  rapporté  (Ju'il 
étoit  arrivé  à  l'Ifle  de  Cuba,  qu'il  y  avoit  été 
tué  par  les  Infulaires ,  &  que»  pendant  la  con- 
quête de  cette  llle ,  on  avoit  trouvé  cette  in- 
fcription  fur  un  arbre:  Ici  finit  le  malheu- 
reux Nicuejja,    Mais  Herrera  déclare,  fur 


de  foi ,  qui  étoient  alors  dans  la  même  Ifle , 
que  ce  récit  eft  abfolument  fabuleux  :  ce  qu'on 
croit  certain ,  dit-il ,  c'eft  que  fon  VaiiTeau , 
qui  étoit  en  très  mauvais  état ,  fut  englouti 
par  les  flots  ;  &  que  lî  quelqu'un  de  l'Equipa- 
ge fe  fauva  fur  la  Côte,  il  y  mourut  de  faim 
&  de  ibif.    Ibidem ,  Chap.  8. 


EN     AMERIQUE,  Lit.  I. 


irj 


1^1 


Découvertes  qui  conduijtrent  à  celles  du  Pérou  ^  fous  Nugnez  Balboa. 


APRÈS  Ton  départ,  Vafco  Nugnez  Balboa  fe  mit  fans  peine  en  polTef- 
fion  de  l'autorité.     On  trouve  du  moins  qu'Encifo  ayant  ofé  le  l'at- 
tribuer à  la  faveur  d'un  nouveau  Parti ,  il  le  fit  arrêter  ;  &  qu'après  lui  avoir 
reproché  de  vouloir  ufurper  une  place ,  dont  les  Provifions  dévoient  venir 
du  Roi  feul ,  il  ne  lui  rendit  la  liberté ,  à  la  prière  des  principaux  Habitans 
de  la  Colonie,  qu'à  condition  qu'il  s'embarqueroit  fur  le  premier  Vaiffeau 
qu'on  feroit  partir  pour  la  Caftille,  ou  l'Ifle  Efçagnole.    Enfuite,  penfant 
à  fe  procurer  des  fecours  d'Hommes  &  de  Munitions ,  il  fit  nommer ,  pour 
cette  Commiffion ,  Valdivia,  fon  Collègue  &  fon  Ami,  qui  devoit  prefler 
l'Amiral  au  nom  de  tous  les  Caftillans  de  la  nouvelle  Fondation.     D'un  autre 
côté ,  il  leur  repréfenta  qu'il  convenoit  d'informer  la  Cour  de  leur  fituation 
dans  la  Province  de  Darien ,  &  des  richefles  qu'ils  fe  promettoient  d'y  dé- 
couvrir; fur  quoi  Zamudio,  fon  autre  Collègue,  fe  laifla  perfuader  de  paf- 
fer  lui-même  en  Caftille.    On  attribue  ici  deux  vues  à  Nugnez  ;  la  premiè- 
re, de  fe  conferyer  toute  l'autorité;  &  la  féconde,  d'avoir  à  la  Cour  un 
Homme,  qui  eût  le  même  intérêt  que  lui  à  prévenir  le  Roi  &  fes  Miniftres 
fur  ce  qui  étoit  arrivé  d'irrégulier  dans  le  nouvel  Etabliflement.    Cepen- 
dant ,  comme  Encïfo  n'étoit  pas  moins  réfolu  de  porter  k^  plaintes  au  Tri- 
bunal du  Roi,  &  qu'il  fe  difpofoit  à  partir  fur  le  Bâtiment,  qui  devoit  con- 
duire Valdivia  &  Zamudio  à  Tlile  Ëfpagnole  ,  Nugnez ,  appréhendant  les 
fuites  de  ce  Voyage ,  entreprit  d'arrêter  fon  Ennemi  par  des  offres  de  ré- 
conciliation ;  mais  après  avoir  reconnu  qu'il  n'étoit  pas  capable  de  prendre 
le  change,  il  fe  réduifit  à  charger  fes  deux  Envoyés  de  riches  préfens  en 
or,  pour  les  principaux  Miniftres  d'Efpagne. 

Les  négociations,  dans l'Ide Ëfpagnole,  eurent  tout  le fuccès  qu'il  s'enétoic 
promis.  Valdivia  revint ,  non-feulement  avec  des  Provifions  &  des  Hom- 
mes, mais  avec  des  Lettres  de  l'Amiral,  qui  promettoient  de  plus  puifiTans 
fecours  à  la  Colonie.  Dans  l'intervalle,  il  étoit  arrivé  de  nouveaux  événe- 
mens ,  qui  avoient  beaucoup  relevé  les-  efpérances  de  Nugnez ,  &  dont  il 
fe  hâta  de  donner  avis  à  l'Amiral  par  le  même  Député.  11  s'étoit  mis  à  la 
tête  de  cent  cinquante  Hommes  ,  avec  lefquels  il  avoit  fait  des  courfes 
dans  tout  le  Pays,  jufqu'à  Nombre  de  Dios,  répandant  la  terreur  de  fon 
nom  parmi  les  Indiens ,  &  n'accordant  fon  amitié  qu'à  ceux  qui  la  recher- 
choient  au  prix  de  l'or.  Cette  expédition  lui  avoit  fait  raflembler  tant  de 
richefles ,  que  le  quint  du  Roi ,  dont  Valdivia  fut  chargé ,  pour  le  remettre 
au  Tréfor  Royal  de  San -Domingo,  montoic  à  quinze  cens  Pefos,  c'eft-à- 
dire ,  à  trois  cens  marcs  d'or. 

La  fortune  l'avoit  traité  encore  avec. plus  de  faveur,  en  lui  donnant  les 
premiers  indices  de  la  plus  grande  &  la  plus  heureufe  de  toutes  les  décou- 
vertes de  l'Efpagne.  Un  jour  que  le  Fils  d'un  Cacique ,  nommé  Comagre^ 
Allié  de  la  Colonie,  lui  avoit  préfenté  beaucoup  d'or,  il  s'éleva,  pour  la 
répartition,  une  querelle  fort  vive  entre  les  Caftillans.  Le  jeune  Indien, 
étonné  de  cette  furieufe  paffion  pour  un  métal,  dont  il  ne  faifoit  pas  le  mê- 
me cas,  s'approcha  de  la  balance,  la  fecoua  d'un  air  d'indignation  >,&  ren- 
verfa  tout  l'or  qu'il  avoit  apporté.    Enfuite ,  fe  tournant  vers  les  Caftillans , 

Y  a 


Découvertes 

qut  COMDUISI* 
KB^T  A  caL- 
Lss  DU  Pérou. 

NuoNiz  Bal- 
boa. 

I  5  1  O"  • 

Autorité  de 
Balboa  dans' 
la  Colonie  du 
Darien. 

II  envoyé 
des  Députés  à 
l'Efpagnole  & 
en  CailiUe. 


V, 


Ses  courres 
dans  le  Conti- 
nent. 


iif.. 


:U  '^ 


Premiers  in- 
diccs  qu'il  a 
du  Pérou. 


aux- 


172 


PREMIERS      VOYAGES 


DlCOTTVBIlTIS 

qui  c0ndui8i' 
bint  a  cil- 
usouPekou. 
NuQNEZ  Bal- 
boa. 

.  1510- 

Récit  d'un 
jeune  Indien. 


Funefte  fin 
de  Valdivia. 


PROGRilS  DM 

Castillans 
dans  lbs  is- 

LES. 

I  5  I  I. 

Progrès  des 
Oiftillans 
dans  la  Ja- 
maïque: 


auxquels  il  reprocha  de  fe  quereller  pour  une  bagatelle,  il  leur  dit,  que 
puilque  c'ëtoit  apparemment  ce  métal ,  qui  leur  avait  fait  abandonner  leur 
Patrie,  qui  leur  Faifoit  efluyer  tant  de  fatigues,  courir  tant  de  dangers,  & 
troubler  tant  de  Peuples,  qui  avoient  toujours  vécu  dans  une  paix  profon- 
de, il  vouloit  leur  faire  connoître  un  Pays,  dans  lequel  ils  trouveroient  de 
a  uoi  remplir  tous  leursdefîrs;  mais  que  pour  y  pénétrer,  ils  avoient  befoin 
e  forces  plus  nombreufes ,  parce  qu'ils  y  auroient  à  combattre  de  puiflans 
Rois,  &  des  Nations  guerrières.  On  lui  demanda  de  quel  côté  étoit  le 
Pays,  qui  renfermoit  de  fi  beaux  préfens  du  Ciel.  Il  répondit  que  du  fien 
il  Y  avoit  fix  Soleils,  c'eft-à-dire,  fix  journées  de  marche,  en  tirant  au 
Midi,  qu'il  montroit  du  doigt;  qu'on  trouveroit  d'abord  un  Cacique  d'une 
extrême  richefle,  &,  plus  loin,  une  grande  Mer,  fur  laquelle  on  voyoit  des 
VaiiTeaux  un  peu  moins  grands  que  ceux  des  Efpagnols,  mais  équipés  de 
voiles  &  de  rames  ;  &  qu'au  -  delà  de  cette  Mer ,  on  arriveroit  dans  un 
Royaume ,  où  l'or  étoit  lî  commun ,  que  les  Habitans  mangeoient  &  bu- 
voient  dans  de  grands  vafes  de  ce  métal ,  &  le  faifoient  fervir  aux  mêmes 
ufages  qu'il  voyoit  faire  aux  Cadillans  de  ce  qu'ils  nommoient  du  fer. 
Enfin ,  le  jeune  Cacique  s'offrit  pour  leur  fervir  de  Guide ,  avec  une 
partie  des  Sujets  de  fon  Père  (a).  Un  avis  de  cette  importance  cour 
tous  les  Habitans  de  la  Colonie ,  leur  fit  pardonner  à  l'Indien  fa  hardicfTe 
&  fes  reproches.  Nu^nez ,  en  faifant  partir  Valdivia  pour  l'Ëfpagno- 
le ,  le  chargea  particulièrement  de  communiquer  ,  à  l'Amiral ,  une  nou- 
velle fi  capable  de  lui  faire  hâter  les  fecours  qu'il  avoit  promis.  Mais  le 
malheur  de  l'Envoyé  retarda ,  pendant  plufieurs  années ,  l'honneur  &  Tuti" 
lité  que  Nugnez  en  devoit  tirer.  Cène  fut  qu'en  1519  qu'on  apprit,  par 
hazard ,  que  Valdivia ,  ayant  été  jette  ,  par  un  naufrage ,  dans  de  petites 
liles  nommées  les  Caymans,  au  NordOucfl  de  la  Jamaïque,. &  voulant  paf- 
fer  à  la  Terre -ferme,  du  côté  de  l'Yucatan,  étoit  tombé  entre  les  mains 
d'un  Cacique ,  qui  le  facrifia  aux  Idoles  du  Pays ,  &  qui  fit  un  feflin  de  fa 
chair.    Mais  la  fuite  de  ce  récit  appartient  à  d'autres  tems  (b). 

(a)  Herrera,  Liv.  9.  Cbap.  2. 

{b)  Herrera,  Liv.  8.  Cbap.  7.  &  précédens;  &  Liv.  9.  Cbap.  2  &  j; 

Progrès  des  Cajlillans  dans  les  JJles  de  la  Jamûique^  ÎEfpagnole  ^  Cuba.  ' 

ON  a  dû  juger,  par  le  pouvoir  où  Jean  d'Efquibel  s'étoit  trouvé  de  fe- 
courir  Ojeda,  dans  la  Jamaïque,  que  la  conquête  de  cette  Ifle  lui  a- 
voit  peu  coûté ,  &  qu'il  s'y  étoit  heureufement  établi.  Après  quelque  ré- 
fiflance,  les  Infulaires  s'étoient  retirés  dans  les  Montagnes;  mais  la  perte 
de  leurs  Chefs  avoit  fervi  fi  facilement  à  les  aflujettir,  qu'ils  s'étoient  li- 
vrés au  fervice  des  Vainqueurs ,  pour  les  nourrir  par  le  travail  de  l'Agricul- 
ture, &  pour  les  vêtir  de  leurs  ouvrages  de  coton.  Quoiqu'ils  ne  fuflent 
pas  riches  en  or,  leur  coton,  qui  étoit  également  célèbre  par  fon  abondan- 
ce &  fa  bonté ,  leur  attiroit  des  Marchands  de  toutes  les  Illes  voifines.  Ils 
en  fabriquoient  de  grandes  pièces  d'étoffe,  qui  fervoient  à  toutes  fortes  d'u- 
fages;  &.  les  Caflillans,  pour  lefquels  ils  travailloient ,  en  faifoient  un  Com- 
merce avantageux.    L'heureufe  multiplication  des  Befliaux  leur  afFuroit  un 

*.   *      ,  au- 


. 


ïfa 


Castillans 

DANS  LES  Is- 

LES. 

15  I  !• 


Etabliflctncns 
Eccléfiafti- 
que  s  duiisTlf-. 
le  Efpagr.oli.*. 


'     EN      A    M    E    R    I    Q    U    È,  Liv.   I.     '        173 

autre  fond  de  richefles,  auquel  ils  joignirent  bientôt  des  cannes  de  Sucre,    J^f^f.V"" 
&  même  des  Vignes ,  dont  ils  firent  de  très  bon  Vin  clairet.    AuflTi  formé-    ^**t^"'^*"» 
rent-ils,  en  peu  de  tems,  deux  belles  Villes,  ou  Bourgades,  fous  les  noms 
deSeville&à'OrtJtart(a). 

Tandis  qu'on  pouflbit  les  Découvertes  &  les  EtabliflTemens ,  avec  cette 
variété  de  fuccès,  l'Ifle  Efpagnole  vit  la  confommation  d'une  affaire,  que  la 
Reine  Ifabelle  avoit  eue  fort  à  cœur,  mais  que  divers  contre-tems  avoient 
retardée.    Cette  Princefle,  perfuadée  par  les  faufles  repréfentations  de  fes 
Offi-iers,  que  le  Chriftianifme  faifoit  ae  grands  progrès  dans  l'Ifle,  avoit 
prié  Jules  II.,  qui  occupoit  alors  le  Trône  Pontifical,  d'en  ériger  quelques 
Villes  en  Evêcnés.    Elle  avoit  demandé  d'abord  un  Archevêque  pour  la 
Province  de  Xaragua ,  avec  deux  SirfTragans ,  dont  les  Sièges  dévoient  être 
Larez  de  Guahaba  &  la  Conception  de  la  Vega.    Jules  y  avoit  confenti  ;  & 
la  Reine  avoit  nommé  trois  Sujets  d'un  mérite  dillingué  (b).    Mais  quel- 
ques obftacles  avoient  fait  différer  l'expédition  des  Bulles.     Ifabelle  étoit 
morte;  &  les  deux  premiers  des  trois  lieux,  qu'elle  avoit  propofés,  ne  te- 
noient  plus  le  même  rang  dans  la  Colonie.    Ferdinand ,  preflé  par  les  der- 
nières volontés  d'une  Epoufe,  à  laquelle  il  devoit  toute  fa  gloire,  reprit  ce 
deffein  avec  chaleur,  &  propofe  un  nouvel  arrangement-,  qui  fut  approuvé 
du  Saint  Siège.     Il  confiftoit  à  fupprimeri  a  Métropole  de  Xaragua,  pour 
ériger  San-Domingo,  la  Conception  &  Saint. Jean  de  Portoric  en  Evéchés 
Suffragans  de  Seville.    La  même  nomination  fut  confirmée  en  faveur  des 
trois  mêmes  Sujets;  c'eft-à-dire ,  que  Deza  fut  élevé  fur  le  Siège  de  la 
Conception,  Padilla  fur  celui  de  San-Domingo,  &  Manfa  fur  celui  de  Saint 
Jean.     Les  Prémices  &  les  Dixmes  de  tous  les  biens  de  la  terre,  à  l'excep- 
tion des  Métaux ,  des  Perles  &  des  Pierres  prècieufes,  la  Jurifdiélion  fpiri-  . 
tuelle  Atemporelle,  enfin  les  mêmes  droits,  dont  jouïflbient  lesEvêques  de  siégesEpifco- 
CafUlle,  furent  attribués,  par  le  Pape,  aux  trois  nouveaux  Sièges.   Mais,  paux. 
en  agréant  cette  difpofition ,  le  Roi  fit ,  avec  les  trois  Evêques ,  un  Concor- 
dat ,  dont  les  principales  conditions  portoient  qu'ils  feroient  engagés ,  pour 
eux  &  pour  leurs  Succeffeurs ,  à  diftribuer  les  Dixmes  au  Clergé ,  aux  Hô- 
pitaux &  aux  Fabriques,  &  que  les  Bénéfices  &  les  Dignités  feroient  à  la 
nomination  du  Souverain  (  c  ). 
Dans  cet  intervalle,  il  s'éleva  aux  Indes  un  différend  fort  fingulier  dans 

^  fon 


A  quelles 
conditions  on 


(a)  Le  même,  Liv.  7.  Chap.  13. 
(i)  Le  Dofteur  Pierre  de  Deza,  Dominl- 
quain,  &  Neveu  de  l'Archevêque  de  Seville; 
le  Père  Garcias  de  Padilla  y  Francifcain;  & 
le  Licencié  Alfonfe  Manfa ,  Chanoine  de  Sft- 
lamanque,  ibid.  Liv.  8.  Chap.  10. 
(c)  Ibidem.  Une  autre  condition  étoit 
,ue  les  Evêques ,  en  vertu  de  la  Bulle  de 
ules  II ,  réglaflent  la  manière  de  porter  la 
'Couronne  &  l'Habit  Eccléfiaftique;  que  la 
Couronne  de  la  première  Tonfure  fût  de 
la  grandeur  d'une  Réale  de  Caftille;  les 
cheveux  deux  doigts  au-delTous  de  l'oreil- 


Céle'brc  dif- 
férent! entre 
les  Dcnnini- 
quains  &  les 
Oiîiciers  Caf- 
tillans  fur  le 
traitement 
qu'on  faifoit 


»  9" 


„  le,  &  un  peu  plus  bas  par  derrière  ;  que  le 

„  vêtement  de  dclTus  fût  une  Robbc  ,   ou 

„  Soutanne,   fermée  ou   ouverte,  mais  fi 

„  longue  qu'elle  allât  jufqu'aux  talons  ,   & 

„  qu'elle  ne  fût  ni  rouge  ni  verte ,  ni  d'autre   aux  Indiens 

„  couleur  indécente;  qu'on  ne  reçût  aux  Or 

„  dres  que  ceux  qui  entendoient  &  parloicnt 

„  bien  la  Langue  latine ,  &  qu'on  n'y  reçût  " 

„  pas  plus  d'un  Fils  du  même  Père  .  aim 

„  que  perfonne  ne  crût  qu'on  voulût  pren- 

„  are  tous  les  Enfans  poiu*  être  Prêtres  '. 

Ibidem,  ...; 


Y3 


*74 


P    R    E    M    I    E    R    S      V    O    Y    A    G    E    S 


PROflofe^  DBS 

Castillans 
dans  lrs  is- 

LES. 

I  5  I  !• 


Prédications 
du  Porc  Mon- 
tefiiio    qui 
bieOcnt  le 
Gouverne- 
ment. 


fon  origine,  &  plus  remarquable  encore  par  fes  fuites.  L'Ifle  Efpagnole 
continuant  de  perdre  fes  Habitans  naturels ,  fans  que  les  Ordonnances  du 
Roi  fuffent  capables  de  réprimer  la  tyrannie  des  Caftillans,  l'intérêt  de  l'hu- 
manité &  de  la  Religion  porta  les  Dominîquains ,  qui  s'y  étoient  établis ,  à 
s'armer  de  toute  la  vigueur  Apoftolique  pour  arrêter  cette  fcandaleufe  cruau- 
té (d).  Un  de  leurs  Prédicateurs,  nommé  Antoine  Montejino,  qui  s'étoit 
fait  une  grande  réputation  d'éloquence  &  de  fainteté,  mais  à  qui  1  Hiftorien 
reproche  un  cara6tère  trop  ardent,  prit  un  jour  foiemnel  pour  monter  en 
Chaire  à  SanDomingo,  devant  l'Amiral  &  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  perfon- 
nes  didinguées  dans  la  Colonie,  &  déclama  vivement  contre  l'injuflice  & 
la  barbarie  avec  laquelle  il  voyoit  traiter  les  Indiens.  Cet  emportement  de 
zèle,  qui  touchoit  les  Cadillans  du  côtoie  plus  fcnfible,  excita  beaucoup  de 
murmures.  Les  Officiers  Royaux  preffèrent  l'Amiral  de  réprimander  un 
Indifcret ,  qu'ils  accufoient  d'avoir  manqué  de  refpcél  pour  le  Roi.  Ils  re- 
çurent ordre  de  fe  rendre  au  Couvent,  pour  s'expliquer  d'abord  avec  le  Su- 
périeur. Mais  leur  furprife  fut  extrême,  lorfque  ce  Religieux,  qui  fe 
nommoit  le  Père  de  Cordoue^  leur  déclara  que  le  Père  de  Montefino  n'avoit 
rien  dit  à  quoi  fon  devoir  ne  l'eût  obligé,  &  qui  ne  dût  être  approuvé  de 
tous  ceux  qui  refpeéloient  Dieu  &  le  Roi.  Les  Officiers ,  dans  le  premier 
mouvement  de  leur  indignation ,  déclarèrent  à  leur  tour  que  le  Prédicateur 
fe  rétraéleroit  en  Chaire ,  ou  que  les  Dominiquains  feroient  chafles  de  l'If- 
le.  Cependant ,  après  quelques  explications  plus  modérées  ,  on  convint , 
que  le  Père  Montefino  prêcheroit  du  moins  dans  un  autre  fîyle  ,  &  qu'il 
fatisferoit  ceux  qui  II;  croyoient  oflfenfés.  Le  concours  fut  extraordinaire  à 
l'Eglife.     Mais,  loin  de  prendre  un  autre  langage  («),  le  Prédicateur  fou- 

tint 


.  ♦»'.  t"' 


fi 


(d)  L'Hiftorlen  reprend  Ton  récit  de  plus 
loin.  „  Un  Caftillan,  dit -il  ,  nommé  Jean 
„  Garces,  ayant  poignardé  fa  femme,  pour 
„  l'avoir  trouvée  en  adultère,  s'étoit  mis  à 
„  couvert  delà  Juftice  dans  les  Montagnes, 
„  où  il  avoit  pafré  quatre  ans.  Mais  l'ennui 
,,  de  cette  folitudc  le  fit  recourir  aux  Donil- 
„  niquains ,   qui  le  reçurent  en  qualité  de 

Frèrc-Lay.  Il  apprit  ,  à  ces  Religieux, 
comment  on  sV  étoit  pris,  avant  leur  ar- 
rivée, pour  convertir  les  Indiens,  &  com- 
ment il  croyoic  qu'ils  dévoient  ôtre  gou 
vcrnés.  L'Iflc  étant  fi  grande,  qu'il  étoit 
impolFible  d'envoyer  par-tout  des  Milîîon- 
naircs  Montefino  fut  chargé  d'apprendre,  • 
aux  Caftillans  de  la  Colonie ,  la  manière 
dont  ils  pouvoient  fe  rendre  utiles  au  Ser- 
vice de  Dieu;  &  ce  fut  l'occafion  qu'il  prit 

,,  pour   fe  livrer  à  fon  zèle  ".     Ibidem , 

Chap.  II. 

(e)  L'Hifiorien  de  Saint-Domingue  entre 
dans  un  fort  beau  détail ,  mais  fins  nous  ap- 
prendre d'où  il  le  tire:  „  Le  Prédicateur  pa- 
,,  rut.  dit -il,  &  commença  par  dire  que  fi 
,,  l'ardeuv  de  fon  zèle,  dans  lacaufe  du  mon- 
n  de  la  plus  jufte,  l'avoit  empêché  de  mefu- 


„  rer  aiTez  fes  exprefllions ,  il  prioit  ceux  qui 
„  s'en  étoient  crus  blefités,  de  lui  pardonner; 
,,  qu'il  favoit  le  refpefb  qui  étoit  dû  aux  dé- 
„  pofitaires  de  l'autorité  du  Prince  ;  mais 
„  qu'on  fe  trompoit  fort  fi  l'on  prétendoit 
,,  lui  faire  un  crime  de  s'âtre  élevé  contre  les 
„  départemens  des  Indiens.  Il  dit  fur  cela 
„  des  chofes  encore  plus  fortes  que  la  pre- 
„  mièrefois;  car,  après  être  entré  dans  un 
,,  détail  extrêmement  pathétique  des  abus 
„  communs ,  il  demanda  quel  droit ,  des  gens 
,,  qui  étoient  fortis  d'Efpagne,  parce  qu'ils 
,,  y  manquoicnt  de  pain ,  avoient  de  s'en- 
„  graifiêrdelafubfiance  d'un  Peuple,  né  auflî 
„  libre  qu'eux?  Sur  quoi  fondés  ils  difpo- 
„  foient  de  la  vie  de  ces  Malheureux ,  comme 
„  d'un  bien  qui  leur  fût  propre?  Qui  avoit 
,  pu  les  autorifer  à  exercer  fur  eux  un  eni- 
„  pire  tyrannique?  S'il  n'étoit  pas  tems  de 
„  mettre  des  bornes  à  une  cupidité  quienfan- 
„  toit  tant  de  crimes ,  &  fi  l'on  vouloit  lui 
„  facrifier  encore  quinze  â  vingt  mille  In- 
„  diens,  oui  rcftoient  à  peine  de  plus  d'un 
„  million  d'ames  qu'on  avoit  trouvé  dans  l'If- 
„  le  Efpagnole  en  y  abordant  "•  Liv,  5.  pa- 
ges  m  &  liï.  ■    •       ^1=  - 


.  *     ç:     E    N     AMERIQUE,  Liv.  I.    :      175 

tint  avec  fermeté  celui  qu'il  avoit  tenu  la  première  fois ,  en  proteflant  au'il 
s'y  croyoit  également  obligé  par  l'intérêt  de  l'Etat  &  de  la  Religion.    Les 


Dun  autre  côté  ,  les  Dominiquains ,  voyant  l'Ordre  de  St.  François  décla 
ré  contre  eux,  &  foutenu  de  plufieurs  perfonnes  puiflantes,  firent  partir  le 
Père  de  Montefino,  pour  plaider  fa  propre  Caufe  auprès  du  Roi.  11  trouva 
la  Cour  fort  prévenue  contre  lui.  Mais  ,  quelque  répugnance  qu'il  eût  à 
s'y  préfenter ,  après  avoir  héfîté  deux  ou  trois  fois ,  dit  l'Hiftorien ,  fon 
zèle  lui  fit  traverfer  la  Garde  du  Palais,  &  le  conduifit  jufcju'aux  pieds  du 
Roi.  Il  en  fut  feçuavec  bonté.  Comme  il  étoit  fort  éloquent,  il  n'eut 
pas  de  peine  à  faire  comprendre ,  à  ce  Prince ,  qu'on  lui  avoit  déguifé  la 
vérité.  Cependant ,  il  n'en  pût  obtenir  que  des  ordres  pour  l'aflemblée 
d'un  Confeil  extraordinaire,  où  cette  grande  affaire  fut  plaiùée  de  part  & 
d'autre  avec  beaucoup  de  chaleur  (/). 

Ceux  qui  parlèrent  en  faveur  des  Indiens  repréfentèrent  que  tous 
les  Hommes  font  nés  libres,  &  qu'on  n'avoit  aucun  droit  d'attenter  à  la 
liberté  d'une  Nation,  dont  on  n'avoit  reçu  aucun  tort.  Les  autres  ré- 
pondirent, que  les  Indiens  dévoient  être  regardes  comme  des  Enfans,  qui 
avoient,  à  cinquante  ans,  l'efprit  moins  avancé  que  les  Européens  ne  l'ont 
ordinairement  a  dix , incapables  parconféquent  de  fe  conduire,  &  de  conce^ 
voir  les  vérités  les  plus  fimples  ;  fi  peu  fenfibles  à  la  mifère  naturelle  de  leur 
condition,  que  malgré  le  foin  qu'on  prenoit  de  les  vêtir,  ils  n'étoient  pas 
plutôt  éloignés  des  yeux  de  leurs  Maîtres,  qu'ils  déchiroient  leurs  habits  en 
pièces,  pour  courir  nuds  dans  les  Montagnes,  où  ils  s'abandonnoient  fans 
honte  à  toutes  fortes  d'infamies  |  que  i'oifiveté  paroilToit  leur  fouverain 
bien,  &.  que  la  feule  nécefllté  du  travail  pouvoit  les  tenir  dans  la  foumiirion: 
enfin,  qu'ils  étoient  d'autant  mpins  capables  de  faire  un  bon  ufage  de  la  li- 
berté, qu'aux  défauts  &  à  l'incapacité  des  Enfans,  ils  joignoient  les  vices 
des  Hommes  les  plus  corrompus. 

Ces  accufations  n'étoient  pas  fans  fondement  ;•  mais  elles  étoient  fort 
exagérées ,  &  Montefino  s'attacha  particulièrement  à  le  faire  fentir.  Il  y 
réulTit  avec  tant  de  force ,  que  le  Roi ,  également  poulTé  par  fa  confcience 
&^ar  le  Tefl:ament  de  la  Reine  Ifabelle  (g),  voulut  qu'on  accordât  quel- 
que 


Castillans 

DANS  LES  11* 
LES. 

15  I  !• 

Les  Fran-  • 
cifcains  prcn-  , 
neiit  p.irti 
contre  k  s  Do- 
miniquains. 


Montcfimt 
va  plaider  la 
caufe  à  la 
Cour  d'Efpa- 


Rai  Tons  en 
faveur  dci  Ui- 
diens. 


(/)  Ce  Confeil  étoit  compofé  de  l'Evêque 
de  Valencia,  qui  étoit  comme Préfident, par- 
ce que  jufqu'alors  il  n'y  avoit  pas  de  Confeil 
particulier  pour  les  Indes;  de  t'ernandde^e- 
ga.  Seigneur  de  Grajal,  homme  d'une  pru- 
dence didinguée;  du  Licencié  Louis  de  Za/»» 
ra,  que  fa  faveur  auprès  de  Ferdinand  fai- 
foit  nommer  le  petit  Roi  ;  du  Licencié  Moxi- 
ca;  du  Licencié  Santiago;  du  Dofteur  Pala- 
cios  Rubios ,  &  du  Licencié  Sajfa.  Les  Théo- 
logiens étoient  Thomas  Duran  &  Pierre  de 
Co'yorfttHaj ,  Dominiquains  ;  le  Licencié  Gré- 
goire, Prédicateur  du  Roi;  Matthieu  de  Pas, 


il  ..    .1:  .:..:.'  -.-il. 

Dominiquain ,  &  Profefleur  de  Salamanque  ; 
&  d'Efpinar ,  Député  des  Officiers  de  llfle 
Efpagnole.  Ce  fut  à  Burgos  ,  que  fe  tint 
l'Afllmblée;  &  llfle  Efpagnole  y  avoit  d'au- 
tres Agens,  pour  demander  que  leslnfulaires 
fuCTcnt  donnés  à  perpétuité  ,  ou  du  moins 
pour  trois  vies.  Heirera,  Liv.  8  Cliap.  12. 
(g)  Les  Hifloriens  rapportent  cet  article: 
„  Elle  déclare  que  fa  principale  intention, 
„  comme  celle  du  Roi  fon  Mari ,  cil  de  pa- 
„  cifier  &  peupler  les  Indes,  de  convertir  à 
„  la  Foi  les  llabitans  du  Pays ,  ôt  d'envoyer 
„  des  Religieux  pour  les  inllruire.    Elle  fup- 

„  plie 


Castillans 

OANI  LBI  !$• 
LBI. 

15  «  '• 

•  Ré«Icniens 
fuies  à  cetce 
occafioi). 


..•I 


Dofm  Die- 
gue  de  Velaf- 
quez  reçoit  la 
commimon 
de  peupler 
rilledeCuba. 


•  Hatuey . 
Cacique  fugi 
tif  de  l'ine 
lifj.agnole. 


I7<J      PREMIERS      VOYAGES 

que  chofe  à  l'équité  de  fa  Caufe.  On  régla ,  par  pi  oviHon ,  que  les  Indiens 
leroienc  réputés  libres ,  mais  que  les  Département  continueroient'de  fub- 
fider  dans  la  même  forme.  C'étoit,  fuivant  la  remarque  d'un  Hido- 
rien,  reconnoître  le  droit  de  ces  Peuples  à  la  liberté,  <&  les  retenir  en 
même  tems-  dans  un  dur  efdavage.  Comme  les  Bêtes  de  charge  s'c- 
toient  extrêmement  multipliées  dans  Tlde  Ëfpagnole  ,  il  fut  expreflTé- 
ment  défendu  de  faire  porter  aux  Infulaires  aucun  fardeau,  &  de  fe 
fervir  du  bâton  ou  du  fouet  pour  les  punir.  Il  fut  ordonné  aulTi  qu'on 
nommeroic  des  Vifiteurs ,  ou  des  Intendans ,  qui  feroient  comme  leurs 
Proteéteurs,  &  fans  le  confentement  defquels  il  ne  feroit  pas  permis  de 
les  mettre  en  Prifon.  Enfin,  l'on^ régla,  qu'outre  les  Dimanches  &  les  Fê- 
tes, ilsauroient,  dans  la  Semaine ,  un  jour  de  relâche,  <Sc  que  les  Femmes 
,  enceintes  feroient  exemptes  de  toute  forte  de  travail.  Mais  de  fimpIesRé- 
Çlemens  ne  fuffifoient  pas ,  pour  des  abus  qui  étoient  alors  dans  toute  lear 
torce.  En  mettant  à  part  l'mtérêt  des  Miniftres  &  des  Favoris ,  on  ne  pou- 
voit  rendre  abfolument  laliberté  aLX  Indiens  de  l'Ide,  fans  réduire  à l'mdi- 
gence  la  plupart  des  Habitans  Efpagnols.  Auffi  la  plupart  de  ces  Ordon- 
nances  furent-elles  fans  effet. 

L'Amiral  fongeoit  alors  à  peupler  l'Ide  de  Cuba ,  dans  la  crainte  appa- 
remment ,  que  s'il  differoit  plus  long-tems  cette  entreprife ,  la  Cour  n  en 
donnât  la  Commiflfion  à  quelque  autre ,  &  que  cette  lAe  ne  fût  encore  fé- 
parée  de  fon  Gouvernement.  Il  choifit  Diego  de  Velafquez,  pour  la  con- 
quérir, &  pour  y  bâtir  une  Ville.  Velafquez  étoit  un  des  anciens  Habi- 
tans de  l'Elpagnole.  Il  y  avoit  occupé  les  premiers  Emplois  avec  honneur, 
fous  l'Adelantade  Barthelemi  Colomb;  &  fa  prudence,  accompagnée  d'une 
figure  &  d'un  cara£lére  aimables ,  lui  attiroit  beaucoup  de  conlldération. 
D ailleurs,  il  avoit  tout  fon  bien  dans  la  Province  de  Xaragua,  &  proche 
des  Ports  de  Mer  les  plus  voifins  de  Cuba.  On  n'eut  pas  plutôt  publié  qu'il 
étoit  chargé  de  l'Expédition,  que  tout  le  monde  s'empreflant  d'en  parta- 
ger l'honneur  avec  lui ,  on  vit  arriver,  à  Salvatiera  de  la  Savana ,  où  fe  fai- 
foit  l'embarquement ,  plus  de  trois  cens  Volontaires  de  toutes  les  Parties  de 
riHe.  Il  mit  à  la  voite  avec  quatre  Vaiffeaux  ;  &  la  diftance  n'étant  que 
d'environ  dix-huit  lieues  d'une  Tlfle  à  l'autre,  il  alla  débarquer  heuceufe- 
ment  à  l'extrémité  orientale  de  Cuba ,  vers  la  Pointe  de  Meyci. 

Ce  Canton  avoit  alors  pour  Maître  un  Cacique,  nommé  Hatuey ^  qui  é- 
toit  né  dans  l'Ide  Ëfpagnole ,  &  qui  en  étant  forti ,  avec  un  grand  nombre 
de  fes  Sujets,  pour  éviter  la  tyrannie  des  Européens,  avoit  formé  un  petit 
Etat  où  il  règnoit  paifiblement.  Comme  il  craignoit  toujours  que  ces  re- 
doutables Ennemis  ne  le  fuiviflent  dans  fa  retraite,  il  avoit  fans  cefTe  des 
Efpions ,  qui  lui  donnoient  avis  de  tous  leurs  mouvemens.  A  la  première 
nouvelle  du  deflein  de  l'An^iral,  il  afTembla  les  plus  braves  de  fes  Sujets  & 

de 


il 


„  plie  très  afTefhieurement  le  Roi  fon  Mari 
i>  &  Seigneur ,  &  commande  à  la  Princefle  fa 
„  Fille  &  au  Prince  fon  Fils,  d'accomplir  là- 
,.  defTus  fa  dernière  volonté .  &  de  ne  pas 
„  confeniir  que  les  Indiens  des  Terres  con- 


„  quifes  &  à  conquérir  reçoivent  aucun  tort, 
„  tant  en  leurs  perfonnes  qu'en  leurs  biens, 
„  mais  qu'au  contraire  ils  foient  traités  hu- 
„  mainemcnt,  &  que  s'ils  ont  déjà  reçu  quel- 
„  que  tort ,  on  y  remédie  ".    Ibidem. 


EN      AMERIQUE,    Lxv.  ï. 


IfT 


de  Tes  Alliés,  pour  leur  repréfenter  ce  qu'ils  avoient  à  redouter  de  la  per- 
fécution  des  Callillans ,  &  pour  les  animer  à  la  dëfenfe  de  leur  liberté.  Mais 
il  les  aflura  que  tous  leurs  efforts  feroient  inutiles ,  s'ils  ne  commençoienc 
par  fe  ménager  la  faveur  du  Dieu  de  leurs  Ennemis  ,  qui  étoit  un  Maître 
fort  puiffant ,  &  pour  lequel  ces  cruels  Tyrans  étoient  capables  de  tout  en- 
treprendre. Le  voilà,  leur  dit-il,  en  leur  montrant  de  l'or  dans  un  petit 
Panier.  Voilà  ce  Dieu  pour  lequel  ils  prennent  tant  de  peine,  &  qu'ils  ne 
fe  lafTent  pas  de  chercher.  Ils  ne  penfent  à  venir  ici  que  dans  refpérance 
de  l'y  trouver.  Célébrons  une  Fête  à  Ton  honneur,  pour  obtenir  fa  pro- 
teftion.  Aufll-tôt,  ils  fe  mirent  tous  à  chanter  &  à  danfer  autour  du  Pa- 
nier. Ces  Fêtes  durent  une  nuit  entière,  fuivant  l'ancien  ufage  du  Pays, 
&  ne  finiflent  ordinairement  que  lorfque  tout  le  monde  efl:  tombe  d'ivrelfe 
ou  de  fatigue.  On  remarque  que  les  chants  de  Cuba  étoient  plus  doux  âc 
plus  harmonieux  que  ceux  de  l'Ille Efpagnole  (h).  Après  cette  cérémonie , 
Hatuey  raflembla  tous  fes  Indiens,  pour  leur  dire,  qu'ayant  beaucoup  ré- 
fléchi fur  le  fujet  de  leurs  craintes,  il  n'avoit  pas  encore  l'efprit  tranquille, 
&  qu'il  ne  voyoit  aucune  fureté  pour  eux,  tandis  que  le  Dieu  des  £fpa- 
gnols  feroit  dans  leur  Canton.  Vous  le  cacheriez  en  vain,  continua-til; 
quand  vous  l'avalleriez,  ils  vous  éventreroient  pour  le  chercher.au  fond  de 
vos  entrailles.  Il  ajouta  qu'il  ne  connoiflbit  qu'un  lieu ,  où  ils  puflenc  le 
mettre,  pour  s'en  défaire,  c'étoit  le  fond  de  la  Mer;  &  que  lorfqu'ils  ne 
l'auroient  plus  parmi  eux ,  il  fe  flattoit  qu'on  les  laiiïeroit  en  repos.  Cet 
expédient  leur  parut  infaillible;  &  tout  l'or  qu'ils  poffedoient  fut  jette  en 
effet  dans  les  flots  (i). 

Ils  furent  extrêmement  furpris,  lorfqu'ils  n'en  virent  pas  moins  arriver 
les  Efpagnols.  Hatuey  s'oppofa  d'abord  au  débarquement  ;  mais  aux  pre- 
mières décharges  des  arquebufes,  une  multitude  d'Indiens,  qui  bordoient 
le  rivage,  prit  la  fuite  vers  les  Bois,  &  Velafquez  ne  jugea  point  à  propos 
de  les  pourfuivre.  Cependant ,  après  quelques  jours  de  repos ,  voulant  fe 
délivrer  d'un  Ennemi  qui  pouvoit  l'incommoder  à  la  faveur  de  fa  retraite, 
il  fit  chercher  le  Cacique  avec  tant  de  foin ,  qu'il  s'en  faifit  ;  &  pour  effrayer 
ceux  qui  confervoient  encore  de  rattachement  pour  lui ,  il  lui  fit  expier  fa 
réfiftance  par  le  feu  (*).  Enfuite  tous  les  Caciques  vinrent  fucceffivement 
lui  rendre  hommage;  &  la  conquête  d'une  des  plus  grandes  &  des  plus  bel- 
les Ifles  du  Monde  ne  coûta  point  un  feul  Homme  aux  Efpagnols  (/). 

CfiTTE  nouvelle,  que  l'Amiral  fe  hâta  de  communiquer  à  la  Cour  d'Efpa- 

'  gne, 


(b)  Le  même,  Liv.  9.  Cbap.  3. 

(  »  )  Ibidem 

Ik)  L'Hiftorlen  de  Saint  -  Domingwe  ob- 
ferve  que  c'eft  de  lui  qu'on  rapporte  un  trait, 
fort  célèbre  dans  l'Hilloire  du  nouveau  Mon- 
de, &  qui  fert  à  faire  juger  combien  les  Ef- 
pagnols étoient  devenus  odieux  aux  Indiens. 
Hatuey  étoit  attaché  au  poteau ,  lorfqu'un 
Religieux  Francifcain  entreprit  de  le  conver- 
tir, &  lui  parla  fortement  du  Paradis  &  de 
l'Enfer.    Dîins  le  lieu  de  délices  dont  vous 

Xnil.  Part.  ■ 


parlez,  lui  demanda  le  Cacique,  y  a-t'il  des 
Efpagnols  ?  11  y  en  a ,  répondit  le  Miflion- 
naire;  mais  il  n'y  en  a  que  de  bons.  Le 
meilleur  n'en  vaut  rien,  reprit  Hatuey ,  &je 
ne  veux  point  aller  dans  un  lieu  oit  je  puiiîe 
craindre  d'en  rencontrer  un  feul. 

(  /  )  Ceux  qui  ont  cru  que  Chriftophe  Co- 
lomb l'avoit  nommée  Fernandine  .  ont  été 
dans  l'erreur.  Ce  fut  le  Roi  Catholique  qui 
lui  donna  fon  nom  en  1514;  mais  le  nomln- 
dien  n'a  pas  laiffé  de  l'emporter. 


Pnoanki  dm 
Ca&tillani 
oans'lei  ii* 

LBf. 

Comment  il 
anime  fes  Su- 
jets contre  les 
CalUllans. 


Il  efl  COU' 
damné  au  feu 
par  Velaf- 
quez. 


Soumifllion 
de  rine  de 
Cuba. 


CASTU.r.ANS 

DAN»  LUsiS- 

LU. 

15  ï  '• 

Dom  Bnr 
theicmi  Co- 
lomb cft  ren- 
Voyii  à  l'Hfpa- 
cnolc,  avec 
divcrfL'i.  fa- 
veurs de  la 
Cour. 


Première 
célébrité  de 
Barthcicmi  de 
(as  Cafas. 


178        PREMIERS      VOYAGE    S 

gne ,  y  rdpandit  aflcz  de  joye  pour  faire  oublier  une  partie  des  plainte» 
qu'on  y  avoic  portées  contre  l'on  adminiflration;  &  Ferdinand,  malgré  le 
peu  d'afFi'^lion  qu'il  avoit  pour  lui,  en  lut  plus  difpofé  à  fc  perfuader  uue 
la  plupart  des  Mécontens  n'avoient  pas  d'autre  motif  que  leur  jaloufie.  Ce- 
pendant il  lui  envoya  Dom  Barthcicmi,  fon  Oncle,  avec  un  Mémoire  fort 
détaille  des  reproches  qu'on  faifoit  à  fa  conduite,  &  de  tous  les  points  qu'on 
lui  recommandoit  d'oblcrver  (m).  Dom  Barthelemi  avoit  toujours  confer- 
vé  la  dignité  d'Adelantade.  Le  Roi  y  joignit  le  Gouvernement  &  la  pro- 
priété, pour  toute  fa  vie,  de  la  petite  llle  de  Mono;  avec  un  Département 
de  deux  cens  Indiens  dans  l'Jlle  Efpagnole,  &  la  CommilTion  de  faire  tra* 
vailler  aux  Mines,  qu'on  pourroit  découvrir  dans  l'Ifle  de  Cuba.  Les  Hif- 
toriens  aflurent  que  toutes  les  accufations ,  qui  rcgardoient  l'Amiral,  é* 
toient  autant  de  calomnies  du  Tréforier  Pajjamont'e ^  dont  l'avarice  &  l'am- 
bition fe  trouvoient  gênées,  par  un  Gouverneur,  qui  ne  confultoit  que  la 
juftice  &  le  bien  public  («).. 

Ce  fut  vers  le  même  tems,.  que  Barthelemi  de  las  Cafas  ^  fi  célèbre  de- 
puis par  fes  travaux  pour  le  falut  &  la  confervation  des  Indiens,  fortit  de 
l'obfcurité  dans  laquelle  il  avoit  vécu  jufqu'alors ,  pour  commencer  l'exerci- 
ce de  fon  zèle  &  de  ^qs  talens.  Il  étoit  pafTé  jeune  aux  Indes;  &  s'étant 
fait  Prêtre  depuis  peu ,  il  avoit  fuivi  Velafquez  à  Cuba.  Son  unique  objet 
fut  la  conveilion  des  Infulaires,  auxquels  il  trouva  tant  de  docilité,  qu'il 
ne  craignit  point  de  publier,  qu'il  étoit  beaucoup  plus  aifé  de  leur  faire 
embraflcr  le  Chriftianifme,  que  d'engager  les  Ëfpagnols  à  mener  une  vie 
chrétienne.  .«...,.  **  '^ 


(f»)  Ibid.  Chap.  J. 


(n)  Ibidem. 


Ponce  d» 
Léon. 

1512. 


!     I 


Fcyage  de  Ponce  de  Lcon ,  £5*  Découverte  de  la  Floride, 


«■iV 


11  paft  de 
ride  de  Por- 

toric. 

Sa  route. 


LA  conquête  de  Cuba  fut  comme  un  nouvel  éguillon ,  qui  excita  plufieurs- 
Avancuriers  à  tenter  d'autres  entreprifes.  Ponce  de  Léon  ,  qui  fe 
trouvoit  fans  Emploi  dans  TIHe  de  Portoric,  depuis  que  le  crédit  de  Cer- 
ron  &  de  Diaz  l'avoic  emporté  fur  le  fien  ,  réfolut  de  faire  un  Voya- 
ge au  Nord,  où  l'on  étoit  bien  informé  qu'il  y  avoit  des  Terres  à  dé- 
couvrir. 

Le  premier  jour  de  Mars  1512,  il  partit  du  Port  de  SanGerman,  dans- 
l'Ifle  de  Portoric;  &  s'étant  avancé  juîqu'à  \'/igiiada,  pour  compter  de-là  le 
point  de  fon  départ,  il  employa  huit  jours  à  fe  rendre  près  des  Bancs  de 
Bnbiina ,  dans  une  lile ,  nommée  el  yiejo ,  à  vingt  &  un  degrés  &  demi  de 
latitude  du  Nord.    Le  lendemain,  il  mouilla  fous  une  des  liles  Lucayes;-. 
&  le  jour  fuivant ,  il  toucha  au  rivage  d'une  autre  Ifle ,  qui  fe  nomme  Ta- 
guna^  au  vingt-quatrième  degré.     Le  11,  il  arriva  dans  l'Ifle  à'Amaguyo^. 
où  il  prit  des  rafraîchiflemens.    Enfuitc,  ayant  pafle  par  l'Ifle  de  Manegua, 
qu'il  trouva  fous  les  vingt-quatre  degrés  &  demi,  il  arriva,  le  14,  à  Guabani, 
d'où  il  entreprit  de  traverfer  le  Golfe  de  Barlovento.    Sa  route  fut  par  le 
Nord-Eft,  jufqu'au27,  jour  de  Pâque  Fleurie,  qu'il  apperçut  une  Ifle  fans 
pouvoir  la  reconnoître.    Le  Lundi,  28,  &  les  deux  jours  fuivans,  il  con- 
tinua 


^^^^?^ 


)    E    N     A    M    E    R    I    Q    U    E,    Lxv.  I.  179 

tmua  de  fuivre  la  même  route,  jufqu'au  2  d'Avril,  qu'il  traverfa  direfte- 
ment  à  l'Efî-Nord-Kft.  Vers  la  nuit,  il  fc  trouva  près  d'une  Terre,  fur 
huit  brades  d'eau;  &  la  prenant  pour  une  llle,  il  lui  donna  le  nom  de  l'io- 
ride^  autant  parce  qu'on  ctoit  au  tems  de  la  Pàquc  dumémenoni,  qu'en 
faveur  d'une  belle  perfpeftive ,  qui  préfentoit  quantité  de  Vergers ,  &  d'au- 
tres Terres,  fort  agréablement  plantées.  Ponce  dcfccndit  au  rivage ,  pour 
en  prendre  poUclfion  au  nom  de  l'Efpagne.  Le  8 ,  il  fit  voile ,  en  conti- 
nuant la  même  route,  jufqu'au  20,  qu'il  découvrit  quelques  Cabanes  d'In- 
diens. Il  y  aborda;  mais  le  lendemain,  ayant  levé  l'ancre  ,  il  fut  arrêté 
par  un  courant ,  allez  fort  pour  l'emporter  fur  la  force  du  vent  &  fur  celle 
des  cables,  &  pour  féparer  de  lui  les  trois  Vaiflcaux,  qu'il  perdit  de  vue. 
i^uantiré  d'Indiens ,  partis  du  rivage ,  l'invitèrent  à  delccndre.  Il  y  en- 
voya fa  Barque,  dont  ils  fe  faifirent  autîi-tôt  ;  ik  dans  le  doute  de  leurs  in- 
tentions ,  on  fe  contenta  de  les  obferver.  Mais  ils  abulèrent  de  cette  in- 
dulgence, &  l'on  ne  fe  fépara  point  fans  quelques  bleflures.  Les  Caflillans 
s'avancèrent  à  l'embouchure  d'une  Rivière  voifme ,  que  Ponce  nomma  la 
ÇruZy  après  avoir  fait  élever  une  Croix  de  pierre  fur  le  rivage.  Le  20,  il 
do-ibla  le  Cap  de  la  Terre  qu'il  avoit  nommée  la  Floride ,  &  le  nomma  Cap 
de  CorrienteSj  parce  que,  dans  cet  endroit,  la  force  de  feau  l'emporte  fur 
celle  du  vent.  Toute  cette  Côte  eft  très  nette  &  n'a  pas  plus  de  lix  braffes 
de  fond.  Du  Cap,  qui  eft  par  les  vingt -huit  dégrés  quinze  minutes,  on 
a^vança  jufqu'aux  vingt-fept,  où  l'on  trouva  deux  llles  au  Sud,  dont  l'une, 
qui  fut  nommée  Santa-Martay  offre  de  l'eau  en  abondance.  Le  13,  on  fui- 
vit  la  Côte,  jufqu'à  la  hauteur  d'une  Ifle,  qui  reçut  le  nom  de  Santa-Pola; 
&  le  15,  on  fit  dix  lieues  le  long  de  plufieurs  autres  petites  llles,  qu'on 
nomma  lot  Marthes,  parce  que  dans  l'éloignement  les  pointes  de  rochers  fe 
préfentoient  comme  des  figures  dllommes  fouffrans;  mais,  dans  la  fuite, 
obferveHerrera,  elles  ont  mérité  plus  juftement  ce  nom,  par  la  quantité  de 
Malheureux  qui  s'y  font  perdus  (a).  Leur  fituation  eft  au  vingt  -  fixième 
degré  quinze  minutes.  Après  avoir  couru  au  Nord,  &  quelquefois  au 
Nord-Eft,  jufqu'au  23,  on  commença,  le  24 ,  à  fuivre  la  Côte  du  Sud, 
fans  reconnoître  fi  c'étoit  le  Continent ,  jufqu'à  d'autres  llles,  où  l'on  mouil- 
la jufqu'au  3  de  Juin.  Quelques  Indiens  s'y  préfcntèrent  dans  des  Canots; 
mais  la  défiance  ayant  produit  des  holliiités  qui  coûtèrent  la  vie  à  quelques 
Caftillans,  on  fe  détermina,  le  14,  à  reprendre  la  route  de  l'Efpagnole  & 
de  Portoric.  Une  Ille ,  où  l'on  avoic  tué  quelques  Indiens ,  reçut  le  nom 
de  Matanca.  Le  2i ,  on  arriva  près  d'onze  autres  petites  llles,  dont  les. 
bords  étoient  fi  couverts  de  Tortues ,  qu'elles  en  prirent  le  nom  de  Tortu- 
gas.  Le  24,  en  portant  au  Sud-Eft-quart-d'Eft,  on  eut  la  vue  d'une  gran- 
de Terre,  que  les  uns  prirent  pour  Cuba,  quoiqu'on  fe  crût  à  plus  de  dix- 
huit  lieues  de  la  véritable  route  de  cette  Ifle.  On  continua  d'avancer ,  a- 
vec  la  même  incertitude ,  jufqu'au  3  de  Juillet,  qu'on  découvrit  flfle  èHA- 
checaïubey,  d'où  repaflant  par  Santa-Pola  &  Santa-Marta,  on  alla  mouiller  à 
Cbeguefcboy  &  de- là,  vers  l'Efl:,  à  d'autres  Ifles,  qui  furent  nommées  las 

.  .  Fie. 

(a)  Le  même,  Liv.  g.  Cbap.  ïo.       -      '    "•  •';:'.''< 

z  2        ,  '^.      •   :  -■■    -r 


PONCI   DB 
LtOIf. 

I5I2. 

Il  ilccouvrc 
une  Terre , 
qu'il  prend 

iiour  une  Ifle, 
i  (]ii'il  noin< 
me  t'IoriJc. 


Dlverfe» 
Ifles  auxquels 
les  il  donne 
des  Boins, 


f' 


V. 


186      PREMIERS      VOYAGES 


FOKCK  DE 

Léon. 

1  5  I  2. 

Nom  que 
les  Indiens 
donnoient  à 
la  Floride. 


Inagînation 
tonianefqiie 
de  Ponce  de 
Léon. 


Il  cherche 
h  Fontaine 
"^e  Jouvence. 


Elle  efl; 
cherchée  par 
d'autres  Avan- 
turiers. 


Recherche 
d'un  troilîèinc 
Monde. 


ViejaSy  parce  qu'on  n'y  trouva  qu'une  vieille  Indienne.    Elles  font  à  vingt- 
huit  degrés  (*). 

Dans  le  doute  fi  la  Terre,  qu'on  avoit  nommée  Floride ^  ctoit  une  par- 
tie du  Continent,  Ponce  n'avoit  pas  manqué  d'interroger  tous  les  Indiens 
qu'il  avoit  rencontrés  j  mais,  pour  unique  éclaircilTement ,  il  avoit  appris 
d'eux  qu'ils  la  nommoient  Cantio^  du  nom  de  certaines  feuilles,  dont  les 
Habitans  fe  couvroient  le  devant  du  corps.  Il  fut  informé  aufli  qu'une  Ifle, 
qui  lui  avoit  paru  fubmergée  ,  &  qu'il  envoya  reconnoître  ,  fe  nommoit 
Bahama.  Enfuite,  après  avoir  erré  jufqu'au  i6  d'Août,  il  fit  gouverner 
auNord-Eft-quart-d'Ell:,  pour  arriver  fous  une  haute  Roche,  qui  fervoit 
comme  de  rempart  à  toutes  ces  Ifles.  Le  lendemain,  changeant  de  route, 
il  prit  direélement  celle  de  Portoric. 

Mais,  en  mettant  à  la  voile,  il  détacha  un  de  fes  VaifTeaux  fous  la  con- 
duite de  Jeaji  Perez  d'Orfai/a,  auquel  il  donna  pour  Pilote  Antoine  A'Ala- 
minosy  avec  deux  Indiens  fort  intelligens;  tous  chargés  d'une  entreprife  fe- 
crette,  à  laquelle  il  paroît  qu'il  renonçoit  lui-même,  quoiqu'elle  eût  fait  le 
principal  motif  de  Ibn  Voyage.    Ponce  de  Léon  avoit  amafle  de  grands 
biens.     Il  avoit  de  l'expérience,  de  l'efprit,  &  du  courage.    L'efpérance 
de  découvrir  de  nouvelles  Terres  avoit  fervi  de  prétexte  à  fon  armement, 
&  ce  deffein  n'avoit  été  condamné  de  perfonne.    Cependant  il  venoit  d'une 
efpèce  de  folie,  qui  lui  étoit  commune  avec  plufieurs  autres  Efpagnols,  & 
qui  eft  devenue  comme  une  tache  pour  fa  gloire.    Une  ancienne  tradition 
des  Antilles  avoit  perfuadé,  à  tous  les  Indiens,  que,  dans  une  Ifle,  nommée 
Biminif  du  nombre  des  Lucayes,  &  proche  du  Canal  de  Bahama,  il  y  avoit 
une  Fontaine ,  dont  les  eaux  avoient  la  vertu  de  rajeunir  les  Vieillards  qui 
s'y  baignoient.    11  paroît  (jue  les  Infulaires  de  Cuba  avoient  été  les  plus  ar- 
dens  à  chercher  cette  précieufe  fource  ;  &  l'on  voyoit  encore ,  dans  l'Ifle 
de  Bimini ,  un  Village  qu'ils  avoient  formé.     Herrera  le  place  néanmoins 
dans  le  Continent  de  la  Floride ,  &  prétend  qu'on  attribuoit  auflî  la  vertu  de 
rajeunir  à  un  Fleuve  de  la  même  Province.    Ces  Peuples  étoient  fî  crédu- 
les, qu'il  n'efl  pas  furprenant  de  les  voir  livrés  à  cette  chimère;  mais  quel- 
que penchant  qu'on  fuppofe  aux  Efpagnols  pour  le  Merveilleux ,  il  eft  dif- 
ficile de  concevoir  à  quel  point  ils  fe  remplirent  d'une  fi  folle  opinion. 
Quelques-uns  n'en  furent  jamais  détrompés;  &  quoique  plufieurs  Avantu- 
riers  de  leur  Nation  eufTent  perdu  vrai-femblablement  la  vie  dans  cette  re- 
cherche, puifqu'on  n'a  jamais  appris  qu'ils  en  fuflent  revenus,  on  s'imagi- 
na que  la  feule  raifon ,  qui  les  empêchoit  de  reparoître  ,  c'étoit  qu'ayant 
trouvé  ce  qu'ils  cherchoient,  ils  ne  vouloient  plus  fortir  de  ce  délicieux  fé- 
jour,  où  ils  jouiflbient  de  l'abondance  de  tous  les  biens  &  d'un  printems 
perpétuel.     Perlbnne  ne  fut  plus  enchanté  de  ces  douces  rêveries  que  Pon- 
ce de  Léon.    Un  autre  égarement  d'imagination  lui  avoit  fait  efpérer  la 
découverte  d'un  troifièmc  Monde;  &  comme  c'étoit  trop  peu,  pour  une 
fi  vafte entreprife,  que  les  jours  qui  lui  reftoient  dans  l'ordre  de  la  Nature, 
il  vouloit  commen:er  par  le  renouvellement  de  ceux  qui  s'étoient  écoulés, 

& 


(6)  Ibidem* 


,V'!'^:""^    - 


t     Vf 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  r. 


m' 


&  s'afTurer  pour  toujours  d'une  yigoureufe  jeunefle.  Dans  la  courfe  qu'on 
vient  de  repréfenter,  il  s'étoit  informé  continuellement  de  la  merveilleufQ 
Fontaine;  il  avoit  goûté  de  toutes  les  eaux,  jul'qu'à  celles  des  Marais  les 
plus  bourbeux  :  ce  qui  fait  voir,  fuivant  la  réliexion  d'un  Hiftorien,  donc 
j'emprunte  les  termes  (c),  combien  les  réputations  humaines  ont  quelque- 
fois peu  de  foJidité  dans  leur  fondement;  car  la  découverte  de  la  Floride, 
quoique  due  au  feul  hafard ,  n'a  pas  laifTé  d'immortalifer  un  Avanturier  qui 
ne  la  fit  qu'en  courant  après  une  chimère.  D'ailleurs  Ton  Voyage  devint 
fort  utile,  par  la  connoifTance  qu'il  donna  du  Canal  qui  porte  aujourd'hui 
le  nom  de  tiouveàu  Canal  de  Bahama ,  &  que  les  Navigateurs  commencèrent 
bien-tôt  à  fuivre,  pour  retourner  en  Europe.  De-là  aulli  l'établiflement  du 
Port  de  la  Havana ,  qui  n'efl  qu'à  deux  petites  journées  du  Canal ,  pour 
fervir  d'entrepôt  à  tous  les  VaifTeaux  qui  venoient  de  la  Nouvelle  Rfpagne. 
Mais,  d'un  autre  côté,  la  formation  de  ce  Port  pafle  pour  une  des  princi- 
pales caufes  de  la  décadence  de  l'Ifle  Efpagnole  {d). 

Ortubia  &  d'Alaminos  furent  plus  heureux  que  celui  dont  ils  exécu- 
toient  les  ordres.  S'ils  ne  trouvèrent  pas  la  Fontaine  ,  ils  arrivèrent  du 
moins  à  l'Ifle  de  Bimini,  dont  le  feul  avantage  confiftoit  dans  une  fraîcheur 
extraordinaire ,  caufée  par  le  grand  nombre  d'arbres  &  de  ruifleaux  dont 
elle  eft  remplie.  Ponce  de  Léon ,  dont  les  vues  ne  purent  demeurer  fecré- 
tes,  &  qui  arriva  fort  mal  en  ordre  à  Portoric,  y  efliiya  les  railleries  de 
ceux  qui  le  voyoient  revenir  plus  vieux  qu'il  n'étoit  parti.  Mais  il  fe  con- 
fola  par  l'honneur  d'avoir  découvert  la  Floride;  &  cette  nouvelle,  qu'il 
porta  lui-même  à  la  Cour,  lui  fit  obtenir  un  accueil  fi  favorable,  que  le  Roi 
lui  accorda  la  permifllion  de  mener  des  Colonies  dans  les  Pays ,  dont  on  lui 
devoit  la  connoiflance,  &  d'y  bâtir  des  Forts ,  avec  le  titre  de  Gouverneur, 
&  le  droit  de  lever  du  monde  en  Efpagne  &  dans  les  Indes.  On  ignore 
quels  furent  les  obftacles  qui  l'arrêtèrent:  mais  il  étoit  encore  en  Efpagne 
vers  la  fin  de  1514;  &  le  Roi  l'ayant  chargé  alors  d'aller  faire  la  guerre  aux 
Caraïbes,  qui  défoloient  l'Ifle  de  Portoric,  il  retourna  dans  cette  Ifle,  d'où 
il  ne  fortit  point  avant  l'année  1521  {e). 


(c)  Tout  ce  récit  étant  fort  obfcur  dans 
les  Hiftoricns  Efpagnols ,  on  fait  ici  plus  de 
fond  fur  les  Mémoires  de  l'Hiftorien  de  Saint- 


Domingue.  Liv.  $.  pages  124  î^  fuivantes. 
(  (/)  Ibidem, 
{e)  Ibidem. 


POWCE    Dt 

Léon. 
I  5  I  2.. 


Comment 
CCS  rêveries 
font  devenues 
utiles. 


Ifle  de  Biraî- 
ni. 


Retour  de 
Ponce  de 
Léon  àFor- 
loric. 


Suite  des  affaires  des  Indes  ^   ^  Découverte  de  la  Mer  du  Sud 
par  Nugnez  de  Balboa. 


Suite  dis 

DECOUVEKTBa. 


ON  avoit  vu,  dans  le  même  tems ,  à  la  Cour  d'Efpagne ,  PerczdeCor-       " 
doue,  Supérieur  des  Dominiquains  de  rifle  Efpagnole,  qui  avoit  fui-        • 
vi  de  prés  Montefino ,  pour  y  foutenir  la  caufe  des  Indiens  ;  &  fes  follicita- 
tions  y  avoient  fait  tenir  plufieurs  Confeils  ,  où  les  plaintes  de  ces  deux 
Miffionnaires  avoient  trouvé  quelque  faveur.     Cependant  le  Roi  fit  appel- 
1er  un  iour  le  Père  de  Cordoue,  &  lui  dit,  après  avoir  loué  fon  zèle,  que      Conclufîon 
l'avis  de  la  plupart  des  Jurifconfultes  &  des  Théologiens  du  Royaume  étoit  j*^  j!!?*^'''''^ 
de  ne  rien  changer  à  l'ordre  établi;  qu'on  apporteroit  du  remède  aux  abus,  ^^^^"^«™«»* 

Z  3  mais 


.».-? 


l82 


PRE    MI    ERS      VOYAGES 


Suite  des 

DliCOUVEHTES. 

I  5  I  2. 


Il  retourne 
â  l'Efpagnole 
avec  le  Père 
Cordoue. 


Cordoue  eft 
envoyé  à  la 
Côte  de  Cu- 
mana. 


Violences 
exercées  con- 
tre les  In- 
diens. 


Perfidie 
nvec  laquelle 
ils  fontenle- 
Yés. 


mais  que  les  Millionnaires  dévoient  cefler  leurs  inveftives  contre  des  ufages 
^iprouvés  d'un  fi  grand  nombre  de  Perfonnes  fages,  &  fe  contenter,  com- 
me ils  avoient  fait  auparavant,  d'édifier  les  Indes  par  la  fainteté  de  leur 
vie,  fans  fe  mêler  de  la  Police  &  du  Gouvernement.  Ce  langage  fit  com- 
prendre, aux  Dominiquains  ,  qu'il  leur  feroit  fort  difficile  à  l'avenir  de  vi- 
vre en  bonne  intelligence  avec  les  Efpagnols  du  Nouveau  Monde.  Ils  fup- 
plièrent  le  Roi  de  permettre  qu'ils  allaflent  prêcher  l'Evangile  dans  les  Pro- 
vinces où  leur  Nation  n'avoit  point  encore  d'Etabliflement  ;  &  lui  ayant 
fait  goûter  leur  projet,  ils  obtinrent  un  ordre,  pour  l'Amiral,  de  leur  four- 
nir tout  ce  qui  é  toit  néceflaire  à  leur  entreprife  (<ï). 

Cordoue  &  Montefino  s'embarquèrent  pour  l'Efpagnole,  &  trouvè- 
rent l'Amiral  difpofé  à  leur  accorder  tout  ce  qu'ils  defiroient.  C'étoit  la 
Côte  de  Cumana,  qu'ils  avoient  choifie,  pour  y  commencer  leurs  travaux 
Apofl:oliques.-  Cordoue  n'y  pafla  point,  paice  que  d'autres  ordres  de  la 
Cour  rendirent  fa  préfence  néceflaire  pour  la  fondation  de  quelques  nou- 
veaux Couvents  dans  l'Ule  Efpagnole :  mais  il  y  envoya  Montefino,  avec 
un  autre  Cordoue  ^  que  l'Hiftorien  difl:ingue  par  le  nom  de  François  y  &  Jean 
Garces.  Montefino  étant  tombé  malade  en  pafl^ant  à  Portoric  ,  fes  deux 
Compagnons  ne  continuèrent  pas  moins  leur  route,  &  débarquèrent  à  la 
Pointe  de  (Venezuela  ^  dans  le  lieu  où  l'on  bâtit  enfuite  la  Ville  de  CafcOy  fur 
les  ruines  d'une  Bourgade  Indienne ,  qui  avoit  reçu  d'Ojeda  le  nom  de  petite 
Fenifi.  Cette  Bourgade  fubfifl:oit  encore,  &  les  deux  Mifllonnaires  y  fu- 
rent bien  reçus  des  Indiens.  Ils  ne  les  difpofèrent  pas  moins  heureufement 
à  recevoir  les  lumières  de  l'Evangile;  &  leur  zèle  commençoit  à  fe  promet- 
tre beaucoup  de  fuccès ,  lorfqu'un  Navire  Efpagnol  vint  ruiner  de  fi  belles 
efpérances.  On  cherchoit  alors  à  furprendre  les  Indiens ,  &  à  les  enlever, 
pour  en  faire  un  odieux  commerce ,  qui ,  fans  être  ouvertement  autorifé , 
trouvoit  de  la  prote6lion  dans  les  Officiers  Royaux,  lori^u'on  leur  faifoit 
part  du  butin.  Cette  injufl:e  violence  etoit  colorée  du  titre  d'Expédition 
contre  les  Cannibales;  fur-tout  depuis  qu'il  étoit  permis,  par  une  Déclara- 
tion du  Roi ,  de  réduire  à  l'Elclavage  tous  ceux  qui  étoient  accufés  de  man- 
ger de  la  chair  humaine  ;  <&  Ton  n  apportoit  pas  beaucoup  de  foin  à  difliin- 
guer  les  vrais  coupables.  Comme  ce  n'étoit  pas  la  première  fois  qu'on  eût 
enlevé  des  Indiens  fur  la  Côte  de  Cumana,  ces  Peuples  étoient  dans  la  dé- 
fiance; mais  ils  furent  rafllirés  par  la  préfence  des  Milfionnaires  ;  &  loin  de 
penfer  à  la  fuite ,  ils  firent  un  accueil  fort  civil  aux  Efpagnols.  Plufieurs 
jours  fe  paflerent  dans  une  profonde  tranquillité.  Enfin  le  Capitaine  du 
Vaifleau  invita  le  Cacique  &  les  principaux  du  Canton  à  venir  dîner 
fur  fon  Bord.  Ils  y  allèrent,  au  nombre  de  dix-fept:  mais  à  peine  y 
furent-ils  entrés,  que  les  Efpagnols  mirent  à  la  voile  avec  cette  proye, 
fans  en  excepter  le  Cacique  &  fa  Femme.  Une  aélion  fi  noire  caufa 
derf  tranfports  de  fureur  dans  la  Bourgade ,  &  les  Milfionnaires  failli- 
rent d'en  être  la  victime.  Un  relie  de  vénération  pour  leur  vertu  fit 
épargner  leur  vie,  &  fervit  même  à  perfuader,  aux  Indiens,  que  non- 
feulement  ils  n'avaient  eu  nulle  parc  à  la  trahifon ,  mais  qu'ils  en  avoient 
.  '  -  ■-  :-,   i. .:  ■;^..       ,  >-  ^  '  i    '      igno- 

•^-        (, a)  Ibidem  Chap.  i«.  i'.  s^-ZH-/  -    .    .  •  ,  /      ■  '  ...a 


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9) 


EN      AMERIQUE,  Liv.  I. 


183 


Ignore  le  deflein.  Ils  firent  efpérer  à  ce  malheureux  Peuple  qu'on  lui  ren- 
droit  les  Chefs.  Un  autre  Navire  arriva  dans  l'intervalle.  Le  Capitaine , 
étant  defcendu  au  rivage,  parut  extrêmement  touché  de  voir  toute  la  Na- 
tion en  pleurs;  &  les  Miflionnaires ,  qui  le  crurent  honnête  Homme,  en 
conçurent  l'efpérance  de  le  faire  fervir  à  l'exécution  de  leur  promefle.  Ils 
le  chargèrent  d'une  Lettre  pour  l'Amiral,  par  laquelle  ils  le  conjuroient  de 
renvoyer  les  Indiens  ;  &  ne  pouvant  s'imaginer  qu'on  leur  refufàt  une  fa- 
veur ,  à  laquelle  ils  repréfentoient  que  leur  propre  vie  étoit  attachée  ,  ils 
ne  firent  pas  difficulté  d'engager  leur  parole  ,  que  fi  le  Cacique  &  fes  gens 
n'étoient  pas  renvoyés  dans  l'efpace  de  quatre  mois,  ils  fe  livreroient  vo* 
lontairement  à  la  vengeance  de  la  Nation.  Cette  afllirance  appaifa  les  ref- 
ientimens.  Le  Capitaine  partit  avec  la  Lettre,  à  laquelle  les  deux  Miflîon- 
naires  n'avoient  pas  manqué  d'en  joindre  d'autres  pour  les  Religieux  de 
leur  Ordre.  Mais  lorfqu'elles  arrivèrent  à  San-Domingo ,  les  Captifs  étoient 
vendus,  &  c'étoit  malheureufement  des  Officiers  de  l'Audience  Royale  qui 
les  avoient  achetés*  L'Amiral  avoit  peu  d'autorité  fur  ces  Magiftrats.  En- 
fin ,  ni  la  confidération  de  deux  Religieux,  dont  la  vie  dépendoit  du  retour 
des  Indiens ,  ni  les  inftances  de  leurs  Supérieurs ,  ni  l'honneur  de  la  Na- 
tion Efpagnole,  ni  l'intérêt  de  la  Religion  &  du  Bien  public,  rien  en 
un  mot  n'eut  la  force  d'infpirer  le  moindre  fentiment  de  juftice  à  ceux 
qui  étoient  commis  pour  la  rendre.  Ainfi  les  quatre  mois  étant  expi- 
rés fans  aucune  apparence  de  fatisfa61:ion  de  la  part  des  Efpagnols  ,  les 
deux  Miffionnaires  furent  impitoyablement  mailacrés  à  la  vue  l'un  de 
l'autre  (b). 

Si  les  Ordonnances  du  Souverain  étoient  violées  avec  cette  audace,  par 
ceux  dont  le  devoir  étoit  de  les  faire  exécuter,  quelle  devoit  être  la  condui- 
te du  commun  des  Efpagnols  à  l'égard  des  malheureux  Indfens?  Aufli  les 
accufe-t-on  de  les  avoir  traités  avec  des  excès  de  barbarie  qu'on  ne  peut  re- 
préfenter  fans  horreur  {c).  „  Ils  les  accouploient  pour  le  travail ,  com- 
„  me  des  Bêtes  de  fomme;  &  les  ayant  exceffivement  chargés,  ils  les  for- 
„  çoient  de  marcher,  à  grands  coups  de  fouet.  S'ils  tomboient  fous  la  pe- 
fanteur  du  fardeau,  on  redoubloit  les  coups,  &  l'on  ne  ceflbit  point  de 
frapper  qu'ils  ne  fe  fuflent  relevés.  On  féparoit  les  Femmes  de  leurs 
Maris.  La  plupart  des  Hommes  étoient  confinés  dans  les  Mines ,  d'où 
ils  ne  fortoient  point,  &  les  Femmes  étoient  employées  à  la  culture  des 
terres.  Dans  leurs  plus  pénibles  travaux,  les  uns  &  les  autres  n'étoient 
nourris  que  d'herbes  &  de  racines.  Rien  n'étoit  plus  ordinaire  que  de 
„  les  voir  expirer  fous  les  coups,  ou  dépure  fatigue.  Les  Mères,  dont  le 
„  lait  avoit  tari ,  ou  s'étoit  corrompu ,  faute  de  nourriture ,  tomboient  mor- 
„  tes  de  foiblefle  ou  de  defefpoir,  fur  le  corps  de  leurs  Enfans,  morts,  ou 
„  moribonds.  Quelques  Infulaires  s'étant  réfugiés  dans  les  Montagnes, 
„  pour  fe  dérobber  à  la  tyrannie,  on  créa  un  Officier,  fous  le  l'nre'd'^lguaXl 
„  del  Campo ,  pour  donner  la  chafle  à  ces  Transfuges ,  &  cet  Exécuteur  de 


SOITB   DE8 
D£COUVEUTeS. 

15  I  2« 


Il  en  coûte 
la  vie  à  quel- 
ques Miffion- 
naires. 


>j 


Barbarie  dea 
Efpagnols, 


j» 


la 


(i)  Ibîd.  Chnp.  14.  &  15. 
(  f  )  L'Ouvnigc  do  Barthclcml  de  la^  Ca- 
fas  cft  entre  les  mains  de  tout  le  monde. 


Mais,  pour  éviter  un  horrible  détail,  ou  fe 
borne  à  quelques  traits  généraux. 


•  / 


i84 


PREMIERSVOYAGES 


Suite  dks 

DICOUVERTCf. 

I  5  I  2. 


nucnez  de 
Balboa. 

Sa  Conduite 
dans  le  Da- 
rien. 


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a 


la  vengeance  publique  fe  mit  en  campagne  avec  une  Meute  de  Chiens,  qui 
déchirèrent  en  pièces  un  très  grand  nombre  de  ces  Miferables.  Quanti- 
té d'autres,  pour  prévenir  une  mort  fi  cruelle,  avalèrent  du  jus  de  Ma- 
nioc, qui  efl:  un  poifon  très  violent,  ou  fe  pendirent  à  des  arbres,  après 
avoir  rendu  ce  funefte  fervice  à  leurs  Femmes  &  à  leurs  Enfans.  Tels 
étoient  ces  Départemens,qu'onrepréfentoit,à  laCour,  comme  néceflai- 
res  pour  laconverfion  de  ces  Peuples,  &  qui  étoient  approuvés  par  les 
Doèleurs  d'Efpagne  (d)  ". 

La  violence  n'étoit  pas  moins  employée  dans  TEtabliflement  du  Darien, 
où  Nugnez  de  Balboa  jugeoit  cette  voye  néceflaire,  pour  fe  faire,  en  Ef- 
pagne,  un  mérite  de  fes  fervices.  Il  avoit  appris,  par  des  Lettres  de  Za- 
mudio ,  fon  Négociant  à  la  Cour ,  que  le  Roi  étoit  fort  irrité  contre  lui  ;  & 
que,  fur  les  Plaintes  d'Encifo ,  ^il  avoit  été  condamné,  par  une  Sentence  for- 
melle, à  rindemnifer  de  toute's  les  pertes  qu'il  lui  avoit  caufées.  A  la  vé- 
rité ,  Ferdinand  n  avoit  pas  voulu  que  la  partie  criminelle  des  accufations 
fût  jugée  fans  avoir  entendu  fes  défenfes  ;  mais  Balbûa  ne  comprit  pas  moins 
qu'il  lui  feroit  difficile  de  réfider  aux  mauvais  offices  de  fes  Ennemis ,  s'il 
ne  raéritoit  l'abolition  du  paffé  par  quelque  a6lion  d'éclat  ;  &  ce  motif  de- 
vint la  fource  d'un  mélange  de  cruautés  &  d'héroïques  entreprifes,  dont  on 
verra  recueillir  d'immenfes  tréfors  à  l'Efpagne. 

Il  avoit  appris,  de  quelques  PrifoQniers  Indiens,  que  dans  une  Provin- 
ce, nommée  Dabayda,  peu  éloignée  de  la  Colonie  Efpagnole,  il  y  avoic 
un  Cacique  du  même  nom ,  quicomptoit,  entre  fes  richelfes,  un  Temple 
plein  d'or.  Cette  nouvelle  ayant  échauffé  le  courage  de  {es  gens ,  il  em- 
barqua cent  foixante  des  plus  braves,  dans  deux  Brigantins,  dont  il  con- 
fia l'un  àColmenarez,  avec  ordre  de  prendre  fa  route  par  une  Rivière  deux 
fois  plus  grande  que  celle  de  Darien ,  &  qui  en  efl  éloignée  de  neuf  lieues 
à  î'Efl.  Un  Cacique  voifin,  nommé  Comaco^  &  mal  difpofé  pour  les  Ef- 
,,-  ,  pagnols,  s'étoit  retiré  dans  le  Pays  de  Dabayda,  pour  y  porter  l'avis  de 

leur  deffein.  Nugnez  commença  lui-même  la  conquête  de  les  Terres,  d'où 
il  tira  la  valeur  de  fept  mille  Caftillans ,  en  pièces  &  en  joyaux  d'or.  En- 
fuite,  defcendant  vers  la  Mer,  qui  efl  le  Golfe  d'Uraba,  où  les  deux  gran- 
des Rivières  fe  déchargent,  il  y  efTuya  une  furieufe  tempête,  qui  fit  périr 
un  Canot  où  il  avoit  mis  fon  or,  mais  qui  ne  l'empêcha  point  de  joindre 
Colmenarez  dans  la  Rivière  où  il  s'étoit  déjà  rendu,  &  qui  reçue  le  nom  de 
Rivière  ji\o  de  las  Redes^  parce  qu'on  avoit  trouvé  quantité  de  Rets  fur  fes  bords. 
RiôdeïsRe-  Un  Cacique,  nommé  î*ar/î/,  leur  fournit  des  vivres  en  abonc^ance.    Après 

Ifle  nom- 
mée Canna 

Fiaola.  j^Q^/j  ^  jQ^jg^     ||3  continuèrent  de  remonter,  à  la  droite  de  l'Ide,  jufqu'à 

la  vue  d'une  autre  Rivière,  qui  fe  jette  dans  la  grande,  &  dont  l'eau  leur 
Rio  Ncgro.  parut  fi  noire ,  qu'ils  lui  donnèrent  le  nom  de  Rio  Negro.    Cinq  ou  fix  lieues 
.    de  plus  les  firent  arriver  fur  les  Terres  d'un  Cacique,  nommé  Abenamechey, 
où  ils  découvrirent  un  Village  d'environ  cinq  cens  Maifons ,  dont  la  plu- 
part 

(«{)  Hiftoire  de  Saint-Domingue,  Liv.  5«  p^g-  iS^t 


Voyages 
qu'il  entre- 
prend poi'r 
chercher  des 
richefles  ima- 
ginaires. 


^ÈÀîm»^ 


f* 


EN     AMERIQUE,   Lxv.  J. 


185 


part  des  Habitans  prirent  la  fuite.  Le  Cacique,  ayant  entrepris  de  réfifter 
avec  les  plus  réfolus,  eut  le  bras  prefque  abbatu  d'un  coup  de  fabre,  & 
n'en  tomba  pas  moins  au  pouvoir  des  Efpagnols.  Ici ,  Colmenarez  fuivit 
une  des  Rives ,  pour  obferver  les  mouvemens  des  Indiens  ;  &  Nugnez  ran- 
gea l'autre,  jufqu'à  une  troifième  Rivière,  qui  fe  joignoit  à  celle  où  ils  é- 
toient  jtous  deux ,  &  dans  laquelle  il  ne  craignit  pas  de  s'engager  avec  la 
moitié  de  fon  monde.  Il  s'en  fioit  à  fes  Guides,  qui  l'avertirent  bientôt 
qu'il  étoit  fur  les  Terres  de  Dabayda. 

Cette  Région  étant  pleine  de  Marais  &  de  Lacs,  &  la  terre  prefque 
fans  ceffe  inondée,  les  Maifons  y  étoient  d'une  forme  dont  on  ne  connoît 
pas  d'autre  exemple.  Elles  étoient  bâties  fur  les  plus  gros  arbres ,  qui  les 
enveloppoient  de  leurs  branches ,  &  qui  les  couvroient  de  4eur  feuillage. 
On  y  trouvoit  des  Chambres  &  des  Cabinets  ,  d'une  charpente  ,aufli  forte 
que  dans  les  Maifons  ordinaires  ;  &  chaque  Famille  étoit  ainfi  logée  féparé- 
ment.  Chaque  Maifon  avoit  deux  échelles;  l'une,  qui  conduifoit  jufqu'à 
la  moitié  de  l'arbre;  &  l'autre,  depuis  la  moitié  jufqu'à  la  porte  de  la  pre- 
mière Chambre.  Ces  échelles  étoient  de  Canne ,  &  par  conféquent  fi  légè- 
res, que  fe  levant  facilement  le  foir,  les  Habitans  étoient  en  fureté  pen- 
dant la  nuit,  du  moins  contre  le?  attaques  des  Tigres  &  d'autres  Animaux 
voraces ,  qui  étoient  en  fort  grand  nombre  dans  la  Province.  Ils  avoient 
leurs  Magafins  de  vivres ,  dans  ces  Maifons  aériennes  ;  mais  ils  laiflbient 
leurs  Liqueurs  au  pied  de  l'arbre,  dans  des  vaifleaux  de  terre:  &  lorfque 
les  Seigneurs  étoient  à  manger,  leurs  "Valets  avoient  tant  d'adrefle  &  de 
promptitude  à  defcendre  &  i  monter,  qu'ils  n'y  employoient  pas  plus  de 
tems  qu'on  n'en  met  du  bulFet  à  la  table. 

Le  Cacique  Dabayda,  qui  étoit  dans  fon  Palais,  c'efl-à-dire,  fur  fon  ar- 
bre, lorfqu'il  vit  paroître  les  Caftillans,  fe  hâta  de  faire  lever  les  échelles. 
Ils  l'appellèrent  à  haute  voix ,  &  l'exhortèrent  à  defcendre  fans  crainte.  Il 
répondit  qu'il  n'avoit  ofFenfé  perfonne,  &  que  n'ayant  rien  à  démêler  avec 
des  Etrangers  qu'il  ne  connoiifoit  pas ,  il  demandoit  en  grâce  qu'on  le  laif- 
fàt  tranquille  dans  fa  Maifon.  On  le  menaça  de  couper  les  arbres  par  le 
pied,  ou  d'y  mettre  le  feu;  &  fur  le  refus  qu'il  fit  encore,  on  mit  la  hache 
au  pied  de  l'arbre  qu'il  habitoit.  Le  bruit  &  la  vue  des  morceaux,  qui  vo- 
loient  en  éclats,  l'obligèrent  enfin  de  defcendre,  avec  fa  Femme  &  deux 
de  fes  Fils.  On  lui  demanda  s'il  avoit  de  for.  Il*  répondit  qu'il  n'en  avoit 
point  dans  ce  lieu ,  parceque  ce  métal  ne  lui  étoit  d'aucun  ufage  pour  vi- 
vre; mais  que  fi  les  Caftillans  en  defiroient  avec  tant  d'ardeur  qu'ils  fe  cruf- 

•  fent  en  droit  de  troubler  le  repos  d'autrui  pour  en  obtenir,  il  étoit  prêt  à 
leur  en  faire  apporter  d'une  Montagne  voifine.  Ils  prirent  d'autant  plus  de 
confiance  à  cette  promeflfe,  qu'il  leur  laifla  fa  Femme  &  fes  deux  Fils  pour 
gage  de  fon  retour.  Mais ,  après  l'avoir  inutilement  a'ttendu  pendant  plu- 
fieurs  jours,  ils  reconnurent  qu'ils  avoient  été  trompés  par  un  Sauvage,  & 

'que  leurs  Otages  mêmes,  qu'ils  avoient  fait  remonter  dans  leurs  Maifons, 
d'où  ils  ne  s'imaginoient  pas  qu'ils  puflent  defcendre  fans  échelles,  avoient 
trouvé  le  moyen  de  s'évader  pendant  la  nuit.  Tous  les  autres  arbres  étant 
abandonnés  de  même  par  leurs  Habitans,  Nugnez,  qui  fe  voyoit  à  quelque 
diftance  de  fon  Brigantin ,  &  qui  pouvoit  être  furpris  à  tous  momens  par 

•     Xnil.  Part,  A' a  '  des 


SurTK    DES 

DECOliVERTES* 

NuONtZ  DK 

Balboa. 


Pays  où  les 
maifons  font 
bâties  fur  des 
arbres. 


Comment 
le  Cacique 
Dabayda  eft 
forcé  dans  fa 
maifon. 


18(5        PREMIERS      VOYAGES 


Suite  des 

decouvertes. 

nuomez  de 

Balboa. 

1512» 

Soulève 

ment  Je  tous 

,les  Cacifiues. 


T.es  Efpa- 
gnols  font  for- 
cés de  retour- 
ner à  leur  Co- 
lonie. 


Vengeance 
qu'ils  tirent 
des  Indiens. 


des  forces  plus  nombreufes  que  les  Tiennes ,  dans  un  Pays  aufli  couvert  d'eau 
que  de  bois,  prit  le  parti  de  retourner  à  Bord.  11  fj  hâta  même  de  rejoin- 
dre Colmenarez,  iiir  la  Rivière  Noire;  &  pour  fui  croît  de  chagrin,  il  ap- 
prit, en  y  arrivant,  que  plufieurs  Caflillans,  qui  s'ctoicnt  débandés,  avoient 
été  maflacrés  par  les  Indiens  (e). 

£n  efict,  tous  les  Caciques  du  Pays,  allarmés  pour  leur  vie  &  leur  re- 
pos, avoient  déjà  pris  la  rélblution  de  fe  réunir,  pour  exterminer  de  cruels 
Brigands ,  qui  venoient  les  attaquer  fans  avoir  reçu  d'eux  la  moindre  ofien- 
fe.  Abenamcchey  ,  qu'on  avoit  dédaigné  d'enlever  pour  l'efclavage ,  dans 
l'éiat  où  on  l'avoit  lallFé,  couroit  par  les  Bois,  en  pouflantde  grands  cri.s, 
&  montrant  Ton  bras  coupé  à  tous  ceux  qu'il  rencontroit.  Ils  fe  raflemblè- 
rent  jufqu'à  fix  cens,  qui  cherchèrent  leurs  Ennemis,  avec  d'horribles  mar- 
ques de  fureur.  Cependant ,  à  peine  eurent-ils  éprouvé  l'effet  des  arquebu- 
les,  que  leur  courage  le  rallentit.  Les  lances  &  les  épées  des  Caftillans 
en  firent  un'effroyable  carnage.  Ceux  dont  on  put  fe  failir  furent  envoyés 
à  la  Colonie  de  Darien,  .pour  y  être  employés  aux  travaux  publics;  &  le 
refte  ayant  difparu  par  la  fuite ,  alors  Nugnez  fe  crut  allez  fupérieur  à  tou- 
te crainte,  pourlaiifer,  dans  le  Village  d'Abenamechey,  trente  Hommes  j 
fous  le  commandement  de  Barthelemi  à!Hurtado ,  avec  ordre  de  contenir  les 
Indiens  dans  la  foumiflion ,  &  de  chercher  ce  qui  fe  trouvoit  d'or  dans  la 
Province.  Enfuite  il  reprit  le  chemin  de  la  Colonie,  où  fa  préfence  étoit 
déjà  néceflaire  pour  arrêter  les  faftions.  Mais  Hurtado  fe  vit  bientôt  for- 
cé, parles  maladies  &  par  d'autres*  craintes,  d'abandonner  fon  Pofte  aux 
Caciques ,  qui  fe  raffemblèrent  pour  l'attaquer.  Il  n'arriva  pas  fans  'peine 
à  Sainte-Marie  de  Darien  ;  &  l'on  y  fut  prefqu'auffi -  tôt  informé,  par  une 
Indienne  qui  avoit  fon  Frère  au  fervice  de  Comaco,  que  tous  ces  petits  Prin- 
ces ,  réfolus  de  ne  pas  fouifrir  plus  long-tems  des  Étrangers  dans  leurs  Ter- 
res ,  avoient  formé  une  Armée  confidérable  aux  environs  de  Tichiri.  Nu- 
gnez fe  hâta  d'autant  plus  de  les  prévenir,  qu'il  apprit  en  même  tems  qu'ils 
en  vouloient  particulièrement  à  lui ,  &  qu'ils  avoient  chargé  quarante  de 
leurs  plus  adroits  Tireurs  d'employer  la  trahifon  pour  le  tuer.  Il  partit, 
à  la  tête  de  foixante  &  dix  Hommes;  tandis  que  Colmenarez,  avec  une  au- 
tre Troupe,  prit  une  route  différente,  pour  le  joindre  au  même  terme. 
Les  Indiens,  qui  ne  croyoient  pas  leurs  defîlins  éventés ,  &  qui  fe  promet» 
toient  tout  de  leur  nombre ,  par  une  faulfe  prévention ,  remarque  l'Hiflo- 
rien,  qui  leur  étoit  commune  à  tous,  &  qui  les  abufoit  toujours  f/),  é- 
toient  à  tenir  Confeil  dans  le  Village  de^  Tichiri ,  fur  la  manière  dont  ils 
dévoient  attaquer  la  Colonie  étrangère,  '&  fur  le  partage  du  butin.  Deux 
Corps  de  Caftillans,  qui  fe  firent  voir  tout  d'un  coup,  ik  qui  les  prirent  des 
deux  côtés ,  après  avoir  commencé  à  les  épouvanter  par  une  furieufe  dé- 
charge de  leurs  arquebufes ,  trouvèrent  peu  de  réiiftance  dans  cette  foible 
&  timide  Aflemblée.  Ils  en  firent  une  cruelle  boucherie;  &  ceux  qui  é- 
chappèrent  à  la  mort  ou  à  l'efclavage,  n'eurent  pas  d'autre  relfource  o;ic  L. 
fuite.  Colmenarez,  qui  avoit  été  le  plus  heureux  à  faire  des  Prifonniers, 
fit  pendre  a.uffi-tôt  les  principaux,  pour  augmenter  la  terreur  de  ceux  qui 


se* 


(«)  Ibidehi. 


(/)  Le  même,  Liv.  9.  Cbap.  6. 


.*! 


EN      AMERIQUE,    Liv.  I. 


187 


«'étoient  difperfes.    Une  viftoire  fi  complette  ayant  mis  toute  la  Province* 
.fous  le  joug,  Nugnez  y  fit  bâtir  un  Fort,  qui  acheva  d'y  établir  la  domina- 
tion de  l'ECpagne  (ir). 

Mais  cette  conquête  ne  lui  fit  pas  perdre  de  vue  une  entreprife  beau- 
coup plus  importante ,  qu'il  n'avoit  pas  celle  de  méditer,  depuis  les  lumiè- 
res qu'il  avoit  tirées  du  jeune  Comagre.  Après  y  avoir  préparé  fes  gens, 
par  fes  exhortations  &  par  les  plus  hautes  elpérances ,  il  partit  avec  cent 
foixante  Hommes  &  le  jeune  Cacique  pour  Guide ,  dans  un  Brigantin,  qui 
le  porta,  par  Mer,  jufqu'aux  Terres  d'un  Cacique,  nommé  Câreta,  avec 
lequel  il  avoit  fait  alliance.  De-là,  il  prit  le  ctiemin  des  Montagnes,  pour 
entrer  dans  le  Pays  de  Ronca^  autre  Cacique,  qui  fe  cacha  dans  des  lieux 
fort  fecrets,  à  l'approche  des  Caftillans,  mais  qui  fe  ralfurant  enfuite,  par 
l'exemple  de  fon  voilîn,  prit  le  parti  d'aller  volontairement  au-devant 
d'eux,  &  d'acheter  leur  amitié  par  l'ofi^re  de  tout  ce  qu'il  avoit  d'or.  Nu- 
gnez accepta  d'autant  plus  joyeufe'ment  la  fienne,  qu'il  étoit  bien  aife  de 
s'aflurer  la  liberté  du  paifage ,  pour  toutes  fortes  d'événemens.  Enfuite  , 
s'étant  engagé  dans  des  Montagnes  fort  hautes ,  il  eut  à  combattre  une 
nombreufe  Armée  de  Barbares,  dont  il  tua  fix  cens,  à  coups  d'arquebufe 
&  par  les  morfures  de  fes  Chiens.  Le  Cacique,  nommé  Quarequa,  y  périt 
avec  honneur:  mais  fon  Frère  <&  d'autres  Seigneurs  ,  qu'on  prit  en  nabits 
de  Femmes,  furent  abandonnés  aux  Chiens,  fur  le  (impie  foupçon  qu'ils  é- 
toient  livrés  à  de  honteufes  débauches.  Entre  les  dépouilles  des  Vaincus, 
on  trouva  une  affez  groffe  quantité  d'or. 

QuoiQ.U£  le  jeune  Comagre  eût  alfuré,  avec  raifon,  qu'il  n'y  avoit  que 
fix  jours  de  chemin  depuis  les  Terres  de  Ronca  jusqu'au  fommet  d'une  Mon- 
'  tagne  d'où  l'on  découvroit  une  immenfe  étendue  d'eau  ,  la  difficulté  des 
paflages  &  celle  de  trouver  des  vivres  y  firent  employer  vingt  cinq  jours. 
Enfin  l'on  arriva  fort  près  de  cette  élévation ,  la  plus  grande  de  tout  le  Pays 
qu'on  avoit  traverfé;  &  Nugnez  y  voulut  monter  feul,  pour  jouir  le  pre- 
mier d'un  fpeftacle  qu'il  defiroit  depuis  fi  long-tems.  A  la  vue  de  la  Mer, 
qu'il  ne  put  méconnoître ,  il  fe  mit  à  genoux ,  il  étendit  les  bras  vers  le 
Ciel ,  en  rendant  grâces  à  Dieu  d'un  événement  fi  avantageux  à  fa  Patrie  & 
fi  glorieux  pour  lui-même.  Tous  ies  gens,  appelles  par  ce  fignal,  s'em- 
preflerent  de  le  fuivre.  11  recommença  devant  eux  la  même  cérémonie, 
qu'ils  imitèrent  tous,  à  la  vue  des  Indiens  étonnés,  qui  ne  pouvoient  s'irtia- 
giner  le  fujet  d'une  fi  grande  joie  (h). 

Il  ne  manqua  point  de  faire  obîerver  qu'il  ne  devoit  refl:er  aucun  doute 
de  la  bonne  foi  du  jeune  Cacique,  puifque  fon  récit  s'accordoit  avec  toutes 
les  circonftances.  Il  ajouta  qu'avec  des  richelfes  immenfes,  on  devoit  s'at- 
tendre à  découvrir  de  nouvelles  Nations,  Ôl  par  conféquent  à  voir  l'Evan- 
gile plus  répandu  que  jamais  dan?  le  Nouveau  Monde.  Nugnez  avoit  au- 
tant d'agrément  dans  le  langage,  que  dans  toutes  fes  qualités  extérieures. 
Il  y  joignoit  des  manières  affables,  &  beaucoup  de  compaiiion  pour  les 
moindres  maux  de  ceux  qu'il  voyoit  louffrir.  Sa  hardielfe  étoit  éprouvée 
dans  les  dangers;  fa  patience,  dans  les  plus  rudes  travaux,  &  les  reflbur- 

ces 

{g)  Ibidem,  Chap.  7.  (è)  Le  môme,  Liv.  10.  Cha^.  i. 

Aa  2 


SUITK   1ÎF8 

df.couverte."!. 
Nugnez  dk 

BALBOi». 

I  5  1  3- 

Autre  Voya» 
ge  de  Nugnez 
de  Balboa. 


t  '  '  ' 


Découverte 
de  la  Mer  du 
Sud. 


Joie  de  Bal- 
boa. 


Son  caraclè- 


re. 


I 


Soin  DES 

decouvertes. 

nuonez  de 

Balboa. 

1513- 


Comment  il 
prend  polTef- . 
fion  de  la  Mer 
du  Sud  au 
nom  de  la 
Caftille. 


Golfe  de 
Saint-Michel. 


Tempête 
terrible. 


Extrômités 
auxquelles 
Balboa  eft  ré- 

i!ui;. 


188        PREMIERS      VOYAGES 

'ces  de  fa  prudence ,  dans  les  occafîons  les  plus  embarraflantes.  Aufll  tous 
fes  gens  marquèrent-ils  une  extrême  fatisfaétion  de  l'entendre,  &  beaucoup, 
d'ardeur  à  le  luivre.  Mais,  avec  fi  peu  de  monde,  il  ne  crut  pas  devoir 
s'engager  plus  loin,  fans  s'être  afluré  de  tous  les  Caciques,  dont  il  avoit 
de  la  réfiftance  à  craindre,  ou  du  fecours  à  efpérer.  11  le  borna  donc  à 
prendre  pofleflîon,  pour  les  Rois  'îq%  Maîtres,  du  Pays  qui  l'environnoit  & 
de  la  Mer  qu'il  venoit  de  découvrir.  Le  même  jour,  après  avoir  fait  éle- 
ver de  gros  tas  de  pierres ,  planter  des  Croix ,  &  graver  le  nom  de  Ferdi- 
nand fur  Pécorce  des  plus  grands  arbres,  il  entra  dans  la  Merjufqu'àla 
ceinture,  l'épée  dans  une  mam  &  le  bouclier  dans  l'autre.  Dans  cette  fi- 
tuation,  adrelfant  la  parole  aux  Callillans  &  aux.  Indiens  qui  bordoient  le 
rivage:  Vous  êtes  témoins,  leur  dit-il,  que  je  prends  pofleflion  de  cette 
Partie  du  Monde  pour  la  Couronne  de  Caftille  j  &  je  faurai  bien  lui  en  con- 
ferver  le  Domaine  avec  cette  épée  (/). 

Ensuite,  ayant  foumis  quelques  Caciques  voifins ,  dont  les  plus  redou- 
tables &  les  plus  riches  fe.nommoient  Chiapeia  &  CoqierOy  il  embarqua  tous 
fes  gens  fur  neuf  Canots,  puur  s'avancer  fur  les  Côtes  du  Golfe  où  il  étoit, 
&  qu'il  avoit  nommé  »Sa/«{  -  A/jVA^/.  Mais  à  peine  eut-il  quitté  le  rivage, 
qu'une  furieufe  tempête  le  jetta  dans  le  plus  grand  péril  qu'il  eût  jamais  ef- 
Aiyé.  Les  Indiens  mêmes  en  parurent  épouvantés.  Mais,  comme  ils  ex- 
celloient  à  nager,  ils  eurent  l'adrefle  d'attacher  les  Canots  deux  à  deux  a- 
vec  des  cordes,  pour  les  rendre  plus  capables  de  réfifter  aux  flots,  &  cel- 
le de  les  conduire,  entre  quantité  de  petites  llles  ,  jufqu'à  la  Pointe  d'une 
plus  grande,  où  ils  ne  les  amarrèrent  pas  moins  habilement  aux  arbres  <& 
aux  rochers.  La  nuit,  qui  furvint  avant  le  retour  du  beau  tems,  prépara 
aux  Caflillans  une  fcène  encore  plus  effrayante.  Les  eaux  ayant  crû  juf- 
qu'au  jour,  l'Ifle  fe  trouva  toute  inondée,  fans  qu'on  apperçût  aucun  refte 
de  terre;  &  comme  on  avoit  pafle  la  nuit  fur  les  Rochers,  ceux  qui  vifitè* 
rent  les  Canots  furent  confier  nés  d'en  trouver  une  partie  en  pièces ,  &  d'au- 
tres entr'ouverts  ou  remplis  de  fable  &  d'eau.  Le  bagage  &  les  vivres  a- 
voient  été  emportés  par  la  violence  des  flots.  On  n'eut  pas  d'autre  ref- 
fource,  dans  un  fi  grand  péril,  que  d'arracher  l'écorce  des  arbres ,  &  de  la 
mâcher  avec  des  herbes ,  pour  s'en  fervir  à  boucher  les  fentes  des  Canots 
qui  n'étoient  pas  abfolument  brifés  ;  &  l'on  entreprit  de  gagner  la  terre  fur 
de'fi  frêles  Bâtimens,  en  fuivant  les  Indiens  qui  les  précédoient  à  la  nage. 
Nugnez,  auffi  prefTé  de  la  faim  que  tous  les  autres,  avoit  recommandé  à 
fes  Guides  d'aborder  dans  la  Terre  d'un  Cacique,  nommé  Tomaco,  dont  ils 
lui  avoient  vanté  l'abondance.  Mais  voyant  les  Indiens  difpofés  à  lui  ré- 
fifîer,  il  fe  mit  à  la  tête  de  fes  plus  braves  gens,  avec  fes  Chiens,  qui  n'é- 
toient pas  moins  affamés  qu'eux  ;  &  dans  fa  defcente  il  fît  un  carnage  ef- 
froyable de  fes  Ennemis.  Le  Cacique  même  y  fut  blefîe  ;  &  pendant  quel- 
ques Je  urs  cette  difgrace  ne  parut  fervir  qu'à  redoubler  fa  fureur.  Cepen- 
dant ,  ayant  appris  de  fes  Voifins  que  les  Cafl;illans  avoient  bien  traité  ceux 
qui  le«!  avoient  reçus  civilement,  il  leur  envoya  fon  Fils,  avec  des  vivres 
à  un  préfent,  dont  la  feule  vue  leur  fit  oublier  toutes  leurs  fatigues.    C'é- 

toit 

(t)  Ihid.  Chap.  a 


les 


'"S 


f» 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I. 


i8p 


toit  un  amas  d'or,  de  fix  cens  quatorze  Pefos,  &  deux  cens  quarante  Per- 
les d'une  grofleur  extraordinaire.  Les  Perles  n'avoient  que  le  défaut  d'être 
un  peu  ternies,  parceque  les  Indiens  mettoient  les  Huitres  au  feu  pour  les 
ouvrir.  Mais  on  leur  apprit  une  méthode  plus  fimple  ;  &  Tomaco ,  voyant 
l'admiration  de  fes  Hôtes  pour  des  biens  dont  il  faifoit  peu  de  cas,  leur  en 
fit  pécher  douze  marcs  dans  l'efpace  de  quatre  jours  (*  ).  Il  ailura  Nugnez , 
que  le  Cacicjue  d'une  lile,  qui  n  étoit  éloignée  que  de  cinq  lieues,  en  avoit 
de  plus  grofles  encore,  &  que  toute  cette  Côte,  qui  s'écendoit  fort  loin  au 
Sud ,  produifoit  quantité  d'or  &  d'autres  richelfcs  ;  mais ,  dans  l'atleftion 
qu'il  avoit  conçue  pour  lui,  depuis  qu'il  avoit  éprouvé  la  douceur  avec  la- 

?|uelle  il  traitoit  fes  Alliés,  il  lui  confeilla  d'attendre  une  faifon  où  la  Mer 
Ùt  plus  tranquille  ;  &  les  Caftillans ,  rebutés  par  leur  dernière  Navigation , 
&  la  plupart  accablés  de  foiblefle  ou  de  maladie,  prelFcrent  leur  Chef  de 
retourner  au  Darien.  Il  prit  fa  marche  par  une  autre  route,  pour  acqué- 
rir une  parfaite  connoiflance  du  Pays.  Ce  ne  fut  pas  fans  peine  &  lans  dan- 
ger qu'il  trnverfa  de  nouvelles  Montagnes,  parmi  des  Peuples  !i  fauvages, 
qu'ils  n'avoient  cP.tr'eux  aucune  communication ,  obligé  fouvent  de  s'ouvrir 
un  paiTage.par  les  armes,  s'attachant,  par  fes  carefles  ik  fes  bienfaits,  ceux 
qui  lui  fournifFoient  volontairement  des  vivres  &  de  l'or,  &  faifant  dévo- 
rer par  fes  Chiens  tous  les  Caciques  qui  entreprencient  de  lui  réfifter.  Mais , 
quoique  la  plupart  de  ces  Malheureux  foient  nommés  dans  l'Hidoire,  on 
n'y  trouve  aucune  lumière  fur  la  fituation  de  leurs  Terres.  Enfin ,  le  29 
de  Janvier  de  l'année  fuivante,  Nugnez  rentra  glorieux  &  triomphant  dans 
la  Colonie,  avec  plus  de  quarante  mille  Pefos  d'or,  qu'il  rapportoit  de  la 
dépouille  des  Indiens  (  /). 

Son  premier  foin  fut  d'informer  le  Roi  &  fes  Miniflres ,  de  tant  d'im- 
portantes découvertes ,  &  des  fuites  qu'on  devoit  s'en  promettre.  Il  char- 
gea de  fes  Lettres  Pierre  A' /irbolancho  ^  &  les  accompagna  d'une  très  grande 
quantité  d'or  &  de  fes  plus  belles  Perles.  Arbolancho  partit  au  commence- 
ment de  Mars ,  &  fon  arrivée  remplit  de  joie  toute  la  Cour.  Le  Miniftre 
des  Indes ,  qui  étoit  paiTé  alors  au  Siège  de  Bur^os ,  &  qui  continuoit  de 
gouverner  les  affaires  des  Indes  avec  une  autorité  prefque  fouveraine,  le 
reçut  avec  de  grandes  marques  de  faveur ,  &  lui  procura  le  même  accueil 
du  Roi.  '  Ce  Prince  parut  fort  fatisfait  des  fervices  de  Nugnez,  &  donna 
ordre  au  Prélat  de  ne  pas  les  laifler  fans  récompenfe.  Mais  ce  fut  un  mal- 
heur ,  pour  ce  brave  Avanturier ,  que  fon  Député  ne  fût  point  arrivé  deux 
mois  plutôt.  Les  coups ,  qui  dévoient  entraîner  fa  ruine ,  étoient  déjà  por- 
tés. Ferdinand ,  à  qui  l'on  àvoit  fait  comprendre  que  la  Colonie  du  Darien 
méritoit  beaucoup  d'attention,  s'étoit  déterminé  à  lui  donner  un  Chef,  dont 
le  caraélère  &  le  nng  fuflent  capables  d'y  établir  l'ordre,  &  d'y  faire  ref- 
pefter  l'autorité  fouveraine.  Il  avoit  d'abord  nommé ,  pour  cette  Commif- 
fion,  Dom  Diegue  del  Aguila^  qui  s'étoit  difpenfé  de  l'accepter.  On  lui 
propofa  aufli  -  tôt  Dom  Pedrarias  à'Avila ,  Officier  de  naiflance  &  de  méri- 
te, qui  joignoit  à  la  gloire  des  armes  une  grande  réputation  de  galanterie. 
Quelques  autres  Seigneurs  s'étoient  mis  fur  les  rangs  j  jnais  le  crédit  de  l'E- 

vêque 
(*)  Le  même,  Liv,  lo.  Cbap.  3.  (/)  Ibid.  Chap.  3. 

Aa  3 


scitc  des  - 

decouvertes, 

Nugnez  db 

Bal  BOA. 

15  13' 

On  lui  don- 
ne beaucoup 
d'or  &  de  Per- 
les. 


Son  retour 
au  Darien. 


1514- 


II  informe 
la  Cour  de  fes 
découvertes. 


IJalboa  efl 
fupplanté  à  la 
Cour  d'Efpa- 
gne. 


Pedrariaï 
d'Avila  eft 
nommé  pour 
lui  fuccèdex» 


■  SUITS  DBII 

PECOUVSRTZS. 

MUUMZ  DE 

fiALOOA. 

'    I  5  «  4- 

II  II'  rend 
nu  Daiicii  : 
lie  qui  il  cil 
nccoiiipngiié. 


^implicite 
de  lu  vie  &  du 
ciiradèrc  de 
Balboa. 


11  fe  fouinet 

ii  Pedrarias. 


Etat  du  Da- 
rien,  &  con- 
duite de  Pe- 
drarias. 


190       PREMIERS      VOYAGES 

vêquc  de  Burgos  ayant  fait  donner  la  préférence  à  Pedrarias,  on  avoit  tra- 
vaillé à  les  initruftions  avec  tant  de  diligence,  qu'il  étoit  parti  peu  de  jours 
avant  l'arrivée  d'Arbolanclio. 

La  Klotte,  qui  le  perçoit,  étoit  de  quinze  VailTeaux  bien  équipés.  II 
mcnoitavec  lui  Jean  dej^«cra/o,  Francilcain,  facré  fous  le  titre  diivéquc 
de  Terre-ferme,  un  bon  nombre  de  Millionnaires ,  &  deux  mille  Hommes 
de  Guerre,  ou  dcllinés  à  peupler  h  Colonie.  Le  Roi  lui  avoit  donné,  pour 
Lier  mant,  Jean  d'/Jyorai  pour  Alcalde  Major,  Jean  dlîfpimfa,  qui  fut 
dans  ta  fuite  Prélident  d'*  l'Audience  Royale  de  San  Domingo,  &  Gouver- 
neur de  rille  Efpagnole;  &  pour  Algualil  Major,  Charge  qui  répond  à  cel- 
le de  Grand  Prévôt,  ce  même  Encilb,  dont  on  a  rapporté  les  avantures. 
Quelles  que  fuflcnt  les  vues  de  la  Cour,  ce  choix  parut  de  mauvais  augure 
pour  Nugnez,  à  ceux  qui  le  virent  tomber  fur  fon  Ennemi.  La  Flotte  por- 
toit  aufli  quatre  Officiers  Royaux,  qui  dévoient  compoler,  avec  l'Eveque, 
le  Cpnfeil  du  Gouverneur;  &  l'on  comptoit,  dans  ce  nombre,  Gonzale 
Fernandez  d'Oviedo  y  f^aldez  (w),  Auteur  d'une  Hilloire  du  Nouveau  Mon- 
de, qui  ell  une  des  principales  fources  d'où  les  Hiftoriens  pofterieurs  ont 
tiré  leurs  lumières.  .«, 

Pedrarias  arriva  vers  la  fin  de  Juillet,  au  Golfe  d'Uraba;  &  faifant 
mouiller  à  quelque  dillance  de  Sainte  Marie,  il  y  envoya  donner  avis  des 
ordres  de  la  Cour.  L'Officier,  qu'il  chargea  de  cette  Commillion,  Çff  fir 
préfenter  d'abord  au  Commandant.  Il  fut  iurpris  de  voir  un  Homme  fi  cé- 
lèbre en  fimple  Camifole  de  coton,  en  Caleçon,  &  en  Souliers  de  corde, 
occupé  à  faire  couvrir  de  feuilles  une  alFcz  mauvaife  Café,  qui  lui  fervoic 
de  demeure.  Herrera ,  qui  rapporte  cette  circonflance ,  obferve  que  c'é- 
toit  par  cette  (implicite,  que  Nugnez  étoit  devenu  la  terreur  de  tant  de 
Nations ,  &  s'ézoic  tellement  attaché  tous  les  liabitans  de  la  Colonie ,  qu'a- 
vec quatre  cens  cinquante  Hommes,  qu'on  y  comptoit  à  ptii.e  ,  il  auroic 
empêché,  s'il  l'eût  entrepris,  toutes  hs  forces  de  la  Flotte  d'Efpagne  de 
mettre  Pedrarias  en  polTelfion  de  fon  Gouvernement.  Ce  nouveau  Gou- 
verneur ne  s'étoit  pas  même  attendu  d'y  être  reçu  fans  obftacle  :  mais  il 
fut  agréablement  trompé.  Son  Officier,  ayant  déclaré  à  Nugnez  que  Dora 
Pedrarias  d'Aviia,  nommé  par  le  Roi  au  Gouvernement  de  cette  Provin- 
ce, étoit  dans  la  Rade  avec  fa  Flotte,  reçut  pour  réponfe,  que  toute  la  Co- 
lonie étoit  dirpofce  à  rdpedler  les  volontés  du  Roi.  Cependant  il  s'éleva 
dans  la  Ville  un  allez  grand  murmure.  Il  fe  fit  des  AflTemblées ,  &  Nu- 
gnez fe  vit  le  maître  de  faire  foulever  tout  le  monde  en  la  faveur.  Mais, 
ayant  pris  de  bonne  foi  le  parti'  de  la  foumiflion ,  il  ne  voulut  pas  même 
qu'aucun  de  les  gens  pariit  armé  devant  le  Gouverneur;  &  marchant  au- 
devant  de  lui  avec  tous  fes  Braves,  il  fe  préfenta,  fuivant  les  termes  d'un 
Hiftorien ,  comme  un  Prélident  à  la  tête  d'un  Confeil.  Après  lui  avoir  fait 
un  compliment  refpeélueux,  il  le  conduifit  dans  fa  Cabane,  où  il  lui  fie  fer- 
vir  un  repas,  de  Caflave,  de  l'ruits  &  de  Racines,  avec  de  l'eau  du  Fleu- 
ve pour  toute  liqueur.  Dés  le  jour  fuivant,  Pedrarias  vérifia  ce  qu'on  a- 
voit  publié  des  grandes  entreprifes  ôc  des  conquêtes  de  Nugnez.     La  Mtr 

du 

{m)  Son  Emploi  particulier  étoit  celui  de  Controlleur  des  Mines  &  des  Foiites  d  or. 


fer- 
In  a- 
du 


SoiTl  DBI 

DECOUVKRTEI. 

Nt'CNEZ  Uli 

liALnOA. 

1514- 


';        EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.    I.  ipr 

,dn  Sud  ëtoit  découverte,  &  tout  le  Pays,  jufqu'à  cette  Mer,  avoit  ctcfou- 

niis:  mais  les  Kfpagnols  qui  venoicnt  pour  jouir  de  ces  nouveaux  avanta- 

•  ges,"^  &  qui  s'ctoicnt  ilattcs  de  trouver  de  l'or  en  cLendaiit  la  maiji ,  fe  virent 

fort  éloignés  de  leurs  efpérànces,  lorfqu'ils  eurent  appris  ce  qu'il  en  avoit 

coulé  aux  Conquerans  pour  s'enrichir. 

Peu  de  jours  après,  le  Gouverneur  fit  proclamer  l'ordre  qu'il  avoit  ap- 
porté ,  de  finir  le  Procès  de  Nugnez.     L'Alcalde  Major  commença  par  Tai- 
re arrêter  cet  illuftre  Accule.     On  examina  Ls  charges  contenues  dans  le 
Mémoire  d  Encilb.     Un  Jugement  du  Confeil  le  condamna  d'abord  à  une 
très  grofle  amende;  mais  il  fut  mis  enfijite  en  liberté.     Pedrarias  n'en  prit 
pas  moins  fes  inllru£lions,  pour  former  de  nouvelles  Peuplades  dans  des 
lieux  dont  on  lui  faifoit  connoître  les  propriétés:  mais  pendant  qu'il  paroif- 
foit  vivre  avec  lui  dans  la  meilleure  intelligence,  il  écrivit  au  Roi  que  la 
Colonie  du  Darien  n'étoit  pas  telle,  à  beaucoup  près,  que  Nugnez  l'avoit 
repréfentée.     Avec  fa  Lettre,   les  anciens  Ilabîtans  en  firent  partir  d'au- 
tres ,  qui  contenoient  de  grandes  plaintes  contre  les  nouveaux  Olficlers^  & 
la  fuite  fit  connoître  que  ces  accufations  étoient  mieux  fondées  que  les  pre- 
mières. Pedrarias  avoit  trouvé  la  Colonie  dans  un  état  très  iloriflant.    Tout 
le  monde  y  jouifToit  d'un  fort  heureux.     On  n'y  voyoit  que  des  Fêtes;  on 
n'entendoit  que  des  chants  de  joie ,  au  fon  de  toutes  fortes  d'inftrumens. 
Les  Terres  étoient  enfemencces  &  commençoient  à  fournir  aflez  de  vivres 
pour  la  nourriture  des  I  labicans.     Non-feulement  les  Caciques  étoient  fou- 
rnis, mais  la  plupart  portoient  tant  d'aflfeftion  à  leurs  Vainqueurs,  qu'un 
Efpagnol  pouvoit  aller  librement  d'une  Mer  à  l'autre.     Audi  le  Roi,  démê- 
lant la  vérité  au  travers  des  nuages,  dont  on  vouloit  l'obfcurcir,   écrivit 
l'année  fuivante ,  à  Pedrarias,  que  pour  reconnoître  les  fervices  de  Vafco 
Nugnez,  il  le  créoit  fon  Adelantade  dans  la  Mer  du  Sud  &  dans  les  Provin-     Ordres  de  la 
ces  de  Panama  &  de  Coyba.     Il  ordonnoit  qu'il  fût  obéi  comme  lui-même,  cîm"penfcr  "^ 
&  que  tout  fubordonné  qu'il  devoit  être  au  Gouverneur  Général,  il  ne  Balboa. 
fût  gêné  en  rien  .fur  tout  ce  qui  regarderoit  le  bien  public.    Ce  Prince 
ajoutoit   qu'il  reconnoîtroit  le  zèle  de  Pedrarias  pour  fa  peribnne,   au 
traitement  qu'il  feroit  à  Nugnez,    dont  il   vouloit  qu'il  prît  les  avis, 
dans  toutes  fes  entreprifes. 

Des  ordres  fi  flatteurs  ne  firent  qu'avancer  fa  perte.     Pedrarias  étoit 
bien  éloigné  de  la  douceur  qui  avoit  fait  tant  d'Amis  à  l'Adelantade.     Ovie- 
do  étoit  déjà  retourné  fecrettement  en  Caftille,   pour  y  faire  fes  plaintes 
contre  lui.    Nugnez  avoit  écrit  de  fon  côté,  à  la  Cour,  une  Lettre  du  15 
d'06lobre,  dans  laquelle  il  ne  fe  plaignoit  pas  moins  du  nouveau  Gouver- 
neur.    L'Évêque  entreprit  de  les  réconcilier;  mais  fes  foins 'eurent  peu  de 
fuccès,  puifque Pedrarias ,  aigri  par  quelques  faux  rapports,  prit  enfin  la 
réfolution  de  perdre  un  Homme,  dont  le  mérite  lui  avoit  toujours  caufé  de 
l'ombrage.    11  lui  fit  un  Procès  criminel ,  dans  lequel  la  mort  de  Nicueifa  & 
les  violences  exercées  contre  £ncifo  lui  furent  encore  reprochées.     On  y 
ajouta  le  crime  de  félonie,  qu'on  fit  confifler  dans  l'intention  fuppofée  d'u- 
furper  le  Domaine  du  Roi.    EA  vain  Nugnez  fe  récria  contre  ces  accufa- 
tions ,  dont  les  unes  étoient  déplacées ,  après  le  Jugement  cfe  l'Alcade  Ma- 
jor,  &  les  autres  ubfolument  fauÛes.    Il  eut  la  tète  coupée  à  Sainte-Marie , 


Ils  ne  fer- 
vent qu'à  fa 
perte. 


192 


PREMIERS      VOYAGES 


SOITB  DU 

drcouvirte* 

nuoniz  dic 
Balboa. 

I5M- 

Pcdrarlas 


Plaintes 
contre  Pedra 
rias. 


à  l'âge  de  quarante-deux  ans  ;  &  fa  more  fie  perdre  au  Roi  le  meilleur  Of- 
ficier  qu'il  eût  alors  dans  les  Indes.    Ce  au'il  avoit  fait ,  en  fi  peu  d'années, 
ne  laifla  aucun  doute  qu'il  n'eût  bientôc  découverc  &  conquis  le  Pérou ,  fl  la  * 
Cour  ne  lui  eût  pas  ôté  le  Commandement  lorfqu'il  fe  difpofoit  à  partir  pour 
cette  expédition.    Les  Pères  de  Saint  Jérôme,  qui  jouifFoient  alors  d'une 
lui  fait  couper  grande  autorité  dans  les  Indes,  témoignèrent  un  vif  relfentiment  contre  Pe- 
la tûte.  drarias,  &  lui  en  écrivirent  dans  des  termes  qui  lui  firent  connoîtrc  ce  gue 
toute  l'Amérique  penfoit  de  fa  conduite.     Ils  ajoutoient  qu'on  en  faifoic 
beaucoup  d'autres  plaintes ,  &  qu'il  paroifloic  avoir  oublié  les  ordres  du  Roi , 
qui  l'obligeoient  de  ne  rien  faire  fans  la  participation  du  Confeil  de  fa  Pro- 
vince.   Mais  ces  avis  venoient  trop  tard  pour  l'infortuné  Nugnez ,  &  ne 
furent  pas  moins  inutiles  en  faveur  des  Indiens.    Las  Cafas,  fans  nommer 
ce  violent  Gouverneur,  mais  en  le  dedgnant  avec  beaucoup  de  clarté,  Ôc 
le  repréfentant  comme  une  Bête  féroce,  déchaîné  par  le  Ciel  en  colère, 
pour  la  ruine  d'un  Peuple  qui  méritoit  apparemment  cette  punition  par  l'ex- 
cés.de  Tes  crimes ,  lui  reproche  d'avoir  défolé,  depuis  le  Darien,  iufqu'au 
Lac  Nicaragua ,  cincj  cens  lieues  d'un  Pays  très  peuplé ,  le  plus  riche  &  le 
plus  beau  qu'on  puille  s'imaginer ,  &  d'avoir  exercé  fur  les  Indiens ,  fans 
diflinflion  d'Alliés  &  d'Ennemis,  des  cruautés  qui  paroîtroient  incroyables, 
fi  les  preuves  n'en  avoient  été  dépofées  au  Fifc  Royal ,  oii  cet  Ecrivain  ren- 
voie IQS  Leéleurs.    Comme  on  peut  juger  qu'un  Homme  de  ce  caraftère  fe 
voyoit  impatiemment  dans  la  dépendance  de  plufieurs  autres  Supérieurs,  il 
efl:  naturel  de  croire  que  ce  fut  le  defir  de  fecouer  un  joug  dont  il  fe  croyoit 
blefTé,  qui  contribua,  plus  que  tout  autre  motif,  à  la  deflruélion  de  Sainte- 
Marie  du  Darien.     Il  s'imagina  qu'en  allant  s'établir  fur  la  Mer  du  Sud, 
l'éloignement  pourroit  le  dérobber  à  l'autorité  de  ceux  qui  commanderoienc 
dans  rille  Efpagnole,  &  le  délivrer  de  l'obligation  qu'on  lui  avoit  impofée 
de  prendre  les  avis  du  Confeil  de  fa  Province.     En  1518,  il  chargea  Diego 
d'Efpinofa,  fon  Alcalde  Major ,  de  fe  rendre  à  Panama,  avec  ordre  d'y  bâ- 
tir une  Ville.    En  même  tems  il  écrivit  au  Roi  que  le  Pays,  où  la  Colonie 
de  Sainte-Marie  avoit  été  fondée,  n'étoit  pas  propre  pour  un  grand  Eta- 
bliflement,  &  qu'il  convenoit,  aux  intérêts  de  l'Efpage,  de  tranfporter  le 
Siège  Epifcopal  à  Panama.    L'année  d'après,  ayant  reçu  des  réponfes  favo- 
rables, il  envoya  ordre  à  Oviedo,  qui  commandoit  alors  fur  le  Darien,  a- 
vec  la  qualité  de  fon  Lieutenant,  de  tranfporter  à  Panama  tout  ce  qu'il  y 
avoit  d'Habitans  à  Sainte-Marie.    Ces  événemens  regardent  quelques  an- 
nées poflérieures ;  mais  en  faveur  de  l'ordre,  ils  demandoient  d'être  rap- 
prochés. 

QuoiQ_UE'les  Caflillans  euflent  commencé  à  s'établir  en  Terre -ferme, 
c'étoit  toujours  ïlûe  Efpagnole,  qui  tenoit  le  premier  rang  entre  leurs  Co- 
lonies, &  qui,  par  les  fecours  que  les  autres  ne  ceflbient  pas  d'en  tirer, 
autant  que  par  la  dignité  &  le  pouvoir  général  de  l'adminiftration,  paflbit 
pour  le  principal  Siège  des  forces  de  i'Efpagne  &  de  l'autorité  du  Roi  dans 
le  Nouveau  Monde.  Mais.,  depuis  tant  d'années,  l'ordre  &  la  paix  n'y 
ctoient  pas  encore  bien  établis.  On  continûoit  de  rendre  à  l'Amiral  toutes 
fortes  de  mauvais  offices  auprès  du  Roi ,.  &  ce  Prince  n'étoit  pas  toujours 
en  garde  contre  ces  fâcheufes  imprellîons.    D'ailleurs,  le  Confeil  étoit  fore 

op. 


Sainte-Marie 
du  Darien  ell 
abandonnée. 


Fondation 
d'une  nouvel 
le  Ville  à  Pa- 
nama. 


Méconten- 
temens  de 
l'Amiral  Die- 
gue  Ckilomb. 


»* 

*> 

i> 
>t 


'EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Lir.   I.  193 

oppofô  à  Dom  Diepue.  Un  Gentilhomme,  nommé  Dom  Rodrigue  à'ÀU 
buquerquet  y  eut  aflcz  de  crédit  pour  faire  créer  en  fa  faveur  un  nouvel  Em- 
ploi, fous  le  titre  de  Dijlributeur  des  Indiens^  à  la  feule  condition  d'agir  de 
concert  avec  le  Tréforier  Paflamonte.  qui  étoit  l'Ennemi  déclaré  de  f  Ami- 
ral. Cet  Office  avoit  toujours  appartenu  aux  Gouverneurs  Généraux.  AI- 
buquerque  arriva  triomphant  à  San -Domingo,  &  commença  par  révoquer 
tous  les  Départemens  aétuels ,  à  l'exception  de  ceux  qui  avoicnt  été  accor- 
dés par  le  Roi  même.  Comme  il  ne  diffimula  point  qu'il  avoit  befoin  d'ar- 
gent (n),  on  comprit  quelles  étoient  les  vues;  &  les  Départemens  ayant 
été  bientôt  mis  à  l'enchère,  on  vit  pafler  tout  ce  qui  rcftoit  d'Indiens  dans 
rifle  (0),  au  pouvoir  de  ceux  qui  lui  en  offrirent  le  plus.  Ilaccordoit  des 
Brevets,  dont  la  forme  fembloit  juftifier  fes  intentions  (/>).  Mais  ellci 
n'étoient  pas  allez  déguifées  dans  fa  conduite,  pour  ne  pas  donner  prife  aux 
Ennemis  qu'il  s'étoit  faits  de  ceux  qu'il  avoit  dépouillés.  On  en  écrivit  h. 
la  Cour.  11  eut  befoin  de  tout  le  crédit  d'un  Parent  qu'il  avoit  su  Confeil, 
pour  réfifter  à  tant  de  plaintes.  Ce  Confeiller,  qui  fe  nommoit  Zapata^  & 
qui  jouiflbit  d'une  haute  faveur,  obtint  un  Brevet  du  Roi,  par  lequel  tout 
ce  qu'Albuquerque  avoit  fait  au  llijet  des  partages  étoit  approuvé,  avec  dé- 
fenl'e  à  tout  autre  de  le  troubler  dans  l'exercice  de  fa  Commiffion.  Ce  der- 
nier coup  parut  infupportable  à  l'Amiral.  11  crut  fa  préfence  néceffaire  en 
Efpagne,  pour  y  foutenir  fes  droits,  &  pour  fe  garantir  des  nouvelles  hu- 
miliations qu'il  avoit  à  redouter.  Son  départ  ne  caufa  que  de  la  joie  à  Çqs 
Ennemis ,  qu'il  laiflbit  Maîtres  du  Gouvernement ,  &  qui  craignoicnt  peu 
fes  mauvais  offices  à  la  Cour.  Ce  fut  pendant  fon  abfence  que  Dom  Barthe- 
îemi  Colomb,  fon  Oncle ,  mourut  dans  l'Ifle  Efpagnoje;  &  ce  qui  lui  reftoit 
de  crédit  ne  put  empêcher  que  la  petite  Ifle  de  Mona,  qui  avoit  été  donnée 
à  r Adelantacle ,  ne  fût  réunie  au  Domaine.    Mais  les  deux  cens  Indiens, 

3  u'on  lui  avoit  accordés  auflî ,  paffèrent  à  la  Vice -Reine,  qui  étoit  reftée 
ans  les  Indes.     Dom  Barthelemi  fut  fincèrement  regretté  du  Roi.    Tou- 
tes les  préventions  de  ce  Prince  contre  la  Maifon  des  Colombs ,  qu'il  trou- 
voit  trop  puiffante , n'avoient  pu  diminuer  fon  eftime  pour  un  Homme, dont 
le  mérite  s'étoit  fait  connoître  avec  tant  d'éclat,  &  qui  avoit  fi  bien  fervi 
.  ...       ,.  -  -  l'Ef^ 


SuTTi  nrt 

DECOUVBRTIM 
15  14. 


Il  rcpaffc  en 
Efpagne. 


Mort  lie 
Dom  Bartlic- 
IcmL  Colomb. 


op. 


(n)  u  donnoit  pour  raJbn  qu'il  avoit 
époufé  une  jeune  Dame  d"  un  ^raud  mérite. 
Herrcra,  Liv.  lo.  Cbap.  12 

(  0  )  On  n'en  comptoit  plus  .  ors  que  qua- 
torze mille. 

(p  )  Herrera  nous  l'a  confcn î'^ .  „  Moi, 
Rodrique  d'Albuquerque  ,  Diftn  j'iteur  des 
Caciques  &  des  Indiens  pour  le  Roi  &  la 
Reine  nos  Seigneurs ,  en  vertu  des  Paten- 
tes Royales  que  je  tiens  de  leurs  mains,  de 
l'vivis  &  du  confentement  du  Seigneur  Mi- 
chel de  Paflamorte ,  Tréforier  Général  en 
ces  Ifles  &  Terres-fermes  pour  Leurs  Ma- 
jeftés;  Je  vous  commets  tel  Cacique, avec 
tant  d'Indiens ,  que  ie  vous  recommande 
pour  vous  en  fervir  dans  vos  j^abourages , 

XFlILPart, 


dans  les  Mines  &  dans  la  Ménagerie,  fui- 
vant  l'intention  de  Leurs  Majeftés  &  leur» 
Ordonnances ,  que  vous  obferverez  ponc- 
tuellement; &  vous  en  aurez  foin  toutletems 
de  vôtre  vie  &  de  vôtre  héritier,  Fils  ou 
Fille,  fi  vous  en  avez,  parce  qu'ils  ne 
vous  font  commis  qu'û  cette  condition  par. 
Leurs  Maje(tés ,  &  par  moi  en  leur  nom  ; 
vous  averciflant  que  fi  vous  ne  gardez  pas 
les  fufdites  Ordonnances ,  ces  Indiens  vous 
feront  ôtés  ,  &  que  l'obligation  de  con- 
fcience,  pour  le  tenis  &  la  manière,  tom« 
bera  fur  vous  &  non  fur  Leurs  Majeflés  ; 
outre  la  peine  que  vous  encourrez ,  &  qui 
eft  contenue  dans  les  mêmes  Qrdounaa- 
ces  ",    Ibidtnk, 


Bt 


\. 


194 


PREMIERS      VOYAGES 


Suite  des 
decouvertes. 

1514. 


Entreprifes 
de  las  Cafas 
en  faveur  des 
Indiens. 

Son  caraflè* 


f 


I  5  t  5- 

II  fc  rend 
en  Efpugne. 

Comment  il 
jarlc  au  Roi. 


TEfpagne.  La  prudence  &  le  courage  ne  s'étoient  jamais  démentis  dans 
fon  caraftère.  Si  Ferdinand  n'avoic  pas  voulu  l'employer  aux  nouvelles 
Découvertes,  dans  la  crainte  qu'il  n'exigeât  les  mêmes  conditions  que  l'A- 
miral Ton  Frère,  fon  inclination  l'avoit  toujours  porté  à  lui  donner  de  l'Em- 
ploi dans  les  Guerres  de  l'Europe,  pour  l'entretenir  avec  dignité.  Mais 
l'Hillorien ,  qui  attribue  cette  idée  au  Roi,  ne  nous  apprend  pas  ce  qui  fut 
capable  d'en  arrêter  l'exécution  (g). 

T  o  u  T  E  la  faveur  de  Zapata  ne  put  foutenir  long-tems  Albuquerque.  On 
lui  donna  un  Succelfciur ,  avec  le  foin  de  fixer  les  bornes  de  fon  Emploi; 
&  pour  adoucir  la  malheureufe  condition  des  Indiens,  autant  que  poi^r  ré- 
parer les  vuides  qui  furent  caufés  par  une  grande  mortalité,  on  publia  de 
nouvelles  défenfes  d'empêcher  les  Mariages  des  Efpagnols  avec  les  Indien- 
nes. Le  Confeil  s'étoit  toujours  propofé  d'unir  étroitement  les  deux  Na- 
tions par  ces  alliances:  mais  les  efprits  étoient  trop  divifés,  &  le  feul  li- 
bertinage formoit  des  liaifons  qui  n'avo'ent  pas  d'autre  nœud.  En  vain  le» 
Miirionnaires  s'elForçoient  d'y  apporter  du  remède.  Ils  étoient  réduits  à 
demeurer  comme  témoins  de  tant  de  jefordres  &  de  la  tyrannie  qu  on  con- 
tinuoit  d'exercer  contre  les  Indiens,  fans  avoir  la  liberté  de  faire  éclater 
leurs  plaintes. 

Las  Casas  fut  le  feul  qui  fe  crut  aflez  fupérieur  à  tous  les  ménagemenj 
de  l'intépêt ,  pour  déclarer  la  guerre  aux  Fauteurs  des  Départemens.  On  le 
peint  comme  un  efprit  ferme  &  folide,  d'une  érudition  fûre,  d'un  naturel 
ardent ,  d'un  courage  que  les  difficultés  animoient  ;  &  fur-tout  d'une  vertu 
héroïque.  Rien  n'étoit  capable  de  lui  faire  abandonner  fon  fentim  ?nt ,  lorf- 
qu'il  y  croyoit  l'honneur  du  Ciel  intéreflTé.  Les  fervices  qu'il  avoic  rendu» 
dans  l'Ifle  de  Cuba  lui  avoient  acquis  de  la  confidération  dans  les  Indes  ;  & 
l'on  ne  voit  pas  que  fes  Adverfaires  mêmes  lui  ayent  jamais  reproché  d'autre 
défaut  qu'une  imagination  trop  vive,  par  laquelle  il  fe  laiffoit  quelquefois 
dominer.  Un  Homme  de  ce  caraélère  n'avoit  pu  manquer  d'applaudir  aux 
entreprifes  des  Pères  Dominiquain».  Il  entreprit  de  faire  revivre  la  même 
Caufe;  &  ce  zèle,  qui  lui  fit  obtenir  dans  la  fuite  le  titre  de  Proteéleur  de» 
Indiens,  ne  fe  rallentit  point  jufqu'à  fa  mort.  Dans  la  difficulté  de  fe  per- 
fuader  que  le  Roi  Catholique  eût  été  bien  informé ,  il  prit  la  réfolution  de 
pafFer  en  Efpagne,  pour  y  porter  des  lumières  auxquelles  il  croyoit  fa  vic- 
toire attachée. 

Il  ne  put  arriver  à  Seville  que  vers  la  fin  de  l'année  1515.  11  en  partit 
pour  la  Cour,  avec  des  Lettres  de  recommandation  de  l'Archevêque;  & 
dans  la  première  audience  qu'elles  lui  firent  obtenir,  il  déclara  librement  aa 
Roi,  qu'il  n'étoit  venu  de  l'Iile  Efpagnole,  que  pour  lui  donner  avis  qu'on 
tenoit ,  dans  les  Indes ,  une  -onduite  également  nuifible  aux  intérêts  de  fa 
Confcience  &  de  fa  Couronne.  Il  ajouta  qu'il  s'expliqueroit  autrement , 
quand  il  plairoit  à  Sa  Majefté  de  l'écouter.  Le  Roi,  furpris  d'un  langage  Çi 
ferme,  lui  dit  de  faire  fon  Mémoire,^  &  lui  promit  de  le  lire.  Après  cet- 
te courte  audience,  s'adreflant  au  Père  Ma«>«<:o,  Dominiquain,  ConfefTeur 
du  Roi,  il  lui  dit,  .avec  la  même  nobleile,  qu'il  n'ignoroit  point  que  Pafla- 

.,  ,  ,     . ,..  monte 

*    (f)  Le  même,  Liv.  10.  QH^  i6« 


EN      AMERIQUE,  Liv.   I. 


295 


monte  &  d'autres  Officiers  de  l'Erpagnole  avoient  prévenu  la  Cour  contre 
lui;  que  le  Miniftre  des  Indes  (r)  &  le  Commandeur  Lope  de  Conchilos  lui 
feroient  contraires,  parce  qu'ils  avoient  des  Départemens  d'Indiens,  qui 
étoient  les  plus  maltraités,  &  qu'il  n'avoit  de  fond  à  faire  que  fur  lui  & 
fur  la  juftice  de  fa  Caufe.  Enfuite ,  lui  ayant  expofé  toutes  les  cruau- 
tés qu'on  exerçoit  fur  ces  malheureux  Infulaires  ,  il  l'exhorta  ,  au  nom 
du  Ciel ,  à  prendre  la  défenfe  de  la  Religion ,  de  la  juftice  &  de  l'in- 
nocence. 

'    Matienco  rendit  compte  au  Roi  de  ce  qu'il  venoit  d'entendre,  & 
Il'eut^pas  de  peine  à  lui  faire  promettre  une  audience  particulière,  dans  la- 
quelle il  fe  donneroit  le  tems  de  recevoir  les  mêmes  informations.    Le  tems 
&  le  lieu  furent  nommés.     Las  Cafas ,  par  le  confeil  de  Matienco ,  ne  laifla 
pas  de  fe  préfenter  à  l'Evêque  de  Burgos  &  au  Commandeur  de  Conchilos , 
auxquels  il  falloit  s'attendre  que  toutes  {qs  explications  feroient  communi- 
quées.   Il  en  fut  mal  reçu ,  quoique  moins  durement  par  le  Commandeur. 
Mais  il  fe  flattoit  que  la  recommandation  de  l'Archevêque  de  Seville  pour- 
roit  balancer  le  crédit  de  fes  Adverfaires  ;  lorfqu'il  apprit  la  mort  de  Ferdi- 
nand.   Ce  Prince ,  dont  la  langueur  faifoit  connoître ,  depuis  quelques  an- 
nées, qu'il  avoit  été  redevable  à  la  Reine,  fa  Femme,  de  la  plus  grande 
partie  de  fa  gloire,  étoit  mort  à  Madrigalejos ,  le  23  de  Février  1516.   Un 
û  fâcheux  contretems  n'eut  pas  la  force  de  refroidir  Las  Cafas.    Il  réfolut 
auffi  -  tôt  de  faire  le  voyage  de  Flandres ,  pour  inftruire  le  Prince  Charles , 
avant  qu'on  eût  penfé  à  le  prévenir.    Cependant ,  d'autres  confidérations  ne 
lui  permettant  pas  de  faire  cette  démarche,  fans  l'agrément  du  Cardinal 
Ximenès ,  qui  venoit  d'être  déclaré  Régent  du  Royaume,  il  prit  le  parti  de 
l'aller  voir  à  Madrid.    Il  le  trouva  fort  bien  difpofé  en  fa  faveur;  mais  fon 
voyage  de  Flandres  n'en  fut  pas  approuvé. 

Le  Cardinal,  après  lui  avoir  accordé  plufieurs  audiences  particulières, 
fouhaita  de  l'entendre  dans  une  Aflemblée  de  quelques  Do6leurs  (j  ).  En- 
fuite  s'étant  fait  repréfenter  les  inftruftions  qui  avoient  été  drelTées  en 
1512,  à  l'occafion  des  plaintes  deMontefino,  il  fît  compofer  un  nouveau 
Règlement,  dans  lequel  il  recommanda  que  les  intérêts  des  Efpagnols  & 
des  Indiens  fuflent  également  ménagés.  Las  Cafas ,  &  ceux  qui  furent 
nommés  avec  lui  pour  cette  concihation ,  en  furmontèrent  les  difficultés. 
Il  n'en  reftoit  qu'une ,-  qui  étoit  de  trouver  des  Sujets  propres  à  l'exécution. 
Le  Cardinal  jugea  qu'il  n'en  falloit  attendre  que  de  l'Etat  régulier;  mais 
comme  les  Religieux  de  Saint  Dominique  &  ceux  de  Saint  François  n'a- 
voient  jamais  été  d'accord  fur  le  principal  point ,  il  fe  crut  obligé  d'exclure 
ces  deux  Ordres  ;  &  fes  réflexions  le  déterminèrent  pour  celui  de  Saint  Jé- 
rôme. Le  Général,  auquel  il  demanda  quelques  Perfonnes  de  mérite,  lui 
envoya  les  noms  de  douze,  entre  lefquels  il  l'aflura  que  fon  choix  ne  pou- 
voit  tomber  que  fur  des  Sujets  d'une  prudence  &  d'une  capacité  reconnues. 

Il 


Suite  des 
decouvertes, 

^51  S' 


Il  efl  mal 
reçu  des  Mi- 
niurcs. 


(r)  C'étoit  toujours  Fonfeca,  ancien  Ê- 
vfique  de  Badajos^  &  qui  l'iîtoit  alors  de  Bur- 
gos. On  lui  avoit  donné  Conchilos  pour  af- 
focié  dans  le  Miiiiftère  des  Indes. 

Bb 


Mort  du  Roi 
Ferdinand. 

1516- 


Xe  Cardinal 
Ximenès 
Régent  d'Ef- 
pagne,  fait  un 
nouveau  Rè- 
glement pour 
les  Indes. 


(s)  C'étoit  le  Doyen  de  Louvain ,  qui  de- 
vint enfuite  le  Pape  Adrien  II;  Zaputa;  TE- 
vcque  d'Aviia;  Carvajal  &  Pakcios  Rubios. 


SOITB   DES 
DECOUVERTES. 

I  S  I  6. 

II  confie 
l'adniiniftra- 
tion  de  rifle 
Efpagnolc  à 
des  Religieux 
Jeroniinites, 


ig6        P    R    E    M    I    E    R    S      V    O    Y    A    G    E    S    , 

Il  étoit  queftion  d'en  choifir  trais ,  que  le  Cardinal  Régent  vouloit  revêtir 
d'une  autorité  prefqu'abfolue.  Las  Cafas  fut  chargé  de  joindre  Tes  lumiè- 
res à  celles  du  Général.  Ils  s'accordèrent  en  faveur  de  trois  Religieux ,  é- 
galement  refpeftables  par  leur  favoir  &  leur  piété  (t).  Le  nouveau  Règle- 
ment portoit  que  les  Indiens  feroient  inftruits  dans  la  Foi ,  &  qu'on  ks  oc- 
cuperoit  utilement ,  mais  fans  rigueur ,  pour  les  mectre  en  état  de  payer  à 
la  Couronne  le  tribut  qu'on  leur  avoit  impofé.  On  ordonnoit,  dans  cette 
vue ,  qu'ils  feroient  féparés  des  Efpagnols  ;  qu'on  en  formeroit  plufieurs 
Villages ,  dans  chacun  defquels  on  placeroit  un  Miffionnaire ,  avec  toute 
l'autorité  néceflaire  pour  faire  refpedtcr  fon  mini(lère&  faperfonne;  qu'on 
alTigneroit,  à  chaque  Famille,  un  héritage  qu'elle  ci'.kiveroit  à  fon  pro^t; 
&  que  le  tribut  feroit  mefuré  llir  la  nature  du  terrain,  6c  fui  les  autres  a- 
vantages  de  la  fituation. 

Àussi-TÔT.le  Régent,  fans  aucun  égard  pour  les  repréfentations  & 
les  clameurs,  fit  dreffer  les  inflruftions  des  CommilTaires.  Un  Etablifle- 
ment  fifingulier,  qui  fut  d'ailleurs  comme  l'eflai  Politique  du  fameux  Xi- 
menès,  mérite  d'être  repréfenté  avec  plus  d'étendue  (v).  Il 


(  t  )  Le  Père  Louïs  de  Fuerva ,  Prieur  de 
la  Myorade  d'OIincdo,  déclaré  Ciicf  de  la 
Cominiflîon,  le  Père  Bernardin  de  Manzane- 
do,  &.\e  Prieur  du  Couvent  de  Seville,  au 
quel  onfubftitua  eafuite  celui  du  Couvent 
d'Ortcga. 

{v  )  Le  premier  article  portoit  qu'en  arri- 
vant à  rifle  Efpagnole,  ils  commenceroient 
par  licencier  les  Indiens  de  l'Evêque  de  Bur- 
gos,  ceux  du  Commandeur  de  Conchilos,  de 
Ferdinand  de  Vega ,  &  généralement  de  tous 
les  Miniftres  &  Seigneurs  de  la:  Cour,  qui  a- 
voient  obtenu  des  Départemens  du  feu  Roi. 
Par  le  fécond ,  il  leur  étoit  enjoint  d'aflem- 
bler  les  Efpagnols ,  pour  leur  déclarer  qu'ils 
étoicnt  envoyés  pour  examiner  leur  condui- 
te, dont  on  avoit  fait  de  grandes  plaintes, 
&  remédier  aux  abus.  Le  troifième  leur  or- 
donnoit  de  bien  faire  fentir  que  dans  cette  re- 
cherche ils  auroient  uniquement  en  vue  le 
bien  Public  &  celui  des  Particuliers.  Le  qua- 
trième portoit  qu'ils  appelleroient  enfuite  les 
principaux  Caciques,  &  leur  parleroient  en 
ces  termes  :  „  Le  Confeil  des  Rois  Citholi- 
„  ques ,  vous  regardant  comme  un  Peuple  li- 
„  bre,  Sujet  de  leur  Couronne  &  Ciirétien,  ■ 
M  nous  a  envoyés  ici  pour  entendre  vos  griefs. 
„  Ne  craignez  point  de  déclarer  -les  torts 
„  qu'on  vous  a  faits,  afin  qu'on  y  remédie, 
„  &  qu'on  en  punilfe  les  auteurs.  Nous 
,,  fouhaitons  auflî  d'apprendre  de  vous-mô- 
„  mes  ce  qu'on  peut  faire  pour  vôtre  foula- 
„  gement;  car  perfuadez- vous  bien  que  Leurs 
„  Majeftés  ont  à  cœur  vos  intérêts,  autant 
„  que  vous-mêmes ,  &  n'épargneront  rien 
„  pour  vous  en  donner  des  preuves  '*.  Les 
Commiflaires  dévoient  faire  vifiter ,  par  des 
Rcli|;ieux,  toutes  les  Habitations  de  l'ifle, 


pour  s'aflUrer  de  quelle  manière  on  avoit 
traité  jufqu'alors  les  Indiens  ;  s'informer  exac- 
tement di  l'état  des  Mines;  voir  s'il  étoit  à 
propos  de  réunir  les  Naturels  du  Pays  &  d'en 
former  des  Bourgades  ;  &  fuppofé  qu'on  prît 
ce  parti ,  compofer  ces  Bourgades  de  300  In- 
diens, qui  auroient  une  Eglife,  im  Hôpital, 
un  Cacique,*  prendre  foin  que  les  Habitans 
des  Bourgades  éloignées  des  Mines  s'appli- 
qualfent  aux  travaux  de  la  terre,  foitpour  en 
tirer  des  vivres,  foit  pour  cultiver  le  Co- 
ton, le  Gingembre,  la  CalTe,  l'indigo,  les 
Cannes  de  fucre ,  &  d'autres  Plantes  qui  fai- 
foient  déjà  le  fond  d'un  très  grand  Commer- 
ce; régler  que  les  Caciques  ,  commandans 
des  Bourgades,  auroient  quatre  fois  plus  de 
terrain  que  les  autres .  &  que  chacun  de  leurs 
Sujets  feroit  tenu  de  leur  donner,  tous  les  ans 
quinze  journées  de  fon  travail  ;  nommer  des 
Vifiteurs  Royaux ,  dont  chacun  auroit  in- 
fpeftion  fur  un  certain  nombre  de  Bourgades  ; 
établir  qu'on  n'entrcprendroit  rien  de  confi- 
dérable  dans  une  Bourgade ,  fans  le  confen- 
tement  du  Miflîonnaire,  du  Cacique  &  du 
Vifiteur;  déclarer  que  ce  Vifiteur  feroit  tou- 
jours un  Caftillan ,  nommé  par  le  Roi ,  & 
que  fon  principal  foin  feroit  d'empêcher  qu'on 
ne  fît  aucun  tort  aux  Indiens  de  fon  Diflrift  ; 
avertir  les  Caciques  qu'avec  l'agrément  du 
Vifiteur  &  du  Millionnaire  ,  ils  pourroient 
condamner  au  fouet,  mais  que  pour  les  cri- 
mes ,  qui  méritcroient  d'autres  peines  ,  la 
connoiffiince  en  feroit  refervée  aux  Tribu» 
naux  établis  par  le  Roi;  empêcher  que  les 
Indiens  n'euflent  aucune  forte  d'armes;  ne 
pas  foufFrir  qu'ils  fuflent  nuds;  ne  leur  pas 
permettre  d'avoir  plus  d'une  Femme,  ni  de 
changer  celle  qu'ils  auroient  une  fois  prife; 
V»  àéf. 


m: 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I. 


iP7 


Il  nô  paroit  pas  que  pour  cette  nouvelle  forme  d'adminiftration ,  l'Ami-     Suitb  des 
rai  eût  été  confulté;  foit  que  les  mauvais  offices  de  fes  Ennemis  euflent  °*^c°"v^J^"S. 
prévalu  à  la  Cour;  foit  qu'on  voulût  lui  épargner  la  mortification  de  contri-      '_^  .  * 
buer  à  des  arrangemcns  qui  refferroient  plus  qu^  jamais  fon  pouvoir.    Sous  n^e^i^^'^on- 
prétexte  même  que  l'autorité  defarmée  s'attire  peu  de  refpeél,  &  que  la  funé. 
conduite  des  armes,  l'adminiftration  immédiate  des  Finances  &  l'exercice 
de  la  Tuftice  criminelle  ne  convenoient  pas  à  la  profelfion  des  Commiflaires , 
Dom  Diegue  eut  le  chagrin  de  leur  voir  donner  un  Adjoint  féculier,  fous      fijjonsdu 
le  titre  d'Adminiftrateur ,  avec  une  autorité  qui  ne  fut  bornée  que  par  celle  Récent  pour 
de  la  Commiirion  ,  parce  qu'il  devoit  exercer  feul  l'Office  des  Auditeurs  les  Inde»-. 
Royaux ,  qui  furent  interdits  pour  avoir  abufé  de  leur  pouvoir.     Ce  fut  Al- 
fonfe  de  Zuazo,  auquel  l'Hiftorien  ne  donne  pas  d'autre  qualité  que  celle 
de  Licencié.    Mais  lorfque  le  Cardinal  eut  fait  dreiTer  les  provifions,  Za- 
pata,  irrité  apparemment  du  rappel  d'Albuquerque,  refufa  de  les  figner,  en 
alléguant  qu'il  lui  paroiflbit  dangereux  d'accorder  une  fi  grande  autorité, 
dans  les  Indes ,  à  un  Particulier  fans  caraftère.     Le  Doéleur  Carvajal  s'étant 
déclaré  pour  le  même  fentiment ,  Zuazo ,  que  fes  inclinations  portoient  à 
une  vie  tranquille,  voulut  retourner  dans  fon  Univerfité:  mais  le  Cardinal 
fit  appeller  Carvajal  &  Zapata,  leur  reprocha  d'avoir  ôfé  blâmer  fa  condui- 
te ,  &  '.es  força  de  figner  ;  ce  qu'ils  ne  firent  néanmoins  qu'avec  des  pré- 
cautions qu'ils  crurent  capables  de  les  juftifier  auprès  du  Roi  (x).    Las  Ca-    ^^^^  ^^ utre 
fas,  que  fes  grandes  qualités  firent  juger  néceflaire  aux  Indes,  fut  ho-  Se^protefteur 
noré  du  titre  de  Protefteur  des  Indiens,  avec  cent  pefos  d'appointemens ,  des  Indiens. 


discerner  la  peine  du  fouet  contre  les  Adul- 
tères ;  aflîgner  les  appointemens  des  Vifî- 
teurs,  partie  fur  le  Domaine,  &  partie  fur 
les  Villages  de  leur  dépendance,  &  ceux  du 
Miflîonnaire  fur  les  Décimes,  les  Méfies.  & 
.les  Offrandes;  mais  lui  défendre  de  rien  re- 
cevoir pour  aucune  forte  de  fonftion  Eccle- 
fiaftique,  &  les  obliger  tous  d  avoir  un  Ca- 
tcchifte  ,  qui  apprit  à  lire  aux  Enfans ,  & 
qui  leur  enfcignât  la  Langue  Caftillane. 

Le  dernier  article  rcgardoit  l'or.  Les  Iti- 
diens  n'étant  plus  fous  la  puiflance  des  Parti- 
culiers, il  s'enfuivoit  qu'ils  pourroient  tra- 
vailler au  moins  pour  leur  compte.  Maison 
recommandoit  aux  Commiflaires;  i^.  d'en- 
gager ces  Infulaircs  au  travail;  a**,  d'ordon- 
ner que  l'heure  de  le  commencer  &  de  le  fi 


du  produit  on  ftt  trois  parts  égale»,  la  pre- 
mière pour  le  Roi .  &  les  deux  autres  pour 
être  dirtribuées  entre  le  Cacique ,  le  Mineur 
&  la  Bourgade,  en  prélevant  néanmoins  les 
fraix  de  la  fonte ,  les  outils  &  toutes  les  dé- 
pcn fes  communes;  7".  que  dans  toute  l'Ifleil 
y  eût  douze  Mineurs  Caftillans ,  dont  l'em- 
ploi feroit  de  découvrir  les  Mines  &  de  les 
montrer  aux  Indiens,  &  dont  les  appointe- 
mens étoient  afllirés  moitié  fur  le  Tréfor ,  & 
moitié  fur  les  Indiens;  8^.  que  les  Efpagnols, 
qui  auroient  des  Elclaves  Caraïbes,  pour- 
roient les  employer  aux  Mines ,  mais  à  conr- 
dition  de  payer  au  Roi  le  dixième,  s  ils  étoient 
mariés,  &  le  feptième , s'ils  ne  Létoient  pas  ; 
&  que  le  Roi  fourniroit  des  Caravelles  pour 
enlever  de  ces  fortes  d'Efclaves ,  mais  avec 


rir  fût  fixée;  3°.  que  pcrfonne  n'y  fut  employé     défenfe,  fous  peine  de  la  vie,  de  courir  fur 


avant  l'âge  de  vingt  ans,  ni  après  cinquante; 
4.«>.  qu'il  n'y  eût  jamais  à  la  fois  plus  d'un  tiers 
du  '(^'illage  dans  les  Mines ,  &  que  le  même 
tiers  n'y  pafliTit  que  deux  mois  de  fuite;  5". 
que  les  Femmes  n'y  fuflent  point  employées, 
à  moins  qu'elles  ne  s'y  offrifient  délies -mô- 
mes ,  avec  l'agrément  de  leurs  Maris  ;  6^. 
que  les  Mineurs  gardalfent  jufqu'au  tems  de 
la  fonte  ce  qu'ils  auroient  tiré  des  Minéraux , 
pour' le  porter  al(^rs  au  rendez -vous,  fous  la 
conduite  du  Vifiteur  &  du  Cacique ,  &  que 

Bb 


d'autres  que  des  Cannibales.    Il  y  avoit  un 
grand  nombre  d'autres  articles .  mais  moins 
importans.    Herrera ,  féconde  Décade ,  Liv,  • 
2.  Chap.  4,  5  &  (S.    Hili.  de  Saint  •  Domin- 
gut,  Liv.  5.  pages  144  &  fuiv. 

(  X  )  Signant  contre  leur  gré .  dit  Herrera , 
ils  y  mirent  un  certain  trait  de  plume ,  afin 
qu'à  l'arrivée  du  Roi  ils  puifent  dire  qu'ils-y 
avoient  été  contraints  par  le  Cardinal,  ibid, 
Chap.  6. 


Suite  des 

DECOUVeRTES. 


Départ  des 
CommiiTaires 
Jcroniinites. 


Commen- 
cemens  de 
leur  Admi- 
uldration. 


JPS.       PREMIERS      VOYAGES 

&  l'ordre  d'accompagner  les  Commiflaires ,  pour  les  aider  de  fon  crédit  au- 
près des  Naturels  du  Pays,  &  les  inflruire  de  tout  ce  qu'ils  ne  dévoient  pas 
ignorer.  Dans  le  même  tems,  on  vit  arriver  en  Efpagne  quatorze  Reli- 
gieux de  l'Ordre  de  Saint  François ,  tous  envoyés  de  difFérens  Couvents  de 
Picardie,  qui  vinrent  offrir  d'aller  facrifier  leur  vie  pour  la  converfion  des 
Indiens.  On  comptoit,  entr'eux,  un  Frère  du  Roi  d'Ecofle,  aufli  refpec- 
table  par  fa  fainteté  que  par  fa  naiflance  (}»);&  leur  Chef,  nommé  le  Pè- 
re Rémi,  avoit  déjà  prêché  l'Evangile  dans  les  Indes.  Le  Cardinal ,  qui 
étoit  du  même  Ordre,  donna  des  louanges  à  leur  zèle  &  leur  procura  tou- 
tes fortes  de  commodités  pour  le  paflage. 

On  avoit  armé  àSeville,  un  Navire ,  qui  fe  trouva  trop  petit  pour  le 
nombre  de  ceux  qui  dévoient  s'y  embarquer,  &  qui  fut  abandonné  aux 
Commiffaires ,  tandis  que  Las  Cafas  &  Zuazo  montèrent  fur  le  premier  qui 
fut  en  état  de  mettre  à  la  voile.  Ces  deux  Bâtimeiïs  n'ayant  pas  laiffé  d'ar- 
river enfemble  à  Portoric,  Las  Cafas  auroit  fouhaité  de  faire  le  refte  du 
Voyage  fur  celui  des  Commiffaires  ;  mais  ces  Pères ,  qui  n'ignoroient  pas 
fes  démêlés  avec  les  principaux  Officiers  de  l'Efpagnole,  &  qui  craignirent 
qu'une  liaifon  trop  étroite  avec  lui  n'eût  quelque  apparence  de  partialité, 
le  prièrent  d'entrer  dans  leurs  vues.  Ils  mouillèrent  à  San-Domingo  le  2  de 
Décembre  ,*  &  le  Vaiffeau ,  qui  portoit  Las  Cafas  &  Zuazo ,  n'y  arriva  que 
treize  jours  après  (  2  ).  D'autres  événemens  fe  préfentent  ici ,  dans  l'ordre 
des  années  ;  mais  il  efl:  important  de  fuivre  un  récit ,  qui  conduit  à  des  ré- 
volutions fort  intéreffantes ,  &  de  faire  une  courte  peinture  du  Gouverne- 
ment des  Jeronimites. 

A  leur  arrivée,  les  Officiers  de  l'Ifle  ayant  demandé  à  voir  leurs  Provi- 
fions,  ils  ne  firent  pas  difficulté  de  les  montrer;  &  tout  le  monde  en  écou- 
ta la  lefture  avec  foumiifion.  Ils  s'étoient  logés  d'abord  au  Couvent  des 
Francifcains ;  mais  après  avoir  fait  reconnoître  leur  autorité,  ils  prirent 
pofTelTion  du  Palais  de  l'Audience  Royale.  Bientôt  il  s'éleva  quelques  mur- 
mures ,  fur  le  bruit  qui  s'étoit  répandu  qu'ils  dévoient  abolir  les  Départe- 
mens.  Cependant  ils  les  appaiférent  auffi-tôt  par  un  coup  de  vigueur,  qui 
releva  les  efpérances  de  ceux  qui  avoient  des  Indiens  en  leur  pouvoir.  Un 
des  principaux  Officiers ,  qu'on  leur  fit  connoître  pour  l'auteur  du  bruit  dont 
on  avoit  paru  s'offenfer,  reçut  d'eux  une  correélion  févere,  &  fut  même 
interdit  peu  dé  jours  après,  avec  une  amende  de  dix  pefos  d'or,  pour  avoir 
maltraité  un  Particulier  qu'il  foupçonnoit  de  lui  avoir  attiré  cet  affront.  En- 
fuite  ils  firent  publier  qu'il  n'y  avoit  rien  de  décidé  touchant  les  Indiens; 
qu'ils  alloient  donner  tous  leurs  foins  à  s'inllruire  du  fond  des  chofes,  & 
qu'ils  ne  règleroient  rien  qu'après  une  mûre  délibération.  Dans  l'intervalle 
néanmoins,  ils  déclarèrent  libres  tous  les  Indiens  dont  les  Maîtres  étoient 
abfens;  mais  les  ordres  qu'ils  avoient  apportés  làdeffus  étoient  fi  précis, 
qu'ils  ne  fouffroient  point  d'explication.  L'Adminiflrateur  arriva,  &  fe 
conduifit  aufîi  avec  autant  de  prudence  que  de  fermeté.  Après  avoir  réglé 
la  Juflice  civile,  il  établit  une  fage  Police,  il  fit  conflruire  plufieurs  Edifi- 
ces publics ,  &  fon  Adminifliration  ne  fit  naître  aucune  plainte.    Les  Jero- 

'  ni- 


(y)  Ibidem. 


(z)  Ibidem.  Chap.  lï, 


EN      AMERIQUE,  Liv.  I. 


1P9 


nimites  continuant, de  leur  côté,  avec  le  même  efprit  de  douceur,  on  étoit 
déjà  revenu  de  la  frayeur  qu'avoit  caufée  la  nouvelle  de  leur  Commillloii. 
Ils  avoient  même  dillribué,  dans  la  Ville  &  dans  les  Habitations  EPpagno- 
les,  les  Indiens  qu'ils  avoient  ôtés  aux  abfens;  &  lorfqu'on  leur  vit  d'ail- 
leurs apporter  tous  leurs  foins  à  corriger  les  abus  qui  s'étoient  glifles  dans 
les  Départemens,  tout  le  monde  demeura  perfuadé  qu'ils  n'avoient  pas  dtf- 
fein  d'y  porter  la  moindre  atteinte. 

C  ÉTOIT  effeélivement  leur  intention;  mais  rien  n'étoit  fi  contraire  aux 
vues  de  Las  Cafas,  qui  jugeoit  indifpenfablement  néceflaire  d'attaquer  le 
mal  dans  (à  fource.  Ce  qui  portoit  les  autres  à  le  laiffer  fubfifler ,  c'étoit 
la  crainte  que  les  Indiens,  rendus  à  eux-mêmes,  ne  vouluITent  plus  rece- 
voir les  lumières  de  la  Fol.  On  afluroit  même  que  leur  ftupidité  naturelle 
les  rendoit  incapables  d'y  rien  comprendre;  d'où  l'on  concluoit  que  le  feu! 
moyen  de  les  faire  vivre  en  Hommes  étoit  de  les  lailfer  fous  le  joug.  Les 
Jeronimites  fe  contentèrent  donc  de  leur  procurer  tous  les  adoucllfemens 
qu'ils  pouvoient  recevoir  dans  un  véritable  Efclavage.  Ils  mirent  en  vi- 
gueur toutes  les  anciennes  Ordonnances;  ils  en  firent  de  nouvelles,  avec 
les  plus  fages  mefures  pour  en  aflurer  l'exécution.  Mais  ce  frein  ne  fuffi- 
foit  pas  pour  arrêter  la  cupidité,  &  Las  Cafas  s'emportoit  avec  raifon  con- 
tre les  Départemens. 

Ses  repréfentations  furent  d*abord  aflez  modérées:  mais  lorfqu'il  les  vit 
fans  effet ,  il  paffa  aux  inveftives  &  aux  menaces.  Il  fit  valoir  fa  qualité 
de  Prote6leur  des  Indiens ,  qu'il  voyoit ,  difoit-il ,  dans  une  cruelle  bppref- 
fion,  malgré  les  ordres  formels  de  la  Cour.  Cette  conduite,  que  la  dou- 
ceur confiante  des  Jeronimites  fit  regarder  comme  un  emportement,  lui  at- 
tira tant  de  haine,  que  pour  mettre  fa  vie  en  fureté,  il  fut  obligé  de  fe 
•xenfermer  dans  le  Couvent  des  Dominiquains.  Il  écrivit  en  Cour  contre  les 
Commiflaires ,  qui  ne  manquèrent  pas  d'écrire  auffî ,  &  qui  étant  écoutés 
avec  plus  de  faveur ,  reçurent  l'ordre  de  le  renvoyer  en  Efpagne.  Mais  il 
l'avoit  prévenu  ;  &  n'ayant  pu  contenir  fon  indignation  lorfqu'il  les  avoit 
vus  déclarer  enfin  qu'on  ne  toucheroit  pas  aux  Départemens,  il  s'étoit  em- 
barqué fur  le  premier  Vaiffeau  qui  avoit  fait  voile  en  Europe. 

En  arrivant,  il  s'étoit  rendu  à  Aranjuez,  pour  y  porter  fes  plaintes  au 
Cardinal  Ximenès.  Il  ne  put  voir  ce  Miniflre  ,  qui  étoit  dangereufement 
malade.  Le  Roi  Charles  devant  arriver  bientôt  à  Valladolid ,  fa  reflburce 
fut  de  l'aller  attendre  dans  cette  Ville.  Il  y  fut  fuivi  de  près  par  le  Père  de 
Manzanedo,  un  des  trois  CommiflTaires  de  l'Efpagnole,  envoyé  par  fes  deux 
Collègues,  pour  répondre  aux  accufations  du  Proteéleur  des  Indiens.  Ce 
Religieux  fut  d'abord  mieux  reçu  que  fon  Adverfaire,  de 'tous  ceux  qui 
compofoient  le  Confeil  :  mais  il  avoit  en  tête  un  Homme ,  donc  la  confian- 
ce n'étoit  pas  capable  de  fe  rebuter.  On  apprit  bientôt  que  le  nouveau 
Monarque  de  l'Efpagne  étoit  arrivé  à  Villa- Viciofa,  &  que  de-là  il  avoit 
pris  la  route  de  Tordefillas,  pourfendre  vifite  à  la  Reine  fa  Mère.  On  fut 
informé  en  méme-tems  que  le  Cardinal  Ximenès  étoit  mort  ;  que  les  Grands 
avoient  repréfenté  au  Roi  le  tort  que  ce  Miniflre  leur  avoit  fait  en  voulant 
leur  ôter  les  Départemens  ;  que  les  Seigneurs  Flamands ,  qui  étoicnt  tout- 
puifTans  à  la  Cour,  avoient  demandé  d'entrer  en  part  des  avantages  du  Nou- 
veau 


Sl'ITD  DM 
DECOLVBRTES. 

1516. 


Le  zèle  de 
Las  Calas  fe 
rallume. 


Sa  conduite» 


Il  repaflé 
en  Efpagne. 


Dans  quelle 
difpofition  il 
trouve  la 
Cour. 


2O0 


PREMIERS      VOYAGES 


SUITS  DES 
DICOUVERTBI. 

1516. 


Moyen  qu'il 
propofe  pour 
foulagcr  les 
Indiens. 


On  fe  dé- 
goûte des 
CommifTaircs 
Jeronimites. 


Las  Cafas 
cfl;  appuyé 
par  les  Sei- 
gneurs Fla- 
mands. 


veau  Monde,  &  que  ce  jeune  Prince,  fans  en  prévoir  les  conféquences, 
n'avoit  pas  fait  difficulté  d'accorder  tout  ce  qu'on  lui  avoit  demandé.  Ces 
nouvelles  allarmérent  vivement  Las  Cafas,  qui,  malgré  fes  liaifons  avec 
M.  de  Chievres,  avoit  fait  inutilement  de  fortes  repréfentations  fur  cette 
libéralité  du  Roi.  Enfin ,  il  propofa  un  moyen ,  qu'il  crut  infaillible  ,  pour 
aflurer  quelque  foulagement  à  fes  chers  Indiens.  Ce  fut  d'envoyer  des  Nè- 
gres &  des  Laboureurs ,  dans  tous  les  lieux  où  les  Efpagnols  avoient  com- 
mencé à  s'établir.  Ce  projet,  qu'il  fit  goûter  d'abord  à  M.  de  Chievres,  au 
Cardinal  Adrien,  &  à  d'autres  Seigneurs  Flamands,  pafla  au  Confeil  des  In- 
des (a);  &  le  Roi  figna  une  Ordonnance,  pour  faire  tranjporter  quatre 
mille  Nègres  aux  grandes  Antilles.  Un  Seigneur  Flamand,  Grand -Maître 
de  la  Maifon  de  ce  Prince,  en  obtint  le  Privilège:  mais  il  le  vendit  aux 
Génois  (^),  qui  mirent  leurs  Nègres  à  fort  haut  prix;  &  cet  incident  fit 
évanouir  tous  les  avantages  qu'on  s'en  étoit  promis. 

Manzanedo  n'étoit  pas  moins  afilif  queLas  Cifas;  mais  il  ne  trouva 
point  le  même  zèle  dans  fes  Amis;  &  quoiqu'il  eût  obtenu  des  audiences 
favorables,  il  comprit  que  le  règne  des  Commiflaires  étoit  pafTé  (c).  La 
Commiflion  des  Jeronimites  n'avoit  pas  dû  plaire  à  l'Evêque  de  B'urgos  ;  & 
ce  Prélat,  qui  le  retrouvoit,  par  la  mort  du  Cardinal  Ximenès,  à  la  tête 
des  affaires  des  Indes ,  n'attendit  pas  long-tems  pour  la  faire  révoquer.  Un 
démêlé  fort  vif,  entre  les  Commiflaires  &  les  Ofhciers  Royaux  de  i'Efpagno- 
le,  pour  l'éleftion  d'un  Député  qui  devoit  venir  féliciter  le  Roi  fur  fon  a- 
venement  au  Trône,  ne  contribua  pas  peu  à  cette  révocation.  Zuazo, 
qui  avoit  pris  parti  pour  les  CommilTaires  ,  fe  vit  entrainé  dans  leu.  difgra- 
ce ,  &  Rodrigue  de  Figueroa  fut  nommé  pour  lui  fucccder.  Las  Cafas  ne 
lailTa  point  échapper  une  fi  belle  occafion  de  faire  la  guerre  aux  Départe- 
mens.  Il  fit  même  entrer  les  Seigneurs  Flamands  dans  fa  caufe  ;  &  leurs 
raifons  firent  d'autant  plus  d'impreffîon  fur  le  Roi ,  qu'ils  parloient  contre 
eux-mêmes.  Mais  les  Efpagnols  ayant  embrafle  l'opinion  contraire  ,  le 
Roi ,  qui  ne  fe  crut  pas  encore  en  état  de  porter  une  dècifion  abfolue  fur 
un  point  fi  cojîtefté,  prit  le  parti  de  donner  un  plein-pouvoir  à  Figueroa, 
pour  agir  d'une  manière  convenable  aux  circonflances ,  avec  l'avis  des  plus 
fages  &  des  plus  fidèles  Officiers  que  l'Efpagne  eût  alors  aux  Indes.  Las 
Cafas  s'étoit  plaint,  dans  une  audience  particulière,  que  fous  prétexte  d'en- 
lever des  Caraïbes,  pour  en  faire  des  Efclaves ,  on  enlevoit  indifféremment 
toute  forte  d'Indiens.  11  avoit  repréfenté,  fur-tout,  le  malheur  des  Infu- 
laires  de  la  Trinité  ,  gens  doux  &  fociables  ,  qui  couroient  rifque  de  fe 
voir  détruits  jufqu'au  dernier  (^/),  fi  l'on  n'apportoit  quelque  remède  à  ce 

bri- 


Cfl).  Il  étoit  alors  compofé  de  l'Evêque  de 
Burgos ,  de  Fernand  de  Vega ,  Grand  Com- 
mandeur de  Caftille ,  de  Dom  Garric  de  Pa- 
dilla,  de  Zapata  ,  de  "Dom  Pierre  Martyr 
d'Anglerie,  &  Dom  Francifco  de  les  Cabos; 
fans  parler  de  M.  deCIiievres,  qui  entroit 
dans  toutes  les  afFaircs,  &  du  Doyen  de  Be- 
fançon  ,  qui  depuis  la  mort  de  Sauvage, 
Grand  Cliancelier ,  faifoit  toutes  les  fonc- 


tions de  cette  Charge  &  entroit  dans  tous  les 
Confeils. 

(b)  Pour  la  fomme  de  vingt -trois  mille 
Ducats. 

(  c  )  11  prend  le  parti  de  retourner  dans  fon 
Couvent. 

{d)  L'année  précédente,  Jean  Bonv,  Vi- 
lote  de  Bifcaye ,  ayant  abordé  dans  cette  If- 
le,  y  fut  reçu  plus  civilement  qi'il  ne  devoit 

l'ef- 


•  ' 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I.   " 


eor 


brigandage.    Ses  plaintes  furent  écoutées  favorablement  ;  &  le  nouvel  Ad- 
miniftrateur  eut  ordre  de  rendre  la  liberté  à  tant  de  Malheureux. 

Mais  il  en  trouva  le  nombre  fort  diminué ,  dans  l'Ifle  Efpagnole ,  par 
une  maladie  qui  ne  s'y  étoit  pas  encore  fait  fentir  depuis  les  découvertes, 
&  qui,  s'étant  communiquée  dans  les  Ifles  voifines,  y  fit  périr  une  fi  gran- 
de quantité  d'Indiens ,  qu'à  peine  auroit-on  pu  croire  qu'elles  euflent  jamais 
été  peuplées.  Il  y  a  beaucoup  d'apparence  que  ce  triite  préfent  leur  étoit 
venu  de  l'Europe,  quoiqu'Herrera  paroifle  perfuadé  qu'il  étoit  naturel,  aux 
Habitans  de  toutes  les  Parties  des  Indes  (e).  S'il  n'eût  pas  été  nouveau 
pour  les  Infulaircs  de  rEfpagnole,  l'expérience  leur  auroit  appris  quelque 
remède;  mais  lorfqu'ils  fe  fentirent  attaqués,  ils  ne  penfèrent  qu'à  fe  jet- 
ter  dans  les  Rivières ,  pour  chercher  du  foulagement  au  feu  qui  les  dévo- 
roit  ;  &  le  même  Hiftorien  reconnoît  que  la  mortalité  n'eut  pas  d'autre  cau- 
fe.  Ce  fléau,  qui  n'étoit  tombé  que  fur  les  Indiens,  fut  fuivi  d'un  autre, 
dont  les  effets  furent  communs  aux  deux  Nations.  On  vit  paroître,  dans 
rifle  Efpagnole  &  dans  celle  de  Portoric ,  une  fi  prodigieufe  quantité  de 
Fourmis,  que  la  furface  do  la  terre  en  fut  couverte.  Celles  de  Portoric 
étoient  armées  d'aiguillons,  dont  les  piquûres  caufoient  une  douleur  plus  vi- 
ve que  celles  des  Guêpes.  Elles  pénétroient  dans  toutes  fortes  de  lieux  ; 
&  l'on  étoit  contraint,  pour  prendre  un  peu  de  repos,  de  place^  les  lits 
fur  de  grands  badins  d'eau.  Dans  l'Efpagnole ,  elles  s'attachèrent  aux  ar- 
bres qu'elles  attaquèrent  d'abord  par  la  racine,  &  qu'elles  rendoient  auflî 
fec$  (X  auiii  noirs  que  s'ils  euffent  été  brûlés  par  le  feu  du  Ciel  (/).  En  vain 
i.- V''-} - , ^:r,  7     V:v;     "■  ■/     ■  ^^■■. ->.v-'"       ;  -  '  ^   '    ■ -.     les 


Suite  pc» 
decouverts!, 

15  l6. 

Maladie  fin- 
gui  ière  qui  a- 
chève  de  dé- 
peupler l'Ef- 
pngnolc. 


Ravage  ex- 
traordinaire 
caufé  par  les 
Fourmis. 


l'efpercr ,  après  toutes  les  perfidies  que  ces 
pauvres  Indiens  avoicnt  enuiées  de  la  Na- 
tion. Il  les  aflUra  qu'il  étoit  venu  pour  vi- 
vre avec  eux.  Ses  carefles  &  fes  préfens 
les  engagèrent  à  lui  bâtir  une  Maifon ,  de  la 
grandeur  qu'il  parut  defirer.  Elle  pouvoit 
contenir  environ  cent  perfonnes.  Lorfqu'el- 
le  fut  achevée,  il  invita  les  Indiens  du  Can- 
ton à  venir  voir  quelque  chofe  de  merveil- 
leux ,  qu'il  promit  de  leur  montrer.  Ce  Peu- 
ple crédule  entra  fans  défiance  dans  la  Mai- 
fon ;  &  fa  foule  y  devint  lî  grande ,  qu'on  ne 
pouvoit  s'y  remuer.  C'étoit  l'occafion  fur  la- 
quelle Bono  a  voit  compté.  Soixante  Hom- 
mes bien  armés ,  qui  compofoient  fon  Equi- 
page ,  s'aflemblèrcnt  à  la  porte  ,  préfentè- 
rent  l'épée  nue  &  le  bout  de  leurs  arquebu- 
fes  aux  Indiens,  &  les  menacèrent  non-feu- 
lement de  les  égorger,  à  mefure  qu'ils  ten- 
teroient  de  forlir ,  mais  de  les  brûler  vifs  s'ils 
entrcprenoient  de  faire  la  moindre  réliflance. 
Ces  Malheureux ,  au  nombre  de  180 ,  fc  laif- 
fèrent  prendre  l'un  après  l'autre,  furent  liés 
de  môme,  conduits  au  Navire ,  jettes  au  fond 
de  calle  ,  &  tranfportés  pour  l'cfclavage  à 
Portoric,  où  ils  ne  faifoient  qu'arriver  lorf- 
que  L?.s  Cafas  y  avoit  palTé  avec  les  Jeroni- 
mitcs.  Herrera,  ibidem,  Chap.  12. 
Xrill  Part,  C 


*> 


(e)  „Ceux,  dît  Herrera,  qui  ont  recher- 
ché les  antiquités  du  Pays ,  aiTurent  que  ce 
,,  mal  ne  venoit  pas  de  Caflille,  &  qu'il  é- 
„  toit  naturel  aux  Indiens;  qu'ils  en  étoient 
„  atteints  de  tems  en  tems ,  &  qu'il  en  arri- 
„  voit  de  même  dans  toutes  les  autres  Ifles 
„  &  Terre -ferme  des  Indes  Occidentales; 
„  que  s'il  avoit  été  porté  de  Caftille,  il  n'eût 
„  attaqué-  que  les  Cailillans ,  au  lieu  qu'a- 
„  lors  &  depuis,  on  n'a  pas  fçû  qu'ils  en 
„  ayent  été  frappés  ; .  enfin ,  qu'il  y  a  d'ail- 
„  leurs ,  dans  les  Indes ,  des  maladies  qui 
„  attaquent  les  Cailillans  &  non  les  Indiens  ; 
„  &  d'autres  ,  qui  attaquent  les  Cailillans 
„  nés  dans  les  Indes ,  &  non  ceux  qui  y  paf- 
,.  fent  de  Caflille,  ni  les  Indiens  mêmes  ", 
Lîv.  3.  Cbap.  14. 

(/)  Sur -tout  les  Orangers,  qui  étoient 
très  beaux  &  en  nombre  infini,  L's  Grena- 
diers &  les  Caiïïers  ,  dont  le  nombre  étoit 
fi  grand  qu'il  auroit  pu,  fuffire  pour  en  fournir 
toute  l'Europe  t?  l'-^fie.  Ibidem.  L'Hillo- 
rien  de  Saint-Domingue  fait  dire  à  Herrera  » 
des  Cannes  de  fucre  ,  ce  qu'il  dit  des  Caf- 
fiers.  Il  ne  s'cft  pab  fouvenu  d'avoir  obfervé, 
dans  un  autre  endroit,  que  la  luôme  année, 
les  Cailillans  n'avoicnt  encore  des  Cannes  de 
fucrc  que  dans  km's  Jardins. 

C  V 


2Ô2 


PREMIERS      VOYAGES 


S 


pfcouvERT*    ^^*  noyoit-on  clans  l'eau.    Un  infiant  après ,  il  en  reparoiflbit  le  même  nom» 
j        fi"   ^^^'    ^"  employa  le  feu,  qui  n'eut  pas  plus  de  fuccés;  &  fouvent,  après 
^  avoir  bruIé  des  monceaux  de  leurs  œufs ,  qu'on  trouvoit  dans  la  terre  juf- 

;  qu'à  la  hauteur  de  quatre  palmes,  on  voyoit  fortir  le  lendemain,  des  mê- 

-  V'  mes  endroits,  de  nouvelles  légions  de  ces  Infeftes.     Après  avoir  épuifé 

,  ;  '  •  toutes  les  reflburces  humaines,  on  s'adrefla  au  Ciel,  par  des  cérémonies  <& 
des  vœux  fort  bizarres  (g),  auxquels  on  attribua  la  fin  du  mal.  Toutes 
les  Plantes,  qui  avoient  été  attaquées,  périrent  entièrement  ;  mais  celles 
u'on  leur  fit  fucceder  en  vinrent  plus  vice,  &  produifirent  prefqu'aufli-tôt 
es  fruits  (b).  A  peine  l'IOe  étoit-elle  délivrée  de  cette  plaie,  qu'elle  eût 
beau'^oup  à  fouifrir  de  la  voracité  d'un  grand  nombre  de  Chiens,  échappés 
des  Habitations.  Ils  s'attachèrent  particulièrement  aux  Porcs  fauvages, 
ui  avoient  multiplié  d'une  manière  furprenante  depuis  l'EtablifTement  des 
fpagnols,  &  qui  fe  nourriflant  d'excellens  fruits,  ou  de  racines  fort  déli- 
cates ,  avoient  la  chair  exquife.  Les  Veaux  ne  furent  pas  plus  épargnés  » 
à  mefure  qu'ils  naifibient  dans  les  Pâturages.  Enfin  le  dommage  fut  extrê- 
me ,  &  l'on  n*eut  pas  peu  de  peine  à  l'arrêter  (  i  ). 

Ce  fut  dans  ces  circonflances ,  que  Figueroa  mouilla  au  Port  de  San-Do- 
mingo.  Son  PrédécefTeur,  dégoûté  de  la  fortune  &  de  l'ambition  par  les 
mauvais  offices  qu'on  lui  avoit  rendus  à  la  Cour,  avoit  déjà  pris  le  parti  d'à- 
Les  Jeroni-  bandonner  fon  Emploi ,  pour  mener  une  vie  privée  ;  &  les  Jeronimites ,  à 
mites  font  qui  le  Roi  faifoit  dire,  par  le  nouvel  Adminiftrateur,  qu'il  étoit  content  de 
rappelles.  jgyj.g  fervices ,  mais  qu'ils  pouvoient  revenir  en  Efpagne ,  n'attendirent  pas 
d'autres  ordres  pour  repafler  la  Mer.  Ils  fe  rendirent  à  Barcelone ,  où  le 
Roi  étoit  alors  ;  dans  le  deHein  de  lui  rendre  compte  de  leur  adminiflration , 
&  de  l'état  où  ils  avoient  laifTé  les  Indes.  Ils  vouloient  l'inlbrmer  que  le 
defordre  des  Colonies  du  Nouveau  Monde  venoit  du  défaut  de  fubordina- 
tion,  &  des  Partis  dont  elles  étoient  déchirées.  Ils  avoient  à  fe  plaindre 
particulièrement  du  Tréforier  Général ,  dans  lequel  ils  prétendoient  que  les 
Fa6lieux  trouvoient  toujours  une  proteélion  fûre ,  &  les.  gens  de  bien  un 
Ennemi  déclaré,  qui  n'épargnoit  pas  la  calomnie  pour  les  perdre,  comme 
il  venoit  d'arriver  a  Zuazo ,  &  qui  s'attachoit  fur-tout  à  perfécuter  ceux  qu'il 
croyoit  dans  les  intérêts  de  l'Amiral ,  dont  il  avoit  caufé  toutes  les  difgra- 
ces.  Mais  les  Amis  de  ce  redoutable  Officier,  qui  fe  défièrent  apparem- 
ment de  leur  deflein ,  eurent  aflez  de  crédit  pour  leur  fermer  l'accès  de  la 
Cour.  Après  avoir  long-tems  follicité  une  Audience,  fans  la  pouvoir  ob- 
tenir, ils  prirent  enfin,  comme  leur  Collègue ,  le  parti  de  retourner  à  leurs 
Exercices  monalliques  (/&).  .*.?,.. 

.■^   .  ■  '^  ..        Las 


(g)  „  Les  Caftillans  jugèrent  à  propos  de 
prendre  quelque  Saint  pour  Avocat,  &de 
le  tirer  au  fort.    Après  une  Proceffion  fo- 
lemnelle  ils  jettèrent  le  fort,  qui  tomba 
fur  SaintSaturnin.  Ils  le  reconnurent  auflî- 
..  tôt  pour  leur  Patron,  avec  toutes  les  ré- 
„  jouilîànces  poffibles,  comme  ils  ont  toû- 
„  jours  fait  depuis;  &  l'on' vit  par  expérien- 
ce que  le  mal  dinùnua;  &  s'il  ne  fût  pas 


î» 


» 


„  appaifé  tout-à-fait,  les  péchés  des  Hom- 
„  mes  en  furent  la  caufe  ".    Ibidem,         »  • 

(î)  Ibidem. 

(  i  )  Ibidem,  On  verra  d'autres  efFets  de 
ces  terribles  Animaux,  qui  avoient  tant  de 
part  aux  conquêtes  des  Caftillans. 

Ik)  Hiftoire  de  Saint-Domuigue,  Liv,  S* 
page  i63> 


» 


•"    -*     EN      AMERIQUE,    Liv.  I.    '        903 

Las  Casas,  auflî  peu  capable  d'être  rebuté. par  Texeinple  d'autrui,  que 
par  le  mauvais  fuccés  des  deux  çropofitions  qu  il  avoit  fait  agréer  (/),  s'ef- 
forçoit  alors  de  faire  entrer  l'Evéque  de  Burgos  dans  un  nouveau  projet , 
dont  il  lui  promettoit  autant  d'avantage  pour  la  Couronne  d'Efpagne,  que 
pour  l'avancement  de  la  Religion.  Mais ,  ce  Prélat  s'étant  excufé  fur  le 
caraftère  du  Roi ,  qui  n'aimcit  pas  les  entreprifes  où  il  ne  voyoit  de  cer- 
tain que  de  la  dépenfc,  il  eut  recours  encore  aux  Seigneurs  Flamands.  Il 
croyoit  avoir  trouvé ,  dans  Ton  expérience  &  fes^  réflexions ,  un  moyen  fur 
d'établir  une  Colonie  qui  devoit  être  d'un  grand  profit  pour  l'Etat;  &  fa 
confiance  alloit  jufqu'à  répondre  du  fuccés,  fi  dans  le  Pays,  qu'il  vouloit 
choifir,  on  ne  permettoit  à  perfonne  de  s'établir  fans  fon  ccnfentement. 
Les  cruautés  des  Ëfpagnols  ayant  aliéné  tous  les  Indiens ,  il  vouloit  faire 
prendre  à  fes  Colons  un  habit  particulier,  pour  faire  croire  aux  Naturels 
du  Pays  qu'ils  étoient  d'une  autre  Nation.  Cet  habit  devoit  être  blanc, 
avec  une  Croix  à -peu -près  femblable  à  celle  de  l'Ordre  de  Calatrava;  & 
Las  Cafas  portoit  fes  vues  jufqu'à  vouloir  fonder  dans  la  fuite  un  Ordre 
Militaire  de  cent  cinquante  Chevaliers ,  qu'il  fe  flattoit  de  faire  approuver 
par  le  Saint  Siège  &  par  le  Roi  Catholique  (m). 

Ce. Plan  fut  approuvé  de  Chievres  &  de  la  Chaux,  fes  deux  Protefteurs 
déclarés.  Le  Chancelier  Gatinara  promit  auffi  fon  fuffrage;  mais  quelques 
négociations  avec  la  France  ayant  conduit  le  Chancelier  &  de  Chievres  fur 
la  Frontière,  les  propofitions  de  Las  Cafas  furent  fi  peu  goûtées  du  Confeil , 
que  dans  le  premier  mouvement  de  fon  impatience ,  il  prit  une  réfolution , 
où  la  prudence  fut  moins  confultée  que  fon  zèle.  Il  alla  trouver  tous  ceux 
qui  avoient  le  titre  de  Prédicateurs  ou  de  Théologiens  du  Roi ,  &  les  enga- 
gea, au  nombre  de  huit,  à  fe  rendre  au  Confeil,  pour  y  déclarer  que  les 
Seigneurs  dont  il  étoit  compofé  répondroient  à  Dieu  de  tout  le  mal  qui  fe 
commettoit  dans  les  Indes,  puifqu'après  tant  de  repréfentations  ils  ne  vou» 
loient  pas  y  apporter  le  remède  qui  dépendoit  d'eux.  Le  Père  Michel  de 
Salamanque,  Dominiquain,  qu'ils  choifirent  pour  leur  Oratear,  expofa, 
fans  ménagement,  tout  ce  que  le  Protecteur  des  Indiens  lui  avoit  infpiré. 
■  -  ,:,-'■'      ■     .■^-•■■^:^-  ■•  On 


Suite  dbi 
decouviktei. 

Projet  bi- 
zarre de  Las 
Cafas ,  pour 
la  formntloii 
d'une  nouvel- 
le Colonie. 


Aflion  har- 
die de  Las 
Cafas ,  &  de 
quelques  au- 
tres Théolo- 
giens. 


Ils  entrent 
au  Confeil ,  & 
parlent  d'un 
ton  ferme. 


,*/ 


(/)  On  a  vu  ce  qui  fit  manquer  le  pre- 
mier. Le  fécond  avoit  été  exécuté,  quoi- 
qu'avec  beaucoup  de  peine;  mn.is  deux  cens 
Déferteurs ,  qu'il  avoit  fait  embarquer  à  Ca- 
dix ,  lui  avoient  été  débauchés  tous ,  en  paf- 
fant  à  Portoric, 

(m)  Le  détail  de  fes  vues  fait  honneur  à 
fon  imagination  ,  dans  le  récit  d'Herrera.  Il 
demandoit  raille  lieues  de  Côtes ,  depuis  Rio 
Dolce  jufqu'au  Fleuve  de  los  Araciias ,  à  def- 
fein,  fuivant  rHidorien,  de  débufquer  ?e- 
drarias  de  la  Terre-ferme.  En  deux  années 
il  fe  flattoit  d'apprivoifcr  &  de  civilifer  dix 
mille  Indiens,  En  trois  ans ,  il  promettoit 
de  leur  impofer  un  tribut  de  quinze  mille  Du- 
cats ,  &  de  le  faire  monter  à  foixanto  mille  dans 
i'efpace  de  dix-  ans.     Il  vouloit  bûtir  trois 


Bourgades ,  chacune  avec  fa  Citadelle  &  cin- 
quante de  fes  Chevaliers.  Il  devoit  s'inftrui- 
re  avec  foin  de  tous  les  lieux  où  l'on  trou- 
voit  de  l'or,  pour  en  informer  le  Roi;  me- 
ner avec  lui  douze  Miflîonnaires  qui  lui  fuf- 
fent  fournis,  dix  Infulaires  de  l'Ifle  Efpagno- 
le ,  &  tous  les  Indiens  qui  avoient  été  trunf- 
portés  de  la  Terre-ferme  dans  cette  Ifle. 
Pour  l'entretien  de  fes  Chevaliers ,  il  ne  de- 
mandoit que  le  douzième  de  ce  que  le  Roi 
devoit  retirer  du  Pays;  mais  il  vouloit  que 
ce  revenu  fût  continué  à  leur  poftérité,  juf- 
qu'à la  quatrième  génération,  qu'ils  fulTent 
créés  Chevaliers  aux  Eperons  dorés ,  &  que 
toute  leur  race  fût  à  jamais  exempte  de  ta- 
xes &  d'imgôts.  Le  môme,  Liv.  4.CI&ap.î. 


Ce  2 


204 


PREMIERS     VOYAGES 


SuiTl!  D» 
DECOUVKRTBI. 


Comment 
ils  y  font  re- 
çus. 


Las  Cafns 
récufe  le  Coii- 
feil  des  Indes. 


Ce  qu'on 
pcnfe  du  pro- 
iet  de  Las 
Cafas. 


On  eut  la  patience  de  l'écouter:  mais  lorfqu'il  eut  fini,  l'Evêque  de  Burgos,! 
le  regardant  d'un  œil  févere,  lui  demanda  d'où  venoit  cette  hatJiefle,  & 
depuis  quand  les  Prédicateurs  le  mêloient  du  Gouvernement?  La  Fuente, 
autre  Doéleur,  répondit  qu'ils  étoient  chargés  des  intérêts  de  la  Maifon  de 
Dieu,  pour  lefquels  ils  dévoient  être  prêts  à  donner  leur  vie;  qu'il  n'étoic 
pas  furprenant  que  desDoéleurs  en  Théologie,  qui  pouvoient  être  conful- 
tés  par  un  Concile  général ,  donnaflent  des  avis  aux  Miniflres  des  Rois  ; 
qu'ils  venoient  donc,  par  office,  leur  déclarer  que  il  l'on  ne  réformoit  pas 
les  abus  qui  s'écoient  introduits  dans  les  Indes,  ils  monteroient  en  Chaire, 
pour  attaquer  publiquement  ceux  qui  violoient  la  Loi  de  Dieu,  &  qui  né- 
gligeoient  le  fervice  du  Roi  ;  fans  quoi ,  ils  croiroient  manquer  à  la  plus  ef- 
fentielle  de  leurs  obligations»  qui  étoit  d'accomplir  &  de  prêcher  l'Evangile. 
Dom  Garcie  de  Padilla,  qui. étoit  Homme  de  lavoir,  prit  la  parole,  &dic 
que  jufqu'alors  le  Confeil  avoit  fait  tout  ce  qu'il  avoit  dû ,  témoins  les  Ac* 
tes  mêmes ,  qu'on  vouloit  bien  leur  communiquer ,  quoique  leur  préfomp- 
tion  ne  méritât  point  cette  condefcendance ,  mais  pour  leur  faire  fentir 
combien  ils  s'étoient  oubliés.  La  Fuente  repartit  „  qu'on  devoit  leur  mon- 
„  trer  en  effet  ces  A£les,  &  qu'ils  étoient  difpofés  à  les  louer,  s'ils  les 
„  trouvoient  dignes  de  louanges;  mais  que  û.  lajuflice  y  étoit  bleffée,  ils 
„  p^ononceroient  anathême  contre  les  Auteurs  ;  extrémité  à  laquelle  ils  ne 
„  croyoient  pas  que  leurs  Seigneuries  vouluflent  les  obliger  (n)  ". 

Le  jour  fuivant,  ils  furent  appelles  au  Confeil,  pour  y  entendre Jalec^ 
ture  de  toutes  les  Ordonnances  qui  avoient  été  dreflees  pour  les  Indes.  Le 
Préfident  reçut  leurs  objeftions  avec  beaucoup  de  douceur.  On  leur  pro- 
mit même  de  les  examiner,  &  d'avoir  égard  à  leurs  avis.  Las  Cafas  atten- 
dit quel  feroit  l'effet  d'une  démarche  de  cet  éclat,  &  ne  cefTa  point  de  fol-^ 
liciter  Gatinara  &  de  Chievres ,  qui  étoient  revenus  à  la  Cour.  Mais  n'ap- 
prenant rien  de  favorable,  il  fit  une  nouvelle  tentative  auprès  des  Seigneurs 
Flamands.  Ces  Etrangers ,  qui  n'étoient  pas  fâchés  de  trouver  les  Mini- 
flres Efpagnols  en  défaut ,  pour  en  prendre  occafion  de  fe  rendre  plus  né* 
ceffaires,'  lui  confeillèrent  de  récufer  tout  le  Confeil  des  Indes,  &  particu- 
lièrement l'Evêque  de  Burgos.  11  faifit  cette  ouverture  ;  &  par  le  crédit  de 
ceux  qui  lui  en  avoient  fait  naître  l'idée,  il  obtint  une  Junte  extraordinai- 
re (o).  Son  Plan  y  fut  examiné  avec  foin  ,  &  généralement  approuvé;  à 
l'exception  que  les  mille  lieues  de  Côtes,  qu'il  demandoit,  furent  .réduites 
à  trois  cens,  depuis  le  Golfe  de  Paria  jufqu'à  Sainte -Marie.  A  la  vérité  y. 
cette  décifion  ne  fut  pas  plutôt  publiée,  qu'elle  parut  caufer  un  fjjulève- 
ment  général.  Quantité  de  perfonnes,  nouvellement  arrivées  des  Indes, 
&  tout  le  Confeil  récufé  ,  en  parlèrent  comme  d'une  extravagance  ,  qui 
n' étoit  propre  qu'à  jetter  l'Etat  dans  une  dépenfe  inutile,  &  dont  on  ne 

pou- 


(n)  Ibid.  Cliap.  2. 

(  0  )  Elle  fut  compofée  dé  Dôm  Jean  Ma- 
nuel, qui  avoit  été  Favori  du  feu  Roi  Phi- 
lippe 1,  Père  de  Cliarles;  de  Dom  Alfonfe 
Tellsz,  Frère  aîné  du  Marquis  de  Vilana, 
tous  deux  du  Confeil  d'Etat  &  de  celui  de 


la  Guerre;  du  Marquis  d'Aguilar  ,  Grand 
Veneur  &  Confeiller  d'Etat;  de  Fargas,  qui 
avoit  été  grand  Tréforicr  du  feu  Roi  ,  du 
Cardinal  Mrien,  Grand  Inquifiteur  d'Efpa- 
gne ,  &  de  tous  les  Seigneurs  Flamands  qui: 
entroient  au  Confeil ,  ibid,  Chap.  3. 


EN      AMERIQUE,   Liv.   I. 


205 


pouvoit  efpérer  de  fuccès.    Malheureufement  pour  Las  Cafas ,  cette  opi- 
nion ne  fut  que  trop  juftifiée  par  l'évcnement.     Cependant ,   malgré  les 
reprt'fcntations  de  fcs  Adverfaires,  qui  demandèrent  même  que  les  Délibé- 
rations fullent  recommencées,  fon  éloquence  fçut  détruire  toutes  les  objec- 
tions.    On  lui  oppofa  tout  ce  qu'on  avoit  publié  jufqu'alors  du  mauvais  na- 
turel des  Indiens,  de  leur  ftupidité,  de  leur  inconfiance,  de  leur  penchant 
pour  les  vices  les  plus  odieux,  de  leur  perfidie  &  de  leur  cruauté,  de  leur 
éloignement  pour  l'Evangile  &  pour  toutes  fortes  d'inftruftions  ;  enfin  de 
leur  averfion  comme  invincible  pour  le  travail.     Il  en  fit  une  autre  peintu- 
re, qui  rejettoit  la  plupart  de  ces  imputations  fur  la  tyrannie  &  les  barba^ 
res  excès  de  leurs  nouveaux  Maîtres.    A  ceux  c}ui  fenibloient  mal  juger  de 
fes  propres  intentions ,  il  répondit  que  fa  conduite ,  fes  mœurs,  &  la  digni- 
té du  Sacerdoce,  dont  il  avoit  l'honneur  d'être  rjvêtu,  dévoient  le  mettre 
à  couvert  de  ces  injurieufes  défiances;  fans  compter  qu'il  promettoit,  com- 
me il  l'avoit  toujours  offert,  de  contribuer  de  vingt  ou  trente  mille  écus  à 
ion  entreprife.  Il  ne  fe  défendit  pas  avec  moins  de  force  contre  le  reproche 
d'avoir  engagé  le  Cardinal  Ximenés  à  faire  pafier  des  Jeronimites  aux  In- 
des, &  d'avoir  bien -tôt  vécu  fi  mal  avec  eux,  qu'il  avoit  abandonné  fa 
GommilFion  de  Protefleur  des  Indiens ,  pour  venir  apporter  fes  plaintes  en 
Efpagne  (p).    Enfin,  fur  l'article  du  nouveau  revenu  qu'il  promettoit  à  la 
Couronne,  il  fit  voir,  par  des  raifonnemens  fans  réplique ^  que  tout  dé- 
pendoit  du  zèle  &  de  la  fidélité  dans  l'adminiflration  ;  &  fortifiant  fes 
raifons  par  l'exemple ,  il  prouva  que  depuis  quelques  années  que  Dom 
Pedrarias  d'Avila  commandoit  dans  la  Cailille  d'or,  le  Roi  n'avoit  pas 
dépenfé  moins  de  cinquante  -  quatre  mille  ducats  pour  cetEtabliflement, 
&  n'avoit  pas  tiré  pour  fon  quint  plus  de  trois  mille  Pefos;  tandis  que 
les  profits  du  Gouverneur  &  de  fes  Oificiers  montoient  à  plus  d'un  miU 
lion  d'or  (q).    Ses  réponfes  &  fes  preuves  durent  porter  la  conviélioil 
dans  tous  les  efprits,  puifque  la  décifion  de  la  Junte  fut  confirmée,  & 
que  les  Provifions  du  nouveau  Gouverneur  ayant  été  fignées ,  les  ordres 
Rirent  donnés  pour  l'armement  des  Vaifleaux  qui  dévoient  tranfporter  la 
nouvelle  Colonie. 

Mais  il  auroit  manqué  quelque  chofe  à  la  vifVoire  du  Protefleur  des  In- 
diens ,  il  l'on  n'eût  rien  flatué  pour  le  foulagement  des  Habitans  naturels  de 
rifle  Efpagnol^  &  des  autres  Colonies  aftuellcs  du  Nouveau  Monde.  Ce 
fut  comme  un  fécond  triomphe ,  qu'il  obtint  avant  fon  départ ,  &  dont  il 
eut  la  principale  obligation  au  crédit  des  Seigneurs  Flamands.  Herrera  en^ 
tre  ici  dans  un  curieux  détail. 

Dom  Juan  de  Quevedo,  Evéque  de  Sainte-Majie  l'ancienne  du  Darien^ 
étoit  arrivé  en  Efpagne  pendant  le  cours  de  ces  conteflations  ;  &  c'étoit 
lui  qui  avoit  apporté  les  trois  mille  Pefos ,  que  Pedrarias  envoyoit  pour  le 
quint  du  Roi.    Il  s'étoit  attaché  aux  Seigneurs  Flamands ,   après  avoir 


Suite  des 

0£COUVURT£5, 

15  ï  6. 

11  obtient  la 

fermifTion  de 
exécuter^ 


re- 


•  (p  )  On  eut  la  malignité  de  prétendre  que 
c'étoit  par  cette  raifon  qu'à  fon  retour  il  na- 
voit  pu  obtenir  une  feule  audience  du  Car 
dinal,  &  que  ce  Prélat  avoit  paru  faire  peu 

Ce 


de  cîs  de  lui,  ibidem, 

(f)  Il  explique  julqu'aux  rufes  qu'on  em- 
ployoit  pour  cette  ûiponnerie.  -  -^  - 


Fameafea  ■ 
difputes  de 
Las  Cafas  eriJ 
faveur  des  In- ■ 
diens. 


20(5 


PREMIERS      VOYAGES 


Suite  dej 
dicouvertss. 

1  S^G. 

Ocçafioii 
qui  les  fait 
nuUi'C. 


AlTcinbléc 
folcnincllc , 
oîi  le  Roi 
d'Efpagae 
adillc. 


Difcours  de 
l'Evêquc  du 
Daricn.   , 


reconnu  ce  ^u'il  pouvoit  efuerer  de  leur  crédit  pour  le  fucccs  de  Tes  préten- 
tions. Un  jour  que  le  Dotleur  Mota,  qui  avoit  fuccedé  à  Fonfeca  dans  le 
Siéçe  de  Badajos,  &  qui  étoit  un  des  principaux  Partifans  de  la  Caufe  des 
Indiens,  donnoit  à  dîner  à  ce  Prélat,  Las  Cafas  fe  trouva  au  nombre  des 
Convives,  avec  Dom  Juan  de  Zunigat  Frère  du  Comte  de  Miranda,  qui 
fut  enfuite  Gouverneur  de  Philippe  II. ,  &  Dom Diegue Colomb,  Amiral  des 
Indes.  Après  la  table,  le  difcours  tomba  fur  les  Indes^  de  Las  Cafas,  plein 
de  fes  idées ,  fit  un  reproche  à  l'Evéque  du  Darien ,  de  n'avoir  pas  employé 
la  voye  des  cenfures,  contre  Pedrarias  &  fes  Officiers,  pour  arrêter  les  ve- 
xations tyranniques  qu'ils  exerçoicnt  fur  les  Naturels  du  Pays.  Comme  ils 
ne  s'accordoicnt  pas  fur  tous  les  points,  la  difpute  devint  (i  vive,  que  l'E- 
véque de  Badajos  fe  vit  dans  la  néceflTité  de  l'arrêter.  Ce  Prélat,  étant  al- 
lé enfuite  au  Confeil,  ne  manqua  point  de  rapporter  au  Roi  ce  qui  venoit 
de  fe  palFer  chez  lui,  entre  l'Evéque  du  Darien  <Sc  Las  Cafas.  Charles,  qui 
ne  defiroit  que  l'occafion  de  s'inflruire,  fit  avertir  les  deux  Parties  de  fe  trou- 


Cafas  fur  les  intérêts  de  la  Religion  &  de  l'humanité  dans  le  Nouveau 
Monde  (r). 

Cette  Aflemblée  fut  accompagnée  de  tout  ce  qui  pouvoit  fervir  à  lui 
donner  de  l'éclat.  Le  Roi  parut  dans  une  grande  Salle  du  Palais,  fur  un 
Trône  élevé,  avec  tout  l'appareil  de  la  Royauté.  De  Chievres,  l'Ami- 
ral Colomb ,  l'Evéque  du  Darien  &  le  Licentié  Jguine  étoient  aflîs  à  fa 
droite,  dans  l'ordre  où  l'on  vient  de  les  nommer.  Le  Chancelier  Gatina- 
ra,  l'Evéque  de  Badajos ,  &  les  autres  Confeillers  d'Etat  étoient  à  fa  gau- 
che. Las  Cafas  &  le  Francifcain  fe  tinrent  debout,  vis-à-vis  le  Roi. 
Lorfque  chacun  fut  placé,  de  Chievres  &  le  Chancelier,  montant  chacun 
de  leur  côté  les  degrés  du  Trône,  fe  mirent  à  genoux  aux  pieds  du  Roi, 
&  lui  parlèrent  quelque  tems  à  voix  baffe.  Enfuite  ils  reprirent  leur  pla- 
ce; &  le  Chancelier  fe  tournant  vers  l'Evéque  du  Darien,  lui  dit;  „  Révé- 
„  rend  Evêque  ,  Sa  Majeflé  (s)  vous  ordonne  de  parler  ,  fi  vous  avez 
„  quelque  chofe  à  lui  dire  ".  L'Evéque  fe  leva  aulTitôt,  &  répondit  que 
les  explications  qu'il  avoit  à  donner  ne  pouvant  être  communiquées  qu  au 
Roi  &  à  fon  Confeil ,  il  fupplioit  Sa  Majefté  de  faire  éloigner  ceux  qui  ne 
dévoient  pas  les  entendre  (t).  Il  infifla  même,  après  un  lecond  ordre; 
&  ce  ne  fut  qu'au  troifième,  lorfque  Je  Chancelier  eut  ajouté  que  tout  ce 
qu'il  y  avoit  de  Seigneurs  dans  la  Salle  a-voient  été  appelles  pour  afîider  au 
Confeil,  qu'il  prit  le  parti  d'obéir.  Mais,  évitant  ks  détails,  il  fe  conten- 
ta 


(r)  Ilerrera  obfcrve  qu'il  afpiroit  à  quel- 
que dignité,  ibid.  Ciiap.  4. 

(.f  )  C'étoit  la  première  fois  qu'on  donnoit 
ce  titre  à  Charles,  à  l'occafion  de  Ton  été  va - 
tion  à  l'Empire,  dont  il  venoit  de  recevoir 
h  nouvelle,  ibid. 

(t)  L'Hillorien  lui  fait  faire  un  préambu- 


dcfir , 


„  faifoit  la  grâce  d'accomplir  fon  dvl 

„  reconnoiflbit  que  la  face  de  Priiuii  iiok  di- 

,,  gnc  du  Royaume,  »Z»jV.  .     •«■. 


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807 


qui 


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II  y 

qu'il 

pré- 

Il  lui 

il 

it  tii- 


Suite  nii 

DECOUVEKTr.l* 

15  1(5. 


ta  de  déclarer  que  depuis  cinq  ani,  qu'il  s'dtoit  rendu  au  Continent  de  l'A 
mcrique,  avec  la  Dignité  Epilcopalc,  il  ne  s'y  étoit  rien  fait  pour  le  Servi 
ce  de  Dieu ,  ni  pour  celui  du  Prince  ;  que  le  Pays  fe  perdoit  au  lieu  de  s'*^' 
tablir,  que  le  premier  Gouverneur  qu'il  y  avoit  vu  étoit  un  méchant  Hom- 
me, que  le  fécond  étoit  encore  pire,  &  que  tout  alloic  fi  mal,  qu'il  s'ctoit 
cru  oblige  de  pafler  en  Efpagne,  pour  en  informer  le  Roi.  Cependant, 
comme  il  étoit  quefUon  de  donner  Ton  avis ,  fur  la  conduite  qu'on  devoit  , 
tenir  à  rég^ird  des  Indiens,  il  ajouta  que  tous  ceux  qu'il  avoit  vus,  foit 
dans  le  iPays  qu'il  vcnoit  d'Iiabitcr ,  foit  dans  les  autres  lieux  où  il  avoit  paf* 
fé,  lui  avoient  paru  nés  pour  la  fervitude;  qu'ils  étoient  naturellement  per- 
vers, &  que  fon  fentiment  étoit  de  ne  les  pas  abandonner  à  eux-mêmes, 
mais  de  les  divifer  par  bandes,  &  de  les  mettre  fous  la  difcipline  des  plus 
vertueux  Êfpagnols ;  fans  quoi  l'on  n'en  feroit  jamais  des  Chrétiens,  ni  mê- 
me des  Hommes. 

LoRSQjjE  l'Evêaueeut  cefle  de  parler.  Las  Cafas  reçut.ordre  d'expliquer 
fes  idées;  &  l'Hiltorien  lui  fait  tenir  le  difcours  fuivant  («): 

„  Tr  lis  Haut,  très  Puiflant  Roi  &  Seigneur ,  je  fuis  un  des  premiers  Difcours  "de 
„  Callillans  qui  ayent  fait  le  Voyage  du  Nouveau  Monde.  J'y  ai  vécu  Us  Cafa». 
„  longtems,  &  j  ai  vu  de  mes  propres  yeux  ce  que  la  plupart  ne  rappor- 
„  tent  que  fur  le  témoignage  d'autrui.  Mon  Père  eft  mort  dans  le  même 
„  Pays,  après  y  avoir  vécu,  comme  moi,  dès  l'origine  des  découvertes. 
iSans  m'attribuer  l'honneur  d'être  meilleur  Chrétien  qu'un  autre,  je  me 
fuis  fenti  porté  par  un  mouvement  de  compalfion  naturelle  à  repaner  en 
„  Efpagne,  pour  informer  le  Roi,  vôtre  Ayeul,  des  excès  qui  fe  commet- 
„  toient  dans  les  Indes.  Je  le  trouvai  à  Placentia.  11  eut  la  bonté  de  m'é- 
„  coûter;  &  dans  le  deffein  d'y  apporter  du  remède,  il  remit  l'explication 
de  l'es  ordres  à Seville:  mais  la  mort  l'ayant  furpris  en  chemin,  fa  volon- 
té royale  &  toutes  mes  repréfentations  demeurèrent  fans  ciFet.  Après 
fon  trépas,  je  fis  mon  rapport  aux  Régens  du  Royaume,  les  Cardinaux 
„  Ximenès  &  Tortofa,  qui  entreprirent  de  réparer  le  mal  par  de  fages  me- 
„  fures ,  mais  la  plupart  mal  exécutées.  Enfdite^  Vôtre  Majeflé  étant  vc- 
„  nu  prendre  poifelTion  de  fes  Etats ,  je  lui  ai  repréfenté  la  ficuation  de  fes 
„  malheureufes  Colonies,  à  laquelle  on  auroit  alors  remédié ,  fi  dans  le  mê- 
„  me  tems  le  Grand  Chancelier  n'étoit  mort  à  Sarragofle.  Aujourd'hui,  je 
recommence  mes  travaux  pour  ce  grand  objet. 

„  L'Ennemi  de  toute  vertu  ne  manque  pas  de  Minifl:res,  qui  tremblent 
de  voir  l'heureux  fuccès  de  mon  zèle.  Mais ,  laiflant  à  part  un  moment 
ce  qui  touche  la  confcience ,  l'intérêt  de  Vôtre  Majefté  efl:  ici  d'une  fi 
haute  importance ,  que  les  richeffes  de  tous  les  Etats  d'Europe  enfemble 
„  ne  peuvent  être  comparées  à  la  moindre  partie  de  celles  du  Nouveau 
„  Monde  ;  &  j'ôfe  lui  dire  qu'en  lui  donnant  cet  avis ,  je  lui  rends  un  auffi  , 

,j  grand  fervice  que  jamais  Prince  en  aît  reçu  de  fon  Sujet.    Non  que  je 

»,  pré- 

(v)  „  Là-deflus,  dit-il,  Cliievres  &  le  „  BarthelemI,   Sa  Majefté  vous  commande 

„  Chancelier  retournèrent  confulter  avec  le  „  de  parler  ".     Les  Flamands  rappelloicnt 

„  Roi.    Puis  ayant  repris  leurs  places,  le  ainfi,  ficGatmaxales  imitoit,  quoiqu'Xtalicn, 

„  Chancelier  dit  i   Las  Cafas;  "  Meflire  ibidem» 


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208 


PREMIERS      VOYAGES 


DECOUVERTES.   " 


15  I  6. 


Difcours  du 
Millionnaire 
Francifcain. 


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prétende  aucune  efpèce  de  gratification  ou  de  falaire.  Ce  n'efl  pas  feu- 
lement à  fervir  Vôtre  Majefté  que  j'afpire.  Il  eft  certain  même ,  que 
dans  toute  autre  fuppofition  que  celle  d'un  ordre  exprès,  le  feul  motif 
de  fon  fervice  ne  m'auroit  pas  ramené  des  Indes  en  Europe  :  mais  je  crois 
en  rendre  beaucoup  àDiPU,  qui  efl:  fi  jaloux  de  fon  honneur,  que  je  ne 
dois  pas  faire  un  pas  pour  l'avantage  de  Vôtre  Majefté,  auquel  il  n'ait 
la  preniière  part.  Auflî  le  prens-je  à  témoin  que  je  renonce  à  toutes  for- 
tes de  faveurs  &  de  récompenfes  temporelles  ;  &  fi  jamais  j'en  accepte , 
ou  moi-même,  ou  par  quelqu'un  qui  les  reçoive  en  mon  nom,  je  veux 
être  regardé  comme  un  Impofteur  &  un  Fauflaire,  qui  auroit  trompé  fon 
Dieu  &  fon  Roi.  Apprenez  donc.  Sire,  que  les  Naturels  du  Nouveau 
Monde  font  capables  de  recevoir  la  Foi ,  de  prendre  de  bonnes  habitu- 
des, &  d'exercer  les  aftes  de  toutes  les  vertus.  Mais  c'eft  par  la  raifon 
&  les  bons  exemples  qu'ils  y  doivent  être  excités ,  &  non  par  la  violen- 
car  ils  font  naturelleriient  libres  ;  ils  ont  leurs  Rois  &  leurs  Seigneurs 


ce 


naturels,  qui  les  gouvernent  fuivant  leurs  ufages.  A  l'égard  dé  ce  qu'a 
dit  le  Révérend  Evêqué,  qu'ils  font  nés  pour  la  fervitude,  fuivant  l'au- 
torité d'Ariftote,  fur  laquelle  il  paroit  qu'il  fe  fonde,  il  y  a  autant  de 
diftance  de  la  véjité  à  cette  propofition ,  que  du  Ciel  à  la  Terre.  Quand 
ie  Philofophe  auroit  été  de  cette  opinion ,  comme  le  Révérend  Evêque 
l'affirme,  c'étoit  un  Gentil,  qui  brûle  maintenant  dans  les  Enfers,  & 
dont  la  doftrine  ne  doit  être  admife  qu'autant  qu'elle  s'accorde  avec  cel- 
le de  l'Evangile.  Nôtre  fainte  Religion,  Sire,  ne  fait  acception  de  per- 
fonne.  Elle  fe  communique  à  toutes  les  Nations  du  Monde.  Elle  les 
reçoit  toutes  fans  diftinftion.  Elle  n'ôte  à  aucune  fa  liberté ,  ni  fes  Rois  ; 
elle  ne  réduit  pas  un  Peuple  à  l'efclavage ,  fous  prétexte  qu'il  y  efl: 
condamné  par  la  Nature ,  comme  le  Révérend  Evêque  veut  le  faire 
entendre.  J'en  conclus.  Sire,  qu'il  eft  de  la  dernière  importance, 
pour  Vôtre  Majefté,  d'y  mettre  ordre  au  commencement  de  fon  Rè- 
gne (a;)". 

Après  Las  Cafas ,  le  Mif?!onnaire  Francifcain  reçut  ordre  de  i  '.er  à 
fon  tour.  Il  le  fit  dany  ces  termes:  „  Sire,  je  reçus  ordre  de  pal.  dans 
„  rifle  Efpagnole ,  où  je  demeurai  quelques  années.  On  m'y  donna  la 
„  CommifTion  de  faire  Je  dénombrement  des  Indiens.  Il  y  en  avoit  alors 
„  quantité  de  milliers.  Quelque  tems  après,  je  fus  encore  chargé  du  mê- 
„  me  ordre ,  ôc  ie  trouvai  ce  nombre  extrêmement  diminué.  Si  le  fang 
„  d'Abel,  c'eft -a -dire  celui  d'un  feul  Mort,  injuftement  répandu,  a  crié 
„  vengeance  &  l'a  obtenue  du  Ciel,  Dieu  fera-t'il  fourd  au  cri  de  ce  délu- 
„  ge  de  fang  qu'on  ne  cefTe  pas  de  répandre?  Je  conjure  donc  Vôtre  Ma- 
„  jefté,  par  le  Sang  de  Nôtre -Seigneur,  &  par  les  plaies  du  grand  Saint 
„  dont  je  porte  l'Habit,  d'apporter  un  prompt' remède  à  des  maux,  qui  ne 

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(.v)  On  s'efl  attaché  â  rendre  ce  Difcours 
tel  qu'il  eft  dans  Herrera.  L'Hiftorien  de 
Saint-Domingue  en  donne  un  tout  difEérent; 
&  la  confiance  qu'on  doit  à  un  Ecrivain  de 
fa  profcffion,  lorfqu'il  vante  fa  fidélitt-  &  cel- 


le de  fes  Mémoires  ,  oblige  de  croire  qu'il 
ne  l'a  pas  tiré  de  fon  imar^ination  ;  mais  il  ne 
cite  point  fa  fource.  Hijloire  de  Saint-Do- 
mingue,  Liv.  5.  pages  174  &  f"iv. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I. 


raop 


n 


manqueroienc  pas  d'attirer  fur  vôtre  Couronne  Findignation  &  les  rigou- 
„  reux  châtiraens  du  fouverain  Maître  des  Rois^y)  ". 

DoM  Diegue  Colomb  eut  ordre  enfuite  de  donner  fon  avis.  Les  grands 
maux,  dit-il,  qu'on  venoit  de  repréfenter,  n'ëtoient  que  trop  manitelles; 
&  les  Miniftres  de  la  Religion,  qui  s'étoient  tant  de  fois  élevés  contr'eux , 
en  étoient  les  véritables  témoins.  C'étoit  jufleraeht  qu'après  avoir  vu  l'i- 
nutilité de  leur  zèle,  ils  fe  croy oient  obligés  d'apporter  leurs  plaintes  au 
{)ied  du  Trône.  Bientôt  les  Indes  ne  feroient  plus  qu'un  vafte  défert  ;  & 
ui,  qui  n'avoit  pas  d'autre  reflburce  ^ue  rEtabliflement  qu'il  y  avoit  ob- 
tenu de  la  Couronne,  ne  voyoic  déjà  plus  de  lieu  au  Monde  où  il  pût 
fe  retirer.  Il  ajouta  qu'il  n'avoit  pas  eu  d'autre  motif  pour  faire  le 
voyage  d'Efpagne,  &  qu'il  afluroit  Sa  Majeflé,  que  de  toutes  les  affaires 
qu'EUe  avoit  à  terminer,  c'étoit  une  des  plus  importantes  pour  fa  gloi- 
re &  fa  confc'.ence. 

Aussi-tôt  que  l'Amiral  eut  fini ,  l'Evêque  du  Darien  demanda  la  permif- 
Hon  de  parler  encore  une  fois.  Mais ,  après  un  moment  de  confultation  a- 
vec  le  Roi,  le  Chancelier  lui  dit  que  s'il  avoit  quelque  chofe  à  répliquer, 
Sa  Majefté  lui  ordonnoit  de  le  mettre  par  écrit,  &  qu'o»  y  feroit  une  fé- 
rieufe  attention.  Ce  Prélat  fit  deux  Mémoires,  qui  regardoient  unique- 
ment Pedrarias  ôe  la  Province  du  Darien;  &  dans  une  AITemblée,  qui  fe 
tint  chez  le  Chancelier,  il  déclara  qu'il  approuvoit  les  vues  &  l'entreprife 
de  Las  Cafas.  Mais  une  fièvre  maligne  l'ayant  emporté  dans  l'efpace  de 
trois  jours,  &  Charles  étant  attendu  par  fa  Flotte ,  à  la  Corogne,  pour  al- 
ler recevoir  la  Couronne  de  l'Empire ,  l'affaire  des  Indes  demeura  fufpen- 
due.  11  paroit  que  ce  jeune  Prince  commençoit  à  craindre  que  la  jaloufie 
n'eût  quelque  part  à  la  proteélion  déclarée  que  le  Chancelier  &  les  Seigneurs 
Flamands  accordoient  à  Las  Cafas,. &  qu'il  vouloit  attendre  des  informa- 
tions moins  fufpeftes  fur  un  point  dont  il  fentoit  l'importance  (2). 

(y)  Herrera,  Tom.  a.  Liv.  4.  Cbap.  5. 

(a)  Ibi4.hiv.  4.  Chap.  5,  Hijî.  de  Saint-Domingue,  Liv.  5.  pages  179  &  précédentes. 

Dernier  Foyage  de  Jean  Dîaz  de  Solts,  fij"  Découvertes  au  Sud, 


SttTE  mit 

OSCOUVfilTE». 
1516. 

Difcours 
de  l'Amiial 
Dom  Diegue 
Colomb. 


L'Evéque 
du  Darien  ap«» 
prouve  Las 
Cafas. 


L'affaire 
des  Indes  efl 
fufpendue. 


DlAZ  D»  S(i* 
LIS. 


END  AN T  le  cours  de  ces  Négociations ,  qui  n'avoient  pas  duré  moins     Voyage  de 


Cofmographes,  de  trouver  un  palfage  par  cette  voye  pour  le  Commerce  des 
Moluques.  Son  impatience  avoit  été  fi  vive ,  qu'ayant  fait  armer  deux 
VailTeaux,  dont  il  avoit  donné  le  Commandement  à  Jean  Z)wï:  (iff  •So/w,  le 
plus  habile  Navigateur  de  ce  tems,  il  n'avoit  point  attendu  que  tous  les 
préparatifs  fulTent  achevés,  pour  les  prefTer  de  lever  l'ancre;  &  l'un  des 
deux  s'étoit  ouvert  au  moment  du  départ.  Cependant,  on  l'avoit  reparé 
avec  tant  de  diligence,  que  Solis  s'étoit  trouvé  en  état  de  mettre  à  la  voile 
le  8  d'Oftobre  1515.  Il  n'étoit  arrivé  qu'à  la  fin  de  la  même  année  à  la  vue  ^^f^'/g  f^fg^J; 
du  Cap  Saint -Auguflin,  d'où  il  s'étoit  avancé  vers  l'embouchure  du  Fleuve  de  l'Améri- 
XFJIL  Fart,  D  d  de  que 


V 


9iAZ  De  So- 

LIS, 


Sa  fin  tragi- 
que. 


Découver* 
tes  fur  les  Cô- 
tes de  la  Mer 
du  Sud. 

Superfti- 
tion  plus  forte 
que  l'avarice. 


Port  deNi- 
coya. 

Ville  d'Acla. 


210       PREMIERS     VOYAGES 

de  Janega ,  fur  la  Côte  da  Brefil,  &  de-là  au  Cap  de  Navidad.  Ce  Voya- 
geur, continuant  fa  route  jufqu'à  la  vue  d'un  Fleuve,  qu'il  nomma  los  Inno^ 
centesy  à  vingt-trois  dégrés  quinze  minutes  de  latitude  auftrale ,  fe  rendit 
de-là  au  Cap  qu'il  nomma  Cananée^  à  vingt -cinq  dégrés,  &  proche  d'une 
lile  qui  reçut  de  lui  le  nom  de  la  PlMa*  Enfuite,  il  alla  mouiller  à  vingt- 
fept  dégrés,  dans  une  Baye,  qu'il  appella  Babiadt  los  PeràidêS',  d'OÙ  paiTanc 
le  Cap  de  Coniente^  il  prit  tenre  au  vingt-neuviènve  degré.  De-là,  il  recon- 
nut l'ide,  qu'il  nomma  SamtSébaJiien,  &  trois  autres  Ifles^  auxquelles  il 
donna  le  nom  de  los  Lobos;  après  quoi,  il  entra  au  trente-cinquième  degré, 
dans  un  Port  qu'il  appella,  du  nom  du  jour,  N.  D,  de  la  Cbandeleur,  &  dont 
il  prît  pofleflion  au  nom  de  la  Caftille.  Enfin,  il  mouilla  à  trente -quatre 
dégrés  vingt  minutes,  dans  un  grand  Fleuve,  qu'il  nomma  los  Platos,  et 
qui  a  pris  depuis  le  nom  de  Rio  de  la  Plata.  Ce  fut  le  terme  de  fa  naviga* 
tion  &  de  fa  vie.  Ses  Compagnons  rapportèrent  qu'étant  defcendu  dans  fa. 
Barque  avec  .quelques  Soldats,  pour  s'approcher  d'une  Troupe  d'tedien» 
qui  fe  préfentoient  fur  une  des  rives  du  Fleuve,  il  y  avoit  été  tué,  mis  en 
pièces  &  dévoré  par  ces  Barbares,  lui  &  tous  ceux  qui  l'accompagnoient(/i). 

D'un  autre  côté,  quelques  Avanturiers  de  la  Colonie  du  Darien»  fous- 
la  conduite  d'£/j»/Ko/îï,  avoient  poufle  leurs  découvertes  l'efpace  d'environ 
cent-cinquante  lieues,  fur  les  Côtes  de  la  Mer  du  Sud,  d'où  ils  étoient  re- 
venus chargés  derichefles  (b).    Un  Officier,  nommé  Dom  Diego  à*Albi' 
tez,  fe  trouvant  proche  du  Fleuve  Coeabira^  avec  un  Détachement  de  cet- 
te Troupe,  apprit  d'un  Cacique,  qu'il  avoit  fait  prifonnier,  que  dans  un: 
Edifice  à  deux  lieues  de-là,  il  trouveroit  un  immenfe  tréfor.    Il  s'y  rendit , 
avec  toute  l'ardeur  que  cette  nouvelle  étoit  capable  de  lui  infpirer.    Une 
Femme  Indienne,  qu'il  avoit  à  fa  fuite,  lui  dit  que  cet  Edifice  étoit  un 
Temple  confacré  aux  Mauvais  £fprit&,  &  qu'ils  avoient  ordonné  que  la 
Terre  s'ouvrît  pour  engloutir  les  Callillans.    Albitez  s'effraya  peu  d'un  a- 
vis  de  cette  nature.    Le  foir    en  arrivant  au  Temple,  il  le  vit  trembler, 
comme  un  rofeau  agité  par  le  vent.    Alors,  fon  courage  &  celui  de  tous. 
fes  gens  ne  réfiflant  point  à  ce  fpe£lacle,  ils  s'armèrent,  pendant  toute  la. 
nuit,  de  fignes  de  Croix  &  de  prières;  &  l'arrivée  du  jour  eut  fi  peu  de 
force  pour  les  raflurer,  qu'ils  revinrent  fans  avoir  ôfé.  toucher  aux  murs  du 
Temple  (c). 

Fernamo  Ponce  &  Barthelemi  Hurtado,  firent  aufiî  de»  courfes  vers 
le  Golfe  d'Oza^  &  découvrirent  le  Port  de  Nicoyaf  auquel  ils  donnè- 
rent le  nom  de  San-Lucar.  Vers  le  même  tems ,  Pedrarias  fit  jetter 
les  fondemens  d'une  Ville  dans  le  Port  à'Jcla^  pour  fe  mettre  en  état 
de  poufier  fes  Conquêtes  >  &  d'envoyer  des  Bri^antins  fur  la  Mer  do: 
Sud. 


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â)  Herrera,  xtlifupràt  tiv.  i.  Chap.  7.     mille  Efclaves. 

b  )  Quatre-vingts  mute  pefçs  d'or ,  &  deux        (  f  )  Le  même ,  Liv.  b.  Cbap,  t. 


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Defcrtptm  de  Vljle  Efpagnoh,  vulgairement  SàinuDomingue, 


Ut 


IL  doit  paroître  aflez  étrange, que  depuis  près  dedeux  cens  cinquante  ans, 
que  cette  Ifle  eft  fréquentée  des  Nations  de  l'Europe,  on  ne  s'accorde 
point  encore  fur  fa  véritable  pofition.  Un  Millionnaire  Jefuite  (a),  qui 
pendant  un  fort  long  féjour,  a  pris  foin  d'obferver  toutes  les  Edipies,  pré- 
tend avoir  trouvé  conftamment  quatre  heures  43  minutes  &  5 1  fécondes  de 
différence  entre  le  Méridien  de  TObfervatoire  de  Paris  &  celui  du  Cap 
François  ;  d'où  il  s'enfuit  que  ce  Port  eft  au  308Ç  degré  de  longitude.  Le 
Père  Feuillée ,  fuivant  l'Obfervation  des  Satellites  de  Jupiter ,  à  la  Caye 
Saint'Louis,  le  met  au  304e  degré;  &  la  différence  de  longitude,  entre  la 
Çaye  Saint -Louis  &  le  Cap  François,  n'eft,  au  jugement  de  M.  Frezier, 
que  d'un  degré  &  environ  SS  minutes.  A  l'égard  de  la  latitude ,  il  paroit: 
certain  que  la  Pointe  de  Saint  •  Louis  proche  du  Port  de  Paix ,  qui  eft  fen- 
^oit  de  riile  le  plus  feptentrional ,  eft  par  le  20e  ^égré  deux  ou  trois 
minutes;  fur  quoi  le  nouvel  Hiftorien  remarque,  qu*il  faut  reformer  les 
Cartes  Hollandoifes ,  dont  l'erreur  a  caufé  plufleurs  naufrages  fur  les  £- 
cueils  voifins. 

L'ÉTENDUE  de  Saint-Domingue  eft  d'environ  cent  foixante  lieues  de 
longueur,  du  Levant  au  Couchant  ;  &  de  trente,  dans  fa  largeur  moyenne 
du  Nord  au  Sud.  Son  circuit  eft  d'environ  trois  cens  cinquante  lieues  ,*  & 
ceux  qui  lui  en  donnent  fix  cens  font  le  tour  des  Anfes.  Sa  fituation  ne 
peut  être  plus  avantageufe ,  au  milieu  de  quantité  d'autres  Ifles  {b)  qui 
forment  un  grand  Archipel ,  où  Ton  diroit  qu'elle  eft  placée  pour  leur  don- 
ner la  loi.  Elle  a  trois  Pointes  avancées,  vers  trois  des  plus  grandes  de  ces 
ïfîes.  Le  Cap  Tiburon,  qui  la  termine  au  Sud-Oueft,  n'eft  qu'à  trente 
lieues  de  la  Jamaïque.  Entre  celui  de  l'Efpade,  qui  eft  fa  Pointe  orienta- 
le, &  Portoric,  on  n'en  compte  que  dix-huit;  &  douze  feulement  du  Cap, 
ou  Mole  Saint-Nicolas,  qui  regarde  leNord-Oueft,  à  l'Ifle  de  Cuba.  Saint- 
Domingue  eft  d'ailleurs  entourée  de  plufleurs  autres  petites  Iftes,  qui  en 
font  comme  les  annexes ,  &  dont  elle  peut  tirer  de  fort  grands  avantages. 
Les  plus  confldérables  font  la  Saona^  la  Beata^  Sainte-Catherine ,  Altaveîa^ 
Avacbe,  la  Gonave,  &  la  Tortue;  fans  compter  hNtnazza  &  la  Mona,  donc 
la  première  eft  à  dix  lieues  du  Cap  de  Tiburon,  vers  la  Jamaïque,  &  I9 
féconde  à  moitié  chemin  du  Cap  de  l'Efpade  à  rifte  de  Portoric. 

Il  femble  que  la  Nature  n'aît  pas  moins  pourvu  à  la  fC  .é  de  cette 
grande  Ifte,  par  quantité  de  Rochers  qui  en  rendent  l'abord  â>4ngereux.  Le 
côté  du  Nord  eft,  fur-tout  bordé  d'Ecueils  &  de  petites  Ifles  tort  baffes.  On 
a  crû  lone-tems  que  de  tous  ces  Ecueiis ,  celui  que  les  Efpagnols  nomment 
Abrojo^  oc  les  François  le  Mouchoir  quarré,  étoit  le  plus  reculé  à  l'Orient; 
mais  on  a  reconnu ,  aux  dépens  d'un  grand  nombre  de  Navires ,  qu'il  j 

avoit 

i    (a)  Liv.  I.  pages  s  &  6.  font  renfermées  entre  les  8  &  les  28  degré» 

(6)  Ce  font  toutes  celles  qui  font  compri-  de  latitude;  &  leur  longitude  ç'éteiwi  depuis 

fes  fous  le  nom  d'^intilles,  &  dont  les  prin-  les  293  jiifau'^m  396  Jégrés, 
cipales  feront  décrites  dans  leur  ordre.  Elles  .........  ^  .* 


Dsï^cttTnioii 

DB  L'IsLK 
EfPAONOLE. 

Pofition  de 
cette  Ifl'' 


Dd  s 


n 


Son  éten- 
due. 


;W 


Ecueiis  qa]f 
la  boideati 


312 


PREMIERS      VOYAGES 


DE8CltII>TlOII 

DE    l'IsLB 

ESPAQKOU. 


Mes  Tur- 
ques &  Cal- 
ques. 


Ifles  Lu- 
cayes. 


:}'i  v"i»' 


Noms  In- 
diens de  rifle 
Efpagnole. 


Son  an- 
tienne  divi- 
lion  en  cinq 
Royaumes. 

Magua. 


tip. 


•J  ,-  - 


avoit  d'autres  brifans  au  Sud-Eft;  ce  qui,  joint  aux  Obfervations  fur  \eC- 
quelles  on  a  reculé  Tlfle  de  vingt  minutes  vers  le  Sud ,  en  a  rendu  l'accès 
beaucoup  plus  fur.  A  l'Ouefl:  du  Mouchoir  quarré,  &  prefque  fur  la  mê- 
me ligne ,  on  trouve  de  fuite  plufieurs  grouppes  de  petites  Ifles  aflez  baffes  , 
entre  lefquelles  il  n'y  a  quelquefois  de  paffage  que  pour  des  Canots.  Les 
unes  ont  reçu  le  nom  à'IJÎes  Turques  »  &  les  autres  celui  de  CaUques.  Mais 
elles  ne  font  pas  toutes  auffi  peu  habitables  qu'on  le  croit,  &  quelques-unes 
ont  même  des  Côtes  fort  faines.  Un  Voyageur  refpe6lal)le  (c),  en  ayant 
rangé  une  de  fort  près,  fur  un  Navire  de  400  tonneaux ,  y  remarqua,  dans 
plufieurs  endroits,  des  Terres  affez  élevées  &  d'une  bonne  nature.  Les  If- 
les  Turques,  qui  font  les  plus  orientales,  fe  nomment  aufli  Amanas.  Elle» 
ont  des  Salines  naturelles  ^  dont  les  Anglois  de  la  Bermude  &  de  la  Jamaï* 
quÊ  tirent  un  grand  profit. 

Les  Lucayes  fuivent,  après  les  Caïques,  &  n'en  font  féparées  que  par 
un  débouquement  aflez  étroit.  C'efl  aujourd'hui  le  paffage  de  tous  les  Na- 
vires, qui  fortent  du  Cap  François  pour  retourner  en  France.  Les  plus  oc» 
cidentales  des  Lucayes  ne  font  féparées  de  la  Floride  que  par  un  Canal ,  qui 
n'a  nulle  part  plus  de  vingt  lieues  de  largeur,  &  qui  tire  fon  nom  de  Baha- 
ma^  la  djernière  de  toutes  ces  Ifles.  Depuis  les  ravages  des  Efpagnols,  el- 
les font  demeurées  fans  Habitans,  a  l'exception  de  celle  de  la  Providence^. 
où  les  Ançfois  ont  un  petit  Etabliffement.  Mais  on  y  voit  une  quantité 
prodigienie  de  toutes  fortes  de  gibier.  Leurs  Côtes  font  auffi  beaucoup 
plus  poiffonndufes  que* celtes  des  grandes  Ifles,  &  fur r tout  que  celJes  de 
Saint-Domingue,  qui  le  font  très  peu,  fi  ce  n'efl:  aux  embouchures  dès  Ri- 
vières, &  dans  l'étendue  de  la  Marée,  c'eft-à-dire,  au  plus,  l'efpaced'un 
quart  deiieue;  fur  quoi  l'on  obférve  qu'en  aucun  endroit  des  Antillles ,  le 
flux  ne  monte  jamais  plus  de  trois  pieds  (d),  ' 

On  a  déjà  remarqué  qu'à  l'arrivée  des  Efpagrioîs,  l'Ifle  de  Saint-Domin- 
gue étoit  nommée,,  par  ks  Habitans,  Quijgueia  &  Hayti^  deux  noms  tirés 
Se  leur  Langue,  dont  le  premier  fîgnifioit  une  grande  Terre;  &  le  fécond, 
xmt  Terre  montagneuje.  Mais  elle  a  perdu  l'un  &  l'autre,  en  changeant  de 
Maîtres.  Ses  Conquérans  la  trouvèrent  divifée  en  cinq  Royaumes ,  indé- 
pendans  les  uns  des  autres ,  &  en  quelques  Souverainetés  moms  puiflantes , 
ûont  les  Seigneurs  portoient  le  nom  de  Caciques  ^  comme  ceux  des  principa- 
les Divifions.*  De  ces  cinq  Royaumes,  l'un  fe  npmmoit  Magua,  qui  figni- 
fie  Royaume  de  la  Plaine.  Il  comprenoit  ce  qu'on  a  depuis  nommé  la  Fega- 
Real',  ou  du  moins  il  en  comprenoit  le  milieu  &  la  meilleure  partie.  La 
Vega-Réal  efl:  une  Plaine  de  quatre-vingts  lieues  de  long,  qui  en  a  dix  dans 
fa  plus  grande  largeur.  On  affure  («;  qu'il  y  coule  plus  de  trente  mille 
Rivières,  parmi  lefquelles  il  s'en  trouve  douze ,  auffi  larges  queTEbre,  & 
le  Guadalquivir.  Les  autres  ne  font  que  des  Torrens  &  des  Ruiffeaux , 
dont  elle  reçoit  un  prodigieux  nombre ,  d'une  longue  chaîne  de  Montagnes- 
qui  la  bornent  à  l'Occident  ;  &  la  plupart  rouloient  de  l'or  avec  leur  fable. 

,       .    ,  .  ^.  Auffi 

(<  )  Le  Père  de  Charicvoix ,  Hiflorién  de        (  f  )  Barthelemi  de  Las  Cafas ,  qui  y  avoit 
£alnt-Domingue.  Liv,  i.  ^age  8.  fait  un  long  fôjoM. 

^i)  Ibidem»  '  ■  > 


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E    N     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I.  i        arg 

Auflî  ce  Canton  eft-il  voifin  des  fameufes  Mines  de  Cibao,  qu'on  a  nom- 
mées tant  de  fois:  mais  elles  n'étoient  pas  du  Royaume  de  Magua,  dont 
le  Souverain  fe  nommoit  Guarimex.  Ce  Prince  avoit  fa  Capitale  dans  le 
lieu  où  les  Efpagnols  bâtirent  une  autre  Ville,  fous  le  nom  de  la  Conception 
de  In  Fega. 

L  L  fécond  Royaume  ëtoit  celui  de  Marien ,  que  plufieurs  Hiftoriens  re- 
préfentent  aufli  grand  &  plus  fertile  que  le  Portugal.  11  comprenoit  toute 
cette  partie  dé  la  Côte  du  Nord ,  qui  s'étend  depuis  l'extrémité  occidentale 
de  rifle,  où  efl:  le  Cap  S.  Nicous,  jusqu'à  la  Rivière  Taqué  ou  Taqui^  nom- 
mée Monte  Chiijlo  par  Chrillophe  Colomb ,  &  comnrenoit  toute  la  partie 
feptentrionale  de  la  Vega- Real ,  qui  s'appelle  à  préferit  h  Plaine  du  Cap  Fran- 
çois. C'étoit  au  Cap  même,  que  Guacanagariy  Roi  de  Marien,  faifoit  fa 
réfidence;  &  c'efl  de  fon  nom,  que  les  Efpagnols  donnent  encore  aujour- 
d'hui le  nom  d'el  Guaric  à  ce  Port. 

Le  troifième  Royaume,  nommé  Maguana  ^  renfermoit  la  Province  de 
Cibao  t  &  prefque  tout  le  cours  de  la  Rivière  Hattiboniîo ,  ou  ÏAnibonite, 
qui  eft  la  plus  grande  de  l'Iile.  CaonabOy  qui  y  règnoit,  étoit  Caraïbe.  11 
étoit  venu  dans  l'Ille,  en  Avanturier,  qui  cherche  un  Établiflemenr.  Son 
courage  &  fon  efprit  l'ayant  rendu  redoutable  aux  Infulaires,  il  n'avoit  pas 
eu  beaucoup  de  peine  à  fe  former  parmi  eux  un  Etat  confidérable.  Sa  de- 
meure ordinaire  étoit  le  Bourg  de  Maguana,  d'où  fon  Royaume  avoit  tiré 
fon  nom.  Les  Efpagnols  en  firent  une  Ville,  fous  le  nom  de  San- Juan  de 
la  Maguana^  mais  elle  ne  fubfifle  plus;  &  c'efl:  le  Quartier  où  elle  étoit  (]• 
tuée,  que  les  François  appellent  aujourd'hui  \d,  Savane  de  San-Ouan.  Caonabo 
étoit,  fans  contredit,  le  plus  puiiTant  Monarque  de  rifle,  &  celui  qui  fou- 
tenoit  le  mieux  la  dignité  de  fon  rang. 

Le  Royaume  de  Xaragua,  qui  étoit  le  quatrième,  devoit  fon  nom,  ou 
le  donnait,  à  un  afTez  grand  Lac,  dont  on  verra  bientôt  la  Defcription. 
C'étoit  le  plus  peuplé  &  le  plus  étendu.  Il  comprenoit  toute  la  Côte  occi- 
dentale de  rifle,  &  une  bonne  partie  de  la  méridionale.  Sa  Capitale,  nom,- 
mée  auni  Xaragua^  étoit  à -peu  «près  dans  le  lieu  qu'occupe  aujourd'hui  le 
Bourg  du  Cul -de -Sac.  Les  Peuples  de  ce  Royaume  l'emportoient  fur  tous 
les  autres  par  la  taille  &  la  figure,  par  la  politefTe  des  manières,  &  par  l'é- 
légance du  langage.  On  y  voyoit  aufli  plus  de  NoblefTe.  Le  Roi ,  qui  fe 
nommoit  Bohechio ,  étoit  Frère  d'Jnacoana ,  PrincefTe  d'un  mérite  diflingué , 
dont  la  honteufe  lin  deshonore  les  Efpagnols. 

Enfin,  le  cinquième  Royaume  étoit  le  Higuey,  qui  occupait  toute  la 
Partie  orientale  de  l'ifle,  avec  le  Fleuve  Yaqui  pour  borne  à  la  Côte  da 
Nord,  &  le  Fleuve  à'Ozamo  à  celle  du  Sud.  Ses  Peuples  étoient  plus  ar 
guerris  que  tous  les  autres ,  parce  qu'ils  avoient  fouvent  à  fe  dé''.ndre  (fès 
Caraïbes,  qui  faifoient  de  continuelles  defcentes  fur  leurs  Côtes.  Cepen- 
dant ,  comme  ils  n'entendoient  pas  bien  l'art  de  fe  fervir  de  leurs  fîéches , 
ils  ne  fe  défendoient  le  plus  fouvent  que  par  la  fuite.  Leur  Souverain , 
nommé  Cayacoa^  étant  mort  peu  de  tems  après  l'arrivée  des  Efpagnols,  fa 
Veuve  embrafTa  le  Chriflianifme ,  &  reçut  le  nom  à' Agnes  Cayacoa.  Elle 
ne  furvécut  pas  long -tems  à  fon  Mari;  &  leurs  Etats  paflerent  à  Cotubana- 

Dd  8  ma,. 


oucriitios 
Espagnole. 


Marien. 


Maguana. 


Xaragua. 


Iliguey. 


W  ' 


DiiCBirnoK 

ns  L'IstB 
EspAonoLi. 

Villes  b&ties 
par  les  Efpa- 
gnols. 

San-Domin- 
go  change  de 
lituation. 


Ses  incora- 
modités. 


.f:i;.y':^.\ 


Sa  defcrip* 
don,  &queU 
le  étoit  autre- 
fois fa  beauté. 


214        PRE    MI    E    R    S      V    O    Y    A    G    E    g 

ma  y  puiflant  Cacique ,  qui  fit,  jufqu'à  fa  deftruélion,  fon  féjour  ordinaire 
vers  la  Prefqu'Ifle  de  Samana  (f). 

Les  Ëfpagnols  ayant  bientôt  changé  l'ancienne  forme  du  Gouvernement 
de  riHe,  on  y  vit  naître  par  leurs  mains  quantité  de  Villes,  dont  on  a  rap- 
porté fucceffivement  l'origine.  Après  la  ruine  de  San -Domingo,  qui  fut 
renverfée  en  1502  par  un  ouragan,  Ovando,  Gouverneur  Général,  chan- 
gea la  fituation  de  cette  Place,  qui  étoit  à  l'Orient  du  Fleuve  d'Ozama.  Il 
ta  tranfporta  fur  l'autre  Rive  ,  par  la  feule  raifon  qu'il  s'y  trouvoit  déjà 
quelques  Habitations  Efpagnoles.  On  l'accufe  de  n'avoir  pas  fait  réflexion, 
que  pour  la  commodité  d'un  petit  nombre  de  Particuliers,  il  faifoit  perdre» 
à  la  Ville ,  deux  avantages  confidérables ,  dont  l'un  ne  pouvoit  être  rem- 
placé ,  &  l'autre  ne  pouvoit  l'être  fans  qu'il  en  coûtât  beaucoup.  La  Vil- 
le, étantàl'Oueft,  le  trouve  continuellement  enveloppée  des  vapeurs  du 
Fleuve,  que  le  Soleil  chafle  devant  lui;  ce  qui  efl  fort  mcommode  dans  un 
Pays  fi  humide  &  fi  chaud.  D'un  autre  côté ,  elle  fe  trouve  privée  d'une 
fource  d'excellente  eau ,  dont  elle  jouiflbit  dans  fa  première  iituation  ;  & 
comme  l'eau  des  Puits  &  celle  du  Fleuve  font  faumâtres ,  on  n'y  a  fuppléé 
jufqu'à  préfent  que  par  des  Citernes.  Un  Officier  François  (g),  qui  a  com- 
mandé long-tems  dans  une  Place  de  Tlile,  &  qui  en  connoilfoit  toutes  les 
Parties ,  rapporte  qu'on  a  découvert  une  autre  fource  à  cent  pas  de  la  Vil- 
le ,  du  côté  du  Nord ,  &  que  tous  les  Navires  y  font  leur  provîfion  d'eau  ; 
mais  que  les  Habitans,  la  trouvant  prefqu'aufll  éloignée  que  celle  qui  ed  à 
l'Efl:  de  la  Rivière ,  s'en  tiennent  aux  Citernes ,  malgré  leurs  mauvaifes  qua- 
lités. On  juilifie  Ovando  par  le  defiein  qu'il  avoit  de  faire,  au  milieu  de 
1?  Ville,  un  Réfervoir,  avec  une  magnifique  Fontaine,  pour  y  recevoir  les 
eaux  d'une  autre  Rivière,  nommée  la  Hayna^  qui  font  excellentes,  &  qu'il 
ne  falloit  faire  amener  que  d'environ  trois  lieues.  Mais  il  fut  rappelle  a- 
vant  l'exécution  de  fon  projet. 

Ceux,  qui  ont  vu.  la  Capitale  de  Saint-Domingue  dans  tout  fon  luflre, 
afllirent  qu'il  ne  lui  manquoit  que  cet  ouvrage,  pour  être  une  des  plus  bel- 
les Villes  du  Monde.  Elle  eu  fituée  fur  un  terrain  parfaitement  uni ,  où 
elle  s'étend  du  Nord  au  Sud  le  long  du  Fleuve,  dont  la  Rive  efl:  bordée  de 
beaux  Jardins.  La  Mer  borne  la  vue  au  Midi ,  comme  le  Fleuve  &  fes 
bords  la  terminent  à  l'Orient  ;  &  ces  deux  côtés  occupent  plus  de  la  moi- 
tié de  l'Horifon ,  parce  que  le  Fleuve  tourne  un  peu  à  l'Oued.  La  Campa- 
gne, des  deux  autres  côtés,  eH  d'une  beauté  fingulière.  L'intérieur  de  la 
Ville  répondoit  à  de  fi  beaux  dehors.  Les  Rues  étoient  larges  &  bien  per- 
cées, &  les  Maifons  exaélement  alignées.  La  plupart  étoient  bâties  d'une 
fojrte  de  marbre,  qu'on  a  trouvé  dans  le  vûifinage.  Les  autres  étoient  d'u- 
ne 


(/)  I.as  Cafas  donne  à  cette  Province  une 
Reine ,  qu'il  nomme  Hygumanci,  11  ajoute 
que  les  Ëfpagnols  la  firent  pendre,  comme 
Anacoafja;  mais  on  n'en  trouve  aucune  tra- 
ce dans  les  autres  Hiftoriens.  Cétoit  peut- 
être  uns   Cacique  particulière  de  quelque 


Canton  du  Higuejr. 

(g)  M. Butet ,  Lieutenant  de  Roi  &  Com- 
mandant â  Bayabu .  QU'  ^  parcouru  toute  l'if- 
le  en  1716  &  1717,  «  dont  le  nouvel  Hifto- 
rien  s'eft  procuré  le  Journal.  Liv.  i.  page 
23,  &  Liv.  3.  pag"  287  i^fuiv. 


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vires  pafl 

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Fleuve  el 

treize  à  c 

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let  jufqu' 

d'une  vie 

Le  ce 

raboteux 

AulTi  les 

les  Potei 

donc  on  '. 

che.    L; 

tribue  er 

Ville  eft 

Les  veni 

de  l'Eft  î 

aufli  bea 

n'y  foier 

Pajino. 

congelé 

ration , 

mourir  ( 

Lèpre  e 

tribuent 

te  de  la 

un  ordr( 

portoit 

dangere 

coup  da 

pas  plu! 

&duSi 

Rivière 

la  Capit 

vent  ex 

n'avoit 

de  feuil 

jin,  les 

Ozama 

OVA 

Palais, 
fonda  u 
titre  de 
Religie 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Lit.  I. 


215 


X 


lui  fait  une  digue  allez  forte  pour 
vires  paflent  le  long  de  la  Ville,  &  le  mouillage  y  eft  bon  par-tout,  pour 
les  Vaifleaux  même  de  Guerre,  s'ils  y  pouvoient  arriver;  mais  l'entrée  du 
Fleuve  eft  coupée  par  une  Barre,  qui  n'a  ordinairement  qu'onze  picda  d'eau, 
treize  à  quatorze  en  Marée  haute ,  &  quinze  au  plus  dans  les  grandes  Ma- 
rées. La  Rade  extérieure  eft  aflez  fûre,.  excepté  depuis  le  milieu  de  Juil- 
let jufqu'au  premier  d'Oftobre ,  qu'il  règne,  fur  cette  Côte  des  ouragans 
d'une  violence  extraordinaire. 

Le  terrain  des  environs  de  la  Ville  n'eft  pas  le  meilleur  de  Tlfle.    Il  eft 
raboteux,  inégal ,  femé  de  petites  Collines,  &  d'un  fond  de  pure  argille. 
Auflt  les  Efpagnols  y  font-ils  fabriquer  beaucoup  de  Briques ,  &  de  très  bel- 
les Poteries ,  d'une  terre  plus  fine  &  plus  rouge  que  celle  de  la  Havane , 
dont  on  fait  d'ailleurs  tant  de  cas  ;  &  l'eau  s'y  conferve  extrêmement  fraî- 
che.   La  ftérilité  de  la  terre  eft  compenfée  par  un  air  aflez  frais ,  qu'on  at- 
tribue en  partie  à  la  Rivière  &  à  la  Mer,  dont  la  plus  grande  moitié  de  la 
Ville  eft  environnée,  en  partie  au  Salpêtre  qui  s'y  trouve  en  abondance. 
Les  vents  du  Nord ,  qui  y  régnent  toutes  les  nuits ,  &  les  brifes  de  l'Eft  & 
de  l'Eft  Sud-Eft,  qui  y  foufflent  ordinairement  to\i%  les  jours,  contribuent 
aufli  beaucoup  à  cette  fraîcheur  :  ce  qui  n'empêche  point  que  les  Efpagnols 
n'y  foient  fujets  à  une  maladie  qui  leur  eft  particulière,  &  qu'ils  appellent 
Pafino.    Elle  attaque  les  nerfs ,  qui  fe  roidiflent  &  fe  retirent  :  le  fang  fe 
congelé  dans  les  veines  ;  les  Malades  fouffrent  beaucoup  du  défaut  de  refpi- 
ration,  &  c'eft  rarement  qu'ils  en  guérilTent.    On  a  vu  quelques  Nègres 
mourir  de  ce  mal ,  mais  on  aflure  qu'aucun  François  n'en  eft  attaqué.    La 
Lèpre  eft  aflez  commune  aufti  dans  cette  Capitale,  &  quelques-uns  en  at* 
tribuent  la  principale  caufe  à  l'eau  des  Citernes.    U  fe  trouva  dans  l'encein- 
te de  la  Ville  une  Mine  de  Vif- argent  fort  abondante,  qui  fut  fermée  par 
un  ordre  de  la  Cour.    On  y  découvrit  même  une  Mine  d'Or;  mais  elle  rap- 
portoit  peu.    Les  débordemens  du  Fleuve  Ozama  ne  font  ni  fréquens,  ni 
dangereux ,  parce  que  fe5  bords  font  fort  élevés.    Cependant  il  pleut  beau- 
coup dans  ce  quartier  de  l'Ifle ,  &  les  plus  grandes  fécherefles  n'y  durent 
pas  plus  d'un  mois.    Les  pluyes,  qui  viennent  ordinairement  du  Nord-Eft 
&du  Sud-Eft,  s'arrêtent  à  quatre  lieues  fous  le  vent,  aux  environs  de  la 
Rivière  Yuna;  &  l'on  a  obfervé  que  tous  les  quartiers  qui  font  à  l'Oueft  de 
la  Capitale,  jufqu'àceux  qu'occupent  aujourd'hui  les  François,  font  fi  fou- 
vent  expofés  aux  fécherelles,  que  les  Beftiaux  y  périroient  de  foif,  fi  l'on 
n'avoit  foin  de  les  mener  dans  les  doubles  Montagnes ,  pour  les  y  nourrir 
de  feuilles  d'Arbres;  précaution,  qui  n'en  fauve  même  qu'une  panie.    En- 
fin ,  les  tremblemens  de  terre  font  aflez  fréquens  aux  environs  du  Fleuve; 
Ozama;  mais  ils  n'y  caufent  prefque  jamais  d'effets  dangereux. 

OvANDo  bâtit  une  For terefl'e,  qui  s'eft  confervée  jufqu'aujourd'hui.  Le 
Palais,  qu'il  éleva  pour  fa  demeure,  étoit  d'une  magnificence  achevée.  Il 
fonda  un  Couvent  pour  les  Pères  de  Saint-François,  <&  un  Hôpital,  fous  le 
titre  de  Saint- Nicolas ^  dont  il  portoit  le  nom.  Quelques  années  après,  les 
Religieux  de  Saint  -  Dominique  &  de  la  Merci  vinrent  auj^  s'établir  dans 


DnciuPTiov 
D«  l'Isli  • 
ElTAOHOLe. 


Qualités  du 
Pays  qui  l'en* 
vironne. 


Maladies 
dont  il  eft  af- 
fligé. 


ForterefTe 
&  Edifices  pu- 
blics de  San» 
Domingo. 


'■*■■ 


OiicRimoN 
KirAONoLi. 


.    Elojçqu'O- 
viedo  en  fuit 
à  Charles- 
Quint. 


Villes  & 
Bourgades  de 
l'iflc. 


Origine  de 
Lcogunc. 


2i6      PREMIERS      VOYAGES 

San-Domingo;  &  le  Tréforier  Paflamonte  fonda  un  fécond  Hôpital,  fou» 
le  nom  de  Saint' Adicbel.  On  y  éleva  une  fuperbe  Cathédrale  (A),  &  plu- 
ficurs  belles  Eglifes.  Jamais  Ville  ne  parvint  (i  proniptemunt  au  plui  haut 
degré  de  fplendeur.  (Quelques  Particuliers,  qui  s'étoienc  enrichis  ,  fe  fi- 
rent honneur  de  bâtir  des  Uucs  entières ,  dont  ils  ne  furent  pas  long-tcms  à 
retirer  leurs  avances,  avec  de  fort  çros  profits.  En  un  mot,  San-Domingo 
devint  prefque  tout- d' un-coup  une  h  grande  &  fi  belle  Ville,  qu'Oviedo  ne 
craignit  point  de  dire  à  l'Empereur  Charles-Quint,  que  l'Kfpagne  n'en  avoit 
pas  une  feule  qui  pût  lui  être  préférée,  &  que  Sa  Majefté  Impériale  habi- 
toit  fouvcnt  des  Palais  qui  n'avoicnt ,  ni  les  commodités ,  ni  l'étendue,  ni 
la  richefie  de  quelques-unes  des  Maifons  de  la  Capitale  des  Indes  Efpagno* 
les  (i).  Mais  Ton  éclat  ne  dura  guéres  plus  iong-tems  que  ce  titre.  Des 
conquêtes  plus  brillantes  firent  bientôt  choilir,  à  rEPpagne»  un  autre  Siège 
de  fes  forces  &  de  fa  grandeur. 

On  a  vu  qu'après  la  Guerre  de  1503,  Ovando  fit  bâtir  quantité  de  Vil- 
les &  de  Bourgades,  dans  des  lieux  qu'il  jugea  les  plus  avantageux  pour 
l'afi'ermiflemcnt  de  la  Colonie.     Sainte-Marie  de  la  Fera-Paz  fut  formée  dans 
le  Royaume  de  Xaragua,  des  premiers  Efpagnols  qui  s'y  étoient  retirés, 
afifez  près  d'un  Lac  du  même  nom,  à  deux  lieues  de  la  Mer,  dont  elle  fut 
plus  approchée  dans  la  llrite,  fous  le  nom  de  Santa-Maria  del  Puerto.     Mais 
le  nom  à'Taguanay  que  les  Infulaires  dunnoicnt  à  ce  dernier  lieu,  ayant  pré- 
valu dans  l'ufage,  les  François  en  ont  formé  celui  de  Leogane.    Cette  Ville 
étoit  éloignée  d'environ  Ibixante  ik  dix  lieues  de  la  Capitale.     A  huit  lieues 
au  Nord  de  San-Domingo,  Ovando  fonda  Buonaventurà  \  avers  le  miheu 
de  l'Ille,  entre  les  deux  Rivières  d'Yaqui  &  deNeyva,  San- Juan  de  la  Mfi" 
guana.    A  vingt -quatre  lieues  de  la  Capitale,  on  vit  naître,  près  du  Port 
d'//2fw,  une  bonne  Ville,  fous  le  nom  <XAzua  de  Coinpvjkly  dans  un  lieu  qui 
n'avoit  été  jufqu'alors  qu'une  Habitation  d'un  Commandeur  de  Galice.    Pail- 
la Nucva  d'ïaquimo  &.  Sahattera  de  la  Savana  furent  établies  vers  le  même 
tems.     Pendant  que  Puerto  Real  s'élevoit  d'un  autre  côté  ,   Rodrigue  de 
Mejlia  fit  bâtir  El  Cotuy^  à  feize  lieues  au  Nord  de  San-  Domingo,  &  Gua- 
haba  (*),  fur  la  même  Côte.    Ces  neuf  Villes,  jointes  à  celles  de  la  Concep- 
tion de  la  Fega^  de  Bonica  ^  de  Bonao ,  de  Puerto  di  tlata,  &  de  Coava , 
qui  dévoient  leur  origine  aux  Colombs ,  en  faiibient  quatorze  dès  l'année 
1504  (/),  fans  y  comprendre  la  Capitale,  &  deux  Fortereilès  dans  le  Hi- 
guey,  qui  furent  aulTi  changées  en  Villes,   fur  la  fin  de  la  même  année. 
Mais  celles  de  Salvatiera,  d'Yaquimo,  de  San -Juan  de  la  Maguana,   de 
Bonao,  de  Buonaventura,  de  Guahaba  &  de  Puerto  Real,  ne  fe  loûtinrent 
guéres  plus  d'un  fiécle.    La  Conception  de  la  Vega,  que  Charles-  Quint  a- 
voit  pris  plaifir  à  faire  peupler ,  fut  renverfée  en  1564,  par  un  tremblement 
de  terre  («2),  Yaguana  &  Puerto  di  Plata  furent  abandonnées,  par  diverfe» 

/'-  ^,    him        rai- 


.,-;;'■ 


(  J  )  Elle  ne  fut  érigde  en  Métropole  qu'en 

1547 

(  i  )  Oviedo ,  Hiftoire  de  Saint-Domingue , 
Liv.  3.  pages  292  fj*  précédentes, 

(  * )  Ou  Larez  de  Guahaba.  '*;-'* 


(/)  Hifloire  de  Saint  -  Domîngue ,  Liv.  4. 
page  12.  > 

\m  )  ]I  n'en  cft  refté  qu'un  Village,  qui  fe 
no:iime  la  Vega,  formé  de  fcs  ài\>m,  à  deux 
lieues  au  Sud-Ell  de  la  Plata.    Mais  on  voit 

en- 


ni 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.   I.  117 

rftifons,  en  i6i6;  &  les  Ilabitans  de  la  premicrd  formèrent  une  autre  Vil- 
le à  l'Orient ,  fous  le  nom  de  Dayaguana ,  candis  que  ceux  de  Puerto,  di  Ma- 
ta s'approchèrent  de  la  Caoitale,  À  bâtirent  Monte  di  Plata.  Le«  î'Vanjois, 
3ui  partagèrent  enfuite  l'iAe  de  Saint-Domingue  avec  les  Efpagnols,  y  tirent 
ivers  Rtabliflemens,  dont  la  defeription  appartient  h  d'autres  tems ,  & 
fera  naître  l'ojcafion  de  rappellcr  l'état  de  ceux  de  l'Elpagne  ù  leur  ar- 
rivée. 

A  juger  du  climat  de  Saint-Domingue  parla  fituation  de  cette  Kle,  on 
s'imagineroit  que  la  chaleur  y  efb  cxceirive  pendant  les  fix  mois  que  le  So- 
leil pafle  entre  la  Ligne  &  nôtre  Tropique.  Mais  un  vent  d'Orient,  qui 
fe  nomme  Biife  (  «  ) ,  fert  beaucoup  à  la  rallontir.  Le  nouvel  Iliftoricn  de 
l'Ifle  s'étend  beaucoup ,  après  d'Acoda ,  fur  la  caufe  de  ce  vent ,  dont  il 
prétend  expliquer  jufqu'aux  moindres  variations.  Il  paroît  fuffire  ici  d'à- 
^ùter,  avec  lui,  que  la  Brifc  ne  fe  fait  guèrcs  fentir,  fur  les  Côtes,  que 
vers  les  neuf  ou  dix  heures  du  matin,  &  qu'elle  croît  à  mefure  que  le  So- 
leil monte  fur  l'Horifon ,  comme  elle  décroît  à  mefure  qu'il  defcend,  pour 
tomber  enfin  tout-à-fait  avec  lui.  Les  pluyes  contribuent  beaucoup  aufli  à 
tempérer  le  climat  de  Saint-Domingue.  Elles  y  font  fréquentes,  fur -tout 
dans  les  plus  grandes  chaleurs  (0).  Mais  en  rafraîchiflant  l'air,  elles  cau- 
fent  une  fâcheufe  humidité ,  qui  corrompt  la  viande  en  moins  de  24  heu- 
res, &  qui  oblige  d'enterrer  les  Morts,  peu  d'heures  après  qu'ils  ont  ex- 
{)iré.  La  plupart  des  fruits  mûrs  pourrilîent  prefqu'aufli-tôt  qu'ils  font  cueil- 
is;  &  ceux  même,  qu'on  cueille  avant  leur  maturité,  ne  font  pas  long- 
tems  fans  fe  gâter.  Le  pain,  s'il  n'efl:  fait  comme  du  bifcuit,  fe  moi- 
fit  en  deux  ou  trois  jours.  Les  vins  ordinaires  y  tournent ,  &  s'aigrif- 
ïent  bientôt.  Le  fer  s'y  rouille  du  foir  au  matin;  &  ce  n'efl:  pas  fkns 
peine  qu'on  conferve  le  riz ,  le  ma'is  &  les  fèves ,  d'une  année  à  l'au* 
tre,  pour  les  femer  (p). 

Cependant  la  différence  des  qualités  du  terroir  en  met  aflez  dans  l'air 
pour  caufer  une  extrême  variété  dans  les  climats  de  l'Ifle.  Un  Canton  efl 
continuellement  inondé  de  pluye,  pendant  qu'il  n'en  tombe  prefque  jamais 
dans  celui  qui  le  touche.  Les  nuages  s'arrêtent  en  arrivant  fur  fes  confins. 
Il  s'en  détache  feulement  de  petites  vapeurs ,  qui  fe  diflipent  après  avoir 
répandu  quelques  goûtes  de  pluye.  Le  Tonnerre  fe  fait  rarement  entendre 
à  Saint-Domingue,  depuis  le  mois  de  Novembre  jufqu'en  Avril,  parce 
qu'alors  le  Soleil  ne  demeure  pas  aflez  long -tems  fur  l'Horifon,  pour  en- 
ilammer  les  exhalaifons  de  la  Terre  (q).    Dans  ce  tems,  néanmoins,  les 

•  nuits 


ne  t.'hi.i'. 

E>1>AUNULI. 


Climat  de 
l'ille  I':ri)a. 
ynolo. 

Vent  de 
rOiicIt  qu'on 
numinc  Hrife, 
&  les  cll'ct». 


Variété  des 
diiTiats  de 
l'Elpagnole. 


encore,  au  milieu  des  malures  de  cette  Vil- 
le, un  Monadère  tout  entier,  deux  Fontaines 
&  quelques  relies  de  Fortifications.  Hijloire 
de  Saint-Domingue ,  Liv.  6.  page  327. 

(  ?t  )  Ce  nom  lui  vient  apparemment  de  ce 
qu'il  brifc  les  rayons  perpendicuIaiTes  du  vSo- 
Ici!.  On  le  nomme  aulTi  ^Ujé,  d'un  vieux 
mot  François  qui  fignifie  uni,  égal.  Voyez 
l'HiUoire  naturelle  des  Indes  Orientales, 
Tome  XVI.  de  ce  Recueil. 

XniL  Part. 


(0)  Quelques-uns  prétendent  qu'il  y  a  des 
femaines  où  il  y  tombe  autant  de  pluye,  qu'il 
en  tombe  à  Paris  dans  toute  une  année  ;  ce 
que  M.  Mariotte  fait  monter,  l'un  portant 
1  autre,  à  18  pouces  cubiques. 

(/))  Iliftoiie  de  Saint-Domingue,  ubi  fU' 
prà,  px^c  13  &  précédentes. 

(  î  )  Quoique  l'élévation  de  cet  Aftre  foit 

plus  grande ,  à  l'Equinoxe  de  Mars ,  qu'elle 

n'eil  à  Paiis  au  SoUtice  d'Eté ,  les  jours  y  font 

E  e  plus 


2l8 


PREMIERS      VOYAGES 


Dbscri»tion 
DX  l'Isls 

EiiPAfiKOLE. 


I    • 


Ce  qu'on  y 
appelle  l'Hi- 
ver &  l'Eté. 


L'ait  de 
i'Ilkdl  dan- 
gereux pour 
Tes  Euro- 
péens. 


nuits  n'y  font  jamais  fi  noires,  qu'on  n'ait  affez  de  clarté  pour  fe  conduire, 
à  moins  que  le  Ciel  ne  foit  couvert.  On  en  apporte  deux  raifons;  Tune, 
que  les  Planettes,  y  étant  plus  élevées  fur  l'Horifon  ,  envoient  une  plus 
grande  quantité  de  rayons;  l'autre,  que  l'air  y  efl  plus  pur  &  plus  ferein, 
parce  que  les  vapeurs ,  dont-  il  fe  charge ,  retombent  plutôt  en  pluyes&  en 
rol'ées  que  dans  les  Pays  froids.  De- là  vient  encore  qu'il  n'eft  pas  rare  d'y 
voir  des  Etoiles  en  plein  midi ,  vers  le  Zenith ,  &  d'y  pouvoir  lire  des  ca- 
raélcres  aflcz  menus  à  la  clarté  de  la  Lune,  dont  les  rayons  ont  fouvent  af- 
fez  de  force  pour  produire  des  Arcs  -  en  -  ciel.  Aufli  -  tôt  que  les  pluyes  ont 
cefTé  dans  un  endroit,  les  rofées  y  deviennent  très  abondantes;  ce  qui 
vient  de  la  quantité  de  vapeurs  que  le  Soleil  élevé  pendant  le  jour,  &  de  la 
longueur  des  nuits,  qui  leur  donnent  le  tems  defecondenfer.  D'un  autre  cô- 
té, les  brouillards  n'y  font  pas  fi  communs,  ou  font  plutôt  diflipés;  parce 
que  le  Soleil,  qui  s'élève  perpendiculairement,  acquiert  bientôt  alfez  de  for- 
ce pour  les  réfoudre.  La  même  raifon  fait  qu'on  s'y  plaint  peu  du  ferein. 
Mais  les  nuits  y  font  très  fraîches,  fur-tout  lorfque  le  tems  efl:  calme  &  le 
Ciel  pur  ;  ce  qui  efl:  très  ordinaire  dans  les  Provinces  intérieures.  Il  efl:  ra- 
re qu'on  y  fente  un  fouffle  de  vent,  le  matin;  les  rofées  y  font  fi  fortes, 
qu'elles  blanchifl'ent  les  Plaines,  &  l'on  y  voit  même  des  gelées.  Le  froid 
efl:  quelquefois  fi  picquant ,  qu'on  efl:  obligé  de  s'approcher  du  feu.  Ces 
Plaines  étant  environnées  de  Montagnes  très  hautes ,  on  conçoit  que  le  So- 
leil s'y  couche  plutôt  &  s'y  levé  plus  tard  qu'ailleurs  ;  ce  qui  rend  toujours 
les  nuits  très  longues. 

Il  arrive,  de  cette  variété  d'air  dans  les  différentes  parties  d'une  même 
Ifle ,  que  fes  Habitans  ne  conviennent  point  de  ce  qu'ils  doivent  nommer 
l'Hiver  &  l'Eté.  Ceux  qui  font  à  l'Ouefl:,  au  Sud,  &  dans  le  milieu  des 
Terres,  prennent  pour  l'Hiver  le  tems  des  orages,  qui  dure  depuis  Avril 
jufqu'en  Novembre.  Sur  la  Côte  du  Nord,  on  fe  rapproche  plus  de  nôtre 
manière  de  compter;  mais  le  vulgaire  ne  connoît  point  de  Printems  ni 
d'Automne.  Ceux,  qui  obfervent  de  plus  prés  le  cours  de  la  Nature,  font 
commencer  l'Hiver  au  mois  de  Novembre,  &  le  font  finir  au  mois  de  Fé- 
vrier. Alors ,  les  nuits  &  les  matinées  font  fraîches ,  &  même  un  peu  froi- 
des; les  Plantes  reçoivent  peu  d'accroiflement ,  &  les  herbes  prennent  peu 
de  nourriture,  quoique  ce  foit  le  tems  des  grandes  pluyes.  Il  en  réfulte  fou- 
vent  des  mortalités  parmi  les  Beftiaux.  Le  Printems  fuit,  &  dure  jufqu'aa 
mois  de  Mai.  La  Nature  femble  renaître  alors  ;  les  Prairies  font  revêtues 
d'une  herbe  nouvelle,  la  fève  monte  aux  arbres,  les  plantes  fe  parent  de 
leurs  iieurs ,  &  l'air  en  efl:  embaumé.  Enfuite  la  fécherefle ,  qui  vient  faire 
difparoître  tous  ces  agrémens ,  repréfente  l'Eté  ;  &  c'eft  un  Eté  de  la  Zone 
torride,  qui  durejufqu'à  la  fin  d'Août.  Enfin  les  orages,  qui  recommen- 
cent après  quelque  interruption ,  depuis  le  décours  de  la  Lune  d'Août  juf- 
u'au  mois  de  Novembre,  mettent  afllz  de  reflemblance  entre  cette  faifon 
nôtre  Automne  (r).      Le  tempérament  des  Européens  s'accommode 

dif- 


plus  courts  de  quatre  heures ,  &  davantage  ; 
&  comme ,  en  tout  tems ,  il  tombe  perpen- 
diculairemeiit  pendant  fix  mois,  le  crépufcu- 


le  ne  fauroit  être  fort  long,  ibidem. 
(r)  Ibidem, 


E    N      A    M    E    R    r    Q    U    E,  Liv.  I. 


''19 


difficilement  d'un  climat  fi  peu  régulier.    Il  faut  y  être  naturalifé ,  ou  fe 
conduire  avec  beaucoup  de  fagefle,  pour  y  vivre  long-tems.     La  plupart, 
après  quelques  années  de  féjour,  s'apperçoivent  d'une  grande  diminution 
de  leurs  forces.     La  chaleur  mine  infenfiblement  les  plus  robuftes;  &  peu 
à  peu  l'humide  radical  fe  détruit,  par  une  violente  tranfpiration.    Le  teint 
du  vifage  fe  ternit.    On  fent ,  dans  l'eflon^ac ,  une  grande  diminution  de 
chaleurnaturelle.     Le  fang  qu'on  Te  fait  tirer,  même  par  précaution,  eft 
livide.     Une  faîgnée  indilcrete  fuffit  pour  c?.ufer  l'hydropifie.     Si  l'on  elî 
échauffé  par  quelque  exercice ,  loin  d'avoir  cette  avidité  que  nous  Tentons 
pour  les  rafraîchiiîemens ,  on  recherche  au  contraire  tout  ce  qui  eft  capa- 
ble d'échauffer.    On  vieillit  de  bonne  heure.  J^es  Enfans ,  qui  naiffent  dans 
rifle  de  Parens  venus  de  TElurope ,  font  moins  formés ,  moins  forts ,  &  meu- 
rent en  fort  grand  nombre.    Mais  l'Hifloricn  remarque  aulTi  que  tous  ces 
maux  viennent  fouvent  du  peu  de  foin  qu'on  a  de  fe  ménager,  àc  des  excès 
de  débauche  ou  de  travail  ;  que  d'un  autre  côté ,  à  mefure  que  les  Créoles 
s'éloignent  de  leur  origine,  ils  y  font  moins  fujets;  que  les  anciens  Infulai- 
res  fe  portoient  bien  &  vivoient  long-tems;  que  les  Nègres  y  font  forts,  & 
jouifTent  d'une  fanté  inaltérable,  aufli  bien  que  les  Efpagnols,  qui  y  font  é- 
tablis  depuis  deux  fiècles  ;  qu'il  n'efl:  pas  rare  de  trouver  parmi  eux  des 
Vieillards  de  120  ans;  enfin,  que  fi  l'on  vieillit  plutôt  qu'ailleurs  à  Saint- 
Domingue,  on  y  demeure  plus  long-tems  vieux,  fans  reffentir  les  incommo- 
dités de  l'extrême  vieillefTe  (j)« 

Cette  différence  de  climats,  qu'on  éprouve  dans  l'Ifle,  venant  en  par- 
tie de  la  diverfité  de  fon  terroir,  on  ne  fera  pas  furpris  qu'il  s'y  en  trouve  de 
toutes  les  fortes  &  de  toutes  les  couleurs.  Le  meilleur  efl  d'un  noir  tanné , 
&mélé  d'un  peu  de  fable,  qui  le  rend  léger,  meuble  &  poreux;  mais  les 
moins  bons  ne  font  pas  fans  quelque  utilité.  La  moitié  de  l'Ille  efl:  en  Mon- 
tagnes, dont  la  plupart  peuvent  être  cultivées  jufqu'à  la  cime.  On  en  voit 
quelques-unes  de  flériles,  qui  font  efcarpées,  &  d'une  hauteur  extraordi- 
naire ;  comme  celles  qui  font  vers  le  Cap  Tiburon  ,  d'où  l'on  découvre  cel- 
les de  Sainte -Marthe,  qui  en  font  éloignées  de  i  80  lieues.  En  plufieurs 
endroits,  celles  des  Côtes  fervent  de  digues  aux  flots  de  la  Mer;  &  mal- 
heur, dit  poétiquement  l'Hiftorien ,  aux  VaifTeaux  qu'un  coup  de  vent  jet- 
teroit  fur  des  Cotes  fans  rivage ,  où  l'on  ne  découvre  que  des  Rocs  fourcil- 
leux,  qui  s'élèvent  à  pic,  &  que  cette  raifon  fait  nommer  Cotes  de  Fer. 
Telle  efl  particulièrement  celle  dont  l'extrémité  orientale  aboutît  au  Cap 
François ,  qui  en  a  pris  fon  nom ,  &  l'occidentale  au  Port  de  l' Acul.  Dans 
quelques  terres,  on  necreufe  pas  beaucoup  fans  trouver  le  tuf,  ou  l'argille, 
ou  la  terre  glaife,  ou  un  lit  de  fable;  mais  fouvent  aulli,  la  bonne  terre  a 
beaucoup  de  profondeur.  Ce  dernier  terrain  n'efl:  pas  toujours  le  plus  gar- 
ni d'arbres;  &  l'on  en  donne  pour  raifon  que  la  féchcrefle,  durant  trois  ou 
quatre  mois  de  fuite,  dans  les  trois  quarts  de  l'Ifle,  empêche  que  ces  ter- 
res ne  fournilTent  aux  arbres  un  fuc  fufîifant  pour  les  nourrir;  au  lieu  que 
dans  les  autres,  les-pluyes  &les  rofées,  qui  font  arrêtées  par  dts  funds  durs, 
entretiennent  le  peu  dé  bonne  terre  qui  les  couvre,  dans  l'humidité  nécef- 

faire. 
(j)  Ibidem. 

Ee  2 


DEfCIlPTIOW 

DE    L'IslE 

ËSrAGNOLB. 


Diverfité 
de  fon  Ter- 
loir. 


Les  racines 
des  arbres  y 
ont  peu  de 
profondeur. 


220 


PREMIERS      VOYAGES 


De«crtptton 

Dr  l'Lle 

Espagnole. 


lléfiexioii 
de  la  Reine 
I  label  le  à  cet- 
te occafion. 


Rivières 
dont  rille,  eft 
arrofée.. 


Six  princi- 
pales. 


Deux  Laça 
finguliers. 


faire.  Au  refle ,  ces  terres  fans  profondeur  ne  laiflent  pas  de  porter  deî 
arbres  très  hauts  &  très  forts  ;  ce  qui  doit  pafler  pour  une  des  merveilles 
de  rifle.  Les  racines  n'y  font  pas  enfoncées  de  plus  de  deux  pieds,  &  la 
plupart  ne  vont  pas  même  fi  loin  ;  mais  elles  s'étendent  plus  ou  moins  en 
fupcrficie,  fuivant  le  poids  qu'elles  ont  à  foutenir,  à  l'exception  du  Caffier, 
qui  poufle  fes  racines  a-peu-près  comme  les  arbres  de  l'Europe  :  mais  il  eft 
venu  d'ailleurs.  Oviedo  raconte  que  Chriftophe  Colomb,  entretenant  un 
jour  la  Reine  Ifabelle  de  Caftille  de  plufieurs  propriétés  des  Pays  qu'il  avoit 
découverts ,  cette  Princeffe  lui  dit  d'un  air  chagrin ,  à  l'occafion  des  arbres 
de  Saint-Domingue,  qu'elle  craignoit  beaucoup  qu'il  n'en  *"^t  des  Infulaires 
comme  de  leurs  arbres,  &  qu'ils  ne  manquaflent  de  folidité,  de  conftance 
&  de  fincérité  (f  ),  Suivant  l'obfervation  du  nouvel  Hiftorien,  il  auroit 
pu  répondre  que  les  arbres  regagnoient,  par  l'étendue  horifontale,  ou  par 
le  nombre  de  leurs  racines,  ce  qu'ils  perdoient  en  profondeur;  &  qu'appas 
remment  il  y  auroit  auffi,  pour  les  Habitans  de  l'Ifle,  une  compenfation» 
qui  les  dédommageroit  d'un  côté  de  ce  qui  leur  manquoit  de  l'autre  (î;). 
L'arbre,  dont  les  racines  s'étendent  le  plus,  eft  le  Figuier.  Elles  vont  au- 
delà  de  foixante  &  diît  pieds.  Celles  des  Palmiers ,  qui  font  fort  cour- 
tes ,  croifTent  en  fi  grand  nombre ,  que  l'arbre  n'en  eft  pas  plus  incom- 
modé du  vent  que  les  autres;  quoique  fa  hauteur  ordinaire  îbic  de  plus 
de  cent  pieds. 

L'IsLE  eft  arrofée  d'un  nombre  incroyable  de  Rivières;  mais  on  a  déjà 
fait  remarquer  que  la  plupart  ne  doivent  pafler  que  pour  des  torrens  &  des 
ruifleaux,  dont,  plufieurs  font  extrêmement  rapides.  Les  eaux  en  font  fai- 
nes, &  même  falutaires,  quoique  fi  vives  &  ii  fraîches,  qu'il  en  faut  boire 
avec  difcrétion,  &  qu'il  eft  dangereux  de  s'y  baigner.  On  en  diftingue  en- 
viron quinze,  dont  la  largeur  n'eft  pas  moindre  que  celle  de  la  Charente  à 
Rochefort;  &  dans  ce  nombre,  on  ne  comprend  point  les  fix  principales, 
qui  font  rOsa/wa ,  dont  l'embouchure  forme  le  Port  de  San -Domingo;  la 
Neyua ,  qui  n'a  de  confidérable  que  la  quantité  de  bouches  par  lefquelles  el- 
le fe  décharge  dans  la  Mer,  &  l'incommodité  de  changer  fouvent  de  lit  :  le 
Macoris^  qui  paflTe  pour  le  plus  navigable  de  tous  les  Fleuves  de  l'Ifle,  & 
tout  à  la  fois  le  plus  poiflbnneux,  quoiqu'il  ne  vienne  pas  de  fort  loin; 
YYaqui,  ou  la  Rivière  de  Monte  Chrillo ,  à  la  fource  duquel  on  a  trouvé  une 
Mine  d'or,  &  qui  charie,  avec  fon  fable,  des  grains  de  ce  précieux  métal; 
l'Tttwa,  qui  eft  extrêmement  rapide,  &  dont  la  fource  eft  accompagnée 
d'une  très  abondante  Mine  de  cuivre;  VHattibonite  (x)  vulgairement  Ar- 
tibonite^  qui  eft  la  plus  longue  &  la  plus  large  des  fix.  Les  trois  premières 
fe  déchargent  au  Sud;  les  deux  fuivantes  au  Nord,  &  la  dernière  à 
rOueft  {y). 

Tous  les  Hiftoriens  vantent  deux  Lacs,  dont  ils  rapportent  plufieurs 
fingularités  ;  l'un ,  qu'ils  nomment  le  Lac  de  Xaragua,  mais  fur  lequel  ils  ne 
s'accordent  pas  exaétement  avec  les, Cartes  &  les.Relations  modernes.    Oi- 

viedo , 


(t)  Liv.  4.  Chap.  17.  page  57. 
(w)  Hiftoire  de  Saint-Doniinjjue ,  Liv,  i, 
page  20, 


(x)  Ce  nom  paroît  Efpa{»nol ,  &  femble 
venir  de  Hato  Budeno,  ou  Hato  Bonieo, 
(y)  Oviedo,  Liv.  6,  Cbap.  7. 


EN      AMERIQUE,  Liv.  I. 


221 


vîedo,  qui  Tavoit  vifité  en  151S»  aflure  que  fa.  longueur  efl:  de  dix -huit  Description 
lieues;  que  dans  quelques  endroits  il  en  a  trois  de  large,  deux  en  d'autres    e^pagnou:. 
&  quelquefois  moins  d'une;  qu'il  reçoit  plufieurs  Rivières,  &  que  par-tout, 
excepte  à  leur  décharge,  il  cil  falé  comme  la  Mer,  avec  laquelle  il  ne  dou- 
te point  qu'il  ne  communique;  qu'on  y  péclie  toutes  fortes  de  poiflbns  de 
Mer,  à  l'exception  des  Baleines,  &  de  quelques  autres  de  la  première  gran- 
deur; qu'on  y  trouve  fur-tout  quantité  de  Turbots  &  de  Requins,  &  que 
lePoiflbn  de  Rivière  n'y  manque  point.     D'un  autre  côté,  le  Mifl]onnai-      DlfFérentès 
re,  dont  le  nouvel  Hiilorien  a  tiré  fes  Mémoires,  prétend  que  ce  Lac  efl  op'"'^"?  '"y 
féparé  en  deux  parties  inégales,  par  un  Iflhme  allez  long^  &  Pierre  Mar-  ilg'ila! 
tyr  femble  parler  de  deux  Lacs  au  lieu  d'un  ( 2; ).     Un  Journal  récent,  dont 
en  a  déjà  fait  valoir  l'autorité  (a),  nous  apprend  que  le  Cnl-de-fac^  Bour- 
gade Françoife ,  fituée  à  une  lieue  de  la  Mer,  dans  un  enfoncement  aflez 
profond ,  qui  fe  trouve  prefqu'au  milieu  de  la  Côte  occidentale  de  l'Ifle ,  & 
où  l'on  croit  qu'étoit  l'ancienne  Xaragua ,  Capitale  du  Royaume  de  même 
nom,  donne  l'on  nom  à  une  efpèce  de  Lac ,  ou  d'Etang,  de  figure  irrégu- 
lière ,  qui  n'a  que  quatre  lieues  dans  fa  plus  grande  largeur ,  &  beaucoup 
moins  en  plufieurs  endroits,  qui  court  Nord-Ouefl:  &  Sud -Efl:,  &  dont 
l'eau  efl  douce ,  mais  d'un  goût  très  fade.     A  l'Efl  de  cet  Etang,  on  trou- 
vé une  Plaine,  connue  aujourd'hui  fous  le  nom  de  Plaine  des  Verrettes^  dont      Plai"^  des 
la  longueur,  qui  efl  de  quatre  lieues,  efl  bornée  des  deux  côtés  par  des  Vcrrettes. 
Montagnes,  &  dont  la  largeur,  qui  efl  de  trois  lieues  feulement,  fépare 
l'Etang  d'avec  un  autre  de  plus  grande  étendue,  que  les  Efpagnols  nom- 
ment/^/<jmî7/«  ,  &  les  François  r£f<î«^/rt/i^.     Ce  dernier  a  huit  lieues  de  long,      L'Etang  fa- 
Efl-Sud-Efl  &  Ouefr-Nord-Ouell;  &  fa  flruation  efl  à  l'Eft  de  la  Plaine  des  '^'.,r  ^^  ^' 
Verrettes.    lia  deux  lieues,  dans  fa  plus  grande  largeur.     Ses  eaux  font  ^^^  ^' 
faumâtres  ;  &  l'Auteur  du  Journal,  après  les  avoir  obfervées  trois  fois, 
pendant  quatre  ou  cinq  heures,  ne  s'efl  point  apperçu  qu'elles  montafTent, 
ni  qu'elles  defcendiffent,  non  plus  que  dans  l'Etang  du  Cul-de-fac.    Il  a  re- 
marqué aufïï ,  dans  l'un  &  dans  l'autre ,  quantité  de  Caymans ,  fans  y  avoir 
apperçu  de  Requins ,  ni  d'autres  PoifTons  de  Mer  ;  d'où  il  conclut  que  l'o- 
pinion commune ,  fuivant  laquelle  l'Etang  falé  communique  à  la  Mer ,  efï 
fans  fondement ,  &  que  l'âcreté  de  fes  eaux  vient  uniquement  des  Mines 
de  fel ,  qui  font  en  abondance  dans  les  Montagnes  voifines.     Outre  ces  deux 
Etangs,  on  trouve,  aune  lieue  du  fécond,  un  petit  Lac,  d'une  lieue  de 
circuit,  qui  s'y  décharge,  dans  le  tems  des  grandes  eaux,  par  deï  ravines 
dont  tout  l'entre- deux  efl:  occupé.     Suivant  le  même  Journal,  ce  petit  Lac 
efl  entre  les  Montagnes  de  la  Beata^  que  les  Ecrivains  Efpagnols  nomment 
Montagnes  de  Baoruco^  &  dont  une  des  extrémités  fe  termine  à  la  Côte  du 
Sud ,  vis-à-vis  la  petite  Ifle  Beata.    Le  nouvel"  Hiflorien,  donnant  aux  Ob- 
fervations  de  M.  Butet  tout  le  poids  qu'elles  méritent,  s'efforce  de  les  con- 
cilier avec  celles  d'Oviedo ,  dont  il  n'ôfe  rejetter  le  témoignage  oculaire. 
La  difficulté  de  l'étendue,  qui  efl  affurémenc  la  principale ,  lui  paroît  levée 

pac 

(  2  )  Décad.  3.  Liv.  8.  '  .. 

(«)  Celui  de  M.  Butct,  Commandant  à  Bayahia.  >  •   .' 

Ee  3.  '     ■ 


fi  . , 


2Î2 


PREMIERS      VOYAGES 


DEîcniPTroN 
DE  l'Islb 

E^l'AGNOLC. 

Lac  vifité 
fous  le  Gou. 
verneincnt 
dOvando. 

Récit  de 
ttimbrcros. 


Mines  & 
Pierres  de 
riflc. 


par  la  fimple  fuppofition  que  cet  Hiftorien  avoit  vu  le  Lac  dans  le  tems  de 
quelque  inondation  (b). 

Un  autre  Lac,  fort  célèbre  par  les  Caflillans,  eft  fur  la  cime  d'une  très 
haute  Montagne.  Ovando,  troifième  Gouverneur  de  l'IUe,  en  ayant  en-» 
tendu  faire  des  récits  merveilleux,  donna  laCommiflion  de  le  vifiter  à  deux 
Officiers  de  réfolution  ;  l'un  nommé  Pierre  de  Lumbreros;  &  l'autre,  Rodri- 
gue de  Mefcia.  La  Montagne,  qui  contient  ce  Lac,  eft  fi  roide  d'un  côté, 
qu'ils  ne  purent  y  monter  que  de  l'autre.  Il  eft  beaucoup  plus  long,  fana 
être  beaucoup  plus  aifé.  Aulfi  les  deux  Obfervateurs ,  &  les  Indiens  qui  les 
accompagnoient ,  ne  purent-ils  aller  jufqu'au  terme.  Outre  la  laflicude,  ils 
furent  arrêtés  par  un  grand  bruit,  qui  les  effraya  beaucoup.  Cependant 
Lumbreros ,  furmontant  la  fatigue  &  le  froid ,  continua  de  marcher  par  des 
détours  fort  pénibles.  Le  froid  augmentoit,  &  le  bruit  devenoit  terrible. 
Il  arriva  néanmoins  au  fommet  de  la  Montagne,  où  il  découvrit  une  for- 
te de  Lagune,  qui  lui  parut  large  d'un  trait  d'arbalète,  fur  deux  ou  trois 
fois  autant  de  longueur.  Mais  il  n'eut  pas  la  hardiefle  d'en  approcher  de 
plus  près  qu'à  dix  ou  quinze  pas ,  ni  celle  de  la  regarder  plus  de  deux  ou 
trois  minutes.  Le  bruit,  qui  croiflbit  toujours,  lui  caufa  tant  d'épouvan- 
te, qu'il  ne  penfa  qu'à  retourner  fur  fes  traces,  comme  s'il  eût  perdu  le  ju- 
gement &  la  vue.  Oviedo ,  qui  tenoit  cette  avanture  de  Lumbreros  mê- 
me, ajoute,  qu'on  n'a  jamais  rien  fçû  de  plus  pofitif  fur  un  Lac,  dont  on 
n'a  pas  cefle  de  raconter  bien  des  fables.  C'eft  du  pied  de  la  même  Mon- 
tagne, que  fort  une  Rivière,  nomméQ  Nizao.  Celle  de  Batii^  dont  Lum- 
breros fuivit  quelque  tems  les  bords ,  après  avoir  quitté  fes  Compagnons , 
paroît  defcendre  au  Lac. 

De  toutes  les  Ifles  connues ,  Saint-Domingue  eft  celle  où  Ton  a  trouvé, 
jufqu'ici,  les  plus  be'!es  Mines  d'or.  On  y  a  découvert  auffi  des  Mines 
d'argent,  de  cuivre  &  de  fer;  &  l'on  y  voit  encore  des  Minières  de  talc, 
de  cryftal  déroche,  d'antimoine,  d'étain  déglace,  de  fouffre  &  de  char- 
bon de  terre ,  avec  des  Carrières  d'un  marbre  blanc  &  jafpé ,  &  d'autres 
fortes  de  pierres.  Les  plus  communes  font  des  pierres  à  feu,  parmi  lef- 
quelles  il  s'en  trouve  d'auffî  blanches  que  le  cryftal,  naturellement  taillées 
en  pointe  de  diamant,  qui  coupent  le  verre,  &  qui  ont  beaucoup  d'éclat. 
On  y  voit  des  Pierres  ponces,  des  Pierres  à  rafoir,  &  ce  qu'on  nomme 
des  Pierres  aux  yeux  ((/),  parce  qu'elles  ont  la  vertu  de  chafler  des  yeux  les 
parties  étrangères  qui  y  font  entrées.  Les  Cotes  offrent,  en  plufieurs  en- 
droits, des  Salines  naturelles;  ôc  l'on  trouve,  dans  une  Montagne  voi- 
fine  du  Lac  Xaragua ,  du  Sel  minerai ,  plus  dur  &  plus  corrofif  que  le  Sel 
marin;  avec  cette  propriété,  que  ^cs  brèches  fe  reparent,  dit -on,  dans 
l'efpace  d'un  an.  Oviedo  ajoute  que  toute  la  Montagne  eft  d'un  très  bon 
Sel ,  auffi  luifant  que  le  cryftal ,  &  comparable  à  celui  de  Cardone  en  Ca-, 
talogne  (^).    ' 


(b)  Hiftoire  de  Saint-Domingue,  Liv.  r. 

(     p.  25- 
(e)  Oviedo,  Liv.  5  &  t. 


(J)  En  Latin,  Umbilicus marinus, 
le)  Liv.  (5.  Chap.  6. 


Si 
Saint 
l'éton 
re  du 
Tout 
tagne 
travei 
de& 
fur  ce 
pagne 
très 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.    I. 


223 


Si  l'on  s'en  rapporte  à  quelques  Hiftorjens,  les  premiers  Hahitans  de 
Saint-Domingue  furent  des  Sauvages  venus  de  la  Martinique,  qui,  dans 
l'étonnement  de  fa  grandeur,  s'imaginèrent  que  c'étoit  la  plus  grande  Ter- 
re du  Monde,  &  la  nommèrent  Quifqueia,  du  mot  Q}iifquey,  qui  fignifioit 
T(jut  dans  leur  langue.  Enfuite,  ayant  appercu  de  longues  chaînes  de  Mon- 
tagnes, qui  occupent  prefque  tout  le  milieu  de  Tlfle,  &  dont  piufieurs  la 
traverfent  d'un  bout  à  l'autre,  ils  l'appellèrent  tlayù^  c'eft-à,-dire.  Pays  ru- 
de &  montagneux  (/).  Mais  quelle  efpérance  de  pouvoir  jetter  du  jour 
fur  ces  obfcurités  ?  Quelques  Ecrivains  ont  prétendu  qu'à  l'arrivée  des  Ef- 
pagnols ,  le  nombre  des  Habitans  de  l'Ide  montoit  à  trois  millions.  D'au* 
très  en  retranchent  les  deux  tiers.  Mais  il  paroît  certain  qu'elle  ëtoit  bien 
peuplée.  Le  commun  des  Infulaires  étoit  d'une  taille  médiocre  &  bien 
proportionnée.  Ils  avoient  le  teint  extrêmement  bazané ,  la  peau  rougeâ* 
tre ,  les  traits  du  vifage  hideux  &  grofliers ,  les  narines  fort  ouvertes ,  les 
cheveux  longs ,  nulle  forte  de  poil  dans  le  refle  du  corps ,  prefque  point 
de  front,  les  dents  fales  &  mauvaifes,  &  quelque  chofe  de  fauvage  danj 
les  yeux.  Mais  on  reconnut  que  cette  figure  ne  leur  étoit  pas  naturelle. 
La  couleur  de  leur  peau  venoit  du  Rocou^  dont  ils  fe  frottoient  fouvent,  & 
des  ardeurs  d'un  Soleil  fort  aélif ,  auxquelles  leur  nudité  les  expolbit.  Ils 
fe  donnoient  auffi ,  par  une  efpèce  d'art ,  cette  forme  de  tête ,  qui  leur  ôtoit 
prefque  tout  le  front ,  &  qu'ils  regardoient  comme  un  agrément.  Leurs  en- 
fans  n'étoient  pas  plutôt  nés,  que  les  Mères  leur  tenoient  le  haut  de  la  tê* 
te  fort  ferré ,  avec  les  mains ,  ou  entre  deux  petits  ais ,  pour  l'applatir  par 
degrés;  &  cette  méthode,  par  laquelle  le  crâne  étoit  comme  replié,  le 
rendoit  fi  dur  ,  que  les  Efpagnols  caflbient  quelquefois  leurs  épées ,  en  frap- 
pant ces  Malheureux  fur  la  tête.  Une  opération  de  cette  nature  devoit 
changer  leur  phyfionomie,  &  leur  donner  cet  air  farouche  qui  révolte  les 
yeux  des  Européens.  Les  Hommes  slloient  nuds ,  &  n'apportoient  pas 
même  beaucoup  de  foin  à  fe  couvrir  le  milieu  du  corps.  L'ulage  des  Fem- 
mes étoit  de  porter  une  efpèce  de  Juppé,  qui  ne  leur  defcendoit  pas  au- 
delà  des  genoux.  Les  Filles  avoient  le  corps  entièrement  découvert.  Ils 
étoient  tous  d'une  complexion  foible,  d'un  tempérament  flegmatique,  & 
tourné  à  la  mélancolie.  Ils  mangeoient  fort  peu ,  &  leur  nourriture  com- 
mune étoit  des  coquillages  &  des  racines.  Ils  ne  travailioient  point ,  ils 
ne  s'inquiétoient  de  rien.  Toute  leur  vie  fe  paflbit  dans  une  parfaite  indo- 
lence. Après  s'être  amufés  une  partie  du  jour  à  danfer ,  ils  employoient  le 
reft:e  du  tems  à  dormir  ;  fimples  d'ailleurs,  doux,  humains,  fans  apparen- 
ce d'efprit  &  de  mémoire,  mais  fans  malignité,  fans  fiel,  &  prefque  fans 
paffions.  Ils  ne  favoient  rien ,  &  n'avoienc  nulle  envie  d'apprendre.  Quel- 
ques Chanfons,  qui  leur  tenoient  lieu  de  Livres  &  d'Ecriture,  renfermoient 
toutes  leurs  connoiffances  hiftoriques ;  mais,  comme  elles  changeoient  à  la 
mort  de  chaque  Prince  régnant,  elles  ne  pouvoient  établir  des  traditions 
fort  anciennes,  à  la  réferve  de  quelques  Fables  fur  l'origine  du  genre  hu- 
main.    Ils  faifoient  fortir  les  premiers  Hommes ,  de  deux  Cavernes  de  leur 

lile. 


DERCRfPTIOSir 

Di£  l'Isle 

EsrAoNoi.P. 

Origine  de 
fcs  H-.ibitfius. 


Leur  figure. 


Dureté  do 
leur  crâne. 


Leur  nour- 
riture  &,oiiî- 
vctc  de  lem 
vie. 


•Chanfofis 
qui  leur  tien- 
nent lieu 
d'Hirtoire  4- 
d'Ecriture. 


(/)  Martyr,  Dec  ad.  3. 
ditent  les  premières. 


11  ajoute  quelques  remarques  fur  le  nom  de  Cîpango ,  qui  dticre- 


224 


PREMIERS      VOYAGES 


Description 
DE  l'Isle 


Leurs  dan- 
)es  &  Icuri 
divevtiffc- 
Oicns. 


Ivreffe  de 
Tabac. 


Origine  du 
nom  de  Ta- 
bac. 


Ifle.  Le  Soleil,  irrité  de  les  voir  paroître»  avoit  changé  en  pierre  les  Gar- 
diens de  ces  Cavernes,  &  métamorphofé  les  Fugitifs,  en  Arbres,  en  Gre- 
nouilles &  en  d'autres  fortes  d'Animaux;  ce  qui  n'avoit  point  empêché  que 
l'Univers  ne  fe  fût  peuplé.  Une  autre  Tradition  portoit,  que  !e  Soleil  &  la 
Lune  écoient  auffi  fortis  d'une  Grotte  de  leur  Ifle,  pour  éclairer  le  Monde. 
On  alloit  en  pèlerinage  à  cette  Grotte,  qui  étoit  ornée  de  peintures,  & 
dont  l'entrée  étoit  gardée  par  deux  Démons,  auxquels  on  rendoit  d'abord 
une  forte  de  cuite.  Ainfi  c'étoit  par  leur  Ifle,  qu'ils  croyoicnt  que  la  Ter- 
re avoit  commencé  â  fe  peupler  ;  fur  quoi  l'Hiftorien  obferve  qu'il  y  a  peu 
de  Nations  dans  l'Amérique,  où  l'on  n'ait  trouvé  la  même  prévention  en 
faveur  de  leur  Pays  (g). 

Ces  Chanfons,  qui  leur  fervoient  d'Annales,  étoient  tqûjours  accompa- 
gnées de  Danfes.  Un  des  Aéleurs  règloit  le  chant  &  les  pas,  en  commen- 
çant feul  ce  que  tous  les  autres  répétoient  après  lui.  La  mefure  &  la  ca- 
dence écoient  obfervées.  Tantôt  les  Hommes  danfoient  d'un  côté,  &  les 
Femmes  de  l'autre;  tantôt  les  deux  Sexes  étoient  mêlés.  Dans  les  Fêtes 
publiques,  ces  exercices  de  joye  fe  faifoient  au  fon  d'un  Tambour,  com- 
pofé  d'un  tronc  d'arbre,  &  c'étoit  ordinairement  un  des  principaux  de  la 
Bourgade,  ou  le  Cacique  même,  qui  touchoit  cet  Inftrument.  Le  titre  de 
Cacique f  que  les  Efpagnols  trouvèrent  en  ufage  à  Saint-Domingue,  figni- 
fioit  Prince  ou  Seigneur.  Ils  ont  continué  de  l'employer,  dans  le  même 
iens,  pour  tous  les  Souverains  &  les  Seigneurs  particuliers  de  leurs  nou- 
velles Conquêtes,  à  la  réferve  des  Empereurs  du  Mexique  &  des  Incas  du 
Pérou.  ^  .'    -^  iiV.;-  J:  v.:  ::■■"-''  '.'n,:'.tf-n-i>::'--}^u 

Un  autre  divertifiTment,  qui  n*étoît  pas  moins  commun  dans  Tlfle,  fe 
nommoit  le  Batos.  C'étoit  une  efpèce  de  Balon ,  d'une  matière  folide,  mais 
poreufe,  &  fi  légère,  qu'il  fufïifoit  de  le  laifler  tomber,  pour  le  voir  bon- 
dir plus  haut  que  l'endroit  d'où  il  étoit  parti.  Oviedo  dit  que  le  Batos  étoit 
fait  d'une  compofition  de  racines  «Se  d'herbes ,  bouillies  enfemble ,  dont  on 
formoit  une  forte  de  poix ,  qui  étant  féche  ne  s'attachoit  point  à  la  main. 
Il  fe  jettoit  avec  la  tête,  les  hanches,  les  coudes,  &  fur-tout  avec  les  ge- 
noux. Celui  qui  le  pouflbit  le  dernier,  comptoit  un  Jeu,  &  la  partie  con- 
fiftoit  dans  le  nombre  de  Jeux  dont  on  étoit  convenu.  Les  Femmes  y 
jouoient  comme  les  Hommes.  Chaque  Bourgade  aVoit  une  Place  dellinée 
a  cet  exercice.  Souvent  on  fe  défioic,  d'une  Bourgade  à  l'autre,  &  la  vic- 
toire étoit  célébrée  par  une  Danfe  générale ,  après  laquelle  on  ne  manquoit 
pas  de  s'enivrer  de  fumée  de  Tabac  ;  débauche  fort  courte ,  qui  ne  confî- 
ftoit  qu'à  tirer  par  le  nez,  avec  un  tuyau  en  forme  d'Y,  dont  on  fe  mettoit 
les  deux  branches  dans  les  narines ,  la  fumée  d'un  tas  de  feuilles  hun^ides  de 
Tabac ,  qu'on  étendoit  fur  des  braifes  à  demi  allumées.  L'ivrefle  fuivant 
bientôt,  chacun  demeuroit  affoupi  dans  le  lieu  où  il  étoit  tombé,  à  l'excep- 
tion du  Cacique,  que  fes  Femmes  prenoient  foin  de  porter  fur  fon  lit.  Les 
ibnges ,  qui  pouvoient  arriver  dans  cet  état ,  paflbient  pour  autant  d'avis 
du  Ciel.  Obfervons,  avec  l'Hidorien,  que  le  Tabac  étant  naturel  à  l'Ifle 
de  Saint-Domingue,  où  les  Habitans  le  nommoient  Cohiba,  &  TabacQ  étant 

le 

(ff)  UH/M^irà,  page  51.  "••        ---•         ■         "      ^^^ ^ 


fe 


u 


EN      AMERIQUE,   L  i  v.   I. 


225 


le  nom  de  l'inflrument  qu'ils  employoient  pour  fumer ,  il  ne  faut  pas 
chercher  plus  loin  l'origine  d'un  mot,  qui  n'en  peut  avoir  de  plus  cer- 
taine {h), 

La  curiofité  des  premiers  Conquérans  fe  tourna  peu  du  côté  des  mœurs, 
des  lifages,  &  de  la  Religion  des  Infulaires.  Oviedo  leur  reproche  de  n'a- 
voir penfé  à  la  defcription  du  Pays  &  de  fes  Habitans,  qu'après  les  avoir 
détruits.  C'efl  ce  qui  le  rend  lui-même  un  peu  fufpeft  d'exagération ,  dans 
la  peinture  qu'il  fait  de  plufîeurs  vices  odieux,  qu'il  attribue  à  ces  malheu- 
reux Indiens,  d'autant  plus  qu'il  fembloit  intérefle,  pour  l'honneur  desEf- 
pagnols ,  à  noircir  une  Nation  fur  laquelle  ils  avoient  exercé  tant  de  cruau- 
tés. Il  prétend ,  par  exemple,  que  le  péché  de  Sodome  étoit  commun  dans 
toutes  les  parties  de  fille  (i);  tandis  que  d'autres  Hiftoriens  aflurent  que 
cette  abomination  n'y  étoit  pas  même  connue.  Celui  qu'on  fait  ici  profef- 
fiondefuivre  n'ôfe  prendre  parti  entre  des  témoignages  fi  oppofés;  mais 
il  lui  paroît  indubitable,  qu'en  d'autres  genres  de  débauche  fenfuelle,  les  In- 
fulaires ne  connoiflbient  aucunes  bornes.  La  maffe  de  leur  fang,  dit-il ,  en 
étoit  tellement  corrompue,  que  la  plupart  étoient  attaqués  de  cette  infâme 
&  cruelle  maladie,  dont  la  communication  à  caufé  à  l'ancien  Monde,  & 
fur-tout  à  l'Efpagne,  un  tort  que  toutes  les  richefles  du  Nouveau  ne  peu- 
vent réparer.  A  peine  les  Caftillans  eurent  paru  fur  les  Côtes  de  l'Ille  Ef- 
pagnole ,  qu'ils  en  furent  empeftés.  Ceux  qui  l'apportèrent  en  Europe  ont 
trouvé  le  fecret  de  préferver  leur  nom  de  cette  infamie  (*).  Mais  ils  en 
ont  fi  peu  garanti  leur  fang ,  fur-tout  dans  l'Amérique ,  qu'il  ne  s'y  trouve 
p''  qu'aucune  Famille  de  leur  Nation  qui  ne  s'en  reflente.  Les  Infulaires 
s,  en  guérifibient ,  ou  du  moinsy  apportoient  beaucoup  de  foulagement ,  avec 
le  bois  de  Gayac. 

Leurs  emportemens  d'incontinence  n'étoient  modérés  par  aucune  loi 
qui  réglât  le  nombre  des  Femmes.  Chacun  n'avoit  pas  d'autre  frein  que  fes 
facultés;  &  le  premier  degré  du  fang  étoit  lefeul,  quelaNature  leur  fit  ref- 
peéler.  Entre  les  Femmes  du  même  Homme ,  il  y  en  avoit  une  qui  jouif- 
foit  ordinairement  de  quelque  difl:in6lion ,  mais  fans  aucune  fupériorité  fur 
fes  Compagnes.  A  la  mort  de  leur  Mari ,  quelques-unes  fe  laifibient  enfe- 
velir  toutes  vives  dans  le  même  tombeau;  mais  ces  exemples  étoient  rar- 
res  &  volontaires.  C'étoit  toujours  les  Femmes ,  qui  étoient  char- 
gées 

Ih)  Ubifuprà,  page  5+. 

(  »■  )  Oviedo ,  Liv.  5  &  6. 

(t)  Plufîeurs  d'entr'eux,  s'étant  engagés  à 
leur  retour,  pour  la  Guerre  de  Naples,  don- 
nèrent leur  mal  aux  Femmes  Napolitaines, 
qui  ne  tardèrent  point  à  le  porter  au  Camp 
des  François ,  où  il  fit  encore  de  plus  grands 
ravages  que  dans  celui  des  EfpagnoJs;  &  où 
l'on  apporta  moins  d'étude  à  le  cacher.  Les 
Italiens ,  dit  le  même  Ecrivain ,  furptis  de 
voir  naître  ce  Monftre  au  milieu  de  leur  Pays, 
s'en  priient  à  ceux  qui  en  faifuient  le  plus  de 
bruit,  ou  qu'ils  haïlToientle  plus,  &  le  nom- 
mèrent le  Mal  François;  comme  les  Fran- 
çois ,  qui  l'avoient  reçu  des  Femmes  du  Pays, 

Win.  Part. 


Dr^CBiniM» 

DE  l'Isi  fc 

Espagnol  E^ 

Vices  nu'on 
a  reprochés 
auxlnfulairc*. 


Origine  du 
mal  Vénérien, 
&  comment 
les  Infulaires 
s'en  gucrif 
foicnt. 


Leurs  M17 
riages. 


l'appcllèrcnt  le  M.%1  de  Naples.  Les  Efpa- 
gnols  curent  la  prudence  de  ne  pas  fe  mêler 
dans  une  qutTclle  qu'ils  avoient  fait  naître; 
&  quoique  dans  i»  fuite  Oviedo ,  Guichardin, 
&  prefque  tous  les  Hiftoriens  d'Efpagne  & 
d'Italie,  ayent  rendu  juftice  aux  deux  Par- 
ties intérctfées  ,  les  noms  qu'elles  avoient 
donnés,  en  dépit  l'une  de  l'autre,  à  la  nou- 
velle maladie,  ont  paffé  dans  l'ufage  ordinai- 
re, &  n'ont  pas  manqué  d'être  adoptés  par 
les  autres  Nations ,  fuivant  leur  attachement 
ou  leur  averfion  pour  les  François  &  les  Ita- 
litns..  I  lift,  de  Suint -Dominique  ,  ubi  Jup. 
page '58. 

F.  f 


/ 


226 


PREMIERS      VOYAGES 


Description 
DE  l'Isle 

ESPAOIJOLE. 


Leurs  En- 
Icrrcmcns. 


Leur  Pêche 
*  leur  Chaire. 


Çuelle  idée 
ils  a  voient  de 

roi. 


gées  des  Obfeques  de  leurs  Maris.  Elles  enveloppoient  le  corps  de  larges 
bandes  de  coton,  &  le  metcoient  dans  une  fofTe  allez  profonde,  avec  tout 
ce  que  le  Mort  avoit  pofledé  de  plus  prccieux.  Le  cadavre  étoit  aflis  fur 
une  efpcce  de  banc  ;  &  l'on  faifoit,  avec  du  bois,  une  forte  de  voCite  au 
caveau,  pour  foûtenir  la  terre  au-deflus.  Ces  Obfeques  étoient  accompa- 
gnés de  chants  &  de  beaucoup  de  cérémonies,  dont  les  Hiiloriens  ont  igno* 
ré  le  détail  ;  mais  les  corps  des  Caciques  n'étoient  enterrés ,  qu'après  avoir 
été  vuidés  foigneufement  &  fechés  au  feu.  C'étoit  dans  ces  occafions  que 
fe  compofoient  les  Chanfons ,  qui  contenoient  les  louanges  du  Mort ,  & 
ce  qui  s'étoit  pafTé  fous  fon  régne.  Elles  étoient  chantées  dans  toutes 
les  Fêtes  &  les  adlions  publiques,  pendant  le  règne  de  fon  Succefleur. 
Les  Funérailles  d'un  Cacique  ne  duroient  pas  moins  de  quinze  ou  vingt 
jours;  &  tout  ce  qui  reftoit  de  ^qs  meubles  étoit  partagé  entre  les  Af' 
fiflans  (/). 

S I  la  nécelTité  tiroit  quelquefois  ces  Barbares  de  leur  ina£lion ,  c'étoit 
pour  la  Chafle  ou  pour  la  Pêche.  Ils  employoient ,  dans  le  premier  dt  ces 
exercices ,  une  efpèce  de  petits  Chiens  muets ,  qu'ils  nomraoient  Cojchh, 
Mais  fouvent ,  ils  fe  contentoient  de  mettre  le  feu  aux  quatre  coins  d'une 
Savame  (/«)>  &  dans  un  inftant,  ils  la  trouvoient  pleine  de  Gibier  à  moi- 
tié rôti.  Ils  manioient  trop  mai  l'arc  &  les  Héches ,  pour  être  redoutables 
aux  Oifeaux  ;  mais  ils  llippléoient  aux  armes ,  par  quelque  apparence  d'in- 
duflrie.  Dans  l'abondance  des  Perroquets ,  ils  faifoient  monter,  fur  u)i  ar- 
bre, un  Enfant  de  dix  à  douze  ans,  avec  un  Perroquet  privé  fur  la  tête.  Les 
ChaiTeurs ,  couverts  de  feuillages ,  s'approchoient  doucement ,  &  faifoient 
crier  le  perroquet.  Ce  bruit  attiroit  tous  les  Oifeaux  de  la  même  efpèce, 
qui  s'attroupoient  en  criant  aufli  de  toutes  leurs  forces.  Alors  l'Enfant  paf- 
foit  au  cou  du  plus  proche  un  nœud  coulant,  par  lequel  il  le  tiroit  à  foi.  Il 
achevoit  aufli -tôt  de  lui  tordre  le  cou;  &  le  jettant  à  terre,  il  continuoit 
cette  opération ,  qui  les  lui  faifoit  prendre  tous  jufqu'au  dernier.  Ils  pre- 
noient  les  Ramiers,  en  imitant  aflez  bien  le  cri  de  ces  Oifeaux ,  qu'ils  raf- 
fembloient  ainfi  en  fort  grand  nombre,  &  dont  ils  enveloppoient  une  gran- 
de partie-dans  des  filets  aiTez  bien  travaillés,  comme  ceux  qu'ils  employoient 
pour  la  Pêche  («). 

QuoiQ.u'iLS  n'attachafTent  point  autant  de  prix  que  nous  à  l'or,  ils 
l'eftimoient  aflez  pour  le  rechercher  avec  foin;  mais  ils  fe  bornoient  à  re- 
cueillir les  grains,  qu'ils  trouvoient  facilement,  &  dont  ils  fe  faifoient  des 
pendans ,  après  les  avoir  un  peu  applatis.  Peut  -  être  les  regardoient  •  ils 
comme  des  particules  facrées  ;  car  ils  n'alloient  à  cette  recherche  qu'après 
s'y  être  préparés  par  de  longs  jeûnes,  &  par  plufieurs  jours  de  continence. 
Les  Hiflioriens  racontent  que  Chriflophe  Colomb  entreprit  de  faire  imiter 
cet  exemple  aux  Efpagnols ,  en  les  obligeant  de  fe  confeflTer  &  de  recevoir 
la  Communion  avant  que  d'aller  aux  Mines  :  mais  il  eut  peine  à  faire  goû» 
ter  cette  nouveauté  j  &  i^Q%  Aumôniers  mêmes  lui  repréfentèrent  ^ue  l'Egli- 

(/)  nid,  page  60.  .  rai  tout  lieu  où  il  ne  croit  que  de  l'heibc 

(m)  Ce  mot ,  que  nous  avons  emprunté        (»)  Ihid,  page(5i» 
lis  Efpagnols,  fignifie  Plaine,  &  en  géné- 


EN      AMERIQUE,   Liv.  I. 


227 


fe  n'ordonnant:  qu'une  fois  Tannée  l'approche  des  Sacremens ,  il  n'apparte- 
noit  pas  à  fa  qualité  de  Viceroi  &  d'Amiral,  d'établir  là-deHus  de  nouveaux 
préceptes  (0). 

L'Agriculture  étoit  fi  peu  exercée  dans  l'Ifle  Efpagnole,  que  fes 
Habitans  n'avoient  aucune  forte  d'outils.  Leur  inftrument  univerfel  étoit 
le  feu.  Ils  brûloient  l'herbe  de  leurs  Savannes,  lorfqu'elles  étoient  feches; 
&  remuant  légèrement  la  terre  avec  un  bâton ,  ils  y  plantoient  leur  Maïz. 
Pour  faire  du  feu,  ils  prenoient  deux  morceaux  de  bois,  l'un  poreux  &  lé- 
ser, l'autre  d'une  fubliance  plus  compa£le  &  plus  dure:  ils  picquoient  ce- 
lui-ci dans  le  premier ,  &  le  tournoient  avec  tant  de  vîtefle ,  que  cette  vio- 
lente collifion  lui  faifoit  jetter  du  feu ,  qui  prcnoit  facilement  dans  le  plus 
léger  des  deux  bois.  Ce  n'efl:  point  que  l'Ide  manquât  dé  pierres ,  beaucoup 
plus  propres  à  cet  ufage;  mais  ils  ignoroient  apparemment  le  fecret  d'en  ti- 
rer des  étincelles.  Le  feu  leur  fervoit  aufli,  prefqu'uniquement ,  à  faire 
leurs  Canots  ou  leurs  Barques.  Ils  choiniToient  un  arbre,  autour  duquel  ils 
allumoient  du  feu,  pour  le  faire  mourir.  Enfuite,  l'ayant  laifle  fecher  fur 
pied,  ils  y  mettoienc  le  feu  pour  l'abbattre.  Les  dimenfions  fe  prenoient, 
fuivant  la  grandeur  qu'ils  vouloient  donner  au  Canot.  Ils  le  creufoient  len- 
tement avec  le  feu ,  fans  autre  peine  que  de  lever  le  charbon ,  à  l'aide  d'une 
efpèce  de  hache,  compofée  d'une  pierre  verte,  très  dure,  dont  les  Ëfpa- 
gnols  n'ont  jamais  trouvé  de  Carrières,  dans  aucune  partie  del'ine.  Ils 
ont  jugé  que  cette  pierre  venoit  de  la  Rivière  des  Amazones,  dont  on  pré- 
tend que  le  limon,  expofé  à  l'air,  fe  pétrifie;  mais  perfonne  n'explique  par 
quelle  voye ,  des  Infulaires ,  qui  n'avoient  de  commerce  avec  aucune  autre 
Nation ,  faifoient  venir  de  fi  loin  ce  limon  pétrifié. 

Leur  forme  de  Gouvernement  étoit  defpotique  ;  mais  les  Souverains 
n'abufoient  pas  de  leur  pouvoir.  Ils  avoient  peu  de  Loix ,  &  la  plus  fevè- 
re  étoit  celle  qui  regardoic  le  larcin.  Le  Coupable  étoit  empalé,  fans  qu'il 
fût  permis  à  perfonne  d'intercéder  pour  lui.  Cette  rigueur  avoit  produit , 
non  feulement  beaucoup  de  confiance  &  de  fureté  dans  toutes  les  communi- 
cations de  la  vie,  mais  encore  un  extrême  éloignement  de  l'avarice;  &  tant 
de  difpofition  à  fe  fecourir  mutuellenient ,  que  l'hofpitalité  s'obfervoit  à 
l'égard  de  tout  le  monde,  fans  qu'il  fût  befoin  d'être  connu  dans  une  Mai- 
fon  pour  y  trouver  tous  les  fecours  de  l'amitié.  Auffi  voyoit-on  naître  peu 
de  querelles;  &  s'il  furvenoit,  entre  les  Caciques,  quelque  diflférend  au  fu- 
jet  de  leurs  droits,  il  fe  terminoit  prefque  toujours  fans  efFufion  de  fang; 
les  armes  n'étoient  pas  fort  meurtrières.  Dans  les  Provinces  orientales, 
on  avoit  l'arc  &  les  ficches ,  dont  il  paroît  que  l'ufage  étoit  venu  des  Caraï- 
bes; mais  les  autres  Parties  de  l'Ifle  ne  connoillbient  que  de«  Javelots  d'un 
bois  fort  dur,  &  une  efpécc  de  Bâtons,  ou  de  Maflliës,  qui  fe  nommoient 
Macanas ^  larges  d'environ  deux  doigts  &  pointues  par  la  tête,  avec  un 
manche  en  forme  de  garde.  La  fucceilîon  aux  Principautés  ne  faifoit  ja- 
mais naître  de  guerres,  parce  qu'on  la  croyoit  fondée  fur  la  Nature,  qui 

fub- 

(0)  On  ajoûtoit  que  la  vie  des Efpagnols ,     un  jeûne  continuel.  Oviedo,  ubijttprà.  Hcr- 
qui  fe  trouvoicnt  éloignés  de  leurs  Femmes,     reia,  Liv.  4.  Cbap.  5. 
«S  ïéduits  à  de  fort  mauvais  aliuicns,  écoit 

Ff  2 


Descrtptio» 

DK  i/Isr.B 

Espagnole. 

Comment 
ils  fup* 
pléoicnt  à  la 
coiinoinancc 
des  Aits. 


Leur  G oui 
vcrncment, 


Leurs  Cucr*; 


res. 


Leurs  Mai- 
fous. 


828        PREMIER    SVOYAGES 

DescRTPTioN  fubflitiie  d'elle-même  les  Enfans  à  leurs  Pères;  «S:  l'ordre  du  fang  étant  cer» 
JEsPAOKoi.    "*"  ?'*•■  '^'  i^'emmes,  les  Etats  d'un  Cacique  ,  qui  mouroit  lans  Enfans , 
palfoient  à  ceux  de  fos  Sœurs  (/>). 

Les  Mailuns  des  InCulaires  étoicnt  bâties  fur  deux  defleins;  &  chacun, 
ayant  la  liberté  du  choix,  ne  confultoit  que  l'on  goût  ou  Tes  facultés.     Les 
plus  pauvres  plantoient  des  pieux  en  rond ,  à  quatre  ou  cinq  pieds  de  diftan* 
ce.     Ils  étendoienc  delFus,  des  pièces  de  bois  plattes,  mais  fort  épaiffes, 
fur  lefquelles  ils  appuyoient  de  longues  perches,  qui  fe  joignant  toutes  par 
la  pointe ,  formoient  un  toit  de  figure  conique,     lis  attachoient ,  à  ces  per* 
ches,  des  cannes,  qui  tenoient  lieu  de  lattes ,  deux  à  deux,  pour  les  ren* 
dre  plus  folides,  &  à  la  didance  environ  d'une  palme.    Ils  couvroient  cet- 
te  fabrique  d'une  paille  fort  .déliée,  ou  de  feuilles  de  Palmier,  ou  de  l'ex- 
trémité des  mêmes  cannes.    Four  former  les  murs,  ils  garnifToient  les  in- 
tervalles des  pieux ,  de  cannes  fichées  en  terre  &  liées  avec  une  forte  de  fi- 
lafTe ,  nommée  Befchiuchi ,  qui  croît  fur  les  arbres ,  d'où  elle  pend  aux  bran- 
ches, &  qui  efl  à  l'épreuve  de  la  corruption  (g).     Il  s'en  trouve  de  diffé- 
rentes grolfeurs;  &  les  moins  épailTes  pouvant  fé  divifer,  on  s'en  fert  à  lier 
les  choies  les  plus  fines."   Les  cannes,  qui  font  beaucoup  plus  grofTes  que 
les  nôtres  en  Amérique ,  étoient  û  bien  affermies  par  ces  liens ,  qu'elles- 
étoient  capables  de  rédfler  aux  vents  les  plus  impétueux ,  &  fi  ferrées 
qu'il  n'y  paflbit'pas  le  moindre  fouffle.     On  achevoit  de  donner  une  par- 
faite folidité  à  l'édifice,  en  plantant  au  centre  un  grand  poteau,  au  fom- 
met  duquel  fe  réuniHbient  toutes  les  extrémités  des  perches.    Les  plus  bel- 
les Maifons  étoient  conflruites  des  mêmes  matériaux  ;  mais  la  forme  en  é- 
toit  différente,  &  refTembloit  beaucoup  à  celle  de  nos  Granges.     Le  toît 
étoit  foûtenu  par  une  longue  pièce  de  traverfe  qui  l'étoit  elle  -  même  par 
des  fourches  plantées  au  milieu  de  l'efpace,  qu'elles  féparoient  en  deux  par- 
ties.   Ces  Bâtimens  étoient  non -feulement  plus  étendus  que  les  autres, 
mais  plus  ornés,  mieux  couverts;  &  plufieurs  avoieni:  des  veflibules,  en 
manière  de  portiques,  qui  fervoient  à  recevoir  les  vifites.    Oviedo  afTu- 
re  que  les  toîts  en  étoient  mieux  travaillés,  que  ceux  des  Villages  de  Flan- 
dres (r).  .     . 

QUOIQ.UE  le  langage  ne  fût  pas  uniforme  dans  toutes  les  Parties  de  rif- 
le, on  s'y  entendoic  facilement;  &  la  Langue  du  Royaume  de  Xaragua, 
qui  étoit  la  plus  eflimée,  s'apprenoit  foigneulement  dans  les  autres  Provin- 
ces. On  ajoute  qu'elle  pafToit  pour  facrée,  c'eft- à  -  dire ,  apparemment, 
qu'elle  étoit  employée  dans  les  pratiques  de  Religion:  mais  quoiqu'on  van- 
te fa  douceur  (j) ,  il  ne  paroît  pas  que  dans  cet  ufage  elle  fervît  à  des  opé- 
rations fort  fenfées,  ni  fort  aimables.  La  Religion  de  l'IOe  Efpagnole  n'é- 
acs  infulaires.  iqIi  compofée  que  d'un  tiilli  mal  aflbrti  des  plus  g.roiîières  fuperflitions.  Les 
-     .  :  j-  ,  -        .  :  pre- 


Langues  de 


Relif^ion 


aux 


(p  )  Ibidem ,  pajîe  65. 

(?)  On  lui  attribue  auflî  quelques  vertus 
iré.lccinalcs. 

(r)  Ubifuprà,  lÀv.  6.  Chap.  i. 

(x  )  On  en  peut  juger  par  quelques  mots, 
<iui  nous  viennent   de -là,  tels   que  Caiioaj 


Amacha  &  Uraenne ,  dont  nous  avons  faîr, 
Canot ,  Hamac  &  Ouragan.  Savana  ,  qu'on 
trouve  dans  toutes  les  Relations ,  paroîtroit 
venir  de  la  même  fource,  fi  Mariana  ne  le 
mettoit  entre  ceux  que  lesEfpngnols  ontcon^v 
fcrvxis  de  lancienne  Langue  des  Viiigots. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.  I. 


229 


premiers  Hiftoricns  du  Nouveau  Monde  s'accordent  à  raconter  que  le  Dti- 
mon  fc  montroic  Couvent  aux  Infulaircs,  &  qu'il  rendoit  des  Oracles,  pour 
IcTquels  ils  avoicnt  une  aveugle  Ibumiflion.     Il  cft  même  allez  vraifcmbla- 
ble  que  les  différentes  figures,  qu'ils  donnolent  à  leurs  Divinités,  dtoienc 
celles  fous  lefquellcs  ils  cioyoient  les  avoir  vues.    Elles  ctoicnc  fort  hideu- 
fes.     Les  plus  fupportables  étoient  celles  de  quelques  Animaux ,   tels  que 
des  Crapauds,  des  Tortues,  des  Couleuvres,  &  des  Caymans;  mais  le  plus 
fouvent,  c'éroit  des  figures  humaines,  horribles  &  monflrueufes ,  qui  a- 
voient  tout-à-la  fois  quelque  chofe  de  bifarre  &  d'aflVeux.    Si  cette  variété 
d'Idoles,  obferve  le  nouvel  lliftorien,  leur  perfuadoit  qu'il  y  avoit  plufieurs- 
Dieux,  il  n'étoit  pas  moins  naturel  qu'un  tel  excès  de  difformité  les  leur  fît 
regarder  comme  cfcs  Etres  redoutables,  qui  pouvoient  leur  faire  plus  de  mal 
que  de  bien.     Aulli  l'objet  de  leur  Culte  n'etoit-il  que  de  les  appaifer.     Ils 
les  nommoient  Cheviîs  ou  Zeviez.    Ils  les  failbient  de  craie,  de  pierre,  ou 
de  terre  culte.     Comme  ils  n'avoicnt  aucun  Temple ,  leur  ufage  étoit  de 
les  placer  à  tous  les  coins  de  leurs  Maifons,  d'en  orner  les  meubles,  &  de 
s'en  imprimer  l'image  en  divers  endroits  du  corps.    Il  n'eft  pas  furprenant 
que  les  ayant  fans  ccffe  devant  les  yeux ,  ils  les  viffent  fouvent  dans  leurS' 
fonges.     Ils  ne  leur  attribuoient  pas  le  même  pouvoir.     Les  uns  préfjdoient 
aux^faifons  ;  d'autres  à  h  fanté ,  à  la  chaffe ,  à  la  pêche  ;  &  chacun  avoit 
fon  culte.     Cependant  quelques  Ecrivains  affurent  que  les  Zemez  ne  paf- 
foienc  que  pour  des  Divinités  fubalternes,  &  pour  les  Miniftres  d'un  Etre 
fouverain,  unique,  invifible,  tout-puiffant,  auquel  on  donnoit  une  Mère, 
qui  portoit  cinq  diftereiis  noms;  mais  qu'on  ne  rendoit  aucun  culte  à  ce 
Dieu  fupréme,  ni  à  fa  Mère.    L'Hifloricn  de  Chriflophe  Colomb  raconte,- 
après  un  Millionnaire,  dont  il  adopte  les  Mémoires ,  que  les  Zemez  étoient 
comme  les  Efprits  tutelaires  des  Hommes,  &  que  chaque  Infulaire  s'en  at- 
tribuoit  un,  qu'il  mettoit  au-deffus  de  tous  les  autres;  qu'ils  étoient  placés 
dans  des  lieux  fecrets,  où  les  Chrétiens  n'avoient  pas  la  liberté  d'entrer; 
qu'un  jour  quelques  Elpagnols,  s'étant  introduits,  fans  être  attendus,  dans- 
la  Mailbn  d'un  Cacique,  y  apperçurent  un  Zemez,  qui  failbit  beaucoup  de 
bruit,  &  qui  fembloit  dire  quantité  de  chofes  qu'ils  n'encendoient  pas;  qu'y 
foupçonnant  de  l'impollure,  ils  briférent  la  Statue  à  coups  de  pieds,  &  trou- 
vi)rcnc  un  long  tuyau,  dont  une  extrémité  donnoit  dans  la  tête  de  l'Idole, 
&  l'autre  dans  un  petit  coin,  couvert  de  feuillages,  fous  lefquels  ils  décou- 
vrirent un  Homme ,  qui  faifoit  dire  au  Dieu  tout  ce  qu'il  vouloit  faire 
entendre  au  crédule  Adorateur  ;  que  le  Cacique  les   fupplia  de  ne  pas 
révéler  ce  qu'ils  avoient  vu  ,  &   leur   avoua  qu'il  employoit  cet  artifi-r 
ce  ,   pour  fe  faire  payer  un  tribut ,  &  pour  contenir  fes  Sujets  dans  la 
foumilîlon.     lï  ajouta  que  les  Caciques  avoient  trois  pierres,  qu'ils  con- 
fervoient  religieufement ,   chacune  revêtue  d'une  propriété  particulière; 
llune  de  faire  croître  les  grains;   l'autre,  de  procurer  aux  Femmes  une 
heureufe  délivrance  ;  &  la  troilième ,  de  produire  du  beau  tems  &  de 
la  pluye  (t). 

On  ne  nous  a  donné  la  defcription  que  d'une  feule  Fête  religieufe  dca 

an- 

(t)  Hii'.oire  de  Saint-Domiujruc ,  Llv.  i.  pa>:;e  7a.  nprcs  Hcrrcra.'.     ■ 

F  f  Cl 


DEfCRIPTIOK 

DU  l'Im.e 


Ancieiinca> 
Diviii"'cs  de 

nnc. 


Jmi)onurt; 
de  iltli^ioii,. 


Fet»  reU« 
giciifc- 


230 


PREMIERS      VOYAGES 


DCJCRMTION 
DR  I.'lSLK 


Mkîdccins 
Prctres. 


Découver- 
tes fouterrai- 
ncs,  qui  font 
juj^cr  où  é- 
toicnr.  les  an- 
ciennes Bour- 
gades. 


anciens  Ilabitanj  de  l'ide  Efpagnolc.  T.e  Cacique  en  marquoit  le  jour,  & 
le  failbit  annoncer  par  des  Cricurs  publics.  Elle  commençoit  par  une  nom- 
breule  Proccifion,  où  les  Hommes  &  les  Femmes  maries  portoient  ce  qu'ils 
avoient  de  plus  précieux.  Les  Filles  y  paroiiroient  dans  leur  nudité  ordi- 
naire. Un  des  principaux  Habitans,  ou  le  Cacique  même,  marchoit  à  la 
tête,  avec  un  Tambour,  dont  il  jouoit  fans  celle;  &  la  Troupe  le  rendoit 
dans  un  Temple,  rempli  d'Idoles.  Elle  y  trouvoit  les  Prêtres,  occupés  à 
les  fervir,  &  prêts  à  recevoir  les  offrandes,  dont  la  plupart  a'droient  que 
des  gâteaux ,  préientés  par  des  Femmes  ,  dans  des  corbeilles  ornées  de 
fleurs.  Après  cette  cérémonie,  les  mêmes  Femmes  attendoient  le  lignai 
des  Prêtres,  pour  chanter,  en  danfant,  les  louanges  des  Zemez.  Elles  y 
ajoûtoicnt  celles  des  anciens  Caciques,  qu'elles  finllFoient  par  des  Prières 
pour  la  profperité  de  la  Nation.  Enfuite  les  Prêtres  rompoient  les  gâteaux 
confacrés,  &  diflribuoient  les  morceaux  aux  Chefs  des  Familles.  Ces  frag- 
nicns,  qui  étoient  regardés  comme  des  picfervatifs  contre  toute  forte  d'ac- 
cidens ,  fe  eonfervoient  toute  l'année.  Le  Cacique  n'entroit  point  dans  le 
Temple.  Il  le  tenoit  alîis,  à  la  porte,  où  jouant  fans  celfc  de  fon  Tam- 
bour, il  faifoit  palier  devant  lui  toute  la  Procellion.  Chacun  couroit,  en 
chantant,  pour  aller  fe  préfenter  à  la  principale  Idole.  Il  cellbit  de  chanter 
devant  elle,  &  fe  fourroit  dans  la  gorge  un  bâton  propre  à  le  faire  vomir. 
L'efprit  d'une  cérémonie  fi  bilarre  étoit  de  faire  connoître,  que  pour  fe 
préfenter  dignement  devant  ks  Dieux,  il  faut  avoir  le  cœur  pur,  &  com- 
me fur  les  lèvres  (u). 

Les  Zemez  fe  communiquoient  particulièrement  aux  Dutios;  nom  des 
Prêtres  do  l'Ifle,  qui  exerçoient  avec  cet  office  ceux  de  Médecins,  de  Chi- 
rurgiens &  de  Droguifles.  Il  y  entroit  beaucoup  de  fourberie.  Lorfque 
ces  Impofteurs  confultoient  les  Zemez,  en  public,  jamais  on  n'entendoic 
la  réponfe  du  Dieu,  &  l'on  ne  jugeoit  de  l'Oracle  que  par  la  contenance  du 
Prêtre.  Les  Butios  s'appliqaoient  à  la  connoiflance  des  Simples.  Mais  leur 
manière  de  traiter  les  Malades  étoit  fort  ecrangc:  après  diverfes  cérémo- 
nies, ils  fiiçoient  la  partie  infirme;  &  feignant  d'en  tirer  une  épine,  ou 
quelque  choie  de  même  nature,  qu'ils  avoient  eu  foin  de  mettre  dans  leur 
bouclie,  ils  déclaroient  que  c'étoic  la  caufe  du  mal,  avec  la  malignité  de 
l'attribuer  à  quelqu'un,  qu'ils  metcoient,  par  cette  calomnie,  dans  la  né- 
ceilité  d'avoir  recours  à  leur  protedlion. 

Depuis  plus  de  deux  fiécles ,  on  ne  ccfTe  point  de  rencontrer ,  dans  plu- 
fieurs  endroits  de  fille ,  des  figures  de  Zemez,  par  lefc.uelles  on  croit  pou- 
voir juger  des  lieux,  où  les  anciennes  Bourgades  étoit nt  fituées.  On  por- 
te le  même  jugement  de  divers  amas  de  Coquilles,  qui  fe  trouvent  fous  ter- 
re; parce  que  les  Infulaires  mangeoient  beaucoup  de  cette  elpèce  de  Poif- 
fon.  En  général,  il  efl:  rare  qu'on  creufe  la  terre,  fans  y  faire  d'alTez  eu- 
rieufes  découvertes.  On  y  rencontre  des  pots  de  terre,  des  platines,  fur 
lei'quelles  ils  faifoient  cuire  la  cailave ,  des  haches ,  de  ces  petites  lames 
d'or  qui  leur  pcndoient  des  narines  &  des  oreilles,  &  tout  ce  qui  étoit  à  l'u- 
fage  de  ces  Peuples;  mais  fur -tout  une  grande  variété  de  Zemez.     Il  ne 

refl:e 

(u)  Ibid.  page  73.  &Ovicdo,  Liv.  S»        "• 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.   I. 


231 


refté  aucune  trace  de  leurs  opinions  fur  i'immortaliré  de  l'amc.    Les  I  liflo- 
riens  rapportent  feulement  qu'ils  admettoient  un  lieu,  où  les  Ames  vcrtutu- 
fes  étoicnt  récompenfées,  nuis  fans  aucune  notion  de  la  durde  de  ccx  état  ; 
&  qu'ils  nj  parloient  d'aucun  fupplice  pour  les  Méehans.     Chacun  pla(;uic 
cette  elpéce  de  Paradis  dans  une  partie  invifible  de  fa  Province.     (Quel- 
ques-uns le  niettoienc  néanmoins  vers  le  Lac  de  Tiburun,  où  l'on  voit  de 
grandes  Plaines  couvertes  de  Mameis  ;  efpcce  de  fruit  auquel  nous  avons 
donné  le  nom  à'Mncot  de  Saint-Domingue.     Ils  prétendoient  que  les  Ames 
faifoient  leur  nourriture  ordinaire  de  ce  fruit  ;   qu'elles  prenoient  le  tems 
de  la  nuit  pour  en  faire  leur  provifion,  &  qu'elles  le  tenoient  cachées,  tout 
le  jour,  dans  des  lieux  inaccelfibles.     Cette  opinion  fembloit  répandre  quel- 
que chofe  de  religieux  fur  les  Mameis;  &  les  Vivans  avoient  la  modéra- 
tion de  s'en  abftenir,  pour  ne  pas  cxpofer  les  Morts  à  manquer  de  nourri- 
ture.    On  juge  que  la  caverne,  d'où  ils  faifoient  fortir  les  premiers  Hom- 
mes, ell  la  même  qui  fe  voit  encore  dans  le  Quartier  du  Dondout  ^  ^x  ou 
îept  lieues  du  Cap  François.     Elle  a  cent  cinquante  pieds  de  profondeur,  ôc 
prefque  autant  de  hauteur;  mais  elle  efl:  fort  étroite.     Son  entrée  cfl:  plus 
haute  &  plus  large  que  nos  plus  grandes  Portes  cochèrcs.     La  grotte  ne  re- 
çoit de  jour  que  par  cette  ouverture,  &  par  un  conduit  pratiqué,  dans  la 
voûte,  en  forme  de  clocher.     On  fuppofeque,  fuivant  l'opinion  deslnfulai- 
res,  le  Soleil  &  la  Lune  s'étoient  fait  un  pallage  par  cette  voye,  pour  s'éle- 
ver au  Ciel.     Toute  la  voûte  ell  fi  belle  &  û  régulière,  qu'on  a  peine  à  la 
prendre  pour  l'ouvrage  de  la  feule  Nature.     Il  n'y  paroit  aucun  refte  de 
Statue;  mais  on  y  apperçoit ,  de  toutes  parts,  des  Zemez  gravés  dans  le 
roc;  &  toute  la  Caverne  eil;  partagée  en  quantité  de  niches,  aflez  profon- 
des.    Les  premiers  Hifloriens  rapportent  unanimement  que  peu  de  tems 
avant  l'arrivée  de Chriftophe Colomb,  les  Infulaires  avoient  été  avertis  d'un 
événement  qui  dcvoit  entraîner  la  ruine  de  leur  repos  &  de  leur  liberté. 
Colomb  fe  fit  raconter  les  circonflances  de  cette  prédiélion.     Un  jour,  le 
Père  du  Cacique  (îuarinoex  ayant  eu  la  curiofité  de  confulter  les  Zemez,  fur 
ce  qui  arriveroit  dans  l'IOe,  après  fa  mort,  leur  réponfe  avoit  été  qu'il  y 
viendroit  bientôt  des  Hommes  qui  auroicnt  du  poil  au  menton,  &  qui  fe- 
roient  vêtus  de  la  tête  aux  pieds  ;  que  ces  Etrangers  mettroient  en  pièces  les 
Divinités  de  l'ille,  &  qu'ils  en  aboliroient  le  Culte;  qu'ils  porteroient  à 
leurs  Ceintures  de  longs  inftrumens  de  fer,  avec  lefquels  ils  fendroient  un 
homme  en  deux;   enfin,  qu'ils  dépeupleroicnt  l'ille  de  fes  anciens  Ilabi- 
tans.     Cette  eftVoyable  menace  s'étoit  divulguée,  &  n'avoit  pas  manqué  de 
jetter  la  conllernation  dans  tous  les  efprits.     On  avoit  compofé,  là-deffus, 
une  Chanfon  lugubre,  qui  fe  chantoit  à  certains  jours.    Le  nouvel  Hiflo- 
rien,  reconnoillant  qu'on  ne  peut  douter  d'un  fait  fi  bien  attelle ,  croit» 
avec  la  même  confiance,  que  Dieu  avoit  forcé  TElpric  d'erreur  de  donner 
ces  lumières  à  des  Peuples  qu'il  féduifoit  depuis  long-tems  (a,).     Mais  il 
lelle  à  demander  dans  quelle  vue?  lorfque,  loin  de  les  difpofer  au  Chrillia- 
nifme,  un  avertilfement  de  c^tte  nature  fembloit  devoir  les  attacher  plus 
que  jamais  à  des  Dieux  aflez  éclairés  pour  pénétrer  dans  les  ténèbres  de  i'a- 

(*)  IliUoIre  de  Saint-Domingue,  Liv.  i.  pnge  84;  après  Herrcra  &  Ovicdo. 


DE'cmrTioif 
E^rAo^oL«l. 


Cave  -ne  di» 
Dontltm. 


Pi-édiaion 
qui  nnnonçoit 
aux  Infulaires 
la  conquête 
de  leur  Ifle. 


/ 


232 


PREMIERS      VOYAGES 


Animaux 


i 


I 


l< 


DRJcrtirTtsN    venir,  &  aflez  bons  pour  faire  connoître,  à  leurs  Adorateurs,  les  maux  qui 
I^rAcioLE      lesmenaçoienc(y). 

Quoiqu'on  fe  propcfe  de  recueillir,  dans  un  Article  fépare,  les  pro- 
du6tions  naturelles  des  Antilles,  on  n'abandonnera  pas  la  méthode,  à  la- 
quelle on  s'ell:  attaché  jufqu  a  préfent.,  d'oblerver ,  fous  le  nom  de  chaque 
Pays,  ce  qu'il  produit  de  particulier,  ou  plus  parfaitement,   ou  dans  une 
plus  grande  abondance.     Entre  les  Animaux  de  l'ille  Efpagnole,  les  Qua- 
drupèdes ne  méritent  d'être  nommés,    que  pour  faire  remarquer  qu'en  la 
découvrant  on  n'y  en  trouva  que  de  cinq  efpéces  ;  &  comme  ils  étoient  fans 
défenfes ,  les  Chiens  &  les  Chats  Efpagnols  ne  furent  pas  long  -  tems  à  les 
détruire.     Les  Infulaires  les  nommoient  IJim^  Chemis^  Mohuis^  Coris,  & 
iJofchiî.    Il  paroît  que  les  plus  grands  ne  l'étoient  pas  plus  que  nos  Lapins 
ordinaires,  dont  les  trois  premières  eipèces  tenoient  beaucoup,  &  que  tous 
avoient  la  chair  aflez  bonne.     L'Uiias  étoit  de  la  grofTeur  d'une  Souris,  & 
le  Cori ,  de  celle  d'un  petit  Lapin.     On  voyoit  des  Utias  tout  blancs;  mais , 
dans  le  pFus  grand  nombre  ,  les  couleurs  étoient  mêlées.     Le  Cori  étoic 
-tlanc  &  noir.     Il  n'avoit  point  de  queue,   &  fa  gueule  reflembloit  à  celle 
d'une  Taupe.     Les  Gofchis  étoient  de  petits  Chiens  muets ,  qui  fervoient 
d'amufement  aux  Femmes,  &  qu'elles  portoient  entre  leurs  bras.     On  les 
employoit  auflî  à  lachafle,  pour  éventer  les  autres  animaux.     Comme  ils 
n'étoient  pas  moins  bons  à  manger,  ils  furent  d'une  grande  reflburce  pour 
les  Efpagnols,  dans  les  premières  famines  auxquelles  ils  fe  virent  réduits. 
On  en  dirtinguoit  plufieurs  fortes:  les  uns  avoient  la  peau  tout-à  fait  lifle  ; 
ti'autres  étoient  couverts  d'une  laine  fort  douce,  &  le  plus  grand  nombre 
n'avoit  qu'une  efpèce  de  duvet ,   fort   tendre   &  fort  rare.     Leurs  cou- 
leurs étoient  auiîi  variées  que  celles  de  nos   Chiens  ,   &  beaucoup  plus 
vives. 

Les  anciens  Ilabitans  de  l'Efpagnole  n'avoient  aucune  forte  de  Volaille 
domellique;  &  l'on  ne  voit  point  dans  cette  Ifle,  ni  dans  les  Pies  voifines, 
autant  de  fortes  d'Oiicaux  qu'en  Europe:  mais  il  s'y  en  trouve  d'une  beauté 
dont  les  nôcres  n'approchent  point.  Les  HirondclL'S,  les  Corneilles,  les 
Tourterelles,  les  Ramiers,  les  Oies  &  les  Canards  fauvages  y  font  à-peu- 
près  les  mêmes.  On  y  voit  aufii  des  Canards  dont  le  plumage  ell  tout  blanc, 
a  l'exception  de  la  tête,  qui  efl  d'un  très  beau  rouge.  Les  Efpagnols  y  en 
ont  porté  de  mufqués;  &  c'efl:  la  feule  efpèce  qu'on  élève,  autant  pour  leur 
grolleur  que  pour  la  beauté  de  leur  plumage.  Ils  fonL  plufieurs  ponces  par 
an;  &  Ton  obferve  que  les  Cannetons,  qui  viennent  de  l'accouplement  de 
ces  Canards  étrangers  avec  les  Cannes  de  l'Ille,  n'en  font  point  d'autres. 
Les  Oies  n'ont  des  Petits  qu'une  fois  l'année:  mais  toutes  les  autres  efpèces 
de  Volailles,  qu'on  a  trouvées  dans  les  Bois  de  flfle,  ou  qu'on  y  a  portées, 
produifent  indifféremment  dans  toutes  les  faifons;  &  l'on  n'auroit  pas  de 
peine  à  les  élever,  fi  elles  n'étoient  fujettes  à  une  maladie  qu'on  nomme  les 
Pians  ,  &  qui  en  fait  mourir  un  fort  grand  nombre.  Ce  qu'on  voit  aujour- 
d'hui de  plus  commun  dans  les  baffe-cours, .ce  l'ont  des  Poules  Pintades, 
qui  y  font  venues  de  Guinée;  des  Paons,  qu'on  a  trouvés  en  abondance 

fur 

<  y  )  On  trouvera  les  mêmes  prédiétions  au  Mexique  &.  au  Peioii. 


Volailles  & 
autres  ()i- 
feaiiy  ^jc 
l'ifîe. 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.   I.. 


233 


DEfcaIPTlo^f 
DE  l'Isle 

EsPACNOr.E, 


fur  les  bords  de  la  Rivière  Neyva,  &  des  Faifans.  L'Iile  avoit  des  Pinta- 
des, un  peu  difFérentes  de  celles  d'Afrique,  &  moins  groiTcs;  mais  il  n'a 
jamais  été  poifible  de  les  rendre  domeftiques.  Si  l'on  met  leurs  œufs  fous 
une  Poule  ordinaire,  les  Pouffins  n'ont  pas  plutôt  leurs  ailes,  qu'ils  difpa- 

roilTent(2). 

■  Ce  qu'on  a  pris,  dans  la  même  Ifie,  pour  des  Perdrix  rouges  &  des  Or- 
tolans, n'eft  au  fond  que  différentes  efpéces  de  Tourterelles.  Les  nôtres, 
fur-tout,  y  font  fort  communes.  Le  Pic -vert  a  toutes  les  propriétés  de 
celui  de  France 5^  mais  il  l'emporte  beaucoup  par  la  beauté  de  fon  plumage, 
qui  eft  rouge  &  noir,  fur  un  fond  jaune.  Les  François  l'ont  nommé  Char- 
pentier ^  à  l'exemple  dés  Efpagnols;  parce  qu'en  {jiquant  le  bois,  de  fon  bec, 
il  fait  beaucoup  de  bruit.  Le  nombre  en  eft  i\  grand,  qu'on  eft  quelque- 
fois contraint  d'abbattre  des  Edifices  dont  ils  ont  criblé  les  poutres.  L'Ille 
a  ion  Rollignol,  quoique  par  la  figure  &  le  chant  cet  Oifeau  approche  af- 
fez  peu  du  nôtre  ;  mais  il  doit  fon  nom  au  plaifir  que  les  premiers  Efpa- 
gnols reffentirent ,  de  f entendre  chanter,  au  mois  de  Décembre.  On  y 
trouve  une  efpèce  de  Linotte,  dont  le  ramage  eft  très  agréable.  Malheu- 
reufement  elle  eft  rare;  &  l'on  remarque,  en  gêné -al,  que  le  chant  des  Oi- 
feaux  ne  fait  pas,  dans  flfle  Efpagnole,  un  agrément  de  la  Campagne  & 
des  Bois.  S'ils  plaifent  aux  yeux,  plus  que  les  nôtres,  ils  flattent  moins 
les  oreilles  (a). 

Les  Oifeaux  de  proie  y  font  en  grand  nombre,  &  d'efpèces  fort  diffé-  Oifeaux  île 
rentes.  On  y  voit  fur- tout  quantité  de  grands  Go/iers,  que  plufieurs  Ecri-  proie. 
vains  confondent  mal-à  propos  avec  le  Pélican ,  mais  qui  tiennent  de  fa  na- 
ture &  de  celle  du  Cormoran.  La  couleur  de  cet  Oifeau  eft  d'un  cendré 
obfcur.  De  la  partie  inférieure  de  fon  bec ,  qu'il  a  fort  long  &  fort  large , 
pend  une  efpèce  de  bourfe  qui  lui  fert  de  magafin,  &  de  laquelle  il  tire  fon 
nom.  11  ne  ceffe  point  de  pêcher,  jufqu'à  ce  qu'il  l'ait  remplie  ;  après  quoi 
il  digère  à  fon  aife.  Cette  defcription  n'a  rien  qui  puiffe  le  faire  juger  dif- 
férent de  celui  d'Afrique.  Cependant  on  ajoute  que  fa  couleur  change,  le 
long  des  Rivières ,  &  que  dans  quelques  endroits  du  moins  il  eft  d'un  fort 
beau  blanc  (èj.  Un  autre  Oifeau  de  proie,  fort  commun  dans  l'Ifle,  eft 
le  Malfenis^  qui  approche  du  Faucon  &  de  l'Aigle.  Quantité  d'autres ,  aux- 
quels on  donne  indifféremment  les  noms  de  Pêcheurs ^  ou  à' Aigrettes,  font 
de  vrais  Hérons,  qui  différent  peu  des  nôtres. 

Les  Perroquets  font  des  Habitans  naturels  de  l'Ifle  Efpagnole,  où  l'on      Autres  0;- 
en  voit  de  toutes  les  efpèces  «Si  de  toutes  les  couleurs.     Les  l'Iamingos,  ou  finaux. 
les  Flamands,  y  bordent  les  Marais,  en  grandes  troupes;  &  comme  ils  ont      rinnùngor. 
les  pieds  d'une  extrême  hauteur,  on  lesprendroit  de  loin  pour  un  liifcadion 
rangé  en  bataille.    [Il  y  en  a  toujours  un  en  fentinelle  qui  avertit  les  autres , 
en  cas  de  danger,  de  prendre  la  fuite.     On  ne  peut  les  apprivoifer  que 
difficilement,  quoiqu'on  les  prenne  jeunes.     Ils  le  nourriifent  d'inleclcs, 
de  Crabes  &.  de  petits  Poiffbns,  &  boivent  copieufement  de  l'eau  de  Mer]. 

.       ■  '  ^    ^      .  ,  •      ■  -  Leur  ;' 


(z)  innoircidc Saint-Domingue,  pfigc  29- 
après  Ovicdo,  I.h.  5. 

(ri)  Le    Chcv.  llaus  Sloanc   foûtient  le 

Xnil.  Fait.     ■  G 


contraire.  R.  d.  E. 
(t)  Ibidem,  page  44..  &  précédentes. 


M 


»34 


PREMIERS      VOYAGES 


|)llCBIPTION 

DE  L'Islb 

EsrAGNOLE. 

Le  Colibry, 
ou  Tû:ninejo. 


> 


Monclie» 
extraordinai- 


Defcription 
tle  l'Efcubût 
Fvhinoceros. 


Leur  grofTeiir  efl:  celle  d'une  Poule  -  d'Inde ,  &  leurs  plumes  font  d'un  très 
bel  incarnat,  mêlé  d'un  peu  de  blanc  &  de  noir.  La  chair  n'en  eh  pas 
bonne  à  manger;  mais  leur  langue  pafle  pour  un  morceau  délicat.  Le  Co- 
libry,  que  les  Efpagnols  ont  nommé  TomincjOt  parce  que  dans  fon  extrê- 
me pptitefle  il  ne  pefe  avec  fon  nid  qu'environ  deux  de  -ces  petits  poids 
qu'on  appelle  Tominos  en  Efpagne,  efl:  un  peu  plus  gros  néanmoins  que 
celui  du  Canada  ,  que  les  François  appellent  Oijiau  mouche ,  &  dont  le 
corps  ,  en  comprenant  les  plumes  ,  n'a  que  la  groffeur  d'un  Hanneton. 
Ses  couleurs,  dans  l'Kfpagnole,  font  le  rouge,  Je  noir,  le  verd  &le  blanc^ 
avec  des  nuances  d'or,  ilir  le  verd  &  fur  le  rouge.  Il  a  fur  la  tête  une 
petite  aigrette  noire.  Sa  gorge  efl:  d'un  rouge  très  vif;  fon  ventre  efl: 
d'un  beau  blanc;  &  tout  le  relte,  d'un  verd  de  feuille  de  rofier.  11  a  le 
bec  un  peu  crochu,  au  lieu  que  l'Oifeau  -  mouche  du  Canada  l'a  tout  droit. 
La  femelle  n'a,  de  toutes  les  couleurs  du  mâle,  que  le  blanc  fous  le  ventre. 
Un  cendré  clair  efl;  celle  de  tout  le  refl:e  de  fon  plumage.  Le  bec  &  les 
pattes  de  ce  charmant  Oifeau  font  fort  longs.  Quelques-uns  lui  donnent 
un  chant  fort  mélodieux;  &  d'autres  prétendent  qu'il  ne  fait  pas  d'autre 
bruit  que  celui  du  braillement  de  ïes  aîles,  qui  efl:  aifez  fort,  parce  qu'il  a 
le  vol  très  rapide. 

La  Mouche  luifante,  que  les  anciens  Infulaires  nommoient  Locuyo  ^  & 
qui  a  confervé  le  môme  nom  parmi  les  Efpagnols,  eil  une  efpèce  d'Efcar- 
bot,  moins  gros,  de  la  moitié,  qu'un  Moineau.  Il  a  deux  yeux  à  la  tê- 
te ,  &  deux  fous  les  aîles ,  d'où  il  fort  un  feu  qui  jette  une  très  grande  lu- 
mière. On  voyage,  on  lit  même,  à  fa  clarté;  &  les  Infulaires  n'avoient 
pas  d'autres  flambeaux  pour  s'éclairer  pendant  les  ténèbres.  Ils  prenoient 
ces  petits  animaux  la  nuit ,  avec  des  tifons  embrafés ,  dont  la  vue  les  faifoit 
approcher;  &  lorfqu'on  les  avoit  fait  tomber ^  ils  ne  fe  relevoient  point. 
Ce  qui  les  fait  briller  efl:  une  humeur,  qui  produit  le  même  effet  fur  les 
mains  &  le  vifage,  quand  on  s'en  efl:  frotté.  Mais  ils  n'ont  qu'une  faifon, 
qui  efl:  celle  des  grandes  chaleurs;  &  c'efl:  avec  beaucoup  de  peine  qu'on 
les  garde  plus  de  huit  jours.  Nos  Mouches  communes,  qui  ont  pafié  dans 
les  Antilles  fur  nos  Vaifleaux ,  y  ont  fi  prodigieufement  j)euplé ,  qu'on  ne 
fauroit  t*ier  une  pièce  de  gibier,  un  peu  loin  des  Habitations,  qui  ne  foit 
couverte  &  corrompue ,  en  peu  d'heures  ,  par  ces  infeftes.  Les  Rats  & 
les  Souris,  que  ces  Ifles  ont  reçus  de  nous  par  la  même  voie,  y  caufent 
aufll  des  ravages  incroyables.  Parmi  les  autres  infeétes,  on  remarque  plu- 
fieurs  efpèces  de  Scorpions,  une  forte  d'Efcarbot,  qu'on  a  nommé  Rhinocé- 
ros ,  diverfes  fortes  de  petits  Lézards ,  d'Araignées  &  de  Fourmis  ;  &  des 
Couleuvres,  dont  (Quelques-unes  font  aflfez  groiles  pour  avaller  des  Poules 
entières.  Mais  tous  ces  Animaux  ne  font  pas  venimeux ,  à  la  referve  de 
certains  Scorpions,  qui  naiflfent  dans  la  Préfqu'Ifle de Samana ,  &  d'une  A- 
raignée  à  cul  rouge,  la  plus  grande  &  la  plus  monflrueufe  qu'on  connoifle 
au  Monde. 

L'EscARBOT  Rliinoceros  efl:  un  animal  fi  curieux,  qu'il  mérite  particu- 
lièrement uno  difcription,  d'après  Oviedo  &  le  nouvel  Hifl:oiien.  Quel- 
que tcms  après  qu'on  a  coupé  un  Palmier,  une  efpèce  d'Elcuibot  y  produit 
quantité  de  vers  cornus,  que  les  Ilabitans  recherchent  avec  foin,  &  qui 

paf- 


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tes  ,     (]l| 


.       ^;'      E    N      AMERIQUE,  Liv.  î.  23s 

paiïent  pour  un  mets  fort  délicat.     Ce  n'efl:  qu'une  graiffe,  douce  &  agréa- 
ble, enveloppée  d'une  pellicule  ondulée,  en  volute.    Sa  figure  rebute,  & 
caufe  une  forte  d'horreur  que  tout  le  monde  ne  faurôit  vaincre;  mais  la 
plupart  s'y  font  bientôt.    L'Efcarbot  qui  les  enfante,  efl:  celui  qu'on  a  nom- 
mé Rhinocéros.     C'efl  une  forte  de  Mouche  volante,  qui  a  le  nez  fort  al- 
longé, en  forme  de  corne  un  peu  cintrée,  d'où  lui  eft  venu  ce  nom.     [Il 
s'en  fert  comme  d'une  fcie  pour  couper  de  petits  rameaux].     Cette  corne 
eft  ornée  d'une  double  époulfette,  l'une  en  delïïis,  &  l'ancre  en  defTous.    Il 
fort,  de  fes  narines, deux  barbillons  mobiles,  qui  ont  plufieurs  articulations, 
terminés  par  de  jolis  ombelles  veloutés ,  qui  lui  fervent  d'oculaires.     H  a  la 
tête  couverte  d'un  cafque  tout  d'une  pièce,  un  peu  en  bofie  ,  d'un  noir  lui- 
fant  très  poli,   d'une  confiftance  ferme,   brune  &  caflante.     Sa  gueule, 
fendue  horifontalement,  renferme  deux  mâchoires  ,    armées  de  bonnes 
dents.     Son  thorax  efl:  ofl!eux ,  accompagné  de  deux  bras ,  qui  ont  chacun 
trois  nœuds,  ou  trois  articulations.     Ces  bras  font  recoudés,  &  terminés 
par  une  patte  fourchue,  ardillonnée  &  velue.   Un  peu  au-deflbus ,  ils  s'em- 
boëcent  dans  une  échancrure,  qui  fe  '.rouve  dans  la  partie  fupérieure  du 
ventre.     De  chaque  côté,  il  y  a  un  pied  ,   tout  femblable  aux  bras  qu'on 
vient  de  décrire ,  enchafle  dans  un  corfelet  fait  de  plufieurs  pièces ,  qui 
ne  font  pas  dift*érentes  des  autres.     Plufieurs  tuniques,  rangées  les  unes  fur 
les  autres,  terminent  en  bas  cet  infeéle,  lequel  porte  en.deflTus  quatre  aî- 
les;  deux  intérieures,  fines  &  tifliies  comme  de  la  gaze-^ôi.  deux  extérieu- 
res, qui  font  rayées ,  noires,  ovales,  féches  &  rayonnantes  (c). 

C'est  dans  l'ifle  Efpagnole  qu'rn  a  commencé  à  connoître  une  forte 
d'Amphibie ,  que  les  anciens  Infulaires  nommoienc  Ivana  ou  la^uana  ,  & 
qu'on  voit  auflTi  fouvent  dans  l'eau,  que  fur  le  haut  des  arbres  (  J).  Jl  tient 
du  Lézard  &  du  Crocodile;  mais  il  a  cet  avantage,  fur  l'un  &  l'autre,  que 
fa  chair  efl:  un  aliment  délicieux.  Cependant  on  afifure  qu'elle  efl:  nuifible  à 
ceux  qui  font  atteints  des  maladies  honteufes.  Quelques-uns  le  mettent  au 
nombre  des  Serpens ,  parce  que  fa  peau  a  les  mêmes  couleurs.  Sa  figure 
efl:  horrible,  mais  il  n'y  a  point  d'animal  plus  doux  &  moins  mal-faifant. 
Les  plus  grands  ont  deux  palmes  &  demie  de  long,  &  un  peu  plus  d'une 
palme  de  large.  L'Iguana  a  des  pattes  de  Lézard,  la  tête  plus  grofle,  & 
une  queue,  qui  efl:  le  double  de  fon  corps  pour  la  longueur;  fes  dents  font 
fort  aigiies.  11  efl:  muni  d'un  long  ôi,  large  jabot,  qui  lui  pend  jufques  fur 
la  poitrine.  Ses  pattes  de  devant  font  plus  longues  que  celles  de  derrière, 
avec  des  doigts,  dont  les  ongles  font  comme  des  ferres  d'Oifeau  de  pnoye, 
quoiqu'incapabics  de  rien  ferrer  fortement.  Enfin  il  a,  dans  toute  la  lon- 
gueur du  dos,  comme  une  nageoire  élevée  &  crêtée ,  en  forme  de  fcie. 
On  en  voit  fouvent  de  foris  petits,  qui  font  apparemment  d'une  efpèce  par- 
ticulière. Cet  Animal  efl:  abfolument  muet,  &  n'a  aucune  force  de  cri.  Il 
efl:  d'-me  douceur  &  d'une  patience  extraordinaires.    On  peut  le  tenir  trois 

fe- 


DRScnrPTiorr 

DE  l'I'^LE 
E&FAGNOLC. 


(c)  Nous  en  ckinnons  la  Figure  de  gran- 
deur naturelle  tia'jd'undc  ces  curieux  In  l'jc- 
tcs  ,  qui  «g  été  apporté  depuis  peu  eu  An- 
gleterre. R.  d.  i;. 


{d)  Il  s'en  trouve  auflTi  dons  les  Indes  O- 
rientales,  mais  un  peu  difrérens,  Voyc^:  la 
Defcription  de  l'iQc  de  Ceylan. 


Gg 


r 


L'Iguana. 


Dkscription 

DB  L'If  LE 

Espagnole. 


Crocodiles 
denne-Ef- 
jiagnole. 


L.imentins 
Cil  Manatib. 


236        PREMIERS      VOYAGES 

femaines  à  l'attache ,  fans  aucune  nourriture ,  &  fans  qu'il  fafle  le  moin- 
dre mouvement  pour  fe  dégager.  Les  alimens  qu'on  lui  donne  font  de  la 
cafTave  &  des  herbe".  11  ne  peut  nager  que  lorfqu'il  efl  petit  ;  &  dès  qu'il 
a  toute  fa  taille,  le  mouvement  manque  à  fes  pattes  pour  le  foutenir  fur 
l'eau.  Ses  œufs,  qu'il  fait  dans  le  fable  ,  le  long  des  Rivicres  &  des  Ruif- 
feaux ,  montent  ordinairement  à  quarante  ou  cinquante.  On  obferve  qu'ils 
ne  cuifcnt  point  dans  l'huile,  ni  dans  le  beurre,  mais  uniquement  dans 
l'eau.  Ils  font  de  la  groflcur  d'une  noix,  &  leur  enveloppe  n'elî  qu'une 
petite  peau  fort  déliée.  Il  n'efl  pas  difficile  de  prendre  l'Jguana ,  par- 
ce qu'il  fe  laifle  aifément  approcher.  On  le  chatouille  doucement  fur 
le  dos,  tandis  qu'il  fe  lailTe  faifir  par  le  col  avec, un  nœud  coulant  (e). 

Quoiqu'on  ait  parlé  des  Crocodiles,  &  des  Manates,  ou  Lamentins, 
dans  les  Defcriptions  de  l'Afrique  &  de  l'Afie,  il  ne  fera  point  inutile  de 
repréfenter  ces  deux  efpèces  d'Animaux  dans  un  autre  Hemifphère,  pour 
en  faire  obferver  les  différences.  On  a  déjà  remarqué  que  les  Crocodiles 
portent  le  nom  de  Cayvmns,  en  Amérique.  On  n'y  a  point,  comme  à  la 
Chine,  l'art  de  les  apprivoifer  ;  mais  ils  y  ont  un  infl:in6l  admirable,  pour 
aller  chercher  leur  proye  jufques  dans  les  Forêts,  où  ils  dreflent  fort  adroi- 
tement des  embûches  aux  Cochons  maons  ,  &  à  d'autres  Animaux  ,  qu'ils 
furprennent  prefque  toujours.  Les  Chafleurs  mêmes  ont  quelquefois  le 
malheur  d'y  être  pris.  On  vante  la  légèreté  des  Caymans  de  Cuba,  qui 
gagnent,  dit-on,  les  Hommes  à  la  courfe.  Ils  piquent  leur  queue  en  ter- 
re, pour  s'élancer*d'une  grande  vîtefle  ;  mais  comme  c'efl:  toujours  en  li- 
gne droite,  il  fuffit,  pour  les  éviter,  de  courir  en  ferpentant.  Ceux  de 
l'Ifle  Efpagnole  quittent  rarement  les  Rivières,  où  ils  fe  tiennent  en  em- 
bufcade  aux  paffages  &  aux  abreuvoirs.  Ils  n'attaquent  ordinairement  les 
Hommes ,  qu'après  en  avoir  reçu  quelque  offenfe  ;  mais  ils  font  la  guerre 
à  tous  les  autres  Animaux.  La  Nature  leur  apprend  à  les  faifir  toujours  par 
le  mufeau ,  pour  leur  ôter  la  refpiration.  Enfuite  ils  les  entraînent  au  fond 
de  l'eau,  où  ils  les  laiffent  pourrir  avant  que  de  les  manger.  Ils  aiment  les 
odeurs  fortes;  &  celle  qu'ils  jettent  eux-mêmes  approche  de  celle  du  mufc. 
Les  Corneilles  du  Pays  font  fort  avides  de  leurs  œufs ,  qu'elles  éventent  fous 
le  fable,  où  cet  Amphibie  les  cache,  &  où  la  feule  chaleur  du  Soleil  les  fait 
éclore,  comme  ceux  de  la  Tortue.  On  affure  qu'il  fe  tr-^uve  des  Caymans 
de  vingt-cinq  pieds  de  long,  &  de  la  grofleur  d'un  Bœut.  Les  Infulaires, 
qui  ont  à  paiïer  un  Lac  ou  une  Rivière,  jettent  fur  l'eau  des  veflies  enflées, 
après  lefquelles  ces  dangereux  Animaux  courent  auffî-tôt;  &.  la  crainte,, 
que  leur  vue  infpire,  fe  change  en  amufement  (/). 

L'Historien  obferve  que  fuivant  quelques  Auteurs,  la  plupart  des 
fingularités,  qu'on  attribuoit  anciennement  à  la  Sirène  &  au  Dauphin,  fe 
trouvent  dans  le  feul  Lamentin.  Mais  il  ajoute  qu'il  n'efl:  pas  aifé  de  les  y 
reconnoître.    Le  Lamentin,  dit-il,  n'a  jamais  chanté.    Il  jette  des  larmes, 

& 


(e)  Hilloirc  de  Saint-Domin;îiie ,  Liv.  i, 
;)age  37  &  38.  On  le  chatouille  avec  le 
nœud  coulant,  qu'il  prend  pour  un  Infecte, 
dont  il  compte  de  faire  fa  proye,  ce  (jui  le 


porte  à  fe  tenir  coi ,  pendant  quelques  mo- 
niens     Plufieurs  efpèces  de  Lézards  fe  laif- 
fent faifir  de  la  même  manière.  R.  d.  E. 
(/)  Ibid.  page  36. 


:^;   E    N      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.   I. 


237 


&  fe  plaint,  lorfqiron  le  tire  à  terre;  &  de-là  vient  le  nom  qu'il  a  reçu  des   De 
François.     Sa  figure  n'approche  point  de  celle  qu'on  fuppofe  au  Dauphin  ; 
&  la  feule relTemblance  qu'il  ait  avec  lui,  c'eil  qu'il  paroît  aflez  ami  de  l'cf- 
pèce  humaine.     Deux  nageoires,  qu'il  a  fous  les  deux  épaules,  à- peu-près 
de  la  figure  de  deux  mains ,  &  dont  il  fe  fert  également  pour  nager  &  pour 
porter  Tes  petits,  l'ont  fait  nommer  Manati  par  les  Efpagnols.     Le  premier, 
comme  on  doit  l'avoir  obfervé,  qui  ait  pris  cet  Animal  pour  !a  Sirène  des 
Anciens,  fut  Chriflophe  Colomb;  mais  cette  imagination,  d'un  Homme 
qui  donnoit  volontiers  dans  le  merveilleux  ,  pour  rendre  fes  découvertes 
plus  célèbres,  n'a  pas. fait  de  fortune  après  lui.     La  femelle  du  Lamcntin 
met  bas  &  allaite  fes  petits,   à  la  manière  des  Vaches;  ce  qui  lui  a  fait 
donner  aulfi  le  nom  de  Fâche  marine.    Sa  tête  reflemble,  d'ailleurs,  à  celle 
d'un  Bœuf;  mais  il  a  le  mufeau  plus  enfoncé,  le  menton  plus  charnu ,  &  les 
yeux  plus  petits.    Sa  couleur  eft  d'un  brun  foncé.     Il  s'en  trouve  de  vingt 
pieds  de  long,  &  d'environ  dix  pieds  de  large,  du  moins  vers  les  épaules , 
car  cette  largeur  va  toujours  en  diminuant  vers  la  queue.    La  chair  falée  du 
Lamentin  a  le  goût  de  celle  du  Veau,  mais  elle  eft  plus  agréable  &  fe  con- 
ferve  plus  long-tems.     La  graiflTe  qu'on  en  tire  eft  aufti  très  bonne  ,  &  ne 
rancit  point.     Sa  peau  eft  un  excellent  cuir.    Il  fe  forme  dans  fa  tête  une 
efpèce  de  Bezoard ,  à  laquelle  on  attribue  d'admirables  propriétés  pour  la 
colique  &  la  pierre.    On  ne  tue  guères  les  grands  Lamentins  que  fur  les 
bords  de  la  Mer  ou  des  Rivières ,  lorfqu'ils  y  vont  paître  ;  mais  les  petits 
fe  prennent  fouvent  dans  les  filets.    On  fait  des  récits  fort  étranges  de  leur 
facilité  à  s'apprivoifer  (g). 

Après  les  T.empêtes,  connues  fous  les  noms  de  Coups  de  Sud,  de  Nords 
&  d'Ouragans,  les  Rivages  de  l'Ifle  Efpagnole  fe  trouvent  remplis  de  Co- 
quillages, d'un  luftre  &  d'une  beauté  extraordinaires.  Les  plus  curieux  font 
leLambis,  leBurgot,  le  Pourpre,  la  Porcelaine,  les  Cornets  &  les  Pom- 
mes de  Mer.  Quoique  les  Côtes  ne  foyent  pas  fort  poiflbnneufes  ,  il  ne 
faut  pas  s'en  écarter  bien  loin  pour  y  pêcher  une  grande  abondance  d'ex- 
cellens  Poiflbns.  On  nomme,  entre  les  plus  communs,  la  Raye,  le  Con- 
gre, 


fciiin  ION 

DE  I.'Ii-LE 

ESI'ACNOLC. 


Coc]uiIIages 
&  PoilTons. 


(g)  Gomara  raconte  qu'un  Cacique  nour- 
rilToiC  un  Lamcntin  dans  un  petit  Lac  des 
Gonaives ,  où  cet  Animal  eft  en  effet  plus 
commun  que  dans  aucun  autre  lieu.  Il  l'a- 
voit  rendu  fi  familier,  qu'en  l'appellant,  il 
le  faifoit  venir  à  lui.  11  le  cjiargeoit,  furie 
dos,  de  tout  ce  qu'il  vouloit,  &  le  Lamen- 
tin pcrtoit  paifiblement  fon  fardeau  jufqu'à 
l'autre  bord.  Un  Efpagnoi  s'avifa  de  l'ap- 
peller  un  jour,  &  le  bleffa  d'un  coup  de  fu 
fil.  _  Cet  accident  le  rendit  fi  circonfpeft, 
qu'il  n'approchoit  plus  de  la  rive,  fans  avoir 
bien  examiné  fi  celui  qui  l'appelloit  étoit  Li' 
dicn  ou  non  ;  ce  qu'il  reconnoilToit  à  la  bar- 
be. Enfin,  il  difparut  toutàfait,  après  une 
grande  crue  d'eau ,  qiii  l'entraîna  peuc-étre  à 


la  Mer,  avec  laquelle  le  Lac  communique. 
Hiftoire  des  Indes,  Liv.  i.  Cbap.  31.  Or» 
lit  auflr  dans  Hcrrera  ,  qu'un  Lamentin  de 
rifie  Efpa^jnole  venoit  à  terre  ,  lorfqu'on 
l'appelloit ,  mangeoit  ce  qu'on  lui  donnoit  à 
la  main,  &  fuivoit,  jufqaes  dans  les  maifons, 
ceux  qui  le  nourriflbient.  11  y  jouoit  avec 
les  Enfans.  11  paroilToit  prendre  lîeaucoup 
de  plaifir  à  la  Mufiquc.  11  fouffroit  qu'on 
montât  fur  foq^dos,  &  palToit  jufqu'à  dix 
Hommes  à  la  fois,  d'un  bord  du  Lac  à  l'au- 
tre. U  y  a  beaucoup  d  apparence  que  ces 
deux  hifloires  font  la  même,  avec  les  alté- 
rations qui  arrivent  aux  faits,  en  chanijeant 
de  bouche  ou  d'Ecrivain. 


Gg  3 


DRSCRII'TION 

DR  l'Isi.e 
EsrAGiNOLi:. 


Efpcirc  de 
CanciL'   nom- 


238        PREMIERS      VOYAGES 
gre,  l'Ange,  IcMuIec,  leMarfoiiin,  laRonite,  la  Dorade  &  le  Pilote.   Il 


Pa.c^uvus  des 
Anciens. 


Crabes. 


Le  Soldat. 


tes  de  Madrépores  ou  de  Panaches  de  Mer. 

On  pêche,  dans  ces  Parages,  deux  fortes  de  Cancres;  la  première,  qui 
fe  nomme  Jgama,  fe  prend  dans  les  lilcts.  C'ell  un  Animal  d'environ  fept 
pouces  de  long,  fur  quatre  de  large.  Son  cerapoulle,  ou  fa  coque,  efl  de  . 
figure  quarrcf ,  velue,  chagrinée,  un  peu  enHée,  marquetée  de  pUificurs 
couleurs,  terminée  en  bas  par  des  pointes  dentelées  &  ornées  de  poil.  Ses 
yeux ,  éloignés  l'un  de  l'autre  d'environ  deux  pouces ,  font  de  la  grciffeur 
d'un  pois,  &  d'un  noir  luifant,  enchaffés  dans  deux  orbicules  arrondis  fur  * 
fon  front,  qui  efl  plat;  on  voie  à  droite  &  à  gauche  deux  larges  plaques, 
crénelées,  remplies  de  poil,  furmontées  de  deux  autres;  mobiles,  toutes 
quatre  en  divers  fens,  par  le  moyen  de  deux  jointures.  Du  milieu  de  ces 
plaques  fortent  deux  cornes,  &  quatre  pointes,  dont  le  bout  efh  fendu  en 
pincettes.  La  gueule  efl  au-defTous,  dans  une  fofTette  ovale,  couverte  de 
plufieurs  barbillons. 

La  féconde  efpèce  efl  le  Pagurus  des  Anciens.  Il  s'en  trouve  beaucoup 
fur  les  Rochers  efcarpés,  où  l'on  ne  peut  douter  qu'il  ne  grimpe.  Il  fré- 
quente aufli  les  hauts  fonds,  &  les  endroits  les  plus  féconds  en  Madrépo- 
res, en  Panaches,  en  Litophytes,  fur- tout  dans  le  voifinage  dos  Ules  Ca- 
raïbes. L'écaillé  de  ce  Cancre  efl  prefquc  ronde  ;  le  fond  en  efl  rouffâ- 
tre,  &  tout  le  dehors  "efl  parfemé  de  piifuans.  Son  mufcau  efl  armé  de 
cornes  peu  faillantes.  Ses  yeux  font  enfoncés,  couchés  de  travers,  (îfc  dé- 
fendus de  plufieurs  pointes ,  qui  leur  fervent  de  paupières,  il  fort,  de  \'es 
narines,  quantité  de  longs  filets  plians  &  mobiles.  Sa  gucnile  n'efl  pas  dif- 
férente de  celle  des  Crabes,  auxquels  il  rcfTemble  auïîl  par  k-  plaflron.  Ses 
deux  bras  font  fort  grêles  ,  &  les  mordans  médiocres  ,  en  comparailbn 
du  refle  du  corps.  Les  quatre  autres  pieds  ,  qu'il  a  de  chaque  côté 
fous  le  ventre,  font  grulfiers;  mais  ils  ont  chacun  leur  articulation,  a- 
vec  un  ardillon  noiràcre  ,  à  leur  extrémité.  La  chair  eil  coriafTe  ,  & 
d'un  goût  fauvage. 

Les  Crabes,  qui  fe  trouvent  en  abondance  fur  toutes  les  Cotes,  font  un 
des  plus  utiles  prefens,  dont  les  Infulaires  foient  redevables  à  lu  Nature.  On 
en  diflingue  particulièrement  trois  efpèces:  ceux  de  Mer,  ceux  de  Mon- 
tagnes &  ceux  de  Rivières.  Les  premitrrs  &  les  plus  communs  n'habitent 
point  la  Mer;  mais  ils  vont  s'y  rafraîchir:  &  c'ed  ordinairetnent  fur  fes 
bords  qu'on  les  trouve.  Ils  font  d'une  extrême  reflburce  pour  la  nourritu- 
re du  commun  dea  Habitans.  Les  féconds  font  rouges,  s'arrêtent  dans  les 
lieux  fecs ,  &  font  plus  eflimés  que  les  premiers.  Mais  ceux  de  Rivières 
pallent  pour  les  meilleurs.  Le  Soldat  [ou  Diablotin']  efl  auiîi  une  efpèce 
de  Crabe,  ou  d'Ecrevifre  de  Mer,  qui  fe  trouve  fur  toutes  les  Côtes,  & 
qui  ne  fait  point  un  mauvais  aliment.  Ce  nom  lui  vient  de  ce  qu'il  ell 
armé  par  tout  le  corps,  excepté  vers  le  bas,  où  il  ell  nud  &  fifcnlible, 
que  dès  qu'il  tfl;  né,  il  fe  jette  dans  la  première  coque  qu'il  rencontre  [& 
change  fuccefiivemçnt  d'habitation,  à  mefure  qu'il  croît  en  grolfeur  &  en 

âge 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I.  239 

âge].     Mais  il  fufllt  d'approch'îr  la  coque  du  feu  ,   pour  J'en  faire  dé- 
loger. 

Dans  ces  grandes  herbes,  qui  fe  nomment  Sargqffes^  &  qui  paroifTcnt 
en  divers  endroits  fur  la  furface  de  la  Mur,  mais  dont  le  grand  nombre  v  fl: 
au  fond  de  I'juu  &  fur  les  Côtes,  on  trouve,  entre  pluiieurs  autres  efpe- 
ccs  d'Animaux  marins,  une  prodigieufe  quantité  de  Tortues.  On  n'en  dif- 
tingue  que  deux  elpèces,  autour  de  l'Ule  (//).  Celles,  qu'on  nomme  7^;r- 
tucs  franches  y  recherchent  les  pâturages  gras  &  bien  fournis  d'herbes.  Les 
autres,  qui  font  connues  fous  le  nom  de  Caret ,  ik  dont  l'écaillé  fait  un  ri- 
che commerce,  fe  plaiient  ordinairement  dans  les  lieux  pierreux,  couverts 
feulement  d'un  peu  de  moufle. 

Entre  les  PoilVons  particulflrs  à  cette  Mer,  on  remarque  le  Pilote^ 
qui  lire  fon  nom  de  la  fidélité  avec  laquelle  il  s'attache  aux  Navires  qu'il 
rencontre,  &  devant  lefquels  il  ne  cefle  point  de  nager,  qu'il  ne  les  aîc 
conduits  dans  un  Port  (/).  La  Galère  efl  une  autre  efpèce  de  petit  Poif- 
fon  ,  ou  plutôt  un  infefte,  dont  la  peau,  enllée  &  pleine  de  vent,  lorf- 
qu'il  la  poufle-horscle  l'eau,  paroît  ornée  de  toutes  les  couleurs,  &  lui  fert 
comme  de  voile  (Tf.  "Mais-^an-ji'y  touche  pas  impunément.  Pour  peu  qu'on 
mette  la  main  defllis,  elle  ell  infeélée  d'une  glue  mordicante,  qui  caulc  les 
plus  vives  douleurs  ;  &  l'on  prétend  avoir  obfervé  que  le"màt''!nîJ^lllL'Tl" 
te,  à  mefure  que  le  Soleil  monte  fur  fliorifon.  Le  Perroquet  de  Mer, 
les  FoilTons  qu'on  nomme  de  Roche ,  dont  les  couleurs  font  un  mélange 
éclatant  d'or  &  d'azur,  le  Hériflbn  (/) ,  le  Crapaud  de  Mer,  de  une  efpèce 
fort  finguliére  de  petit  Cochon  marin,  font  d'autres  productions  des  mê- 
mes Parages. 

Pour  les  Arbres  &  les  Plantes  de  l'Ifle  Efpagnolc ,  on  doit  regretter 
qu'un  Ouvrage  annoncé  depuis  long-tems  (m)  n'ait  point  encore  vu  le  jour. 
Mais,  en  attendant  les  lumières  qu'on  doit  fe  promettre  des  Obfervations 
de  deux'fiècles,  qui  s'y  trouveront  apparemment  raffemblées,  il  me  fuffi- 
ra,  pour  remplir  mes  engagemens,  de  recueillir,  dans  les  anciennes  Re- 
lations ,  ce  qu'elles  ont  de  plus  curieux  fur  cet  article.  Oviedo ,  qui  de- 
voit  au  titre  de  fon  Ouvrage,  non-feulement  les  recherches  par  lefquelles 
il  s'efb  efforcé  de  l'enrichir,  mais  encore  toute  l'exaèlitude  d'un  llifto- 

rien 


DejcniPTioif 
VB  l'Islb 

Esi'AONOLE. 

Deux  fortes 
do  TiHtiics. 


Le  Pilote. 
Lu  Galère, 


Autres 
Poilluas. 


•   Arbres  & 

Plumes. 


(/j)  On  trouve,  clans  les  Voyages  de  Dam» 
picr,  decurieufcsûbllrvationsl'ur  les  Tortues 
en  général,  &  furkurs  tranf.uigrations  pério- 
diques. Elles  paroitront  dans  un  imtrc  Ar- 
ticle. 

{i)  Ce  PoifTon  ,  qui  efi:  de  la  grandeur 
d'un  Broehct  médiocre,  ne  fe  tient  point  à 
l'avar.t,  nia;s  à  Tarricre  des  Navires,  qu'il 
ne  fuit  conflaniment  que  par  un  motif  d'inté- 
ï6t ,  &  d'ins  la  vue  de  fe  nourrir  des  intef- 
tins  de  la  Vohulie  ,  que  les  Cuifiniers  ou 
IVlatelots  jettent  à  la  Mer.  C'eft  un  plaifir 
de  le  voir  fe  jouer  du  Requin,  fans  paroitre 
s'inquiéter  des  efforts  que  ce  I^oiilbn  vorace 
fait  inutilement  pour  le  prendre.  R.  d.  £. 


(k)  La  Galère n'efl  point  un  Infeftc^  elle 
ne  poulie  pas  fa  peau  hors  de  l'eau;  car  il 
fauJroit  pour  cela  qu'elle  tut  intérieurement 
dans  e.'ttc  eau,  au  lieu  qu'elle  furnaye.  Ce 
n'cil  p.;s  projircnient  fa  peau  qui  lui  fert  dt; 
voile,  mais  une  nioii^branc  du  dos  delà  vef- 
fie,  qui  n'efl  d'ailleurs  poii.t  ornée  de  toutes 
les  i.oulcurs ,  mais  feulement  de  celles  aux- 
quelles fl  nsture  participe.  R  d.  E. 

(  /  )  Il  y  a  une  furt e  de  Perroquets  de  Mer, 
qui  n'ell  poiiit  Poiiîbii ,  mais  bien  unOifeau. 
On  ne  tunnoit  pas  de  Ilérillbn  de  Mer,  &r 
l'Auteur  u  apparemment  voulu  dire  VOurfin. 
R.  d.  E. 

(m)  Pur  le  nouvel  liillorien,  Liv.  i. 


DR'cmi'TioN 

oc.    I.  1   1,K 
KjI'AGNOLE. 


l.c  Ilobo. 


240        PREMIERS      VOYAGES 

rien  Pliiloroplic,  commence  par  le  dénombrement  des  Arbres,  que  les  prc» 
micrs  Coiiqucrans  apportèrent  de  Caftille.  Il  explique  leurs  progrès  fous 
un  climat  ctiangcr,  Ck  les  raifons  qui  en  firent  périr  un  grand  nombre.  Ce 
détail  n'eft  pas  lans  utilité  (w)  :  mais  attachons •  nous  aux  fimples  produc- 
tions de  ride. 

Le  I/obo  eft  uu  grand  Arbre,  beau  &  frais,  qui  donne  un  ombrage  fort 
fain.  Son  fruit ,  qui  reflemble  à  de  petites  prunes ,  avec  un  fort  gros  noyau , 
efl  de  couleur  jaune,  de  bon  goût  tS:  d'une  odv.ur  agréable;  mais  fi  l'on  en 
mange  beaucoup ,  il  gâte  les  dents.  Les  buurjgeons  &  l'écorce  ,  bouillis 
dans  l'eau ,  la  rendent  fort  bonne  à  laver  la  barbe ,  &  à  fervir  de  bain  pour 
les  Voyageurs  fatigués.     L'ombre  du  llobo  ell  fi  faine,  qu'on  y  fufpend 

*        .  vo- 


(«)  Je  ne  changerai  rien  au  vieux  langa- 
p,(:  ihi  'l'iMiluavur.  On  a  donc  apporté  quel- 
i|iics  Orar^jM^^Caltilie ,  en  cctic  Ulc  Kf- 
p^ignoIctT^HÉ^k,  partie  aigres ,  qui  s'y 
font  bicnTnSiTWflW  &.  multipliés ,  tant  en 
cette  Cité  d^HàymiéJoiningo  &  Iléritages  d  i- 
colk .  ^twilWPPlMWwwwitulroics  de  cette  ]f- 


nûfs  éi  Litroniert V  IIW  ai'illr  yrand  nombre 
(lu'cn  grande  bonté  i  (i  (ju'il  n'y  en  a  point 
de  meilleurs  dans  l'Andaloufie,  Iten,  pUi- 
ficurs Figuiers ,  produil'aiit  fon  lionnes  figues 
toute  l'aimée ,  ê.  ces  Arbres  y  viennent  fort 
bien.  Les  ii;;ues  font  de  celles  qu'on  appel- 
le ,  en  Caflilie,  GotU-ncs,  &  en  Arragon  & 
Catalogne, /J//r^ïi(Ofa;  la  plupart  defquelles 
ont  les  petits  grains  de  dedans  rouges ,  com- 
bien qu'aucuns  foient  blancs.  La  feuille  de 
ces  Figuit  rs  tombe ,  &  Ibnt  fans  icelle  une 
partie  de  l'année  ;  mais  ils  comniaicent  à 
bourgeonner  &  icttcr  leur  feuille  au  mois  do 
Février;  &  à  la  Primevère, au  mois  de  Mars, 
commencent  a  s'en  revêtir.  Item,  plufieurs 
Grenadiers,  doux  &  -^'-res,  garnis  de  fort 
boîHics  grenades.  Item ,  des  Coings ,  mais 
qui  ne  viennent  pas  bien ,  ni  en  fi  grande 
abondance  que  les  fruits  fufdits;  car  avec  ce 
qu'ils  font  petits,  ils  ne  font  pas  fort  bons, 
ains  rudes.  Ce  n'efl  toutefois  fuis  efpoir 
qu'ils  viendront  meilleurs  avec  letcms.  hem, 
quelques  Palmes  ont  été  plantées  en  cette  Ci- 
té &  en  plufieurs  Héritages.  Item,  aucuns 
noyaux  de  Dattes,  qui  en  produifent  de  fort 
belles;  mais  on  ne  les  fait  pas  bien  actoii- 
trer  par  deçà;  &  encore  qu'aucuns  en  man- 
gent ,  elles  ne  font  fi  parfaites ,  faute  de  les 
favoir  accoutrer.  Item  ,  plufieurs  &  fort 
beaux  Calîîers,  &  avec  cette  excellente  beau 
té,  ils  font  grands.  Si  elt-ce  toutefois  qu'ils 
n'ont  été  apportés  d'fCfpagnc,  &  n'y  en  a- 
voit  aucunement  en  cette  llle;  mais  on  a  fe- 
nié  les  pépins,  lefquels  y  font  bien  venus. 
Item,  l'on  n  planté  en  cette  Cité  plufieurs 
feps  Ci  provins  de  Vignes  ,    lefquels  certes 


rapportent  de  bons  raifins,  &  crois  qu'ils  y 
viendroicii':  à  foifon ,  fî  l'on  mettoit  peine  i 
les  plantci  &  cultiver  comme  il  cft  bcfoin. 
Mais  parce  que  la  terre  efl  humide,   li-tôt 
quj  la  Vigne  a  rendu  (on  fruit  elle  recom- 
mence incontinent  à  bourgeonner,   pourvil 
qu'on  la  foui  (Te  &  accoutre,  fi  qu'elles  per- 
dent bientôt  leur  na'ive  bonté,  &  font  incon- 
tinent ufées.    /îcw,  de  grands  &  beaux  Oli- 
viers, mais  qui  n'apportent  que  cJls  l'euilles, 
fans  aucun  fruit;  oc  v'ell  chofe  grandement 
efmerveillahle,  que  tous  les  fruits  \  noyau 
qu'on  apporte  d'Efpagne,  prennent  bien  ra- 
cine &  crolifent  aifez  ,   mais  ne  rapportent 
([ue  des  feuilles  &  point  de  fruit.    J'ai  pour- 
tant apporté  de  Tolède  quelques  noyaux  de 
Pèches ,   de  PrelTes  ,   d'Alvers ,   de  Primes , 
de  frayles,   de  Cerifes,  de  Guines  ,   &  de 
Pommes  de  Piii,  que  j'ai  fait  femer,  &  pas 
un  n'a  pris  racine.    Item,  les  Plantains,  qui 
croilfent  fi  bien  ici ,  que  j'en  ai  plus  de  qua- 
tre mille  pies  dans  mes  Jardins  ,    &  qu'ils 
font  communs  à  préfent  dans  toute  l'Efpagno- 
le  &.  les  autres  ifies ,   y  furent  apportés  de 
Vlûc  de  la  grande  Canaris,  l'an  15 16,  par 
Frère   T'-omas  de  Bcrlanga,  de  l'Ordre  des 
Frères  Prefeheurs,  &,  j'ai  appris  de  plufieurs 
Perfonnes  dignes  de  foi ,  que  ce  fruit  efl  de 
l'Inde  Orientale.    Item.,  les  douces  Cannes, 
defquelles  on  fait  le  Sucre ,  ^lont  fourdent  fi 
grands  prolits ,   ont  été  apportées  des  Ifles 
Canaries.      Pierre  d'Atieiica  fut  le  premier 
qui  les  planta  en  cette  ille,  en  la  Cité  de  h 
Conception  de  la  Vega;  6c  le  Lieutenant  de 
la  Vega,   Michel  V^allefiero  ,   natif  de  Cata- 
logne,   fit  premièrement  le  Sucre:  mais  le 
Bachelier   Gonçalo  de  Velofa  y  amena  des 
Ouvriers,  &.  fut  le  premier  qui  fit  im  Pref- 
foir  6c  un  petit  Moulin,   dans  l'Yaguaté,  à 
une  lieue  &  demie  du  Fleuve  de  Nicao.     0- 
viedo,  Liv.  8.  Chap.  i.  6c  Liv.  4.  Chap.  8. 
yicojîa,  Liv.  4.  Chap.   31  &  32  ,   con!inne 
les  mûmes  chofes. 


les 
qui 
des 


EN      AMERIQUE,  Liv.  I. 


241 


volontiers  les  hamacs,  pour  dormir  fous  Tes  branches.  Oviedo  reproche  à 
Pierre  Martyr  de  s'être  trompé,  iorfqu'il  a  mis  cet  Arbre  au  nombre  des 
Myrobolans.  Il  vante  une  autre  de  fes  propriocés,  qu'il  a  vérifiée,  dit- 
il,  par  la  propre  expérience:  c'ell  que  dans  la  difctte  d'eau,  fes  racines  en 
fourniflent  abondamment.  11  fulfit  de  les  découvrir,  d'en  couper  une  <Sc 
de  la  poi  -r  à  la  bouche,  en  tenant,  de  la  main,  l'autre  bout  levé.  Il  en 
fort  aufli-tôt  quelques  gouttes  d'eau,  &  bientôt  afl'ez  pour  Ibulager  la  plus 
grande  foif. 

Le  CaymitOt  Arbre  commun  aux  Kks  de  l'Amérique,  a  les  feuilles  pref- 

Îue  toutes  rondes,  vertes  d'un  côté,  &  fi  rouflcs  de  l'autre,  qu'elles  puroif- 
ent  avoir  palfé  fous  le  feu.  Son  fruit,  dans  le  Continent,  elt  rond ,  &  de 
la  groflcur  d'une  balle  de  paume;  au  lieu  que  dans  l'Ille  Éfpagnole,  il  ert 
longuet  &  n'a  pas  la  grofleur  dii^ÉBÉ^Sa  poulpe  eft  blai.  he,  moelleufe 
&  pleine  de  fève.  On  la  compi^HHJSKit  épailli ,  qui  tourne  en  fromage. 
Elle  efl  faine  &  fe  digère  facilen^^^J^e  bois  cil:  dur,  &  propre  à  toute 
forte  de  condruélion  :  mais«J4iid^^^KMMon  le  laifTe  fécher ,  avant  que  de 

le  mettre  en  œuvre  fff),        ,~iJ^KÊÊt^  - 

Le  Higuero  (p)  ^l  un  7ïrErëaW^Hnicur"'du  Meurier.  Il  produit  des 
Courges ,  les  unes  rondes ,  d'autres  longues ,  dont  les  Infulaires  font  diffé- 
rentes fortes  de  très  beaux  vafcs.  Son  bois,  qui  elt  fort  dur,  fert  à  faire 
des  chaifes  &  d'autres  meubles.  La  feuille  eil  longue  &  étroite ,  mais  plus 
large  vers  la  pointe  ,  d'où  elle  va  toujours  en  diminuant  vers  le  pié. 
Les  Indiens  mangent  la  poulpe  du  fruit ,  dans  fa  fraîcheur.  Il  efl  de 
la  grandeur  d'un  pot  de  deux  quartes,  &  plus;  mais  il  va,  comme 
fes  feuilles ,  en  diminuant  de  haut  en  bas ,  où  il  n'efl;  pas  plus  gros  que 
le  poing. 

Le  Xagua,  «bnt  on  fait  de  très  beaux  fûts  de  lance,  dans  plufieurs  par- 
ties de  l'Amérique,  efl:  de  la  hauteur  du  Frêne.  Son  bois  efl  pefant,  dur, 
&  d'un  fort  beau  ludre,  entre  gris  &  fauve.  Il  produit,  dans  l'Iile  Efpa- 
gnole, un  fruit  de  la  grofleur  du  Pavot,  auquel  il  reffemble  fort , excepté 
qu'il  n'a  point  de  petites  couronnes.  On  le  mange  dans  fa  maturité,  &  l'on 
en  tire  une  eau  fort  claire,  dont  on  fe  lave  les  jambes  pour  Je  délafler.  Les 
Infulaires  en  font  aulîi  une  peinture,  qui  noircit  beaucoup,  &  qu'ils  mê- 
lent avec  la  Hixa,  autre  peinture  d'un  rouge  très  fin,  pour  fe  colorer  tou- 
tes les  parties  du  corps.  L'eau  feule  du  Xagna ,  fi  l'on  ne  s'effuie  promp- 
tement  après  s'en  être  lavé ,  produit ,  fur  la  peau ,  des  taches  noires ,  que 
tous  les  foins  du  monde  :.e  peuvent  faire  difparoître  avant  l'efpace  de  quin- 
ze ou  vingt  jours  (7). 

La  Bixa  n'eft  qu'un  ArbrifTeau ,  de  trois  ou  quatre  pieds  de  hauteur,  dont 
les  feuilles  reffemblent  à  celles  du  Coton.  Son  fruit  fe  forme  en  coques, 
qui  approchent  aulFi  de  celles  du  Coton  ,  excepté  qu'elles  ont  en  dehors 
des  poils  afTez  gros,  comme  par  veines,  qui  répondent  aux  parties  intérieu- 


res. 


(0)  Le  meirip,  Chap.  3.  que  ce  foit  Higuero  ou  Iligiicra,  quifignific 

(_p)  L'Ail -ciir  fait  obfcrver  que  dans  Hi-  Figuier;  de  Higo,  Figue.  Jbul.  Chap.  4. 

^uero  iltaut  j'ionnnccr  Vu  long,  &  lediftin-  {q)  Ibid.  Chup    - 

gucr  de  !>,  afin  quon  ne  ptnfc  pas,  dit-il, 

Xnil.  Part.  II  h       • 


guet 


S- 


Description 

DE  l/liLK 
EiPAONOLK. 


Le  Caymito. 


Le  Higuero. 


Le  Xagua. 


La  Bixa. 


IMAGE  EVALUATION 
TEST  TARGET  (MT-3) 


1.0 


1.1 


Uit2A  |25 
Ui  Uii  122 
^   L£    12.0 


UÂ 


111.25  H  1.4 

11^ 

^ 

6"     - 

» 

Photographie 

Sdenœs 

Corporation 


23  WIST  MAIN  STMET 

WEBSTER,  N.Y.  14980 

(716)872-4503 


242 


PREMIERS      VOYAGES 


DRscRirTTON  res ,  dont  les  divifions  renferment  quelques  grains  rouges ,  plus  vifqueux 
Espagnole     ^"^  '^  ^^^^'  ^"  Infulaires  en  font  une  efpèce  de  lavonnettes ,  pour  fe  pein- 
dre &  fe  farder ,  en  les  mêlant  avec  quelques  gommes ,  qui  rendent  cette 
peinture  aufli  fine  que  le  vermillon. 
Le  Guacuma.       Le  Guacuma  eft  un  Arbre  aflez  haut,  dont  la  feuille  reflemble  k  celle  du 
Meurter,  fans  être  aulFi  grande,  &  qui  donne  aulîi  une  el'péce  de  mûre. 
Les  Infulaires  font,  de  ce  fruit ,  en  le  faifant  tremper  ik  le  pilant  dans  l'eau, 
un  breuvage  qui  les  engraifle  beaucoup ,  &  qui  produit  le  même  effet  fur 
les  Animaux.     Le  bois  de  l'Arbre  eft  fort  léger» 
Le  Guama.        Le  Guama^  grand  Arbre  fort  commun  dans  l'Ifle  Efpagnole,  donne  un 
bois  très  propre  à  brûler,  dont  la  flamme  &  la  fumée  n'ont  rien  de  nuifi- 
ble ,  &  que  cette  raifon  fait  employer  pour  les  fournaifes  des  chaudières  à 
fucre.     Son  fruit,  dit  Oviedo,  eft  une  efpèce  d'Algarrouas ,  plus  larges  & 
»  plus  grofles  que  celles  de  Caftille,  mais  prefque  du  même  goût  (r). 
LcHicaco.        Le  Hicaco  reflemble  beaucoup  au  Framboifier  par  la  u:uille,  &  par  fa 
hauteur  ;  mais  fes  fruits  font  de  petites  pommes ,  dont  les  unes  font  blan- 
ches, d'autres  rouges,  &  d'autres  noirâtres.     Ils  font  d'une  bonté  médio- 
'-    '    s  -    cre.     Leur  noyau  eft  fi  gros,  &  leur  poulpe  fi  mince ,  qu'il  faut  les  ronger 
avec  les  dents.    On  vante  néanmoins  leur  vertu  pour  le  flux  de  ventre, 
lis  font  de  meilleur  goût ,  lorfqu'on  apporte  quelque  foin  à  cultiver  l'Ar- 
bre.   La  Terre  le  produit  naturellement  proche iles  Côtes  de  la  Mer,  donc 
il  aime  l'air.  »  i'^')    ,, ;:tnw- 

Le  Yaruma.       Le  Yaruma  de  l'Ifle  Efpagnole  eft  une  efpèce  de  Figuier  fauvage,  dont 
les  feuilles  font  découpées,  &  plas  grandes  que  celles  des  Figuiers  d'Elpa- 
gne ,  avec  lefquelles  elles  ont  néanmoins  quelque  reflemblance.    11  produit 
un  fruit  doux,  de  la  longueur  du  doigt,  &  femblable  à  un  gros  ver.     La 
• ''^  ^  *       hauteur  commune  de  l'Arbre  eft  celle  d'un  Noïer  moyen,  quoiqu'il  s'en 
trouve  de  beaucoup  plus. hauts.     Le  bois  eft  léger,  creux,  &  caflant.     Le 
germe  du  bout  des  branches  a  la  vertu  des  meilleurs  cauftiques.     On  le  pi- 
le, pour  l'appliquer  fur  les  playes.     Il  mange  les  mauvaifes  chairs,  il  dilll- 
pe  l'enflure,  &  par  dégrés  il  guérit  parfaitement  (j). 
Le  Macagua.       Le  Macagua  elt  un  grand  Arbre,    qu'Oviedo  nomme  excellent.     Son 
fruit  reflemble,  parla  forme,  aux  petites  olives,  &  par  le  goût,  aux  ce- 
rifes.     Le  bois  en  eft  très  bon;  la  feuille  verte  &  fraîche,  &  femblable  à 
celle  du  Noïer.    • 
L'Acuba.         VAcuha  eft  un  Arbre  fort  haut,  qu'on  vante  beaucoup  aufli,  &  dont  le 
fruit  fur-tout  eft  d'une  merveilleufe  bonté.     Il  paroît  que  c'eft  une  efpèce 
de  Figues ,  qui  ont  le  goût  des  Poires  mufcades,*  mais  il  en  fort  tant  de  lait 
'    '     '     gluant,  que  pour  les  manger  il  faut  les  mettre  dans  l'eau  &  les  frotter  entre 
.  les  doigts,  fi  l'on  ne  veut  point  qu'elles  s'attachent  aux  lèvres.     Ce  lait  ref- 
femble  à  celui  que  les  Figues  vertes  rendent  par  la  queue  ,  lorfqu'on  les 
cueille.     Mais  il  demeure  dans  l'eau ,   pour  peu  qu'on  y  frotte  le  fruit. 
L'Ifle  n'a  point  de  bois  plus  dur  que  celui  de  l'Acuba. 
GÎiiabara.        Le  Guiabara,  que  les  Efpagnols  ont  nommé  Uvero^  parce  qu'il  donne 
pour  fruit  une  efpèce  de  raiun  en  grappe ,  couleur  de  rofe  ou  de  mûre ,  & 
r  •  '^T^v   -  •  d'un 

•  '^    ••  (r)  Chap.  8.  .imo  >»««'•  (^)  Chap.  9.       '   ^     ...rr-^ 


8     EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I. 


243 


DBiCftirneH  . 

DE    L'ISLK 
EtFAOKOLI, 


Le  Gagucf. 


d'un  fort  bon  goût ,  efl:  un  Arbre  dont  le  bois  fait  d'excellent  charbon.  Ses 
branches  font  étendues,  rondes  &  ferrées;  fon  tronc  fort  gros,  &  fon  bois 
rougeâtre.  Les  feuilles  ont  une  paume  de  longueur ,  dans  une  largeur  pro* 
portionnée.    Elles  font  fort  vertes  &  d'une  épaifîeur  extraordinaire.    Les  ./ 

Efpagnols,  dans  les  premiers  tems  de  leur  arrivée,  où  l'encre  &  le  papier 
leur  manquoient,  s'en  fervoient  pour  écrire,  avec  une  épingle,  ou  le  fer 
d'une  éguillette,  qui  formoit  des  lettres  très  dillinéles,  &  fi  différentes  de  ,  ■•' 
la  couleur  de  la  feuille ,  qu'elles  pouvoient  fe  lire  aifément.  Chaque  grain 
4u  fruit  a  fon  noyau,  plus  ou  moins  gros,  fuivanr,  la  groffeur  du  grain , 
qui  eft  ordinairement  celle  d'une  balle  d'arquebufe  ou  d'une  aveli- 
ne (0. 

Le  Copey  a  la  feuille  du  Guiabara,  ou  TUvero,  mais  plus  grande  du  dou-  Le  Copey. 
ble,  plus  épaiffe  encore,  &  plus  propre  à  l'écriture.  L'Arbre  efl:  auflî  beau- 
coup plus  haut,  &  le  bois  en  e(t  excellent.  Les  premiers  Efpagnols  fai- 
foient,  de  fes  feuilles,  des  cartes  à  jcuer,  fur  lefquelles  ils  gravoient  avec 
une  épingle  toutes  les  figures  d'ufage  commun.  Oviedo  n'avoit  jamais  vu 
le  fruit  du  Copey,  quoiqu'il  en  vît  fouvent  des  feuilles,  &  qu'il  eût  éprou- 
vé qu'on  y  peut  tout  graver,  fans  les  rompre  (v). 

Le  Gaguey  efl:  un  autre  Arbre,  dont  le  fruit  n'efl:  pas  plus  gros  qu'une 
aveline,  mais  qui  refl*emble  intérieurement  à  la  figue  de  Cafl:ille,  par  fes 
petits  grains,  &  par  la  blancheur  de  fa  poulpe,  il  efl:  de  fort  bon  goût. 
Le  bois ,  fans  être  des  meilleurs ,  n'étoit  pas  inutile  aux  Infulaires  ,  du 
moins  par  fon  écorce ,  dont  ils  faifoient  des  cordes.  Les  premiers  Efpa- 
gnols imitèrent  leur  exemple,  &  s'en  faifoient  aufli  de  fort  bons  fouliers, 
lorfqu'il  ne  leur  en  venoit  point  de  l'Europe. 

'  On  repréfente  le  Cibucan  comme  un  dés  beaux  Arbres  de  l'Ifle  Efpagno- 
le.  Il  a  les  feuilles  du  Saule.  Son  fruit  reflTemble  aux  avelines  blanches  ; 
mais  il  efl:  rempli  de  petits  grains  qu'Oviedo  compare  aux  lentes ,  en  de- 
mandant grâce  néanmoins  pour  une  comparaifon ,  dont  il  n'a  pu  fe  difpen- 
fer ,  parce  que  plufieurs ,  dit-il ,  ont  donné  au  Cibucan  le  nom  d'Arbre  des 
lentes  (x).    Il  efl:  d'ailleurs  fort  beau,  &  d'une  continuelle  fraîcheur. 

Le  Guanabana  efl:  un  grand  Arbre,  dont  le  fruit,  qui  porte  le  même  nom, 
égale  en  groffeur  nos  Melons  moyens.  Il  efl:  verd,  «&  revêtu  d'écaillés  fi- 
gurées ,  comme  la  Pomme  de  Pin.  Sa  fraîcheur  le  rend  d'autant  plus  agréa- 
ble en  Eté  ,  qu'il  n'a  rien  de  dangereux.  Sa  peau  n'efl:  pas  moins  déliée 
que  celle  d'une  poire;  &  fa  chair,  qui  efl:  fort  blanche,  a  toute  l'apparen- 
ce de  la  crème,  ou  de  ce  qu'on  appelle  du  filanc-manger.  Elle  fe  fond  dans 
la  bouche  avec  une  extrême-  douceur.  Les  pépins  qu'elle  contient  font  de 
la  groffeur  de  ceux  des  Courges ,  &  leur  couleur  efl:  un  fauve-brun.  Outre* 
leur  hauteur  6e  leur  beauté,  ces  Arbres  ont  les  feuilles  fort  vertes  &  fort 
fraîches,  prefque  femblables  à  celles  du  Citronier.  Le  bois  en  efl:  affez 
bon  ;  mais  on  lui  reproche  de  n'être  pas  fort. 

VAnon  a  beaucoup  de  reffemblance  avec  le  Guanabana,  excepté  que  fon 
fruit  n'efl:  pas  fi  gros,  &  qu'au  goût  d'Oviedo  (y)  ,  il  ett  encore  plus 

agréa- 


Le  Cibucan* 


Le  Giuna* 
bana.  ' 


L'Anoa. 


(t)  Chap.  13. 


(u)  Chap,  14. 


(*)  Chap.  13. 
Hh  a 


(y)  Chap.  18. 


\ 


Î44      PREMIERS       VOYAGES 


•  '  Dmcription 

DR  L'IILE 
'  E^PAONOLK. 

Le  Guaya- 
bo. 


agréable  que  l'autre.    Ajoutez  qu'il  efl  jaune,  &  que  celui  du  Guanaba- 
na  efl  verd. 

Le  Guayaboy  Arbre  fort  commun  ,  mais  fauvage  dans  les  autres  Ides  & 
dans  le  Continent ,  efl:  cultivé  avec  beaucoup  de  foin  par  les  Infulaires  de 
l'Efpagnole.    Auffi  devient- il  plus  haut  dans  leur  Ifle.    Sa  grandeur  efl  cel- 
le d  un  Oranger  ;  mais  les  branches  font  plus  éparfes ,  &  la  feuille ,  qui  n'efl: 
pas  fi  verte,  reflemble  à  celle  du  Laurier,  avec  cette  feule  différence  qu'el- 
le eft  plus  épaiiTe  &  qu'elle  a  les  veines  plus  élevées.    11  produit  des  pom- 
mes, les  unes  oblongues>  &  d'autres  rondes.     Elles  font  d'abord  vertes; 
mais  elles  jaunilTent  en  meurifTant.     Leur  poulpe  efl  ou  blanche ,  ou  ver- 
meille.    Dans  leur  maturité,  elles  font  fujettes  à  fe  remplir  de  vers;  ce 
*    "•    '       qui  oblige  de  les  cueillir  un  peu  vertes.     Chaque  pomme  efl;  couronnée  de 
petites  feuilles.     Elles  font  divifées  en  quatre  parties  mafl!ives ,  &  pleines 
de  petits  grains  fort  durs ,  qu'on  ne  laifTe  pas  d'avaller ,  parce  qu'ils  fe  digè- 
rent aifément.     On  vante  même  leur  vertu  pour  le  fîux  de  ventre.     La 
fîeur  du  Guayabo  reffemble  à  celle  de  l'Oranger ,  fans  être  fi  épaifTe  ;  & 
dans  quelques  -  uns  elle  rend  l'odeur  du  Jafmin.    Le  bois  efl  excellent  pour 
les  petits  ouvrages  de  Menuiferie;  mais  la  durée  de  cet  Arbre  n'efl  pas  lon- 
>      gue.    Il  vieillit  au  bout  de  cinq  ou  fix  ans;  &  chaque  année  fait  alors  di- 
minuer fa  grofTeur. 
LeMamey.       Le  Mamey  de  flfie  Efpagnole  efl  non- feulement  haut,  branchu,  rond, 
verd  &  frais,  avec  une  très  belle  feuille,  un  peu  plus  grande  que  celle  du 
Noyer;  mais  il  a,  fur  ceux  des  autres  ifles  &  du  Continent,  l'avantage  de 
porter  de  fi  bons  fruits ,  qu'il  n'y  en  a  point  de  meilleur  goût  dans  l'Ifle. 
Leur  grofl^eur  ordinaire  eft  celle  des  deux  poings.     Ils  font  à -peu -prés 
1     '  -      ronds.    Leur  peau,  qui  reffemble  à  celle  des  poires,  tire  fur  la  couleur 
fauve.    Les  uns  n'ont  qu'un  noyau  ;  les  autres  en  ont  deux  ou  trois  enfem- 
ble,  difliingués  néanmoins  par  une  pellicule  fort  déliée.     La  chair  de  ce 
fruit  efl  auffi  agréable  que  celle  des  Coings  de  Valence ,  quoiqu'elle  ne  foic 
^  pas  fi  fucrée.    Le  bois  de  l'Arbre  efl  fort  bon  ;  mais  on  ne  le  trouve  point 

gfTez  fort  pour  les  Edifices. 

Avant  qu'on  eûtpenfé  à  tranfporter  ici  des  Vignes  de  Caflille,  on  y 
en  avoit  trouvé  de  fauvages,  qui  rapportoient  de  véritable  raifin,  dont  O- 
viedo  rend  témoignage  qu'il  avoit  mangé  plufieurs  fois.    Il  ne  doute  point . 
qu'en  les  cultivant,  on  n'eût  pu  les  rendre  beaucoup  meilleures;  mais  elles 
demandoient  apparemment  des  foins  qu'on  voulut  s'épargner.    Il  vit  un 
fep  de  ces  Vignes,  auffi  gros,  ou  plus,  que  le  bras  d'un  puiflànt  Hom- 
me (  z  ).    • 
Chardons         II  nomme  trois  efpèces  de  Chardons  d'une  forme  extrêmement  finguliè- 
finguliers.       j.g^  qpj  portent  un  fruit  fort  doux,  dont  la  principale  propriété  efl:  de  ren- 
Le  Pitahaya.  dre  l'urine  couleur  de  fang.     Le  fruit  du  Chardon,  qui  fe  nomme  Pitahayay 
efl  de  la  grofleur  du  poing.  La  Plante  efl:  fort  épineufe.  Une  forte  de  bras , 
longs  &  quarrés ,  lui  tient  lieu  de  branches  &  de  feuilles.     Ces  bras  font  de 
*        la  groflTeur  de  celui  d'un  Homme.     Chaque  face  du  quarré  forme  un  canal:, 

du- 
cs) Ibid.  Chap.  ar.    La  vraie  raifon,  qui  s'efl:  oppofée  à  leur  culture,  eft  l'intérêt  de 
l'Efpagne,  pour  le  commerce  de  fes  vins,  .      •  ■.    ,    ,rT  ,i  i:,îj  ^» j 


•    Vignes  fau 
vages. 


•~-         '^ 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.   I.    r 


duquel  il  fort,  de  diftance  en  diftance,  trois  ou  quatre  épines  piquantes  & 
venimeufes  ,  d'un  pouce  &  demi  de  longueur.  C'eft  entre  ces  bras  que  croît 
le  fruit.  Il  eft  d'un  rouge  cramoifi.  &  revêtu  d'une  peau  fort  épaifle  ,  en 
forme  d'écaillé.  Sa  chair  eft  mêlée  de  petits  grains  ,  qui  reflembient  à 
ceux  des  figues.  Elle  tache  plus  que  le&  mûres  ;  ôc  la  couleyr  qu'elle  donne 
à  l'urine  n'empêche  point  qu'elle  ne  foit  fort  faine. 

Le  Tuwi  eu  un  autre  Chardon,  d'une  forme  encore  plus  étrange.  Ses 
feuilles  font  rondes  &  maflives,  de  l'épaifleur  du  doigt,  épineufes  aux  bords 
&  au  milieu.  La  hauteur  de  toute  la  Plante  eft  celle  du  ^enou.  Son  fruit 
eft  long ,  verd  au  dehors ,  rouge  &  vermeil  au  dedans ,  de  fi  bon  goût  & 
d'un  ufage  fi  fain ,  qu'il  s'en  vend  chaque  jour  au  Marché.  Une  troifième 
efpèce,  dont  Oviedo  parle  avec  la  même  admiration  (a),  eft  celle  qu'on 
tranfporte  tous  les  jours  en  Europe,  &  qui  eft  aujourd'hui  fort  connue  fous 
le  nom  de  Cterge.  Il  ajoute  que  les  1  unas  font  li  communs,  que  non  feu- 
lement on  en  trouve  des  champs  remplis ,  mais  qu'on  en  couvre  les  murs 
des  champs  &  des  jardins. 

L' A  R  B  R  E ,  qui  fe  nomme  Quentas  del  Xavon ,  ou  Patenâtie  de  Savon ,  par- 
ce que  fon  fruit,  mis  dans  l'eau  chaude,  rend  une  écume  qui  fert  à  nétoyer 
le  linge;  le  Mangle,  le  Terebinthe,  le  Tamarin  &  le  Cèdre  ,  font  d'une 
fingulière  beauté  dans  l'Efpagnole.  Le  Caoban^  qui  eft  plus  particulier  à 
cette  nie,  en  eft  un  des  plus  grands  Arbres  &  des  meilleurs  bois.  On  en 
fait  des  poutres ,  de  toute  forte  de  longueur  &  de  groflfeur,  dont  la  cou- 
leur tire  fur  le  rouge,  &  qui  feroient  eftimées ,  dit  Oviedo,  dans  tous  les 
Pays  du  Monde. 

Sur  la  Côte  occidentale  de  l'Ifle,  entre  les  Rochers  &  les  Montagnes 
de  la  Pointe  de  Tiburon ,  &  dans  quelques  autres  endroits ,  on  trouve  une 
infinité  de  ces  petits  Pommiers  dont  les  Caraïbes  compofent,  avec  un  mé- 
lange d'autres  fucs,  le  poifon  dans  lequel  ils  trempent  leurs  ftéches.  La 
hauteur  de  ces  Arbres  eft  d'environ  quinze  pieds.  Ils  font  fort  touffus. 
Leur  feuille  reffemble  à  celle  du  Poirier.  Ils  donnent ,  pour  fruit,  de  pe- 
tites pommes,  les  unes  rondes,  d'autres  obloneues,  d'un  fi  beau  rouge, 
&  d'une  odeur  fi  agréable,  qu'il  eft  difficile  de  les  voir  fans  être  tenté  d'en 
manger.  Mais  leur  fuc  eft  un  venin ,  qui  empoifonne  également  les  Hom- 
mes &  les  Animaux.  On  affure  même  que  ceux,  qui  dorment  à  l'ombre  de 
ces  Arbres,  s'éveillent  avec  une  grande  douleur  de  tête  ;  les  yeux,  les  pau- 
pières &  les  mâchoires  enflées.  Si  la  rofée  des  feuilles  touche  au  vifage , 
elle  brûle  la  peau.  Entre-t'elle  dans  les  yeux?  elle  éteint  la  vue,  jufqu'à 
la  faire  perdre  entièrement.  Le  bois  allumé  jette  une  vapeur  infupporta- 
h\e  (b),  qui  caufe  des  maux  de  tête  dont  on  a  peine  à  guérir.  Oviedo  ne 
Bomme  point  cet  Arbre,  ni  fon  fruit,  qu'on  prend  ici  néanmoins  pour 
laManzanille,  quoique  l'idée, qu'il  donne  de  l'Arbre, ne  s'accorde  pas  exac- 
tement avec  d'autres  defcriptions. 

,:....  .    Il 


,  (a)  Son  admiration  tombe  particulière- 
ïnent  fur  l'efFet  qu'il  en  reffentit ,  lorfqu'ayant 
mangé,  pour  la  première  fois,  du  fruit  des 
Tunas,  il  rendit  du  fang  pur,  qui  lui  fitcroi- 


Hh  3 


Descriptios 
DE  i/Isi.e 

E^l'AGNOLE, 


Le  Tuna. 


Quentas  del 
Xavon. 


Le  Caoban. 


Pommes 
fort  venimeO' 
fes. 


re  qu'il  s'étoit  rompu  quelque  veine,  &  que 
fa  mort  étoit  fort  proche.  Liv.  8.  Chap,  25. 
(i>)  Liv.  9.  Chap.  12, 


DESCRITTrON 
DE  L'IsLE 

Espagnole. 
Le  Monftre 
d'Arbre. 


LcLiienes. 


Le  Calniya 
&  l'Hcne- 
quen. 


245        PREMIERS      VOYAGES 

Il  en  dëcrit  un,  auquel  il  ne  donne  pas  d'autre  nom  que  celui  de  Mort' 
Jlre  S  Arbre.  C'efl:  le  feul ,  dit-il ,  qui  convienne  à  la  fingularité  de  fa  for- 
me &  de  fes  effets.  Il  n'ôfe  même  décider  fi  c'efl:  une  fimple  Plante  ou  un 
Arbre.  A  peine  fe  croit-il  capable  de  le  décrire  (ff).  On  en  trouve  beau- 
coup entre  San-Domingo  &  Yaguana.  Sa  hauteur  e(l  de  dix  ou  onze  pieds. 
Son  effet  le  plus  merveilleux  eflide  guérir  toutes  les  fraflures  d'os,  par  la 
fimple  application  de  fon  écorce  ou  de  fes  feuilles  broyées  (rf).  Il  produit 
un  fruit  rude,  de  la  groffeur  d'une  groffe  olive,  &,d'un  beau  rouge  cra- 
moifi ,  revêtu  d'épines  fi  fubtiles  qu'on  a  peine  à  les  voir,  &  qui  ne  laiffent 
pas  d'entrer  dans  les  doigts ,  jprfqu'on  y  touche.  Les  Indiennes  en  font 
une  pâte,  qu'elles  coupent  en  petits  morceaux  quarrés,  de  la  grandeur  de 
l'ongle  du  doigt,  &  qu'elles  portent  au  Marché,  enveloppée  dans  du  co- 
ton. C'efl  une  couleur  fort  efliimée,  &  qui  leur  fert  à  fe  peindre.  Ovie- 
do  éprouva  plufieurs  fois  que  l'on  pouvoir  s'en  fervir  pour  les  Tableaux  ; 
il  la, trouva  excellence,  &  li  durable,  quoiqu'il  ne  l'eût  trempée  qu'à  l'eau 
claire,  fans  gomme  &  fans  autre  mélange,  que  fix  ans  après,  elle  étoit  auf- 
fi  belle  que  le  premier  jour. 

Le  Lirenes  efl:  le  fruit  d'une  Plante  que  les  Infulaires  cultivoient;  &  les 
Efpagnols  ne  tardèrent  point  à  les  imiter.  Cette  Plante  jette  &  ré- 
pand fes  branches  fur  terre.  On  les  coupe  pour  les  replanter.  Leur 
fruit ,  qu  elles  produifent  en  terre ,  attaché  à  de  petites  verges  dépen- 
dantes de  la  branche,  efl:  blanc  &  de  la  groffeur  des  groffes  dattes.  Il 
efl:  de  fort  bon  goût.  Oviedo  affure  qu'il  n'a  rien  vu  à  quoi  il  puiffe 
le  comparer.  Les  Infulaires  le  portent  en  abondance  aux  Marchés,  & 
le  vendent  tout  cuit  (e). 

Le  Cabuya  &  V Heneqtten  font  deux  efpèces  d'herbes,  dont  la  feuille  ref- 
femble  alTez  aux  Cardes ,  quoiqu'elle  foit  plus  large  ,  plus  épaiffe  &  fort 
verte.  On  en  fait  de  la  filaffe  <k  des  cordes  affez  fortes,  après  avoir  roui 
les  Plantes  dans  des  ruiffeaux,  chargées  de  pierres,  &  les  avoir  fait  fécher 
au  Soleil.  En  les  broyant  avec  un  bâton,  on  en  tire  la  filaffe,  qui  efl: 
de  la  longueur  de  la  feuille.  Depuis  que  les  Infulaires  font  tombés  au 
pouvoir  des  Efpagnois  ,  qui  les  chargent  fouvent  de  chaînes  ,  ils  ont 
trouvé  le  rpoyen  de  fcier  le  fer  avec  des  cordes  de  ces  deux  herbes; 
&  fouvent  ils  emploient  cette  méthode  pour  fe  délivrer  de  leur  pri- 
fon  (/).  ■  ' 

RÉ- 


(c)  „  Il  produit,  dit -il  dans  la  Traduc- 
tion ,  des  branches  remplies  de  feuilles 
larges  &  fort  laides  à  voir ,  de  façon  dif- 
forme ,  fort  épaifles  &  épineufes.  Ces 
branches  ont  premièrement  été  feuilles  & 
cAtcs  ;  &  de  chacune  feuille  ou  côte  en 
fortent  d'autres;  puis  de  ces  feuilles  ou 
côtes,  endurcies  &  grandes,  ou  pendant 
qu'elles  s'endurciflent ,  en  fortent  encore 
G  autres,  s'augmentant  Sccroiflant  les  unes 
des  autres  ,  &  de  côte  en  côte  fe  changent 
&  deviennent  branches.  La  couleur  du 
troQc  de  l'Arbre  cii  gris  rude,  &  les  bran? 


„  ches  auflî;  &  les  feuilles  font  quelque  peu 
„  vertes ,  defquelles  les  unes  croillent  de 
„  travers  où  une  autre  branche  commence  à 
,,  iffir  de  nouveau  en  la  môme  feuille,  & 
„  faut  remarquer  que  toutes  les  feuilles  & 
.,  les  branches  font  fort  éplneufes  ".  Liv. 
9.  Cbap.  I. 

(  d  )  Quand  l'emplâtre  fait  fon  opération , 
elle  s'attache  fi  fort  à  la  chair,  qui!  efl:  très 
difficile  de  l'ôter;  mais  après  la  guérifon ,  el- 
le tombe  d'elle  môme.    Ibid. 

(e)  Ibid.  Liv.  7.  Chnp.  12. 

(/)  »  Ce  qu'ils  font ,  dit  l'Auteur  ,  en 

».  cet- 


,  EN      AMERIQUE,  Liv.  I.  247 

■^  RÉPÉTONS  qu'il  a  paru  fuffire,  pour  cet  Article,  de  choifir  les  Arbres 
&  les  Plantes  au'Oviedo  diftingue  par  fes  élbges,  ou  qu'il  attribue  particu- 
lièrement à  rille  Efpagnole.     On  ne  doutera  point ,  qu'avec  les  avantages 

de  "  "       ■  "     -    — ''•"'' "'' "'  -   -   '      ' '  ^--  '  - 

autres 

doit  fuivre  quantité  a  autres  ueicripuons.  \jn  ajoute  leuiement  que 
dant  le  long  féjour  que  le  même  Ecrivain  avoit  tait  dans  cette  Ifle,  iîn'y 
avoit  vu  que  deux  elpèces  d'Arbres,  qui  n'y  confervairent point  leurs  feuil- 
les pendant  toute  l'annçe  (  5  ). 

Nota.  Tout  ce  qui  regarde  l'I/le  Efpagnole  ^  depuis  que  les  François  s'y  font 
établis  ^  quils  ont  pris  l'habitude  de  la  nommer  Saint  •  ûomingue ,  efi  remis  au 
tems  de  leur  Etablijfement  i  cefi-à-direy  à  l'année  i<56o,  ^  plus  loin. 


„  cette  forte  :  ils  prennent  un  fil  de  Hcnc- 
„  quen  ou  de  Cabuya,  &  le  mettent  &  re- 
„  muent  fur  le  fer,  comme  celui  qui  fcic  ou 
„  lime.  L'un  le  tire,  l'autre  le  lâche  d  une 
„  main  vers  l'autre;  &  mettent  fouvent  du 
„  fable  menu  fur  le  fil;  &  lorfqu'il  s'ufe,  y 


„  mettent  du  fil  neuf.  Ainfi  fcicnt  un  fer, 
,,  quoiqu'il  foit  gros.  Et  afin  que  cela  ne 
„  femble  incroyable,  il  eft  advenu  que  les 
,.  Indiens  ont  ainfi  coupé  en  morceaux  les 
„  ancres  des  Navires  ".  Liv.  7.  Cbap.  10. 
(g)  Liv.  9.  Chap.  16. 


L 


Voyage  SHernandez  de  Cordoue,  £3*  Découverte  de  PTucatan. 

A  plus  importante  entreprife  des  Caftillans  ,  dans  l'abfence  de  Dom 
Diegue  Colomb,  fut  la  découverte  de  ÏYucatan  (a) y  &  du  Mexique f 
deux  Régions  dont  il  étoit.  furprenant  qu'après  tant  de  côurfes  on  n'eût 
point  encore  acquis  la  cffnnoiflance ,  &  qui  ouvrirent  bientôt  un  champ  fi 
vafle  à  l'ambition  de  l'Efpagne,  que  l'ille  Efpagnole  cefla  prefque  tout-d'un- 
coup  de  tenir  le  premier  rang  entre  ks  nouvelles 'Colonies.  On  a  vu  qu'en 
1502  Cliriftophe  Colomb  s'étoit  avancé  fort  près  de  l'Yucatan,  &  que  de 
faux  avis  l'avoient  empêché  de  continuer  fa  Navigation  par  cette  route.  La 
découverte  qu'il  fit  enluite  de  la  Province  de  Veragua,  où  il  trouva  beau- 
coup d'or,  &  quelques  années  après,  .celle  de  la  Floride,  par  Jean  Ponce 
de  Léon,  firent  oublier  .apparemment  tout  ce  qui  avoit  moins  d'éclat  que 
les  efpérances  préfentes»  Enfin,  vers  le  commencement  de  l'année  ij  17, 
ou  fur  la  fin  de  la  précédente,  Velafquez,  qui  avoit  mis  l'Ifle  de  Cuba  dans 
un  état  floriilant ,  ne  voulut  pas  perdre  l'occafion  de  s'étendre  par  de  nou- 
velles Conquêtes ,  ou  de  fe  fortifier  dans  fon  Kle,  en -y  faifant  amener  un 
grand  nombre  d'Efclaves,  pour  la  culture  des  terres.  La  douceur  de  fon 
Gouvernement  avoit  attiré  prés  de  lui  une  grande  partie  de  la  NobleflTe  Ef- 
pagnole des  Indes.  11  propofa  une  Expédition  fur  quelque  endroit  de  la 
Terre-ferme,  où  l'on  n'eût  point  encore  pénétré ,  dans  le  deflein  d'y  faire 
un  Etablififcment ,  fi  le  Pays  en  paroiflbit  digne,  ou  d'enlever  des  Indiens, 
s'ils  étoient  Cannibales,  ou  du  moins  d'y  faire  la  traite  de  l'or,  s'il  s'y  en 


trou" 


Description 

DE  l'Isle 

Espagnole. 

Obfervation. 


lÎERNANnEZ 
DE    COUDOUE. 

1517- 


Raifons  qui 
avoient  retar- 
dé la  décou- 
verte de  i'YU' 
catan. 


0.  v 


(a)  Herrera,  Cbap.  10  ^  ji.  f 

Hùta.  La   Catte  des   Provinces  de  Tabafco,  Cmpa,  Vera-Paz,  Cuatiniala,  Honduras  & 
Tucatan,  a  été  employée  au  ïome  XVL  11,  (1..E.  ,      -, ,  ..:  u^    ,r.iV,x     ..,• 


248      PREMIERS      VOYAGES 


ITERNANnEZ 

DE  Cor DOUE 


trouvoit.    Quelques  Mémoires  aflurent  qu'il  en  demanda  la  permiflton  à 
l'Amiral  Dom  Diegue,  dont  il  n'étoit  que  le  Lieutenant:  mais  d'autres  E- 
'  5  '  ?•     crivains  y  trouvent  peu  d'apparence.    Dom  Diegue  étoit  en  Efpagne  de- 
puis trois  ans;  &  Velafquez,  loin  de  s'être  contenu  dans  la  fubordination , 
n'avoit  rien  épargné  pour  fe  rendre  indépendant.     Il  avoit  même  obtenu, 
par  la  proteftion  du  Tréforier  Général ,  des  Provifions  de  Gouverneur  ab- 
folu,  que  Dom  Diegue,  à  la  vérité,  eut  le  crédit  de  faire  révoquer;  mais 
fans  pouvoir  l'emporter  ^ur  le  point  le  plus  eflentiel ,  qui  étoit  le  pouvoir 
de  le  rappeller  {b). 
Vcinfqucz        II  arriva,  comme  Velafquez  l'avoit  prévu ,  que  non- feulement  fes  Ma- 
iTernnmkzdc  'elots  &  fes  Soldats,  qui  s'ennuyoient  de  l'oifjveté,  mais  plufièurs  Caftil- 
Cordôiic.        lans  de  confidération,  paffîonnés  pour  la  fortune,  ou  pour  la  gloire,  en- 
trèrent volontiers  dans  fes  deffeins.    François  Hernandez  de  Cordoue  ,  un 
des  plus  riches  &  des  plus  entreprenans,  fe  chargea  de  la  conduite  de  l'en- 
.    treprife,  &  d'une  grande  partie  des  fraix.     Velafquez  accepta  fon  offre, 
&  fît  armer  à  San-Yago,  Capitale  de  Cuba,  deux  Navires  &  un  Brigan- 
Son  tk'pait.  tin ,  fur  lefquels  il  embarqua  cent  dix  Hommes.    Hernandez  mit  à  la  voi- 
"'■      le,  le  8  de  Février,  avec  Alaminos^  pour  premier  Pilote.    Cet  habile  Na- 
vigateur, qui  avoit  fervi  dans  fa  jeuneffe,  fqus  Chriftophe  Colomb,  n'eut 
.  .  ■      pas  plutôt  doublé  le  Cap  de  Saint-Antoine,  qui  eft  à  l'extrémité  occiçlenta- 
,  .   ;'    ,      le  de  Cuba,  qu'il  propofa  de  gouverner  droit  à  l'Oueft,  par  la  feule  raifon 
-  ,  ',.  •       que  l'ancien  Amiral  avoit  toujours  eu  du  penchant  à  fuivre  cette  route.  C'é- 
-    toit  aflez  pour  déterminer  Hernandez.    Une  tempête,  qui  dura  deux  jours, 
leur  fit  voir  la  mort  de  fort  prés  fous  mille  faces  terribles;  &  pendant  trois 
femaines  leur  Navigation  fut  très  dangereufe,  dans  une  Mer  qu'ils  connoif- 
foient  fi  peu.    Mais  ils  apperçurent  enfin  la  Terre,  &  s'en  approchèrent 
affez  près.    Leurs  premiers  regards  a'étoient  arrêtés  fur  une  grande  Bour- 
gade, qui  leur  parut  éloignée  aenviron  deux  lieues,  lorfqu'ils  virent  par- 
tir de  la  Côte  cmq  Canots,  chargés  d'Indiens,  qui  étoient  vêtus  d'une  for- 
te de  pouipoints  fans  manches,  &  de  caleçons  de  la  même  étoffe.     Ces 
Barbares  femblèrent  voir  avec  admiration  les  grands  Navires  des  Caftiîlans, 
leurs  barbes,  leurs  habits,  &  tout  ce. qui  ne  reffembloit  point  à  leurs  pro- 
pres ufages.     On  leur  fit  quelques  préfens,  dont  ils  furent  affez  fatisfaits 
pour  revenir  le  lendemain  en  plus  grand  nombre,  avec  de  grandes  appa- 
rences d'amitié:  mais  leur  deffein  étoit  d'employer  la  perfidie  &  la  violen- 
ce, pour  fe  faifir  de  tout  ce  qu'ils  avoient  admiré  à  la  première  vue.    Les 
Caftillans  n'ayant  pas'  fait  difficulté  de  defcendre ,  ceux  qui  débarquèrent 
les  premiers  fe  trouvèrent  tout -d'un -coup  environnés  d'un  grand  nombre 
d'Ennemis,  qui  s'cioient  embufqués,  &  qui  pouffant  de  grands  cris,  firent 
tomber  fur  eux  une  grêle  de  pierres  &  de  flèches.    Avec  l'arc  &  la  fron- 
de ,  -ils  étoient  armés  d'une  forte  de  lames  d'épées ,  dont  la  pointe  étoit  un 
caillou  fort  aigu ,  de  rondaches ,  &  de  cuiraffes  doublées  de  coton.    Her- 
nandez eut  quinze  Hommes  bleffés  ;  mais  le  feu  des  arquebufes  ayant  bien- 
tôt diflîpé  ces  Traîtres ,  on  obferva,  dans  le  même  lieu,  trois  Edifices  de  ma- 
çonnerie, qui  étoient  des  Temples  remplis  d'Idoles,  la  plupart  d'une  figu- 


11  aborde 
lYucatan. 


Combat 
vec  Ils  In- 
diens. 


ii. 


(t)  Ibii.   Chap.  17.    Hiftoire  de  Saint-Domingue,  Liv.  5.  page  140. 


ro 


X 


r    E    N     A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I.  U9 

Temon(trueure(c).    AlîonfQ  Gonzalez,  Chapelain  du  Général,  y  trouva, 
dans  de  petits  coffres,  d'autres  Statues  de  pierre  &  de  bois,  avec  des  ef* 

Sèces  de  Médailles  d'un  or  afTez  bas ,  des  bagues  &  des  pendans  d'oreille 
i  des  couronnes  de  même  métal.  On  avoit  pris,  dans  le  combat,  deux 
jeunes  Indiens ,  qui  furent  batifés  fous  le  nom  de  Julien  &  de  Mel- 
chior  (d). 

Les  Caftillans  fort  joyeux,  malgré  leur  difgrace,  d'avoir  découvert  un 
Pays ,  dont  les  Habitans  étoient  vêtus ,  &  les  Maifons  de  pierre  &  de 
chaux  i  fpeélacle  qu'ils  n'avoient  point  encore  eu  dans  les  Indes ,  donnè- 
rent au  Cup  le  nom  de  Cotoche,  qui  étoit  celui  de  la  Bourgade,  &*retournè- 
rent  à  Bord  pour  fuivre  la  Côte.  Après  quinze  jours  de  navigation ,  pen- 
dant  laquelle  ils  obfervèrent  conflamment  de  ne  mouiller  que  la  nuit ,  ils 
arrivèrent  proche  d'un  Golfe,  à  la  vue  d'une  Bourgade  aum  grofle  que  la 
première,  qu'ils  appellèrent  Lazare,  parce  qu'on  étoit  au  Dimanche  de  ce 
nom ,  mais  que  les  Indiens  nommoient  Kimpefh ,  &  qui  a  pris  depuis  le  nom 
de  Campeche.  Dans  une  fi  grande  étendue  de  Côte,  on  fut  furpris  de  n'a- 
voir pas  découvert  une  feule  Rivière  («);  &  l'on  fut  obligé  de  prendre  de 
Teau  d'un  puit,  qui  étoit  la  feule  reflburce  des  Habitans.  Pendant  qu'on 
rentroit  à  Bord,  cinquante  Indiens,  vêtus  de  Camifoles  &  de  Mantes  de 
coton  >  fe  préfentèrent  aux  Cadillansj  &  leur  ayant  demandé ,  par  divers 
lignes ,  s'ils  ne  venoient  pas  du  côté  d'où  le  Soleil  fe  lève,  ils  les  invitè- 
rent à  s'approcher  de  leur  Bourgade.  Quoique  l'avanture  de  Cotoche  leur 
rendit  cette  invitation  fufpefle,  ils  réfolurent  d'y  aller  bien  armés.  La  eu- 
riofité  les  fit  entrer  dans  quelques  Temples  bien  bâtis ,  qui  fe  préfentoienc 
fur  leur  pafiage,  &dans  lefquels  ils  furent  furpris  de  trouver,  avec  quan- 
tité d'Idoles ,  des  traces  de  fang  toutes  fraîches,  &  des  Croix  peintes  fur 
les  murs.  Ils  y  furent  bientôt  environnés  d'une  multitude  d'Indiens ,  des 
deux  fexes  &  de  toutes  fortes  d'âges,  qui  ne  fe  laflbient  point  de  les  admi- 
rer. Quelques  momens  après,  ils  en  virent  paroitre  deux  Iroupes,  qui 
marchoient  en  bon  ordre,  &  qui  étoient  armés  comme  ceux  de  Cotoche. 
Dans  le  même  tems,  il  fortit  d'un  Temple  dix  Hommes,  qu'ils  prirent  pour 
des  Prêtres >  vêtus  de  longues  robbes  blanches,  avec  une  chevelure  noire 
fort  frifée.  Ils  portoient  du  feu  dans  des  réchaux  de  terre,  où  ils  jettoienc 
une  forte  de  gomme,  qu'ils  nommoient  K^^al,  en  dirigeant  la  fumée  du 
côté  des  Caflillans,  &  les  preflTant  de  fe  :  nrer.  Après  cette  cérémonie, 
on  entendit  le  bruit  de  plufieurs  inflrume;  de  guerre,  qui  fonnoient  la 
charge.  Hernandez,  qui  ne  fe  voyoit  point  en  état  de  réfifler  à  un  Peuple 
n  nombreux,  fit  reprendre  à  fés  gens  le  chemin  de  la  Mer;  &  quoique  lui- 
vi  par  les  deux  Troupes  d'Indiens,  qui  ne  le  perdirent jpas  de  vue,  il  fut 
alTez  heureux  pour  fe  rembarquer  fans  aucun  accident  (j). 
'"  .  ,.  w  Î-:  '  ■    U 

quelques-unes  entre  le  Cap.de  Cotoche  & 
Campeche;  mais  il  eft  vrai  que  le  Pays  eft 
peu  arrofé ,  &  qu'on  n'y  boit  que  de  l'eau 
de  puits,  qui  elt  très  bonne. 
(/)  Ibidm. 


HeRNAiroKX 

OB   CORDOUK. 

1517- 

Statues  & 
Médailles 
d'or  du  Pays. 


(<?)  A  faces  de  Démons,  d'Hommes  &  de 
Femmes.  Quelques-unes,  renverfées  fur 
d'autres,  repréfentoient  les  plus  infâmes  dé- 
reglemens.    Herrera^  Liv.  2.  Chap.  17. 

\d)  Ibidem, 

\e)  Nos  Cartes  en  marquent  néanmoins 

XVIIL  Paru 


■  V  .}■ 


Découverte 
de  Kimpefh, 
ou  Campe- 
che, nommé 
d'abord  La- 
zare. 


Cérémonies 
obfcures  des 
Indiens. 


I  î 


\^^ 


ifERNANDEZ 
Dfi   CORDOUE. 

IJI7- 

Mafliicre 
(les  Cattillanà 
'*  Potonchan. 


Embarras 
d'Hcrn  ailliez 
ie  Cordouc. 


Anfe  de  los 
Lagartos,  ou 
des  Lefurds. 


'.  Nouvelle 
Àfgracc  des 
CoiliUàns. 


Retour 
d'Hernandez 
de  Coidoue, 
&  fa  more. 


t5^      PREMIERS     VOVaGËS 

Il  reprit  fa  route  au  Sud  pendant  fix  jours;  &  l'eau  commençant  à  lui 
manquer,  il  mouilla  dans  une  Anfe,  prés  d'un  Viiiaçe  nommé  Potonchan^ 
où  il  trouva  un  puits  d'eau  douce,  dont  il  remplit  les  tonneaux.    Mais, 
ayant  paiTé  la  nuit  à  terre ,  il  y  fut  attaqué ,  le  lendemain ,  par  un  grand 
nombre  d'Habitans,  qui  lui  tuèrent  quarante-fept  Hommes.     La  plupart 
des  autres  n'échappèrent  point  fans  bleflures  ,  &  lui  -  même  fut  percé  de 
douze  flèches  (g ).    Il  ne  dût  la  vie  qu'à  fon  courage  (/b  ) ,  qui  lui  ouvrit  un 
chemin  au  travers  des  Ennemis  ;  &  lorfqu'il  fut  rentré  dans  fes  Barques ,  où 
les  iîéchesje  fuivirent ,  il  eut  le  chagrin  d'y  voir  mourir  encore  cinq  Hom« 
mes,  de  leurs  bleflures,  outre  deux  qui  avoient  été  enlevés  dans  le  com^ 
bat,  &  dont  la  vie  lui  parut  defefperée  entre  les  mains  des  Indiens.    Une 
fi  cruelle  difgrace  fit  donner  à  cette  Baye  le  nom  de  Afala  Polea.    Il  ne  • 
reftoit  pas  d'autre  parti  que  de  retourner  a  Cuba.    Alaminos,  qui  avoit  fait 
le  Voyage  de  la  Floride  avec  Ponce  de  Léon,  fut  d'avis  d'en  prendre  la 
route ,  parce  qu'il  trouvoit ,  dans  fes  Cartes ,  qu'on  n'étoit  éloigné  de  cet- 
te Terre  que  d'environ  foixante  lieues ,  &  que  la  navigation  de  la  Flori- 
de à  la  Havane  étoit  plus  courte  &  plus  fûre  que  par  la  voie  qu'on  avoic 
fuivie. 

I L  fallut  brûler  un  des  trois  Navires ,  faute  de  Matelots  pour  le  gouver- 
ner. Trois  jours  après  avoir  levé  l'ancre,  on  arriva  près  d'une  Anfe,  qu'on 
prit  d'abord  pour  une  Rivière:  mais  l'eau  en  étoit  falée;  &  ceux  qui  def- 
cendirent,  pour  creufer  des  puits,  n'en  purent  tirer  d'eau  douce.  Cette 
Anfe  reçut  le  nom  de  los  Lagartos  ^  parce  qu'on  vit  fur  fes  bords  un  grand 
nombre  de  Crocodiles ,  ou  de  gros  Lefards.  Dans  l'efpace  de  quatre  jours  , 
on  découvrit  la  Floride ,  qu'Alaminos  n'eut  pas  de  peine  à  reconnoître. 
Hernandez  y  defcendit,  avec  lui  &  vingt -deux  Hommes.  L'expérience 
lui  ayant  appris  à  fe  tenir  fur  fes  gardes,  il  mit  des  Sentinelles  autour  du 
lieu  où  il  fit  creufer  des  puits,  dans  un  terrain  fort  lar^e,  où  l'eau  étoit 
excellente.  Mais  cette  précaution  n'empêcha  point  qu'il  n'y  fûtfurpris, 
par  une  légion  de  Barbares,  qui  bleflTérent  d'abord  Alaminos,  &  qui  enle- 
vèrent une  des  Sentinelles.  Ce  fut  par  uue  faveur  extraordinaire  du  Ciel,, 
que  les  Caftillans  évitèrent  d'être  maflacrés  jufqù'au  dernier,  &  qu'ils  re- 
tournèrent à  Bord ,  où  plufieurs  furent  même  contraints  de  retourner  à  la- 
nage.  Hernandez,  ayant  mis  à  la  voile  fur  le  champ,  arriva  dans  l'efpace 
de  deux  jours  aux  Ifles  des  Martyrs,  où  l'un  des  deux  Navires  qui  lui  ref- 
toient  toucha  fi  rudement,  qu'il  s'ouvrit;  &  dans  ce  trille  état,  il  fe  ren- 
dit à  la  Havane.  Son  premier  foin  fut  de  rendre  compte,  par  une  Lettre 
au  Gouverneur  de  Cuba,  des  circonllances  de  fon  Voyage  &  de  l'impor- 
tance de  fes  découvertes.  Il  lui  promettoit  incefl*an-ment  une  vifite,  a- 
près  qu'il  fe  feroit  rendu  par  terre  à  la  Ville  du  Saint  Efprit,  où  il  avoit 
ron  Ëtabliflement  ;  mais  il  mourut  dix  jours  après  fon  débai'quement  (i)» 
Telle  fut  la  première  découverte  de  cette  belle  partie  de  l'Amérique, 


{g)  Herrera  reproche  ici  à  Gomera  dé 
s'être  trompé  en  faifant  recevoir  vingt-trois 
coups  de  flèches  à  Hernandez. 

(  if  )  Solis  ne  dit  pas ,  comme  l'HUloilen  de 


Saint-Domingue,  qu'Hemandez  fut  tué  ici;: 
il  dit  feulement  que  fa  mort,  arrivée  enfui  te, 
retarda  la  Conquête  du  Pays.  Tome  i.  p.  30. 
(t)  Ibidem ,  Liv.  2.  Cbiap.  18. 


\ 


U    E,    Lxv.   I. 


->  E    N     A    M    E    R    I    Q    u    c,    L,xv.   I.  ijf 

^ae  lei  Ecrivains  de  toutef  les  itations  ont  continué  de  nommer  TCU- 
catarit  à  l'exception  de  quelques  Géographes  modernes  qui  écrivent  ^u- 

eatan  (*).  ,      ♦  • 

• 

(k)  Herrera  raconte  que  Bernard  Diaz  dtl  on  a  fçu  depuis  que  parmi  eux  Tuca  tû  en 

Caflilh,  qui  étoit  de  l'expédition  d'Hcman-  effet  le  nom  de  ces  racines,  &  Ilatli  celui 

dez,  rendit  témoignage  qu'ayant  demandé  à  de  la  terre  où  elles  fe  plantent,   il  jugeolt 

quelque»  Hablcana  du  Pay»  s'ils  avoient  de  que  de  Tuca  &  Ilatli  joints  enfembic,  on  t* 

ces  raciuei»  donc  les  Indiens  font  du  pain»  voit  fait  Tueatla,  d'où  s'eft  formé  le  nom  de 

ils  avolcnt  réponda  Yuca  &  Ilatli,    Comme  Yucatan.    Ibidtm. 

.l^oyage  de  Jean  de  Grijahat  ^  première  Découvertt  de  la  Nouvelle  Efpagne. 

V  El  kt  (iVEz  conçut  une  Ci  haute  idée  de  T  Yucatan,  fur  le  témoigna- 
ge des  deux  jeunes  Indiens  qu'Hernandez  avoit  amenés  de  Cotoche, 
&  plus  encore  fur  la  vue  des  médailles,  des  couronnes  &  des  bijoux  d'or, 
qui  s'étoient  trouvés  dans  leurs  Temples ,  qu'il  ne  perdit  pas  un  moment 
pour  fe  mettre  en  état  de  poufler  cette  Expédition.  Il  arma  trois  Navires 
^  un  Brigandn ,  fur  lefquels  il  mit  deux  cens  cinquante  Efpagnols ,  &  quel- 
ques Infulaires  de  fon  Gouvernement.  Juan  de  Grijaha ,  dont  tous  les 
Hidoriens  vantent  le  caractère  &  l'habileté  (a),  fut  chargé  du  Comman- 
dement général,  &  reçut,  pour  Capitaines,  Pierre  d'Alvarado,  François 
de  Morne jOt  &  Alfonfe  dAvila^  troia  Officiers  refpeâés  pour  leur  naiilau- 
ce ,  leur  courage  &  leur  politefTe.  Les  Pilotes  furent  les  mêmes  qui  a- 
voient  fervi  au  Voyage  d'Hernandez  {b). 

Grijalva  mit  en  Mer  le  8  d'Avril  1518  (c).  Le  deflein  des  Pilotes 
ëtoit  de  tenir  la  même  route  qu'ils  avoient  fuivie  dans  Je  premier  Voyage: 
mais  étant  emportés  par  les  Courans,  qui  les  firent  décheoir  de  quelques 
dégrés,  ils  arrivèrent,  après  huit  jours  de  navigation,  à  la  vue  d'une  lile, 

2ue  Ç&i  Habitans  nommoient  Cozumel ,  &  qui  a  retenu  ce  nom ,  quoique 
Jrijalva  lui  eût  donné  celui  àe^  Sainte  ■  Croix  t  parce  qu'on  y  aborda  le  jour 
qu'on  célèbre  l'Invention  de  la  Croix  du  Sauveur.  Il  s'avança  un  peu  dans 
les  Terres ,  pour  reconnoître  le  Pays  ;  mais  il  n'y  rencontra  qu'une  Femme 
Indienne  de  la  Jamaïque  ,  que  le  vent  avoit  jettée  depuis  deux  ans  dans 
cette  lile  avec  quelques  Pêcheurs  de  la  (ienne ,  &  que  les  Habitans  avoient 
réfervée  pour  l'efclava^e,  après  avoir  mafTacré  les  Hommes  dont  elle  étoit 
-accompagnée.  Il  apprit  d'elle ,  qu'à  la  vue  des  Navires  Efpagnols ,  tous  les 
Infulaires  s'étoient  retirés  dans  les  Montagnes.  Ses  prières  la  firent  con- 
fentir  à  leur  aller  propofer  de  revenir  dans  leurs  Habitations.  Mais  n'ayant 
pu  leur  perfuader  qu'on  n'avoit  aucun  deiTein  de  leur  nuire ,  elle  revint  prier 

les 


HlRMAHDiy 

DE   COKDOUI. 

15  17. 


Grijalva. 

1518- 

Occafîon  de 
ce  Voyage, 
&  forces  con- 
tées à  Grijal- 
va. 


(a)  Quelques  Hlftoriens  fe  font  trompés 
«1  le  faifant  Parent*  de  Velafquez;  il  étoit 
feulement  fon  Compatriote,  étant  né  comme 
lui  à  Cuellas. 

(b)  Alaminos  fut  nommé  premier  Pilote. 

(c)  Oviedo  le  fait  partir  le  25  de  Jan- 
vier; mais  c'eft  apparemment  de  San-Jago, 
Capitale  de  l'Ifle,  pour  aller  faire  fes  prépa- 


Son  départ. 


Il  découvre 
rine  de  Cozu- 
mel. 


ratifs  dans  un  autre  Port,  d'où  il  mit  à  la 
voile  le  18.  Il  relâcha  même  encore  à  Ma- 
torran,  au  Nord  de  Cuba;  &1à,  ils  fe  firent 
tous  couper  les  cheveux,  s'imaginant  que 
dans  les  lieux  où  ils  attoient,  ils  ne  trouve- 
roient  pas  de  peignes  pour  fe  les  peigner. 
Herrera,  Liv.  3.  Chap,  i. 

li  2 


»         \ 


253 


PREMIERS      VOYAGES 


GXTJALVA. 

•    1 5  '  8. 

TempU's 
qu'il  y 
vc. 


trou* 


Ancienne 
Croix  adorée 
dcsii-.fulaircs. 

Explication 
de  Cl  tte  lin< 
guiaritd. 


Grijalva  pu» 
nit  les  Indiens 
de  Poton- 
chan. 


les  Efpagnols  de  la  recevoir  fur  un  de  leurs  Navires  ;  ce  qu'ils  n'eurent  pat 
de  peine  à  lui  accorder.  Entre  plufieurs  Temples,  qu'ils  trouvèrent  dans 
rilfe,  ils  en  remarquèrent  un,  qui  avoit  la  figure  d'une  Tour  quarrée,  avec 
Quatre  grandes  fenêtres  &  leur  galerie.  Dans  un  enfoncement?  en  forme 
de  Chapelle,  on  voyoit  les  Idoles ^  &  à  côté,  une  efpéce  de  Sacrifie,  qui 
contenoit  les  indrumens  nèceflaires  au  fervice  du  Temple.  Proche  de-là , 
dans  un  petit  enclos  bâti  de  pierre,  cartelé  &  fort  luifant,  ils  virent  une 
Croix  de  Chaux,  haute  de  neuf  ou  dix  pieds.  Ils  apprirent,  apparemment 
de  la  Jamaïquaine,  que  cette  Croix  étoit  adorée  des  Infulaires  fous  le  titre 
du  Dieu  de  ïatluye^  oc  qu'ils  ne  s'y  adrelToient  jamais  en  vain  pour  en  obte- 
nir. On  a  cléja  vu  que  dans  la  découverte  cie  l'Yucatan ,  les  Caftillans  a* 
voient  trouvé  des  Croix,  la  plupart  peintes  fur  des  murs  (Jd).  Herrera, 
cherchant  l'explication  d'un  fait  u  fmgulier,  rapporte  que  Montejo,  le  mê- 
me qui  commandoit  un  des  crois  YaifTeaux  de  l'Efcadre,  étant  allé,  en 
1527,  pour  faire  la  Conc^uête  de  l'Yucatan,  fut  reçu  dans  une  Bourgade, 
nommée  Mini ,  où  il  apprit  que  peu  de  tems  avant  l'arrivée  d'Hernandez  de 
Cordoue  dans  le  Pays,  un  Sacrificateur,  nommé  Chilon  Combat ^  qui  paflbic 
pour  un  grand  Prophète ,  avoit  publié  que  des  Hommes  blancs  &  oarbus 
viendroient  bientôt  des  Quartiers  d'où  le  Soleil  fe  lève  ,  porteroient  une 
Croix  pour  Etendart,  &  qu'à  ce  figne,  tous  leurs  Dieux  prendroient  la  fui- 
te  :  que  ces  Etrangers  fe  rendroient  maîtres  du  Pays ,  mais  qu'ils  ne  feroient 
aucun  mal  à  ceux  qui  fe  foumettroient  volontairement ,  &  qui  adoreroient 
un  feul  Dieu,  qui  leur  feroit  prêché  par  leurs  Vainqueurs.  Après  cette 
Prophétie ,  Chilon  Combal  avoit  fait  faire  une  mante  de  coton ,  qu'il  avoit 
préfentée  aux  Indiens  qui  l'écoutoient,  comme  le  modèle  du  l'ribut  que 
leurs  nouveaux  Maîtres  dévoient  exiger.  Enfuite  il  avoit  fait  drefler  une 
Croix,  à  l'exemple  de  laquelle  on  en  avoit  élevé  quantité  d'autres.  Peu 
de  tems  après,  les  Efpagnols  ayant  paru  fur  les  Côtes  de  cette  Terre,  on 
leur  avoit  demandé  s'ils  ne  venoient  point  des  Pays  d'où  le  Soleil  fe  lève; 
&  dans  la  fuite,  les  Habitans,  qui  virent  rendre  de  grands  honneurs  à  la 
Croix  par  les  Soldats  de  Montejo,  ne  doutèrent  plus  que  la  Prophétie  de 
Combal  ne  fût  accomplie  (e). 

Après  avoir  fait  quelques  provifions  dans  Tlile  de  Cozumel,  Grijalva 
remit  à  la  voile ,  &  fe  trouva  dans  peu  de  jours  à  la  vue  de  l'Yucatan.  Il 
doubla  la  Pointe  de  Cotoche,  qui  efl  la  partie  la  plus  orientale  de  cette 
Province;  &  tournant  à  l'Ouell,  il  fui  vit  la  Côte,  jufqu'à  la  Rade  de  Po- 
tonchan.  Comme  c'étoit  dans  ce  lieu  qu'Hernandez  avoit  été  défait ,  l'ar- 
deur de  le  vanger  porta  les  Efpagnols  à  defcendre.  Ils  battirent  les  Indiens  ; 
&  ce  combat  ayant  répandu  la  terreur  dans  toute  la  Province,  ils  retourné- 
rent  à  Bord  pour  achever  cette  découverte.  Leur  route  fut  continuée  à 
rOuefl,  fans  s'éloigner  beaucoup  de  la  Terre.    La  beauté  de  cette  Côte 

leur 


(i)  Gomera  femble embrafler  l'opinion  de 
quelques  autres  Ecrivains ,  qui  ont  attribué 
ces  Croix  aux  Maures  chafTés  d'Efpagne. 
Mais  on  lui  reproche  d'avoir  ignoré  ce  qu'on 
va  lire  de  Montejo.    11  pouvoit  fe  tiret  de 


ce  doute,  dit  Herrera,  puifque  Ton  Hiftoî- 
re  fut  imprimée  en  1553,  à  Médina  del  Cam- 
pe ,  &  que  le  récit  de  Montejo  regarde  l'an 
1527.  Ibid.  Liv.  3.  Chap  i. 
(e)  Jbid. Liv.  3.  Chap.  z,  ;  'i. 


41 


EN      AMERIQUE,    Liv.  T. 


«53 


Our  J  ALtA. 

1  Ji8..' 


Il  dôcouvre 
une  Terre 
qu  il  nomme 
la  Nouvelle 
Efpiigne, 


Rivière 


leur  caufoic  de  l'admiration.  Ils  y  ddcouvroienc ,  par  intervalle! ,  des  E- 
difices  de  pierre  ;  &  létonnemcm  qu'ils  avoienc,  de  trouver  cet  ufagedans 
les  Indes,  leur  faifoit  paroître  ces  Bâtimens  comme  de  grandes  Villes, 
où  l'imagination  leur  repréfentoit  des  Tours,  &  tous  les  ornemens  des  Vil- 
les de  l'Europe.  Quelques  Soldats  ayant  fait  remarquer  que  le  Pays  relFem- 
bloit  fort  à  1  Efpagne,  cette  idée  plut  fi  fort  à  ceux  qui  l'avoient  entendue, 
qu'on  ne  trouve  pas  d'autre  raifon  qui  ait  fait  donner  le  nom  de  Nouvelle  Ef- 
pagne à  toute  cette  Contrée  (/). 

Lis  Vaifleaux  Cadillans  continuèrent  de  raneer  la  Côte,  jufqu'à  l'en- 
droit où  la  Rivière,  que  les  Indiens  nommoient  labafco,  entre  dans  la  Mer 
par  deux  embouchures.  C'ed  une  des  plus  navigables  qui  fe  jettent  dans 
K  Golfe  qu'on  a  nommé  du  Mexique  ;  &  depuis  cette  découverte ,  elle  a 
pris  le  nom  de  Grijalvat  pour  laifler  le  Hen  à  la  Province  qu'elle  arrofe,  & 

2ui  eft  une  des  premières  de  la  Nouvelle  Efpagne ,  entre  celles  d'Yucatan  J^'JJ!,'"'-''''  °* 
t  de  Guazacoalco  (g)»  Le  Pays  paroiflbic  couvert  de  très  grands  Arbres, 
&  fi  peuplé  fur  les  rives  du  Fleuve,  que  Grijalva  ne  put  refider  à  l'envie 
d'y  pénétrer.  Mais  n'ayant  trouvé  de  fond  que  pour  les  deux  plus  petits 
de  les  Bâtimens,  il  y  nt  paflfer  tout  ce  qu'il  avoit  de  gens  de  Guerre,  & 
laifla  fes  deux  autres  Vaiffeaux  à  l'ancre ,  avec  la  plus  grande  partie  de  fes 
Matelots.  A  peine  fut-il  engagé  dans  le  Fleuve ,  dont  il  eut  beaucoup  de 
peine  à  furmonter  le  Courant,  qu'il  apperçut  un  grand  nombre  de  Canots, 
reniplis  d'Indiens  armés ,  &  pluiieurs  autres  Troupes  fur  les  rives ,  qui  pa- 
roiifoient  également  réfolues  de  lui  fermer  le  paifage,  &  de  s'oppofer  à  fa 
defcente.  Leurs  cris  &  leurs  menaces  effrayèrent  fi  peu  les  Efpagnols, 
qu'ils  ne  s'avancèrent  pas  moins  jufqu'à  la  portée  du  trait.  Grijalva  leur 
avoit  recommandé  le  bon  ordre,  &  fur-tout  de  ne  faire  aucun  mouvement 
qui  ne  parût  annoncer  la  paix.  Les  Indiens,  de  leur  côté,  furent  iï  frap- 
pés de  la  fabrique  des  Vaifleaux  étrangers,  de  la  figure  &  des  habits  de  ceux 
qui  les  conduifoient ,  &  de  la  belle  ordonnance ,  autant  que  de  l'intrépidi- 
té avec  laquelle  ils  les  voyoient  avancer,  que,  dans  leur  première  furpri- 
fe,  cette  vue  les  rendit  comme  immobiles.  Le  Général  Callillan  faifit  ha- 
bilement cette  conjonfbure,  pour  fauter  à  terre  (6).  Il  y  fut  fuivi  de  tous 
fes  gens,  dont  il  forma  au(ïï-tôt  un  Bataillon.  Tandis  que  cette  aétion  fem- 
bloit  augmenter  l'étonnement  des  Indiens ,  il  leur  envoya  ^^ulien  &  Melchior^ 
ces  deux  jeunes  gens  qui  avoient  été  pris  dans  l'expédition  d'Hernandez  de 
Cordoue,  &  dont  la  Langue  étoit  entendue  dans  une  grande  partie  de  la 
Nouvelle  Efpagne,  pour  lesaflurer  qu'il  ne  penfoit  point  à  troubler  leur 
repos ,  &  que  dans  le  deflein  au  contraire  de  fe  rendre  utile  à  leur  Nation , 
il  leur  offroit  la  Paix  &  fon  Alliance.  Cette  déclaration  en  fit  approcher 
vingt  ou  trente,  avec  un  mélange  de  confiance  &  de  crainte.  Mais,  Tac- 
.  cueil  qu'ils  reçurent  ayant  achevé  de  les  raflurer,  Grijalva  leur  fit  dire  que 


Négocia- 
tions avec  les 
Indiens. 


Giap.  2.    SoUs, 


(/)  Solis,  Chap.  5. 

{g)  Herrera,    Liv.  3. 
Tome  I.  Chap.  6. 

(i)  Herrera  s'écarte  un  peu  de  ce  récit. 
Jl  prétend  que  les  Caûillans  n'entendirent 


les 


d'abord  que  le  bruit  des  Indiens  qui  cou- 
poient  du  bois ,  &  qu'étant  defcendus  à  ter- 
re fous  des  Palmiers ,  ce  fut  alors  que  les 
Indiens  s'approchèrent  d'eux  pour  les  obfet" 
ver.    Ibidem,      .  ""'     y-  • 


lis 


.;^î 


.( 


254 


PREMIERS     VOYAGES 


»» 


Gm  j  ALVA.  lés  Caflillans  étojent  Sujet»  d'un  grand  Roi,  Maître  de  tous'le»  Pay8  où  ils 
■  1518.      voyoient  naître  le  Soleil,  &  qu'il  étoit  venu  les  inviter,  de  la  part  de  ce 
Ils  paroif-    Prince,  à  le  reconnoître  auflî  pour  leur  Souverain.    Ce  difcours  fut  écouté 
fcnt  fupé-       ^g5  Indiens ,  avec  une  attention  qui  parut  accompagnée  de  quelques  mar- 
Ssauvag^es.  ques  «le  chagrin.    Leur  difpofition  fembloit  encore  incertaine,  lorfqu'un 
de  leurs  Chefs,  impofant  filence  à  toute  la  Troupe,  répondit  d'un  air& 
d'un  ton  ferme  ;  „  que  cette  Paix  qu'on  leur  ofFroit ,  avec  des  propofitions 
„  d'hommage  &  de  foumifllon,  avoit  quelque  chofe  de  fort  étrange;  qu'il 
étoit  furpris  d'entendre  qu'on  leur  parlât  de  reconnoître  un  nouveau  Sei- 
gneur, fans  favoir  s'ils  étoient  contens  de  celui  auquel  ils  obéiflbient  ;  que 
pour  ce  qui  regardoit  la  Paix  ou  la  Guerre,  puifqu'il  n'étoit  queftion 
maintenant  que  de  ces  deux  points,  il  n'étoit  pas  revêtu  d'une  autorité 
fuffifante  pour  donner  une  réponfe  décifive;  mais  que  fes  Supérieurs, 
auxquels  il  alloit  expliquer  ce  qu'on  avoit  propofé,  feroient  connoître 
leur  réfolution  ".    Un  langage,  H  extraordinaire  dans  la  bouche  d'un  In- 
dien, ne  caufa  pas  peu  d'inquiétude  aux  Efpagnols.    Ils  jugèrent  qu'ils  s'é- 
toient  mépris  en  croyant  avoir  à  faire  à  des  Sauvages,  &  que  des  Peuples, 
qui  penfoient  fi  bien,  ne  pouvoient  être  des  Ennemis  méprifables.    L'O- 
rateur, s'étant  retiré  après  fon  difcours ,  les  laiflà  quelque  tems  dans  cet 
embarras;  mais  il  reparui  bientôt,  avec  la  même  Efcorte,  pour  leur  décla- 
rer „  que  fes  Maîtres  ne  aaignoient  pas  la  Guerre  ;  qu'ils  n'ignoroienc 
„  pas  ce  qui  s'étoit  pafle  dans  la  Province  voiline,  &  que  cet  exemple  n'é- 
„  toit  pas  capable  de  les  intimider  ;  mais  qu'ils  jugeoient  la  Paix  préféra- 
„  ble  à  la  plu^heureufe  Guerre  ".    Il  avoit  fait  apporter  quantité  de  fruits 
&  d'autres  provifions,  qu'il  offi-it  à  G:ijalva,  de  la  part  de  i^  Maîtres, 
comme  un  gage  de  la  Paix  qu'ils  acceptoient.     Bientôt  on  vit  arriver  le 
Cacique  du  Canton ,  avec  une  Garde  peu  nombreuie  &  iàns  armes ,  pour 
faire  connoître  la  confiance  qu'il  prenoit  à  fes  Hôtes ,  &  celle  qu'il  lair  de- 
mandoit  pour  lui.    Grijalva  le  reçut  avec  de  graads  témoignages  de  joie  & 
d'amitié ,  auxquels  le  Seigneur  Indien  répondit  d'un  air  fort  noble.     Après 
Jes  premiers  complimens,  il  fit  approcher  quelques  gens  de  fa  fuite,  char- 
gés d'un  nouveau  préfent ,  dont  plulieurs  pièces  étoient  également  précieu- 
fes  par  la  matière  &  le  travail.    C'ctoient  différentes  fortes  de  bijoux  .d'or, 
renfermées  dans  une  corbeille ,  des  armes  &  des  figures  d'animaux ,  revê- 
tues de  lames  d'or,  des  pierreries  enchaiTées,  des  garnitures  de  plumes  de 
diverfes  couleurs,  &  des  robbes  d'un  coton  extrêmement  fin  (i).    Alors ^ 
iàns  laifler  le  tems  à  Grijalva  de  le  remercier,  il  id  dit;  „  qu'il  aimoit  la 
„  Paix  ,  &  que  c'étoit  pour  la  faire  fubfifter  entr'eux  qu'il  le  prioit  d'ac- 
„  cepter  ce  préfent;  mais  que  dans  la  crainte  de  quelque  mefintelligence , 
qui  pouvoit  s'élever  entre  les  deux  llïations ,  il  le  fupplioit  de  s'éloi- 

»  gner  ". 


»» 


(j)  Ces  préfens  montoient  â  la  valeur  de 
jcoo  pefos  d'or.  Herrera  raconte  que  le  Ca- 
cique arma  le  Général  Caftillan  de  fes  pro- 
pres inains,  que  les  armes  dont  il  le  revûtit 
étoient  fi  juftes  qu'elles  fembloient  avoir  été 
faites  pour  lui,  «  que  Grijalva  fe  trouva  ain- 


fi  tout  couvert  de  l'or  le  plus  fin  ;  qu'à  fon 
tour  il  fe  fit  apporter  ce  qu'il  avoit  de  plus 
précieux  en  habits,  &  qu'il  en  revâtit  auflî 
le  Cacique.  Mais  Solis  croit  toutes  ces  cir- 
conQances  fuit  douttiu(i:;;>.  Herrera  ce  Solis. 
Ibidem. 


i  i 


îfon 

plus 

aufli 

cit- 

Solis, 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  t 


255^ 


» 


premier.  Al- 
dans  un  Fleu< 
de  lui  le  nom. 


_  gner  ".  Le  Général  Caftillan,  charmé  de  tout  ce  qu'il  entendoit»  ré- 
pondit que  fon  deflein  n'avoit  jamais  été  d'apporter  le  moindre  trouble  fur 
cette  Côte ,  &  qu'il  étoit  difpofé  à  partir.  En  e£fet ,  il  fe  hâta  de  mettre  à 
la  voile  (A). 

Deux  jours  de  navigation  le  firent  arriver  à  la  vue  d'une  Bourgade, 
nommée  /Jgualuncoy  à  laquelle  il  donna  le  nom  de  la  Rambla^  parce  que  les 
Habitans,  pour  faire  connoître  apparemment  qu'ils  ne  redoutoient  rien, 
firent  quantité  de  caprioles  fur  le  fable.  Ils  étoient  armés  de  boucliers 
fortluifans,  qui  n'étoient  que  d'écaiUe  de  Tortues,  mais  que  cet  éclat  fît 
prendre  d'abord  aux  Caftillans  pour  de  l'or.  Un  peu  plus  loin,  Grijalva 
découvrit  un  enfoncement ,  formé  par  l'embouchure  d'une  Rivière ,  que 
les  Indiens  nommoient  Tofiala ,  &  qui  reçut  le  nom  de  Saint  •  Antoine.  £n- 
fuite,  il  arriva  au  grand  Fleuve  de  Guazavalco,  où  le  mauvais  tems  ne  lui 
permit  pas  de  mouiller;  &  prefqu'auiïi  -  tôt ,  on  découvrit  les  Montagnes 
couvertes  de  neige  de  la  Nouvelle  Ëfpagne,  qui  furent  nommées  Saint 
Martin ,  du  nom  eu  Soldat  qui  les  avoit  apperçues  le 
varado,  prenant  ici  !^  devant  avec  fon  Vaifleau,  entra 
ve ,  que  les  Indiens  nommoient  Papaloana ,  &  qui  prit 
à!4lvarado. 

£n  continuant  de  ranger  la  Côte,  les  Caftillans  arrivèrent  enfemblc  à 
l'embouchure  d'un  autre  Fleuve ,  qui  fut  nommé  Rio  de  Banderas ,  parce 
qu'ils  y  apperçurent  des  Indiens  avec  une  forte  de  picques  ornées  de  bande* 
roUes ,  qui  fembloient  les  inviter  à  defcendre.  Montejo  reçut  ordre  de  s'a* 
vancer  avec  deux  Chaloupes,  pour  reconnoître  leurs  difpofitions,  &r£f* 
cadre  ne  tarda  point  à  le  fuivre.  Les  Caflillans  furent  11  bien  reçus  de  ces 
Indiens ,  qu'ils  en  obtinrent  la  valeur  de  quinze  mille  pefos  d'or ,  pour  les 
plus  vieilles  marchandifes  d'£fpagne.  Ils  apprirent,  dans  ce  lieu,  qu'ils 
étoient  redevables  des  invitations  &  du  bon  acaieil  des  Habitans,  à  l'or- 
dre d'un  puiifant  Monarque,  voifin  de  cette  Province,  qui  fp  nommoit  Mo-' 
tezuma;  que  ce  Prince,  qui  avoit  été  informé  de  leur  approche;  &  qui  a- 
voit  peut-être  quelques  preflentimens  des  malheurs  qui  le  menai^oient,  a» 
voit  mandé,  Jtux  Commandans  defes  Frontières,  d'aller  au-devant  des  Ef- 
çagnols,  de  leur  porter  de  l'or  pour  traiter,  &de  découvrir,  s'il  étoit  pof- 
hble,  le  véritable  deflein  de  ces  Etrangers.  Grijalva  prit  poûeffion  da 
Pays ,  avec  les  formalités  ordinaires  ;  &  l'on  obferve  que  tous  ces  Aâes  fe 
Ëùfoient  au  nom  du  Roi  &  de  Veiafquez  (  /). 

La  Rade  de  Banderas  étant  ual  défendue  contre  les  vents  du  Nord,  on^ 
remit  à  la  voile,  &  l'on  rencontra  bientôt  une  Ifle,  aflez  proche  de  la  Cà- 
te,  que  la  blancheur  de  fon  fable  fit  nommer  VJJle  Blanche.  Un  peu  plus 
loin,  on  en  découvrit  une  autre,  à  quatre  lieues  de  la  Côte;  &  l'ombrage 
de  fes  arbres  lui  fit  donner  le  nom  d'IJk  Ferte.     Plus  loin. encore ,  à  une 


GkIJALVA, 

1518. 


Bourgade 
d'Agualunco,, 
qui  prend  le 
nom  de  la 
Rambla. 


Rivière  de 

Saint-Antoi- 
ne. 

Montagnes 
de  Saint 
Martin. 


Rio  de  Ban- 
deras. 


Riches  é- 
changes. 


Iffe  Blan- 
che. 

Ifle  Verte; 


.,  V 


{\)  Ses  gens  regrettèrent  néanmoins  de 
n'avoir  pas  fuit  un  Etabliflement  dans  cette 
Terre,  lis  demandèrent  plus  d'or  aux  In- 
diens, qui  leur  répondoient  culva  ,  culva, 
c'eft-à-dlrc,  allez  plus  loin.    Jlerrcra,  Ibii. 


»    -•■■•■  ■>..■ 


lieue 


Nota.  Voyez  le  Plan  de  la  Rade  de  la  Fe- 
ra Cruz  Êf  des  IJÎes  voijines,  au  Tome  XVI, 
R.  d,  E 

(  l  )  Herrerû,  Liv.  3.  Qiap.  9  ;  &  S«lis^ 
Chap.  i.  ,     . 


Gbijalva. 

1518. 


Ifle  des  Sa- 
crifices; d'où 
lut  vient  ce 
nom. 


Faute  de 
Grijalva,  qui 
ne  s'établit 

g  oint  dans  le 
ays  qu'il  dé- 
couvre. 


Méconten- 
tement de  Vê- 
la fquez. 


3 


25^       PREMIERS     VOYAGES 

lieue  &  demie  du  rivage,  on  en  apperçut  une,  qui  parut  peuplée,  &  le 
Général  y  defcendit.  11  y  trouva  quelques  bons  Efdifices  de  pierre,  &  un 
Temple  ouvert  de  toutes  parts,  au  milieu  duquel  on  découvroit  plufieurs' 
dégrés,  qui  conduifoient  à  une  efpèce  d'Autel,  chargé  de  Statues  d'horri- 
ble figure.  En  le  viûtant  de  près ,  on  y  apperçut  cinq  ou  ûx  cadavres  hu- 
mains,  qui  paroiflbient  avoir  été  facnfiés  la  nuit  précédente.  L'effroi, 
ue  les  Caftillans  relTentirent  de  ce  fpeélacie ,  leur  fit  donner  à  l'Ifle  le  nom 
'IJÎe  des  Sacrifices.  Ils  virent  d'autres  victimes  d'une  barbare  fuperftition 
dans  une  quatrième  Ifle,  un  peu  plus  éloignée,  que  Tes  Habitans  nommoient 
Culva,  &  qu'ils  prirent  pour  cette  Terre  abondante  en  or,  qu'on  leur  avoit 
indiquée  à  Tabafco.  On  y  traita  effe£livement  beaucoup  d'or;  &  Grijal* 
va,  qui  fe  nommoit  Jearif  lui  donna  le  nom  de  Saint  j^ean  de  Culva,  dont 
on  a  tùt  Saint-3^ean  ëCUlua  (m). 

La  vue  de  tant  de  riches  Contrées  faifoit  fouhaiter,  au  Général  Efpa- 
gnol ,  d'en  prendre  poiTefTion  plus  folidement  que  par  de  fimples  formalités. 
C'étoit  le  fentiment  de  la  plupart  des  Officiers  de  l'Efcadre,  fur-tout  d'Aï- 
varado ,  qui  en  avoit  repréfenté  plufieurs  fois  l'importance.  Mais  Grijalva 
étoit  arrêté  par  une  fcrupuleufe  foumifiTion  pour  les  ordres  de  Velafquez, 
qui  lui  avoit  défendu  d'entreprendre  aucun  Êtablifl'ement  (n).  Cependant 
il  prit  le  parti  de  lui  envoyer  rendre  compte  du  fuccès  de  fon  Voyage, 
pour  fe  faire  expliquer  encore  une  fois  ioz  intentions.  Il  lui  dépêcha  le 
Vaifleau  d'AIvarado,  fur  lequel  il  chargea  tout  ce  qu'il  avoit  recueilli  de 
précieux  ,  &  les  Malades  qui  n'étoient  pas  capables  de  fervice.  Velaf- 
quez,  inquiet  de  fon  côté,  de  n'apprendre  aucune  nouvelle  de  l'Efcadre, 
fit  partir  un  VaifFeau,  fous  le  Commandement  de  Chriftophe  d'Olid,  pour 
s'informer  de  ce  qu'elle  étoit  devenue.  Un  coup  de  vent,  qui  maltraita 
d'Olid,  fur  les  Côtes  de  l'Yucatan ,  l'obligea  de  retourner  à  San-Yago, 
d'où  il  avoit  fait  voile  ;  &  le  Vaiffeau  d'AIvarado  étant  arrivé  prefqu'en 
mêmetems  dans  ce  Port,  Velafquez  futconfolé  par  les  fiatteufes  nouvel- 
les  qu'il  reçut  d'un  Pays ,  qu'on  commença  dès  ce  jour  à  nommer  publique- 
ment la  Nouvelle  Efpagne.  Cependant ,  après  avoir  entendu  le  récit  d'AIva- 
rado ,  il  parut  fort  irrité  qu'on  n'eût  pas  bâti  même  un  Fort ,  dans  une  fî 
grande  étendue  de  Pays.  On  ne  peut  expliquer  cette  contradiction  d'idées , 
qu'en  fuppofant ,  avec  Herrera ,  qu'Alvarado ,  qui  avoit  toujours  été  por- 
té pour  un  Etablififement,  ne  rendit  point  un  témoignage  favorable  aux  in- 
tentions de  fon  Général;  <&  que  Velafquez,  à  qui  Las  Cafas  attribue  beau- 
coup de  bizarrerie  &  d'indécifion ,  fit  un  crime  à  Grijalva  de  n'avoir  pzs 
trouvé,  dans  les  circonftances ,  uneraifon  aflez  forte  pour  lui  faire  oublier 
les  ordres  avec  lefquels  il  étoit  parti.  Il  efi:  coudant ,  du  moins ,  qu'après 
s'être  fort  emporté  contre  un  Officier ,  dont  tout  le  crime  étoit  de  lui  avoir 
trop  bien  obéi,  il  p**::  n»,  réfolution  de  faire  un  nouvel  Armement,  &  d'en 
remettre  la  conduite  en  d'autres  mains  (0). 

^  '       :       Gri- 


.   (»»)  Ibidem. 

(  n  )  Gomera  eft  le  feul  Hiflorien  qui  pré- 
tende, au  contraire,  qu'il  avoit  ordre  ex- 
prés d'en  faire  un.  Las  Cafas,  Herrera,  & 


Solls  s'accordent  à  le  contredire, 

(0)  Herrera,  Liv.  3.  Chap.  10.;  SiSolis, 
Chap.  8. 


EN     AMERIQUE,   Liy.  I. 


^Sf 


trAïjALVA  dtoît  parti,  dans  le  même  tems  qu'AIvarado,  pour  continuer 
fes  découvertes ,  en  fuivant  la  Côte  vers  le  Nord.  Après  avoir  reconnu  les 
deux  Montagnes  de  Tu/pa  &  de  Tu/ia^  qui  s'étendent  fort  loin  entre  la  Mer 
.  &  la  Province  de  Tlafcala,  il  entra  dans  la  Province  de  Panuco,  qui  efl:  la 
dernière  de  la  Nouvelle  Efpagne  ,  du  côté  du  Golfe.  Mais  Jorfqu'il  eut 
mouillé  dans  une  Rivière,  qu'il  nomma  Rio  de  Canoas^  parce  qu'il  y  trouva 
un  grand  nombre  de  Canots,  le  Vaifleau  d'Alfonfe  d'^w/a,  qui  étoit  le  plus 
avancé,  fut  attaqué  par  une  multitude  d'Indiens,  auxquels  il  n'auroit  pu  ré- 
fifter,  fi  Grijalva  n'étoit  venu  le  fecourir  avec  toutes  fes  forces.  On  fit 
une  cruelle  boucherie  de  ces  Barbares  ;  &  l'Efcadre  étant  fortie  de  la  Ri- 
vière, fuivit  les  Côtes  de  Tlafcala,  pour  s'avancer  vers  une  Pointe,  où  les 
Courans  devinrent  fi  contraires ,  qu'après  quantité  d'efforts  pour  la  doubler,  ' 
le  Pilote  Alaminos  déclara  qu'il  y  avoit  de  l'imprudence  à  le  tenter  plus 
long-tems.  Alors  plufieurs  Officiers  de  l'Efcadre  fe  réunirent  encore  pour 
engager  le  Général  à  faire  un  Etabliflement ,  &  l'auroient  peut  -  être  em- 
porté ,  fi  d'Avila  &  Montejo  n'euflent  été  d'un  avis  oppofé.  Mais  le  ré- 
fultat  du  Confeil  fut  de  reprendre  enfin  1^  route  de  Cuba,  où  l'on  arriva  le 
10  de  Septembre. 

Voyage  de  FernanàCortez,  Découvertes^  Conquête  du  Mexique. 

EN  paffant  au  Port  de  Matances ,  Grijalva  fut  informé  des  préparatifs 
qu'on  y  faifoit  déjà  pour  une  autre  Expédition.  Comme  il  ignoroit 
encore  les  difpofitions  de  Velafquez ,  il  fe  flatta  que  s'il  étoit  queftion  de 
la  Nouvelle  Efpagne,  le  Commandement  de  cette  Flotte  ne  pouvoit  être 
confié  qu'à  lui.  Ses  efpérances  furent  bien  trompées ,  k)rfqu*au  lieu  des 
félicitations  &  des  remercimens  auxquels  il  s'étoit  attendu,  Velafquez  lui 
fit  publiquement  de  vifs  reproches.  11  ne  répliqua  qu'en  produifant  l'Ordre 
qu'il  avoit  reçu  de  lui-même:  mais  le  Gouverneur  étoit  fi  rempli  de  fes  pré- 
ventions ,  qu'en  reconnoiffant  que  cet  Ordre  étoit  de  fa  main ,  il  traita  de 
crime  la  fidélité  avec  laquelle  on  l'avoit  fuivi.  Il  députa  Jean  de  Salcedo  à 
rifle  Efpagnole,  pour  faire  agréer  fes  nouveaux  defleins  aux  Gouverneurs 
Jéronimites  ;  &  dans  la  crainte  de  perdre  un  moment ,  il  fit  radouber  aufli- 
tôt  les  Vaifleaux  qui  avoient  fervi  au  Voyage  de  Grijalva.  Avec  ceux 
qu'il  avoit  achetés ,  il  en  compofa  une  Flotte  de  dix  Navires ,  depuis  qua- 
tre-vingts jufqu'à  cent  tonneaux.  Mais  il  étoit  quefliion  de  leur  donner  un 
Commandant. 

Il  auroit  fouhaité,  fuivant  Solis,  d'en  trouver  un,  dans  le  caraftère  du- 
quel la  grandeur  du  courage  fut  réunie  avec  une  foumiflîon  fervile,  c'efl:-à- 
dire,  avec  la  bafleflede  refprit(aj:  deux  extrémités  qu'il  efl:  difficile  de 
rapprocher.  La  voix  publique  étoit  pour  Grijalva,  qui  fe  recommandoit 
par  fes  bonnes  qualités ,  par  fes  fervices ,  &  par  la  connoiflance  de  la  Route 
<&  du  Pays.  Antoine  &  Bernardin  Velafquez ,  tous  deux  proches  Parens  du 
Gouverneur,  Balthazar  Bemudez,  W a^co  Porcallo,  &  d'autres  Officiers  de 
diftinélion  fe  mirent  fur  les  rangs;  mais  les  uns  portoient  trop  haut  leurs 

*  pré- 

'    ■   ■  .  (a)  Solis,  Chap.  9.  --  '^-    ^""' '  ',  '  ,  :.Z  '';;  , 

XVIILPan.  •  Kk      '  ^ 


0»IJAlVil. 

J  5  I  8. 

Province  de 
Panuco. 

Rio  de  Oh 

noas. 


Grijalva  re* 
tourne  à  Cu- 
ba. 


Fërnahb 

C  O  R  T  E  Z. 

Nouvelle 
entreprife 
pour  fuivre 
les  découver- 
tes. 


Armeméht 
de  Velafqucî 
dans  l'Ifle  de 
Cuba. 


Son  embar- 
ras pour  le 
choix  d'un       « 
Chef. 


.  / 


k.2 


FeEN ANO 
C  O  R  T  B  Z. 

1518. 


Fernand 
Cortcz  eft 
choifi. 

Son  origine 
^  les  premiè- 
res avaniu 
rcs. 


'  En  quelle 
année  il  pnflc 
aux  Indes. 


Ce  qui  lui 
arrive  dans 
rinedeCiîba. 


tSS       PREMIERS      VOYAGES 

prétentions,  &  les  autres  n'avoient  pas  toute  la  capacité  qu'on  demandoit. 
Enfin,  Ainudor  de  Lariz^  Tréforier  Royal  de  Cuba,  &  André  Duero,  Se- 
crétaire du  Gouverneur,  profitèrent  de  cette  irréfolution  pour  faire  tomber 
le  choix  fur  leur  Ami  commun;  mais,  malheureufement  pour  Velafquez, 
fur  1  homme  du  monde  qui  convenoit  Je  moins  à  fes  vues.  Ce  fut  le  fa- 
meux Hernand^  ou  Ftrnand  CorteZy  celui  de  tous  les  Conquérans  du  Nou- 
veau jyionde,  dont  les  vertus  &  les  vices  ont  caufé  le  plus  de  partage  âc 
d'indécilion  dans  l'Hifloire. 

CoRTEZ  étoit  né  t-n  1485»  à  Medellin  ^  Ville  de  l'Eflramadoure ,  d'une 
Famille  dont  on  n'a  pas  conteflé  la  NobleiTe  (b).  Dans  fa  première  jeu- 
nefle,  il  avoit  étudié  les  Lettres  humaines,  à  TUniverfité  de  Salamanque, 
&  le  deffein  de  fon  Père  étoit  de  l'appliquer  à  la  Jurifprudence  ;  mais  fa 
vivacité  naturelle,  .qui  ne  s'acommodoit  pas  d'une  Profeflîon  fi  grave,  le- 
ramena  chez  fon  Père,  dans  la  réfolution  de  prendre  le  parti  des  armes.  11 
obtint  la  permiffion  d'aller  fervir  en  Italie,  fous  Gonfalvede  Cordoue;  & 
le  jour  de  fon  départ  étoit  marqué,  lorfqu'il  fut  attaqué  d'une  longue  & 
dangereufe  maladie,  qui  mit  du  changement  dans  fes  defieins,  fans  en  ap- 
porter à  fes  inclinations.  Il  réfolut  de  pafler  aux  Indes,  où  la  Guerre,  qui 
duroit  encore  dans  les  Ifles ,  promettoit  moins  de  fortune  que  de  gloire. 
Il  ypafla  dans  le  cours  de  l'année  1504,  avec  des  Lettres  de  recomman- 
dation pour  Dom  Nicolas  d'Ovando,  îbn  Parent,  qui  commandoit  alors 
dans  rifle  Efpagnole.  Quoiqu'il  eût  à  peine  vingt  ans,  il  fit  éclater  fa  har* 
dieffe  &  fa  fermeté  dans  pluGeurs  dangers,  auxquels  il  fut  expofé  pendant 
la  Navigation.  Ovando  le  reçut  avec  amitié,  &.  le  garda  quelque  tems 
près  de  lui.  Enfuite,  il  lui  donna  de  l'emploi  dans  Azua  de  CompoUelle. 
Cortez  étoit  bien  fait,  &  d'une  phyfionomie  prévenante.  Ces  avantages 
extérieurs  étoient  foûtenus  par  des  qualités  qui  le  rendoient  encore  plus  ai- 
mable. II  étoit  généreux,  fage,  difcret.  Il  ne  parioit  jamais  au  desavan- 
tage de  perfonne.  Sa  converfation  étoic  enjouée.  Il  obligeoit  de  bonne 
grâce,  &  fans  vouloir  qu'on  publiât  fes  bienfaits.  Un  mérite  fi  dillingué, 
6i  l'occafion  qu'il  eut  de  fignaler  fa  valeur  &  fa  prudence,  lui  avoient  ac- 
quis beaucoup  de  réputation  dans  la  Colonie,  Iqrfqu'en  15 11  Velafquez, 
qui  palfoit  dans  l'Ifle  de  Cuba,  lui  propofa  de  le  fuivre^  avec  l'emploi  de 
fon  Secrétaire.  Il  accepta  cet  Office.  Mais  le  Gouverneur  ayant  fait  des 
Mécontens ,  Cortez ,  qui  étoit  apparemment  de  ce  nombre ,  fe  chargea , 
l'année  fuivante ,  de  porter  leurs  plaintes  à  l'Audience  Royale  de  San  -  Do- 
mingo. Ce  complot  fut  découvert.  Cortez  fut  arrêté,  &  condamné  an 
dernier  fupplice.  Sa  grâce  néanmoins  fut  accordée  aux  infl;ances  de  quelr 
ques  Perfonnes  de  confidération ;  &  le  Gouverneur,  fe  contentant  de  l'en- 
voyer Prifonnier  à  San-Domingo ,  l'embarqua  dans  un  Navire  qui  mettoit 
à  la  voile.  Mais,  n'étant  point  obfervé  à  iiord,  il  eut  le  courage,  pen- 
dant la  nuit,  de  fauter  dans  la  Mer,  avec  un  ais  entre  fes  bras.  Après  a- 
Yoir  couru  le  plus  terrible  danger,  il  fut  jette  fur  le  rivage,  où  il  retomba 

fous 


"l'y  H»'  "f 


»  " 


(b)  Son  Père  fe  nommoit  Martin  Cortez 
de  Monroy,  &  fa  Mère  Catherine  Bizarre 
d'Jltamirano,  deux  noms ,  dit  Solis ,   qui 


marquent  aflêz  la  noblcfTe  de  fon  cxt^fUOD, 
Cbap.  9.  ,  ,    ,    » 


?        E    N     A    M    E    R    I    Q    U    E.   Liv.   I.         «59 

fous  le  pouvoir  du  Gouverneur;  mais  il  paroît  que  l'admiration  de  fon  ca- 
raftère  lui  en  fit  un  Ami ,  &  qu'à  l'exception  de  quelques  difficultés  qui  fur- 
vinrent  encore,  pour  un  Mariage  qu'il  fit  fecrettement  (<;),  il  n'en  reçut 
plus  que  des  faveurs.  Auflfi  fa  fortune  devint  -  elle  floriflante  ;  &  lorfque 
fes  Amis  le  prqpoférent  pour  commander  la  Flotte  de  la  Nouvelle  Efpagne, 
il  exerçoit  l'Office  d'Alcalde  à  San-Yago ,  Capitale  de  l'Ifle. 

Ce  choix  fut  aflez  appjaudi  ,  pour  la  conduite  de  l'Expédition,  par- 
ce que  les  grandes  qualités  de  Cortez  n'étoient  ignorées  de  perfonne  ;  mais 
ceux  qui  connoiflbient  parfaitement  fon  ambition  &  fon  adreffe,  doutè- 
rent fi  Velafquez  n'avoit  pas  manqué  de  prudence  (  d).  Ce  qui  contri- 
bua beaucoup  à  le  tromper,  c'eft  qu'il  crut  avoir  pris  des  mefures  fuffi- 
fantes  contre  les  mauvais  offices  de  fes  Ennemis ,  en  faifant  partir,  pour 
i'Efpagne,  après  l'arrivée  d'Alvarado,  un  Vaifl^eau,  par  lequel,  rendant 
compte  au  Roi  des  nouvelles  découvertes ,  il  lui  envoyoit  ce  qu'il  avoit  re- 
çu de  plus  précieux  de  la  Terre-ferme.  Bientôt  même  il  dépêcha  auffi  Gon- 
zalve  (h  Gufman ,  qu'il  chargea  d'agir  de  concert  avec  les  Amis  qu'il  avoit  à 

la 


«I 


>» 


(c)  Herrera  eft  le  feul  qui  fe  foit  attaché 
au  récit  de  cette  avanture.  „  Quoiqu'il  ne 
„  fût  pas  nager,  dit-i! ,  il  fe  jetta  dans  les  flots , 
..  fur  un  ais  qui  le  contenoit  en  partie.  Com- 
me la  Mer  baiObit  alors ,  il  fut  poulTé  à 
plus  d'une  lieue  par  le  Courant;  mais  le 
flux  qui  revint  le  rejetta  au  Rivage ,  fi  fa- 
tigué, qu'il  avoit  été  plufieurs  fois  prêt 
de  quitter  fon  ais  pour  finir  fes  peines  en 
fe  noyant.  Lorfqu'il  fut  à  terre ,  &  qu'il 
„  vit  le  jour  paroître  ,  ne  doutant  point 
„  qu'on  ne  le  fît  rhercher,  il  alla  fe  cacher 
„  dans  une  Eglife.  Proche  de-là  demeuroit 
„  un  Efpagnol,  natif  de  Grenade,  nommé 
„  Jean  Suarez,  qui  avoit  une  Sœur,  jeune 
„  &  de  mœurs  honnêtes.  Cortez,  qui  fut 
„  apperçu  de  cette  Fille ,  lui  plut  par  fa  fi- 
„  gure;  &,  la  compafllon  qu'elle  eut  de  fon 
„  malheu?  ayant  abrégé  les  formalités ,  elle 
„  lui  fit  cDnnoître  qu'elle  avoit  de  l'afFeftion 
„  pour  lui.  11  profita  de  cette  ouverture. 
„  Mais  un  jour,  qu'il  fortoit  pour  aller  voir 
„  fa  Maîtrefl'e ,  un  Sergent ,  nommé  Jean 
„  Efcudero ,  qui  l'obfervoit  depuis  quelque 
„  tems ,  le  fuivit  jufqu'à  la  porte  de  l'Egli- 
„  fe,  Pembrafla  par  derrière,  &  l'emmena 
„  prifonnier.  Les  Juges  procédèrent  contre 
„  lui  avec  beaucoup  de  rigueur.  Dans  cette 
„  fituation,  il  ne  vit  pas  d'autre  relTourcc 
,,  que  d'en  appeller  à  Velafquez  même ,  en 
„  qualité  de  Gentilhomme,  qui efpéroit  trou- 
„  ver,  dans  un  Homme  du  même  Ordre, 
,,  des  fentimens  nobles  &  fupérieurs  àlaven* 
„  geance.  Cette  voye  lui  raiflit.  Velafquez 
„  lui  pardonna;  mais  il  ne  voulut  pas  le  re- 
„  tenir  à  fon  fervice,-  &  pendant  quelques 
„  mois,  Cortez,  fort  à  l'étroit,  fe  vit  ré- 


„  duit  à  faire  fa  Cour  aux  Amis  du  Gouver- 
„  neur.  Cependant  il  époufa  Catherine  Sua- 
„  rez  ,  avec  laquelle  il  fe  vantoit  d'être 
„  aufli  content  que  s'il  eût  époufé  la  Fille 
„  d'une  Ducheffe.  Il  en  eût  un  Fils ,  qu'il 
„  fupplia  Velafquez  de  tenir  fur  les  fonds. 
,.  Cette  grâce  lui  fut  accordée ,  &fervitbica- 
„  tôt  au  rétabliflfement  de  £a  fortune.  Le 
„  Gouverneur,  qui  avoit  entrepris  alors  de 
„  former  des  Bourgades  de  Cailillans ,  lui 
„  donna  un  bon  nombre  d'Indiens  pour  s'é- 
,,  tablir  à  Ciudad  de  San-Tago,  dont  on  ne 
„  faifoit  que  jetter  les  fondemens ,  &  lui  ac- 
„  corda  enfuite  la  Lieutenance  de  cette  Vil- 
„  le,  Cortez  étoit  rufé ,  ajoute  l'Hiftorien. 
,,  Il  continua  de  ne  rien  épargner  pour  fe 
„  rétablir  entièrement  dans  les  bonnes  gra- 
„  ces  de  Velafquez,  qui  étoit  d'ailleurs  d'un 
„  caraftère  facile.  Il  y  parvint  avec  tant  de 
„  bonheur,  qu'à  la  faveur  de  cette,  réconci- 
„  liation  &  par  fon  induftrie,  il  acquit  bien- 
„  tôt  trois  mille  pcfos  d'or,  qui  étaient  alors 
„  une  grande  richeflTe  ".  Herrera,  Décade 
I.  Liv.  9.  Chap,  9. 

(</)  Herrera  raconte  qu'un  jour  que  le 
Gouverneur  &  le  Capitaine  Général  fe  pro- 
menoient  enfcmble,  un  Fou,  nommé  Fran 
cifquillo ,  s'approcha  d'eux  ,  &  fe  mit  à  crier 
que  Velafquez  ny  entendoit  rien,  &  qu'il 
lui  faudroit  bientôt  une  féconde  Flotte  pour 
courir  après  Cortez.  Compère,  dit  le  Gou- 
verneur, (c'étoit  ainfi  qu'il  nommoit  ordi- 
nairement Cortez)  entendez -vous  ce  que  dit 
ce  mtcbant  Francij'quillo  ?  Cortez  répondit 
que  c'étoit  un  Fou,  qu'il  falloit  laiiTcr  par- 
ler.   2.  Décade,  Liv.  3.  Cbap.  12. 


FeRKAff» 
Cortez. 

15  18. 

Il  devient 
Ami  du  Gou- 
verneur. 


.V 


Velarquez 
établit  fon 
crédit  en  Ef- 
pagne. 


^>î., 


Kk 


26o 


PREMIERS      VOYAGES 


Ferrand 

CORTEZ. 

IJI8. 


II  f ft  fait 
Adclantade. 


Cortez  lui 
devient  fuf- 
peft.. 


Avec  quelle 
habileté  Cor- 
rez  preOe 
l'cmbarque- 
KCOt. 


la  Cour,  pour  y  foûtenir  fon  crédit  &  fes  intérêts.  Pamphile  de  Narvaez, 
qui.étoit  de  ce  nombre,  l'avoit  déjà  fi  bienfervi,  auprès  de  l'Evêque  de 
Burgos,  dont  l'autorité  croiflbit  de  jour  en  jour,  qu'étant  d'ailleurs  Ami 
de  Paflamonte ,  &  ne  vivant  pas  bien  avec  l'Amiral,  ce  Prélat  Vefforçoit 
de  faire  valoir  fon  zèle  &  fes  fervices.  Il  fongea  même  à  fe  l'attacher,  en 
lui  faifant  époufer  Donna  Mayor  de  Fonfeca,  fa  Nièce;  &  le  13  de  No- 
vembre de  cette  année ,  il  fit  figner  au  Roi  une  Tranfaflion ,  par  laquelle 
ce  Prince  nommoit  Velafquez,  Adelantade,  &  le  déclaroit  fon  Lieutenant 
Général  dans  l'Ifle  de  Cuba  &  dans  tous  les  lieux  qui  avoient  été  ou  qui  fe^ 
roient  découverts  par  fes  foins  &  fous  fes  ordres.  II  lui  accordoit  même 
la  permiflion  de  lever  des  Troupes  pour  fes  Expéditions,  j'ufques  dans  l'If- 
le Efpagnole ,  &  fes  avantages  n'avoient  pas  été  moins  ménagés  dans  la  ré- 
partition des  profits  (e)*  Un  Traité  de  cette  nature  &  de  fi  grands  Privi- 
lèges ne  durent  pas  plaire  beaucoup  à  l'Amiral  Diegue  Colomb,  dont  la  fu- 
périorité  ne  fe  réduifoit  prefque  plus  qu'à  de  vains  titres.  Mais  Velafquez 
reçut  trop  tard  cette  efFufion  de  grâces,  &  n'en  jouit  pas  long-tems.  On 
verra  même  qu'elles  ne  fervirent  qu'à  l'engager  dans  des  entreprifes  mal 
concertées ,  qui  tournèrent  à  fa  ruine. 

CoRTEZ  avoit  reçu  fa  nomination  avec  de  vifs  témoignages  de  recon- 
noiflance  ;  &  la  plupart  des  Caflilians ,  qui  dévoient  fervir  fous  fes  ordres , 
étoient  charmés  de  ce  choix.  Mais  les  Concurrens,  fur  Icfquels  il  Tavoic 
emporté,  ne  pouvant  déguifer  leur  chagrin  ,  commencèrent  à  jetter  des 
foupçons  dans  l'efprit  du  Gouverneur.  Ils  lui  repréfentèrent  que  c'étoit 
rifquer  beaucoup,  que  de  donner  tant  de  confiance  à  un  homme  qu'il  avoie 
maltraité;  que  le  caradlère  de  Cortez  étoit  connu;  que  fes  manières  agréa- 
bles &  fiatteufes,  fa  libéralité,  fon  empreflement  à  fe  faire  des  Amis,  & 
fon  adrefle  à  fe  les  attacher,  étoient  autant  de  qualités  fufpeftes.  Velaf- 
quez ,  peu  porté  à  la  défiance ,  n'en  fut  pas  moins  ferme  dans  le  parti  qu'il 
avoit  embrafie ,  du  moins  s'il  faut  s'en  rapporter  au  plus  grand  nombre  des 
Hiftoriens  ;  &  Cortez  ne  penfa  qu'à  prefler  fon  départ.  Il  employa ,  aux 
préparatifs ,  tout  fon  bien  &  celui  de  les  Amis.  L'Etendart ,  qu'il  fit  arbo- 
rer, portoit  le  Signe  de  la  Croix,  avec  ces  mots  pour  devife,  en  Latin: 
Nous  vaincrons  par  ce  Signe.  En  peu  de  jours ,  il  ralfembla  fous  fes  ordres 
environ  trois  cens  Hommes,  entre  lefquels  on  compcoit  Diego  d'Ordas, 
Ami  particulier  du  Gouverneur ,  François  de  Morla ,  Bernard  Diaz  del  Caf' 
tilloj  qui  publia  l'Hiftoire  de  cette  Expédition  (/),  &  d'autres  Gentilshom- 
mes, 


(e)  Herrera,  Lxv.  3.  Cbap.  11. 

(/)  Elle  fut  achevée  en  1568,  &  publiée 
quelques  années  après ,  fous  le  titre  de  Hif- 
toria  Ferdadera  de  la  Conquijlo  de  la  Nueva 
Efpana  ,  por  Bernai  Diaz  del  Cajiillo ,  m 
fol.  La  confiance,  qu'on  croit  devoir  à  un 
témoin  oculaire,  fait  préférer  ici  fon  autori- 
té à  celle  d'Herrera;  car  la  raifon  du  détail, 
que  Solis  fait  valoir  pour  s'attacher  aufli  à  la 
môme  foitrce,  paroît  aflez  foible.  Herrera 
Dc  rapporte  pus  moins  les  circonllances  du 


départ,  dans  un  récit  fort  oppofé.  Les  voici: 
„  Amador  de  Lariz  découvrit  à  Cortez  que 
„  le  Gouverneur,  agité  par  fes  foupçons, 
„  étoit  réfolu  de  lui  ûter  fon  Emploi  ;  & 
„  comme  cétoit  un  efprit  fubtii  &  adroit ,  il 
,,  lï'avoit  pas-  befoin  d'averriffement ,  parce 
„  qu'il  itiifuffifoit  de  regarder  Velalquez  au 
„  vifagc.  La  première  nuit  qu'il  fçut  cela, 
„  lorfque  tout  le  monde  étoit  couché ,  & 
„  toutes  chofes  dans  un  profond  filence,  il 
alla  éveiller  fes  meilleurs,  Amis,  &  leur  die 


u 


EN      AMERIQUE,   Lrv.  I. 


26r 


mes,  dont  les  noms  paroîtront  plus  d'une  fois  avec  honneur.  Les  Trou- 
pes furent  embarquées  en  plein  jour,  à  la  vue  du  Peuple.  La  nuit  fuivan- 
te ,  Cortez ,  accompagné  de  fes  Amis ,  alla  prendre  congé  du  Gouverneur , 
qui  l'embrafla  tendrement,  avec  d'autres  careflTes,  qui  le  conduifit  au  Port, 
oc  qui  le  vit  monter  fur  fon  Vaifleau.  Solis  a  cru  ce  détail  néceflaire, 
pour  détruire  d'autres  récits,  dans  Icfquels,  dit-il,  Corcez  eft  repréfenté, 
fans  vraifemblance,  comme  un  ingrat,  qui  excita-  fa  Flotte  à  la  révolte  a« 
vant  que  de  fos  tir  du  Port. 

QUELQ.UE  jugement  qu'on  en  doive  porter,  la  Flotte  fortit  de  San- 
Yago,  le  1 8  de  Novembre,  &  rafant  la  Cote  du  Nord,  vers  l'Eft,  elle  al- 
la mouilier,  en  peu  de  jours,  au  Port  de  la  Trinité,  où  Cortez  avoit  quel- 
Sues  Amis,  qui  le  reçurent  avec  des  tranfports  de  joye.  Son  deflein,  qu'il 
c  publier,  lui  fit  autant  de  Partifans,  dans  cette  Ville,  qu'il  y  avoit  d'Ef- 
pagnolsTtrdens  pour  la  gloire  &  la  fortune.  On  nomme  ici  les  principaux , 
pour  donner  plus  de  facilité  à  les  reconnoître  dans  le  cours  de  leurs  exploits. 
C'étoit  Jean  d'E/calante^  Pierre  Sanche  de  Far/an  ,  &  Gonzale  de  Mexia, 
On  vit  bientôt  arriver  Alvarado  &  d'Avila ,  qui  étoient  partis  après  la  Flot- 
te; &  ce  renfort  fut  d'autant  plus  agréable  à  Cortez,  qu'ils  avoient  déjà 
commandé  tous  deux  dans  l'Expédition  de  Grijalva.  Alvarado  amenoit 
fes  quatre  Frères,  Gonzale  ^  George  y  Gomez  &  ^ean.  La  Ville  du  Saint- 
Efpric,  qui  efi:  peu  éloignée  de  la  Trinité.,  fournie  aulfi  fes  plus  braves  Ci- 
toyens, 


FlRNANa 

Cortez. 
15  IB.  " 


Premierdé- 
part  de  la 
Flotte. 


Principaux 
Officiers. 


Ardeurs 
des  Caftilhns 
à  fuivre  Cor- 
tez, 


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qu'il  failoit  s'embarquer  proinptement ,  a- 
vi'c  affez  de  gens  anidés  pour  fc  défendre. 
11  alla  lui-même  à  la  Houchcrie;  &  malgré 
les  ijouchers  ,  il  enleva  toute  la  viande 
qui  s'y  trouva.  Il  la  fit  porter  aux  Navi- 
res, malgré  leurs  plaintes.  Mais  il  tira 
de  fon  col  une  chaîne  d'or  qu'il  portoit, 
&  la  leur- donna.  Auili-tôt,  fans  autre  em- 
barras, il  l'a  rendit  à  Bord,  où  il  trouva 
déjà  quantité  de  gens  embarqués,  parce 
que  chacun  vouloit  être  des  premiers  pour 
cette  Entreprife.  Cependant  Velafquez  fut 
averti,  par  les  Bouchers  &  par  d'autres, 
que  la  Flotte  al  loi  t  mettre  à  la  voile.  Il 
fc  leva  aullî-tôt,  &  touce  la  Ville  fut  trou- 
blée en  mêmetems,  11  alla  au  rivage,  dès 
la  pointe  du  jour  ,  avec  une  nombreufe 
fuite.  Cortez,  l'ayant  apperçu  ,  defcen- 
dit  dans  une  Chaloupe  armée  de  Faucon- 
neaux, d'Efcopetes  &  d'Arbalètes ,  accom- 
pagné de  fes  plus  fidèles  Amis ,  &  s'appro- 
cha du  rivage.  Velafquez  lui  dit:  Compè- 
re ,  Compère ,  vous  partez  dmc  ainfi ,  fans 
dire  adieu?  Il  ejl  bien  étrange  que  vous 
nie  quittiez  ainji.  Cortez  lui  répondit  : 
Seigneur,  je  vous  en  demande  pardon;  mais 
fâchez  qu'on  ne  fauroit  apporter  trop  de  di- 
ligence aux  grandes  entreprifes.  Ordon- 
nez feulement  ce  que  vous  foubaitez  que  je 
faffe  pour  vôtre  fervice.  Velafquez ,  fur- 
pris  de  tant  de  haidiefle  &  de  réfolutio». 


„  ne  fçut  que  répondre  ;  &  Cortez  retourna 
„  fur  le  champ  aux  Vaifleaux  &  partit,  mais 
„  avec  peu  de  vivres ,  parce  que  les  Navires 
,,  nétoient  pas  encore  bien  équippés.  Il 
,,  s'arrêta,  quinze  lieues  plus  loin,  au  Port 
,,  de  Macaca ,  oii  il  y  avoit  quelques  provi- 
„  fions ,  qui  appartenoient  au  Roi  ;  &  dans 
„  l'efpace  de  huit  jours,  il  fe.tit  apporter  à 
„  Durd,  par  les  Indiens,  plus  de  trois  cena 
,.  charges  de  Cazabi,  chaque  charge  de  cin- 
„  quante  livres  au  moins,  &  fuirifmte  par 
,,  conféquent  pour  nourrir  un  liomme  pen- 
„  dant  un  mois.  11  prit  des  Porcs,  de  la 
„  Volaille,  &  tous  les  vivres  qui  s'offrirent, 
„  di(ant,  qu'il  les  prcnoit  en  form.;  d'em- 
„  prunt,  ou  par  achat,  &  qu'il  ks  payeroie 
,,  au  Roi.  De-là,  fuivant  la  Côte,  en  def- 
„  cendant ,  il  rencontra  un  Navire  de  la  Ja- 
„  maïque  ,  chargé  de  Lard  &  de  Cazabi , 
,,  qu'il  enleva  ".  &c.  Herrera,  ubi  fuprà, 
i,iv.  3.  Chap.  12.  Malgré  le  parti  qu'on  a 
pris  de  fuivre  Diaz  del  Caftillo  &  Solis ,  on 
n'a  pu  fe  dilpcnfer  de  faire  obferver  qu'un 
Ecrivain  tel  qu'Herrera ,  ne  s'accorde  point 
avec  eux.  Caftillo  fut  témoin  oculaire,  mais 
on  peut  le  foupçonner  d'avoir  favorifé  Cor- 
tez. Herrera  eft  un  Hillorien  fincère  &  ju» 
dieieux;  mais  il  peut  être  foupçonné  d'avoir 
travaillé  fur  des  Mémoires  infidèles  ;  fource. 
d'incertitude ,  trop  ordinaire  dans  l'Hiftolfe, . 


Kk  3 


iCi 


PREMIERS      VOYAGES 


Feknano 

COKTfZ. 

I  Ji8. 


Sa  généro- 
fîté  les  attire. 


Velafquez 
précend  lui 
hier  le  Coin- 
ihiuidcment. 


Comment 
Coicez  évite 
cet  affront. 


Second  dé- 
{)art  de  Cuba. 


toyens ,  tels  qu'Alfonfe  Hernandez ,  Porto  Carrero ,  Gonzale  de  Sandoval, 
Rodrigue  de  kanjal^  Jean  Velafquez  de  Léon  y  Parent  du  Gouverneur  ,•  & 
plufieurs  autres  Gentilshommes  de  la  même  diftinftion.  Une  fi  belle  No- 
blefle ,  &  plus  de  cent  Soldats ,  qui  furent  tirés  de  ces  deux  Villes ,  aug- 
mentèrent également  la  réputation  &  les  forces  de  l'Armée  j  fans  compter 
les  munitions ,  les  armes,  les  vivres  &  quelques  Chevaux,  qui  furent  em- 
barqués aux  fraix  de  Cortez  &  de  Ces  Amis.  Outre  les  dépenfes  commu- 
nes, il  difl:ribua  libéralement  tout  ce  qui  lui  refloit  de  fon  propre  bien,  en- 
tre ceux  qui  avoient  befoin  de  fecours  pour  former  leur  équipage.  Cette 
générofité,  jointe  à  l'efpérance  que  fcs  qualités  naturelles  taifoient  conce- 
voir de  fa  conduite,  lui  attacha  tous  les  cœurs  par  des  droits  plus  forts  que 
ceux  du  rang  &  de  l'autorité  (g). 

Cependant,  à  peine  étoit  -  il  parti  de  San-Yago ,  queVela(^ez,  ex- 
cité par  de  nouvelles  repréfentations,  fur- tout  par  celles  d'un  Aflrologue  , 
nommé  Jean  de  Milan ,  dont  les  prédiélions  ambiguës  augmentèrent  fes 
craintes ,  réfolut  de  tout  tenter  pour  lui  ôter  le  Commandement.  Il  com- 
mença par  envoyer  un  ordre  exprès  à  Verdugo^  fon  Beau  -  Frère  (  A  ) ,  qui 
exerçoit  l'Emploi  d'Alcalde  Major  à  la  Trinité,  de  le  dépofer  dans  toutes 
les  formes  établies  au  fervice  d'Efpagne.  Cette  Commiffion  >étoit  plus  fa- 
cile à  donner  qu'à  remplir.  Cortez  écoit  fur  de  tous  ceux  qu'il  avoit  fous 
fts  ordres;  &  Verdugo  comprit  qu'il  expoferoit  inutilement  fon  autorité. 
D'ailleurs  il  fe  laifla  perfuader,  par  les  difcours  féduifans  de  Cortez,  que 
pour  fon  propre  intérêt  &  celui  de  fon  Beau  -  Frère ,  une  entreprife  de  cet 
éclat  demandoit  plus  d'explication.  Il  écrivit  à  Velafquez.  La  plupart 
des  Officiers  de  la  Flotte  écrivirent  de  leur  côté ,  pour  repréfenter,  au  Gou- 
verneur, l'injuflice  qu'il  vouloit  faire  à  un  Homme  de  mérite,  dont  tout 
le  crime  étoit  apparemment  d'avoir  excité  l'envie  ;  &  le  danger  qu'il  y  a- 
voit  de  révolter  toute  l'Armée,  par  le  mauvais  traitement  dont  on  raena- 
çoit  fon  Général.  Enfin,  Cortez  écrivit  lui-même,  dans  des  termes  fort 
mefurés,  mais  pleins  de  noblefle,  qui  faifoient  fentir  à  Velafquez  le  tore 
qu'il  avoit  de  prêter  fi  facilement  l'oreille  à  la  calomnie  (i).  Cependant, 
après  le  départ  de  toutes  ces  dépêches, il  jugea  que,  dans  une  conjonfture  fi 
délicate,  la  prudence  l'obligeoit  de  hâter  fa  navigation.  Il  envoya  par  ter- 
re, à  la  Havane,  une  partie  de  ks  Soldats,  fous  la  conduite  d'Alvarado, 
pour  y  faire  quelques  nouvelles  levées  ;  &  mettant  à  la  voile  auffi  ^  tôt ,  il 
s'avança  vers  cette  Ville,  dans  le  delTein  de  ne  s'y  arrêter  que  pour  rece- 
voir fes  gens  à  Bord. 

La  Flotte  fortit  du  Port  de  la  Trinité,  avec  un  vent  favorable;  mais 
au  lieu  de  fuivre  le  Vaifleau  de  Cortez,  elle  s'écarta  pendant  la  nuit ,  &  les 
Pilotes  ne  s'apperçurent  point  de  leur  erreur  avant  la  pointe  du  jour.  Ce- 
pendant, comme  ils  fe  voyoient  fort  avancés,  ils  continuèrent  leur  route 
jufqu'à  la  Havane.  Pierre  de  Barba  ,  qui  commandoit  dans  cette  Ville, 
entra  vivement  dans  les  intérêts  du  Capitaine  Général ,  &  donna  des  or- 
dres pour  les  befoins  de  la  Flotte.     Mais  on  fut  extrêmement  furpris  de 

voir 


(g)  Solis,  Chap.  ii. 

Ç^b)  Solis  le  Domina  fon  CouHn. 


(»■)  Il  ne  vouloit  pas  paroître  offenfé,  dit 
Solis,  pour  éviter  les  éclairciffemsis.  Ibii. 


y 


EN      AMERIQUE,    Liv.  I. 


263 


FBRNAirC 

Coûtez. 
1518. 

Péril  de 


Nouvelle» 
forces  qu'il 
prend  à  la 
Havane. 


voir  paflTer  pliifieurs  jours,  fans  recevoir  aucune  nouvelle  de  Cortez  ;  & 
l'inquictude  alla  fi  loin  ,  qu'une  partie  de  l'Armée  propofoit  déjà  d'élire  un 
Commandant  dans  l'on  abfencc.  La  nuic  de  Ton  départ,  en  paiTant  fur  les 
dangereux  Bancs  qui  fe  rencontrent  entre  la  Trinité  &  le  Cap  Saint-Antoi- 
ne ,  aflez  près  de  l'ifle  Pinos ,  fon  Vaifleau  avoit  touché ,  avec  un  danger  Co"^^. 
fi  preflant ,  qu'il  avoit  fallu  faire  tranfportcr  une  partie  de  fa  charge  dans 
riile  voifine.  La  préfence  d'efprit ,  qui  avoit  fait  prendre  au  Général  le 
feul  parti  qui  pouvoit  le  fauver ,  &  la  fermeté ,  avec  laquelle  il  avoit  fait 
exécuter  les  ordres,  augmentèrent  beaucoup  reIlimo&  la  confiance  qu'on 
avoit  déjà  pour  lui  {k). 

Le  nombre  de  Ces  Soldats  croilToit  tous  les  jours.  Entre  les  Gentilshom- 
mes de  la  Havane,  on  diftingue  François  de  MontejOj  qui  fut  enfuite  Ade- 
lantade  de  l'Yucatan,  Diegue  de  6uto  dtl  Toro^  Garcie  Caro ,  &  Jean  de 
ZedenSi  qui  donnèrent  un  nouvel  éclat  à  fes  Troupes,  &  qui  achevèrent 
même  de  fournir  aux  fraix  des  armes  &  des  provifions.  Pendant  ces  pré- 
paratifs ,  Cortez  fçût  ménager  iufqu'au  tems  de  fon  loifir.  11  profita  de  ce 
court  intervalle,  pour  mettre  I  Artillerie  à  terre,  pour  faire  nétoier  les  Piè- 
ces ,  &  pour  exercer  les  Canoniers  à  leurs  fonélions.  Le  Canton  de  la  Ha- 
vane produifant  du  coton  en  abondance ,  il  en  fit  faire  une  forte  d'arme 
défenlive,  qui  n'étoit  qu'un  double  drap  de  coton  piqué ,  &  taillé  en  forme 
de  cafaque,  à  laquelle  on  donna  le  nom  d'EJlanpilU.  Cette  armure,  qui  doit 
fon  origine  à  la  difette  du  fer,  devint  fi  commune  après  l'expérience, 

?u'un  peu  de  coton ,  piqué  mollement  entre  deux  toiles ,  pafla  pour  une  dé- 
enfe  plus  fûre  que  le  fer,  contre  la  pointe  des  flèches  &  des  dards  Indiens; 
fans  compter  que  les  flèches  y  demeurant  attachées ,  perdoient  encore  leur 
aftivité ,  &  n'alloient  blefler  perfonne  en  gliflant  fur  les  armes.  Cortez 
faifoit  faire  aulfi  tous  les  exercices  militaires  à  fes  Soldats.  Il  les  inflruifoic 
lui-même,  par  le  difcoiirs  &  l'exemple  (/). 

Mais  tandis  que  les  derniers  préparatifs  fe  faifoient  avec  une  diligence 
&  une  conduite,  qui  lui  attiroient  de  l'admiration,  il  vit  arriver  Gafpard 
de  Garnka ,  chargé  des  Lettres  de  Velafquez ,  par  lefquelles  il  étoit  ordon- 
né à  Barba  de  l'arrêter,  &  de  l'envoyer  Prifonnier  à  la  Capitale.  Elles 
portoient  ordre  ,  à  Diegue  d'Ordaz  &  Jean  Velafquez  de  Léon ,  de  prêter 
main-forte  à  Barba.  Les  plaintes,  que  le  Gouverneur  de  Cuba  faifoit  de 
Verdugo,  faifoient  comprendre  qu'il  ne  recevroit  aucune  excufe  dans  l'af- 
faire du  monde  qui  l'intérefToit  le  plits.  Cortez  en  fut  averti ,  &  cette  ob- 
stination lui  caula  de  l'inquiétude.  Ce  fût  alors,  fuivant  Solis,  qu'il  prie 
la  réfolution  de  rompre  ouvertement  avec  Velafquez;  d'où  cet  Hiftorien 
conclut  qu'on  ne  lui  a  pas  rendu  juftice,  en  l'accufant  d'avoir  levé  le  maf- 
que  à  San-Yago.  Il  trouva  des  prétextes  pour  éloigner  Diegue  d'Ordaz, 
avant  la  publication  de  ces  ordres ,  parce  qu'il  n'ignoroit  pas  que  la  propo- 
,  fition  de  nommer  un  Commandant  dans  fon  ablence  étoit  venue  de  lui. 
Enfuite,  ayant  mis  dans  fes  intérêts  Velafquez  de  Léon,  qu'il  connoiflbit 
plus  facile  à  perfuader,  il  ne  craignit  point  de  fe  montrer  à  les  Troupes,  & 

de 


Velnfquffz 
donne  ordre 
ds  ranôter. 


{k)  SoIis,  Cbap.  12. 


(i)  Le  même,  Cbap.  13. 


Fernano 

COUTBZ. 

I  5  18. 

Zèle  des 
Troupes  pour 
Cortcz. 


Divîfion 
qu'il  fait  de 
fes  forces. 


■  Il  prend  ■" 
Saint  Pierre 
jîour  Protec- 
teur. 

Départ  ab- 
foiu. 


9tJ4        PREMIERS      VOYAGES 

de  leur  déclarer  lui-même  la  nouvelle  perfécution  dont  il  étoit  menace. 
Leur  ardeur  fut  égale  à  lui  promettre  une  fidélité  fana  réferve.  La  No- 
blefle  fe  contint  dans  les  bornes  d'un  attachement  fondé  fur  l'eflime  &  la 
reconnoiflance  ;  mais  la  chaleur  des  Soldats  fut  poufTée  jufqu'aux  cris  & 
aux  menaces.  Barba ,  que  ce  mouvement  tumultueux  fembloit  regarder,  fe 
hâta  de  paroître ,  pour  jurer  qu'il  n'avoit  pas  deflein  d'exécuter  Tordre  du 
<îouVerneur,  &  qu'il  en  reconnoiflbit  l'injuftice.  Enfuite,  pour  ne  laifler 
aucun  doute  à  fes  intentions,  il  renvoya  publiquement  Garnica,  avec  une 
Lettre,  par  laquelle  il  marc^uoit  au  Gouverneur  qu'il  n'étoit  pas  tems  d'ôter 
à  Cortez  le  pouvoir  qu'il  lui  avoit  confié,  &  que  les  Troupes  n'étoient  pas 
difpofées  à  fouflrir  ce-changement.  Il  ajoutoit ,  en  forme  de  confeil ,  que 
le  feul  parti  qu'il  eût  à  prendre  étoit  de  retenir  le  Capitaine  Général  par 
la  voie  de  la  confiance,  en  ajoutant  de  nouvelles  grâces  aux  premières,  & 
^u'il  valoit  mieux  efpérer  de  fa  reconnoiflance  ce  qu'il  ne  pouvoit  obtenir 
par  la  force  (m).  • 

Aprls  de  telles  aflufances  de  l'afieélion  de  fon  Armée,  Cortez  ne  vit 
plus  d'obftacle  à  redouter.    En  vain  le  bruit  courut  que  Velafquez  devoit 
arriver  lui-même  à  la  Havane.     Il  auroit  beaucoup  hafardé,  iùivant  tous 
les  Hifloriens.     Les  Guerriers  de  la  Flotte  n'étoient  pas  encore  revenus  de 
leur  chagrin ,  &  Solis  décide  hardiment  qu'ils  avoient  pour  eux  la  force  & 
la  raifon.    Ils  prcfierent  eux-mêmes  le  départ.     La  Flotte  fe  trouva  com- 
pose de  dix  Navires  &  d'im  Brigantin.    Cortez  divifa  toutes  fes  Trou- 
pes en  onze  Compagnies,  &  les  mit  fous  les  ordres  d'autant  deX!^apitaines, 
qui  dévoient  commander  ces  onze  Vaifleaux ,  avec  une  égale  autorité  fur 
Mer  &  fur  Terre.    Il  prit  le  Commandement  de  la  première  Compagnie. 
Les  autres  Capitaines  furent  Velafquez  de  Léon ,  Porto  Carrero ,  Montejo , 
d'Olid  ,   Efcalante  ,   Alvarado  ,  Morla  ,  Sancedo  ,  d'Avila,  &  Ginez  de 
Nortez ,  qui  montoit  le  Brigantin.    Orozco  ,  qui  avoit  fervi  avec  beau- 
coup de  réputation  dans  les  Guerres  d'Italie,  fut  chargé  de  la  conduite 
de  l'Artillerie;  &  le  fâge  Alaminos,   dont  l'expérience  étoit  connue  fur 
toutes  ces  Mers ,  fut  nommé  premier  Pilote.     Cortez  donna  pour  mot , 
Saint  Pierre,  fous  la  proteftion  duquel  il  déclara  qu'il  mettoit  toutes  fes 
entreprifes. 

On  mit  à  la  voile,  du  Port  de  la  Havane,  le  lo  de  Février  1519.  A- 
près  avoir  eu,  pendant  quelques  Jours ,  des  vents  impétueux  à  combattre, 
toute  la  Flotte  fe  réunit  dans  l'Ifle  de  Cozumel  (n),  &  l'on  fit  une  revue 
générale.  Le  nombre  des  Troupes  montoit  à  cinq  cens  huit  Soldats,  fans 
y  comprendre  les  Officiers,  &  c€nt  neuf  Hommes  pour  le  fervice  de  la  Na- 
■::..-.■__-:•  V  -_..::.   ^  ,■    .  -  '     '   .  yi- 


(m)  Le  même,  Cbap.  13. 

(  n  )  Gomera  dit  que  les  Habitans  la  nom- 
moient  Acuzami,  &  que  les  Caflilians  cor- 
rompirent ce  nom  en  Cozumel.  Grijalva  lui 
avoit  donné  celui  de  Sainte-Croix  [  ci-dcflTus , 
p.  251].  Elle  eft  à  vingt  dégrés  au  Nord  de- 
là Ligne.  Sa  longueur  eft  d'environ  trente 
tr.iles ,  &  fa  largeur  de  dix.  Elle  n'avoit  guè- 


res  plus  de  deux  mille  Habitans ,  divifés  en 
trois  Bourgades ,  qui  étoient  bâties  de  pierre 
&~de  brique,  mais  couvertes  de  paille  ou  de 
branches  ,  &  quelques-unes  de  pierres  fort 
larges.  La  terre  ell  remplie  de  Porôts  &  de 
Montagnes ,  entre  Icfquelles  il  y  a  d  excel- 
lentes Vallées.  Liv.  2.  Cbap.  17. 


EN     AMERIQUE,  Liv.  I. 


26s 


vigation.  Quoique  la  plupart  euflent  déjà  fait  éclater  leur  ardeur,  Cortez, 
après  leur  avoir  fait  une  exhortation  générale ,  prit  lei  Officiers  à  part , 
•Wit  au  milieu  d'eux ,  &  s'efforça  de  leur  communiquer  le  feu  dont  il  brû- 


mais  Ils  tureet  excuc»  «  uciwcuuic,  yat.  ic  u\ju  «luic  ^u  us  virent  régner 
dans  le  Camp  des  Efpagnols  ;  &  bientôt  ils  fe  mêlèrent  parmi  eux ,  avec 
autant  de  familiarité  que  de  confiance.  Cortez  apprit  du  Caciaue ,  que  dans 
un  Canton  de  la  Terre -ferme  il  y  avoit  quelques  Hommes  barbus,  d'un 
Pays  auquel  ils  donnoient  le  nom  de  Cajlille.  Il  ne  douta  point  que  ce  ne  fût 
quelques-uns  des  Caftillans  qu'Hernandez  de  Cordoue  &  Grijalva  s'étoient 
plairts  d'avoir  perdus  fur  cette  Côte;  &  comprenant  de  quelle  importance 
il  étoit  pour  lui  de  s'attacher  quelques  Hommes  de  fa  Nation,  qui  dévoient 
favoir  la  langue  du  Pays,  il  fit  pafier  Ordaz  à  la  Côte  de  i'Yucatan,  dont 
rifle  de  Cozumel  n'eft  éloignée  que  d'environ  quatre  lieues.    Deux  Infulai- 

res, 

„  la  force  des  armes.    C'cft  par  cette  voie 
„  qu'Hercule  a  mérité  le  nom  d'Invincible , 
„  &  c  eft  ce  qui  a  fait  donnei  le  nom  de  Tra- 
„  vaux  à  fes  exploits.    Vous  avez  pris  l'ha- 
„  bltude  de  fouftrir  &  de  conibatcre,  dans 
„  toutes  ces  Ifles  que  vous  avez  foumifes  ; 
„  mais  nôtre  entreprife  eft  bien  d'une  autre 
„  importance  ;  &  puifque  la  réfolution   fe 
„  raefure  fur  la  grandeur  des  obftacles ,  noua  • 
„  y  devons  apporter  bien  plus  de  fermeté. 
„  11  eft  vrai  que  nous  fommes  en  petit  nom* 
„  bre  ;  mais  l'union  fait  la  force  des  armées  ; 
„  elle  paroit  même  les  multiplier;  &  c'eft 
„  ce  que  nous  devons  attendre  de  la  con* 
„  fonnité  de  nos  fentimens.    11  faut,  mes 
„  Amis,  que  lorsqu'il  s'agira  de  prendre  unq 
„  réfolution,  nous  n'ayions  tous  qu'un  mê* 
„  me  avis;  une  même  main,  quand  il  fiu- 
„  dra  les- exécuter;  que  nos  intérêts  foient 
„  communs,  &  nôtre  gloire  égaie,  dans  tout 
„  ce  que  nous  aurons  le  bonheur  d'acque- 
„  rir.    La  valeur  particulière  doit  établir  la 
„  fureté  commune.     Je  fuis  vôtre  Chef,  & 
,,  je  hafarderai  le  premier  ma  vie  pour  le 
„  dernier  des  Soldats.     Vous  aurez  mon 
„  exemple  à  fuivre ,  encore  plus  que  mes 
„  ordres.    Dans  cette  confiance ,  je  me  fens 
„  aifcz  de  courage  pour  conquérir  le  Monde 
„  entier  ;  &  mon  cœur  fe  flatte  de  cette  ef- 
„  pérance ,  par  un  de  ces  mouvemens  extra- 
,,  ordinaires  qui  furpalFcnt  tous  les  préfages. 
„  Je  finis.    11  eft  tcms  de  faire  fucccdcr  les 
„  ciTets  aux  paroles.    Que  ma  confiance  ne 
„  vous  paroifle  pas  une  témérité.    Elle  eft 
,,  fondée  fur  ceux  qui  m'environnent;  & 
„  tout  ce  que  je  n'ôfe  attendre  de  mes  pro- 
,,  près  forces,  je  l'efpère  de  vous  ".  Solit^ 
Chap.  14, 

L  1 


FtRNANn 
CORTKZ. 

Nombre 
des  Troupe« 
du  Cortez. 

11  les  ha-  . 
rangue  dans 
ride  de  Co. 
zumel. 

Il  fait  cher 
cher  quelques 
Flfpagnuls 
perdus  fur  la 
Côte     Ses 
vùci  dans  et 
foin. 


(9)  Dlaz  de  Caftillo  nous  a  confervé  ce 
DIfcours,  auquel  il  "fl-îl-l:,  5t  Solis  le  rap- 
porte après  lui;  Herrera  n'en  donne  qu'un 
extrait.    Autant  que  ces  ornemcns  nuifcnt  à 
la  vérité  de  l'Hiftoire,  lorsqu'ils  ne  peuvent 
paffer  que  pour  des  fiftions  de  l'Ecrivain ,  au- 
tant fervent  ils  à  la  confirmer,  lorfqu'ils  font 
authentiques.    „  Mes  Amis  &  mesCompa- 
„  gnons,  quand  je  confidérè  le  bonheur  qui 
„  nous  a  réunis  tous  dans  cette  Ifte,  &  que 
„  je  fais  réflexion  fur  les  traverfes  &  les  per- 
„  fécutions  auxquelles  nous  fommes  échap- 
M  pés,  &  fur  les  difficultés  <|ui  fe  font  op 
„  pofées  à  nôtre  entreprife,  je  reconnois  a- 
„  vec  refpeft  la  main  de  Dieu,  &  j'apprens, 
„  par  cette  difpofition  de  fa  Providence , 
„  qu'elle  nous  promet  un  heureux  fuccès 
„  pour  un  delTein  dont  elle  a  daigné;  favori- 
„  fer  les  coinmencemens.    C'eft  le  zèle ,  que 
„  nous  avons  pour  lui  &  pour  le  fervice  du 
„  Roi  nôtre  Maître,  zèle  parti  du  même 
„  principe ,  qui  nous  fait  entreprendre  la 
„  conquête  de  ces  Pais  inconnus  ;  &  Dieu 
„  combattra  pour  fa  caufc  en  combattant 
„  pour  nous.    Je  ne  penfe  point  à  vous  dé- 
„  gulfer  les  difficultés  qui   fe   préfentent. 
„  Nous  avons  à  foutenir  des  combats  fan 
„  glans  &  furieux,  des  fatigues  incroyables 
„  dans  nos  fondions ,  &  les  attaques  d'une 
„  multitude  infinie  d'Ennemis ,  ou  vous  au- 
„  rez  befoin  d'employer  toute  vôtre  valeur  ; 
•  „  outre  que  le  befoin  des  chofes  les  plus  né- 
„  ceiFaires,  les  injures  du  tems  &  la  difficul- 
„  té  des  chemins  exerceront  vôtre  conftan- 
n  ce ,  que  l'on  peut  nommer  une  féconde 
„  valeur ,  &  qui  n'eft  pas  un  moindre  effort 
„  du  courage;  car  la  patience  achève  fou- 
„  vent  à  la  guerre  ce  qui  n'a  pCl  l'être  par 

^yHI.  Pan. 


*  ■*■  il 

% 


FtlMAND 
COKTIZ. 

1519- 


Comment 
il  entreprend 
de  convertir 
les  Infulnires 
de  Cozumel. 


On  retrou- 
ve un  Efpa- 
gnol  perdu. 


Circonftan- 
<fs  de  Ion  re- 
tour. 


i  • 


166      PREMIERS      VOYAGES 

res,  choidi  par  le  Cacique  même ,  furent  chargés  d'une  Lettre  pour  les  Pri- 
fonniers ,  ôc  de  quelques  préfens ,  par  lefquels  on  fe  flaccoic  d'obtenir  leur 
rançon.  Ordaz  eut  ordre  de  demeurer  à  l'ancre  pendant  huit  jours ,  qui 
étoient  le  tems  nécelTaire  pour  la  réponfe. 

CoRTEz  vit,  avec  horreur,  toutes  ces  monflrueufes  Idoles ,  qu'on  a 
repréfentées  dans  le  Voyage  de  Grijalva;  &  le  zèle  de  la  Religion  lui  fît 
entreprendre  de  convertir  le  Cacique  (p).  Mais,  tandis  qu'il  fe  ilattoit 
de  l'avoir  perfuadé,  il  s'éleva  un  bruit  afireux  des  Sacrificateurs  dç  Tifle, 

J|ui  annonçoient  d'horribles  châtimens  au  Cacique  &  à  Ton  Peuple  ,  s'ils 
ouffroient  que  le  culte  de  leurs  anciens  Dieux  fût  troublé.  Cortez  indigné 
donna  ordre  auflTi-tôt  que  toutes  les  Idoles  fufTent  mifes  en  pièces.  Ce  fra- 
cas jetta  les  Indiens  dans  la  conflernation.  Cependant,  lorfqu'au  lieu  de 
la  vangeance  à  laquelle  ils  s'attendoient ,  ils  virent  que  le  Ciel  étoit  tran- 
quille ,  leur  refpeéir  pour  ce  qu'ils  avoient  adoré  fe  changer  dans  un  tel  mé- 
pris, qu'ils  confentirent  fur  le  champ  k  voir  élever,  fur  les  ruines  de  Tldo- 
latrie,  un  Autel  où  l'on  mit  une  Image  de  la  Vierge,  avec  une  Croix.  Or- 
daz n'ayant  pas  reparu,  dans  le  terme  des  huit  jours,  le  départ  ne  fut  pas 
retardé  plus  long- tems.  Cortez  ne  mit  point  à  la  voile  fans  avoir  recom- 
mandé au  Cacique  de  refpeéler  l'image  &  la  Croix,  en  attendant  des  in- 
Ibuélions  &  des  lumières  qu'il  lui  promit  dans  un  autre  tems  (4). 

OuoiQ.u*iL  n'eût  pas  de  fond  à  faire  fur  la  durée  d'une  fi  bifarre  con- 
veriion,  une  voie  d'eau,  qui  fe  fit  au  VaifTeau  d'Ëfcalante,  ayant  bientôt 
obligé  la  Flotte  de  retourner  dans  l'IOe  d'où  elle  étoit  partie,  les  Cafîillans 
remarquèrent  avec  admiration,  non -feulement  que  l'Image  &  la  Croix  é- 
toient  dans  le  lieu  où  ils  les  avoient  placées ,  mais  que  les  Infulaires  avoient 
fait  éclater  leur  vénération  par  les  parfums  qu'ils  y  avoient  brûlés ,  âc  par 
les  fleurs  dont  ils  avoient  paré  l'Autel.  Mais  ce  n  eH  pas  le  feul  effet  que 
l'Hidorien  femble  attribuer  à  la  pieté  de  Cortez. 

Il  commençoit  à  defefperer  qu'Ordaz  eût  rencontré  les^  Frifonniers  de 
l'Yucatan ,  lorfqu'après  avoir  employé  quatre  jours  à  donner  le  radoub  au 
VaifTeau,,  &  dans  le  moment  qu'on  remettoit  à  la  voile,  on  découvrit  de 
fort  loin  un  Canot  qui  traverfoit  le  Golfe,  pour  venir  droit  à  l'Ifle.  Il  por- 
toit  quelques  Indiens  armés ,  auxquels  on  fut  jurpris  de  voir  faire  une  dili- 
gence extrême,  &  témoigner  peu  de  crainte  à  la  vue  de  la  Flotte.  Le  Gé- 
néral fit  mettre  quelques  Soldats  en  embufcade ,  dans  l'endroit  du  rivage  où 
le  Canot  devoit  aborder.  Ils  laifTèrent  defcendre  les  Indiens;  &  leur  ayant 
coupé  le  chemin,  ils  fondirent  impétueufement  fur  eux;  mais  un  de  ces 
Etrangers ,  s'avançant  les  bras  ouverts ,  s'écria  en  Caflillan  qu'il  étoit  Chré- 
tien. Ils  le  reçurent  avec  mille  carefTes,  &  le  conduifirent  au  Général, 
qui  reconnut  fes  Compagnons  pour  les  mêmes  Infulaires  qu'il  avoit  envoyés 
avec  Ordaz  à  la  Côte  d'Yucatan.  Si  l'on  confidère ,  obferve  l'Hiflorien , 
qu'une  voie  d'eau  efl  une  difgrace  commune,  qui  pouvoit  être  réparée  fans 
retourner  à  l'Ifle ,  que  le  tems  néceffaire  pour  le  radoub  du  VaifTeau ,  ne 

l'étoic 

(p)  Il  le  prit  à  l'écart  arec  fon  Interprô-     dien  fut  comme  étourdi,  &  n'ôfa  fe  hafar> 
te,  dit  l'Hiflorien ,  &  lui  fit  connoître  la  vé-     der  à  répondre.    Solis,  Chap.  ij.    ^ 
lité  par  des  argumens  fi  feiiCbles,  que  i'In-        (j)  Solis,  ibid. 


t 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.   I. 


99f 


réloit  pas  moins  pour  l'arrivée  dn  Prironnier,  que  cet  Homme  favoit  af* 
fez  les  différentes  Langues  du  Continent  pour  fervir  d'Interprète  au  Gêné* 
rai,  &  qu'il  devint  en  effet  un  des  principaux  inflrumens  de  la  Conquête 
du  Mexique;  on  n'accordera  point  à  la  Fortune  tout  l'honneur  de  cet  évé- 
nement, &  l'on  fera  forcé  d'y  reconnoître  une  merveilleufe  difpofition  de 
la  Providence  (r). 

Ce  malheureux  Inconnu  ne  paroiUoit  pas  différent  des  Indiens.  Il  étoit 
nud  comme  eux  &  bafanné ,  arec  les  cheveux  treffés  autour  de  la  tête.  Il 
portoit  fa  rame  fur  l'épaule,  un  arc  à  la  main,  on  bouclier  &  des  flèches 
fur  le  dos,  &  une  forte  de  rets  en  forme  de  fac,  dans  lequel  étoit  fa  pro- 
vifion  de  vivres ,  &  une  paire  d'Heures  qu'il  avoit  toujours  confervée  pour 
fes  exercices  de  Religion.  Il  demanda  d'abord  ^uel  jour  il  étoit?  avec  un 
embarras  qu'on  devoit  attribuer  à  l'excès  de  fa  joie,  mais  qu'on  reconnut 
bientôt  pour  un  véritable  oubli  de  fa  langue  naturelle.  Il  ne  pouvoit  tenir 
undifcours  fuivi,  fans  y  mêler  quelques  mots  Indiens,  qu'on  n'entendoit 
point.  Cortez,  après  lavoir  embraffé,  le  couvrit  lui-même  du  manteau 
qu'il  portoit.  On  apprit  de  lui ,  par  dégrés,  qu'il  fe  nommoit  Jérôme  d'/f- 
guilar,  qu'il  étoit  d'Ecija,  Ville  d'Andaloufie,  &  d'une  naiflance  mû  lui 
avoit  procuré  tous  les  avantages  d'une  bonne  éducation.  11  étoit  paiTé  aux 
Indes,  &  fe  trouvant  dans  la  Colonie  du  Darien  pendant  les  diflenfions  de 
Nicueffa  &  de  Vafco  Nugnez  de  Balboa,  il  avoit  accompagné  Valdivia 
dans  le  Voyage  qu'il  devoit  faire  à  San -Domingo:  mais  à  la  vue  de  la  Ja- 
maïque, leur  Caravelle  avoit  échoué  fur  les  Bancs  de  los  Àîacranes  {s).  De 
vingt  Hommes  qu'ils  étoient,  fept  étoient  morts  de  fatigue  &  de  mifére. 
Les  autres,  ayant  pris  terre  dans  une  Province  nommée  Maya,  étoient 
tombés  entre  les  mains  d'un  cruel  Cacique,  qui  avoit  commencé  par  facri* 
fier  à  fes  Idoles  Valdivia,  &  quatre  de  leurs  Compagnons,  dont  il  avoit 
enfuite  mangé  la  chair;  Aguilar  &  les  autres  avoient  été  réfervés  pour  la 
première  Fête ,  &  renfermés  dans  une  cage ,  où  l'on  prenoit  foin  de  les  en- 
graiffer;  mais  ils  avoient  trouvé  le  moien  d'en  fortir;  &  marchant  pendant 
plufieurs  Jours  au  travers  des  Bois,  fans  autre  aliment  que  des  herbes  &  des 
racines,  ils  avoient  rencontré  des  Indiens  qui  les  avoient  préfentés  à  un 
autre  Cacique,  Ennemi  du  premier  &  moins  barbare,  fous  le  pouvoir  du- 
quel ils  avoient  mené  une  vie  affez  douce,  quoique  forcés  continuellement 
à  de  pénibles  travaux.  Tous  les  Compagnons  de  fon  malheur  étoient  morts 
fucceffivement,  à  l'exception  d'un  Matelot,  nommé  Gonzalez  Guerrero^  na- 
tif de  Palos,  qui  avoit  époufé  une  riche  Indienne,  dont  il  avoit  plufieurs 
Enfans.  Pour  lui ,  que  fon  attachement  pour  la  Religion  avoit  toujours 
éloigné  de  ces  coupables  mariages,  il  étoit  parvenu,  après  diverfes  épreu- 
ves ,  à  mériter  l'affeâion  &  la  confiance  de  fon  Maître.  Il  l'avoit  fervi 
fort  heureufement  dans  fes  guerres;  &  ce  Cacique,  nommé  AquineuZt  l'a- 
voit recommandé  en  mourant  à  fon  Fils ,  auprès  duquel  il  avoit  joui  de  la 
même  faveur.    Lorfqu'il  avoit  re^u  la  Lettre  de  Cortez ,  par  les  indiens  de 

I  Co- 

(f  )  Le  même,  Cbap,  i6.  j   &  Ilerrer»,        (j)  Autrement  Las  Bivoras^  ou  Cayna- 
Liv.  4.  Chap.  7.  nes^ 

-  ■  :-  ,j--    ■-  r      Ll  2 


FtSHâNtt 

C  O  R  T  K  X. 

151p. 


Sel  «vafltti 
rei. 


•-»'! 


• 


U  fc  nom- 
moit Terôme 
d'Âguilar. 


Mort  de 
fes  Compa- 
gnons. 


268 


PREMIERS      VOYAGES 


Fbrmand 

CORTEZ. 
I519. 

Un  feul , 
nommé  Guer- 
rero,  em- 
braflê  la  vie 
des  IndUns. 


Route  de 
Cortez. 


Utilité  qu'il 
tire  d'-Agul- 
lar. 


Il  fait  la 
guerre  aux 
Indiens  de  la 
Rivière  de 
Grijalva. 


Cozumel ,  il  avoic  employé  les  préfens  qu'ils  lui  avoient  remis ,  à  traiter  de 
fa  liberté,  qu'il  avoit  obtenue  comme  une  récompenfe  de  fes  fervices.  U 
avoit  communiqué  la  Lettre  à  Guerrero  ;  mais  fans  avoir  pu  l'engager  à 
quitter  fa  femme  &  l'emploi  de  Capitaine,  dont  il  avoit  été  revêtu  par  le 
Cacique  de  Nachanaam.  C'étcit  apparement  la  honte  qui  le  retenoit  ;  par* 
ce  qu'ayant  le  nez  percé,  les  lèvres,  les  oreilles  &  le  vifage  peints,  &  les 
mains  façonnées  à  la  manière  des  Indiens ,  i]  n'ofoit  paroîîre ,  aux  yeux 
des  Caflillans ,  dans  un  état  qui  marquoit  un  égal  oubli  de  fa  Patrie  &  de  fa 
Religion  (f). 

Les  Caftillans  partirent  pour  la  féconde  fois  de  Cozumel ,  le  4  de  Mar^; 
&  doublant  laP«inte  de  Cotoche,  ils  fuivirent  la  Côte  jufqu'à  la  Rade  de 
Champotan.  Cortez  penfoit  à  vanger  fa  Nation  des  pertes  qu'elle  avoit  ef- 
fuyées  dans  cette  Rade:  mais  le  vent  rendit  l'abordage  (j  difficile,  qu'il  prit 
le  parti  d'aller  mouiller  à  la  Rivière  de  Grijalva.  Il  n'y  fut  pas  long-tems 
fans  entendre  des  cris  tumultueux ,  qui  fembloient  lui  annoncer  de  la  réfîftan- 
ce,  dans  un  Canton  où  Grijalva  n'avoit  reçu  que  des  carefles  &  des.  pré^ 
fens.  Aguilar,  qu'il  envoya  demander  la  paix,  dans  un  Efquif ,  revint  lui 
dire  que  les  Indiens  étoient  en  grand  nombre,  &  fi  réfolus  de  défendre 
l'entrée  de  la  Rivière,  qu'ils  avoient  refufé  de  l'écouter.  Quoique  ce  ne 
fut  point  par  cette  Province  qu'il  vouloit  commencer  fes  conquêtes,  il  lui 
parut  important  pour  l'éclat  de  fes  armes ,  de  réprimer  l'infolence  de  ces 
Barbares.  La  nuit  approchoit.  Il  l'employa  prefqu'entière  à  difpofer  l'Ar- 
tillerie de  fes  plus  gros  VaifTeaux ,  avec  ordre  eux  Soldats  de  prendre  ces 
efpècès  de  caïaques  piquées ,  qu'ils  nommoient  EJîanpilîes.  A  l'arrivée  dû 
jour,  les  Vaiffeaux  furent  rangés  en  demie  lune,  dont  la  figure  alloit  en 
diminuant  jufqu'aux  Chaloupes ,  qui  formoient  les  deux  pointes.  La  lar- 
geur de  la  Rivière  laifFant  aflez  d'efpace  pour  s'avancer  dans  cet  ordre,  on 
afFè£la  de  monter  avec  une  lenteur,  qui  invitoit  les  Indiens  à  la  paix.  A- 
guilar  fut  député  encore  une  fois  pour  l'offrir.  Mais  leur  réponfe  fut  le  fi- 
gnal  de  l'attaque.  Ils  s'avancèrent,  à  la  faveur  du  Courant,  jufqu'à  la  por- 
tée de  l'arc;  &  toutd'iin-coup  ils  firent  pleuvoir  fur  la  Flotte  une  fi  grande 
quantité  de  flèches ,  que  les  Efpagnols  eurent  beaucoup  d'embarras  à  fe 
couvrir.  Mais,  après  avoir  foutenu  cetce  première  chaleur,  ils  firent  à 
leur  tour  une  fi  terrible  décharge  de  leur  Artillerie ,  que  la  plupart  des  In- 
diens, épouvantés  d'un  bruit  qu'ils  n'avoient  jamais  entendu,  &  de  la  mort 
d'une  infinité  de  leurs  Compagnons ,  abandonnèrent  leurs  Canots  pour  fau- 
ter dans  l'eau.  Alors ,  les  Vaiffeaux  s'avancèrent  fans  obflacle  jufqu'au 
bord  de  la  Rivière,  où  Cortez  entreprit  de  defcendre,  fur  un  terrain  mare-» 
cageux  &  couvert  de  buifTons.  II  y  fallut  rendre  un  fécond  combat.  Les 
Indiens,  qui  étoient  embufqués  dans  les  Bois  ,&  ceux  qui  avoient  quitté  leurs 

Cà- 


f t)  Sol's ,  ibidem,  &  Herrera,  Chap.  7. 
^  8.  Herrera  fait  remarquer  que  le  carac- 
tère d'Aguilar  ne  permet  pas  de  douter  de 
fon  rét  it.  Solis ,  fe  recriant  fur  l'aveuglement 
de  Guerrero,  ajoute ,  que  c'eft  le  feul  exem- 


ple d'un  excès  dé  cette  nnture  ,  qu'il  ait 
trouvé  dans  toutes  les  Relations  des  Conquê- 
tes Efpagnoles  en  Amérique,  &  qu'il  ne l'au- 
roit  pas  placé  dans  fon  Hiftoire ,  s'il  avoit 
pu  TeiFacer  de  toutes,  les  autres. 


■■?i..f- 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.   I.' 


afp 


Pernano 

C  O  R  T  E  Z. 

I  5  ï  S>« 


Il  force  la 


Sa  hardicfle 
&  valeur. 


Cancts,  s'étoient  raflemblés  pour  revenir  à  la  charge.  Les  flèches ,  les 
dards  &  les  pierres  incommodèrent  beaucoup  les  Caftillans:  mais  Cortez 
eut  l'habileté  de  former  un  Bataillon,  fans  cefler  de  combat^tre,  c'eft-à-dire, 
que  fes  premiers  rangs ,  faifant  tête  à  l'Ennemi,  couvroient  ceux  qui  def- 
cendoient  des  Vaiffeaux,  &  leur  donnoient  le  tems  de  fe  ranger  pour  le» 
foutenir.  Auffi-tôtque  le  Bataillon  fut  formé,  il  détacha  cent  Hommes, 
fous  la  conduite  d'Avila,  pour  aller  au  travers  du  Bois  attaquer  la  Ville  de  ^'f'.^'*^ 
Tabafco,  Capitale  de  la  Province,  dont  on  connoiflbit  la  fituation  par  les  '*!;  ^  ^ 
Mémoires  des  Voyages  précédens.  Enfuite  il  marcha  fort  ferré  contre  une 
multitude  incroyable  d'Indiens ,  qu'il  ne  cefla  point  de  poufler  avec  au- 
tant de  hardieiTe  que  de  danger.  Les  Caftillans  combattoient  dans  l'eau  juf- 
qu'aux  genoux.  Le  Général  même  s'expofa  comme  le  moindre  Soldat  ;  & 
l'on  rapporte  qu'ayant  laiffé ,  dans  l'ardeur  de  l'aélion ,  un  de  fes  Souliers 
dans  la  fange,  il  combattit  long-tems  dans  cet  état,  fans  s'en  appercevoir, 
&  fans  en  reifentir  l'incommodité^ 

•Cependant  les  Indiens  difparurent  entre  les  buiflbns,  apparemment 
pour  la  défenfe  de  leur  Ville,  vers  laquelle  ils  avoient  vu  marcher  d'Avila* 
On  en  jugea  par  la  multitude  de  ceux  qui  s'y  étoient  ralTemblés.    Elle  écoit   : 
fortifiée  d'une  efpèce  de. muraille,  compofée  de  gros  troncs  d'arbres,  en- 
manière  de  paliflades,  entre  lef^uels  il  y  avoit  des  ouvertures  pour  le  pafla-> 
ge  des  âéches.    L'enceinte  étoit  ronde,  fans  autre  défenfe;  &  vers  l'ex- 
trémité des  deux  lignes,  qui  formoient  le  cercle,  l'une avançoit  fur  l'autre,  - 
en  laiffant  pour  l'entrée  un  chemin  étroit,  à  pluileurs  retours ,  avec  deux  ou 
trois  Guérites  de  bois ,  qui  fervoient  à  loger  leurs  Sentinelles.    Cortez  ar- 
riva plutôt  à  la  Ville  que  d'Avila,  dont  la  marche  avoit  été  retardée  par 
des  Marais  &  des  Lacs.    Cependant  les  deux  Troupes  fe  rejoignirent  ;  & 
fans  donner  aux  Indiens  le  tems  de  fe  reconnoître,  elles  avancèrent,  tête 
baiflee,  jufqu'aupié  de  la  paliffade.    Les  diftances  fervirent  d'embrafure»  ^ 
pour  les  arquebufes.     Il  s'y  préfenta  pei^  d'Indiens,  parce  que  la  plupart 
s'étoient  retirés  au  fond  de  la  Ville;  mais  on  reconnut  qu'ils  avoient  cou- 
pé les  rues  par  d'autres  paliffades.    Ce  fut  là  qu'ils  firent  tête  avec  zÇCez, 
d'audace,  quoique  fans  fuccès,  dans  l'embarras  qu'ils  fe  caufoient  mutuelle- 
ment par  le  nombre.    Ils  redoublèrent  leurs  efforts,  à  l'entrée  d'une  gran- 
de Place,  qui  faifoit  le  centre  de  la  Ville:  mais  ils  fe  virent  encore  forcés 
d'abandonner  ce  poftej   &  bientôt,  il  ne  leur  refta  plus  d'autre  reflburce 
que  de  prendre  la  fuite  vers  les  Bois.    Cortez  défendit  de  les  fujvre,  pour 
leur  lailTer  la  liberté  de  fe  déterminer  à  la  paix,  &  pour  donner  à  fes  gens 
le  tems  de  fe  repofer.     Ainfi  Tabafco  fut  fa  première  conquête.     Cette 
Ville  étoit  grande  &  bien  peuplée..    Les  Indiens  en  ayant  fait  fortir  leurs 
familles  &  leurs  principales  richefles  ^  elle  n'offrit  prefque  rien  à  l'avidité 
du  Soldat  :  mais  il  s'y  trouvoit  des  vivres  en  abondance.    Entre  plufieurs 
Caftillans  bleffés,  on  nomme  Diaz  de  Caftillo,  &  Solis  lui  fait  honneur  de 
fon  courage.    Les  Ennemis  perdirent  beaucoup  de  monde  f  mais ,  faifant 
confifter  une  partie  de  leur  gloire  à  cacher  leur  perte,  ils  eurent  l'adreffe 
d'enlever  leurs  Morts. 

Les  Caftillans  paffèrent  la  nuit  dans  trois  Temples,  dont  la  fituation  les 
mettoit  à  couvert  de  toute  furprife.     Cortez  ne  fe  repofa  que  fur  lui-même 

Ll  3  du^ 


^  .    ," 


270 


PREMIERS      VC'iAGES 


TeRNAND 
CORTEZ. 

IJIP. 


Trahifon 
d'un  Inter- 
prète, &  fon 
•fort. 


Les  Indiens 
fe  raffembient 
contre  les 
Cafl.illans. 

Marche  & 
difpofition  de 
lArmée  In- 
dienne. 


du  foin  de  faire  la  ronde ,  &  de  pofer  les  Sentinelles.  Le  jour  n'ayant  *  fait 
appercevoiraucupj  trace  de  l'Ennemi,  il  envoya  reconnoître  les  Bois  vol- 
fins,  où  l'on  trouva  la  m^me  folitude.  Cette  tranquillité  lui  fit  naître  des 
foiîpçons,  qui  augmentèrent  en  apprenant  que  Melchior,  un  des  anciens 
Interprètes,  avoit  difparu  cette  nuit,  après  avoir  fufpendu  aux  branches 
d'un  arbre  les  habits  qu'il  avoit  reçus  en  embraflan»-  le  Chriftianifme.  Les 
avis  qu^il  alloit  porter  aux  Indiens  pouvoient  être  dangereux.  En  effet , 
on  vérifia,  dans  la  fuite,  qu'il  les  avoit  excités  à  continuer  la  guerre,  en 
les  aflurant  çiae  les  Caflillans  n'étoient  pas  immortels,  &  que  ces  armes, 
qui  répandoient  tant  d'effroi ,  n'étoient  pas  le  tonnerre.  Mais  il  ne  tira 
aucun  fruit  de  fa  trahifon.  Les  Barbares  mêmes ,  auxquels  il  avoit  donné 
ces  lumières,  n'en  ayant  pas  trouvé  la  viftoire  plus  facile,  le  facrifièrent 
à  leurs  Idoles. 

CoRTEZ  n'auroit  penfé  qu'à  remettre  à  la  voile,  s'il  n'eût  juge  qu'après 
avoir  commencé  la  guerre ,  une  retraite  trop  prompte  reffembleroit  trop 
à  la  fuite,  ou  du  moins  qu'une  viftoire  imparfaite,  fur  la  première  Nation, 
avec  laquelle  il  en  étoit  venu  aux  mains ,  n'établiroit  point  afl*ez  la  terreur 
de  fon  nom.  Après  avoir  fait  reconnoître  le  Pays  par  Ces  détachemens  ("«), 
il  fut  informé  que  près  d'un  lieu ,  nommé  Cinthla ,  on  découvroit  une  Ar- 
mée innombrable  d'Indiens ,  qui  ne  pouvoient  s'être  raflemblés  que  dans 
le  deffein  de  l'attaquer. 

DiAZ  décrit  l'ordre  de  leur  marche,  pour  donner  une  idée  générale  de 
toutes  les  aélions  de  cette  conquête,  dans  une  Région,  dont  tous  les  Peu- 
ples ont  les  mêmes  ufages  de  Guerre.  Leurs  armes  ordinaires  étoient  l'arc 
&  les  lîéches.  La  corde  de  leurs  arcs  étoit  compofée  d'un  nerf  de  quelque 
Animal,  ou  de  poil  de  Cerf  filé;  &  leurs  flèches  étoient  armées  d'un  os 
pointu,  ou  d'une  arrête  de  Poiffon.  Ils  avoient  une  forte  de  dards,  ou  de 
zagaie ,  qu'ils  lançoient  dans  l'occafion ,  &  qui  leur  fervoit  quelquefois  auffi 
de  demi-pique.  Quelques-uns  portoient  des  épées ,  ou  de  larges  fabres  d'un 
bois  fort  dur,  incrufté  de  pierres  tranchantes,  &  s'en  fervoient  à  deux 
mains.  Les  plus  robuftes  y  joignoient  des  maflues  fort  pefantes,  dont  la 
pointe  étoit  armée  de  caillou.  Enfin,  d'autres  n'avoient  que  des  frondes, 
avec  lefquelles  ils  jettoient  d'aflez  grofles  pierres ,  avec  autant  de  force 
que  d'adreffe.  Leurs  armes  défenfives,  dont  l'ufage  fe  bornoit  aux  Caci- 
ques &  aux  Officiers ,  étoient  des  c«ira(îes  de  coton ,  &  des  rondaches  de 
bois  ou  d'écaillé  de  Tortue,  garnies  de  métal;  quelques-unes  d'or-même, 
dans  tous  les  endroits  où  le  fer  efl  employé  parmi  nous.  Tous  les  autres 
combattoient  nus;  mais  ils  avoient  le  vifage  âc  le  corps  peint  de  diverfes 
couleurs,  pour  fe  donner  un  air  plus  terrible.  La  plupart  portoient  autour 
de  la  tête  une  couronne  de  plumes  fort  hautes ,  qui  fembloit  ajouter  quel- 
que chofe  à  leur  taille.  Ils  ne  manquoient  pas  d'inllrumens  militaires ,  foit 
pour  les  rallier,  ou  pour  les  animer  dans  Toccafion:  c'étoient  des  flûtes  de 
rofeau,  des  coquilles  de  Mer,  &  une  efpèce  de  tambours,  d'un  tronc  d'ar- 
bre 


("j)  Diaz  de  Caftillo  &  Solis  rapportent 
en  détail  toutes  ces  courfesj  mais  on  s'en 
tient  au  fil  général  de  l'Hiftoire,   avec  le 


foin  de  ne  rien  d^robber  au  caraélère  de 
Gonu. 


'     EN     AMERIQUE,  Lrv.  I.   "       jjr 

bre  creufé ,  dont  ils  tiroient  quelque  Ton  avec  des  grofles  baguettes.  Leurs 
Bataillons  étoienc  fans  aucun  ordre  de  rang  &  de  files  ;  mais  ou  y  remar* 
quoit  des  divifions,  dont  chacune  avoit  fes  Chefs,*  &  le  corps  d'Armée  é- 
toit  fuivi  de  quelques  Troupes  de  réferve,  pour  foutenir  ceux  qui  venoient 
à  fe  rompre.  Leur  première  attaque  étoit  toujours  furieufe,  &  les  cris 
dont  elle  étoit  accompagnée  pouvoient  infpirer  de  la  terreur.  Après  avoir 
épuifé  leurs  flèches,  s'ils  ne  voyoient  pas  leurs  Ennemis  ébranlés  ,  ils  fe 
précipitoient  fur  eux ,  fans  autre  méthode  que  de  fe  tenir  (erres  dans  leurs 
Bataillons:  mais  comme  ils  attaquoient  enfemble,  ils  fuyoienc  aulîi  tous  à 
la  fois  ,  &  lorlque  que  la  crainte  ou  d'autres  raifons  leur  avoient  fait  tour- 
ner le  dos ,  il  étoit  impoffible  de  les  arrêter. 

Le  s  Caftillans ,  qui  ne  connoiflbient  point  encore  le  carafbère  &  les  ufa- 
ges  de  ces  Barbares ,  ne  purent  voir,  fans  quelque  efiroi ,  la  Campagne 
inondée  d'une  Armée  H  nombreufe.  Ils  apprirent,  dans  la  fuite,  qu'elle 
étoit  de  quarante  mille  hommes  ;  &  quand  ils  ne  leur  auroient  pas  fuppofé 
cette  valeur  ferme  &  régulière,  qui  eft  le  partage  des  Nations  civilifées, 
ils  favoient,  du  moins,  que  leurs  Ennemis  avoient  des  mains  &  des  armes, 
&  qu'ils  étoient  capables  de  cet  emportement  féroce  que  la  Nature  a  mis 
jufques  dans  les  Bêtes.  Cortez  fentoit  le  péril  dans  lequel  il  s'étoit  engagé. 
Cependant,  loin  d'en  être  abattu,  il  anima  fes  gens  par  un  air  de  joie  <k  de 
fierté.  Il  leur  fit  prendre  polie  au  pié  d'une  petite  éminence,  qui  ne  leur 
laiflbit  point  à  craindre  d'être  enveloppés  par  derrière ,  &  d'où  l'Artillerie 
pouvoit  jouer  librement.  Pour  lui ,  montant  à  Cheval  avec  tout  ce  qu'il 
avoit  de  Cavaliers,  il  fe  jetta  dans  un  taillis  voifin,  d'où  il  fe  propofoic  de 
prendre  l'Ennemi  en  flanc,  lorfque  cette  diverfîon  deviendroit  néceiTaire. 
Les  Indiens  ne  furent  pas  plutôt  à  la  portée  des  flèches ,  qu'ils  firent  leur 
première  décharge  ;  après  quoi ,  fuivant  leur  ufage ,  ils  fondirent  avec  tant 
d'impétuofité  fur  le  Bataillon  Efpagnol ,  que  les  arquebufes  &  les  arbalètes 
ne  purent  les  arrêter.  Mais  l'Artillerie  faifoit  une  horrible  exécution  dans 
leur  corps  d'Armée  ;  &  comme  ils  étoient  fort  ferrés ,  chaque  coup  en  ab- 
battoit  un  grand  nombre.  Ils  ne  laiiToient  pas  de  fe  rejoindre,  pour  rem- 
plir les  vuides  qui  fe  faifoicnt  dans  leurs  Bataillons;  &  pouflant  d'épouvan- 
tables cris,  ils  jettoient  en  l'air  des  poignées  de  fable ,  par  lefquelles  ils  ef- 
péroient  cacher  leur  perte.  Cependant  ils  avancèrent ,  jufqu'à  fe  trouver 
en  état  d'en  venir  aux  coups  de  main;  &  déjà  les  Kfpagnols  commençoienc 
à  s'appercevoir  que  la  partie  n'étoit  pas  égale ,  lorfque  les  Cavaliers ,  for- 
tant  du  Bois,  avec  Cortez  à  leur  tête,  vinrent  tomber  à  bride  abbattue  fur 
la  plus  épaifle  mêlée  de  ces  Furieux.  Ils  n'eurent  pas  de  peine  à  s'ouvrir 
un  paflage.  La  feule  vue  des  Chevaux ,  que  les  Indiens  prirent  pour  des 
Monfl:res  dévorans ,  à  têtes  d'Homme  &  de  Bête ,  fit  defefpérer  de  la  vic- 
toire aux  plus  braves.  A  peine  ôfoient-ils  jetter  les  yeux  fur  l'objet  de  leur 
terreur.  Ils  ne  penfèrent  plus  qu'à  fe  retirer,  en  continuant  néanmoins  de 
faire  tête ,  mais  comme  s'ils  eulTent  appréhendé  d'être  dévorés  par  derriè- 
re, &  pour  veiller  à  leur  fureté  plutôt  que  pour  combattre.  Enfin,  les 
Efpagnols,  à  qui  cette  retraice  donna  la  liberté  de  fe  fervir  de  leurs  arque- 
bufes, recommencèrent  un  feu  û  vif,  qu'il  fit  prendre  ouvertement  la  fui- 
te à  leurs  Ennemis.  •    .-,  ,s         V    i   tiî-..' 

C  o  a- 


Fermanv 

CORT  KZ. 

15 19. 


Embarras 
des  Efpa- 
gnois.     , 


V  ■ 


Mefurcs  de 
Cortez, 


Il  met  1  es- 
Indiens  en 
fuite. 


272 


PREMIERS      VOYAGES 


F  E  R  N  A  N  D 
COBTEZ. 

1519- 


CoRTEZ  fe  contenta  de  les  faire  fuivre  à  quelque  diftance,  par  fea  Ca- 
valiers, dans  la  vue  de  redoubler  leur  eiFroi,  mais  avec  ordre  d'épargner 
leurfang,  &  d'enlever  feulement  quelques  Prifonniers  qu'il  vouloit  faire  fer- 
vir  à  la  Paix.  On  trouva  fur  le  Champ  de  Bataille  plus  de  huit  cens  Indiens 
morts ,  &  l'on  ne  pue  douter  que  le  nombre  de  leurs  blefles  n'eût  été  beau- 
coup plus  grand.  Les  Caftillans  n'y  perdirent  que  deux  Hommes  ;  mais  ils 
eurent  foixante  &  dix  bleffés.  Ce  glorieux  eflai  de  leurs  armes  leur  parue 
digne,  après  la  Conquête,  d'être  célébré  par  un  Temple,  qu'ils  élevèrent 
Monument  en  l'honneur  de  Nôtre  Dame  de  la  nâoire;  &  la  première  Ville,  qu'ils  fon- 
de fa  Viftoire.  dèrent  dans  cette  Province,  reçut  auffi  le  même  nom  (x). 

Il  fait  !a  La  Paix  fe  fit  de  fi  bonne-foi ,  qu'après  l'avoir  confirmée  par  des  préfens 

Paix  avec  les  mutuels ,  entre  lefquels  le  Cacique  de  Tabafco  fit  accepter,  à  Cortez,  vingt 
fent^de  Fem-  femmes  Indiennes,  pour  faire  du  pain  de  Maïs  à  fes  Troupes  (y),  on  le 
vifita,  pendant  quelques  jours ,  avec  autant  de  civilité  que  de  confiance. 
Mais  n  les  magnifiques  peintures  que  les  Caftillans  firent  au  Cacique,  de  la 
puiflance  &  de  la  grandeur  du  Roi  d'Efpagne ,  lui  infpirèrent  de  l'admira- 
tion pour  un  fi  gcand  Monarque,  elles  ne  purent  le  difpofer  à  fe  rangejr  au 
nombre  de  fes  Sujets  (z). 
CoRTEZ,  appréhendant  de  s'affoiblir  s'il  pouflbit  plus  loin  fes  préten- 
*^°'^^!',jSaint  ^ions ,  &  rapportant  toutes  fes  vues  à  dé  plus  hautes  entreprifes ,  remit  à 
Jean  d  uJua.  j^  yoile,  le  Lundi  de  la  Semaine  Sainte,  pour  continuer  de  fuivre  la  Côte 
à  rOuefi:.  Il  reconnut,  dans  cette  route,  la  Province  de  Guazacoalco,  les 
Rivières  d'Alvarado  &  de  fianderas ,  l'Iûe  des  Sacrifices ,  &  tous  les  autres 
Jieux  (a)  qui  avoient  été  découverts  par  Grijalva.  Enfin,  il  aborda  le  Jeu- 
di 


mes  qu'il  en 
reçoit 


La  Flotte 


(«)  Quelques  Ecrivains  Efpa^ols  racon- 
tent qu'on  avoit  vu  l'Apôtre  Saint  Jacques 
combattre  en  leur  faveur ,  monté  fur  un  Che- 
val blanc;  mais  que  Cortez  avoit  prétendu 
que  c'étoit  Saint  Pierre ,  auquel  il  avoit  une 
dévotion  particulière.  Diaz  de  Caftillo  re- 
jette ce  miracle ,  &  rend  témoignage  que 
non-feulement,  ni  lui,  ni  fes  Compagnons 
navolent  rien  vu  d'approchant,  mais  qu'on 
ii'cn  avoit  rien  dit  alors  dans  toute  l'Armée. 

(  31  )  Ce  fut  le  prétexte  qui  les  fit  recevoir; 
mais  il  efl.  certain  que  Cortez  prit  de  l'incli- 
nation pour  une  de  ces  Femmes,  qu'il  fit ba- 
tifer  fous  le  nom  de  Marina ,  &  dont  il  fit  fa 
Maîtreffe.  Elle  étoit ,  fuivant  Diaz,  d'une 
beauté  rare  &  d'une  condition  relevée.  Son 
Père  étoit  Cacique  de  Guazacoalco ,  Provin- 
ce Mexiquaine.  Divers  incident  i'avoient 
fait  enlever ,  dans  fes  iremières  années ,  à 
Xicalongo,  Place  forte  fur  la  Frontière  d'Yu- 
catan;  &  par  une  autre  injure  de  la  fortune, 
elle  avoit  été  vendue  au  Cacique  de  Tabafco. 
Elle  avoit  ia  niéi'-oire  fi  heureufe  &  l'efprit  fi 
vif.  qu'elle  apprit  en  peu  de  tems  la  Langue 
CailiUanc ,  ce  qui  la  rendit  fort  utile  à  fes 
nouveaux  Mnîtrcs.  Cortez  en  eut  un  B'ils, 
qui  fut  notumé  Dom  Martin  Cortez ,   &  qui 


devint  Chevalier  de  Saint  Jacques,  en  conil- 
dératioD  de  la  NoblelTe  dfe  fa  Mère.  Solis 
relève  ici  quelques  méprifes  d'Herrera ,  & 
l'accufe  de  ne  s  être  pas  alTez  attaché  à  la  Re- 
lation de  Diaz.    Liv.  i.  Cbap.  21. 

N«ta.  On  a  emoloyé  au  Tome  XVL,  la 
Figure  qui  étoit  jointe  ici ,  repréfentant  Mi- 
rina  £7*  les  autres  Femmes  données  à  Cortez. 
R.  d.  E. 

(z)  Ce  ne  fut. pas  faute  d'adrefie  de  la 

f)art  de  Corfjz.  Les  Seigneurs  du  Pays,  qui 
'avoient  vifité  ,  entendant  hennir  les  Che- 
vaux dan'i  fa  Cour,  demandèrent  avec  em- 
barras d«j  quoi  fe  plaignoicnt  les  Teguanez , 
nom  qui  fignifie  dans  leur  Langue  Puiffance 
terrible.  Cortez  leur  dit  qu'ils  étoient  tâchés 
de  ce  qu'il  n'avoit  pas  châtié  plus  févèrement 
le  Cacique  &  fa  Nation,  pour  avoir  eu  l'au- 
dace de  réfiller  aux  Chrétiens.  Aufli  tôt  les 
Seigneurs  firent  apporter  des  couvertures  pour 
coucher  les  Chevaux ,  &  de  la  volaille  pour 
les  nourrir,  en  leur  demandant  pardon.  & 
leur  promettant,  pour  les  appaifer,  d'être 
toujours  Amis  des  Chrétiens.  Herrera,  Liv. 
4.  Chap.  12. 

(  a  )  Tous  ces  lieux  cnfemble  fe  nommaient 
Calcbicoeca,    Le  même,  Liv.  $-.  Cbai.  4. 


r 


'r.    E    N      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I.  273 

di  Saint  à  Saint  -  Jean  d'Uliia.  A  peine  eut  -  il  fait  jetter  l'ancre  entre  l'Ifle 
&  le  Continent,  qu'on  vie  partir  de  la  Côte  deux  de  ces  gros  Canots,  que 
les  Indiens  du  Pays  nomment  Pirogues.  Ils  s'avancèrent  jufqu'à  la  Flotte, 
fans  aucune  marque  de  crainte  ou  de  défiance;  ce  qui  fit  juger  favorable- 
ment de  leurs  intentions.  Cortez  ordonna  qu'ils  fuflent  reçus  avec  beau- 
coup de  carefles.  Mais  Aguilar,  qui  avoit  fervi  jufqu'alors  d'Interprète, 
ceflant  d'entendre  la  Langue,  on  tomba  dans  un  embarras  donc  il  eût  été 
difficile  de  fortir;  lorfque  le  hazard  fit  remarquer  qu'une  des  Femmes,  qu'on 
avoit  amenées  de  Tabafco ,  qui  avoit  déjà  reçu  le  Baptême  fous  le  nom  de 
Marina ^  s'entretenoit  avec  quelques-uns  de.ces  Indiens.  C'efl;  de  ce  jour, 
que  Solis  compte  fa  faveur  auprès  du  Général  ;  &  que  par  Çqs  fervices ,  au- 
tant que  par  fon  efprit  &  fa  beauté,  elle  acquit  fur  lui,  dit-il ,  un  afcendant 
qu'elle  fçut  conferver. 

Les  Indiens  déclarèrent  à  Cortez,  par  la  bouche  de  Marina,  que  Pilpa- 
toé&Teutilé,  le  premier.  Gouverneur  de  cette  Province,  &  l'autre.  Capi- 
taine général  du  Grand  Empereur  Motezuma ,  les  avoient  envoyés  au  Com- 
mandant de  la  Flotte,  pour  favoir  de  lui  même  quel  deflein  l'amenoit  fur 
leur  rivage.  Cortez  traita  fort  civilement  ces  Députés,  &  leur  répondit 
qu'il  venoil  en  qualité  d'Ami ,  dans  le  deflein  de  traiter  d'affaires  importan- 
tes pour  leur  Prince  &  tout  fon  Empire  ;  qu'il  s'expliqueroit  davantage  a- 
vec  le  Gouverneur  &  le  Général ,  &  qu'il  efpéroit  d'eux  un  accueil  aulii  fa- 
vorable qu'ils  l'avoient  fait,  l'année  précédente,  à  quelques  Vaifltaux  de  fa 
Nation.  Énfuite,  ayant  tiré,  des  mêmes  Indiens,,  une  connoiflance  gé- 
nérale des  richefles ,  des  forces  &  du  Gouvernement  de  Motezuma ,  il  les 
renvoya  fort  fatisfaits.  Le  jour  fuivanc,  fans  attendre  la  réponfe  de  leurs 
Maîtres ,  il  fit  débarquer  toutes  fes  Troupes ,  fcs  Chevaux  &  fon  Artille- 
rie. Les  Habitans  du  Canton  lui  prêtèrent  volontairement  leurs  fecours , 
pour  élever  des  Cabanes,  entre  lefquelles  il  en  fit  drefler  une  plus  grande, 
qu'il  dellinoit  au  fervice  de  la  Religion ,  &  devant  laquelle  il  fit  planter  une 
Croix  (b).  Il  apprit  des  Indiens  que  Teutilé  commandoit  une  puiffante 
Armée  dans  la  Province,  pour  foumettre  quelques  Places  indépendantes, 
que  l'Enyjereur  vouloit  joindre  à  fes  Etats.  Tout  le  jour  &  la  nuit  fuivan- 
te  fe  paflerent  dans  une  profonde  tranquillité. 

Elle  fut  troublée  le  lendemain,  par  une  nombreufe  Tr.oupe  d'Indiens 
armés,  qui  s'avancèrent  fans  précaution  vers  le  Camp.  Mais  on  fut  bien- 
tôt informé  que  c'étoient  les  Avant -coureurs  de  Teutilé  &  Pilpatoé ,  qui 
s'étoient  mis  en  chemin  pour  venir  faluer  le  Général.  Ils  arrivèrent ,  le 
jour  de  Pâques,  avec  un  Cortège  digne  de  leur  rang.  Cortez,  ayant  con- 
çu qu'il  avoit  à  traiter  avec  les  Miniltres  d'un  Prince  fort  fupérieur  aux  Ca- 
ciques ,  réfolut  d'afi\:6ler  auflî  un  air  de  grandeur ,  qu'il  crut  propre  à  leur 
en  impofer.  Il  les  reçut  au  milieu  de  tous  fes  Officiers ,  qu'il  avoit  enga- 
gés à  prendre  une  pofture  refpeftueufe  autour  de  lui.  Après  avoir  écouté 
leurs  premiers  complimens,  auxquels  il  fit  une  réponfe  fort  courte,  il  leur 

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F  E  R  If  A  X  D 

Coûtez. 
1519- 


.  1.1  I  ,V<I 


(J)  Solis  railfe  tel  quelques  Illdoriens  ne  s'ctre  pas  fouvt nus  qu'on  étoit  au  Ven- 
d'avoir  prétendu  que  le  même  jour  <:k)rtez  di°di  Saint,  jour  auquel  on  ne  dit  point  de 
fit  dire  la  Mefle  dans  cette  Chapelle,  &  de     Meffe,    Liv,  i,  C/jûP.  21. 

XniL  Fart.  M  la 


Paflîon  de 
Cortez  p«ur 
Marina,  &  fa- 
veur do  cette 
Indienne. 

Elle  fort 
d'Interprète 
avec  les  In- 
diens. 


'Cortez  dé- 
barque fei 
Troupes. 


Teutilé  & 
Pilpatoé,  Of- 
ficiers Mexi- 
quains,  vien- 
nent au  Camp 
Efpagnol. 


Cortez  les 
reçoit  avec 
ollentation. 


274 


PREMIERS      VOYAGES 


FeRN AND 
C  O  R  T  E  Z. 


Déclaration 
qu'il  leur  l'ait. 


Prifens 

3u'il  reçoit 
eux. 


lîs  lui  con- 
fcillent  de  fe 
letirer. 

Sa  réponfe. 


fit  déclarer,  par  Marina ,  qu'avant  que  de  traiter  du  fujet  de  fon  Voyage, 
il  voiiloit  rendre  fes  devoirs  à  fon  Dieu ,  qui  étoit  le  Seigneur  de  tous  les 
Dieux  de  leur  Pays  ;  &  les  ayant  conduits  à  la  Cabane  qui  leur  fervoit  d'E- 
glife,  il  y  fit  chanter  une  MelTe  folemnelle,  avec  toute  la  pompe  que  les 
circonftances  permettoient  (c).  On  revint  de  l'Eglife  à  la,Tente,  où  il  fit 
dîner  les  deux  Officiers  Mexiquains  avec  la  même  oftentation.  Enfiiite , 
prenant  un  air  grave  &  fier,  il  leur  dit,  par  la  bouche  de  fon  Interprête, 
qu'il  étoit  yenu  de  la  part  de  Charles  d'Autriche,  Monarque  de  l'Orient , 
pour  communiquer ,  à  l'Empereur  Motezuma ,  des  fecrecs  d'une  haute  im- 
portance, mais  qui  ne  pouvoient  être  déclarés  qu'à  lui-même;  qu'il  da» 
mandoit ,  par  conféquent ,  l'honneur  de  le  voir ,  &  qu'il  fe  promettoit 
d'en  être  reçu  avec  toute  la  confîdération  qui  étoit  due  à  la  grandeur 
de  fon  Maître. 

Cette  propofition  parut  caufer,  aux  deux  Officiers,  un  chagrin,  dont 
ils  ne  purent  déguifer  les  marques.  Mais,  avant  que  de  s'expliquer,  ils 
demandèrent  la  liberté  de  faire  apporter  leurs  préfens.  C'étoient  des  vi- 
vres ,  des  robbes  de  coton  très  fin ,  des  plumes  de  différentes  couleurs ,  & 
une  grande  caifle  remplie  de  divers  bijoux  d'or,  travaillés  avec  une  extrê- 
me délicatefle.  Trente  Indiens  entrèrent  dans  la  Tente ,  chargés  de  ce 
fardeau ,  &  Teutilé  6n  préfenta  fucceflivement  chaque  partie  au  Géné- 
ral {d).  Enfuite,  fe  tournant  vers  lui,  il  lui  fit  dire  par  l'Interprète,  qu'il 
le  prioit  d'agréer  ce  témoignage  de  lellime  &  de  l'afFeftion  de  deux  Efcla- 
ves  de  Motezuma,  qui  avoient  ordre  de  tfaiter  ainfi  les  Etrangers  qui  abor- 
doient  fur  les  Terres  de  fon  Empire ,  à  condition  néanmoins  qu'ils  s'y  arrê- 
teroient  peu ,  &  qu'ils  fe  hâteroient  de  continuer  leur  Voyage  ;  que  le  def- 
fein  de  voir  l'Empereur  fouffroit  trop  de  difficultés,  &  qu'ils  croyoient  lui 
rendre  fervice  en  Ini  confeillant  d'y  renoncer.  Cortez  ,  d'un  air  encore 
plus  fier,  répliqua  que  leis  Rois  ne  refufoient  jamais  audience  aux  AmbafFa* 
deurs  des  autres  Souverains,  &  que  fans  un  ordre  bien  précis  leurs  Minif- 
tres  ne  dévoient  pas  fe  charger  d'un  refus  fi  dangereux;  que  dans  cette  oc- 
cafion  leur  devoir  étoit  d'avertir  Motezuma  de  fon  arrivée,  &  qu'il  leur  ac- 
cordoit  du  tems  pour  cette  information  ;  mais  qu'ils  pouvoient  aflurer  en 
même  tems  leur  Empereur ,  que  le  Général  étranger  étoit  fortement  réfolu 
de  le  voir,  &  que  pour  l'honneur  du  grand  Roi  qu'il  repréfentoit ,  il  ne 
rentreroit  point  dans  fes  Vaifleaux  fans  avoir  obtenu  cette  fatisfaftion.  Les 
deux  Mexiquains ,  frappés  de  l'air  dont  Cortez  avoit  accompagné  cette  dé- 
claration, ne  répondirent  que  pour  le  prier,  avec  foumiffion,  de  ne  rie» 
entreprendre,  du  moins  avant  la  réponfe  de  la  Cour,  &  pour  lui  offrir  toii' 
te  l'affillance  dont  il  auroit  befoin  dans  l'intervalle.  -  :';  '•'  -'  r  'f^' 


(c  )  Cortez  n'avoit  que  deux  Aumôniers  ; 
mais ,  pour  rendre  le  Clergé  plus  nombreux , 
on  prit  les  Soldats  qui  favoient  le  chant  de 
l'Eglife,  &  l'on  en  forma  le  Chœur.  Solis, 
Liv.  2.  Chap.  i. 

(  d  )  Herrera  place  au  contraire  la  réponfe 
de  Teutilé  avant  l'arrivée  des  préfens.    Xi  a- 


joûte  qu'après  les  avoir  reçus ,  Cortez  fit 
auffi  lÊs  fiens ,  qui  ccnfifloient  en  un  fauteuil' 
fort  bien  couvert,  une  r':r:-^ife  ouvragée,  uo 
bonnet 'le  velours  craii'-ifi,  une  médaille  d'or 
qui  repréfentoit  Saini  George,  &  quantité  d(. 
grains  &  de  bracelets  de  verre.  lÀv,  /« 
Cbap.  4. 


n 

o 


E    N     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  î. 


donc 
ils 


Ils 


275 

Ils  avoient,  dans  leur  Cortège,  des  Peintres  de  leur  Nation,  qui  s'é- 
toient  attachés,  depuis  le  premier  moment  de  leur  arrivée,  à  repréfenter, 
avec  une  diligence  admirable,  les  Vaifleaux,  les  Soldats,  les  Chevaux  , 
l'Artillerie ,  &  tout  ce  qui  s'étoit  offert  à  leurs  yeux  dans  le  Camp.  Leur 
toile  écoit  une  étoffe  de  coton  orcparée ,  fur  laquelle  ils  traçoient  aflez  na- 
turellement ,  avec  un  pinceau  &  des  couleurs ,  toutes  fortes  d'objets  &  de 
figures.  Cortez,  qui  fut  averti  de  leur  travail,  fortit  pour  fe  procurer  ce 
fpeftacle,  &  ne  vit  pas  fans  étonnement  la  facilité  ^vec  laquelle  ils  exécu- 
toient  leurs  deffeins.  On  l'aflura  qu'ils  exprimoient,  fur  ces  toiles,  non- 
feulement  les  figures ,  mais  les  difcours  même  &  les  avions  ;  &  que  Mote- 
zuma  feroit  informé,  par  cette  méthode,  de  toutes  les  circonftances  de 
l'entretien  qu'il  avoit  eu  avec  Teucilé.  Là-deifus,  pour  foutenir  les 
apparences  de  grandeur  qu'il  avoit  affeftées ,  6i  dans  la  crainte  qu'une 
image  fans  force  &:  fans  mouvement  ne  donnât  des  idées  peu  conve- 
nables à  fes  vues ,  il  conçut  le  deflein  d'animer  cette  foible  repréfen- 
tation ,  en  faifant  faire  l'exercice  à  fes  Soldats ,  pour  faire  éclater  leur 
adrefle  &.leur  valeur  aux  yeux  de  deux  des  principaux  Officiers  de 
l'Empire  (e). 

L*  o  R  D  R  £  fut  donné  fur  le  champ.  L'Infanterie  Caflillane  forma  un  Ba- 
taillon, &  tout  le  canon  de  la  Flotte  fut  mis  en  batterie.  On  déclara,  aux 
Mexiquains ,  que  le  Général  étranger  vouloit  leur  rendre  les  honneurs  qui 
n'étoient  accordés,  dans  fon  Pays,  qu'aux  Perfonnes  d'une  haute  diftinc- 
tion.  Cortez,  montant  à  Cheval  avec  fes  principaux  Officiers',  commença 
par  des  Courfes  de  bagues.  Enfuite,  ayant  partagé  fa  Troupe  en  deux  Ef- 
cadrons,  il  leur  fit  faire  entr'eux  une  efpècede  Combat,  avec  tous  ks  mou- 
vemens  de  la  Cavalerie.  Les  Indiens ,  dans  leur  première  furprife,  regar- 
dèrent d'abord  avec  frayeur  ces  Animaux ,  dont  la  figure  &  la  fierté  leur 
paroiflbient  terribles  ;  &  n^étant  pas  moins  frappés  de  leur  obéiflance ,  ils 
conclurent  que  des  Hommes,  capables  de  les  rendre  fi  dociles,  avoient  quel- 
que chofe  de  fupérieur  à  la  Nature.  Mais ,  lorfqu'au  fignal  de  Cortez  l'In- 
fanterie fit  deux  ou  trois  décharges,  qui  furent  fuivies  du  tonnerre  de  l'Ar- 
tillerie, la  peur  fit  fur  eux  tant  d'impreflion,  que  les  uns  fe  jettèrent  à  ter- 
re, les  autres  prirent  la  fuite,  &  les  deux  Seigneurs  cachèrent  leur  effroi 
fous  le  mafque  de  l'admiration.  Cortez  ne  tarda  point  à  les  rafTurer,  en 
leur  répétant  d'un  air  enjoué  que  c'étoit  par  ces  Fêtes  Militaires ,  que  les 
Efpagnols  honoroient  leurs  Amis.  Il  vouloit  leur  faire  comprendre,  ob- 
ferve  l'Hiftorien,  combien  fes  armes  étoient  redoutables  dans  une  Aftion 
férieufe,  puifqu'un  fimple  amufement,  qui  n'en  étoit  que  l'image,  avoit 
pu  leur  caufer  tant  de  frayeur.  Les  Peintres  Mexiquains  inventèrent  de 
nouvelles  figures ,  pour  exprimer  ce  qu'ils  venoient  de  voir  &  d'entendre. 
Les  uns  defiinoient  des  Soldats  armés  &  rangés  en  Bataille;  &.  les  autres 
i      .:  ■  ,   '.    .-    .  ;:;.  ■:  \  '-   :^  -:■: ..;    '     ■■■  T'^ ./,:;;^   .  ;::::„■;  .-  /.        pei- 

( e )Diaz  del  Caftillo  exagère  fans  doute,  remarque  que  c'étoit  auflî  leur  manière  d'é- 

lorfqu'il  aflurc  qu'ils  tirèrent  au  naturel  les  crire ,  &  que  n'ayant  pas  l'ulage  des  lettres , 

Portraits  de  tous  les  Capitaines  Efpagnols.  ils  confcrvoient  les  événemens  dans  ce  Uyle. 

Le  tems  leur  auroit  manqué,  quand  ils  en  Voyez, ci-i.kiïo\is, h Defcripiion  du  Mexique 
aufoient  eu  l'habileté,    Le  même  Hif    ' 


FCRNAN» 

C  0  a  T  £  z. 

15  19. 

Peintres 
Mexiquains , 
qui  defllnent 
les  Vaifleaux 
&  le  Camp 
des  Efpa- 
gnols. 


Adrefle  a- 
vec  laquelle 
Cortez  profi- 
te de  leur  eu* 
riofité. 

Il  fait  faire 
devant  eux 
l'exercice  à 
fes  Troupes. 


Frayeur  que 
leur  caufe 
rArtilIerie, 


Hiftorien 


Mm  2 


Frrnand 

C  0  K  T  B  Z. 


II  fe  forme 
nnj  Bourgade 
de  Mcxi-  _ 
fluains  près 
ciu  Cn inp  Ef- 
pagnol. 


Coiiriers  In- 
diens par  lef- 
qucls  rEinpc- 
rciir  du  Me- 
xique e(l  in- 
formé  de  l'ar- 
rivée de  Cor- 
tez. 


Préfens  que 
ce  Monarque 
envoie  au 
Général  Ef- 
pagnol. 


27(5     PREMIERS      VOYAGES 

peignoient  les  Chevaux  ,  dans  l'agitation  du  Combat.  Ils  repréfentoient 
fort  bien  un  coup  de  Canon ,  par  du  feu  &  de  la  fumée;  &  le  bruit  même, 
par  des  traits  lumineux, qui  failbicnt  naître  une  idée  plus  forte  que  celle  de 
l'éclair.  ■>  -••'  -  • 

CoRTEZ  avoit  employé  le  tems,  que  les  Mexiqiiains  donnoicnt  à  l'ad- 
miration, pour  faire  préparer  des  préfens  confidérablcs,  qu'il  les  pria  d'en- 
voyer de  fa  part  à  leur  Empereur.     Pilpatoé  s'arrêta  près  du  Camp  de?  Ef- 
pjgnols,   avec  une  Troupe  aflez  nombreufe  pour  élever  en  peu  d'heures 
une  multitude  de  cabanes,  qui  prirent  l'apparence  d'une  groHe  Bourgade. 
Les  Caftillans  n'eurent  pas  de  peine  à  comprendre  que  Ton  deflein  étoit  do 
les  obferver  :  mais  comme  il  les  avoit  avertis  qu'il  ne  penfoit  qu'à  fe  met- 
tre à  portée  de  leur  fournir  des  provifions,  ils  lui  lalifèrent  le  plaifir  de 
croire  qu'il  les  trompoic^jar  une  politique  dont  ils  recueilloient  tout  l'avan- 
tage.    Teutilé  reprit  le  chemin  de  Ton  Camp,  d'où  il  fe  hâta  d'envoyer,  à 
Motezuma ,  fes  informations ,  avec  les  tableaux  de  fes  Peintres  &  les  pré- 
fens de  Cortez.    Les  Rois  du  Mexique  entretenoient ,  pour  cet  ufage,  un 
grand  nombre  de  Couriers ,  difperfés  fur  tous  les  grands  chemins  de  l'Em- 
pire.   On  choififlbit,  pour  cet  Office,  de  jeunes  gens  fort  difpos,  qu'on 
exerçoit  à  la  courfe ,  dès  le  premier  âge.    Acofta ,  dont  on  vante  l'exafti- 
tude  dans  fes  Defcriptions ,  rapporte  que  la  principale  Ecole,  où  l'on  drtf- 
foit  ces  Couriers,  étoit  le  grand  Temple  de  la  Ville  de  Mexico,  qui  conte- 
noit  une  Idole  monftrueufe,  au  fommet  d'un  efcalier  de  fix-vingt  dégrés, 
&  qu'il  y  avoit  des  prix,  tirés  du  Tréfor  public,  pour  celui  qui  arrivoit  le 
premier  aux  pieds  de  l'Idole.    Dans  les  Courfes ,  qu'ils  faifoient  quelque- 
fois d'une  extrémité  de  l'Empire  à  l'autre,  ils  fe  relevoient  de  diftance  ea 
diftance ,  avec  une  mefure  fi  proportionnée  à  la  force  humaine ,  que  mal- 
gré toute  leur  vîtefle,  ils  fe  fuccedoient  toujours  avant  qu'ils  euITent  com- 
mencé à  fe  lafler  (/).  =:i;J:]*i.;  •' 
La  réponfe  de  Motezuma  vint  en  fept  jours;  quoique  par  le  plus  court 
chemin,  on  compte  foixante  lieues  de  la  Capitale  à  Saint-Jean  d'Ulua  (g): 
&  ce  qui  augmente  l'admiration ,  c'efl;  qu'elle  étoit  précédée  par  un  prélent, 
porté  l'ur  les  épaules  de  cent  Indiens.  Avant  l'audience,  Teutilé ,  qui  l'toic 
chargé  de  négocier  avec  le  Général  étranger,  fit  étendre  les  préfens  ^-.ï  des 
nattes  (^),  à  la  vue  des  Efpagnols.    Enfuite.  s'étant  fait  introduire  dans; 

la 

iii  :î,:  ";  u-  M 

(/)  Hifloire  Naturelle  des  Indes  Occiden*     té  de  la  viie  dès  peintures ,  non-feulement 

taies,  Liv.  3.  parce  qu'elles  lui  préfentoient  des  objets  tcr- 

(g)  i^uelques    Hifloriens  racontent  que     ribles,  mais  plus  encore  parce  qu'il  y  trou- 


Teutilé  même  porta  les  dépêches  &  revint 
dans  huit  jours,  avec  celles  de  la  Cour  &  les 
préfens.  Diaz  de  Caftillo  dit  que  c'étoit  un 
Ambaffadeur  exprès ,  nommé  Quintelbor , 
qui  étoit  accompagné  de  cent  nobles  Mexi- 
quains,"  ce  qui  paroît  encore  moins  vraifem- 
blable.  Mais  Solis  attribue  cette  addition  à 
l'Editeur,  qu'il  nomme  le  Refteur  de  Filla 
Hermoja. 

(  /;  )  Herrera  donne  plus  d'étendue  à  ce 
récit.    11  prétend  que  Motezuma ,  épouvan- 


voit  raccompliflement  de  quantité  de  préfa- 
ges  &  de  prédiftions,  qui  le  menaçoient  de 
la  ruine  de  fon  Empire,  ne  fe  raflTura  qu'ea 
appcrcevant  que  les  Etrangers  aimoient  beau- 
coup l'or.  11  fe  flatta  qu'un  gros  préfcnt  de 
ce  précieux  métal  les  fatisferoit  aflTez  pour 
les  difpofer  à  partir;  &  ce  fut  dans  cette  uni- 
que vue  qu'il  leur  envoya,  deux  fois  confér 
cutives,  de  grandes  richefles  cn  or.  Mais 
il  ne  confideroit  pas  que  c'étoit,  au  contrai- 
re, une  amorce  capable  de  les  retenir.    Ou 

don- 


EN      AMERIQUE,  Liv.  I. 


27? 


la  Tente  de  Cortez,  il  lui  dit  que  l'Empereur  Motezuma  lui  envoyoitces 
richcfîes ,  pour  lui  témoigner  rdlime  qu'il  faifoit  de  lui ,  tS:  la  haute  opi- 
nion qu'il  avoit  de  fon  Koi;  mais  que  l'éiat  do  Tes  aliaires  ne  lui  permet- 
toit  pas  d'accorder  à  des  Inconnus  la  periniiîton  de  Te  rendre  à  la.  Cour. 
Teutilé  s'efforça  d'adoucir  ce  refus  par  divers  prétextes,  tels  que  la  dilfi- 
culté  des  chemins,  &  la  rencontre  de  plufieurs  Nations  barbares,  que  tou- 
te l'autorité  de  l'Empereur  n'empécheroit^  pas  de  pr mire  les  armes  ,  pour 
fermer  les  paffagcs.  Cortez  reçut  les  prélens ,  avec  toutes  les  marques  d'un 
profond  refpeft;  mais  il  répondit  que  malgré  le  chagrin  qu'il  aurou  de  dé- 
plaire à  ri'*mpereur,  en  négligeant  l'es  ordres,  il  ne  pouvoit  retourner  en 
arrière  fans  bleiler  l'iionneur  de  fon  Roi.  ^  Jl  s'étendit  fur  fon  devoir,  avec 
une  fermeté  qui  déconcerta  le  Mexiquain;  &  l'exhortant  à  faire  de  nou- 
velles infiances  auprès  de  l'Empereur,  il  promit  d'attendre  encore  fa  ré- 
ponfe.  Cependant  il  ajouta  qu'il  feroit  fore  affligé  qu'elle  tardât  trop  à  ve- 
nir, parce  qu'il  fe  verroit  alors  forcé  de  la  folliciter  de  plus  prés. 

Teutilé  infifta  fur  la  déclaration  de  l'Empereur;  mais  n'obtenant  point 
d'autre  réponfe ,  il  partit  avec  quelques  prélens  de  Cortez,  pour  aller  ren- 
dre- compte  de  fa  CommilTion  à  la  Cour.  Les  Caftillans,  après  avoir  admi- 
ré la  richelTe  des  fiens ,  fe  partagèrent  avec  beaucoup  de  contrariété  dans 
le  jugement  qu'ils  portoient  de  leur  fituation.  Les  uns  concevoient  les  plus 
hautes  cfpérances  de  l\  beaux  commencemens.     Les  autres ,  mefurant  la 

f)uillance  de  Motezuma  fur  fes  richefles,  s'épuifoient  en  raifonnemens  fur 
es  difficultés  de  leur  entreprife,  &  trouvoient  de  la  témérité  dans  le  deffein 
de  lui  faire  la  loi  avec  fi  peu  de  force.  Cortez  même  n'étoit  pas  fans  inquié- 
tude, lorfqu'il  comparoit  fa  foibleire  avec  la  grandeur  de  fes  projets;  mais, 
n'en  étant  pas  moins  réfolu  de  tenter  la  fortune,  il  eut  foin  d'occuper  fes 
Soldats  jufqu'au  retour  de  l'Ambafladeur  Mexiquain,  pour  lei^r  ôter  le  tems 
de  fe  refroidir  par  leurs  réflexions;  &  fous  prétexte  de  chercher  un  jnouil- 


F  B  B  N  A  M  D 

Cortez. 
1519. 


Il  lui  rcfiifcî 
la  pcrmilfioii 
a-allcr  il  fa 
Cour. 


Corfbz  in- 
fifle  à  la  de* 
mander. 


Partage  des 
Caflillans  fur 
leur  fituation. 


Cortez  fait 
chercher  un 
autre  uiouiU 
lage. 


dorne  le  décail  de  ces  préfens,  jîour  com 
mencer  à  faire  connciître  le  Mexique ,  &  pour 
faire  juger  combien  cette  montre  dcvoit  ex- 
citer l'avidité  des  Efpagnols.  C'étoient  de 
riches  tapis  &  d'autres  étoiTes  de  coton,  tif- 
fucs  de  plumes  d'oifeiux  fort  délicates  &  de 
diverfes  couleurs;  des  boucliers  nattés,  & 
couverts  de  petites  plaques  d'or  &  d'argent; 
d'autres  enrichis  de  petites  perles;  un  mo- 
rion  de  bois ,  couvert  de  grains  d  or  non 
fondiT;  un  cafque  de  lames  d'or ,  entouré  de 
fonnettes  ,  orné  d'éméraudcs  par  le  haut, 
avec  des  panaches  de  grandes  plumes ,  au 
bout  defquelles  pendoient  dçs  mailles  d'or; 
des  chalTe-mouchcs  de  plume?,  avec  mille  or- 
nemtns  d'or  &  d'argent;  des  biairaits& d'au- 
tres armures,  de  cuir  de  Cerf,  corroyé  en 
rouge,  &  revêtu  de  plaques  des  mêmes  mé- 
taux: des  efcarpins  &  des  fandalcs  de  même 
cuir,  coufus  avec  du  fil  d'or,  dont  les  femel- 
les étoicnt  d'une  pieirc  couleur  d'azur,  ^ 


M 


doublées  de  coton  ;  des  miroirs  d'un  très, 
beau  métal,  nommé  Margacbita,  qui  reluit 
comme  de  l'argent,  enchairés  en  or;  quanti- 
té de  pièces  d'or  &  d'argent  j  un  collier  d'or, 
entouré  de  plus  de  cent  éméraudes  &.  d'au- 
tant •  de  rubis ,  auquel  pendoient  de  petites 
fonnettes  d'or  ;  d  autres  colliers  coufus  de 
perles  &  d'éméraudes,  dun  ouvrage  admira- 
ble; diverfes  figures  d'animaux  d'or;  des  ef- 
pèces  de  médailles  d'or  &  d'argent,  dont  le 
travail  furpalToit  la  matière;  des  grains  d  or, 
tel  qu'on  le  tire  des  Mines ,  de  la  grofleiir 
d';;ne  noifctte;  deux. roues,  l'une  d'or,  qui 
rcpréfentoit  le  Soleil    avec  fes  rayons ,   ât 

Quantité  de  feuillages  &  d'animaux ,  du  poids 
e  plus  de  cent  inarcs  ;  l'autre  d'argent ,  a- 
vec  la  figure  de  la  Lune,  &  du  même  travail , 
de  plus  de  cinquante  marcs.  Tous  les  Caftil- 
lans  demeurèrent  comme  épouvantés,  à  la. 
vue  de  tant  de  richeffes.  Herrera ,  Liv,  5, 
Cliap.  5.  ,    • 

m  a 


Frrnand 

C  U  R  T  K  2. 
1519- 


11  reçoit  une 
nouvelle  fom- 
ination  de 
partir. 


Mélange  de 
ru  le  &  de  Re- 
ligi  'H  qu'il 
employé  inu- 
tilement. 


Xléconten- 
temcnt  des 
Officiers  Me- 
xiquaiiis. 


178      PREMIERSVO.    YAGES 

lage  plus  fur,  parce  que  la  Rade  de  Saint -Jean  d'Ulua  etoit  battue  de« 
vents  du  Nord,  il  chargea  Montejo  d'aller  reconnoître  la  C6te,  avec  deux 
Vaiflcaux,  fur  lefquels  il  fit  embarquer  ceux  dont  il  appréhendoit  le  plu» 
d'oppofition.  Montejo  revint  vers  le  tems  où  l'on  attendoit  Teutilé.  11  a- 
voit  fuivi  la  Côte,  julqu'à  la  grande  Rivière  de  Panuco,  que  les  Courans 
ne  lui  avoient  pas  permis  de  pafTer  j  mais  il  avoit  découvert  une  Bourgade 
Indienne,  nomniéa  Chianbuitzlun ^  où  lu  Mer  formoit  une  cfpèce  de  Port, 
défendu  par  quelques  Rochers  ,  c^ui  pouvoient  mettre  les  VailTeaux  à 
couvert  du  vent.  Elle  n'étoit  qu  à  dix  ou  douze  lieues  de  Saint-Jean. 
Cortez  fit  valoir  cette  faveur  du  Ciel,  comme  un  témoignage  de  iàfpro- 
tcélion. 

T  E  u  T  j  L  K  arriva  bientôt ,  avec  de  nouveaux  préfens.  Sa  harangue  fut 
courte.  Elle  portoit  un  ordre  aux  Etrangers  de  partir  fans  réplique.  On 
ignore  quelle  auroit  été  la  répor.fe  de  Cortez;  mais,  tandis  qu'il  la  prépa- 
roit,  avec  quelque  embarras,  il  entendit  fonncr  la  cloche  de  rEglife(^i), 
&  prenant  occatiun  de  cet  incident  pour  former  un  delfein  extraordinaire, 
il  fe  mit  à  genoux,  après  avoir  fait  ligne  à  tous  fes  gens  de  s'y  mettre  à  fon 
exemple.  Cette  aftion ,  qui  fut  fuivie  d'un  profond  filence  ,  ayant  paru 
caufer  de  l'étonnement  à  l'Ambafladeur,  Marina  lui  apprit,  par  l'ordre  du 
Général ,  que  les  Efpagnols ,  reconnoiflant  un  Dieu  fouverain ,  qui  déteftoit 
les  Adorateurs  des  Idoles ,  &  qui  avoit  la  puiflance  de  les  détruire,  ils  s'ef- 
forçoient  de  le  iléchir  en  faveur  de  Motezuma ,  pour  lequel  il?  craignoient 
fa  colère.  Olmedo ,  l'un  des  deux  Aumôniers ,  reçut  ordre  uufli  d'employer 
fon  éloquence,  pour  découvrir,  à  Teutilé,  quelques  lumières  de  la  Foi  (k); 
&  lorfqu'il  eut  cefle  de  parler,  Cortez,  d'un  air  plus  impofant  que  jamais, 
déclara  „  que  le  principal  motif  du  Roi  fon  Maître,  pour  offrir  fon  amitié 
„  à  l'Empereur  du  Mexique,  étoit  l'obligation  où  font  les  Princes  Chrétiens 
„  de  s'oppofer  aux  erreurs  de  l'Idolâtrie;  qu'un  de  fes  plus  ardens  defirs 
étoit  de  lui  donner  les  inftruélions  qui  condriP^nt  à  la  connoiflance  de  la 
Vérité,  &  de  l'aider  à  fortir  de  l'efclavage  du  Démon,  horrible  Tyran, 
qui  tenoit  l'Empereur  même  dans  les  fers,  quoiqu'eii  apparence  il  fût  un 
puiflant  Monarque;  que  pour  lui,  venant  d'un  Pays  fort  éloigné  pour 
„  une  affaire  de  cette  importance,  &  de  la  part  d'un  Roi,  plus  puilfant 
„  encore  que.  celui  des  Mexiquains,  il  ne  pouvoit  fe  difpenfer  de  faire  de 
„  nouvelles  inftances ,  pour  obtenir  une  audience  favorable  ;  d'autant  plus 
„  qu'il  n'apportoit  que  la  Paix,  comme  on  en  devoit  juger  par  ceux  qui 
„  l'accompagnoient ,  dont  le  petit  nombre  ne  pouvoit  faire  foupçonner 
„  d'autres  vues  (/)'*. 

Ce  difcours,  par  lequel  il  avoit  efperé  de  fe  faire  du  moins  refpecler, 
n'eut  pas  le  fuccès  qu'il  s'en  étoit  promis.  Teutilé ,  qui  ne  l'avoit  pas  é- 
couté  fans  quelques  marques  d'impatience,  fe  leva  brufquement,  avec  un 
mélange  de  chagrin  &  de  colère ,  pour  répondre  que  jufqu'alors  Motezuma 
n'avoit  employé  que  la  douceur,  en  traitant  les  Etrangers  comme  fes  Hô- 
tes; mais  que  s'ils  continuoient  de  réfifler  à  fes  ordres,  ils  dévoient  s'at- 
•.•■■■'  v-  ten- 


(»■)  Cétok  celle  qu'on  nomme  ordinaire- 
Hient  VAngdns.  » 


C  ife  )  Solis ,  Liv.  2.  Chap.  5. 
(i)  Ibidem, 


cler, 
as  é- 
c  un 
Izuma 
HÔ- 
s'at- 
ten- 


E   N     A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I.  279 

tendre  d'être  traités  en  Ennemis.  Alors ,  fans  demander  plus  d'explica- 
tion, ni  prendre  congé  du  Général,  il  Ibriit  à  grands  pas,  avec  tous  les 
Indiens  de  Ton  Cortège.  Un  procédé  fi  fier  caufa  quelques  momens  d'em- 
barras à  Cortez.  Mais ,  tournant  aufli-tôt  fon  attention  à  rallurer  fcs  gens, 
il  parut  s'applaudir  (w)  d'un  refus,  qui  lui  donnoic  la  liberté  d'employer 
les  armes  fans  violer  aucun  droit;  &  quoiqu'il  y  eût  peu  d'apparence  que 
les  Mexiquains  euilent  une  Armée  prête  à  l'attaquer,  il  pofa  de  tous  côtés 
des  Corps -de -Garde,  pour  faire  juger  qu'on  n'avoit  rien  à  craindre  de  Ja 
furprife  avec  lui. 

Cependant,  le  jour  d'après  fit  découvrir  un  changement,  quijetta 
l'allarme  dans  le  Camp  Efpagnol.  Les  Indiens ,  qui  s'étoicnt  établis  à  peu 
de  diSance,  &  qui  n'avoient  pas  cefie  jufqu'alo^s  de  fournir  des  vivres, 
s'étoient  retirés  fi  généralement ,  qu'il  ne  s'en  préfentoit  plus  un  feul.  Ceux, 
qui  venoient  des  Villages  &  des  Bourgs  voilins ,  rompirent  aufli  toute  com- 
munication avec  le  Camp.  Cette  révolution  fit  craindre  fi  vivement,  aux 
Soldats,  de  manquer  bientôt  du  nécefliire,  qu'ils  commencèrent  à  regar- 
der le  deflein  de  s'établir  dans  un  Pays  fi  ftérile ,  comme  une  entreprife  mal 
conçue.  Ces  murmures  firent  lever  la  voix  à  quelques  Partifans  de  Diego 
Velafquez.  lis  accufèrent  le  Général  d'un  excès  de  témérité;  &  leur  har- 
diefle,  croiflant  de  jour  en  jour,  ils  follicitèrent  tou't  le  monde  de  s'unir, 
pour  demander  leur  retour  dans  l'Iile  de  Cuba,  fous  prétexte  d'y  fortifier 
la  Flotte  &  l'Armée.  Cortez,  informé  de  ce  foulevemcnt,  employa  fes 
plus  fidèles  Amis,  pour  reconnoître  les  fentimens  du  plus  grand  nombre. 
Il  trouva  que  celui  des  Mutins  fe  réduifoit  à  quelques  anciens  Mécontens, 
dont  il  avoit  toujours  eu  de  la  défiance.  Lorfqu'il  fe  crut  afluré  de  la  dif- 
pofition  des  autres ,  il  déclara  qu'il  vouloit  prendre  confeil  de  tout  le  mon- 
de, &  que  chacun  avoit  la  liberté  de  lui  apporter  fes  plaintes.  Ordaz& 
quelques  autres  Officiers  fe  chargèrent-de  celles  des  Mécontens.  Elles  fu- 
rent écoutées,  fans  aucune  marque  d'offenfe.  Comme  elles  tendoient  prin- 
cipalement à  retourner  dans  l'Ule  de  Cuba,  pour  remettre  la  difpofition  de 
la  Flotte  à  Velafquez,  &  qu'il  n'y  avoit  point ,  en  effet,  d'autre  moyen 
de  la  fortifier,  Cortez  fe  contenta  de  répondre  qu'elle  avoit  été  jufqu'alors 
afl^ez  favorifée  du  Ciel  pour  en  efpérer  conllamment  les  mêmes  fecours; 
mais  que  fi  le  courage  &  la  confiance  manquoient  aux  Soldats,  comme  on 
l'en  amiroit,  il  y  auroit  de  la  folie  à  s'engager  plus  loin;  qu'il  falloit  pren- 
dre fes  mefures  pour  retourner  à  Caba,  en  leur  avouant  néanmoins  qu'il 
s'arrêtoit  à  cette  réfolution  pour  fuivre  leur  confeil ,  &  fur  le  témoignage 

Su'ils  lui  rendoient  de  la  difpofition  des  Soldats.     Auflj-tôt  il  fit  publier, 
ans  le  Camp,  qu'on  fe  tint  prêt  à  s'embarquer  le  lendemain  pour  Cuba; 
(Se  l'ordre  fut  donné,  aux  Capitaines,  de  remonter,  avec  leurs  Compa- 

.  ,  Snies, 

'  (m)  Diaz  lui  fait  dire  à  fes  Officiers, d'nn  tolent  des  gages  de  leur  foibleflê,  &  de  leur 

air  riant;  „  Nous  verrons  comment  ils  fou-  crainte,  mais  qa;ils  n'acheteroient  pas  à  fi 

„  tiendront  la  guerre;  en  tout  cas,  nous  fa-  bon  marché  la  retraite  d'une  Armée  Efpa- 

„  vons  de  quelle  manière  ces  gens-là  fo  bat-  gnoie.  Ibidem.    On  aura  continuellement  oc- 

„  tent  ".    Et  pendant  qu'on  ferroit  les  pré-  cafion  d'obfcrvcr  que  Cortea  employa  la  ru» 

ftns,  il  railloit  encore,  ea  difant  que  c'é-  fe  autant  que  la  valcuir 


F  E  R  N  A  M> 
CORTCZ. 

.  1 5  '  9. 

Comnicni 
Cortez  rulfurs 
fes  gens. 


Occaflon 
qui  excite 
leurs  murui» 
res.  ^ 


Habileté' 
avec  laquelle 
Cortez  prend 
l'afcendant 
fur  les  Mu- 
tins. 


28o 


PREMIERS      VOYAGES 


Fbimand 

C  O  R  T  E  Z. 
1519- 


I 


Heureux 

fiicccs  de  fon 
artifice. 


Députation 
qu'il  reçoit 
de  la  part  du 
Cacique  de 
Zampoala. 


f;nics ,  fur  les  mêmes  Vaifleaux  qu'ils  avoienc  commandés.  Mais  cette  ré- 
oliition  ne  fut  pas  plutôt  divulguée,  que  tous  ceux,  qui  ëtoient  prévenu! 
en  faveur  du  Général,  s'écrièrent ,  avec  beaucoup  de  chaleur,  qu'il  les  a* 
voit  donc  trompés  par  de  faulTes  promeflcs?  Ils  ajoutèrent,  que  s'il  étoie 
rcfolu  de  fc  retirer,  il  en  étoit  le  maître,  avec  ceux  qu'il  trouveroic  difpo- 
fcs  à  le  fuivre;  mais,  que,  dans  les  cfpérances  qui  les  attachoicnt  au  Me- 
xique, ils  n'abandonneroiçnt  pas  leur  entreprife,  &  qu'ils  fauroient  choifir 
un  Chef  pour  lui  fucccder.  Les  Officiers ,  qui  fervoicnt  Cortcz ,  feignant 
d'approuver  cette  ouverture,  demandèrent  feulement  qu'il  en  fût  informé. 
Ils  fe  rendirent  à  fa  Tente,  accompagnés  de  la  plus  grande  partie  des  Sol- 
dats, pour  lui  repi-éfenter  que  toute  l'Armée  étoit  prête  à  fe  foulever;  & 
cette  Comédie  fut  poufTée  juCqu'à  lui  reprocher  d'avoir  pris  la  réfolution  de 
partir,  fans  confulter  fi^s  principaux  Officiers.  Ils  fe  plaignirent  de  la  hon- 
te, dont  il  vouloit  couvrir  les  Lfpagnols,  en  abandonnant  fon  Expédition , 
au  feul  bruit  des  obllacics  qu'il  avoit  à  furmontcr.  Ils  lui  repréfentèrent 
ce  qui  étoit  arrivé  à  Grijalva ,  pour  avoir  manqué  de  faire  un  Etabliflement 
dans  le  Pays  qu'il  avoit  découvert.  Enfin,  ils  lui  répétèrent  fidèlement 
tout  ce  qu'il  leur  avoit  didé  lui-même.  Cortez  parut  lurpris  de  les  enten- 
dre. Il  rejetta  fa  conduite  fur  l'opinion  qu'il  avoit  eue  des  dilpofitions  de 
l'Armée.  Il  affc6la  de  fe  défendre,  de  balancer,  d'avoir  peine  à  fe  per- 
fuader  ce  qu'il  defiroit  le  plus  ardemment;  &  fe  plaignant  d  avoir  été  mal 
informé ,  fans  nommer  néanmoins  ceux  qui  lui  avoient  rendu  ce  mauvais 
office,  il  protefld  que  les  ordres  qu'il  avoit  donnés  étoient  contre  fon  goût; 
qu'il  n'avoit  cédé  qu'à  l'envie  d'obliger  fes  Soldats;  qu'il  demcureroit  au 
Mexique  avec  d'autant  plus  de  fatisfadion ,  qu'il  les  voyoit  dans  les  fenti- 
mens  qu'ils  dévoient  au  Roi  leur  Maître  &  à  l'honneur  de  leur  Nation: 
mais  qu'ils  dévoient  comprendre  que  pour  des  entreprifes  aufli  glorieufes 
que  les  fiennes,  il  ne  vouloit  que  des  Guerriers  libres  &  dévoués  à  fes  or- 
dres ;  que  fi  quelqu'un  fouhaitoit  de  retourner  à  Cuba,  il  pouvoit  partir  fans 
obflacle;  &  que  fur  le  champ  il  alloit  donner  ordre  qu'il  y  eût  des  Vaifleaux 
prêts,  pour  tous  ceux  qui  ne  feroitnt  pas  difpofés  à  fuivre  volontairement 
fa  fortune.  Ce  difcours  produifit  des  tranfports  de  joye,  dont  il  fut  furpris 
lui-même;  &  ceux,  qui  avoient  fervi  d'Interprètes  aux  Mccontens,  n'eu- 
rent pas  la  hardiefle  de  fe  déclarer.  Ils  lui  firent  des  excufes,  qu'il  reçut 
avec  la  même  diffimulation  («). 

La  Fortune,  qui  fembloit  le  conduire  par  la  main,  amena,  dans  le  mê- 
me tems,  cinq  Indiens,  que  Diaz  dcl  Caftillo  vit  defcendre  d'une  Colline, 
vers  un  Porte  avancé  qu'il  gardoit.  Leur  petit  nombre,  &  les  fignes  de 
paix,  avec  lefquels  ils  continuoient  de  s'approcher,  ne  lui  laiflant  aucune 
défiance  de  leurs  intentions,  il  les  conduifit  au  Camp.  On  crut  remarquer, 
à  leur  air  &  à  leur  habillement,  qu'ils  étoient  d'une  Nation  différente  des 
Mexiquains;  quoiqu'ils  euflent  aulli  les  oreilles  &  la  lèvre  percées,  pour 
foutenir  de  gros  anneaux  d'or  &  d'autres  bijoux.  Leur  langage  ne  reflem- 
bloit  pas  non  plus  à  celui  des  autres,  &  Marina  né  l'entendit  pas  fans  diffi- 
culté. On  apprit  néanmoins,  par  fon  organe,  qu'ils  étoient  Sujets  du  Ca- 
cique 

{n)  Ibidem ,  Chzp,  s  ^  6,    Herrera,  iW*/,     ■  .    ■  •  ;  "i". 


. .   1' 

Il      ',  •  •    •  • 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.   If 


281 


F  t  R  M  A  N  » 

I  5  19. 


cique  de  Tampoala,  Province  peu  cloigndc,  &  qu'ils  vcnoient  faire  des  corn* 
plimcns  de  fa  part  au  Chef  de  ces  braves  Étrangers,  dont  les  Exploits  dans 
fa  Province  de  Tabafco  s'étoient  dé_ja  répandus  jufqu'à  lui.  C'dtoit  un  Prin- 
ce guerrier»  qui  faifoit  profelîion  d  aimer  la  valeur  jufques  dans  fes  Enne- 
mis.    Les  Députés  infiltèrent  beaucoup  fur  cette  qualité  de  leur  Maître,  • 
dans  la  crainte  apparemment  que  fes  avances  ne  fuflent  attribuées  à  des  mo- 
tifs moins  dignes  de  lui.     Cortez  les  reçut  avec  de  grands  témoignages  d'ef- 
time  &  d'affetlion.     Outre  l'effet  que  cet  heureux  mcident  pouvoit  produi-      Fruits  qii'H 
re  fur  les  Mexiquains,  pour  arrêter  leurs  cntrcprifes,  &  fur  les  Kfnagnols  s'c»  promcu 
mêmes ,  pour  leur  inlpirer  une  nouvelle  confiance ,  il  apprit  que  la  novin- 
ce  de  Zampoahi  étoit  vers  le  Port  que  Montejo  avoit  découvert  fur  la  Cô- 
te; &  fon  dcflein  étoit  toujours  d'y  tranfporter  fon  Camp.     Cependant  fa 


putation , 

pas  volontiers  avec  les  Mexiquains ,  dont  ils  ne  loullroicnt  Jes  cruautés 
qu'avec  horreur.  Nouveau  fujet  de  fatisfaftion  pour  Cortez,  fur-tout  lorf- 
que  les  Indiens  eurent  aioûté  que  Motezuma  étoit  un  Prince  violent ,  qui 
s'étoit  rendu  infupportable  à  Tes  Voifins  par  fon  orgueil ,  &  qui  tenoit  fes 
Peuples  foumis  par  la  crainte. 

Il  efl:  tems  de  faire  connoître  quelles  étoient  fes  forces,  &  d'où  venoit 
le  trouble  que  l'arrivée  des  Efpagnols  avoit  jette  dans  fon  efprit.  L'Empi- 
re du  Mexique  étoit  alors  au  plus  haut  point  de  fa  grandeur,  puifque  toutes 
les  Provinces ,  qui  avoient  été  découvertes  dans  l'Amérique  Septentrionale 
étoient  gouvernées  par  fes  Miniftres,  ou  par  des  Caciques,  qui  luipayoienc 
un  Tribut.  Sa  grandeur,  du  Levant  au  Couchant,  étoit  de  plus  de  cinq 
cens  lieues,  &  fa  largeur,  du  Midi  au  Nord,  d'environ  deux  cens.  Il  a- 
voit  pour  bornes,-  au  Nord,  la  Mer  Atlantique,  dans  ce  long  efpace  de 
Côte  qui  s'étend  depuis  Panuco  jufqu'au  Yucatan.  L'Océan ,  qu'on  nomme 
jîjiatique  (0) i  le  bornoit  au  Couchant,  depuis  le  Cap  Mindorin  jufqu'aux 
extrémités  de  la  Nouvelle  Galice.  Le  côté  méridional  occupoit  cette  vafte 
Côte  qui  borde  la  Mer  du  Sud,  depuis  Acapulco  jufqu'à  Guatimala,  &  qui 
vient  près  de  Nicaragua,  vers  l'iflnme  du  Darien.  Celui  du  Nord,  s'éten- 
dant  jufqu'à  Panuco,  comprenoit  cette  Province  entière;  mais  fes  limites 
étoient  reflerrées,  en  quelques  endroits,  par  des  Montagnes,  qui  fervoient 
de  retraite  aux  Chichimegues  &  aux  Ototnies;  Peuples  farouches  &  barbares,* 
auxqueiis  on  n'attribuoit  aucune  forme  de  Gouvernement,  &  qui  n'ayant, 
pour  Habitation  ,  que.  les  Cavernes  des  Rochers ,  ou  quelques  trous  fous 
terre,  vjvoient  de  leur  chafle  &  des  fruits  que  leurs  Arbres  produifoient 
fans  cultufv:  Cependant  ils  fe  fervoient  de  leurs  flèches  avec  tant  d'adref- 
fe  &  de  force ,  &  la  fituation  de  leurs  Montagnes  aidoit  fi  naturelle- 
ment à  leur  défenfe,  qu'ils  avoient  repoufle  plulieurs  fois  toutes  les  for- 
ces des  Empereurs  du  Mexique.    Mais  ils  ne  penlbient  à  vaincre  que 

(0)  On  le  Golfe  d'Jnian.  ~ 

Nota.  Voyez  la  Carte  du  Mexique,  au  Tome  XVI,  R.  d.  E,  ' 

XniL  Part.  N  n 


Idtîe  de  l'c- 
tat  uù  le  Mt.' 
xique  titoit.  '. 
alors.      *     \ 


f  • 


f KRNAKB 

CORTEZ. 


Caraftère 
de  l'Empe- 
reur, qui  fe 
nommoitMo- 
tezuma. 


Combien  il 
s'étoit  rendu 
odieux. 


282      PREMIERS      VOYAGES 

pour  éviter  la  tyrannie,  &  pour  conferver  leur  liberté  au  milieu  des  Bê- 
tes fauvages. 

Il  n'y  avoic  pas  plus  de  cent  trente  ans  que  l'Empire  du  Mexique  étoit 
parvenu  à  cette  grandeur,  après  avoir  commencé  à  s'élever,  comme  la  plu- 
part des  autres  Etats,  fur  des  fondemens  aflez  foibles.     Les  Mexiquains, 
portés  par  inclination  à  l'exercice  des  armes,  avoient  aflujetti  par  dégrés 
pluficurs  autres  Peuples  qui  habitoient  cette  parcie  du  Nouveau  Monde. 
Leur  premier  Chef  avoit  été  un  fimple  Capitaine,  dont  radreflTe  &  le  cou- 
rage en  avoient  fait  d'excellens  Soldats.     Enfuite  ils  s'étoient  donnés  un 
Roi ,  qu'ils  avoient  choifi  entre  les  plus  braves  de  leur  Nation ,  parce  qu'ils 
ne  connoiflbient  pas  d'autre  vertu  que  la  valeur;  &  cet  ufage,  de  donner 
la  Couronne  au  plus  brave,  fans  aucun  égard  au  droit  de  la  naiflance,  n'a- 
vcit  été  interrompu  que  dans  quelques  occafions,  où  l'égalité  du  mérite  a- 
voit  fait  donner  la  préférence  au  Sang  Royal.     Motezuma  ,   fuivant  les 
peintures  qui  compofoient  leurs  Annales,  étoit  l'onzième  de  ces  P.ois  (p}. 
Quoique  fon  Père  eût  occupé  le  Trône,  il  n'avoit  dû  fon  élévation  qu'à 
fes  grandes  qualités  naturelles,  qui  avoient  été  foutenues  long  tems  par  l'ar- 
tifice.    Mais  lorfqu'i'  s  ecoit  vu  le  Maître,  il  avoit  làché  la  bride  à  tous  les 
vices  qu'il  avoit  fyu  déguifer.     Son  orgueil  avoit  éclaté  le  premier,  en  lui 
faifant  congédier  tous  les  Officiers  de  fa  Maifon ,  qui  étoient  d'une  naiflan- 
ce commune,  pour  n'tmployer  que  la  Nobleife,  jufques  dans  les  Emplois 
les  plus  vils  ;  afFeftation  également  choquante  pour  les  Nobles ,  qui  fe  trou- 
voient  avilis  par  des  fondions  indignes  d'eux  ,  &  pour  les  Familles  populai- 
res, qui  s'étoient  vu  fermer  l'unique  voie  qu'elles  avoient  à  la  fortune.     U 
paroiflbit  rarement  à  îa  vue  de  fes  Sujets,  fans  excepter  fes  Miniftres  mê- 
mes &  fes  Domefl:iques,  auxquels  il  ne  fe  communiquoit  qu'avec  beaucoup 
de  réferve,*  „  faifant  entrer  ainfi,  fuivant  l'expreflion  de  Solis,  le  chagrin 
„  de  la  folitude  dans  la  compofition  de  fa  Majeflé  ".     Il  avoit  inventé  de 
nouvelles  révérences  &  des  cérémonies  gênantes,  pour  ceux  qui  appro- 
choient  de  fa  Perfonne.    Le  refpeft  lui  paroiflbit  une  ofl^enfe ,  s'il  n'étoit 
pouffé  jufqu'à  l'adoration  ;  &  dans  la  feule  vue  de  faire  éclater  fon  pouvoir, 
il  exerçoit  quelquefois  d'horribles  cruautés,  dont  on  ne  connoiffoit  pas  d'au- 
tre raifon  que  fon  caprice.     Il  avoit  créé ,   fans  néceffité  ,  de  nouveaux 
impôts ,  qui  fe  levoient  par  tête,  avec  tant  de  rigueur,  que  fes  moindres 
Sujets,  jufqu'aux  Mandians,   étoient  obligés  d'apporter  quelque  chofe  au 
pié  du  Trône.     Ces  violences  avoient  jette  la  terreur  dans  toutes  les  par- 
ties de  l'Empire,  &  cette  terreur  avoit  produit  la  haine.    Plufieurs  Pro- 
vinces s'étoient  révoltées.     Il  avoit  entrepris  de  les  châtier  lui-même. 
Mais  celles  de  Mechoacan,  de  Tlafcala  &  de  Tepeaca,  fe  foutenoient 
encore  dans  la  révolte.     Motezuma  fe  vantoit  de  n'avoir  différé  à  les 
foumettre,  que  pour  fe  conferver  des  Ennemis,  &  fournir  des  Victimes 
à  fes  cruels  Sacrifices.    Il  y  avoit  quatorze  ans  qu'il  règnoit  fuivant  ces 
maximes  (j). 

"  '  ^    '  Mais 


(p)  Voyez  ci-delTous,  dans  la  defcription 
de  l'Empire,  les  noms  ôc  la  fuite  de  fus  Pré- 
déccffcurs  ,   avec  les  principales  circonHaa* 


CCS  de  leur  Hifloire. 
(j)  Solls,  Liv.  2.  Cbap.  3. 


n 


EN      A   M    E    R    I    Q    U    S,    Liv.   I. 


283 


•fi» 


Mais  la  dernière  de  ces  années  avoit  été  remplie  d'affreux  prodiges , 
qui  commençoienc  à  lui  faire  fentir  des  remords  &  des  craintes.  Une  ef- 
froyable Comète  avoit  paru ,  pendant  plufieurs  nuits,  comme  une  pyrami- 
de de  feu.  Elle  avoiç  été  fuivie  d'une  autre,  en  forme  de  Serpent  à  trois 
têtes,  quife  levant  de  l'Oueft,  en  plein  jour,  couroit  avec  une  extrême 
rapidité  jufqu'à  l'autre  Horifon,  où  elle  difparoiffoit  après  avoir  marqué  fa 
trace  par  une  infinité  d'étincelles.  Un  grand  Lac,  voifm  de  la  Capitale, 
avoit  rompu  fes  Digues,  &  s'écoit  répandu  avec  une  impétuofité  dont  on 
n'avoit  jamais  eu  d'exemple.  Un  Temple  s'étoit  embraie,  fans  qu'on  eût 
pu  découvrir  la  caufe  de  cet  incendie,  ni  trouver  de  moyen  pour  l'arrêter. 
On  avoit  entendu,  dans  l'air,  des  voix  plaintives,  qui  annonçoient  la  fin 
de  la  Monarchie;  &  toutes  les  réponfes  des  Idoles  s'accordoient  à  répéter 
ce  funefte  pronoftic.  Laiflbns  (r)  aux  Hiftoires  Efpagnoles  ce  qui  com- 
raence  à  prendre  un  air  fabuleux:  mais,  le  récit  des  deux  Indiens  faifant 
juger  à  Cortez  qu'il  ne  lui  feroic  pas  difficile  de  former  un  parti  con- 
tre  un  Tyran  ,  entre  des  Peuples  révoltés  contre  fes  injuftices  ,  il  en-' 
vnva,  au  Cacique  de  Zampoala,  des  préfens  &  tout  ce  qui  pouvoit  le 
difpofer  à  l'amitié. 

CETlicureux  incident  lui  fit  naître  une  autre  idée,  que  les  Hiftoriens 
regardent  comme  le  chef-d'œuvre  de  fa  Politique,  &  qu'il  exécuta  auffi  ha- 

bile- 

confcil  fur  fon  tranfport,  qui  parut  furnatu- 
rel ,  &  l'on  réfolut  de  l'écouter.  Il  fit  un  ré- 
cit qu'on  pouvoit  prendre  pour  un  fonge, 
quoiqu'il  le  donnât  comme  une  vérité,  par 
lequel  il  prétcndoit  qu'ayant  vu  l'Empereur  en- 
dormi dans  un  lieu  écarté,  &  qui  tenoit  à  la 
main  une  paftille  allumée,  une  voix  lui  avoit 
ordonné  de  prendre  la  paftillc,  &  de  h  lui 
appliquer  fur  ia  cuiffe;  ce  qu'il  avoit  fait  fans 
que  1  Empereur  fe  fût  éveillé  Alors  la  voix 
lui  avoit  dit  ;  c'eft  ainfi  que  ton  Souverain 
s'endort ,  pendant  que  le  tonnerre  gronde  fur 
fa  tête,  &  qu'il  lui  vient  des  Ennemis  d'un 
autre  Monde,  pour  détruire  fon  Empire  & 
fa  Religion.  Sur  quoi  le  Laboureur. -ayant 
fait  une  exhortation  fort  vive  à  Motezuma , 
prit  la  fuite  avec  beaucoup  de  vitcffe.  On 
penfoit  d'abord  à  le  faire  arrêter,  pour  le  pu- 
nir de  fon  infolence;  mais  une  douleur  ex- 
traordinaire ,  que  l'Empereur  fcntit  à  la  cuif- 
fe, y  ayant  fait  regarder  aulFi-tôt,  tous  ceux 
qui  étoient  préfens  apperçurcnt  la  marque 
cl  une  brûlure  récente ,  dont  ia  vue  effraya 
Motezuma ,  &  lui  fit  faire  de  férieufcs  réfle- 
xions. Le  paflage  de  Grijalva  &  l'arrivée 
de  Cortez,  femblant  repondre  à  tous  ces  a-' 
vis  du  Ciel,  la  Cour  du  Mexique  étoit  dans' 
le  trouble;  on  y  avoit  tenu  quantité  deCon- 
feils  ,  &  c'étoit  après  de  longues  délibéra- 
tions que  l'Empereur  s'étoit  déterminé  à  re- 
fufer,  aux  Etrangers,  la  liberté  de  le  voir.' 
S«lis,  Chap.  <J. 


(r)  On  ne  doit  pas  paffer  néanmoins  deux 
traits ,  que  le  Père  d' Acofta ,  Botero ,  &  d'au- 
tres Écrivains  du  môme  poids,  ont  cru  af- 
fez  vériliés ,  pour  les  donner  comme  cer- 
tains, &  qui  expliquent  d  ailleurs  les  queC 
tions  qu'on  faifoit  l'année  précédente  à  Gri- 
jalva. Quelques  Pêcheurs  prirent,  au  bord 
du  Lac  de  Mexique,  un  Oifeau  d'une  gran- 
deur &  d'une  figure  monftrucufe ,  qu'ils  pré- 
fentèrent  à  l'Empereur.  Il  avoit  fur  la  tête 
une  efpèce  de  lame  luifante ,  où  la  reverbe- 
ration  du  Soleil  produifoit  une  lumière  trille 
&  aifreufe.  Motezuma,  fixant  fos  y^-ux  fur 
cette  lame,  y  appcrçut  la  repréfcntation  d  u 
ne  nuit,  avec  des  Etoiles,  qui  brilloient  af- 
fez ,  d'efpace  en  cfpace ,  pour  l'obliger  de  fe 
tourner  aufl[îtôt  vers  le  Soleil ,  dans  le  doutj 
s'il  n'avoit  p;is  cciTo  tout" d'un  coup  de  luire. 
Enfuite,  retournant  à  cet  étrange  miroir,  il 
y  vit  des  Soldats  inconnus  &  bien  armés ,  qui 
vcnoient  du  côté  de  1  Orient,  &quifaifoient 
un  horrible  carnage  de  fes  Sujets.  Il  fit  ap- 
peller  fes  Prêtres  &  fes  Devins,  pour  lescon- 
fulter  fur  ce  prodige.  L  Oifeau  demeura  im- 
mobile ,  tandis  que  plufieurs  d'entr'eux  firent 
là  même  expérience.  Enfuite,  «'échappant 
tout  d'un  coup  de  leurs  mains,  il  leur  lailHi 
un  nouveau  fujet  de  frayeur  par  une  fuite  fi 
brufque. 

Peu  de  jours  après ,  un  Laboureur  vint  au 
Palais,  à  demanda  fort  inftanunent  d'être  in- 
troduit à  l'Audience  de  l'Eu>parcur;  on  tint 

'    •  .     >'  Nn 


Fernand 
Cortez. 

15  19. 

Prodiges 
qui  avolent 
annoncé  la' 
ruine  de  l'Em- 
pire. 


Chef-dœn- 
vre  de  la  Po- 
litique de 
Cortez. 


Teumand 

Ç0RTE2. 


11  étaWk 
une  Colonie, 
fous  lo  nom 
de  Villa  ricca 
de  la  Vera- 
Cni2. 


Comment  il 
fo  fait  revêtir 
de  [autorité 

.:.brolue» 


iU       PREMIERS      VOYAGES 

bilement  qu'il  l'avoit  conçue.    Comme  elle  l'obligeoit  d'avancer  le  defTein 
qu'il  avoic  toujours  eu  de  former  une  Colonie  dans  le  lieu  où  il  éroit  cam- 
pé, il  fe  hâca  de  la  communiquer  aux  Officiers ,  dont  il  connoilîbit  l'atta- 
chement pour  fa  perfonne;  &  lorfqu'il  eut  réglé  avec  eux  tout  ce  qui  pou- 
voit  en  alTurer  le  fuccés,  il  tint  une  Aflemblée  générale,  pour  donner  une 
forme  au  nouvel  Etabliflement.     La  Conférence  fut  courte.     Ses  Pàrtifans , 
qui  compofoient  le  plus  grand  nombre,  fécondèrent  toutes  fes  propofitions 
par  leurs  fuffrages.     On  nomma  pour  Alcaldes ,  ou  Chefs  du  Conleil  Sou- 
verain, Porto-Carrero  &  Montejo;  &  pour  Confeillers,  d'Avila,  Alvara- 
do  &  Sandoval.     D'Efcalante  fut  créé  Alguazil  Major,  ou  Lieutenant  Cri- 
minel ;  &  l'Office  de  Procureur  Général  fut  confié  à  Chico.     Tous  ces  Of- 
ficiers ,  après  avoir  prêté  le  ferment  ordinaire  à  Dieu  6  au  Roi ,  prirent 
pofleflion  de  leurs  Charges,  avec  les  formalités  ordinaires  en  Efpagne,  &. 
commencèrent  à  les  exercer,  en  donnant,  à  la  nouvelle  Colonie ,  le  nom 
de  yitla  ricca  de  la  Fera-Cruz^  qu'elle  a  confervé  dans  un  autre  lieu.     Ils  la. 
nommèrent  Ville  riche ,  parce  qu'ils  y  avoient  commencé  à  voir  beaucoup  ' 
d'or  ;  &  Vraie  Croix ,  parce  qu'ils  y  étoient  defcendus  le  jour  du  Vendredi- 
Saint  (j). 

CoRTEz  afi'eéh  d'affifter  à  leurs  premières  fondions,  comme  un  fimple 
Habitant ,  qui  ne  tiroit  aucun  droit  de  fa  qualité  de  Général  de  la  Flotte  & 
de  Commandant  des  Armées.  Il  vouloit  autorifer  le  nouveau  Tribunal  par 
fon  refpedt;,  &  donner  au  Peuple  l'exemple  d'une  jufte  foumilîion;  parce 
qu'il  croyoit  avoir  également  befoin  &  de  l'autorité  civile  &  de  la  dépen- 
dance des  Sujets,  pour  remplir,  par  le  bras  de  la  Juilice  &  par  la  voix  du 
Peuple ,  les  vuides  de  la  Jurifdiélion  Militaire ,  dont  on  le  fuppofoit  toujours 
le  Chef,  en  vertu  de  la  Commiffion  du  Gouverneur  de  Cuba.  Mais  elle  a- 
voit  été  révoquée;  &  dans  le  fond  fon  pouvoir  étoit  appuyé- fur  des  fon- 
demens  trop  foibles.  Ce  défaut  ne  l'obligeoit  que  trop  fouvent  de  fermer 
les  yeux  fur  la  réfiftance  qu'il  trouvoit  à  fes  ordres.  Il  le  mettoit  dans  le 
double  embarras  de  penfer  à  ce  qu'il  devoit  commander  &  aux  moyens  de 
fe  faire  obéir.  De -là  fon  impatience,  pour  l'exécution  d'un  projet,  dont 
toutes  ces  difpofitions  n'étoient  que  les  préparatifs. 

Le  lendemain,  pendant  que  le  Confeil  étoit  aflèmblé,  il  demanda  mo- 
deftement  la  permiffion  d'y  entrer.  Les  Juges  fe  levèrent  pour  le  recevoir. 
Il  leur  fit  une  profonde  révérence,  &  fe  contenta  de  prendre  place  après  le 
premier  Confeiller.  Là ,  dans  un  Difcours  où  l'arc  étoit  revêtu  des  appa- 
]^ences  du  desintérelTement  &.  de  la  iimplicité  (t),  il  leur  repréfenta  que 
.-,,-.  ...     :  de*- 


(s)  Ibidem,  Chap.  6< 

(  t  )  On  le  donnera  ici  tel  que  Solis  le  rap- 
porte après  Diaz ,  fuivant  la  loi  qu'on  s'eft 
impofée  de  conferver  tous  les  grands  traits 
qui  portent  un  caraftère  original.  „  Sei 
„  gnetirs ,  ce  Confeil ,  que  Dieu  par  fa  bon- 
„  té  nous  a  permis  d'établir,  repréfcnte  la 
„  Perfonne  du  Roi ,  à  qui  nous  fommes  obli- 
„  gés  de  déclarer  la  vérité;  hommage  que 
„  tous  ceux  qui  aiment  l'honneur  &  la  vexta 


lui  rendent  volontiers.  Je  parois  donc  de- 
vant vous  comme  fi  j'étois  en  fa  préfence, 
fans  autre  vue  que  celle  de  fon  fervice, 
fur  lequel  vous  me  foufFrirez  l'ambition  de 
ne,  le  céder  à  perfonne.  Vous  êtes  aflem- 
blés  pour  délibérer  fur  les  moyens  d'éta- 
blir cette  nouvelle  Colonie ,  trop  heureufe 
d'avoir  des  Chefs  tels  que  vous.  J'ai  cru 
vous  devoir  propofer  ce  que  j'ai  médité; 
fur  le  même  fujcc,  dans  la  crainte  que 

„  voua 


&. 


Z-   E    N      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Lrv.  I. 


285 


depuis  les  variations  du  Gouverneur  de  Cuba,  dont  ii  tenoit  fa  Commiflîon, 
il  ne  fe  croyoit  plus  un  pouvoir  afTez  abfolu  pour  commander;  &  que  les 
circonflances  demandant  une  pleine  autorité  dans  un  Capitaine  Général, 
il  fe  défitioit  de  toutes  Tes  pré^^  ntions  entre  les  mains  du  Confeil,  auquel  il 
it  d'en  nommer  un,  jufqu'à  ce  qu'il  plût  au  Roi  d'en  ordonner 


appartenoit 
autrement. 


après 


Il  n'oublia  pas  de  demander  Aéle  de  fon  défiftement; 
quoi ,  jettant  fur  la  table  les  Provifions  de  Diego  Velafquez ,  &  baifant  le 
Bâton  de  Général,  qu'il  remit  au  Chef  de  rAlîcmbléc,  il  fe  retira  feul  dans 
fe  Tente. 

Quoique  fes  mefures  lui  lainafTent  peu  d'incertitude  pouf  le  fuccès  de 
l'événement,  perfonne  n'a  parlé,  fans  admiration,  d'une  rufe  fi  noble.  Le 
choix  du  Confeil  ne  fut  pas  différé  iong-tems.  La  plupart  des  Confeillers 
y  étoient  préparés ,  &  les  autres  n'y  pouvoient  rien  oppofer.  Toures  les 
voix  s'accordèreno  à  recevoir  la  démiliion  de  Cortez;  mais  à  condition  qu'il 
reprendroit  auffi-tôt  le  Commandement,  avec  des  Patentes  au  nom  du  Roi, 
&  qu'on  informeroit  le  Peuple  de  cette  éleélion.  Elle  n'eut  pas  été  plutôt 
publiée ,  qu'on  vit  éclater  la  joie  par  de  vives  acclamations.  Ceux  qui  pri- 
rent le  moins  de  part  à  la  fatisfaÀion  publique  fe  virent  forcés  de  difllmu- 
Jer  leur  niécontentement.  Enfuite  le  Confeil ,  accompagné  de  la  plus  graa- 
de  partie  des  Soldats,  qui  repréfentoient  le  Peuple,  fe  rendit  folemnelle- 
ment  à  la  Tente  de  Cortez,  &  lui  déclara  que  la  Ville  de  la  Vera-Cruz,  au 
nom  du  Roi  Catholique ,  l'avoit  élu  Gouverneur  de  la  nouvelle  Colonie ,  & 

...  ....^:-....  Gé- 


Fbrn-anu 
Coûtez. 

15  19. 


oncde- 

fence , 

rvice , 

tion  de 

affem- 

d'éta- 
ureufe 

ai  cru 
médité 
te  que 
vous 


II 

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VOUS  arrêtant  à  des  fuppofitions  mal  fon- 
dées, vous  ne  vous  trouviez  obligés  de 
prendre  de  nouvelles  conclufions.  Cette 
Ville,  qui  commencé  à  s'élever  fous  vôtre 
Gouvernement,  e(t  fondée  dans-  un  Pays 
peu  connu  &  fort  peuplé ,  où  nous  avons 
trouvé  des  marques  deréfiftance,  qui  nous 
annoncent  une  entreprife  périlleufe  ,  où 
nous  aurons  befoin  de  la  tête  &  des  mains, 
c'eft-àdire,  où  il  faudra  fouvent  que  la 
force  achève  ce  que  la  prudence  aura  com- 
mencé. La  politique  &  les  confeils  nefiif^ 
fiftnt  pas  dans  nôtre  fituation.  Vôtre  pre- 
mier foin  doit  être  de  conferver  l'Armée 
qui  nous  fert  de  rempart;  &  mon  premier 
devoir  eft  de  vous  avertir  qu'elle  n'-a  pas 
tout  ce  qui  eft  néceflaire  pour  nôtre  fure- 
té &  pour  le  foutien  de  nos  efpérances. 
Vous  favez  que  jufqu'à  préfent  je  l'ai  com- 
mandée, fans  autre  titre  que  la  nomina- 
tion de  Dom  Diego  de  Velafquez ,  qui  n'a 
pas  été  plutôt  expédiée  en  ma  faveur,  qu'il 
l'a  révoquée.  Je  n'examine  point  ici  l'in- 
juftice  de  fa  défiance.  Ce  n'eft  pas  dequoi 
il  eft  queftion.  Mais  on  ne  peut  desa- 
vouer que  la  Jurifdiftion  Militaire,  dont 
vous  fentez  l'importance  pour  nous,  ne 
fubfille  plui  dans  ma  perfonne,  ^^e  con- 


tre  la  volonté  de  celui  qui  en  pouvoit  dif- 
pofer.  Elle  n'a  donc  plus  d'autre  fonde- 
ment qu'un  titre  forcé,  qui  porte  avec  foi 
la  folbleife  de  fon  principe.  Les  Soldats 
n'ignorent  point  ce  défaut.  Je  n'ai  pas  le 
cœur  aflcz  bas  pour  exercer  une  autorité 
précaire  ;  &  nôtre  entreprife  demande  une 
Armée,  que  la  raifon  co.itienne  dans  l'o- 
béllfance  plutôt  que  l'habitude.  C'eft  à 
vous.  Seigneurs,  qu'il  appartient  de  re- 
médier à  cet  inconvénient.  Vôtre  Aflem- 
blée,  qui  repréfente  nôtre  Souverain,  aie 
droit  de  pourvoir,  en  fon  nom,  au  Com- 
mandement de  fes  Troupes.  Cette  Armée 
vous  offre  plufieurs  Sujets.  Pour  moi  je 
me  dépouille  ici  de  tous  mes  droits.  Je 
renonce ,  entre  vos  mains ,  au  titre  qui  peut 
me  les  avoir  acquis.  Soyez  libres  dans 
vôtre  choix.  Aflurezvous  que  mon  am- 
bition»  fe  borne  au  fuccès  de  nôtre  entre' 
prife  ;  &  que  fans  aucune  violence  pour 
mes  inclinations ,  cette  main ,  qui  a  porté 
le  Bâton  de  Général,  faura  fort  bicr.  ma- 
nier le  fabre  ou  la  lance.  Si  l'on  apprend; 
à  commander  en  obéiffant  ;  c'eft  quelque- 
fois aulli  par  le  Commandeiaeot  qu'on  le 
forme  à  l'obéiflance  ". 


Nn  3 


Kerkand 
Coûtez. 

1519- 

NoblclTo  a- 
vec  laquelle  il 
fouticnt  la 
rufo. 


Premier 
ufage  qu  il 
foit  de  fon 
autorité. 


Sa  marche 
vers  Zampoa- 
la. 


Temples 
qu'il  rencon- 
tre &  vifti- 
mes  humai- 
nes. 


Livres  Me- 
iiquains. 


285 


PREMIERS      VOYAGES 


Général  de  l'Armée  Caftillane,  en  plein  Confeil,  avec  la  connoiffance  & 
l'approbation  de  tous  les  Habitans  (v). 

Il  reçue  ces  deux  nouvelles  Charge^,  avec  tout  le  refpeél  qu'il  auroit  eu 
pour  le  Roi  même,  dont  on  employoit  le  nom  &  l'autorité.  Il  afFefta  tou- 
jours de  les  appeller  nouvelles ,  pour  marquer  la  différence  qu'il  faifoit  de 
l'autre,  à  laquelle  il  avoit  renoncé;  &  dés  ce  moment,  il  donna  Tes  ordres 
avec  un  caraflère  de  grandeur  &  de  confiance ,  qui  n'eut  pas  moins  de  pou- 
voir pour  exciter  tout  le  monde  à  la  foumiffion.  Cependant  les  Partifans 
de  Velafquez  lâchèrent  la  bride,  en  fecret,  à  tous  les  reflentimens  qu'ils 
n'avoient  ôfé  faire  éclater.  Ils  attaquèrent  fourdement  l'autorité  du  Con- 
feil,  les  pouvoirs  du  Général,  &  tout  ce  qui  commençoit  à  porter  fur  ces 
deux  fondemens.  Cortez ,  après  avoir  éprouvé  que  la  douceur  &  la  patien- 
ce n'arrêtoient  pas  le  cours  du  mal,  fit  mettre  aux  fers,  fur  les  Vaiffeaux, 
Ordaz ,  Efcudero ,  &  Jean  Velafquez ,  trois  Chefs  de  la  faftion  oppofée. 
Cette  fermeté  jetta  la  terreur  dans  l'efprit  des  autres,  fur-tout  lorfqu'il  eut 
déclaré  que  fon  deflein  étoit  de  faire  le  procès  aux  Séditieux.  Mai" ,  pen- 
dant qu'il  marquoit  une  fé vérité  feinte,  il  employoit  toute  fon  adreife  pour 
les  ramener  infenfiblement  à  la  raifon  j  &  cette  conduite  lui  en  fit  à  la  fia 
des  Amis  fidèles  (x). 

Aussi-TÔT  qu'il  crut  fon  autorité  bien  affermie ,  il  détacha  cent  Hommes , 
fous  le  Commandement  d'Alvarado,  pour  aller  reconnoître  le  Pays,  &pour 
chercher  des  vivres,  qui  commençoient  à  manquer  depuis  que  les  Indiens 
avoient  ceffé  d'en  apporter  au  Camp.  Alvarado  n'alla  pas  loin  fans  rencon- 
trer quelques  Villages,  dont  les  Habitans  avoient  laifle  l'entrée  libre,  en  fe 
retirant  dans  les  Bois.  Il  y  trouva  du  Maïz,  de  la  Volaille,  &  d'autres 
provifions,  qu'il  fe  contenta  d'enlever,  fans  caufer  d'autre  defordre ;  &  ce 
fecours  rétablit  l'abondance.  Alors  Cortez  donna  fes  ordres  pour  la  mar- 
che de  l'Armée.  Les  Vaiffeaux  mirent  à  la  voile  vers  la  Côte  de  Ouiabizîan  ^ 
où  Ton  avoit  découvert  un  nouveau  Port,  &  les  Troupes  fuivirent  par  ter- 
re le  chemin  de  Zampoala.  Elles  fe  trouvèrent ,  en  peu  d'heures,  fur  les 
bords  d'une  profonde  Rivière,  où  l'on  fut  obligé  de  raffembler  quelques 
Canots  de  Pécheurs  pour  le  paffage  des  Hommes,  tandis  que  les  Chevaux 
pailérent  à  la  nage.  On  s'approcha  d'une  Bourgade,  qui  ne  fut  reconnue 
que  dans  la  fuite  pour  la  première  du  Pays  de  Zampoala.  Les  Habitans  a- 
vûient  non-feulement  abandonné  leurs  Maifons ,  mais  emporté  jufqu'à  leurs 
meubles;  ce  qui  caufa  d'autant  plus  d'inquiétude  à  Cortez,  que  leur  retraite 
fembloit  préméditée.  Ils  n'avoient  même  laifTé,  dans  leurs  Temples, 
qu'une  partie  de  leurs  Idoles,  avec  des  couteaux  de  bois  garnis  de  pierre, 
QL  quelques  miferables  relies  de  la  peau  desviélimes  humaines,  qu'ils  avoient 
facrifiées,  &  qui  caufoient  autant  de  pitié  qtie  d'horreur.  Ce  fut  dans  ce 
heu  que  les  Caflillans  virent ,  pour  la  première  fois ,  la  forme  des  Livres 
Mexiqùains.  Us  en  trouvèrent  quelques- uns,  qui  contenoient  apparem- 
ment les  cérémonies  d'une  cruelle  Religion.  Leur  matière  étoit  une  efpè- 
ce  de  parchemin,  enduit  de  gomme  ou  de  vernis,  &  plié  en  double,  pour 

fai- 


(•u)  Solis,  Liv.  2.  Cbup.  7. 


(.r)  Ibidem. 


■     EN     AMERIQUE,   Liv.  I. 


"87 


faire  un  grand  nombre  de  feuilles,  qui  compofoient  chaque  Volume.  Us 
paroiflbient  écrits  de  tous  côtés,  ou  plutôt  chargés  de  ces  images  &  de  ces 
chiffres,  dont  les  Peintres  de  Teutilé  avoient  donné  des  exemples  beau- 
coup plus  réguliers.  L'Armée  pafla  la  nuit  dans  cette  Bourgade,  avec  tou- 
tes les  précautions  qui  pouvoient  affurer  fon  repos.  Le  lendemain ,  elle 
reprit  fa  mardie  dans  le  même  ordre  &  par  le  chemin  le  plus  frayé ,  qui 
defcendoit  vers  l'Oueft,  en  s'écartant  un  peu  de  la  Mer.  Cortez  fut  fur< 
pris  de  n'y  trouver,  pendant  tout  le  jour,  qu'une  continuelle  folitude,  dont 
le  filence  lui  devint  fufpeft.  Mais  vers  le  foir,  à  l'entrée  d'une  belle  Prai- 
rie, on  vit  paroître  douze  Indiens,  chargés  de  rafraîchiflemens ,  qui  s'étant 
fait  conduira  au  Général ,  lui  offrirent  ce  préfent  de  la  part  de  leur  Caci- 
que, avec  une  invitation  à  fe  rendre  dans  le  lieu  de  fa  demeure,  où  il 
avoit  fait  préparer  des  logemens  &  des  vivres  pour  toute  l'Armée.  On 
apprit  d'eux  qu'il  reftoit  un  Soleil  ^  c'efl  à  dire,  dans  leur  langage,  une  jour- 
née de  chemin ,  jufqu'à  la  Cour  de  Zampoala.  Cortez  renvoya  fix  de  ces 
Indiens  au  Cacique,  avec  des  remercimens  fort  nobles,  &  garda  les  autres 
pour  lui  fervir  de  Guides.  Une  civilité  fi  peu  prévue  n'avoit  pas  laifTé  de 
luicaufer  quelque  défiance;  mais,  le  foir,  iî  trouva  tant  d'empreflement  à 
le  fervir,  dans  les  Habitans  d'une  Bourgade,  où  fes  Guides  lui  confeillèrent 
de  s'arrêter ,  qu'il  ne  douta  plus  de  la  bonne-foi  du  Cacique ,  &  cette  opi- 
nion fut  heureufement  confirmée  par  tes  fruits  importans  qu'il  tira  de  Ion 
amitié  (y). 

^  Le  jour  fuivant,  en  continuant  de  marcher  vers  Zampoala,  il  rencontra, 
prefqu'à  la  vue  de  cette  Place,  vingt  Indiens,  fort  galamment  équipés, qui 
étoient  fortis  pour  le  recevoir.  Après  l'avoir  falué ,  avec  beaucoup  de  cé- 
rémonies, ils  lui  firent  un  compliment  civil ,  au  nom  du  Cacique,  „  à  qui 
„  fes  incommodités  n'avoient  pas  permis  de  fe  mettre  à  leur  tête,  mais  qui 
„  l'attendoit,  avec  une  extrême  impatience  de  connoître  des  Étrangers, 
„  dont  la  valeur  avoit  tant  d'éclat".  La  Ville  étoit  grande  &  bien  peu- 
plée, dans  une  agréable  fituatîon,  entre  deux  RuifTeaux  qui  arrofoient 
une  Campagne  fertile.  Us  venoient  d'une  Montagne  peu  éloignée,  revê- 
tue d'Arbres,  &  d'une  pente  aifée.  Les  Edifices  de  la  Ville  étoient  de  pier- 
re, couverts  &  crépis  d'une  forte  de  chaux  blanche,  polie  &  luifante,  dont 
l'éclat  formoit  un  fpeftacle  fort  brillant.  Un  des  Soldats ,  qui  furent  dé- 
tachés, revint  avec  tranfport,  en  criant  de  toute  fa  force  que  les  murail- 
les étoient  d'argent  (z). 

Toutes  les  Rues  &  les  Places  publiques  fe  trouvèrent  remplies  d'Indiens  ; 
mais  fans  aucune  efpèce  d'armes  qui  pufTent  donner  du  foupçon ,  &  fans 
autre  bruit  que  celui  qui  eft  inféparable  de  la  multitude.  Le  Cacique  s'of- 
frit à  la  porte  de  fon  Palais.,  Ses  incommodités  n'étoient  qu'une  prodigieu- 
fe  grolTtiur.  Il  s'approcha  lentement ,  appuyé  fur  les  bras  de  quelques  In- 
diens ,  au  fecours  defquels  il  fembloit  devoir  tout  fon  mouvement.  Sa  pa- 
rure étoit  une  mante  de  coton ,  enrichie  de  pierres  précieufes  ,  comme  fts 
oreilles  &  fes  lèvres.  La" gravité  de  fa  figure,  «'accordant  avec  le  poids  de 
fon  corps,  Cortez  eut  befoin  de  toute  la  lienne,  pour  arrêter  les  éclats  de 

rire 
(y)  Ibidem,  Chap.  8.  .^  (2)  Diaz  fie  Solis,  ubifuprà. 


CORTliï. 
1519. 


Députés  de 
Zampoala  qui 
viennent  au- 
devant  des 
Ef^iagnols. 


Cortez  ar- 
rive à  Ziim* 
poala. 


Sa  récep- 
tion dan»  cet- 
te Ville. 

Figure  du- 
Cacique. 


!^88 


PREMIERS      VOYAGES 


CORTEZ. 
1519- 

Corte?,  ju- 
ge bien  de  ce 
Prince. 


Sa  Confé. 
rencc  avec 
lui. 


Plaintes  ôw 
Cacique  con- 
tre Molczii- 
ma. 


Idée  que 
Corcez  lui 

donne  de  Tes 
forces  &  de 
Tes  dellcins. 


rire  des  Efpagnols ,  &  pour  fe  faire  cette  violence  à  lui-même.  Mais ,  a- 
près  avoir  entendu  le  Prince  Mexiquain ,  dans  le  compliment  qu'il  lui  fit  en 
l'embraflant ,  il  en  prit  une  idée  fort  différente.  Son  difcours  fut  fimple  & 
précis.  11  le  félicita  defon  arrivée  ,•  il  fe  félicita  lui-même  de  l'honneur  qu'il 
avoit  de  le  recevoir;  &  fans  un  mot  inutile,  il  le  pria  d'aller  prendre  quel- 
que repos  dans  fon  Quartier ,  où  il  lui  promit  de  conférer  avec  lui  de  leurs 
intérêts  communs  (a). 

Les  logemens,  qu'il  avoit  fait  préparer ,  étoient  fous  les  portiques  de 
plulieurs  Maifons ,  dans  un  aflez  grand  efpace,  où  tous  les  Efpagnols  furent 
placés  fans  embarras,  &  trouvèrent  abondamment  tout  ce  qui  étoit  nécef- 
faire  à  leurs  befoins.  Le  jour  fuivant,  la  vifite  du  Cacique  fut  annoncée 
par  un  préfent,  dont  la  valeur  moncoit  à  deux  mille  marcs  d'or.  Il  le  fui- 
vit  de  près ,  fur  une  efpèce  de  brancard ,  porté  par  fes  principaux  Officiers. 
Cortez,  accompag'né  de  tous  les  ficns,  alla  fort  loin  au-devant  de  lui,  & 
le  conduifit  dans  fon  Appartement,  où  il  ne  retint  que  i'cs  Interprètes, 
pour  donner,  à  cette  première  Cor.férence,  l'air  important  du  fecret.  A- 
prés  l'exorde  ordinaire ,  fur  la  grandeur  de  fon  Roi,  êc  fur  les  erreurs  de  l'I- 
dolâcrie,  il  ajouta  fort  habilemenc,  qu'une  des  principales  viles  des  Soldats 
Efpagnols  étoit  de  détruire  l'injultice,  de  réprimer  la  violence,  &  d'em- 
brafler  le  parti  de  la  juftice  &  de  la  raifon.  C'étoit  ouvrir  la  carrière  au 
Cacique,  pour  apprendre  de  lui-même  ce  qu'on  pouvoit  efpérer  de  fes  dif- 
pofitions.  En  effet,  le  changement  qui  parut  fur  fon  vifage,  fit  connoître 
au  Général  qu'il  l'avoit  touché  par  l'endroit  fenfible.  Quelques  fqupirs  fer- 
virent  de  préludé  à  fa  réponfe.  Enfin,  la  douleur  i  -«roiffant  l'emporter,  il 
confeffa  que  tous  les  Caciques  gémiffoient  dans  un  tfclavage  honteux,  fous 
le  poids  de  la  tyrannie  &  des  cruautés  de  Motezuma ,  fans  avoir  la  force  de 
fecouer  le  joug ,  ni  même  affez  de  lumières  pour  en  imaginer  les  moyens  ; 
que  ce  cruel  Maître  fe  faifoit  adorer  de  Ces  Vaffaux  comme  un  des  Dieux 
du  Pays,  &  qu'il  vouloit  que  fes  injurtices  &  fes  violences  fuflent  révérées 
comme  des  Arrêts  du  Ciel;  que  la  raifon  néanmoins  ne  permettoit  pas  de 
demander  du  fecours  à  des  Etrangers  pour  tant  de  Miférables,  nonfeule- 
ment  parce  que  l'Empereur  du  Mexique  étoit  trop  puiffant,  mais  plus  en- 
core parce  que  Cortez  n'avoii;  pas  allez  d'obligation  aux  Mexiquains  pour 
fe  déclarer  en  leur  faveur,  &  parce  que  les  loix  de  rh'ohnéteté  ne  permet- 
toient  pas  de  lui  vendre  à  fi  haut  prix  les  petits  fervices  qu'ils  lui  avbient 
rendus. 

Un  langage  fi  fin  caufa  beaucoup  de  furprife  &  d'admiration  au  Général 
Efpagnol.  11  feignit  néanmoins  de  s'y  être  attendu  ;  &  répondant  avec  la 
même  nobleffe,  il  affura  le  Cacique  qu'il  craignoit  peu  les  forces  de  Mote- 
zuma, parce  que  les  fiennes  étoient  favorifées  ^uCiel,  fS:  qu'elles  avoient 
un  avantage  naturel  fur  les  Tyrans;  mais  qu'étant  appelle  par  d'autres  vues 
dans  le  Quiabizlan,  il  y  attendroit  ceux  qui  fe  croyoient  opprimés,  &  qui 
auroient  quelque  confiance  à  fon  fecours.  Jl  ajouta  que,  dans  l'intervalle, 
le  Cacique  pouvoit  communiquer  cette  propolitron  à  fes  Amis.  ,,  Soyez 
„  fur,  lui  dit-il  du  même  ton,  que  les  infultes  de  Motezuma  cefferont,  ou 

»  qu'el- 
(«)  Ibidem.   ';  '   '   .  .;..,-..• 


^' 


EN     AMERIQUE,  Lit.   I. 


289 


,»  qu'elles  tourneront  l  fa  honte,  lorfque  j'entreprendrai  de  vous  proté- 
„  ger  (b)".  Ils  fe  réparèrent,  après  cette  courte  explication.  Cortez 
donna  auflî-tôt  des  ordres ,  pour  continuer  fa  marche.  A  fon  départ ,  qua- 
tre cens  Indiens  fe  préTentèrent ,  pour  porter  le  Bagage  de  l'Armée,  &pour 
aider  à  la  conduite  de  l'Artillerie. 

Le  Pays,  qui  reftoit  à  traverfer  jufqu'à  la  Province  de  Quiabizlan ,  offrit 
un  mélange  de  Bois  &  de  Plaines  fertiles,  dont  la  vue  parut  fort  agréable 
aux  Efpagnols.  Ils  fe  logèrent  le  foir  dans  un  Village  abandonné ,  pour  ne 
fe  pas  préfenter  la  nuit  aux  portes  de'  la  Capitale.  Le  lendemain ,  ils  dé- 
couvrirent, dans  l'éloignement ,  les  Edifices  d'une  aflez  grande  Ville,  fur 
une  Hauteur  environnée  de  Rochers,  qui  fembloit  lui  fervirde  Murailles. 
Ils  y  montèrent  avec  beaucoup  de  peine ,  mais  fans  oppofition  de  la  part 
des  Habitans,  à  qui  la  frayeur  avoit  fait  abandonner  leurs  Maifons.  Tan- 
dis qu'ils  s'avànçoient  vers  la  Place ,  ils  virent  fortir  de  quelques  Temples , 
qui  en  faifoient  l'ornement,  douze  ou  quinze  Indiens  d'un  air  diflingué,  qui 
les  prièrent  civilement  de  ne  pas  s'offenfer  de  la  retraite  du  Cacique  &  de 
les  Sujets ,  &  qui  offrirent  de  les  rappeller  fur  le  champ ,  fi  le  Général  é- 
tranger  vouloit  s'engager  à  les  traiter  avec  amitié.  Cortez  leur  donna 
toutes  les  afforances  qu'ils  defiroient ,  &  ne  fut  pas  peu  furpris  de  voir  pref- 
qu'auffi-tôt  la  Ville  repeuplée  de  tous  fes  Habitans.  Le  Cacique  arriva  le 
dernier.  11  amenoit  celui  de  Zampoala,  pour  lui  fervir  de  Protecteur;  & 
tous  deux  étoient  portés  par  quelques-uns  de  leurs  Officiers.  Après  quel- 
ques excufes  fort  adroites ,  ils  tombèrent  fur  les  violences  de  Motezuma,  en 
joignant  quelquefois  des  larmes  à  leurs  plaintes.  Le  Zampoalan ,  qui  pa- 
roiffoit  le  plus  irrité,  ajouta  pour  conclufion:  „  Ce  Monftre  eft  fi  fier 
„  &  fi  cruel ,  qu'après  nous  avoir  appauvris  par  fes  impôts ,  il  déclare 
„  la  Guerre  à  nôtre  honneur,  en  nous  raviffant  nos  Filles  &  nos  Femmes". 
Cortez  s'effor'ça  de  le  confoler,  &  lui  promit  ouvertement  d'aider  à  fa  ven- 
geance (c). 

Pendant  qu'il  s'informoit'des  forces  &de  la  fituation  des  deux  Caciques, 
il  vit  entrer  quelques  Indiens ,  qui  leur  parlèrent  avec  tant  de  marques  de 
crainte,  que  s'étant  levés  auffi-tôt  d'un  air  tremblant,  ils  fortirent  fans 
prendre  congé  de  lui ,  &  fans  avoir  achevé  leurs  difcours.  On  fut  bientôt 
informé  du  fujet  dcleur  crainte,  lorfqu'on  vit  paffer,  dans  le  Quartier  mê- 
me des  Efpagnols,  fix  Officiers  de  Motezuma,  du  nombre  de  ceux  qu'il 
envoyoit  dans  les  Provinces  pour  y  lever  les  Tributs.  Ils  étoient  riche- 
ment vêtus,  &  fuivis  d'un  grand  nombre  d'Efclaves ,  dont  quelques-uns 
foutenoient  au-deflu*s  d'eux  des  Parafuls  de  plumes.  Cortez  étant  forti 
pour  les  voir ,  à  la  tête  de  fes  Capitaines ,  ils  paflerent  d'un  air  méprifant. 
Cette  fierté  irrita  les  Soldats  Efpagnols ,  qui  l'auroient  châtiée  fur  le  champ, 
fi  le  Général  ne  les  eût  retenus.  Marina  fut  envoyée  aux  informations, 
avec  une  efcorte.  On  apprit,  par  cette  voie,  que  les  Officiers  Mexiquains 
avoient  établi  le  Siège  de  leur  Audience  dans  une  Maifon  de  la  Ville,  où 
ils  avoient  fait  citer  les  Caciques;  qu'ils  leur  avoient  reproché  publique- 
ment d'avoir  reçu,  dans  leurs  Villes,  des  Etrangers  ennemis  de  leur  Maî- 
tre, 
(i)  Ibidem.  ^       ,  (c)  Ibidem,  Chap.  9. 

Xnil.  Fart.  O  o 


Fernano 

c  o  11  T  E  2. 


II  continue 
de  marcher 
vers  Quiabiz- 
lan. 


Arrivée  de 
quelques  Offi- 
ciers de  Mo- 
tezuma, & 
fujet  de  leur 
voyage. 


FSRlf  AND 
C  O  R  T  E  Z. 

Nouvelle 
rufe  de  Cor- 
tez. 


Il  fait  enle- 
ver les  Offi 
ciers  de  Mo- 
tezuma. 


Il  en  déli- 
vre deux,  & 
leur  perfuade 
qu'ils  lui  ont 
obligation  de 
leur  falut. 


11  les  ren- 
voie à  l'Ein- 
pcreur. 


290       PREMIERS      VOYAGES 

tre,  &  que  pour  l'expiation  de  ce  crime,  ils  avoient  demandé ,  avec  le 
Tribut  ordinaire,  vingt  Indiens  qui  dévoient  être  facrifiés.  Cortez  ,  in- 
digné de  cette  audace ,  fit  appeller  aufli-tôc  les  Caciques,  &  recommanda 
quils  fuflent  amenés  (ans  bruit.  Il  feignit  d'avoir  pénétré  leurs  penfées, 
par  une  fupériorité  de  lumières;  &  louant  le  relîtntimcnt  qu'il  leur  fuppo- 
foit,  d'une  violence  qu'ils  n'avoient  pas  méritée,  il  leur  dit  qu'il  n'étoit 
plus  tems  de  fouffrir  un  abominable  Tribut  fur  le'fang  humain;  qu'un  or- 
dre fi  cruel  ne  feroit  pas  exécuté  devant  fes  yeux;  qu'il  vouloit  au  contrai- 
re que  ces  infâmes  Miniftres  fullent  chargés  de  chaînes,  &  qu'il  prenoit 
la  défenfe  de  cette  aflion  (ur  lui- même- &  fur  la  valeur  de  fes  Soldats.  Les 
Caciques  furent  embarrafies.  L'habitude  de  Tefclavage  leur  avoit  abbattu 
le  cœur  &  l'efprit.  Cependant,  Cortez  ayant  répété  fa  déclaration,  d'un 
air  d'autorité  auquel  ils  n'oférent  réfider,  les  Officiers  de  Motezuma  furent 
enlevés ,  à  ,1a  vue  de  tous  les  Indiens ,  qui  applaudirent  à  cette  exécution. 
On  leur  mit  une  efpéce  d'entraves,  aÔez  femblable  à  la  cangue  de  l'Oriene, 
qui  leur  ferroit  le  cou,  &  qui  les  obligeoit  de  foulever  à  tous  momens  les 
épaules  contre  le  poids  du  fardeau,  pour  fe  donner  la  liberté  de  refpirer. 
Alors  les  Caciques ,  animés  par  une  fi  vigoureufe  entreprife ,  offrirent  de 
les  facrifier  eux-mêmes  à  leurs  Dieux.  Mais  Cortez  s'afTura  des  Prifonnier» 
par  une  bonne  Garde.  Ses  réflexions  ne  lui  firent  pas  trouver  peu  d'em- 
barras ,  dans  l'engagement  qu'il  avoit  pris  de  protéger  les  Caciques.  U  ne 
vouloit  pas  rompre  ablbluracnt  avec  Motezuma.  Son  defl'ein  n'avoit  été 
que  de  lui  caufer  de  la  crainte  &  de  la  jaloufie.  Etoit-ce  le  moyen  de  fe 
contenir  dans  ces  bornes ,  que  de  foutenir ,  par  les  armes ,  quelques  Vaf- 
faux  mécontens,  fans  y  avoir  été  provoqué  par  un  nouvel  outrage,  &  de 
fermer,  fans  aucun  prétexte,  toutes  les  ouvertures  au  raccommodement? 
D'un  autre  côté ,  il  lui  paroifîbit  important  de  maintenir  un  Parti ,  que  la 
fortune  fembloit  avoir  formé  en  fa  faveur,  &  dont  il  pouvoit  efpérer,  dans 
le  befoin,  une  puiflante  afîiftance.  La  réfolution  à  laquelle  ^1  s'attacha, 
comme  à  la  plus  fûre,  fut  de  garder  quelques  ménagemens  avec  Motezu- 
ma, en  fe  faifant  un  mérite  auprès  de  lui  d'avoir  fufpendu  les  effets  de  cet- 
te révolte;  &  d'attendre,  pour  appuyer  ouvertement  les  Rebelles,  qu'il  y 
fût  forcé  par  d'autres  événemens.  Il  paroiffoit  difficile  d'informer  la  Cour 
qu'il  lui  avoit  rendu  ce  'oon  office  ;  mais  les  expédiens  ne  manquèrent  point 
à  fon  adreffe.  Il  fe  fit  amener,  pendant  la  nuit,  deux  des  Prifonniers;  & 
feignant  de  n'avoir  pas  eu  de  part  au  traitement  qu'ils  avoient  effuyé ,  il 
leur  dit  qu'il  avoit  deffein  de  les  mettre  en  liberté ,  &  que  c'étoit  de  fa 
main  qu'ils  alloient  la  recevoir;  qu'ils  pouvoient  aflurer  l'Empereur  qu'il 
s'efforceroit  de  la  rendre  auffi  à  leurs  Compagnons,  qui  étoient  encore  au 
pouvoir  des  Caciques  ;  qu'il  n'épargneroit  rien  pour  ramener  les  Rebelles  à 
la  foumifiion,  &  que,  fouhaitant  la  Paix,  il  vouloit  mériter,  par  fon  ref- 
peél  &  fa  conduite,  les  civilités  qui  étoient  dues  à  l'Ambaffadeur  d'un  très 
grand  Monarque.  Enfuite ,  faifant  conduire  les  deux  Mexiquains  à  Ces 
Vaiffeaux,  par  une  bonne  efcorte,  il  donna  ordre  qu'ils  fuffent  embarqués 
dans  un  Elquif ,-  &  mis  à  terre  hors  des  limites  de  la  Province  de  Zampoa- 
la.  Les  Caciques  vinrent  lui  raconter,  le  jour  fuivant ,  avec  de  grandes 
marques  de  trifteffe  ôc  d'inquiétude,  que  les  deux  Prifonniers  s'étoient  é- 

chap- 


^    E    N      A    M'  E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I.    »        spi 

chappés.  Il  témoigna  de  la  furprife  &  du  chagrin.  Il  blâma  la  ndgligen- 
ce  des  Gardes;  &  prenant  cette  occadon  pour  ordonner,  devant  les  Caci- 
ques ,  que  les  autres  Officiers  de  Motezuma  fuflent  menés  à  la  Flotte ,  il 
promit  qu'ils  ne  fortiroient  pas  fi  facilement  de  cette  Prifon.  Mais  il  re- 
commanda, aux  Officiers  des  Vaifleaux,  qu'ils  fuflent  bien  traités.  Les 
Hifl:oriens  de  fa  Nation  relèvent  beaucoup  cet  heureux  artifice,  qui  lui 
fit  conferver  tout -à-la*  fois  la  confiance  des  Caciques  «&  celle  de  l'Empe- 
reur (d). 

•  La  douceur  afFeflée  des  Cafl:illans,  <!k,  le  zèle,  qu'ils  avoient  fait  éclater 
pour  leurs  Alliés ,  s'étant  bientôt  répandus  dans  les  Cantons  voifins ,  plu- 
fleurs  autres  Caciques,  informés  par  ceux  de  Zampoala  &  de  Quiabizlan  du 
bonheur  dont  ils  jouifibient  fous  la  proteélion  d'une  Nation  invincible ,  qui 
pénétroic  jufqu'à  leurs  plus  fecrettes  penfées ,  &  qui  fembloit  défier  toutes 
les  forces  de  l'Empire  du  Mexique,  s'aflemblèrent  pour  implorer  un  fecours 
fi  puifl*ant,  contre  la  même  oppreflîon  (e).  En  peu  de  jours,  on  en  vit  plus 
de  trente  à  Quiabizlan ,  la  plupart  fortis  des  Muntagnes  qu'on  découvre  de 
cette  Ville.  Leurs  Peuples,  qui  fe  nommoient  Tutonagues ^  avoient  plu- 
fieurs  Bourgades  fort  peuplées ,  dont  le  langage  &  les  coutumes  refiem- 
bloient  peu  à  celles  des  autres  Provinces  de  l'Empire.  C'étoit  une  Nation 
extrêmement  robufle,  endurcie  à  la  fatigue,  <&  propre  à  tous  les  exercices 
de  la  Guerre.  Non  -  feulement  les  Caciques  offrirent  leurs  Troupes  à  Cor- 
tez;  mais  s'étant  engagés  à  la  fidélité  par  des  fermens,  ils  y  joignirent  un 
hommage  formel  à  la  Couronne  d'Efpagne  (/).  Après  cette  efpèce  de 
confédération ,  ils  fe  retirèrent  dans  leurs  Etats ,  pour  y  attendre  les  ordres 
de  leur  nouveau  Général.  Alors  Corttz,  ne  voyant  plus  d'obftacle  à  re- 
douter, prit  la  réfolution  de  donner  une  forme  régulière  &  confiante  à  la 
"Ville  de  Vera-Cruz ,  qui  étoit  comme  errante  avec  l'Armée  dont  elle  étoit 
compofée,  quoiqu'elle  en  fût  diftinguée  par  différentes  fonftions.  Sa  fi- 
tuation  fut  choifie  dans  une  Plame ,  entre  la  Mer  àc  Quiabizlan ,  à  une  demie 
lieue  de  cette  Place  Indienne.  La  fertilité  du  terroir,  l'abondance  des  eaux, 
&  la  beauté  des  arbres ,  femblèrent  inviter  les  Cadillans  à  ce  choix.  On 
creufa  les  fondemens  de  l'enceinte.  Les  Officiers  fe  partagèrent ,  pour  ré- 
gler le  travail  &  pour  y  contribuer  par  leur  exemple.  Le  Général  même 
ne  fe  crut  pas  difpenfé  d*y  mettre  la  main.  Les  murs  furent  bientôt  éle- 
vés &  parurent  une  défenfe  fuffifante  contre  les  armes  des  Indiens.  On  bâ- 
tit des  Maifons  aiTez  bafles,  avec  moins  d'égard  aux  ornemeris  qu'à  la  com- 
modité (g).  /  '       ^ v,;A^'  .^ 

Dans  cet  intervalle,  les  deux  Officiers  de  Motezuma  étoient  retournés" 
à  la  Cour,  &  n'avoient  pas  manqué,  dans  le  récit  de  leur  difgrace,  de  fai- 
re valoir  l'obJigation  qu'ils  avoient  de  leur  liberté  au  Général  des  Etran- 
gers.    Cette  nouvelle  eut  le  pouvoir  d'appaifer  la  fureur  de  Motezuma , 

V-  -'  '■•    ■   ''■'■■''"-  •  ■-•  -'-  ■   qui 


(  d  )  Diaz  &  Solis ,  ubi  fuprà.  Herrera, 
Liv.  s.  Cbap.  lo  ^  n. 

(  e  )  Les  mêmes ,  aux  mômes  endroits. 

(/)  Herrera  dit  qu'ils  offrirent  plus  de 
cent  mille  Hommes  ,*  mais  Diaz  n'exprime 


Fernan» 

C  O  R  T  E  9. 

Les  autres 
font  conduits 
•lur  la  Flotte. 


Alliances  de 
Cortcz  avec 
pluficurs  Na- 
tions. 


Peuples 
nommés  ïo- 
tonagues. 


Cortez  rend 
fa  Colonie  fé- 
dentaire,  & 
jette  les  fon- 
demens de  la 
Ville  de  Vera» 
Cru7. 


Difpofitions 
de  l'Empe- 
reur Motezu- 
ma. 


point  le  nombre,  quoiqu'il  aflure  que  le  Pays 
étoit  fort  peuplé. 

(^)  L'Afte  en  fut  paffé  par  devant  un  No- 
taire ,  nommé  Diego  de  Sodois.  Herrera, 
ibid.      .  ,    .  ,  ,    ,     ,.,.    ......    ,.    ,   .    , 


Oo    2 


S92 


PREMIERS      VOYAGES 


KeXN AND 
C  0  R  T  B  Z. 

1519. 


Il  dt'pute 
deux  de  fcs 
Neveux  aux 
CaHiilaiis. 


E^licadons 
de  Cordez 
avec  eu).. 


•  ■.'■ 


II  infifte  fur 
h  permidion 
d'aller  à  la 
Cour  de  Mo- 
tezDioa. 


qui  n'avoit  penHé  d'abord  qu'à  lever  une  Armée  formidable,  pour  extermi- 
ner les  llebelles  &  leurs  Partifans.  La  colore  (%  l'orgueil  ne  pouvant  lui 
faire  oublier  les  marques  du  courroux  du  Ciel  &  les  menaces  de  Tes  Idoles* 
il  prie  le  parti  d'en  revenir  à  la  négociation ,  &  de  tenter,  par  une  nouvel- 
le  Ambaliade  &  de  nouveaux  préfens  ,  d'engager  Cortez  à  s'éloigner  de 
l'Empire.  Ses  Ambafladeurs  arrivèrent  au  Camp  des  Efpagnols ,  lorfqu'on 
achevoit  de  fortifier  Vera  Cruz  Ils  amenoient  avec  eux  deux  jeunes  Prin- 
ces, Neveux  de  l'Empereur,  accompagnés  de  quatre  anciens  Caciques,  qui 
leur  fervoient  de  Gouverneurs.  Leur  préfent  étoit  d'une  richefle  éclatan- 
te. Après  avoir  remercié  le  Général ,  du  fer  vice  qu'il  avoit  rendu  aux 
deux  Officiers  de  l'Empire,  &  l'avoir  afluré  que  la  punition  des  Caciques 
rebelles  n'avoit  été  fufpendue  qu'à  fa  confidération ,  ils  renouvellèrent  les 
anciennes  inftances,  pour  l'engager  à  partir;  &  cet  article  fut  répété  avec 
tant  de  détours  &  de  raifons  myflérieufes ,  qu'il  parut  aflez  que  c'étoit  le 
principal  objet  de  leur  CommilTion. 

Cortez  leur  fît  rendre  de  grands  honneurs,  &  marqua  beaucoup  d*ef- 
time  pour  le  préfent.  Avant  que  de  leur  répondre,  il  fit  paroître  les  qua* 
tre  Prifonniers ,  qu'il  avoit  eu  la  précaution  de  faire  venir ,  &  qui  le  re- 
mercièrent du  bon  traitement  qu'ils  avoient  reçu  fur  les  Vaifleaux.  Il  les 
remit  aux  Ambafladeurs ,  pour  les  prévenir  en  faveur  de  fes  intentions. 
Enfuite,  s'expliquant  par  la  bouche  de  Marina,  qu'il  avoit  eu  le  tems  de 
préparer  à  ce  rôle,  il  leur  dit  que  la  liberté  qu'il  donnoit  aux  Miniflres  de 
l'Empereur  devoit  être  une  expiation  fuffilànte  pour  l'emportement  des 
Caciques  fes  Alliés,  comme  elle  étoit  une  heureufe  occafion ,  pour  lui ,  de 
donner  à  ce  Prince  un  témoignage  de  fon  refpeft  &  de  fon  zèle  ;  qu'il  re- 
connoiflbit  de  bonne  foi  que  l'emprifonnement  des  Officiers  Impériaux  avoifi 
été  oiFenfant  pour  la  Cour,  quoique  cette  violence  pût  être  excufée  par 
celle  de  ces  Officiers  mêmes ,  qui  avoient  exigé ,  au  •  delà  des  Tributs  ordi- 
naires ,  &  fans  doute  de  leur  propre  autorité ,  vingt  Hommes  defliinés  à 
mourir  dans  un  odieux  facrifice  ;  qu'une  propofition  H  cruelle  étoit  un 
abus  qui  ne  pouvoit  être  fupporté  par  les  Efpagnols ,  élevés  dans  une  au- 
tre Religion ,  plus  amie  de  la  nature  &  de  la  véritable  piété  ;  qu'il  avoit 
d'ailleurs  une  extrême  obligation  aux  Caciques  fes  Alliés,  de  lui  avoir  ac- 
cordé de  bonne  grâce  une  retraite  dans  leurs  Terres,  lorfque  Teutilé  & 
Pilpatoé ,  Gouverneurs  de  ces  Provinces ,  l'avoient  abandonné  fort  incivi- 
lement,  au  mépris  du  droit  des  gens  &  de  l'hofpitalité ,  fans  l'ordre,  & 
vraifemblablement  fans  la  participation  de  l'Empereur,  qui  ne  pouvoit  ap- 
prouver un  procédé  fi  barbare;  qu'il  n'en  parloit  d'ailleurs  "que  pour  en  in- 
former la  Cour,  parce  que  n'ayant  en  vue  que  la  Paix,  il  ne  vouioit  point 
qu'on  s'aigrît  mutuellement  par  des  plaintes  ;  que  les  Totonagues  ne  fe- 
roient  rien  de  contraire  au  fervice  Impérial ,  &  qu'il  ôfoit  en  répondre,  lui 
qui  fe  croyoit  aflez  de  leurs  Amis  pour  fe  promettre  qu'ils  ne  mépriferoient 
pas  fes  ordres;  mais  que  cette  raifon  même  l'obligeoit  d'intercéder  pour 
eux ,  &  de  repréfenter  qu'ils  ne  méritoient  aucun  reproche  pour  avoir  re- 
çu favorablement  des  Etrangers  :  qu'à  l'égard  des  inftânces  qui  regardoient 
fon  départ ,  il  n'avoit  pas  d'autre  réponfe  que  celle  qu'il  avoit  déjà  répé- 
tée plufieurs  fois ,  c'efl;-àdire,  qu'auffi-tôt  que  l'honneur  de  voir  le  grand 
'   •  Mo- 


r     EN      AMERIQUE,   Liv.  I.     .        293 

Motezuma  lui  feroit  accordé ,  il  lui  feroit  connoître  les  motifs  &  l'impor- 
tance de  Ton  Ambaflade;  mais  qu'aucun  obftacle  n'auroit  le  pouvoir  de 
l'arrêter ,  parce  que  les  Guerriers  de  fa  Nation  ,  loin  de  connoître  la 
crainte,  fcntoient  croître  leur  courage  à  la  vue  du  danger,  &  s'accou- 
tumoient  dés  l'enfance  à  chercher  la  gloire  dans  les  plus  redoutables 
entreprifes  (h).  ,,       . 

Après  ce  difeours ,  qu'il  accompagna  d  un  air  majeftueux  &  tranquille, 
il  fit  donner  avec  profufion,  aux  AmbalTadeurs  Mexiquains,  toutes  les  ba- 
gatelles qui  venoient-  de  Caftille  ;  &  fans  marquer  la  moindre  attention 
pour  le  chagrin  qu'ils  firent  éclater  fur  leur  vifage,  il  leur  déclara  qu'ils  é- 
toienc  libres  de  retourner  à  la  Cour.     Cette  indifférence  apparente  pour 
l'effet  de  fa  réponfe,  les  démarches  de  l'orgueilleux  Motezuma,  qui  folJi- 
citoit  fon  amitié  par  des  préfens,  &,  s'il  en  faut  croire  un  Hiflorien  (i), 
l'éloquence  même  de  Marina  &  fa  facilité  à  parler  la  Langue  Mexiquaine, 
qui  la  faifoient  prendre  pour  une  Divinité  venue  de  l'Europe,  redoublèrent 
la  vénération  des  Indiens  pour  les  Efpagnols  ,  aux  dépens  de  celle  qu'ils  a- 
voient  eue  jufqu'alors  pour  leur  Souverain.    On  ne  remarqua  plus  rien  de 
forcé  dans  leur  foumiffion.     Bientôt  un  fervice  confidérable,  que  le  Géné- 
ral rendit  aux  Caciques  de  Zampoala  &  de  Quiabizian ,  leur  fit  pouH'er  l'at- 
tachement jufqu'à  l'affeftion.     Il  hunâilia,  par  la  terreur  de  fes  armes,  les 
Habitans  de  Zimpazingo^  Contrée  voifine,  dont  ils  lui  avoient  fait  beau- 
coup de  plaintes,  &  les  força  de  jurer  des  conditions  qu'ils  obfervèrent 
fidèlement.     A  la  vérité  ces  Caciques  l'avoient  trompé,  en  lui  repréfentant 
leurs  Ennemis  comme  des  Mexiquains,  qui  cherchoient  à  nuire  aux  Cadil- 
lans;  &  le  motif  de  Cortez,  dans  cette  Guerre,  fut  bien  moins  d'obliger 
fes  Hôtes,  que  de  faire  prendre,  à  la  Cour  du  Mexique,  une  idée  de  fa  va- 
leur: mais  lorfqu'il  eut  découvert  l'artifice  des  deux  Caciques,  il  fe  fit  de- 
mander grâce  pour  eux  par  tous  fes  Capitaines  ;  &  l'ayant  accordée ,  avec 
des  circondances  qui  relevèrent  fa  bonté ,  il  acheva  de  les  lier  à  fes  inté< 
rets  par  cette  faveur  (k). 

Mais  rien  n'eut  tant  de  force,  pour  affurer  leur  fidélité,  que  le  change- 
ment qu'il  trouva  l'occafion  de  mettre  dans  leur  Culte.  Un  jour ,  qui  étoit 
celui  d'une  de  leurs  plus  grandes  Fêtes ,  tous  les  Indiens  du  Canton  s  étoient 
affemblés  dans  le  plus  célèbre  de  leurs  Temples,  pour  y  faire  le  Sacrifice  de 
plufieurs  Hommes  par  le  miniftère  de  leurs  Prêtres.  Quelques  Efpagnols , 
que  le  hazard  rendit  témoins  de  cette  horrible  fcène ,  fe  hâtèrent  d'en  infor- 
mer le  Général.  Son  zèle,  ou  fa  colère,  s'alluma  jufqu'au  tranfport.  11 
fit  prendre  aulfi-tôt  les  armes  à  toutes  fes  Troupes;  ôc  commençant  par  fe 
faire  amener  le  Cacique  &  les  principaux  Indiens ,  il  fe  mit  en  marche  a- 
vec  eux  vers  le  Temple.  Les  Minillres  des  Sacrifices  parurent  à  la  porte. 
Le  foupçon ,  que  ce  mouvement  les  regardoit ,  leur  fit  pouffer  d'effroya- 
bles cris,  pour  appeller  le  Peuple  au  fecours  de  leurs  Dieux.    On  vit  pa- 

.;.-...„.  .      .,  -  .     roître. 


FfRNAND 
C  0  H  T  K  Z. 


Rcfpcct 
qu'il  s'attire 
lies  indiens. 


11  rend  un 
fervice  im- 
portant  aux 
Caciques  de 
Zampoala  & 
deQuiabiZ' 
lan. 


Il  entre- 
prend d'abo. 
lir  leur  Culte. 


(A)  Solis  après  Diaz,  Cbap.  10. 
ii)  Herrera,  Liv.  5.  Cbap.  u. 


C  *  )  Solis ,  ubi  fup.  Chap.  1 1 .    Htrrera ,, 

Chap.  12,  .  ■,-»,'.' 


Oo  3 


t94 


PREMIERS      VOYAG'ES 


FBRNANn 
CORTBZ. 

Danger 
qu'il  furmon- 
te  pnr  fa  fer- 
meté. 


Il  fait  bri fer 
toutes  les  I- 
doles,   &  cé- 
lébrer les 
Myftères  du 
Chriftianifme 
dans  leur 
Temple. 


roître,  fur  le  champ  ,  quelcjues  Troupes  d'Indiens  armés ,  que  leur  défian- 
ce, comme  on  l'apprit  cnfuite,  avoit  fait  apofter,  &  dont  le  nombre  aug- 
menta bientôt  julqu'à  cauCcr  de  l'inquiétude  au  Général.  Cependant ,  avec 
la  préfcnce  d'efprit  qui  ne  l'abandonnoit  jamais  dans  roccafion,  il  fit  crier, 
par  Marina,  qu  à  la  première  flèche  qui  feroit  tirée,  il  feroit  égorger  te 
Cacique,  &  qu'il  lâcheroit  la  bride  à  les  Soldars,  pour  châtier  cette  info- 
Icnce  par  le  fer  &  par  le  feu.  Cette  menace  arrêta  les  plus  emportés.  Le 
Cacique  même  leur  ayant  ordonné,  d*une  voix  tremblante,  de  quitter  les 
armes  &  de  fe  retirer,  ils  obéirent  avec  un  empreflement,  dans  lequel  on 
ne  put  diftinguer  ce  qui  venoit  de  la  crainte  ou  de  la  foumiflion. 

CoKTEZ,  demeuré  avec  le  Cacique  &  les  Indiens  de  fa  fuite,  le  fit  amener 
les  Sacrificateurs.  Il  les  ralTura ,  par  un  langage  plein  de  douceur  &  d'hu- 
manité. Enfuite,  leur  repréfentanc  toutes  les  raifons  qui  dévoient  les  des- 
abufer  de  leurs  erreurs ,  avec  une  force  que  THidorien  nomme  plus  que  Mi« 
litaire,  &  qui  leur  expofoit,  dit-il,  la  vérité  fous  une  forme  prefque  via- 
ble ,  il  leur  déclara  qu'il  avoit  réfolu  de  ruiner  toutes  leurs  Idoles ,  &  que 
s'ils  vouloient  employer  leurs  propres  mains  à  cette  exécution,  il  leur  pro- 
mettoit  une  éternelle  amitié.  Alors  il  voulut  leur  perfuader  de  monter  les 
dégrés  du  Temple,  pour  abbattre  tout  ce  qu'ils  avoient  adoré.  Mais  ils  ne 
répondirent  que  par  des  cris  &  des  larmes;  &  s'étant  jettes  tous  à  terre, 
ils  proteflérent  qu'ils  foufifriroient  mille  fois  la  mort,  avant  que  de  porter 
la  main  fur  les  Dieux.  Cortez,  fans  infider  fur  une  propofition  qu'il  des- 
efpera  de  leur  faire  goûter,  n'en  ordonna  pas  moins,  à  fes  Soldats,  de  met- 
tre les  Idoles  en  pièces.  A  l'inflant  on  vit  fauter,  du  haut  des  dégrés,  le 
principal  de  ces  Monflres,  &  les  autres  à  fa  fuite,  avec  les  Autels  mêmes 
&  tous  les  inflrumens  d'un  exécrable  Culte.  Les  Indiens  ne  virent  pas  ce 
débris ,  fans  beaucoup  d'étonnement  &  de  frayeur.  Ils  fe  regardoient ,  d'un 
air  interdit ,  comme  s'ils  eufTent  attendu  des  effets  préfens  de  la  vengeance 
du  Ciel.  Mais,  lorfqu'ils  le  virent  tranquille,  ils  jugèrent,  comme  les  In- 
fulaires  de  Cozumel ,  que  des  Divinités ,  qui  n'avoient  pas  le  pouvoir  de 
fe  vanger ,  ne  méritoient  pas  leurs  adorations.  S'ils  avoient  regardé  juf- 
qu'alors  les  Efpagnols,  comme  des  Hommes  d'une  efpèce  fupérieure,  ils 
commencèrent  à  les  croire  au-defTus  de  leurs  Dieux  mêmes  ;  &  cette  per- 
fuafion  les  rendit  fi  dociles,  que  Cortez,  ayant  profité  du  nouvel  afcen- 
dant  qu'elle  lui  procuroit  fur  eux,  pour  leur  donner  ordre  de  nettoyer  le 
Temple,  ils  s'y  employèrent  avec  une  ardeur  qui  leur  fit  jetter  au  feu  tou- 
tes les  pièces  difperfées  de  leurs  Idoles.  Les  murailles  furent  lavées ,  pour 
en  effacer  les  taches  de  fang  humain ,  qui  en  faifoient  le  principal  ornement. 
On  les  revêtit  d'une  couche  de  Gez,  efpèce  de  vernis  d'une  blancheur  bril- 
lante, dont  l'ufage  étoit  commun  .dans  toutes  les  Maifons  du  Mexique;  & 
Cortez  y  fit  élever  un  Autel,  où  l'on  célébra,  dès  le  jour  fuivant,  les  plus 
faints  Myftères  du  Chrlflianifme.  La  plupart  des  Indiens  y  alfiflèrent,  a- 
vec  plus  .d'admiration  à  la  vérité  que  de  foi.  Le  tems  ne  permettoit 
pas  d'achever  l'inflruélion  d'un  Peuple  fi  nombreux  ,  &  le  deffein  du  Gé- 
néral étoit  de  commencer  la  Converfion  de  ce  grand  Empire  par  celle  de 
Motezuma.    Cependant  on  les  laifTa  dans  un  profond  mépris  pour  leurs 

..:      j  ..   ,-.  Idoles, 


'  r 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I. 


t^" 


if.<rJf  »• 
T;«z. .  .. 

.  '  ArrivHje  ■ 
(i';iilV  V'aiiïiiau 
&  de  (il}ci-  ".■ 
que;!  ,rci{tucsV' 


Idoles,  &  dam  la  difpofition  d'entretenir  l'Autel,  qui  avoit  été  dreffé  fuf  f«M 

Kur  luinc  (/)•  „  ,         .  ,./..,  y- 

Les  Efpagnols  quittèrent  Zampoila,  qui  reçut  dans  la  Uiite  le  nom  de 
h^ouvelU  Sevillcy  &  Te  r'^iirèrent  dans  Vera-Cruz.     En  y  arrivant,  ils  virent 
paroître,  dans  la  Rade,  un  petit  Vaifleau,  qui  yenoit  d'y  mouiller.  Il  étoit 
parti  de  Cuba,  fous  le  Commandement  du  Crpitaine  Sanjedo;  &  quoiqu'il 
n'amenât  que'dix  Soldats  &  deux  Chevaux,  ce  fecours  parut  conlidérabjè 
dans  les  circonftances.     On  ne  trouve,  dans  aucun  Hiftorien,  le  motif  qui: 
amenoit  Sancedo;  mais  l'utilité,  dont  il  fut  pour  Cortez,  en  lui  apprenant 
que  le  Gouverneur  de  Cuba  continuoit  de  le  menacer,  &  que  la  qualité 
d'Adëlantade,  dont  il  avoit  été  nouvellement  revêtu,  lui  donnoit  plus  que 
jamais  le  pouvoir  de  lui  nuire,  fait  juger  qu'il  n'éioit  venu  que  pour  s'at- 
tacher à  fa  fortune.     La  Colonie  fut  allarmée  de  cette  information,  &  fen- 
tit  de  quelle  importance  il  étoit,  pour  la  fureté  du  nouvel  Etablillement, 
de  rendre  compte  au  Roi  de  toutes  fes  opérations.  Les  principaux  Officiers, 
dans  une  Lettre  qu'ils  fe  hâtèrent  d'écrire  à  Sa  Majefté,  lui  firent  une  ex- 
pofition  fidèle  des  Provinces  qui  lui  étoient  déjà  foumifes,  &  de  refpoir 
qu'ils  avoient  d'étendre  fon  autorité  dans  une  li  belle  &  fi  riche  partie  dCi 
Nouveau  Monde.    Ils  lui  repréfentoient  l'injullice  &  les  violences  du  Gou- 
verneur de  Cuba,  les  obligations  que  l'Efpagne  avoit  à  la  conduite  de  Coe,- 
tez  autant  qu'à  fa  valeur,  le  parti  qu'ils  avoient  pris,  au  nom  de  Sa  Ma- 
jefte,  de  le  rétablir  dans  une  Dignité  qu'il  étoit  feul  capable  de  remplir,  & 
que  fa  modedie  lui  avoit  fait  abandonner;  enfin,  ils  fupplioient  le  Roi  de 
confirmer  leur  élection ,  fans  aucune  dépendance  de  Dom  Diego  de  Velaf- 
quez.     Le  Général  écrivit  de  fon  côté,  &  rendoit  àpeu-près  le  mèvoK^ 
compte  de  fa  fituation  :  mais ,  remettant  au  Roi  la  difpolition  de  fon  fort , 
avec  une  noble  indifférence,  il  ne  s'expliquoit  fortement  que  fur  l'efpéran- 
ce  qu'il  avoit  de  foumettre  l'Empire  du  Mexique  à  l'obéilfance  de  Sa  Ma- 
jefté ,  &  fur  le  deflein  qu'il  fe  propofoit  de  combattre  la  puilTance  de  Mote- 
zuma  par  fes  Sujets  mêmes,  révoltés  contre  fa  tyrannie.     On  choifit,  pour 
envoyer  ces  dépêches  à  la  Cour,  Porto-Carrero  &  Montejo,  qui  furent 
c^iargés  auffi  de  l'or,  &  des  bijoux,  rares  ou  précieux,  qu'on  avoit  reçus 
de  Motczuma  &  des  Caciques.     '1  ous  les  Officiers ,  &  les  Soldats  mêmes ,  cé- 
dèrent volontairement  la  part  qu'ils  avoient  à  cet  amas  de  richefles(w);&  .&de  préfens 
quelques  Indiens  s'offrirent  à  faire  le  Voyage,  pour  être  préfelités  au  Roi,  P°"'  la\.our 
comme  les  prémices  des  nouveaux  Sujets  qu'on  acqueroit  à  l'Efpagne.  "On  *      '  ■'■'. 

V.    ,;        -  "     équi*°     .. 


de  là  (.'vloniff. 
CalUlliinc  ti-.-. 
crivcnt  à 'là  ■•'.. 
Cour  d'Kfp.a-. 
gne  en  faveur 
dç..Co'rteif.  '  ' . 


r  éprit,  lùû 
mêm». .  • 


Porto-Car^ 
rero  &  Mon- 
tejo font:;  . 
chsyrgés  nés . . 
deux  Lctire?..' 


(/)  Herrera,  Œap.  13.  fif  14.  Diaz  & 
Solis,  Ibidem.  Les  Hiftoriens  n'oublient 
point  la  pic'ufo  réfolution  d'un  Soldat ,  nom 
mé  Jean  de  Torrez ,  natif  de  Cordoue ,  qui , 
fe  voyant  fort  âgé,  voulut  demeurer  f.ul  en- 
tre ces  Indiens ,  pour  avoir  foin  de  l'Autel 
jufqu'à  la  fin  de  fa  vie.  Cette  aftion  mérite , 
fuivant  Solis ,  de  pafler  avec  fon  nom  à  la 
Pofterilé.  Ibid.  Le  même  Ecrivain  rapporte 
que  le  Cacique  de  Zampoala  offrit  à  Cortez 
huit  belles  Filles,  entre  lefquelles  étoit  une 
de  fes  Parentes,  qu'il  lui  piopofa  d'époufer; 


mais  que  le  Général  répondit  qu'il  n'étoitpas 
permis  aux  Efpagnols  d'époufer  des  Femmes  .' 
qui  n'étoicnt  pas  de  leur  llelijiyon.    Herrera    • 
nous  apprend  qu'après  la  Mciie ,  qui  fut  ce-  ' 
lébrée  lums  le  l'emple,  on  y  batila  ce»  huit  •, 
Indiennes  ;  que  Cortez  prit  pour  lui  la  Nièce  • 
du  Cacique,  qui  fut  nommée  Catherine  y  &■ 
que  les  fept  autres  furent  données  à  fept  de" 
fes  Oâkier-ti ,  Cliap.  14.  11  parolt  que  Marin»  . 
n'en  cocferva   pas  moins   fon  ancienne  îx- 
veur. 
(m)  Solis,  Liv,  2.  Cbap.  13»  •    -■"' 


■<■    ...il 


■  V  ■• 


!'  E  H  W  A  N  D 
C  0  R  T  B  2. 

15  19. 


Confpira- 
tion  (éteinte 
par  Cortez. 


Il  prend  le 
parti  de  dé- 
truire fa  Flot- 
te pour  rete- 
nir fcs  gens 
dans  le  de- 
vpif. 


Il 


I  i 


Grandeur 
de  cette  réfo- 
lution. 


2()t5        PREMIERS      VOYAGES, 

équipa  le  meilleur  Vaifleau  de  la  Flotte.  Alaminos  fut  nommé  pour  le  com» 
mander.  II  mita  la  voile  le  16  de  Juillet,  avec  l'ordre  précis  de  prendre 
fa  route  par  le  Canal  de  BaTîama,  fans  toucher  à  l'Ifle  de  Cuba ,  où  les  ca- 
prices de  Velafquez  étoient  un  écueil  redoutable. 

Pendant  les  préparatifs  de  cet  embarquement,  la  fortune  du  Général 
lui  ménageoit  une  autre  occafion  de  faire  éclater  fon  adrefle  &  fa  fermeté. 
Quelques  Soldats ,  avec  un  petit  nombre  de  Matelots ,  fatigués  peut-être 
de  leurs  courfes ,  ou  tentés  par  les  récompènfes  qu'ils  efpéroient  de  Velaf- 
quez, formèrent  ledefTein  de  prendre  la  fuite  fur  un  Vaifleau ,  pour  lui  por- 
ter avis  des  Lettres  que  la  Colonie  écrivoit  au  Roi,  &  de  tout  ce  qu'elle 
avoit  fait  en  faveur  de  Cortez.  Ils  furent  trahis  par  un  de  leurs  Complices, 
qui  fervit  même  à  les  faire  arrêter  au  moment  de  l'exécution,  fans  qu'ils 
puflent  desavouer  leur  projet.  Cortez  crut  devoir  un  exemple  à  la  fûreté 
de  la  Colonie.  Il  en  condamna  deux  des  plus  coupables  au  dernier  fuppli« 
ce.  Mais  la  hardiefle  de  ces  Mutins  lui  laiffa  beaucoup  d'inquiétude.  C'é- 
toit  le  relie  d'un  feu ,  qu'il  croyoit  avoir  éteint.  Il  confidéroit  qu'étant  ré- 
folu  de  marcher  vers  le  Mexique ,  il  pouvoit  fe  trouver  dans  l'occafion  de 
mefurer  fes  forces  avec  celles  de  Motezuma ,  &  qu'une  entreprife  de  cet- 
te nature  ne  pouvoit  être  tentée  par  des  Troupes  mécontentes ,  ou  d'une 
fidélité  fufpecle.  Il  penfoit  à  fubfifter  encore  quelques  jours  dans  un  Can- 
ton qui  lui  étoit  afFeftionné ,  à  faire  quelques  expéditions  de  peu  d'impor- 
tance» pour  donner  de  l'occupation  à  fes  Soldats,  &  à  jetter,  plus  loin  dans 
les  Terres,  de  nouvelles  Colonies,  qui  puflent  fe  donner  la  main  avec  celle 
de  Vera-Cruz.  Mais  tous  ces  projets  demandoient  beaucoup  d'union  &de 
correfpondance ,  entre  le  Général  &  l'Armée.  Dans  cette  agitation,  ne 
confultant  que  fon  courage,  il  prit  la  réfolution  de  fe  défaire  de  fa  Flotte, 
en  mettant  fes  Vaifl^eaux  en  pièces ,  pour  forcer  tous  fes  gens  à  la  fidélité 
par  cette  voye ,  &  les  réduire  dans  la  nécefllté  de  vaincre  ou  de  mourir  a- 
vec  lui;  fans  compter  l'avantage  d'augmenter  fes  forces  de  plus  de  cent 
Hommes ,  qui  faifoient  les  fondions  de  Pilotes  «^  de  Matelots.  Ses  Con- 
fidens ,  auxquels  il  communiqua  ce  defl'ein ,  le  ondèrent  avec  beaucoup 
d'habiiecc ,  en  difpofant  les  Matelots  à  public  jue  les  Navires  s'étoient 
entr'ou  verts  depuis  le  féjour  qu'ils  avoient  fait  c^ns  le  Port,  &  qu'ils  étoient 
menaces  de  couler  à  fond.  Ce  rapport  fut  fuivi  d'un  ordre  preflant  du  Gé- 
néral, pour  faire  mettre  à  terre  les  voiles,  les  cordages,  les  planches  & 
tous  les  ferremens ,  dont  il  pouvoit  tirer  quelque  utilité.  Le  Public  ne  vit 
d'abord,  dans  cette  précaution ,  que  l'effet  d'une  prudence  ordinaire.  Mais, 
aufli-tôt  que  les  Vaineaux  eurent  été  déchargés,  un  autre  ordre,  dont  l'ex- 
plication fut  confiée  à  la  plus  fidèle  partie  de  l'Armée,  les  fit  tous  échouer, 
a  l'exception  des  Chaloupes ,  qui  furent  réfervées  pour  la  Pèche.  On  comp- 
te, aveeraifon,  la  conduite  &  l'exécution  d'un  deflein  fi  hardi,  entre  les 
plusgrandes  avions  de  Cortez  (n). 

'  Quoi- 


(n)  Il  n'étoit  pas  fans  exemple.  On  cite 
Agathocles  ,  Tyran  de  Sicile  ,  Timarque , 
Chef  des  Etoliens,  &  Fabius  Maximus;  mais 
ils  conduifoient  des  Armées  nombreufes  ;  au 


lieu  que  Certes  n'avoit  qu'une  poignée 
d'Hommes  Cependant  Diaz  de  Caltillo 
ftinble  diminuer  un  peu  fa  gloire,  en  s'at- 
tribuant  à  lui-même,  &  à  quelques  autres 

Con- 


r 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I. 


207 


Secours 


"*  Quoique  le  débris  de  la  Flotte  parût  aflBIiger  quelques  Soldats,  les  mé-  Fernano 
contentemens  furent  étouffés  par  la  joie  \  les  applaudiflemens  du  plus    Cobtez. 
grand  nombre.    On  ne  parla  plus  que  du  Voyage  de  Mexico  ;  &  Cortez  af-     '  5  »  9- 
fembla  toutes  fes  Troupes,  pour  confirmer  le  fuccés  de  fon  entreprife  par     ^''"^f"' 
fes  promefles  &  fes  exhortations.     L'Armée  fe  trouva  compofée  de  cinq  Soubie     ' 
cens  Hommes  de  pied,  de  quinze  Cavaliers  (o),  &  de  flx  pièces  d'Artil-      ^     ^^ 
lerie.    Il  étoit  refté,  dans  la  Ville,  une  partie  du  Canon ,  cinquante Hom-  leurs  forces, 
mes  &  deux  Chevaux,  fous  la  conduite  d'Efcalante,  dont  Cortez  eftimoit 
beaucoup  la  prudence  &  la  valeur.     Les  Caciques  Alliés  reçurent  ordre  de    ^^^  • 
refpefter  ce  Gouverneur ,  de  lui  fournir  des  vivres ,  &  d'employer  un  bon         x     -" 
nombre  de  leurs  Sujets  aux  Fortifications  de  la  Ville;  moins  par  défiance 
du  côté  des  Indiens ,  que  fur  les  foupçohs  de  quelque  infulte  de  la  part  du 
Gouverneur  de  Cuba.    Cortez  n'accepta,  de  leurs  ofires,  que  deux  cens 
Tamenesy  nom  d'une  forte  d'Artifans  qui  fervent  au  tranfport  du  Bagage, &  ?"„J  des C?i 
quatre  cens  Hommes  de  Guerre,  entre  lefquels  on  en  comptoit  cinquante  ques. 
de  la  principale  Noblefle  du  Pays.     C'étoient  autant  d'Otages ,  pour  la 
Garnifon  de  Vera-Crux ,  &  pour  un  jeune  Efpagnol  qu'il  avoit  laiflTé  au     ' 
Cacique  de  Zampoala ,  dans  la  vue  de  lui  faire  apprendre  exaftement  la 
.Langue  du  Mexique  (p). 

Tout  étoit  difpofé  pour  la- marche,  lorfqu'un  Courrier,  dépêché  par   ,,Af''^^/%. 
Efcalante,  informa  le  Général  qu'on  voyoit  paroître  quelques  Vaifleaux  neda  avec 
dans  la  Rade,  &  que  les  fignaux  de  Paix  n'avoient  pu  les  engager  à  ré-  quatre  Vaif- 
. pondre  avec  amitié.    Un  incident  de  cette  importance  obligea  Cortez  de  féaux. 
retourner  fur  le  champ  à  Vera-Cruz ,  avec  quelques-uns  de  fes  Officiers. 
Quatre  Hommes,  détachés  d'un  des  Vaiffeaux  inconnus,  s'approchèrent 
tJentôt  dans  une  Chaloupe,  &  fe  firent  connoîcre  pour  des  Efpagnols, 
qui  cherchoient  Fernand  Cortez.    L'un  étoit  l'Ecrivain  de  ce  Vaiffeau, 
&  les  autres  l'accompagnoient ,  pour  être  témoins  d'une  fignification  qu'il 
avoit  ordre  de  faire  au  Général.    Elle  portoit  que  Garay^  Gouverneur  de  la.    Objet  de 
Jamaïque,  étant  chargé,  parla  Cour  d'Efpagne ,  de  découvrir  &  de  peu-  fon  Voyage. 
pler  de  nouveaux  Pays ,  avoit  équipé  trois  Navires ,  montés  par  deux  cens 
foixante  Hommes,  fous  le  Capitaine  Alfonfe  de  Pineda,  pour  prendre  pof- 
feàioQ  d'une  partie  de  cette  Côte ,  vers  Panuco;  &  que  Pineda,  qui  fe  dif- 


■^%-  ;    ■  ■'i*>^;^.*36rîïU'f^'  ,■■■ 

Confeillers ,  l'honneur  de  l'invention.  SoliV 
accufe  cet  Ecrivain  de  malice  ou  d-^  vanité , 
&  lui  reproche  de  s'ûtre  contredit,  en  ajou- 
tant, quelques  lignes  après;  ,,  que  Cortez 
,,  avoit  déjà  pris  la  réfolutidn  de  faire  é- 
„  chouer  les  Navires,  mais  qu'il  vouloit 
„  qu'elle  parût  venir  de  fes  Officiers".  Her- 
rera  parok  encore  moins  fupportable  à  So- 
lis,  lorfqu'il  affure  „  que  les  Soldats  dcinan' 
„  dèrent  eux  mûmes  qu'on  fe  défît  de  la  Flot- 
„  te,  &  qu'ils  y  furent  pouflTés  par  l'adrefle 
,,  de  .Cortez,  qui,fcif^nantde  ne  pasviuloir 
„  fournir  feul  à  l'entretien  des  Vaifleaux , 
„  propofa  d'y  faire  contribuer  toute  l'Armée". 
Solis  répond  „  que  cette  rufe  eut  été  fans 

XniL  Part. 


po- 

„  vraifemblance,  que  Cortez  n'étoit  plus  en 
„  état  de  craindre  qu'on  lui  fit  un  procès 
„  pour  avoir  détruit  la  Flotte,  &  que  cette 
„  idée  ne  peut  être  conciliée  avec  les  grands 
„  delTeius  dont  il  étoit  uniquement  rempli. 
„  Il  ajoute  que  li  c'eft  une  fimplc  conjeftu- 
„  re  d'Herrcra,  cet  Hiftorien  a  tort  d'avilir 
„  les  belles  aftions  par  la  baflefle  des  motifs 
„  qu'il  leur  attribue,  &  qu'il  pèche  contrôla 
„  proportion,  en  faifant  produire  de  grands 
„  eifets  par  de  petites  caufes  ".  Solis ,  h&» 
fuprà.,  Chap    13.  * 

(0)  Il  en  étoit  mort  quelques-uns. 

{p  )  Les  Hiftoricns  font  admirer  une  atten- 
tion qui  s'étendoit  à  tout, 

P  p 


Fbrktand 

COKTEZ. 
15  19. 


Rufe  de 
Cortez  pour 
fe  faifir  de 
Quelques-uns 
île  fes  gens. 


.  ■-  i.'K.'.'\  . 


Départ  pour 
la  Cour  Im- 
périale. 


Extrêmes 
difEcultés  de 
la  route. 


Province 
de  Zocothla, 


Caftel-BIan- 
co. 


298        PREMIERS      VOYAGES 

ppfoit  à  former  une  Colonie  près  de  Naothian,  donnoit  avis,  à  €ortez,  de 
ne  pas  étendre  fes  EtablilTemens  du  même  côte.  Quoique  cette  déclaration, 
fût  moins  redoutable,  de  la  part  de  Garay  ,  que  de  celle  du  Gouverneur  de 
Cuba,  le  Général ,  après  avoir  offert  inutilement  d'ajufter  toutes  les  préten- 
tions avecle  Chef  d'iifcadre,  prit  le  parti  de  faire  arrêter  l'Ecrivain,  qui 
refufoit  de  retourner  a  Bord  avec  cette  réponfe.  Enfuite,  s'étant  caché 
derrière  les  Dunes,  il  y  pafla  toute  la  nuit  <&  une  partie  du  jour  fuivantjdan» 
l'efpérance  que  le  retardement  de  la  Chaloupe  ameneroit  à  terre  quelques  au- 
tres perfonnes  du  Vaiffeau.  En  effet ,  quinze  Hommes  s'approchèrent  dan3 
une  autre  Chaloupe.  Cortez  fit  dépouiller  les  quatre  Prifonniers  de  leurs 
habits,  dont  il  fit  revêtir  quatre  de  fes  Soldats,  avec  ordre  de  fe  préfenter 
fur  le  rivage.  L'effet  de  ce  flratagéme  fut  d'attirer  les  quinze  Hommes  juf- 
qu'à  terre:  mais  ils  reconnurent  trop  tôt  qu'on  cherchoit  à  les  tromper;  & 
lorfqu'ils  virent  fortir  Cortez  &  ks  gens  de  leur  embufcade,  ils  rentrèrent 
fi  légèrement  dans  leur  Chaloupe,  qu'on  n'en  put  retenir  que  trois.  Cortez, 
s'allarmant  peu  des  prétentions  de  Garay ,  qui  pouvoient  être  ajuflées  dans 
d'autres  tems ,  rejoignit  fon  Armée  avec  la  fatisfaftion  d'y,  mener  une  re- 
crue de  fept  Efpagnols,  qu'il  regardoit  comme  un  fupplément  précieux 
dans  fa  fituation.  11  donna  aulTi-tôt  fes  ordres  pour  la  marche.  Les  Efr 
pagnols  compoférent  l'Avant-garde,-&  les  Indiens  fuivirent  à  peu  de  diflan- 
ce,  fous  le  Commandement  deManegi,  Teuche^  &  Tamelli y  trois  des, plus 
braves  Caciques  de  la  Montagne. 

On  partit  le  16  d'Août,  ;/alapa,  Socothhna  &  Techucla  forent  lès  pre- 
miers lieux  qui  s'offrirent  fucceflîvement.  La  beauté  du  chemin ,  &  la  dif- 
polition  des  Peuples,  qui  étoient  du  nombre  des  Alliés,  firent  trouver |)eu 
de  difficultés  dans  cette  route.  Mais,  au-delà  de  ces  Bourgs,  pendant  trois 
jours  qu'on  mit  à  traverfer  les  Montagnes ,  on  ne  trouva  que  des  fentiers 
étroits  &  bordés  de  précipices,  où  l'Artillerie  ne  put  paffer  qu'à  force  de 
bras.  Le  froid  y  étoit  cuifant  &  les  pluyes  continuelles.  Les  Soldats ,  obli- 
gés de  paH^er  les  nuits  fans  autre  couverture  que  leurs  armes,  &  fpuvenjt 
preffés  par  la  faim,  y  firent  le  premier  effaides  fatigues  qui  les  attendoient. 
En  arrivant  au  fommet  de  laMontagne,  ils  y  trouvèrent  un  Temple  &  quan- 
tité de  Bois,  qui  ne  leur  cachèrent  pas  long-tems  la  vue  de  la  Plaine.  C'é- 
toit  l'entrée  d'une  Province,  nommée  Zocothla,  fort  grande  â:  fort  peuplée, 
dont  les  premières  Habitations  leur  offrirent  bientôt  affez  de  commodités 
pour  leur  faire  oublier  leur  mifère.  Cortez,  apprenant  que  le  Cacique  fai- 
foit  la  demeure  dans  une  Ville  du  même  nom,  peu  éloignée  de  la  Monta- 
gne, l'informa  de  fon  arrivée  &  de  fes  delTeins ,  par  deux  Indiens,  qui  lui 
furent  renvoyés  avec  une  réponfe  civile.  Bientôt  on  eut  la  vue  d'une  Ville 
magnifique,  qui  s'étendoit  dans  une  grande  Vallée,  &  dont  les  Edifices  ti- 
roient  beaucoup  d'éclat  de  leur  blancheur.  Elle  en  reçut  le  nom  de  Caftel- 
Blanco  {q). 

Le  Cacique  vint  au-devant  des  Etrangers,  avec  un  nombreux  Cortège^ 
mais,  au  travers  de  fes  politeffes,  on  crut  diftinguer  que  cette  démarche 
étoit  forcée.    Cortez  n'affefta  pas  moins  de  le  recevoir  avec  un  mélange  de 

dou- 

(2.)  Solis,  ubi  Juprà,  Chap.  14,  '     '' , 


»» 
9i 
9y 


:      f:  EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.   I.    ^       B99 

douceur  &  de  majefté  ;  &  s'imaginant  que  les  marques  de  chagrin ,  qu'il 
découvroic  fur  Ton  vifage,  pouvoienc  venir  de  Tes  reflentimens  contre  Mo* 
tezuma,  il  crut  lui  donner  occafîon  de  s'expliquer,  en  lui  demandant  s'il 
étoit  Sujet  de  l'Empereur  du  Mexique?  L'Indien  répondit  brufquement: 
„  Efl-il  quelqu'un,  fur  la  Terre,  qui  ne  foit  Efclave  ou  Vaflal  de  Motezu- 
„  ma?"  Un  ton  fi  fier  révolta  Cortez  jufqu'à  lui  faire  répliquer,  avec  un 
fourire  dédaigneux,  „  qu'on  connoifllùt  fort  peu  le  Monde  à  Zocothla, 
„  puifque  les  Efpagnols  étoient  Sujets  d'un  Empereur  fi  puilTant ,  qu'il 
„  comptoit ,  entre  les  Vaflaux ,  plulieurs  Princes  plus  grands  que  Mote- 
„  zuma".  Les  Hifi:oriens,  s'accordant  à  rapporter  cette  étrange  conver- 
fation  dans  les  mêmes  termes,  font  prendre  ici  un  ton  plus  grave  au  Caci- 
que, pour  faire  une  expofition  de  la  grandeur  de  fon  Maître,  qu'il  crut 
capable  dé  décider  la  queftion  :  „  Mocezuma ,  dit  il ,  étoit  le  plus  grand 
„  Prince  que  les  Indiens  connuflent  dans  les  'l'erres  qu'ils  habjtoient.  Per- 
fonne  ne  pouvoit  retenir  dans  fa  mémoire  le  nombre  des  Provinces  qui 
lui  étoient  fountlifes.  Il  tenoit  fa  Cour  dans  une  Ville  inacceflible ,  fon- 
dée au  milieu  de  l'eau ,  entourée  de  Lacs ,  &  dans  laquelle  on  n'entroic 
que  par  des  Chaufllées,  ou  des  Dig-es,  coupées  d'une  fuite  de  Ponts-le- 
vis,  dont  les  ouvertures  fervoient  à  la  communication  des  eaux".  Il 
exagéra  les  immenfes  richefles  de  l'Empereur ,  la  force  de  fes  armes ,  & 
fur  tout  le  malheur  de  ceux  qui  lui  refufoient  leur  foùmiffion,  dont  le  fort 
étoit  de  iervir  de  Viftimes  dans  fes  facfifices.  „  Tous  les  ans,  plus  de 
vingt  raille  de  fes  Ennemis,  ou  de  fes  Sujets  rebellei,  étoient  immolés 
fur  les  Autels  de  fes  Dieux"  (r). 

L'expérience  fit  connoître  que  le  Cacique  n'ajoutoit  rien  à  la  vérité; 
mais  on  reconnoilîbit ,  au  ton  même  de  fa  voix ,  que  par  cet  étalage  de  puif- 
fance  &  de  grandeur,  il  vouloit  caufer  plus  d'efiroi  que  d'admiration.  Cor- 
tez, qui  pénétra  fes  vues,  n'entreprit  point  de  rabbaifler  ce  qu'il  venoit 
d'entendre;  mais,  feignant  au  contraire  de  ne  pas  ignorer  les  grandeurs 
deMotezuwa,  il  répondit  que  s'il  l'avoit  crû  moins  puiflant,  il  ne  feroic 
pas  venu  de  l'extrémité  du  Monde  pour  lui  offrir  l'amitié  d'un  Monarque 
encore  plus  grand  que  lui  ;  qu'il  venoit  avec  des  intentions  pacifiques  ;  & 
que  s'if  étoit  armé ,  c'étoit  uniquement  pour  donner  plus  de  poids  &  d'au- 
torité à  fon  Ambaffade  ;  mais  qu'il  vouloit  bien  informer  Motezuma,  &tous 
les  Caciques  de  fon  Empire ,  qu'il  deliroit  la  Paix  fans  craindre  la  Guerre, 
&  que  le  moindre  de  fes  Soldats  étoit  capable  de  défaire  une  Armée  de  Mexi- 
quains;  qu'il  ne  tiroit  jamais  l'épée  s"  n'étoit  attaqué,  mais  qu'auffi-tôt 
qu'il  lui  faifoit  voir  le  jour ,  il  mettoit  .  feu  &  à  fang  tout  ce  qui  fe  pré- 
fentoit  devaat  lui  ;  que  la  Nature  produifoit  des  Monfl:res  en  fa  faveur,  & 
que  le  Ciel  lui  prêtoit  fes  foudres ,  parce  qu'étant  fous  la  proteftion  d'un 
Dieu  terrible,  dont  il  foutenoit  laCaufe,  il  en  vouloit  particulièrement  aux 
faufles  Divinités  qu'on  adoroit  au  Mexique,  &  à  ces  mêmes  facrifices  du 
fang  humain,  dont  Motezuma  prétendoit  tirer  fa  gloire.  Enfuite,  ne  pen- 
fant  pas  moins  à  rafllirer  fes  gens  contre  de  vaines  frayeurs ,  qu'à  réprinier 
l'orgueil  du  Cacique:  „mes  Amis,  leur  dit-il,  en  fe  levant  fièrement,  &  fe 

„  tour- 

,  ,v         C'")  SoUs,  ibid,  Çhap.  15.  ^  ,£.  ^^-jv  .»,   i*>>^  t-   i  -«-*-ii  ^^ *  >  -•• 

.    ,  .  Pp    2  ,       ^  * 


Fernan» 
Cortb2. 

I  5  1 9. 


Fierté  d'un 
Cacique,  & 
portrait  qu'il 
fait  de  fon 
Empereur. 


9i 


•Réponfe 
adroite  de 
Cortez. 


■l    :'fl 


3C0 


PREMIERS      VOYAGES 


Fbrnand 

CoRT£Z. 

Comment 
il  ralTure  fes 
gens. 


>> 


» 


Il  prend  par 
la  Province 
de  Tlafcala. 


Etat  de  cet- 
te Province. 


Comment 
elle  s'étoic 
formée  en 
République. 


tournant  vers  eux ,  voilà  ce  que  nous  cherchons  ;  de  grands  périls  &  de 
grandes  richefles.  C'eft;  de  ce  jour  que  je  vois  nôtre  fortune  &  nô- 
tre réputation  bien  établies".  Solis  ne  fait  pas  difficulté  d'aflurer , 
qu'il  n'exprimoit  que  fes  véritables  fentimens,  &  qu'aulfi-tôt  qu'il  eut 
formé  de  fi  grands  defïeins,  Dieu  lui  remplit  le  cœur  d'une  fi  noble  fer- 
„  raeté ,  que ,  fans  fermer  les  yeux  fur  le  péril ,  &  fans  le  méprifer ,  il  y 
„  entroit  avec  autant- de  confiance  que  s'il  eût  tenu,  dans  fes  mains,  la 
„  difpofition  des  événemens  (s)". 

Sa  conduite  eut  tant  de  fuccès,  que  pendant  cinq  jours ,  qu'il  palTa  dans 
Zocothla,  il  ne  reçut  que  des  inarques  extraordinaires  de  la  confidération 
du  Cacique.  Cependant,  il  rejetta  le  confeil  de  ce  Seigneur  Indien,  qui 
lui  propofoit  de  prendre  fa  route  par  la  Province  de  Cbeiula^  fous  prétexte 
que  les  Habitans,  moins  portés  à  la  Guerre  qu'au  Commerce,  n'apporte- 
roient  pas  d'obftacle  à  fon  pafiâge.  11  aima  mieux  s'en  rapporter  aux  Zam- 
poalans ,  fes  Alliés ,  qui  le  preiîerent  de  prendre  par  la  Province  de  Tlafca- 
la, où  les  Peuples  étoient,  à  la  vérité,  plus  guerriers  &  plus  féroces,  mais 
unis  par  d'anciens  Traités  avec  les  Zampoalans  &  les  Totonaques.  Après 
s'être  arrêté  à  cette  réfolution ,  il  prit  le  chemin  de  Tlafcala ,  dont  les  fron- 
tières touchoient  à  celles  de  Zocothla.  Sa  marche  fut  tranquille,  pendant 
les  premiers  jours.  Mais  ,  en  fortant  du  Pays  q,u*il  avoit  traverfé ,  il 
entendit  quelque  bruit  de  Guerre;  &  bientôt  il  apprit  que  la  nouvel- 
le Province,  où  il  étoit  entré,  avoit  pris  les  armes,  fans  que  les  Cou- 
reurs, dont  il  fe/aifoit  précéder,  puffent  l'informer  encore  de  la  caufe 
de  ce  mouvement.  Il  s'arrêta,  pour  fe  donner  le  tems  de  prerxdre  des 
informations  {t). 

Tl  AS  CAL  A  étoit  alors  une  Province  extrêmement  peuplée,  à  laquelle 
on  donnoit  environ  cinquante  lieues  de  circuit.  Son  terrain  efl  inégal,  & 
s'élève  de  toutes  parts  en  Collines,  qui  feniblent  naître  de  cette  grande 
chaîne  de  Montagnes ,  qu'on  a  nommée  depuis  la  grande  Cordelière.  Les 
Bourgades  Indiennes  occupoient  le  haut  de  ces  Collines ,  par  ime  ancienne 
politique  des  Habitans,  qui  trouvoient,  dans  cette  fituation,  le  double  a- 
vantage  de  fe  mettre  à  couvert  de  leurs  Ennemis,  &  de  laifler  leurs  Plai- 
nes libres  pour  la  culture.-  Dans  l'origine,  ils  avoient  été  gouvernés  par 
des  Rois  ;  mais  une  Guerre  civile  leur  ayant  fait  perdre  le  goût  de  la  fou- 
miffion,  ils  avoient  fecoué  le  joug  de  la  Royauté ,  pour  former  une  efpèce 
de  République ,  dans  laquelle  ils  fe  maintenoient  depuis  plufieurs  fiècles. 
Leurs  Bourgades  étoient  partagées  en  Cantons  ,  dont  chacun  nommoit 
quelques  Députés ,  qui  alloient  réfider  dans  la  Capitale  ,^nommée  Tlafcala, 
comme  la  Province  ;  &  ces  Députés  formoient  le  Corps  d'un  Sénat,  dont 
toute  la  Nation  reconnoiflbit  l'autorité.  Cet  exemple  du  Gouvernement 
Ariilocratîque  efl  afiez  remarquable  entre  des  Barbares.  Les  Tlafcalans, 
s'étant  toujours  défendus  contre  la  puiflance  des  Empereurs  du  Mexique, 
fe  trouvoient  alors  au  plus  haut  point  de  leur  gloire,  parce  que  les  tyran- 
nies de  Motezuma  avoient  augmenté  le  nombre  de  leurs  Alliés,  &  que  de- 
puis peu  ils  s'étoient  ligués,  pour  leur  fureté  commune,  avec  les  Otomies ^ 

Peu- 
•   (f)  Hcrçera,  Liv.  6.  Cbap.  2.  s;  (0  Solis,  ibidem. 


EN      AMERIQUE,  Iliv.  T. 


''^0t 


F  B  R  N  A  N  D 
CoRT£Z. 

1519- 

Cortez  ten- 
te les  difpofi- 
tions  du  Se- 


Ufages  Me- 
xiquains  dans 
les  Ambafla- 
des. 


Peuples  fort  barbares,  mais  d'une  grande  réputation  à  la  Guerre,  où  la  fé- 
rocité leur  tenoit  lieu  de  valeur. 

Cortez,  informé  de  toutes  ces circonftahces ,  crut  devoir  garder  quel- 
ques ménagemens  avec  une  République  fi  puiflante,  &  ne  rien  tenter  fans 
avoir  fait  preflentir  les  difpoiitions  du  Sénat.     Il  chargea  de  cette  Corn- 
miffion  quatre  de  fes  Zampoalans,  les  plus  diftingués  par  leur  nobiefle  &  nat  Tiâfcafan 
leur  habileté.     Marina  prit  foin  de  les  inftruire,  jufqu'à  compofer  avec  eux  par  des  Dé- 
le  difcours  qu'ils  dévoient  faire  au  Sénat,  &  qu'ils  apprirent  par  cœur  (t)).  P"'"' 
Ils  partirent ,  avec  toutes  les  marques  de  leur  dignité.     C'étoient  une  man- 
te dé  cotor  ,  bordée  d'une  frange  treflee  avec  des  nœuds  ;  une  flèche  fort 
large,  qu'ils  dévoient  porter  dans  la  main  droite,  les  plumes  en  haut;  & 
fur  le  bras  gauche ,  une  grande  coquille ,  en  forme  de  bouclier.     On  ju- 
geoit  du  motif  de  l'Ambaffade  par  la  couleur  des  plumes  de  la  flèche.     Les 
rouges  annonçoient  la  Guerre,  &  les  blanches  marquoient  la  Paix.    Ces  ca 
raftères  faifoient  connoître  &  refpefter  les  Ambafladeurs  Indiens  dans  leur 
route;  mais  ils  ne  pouvoient  s'écarter  des  grands  chemins ^  fans  perdre  leur 
droit  de  franchife:  Loix  facrées,  entre  ces. Barbares,  auxquelles  ils  don- 
noient,  dans  leur  Langue,  des  noms  qui  revenoient  à  celui  de  droit  àes 
gens  &  de  foi  publique. 

Les  quatre  Zampoalans  fe  rendirent  à  Tlafcala,  &  furent  conduits  ci- 
vilement dans  un  lieu  (x)  deft:iné  au  Logement  des  Ambafladeurs.  Dès  le 
jour  iuivant,  ils  furent  introduits  dans  la  Salle  du  Confeil,  où  les  Sénatei^rs  xiafS 
étoient  aflis ,  fuivant  l'ordre  de  Tancienneté ,  fur  des  tabourets  aflez  bas , 
d'un  bois  extraordinaire  &  d'une  feule  pièce  (y).  En  entrant  dans  l'Aflem- 
blée,  la  tête  couverte  de  leurs  mantes ,  Gequipaflbit  parmi  eux  pour  une 
grande  marque  dé  foumiffion,  ils  tinrent  leurs  flèches  levées.  Auflî-tôt 
qu'ils  parurent,  tous  les  Sénateurs  fe  levèrent  à  demi  de  leurs  fiéges,  &  les 
reçurent  avec  une  certaine  modération  dans  leurs  civilités.  Pour  eux ,  ils 
firent  la  révérence  au  Sénat,  fuivant  leurs  ufages;  &  s'étant  avancés  gra- 
vement jufqu'au  milieu  de  la  Salle,  ils  fe  mirent  à  genoux,  les  yeux  baif- 
fés ,  pour  attendre  la  permiflion  de  parler;  Alors ,  le  plus  ancien  des  Séna- 
teurs leur  ayant  demandé  le  fujet  de  leur  Ambaflade ,  ils  s'affirent  fur  leurs 
jambes:  &  celui,  que  Cortez  avoit  choifi  pour  l'Orateur ,  prononça  le  Dif- 
cours dont  on  avoit  chargé  fa  mémoire  (z).    Aufli-tôt  qu'il  fut  achevé, 

.;,  •  ,,___„_,.,,.,,  ils. 


Comment 
les  Députés 
font  reçus  à- 


LeurDiP 
cours  au  Sé- 
nat. 


mmoïc 
a/cala, 

dont 
ement 
alans, 
dque, 
tyran- 

e  de* 
omies , 

Peu. 


(v)  Solis,  ibidem. 

(  X  )  On  nomme  ce  lieu ,  la  Calpifca; 

(  y  )  Ils  les  nommoient  Topales. 

(  2  )  Cette  circonftance  ne  permet  pas  de 
le  regarder  comme  une  fiftîon  dans  les  Hifto- 
riens.  „  Noble  République,  braves  &  puif- 
„  fans  Peuples ,  le  Cacique  de  Zampoala  & 
^  les  Caciques  de  la  Montagne,  vos  Amis 
„  &  vos  Alliés,  vous  faluent.    Après  vous 

avoir  fouhaitë  une  récolte  abondante  &  la 

mort  de  vos  Ennemis,  ils  vous  font  fa- 

voir  qu'ils  ont  vft  arriver  dans  leur  Pays , 
du  côté  de  l'Orient,  des  Hommes  extra- 
ordinaires ,  qui  feujbient  être  des  Dieuî 


9» 


» 


PP 


qui  ont  paffé  la  Mer  fur  de  grands  Palais, 
&  qui  portent  dans  leurs  mains  le  tonner- 
re &  la  foudre,  armes  dont  le  Ciel  s'tft 
réfervé  1  ufage.  Ils  fe  difent  les  Miniftretf 
d'un  Dieu  fupérieur  aux  nôtres,  qui  ne 
peul  r^ufFrir  la  tyrannie,  ni  les  facrifices 
du  fang  des  Hommes;  leur  Capitame  eft 
AmbalTadeur  d'un  Ptince  trèspuiflant,  qui 
étant  pouiTé  par  le  devoir  de  fa  Religion, 
veut  remédier  aux  abus  qui  règncm  pnr.ni 
nous ,  &  aux  violences  de  Motezuma  Cet 
Homme ,  après  nous  avoir  délivrés  d^;  l'op- 
prefïion  qui  nous  accabloit  ,  fe  trouve 
obligé  de  fuivre  le  chemin  de  Mexico  par 

3  ■         "  l'^s 


FiRKAND 
COBTEZ. 

Réponfe 
des  Séna- 
teurs. 


Leurs  déli- 
bérations. 


Avec  quel- 
les vues  ils  fe 
déterminent  à 
la  Guerre, 
fous  le  Com- 
mandeinent 
ije  Xicoten- 
catl. 


Cortcz  s'ap- 
proche de 
leur  Ville. 


30Î      PREMIERS      VOYAGES 

ils  fe  levèrent  fur  leurs  genoux;  ils  firent,  dans  cette  pofture,  une  profon- 
de inclination  ;  &  fe  iaiffant  retomber  fur  leurs  jambes ,  ils  attendirent  mo- 
dellcment  la  réponfe  du  Sénat.  Les  délibérations  durèrent  quelques  mo* 
mens.  En  fuite  un  Sénateur  répondit,  au  nom  de  l'AlIemblée,  qu'elle  re* 
ccvoit  avec  reconnoilfance  la  propofition  des  Zampoalans  &  des  Totona- 
ques,  dont  elle  ellimoit  l'alliance;  mais  Qu'elle  avoit  befoin  de  quelques 
jours,  pour  délibérer  fur  une  affaire  de  cette  importance.  Les  Ambaffa- 
deurs  fe  retirèrent.  On  ferma  les  portes  de  la  Salle.  Dans  un  fort  long 
Confeil,  Maxïfcatzln^  Vieillard  refpeélé  de  toute  la  Nation,  fit  prévaloir 
d'abord  le  goût  de  la  Paix,  par  cette  feule  raifon,  que  les  Etrangers  pa- 
roiflbient  envoyés  du  Ciel  (a),  &  que,  ne  demandant  que  la  liberté  du 
paflage,  ils  avôient  pour  eux  la  raifon  &  la  volonté  des  Dieux.  Mais  le 
Général  dQS  Armées,  nommé  Xicotencatl^  jeune  homme  plein  de  courage  & 
de  feu ,  repréfentafi  vivement  le  danger  qu'il  y  avoit,  pour  la  Religiun  & 
pour  l'Etat ,  à  recevoir  des  Inconnus ,  dont  on  ignoroit  les  intentions , 
qu'il  excita  tout  le  monde  à  la  Guerre.  Cependant  un  troilième  Sénateur, 
nommé  Temilotecatl,  ouvrit  urje  opinioa  plus  modérée,  qui  fembloit  con- 
cilier les  deux  autres,  ou  du  moins  qui  favorifoic  le  parti  de  la  Guerre  fans 
ôter  le  pouvoir  de  revenir  à  la  Paix.  C'étoit  de  faire  partir  fur  le  champ 
Xicotencatl,  avec  les  Troupes,  qui  étoient  prêtes  à  marcher,  pour  met- 
tre à'  l'épreuve  ces  Inconnus ,  qu'on  faifoit  pafler  pour  des  Dieux.  S'ils  é- 
toient  battus  dans  leur  première  rencontre,  leur  ruine  faifoit  évanouir  tou-/ 
tes  les  craintes,  &  la  Nation  demeuroit  glorieufe  &  tranquille.  Si  la  vic« 
toire  fe  déclaroit  pour  eux ,  on  auroit  une  voie  toujours  ouverte  pour  trai- 
ter,  en  rejettant  cette  infulte  fur  la  férocité  des  Ocomies ,  dont  on  le  plain- 
droit  de  n'avoir  pu  réprimer  l'emportement.  Cette  propoficion  ayant  réU' 
ni  tous  les  fufFrages ,  on  trouva  le  moyen  d'amufer  les  Ambafladeurs ,  par 
des  Sacrifices  &  des  Fêtes ,  fous  prétexte  de  confulter  les  Idoles  ;  &  Xico- 
tencatl fe  mit  fecrettement  en  Campagne,  avec  toutes  les  Troupes  qu'il 
put  raflembler  (è). 

CoRTEZ,  qui  vit  pafTer  huit  jours,  fans  recevoir  aucune  information  de 
fes  Députés ,  commençoit  à  fe  livrer  aux  foupçons.  Les  Zampoalans  lui 
confeillèrent  de  continuer  fa  marche ,  &  de  s'approcher  de  TIafcala,  pour 
obferver  du  moins  la  conduite  d'une  Nation,  dont  ils  commenjoient  eux- 


„  les  Terres  de  vôtre  Etat,  &  fouhaite  de 
„  favoir  en  quoi  ce  Tyran  vous  a  ofFtnfés , 
„  pour  prendre  la  défenfe  de  vôtre  droit 
„  comme  du  fien,  &  la  mettre  entre  les  au- 
„  très  motifs  de  fon  Voyage.  La  connoif- 
„  fance,  que  nous  avons  de  fes  intentions, 
„  &  l'expérience,  que  nous  avons  faite  de 
,,  fa  bonté,  nous  ont  portés  à  le  prévenir, 
,,  pour  vous  exhorter,  de  la  part  de  nos 
„  Caciques ,  à  recevoir  ces  Etrangers ,  com- 
„  me  les  Bienfaifteurs  &  les  Amis  de  vos 
„  Alliés;  &  nous  vous  déclarons,  delà  part 
,,  de  leur  Capitaine,  qu'il  vient  avec  un  ef- 
„  prit  de  Paix,  &  qu'il  ne  demande  que  la 


•  -.  '  ^-  me- 

„  liberté  du  paflage  fur  vos  Terres.  Soyez 
,,  pcrfuadés  qu'il  ne  defire  que  vôtre  avanta- 
„  go  ;  que  fes  armes  font  les  inllramens  de 
„  la  juftice  &  de  la  raifon;  qu'elles  foiitien- 
,,  nent  la  caufe  du  Ciel;  que  ceux  qui  les 
,,  portent  recherchent  la  paix  &  la  douceur, 
„  naturellement  &  par  inclinacion ,  &  n'em- 
„  pioient  la  rigueur  que  contre  ceux  qui  les 
„  attaquent,  ou  qui  les  offenfent  par  leurs 
„  crimes  ".  Solis,  après  Diaz,  ubifuprà, 
Chap    16.    Hcrrerar,  ubifuprà,  Chap.  3. 

\^a)  Teuler  dans  leur  Langue. 

\b)  Herrera,  Lîv.  6,  Cbap.  3.  Solis, 
Liv.  2.  Cbap.  iz. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.   I.      !       503 

mêmes  à  (e  défier.  S'il  ne  pouvoic  éviter  h  Guerre,  il  étoit  réfolu  d'ôter, 
à  Ils  Ennemis,  le  tems  de  s'y  préparer,  &  de  les  attaquer  dans  leur  Ville 
même,  avec  toutes  les  précautions  que  la  prudence  exigeoit  dans  un  Pays 
fufpeél.  Sa  marche  fut  libre,  pendant  quelques  lieues,  entre  deux  Mon- 
tagnes, réparées  par  une  Vallée  fort  agréable.  Mais  il  fut  furpris  de  fe 
voir  tout  d'un  coup  arrêté  par  une  Muraille  fort  haute,  qui,  prenant  d'une 
Montagne  à  l'autre ,  fermoit  entièrement  le  chemin.  Cet  ouvrage ,  dont  il 
admira  la  force,  étoit  de  pierre  de  taille,  liée  avec  une  efpèce  de  ciment. 
Son  épaifleur  étoit  d'environ  trente  pieds,  fa  hauteur  de  neuf.  11  fe  ter- 
minoit  en  parapet ,  comme  dans  les  Fortifications  de  l'Europe.  L'entrée 
en  étoit  oblique  &  fort  étroite,  entre  deux  autres  Murs  qui  avançoient  l'un 
fur  l'autre  (f  ).  On  apprit  des  Zocothlans  que  cette  efpèGe  de  rempart 
faifoit  la  féparation  de  leur  Province  &  de  celle  de  Tlafcala ,  qui  l'avoit  fait 
élever  pour  fa  défenfe ,  depuis  qu'elle  s'étoit  formée  en  République.  Cor- 
tez  regarda  comme  un  bonheur,  que  fes  Ennemis  n'eullent  pas  fongé  à  lui 
difputer  ce  pallage;  fr'i  •;  le  le  tems  leur  eût  manqué  pour  s'y  rendre,  foit 
que  fe  fiant  à  leur  nomb.  :,  ils  enflent  réfolu  de  tenir  la  Campagne,  pour 
employer  librement  toutes  leurs  Troupes.  Les  Efpagnols  paflerent  fans 
obfl:acle;  &  s'étant  arrêtés  pour  rétabhr  leurs  Bataillons,  ils  s'avancèrent 
en  bon  ordre  dans  un  terrein  plus  étendu,  où  ils  découvrirent  bientôt  les 
pannaches  de  vingt  ou  trente  Indiens.  Cortez  décacha  quelques  Cavaliers, 
pour  les  inviter  à  s'approcher,  par  des  cris  &  des  fignes  de  Paix.  Dans  le 
même  infl:ant,  on  apperçut  une  féconde  Troupe,  qui  s'étant  jointe  à  l'au- 
tre, tint  ferme  avec  une  apparence  aflez  guerrière.  Les  Cavaliers ,  n'en 
ayant  pas  moins  continué  de  s'avancer,  fe  virent  aulfi-tôt  couverts  d'une 
nuée  de  flèches ,  qui  leur  bleflerent  deux  Hommes  &  cinq  Chevaux.  Un 
gros  de  cinq  mille  Indiens,  qui  s'étoient  embufqués  à  peu  de  diftance,  fe 
découvrit  alors ,  &  vint  au  fecours  des  premiers.  L'Infanterie  Efpagnole 
arrivoit  de  l'autre  côté.  Elle  fe  mit  en  Bataille,  pour  foûtenir  l'effort  de  ces 
Furieux ,  qui  venoient  à  la  charge  avec  une  extrême  ardeur.  Mais  au  pre- 
mier bruit  de  l'Artillerie,  qui  en  fit  tomber  un  grand  nombre  (d)^  ils  tour- 
nèrent le  dos;  &  les  Efpagnols ,  profitant  de  leur  desordre,  les  prefl'èrent 
avec  tant  de  vigueur,  qu'ils  leur  firent  prendre  ouvertement  la  fuite.  On 
trouva foixante  Indiens  morts  fur  le  champ  de  Bataille,  &  quelques blefles, 
qui  demeurèrent  Prifonniers.  Cortez,  arrêté  par  la  fin  du  jour ,  fit  paiTer  la 
nuit  à  fes  Soldats  dais  quelques  Maifons  voifînes,  où  ils  trouvèrent  toutes 
•fortes  de  rafraîchiflemens  (e). 

Après  la  retraite  des  Indiens,  on  vit  arriver  deux  des  AmbaflTadeurs 
Zampoalans,  accompagnés  de  quelques  Députés  de  la  République,  qui  firent 
des  excufes.à  Cortez  de  la  témérité  que  les  Otomies  avoient  eue  de  l'atta* 

*  quer. 


ij^  '.a:  :l'' 


(c)  Herrera  donne  dix  pieds  de  large  à 
cette  entrée  &  quannte  de  long,  Cbap.  4. 

(  d  )  Herrera  s'écarte  beaucoup  ici  de  DIaz 
&  de  Solis.  Il  prétend  que  ce  fut  à  coups 
de  lances ,  que  les  Efpagnols  défirent  leurs  En- 
noinis,  &  que  la  vue  des  Chevaux  contribua 


F  E  R  K  A  N  D 

Coûtez. 
1519. 


Muraille 
finguiière, 
qui  bouche  le 
chemin. 


Les  Efpa- 
gnols la  paf- 
fcnt. 


Ils  mettent 
en  fuite  un 
Corps  d'In- 
diens. 


Rufe  des- 
Tlafcalan». 


beaucoup  à  leur  viftoire.  Ils  en  perdirent 
deux,  que  Cortez  eut  foin  de  faire  enterrer, 
afin  que  les  Indiens  n'euflTent  pas  occafion  de 
reconnoltrc  que  ces  Animaux  étoient  mor- 
tels. Liv.  6.  Chap.  4  ^  5, 
(e)  Solis,  IbideiA, 


F  E  R  K  A  N  D 
C  O  R  T  E  Z. 


Cortcz  ren- 
contre fes 
Députés  en 
fort  mauvais 
état. 


Il  fe  difpofe 
férieufemcnt 
à  la  Guerre. 


'il 


Il  remporte 
une  Viftoire 
importante. 


Détail  de 
cette  action. 


»» 


304       PREMIERS     VOYAGES 

quer.  Ils  s'emportèrent  vivement  contre  cette  Nation  féroce  ;  &  l'acccfanc 
de  ne  connoîcre  aucun  frein ,  ils  ajoutèrent  que  le  Sénat  fe  réjouiflbit  qu'elle 
eût  été  punie  par  la  perte  d'un  grand  nombre  de  fes  Chefs,  qui  avoient  été 
tués  dans  le  Combat.  Ils  offrirent ,  au  nom  des  Sénateurs ,  de  payer  en  or 
le  dommage  qu'elle  avoit  pu  caufer  aux  Efpagnols  ;  mais ,  ne  s'expliquant  pas 
avec  plus  de  clarté  fiu  les  difpofitions  delaRépublique,ilsfe retirèrent  après 
avoir  fini  leur  compliment. 

CoRTEZ  ne  balança  point  à  continuer  fa  marche.  Il  rencontra  peu  d'ob- 
flacles.  La  Province  lui  parut  femblable  à  l'Andaloufie;  grafTe,  chaude  & 
fertile,  remplie  d'eaux  douces  &  poiflbnneufes ,  &  couverte  d'un  grand 
nombre  de  Forêts.  Il  rencontra,  près  d'un  fort  mauvais  paÎTage,  fes  deux 
autres  Ambafladeurs ,  fuant ,  pleurant ,  &  fi  maltraités ,  que  dans  la  crainte 
qui  leur  reftoit  encore,  à  peine  avoient-iis  la  force  de  refpirer.  Ils  fe  jet- 
tèrent  à  terre  ;  ils  embrafJerent  fes  pieds.  „  Les  perfides  Tlafcalans ,  lui 
dirent-ils,  violant  le  droit  facré  des AmbafTades,  les  avoient  chargés  de 
chaînes,  pour  les  facrifier  au  Dieu  de  la  Viftoire;  mais  ayant  trouvé  le 
moyen  de  fe  détacher  mutuellement ,  ils  s'étoient  échappés  pendant  la 
nuit.  Ils  avoient  entendu  dire,  à  ces  Barbare»,  que  leur  deflein  étoic 
auffi  de  facrifier  tous  les  Efpagnols  (/)". 

Ce  récit  ne  laifla  plus  de  doute,  àCortez,  que  la  République  de  Tlafca- 
la  ne  fût  ouvertement  déclarée  contre  lui.  Il  en  eut  d  autres  preuves  un 
quart  de  lieue  plus  loin,  dans  un  Détroit  fort  difficile,  que  fon  feul  coura- 
ge lui  fit  heureufement  traverfer  au  milieu  d'une  foule  d'Ennemis.  Ce  n'é- 
toit  plus  la  fortune,  qu'il  propofoit  pour  motif  à  ks  Soldats:  il  les  exhor- 
toit  à  combattre  pour  leur  vie;  &  les  Zampoalans  mêmes,  effrayés  de  la 
grandeur  du  péril ,  dirent  fecrettement,  à  Marina,  que  la  perte  de  l'Armée 
leur  paroiflbit  inévitable.  Elle  leur  répondit,  d'un  air  comme  infpiré,  que 
le  Dieu  des  Chrétiens  avoit  une  particulière  affeélion  pour  les  Caftillans ,  & 
qu'il  les  fauveroit  de  ce  danger.  Cette  réponfe  fit  une  égale  impreflion  fur 
les  Soldats  de  Cortez  &  fur  leurs  Alliés.  Ils  fe  crurent  tous  fous  la  pro- 
teftion  déclarée  du  Ciel  ;  &  s' étant  dégagés  du  Détroit ,  dont  on  leur  avoit 
difputé  le  paflage,  ils  arrivèrent  dans  la  Plaine,  où  le  même  tranfport 
de  valeur  &  de  Religion  leur  fit  renverfer  une  Armée  fprt  nombreufe  (g). 
Herrera  ne  donne  aucun  détail  de  cette  féconde  Aftion ,  qui  fut  beau- 
xroup  plus  régulière  que  la  précédente ,  &  dont  les  autres  Hiftoriens 
ont  cru  le  récit  d'autant  plus  indifpenfable,  qu'en  faifant  connoître  le  ca- 
raftère  des  Ennemis  de  Cortez,  elle  doit  être  regardée  comme  la  plus  im- 
portante de  fes  Vidloires ,  puifqu'elle  fervit  bientôt  à  lui  ouvrir  l'entrée  du 
Mexique. 

Après  avoir  pafTé  le  Détroit,  en  combattant  de  loin,  fuivant  Diaz  & 
Solis,  parce  que  les  Ennemis,  qu'on  y  avoit  rencontrés ,  affeéloient  de  fe 
tenir  à  quelque  diftance,  dans  le  deffein  apparemment  d'attirer  l'Armée 
Efpagnole  jufqu'au  centre  de  leurs  forces,  on  découvrit,  d'une  Hauteur  qui 
dominoit  fur  la  Plaine,  une  multitude  innombrable  d'Indiens ,  que  plufieurs 
Ecrivains  ont  fait  monter  à  quarante  mille  Hommes.    Ces  Troupes  étoient 

com- 


(/)  Herrera,  ubifuprà,  Chap.  5. 


(g)  Ibidem. 


/-■', 


>?':•£    N      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I.  305 

compoféesde  diverfes  Nations ,  didinçuées  par  les  couleurs  de  leurs  En- 
feignes  &  de  leurs  plumes.  LaNoblefle  deTlafcala  tenoit  le  premier  rang, 
autour  de  Xicotencatl ,  qui  avoit  le  Commandement  général;  &  tous  les 
Caciques  auxiliaires  étoient  à  la  tête  de  leurs  propres  l'roiipes.  Cortez  re- 
connut alors  que  la  facilité  qu'il  avoit  trouvée,  dans  le  paffage  du  Détroit, 
n'avoit  été  qu'un  ftratagême;  &  tous  les  Caflillans  parurent  étonnés  du  dan- 
ger. Cependant  la  crainte  n'entra  point  dans  leur  cœur  avec  la  furprife.  Le 
îouvenir  de  Tabafco  fervit  à  les  animer.  Ils  defcendirent  d'un  air  gai  dans 
la  Plaine;  &  Cortez,  qui  reconnut  cette  difpofition  fur  leurs  vifages,  ne 
s'arrêta  pas  même  à  les  haranguer.  Comme  le  terrein  étoit  inégal  &  rude, 
fur-tout  pour  les  Chevaux,  on  eut  d'abord  beaucoup  de  peine  à  repoufTer 
les  Ennemis.  Il  fallut  tirer  de  haut  en  bas  une  volée  de  toute  l'Artillerie , 
pour  écarter  quelques  Bataillons  ,  qui  fembloicnt  avoir  entrepris  de  difpu- 
ter  la  defcente.  Mais  aulTi-tôt  que  les  Cavaliers  Ëfpagnols  eurent  trouvé 
le  terrein  plus  commode,  &  qu'une  partie  de  l'Infanterie  eut  mis  le  pied 
dans  la  Plaine,  on  gagna  bientôt  afTez  de  champ  pour  mettre  le  Canon  en  - 
Batterie.  Le  gros  des  Ennemis  avoit  eu  le  tems  de  s'avancer  à  la  portée  du 
moufquet.  Ils  ne  combattoient  encore  que  par  des  cris  &  des  menaces. 
Cortez  fit  faire  un  mouvement  à  fon  Armée ,  pour  les  charger.  Mais  ils  fe 
retirèrent  alors,  par  une  efpèce  de  fuite,  qui  n'étoit  en  effet  qu'une  nouvelle 
rufe,-  pour  faire  avancer  les  Ëfpagnols, &  pour  trouver  le  moyen  de  les  en- 
velopper. On  ne  fut  pas  long-tems  à  le  reconnoître.  A  peine  eut- on  quit- 
té la  Hauteur,  qu'on  laiffoit  à  dos,  &  par  laquelle  on  avoit  efperé  de  de- 
meurer couvert,  qu'une  partie  de  l'Armée  ennemie  s'ouvrit  en  deux  Aîles, 
&  s'étendant  des  deux  côtés  enferma  Cortez  &  tous  fes  gens  dans  un  grand 
cercle.  L'autre  partie,  s'étant  avancée  avec  la  même  diligence,  doubla 
les  rangs  de  cette  enceinte,  qui  commença  aulîi-tôt  à  fe  reflerrer.  Le  pé- 
ril parut  (i  preffant,  que  Cortez,  fongeant  à  fe  défendre  avant  que  d'atta- 
quer, prit  le  parti  de  donner  quatre  faces  à  fa  Troupe,  &  recommanda 
inflamment  de  fuppléer,  par  l'union  &  lé  bon  ordre ,  à  l'inégalité  du  nom- 
bre. L'air ,  déjà  troublé  par  d'effroyables  cris ,  fut  alors  obfcurci  par  une 
nuée  de  flèches, de  dards  &  de  pierres-  Mais  les  Indiens,  remarquant  que 
ces  armes  faifoient  peu  d'effet ,  fe  difpofèrent  à  faire  ufage  de  leurs  épées 
&  de  leurs  maflues.  Cortez  attendoit  ce  moment  pour  faire  jouer  l'Artille- 
rie, qui  en  fit  un  grand  carnage.  Les  arquebufes  ne  caufèrent  pas  moins 
de  defordre  dans  leurs  rangs.  Comme  leur  point  d'honneur  étoit  de  dérob- 
ber  la  c  ..nnoiffance  du  nombre  de  leurs  Morts  &  de  leurs  BleiTés ,  ce  foin , 
qui  ne  ceifoit  pas  de  les  occuper ,  contribua  beaucoup  à  les  jetter  dans  la 
confufion.  Cortez  n'avoit  penfé ,  jufqu'alors,  qu'à  courir  avec  fes  Cava- 
liers aux  endroits  où  le  péril  étoit  preffant ,  pour  rompre  à  coups  de  lances 
&  dilîiper  ceux  qui  s'approchoient  le  plus.  Mais  reconnoiffant  leur  trou- 
ble, il  réfolut  de  faifir  ce -moment  pour  les  charger,  dans  l'efpérance  de 
s'ouvrir  un  paflage  &  de  prendre  quelque  Pofle ,  où  toutes  fes  Troupes 
puffent  combattre  de  front.  Il  conimuniqua  fon  delfein  à  fes  Officiers;  Les 
Cavaliers  furent  placés  fur  les  Aîles;  &  tout  d'un  coup,  invoquant  Saint 
Pierre  à  haute  voix,  le  Bataillon  Efpagnol  s'avança  contre  les  Indiens,  ils 
foutinrent  afTez  vigoureufement  le  premier  eflfort  ;  mais  la  furie  des  Che- 
Xrill  Part.  Q  q  vaux, 


I  '  e  R  N  A  N  ■ 
COBTEZ. 

1519. 


1  .' 


FRRNAIf  O 
CORTBZ. 

15  19. 


Les  Indiens 
tuent  un  Che- 
val, lui  cou- 
Sunt  la  tête 
;  la  portent 
en  triomphe. 


Ils  prennent 
la  fuite. 


Poae  où 
Cortez  s  éta- 
blit. 


306  'PREMIERS      VOYAGES 

vaux,  qu'ils  prenoient  toujours  pour  des  Etres  furnaturels ,  leur  eau  fa  tant 
de  frayeur,  qu'ils  s'ouvrirent  enfin  avec  toutes  les  marques  d'une  affreufe 
conflernation.  Dans  le  tems  qu'ils  fe  heurcoienc  entr'eux,  &  que  fe  ren* 
verfant  les  uns  fur  les  autres,  ils  fe  faifoicnc  plus  de  mal  qu'ils  n'en  vou- 
loient  éviter,  il  arriva  un  incident  qui  ranima  leur  courage,  &  qui  faillit 
d'entraîner  la  ruine  des  Efpagnols.  Un  Cavalier,  nommé  Pierre  de  Moron  ^ 
qui  montoit  un  Cheval  très  vite ,  mais  un  peu  rétif,  s'engagea  H  loin  dans 
la  mêlée,  que  plufieurs  Officiers  Tlaicalans ,  qui  s'étoient  ralliés,  &  qui  le 
virent  féparé  de  Tes  Compagnons,  l'attaquèrent  de  concert.  Les  uns  fai* 
firent  fa  lance  &  les  rênes  de  la  bride,  tandis  que  les  autres  percèrent  le 
Cheval  de  tant  de  coups,  qu'il  tomba  mort  au  miJieu  d'eux.  Âuiîi-tôt,  ils 
lui  coupèrent  la  tête  {h)-,  &  l'élevant  au  bout  d'une  lance,  ils  exhortèrent 
les  plus  timides  à  redouter  moins  des  monflres ,  qui  ne  réfldoient  pas  à  la 
pointe  de  leurs  arrhes.  Moron  reçut  plufieurs  bleflures,  &  demeura  quel- 
ques momens  Prifonnier;  mais  il  fut  fecouru  par  d'autres  Cavaliers,  qui- 
l'enlevèrent  à  fes  Vainqueurs.  Cependant  une  partie  des  Tlafcalans,  en- 
couragée par  la  mort  du  monilre  ,  reprit  fes  rangs  &  parut  fe  difpcfer  au 
Combat.  Mais  [orfque  les  Efpagnols  fe  croyoient  menacés  d'une  nouvelle 
attaque,  ils  furent  furpris  de  voir  fucceder  tout-d'uncoup  un  profond  fî- 
lence  aux  cris  des  Indiens ,  &  de  ne  plus  entendre  que  le  bruit  de  leurs  tim- 
bales &  de  leurs  cors.  C'étoit  la  retraite,  que  ces  Barbares  fonnoient  à  leur 
manière.  Un  mouvement ,  qu'ils  firent  aufli- tôt  vers  TIafcala,  ne  permit 
pas  de  douter  qu'ils  ne  fulTenc  prêts  d'abandonner  le  Champ  de  Bataille. 
En  effet,  ils  s'éloignèrent  infenfiblement,  jufqu'à  ce  qu'une  Colline  les  dé- 
robba  tout-à-fait  aux  yeux  des  Efpagnols.  Une  avanture  fi  extraordinaire 
fut  attribuée  d'abord  à  des  caufes  furnaturelles  ;  mais  on  apprit  enfuitev 
de  quelques  Prifonniers ,  qu'elle  venoit  de  la  perte  des  principaux  Chefs  de 
l'Armée  Indienne,  &  que  Xicotencatl,  voyant  la  plupart  de  fes  Bataillons 
fans  Commandans,  avoit  craint  de  ne  pouvoir  fuffire  feul  pour  faire  agir 
ce  grand  Corps.  Cependant  il  n'en  prit  pas  moins  les  airs  du  triomphe  ;  & 
la  tête  du  Cheval,  qu'il  portoit  lui-même,  &  qu'il  envoya  bientôt  au  Sénat, 
lui  tint  lieu  de  tous  les  avantages  de  la  Viftoire  (1). 

Ils  étoient  demeurés  à  Cortez,  puifqu'il  fe  trou  voit  Maître  du  Champ 
de  Bataille,  après  avoir  repouffé  tant  d'Ennemis.  Mais  il  fe  voyoit  forcé 
d'accorder  quelque  repos  à  fes  Troupes,  qui  étoient  accablées  de  fatigue. 
D'ailleurs ,  informé  par  les  Prifonniers ,  que  l'animofité  des  Tlafcalans  ve- 
noit de  fopinion  qu'ils  avoient  conçue  de  fon  Voyage  à  la  Capitale  du  Mexi- 
que, où  ils  s'imaginoient  qu'il  alloit  rechercher  l'amitié  de  Motezuma,pour 
lequel  ils  avoient  une  haine  mortelle,  &  lui  offrir  contr'eux  le  fecours  de 
fes  armes,  il  fe  flattoit  encore  de  pouvoir  les  détromper  fur  fes  intentions,. 
&  leur  infpirer  du  goût  pour  la  Paix.  Ces  deux  raifons  le  déterminèrent  à 
fe  faifir  d'un  petit  Bourg,  qu'on  découvroit  à  peu  de.diftance,  fur  une 
Hauteur  qui  commandoit  toute  la  Plaine.  LesHabitans,  s'étant  letirés  à 
,  >,.    ,  ,.     .  .,  ...       .-■.....  ,       .-     .  .    .  Ion 


(  /)  )  Solis  reproche  à  quelques  Auteurs 
d'avoir  dit  qu'ils  la  lui  coupèrent  d'un  feul 
coup  d'épée.    Ces  exagérations,  dit-il,  font 


peu  d'honneur  auxHinoriens,  &  ne  rendent 
point  l'aftion  plus  confidérable.  Ibid. 
(i)  Solis,  uM  fupràt  Chap.  17,       '   ••    ' 


ren» 


rendent 


?      E    N     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I. 

fon  approche,  laiflerent  aflez  de  vivres  pour  renouveller  Tes  provifions.  Un 
lieu,  naturellement  capable  de  défenfe,  ne  fut  pas  difficile  à  fortifier  par 
quelques  Ouvrages;  &  les  Zampoalans,  irrités  du  mépris  avec  lequel  ils 
voyoient  traiter  leur  Alliance,  apportèrent  une  ardeur  infatigable  au  travail. 
Aulfi-tôt  que  le  Général  Efpagnol  fe  crut  en  fureté  dans  ce  Polie ,  il  le  mit 
à  la  tête  de  deux  cens  Hommes,  moitié  des  Troupes  Zampoalanes  &  moi- 
tié des  Tiennes,  pour  aller  lui-même  (*)  obferver  la  dilpolition  des  Enne- 
mis,  aux  environs  de  Tlafcala.     Il  y  fit  quelques  Prifonniers,  qui  lui  ap- 
prirent que  XicotencatI  étoit  campé  aflez  proche  de  la  Ville,  &  qu'il  y  af- 
fembloit  une  nouvelle  Armée.     Cette  nouvelle  l'obligea  de  retourner  à  fon 
Quartier;  mais  ce  ne  fut  pas  fans  avoir  brûlé  quelques  Villages,  pour  fai- 
re connoître ,  à  fes  Ennemis ,  qu'il  ne  craignoit  point  la  Guerre  :  &  revc'- 
nant  néanmoins  à  l'efpérance  de  leur  donner  une  meilleure  idée  de  fes  in- 
tentions, il  rendit  la  liberté  à  deux  de  Ces  Prifonniers,  avec  ordre  de  dé- 
clarer  à  XicotencatI  ;  „  Qu  il  étoit  affligé  de  la  mort  d'un  fi  grand  nombre 
„  de  braves  Tlafcalans ,  qui  avoient  péri  daiwle  dernier  Combat ,  mais  que 
„  ce  malheur  ne  devoit  être  attribué  qu'à  ceux  qui  l'attiroient  à  leur  Pa- 
„  trie,  en  recevant ,  à  main  armée,  des  Etrangers  qui  venoient  leur  de- 
„  mander  la  Paix;  qu'il  la  demandoit  encore,  malgré  les  outrages  qu'il 
„  avoit  reçus,  &  qu'il  promettoit  de  les  oublier  ;  mais  que  s'il  ne  recevoit 
„  cette  grâce  à  l'heure  même,  il  juroit  de  détruire  la  Ville  de  Tlafcala, 
i,  pour  en  faire  un  exemple,  dont  tous  les  Peuples  voifins  feroient  effrayés". 
Après  la  perte  que  les  Tlafcalans  avoient  réellement  elFuïée,  cette  déclara- 
tion auroit  pu   faire  quelque  impreffion  fur  le  Sénat ,  fi  toutes  les  voye« 
n'euflent  été  fermées  pour  la  faire  pafler  dans  la  Ville;  mais  elle   étoit 
adrefl'ée  à  XicotencatI ,  qui  en  fut  irrité  jufqu'à  couvrir  de  bleflures  ceux 
qui  avoient  eu  l'audace  de  s'en  charger  ;  &  les  renvoyant  dans  cet  état  à 
Cortez,  il  lui  fit  dire;  „  Çu'il  n'avoit  pas  voulu  leur  donner  la  mort,  afin 
que  les  Efpagnols  apprilfent  d'eux  quelles  étoient  fes  dernières  réfolu- 
tions;  que  le  lendemain,  au  lever  du  Soleil,  ils  le  verroient  en  Cam- 
pagne, avec  une  Armée  innombrable;  que  fon  defTein  étoit  de  les  pren- 
dre tous  en  vie,  &  de  les  porter  fur  les  Autels  de  fes  Dieux,  pour  leur 
faire  un  facrifice  du  fang  &  des  cœurs  de  leurs  Ennemis  (/)  ":  Enfuite, 
joignant  la  raillerie  à  cette  brutale  réponfe,il  fit  porter,  au  Camp  Efpagnol, 
trois  cens  Poulets  d'inde  &  d'autres  provifions;  „  afin  que  les  Ennemis  de 
fes  Dieux,  fit-il  dire  à  Cortez,  ne  s'imaginaflcnt  point  qu'il  aimât  mieux 
les  prendre  par  la  faim  que  par  les  armes ,  &  qu'après  avoir  bien  man- 
gé ,  leur  chair ,  dont  il  vouloit  faire  un  grand  fefl:in ,  fût  d'un  goût  plus 
favoureux  {m)". 

Cette  infolence  caufa  moins  d'effroi ,  que  d'indignation  dans  le  Camp. 
Les  Efpagnols  ne  laiffèrent  pas  de  réparer  leurs  forces ,  avec  les  provifions 

;:  ''  qu'on 


if 


>» 


9) 


FevNiK» 

C0BTE7. 

15  i  9- 


Il  va  lui- 
même  obfef' 
ver  les  Enne- 
mis. . 


.u.;*.; 


iS . 


rV' 


( fc )  On  fait  un  reproche  à  Cortez  de  se- 
tre  trop  expofé  dans  cette  occafion.  Il  de- 
voit fc  ménager ,  dit  Solis ,  pour  le  falut  de 
tous  fts  gens,  qui  étoit  attaché  à  fa  pcrfon- 


Déclaration 
qu'il  fait  faire 
i  XicotencatI. 


Elle  eft  re- 
çue avec  une 
fierté  barba- 
re. 


Les  Efpa- 
gnols font  at- 
taqués dans 
leur  porte. 


ne,  Cbap.  18.    " 
il)  Solis,  ubifuprà,  Chap.  y 8» 
\,m)  C'eft  Herrcra  qui  rapporte  un  trait  fi 

fîngulier.  Liv.  6.  Cbap.  6, 


Qq2 


y 


308 


PREMIERS      VOYAGES 


f  irnand 

COITBZ 
1519. 


^  '  qu'on  leur  envoyoit  (n);  &  Cortez  profita  de  l'avis  qu'il  avoit  reçu,  pour 
'     ie  difpofer  à  tous  les  dvénemens.     Il  prit  avantage  de  la  nature  du  tcrrein , 
pour  former  piiifieurs  Batteries,  qui  lui  promettoient  une  fanglan^e  exécu- 
tion; &  Tes  Bataillons  furent  diHribués,  l'iiivant  l'expérience  qu'il  avoit  dti 
la  méthode  de  ces  Barbares.     A  la  pointe  du  jour,  on  vit,  en  effet,  la 
Campagne  inondée  d'Indiens,  qui  dévoient  avoir  fait  beaucoup  de  diligen- 
ce, pour  s'être  approchés  du  Camp  dans  l'efpace  d'une  nuit.    Cette  Armée 
montoit  à  plus  de  cinquante  mille  Hommes  lo).    C'étoit ,  comme  on  l'ap- 
prit bientôt  d'eux-mêmes,  le  dernier  effort  de  la  République  &  de  tous  (es 
Alliés.     On  découvroit ,  au  centre ,  une  Aigle  d'or  fort  élevée ,  qui  n'a* 
voit  point  encore  paru  dans  les  autres  Combats ,  &  que  les  l'iafcalans  ne 
portoient  pour  Enfeigne,  que  dans  les  plus  prenantes  occafîons.     Ils  fem- 
bloient  courir,  plutôt  que  marcher.    Cortez,  les  voyant  à  la  portée  du 
Canon ,  fît  faire  une  décharge  générale ,  qui  modéra  beaucoup  cette  ar- 
deur.   Cependant ,  après  avoir  paru  quelque  tems  arrêtés  par  la  crainte ,  ils 
reprirent  courage,  pour  s'avancer  juf^u'à  la  portée  des  frondes  &  des  arcs. 
Mais  ils  furent  arrêtés  une  féconde  fois  par  de  nouvelles  décharges  de  l'Ar- 
tillerie &  des  arquebufes,  dont  chaque  coup  faifoit  de  larges  ouvertures 
dans  leurs  rangs.     Le  Combat  dura  long-terns  fous  cette  forme,  avec  peu 
de  dommage  pour  les  Efpagnols ,  qui  voyoient  tomber  à  leurs  pieds  les  flè- 
ches &  les  pierres,  tandis  que  leurs  boulets  &  leurs  balles  portoient  le  des- 
ordre &  la  mort  dans  tous  les  Bataillons  ennemis.    Cependant  un  gros  d'In- 
diens, comme  tranfporté  de  fureur ,  s'approcha  jufqu'au  pied  des  Batte- 
ries, àc  commençoit  à  caufer  de  l'inquiétude  à  Cortez,  lorfque  la  confu- 
flon  fe  répandant  plus  que  jamais  dans  le  Corps  de  leur  Armée  >  on  y  re<* 
marqua  divers  mouvemens  oppofés  les  uns  aux  autres,  qui  aboutirent  à 
une  retraite  fans  desordre,  pour  ceux  qui  compofoient  l'Arriére-garde,  & 
qui  fe  tournèrent  bientôt  eu  fuite  pour  ceux  qui  combattoient  dans  les  Pof- 
tes  avancés.    Alors  Cortez  les  fit  charger  avec  l'épëe  &  la  lance;  mais  fans 
permettre  à  fes  gens  de  s'écarter  trop,  dans  la  crainte  de  quelque  rufe  qiji 
pouvoit  les  expofer  au  danger  d'être  enveloppés  (p).  ^ 

Cette  étrange  révolution  pafTa  d'abord,  aux  yeux  des  Efpagnoîs,  pour 

fcor  déroute,  un  miracle  du  Ciel  en  faveur  des  armes  Chrétiennes.  Mais  on  fçut  bien- 
tôt que  Xicotencatl,  jeune  Homme  fort  emporté,  avoit  outragé  un  des  Ca- 
ciques auxiliaires ,  parce  qu'il  avoit  différé  d'obéir  à  fes  ordres ,  &  que  le 
Cacique  s'étoit  refTenti  de  fes  injures  jufqu'à  lui  propofei^  un  Combat  fingu- 
lier.  Tous  les  Alliés  de  la  République  s'étoient  foulevés  à  cette  occafion. 
Ils  avoient  réfolu  brufquement  de  quitter  une  Armée,  où  l'on  marquoit  Çi 
peu  de  reconnoiflance  pour  leur  zèle  &  leur  valeur.  Ce  deflein  s'étoit  exé- 
cuté avec  une  précipitation,  qui  avoit  jette  le  desordre  dans  les  autres 
Troupes  ;  &  Xicotencatl ,  troublé  par  un  incident  qui  lui  donnoit  de  la  dé*- 
fiance  pour  fes  propres  Soldats ,  avoit  pris  le  parti  d'abandonner  la  Vi6loi- 

re 


Ils  repouf* 
fent  les  In- 
diens. 


Cames  de 


(n)  Herrera,  ibidem,, 
(0)  Solis,  ubifuprà.  Herrera  la  fait  mon- 
ter à  cent  cinquante  mille  Hommes ,  mais 


fur  le  feu!  témoignage  des  Prifonniers  TJal- 
calans,  Cbap.  6 
(/))  Solis,  ibidem. 


•  t 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I. 


'M 


re 


'CJ'Ô  »  T  El. 


M.urmftrca», 


re  &  le  Champ  de  Batailte  aux  Efpagnols.  Cette  querelle  niértie,  au  juge- 
ment de  quelques  Hiftoriens,  &  l'heureux  effet  qu'elle  produifit,  doi('ent. 
être  regardes  comme  l'ouvrage  d'une  Puiflance  (upéricure ,  qui  yeilloit'à 
la  conicrvation  des  Efpagnols  (q). 

Malgri^,  tant  de- marques  de  la  proteftion  du  Ciel,  le  péril,  dontjls 
fe  voyoienc  délivrés,  &  qui  pouyoit  Te  renouveller  à  tous  momens,  les  jet-.  „ [^,^1,  '''^.' <• 
ta  dans  une  vive  inquiétude,  qui  produifit  de  nouveaux  murmures.'   Cor-       ' 
tez  retomba  dans  la  néceflité  d'employer  fon  éloquence  &  Ton  adrefle,  pour 
les  appaifer.     11  ordonna  une  Aflemblée  générale,  fous  prétexte  de  délibé-,      •••  ■:•'  ." 
rer  en  commun  fur  une  fituation  dont  il  reconnoiflbit  le  danger.     Il  ^voit   • 
recommandé,  à  fes  Confidens,   de  placer  fans  affeftation  les  plur  mutVij»  •  '  '.~>!..'' 

{)rès  de  fa  perfonne,  autant  pour  s'aflurer  d'en  être  entendu,  que  pour  fe  •.'*.';, 
es  concilier  par  cette  apparence  de  diftin^ion  &  de  faveur.  Le  difcours  •.'•>.' 
qu'il  leur  tint  fut  bien  perfuafif,  puifqu'il  l'eût  à  peine  achevé,  qu'un  Fac- 
tieux des  plus  emportés  éleva  la  voix,  &  dit  à  fes  Partifans:  ,,  Mes  Aniis, 
„  le  Général  nous  confulte;  mais,  en  nous  demandant  le  parti  qui  nous 
„  refle  à  prendre,  il  nous  l'enfeigne.  Je  crois,  comme  lui,  qu'il  eft 
„  impofllble  de  nous  retirer  fans  nous  perdre  ".  Tous  les  autres  entrè- 
rent dans  le  même  fentiment ,  &  reconnurent  l'injullicc  de  leurs  plain- 
tes (r).  ,  /'• 


•   •  • 


■ 


DLfcoùi^  lié"-  _ 
Cortcz,  qui'  ^•■' 
Icb  mipaifs;.'  ' 


D'ùir. 


(q)  Ibidem. 

(  r  )  Un  Difcours  fi  puiflant ,  que  Solis 
rapporte  après  Diaz,  qui  l'avoit  entendu,  ne 
peut  être  dérobbé  à  l'Hiftoîre.    Les  circon- 
fiances  qu'on  a  rapportées  font  tirées  des  mê- 
mes Ecrivains.    „  U  n'eft  pas  befoin  de  s'é- 
„  tendre  beaucoup  fur  le  parti  que  nous  a- 
„  vons  à  prendre,  après  avoir  gagné  deux 
„  Batailles .  où  vôtre  valeur  n'a  pas  moins 
„  éclaté  que  la  foiblefle  de  nos  Ennemis.    II 
„  eft  vrai  que  les  travaux  de  la  Guerre  ne 
„  conduifcnt  pas  toujours  à  la  Victoire.    La 
„. manière  d'en  profiter  n'eft  pas  non  plus 
„  fans  difficultés.    Il  refte  du  moins  à  fe  pré- 
t,  cautionner  contre  le&  périls  qui  environ- 
„  nent  fouvent  les  plus  grands  fuccès.   C'eft 
M  une  efpèce  de  tribut,  impofé  au  bonheur 
„  des  Hommes.     Cependant  j'avoue  ,  mes 
I,  Amis,  que  ce  n'eft  pas  là  le  motif  de  mon 
„  inquiétude.  Des  raifons  plus  fortes  &  plus 
„  prenantes  me  rendent  vôtre  confeil  né- 
M  ceflàirc.  On  m'a  dit  que  1  envie  de  retour 
.„  ner  en  arrière  eft  tombée  dans  l'efprit  de 
„  quelques  -  uns   de  nos  Soldats  ,   &  qu'ils 
„  s'excitent  mutuellement  à  me  faire  cette 
.„  propofition.  Je  m'imagine  qu'elle  n'eft  pas 
„  fans  fondement.  Mais  il  n'eft  pas  honnête 
„  qu'une  affaire   de  cette  importance  foit 
„  traitée  fourdement,  avec  un  air  de  caba- 
„  le.    Il  faut  que  chacun  explique  librement 
„  ce  qu'il  en  penfe,  afin  que  fon  zèle  pour 
„  le  Bien  public  foit  autorifé.     Comme»- 


.,\1.- 


Q.4 


çôns  pnr  confiâerer  l'état  ofî'  nous  fom-- 
mes;  c'eft  le  moyen  de  fupiliter  les  raifon- 
nemens  fur  l'avenir  ,  &  de  prehilrt  une 
fois  des  réfolutif)ns  confiantes.    Cette  Ex- 
pédition a  été  non- feulement  approuvée, . 
mais  généralement  applaudie  par  tous  ceux  ' 

3ui   m'écoutent.      Nous   avons  entrepris  •* 
'aller  jufqu'à  la  CourdeMotezuma.  Nous 
nous  fommes  facrifiés  à  ce  deftein  ,  en  fa- 
veur de  nôtre  Religion  &  de  nôtre  Rcff.  , 
Nous  y  avons  attaché  nôtre  honneur  & 
nos  efpérances.    Les  Indiens  de  Tiafcali; , 
gui  ont  voulu  s'y  oppofcr  avec  toutes  les 
forces  de  leur  République  &,,  de  leuç»  Al- 
liés ,  ont  été  vaincus  ou  diiïïpcs  ;  &  fui-  °  - 
vaut  toutes  les  règles  de  la  prudence  hy.-- 
maine,  il  n'eft  pas  pofllble  quiis  demeii'-  , 
rent  long-tems  fans  nous  accorder  I^  Pçix, 
ou  du  moins  un   paftage   libre  fur  jeurs  „ 
Terres.    Si  nous  obtenons  cet  avantag^i 
quel  éclat  pour  nôtre,  réputation!  &  que 
n'avons-nous  pas  à  nous  promettre  do  l'cl- 
time  de  ces  Barbares ,  qui  nous  regardent 
déjà  comme  des  demi-Dieux.     Si  Motezu- 
ma  nous  attend  avec  crainte ,  comme  fi 
eft  aifé  de  le  roconnuître  par  tant  d'artiiî- 
cieufes  Amlniflades.avec  quel  refpeftnous 
regardera- t'il  après  la  défaite  des  Tiafca- . 
lans ,  qui  font  les  braves  de  l'on"  Empire",  • 
&  qui  ne  dovoitiit  leur  indépendance  qu'à*.. 
la  force  des  armts?  11  y  a  beaucolip^  "d^aff- 
parence  qu'il  nous  fera, , des,  offres"  fujpd-. 


»•        m 


■"t 


•  •    t 


310 


PREMIERS       VOYAGES 


Fbrnand 

CORTEZ. 

Embarras 
des  Tlafca 
!ans. 


Ils  ont  re- 
cours à  leurs 
M;igiclcriS. 
Raifonne- 
nwiit  de  ces 
Iinpoftcurs. 


Xicoten- 
catl  attaque 
les  Efpagnols 
pendant  la 
nijit. 


D'un  autre  côté,  la  nouvelle  déroute  de  l'Armée  Indienne  avoit  jette 
tant  deconfternation  dans  la  Ville  de  Tlafcala,  que  le  Peuple  y  demandoic 
la  Paix  à  grands  cris.  Les  plus  timides  proporoient  de  fe  retirer  dans  les 
Montagnes,  avec  leurs  Familles ,•  mais  la  plupart,  perfuadés  que  les  Efpa- 
gnols étoient  des  Dieux ,  vouloient  qu'on  fe  hâtât  de  les  appaifer  par  des 
adorations.  Le  Sénat ,  s'étant  aifemblé ,  pour  chercher  quelque  remède 
aux  malheurs  publics,  conclut  que  les  merveilleux  exploits  des  Etrangers 
dévoient  être  l'effet  de  quelque  enchantement;  &  cette  idée  le  fit  recourir 
aux  Magiciens  du  Pays ,  pour  détruire  un  charme  par  un  autre.  Ces  Im* 
porteurs  furent  appelles.  Ils  déclarèrent  qu'ayant  déjà  raifonné  fur  les  cir- 
conftances ,  ce  qui  paroiflbit  obfcur  aux  Sénateurs  étoit  d'une  extrême  clar- 
té pour  eux  ;  que  par  la  force  de  leur  Art ,  ils  avoient  découvert  que  les 
Efpagnols  étoient  des  Enfans  du  Soleil ,  produits  par  l'aélivité  de  fes  in^ 
fluences  fur  la  terre  des  Régions  orientales  ;  que  leur  plus  grand  enchante» 
ment  étoit  la  préfence  de  leur  Père,  dont  la  puiflante  ardeur  leur  commu- 
niquoit  une  force  fupérieure  à  celle  de  la  Nature,  qui  les  faifoit  approcher 
de  celle  des  Immortels;  mais  que  l'influence  ceflant  lorfque  le  Soleil  décli- 
noit  vers  le  Couchant ,  ils  s'affoibliflbient  alors  &  flétriflbient  comme  l'her- 
be des  Prairies  :  d'où  les  Magiciens  inféroient  qu'il  falloit  les  attaquer  pen- 
dant la  nuit,  avant  que  le  retour  du  Soleil  les  rendît  invincibles.  Le  Sénat 
donna  de  grands  éloges  à  cette  découverte ,  &  fe  flatta  d'une  Vifloire  cer- 
taine. Quoique  les  Combats  noélurnes  fuflent  oppofés  à  l'ufage  de  la  Na- 
tion ,  l'ordre  fut  donné  à  Xicotencatl  d'attaquer  le  Camp  Efpagnol  après  le 
coucher  du  Soleil.  Heureufement  aue  la  vigilance  de  Cortez  n'étoit  jamais 
en  défaut.  Il  avoit  des  Polies  avances  &  des  Sentinelles  dans  l'éloignement. 
Il  faifoit  faire  exaftement  les  rondes.  Les  Chevaux  étoient  fellés  pendant 
toute  la  nuit,  &  les  Soldats  dormoient  armés.    Le  foir  avant  celle  qu'on 

.  K    avoit 


aUlOv-i 


«;!;-Ii 


rieiires  à  nos  propres  dcfirs ,  par  la  feule 
crainte  de  nous  voir  embralFer  le  parti  d'un 
Peuple  qui  s'eit  révolté  contre  lui  Ainfi 
les  obllacles  niC'ines,  que  nous  avons  ren- 
contrés dans  cette  Province,  auront  été 
l'indrument,  dont  le  Ciel  fe  fera  fervi  pour 
avancer  nôtre  entreprife.  Il  veut  les  faire 
,,  fervir  d'épreuve  à  nôtre  confiance,  parce 
,,  qu'il  ne  nous  doit  point  des  miracles  aux- 
,,  quels  nous  n'ayions  pas  contribué  de  nô- 
„  tre  cœur  &  de  i  os  mains.  Mais  fi  nous 
„  tournons  aujourd'hui  le  dos ,  ne  voyez- 
„  vous  pas  que  nous  perdons  tout  à  la  fois 
„  nos  travaux  &  le  fruit  qui  dovoit  les  fui- 
„  vre  ?  fans  compter  que  nous  ferons  les 
■„  premiers  à  qui  la  Viftoirc  aura  fait  perdre 
,,  le  courage.  Que  nous  rcllera-t-il  à  efpé- 
„  rer  ?  ou  plutôt  que  n'avons  nous  pas  à 
,,  craindre?  Ces  mômes  Peuples,  que  nous 
„  avons  vaincus ,  &  qui  font  encore  trem- 
„  blans  &  fugitifs,  s  animeront  par  nôtre  ro- 
„  lâchement.  Ils  font  les  maîtres  des  défi- 
,,  lés.    ils  ne  cefferout  pas  de  nous  fuivre. 


„  Ils  nous  accableront  dans  nôtre  marche. 
„  Ceux  qui  nous  fervent  avec  autant  de  Mé- 
„  H  té  que  de  courage,  ces  Zampoalans  & 
,,  ces  Totonaques,  nos  Alliés  &  Tunique  ref- 
„  fource  de  nôtre  retraite,  chercheront  l'oc- 
„  cafion  de  s'échapper.  Us  nous  abandon- 
„  neront ,  pour  aller  publier  nôtre  honte. 
,,  Peut-être  confpireront- ils  contre  nous, 
,,  après  avoir  perdu  l'opinion  qu'ils  avoient; 
,,  de  nos  forces.  Je  le  répète,  mes  Amis, 
„  il  eft  auffî  important,  pour  nôtre  fiiretc 
,.  que  pour  nôtre  honneur,  de  confidcrer 
„  tout  avec  beaucoup  d'attention  ,  en  mefu- 
,,  rant  les  efpéranccs  qu'il  e(l  quellion  d'a- 
,,  bandonner  ,  avec  les  périls  qui  peuvent 
,,  nous  relier  à  vaincre.  Propofez,  difcu- 
„  tez,  ce  qui  vous  paroltra  convenable  a  nô- 
„  tre  fituation.  Je  vous  Inifle  une  pleine  ii- 
„  bcrté.  J  ai  touché  ces  inconvéniens ,  fans 
•^chaleur,  fans  art,  fans  recherche  d'élo- 
„  quence,  moins  pour  défendre  mon  fenti- 
„  ment  que  pour  le  difculper  ".  Sulis,  Liv. 
2,  Chap.  ig. 


^       -EN"      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Li  V.  I.  311 

avoit  marquée  pour  l'attaque,  les  Sentinelles  découvrirent  un  gros  d'Enne- 
mis, qui  s'avançoient  à  petit»  pas  vers  le  Camp,  dans  un  filence  qui  ne  leur 
étoit  pas  ordinaire,  CorteZ  en  fut  averti. ,  Quoiqu'il  ignorât  encore  le  def- 
fein  des  Indiens,  non-feulement  il  donna  fes  ordres  pour  la  défenfe,  mais  il 
recommanda  qu'à  leut  exemple  le  filence  fût  obfervé  dans  tous  les  Portes. 
La  confiance  de  Xicotentfatl  augmenta  la  promelTe  des  Magiciens ,  lorfqu'à 
peu  de  diftance  du  Camp,  il  fe  crut  afluré,  par  ces  apparences  de  langueur, 
que  les  Efpagnols  fe  relîentoient  de  l'abfence  de  leur  Père.  Il  approcha  juf- 
qu'au  pied  du  rempart,  où  il  forma  trois  attaques,  qui  furent  eKécutées 
avec  beaucoup  de  hardiefle  &  de  diligence.  Mais  les  premiers  Indiens, 
qui  entreprirent  de  nj<dnter,  furent  reçus  avec  une  vigueur  à  laquelle  ils  ne 
s'attendoient  pas  ;  &  ceux  qui  les  fuivoient  prirent  l'épouvante,  envoyant 
tomber  les  plus  avancés,  dont  les  corps  rouloient  jufqu'à  eux.  Xicotencatl 
reconnut  l'impofture  des  Magiciens.  Cependant  fa  colère,  ou  fon  courage, 
le  fit  retourner  à  l'afTaut..  Ses  gens  donnèrent  des  témoignages  extraordi- 
naires de  valeur.  Ils  s'aidoient  des  épaules  de  leurs  Compagnons,  pour 
monter  fur  le  Rempart,  où  ils  recevoient  fans  étonnement  de  mortelles 
bleflures,  qui  continuoient  de  les  faire  tomber,  fans  que  les  autres  paruf- 
fent  rebutés  de  ce  fpeélacle.  Le  Combat  dura  long-tems,  avec  tout  le 
defavantage  qu'on  peut  s'imaginer  pour  eux,  dans  une  fituation  où  les 
Efpagnols  n'avoient  que  la  peine  d'allonger  le  bras  pour  les  tuer  à  coups 
de  lances.  Enfin- Xicotencatl ,  defefpérant  de  fon  entreprife,  prit  le  parti 
de  faire  fonner  la  retraite.  Cortez ,  qui  favoit  que  la  méthode  des  Barba- 
res étoit  de  fe  retirer  en  pelotons  &  fans  ordre,  fortit  alors  avec  une  par-f 
tie  de  fon  Infanterie ,  tandis  que  fes  Cavaliers ,  qui  avoient  garni  de  fon- 
nettes  le  poitrail  de  leurs  Chevaux ,  defcendirent  aulïï  dans  la  Campagne , 
pour  augmenter  la  terreur  des  Indiens  par  la  nouveauté  de  ce  bruit.  Une 
charge,  à  laquelle  ils  s'attendoient  fi  peu,  acheva  de  les  mettre  en  fuite; 
&  le  jour  ne  revint  que  pour  faire  admirer  le  nombre  des  Morts  &  des  Blef- 
^és,  qu'ils  avoient  laifles,  contre  leur  ufage,  au  pied  du  Rempart.  Les 
Efpagnols  perdirent  un  Zampoalan ,  &  n'eurent  que  deux  ou  trois  Blefles 
de  leur  Nation,*  ce  qu'ils  regardèrent  comme  un  miracle,  à  la  vue  de  l'ef- 
froyable quantité  de  flèches,  de  dards  &  de  pierres,  qui  étoient  tombés 
dans  l'enceinte  de  leur  Quartier  (s). 

Leur  joie  n'eut  d'abord,  pour  objet,  qu'une  Viftoire  qui  leur  avoit  fi 
peu  coûté;  mais  elle  augmenta  beaucoup,  en  apprenant,  des  Prifonniers , 
quelle  avoit  été  l'efpérance  de  leurs  Ennemis.  Cortez  ne  douta  point  que 
la  réputation,  qu'il  dçvoit  fe  promettre  d'un  événement  de  cette  nature, 
ne  fervît  plus  que  la  force  des  armes  au  fuccès  de  fes  delTeins.  En  effet , 
tous  les  Sénateurs  de  Tlafcala,  croyant  reconnoître,  dans  ces  invincibles 
Etrangers,  les  Hommes  céleftes  qui  étoient  annoncés-par  leurs  Prophéties, 
craignirent  de  s'attirer  les  derniers  malheurs  en  rejettant  plus  long  -  tems 
leur  amitié.  Ils  commencèrent  f>ar  facrifier  à  leurs  Dieux  une  partie  des 
Magiciens  qui  les  avoient  trompés ,  comme  des  Viftimes  de  propitiation , 
pour  appaifer  le  courroux  du  Ciel.    Enfuite,  penfant  à  nommer  desAm- 

''[.À  bafla* 

(f)  Solis,  ubifuprà,  Chap.  ip,       ..•    ,..  .     ...  ..;...  ;.  ..-,,  ..       , .; 


Fermakû 

C  O  II  T  E  2. 
IJI9. 


Il  efl:  re- 
poufi'é  mai- 
gre fa  fuiic. 


Des  Che- 
vaux garnis 
de  fonnettes 
achèvent  de 
le  mettre  ai 
fuite 


I-cs  Magi- 
ciens de  TUif- 
cala  font  fa- 
critiiis  aux 
Idoles. 


312 


PREMIERS      VOYAGES 


FSRNANn 
Co-RTE^. 

1519. 

Le  Sénat 
fe  détermine 
â  la  Paix. 


Rufe  de  Xi- 
cotencatl 
pour  s'y  op- 
î>ofer. 


Cortez  s'en 
.défend  par 
une  autre  ru- 
le. 

II  fait  mu- 
tiler quantité 
d'Indiens. 


bafladeiirs,  qui  dévoient  être  chargés  de  négocier  la  Paix,  ils  envoyèrent 
d'avance  un  ordre  exprès  à  Xicotencatl ,  de  faire  cefler  toutes  fortes  d'hof- 
tilités.    Ce  fier  Indien ,  loin  d'approuver  la  Délibération  de  fes  Maîtres, 
répondit  à  leur  Envoie,  que  fon  Armée  étoit  le  véritable  Sénat,  &  qu'il 
auroit  foin  de  foutenir  la  gloire  de  fa  Nation ,  puifqu'elle  étoit  abandonnée 
par  les  Pères  de  la  Patrie  (  f  ).    Quoiqu'il  fût  desabufé  de  la  folle  opinion 
qu'il  avoit  -conçue  du  raifonnement  des  Magiciens^  il  n'avoit  point  encore 
perdu  l'efpérance  de  forcer ,  pendant  la  nuit,  les  Etrangers  dans  leurs  murs. 
11  attribuoit  fa  dernière  difgrace  à  l'imprudence  qu'il  avoit  eue  de  les  atta- 
quer fans  avoir  fait  reconnoître  la  difpofîtion  de  leur  Camp  ;  &  dans  cette 
idée,  il  réfolut  d'y  envoyer  quelques  prions,  avec  ordre  d'en  examiner 
toutes  les  parties.    Les  Habitans  des  Villages  vdifins,  attirés  par  les  pré- 
fens  des  Efpagnols,  ne  faifoient  pas  difficulté  d'y  porter  des  vivres.    Il 
choifit  quarante  Soldats,  qu'il  fit  déguîfer  en  Païfans ,  avec  des  Fruits,  de 
la  Volaille  &  du  Maïz.    Il  leur  recommanda  d'obferver  les   endroits,  par 
lefquels  on  pouvoit  attaquer  la  Place  avec  plus  de  facilité  (v).    Quelques 
Hiftoriens  prétendent  que  ces  quarante  Emiflaires  s'y  introduifirent   en 
qualité  d'Envoyés  de  Xicotencatl ,  qui  feignit  de  propofer  un  Accommo- 
dement; &  cette  fuppofition  rendroit  l'inadvertance  des  Efpagnols  plus 
excufable.     Mais  il  eft  certain  que  les  Indiens  traveÂis  entrèrent  dans  le 
Camp,  qu'ils  y  pafTèrent  quelques  heures,  &  que  ce  fut  un  Zampoalan, 
qui  remarqua  le  premier  la  curiofité  avec  laquelle  ils  dbfepvoient  la  hauteur 
du  Mur.    Cortez,  qui  en  fut  averti,  fe  hâta  de  les  faire  arrêter.    La  for- 
ce des  tourmens  en  fît  parler  quelques-uns.    Il  forma   là-defTus  un  àtf- 
i^in ,  qui  lui  réuflit  au-delà  de  fes  efpérances.    Ce  fut  de  feindre  qu'il  a- 
voit  pénétra  celui  de  Xicotencatl ,  par  des  lumières  fupérieures  aux  con- 
noiffances  des  Indiens ,  &  de  lui  renvoyer  la  plus  grande  partie  de  fes 
Efpions,  pour  lui  déclarer,  de  fa  part,  que  les  Efpagnols  craignoient  aufli 
peu  la  rufe  &  la  trahifon ,  que  la  force  des  armes  ;  qu'ils  l'attendoient  fans 
crainte ,  &  qu'ils  avoient  lailTé  la  vie  à  la  plupart  de  fes  gens ,  afin  que  leurs 
obfervations  ne  fuflent  pas  perdues  pour  lui.  Mais,  jugeant  à  propos  aulli 
de  répandre  la  terreur  dans  toute  l'Armée  Indienne,  il  fit  mutiler  diverfe- 
ment  les  Malheureux  qu'il  renvoyx)it  (1).    Ce  fpeftacle  fanglan*  caufa  tant 
d'horreur  aux  Troupes  qui  marchoient  déjà  pour  l'attaque ,  qu'elles*^arurent 
balancer  fur  l'obéiflance  qu'elles  dévoient  à  leur  Chef.    Xicotencatl ,  frappé 
lui-même  de  voir  fon  projet  éventé,  fe  figura  que  les  Etrangers  n'avoient 
pu  connoitre  fes  Efpions  &  pénétrer  jufqu'au  fond  de  leurs  penfées ,  fans 
avoir  quelque  chofe  de  divin.     11  étoit  dans  cette  agitation  ,  lorfque  deux 
Minillres,  envoyés  par  le  Sénat,  qui  avoit  été  choqué  de  l'infolence  de  fa 
réponfe,   vinrent  lui  ôter  le  Commandement;  &  Ces  Troupes,  peu  dif- 
pofées  à  le  foutenir  dans  fa  desobéilTance ,  ne  tardèrent  point  à  fe  diflî- 
per.     Il  rentra  néanmoins  dans  Tlafcala ,  fous  la  proteftion  de  fes  Parens 
&  de  fes  Amis ,  qui  le  préfentèrent  aux  Sénateurs ,  avec  lefquels  ils  firent 
fa  paix  (y).  .  -■.■    -..h  ,  i..ii   ,»  j, '-Ut»*'^''  '''''-^  ;;..•.';•..;    .  .  ,:.  JUEs 

(0  Solls.  Ibidem.        '''  *• ''1  :»-J^'J«' '    les  pouces 'à  tous  Ic's  autres.  Ibid.  Hcrr.  uM 

(v  )  Ibidem.  fup. 

(  x  }  Il  fit  couper  les  mains  à  14  ou  15, &        (y)  Solis  &  Herrera.    Ibidem. 


^y 


EN      AMERIQUE,   Liv.   I. 


313 

Les  Efpagnols  avoient  pafTé  la  nuit  fous  les  armes,  &  dans  une  vive  in- 
quiétude. Le  jour  fuivant  ne  fut  pas  plus  tranquille;  &  quoiqu'ils  apprif- 
fent ,  des  Indiens  qui  leur  apportoient  des  vivres ,  que  l'Armée  des  Tlafca- 
lans  étoit  rompue,  leur  incertitude  dura  jufqu'au  lendemain.  Mais  les Sen- 
tinelles  découvrirent ,  au  point  du  jour,  une  Troupe  d'Indiens,  quis'avan- 
çoient  vers  le  Camp;  &Cortez donna  ordre  qu'on  leur  laiflat  la  liberté  d'ap- 
procher. C'itoit  rAmbaflade  du  Sénat,  compofée  de  quatre  vénérables 
Perfonnages,  dont  l'habit  &  les  plumes  blanches  annonçoient  ouvertement 
la  Paix.  Ils  étoient  environnés  de  leur  Cortège,  après  lequel  marchoient 
quantité  de  Tamenes ,  chargés  de  toutes  fortes  de  provifions.  Ils  s'arrê- 
toient  par  intervalles,  avec  de" profondes  inclinations  de  corps  vers  le  Camp 
des  Efpagnols;  &  bailTant  les  mains  jufqu'à  terre,  ils  les  portoient  enfuite 
à  leurs  lèvres.  A  quelques  pas  des  Murs,  ils  rendirent  leur  dernier  hom- 
mage ,  par  des  encenfemens  qu'ils  firent  au  Fort.  Marina  parut  fur  le 
bord  du  Rempart,  &  leur  demanda ,  dans  leur  Langue,  de  quelle  part  & 
dans  quelles  vues  ils  fe  préfentoient.  Ils  répondirent  qu'ils  étoient  envoyés 
par  le  Sénat  &  la  République  de  Tlafcala ,  pour  traiter  de  la  Paix.  On  ne 
leur  refufa  point  l'entrée,'  mais  Cortez  les  reçut  avec  un  appareil  de  gran- 
deur &  d'un  air  de  févérité,  qu'il  jugea  néccffaires  pour  leur  infpirdr  du 
refpe6l&  de  la  crainte.  Après  avoir  recommencé  leurs  révérences  &  leurs 
encenfemens,  ils  expofèrent  le  fujet  de  leur  Députation,  qui  fe  réduifit  à 
des  excufes  frivoles ,  tirées  de  l'emportement  brutal  des  Otomies ,  que  tou- 
te l'autorité  du  Sénat  n'avoit  pu  réprimer,  &  à  J'offre  de  recevoir  les  Ef- 
pagnols dans  leur  Ville,  où  ils  promettoient  de  les  traiter  comme  les  Frè- 
res de  leurs  Dieux.  Cortez,  diflîmulant  la  joie  qu'il  reffentoit  de  ce  lan- 
gage ,  affefta  de  les  laiffer  dans  le  doute  de  fes  intentions.  Il  leur  fit  va- 
loir la  bonté  qu'il  avoit  de  les  écouter,  lôrfqu'ils  avoient  mérité  fa  colère, 
&le  penchant  qu'il  confervoit  encore  pour  la  Paix,  après  une  Guerre- in- 
iufte .  qui  lui  donnoit  fur  eux  tous  les  droits  de  la  Viéloire.  Cependant  il 
promit  de  ne  pas  reprendre  les  armes ,  s'il  n'y  étoit  forcé  par  de  nouvelles 
offenfes,  &  de  laiffer  le  tems,  à  la  République,  de  réparer  le  paffé  par  une 
prompte  fatisfaélion.  Il  avoit  deux  vues,  dans  cette  réponfe;  l'une,  de 
s'affurer,  en  effet,  delà  bonne  foi  des  Tlafcalans  ;  &  l'autre,  de  prendre 
quelques  jours  pour  rétablir  fa  fanté ,  qui  avoit  beaucoup  fouffert  d'une  fi 
continuelle  fatigue  (2). 

A  peine  les  Ambaffadeurs  étoient  fortis  du  Fort,  qu'on  y  vit  arriver  cinq 
Mexiquains,  qui  fe  firent  annoncer  au  nom  de  l'Empereur  Motezuma.  Ils 
avoient  pris  des  chemins  détournés  pour  entrer  fur  les  Terres  des  Tlafca- 
lans ,  &  c'étoit  à  force  de  précautions  qu'ils  les  avoient  traverfées  fans  obf- 
tacle.  Motezuma ,  informé  par  la  diligence  de  fes  Courriers ,  de  tout  ce 
qui  fe  paffoit  à  Tlafcala,  fentoit  redoubler  fes  allarmes ,  en  voyant  une  Na- 
tion belliqueufe,  qui  avoit  rélifté  tant  de  fois  à  toutes  fes  forces,  vaincue, 

dans 


Fernand. 

Cortez./ 

I  5  1 9. 

Députation 
du  Sénat  Tlaf- 
calanauCamp 
de  Cortez. 


Cérémonies 
de  la  marche 
des  Députés. 


"'"*  (2)  Les  Hidoricns  obfcrvcnt  qu'ayant 
pris  médecine  un  jour  qu'il  fut  attaqué  par 
les  Indiens ,  il  ne  lailFa  pas  de  monter  à  Che- 
val ,  de  combattre ,  de  filre  toutes  les  tbnc- 

yLVllL  Part. 


fions  de  Général  &  de  Soldat ,  &  que  fa  mé- 
decine ne  fit  fon  opération  que  le  jour  fui- 
vant. Herrera,  Liv.  6,  Chap.  10.  Solis, 
Liv.  2.  Chap.  21. 

R  r  .  • 


Offres  qu'ils 
font  à  Cor- 
tez. 


Sa  réponfe, 
&  fa  réfolur 
tion. 


Nouveaux 
AmbaiTadeurs 
de  Motezu- 
ma. 


Fernanu 

COKTEZ. 

I  5  I  9. 


Explication 
delà  conduite 
de  ce  Prince. 


Quel  fruit 
Cortez  tire  de 
l'AmbalTade 
Impériale, 


Xîcotencatl 
vient  lui -mô- 
me en  dépu- 
tation  au 
Camp  Efpa- 
Snol. 


Son  Cortè- 


314       PRËMIERSVOYAGES 

dans  plufieurs  Batailles ,  par  un  petit  nombre  d'Etrangers.  Il  commençoit 
à  craindre  qu'après  avoir  fournis  ces  Rebelles,  Cortez  ne  formât  de  plus 
grandes  entreprifes ,  &  n'employât  leurs  armes  à  la  Conquête  de  l'Empire. 
11  paroît  étonnant  qu'avec  de  fi  juftes  foupçons,  il  n'aflemblât  point  une 
Armée  pour  fa  défenfe.  Mais  on  obferve ,  dans  toute  fa  conduite ,  qu'il 
fe  fioit  beaucoup  aux  artifices  de  fa  Politique ,  &  que  fon  efpérance  étoit  en- 
core de  rompre  l'union  qui  pouvoit  fe  former  entre  les  Elpagnols  &  les 
Tlafcalans.  C'étoit  dans  cette  vue  qu'il  envoyoit  une  Ambaflade  à  Cortez, 
fous  prétexte  de  le  féliciter  de  l'heureux  fuccès  de  fes  armes ,  &  de  l'ex- 
horter à  traiter  fans  ménagement  leurs  Ennemis  communs,  pour  lefquels 
il  fe  flatioit  de  lui  infpirer  de  la  défiance  &  de  la  haine,  par  les  plus  odieu- 
fes  peintures  de  leur  mauvaife  foi.  D'ailleurs,  fes  Ambafladeurs  avoient 
ordre  de  faire  de  nouvelles  inftances  au  Général  étranger ,  pour  lui  faire 
abandonner  le  deflein  de  fe  rendre  à  fa  Cour ,  en  lui  expliquant ,  avec  des 
apparences  d'amitié,  les  raifons  qui  ne  permettoient  point  à  leur  Maître  de 
lui  accorder  cette  liberté.  Leurs  inftruclions  portoient  auflTi  de  reconnoître 
la  fituation  des  Tlafcalans  ;  &  s'ils  les  voyoient  portés  à  la  Paix,  de  faire 
naître  aflez  d'obftacles ,  au  Traité ,  pour  fe  donner  le  tems  de  l'informer 
du  fuccès  de  leur  négociation  (a). 

Cortez  les  reçut  avec  d'autant  plus  de  joie  &  de  civilité,  que  le  filence 
de  ce  Monarque  commençoit  à  lui  caufer  de  l'inquiétude.  Il  marqua  une 
extrême  reconnoiflance  pour  leurs  préfens,  qui  montoient  à  la  valeur  de 
deux  mille  marcs  d'or.  Mais  il  trouva  des  prétextes  pour  différer  fa  répon- 
fe ,  parce  qu'il  vouloit  qu'avant  leur  départ  ils  viflent  avec  quelle  foumiflîon 
les  Tlafcalans  lui  demandoient  la  Paix  ;  &  de  leur  côté ,  ils  ne  demandèrent 
point  d'être  dépêchés ,  parce  que  ce  délai  fembloit  favorable  à  leur  Com- 
miflion.  Cependant,  ils  ne  furent  pas  long-tems  ftns  la  faire  pénétrer,  par' 
des  queftions  indifcretes ,  qui  firent  connoître  toutes  les  frayeurs  de  Mote- 
zuma,  &  de  quelle  importance  il  étbit,  pour  le  réduire  à  la  raifon,  de  con- 
dure  avec  les  Tlafcalans. 

La  R'^publique ,  qui  vouloit  perfuader  les  Efpagnols  de  la  fincérité  de  fes 
intentions ,  envoya  ordre ,  à  toutes  les  Bourgades  voifines  du  Camp ,  d'y 
porter  des  vivres  ,  fans  payement  &  fans  échange.  L'abondance  y  régna 
auffi-tôt;  &  les  Payfans  du  Canton  pouflerent  la  fidélité  jufqu'à  refufer  les 
moindres  recompenles.  Deux  jours  après,  on  découvrit  1  fur  le  chemin 
de  la  Ville ,  un  gros  d'Indiens  qui  s'approchoient  avec  toutes  les  marques 
de  la  Paix.  Cortez  ordonna  que  le  Fort  leur  fût  ouvert,  fans  aucune  appa- 
rence de  foupçon.  Il  fe  fit  accompagner,  pour  les  recevoir,  des  cinq  Am- 
bafladeurs Mexiquains ,  après  leur  avoir  fait  entendre ,  avecnoblefle,  qu'il 
ne  vouloit  rien  avoir  de  réfervé  pour  Ces  Amis.  Le  Chef  des  Tlafcalans 
étoit  Xicotencatl  même ,  qui  avoit  brigué  cette  Commiflîon ,  pour  achever 
de  fe  rétablir  dans  l'efprit  des  Sénateurs,  ou  peut-être,  fuivantla  conjeélu- 
redeSolis,  parce  qu'ayant  reconnu  la  nécelfité  de  la  Paix,  fon  ambition 
lui  faifoit  délirer  que  la  République  n'en  eût  l'obligation  qu'à  lui.  Il  avoit, 
pour  Cortège,  cinquante  Seigneurs,  des   plus  diftingués,  tous  dans  une 

magni- 

(«)  Solis,  uhiftipràt  Chap.  21.  ^ 


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EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I.  315 

magnifique  parure.  Sa  taille  étoit  au-deflus  de  la  médiocre,  affez  dégagée, 
mais  droite  &  robulle.  Il  étoit  vêtu  d'une  robbe  blanche,  qu'il  foutenoit 
d'un  air  Cavalier ,  avec  quantité  de  plumes ,  &  quelques  pierreries  aflez  ga- 
lamment diftribuées.  Les  traits  de  ion  virage ,  quoique  fans  proportion , 
formulent  une  phyfionoinie  majeftueufe  &  guerrière.  Après  quelques  ré- 
vérences Indiennes,  il  s'aflît,  fans  attendre  l'invitation  de  Cortez;  &  le 
regardant  d'un  œil  ferme  ,  il  lui  dit ,  „  qu'il  fe  reconnoiflbit  feul  coupable 
de  toutes  les  hoftilités  qui  s'étoient  commifes  ;  qu'il  s'étoit  imaginé  que 
les  Efpagnols  étoient  dans  les  intérêts  de  Motezuma  &  des  Cuhasy  dont 
ilïvoitlenom  en  horreur;  mais  qu'étant  mieux  informé,  il  venoit  fe 
rendre  entre  les  mains  de  fes  Vainqueurs,  &  qu'il  fouhaitoit  de  mériter, 
par  cette  foumiflion  ,  le  pardon  de  la  République,  au  nom  de  laquelle  il 
fe  préfentoit  pour  demander  la  Paix ,  &  pour  la  recevoir  aux  conditions 
qu'il  leur  plairoit  de  l'accorder  ;  qu'il  la  demandoit  une,  deux  &  trois 
fois,  au  nom  du  Sénat,  de  la  Noblefle  &  du  Peuple,  &  qu'il  fupplioit 
le  Général  d'honorer  leur  Ville  de  fapréfence;  qu'il  y  trouveroit  des 
Logemens  pour  toute  fon  Armée  ;  que  jamais  les  TIafcalans  n'avoient  été 
forcés  d'en  ouvrir  les  Portes  ;  qu'ils  menoient,  dans  ces  Montagnes ,  une 
vie  pauvre  &  laborieufe,  uniquement  jaloux  de  leur  liberté;  mais  que 
l'expérience  leur  ayant  fait  connoître  la  valeur  des  Efpagnols,  ils  ne 
vouloient  pas  tenter  plus  long-tems  la  fortune  ;  &  qu'ils  leur  deman- 
doient  feulement  en  grâce  d'épargner  leurs  Dieux,  leurs  Enfans  &  leurs 
Femmes  (ô)". 

Cortez,  dans  l'eftime  qu'il  avoit  naturellement  pour  la  grandeur  d'ame, 
fut  fi  touché  de  la  noblefle  de  ce  difcours  &  de  l'air  libre  &  guerrier  de  Xi- 
cotencatl,  qu'après  l'avoir  témoigné  aux  Affiftans ,  il  voulut  que  Marina  fît 
la  même  déclaration  à  ce  brave  Indien,  autant  pour  fe  l'attacher,  par  cette 
marque  de  confidération ,  que  pour  l'empêcher  de  croire  que  l'accueil , 
qu'on  lui  faifoit,  vînt  de  quelque  autre  ménagement.  Enfuite,  reprenant 
un  air  févère,  il  lui  fit  des  reproches  fort  vifs  de  l'obftination  avec  laquelle 
il  avoit  entrepris'de  réfifter  à  fes  armes;  il  exagéra  la  grandeur  du  crime, 
pour  faire  valoir  celle  du  pardon;  &  promettant  enfin  la  Paix,  fans  aucu- 
ne réferve,  il  ajouta  que  lorfqu'il  jugeroit  à  propos  d'aller  à.Tlafcala,  il 
en  donneroit  ayis  aux  Sénateurs.  Ce  retardement  parut  affliger  Xicoten- 
eatl,  qui  le  regarda  comme  un  refte  de  défiance,  ou  comme  un  prétexte 
pour  mettre  la  bonne  foi  des  TIafcalans  à  l'épreuve.  11  fe  hâta  de  répon- 
dre, que  lui,  qui  étoit  le  Général,  &  la  principale  Noblefle  de  la  Nation, 
dont  il  étoit  accompagné,  s'offroient  à  demeurer  Prifonniers  entre  les 
mains  des  Efpagnols ,  pendant  tout  le  tems  qu'ils  voudroient  pafl^er  dans  la 
Ville.  Cortez,  quoique  fort  fatisfait  de  cette  offre,  aflTefta  de  la  rejette/ 
par  une  générofité  fupérieure.  .11  fit  dire,  au  Général  Indien,  que  les  Es- 
pagnols n'avoient  pas  plus  befoin  d'Otages,  pour  entrer  dans  fa  Ville,  qu'ils 
n'en  avoient  eu  pour  fe  maintenir  dans  le  Pays  des  TIafcalans  au  milieu  de 
leurs  nombreufes  Armées;  qu'on  pouvoit  s'alfurer  de  la  Paix  fur  fa  parole, 
&  qu'il  iroit  à  la  Ville  aufli-tôt  qu'il  auroit  dépéché  des  Ambalîadeurs ,  que 

Mo- 
(t)  Hcrrera,  Cbap.  10.    Solis,  Chap.  21. 

Rr  a 


F  R  R  N  A  K  » 

C  o  R  T 1:  a. 

1519- 

Sa  figure  !i 
fon  habillC' 
ment. 

Son  dif- 
cours à  Cor- 
tez. 


Cortez  cher* 
che  à  fe  l'at- 
tacher. 


Comment 
il  fe  conduit 
à  l'égard  du 
Sénat. 


Fbrnand 

CORTEZ. 

15 19. 

La  Paix  eft 

Çubliée  â 
'lafcala. 


Chagrin 
qu'elle  caule 
aux  Mexi- 
«inains. 


Prëfens  que 
Cottez  reçoit 
de  leur  Cour. 


(;^uelles  con- 
ditions Mote- 
zuma  lui  fait 
propofer. 


316       PREMIERS      VOYAGES 

Motezuma  lui  avoit  envoyés.  Ce  difcoiirs ,  que  fon  habileté  lui  fit  lâcher 
comme  fans  deflein,  eut  le  pouvoir  d'échauffer  également  les  Minières 
des  deux  Nations.  Xicotencatl  fe  hâta  de  retourner  à  Tlafcala ,  où  la  Paix 
fut  auffi-tôt  publiée  avec  des  réjouiflances  fort  éclatantes.  Les  Mexiquains , 
qui  demeurèrent  dans  le  Camp ,  firent  d'abord  quelques  railleries  fur  le 
Traité  &  fur  le  caraftère  ^e  ceux  qui  le  propofoient.  Enfuite,  feignant 
d'admirer  la  facilité  des  Efpagnols,  ils  pouffèrent  l'artifice  jufqu'à  dire  à 
Cortez  qu'ils  le  plaignoient  de  ne  pas  mieux  connoître  les  Tlafcalans,  Na- 
tion perfide,  qui  fe  maintenoit  moins  par  la  force  des  armes  que  par  la  ru- 
fe,  oc  qui  ne  penfoit  qu'à  le  tromper  par  de  fauffes  apparences,  pour  le 
perdre  avec  tous  fes  Soldats.  Mais  lorfqu'il  leur  eut  répondu  qu'il  ne  crai- 
gnoit  pas  plus  la  trahifon  que  la  violence ,  que  fa  parole  étoit  une  loi  fa- 
crée,  &  que  la  Paix  d'ailleurs  étant  l'objet  de  fes  armes,  il  ne  pouvoit  la 
refufer  à  ceux  qui  la  demandoient,  ils  tombèrent  dans  une  profonde  rêve- 
rie, dont  ils  ne  fortirent  que  pour  le  fupplier  de  diflférerde  fix  jours  fon 
entrée  dans  Tlafcala.  Cortez  paroiffant  furpris  de  cette  demande,  ils  lui 
avouèrent  que,  dans  la  fuppofition  de  la  Paix,  ils  avoient  ordre  d'en  don- 
ner avis  à  l'Empereur  avant  qu'elle  fût  conclue,  &  d'attendre  fes  ordres 
pour  s'expliquer  davantage.  L'habile  Efpagnol  leur  accorda  volontiers 
cette  grâce,  non-feulement  parce  qu'il  vouloit  conferver  des  égards  pour 
Motezuma ,  mais  parce  qu'il  demeura  perfuadé  qu'elle  pourroit  fervir  à  le- 
ver les  difficultés  que  ce  Prince  faifoit  de  fe  laiffer  voir  (<:). 

Les  Députés  revinrent,  le  fixième  jour,  accompagnés  de  fix  autres 
Seigneurs  de  la  Cour  Impériale,  qui  apportoient  de  nouveaux  préfens  à 
Cortez.  Ils  lui  dirent  que  l'Empereur  du  Mexique  defiroit  avec  paffio' 
d'o  Jtenir  l'alliance  &  l'amitié  du  grand  Monarque  des  Efpagnols ,  dont  ja 
Majefté  paroiffoit  avec  tant  d'éclat  dans  la  valeur  de  fes  Sujets,  &  que  ce 
deflein  le  portoit  à  partager  avec  lui  fes  immenfes  richeffes  ;  qu'il  s'enga- 
geoit  à  lui  payer  un  Tribut  annuel,  parce  qu'il  le  révéroit  comme  le  Fil» 
du  Soleil,  ou  du  moins  comme  le  Seigneur  des  heureufes  Régions,  où  les 
Mexiquains  voyoient  naître  la  lumière;  mais  que  ce  Traité  devoit  être  pré- 
cédé de  deux  conditions  :  la  première ,  que  les  Efpagnols  ne  formaflent 
aucune  Alliance  avec  la  République  de  Tlafcala ,  puifqu'il  n'étoit  pas  rai- 
fonnable  qu'ayant  tant  d'obligation  à  la  générolîté  de  l'Empereur,  ils  prif- 
fent  parti  pour  ies  Ennemis  j  la  féconde ,  qu'ils  achevaffent  de  fe  perfuader 
que  le  deflein,  qu'ils  avoient  d'aller  à  Mexico,  étoit  contraire  aux  Loix 
de  fa  Religion ,  qui  ne  permettoient  pas ,  au  Souverain ,  de  fe  laifler  voir 
à  des  Etrangers;  qu'ils  dévoient  confidérer  les  périls,  dans  lefquels  l'une 
ou  l'autre  de  ces  entreprifes  ne  manqueroit  pas  de  les  engager;  que  les 
Tlafcalans,  nourris  dans  l'habitude  de  la  trahifcn  &  du  brigandage,  ne 
cherchoient  qu'à  leur  infpirer  une  fauffe  confiance,  pour  trouver  l'occafion 
de  fe  vanger ,  &  pour  fe  faifir  des  riches  préfens  qu'il  avoit  faits  à  Cortez  ; 
&  que  les  Mexiquains  étoient  fi  jaloux  de  l'obfervation  de  leurs  Loix,  & 
d'ailleurs  fi  farouches ,  que  toute  l'autorité  de  l'Empereur  ne  feroit  pas  ca- 
pable d'arrêter  leurs  emportemens:  (^ue  par  cgnféquent  les  Efpagnols ,  a^ 

près 

(c)  Solis,  ibidem. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Li  V.  I.  317 

près  avoir  été  tant  de  fois  avertis  du  danger,  ne  pourroient  fe  plaindre 
avec  juftice  de  ce  qu'ils  auroient  à  foufFrir. 

CoRTEZ  fe  trouva  fort  loin  de  fes  efpérances.  Il  comprit  plus  que  ja- 
mais que  Motezuma  le  regardoit  avec  toute  l'horreur  que  fes  funeftes  pré- 
fages  lui  avoitnt  infpirée  pour  les  Etrangers,  &  qu'en  feignant  d'obéir  à 
fes  Dieux,  il  fe  faifoit  une  religion  de  fa  crainte.  Cependant,  il  diffimu- 
la  fon  cliagrin,  pour  répondre  froidement,  aux  nouveaux  Ambafladeurs, 
qu'après  les  fatigues  de  leur  Voyage,  il  vouloit  leur  lailTer  prendre  un  peu 
de  repos,  &  quil  ne  tarderoit  point  à  les  congédier.  Son  deflein  étoit  de 
les  rendre  témoins  de  fon  Traité  avec  les  Tlafcalans ,  &  de  fufpendre  fes 
dernières  explications,  pour  ôter,  à  Motezuma,  le  tems  d'aflembler  une 
Armée.  On  étoit  bien  informé  qu'il  n'avoit  point  encore  fait  de  prépara- 
tifs pour  la  Guerre. 

Cependant  les  délais  affeftés  de  Cortez  caufoient  beaucoup  d'inquiétude 
au  Sénat  Tlafcalan ,  qui  croyoit  ne  les  pouvoir  attribuer  qu'aux  intrigues 
des  Ambafladeurs  Mexiquains.  Les  Sénateurs  prirent  la  réfolution  de  fe 
rendre  au  Camp  des  Kfpagnols,  pour  les  copvaincre  de  leur  affeétion ,  & 
de  ne  pas  retourner  dans  leur  Ville  fans  avoir  déconcerté  toutes  les  négo- 
ciations de  Motezuma.  Ils  partirent ,  avec  une  nombreufe  fuite  &  des  or- 
nemens,  dont  la  couleur  annonçoit  la  Paix.  Chacun  étoit  porté  dans  une 
forte  de  litière ,  fur  les  épaules  des  Miniflres  inférieurs.  Magifcatzin ,  qui 
avoit  toujours  opiné  en  faveur  des  Etrangers,  étoit  à  la  tête,  avec  le  Pè- 
re de  XicotencatI ,  vénérable  Vieillard ,  que  fon  grand  âge  avoit  privé  de 
l'ufage  des  yeux,  fans  avoir  afFoibli  fon  efprit,  qui  faifoit  encore  refpeéler 
fon  fentiment  dans  les  délibérations.  Ils  s'arrêtèrent  à  quelques  pas  du 
Logement  de  Cortez;  &  le  vieil  Aveugle,  étant  entré  le  premier,  fe  fit 
placer  proche  de  lai,  âcTembrafla  d'abord  avec  une  familiarité  noble  &  dé- 
cente. Enfuite ,  il  lui  pafla  la  main  fur  le  vifage  &  fur  différentes  parties 
du  corps,  comme  s'il  eût  cherché  à  connoître  fa  figure ,  par  le  fens  du  tou- 
cher, au  défaut  de  fes  yeux,  qui  ne  pouvoient  lui  rendre  cet  office.  Cor- 
tez fit  aflicoir  autour  de  lui  tous  les  Sénateurs ,  &  reçut ,  dans  cette  fitua- 
tion ,  un  nouvel  hommage  de  la  République  par  la  bouche  de  fes  Chefs. 
Leur  difcours  fut  adroit  oc  preflant  (rf).    Solis  reproche,  comme  une  in- 

jufti- 
•  ■    '       ,j.    .  1,'  '.'.''  >■■  f ' '■■  ■•        •"       '    •'''■''' 

{d)  Ce  fut  l'Aveugle  même  qui  "parla, 
dit-on,  à-pcu-près  dans  ces  termes;  ,  Gé- 
j,  nércux  Cupftaine ,  foit  que  tu  fois ,  ou 
„  non,  de  la  race  des  Immortels,  tu  asmain- 
„  tenant,  dans  ton  pouvoir,  le  Sénat  de  Tlaf- 
„  cala,  qui  vient  te  rendre  ce  dernier  té- 
„  moignage  de  fon  obéiflance.  Nous  ne  ve- 
„  nons  point  excufer  les  fautes  de  nôtre  Na- 
„  tion  ,  mais  feulement  nous  en  charger, 
„  avec  l'efpérancc  d'appaifer  ta  colère  par 
,.,  nôtre  fincerité  C'cR  nous  qui  avions  ré- 
„  folu  de  te  faire  la  Guerre  ;  mais  c'efl  nous 
„  aufli  qui  avons  conclu  de  te  demander  la 
„  Paix.  Nous  n'ignorons  point  que  Mote- 
;„  2uma  s'eiForce  de  te  détourner  de  nôtre 


Fernaiîd 
Cortez. 

1519- 
Cortez  fiif- 

pend  fa  ré 

ponfc. 


Il  etlprefTé 
de  fe  rendre 
à  Tkifcala. 


DéputatioB 
u'il  reçoit 
es  princi- 
paux Séna- 
teurs« 


3: 


Difcours  de 
Magifcatzin  j 
Vieillard  a- 
veugle. 


Il 

Rr 


Alliance.  Ecoute- le  comme  nôtre  Enne- 
mi ,  fi  tu  ne  le  confidères  pas  comme  un 
Tyran ,  tel  qu'il  doit  déjà  te  le  paroître , 
puifqu'il  te  recherche  dans  le  deritin  de  te 
perfuader  une  injuftice.  Nous  ne  deman- 
dons pas  que  tu  nous  afiiftes  contre  lui  ; 
nos  feules  forces  nous  fuffifent  contre  tout 
ce  qui  ne  fera  pas  toi  ;  mais  nous  verrons 
avec  chagrin  que  tu  prennes  confiance  i 
fes  promefles ,  parce  que  nous  connoiiFons 
fes  artifices.  Au  moment  que  je  te  parle , 
il  s'offre  à  moi,  malgré  mon  aveuglement, 
certaines  lumières ,  qui  me  découvrent  de 
loin  le  péril  où  tu  t'engages.  Tu  nous  as 
offert  la  Faix ,  fi  Motezuma  ne  te  retient. 
3  „  Pour» 


FBRNANn 
CORTEZ. 

1519- 


S18      PREMIERS      VOYAGES 

jullicc,  à  quelques  Ecrivains  étrangers ,  peu  affeftionnés .  dit-il,  à  fa  Na- 
■        d'avoir  repréfenté  ces  Indiens  comme  des  Bêtes  dépourvues  de  rai- 


Girtez  mar- 
che vers 
Tlafcala, 


Marques  de 
joye  qu'on 
lui  donne  fur 
fa  route. 


Son  entrée 
«l:;ns  Tlal'cala. 


Defcription 
de  cette  Ville. 


tion, 

fon,  dans  la  vue  de  rabbaiffer  les  conquêtes  de  l'Efpagne.  Il  ajoute  qu'à  la 
vérité  ils  admiroicnt  des  Hommes ,  qui  leur  paroiiToient  aifez  difFérens 
d'eux ,  pour  les  croire  d'une  autre  efpèce.  Ils  regardoient  leur  barbe  com- 
me une  fingularité  merveilleufe,  parce  qu'ils  n'en  avoient  pas  eux-mêmes. 
Ils  prenoienc  les  armes  à  feu  pour  des  foudres,  &  les  Chevaux  pour  de  re- 
doutables Monflres.  Ils  donnoient  de  l'or  pour  du  verre.  Mais  leur  éton* 
nemcnt  ne  venoit  que  de  la  nouveauté  de  ces  fpc6lacles,  &  ne  doit  pas  fai- 
re juger  plus  mal  de  leur  raifon.  L'admiration  fuppofe  l'ignorance,  mais 
elle  ne  prouve  point  l'incapacité. 

Cor TEZ  ne  put  réfifter  à  des  foumiffions,  qiii  portoient  un  caraflère  de 
bonne-foi  fi  peu  fufpeft.  Après  avoir  fait  une  réponfe  favorable  aux  Séna- 
teurs, il  exigea  feulement  qu'ils  lui  envoyaflent  des  Indiens,  pour  la  con- 
duite de  l'Artilierie  &  le  tranfport  du  Bagage.  Dés  le  jour  fuivant,  on  vit 
arriver,  à  la  porte  du  Fort,  cinq  censTamenes,  qui  fe  difputérent  entr'eux 
l'honneur  de  portei*  les  plus  pefans  fardeaux.  Aufli  tôt  Cortez  fit  difpofer 
tout  pour  la  marche.  On  forma  les  Bataillons ,  &  l'Armée  prit  le  chemin 
de  Tlafcala ,  avec  l'ordre  &  les  précautions  qu'elle  obfervoit  dans  les  plus 
grands  dangers  ;  fur  quoi  les  Hift:oriens  remarquent  que  la  meilleure  partie 
des  profperités  de  Cortez  étoit  due  à  l'exaélitude  de  la  difcipKne ,  dont  il 
ne  fe  relâcha  jamais.  La  Campagne  fe  trouva  couverte  d'une  multitude  in- 
nombrable d'Indiens.  Leurs  cris  &  leurs  applaudifiTemens  diiferoient  peu 
des  menaces  qu'ils  employoient  dans  les  Combats;  mais  les  Efpagnols  a- 
voient  été  prévenus  fur  ces  témoignages  de  joye,  qui  étoient  en  ufage  dans 
les  plus  grandes  Fêtes  du  Pays.  Le  Sénat  vint  au-devant  d'eux ,  efcorté 
de  toute  la  Noblefl^e.  A  l'entrée  de  la  Ville ,  les  acclamations  redoublè- 
rent avec  un  nouveau  bruit  d'inftrumens  barbares ,  qui  fe  mêlèrent  à  la  voix 
du  Peuple.  Les  Femmes  jettoient  des  âeurs  fur  les  Hôtes;  &  les  Sacrifi- 
cateurs, revêtus  des  habits  de  leur  miniflère,  les  attendoient  au  paflage, 
avec  des  brafiers  de  copal ,  dont  ils  dirigeoient  vers  eux  la  fumée.  Ils  trou- 
vèrent des  logemens,  fournis  de  toutes  fortes  de  commodités,  dans  un  fpa- 
cieux  Edifice,  où  l'on  entroit  par  trois  grands  portiques,  &  qui  contenoic 
tant  d'apparten  2ns ,  que  toute  l'Armée  y  fut  logée  fans  embarras.  Cortez 
avoit  amené  les  Ambaifadeurs  Mexiquains,  malgré  leur  réfiflance./  Il  leur 
fit  donner  un  appartement  prés  du  lien,  pour  les  mettre  à  couvert  fous  fa 
proteftion  (e).  Tlafcala  étoit  alors  une  Ville  fort  peuplée,  bâtie  fur  qua- 
tre éminences,  qui  s'étendoient  de  l'Eft  au  Couchant,  &  qui  avoient  l'ap- 
parence de  quatre  Citadelles,  avec  des  rues  de  communication ,  bordées  de 
murs  fort  épais ,  qui  formaient  l'enceinte  de  la  Place.    Ces  quatre  parties 

•••     -:     -,  étoient 

„  Il  n'y  a  point  de  milieu,  pour  nous,  en- 
„  tre  la  néceffité  d'être  tes  Amis  ou  tes  Ef- 
„  claves  ".    Solis,  ibid. 

(  e  )  Herrera  met  l'entrée  de  Cortez  dans 
Tlafcala  au  i8  de  Septembre;  &  Solis ,  apràs 
Diaz ,  au  23. 


'         *  ■  r 

„  Pourquoi  te  retient-il  ?  Pourquoi  te  refu- 
„  fes-tu  à  nos  prières?  Pourquoi  ne  veux- tu 
,,  pas  honorer  nôtre  Ville  de  ta  préfence  ? 
„  Nous  venons  réfolus  d'obtenir  ton  amitié 
,,  &  ta  confiance,  ou  de  mettre  entre  tes 
„  mains  nôtre  liberté.  Choifis,  de  ces  deux 
„  partis ,  celui  qui  te  fera  le  plus  agréable. 


tcz  dans 
s .  après 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.  I.  giP 

ëtoient  gouvernées  par  autant  de  Caciques,  defcendus  des  premiers  Fon- 
dateurs ,  mais  fournis  néanmoins  à  l'Ademblce  du  Sén:it ,  où  ils  avoient 
droit  d'aflifter,  &  dont  ils  recevoient  les  ordres  pour  tout  ce  qui  concer- 
noit  le  bien  public.  Les  Maifons  étoient  d'une  hauteur  médiocre,  «5c  d'un 
feul  étage.  Klles  étoient  de  pierre  &  de  brique ,  avec  des  terraflls  &  des 
coridors  au  lieu  de  toît.  La  plupart  des  rues  étoient  étroites  &  tortueu- 
fes,  fuivant  les  différentes  formes  des  Montagnes.  Enfin,  l'Architeélure, 
aulîî  bifarre  que  la  fituation,  faifoit  juger  qu'on  avoit  eu  moins  d'égard  à  la 
commodité  des  Habitans  qu'à  leur  fureté. 

La  Province  entière,  dans  une  circonférence  de  cinquante  lieues,  qui 
en  avoit  dix  de  longueur,  de  l'Efl:  à  l'Oueft,  fur  quatre  de  largeur,  du 
Nord  au  Sud ,  n'offroit  qu'un  Pays  inégal  &  montueux ,  mais  fertile  néan- 
moins, &  foigneufement  cultivé.    Il  étoit  borné,  de  tous  côtés,  par  des 
Provinces  de  l'Empire  du  Mexique,  à  l'exception  du  Nord,  où  fes  limites 
étoient  reflerrées  par  la  grande  Cordelière,  dont  les  Montagnes,  prefqu'in- 
accelTibles ,  lui  donnoient  communication  avec  les  Otomies ,   les  Totona- 
ques  &  d'autres  Nations  barbares.    11  s'y  trouvoit  quantité  de  Bourgs  & 
de  Villages  fort  peuplés.    Le  Pays  abondoit  en  Maïs  ;  d'où  la  Province  ti- 
roit  le  nom  de  Tlafcaia,  qui  fignifie  Terre  de,  tain.     On  n'admiroit  pas 
moins  l'excellence  &  la  variété  de  Ïqs  fruits ,  &  l'abondance  de  fes  Ani- 
maux ,  fauvages  &  domefliques.    Elle  produifoic  auiïl  quantité  de  Coche- 
nille, qui  efl;  encore  une  de  fes  plus  grandes  richeffes,  &  dont  Solis  aflure 
que  fes  Peuples  ne  connoiflbient  pas  l'ufage  avant  l'arrivée  desEfpagnols(/^." 
Mais  ces  avantages  de  la  Nature  étoient  balancés  par  de  grandes  incommo- 
dités.    Le  voifmage  des  Montagnes  expofoit  la  Province  à  de  furieufes 
tempêtes ,  à  des  ouragans  terribles ,  &  fouvent  aux  inondations  d'une  Ri- 
vière, nommée  Zahual^  dont  les  eaux  s'élevoient  jufqu'au  fommet  des  Col- 
lines.    On  leur  attribue  la  propriété  de  caufer  la  galle  à  ceux  qui  en  boivent 
&  qui  s'y  baignent  (g).    Le  défaut  de  fel  étoit  une  autre  difgrace  pour 
les  Tlafcalans  ;  non  qu'ils  n'en  puffent  tirer  des  Provinces  de  l'Empire ,  en 
échange  pour  leurs  grains;  mais,  dans  leurs  idées  d'indépendance,  ils  ai- 
moient  mieux  fe  priver,  de  ce  fecours ,  que  d'entretenir  le  moindre  com- 
merce avec  leurs  Ennemis  (A).    Une  politique  de  cette  nature,  &  d'autres 
remarques ,  qui  firent  connoître  à  Cortez  le  caraftère  extraordinaire  de  cet- 
te Nation ,  ne  lui  caufèrent  pas  moins  d'inquiétude  que  de  furprife.     H 
diffimula  fes  foupçons  ;  mais  il  faifoit  faire  une  garde  exafte  autour  de  fon 
logemen^tj  &  jamais  il  n'en  fortoit,  fans  être  efcorté  d'une  partie  de  fes 
gens ,  avec  leurs  armes  à  feu.    Il  ne  leur  permettoit  d'aller  à  la  Ville  qu'en 
troupe  nombreufe,  toujours  avec  les  mêmes  précautions.    Les  Indiens  s'af- 
fligèrent de  cette  défiance,  &  le  Sénat  en  fit  des  plaintes.     Il  répondit  qu'il 
,  connoiflbit  la  bonne  foi  des  Tlafcalans  ;  &  qu'ils  dévoient  avoir  la  même 
opinion  de  la  Tienne,'  mais  que  l'exaftitude  des  Gardes  étoit  un  ufage  de 
l'Europe ,  où  les  Soldats  faifoient  les  exercices  de  la  Guerre  au  milieu  de  la 
Paix,  pour  conferver  l'habitude  de  la  vigilance  &  de  la  foumiflîon  ;  &  que 

les 


Imc  R  »  A  N  o 

C  O  R  T  F,  Z. 

I5I9. 


Etat  du  Pays. 


Ce  qu'elle 
produifoit  à 
fes  Habitans. 


Eaux  quî' 
caufent  la  gal- 
le. 

Difette  do- 
fel. 


Ordre  que 
Cortez  mec 
dans  fou 
quartierfc 


(/)  Solis,  Liv.  3. 
Juprà,  Chap.  14, 


Cbap.  3.  Herrera,  uU 


(e)  Solis,  uhijupiii, 
(0)  Ibidem, 


320 


PREMIERS      VOYAGES 


FnRNAwn 
C  u  n  T  E  z. 

1519- 


I!  fo  fait 

■niincr  des 
'l'Iafcuianj. 


Difcours 
d'un  Sénateur 
lur  la  Ri:li- 
gion  des  Caf- 
tillans. 


Cortez  peri' 
fc  à  détruire 
les  Idoles. 


les  armes,  qu'ils  portoient  fanscefle,  étoient  une  marque  honorable,  qui 
diftinguoic  leur  profelîîon.  Les  Sénateurs  parurent  fatisfaits  de  cette  rai- 
Ion;  &  XicotencatI,  naturellement  guerrier,  prit  tant  de  goût  pour  la 
méthode  fCfpagnole,  qu'il  entreprit  d'introduire  les  mêmes  rfages  parmi 
k's  Troupes  de  la  République  (i).  Cet  éclaircilTement,  ayant  fait  cefler 
les  allarmes  des  TIafcalans,  Cortez,  qui  fentit  ce  qu'il  avoit  à  fe  promet- 
tre d'une  Nation  fi  prudente  &  fi  guerrière,  n'épargna  rien,  pour  fc  les 
attacher  par  l'eftime  &  l'affeftion.  Il  fit  entrer  tous  fes  Soldats  dans  les 
mêmes  vues ,  &  le  fuccés  de  cette  conduite  répondit  bientôt  à  Tes  efpéran- 
ces.  Chaque  jour  lui  en  donnoit  des  preuves ,  par  les  civilités  (Se  les  pré* 
fens  qu'il  recevoit  de  toutes  les  Villes  &  des  autres  Places  de  la  Républi- 
que. Le  Sénat  ne  parut  point  mécontent,  que  la  plus  belle  Salle  du  Lo- 
gement des  Elpagnols  eût  été  defl:inée  à  fisrvir  d'Eglife.  Ils  y  élevèrent 
un  Autel,  où  les  faints  Myfl:ères  étoient  célébrés  à  la  vue  des  principaux 
Indiens,  qui  obfervoient  refpe^ueufement  les  cérémonies.  Un  des  plus 
vieux  Sénateurs  demanda  un  jour  à  Cortez,  s'il  étoit  mortel?  „  Vos  ac- 
„  lions,  lui  dit -il,  paroifi*ent  fijrnaturelles.  Elles  ont  ce  caraftère  de 
„  grandeur  &  de  bonté  que  nous  attribuons  à  nos  Dieux.  Mais  nous  ne 
„  comprenons  pas  ces  cérémonies ,  par  lefquelles  il  femble  que  vous  ren- 
„  diez  hommage  à  une  Divinité  fiipérieure.  L'appareil  efl:  cl'un  Sacrifice  : 
„  cependant  nous  ne  voyons  pas  de  Viftimcs  ni  d'Offrandes".  Cortez 
avoua  que  lui  &  Tes  Soldats  étoient  des  Hommes  mortels  ;  mais  il  ajouta 
qu'étant  nés  fous  un  meilleur  climat ,  ils  avoient  beaucoup  plus  d'efprit  & 
de  force  que  les  autres  Hommes  :  &  prenant  occafion  de  cette  ouverture 
pour  fonder  les  difpofitions  des  TIafcalans ,  par  celle  du  Sénateur ,  il  lui 
dit  adroitement  ^ue  non-feulement  les  Efpagnols  reconnoiflToient  un  Supé- 
rieur au  Ciel ,  mais  qu'ils  faifoienc  gloire  aufil  d'être  les  Sujets  du  plus  grand 
Prince  de  la  Terre,  à  qui  les  Peuples  de  TIafcala  obéiflbient  maintenant, 
puifqu'étant  les  Frères  des  Efpagnols  ils  étoient  obligés  de  reconnoître  le 
même  Souverain.  Le  Sénateur  &  ceux  qui  l'accompagnoient  ne  marquè- 
rent point  d'éloignement  pour  devenir  VaflTaux  de  l'Elpagne ,  à  condition 
d'être  protégés  contre  les  violences  de  Motezuma  ;  mais  ils  parurent  peu 
difpofés  à  renoncer  à  leurs  erreurs.  Ils  répondirent  que  le  Dieu  des  Ef- 
pagnols étoit  très  grand  ,  &  peut-être  au-deflus  des  leurs;  mais  que  cha- 
que Pays  devoit  avoir  les  fiens;  que  leur  République  avoit  befoin  d'un 
Dieu  contre  les  tempêtes,  d'un  autre  contre  les  déluges  qui  ravageoient 
leurs  moiflbns,  d'un  autre  pour  les  afllfl:er  à  la  Guerre,  &  de  même  pour 
les  autres  néceflités ,  parcequ'il  étoit  impofllble  qu'un  feul  Dieu  fût  capable 
de  fuffire  à  tant  de  foins.  Là-deflus ,  Cortez  ayant  chargé  un  de  fes  deux 
Aumôniers  de  combattre  ces  malheureufes  préventions,  ils  l'écoutèrent 
avec  afiez  de  complaifance ;  mais  lorfqu'il  eut  ceflTé  de  parler,  ils  priè- 
rent le  Général,  avec  beaucoup  d'empreflTement,  de  ne  pas  permettre  que 
cet  entretien  fur  la  Religion  fe  répandît  hors  de  fon  Quartier,  parceque 
fi  leurs  Dieux  en  étoient  informés,  ils  appelleroient  les  tempêtes,  pour 
ruiner  entièrement  la  Province.    Cortez,  dans  le  tranfporc  de  fon  zèle ,  mé- 

ditoic 

(  i  )  Ibidem,  ■       ■',  - 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.   I.  321 

ditoit  déjà  de  faire  brifer  les  Idoles.  Il  fembloit  fe  fier  au  fuccés  que  la 
même  entreprifc  avoit  eu  dans  Zampoala.  Mais  l'Aumônier  lui  repréfenta 
que  la  Ville,  où  il  fe  trouvoit,  étoit  incomparablement  plus  peuplée,  &  la 
Nation  plus  guerrière;  que  la  violence  d'ailleurs  ne  s'accordoit  pas  avec  ks 
maximes  de  l'Kvangile,  &  qu'avant  aue  d'introduire  le  vrai  Culte,  il  fal- 
loit  penfer  à  le  rendre  aimable,  par  des  in(lru6lions  &  des  exemples  (/t). 
Cependant  les  repréfentations  du  Général  convainquirent  le  Sénat,  que  les 
Sacrifices  du  fang  humain  étoient  contraires  aux  Loix'  de  la  Nature.  Elles 
€urent  le  crédit  de  les  faire  cefler.  On  délivra  quantité  de  miférabl es  Cap- 
tifs, qui  étoient  deftinés  à  fervir  de  Viftimes  aux  jours  des  plus  grandes 
Fêtes,  Les  Prifons,  ou  plutôt  les  Cages  où  ils  étoient  engraifl'és,  furent 
brifées  en  plein  jour,  fans  aucun  ménagement  pour  les  Prêtres,  qui  fe  vi- 
rent forcés  d'étouffer  leurs  murmures  ( /). 

Après  avoir. donné  Tes  premiers  foins  à  ces  importantes  occupations, 
Cortez  fe  crut  obligé  de  congédier  les  AmbalFadeurs  Mexiquains ,  qu'il  n'a- 
voit  retenus  que  pour  les  rendre  témoins  de  fon  triomphe.  Sa  réponfe  avoit 
été  différée  jufqu'alors.  Il  leur  fit  déclarer,  en  fa  préfence,  par  la  bouche 
de  Marina,  qu'ils  pouvoient  rapporter,  à  l'Empereur,  ce  qui  s'étoit  paffé 
devant  leurs  yeux ,  c'eft-à-dire ,  l'empreffement  des  Tlafcalans  à  demander 
la  Paix ,  qu'ils  avoient  méritée  par  leurs  foumiffions ,  &  la  bonne  foi  mu- 
tuelle avec  laquelle  elle  étoit  obfervée;  que  ces  Peuples  étoient  maintenant 
dans  fa  dépendance,  &  qu'avec  le  pouvoir,  qu'il  avoit  fur  eux,  il  efpéroit 
les  faire  rentrer  fous  l'obeiffance  de  l'Empire  ;  que  c'étoit  un  des  motifs  de 
fon  Voyage,  entre  quelques  autres  d'une  plus  haute  importance,  qui  l'obli- 
geoient  de  continuer  fa  route  &  d'aller  folliciter  de  plus  près  la  bonté  de 
Motezuma,  pour  mériter  enfuite  fon  alliance  &  fes  faveurs.  Les  Ambaffa- 
deurs  comprirent  le  fens  de  ce  difcours ,  &  partirent  avec  les  marques  d'un 
vif  chagrin,  fous  l'efcorte  de  quelques  Efpagnols,  qui  les  conduilîrent  juf- 
qu'aux  Terres  de  l'Empire.  Leur  départ  fut  fuivi  de  l'arrivée  d'un  grand 
nombre  de  Députés  des  principales  Places  de  la  Province.  Ils  venoient 
rendre  leurs  foumiflions  à  l'Efpagne,  entre  les  mains  de  Cortez,  qui  en  fit 
dreffer  des  A6les  formels  au  nom  du  Roi  Charles  (  w  ). 

Il  arriva,  dans  le  même  tems,  un  accident  qui  furprit  les  Efpagnols,  & 
qui  caufa  beaucoup  d'épouvante  aux  Indiens ,  mais  que  l'habileté  de  Cortez 
fit  tourner  à  l'avantage  de  fes  entreprifes.     De  l'éminence  où  la  Ville  de 

Tlaf- 


FlRN AND 
C  O  K  T  li  Z. 

Raifonsqui 
l'arrOtetu. 


II  délivre 
les  V'i(?tinics 
iluflinécs  aux 
Sacrifices. 


Il  congédie 
les  Ambanb- 
deiirs  Mexi- 
quains. 


Ils  parten'. 
incinc  con- 
tons. 


Volcan  qui 
fe  forme  près 
de  Tlafcala. 


(k)  Sofis,  ibidem.' 

(/)  Tous  les  Hilloriens Efpagnols  rappor- 
tent, fans  aucune  marque  de  doute,  que  Cor- 
tez, ayant  fait  planter ,  proche  de  la  Ville, 
une  grande  Croix,  le  jour  de  fon  entrée, 
une  nuée  miraculeufe  defcendit  du  Ciel,  & 
baiffa  infenfiblcment,  jufqu'àce  qu'ayant  pris 
la  forme  d'une  Colomne,  clic  s'arrêta  per- 
pendiculairement fur  la  Croix -î^^'elle  s'y 
foutint  pendant  l'efpace  de  trois  ou  quatre 
ans  ;  qu'il  en  fortoit  une  lumière  douce ,  qui 
n'étoit  point  afFoiblie  pat  les  ténèbres  de  la 

.     XFIII.  Fart. 


nuit;  que  ce  prodige  effraya  d'abord  les  In- 
diens ,  mais  quVtant  revenus  de  leur  crain- 
te, ils  le  regardèrent  comme  une  marque  de 
la  protcftion  du  Ciel  en  faveur  des  Efpa- 
gnols ,  &  qu'ils  s'accoutumèrent  à  rendre  du 
refpecl  à  la  Croix.  11  dura,  fuivant  Solis , 
jufqu'à  la  convcrfion  de  la  Province,  tibi 
fuprà ,  Chap.  4.  Hcrrera  dit  ,  jufqu'à  la 
pacification  de  tout  le  Pays,  ubi fuprà ^  Ch. 
14. 
(îtt)  Solis ,  ibidem,      ; 

S  S        "  ■  — 


Opinion  des 
Indiens ,  fur 
ce  l'iiénumd:- 


Dici^oii'Or 
^;v/.  vilitc  le 
Viilcun. 


Sfl»        PREMIERS      VOYAGES 

Pernand  Tlafcala  efl  fmiée»  on  découvre,  à  la  dirtance  de  huit  liciics,  le  fommet 
^'^^^  d'une  Montagne  qui  s'tMévc  beaucoup  auilcllus  de  toutes  ks  autres.  11  en 
^5^9-  fortit,  tout-d'uncoup,  des  tourbillons  de  fumée,  qui  montoicnt  en  l'air 
avec  beaucoup  de  rapidité,  lans  céder  à  l'impetuolité  des  vents,  julqu'à 
ce  qu'ayant  perdu  leur  force,  ils  fe  diviloieiit ,  pour  former  des  nuce»  plus 
ou  moins  obfcures,  fuivant  la  quantité  de  cendres  &  de  vapeurs  qu'elles 
avoient  entraînée.  Hientôt  ces  tourbillons  parurent  mêlés  de  llammes,  ou 
•  de  globes  de  feu,  qui  fe  léparoient,  dans  leur  agitation,  en  une  infinité 
d'éiincelles.  Les  Indiens  n'avoient  pas  marqué  de  crainte  à  la  vue  de  la 
fumée.  Ce  fpeftacle  n'étoit  pas  nouveau  pour  eux.  Mais  les  ilammes  ré- 
pandirent une  horrible  frayeur  dans  la  Nation.  Klle  fe  crue  menacée  de 
quelque  redoutable  événement.  Les  principaux  Sénateurs  parurent  per- 
fuadés  que  c'étoient  les  Ames  des  Méchans,  qui  fortoient  pour  chiiiier  les 
liabitans  de  la  Terre  ;  &  cette  opinion,  qui  renfermoit  du  moins  quel- 
qu'iuée  de  l'immortalité  de  l'ame,  fut  une  occafion  ,  pourCortez,  de  leur 
infpirer  les  efpérances  &  les  craintes  qui  convenoient  à  Tes  grandes  vue». 
Pendant  que  toute  la  Nation  étoit  confternée,  Diego  d'Ordaz  demanda  la 
pernulTion  d'aller  reconnoître  de  plus  nrès  ce  Volcan.  Une  proportion  il 
hardie  fit  trembler  les  Indiens.  Ils  s'efforcèrent  de  lui  faire  perdre  un  def- 
fein ,  dont  ils  lui  repréfentèrent  tous  les  dangers.  Jamais  les  plus  braves 
Tla^calans  n'avoient  ofé  s'approcher  du  fommet  de  la  Montagne.  On  y 
entendoit  quelquefois  des^  mugUleniens  effroyables.  Mais  les  difl^cultés 
ne  faifant  qu'animer  d'Ordaz,  il  obtint  facilement  la  permifllon  de  Cor- 
tez ,  qui  s'applaudit  de  pouvoir  faire  connoître ,  à  Tes  nouveaux  Al- 
liés ,  qu'il  n'y  avoit  point  d'obftacles  inllirmontables  pour  la  valeur  des 
El'pagnols. 

D'Okdaz  partit,  avec  deux  Soldats  de  fa  Compagnie,  &  quelques  In- 
diens ,  qui  ne  refufèrent  pas  de  le  conduire  jufqu'au  pied  de  la  Montagne, 
après  lui  avoir  déclaré  qu'ils  s'afîligeoient  d'avoir  été  choifis  pour  être  les 
témoins  de  fa  mort.  La  première  partie  de  la  Côte  eil  un  Pays  charmant, 
revêtu  des  plus  beaux  Arbres  du  Monde,  qui  forment  un  délicieux  om- 
brage: mais  on  ne  trouve,  au-delà,  qu'un  lerrein  ftérile,  &  couvert  de 
cendre  ,  que  roppo(ition  de  la  fumée  fait  paroître  auffi  blanche  que  la  nei- 
ge. Les  Indiens  s'étant  arrêtés  dans  ce  lieu,  d'Ordaz  continua  de  monter 
courageufement  avec  fes  deux  Efpagnols.  Ils  eurent  befoin  de  s'aider  au- 
tant des  mains  que  des  pieds.  julq;iau  fommet  de  la  Montagne.  En  ap- 
prochant de  l'ouverture,  ils.fcntireit  que  la  terre  trembloit  lous  eux  ,  par 
de  violentes  fecouffes  Bientôt  ils  entendirent  les  mugiffemens  qu'on  leur 
avoit  annoncés ,  &  qui  furent  fuiviii  immédiatement  d'un  tourbillon ,  ac- 
compagné d'un  bruit  encore  plus  hyrrible,  &  de  flammes  enveloppées  de 
cendres  &  d'une  affreufS  fumée.  (Quoique  le  tourbillon  fût  forti  ii  rapide- 
ment qu'il  n'avoit  pas  échauffé  l'air,  il  s'étendit  en  parvenant  à  fa  hauteur, 
&  répandit,  furies  trois  Avanturiers,  une  pluye  de  cendres,  fi  épaiffe  & 
fi  chaude,  qu'ils  furent  obliges  de  fe  mettre  à  «ouvert  fous  un  rocher,  où 
ils  perdirent  quelque  tems  la  refpiration.  Cepuftdant,  lorfque  le  tremble- 
ment eut  celle ,  à  que  la  fumée  fut  devenue  moins  épaifle ,  d'Ordaz ,  ani- 
mant fes  Compagnons ,  acheva  de  monter  jufqu'à  la  bouche  du  Volcan. 


Récit  de  fa 
voûte  (!i  de 
Ces  oblcrva- 


■^ 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    K,    Li  V.  I. 


>av 


Il  remarqua,  au  fotid  do  cette  ouverture,  une  grande  maffe  de  feu,,qui  lui 
parut  s'élever  en  bouillons,  comme  une  matière  liquitle  &  forl  brillante.- 
La  circonférence  de  cette  horrible  boucne,  qui  occupoit  prefque  tput  le. 
fominet  de  la  Montagne,  n'avoit  pas  moins  d'un  quart  de  liLue.  DOrdàii' 
revint  tranquillement  après  ces  oblervations,  &  fa  hardielTe  fit  Tétonne- 
ment  de  tous  les  Indiens.  Klle  n'avoit  palFt  d'abord  ,  'aux  yeux  de  Cortez  ^ 
que  pour  unecuriofité  bifarre  Ck  tcmcraire;  mais  il  en  reçut ,  dans.la  ftii- 
te,  un  fruit  plus  conlidérable  que  l'admiration  des  Tlalealans.  Quelqi;it' 
tems  après,  manquant  de  poudre  dans  une  des  plus  importantes- circorifi;anV 
ces  de  fon  Expédition ,  il  fe  relfouvint  de  ces  bouillons  de  matière  liqui- 
de &  cnllamniée,  que  d'Ordaz  avoit  obfervés  au  fond  du  Volcan;  & 
fes  gens  en  tirèrent  aflez  d'excellent  foufre,  pour  la  munitipn,  de  toute 
l'Armée  («). 

Les  Efpagnols  pafTèrent  vingt  jours  à  Tlafcala ,  qui  furentautant  de 
Fêtes,  pendant  lefquelles  ils  ne  reçurent  que  de  nouveaux  témoignages  de. 
la  fidélité  des  llabitans.  Enfin,  Cortez  ayant  marqué  le  jour  de  Ion  de- 
part,  on  lui  fit  naître  quelques  diificultés  fur  le  chemin  qu'il  dévoie  tenir. 
Son  inclination  le  portoit  à  prendre  celui  de  Cholula,  grande  Ville  fort  pLU- 
plée,  qui  n'étoit  quà  cinq  lieues  de  'l'Iafcala,  &  Capitale  d'une  autre  Rév 
publique,  avec  laquelle  Motezuma  vivoit  en  fî  bonne  intelligence,  qu'il  y 
avoit  ordinairement  fes  vieilles  Troupes  en  Quartier  (  o  ).  Mais  cette  rai-, 
fon,  qui  caufoit  le  penchant  du  Général  Elpagnol,  étoit  celle,  au  contrai* 
re,  que  les  Tlafcalans  faifoient  valoir,  pour  lui  confeiller  de  prendre  tou- 
te autre  route.     Ils  lui  repréfentoient  les  Cholulans  comme  une  Nation* pef-  ' 


rER.N.A'NO»".» 


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tîtjlftiî 't^ftiaV 
Çoftcz  ùu  ti'r'^' 
duni  iii  >ruito.  ■ 


fartez  fî*-    ^ 
difpolli  ;\  lin». 
VIO  f;i  marclïc     ° 
vers  la  Tout 
Imjiciiale.     "  •• 


1  • 


fermoit,  dans  l'enceinte  de  fes  Murs,  plus  de  quatre  cens  Temples',  ,$c- 
des  Divinités  fi  bifarres,  qu'il  étoic  dangereux  de  s'approcher  ,  fanç  Jeur 
approbation ,  des  lieux  qu'elles  protegeoienc.  Pendant  cette  irréfolution , 
de  nouveaux  Ambalîadeurs  arrivèreat,  avec  des  préfens  ,  de  la  part  de 
Motezuma.  Leurs  inftruftions  ne  portoient  plus  de  détourner  Cortez  du 
Voyage  du  Mexique;  mais  paroiflint  fuppofer  qu'il  y  étoit  déterminé,  ils, 
lui  témoignèrent  que  l'Empereur,  ayant  jugé  qu'il  prendroit  le  chemin» de 
Cholula,  lui  avoit  fait  préparer  un  logement  dans  cette  Ville.  Les  Séna- 
teurs Tlafcalans  ne  doutèrent  plus  alors  qu'on  n'y  eût  drefle  quelques  em*^ 
bûches.  Cortez ,  furpris  lui-même  d'un  changement  fi  peu  prévu ,  ne  put» 
fe  défendre  de  quelques  foupçons.  Cependant,  comme  il  croyoit  impor- 
tant de  les  déguifer  aux  Mexiquains,  il  conclut,  avec  fon  Confeil,  quill 
ne  pouvoit  refufer  le  logement  qu'ils  lui  ofFroient ,  fans  marquer  lyie  dé^- 
'■    •  ■     •-«:';'•- '^'  -,<■■  ^•:  --ri- V  ,; .    ■         ,  .40  -^  ,  ■       ,   "        .       fiàn;: 

(n)  Charles  -  Quint ,   informé  de  l'aftion  f>ou,  &  n'a  pas  ccflTc  de  jcttcr,  par  intcfval-. 

de  d'Ordaz,   &  do  l'utilité  qu'on  en  avoit  los,    de  la  i'uniéc,  &   doS  danîmc!,'      So'ii/;> 

tirée  pour  fon  forvicc,  le  réconiponfa  par  di-  ibidem-.  Hcrrora  ajoute,   à  to  ré.cit,  qucd'n. 

verfes  faveurs ,  &  donna,  pour  armes,  à  ce  fummet  on  découvre  la  Ville  de  Mexic©.,- 

Capitaine,  un  Volcan.     Cette  famé ufe  Mon  ubi  J'uprà ,  Chd\-)    19.      '    '    •.■■•••;;•■ /-A.' ■■• 

Hgnc  aconfcrvé  le  nom  Indien  ^k  Popocaie-        {0)  Solis,  ubi  Jttbr'à',  Chap;-^"    '   '  ■■  ' 

Si  -       •  •  .•;    ',.■■».•■  ■'.... 

3   2  .  .•-.••. 


AnibalTa- 
deurs  de  |kIOo 
tozuina ,  qui 
entrepren- 
nent de  le 
trompai; 


A    *'^4-fc'->-.    I 


.    / 


'   '.'  (. 


324 


PREMIERS      V    O    Y    A    G    E    S 


Fep.nand 

C  0  R  T  £  Z. 
1519. 


Hardiefle 
avec  ]r.quclle 
il  brave  Je 


11  fe  rend  à 
Cliolulu. 


Ses  foup- 
çons  en  ap- 
prochant de 
cette  Ville. 


^  Fidélité  des 
Tlafcalans. 


fiance  à  laquelle  ils  n'avoient  encore  donné  aucun  fondement  ;  &  qu'en  la 
ruppcfant  jufte,  loin  de  s'engager  dans  de  plus  grandes  entreprifes,  en 
laiflanc  derrière  lui  des  Traîtres,  qui  pouvoient  l'incommoder  beaucoup, 
il  devoit,  au  contraire,  aller  droit  à  Choluia,  pour  y  découvrir  leurs  def- 
feins,  &  pour  donner  une  nouvelle  réputation  à  fes  armes  par  le  châ- 
timent de  leur  perfidie.  Les  Tlafcalans,  qu'il  fit  entrer  dans  fcs  vues, 
lui  offrirent  le  fecours  de  leurs  Troupes,  &  plufieurs  Ecrivains  les  font 
monter  à  cent  mille  Hommes;  mais  il  leur  déclara  qu'il  n'avoit  pas  be- 
foin  d'une  efcorte  fi  nombreufe  ;  &  pour  marquer  néanmoins  la  con- 
fiance qu'il  avoit  à  leur  amitié,  il  accepta  un  Corps  de  fix  mille  Hom- 
mes (p). 

La  marche  fut  paifible,  pendant  quatre  lieues,  jufqu'à  la  vue  de  Cholu- 
ia. Cortez  fit  faire  alte  à  fon  Armée,  fur  le  bord  d'une  agréable  Rivière, 
pour  ne  pas  entrer  la  nuit  dans  une  Ville  fi  peuplée.  A  peine  eut-il  donné 
cet  ordre,  qu'on  vit  arriver  des  Ambaffadeurs  Cholulans,  qui  lui  appor- 
toient  diverles  fortes  de  provifions.  Leur  compliment  fe  réduifit  à  excu- 
fer  leurs  Caciques  de  ne  lui  avoir  pas  rendu  plutôt  ce  devoir,  parce  qu'ils 
ne  pouvoient  entrer  dans  Tlafcala ,  dont  les  Habitans  étoient  leurs  anciens 
Ennemis.  Ils  lui  offrirent  un  logement,  qu'on  lui  avoit  préparé  dans  leur 
Ville,  avec  des  témoignages  exagérés  de  lajoye  que  leurs  Citoyens  alloient 
reffentir,  en  recevant  des  Hôtes  fi  célèbres.  Cortez  les  reçut  fans  affec- 
tation. Le  jour  fuivant,  il  continua  fa  marche.  On  ne  vit  fortir  perfon- 
ne  de  la  Ville,  pour  le  recevoir;  &  cette  remarque  commentant  à  réveil- 
ler fes  foupçons ,  il  donna  ordre  à  fes  gens  de  fe  tenir  prêts  à  combattre. 
Mais  à  peu  de  diflance  des  Murs,  on  vit  paroître  enfin  les  Caciques  &1es 
Sacrificateurs,  accompagnés  d'un  grand  nombre  d'Indiens  desarmés.  Cor- 
tez s'arrêta  pour  les  laiffer  venir  jufqu'à  lui.  Ils  donnèrent  d'abord  des  mar- 
ques affez  naturelles  de  joye.  Cependant,  comme  on  obfervoit  leurs  moin- 
dres aftions,  on  fut  furpris  de  voir  tout- d'un-  coup  un  grand  changement 
fur  leurs  vifages,  &  d'entendre  un  bruit  desagréable,  qui  fembloit  mar- 
quer entr'eux  quelque  altercation.  Les  Efpagnols  redoublèrent  leurs  pré- 
cautions ;  &  Marina  eut  ordre  de  leur  demander  la  caufe  de  ce  mouve- 
ment. Ils  répondirent  qu'ayant  appersli  des  Troupes  Tlafcalanes,  ils  é- 
toient  obligés  de  déclarer,  au  Général  étranger,  qu'ils  ne  pouvo-ient  re- 
cevoir leurs  Ennemis  au  milieu  de  leurs  Murs;  &  qu'ils  le  prioient,  ou  de 
les  renvoyer  dans  leur  Ville,  ou  de  les  faire  demeurer  à  quelque  difl:ance, 
comme  un  obftacle  à  la  Paix  qu'ils  defiroient.  Cette  demande  caufa  quel- 
que embarras  à  Cortez.  Il  y  trouvoit  une  apparence  de  jurtice,  mais  peu 
de  fureté  pour  lui-même.  Cependant  il  fit  efpérer,  aux  Caciques,  qu'on 
trouveroit  le  moyen  de  les  fatisfaire.  Ses  Capitaines,  qu'il  aflembla  auffi,- 
tôt ,  furent  d'avis  de  faire  camper  les  Tlafcalans  hors  de  la  Ville ,  pour  fe 
donner  le  tems  de  pénétrer  les  deffeins  des  Caciques.  On  leur  fit  cette 
propofition,  à  laquelle  ils  confentirent   plus  facilement  qu'on  ne  l'avoit 

efperé. 


(p)  Bernard  Diaz  n'en  met  que  deux  mil- 
le, &  Herrera  trois  mille;  mais  Cortez,  dans 
fa  courte  Relation,  en  met  fîx;  &  vraifem- 


blablement  il  n'a  pas  voulu  diminuer  fa  gloi- 
re, en  faifant  fes  Troupes  plus  uombreufes 
qu'elles  n'étoient. 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.   I.         325 

erperé.  Leurs  Chefs  firent  afTurer  Cortez  qu'ils  n'étoient  venus  que  pour  re- 
cevoir fes  ordres,  &  qu'ils  alloient  établir,  fur  le  champ,  leur  Quartier 
hors  de  Cholula;  mais  qu'ils  vouloient  demeurer  à  la  vue  des  Murs,  pour 
voler  au  fecours  de  leurs  Amis  ,  puifque  les  Efpagnols  vouloient  rilquer 
leur  vie  en  la  commettant  à  des  l'raîtres.  Ce  parti  fut  approuvé  des  Caci- 
ques (q). 

L' ENTRÉE  des  Efpagnols  à  Cholula  fut  accompagnée  de  mille  circon- 
ftances ,  qui  lui  donnèrent  l'apparence  d'un  triomphe.  La  Ville  parut  fi 
belle  aux  ECpagno's,  qu'ils  la  comparèrent  à  Valladolid.  Elle  étoit  fituée 
dans  une  Plaine  ouverte.  On  y  comptoit  environ  vingt  mille  Habitans, 
fans  y  comprendre  ceux  des  Fauxbourgs,  qui  écoient  en  plus  grand  nom- 
bre. Elle  étoit  fréquentée  fans  celfe  par  quantité  d'Etrangers,  qui  s'y  ren- 
doient  de  toutes  parts,  comme  au  fanftuaire  de  leur  Religion.  Les  Rues 
étoient  bien  percées;  les  Maifons  plus  grandes,  &  d'une  Architefture  plus 
régulière  que  celles  de  Tlafcala.  On  diftinguoit  les  Temples  par  la  multi- 
tude de  leurs  Tours.  Le  logement ,  qu'on  avoit  préparé  pour  les  Efpa- 
gnols, étoit  compofé  de  plulieurs  grandes  Maifons ,  qui  fe  toachoient,  & 
où  leur  premier  foin  fut  de  ft  fortifier  avec  les  Zampoalans.  D'un  autre 
côté ,  les  Troupes  Tlafcalanes  avoient  pris ,  à  cinq  cens  pas  de  la  Ville , 
un  fort  bon  Pofte ,  qu'elles  fermèrent  de  quelques  FolTés ,  avec  des  Corps- 
de-Garde  &  des  Sentinelles,  fuivant  la  méthode  dont  elles  étoient  redeva- 
bles à  l'exemple  de  leurs  nouveaux  Alliés.  Les  premiers  jours  fe  paflerent 
aVLC  beaucoup  de  tranquillité.  On  ne  vit,  dans  les  Caciques,  que  de  l'em- 
prefTement  à  faire  leur  Cour  au  Général.  Les  vivres  venoient  en  abon- 
dance ,  &  tout  fembloit  démentir  l'idée  qu'on  s'étoit  formée  des  Cholu- 
lans.  Cependant,  ils  n'eurent  pas  l'adreflTe  de  cacher  long- tems  leurs  def- 
feins.  L'abondance  des  provifions  diminua  par  dégrés.  Enfuite  les  vifi- 
tes  &  les  carefifes  des  Caciques  ceflert  nt  tout-d'un-coup.  Dans  l'interval- 
le, on  remarqua  que  les  Ambalfadeurs  Mexiquains  avoient  des  Conféren- 
ces fecrettes  avec  les  Chefs  de  la  Nation.  Il  fut  même  aifé  d'obferver, 
fur  leur  vifage,  un  air  de  mépris,  qui  venoit  apparemment  de  la  confiance 
qu'-.ls  avoient  au  fuccès  de  leurs  complots.  Mais ,  tandis  que  Cortez  ap- 
porcoit  tous  fes  foins  à  pénétrer  la  vérité,  elle  fe  découvrit  d'elle-même, 
par  un  de  ces  coups  du  Ciel,  qui  préviennent  toute  la  diligence  des  Hom- 
mes, &  dont  les  Efpagnols  furent  fouvent  favorifés  dans  cette  expédition. 
Une  vieille  Indienne,  d'un  rang  diflingué,  qui  avoit  lié  une  amitié  fort  é- 
troite  avec  Marina  ,  la  prit  un  jour  à  l'écart.  Elle  plaignit  le  miférable 
efclavage  où  elle  étoit  réduite  ;  &  la  preffant  de  quitter  d'odieux  Etran- 
gers, elle  lui  offrit  un  afyle  fecret  dans  fa  Maifon.  Marina,  toujours  dé- 
vouée à  Cortez,  feignit  d'être  retenue  par  la  violence  ,  entre  des  gens 
qu'elle  haïflbit.  Elle  accepta  l'offre  de  l'afyle.  Elle  prit  des  mefures  pour 
fa  fuite.  Enfin,  l'Indienne  la  crut  engagée  fi  loin,  qu'achevant  de  s'ouvrir 
fans  ménagement,  &  lui  confeillant  de  hâter  fa  réfoluticn,  elle  lui  apprit, 
que  le  jour  marqué  pour  la  ruine  des  Efpagnols  n'étoit  pas  éloigné  ;  que 

l'Era- 

(q)  Solis,  Chap.  5.    Herrera  dit  au  contraire  qu'il  fortit  beaucoup  de  monde  pour  all« 
au-devant  des  Efpagnols. 

Ss  3 


Fernand 
Cortez. 

1519. 


Entr(?e  de 
Cortez  dan» 
Cholula. 


Trahifon 
des  Habitans. 


Comment 
ei'ecuJ   "ou- 
verte par  Ma- 
rina. 


326 


PREMIERS      VOYAGES 


'Fernand 

Coûtez. 

15  19. 

Préparatifs 
pour  uccabltT 


Conduite 
de  Coïtc<J. 


l'Empereur  avoit  envoyé  vingt  mille  Hommes ,  qui  s'étoient  approchés  de 
la  Ville  ;  qu'on  avoic  diftribué  des  armes  aux  Habitans ,  amafle  des  pierres 
fur  les  terrafles  des  Maifons,  &  tiré  dans  les  Rues  plufieurs  tranchées,  au 
fond  defquelles  on  avoit  planté  des  pieux  fort  aigus,  qu'on  avoit  couverts 
JcsErpagnoIs,  de  terre  llir  des  appuis  légers  &  fragiles,  pour  y  faire  tomber  les  Chevaux; 
que  Motezuma  vouloit  exterminer  tous  les  Efpagnols ,  mais  qu'il  avoit  or- 
donné qu'on  en  réfervât  quelques-uns,  pour  fatisfaire  la  curiofité  qu'il  a- 
voit  de  les  voir,  &  pour  en  faire  un  facrifice  à  Tes  Dieux  ;  enfin  ,  que 
pour  animer  les  Habitans  de  Cholula,  par  une  faveur  extraordmaire ,  il 
avoit  fait  préfent  d'un  Tambour  d'or  à  la  Ville.  Marina  parut  fe  réjouir 
de  ce  qu'elle  avoit  entendu  ,  &  loua  la^  prudence  avec  laquelle  on  a- 
voit  conduit  une  fi  grande  entrepriie.  Elle  ne  demanda  qu'un  moment, 
"pour  emporter  ce  qu'elle  avoit  de  plus  précieux.  Mais  elle  en  profita 
pour  avertir  Cortez ,  qui  fit  arrêter  aulfi-iôt  l'Indienne;  &  cette  Mal- 
heureufe ,  effrayée  ou  convaincue  ,  acheva  fa  confeflion  dans  les  tour- 
mens  (r). 

Deux  Soldats  Tlafcalans ,  qui  s'étoient  déguifés  pour  entrer  .dans  la 
Ville,  arrivèrent  preiqu'en  même  tems  au  Quartier  des  Efpagnols;  Si.  fe 
préfentant  à  Cortez,  de  la  part  de  leurs  Ciiefs,  ils  l'afllirèrent,  que,  de 
leur  Camp,  on  avoit  vu  pafler  quantité  de  Femmes  &  da.meubles  ,  que 
les  Cholulans  envoyoient  dans  les  Villes  voifines;  ce  qui  fembloit  marquer 
quelque  deflfein  extraordinaire.  On  apprit  d'ailleurs,  que,  dans  un  Tem- 
ple de  la  Ville,  on  avoit  facrifié  dix  Enfans  de  fun  &  de  l'autre  Sexe;  cé- 
rémonie commune  à  tous  ces  Barbares,  lorfqu'ils  fe  préparoient  à  la  Guer- 
re. Quelques  Zampoalans,  qui  s'étoient  promenés  dans  la  Ville,  avoient 
découvert  auflî  plulieurs  tranchées ,  quoiqu'on  eut  pris  le  tems  de  la  nuit 
pour  ce  travail.  Tant  de  preuves  paroifl'oient  lulîïre.  Cependant,  comme 
il  étoit  important  de  porter  la  convi£tion  au  dernier  degré ,  Cortez  fe  fit 
amener,  fous  divers  prétextes,  trois  des  principaux  Sacrificateurs.  11  les 
interrogea  féparcment ,  fans  avoir  fait  éclater  le  moindre  foupçon.  Dans 
l'étonnemcnt  qu'ils  eurent  de  s'entendre  reprocher  leur  perfidie,  avec  un 
détail  du  complot,  qui  leur  fit  juger  que  le  Général  Efpagnol  étoit  un  Dieu, 
&  qu'il  pcnetroit  jufqu'au  fond  de  leurs  penfées,  ils  n  ofèrent  desavouer  la 
moindre  circonflance;  &  fe  reeonnoiflant  coupables,  ils  rejettèrent  leur 
crime  fur  Motezuma,  qui  avoit  drelTé  le  plan  de  la  confpi ration  ,  &  qui 
les  y  avoit  engagés  par  fes  ordres.  Cortez  les  mit  fous  une  garde  fine. 
Enfin ,  ayant  afl^emblé  fes  Capitaines  ,  il  prit  avec  eux  la  réiblution  de  fi- 
gnaler  fa  vengeance  par  un  exemple  éclatant. 

1 L  fit  déclarer  fur  le  champ ,  aux  Caciques  de  la  Ville ,  que  fon  dcflein 
étoit  de  partir  le  jour  fuivant.  Non  feulement  il  leur  ôtoit,  par  cet  avis, 
le  tems  de  faire  de  plus  grands  apprêts,  mais  les  mettant  dans  la  nécJTité 
de  changer  toutes  leurs  mefures,  il  leur  caufoit  un  trouble  dont  il  efpéroic 
tirer  quelque  avantage.  En  même  tems  il  li^ur  fie  demander  dt^s  vivres, 
pour  la  fubfiftance  de  Ces  Troupes  pendant  la  marche,  des  l'amènes  pour 
le  tranfport  de  Ion  Bagage,  &  deux  mille  Hommes  de  Guerre  pour  l'ac- 

.        .  com- 

(;•)  Solis,  Liv.  3.  Chap.  6,  . 


-â. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.   I.  327 

compagner,  à  l'exemple  des  Tlafcalans  &  des  Zampoalans.     Les  Caciques    Fernaku 
firent  quelques  difficultés  fur  les  vivres  &  les   l'amènes.     Ils  accordèrent     Cortez. 
volontiers  l'Efcorte  militaire,  mais  par  des  raifons  fore  oppolées  à  celles       ^SiP* 
qui  la  fdifoient  demander.     Cortez  avoit  en  vue  de  divifer  leurs  forces,  & 
d'avoir  fous  les  yeux  une  partie  des  Traîtres  qu'il  vouloit  punir;  au  lieu 
que  le  deflein  des  Caciques  étoit  d'introduire  des  Ennemis  couverts  parmi 
les  Efpagnols,  pour  les  déchaîner  contr'jux  dans  l'occafion. 

Avant  la  fin  du  jour,  les  Tlafcalans  reçurent  ordre  de  pafler  la  nuit  fous      Précaution 
les  armes ,  &  de  s'approcher  des  murs ,  le  lendemain  au  matin ,  comme  s'ils  q"'il  picn^l  * 
ne  penfoient  qu'à  fuivre  la  marche  de  l'Armée;  mais  prêts,  lorfqu'ils  en-  'Jfif^lJi-j.''^^ 
tendroient  la  première  décharge,  à  pénétrer  dans  la  Ville  pour  fe  joindre  ^"ilrs!  * 
au2i  Efpagnols.     Les  Zampoalans  eurent  aufli  leurs  inftruftions.     Enluite  le 
Général  fit  appellcr  les  Ambufladeurs  Mexiquains;  &  feignant  de  leur  ap- 
prendre un  îecret,  dont  il  ne  doutoit  pas  qu'ils  ne  fufleni:  bien  inflruits , 
il  leur  dit  qu'il  avoit  découvert  une  horrible  conjuration,  qui  violoit  éga- 
lement les  Loix  de  l'hofpitalité ,  le  nœud  facré  de  la  Paix ,    &  le  refpeft 
que  les  Cholulans  dévoient  aux  intentions  de  l'Empereur;  qu'il  devoit  cet- 
te connoiflance ,  non-feulement  à  fa  pénétration,  mais  à  l'aveu  même  des 
principaux  Conjurés;  que  pour  fe  jurtifier ,  ils  s'étoient  rendus  coupables 
d'une  lâcheté  encore  plus  énorme,  puilqu'ils  avoient  ôfé  dire  qu'ils  agif- 
foient  par  l'ordre  de  l'Empereur  ;  mais  qu'un  fi  grand  Prince ,  ne  pouvant 
être  foupçonné  d'un  projet  fi  noir,  c'étoit  cette  railbn  même  qui  le  por- 
toit  à  les  châtier  rigoureufement  de  l'outrage  qu'ils  faifoient  à  leur  Maî- 
tre.    Il  ajouta,  que  des  Ambalfadeurs  repréfentani;  celui  qui  les  avoit  en- 
voyés, il  avoit  voulu  leur  communiquer  fon  deffein,  pour  leur  en  faire 
connoître  la  juflice  ,  &  pour  les  mettre  en  état  de  rendre  témoignage  à 
l'Empereur,  que  les  Efpagnols  étoient  moins  offenfés  de  l'injure  qui  re- 
gardoit  leur  Nation ,  que  de  voir  d'indignes  Sujets  autorifer  une  trahifon 
par  le  nom  de  leur  Souverain. 

Les  Mexiquains,  faifiifant  l'ouverture  qui  leur  étoit  préfentée,  feigni-      II,  feignent 
rent  aflez  adroitement  d'ignorer  la  conjuration;   tandis   que  Cortez,  ravi   d'ignorer  la 
de  les  voir  donner  dans  le  piège,   s'applaudiflbit  de  puuvoir  éviter  une  '^""'P'^^^''^'^- 
Guerre  ouverte  avec  Motezuma,  &  faire  tourner  contre  lui  les  propres 
rufes.     11  fe  perfuada  plus  que  jamais  qu'un  Ennemi,  qui  n'ofoit  l'attaquer 
ouvertement,  ne  prendroit  pas  le  parti  le  plus  rigoureux;  &  le  fiant  à  les 
mefures ,  il  fit  garder  étroitement  les  Ambafladeurs.     Cependant  on  vit      Rufc  des  • 
arriver  les  Tamenes  à  la  pointe  du  jour,  mais  en  petit  nombre,  avec  fort  Conjunî-s. 
pvu  de  vivres.     Ils  furent  fuivis  des  gens  de  Guerre,  qui  ne  vinrent  qu'à 
la  file,  &  pour  cacher  mieux  qu'ils  etoient  en  plus  grand  nombre  quon 
ne  l'avoit  demandé.     On  apprit ,  dans   la  fuite ,  qu'ils  avoient  ordre  de 
charger  les  Elpagnols  au  fignal  dont  ils  étoient  convenus.     Cortez  les  fit 
porter  féparcment,  en  divers  endroits  de  fon  Quartier,  où  ils  étoient  gar- 
dés à  vue,  fous  prétexte  que  c'étoit  fa  méthode,  lorfqu'il  avoit  un  ordre 
de  marche  à  former.     Pour  lui ,  montant  à  Cheval ,  avec  quelques  uns  de 
fes  plus  braves  gens,  il  fit  appellcr  les  Caciques,  pour  les  informer  enfin 
de  la  réfolution.    Quelques-uns  fe  prcfeiuèrcnt,  ik  d'autres  cherchèrenr. 

des  > 


Fernand 

C  O  R  T  E  Z. 

1519- 


Vengenncc 
qiR-  Cortcz  ti- 
re d'eux. 


Il  attnqiic 
â  force  leurs 
'i'roupo? , 
flans  les  Tcm- 
})l»^  de  la 
Ville. 


Bouchorie 
qu'il  en  lait. 


La  Ville  cd 
pillée  par  les 
Tlalcaians. 

Cortez  par- 
donne aux 
Traîtres ,  t^ 
rtitablit  1  or- 
dre à  Chulu- 
la. 


32S      PREMIERS      VOYAGES 

des  excufes.  Marina  fut  chargée  de  déclarer ,  à  ceux  qui  avoient  eu  la 
hardieflc  de  paroître,  que  leur  trahifon  étoit  découverte ,  &  qu'ils  alloient 
apprendi;p  qu'il  leur  auroit  été  plus  avantageux  de  conferver  la  Paix.  A 
peine  eut-elle  parlé  de  châtiment,  qu'ils  fe  retirèrent,  en  donnant  à  grands 
cris  le  fignal  du  Combat.  Mais  Cortez  fit  tomber  aufli-tôt  Ton  Infanterie, 
fur  les  Cholulans,  qui  étoient  divifés  dans  fon  Quartier.  Quoiqu'étant  fous 
les  armes  ils  Hlfent  des  efforts  extraordinaires  pour  fe  réunir,  la  plupart  fu- 
rent taillés  en  pièces;  &  ceux  qui  fe  dérobbèrent  à  la  fureur  des  Èfpagnols, 
ne  durent  leur  falut  qu'à  leurs  lances,  dont  ils  fe  fervoient  a  /ec  une  adrefle 
extraordinaire  pour  fauter  par-deflus  les  murs. 

Aussi-tôt  qu'on  fe  fut  défait  de  ces  Ennemis  inreflins ,  on  donna  le  fi- 
gnal aiixTlafcalans,&  l'Infanterie  Efpagnole s'avança  par  la  principale  rue, 
après  avoir  lailfé  une  Garde  au  logement.     Quelques  Zampoalans  eurent 
ordre  de  marchera  la  tète,  pour  découvrir  les  tranchées.     Le  cri  desCa- 
ciques  avoit  déjà  produit  fon  effet;  &  pendant  l'Aélion  du  Quartier,  les 
îlibitans  avoient  introduit  dans  la  Ville  le  rdte  des  Troupes  Mexiquaines. 
Elles  s'étoient  raffemblées  dans  une  grande  Place,  bordée  de  plufieurs Tem- 
ples.    Une  partie  avoit  occupé  les  Portiques  &  les  Forts;  tandis  que  le  relie, 
divifé  en  plufieurs  Bataillons ,  fe  difpofoit  à  faire  face  aux  Efpagnols.    Le 
Combat  alloit  commencer  avec  les   premiers  rangs  de  Cortez,  lorfque  les 
Tlafcalans  vinrent  tomber  fur  l'Arrière-garde  ennemie.     Cette  attaque  im- 
prévue les  jetta  dans  une  confternation  dont  ils  ne  purent  fe  relever.     Les 
Efpagnols  couvèrent  11  peu  de  réfiftance,  qu'après  avoir  tué  un  grand  nom- 
bre de  ces  Miférables,  dont  la  plupart  fembloient  avoir  perdu  l'ufage  de  leurs 
mains,  &prélentoicnt  l'eflomac  aux  coups,  ils  forcèrent  les  autres  de  fe 
réfugier  dans  les  Temples.     Cortez,  s'approchant  en  bon   ordre  du  plus 
grand  de  ces  Edifices ,  fit  crier  à  haute  voix  qu'il  accordoit  la  vie  à  tous 
ceux  qui  defecndroient  pour  fe  rendre.     Mais  cet  avis  ayant  été  répété  inu- 
tilement, il  lit  mettre  le  feu  aux  Tours  du  Temple  ,  &  quantité  d'Indiens 
y  furent  confumés  par  les  flammes  (s).     Une  fi  rigoureufe  exécution  ne 
put  vaincre  l'obllinarion  des  autres;  &  les  Iliftoriens  admirent  qu'il  n'y 
en  eut  qu'un  feul ,  qui  vint  fe  rendre  volontairement  entre  les  mains  des 
Efpagnols.     Cependant  il  paroîc  que  tous  les  autres  Temples  &  les  Maifons 
mêmes,  où  le  refl:e  de  ces  Malheureux  fe  tenoient  renfermés,  furent  atta- 
qués aufli  par  le  feu.     La  Guerre,  dit  Solis ,  ceffa  fatite  d'Ennemis;  &  les 
Tlafcalans  profitèrent  des  circondances  pour  fe  répandre  dans  la  Ville,  où 
le  pillage  fut  le  moindre  de  leurs  excès.  Il  ajoute  que  cette  horrible  journée 
ne  coûta  pas  un  feul  Homme  aux  Efpagnols. 

Cortez  retourna  dans  fon  Quartier,  avec  les  Efpagnols  &  les  Zampoa- 
lans.    11  en  marqua  un,  dans  la  Ville,  aux  Tlafcalans;  après  quoi,  il  fit 

ren- 


(s)  Un  riiflorien  ,  s'efforçant  d'cxcufer 
les  Efpagiiols,  fait,  naître  des  doutes  fur  la 
facilité  de  mettre  le  feu  à  des  hâtiniens  lî  éle- 
vés ;  &  diminuant  beaucoup  l'incendie,  il 
fait  entendre   que  Icj  linncaiis  furent  délo- 


gés par  le  fecours  do  l'Artillerie.  Ce  qui  pa- 
rtit eertiin  par  tous  les  témoignages,  c'eit 
(jue  le  nombre  des  Morts  ne  monta  qu'à  fix 
mille.  Diaz  ,  Chap.  13.  Solis,  Cliup.  7. 
Ihircra,  Liv.  7.  Chap.  2  &  3. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.   I.  329 

rendre  la  liberté  à  tous  les  Prifonniers.  Mais  il  les  fit  amener  fous  Tes 
yeux,  avec  les  Sacrificateurs  qu'il  avoit  fait  arrêter,  l'Indienne,  qui  avoit 
découvert  la  confpiration ,  &  les  Ambafladeurs  Mexiquains.  Il  témoigna 
un  extrême  regret  de  la  néceflicé  où  les  Habitans  l'avoient  mis  de  les  châ- 
tier avec  tant  de  rigueur.  Il  exagéra  leur  crime,  il  raflura  les  efprits  par 
de  meilleures  efpérances.  Enfin,  proteflant  que  fa  juftice  étoit  fatisfaite 
&  fa  colère  appaifée,  il  accorda  un  pardon  général,  qui  fut  publié  avec 
beaucoup  d'appareil.  Les  Cacique»  reçurent  ordre  de  rappeller  les  fugitifs, 
&  de  rétablir  l'ordre  dans  la  Ville.  J^n  peu  de  jours,  un  efl^royable  tumul- 
te fut  changé  en  une  pleine  tranquillité  ;  fur  quoi  Solis  obferve  qu'on  ne 
connut  pas  tant  la  facilité  avec  laquelle  ces  Indiens  pafl'oient  d'une  extré- 
mité à  l'autre  ,•  que  la  haute  opinion  qu'ils  avoient  conçue  des  Efpagnols, 
puifque  les  mêmes  raifons,  dit-il,  qui  juflifioient  lé  châtiment  de  leur  fau- 
te, firent  aflez  d'impreflion  fur  leurs  efprits  pour  leur  perfuader  qu'on  l'avoit 

oubliée  (t)*  1    .  ,     a      1 

Le  jour  fuivant,on  vit  arriver  Xicotencatl ,  a  la  tête  de  vingt  mille  Hom- 
mes, que  la  République  de  Tlafcala  envoyoit  au  fecours  des  Efpagnols, 
fur  le  premier  avis  qu'elle  avoit  reçu  de  la  conjuration.  Cortez  les  remer- 
cia vivement  de  ce  zèle.  Mais ,  après  leur  avoir  appris  que  leur  fecours 
ne  lui  étoit  plus  néceflaire  pour  la  réduûion  deCholula,  il  leur  fit  com- 
prendre que  fon  deflTein  étant  de  prendre  b:;;ntôt  le  chemin  du  Mexique , 
il  ne  vouloit  pas  réveiller  la  jaloufie  de  Motezuma,  ni  l'obliger  de  prendre 
les  armes ,  en  introduifant  dans  fes  Provinces  une  fi  grofl'e  Armée.  Les 
ïlafcalans  ne  firent  pas  difficulté  de  fe  retirer ,  &  lui  promirent  feulement 
de  fe  tenir  prêts  à  marcher  au  premier  ordre.  Avant  leur  départ ,  il  en- 
treprit d'établir  une  amitié  fincère  entr'eux  &  les  Cholulans.  Cette  propo- 
fition  trouva  d'abord  beaucoup  de  difficultés;  mais  elles  furent  levées  en 
peu  de  jours,  &  l'alliance  fut  jurée  entre  les  deux  Peuples,  avec  toutes  les 
cérémonies  qui  pouvoient  la  rendre  confiante.  La  politique  de  Cortez  ou- 
vroit ,  par  ce  Traité ,  un  chemin  fibre  aux  Tlafcalans  pour  lui  conduire  tou- 
tes fortes  de  fecours,  &  lui  afTuroit  un  paflàge  pour  fa  retraite,  fi  le  fucccs 
de  fon  Voyage  ne  répondoit  pas  à  fes  efpérances  (v). 

Il  avoit  marqué  le  jour  de  fon  départ,  lorfqu'une  partie  des  Zampoalans, 
qui  fervoient  fous  fes  ordres,  lui  demandèrent  la  liberté  de  fe  retirer;  foit 
qu'ils  fuffent  efi'rayés  du  deflein  de  pénétrer  jufqu'à  la  Cour  de  Motezuma, 
ou  qu'ils  appréhendafTent  feulement  de  s'éloigner  trop  de  leur  Patrie.  Il 
confentit  fans  peine  à  leur  demande  ;  &  témoignant  même  beaucoup  de 
TcconnoifFance  pour  leurs  fervices ,  il  prit  cette  occafion  pour  informer 
d'Efcalante  &  les  Efpagnols  de  Vera-Cruz,  du  fuccès  que  le  Ciel  avoit  ac- 
cordé à  fes  armes  (x).  De  nouveaux  Ambaffadeurs  de  Motezuma,  qui 
arrivèrent  dans  le  même  tems,  mirent  encore  à  l'épreuve  fa  modération  & 

fa 


FerNA  ND 

Coûtez. 
1519. 


Il  refufe  un 
puiflant  fe- 
cours, de 
Xicotencatl  & 
des  Tlafca- 
lans. 


Il  unit  ÏCii 
Tlafcahins  & 
les  Cholulans 
par  une  Al- 
liance foleni- 
ncUe, 


(t)  Ibidem. 

(îj)  On  doit  remarquer  ici  que  Las  Cafas 
repréfente  le  niaflacrc  de  Cholula  comme  une 
de»  plus  atroces  cruautés  des  Efpagnols ,  & 
ou'il  l'attribue  à  la  foif  de  l'or  ;  Solis  la  croit 


qu 


XFIII.  Part. 


juflifi(ic  par  l'utiliti5  dont  elle  fut  pour  ouvrir 
le  chemin  au  Chriltianifmc. 

(  X  )  Ilerrera  place  cette  information  avant 
l'entrée  de  Cortez  dans  Tlafcala.  Liv.  6» 
Cbap.  12. 

T  t 


Au  très  Am- 
bafladeurs de 
Motezuma,  & 
leur  diflîmu- 
lation. 


Fbxnand 

CORTEZ. 

1519- 


Di5pnrt  des 
Efii;i,.',iiols 
pour  la  Capi- 
tale de  1  Em- 
pire,   &  leur 
route. 


Trnliifon 
méditée  con- 
U'cux, 


Comment 
Cortcz  s'en 
tlélivre. 


Irréfolution 
de  Motezu- 
ma. 


330        PREMIERS      VOYAGES 

fa  prudence.  Ce  Monarque,  informé  de  tout  ce  qui  s'étoic  paflTé  à  Cho» 
lula,  vouloit  diiîiper  les  défiances  des  l'^fpagnois.  Ses  Miniftres  pouirèrent 
la  diirimulation ,  julqu'à  rendre  grâce  à  Cortcz  d'avoir  puni  les  Cholulans. 
Ils  exagérèrent  la  colère  &  le  relTentiment  de  leur  Maître,  traitant  de  Per- 
fide un  malheureux  Peuple,  ipi  n'avoit  mérité  cette  qualité  que  pour  avoir 
exécuté  fes  ordres^  Cette  harangue  étoit  accompagnée  d'un  magnifique 
préfent,  qui  fut  étallé  avec  beaucoup  d'oftentation.  Mais  on  eut  bientôt 
occaûon  de  reconnoître  que  c'ecoit  un  nouvel  artifice ,  pour  engager  les 
Efpagnols  à  sobferver  moins  dans  leur  marche,  &  pour  les  faire  tomber 
dans  une  embufcade  qui  étoit  déjà  dreflee.  1 

On  partit  tnfin,  quatorze  jours  après  la  réduction  de  Cholula.  L'Ar- 
mée pafla  la  première  nuit  dans  un  Village  de  la  Jurifdiftion  deCuagnxinjo^ 
pente  République  peu  arffeftionnée  à  Motezuma.  Cortez  fut  ravi  d'y  trou- 
ver les  mêmes  plaintes,  qu'il  avoit  entendues  dans  des  Provinces  plus  é- 
loignées.  Le  jour  fuivant,  il  continua  fa  marche  par  un  chemin  fort  rude,, 
fur  des  Montagnes  d'une  hauteur  égale  à  celle  du  Volcan.  Un  Cacique  de 
Guagoxinjo  l'avoit  averti  qu'il  étoit  menacé  de  quelque  danger,  à  la  défcen- 
te  des  Montagnes,  &  que  depuis  plufieurs  Jours  on  y  avoit  vu  les  Mexi- 
quains  boucher,  avec  des  pierres  &  des  troncs  d'arbres,  le  chemin  qui 
conduit  à  la  Province  de  Chalco^  tandis  que  d'autres  avoient  applani  l'en- 
trée d'une  route  voifine.  On  parvint,  avec  beaucoup  de  fatigue,  au  fom- 
met  de  la  Montagne,  parce  qu'il  tomboit  de  la  rîège,  avec  un  vent  furieux. 
11  s'y  préfentadeux  chemins,  à  peu  de  diftance  l'un  de  l'autre,-  &  Cortez 
n'eut  pas  de  peine  à  les  reconnoître,  aux  marques  que  le  Cacique  lui  avoit 
données.  Maigre  l'émotion  qu*il  relTentit  en  vérifiant  cette  nouvelle  tra- 
hifon,  il  demanda  tranquillement,  aux  Ambafladeurs  Mexiquains,  qui 
marchoient  près  de  lui,  dans  quelle  vue  on  avoit  fait  des  changemens  aux 
deux  chemins?  Ils  répondirent  que  pour  la  commodité  de  fa  marche,  ils 
avoient  fait  applanir  le  plus  aifé,  &  boucher  l'autre,  qui  étoit  le  plus  dif- 
ficile. Cortez  reprit ,  avec  la  même  tranquillité  :  „  Vous  connoiUez  mal , 
leur  dit-il,  les  Guerriers  qui  m'accompagnent.  Ce  chemin,  que  vous 
avez  embarraflé,  efl:  celui  qu'ils  vont  fuivre,  par  la  feule  raifon  qu'il 
efl  difficile.  Dans  le  choix  de  deux  partis ,  les  Efpagnols  fe  détermi- 
nent toujours  pour  le  moins  aifé".  Alors,  fans  s'arrêter,  il  ordonna^ 
aux  Indiens  Alliés,  de  prendre  les  de  ants,  &  de  débarraflîer  le  chemin, 
en  écartant  les  obftacles  qui  le  couvroient  ;  & ,  s'y  étant  engagé  fans  crain- 
te, il  laifla  les  Ambafladeurs  dans  l'admiration  de  fon  choix,  qu'ils  attri- 
buèrent à  une  efpèce  de  divination.  Il  étoit  vrai  que  les  Mexiquains  a- 
voient  drefle  une  embufcade  au  pied  de  la  Montagne;  mais,  fe  croyant 
découverts,  lorfqu'ils  virent  prendre,  aux  Efpagnols ,  un  chemin  différent 
de  celui  qu'ils  avoient  préparé  ,  ils  ne  penférent  qu'à  s'éloigner,  comme 
s'ils  euflent  été  pourfuivis  par  une  Armée  viélorieul'e.  L'Armée  defcendic 
librement  dans  la  Plaine. 

Cependant  Motezuma,  desefperé  du  mauvais  fuccès  de  fes  artifices, 
demeuroit  dans  fes  irréfolutions ,  fans  ôfer  faire  ufage  de  fes  forces.  Il  fe 
réduifoit  à  confulter  fes  Dieux,  en  faifant  ruifleler  le  fang  fur  leurs  Autels. 
Mais  il  ne  trouvoit  rien  qui  n'augmentât  fon  trouble.    Les  léponfes  de  ÏQi 

Pre- 


j» 


î» 


i' 


à  Cho- 

lifèrent 
ulutans. 
de  Per- 
r  avoir 
^nifique 
bientôt 
iger  les 
tomber 

L'Ar- 

Roxinjo, 
l'y  trou- 
plus  é- 
rn  rude,. 
:ique  de 
dêfcen- 
s  Mexi- 
nin  qui 
ini  l'en- 
au  fom- 
furieux. 
:  Cortez; 
ui  avoit 
^elle  tra- 
ins, qui 
tens  aux 
che,  ils 
atlus  dif- 
fez  mal , 
ue  vous 
bn  qu'il 
iétermi- 
rdonna» 
chemin, 
is  crain- 
ils  attri» 
uains  a- 

croyant 
lifFérent 

comme 
efcendic 

rtifices , 
.     Ilfe 
Autels. 
t$  de  Tes 
Fifc- 


! 


:     EN     AMERIQUE,    Liv.  I.  331 

Prêtres  fe  contredifoient  fans  cefle.  Enfin  ,  lorfqu'il  eut  appris  aue  les  Es- 
pagnols étoient  dans  la  Province  de  Chalco ,  &  que  Ton  dernier  ftratagéme 
n'avoit  tourné  qu'à  fa  confufion  ,  il  aiFembla  tous  Tes  Magiciens  &  Tes  De- 
vins; &,  dans  la  confiance  qu'il  avoit  à  leur  Art,  il  leur  donna  ordre  d'al- 
ler au-devant  des  Efpagnols,  pour  les  mettre  en  fuite,  ouïes  endormir  par 
la  force  de  leurs  charmes  (y). 

L'Armée  Efpagnole  ne  continuoit  pas  moins  fa  marche.  Elle  arriva,  le 
jour  fuivant ,  dans  un  Village  de  la  Province  de  Chalco  ,  à  deux  lieues  du 
pied  des  Montagnes.  Le  Cacique,  en  préfentant  des  vivres  à  Cortezjui 
fit  des  plaintes  amères  de  la  tyrannie  de  Motezuma.  On  fit  quatre  lieues , 
le  jour  fuivant,  au  travers  d'un  Pays  fort  agréable,  pour  aller  pafler  la 
nuit  dans  le  Bourg  û'Jmatneca^  fitué  fur  le  bord  du  grand  Lac  de  Mexico. 
Il  fefit,  dans  ce  lieu,  un  fi  grand  concours  de  Mexiquains,  la  plupart  ar- 
més, que  les  Efpagnols  en  conçurent  de  l'inquiétude.  Cortez  fit  faire 
quelques  décharges  de  l'Artillerie  &  des  Arquebufes.  Il  donna  ordre 
que  les  Chevaux  fuflcnt  préfentés  à  cette  muUitude  de  Curieux  ,  &  ma- 
niés avec  aflTez  d'aftion  pour  leur  inlpirer  de  l'efFroi  ;  tandis  que  fes  plus 
fidèles  Interprètes  afFeftoient  de  répandre  que  ce  bruit  &  ces  terribles  A- 
nimaux  annonçoient  quelque  chofe  de  finiflire.  Tous  les  Indiens  efi'rayés 
s'éloignèrent  aulTi-tôt  du  Camp,  fans  qu'on  pût  juger  quel  defiein  les  a- 
voit  amenés.  Mais  il  refta  quelque  foupçon,  au  Général,  qu'ils  étoient 
venus  pour  l'attaquer. 

Cependant,  lorfqu'il  étoit  prêt  à  fe  remettre  en  marche,  quelques  Sei- 
gneurs Mexiquains  vinrent  lui  donner  avis  que  Cacumatzin,  Neveu  deMo- 


(51)  Le  Père  d'Acofta  &  d'autres  Ecri- 
vains eftimés,  rapportent  ici  pluficurs  cir- 
conflances,  qu'il  n'eft  pas  permis  de  ("uppri- 
mer  fur  de  tels  témoignages,  quoiqu  elles  ne 
.  puiflent  entrer  dans  une  Hifloirc  férieufe. 
Lorfque  ces  Magiciens  ,  difent  -  ils ,  furent 
arrivés  au  cjiemin  de  Chalco ,  par  lequel  nô- 
tre Armée  s'avançoit  vers  Mexico,  &  qu'ils 
eurent  commencé  à  faire  leurs  invocations ,  un 
Fantôme  leur  jjpparut  fous  la  forme  d'une 
de  leurs  Idoles,  qu'ils  nommoient  Telcatle- 
pulca ,  c  e(t-à-dire  Dieu  malfaifant  ^  redou- 
table,  &  qui,  fuivant  leur  tradition,  avoit 
entre  fes  mains  les  peftes ,  les  famines ,  & 
les  autres  fléaux  du  Ciel.  Cet  Efprit  donna 
des  marques  d'une  horrible  fureur.  Il  avoit 
.reftomac  entouré  d'une  corde ,  qui  le  ferroit 
à  plufieurs  retours,  pour  leur  faire  compren- 
dre qu'il  étoit  arrêté  par  une  main  inviflble. 
Tous  les  Magiciens  fe  proflernèrent  pour  l'a- 
dorer; &.  lui,  fans  fe  laifler  fléchir  par  leurs 
humiliations,  empruntant  la  voix  de  l'Idole, 
dont  il  imitoit  la  figure ,  leur  parla  dans  ces 
termes:  „  Le  tems  eft  venu,  mi fé râbles Mc- 
♦,  xiquains,  oh  vos  conjurations  vont  perdre 


„  toute  leur  force.  Tous  nos  liens  font 
„  rompus.  Rapportez  à  Motezuma  que  fa 
,,  ruine  efl.  réfolue  ;  &  pour  être  en  état  de 
„  lui  parler  avec  plus  de  force,  jettez  les 
„  yeux  fur  cette  miférable  Ville,  dont  vous 
„  allez  voir  le  fort  ".  LEfprit  difpaïut,  & 
fes  Minillres  virent  auiïï-  tôt  la  Ville  de  Me- 
xico en  feu.  Mais  les  flammes  s  évanoui- 
rent, &  ne  iaifférent  qu'une  aifreufe  fumée 
fur  la  Ville.  Ils  revinrent  communiquer  leur 
avanture  à  l'Empereur.  Les  menaces  du  B'an- 
tôiiie  furent  fur  lui  tant  d'impreflîon ,  qu'il 
demeura  quelque  tems  fans  force  &  fansvMi.i. 
Il  fe  dépouilla  de  fa  férocité  naturelle,  ■^mr 
dire  aux  Magiciens:  |„  Que  pouvons -r/)us 
„  faire  de  plus ,  puifque  nos  Dieux  not  s 
„  abandonnent?  Que  les  Etrangers  viennent, 
„  que  le  Ciel  tombe  fur  nous ,  il  ne  faut  pas 
„  nous  cacher,  ni  foufFrir  que  le  malheur 
„  nous  accable  en  fuyant  comme  des  lâches. 
,.  Il  ajouta:  J'ai  feulement  une  extrême  coin- 
„  paflion  des  Vieillards,  des  Enfans,  &  des 
„  Femmes,  qui  n'ont  pas  de  mains  pour  fc 
„  défendre  ".    Solis,  .Liv.  3.  Chap.  8. 


Fernand 
CoRTEi;. 

1519. 

Il  employé 
le  fecours  de 
la  Magie. 

Les  Klpa- 
gnols  arrivent 
dans  la  Pro» 
vincc  de 
Chalco. 


Effroi  quff 
les  Chevaux 
caufent  aux 
Indiens. 


Cacumatzin 
Prince  de 
Tezcuco  & 
Neveu  de 
Motezuma , 
va  au-devant 
de  Cortez. 


Tt 


332 


PREMIERS      VOYAGES 


F  E  R  N  A  N  D 
CORTEZ. 

1519- 


Dcfcription 
de  Tezcuco. 


Belles 
Chauirées  & 
Lac  de  Mexi- 
co. 


Villes  & 
Bourgades  du 
Laç. 


tezuma,  &  Prince  deTezcucOj  s'approchoit  avec  une  fuite nombreufe, pour 
le  vifiter  au  nom  de  l'Empereur.     En  effet ,  ce  Prince  arriva  bientôt ,  por- 
te fur  les  épaules  de  plufieurs  Indiens,  dans  une  elpèce  de  chaife ,  dont  le 
principal  ornement  étoit  une  multitude  de  plumes  fort  bien  aflbrties.    C'é- 
toit  un  jeune  Homme  d'environ  vingt-cinq  ans ,  &  d'une  figure  agréable. 
Aufli-tôt  qu'il  fut  defcendu,  quelques  gens  de  fa  fuite  s'empreflerent  de 
nettoyer  devant  lui  le  terrein  fur  lequel  il  devoit  marcher.     Cortez  le  reçut 
à  la  porte  de  fon  logement ,  avec  toute  la  pompe  dont  il  favoit  fe  faire 
honneur.     Après  les  premières  civilités,  le  Prince  témoigna  la  fatisfaftion 
qu'il  reflentoit,  de  voir  un  Homme  fi  célèbre;  mais,  revenant  aux  difficul- 
tés ,  qui  ne  permettoient  pas  de  recevoir  les  Efpagnols  dans  la  Capitale  de 
l'Empire,  il  feignit  que  la  difette  avoit  été  fort  grande  cette  année,  & 
que  les  Habitans  ne  verroient  pas  volontiers  une  Armée  étrangère  dans  le 
fein  de  leur  Ville,  lorfqu'ils  manquoient  eux  mêmes  de  ce  qui  étoit  nécef- 
faire  à  leur  fubliflance.     Gortez  répéta  ce  qu'il  avoit  mille  fois  dit,  delà 
grandeur  de  fon  Maître,  &  des  importantes  raifons ,  qui  lui  faifoient  defî- 
rer  de  voir  l'Empereur  du  Mexique.     A  l'égard  de  la  flérilité  du  Pays,  il 
afTura  que  les  Efpagnols ,  accoutumés  à  la  fatigue ,  &  fupérieurs  aux  infir- 
mités communes,  n'avoient  pas  befoin  de  beaucoup  d'alimens  pour  con- 
ferver  leurs  forces.     Le  Prince  Mexiquain ,  n'ayant  rien  à  répliquer ,  ac- 
cepta quelques  préfens,  que  Cortez  lui  fit  offrir,  &  prit  le  parti  d'accom- 
pagner l'Armée  jufqu'à  Tezcuco. 

Cette  Ville  étoit  alors  une  des  plus  grandes  de  l'Empire.  Elle  le  dif- 
putoit  à  la  Capitale  même,  fur  laquelle  on  lui  donnoit  d'ailleurs  rav3ntage 
de  l'ancienneté.  Ses  Maifons  s'étendoient  fur  les  bords  du  grand  Lac ,  dans 
une  belle  fîtuation ,  à  l'entrée  de  la  Chauffée  principale  qui  conduifoit  à 
Mexico.  Cortez  paffa  fur  la  Chauffée,  fans  s'arrêter  à  Tezcuco,  pour  fe 
rendre  le  foir  à  Iztacpalapa,  d'où  il  fe  propofoit  de  faire,  le  jour  fuivant, 
fon  entrée  dans  Mexico.  La  Chauffée,  qui  avoit,  dans  ce  lieu,  environ 
vingt  pieds  de  largeur, étoit  compofée  de  pierres  liées  avec  de  la  chaux, & 
bordée,  par  intervalles,  de  quelques  ouvrages.  On  avoit,  des  deux  cô- 
tés, la  vue  d'une  grande  partie  du  Lac,  fur  lequel  on  découvroit  plufieurs 
autres  Chauffées  qui  le  croilbient  diverfement ,  &  quantité  de  Bourgades 
embellies  de  Tours ,  d'Arbres  &  de  Jardins,  qui  paroiffoient  nager  dans 
l'eau,  &  comme  hors  de  leur  élément.  Les  Efpagnols  arrivèrent,  entre 
Tezcuco  &  Iztacpalapa,  dans  un  Bourg  d'environ  deux  mille  Maifons, 
nommé  Quitlavaca^  auquel  ils  donnèrent  alors  le  nom  de  Fenezuela^  ou  pe- 
tite Venue,  parce  qu'il  étoit  réellement  bâti  dan»  l'eau.  Le  Cacique,  é- 
tant  venu  au-devant  d'eux,  les  preffa  fi  vivement  de  pafTer  la  nuit  dans  fon 
Domaine,  que  Cortez,  augurant  bien  de  ces  témoignages  d'affeftion,  lui 
fit  la  grâce  qu'il  defiroit.  Il  trouva  des  logemens  commodes  pour  toute 
fon  Armée  ;  &  les  Habitans ,  dont  la  politeiïe  fembloit  annoncer  le  voifi- 
nage  de  la  Cour,  lui  fournirent  des  provifions  en  abondance.  Il  ne  s'étoit 
pas  trompé  dans  l'opinion  qu'il  avoit  eue  des  motifs  du  Cacique.  Ce  Sei- 
gneur lui  confia  fes  chagrins ,  &  l'envie  qu'il  avoit  de  fecouer  un  joug  in- 
fuportable.    Il  lui  peignit  l'Empereur  coamie  un  Tyran  ;  &  pour  l'animer 

dans 


EN      AMERIQUE,  Lrv.  I. 


[ 


333 


dans  fon  entreprife ,  il  lui  donna  toutes  les  inflruélions  qu'il  auroit  pu  atten- 
dre du  plus  fidèle  Ami  de  TF/pagne.  Cortez  apprit  de  lui  c|ue  le  refte  de 
la  ChaulTée  ctoit  plus  large  &  mieux  entretenu;  qu'il  n'avoit  rien  à  redou- 
"        '     "  I- u„-j„:„^ „  i_  ir-...      .  ,     "Iztacpala- 

&  ne 


_  oppoferoit  point  à  ion  paiiage  ;  que  cette  inaiircrence  des  Mexiquams 
venoit  de  l'extrême  abbattement  de  Motezuma  ,  dont  l'efprit  paroiflbit 
troublé  par  les  prodiges  du  Ciel,  par  les  réponfes  de  fes  Oracles,  &  par 
les  merveilles  qu'on  lui  racontoit  des  Etrangers.  Enfin  le  Cacique  l'aflura 
lu'il  trouveroit  la  Capitale  prête  à  le  recevoir,  &  l'Empereur  plus  difpo- 
è  à  fouffrir  des  humiliations ,  qu'à  fe  livrer  aux  emportemens  de  fa  fier- 
Ces  lumières  venoient  d'autant  plus  à  propos,  qu'une  partie  de  l'Ar- 


Fernan» 
Cortez. 

1519- 

In(hii(flionn 
qui  niirurcnr 
Coric;^. 


?. 


Marche  des 
Cartillans  fur , 
la  Chaulluo. 


Ville  d'Iz- 
tjcpalapa. 


Comment 
les  Caflillans 


te.  .  -     _         .  . 

mée  avoit  commencé  à  s'effrayer  de  tant  de  grands  objets,  qui  dévoient 
faire  prendre  une  magnifique  idée  de  la  grandeur  &  de  la  force  de  l'Em- 
pire (z). 

Le  lendemain,  Cortez  fit  partir  toutes  fes  Troupes  en  ordre  de  Batail- 
le, fuivant  la  largeur  de  la  Chauffée,  qui  ne  pouvoit  contenir  que  huit  Ca- 
valiers de  front.     L'Armée  étoit  alors  compofée  de  quatre  cens  cinquante 
El'pagnols,  fans  y  comprendre  les  Officiers,  &  de  fix  mille  Indiens,  Zam- 
poalans  &  Tlafcalans.     Elle  marcha  fans  obftacle  jufqu'aux  Portes  d'Iztac- 
palapa.     Cette  Ville  fe  faifoit  diflinguer  entre  toutes  les  autres  par  la  beau- 
té de  fes  Tours,  &  par  la  hauteur  de  fes  Edifices,  dont  une  partie  étoit 
bâtie  dans  l'eau ,  &  l'autre  fur  les  bords  de  la  Chauffée.     On  y  comptoit 
environ  fix  mille  Maifons.     Le  Cacique,  accompagné  de  plufieurs  autres 
Princes,  vint  recevoir  le  Général  étranger,  &  chacun  fe  fit  connoître  par 
fon  nom  &  fa  dignité.  Les  préfens ,  qu  il  reçut  à  l'entrée  de  la  Ville ,  mon- 
tèrent à  deux  mille  marcs  d'or,    l'ous  les  Efpagnols  furent  logés  dans  le 
Palais  même  du  Cacique,  &  les  Indiens  de  l'Armée  dans  les  Portiques  &      .     .  ,^^j 
les  Cours.    Cortez  eut  un  Appartement  de  plufieurs  Salle'^  fort  ornées,  dont  ^  ^"   ^^'  ' 
le  platfond  étoit  de  cèdre,  &  les  tapifferies  de  coton,  avec  des  figures  & 
des  compartimens  de  plufieurs  couleurs.    Il  admira,  dans  la  Ville,  quanti- 
té de  Fontaines  d'eau  douce,  dont  l'eau  venoit  des  Montagnes  voifines, 
par  des  canaux ,  qui  fervoienc  enfuite  à  la  répandre  dans  plufieurs  Jardins 
fort  bien  cultivés.     Celui  du  Cacique  étoit  d'une  beauté  fingulière.     On  y 
voyoit  quantité  d'arbres  fruitiers,  qui  formoient  de  larges  allées,   &  des 
parterres,  divifés  par  de  fort  beaux  treillages  en  plufieurs  formes,  qui  of- 
froient  une  variété  admirable  d'herbes  odoriférantes  &  de  fleurs.     Le  cen- 
tre étoit  un  Etang  quarré,  d'eau  douce  &  fort  pure,  qui  n'avoit  pas  moins 
de  quatre  cens  pas  fur  chaque  face,  &  dont  les  bords  étoient  revêtus  d'un 
mélange  de  brique  &  de  pierre,  avec  des  dégrés  de  chaque  côté  pour  def- 
€endre  jufqu'au  fond  du  baffm.     On  y  nourriffoit  toutes  fortes  de  Poiffons 
&  d'Oileaux  de  Rivière.     Cet  ouvrage,  que  les  Efpagnols  jugèrent  digne 
de  l'Europe ,  &  qui  n'étoit  que  l'entreprife  d'un  Sujet  de  l'Empire  du  Me- 
xique, augmenta  l'opinion  qu'ils  avoient  des  richeffes  &  de  la  grandeur  du 
Souverain  (a).  li,. 


(z)  Solis,  Liv.  3, 
^«)  Ibidem. 


Cbap.  9.     rierrera,   Liv.   7.    Cbap.  4. 

Tt  3 


334 


PREMIERS      VOYAGES 


Ff-rnand 

C  O  R  T  E  Z. 

15  ï  9. 

Suite  de  la 
luarchc. 


rrcmicre 
vi'ic  (.le  ûlcxi- 
co. 


Se;  Fortifi- 
cations. 


I/F!mpe- 
rriir  vient  au 
devant  i.ic 
Cortcz. 

Son  Coric- 
2C\ 


Il  ne  refloit  que  deux  lieues  de  Chauflee  ,  jufqu'à  la  Capitale.  Cor- 
tez,  rcfolu  d'y  faire  fon  entrée  le  lendemain,  donna  ordre  que  l'Année  fût 
prête  à  la  pointe  du  jour.  La  nuit  le  pafla  trant|uillenient  ;  de  le  lendemain 
on  continua  la  marche  dans  l'ordre  établi,  en  luillant  à  côté  la  Ville  de  Ma- 
gifcatzmgOj  fondée  aulVi  dans  l'eau,  &  celle  de  uyoacan  fur  le  bord  delà 
Chaullee,  outre  quantité  de  grofles  Bourgades  qu'on  découvroit  fur  le  Lac. 
Enfin  l'on  eut  la  vue  de  la  grande  Ville  de  Mexico ,  qui  le  failbit  reconnoî- 
tre  pour  la  Capitale  de  l'Empire,  à  la  hauteur  &  la  magnificence  de  Tes  Bâ- 
timens.  Un  Corps  de  plus  de  quatre  mille  Hommes,  qui  paroiflbit  compo- 
fc  de  la  Noblefle  Ck  des  Oiriciers  de  la  Ville,  vint  ici  au  devant  du  Géné- 
ral ;  &  qiiuique  leurs  complimens  ne  fiiflent  qu'une  fimpic  révérence ,  que 
chacun  fail'oit  en  pafTant  à  la  file  devant  la  tête  de  l'Armée,  cette  cérémo- 
nie l'arrc  i  long-tems.  1 

Mexico  étoit  défendu,  de  ce  côte  là,  par  un  Boulevard  de  pierre,  qui 
le  couvroit  dans  toute  la  largeur  de  la  Chaulllc,  &  dont  la  Porte  donnoic 
Au-  un  autre  bout  de  Chaullee,  terminé  par  un  Font-levis,  après  lequel 
on  trouvoit  ime  féconde  Fortification,  qui  failbit  proprement  l'entrée  de 
la  Ville.  Aulfi  LÔt  que  la  Noblelle  Mexiquaine  eut  pallé  le  Pont,  elle  fc 
rangea  des  deux  côtés,  pour  laifler  l'entrée  libre;  &  les  Efpagnols  décou- 
vrirent alors  une  fort  grande  Rue  ,  dont  toutes  les  Maifons  éioient  bâties 
fur  le  même  modèle  ,  avec  des  terrailes  &,  des  balcons ,  qui  parurent 
chargés  d'une  multitude  infinie  d'IIabitans.  Il  ne  s'en  préfentoit  pas  un 
dans  la  rue  :  mais  Cortez  fut  averti  qu'on  la  tenoit  dégagée  par  l'ordre 
exprès  de  l'Empereur,  qui  vouloit  venir  le  recevoir  lui  même,  à  la  tête 
des  Seigneurs  de  fa  Cour,  pour  honorer  fon  arrivée  par  une  diftinftion  fans 
exemple. 

En  efi'et,  on  découvrit  bientôt  la  première  partie  du  Cortège  de  ce  Mo- 
narque, compofée  de  deux  cens  Oilieiers  de  la  Maifon  Impériale,  tous  en 
habit  uniforme,  avec  de  grands  panaches  de  même  ligure  &  de  même  cou- 
leur. Ils  marchoient  deux  à  deux,  les  pieds,  nus  &  les  yeux  baillés.  En 
arrivant  à  la  tête  de  l'Armée,  ils  fe  rangèrent  le  long  des  Murs,  pour  laif- 
fer  voir  dans  l'éloigncment  une  autre  Troupe,  plus  nombreufe  &  plus  ri- 
chement vêtue,  au  milieu  de  laquelle  Motezuma  etoit  élevé,  fur  les  épau- 
les de  fes  Favoris,  dans  une  litière  d'or  bruni,  dont  l'éclat  perçoit  au  tra- 
vers de  quantité  de  belles  plumes.  Qtiatre  des  principaux  Seigneurs  de 
f Empire  marchoient  autour  de  lui,  6c  foutenoient,  au-delftisde  fa  tcte, 
un  Dais  de  plumes  vertes,  tiffues  avec  tant  dart,  qu'elles  formoient  une 
efpèce  de  toile,  mêlée  de  quelques  figures  en  argent,  'l'rois  des  princi- 
paux Magillrats  la  précédoient ,  armes  chacun  dune  ver^^e  d'or,  qu'ils 
levoient  par  intervalles ,  pour  avertir  que  l'Empereur  approchoit.  A  ce 
fignal,  tout  le  Peuple,  dont  les  Mailons  écoient  couvertes,  le  profler- 
noit  &  baiflbit  le  vifage.  Lever  les  yeux  ,  dans  cette  occalion ,  etoit 
un  crime  qu'on  ne  diltinguoit  pas  du  facrilège.  Cortez  defc^ndit  de 
Cheval,  à  quelque  diilance  de  Motezuma;   Ck  ce  Prince  mit  en  méme- 

tems 

Nota.  Voyez  la  Carte  du  Liuc  4e  Mexico  fy*  fss  Environs,  lors  de  la  Conqutte ,  au  Tome 
XVI.  R.  d.  E. 


4 


En 

laif. 
us  ri- 
épau- 
ftu  tra- 

iirs  de 
tece, 
:  une 

princi- 
qu'ils 
A  ce 

rofter- 
ecoic 
ic  de 

nême- 
tems 


:   E    N     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.   I.  33^- 

tems  pied  à  terre.    Quelques  Indiens  étendirent  aufli-tût  des  tapis  duns 
l'intervalle. 

L'IiMPHHEUR  s'avança  lentement,  avec  beaucoup  de  gravité,  les  deux 
mains  appuyées  fur  les  bras  des  Princes  d'Iztacpalapa  &  de  'J'ezcuco,  les 
Neveux.  11  fit  ainli  quelques  pas  vers  Cortez.  Son  âge  paroiflbic  d'envi- 
ron quarante  ans.  Il  avoit  la  laille  de  hauteur  moyenne,  mais  plus  déga- 
gée que  robuile,  le  nez  aquilin,  &  le  teint  moins  bafanné  que  le  commun 
des  Indiens.  Ses  cheveux  defcendoient  juR|«'au  dcllbus  des  oreilles.  Ses 
yeux  étoient  fore  vifs;  &  toute  fa  perlbniic  avoit  un  air  de  majeflé ,  dans 
lequel  on  remarquoit  néanmoins  quelque  chofe  de  compofé.  Sa  parure  é- 
toit  un  Manteau  de  coton  très  lin,  attaché  fjmplemcnt  fur  fes  épaules;  aflez 
long  pour  lui  couvrir  la  plus  grande  partie  du  corps,  &  bordé  d'une  frange 
d'or  qui  traînoit  jufqu'à  terre.  Les  joyaux  d'or,  les  perles  &  les  pierres  pré- 
cieufes ,  donc  il  étoit  couvert,  méritoienc  plutôt  le  nom  de  fardeau  que  d'or- 
nement. Sa  Couronne  étoit  une  efpèce  de  Mitre  d'or,  qui  fe  terminoit 
en  pointe  par  devant,  &  dont  l'autre  partie,  moios  pointue,  fe  recour- 
boit  vers  le  derrière  de  la  tête.  Il  portoit  des  fouliers  d'or  maiîif.  Plu- 
fieurs  courroies,  qui  étoient  ferrées  par  des  boucles  de  même  métal,  & 
qui  remontoient  en  fe  croifant  jufqu'au  milieu  de  la  jambe,  repréfentoient 
aflez  bien  l'ancienne  chauflure  des  Romains  (b). 

Cortez  s'avança  de  fon  côté,  d'un  air  noble,  mais  à  plus  grands  pas,  & 
fit  une  profonde  révérence ,  que  le  Monarque  du  Mexique  rendit ,  en  baiflant 
la  main  jufqu'à  terre,  fuivant  l'ufage  commun  de  fa  Nation,  6i.  la  portant 
enfuite  à  fes  lèvres.  Cette  civilité,  qu'on  n'avoit  jamais  vu  pratiquer  aux 
Empereurs  Mexiquains,  parut  encore  plus  étonnante  dans  Motezuma,  qui 
faluoii  à  peine  fes  Dieux  d'un  ligne  de  tête,  &  dont  le  principal  vice  étoit 
l'orgueil.  Une  déférence  de  cette  nature,  jointe  à  la  démarche  d'être  forti 
pour  recevoir  le  Général  étranger,  fit,  fur  fefprit  des  Indiens,  une  im- 
preflion  d'autant  plus  avantageulé  à  Cortez,  que,  révérant  tous  les  Décrets 
de  leurs  Empereurs  avec  une  foumiflion  aveugle,  ils  fe  perfuadèrent  que 
Motezuma,  dont  ils  connoiflToient  la  fierté, n'avoit  pu  s'abbaifler  à  ce  point 
fans  de  puiflantes  raifons,  dont  ils  dévoient  refpefter  la  juftice  &  la  force. 
Cortez  portoit  fur  fes  armes  une  Chaîne  d'émail ,  chargée  de  pierres  faufles , 
mais  d'un  grand  éclat,  qui  repréfentoient  des  diamans  ik  des  éméraudes; 
&  fon  deflein  avoit  toujours  été  d'en  faire  le  préfent  de  fa  première  Au- 
dience: mais,  fe  trouvant  fi  proche  de  l'Empereur,  il  prit  cette  occafion 
pour  la  lui  mettre  au  cou.  Les  deux  Princes ,  qui  Ibutenoient  ce  Monar- 
que, s'efforcèrent  en  vain  de  rarréteiL,  en  lui  faifant  connoître  que  cette 
galanterie  étoit  trop  libre.  Motezudîa  blàma  lui-même  leur  fcrupule,  & 
parut  fi  latisfait  du  préfent ,  qu'il  le  regarda  quelque  tems  avec  admira- 
tion. Il  voulut  s'acquitter  fur  le  champ  par  une  action  éclatante;  &  pre- 
nant le  tems,  que  tous  les  Officiers  Efpagnols  employoient  à  lui  faire  la 
révérence,  pour  fe  faire  apporter  un  Collier,  qui  paflbit  pour  la  plus  riche 
pièce  de  fon  Trefor ,  il  le  mit  auffl  de  fes  propres  mains  au  cou  de  Cortez. 
C'étoic  un  grand  nombre  de  coquilles  fines,  &  fort  précieufes  dans  cette 

par- 
Ci/)  Herrera,  ubifuprà,  Chap.  5;  &  Salis,  Chap.  lo», 


f*'  iî  R  N  A  K  » 
C  0  u  T  B  Z. 

1519- 

Son  àgc  & 

fa  figure. 


Son  habille- 
ment. 


Ci  rcon  [lan- 
ces de  fuii  en- 
trevue avec 
Cortez. 


Cortez  lui 
mei  une  Chaî- 
ne d'émail  ii\ 
cou» 


Favciir  qu'il 
reçoit  de  ce 
Monai-que. 


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„ é« ». 

Photographie 

Sdenœs 

Corporation 


23  WEST  MAIN  STMEET 

WEBSTER,  N.Y.  UStO 

(716)  872-4503 


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Fernand 

CORTSZ. 


Palais  d'A- 
Tayaca,  oii 
Cortcz  eft 
logé. 


Motezuma 
le  vifite  dans 
ce  Logement. 


Son  Dif- 
couis. 


33(î       PREMIERS      VOYAGES 

partie  du  Nouveau  Monde ,  à  chacune  defquelles  pendoient  de  chaque  côté 
quatre  EcreviflTes  d'or.  Cette  nouvelle  faveur  fit  monter  au  comble  l'éton- 
nement  des  Mexîquains.  Les  complimens  furent  courts  dans  cette  premiè- 
re «ntrevûe.  Motezuma  donna  ordre  à  l'un  des  deux  Princes,  fes  Ne- 
veux )  d'accompagner  Cortez  jufqu'au  Logement  qui  lui  étoit^deftiné  ;  & 
continuant  de  s'appuyer  furie  bas  de  l'autre,  il  remonta  dans  fa  litière, 
pour  fe  retirer  avec  la  même  pompe.  Tous  les  Hiftoriens  rapportent  l'en- 
trée des  Efpagnols  dans  la  Capitale  du  Mexique,  au  huitième  jour  de  No- 
vembre (c). 

Ils  font  une  brillante  defcription  du  Logement  qu'on  avoit  préparé  pour 
Cortez;  c'étoit  un  des  Edifices  qu'/^xaya<ra ,  Père  de  l'Empereur,  avoit  fait 
bâtir.  Il  égaloit  en  grandeur  le  premier  des  Palais  Impériaux.  On  l'auroit 
pris  pour  une  Fortereire,par  la  force  &  l'épaifFeur  de  Ces  murs,  qui  étaient 
flanqués,  par  intervalles ,  de  tours  &  de  parapets.  Toute  l'Armée  trou- 
va facilement  à  s'y  loger;  &  le  premier  foin  du  Général  fut  d'en  récon- 
noîcre  lui-même  toutes  les  parties,  pour  y  placer  des  Corps -de -Gar- 
de ,  &  pour  y  pofler  fon  Artillerie.  Quelques  Salles ,  dedinées  aux  Of- 
ficiers ,  étoient  tendues  de  tapifleries  de  coton  ;  principale  étoffe  du 
Pays,  mais  d'un  prix  fort  différent,  fuivant  la  variété  des  couleurs  «Se  la 
délicatefle  du  travail.  Les  chaifes  étoient  de  bois,  &  d'une  feule  piè- 
ce, variées  néanmoins  par  l'induflrie  des  Ouvriers.  Les  lits  n'étoient 
compofés  que  d'une  natte  étendue,  &  d'une  autre  roulée,  qui  en  fai- 
foit  le  chevet;  mais  ils  étoient  environnés  fort  proprement  de  courtines, 
fufpendues  en  forme  de  Pavillon.  Dans  un  Pays ,  où  l'on  ne  connoifFoit 
point  encore  les  recherches  de  la  volupté ,  les  Princes  mêmes  n'avoienc 
point  de  lits  plus  délicats. 

Le  foir  du  même  jour,  Motezuma,  fuivi  du  même  Cortège,  fe  rendit 
au  Quartier  des  Efpagnols,  &  fit  avertir  Cortez,  qui  alla  le  recevoir  dans 
la  première  Cour,  d'où  il  le  conduifit  jufqu'à  fon  Appartement.  L'Empe- 
reur s'y  aflît  d'un  air  familier ,  &  fit  approcher  un  fiége  pour  Cortez.  Ses 
Officiers  fe  rangèrent  le  long  des  murs ,  &  ceux  de  Cortez  fe  mirent  dans 
la  même  fituation.  Marina  fut  appellée  pour  fervir  d'Interprète ,  &  Cor- 
tez fe  dirpofoit  à  s'expliquer  le  premier  :  mais  l'Empereur  témoigna  qu'il 
vouloit  parler  avant  lui.  Son  difcouis ,  tel  que  les  Hilloriens  le  rapportent, 
renferme  tout-à  la-fois  beaucoup  d'adrelFe  &  d'ingénuité  (d).  La  réponfe 
.,,,■:.       '.,.„-■:  de 


(c)  On  trouve  quelques  légères  difKrcn- 
ces  dans  le  récit  qu'ils  font  des  événemcns 
de  ce  grand  jour  :  mais  elles  peuvent  venir 
de  la  diiférente  pofition  de  ceux  qui  les  a- 
voient  obfcrvés.  La  feule ,  qui  mérite  d'ê- 
tre remarquée,  regarde  le  nombre  des  Ef- 
pagnols, quHerrera  ne  fait  monter  qu'à  trois 
cens ,  &  Gomera  à  quatre  cens,  quoique Diaz 
&  Solis  en  comptent  quatre  cens  cinquan- 
te. Herrera  raconte  qu'en  fortant  de  Tlaf- 
cala ,  Cortez  fut  fi  furpris  de  voir  les  Efpa- 
gnols réduits  à  une  fi.  petit;?  troupe,  que  d'i- 
maginant qu'il  en  étoit  demeuré  plufieurs  en 


arrière,  il  envoya  Alvarado  pour  les  preflbr 
de  fortir,  mais  qu'il  ne  s'en  trouva  aucun. 
Ibidem. 

(rf)  Quoique  la  plupart  de  ces  Pièces 
foient  ordinairement  fort  fufpeftes ,  on  a  dé- 
jà remarqué  que  celles-ci  paroiflènt  d'un  au- 
tre ordre,  parce  qu'elles  tirent  une  efpèce 
d'autenticité ,  de  leur  reflemblance  dans  tous 
les  Hiftoriens,  qui  doivent  les  avoir  tirées 
d'une  iburce  commune. 

„  Seigncarôc  vaillant  Capitaine,  avant  que 
„  je  puiflè  écouter  rAmbaflade  du  grand  Prin* 
„  ce,  dont  vous  êtes  leMinidrc,  nous  de< 

„  vons 


EN      AMERIQUE    Liv.  I. 


337 


de  Cortez  fut  celle  d'un  Homme  fupérieur,  qui  fait  tirer  avantage  des  il-    Ter n  an» 
lufions  mêmes  qu'il  trouve  établies,  &  qui  fait  tourner,  au  fuccés  de  fes     ^°^'^''^^- 

vues,      '5 19. 


„  vons  commencer,  vous  &  moi,  par  ou- 
„  blicr  ce  que  la  Renommée  a  publié  de  nos 
„  pcrfonnes  &  de  nôtre  conduite.  On  vous 
„  aura  dit  de  moi,  dans  quelques  endroits, 
„  que  je  fuis  un  des  Dieux  immortels.  D'au- 
,,  très  vous  auront  fait  entendre  que  la  For- 
„  tune  s'eft  épuifée  à  m'enrichir  ,  que  les 
„  inurs  &  les  toîts  de  mes  Palais  font  d'or , 
„  &  que  la  terre  eft  afFaiiTée  fous  le  poids 
,,  de  mes  richelFes.  Enfin ,  d'autres  auront 
„  voulu  vous  perfuader  que  je  fuis  un  Tyran 
„  cruel  &  fuperbc,  qui  abhorre  la  juftice, 
>,  &  qui  ne  connoit  pas  l'humanité.  Les  uns 
„  &  les  autres  vous  ont  également  trompé 
„  par  leurs  exagérations.  Cette  partie  de 
„  mon  corps,  dit -il,  en  découvrant  fon 
„  bras ,  vous  fera  connoître  que  je  fuis  de 
,,  chair  &  d'os,  un  Homme  mortel,  de  la 
„  même  efpèce  que  les  autres  Hommes, 
„  mais  plus  noble  &  plus  puiffant  qu'eux.  Je 
„  ne  desavouerai  pas  mes  richclTes;  mais  1  i- 
„  magination  de  mes  Sujets  les  grolFit  beau- 
„  coup.  Cette  Maifon ,  où  vous  êtes  logés , 
„  eft  un  de  mes  Palais;  regardez  ces  mu- 
„  railles,  elles  font  compofees  de  pierre  Se 
„  de  chaux,  matière  vile,  qui  ne  doit  fon 
„  prix  quà  la  manière  dont  elle  cft  employée. 
„  Par  ces  deux  exemples ,  jugez  fi  l'on  ne 
„  vous  a  pas  trompé  de  même ,  lorfqu'on  a 
„  pris  plaifir  à  vous  exagérer  mes  tyrannies. 

Sufpendez  du  moins  vôtre  jugement,  pour 
„  être  éclairci  de  mes  raifons  ;  &  ne  vous  en 
„  rapportez  point  au  langage  de  mes  Sujets 
„  rebelles ,  fans  avoir  examiné  U  les  mifc- 
„  res,  dont  ils  fe  plaignent,  ne  font  point 
„  un  châtiment,  &  s'ils  ont  droit  de  m'en 
„  faire  un  reproche  fans  avoir  celTé  de  les 
„  mériter.  C'cfl;  avec  la  môme  obfcurité, 
„  qu'on  m'a  rendu  compte  de  vos  perfonnes 
„  &  de  vos  aftions.  Les  uns  m'ont  aflliré 
„  que  vous  étiez  des  Dieux ,  que  les  Bêtes 
„  farouches  vous  obéiflbicnt,  que  yous  te- 
,,  niez  les  foudres  entre  vos  mains,  &  qug 
„  vous  commandiez  aux  Elémens.  D'autres 
„  ont  voulu  me  perfuader  que  vous  étiez 
„  méchans,  emportés,  fuperbes,  que  vous 
„  vous  laifTicz  gouverner  aux  vices ,  &  que 
„  vous  aviez  une  foif  infatiable  de  l'or.  Ce- 
„  pendant  je  reconnois  déjà  que  vous  êtes 
„  des  Hommes  de  la  même  nature  que  nous; 
„  quoiqu'il  y  ait  quelque  différence,  qu'on 
„  ne  doit  fans  doute  attribuer  qu'à  la  diver- 
„  firé  des  climats.  Ces  Animaux,  qui  vous 
.■j.obéifTent,  ne  font,  à  mon  avis,  qu'une  ef- 
„  pèce  de  grands  Cerfs,  un  peu  plus  dociles 

Xnil.  Part. 


•) 


„  que  les  nôtres,  que  vous  avez  apprivoi- 
,,  fés,  &  foigncufcment  inflruits  des  fcien- 
„  ces  qui  conviennent  à  leur  capacité  natu- 
relle. Je  conçois  auftî  que  ces  armes ,  qui 
rcflemblwit  à  la  foudre,  font  des  tuyaux 
d'un  métal,  qui  n'ert  pas  connu  parmi 
nous ,  dontl'eftet ,  feinblabic  à  celui  de  nos 
farbacanes,  vient  d'un  air  prelfé  qui  cher- 
„  che  à  fortir ,  &  qui  pouffe  impétueufement 
„  tout  ce  qui  s'oppofe  à  fon  palfage.  Le 
„  feu,  que  ces  tuyaux  jettent  avec  un  bruit 
,,  terrible,  eft  tout  au  plus  un  fecret  de  la 
„  fcience,  dont  vos  Sages  font  profelïïon. 
„  Dans  tout  ce  qui  m'eft  revenu  d'ailleurs , 
„  je  trouve  encore  que  vous  fouffrez  les  fa- 
„  tigues  avec  confiance ,  &  qu'entre  vos  ver- 
„  tus  on  voit  la  libéralité,  qui  ne  s'accorde 
„  guères  avec  l'avarice.  Ainfi,  d«  part  & 
„  d'autre ,  nous  devons  effacer  les  fauffes  im- 
„  prellions  qu'on  a  voulu  nous  donner.  En 
„  vous  y  croyant  aulfi  difpofé  que  moi ,  j'ai 
,,  fouhaité  qu'avant  que  de  me  parler,  vous 
„  fuilîez  que  l'on  n'ignore  pas  entre  nous , 
,,  &  que  nous  n'avons  pas  befoin  de  vôtre 
„  témoignage  pour  croire ,  que  le  grand 
„  Prince,  à  qui  vous  obéiffez,  defcend  de 
„  nôtre  ancien  Q^uezalcoal ,  Seigneur  des  fept 
„  Cavernes  des  Navatlaques ,  &  Roi  légiti- 
„  me  de  ces  fept  Nations,  qui  ont  fondé 
„  l'Empire  du  Mexique.  Nous  avons  ap- 
„  pris,  par  une  de  fes  Prophéties,  confer- 
„  vée  dans  nos  Annales ,  qu'il  étoit  forti  de 
„  ce  Pays,  pour  aller  conquérir  de  nouvel- 
„  les  Terres,  du  côté  de  l'Orient,  &  qu'il 
„  avoit  laiffé  des  promeffes  certaines,  que 
,,  dans  la  fuite  des  tems  fes  Defcendans  vien- 
„  droi^nt  corriger  nos  Loix ,  &  reformer  nô- 
„  tre  Gouvernement  par  les  règles  de  la  rai- 
„  fon.  Comme  les  caraftères  que  vouspor- 
„  tez  ont  beaucoup  de  rapport  à  cette  ï'ro- 
„  phétie ,  &  que  le  Prhice ,  qui  vous  envoie 
,,  de  l'Orient,  fait  éclater,  par  vos  Exploits , 
„  la  grandeur  d'un  fi  noble  Ayeul ,  nous  a- 
„  vons  déjà  réfolu  de  confacrer  à  fon  fervice 
„  tout  le  pouvoir  qui  eft  entre  nos  mains. 
»i  J'ai  i^'é^  <)"'i'  ^^oit  à  propos  de  vous  en 
„  avertir,  ahn  qu'il  n'y  ait  aucun  embarras 
„  dans  vos  propofliions ,  &  que  vous  attri- 
„  buïez  l'excès  de  ma  douceur  à  cette  illuftre 
„  origine".    Solis,  tibijuprà,  Chap.  11. 

Herrera,  qui  rapporte  le  môme  difcours, 
ne  fait  que  changer  l'ordre  des  idées,  fans 
rien  omettre  d'effentiel  ;  mais  au  lieu  de  fai- 
re defcendre  les  Rois  d'Eftwgne  du  Selgneuj 
Indien  des  fept  Cavernes  «c. ,  il  fait  dire ,  à 

V  V  ^lo' 


338 


PREMIERS      VOYAGES 


5ERNAKD 
C  O  R  T  E  Z. 

1519- 

Réponfc  de 
Cortez. 


vues,  la  politique  de  ceux  qu'il  veut  perfuader  (e).    Son  difc 
deux  grands  objets;  l'un  de  faire  refpefter  fon  Ambaflade,  & 


difcours  avoit 

l'autre  de 

jet- 


Motezumn ,   que  les  Empereurs  Mcxiquafns 
dc'fcjndoicnt  d'un  grand  Prince  Oriental,  qui 
étoit  venu  au  Mexique,  &  qui  étoit  retourné 
dans  fon  P  ys.  lien. ,  Décud.  2.  Liv,  l.  Ch.  6. 
(e)  Soiis  diîclare  qu'il  tient  fon  Difcours 
de  fes  propres  Mémoires  :  .,  Grand  Roi ,  a- 
„  près  vous  avoir  remercié  de  l'excès  de  bon- 
„  té  qui  vous  fait  recevoir  fi  favorablement 
„  nôtre  AtubafTadc,  &  de  la  communication 
.,  de  ces  hautes  lumières  qui  vous  portent  à 
„  méprifer,   dans  des  termes  fi  honorables 
„  pour  nous ,  les  faux  préjugés  de  l'opinion , 
„  je  puis  vous  dire  auffi  que,  de  nôtre  part, 
„  nous  avons  traité  celle  qu'on  doit  avoir  de 
„  vous ,  avec  tout  le  refpcét  &  toute  la  vé- 
„  nération  qui  font  dûs  à  vôtre  majeflueufe 
„  Grandeur.    On  nous  a  p:trlé  dfFéremmeiit 
„  de  vôtre  Perfonne,  dans  les  Terres  de  vô 
,,  tre  Empire.    Les  uns  la  mettoient  au  rang 
„  des  divinités;   d  autres    noirciflbient  juf- 
„  qu'à  fes  moindres  aftions.     Mais  ces  dif 
„  cours  fontordinnirement  des  outrages  pour 
„  la  vérité.    La  voix  des  Hommes ,  qui  eft 
„  l'organe  de  la  Renommée,  prend  fouvent 
„  la  teinture  de  leurs  paillons;  &  celles-ci  ne 
„  conçoivent  jamais  les  chofes  comme  elles 
font,  ou  ne  lea  rappQrtent  jamais  comme 
elles  les  conçoivent.    Les  Efpagnols  ont 
„  une  vue  pénétrante,  qui  fait  didinguer  les 
„  difFérentes  couleurs  qu'on  donne  au  dif 
„  cours,  &  par  la  même  lumière,  les  faux 
„  femblans  du  cœur.    Nous  n'avons  ajoi'ité 
„  foi,  ni  à  vos  Sujets  rebelles,  ni  à  vosKiat- 
„  teurs  ;   &  nous  paroiflbns   devant  vous, 
„  convaincus  que  vous  êtes  un  grand  Monar- 
„  que,  ami  de  la  juftice&de  la  raifon,  fans 
„  que  nous  ayions  befoin  du  rapport  de  nos 
„  fens  pour  connoitre  que  vous  êtes  mortel. 
„  Nous  fommes  aufli  de  la  même  condition, 
„  quoique   plus   vaillans    fans   comparaifon 
„  que  vos  Sujets ,  &  d'une  capacité  d'efprit 
„  fort  au-deflus  du  leur,  parce  que  nous 
„  fommes  nés  fous  un  climat  dont  les  influen- 
„  ces  ont  beaucoup  de  vertu.  Les  Animaux , 
„  qui  nous  obéiffent ,  ne  refleniblent  point 
„  à  vos  Cerfs ,  ils  ont  beaucoup  plus  de  no- 
„  blefle  &  de  fierté;  &  quoiqu'inférieurs  à 
„  l'efpèce  humaine,  ils  ont  de  linclination 
„  pour  la  Guerre .  avec  une  forte  d'ambition 
„  qui  les  fait  afpirer  à  la  gloire  de  leurs  Maî- 
„  très.    Le  feu,  qui  fort  de  nos  armes,  eft 
„  un  effet  naturel  de  nôtre  induftrie,  dans  la 
„  produftion  duquel  il  n'entre  rien  de  ces 
„  connoiflances  dont  vos  Magiciens  fon^  pro- 
„  fciîion;  fcience  abominable  parmi  Aous, 


s> 


&  digne  d'un  plus  grand  mépris  que  l'i- 
gnorance même.  J'ai  cru  devoir  commen- 
cer par  ces  éclairciflemens,  pour  répon- 
dre aux  avis  que  vous  nous  avez  donnés. 
Après  cela,  je  dirai,  Seigneur,  avec  tou- 
te la  foumiflîon  qui  eft  due  à  Vôtre  Ma- 
jefté ,  que  je-  viens  la  vifiter  en  qualité 
d'Ambairadeur  du  plus  paiirmt  &  du  plus 
glorieux  Monarque  que  le  Soleil  éclaire 
dans  les  lieux  oii  il  prend  fa  nniflancc.  J'ai 
ordre  de  vous  apprendre,  en  fon  nom, 
qu'il  fouhaitc  d'être  vôtre  Ami  &  vôtre 
Allié,  fans  s'appuicr  fur  ces  anciens  droits 
dont  vous  avez  parlé ,  &  fans  autre  vue 
que  d'ouvrir  le  Commerce  entre  les  deux 
Empires  ,  &  d'obtenir,  par  cette  voie, 
le  plaifirdevous  desabufer  de  vos  erreurs. 
Quoique  fuivant  vos  propres  Annales  il 
pût  prétendre  une  reconnoilTance  plus  po- 
fitive  dans  les  Terres  de  vôtre  Domaine, 
il  ne  veut  ufer  de  fon  autorité,  que  pour 
gagner  vôtre  confiance  fur  un  principal 
point ,  dont  tout  l'avantage  fe  rapporte  à 
vous.  11  veut  vous  informer  que  vous. 
Seigneur,  &  vous  Nobles  Mexiquains  qui 
m'écoutez ,  vous  vivez  dans  un  abus  ter- 
rible de  vos  lumières  naturelles,  en  ado- 
rant des  Statues  infenfibles,  qui  font  l'ou- 
vrage de  vos  propres  mains,  &  qu'il  n'y 
a  qu'un  feul  Dieu,  fans  principe  &  fans 
fin  ,  qui  eft  lui-môme  l'éternel  Principe  de 
tout  ce  qui  cxifte.  C  eft  lui ,  dont  la  puif- 
fance  infinie  a  tiré  l'Univers  du  néant, 
qui  a  fait  ce  Soleil  qui  nous  éclaire ,  cette 
"Terre  qui  nous  fournit  des  alimens,  &  qui 
a  créé  un  premier  Homme  dont  nous  def- 
cendons,  avec  une  égale  obligation  de  re- 
connottre  &  d'adorer  nôtre  première  cau- 
fe  C'eft  cette  première  obligation  qui  eft 
imprimée  dans  vos  âmes,  &  qui  s'y  fait 
fentir,  puifque  vous  reconnoiflez  l'immor- 
talité ,  mais  que  vous  proftituez  &  que 
vous  cherchez  à  détruire,  en  rendant  vos 
adorations  à  des  Efprits  immondes,  qui 
doivent  auffi  leur  exiftence  à  Dieu ,  mais 
qui  ont  mérité,  par  leur  ingratitude  &  leur 
révolte  contre  leur  Auteur,  d'être  préci- 
pités dans  des  feux  fouterrains ,  dont  vos 
Volcans  font  une  imparfaite  repréfentation. 
La  malice  &  l'envie ,  qui  les  rendent  en- 
nemis du  genre  humain ,  les  portent  con- 
tinuellement à  folliciter  vôtre  perte ,  en  fc 
faifant  adorer  fous  la  figure  de  vos  abomi- 
nables Idoles.  C'eft  leur  voix  que  vous 
entendez  quelque-fois,  dans  les  réponfes 

,.  de 


E    N      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.   I.  339 

jetter  les  premiers  fondemens  du  Chriftianifme.  Il  ne  trouva,  dans  les  ap- 
parences, que  de  la  facilité  pour  le  premier;  mais  l'Empereur,  chagrin 
d'entendre  maltraiter  ks  Idoles,  eut  peine  à  prendre  patience  jufqu'a  la 
fin ,  &  fe  leva  pour  déclarer  d'un  air  ému ,  qu'il  recevoit ,  avec  beaucoup 
de  reconnoiflance ,  les  offres  d'alliance  &  d'amitié  qu'on  lui  faifoit  de  la 
part  d'un  grand  Prince ,  defcendant  de  Quezalcoal  ;  mais  qu'il  croyoit  que 
tous  les  Dieux  étoient  bons ,  &  que  celui  des  Efpagnols  pouvoit  être  tel 
qu'il  le  repréfentoit ,  fans  faire  tort  aux  fiens.  Enfuite  il  exhorta  Cortez 
à  fe  repofer  dans  un  Palais ,  dont  il  pouvoit  fe  regarder  comme  le  Maî- 
tre ;  &  s'étant  fait  apporter  de  riches  préfens ,  qu'il  le  pria  d'accepter , 
&  dont  il  diftribua  quelques-uns  aux  Officiers  Efpagnols  qui  aflîftoient  à 
l'Audience ,  il  fe  retira  fans  avoir  fait  connoître  autrement  fes  véritables 
difpofitions. 

Le  jour  fuivant,  Cortez  lui  fit  demander  Audience  dans  le  Palais  Im- 
périal, &  l'obtint  avec  tant  de  facilité,  que  les  Seigneurs  Mexiquains , 
qui  dévoient  l'accompagner,  arrivèrent  avec  la  réponfe.  C'étoient  les 
Maîtres  des  Cérémonies  de  l'Empire.  Le  Général  prit  un  habit  fort  ga- 
lant ,  fans  oublier  néanmoins  fes  armes ,  qu'il  fit  pafier  pour  une  parure 
militaire.  Son  Cortège  ne  fut  compofé  que  de  quatre  Capitaines ,  Alvara- 
do,  Sandoval,  Velafquez  de  Léon ,  &  d'Ordaz,  avec  fix  de  fes  plus  bra- 
ves Soldats ,  entre  lefquels  étoit  Bernard  Diaz  del  Caflillo ,  qui  commençoit 
à  recueillir  tout  ce  qui  fe  paflbit  fous  fes  yeux ,  pour  en  compofer  fon 
Hifloire  (/).  Les  rues  fe  trouvèrent  remplies  d'une  multitude  infinie  de 
Peuple,  à  qui  l'on  entendoit  fouvent  répéter,  entre  leurs  acclamations ,  le 
nom  de  Teules ,  qui  fignifie ,  dans  leur  langue ,  Dieux ,  ou  gens  deicendus 
du  Ciel.  Les  Efpagnols  découvrirent  de  fort  loin  le  Palais  de  Motezuma, 
&  furent  frappés  de  fa  magnificence.  On  y  entroit  par  trente  Portes ,  qui 
répondoient  au  même  nombre  de  rues;  &  la  principale  face ,  qui  donnoit 
fur  une  Place  fort  fpacieufe ,  dont  elle  occupoit  tout  un  côté ,  étoit  bâtie 
de  Jafpe,  noir,  rouge  &  blanc,  avec  beaucoup  de  proportion  dans  ce 
mélange.  On  remarquoit ,  fur  la  principale  Porte  ,  un  grand  Ecuflbn , 
chargé  des  Armes  de  Motezuma.    C'écoit  une  forte  de  Griffon  (g),  dont 

la 


F  E  n  K  A  N  1# 

Coûtez. 

15  19. 

Explication 
de  Motczuina 
fur  fiî  Reli- 
gion. 


Audience 
quMl  donne  i 
Curtcz  dans 
fon  Palais. 


Defcriptîoi 
du  Palais  Im» 
périal. 


„  de  vos  Oracles.  Mais  ce  n'eft  pas  ici  le 
„  lieu  de  traiter  les  Myflères  d'une  fi  haute 
,,  Doftrine.  Ce  même  Monarque ,  que  j'ai 
„  l'honneur  de  repréfenter,  &  dans  lequel 
„  vous  reconnoiffez  une  fî  ancienne  fupério- 
„  rite,  vous  exhorte  feulement ,  par  mon 
„  miniftère,  à  m'écouter  fur  ce  point  fans 
„  aucune  préoccupation.  C'eft  la  première 
„  chofe  qu'il  fouhaite  de  vous.  C'eft  le  prin- 
„  cipal  fujct  de  mon  Ambaffade,  &  le  plus 
„  puiflant  moyen  d'établir  une  ferme  Allian- 
„  ce  entre  les  deux  Empires ,  fur  les  fonde- 
„  mens  inébranlables  de  la  Religion  ,  qui , 
„  ne  laiflant  aucune  diverfué  dans  les  fenti- 
„  mens ,  unira  les  efprits  par  les  liens  d'une 
„  même  volonté  ".  Solis ,  ubi  fuprà. 
if)  Solis,  Cbap,  12,    Quoique  cefoit  lui 

V 


qu'on  fuit  ici  prefque  continuellement,  on 
le  cite  moins  que  Solis ,  dont  l'Hifloire  eft 
principalement  compofée  de  la  ficnne. 

(g)  Les  Hiftoriens  ne  s'accordent  point 
fur  cette  figure.  Quelques-uns,  dit  Herre- 
ra ,  veulent  que  dans  les  Montagnes  de  Te- 
guacan  il  y  eût  de  vrais  Griffons,  qui  dé- 
peuplèrent la  vallée  A'Avacatlan ,  &  foutien- 
nent  que  ces  Montagnes ,  qui  font  aulfi  nom- 
mées Ciutlachtpcll ,  tirent  ce  nom  de  CiHt- 
lachili,  qui  Jîgnifie  Griffon,  ou  Aniuial  en 
forme  d'Aigle  &  de  Lion.  Mais  il  y  a  peu 
de  fond,  continuc-t'il,  à  faire  là-deffus,  par- 
ce que  les  Caftillans  n  ont  point  encore  vîl 
de  Griffons  dans  tous  leurs  .Voyages ,  quoi- 
que Motezuma  &  d'autres  Seigneurs  Mexi- 
quains en  cuffcnt  dans  leurs  Amies.    Ils  les 

V  2  r-i- 


Fernanu 

COKTE^. 

ijrp. 


Conrérencc 
entre  Mote- 
zuma  &  Coi^ 
xez. 


340      P    R    K    M    I    E    R    S      VOYAGES 

f 

la  moitié  du  corps  repréfentoit  un  Aigle,  &  l'autre  un  Lion.  11  avait  les- 
ailes  écendiics,  comme  prêt  à  voler;  &  de  fes  griffes  il  tenoit  un  Tigre, 
qui  fembloic  ie  débattre  avec  i'ureur.  En  approchant  de  la  Porte ,  les  Of- 
ficiers Mexiqaains,  qui  accompagnoicnt  le  •Général,  s'avancèrent  prés  de 
lui,  &  formèrent  une  double  ligne,  avec  quelques  cérémonies  myftérieu- 
fes  pour  ne  palTer  que  deux  à  deux.  Après  avoir  traverfé  trois  veftibules 
incrullés  de  Jafpe,  ils  arrivèrent  à  l'Appartement  de  l'Empereur,  dont  Cor- 
tez  admira  la  grandeur  &  les  ornemtns.  Les  planchers  étoient  couverts^ 
de  nattes  ,  d'un  travail  fort  délicat  &  fort  varié.  Les  tentures  de  coton , 
dont  les  murs  étoient  revêtus ,  formoient  une  tapifTerie  fort  brillante  par 
Téclat  de  leurs  couleurs  <&  la  beauté  des  figures.  Les  lambris  étoient  com- 
pofés  d'un  mélange  de  cyprès,  de  ccdre,  &  d'autres  bois  odoriférans,  a- 
vec  des  feuillages  &  des  fedons  en  relief  Les  Mexiquains ,  fans  avoir 
l'ufage  des  doux ,  ni  des  chevilles ,  ne  laiiïbient  pas  de  faire  de  très  grands 
platfonds,  qui  dévoient  leur  folidité  à  l'art  avec  lequel  toutes  les  pièces  ie 
foutenoient  mutuellement  (A).  Chaque Sallon  de  l'Appartement  Impérial 
offroit  un  grand  nombre  d'Officiers,  de  divers  rangs,  qui  exerçoient  dif- 
férentes fonflions.  Les  premiers  Minillres  attendoient  Cortez  à  la  porte 
de  l'Anti- Chambre.  Ils  le  reçurent  avec  beaucoup  de  civilités  ;  après  quoi 
ils  prirent  un  moment ,  pour  fe  revêtir  d'habits  fimples ,  au  lieu  des  riches 
manteaux ,  &  des  fandales  dorées ,  avec  lefquels  ils  avoient  paru  d'abord. 
Mais,  quoique  l'ufage  de  la  Cour  Mexiquaine  ne  permît  point  de  fe  préfen- 
ter  devant  l'Empereur  avec  un  habit  brillant,  on  ne  propofa  point  aux 
Elpagnols  de  faire  le  même  changement  à  leur  parure. 

Ils  furent  introduits,  avec  un  filence  qui  augmenta  lenr  admiration  pour 
l'air  de  grandeur  qu'ils  voyoient  régner  autour  d'eux.  Motezuma  étoit  de- 
bout ,  &  revêtu  de  toutes  les  marques  de  la  dignité  fuprême.  Il  fit  quel- 
ques  pas,  pour  aller  au-devant  du  Général,  &  lui  mit  les  mains  fur  les  é- 
paules  lorlqu'il  fe  fut  baiffé  pour  le  faluer.  Enfuite,  ayant  jette  un  regard 
doux  &  careflant  fur  les  Efpagnols  du  Cortège,  il  s'affit;  &  l'on  donna,  par 
Ton  ordre,  des  fiégcs  à  Cortez  &  à  tous  fes  gens.  L'Audience  fut  longue, 
&  prit  la  forme  d'une  fimple  converfation.  Motezuma  fit  diverfes  queflion» 
fur  l'Hiftoire ,  les  Produélions  &  les  Ufages  des  Pays  Orientaux.  Les  expli- 
cations qu'il  demanda,  fur  plufieurs  difficultés ,  firent  connoître  qu'il  ne  fe 
livroit  pas  légèrement  à  des  témoignages  étrangers.  Enfin^  revenant  à  la 
confidération  que  les  Mexiquains  dévoient  aux  Defcendans  de  leur  premier 
Roi ,  il  s'applaudit  particulièrement  de  voir  accomplir,  fous  fon  règne,  une 
Prophétie  qui  s'écoic  confervée  depuis  tant  de  fiécles.  Cortez  fit  tourner 
adroitement  le  difcours  fur  la  Religion  ;  mais  fe  bornant  à  vanter  la  Morale 
du  Chrillianifme,  qui  venoit  naturellement  à  la  fuite  des  éclairciffemens 
qu'il  avoit  donnés  fur  les  Loix  de  fa  Nation ,  il  en  prit  occafion  de  fe  ré- 
crier, avec  beaucoip  de  force,  contre  ks  Sacrifices  du  fang  humain,  & 
contre  le  barbare  ufage  de  manger  la  chair  des  Viftimes.    Ses  repréfenta- 

•  <  tiens- 


pcignoient  avec  quatre  pieds ,  des  dents ,  & 
du  poil,  qui  «5toit  plutôt  laine  que  plume, 
un  bec ,  des  griffes ,  &  dçs  ailes  pour  yokr, 


uhifuprà,  Chap.  9. 
(i6j  Solis,  Jbidiiiti 


E    N 


A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I. 


3ti 


& 


tions 


lions  durent  être  fort  vives,  puif^u'à  la  fin  de  cette  première  Audience, 
Motezuma  bannit  de  fa  tab!e  les  plats  de  chair  humaine  (/).  Cependant 
il  n  ofa  la  défendre  abfolument  à  fes  Sujets;  &  loin  de  fe  rendre  fur  l'article 
des  Sacrifices ,  il  foutint  qu'il  n'y  avoit  pas  de  cruauté  à  tuer ,  aux  pieds  de» 
Autels,  des  Prifonniers  de  Guerre,  qui  étoient  déjà  condamnés  à  la  mort. 
Cortez  ne  put  lui  faire  comprendre  que,  fous  le  nom  de  Prochain,  on  dût 
compter  jufqu'à  fes  Ennemis. 

Ce  Prince  donna  d'ailleurs  peu  d'efpérance  de  lui  voir  ouvrir  les  yeux  à 
la  Vérité.  Dans  les  converfations,  que  l'Aumônier  de  Cortez  eut  fouvent 
avec  lui,  il  reconnut  quelques  avantages  du  Chriftianifme  fur  la  Religion 
de  fes  Pères;  mais  on  ne  put  lui  faire  abandonner  le  principe  dans  lequel 
il  fe  renfermoit  toujours,  que  Ces  Dieux  écoient  bons  au  Mexique,  comme 
celui  des  Chrétiens  l'étoit  dans  les  lieux  où  il  étoit  adoré.  Dès  les  premiers 
jours ,  après  avoir  fait  voir  aux  Efpagnols  la  grandeur  &  la  magnificence 
de  fa  Cour ,  il  voulut,  par  un  autre  fentiment  de  vanité,  leur  montrer  aufli 
le  plus  grand  de  fes  Temples.  Il  les  pria  néanmoins  de  s'arrêter  peu  de 
rems  à  l'entrée,  tandis  qu'il  alla  confulter  un  moment,  avec  les  Sacrifica- 
teurs, s'il  pouvoit  faire  paroître,  devant  leurs  Dieux,  des  Etrangers  qur 
ne  les  adoroient  pas.  La  réponfe  ayant  été  qu'ils  pouvoient  être  admis, 
pourvu  qu'ils  n'y  commiflTent  rien  d'offenfant ,  deux  ou  trois  des  plus  an- 
ciens Sacrificateurs  fortirent  pour  l'apporter  à  Cortez ,  avec  la  prière  qu'on- 
lui  faifoit.  Auffi-tôt  toutes  les  portes  de  ce  vafte  &  fuperbe  Edifice  s'ou- 
vrirent en  même  tems;  &  Motezuma  prit  foin  lui-même  d'expliquer,  aux 
Efpagnols,  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  faint  &  de  plus  myflérieux.  Il  leur 
montra  les  lieux  deftinés  au  fervice  du  Temple,  fufage  des  vafes  &  des 
inilrumens  facrés.  Il  leur  apprit  le  nom  de  chaque  Idole,  &  le  culte  par- 
ticulier qu'on  lui  rendoit.  Quelques-uns  n'ayant  pu  s'empêcher  de  rire,  il 
feignit  de  ne  s'en  être  pas  apperçu  ,*  mais  il  fe  tourna  vers  eux  d'un  air 
impofant ,  pour  arrêter  leur  indifcrétion  par  Ces  regards.  Cortez  ne  lailTa 
point  de  lui  dire,  avec  la  confiance  d'un  Millionnaire,  que  s'il  vouloir  per- 
mettre un  moment  que  la  Croix  des  Chrétiens  fût  plantée  au  milieu  du 
Temple ,  il  reconnoîtroit  bientôt  que  toutes  ces  faufles  Divinités  n'en  fou- 
tiendroient  pas  la  préfence.  Les  Sacrificateurs  parurent  irrités  d'une  pro- 
pofîtion  fi  hardie;  &  Motezuma  même,  embarralTé  pour  fa  réponfe,  lui 
dit ,  après  avoir  paru  balancer  entre  fon  reflentiraent  &  le  defîr  de  fe  con- 
traindre ,  que  les  Efpagnols  pouvoient  accorder,  au  lieu  où  ils  étoient ,  l'at- 
tention qu'ils  dévoient  du  moins  à  fa  perfonne.  Il  fortit  auffi-tôt;  &  s'ar- 
rêtant  fous  le  Portique ,  il  leur  dit ,  avec  moins  d'émotion ,  qu'ils  étoient 
libres  de  retourner  à  leur  Quartier,  tandis  qu'il  alloit  demeurer  dans  le 
Temple,  pour  demander  pardon  à  fes  Dieux  de  l'excès  de  fa  patience. 
Après  une  avanture  fi  délicate ,  Cortez  fe  détermina ,  fuivant  le  con- 
feil  de  fes  Aumôniers ,  à  demander  au  Ciel  des  cohjonftures  plus  favora- 
bles, pour  traiter  l'affaire  de  la  Religion;  ce  qui  n'empêcha  point  qu'il 
n'obtînt,  de  Motezuma,  la  liberté  de  changer  en  Eglife  une  des  Salles  de 
fon  Quartier  {k). 

Les 

ii)  Ibidem,  (^k)  SoWs ,  ibidem,    Herrcra ,  Lrj.  8.  CZia/». 

Vv  3 


Cortez. 
1519. 


mène 


LEmpereui- 
Cortez 
dans  le  prin- 
cipal  Temple 
de  Mexico. 


Ce  qui  s'y 
pafle. 


Propofition 
kardie  de 
Cortez. 


Réponfe 
de  Motezu- 


If 


Fbrnand 

C  0  R  T  E  Z. 
1519- 

Comment 
Cortcz  fe  fait 
rcfpcftcr  dans 
Mexico. 


Nouvelles 
qu'il  reçoit  de 
Vcrii-Cniz. 


Guerre  en- 
tre les  Efpa- 
{^uols  de  la 
Colonie  &  les 
Troupes  Me- 
xiquaincs. 


D'Efcalante 
cH:  tué  dans 
un  combat. 


344      PREMIERS      VOYAGES 

Les  premiers  jours ,  qui  fuivirent  celui  de  Ton  arrivée ,  s'ctoient  paflTéi 
en  réjouiflances;  &  la  difcipline,  qu'il  faifoit  obferver  par  fes  Troupes,  ré- 
pondant à  ridée  qu'il  avoic  donnée  des  principes  de  fa  Religion ,  &  des  mo- 
tifs de  fon  Ambaflade ,  il  obfervoit  avec  joie  que  la  vénération  des  Mexi* 
quains  croiflbit  pour  le  nom  Efpagnol ,  &  que  l'Empereur  même  revenoit 
heureufement  de  fes  préventions.  Ce  Prince  lui  rendoit  de  fréquentes  vi- 
fites ,  dans  lefquelles  il  ne  fe  lafToit  point  d'admirer  tout  ce  qui  venoit  d'Ef- 
pagne.  Il  n^*  mettoit  point  de  bornes  à  fes  préfens.  Les  Nobles  s'effor- 
çoient,  h  fon  exemple,  de  s'attirer  l'eftime  oc  l'amitié  de  leurs  Hôtes,  par 
des  foins  &  des  fervices ,  qui  approchoient  de  la  foumilîion  ;  &  le  Peuple 
plioit  les  genoux  devant  le  moindre  Soldat  Efpagnol  (/).  Enfin  le  Quartier 
des  Etrangers  étoit  refpeélé  comme  un  Temple,  &  l'Armée  s'y  ctoit  déjà 
rétablie  de  fes  fatigues,  dans  l'abondance  de  toutes  fortes  de  provifions; 
lorfque  deux  Zampoalans,  déguifésen  Mexiquains,  arrivèrent  dans  la  Ville 
par  des  chemins  détournés,  &  rendirent,  au  Général,  une  Lettre  du  Con- 
feil  de  Vera-Cruz ,  qui  troubla  cette  agréable  fituation. 

D'EscALANTE ,  Commandant  de  la  nouvelle  Colonie ,  n'avoit  penfé  qu'à 
fortifier  la  Place,  &  à  fe  conferver  les  Amis  que  Cortez  lui  avoit  laifles.  Sa 
tranquillité  ne  reçut  aucune  atteinte  des  Peuples  du  Pays;  mais  if  fut  infor- 
mé qu'un  Général  de  Motezuma  étoit  entré  dans  la  Province  avec  une  Ar- 
mée confidérable,  pour  chiitier  quelques  Alliés  des  Efpagnols,  qui  s'étoient 
difpenfés  de  payer ,  à  l'Empereur,  le  Tribut  ordinaire,  dans  la  confiance 
qu'ils  avoient  à  la.proteftion  de  leurs  nouveaux  Amis.  Ce  Capitaine  Mexi- 
quain,  nommé  (^ualpopocay  qui  commandoit  toutes  les  Troupes  répandues 
fur  les  Frontières  de  Zampoala,  les  avoit  aflcmblées,  dans  la  feule  vue  de 
foutenir  les  Commiffaires  Impériaux  qui  venoient  recueillir  le  tribut;  mais, 
fous  ce  prétexte ,  elles  s'étoient  emportées  aux  plus  horribles  violences.  Les 
Tôt onaque s  ÛQ  h  Montagne ,  dont  elles  détruifoient  les  Habitations,  portè- 
rent leurs  plaintes  à  la  Colonie  Efpagnole,  D'Efcalante  tenta  les  voyes 
de  la  négociation.  Il  dépêcha ,  au  Général  Mexiquain  ,  deux  Zampoa- 
lans, qui  demeuroient  dans  Vera-Cruz,  pour  le  prier,  en  qualité  d'Ami, 
de  fufpendre  les  Hoflilités  jufqu'à  l'arrivée  d'un  nouvel  ordre  de  la  Cour, 
parce  qu'étant  informé ,  depuis  peu ,  que  l'Empereur  avoit  permis ,  aux 
AmbafTadeurs  d'Efpagne,  d'y  pafler,  pour  établir  une  Alliance  conftante 
entre  les  deux  Couronnes,  il  ne  pouvoit  fe  perfuader  que  ce  Prince  eût  on 
même  tems  des  intentions  contraires  à  la  Paix.  La  réponfe  de  Qualpopocà 
fut  injurieufe,  &  le  Confeil  Efpagnol  ne  put  diflimuler  cet  outrage.  D'Ef- 
calant:  forma  un  Corps  de  Montagnards ,  qui  fuyoient  les  violences  des 
Mexiquains.  Il  fe  mit  à  leur  tète ,  avec  quarante  Efpagnols  ai.  deux  piè- 
ces d'Artillerie.  Qualpopocà  vint  au  devant  de  lui  en  fort  bon  ordre.  Le 
Combat  fut  engagé;  &  les  Efpagnols  remportèrent  une  viftoire  éclatante; 
mais  elle  leur  coûta  la  perte  de  leur  Commandant  &  de  fept  de  leurs  bleflii- 
res.  Un  d'entr'eux ,  nommé  à'Arguello ,  homme  d'une  taille  &  d'une  force 
extraordinaires,  ayant  été  mortellement  blefle,  à  quelque  diftance  de  fes 
Compagnons ,  fut  enlevé  par  les  Vaincus, avec  la  promptitude  qu'ils  avoient 


CO  Solis,  Liv.  3.  Chap.  18. 


•       EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I.  343 

à  retirer  leurs  propres  Morts;  circonflancc  qui  augmenta  beaucoup  le  cha- 
grin de  la  Colonie,  &  qu'on  verra  décider  de  la  conduite  de  Cortcz  dans  la 
plus  importante  de  fes  entreprifes. 

Le  Confeil  de  Vera-Cruz  lui  rendoit  compte  de  tous  ces  e'vénemens,  en 
reconnoiflant  que  la  viftoire  même  lailToit  des  fuites  fiicheufes  à  redouter, 
&lui  demandoic,  avec  fes  ordres,  un  Succefleur  pour  d'Efcalante.  Un 
contre-tems  fi  cruel  &  fi  peu  attendu  le  jetta  dans  une  alîliftion ,  qu'il  ne 
put  déguifer  à  fes  Officiers.  Il  les  afPembla  tous  ;  &  n'ôfant  fe  ner  aux 
premières  Délibérations,  il  les  pria  de  prendre  quelque  tems,  comme  il 
leur  avoua  qu'il  en  avoit  befoin  lui-même,  pour  rélléchir  fur  le  fond  de  cet 
incident.  11  leur  recommanda  lefccret,  dans  la  crainte  que  le  Soldat  ne 
prît  trop  vivement  l'allarme;  &  fes  Aumôniers  reçurent  ordre  d'implorer 
le  fecours  du  Ciel  par  leurs  plus  ardentes  prières.  Enfuite,  s'étant  retiré 
dans  fon  Appartement ,  il  y  pafla  feul  le  relie  du  jour  &  une  grande  par- 
tie de  la  nuit.  On  rapporte  qu'en  s'y  promenant  avec  beaucoup  d'agita- 
tion, le  hafard  lui  fit  découvrir  un  endroit,  nouvellement  ma^anné,  où 
l'Empereur  avoit  fait  cacher  tous  les  Tréfors  de  fon  Père;  &  qu'étant  rem- 
pli de  foins  plus  importans,  il  fe  contenta  de  le  remarquer,  fans  être  tenté 
alors  de  le  faire  ouvrir.  Avant  la  fin  de  la  nuit,  il  fe  fit  amener  fecrette- 
ment  les  Indiens  les  plus  habiles  &  les  plus  affeftionnés  qu'il  eût  à  fa  fuite, 
pour  leur  demander  s'ils  n'avoient  pas  remarqué  quelque  chofe  d'extraordi- 
naire dans  la  conduite  ou  dans  l'efprit  des  Mexiquains ,  &  s'ils  jugeoient 
que  l'eftime  de  cette  Nation  fe  foutînt  pour  les  Efpagnols.  Les  Indiens 
répondirent  que  le  Peuple  ne  penfoit  qu'à  fe  réjouir,  dans  les  Fêtes  qui 
fe  faifoient  en  faveur  des  Etrangers ,  &  qu'il  paroiflbit  les  révérer  de  bon- 
ne foi,  parce  qu'il  les  voyoit  honorés  de  l'Empereur;  mais  que  les  Nobles 
étoient  devenus  rêveurs  &  myftérieux,  &  qu'ils  tenoient  des  Conférences, 
dont  il  étoit  aifé  de  voir  que  la  caufe  étoit  déguifée;  &  qu'on  avoit  enten- 
du, de  quelques-uns,  des  difccurs  interrompus,  qui  pouvoient  recevoir 
une  interprétation  finiftre,  particulièrement  fur  la  facilité  de  rompre  les 
Ponts  des  Chauflèes.  Deux  ou  trois  des  mêmes  Indiens  avoient  appris,  dans 
la  Ville,  qiie  peu  de  jours  auparavant  on  avoit  apporté,  àMotezuma,  la 
tête  d'un  Efpagnol,  &  que  ce  Prince,  après  en  avoir  admiré  la  grofleur  & 
la  fierté,  ce  qui  convenoit  la;,  aucun  doute  à  celle  d'Arguello,  avoit  re- 
commandé qu'elle  fût  cachée  '  _,iieufement  (m).  Cortez  fut  d'autant  plus 
frappé  de  ce  dernier  récit ,  qu'il  y  crut  trouver  une  preuve  certaine  que  Mo- 
tezuma  étoit  entré,  par  fon  approbation,  ou  par  les  ordres,  dans  l'entre- 
prife  de  fon  Général  (  n  ). 


Fermand 
C  0 1  T  E  z. 

15  19. 

Conduite 
de  Cortcz  îi 
l'occafion  de 
cet  incident. 


Tréfors 
qu'il  décou- 
vre. 


(  m  )  Herrcra  s'étend  fur  cette  tête.  Il  dit 
qu'elle  étoit  fort  groiTe ,  à  barbe  noire  &  fri- 
fée ,  que  Motczuma  l'envoya  dans  un  Tem- 
ple; qu'il  fut  extrêmement  troublé  de  cette 
vue,  parce  que  ne  pouvant  plus  douter  qiie 
les  Efpagnols  ne  fufl'ent  mortels ,  &  confide- 
rant  néanmoins  que  de  nombreufes  Armées 
n'avoient  pu  vaincre  un  fi  petit  nombsc 


Il  commen- 
ce à  fe  défier 
de  Motezu- 
ma. 


d'Hommes,  il  en  conclut  qu'ils  étoient  con- 
duits par  une  Puiflance  fupérieure,  &  que 
les  Pronoftics ,  qui  lui  annonçoient  la  ruine 
de  fon  Empire  fc  de  fa  Religion ,  étoient  plus 
que  vérifiés.  Arguello  n'étoit  mort  que  de 
fes  blefliires.  Ibidem. 
(»)  Solis  &  Heirera,  mêmes  Chapitres. 


3+4 


PREMIERS      VOYAGES 


Fer N ANu 

CORTt/., 

is  I  9. 

Confcil 
qu'il  tient  a- 
VLC  Iqs  Ollî- 
ckts. 


•Il  prend  la 
réfoliition  de 
fc  faifir  de 
l'Empereur. 


•  Hardieffede 
cette  entre- 
prilc. 


Comment 
Cortez  l'exé- 
cute. 


A  la  pointe  du  jour,  il  fit  rappeller  tons  fes  Capitaines,  avec  quelques- 
uns  des  principaux  Soldats ,  auxquels  leur  mérif:e  ou  leur  expérience  avoic 
fait  donner  entrée  au  Conleil.  11  leur  fit  une  nouvelle  expofition  du  fujec 
de  rAlll'mblce,  &  de  tous  les  avis  qu'il  avoit  reçus  des  Indiens.  On  pro- 
pofa  diverfes  ouvertures.  Les  uns  vouloient  qu'on  demandât  un  Paireport 
a  Motczuma,  pour  aller  au  fecours  de  la  Colonie.  D'autres,  à  qui  cette 
voye  parut  dangcreufe,  témoignèrent  plus  d'inclination  à  fortir  lecrette- 
ment  de  la  Ville,  avec  toutes  les  richejrcs  qu'on  y  avoit  amaflees.  Le 
plus  grand  nombre  fut  d'avis  de  demeurer,  fans  faire  connoître  qu'on  eût 
appris  ce  qui  s'étoit  pafle  à  Vera-Cruz,  &  d'attendre  l'occafion  de  fe  reti- 
rer avec  honneur.  Cortez  recueillit  toutes  ces  propofitions,  mais  ce  fut 
pour  les  rejetter,  après  en  avoir  fait  fentir  le  danger.  Il  pefa  fur  la  tête 
d'Arguello,  qui  ne  devoit  laiffer  aucun  doute  que  Motezuma  ne  fût  informé 
de  la  conduite  de  fon  Général,  &  fur  le  filence  de  ce  Prince,  dont  on  de- 
voit conclure,  avec  la  même  certitude,  qu'il  falloit  fe  défier  de  fes  inten- 
tions. Là-delfus,  il  établit  la  nécefiité  de  tenter  quelque  chofe  de  grand, 
qui  fût  capable  de  faire  une  profonde  impreflion  fur  l'efprit  des  Mexiquains, 
&  de  leur  infpirer  autant  de  refpeft  que  de  crainte.  Enfin,  il  propofa, 
comme  le  feul  parti  dans  lequel  il  vît  de  la  fureté ,  ou  comme  le  feul  du 
moins  dont  on  pût  efpérer  une  compofition  qui  convînt  à  la  dignité  du 
nom  Efpagnol ,  de  fe  faifir  de  la  Perfonne  de  l'Empereur ,  «&  de  le  retenir 
dans  le  Quartier,  en  donnant  pour  prétexte  la  mort  d'Arguello,  dont  il 
avoit  eu  connoiflance,  &  la  perfidie  avec  laquelle  fon  Général  avoit  violé 
la  Paix.  Il  ajouta ,  qu'après  aVoir  confideré  les  difficultés  d'une  entreprife 
û  hardie,  il  y  en  trouvoit  beaucoup  moins  que  dans  toute  autre  réfolution; 
&  s'appliquant  à  repréfenter  les  avantages  qu'il  croyoit  attachés  au  lue- 
ces,  il  en  fit  une  peinture  fi  plaufibje,  qu'elle  entraîna  toute  l'Aflemblée 
dans  fon  opinion  (0). 

L'Histoire  n'a  pas  d'autre  exemple  d'une  audace  de  cette  nature.  Mais 
Cortez  fe  voyoit  également  perdu,  foit  par  une  retraite  qui  lui  ôtoit  fa  ré- 
putation, foit  en  fe  maintenant  dans  fon  Polie, fans  la  rétablir  &  l'augmen- 
ter par  queKjue  adlion  d'éclat  extraordinaire.  Il  n'y  a  point  de  témérité  à 
fermer  les  yeux  au  péril ,  lorfque  la  prudence  n'ofire  plus  d'autre  relîburce; 
&  les  Efpagnols  ,  accoutumés  d'ailleurs  à  voir  la  fortune  comme  enchaînée 
à  leurs  armes ,  ne  pouvoient  fe  perfuader  qu'après  les  avoir  conduits  (i 
loin  ,  par  une  fuite  de  miracles ,  elle  fe  laflât  d'en  faire  en  leur  faveur. 
Mais ,  quelque  nom  qu'on  veuille  donner  à  leur  réfolution ,  ils  tournèrent 
tous  leurs  foins  à  l'exécuter  habilement.  Cortez ,  pour  ne  pas  caufer  d'al- 
larme  aux  Mexiquains ,  choifit  l'heure  à  laquelle  il  rendoit  fa  vifite  ordinai- 
re à  l'Empereur.    Il  donna  ordre  que  toute  l'Armée  prît  les  armes  dans  le 

Quar- 


(0)  Diaz  del  Caftillo  prétend  que  Iui,& 

.quelques  autres  avoient  donné  ce  confeil  au 

Général ,  plufieurs  jours  avant  qu'on  eût  re- 

Çi  avis  de  ce  qui  s'étoit  palTé  à  Vera-Çruz. 

Mais  les  autres  Relations  ne  lui  font  point 


cet  honneur;  &Solls,  lui  reprochant  d'avoir 
voulu  s'attribuer  lagloire  des  plus  grands  dcf- 
feins ,  le  raille  ici  de  n'avoir  pas  différé  de 
quelques  jours  un  confeil  qui  cîit  été  ridicu- 
le plutôt,  Ibidem. 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I.  345 

Qoartier,  que  les  Chevaux  fuflTent  fellés,  &  que  tous  cci  mouvemens  fe 
fif.  ,nt  fans  bruit  &  fans  afFeftation.  Enfuite ,  ayant  fait  occuper ,  par  quel- 
ques Brigades,  l'entrée  des  principales  rues  aui  conduifoient  au  Palais,  il 
?y  rendit ,  accompagné  d' Alvarado ,  de  Sandoval ,  de  Velafquez  de  Léon , 
de  Lugo,  &  d'Avila,  avec  une  efcorte  de  trente  Soldats  choifis.  On  ne 
fut  pas  furpris  de  les  voir  entrer  avec  leurs  armes,  parce  qu'ils  avoient  prii 
l'habitude  de  les  porter,  comme  un  ornement  militaire.  Motezuma  les  re- 
çut fans  défiance;  &  les  Officiers  fe  retirèrent  dans  un  autre  Appartement, 
fuivant  l'ufage  qu'il  avoit  lui-même  établi.  Les  Interprètes  s'étant  appro- 
chés,  Cortez  prit  un  air  chagrin,  &  commença  fon  difcours  par  des  plain- 
tes. Il  peignit  vivement  l'infolence  de  Qualpopoca,  qui  avoit  attaque  les 
Efpagno^  de  Vera-Cruz ,  au  mépris  de  la  Paix,  &  de  la  proteélion  de 
l'Empereur,  fur  laquelle  ils  dévoient  fe  repofer.  Il  traita  comme  le  plus 
noir  &  le  plus  infâme  de  tous  les  crimes ,  le  malTacre  d'un  de  fes  Soldats , 
qui  avoit  été  tué  de  fang  froid  par  les  Mexiquains,  pour  vanger  apparem- 
ment la  honte  de  leur  défaite;  &  s'échauffant  par  dégrés,  il  donna  des 
noms  encore  plus  odieux  à  Qualpopoca  &  fes  Capitaines,  pour  avoir  ôfé 
publier  qu'ils  avoient  commis  cet  attentat  par  l'ordre  de  l'Empereur.  Mais 
il  ajouta,  que  loin  d'avoir  prêté  l'oreille  à  cette  indigne  iuppofition,  il 
l'avoit  regardée  comme  un  autre  crime,  qui  bleflblt  l'honneur  de  Sa  Ma- 
jeflé.  Motezuma  parut  interdit;  &  changeant  de  couleur,  il  fe  hâta  de 
protefter  que  ces  ordres  n'étoient  pas  venus  de  lui.  Cortez  répondit  qu'il 
en  étoit  convaincu ,  niais  que  les  Soldats  Efpagnols  ne  fe  le  perfuaderoienc 
pas  fi  facilement;  &  que  les  Sujets  de  l'Empire  ne  cefferoient  pas  d'en  croi- 
re le  récit  du  Général ,  fi  cette  calomnie  n'étoit  effacée  par  un  desaveu  pu- 
blic; que  dans  cette  vue,  il  venoit  propofer,  àSaMajefté,  de  fe  rendre 
fans  bruit,  &  comme  de  fon  propre  mouvement,  au  Quartier  des  Efpa- 

§nols,  pour  y  pafler  quelque  tems  avec  fes  Amis;  qu'une  fi  généreufe  con- 
ance  n  appaiferoit  pas  feulement  le  chagrin  du  puifi^ant  Monarque  qui  les 
avoit  envoyés  à  fa  Cour  &  le  foupçon  des  Soldats,  mais  qu'elle  tourneroic 
à  fon  honneur,  en  effaçant  une  tache  oui  le  terniflbit;  qu'il  lui  donnoit  fa 
parole,  au  nom  du  plus  grand  Prince  de  la  Terre,  qu'il  feroit  traité  entre 
les  Efpagnols ,  avec  tout  le  refpef):  qui  lui  étoit  dû  ;  &  qu'ils  n'avoient  pas 
d'autre  deffein  que  de  s'afllirer  de  fa  volonté,  pour  lui  rendre  leur^  fervi- 
ces  avec  plus  d'obéiffance  &  de  vénération  (p). 

Cortez  fe  tut;  &  Motezuma,  frappé  d'une  Ci  étrange  propofition, 
demeura  comme  immobile,  de  colère  ou  de  furprife.  Ce  filence  avant  du- 
ré quelques  momens,  Cortez,  qui  ne  vouloit  employer  la  force  qu  après  a- 
voir  perdu  l'efpoir  de  réufllr  par  l'adreffe  &  la  douceur,  continua  de  lui  re* 
préfenter,  que  le  Logement,  qu'il  avoit  donné  aux  Efpagnols,  étoit  un 
de  fes  Palais,  où  il  leur  avoit  fait  fouvent  l'honneur  de  les  vifiter,  &  que 
fes  Sujets  ne  s'étonneroient  point  de  l'y  voir  pafTer  quelques  jours,  fur-tout 

pour 

toire  ;  &  cette  raiibn  oblige  d'en  rapporter 
toutes  les  citcondances. 


•  (p)  Cet  événement  a  l'air  fl  fabuleux, 
ou'on  ne  s'y  arrôteroit  point  s'il  n'étoit  vé- 
iifié  par  tout  ce  qu'il  y  a  de  certain  danslUis- 

XFIII  Part, 


FtRNAN» 

Cortez. 
1519. 


Rcprocbes 

Xu'il  fait  \ 
lotczunia. 


Comment 
il  lui  déclare 
fes  intentions. 


Embarras  de 
ce  Prince, 


Xx 


34<S      PREMIER 


F  s  R  N  A  N  » 

Coii  r  Kl. 


Ofi'ros  qu'il 
fait  à  Cortcz. 


rmporte- 
mciu  lie  quel- 
ques Olucicis 


.igiiols. 


Avec  quel- 
le ailrcllcMn- 
rina  détermi- 
ne l'Eiiipe- 
j-eur  à  fe  li- 
vrer aux  Ef- 
l^guols. 


î; 


VOYAGES 


pour  le  laver  d'un*  imputation  qui  faifoit  tort  à  fa  gloire.     Enfin,  le  fier 
MoM.irquc  perdit  pat Kiice,  6c  ne  dilVimulant  pas  même  qu'il  pcnctroit  le 
motif  de  cette  demande,  il  repondit,  d'un  air  aflez  brufque,  qu'un  Empe- 
reur du  Mexique  n'ctoit  pas  fait  pr)ur  la  prifon,  va  que  quand  il  Jeroic  ca- 
pable de  s'abhaiflVr  ju'quà  ce  point,  fcs  Sujets  ne  nunqueroient  pas  de  s'y 
oppi)llr.      Alors  Cortc/.,  prenant  un  ton  plus  ferme,  lui  déclara,  ciuc  s'il 
ccdoit  de  Lunne  g^ice,  lans  i»bliger  les  Efpagnols  de  perdre  le  relpeèt  au'ils 
avoi.nt  pour  lui,  il  s'imbarralVoit  fort  peu  de  la  refillance  de  fes  Sujets, 
contre  kriiiLJiJ  il  pourroit  employer  toute  la  valeur  de  les  Soldats,  fans 
que  l'amiiié.  ([u'il  vouloit  entretenir  avec  lui,  en  reçût  la  moindre  diminu- 
tion.    Cette  difpure  dura  long  •  tems.     Cortez  fe  llattoit  toujours  de  l'em- 
porrcr,  par  un  ii:c!!-\ti;c  de  relptél  &  de  hauteur.     Motezuma,  qui  com- 
nienço.if-  à  oeeouvrir  h  péril  où  il  étoit,  fe  jetta  fur  diverfes  propofitions. 
Il  offrit  de  faire  arrêter  (^tialpopoca  &  tous  les  Officiers,  pour  les  livrer 
entre  ks  mains  de  ("ortez      11  vouloir  donner  fes  deux  Kils  en  otages.     Il 
réperoic.  avic  une  vive  agitation,  qu'on  ne  devoit  pas  craindre  qu'il  prît 
la  fuite  &  qu'il  allât  Ce  cacher  dans  les  Montagnes,     Cortez  refufoit  toutes 
les  ot]V.^s.     L'ICmpercur  ne  fe  rendoit  point.     Cependant  il  s'étoit  palTd 
trois  tieuns ,  &  les  Olficiers  Efpagnols  commençoient  à  s'allarmer  d'un  fi 
long  délai.     Velafquez  de  Léon  dit  hautement,  dans  fon  impatience,  que 
les  dilcdurs  e  oient  inutiles  ,  &  qu'il  falloit  s'en  faifir  ou  le  poignarder.  Mo* 
ttzuma  voulut  lavoir,  de  Marina,  ce  qu'on  difoit  avec  tant  d'emporte- 
ment.    Cette  habile  Interprète  faifit  l'occafion,  pour  l'embarrafler  par  de 
nouvelles  allarmes  j  &,  feignant  de  craindre  que  fon  difcours  ne  fût  enten- 
du des  Efpagnols,   elle  lui  répondit  qu'il  étoit  en  danger,   s'il  réfiftoit  à 
des  gens  dont  il  connoilfoit  la  réfolution ,  &  qui  étoienc  alîiftés  d'un  fe- 
cours  extraordinaire  du  Ciel;  qu'étant  née  dans  fon  Empire,  elle  n'avoit 
en  vue  que  fes  intérêts;  que  s'il  confentoit  fur  le  champ  a  fuivre  le  Géné- 
ral étranger,  elle  lui  garantiffoit  qui!  feroit  traité  avec  tous  les  égards  dûs 
à  fon  rang;  mais  que  s'il  s'obftinoit  à  réfifter ,  elle  ne  répondoic  pas  de  fa 
vie.     Ce  difcours  triompha  de  fa  fierté.     Il  fe  leva  brufquement,  pour  dé- 
clarer à  Cortez  qu'il  fe  fioit  à  lui ,  qu'il  étoit  prêt  à  palfer  dans  fon  Quar- 
tier; &  que  c'étoit  la  volonté  des  Dieux  du  Mexique,  puifqu'ils  permet- 
toient  que  les  perfuafions  des  Efpagnols  l'emportalfent  fur  toutes  i'es  diffi- 
cultés.    Il  appellà  aufli-tôt  fes  Officiers  Domeftiques,  pour  leur  ordonner 
de  préparer  fa  litière.     Il  nomma  ceux  qui  dévoient  l'accompagner,  après 
leur  avoir  dit  que,  par  des  raifons  d'Etat,  qu'il  avoit  concertées  avec  fes 
Dieux,  il  avoit  réfolu  d'aller  pafler  quelques  jours  dans  le  Palais  de  fon  Pè- 
re.    Ses  Minières ,  qu'il  fit  appeller  aufli ,  reçurent  ordre  de  communi- 
quer fa  réfolution  au  Peuple.    Il  ajouta  qu'il  l'avoit  formée  volontairement 
&  pour  le  bien  de  l'Empire.    D'un  autre  côté ,  chargeant  un  Capitaine  de 
fes  Gardes  d'aller  fe  faifir  de  Qualpopoca  &  de  tous  les  Chefs  de  l'Armée, 
il  lui  remit,  pour  la  fureté  de  fa  Commiffion,  un  Sceau  qu'il  portoit  atta- 
clié  au  bras  droit.    En  donnant  publiquement  tous  ces  ordres,  il  prioit  Ma- 
rina de  les  expliquer  aux  Efpagnols ,  dans  la  crainte  de  leur  donner  de 
l'ombrage ,  &  de  s'expofer  à  quelque  violence. 

Il 


EN      AMERIQUE,    L  i  v.  I. 


S<^ 


Tl  fortit  de  Ton  Palais,  avec  une  fuite  affcz  nombrcufe.  Les  Efpagnols 
dtoicnt  autour  tle  fa  litière,  &  le  gardoicnc  fous  prétexte  de  l'efcorter.  Le 
bruit  s'étant  répandu  dans  toute  la  Ville  que  les  Etrangers  cnlevuient  l'Em- 
pereur, 011  vit  aulTi-tôt  les  rues  pleines  de  Peuple,  qui  pouHbit  de  grands 
cris ,  avec  l'apparence  d'un  foulevcment  général.  Les  uns  fe  jettoicnt  à 
terre;  d'autres  témoignoiciu  leur  afUiftion  par  leurs  larmes.  L'Empereur 
prit  un  air  gai  &  tranquille,  qui  appaifa  ce  tumulte,  fur-tout  lorfqu'ayant 
fait  ligne  de  la  main ,  il  eut  déclaré,  que,  loin  d'être  Prironnicr,  il  alluic 
paiTer  librement  quelques  jours  avec  les  Etrangers,  pour  fe  divertir  avec 
eux.  En  arrivant  au  Quartier  des  Efpagnols,  il  fit  écarter  la  foule,  qui 
n'avoir  pas  celfé  de  le  fuivrc,  avec  ordre,  à  fes  Minières,  de  défen'.re  les 
alTemblees  tumukueufes  fous  peine  de  mort.  ^  Il  fit  beaucoup  de  c^Tclfes 
aux  Soldats  Efpagnols,  qui  vinrent  le  recevoir  avec  les  plus  grandes  mar- 
ques de  refpeét.  Il  clioifit  l'appartement  qu'il  vouloit  occuper.  On  mit , 
à  la  vérité ,  des  Corps-de-Garde  à  toutes  les  avenues.  On  doubla  ceux 
du  Quartier.  On  plaçi  des  Sentinelles  dans  les  rues.  Aucune  précaution 
ne  fut  oubliée.  Mais  les  portes  demeurèrent  ouvertes  pour  les  Olficiers  de 
l'Empereur,  que  l'on  connoiflbit  tous,  &  pour  les  Seigneurs  ^1pxiquains, 
qui  venoient  lui  faire  leur  Cour;  avec  cette  réferve,  que,  fous  prétexte 
d'éviter  la  confufion,  on  n'en  admettoit  qu'un  certain  nombre,  à  mcfure 
que  les  autres  étoient  congédiés.  Dès  le  premier  jour,  Cortez  rendit  une 
vifite  au  Monarque ,  après  lui  avoir  fait  demander  Audience ,  avec  les  mê- 
mes cérémonies  qu'il  avoit  toujours  obfervées.  Il  le  remercia  d'avoir  ho- 
noré cette  Maifon  de  fa  préfence,  comme  fi  fon  féiour  y  eût  été  libre;  & 
ce  Prince  afFefta  de  paroître  aufli  content,  que  fi  les  Efpagnols  n'eufll^nt 
pas  été  témoins  de  fa  réfifiiance.  Il  leur  diftribua,  de  fa  main,  quantité  de 
préfens,  qu'il  fe  fit  apporter  dans  cette  vue;  &,  loin  de  découvrir,  à  fes 
Miniftres,  le  fecret  de  fa  prilon,  il  s'efforça  de  diffiper  toutes  leurs  dé- 
fiances, pour  conferver  du  mo;ns  la  dignité  de  fon  rang  dans  l'opinion  des 
Mexiquams.  Entre  ceux  qui  n^^  pouvoient  fe  perfuader  qu'il  fût  libre,  les 
uns,  condamnant  la  conduite  de  Qualpopoca,  louèrent  celle  de  leur  Sou- 
verain, &  donnoient  le  nom  de  grandeur  d'ame  à  l'effort  qu'il  avoit  fait 
d'engager  fa  liberté  pour  faire  connoître  fon  innocence.  D'autres  étoient 
perfuadés  que  leurs  Dieux,  avec  lefquels  ils  lui  fuppofoicnt  une  commu- 
nication familière ,  lui  avoient  infpiré  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  convenable  à 
fa  gloire.  Les  plus  fages  refpeéloient  fa  réfolution ,  fans  fe  donner  la  li- 
berté de  l'examiner,  d'autant  plus  qu'il  exerçoit  les  fon6lions  Impériales 
avec  la  même  régularité.  Il  donnoit  fes  Audiences  &  tenoit  fon  Confeil 
aux  mêmes  heures.  Les  affaires  de  l'Etat  n'étoient  pas  plus  négligées;  &, 
ce  qui  furprenoit  les  Efpagnols  mêmes,  chaque  jour  fembloit  augmenter 
pour  eux  fa  confiance. 

On  apportoit,  du  Palais  Impérial ,  tout  ce  qui  devolt  être  fervi  fur  fa  ta- 
ble. Le  nombre  des  plats  étoit  beaucoup  plus  grand  qu'il  ne  l'avoit  jamais 
été;  &  ceux  auxquels  il  n'avoit  pas  touché  étoient  aulTi  tôt  diflribués  aux 
Soldats  Efpagnols.  Il  connoiffoit  tous  les  Officiers  par  leurs  noms ,  &  l'un 
remarqua  qu'il  avoit  même  étudié  la  différence  de  leur  génie  &  de  leurs  in- 

Xx  2  cli- 


F  f.  !»  If  •,  rr  » 

C  O  11  T  F.  /., 

I 

S  1  9. 

II 

fil  cou- 

liait 

;ui  Quai- 
de  C.'t- 

ticr 

tcz. 

Mcfares 
(iLi'oii  y  u!i- 
foivc  avec  lui. 


Il  diffimule 
fa  fitiiation  | 
fts  Sujets, 


Jugement 
qu'ils  en  por- 
tent. 


Conduite 
de  Motezu- 
ma  dans  fa 
captivité. 


Feen.and 

CORTEZ. 

1.5 1  p. 


Son  obfti- 
nntion  dans 
l'Wolàtrie. 


La  mort 
d'Efcalantc  & 
d'ATgucllo 
cft  vangée. 


Sentence 
PjonQncée. 
contre  les 
Coupables. 


348       P    R    E    M    I    E    R    S     V    O    Y    A    G    E    S 

clination»  (q).  La  familiarité  (r),  dans  laquelle  il  vivoit  avec  eux,  leur 
fit  croire  à  la  fin  qu'il  avoit  oublié  fes  reflentimens ,  ou  que  les  témoigna^ 
ges  continuels  ,  qu'il  recevoit  de  leur  refpeft  &  de  leur  aflFeftion,  l'a-r 
voient  perfuadé  qu'ils  n'avoient  en  vue  que  fa  gloire  &  la  juftice  (s). 
On  lui  expliquoit  ibigneufement  les  principes  du  Chriftianifme  ;  &  Cortcz 
poufla  le  zèle  jufqu'à  demander  une  AiTemblée  deS:  principaux  Seigneurs 
de  la  Nation,  pour  leur  repréfenter  les  abfurdités  de  l'Idolâtrie,  dans  une 
harangue  fort  fingulière,  qu'Herrera  nous  a  confervée  ({)•  Mais  elle  fit 
auiTi  peu  d'impreilion  fur  leur  efprit ,  que  les  inllru6lions  particulières  fur 
celui  de  Moteziima.  Un  miracle  même,  dont  les  Hidoriens  font  honneur 
à  la  foi  de  Cortez  (v),  ne  put  vaincre  des  coeurs  endurcis  par  l'habitude 
de  l'erreur  &  du  vice. 

Cependant  le  Capitaine  des  Gardes,  qui  avoit  été  dépêché  dans  la 
Province  des  Totonaques,  amena,  chargés  de  chaînes,  Qualpopoca  & 
fes  principaux  Officiers.  Ils  s'étoient  rendus  fans  réfiflance,  à  la  vue  du 
Sceau  Impérial.  Cortez,  permit  qu'ils  fufient  conduits  droit  à  Motezuma» 
parce  qu'il  fouhaitoit  que  ce  Prince  les  obligeât  de  cacher  qu'ils  euifent 
agi  par  fes  ordres.  Enfuite  ils  lui  furent  amenés;  &  l'Officier,  qui  les 
conduifoit,  lui  dit,  de  la  part  de  l'Empereur,  qu'il  pouvoit  tirer  d'eux  la 
vérité,  &  les  punir  avec  toute  Ja  rigueur  qui  convenoit  à  leur  crime.  Ils 
confefTèrent  d'abord  qu'ils  avoient  rompu  la  Paix  par  une  Gujerre  injufte , 
es.  qu'ils  étoient  coupables  du  meurtre  d'Arguello,  fans  chercher  à  s'excufet 
par  Tordre  de  leur  Maître  :  mais  lorfqu'on  leur  eut  déclaré  qu'ils  alloient 
être  punis  rigpureufement ,  ils  s'accordèrent  tous  à  rejetter  leur  faute  fut 
lui.  Cortez  refufad'écou<:'2r  leur  dépofition ,  qu'il  traita  d'impoilure.  La 
caufe  futjpgée  militairement;  &,  les  Coupables  reçurent  leur  Sentence ,  qui 
les  condami\pit  à  être  brûlés  vifs  devant  le  Palais  Impérial, 

On  délibéra  aulTi-tôt  fur  la  forme  de  l'exécution.  Il  parut  important  de 
ne  la  pas  différer  ;  mais ,  dans  la  crainte  que  Motezuma  ne  s'aigrît  &  ne 
vpulût  foutenir  des  Malheureux, (dont  tout  le  criipe  étoit  réellement  d'avoic 


■'  o 


exe? 


(q)  IKprit  une  afFeftîon  particulière  pour 
un  Caflillan ,  nommé  Penna  ,  qu'il  combla  de 
rtcheiïes,  &  fans  lequel  il  ne  pouvoit  être 
un  moment.    Herrera,  Liv.  8.  Chap.  5. 

(r)  Il  paflbit  les  foirs  à  jouer,  avec  Cor- 
tez ,  au  Totoloque ,  cfpèce  de  jeu  de  quilles , 
qui  fe  jouoit  avec  de  petites  boales  &  de  pe- 
tites quilles  d'or.  Motezuma  diftribuoit  fon 
gain  aux  Soldats  Efpagnols,.  &  Cortez  don* 
noit  le  fien  aux  petits  Officiers  Mexiquains. 
Alv^arado  marquoit  ordinairement,  &  favori- 
foit  fon  Général.  L'Empereur ,  qui  s'en  ap- 
peiçi^t  fo£t  bien ,  le  railloit  agréablement  de 
compter  mal ,  &  ne  laiflbic  pas  de  l'engager, 
chaque  fois  à  prendre  la  même  peine.  So- 
lis,  Chap.  20.  Soit  qu'il  fût  naturellement 
doux  &  libéral ,  &  que  la  difgrace  l'eût  ra- 
DLçné.à.fQn  caraftèrç  aatiuel»  foit  qu'il  fe  fit 


violence  pour  plaire  aux  Efpagnols ,  il  par . 
vint  à  s'en  faire  aimer  comme  un  Frère  ou  un 
Père.    Herrera,  ubi  fuprà. 

(  f  )  On  lui  accordoit  quelquefois  la  liber- 
té, d'aller  fe.  promener  fur  le  Lac,  &  fe  ré.-? 
jouir  même  dans  fes  Maifons  de  Plaiiànce  ;, 
mais  il  étoit  toujours  accompagné  d'une  Gar« 
de  Efpagnole,  &  d'un  grand  nombre  de  Tlaf- 
calans ,  qui  le  ramenoient  le  foir  dans  fa  Pri-r 
fon.  Herrera,  Liv.  8.  CUap.  4.  ,^  ,. 
(t)  Ibidem,  Chap.  7.  "^*      "  ^ 

(v)  Ils  racontent  que  la  fàîfon  étant  forD 
feche ,  &  les  Prêtres  Idolâtres  ayant  deman- 
dé en  vain  de  la  pluye  à  leurs  Dieux,  Cor-i 
tez  en  promit  pour  un  jour  marqué ,  &  qu'il 
en  tomba  effeAivement  une  fort  abondante^ 
IM.  Chap.  6t 


.,  -J^. 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.  I.  345^ 

exécuté  Tes  ordres,  Gortez  forma  un  deflein,  qui  furpafTe  tout  ce  qu'on  a 
vu  jufqu'à  préfent  de  plus  audacieux  dans  fes  réfoludons,  &  qui  ne  peut 
êtrejuflifié  que  par  la  facilité  avec  laquelle  il  avoit  réduit  ce  Prince  à  fe 
laifler  conduire  en  Prifon.  Il  fe  fit  apporter  des  fers,  tels  qu'on  les  met- 
toit  aux  Espagnols  qui  avoient  mérité  cette  punition  ;  il  fe  rendit  à  l'appar- 
tement de  l'Empereur ,  fuivi  d'un  Soldat ,  qui  les  portoit  à  découvert ,  de  Ma- 
rina, pour  lui  fervir  d'Interprète,  &  d'un  petit  nombre  de  fes  Capitaines; 
il  ne  le  difpenfa  d'aucune  des  révérences  &  des  autres  marques  de  refpeél, 
qu'il  rendoit  ordinairement  à  ce  Monarque,  enfuite  élevant  la  voix,  d'un' 
ton  fier,  il  lui  déclara  que  fon  Général  &  les  autres  Coupables  étoient  con* 
damnés  à  mourir ,  après  avoir  confeifé  leur  crime  ;  qu'ils  l'en  avoient  char- 
gé lui  même,  en  foutenant  qu'ils  ne  l'avoient  commis  que  par  fon  ordre; 
que  des  indices  fi  violens  l'obligeoient  de  fe  purger ,  par  quelque  mortifica- 
tion perfonnelle  j  qu'à  la  vérité  les  Souverains  n'étoient  pas  fournis  aux  pei- 
nes de  la'Juftice  commune,  mais  qu'ils  dévoient  reconnoîcre  une  Jufti- 
ce  fupérieure,  qui  avoit  droit  fur  leurs  Couronnes  ,  &  à  laquelle  ils  dé- 
voient quelque  fatisfaélion.  Alors  il  commanda  ,  d'un  air  ferme  &  ab- 
folu,  qu'en  lui  mît  les  fers;  &  s'étant  retiré,  fans  lui  laiflTerle  tems  de 
répondre,  il  donna  ordre  qu'on  ne  lui  permît  aucune  communication  avec 
fes  Miniftres. 

Un  traitement  fi  honteux  jetta  le  malheureux  Motezuma  dans  une  fi  pro- 
fonde conflernation ,  que  la  force  lui  manqua  également  pour  réfiflier  &  pour 
fe  plaindre.  Il  fut  long  tems  dans  cet  état,  comme  un  Homme  abfolument 
hors  de  foi.  Quelques-uns  de  fes  Domeftiques,  qui  étoient  préfens,  ac- 
compagnoient  i"a  douleur  de  leurs  larmes,  fans  avoir  la  hardiefle  de  parler. 
Ils  fe  jettoient  à  fes  pieds,  pour  foutenir  le  poids  de  fes  chaînes.  Ils  fai- 
foienc  pafler ,  entre  la  chair  &  le  fer ,  quelques  morceaux  d'une  étofl^e  dé- 
liée ,  dans  la  crainte  que  fes  bras  &  fes  jambes  ne  fuflTent  oflFenfés.  Lorf^ 
qu'il  revint  de  ceti.e  efpèce  d'égarement,  il  donna  d'abord  quelques  mar- 
ques de  chagrin  &  d'impatience;  mais  ces  mouvemens  s'appaiférent  bien- 
tôt, &  ion  malheur  lui  parut  une  difpofition  du  Ci''!,  dont  il  attendit  la 
fin  avec  aflez  de  confiance.  D'un  autre  côté,  les  ^fpagnols  preflbierit 
l'exécution  des  Coupables.  Ils  avoient  reçu  avis,  quelques  jours  aupara- 
vant, que  dans  une  des  Maifons  Impériales,  nomraie  Tlacochako,  il  y 
avoit  un  amas  de  lances ,  d'épées ,  de  boucliers ,  d'arcs  &  de  flèches ,  qu'ils 
craignirent  de  voir  quelque  jonr  employés  contr'eux.  Ils  en  avoient  parlé 
à  Motezuma,  &  ce  Prince  leur  avoit  répondu  naturellement  que  c'étoit  un 
ancien  Magafin  d'armes ,  tel  que  fes  Prédécefl^urs  l'avoient  toujours  eu , 
pour  la  défenfe  de  l'Empire.  L'occafîon  leur  parut  favorable ,  pour  fe  dé- 
livrer d'un  fujet  d'allarme.  Ils  employèrent  toutes  ces  armes  à  compofer 
le  bûcher,  dans  lequel  Qualpopoca  &  fes  Complices  furent  brûlés  (a). 
Cette  a£lion  eut  pour  témoins  tous  les  Habitans  de  la  Ville ,  fans  qu'on  en- 
tendît aucun  bruit  qui  pût  caufer  le  moindre  foupçon.  Il  fembloit,  dit  un 
grave  Hiftorien  (y),  qu'il  fût  tombé»  fur  les  Mexiquains,  unefprit  dV 

(^)  Herrera,  Liv,  8.  Cbap,  8.  (y)  Solis,  Llv,  3.  Cia},  zo, 

Xx  3 


Fehnano 
Gortez. 

1519. 

Célèbre  au- 
dace de  Cor- 
tez,  qui  mec 

les  f'  r.;  aux 
mains  de 
l'Empereur. 


Conflerna- 
tion de  Mo- 
tezuma &  de 
fes  Sujets. 


Exécution 
de  la  Senten- 
ce portée 
contre  les 
Meurtriers- 
d'Arguello. 


350 


Fernan» 
Coûtez. 

1519- 


Comment 
Cortez  ôtc 
les  ÏJïi  à 
l'Empereur. 


PREMIERS      VOYAGES 


tourdiiTement,  qui  tenoit  tout  à  la  fois  de  l'admiration,  de  la  terreur  &  du 
refpeft.  Leur  furprife  étoit  extrême,  de  voir  exercer  une  Jurifdiftion  ab- 
folue,  par  des  Etrangers,  qui  n'avoient  au  plus  que  le  caraftère  d'Ambafla- 
deurs  d'un  autre  Prince  ;  mais  ils  n'avoient  pas  Ja  hardielfe  de  mettre  en 
queftion  un  pouvoir  qu'ils  voyoient  établi  par  la  tolérance  de  leur  Souve- 
rain. D'ailleurs,  ils  avoient  condamné  la  conduite  de  Qualpopoca;  & 
fon  crime  leur  parut  d'autant  plus  odieux,  qu'il  en  chargeoit  Ion  Maître, 
quoique  ce  Prince  n'eût  pas  celfé  de  le  desavouer.  Mais ,  n'attirons  point 
Cortez  au  Tribunal  de  la  raifon.  S'il  n'étoit  pas  enivré  lui-même,  par  l'ex- 
cès de  fes  profpérités ,  il  faut  fuppofer  que  là  prudence  le  conduifoit  par 
des  règles  que  les  Hifloriens  ont  ignorées,  &  qui  étoient  alors  les  plus  fa- 
ges,  parce  qu'elles  étoient  les  plus  convenables  aux  circonftances. 
Aprks  l'exécution,  il  fe  hâta  de  retourner  à  l'Appartement  de  Motezu- 
qu'il  falua  d'un  air  gai  &  careflant.    Il  lui  dit  qu'on  venoit,  de  punir 


ma 


Artifices 
par  lefqucls  il 
iiicnagc  l'ef- 
prit  de  ce 
Friucc. 


11  entre- 
prend de  fc 
Tendre  maître 
des  paffages 
du  Lac. 


des  Traîtres,  qui  avoient  eu  l'infoknce  de  noircir  la  réputation  de  leur 
Souverain;  &  l'ayant  félicité  du  courage  qu'il  avoit  eu  lui-même  de  fatis- 
faire  à  la  juftice  du  Ciel  par  le  facrifice  de  quelques  heures  de  liberté ,  il  lui 
fit  ôter  fes  fers.  Quelques  Relations  aiïiirent  qu'il  fe  mit  à  genoux,  pour 
les  lui  ôter  de  fes  propres  mains.  Ce  Monarque  humilié  s'applaudit  du  re- 
tour apparent  de  fa  grandeur,  avec  des  tranfports  fi  vifs,  qu'il  ne  ceflbit 
pas  d'embralfer  Cortez  &  de  lui  exprimer  fa  joye.  Tandis  qu'il  s'y  livroit 
fans  mefure,  le  Général  Efpagnol,  par  un  autre  trait  de  cette  Politique, 
qu'il  favoit  transformer  en  généroficé,  donna  ordre  en  fa  préfence  qu'on 
levât  toutes  les  Gardes,  &  lui  dit  que  la  caufe  de  fa  détention  ayant  cefle, 
il  étoit  libre  de  fe  retirer  dans  fon  Palais.  Mais  il  favoit  que  cette  offre  ne 
feroit  point  acceptée.  On  avoit  entendu  dire ,  à  Motezuma ,  que  jufqu'au 
départ*des  Efpagnols  il  n'étoit  plus  de  fa  dignité  de  fe  féparer  d'eux,  par- 
ce qu'il  perdroit  l'eftime  de  fes  Sujets ,  s'ils  pouvoient  s'imaginer  qu'il  tînt 
fa  liberté  d'une  main  étrangère.  C'étoit  Marina,  qui  lui  avoit  infpiré  ce 
fentiment,  par  l'ordre  même  de  Cortez,  qui  n'avoit  pas  ceffé  d'employer 
l'adreffc ,  pour  le  retenir  dans  fa  prifon,  Cependant ,  quoique  ce  motif 
confervât  fur  lui  toute  fa  force,  il  eut  honte  de  l'avouer;  &  prenant  un  au- 
tre prétexte ,  dont  il  crut  fe  faire  un  mérite  dans  l'efprit  des  Efpagnols ,  il 
répondit  que  leur  propre  intérêt  ne  lui  permettoit  pas  de  les  quitter,  par- 
ce que  fa  Noblefle  &  fon  Peuple  le  prefferoient  de  prendre  les  armes  con- 
tr'eux.  Cortez  loua  fa  générofité ,  &  lui  rendit  grâces  de  l'attention  qu  il 
failbit  à  fes  Amis:  nouvelle  rufe,  qui  fervit  à  rétablir  toutes  les  apparen- 
ces de  la  bonne  foi,  entre  des  gens  qui  croyoient  fe  tromper  mutuellement. 
Elle  fe  foutint,  avec  des  affectations,  dont  le  récit  bleffe  quelquefois  la 
vraifemblance  (z). 

Dans  cet  intervalle,  Cortez  n'oublia  aucune  des  précautions  qui  pou- 
voient "♦■iblir  fa  fureté.  Les  Hiiloriens  n'expliquent  point  quels  étoient 
particulièrement  fes  deffeins;  mais  ayant  nommé  Sandoval,  pour  fiicceder 
à  d'Efcalante  dans  le  Gouvernement  de  Vera  Cruz,  il  fe  fit  apporter  les 
mâts,  les  voiles,  la  ferrure,  &  tous  les  agrets  des  Navires  qu'il  avoit  fait 

cou- 

..(3)  Solis,  Liv.  4.  Chap.  i. 


;     E    N      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.   I.  351 

couler  à  fond.     II. ne  pouvoit  oublier  ce  que  les  Tlafcajans  avoient  enten-    Ferkano 
du,  fur  la  facilité  de  rompre  les  Chauflees  &  les  Ponts;  &  Ton  dcllein  é-     Coktez. 
toit  de  f lire  conftruire  deux  Brigantins  dans  Mexico ,  pour  fe  rendre  maître       ^5^9- 
dés  Paflages  du  Lac   11  fit  agréer  cette  entreprife  à  Mocczuma,  fous  le 
prétexte  de  lui  donner  quelque  idée  de  la  Marine  de  l'Europe.     Ce  Prince 
lui  fournit  du  bois  ;  &  les  Charpentiers  Efpagnols  achevèrent  en  peu  de 
tems  un  ouvrage,  qui  devint  un  nouveau  fujec  d'admiration  pour  les  Me- 
xiquains. .    On  s'en  fervit  pour  faire  des  Promenades  &  des  Chafles,  qui 
donnèrent  occafion,  à  Corte:&,  d'obferver  toutes  les  parties  du  Lac.     En 
même  tems,  il  s'informoit  de  la  grandeur  &  des  limites  de  l'Empire;  & 
les  queftions,  qu'il  faifoit  fur  une  matière  (i  délicate,  étoient  amenées  fi 
habilement,  que  loin  d'en  concevoir  aucun  foupçon ,  l'Empereur  lui  fit  def- 
Cner,  par  fes  Peintres ,  une  efpèce  de  Carte,  qui  repréfentoit  l'étendue  & 
la  fituation  de  Tes  Etats..    Dans  ces  explications ,  les  Provinces ,  d'où  l'on 
tiroit  l'or,  furent  nommées;  &  Cortcz,  qui  tendoic ,  par  mille  détours, 
à  cette  importante  connoiflance ,  offrit  aulli-tôt  d'y  envoyer  quelques  Ef- 
pagnols ,.  qui  entendoient  parfaitement  le  travail  des  Mines.    Sa  propofi- 
tion  fut  acceptée.     Motezuma  lui  apprit  alors  que  les  plus  riches  étoient  îles  Mines  du 
dans  la  Province  de  Zrtfflf  M/a ,  du  côté  du  Sud,  à  douze  journées  de  Mexi-   ^'•'-'"a^i'-'- 
co;  &  dans  celle  de  Chivantlay  fituée  au  Nord,  qui  ne  dépendoit  pas  à  la 
vérité  de  fon  Empire,  mais  où  fon  nom  étoit  afl'ez  refpeclé  pour  garantir 
ceux  qui  feroienc  ce  Voyage  i'ous  fa  protedion.      Il  lui  nomma  auffi  le 
Pays  des  Zapotecas,  en  lui  promettant  des  Guides,  qui  connoiflbierit  tous 
ces  lieux.     Cortez  choilit  C/?«èrw  &  P/za/ve,  pour  une  Commiflion  qui  fut 
briguée  de  tous  les  Efpagnols.     Ils  partirent  avec  quelques  Soldats  de  leur   ?."'pl"Q,V""^ 
Nation ,  &  .une  bonne  Efcorte  d'Indiens.      Umbria  ,  qui  revint  le  pre-  r^^.^^^ 
mier,  apporta  trois  cens  marcs  d'or,  &  rendit  témoignage  que  les  Mi-     , 
nés  du  Sud   étoient  fort  abondantes.     Pizarre  apporta  mille  marcs  de 
celles  du  Nord  (a). 

■    C'est  pendant  leur  Voyage,  qu'on  place  une  entreprife  beaucoup  plus 
dangereuie ,  qui  efl  rapportée  avec  une  forte  de  farte  par  les  Ililloriens  ori- 
ginaux, comme  le  plus  glorieux  exploit  deCortez,&  fur  laquelle  néanmoins  |?['|"' .'■^':5''""'* 
iiolis  fait  naître  des  doutes (/>).     Elle  regarde  la  Religion,  dontonprétend 
•''  ■•  que 


Il  s'informe 


II  y  envoyé 


Kntrrprife 
qu'il  lurine 


(a)  Hcrrera,  Liv.  g.  Cbap    i; 

(  i»  3  ^l  t^ft  importais  de  les  rapporter,  pour 
donner  plus  de  crédit  à  tout  ce  qui  vient 
d'un  P:erivain  fi  mefuré.  „  Bernard  Diaz 
„  alVure,  dit -il,  qu'on  fe  détermina,  dans 
„  le  niéiiie  teins,  à  mettre  en  pièces  toutes 
„  fes  idoles  du  Mexique,  &  à  convertir  en 
„  Eglife  le  principal  Temple  de  cette  Ville. 
,^  Lopez  de  Gomara  ,  qui  s'accorde  quel- 
A  quefois  avec  cet  Auteur  fur  ce  qui  paroît 
,,,  le  moins  vraifemblable,  avance  la  même 
„  chofe.  Ils  alTurent  que  les  Efpagnols  for- 
„  tirent  de  leur  Quartier  dans  la  rcfo'.ution 
„  d'exécuter  ce  projet,  malgré  ks  prières  & 
„,  la  rcGIlancc  de  Motezuma,-  que  les  Sacri- 


ficateurs prirent  les  armes,  &  que  toute 
la  Ville  fe  fouleva  pour  défendre  fes  Dieux; 
qu'enfin  la  confidération  de  la  Paix  obli- 
gea Cortez  de  laifier  les  Idoles  en  repos, 
fe  contentant  d'élever ,  dans  le^  Temple 
même,  un  Autel  fur  lequel  on  plaça  une 
Croix  &  une  Image  de  la  Sainte  Vierge; 
qu'on  y  célébra  folemnellement  la  Meile  ; 
que  cet  Autel  y  fubfiila  long-cems  par  les 
foins  des^ Sacrificateurs,  qui s'appliquoient 
à  le  tenir  propre  &  à  le  parer,  llerrera 
confirme  cette  Relation ,  &  la  poulFe  en- 
core plus  loin ,  par  des  circonftances  ou- 
trées. 11  nous  repréfente  une  Proccflloa 
fort  dévote,  quoique  faite  les  armes  à  la 

„  uiaiu, 


352 


PREMIERS      VOYAGES 


f ERN AND 
'  CORTSZ. 

Elle  irrite 
les  Seigneurs 
]\l(;xi(2uains. 


Confpira- 
tion  étoufFée 
dansl'origine. 


Politique  de 
Motczunia. 


que  le  zèle  tranrporta  Cortez  jufqu'à  le  faire  entrer  à  force  ouverte  dans  le 
principal  Temple  de  Mexico ,  pour  y  faire  célébrer  la  Mefle  au  milieu  des 
Idoles.  Ceux  qui  croyent  ce  récit  injurieux  pour  fa  prudence,  &  qui  le 
traitent  de  fiftion ,  conviennent ,  du  moins ,  que  fon  emportement ,  con- 
tre l'Idolâtrie ,  allarma  les  Sacrificateurs.  Cacumatzin ,  Prince  de  Tetzuco , 
animé  par  leurs  follicitations ,  prit  ce  prétexte  pour  fe  déclarer  fortement 
contre  les  Efpagnols.  II  y  joignit  celui  de  rendre  la  liberté  à  Motezuma ,  & 
de  foutenir  tout-à-la-fois  1  honneur  de  fes  Dieux  &  de  fon  Souverain.  'Quoi- 
que ces  fpécieux  motifs  ne  fuflent  qu'un  double  voile  pour  couvrir  Tambî" 
tion  qui  le  faifoit  afpirer  au  Trône,  il  les  fit  valoir  avec  tant  de  force  & 
d'adrefle,  qu'ayant  engagé ,  dans  fa  caufe,  un  grand  nombre  de  Seigneurs, 
qui  n'attendoient  que  l'occafion  pour  faire  éclater  leur  haine  contre  les  £- 
trangers ,  il  fe  vit  bientôt  à  la  tête  d'un  Parti  formidable.  A  cette  nou- 
velle ,  Gortez  réfolut  d'employer  les  armes ,  pour  étouffer  la  révolte  dans 
fa  naiflance.  Mais  l'Empereur ,  qui  pénétra  l'intention  réelle  de  fon  Ne- 
veu, &  qui,  dans  l'illufion  où  les  Efpagnols  Tentretenoient  fur  fa  liberté , 
ne  mettoit  plus  de  différence  entre  leurs  intérêts  &.  les  deT^  ,  trouva  des 
voyes  plus  courtes  pour  arrêter  les  Rebelles.  L'afcendant,  qu'il  confervoic 
encore  fur  quelques-uns  des  plus  puilTans,  &  les  récompenfes,  qu'il  leur 
fit  offrir  en  fecret,  les  difpoférent  à  trahir  leur  Chef.  Cacumatzin  fut  ar- 
rêté par  fes  propres  Complices,  &  conduit  au  Quartier  des  Efpagnols,  où 
Cortez  demanda  que  fa  punition  fût  bornée  à  la  perte  de  fon  Domaine,  qui 
fut  tranfporté  à  Cucuzca  fon  Frère  (  c  ). 

Cependant  ,  lorfque  le  calme  eut  fuccedé  à  cette  révolution ,  l'Empereur 
ouvrit  les  yeux  fur  le  danger  dont  il  étoit  forti.  En  réfîéchiffant  fur  fa  fi- 
tuation ,  il  lui  parut  que  les  Efpagnols  faifoient  un  long  féjour  dans  fa  Capi- 
tale. Quoiqu'il  ne  pût  lui  tomber  dans  l'efprit  qu'un  fi  petit  nombre  d'E- 
trangers en  vouluflent  à  fa  Couronne,  il  s'appercevoit  de  la  diminution  de 
fon  autorité  parmi  fes  propres  Sujets,  &  la  Guerre,  qu'il  venoit  d'étein- 
dre, pouvoit  fe  rallumer.  Il  fentoit  la  néceflîté  d'engager  Cortez  àprefler 
fon  départ;  mais  fa  fierté  lui  donnoit  de  la  répugnance  pour  une  ouvertu- 
re qui  renfermoit  l'aveu  de  fes  craintes  ,•  fans  compter  que  l'imprefïion  da 
premier  avis  de  Marina  duroit  encore,  &  l'allarmoit  pour  la  fureté  de  fa 

•      Per- 


„  main ,  pour  accompagner  les  faintes  Ima- 
„  ges  jufqu'au  Temple.  11  rapporte  l'Oral- 
„  fon  que  Cortez  fit  devant  le  Crucifix,  &  il 
„  place ,  dans  cette  occafion ,  le  Miracle  de 
„  la  pluye  accordée  à  la  dévotion  du  Géné- 
„  rai.  On  ne  fera  point  de  réflexion  fur 
„  l'embarras  où  Cortez  fe  feroit  jette,  en 
„  garantiflânt ,  aux  Infidèles ,  un  Miracle 
„  qui  devoit  être  une  preuve  de  la  vérité  de 
„  fa  Religion  ;  mais  quand  on  voudroit  at- 
,,  tribuer  cette  imprudence  à  l'ardeur  de  fort 
„  zèle,  elle  paroîtra  choquer  la  raifon,  fi 
„  l'on  confidère  fes  lumières,  le  favoir  du 
„  Père  Olmedo  fon  Aumônier,  &  l'obilina- 
I,  tion  de  Motezuma  &  de  fes  Sujets,  qui  n'a- 


„  voient  donné  aucune  marque  de  penchant 
„  pour  le  Chriftianifme.  D'ailleurs ,  on  ne 
,,  fe  contente  point  de  placer  la  Croix  dans 
,,  un  lieu  déteuable;  on  la  commet  encore  à 
„  la  difcrétion  des  Sacrificateurs  idolâtres, 
„  expofée  à  leurs  irrévérences,  onfaitcélé- 
„  brcr  les  plus  faints  Myftères  de  la  Reli- 
„  gion  au  milieu  des  Idoles,  Voilà  les  at- 
„  tentais  qu'on  ôfc  donner  non -feulement 
„  pour  vrais ,  mais  comme  glorieux  &  mé- 
„  morables  C'eft  au  Lefteijr  à  décider  fur 
,  la  qualité  de  ces  éloges  ".  Solis  ,_  ubi 
fuprà. 

(  c  )  Herrera ,  Liv.  9.  Cbap.  2.  £5*  fuiv. 
Solis,  Liv.  4.  Cbap.  2. 


•      EN      AMERIQUE,    Lïv.  I.-        353. 

Perfonne.  Ces  incertitudes  produifirent  une  rdfoUition  fort  étrange.  Il 
conçut  que  le  moyen  de  fe  délivrer  honnêtement  des  Efpagnols  étoit  de 
marquer  une  extrême  impatience  de  fe  lier  avec  leur  Prince,  &  non-feule- 
ment de  les  charger  de  richelTes ,  qu'il  les  prefleroit  de  lui  porter  en  fon 
nom,  mais  de  lui  rendre,  entre  leurs  mains,  un  hommage  folemnel,  ea 
qualité  de  SucceiTeur  de  Quezalpoal  &  de  premier  Propriétaire  de  l'Empire 
du  Mexique.  Cette  propofition,  qu'il  trouva  le  moyen  de  leur  faire  allez 
adroitement,  étoit,  en  eiFet,  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  propre  à  flatter  leur 
avarice  &  leur  ambition.  Auffi  Cortez  parut  il  extrêmement  fatisfait,  de 
fe  voir  offrir  ce  qu'il  n'auroit  ôfé  demander.  Il  pénétra  néanmoins  l'artifice; 
mais,  quelles  que  puffent  être  fes  vues,  fur  lefquelles  il  ne  s'étoic  encore 
ouvert  a  perfonne,  il  prit  le  parti  d'accepter  les  avantages  qu'on  lui  préfen- 
toit ,  fans  renoncer  au  fond  de  fon  entreprife ,  fur  lequel  il  remettoit  à 
s'expliquer  après  l'arrivée  des  ordres  qu'il  attendoit  d'Efpagne. 

MoTEZUMA  ne  différa  point  à  faire  affembler  fes  Caciques.  Ils  fe  ren- 
dirent dans  l'Appartement  qu'il  occupoit,  au  Quartier  des  Efpagnols.  Diaz 
aflure  qu'il  eut  avec  eux  une  longue  Conférence ,  à  laquelle  Cortez  ne  fut 
point  appelle,  pour  les  difpofer  apparemment  à  goûter  fes  propofitions. 
Mais,  dans  une  autre  Affemblée,  où  il  tenoit  la  première  Place  après  l'Em- 
pereur, avec  les  Interprètes  &  quelques-uns  de  fes  Capitaines ,  Mocezuma 
fit  une  courte  expofition  de  l'origine  des  Mexiquains ,  de  l'expédition  des 
Navatlaques,  des  prodigieux  Exploits  de  Quezalpoal,  leur  premier  Empe- 
reur, &  de  la  Prophétie  qu'il  leur  avoit  lailîëe,  en  partant  pour  la  Conquê- 
te des  Pays  Orientaux.  Enfuite,  ayant  établi,  comme  un  principe  incon- 
teftable,  que  le  Roi  d'Efpagne ,  Souverain  de  ces  Régions ,  étoit  le  légiti- 
me Succefleur  de  Quezalpoal ,  promis  tant  de  fois  par  les  Oracles ,  &  de- 
firé  fi  ardemment  de  toute  la  Nation,  il  conclut  qu'on  devoit  reconnoître, 
dans  ce  Prince ,  un  droit  héréditaire ,  qui  appartenoit  au  fang  dont  il  étoit 
defcendu.  Il  ajouta ,  que  s'il  étoit  venu  en  perfonne,  au  lieu  d'envoyer  fes 
Ambaffadeurs,  la  juilice  auroit  obligé  les  Mexiquains  de  le  mettre  en  pof- 
feffion  de  l'Empire;  &  que  lui-même,  qu'ils  reconnpiffoient  pour  leur  Sou- 
verain, il  auroit  remis  fa  Couronne  à  fes  pieds,  pour  lui  en  laiffer  la  dif- 
pofition  abfolue,  ou  pour  la  recevoir  de  (a  main: «-mais  que  la  même  rai- 
ibn  l'obligeoit  de  lui  en  faire  hommage  dans  la  perfonne  de  ceux  qui  le  re- 
préfentoient,  &  de  joindre,  à  cette  déclaration ,  la  plus  riche  partie  de  fes 
tréfors  ;  &  qu'il  fouhaitoit  que  tous  les  Caciques  de  l'Empire  fuiviffent  fon 
exemple ,  par  une  contribution  volontaire  de  leurs  biens ,  pour  fe  faire  un 
mérite  de  leur  zèle  aux  yeux  de  leur  premier  Maître  (rf). 

La  réfolution  de  Motezuma  paroîtroit  incroyable,  après  l'opinion  qu'on 
a  dû  prendre  de  fa  puiffance,  &  plus  encore  après  les  premières  idées  qu'on 
a  données  de  fon  caraftère ,  fi  t'on  ne  fe  rappelle  qu'il  fe  croyoit  menacé  de 
la  perte  de  fon  Empire,  &  que  cette  crainte  l'avoit  difpofé  à  toutes  fortes 
d'humiliations.  Il  ne  paroît  pas  moins ,  que  fon  orgueil  fouffroit  une  mor- 
telle violence.  Tous  les  Hiftoriens  conviennent  qu'en  prononçant  le  terme 
d'hommage,  il  s'arrêta  quelques  momens,  &  qu'il  ne  put  retenir  fes  larmes. 

.,  -   .      Coï- 
(d)  Solis,  Cbap.  3.  .  ,  •        i    •. 

XniL  Part.  Y  V 


Fbrkaii» 
Cortez. 

1519- 


Cortez  la 
fait  tourner  i 
fon  avantage. 


Motezuma 
fait  hommage 
de  fes  Etats  i 
l'Efpagne. 


Son  motif 

dans  cette 
étrange  dé- 
marche. 


354 


P    R    E^   M    I    E    R    S      VOYAGES 


FCRKAND 
C  O  R  T  E  Z. 

Ses  regrets. 

Adrefle  de 
Cortez. 


PréCens 

3u'il  reçoit 
e  l'Empire 
iM  Me:ùque. 


Diftribu- 
tion  qu'il  en 

fait. 


Motezuma 
le  prefle  de 
quitter  fes 
Etats, 


Cortez,  s'il  faut  s'en  rapporter  aux  mêmes  témoignages, voyant  que  la  dou* 
leur  du  Souverain  faifoic  impreffion  fur  les  Caciques,  fe  hâta  de  les  raflurer, 
en  leur  déclarant  que  l'intention  du  Roi  Ton  Maître  n'étoit  pas  d'introduire 
une  nouvelle  forme  de  Gouvernement  dans  l'Empire,  &  qu'il  ne  demandoit 
que  réclaircifTement  de  fes  droits  en  faveur  de  fes  Defcendans  ;  mais  qu'au 
refle  il  étoit  fî  éloigné  du  Mexique, &  partagé  par  tant  d'autres  foins, qu'on 
ne  verroit  peut-être  de  long-tems  l'effet  des  anciennes  prédirions.  Mais 
il  n'en  accepta  pas  moins  la  difpofition  qui  venoit  de  fe  faire  en  faveur 
desEfpagnols  (e). 

Cette  fameufe  cérémonie ,  qui  a  fait  le  principal  titre  de  l'Efpagne  pour 
juflifîer  la  Conquête  du  Mexique ,  fut  accompagnée  de  toutes  les  formali- 
tés qui  pou  voient  lui  faire  mériter  le  nom  d'Aébe  national  (/).  Peu  de 
jours  après,  Motezuma  fit  remettre,  à  Cortez,  les  riches  préfens  qu'il  te- 
noit  prêts.  C'étoient  quantité  d'ouvrages  d'or,  curieufement  travaillés, 
des  figures  d'Animaux,  d'Oifeaux  &  de  Poiflbns,  du  même  métal;  des 
Pierres  précieufes ,  fur-tout  un  grand  nombre  de  celles  que  les  Mexiquains 
nommoient  Chalcuites^  de  la  couleur  des  Emeraudes,  &  qui  leur  tenoienc 
lieu  de  Diamans;  de  fines  éto£fes  de  coton;  des  tableaux  &  des  tapifTeries, 
d'un  tiflu  des  plus  belles  plumes  du  Monde;  enfin,  tout  l'or  qui  fe  trou* 
voit  en  mafle  dans  la  Fonderie  Impériale.  Les  Caciques ,  ayant  apporté 
leur  contribution  de  toutes  les  Provinces,  cet  amas  de  richeffes  monta 
bientôt,  en  or  feulement,  à  plus  de  fix  cens  mille  marcs  (g),  que  Cor- 
tez prit  le  parti  de  faire  fondre  en  lingots  de  différens  poids,  &dont  il  tira 
le  quint  pour  lui,  après  avoir  levé  celui  du  Roi  d'Efpagne.  Il  fe  crut  en 
droit  de  prendre  aufli  les  fommes,  pour  lefquelles  il  fe  trouvoit  engagé  dans 
rifle  de  Cuba.  Le  refte  fut  partagé  entre  les  Officiers  &  les  Soldats ,  en  y 
comprenant  ceux  qu'on  avoit  laifTés  à  Vera  Cruz.  Quelque  foin  qu'on  pût 
apporter  à  mettre  une  jufle  proportion  dans  les  parcs ,  il  étoit  difficile  d'al- 
ler au-devant  de  toutes  les  plaintes,  entre  des  gens  dont  l'avarice  étoit  éga-> 
le,  &  qui  ne  fe  rendoient  point  juilice  fur  l'inégalité  du  mérite  &  des  droits  ; 
mais  Cortez ,  avec  un  desintéreflement  digne  de  fa  grandeur  d'ame ,  four- 
nit ,  de  fon  propre  fond ,.  ce  qui  manquoit  à  la  facisfaélion  de  ceux  qui  fe 
croyoient  maltraités. 

Motezuma  n'eut  pas  plutôt  rempli  fes  engagemens,  qu'il  fit  rappeller 
le  Général  EfpagiTol.  Celui  qui  fut  chargé  de  cet  ordre  étoit  un  Soldat  de 
Cortez ,  que  ce  Prince  avoit  pris  en  affeftion ,  parce  qu'il  parloit  déjà  faci- 
lement la  Langue  Mexiquaine,  &  qui  avoit  remarqué,  pendant  la  nuit  pré- 
cédente, que  plufieurs  Seigneurs  oc  quelques  Prêtres  s'étoient  introduits 
fecrétement  dans  l'Appartement  Impérial.  Cortez  ,  allarmé  d'un  meflage 
qui  venoit  à  la  fuite  d'une  ConféreiiCe,  dont  on  lui  avoit  fait  myftère,  fe 
fit  accompagner  de  douze  de  fes  plus  braves  Soldats.  Il  fut  furpris  de 
trouver,  fur  fe  vifage  de  l'Empereur,  un  air  de  fé vérité  qu'il  n'y  avoit  ja- 
mais vu  pour  lui.  Ses  foupçons  augmentèrent  lorfqu'il  fe  vit  prendre  par 
la  main,  &  conduire  dans  une  Chambre  intérieure,  où  ce  Prince,  l'ayant 

'  .     .         .  .        prié 


(  *  )  Solis  &  Herrera ,  ibidem. 
.{/)  Herrera,  ubi  fuprà,  Chap.  4.  Solis, 


"Qiap.  4- 
(g)  mdm, 


:  B    N      AMERIQUE,    Lxv.  I.   ^       jyy 

prié  gravement  de  l'écouter,  lui  déclara  qu'il  étoit  tems  de  partir,  puif- 
qu'il  ne  lui  refloit  rien  à  demander,  après  avoir  reçu  toutes  Tes  dépêclies; 
que  les  motifs ,  ou  les  prétextes  de  fon  féjour  ayant  ceilé ,  les  Mexiquains 
ne  pourroient  fe  perfuader  qu'un  plus  long  retardement  ne  couvrît  pas  des 
vues  dangereufes.  Cette  courte  explication,  qui  paroilToit  préméditée,  & 
même  accompagnée  d'un  air  de  menace,  allarma  îi  vivement  Cortez,  qu'il 
ordonna  fecrétement,  à  un  de  fes  Capitaines,  défaire  prendre  les  armes 
aux  Soldats ,  &  de  les  tenir  prêts  à  défendre  leur  vie.  Cependant ,  ayant 
rappelle  toute  fa  modération ,  il  prit  un  vifage  plus  tranquille  pour  répon- 
dre à  l'Empereur ,  qu'il  penfoit  lui-même  à  retourner  dans  fa  Patrie,  èc 
qu'il  avoit  déjà  fait  une  partie  de  fes  préparatifs  ;  mais  qu'on  n'ignoroit 
pas  qu'il  avoit  perdu  fes  Vaifleaux,  &  qu'il  demandoit  du  tems  &  de  l'aHl- 
llance  pour  conllruire  une  nouvelle  Flotte. 

"On  prétend  que  l'Empereur  avoit  cinquante  mille  Hommes  armés,  & 
qu'il  étoit  déterminé  à  foutenir  fa  réfolution  par  la  force.  Maii ,  comme 
il  ne  vouloit  rompre  qu'à  l'extrémité,  fa  joye  fut  fi  vive,  de  voir  le  Gé- 
néral difpofé  à  le  fatisfaire,  que  l'ayant  embrafle  avec  tranfport,  il  lui  pro- 
tefta  que  fon  intention  n'étoit  point  de  précipiter  le  départ  des  Efpagnols, 
fans  leur  fournir  ce  qui  étoit  néceflaire  à  leur  Voyage,  &  qu'il  alloit  don- 
ner des  ordres  pour  la  conflruélion  des  VaifTeaux.  Il  ajouta  dans  cette  ef- 
fufion  de  cœur,  avec  une  imprudence  qui  fit  pénétrer  fes  motifs,  qu'il  lui 
fuffifoic,  pour  obéir  à  fes  Dieux  &  pour  appaifer  les  plaintes  de  fes  Sujets, 
d'avoir  déclaré  qu'il  faifoit  attention  à  leurs  demandes.  Ce  langage  fît  ai* 
fément  juger  qu  il  étoit  violemment  combattu  par  la  Religion  &  la  Politi- 
que. Cortez,  informé,  en  efi^et,  que  les  Sacrificateurs  avoient  demandé 
fon  départ  au  nom  des  Idoles ,  avec  d'horribles  menaces ,  prit  le  parti  de 
céder  à  l'orage  par  toutes  les  apparences  d'une  prompte  foumifiion.  Les 
ordres  furent  donnés  pour  raflembler  des  Ouvriers  fur  la  Côte,  &  le  départ 
des  Efpagnols  fut  publié.  Motezuma  nomma  les  Bourgs  qui  dévoient  con- 
tribuer au  travail ,  &  les  lieux  où  les  bois  dévoient  être  coupés.  Cortez 
fit  partir  aufii  fes  Charpentiers ,  avec  ce  qui  lui  refloit  de  cordages  &  de 
fer.  Il  ne  s'entretint,  en  public,  que  de  l'ouvrage  auquel  il  paroiflbit  don- 
ner tous  fes  foins  dans  l'éloignement.  Mais  il  avoit  chargé  ceux  qui  en  a-- 
voient  la  conduite ,  de  faire  naître  des  obflacles  âc  des  contre-tems.  En 
un  mot,  fon  but,  fur  lequel  il  fe  vit  forcé  de  s'ouvrir. à  fes  Officiers,  étoit 
de  fe  maintenir  à  toute  forte  de  prix  dans  cette  Cour,  &  d'y  faire  un  Eta- 
blifTement  qui  le  mît  en  état  de  braver  toutes  les  forces  de  l'Empire.  Il 
vouloit  gagner  du  tems,  jufqu'au  retour  de  Montejo  qu'il  avoit  envoyé  en 
Efpagne,  &  qu'il  efpéroit  de  voir  revenir  avec  un  puilFant  fecours,  ou  du 
moins  avec  des  ordres  de  l'Empereur,  pour  autorifer  fon  entreprife;  & 
Vil  fe  trouyoit  réduit,  par  la  violence ,  à  quitter  le  Pofle  qu'il  occupôit 
dans  la  Capitale,  il  fe  promettoit  du  moins  de  s'arrêter  à  Vera-Çruz,  où, 
fe  couvrant  des  Fortifications  de  cette  Place,  &  s'appuyant  du  fecours  de 
fes  Alliés,  ilfecroyoit  capable  de  faire  tête  afTez  long-tems,  aux  Mexi- 
quains, pour  attendre  des  nouvelles  d'Efpagne  (h). 

.    (b)  Ibidem,  - 

-  Vy  2 


Fernano 
C  0  n  T  B  '/. 

15  19. 


Réponfe 
qu'il  fiilt  à  ce 
filnce. 


Diflîmuh;- 
tion  des  Ef- 
pagnols. 

1520. 


Projet  d<j' 
Cortez. 


r 


Fernand 

C  O  H  T  B  Z. 

15  20. 

Arrivée  de 
dix-huit  Vaif- 
i'eaiix  Ëfpa- 
Ifiiois. 


Cortcz  con- 
tinue de  mé- 
nager l'Empe- 
reur. 


Occafion 
qui  avoit  a- 
mené  une 
Flotte  Efpa- 
gnole  au  Me- 
xique. 

Voyage  de 
Montejo  «Se 
de  Porto- 
Carrero. 


Avis  que  le 
Gouverneur 
de  Cuba  en 
ivûk.  eu. 


35(J       PREMIERS      V    O    Y    A    G    E*   S 

Pendant  qu'il  rapportoit  tout  à  ce  grand  projet,  Motezuma  fut  aver» 
ti,  par  fes  Courriers ,  qu'bn  avoit  vu  paroître ,  fur  la  Côte,  dix-huit  Na»; 
vires  étrangers;  &  la  defcription  qu'il  reçut  de  cette  Flotte,  par  les  por- 
traits qui  tenoient  lieu  d'écriture  aux  Mexiquains,  ne  lui  laiflant  aucun 
doute  qu'elle  ne  fût  Efpagnole,  il  fit  appeiler  aufli  tôt  le  Général,  pour 
lui  déclarer,  en  lui  montrant  fes  peintures,  que  les  préparatifs ,  qu'on  fai- 
foit  pour  fon  départ,  devenoient  inutiles,  lorfqu'il  pouvoit  s'embarquei 
fur  des  V^aifleaux  de  fa  Nation.  Cortez  regarda  ces  tableaux  avec  plus 
d'attention  que  d'étonnement.  Quoiqu'il  ne  comprît  rien  aux  caraftéres 
qui  leur  fvrvoient  d'explication  ,  il  crut  reconnoître  l'habit  Efpagnol.  & 
la  fabrique  des  Vaifleaux  de  l'Europe.  Son  premier  mouvement  fut  un 
tranfport  de  joye  ,  proportionné  à  la  faveur  qu'il  recevoit  du  Ciel ,  en 
voyant  arriver  une  Flotte  fi  puifTante,  qu'il  ne  pouvoit  prendre  que  pour 
le  fecours  qu'il  attendoit  fous  les  ordres  de  Montejo.  Mais ,  diliimulant 
fa  fatisfaftion ,  il  fe  contenta.de  répondre  qu'il  ne  tarderoit  point  à  partir^ 
fi  ces  Vaifleaux  retournoient  bientôt  en  Efpagne;  &  fans  être  plus  furpris 
que  l'Empereur  eût  reçu  les  premiers  avis  de  leur  arrivée ,  parce  qu'il  con- 
noiflbit  l'extrême  diligence  de  fes  Courriers,  il  ajouta,  que  les  Efpagnols-, 
qu'il  avoit  laifllés  à  Zampoala ,  ne  pouvant  manquer  de  l'informer  bientôt 
des  mêmes  nouvelles ,  on  apprendroit  d'eux ,  avec  plus  de  certitude  ,  la 
route  de  cette  Flotte,  &  l'on  verroit  s'il  étoit  nécelîaire  de  continuer  les 
préparatife.  Motezuma  parut  goûter  cette  réponfe,  &  reprit  toute  fa  con- 
fiance pour  les  Efpagnols. 

Il  étoit  vrai  qu'une  Flotte  étrangère  s'étoit  approchée  des  Côtes  du 
Mexique;  &  les  Lettres  de  Sandoval ,  Gouverneur  de  Vera-Cruz,  appor- 
tèrent bientôt  d'autres  lumières  à  Cortez.  Mais  la  liaifon  des  événemens 
oblige  de  reprendre  ici  le  Voyage  de  Montejo  &  de  Porto-Carrero ,  qu'il 
avoit  envoyés  en  Efpagne.  Ils  étoient  partis  de  Vera-Cruz  ,  le  i6  de 
Juillet  de  l'année  précédente,  avec  l'ordre  précis  de  prendre  leur  route 
par  le  Canal  de  Bahama ,  fans  toucher  à  rifle  de  Cuba.  Leur  Navigation 
fut  heureufe;  mais  ils  s'étoient  expofés  au  dénier  danger,  par  une  impru- 
dence ,  dont  aucun  Hiflorien  ne  les  excufe.  Montejo  avoit  une  Habita- 
lion  dans  l'Ifle  de  Cuba.  11  ne  put  fe  voir  à  la  hauteur  du  Cap  Saint- 
Antoine  ,  fans  propofer  à  fon  Collègue  d'y  relâcher  ,  fous  prétexte  d'y 
prendre  quelques  rafraîchifTemens.  Ce  lieu  étant  fort  éloigné  de  la  Ville 
de  San  -  Yago  ,  où  Diego  de  Velafquez  faifoit  fa  réfidence  ,  il  lui  parut 
peu  important  de  s'écarter  un  peu  des  ordres  du  Général.  Cependant  c'é- 
toit  rifquer,  non  -  feulement  fon  VaifTeau  &  le  riche  préfent  qu'il  avoit  à 
Bord ,  mais  encore  toute  la  négociation  qui  lui  avoit  été  confiée.  Velaf- 
quez, que  la  jaloufle  tenoit  fort  éveillé,  n'avoit  pas  manqué  de  répandre 
des  Efpions  fur  toute  la  Côte ,  pour  être  averti  de  tous  les  événemens. 
Il  craignoit  que  Cortez  n'envoyât  quelque  Navire  à  Saint-Domingue,  pour 
y  rendre  compte  de  fa  découverte,  &  demander  du  fecours  à  ceux 
qui  gouvernoient  cette  Ifle.  Ses  Efpions  lui  ayant  appris  l'arrivée 
de  Montejo ,  il  dépêcha  deux  Vaifleaux  bien  armés ,  avec  ordre  de 
ffe  faifir  de  celui  de  Cortez.  Ce  mouvement  fut  fi  prompt,  que  Mon- 
icjo  eut  befoin  de  toute  l'habileté  du  Pilote  Alaminos,  pour    écha- 

per. 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I. 


357 


F  E  R  N  A  N  D' 

C  0  R  T  E  Z. 

1  J20, 

Les  En- 
voyés de  Cor- 


per  d'un  péril ,   qui  mie  au  hazard  la  Conquête  de  la  Nouvelle  Efpa- 

gne  (i)' 

Le  refte  de  fa  Navigation  fût  heureux  jufqu'à  Seville,  où  il  arriva  dans 
le  cours  du  mois  d'Oétobre  de  la  même  année.  Mais  il  y  trouva  les  con« 
jonftures  peu  favorables  à  fes  prétentions.  Diego  de  Velafquez  avoit  en-  tez  arrivent 
core ,  dans  cette  Ville ,  les  mêmes  Envoyés  qui  avoient  obtenu  pour  lui  en  Efpagnc. 
l'Office  d'Atelantade,.  &  qui  attendoient  un  embarquement  pour  retourner 
à  Cuba.  Surpris  de  voir  paroître  un  Vaifleau  de  Cortez ,  ils  employèrent 
tout  le  crédit  qu'une  longue  négociation  leur  avoit  fait  acquérir  auprès  des 
Miniflres ,  pour  faire  valoir  leurs  plaintes  à  la  Contratacion  ;  nom  qu'on  a- 
voit  déjà  donné  au  Tribunal  des  Indes.  Benoît  Martin  y  Aumônier  de  Ve- 
lafquez ,  repréfenta  vivement  que  le  Navire  &  fa  Charge  appartenoient  au 
Gouverneur  de  Cuba,  fon  Maître,  comme  le  premier  fruit  d'une  Conquê- 
te qui  lui  étoit  attribuée  par  fes  Commilfions  ;  que  Fernand  Cortez  étant 
entré  furtivement,  &  fans  autorité,  dans  les  Provinces  de  la  Terre-ferme, 
avec  une  Flotte  équipée  aux  fraix  de  Velafquez,  Montejo  & Porto-Carrero , 
qui  avoient  l'audace  de  fe  préfenter  en  fon  nom ,  méritoient  d'être  punis  fé- 
vérement,  ou  du  moins  qu'on  devoit  fe  faifir  de  leur  Vaifleau  jufqu'à  ce 
qu'ils  euflent  produit  les  titres  fur  lefquels  ils  fondoient  leur  Commiflîon. 
Velafquez  s'étoit  fait  tant  d'Amis  par  \'qs  préfens ,  que  les  repréfentations 
de  fes  Agens  furent  écoutées.  On  failit  le  Navire  &  fes  effets,  en 
laiflant  néanmoins,  aux  Envoyés  de  Cortez,  la  liberté  d'en  appeller  à 
l'Empereur. 

Ce  Prince  étant  alors  à  Barcelone,  les  deux  Capitaines  &  le  Pilote  fe  Dic.^îodeVc 
hâtèrent  de  prendre  le  chemin  de  cette  Ville;  mais  ils  y  arrivèrent  la  veille  'afqucz. 
du  départ  de  la  Cour,  qui  fe  rendoit  à  la  Corogne ,  où  les  Etats  de  Cadille 
avoient  été  convoqués.  Ils  jugèrent,  avec  prudence ,  qu'une  affaire  de  fi 
grand  poids  ne  devoit  pas  être  traitée  dans  l'agitation  d'un  voyage  ;  &  s'é- 
tant  informes  de  la  marche  de  l'Empereur,  qui  devoit  aller  prendre  congé 
de  la  Reine  Jeanne  fa  Mère,  après  la  tenue  des  Etats,  &  palfer  quelque 
tems  avec  elle,  pour  fe  rendre  enlùite  en  Allemagne,  où  il  étoit  appelle 
par  les  cris  de  l'Empire,  ils  réfolurent  de  l'attendre  à  Tordefillas,  féjour 
ordinaire  de  cette  Princeife.  Dans  l'intervalle,  ils  employèrent  le  tems 
à  vifjcer  Martin  Cortez,  Père  de  Fernand.    Outre  la  fatisfaèlionde  leçon- 

■;'■;  i.*».y:'.;f  ,     ■  i-        .•:■  .•  .    -  r^*^,  ;    .     ..  ^:,      fbler 


Leur  Vnif- 
fcau  eft  faili , 
par  le  crédit 
des  An)i!>  de 


lA.V 


■  (i)  Diaz  del  Cadillo  l'accufe  d'avoir  mal 
reconnu  ce  qu'il  devoit  à  la  confiance  de 
Cortez.  Il  prétend  qu'il  ne  vifita  fon  habi- 
tation ,  que  dans  le  delTein  de  retarder  fon 
voyage ,  &  de  donner ,  à  Velafquez ,  le  tems 
de  le  faifir  du  Navire  ,•  qu'il  lui  écrivit  une 
Lettre ,  dont  un  Matelot  fut  chargé ,  &  que 
ce  MelTager  la  porta  ,  nageant  entre  deux 
eaux.  Mais  il  paroit  fe  contredire  enfuite , 
•lorfqu'il  rapporte  avec  quelle  ardeur  &  quel- 
Iç  activité  Monteio  combattit ,  à  la  Cour 
d'Efpagne,  les  Agens  de  Velafquez.  11  a- 
joûte  fauffcment  que  les  Envoyés  de  Cortez 


Ils  portent' 
leurs  plaintes 
à  la  Cour, 
avec  le  Père 
de  Cortez. 


ne  trouvèrent  point  l'Empereur  Charles  en 
Efpagne.  D'autres  particularités  ,  fur  lef- 
quelles  il  eft  certain  qu'il  fe  trompe ,  doivent 
donner  une  jufte  défiance  pour  fon  témoigna- 
ge fur  tout  ce  qu'il  n'avoit  pas  vu  de  les 
propres  yeux  ;  &  c'ell  la  raifon  qui  ne  le  fait 
citer  ici  qu'avec  beaucoup  de  réferve.  Ala- 
minos  ne  trouva  point  d'autre  moyen ,  pour 
fauver  le  Vaifleau  de  Cortez ,  que  de  repren- 
dre par  le  Canal  de  Bahama,  dont  il  fur- 
nionta  le  premier  les  rapides  courans,  pour 
fe  jetter  proniptement  en  pleine  Mer.  Salis , 
Liv.  3.  cbap.  i. 

Yy  3 


\ 


Tbrnand 

C  0  K  T  E  Z. 

1520. 


Jls  font  re- 
çus favorable- 
ment. 


OhfTades 
qui  s'oppo- 
iL-nt  au  fucccs 
de  leur  Com- 
m;lfio!i. 


Diego  de 
Vclafquez  en 
cfi.  averti. 


358      PREMIERS      VOYAGES 

foler  par  de  glorieufes  nouvelles ,  qui  dévoient  lui  caufer  autant  de  Joye 
que  d  admiration ,  ils  avoient  conçu ,  que  s'ils  pouvoient  l'engager  à  fe 
rendre  à  la  Cour  avec  eux ,  la  prcfence  de  ce  vénérable  Vieillard  donne- 
roit  beaucoup  de  force  aux  demandes  de  Ton  Fils.  En  effet,  l'ayant  dé- 
terminé à  les  accompagner,  ils  ne  trouvèrent  que  de  la  faveur  dans  leur 
première  Audience.  Un  heureux  incident  fervit  encore  à  lever  les  diffi- 
cultés. Les  Officiers  de  la  Contrâtacion  n'ayant  ofé  comprendre,  dans 
leur  faifie,  le  préfent  qui  étoit  defliné  à  l'Empereur,  il  arriva  précifcment 
à  Tordefillas  dans  le  tems  que  les  Envoyés  de  Cortez  avoient  choifi  pour 
s'y  préfenter.  Cette  conjonélure  les  fit  écouter  avec  d'autant  plus  de  plai- 
fir,  que  toutes  les  merveilles-,  qu'ils  avoient  à  raconter ,  étoient  foutenues 
par  des  témoignages  préfens.  Ces  bijoux  d'or,  aufîi  précieux  par  l'induflrie 
du  travail  que  par  leur  matière ,  ces  curieux  ouvrages  de  plume  &.  de  co« 
ton,  ces  Captifs  Indiens,  qui  applaudiiToient  eux-mêmes  aux  grandes  ac 
tions  de  leurs  Conquérans,  pallèrent  pour  autant  de  preuves,  qui  don- 
noient  de  l'autorité  a  des  Relations  incroyables  (k). 

Aussi  furent-elles  écoutées  avec  toute  l'admiration  qu'on  avoit  eue  pour 
les  premières  découvertes  des  Colombs.  L'Empereur ,  après  avoir  fait 
rendre  à  Dieu  des  grâces  folemnelles ,  pour  la  gloire  qui  étoit  réfervée  à 
Ton  règne,  eut  diverfes  Conférences  avec  les  deux  Capitaines  &  le  Pilote; 
&  vraifemblablement  il  auroit  décidé  en  leur  faveur,  s'il  ne  lui  étoit  fur- 
venu  des  affaires  plus  prefTantes ,  qui  le  mirent  dans  la  néceffité  de  hâter 
fon  départ.  La  Requête  de  Cortez  fut  renvoyée  au  Cardinal  Adrien,  &aii 
Confeil  qui  avoit  été  nommé  pour  l'alTifler,  avec  ordre,  à  la  vérité,  de 
favorifer  la  Conquête  de  la  Nouvelle  Efpagne,  mais  de  trouver  auffi  des 
expédiens  pour  fauver  les  prétentions  de  Velafquez.  Le  Préfident  du  Con- 
feil des  Indes  étoit  toujours  ce  même  Fonfeca  ,  alors  Evêque  de  Burgos, 
qui,  après  avoir  été  fi  long-tems  l'Ennemi  des  Colombs,  ne  s'étoit  pas 
moins  prévenu  contre  Cortez.  Son  penchant  déclaré  pour  le  Gouverneur 
de  Cuba  lui  fit  diffamer  ouvertement  l'Expédition  du  Mexique,  comme 
un  crime,  dont  les  conféquences  étoient  dangereufes  pour  rEfpagne.  Non- 
i'eulement  il  foutint  que  la  conduite  de  l'entreprife  appartenoit  à  Velafquez, 
&  qu'elle  nepouvoit  lui  être  ôtée  fans  injuflice;  mais,  indflant  fur  le  ca- 
ra£lère  de  Cortez ,  il  prétendit  qu'on  ne  pouvoit  prendre  de  confiance  aux 
intentions  d'un  Avanturier,  qui  avoit  commencé  par  une  révolte  fcanda- 
leufe  contre  fon  Bienfaiteur  &  fon  Maître,  &que,  dans  des  Contrées  é- 
loignées ,  on  ne  devoit  attendre  que  des  defordres  d'une  fi  mauvaife  four- 
ce.  Il  protefla  de  tous  les  malheurs,  que  l'avenir  préfentoit  à  fon  imagina- 
tion. Enfin ,  fes  remontrances  ébranlèrent  le  Cardinal  &  les  Miniflres  du 
Confeil ,  jufqu'à  leur  faire  prendre  le  parti  de  remettre  leur  décifion  au  re- 
tour de  l'Empereur  (/).  L'unique  grâce,  qu'ils  accordèrent  pendant  ce 
délai ,  à  Martin  Cortez  &  aux  Envoyés ,  fut  une  médiocre  provifion  fur  les 
effets  faifis,  pour  fournir  à  leur  fubfiflance  en  Efpagne. 

D'un  autre  côté ,  TAumônier  de  Velafquez  ayant  faifi  la  première  occa- 
fîon  pour  informer  fon  Maître  de  l'arrivée  du  VailTeau  de  Cortez,  &  de 

l'ac. 


(k)  Herrera  &  Solis,  ibidm. 


(/)  Ibidem. 


Fernan-o 
Cortex. 


Il  fc  hlte 
d'équiper  uiM 
Flotw, 


Pamphile  de 
Narvacz  eft 
nommé  pour 
la  comman* 
der. 

Oppofitions 
inutiles  des 
Jéronunites. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.   I.  359 

faccueil  que  Tes  Envoyés  avoienc  reçu  à  la  Cour,  cette  nouvelle,  jointe  au 
titre  d'Adelantade,  dont  le  Gouverneur  de  Cuba  fe  voyoit  honoré ,  réveil- 
la fi  vivement  fa  colère  &  fcs  prétentions,  qu'il  réibiut  d'équiper  une 
puiflante  Flotte,  pour  ruiner  Cortez  &  les  Partifans»  L'intérêt,  au'il  y  fit 
prendre  à  tous  les  fiens,  en  partageant  d'avance ,  avec  eux,  les  trélors  qu'il 
devoit  tirer  des  Régions  conquifes,  le  rendit  capable  d'aflembler ,  en  peu 
detems,  huit  cens  Hommes  d'Infanterie  Efpagnole,  quatre-vingts  Cava- 
liers, &  dix  ou  douze  pièces  d'Artillerie,  avec  une  abondante  provifion 
de  vivres,  d'armes  &  de  munitions.  11  nomma,  pour  commander  cette 
Armée,  Pamphile  de  Narvaez,  né  à  Valladolid;  Homme  de  mérite  Ôc 
fort  confideré,  mais  trop  attaché  à  fes  opinions ,  qu'il  foutenoit  avec  quel- 
que dureté.  Il  lui  donna  la  qualité  de  fon  Lieutenant,  en  prenaqt  lui  mê- 
me celle  de  Gouverneur  de  la  Nouvelle  Ëfpagne,  &  l'ordre  fecrct  de  s'at- 
tacher particulièrement  à  fe  faifir  de  Cortez. 

Les  Jéronimites ,  qui  préfidoient  encore  à  l'Audience  Royale  de  Saint- 
Domingue,  furent  inftruits  de  ces  préparatifs;  &  leur  autorité  s'étendant 
fur  toutes  les  autres  liles  ,  ils  fe  crurent  obligés  de  faire  repr'îfenter ,  à  Die- 
go deVelafquez,  les  malheurs  qui  pouvoient  réfulter  d'une  fi  dangereufe 
CûiiCUirence,  &  de  l'exhorter  à  foumettre  fes  querelles  &  fes  prétentions, 
aux  Tribunaux  de  la  Juftice.  Le  Licentié  Luc  Velafquez  d'/Iillon ,  qui  fut 
chargé  de  cet  ordre,  trouva  la  Flotte  de  Cuba  compofée  d'onze  Navires  de 
haut  bord  &  de  fept  firi^antins ,  &  prête  à  mettre  à  la  voile.  Ses  remon- 
trances n'ayant  fait  aucune  imprelîion  fur  le  Gouverneur,  qui  fe  croyoit 
trop  relevé  par  fa  nouvelle  qualité  d'Adelantade  pour  reconnoître  des  Su- 
périeurs dans  fon  Gouvernement,  il  produifit  fes  ordres;  mais  ils  n'eu-  * 
rent  pas  plus  de  pouvoir,  &  cet  efprit  violent  fe  précipita  ainfi  dans  la> 
même  desobéiflance  dont  il  faifoit  un  crime  à  Cortez.  D'Aillon,  le  voyant 
ebdiné  dans  fon  entreprife,  témoigna  quelque  deiîr  de  voir  un  Pays  aufîi 
renommé  que  le  Mexique,  &  demanda  la  permilîion  de  faire  ce  Voyage, 
par  un  fimple  motif  de  curiofité.  On  doute  fi  fa  réfolution  venoit  de  lui, 
ou  de  fes  inilruélions ,  mais  elle  fut  approuvée  de  toute  l'Armée ,  qui  la 
crut  capable  d'arrêter  les  fuites  d'une  rupture  éclatante  entre  les  deux  Par- 
tis; &  Velafquez  même  ne  s'y  oppofa  point,  quoique  fon  feul  motif  fut 
d'empêcher  qu'on  n'apprît  trop  tôt,  à  Saint  Domingue,  le  refus  qu'il 
avoit  fait  d'obéir.  André  Duero ,  fon  Secrétaire  ,  le  même  qui  avoit 
contribué  anciennement  à  la  fortune  de  Cortez ,  s'embarqua  fur  la  mê- 
me Flotte,  dans  le  delFein  apparemment  de  faire  aulfi  l'office  de  Mé- 
diateur. 

La  Flotte  mit  à  la  voile ,  &  n'eut  qu'un  vent  favorable  Jufqu'à  la  Terre     Départ  de 
qu'elle  cherchoit.     C'étoit  elle,  dont  les  Couriers  Mexiquains  avoient  déjà  la  Flotte  de 
porté  la  defcription  à  Motezuma ,  &  que  Cortez,  dans  la  flateufe  opinion  pjego  de Ve- 
qu'il  avoit  de  fa  fortune,  prenoit  pour  un  fecours  que  Montejo  lui amenoit  fonïrîiVée 
d'Efpagne.     Elle  jetta  l'ancre  dans  le  Port  d'Ulua ,  &  Narvaez  mit  quelques  au  Mexique. 
Soldats  à  terré,  pour  prendre  langue  &  reconnoître  le  Pays.     Ils  rencon- 
trèrent deux  Efpagnols ,  qui  s'étoient  écartés  de  Vera-Cruz,  &  qu'ils  ame- 
nèrent à  Bord.    Ces  deux  Hommes  n'ayant  pu  cacher  ce  qui  fe  paflbit  au; 

Me- 


F  C  K  N  A  N  n 
C  0  R  T  E  Z. 

.1520. 

N.irvacz 
tente  de  ré- 
duire Sundo- 
val,  Cn-iivcr- 
«car  de  Vcra* 
Cruz. 

FidiSIité  de 
Sandoval 
puur  Cortez. 


Emporte- 
ment d'un 
IVÙire. 


Sandoval 
fait  tranfpor- 
ter  les  En- 
voyées de  Nar- 
vaez  à  Mexi- 
co. 


I 


360        PREMIERS      VOYAGES 

Mexique  «Se  dans  la  Colonie,  Narvaez,  qu'ils  flattèrent  peut-être  aux  dé- 
pens de  Cortez,  fe  promit  de  traiter  facilement  avec  Sandoval ,  &  d'en- 
trer dans  Vera-Cruz,  foitpour  la  garder  au  nom  de  Velaf<juez,  ou  pour 
la  rafer,  enjoignant,  à  fon  Armée,  les  Soldats  de  la  Garnifon.  Il  com- 
mit cette  négociation  à  un  Ecclefiallique  qui  le  fuivoit,  nommé  JeanRuiz 
de  Guevarat  homme  d'efprit,  mais  plus  emporté  qu'il  ne  convenoit  à  fa 
profefllon.  Un  Notaire  eut  ordre  de  îe  (uivre,  avec  trois  Soldats  qui 
dévoient  fervir  de  témoins. 

Sandoval,  qui  avoit  doublé  les  Sentinelles,  pour  être  averti  de  tous  le« 
mouvemens  delà  Flotte,  fut  informé  de  l'approche  des  Envoyés,  &  ne  fit 
pas  difficulté  de  leur  faire  ouvrir  les  portes.     Guevara  lui  remit  fa  Lettre 
de  créance;  &  lui  ayant  expofé  les  forces  que  Narvaez  conduifoit,  il  ajou- 
ta qu'elles  venoient  tirer  falisfaélion  de  l'outrage  que  Cortez  avoit  fait  au 
Gouverneur  de  Cuba,  &  fe  mettre  en  poncHion  d'une  Conquête,  qui  ne 
pouvoit  appartenir  qu'à  lui,  après  avoir  été  entreprife  h  Tes  fraix  &  par  Tes 
ordres.     Sandoval  répondit,  avec  une  émotion  qu'il  eut  peine  à  cacher , que 
Cortez  &  Tes  Compagnons  étoient  fidèles  Sujets  du  Roi ,  &  que  dans  l'état, 
où  ils  avoient  poulie  la  Conquête  du  Mexique,  ils  dévoient  efpérer,  pour 
l'honneur  &  l'intérêt  de  KKIpagne ,  que  Narvaez  s'uniroit  à  eux  ^jour  ter- 
miner une  fi  belle  entreprifei  mais  que  s'il  tentoit  quelque  violence  contre 
Cortez,  il  pouvoit  compter  qu'ils  perdroient  tous  la  vie  pour  la  défenfe  de 
leur  Chef  &  pour  la  confervation  de  Tes  droits.     Guevara,  ne  fuivant  que 
i'impétuofité  de  fon  humeur,  s'emporta  jui'qu'aux  injures.     Il  donna  le  nom 
de  Traître  à  Cortez;  &  ceux  qui  le  reconnoiflbient  pour  Chef  ne  furent  pas 
plus  ménagés.    Ils  s'eiForcèrent  en  vain  de  l'appaifer,  en  lui  repréfentant 
la  bienféance  de  fon  caraélère,  pour  lui  faire  comprendre  du  moins  à 
quoi  il  avoit  obligation  de  leur  patience.  Sandoval  lui  pardonna  Tes  invefli- 
ves;  mais  voyant  que,  fans  changer  defhyle,  il  ordonnoit,  à  fon  Notai- 
re, de  fignifier  les  ordres  dont  il  étoit  chargé,  pour  faire  connoître,  à 
tous  les  Efpagnols ,  qu'ils  étoient  obligés ,  fous  peine  de  la  vie ,  d'obéir  à 
Narvaez,  il  jura  qu'ilferoit  pendre  fur  le  champ  celui  qui  auroit  la  har- 
diefle  de  lui  fignifier  des  ordres  qui  ne  vinflent  pas  du  Roi  même;  &  dans 
le  mouvement  de  cette  première  chaleur,  il  fit  arrêter  les  Envoyés.    En- 
fuite,  faifant  réflexion  que  s'il  les  renvoyoit  à  Narvaez  après  cet  outrage, 
ils  pourroient  lui  communiquer  leur  reflentiment ,  il  prit  le  parti  de  les  tai- 
re tranfporter  à  Mexico.     Des  Indiens,  qui  furent  appelles  aufll-tôt,  les 
mirent  dans  une  efpéce  de  litière ,  qu'ils  nomment  Jndas ,  &  les  portèrent 
fur  leurs  épaules ,  efcortés  de  quelques  Soldats  fous  la  conduite  de  Pierre 
de  Solis.    Sandoval  informa  le  Général ,  par  un  Courrier ,   de  l'arrivée  de 
fes  Ennemis  &  de  fa  conduite  ;  après  quoi ,  s'étant  aflliré  de  la  fidélité  de 
fes  Soldats,  il  fe  fortifia  par  le  fecours  des  Indiens  alliés,  &  par  toutes 
les  reflTources  du  courage  &  de  la  prudence  (m).    Quelques  Ecrivains  lui 
reprochent  d'avoir  poufle  la  vengeance  trop  loin ,  £n  faifant  arrêter  un 
Homme  d'Eglife,  revêtu  d'ailleurs  du  caraftère  d'Envoyé;  mais  d'autres 

..-r-  •  ■  '      aflTu- 

(m)  Solis,  ubi/uprà,  Chap.  5.  ''    '' 


£! 


EN      AMERIQUE,   Liv.    r. 


3^ 


aflurent,  pour  i'excufer,  que  la  colère  eut  moins  de  parc  k  cette  aélion 
que  la  Politique,  &  qu'il  jugea  qu'un  Confeiller  H  violent  ne  pouvoit  faire 
qu'un  rôle  dangereux  dans  le  Cortège  de  Narvaez  (n). 

Pendant  que  la  fortune  ort'paroit  ce»  obllacles  a  Cortez,  divers  avis, 
qu'il  reçut  par  intervalles,  lui  donnèrent  des  lumières  certaines  fur  ce  qui 
n'avoit  encore  excité  que  fes  foupçons.  Il  apprit,  enfuite,  par  le  Cour- 
lier  de  Sandoval ,  non-reulement  que  Narvaez  avoit  débarqué  fes  Troupes 
&  déclaré  fa  Commifllon ,  mais  qu'il  s'avançoit  droit  à  Zampoala  avec  ion 
Armée.  Sa  raifon,  dit  un  llidorien,  lui  fit  paflcr  alors  quelques  heures 
fâcheufes,  en  lui  donnant  des  vues  fort  étendues  fur  les  dangers  qui  le 
menaçoient ,  &  beaucoup  d'incertitude  fur  les  remèdes  qu'il  y  devoit  appor. 
ter.  Il  ne  pouvoit  entreprendre,  fans  témérité,  d'aller  combattre  Narvaez 
avec  des  forces  inégales,  dont  il  étoit  même  obligé  de  lailfer  une  partie  à 
•Mexico ,  pour  maintenir  le  Quartier ,  pour  garder  ks  tréfors  qu'il  avoit 
acquis,  &pour  conferver  cette  efpèce  de  Garde  que  Motezuraa  fouffroit 
encore.  La  prudence  ne  lui  défendoit  pas  moins  d'attendre  l'Ennemi  dans 
Mexico,  au  hazard  de  remuer  l'humeur  féditieufe  des  Ilabitans,  en  leur 
donnant  un  prétexte  d'armer  pour  leur  confcrvation.  Il  ne  fe  fentoit  point 
d'éloignement  pour  traiter  avec  Narvaez  &  pour  joindre  leurs  intérêts  & 
leurs  forces;  mais  ce  parti,  qui  lui  fembloit  le  plus  raifonnable,  étoit  auffi 
le  plus  difficile.  Il  connoiflbit  la  rudeflc  &  la  fierté  de  cet  Officier.  Enfin , 
la  néceflîté  de  s'expliquer  avec  Motezuma ,  &  de  donner  une  couleur  hono- 
rable à  fes  démarches,  quelque  parti  qu'il  pût  embrafler,  étoit  un  autre 
ïujet  d'embarras ,  &  d'autant  pluspreflant,  que  ce  Prince,  allarmé  lui-mê- 
me des  nouvelles  qu'il  recevoit  de  jour  en  jour,  attendoit  de  lui  des  éclair- 
ciflemens,  &  paroiflbit  étonné  de  Ion  filence.  Il  commença  par  fe  délivrer 
de  cette  inquiétude,  en  lui  difant,  avec  une  feinte  afllirance,  que  les  Ef- 
pagnols  de  la  Flotte  étoienc  des  Sujets  de  fon  Roi ,  &  de  nouveaux  Am- 
baliadeurs,  <]ui  venoient  fans  doute  appuyer  fes  premières  propositions; 
qu'ils  formoient  une  efpèce  d'Armée  fuivant  l'ufage  de  leur  Nation,  mais 
qu'il  les  difpoferoit  à  retourner  en  Efpaçne ,  puifqu'ils  n'avoient  rien  à  dé- 
lirer de  Sa  Majellé  après  ce  qu'il  en  avoir  obtenu  ,  &  qu'il  étoit  même  ré- 
folu  de  partir  avec  eux.  L'adrefle  ne  lui  parut  pas  moins  néceffaire ,  pour 
animer  fes  propres  Soldats.     "  •        ^-         ^'^  .    •    - 

&  qu'il  lui  connoiiFoit  aifez 
l'honneur  de  l'Efpagne  & 
qu'à  la  vérité  VeJafquez  ne  penfoit  qu'à  la  vengeance  ;  mais  que  les  Trou- 
pes ,  qu'il  croyoit  envoyer  contr'eux  ,  étoient  plutôt  un  fecours  qui  les  ai» 
deroit  à  poufler  leurs  Conquêtes  ,  &  qu'au  lieu  d'y  trouver  des  Ennemis, 
ils  pouvoient  fe  promettre  de  les  voir  bientôt  leurs  Compagnons.  Cepen- 
dant il  s'ouvrit  plus  librement  avec  fes  Capitaines  ;  &  s'étant  contenté  de 
leur  faire  obferver  que  Narvaez  entendoit  peu  la  Guerre,  que  la  plupart 
de  fes  Soldats  n'avoient  pas  plus  d'expérience  ,  &que  tant  defoiblcfle, 
pour  le  foutien  d'une  caufe  injufte,  devoit  donner  peu  d'allarme  à  des 
cœurs  éprouvés,  il  ne  laiflapas  de  les  faire  entrer,  par  des  wifons  de  pru- 
,  X  r  .  •  -•  dence 

Oi)  Ibidem.  ,,,  ,•.,-■,,_..,    ..  ,t   ■    .,   ,.,^..     v^  .(:.,.-;■.■•. 

XFIII.  Tart,  '       Z  z  ' 


COBTEZ. 
1520. 

Ftnbarrns  où 
l'arrivtîo  de 
Narvaez  jctl» 
Cortca. 


Comment  il 
s'en  explique 
avec  Motezu- 
ma, &.avcc 
fes  propres 
Soldats. 


PeRNAND 
CORTEZ. 

1520. 

Il  fc  déter- 
mine à  tenter 
un  accoiniuo- 
demcnt. 


Il  gagne  les 
Envoyés  de 
Narvaez  par 
fcs  carefles. 


Conduite  ■ 
."mprudente 
de  Naxvacz. 


3<J2       P    R   E.   M    I    E    R    S     V    O    Y    A    G    E    S 

dence  &  d'honneur,  dans  la  réfolution  de  tenter  la  voye  d'un  accommo- 
dement, en  offrant,  à  Narvaez,  des  conditions  fi  railonnables ,  qu'il  ne 
pût  les  refufer  fans  fe  couvrir  de  tout  le  blâme  d'une  rupture;  ce  qui  ne 
l'empêcha  point  de  prendre  diverfes  précautions  qui  répondoient  à  fon  afti- 
vité.  Il  avertit  fes  Amis  de  Tlafcala  de  tenir  prêt  un  Corps  de  fix  mille 
Guerriers.  Les  Efpagnols  ,  qu'il  avoit  employés  à  la  découverte  des  Mi- 
nes,, dans  la  Province  deChinantla,  reçurent  ordre  de  difpofer  les  Caci- 
ques de  cette  Province  à  lui  envoyer  deux  mille  Hommes.  Ces  Peuple» 
étoient  belliqueux  &  fort  ennemis  des  Mexiquains.  Ils  avoient  témoigné 
beaucoup  d'affeélion  pour  les  Efpagnols,  Cortez  les  crut  propres  à  for- 
tifier fes  Troupes  ;  Ck  fe  fouvenant  d'avoir  entendu  vanter  le  bois  de 
leurs  piques ,  il  en  fit  venir  trois  cens ,  qu'il  fit  armer  d'excellent  cui- 
vre ,  au  défaut  de  fer ,  &  qui  furent  diflribuées  à  fes  Soldats.  Ce  foin 
regardoit  particulièrement  la.  Cavalerie  de  Narvaez,  qui  faifoit  fa  princi- 
pale crainte. 

Les  Prifonniers  de  Sandoval  étant  arrivés  au  bord  du  Lac,  &  Solis 
l'ayant  informé  qu'il  y  attendoit  fes  ordres ,  il  fe  hâta  d'aller  au-devant 
d'eux  ;  mais  ce  fut  pour  leur  ôcer  leurs  fers  &  pour  les  embraflTer  avec 
beaucoup  de  bonté,  en  aflurant  Guevara  qu'il  puniroit  Sandoval  d'avoir 
manqué  de  refpeft  pour  fa  Perfonne  &  fon  Caraftère.  Il  le  conduifît  au 
Quartier  ,  après  avoir  recommandé ,  à  tous  fes  gens ,  de  le  recevoir  avec 
beaucoup  de  gayeté  &  de  confiance.  Il  le  rendit  témoin  des  faveurs  dont 
Motezuma  l'honoroit  ,  &  de  la  vénération  que  les  Princes  Mexiquains 
avoient  pour  lui.  Parmi  toutes  ces  careffes,  il  lui  répétoit,  fans  affec- 
tation, qu'il  fe  félicitoit  de  l'arrivée  de  Narvaez,  parce  qu'ayant  tou- 
jours été  de  fes  Amis ,  il  s'en  promettoit  tous  les  fruits  d'une  heureufe 
intelligence.  Enfin ,  l'ayant  comblé  de  préfens ,  lui  &  fes  Compagnons , 
il  les  renvoya,  quatre  jours  après ,  également  touchés  de  fes  raifons  <&de  fes 
bienfaits. 

Guevara  trouva  Narvaez  établi  dans  Zampoala,  où  le  Cacique  l'avoit 
reçu  comme  l'Ami  de  fes  ^Alliés,  qui  venoit  à  leur  fecours ,  &  dont  il  at- 
tendoit les  mêmes  témoignages  de  confiance  &  d'affeéHon.  Mais  il  reçoit- 
nut  bientôt ,  dans  ces  nouveaux  Hôtes ,  un  air  de  fierté ,  qui  fe  déclara  d'a- 
bord par  la  violence  qu'on  lui  fit  pour  enlever  ,  de  fa  Maifon ,  tout  ce  que 
Cortez  y  avoit  laifTé.  Guevara ,  aufll  rempli  de  la  grandeur  &  de  l'opu- 
lence de  Mexico,  que  de  l'accueil  doux  &  généreux  qu'il  y  avoit  reçu, 
vint  dans  le  même  tems  raconter  fes  avantures;  &  s'étant  expliqué  avec 
force  fur  la  nécelTité  de  ne  donner  aucune  marque  de  divifion,  il  ne  ba- 
lança point  à  conclure  pour  des  propofitions  d'accommodement.  Ce  langage 
dépkit  fi  fort  à  Narvaez ,  qu'après  l'avoir  brufquement  interrompu,  &  lui 
avoir  dit  de  retourner  à  Mexico ,  fi  les  artifices  de  Cortez  l'avoient  déjà 
féduit ,  il  le  chaffa  de  fa  préfence  avec  indignité.  Dans  fon  refl^entiment , 
Guevara  chercha  d'un  autre  côté  à  fe  faire  entendre,  &  releva  de  toute  fa 
force  les  généreufes  bontés  de  Cortez.  Les  uns  furent  touchés  de  fes  rai- 
fons, d'autres  furent  charmés  par  la  vue  de  fes  préfens;  &  l'inclination  gé- 
nérale étoit  pour  la  Paix.  -Ainfi  les  Efpagnols  &  les  Indiens  commencèrent 
également  à  juger  fort  mal  de  la  dureté  de  Narvaez. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I. 


3^3 


Barthelemi  d'Olmedo,  premier  Aumônier  de  Cortez,  dont  l'éloquence 
&  la  fagefle  donnoient  beaucoup  d'autorité  à  fon  caraftère,  fuivit  de  près 
'Guevara.  Il  étoit  chargé  de  propofer  tous  les  moyens  qui  pou  voient  con- 
duire à  l'union ,  avec  des  Lettres  particulières  pour  Luc  Velafquez  d'Ail- 
Ion,  &  pour  André  Duero,  auxquelles  Cortez  avoit  joint  des  préfens,  qui 
dévoient  être  diftribués  fuivant  l'occalion.  Un  Député  fi  refpeélable  ne  fut 
pas  écouté  plus  favorablement  de  Narvaez.  On  répondit,  à  fes  offres  de 
Paix  &  d'amitié ,  qu'il  ne  convenoit  point ,  à  !a  dignité  du  Gouverneur  de 
Cuba,  de  traiter  avec  des  Sujets  rebelles,  dont  le  châtiment  étoit  le  pre- 
mier objet  de  fon  Armée;  que  Cortez,  &  tous  ceux  qui  lui  demeureroient 
attachés,  alloient  être  déclarés  Traîtres,  &  que  la  Flotte  avoit  apporté 
alTez  de  forces  pour  lui  enlever  fes  Conquêtes.  Olmedo  repartit,  avec  au- 
tant de  fermeté  que  de  modération ,  que  les  Amis  de  Diego  de  Velafquez 
dévoient  penfer  deux  fois  à  leur  entreprife;  qu'il  n'étoit  pas  aufli  facile  qu'ils 
le  fuppofoient ,  de  vaincre  un  Général  de  la  valeur  &  de  l'habileté  de  Cor- 
tez ,  adoré  de  tous  fes  Soldats,  fjui  étoient  prêts  à  mourir  pour  lui,  &.  fou- 
tenu  par  un  Prince  aufli  puiffant  que  Motezuma ,  qui  pouvoit  mettre  au- 
tant d'Armées  /ur  pied  que  Narvaez  avoit  d'Hommes  dans  fa  Flotte  ; 
enfin,  qu'une  affaire  de  cette  importance  demandoit  une  mûre  délibé- 
ration ,  &  qu'il  laiffoic,  aux  Amis  de  Velafquez ,  le  tems  de  penfer  k 
leur  réponfe. 

Après  cette  efpèce  de  bravade,  qu'il  avoit  crue  néceffaire  pour  dimi- 
nuer la  confiance  de  Narvaez ,  il  vit  ouvertement  d'Aillon  &  Duero ,  qui 
ne  firent  pas  difficulté  d'approuver  fon  zèle  &  fes  ouvertures  de  Paix.  Il 
continua:  de  voir  les  Officiers  &  les  Soldats  de  fa  connoiffance;  &  mena- 
séant  avec  adreffe  fes  difcours  &  fes  préfens,  il  avoit  déjà  commencé  à 
former  un  parti,  en  faveur  de  Cortez  ou  de  la  Paix ,  lorfque  Narvaez,  a- 
verti  de  fes  progrès  ^  les  interrompit  par  des  injures  &  des  menaces.  Il 
l'auroit  fait  arrêter,  fi  Duero  ne  s'y  étoit  oppofé  par  fes  repréfentations ; 
&  dans  fa  colère ,  il  hii  ordonna  de  fortir  fur  le  champ  de  Zampoala.  D'Ail- 
lon prit  part  à  ce  démêlé ,'  pour  foutenir  qu'on  ne  pouvoit  renvoyer  un  Mi* 
niftre  de  Paix,  fans  avoir  délibéré  fur  la  réponfe  qu'on  devoit  faire  à  Cor- 
tez. Plufieurs  Officiers  appuyèrent  cette  propofition.  Mais  Narvaez, 
tranfporté  d'impatience  <5c  de  mépris,  ne  répondit  que  par  un  ordre  de  pu- 
blier, à  l'heure  même,  la  Guerre  à  feu  &  à  fang  contre  Fernand  Cortez, & 
de  le  déclarer  Traître  à  l'Efpagne.  Il  promit  une  recompenfe  à  celui  qui 
le  prendroit  vif,  ou  qui  apporteroit  fa  tête;  &  fur  le  champ  il  donna  des 
ordres  pour  la  marche  de  l'Armée.  D'Aillon  ne  put  fupporter  cet  excèt> 
d'emportement;  &  s'armant  de  l'autorité  d'un  premier  Juge  de  l'Audien- 
ce Royale,  il  fit  fignifier,  à  Narvaez,  défenfe,  fous  peine  de  la  vie,  de 
fortir  de  Zampoala ,  ou  d'employer  les  armes ,  fans  le  cohfentement  una- 
nime de  tous  les  Officiers  de  l'Armée.  Il  y  joignit  des  proteftations  folem- 
nelles.  Mais  cette  barrière  fut  trop  foible.  L'ardent  Général,  oubliant 
^u'il  manquoit  de  refpeft  pour  le  Roi,  dans  la  Perfonne  de  fon  Miniftre,  le 
it  arrêter  honteufement  &  reconduire  à  Cuba  fur  un  Vaiflcau  de  la  Flotte. 
Olmedo,  épouvanté  de  cette  violence ,  reprit  le  chemin  de  Mexico,  fans 
avoir  demandé  d'autre  réponfe;  &  les  Troupes  même  de  Velafquez  fe  re- 

Zz  2  "    froi- 


i 


FERNANè 
C  O  R  T  E  a. 

i  S  ^o. 

Olmedo , 
Aumônier  de 
Cortez ,  en- 
treprend la 
négociation. 


D'Aillon  * 
Duero  fe  dé- 
clarent pour 
la  Faix. 


Narvaez 
met  la  tête  de 
Cortez  à  prix. 


Ses  ;uuics 
violences. 


Fbrnand 

GORTEZ. 
1520- 

On  croît 
Narvaez  d'in- 
telligence a- 
vec  Mote^u- 

IX». 


Raifonne- 
mens  de 
Motezuma 
fur  la  divifion 
des  £fpa> 
gools. 


Comment 
Cortez  lui 
répond. 


364        PREMIERS      VOYAGES 

froidirent  pour  une  Caufe,  qu'ils  voyoient  foutenir  avec  tant  d'orgueil  âip 
d'-'ndécence  (0). 

Quelques  Auteurs  Efpagnols  ont  écrit  que  Narvaez  avoit  formé  une  étroi- 
te correfpondance  avec  Motezuma,  &  que  par  des  Courriers  fréquens,. 
qu'il  dépêchoit  de  Zampoala  à  Mexico ,  il  fe  vantoic  d'être  venu  avec  une 
Commiffion  du  Roi  d'Efpagiie,  pour  châtier  l'infolence  d'une  troupe  de  Su- 
jets rebelles  &  bannis,  qui  rendoient  le  nom  Efpagnol  odieux  par  leurs  bri- 
gandages. Mais  cette  fuppofition  paroît  peu  vraifemblable  à  Solis ,  qui  ne 
peut  comprendre ,  dit-il ,  comment  Narvaez ,  fans  Interprètes ,  &  fans  au- 
cune relation  à  la  Cour  de  Mexico ,  auroit  trouvé  le  moyen  de  lier  tout- 
d'un-coup  un  commerce  de  cette  nature  avec  l'Empereur.  Il  en  conclut 
que  le  retour  d'Olmedo,  avec  de  fâcheufes.  nouvelles ,  qui  caufèrent  aflez 
de  chagrin  à  Cortez  pour  en  faire  paroître  quelques  traces  fur  fon  vifage^ 
&  les  avis,  qui  venoient  continuellement  à  la  Cour,  par  des  Courriers  Me* 
xiquaîns,  font  les  feules  lumières  qu'on  puiife  attribuer  à  Motezuma  fur  la 
divifion  dès  Efpagnols  (p).  Cependant  ce  Prince  devoit  avoir  pénétré 
fort  habilement  la  vérité,  puifque,  dans  le  premier  entretien  qu'il  eut  avec 
Cortez,  il  lui  parla  ouvertement  des  mauvais  defTeins  que  le  nouveau  Ca- 
pitaine de  fa  Nation  faifoit  éclater  contre  lui.  Jl  ajouta  qu'il  n'étoit  pas 
furpris  qu'ils  euffent  enfemble  quelque  différend  particulier ,  mais  de  ce 
qu'étant  Sujets  du  même  Prince,  ils  commandoient  deux  Armées  qui  pa- 
roiffoient  ennemies  ;  6c  qu'il  falloit  néceffairement  qu'au  moins  l'un  des 
deux  Commandans  fût  hors  des  bornes  de  robéiiTance  qu'il  devoit  à  fon 
Souverain.  Le  Général ,  d'autant  plus  embarraffé  de  cette  concludon  qu'il 
ne  croyoit  pas  l'Empereur  fi  bien  inftruit ,  rappella  toute  fa  profence  d'ef- 
prit  pour  lui  répondre,  que  ceux  qui  l'avoient  averti  de  la  mauvaife  difpo- 
fition  du  nouveau  Capitaine  ne  s'étoient  pas  trompés  fur  ce  point,  &  que 
venant  d'en  recevoir  avis  lui-même  par  Olmedo,  il  s'étoicpropofé  de  com- 
muniquer cette  nouvelle  à  Sa  Majefté  ;  mais- que  cet  Officier,  qui  fe  nom- 
moit  Narvaez,  étoit  moins  un  Rebelle  qu'un  Homme  abufé- par  de  fpé- 
cieux  prétextes;  qu'étant  envoyé  par  un  Gouverneur  mal  informé ,  qui  ré- 
fidoit.dans  une  Province  fort  éloignée  de  la  Cour  d'Efpagne,&  qui  ne  pou- 
voit- avoir  appris  les  derniers  ordres  de  leur  Souverain,  il  s'étoit  vainement 
perfuadé  que  les  fonctions  de  cette  Ambaffade  lui  appartenoient  ;  préten- 
tion imaginaire,  qui  feroit  bientôt  diillpée ,  lorfqu'il  auroit  fait  lignifier 
lui-même,  à  cet  inutile  Ambafladeur,  les  pouvoirs  en  vertu  defquels  il 
devoit  commander  à  tous  les  Efpagnols  qui  aborderoient  fur  la  Côte  du  Me- 
xique; que  pour  remédier  promptement  à  cette  erreur,  il  avoir  réfolu  de 
fe  rendre  à  Zampoala,  avec  une  partie  de  fes  Troupes,  dans  la  feule  vue 
de  renvoyer  celles  qui  s'y  étoient  arrêtées ,  &  de  leur  déclarer  qu'elles  dé- 
voient du  refpefl  aux  Peuples  de  l'Empire ,  depuis  qu'ils  étoient  fous  la 
\ ...  i  .?-,.?■-  ,  .    .r»Y(--  ;  •  pro» 


(0)  Solis,  LÎV.4.  Chap."!.  Hèrrera,  Liv, 
g:  Chap.  18,  19  6f  20- 

(p  )  Herrera  parle  de  quelques  préfens  que 

ce  Prince  avoit  envoyés  à  Narvaez,  &  qui 

Teinblenl  fuppofei  une  cocrefpondance  ;  mais 


on  répond  que  c'étoit  l'ufage  des  Mexiquains 
à  l'égard  de  tous  les  Etrangers  qui  abordoient 
fur  leur  Côte  ,  comme  on  l'a  vu  dans  l'e» 
xempie  de  Cortez. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E.  Liv.  L- 


3^5 


ueîl  6ç 

î  étroi- 
iquens  ,• 
^ec  une 
i  de  Su- 
urs  bri- 
qui  ne 
fans  au- 
er  tout- 
concluÊ 
înt  aflez 
vifage^ 
ers  Me» 
la  fur  la 
pénétré 
eut  avec 
veau  Ca- 
étoit  pas 
lis  de  ce 
i  qui  pa- 
l'un  des 
oit  à  fon 
fion  qu'il 
nce  d'ef» 
fe  difpo- 
f  &  que 
de  com- 
c  nom* 
de  fpé- 
qui  rê- 
ne pou- 
iinement 
préten- 
fignifier 
"quels  il 
duMe- 
réfolu  de 
euie  vue 
elles  de- 
fous  la 
pro- 

ilexlquains 
abordoient 
dans  l'e^ 


Fernanb 

CORTEZ. 

1520. 


Motezuma 
ofFre  une  Ar- 
mée à  Coitez. 


proteftion  del'Erpagne;  &  qu'il  vouloit  exécuter  promptement  ce  defTein, 
par  le  jufle  empreflement  qu'il  avoit  d'empêcher  qu'elles  n'approchaflent 
de  la  Cour ,  parce  qu'étant  moins  difciplinées  que  les  Tiennes ,  il  craignoit 
que  leur  voifinage  n'excitât  des  mouvemens  dangereux  pour  le  repos  de 

l'Empire. 

Cette  réponfe  étoit  d autant  plus  adroite,  qu'elle  intéreflToit  la  Cour 
Mexiquaine  à  la  réfolution  qu'il  avoit  déjà  formée  d'aller  au-devant  de 
Narvaez.  Aufli  l'Empereur ,  qui  n'ignoroit  pas  les  violences  auxquelles- 
fes  Ennemis  s'étoient  emportés,  ni  la  fupériorité  de  leurs  forces,  lui  re- 
préfenta-t'il  qu'il  y  avoit  de  la  témérité  à  s'expofer  avec  fi  peu  de  l'roupes. 
11  lui  offrit  une  Armée,  pour  foutenir  la  Tienne,  &  des  Chefs  qui  refpe^le- 
roient  fes  ordres.  Mais  Cortez  fentit  le  danger  d'un  fecours,  dont  il  pou- 
voit  être  forcé  de  dépendre;  &  s'étant  excufé  fur  ladiligence  qui  étoit  né- 
ceflaire  à  Tes  vues ,  il  ne  penfa  qu'aux  préparatifs  de  fon  départ.  Il  fe  flat- 
toit  encore,  Tinon  d'engager  Narvaez  à  l'union,  du  moins  de  faire  fervir' 
ies  intelligences  qu'Olmedo  lui  avoit  ménagées,  à  le  forcer  d'accepter  des 
conditions  raifonnables.  Cependant ,  pour  ne  pas  donner  trop  au  ha- 
zard  ,  il  envoya  ordre ,  à  Sandoval ,  de  venir  au-devant  de  lui  avec  la' 
Garnifon  de  Vera-Cruz,  ou  de  l'attendre  dans  quelque  Porte  où  ils  puflent 
fe  joindre  fans  obllacle,  &  d'abandonner  Ta  ForterelTe  à  la  garde  des  In- 
diens alliés. 

En  quittant  Ton  Quartier,  il  y  laifla  quatre-vingts  ETpagnols,  Tous  le" 
Commandement  d'Alvarado ,  pour  lequel  il  avoit  remarqué  de  TafFeftion 
aux  Mexiquains,  &  dont  il  connoiflbit  d'ailleurs  le  courage  &  la  conduite. 
Il  lui  recommanda  particulièrement  de  conTerver  à  l'Empereur  cette  efpéce  Ue  defés 
de  liberté  qui  l'empêchoit  de  fentir  les  dégoûts  de  Ta  PriTon ,  &  d'apporter'  gen»  à  Mexi- 
néanmoins  toute  Ton  adrefle  à  lui  ôter  les  moyens  d'entretenir  des  pràti--  *^°' 
ques  Tecrétes  avec  les  Prêtres  &  les  Caciques.    Il  remît  à  Ta  charge  le  tré- 
for  du  Roi  &  celui  des  Particuliers.    Les  Soldats ,  qui  demeuroient  Tous' 
lès  ordres,  promirent,  non-Teulement  de  luit>béir  comme  à  Cortez  même, 
mais  encore  de  rendre  à  Motezuma  plus  de  reTpeél  &  de  Toumiflîon  que  ja-* 
mais,  &  de  vivre  dans  une  parfaite  correTpondance  avec  tous  les  Mexi- 
quains.    La  principale  difficulté  Tembloit  confifter  à  s'aflurer  des  difpofi- 
tions  de  l'Empereur,  dont  le  moindre  changement  pouvoit  renverTer  les' 
plus  Tages  précautions.    Cortez,  par  des  reflburces  de  génie,  qui  augmen- 
toient  dans  Tes  plus  grands  embarras ,  parvint  à  lui  perTuader  qu'il  n'avoit 
pas  d'autre  intention  que  de  le  Tervir  ;  &  qu'il  reviendroit  bientôt  prendre 
congé  de  lui ,  pour  retourner  en  Efpagne  avec  Tes  préTens ,  &  l'alTurance 
de  Ton  amitié ,  qui  paroîtroit  d'un  prix  ineflimable  au  grand  Prince  dont  il 
avoit  accepté  l'alliance.    Il  le  toucha  par  TesreTpefts  ÔL  par  Ton  langage, 
juTqu'à  lui  faire  engager  fa  parole  de  ne  pas  abandonner  les  Efpagnols ,  qui 
Te  noient  à  Ta  protedlion,  &  de  veiller  à  leur  Tûreté,  en  continuant  Ton 
Téjour  dans  leur  Quartier.     Quelque  explication  qu'on  puifTe  donner  à  cet- 
te promefle ,  la  Tuite  des  évenemens  ne  permet  pas  de  douter  qu'elle  ne 
fût  Tincère,  &  qu'H errera  ne  Te  Toit  trompé,  lorfque,  faifant  Tortir  l'Em- 
pereur, Tuivide  toute  Ta  Cour,  pour  accompagner  fort  loin  le  Général, 

2^3.  il 


'  Cortez  va 
au-devant  de 
Narvaez,  & 
laiflc  une  par- 


11  s'affurc 
des  difpofi- 
tions  de  l'Eua» 
percur. 


Fernand 

;CORTEZ. 

1520- 

Sa  marche 
par  ïlafcala. 


11  trouve 
Narvaez  à 
ZamiK>ala. 


Ses  efioïts 
jiour  la  Paix. 


Nouveaux 
cmportcmcns 
de  Narvaez. 


366        P    R    E    M    I    E    R    S      V    O    Y    A    G    E    S    , 

il  attribue  cette  extrême^civilité  au  défir  qu'il  avoit  de  fè  voir  délivré  dei 
Efpagnols  (q).  ,\;iv  •  .;: 

Ils  prirent  leur  chemin  vers  Choiula,  où  ils  furent  reçus  avec  de  gran- 
des marques  d'afFeâion.  De-là ,  s'étant  rendus  à  Tlafcala,  ils  trouvèrent, 
à  quelque  diflance  de  cette  Ville,  le  Sénat  &  la  Noblefle,  qui  s'écoient  af- 
femblés  pour  venir  au  devant  d'eux.  Il  fembloit  que  Cortez  eût  acquis  un 
nouveau  mérite  aux  yeux  de  ces  fiers  Républiquains ,  par  l'humiliation  de 
Motezuma.  Cependant  les  Hiftoriens  font  partagés  fur  le  fecours  qu'il 
leur  avoit  demandé.  Quelques-uns  affurent  qu'ils  le  refuférent ,  fous  pré- 
texte qu'ils  n'ôfoient  prendre  les  armes  contre  des  Efpagnols.  D'autres 
foutiennent  qu'ils  accordèrent  fix  raille  Hommes  <  &  qu'ils  en  offrirent  un 
plus  grand  nombre,  mais  qu'en  arrivant  fur  leurs  Froncières,  les  Troupes 
demandèrent  d'être  congédiées ,  parce  qu'elles  n'étoient  point  accoutu- 
mées à  combattre  hors  de  leur  Province.  Il  paroit  ^ronflant  du  moins, 
qu'aucun  Tlafcalan  ne  fer  vit  dans  cette  Expédition.  Mais  Cortez  for- 
tit  de  leur  Ville  fans  fe  plaindre  ,  &  fans  donner  aucune  atteinte  à  la 
confiance  établie;  &  dans  la  fuite,  lorfqu'il  rechercha  leur  fecours,  con- 
tre les  Mexiquains,  il  les  trouva  toujours  prêts  à  le  fervir. 

Il  fe  rendit ,  à  grandes  journées ,  fous  les  murs  de  Motaliquita ,  Bourga- 
de d'Indiens  alliés ,  à  douze  lieues  de  Zampoala ,  oy  Sandoval  arriva  pref- 
qu'en  même  tems ,  avec  fa  Troupe ,  &  quelques  Soldats  de  l'Armée  de 
Narvaez,  que  la  violence  exercée  contre  d'Aillon  en  avoit  détachés.  Cor- 
tez apprit  d'eux  le  desordre  qui  règnoit  dans  l'Armée  ennemie.;  &  ce  ré- 
cit lui  fut  confirmé  par  Sandoval,  qui  avoit  fait  entrer,  dans  Zampoala , 
deux  Efpagnols  déguifés.  Il  regarda  la  négligence  de  Narvaez  comme  une 
marque  de  la  confiance  qu'il  prenoit  à  fes  forces^  &  du  mépris  qu'il  faifoit 
du  petit  nombre  de  fes  Adverfaires.  Mais  quelque  avantage  qu'il  crut  pou- 
voir tirer  de  cette  vaine  préfomption ,.  il  ne  voulut  pas  rompre  ouverte- 
ment ,  fans  avoir  fait  de  nouveaux  effosts  poin*  obtenir  la  Paix.  Oimedo 
fut  envoyé  pour  la  féconde  fois  4  &  fa  négociation  n'ayant  pas  mieux  réuf- 
fi ,  le  Général ,  foit  pour  mettre  toute  la  juftice  de  fon  côté ,  foit  pour  fe 
donner  le  tems  de  recevoir  les  deux  mille  Indiens  qu'il  attendoit  de  Chi- 
nantla ,  réfolut  d'envoyer  Jean  Velafquez  de  Léon ,  que  la  diftinélion  de 
fa  naiilance,  &  l'honneur  qu'il  avoit  d'appartenir  de  près,  par  le  fang,  au 
Gouverneur  de  Cuba ,  rendoieht  for:  propre  à  cette  médiation.  Narvaez 
avoit  tenté  inutilement  de  l'attirer  dans  «fôn  parti  ;  &  Cortez  avoit  eu 
d'autres  preuves  de  fa  fidélité ,,  auxquelles  il  ne  pouvoit  répondre  a- 
vec  plus  de  nobleffe  ,  qu'en  remettant  une  affaire  fi  délicate  à  fa  bon- 
ne foi  (r).  ,  ..:..  . . 

Lorsqu'il  entra  dans  Zampcala,  tous  les  Efpagnols  fe  perfuadèrent  qu'il 


ve- 


i(lJ„  :;i  .  ■ 


îi  *i  :iA 


(q)  Herrera,  Liv,  10.  Cbap.  i.  Un  autre 
Hiftorien  ,  fentant  la  difficulté  d'expliquer 
cet  excès  de  bonté  dans  un  caraftère  tel  que 
celui  de  Motezuma ,  fe  réduit  à  regarder  cet 
te  révolution  comme  un  miracle  du  Ciel 
pour  faciliter  aux  Efpagnols  la  Conquête,  du 


Mexique.  De -la,  dit- il,  cette  crainte  rcf- 
peiJkucufc  pour  Cortez,  qui  étoit  diredement 
oppoCée  à  l'orgueilleufe  lierté  de  ce  Prince. 
Solis,  Liv.  4.  Cliap.  7.  ,  ,,. 

(r)  Soifs,  nbifuprà,  Clnp.  8. 


'  E    N      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I. 


3^7 


venoit  fe  ranger  fous  leurs  Etendarts ,  &  Narvaez  s'emprefTa  d!allcr  au- 
devant  de  lui:  mais,  après  quelques  explications,  ces  civilités  furent  fui- 
vies  de  tant  d'emportement  &  de: violence,  que  Velafciuez,  irrité  jufqu'à 
défier  ceux  qui  ôferoient  blefler  l'honneur  de  Cortez,  fe  vit  dans  la  né- 
ceflîté  de  retourner  fur  fes  pas^  Olmedo  le  fuivit.  Narvaez  les  eut  fait 
arrêter ,  fi  la  plupart  de  fes  Officiers ,  ofFenfés  de  voir  traiter  fi  mal  un 
Homme  du  mérite  &  du  rang  de  Velafquez,  ne  s'y  fuflent  oppofés  avec 
beaucoup  de  chaleur  (0-  Ce  mécontentement  palîa  bientôt  des  Capitai- 
nes aux  Soldats.  Ils  s'expliquèrent  fi  librement ,  fur  le  peu  dp  foin  qu'on 
prenoic  de  juftifier  leur  conduite  dans  cette  Guerre,  que  Narvaez  n'ôfa  ré- 
fifter  au  confeil  qu'on  lui  donna  d'envoyer  promptement  après  Velafquez , 
pour  lui  faire  quelques  extufes,  &  pour  apprendre  de  lui  quelles  étoient 
fes  propofitions  qu'on  avoit  refufé  d'écouter.  Duero  fut  choifi  pour  cette 
Commiffion.  Mais  n'ayant  pu  le  joindre,  fur  la  route,  il  prit  le  parti  de 
le  fuivre  jufqu'au  Camp  de  Cortez,  qu'il  trouva  prêt  de  changer  dePofte, 
dans  la  réfolution  de  commencer  la  Guerre.  Son  arrivée  fit  renaître  quel- 
que éfpérance  de  Paix.  Cortez  le  reçut  comme  fon  Ami.  Dans  plufieurs 
Conférences  qu'ils  eurent  enfemble,  il  s'ouvrit  avec  tant  de  franchife  fur  le 
defir  qu'il  avoit  d'adoucir  Narvaez ,  dont  l'obfliination  étoit  l'unique  obfta- 
cle  à  l'accommodement,  que  Duero,  charmé  de  le  voir  agir  fi  noblement 
avec  un  Ennemi  déclaré,  propofa  une  entrevue  entre  les  deux  Généraux, 
comme  le  feul  moyen  d'abréger  des  difficultés,  dont  la  fin  paroiflbit  fort 
éloignée.  Cette  propofition  fut  acceptée  avec  joye.  Tous  les  Hiftoriens 
conviennent  que  Duero  étant  retourné  à  Zampoala  avec  la  parole  de  Cortez, 
on  drefla  une  Capitulation  authentique,  par  laquelle  l'heure  &  le  lieu  de  la 
Conférence  étoient  défignés,  &  que  chacun  des  Ccmmandans  s'engagea  par 
écrit  à  s'y  rendre ,  accompagné  feulement  de  dix  Officiers ,  qui  dévoient 
fervir  de  Témoins  à  leurs  Conventions.  Mais ,  tandis  que  Cortez  fe  dif- 
pofoit  à  remplir  fon  engagement,  il  reçut  avis,  par  un  Courrier  fecret  de 
Duero,  qu'on  lui  préparoit  une  enibufcade,  dans  le  deflTein  de  l'enlever,  ou 
de  lui  ôter  la  vie;  &  cette  étrange  information  lui  fut  confirmée  par  d'au- 
tres Officiers  de  Narvaez,  qui  fe  fentoient  de  l'horreur  pour  la  trahifon. 
Un  deflein  fi  noir,  l'obligeant  de  renoncer  à  toutes  fortes  de  ménagemens, 
il  écrivit  à  fon  Ennemi ,  non-feulement  pour  lui  reprocher  fa  perfidie, mais 
pour  lui  déclarer  qu'il  rompôit  le  Traité,  &  qu'il  remettoit  la  décifion  de 
leur  querelle  à  la  voye  des  armes  (f  ). 

Quoiqu'il  n'eût  encore  aucune  nouvelle  de  la  marche  des  Indiens  auxi- 
liaires, il  hâta  celle  de  fon  Armée.  Elle  n'étoit  compofée  que  de  deux  cens 
foixante  fix  Efpagnols,  &  des  Indiens  décharge:  mais  jugeant  qu'un  En- 
nemi capable  de  tant  de  balFefl^es  avoit  peu  de  fond  à  faire  fur  fes  propres 
Troupes ,  il  ne  craignit  point  d'alFeoir  fon  Camp  à  moins  d'une  lieue  de 
Zampoala,  dans  un  Poftei  à  la  vérité,  qui  fe  trouvoit  fortifié  en  tête  par 
un  RuifTeau,  que  les  Efpagnols  avoient  nommé  Rivière  des  Canots,  &  der- 
rière lequel  il  avoit  à  dos  fa  Ville  de  Vera-Cruz.  Narvaez  fut  informé  de 
ce  mouvement.    Son  impétuofité,  plus  que  fa  diligence,  le  fit  fortir  aufTi- 

tôc 


FerwanD' 
Cortez. 

152c. 


Duero  cH 
envoyé  à 
Cortez. 


Trahifon 
de  Narvaea. 


Cortez 
rompt  abfo-' 
lumcnt  avec 
lui. 

Porte  qu'il 
prend. 


{^)  Ibidem,    Herrera,  Liv.  lo.  Cbap.  i. 


(t)  Solis,  ibidem. 


F  B  R  :i  A  N  n 

C  0  R  T  E  Z. 

1520. 


Prudence 
avec  laquelle 
il  attire  Nar- 
vaez  dans  les 
pièges. 


11  le  fur- 
prend  dans 
Zanipoala, 


Conduire 
de  cette  en- 
trcprife. 


Ci 


368       PREMIERS      VOYAGES 

tôt  de  Ton  Quartier  pour  tenir  la  Campagne,  mais  avec  une  confufion  qui 
répondoit  à  celle  de  fes  idées.  II  fit  publier  encore  une  fois  la  Guerre.  11 
mie  la  tête  de  Cortez  à  prix  pour  deux  mille  écus,  &  celles  de  Sandoval 
&  de  Velafquez  pour  quelque  chofe  de  moins.  „  Ses  ordres,  dit  un  Hifto- 
„  rien ,  étoient  mêlés  de  menaces.  Il  en  donnoit  pludeurs  à  la  fois.  Oa 
„  découvroit  un  air  de  crainte ,  dans  le  mépris  qu'il  afFeéloit  pour  Cortez. 
„  Enfin,  Ton  Armée  fe  mit  d'elle-même  en  Bataille,  comme  par  hazard, 
„  &  fans  attendre  fes  ordres  («J*.  Après  l'avoir,  fait  avancer  l'efpace 
d'un  quart  de  lieue,  il  réfolut  d'attendre  l'Ennemi ,  dans  la  folle  perfuafion 
qu'un  Général,  de  l'habileté  de  Cortez,  pourroit  oublier  le  desavantage  du 
nombre ,  &  que  la  force  de  ^qs  reflentimens  lui  feroit  quitter  fon  Pofte.  Il 
palla  tout  le  jour  dans  cette  fituation.  La  nuit  approcnoit,  lorfqu'un  nua- 
ge, où  le  Soleil  fe  cacha  tout- d'un-coup,  répandit  une  pluye  fi  froide  & 
fjL  abondante,  que  tous  Çqs  Soldats  demandèrent  d'être  reconduits  auQuar- 
tier.    Il  céda  facilement  à  leurs  inflànces.  r^i 

Cortez,  qui  fut  bientôt  averti  de  cette  retraite,  regreta  beaucoup  que 
le  Rùifleau ,  fur  le  bord  duquel  il  avoit  fon  Camp ,  fût  trop  enflé  par  la 
pluye  pour  lui  permettre  de  le  pafler  à  gué,  &  de  tomber  fur  un  Ennemi 
qui  fembloit  fuir.  Mais  fon  génie  guerrier ,  &  le  fond  qu'il  faifoit  fur  fes 
intelligences ,  lui  infpirèrent  un  deflein  qui  demandoit  toute  fa  hardiefle 
pour  le  tenter,  &  la  confiance  qu'il  avoit  à  fon  bonheur  pour  s'en  pro- 
mettre le  fuccès  qu'il  obtint.  Ce  fut  de  furprendre,  pendant  la  nuit,  au 
milieu  de  Zampoala ,  fes  Ennemis  mouillés  &  rebutés  de  la  fatigue  du  jour. 
Après  avoir  communiqué  ce  projet  à  ks  Troupes ,  &  les  avoir  animées  a- 
vec  la  plus  vive  éloquence ,  il  les  divifa  en  trois  Corps ,  dont  il  donna  le 
premier  à  Sandoval,  &  le  fécond  à  d'Olid.  Letroifième,  dont  il  prit  le 
Commandement  lui-même,  avec  quelques-uns  de  fes  plus  braves  Ofliciers, 
donna  l'exemple ,  en  paflant  dans  l'eau  jufqu'à  la  ceinture.  Herrera  pré- 
tend que  par  repréfailles ,  la  tête  de  Narvaez  fut  mife  à  prix  (x),  &  que 
Cortez,  pour  juftifier  plus  que  jamais  fa  Caufe,  donn^  par  écrit,  à  San- 
doval, qui  faifoit  l'Office  de  Général  Major,  un  ordre,  qui  portoit  „  que 
Narvaez  étant  entré  dans  le  Pays  à  force  ouverte,  au  préjudice  des  in- 
térêts de  l'Efpagne,  de  la  Religion,  &  du  Domaine  Royal,  &  n'ayant 
voulu  ni  montrer  fes  Provifions ,  ni  prêter  l'oreille  aux  propofitions 
d'accommodement,  Fernand  Cortez,  Commandant  de  la  Nation  Ef- 
pagnole  au  Mexique,  ordonnoit  à  tous  les  Capitaines,  Cavaliers  &  Soir 
dats  de  fon  Armée,  de  fe  faifir  de  fa  perfonne,  &  de  le  tuer  s'il  faifoit 
quelque  réfiftance  (y)". 

L'Armée  avoit  fait  près  d'une  demie  lieue  dans  les  ténèbres ,  lorfque  les 
Coureurs  amenèrent  une  Sentinelle  de  Narvaez  qu'ils  avoient  enlevée;  mais 
ils  rapportèrent  qu'il  leur  en  étoit  échappé  une,  qui  s'étoit  dérobbée  entre 
les  buiflbns ,  à  la  faveur  de  l'obfcurité.  Cet  incident  fit  perdre  l'efpérance 
qu'on  avoit  eue  de  furprendre  les  Ennemis  Cependant,  comme  il  y  avoit 
beaucoup  d'apparence  que  la  crainte  i'f^rre  arrêté  feroit  prendre  quel- 
que détour  au  Fugitif,  ^on  rplblut  de  s'avancer  prompternent,  foit  pour 

ar- 


»» 
» 
>» 

5> 


(4)  Ibidem, 


(;c)  Ubifuprà,  Chap.  8. 


(y)  Ibidem,  Ghap.  3. 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I. 


i^9 


FruNAWO 

C  O  B  T  E  Z. 

1520. 


arriver  avant  lui,  foit  pour  attaquer  les  Ennemis  mal  éveillés,  s'ils  étoient 
avertis ,  &  dans  le  trouble  d'une  première  allarme.  La  Sentinelle ,  que  la 
peur  avoit  rendue  fort  légère,  arriva  dans  la  Ville  avant  Cortez,  &  répan- 
dit fes  frayeurs.  Mais  Narvaez,  ne  pouvant  fe  perfuader  qu'une  troupe 
d'Avanturiers ,  dont  il  méprifoit  le  nombre,  ofat  l'attaquer  dans  une  gran- 
de Ville,  ni  qu'elle  eût  pu  quitter  Ton  Pofte  ,  d'un  fi  mauvais  tems,  rejetta 
brufquement  1  avis  dfc  celui  qui  l'apportoit  (2). 

Il  étoit  minuit,  lorfque  Cortez  entra  dans  Zampoala;  &  Ton  cri  de  guer-  Narvaez 
re,  Saint -Efprit,  qui  étoit  pris,  fuivant  la  remarque  des  Hiftoriens,  de  la  ^.^  ^^^f  ^= 
Fête  qu'on  avoit  célébrée  le  même  jour,  nous  apprend  que  c'étoit  celle  de  cortez/*^  * 
la  Pentecôte.  Narvaez  étoit  logé,  avec  toute  fon  Armée,  dans  le  plus 
grand  Temple  de  la  Ville.  Ses  Coureurs  pouvoient  s'être  égarés  ou  s'ê- 
tre mis  à  couvert  pendant  lapluye;  mais  des  Soldats,  tels  que  ceux  de 
Cortez ,  endurcis  à  la  fatigue  &  fupérieurs  à  la  crainte ,  pénétrèrent  juf- 
qu*au  pied  du  Temple ,  ftns  s'embarrafler  s'ils  avoient  été  découverts. 
Leurs  Chefs  furent  furpris  néanmoins  de  ne  rencontrer  aucune  Garde.  La 
difpute  de  Narvaez  duroit  encore  avec  la  Sentinelle  qui  l'avoit  averti. 
Quoique  cet  avis  paflat  pour  une  faufle  allarme ,  quelques  Soldats  in- 
quiets s'étoient  mis  en  mouvement.  Cortez,  qui  s'en  apperçut,  ne  ba- 
lança point  à  les  attaquer  avant  qu'ils  enflent  le  tems  de  fe  reconnoître. 
Il  donna  le  fignal  du  Combat,  &  Sandoval  entreprit  auffi-tôt  de  monter 
les  Dégrés  du  Temple.  Les  Canoniers  de  garde  entendirent  le  bruit,  & 
mirent  le  feu  à  deux  ou  trois  pièces ,  qui  donnèrent  férieufement  i'allar- 
me.  Les  tambours  fuccedèrent  au  bruit  du  canon.  On  accourut  de  toutes 
parts ,  &  le  Combat  fe  réduifit  bientôt  aux  coups  de  piques  &  d'épées.  San- 
doval eut  beaucoup  de  peine  à  fe  foutenir  dans  un  Pofte  desavantageux ,  & 
contre  une  Troupe  plus  nombreufe  que  la  fienne.  Mais  d'Olid  vint  à  pro- 
pos le  fecourir  j  &  prefqu'auflî-tôt  Cortez,  ayant  laifl*é  fon  Corps  dé  refer- 
ve  en  Bataille,  parut  l'épée  à  la  main  ,  fe  jetta  dans  la  mêlée  ,  &  s'ouvrit 
un  paflage  ,  où  tous  {es  cens  fe -précipitèrent  après  lui.  Les  Ennemis  ne 
réfiftèrent  point  à  cet  effort.  Ils  abandonnèrent  les  Dégrés ,  le  Veftibule 
&  l'Artillerie.  Plufieurs  fe  retirèrent  dans  leurs  logemens,  &  les  autres  al- 
lèrent fe  raflembler  à  l'entrée  de  la  principale  Tour,  où  l'on  combattit  long- 
tems  avec  une  égale  valeur. 

:'  Najivaez  parut  alors.  Il  avoit  employé  quelque  tems  à  s'armer  ;  mais 
on  convient  qu'en  fe  préfentant  au  Combat ,  il  fit  des  efforts  extraordinai- 
res pour  ranimer  fes  gens,  &  qu'il  marqua  de  l'intrépidité  au  milieu  du 
danger.  Elle  alla  jufqu'à  le  mettre  aux  mains  avec  les  Soldats  de  Sandoval  ; 
mais  il  en  reçut ,  dans  le  vifage ,  nn  coup  de  pique  qui  lui  creva  l'œil ,  Si 
qui  le  fit  tomber  fans  connoiflance.  Le  bruit  fe  répandit  qu'il  étoit  mort. 
Ses  gens  s'efirayèrent.  Les  uns  l'abandonnèrent  par  une  honteufe  fuite;  les 
autres  ceflerent  de  combattre;  &  ceux  qui  s'empreflerent  de  le  fecourir,  ne 
faifant  que  s'embarrafler  mutuellement ,  il  fut  aifé  de  les  poufler ,  quoiqu'a- 
vec  beaucoup  de  peine  &  de  confufion.    Les  Vainqueurs  prirent  ce  tems 

pour 

(  2  )  Le  même  Hiftorien  dit  nettement  Tjue  quelques  Officiers ,  qui  favorifolent  Cortez , 
aidèrent  à  l'erreur. 


XniL  Part, 


A  a  a 


3?o 


PREMIERS      VOYAGES 


FBRNiND 
CORTEZ. 

1520. 


Tous  les 

Efpafinols  fe 
réuni  (Tent 
fous  Cortez. 


pour  enlever  Narvaez,  en  le  traînant  au  bas  des  Degrés,  d'où  Sando- 
val  le  fie  tranfporter  au  milieu  da  Corps  de  referve.  Sa  honte  fut  éga- 
le à  fa  douleur,  lorfqu'étant  revenu  à  lui-même,  il  fe  trouva  les  fers 
aux  pieds  &  aux  mains,  &  qu'il  fe  vit  livré  à  la  difcrétion  de  fcs  En- 
nemis (a). 

Le  Combat  ayant  cefTé ,  par  la  retraite  de  tous  fes  gens ,  qui  s'étoienc 
jettes  dans  les  Donjons,  ceux  de  Cortez  firent  retentir  le  cri  de  f^i£loire , 
pour  le  Roi,  pour  Cortez,  pour  le  Saint  Efprit,  &  ces  tranfports  de  joye 
augmentèrent  beaucoup  la  frayeur  des  Ennemis.  Mais  on  remarque  une 
circonflance,  qui,  jointe  à  la  prife  de  leur  Chef  &  aux  intelligences  de 
Cortez,  peut  fervir  à  diminuer  leur  honte.  Des  fenêtres  de  leur  loge- 
ment, ils  découvroient,  à  diverfes  diflances,  &  dans  plufleurs  endroits, 
des  lumières  qui  pcrçoient  Tobfcurité ,  avec  l'apparence  d'autant  de  mè- 
ches allumées,  qu'ils  prirent  pour  celles  de  plufleurs  Troupes  d'Arquebu- 
ilers  ;  c'étoit  des  vers  luifans ,  qui  font  beaucoup  plus  gros  &  plus  brillans 
que.  les  nôtres ,  dans  cette  hémisphère ,  &  qui  leur  firent  croire  que  l'atta- 
que de  Cortez  étoit  foutenue  par  une  puiflante  Armée  {b).  L'Artillerie, 
qui  fut  tournée  auffi-tôt  contre  les  Donjons,  la  menace  du  feu  qu'on  y  pou- 
voit  mettre  aifément ,  &  le  pardon ,  qui  fut  ofi^ert  à  tous  ceux  qut  vou- 
droient  s'enrôler  fous  les  Etendarts  du  Vainqueur,  avec  la  liberté  du  dé- 
part &  le  pafTage  pour  ceux  qui  fouhaiteroient  de  retourner  à  Cuba,  firent 
quitter  les  armes  au  plus  grand  nombre.  Cortez  donna  ordre  qu'elles  fuf- 
fent  reçues  &  foigneufement  gardées ,  à  mefure  qu'ils  venoient  les  rendre 
en  troupes,  fans  excepter  celles  de  fes  Partifans  fecrets,  qu'il  ne  vouloit 

'  pas 


»» 


*• 


*i 


(a)  On  fuit  ici  Diaz  &  Solis,  Herrera 
s'en  écarte  un  peu.  Ces  difFérenccs  méritent 
d'être  remarquées ,  dans  un  événement  fi  cé- 
lèbre. „  L'approche,  dit  Herrera,  n'ayant 
„  pu.  fe  faire  fi  fecrétement  qu'on  ne  s'en 
apperçut,  on  en  avertit  Narvaez,  qui  fe 
revêtoit  d'une  côte  d'armes.  Il  répondit; 
qu'on  ne  fe  mette  point  en  peine  ;  nous  y 
donnerons  bon  ordre.  Auflî  -  tôt  il  fit  fon- 
ner  l'aliarme.  Dans  le  Temple  où  il  é- 
toit ,  il  y  avoit  deux  Tours ,  qui  fervoient 
auflî  de  logement  au  refte  de  fon  Armée; 
mais  il  n'en  fut  pas  fecouru.  Les  uns  di- 
fent  que  fes  gens  firent  la  fourde  oreille, 
&  d'autres,  qu'étant  arrêtés  par  ceux  de  Cor- 
tez, ils  ne  purent  approcher.  Cependant 
Sandoval  étant  arrivé ,  les  Sentinelles ,  qui 
étoient  au  pied  des  dégrés ,  commencèrent 
à  s'écarter.  Sandoval  fe  voyant  décou- 
vert, commanda  de  battre  la  caifle.  Cor- 
tez en  même-tems  cria; /erre,  ferre'.  Saint 
Efprit,  Saint  Ffprit;  à  eux,  à  eux.  San- 
doval monta  vivement  les  premiers  degrés, 
&  rencontra  une  chambre  pleine  de  Nè- 
gres, un  defquels  étant  forti  avec  de  la 
lumière  à  la  main  fut  tué  de  deux  coups  de 
pique.    De-ià  Sandoval  &  Tes  gens  arrivé* 


•1 


,,  rent  à  la  chambre  de  Narvaez.  Ils  y  trou- 
„  vèrcnt  l'Artillerie  en  état,  &  ne  purent 
„  empêcher  qu'une  pièce,  qui  fut  tirée,  ne 
,(  leur  tuât  deux  Hommes;  Mais  ils  ferré- 
„  rent  de  fi  près,  qu'on  n'eut  pas  le  tems  de 
„  tirer  les  autres.  Cortez,  qui  furvint,  fit 
„  jetter  toutes  les  pièces  au  bas  des  dégrés. 
„  Alors  on  vom'.Uv  entrer  dans  la  chambre  de 
„  Narvaez,  qui  n'avoit  pas  avec  lui  moins 
„  de  quarante  Soldats ,  &  Sandoval  le  fom- 
„  ma  de  fe  rendre.  Mais ,  étant  Homme  de 
„  cœur,  il  combattit  vaillamment  avec  les 
„  fiens,  quoique  leurs  lances,  n'étant  pas  fi 
„  longues  que  les  piques  de  Cortez ,  ne  fif- 
„  fent  pas  tant  d'effet.  Lopez ,  Soldat  de 
„  Sandoval ,  mit  le  feu  à  la  paille ,  dont  la 
„  Tour  étoit  couverte;  ce  qui  força  Narvaez 
,!j  &  fes  gens  de  fortir.  Là,  il  reçut  un  coup 
„  de  pique  dans  un  œil  ;  Sanchez  Forfan  le 
„  ferra  de  près,  avec  Sandoval.  qui  lui  dit, 
«  Je  te  fais  prifotmier.  Ils  le  traînèrent  le 
„  long  des  dégrés  en  defcendant,  &  lui  mi- 
„  rent  les  fers  aux  pieds  ".  Herrera,  Liv, 
10.  Chap.  3. 

(ft)  Solis,  Qiap.  10.    Herrera  n'en  dit 
xién. 


■  I .  .M     ..  *.'«.) 


EN      AMERIQUE,  Liv.  I. 


■37t 


B'ëtoient 
Fi6toïre , 
j  de  joye 
:que  une 
ences  de 
mr  loge- 
endroits, 
c  de  mé- 
Arquebu- 
s  brillans 
ne  Tatta- 
^rtillerie, 
>n  y  pou- 
qui  voû- 
té du  dé* 
aa,  firent 
elles  fuf- 
;s  rendre 
i  vouloit 
pas 

Ils  y  trou* 
ne  purent 

tirée,  ne 
is  ils  ferré- 

e  tcms  de 

irvint,  fit 
des  dégrés. 

lambre  de 

lui  moins 
val  le  fora- 
Homme  de 
it  avec  les 
étant  pas  fi 
.ez,  ne  fif- 

Soldat  de 
>e ,  dont  la 
ça  Narvaez 
jut  un  coup 
z  Forfan  le 
qui  lui  dit, 
linèrent  le 

&  lui  mi- 
rera, Liv* 

a  n'en  dit 


»} 


pas  faire  connoître,  jparce  que  leur  exemple  fervoit  à  déterminer  les  au- 
tres. Ce  foin  de  les  desarmer  étoit  d'autant  plus  important,  qu'à  la  poin- 
te du  jour,  s'appercevant  que  leurs  Vainqueurs  étoient  en  fi  petit  nom- 
bre, ils  regrettèrent  beaucoup  de  s'être  abandonnes  à  d'indignes  frayeurs  (c). 
Cependant  les: civilités  de  Cortez,  &  l'opinion,  qu'ils  prirent  bientôt  de 
fon  caraftère,  devinrent  un  lien  fi  puiflant  pour  les  attacher  à  lui,  qu'il 
n'y  en  eut  pas  un  feul  qui  acceptât  l'olFre  d'être  reconduit  à  Cuba.  Il  ne 
reftoit  à  foumettre  que  la  Cavalerie ,  qui  n'ayant  pu  prendre  part  au  Com- 
bat,  en  attendoit  le  fuccés  dans  la  Plaine;  mais  elle  fut  réduite  aifcraent 
par 'les  voyes  de  la  douceur.  Cortez  ne  perdit  que  deux  Hommes  dans 
ÎAftion ,  &  deux  autres ,  qui  moururent  quelques  jours  après  de  leurs  blef- 
fures.  Entre  les  gens  de  Narvaez ,  on  compta  quinze  morts  6c  un  fort 
grand  nombre  de  bleffés  {d). 

Cortez  ne  fe  refufa  point  le  plaifir  de  voir  fon  Prifonnier ,  mais  loin  de 
Tinfulter  dans  fa  difgrace ,  il  affefta  de  ne  pas  lui  faire  annoncer  fon  arri- 
vée; &  Solis  aflure  même  que  fon  deflein  etoit  de  le  voir  fans  fe  faire  con- 
noître.   Mais  le  refpeâ  des  Soldats  l'ayant  trahi,  Narvaez  fe  tourna  vers 
lui,  &  lui  diiWun  air  aflez  fier  («);  „  Seigneur  Capitaine,  eftimez  l'a- 
„  vantage  qui  me  rend  aujourd'hui  vôtre  Prifonnier  ".     Cortez  jugea  que 
cet  orguf^il  méritoit  d'être  humilié.     Il  répondit  fans  s'émouvoir  :  „  Mon 
Ami,  il  faut  louer  Dieu  de  tout;  mais,  je  vous  aflure,  fans  vanité, 
que  je  compte  cette  Viftoire  &  vôtre  Prife  entre  mes  moindres  Ex- 
ploits".   Après  l'avoir  fait  panfer  foigneufement ,  il  le  fit  conduire  à 
I  Vera-Cruz  (/).  ,  .„   ^^. 

A  la  pointe  du  jour,  on  vit  arriver  les  deux  mille  Chinantleques,  à  qui 
J  toute  leur  diligence  n'avoit  pu  faire  furmonter  plutôt  les  difficultés  d'une 

I  longue  route.    Cortez  leur  fit  le  même  accueil  que  s'il  eût  tiré  quelque  fruit 

I  de  kur  zèle,  &  les  renvoya  quelques  jours  après  dans  leur  Province,  avec 

^  des  remercimens  &  des  carefles ,  qui  les  difpoférept  plus  ^ue  jamais  à  lui 

offrir  leurs  fervices.  Le  Cacique  de  Zampoala,  qui  s'étoit  vu  longtems 
comme  Efclave  de  Narvaez,  fit  éclater  aulîi  fa  joye,  &  tous  les  Habitans 
du  Pays  célébrèrent  la  Viéloire  de  leurs  anciens  Alliés  (g).  Au  milieu  de 
ces  foins,  Cortez  n*oublia  point  combien  il  étoit  important  pour  lui  de  s'af- 
furer  de  la  Flotte.  Il  dépêcha  fes  plus  fidèles  Officiers ,  pour  faire  tranfpor- 
ter,  à  VeraCruz,  les  voiles,  les  mâts  &les  gouvernails  des  Vaifleaux,& 

pour 

■.■-.'•     ,   .  ■' ..' 

(  f  )  .,  D'un  air,  dit  SoHj  ,  qui  faifoit  con- 
„  noitre  qu'il  ne  fentoit  pas  encore  toute 
„  l'étendue  de  fa  difgrace  ".    Ibii, 

if)  Herrera,  Chap.  3. 

(g)  Ces  Vainqueurs  Efpagnols  ne  fe  pi- 
quoient  pas  de  continence.  Le  Cacique  de 
Zampoala  fit  préfent ,  à  Cortez ,  d'une  Fem- 
me oe  condition  &  fort  belle ,  qui  fut  nom- 
mée Catherine.  Il  en  donna  d'autres  aux  Ca- 
pitaines. Cortez  fe  logea  dans  la  Maifon  de 
Catherine,  qui  étoit  forte,  &  où  il  fut  traité 
magnifiquement.    Herrera,  Chap.  4. 


F  E  R-N  .i  N I» 
C  O  R  T  F  z. 

I  5  -  .>• 


Humiliation 
de  Narvaez. 


Zèle  des 
Indiens  pour 
le  fervice  de 
Cortez. 


y,.-    i.': 


l-jj 


(/:*)  On  lit,  dans  Herrera,  que  deux  Da- 
mes Efpagnolesj  qui  étoient  venues  avec 
Narvaez,  apprenant  fa  déroute  &  fa  captivi- 
té, fe  mirent  à  une  fenêtre  &  s'écrièrent: 
„  Méchans  Soldats ,  la  quenouille  vous  con- 
„  venoit  bien  mieux  que  l'épée.  Malheu- 
„  reufes  les  Femmes  qui  font  venues  avec 
„  vous  "  !  Après  quoi  s'étant  fait  conduire  à 
Cortez,  elles  louèrent  beaucoup  fa  valeur, 
vhijuprà,  Chap.  4. 

w  (d)  Solis,  après  Diaz,  ubi  fuprà.    Her- 
ïera  ne  met  qu'onze  morts,  Cbap.  4. 


Aaa  2 


il' 


372 


PREMIERS      VOYAGES 


B 


•■^FURWANn 
C  O  R  T  E  Z. 

1520- 

li  retourne 
à  Mcxicu. 


Il  apprend 
que  fes  gens 
y  font  aflîe- 

fés  par  les 
lexiquains. 

Fidélité  de 
l'Empereur. 


Les  Tlafca- 
îans  ofFrent 
leur  fecours 
aux  Efpa- 
gnols. 


pour  mettre  fes  Pilotes  &  fes  Matelots  à  la  place  de  ceux  de  Narvaez;  a* 
vec  un  Commandant  que  Diaz  nomme  Pierre  CavallcrOf  &  qu'il  honore  du 
titre  d'Amiral  de  la  Mer. 

Le  fouvenir  d'Alvarado  &  de  fes  Compagnons,  qui  fe  trouvoient  com- 
me abandonnés  à  la  bonne  foi  de  Motezuma,  ctoit  l'unique  fujet  de  cha- 
grin qui  troublât  Cortez  (h ).  Il  étoit  rtifolu  de  ne  pas  perdre  un  moment 
pour  fe  délivrer  de  cette  inquiétude,  en  retournant  à  Mexico;  mais  plus 
de  mille  Efpagnols ,  qu'il  voyoit  réunis  tranquillement  fous  fes  ordres,  lui 
parurent  une  Armée  trop  nombreufe,  &  capable  d'allarmer  los  Mexiquains» 
Il  n'auroit  pas  fait  difficulté  d'en  laifler  une  partie  à  VcraCruz,  s'il  n'eût 
craint  les  mouvemens  ciui  pouvoient  naître  de  l'oifiveté;  fur-tout  parmi  de 
nouvelles  Troupes,  qu  il  n'avoit  point  encore  eu  le  tems  de  former  à  fa  dif- 
cipline.  Dans  cet  embarras ,  il  réfolut  de  les  employer  à  d'autres  Con- 
quêtes. Il  nomma  Jean  Velafquez  de  Léon,  pour  aller  foumettre,  avec 
deux  cens  Hommes,  la  Province  de  Panuco;  &  d'Ordaz,  avec  le  même 
nombre,  pour  peupler  celle  de  Cuazacoulco.  Environ  fix  cens  Soldats  Ef- 
pagnols, qui  compofoient  le  refte  de  l'Armée,  lui  parurent  fuffifans  pour 
faire  fon  entrée  dans  Mexico,  avec  l'éclat  d'un  Vainqueur  q«i  vouloit  con»- 
ferver  quelque  apparence  de  modération. 

Mais,  lorfqu'il  fe  préparoit  au  départ,  ,"l  reçut  une  Lettre,  par  un 
Courrier  d'Alvarado ,  qui  l'obligea  de  changer  toutes  fes  réfolutions.  On 
l'informoit  que  les  Mexiquains  avoient  pris  les  jimes,  &  que,  malgré  Mo- 
tezuma,  qui  n'avoit  pas  quitte  le  Quartier  des  Efpagnols ,  ils  y  avoient 
déjà  donné  plufieurs  alfauts.  Le  Soldat,  qui  apportoit  cette  nouvelle,  é- 
toit  accompagné  d'un  Meflager  Impérial,  chargé  de  repréfenter  qu'il  n'a- 
voit pas  été  au  pouvoir  de  l'Empereur  d'arrêter  l'emportement  des  Rebel- 
les ;  &  non-feulement  d'aflurer  Cortez  qu'il  n'abandonneroit  point  Alvara- 
do  &  les  Efpagnols ,  mais  de  preTer  fon  retour  à  Mexico ,  comme  le  feul 
remède  qu'on  pût  attendre  au  ce^ordre.  Soit  que  ce  Prince  fût  allarmé 
pour  lui-même,  ou  que  fon  inquiétude  ne  regardât  que  fes  Hôtes,  cette 
démarche  ne  laifla  aucun  doute  de  fa  bonne  foi. 

On  n'avoit  pas  befoin  de  délibération,  pour  fe  déterminer  dans  une  c(»i* 
jonflure  fi  preflante.  Les  anciens  &  les  nouveaux  Soldats  de  Cortez  firent 
éclater  la  même  ardeur  pour  fe  rendre  à  Mexico;  &  cet  incident,  qui  fer- 
voit  de  prétexte  pour  éviter  le  partage  de  l'Armée,  fut  regardé  comme 
un  préfage  de  la  Conquête  de  l'Empire,  dont  la  rédu6lion  devoit  commen- 
cer par  la  Capitale.  Range!  fut  laifTé  à  Vera  Cruz,  en  qualité  de  Lieutenant 
deSandoval,  avec  une  aflez  forte  Garnifon',  qui  n'empêcha  point  que, 
dans  la  revue  du  refte  des  Troupes,  il  ne  fe  trouvât  encore  milleHommes 
d'Infanterie  &  cent  Cavaliers  bien  armés.  Cortez  leur  fit  prendre  différen- 
tes routes,  pour  ne  pas  incommoder  les  Peuples.  On  arriva,  le  17  de 
Juin,  à  Tlafcala,  où  le  Sénat,  toujours  animé  contre  les  Mexiquains,  offrit 
toutes  fes  forces  pour  la  délivrance  d'Alvarado.  Mais  Cortez,  qui  crut  re- 
marquer,, dans  le  zèle  des  Sénateurs,  plus  de  haine  contre  leurs  anciens 

(«)  Herrera  dit  néanmoins  qu'Alvarado     que  Cortez  en  avoit  envoyé  au  Quartier  par 
avoit  envoyé  des  informations  à  Cortez ,  &     Olmedo.    Liv.  10,  Cbap.  9. 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.   I.  373 

Ennemis  que  d'affeftion  pour  les  Efpagnols,  fe  contenta  de  prendre  deux 
mille  Hommes,  dans  la  crainte  d'effrayer  Motezuma  &  de  poufler  les  Re- 
belles au  dernier  desefpoir.  Son  defTein  étoic  de  faire  une  entrée  pacifique 
dans  la  Capitale,  &  de  ramener  les  efprits  par  la  douceur,  avant  que  de 
penfer  au  châtiment  des  Coupables. 

Il  fe  préfema  devant  Mexico ,  le  24,  fans  avoir  trouvé  d'autre  embar- 
ras, dans  fa  route,  que  la  diverficé  &  la  contradiélion  des  avis  qu'il  rece- 
voit.  L'Armée  pafla  la  grande  Chauffée  du  Lac,  avvC  la  même  tranquilli- 
té; quoiqu'à  la  vue  de  plulieurs  indices  qui  dévoient  réveiller  l'es  défiances.- 
Les  deux  Brigantins,  fabriqués  par  les  Efpagnols ,  étoient  en  pièces.  Quel- 
ques ?onts ,  qui  fervoient  à  la'communication  du  Quartier ,  avoicnt  été 
rompus  :  les  Remparts  &  les  Donjons  iparoifToient  déferts.  Un  morne  fi- 
îence  règnoit  de  toutes  parts.  Des  apparences  fî  fufpefte»  obligèrent  le 
Général  de  régler  fa  marche,  &  de  n'avancer  qu'après  avoir  fait  recon- 
noître  fuccefTivement  tous  les  Portes.  Ces  précautions  durèrent  jufqu'au 
Quartier  des  Efpagnols ,  oit  les  Gardes  avancées ,  découvrant  le  fecours 
qui  leur  arrivoit,  poufTèrent  des  cris  de  joye,  qui  rendirent  la  confiance 
à  Cortez.  ,  .        .        •     . 

Alvarado  vint  le  recevoir  à  la  porte  du  Quartier,  accompagné  de  tous 
fes  Soldats,  dont  les  tranfports  &  les  acclamations  ne  peuvent  être  repré- 
fentés.  La  préfence  de  Motezuma ,  qui  parut  oublier  la  fierté  de.fon  rang  , 
pour  accourir  avec  la  même  ardeur  (  i  ) ,  retarda  de  quelques  momens  les 
explications.  Mais  cet  emprefiTement  fît  connoître  qu  il  fouhaitoit  l'arrivée 
de  Cortez  autant  que  les  Efpagnols  mêmes  ;  &  fi  l'on  croyoit  pouvoir  dou- 
ter de  fes  difpofitions  5  il  feroit  difficile  d'expliquer  pourquoi,  n'étant 
plus  retenu  par  la  forée,  il  n'avoit  pas  fait  ufage  de  cette  liberté,  pour 
retourner  dans  fon  Palais ,  pendant  l'abfence  du  Général.  Tous  les  Hiflo* 
riens  reconnoiffent  que,  moitié  politique,  pour  foûtenir  l'opinion  qu'il 
fe  ilattoit  d'avoir  fait  prendre  à  fon  Peuple,  &  aux  Efpagnols  mêmes, 
des  motifs  qui  l'arrêtoient  dans  leur  Quartier  ;  moitié  crainte ,  depuis 
la  révolte  du  Prince  de  Tezcuco;  &  peut-être  auifi  par  attachement 
pour  fes  Hôtes ,  qui  étoient  parvenus  a  lui  infpirer  de  la  confiance ,  & 
qu'il  regardoit  comme  un  appui  contre  fes  propres  Sujets ,  il  ne  varia 
plus  dans  les  témoignages  de  fon  affeélion»  ni  dans  l'exécution  de  fes 
promefTes  (k). 

Cortez  fe  fit  raconter  ce  qui  s'étoit  palTé  dans  fon  abfence.  Un  Corps 
nombreux  de  Mexiquains,  animés  &  conduits  par  quantité  de  Seigneurs, 
avoient  attaqué  plufîeurs-  fois  les  Efpagnols  dans  leur  Quartier ,  fans 


•    (O  Solis,  Liv.  4;  Cbap.  ir,       -       ' 

(k)  Cependant  Diaz  &  Herrera  préten- 
àâit  que  Cortez  reçut  mal  fes  premières  hon- 
nêtetés ,  qu'il  fe  retira  dans  fon  appartement 
fens  lui  répondre,  &  qu'il  lailTa  môme  «échap- 
per quelques  termes  injurieux  pour  lui,  de- 
vant les  Officiers  Mexiquains.  Ces  deux  E- 
crivains  l'accufent  de  s'être  enorgueilli  de 
fes  forces.     Mais  Cornera  &  Solis  s'efFor- 


PtRIf  AN». 

G  o  n  T  u  s. 
1520. 


Préfagcs  fâ- 


cheux. 


Cortez  arrive 
à  Mexico. 


Conduite  de 
Motezuma 
difficile  à  ex- 
pliquer. 


Ce  qui  s'é- 
toit pané  dans- 
l'abfence  de- 
Cortez. 


cent  de  laver  leur  Héros  de  cette  tache.  11 
put  afFefter  quelque  froideur,  fuivant  Solis, 
pour  fe  donner  le  tems  de  prendre  des  in- 
formations ;  mais  outre  qu'il  ne  pouvoit 
foupçonner  l'Empereur  de  mauvaife  foi ,  lôrf- 
qu'il  le  retrouvoit  parmi  les  liens ,  il  auroif 
été  indigne  de  fa  prudence  de  le  maltraiter, 
dans  des  conjonâures  où  il  avoit  befoiu  ^ 
lui,  ubi  fuprà. 


Aaa  a 


FenNANn 

C  0  R  T  E  z. 

1520. 


Cmfos  de 
h  révolte  des 
Mcxiquaiiii). 


374      PREMIERS      VOYAGES 

refpefl:  pour  la  perfonne  &  les  ordres  de  leur  Souverain ,  qui  n'avoit  rien 
épargné  pour  appaifer  la  fédition.  Ils  avoicnc  tenu  lon^-cems  Alvarado 
comme  allicgé  ;  oc  quatre  de  Tes  plus  braves  Soldats  avoicnt  été  tués  dans 
le  dernier  alTaut.  Les  Rebelles  s'étoienc  retirés  depuis  deux  jours  ;  mais 
loin  d'avoir  quitté  les  armes,  leur  grand  nombre,  &  la  mort  des  quatre 
Efpagnols,  leur  infpiroient  tant  d  audace,  qu'ayant  appris  le  retour  de 
Cortez,  ils  n'avoicnt  pris  la  réfolution  de  s'éloigner  du  Quartier  que  pour 
lui  laiiTer  le  tems  &.  la  liberté  d'y  revenir,  dans  la  confiance  qu'y  étant  une 
fois  renfermé  avec  tous  fes  gens,  ils  réuHlroiciic  plus  heurcuiement  que 
le  Prince  de  Tezcuco ,  à  détruire  les  Ennemis  de  leur  Religion  &  de  leur 
Empire. 

La  caufe  d'une  fi  furieufe  animofité  ne  paroît  pas  bien  éclaircie  entre 
les  Hilloriens  (/);  &  Cortez  même  en  parle  avec  incertitude,  dans  la  fé- 
conde de  fes  deux  Relations  (m).  Solis,  qui  fait  profeflîon  d'avoir  pefo 
tous  les  témoignages ,  afllire,  comme  une  vérité  confiante,  qu'après  le  dé- 

{)arc  de  Cortez ,  les  Efpagnols  obfervèrent  beaucoup  de  relâchement  dans 
'attention  &  la  complaifance  que  les  Nobles  avoient  témoignées  pour  eux , 
&  qu' Alvarado,  en  ayant  pris  occafion  de  veiller  fur  leurs  démarches,  ap- 
prit, de  fes  Emiflaires,  qu'on  faifoit  des  aifembléei  dans  quelques  Maifons 
de  la  Ville.  On  approchoit  d'un  jour  folemnel ,  où  l'ufage  étoit  d'hono- 
rer l"s  Idoles  par  des  Danfes  publiques.  Alvarado,  fuivant  le  même  récit, 
fut  informé  que  les  Conjurés  avoient  choifi  ce  tems  pour  foulever  le  Peu- 
ple ,  en  l'exhortant  à  prendre  les  armes  pour  la  liberté  de  leur  Empereur 
&  la  défenfe  de  leurs  Dieux.  Le  même  jour  au  matin ,  quelques-uns  affec- 
tèrent de  fe  montrer  dans  le  Quartier  des  Efpagnols ,  &  demandèrent  mê- 
me au  Commandant  la  liberté  de  célébrer  leur  Fête,  dans  l'efpoir  de  lui 
fermer  les  yeux  par  cette  apparence  de  foumiffion.  Elle  le  fit  douter ,  en 
effet ,  de  la  vérité  de  fes  informations  ;  &  dans  cette  incertitude  il  leur  ac- 
corda ce  qu'ils  demandoient,  à  condition  qu'ils  ne  portaffent  point  d'ar- 
mes ,  &  qu'ils  ne  répandiffent  point  de  fang  humain  dans  leurs  Sacrifices. 
Mais  il  apprit  bientôt  qu'ils  avoient  employé  la  nuit  précédente  à  tranfpor- 
ter  fecrétemenc  leurs  armes  dans  les  lieux  voifins  du  grand  Temple.  Sur 
'  fe.  q       ■  cet 


(/)  Les  uns  vtfulent  que  ce  fut  un  effet 
des  intrigues  &  des  mauvais  ofllces  de  Nar- 
vaez  j  ce  qui  paroît  fans  vraifeinblance  :  d'au- 
tres, que  c'étoit  fimplement  l'envie  de  ren- 
dre la  liberté  à  Motezuma  :  d'autres ,  que 
c'étoit  pour  fe  faifir  de  l'or,  des  pierreries 
&  des  bijoux  qui  étoicnt  demeurés  dans  le 
Quartier  Efpagnol ,  &  dont  on  faifoit  mon- 
ter la  valeur  à  plus  de  fept  cens  mille  écus  ; 
■eniîn  d'autres  encore,  que  c'étoit  par  haine 
pour  les  TIafcalans ,  mortels  Ennemis  de  la 
Nation,  fur  lefquels  on  rejettoit  le  deflein 
'que  les  Efpagnols  avoient  eu  de  ruiner  les 
Idoles.  Barthelemi  de.  Las  Cafas ,  qui  ne 
ménage  point  fa  Nation  ,  raconte  que  les 
Mexiquains,  ayant  voulu  divertir  leur  Em- 


pereur, aroîent  préparé  une  Fête  publique, 
de  l'efpèce  de  Danfeurs  qu'ils  nommoient 
Mitoles,  &  qu' Alvarado,  fâchant  qu'ils  s'é- 
toient  parés  de  leurs  plus  riches  joyaux ,  é- 
toit  venu  les  attaquer  avec  tous  fes  Soldats, 
Qu'il  les  avoit  malTacrés  &  dépouillés ,  &  que 
dans  cette  occafion  plus  de  deux  mille  Me- 
xlquains  avoient  été  paffés  au  fil  de  l'épée. 
Dans  cette  fuppofitlon,  la  révolte  n'étoit 
qu'une  jufte  vengeance.  Mais  tous  les  au- 
tres Ecrivains  Efpagnols  ont  prétendu  que 
Las  Cafas  avoit  été  mal  informé,  Solis ,  ib. , 
page  153. 

(  m  J  Cartas  de  D.  Hemando  Cortez  al  Em- 
perad9r. 


EN     AMERIQUELxv.  I. 


875 


cet  avis 
kur  Danfe 


I  530. 


Rcproclici 


is,  il  prit  des  mefurcs  pour  attagucr  les  principaux  Conjurés  pendant  FinHANq 
anfe,  c'eft:-à-dire,  avant  qu'il»  fuflcnt  armés ,  &  qu'ils  cuilbnt  corn-  Co-rt«z. 
mencé  à  foulever  le  Peuple.  Il  fortit  avec  cinquante  Efpagnols ,  fous  pré- 
texte de  fatisfaire  fa  curiofité  en  afliftant  à  la  Fête.  Il  s'approcha  du  Tem- 
ple, où  les  Conjurés ,  qui  s'y  ëtoient  déjà  rendus,  la  plupart  ivres  &  fans 
défiance,  fe difpofoient  à  danfer,  pour  attirer  le  Peuple  au  fpeftacle.  Mais, 
fan»  leur  laifler  le  tems  de  fe  reconnoître,  il  les  fit  charger  par  Ç^is  gens, 
qui  en  tuèrent  une  partie,  &  qui  forcèrent  les  autres  de  fc  jcttcr  par  les 
lenêtres  du  Temple. 

OuELQUE  jugement  qu'on  doive  porter  de  cette  entreprife,  l'Miflorien 
coritefle  qu'elle  fut  exécutée  avec  plus  d'ardeur  que  de  prudence ,  &  que  *?"'°,"  .^'*'^  ^  '"* 
les  Efpagnols  déshonorèrent  leur  motif,  cn>fe  jettant  fur  les  Morts  &  fur  d'Alvaudo, 
les  Blefles,  pour  arracher  les  joyaux  dont  ils  les  voyoient  couverts.  D'ail- 
leurs Alvarado  fe  retira,  fans  prendre  foin  d'informer  le  Peuple  des  raifons 
de  fa  conduite,  &  Solis  lui  en  fait  un  reproche.  Il  devoit,  dit -il,  publier 
la  confpiration,  &  montrer  les  armes  que  les  Nobles  avoient  cachées.  Le 
Peuple,  qui  ne  fut  informé  que  du  carnage  de  fes  Chefs  &  du  pillage  de 
leurs  joyaux  ,  attribuant  cette  exécution  à  l'avarice  efifrenée  des  Efpa- 
gnols ,  en  conçut  tant  de  fureur  ,  qu'il  prit  aufll  -  tôt  les  armes ,  fans 
?|ue  les  Conju'-es  y  euffent  contribué  par  leurs  exhortations  ou  par  leurs 
oins  (n). 

La  nuit,  qui  fuivit  l'arrivée  de  Cortez ,  ne  fût  pas  moins  tranquille  que 
le  jour  précédent.  Ce  filence ,  qui  duroit  encore  le  lendemain ,  paroifiant 
couvrir  quelque  myftère,  Ordaz  fut  commandé  pour  aller  reconnoître  la 
Ville,  à  la  tête  de  quatre  cens  Hommes,  Efpagnols  &  Tlafcalans.    Il  s'en- 

§agea  dans  la  plus  grande  rue ,  où  il  découvrit  bientôt  une  troupe  d'In- 
iens  armés ,  que  les  Séditieux  n'y  avoient  poflés  que  pour  l'attirer  dans 
leurs  pièges.  En  effet,  lorfqu'il  fe  fût  avancé,  dans  le  defifein  de  fai- 
re quelques  Prifonniers,  dont  il  vouloit  tirer  des  informations,  il  fe  vit 
couper  le  paflage  par  des  Armées  entières ,  qui  vinrent  le  charger  de 
toutes  les  rues  voidnes  ;  tandis  qu'une  Populace  innombrable  ,  qui  fe 
montra  tout -d'un -coup  aux  fenêtres  &  aux  terraifes,  remplit  l'air  de 
pierres  &  de  traits. 

Ordaz  eut  befoin  de  toute  fa  valeur  &  fon  expérience,  pour  repôufler 
une  Cl  vive  attaque.  Il  forma  fon  Bataillon ,  fuivant  l'étendue  &  la  difpo- 
fition  de  fefpace ,  avec  la  précaution  de  le  border  de  Piquiers ,  tandis  que 
les  Arquebuuers ,  qui  compofoieftt  le  centre ,  eurent  ordre  de  tirer  aux  fe- 
nêtres &  aux  terrafles.  Il  lui  étoit  impoflible  de  faire  avertir  Cortez  de  fa 
fituation;  &,  dans  l'opinion,  oi  l'on  étoit  au  Quartier,  qu'il  avoit  aflez 
de  force  pour  exécuter  fa  Commiffion,  on  ne  fe  défia  point  qu'il  eût  befoin 
de  fecours.  Cependant  la  chaleur  des  Indiens  ne  fut  pas  long -tems  à  fe 
rallentir.  L'excès  du  nombre  leur  ôtant  l'ufage  de  leurs  armes ,  ils  s'étoient 
avancés  avec  une  confufion  qui  les  livroit  lans  défenfe  aux  coups  des  Pi- 
quiers. 

(»0  Page  137.    Le  même  Ecrivain  croit     &  par  l'ofFre  qu' Alvarado  lui  fit  de  fe  rendre^ 
fon  récit  bien  confirmé  par  la  réfolution  que     en  pjrifon,  pour  appaifcx  le  Peuple  en  jufli- 
Coïtez  prit  de  faire  pubher  la  vérité  du  fait,    fiant  fa  conduite. 


Combat  en- 
tre les  Efpa- 
gnolii  &  les 
llcbcllc3. 


•    • 


Prudence 
&  valeur 
d'Ordaz. 


I 


Fbrnand 

Cortex. 

1520. 

Il  fe  retire 
avec  gloire. 


Les  Mexi- 
quains  atta- 
quent le 
Quartier  de 
Cortez. 


Leur  fureur. 


Ils  font  re- 
pouiréi!. 


S75      PREMIERS      VOYAGES 

quiers.  Ils  perdirent  tant  de  monde  à  la  première  charge,  que  leur  retrai- 
te devenant  aulTi  tumultueufe  que  leur  approche,  ils  fe  précipitoient  en  ar- 
rière les  uns  fur  les  autres ,  pour  fe  dérobber  à  la  pointe  des  piques.  Les 
Arquebufiers  n'eurent  pas  plus  de  peine  à  nettoyer  les  terrafles.  Ordaz, 
qui  n'étoit  venu  que  pour  reconnoître,  ne  jugea  point  à  propos  de  pouiTer 
plus  loin  fa  viftoire;  &  fans  faire  changer  de  forme  à  fa  Troupe,  il  char- 
gea fi  vigoureufement  ceux  qui  l'avoient  coupé  par  derrière,  qu'il  s'ouvrit 
le  chemin  jufqu'au  (Quartier.  Cette  aflion  lui  coûta  néanmoins  du  fang. 
La  plupart  de  Tes  gens  furent  blefTés.  11  le  fut  lui-même,  &  huit  de  fes 
plus  braves  Tlafcalans  furent  tués  fous  fes  yeux  ;  mais  il  ne  perdit  qu'un 
Efpagnol,  que  Diaz  nomme  Lezcano,  &  dont  il  vante  beaucoup  la  va- 
leur. 

CoKTEz  avoit  penfé  à  ramener  les  efprits  par  des  propofitions  de  Paix  ; 
mais  outre  qu'il  n'avoit  perfonne,  dont  il  pût  attendre  ce  fervice,  &  que 
Motezuma  même  fembloit  fe  défier  de  fa  propre  autorité,  le  fuccés  d'Or- 
daz  lui  fit  juger  qu'il  n'étoit  pas  tems  de  s'abbaifler  à  des  offres  qui  pou- 
voient  augmenter  l'infolence  des  Rel  jlles.  11  fut  confirmé  dans  ce  fenti- 
ment,  parla  fureur  avec  laquelle  ils  fe  rafi^emblèrent,  après  leur  défaite, 
pour  fuivre  Ordaz  jufqu'à  la  vue  du  Quartier.  Leur  deflein  étoit  d'y  don- 
ner un  afi^aut  général.  En  vain  tenta- t'on  de  les  efirayer  par  le  bruit  de 
l'Artillerie.  Leurs  timbales  &  leurs  cors  donnèrent  aullî-tôt  le  fignal  du 
Combat.  Ils  s'avancèrent,  en  même  tems,  avec  un  emportement  fans 
exemple.  Plufieurs  troupes  d'Archers ,  dont  ils  avoient  compofé  leur  A* 
vant-garde,  tiroicntaux  créneaux,  pour  faciliter  les  approches  à  ceux  qui 
les  fuivoient.  Leurs  décharges  furent  fi  épaiflfes  &  fi  fouvent  répétées ,  pen- 
dant que-lcs  autres  pafibient  entre  leurs  rangs  pour  monter  à  l'aflaut ,  qu'el- 
les caufèrent  beaucoup  d'embarras  aux  Efpagnols ,  qui  fe  trouvoient  parta- 
gés tout-à-la-fois  par  la  néceflTité  de  fe  défendre  des  fiéches,  &  par  celle  de 
repoufler  leurs  Ennemis;  fans  compter  un  troifième  foin,  qui  confifiioit, 
s'il  faut  en  croire  un  de  leurs  Hiftoriens,  à  ramaflTer  ces  flèches,  dont  la 
multitude  bouchoit  les  pafl^ages  (0).  L'Artillerie  &  les  Arquebufes  ne  laif- 
foient  pas  de  faire  un  afiVeux  carnage  ;  mais  ces  furieux  étoient  fi  détermi- 
nés à  mourir  ou  à  vaincre,  qu'ils  s'empreflbient  de  remplir  le  vuide,  que 
hs  Morts  avoient  laifle,  &  qu'ils  fe  ferroient  avec  le  même  courage,  en 
foulant  aux  pieds ,  fans  din:in(Slion ,  leurs  BlefTés  &  leurs  Morts.  Plufieurs 
s'avancèrent  jufques  fous  le  Canon,  où  ils  s'efforcèrent,  avec  une  obftina- 
tion  incroyable,  de  rompre  les  Portes,  &  d'abbattre  les  Murs,  avec  leurs 
haches  garnies  de  pierre  tranchante.  Quelques-uns,  élevés  fur  les  épaules 
de  leurs  Compagnons ,  cherchoient  le  m»yen  de  combattre  à  la  portée  de 
leurs  armes.  D'autres  fe  fervoient  de  leurs  zagaies,  comme  d'échelles, 
pour  monter  aux  fenêtres  &  aux  terrafles.  „  Tous  enfin,  pour  employer 
les  termes  de  THifliorien ,  fe  lançoient  au  fer  &  au  feu  comme  des  Bêtes 
farouches;  &  ces  efl^ets  d'une  témérité  brutale  auroient  pu  pafler  pour 
des  prodiges  de  valeur,  fi  la  férocité  n'y  avoit  eu  plus  de  part  que  ie 
„  courage". 


)» 


(0)  Ibidem,  165. 


'   ç  -t^-iv*    (■'-«..■ 


E    N      A    M    E    R 


rT 

X 


o 


U    E,    Liv.  î. 


377 


Cependant  ,  après  avoir  été  repouffés  de  toutes  parts ,  Us  fe  retirèrent 
dans  leurs  rues ,  pour  s'y-  mettre  à  couvert  des  boulets  &  des  balles  qui  les 
pourfuivoient.  Leur  ufage  n'étant  point  de  combattre  dans  l'abfence  du 
Soleil ,  il  fe  réparèrent  à  la  fin  du  jour  ;  ce  qui  n'empêcha  point  les  plus 
hardis  de  venir  troubler,  pendant  la  nuit,  le  repos  des  Efpagnols,  en  met- 
tant le  feu  à  plufieurs  endroits  du  Quartier.  On  ignore  s'ils  l'avoient  jette 
à  Force  de  bras,  ou  s'ils  s'étoient  fervis  de  leurs  flèches,  auxquelles  ils  pou- 
voient  avoir  attaché  quelque  matière  embrafée;  mais  la  flamme  s'empa- 
ra tout  -  d'un  •  coup  des  Edifices ,  &  s'y  répandit  avec  tant  de  violence  , 
qu'on  fut  obligé  d'en  abbattre  une  partie;  après  quoi,  la  néceflité  démet- 
tre les  brèches  en  défenfe,  on  impofa  un  autre  travail ,  qui  fit  durer  la  fatigue 
jufqu'au  jour. 

Les  Indiens  reparurent  au  lever  du  Soleil  ;  mais  au  lieu  de  s'approcher 
des  murs,  ils  fe  contentèrent  d'infulter  les  Efpagnols  par  des  reprochés  in- 
jurieux ,  en  les  accufant  fur-tout  d'être  des  lâches,  qui  ne  fe  défendoient 
qu'à  l'abri  de  leurs  murailles.  Cortez,  qui  s'étoit  déjà  déterminé  à  faire 
une  fortie,  prit  occallon  de  ce  défi  pour  animer  fes  Soldats.  Il  forma  trois 
Bataillons;  deux  pour  nettoyer  les  rues  de  traverfe;  &  le  troifième,  dont 
il  prit  lui-même  la  conduite,  pour  attaquer  le  principal  Corps  des  Enne- 
mis, qu'on  découvroit  dans  la  grande  rue  (p).  Avec  la  grandeur  d'ame 
qui  le  rendoit  fupérieur  aux  petites  jaloufies,  il  fit  l'honneur,  au  brave 
Ordaz,  d'imiter  la  difpofition  de  rangs  qui  l'avoit  rendu  viélorieux  dans 
fa  retraite.  Les  trois  Bataillons ,  étant  fortis  enfemble,  n'allèrent  pas  loin 
fans  trouver  l'occafion  de  combattre.  Mais  l'Ennemi  foutint  cette  premiè- 
re décharge  fans,  s'étonner.  L'A6lion  devint  fort  vive.  Les  Mexiquains 
fe  fervoient  de  leurs  maflues  &  de  leurs  épées  de  bois ,  avec  une  fureur 
defefperée.  Ils  fe  précipitoient  dans  les  piques  &  les  autres  armes ,  pour 
frapper  les  Efpagnols  aux  dépens  de  leur  vie,  qu'ils  paroiflbient  méprifer. 
On  avoit  recommandé .  aux  Arquebufiers,  de  tirer  aux  fenêtres;  mais  leurs 
décharges  continuelles  n'arrêtant  point  une  grêle  de  pierres,  que  les  Mexi- 
quains avoicnt  trouvé  le  moyen  de  faire  pleuvoir  fans  fe  montrer,  on  fut 
obligé  de  mettre  le  feu  à  quelques  Mailbns,  pour  faire  cefler  cette  impor- 
tune attaque.  Enfin,  les  Rebelles  tournèrent  le  dos;  mais  en  fuyant,  ils 
rompoient  les  Ponts  îk  faifoient  tête  de  l'autre  côté  des  Canaux.  Cortez  fit 
donner  la  chafle  aux  autres ,  dans  plufieurs  Quartiers.  Cependant,  par  pi- 
tié pour  tant  de  Miférables,  qui  fuyoient  en  defordre,  il  rappella  fes  Trou- 
pes, &  fe  retira  fans  oppofition.  Il  perdit  douze  Hommes,  dans  cette 
glorieufe  journée;  &  la  plupart  des  autres  ne  revinrent  pas  fans  bleflTures. 
Du  côté  des  Mexiquains ,  le  nombre  des  Morts  fut  fi  grand ,  que  les  rues 
étoient  couvertes  des  corps  qu'ils  n'avoient  pu  retirer, &  les  Canaux  teints 
de  lang.  ^.^^    ,Li;.^„y,K,        ^  ;  .,,    =.",..   ^.j 

On  donna  quelques  jours  au  repos,  mais  toujours  à  la  vue  de  l'Ennemî, 
qui  revenoit  un  moment  à  l'attaque  ,  &  qui  fe  dilfipoit  avec  la  même  faci- 
lité. Dans  cet  intervalle ,  Cortez  hazarda  quelques  propofitions  d'accom- 
modement ,  par  divers  Officiers  de  Motezuma ,  qui  ne  s'étoient  point  é- 

5  ;    >/     ^  loignés 

^         '  (  /»  )  Elle  fe  nommoit  Tobaca,  ^  y- 

XniL  Part.  B  b  b-  '"  "'    "•'    • 


Fernand 
Cortez. 


Cortez  fait 
une  fortie. 


Avantage 
qu'il  en  tire. 


11  fait  prcv 
pofcr  un  ac- 
commode- 
ment. 


378 


p  'r    E    m    I    E    R    S 


VOYAGES 


PbRH AND 
£ORTEZ. 

1520. 

Tours  ou 
Châteaux  mo- 
biles. 


•Nouvelle 
fortie  de  Cor- 
tes. 


Difficultés 
qu'il  trouve  à 
vaincre. 


Craintes  qui 
l'agitent. 


loigncs  de  leur  Maître.  Ce  foin  ne  lui  fit  pas  perdre  Tàttention  qu'il  dé- 
voie à  fa  défenfe.  11  fit  conftruire  quatre  Châteaux  mobiles  ,  en  forme  de 
Tours ,  qui  pouvoient  être  traînés  fur  des  roues ,  pour  les  employer  dans 
l'occafion  d'une  nouvelle  fortie.  Chaque  Tour  pouvoit  contenir  vingt  ou 
trente  Hommes.  Elles  étoient  de  fortes  planches ,  qui  pouvoient  réfifter 
aux  plus  grofles  pierres  qu'on  jettoit  des  fenêtres  ou  des  terrafles;  & 
fur  toutes  leurs  faces  elles  étcient  percées  d'un  grand  nofïlbre  de  trous , 
par  lefquels  on  pouvoit  tirer  fans  fe  découvrir.  Cette  invention  parut 
propre,  non  feulement  à  garantir  les  Soldats,  mais  encore  à  leur  facili- 
ter le  moyen  de  mettre  le  feu  aux  Edifices  de  la  Ville ,  &  de  rompre  les 
tranchées  qui  traverfoient  les  rues.  Quelr  les  Hiftoriens  ajoutent  qu'il  en- 
troit  aufli  dans  les  vues  deCorte^,  d'épouvanter  les  Mexiquains  par  la  nou- 
veauté de  ce  fpeclacle. 

DÉ  plufieurs  Officiers,  qui  étoient  fortis  pour  tenter  un  accommodement , 
les  uns  revinrent  fort  maltraités ,  &  les  autres  demeurèrent  avec  les  Re- 
belles.    L'Empereur,  qui  fouhaitoit  la  réduélion  de  fes  Sujets,  fut  fi  vive- 
ment irrité  de  leur  obftination,  qu'il  confeilla  lui-même,  àCortez,  de  les 
traiter  fans  ménagement.    On  réfolut  Une  nouvelle  fortie.     Cette  journée 
fut  terrible.     Les  Ennemis  n'attendirent  point  le  coup  qui  les  menaçoit.  Ils 
vinrent  au-devant  des  Efpagnols ,  avec  une  réfolution  furprenante.  On  s'ap- 
perçut  qu'ils  étoient  conduits  avec  plus  d'ordre  &  de  jufleflfe,  qu'on  ne 
leur  en  connoifibit.    Ils  tiroient  enfemble.   Ils  défendoient  leurs  Poftes  fans 
confufion.     A  peine  les  Efpagnols  furent-ils  engagés  dans  la  Ville,  que  tous 
les  Ponts  furent  levés  pour  leur  couper  la  retraite.    Il  fe  trouva  des  Mexi- 
quains jufques  dans  les  Canaux,  pour  les  percer  de  leurs  flèches  ou  de  leurs 
zagaies,  lorfqu'ils  approchoient  des  bords.     Les  Châteaux  de  bois  furent 
brifés,  par  des  pierres  d'une  énorme  groffeur ,  qui  dévoient  avoir  été  tranf- 
portées  dans  cette  vue  fur  les  terrafles.    On  combattit  pendant  la  plus  gran- 
de partie  du  jour.     Les  Efpagnols  &  leurs  Alliés  fe  voyoient  difputer  le 
terrein,  de  tranchée  en  tranchée.    La  Ville  en  foufi*rit  beaucoup.     Plu- 
fieurs Maifons  furent  brûlées  ;  &  les  Mexiquains ,  s'approchant  de  plus  près 
des  armes  à  feu ,  perdirent  encore  plus  de  monde  que  dans  les  deux  Aftions 
précédentes.     A  l'approche  de  Ja  nuit ,  Cortez,  maître  de  plufieurs  Pofl:es, 
qu'il  ne  défiroit  pas  de  garder ,  conçut  qu'il  avoit  peu  d'utilité  à  tirer  de  fon 
Expédition,  &  ne  fe  fervit  de  fes  avantages  que  pour  retourner  heureufe- 
ment  au  Quartier.     Il  avoit  perdu  quarante  Hommes ,  la  plupart  à  la  véri- 
té Tlafcalans;  mais  les  deux  tiers  de  fes  Efpagnols  étoient  blefles,  &  lui- 
même  avoit  la  mai.i  percée  d'un  coup  de  flèche. 

Sa  bleflfure  lui  fervit  de  prétexte  pour  fe  retirer  au  fond  de  fon  Apparte- 
ment; mais  il  reconnoît,  dans  fa  première  Relation  (^),  qu'il  y  porta  une 
playe  plus  profonde,  il  revenoit  convaincu,  par  les  événemens  du  jour, 
qu'il  lui  étoit  impofllble  de  foutenir  cette  Guerre  fans  perdre  fon  Armée  ou 
fa  réputation.  Il  ne  pouvoit  penfer,  fans  une  vive  douleur,  à  quitter  la 
Capitale  du  Mexique,  &  toutes  fes  lumières  ne  lui  offroienc  aucune  refifour- 
ce  pour  s'y  maintenir. 

(^q)  Cêrtas  al  Emperador.  •  'r 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.  I.  379 

Après  avoir  pafTé  la  nuit  dans  cette  agitation,  il  reçut,  dès  la  pointe 
du  jour,  un  autre  fujet  de  trouble,  par  la  déclaration  de  Motezuma  ,  qui , 
desefpérant  de  ramener  fes  Sujets  à  la  foumiflîon,  .tandis  qu'ils  verroient 
les  Efpagnols  fi  prus  d'eux,  lui  ordonna,  d'un  ton  abfolu,  de  fe  difporer  à 
partir.  Quoique  cet  ordre  parût  venir  de  fa  crainte,  plutôt  que  d'une  fé- 
rieufe  confiance  à  fon  autorité,  Cortez,  perfuadé  que  la  retraite  étoit  né- 
ceflaire,  prit  le  parti  de  lui  répondre  qu'il  étoit  prêt  d'obéir;  mais  qu'il  le 
prioit  de  faire  quitter  les  armes  aux  Mexiquains  avant  qu'un  feul  Efpagnoi 
fortît  du  Quartier.  Cependant,  pour  joindre  la  fierté  à  la  complaifance, 
il  ajouta  que  l'obUination  des  Rebelles ,  le  touchant  moins  que  fon  refpedl: 
pour  l'Empereur,  c'étoit  ce  dernier  fentiment  qui  lui  faifoit  laifler,  à  Sa 
Majeflé,  le  foin  de  punir  les  Coupables,  &  qu'il  portoit,  à  la  pointe  de 
fon  épée ,  le  pouvoir  de  fe  faire  refpeéter  dans  fa  marche.  Motezuma ,  qui 
n'avoit  pas  compté  fur  une  décifion  fi  prompte,  parut  refpirer  après  cette 
réponfe ,  &  ne  penfa  qu'à  donner  des  ordres ,  pour  faire  exécuter  unt  con- 
dition qu'il  trouvait  jufl:e. 

Pendant  qu'il  fe  livroit  à  ce  foin ,  oh  entendit  fonner  l'allarme  dans  tou- 
tes les  parties  du  Quartier.  Cortez  y  courut ,  &  trouva  fes  gens  occupés 
à  foutenir  un  nouvel  afl*aut  des  Mexiquains ,  qui ,  fermant  les  yeux  au  pé- 
ril, s'étoient  avancés  fi  brufquement ,  que  leur  Avant-garde ,  emportée  par 
le  mouvement  de  ceux  qui  la  fuivoient,  fe  trouva  tout-d'un-coup  au  pied 
du  mur.  Ils  fautèrent  en  plufieurs  endroits  fur  le  Rempart.  Les  Efpagnols 
avoient  heureufemeht ,  dans  la  grande  Cour  du  Château,  un  Corps  de  ré- 
ferve ,  qui  fut  diftribué  aux  Poffes  les  plus  foibles.  Mais  Cortez  n'avoit 
jamais  eu  tant  befoin  de  fa  diligence  &  de  fa  valeur.  Motezuma ,  informé 
de  l'embarras  des  Efpagnols,  envoya  dire,  à  leur  Général,  que  dans  une 
conjonfture  fi  preflante,  &  fuivaht  la  réfolution  qu'ils  avoient  prife  enfem- 
ble,  il  jugeoit  à  propos  de  fe  montrer  à  fes  Sujets,  pour  leur  donner  ordre 
de  fe  retirer,  &  pour  inviter  les  Nobles  à  lui  venir  expofer  paifiblement 
leurs  prétentions.  Cottez  approuva  d'autant  plus  cette  ouverture ,  qu'elle 
pouvoit  donner  quelques  moniens  de  repos  à  fes  Soldats. 

L'Empereur,  quoique  fort  agité  par  le  doute  du  fuccès ,  fe  hâta  dj 
prendre  tous  les  ornemens  de  fa  dignité ,  le  Manteau  impérial ,  le  Diadè- 
me, &  toutes  les  Pierreries,  qu'il  ne  portoit  que  dans  le  plus  grand  étalla- 
ge  de  fa  grandeur.  Cette  pompe  lui  parut  néceflaire ,  pour  fe  faire  recon- 
noître  &  pour  impofer  du  refpeft.  Il  fe  rendit ,  avec  les  Nobles  Mexi- 
quains qui  étoient  demeurés  à  fon  fervice,  fur  le  Rempart  oppofé  à  la  prin- 
cipale avenue  du  Château.  Les  Soldats  Efpagnols  de  ce  Porte  formèrent 
deux  hayes  à  fes  .côtés.  Un  de  fes  Officiers,  s'avançant  jufqu'au  parapet, 
avertit  les  Rebelles ,  à  haute  voix ,  de  préparer  leur  attention  &  leur  ref- 
peél  pour  le  grand  Motezuma ,  qui  venoit  écouter  leurs  demandes ,  &  les 
honorer  de  fes  faveurs.  A  ce  nom ,  les  mouvemens  &  ies  cris  s'appaifè- 
rent.  Une  partie  des  Mutins  fe  mit  à  genoux.  Quelques-uns  fe  profl;er- 
nérent  iufqu'a  baifer  la  terre.  L'Empereur,  après  avoir  parcouru  des  yeux 
toute  1  Afîemblée,  les  arrêta  fur  les  Nobles;  &  diftinguant  ceux  qu'il  con- 
noiflbit,  il  leur  commanda  de  s'approcher.  Il  les  appella  par  leurs  noms; 
il  leur  prodiga  les  titres  de  Parens  &  d'Amis.    Leur  filence  paroiflant  ré- 

Bbb  2  poa- 


Feunakd 
Coûtez; 

i5?o. 


Il  confcnt 
à  partir. 


Cette  réfo- 
lution elt 
troublée  par 
un  alTaut  des 
Mexiquains. 


Motezuma 
propofe  de  fe 
montrer  à  les 
Sujets. 


Circonftan* 
ces  de  cetta 
eiitreprife. 


Difcours 
qu  il  lient  aux 
Séditieux. 


Fernand 

COBTEZ. 
1520. 


EfFet  qu'il 
produit. 


Motezuma 
eft  dangereu- 
fement  blelTé 
par  fes  Sujets. 


380        PREMIERS      VOYAGES 

pondre  de  leurs  difpofitions ,  il  fit  violence  à  Ton  reflentiment  jufqu'à  le» 
remercier  du  zèle  qu'ils  faifoient  éclater  pour  fa  liberté:  mais  après  avoif. 
ajouté  qu'il  étoic  fort  éloigné  de  leur  en  faire  un  crime ,  quoiqu'il  y  trou- , 
vât  de  l'excès,  il  les  aflura  qu'ils  s'étaient  trompés,  s'ils  avoient  cru  que 
les  Efpagnols  le  retinflent  malgré  lui;  que  c'étoit  volontairement  qu'il,  de- 
mcuroit  avec  eux,  pour  s'inftruire  de  leurs  ufages,   pour  reconnoître  le- 
refpedl  qu'ils  lui  avoient  toujours  rendu,  &  pour  marquer  une  jufte  confi- 
dération  au  puifTant  Monarque  qui  les  avoit  envoyés  :  qu'il  avoit  pris  néan*, 
moins  la  réfoiution  de  les  congédier,  &  qu'ils  confentoient  eux-mêmes  ai 
s'éloigner  inceflamment  de  fa  Cour;   mais  qu'il  ne  pouvoir  exiger,   avec; 
juftice,  que  leur  obéilfance  prévînt  celle  de  fes  Sujets.     Là-deflus  il  donna, 
ordre ,  à  tous  ceux  qui  le  reconnoiffoient  pour  leur  Maître ,   de  quitter 
les  armes  ,  &  de  retourner  paifiblement  à  la  Ville  ;  contens ,  comme 
ils  dévoient  l'être,  ajoûta-t'il,  de  fa  parole,  &  du  pardon  qu'il  leur  ac- 
cordoit.         ,   ;  '  r<i.  ,i;; 

Ce  difcours,  que  les  Hifloriens  rapportent  avec  plus  d'étendue,  fut  é- 
couté  fans  interruption;  &  perfonne  n'eut  l'audace  d'y  répondre.  Mais 
perfonne  aulfi  ne  parut  difpofé  à  quitter  les  armes.  Un  profond  filence, 
qui  continua  pendant  quelques  momens ,  fembloit  marquer  de  l'incertitude. 
Le  bruit  ne  recommença  que  par  dégrés.  Il  venoit  de  ceux  qui  travail- 
loient  fourdement  à  rallumer  le  feu  ;  8i  le  nombre  en  étoit  fort  grand ,  puif- 
que,  fuivant  quelques  Ecrivains,  on  avoit  déjà  fait  l'éleélion  d'un  nouvel 
Empereur,  ou  que,  fuivant  les  autres,  elle  étoit  du  moins  réfolue.  En- 
fin ,  la  fédition  reprit  toute  fa  force,  &  l'infolence  fut  bientôt  pouflee  juf- 
qu'au  mépris.  On  entendit  crier  que  Motezumja  n'étoit  plus  Empereur  du 
Mexique;  qu'il  étoit  un  Lâche,  un  Traître,  &  le  vil  Éfclave  des  Ennemis 
de  la  Nation.  En  vain  s'efforçat'il  de  s'attirer  de  l'attention  par  divers 
fignes.  Les  cris  furent  acfcompagnés  d'une  nuée  de  traits,  qui  paroiiToient 
lancés  contre  lui.  Deux  Soldats  Efpagnols,  que  Cortez  lui  avoit  donnés 
pour  Gardes,  le  couvrirent  de  leurs  boucliers;  mais  tous  leurs  foins  ne  pu- 
rent le  garantir  de  plulieurs  coups  de  flèches,  ni  d'une  pierre  qui  l'atteignit 
à  la  tête,  &  qui  le  fit  tomber  fans  aucun  fentiment.  Cet  accident  fut  ref- 
fcnti  de  Cortez ,  comme  le  plus  cruel  contre-tems  qui  pût  arriver.  Il  fit 
tranfporter  ce  malheureux  Monarque  à  fon  Appartement;  &  dans  fon  pre- 
mier trouble ,  il  courut  à  la  défenfe  avec  un  emportement  terrible  :  mais 
il  fe  vit  privé  de  la  fatisfaélion  de  fe  vanger.  Les  Ennemis  n'eurent  pas 
plutôt  vu  tomber  leur  Maître,  que  reconnoifl!ant  l'énormité  de  leur  crime, 
ils  furent  faifis  d'une  affreufe  épouvante  ,  qui  les  fit  fuir  &  difparoî- 
tre  en  un  moment,  comme  s'ils  eulfent  été  pourfuivis  par  la  colère  du 
Ciel  (r).  *  ^ 

L'Empereur  étoit  revenu  à  lui,  mais  avec  tant  dedesefpoir  &  d'impa- 
tience, qu'il  fallut  retenir  fes  mains,  pour  l'empêcher  d'attenter  à  fa  vie» 
Il  ne  pbiivoit  foutenir  l'idée  d'avoir  été  réduit  à  cet  état  par  fes  Sujets.  Il 
rejettoit  les  médicamens.  Il  pouflbit  d'eflfroyables  menaces,  qui  fe  termi- 
noient  par  des  gemiflemens  &  des  pleurs.    Le  coup ,  qu'il  avoit  reçu  à  la 

tête» 
,  (r) /iiV,  pages  185  &  précédentes.         /.  i     '.     • 


E    N      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Li  V.   1. 


381 


II 
ance,  & 


tête,  parut  dangereux  ;  mais  Tes  agitations  Je  rendirent  bientôt  mortel 
expira  le  troifiéme  jour,  en  chargeant  les  Efpagnols  de  fa  vengeance, 
fans  avoir  voulu,  prêter  l'oreille  à  leurs  infl:ru6tions.  On  rcgreta  beaucoup 
de  n'avoir  pu  remporter  cet  avantage  fur  l'Idolâtrie;  &  fi  l'on  fe  rappelle 
que,  dans  un  fi  long  commerce  avec  des  Ciircdens,  Motezuma  n'avoit  pu 
manquer  de  lumières,  on  fera  porté  à  croire  que  l'endurcifl^tment,  dans  le- 
quel il  mourut,  venoit. moins  de  fon  attachement  pour  fes  Dieux  (  .r)  ,  que 
des  tranfports  de  fureur  qui  avoient  obfcurci  fa  raifon.  Diaz  alfure  que 
tous  les  Efpagnols  furent  également  fenfibles  à  la  mort  d'un  Prince,  qui 
s'étoit  attiré  leur  affeftion  par  fes  carefll^s  &  fes  préfens.  Cortez  en  parut 
inconfolable.  Ses  plus  hautes  efpérances  ayant  eu  pour  fondement  la  fu- 
jettion  volontaire  à  laquelle  il  avoit  trouvé  Je  fecret  de  l'engager ,  ce  coup 
imprévu  déconcertoit  toutes  fes  mefures ,  &  le  mettoit  dans  la  nécelfité  de 
former  un  autre  plan. 

Il  prit  d'abord  le  parti  d'affembler  les  Officiers  Mexiquains ,  qui  n'avoient 
jamais  quitté  leur  JVIaître ,  &  d'en  choifir  fix ,  qu'il  chargea  de  porter  fon 
corps  dans  la  Ville.  Quelques  Sacrificateurs,  qui  avoienc  été  pris  dans  les 
aftions  précédentes ,  fervirent  de  Cortège,  avec  ordre  de  dire  aux  Chefs 
des  Séditieux  ;  „  que  le  Générai  étranger  leur  envoyoit  le  corps  de  leur 
Empereur,  malTacré  par  leurs  mains,  &  que  ce  crime  donnoit  un  nou- 
veau droit  à  la  jufl:ice  de  fes  armes;  qu'en  expirant,  iVIotezuma  l'avoit 
chargé  de  la  vengeance  de  cet  attentat,  mais  que  le  prenant  pour  l'effet 
d'une  brutale  impétuofité  du  Peuple,  dont  les  Nobles  avoient  reconnu 
fans  doute  &  châtié  l'infolence,  il  en  revenoit  encore  aux  propofitions 
de  Paix  ;  qu'irs  pouvoient  envoyer  des  Députés  pour  entrer  en  conféren- 
ce, &  s'afiTurer  d'obtenir  des  conditions  raifonnables  ;  mais  que  s'ils  tar- 
doient  à  profiter  de  ces  offres ,  ils  feroient  traités  comme  des  Rebelles 
&  des  Parricides". 

Les  Seigneurs  Mexiquains  partirent,  avec  le  corps  de  Motezuma  fur 
leurs  épaules.  On  remarqua,  du  haut  des  murs,  que  les  Séditieux  venoient 
le  reconnoître  avec  refpeft ,  <St  qu'abandonnant  leurs  Pofles ,  ils  fe  raifem- 
bloient  tous  pour  le  fuivre.  Bientôt  la  Ville  retentit  de  gemilfemens,  qui 
durèrent  toute  la  nuit  ;  &  le  lendemain,  à  la  pointe  du  jour,  le  corps  fut 
tranfpofté,  avec  beaucoup  de  pompe,  à  la  Montagne  de  Chapultepeque\  fé- 
pulture  des  Empereurs  du  Mexique,  où  leurs  cendres  étoient  réligieufe- 
ment  confervées  ( f  ).    ,  if ,.;»?;   ?    »  i         "  .  ;     Ce 


F  E  R  K  A  N  l> 

Cortez. 

1520. 
Sa  mort. 


Regrets 

qu'elle  caufe 
îitix  Eipa- 
gnols. 


S) 

» 


(j)  Quelques  Hiftoriens  rapportent  qu'il  de  leur  Empereur,  qu'ils  le  mirent  en  piè 
avoit  commencé  à  marquer  du  goût  pour  les  ces  &  ou'ils  ne  traitèrent  cas  mioux  fes  Fem 
principes  du  Chriftianifme  :  d'autres  ont  ac 


ces  &  qu'ils  ne  traitèrent  pas  mioux  fes  Fem- 
mes &  fes  Enfans  D'autres  ont  prétendu 
qu'ils  l'avoient  expofé  feulement  aux  raille- 
ries du  Peuple ,  jiifqu'à  ce  qu'un  de  fes  Do- 
mefliques ,  ramalFant  un  peu  de  bois ,  dont 
il  fit  un  bûcher,  le  brûla  dans  un  endroit  é- 


cufé  les  Efpagnols  de  négligence  pour  fa  con- 
verfion.  Un  autre,  que  Solis  cite  fans  le 
nommer ,  paroît  perfuadé  que  ce  fut  Cortez 

même,  qui  fit  tuer  ce  Prince;  mais  cette  im-  n  m  un  oucner,  le  oruia  aans  un  enaroit  e- 
putation  blefle  toute  vraifemblan-e ,  fur-tout  carte.  Mais  Solis,  qui  fait  profeflîon  d'a- 
cans  un  teuis  où  Motezuma  étoit  fi  nécelTai-  voir  porté  tous  fes  foins  à  vérifier  le  fait  par 
le  aux  Efpagnols.  Solis  la  réfute  avec  in-  la  comparaifon  des  témoignages ,  afliire  que 
dignation ,  page  196.  le  fentiment  le  plus  certain  ell  celui  auquel 

(t)  Quelques  Hiftoriens  ont  écrit  que  les     on  s'attache  après  lui,  ubifuprà,  pag.  195. 
Mexiquains  traînèrent  indignement  le  corps 

Bbb  3 


Nouvelles 
mefures  de 
Coitcz. 


Le  corps  de 
Motezuma  eft 
jnvoyé  aux 
Rebelles. 

Ils  l'enfeve- 
liflent  avec 
honneur. 


Pernand 

CORTEZ. 
1520. 

Son  carac- 
tère. 


I    I 


Nouvel  Em- 
pereur du 
Mexique. 


DelTein 
Cortez. 


de 


La  Guerre 
recommence. 


382 


PREJMIERS      VOYAGES 


Ce  Prince  avoit  règne  dix-fcpt  ans.  Il  étoit  l'onzième  Souverain  da 
Mexique,  &  le  fécond  du  nom  de  Motezuma.  Si  l'on  excepte  l'orgueil  & 
la  cruauté,  qui  avoient  commencé,  depuis  longtems,  à  le  rendre  odieux 
à  Tes  Peuples,  il  paroît  qu'il  n'étoit  point  fans  vertus ,  &  que  la  libéralité, 
du  moins,  en  étoit  une,  qu'il  ne  cefla  point  d'exercer  à  l'égard  des  Ef- 
pagnols.  ils  reconnoiflent  d'ailleurs  qu'il  étoit  fobre,  &  fi  zélé  pour  là 
juftice ,  que  fes  plus  cruelles  rigueurs  tomboient  fur  les  Miniftres  qui  la 
violoient  dans  leurs  fondions.  Ils  lui  attribuent  un  efprit  pénétrant,  un 
jugement  folide,  de  la  valeur  &  de  l'habileté  dans  les  armes.  S'il  manqua 
de  prudence  &  de  courage,  en  prenant  le  parti  de  fe  foumettre  à  Cor- 
tez, on  a  vu  qu'outre  les  préventions  fuperftitieufes ,  qui  lui  faifoient 
craindre  la  ruine  de  fon  Empire ,  il  fut  conduit  par  dégrés  à  des  réfolu- 
tions  fort  éloignées  de  Ces  vues  ;  &  l'on  ne  fera  point  furpris  que  la  politi- 
que d'un  Barbare  ait  été  déconcertée  par  celle  du  plus  aftif  &  du  plus 
adroit  de  tous  les  Honmes  (v). 

Les  Mexiquains  n'avoient  fait  aucun  mouvement  confidérable,  pendant 
que  l'Empereur  avoit  langue  de  fes  bleffures  ;  &  Cortez  commençoit  à  fe 
natter  que  cette  fufpenfion  d'armes  venoit  du  remord  de  leur  crime ,  ou 
de  la  crainte  du  châtiment  qu'ils  dévoient  attendre  de  la  colère  de  Mote- 
zuma. Mais  il  apprit,  par  quelques  informations  de  fes  EmiiTaires,  qu'ils 
avoient  employé  ces  trois  jours ,  à  fe  donner  un  nouveau  Maître ,  &  qu'ils 
avoient  couronné  Quetlavaca.  Cacique  d'Iztacpalapa  ,  &  fécond  Eleéleur 
de  l'Empire.  Les  Officiers ,  qui  étoient  fortis  avec  le  corps  de  Motezu- 
ma, s'étant  difpenfés  de  revenir,  cette  opiniâtreté  fit  mal  juger  des  dif- 
pofitions  du  nouveau  Monarque.  Cortez  ne  fouhaitoit ,  au  fond,  que  de 
faire  fa  retraite  avec  honneur.  Ses  forces  ne  lui  permettoiént  pas  d'entre- 
prendre férieufement  la  Conquête  d'une  grande  Ville,  où  le  nombre  des 
Habitans  croiffoit  tous  les  jours ,  par  le  foin  que  les  Caciques  avoient  eu 
d'appeller  les  Troupes  des  Provinces  ;  mais  dans  la  réfolution  où  il  étoit 
de  revenir  avec  une  Armée  plus  nombreufe^  &  de  faire  valoir  le  pt'é- 
texte  de  vanger  Motezuma,.  il  vouloit  laifler,  aux  Mexiquains ,  une  plus 
haute  idée  que  jamais  de  la  fupériorité  de  fes  lumières,  &  de  la  valeur 
des  Efpagnols.  Ce  deflein  occupoit  toutes  Ç&s  réflexions,  lorfqu'il  vit  re- 
commencer la  Guerre ,  avec  un  ordre^  dont  il  n'avoit  point  encore  vu 
d'exemple  au  Mexique. 

Le  jour  même  des  funérailles  de  Motezuma ,  toutes  les  rues  voifines  du 

Quartier  furent  garnies  d'un  grand  nombre  de  Troupes,   dont  quelques- 

"  '  ■  ' '•  ;       . .  \.\nQ& 

Pays,  prit  au  batême  le  nom  de  Donna  Ma- 
ria lie  Niagua  Fucbtit ,  titres  qui  marqiioient 
la  nobleiïe  de  fes  Ancêtres.  Charles- Quirt 
donna  de  grandes  Terres  à  Dom  Pedro,  dans* 
la  Nouvelle  Efpagne  ,  avec  la  qualité  de 
Comte  de  Motezuma,  que  fes  Defcendans 
confervent  encore;  &  c'eft  de  l'un  d'en- 
tr'eux  que  Gemelli  Carreri  obtint  la  lefture 
d'une  Lettre  originale  de  Cortez.  Voyez 
ci-delTus ,  fa  Relation ,  au  Tome  XVL  de  ce 
Recueil.  .  . 


(t>)  Motezuma  laifla  quelques  Énfans. 
Deux  de  fes  Fils  furent  tués  par  les  Mexi- 
quains ,  dans  la  retraite  de  Cortez.  Trois  de 
fes  Filles  embraffèrent  le  Chriftianifme ,  & 
furent  mariées  à  des  Efpagnols.  Mais  le  plus 
illuftrc  de  fes  Enfans  fut  Dom  Pedro  de  Mo 
tezuma,  qui  reçut  le  batême  fous  ce  nom, 
peu  de  tems  après  lu  mort  de  fon  Père.  11 
étoit  né  d'une  PrincefTe  de  la  Province  de 
Tula;  &  fa  Mère ,  qui  étoit  une  des  Reines 
du  Mexique ,  ayant  abjuré  aufli  les  Dieux  du 


EN      AMERIQUE,  Liv.  I. 


383 


unes  s'établirent  dans  les  Tours  d'un  Temple  peu  éloigné ,  d'où  l'on  pou- 
voit  battre,  avec  l'arc  &  la  fronde,  une  partie  du  logement  des  Efpagnols. 
Ils  auroient  pu  fortifier  ce  Porte ,  s'ils  avoicnt  eu  allez  de  force  pour  les 
divifer.  On  montoit  par  cent  dégrés  à  la  terrafle  du  Temple,  qui  foute- 
noit  plufieurs  Tours ,  où  les  Mexiquains  portèrent  des  munitions  d'armes 
&  de  vivres  pour  plufieurs  jours.  Cortez  fentit  la  néceffité  de  les  déloger 
d'un  lieu,  d'où  ils  pouvoient  l'incommoder  beaucoup.  Tous  Ls  délais  é- 
tant  dangereux,  il  fe  hâta  de  faire  fortir  la  plus  grande  partie  de  fes  gens, 
dont  il  forma  plufieurs  Bataillons,  pour  défendre  les  avenues,  &  couper  le 
paflage  aux  fecours.  Efcobar  fut  nommé  pour  l'attaque  du  Temple ,  avec 
fa  Compagnie  &  cent  autres  Soldats  d'élite.  Pendant  qu'on  fe  faififlbit  des 
avenues,  en  écartant  les  Ennemis  à  coups  d'arquebufe,  il  marcha  vers  le 
Temple,. où  il  fe  rendit  maître  du  Veftibule  &  d'une  partie  des  degrés, 
avec  fi  peu  de  réfiftance,  qu'il  jugea  que  le  deflein  des  Indiens  étoit  de  lui 
laifler  le  tems  de  s'engager.  En  effet,  ils  parurent  alors  aux  Balufbrades, 
qui  leur  fervoient  de  Parapets  ;  &  leur  décharge  fut  fi  furieufe ,  qu'elle  for- 
ça les  Efpagnols  de  s'arrêter.  Efcobar  fit  tirer  à  ceux  qui  fe  découvroient  ; 
mais  il  ne  put  foutenir  une  féconde  décharge,  qui  fut  encore  plus  violente. 
Ils  avoient  préparé  de  grofles  pierres  &  des  pièces  de  bois ,  qu'ils  pouf- 
foient  du  haut  des  dégrés ,  &  dont  la  rapidité ,  croiflant  par  la  pente ,  fit 
reculer  trois  fois  les  Efpagnols.  Quelques  -  unes  de  ces  pièces  étoient  à 
demi  enflammées,  par  une  ridicule  imitation  des  armes  à  feu.  On  étoit 
obligé  de  s'ouvrir,  pour  éviter  le  choc;  &  les  rangs  ne  pouvoient  fe 
rompre  fans  perdre  néceflairement  du  terrein. 

Cortez,  qui  couroit  à  Cheval  dans  tous  les  lieux  où  l'on  combattoit, 
reconnut  l'obflacle  qui  arrêtoit  la  Troupe  d'Efcobar  :  fur  quoi ,  ne  conful- 
tant  que  fon  courage,  il  mit  pied  à  terre,  il  fe  fit  attacher  une  rondache  au 
bras  où  il  étoit  blefle ,  il  fe  jetta  fur  les  dégrés ,  l'épée  à  la  main ,  &  fon 
exemple  infpira  tant  de  courte  à  fes  gens ,  qu'ils  ne  connurent  plus  le 
péril.  Dans  un  inftant,  les  difficultés  furent  vaincues.  On  gagna  heureu- 
fement  la  terraflTe,  où  1  on  en  vint  aux  mains  à  coups  d'épées  &  de  maf- 
fues.  La  plupart  des  Mexiquains  étoient  des  Nobles  ;  &  leur  réfiftance 
prouva  quelle  différence  l'amour  de  la  gloire  eft  capable  de  mettre  entre 
\es  Hommes.  Ils  fe  laiflbient  couper  en  pièces ,  plutôt  que  d'abandonner 
leurs  armes.  Quelques-uns  fe  précipitèrent  par-deflTus  les  baluftrades,  dans 
l'opinion  qu'une  mort  de  leur  choix  étoit  la  plus  glorieufe.  Tous  lesMi- 
niftres  du  Temple,  après  avoir  appelle,  par  de  grands  cris,  le  Peuple  à 
la  défenfe  de  leurs  Dieux ,  gmoururent  en  combattant  ;  &  dans  l'efpace 
d'un  quart  d'heure,  Cortez  fe  vit  maître  de  ce  Porte,  par  le  maflâcre  de 
cinq  cens  Hommes  qui  le  gardoient  (a). 

Il 


Ferkand 

Co  R  T  li  Z. 

1520. 


Dangereufc 
entreprifc  des 
Efpagnols. 


Valeur  ex* 
trême  de  Coi- 
tez. 


Carnage  de 
cinq  cens  Me- 
xiquains, 


(jc)  Plufieurs  Hittoriens  traitent  de  mira- 
cle le  bonheur  qu'il  eut ,  en  montant  les  dé- 
grés ,  de  ne  pas  rencontrer  une  feule  pièce 
de  bois  qui  ne  roulât  dans  Ci  longueur.  El 
les  n  auroient  pu  rouler  en  travers ,  fans  le 
précipiter;  &  c'étoit  cette  crainte  qui  avoit 


arrêté  la  Troupe  d'Efcobar.  Solis  rapporte 
un  autre  événement,  qui  ne  fut  pas  moins 
miraculeux  :  deux  Indiens  entreprirent  de  fe 
précipiter  du  haut  du  Temple  avec  Cortez. 
Us  marchèrent  unis  .  &.  lonqu'ils  virent  Cor- 
tez fur  le  bord  du  précipice ,  ils  jettèrenÈ 

leurs 


Il' 
II-  I 


I     ! 


Ih 


l  '  U  R  N  A  N  n 
C  c)  Il  T  P.  Z. 

1520. 

Autres  Ex- 
ploits de 
Cortcz, 


11  fauve  Ui 
vie  à  Duero 
fon  Ami. 


Peinture 
que  les  Me- 
xiquains  font 
de  l'alTaut  du 
Temple. 


Ils  entre- 
prennent d'af- 
famer les  Ef- 
pagnols. 


3S1        P    R    E    M    I    E    R    S      VOYAGES 

Ir.  fit  tranfporter,  à  fon  Quartier,  les  vivres  qu'il  trouva  dans  les  Maga- 
fins  du  Icmple;  &  les  Tlafcalans  furent  chargés  de  mettre  le  feu  aux 
Tours,  qui  furent  confumées  en  un  inftant.    Le  Combat  duroit  encore  à 
l'entrûe  des  rues;  fur  tout  dans  celle  deTacuba,  dont  la  largeur  donnoic 
plus  de  facilité  aux  Mexiquains  pour  s'approcher,  &  par  conféquent  plus 
d'embarras  aux  Efpagnols.     Cortez,  qui  s'en  apperçut,   remonta  aufli-tôt 
achevai;  &paflant*le  bras  blefle  dans  les  rênes,  il  s'arma  d'une  lance, 
pour  voler  au  fecours  de  fes  gcrns ,  avec  quelques  Cavaliers  qui  le  fuivoient. 
Le  choc  des  Chevaux  rompit  d'abord  les  Ennemis  ;  &  chaque  coup  de  lan- 
ce étoit  mortel  pour  quelqu'un,  dans  l'épaifiTeur  de  la  foule.     Cependant 
Cortez  fut  emporté  fi  loin  par  fon  ardeur,  que  fe  trouvant  fépare  de  fes 
gens  lorfqu'il  fe  reconnut,  il  vit  fa  retraite  coupée  par  le  gros  des  Enne- 
mis,  qui  fuyoient  devant  fon  Infanterie.     Dans  cette  extrémité,  il  fe 
hâta  de  prendre  une  autre  rue,  qu'il  jugea  plus  libre;  mais  il  n'y  marcha 
pas  long-tems  fans  rencontrer  un  parti  d'Indiens,  qui  menoient  Prifonnier 
i\ndré  de  Duero ,  un  de  fes  meilleurs  Amis ,  tombé  entre  leurs  mains  par 
la  chute  de  fon  Cheval.    Ils  le  conduifoient  au  premier  Temple ,  pour  le 
facrifier  aux  Idoles.     Ce  deflein,  qiû  avoit  fufpendu  leur  fureur,  lui  fauva 
heureufement  la  vie.    Cortez  poufla  au  milieu  de  la  Troupe,  écarta  cçux 
qui  tenoient  fon  Ami,  &  le  mit  en  état  de  fe  fervir  d'un  poignard  qu'ils 
avoicnt  eu  l'imprudence  de  lui  laifler.    Duero  en  tua  quelques  Mexiquains, 
&  trouva  le  moyen  de  reprendre  fa  lance  &  fon  Cheval.    Alors  les  deux 
Amis  fe  joignirent,  &  percèrent  enfemble,  au  travers  de  la  foule,  jufiju'au 
premier  Corps  des  Efpagnols,  qui  avoient  fait  tourner  le  dos  de  toutes 
{)arts  à  leurs  Ennemis.     Cortez  compta    toujours  cette  avanture  entre 
les  plus  heureufes  de  fa  vie  (y).     Il  fit  fonner  la  retraite.    Tous  fes  Sol- 
dats revinrent  accablés  de  fatigue  ;  mais  la  joye  de  fa  viéloire  fut  augmen- 
tée par  celle  qu'il  eut  de  n'avoir  pas  perdu  un  feul  Homme,  &  de  ne  trou- 
ver qu'un  petit  nombre  de  Blefles     L'aflaut  du  Temple  fut  d'un  fi  grand 
éclat ,  entre  les  Mexiquains ,  qu'ils  firent  peindre  cette  aftion  avec  toutes 
fes  circonftances.     On  trouva  ,  dans  la  fuite,  quelques  toiles  qui  repréfen- 
toient  l'attaque  des  dégrés,  le  combat  fur  la  terrafle,  &  leur  défaite  en- 
tière ,  dans  laquelle  ils  n'avoient  pas  fupprimé  l'incendie  &  la  ruine  des 
Tours.    Mais,  pour  fauver  la  gloire  de  leur  Nation,  ils  y  avoient  joint 
plufieurs  Efpagnols  eftropiés  &  blefles;  &  leur  pinceau  faifant  plus  d'exé- 
cution que  leurs  armes,  ils  avoient  cru  rendre  leur  perte  honorable,  par  le 
prix  qu'elle  avoit  coûté  (2). 

Le  jour  fuivant ,  quelques  Députés  des  Giciques  s'avancèrent  au  pié  du 
mur,  avec  des  fignes  de  Paix;  &  Cortez  ayant  paru  lui-même  pour  les 

.;^,^v.   •■-■^  ■/•;" a-.*. ^.  ■  recevoir, 


leurs  armes  à  terre ,  en  feignant  de  fe  ren- 
dre. Mais  le  faififlant,  ils  s'élancèrent  par 
dclFus-la  baludrade  dans  l'efpérance  de  l'cn- 
traincr  par  le  poids  de  leur  corps.  Il  s'atta- 
cha Il  heureufement  à  la  baluftrade,  qu'il 
trouva  le  moyen  de  réfifter  à  cette  fecoulfe, 
&  les  deux  Indiens  achevèrent  le  faut.  L'Hif- 
torieii  ajoute  qu'il  frémit  du  péril,  mais  que 


cet  attentat  lui  caufa  moins  de  colère  que 
d'admiration,  ubi  fuprà,  pages  206  &  207. 

(y)  Solis,  ubifuprà,  page  210. 

(z)  Quelques  Hiftoriens  mettent  cette 
fortic  entre  celles  qui  fe  firent  avant  la  mort 
de  Motezuma  ;  mais  on  ipprend ,  dans  la  fé- 
conde Relation  de  Cortez  mOme ,  qu'elle  fui- 
vit  la  mort  de  l'Empereur. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.   I. 


385 


recevoir,  ils  lui  dëclarérent,  de  la  part  du  nouvel  Empereur,  que  ce  Prince 
étoic  réfolu  de  faire  cefler  les  attaques,  &  de  Jaifler,  aux  Efpagnols,  la 
liberté  de  fe  retirer  jurqu'à  la  Mer;  mais  à  condition  qu'ils  ne  prendroient 
que  le  tems  néceflaire  pour  le  voyage ,  &  qu'ils  accepteroient  fur  le  champ 
cette  offre:  fans  quoi  il  leur  juroit  une  haine  implacable,  qui  ne  finiroit  que 
par  leur  deftrudlion.  Il  faifoit  ajouter  que  l'expérience  lui  avoit  appris  qu'ils 
n'étoient  pas  immortels,  &  que  la  mort  de  chaque  Efpagnol  dût -elle  lui 
coûter  vingt  mille  Hommes,  il  lui  en  refteroit  encore  alTcz  pour  chanter  fa 
dernière  Viéloire.  Cortez  répondit ,  avec  un  mélange  de  modeftie  &  de 
fierté ,  qu'il  n'avoit  jamais  prétendu  à  l'immortalité  ;  mais  qu'avec  le  petit 
nombre  de  fes  gens ,  dont  il  connoiffoit  le  courage  &  la  fupériorité  fur  tous 
les  autres  Hommes ,  il  fe  croyoit  capable  de  détruire  l'Empire  du  Mexi- 
que; que  regrétant  néanmoins  ce  que  les  Mexiquains  avoient  fouffert  par 
leur  obftination ,  fon  deflein  étoit  de  fe  retirer ,  depuis  que  fon  Ambafia- 
de  avoit  ceffé  par  la  mort  du  çrand  Motezuma,  dont  la  bonté  le  retenoit 
à  fa  Cour ,  &  qu'il  ne  demandoit  que  des  conditions  raifonnables  pour  exé- 
cuter cette  réfolution.  Les  Députés  parurent  fatisfaits  de  fa  réponfe,  & 
convinrent  d'une  fufpenfîon  d'armes,  en  attendant  d'autres  explications. 
Mais  rien  n'étoit  plus  éloigné  de  l'intention  des  Mexiquains,  que  d'ouvrir 
le  chemin  de  la  retraite  à  leurs  Ennemis.  Ils  penfoient  au  contraire  à  fe 
donner  le  tems  de  leur  couper  tous  les  paflages ,  pour  les  refferrer  plus  que 
jamais  dans  leur  Quartier ,  &  les  affamer  par  un  fiége  opiniâtre ,  qui  les  li- 
vreroit  tôt  ou  tard  à  leur  difcrétion.  Ils  regrétoient  à  la  vérité  plufieurs 
Caciques ,  du  Cortège  de  Motezuma ,  qui  fe  trouvoient  au  pouvoir  des  Ef- 
pagnols ,  &  qui  étoient  menacés  de  périr  avec  eux  par  la  faim  ;  mais  on  dé- 
cida, dans  le  Confeil  du  nouvel  Empereur,  qu'ils  feroient  trop  heureux  de 
mourir  pour  la  Patrie.  Le  feul  qu'ils  fe  crurent  obligés  de  délivrer ,  par 
refpeft  pour  leurs  Dieux ,  fut  le  Chef  des  Sacrificateurs ,  qui  étoit  dans  la 
même  Prifon ,  &  qu'ils  révéroient  comme  la  féconde  Perfonne  de  i'Etat. 
C'étoit  particulièrement  dans  cette  vue  qu'ils  avoient  propofé  la  fufpenfîon 
d'armes ,  &  leur  adreffe  eut  le  fuccès  qu'ils  s'en  étoient  promis.  Les  mê- 
mes Députés  retournèrent  le  foir  au  Quartier.  Il  firent  entendre  que, pour 
éviter  les  contellations  &  les  retardemens,  Cortez  devoit  choifir  quelque 
Mexiquain,  d'une  confideration  qui  méritât  la  confiance  de  l'Empereur,  & 
le  charger  de  fes  inftrudlions.  Cet  expédient  ayant  paru  fans  difficulté, 
on  n'eut  pas  plus  de  peine  à  s'accorder  fur  le  choix  du  grand  Sacrifica- 
teur. Il  fortit ,  après  avoir  été  foigneufement  informé  des  conditions  qu'on 
defiroit  pour  la  facilité  du  chemin ,  &  de  tout  ce  qui  regardoit  les  Otages , 
dont  Cortez  règloit  le  nombre  &  la  qualité.  Mais  on  fut  desabufé  le  lende- 
main, en  reconnoiffant  que  les  Ennemis  avoient  inverti  le  Quartier,  dans 
une  enceinte  plus  éloignée  que  les  précédentes  ;  qu'ils  faifoient  des  tran- 
chées &  des  remparts,  à  la  tête  des  Chauffées;  qu'ils  rompoient  tous  les 
Ponts,  &  qu'ils  avoient  envoyé  des  Travailleurs  en  grand  nombre,  pour 
embarraffer  le  chemin  de  Tlafcala.  Quelques  Hiftoriens  ont  prétendu ,  à 
l'honneur  de  Cortez,  qu'il  avoit  pénétré  l'artifice,  &  qu'il  avoit  cru  moin* 
important  de  fe  défaire  d'un  Prifonnier  abominable,  que  de  découvrir  les 
véritables  intentions  de  fes  Ennemis.         '  —  •     ■  ,     ' 

XVLlLFart.  .  Ccc      '  "'  Lors- 


FeRN AN» 

Cortez. 
I  520. 


Adrefle  dei 
Mexiquains 
pour  fauvet 
leur  grand 
SacriBcateur. 


I|H    i 


FlIMAMD 

COBTEZ. 

1520. 

Mcfures  de 
Cortez  pour 
fa  retraite. 


i'  I 


Ordre  qu'il 
met  dans  fes 
Troupes. 


38(5      PREMIERS      VOYAGES 

Lorsqu'il  ne  put  lui  en  refter  aucun  doute,  il  revint  ji  fa  méthode  ordi- 
naire ,  quj  étoit  de  bannir  rirréfolution,  dès  qu'il  avoic  connu  les  obflacles, 
&  de  fixer  aufli-tôc  le  choix  du  remède.  Sans  expliquer  Ton  defTcin,  il 
commença  par  donner  des  ordres  pour  la  conllruftion  d'un  Pont  mobile, 
de  grofTcs  lolives,  &  de  planches  allez  fortes  pour  foutenir  l'Artillerie.  Sur 
le  plan  qu'il  en  fit  lui-même ,  quarante  Hommes  dévoient  fuffire  pour  le  re- 
muer &  le  conduire  aifémenc.  Ënîuite,  aflemblant  tout  fes  Of&ciers,  il 
leur  expofa  le  danger  de  leur  fituation,  &  toutes  les  voyes  qu'ils  avoient  à 
tenter  dans  cette  extrémité.  On  ne  pouvoit  être  partagé  fur  la  nécefljcé 
du  départ  :  mais  on  agita  long-tems  s'il  falloit  prendre  Te  tems  de  la  nuit. 
Ceux  qui  préferoient  le  jour  faifoient  valoir  la  difficulté  de  marcher  dana 
les  ténèbres ,  avec  l'Artillerie  &  le  Bagage ,  par  de»  routes  incertaines , 
élevées  fur  l'eau,  avec  l'embarras  de  jetter  des  Ponts  &  de  reconnoître  les 
PaiTages.  Les  autres  fe  formoient  des  images  encore  plus  terribles  d'une 
retraite  en  plein  jour,  tandis  que  les  travaux  de  l'Ennemi  dévoient  faire 
juger  qu'il  étoit  réfolu  d'embarraifer  leur  fortie.  Quel  moyen  de  rifquer  un 
Combat  continuel,  au  paiTage  du  Lac,  où  l'on  ne  pouvoit  dreffer  les  rangs, 
ni  fe  fervir  de  la  Cavalerie  ?  fans  compter  qu'on  auroit  les  flânes  découverts 
aux  Canots  des  Mexiquains ,  dans  le  tems  qu'il  faudroit  encore  les  percer  en 
tête  &  les  foutenir  par  derrière.  La  plupart  des  voix  fe  réunirent  pour  la 
réfolution  de  partir  la  nuit  ;  &  Cortez ,  qui  n'avoit  remis  ce  point  à  la  plu- 
ralité des  fuffrages ,  que  pour  éviter  de  prendre  fur  foi  l'événement ,  parut 
fe  rendre  à  l'opinion  du  plus  grand  nombre.  Une  fi  grande  entreprife  ne 
fut  pas  renvoyée  plus  loin  qu  à  la  nuit  fuivante,  dans  la  crainte  de  laiifer 
du  tems  aux  Ennemis  pour  augmenter  les  obftacles.  On  prefla  fi  vive- 
ment la  condruâion  du  Pont,  qu'il  fut  achevé  à  la  fin  du  jour.  Mais 
cette  précipitation  fie  oublier  que  les  Mexiquains,  ayant  déjà  rompu  la 
Digue  en  plufieurs  endroits ,  on  avoit  befoin  de  plus  d'un  Pont  ;  ou  plutôt , 
on  fe  repofa  trop  fur  la  facilité  qu'on  fe  promettoit ,  à  le  tranfporter  d'un 
Canal  à  l'autre  (a). 

Vers  la  nuit,  on  envoya  deux  Prifonniers  à  la  Ville,  fous  prétexte  de 
hâter  la  concJufion  du  Traité,  &  dans  l'efpérance  de  tromper  les  Mexi- 
quains par  cette  feinte,  en  leur  faifant  juger  qu'on  attendoit  tranquillement 
leur  rcponfe.  Mais  Cortez  ne  penfoit  qu'à  profiter  d'un  tems  précieux..  Il 
donna  fes  ordres,  avec  des  foins  &  des  précautions -qui  fembloient  tout  em- 

brafler. 


(«)  Dlaz  rapporte  qu'il  donna  quelque 
foi ,  dans  cette  occafion ,  aux  Difcours  d'un 
Aftrologue  Efpagnol ,  nommé  Botello ,  pour 
lequel  il  n'avoit  jamais  eu  que  du  mépris, 
mais  qui,  étant  venu  l'aiTurer  qu'il  falloit 
partir  cette  nuit  même ,  &  que  l'Armée  pé- 
riroit  fl  l'on  ne  profitoit  d'une  conftellation 
qui  étoit  alors  favorable ,  lui  infpira  tout- 
d'uancoup  une  confiance  qu'il  n'avoit  jamais 
eue  pour  fon  art.  Solis  croit  plus  volontiers 
que ,  dans  la  néceflîté  des  circonftances ,  il 
fe  fcrvit  habilement  de  cette  vaine  prédic- 
tion pour  animer  fes  Soldats.    Ce  Boqello  é- 


toit  Soldat  volontaire,  &  ne  portoit,  depuis 
long-tems ,  que  le  nom  de  Sorcier ,  dont  il 
faifoit  gloire.  Il  n'avoit  d'ailleurs  aucune 
connoilmnce  des  lettres:  mais  il  employoit 
des  caraftères,  des  nombres.  &  des  formu- 
les, qui  contenoient ,  fuivant  l'Hlilorien, 
d'abominables  conventions  avec  l'Enfer.  So- 
lis, ubi/uprà,  page  223-  Il  paroît  auffi  que 
Cortez  le  repofoit  beaucoup  fur  l'ufage  que 
les  Mexiquains  avoient  de  ne  pas  combattre 
la  nuit,  quoiqu'ils  s'en  fuflcnt  écartés  dans 
quelques  attaques.  ^ 


EN      AMERIQUE,    Liv.  I. 


387 


braffer.  Deux  cens  Efpagnols,  qui  dévoient  compofer  l'Avant-garde  avec 
les  pkis  braves  Tlafcalans  &  vingt  Cavaliers ,  reçurent  pour  Chefs  Gonza- 
lez de  Gondoval ,  Azebedo ,  d'Ordaz ,  André  Tapia  &  Lugo.  L'Arrière- 
garde,  un  peu  plus  nombreufe,  fut  confiée  aux  Officiers  qui  étoient  ve- 
nus avec  Narvaez ,  fous  le  Commandement  de  Pierre  d'Alvarado  &  de  Jean 
Velafquez  de  Léon.  Le  Corps  de  Bataille,  compofé  du  refte  des  Troupes, 
fut  chargé  de  la  conduite  de  l'Artillerie,  du  Bagage  &  des  Prifonmers. 
Cortez  réferva ,  près  de  fa  perfonne ,  cent  Soldats  choifis,  fous  les  Capi- 
taines Alfonfe  d'Avila ,  d'Olid,  &  Bernardin  l'apia,  pour  être  en  état  de 
veiller  fur  fes  trois  Divifions,  &  de  porter  du  fecours  aux  endroits  les  plus 
preflans.  Après  avoir  expliqué  fes  intentions,  il  fe  fit  apporter  le  tréfor, 
qui  avoit  été  jufqu'alors  fous  la  garde  de  Chridophe  de  Guzman.  Il  en  tira 
le  quint  de  la  Couronne ,  pour  le  remettre  aux  Officiers  Royaux  ;  &  quel- 
ques Chevaux  bleffés  en  furent  chargés.  Le  refle  montoit  à  plus  de  fept 
cens  mille  écus,  qu'il  réfolut  d'abandonner  ,  en  déclarant  qu'il  ferait  hon- 
teux ^  pour  des  Guerriers,  d'occuper  leurs  mains  à  porter  de  l'or,  pendant 
qu'elles  dévoient  être  employées  à  la  défenfe  de  lewr  vie  &  de  leur  hon- 
neur. Cependant ,  la  plupart  des  Soldats ,  paroiflant  touchés  de  cette 
perte,  &  n'approuvant  point  un  deffein  fi  généreux  ,  il  ajouta  quelques 
mots  ,  par  lelquels  il  fit  concevoir  aue  chacun  pouvoit  prendre  ce  qu'il 
fe  croyoit  capable  de  porter  dans  fa  marche.  C'étoit  donner  trop  de 
confiance  à  là  difcrétion  du  Soldat.  Aufll  la  plupart  fe  chargèrent  •  ils 
avec  line  imprudente  avidité,  qu'ils  reconnurent  trop  tard,  &  qui  leur 
coûta  cher  {b). 

Il  étoit  près  de  minuit,  lorfque  les  Efpagnols  fortirent  du  Quartier. 
Leurs  Sentmelles  &  leurs  Coureurs  n'ayant  découvert  aucune  apparence  de 
mouvement  du  côté  de  la  Ville,  ils  marchèrent  quelque  tems,  a  la  faveur 
des  ténèbres  &dela  pluye,  dans  un  filence  auquel  la  foumifiion  n'eut  pas 
plus  de  part  que  la  crainte.  Le  Pont  volant  fut  porté  jufqu'au  premier 
Canal,  &  l'Avant-garde  s'en  fervit  heureufement.  Mais  le  poids  de  l'Ar- 
tillerie &  des  Chevaux  ayant  engagé  cette  maife  dans  la  boue  &  dans 
les  pierres ,  on  jugea  qu'il  feroit  difficile  de  Ja  retirer  aflez  proraptement 
pour  la  tranfporter  aux  autres  ouvertures  avant  la  fin  de  la  nuit.  Les 
Officiers  donnoient  leurs  ordres ,  &  l'ardeur  étoit  extrême  à  les  exécuter. 
Cortez,  qui  étoit  palFé  avec  la  première  Troupe,  la  fit  avancer  fous  le 
Commandement  de  fes  Chefs ,  pour  dégager  la  Chauffée  par  dégrés ,  &  de- 
meura fur  le  bord  du  pafiage  avec  quelques-uns  de  fes  plus  braves  gens. 
Mais  avant  que  le  Corps  de  Bataille  eût  achevé  de  pafler,  on  fe  vit  dans 
la  neceflité  de  prendre  les  armes. 

L'adresse  des  Mexiquains  caufe  ici  de  l'admiration  aux  Hiftoriens.  Ils 
avoient  obfervé  tous  les  mouvemens  de  leurs  Ennemis,  avec  une  diffimu- 
lation  dont  on  ne  'es  avoit  pas  crus  capables.  Par  quelque  voie  qu'ils  euf- 
fent  appris  la  réfolation  du  départ ,  ils  avoient  emploie  la  première  partie 
de  la  nuit  à  couvrir  le  Lac,  des  deux  côtés  de  la  Digue,  d'une  multitude 
de  Canots  armés;  &  s'aidant  auffi  de  Tobfcurité,  ils  avoient  attendu  que 

l'Avant- 


Fetif  AN» 
Cortez. 


Faute  qu'il 
commet  en 
permettant  à 
fes  gens  de 
fe  charger 
d'or. 


Départ  noc- 
turne des  Ef- 
pagnols, 


Horribles 
difficultés 
qu'ils  ont  i 
vaincre. 


Il  font  at- 
taqués au 
partage  da 
Lac. 


(*)  Ibid.  page  227. 


Ccc  2 


i 


S88 


PREMIERS      VOYAGES 


Fbrnand   l'Avant-garcIc  fût  engagée  fur  la  ChaufTce,  pour  commencer  leur  attaque; 

CoRTHz.     Cette  entrcprife  fut  conduite  avec  tant  de  mcfurcs ,  que    dans  le  même 

IJ20.      tems  qu'ils  firent  entendre  l'eAVoyable  bruit  de  leurs  cris  &  de  leurs  in- 

ftrumens  militaires ,  on  fentit  les  atteintes  de  leurs  iléches.     D'un  autre 

côté,  leurs  Troupes  de  terre  étant  tombées  fur  l'Arriùre-garde,  le  Combat 

devint  général ,  avec  le  desavantage,  pour  les  trois  Divi  ions  Efpagnoies, 

de  ne  pouvoir  fe  raflembler  dans  leur  fituaiion,  ni  fe  prêter  le  moindre  fe- 

Bonheur      cours.     Aulli  furent-elles  fi  maltraitées,  que,  de  l'aveu  même  de  Cortez, 

^ul  les  fauve,  dans  fa  féconde  Relation ,  fi  les  Mexiquains,  qui  avoient  des  Troupes  de 

refte,  avoient  eu  la  précaution  d'en  jctter  une  partie  au  bout  de  la  Digue, 

il  ne  feroit  pas  échuppé  un  fcul  de  Ils  gens,  àc  tous  ces  braves  Guerriers 

'  auroient  trouvé  leur  tombeau  dans  le  Lac  (f).  />  ' 

'  •        .,  -.  ...  .i'     ■  .Le 


(c)  Il  n'cfl:  pns  furprcnant  ouc  le  rc*cit  des 
Hittoricns  fc  fente  de  la  conflilion  &  dos  té- 
nèbres de  cette  fiiiii^Iaiite  nuit.  Mais  quoU 
que  la  vraifcmblaïux'  n'y  manque  pas  moins 
que  l'ordre,  on  croit  devoir  le  donner,  tel 
que  Soiis  l'a  réduit  fur  d.s  Relations  encore 
plus  confufes.  „  Toute  l'Armée,  dit- il, 
„  étoit  perdue  fans  rclfource»  (i  les  Indiens. 
„  avoient  gardé ,  dans  la  chaleur  du  coin- 
„  bat,  le  bon  ordre  (ju'ils  avoient  tenu  en 
,,  attaquant;  mais  n'étant  pas  capables  de 
modération  dans  la  colère .  ils  chargèrent 
en  foule  le  corps  de  Bataille,  avec  une  (i 
horrible  confi'ion,  que  leurs  Canots  fc 
brifoient  en  pièces ,  en  heurtant  contre  la 
Chauflee.  On  lit  un  furieux  carnage  par- 
mi des  gens  nuds  &  en  desordre.  Les 
forces  manquoient  aux  Efpagnols ,  dans 
l'exercice  continuel  des  piques,  des  épéej 
&  des  mafles.  x^'cxécution futcncore  plus 
terrible  à  l'Avant-garde ,  parce  que  les  In- 
diens, qui  étoicnt  éloignés,  ou  qui  s'ini- 
patientoient  de  la  lenteur  des  rames,  fc 
jettèrent  dans  l'eau,  &,  fautèrent  fur  la 
Chaulî'ée  en  fi  grand  nombre  ,  qu'ils  ne 
pouvoient  s'y  remuer.  Ils  furent  aifément 
rompus  par  les  Efpagnols,  qui,  après  les 
avoir  taillés  prefque  tous  en  pièces ,  fe  fer- 
virent  de  leurs  corps  pour  combler  le  Ca- 
nal ,  &  s'en  tirent  un  Pont.  C'cll  ce  que. 
pluilcurs  Auteurs  ont  écrit.  Mais  d'autres 
„  prétender.t  qu'on  trouva  hcureufement  une 
poutre  a Tez  large,  que  les  Ennemis  avoient 
laiflïe  en  rompiint  le  fécond  Pont,  fur  la- 
quelle les  Soldats  paffèrent  à  la  tile,  en 
menant  leurs  Chevaux  dans  l'eau  par  la 
bride.  Ainfi  l'Avant-garde  continua  fu 
marche,  fans  être  arrêtée  long -tems  par 
la  dernière  ouverture,  parce  que  le  voifi- 
na^:;e  de  la  terre  caufoit  une  grande  dimi- 
nution aux  eaux  du  Lac.  Ce  qui  reftoit 
fut  pafTé  à  gué ,  avec  des  leincrciinens  au 


Ciel,  qui  n'avolt  pas  permis  que  Tes  Me* 
xiquains  miifent  des  Troupes  au  bout  da 
la  Digue,  pour  recevoir  des  gens  fatigués 
ou  blefl'és,  &  dans  l'eau  jufqu'à  la  cein- 
ture. 

,,  Cependant  Cortez,  qui  étoit  demeuré 
fur  la  Chauffée  avec  Sandoval  ,  dOlid, 
d'Avila,  Morla,  &  Dominiquez  ,  s'étoit 
jette,  l'épée  à  la  main,  dans  la  plus  épaif- 
fe  mêlée,  animant  fes  Soldats  par  fa  pré- 
fence  &  par  fon  exemple.  11-  fit  jetter 
dans  l'eau  toute  l'Artillerie,  qui  tmbarraf- 
foit  le  palTage;  &  pendant  qu'il  rcpouIToiC 
les  Ennemis,  il  voulut  que  la  marche  fut 
continuée  en  défilant  par  le  centre.  Mais 
fon  cœur  eut  beaucoup  à  foufl'rir  ,  lorf- 
qu'au  milieu  des  ténèbres ,  le  vent  appor- 
ta jufqu'à  fes  oreilles  les  cris  des  Efpa- 
gnols ,  qui  invoquoient  le  fecours  du  Ciel , 
aux  derniers  momens  de  leur  vie.  Ces  fu- 
ncftes  cris  venoient  d'un  endroit  de  la  Vil- 
le, où  il  étoit  d'autant  plus  impolFible  de 
porter  du  fecours,  que  les  Ennemis  avoient 
eu  l'adrefle  de  rompre  le  Pont  volant,  a- 
vant  que  toute  l'Arrière- garde  fût  paffée. 
Ce  fut  en  ce  litu  que  les  Efpagnols  firent 
la  plus  grande  perte.  Les  moins  dlligcns 
furent  taillés  en  pièces,  &  le  plus  grand 
nombre  fut  de  ceux  qui  étoient  retardés 
par  le  poids  de  l'or  dont  ils  s'éloicnt  char- 
gés. Enfin  Cortez  s'ouvrit  un  paffage, 
avec  tout  ce  qu'il  put  recueillir  du  débris 
de  fa  malheureufe  Arrière-garde.  Alvara- 
do ,  qui  en  étoit  le  principal  Oificicr ,  dut 
la  vie  à  un  efFort  de  vigueur  &  d'agilité, 
qui  tient  du  prodige.  Etant  chargé  de  tou- 
tes parts,  voyant  fon  Cheval  tué,  &  de- 
vant foi  un  Canal  fort  large ,  il  appuya  le 
bout  de  fa  lance  au  fond  de  l'eau ,  a.  s'é- 
lançant  en  l'air,  foutenu  par  la  feule  force 
de  fes  bras ,  il  fauta  de  l'autre  côté.  On 
a  regardé  cette  avanture  comme  un  mira- 

»  clc. 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.   I.  389 

Le  jour  commcnçoit  à  paroître,  lorfque  tous  les  débris  de  l'Arnuie,  raf-    Ff  rnaW» 
femblés  fur  le  bord  du  Lac,  allèrent  fe  pofler  près  de  Tûcnba,  Ville  fort       .  *^"* 
peuplée,  qui  donnoit  fon  nom  à  la  principale  rue  de  la  Capitale.     On  y 
pouvoit  craindre  quelque  infulte  des  llabitans;  mais  Cortcz  crut  devoir  en 


1520. 


nag 

voilins.  On  trouva,  dans  la  revue  gcnérale  de  l'Armée,  qu'il  maïujuôic 
deux  cens  ICfpagnoJs,  plus  de  mille  TlalcalanStiîii  tous  les Prilbnniers  Mexi- 
i^uains,  dont  les  uns  étoient  échappés  à  leurs  Gardes,  Ck  les  autres  avoienc 
péri  dans  l'obfcurité,  par  les  arme»  de  leur  Nation.  Aguilar  &  Marin  aa- 
voient  pafl'é  fort  heureufement  le  Lac;  &  toute  l'Armée,  qui  lentoit  l'im- 
portance de  leur  confervation,  revit  avec  des  tranfports  de  joye  deux  per- 
fonnes  fi  néccflaires  pour  traverfer  des  Nations  inconnues  ou  flilpefles,  & 
pour  le  concilier  celles  dont  on  efpéroit  l'alTiIlance.  La  plus  vive  douleur 
de  Cortez  venoit  de  la  perte  de  fes  Officiers.  Pendant  que  le  brave  Alva- 
rado  règloit  l'ordre  de  la  marche,  il  s'a'ïit  fur  une  pierre,  où  fe  livrant  à 
fes  triftes  réflexions,  il  s'attendrit  jufqu'à  répandre  des  larmes.  On  remar- 
qua fes  agitations;  &  ce  témoignage  de  fenfibilité  le  fit  chérir  de  fes  Trou- 
pes, autant  que  fa  prudence  de  fon  courage  l'en  avoient  toujours  faie 
relpefter. 

Il  eut  un  bonheur ,  auquel  il  s'attendoit  peu.    Les  Mexiquains  lui  don- 
nèrent le  tems  de  refpirer.     Cette  inaftion  de  fes  Ennemis  vint  d'un  acci- 
dent qu'il  ignoroit ,  oc  qu'il  n'apprit  que  par  d'autres  événemens.     Deux  y\\s  de  Mo 
des  Fils  de  Motezuma ,  qui  n'avoient  pas  Quitté  leur  Père ,  depuis  l'arrivée  tczuma. 
des  Efpagnols ,  fe  trouvèrent  entre  les  Prifonniers  qui  avoient  été  malTa- 
crés.    Ces  malheureux  Princes  ayant  été  reconnus,  le  Peuple  de  Mexico, 
qui  refpeéloit  le  Sang  Impérial  jufqu'à  l'adoration ,  fut  faifi  d'une  forte  de  - 
terreur,  qui  fe  répandit  dans  tous  les  Ordres  de  l'Etat.     Le  nouvel  Empe- 
reur, forcé  d'entrer  dans  la  douleur  publique  pour  flatter  l'efprit  de  fes 
Sujets,  fit  ûifpendre  tous  les  mouvemens  de  Guerre,  &  donna  ordre  que 
les  funérailles  des  deux  Princes  fuflTent  commencées  avec  les  cris  &  les  ge- 
mififemens  ordinaires,  jufqu'au  jour  oîi  leurs  corps  dévoient  être  conduits 
à  la  fépulture  de  leurs  Ancêtres.     Mais  quoique  les  Efpagnols  fuflTent  rede- 
vables de  leur  repos  à  cet  incident ,  ils  regrétèrent  deux  Princes ,  dans  lef- 
quels  ils  refpeftoient  la  bonté  de  leur  Père,  &  fur  les  droits  defquels  ils     • 
fondoient  une  partie  de  leurs  efpérapces.  , 

L'Armée  fe  mit  en  marche  vers  Tlafcala,  fous  la  conduite  des  Trou- 
pes de  cette  Nation.    Elle  ne  fut  pas  long- tems  fans  découvrir  quelques 
r,.   :.    „,-:^,  — .  .  -.  Com* 


/. 


«^   ... 


Repos  qu'ili 
durent  à  1.1 
mort  lie  deux 


*«. 


„  de.  Diaz  l'a  crue  naturellement  impofli- 
„  ble;  &  dans  la  Cuite,  Alvarado  même,  à 
,.  la  vue  du  Canal,  trouva  de  la  difFérence 
„  entre  le  foit  &  la-  poflibilité.  Jean  Vf  laf- 
„  que2  de  Léon,  Amador  de  LariZi  Fran- 
„  cols  de  Morla,  François  de  Salcedo,  & 


„  d'autres  Officiers  de  l'Arrière  -  garde ,  fu^ 
„  rent  tués   en  combattant.     L'Aftrologue 
„  Botello  périt ,  des  premiers ,  à  l'attaque  de 
„  la  Digue  ".    Solis,  Liv.  4.  pages  230"** 
fuivantes. 

Ccc  s 


•  t- 


f  BLKNAND- 

Ç  0  a  T  E  z, 
1520. 


I!r.  font  at- 
Mqués  dans 
leur  marche. 


Lieu  qui 
leur  fert  d'à- 
fyle. 


Monument 
qui  en  con- 
icrvc  la  mé' 
moire. 


On  conti« 
Jiue  de  le  re- 
tirer pendant 
la  nuit. 


390        PREMIERS      VOYAGES 

Compagnies  de  Mexiquains ,  qui  la  fuivoient ,  fans  ôfer  trop  s'approcher. 
Elles  étoient  forties  de  Tacuba,  d' Efcapulzaco ,  &  de  TenecuyaOy  par  l'or- 
dre de  l'Empereur,  pour  arrêter  les  Efpagnols,  jufqu'à  la  fin  des  cérémo- 
nies funèbres  ;  &  d'abord  elles  marchèrent  à  quelque  didance,  d'où  elles 
ne  pouvoient  les  oiFenfer  que  par  leurs  cris.  Mais,  s'étanr  jointes  à  quan- 
tité d'autres,  qui  venoient  fucceflSvement  de  divers  côtés,  elles  s'appro- 
chèrent d'un  air  fi  menaçant,  qu'on  fut  obligé  de  faire  face  pour  les  rece- 
voir. Cortez  étendit  autant  qu'il  put  fes  gens  fur  un  même  front ,  &  mit 
aux  premiers  rangs  toutes  les  armes  à  feu.  Dans  la  néceflité  de  combattre 
en  pleine  campagne,  il  vouloit  éviter  d'être  enveloppé.  Ses  Cavaliers  fi- 
rent des  irruptions  fanglantes ,  qui  refroidirent  beaucoup  les  Ennemis  ;  & 
les  Arquebufiers  faifant  tomber  les  plus  ardens ,  il  n'étoit  incommodé  que 
de  quelques  fiéches ,  qui  lui  caufèrent  peu  de  mal  dans  l'éloignement.  Mais 
lorfqu'il  vit  croître  le  nombre  des  Ennemis ,  il  réfolut  de  s'avancer  vers  une 
hauteur ,  fur  laquelle  il  découvrit  quelques  Bâtimens ,  &  qui  fembloit  com- 
mander toute  la  Plaine.  Ce  mouvement  fut  d'autant  plus  difficile ,  que  les 
Mexiquains,  preflant  leur  attaque  aufiî- tôt  qu'ils  le  virent  en  marche,  l'o' 
bligeoient  à  tous  momens  de  faire  tête,  pour  les  repoufTer.  Cependant,  è 
la  faveur  d*u'n  feu  continuel ,  &  fur-tout  avec  le  fecours  des  Chevaux,  dont 
la  feule  vue  caufoit  encore  de  l'épouvante  aux  Indiens  de  la  Campagne ,  il 
arriva  heureufement  au  pied  de  la  hauteur,  où  fon  dernier  embarras  ne  fut 
qu'à  les  réprimer ,  pendant  qu'il  faifoit  vifiter  ce  Porte ,  &  que  fes  gens  y 
montoient  en  confufion  par  toutes  les  avenues.  Divers  pelotons  d'Arque- 
bufiers,  qu'il  plaça  fur  la  pente ,  ôtèrent  aux  Ennemis  le  courage  de  tenter 
un  aflaut ,  &  donnèrent  aux  Efpagnols  le  tems  de  fe  fortifier.  Ce  lieu , 
qu'ils  regardèrent  comme  leur  falut,  étoit  unTemple  d'Idoles,  que  les  Me- 
xiquains invoquoient  pour  la  fertilité  de  leurs  moiflbns.  L'enceinte  de 
l'Edifice  étoit  fpacieufe,  &  fermée  d'un  mur  flanqué  de  Tours,  qu'avec 
un  peu  de  travail  on  pouvoit  rendre  capable  d'une  bonne  défenfe.  La  joye 
fut  fi  vive ,  de  fe  trouver  dans  une  re  te  qu'on  crut  devoir  à  la  protec- 
tion du  Ciel,  que  cette  réflexion  fubf"  nt  même  après  le  péril,  Cortez  y 
fit  bâtir,  dans  la  fuite,  un  Hermltag  .,  fous  le  nom  de  N,  S^de  los  Remé- 
dias. Les  Ennemis ,  après  avoir  employé  le  refte  du  jour  en  cris  &  en  me- 
naces, fe  retirèrent ,  fuivant  leur  ufage,  à  l'entrée  de  la  nuit  (i). 

Il  étoit  quellion  de  délibérer  entre  deux  partis,  dont  il  fembloit  qu'on 
avoit  le  choix  ;  celui  de  fe  maintenir  dans  un  Pofte ,  où  l'on  croyoit  pou- 
voir défier  les  Mexiquains,  &  celui  de  fe  remettre  en  marche,  dans  le 
cours  même  de  la  nuit.  Mais  la  nécefiité  des  vivres ,  qui  commençoit  à 
fe  faire  fentir,  ayant  fait  abandonner  le  premier,  on  réfolut,  malgré  la  fa- 
tigue des  Soldats  &  des  Chevaux ,  de  partir  après  quelques  heures  de  re- 
pos. Ce  délaflement  fut  fi  court,  que  l'ordre  fut  donné  avant  minuit.  Cor- 
tez fie  allumer  des  feux,  pour  cacher  fa  réfolution  aux  Ennemis.  11  donna 
le  Commandement  de  l'Avant -garde  à  d'Ordaz,  avec  les  plus  fidèles  Tlaf- 
calans  pour  Guides;  &  l'avanture  du  Lac,  dont  il  ne  pouvoit  fe  confoler, 
lui  fit  prendre  le  parti  de  demeurer  lui-même  à  l'arrière -garde ,  pour  aflu- 

-  jer 

(<2) /2;jfifem,  pages  244  &  précédentes. 


'S 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.  I.  391 

ttT  la  tranquillité  des  autres ,  aux  dépens  de  la  fienne.    On  fit  deux  lieues 
dans  les  ténèbres  ;  &  Ja  pointe  du  jour  ayant  fait  découvrir  un  autre  Tem- 
ple, moins  élevé  que  le  premier,  mais  allez  bien  fitué  pour  n'y  laifler. crain- 
dre aucune  attaque,  on  s'y  arrêta,  dans  le  feul  deflein  dobferver  la  cam- 
pagne, &  de  prendre  de  nouvelles  mefures  pour  la  marche  du  jour.   Quel- 
ques tro'upes  de  Payfans ,  quicouroient  en  desordre,  n'empêchèrent  point 
l'Armée  de  quitter  ce  Porte,  pour  continuer  fa  marche  à  leurs  yeux.    Elle 
efluya  leurs  cris,  leurs  infultes,  &  les  pierres  qu'ils  jettoienc  des  Monta- 
gnes, mais  fans  être  obligée  d'en  venir  aux  armes.    Deux  lieues  plus  loin, 
on  reconnut  un  Bourg ,  dont  Cortez  réfolut  de  s'ouvrir  l'entrée ,  pour  s'y 
procurer  des  rafrakhiflemens  à  toutes  fortes  de  rifques.    On  eut  peu  de 
peine  à  mettre  les  Habitans  en  fuite  ;  mais  on  trouva  fi  peu  de  vivres  , 
qu'après  y  avoir  pafle  un  jour  (^ ),  on  continua  la  marche  par  un  Pays  ru- 
de &  ftérile,  où  les  difficultés  &  le  befoin  ne  firent  qu'augmenter.     La 
faim  &  la  foif  aroient  jette  les  Soldat»  dans  le  dernier  accablement.     Ils  é- 
toient  réduits  à  manger  les  herbes  &  les  racines ,  fans  en  connoître  la  na- 
ture ,  &  fur  le  témoignage  des  feuls  Tlafcalans ,  qu'on  détachoit  continuel- 
lement pour  les  cueillir.    Un  Cheval  blelfé,  qui  mourut  alors,  fut  diftri- 
bué  aux  Malades.    Cette  fâcheufe  marche  ayant  duré  plufieurs  jours,  fans 
autre  adouciflement  que  la  tranquillité  où  l'on  étoit  de  la  part  des  Mexi- 
quains  (/) ,  on  arriva ,  vers  le  foir,  à  l'entrée  d'un  petit  Bourg ,  dont  les 
Habitans,  loin  de  fe  retirer ,  comme  tous  ceux  qu'on  avoit  rencontrés  juf- 
qu'alors ,  témoignèrent  autant  de  joye  que  d'emprelTement  à  fervir  les  Efpa- 
gnols.    Mais  ces  foins  &  ces  carefies  étoient  un  Uratagême  pour  les  arrê- 
ter ,  &  pour  les  faire  donner  de  meilleure  foi  dans  le  piège  qui  les  atten- 
doit.    Ils  ne  laiffèrent  pas  d'en  tirer  un  avantage  confiderable ,  pour  réta- 
blir leurs  forces.    On  leur  apporta  des  vivres  en  abondance.    Ils  en  reçu- 
rent même  des  Bourgs  voifîns ,  qui  contribuèrent  fans  violence  au  foulage- 
ment  des  Etrangers,  &  qui  fembloient  vouloir  leur  faire  oublier  ce  qu'ils 
avoient  fouffert,  dans  une  route  fi  pénible  (g). 

L'Armée  fe  remit  en  marche,  vers  la  Montagne  A'Otumha,  dont  la  Côte 
oppofée  donnoit  fur  une  Vallée  de  même  nom,  &  qu'il  falloit  néceflaire- 
ment  traverfer  pour  arriver  fur  les  Terres  des  Tlafcalans.  On  reconnut , 
en  quittant  le  Bourg,  que  les  Habitans  prenaient  des  manières  fort  diffé- 
rentes, &  que  leurs  difcours  n'étoient  plus  que  des  railleries,  qui  fembloient 
témoigner  une  autre  efpèce  de  jdye.  Marina  obferva  qu'ils' répétoient  en- 
tr'eux;  „  allez,  Brigands,  vous  ferez  bientôt  dans  un  lieu  où  vous  périrez 
.,,  tous".  Un  langage  de  cette  nature  donna  de  l'inquiétude  à  Cortez.  Il 
ne  douta  point  que  l'Armée  ne  fût  menacée  d'une  embufcade  ou  de  quel- 
que autre  trahifon.  U  avoit  remarqué ,  plus  d'une  fois ,  dans  les  Mexi- 
quains,  cet  empreflement  imbecille  à  découvrir  ce  qu'ils  avoient  le  plus 
d'intérêt  à  cacher.    Ses  foupçons  nQ  retardèrent  point  fa  marche,  mais 

il 


Fernanv 

Cortez. 

1520. 


Extrêmes 
difficultés^  de 
celte  route. 


Trahifon 
bien  déguifée* 


(  e  )  Quelques  Hîftoriens  difent  deux  jours , 
en  faveur  des  Blefles. 

(/)  II  paroît  que  pour  éviter  la  rencontre 
des  Mcxiquains,  les  Tlafcalans  avoient  fait 


prendre  à  l'Arméo  une  route  fort  déferte. 
Solis  dit  qu'elle  paiTa  plufieurs  nuits  à  décou- 
vert,  ibid.  page  252. 
(g)  Ibid,  page  253, 


Les  Efpa'»' 
gnols  ^ont  ar- 
rêtés dans  la 
Vallée  d'O- 
tuaiba> 


FkrnAnd 

CORTKZ. 
1520. 

Année  ter- 
rible qu'ils 
ont  à  com- 
battre. 


Cortcz  fo 
détermine  à 
forcer  le  paf- 
fegc. 


Moyens 
qu'il  emploie. 


392 


PREMIERSVOYAGES 


il  en  prit  occafion  d'animer  Ces  Troupes  ;  &  s'étant  fait  précéder  de  quel- 
ques Coureurs,  il  apprit  d'eux,  que  du  haut  de  la  Montagne  on  décou- 
vroit,  dans  la  Vallée ,  une  multitude  innombrable  d'Ennemis.  C'étoit 
non-feulement  la  même  Armée  qui  «'étoic  retirée  la  première  nuit,  mai* 
l'Aflèmblée  régulière  des  principales  forces  de  l'Empire,  qui,  ayant  été 
convoquées  à  Mexico  pour  attaquer  les  Efpagnols  dans  leur  Quartier ,  a- 
voient  reçu  ordre,  après  leur  dépare,  de  s'avancer,  par  divers  chemins, 
jufqu'à  la  Vallée  d'OtumSa,  où  leurs  Ennemis  dévoient  néceflairemenc 
paner ,  &  d'y  faire  un  dernier  effort  pour  les  accabler  par  le  nombre.  El- 
les avoient  marché  avec  tant  de  diligence ,  qu'elles  occupoient  déjà  toute 
la  Vallée.  Un  projet  concerté  avec  cette  juftefle  paroît  à  Solis ,  digne 
des  lumières  &  de  l'expérience  des  Nations  les  plus  éclairées  (A).  Ces 
Troupes  étoient  compofées  de  différens  Peuples ,  qui  fe  faifoient  diftinguer 
par  la  diverfité  de  leurs  Enfeignes  &  de  leurs  Plumes.  Au  centre,  le  Ge- 
neral de  l'Empire,  élevé  fur  une  magnifique  litière,  paroiffoit  donner  fes 
ordres ,  &  les  faire  exécuter  à  fa  vue.  Il  portoit  fur  fa  cuiffe  l'Etendart 
Impérial ,  qui  n'étoit  jamais  confié  à  d'autres  mains  que  les  fiennes  ,&  qu'on 
n'employoit  que  dans  les  plus  importantes  occafions.  C'étoit  un  filet  d'or 
maiïif ,  pendant  au  bout  d'une  pique,  &  couronné  de  plufieurs  plumes,  qui 
tiroient  beaucoup  d'éclat  de  la  variété  de  leurs  couleurs. 

Ce  fpeftacle,  que  Cortez  eut  bientôt  lui-même,  le  jetta  dens  un  étonne- 
ment  dont  il  ne  revint  que  pour  implorer  le  fecours  du  Ciel.  Il  ne  pou- 
voie  s'imaginer  d'où  tant  d'Hommes  armés  étoient  fortis  ;  &  lojfque  les 
Tlafcalans  lui  eurent  fait  reconnoître,  aux  Enfeignes,  ceux  qu'il  avoit  déjà 
rencontrés,  en  lui  expliquant  le  chemin  qu'ils  avoient  dû  prendre  pour 
une  marche  fi  prompte,  il  comprit  à  quoi  il  étoit  redevable  du  repos  donc 
on  l'avoit  laifle  jouir  dans  la  fienne.  Toutes  fes  efpérances  ne  confiftant 
plus  que  dans  la  valeur  de  fes  Troupes,  il  leur  déclara  qu'il  étoit  queftion 
de  mourir  ou  de  vaincre.  Sa  première  réfolution  fut  de  s'ouvrir  un  pafla- 
ge  au  travers  des  Ennemis,  dans  l'endroit  le  plus  étroit  de  la  Vallée,  où  il 
iembloit  que  l'efpace  leur  manquant  pour  s'étendre  devant  lui ,  il  n'auroit 
à  forcer  que  ceux  qui  occupoient  ce  terrein ,  fans  craindre  l'effort  de  leurs 
plus  nombreufes  Légions,  qui  demeureroient  inutiles  des  deux  côtés,  ou 
qui  ne  pourroient  l'incommoder  beaucoup  dans  l'éloignement.  Il  forma, 
fuivant  cette  idée ,  une  feule  eolomne  de  fon  Infanterie,  dont  toutes  les 
files  furent  bordées  alternativement  d'arqûebufes  &  de  piques.  La  Cavale- 
rie, qui  étoi»  en  pofleflion  d'épouvanter  les  Mexiquains  par  le  feul  mouve- 
ment des  Chevaux ,  fut  rangée  en  partie  au  front ,  pour  ouvrir  leurs  pre- 
miers rangs ,  en  partie  à  dos ,  pour  les  empêcher  de  fe  rejoindre.  On  def- 
cendit  dans  cet  ordre.  La  première  décharge  des  arquebufes  &  des  arba- 
lètes fe  fit  avec  tant  d'Intelligence  &  de  fuccès,  qu'elle  ôta  le  tems  aux 
Ennemis,  qu'on  avoit  en  face,  de  lancer  leurs  flèches  &  leurs  dards.  Ils 
furent  chargés  auflî-tôt  à  coups  de  piques  &  d'épées,  tandis  que  les  Ca- 
valiers perçoient,  en  rompant  tout  ce  qui  fe  trouvoit  devant  eux.  On  gagna 
beaucoup  de  terrein ,  à  cette  première  charge.    Cependant  les  Mexiquains 

-  .  ^  com- 

(  h  )  Ibidem ,  page  255.  .  . 


i 


EN     A    M    E    R    i    Q    U    E,  Liv.  I.  393 

combattirent  avec  tant  d'opiniâtreté,  qu'à  mefure  qu'ils  étoient  forcés  de 
fe  retirer,  par  la  Cavalerie  &  par  les  arnies  à  feu,  un  autre  mouvement  les 
repouflbit  fur  le  terrein  qu'ils  avoient  perdu.  Le  fond  delà  Vallée,  fui- 
vant  l'exprefllon  d'un  Hiflorien ,  avoit  l'apparence  d'une  Mer  agitée  par 
le  flux  &  le  reflux  de  fes  vagues.  Cortez,  qui  s'écoit  placé  à  la  tête  des 
Cavaliers,  où  il  faifoit  une  exécution  terrible  avec  fa  lance,  commençoit 
^  craindre  que  cette  continuelle  agitation  n'épuifàt  les  forces  de  ks  gens; 
lorfqu'en  jettant  les  yeux  de  toutes  parts,  il  fut  fecouru  par  une  de  fès 
heureufes  réflexions,  que  la  Fortune  fembloit  lui  tenir  en  réferve,  pour 
l'extrémité  du  danger. 

A  la  vue  de  l'Etendart  Impérial ,  qui  fe  faifoit  remarquer  à  quelque  dif- 
tance,  il  fe  fouvint  d'avoir  entendu  dire  que  tout  le  fecret  des  Batailles 
confiftoit,  parmi  ces  Barbares,  dans  l'Etendart  général,  dont  la  perte  ou 
le  gain  décidoit  de  la  Viftoire  entre  deux  partis;  fur  quoi,  ne  pouvant 
douter  du  trouble  &  de  l'épouvante,  que  le  mouvement  de  fes  Chevaux 
caufoit  auxjEnnemis,  il  réfolut  défaire  un  effort  extraordinaire  pour  en- 
lever cette  fatale  Enfeigne.  Il  appella  Sandoval ,  Alvarado ,  Olid  &  d'A- 
vila,  auxquels  il  communiqua  ion  deflein;  &  fuivi  de  ces  quatre  Braves, 
avec  une  partie  des  Cavaliers ,  qu'ils  avoient  fous  leurs  ordres,  il  poulFa 
au  grand  galop  vers  le  Général  des  Mexiquains.  Les  Chevaux  n'ayant 
pas  manqué  de  s'ouvrir  un  paflage,  il  pénétra  heureufement  jufqu'à  l'E- 
tendart, qui  étoit  environné  d'un  Corps  de  Nobles;  &  pendant  que  fes 
Compagnons  écartoient  cette  Garde  à  coups  d'épée,  il  porta  au  Général 
un  coup  de  lance,  qui  le  fit  tomber  de  fa  litière.  Les  Nobles  étant  déjà 
difperfés,  un  fimple  Cavalier  (i)  defeendit  de  fon  Cheval,  ôta  au  Géné- 
ral le  peu  de  vie  qui  lui  reftoit,  &prit  lEcendart,  qu'il  préfenta  refpeélueu- 
fement  à  Cortez.  ><     . 

Les  Barbares  n'eurent  pas  plutôt  vu  ce  précieux  dépôt  au  pouvoir  de 
l'Ennemi,  qu'ils  abbatirent  les  autres  Enfeignes  &  que  jettant  leurs  armes, 
ils  prirent  de  tous  côtés  la  fuite,  vers  les  Bois  qui  couvroient  le  revers  des 
Montagnes.  Dans  un  infiant ,  le  Champ  de  Bataille  demeura  libre  aux  Ef- 
pagnols.  Cortez  fit  pourfuivre  les  Fuyards  ,  parce  qu'il  étoit  important  de 
les  difperfer.  Il  avoit  reçu  à  la  tête  un  coup  de  pierre,  qui  avoit  percé 
fon  cafque ,  &  qui  lui  laifFa  une  douloureufe  contufion.  La  vue  de  fa 
blelTure  animant  fts  Soldats  à  la  vengeance,  ils  firent  main  baffe  fur  un 
fi  grand  nombre  de  Mexiquains  qu'on  ne  le  fait  pas  monter  à  moins  de 
vingt  mille.  Cette  Viftoire  p-  .  pour  une  des  plus  célèbres  que  les  Eu- 
ropéens ayent  jamais  remportées  dans  l'Amérique;  &  quelques  pieux  E- 
crivains  n'ont  pas  manqué  d'y  faire  intervenir  l'Apôtre  Saint  Jacques, 
que  plufieurs  Prifonniers ,  difent  •  ils ,  virent  combattre  en  faveur  des  Ef- 
pagnols  (k).  ..      . 

i-    -.-T'-î     ■  .,     ::      -^ '^  •  :•         .    -"'        "     :  ;''-    ^^  -..'..  COR- 


Ferkanb 
Cortez. 

1520. 


Heureux 
fouvenir  qui 
le  fauve ,  avec 
fon  Armée. 


Mort  du 
Général  Me- 
xiquain,  & 
prife  de  l'E- 
tendart Impé- 
rial. 


(f)  II  étoit  Gentilhomme,  &  fon  nom  é- 
toit  Jean  de  Salamanque.  L'Iiinpcreur  Char- 
les-Quint récompenfa  fon  aftion  ,  en  lui  don- 
nant, pour  cimier  de  fes  Armes,  le  Panache 

XFIIL  Fart. 


dont  l'Etendart  du  Mexique  étoit  couronné. 
Solis,  ubifuprà,  page  26. 

(*)  Ibia.  page  260.    lis  prétendent  que 

l'Armée  ennemie  étoit  d'environ  deux  cens 

D  d  d  mil- 


Fbbnakd 

C  O  R  T  E  Z. 
1520. 

L'Armée 
nrrlve  fur  les 
Terres  des 
Tlafcalans. 


Accueil 
qu'elle  y  re- 
çoit. 


394        PREMIERS      VOYAGES 

CoRTEE,  ayant  raflemblé  fes  Troupes,  ne  penfa  qu'à  profiter  de  ia 
çonfternation  des  Ennemis,  pour  continuer  fa  marche,  iffe  trouva  le 
lendemain  fur  les  Terres  des  Tlafcalans ,  qu'il  reconnut  k  la  grande  iVIu- 
raille  que  ces  Peuples  avoient  élevés  pour  la  défenfe  de  leurs  Frontières 
&  dont  les  ruines  fubfiilent  encore.  La  joye  des  Efpagnols  fut  propor- 
tionnée aux  fouflfrances  &  aux  dangers  donc  ils  fe  voyoient  heureufemenc 
délivrés.  Les  Tlafcalans  baifoient  la  terre  de  leur  Patrie,  qu'ils  avoient 
descfperé  de  revoir.  On  paiTa  la  nuit  près  d'une  Fontaine,  qui  acquit, 
dans  cette  occafion,  une  célébrité,  qu'elle  conferve  dans  l'Hiftoire.  Cor- 
tez  prit  ce  tems  pour  repréfenter  à  fes  Soldats,  de  quelle  importance  il 
étoit  d'entretenir,  par  toutes  fortes  d'égards ,  l'amitié  d'une  Republique  à 
laquelle  ils  avoient  tant  d'obligations  ;  &  quoiqu'il  y  eût  la  même  confian- 
ce, il  réfolut  de  s'arrêter  en  chemin,  pour  s'aflurer  de  la  difpofîtion  da 
Sénat.  On  alla  loger,  avant  la  fin  du  jour,  à  Gualipar^  grolTe  Bourgade, 
dont  les  Habicans  vinrent  au-devant  de  l'Armée,  avec  des  tranfports  de 
joye  &  d'affeèlion.  Cortez  accepta  leurs  offres,  &  prit  le  parti  d'établir 
fon  Quartier  dans  leurs  Murs. 

Son  premier  foin  fut  d'informer  les  Sénateurs  de  fes  Exploits  &  de  fon 
retour;  mais  la  Renommée  avoit  prévenu  fes  Envoyés;  &,  dans  le  mo- 
ment qu'ils  partoient,  on  vit  arriver  une  Députacion  de  la  Republique, 
compofée  de  Magifcatzin,  ami  zélé  de  l'Efpagne,  de  Xicotencatl  l'aveu- 
gle, du  Général  fon  Fils,  &  de  quelques  autres  Perfonnes  du  même  rang. 
Tous  les  Hiftoriens  peignent  vivement  cette  première  entrevue  {/).  Après 
les  félicitations  &  \qs  carefles,  Cortez  apprit,  des  Députés,  que  fur  le 
bruit  de  fon  retour  la  Republique  avoit  armé  trente  mille  Hommes ,  & 
qu'elle  les  auroit  envoyés  au-devant  de  lui,  fi  îa  rapidité  de  fon  triomphe 
leur  eût  laiiïé  le  tems  d'exécuter  ce  deflein  ;  mais  qu'il  les  trouveroit  prêts 
à  tout  entreprendre  fous  fes  ordres.  Ils  lui  oflfrirent  toutes  leurs  forcés , 
avec  de  nouvelles  proteftations  de  zèle  &  de  fidélité.  Leur  plus  vif  em- 
preffement  étoit  de  le  revoir  dans  leur  Ville;  niais  ils  convinrent  d'autant 
plus  aifément  de  lui  accorder  quelques  jours  de  repos  î  qu'ils  vouloient  fai- 
re les  préparatifs  d'une  magnifique  réception ,  telle  que  l'ufage  en  étoit  éta- 
bli pour  le  triomphe  de  leurs  Généraux.  11  fit  éclater  à  fon  tour  une  vive 
reconnoiflance  pour  ces  témoignages  d'affeèlion  ,  qui  lui  paroilTdîent  autant 
de  nouveaux  liens  par  lefquels  toute  la  Republique  s'attaçhoit  à  lui;  &  com- 
mençant à  juger  mal  du  fecours  qu'il  s'étoit  prorais  de  l'Efpagne ,, il  ne  des- 


mille  Hommes ,  qui  avoient  apporté  ce  qu'ils 
avoient  de  plus  précieux  pour  honorer  un 
triomphe  qu'ils  croyoicnt  certam  ,  &  que 
par  conféquent  le  butin  fut  confidérabie , 
ibid. 

(/)  Ils  rapportent  que  Magifcatzin  s'a- 
vança le  premier,  pour  faluer  le  Général,  & 
qu'après  l'avoir  ferré  long-tcms  entre  fes 
bras,  il  fc  retira  de  quelques  pas,  pour  le 
regarder  avec  une  tcudcclîe  touchante  ,  & 


pour  fatisfaire  fon  admiration.  L'aveu;;Ie 
Xicotencatl ,  tendant  les  mains  où  le  fon 
des  voix  le  conduifoit ,  fit  éclater  fon  af- 
feftion  par  les  mômes  cmbraffemens  &  par 
une  grande  abondance  '  de  larmes.  Son  Fils 
parut  moins  emprclTé  ;  &  foit  fierté  ou  ja- 
loufie,  il  lai  (Ta  remarquer ,  dans  fon  compli- 
ment, quelque  chofc  de  froid  &  de  farou- 
che ,  qui  anuonçoit  le  changement  de  fes  in- 
clinations.   ' . 


EN      AMERIQUE,   Liv.I. 


395 


efpcra  point  que  celui  d'une  fi  brave  Nation  ne.pût  lui  fuffire,  pour  tenter 
régulièrement  la  Conquête  du  Mexique. 

Son  entrée  dans  Tlafcala  ne  fut  différée  que  de  trois  jours,  &  fe  fit 
avec  une  pompe,  dont  la  defcription  n'a  rien  de  barbare  (/«).  Mais,  au 
milieu  des  Fêtes,  fa  dernière  bleflure,  qui  avoit  été  mal  panfée  dans  un  fi 
continuel  exercice,  porta  au  cerveau  une  violente  inflammation,  fui  vie 
d'une  fièvre  qui  abbatit  entièrement  fes  forces ,  &  qui  fit  tout  appréhender 

Eour  fa  vie.  Les  Êfpagnols  regardèrent  ce  contre-tems  comme  un  mal- 
eui  qui  menaçoit  plus  que  leurs  fortunes,  &  tombèrent  dans  une  confier- 
nation  qui  leur  fit  enfuite  remercier  le  Ciel  de  s'être  trouvés  au  milieu  d'un 
Peuple  ami  de  la  bonne  toi.  Loin  de  penfer  à  tirer  parti  de  leur  trouble 
&  de  leur  abbatement,  pour  fecouer  le  joug,  toute  la  Nation  ne  parut  pas 
moins  afiligée  qu'eux.    Non  -  feulement  les  réjouiflances  furent  interrom- 

Eues ,  mais  on  y  vit  fucceder  toutes  les  marques  d'une  profonde  triftiefiTe. 
,es  Nobles  palToient  le  jour  &  la  nuit  dans  le  Palais  de  Magifcatzin ,  où  Cor- 
lez  avoit  pris  fon  logement.  Le  Peuple  y  venoit  en  foule,  avec  des  cris 
&  des  emportemens  de  douleur,  qu'on  ne  put  arrêter  qu'enpubliant,  dans 
toutes  les  parties  de  la  Ville,  que  ce  bruit  étoit  mortel  au  Malade.  Le 
Sénat  fit  aflembler  tous  les  Médecins  de  la  Republique,  &  propofa  de  hau- 
tes récompenfes  à  celui  qui  découvriroit  un  remède  fi  certain ,  qu'il  pût 
donner,  pour  garant  du  fuccès  ^  fa  vie  &  celle  de  toute  fa  famille.  Leur 
fcience  confiftoit  uniquement  dans  la  connoiflance  des  Simples ,  qu'ils 
appliquoient  avec  un  fagè  difcernement  de  leurs  vertus  &  de  leurs  ef- 
fets, en  changeant  le  remède  fuivant  l'état  &  les  accidens  de  la  mala- 
die. Auffi  Cortez  ne  dût -il  fa  guerifon  qu'à  leur  habileté;  &  la  joye 
publique ,  qu'on  vit  éclater  auffi  -  tôt  avec  autant  d'impétuofité  que  la 
douleur  ,  acheva  de  le  convaincre  qu'il  pouvoit  tout  attendre  de  l'affec- 
tion des  Tlafcalans.  ,  .  ..^n..,.,v 
Depuis  les  troubles  de  Mexico»  il  n'avoit  reçu  aucune  nouvelle  de  fa  Co- 
lonie; &  cette  négligence  de  Rodrigue  Rangel ,  que  Sandoval  y  avoit  laiflfé 
pour  fon  Lieutenant ,  commençoit  t  lui  caufer  de  l'inquiétude.  Les  Cou- 
rier^de  la  République,  auffi  prompts  que  ceux  des  Mexiquains,  lui  rap- 
portèrent, en  peu  de  jours ,  que  tout  étoit  tranquille  à  Vera-Cruz,  &  que 
les  Alliés  voifms  vivoient  dans  une  parfaite  intelligence  avec  leurs  Hôtes  ; 
mais  que  cinquante- huit  Soldats  Efpagnols,  qui  étoient  partis  pour  lejom- 
dre ,  n'ayant  pas  fait  connoître  ce  qu'ils  étoient  devenus ,  il  y  avoit  beau- 
coup d'apparence  qu'en  traverfant  la  Province  de  Tepeaca ,  ils  avoient  été 
maflacrés  par  les  Habitans.  Cette  difgrace  l'affligea  beaucoup ,  parce  que , 
dans  fes  projets,  il  avoit  compté  fur  ce  fupplément,  &  que  l'expérience 
lui  avoit  appris  qu'un  Efpagnol  va!  :t  plufieurs  miliers  d'Indiens  (n).  Il 
fentit  la  nécèffité  de  châtier  les  auteurs  de  cette  perfidie,  d'autant  plus  que 
la  Province  de  Tepeaca  fe  trouvant  dans  une  fituation  qui  rompoit  la  com- 
munication de  Vera-Cruz  à  Mexico,  il  falloit  s'afllirer  de  ce  paffage,  avant 

que 

(»»)  La  plupart  des  RelBtlors  mettent  cette  entrée  au  mois  de  Juillet,  &  quelques-unes 
au  mois  d'Aoûc.  («)  Jbid.  page  287, 

Ddd  2 


Ferma»» 
Cortez. 

1520. 

Son  entrée 
dans  Tlafca- 
la. 


.  ,1 


Maladie  de 
Cortez,  &fe« 
effets. 


Nouvelle! 
qu'il  reçoit  de 
Vera-Cruz. 


1  •^ 


Cinquante- 
huit  Efpa- 
gnols mafla- 
crés par  les 
Tcpeaqucs. 


f ERNAND 
ÇORTEZ. 

I  5  2  0. 


L'Empe- 
reur du  Me- 
xique envoie 
des  AinbafTa- 
deursàTIaf- 


Propofi- 
tions  qu'il 
fait  faire  au 

Sénat, 


Rëponfe 
qu'ils    en 
reçoivent. 


•Confpira- 
tion  de  Xico- 
tencatl. 


395       P    R    E    M    I    E    R    S      V    O    Y    A    G    E    S 

que  de  former  d'autres  entreprifes.  Cependant  il  fufpendit  la  propofition^ 
qu'il  vouloit  faire  au  Sénat i  d'alTifter  les  Efpagnols  dans  cette  Expédition,, 
parce  qu'il  apprit  que  depuis  peu  de  jours  les  Tepeaques  avoient  ravagé 
quelques  Terres  des  Tlafcalans,  &  qu'il  jugea  que  la  Republique  auroit 
recours  à  lui  pour  vanger  cette  infulte.  En  effet,  les  principaux  Séna- 
teurs l'ayant  fupplié  d'embralTer  leurs  intérêts,  il  Te  vit  en  état  d'accorder 
une  grâce  qu'il  penfoit  à  demander.  - 

Un  autre  incident  vint  troubler  Ces  réfolutions.  On  reçut  avis  deGua- 
lipar,  que  trois  Ambafladeurs  de  la  Cour  Impériale,  envoyés  à  la  Republi- 
que ,  n'attendoient  que  la  permiflion  du  Sénat,  pour  venir  exécuter  leur 
Commiffîon.  Cette  démarche  parut  fort  étrange.  Quoique  les  Sénateurs 
nepufTent  douter  qu'elle  ne  regardât  les  Efpagnols,  &  qu'ils  fuflent  bien 
affermis  dans  la  fidélité  qu'ils  avoient  promife  à  leurs- Alliés ,  ils  fe  déter- 
minèrent à  recevoir  les  Ambaffadeurs ,  pour  tirer  avantage  de  cet  a6le  d'é- 
galité,  dont  l'orgueil  des  Princes  Mexiquains  n'avoit  point  encore  fourni 
d'exemple.  Mais  on  ne  fauroit  douter  qu'ils  n'euffent  fait  approuver  leur 
conduite  à  Cortez.  Les  Mexiquains  firent  leur  entrée  avec  beaucoup  d'é- 
clat. Leurs  Tamenes  marchoient  devant  eux,  &  portoient  leurs  préfens, 
compofés  de  diverfes  pièces  d'or  &  d'argent ,  dftines  étoffes  du  Pays ,  de 
plumes  &  d'autres  curiofités,  avec  plulieurs  charges  de  fel,  qui  étoit  la 
plus  précieufe  marchandife  du  Pays.  Ils  tenoient  eux-mêmes  les  marques 
de  Paix  entre  leurs  mains.  Leur  parure  ,  &  le  cortège  ,  dont  ils  étoient 
fuivis,  formèrent  un  Ipeélacle  impofant,  pour  une  Nation  qui  ne  connoif- 
foit  que  l'Agriculture  &  la  Guerre.  Ils  furent  admis  dans  l'Affemblée  du 
Sénat.  Après  avoir  nommé  leur  Maître,  avec  un  grand  nombre  de  titres 
&  de  profondes  foumiflions ,  ils  offrirent,  de  fa  part,  aux  Tlafcalans ,  une 
Paix  fincère,  une  Alliance  perpétuelle,  un  Commerce  libre  &  des  Intérêts 
communs ,  à  condition  que  la  Republique  prendroit  inceffamment  les  armes 
contre  les  Efpagnols,  ou  que,  pour  s'en  défaire  plus  facilement,  elle  tire- 
roit  avantage  de  l'imprudence  qu'ils  avoient  eue  de  fe  livrer  entre  fes  mains. 
A  peine  eurent  -  ils  le  tems  d'achever  cette  odieufe  propofition  ;  ils  furent 
interrompus  dès  les  premiers  mots,  par  un  murmure  confus,  d'où  l'on  pafla 
bientôt  aux  plus  vives  marques  d'indignation  &  de  colère.  Cependant,  a- 
près  les  avoir  renvoyés  à  leur  Logement,  pour  y  attendre  une  réponfe,  le 
Sénat  prit  un  tempérament  digne  de  fa  prudence  &  de  fa  bonne  foi.  II 
leur  fit  déclarer,  par  quelques  Députés,  qu'il  accepteroit  volontiers  la  Paix, 
lorfqu'elle  fcroit  propofée  à  des  conditions  raifonnables  &  glorieufes  pour 
les  deux  Etats; mais  que  les  Tlafcalans  refpeéloient  les  Loix  de  l'hofpitalité, 
&  n'étoient  point  accoutumés  à  rendre  de  la  perfidie  pour  de  la  bonne  foi. 
Diaz  ajoute  que  les  Ambaffadeurs  partirent  fans  réplique,  avec  autant  de 
précrpitation  que  de  frayeur^  parce  que  le  bruit  de  leur  Commilïïon  ayant 
fûulevé  le  Peuple ,  ils  fe  crurent  menacés  de  n'être  pas  à  couvert  fous  la 
dignité  de  leur  caraftère. 

Quoique  cet  artifice  des  Mexiquains  n'el^t  tourné  qu'a  leur  honte,  il 
produifit  un  autre  effet,  qui  caufa  plus  d'allarme  à  Cortez.  Le  jeune  Xi- 
cotcncatl,  emporté  par  le  torrent  des  opinions,  n'avoit  ôfé  déclarer  la 
fienne  au  Sénat;  mais,  dans  les  mouvemens  de  haine  ou  d'envie  qu'il 

con« 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.   I. 


391 


Jugcmrnt' 
r  tnarqiiable 
cUi  SciKic. 


j€ttant  les  ottres  de  l'Empereur,  &  qu'il  falloit  s'aveugler  pour  ne  pas 
Gonnoître  que  le  delfein  des  Efpagnols  étoit  de  renverfer  la  Religion  &  la 
forme  du  Gouvernement.  Ces  inlînuations  n'étoient  pas  fans  vraifemblan- 
ce.  Aufll  commençoient  -  elles  à  lui  faire  des  Partifans,  lorfqu'clles  vinrent 
à  la  connoiflance  de  Cortez.  Il  en  fit  des  plaintes  au  Sénat.  L'affaire  y 
fut  traitée  avec  toutes  les  précautions  qu'elle  méritoit  par  Ton  importance. 
l\  étoit  impoflTible  que  la  plupart  des  Sénateurs  ne  reconnuflent  point  le  dan- 
ger dont  la  Republique  étoit  réellement  menacée;  &  les  motifs  de  Xico- 
tencatl ,  tels  que  l'Hiflorien  les  fuppofe ,  ne  cliangcoient  rien  à  la  force  de 
fes  raifonnemens.  Cependant  l'intérêt  de  l'honneur  &  de  la  bonne  foi  pré- 
valut dans  l'Aflemblée.  Toutes  les  voix  fe  déclarèrent  contre  l'attentat 
d'un  jeune  Mutin,  qui  vouloit  troubler  la  tranquillité  publique ,  diffamer 
les  Décrets  dv  ^(.:  at ,  &  ruiner  le  crédit  de  la  Nation.  Quelques  avis  al- 
lèrent à  la  moi.  ju  Coupable;  &,  ce  qui  doit  caufer  encore  plus  d'éton- 
nement/le  Père  même  de  Xicotencatl,  que  cette  qualité  n'avoit  point  em- 
pêché d'affilier  au  Sénat,  fut  un  de  ceux  qui  foutinrent  cette  opinion  avec 
plus  de  force ,  facrifiant  toutes  les  afftftions  du  fang  à  Thonn^ur  de  fa  Pa- 
trie (o).  Mais  fa  confiance  &  fa  grandeur  d'ame  touchèrent  fi  vivement 
ceux  qui  avoient  penfé  comme  lui,  qu'ils  revinrent ,  en  fa  faveur,  au  fenti- 
ment  le  plus  modéré.  Son  Fils  fut  arrêté  par  les  Exécuteurs  ordinaires  de 
la  Juflice.  11  fut  amené  devant  fes  Juges,  fans  armes,  &  chargé  de  chaî- 
nes. On  lui  ôta  le  bâton  de  Général ,  avec  l'ignominieufe  cérémonie  de 
le  jetter  du  haut  en  bas  des  dégrés  du  Tribunal  (p).  Cette  humiliation  ' 
le  força  de  recourir  à  Cortez  ,  qui  s'emprefTa  aulîi  -  tôt  de  demander 
grâce  pour  lui ,  &  de  le  faire  rétablir  dans  fa  dignité.  Mais  la  playe 
étoit  trop  profonde  pour  fe  fermer  aifément;  &  ce  cœur  farouche  ne 
déguilk  les  projets  de  vengeance,  que  pour  attendre  l'occafion  de  les  fai-  ,' 
re  éclater. 

La  Guerre,  qui  fut  entreprife  auffi-tôt  contré  les  Tepeaqiies ,  donna     Guerre con- 
pendant  quelques  femaines  un  autre  exercice  à  fa  fureur.    Elle  fut  poufTée  tre  les  Tcpeî<- 
fi  vivement,  que  malgré  le  fecours  des  Mexiquains,  auxquels  il  parut  fuffi-  q"^** 
reque  les  Efpagnols  y  fuffent  mêlés,  pour  y  faire  marcher  une  partie  de 
leurs  force:,  Cortez  fe  rendit  maître  de  la  Capitale  du  Pays,  après  avoir 
défait,  dans  plufieurs  Combats,'  les  Ennemis  de  la  Republique  &  les  fiens. 
Il  ne  lui  refloit  que  quatre  cens  vingt  Soldats  Efpagnols  &  feize  Cavaliers  ; 
mais,  laiflant  à  Xicotencatl  le  Commandement  des  Troupes  de  l'Etat,  il 
s'étoit  contente  de  prendre  un  Corps  de  huit  mille  Tlafcalans,  des  mieux 
faits  &  des  plus  réfoius,  fous  des  Capitaines,  dont  il  avoit  éprouvé  la  va- 
leur à  Mexico.    LeS'  'Tepeaques,  forcés  dans  le  centre  de  leur  puiflance, 
prirent  le  parti  de  la  foumilïion ,  &  reconnurent  qu'ils  s'ëtoient  laifFés  en- 
traîner à  la  révolte,  par  les  artifices  des  Mexiquains.    Ils  étoient  fi  desa- 
bufés  des  efpérances  qu'ils-  avoient  conçues  de  leur  fecours ,  qu'après  avoir 
accepté  un  pardon  général  au  nom  du  Roi  d'Efpagne,  ils  fupplièrent  Cor- 
tez 
(o)  Ibid.  Liv,  5.  page  286.  (^)  IbUem.      -• 

Ddd  3. 


r  E  n  N  A  N  D 

Coûtez. 
1520. 


Fon.lntion 
de  la  Ville  de 
Scgura  de  la 
i'rontcra. 


Movt  du 
nouvel  Ein 
pereur. 

SuccelTeur 

3u'on  lui 
onne,  &  fes 
qualités. 


Méditation 
&  proj^  de 
Cortez, 


Ses  prépa- 
ratifs pour  la 
Conquête  du 
Mexique. 


398      PREMIERS      VOYAGES 

tez  de  ne  pus  abandonner  leur  Ville  :  fur  quoi  il  forma  le  deflein  d'y  con- 
ftiuirc  une  Fortcrelle,  en  leur  faifant  comprendre  qu'il  ne  penfoic  qu'à  les 
protéger:  mais  il  vouloic  s'aflurer  le  chemin  de  Vera-Cruz,  par  un  Porte 
que  la  Natii-e  avoic  fortifié,  &  qui  pouvoit  devenir,  avec  un  peu  de  tra- 
vail ,  une  rcllburce  pour  lui  contre  tous  les  accidens  de  la  Guerre.  On  fer- 
ma l'enceinte  intérieure  par  des  remparts  de  terre  ;  &  pour  murailles ,  on 
n'eut  que  le  roc  à  couper,  dans  quelques  endroits  où  la  pente  étoit  moin» 
efcarpée.  Au  fommet  de  la  Montagne,  on  éleva  une  elpéce  de  Citadelle, 
qui  dominoit  fur  la  Ville  &  fur  la  Plaine.  L'Ouvrage  fut  conduit  avec  tant 
d'habileté,  pur  les  Officiers  Efpagnols,  &  poulfé  avec  tant  de  chaleur, 
par  les  Tepeaques  mêmes  ,  qu'il  fut  achevé  dans  l'efpace  de  quelques 
jours  (q).  Cortez  laifla  un  Sergent  &  vingt  Soldats  pour  la  garde  de  cette 
Place,  qu'il  nomnja  Segura  de  la  Frontera^  &  qui  fut  la  féconde  Ville  Efpa- 
gnole  de  l'Empire  du  Mexique  (r). 

Une  autre  Expédition,  à  laquelle  il  ne  paroît  pas  certain  que  Cortez 
ait  aflifté  (j),  fournit  aux  armes  de  l'Efpagne  Teeamalchadec  «^quelques 
autres  Places.  Mais  il  fut  bientôt  occupé  par  des  foins  plus  importans. 
On  apprit  que  l'Empereur,  qui  avoit  fuccedé  à  Motezuma,  étoit  mort,  & 
que  les  Mexiquains  avoient  élevé  fur  le  Trône  Guatimoziny  jeune  Prince, 
dont  le  caraélére  fembloit  promettre  un  règne  éclatant.  Il  avoit  commen- 
cé par  fe  livrer  entièrement  au  foin  des  affaires.  Plufîeurs  Réglemens  en 
faveur  de  la  Milice  lui  avoient  attaché  les  Officiers  &  les  Soldats.  Il  ne 
s'étoit  pas  moins  efforcé  de  gagner  l'afFeftion  du  Peuple;  en  le  déchar- 
geant d!une  partie  des  impôts;  &  prenant,  avec  les  Nobles,  une  Métho- 
de inconnue  jufqu'alors  au  Mexique ,  il  s'établifToit  un  nouvel  empire  fur 
leurs  cœurs,  par  une  familiarité  majeftueufe,  qui  temperoit  ces  excès  d'a- 
doration que  Ç(^s  Prédéceffeurs  avoient  exigés.  Cortez  regarda  ces  prélude» 
d'une  fage  adminillration ,  comme  autant  d'obflacles  qui  fe  formoient  con- 
tre fes  deffeins.  Il  s'étoit  promis  la  Conquête  du  Mexique;  &  l'inviola- 
ble fidélité  des  Tlafcalans  le  confirmoit  dans  cette  réfolution;  fans  comp- 
ter un  grand  nombre  de  nouveaux  Alliés ,  qui  lui  ofFroient  de  fe  joindre  à 
fes  Troupes.  JLe  paU'age  du  Lac  faifoit  fon  principal  embarras.  Cette 
difficulté  lui  paroifToit  terrible,  depuis  que  les  Mexiquains,  ayant  trouvé 
le  fecret  de  rompre  les  Ponts  des  Chauffées ,  il  n'avoit  pas  d'autre  reiTource 
que  les  Ponts  voians.  Il  s'arrêta  au  projet  de  faire  conftruire  douze  ou 
treize  Brigantins,  capables  deréfifter  à  leurs  Canots,  &  de  conduire  fon 
Armée  juiqu'au  centre  de  leur  Ville.     Quoique  des  Montagnes  de  Tlafca* 


(  5  ^  Dans  ce  court  intervalle ,  on  fut  in- 
formé que  Magifcatzin,  le  lidèle  Ami  des 
Efpagnols,  touchoit  au  dernier  moment  de 
fa  vie.  Cortez  lui  envoya  fon  Aumônier, 
qui  le  difpofa  heureufement  à  recevoir  le 
Baptême ,  &  qui  le  vit  mourir  avec  de  grands 
fentimens  de  Religion.  Solis,  ibid.  pages 
217  &  318. 

(r)  Ibid.  page  299. 

{s)  Diaz   del   Callilio    dit   pofitivemcnt 


qu'il  n'y  affifla  point ,  non  plus  qu'à  la  Ba. 
taille  de  Guacachula ,  contre  une  Armée  Im- 
périale de  trente  mille  Hommes.  Cependant 
Cortez  même ,  dans  fa  Lettre  du  30  d'Ofto- 
bre,  explique  les  motifs  qui  l'obligèrent  de 
fe  mettre  à  la  tète  de  l'Armée.  Solis,  qui 
croit  ce  témoignage  irrécufable ,  &  qui  n'ôfe 
rejetter  tout- à- fait  celui  de  Diaz,  le  foup- 
çonne  feulement  d'avoir  ici  manqué  de  mé- 
moire.   Ibid,  page  314, 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Li  V.  I.    ♦        399 

la,  au  bord  du  Lac,  on  ne  comptât  pas  moins  de  feize  lieues,  il  fc  flatta 
de  pouvoir  faire  porter  cette  petite  Flotte,  en  pièces,  fur  les  épaules  des 
Tamenes  Indiens.  Martin  Lopez,  dont  il  connoiilbit  l'habileté  pour  ces 
entreprires,  ayant  trouvé  de  la  vraifemblance  à  Ton  delTcin ,  il  lui  donna 
le  Commandement  de  tous  les  Efpagnols  qui  entcndoient  la  Charpente, 
avec  le  pouvoir  d'employer  les  Indiens  à  couper  du  bois.  L'ordre  fut 
donné  en  même-tems  d'apporter  de  Vera  Cruz  le  fer,  les  mâts  & 
tous  les  agrets  des  Vaifleaux  qu'on  avoit  coules  à  fond.  Cortez  avoit 
obfervé  que  les  Montagnes  de  Tlafcala  produifoienc  quelques  efpèces 
d'arbres,  dont  on  pouvoit  tirer  de  la  poix;  il  les  fit  ébranler,  dit 
i'Hillorien;  &  l'on  en  tira  tout  le  brai  nécelFaire  pour  caréner  fes  Bri- 
gantins. 

La  poudre  commencoit  à  lui  manquer.  Sa  pénétration  lui  fit  imaginer 
le  moyen  d'en  compoler,  d'une  qualité  très  fine,  en  faifant  tirer  du  Ibu- 
fre,  dont  les  Indiens  ignoroientl'ufage,  de  ce  Volcan  qu'Ordaz  avoit  re- 
connu. Il  jugea  qu'une  matière  fi  combuitible  devoit  être  un  aliment  cer- 
tain ,  pour  la  fiamme.  Montano  &  Mefn,  Commandans  de  l'Artillerie, 
offrirent  de  tenter  l'avanture  avec  quelques  Soldats.  Ils  revinrent  avec  une 
provifion  de  foufre,  qui  ne  demanda  point  d'autre  préparation  ,  pour  fer- 
vir  à  l'Artillerie  comme  aux  Arquebufes  à  mèche  (0. 

Pendant  qu'il  fe  livroit  à  ces  grandes  idées ,  il  apprit  que  deux  VaiflTeaux 
Efpagnols^,  qui  apportoient  de  Cuba  un  fecours  d'Homuies  &  de  Muni- 
tions à  Narvaez,  avoient  été  faifis  fiicceflivement  par  l'adrelFe  &  le  zèle  de 
Pedro  Cavallero,  qu'il  avoit  chargé  du  Commandement  de  la  Côte.  Le 
Gouverneur  de  Cuba,  ne  doutant  point  que  Narvaez  ne  fût  en  pofleflfion 
de  toutes  les  Conquêtes  de  la  Nouvelle  Efpagne,  lui  envoyoit  Pierre  de 
Barba,  Gouverneur  de  la  Havane,  le  même,  à  qui  Cortez  avoit  eu  l'obli- 
gation du  dernier  fervice  qui  l'avoit  dérobbé  aux  perfécutions  de  fes  En- 
nemis. Cavallero  ëtoit  allé  reconnoître  fon  Navire.  11  avoit  pénétré  le 
deflein  qui  l'amenoit,  à  l'eraprefiTement  avec  lequel  on  s'étoit  informé  de 
la  fituation  de  Narvaez.  Il  avoit  répondu,  fans  héfiter,  que  ce  Général 
ëtoit  en  pofleflion  de  tout  le  Pays ,  &  que  Cortez  fuyoit  à  travers  les  Bois 
avec  un  petit  nombre  de  Soldats  qui  lui  étoient  reliés.  Barba  &  tous  Tes 
gens  n'avoient  pas  fait  difficulté,  fur  cette  alFurance,  d'aller  droit  à  Vera- 
Cruz,  où  ils  furent  arrêtés,  au  nom  de  Cortez.  Mais  loin  d'en  être  affli- 
gés, ils  s'étoient  engagés  volontairement  à  le  fervir;  &  Barba  obtint  bien- 
tôt le  Commandement  d'une  Compagnie  d'Arbalétriers.  Un  fécond  Vaif- 
feau,  conduit  par  Rodrigue  Moreyon  de  Lobera,  tomba  de  même  au  pou- 
voir de  la  Colonie ,  &  ne  s'attacha  pas  moins  joyeufement  au  fervice  du 
Général.  Bientôt  on  eut  d'autres  preuves  de  l'afcendant  que  la  Fortune  lui 
promettoit  fur  fes  plus  redoutables  Concurrens.  Le  Gouverneur  de  Cuba 
lui  avoit  fourni  jurqu'alors  du  fecours,  par  les  voyes  mêmes  qu'il  vouloit 
employer  à  fa  ruine;  &  les  efforts  de  Garay,  pour  ufurper  une  partie  de 
fon  Gouvernement ,  ne  tournèrent  pas  moins  lieureufement  ea  fa  faveur. 
Gn  doit  fe  rappeller  qu'après  avoir  paru  fur  la  Côte  de  Vera-Cruz,  les  Vaif- 

feaux 
(i)  Ibidem,  pages  321  &  piécédcmes.  ^  >  ■  '  .     .      .,* 


FCRNANn 
C  0  R  T  B  35. 

1520. 


Arrivée  de 
deux  Vaif- 
féaux  de  Cu- 
ba ,  dont  les 
Officiers  de 
Cortez  fe  fai- 
filîent. 


Autres  fe- 
cours que  !a 
]"ortune  pro- 
cure à  Cor- 
tez. 


400 


PREMIERS      VOYAGES 


FeRN ANn 
C  o  a  T  E  z. 

1520' 


féaux  de  cet  Avanturier  avoient  dté  repouiTés  par  les  Indiens  de  Panuco. 
Ils  ne  s'écoient  pas  rebutés  de  leur  difgrace.  Garay  écoic  revenu  avec  de 
nouvelles  forces  :  mais  la  féconde  Epédition  n'eue  pas  plus  de  fuccés  que 
la  première.  A  peine  fes  gens  eurent  touché  au  rivage,  que  la  réfiftancc 
des  Indiens  les  'força  de  rentrer  dans  leurs  Navires.  Alors ,  chacun  pre- 
nant différentes  routes ,  ils  coururent  pendant  quelques  jours  au  hazard  ; 
&  fans  s'être  communiqué  leur  deffein,  ils  vinrent  aborder  prefqu'en  mê- 
me-tems  à  Vera-Cruz ,  où  la  feule  réputation  de  Cortez  les  rangea  fous  fes 
Enfeignes.  Le  premier  de  leurs  Vailfeaux,  commandé  par  CamargOy  por- 
toit  k>ixante  Efpagnols.  Le  fécond,  qui  en  avoit  cinquante  ,  avec  fept 
Chevaux ,  étoit  beaucoup  mieux  armé ,  fous  le  commandement  de  Michel 
Diaz  dJ'iXi  Gentilhomme  Arragonois,  dont  la  valeur  fe  diflingua  fi  fin» 
gulièrement ,  que  fa  feule  perfonne  auroit  tenu  lieu  d'un  grand  fecours. 
Un  troifième,  qui  arriva  plus  tard,  avec  quarante  Soldats,  dix  Chevaux, 
&  quantité  d'armes  &  de  munitions ,  étoit  conduit  par  le  Capitaine  Rami- 
rez.  Cette  Troupe  de  Guerriers  prit  auffi-tôt  le  chemin  de  Tlafcala,  où 
Cortez  fut  agréablement  furpris  de  leur  arrivée  (u).  Enfin,  le  hazard  a- 
raena  auflî,fur  la  Côte,  un  Navire  des  Canaries,  chargé  d'Arquebufes ,  de 
poudre,  &  d'autres  Munitions  de  Guerre,  avec  trois  Chevaux  &  quelques 
Paflagers ,  qui  cherchoient  l'occafion  de  vendre  leurs  marchandifes  aux 
Conquérans  Efpagnols.  Non-feulement  le  Gouverneur  de  Vera-Cruz  ache- 
ta d'eux  toute  la  charge  de  leur  VaiflTeau,  mais  il  perfuada,  aux  Officiers, 
d'aller  fervir  dans  l'Armée  de  Cortez ,  avec  treize  Soldats  qui  venoient  cher- 
cher  fortune  aux  Indes  (x). 

La  joye  de  tant  d'heureux  événemens  n^empêcha  point  les  Officiers  Ef- 
-  -  pagnols  de  prendre  le  deuil  (y)  à  Tlafcala,  pour  la  mort  de  Magifcaczin, 

Se  Magifcat"  S"^  ^^°^'  regardé  comme  le  Père  de  la  Patrie;  &  ce  témoignage  de  fenfibi- 
lité ,  pour  la  douleur  publique  ,  fit  tant  d'impreflSon  fur  les  Sénateurs  & 
fur  le  Peuple ,  qu'ils  prièrent  Cortez  de  remplir  la  Place  qui  vaquoit 
au  Sénat.  Magifcatzin  joignoit  à  cette  dignité  celle  de  Gouverneur  du 
principal  Quartier  de  la  Ville.  Deux  Offices  de  cette  importance,  de- 
mandant une  affiduité  qai  ne  pouvoit  s'accorder  avec  les  vues  de  Cor- 
tez, il  fe  contenta  de  faire  tomber  le  choix  de  la  Republique  fur  le  Fils 
aîné  du  Mort ,  qui  avoit  hérité  de  tous  les  fentimens  de  fon  Père  pour  les 
Efpagnols  (  2  ). 

Ensuite,  ne  s'occupant  que  de  fes  grands  defleins,  dont  il  conçut  que 
le  luccès  dépendoit  de  la  bonne  volonté  de  fes  Troupes ,  il  fit  publier  que 
ceux,  qui  eomnrcnçoient  à  fe  dégoûter  du  métier  des  armes,  étoient  li- 
bres 


Deuil  des 
Efpagnols 


•un. 


(v)  Ibîd.  pûgc  ^iQ.       ,'.':  I    i  .: 

(.v)  Ibid.  page  365. 

(y)  Ils  parurent  tous  avec  des  cafaques 
noires ,  qu'on  fit  teindre  exprès  ,  &  qu'ils 
portoient  p^r-defllis  leurs  habits  militaires. 
Ibid.  page  324. 

(  3  3  Ce  jeune  Indien  reçut  le  Batême ,  à 
l'exemple  de  fon  Père  ,  &  prit  le  nom  de 
Dom  Laurent  de  Magifcatzin.    Le  Cacique 


d'Izucan,  &  le  vieux  XicotencatI  embraiîe- 
rent  auifi  le  Chriftianifme.  On  ne  fit  point 
alors  d'autres  converfions;  ce  que  les  Hif- 
toriens  attribuent  au  bruit  des  armes,  plu- 
tôt qu'à  réioignement  des  Efprits  pour  les 
principes  de  la  Religion.  D'ailleurs  le  Père 
Olinedo ,  dit  Solis ,  n'avoit  perfonne  qui  pûc 
l'allifter.  ubi/t^prà,  page  327. 


Feuwani» 
Coûtez. 

1520. 


EN     AMERIQUE,   Liv.  I.  401 

très  de  retourner  à  Cuba,  fur  une  partie  des  VaifTeaux  ou^il  avoit  fur  la 
Côte.  Plufieurs  Soldats  de  Narvaez  acceptèrent  cette  offre  ,  &  Duero 
même  fuivit  leur  exemple  (a).  Alvarado  conduilît  jufqu  à  bord  ceux  que 
la  crainte  du  danger,  ou  l'amour  du  repos,  faifoit  renoncer  honteul'ement 
à  la  gloire. 

Une  reftoit  qu'un  fujet  d'inquiétude  à  Cortez.  Les  Députés ,  qu'il  a- 
voit  envoyés  à  la  Cour  d'Efpagne  ,  ne  l'informoient  point  du  fuccés  de 
leur  Commiflion;  &  ce  long  retardement  Uevoit  le  faire  douter  qu'ils  euf- 
fent  obtenu  toute  la  faveur  qu'il  avoit  efperée.  Avanc  que  de  s'engager 
dans  de  nouvelles  entreprifes,  il  réfolutde  faire  partir  d'autres  Agens,  pour 
folliciter  l'expédition  des  premiers.  Ordaz  &  Mendoza  furent  deftinés  au 
Voyage  de  l'Europe ,  tandis  que  d'Avila  &  Chico  reçurent  ordre  de  fe  rtn*  ^ 

dre  à  rille  Efpagnole.     Les  deux  premiers  furent  chargos  d'une  Relation  '  '' 

en  forme  de  Lettre  (A),  qui  contenoit  le  détail  des  avantages  &  des  dif- 
grâces  qui  étoient  arrivés  aux  Troupes  Efpagnoies ,  depuis  leur  premier 
départ  de  Zampoala.  On  y  joignit  un  nouveau  préfent  pour  l'Empereur  , 
coinpofe  de  l'or  &  des  raretés  qu'elles  avoient  fauvées  dans  leur  retraite. 
Les  deux  autres  étoient  envoyés  à  l'Audience  Uoyale  de  San -Domingo, 
pour  en  obtenir  des  fecours  plus  prompts  qu'on  ne  pouvoit  les  attendre 
d'Elpagne.      •  ^  •     ■'   -  »  .^  .    Vv..   ,  -  :■,.    . 

L'Année  approchoit  de  fa  fin,  lorfque  Cortez  prit  ouvertement  la 
réfolution  d'entrer ,  avec  toutes  fcs  forces,  dans  les  Terres  de  l'Em- 
pire, &  de  remettre  la  décifion  de  fon  entreprife  au  fort  des  armes.     Ses 
Brigantms  n'étoient  point  encore  achevés;  mais  les   1  roupes  de  la  Repu- 
blique &  celles  de  fes  Alliés  avoient  déjà  pris  Polie  aux  environs  de  TIaf-  '...'*'■ 
cala ,  &  le  moindre  délai  commençoit  à  lui  faire  craindre  les  inconvéniens  *"  *    ^ 
de  l'oifiveté.    Il  aflembla  les  Officiers,  pour   délibérer  avec  eux  fur  fes      Cottegfe 
premières  opérations.     Tous  les  avis  fe  réduifirent  à  marcher  vers  Tez    détermine  à 
cuco.     Cette  Ville  étant  fituée  fur  le  chemin  de  la  Capitale,  &  prefqu'aii  '^"i'"' 'f  S^"* 
bord  du  Lac,  on  fe  propofoit  de  s'en  faifir  &  de  s'y  fortifier  pour  en  fai-  xique.  ^^ 
re  une  Place  d'armes,   avec  le  double  avantage  d'y  pouvoir  attendre  les 
Brigantins  ,  &  d'y  être  en  état  de  défoler  le  Pays  ennemi  par  des  cour- 

fes. 


(a)  On  n'a  pas  fçu  les  motifs  de  fa  re- 
traite; mais  il  y  a  beaucoup  d'apparence  qu'il 
rompit  avec  Cortez,  puifqu'on  le  vit  enfui 
te,  à  la  Cour  d'Efpagne,   dans  les  intérêts 
du  Gouverneur  de  Cuba,  ibid.  page  333. 

(6)  C'eft  celle  qu'on  a  déjà  citée.  Cor- 
rez  y  rendoit  compte  auin  des  mefures  qu'il 
avoit  prifcs  pour  retourner  à  Mexico  II 
vantoit  la  richefTe  de  l'Kmpire,  la  fertilité 
de  fes  Terres,  &  l'opulence  des  Caciques 
11  louoiL  la  valeur  &  la  confiance  des  Efpa 
gools  II  parloit  avec  admiration  du  zèle  & 
de  la  fidélité  des  TIafcalans.  Il  demandoit 
jullice  contre  l'aveugle  perfécutioii  du  Gou- 

XriIL  Part. 


verneur  de  Cuba.  Il  faifoit  de  fortes  infian- 
ces pour  obtenir  un  puilFant  fecours.  Il  pe* 
foit  encore  plus  fur  la  néccflîté  d  envoyer 
des  Miflîonnnires,  pour  aider  au  Père  Olme- 
do  C'eft  !a  fubftance  de  fa  Lettre,  après 
le  récit  de  fes  Exploits  militaires,  fur  lef- 
quels  il  s'expliquoit  fort  modeftement-  Mais 
Diaz  alFure  qu'il  eut  foin  d'un  faire  écrire  une 
autre  par  les  Officiers  municipaux  de  Vcra- 
Cru^;  &  de  Segura,  où  fes  louanges  ne  fu- 
rent point  épargnées.  &  qu'il  s'accorda  le 
plaifir  de  la  voir.  Le  même  Hifiorien  ajou- 
te qu'il  ne  permit  point  aux  Soldats  d'écrire 
à  part.  ~      •         .,     .      .■       . 

E  e  e 


402 


PREMIERS      VOYAGES 


f BRNAN» 
CORTCZ. 

1520. 

Rcvftc  & 
nombre  de 
fes  Troupes. 


Rcvûo  des 
Troupes  In- 
diennes. 


Loix  pu- 
bliées dans 
les  deux 
Camps, 


Leçons  mî- 
iitaircs  que 
les  'Efpagnols 
donnent  aux 
tadiens. 


Tes.  C'étoit  d'ailleurs  une  retraite  affurce,  dans  mille  fuppofitions  qui 
pouvoicnt  rendre  l'attaque  de  Mexico  difficile,  ou  faire  traîner  le  Siège 
en  longueur. 

Le  jour  fuivant  fut  employé  à  faire  la  revue  des  Efpagnols,  dont  le 
nombre  fe  trouva  d'environ  lix  cens  Hommes  d'Infanterie  Ck  quarante  Ca- 
valic:r8.  L'Artillerie  de  Campagne  confidoit  en  neuf  pièces,  les  plus  légè- 
res qa'on  cdt  tirées  des  Vaifleaux.  Cortez  donna  tout  l'éclat  poflible  à 
cette  Fête  militaire  ;  autant  pour  la  faire  fervir  d'inflru£lion  aux  Indiens  , 
que  pour  leur  en  impofcr  par  la  pompe  du  fpeélacle.  A  cet  exemple ,  le 
Général  Xicotencatl ,  qui  continuoit  de  commander  les  Troupes  de  la  Re- 
publique, voulut  aulTi  les  faire  pafler  en  revÛe.  Celles  que  Cortez  defli- 
noic  à  le  fuivre  ne  montoient  qu'à  dix  mille  Hommes  choiHs  ;  <Se  le  rede 
avoit  ordre  de  fufpendre  fa  marche,  pour  fervir  à  la  garde  &  au  tranfport 
des  Brigantins.  Les  tymbales ,  les  cors  &  les  autres  inflrumens  de  cette 
Armée,  qu'Herrera  fait  monter  à  quatre-vingts  mille  Hommes  (c),  mar- 
choient  à  la  tête  de  chaque  Bataillon;  &  les  Officiers  venoient  enfuitc,  pa- 
rés de  plumes  de  divcrlës  couleurs,  &  de  joyaux  qui  leur  pend9ienc  aux 
oreilles  &  aux  lèvres.  Ils  portoient  fous  le  bras  gauche  leurs  fabres  garnis 
de  pierre ,  la  pointe  en  haut  ;  &  chacun  avoit  un  Page ,  dont  l'unique  office 
étoit  de  porter  la  rondache  de  fon  Maître,  où  fes  exploits  étoient  expri- 
més par  diverfes  figures.  Chaque  Compagnie  étoit  diftinguée  par  la  cou- 
leur de  fes  plumes ,  (k  par  la  forme  de  fes  Enfeignes ,  qui  n'étoient  que  la 
repréfentation  de  quelque  Animal ,  au  fommet  d'une  pique. 

Cortez  fit  publier  plufieurs  Ordonnances ,  qui  regardoient  également  les 
Efpagnols  &  les  Indiens.  Elles  portoient  défenfe ,  fous  peine  de  mort ,  d'em- 
ployer les  armes  dans  les  différends  particuliers ,  de  faire  la  moindre  violen- 
ce aux  Femmes,  &  de  s'éloigner  du  Camp  pour  le  pillage,  fans  l'ordre  des 
Chefs.  Elles  défendoient  auifi  les  juremens  &  les  blafphêmes,  fous  peine 
d'infamie  &  de  dégradation.  Aguilar  &  Marina  furent  chargés  d'expliquer 
ces  Loix  aux  Indiens,  qui  ne  firent  pas  difficulté  de  s'y  foumettre;  &  la 
rigueur ,  que  tous  les  Officiers  apportèrent  à  les  maintenir,  fit  régner ,  pen- 
dant toute  la  Guerre,  une  difcipline  qui  ne  fe  relâcha  pas  plus  que  la  va- 
leur. Le  jour  du  départ  fut  confacré  par  des  Prières  publiques.  Ce  fut  à 
la  fin  de  cette  pieufe  cérémonie  que  Cortez  fortit  de  la  Ville ,  à  la  tête  des 
Efpagnols.  Il  avoit  donné  ordre  que  toutes  les  Troupes  Indiennes  fuffent 
rangées  fur  fon  pafTage;  pour  leur  ?».pprendre  ,  par  l'exemple  des  fiennes, 
à  marcher  fans  confufion,  à  garder  leurs  rangs,  à  les  doubler  dans  le  be- 
foin,  &  d'autres  évolutions,  dont  la  feule  vue  devint  une  excellente  leçon 
pour  ces  Barbares  {d).  -  • 

La 


(c)  Dîaz  comprend  dans  ce  nombre  les 
Alliés  de  Cholula  &  de  Guacogingo,  qui  é- 
toient  campés  hors  de  la  Ville.  Il  paroit 
que  Cortez  ne  fe  mit  en  marche  qu'avec  foi- 
xante  mille  Soldats  ;  mais  il  fut  joint ,  dans 
.^  fuite,  pai  tant  d'autres  Nations  alliées  « 


que  pendant  le  Siège  de  Mexico  il  fc  vit 
deux  fois  à  la  tête  de  deux  cens  mille  Hom- 


mes 


tes. 


Çd)  Solis,  Liv.  5.  pages  373  &  précéden- 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  I. 


4ûS 


m 


C  u  R  T  E  1,  ' 

1520. 

Marchcv  c!e 
l'Année  v.TS 


Premier 
obllaclc  qur 
CortfZ  lui 
f.iit  llirmon. 
ter. 


La  marche  du  premier  iour  fut  defix  lieues,  jufqu'à  Tezmelcuca^  Bour- 
gade confidérable,  delà  cfëpendance  du  Cacique  de  Guacczingo^  dont  les 
'l'erres  touchoietit  à  celles  du  Mexique.  On  y  apprit,  du  Cacique, que  les 
Mcxiquains ,  informés  depuis  long-tems  des  préparatifs  de  Cortcz,avoient 
des  Troupes  nombrcufes,  derrière  une  Montagne  voifine,  dont  pluficurs  j^.  j^i^vmu-. 
défilés  rendoient  le  paflage  fort  difficile.     Cet  avis  l'inquicta  fi  peu ,  qu'il  "  ,  '* 

ne  lui  fit  rien  changer  au  plan  de  fa  route.  Mais,  étant  arrivé  l'après  midi 
au  pied  de  la  Montagne,  il  réfolut  d'y  pafler  la  nuit,  pour  ne  pas  s'enga- 
ger, pendant  les  ténèbres,  entre  des  Rochers  qui  pouvoient  couvrir  plus 
d'une  embufcade.  Il  fit  allumer,  dans  le  Camp,  de  grands  feux,  dont  la 
lumière  fe  répandoit  fur  tous  les  paflages,  &  qui  fervirent  en  mcmetems 
à  garantir  fon  Armée  de  l'incommodité  du  froid.     Le  lendemain ,  au  lever  ^ 

du  Soleil ,  fon  Avant-garde  monta  lentement  par  les  premiers  détours  de  la 
Montagne,  pour  donner,  à  l'Artillerie,  le  tems  de  s'avancer.  Elle  n'avait 
pas  fait  une  lieue,  lorfaue  les  Coureurs  vinrent  informer  Cortcz  que  les  En- 
nemis avoient  embarralîe  le  chemin  par  quantité  d'arbres ,  &  par  une  mul- 
titude de  pieux  fort  aigus,  qu'ils  avoient  plantés  en  divers  endroits,  où  la 
terre  paroi IToit  fraîchement  remuée,  pour  y  faire  enfoncer  les  Chevaux.  Il 
reçut  cet  avis  avec  une  çayeté ,  qu'il  nt  éclater  juf^ues  dans  fa  réponfe: 

Ces  Braves ,  dit  -  il  a  haute  voix ,  n'ont  pas  envie  de  nous  voir  de 
"  "prés.  Ils  veulent  embarrafTer  nos  pieds ,  parce  qu'ils  redoutent  nos 
"  mains  ".  Aufli-tôt,  comme  s'il  eût  tenu  (es  réfolutions  prêtes  pour 
tous  les  obftacles,  il  fit  avancer  deux  mille  Tlafcalans  à  l'Avant-garde , 
avec  ordre  d'écarter  les  arbres.  Cette  exécution  fut  fi  prompte,  qu'el- 
le ne  caufa  pas  le  moindre  retardement  à  l'Avant-garde.  Quelques 
Compagnies  achevèrent  en  même  -  tems  de  reconnoître  les  défilés  ;  & 
pendant  Tefpace  de  deux  lieues,  qui  refl:oient  jufqu'au  fommet  de  U 
Montagne,  on  continua  de  marcher  aufli  tranquillement  que  fur  les  Ter- 
res de  Tlafcala. 

D  E  la  hauteur  où  l'on  ëtoit  parvenu ,  on  découvroit  dans  l'éioignement 
le  grand  Lac  de  Mexico.  Le  Général  ne  manqua  point  d'exciter  Tes  Trou- 
pes par  le  fouvenir  des  richefles  qu'elles  y  avoient  laifl!es ,  &  des  injures 
qu'elles  avoient  à  vanger.  La  fumée,  qu'on  remarquoit  dans  les  Bourga- 
des, &  qui  paflbit  fucceffivement  de  l'une  à  l'autre,  fut  prife  pour  un  avis 
que  les  Mexiquains  fe  donnoient  de  fapproche  de  l'Armée.  On  n'avança 
pae  avec  moins  de  réfolution ,  quoique  par  des  chemins  fort  rudes ,  &  dans 
l'épaifleur  des  Bois.  Enfin  l'Armée  ennemie  s'offrit  de  loin  dans  la  Plaine. 
Les  Efpagnols  poufiTèrent  des  cris  de  joye;  &  les  Tlafcalans  entrèrent  dans 
une  efpèce  de  fureur,  que  Cortez  eut  beaucoup  de  peine  à  modérer.  L'En- 
nemi étoit  en  Bataille,  au-delà  d'une  grande  Ravine,  formée  par  les  eaux 
qui  tomboient  impétueufement  des  Montagnes.  On  la  palfoit  iur  un  Pont 
de  bois ,  que  les  Mexiquains  auroient  pu  rompre  ;  mais  Cortez  apprit  dans 
la  fuite  qu'ils  l'avoient  confervé ,  dans  le  deflein  d'attaquer  les  Espagnols 
au  paflage.  Cependant  à  peine  eurent-ils  reconnu  la  nombreufe  Armée  qui 
les  menaçoit,  que  le  courage  paroififant  leur  manquer  pour  la  défenfe  de 
leur  Pofle,  ils  firent  leur  retraite  avec  beaucoup  de  précipitation.  Comme 
ils  s'étoient  dérobbés  prefque  tout-d'un  coup ,  à  la  faveur  «ks  Bois ,  ians 

Eee  2  qu'on 


^  . 


/« 


"  On  décou- 
vre l'Arniéc 
Mcxlquainc. 


Elle  fe  re- 
tire avec  ef- 
froi. 


Fkrnand 

C  O  R  T  E  Z. 
IJ20. 


Perfide  en- 
ti^prife  du 
Cacique  de 
Tczcuco. 


Comment 
elle  eft  dé- 
couverte. 


404      PREMIERS      VOYA    GlE^S 

qu'on  pût  juger  fi  ces  apparences  de  crainte  ne  couvroient  pas  quelque  ar- 
tifice, Cortez  ne  diminua  rien  de  Tes  précautions.  11  Ce  crut  fort  heureux, 
en  obfervant  les  bords  efcarpés  de  la  Ravine,  qu'on  ne  lui  difputât  point 
le  paflage  du  Pont.  Sa  Cavalerie,  qu'il  fit  pafler  la  première,  n'alla  pas 
loin  fans  découvrir  les  Ennemis.  Ils  s'étoient  ralliés  derrière  les  Bois:  mais 
l'approche  des  Chevaux ,  qu'ils  n'avoient  jamais  vus  en  fi  grand  nombre, 
&  quelques  décharges  de  l'Artillerie,  que  Cortez  avoit  fait  pofler  fur  un 
bord  élevé  de  la  Ravine ,  leur  firent  oublier  toutes  leurs  rufes ,  pour  s'a- 
bandonner honteufement  à  la  fuite.  Toute  l'Armée,  ayant  pafle  le  Pont 
avant  la  nuit ,  fe  logea  dans  un  Bourg  défert  ;  fans  autre  précaution  que  de 
placer  des  Corps-de-garde  à  toutes  les  avenues  (e). 

Le  lendemain,  après  s'être  mis  en  marche,  on  vit  paroître  dix  Indiens, 
qui  venoient  à  grands  pas  vers  l'Avant -garde,  &  qui  n'avoient  entr'eux 
qu'une  feule  lance,  couronnée  d'une  lame  d'or.  Ils  la  portoient  élevée, 
avec  tant  de  refpeft  &  de  cérémonies ,  qu'on  la  prit  pour  un  figne  de  Paix. 
C'étoit  une  Ambaflade  du  Cacique  de  Tezcuco,  qui  envoyoit  prier  le  Gé- 
néral d'épargner  les  Terres  de  Ton  Domaine,  &  l'afTurer  qu'il  defiroit  fon 
alliance.  Il  lui  faifoit  ofi*rir,  dans  fa  Ville,  un  logement  commode  pour 
tous  les  Efpagnols  ;  mais  il  demandoit  que  les  autres  Nations  demeuralfent 
hors  des  murs,  où  il  promettoit  de  leur  faire  porter  toute  forte  de  provi- 
fions.  Cortez  examina  long-tems  ces  Envoyés.  Ils  répondirent  à  fes  quef- 
tions,  fans  aucune  marque  d'embarras.  Leur  Chef  ajouta  que  fon  Maître  » 
ayant  à  fe  plaindre  des  violences  du  nouvel  Empereur ,  qui  cherchoit  à  fe 
vanger  du  refus  qu'il  avoit  fait  de  lui  donner  fa  voix  dans  l'Eleélion ,  vou- 
loit  s'unir  avec  les  Efpagnols  pour  la  ruine  de  ce  Tyran.  Quoique  les  Hif- 
toriens  n'ayent  pas  nommé  le  Cacique,  il  paroît  que  c'étoit  Gacumazin, 
c'eft-à-dire ,  le  même  à  qui  Cortez-  avoit  fait  ôter  fa  dignité ,  pour  avoir 
confpiré  contre  Motezuma ,  &  qui  avoit  été  rétabli  par  l'autorité  du  nou- 
veau Monarque.  Solis  en  juge  par  la  défiance  que  fes  offres  infpirérenç 
aux  Efpagnols.  Tous  les  Officiers,  dont  Cortez  prit  l'avis  pour  fa  répon- 
fe,  conclurent  que  cette  politeflle  ne  pouvoit  être  fincère  dans  un  Prince 
mortellement  oflFenfé;  qu'il  falloit  regarder  néanmoins  comme  une  faveur 
du  Ciel  la  liberté  qu'on  leur  offroit  d'entrer  dans  une  Ville  qu'ils  avoient 
réfolu  d'emporter  par  la  force  des  armes ,  &  que  lorfqu'ils  feroient  une 
fois  dans  fes  Murs  ils  s'y  conduiroient  avec  autant  de  précautions , 
que  dans  une  Place  emportée  d'affaut.  Après  cette  délibération ,  Cor- 
tez répondit  aux  Em'oyés  qu'il  acceptoit  l'offre  de  leur  Maître,  &  qu'il 
règleroit  toujours  fa  conduite  fur  la  bonne  foi  qu'il  trouveroit  dans  fes 
Alfîés. 

L'Armée  continua  fa  marche,  jufqu'au  Fauxbourg  de  la  Ville;  niais  ]'en<- 
trée  fut  remife  au  lendemain ,  pour  fe  donner  le  tems  d'obfcrver  de  plus 
près  les  difpofitions  du  Cacique.  Ce  délai  fauva  les  Efpagnols.  Cacuma- 
zin,  commençant  à  craindre  que  fes  noirs  deffeins  ne  fuflent  éventés,  n'eût 
pas  l'audace  de  fe  préfenter  à  Cortez;  &  l'on  s'apperçut,  pendant  la  nuit, 
que  les  Habitans  du  Fauxbourg  fe  retiroient  dans  la  Ville.    Quoiqu'il  ne 

-    ''l    ■     ■  u.     ,'    ■■  ,,     ..:         ,     ....      -fût- 

(.«.)  Ibid.  pages  382  &  précédentes..     »  -  ^        .''■:,  .J.U'  -   .,  . 


FCHN  ANr» 
CORTEZ. 


EN      AMERIQUE    Liv.  I.  405^ 

• 

fi\t  arrivé,  d'ailleurs,  aucun  mouvement  qui  pût  allarmer  le*  General ,  il 
n'attendit  pas  le  jour  pour  difpofer  Tes  Troupes  au  combat.  Il  s'avança 
vers  la  Ville,  au  lever  du  Soleil,  dans  la  rélolution  de  l'attaquer,  s'il  ne 
recevoit  pas  d'autres  éclairciflemens._  Mais  il  fut  encore  plus  furpris  de 
trouver  les  portes  ouvertes  &  fans  Gardes.  Quelques  Compagnies  déta- 
chées s'en  faifirent,  &  toute  l'Armée  entra  fans  réfiftance.  Cortez,  pré- 
paré à  tout  événement,  s'avança  dans  les  rues,  fans  donner  aucune  attein- 
te à  fe  Paix.  Il  arriva  dans  une  grande  Place ,  où  il  forma  quelques  Batail- 
lons-; tandis  que  fes  Officiers  plaçoient  des  Corps -de -garde  aux  meilleurs 
Pofles.  Les  Habitans  fe  montroient  par  intervalles,  mais  fans  armes  & 
d'un  air  tremblant.  On  obferva  qu'il  ne  paroiflbit  aucune  Femme,  &  cet- 
te circonftance  augmenta  les  foupçons.  Le  principal  Temple  étant  fitud 
iur  une  éminence  qui  commandoit  à  toute  la  Ville ,  &  d'où  l'on  découvroit 
la  plus  grande  partie  du  Lac,  Alvarado,  d'Olid  &  Diaz,  reçurent  ordre 
de  s'y  établir ,  avec  un  bon  nombre  de  Tlafcalans  &  quelques  pièces  d'Ar- 
tillerie. Ils  trouvèrent  ce  Pofle  fansdéfenfe;  &  du  haut  du  Temple,  ils 
découvrirent,  hors  de  la  Ville,  une  multitude  de  Peuple,  dont  les  uns 
fuyoient  vers  les  Montagnes ,  &  les  autres  fe  jettoient  dans  des  Canots , 
pour  fe  rendre  à  la  Capitale.  Ce  fpedlacle  ne  lailFa  plus  aucun  doute  de  la 
mauvaife  foi  du  Cacique.  Cortez  le  fie  chercher ,  avec  ordre  de  l'amener  à 
la  tête  de  l'Armée.  On  apprit  enfin  qu'il  s'étoit  retiré ,  pendant  la  nuit , 
vers  l'Armée  des  Mexiquains,  avec  un  petit  nombre  de  Soldats,  qui  a- 
voient  confenti  à  le  fuivre.  La  Noblefle  &  le  refle  de  fes  Sujets,  qui  dé- 
teftoient  fa  tyrannie,  étoient  demeurés  dans  la  Ville,  ou  s'étoient  difper- 
fés  dans  d'autres  lieux,  fous  prétexte  de  chercher  i'occafion  de  le  joindre. 
Mais  lorfque  les  foins  de  Cortez,  &  la  modération  de  fes  Troupes,  eurent 
fait  renaître  la  tranquillité,  on  fut  informé,  avec  plus  d'étendue,  que  le 
deflein  de  ce  Prince  avoit  été  de  careiFer  les  Èfpagnols,  pour  les  endormir- 
dans  la  confiance,  &  d'introduire  les  Troupes  Mexiquaines,  qui  dévoient 
les  égorger  tous  dans  une  nuit;  qu'au  retour  de  fes  Envoyés,  qui  lui  a- 
voient  fait  une  peinture  effrayante  des  forces  de  Cortez ,  le  courage  avoit 
commencé  à  lui  manquer;  ôc  qu'enfuite  la  prudence,  qui  avoit  arrêté  fes 
Ennemis  aux  Portes  de  la  Ville,  lui  ayant  fait  juger  qu'ils  avoient  pénétré 
fon  deflein ,  le  parti  de  la  fuite  lui  avoit  paru  le  plus  lûr ,  en  laiflant  fa  Vil- 
le &  fes  Sujets  à  leur  difcrétion  (/). 

Ainsi  la  fortune  de  Cortez  lui  livra ,  fans  obftacle ,  une  grande  Ville ,      Cortez  éta- 
u'il  avoit  crue  nécefTaire  à  Ces  defleins  ;  &  le  mécontentement  des  Sujets  ^''"'^  ""  "9"' 
u  Cacique  les  engagea  comme  volontairement  dans  le  parti  des  Efpagnols.   J  tczcucI?"*' 
Toute  l'Armée  paiTa  la  nuit  fuivante  dans  Tezcuco.  Le  Palais  étoit  fi  vafte, 
que  les  Efpagnols  y  trouvèrent  tous  des  logemens  commodes ,  avec  une  par- 
tie des  Tlafcalans  ;  les  autres  Troupes  fe  cantonnèrent  dans  les  rues  voifi- 
nes.     Le  lendemain  ,  tous  les  Nobles ,  revêtus  des  habits  qui  diftinguoient 
îeuï  condition,  firent  demander  une  audience  à  Cortez,  avec  un  jeune 
Homme  de  fort  bonne  mine,  qu'ils  paroiflbient  honorer  comme  leur  Chef. 
Un  des  plus  anciens  dit  au  Général  Efpagnol ,  que  le  Cacique  fugitif  n'é^ 

toit- 
(f)  Ibid.  pages  387  &  ptécédentes.     .,  .  .^,\  ..•   .     ,  ,        _.       ,   ,  ;•. 

Eee  3 


t 


'1-''  E  R  N  A  N  T) 

Coûtez. 
1520. 


Iztncpalapa 
f(i  attaquée 
par  les  Efpa- 
gnols. 


40(5        PREMIERS      VOYAGES 

* 

toit  pas  le  Sefgneur  naturel  du  Pays,  mais  un  Tyran,  qui  avoit  malTacrd  de 
fa  propre  main  Nebazal  Ton  Frère  aîné,  pour  ufurper  fa  Couronne;  que  le 
jeune  Prince ,  qui  fe  préfentoit  à  la  tête  des  Nobles ,  étoit  Fils  légitime  du 
malheureux  Nebazal ,  &  que  la  fidélité  de  quelques  Sujets  l'avoit  dérobbé 
au  Meurtrier  de  fon  Père;  que  l'aflaffînat  s'étoic  exécuté  par  le  fecours  de 
rKrapereuj:  qui  règnoit  avant  Motezuma,  &  que  celui  qui  gouvernoit  ac- 
tuellementle  Mexique  ne  favorifoit  pq,s  moins  le  Coupable ,  parce  qu'il  ef- 
peroit  d'employer  fa  perfidie  à  la  deftruélion  des  Efpagnols  ;  mais  que  la 
Noblefle  de  Tezcuco  avoit  ce  Traître  en  horreur,  &  que  le  Peuple  détef- 
toit  fes  violences.  Cortez  avoit  été  fi  charmé  de  la  bonne  grâce  du  jeune 
Prince,  que,  fans  être  informé  de  fa  naiflance,  &  fur  quelques  civilités 
qu'il  en  avoit  reçues,  il  l'avoit  embrafliî,  dit  l'Hiftorien,  dans  un  tranf- 
port  de  joye,  dont  il  n'avoit  pas  été  le  maître  (g).  Mais  s'étant  fait  expli- 
quer le  dilcours  du  Vieillard,  il  comprit  tout -d'un -coup  quels  étoient  les 
defirs  de  la  Nation.  Après  avoir  fait  fentir,  à  l'Alfemblée  des  Nobles, 
qu'il  pouvoit  ufer  du  droit  de  la  Guerre  &  livrer  leur  Ville  à  la  difcrétion 
de  fes  Soldats,  il  ajouta  que  les  Efpagnols  ne  fouhaitoient  que  le  bonheur 
des  Peuples  qui  vouloient  accepter  leur  alliance,  &  que  pour  gage  de  la 
fienne,  il  rendoit,  à  la  Ville  de  Tezcuco,  le  Cacique  qu'elle  avoit  reçu 
du  Ciel.  Cette  déclaration  eXcita  de  vifs  applaudiflemens.  Tous  les  No- 
bles s'emprefl"èrent  de  baifer  la  main  de  leur  Prince,  &  leur  joye  fe  com- 
muniqua bientôt  au  Peuple.  Les  acclamations  furent  accompagnées  de 
danfes  &  de  jeux,  qui  durèrent  toute  la  nuit.  La  cérémonie  du  Couron- 
nement fut  remife  au  lendemain  ;  &  Cortez  y  aflîfla  fans  défiance ,  avec  la 
fatisfaélion  de  s'être  acquis  plus  d'empire  fur  les  Indiens ,  par  cette  gêné» 
reufe  conduite,  qu'il  n'en  pouvoit  obtenir  par  une  Viéloire  fanglante  (A). 
Tezcuco  devint  une  Place  de  fureté  pour  les  Efpagnols,  &  difputa  toujours 
aux  Tlafcalans  l'honneur  du  zèle  &  de  la  fidélité. 

Le  nouveau  Cacique,  informé  du  projet  de  fes  Alliés,  qui  étoit  de  rendre 
l'entrée  du  Lac  navigable  pour  les  Brigantins ,  employa  fix  ou  fept  mille 
de  fes  Sujets  à  donner  plus  de  profondeur  aux  premiers  Canaux.  Pendant 
ce  travail,  Cortez,  dont  tous  les  mouvemens  fe  rapportoient  à  fon  Expé- 
dition, réfolut  d'attaquer  la  Ville  d'Iztacpalapa ,  avec  une  partie  de  ks 
Troupes.  Ce  Polie  étant  avancé  de  fix  lieues ,  il  lui  parut  important  d'ô- 
ter  leur  principale  retraite  aux  Canots  des  Mexiquains ,  qui  venoient  quel- 
quefois troubler  les  Travailleurs  de  Tezcuco  ;  fans  compter  la  néceffité  de 
donner  de  l'exercice  à  fes  Troupes ,  pour  lefqiielles  il  craignoit  les  dan- 
gers de  l'inaélion.  On  a  déjà  fait  obferver  qu'Iztacpalapa  étoit  affife  fur 
la  Chaufl'ée,  par  où  les  Efpagnols  avoient  fait  leur  première  entrée,  &  dans 
unefituationfi  bifarre,  qu'une  partie  de  ïti  Maifons,  quimontoient  à  plus 

de 


(.ç)  Ibîd.  page  390. 

Xh)  Ibid.  pages  3 96  & prtScédentes.  Il  fit 
la  converfîon  du  jeune  Cacique,  qui  reçut 
le  Batême  des  mains  d'OIintdo  ,  en  prenant 
le  nom  de  Fernand ,  par  affeftion  pour  Cor- 
tez.   L'Hiftorien  avoue  que  cette  cérémo- 


nie fut  précipitée,  &  que  rinflruftîon  avoit 
duré  peu  de  jouri.*  mais  il  prend  foin  d'a- 
vertir que  ce  Prince,  quoiqu'âgé  feulement 
de  dix-neuf  ou  vingt  ans ,  avoit  plus  d'intel- 
ligence que  le  commun  des  lauiens.  lbid> 
Chap.  12. 


'EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.   I.  407 

de  dix  mille,  étoient  bâties  dans  le  Lac  même,  dont  les  courans  s'intro- 
duifoient  dans  la  Ville  par  des  canaux  fermés  d'éclufes ,  qui  lâchoient  ou 
retendent  les  eaux,  fuivant  le  befoin  des  Habitans.  Cortez,  fe  chargeant 
lui-même  de  cette  entreprife,  prit  trois  cens  Efpagnols  &  dix  mille  Auxi- 
liaires ,  dont  Alvarado  &  d'Olid  eurent  le  Commandement ,  fous  fes  ordres. 
Il  s'engagea  fur  la  Chauffée,  dans  le  deffein  de  former  fon  attaque  par  ter- 
re, &  d'employer  fon  Artillerie  à  déloger  l'Ennemi  des  autres  Polies.  En 
approchant  de 4a  Ville,  fes  premiers  rangs  découvrirent,  à  quelque  diftan- 
ce  des  murs,  un  gros  de  fept  ou  huit  mille  Hommes, qui  fembloient  fortis 
pour  les  défendre,  &  qui  attendirent  les  Efpagnols  avec  affez  de  fermeté 
pour  ibutenir  un  Combat  de  quelques  momens.  Enfuite,  faifant  leur  re- 
traite fans  desordre,  jufqu'aux  Portes  de  la  Ville,  on  fut  furpris  qu'au  lieu 
de  les  fermer ,  ou  de  continuer  le  Combat,  ils  fe  jettèrent  tous  dans  le  Lac, 
en  pouffant  des  cris  &  fecouant  leurs  armes ,  avec  autant  de  fierté  qu'ils 
en  avoient  marqué  dans  l'Aftion.  Cortez  jugea  qu'une  retraite  de  cette  na- 
ture  couvroit  quelque  piège.  Cependant  après  avoir  fait  reconnoître  la 
Place,  avec  toutes  les  précautions  militaires,  il  réfolut  d'y  entrer.  Les 
Maifons  fe  trouvèrent  abandonnées,  &  l'on  n'entendoit  plus  qu'un  bruit 
confus  fur  le  Lac,  dans  un  affez  grand  éloignement.  L'approche  de  la 
nuit,  qui  ne  permettoit  point  aux  Efpagnols  de  courir  les  rifques  d'un  nou- 
veau Combat,  leur  fit  prendre  le  parti  de  fe  loger  dans  un  lieu,  dont  on  ne 
leur  difputoit  point  la  poffeffion  ;  &  Cortez  étoit  déjà  réfolu  de  garder  ce 
Polie.  Mais,  quelques  heures  après,  on  s'apperçut  que  l'eau  commençoic 
à  déborder  des  Canaux ,  avec  une  impétuofité  qui  lui  fit  couvrir  en  un  mo- 
ment les  plus  baffes  parties  de  la  Ville.  C'étoit  le  llratagême  que  Cortez 
n'avoit  fait  que  preffentir,  &  qui  reduifit  la  plupart  de  fes  Soldats  à  la 
néceffité  de  aire  leur  retraite  dans  l'eau  jufqu'aux  genoux.  11  fe  reprocha 
beaucoup  de  n'avoir  pas  compris  qu'en  fermant  les  Eclufes  du  côté  du  grand 
Lac,  où  les  eaux  fe  portoient  par  leur  pente,  toute  la  Ville  pouvoit  être 
inondée.  L'Armée  fe  logea  par  dégrés  dans  la  plus  haute  partie ,  où  elle 
paffa  le  relie  de  la  nuit,  avec  beaucoup  d'incommodité ,  &  fans  aucune 
défenfe  contre  le  froid.  A  la  pointe  du  jour,  Cortez,  desefpérant  de  gar- 
der  fa  Conquête  &  la  remettant  à  l'arrivée  des  Brigantins ,  reprit  le  chemin 
deTezcuco,  „  avec  l'attention ,  dit  un  Hillorien,  de  faire  doubler  le  pas 
„  à  fes  Troupes,  pour  les  réchauffer  par  ce  mouvement  ".  Mais  il  paroît 
que  le  foin  de  leur  confervation  n'y  eût  pas  moins  de  part ,  puifqu'aux  pre- 
miers rayons  du  Soleil,  on  découvrit  une  multitude  innombrable  de  Canots, 
qui  s'avancèrent,  des  deux  côtés  du  Lac,  jufqu'aux  bords  de  la  Chauffée. 
Les  arbalètes  des  Efpagnols  &  les  fiéches  de  leurs  Alliés  furent  les  feules 
armes  avec  lefquelles  on  repouffa  le  premier  effort,  parce  que  la  poudre 
fe  trouva  mouillée.  Cependant  l'Ennemi  revint  plufieurs  fois  à  la  charge, 
&  força  Cortez  de  s'arrêter  plus  d'une  fois,  pour  faire  face  aux  plus  empor- 
tés. Ses  Piquiers  firent  une  cruelle  boucherie  de  ceux  qui  ôfèrent  s'a- 
vancer jufqu'à  terre;  mais  plufieurs  Efpagnols  furent  bleffés,  &  les  Tlaf- 
calans  perdirent  quelques  Hommes.  Un  Cheval ,  percé  d'une  infinité  de^ 
flèches,  eut  la  force  de  foutenir  fon  Cavalier  jufqu'à  Tezcuco,  où  il  expira 
prefqu'en  arrivant.    L'attaque  des  Mexiquains  s'étant  rallencie  à  la  vue  de 

oet- 


I'ERKANJ) 

Cortez. 


Une  inon- 
dation les 
force  de  l'a- 
bandonner. 


Ils  font  .1 
taqués  dar., 
leur  Tetra  ■.:'.■, 


Fernand 

C  O  R  T  E  Z. 
1520. 

Cortez  ad- 
mire les  ru  l'es 
des  Mexi- 
quains. 


Il  partage 
fes  forces 
pour  défen- 
dre fcs  Alliés. 


Son  motif. 


Vi(îloire  de 
Sandoval. 


Cortez  ren- 
voyé libres 
quelques  Pri- 
fo  uni  ers  Me- 
xiquain?.  Dif- 
coiirs  qu'il 
leur  tient. 


40S      PREMIERS      VOYAGES 

cette  Ville,  où  ils  n'ignoroient  pas  que  les  Efpagnols  avoient  le  gros  de  leur 
Armée,  Cortez  y  rentra  vers  le  foir;  „  après  avoir  effacé,  ditSolis,  l'af- 
„  front  de  fa  retraite,  par  trois  ou  quatre  viéloires,  remportées  comme  en 
„  courant".  L'expérience ,  qu'il  avoit  des  rufes  de  fes  Ennemis ,  les  lui 
avoit  fait  regarder  jufqu'alors  avec  plus  de  mépris  que  d'inquiétude, comme 
des  inventions  groffières,  qu'il  étoit  aifé  de  faire  tourner  à  leur  propre  rui- 
ne, &  dont  la  moindre  attention  fufBfoit  pour  garantir  des  Efpagnols: 
mais  celle  qu'il  venoit  d'éviter  lui  parut  fi  bien  concertée,  que,  fuivant  le 
même  Hiftorien  (i),  il  n'en  forcit  pas  fans  admiration,  &  fans  une  efpéce 
dejalouûe. 

Les  Caciques ,  &  les  autres  Indiens  voifins  de  Tezcuco ,  ne  tardèrent 
point  à  venir  offrir  leur  obciiTance  ai.  leurs  Troupes  au  Général  étranger. 
Ils  fe  plaignoient  des  violences  de  l'Empereur  du  Mexique,  fur-tout  les  En- 
voyés des  Provinces  de  Chalco  &  d'Otuba ,  contre  lefquelles  ce  Prince  fai- 
foit  marcher  une  puiflante  Armée,  pour  les  punir  d'avoir  ouvert  le  paflage 
aux  Efpagnols.  Ils  témoignoient  affez  de  refolution  pour  fe  défendre,  mais 
ils  demandoienc  quelque  lecours;- &  Cortez  fe  crut  intérefle  à  l'accorder, 
parce  qu'il  étoit  important  pour  lui  de  fe  conferver  une  communication 
toujours  libre  avec  la  Province  de  Tlafcala.  Sandoval  &  Lugo ,  qui  fu- 
rent charges  de  cette  Expédition  avec  deux  cens  Efpagnols ,  quinze  Ca- 
valiers &  la  plus  grande  partie  des  Tlafcalans ,  s'avancèrent  par  une  mar- 
che fi  prompte,  qu'ayant  joint  l'Armée  d  Ocumba  &  de  Chalco,  avant  l'ar- 
rivée des  Mexiquains ,  ils  allèrent  au-devant  d'eux  jufqu'aux  frontières  de 
ces  deux  Provinces.  La  Bataille  fut  fanglante  &  fe  termina  par  la  fuite 
des  Knnemis,  qui  laiffèrent  un  grand  nombre  de  Prifonniers.  Mais  San- 
doval ne  réferva  que  les  principaux ,  dont  il  efpéroit  tirer  quelques  lumiè- 
res. Les  Peuples,  qu'il  avoit  fecourus,  ayant  été  jufqu'alors  Ennemis  de 
la  République  de  Tlafcala,  parce  qu'ils  avoient  toujours  été  fournis  aux 
Empereurs  du  Mexique,  il  leur  fit  jurer  la  Paix,  fous  la  garantie  du  n.)m 
Efpagnol  ;  &  les  Tlafcalans ,  à  qui  cette  reconnoiflânce,  étoit  due  pour  leurs 
ferviccs,  fignèrent  volontiers  Je  Traité,  avec  pronieife  de  Je  faire  ratifier 
au  Sénat. 

Le  retour  de  Sandoval  à  Tezcuco  eut  tout  l'éclat  d'un  Triomphe.  Il 
avoit  à  fa  fuite,  non -feulement  les  Prifonniers  Mexiquains ,  mais  tous  les 
Caciques  des  deux  Provinces ,  qui  voulurent  faire  leurs  remercimens  au  Gé- 
néral, du  fecours  qu'il  leur  avoit  envoyé,  &Iui  offrir  la  difpofition  de  tou- 
tes leurs  forces.  Cortez  accepta  leurs  offres,  &  leur  recommanda  de  fe 
tenir  prêts  à  marcJicr  au  premier  ordre.  Enfuite,  s'étanc  fait  amener  les 
Prifonniers  Mexiquains,  qui  s'actendoicnt  à  perdre  la  vie,  fuivant  leurs 
ufages,  il  leur  fit  ôter  leurs  fers,  pour  les  difpofer,  par  cette  indulgence, 


(j)  Après  avoir  fait  remarqncr  l'adreflc 
qu'ils  avoient  eue  de  faire  une  fortic  pour  at- 
tirer les  Efpacnols  de  (outcnir  une  charge 
pour  les  cni^aiÇ', r,  de  feindre  vnv.  retraite, 
d'abandonner  ks  lieux  qu  ils  vouloient  inon- 
der ,  ëi.  de  tenir  une  Armée  prête  pour  aûU- 


rer  le  fuccès  de  leur  flratagême,  Solis  de- 
mande fi  ceux,  qui  cherchent  à  ubfcurcir  la 
gloire  de  fa  Nation,  peuvent  dire  à  profjnt 
que  les  Indiens  fulTcnt  des  Hommes  liitpi- 
des,  qui  nnnqualTent  de  tête  &qui  n'eulilnt 
que  de  la  férocité.    L;v,  5.  pags  405. 


EN     AMERIQUE,  Lzv.  I.  40f 

^  retenir  plus  fidèlement  le  difcours  qu'il  leur  fit  par  la  bouche  de  Tes  In- 
terpréi:2S  (k).  Après  cette  explication,  dans  laquelle  il  avoit  moins  en 
vue  les  Mexiquains,  dont  il  connoiiToit  l'cbdination,  que  fes  nouveaux 
Alliés,  qu'il  vouloic  perfuader  de  l'équité  de  fon  entreprife,  il  fit  condui- 
re les  Prifonniers  jufqu'au  bord  du  Lac ,  avec  ordre  de  leur  fournir  une 
Barque  &  des  provifions  pour  fe  rendre  à  Mexico.  Il  n'en  reçut  aucune 
r^ponfe;  mais  comme  il  avoit  fait  peu  de  fond  fur  leur  fidélité,  il  fe  con- 
tenta de  faire  remarquer,  aux  Caciques,  qu'il  avoit  o£ferc  inutilement  la 
Paix. 

Dans  le  même  tems,  Lopez  l'informa,  par  un  Courier,  que  les  Brigan- 
tins  étoient  achevés ,  &  qu'il  fe  difpofoit  à  fe  mettre  en  chemin  pour  les 
conduire  à  Tezcuco.  La  Republique  de  Tlafcala  fourniflbit  dix  mille  Ta- 
menes,  qui  éncreprenolent  déporter,  fur  leurs  épaules,  planches,  mâts, 
ferrures ,  &  tous  les  autres  matériaux  nécefiaires ,  avec  une  efcorte  de  vingt 
mille  Soldats  (/),  fous  le  Commandement  de  Chechimical,  jeune  Cacique 
d'une  valeur  dillinguée.  Mais  quoique  ces  forces  enflent  paru  fuffifantes  à 
Cortez,  qui  les  avoit laiffées  à  Tlafcala  dans  cette  vue,  Lopez  le  prioic 
d'envoyer  au-devant  de  lui  quelques  Compagnies  d'Efpagnols,  pour  ne  rien 
donner  au  hafard ,  en  traverfant  les  Terres  Impériales.  L'importance  d'un 
fecours,  fans  lequel  on  ne  pouvoic  entreprendre  le  Siège  de  Mexico,  fit 
détacher  auffi-tôt  Sandoval,  avec  deux  cens  Efpagnols,  quinze  Cavaliers, 
&  quelques  Bataillons  auxiliaires.  Dans  fa  marche,  ce  brave  Officier  réfolut 
de  viùter  Zulepeque ,  petite  Ville  peu  éloignée  du  chemin,  qui  non -feule- 
ment 


Cortez. 
iSao, 


15a  f. 

Les  Brigaii" 

tins  partent 
de  TlaCcaU, 


(Jlt  )  On  fe  gar3e  toujours  de  fapprîmer  ce 
qui  porte  le  caraftère  de  la  vérité.  Diaz  fai- 
ftnt  profeflîon  d'avoir  copié  ce  Difcours ,  tel 
qu'il  fut  donné  aux  Interprètes ,  &  les  autres 
Hiftoriens  le  rapportant  après  lui ,  il  mérite 
d'autant  plus  d'être  confervé  ,  que  Cortez 
affefta  de  le  faire  publiquement,  pour  jufti- 
fier  fon  entreprife,  aux  yeux  de  fes  Alliés; 
„  Vos  propres  ulages  &  les  loix  de  la  Guer- 
„  j-e  me  mettent  en  droit  de  vous  punir  avec 
„  le  fer  &le  feu,  pour  vous  rendre  le  trai- 
„  temcnt  inhumain  que  vous  faites  à  vos 
„  Prifonniers.  Mais  les  Efpagnols  ne  font 
„  point  un  crime  à  des  Sujets  d'être  pris  en 
„  fervant  leur  Prince,  &  favent  mettre  de 
„  la  diftinftion  entre  les  Malheureux  &  les 
„  Coupables.  Je  veux  feulement  vous  con- 
„  vaincre  de  l'avantage  que  la  clémence  de 
„  ma  Nation  a  fur  vôtre  Barbarie ,  en  vous 
„  donnant  tout  à  la  fois  la  vie  &  Ja  liberté. 
„  Retournez  dès  ce  moment  à  vôtre  Prince  ; 
,,  &  puifqu'étant  Nobles  vous  devez  obfcr- 
„  ver  la  loi  que  j'attache  à  cette  grâce ,  dites 
„  lui ,  de  ma  part ,  que  je  viens  lui  deman- 
„  der  raifon  de  l'injufte  Guerre  qu'on  m'a 
„  faite  en  rompant  avec  perfidie  les  Traités 
■fur  la  foi  defquels  je  m'étois  déterminé  à 
fortir  de  Mexico;  dites-lui  que  je  viens 

XniL  Fart. 


>t 


») 


„  vanger  auil!  la  mort  de  Motczuma ,  à  qui 
„  j'ai  fait  cette  promeffe ,  avant  fon  dernier 
I,  foupir;  que  je  fuis  fuivi  dune  Armée  re« 
„  doutable  ,  non  -  feulement  par  le  nombre 
„  des  Efpagnols ,  dont  il  connoit  la  valeur 
«,  invincible,  mais  encore  par  les  Troupes 
„  de  toutes  les  Nations  qui  abhorrent  la  ty- 
„  rannie  des  Mexiquains  ;  que  dans  peu  de 
,,  tems  je  l'attaquerai  au  milieu  de  fa  Cour 
,,  niêmc,  &  que  je  ne  relâcherai  rien  de  ma 
,,  jufte  colère,  jufqu'à  ce  que  j'aie  réduit  en 
„  cendre  toutes  les  Villes  de  fon  Empire. 
„  Cependant  fi,  pour  éviter  fa  ruine,  &pour 
„  épargnur  le  lang  de  fes  Sujets,  il  fe  fent 
„  encore  quelque  penchant  pour  la  Paix ,  je 
„  fuis  prêt  à  la  lui  accorder  à  des  conditions 
„  raifonnabks;  parce  que  les  armes  de  mon 
„  Roi,,  que  les  foudres  du  Ciel  affiftent  toû- 
„  jours,  ne  blelTcnt  que  ceux  qui  leur  ré- 
„  fident ,  &  que  je  préfère  l'exercice  de  l'hu- 
„  nv.inité  à  la  vengeance  ". 

(i)  Hcrrera  fait  fortir  de  Tlafcala  cent 
quatre  vin<j;ts  mille  Hommes  de  Guerre  avec 
les  Brigantins  ,•  ce  qui  paroit  fi  peu  vraifem- 
blable ,  que  ce  doit  être  une  faute  d'iuipref - 
fion.  Diaz  n'en  compte  que  quinze  mille, 
&  Solis  vingt. 

F  f  f  ^ 


Vengeance 
que  Sandoval 
tire  du  maffa- 
cre  de  qucl« 
ques  Efpa- 
gnols. 


^ 


F«ltKAND 
COBTEZ. 

152  I. 


Vantte  d'un 
Cacique  ïlaf- 
■calan. 


^or       P    R    E    M    I    E    R    S      V    O'  Y    A    G    Ê    S 

ment  refufoit  d'obéir  au  Général ,  mais  où  l'on  avoit  appris  que  plufieurs 
Efpagnols  avoient  été  malTacrés ,  en  paiïiint  de  Vera-Cruz  à  Mexico. 
L'Armée  n'eut  pas  plutôt  pris  cette  route,  que  les  Habitans  abandonnèrent 
leurs  JVIurs  &  fe  retirèrent  dans  les  Montagnes.  Sandoval  les  fit  pourfui- 
vre  par  les  Tlafcalans;  &  lorfqu'il  fut  entré  dans  la  Place,  fa  colère  aug- 
menta beaucoup  en  voyant  des  preuves  de  leur  traliifon.  On  trouva ,  fur 
le  mur  d'un  Edifice ,  ces  mots  écrits  en  Efpagnol  avec  du  charbon  :  „  L'in- 
„  fortuné  Jean  .'/«/^o  &  fes  Compagnons  furent  pris  en  ce  lieu  ".  En  fuite, 
on  crut  reconnoître,  dans  un  Temple,  les  tètes  de  ces  malheureufes  Vic- 
times, que  leurs  Meurtriers  avoi(yit  fait  fécher  au  feu,  pour  les  préferver 
de  la  corruption.  Tous  les  Soldats,  furieux  de  ce  fpeftacle,  conjurèrent 
Sandoval  de  vanger  le  fang  de  leur  Nation ,  avec  la  dernière  rigueur.  Il 
donnoit  déjà  fes  ordres  ,  lorfque  les  Tlafcalans  revinrent  avec  un  grand 
nombre  de  Prifonniers,  après  avoir  fait  main  bafle  fur  ceux  qui  avoient  re- 
fufé  de  fe  rendre.  Ces  Miferables  fe  jettèrent  aux  pieds  des  Efpagnols ,  & 
témoignèrent  leur  repentir,  ou  leur  crainte,  par  des  humiliations  &  des 
cris.  On  leur  fit  grâce  de  la  vie,  &  Sandoval  reçut  4e  ferment  de  leur  fou- 
miffion,  qu'ils  exécutèrent  fidèlement.  Les  reftes  des  Efpagnols,  qui  a* 
voientété  facrifiés,  furent  enterrés  avec  honneur  (m). 

L'Armée  continua  fa  marche  jufqu'aux  Frontières  de  Tlafcala,  où  Lo- 
pez  s'étoit  avancé  avec  Chechimical  &  fes  Troupes.  On  ne  donna  que  le 
tems  néceffaire  au  repos.  Sandoval ,  hâtant  fon  départ ,  pour  répondre  à 
l'impatience  du  Général ,  mit  les  Efpagnols  à  l' Avant-garde ,  avec  les  Tlaf- 
calans qu'il  avoit  amenés.  Les  Tamenes,  efcortés  de  quelques  .roupes, 
compofoient  le  corps  de  Bataille  ;  &  Chechimical  fut  chargé  du  foin  de 
l'Arrière  -  garde.  Mais  ce  jeune  Cacique,  quijoignoit  à  beaucoup  de  va- 
leur un  caraftère  fort  vain ,  s'oflfença  de  n'être  pas  au  Pofte  le  plus  avan- 
cé; &  fon  chagrin  fit  naître  une  querelle,  qui  ne  fut  appaifée  que  par  la 
modération  des  Officiers  Efpagnols.  En  vain  lui  repréfenta  -  t'on  que  fon 
Pofte  étoit  le  plus  honorable,  puifqu'il  étoit  le  plus  dangereux,  &  que  les 
infultes  des  Mexiquains  n'étoient  à  craindre  qu'à  la  queue  de  l'Armée  :  il 
répondit  qu'un  Chef  tel  que  lui  devoit  toujours  être  à  la  tête,  pour  donner 
l'exemple  à  toutes  les  lïoup^,  &  qu'il  vouloit  être  le  premier  dans  les 
moindres  occafions,  comme  il  promettoit  de  l'être  à  l'aflaut  de  Mexico. 
Son  obftination  allant  jufqu'à  menacer  de  quitter  l'Armée,  Sandoval  eut  la 
coroplaifance  de  demeurer  à  l'Arrière  -  garde  avec  lui,  pour  donner  tout 
rhonneur  à  ce  Pofte.  On  marcha  fans  obftacle,  quoiqu'à  la  vue  des  Trou- 
pes Mexiquaines ,  qui  n'ôfèrent  defcendre  de  quelques  hauteurs  éloignées. 
En  approchant  de  Tezcuco,  „  Chechimical  demanda  le  tems  de  fe  parer 
„  de  fes  plus  belles  plumes  &  de  tous  fts  joyaux ,  parce  que  l'occafion  de 
„  combattre  ne  pouvant  être  éloignée,  le  premier  moment  d'une  fi  douce 
„  efpérance  devoit  être  un  tems  de  fête  pour  un  Soldat  ".  Sandoval ,  à 
qui  cette  ardeur  ne  déplaifoit  point,  &  qui  reconnoifToit  peut-être  le  ca- 
raélère  de  fa  Nation  dans  un  langage  fi  noble  ,  confentit  à  faire  arrêter 
l'Armée,  pour  le  fatisfaire.   bientôt  Cortez  efifuya  quelques  traits  de  la 

(w)  Solis,  Ifjv,  5. /»«5e  418.  r' "4   ..£  4  .  _    , 


t    "E   N     A    M    Ë    RI    Q    U    E,  Liv.  1  41^ 

tne  vivacité.  Chechimical  fe  hâta  de  lui  faire  demander  audience,  &  lui 
die,  „  qu'étant  né  pour  la  Guerr.e  il  craignoit  de  languir  dans  roifiveté, 
„  fur-tout  après  avoir  pafle  cinq  jours  entiers  fans  une  feule  occafion  de 
„  tirer  l'épée;  qu'il  brûloit  de  voir  les  Ennemis,  &  qu'il  fupplioit  le  Gé- 
„  néral  de  donner  fur  le  champ  quelque  exercice  à  fa  valeur  ".  Un  em- 
portement fi  peu  mefuré,  joint  aux  informations  de  Sandoval,  fit  craindre 
à  Cortez  de  ne  pas  trouver,  dans  le  Chef  des  nouveaux  TIafcalans,  autant 
de  foumiflîon  que  de  courage;  &  la  fuite  des  événemens  juftifia  cette  crain- 
te. Cependant  il  lui  promit  de  fatisfaire  fon  ardeur  ;  „  à  condition ,  lui 
„  dit-il,  que  vous  combattrez  fous  mes  yeux,  &  que  vous  me  rendrez  té- 
„  moin  de  vos  exploits  ".  Sur  quoi  l'Hiftorien  obferve  flue  Cortez  haïf- 
foit  la  vanité,  dans  un  Guerrier;  parce  qu'il  avoit  reconnu  que  la  vraie  va- 
leur marche  rarement  fans  la  modefl:ie  (n). 

On  s'attacha  auffî-tôt  à  la  conftruftion  des  Brigantins;  mais  le  Général, 
apprenant  qu'il  ne  falloit  pas  moins  de  vingt  jours  pour  les  rendre  capables 
defervice,  réfolut  d'employer  cet  intervalle  à  vifiter  le  Pays  qui  bordoit 
le  Lac ,  dans  la  vue  de  choifir  fes  Pofles ,  &  de  commencer  le  ravage  fur 
les  Terres  de  l'Empire.  latokan ,  Temyuca ,  Cobatilan ,  Efcapuzako ,  furent 
les  premières  Villes  qu'il  reconnut ,  &  dans  lefquelles  il  répandit  la  terreur. 
Quelques  unes  furent  pillées  &  brûlées.  La  fuite  fauva  le  plus  grand  nom- 
bre de  leurs  Habitans  ;  mais  ayant  tenté  de  fe  rafl'embler,  avec  les  Trou- 
pes qui  avoient  toujours  fuivi  les  Efpagnols ,  ils  furent  battus  plufieurs  fois , 
&  pouflles  jufqu'à  l'acuba,  où  Cortez  prit  Pofte  &  paflTa  cinq  jours  à  la  vue 
de  cette  Ville.  Elle  le  difputoit  à  Tezcuco,  pour  la  grandeur,  &  pour  le 
nombre  des  Habitans.  Son  afliéte,  quioccupoit  l'extrémité  de  la  premiè- 
re Chauflee ,  où  les  Efpagnols  avoient  elTuyé  tant  de  pertes  &  de  dangers 
dans  leur  retraite,  rendoit  ce  Poflie  d'autant  plus  avantageux,  qu'il  étoit  le 
plus  proche  de  Mexico,  &  comme  la  clé  du  chemin,  dont  il  falloit  fe  faifir 
pour  en  faire  le  Siège.  Auffi  Cortez  fe  difpofoit-  il.  à  l'attaquer,  lorfqu'on 
vit  paroître,  fur  la  Chauflee,  un  gros  de  Mexiquains,  forti  de  la  Capitale, 
&  conduits  par  l'Empereur  même.  Comme  il  y  avoit  apparence  que  leur 
deflein  étoit  de  fe  jetter  dans  Tacuba ,  les  Efpagnols  eurent  ordre  de  les 
attendre  &  de  leur  laifler  la  liberté  d'avancer ,  dans  l'efpérance  de  pouvoir 
tomber  fur  eux,  entre  le  Lac  &  la  Ville.  Mais  ils  avoient  d'autres  vues, 
qu'ils  exécutèrent  avec  une  adreife  extrême.  Quelques  ■  uns  fautèrent  né- 
gligemment à  terre ,  &  formèrent  leurs  rangs  avec  tant  de  confufion ,  que 
Cortez,  attribuant  cet  embarras  à  la  crainte,  laifla  une  partie  de  ^qs  Trou- 
pes devant  la  Ville,  &  marcha  droit  à  la  Chaufl'ée.  Ceux  qui  étoient  à 
terre  parurent  déconcertés  de  fon  approche ,  &  fe  retirèrent  vers  leur  gros , 
qui  fit  le  même  mouvement ,  en  cédant  le  terrein  par  dégrés  &  dans  une 
efpèce  de  desordre.  Leur  efpérance  étoit  d'engager  les  Efpagnols.  En 
effet,  le  Général  fe  hâta  trop  de  les  fuivre,  emporté  par  des  appar -nces 
qui  lui  firent  oublier  l'avanture  d'Iztacpalapa.  Lorfqu'ils  le  virent  clans  le 
détroit  de  la  Chauflee,  ils  fe  rallièrent,  ils  firent  tête;  &  pendant  qu'ils 
l'arrêtoient  par  leur  réfiftance ,  un  prodigieux  nombre  de  Canots,  qui  for» 
'"  *  •   •  .     r.     -.      ■  "■-  !  '  tirent 

•  ■\    ■'-  (h)  /iirf.  page  424.  .    ,..:;.■,.      .  .  ..  1 

•  Fffs 


FEnNAitr» 
Coûtez. 

Î52I. 


Cortez  at- 
taque vive- 
ment l'Enipi' 


rc. 


Les  Efpa- 
nols  donnent 
dans  un  piège 
des  Mexi- 
quains. 


414 


PREMIERS      VOYAGES 


FSINAMO 
COBTEZ. 

Ils  ne  s'en 
retirent  point 
iàns  perte. 


Secours 
d'Efpagnois 
envoyé  à  Cor^ 
te?. 


Sandoval  va 
combattre  les 
Mexiquains 
dans  la  Pro- 
vince de 
Ch^Ico. 

Extrême 
danger  de 
Cortu. 


tirent  avec  une  vîtefle  incroyable  des  Canaux  de  la  Capitale,  vint  invellir 
les  deux  côtés  de  la  Digue.  Cortez  reconnut  Ton  imprudence.  Il  fe  vit 
forcé  de  fe  retirer,  en  combattant  de  front  <Se  réfidant  des  deux  côtés  à 
l'attaque  des  Canots.  Les  Mexiquains  s'étoient  pourvus  de  longues  piques , 
dont  quelques-unes  avoient  pour  fer  la  pointe  des  épées  que  les  Ëfpagnols 
avoient  perdues  dans  leur  première  retraite.  11  eut  ainfî  la  douleur  de  voir 
un  grand  nombre  de  Tes  gens  blefles  de  leurs  propres  armes.  Mais ,  fai- 
fane  feu  de  toutes  parts ,  &  s'expofanc  Tépée  à  la  main  comme  le  moindre 
Soldat,  Ton  courage  &  fa  fortune  le  firent  fortir  heureufement  d'un  (1  grand 
danger  (0).  Cependant,  l'entreprife  de  Tacuba  lui  paroifTant  impomble„ 
à  la  vue  des  Mexiquains,  qui  n'abandonnèrent  point  leur  ChaulTée ,  il  re- 
prit, fur  lechanôp,  le  chemin  deTezcuco,  tandis  qu'ils  fe  bornèrent  à  le 
fuivre  de  loin ,  avec  des  cris  &  d'impuiffantes  menace». 

Un  fecours  conOdérable,  qui  lui  étoit  arrivé  pendant  fon  abfence,  effa- 
ça le  fouvenir  de  cette  difgrace.  Julien  àiAU^erete^  Antoine  de  Carvajal^ 
Ruiz  da  la  Mota^  Diaz  de  Reguera^  <&  d'autres  Guerriers  d'un  nom  connu  ^ 
avoient  mouillé  au  Port  de  Vera-Cruz,  dans  un  Vaifleau  adreffé  à  Cor- 
tez (p) ,  avec  un  fecours  de  Soldats  &  des  Munitions.  Us  s*étoient  rendus 
auiTi-tôt  à  Tlafcala,  d'où  le  Sénat  les  ayant  fait  conduire,  fous  unenom* 
breufe  efcorte,  ils  avoient  apporté  eux-mêmes,  à  Tezcuco,  la.  première 
nouvelle  de  leur  arrivée.  Mais  on  apprit  ea  même-tems  que  l'Empereur, 
du  Mexique  faifoit  avancer  une  groiTe  Armée  vers  la  Province  deChalco, 

Eour  ramener  ce  Pays  à  l'obéifTance,.  &  pour  exécuter  le  deflein  qu'il  con- 
Tvoit  toujours  de  fermer  la.  communication  des  Ëfpagnols  avec  Tlafcala  & 
Vera-Cruz.  Cette  entreprife  étoit  d'une  importance  qui  forçoit  Cortez  de 
fecourir  fes  Alliés,  parce  qu'il  ne  pouvoit  efpérer  que  de  leur  fidélité  la 
confervation  du  pafTage.  D'ailleurs  les  Brigantins  n'étant  point  achevés ,. 
il  eut  le  teras  d'envoyer  Sandoval  avec  la  moitié  de  fes  forces ,  pour  faire 
tête  aux  Troupes  Impériales.  Deux  ou  trois  Viéloires  rendirent  la  Paix, 
aux  Provinces  menacées;  &  tandis  que  Sandoval  preffoit  cette  Expédition, 
Cortez  ne  cefla  point  de  ravager  les  Terres  de  l'Empire.  Il  y  courut  des. 
dangers,  qui  menacèrent  plufieurs  fois  fa  vie  &  fa  liberté,  fur-tout  à  l'atta- 
que d^Sucbimilco  (3^,  Place  cpnfidérable,.  dont  il  ayoit  entrepris  de.  fe  fai-. 


v^i 


(  û  )  Diaz  lui  reproche  vivement  cette  fau- 
te. Herrera  n'entreprend  point  de  le  défen- 
dre. Mais  Solis,  en  panant  condamnation 
far  fa  témérité,  prétend  qu'il  ne  lailTa  point 
d'en  tirer  beaucoup  d'avantage,  non -feule- 
ment parce  qu'il  n'en  coûta  pas  moins  de 
inonde  aux  Ennemis  que  dans  une  Bataille 
qu'ils  auroîent  perdue  ,  mais  parce  que  la 
réputation  des  Ëfpagnols  en  acquit  un  nou- 
veau luQre,  qui  augmenta  bientôt. le  nom- 
bre de  leurs  Alliés.  Liv.  5.  pages  436  6f 
précédentes.  On  ne  nous  apprend  point  quel- 
le fut  leur  perte  dans  cette  occafion.  Un 
Enfeigne ,  nommé  Jean  Folante ,  fut  renver- 
ié  dans  le  Lac ,  d'un  coup  de  pjque.    JLes 


Indiens  lès  plus  proches  le  prirent  dans  l'eau  ,- 
&  le  mirent  dans  un  Canot,  qui  prit  aulli-, 
tôt  la  route  de  Mexico  pour  emmener  fon 
Prifonnier.  Volante  fe  liiifla  conduire,  fei- 
gnant  d'être  hors  de  combat.  Mais  lorf- 
qu'il  fe  vit  éloigné  des  autres  Canots,  il  fe. 
faifit  de  fes  armes,  il  tua  quelques-uns  de 
ceux  qui  le  gardoient ,  &"  fe  jettant  à  la  na- 
ge, il  arriva- au  bord  du  Lac,  fans  avoir' 
abandonné  fon  drapeau,  ibid.. 

ip)  l[  paroît  que  ce  VailTeau  venolt  de 
rifle  Efpagnole. 

(  5  )  Il  retomba  dans  une  de  ces  témérités- 
qui  paroîlfent  autant  de  taches  pour  fa  pru- 
dence.   S'^anC  trop  éloigné  de  fon  Armée, 

avec 


EN     AMERIQUE,   Lxv.  I. 


4^3 


:an  veuoit  de 


FnXKAND 

CoaTXZ. 

Confpira- 
tlon  de  quel- 
ques Efpa- 


fîr,  &  qu'il  fut  obligé  d'abandonner,  avec  la  douloureufe  perte  de  dix  ou 
douze  Ëfpagnols  (r;. 

Mais  la  confiance. fut  mife  à  des  épreuves  beaucoup  plus  fenfibles.  En 
arrivant  à  Tezcuco,  un  de  fes  plus  anciens  Soldats  vint  lui  demander  une 
audience  fecréte,  &  lui  apprit  que  pendant  fon  abrence,  il  s'étoit  formé  «uc»  r..Ha- 
un  déteftable  complot  contre  fa  vie  &  contre  celle  de  tous  fes  Amis  parti-  gnois  contre 
culiers.  L'auteur  du  crime  étoit  un  autre  Soldat ,  fans  aucune  confidéra-  la  vie 
tion ,  fuivant  la  remarque  de  l'Hiftorien ,  puifque  fon  nom  paroît  pour  la 
première  fois  avec  fon  crime.  Il  fe  nommoit  Antoine  de  nllafagna.  Sa 
première  vue  n'avoit  été  que  de  fe  dégager  du  Siège  de  Mexico ,  qu'il  re- 
gardoit  comme  une  entreprife  desefperée.  Il  avoit  infpiré  fes  fentimens  à 
quelques  Amis  du  même  ordre,  en  leur  repréfentant  qu'ils  n'étoient  pas 
obligés  de  fe  perdre ,  pour  fuivre  les  emportemens  d'un  Téméraire.  11  leur 
avoit  propofé  de  retourner  à  Cuba  ;  &  c'étoit  pour  délibérer  fur  ce  dcffein 
qu'ils  avoient  commencé  à  s'aflembler.  Mais  quoiqu'ils  enflent  vu  peu  de 
difficulté  à  quitter  le  Camp,  &  même  à  traverfer  la  Province  de  TIafcala, 
ils  avoient  appréhendé  d'en  trouver  beaucoup  plus  jufqu'à  VeraCruz;  fans 
compter  qu'y  arrivant  fans  ordre,  ou  du  moins  fans  un  congé  de  Cortez, 
ils  ne  pouvoient  efpérer  de  n'y  pas  être  arrêtés.  Ils  ne  fentirent  pas  moins 
qu'il  leur  feroit  impoffible  d  enlever  un  Navire,  aux  yeux  de  la  Colonie. 
Enfin,  Villafagna , dont  le  logement  fervoit  aux  aflTemblées,  propofa,  com- 
me l'expédient  le  plus  fur,  de  tuer  Cortez  &  fes  principaux  Partifans,  pour 
élire  un  autre  Général,  qu'il  feroit  plus  aifé  de  dégoûter  de  l'entreprife  du 
Siège,  &  fous  lequel,  obtenant  la  liberté  de  fe  retirer,  fans  fe  noircir  de 
la  tache  de  Déferteurs,  ils  feraient  valoir,  au  Gouverneur  de  Cuba,  le  fer- 
vice  qu'ils  lui  auroient  rendu ,  avec  l'efpérance  même  d'en  être  recompen- 
fés  à  la  Cour  d'Èfpagne.  Cet  avis  fut  généralement  approuvé.  On  drefla 
d'abord  un  Afte,  par  lequel  tous  les  Conjurés  s'engagèrent  à  féconder  leur 
Chef,  dans  l'exécution  de  fon  crime,  &  qu'ils  fignèrent  tous  de  leur  nom. 
Cette  horrible  trame  fut  conduite  avec  tant  d'adrelTe,  que  le  nombre  des 


avec  quelques  Cavaliers ,  il  voulut  pouflbr 
une  Troupe  d'Enneinis,  &  fc  jetta  au  milieu 
d'eux,  l'épée  à  la  inain.  Lorfqu'il  voulut 
revenir  vers  fes  gens,  il  fe  trouva  feu!  &  en- 
veloppé de  tomes  parts.  11  fe  maintint  quel- 
que tems,  en  combattant  avec  la  dernière 
vigueur,  jufqu'à  ce  que  fon  Cheval  s'abbat- 
tit  fous  lui  de  pure  laflîtude  &  le  mit  dans 
un  extrême  danger.  Les  Mexiquains  s'avan- 
cèrent,  &  comme  il  étoit  trop  embarraffé 
pour  fe  fervir  de  fes  armes,  il  n'auroit  pu 
manquer  d'être  accablé.  Sa  feule  défenfe  fut 
l'envie  qu'ils  avoient  de  le  prendre  vivant, 
pour  le  préfenter  à  leur  Empereur.  Un  Ca- 
valier, nommé  Chriftophe  à'Oka,  de  Mé- 
dina del  Campo,  qui  avoit  apperçu  fa  chu- 
te, en  avertit  fes  Compagnons  par  un  cri 
terrible;  &  fans  les  attendre,  il  fondit  à  l'en- 
droit où  les  Mexiquains  étoient  prêts  à  fe 


faifir  de  fon  Général.  Il  en  tua  cinq  ou  fiX 
des  plus  ardens;  &  fécondé  aulî-tôt  de  fe» 
Compagnons,  Il  le  délivra  du  plus  grand  pé- 
ril que  fa  valeur  lui  eût  jamais  fait  courir. 
Cortez  n'avoit  reçu  que  deux  légères  bleflu- 
res,  Diaz  &  SoHs ,  ubi  fuprà  Horrera  néan- 
moins prétend  qu'il  fut  redevable  de  fa  liber- 
té à  un  Tiafcalan,  inconnu,  dit-il,  avant  & 
après  l'yVftion  ;  ce  qui  femble  faire  entendre 
que  ce  fut  un  miracle 

(r)  Outre  ceux  qui  avoient  été  tuésà  l'at- 
taque dn  Suchimilco,  les  Mexiquains  en  a- 
voient  enlevé  trois-  ou  quatre ,  qui  s'étoient 
écartés  pour  piller,  &  deux  Valets,  qui  avoient 
donné  dans  une  embufcade.  Le  fort  de  ces 
Malheureux  étoit  d'être  facrifiés  aux  Idoles» 
&  Cortez  ne  pouvoit  foutenir  cette  idée, 
Solis,  ubi  fuprà,  page  413, 


Fff  3. 


F  r.  R  N  A  N  D 
C  0  R  T  £  K. 

I52I. 

Plan  des 
Conjurés. 


Modération 
de  Cortcz 
d;ins  l'a  ven- 
geance. 


414        PREMIERS      VOYAGES 

Complices  augmenta  de  jour  en  jour.  Ils  avoient  concerté  de  ruppofer  uti 
paquet,  arrivé  de  VeraCruz  avec  des  Lettres  d'Efpagne,  &  de  le  prdfen- 
ter  au  Général  pendant  qu'il  feroit  à  table  avec  la  plupart  de  Tes  Oificiers. 
Les  Conjurés  dévoient  entrer  alors,  fous  prétexte  de  demander  des  nou- 
velles de  l'Europe,  &  prendre  le  tems  où  Cortez  commenceroit  fa  lefture, 
pour  le  poignarder,  lui  &  (es  Amis;  après  quoi,  ils  étoient  réfolus  de  for- 
tir  enfemble,  &  de  courir  dans  toutes  les  rues  du  Quartier,  en  criant,  £/• 
pagne  ^  Liberté.  Les  Officiers ,  qui  dévoient  mourir  avec  le  Général ,  é/ 
toient  d'Olid ,  Sandoval,  revenu  glorieux  de  fon  Expédition ,  Alvarado  & 
fes  Frères ,  Tapia ,  les  deux  Intendans  Louis  Marin  &  Pierre  d'Ircio ,  Ber- 
nard Diaz,  Iliftorien  de  la  Conquête,  &  quelques  autres  Guerriers,  Confi- 
dens  du  Général.  Villafagna  deftinoit  le  Commandement  à  François  Ver- 
dugo,  Beau -frère  du  Gouverneur  de  Cuba;  parce  que  cette  qualité  fem- 
bloit  le  rendre  plus  propre  à  foutenir  une  faélion:  mais  comme  on  lui  con> 
noiflbit  de  l'honneur,  perfonne  n'eut  la  hardiefle  de  lui  communiquer  le 
fond  du  complot;  &  tous  les  Conjurés  jugèrent  qu'après  l'exécution  du  cri- 
me ,  il  fe  croiroit  forcé  d'accepter  un  Emploi ,  qu'il  regarderoit  peut  •  être 
comme  un  remède  à  de  plus  grands  maux. 
Tr.LL£  fut  la  déclaration  du  Soldat ,  qui  ne  demanda  point  d'autre  récom* 

f>enfe(juelavie,  parce  qu'il  étoit  entré  dans  la  conjuration.    Cortez  prit 
e  parti  de  faire  arrêter  fur  le  champ  Villafagna,  &  d'affilier  lui-même  à 
l'exécution  de  cet  ordre.     L'importance  de  l'accufarion  ne  lui  permettoit 
pas  d'employer  des  informations  plus  régulières,    il  partit  auiTi  -  tôt ,  ac- 
compagné des  deux  Intendans,  &  de  quelques  Capitaines.     Le  trouble  du 
Coupable  fut  fa  première  conviftion.    Après  l'avoir  fait  charger  de  chaî- 
nes, Cortez  fit  fortir  tout  le  monde,  fous  prétexte  de  l'interroger  en  fe- 
cret;  &  profitant  des  informations  qu'il  avoit  reçues,  il  tira  de  fon  fein 
l'Adle  du  Traité ,  figné  de  tous  les  Complices.     Il  le  lut.    11  y  trouva  le 
nom  de  quelques  Perfonnes,  dont  l'infidélité  lui  perça  le  cœur.     Cependant 
il  réferva  ce  fecret  pour  lui-même;  &  fe  contentant  de  faire  écarter  ceux 
qui  s'étoicnt  trouvés  chez  le  Criminel,  il  ordonna  que  l'affaire  fût  prompte- 
ment  inllruite,  fans  poufler  plus  loin  les  recherches  &  les  preuves.     Elle 
ne  traîna  point  en  longueur.     Villafagna,  convaincu  par  l'Afte  que  fon  Gé- 
néral avoit  trouvé  fur  lui ,  &  fe  croyant  trahi  de  fes  Aflbciés ,  confelTa  fon 
crime.     On  loi  lailTa  le  tcms  de  fatisfaire  aux  devoirs  de  la  Religion;  &, 
dès  la  nuit  fuivante,  il  fut  pendu  à  la  fenêtre  de  fon  logement.     Cortez, 
quoique  mortellement  touché  du  nombre  &  de  la  qualité  des  Coupables,  fe 
crut  obligé,  par  les  circonftanccs ,  de  fermer  l'oreille  au  cri  de  la  Jullice: 
mais ,  pour  éviter  tout  à  la  fois  la  néceffité  dfe  punir  &  les  confequences  de 
l'impunité,  il  publia,  fans  affe6lation,  qu'il  avoit  pris,  dans  le  fein  de  Vil- 
lafagna, un  papier,  déchiré  en  plulieurs  pièces,  qui  contenoit  vraifembla- 
blement  les  noms  des  Conjurés;  qu'il  s'eftimoit  heureux  de  n'en  avoir  pu 
lire  aucun ,  &  qu'il  ne  chcrcheroit  point  à  les  connoître  ;  mais  qu'il  deman- 
doit  en  grâce,  à  fes  Amis,  de  s'informer  foigneufement  fi  les  Éfpagnols  a- 
voient  quelque  plainte  à  faire  de  fa  conduite,  parce  qu'il  ne  defiroit  rien 
de  fi  bonne  foi  que  de  'atisfaire  fes  Troupes,  &  qu'il  étoit  auffîdifporé  à 
corriger  ks  propres  défauts ,  qu'à  recourir  aux  voyes  de  la  rigueur  &  de  lu 

jufti- 


:      EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  r.  415- 

juftïce,  fi  la  modération  du  châtiment  affbibliflbit  Ja  terreur  de  l'exemple. 
D'un  autre  côte,  il  déclara  que  ceux  ,  auxquels  on  avoit  connu  quelque  liai- 
fon  avec  Villafagna,  pouvoient  paroicre  fans  défiance;  &  le  foin  qu'il  prit, 
de  ne  lailTer  voir  aucune  trace  de  chagrin  fur  fon  vifage ,  ayant  achevé  de 
leur  perfuader  qu'il  ignoroit  leur  crime ,  ils  recommencèrent  à  le  fcrvir  a- 
vec  d'autant  plus  de  zèle,  q-i'ils  croyoient  avoir  à  laver  le  Ibupçon  d'une 
noire  perfidie.  Cependant  il  prit  occalion  de  cet  événement,  pour  fe  don- 
ner une  Garde  de  douze  Soldats  choifis,  fous  le  Commandement  d'un  de 
fes  plus  fidèles  Olficiers  ;  &  perlbnne  ne  condamna  ce  nouvçl  air  de  gran>- 
denr  (s). 

Peu  de  jours  après ,  il  eut  une  autre  occafion  d'exercer  fa  fermeté  ;  fans 
pouvoir  écouter  l'inclination  qui  le  portoit  à  fufpendre  le  châtiment,  lorf- 
qu'il  efperoit  quelque  fruit,  de  la  patience  ou  de  la  diffimulation.    Xicoten- 
cati,  dont  il  aimoit  la  valeur,  &  dans  lequel  il  ne  confideroit  pas  moins 
l'attachement  que  fon  Père  avoit  eu  conflamment  pour  les  Efpagnols,  prie 
tôut-d'un-coup  la  réfolution  de  fe  retirer,  avec  deux  ou  trois  Compagnies, 
qu'il  obligea,  par  fes  infiances,  de  l'accompagner  dans  fa  défertion.     Il  pa- 
roît  incertain  fi  c'étoit  un  relie  de  fes  anciens  reflcntimens,  ou  s'il  avoit 
reçu  quelque  nouvelle  oflfenfe  que  fa  fierté  ne  pût  fupporter.     On  avoit  f<;ii , 
depuis  quelque  tems,  qu'il  s'étoit  emporté  contre  la  conduite  du  Général, 
&  qu'il  condamnoit  l'entreprife  du  Siège  de  Mexico.     Les  Tlafcalans  mê- 
mes en  avoient  averti  Cortez ,  qui  s'étoit  contenté  ,  par  ménagement  pour 
fon  Père,  ou  pour  la  Republique,  d'en  donner  avis  aux  Sénateurs.     Cette 
fage  Aflemblée  lui  avoit  répondu  „que  fuivant  les  loix  de  la  Republique, 
„  le  crime  de  foulever  une  Armée  contre  fon  Général  méritoit  la  mort; 
„  qu'il  étoit  libre,  par  conféquent,  d'exercer  la  plus  rigoureufe  juflice  con- 
„  trele  Chef  de  leurs  Troupes ,  &  que  s'il  revenoit  à  Tlafcala,  il  n'y  fe- 
„  roit  pas  traité  avec  plus  de  faveur  (t)  ".    Cependant  Cortez  avoit  ten- 
té de  le  ramener  par  des  voyes  plus  douces,  jufqu'à  lui  faire  offrir,  par 
quelques  Nobles  de  Tezcuco ,  la  liberté  d'expofer  fes  raifons  ou  fes  plain- 
tes.   Mais  apprenant  qu'il  avoit  fixé  l'exécution  de  fon  deffein  à  la  nuit 
fuivante,  cette  audace,  à  la  veille  de  tirer  l'épée  pour  la  décifion  de  l'Em- 
pire, lui  parut  d'une  fi  pernicieufe  conféquence  dans  le  Chef  de  fes  plus  an- 
ciens Alliés,  qu'il  lui  fit  ordonner  de  venir  fur  le  champ  juflifier  fa  condui- 
te.   Non- feulement  le  fier  Indien  refufa  d'obéir;  mais  dans  le  chagrin  de 
fe  voir  trahi  pir  fes  propres  Troupes,  il  joignit  ouvertement  l'infolence  à 
la  révolte.     Auffi-tôt  Cortez  détacha  une  partie  des  Efpagnols,  avec  ordre 
de  le  faifir  vif  ou  mort.    On  le  trouva  prêt  à  partir.    Il  fe  défendit  jufqu'au 
dernier  foupir;  quoique  foiblement  fccouru  par  les  Tlafcalans  qui  le  fui- 
voient.     Aufll  revinrent -ils  dans  leur  devoir,  après  la  perte  de  leur  Chef; 
&  le  Détachement  Efpagnol  les  ramena  paifiblement  à  l'Armée  (v). 

P£N« 


Fernund 

C  0  u  T  E  2, 

I  5  2  I. 


Rivolte  dj 
Xicotcncatl  & 
fa  iniuiiion. 


tes. 


(j)  Solis,  Liv.  5.  page  481  ^ précéden- 


(t)  Diaz  &  Salis,  uhi  fuprà 

î»)  C'tft  le  récit  de  Diaz.  •  U  ajoute  feu- 


lement que  Xicotencatl ,  après  avoir  été  tué,  - 
fut  pendu  au  premier  arbre,     llcrrera  pré- 
tend qu'il  fut  amené  Prifonnicr  à  Tezcuco, 
OÙ  Cortez,  ufaut  du  pouvoir  qu'il  avoit  re- 


rtKWANn 

CORTEZ. 

Etat  des 
Brifiiintlns, 
&  forces  de 
Cortcz. 


416        PREMIERS      VOYAGES 

PcndaKt  CCS  agitations,  Lopez  avoit  mis  la  dernière  main  à  Ton  travail» 
&  les  Brigantins  le  trouvèrent  achevc^s.  On  intérelTa  le  Ciel  au  fuccès  de 
cette  Marine,  par  des  exercices  de  Religion,  donc  les  exemples  font  rares 
dans  une  Armée  (x).  Ënfuite  Cortcz  m  la  revue  de  Tes  Eipagnols,  donc 
le  nombre  montoïc  à  neuf  cens  Hommes  d'Infanterie  bien  armés ,  &  qua- 
tre-vingt -fix  Cavaliers.  L'Artillerie  confiftoit  en  dix -huit  pièces,  trois 
groiTes  de  fer  &  quinze  fauconneaux  Je  bronze,  avec  une  abondante  pro- 
vifion  de  poudre  oc  de  balles.  On  mit,  fur  chaque  firigantin,  vingt  «cinq 
Efpagnols,  fous  un  Capitaine  (y),  douze  Rameurs  Indiens,  &  une  pièce 
d'Ariillcric.  Le  refte  de  l'Armée  fut  partagé  en  trois  Corps,  qui  dévoient 
s'emparer  des  trois  principales  ChaulTées,  c'eft-à-dire  celles  de  Tacuba, 
d'1/.tacpalapa  &  de  Cuyoacan;  fans  s'attacher  à  celle  de  Suchimilco,  parce 
que  réioignement  de  ce  Porte  pouvoit  mettre  trop  de  difficulté  dans  la  com- 
munication des  ordres.  Le  premier  Corps,  compofé  de  cent  cinquante  Ef- 
pagnols  &  trente  Cavaliers,  divifés  en  crois  Compagnies,  fous  les  Capi- 
taines George  d' Al varado ,  Giittiefes  de  Badajos ,  &  André  de  Montaraz, 
eut  pour  Commandant  général  Pierre  d'Alvarado,  &  fut  fouienu  de  trente 
mille  TIafcalans,  avec  deux  pièces  de  canon.  Le  fécond,  qui  fuc  confié  à 
Chriftophe  d'Olid ,  pour  attaquer  la  ChaufTée  de  Cuyoacan ,  étoit  de  cent 
foixante  Efpagnols  &.  trente  Cavaliers ,  divifés  aufli  fous  François  Verdu- 
go,  André  Tapia,  &  François  de  Lugo,  &  foutenus  d'environ  trente  mil- 
le Indiens  alliés;  Sandoval,  troifième  Commandant,  &  chargé  de  l'atta- 
que d'Iztacpalapa,  reçut  le  même  nombre  de  Soldats  &  de  Cavaliers  Efpa- 
gnols, fous  les  Capitaines  Louis  Marin  &  Pierre  d'Ircio,  deux  pièces  d'Ar- 
tillerie &  toutes  les  Troupes  de  Chalco ,  de  Guacocingo  &  de  Cholula ,  qui 
montoient  à  plus  de  quarante  mille  Hommes  (2).  Alvarado  &  d'Olid  par- 
tirent enfcmble,  pour  fc  féparer  à  Tacuba,  où  ils  fe  logèrent  fans  réfiftan- 
ce.  Toutes  les  Places  qui  touchoient  au  Lac  étoient  déjà  défertes.  Une 
partie  des  Habicans  avoient  pris  les  armes  pour  aller  défendre  la  Capitale; 


çu  du  Sénat,  le  fit  pendre  en  public.  D'au- 
tres fouticniient  que  les  Efp.ijînols  du  Dtîta- 
chenicnt  le  tuèrent  ou  le  ptndircht  après  l'a- 
voir pris,  fuivant  l'ordre  fecrct  du  Général. 
Solis  fe  déclare  pour  Diaz,  inn- feulement 
parce  qu'il  étoit  pour  lors  à  Tezouco,  mais 
parce  qu'on  doit  juger,  dit-il,  «jue  Cortcz 
étoit  trcp  éclairé  pour  humilio'  publique- 
ment les  Troupes  Tlafcalanes  pa.-  le  fuppli- 
ce  honteux  de  leur  Chef.  11  ue  pouvoit 
ignorer  la  différence  qu'il  y  a  toujours  en- 
tre l'imprefiion  de  la  vue  &  celle  du  récit 
d'une  aétion.  Liv.  5.  pages  485  £5"  précé- 
dentes. 

(  a:)  Le  Général  &  tous  les  Efpagnols  com- 
munièrent. On  célébra  une  Méfie  du  Saint 
Efprit.  Olinedo  bénit  le  corps  des  Valdcau.K, 
en  leur  donnant  à  chacun  leur  nom.  Il  lui 
étoit  venu,  avec  le  dernier  fecours,  un  Vi- 
caire ,  nommé  Pierre  Melgareio  d'Urrea, 
iVe'igimxI'rancifcjuain.  Ibid.  pag.486&487. 


(y)  Ne  dérobbons  point  à  l'Hiftolre  les 
noms  de  tant  de  braves  Guerriers.  Pierre 
Barba,  de  Sevilic.  Garcias  Holguin,  deCa- 
zeres.  Jean  Portillo,  de  Portillo.  JeanRo- 
driguez  de  Villaforte ,  de  Medellin.  Jean 
Jaramillo ,  de  Sakaticrra.  Michel  Diaz 
d'Aux  ,  Arragonois.  Frnnçois  Rodriguez 
Margarino,  "de  Merida.  Chriftophe  Flores, 
de  Valence.  Antoine  de  Caravajal ,  de  Za- 
mora.  Jérôme  Ruiz  de  la  Motta,  de  Bur- 
gos.  Pierre  Briones,  de  Salamanque.  Ro- 
drigue Moreion  de  Lobera ,  de  Médina  del 
Cainpo  ;  &  Antoine  Satelo  de  Zamora. 

(  a  )  On  fuit  Herrera  dans  ce  dénombre, 
ment  des  Indiens  alliés  qui  furent  employés 
aux  trois  attaiiues.  Diaz  n'en  compte  point 
un  fi  grand  nombre.  Mais  Sijis  1  accufe  d'a- 
voir eu  la  vanité  d'attribuer  toute  la  gloire 
aux  Efpagnols  ;  ce  qui  blcffc,  dit -il,  loulc 
vraifcmblance ,  ubifuprà,  page  489. 


£     UN     A    M    E    R    I    <^    U    E,    Liv.  I.  ^tr 

Se  les  autres  s'étoient  retirés  dans  les  Montagnes,  avec  tout  ce  qu'iis  a* 
voient  été  capables  d'emporter. 

On  fut  informé,  àTacuba,  que  les  Mexiqiiains  avcient  des  forces  con- 
fidérabies  aux  environs  de  cette  Ville,  pour  couvrir  les  Aqueducs  qui  ve« 
noient  de  la  Montagne  de  Chapulteçeque,  &  qui  fournifToient  de  l'eau  à 
Mexico.  Les  deux  Commandans  Lfpagnols  forcirent  aulTi-tôt,  avec  la 
meilleure  partie  de  leurs  Troupes;  &  chaflant  les  Ennemis,  de  ce  Pofle, 
ils  rompirent  en  plufieurs  endroits  les  tuyaux  de  l'Aqueduc,  dont  l'eau  fe 
perdit  alors  dans  le  Lac.  Cette  expédition ,  qui  fut  regardée  comme  le 
commencement  du  Siège,  réduifit  les  Alliegés  à  la  nécelîit'é  de  chercher 
leur  eau  douce  dans  les  Ruifleaux  qui  defcenJoient  de  la  Montagne ,  & 
d'occuper  une  partie  de  leurs  Canots  à  l'efcorte  des  Convois.  D'Olid  fe  ren- 
dit enluite  à  Cuyoacan,  qu'il  trouva  auffi  fans  défenfc. 

CoRTEz,  ayant  lailfé  à  Sandoval  le  tcms  de  s'avancer  vers  Iztacpalapa, 
fe  chargea  de  la  principale  attaque,  qui  étoit  réfervée  aux  Brigantins.  Il 
monta  le  plus  léger,  pour  être  en  état  de  veiller  fur  tous  les  Polies  &  d'y 
po-rer  du  fecours,  accompagné  de  Dom  Fernand ,  Cacique  deTezcuco, 
&  de  Suchitly  Frère  de  ce  Prince ,  jeune  Homme  plein  d'efprit  &  de  feu, 
qui  reçut  le  Ratême,  après  la  conquête,  fous  le  nom  de  Dom  Charles.  Les 
treize  Brigantins  furent  rangés  fur  une  feule  Ligne ,  parés  de  tout  ce  qui 
pouvoit  fervir  à  leur  donner  de  l'éclat.  Le  deflein  du  Général  étoit  de 
s'avancer  d'abord  vers. Mexico,  pour  s'y  faire  voir  triomphant  &  Maître 
abfolu  du  Lac.  Enfuite  il  fe  propofoit  de  rabbattre  fur  Iztacpalapa,  où 
l'entreprife  de  Sandoval  lui  caufoit  d'autant  plus  d'inquiétude,  que  ce  bra- 
ve'Capitaine  étoit  fans  Barques,  &  pouvoit  trouver  beaucoup  d'ohftacle 
dans  la  partie  bafle  de  la  Ville,  qui  fervoit  continuellement  de  retraite  aux 
Canots  des  Mexiquains.  En  prenant  cette  route  avec  toute  fa  Flotte,  il 
découvrit,  à  peudediftance  de  Mexico,  une  petite  Ifle,  qui  n'étoit  qu'un 
Rocher,  mais  dont  le  fommet  étoit  occupé  par  un  Château  aflez  fpacieux, 
d'où  les  Mexiquains, qui  le  gardoient,  chargèrent  les  Efpagnols  d'injures  & 
de  menaces ,  comme  d'un  Pofle  qu'ils  croyoient  à  couvert  de  toute  infulte. 
Il  jugea  que  cette  infolence  ne  devoit  pas  demeurer  fans  punition ,  fur-tout 
à  la  vue  de  la  Capitale,  dont  les  terraffes  &  les  balcons  écoient  couverts 
d'une  multitude  d'Habitans ,  qui  obfervoient  les  premiers  exploits  des  Bri« 
gantins.  Cent  cinquante  Efpagnols ,  à  la  tète  defquels  il  defcendit  dans 
l'Ifle,  montèrent  au  Château  par  deux  fentiers,  &  l'attaquèrent  (î  vivement, 
qu'après  avoir  fait  main  bafîe  fur  une  partie  de  la  Garnifon  ,  ils  forcèrent 
le  refle  de  fe  fauver  à  la  nage.  -  :'J  ,  ■  )••!       <    '^   " 

Cet  exploit,  qui  les  avoit  retardés ,  fit  naître  un  incident  auquel  ils 
s'attendoient  peu,  &  qui  changea  toutes  les  mefures  du  Général.  On  vit 
fortir  de  la  Capitale  un  grand  Jiombre  de  Canots,  dont  les  premiers  s'avan- 
cèrent d'abord  avec  lenteur ,  pour  attendre  ceux  qui  les  fuivoient  à  la  file. 
On  n'en  avoit  pas  compté  plus  de  cinq  cens,  à  la  première  vue;  mais  lorf- 
"u'ils  eurent  commencé  à  s'étendre,  avec  ceux  qui  s'y  joignirent  bientôt 
le  tous  les  lieux  voifms,  on  ne  douta  point  qu'ils  ne  fufTent  plus  de  qua- 
re  mille.  Ce  fpeéiacle,  relevé  par  le  mouvement  des  rames  &  par  l'éclat 
les  plumes  &  des  armes,  paruç  magnifique  &  terrible  aux  veux  des  Ef- 

Xnil  Part.  G  g  g  '  ,pa. 


I 


Fermanb      .'■ 

C  0  R  T  I|^ 

I  5  î  I. 

Les  ICrpa-  •  '  '    y 
^nols  coiipt'i^t  - , 
l't-au  douce  •   . 

aux  Mcx"'  •  ^  •  . 

(juaiiH.  •*.• 


Cortez  fr    "     °    ° 
prérirnte  de-  » 

vaut  Mexico  * 

avec  les  Br<-  ■• 

O  0 


o 

a  c 


Il  force  UB 
Château  âla '» 
tôte  de  fe* 
gens.  °  ^  °  -^ 


Les  trciz«* 
Rrif^antins 
font  attaqué» 
par  quatre 
mille  Canots. 


O  e  o   t3 


FSRNANS 
CORTEZ. 

I52I. 


Ils  en  dé- 
iruifenc  un 
grand  nom- 
bre. 


ïlazards  qui 
(ionduifent 
Cortez  juf- 
tju'au  dernier 
Pont  de  la 
Chauffée. 


418      P    R    E    M    I    E.   R    S     V    0/  Y    A    G    ^    S^ 

pagnols,  qui  voyoient  le  Lac  comme  abîmé  tout -d'un -coup  devant  eux», 
&  changé  dans  une  Plaine ,  où  l'eau  ne  paroiflbit  plus ,  fous  tant  d'Hommes 
&  de  Bâtimens  qui  la  couvroient. 

Cortez  ,  fans  marquer  la  moindre  émotion ,  &  plein  de  confiance  à  la 
force  de  fes  Brigantins,  fe  hâta  de  les  former  en  demi-lune,  pour  faire  un 
plus  grand  front  à  l'Ennemi,  &  combattre  avec  plus  de  liberté.  Il  s'avan- 
ça, dans  cet  ordre ,  contre  les  Canots  des  Mexiquains.  A  quelque  diftan- 
ce ,  il  fit  prendre  quelques  momens  de  repos  à  fes  Rameurs ,  avec  ordre  de 
fondre  enfuite  à  toutes  rames  dans  le  gros  de  la  Flotte  ennemie.  Un  cal- 
me ,  qui  s'étolt  foutenu  toyt  le  jour ,  n'avoit  pas  celle  de  donner  de  l'exer- 
cice à  leurs  bras:  &  les  Mexiquains,  dans  la  vue  apparemment  de  repren- 
dre aufli  des  forces,  firent  la  même  manœuvre.  Mais  la  Fortune,  qui  s'é- 
toit  déclarée  tant  de  fois  en  faveur  des  Efpagnols,  fit  lever,  dans  l'inter- 
valle, un  vent  de  terre.  Les  Brigantins,  poufTés  par  les  voiles  &  les  ra- 
mes, tombèrent  impétueufement  fur  cette  foule  épailfe  de  Canots,  &  com- 
mencèrent un  fracas,  qui  fe  conçoit  mieux  qu'on  ne  peut  le  repréfenter. 
L'Artillerie,  les  arquebufes  &  les  arbalètes  ,  qui  tiroient  fans  perdre  un 
feul  coup ,  les  piques ,  qui  faifoient  une  expédition  terrible  au  paflage ,  la 
fumée,  que  le  vent  portoit  devant  la  Flotte ,  &  qui  obligeoit  les  Ennemis  de 
tourner  la  tête  pour  s'en  défendre ,  le  feul  choc  des  Brigantins ,  qui  couloit 
à  fond  autant  de  Canots  qu'ils  en  rencontroient ,  ou  qui  les  brifoit  en  piè- 
ces ,  enfin ,  tous  les  avantages  que  la  faveur  du  vent  joignoit  à  la  valeur  des 
Efpagnols,  leur  aiTurèrent  bientôt  la  Viftoire,  avec  aufli  peu  déporte  que 
de  danger.  Quelques  centaines  de  Canots,  remplis  de  Nobles,  fe  foutin- 
rent  néanmoins  avec  beaucoup  de  valeur;  mais  tout  le  reflie  ne  fut  qu'u- 
ne afifreufe  confufion  ,  entre  des  Malheureux  qui  fe  précipitoient  les 
uns  fur  les  autres,  &  qui  fe  renverfoient  mutuellement  dans  leur  fui- 
te. 11  en,  périt  un  fort  grand  nombre;  &  les  débris  de  leur  Flotte  fu- 
rent pourfuivis  à  coups  de  Canon  &  d'Arquebufe  jufqu'à  l'entrée  de 
Mexico  (a). 

Une  Viéloire  de  cette  importance  rendit  les  Efpagnols  maîtres  de  la 
Navigation.  Cortez  retourna  le  foir  à  Tezcuco,  pour  y  faire  paflTer  la  nuit 
aux  Vainqueurs  ;  &.  le  lendemain  ,  à  la  pointe  du  jour,  il  tourna  fes  voi- 
les vers  Iztacpalapa  ;  mais,  dans  cette  route ,  il  rencontra  un  Corps  de  Ca- 
nots ,  qui  ramoient  avec  beaucoup  de  vîtefl^e ,  du  côté  de  Cuyoacan.  Ses 
allarmes  pour  d'Olid  l'ayant  fait  voler  à  fon  fecours ,  il  le  trouva  fur  la  Di- 
gue ,  réduit  à  combattre  de  front ,  contre  les  Mexiquains  qui  la  défen- 
doient,  &  des  deux  côtés,  contre  les  Canots  qui  venoient  d'arriver.  La 
néceffité  avoit  donné,  à  ces  Barbares,  des  lumières  qu'ils  ne  pouvoient  ti- 
rer de  l'Art  de  la'Guerre,  pour  la  défenfe  de  leurs  Chauffées.  Ils  avoient 
levé  les  Ponts  iufqu'à  la  Ville,  fur-tout  dans  les  lieux  où  les  courant  du 
grand  Lac  perdoient  leur  force,  en  paffant  dans  l'autre.  Ils  tenoient  d[es 
planches  &  des  claies  prêtes,  pour  s'en  fervir  à  traverfer  ces  vuides;  ,& 
derrière  fefpace,  i's  avoient  élevé  des  tranchées,  pour  défendre  les  ap- 
proches.   Ces  fortifications  étant  les  mêmes  fur  les  trois  Chauffées ,  pn 

avoit 

(;»)  ■f^'rf- pages  495  &  précédent». 


i 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I.  41^ 

avoit  pris  des  mefures  communes ,  pour  détruire  un  ouvrage  qui  n'avoit  de 
redoutable  que  fa  fituation.  Les  arquebufes  &  les  arbalètes  faifoient  dif- 
paroître  ceux  qui  fe  montroient  fur  la  tranchée,  pendant  qu'on  faifoit  paf- 
fer  de  main  en  main  des  fafcines  pour  combler  le  fofle;  après  quoi,  l'on 
faifoit  avancer  une  pièce  d'Artillerie,  qui  ouvroit  le  paflTage,  &  les  débris 
d'une  Fortification  fervoient  à  remplir  le  foffé  de  l'autre.  D'Olid  s'étoit 
faifi  de  la  première,  lorfque  les  Canots  Mexiquains  étoient  arrivés;  &  cet- 
te attaque  imprévue  commençoit  à  lui  caufer  de  l'embarras  :  mais  à  peine 
eurent -ils  découvert  les  Brigantins,  qu'ils  prirent  la  fuite.  Cortez,  exci- 
té par  les  progrès  du  travail ,  le  fit  pouffer  jufqu'au  jour  fuivant  ;  & 
d'Olid  fe  trouva  le  matin  au  dernier  Pont,  qui  donnoit  un  Paffagedans 

Mexico.  ,     ,  o     ,      ,    . 

On  le  trouva  fortifié  de  remparts,  plus  hauts  &  plus  épais  que  ceux 
qu'on  avoit  renverfés.  Les  rues,  qu'on  découvroit  facilement,  étoient 
coupées  d'un  grand  nombre  de  tranchées,  &  gardées  par  tant  de  Trou- 
pes ,  qu'il  y  avoit  peu  de  prudence  à  rifquer  l'attaque.  Mais  Cortez ,  fe 
voyant  engagé  fans  l'avoir  prévu ,  jugea  fon  honneur  intéreffé  à  ne  pas  fe 
retirer  fans  quelque  aftion  d'éclat.  Non- feulement,  il  fit  une  décharge  de 
toute  fon  Artillerie,  dont  le  ravage  fut  terrible  dans  la  foule  des  Habitans, 
qui  s'étoient  raffemblés  de  toutes  parts  ;  maisenmême-tems,  d'Olid,  ayant 
rompu  les  Fortifications  &  comble  le  foffé,  chargea  ceux  qui  les  défen- 
doient,  &  gagna  bientôt  affez  de  terrein  avec  fon  Avant-garde,  i)our  don- 
ner le  tems  aux  Alliés,  qu'il  avoit  à  fa  fuite,  de  fe  mettre  en  Bataille  fur  le 
Quai.  Les  Mexiquains  accoururent  au  fecours  de  leurs  Ponts  ,  &  firent 
une  longue  réfiftance;  mais  Cortez,  fautant  à  terre  avec  une  partie  de  fes 
Efpagnols,  échauffa  fi  vivement  le  combat  par  fa  préfence,  qu'après  avoir 
fait  tourner  le  dos  aux  Ennemis,  il  fe  vit  maître  de  l'entrée  d'une  des  prin- 
cipales rues.  Les  Fuyards  s'étoient  jettes  dans  un  Temple  peu  éloigné, 
dont  ils  couvroient  les  Dégrés  &  les  Tours,  &  d'où  ils  le  déficient  par 
leurs  cris.  L'indignation  de  leur  voir  joindre  tant  d'infolence  à  leur  lâche- 
té, lui  fit  prendre  la  réfokition  de  les  forcer  dans  cePofle.  Il  fe  fit  amener, 
des  Brigantins,  quatre  de  fes  meilleures  pièces,  dont  le  premier  fracas  mit 
les  Mexiquains  en  fuite  &  lui  affura  la  poffeffion  du  Temple.  Toutes  les 
Idoles  furent  jettées  au  feu,  &  leurs  flammes  fervirent  comme  de  luflre  à 
laViaoire(ô). 

La  joye  de  fe  revoir  dans  Mexico  faifoit  fouhaiter,  au  Général,  lion- 
feulement  d'y  paffer  la  nuit  avec  fes  Troupes ,  mais  de  fe  fortifier  dans  ce 
Porte,  pour  refferrer  les  Ennemis ,  &  pour  y  former  fa  principale  atta- 
que. Ses  Officiers,  auxquels  il  communiqua  fou  deffein,  le  combattirent 
par  des  raifons  fi  fortes,  qu'il  ne  fit  pas  difficulté  de  fe  rendre  à  leur  avis, 
fur-tout  en  faveur  de  Sandoval  &  d'AIvarado ,  dont  on  ignoroit  la  fitua- 
tion. D'Olid  retourna  le  foir  à  Cuyoacan,  fous  l'ercorte  des  Brigantins, 
qui  ôtèrent  aux  Ennemis  la  hardieffe  de  l'inquiéter  dans  fa  marche.  Le 
Général  fe  rendit  le  lendemain  à  Iztacpalapa,  &  trouva  Sandoval,  en  ef- 
fet, dans  le  befoin  du  plus  prompt  fecours.    Il  s'étoit  emparé  de  la  partie 

de 
(b)  Ibid.  pages  501  &  précédentes. 

Ggg  2 


Fërnan» 
Cortez.' 

1521. 


Cortex 
pouflc  les  En- 
nemis jufqucB 
dans  les  rues 
de  Mexico. 


Il  fe  faifîc 
d'un  Temple 
&.  brûle  les 
Idolcï. 


f 


lill 


f ZRNANO 
CoikTEZ. 

1521- 


Sandoval 
prend  porte 
a  Tepeaquil- 


Nouvelles 
mefurcsde 
Corcez. 


11  fait  une 
ïiottc  de  Ca- 
hots. 


iio       PREMIERS      VOYAGES 

de  la  Ville  qui  étoit  fur  la  Digue;  mais  fe  voyant  incommodé  par  les  CS'* 
nots  des  Ennemis,  qui  étoient  demeurés  maîtres  de  la  partie  bafle,  &  qui'- 
ne'ceflbient  pas  leurs  attaques,  il  avoit  entrepris,  le  même  jour,  de  s'éta- 
blir dans  quelques  édifices,  d'où  fon  Artillerie  pouvoit  les  écarter.  Il  a- 
voit  pafle  le  Canal ,  à  l'aide  de  plufîeurs  fafcineî;  &  depuis  quelques  heu- 
res, il  s'étoit  logé  dans  ce  Pofte ,  avec  une  partie  de  Tes  Efpagnols.  A- 
peine  y  étoit-il  entré ,  qu'une  multitude  de  Canots,  qui  fe  tenoient  en  em- 
bufcade,  s'étoient  avancés  autour  de  lui;  &  jettant  à  l'eau  des  Plongeurs, 
qui  avoient  écarté  les  fafcines,  non-feulement  ils  avoient  coupé  le  pafTage 
an  relie  de  fa  Troupe ,  mais  ils  le  tenoient  lui-même  aflliegé  de  toutes  parts , 
&  dans  rimpcffibilité  de  faire  fa  retraite.  Son  embarras  ne  pouvoit  être 
plus  preflant ,  lorfque  Cortez ,  arrivant  à  pleines  voiles ,  découvrft  cette 
foule-  de  Canots ,  qui  occupoient  tous  les  Canaux  de  la  bafle  Ville.  Il  fit 
jouer  fon  Artillerie  avec  tant  de  fuccès,  qu'il  ne  fut  pas  long-tems  à  les» 
difliper;  &  les  Mexiquains  furent  fi  maltraités  dans  cette  occafion,  qu'ils- 
commencèrent,  fuivant  Solis  (c),  à  remarquer  l'afïbibliflement  de  leurs 
forces.  On  fit  un  butin  confiddrable ,  dans  la  partie  de  la  Ville  qu'ils  a- 
voient  occupée.  Mais  la  vue  d'une  retraite ,  fi  favorable  aux  Canots ,  per- 
fiiada  Cortez,  que  fans  la  ruiner  entièrement  il  feroit  impofliblâ  de  tirer  lo 
moindre  avantage  de  cette  Chauflïe  ;  &  tous  les  délais  étant  dangereux» 
pour  les  autres  attaques,  ilprit  la  réfolution  d'abandonner  ce  Pofl:é,.&de 
faire  pafler  Sandoval  avec  fes  Troupes  à  celui  de  Tepeaquilla\  où  la  Digue 
étoit  moins  large  <&  moins  commode,  mais  plus  utile  au  deflTein  de  couper, 
à  la  Capitale ,  les  vivres  dont  elle  commençoit  à  manquer.  Cet  ordre  fuc 
exécuté  auffi-tôt,  à  la  vue  des  Brigantins,  qui  efcortèrent  Sandoval  jufqu'au 
nouveau  Pofle ,  où  il  fe  logea  fans  réfifl:ance. 

Le  Général  fit  voguer  alors  vers  Tacubà.  Pierre  Alvarado,  qui  étoit 
chargé  de  cette  attaque,  l'avoit  poufll'e  avec  divers  fuccès,  en  détruifant 
des  remparts,  en  comblant  des  fofl^és,  &  s'avançant  quelquefois  jufqu'à 
mettre  le  feu  aux  premières  Maifons  de  Mexico  ;  mais  il  y  avoit  perdu  pki- 
fieurs  Efpagnols,  &  fes  avantages  ne  compenfoient  point  cette  perte.  Le 
chagrin  que  Cortez  en  reiTentit  lui  fit  juger  que  toutes  les  mefures,  dans 
lefquelhs  il  s'étoit  renfermé  jufqu'alors ,  répondoient  mal  à  fon  projet ,  & 
qu'un  2iège,  qui  fe  réduifoit  à  des  attaques  &  des  retraites,  expofoit  inu- 
tilement fes  Soldats  &  fa  réputation.  Ces  tranchées,  que  les  Mexiquains 
relevoient  fans  ceffe,  &  la  perfécution  continuelle  de  leurs  Canots  j  lui  pa- 
rurent, deux  obftacles  qui  demandoient  une  nouvelle  méthode.  Il  prit  le 
parti  de  fufpendre  toutes  les  attaques  ,  pour  fe  donner  le  tems  de  rafl^em- 
bler  ou  de  faire  conftruire  lui-même  une  Flotte  de  Canots ,  avec  laquelle  il 
pût  fe  rendre  maître  de  toutes  les  parties  du  Lac.  Ses  Alliés  reçurent  or- 
dre de  lui  envoyer  tous  les  Canots  qu'ils  avoient  en  réferve  ;  pendant  que 
'de  fon  côté  il  en  fit  bâtir  un  grand  nombre  à  Tezcuco:  6c,  dans  l'efpace 
de  quelque  jours,  il  en  forma  un  gros  redoutable,  qu'il  remplit  d'Indiens, 
fous  des  Capitaines  de  leur  Nation.  Il  les  divifa  en  trois  Efcadres ,  donc 
chacune  devoit  être  foutenue  de  quatre  J3rigantins  j  l'un  pour  Sandoval , 

fai'.' 


«^ 


(,c)  Page  504. 


s 

par  les  Ca-^ 
îfle ,  &  qui'. 
,  de  s'éta- 
rter.  Il  a- 
îlques  heu- 
agnols.  A> 
mt  en  em- 
Plongeurs , 
1  le  paflage: 
)utes  parts , 
ouvoit  être 
luvrft  cette 
^ille.  Il  fit 
-  tems  à  les» 
ion,  qu'ils- 
nt  de  leurs 
lie  qu'ils  a- 
mots,  per- 
de tirer  lo 
dangereux' 
oflé,.&de 
lù  la  Digue 
de  couper, 
t  ordre  fut 
val  jufqu'au 

,  qui  étoic 

détruifant 
fois  jufqu'à 

perdu  plu- 
perte.     Le 

ures,  dans 

projet,  & 
pofoit  inu- 
Mexiquains 
)tSj  lui  pâ- 
li prit  le 

de  raffem- 
:  laquelle  il 
eçurent  or- 
îendant  que 
ins  l'efpace 
:  d'Indiens, 
idres,  donc 

Sandoval , 

l'ui'.' 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,   Liv.  I. 


431 


I      :i 


f antre  pour  Alvarado,  &  le  troifième  pour  le  conduire  lui-même  à  d'Olid. 
Auffi-tôt,  les  attaques  furent  reprifes  avec  plus  d'ordre  &  de  facilité.  On 
fit,  nuit  &  jour,  des  rondes  fur  le  Lac,  pour  arrêter  les  forties  des  Mexi- 
quains.  Leurs  Canots  n'eurent  plus  la  hardiefle  de  fe  montrer  ;  ou  du  moins 
on  enleva  ceux  qui  tentèrent  de  pafler  avec  des  vivres  &  de  l'eau.  D'Olid > 
Alvarado  &  SandovaJ  s'avancèrent  en  peu  de  tems  jufqu'aux  Fauxbourgs 
de  Mexico,  &  la  face  du  Siège  fut  changée  par  ces  heureufes  expédi- 
tions {d). 

Cependant  la  diligence  &  l'induftrie  ne  manquèrent  point  aux  Affié- 
®gés.    Ils  fe  réduifirent  d'abord  à  faire  leurs  fo«ies  pendant  la  nuit ,  pour 
tenir  les  Efpagnols  en  allarme,  &  les  fatiguer  par  l'inquiétude  &  les  veilles* 
Enfuite  ils  envoyèrent,  par  de  longs  détours,  des  Canots  chargés  de  Pion- 
niers, qui  traverfant  direclement  le  Lac,  pendant  qu'on- étoit  attentif  à  ceux 
qu'on  entendoit  fortir  delà  Ville,  venoient  nettoier,  dans  un  inftant,  les 
fofles  qu'on  avoit  eu  beaucoup  de  peine  à  combler.     Mais  rien  ne  fait  tant 
d'honneur  à  leur  adrefle,  qu'un  llratagême  qu'ils  imaginèrent  contre  les 
Brigantins.    Ils  conflruifirent ,  dans  la  Ville,  trentegrandes  Barques,  ren- 
forcées de  grofles  planches ,  pour  s'en  faire  comme  un  rempart ,  derrière 
lequel  ils  pouvoient  être  à  couvert.     Une  nuit  fort  obfcure  fut  celle  qu'ils 
choifirent ,  pour  aller  fe  pofter  dans  quelques  endroits  couverts  de  grands 
rofeaux,  au  travers  defquels  la  vue  ne  pouvoit  pénétrer.    Ils  y  enfoncèrent 
quantité  de  gros  pieux,  qui  s'élevoient  à  fleur  d'eau,  &  dont  le  feul  choe 
étoit  capable  de  nuire  aux  plus  grands  Vaifleaux.    Leur  efpérance   étoit 
d'attirer,  dans  cette  forêt  de  rofeaux  &  de  pieux,  quelques-uns  des  Bri- 
gantins ,  qui  alloient  fucceflivement  en  courfe.     Ils  avoient  préparé  trois 
ou  quatre  Canots  chargés  de  vivres ,  pour  les  faire  fervir  d'amorce.    En 
effet,  deux  des  quatre  Brigantins  de  Sandoval  donnèrent  dans  le  piège, 
fous  le  Commandement  de  Pierre  de  Barba  &  de  Jean  Portillo.     La  vue 
des  Canots ,  qui  fe  préfentèrent  fort  habilement ,  &  qui  feignirent  de  pren- 
dre la  fuite,  excita  fi  vivement  les  Efpagnols ,  que  s'élançant  vers  les  ro- 
feaux ,  à  force  de  rames ,  ils  donnèrent  au  travers  des  pieux.     En  même- 
tems,  les  Mexiquains  parurent  dans  leurs  Barques,  &  vinrent  à  la  charge 
avec  une  réfolution  desefperée.    Barba  &  Portillo  fentirent  la  grandeur  du 
danger.    Ils  voyoient  les  Brigantins  comme  immobiles;  &  le  feul  effort  des 
rames  ne  pouvoit  les  tirer  de  cette  fituation.     Ils  prirent  le  parti  de  foute-  ' 
nir  le  combat ,  pour  occuper  les  Ennemis  ;  pendant  qu'ils  firent  defcendre 
quelques  Plongeurs ,  qui  écartèrent  ou  coupèrent  les  pieux ,  à  force  de  bras 
&  de  haches.     La  liberté  qu'ils  eurent  bientôt  de  fe  remuer  les  mit  en  état 
de  faire  jouer  leur  Artillerie,  &  les  Barques  n'y  refiftèrent  pas  long-tems: 
mais  la  perte  fut  extrême  pour  les  Efpagnols.    Portillo  fut  tué  dans  le  Com- 
bat.   Barba  y  reçut  plufieurs  coups  de  flèches,  dont  il  mourut  peu  de  jours 
après;  ôc  peu  de  leurs  gens  échappèrent  fans  blefllires.     Cortez,  furieux 
de  cette  difgrace,  ne  perdit  pas  un  moment  pour  vanger  deux  Officiers  qu'il 
aimoic.     Les  Mexiquains,  avec  une  folk  fimplicité,  qui  répondoiî  mal  à 

(f/)  J^jW,  pages  508  &  Fï^cédcntcs. 

Ggg  3 


Fermant 
Cortez* 

1521. 


AJveflc"  i- 
tonnante  de 5 
Mcxi^uaiUij» 


Ven'gcnncC»' 
de  Coîte2, 


I 


I'brnand 

CORTEZ. 
I  521. 


Il  offre  en- 
core la  Paix 
aux  Mexi- 
quains. 


Elle  eu  re- 
jouée. 


Triple  nt 
taque  des  Ef- 
pagnols   cou- 
UC  Mexico. 


Obfiaclc 
qu'ils  ont  à 
vaincre. 


422 


PREMIERS      V    O    Y    A   :G    E    S 


leur  invention,  s'imaginèrent  que  leurs  Ennemis  pourroient  donner  deux 
fois  dans  le  même  piège.  Après  avoir  reparé  leurs  Barques,  ils  reprirent 
leur  Pofle  entre  les  rofeaux.  Le  Général ,  averti  de  ce  mouvement,  n'em- 
ploya contr'eux  que  leur  propre  rufe,  c'eft-à-dire, qu'ayant  envoyé  à  la  file 
lix  Brigantins ,  qui  fe  portèrent  la  nuit  fuivante  dans  un  autre  lieu  couvert 
de  rofeaux,  il  engagea  le  Combat  avec  tant  de  fuccôs,  qu'il  détruifit  pref- 
qu'entiérement  les  trente  Barques  (e). 

On  eut,  dans  le  même  tems,  divers  avis  de  ce  qui  fe  paflbit  à  Mexico, 
parles  Prifonniers  qu'on  faifoit  continuellement  aux  attaques;  &  le  Géné- 
ral ,  apprenant  que  la  foifi&  la  faim  commençoient  à  preffer  les  Habitans ,  ® 
apporta  plus  de  foin  que  jamais  à  leur  couper  les  vivres.  Mais ,  pour  don- 
ner un  nouvel  éclat  à  la  jullice  de  fes  armes ,  il  rendit  la  liberté  à  deux  ou 
trois  des  principaux  Prifonniers,  en  les  chargeant  de  dire  à  l'Empereur 
qu'il  lui  offroit  la  Paix ,  avec  promefTe  de  ne  rien  entreprendre  fur  fa  Cou- 
ronne, à  la  feule  condition  qu'il  s'engageât  à  reconnoître  la  Souveraineté 
du  Roi  d'Efpagne ,  dont  les  droits  étoient  fondés,  entre  les  Mexiquains  , 
fur  leur  tradition  &  l'autorité  de  leurs  Ancêtres.  D'autres  Prifonniers  rap- 
portèrent que  Guatimozin  avoit  reçu  cette  propofition  fans  orgueil,  & 
qu'ayant  aflemblé  tous  fes  Caciques,  il  leur  avoit  repréfenté  le  miférable  état 
de  la  Ville ,  avec  des  témoignages  d'attendriffement  qui  fembloient  mar- 
quer de  l'inclination  pour  la  Paix.  Tout  ie  Confeil  étoit  entré  dans  les 
mêmes  fentimens  ;  à  l'exception  des  Sacrificateurs ,  qui  les  avoient  com- 
battus avec  la  dernière  opiniâtreté,  en  feignant  que  leurs  Idoles  leur  pro- 
mettoient  la  Viéloire.  Le  refpeél ,  dont  ils  étoient  en  pofleffion ,  avoit  ra- 
mené tous  les  Caciques  à  leur  avis;  &  l'Empereur,  poufle  du  même  efprit, 
malgré  divers  préfages  par  lefquels  il  croyoit  fa  ruine  annoncée ,  avoit  fait 
publier  qu'il  puniroit  de  mort  ceux  qui  auroient  la  hardiefle  de  lui  propofer 
la  Paix  (/). 

CoRTEz  ne  fut  pas  plutôt  informé  de  cette  réfolution ,  qu'il  entreprit 
d'attaquer  enlnême  tems  Mexico  par  les  trois  Chauflees ,  &  de  porter  le 
fer  &  le  feu  jufqu'au  Palais  Impérial.  Après  avoir  envoyé  fes  ordres  aux 
Portes  de  Sandoval  &  d'Alvarado,  il  fe  mit  avec  d'Olid  à  la  tête  des  Trou- 
pes de  Cuyoacan.  Les  Ennemis  avoient  r'ouvert  leurs  fortes ,  &  relevé  les 
autres  Fortifications  de  la  Digue  :  mais  l'Artillerie  des  cinq  Brigantins  de  ce 
Porte  rompit  aifément  de  fi  foibles  remparts,  tandis  que  les  Troupes  de 
terre  combloient  les  fofles.  Ainfi  Cortez  trouva  d'abord  peu  d'obftacles. 
Mais  il  fut  arrêté  par  des  embarras  d'une  autre  nature  ,  près  du  dernier 
Pont ,  qui  touchoit  au  Quai  de  la  Ville.  Les  Mexiquains  avoient  coupé  la 
Chaufl^ée,  dans  un  efpace  d'environ  foixante  pieds  de  longueur  ;  ce  qui  a- 
voit  fervi  à  rendre  l'eau  plus  haute  &  plus  groflTe  vers  les  Quais.  Le  bord, 
du  côté  de  la  Ville,  fe  trouvoit  fortifié  de  deux  ou  trois  rangs  de  poutres 
&  de  groffes  planches ,  liées  par  des  traverfes  &  de  longues  chevilles  ;  & 
cette  redoutable  barrière  étoit  défendue  par  une  multitude  innombrable  de 
Soldats.    Cependant  quelques  décharges  de  l'Artillerie  la  renverfèrent,  a- 

vec 


(î)  Ibtd,  pages  514  &  précédentes. 


(/)  Bill,  page  51(5. 


irl) 


EN     A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.   I. 


.423 


1 ,  avoit  ra- 


i 


vec  un  fracas,  qui  en  rendit  les  débris  mortels  à  quantité  de  Mexiquains. 
Les  plus  avancés,  fe  voyant  à  la  bouche  de  ces  terribles  machines,  dont  la 
flamme  &  le  bruit  les  effrayoicnt  autant  que  l'exécution  dont  ils  avoient  été 
témoins,  reculèrent  fur  ceux  qui  les  fuivoient,  &  les  forcèrent  de  rentrer 
avec  eux  dans  la  Ville.  Le  Quai,  fe  trouvant  nettoyé  dans  un  infiant, 
Cortez  fit  approcher  les  Brigantins ,  &  les  Canots  de  fes  Alliés ,  pour  gagner 
la  terre  avec  fes  Troupes.  Il  fit  pafler  fa  Cavalerie  par  la  même  voye. 
Trois  pièces  d'Artillerie,  ru'il  fit  débarquer,  lui  parurent  fuffire  àfon  en- 
treprife. 

Avant  que  d'aller  aux  Ennemis ,  qui  fe  montroient  encore  derrière  quel- 
ques tranchées ,  il  chargea  Julien  Alderete  d'employer  tous  fes  foins  à  ré- 
parer l'efpace  rompu  de  la  Chauflfée,  fous  la  proteélion  des  Brigantins,  qui 
continuoient  de  border  le  Quai.     Le  Combat  ayant  commencé  dans  les  pre- 
mières Rues,  Alderete,  échaufi^é  par  le  bruit  des  Armes,  ëc  craignant  peut- 
être  que  remploi  de  combler  &  de  garder  un  foflc  ne  fît  tort  à  fa  gloire, 
tandis  qu'il  voyoit  fes  Compagnons  aux  mains,  fe  laiffa  tranfporter  par  une 
ardeur  indifcréte.     Toute  la  Troupe  qu'il  commandoit  le  fuivit  au  Com- 
bat ;  &  ce  folTé ,  qu'on  n'avoit  pu  traverfer  en  arrivant ,  fut  abandonné  a- 
vec  une  imprudence  qui  coûta  cher  aux  Efpagnols.    Les  Mexiquains  fou- 
tinrent  les  premières  attaques.     Qa  força  néanmoins  leurs  tranchées ,  mais 
avec  beaucoup  de  perte,  &  le  danger  devint  beaucoup  plus  grand,  lorf- 
qu'après  être- entré  dans  les  Rues,  on  eut  à  fe  garantir  des  traits  &  des 
pierres  qui  pleuvoient  des  terraflies  &  des  fenêtres.     Mais,  dans  la  plus  vi-- 
ve  chaleur  de  l'Aftion ,  Cortez  crut  s'appercevoir  que  celle  des  Ennemis  fe 
relâchoit;  &  ce  changement  parut  venir  de  quelque  nouvel  ordre,  qui  leur 
fit  abandonner  le  terrein ,  avec  la  dernière  précipitation.    C'étoir  affez  pour 
faire  naître  le  foupçon  de  quelque  nouvelle  rufe.     Le  jour  étoit  avancé,  & 
les  Efpagnols  n'avoient  que  le  tems  de  retourner  à  leur  Qiiartier.     Cortez, 
qui  ne  pouvoit  encore  penfer  à  s'établir  dans  la  Ville,  &  qui  n'avoit  eu  def- 
fein  que  d'y  répandre  la  terreur,  donna  l'ordre  de  la  retraite,  en  profitant 
néanmoins  de  celle  des  Ennemis,  pour  faire  abbattre  &  brûleries  Maifons 
voifmes  du  Quai ,  d'où  il  ne  vouloit  plus  que  leurs  traits  &  leurs  pierres  pûf- 
fent  fincommoder  dans  Ces  attaques.     On  fut  éclairci,  dans  la  fuite,  du 
motif  qui  avoit  fait  difparoître  les  Mexiquains  ,•  &  l'événement  même  en 
donna  dp  triftes  indices.     Guatimozin  avoit  appris  que  la  grande  ouverture 
de  la  Digue  étoit  abandonnée;  &  fur  cet  avis  il  avoit  fait  ordonner,  à  fes 
Capitaines,  de  fe  retirer  avec  leurs  Troupes,  pour  retourner  vers  le  Quai , 
par  d'autres  Rues,  &  pour  charger  les  Efpagnols  à  leur  paflage.     Aufli 
Cortez  n'eut-il  pas  plutôt  tourné  le  dos  à  la  Ville,  que  fes  oreilles  furent 
frappées  par  le  fon  lugubre  d'un  inflrument,  qui  portoit  le  nom  de  Toc/infa- 
cré ,  parce  qu'il  n'étoit  permis  qu'aux  Sacrificateurs  de  le  fonner  ,  pour 
annoncer  la  Guerre ,   &  pour  anjmer  le  cœur  des  Mexiquains  à  la  dé- 
fenfe  de  leurs  Dieux.     On  entendit  auflTi  -  tôt  d'eflfroyables  cris  ;  &  les  Ef- 
pagnols, qui  compofoient  l'Arrière-garde,  virent  tomber  fur  eux  des  Lé- 
gions d'Ennemis. 
Les  Arquebufiers  firent  tctej  (S{  Cortez,  fuivi  des  Cavaliers,  repoufla 

les 


F  E  R  »  A  N  I> 

Cortez. 
1521- 


Iinprudcrice 
funeftc  aux 
Efpaguoh. 


Us  font  for  !: 
maltraités  en 
repaflant  la 
Digue. 


Sanglant  i 


if 


rnnNAND 

CORTEZ. 
152  1. 


Perte  des 

Efpagnols. 


Autre  perte 
du  côté  de 
Sandoval  & 
d'Alvarado. 


RéjoiHfTan- 

ces  des  Me- 
xiqiiains.    Ils 
tacrifient  les 
Prifonnicrs 
Efpagnols. 


4H 


PREMIERS      VOYAGES 


les  premiers  efforts  de  cette  impétueufe  attaque.  Mais ,  n'étant  inflriiic 
qu'alors  de  l'indifcrétion  d'Alderete ,  il  tenta  inutilement  de  rallier  fes  Trou- 
pes &  de  les  former  en  Bataillons.  Ses  ordres  furent  mal  entendus  ou  peu 
refpeélés.  Les  Indiens,  qu'il  avoit  fait  marcher  vers  la  Digue,  fe  précipi- 
tèrent confufément  dans  l'ouverture.  Les  uns  paflbient  fur  les  Brigantins 
&  dans  les  Canots;  les  autres,  en  plus  grand  nombre,  fe  jettèrent  dans 
l'eau ,  où  ils  trouvoient  des  Troupes  de  Nageurs  Mexiquains ,  qui  les  per- 
çoient  de  leurs  dards ,  ou  qui  les  étouffoient  au  fond  du  Lac.  Cortez  fou- 
lenoit  encore  ces  Furieux ,  qui  continuoient  de  le  preffer  ;  mais  fon  Cheval 
ayant  été  tué  fous  lui,  il  fe  vit  forcé,  pour  conferver  fa  vie,  d'accepter 
l'offre  de  François  Guzman ,  qui  lui  préfenta  le  fien ,  &  de  fe  retirer  vers 
les  Brigantins ,  fur  lefquels  il  arriva  couvert  de  fang  &  de  playes.  Cette 
généreufe  aélion  coûta  la  liberté  à  Guzman.  Quarante  Efpagnols  furent 
enlevés  comme  lui  par  les  Mexiquains ,  &  tous  les  autres  revinrent  dange- 
reufement  bleffés.  On  perdit  mille  Tlafcalans,  &  la  meilleure  des  trois 
pièces  d'Artillerie. 

Le  chagrin  du  Général  fut  plus  dangereux  pour  fa  vie,  que  la  multitu- 
de de  fes  bleffures.  11  ne  pouvoit  fe  confoler  de  la  perte  de  Guzman  & 
des  quarante  autres  Efpagnols.  Alderete,  pénétré  de  douleur,  à  la  vue  de 
tant  de  maux,  qu'on  ne  pouvoit  reprocher  qu'à  lui,  offrit  fa  tête  pour  l'ex- 
piation de  fon  crime.  Il  reçut  une  vive  réprimande  aux  yeux  de  toute  l'Ar- 
mée; mais  Cortez  ne  jugea  point  à  propos  de  faire  un  exemple,  qui  ne  lui 
parut  propre  qu'à  décourager  fes  plus  braves  Guerriers.  Son  affliélion  re- 
doubla le  jour  fuivant,  lorfqu'il  apprit  qu'Alvarado  &  Sandoval  avoient 
perdu  vingt  Efpagnols  (g^  dans  leurs  attaques;  &  tous  les  avantages,  qu'ils 
y  avoient  remportés ,  lui  parurent  un  foible  dédommagement  pour  une  fi 
grande  perte.  Il  fallut  fufpendre  les  attaques.  On  fe  réduifit  à  ferrer  plus 
étroitement  la  Place,  pour  couper  le  paflage  des  vivres,  pendant  les  foins 
qu'on  étoit  obligé  de  donner  à  la  guérifon  des  Bleffés  (/>). 

Les  Mexiquains  célébrèrent  leur  Vidloire  avec  des  tranfports  de  joye. 
Tous  les  Quartiers  de  la  Ville  furent  éclairés,  pendant  la  nuit,  par  de  grands 
feux.  On  entendit  le  fon  des  inflrumens  militaires,  qui  fe  répondoient  en 
différens  Chœurs;  &  les  Temples  jettant  un  éclat  particulier,  qui  paroiffoic 
accompagner  quelque  cérémonie  barbare,  on  ne  douta  point  que  cet  appa- 
reil 


((§■)  On  fuit  Diaz.  Horrera  fe  contente 
de  dire  que  Cortez  perdit  ce  jour-là  foixante 
Efpagnols. 

(h ,  Tous  les  Hiftoriens  rapportent  qu'on 
employa ,  dans  cette  occafion ,  une  pratique 
qu'ils  reconnoilTent  contraire  aux  principes 
de  la  Religion ,  mais  qui  elt  quelquefois  per- 
mife,  fuivant  Solis,  lorfqu'elle  e(î  employée 
par  de  bons  motifs.  On  ne  peut  croire,  a- 
Joute-t'ij,  pour  la  juflifier  ici,  que  le  Démon 
concourut  à  guérir  les  Efpagnols  ,  qui  ne 
^'occupoient  qu'à  lui  faire  la  Guerre.  Il  é- 
toit  quoltion  d'un  peu  d'huile  «Si  de  quelques 


vcjfets  de  l'Ecriture  Sainte,  feu!  moyen  pnr 
lequel  on  guéri  (Toit  les  playes  en  fort  peu  de 
tems.  C'ed  ce  que  le  Peuple  appelle  en  Et" 
pagne  curar  por  Enfalmn;  &  en  France,  gué- 
rir du  Seeret.  Diaz,  qui  avoit  été  témoin 
de  ces  merveilleufes  opérations,  les  attribiic 
à  un  Soldat ,  nommé  Jean  Catalano.  Herre- 
ra  prétend  qu'on  en  fut  redevable  à  une  Fem- 
me Efpagnole,  nommée  Ifabelle  Rodrigui^z. 
Solis  fe  déclare  pour  le  premier.  Un  autre 
concilie  tout,  en  difant  que  le  remède  fut 
donné  par  une  Femme,  &  employé  par  un 
Soldat. 


:    E    N      A    M    E    R    I    Q    U    E,    Liv.  I.  425 

reil  ne  regardât  les  Prifonniers  Efpagnols ,  &  qu'ils  ne  fuflent  facrifiés  cet- 
te nuit  aux  Dieux  de  l'Empire.  Quelques  Soldats  ,  qui  s'avancèrent  vers 
le  Quai  dats  des  Canots ,  crurent  entendre  les  cris  de  ces  malheureufes  Vic- 
times ,  &  reconnoître  même  ceux  qui  les  pouiToient.  „  Pitoyable  fpefta- 
„  cle,  s'écrie  Solis,  qui  frappa  peut-être  leur  imagination  plus  que  leurs 
„  oreilles  &  leurs  yeux;  mais  li  funefte  &  fi  fenfible,  que  Cortez,  &  tous 
„  ceux  qui  fe  trouvèrent  près  de  lui ,  ne  purent  entendre  ce  récit  fans  ver- 
„  fer  des  larmes  (»')"• 

GuATiMoziN  tira  plus  heureufement ,  defon  propre  fond,  un  artifi- 
ce, dont  le  mêmeHiftorien  juge  que  le  plus  grand  Capitaine  auroit  pu  s'ap- 
plaudir.    Il  fit  courir  le  bruit  que  Cortez  avoit  été  tué  dans  fa  retraite;  & 
cette  idée  n'eut  pas  peu  de  force  pour  infpirer  un  nouveau  courage  au  Peu- 
ple, avec  l'efpérance  de  fe  voir  promptement  délivrés.    Les  têtes  des  Ef- 
pagnols facrifiés  furent  envoyées  dans  toutes  les  Villes  voifines,  comme  des 
témoignages  fenfibles  d'une  Viftoire  qui  devoit  les  ramener  à  l'obéiflance. 
Enfin ,  pour  confirmer  ces  heureux  préfages ,  on  publia  que  le  Dieu  des  Ar- 
mes^ principale  Idole  du  Mexique,  adouci  par  le  fang  des  Viftimes  Ef- 
pàgnoles,  avoit  annoncé,  à  l'Empereur,  d'une  voix .  intelligible,  que  la 
Guerre  finiroit  dans  huit  jours ,  &  que  tous  ceux  qui  mépriferoient  cet 
avis périroient  dans  l'intervalle  {k).  Guatimozin  hafardoit  cette impofture , 
dans  la  confiance  qu'il  avoit  à  fes  derniers  avantages;  &  fe  perfuadant,  en 
eflfet,  que  la  faveur  de  fes  Dieux  avoit  commencé  à  fe  déclarer  pour  lui,  il 
eut  TadreiFe  d'introduire,  dans  le  Camp  des  Alliés  de  Cortez,  plufieurs  E- 
miflaires  qui  répandirent  les  mêmes  menaces.     Les  Oracles  du  Dieu  des 
Armes  avoient  une  réputation  fi  bien  établie  dans  toutes  ces  Contrées  ,* 
que  les  Indiens  des  différentes  Nations  étoient  accoutumés  à  les  refpedter. 
Un  terme  fi  court  frappa  leur  imagination,  jufqu'à  les  déterminer  auffi-tôt 
à  quitter  les  Efpagnols;  &  dans  l'efpace  de  deux  ou  trois  nuits,  tous  leurs 
Quartiers  fe  trouvèrent  abandonnés.    Les   TIafcalans  mêmes  délogèrent 
avec  le  même  desordre ,  à  l'exception  de  quelques  Nobles,  fur  lefquels  la 
crainte  n'agiflbit  pas  moins,  mais  qui  fembloient  préférer  l'honneur  à  la 
vie.    Cortez,  allarmé  d'un  incident  qui  entraînoit  la  ruine  de  fon  entre- 
prife,  jugea  le  remède  d'autant  plus  difficile,  qu'il  ne  connoiflbit  point  en- 
core la  nature  du  mal.    Mais  après  s'être  heureufement  éclairci,  il  fehâta 
de  faire  fuivre  les  Déferteurs ,  pour  les  engager  à  fufpendre  du  moins  lei"* 
marche  jufqu'à  la  fin  des  huit  jours,  en  leur  faifant  confiderer  que  ce  di  'ai 
ne  changeroit  rien  à  leur  fort ,  &  les  afTurant  d'ailleurs  qu'ils  regréti/oit  nt 
de  s'être  laiffés  tromper  par  de  faulTes  prédirions.     Ils  confentirent  à  patJer 
le  refle  de  la  femaine  dans  les  lieux  où  ils  s'écoient  arrêtés  ;  &  reconnôiilant 
enfin  leur  illufion ,  ils  revinrent  à  l'Armée ,  avec  ce  renouvellement  de  har- 
diefle  &  de  confiance ,  qui  fuccede  ordinairement  à  la  crainte.     Dom  Fer- 
nand,  Cacique  de  Tezcuco,  avoit  envoyé,  aux  Troupes  de  fa  Nation,  le 
Prince  fon  Frère,  qui  les  ramena  le  huitième  jour,  avec  de  nouvelles  le- 
vées ,  qu'il  trouva  prêtes  à  le  fuivre.    Les  TIafcalans ,  retenus  par  la  crain- 
te 
(i)  Solis,  Liv,  5.  page  526.  (*)  Ihid.  pages  27  &  a8. 

_     XniLPart.  Hhh 


FeRW  AIfft 

C  o  a  T  E  z. 

1521. 


Artifices  de 
l'Empereur 
&  fes  effets. 


Cortez  eft 
abandonné  de 
fes  Alliés. 


Comment  it 
les  rappelle. 


rSKNAND 
CORTEZ. 

152  X. 


11  fe  voit 
deux  cens 
mille  lloin 
mes  fous  fes 
ordres.  Jonc- 
tion des  Oto- 
mies. 


Murmures 
du  Peuple  de 
Mexico. 


Les  Efpa- 
jnols  par- 
viennent à  fe 
loger  dans 
Mexico. 


42(J        PREMIERS      VOYAGES 

te  de  leur  Sénat,  autant  que  par  les  repréfentations  de  Cortez,  ne  s'étoient 
pas  beaucoup  éloignés;  mais  la  honte  étok  ciipable  de  retarder  leur  retour, 
lorfqu'ils  virent  arriver  un  nouveau  fecours  que  leur  Republiqu^j  envoyoit 
à  Cortez.  Ils  s'unirent  à  ce  Corps,  pour  venir  reprendre  leur  Quartier;  & 
le  Général,  feignant  de  confondre  les  Fugitifs,  avec  ceux  dont  il  devoit 
louer  le  zèle ,  afFeéla  de  leur  faire  le  même  accueil. 

Ces  Reciues,  qui  augmentoient  conlidérablement  les  forces  des  Efpa- 
gnols,  &  les  honteufes  relfources  de  l'Empereur,  qui  trahiflbient  fa  toi- 
blelTe  &  fon  embarras,  portèrent  quelques  Nations  neutres  à  fe  déclarer 
en  faveur  ;  de  Cortez.  La  plus  conlidérable  fut  celle  des  Otomies;  Mon- 
tagnards féroces,  qui  confervoient  leur  liberté  dans  des  retraites  inacceffi- 
bles,  dont  la  ftérilité  &  la  mifére  n'avôient  jamais  tenté  les  Mexiquains 
d'en  entreprendre  la  conquête.  Ils  avoient  toujours  été  rebelles  à  l'Empi- 
re ,  fans  autre  motif  que  leur  averfion  pour  le  fafle  &  la  molefle.  On  ne 
nous  apprend  point  quel  nombre  de  Troupes  ils  amenèrent  aux  Efpagnols  ; 
mais  Cortez  fe  vit  encore  une  fois  à  la  tête  de  deux  cent,  mille  Hommes ,  & 
pafla ,  fuivant  l'expreflion  de  Solis ,  d'une  furieufe  tempête  au  plus  agréable 
calme  (/). 

Les  Mexiquains  n'étoient  pas  demeurés  dans  l'inadlion  ,  pendant  que 
leurs  Ennemis  avoient  fufpendu  les  hollilités.  Ils  avoient  fait  de  fréquen- 
tes forties ,  la  nuit  &  le  jour  ;  fans  caufer  à  la  vérité  beaucoup  de  mal  aux 
Efpagnols ,  pour  qui  la  feule  préfence  des  Brigantins  étoit  un  rempart  aflii- 
ré  contre  les  Canots.  On  apprit,  de  leurs  derniers  Prifonniers,  que  la  ra- 
reté des  vivres  augmentant,  dans  la  Ville,  les  murmures  du  Peuple  &  des 
"Soldats  commençoient  également  à  s'y  faire  entendre;  que  la  malignité  de 
l'eau  du  Lac ,  à  laquelle  on  étoit  réduit ,  y  faifoit  périr  beaucoup  de  mon- 
de, &  que  le  peu  de  vivres  qu'on  y  recevoit,  par  quelques  Canots,  qui 
échappoient  aux  Brigantins,  étant  partagé  entre  les  Grands ,  c'étoit  un  nou- 
veau fujet  d'impatience  pour  le  Peuple,  dont  les  cris  alloient  fouvent  juf- 
qu'à  faire  trembler  l'Empereur  pour  fa  fureté.  Cortez  afTembla  tous  fes 
Officiers,  pour  délibérer  fur  ces  avis.  Toutes  les  opinions  fe  réunirent, 
non-feulement  à  continuer  les  attaques,  mais  à  recommencer  celles  des 
trois  ChaulTées,  avec  l'elpérance  de  prendre  pofle  dans  la  Ville,  &  la 
réfolution  de  s'y  maintenir.  Les  Corps  des  trois  Portes  reçurent  ordre 
de  s'avancer,  à  toutes  fortes  de  rifques,  jufqu'à  la  grande  Place,  qui  fe 
nommoit  Tlateluco,  pour  s'y  joindre,  &  pouffer  leurs  attaques  fuivant  l'oc- 
cafion. 

Après  avoir  fait  une  abondante  provifion  de  vivres,  d'eau,  &  de  tout 
ce  qui  parut  néceffaire  à  la  fubfiftance  des  Troupes  dans  une  Ville  où  l'on 
manquoit  de  tout,  les  trois  Capitaines  fortirent  de  leurs  (Quartiers ,  à  la  pre- 
mière clarté  du  jour.  Chacun  étoit  foutenu  par  fes  Brigantins  &  fes  Ca- 
nots; Ils  trouvèrent  les  trois  Chauffées  en  défenfe,  les  Ponts  levés,  les 
Foffés  ouverts ,  avec  un  auffi  grand  nombre  d'Ennemis,  que  fi  la  Guer- 
re eût  commencé  de  ce  jour.    On  apporta  les  mêmes  foins  à  furmonter  les 

mê- 

(/)  Ibidem,  page  531, 


EN      AMERIQUE,  Liv.   I.  427 

mêmes  obflacles,  &.les  trois  Corps  arrivèrent  prefqu'en  même-tems  à  la 
Ville.  On  s'avança  facilement  jufqu'à  l'entrée  des  Rues,  où  les  Maifons 
ctofent  ruinées.  'Les  Ennemis,  desefpéranc  de  fe  foutenir  dans  ce  Porte, 
Icmbloient  avoir  remis  leur  défenle  aux  fenêtres  &  aux  terraffes.  Mais  les 
Efpagnols  n'employèrent  ce  premier  jour  qu'à  faire  des  logcmens,  &  à  fe 
retrancher  dans  les  ruines  des  Maifons,  avec  le  foin  d'établir  leur  fClreté 
par  des  Sentinelles  &  des  Corps  avancés  (m). 

Cette  conduite  jetta  les  Mexiquains  dans  la  confternation.     Elle  rom- 
poit  les  mefures  qu'ils  avoient  prifes  pour  charger  l'Ennemi  dans  fii  retrai- 
te; &  la  naiflance  d'un  mal  imprévu  leur  fit  mettre  beaucoup  de  précipi- 
tation dans  les  remèdes.  Tous  les  Caciques  s'afl'emblèrent  au  Palais  Impérial. 
Ils  fupplièrent  Guatimozin  de  fe  retirer  plus  loin  du  péril.  Les  uns,  ne  pen- 
fant  qu'à  la  fureté  de  leur  Maître,  demandoient  qu'il  abandonnât  la  Ville. 
D'autres  vouloient  fortifier  fon  Palais;  &  quelques  uns  propofèrent  de  dé- 
loger les  Efpagnols ,  des  Portes ,  dont  ils  s'étoient  faifis.     Guatimozin  em- 
brafla  le  plus  généreux  de  ces  trois  partis,  &  prit  la  réfolution  de  mourir 
au  milieu  de  fes  Sujets.     Il  donna  ordre  que  toutes  les  Troupes  de  la  Ville 
fuflent  prêtes,    le  lendemain,  à  fondre  fur  les  Ennemis.     Elles  s'avan- 
cèrent, à  la  pointe  du  jour,  vers  les  trois  Quartiers  Efpagnols,  où  l'on 
étoit  déjà  informé  de  leur  mouvement.     L'Artillerie  &  les  Arquebufes ,  qui 
avoient  été  difpofées  fur  toutes  les  avenues,  en  abbattirent  un  fi  grand 
nombre,  que  tous  les  autres,  perdant  l'efpoir  d'exécuter  l'ordre  de  leur 
Maître ,  ne  penfèrent  qu'à  fe  retirer.     Leur  retraite  laifTa  tant  de  champ 
libre  aux  Efpagnols,  qu'ils  s'avancèrent  l'épée  à  la  main;  &,  fans  autre  fa- 
tigue que  celle  de  pouflTer  des  Ennemis  qui  ne  ceflbient  pas  de  reculer,  ils 
fe  logèrent  plus  avantageufement  pour  la  nuit  fuivante. 

D'autres  difficultés  les  attendoient.  Ils  fe  virent  obligés  d'avancer  pas 
à  pas,  en  ruinant  les  Maifons,  &  de  combler  une  infinité  de  tranchées, 
que  les  Ennemis  avoient  tirées  au  travers  des  rues.  L'ardeur  du  travail  a- 
brégea  le  tems.  Dans  l'efpace  de  quatre  jours ,  les  trois  Commandans  fe 
trouvèrent  à  la  vue  du  Tlateculo,  par  difi'érens  chemins,  dont  cette  Place 
étoit  comme  le  centre.  La  Divifion  d'Alvarado  fut  la  première  qui  s'y  éta- 
blit, après  avoir  chaiïé  quelques  Bataillons,  que  les  Ennemis  y  avoient  raf- 
femiîlés.  On  découvroit,  à  peu  de  diftance ,  un  grand  Temple,  dont  les 
Tours  &  les  Dégrés  étoient  occupés  par  une  foule  de  Mexiquains.  Alva- 
rado ,  ne  voulant  rien  laiffer  derrière  foi ,  fit  avancer  quelques  Compa- 
gnies, qui  nettoyèrent  facilement  ce  Porte,  tandis  qu'il  mit  le  refte  de  fes 
Troupes  en  Bataille,  dans  la  Place,  pour  y  faire  un  logement.  La  précau- 
tion ,  qu'il  eut  en  même  tems ,  d'ordonner  qu'on  fît  de  la  fumée  au  fom- 
met  du  Temple,  ne  fervit  pas  moins  à  guider  la  marche  des  autres  Capitai- 
nes, qu'à  faire  connoître  la  diligence  &  le  fuccès  de  la  lienne.  Bientôt  la 
Divifion  d'Olid,  commandée  par  Cortez  même,  arriva  au  même  lieu;  & 
la  foule  des  Mexiquains,  qui  fuyoient  devant  elle,  venant  fe  jetter  dans 
le  Bataillon  d'Alvarado,  y  fut  reçue  à  coups  de  piques  <Sc  d'épées,  qui  en 

firent 

(m)  Solis,  Liv.  5.  Cbap.  24. 

Hhh  2 


Kern AND 

C  O  R  T  E  ?, 

1521. 


Confufioii 
clans  le  Con- 
fcil  de  l'Em- 
pereur. 


Vaine  atta- 
que  des  Me- 
xiquains. 


Les  Efpa- 
gnols avan- 
cent jufqu'au 
centre  de  Me- 
xico. 


C;irnn!^e 
dos  Mexi- 
quains. 


k  I 


11 


FiRNANU 
CORTBZ. 

I52I. 


Les  Indiens 
alliés  veulent 
manger  leurs 
corps. 


Humanité 
de  Cortez. 


Il  ofFre  en- 
<lore  la  paix. 


Situation 
«lu  Quartier 
de  rempc- 
leur. 


Trêve  de 
trois  jours. 
Evéneincns 

3u'elle  pra- 
aie 


428        P    R    E    M    I    E    11    S      V    O    Y    A    G    E    S 

firent  périr  un  grand  nombre.  Ceux  qui  fuyoicnt  devant  Sandoval  eurent 
le  même  fort,  &  la  Divillon  de  ce  Cominandant  ne  îarda  point  à  joindre 
les  deux  autres  (n).  Alors  tous  les  Enn  mis,  qui  occopoient  les  autres 
Places  &  les  Rues  de  communication ,  ne  doutèrent  point  que  le  dcflcin  des 
Efpagnols,  dont  ils  voyoient  les  forces  réunies,  ne  fût  d'attaquer  l'Empe- 
reur dans  fon  Palais.  Ils  s'emprellerent  de  courir  à  fadéfcnf^;  &  cette 
perfuafion  donn;i  letems,  au  Général,  d'établir  avancagcufement  tous  fes 
Portes.  *On  employa  quelques  Compagnies  des  Alliés  à  jetter  les  JVIorts 
dans  les  plus  grands  Canaux  ;  mais  il  fallut  mettre  des  Commandans  Efpa- 
gnols à  leur  tête,  pour  les  empêcher  de  fe  dérobbcr  avec  leur  charge,  & 
d'- ri  faire  ces  abominables  feftms,  qui  étoient  la  dernière  Fête  de  leurs  vic- 
toires (0).  Cortez  envoya  ordre,  aux  Officiers  des  Brigantins  &  des  Ca- 
nots, de  courir  inceflamment  d'une  Digue  à  l'autre,  &  de  lui  donner  avis 
de  tous  les  mouvemens  des  Afliégés.  Il  diftribua  fes  Troupes  avec  tant 
d'intelligence,  qu'à  la  faveur  de  cette  difpofition,  il  leur  promit  le  repos 
dont  elles  avoient  befoin  pour  la  nuit.  En  effet,  il  ne  fut  troublé  que  par 
les  fupplications  de  plulieurs  Troupes  d'Habitans,  demi-morts  de  faim,  qui 
s'approchoient  fans  armes,  pour  deman:ler  des  vivres,  en  oflrant  de  ven- 
dre leur  liberté  à  ce  prix.  Quoiqu'il  y  eût  beaucoup  d'apparence  qu'ils  a- 
voient  été  chaffés  des  autres  Quartiers,  comme  des  bouches  inutiles,  ils 
firent  tant  de  pitié  à  Cortez,  qu'il  leur  fournit  quelques  rafraîchi flemens, 
poar  leur  donner  la  force  d'aller  chercher  leur  fubfiflance  hors  des  murs  (/»). 
Le  jour  fuivantfit  découvrir  un  grand  nombre  de Mexiquains armés, dans 
les  rues  dont  ils  étoient  encore  en  pofleflion  ;  mais  ils  n'y  étoient  que  pour 
couvrir  divers  ouvrages,  par  lefquels  ils  vouloient  fortifier  leur  dernière  re- 
traite. Cortez,  ne  leur  voyant  aucune  difpofition  à  l'attaquer,  fufpendic 
aufli  la  réfolution  de  marcher  à  l'afl^aut.  Il  fe  flatta  même  de  leur  faire  goû- 
ter de  nouvelles  propofitions,  dans  une  extrémité  qui  devoit  leur  donner 
d'autant  plus  de  confiance  pour  fes  oifres ,  qu'elles  pouvoient  leur  faire  con- 
noître  que  fon  intention  n'étoit  pas  de  profiter  de  fes  avantages  pour  les 
détruire.  Il  chargea  de  cette  Commiflion  trois  Prifonniers  d'un  nom  con- 
nu; &  vers  le  milieu  du  jour,  il  en  conçut  quelque  efpérance  ,  lorfqu'il 
vit  difparoître  les  Troupes  qui  gardoient  les  Rues. 

Le  Quartier,  où  Guatimozin  s'étoit  retiré  avec  fa  Nobleffe  &  fes  plus 
fidèles  Soldats,  formoit  un  angle  fort  fpacieux,  dont  la  plus  grande  partie 
étoit  entourée  des  eaux  du  Lac.  L'autre,  peu  éloignée  du  Tlateluco,- a- 
voit  été  fortifiée  d'une  circonvallation  de  groifes  planches ,  garnies  de  faf- 
cines  &  de  pieux,  &  d'un  profond  fofle,  qui  coupoit  toutes  les  Rues  voi- 
fmes.  Cortez,  ayant  pafle  la  nuit  fuivante  aufli  tranquillement  que  la  pre- 
mière, s'avança  le  lendemain  dans  les  Rues  que  les  Ennemis  avoient  abaa- 
données.  Toute  la  ligne  de  leurs  fortifications  étoit  couronnée  d'une  mul- 
titude innombrable  de  Soldats,  mais  avec  quelques  marques  de  paix,  qui 

coa- 


Cn)  Ibid.  page  538  &  précédentes. 
(0)  Les  Hirtoriens  remarquent  qu'on  ne 
put  arrêter  tout-û-fait  le  mal,  &  qu'on  dilU' 


mula  ce  qu'il  fut  impoflîlile  d'empâdier. 
{p)  Soiis,  ubij'up-à,  page  539.. 


EN      A    M    E    R    I    Q    U    K,   Li  V.    r.      '        42g 

coiifilloient  dans  le  filence  de  leurs  inflrumcns  militaires,  &dans  l'intcrrup- 
lion  de  leurs  cris.  11  s'approcha  deux  fois  à  la  portée  des  flèches ,  après 
avoir  donne  ordre,  aux  Efpagnols  qui  le  fuivoient,  de  ne  faire  aucun  mou- 
vemenc  d'attaque.  Les  Mcxiquains  baifl'èrent  leurs  armes;  &  ce  repos, 
qui  fut  accompagné  du  même  filence,  nc»/f.ji  lailla  aucun  doiire  qucfes  ou- 

"  -  ■' -^ ''^-^ttribuer ,  ne  fullent  agréables 

tVorts,  pour  cacher  ce  qu'ils 

-e  qu'ils  ne  manquoient  ni  de 

er  publiquement,  fur  leurs 

qui  tendoient  les  bras,  de 

e  feeours.     Pendant  trois 

plufieurs  de  leurs  Capi- 

les  plus  braves  Efpagnols. 


I'brnanb 
Coûtez. 

1521. 


verturcs  de  paix ,  auxquelles  il  crut  dcvc 

à  toute  la  Nation.     Il  remarqua  autfi  lei. 

fouffioient  de  la  faim,  &  pour  faire  co* 

vivres,  ni  de  réfolution.   Ils  aifetiiloient  dti 

terrafles,  &  de  jetter  leurs  reftes  aux  Habr 

l'autre  côté  du  fofle,  pour  recevoir  ce 

jours,  oui  fe  palîerent  dans  cette  efpèce  dei 

taines  fortirent  de  l'enceinte  &  vinrent  d( 

Leurs  inftances  duroient  peu  ;  &  la  plupart  lenutoient  de  repafler  le  foflfé , 

lorfqu'on  fe  difpofoit  à  leur  répondre.     Mais  ils  fe  retiroient  aufli  contens 

de  leur  bravade,  qu'ils  l'auroient  été  de  la  viftoire  (q}. 

Dans  cet  intervalle,  le  Confeil  de  l'Empereur  n'avoit  pas  ceite  de  déli- 
bérer iur  les  propofitions  de  Cortez ,  &  la  plupart  des  Caciques  avoient 
marqué  du  penchant  pour  la  Paix.  Elle  n'avoit  trouvé  d'oppofition  que  de 
la  part  des  Sacrificateurs,  qui  croyoient  leur  ruine  attachée  à  l'alliance  des 
Efpagnols.  L'adrelFe ,  avec  laquelle  ils  fçurenc  mêler  les  promefles  &  les 
menaces  de  leurs  Dieux,  fit  prévaloir  enfin  le  parti  de  la  Guerre;  &  l'Em- 
pereur déclara  que  fon  refpeél  pour  la  Religion  l'obligeoit  de  fe  rendre  à 
leur  avis:  mais,  avant  que  de  rompre  la  trêve,  il  ordonna  qu'une  partie 
ci  la  Noblefle,  avec  tous  les  Canots  qu'il  avoit  autour  de  lui,  fe  rendiflent 
dans  une  efpèce  de  Port  que  le  Lac  formoit  derrière  fon  Palais.  C'étoit  une 
reflburce  qu'il  ménageoit  pour  fa  retraite ,  fi  la  fortune  l'abandonnoit  dans 
fes  derniers  efforts.  Cet  ordre  fut  exécuté  avec  tant  de  bruit  &  de  confu- 
fion ,  que  les  Capitaines  des  Brigantins  s'apperçurent  aufli  -  tôt  du  mouve- 
ment qui  fe  faifoit  fur  la  Digue.  lis  en  informèrent  le  Général ,  qui  péné- 
tra facilement  l'objet  de  ces  nouvelles  mefures.    Il  dépécha  fur  le  champ 

San*- 


Défis  & 
combats  jiai- 
ticuHcvs. 

Lc3  Sacrifi- 
cateurs por- 
tent 1  Knipc- 
rcur  ù  la  guer- 
re. 


(  5  )  Il  y  eut  néanmoins  quelques  combats 
particuliers,  qui  ne  tournèrent  point  à  leur 
ronneur.    Diaz  raconte  qu'un  de  ces  Avan- 
wriers ,  armé  de  Tépée  &  du  bouclier  de  quel- 
que Efpagnbl  qui  avoit  été  facrifié ,  s'appro- 
cha fort  hardiment  du  Quartier  de  Cortez,  & 
répéta  plufleurs  fois  fon  défi  avec  beaucoup 
d'arrogance.     Plufieurs  Efpagnols  oflfrirent 
de  fe  mefurer  avec  lui.    Cortez  les  arrêta  ; 
&  dans  fon  indignation ,  il  lui  fit  dire ,  par 
un  Interprète,  que  s'il  vouloir  fe  faire  ac- 
compagner dfc  dix  autres  Mexiquains,  on  per- 
mettroit  qu'un  jeune   Efpagnol  ,    qu'on  lui 
montra,   les  combattît  tous  enfemble.     Ce 
jeune  Homme,  âgé  de  feize  ou  dix-fept  ans, 
étoit  un  Page  de  Cortez ,  &  fe  nommoit  Jean 
Nugnez  de  Marcado,    Le  Mcxiquain  parut 


Hhh 


Irrité  d'un  lailgage  fi  méprifànt ,   &  recom- 
mença fes  bravades   avec   plus  d'infolcnce. 
Alors ,  Marcado ,  qui  crut  que  ce  combat  le 
regardoit,  depuis  que  fon  Général  l'avoitdé- 
figné ,  fe  dérobba  fi  légèrement  qu'on  ne  put 
le  retenir.    Il  paffa  de  même  ie  foflTé  qui  bor- 
doit  le  Quartier;  &  chargeant  le  Mcxiquain, 
avec  autant  de  force  que  de  courage,  il  le 
perça  d'un  coup  qui  le  fit  tomber  mort  à  fes 
pieds.    Cette  aftion ,  qui  eut  pour  témoins 
quantité  d  Ennemis  &  d'Efpagtiols ,  lui  atti- 
ra les  applaudi ficmcns  des  deux  Partis.     Il 
revint  aux  pieds  de  fon  Maître ,  avec  l'épée 
&  le  bouclier  du  V^aincu.    Cortez,  charmé 
de  fa  valeur ,  l'embrafTa  plufieurs  fois ,  &  lui 
ceignit  de  fa  main  l'épée  qu'il  avoit  gagné  fi- 
noblement. 


IMAGE  EVALUATION 
TEST  TARGET  (MT-3) 


1.0 


l.l 


11.25 


■££12,8  |2^ 
^  ^  122 
£   U£    12.0 


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Photographie 

Scàenœs 

Corporation 


23  WEST  MAIN  STMET 

WEBSTER,  N.Y.  MStO 

(716)872-4503 


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O^ 


430 


PREMIERS      VOYAGES 


•F  E  R  N  A  N  D 
C  O  R  T  E  Z. 

I  5  2  !• 


N(5goci;i- 
tion  <iui  fc 
forme  au  mi- 
lieu dis  ar- 
mes. 


L'Empe- 
reur trompe 
les  Efpagnols. 


Sandoval,  avec  la  qualité  de  Capitaine  Général  des  Brigantins,  &  la  com- 
milHon  exprefle  d'affiéger  le  Port  avant  la  fin  du  jour.  Enfuite,  ayant  dif- 
pofé  fes  l'roupes  au  Combat,  il  s'approcha  des  Fortifications,  pour  hâter 
la  conclufion  de  la  Paix,  par  les  menaces  d'une  fanglante  Guerre. 

Les  Mexiquains  avoient  déjà  .reçu  l'ordre  de  fe  mettre  en  défenfe ,  & 
leurs  cris  annoncèrent  la  rupture  du  Traité.  Ils  fe  préparèrent  au  Combat 
avec  beaucoup  de  réfolution  ;  mais ,  les  premiers  coups  de  canon  leur  ayant 
fait  connoître  la  foibleffe  de  leurs  remparts ,  ils  ne  virent  plus  que  le  péril 
dont  ils  étoient  menacés.  On  ne  fut  pas  long-tems  fans  voir  paroître  quel- 
ques Drapeaux  blancs,  &  fans  entendre  répéter,  en  Elpagnol,  le  nom  de 
Paix,  quils  avoient  appris  à  prononcer.  Cortez  leur  fit  déclarer,  par  fes 
Interprètes ,  qu'il  étoit  tems  encore  de  prévenir  feffufion  du  fang ,  &  qu'il 
écouteroic  volontiers  leurs  propofitions.  Après  cette  afllirance ,  quatre  Mi- 
niftres  de  l'Empereur  fe  préfentèrent  fur  le  bord  du  foffé ,  en  habits  qui 
répondoient  à  leur  office.  Ils  faluèrent  les  Efpagnols ,  avec  de  profondes 
humiliations,'  &  s'adreflanc  au  Général,  qui  s'avança  aufli  fur  le  boid  op- 
pofé,  ils  lui  dirent  que  le  puiflant  Guatlmozin , •  leur  Empereur,  fenfible 
aux  mifères  de fon  Peuple,  les  avoit  nommés  pour  traiter  Be  bonne  foi; 
qu'il  fouhaitoit  la  fin  d'une  Guerre  également  funefle  aux  deux  Partis ,  & 
qu'il  n'attendoit,  que  les  explications  du  Général  Efpagnol  pour  hii  envoyer 
les  fiennes.  Cortez  répondit  que  la  Paix  étoit  l'unique  but  de  fes  armes ,  & 
que  malgré  le  pouvoir  qu'il  avoit  d'employer  la  force  contre  ceux  qui  tar- 
doient  fi  long-tems  à  connoître  la  raifon,  il  revenoit  volontiers  au  Traité 
qu'on  avoit  rompu;  mais  que  pour  abréger  les  difficultés,  il  lui  paroiffoic 
néceffaire  que  l'Empereur  le  lailfât  voir ,  accompagné ,  s'il  le  deliroit,de  fes 
Minidres  &  de  fon  Confeil;  que  les  Efpagnols  accepteroient  toutes  les  con- 
ciliations qui  ne  bleiferoient  point  l'autorité  du  Roi  leur  Maître  ;  &  qu'ils 
engageoient  leur  parole,  non-feulement  de  finir  les  hoftilirés,  mais  d'em- 
ployer toutes  leurs  forces  au  fervice  de  l'Empereur  du  Mexique.  Les  En- 
voyés fe  retirèrent  avec  toutes  les  apparences  d'une  vive  fatisfaftion  ;  & 
Cortez  fe  hâta  d'envoyer  ordre  à  Sandoval ,  de  fufpendre  l'attaque  du  Port. 
Un  quart  d'heure  après ,  les  mêmes  Officiers  reparurent  au  bord  du  foifé , 
pour  affurer  le  Général  que  l'Empereur  viendroit  le  lendemain  avec  fes  prin- 
cipaux Miniftres;  &  qu'ayant  la  Paix  fort  à  cœur,  il  ne  fe  retireroit  point 
fans  l'avoir  conclue  (r). 

CfPENDANT  il  ne  penfoit  qu'à  faire  traîner  la  négociation  en  longueur, 
pour  fe  donner  le  tems  d'embarquer  fes  richeffes  &  d'affurer  fa  retraite. 
Ses  Envoyés  revinrent  à  l'heure  qu'ils  avoient  marquée  ;  mais  ce  fut  pour 
donner  avis  qu'un  accident,  furvenu  à  l'Empereur,  ne  lui  permettoit  de" 
fortir  que  le  jour  d'après.  Enl'uite  l'entrevue  fut  remife,  fous  prétexte 
d'ajuftçr  quelques  préliminaires  de  bienféance,  &  d'autres  formalités.  Qua- 
tre jours  fe  paflerent  en  vaines  cérémonies  :  &  l'Hiflorien  le  plus  déclaré 
pour  Cortez  convient ,  qu'après  tant  d'expériences  de  la  perfidie  des  Mexi- 
quains ,  il  fe  défia  trop  tard  de  leurs  artifices.    Le  fond  qu'il  faifoit  fur  un 

en- 

ir)  SoUs,  Liv,5.  pages  $^6  (^précédentes,  '      '     '    ''      ' 


'f  4 


vî  E    ISr      A    M    E    R    I    Q    U    E,  Liv.  r. 


431 


engagement,  auquel  il  croyoit  Guatimozin  forcé  par  fa  fituation ,  lui  avoit 
fait  prendre  des  mefures  pour  le  recevoir  avec  éclat  ;  &  ce  foin  paroît  l'a- 
voir occupé  tout  entier.  Aufli  n'appric-il  ce  qui  fe  paflbit  fur  le  Lac,  qu'a- 
vec un  tranfport  de  colère,  &  des  menaces,  par  lefquelles  il  s'eiforça,  fu^ 
vant  Solis,  de  déguifer  fa  confufion. 

Le  matin  du  jour  marqué  pour  la  conclufion  du  Traité,  Sandoval  recon- 
nut qu'un  grand  nombre  de  Mexiquains  s'erabarquoient  à  la  hâte,  fur  les 
Canots  qu'ils  avoient  reffemblés  dans  leur  Port.  Il  en  fit  avertir  auffi-tôt  le 
Général;  tandis  qu'aflemblant  fes  Brigantins ,  qui  étoient  difperfés  en  dif- 
férens  Polies ,  il  leur  recommanda  de  fe  tenir  prêts  à  tout  événement. 
Bientôt  les  Canots  ennemis  fe  mirent  à  la  rame.  Jls  portoient  la  Noblefle 
Mexiquaine  &  les  principaux  Chefs  des  Troupes  de  l'Empire ,  qui  s'étoient 
déterminés  à  combattre  les  Brigantins  ,  pour  favorifer,  au  prix  de  leur 
fang ,  la  fuite  de  l'Empereur.  Leur  delîein ,  après  le  fuccé»  de  cette  di- 
verfion,  étoit  de  fe  difperfer  par  autant  de  routes  qu'ils  avoient  de  Ca- 
nots, &  d'attendre  le  tems  de  la  nuit  pour  le  fuivre.  Ils  exécutèrent  leur 
entreprife  en  voguant  droit  aux  Brigantins,  &  les  attaquèrent  avec  tant  de 
furie,  que  fans  paroître  eflPrayés  du  premier  fracas  de  l'Artillerie,  ils  s'a- 
vancèrent jufqu'à  la  portée  de  la  pique  &  du  fabre.  Pendant  qu'ils  com- 
battoient  avec  cet  emportement,  Sandoval  obferva  que  fix  ou  fept  grandes 
Barques  s'éloignoient  a  force  de  rames.  Il  donna  ordre  à  Garcie  Holguin, 
qui  commandoit  le  Brigantin  le  plus  léger,  de  les  fuivre  avec  toute  la  dili- 
gence des  rames  &  des  voiles,  &  de  les  attaquer  à  toutes  fortes  de  rifques, 
mais  moins  pour  les  endommager  que  pour  les  prendre.  Holguin  les  poufla 
fi  vigoureufement, qu'ayant  bientôt  aflez  d'avantage  pour  tourner  la  proue, 
il  tomba  fur  la  première,  qui  paroiiFoit  commander  toutes  les  autres.  El* 
les  s'arrêtèrent  comme  de  concert.  Les  Matelots  Mexiquains  hauHerent 
leurs  rames;  &  ceux  de  la  première  Barque  pouffèrent  des  cris  confus, 
dans  lefquels  plufieurs  Efpagnols ,  qui  commençoient  à  favoir  quelques 
mots  Mexiquains,  crurent  démêler  qu'ils  demandoient  du  refpeft  pour  la 
Ferfonne  de  l'Empereur.  Leurs  Soldats  baiifèrent  les  armes;  &  cette  fou- 
miffîon  fervit  encore  mieux  à  les  faire  entendre.  Holguin  défendit  de 
faire  feu:  mais  abordant  la  Barque,  il  s'y  jetta,  l'épée  à  la  main,  avec  quel- 
ques Efpagnols. 

Guatimozin,  qui  étoit  effeftivement  à  bord,  s'avança  le  premier;  & 
reconnoiffant  le  Capitaine  à  la  déférence  qu'on  avoit  pour  lui ,  il  lui  dit , 
d'un  air  affes^ noble,  qu'il  étoit  fon  Prifonnier,  &  difpofé  à  le  fuivre  fans 
réfiftance ,  mais  qu'il  le  prioit  de  refpeâer  l'Impératrice  &  les  Fem- 
mes de  fa  fuite.  Il  exhorta  cette  Princefle  à  la  confiance ,  par  quel- 
ques mots  qui  ne  furent  point  entendus.  Enfuite ,  il  lui  donna  la  main 
pour  monter  dans  le  Brigantin;  &  s'appercevant  qu'HoIguin  regardoit 
les  autres  Barques  avec  quelque  embarras,  il  lui  dit;  „  k)yez  fans  in- 
„  quiétude:  tous  mes  Sujets  viendront  mourir  aux  pieds  de  leur  Prince". 
En  effet,  au  premier  ligne  qu'il  leur  fit,  ils  laiflerent  tomber  leurs  armes; 
&  fe  reconnoiffant  Prifonniers  par  devoir,  ils  fuivirent  tranquillement  le 
Brigantin* 

San-" 


C  0  R  T  E  Z. 
1521. 


II  prend  la 
fuite. 


lléfolution 
dcCiiNobldla 
pour  le  faii- 
ver. 


Il  eft  pris 
par  Garcie 
Holguin. 


Sa  fermeté. 


"432 


PREMIERS      VOYAGES 


Ternand 
.C  o  R  T  e  z. 

1521- 

l.a  guerre 
cefTc  aulli-tôt. 


Cortez  va 
au-devant 
de  l'Einpe- 
reiu:. 


Circondan- 
ces  de  leur 
entrevue. 


Sandoval  continuoit  de  combattre,  &  s'appercevoit ,  à  la  réfiftance 
des  Caciques,  qu'ils  étoient  réfolus  de  Tarréter,  aux  dépens  de  leur  vie. 
Cependant  leur  valeur  parut  les  abandonner,  auflî-tôt  qu'ils  fe  crurent  cer- 
Ains  de  la  captivité  de  l'Empereur.  Ils  palfèrent,  en  un  inftant,  de  la  fur- 
prife  au  desefpoir  ;  &  les  cris  de  Guerre  fe  changèrent  en  gémiflemens  la- 
mentables. Non-feulement  ils  prirent  le  p?rti  de  fe  rendre,  mais  la  plû< 
part  s'empreflerent  de  pafîer  furies  Brigantins,  pour  fuivre  la  fortune  de 
Jeur  Maître.  Holguin,  qui  avoit  dépêché  d'abord  un  Canot  à  Cortez,  paffa 
dans  ce  moment  à  la  v^e  de  Sandoval;  &  voulant  conferver  l'honneur  de 
conduire  fon  Prifonnier  au  Général,  il  évita  de  s'approcher  des  Brigantins, 
dans  la  crainte  d'être  arrêté  par  un  ordre  auquel  il  n'auroit  pas  obéi  volon- 
tiers. Il  trouva  l'attaque  des  tranchées  commencée  dans  la  Ville,  &  les 
Mexiquains  employés  de  toutes  parts  à  les  défendre.  Mais  l'infortune  de 
l'Empereur,  qu'ils  apprirent  bientôt  de  leurs  Sentinelles,  leur  fît  tomber 
les  armes  des  mains.  Ilsfe  retirèrent,  avec  un  trouble,  dont  Cortez  ne 
pénétra  pas  tout-d'un-coup  la  caufe,  &  qui  ne  fut  éclairci  qu'à  l'arrivée  du 
Canot  d'Holguin.  Dans  le  premier  mouvement  de  fa  joye  ,  Solis  lui  fait 
lever  les  yeux  vers  le  Ciel ,  comme  à  la  fource  de  tous  les  fuccès  humains. 
Son  premier  foin  fut  d'arrêter  l'ardeur  de  fes  Troupes ,  qui  commençoient 
k  traverfer  le  fofle.  Enfuite,  ayant  envoyé  deux  Compagnies  d'EfpagnoIs 
.au  bord  du  Lac ,  pour  y  prendre  Guatimozin  fous  leur  garde ,  il  s'avança 
lui-même  après  eux,  dans  le  feul  deflein  de  lui  faire  honneur,  en  allant  le 
recevoir  affez  loin  (s). 

Il  lui  rendit,  en  effet,  ce  qu'il  crut  devoir  à  la  Majeflé  Impériale;  & 
Guatimozin  parut  fenQble  à  cette  attention  du  Vainqueur.  Lorfqu'ils  fu- 
rent arrivés  au  Quartier  des  Efpagnols,  toute  la  fuite  de  ce  Monarque  s'ar- 
rêta d'un  air  humilié.  Il  entra  le  premier,  avec  l'Impératrice.  Il  s'affit 
un  ihflant;  mais  il  fe  leva  prefqu'aufTi-tôt,  pour  faire  affeoir  aufTi  le  Géné- 
ral. Alors  ,  demandant  les  Interprêtes,  il  leur  ordonna,  d'un  vifage  affez 
ferme,  de  dire  à  Cortez  „  <Ju'il  s'étonnoit  de  le  voir  tarder  fi  long-tems  à 
„  lui  ôter  la  vie  ;  qu'un  Prilbnnier  de  fa  forte  ne  caufoit  que  de  l'embar- 
„  ras  après  la  Viéloire,  &  qu'il  lui  confeilloit  d'employer  le  poignard  qu'il 
„  portoit  au  côté ,  pour  le  tuer  de  fa  propre  main".  Mais,  en  achevant 
ce  difcours ,  la  confiance  lui  manqua ,  &  fes  larmes  en  étouffèrent  les  der- 
niers mots.  L'Impératrice  laifTa  couler  les  fiennes  avec  moins  de  réferve. 
Cortez,  attendri  lui-même  de  ce  trifle  fpeftacle,  leur  lailTa  quelques  mo- 
mens  pour  foulager  leur  douleur,  &  répondit  enfin  „  que  l'Empereur  du 
„  Mexique  n'étoit  pas  tombé  dans  une  difgrace  indigne  de  lui;  qu'il 
„  n'étoit  pas  le  Prifonnier  d'un  Cimpls  Capitaine,  mais  celui  d'un  Prin- 
„  ce  fi  puiffant,  qu'il  ne  reconnoifToit  point  de  Supérieur  au  Monde, 
„  &  fi  bon ,  que  le  grand  Guatimozin  pouvoit  efpérer ,  de  fa  clemen- 
„  ce,  non  -  feulement  la  liberté,  mais  encore  la  paifible  pofTefîion  de 
„, l'Empire   Mexiquain  ,  augmenté  du  glorieux  titre  de  fbn  amitié;  & 

qu'en  attendant  les  ordres  de  la  Cour  d'Efpagne,  il  ne  trouveroit 

point 

{  0  Solis,  Liv.  ^.  pages  554  ^  précédentes i  Herrera,  Dec,  3.  Liv, 


î» 


I. 


'fi/;. 


^       ENAMERIQU    E,  Liv.  I.  433 

„  point  de  différence  entre  la  foumiffion  des  Efpagnols  &  celle  de  Tes 
„  propres  Sujets". 

GuATiMoziN  étoit  âgé  d'environ  vingt-quatre  ans.  Sa  taille  étoit  haute 
&  bien  proportionée.  Il  avoit  le  teint  d'une  blancheur ,  qui  le  faifoit  pa- 
roître  Etranger  au  milieu  des  Indiens.  Mais  quoique  Tes  traits  n'euflent 
rien  de  desagréable,  une  majeftueufe  fierté,  q[u'il  afFeftoit  de  conferver 
dans  fon  malheur,  fembloit  plus  propre  à  lui  attirer  du  refpeft  que  de  l'af- 
feàion  ou  de  la  pitié.  L'Impératrice  étoit  àpeu-près  du  même  âge.  Elle 
intéreflbit  d'abord  par  la  grâce  &  la  vivacité  de  Tes  manières  ;  mais  fon 
vifage  n'avoit  qu'un  premier  air  de  beauté ,  qu'il  ne  foutenoit  pas ,  & 
qui  laiflbit  découvrir  de  la  rudefle  dans  fcs  traits.  Elle  étoit  Nièce  de 
Motezuma  ;  &  Cortez  ne  l'eut  pas  plutôt  appris  ,  que  lui  renouvellant 
fes  offres  de  fervice,  il  déclara  hautement  que  tous  les  Efpagnols  dé- 
voient refpeéler,  dans  cette  Princeffe ,  la  mémoire  &  les  bienfaits  de  fon 
Oncle  (0- 

On  vint  l'avertir  que  fans  continuer  le  Combat  les  Mexiquains  fe  mon- 
troient  encore  fur  leurs  remparts,  &  qu'on  avoit  peine  à  retenir  l'empor- 
tement des  Alliés.  Il  mit  fes  Prifonniers  entre  les  mains  de  Sandoval  :  &. 
îans  s'expliquer  avec  eux,  il  fe  difpofoit  à  partir,  pour  achever  lui-même 
de  foumettre  la  Ville  ;  lorfque  l'Empereur ,  pénétrant  la  raifon  qui  l'obli- 
geoit  de  fe  retirer,  le  conjura  fort  ardemment  de  ménager  le  fang  de  fes 
Sujets.  Il  parut  même  étonné  qu'ils  n'euffent  pas  quitté  les  armes  après 
avoir  fçû  qu'il  étoit  au  pouvoir  des  Efpagnols;  &  reprenant  toute  fa  li- 
berté d'efprit,  il  propofa  d'envoyer  un  Miniftre^e  l'Empire,  par  lequel  il 
promit  de  faire  déclarer ,  aux  Soldats  &  au  Peuple ,  qu'ils  ne  dévoient  point 
irriter  les  Efpagnols ,  qui  étoient  maîtres  de  fa  vie ,  &  qu'il  leur  ordonnoit 
de  fe  conformer  à  la  volonté  des  Dieux ,  en  obéiffant  au  Général  étranger. 
Cortez  accepta  cette  offre;  &  le  Miniflre  n'eut  befoin  que  de  paroître, 
pour  les  difpofer  à  la  foumiffion.  Ils  exécutèrent  aufli  promptement  l'ordre 
qu'ils  reçurent,  de  fortir  fans  armes  &  fans  bagage;  &  le  nombre  de  Trou- 
pes, qui  leur  refloit  après  tant  de  pertes  (v),  caufa  beaucoup  de  furprife 
aux  Efpagnols.  Cortez  défendit ,  fous  les  plus  rigoureufes  peines ,  qu'on 
leur  fît  la  moindre  infulte  dans  leur  marche;  &  fes  ordres  étoient  fi  refpec- 
tés,  qu'on  n'entendit  pas  un  mot  injurieux  de  la  part  de  tant  d'Alliés,  q^i 
avoientles  Mexiquains  en  horreur  (x). 

Toute  l'Armée  entra,  fous  fes  Chefs,  dans  cette  partie  de  la  Ville,  & 
n'^r  trouva  que  des  objets  funefl:es;  des  Bleffés  &  des  Malades,  qui  deman- 
doient  la  mort  en  grâce ,  &  qui  accufoient  la  pitié  des  Vainqueurs.  Mais 
rien  ne  parut  plus  effroyable,  aux  Efpagnols,  qu'un  grand  nombre  de  Cours 
&  de  Maifons  défertes ,  où  l'on  avoit  entaffé  les  cadavres  des  Morts ,  pour 
célébrer  leurs  funérailles  dans  un  autre  tems  (y).    Il  en  fortoit  une  in- 

fe6tionj 


Ferna  yn- 
Cortex. 

152  I. 

Portrait  Je 
Guatimo/iii 
&  de  rimi'é- 
ratricc. 


Trnnquilli- 
té  qui  renaît 
dans  Mexico. 


Trifle  état 
de  cette  Vil- 
le. 


(t)  SoRs,  page  555.  Quelques  Relations 
la  font  fa  Fille;  ce  qui  paroît  alfez {prouvé 
rians  la  fuite. 

(v  )  Soixante-dix  mille  Honunes. 

Xnil.  Part.  I 


(.V)  Ibîd.  page  557. 

(y)  Tous  les  Hiftoriens  font  monter  la 
perte  des  Mexiquains ,  dans  la  feule  Capita- 
le, à  plus  de  cent  vingt  mille  Hommes,  Cor- 
i  i  ''7- 


FCRNAND 
CORTKZ. 

152  1' 


Covtc7.  fou- 
met  facilc- 
mein  le  rcflc 
de  l'Empiri;, 
&  d'autres 
Contrtics  voi- 
fincs. 


Jaftice 
qu'on  lui 
rend  en  Efpa- 
gnoe 


434 


PREMIERS      VOYAGES 


feftion ,  qu'on  crut  capable  d'empefter  l'air  :  ce  qui  fit  prendre  à  Cortez  le 
parti  de  hâter  fa  retraite.  Il  diftribua  les  Troupes  d'Alvarado  &  de  Sando- 
val  dans  les  Quartiers  de  la  Ville,  où  la  contagion  lui  parut  moins  dangereu- 
fe  ;  &  bientôt  il  reprit  le  chemin  de  Cuyoacan ,  avec  celles  d'OIid  &  fcs 
Prifonniers. 

Telle  fut  la  fin  du  Siège  de  Mexico  (2),  &  la  Conquête  abfolue  d'un 
Empire ,  dont  toutes  les  Provinces ,  entraînées  par  l'exemple  de  la  Capitale, 
fe  réunirent  fous  la  domination  de  Cortez.  Jufqu'alors ,  il  n'avoit  connu  la 
grandeur  de  fon  entreprife,  que  par  les  difiicultés  qu'il  avoit  eues  à  fur- 
monter;  mais  la  foumilïïon  volontaire  d'un  grand  nombre  de  Provinces,  & 
la  découverte  de  quantité  d'autres  Pays,  qu'il  eut  peu  de  peine  à  réduire, 
lui  apprirent  mieux  que  jamais  l'importance  du  fervice  qu'il  avoit  eu  le  bon- 
heur de  rendre  à  fa  Patrie.  On  n'en  porta  point  un  autre  jugement  en 
Europe  ;  &  pendant  qu'il  s'employoit  à  rétablir  le  calme  parmi  tant  de 
Nations  qu'il  avoit  fubjuguées,  à  rebâtir  Mexico  &  plufieurs  autres  Villes, 
à  confirmer  Tes  Etabliilemens  pardesLoix,  en  un -mot,  à  jetter  les  fon- 
démens  de  l'ordre  qui  règne  aujourd'hui  dans  fes  Conquêtes,  &  dont 
l'Article  fuivant  contient  la  defcriptipn ,  tous  les  efforts  de  la  haine  &  de 
l'envie  («)  ne  purent  empêcher  qu'on  ne  lui  rendît  juftice,  à  la  Cour  d'Ef- 
pagne. 

L'Empereur  Charles,  libre  enfin  des  grandes  occupations  qui  Tavoient 
retenu  en  Allemagne,  crut  fa  gloire  intéreflfée  à  terminer  un  différend ,  dont 
il  fe  reprocha  d'avoir  abandonné  la  connoiffance  à  fes  Miniflres.  L'Eve- 
que  de  Burgos,  qui  s'étoit  déclaré  l'Ennemi  de  Cortez,  comme  il  l'avoit 
été  des  Colombs,  fut  éloigné  du  Confeil.  Un  Tribunal,  compofé  des  plus 
grands  Perfonnages  (è)  de  l'Efpagne,  eut  ordre  d'éclaircir  les  ténèbres 
qu'on  avoit  jettées  fur  les  droits  de  la  valeur  &  de  la  fortune.    Les  Agens 

des 


tez  n*avoit  perdu  que  cinquante  Efpagnols& 
fix.  Chevaux ,  dans  la  dernière  attaque  :  mais 
la  perte  de  fes  Alliés  fut  d'environ  huit  rail- 
le Hommes. 

(s)  On  fixe  le  jour  au  13  d'Août,  Fête 
de  Saint  Hippolyte,  qui  en  efl  devenu  JePa- 
tr<9h  de  la  Ville.  L'anniverfaire  d'un  fl  grand 
événement  s'eft  célébré  depuis  par  une  Pro- 
cefllon  folemnelle,  où  l'on  porte  la  princi- 
pale Enfeigne  de  l'Armée  viftorieufe.  Le 
Blocus  de  la  Ville  avoit  duré  trois  mois  ;  mais 
on  ne  compte  que  quatre-vingts  jours  de  Siè- 
ge, pendant  lefquels  il  y  eut  foixante  Com- 
bats fangians.  Herrera ,  Dec.  3.  Liv.  2. 
Cbap.  8.  Solis,  qui  termine  ici  fonHiftoire, 
paraît  perfuadé  que  les  Mexiquains  furent 
épargnés  après  leur  reddition  :  mais  Diaz 
&  Herrera  déclarent  nettement  que  la  Ville 
fut  abandonnée  au  pillage,  &  que  tous  les 
Alliés  de   Cortez   partirent  chargés  de  ri 


d'autres  circonftances  de  fa  Viftoire. 

(»)  Diego  deVelafquez,  Gouverneur  de 
Cuba,  tenta  encore  de  lui  ôter  le  fruit  de 
fes  travaux ,  par  une  Flotte  confiderabie  qu'il 
arma  contre  lui  fous  le  commandement  de 
Chriilophe  Tapia;  mais  elle  trouva  Cortez 
fi  bien  affermi ,  qu'elle  n'ôfa  rien  entrepren- 
dre. François  Garay  remua  auffi  du  côté  de 
Panuco,  &  fut  vaincu  dans  une  Bataille. 
D'ailleurs  i'Ëvêque  de  Burgos  &  les  £mif> 
faires  de  Velafqucz  ne  ceflbient  point  d'agir 
en  Efpagne. 

(.6)  Solis  nomme  pour  Préfident,  Mercu- 
re de  Gattinara ,  grand  Chancelier  d'Efpagne, 
&  pour  Confeillers ,  Hernand  de  Vega ,°  le 
grand  Commandeur  de  Caftille,  le  Dofteur 
Laurent  Galindez  de  Carvajal,  François  de 
Vargas  ,  Camerier  de  Sa  Majefté ,  &  le  Doc- 
teur Rofe,  Flamand  &  Miniftre  d'Etat.  Diaz 
^ ^.. &  Herrera  fe  trompent  en  y  joignant  JM.  de 

cheflès.    On  verra ,  'dans  la  Defcrfption ,  ce     la  Chaux ,  qui  étoil  moit  depuis  ua  an  A  Sf||> 

qui  lui  revint  desTïéfors  de  l'Empereur,  &    ragolTe,.  . 


EN     AMERIQUE,  Liv.  I. 


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9* 


435 

des  deux  Partis  aififlèrent  à  toutes  les  Aflemblées.  On  lut  leurs  Mémoires. 
Ils  furent  interroges;  ils  répondirent.  Enfin,  quelques  jours  de  délibéra- 
tion mirent  les  Commiflaircs  en  état  de  juger  „  que  Velafquez,  n'ayant 
point  d'autre  titre  fur  la  Nouvelle  Efpagne  que  celui  d'avoir  fait  quel- 
que dépenie  pour  cette  entreprife  &  d  avoir  nommé  Cortez,  fea-préten- 
tions  dévoient  fe  réduire  à  la  reflitution  de  ce  qu'il  y  avoit  employé , 
après  avoir  prouvé  que  ces  avances  étoient  de  fon  propre  bien ,  &  n'a- 
voient  point  été  priles  fur  les  effets  royaux ,  dont  il  avoit  la  difpofition 
dans  fon  Gouvernement;  que  la  nomination  de  Cortez  lui  donnoit  d'au- 
tant moins  de  droit  fur  la  gloire  &  le  profit  de  la  Conquête,  que  fans  la 
participation  de  l'Audience  Royale  de  l'Ille  Efpagnole,  dont  il  auroit  dd 
recevoir  les  ordres,  elle  avoit  manqué  de  force  &  d'autorité;  que  d'ail- 
leurs il  étoit  déchu  de  fon  pouvoir,  le  jour  qu'il  avoit  révoqué  Cortez; 
&  que  cette  révocation  ayant  détruit  fon  unique  Titre,  qui  confiftoit 
dans  fes  premiers  fraix,  il  avoit  laifle  à  Cortez  la  liberté  de  fuivre  fes 
propres  vues  pour  le  fervice  de  l'Efpagne ,  fur-tout  depuis  que  cet  illuftre 
Avanturier  avoit  levé ,  à  fes  dépens ,  la  plus  grande  partie  de  fes  Trou- 
pes, &  qu'il  avoit  équipé  la  Flotte  viélorieufe,  ou  de  fon  propre  fond, 
ou  de  l'argent  qu'il  avoit  emprunté  de  fes  Amis  ".  Ces  Conclufions  fu- 
rent envoyées  à  l'Empereur,  qui  ne  différa  point  à  les  approuver;  &  pat 
une  Sentence  folemnelle ,  on  impofa  un  éternel  filence  à  Diego  de  Velaf- 
quez fur  la  Conquête  de  la  Nouvelle  Efpagne,  avec  réferve  néanmoins  de 
fes  droits  pour  les  premiers  fraix  de  l'Armement.  '^11  fut  il  couché  d'une 
nouvelle  fi  funede  à  fon  ambition ,  &  d'une  Lettre  de  l'Empereur ,  qui 
condamnoit  fa  conduite ,  qu'il  ne  furvécut  pas  long-tems  à  cette  double  in- 
fortune. Garay  n'obtint  point  un  traitement  plus  favorable.  Il  fut  blâmé, 
par  le  même  Tribunal ,  d'avoir  ôfé  former  des  entreprifes  fur  la  Nouvelle 
Efpagne,  &  forcé  de  renoncer  pour  jamais  à  fes  prétentions  (c). 

Cortez,  aufli  triomphant  par  la  difgrace  de  fes  Ennemis,  que  par  les 
faveurs  dont  il  fut  comble  perfonnellement,  fe  vit  honorer,  non-feulement 
des  titres  de  grand  Capitaine  &  de  fidèle  Sujet  de  Sa  Majeilé ,  mais  de  la 
dignité  de  Gouverneur  &  de  Viceroi  de  la  Nouvelle  Efpagne,  avec  unç 
exhortation,  de  la  main  de  l'Empereur,  à  terminer  glorieufement  fes  tra- 
vaux, dans  l'efpoir  certain  d'une  recompenfe  égale  à  fes  fervices.  Martin 
Cortez,  fon  Père,  reçut  les  gages  de  cette  promeffe  par  diverfes  marques 
d'une  conddération  diflinguée;  &  tous  les  Guerriers,  qui  avoient  eu  parc 
à  l'Expédition ,  fe  reffentirenc  de  la  reconnoiffance  de  leur  Maître.  On  fit 
efpérer,  au  nouveau  Gouverneur,  des  fecours  qui  lui  furent  envoyés  fidè- 
lement. Toutes  ces  faveurs  furent  confirmées  par  le  Sceau  Impérial ,  le 
22  d'Oélobre  1522.     Deux  des  Envoyés  de  Cortez  (i),  chargés  de  ces 

agréa- 


(c")  Solis,  Liv.  4.  pages  362  (^précéden- 
tes.   Herrera,  Décad.  3.  Liv.  2. 

(d)  Outre  ceux  dont  on  a  vu  !es  noms, 
il  avoit  fait  partir,  après  la  prifede  Mexico, 


pour  porter  à  l'Empereur  la  principale  par- 
tie de  fon  butin ,  cri  plaques  d*or  On  pré- 
tend que  d'Avila  fut  pris  aux  Terceres  par 
un  Corfaire  François  ,  qui  le  conduifit  en 


Fernani» 
Cortez. 

15^1. 

Jugement. 


I  5"  2  2; 


Il  avuii  lait  ^aiLii  ,    a^i\.o   la  pmc  lie  iVlCXlLU ,         Ull    V^uriUUC     rrUllÇUlii   ,     qui    IC    tUlJUUUit    1-11 

Alfonfe  d'Avila  &  Antonio  de  Quinones,     France,  &  que  François  i ,  .voyant  le  tréfor 
^.\;  J  ^l\ll  '"  iii  2  <i''''^ 


43<5    PREMIERS  VOYAGES  EN  AMERIQUE,  Lxv.  I. 

Fbrnand    agréables  dépêches,  mirent  à  la  voile  auflltôt  pour  Vera-Cruz  ;  âc  les  au* 
CoRTEz.     jj.gj  j^Q  furent  retenus  en  Efpagne,  que  pour  prendre  le  Commandement  de 
15*2.     ]a  Flotte  qu'on  lui  deftinoit. 

Revers  de  CEPENDANT  après  avoir  joui,  pendant  quelques  années ,  de  fa  Gloire  & 
fuit"TT'  ^  ^^  ^*  Fortune,  il  fe  vit  rappeller  en  Europe,  fur  quelques  accufations,  qui 
Avamures?  ^^  mirent  dans  la  nécefTité  de  judifier  fa  conduite.  On  ne  laifla  point  de  le 
recevoir  svec  la  plus  haute  diflinflion.  L'Empereur  le  créa  Marquis  de! 
Falle,  Terre  Mexiquaine  d'un  revenu  condderable,  &  lui  fit  l'honneur  de 
le  vifiter,  dans  une  maladie,  dont  il  eut  beaucoup  de  peine  à  fe  rétablir. 
Il  retourna  même  aux  Indes ,  avec  le  titre  de  Capitaine  Général  de  la  Mer 
du  Sud ,  &  l'ordre  de  poufler  les  découvertes.  Mais  celle  de  la  Californie» 
qu'on  lui  verra  faire  avec  la  même  grandeur  d'ame,  âc  qui  lui  coûta  une 
partie  de  fon  bien ,  ne  le  fauva  point  d'une  nouvelle  difgrace  qui  le  fit  mou- 
rir dans  l'humiliation.    Ce  récit  appartient  à  d'autres  tems. 


qu'il  portoit  en  Efpagne ,  lui  dit  „  Vdtre 
„  Maître  &  le  Roi  de  Portugal  ont  partagé 
„  entr'eux  le  Nouveau  Monde ,  fans  penfer 
â  mol.  Je  voudrois  qu'ils  me  Ment  voir 
le  Teftament  d'Adam,  d'oii  ils  tirent  ap- 
,.  paremment  leur  droit  ".  D'Âvila  n'en  ob- 
tint pas  moins  la  liberté  d'achever  fon  Voya- 
ge ;  mais  Quinones  étoit  mort  dans  fa  navi- 
gation. Peu  de  tems  après ,  G^rtez  ,  en- 
voyant un  autre  préfenc  à  l'Empereur,  y 


>» 


joignit  une  Coulevrine  d'un  môiange  d'or  & 
d'argent,  qu'il  avoit  nommée  le  Phénix,  & 
qui  portoit  cette  infcription  : 

yfoe  Nacio  fin  par  .'' 

To  en  ferviros  fin  fegundo, 
T  vos  fin  ygual  en  mundo. 
c'c(l-à-dire  ;  „  comme  le  Phénix  e(l  un  Oifeau 
„  fans  pareil,  de  même  perfonne  ne  vous 
„  fert  comme  moi,  &  vous  n'avez  point  d'ë- 
„  gai  au  Monde  ",  >  >       . 


HISTOIRI 


H  I  S  T  O  I  R  E 

GÉNÉRALE 

DES   VOYAGES, 

Depuis  le  commencement  du  xv™«  Siècle. 
DIXHUITIÈME  PARTIE. 

LIVRE      SECOND. 

Premiers  VoyageSi  Découvertes,  et  Etablis» 
semens  des  européens  en  amériq.ue. 


DESCRIPTION  DU  MEXIQUE,  ou  de  la  NOUVELLE 

ESPAGNE. 

;NE  première  Defcription  du  Continent  de  l'Amérique  fem- 
bleroit  demand'-r  oour  introdu6lion  ,  quelques  remarques 
fur  la  pofition  géu  '  aie  de  ce  Nouveau  Monde,  fur  fon  éten- 
due, &  fur  le  rapport  de  fes  parties  avec  celles  du  Monde, 
ancien,  c'eft-à-dire  avec  l'Afie,  l'Europe  &  l'Afrique.  Mais 
fi  l'on  confidère  que  jufqu'ici  les  Européens  font  comme  à 
rentrée  d'une  fi  vafte  Région,  «  que  tout  ce  qui  n'étoit  pas  découvert  a- 
lors,  ou  qui  ne  l'étoit  qu'imparfaitement,  par  des  effais  &  des  conjeétures, 
doit  encore  paffer  ici  pour  inconnu ,  on  approuvera  que  l'idée  d'un  meil- 
leur ordre  me  faife  remettre,  à  d'autres  tems,  des  Obfervations  qui  fuppo- 
fent  d'autres  lumières.  Comment  juger,  comment  efpérer  de  fe  faire  en- 
tendre en  jugeant ,  d'une  infinité  de  lieux  dont  on  doit  fe  figurer  que  l'e- 
xiftence  &  les  noms  font  encore  ignorés  ?  C'efl:  donc  nar  dégrés  qu'il  faut 
conduire  un  Lefteur  à  ces  connoiffances  ;  comme  c'eft  par  dégrés  que  les 
Voyageurs  y  font  parvenus:  &  le  jour  ne  fera  pas  plutôt  répandu  fur  la  to- 
tfilitfi  de  l'objet,  qu'il  en  fera  dillinguer  aiîement  toutes  les  parties. 

lu  3  T':. 


Description 

DB    LA   Not;i 

V£LLE     Eirt' 

CNS. 


^^^ 


DBfcnTrTTOïi 
ne   LA  Nou- 

V£LLF.     ESI'A- 
CNE. 

Siiuntion  & 
bornes  de  la 
Nouvelle  Ef- 
pagiic. 


Ses  divi- 
fions. 


Trois  Au- 
diences 6c 
vingt-deux 
Provinces. 


438        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Je  me  crois  ici  borné,  comme  on  IVcolt  au  tems  que  je  reprcfente,  à  la 
dividon  générale  qui  didingue  l'Amérique  en  deux  gj^andes  moitiés ,  Tune 
Septentrionale,  &  l'autre  Méridionale  {a).  Les  Elpagnols ,  en  entrant 
dans  le  Pays  auquel  ils  donnèrent  le  nom  de  Nouvelle  Efpagne^  ne  purent 
ignorer  qu'il  étoit  dans  la  première.  Lorfque  leur  Conquête  les  eut 
mis  en  état  d'en  connoître  l'étendue ,  ils  obfervèrent  bientôt  qu'il  efl:  fitué 
entre  les  fept  &  trente  degrés  de  Latitude  du  Nord,  &  entre  les  deux  cens 
foixante-trois  &  deux  cens  quatre-vingt-quatorze  de  Longitude;  que  dans 
fa  plus  grande  étendue,  qui  eft  du  Nord- Oued  au  Sud  Ouefl:,  il  contient 
plus  de  lix  cens  lieues,  &  que  la  largeur,  qui  efl  fort  irrégulière,  n'en  a 
pas  plus  de  deux  cens  cinquante.  Mais  c'cfl:  dans  la  fuite  qu'ils  lui  ont  re- 
connu pour  bornes ,  au  Nord ,  la  grande  Contrée  qu'ils  orft  nommée  iVoM- 
vcau  Mexique,,  &  celle  que  les  Franyois  ont  nommée  la  Loutjîanc;  au  Midi, 
la  Mer  du  Stid;  &  au  Couchant,  la  Mer  vermeille.  Du  côré  de  l'Orient,  par 
lequel  ils  étoient  venus,  ils  ne  pouvoient  douter  qu'il  n'eût  la  Mer  qui 
a  pris  le  nom  de  Golfe  du  Mexique  ^  &  Vljîhme  du  Darien,  qu'ils  avoîent 
déjà  découvert. 

Ce  ne  fut  pas  tout  d'un  coup  qu'ils  apprirent  aufTi  le  nombre  &  la  divi- 
fion  des  Provinces  de  l'Empire  Mexiquain ,  foit  de  celles  qu'ils  avoient  trou* 
vées  aftuellement  foumifes  à  l'Empereur  Motezuma,  foit  de  plufieurs  autres 
qui  avoient  fecoué  le  joug ,  fous  fon  règne  ou  fous  celui  de  ks  Prédécef- 
feurs.  Il  ne  paroît  pas  même  que  leurs  Ecrivains  en  ayent  jamais  eu  d'exac- 
te  connoiflance;  &  quoique  la  plupart  fe  trouvent  nommées  dans  les  Rela- 
tions, c'efl:  avec  fi  peu  d'ordre  &  de  clarté,,  que  pour  fe  former  une  jufle 
idée  de  ce  grand  Empire,  on  efl  obligé  de  fuivre  la  nouvelle  divifîon ,  c'efl- 
à-dire,  celle  qui  fut  établie  parCortez&  fes  SucceiTeurs,  dans  laquelle  une 
partie  des  anciens  noms  ont  été  confervcs. 

Les  Efpagnols  ont  divifé  la  Nouvelle  Efpagne  en  trois  Gouvernemens , 
qu'ils  appellent  /ludiences,,  ou  Governacions,  &  qui  contiennent  enfemble 
vingt-deux  Provinces,  mais  qui  reconnoiffent  toutes  l'autorité  d'un  feul 
Viceroi.  i.  L'Audience  de  ikr<?a;/Vo ,  qui  efl  la  première ,  &  dont  la  fîtua- 
tion  efl  au  milieu  des  deux  autres ,  efl  compofée  de  fept  Provinces  :  celle 
même  de  Mexico;  Mechoacan.;  Panuco;  Tlafcala;  Cuaxaca;  Tabafco; 
Yucatan.  2.  L'Audience  de  Guadalaraja ,  fltuée  au  Couchant  d'Eté  de 
Mexico,  contient  aufïï  fept  Provinces  :  celle  de  Guadalajara  ;  Los  Zacate- 
cas;  Nueva  Bifcaia,  ou  Nouvelle  Bifcaie;  Cinaola;  Culiacan;  Chiamet- 
lan;  Xalifco,  ou  Nouvelle  Galice.  3.  L'Audience  de  Guatimala,  fituéeà 
l'Orient  d'Hiver  de  Mexico ,  renferme  huit  Provinces;  Soconufco;  Chia- 
pa;  Vera  Paz;  Guatimala j  Honduras,  ou  Hibueras;  Nicaragua;  Coda- 
Ricca,  &Veragua.      -  ,  v;      ^ 


(a)  On  remarquera ,  dans  un  autre  lieu,     les  premiers  Ecrivains  la  priiTcnt  de  la  Ligne 
que  cette  divifion  fe  prend  aujourd'hui  de     Oquinoxiale. 
rilthme  du  Daricn  ou  de  Panama,  quoique 


f<  i.    ',-.ç!;-..= 


•i  • 


5-f 


nt  de  la  Ligne 


OV  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       ^39 

s.    L      .  .  •.  .. 

Audîtnce  de  Mexico.    •     • 


DEÏCItlPTIOir 

DU  LA   Nou* 
vtM.K    EsrA- 


ON  concevroit  difficilement  tout  ce  qui  regarde  la  première  Province 
d'où  cette  Audience  tire  fon  nom ,  Ç\  l'on  n'étoic  guidé  par  la  Def- 
cription&par  le  Plan  du  fameux  Lac,  qui  fcrvit  comme  de  champ  aux 
principaux  Exploits  de  Cortez. 

Il  eft  fitué  dans  la  partie  orientale  d'une  Vallée  prefque  plate ,  dont  la 
longueur,  ïuivant  Gemelli  Carreri  (a),  eft  d^  cjuatorze  lieues  d'Efpagne, 
du  Nord  au  Sud,  la  largeur  de  fept,  &  le  circuit  d'environ  quarante.  On 
donne  plus  de  cent  mille  niés  de  hauteur  aux  Montagnes  qui  environnent 
cette  Vallée.  Le  Lac  ert  compofé  de  deux  parties ,  qui  ne  font  féparées 
que  par  un  efpice  fort  étroit;  l'une  d'eau  douce  &  tranquille,  fort  poif- 
fonneufe,  &  plus  haute  que  celle  de  l'autre,  dans  laquelle  elle  tombe,  fans 
retourner  en  arriére ,  comme  plufieurs  Ecrivains  fe  le  font  imaginé.  La 
féconde  partie  ell  d'eau  falée ,  qui  ne  nourrit  aucune  forte  de  poiflbn ,  & 
qui  eft  fujette  à  des  agitations  fojrt  violentes.  Elles  ont  toutes  deux  envi- 
ron fept  lieues  de  long  &  fept  de  large ,  quoiqu'avec  différentes  inéga- 
lités dans  leur  figure  j  &  leur  circonférence  commune  efl  d'environ  tren- 
te lieues  {b). 

Depuis  fi  long-tems  que  les  Efpagnbls  font  en  pcfTeffion  du  Pays,  leS' 
opinions  ne  s'accordent  point  encore  fur  l'origine  de  ces  eaux.  Quelques- 
uns  prétendent  qu'elles  n'ont  qu'une  même  fource,  qui  vient  d'une  grande 
&  haute  Montagne ,  fituée  au  Sud-Ouefl  de  Mexico ,  &  que  ce  qui  rend 
une  partie  du  Lac  falée  eft  le  fond  de  la  terre,  que  cette  partie  couvre,  & 
qui  efl  plein  de  fcl.  Il  efl  certain  qu'on  en  fait  tous  les  jours  de  fon  eau, 
&  qu'on  en  tire  alTez,  non- feulement  pour  en  fournir  à  toute  la  Province, 
mais  pour  en  tranfporter ,  tous  les  ans ,  une  quantité  confiderable  aux  Phi- 
lippines (c).  D'autres  font  perfuadés que  le  Laça  deux  fources,  &  que 
fi  l'eau  douce  fort  de  la  Montaghe ,  qui  efl  au  Sud-Ouefl  de  Mexico ,  l'eau 
falée  vient  de  quelques  autres  Montagnes  qui  font  plus  au  NordOuefl.  Ils 
ajoutent  que  ce  qui  la  rend  falée  n'efl  que  fon  agitation,  ou  fon  flux  &  fon 
reflux ,  qu'on  ne  doit  pas  traiter  néanmoins  de  marée  régulière ,  mais  qui 
étant  caufé  par  le  fouffle  des  vents ,  rend  quelquefois  cette  partie  du  Lac 
aufli  orageufe  que  la  Mer  même.  Gage ,  qui  fe  déclare  pour  la  première 
de  ces  deux  opinions,  croit  renverfer  la  féconde  en  demandant  pourquoi 
les  vents  ne  produifent  pas  le  même  effet  dsins  le  Lac  d'eau  douce?    Que 

le*- 


Province 
du  Mexico, 


Defcriptioa 
du  Lac  de 
Mexico. 


(a)  Voyage  autour  du  Monde,  Tome  6. 
page  34- 

(i)  Herrera,  Décad  a.  Thomas  Gage, 
Liv.  I.  Cbap.  1$.  leur  en  donne  cinquante  ; 
cequiferoit  impoffible,  fi  la  Vallée  n'en  a- 
voit  elle-même  que  quarante  :  mais  cette  dif- 
ficulté fe  ttouve  levée  par  6u:re];i,   qui  en 


prenant  la  Vallée  depuis  les  Montagnes,  lui 
croit  foixante-dix  &  même  quatre- vingt -dit- 
lieues   de  circuit,  quoiqu'elle  n'en  ait  quç 
quarante  de  fond  plat.    Ibidem. 

(c)  Voyage  de  Thomas  Gage,  ubifuprk 
„  le  puis  témoigner,  dit* il,  que  j'en  ai  Wl' 
„  rexp.éiieûctj  ". 


440 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


np.   I.A   Nou 

OMB. 


|i  ' 


nEfciiiPTtoN  lyg  Jeux  eaux,  dit-il,  fortent  de  la  même  fource,.  ou  Qu'elles  ayent  une 
fourçe  diflfcrcnte,  il  lui  paroît  également  certain  que  la  falure  de  l'une  vient 
de  quelques  terres  minérales  qu  elle  traverfe  en  dcfccndant ,  &  qui  la  char- 
gent d'un  ici  <jui  fe  fond  dans  fa  courfe  (^d).     Cependant  il  rapporte  lui- 
même  une  troillcme  opinion,  qui  fait  venir  la  partie  falée  du  Lac,  de  la 
Mer  du  Nord,  par  des  canaux  fouterrains  (*),  &  qu'il  préféreroit  encore 
à  la  féconde,  s'il  ne  trouvoit  pas  une  forte  apparence  de  vérité  dans  la 
première.     Quelque  jugement  qu'on  en  puiflTe  porter,  concliK-il,  on  ne 
connoît  point  de  Lac  au  Monde  qui  relFemble  à  celui  ci,  c'eflà-dire,  qui 
foit  d'une  eau  douce  &  d'une  eau  falée ,  dont  une  partie  produit  du  poif- 
fon ,  tandis  que  l'autre  n'en  produit  aucune  efpèce.     Mais  la  Capitale ,  & 
quantité  d'autres  Villes,  placées  fur  fes  bords ,  étoient  fujettes  à  des  inon- 
dations qui  en  rendoient  le  féjour  fort  dangereux.     Les  Digues ,  qu'on  a 
nommées  tant  de  fois  ,  &  que  plufieurs  des  anciens  Rois  avoient  fait 
conftruire  avec  une  dépenfe  &  des  travaux  incroyables ,  ne  fuffifoicnt 
pas  toujours  pour  arrêter  la  violence  des  eaux  qui  tomboient  des  Mon- 
tagnes.    Cortez  éprouva  lui-même  qu'il  y  avoit  peu  de  fureté  contre  un 
péril  fi  preffant,  &  ce  fut  lui  qui  entreprit  le  premier  d'y  apporter  d'au- 
tres remèdes.     On  ne  trouve  que  dans -Carreri ,  les  grandes  opérations, 
par  lefquelles  on  ell  parvenu   fucceiîlvement  à  couper  le  mal  dans  fa 
fource.    Ce  curieux  détail  (/)  feroit  déplacé,  dans  tout  autre  endroit 
que  cet  article. 

L'année  qui  fuivit  la  prife  de  Mexico,  c'efl-à-dire,  avant  que  les  Ef- 
pagnols  enflent  achevé  de  rebâtir  cette  Capitale,  les  eaux  s'élevèrent  avec 
tant  de  danger,  que  Cortez  abandonna  les  travaux  de  la  Ville,  pour  faire 
conftruire  une  nouvelle  Chauflee,  qui  fut  nommée  Saint  •  Lazare.  Elle 
fervit,  aulfi  long-tems  que  les  inondations  ne  furent  pas  plus  violentes: 
mais  en  1556,  fous  le  Gouvernement  de  Dom  Louis  de  Felafco^  elle  ne 
put  empêcher  que  la  Ville  ne  fût  prefqu'entiérement  fubmergée.  On  ef- 
fuïa  la  même  difgrace  en  1580.  Dom  Martin  Enriquez  ,  qui  gouvernoit 
alors  la  Nouvelle  Efpagne,  conçut  le  deflein  de  delYccher  abfoiument  le 
Lac.  Il  crut  avoir  trouvé,  près  d'un  Village  nommé  GHeguctoca^  un  lieu 
•         ;   •  *:   '  \  '-•:-■  par 

(c)  Quoique  les  eaux  qui  viennent  de  1.1 
Mer  perdent  leur  falure  en  paffnnt  dans  la 
terre,  celle-ci,  dit-il,  en  peut  co  er  une 
partie,  non-fculeincnt  parce  que  le  l'ays  eft 
rempli  de  minéraux,  mais  encore  plus,  par- 
ce g^e  les  tremblemcns  de  terre  y  font  fi  fré- 
quens,  qu'on  peut  fuppofer  qu'ils  forment 
de  grandes  cavités ,  par  lefquelles  les  eaux 
de  la  Mer  paiTcnt  fans  filtration.    Ibid. 

(f)  Cirreri  fait  profefllon  de  l'avoir  tiré 
non-feulement  du  récit  des  Efpagnols  de  Me- 
xico, mais  d'un  Mémoire,  qui  fut  imprimé 
dans  cette  Ville,  le  7  d'Avril  1637  ;  fans  comp- 
ter fon  témoignasL" oculaire,  pour  l'état  pré« 
fciit  de  l'Ouvrage.  ,    .       ,  - 


Ouvrages 
Efpagnols , 
pour  préftT- 
ver  Mexico 
de  l'inonda- 
tion. 


'  (d)  ]l  confirme  fon  fentiment  par  ce  qu'il 
a  vu  dans  la  Province  de  Guatimala,  où, 
proche  d'une  Ville  nommée  y^matitlan,  on 
trouve  un  Lac  d'eau  dormante,  qui  eft  un 
peu  falée,  &  qui  fort  d'une  Montagne  brû- 
lante, ou  d'un  Volcan,  dont  le  feu  eft  caufé 
par  des  Mines  de  foufre.  Il  en  fort  auJîî , 
proche  de  la  môme  Ville,  deux  ou  trois  Foii- 
taines  d'une  eau  extrêmement  chaude  &  fou- 
frée,  qui  forme  des  bains  très  falutaires.  Ce- 
pendant le  Lac.  qui  vient  inconteftablemcnt 
Uc  la  même  Montagne,  eft  dune  telle  pro- 
priété qu'il  rend  la  terre  même,  falée  aux 
environs;  &  tous  les  matins,  le  Peuple  va 
recueillir  le  fel  qui  fe  trouve  au  bord  de  l'eau, 
?n  conûftance  de  gelée  blanche.   Ibidem. 


le 


.      ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL        441 

,ar  lequel  on  pouvoit  faire  paHer  les  eaux  dans  la  Rivière  de  Tula.  Mais 
orrque  lepéril  eut  celTé,  on  perdit  l'idée  de  cette  entreprife.  En  1604, 
l'inondation  fut  fi  grande ,  qu  elle  faillit  d'abîmer  toute  la  Ville.  Le  Mar- 
quis de  MontcfclaroSt  qui  avoit  été  chargé  de  l'exécution  du  débouche- 
ment ,  reprit  fa  CommilTîon  avec  beaucoup  de  chaleur.  Il  étoit  prêt  k 
commencer,  lorfquc  les  eaux  ayant  baillé,  le  Confeil  de  Ville  repréfenta 
qu'un  travail  de  cette  nature  dcmandoit  un  fiécle,  &  qu'il  n'en  coûteroit 
pas  moins  à  conferver  l'ouvrage  qu'à  l'exécuter,  puifuu'il   ctcit  quellion 

'^        f.i ^  j< :_  .._  /^ I  .1 ;.   ._  i: J„  I JB.  j  *     ^  .    /• 


DeicMFTroi» 
i)B  i.A  Nou- 
velle   lijPA. 


inondation,  &  l'inutilité  de  quelques  travaux,  qu'on  avoit  faits  dans  l'in- 
tervalle,  ramenèrent  tout  le  monde  au  projet  du  débouchement.  Le  Vi- 
ceroi,  le  Confeil,  tous  les  Magiftrats  de  la  Ville,  &  le  Clergé  même,  fe 
rendirent  en  Corps  à  Gueguetoca,  le  28  de  Novembre  de  la  même  année. 
L'ouvrage  fut  commencé  le  même  jour;  &  Martinez^  Ingénieur  Efpagnol, 
en  obtint  la  direftion.  Une  dépenfe,  telle  qu'on  fe  la  propofoit,  mit  le 
Viceroi  dans  la  néceflité  d'établir  un  impôt  fans  exemple  au  Mexique.  Il  ■ 
fit  apprécier  les  Maifons,  les  Terres,  les  Marchandifes ,  en  un  mot,  tous 
les  biens  connus  des  Habitans,  pour  en  tirer  le  centième,  qui  rapporta 
304013  pièces  de  huit. 

On  creufa  d'abord  un  Canal  fouterraln  depuis  le  Port  de  Gueguetoca ,  juf- 
au'au  Lac  de  Zitlaltepeque;  &  47 11 54  Indiens  y  furent  employés  pendant 
iixmois.  Mais  après  tant  d'efforts,  on  reconnut  que  les  mefures  avoient 
manqué  de  juftefTe,  &  que  toute  la  dépenfe  d'un  H  long  travail  étoit  inuti- 
le. Un  Ingénieur ,  nommé  Alfonfe  d'Arias ,  jugea  que  le  Canal  devoit  avoir» 
beaucoup  plus  de  profondeur,  &  217500  pies  de  plus  en  longueur  vers 
Mexico,  pour  mettre  cette  Ville  à  couvert  ;  que  d'ailleurs  il  étoit  impoffi- 
ble  de  finir  celui  qu'on  avoit  commencé, parce  qu'il  fe  trouvoit  trop  étroit, 
&  qu'il  y  avoit  encore  moins  d'apparence  de  pouvoir  l'entretenir.  On 
conclut  que  Martinez  s'étoit  trompé,  pour  n'avoir  pas  fuivi  le  premier 
plan.  La  dépenfe  étoit  déjà  montée  à  413324  pièces  de  huit.  On  en 
écrivit  en  Efpagne;  &  Martinez,  de  fon  côté,  ne  négligea  rien  pour 
fe  juftifier. 

La  Cour  de  Madrid  prit  le  parti  d'envoyer,  au  Mexique,  Martin Boof, 
Ingénieur  François,  qui  n'y  put  arriver  qu'en  i<5i4.  Après  avoir  fait  la 
viiite  des  Lacs  &  des  Rivières  qui  pouvoient  incommoder  la  Ville ,  il 
déclara  que  tout  ce  (^u'on  avoit  fait  jufqu'alors  n'étoit  en  effet  d'aucune 
utilité ,  ou  ne  pouvoit  fervir  qu'à  la  garantir  des  eaux  de  la  Rivière  de 
Guautitlan,  dont  la  plus  grande  partie  fe  jette  dans  les  Lacs  de  Mexico, 
de  Zitlaltepeque  &  de  Zumpango.  Il  propofa  au  Marquis  de  Guadalacafa 
de  faire  multiplier  les  Digues  autour  de  la  Ville:  mais  fa  proposition  ne 
fut  point  écoutée,  parce  que  cet  expédient  n'aVoit  produit  aucun  efi^ec 
dans  d'autres  années.  Martinez  reçut  ordre  de  reprendre  l'Ouvrage  fur 
l'ancien  Plan;  &  la  Cour  d'Efpagne  céda,  .pour  Texécution,  fes  droitg  fur 
les  vins  qui  fa  tranfporteoj;  à  Mexico.  * 

Wm,  Part,  K  k  k     .  -      "      .  Le 


\  ■• 


Dasckiption 

SE    LA    NOU- 

fULE   Espa- 
cée. 


442       DESCRIPTION    DU    M  E  X  I  Q  U  E,. 

Le  Comte  de  Priego,  Gouverneur  de  la  Nouvelle  Elpagne  en  1623,  eut 
la  curiofité  de  vouloii' éprouver  combien  l'eau  devoit  être  élevée  pour  inon- 
der la  Ville.  Il  fit  cefler  l'ouvrage  du  Canal  &  rompre  les  Digues ,  pour 
laifTer  entrer  la  Rivière  de  Guautitlan,  &  les  autres  eaux,  depuis  le  13 
Juin  jufqu'au  dernier  d'Oflobre..  On  remarqua  que  dans  cet  efpace,  l'eau 
n'avoit  crû  que  d'environ  deux  pies  ;  mais  elle  augmenta  fi  conddérable- 
mentau  mois  de  Décembre,  que  la  Ville  retomba  dans  un  grand  danger. 
Le  Marquis  de  Serralm^  trouvant  les  chofes  au  même  état  en  1627 ,  fit  fai- 
re, à  l'exemple  de  fes  Prédécefleurs^  plufiears  Digues,  qui  n'empêchèrent 
point  que  dans  le  cours  de  cette  année  la  Ville  ne  fût  inondée  à  la  hauteur 
d'environ  deux  pies.  On  reprit  l'ouvrage  du  Canal  ;  mais  le  jour  de  Saint 
Matthieu  de  l'année  fui  vante,  quelques  Digues  ayant  manqué,  l'inonda- 
tion fut  fi  confîdérable,  que  l'eau  montoit  à  quatre  pies  &  demi  dans 
toutes  les  rues.  LesHabitans,  menacés  de  leur  ruine,  commencèrent  à 
fe  laffer  d'une  fi.  fâcheufe  fituation,  &  parlèrent  de  bâtir  la  Ville  dans 
un  lieu  plus  élevé..  Mais ,  après  l'écoulement  des  csux,,  on  revint ,  en 
1629,  à  la  continuation  du  Canal  de  Gueguetoca.  L'entreprife  fut  re- 
commencée, au  mois  de  Janvier  1630,  fur  un  nouveau  Plan  de  Marti- 
nez,  qui  ne  devoit  coûter  que  280000  pièce?  de  huit,  &  qui  devoit  être 
fini  dans  l'efpace  de  vingt  &  un  mois.  Mais  cette  nouvelle  tentative  ne 
promettant  pas  plus  de  fuccès ,  la  Cour  d'Efpagne  fe  perfuada  qu'il  étoit 
impoffible  de  donner. une  décharge  à  toutes  les  eaux,  &  régla,  par  une 
Ordonnance  du.  19  de  Mai  1631,  qu'on  bâtiroit  une  nouvelle  Ville  entre 
Tacuba  &  Tacubaja,  dans  la  Plaine  de  SanSlorum.  Cependant,  comme 
elle  faifoit  dépendre  l'exécution  d'un  11  grand  projet,  du  Confeil  général 
de  Mexico ,  les  Magiftrats  Civils  &  les  Chefs  du  Clergé  refufèrent  d'y 
confentir,  fous  prétexte  qu'il  n'étoit  pas  jufte  de  facrifier  la  valeur  de  plus 
de  cinquante  millions  en  Édifices,  pour  épargner  quatre  millons  en  efpè* 
ces,  au-delà  defquels  ils  jugeoient  que  le  deflechement  entier  du  Lac  ne 
pouvoit  monter.  En  vain  Chriftophe  MoHna,  Contrôleur  général,  s'ef- 
força de  leur  prouver  qu'ils  fe  trompoient  dans  le  dernier  de  ces  deux 
calculs ,  fes  raifons  ne  prévalurent  point  fur  l'intérêt  particulier.  Marti- 
aez  mourut,  en  1632,  du  chagrin  d'avoir  fi  mal  exécuté  fes  engagemens, 
&  de  voir  toutes. fes  fautes  au  grand  jour,  par  les  Obfervations  de  l'Audi- 
teur Villabuem. 

Le  Marquis  de  CadereyrUy  qui  vint  prendre  le  Gouvernement  en  i<535, 
commença  par  faire  nettoyer  tous  les  Canaux  de  la  Ville,  pour  faciliter  le 
.  paflage  des  eaux,  &  pour  la  commodité  des  Barques.  L'année  fuivante,  il 
chargea  Zepeda  &  Carrillo  de  raflembler ,  dans  un  Mémoire,  toutes  les 
méthodes  qu'on  avoit  employées  depuis  1607,  datte  du  premier  travail. 
Trois  points  furent  examinés  dans  cet  Ecrit:  i".  S'il  étoit  utile  de  conti- 
nuer le  Canal  de  Gueguetoca,  c'efii-àrdire,  fi  ce  Canal  fuffîfoit,  en  le  faî- 
j^nt  plus  large  Si  plus  profond,  pour  l'écoulement  du  Lac  de  Mexico;  & 
dans  cette  fuppofition ,  s'il  étoit  poflible  de  l'entretenir:  z^.  Si,  ne  trou- 
vant point,  par  le  Canal  de  Gueguetoca,  ou  par  les  autres  méthodes 
^u'on  avoit  tentées,  de  fortie  entière  pour  les  eaux,  on  pouvoit  efpérei 
^econfervet  Mexico  par  le  fe^l  fecours  des  Digues:  â^*  Si,  dans  l'im- 

.  poffi-: 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.       443 

rtoffibilité  de  l'un  &  de  l'autre,  on  devoit  changer  la  fituation  de  la  Vil- 
le. Enfin,  le  compte  de  toutes  les  fommes  qu'op  avoit  employées  mon- 
toit  à  2950164  pièces  de  huit,  fept  réaies  &  demie;  qui  font  près  de  trois 
millions  d'or.  ^ 

On  ne  nous  apprend  point  quelle  fut  la  décifion  fur  ces  trois  articles  r 
mais  quoiqu'il  paroifle  que  la  difficulté  du  Canal  fût  mieux  prouvée  que  ja- 
mais, puifque  les  Géomètres  aflurèrent  que  pour  faire  fortir  feulement  dix 
pies  &  demi  d'eau  du  Lac,  il  falloit  enlever  i85<543i93  pi^s  cubiques  de 
terre,  le  Marquis  de  Cadereyra,  défefpérant  de  vaincre  la  répugnance  des 
Habitans  à  quitter  leurs  murs,  fit  reprendre  l'ouvrage  de  Gueguetoca.  Il 
fallut  rompre  les  anciennes  voûtes ,  pour  réparer  les  fautes  palTées,  &  pour 
continuer  le  travail  dans  une  meilleure  efpérance.  C'efl:  en  1637  qu'il  fut 
recommencé;  &  Carreri ,  qui  fe  nouvoit  à  Mexico,  en  1697,  c'eft-à-dire, 
foixante  ans  après,  rend  témoignage  qu'il  reftoit  plus  à  faire,  pour  la  per- 
feftion  de  l'entreprife,  qu'on  n'avoit  fait  jufqu'alors  (g).  On  ne  cef- 
fa  point  d'y  travailler,  dit-il,  fur- tout  dans  les  tems  de  pluie,  parce  que 
le  courant  des  eaux  aide  à  charier  les  pierres  qu'on  tire  continuellement. 
Il  ajoute  que  ce  qu'il  y  a  de  plus  fâcheux  eÔ:  la  BéceflTité  d'ouvrir  des 
allées  très  profondes,  pour  découvrir  le  lit  des  anciennes  Voytes,  que 
les  premiers  Travaille^jrs  #rent,  comme  des  Lapins,  en  perçant  la  terre 
au  hafard  (h). 

Mais  le  fpe6lacle,  qu'il  fe  donna,  mérite  d'être  rapporté  dans  fes  ter- 
mes: „  L'envie  que  j'avois  de  voir  ce  grand  ouvrage  me  fit  monter  ache- 
vai, le  Lundi^ij  d'Avril  1697,  fans  autre  fuite  qu'un  Efclave.  Après 
avoir  fait  trois  lieues  dans  une  Plaine,  j'arrivai  au  Village  de  Tanipant- 
la.  Enfuite,  montant  la  Colline  de  Varrientos,  je  me  trouvai,  après 
deux  autres  lieues ,  à  Guautitlan ,  où  l'on  fait  de  la  Poterie ,  fi  eftimée 
en  Europe,  que  les  Dames  en  rongent  les  morceaux.  Je  dînai  chess 
l'Alcalde.  Sur  le  foir  je  paflai  la  Rivière,  qui  tire  fon  nom  de ceBour^, 
l\  &  qui  fe  rend  dans  le  Canal  du  <iébouchement.  Vl  i  lieue  plus  loin,  je 
„  m'arrêtai  à  Teplofotlan,  dans  une  Maifon  de  Jefâtes,  qui  ell  leur 
„  Noviciat,  &  dont  la  fituation  efl:  fur  une  Montagne.  Elle  a  des  loge- 
mens  commodes  pour  cincmante- deux  Religieux.  L'Eglife,  dédiée  k 
Saint  François  Xavier ,  otire  fix  Autels  richement  dorés ,  fur-tout  le 
grand,  qui  efl  d'une  rare  magnificence.  Elle  contient  d'ailleurs  une 
Chapelle  de  Nôtre-Dame  de  Lorette,  de  la  même  grandeur  &  de  la 
même  forme  que  celle  d'Italie.  Le  Jardin,  qui  efl  fpacieux,  ne  man* 
que  d'aucun  fruit  de  l'Europe. 

„  Le  Mardi,  après  avoir  marché  quelque  tems  par  des  Plaines  bien  cul- 
tivées, j'arrivai  à  Gueguetoca;  premier  endroit  où  les  eaux  ont  leur  paf- 
fage,  fous  la  àireBÀon  d'\in  Guardatnayor.  Les  ordres  delà  Cour  obli- 
gent le  Viceroi  de  faire  tous  les  ans,  au  mois  d'Août,  la  vifite  de  ce 
lieu,  pour  obferver  les  progrès  du  travail,  &  pour  y  donner  de  nou- 
„  veaux  ordres.    Dans  l'abfence  du  Guardamayor ,  je  fus  re$u  civilement 


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II 


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DEScniPTibâ 

DE    LA    NOU- 

V£LLe  EErA* 
cas. 


Carreri  vî« 
fite  les  Oii' 
vrages. 


» 


par 


{s)  Voyage  de  Cemelli  Carieil,  lîv,  i.  Chap.  8. 

Kkk  2 


(/j)  Ibidem. 


* 


Descriftion 
DE  LA   Nou- 
velle  Espa- 
gne. 


Belle  Per- 
fpeftive  du 
Lac,  &  nom- 
bre de  fes 
Villes. 


Defcription 
de  l'ancien 
Mexico/, 


444        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE,. 

„  par  Dom  Thomas  de  Buytron  y  Moxîcea^  Curé  du  Bourg,  qui  me  donna. 
„  l'Hiftoire  des  opérations  de  près  d'un  fiécle.  Il  me  conduifit  lui-même 
„  au  Canal.  Je  le  trouvai  découvert  pendant  refpace  d'une  lieue  &  de- 
„  mie,  jufqu'àGuignata,  où  il  fait  un  coude,  le  long  d'une  pierre  dure 
„  qu'on  n'a  pu  percer,  &  de-là  tout  couvert  pendant  une  demie  lieue,  juf- 
„  qu'à  la  bouche  de  Saint-Grégoire,  excepté  dans  quelques  endroits  pour 
les  évents.  Je  remarquai  que  pour  le  mettre  de  niveau ,  il  faudroit  creu- 
fer  beaucoup  dans  ce  lieu  ;  ce  qui  demanderoit  des  milliers  d'Hommes  , 
&  des  fommes  fort  au-deflus  des  cent  mille  pièces  de  huit ,  que  le  Roi 
donne  aujourd'hui.  Avec  ce  travail  même,  on  ne  préferveroit  pas  tout- 
à-fait  Mexico  de  l'inondation;  car  outre  cela,  il  faudroit  un  lit  alTez 
large  pour  recevoir  toutes  les  eaux  qui  s'aflemblent  dans  le  Lac  après  les 
grandes  pluies.  J'allai  voir  enfuite  la  Digue  qu'on  a  conftruite ,  une  de- 
raie  lieue  au-deflus  de  Gueguetoca , 'pour  empêcher  que  la  Rivière  de 
Guautitlan  n'entre  dans  les  Lacs,  &  pour  la  retenir  dans  le  petit  Cuya^ 
tepeque,  afin  qu'elle  ne  rompe  point  le  Canal ,  dont  le  lit  n'eli  pas  capa- 
ble de  la  recevoir  dans  le  tems  des  grofles  eaux.  Les  fiennes  fe  dégor- 
gent quelquefois  dans  le  Lac  de  Zumpango,  qui  efl:  plus  bas,  de  quatre 
pieds,  que  celui  de  Cuyatepeque,  a  plus  haut  d'autant,  que  celui  de 
Xaltocàn,  &  c'efl-là  quelles  demeurent,  comme  dans  des  réfervoirs  jaf- 
qu'à  la  fin  des  pluies.  On  entretient  foigneufement  plufieurs  autres  Di- 
gues ,  pour  arrêter  la  première  impétuofité  des  eaux ,  &  leur  donner  le 
tems  de  s'écouler  par  un  grand  nombre  d'éclufes  (i)  ". 
On  connoît,  par  ce  récit,  qu'outre  les  deux  Lacs  d'eau  douce  &  d'eau 
falée ,  qui  font  contigus ,  &  qui  forment  proprement  le  grand  Lac  dé 
Mexico ,  il  s'en  trouve  plufieurs  petits  à  quelque  diflance  du  grand ,  fur- 
tout  au  Nord-Ouefl:  de  cette  Ville,  qui  a,  de  ce  côté-là,  des  Marais  der- 
rière elle,  jufqu'au  pié  des  Montagnes.  Mais  la  belle  perfpeftive ,  qu'on 
a  vantée  plufieurs  fois,  efl  celle  du  grand  Lac,  dont  les  bords  ojffroient, 
avant  la  Conquête,  plus  de  cinquante  Villes,  ou  Bourgades  confidérables, 
&  n'en  confervent  pas  aujourd'hui  moins  de.  trente  (/t). 

Mexico,  que  les  Indiens  nommoient  Tenuchtitîan  (/),  comme  ils  don- 
noient  le  nom.de  Themijihan,  à  fa  Province,  efl  fitué  fur  le  bord  fepten- 
trional  du  Lac  falé ,  de  manière  néanmoins  que  par  fa  forme,  &  par  la  mul- 
titude de  fes  Canaux,  tout  le  corps  de  la  Ville  paroît  bâti  dans  l'eau,  à-peu- 

près 


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» 

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("O  îhidem. 

(^k)  Herrera,  Décad.  2.  Liv.  7.  Cbap.  12. 
Thomas  Gage,  Tome  i.  Cbap,  15. 

Nota.  La  Vue  de  V Ancien  Mexico ,  a  été 
emplu;--!  :^  dans  le  Volume  XVI.  R.  d.  E. 

(</Le  nom  de  Mexico,  que  les  Efpa- 
gnols  lui  ont  donné,  &  qui  fignifie  fource 
d'eau,  n'étoit  que  celui  d'une  des  deux  par- 
ties de  la  Ville ,  dont  l'autre  fe  nommoit 
Tlateluco,  c'^eft-à-dire ,  IJle.  Quelques-uns 
font  venir  Tenuchtitîan  de  Tenuz ,  fon  pre- 
mier Fondateur  ;  d'autres ,  du  nom  Mexi- 
-fiuain  de  la  Cochenille,  Herrera ,  ubi  Juprui 


d'autres  encore  veulent  que  Mexico  ait  été 
le  premier  nom  de  toute  la  Ville ,  quoiqu'il 
n'ait  été  donné  enfuite  qu'à  l'une  de  fes  par- 
ties, &  le  font  venir  de  Mejcit/j,  ancien  Prin- 
ce, ou  ancienne  Idole  des  Habitans,  &  la 
même  que  celle  qu'ils  nomment  aulfi  Fizif- 
liputli.  Il  paroît  du  moins  inconteilable 
qu'ils  donnoient  le  nom  de  Mexitl  â  tout 
l'Empire,  &  celui  de  ThemiftiUm  à  la.  Pro- 
vince particulière  de  Mexico.  Cortez  n'em- 
ptoyre  lui-même  que  ce  deriiJer  nom,  dana 
fes  Lettres, 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.       ^4S 


Descriptioî/ 
Dlî   i.\  Nou- 
VELi-E    Espa- 
ce c. 


près  comme  Venife  l'eft  dans  la  Mer.     L'ancienne  Ville  étoit  compofée 
d'environ  vingt  mille  maifons,  &  l'on  y  diftinguoit  trois  fortes  de  rues, 
toutes  fort  larges  &  fort  belles.    Les  unes,  qui  étoient  des  Canaux,  tra- 
verfés  de  plufieurs  Ponts  ;  d'autres ,  fur  la  terre  ;  les  troifièmes ,  moitié  fur 
la  terre  &  fur  l'eau,  c'eft-à-dire ,  fur  une  partie  defquelles  on  pouvoit  mar- 
cher, tandis  que  l'autre  partie  fervoit  aux  Canots  qui  apportoient  des  vi« 
vres.     La  plupart  des  maifons  avoient  deux  portes,  l'une  vers  la  chaulfée 
&  l'autre  vers  l'eau.    Elles  étoient  petites ,  bafles  &  fans  fenêtres  ;  par  une 
Police  fmgulière ,  qui  ordonnoit  que  les  fimples  Habitans  fuflent  plus  hum- 
blement logés  que  les  Seigneurs  ;  mais  elles  étoient  propres ,  commodes , 
&  capables,  dans  leur  petitefTe,  de  fervir  de  logement  à  plufieurs  ména^ 
ges.    Les  premières  Relations  donnent,  à  l'ancien  Mexico,  deux  fois  k 
grandeur  de  Milan.    Elles  affurent  que  par  l'apparence  il  l'emportoit  beau- 
coup fur  Venife;  ce  qui  venoit  de  la  multitude  des  Palais  impériaux,  de 
ceux  des  Seigneurs ,  qui  étoient  environnés  de  jardins ,  &  fur-tout  de  la 
hauteur  des  Temples.    Mais ,  quoique  la  Ville  fût  fi  remplie  d'eau ,  la  prin- 
cipale incommoaité  des  Habitans  étoit  de  n'en  pouvoir  faire  aucun  ufage 
pour  les  befoins  communs  de  la  vie.    Celle  qu'ils  buvoient  leur  venoit  de 
Chapultepeque,  petite  Montagne  à  trois  miles  de  la  Ville,  par  des  Aque- 
ducs de  terre  cuite.    Aujourd'hui  même,  les  Ëfpagnols  la  tirent  encore  du 
même  lieu,  par  deux  tuyaux,  foutenus  fur  des  arches  de  pierre  &  de  bri- 
que, qui  forment  un  très  beau  Pont.    Mexico  n'avoit  proprement  que  trois 
entrées ,  dont  on  a  dû  fe  rendre  les  noms  familiers ,  dans  le  récit  des  trois 
attaques  de  Cortezj  celle  de  Tabuca,  qui  regardoit  l'Occident,  par  une 
Chauffée  d'une  demie  lieue  de  longueur;  celle  d'Jztacpalapa,  dont  la  Chauf- 
fée, longue  d'une  lieue,  venoit  du  Sud- Eft,  &  de  la  Digue  de  pierre  qui 
féparoit  la  partie  d'eau  douce  de  celle  de  l'eau  falée  ;  celle  de  Cuyoacan , 
par  laquelle  Cortez  fit  fon  entrée,  &  qui  venoit  du  Sud-Ouefl:  par  une  Chauf- 
fée de  deux  lieues.    Les  Ëfpagnols  en  ont  condruit  deux  autres  ;  &  Carre- 
ri  nous  apprend,  fans  les  diftinguer,  que  les  cinq  Chauffées ,  qui  fervent 
aujourd'hui  d'entrée  à  Mexico,  portent  à  préfent  les  noms  de  la  Ptedad, 
Saint- Jntôine  t  Guadeloupe  ^  St.  •  Came  ^  &  Chiapuhepeque.     Il  ajoute  que  celle 
par  où  Cortez  prit  la  Ville,  &  que  les  Ëfpagnols  avoient  nommée  del  ?c* 
gnon,  ne  fubfifle  plus  (m). 

Le  principal  des  Palais  impériaux,  qui  fe  nommoit  Tepac\  étoit  d'une  Palais  de 
grandeur  &  d'une  magnificence,  dont  la  defcription  caufe  de  l'étonnement.  ^'Empereur, 
On  y  comptoit  vingt  belles  Portes ,  qui  donnoient  fur  autant  de  Rues ,  & 
dont  la  principale  offroit  les  armes  de  l'Empire,  déjà  repréfentëes  dany  la 
première  Audience  de  Cortez.  La  partie  des  Edifices,  qui  fervoit  de  lo- 
geriient  à  l'Empereur ,  l'enfermoit  trois  grandes  cours ,  chacune  ornée  d'u- 
ne belle  Fontaine;  cent  chambres ,  de  vingt-cinq  ou  trente  pieds  de  long, 
&  cent  bains.  Quoiqu'il  n'entrât  pas  un  clou  dans  ce  valle  Bâtiment,  touc 
y  étoit  d'une  folidité  ,que  les  Ëfpagnols  ne  fe  laffèrent  point  d'admirer.  Les 
murs  étoient  un  mélange  de  Marbre,  de  Jafpe,  de  Porphyre,  &  de  difFé- 
jrentes  pierres;  les  unes  noires  &  rayées  de  rouge,  d'autres  blanches,  qui 

jet" 

(m)  Carreri,  Tonte  ç.  Çbap.  3.  page  31.        '  j  ^    k  '"^  .  - 


Description 
DR   LA  Nou* 
V£LLE   Espa- 
gne. 


^cs  Femmes. 


Autres  Mai- 
fons  impéria- 
les ,  &  leurs 
iïngiilarités. 


446       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

jetcoiencun  éclat  merveilleux.  Les  toîts  écoient  de  planches,  jointes  a- 
vec  beaucoup  d*artj  minces,  fans  en  être  moins  fermes.  Toutes  les  cham- 
bres étoient  curieufement  parquetées  de  cèdre  ou  de  cyprès,  &  nattéi^s  à 
hauteur  d'appui.  Les  unes  étoient  enrichies  de  Tableaux  &,  de  Sculptures, 
qui  repréfentoient  différentes  fortes  d'Animaux;  &  les  autres  revêtues  de 
riches  TapifTeries  de  coton,  de  poil  de  Lapin,  &  de  différentes  fortes  de 
plumes.  A  la  vérité ,  les  lits  ne  répondoient  point  à  cet  air  d'opulence  & 
de  grandeur.  C'étoit  de  (impies  couvertures ,  étendues  fur  des  nattes.  Mais 
peu  d'Hommes  couchoient  dans  ce  Palais.  Il  n'y  refloit ,  le  foir ,  que  les 
Femmes  de  l'Empereur,  dont  on  fait  monter  le  nombre  jufqu'à  trois  mille, 
en  y  comprenant  les  Suivantes  &  les  Ëfclaves.  11  n'étoit  pas  rare  d'en  voir 
cent  cinquante,  qui  fe  trouvoient  groffes  à  la  fois;  mais  l'héritage  du  Thrô- 
ne  regardant  les  leuls  Ënfans  des  trois  Impératrices,  les  autres  étoient  dans 
l'ufage  de  prendre  des  médicamens  pour  faire  périr  leur  fruit.  La  plupart 
étoient  les  Filles  des  principaux  Seigneurs,  entre  lefquelles  Motezuma  s'é- 
toit  attribué  le  droit  de  choiHr  celles  qui  lui  plaifoient.  Elles  étoient  en- 
tretenues avec  autant  de  propreté  que  d'abondance  ;  mais  leurs  moindres 
fautes  étoient  févérement  punies.  Chriftophe  d'Olid ,  &  d'autres  Officiers 
de  Cortez,  en  épouférent  quelques-unes,  dont  l'Empereur  leur  fit  pré- 
fent,  &  qui  reçurent  le  baptême  pour  fe  rendre  dignes  de  l'Alliance  £fpa- 
gnole  (n). 

Outre  le  Tepac,  qui  fignifie  proprement  Palais,  l'Empereur  avoit  dans 
la  Ville  plufleurs  autres  Maifons ,  dont  chacune  -offroit  des  fpeélacies  fort 
flnguliers.  Dans  l'une ,  qui  contenoit  de  grandes  galeries  fur  des  colom- 
nes  de  Jafpe ,  on  voyoit  toutes  les  cfpèces  d'Oifeaux  qui  nq'ifTent  au  Mexi- 
que, &  dont  on  eflime  le  plumage  ou.  le  chant.  Les  Oiieaux  marins  é- 
toient  nourris  dans  un  Etang  d'eau  falée ,  &  ceux  de  Rivière  dans  de  gran- 
des Pièces  d'eau  douce.  Mais  chaque  galerie  étoit  peuplée  de  ceux  des  bois 
^  des  champs,  entre  lefquels  il  s'en  trouvoit  de  fort  étranges,  dont  les 
Ëfpagnois  n'avoient  aucune  connoiiTance.  On  les  plumoit  dans  certames 
faifons,  pour  tirer  un  grand  profîfde  leurs  plumes;  marchandife  précieufe, 
qui  fervoit  à  faire  des  étoffes ,  des  tableaux  &  d'autres  ornemens.  Plus  de 
trois  cens  Hommes  étoient  employés  au  fervice  de  ces  Animaux.  Dans  une 
autre  Maifon ,  l'Empereur  avoit  ion  Equipage  de  chafTe ,  compofé  particu- 
lièrement d'un  grand  nombre  d'Oifeaux  de  proye;  les  uns  dans  des  cages 
nattées  &  commodes;  d'autres  fur  la  perche,  ik  dreffës  à  tous  les  exerci* 
ces  de  la  Fauconnerie.  Une  féconde  cour  de  la  même  Maifon  étoit  rem- 
plie de  Bêtes 'féroces,  telles  que  des  Lions,  des  Tigres,  des  Ours,  &  di- 
verfes  efpèces  inconnues  en  Europe ,  rangées  en  fort  bel  ordre  dans  de 
grandes  cages  de  bois.  Quelques  Relations  vantent,  dans. ce  nombre,  un 
Animal  très  rare,  qu'elles  nomment  le  Taureau  du  Mexique,  &  qui  rcu- 
nilToit  les  propriétés  de  plufleurs  autres  Animaux.    Il  tenoit,  du  Chameau, 

la 

(«)  Il  paroît  que  Cortez  époufa  lui-mê-  fieurs  Femmes,  quoiqu'elles  fufient  Sœurs, 

me,  ou  prit  pour  MaîtrelTe,  une  Fille  de  ce  Ce  fut  l'une  de  ces  deux  Princcfles,  qui  fut 

Pïince,  qui  lui  en  avoit  ofFert  deux ,  croyant ,  mariée  à  d'Olid.    i/errera,  Décad.  3.  Liv.  8. 

dit  Herrera,  qu'il  pouvoit  avoir  auffi  plu-  page  535* 


ans. 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  H.       447 

]à  bofle  des  épaules;  du  Lion,  le  flanc  fec  &  retiré,  la  queue  touffue,  De-criptiow 
&  le  col  arjué  d'une  longue  crinière;  du  Taureau,  les  cornes,  le  pied  ""^  ^^  ^°^' 
fendu  ,  &  fur-tout  la  vigueur  &  la  férocité.  Les  mêmes  Ecrivains  ra-  ^'^^^^  ' 
content  qu'une  troifième  cour  renfermoit  dans  des  vafes  ,  dans  des  ca- 
ves &  d'autres  trous,  un  horrible  affemblage  de  Vipères,  de  Scorpions 
&  d'autres  Animaux  venimeux  ,  jufqu'à  des  Serpens  à  fonnettes  &  des 
Crocodiles,  qu'on  nouriffoit  du  fang  des  Hommes  qui  avoient  été  facri- 
fiés  (0). 

Dans  les  chambres  hautes  de  la  Maifon,  l'Empereur  faifoit  nourrir  des 
Bouffons  &  des  Bateleurs,  des  Nains,  des  Boffus,  des  Aveugles  &  tous 
ceux  qui  avoient  apporté,  en  naiffanc,  quelque  flngularité  monUrueufe.  Us 
avoient  des  Maîtres  qui  leur  faifoient  apprendre  divers  tours  de  fouplelTe, 
convenables  à  leurs  défauts  naturels;  &  leToin  qu'on  prenoit  d'eux  rendoit 
leur  condition  fi  douce,  qu'il  fe  trou  voit  des  Pères  qui  eftropioient  volon- 
tairement leurs  Enfans ,  pour  fe  procurer  une  vie  paifible  &  l'honneur  de 
fervir  à  l'amufement  de  leur  Souverain.  Mais  ce  qui  doit  paroître  encore 
plus  étrange,  c'étoit  cette  Maifon  que  l'Empereur  avoit  choifie  pour  exer- 
cer particulièrement  fes  pratiques  de  Religion;  On  y  voyoit  une  Chapel- 
le, dont  la  voûte  étoit  revêtue  de  lames  d'or  &  d'argent,  enrichies  d'un 
grand  nombre  de  pierres  précieufes,  où  il  fe  rendoit  chaque  nuit,  pour  y 
confulter  fes  Dieux,  au  milieu  des  cris  &  des  hurlemens  qu'on  vient  de  re- 
préfenter. 

D£ux  autres  de  fes  Maifons  tenoient  lieu,  l'une  d'Arfenal  pour  fabriquer 
des  armes ,  &  l'autre  de  Magafin  pour  les  conferver.  Les  plus  habiles  Ou- 
vriers écoient  entretenus  dans  la  première,  chacun  à  la  tête  de  fon  attelier, 
avec  la  diflindlion  qui  convenoit  à  fes  talens.  L'art  le  plus  commun  étoit 
celui  de  faire  des  flèches ,  &  d'éguifer  des  cailloux  pour  les  armer.  On  en 
faifoit  de  prodigieux  amas ,  qui  fe  diflribuoient  régulièrement  aux  Armées 
&  aux  Places  frontières,  mais  dont  il  redoit  toujours  une  grande  partie 
dans  le  Magâfîn.  Les  autres  armes  écoient  des  arcs,  des  carquois,  des- 
maffues ,  des  épées  garnies  de  pierre,  qui  en  faifoit  le  tranchant ,  des  dards , 
deszagaies,  des  frondes,  &jttfqu'aux  pierres  qu'elles  fervoient  à  lancer, 
,  des 


(0)  Solis  doute  de  la  vérité  de  ce  récit', 
&  ne  le  croit  fonde  que  fur  de  faux  bruits , 
parce  que  les  Hiftoriens  de  fa  Nation ,  qui 
l'ont  publié,  ajoutent,  dit -il,  que  cet  af- 
freux étalage  ne  parut  point  aux  yeux  des 
Efpagnols ,  qui  en  trouvèrent  feulement  des 
veftiges ,  Tome  i.  Cependant  voici  les  pro- 
pres termes  d'Herrera:.  „  Us  donnoient  aux 
„  Serpens  le  fang  des  Viftimes  humaines. 
,y  Quelques-uns  difentmême  qu'on  leur  en 
„  donnoit  de  la  chair;  ce  qui  les  faifoit  crol- 
„  tre  prodigieufement.  Les  Caftillans  ne 
„  leur  en  virent  pas  manger;  mais  ils  trou- 
„  vèrent  le  lieu  figé  de  fang  &  d'une  horri- 
„  ble  puanteur-  Us  admirèrent  l'emprelTe- 
„  mène  des  Hommes  qui  ètoleat  occupés 


„  dans  cette  Maifon  au  foin  des  Oifeaux, 
„  des  Bêtes  farouches  &  des  Serpens.  Ils 
„  n'entendoient  pas  d'abord  fans  horreur  & 
„  fans  épouvante  les  fifflemens  des  Serpens, 
„  les  rugiffeméns  des  Lions ,  les  glapiflemens 
„  des  Ours  &  des  Tigres,  &  d'autres  cris 
„  que  la  faim  ou  la  contrainte  de  leur  cap- 
„  tivité  faifoit  pouffer  à  tant  d'efpèces  diffé- 
„  rentes.  Cependant  ils  s'y  accoutumèrent 
4,  à  la  fin ,  &  quelques-uns  difoient  feulement 
„  que  cette  Maifon  étoit  une  véritable  ima- 
„  ge  de  l'Enfer"..  Décad.  5.  Liv.  7.  Cbap. 
10.  Thomas  Gage ,  qui  avoit  fait  un  fi  long 
féjour  dans  la  Nouvelle  Efpagne,  s'accorde 
avec  Herrera,  &  ne  rabbat  rien  de  cette 
peinture.    Liv.  i.  Cbap,  16, 


D£    LA    NOU. 

VliLLB     ËSPA 

CNB. 


448        D  E  S  C  R  I  P  T  I  O  N    D  0    M  E  X  I  Q  U  E, 

Descriftion  des  cuirafles,  des  cafques  ,  des  cafaques  de  coton  piqué  qui  réfiftoient  aux 
T,„  ,.  v„„  j^^^i^gj^  jç  petits  boucliers,  &  de  grandes  rondaches  de  peau,  qui  cou- 
vroient  tout  le  corps,  &  qui  fe  portoient  roulées  fur  l'épaule,  jufqu'à  l'oc- 
cafion  de  combattre.  Les  armes  deftinées  à  l'ufage  de  l'Empereur  étoient 
dans  un  appartement  particulier,  rufpendues  en  fort  bon  ordre,  ornées  de 
feuilles  d'or  &  d'argent,  de  plumes  rares  &  de  pierres  précieufes,  qui  for> 
moient  un  fpeélacle  éclatant.  Cortez,  &  tous  les  Efpagnols  qui  l'avoient 
accompagné  dans  le  premier  Voyage,  ne  s'étoient  point  lafTés  d'admirer 
ce  dépôt  militaire.  Ils  l'avoient  trouvé  digne  du  plus  grand  Mo.::arque& 
de  la  plus  brave  Nation. 

,'  Mais  de  tous  les  Palais  de  Motezuraa,  celui  qui  leur  caufa  le  plus  d'é- 
tonnement  fut  un  grand  Edifice,  que  les  Mexiquains  nommoient  laMaifon 
de  triflefle.  C'étoit  le  lieu  où'  ce  Prince  fe  retiroit  avec  peu  de  fuite, 
lorfqu'il  avoit  perdu  quelque  Femme  ou  quelque  Parent  ^u'il  aimoit ,  & 
dans  les  calamités  publiques  qui  demandoient  un  témoignage  éclatant 
de  douleur  ou  de  compaHion.  La  feule  architedlure  de  cette  Maifon 
fembloit  capable  d'infpirer  les  fentimens  qu'il  y  portoit.  Les  murs,  le 
toît,  &  tous  les  meubles,  en  étoient  noirs  &  lugubres.  Les  fenêtres  é- 
toient  petites,  &  couvertes  d'une  efpèce  de  jaloufies  fl  ferrées,  qu'elles 
laiflbient  à  peine  quelque  paflage  à  la  lumière.  Il  demeuroit  dans  cette 
affreufe  retraite,  auffi  long-tems  que  fes  regrets  lui  faifoient  perdre  le  goût 
du  plaidr. 

Toutes  les  autres  Maifons  impériales  étoient  accompagnées  de  Jardins 
fort  bien  cultivés.  Les  fruits  &  les  légumes  en  étoient  banni« ,  par  la  feu- 
le raifon  qu'il  s'en  vendoit  au  Marché ,  &  que  fuivant  les  principes  de  la 
Nation,  un  Prince  ne  devoit  pas  chercher  du  plaifir  dans  ce  qui  iaifoit  un 
objet  de  lucre  pour  fes  Sujets.  Mais  on  y  voyoit  les  plus  belles  fleurs  d'un 
heureux  climat,  difpofées  en  compartimens  jufques  dans  les  cabinets,  & 
toutes  les  herbes  médecinales  que  la  Nouvelle  Efpagne  produit  avec  autant 
de  variété  que  d'abondance.  Motezuma  fe  faifoit  honneur  de  laiffer  pren- 
dre gratuitement  dans  {es  Jardins  tous  les  Simples  dont  les  Malades  de 
Mexico  avoient  be'foin ,  &  dont  les  Médecins  du  Pays  compofoient  leur», 
remèdes.  Tous  ces  Jardins  &  toutes  ces  Maifons  avoient  plufîeurs  Fontai- 
nes d'eau  douce,  qui  venoient  des  deux  grands  Aqueducs,  par  des  conduits 
détachés. 

Les  Maifons  de  la  Noblefle  dévoient  être  en  fort  grand  nombre ,  puifque 
l'Empire  n'avoit  pas  moins  de  trois  mille  Caciques,  ou  Seigneurs  de  Villes, 
qui  étoient  obligés  de  venir  pafler  une  partie  de  l'année  dans  la  Capitale  ; 
fans  compter  laNobleiTe  inférieure  &  les  Officiers  du  Palais.  Elles  étoient 
bâties  de  pierre,  vaftes,  environnées  auffi  de  jardins, &  de  toutes  les  com- 
modités qui  font  le  partage  de  la  fortune  &  de  la  grandeur.  Les  Edifices 
public^  n'étoient  pas  moins  magnifiques,  fur-tout  les  Temples,  dont  on 
remet  la  defcription  à  l'article  des  Divinités  &  des  Sacrifices.  Entre  plu- 
fîeurs grandes  Places ,  qui  faifoient  un  des  principaux  ornemens  de  Mexi- 
co, &  qui  fervoient  de  Marchés,  fous  le  nom  général  de  TianguitzU^  que 
les  Efpagnols  ont  changé  depuis  en  Tianguez,  on  vante  beaucoup  celle 
flu'on  a  déjà  nommée  Tlateluco.  Il  ne  paroîtra  point  furprenant  qu'elle 
.  eûif 


Autres  Edi- 
fices, &  Pla- 
ces de  Mexi- 

Ç9.     ■ 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       440 

eftt  pu  contenir  les  trois  Divifions  de  l'Armée  Efpagnole,  à  la  dernière  at- 
taque de  Cortez,  puifqu'on  lui  donne  tant  d'étendue,  que  dans  les  Foires, 
qui  s'y  tenoient  à  certains  jours ,  il  s'y  raflembloit  plus  de  cent  mille  Hom- 
mes. On  y  voyoit  paroître  toutes  les  produftions  de  l'Empire.  Elle  étoit 
remplie  de  tentes ,  fi  ferrées  dans  leurs  alignemens ,  qu'à  peine  y  trouvoit- 
on  la  liberté  du  paflage.  Chaque  Marchand  connoifloit  k)n  pofle;  &  les 
Boutiques  étoient  couvertes  de  toiles  de  coton ,  à  l'épreuve  du  Soleil  &  de 
la  pluye.  Toutes  les  Relations  Efpagnoles  s'étendent  beaucoup  fur  le  nom- 
bre &  la  variété  des  marchandifes.(/)).  ,     . 

Si 


(p  )  Hcrrcra  ne  fe  lafle  point  de  ce  détail, 
ubifuprà,  Chap.  15.  &  16.  Gage  fe  conten- 
te d'en  donner  une  idée  qu'on  croit  devoir 
placer  ici,  parce  qu'elle  contient  les  feules 
lumières  qu'on  att  fur  le  Commerce  &  les 
Arts  des  anciens  Mexiquains. 

Les  Marchandifes  les  plus  communes  é- 
toient  diverfes  fortes  de  nattes,  fines  &  gref- 
fes; toutes  fortes  de  vaifleaux  de  terre  peints 
ou  vernis,'  des  peaux  de  divers  Animaux, 
fur-tout  de  Cerfs,  apprêtées  fans  poil  &  a- 
vec  le  poil,  &  diverfement  colorées.  Des 
Oifeaux  en  plumes ,  de  toutes  les  cfpèces  & 
de  toutes  les  couleurs;  des  amas  de  plumes, 
dont  on  dépouilloit  les  Oifeaux,  en  certai- 
nes faifons;  du  fel;  des  toiles  &  des  draps 
de  coton;  des  toiles  compofées  de  feuilles 
&  d'écorce  d'arbres,  de  poil  de  Lapin,  & 
de  plumes  ;  du  fil  de  poil  de  Lapin  ;  d'autres 
fils  de  toutes  les  couleurs.  Il  y  avoit  des 
lieux  particuliers  pour  les  chofes  qui  tenoient 
beaucoup  d'efpace ,  comme  la  pierre ,  la 
chaux,  la  brique,  &  les  autres  matériaux  de 
conftruflion. 

Mais  la  plus  riche  partie  du  Marché  étoit 
celle  où  l'on  vendoit  les  ouvrages  d'or  &  de 
plumes.  On  y  trouvoit  tout  ce  qui  pouvoit 
demander  d'être  repréfenté  au  naturel,  en 
plumes  de  toutes  fortes  de  couleurs.  Les 
Mexiquains  étoient  fi  •  experts  dans  cet  art , 
&  repréfentoient  fi  bien  les  Animaux,  les 
Arbres ,  les  Fleurs ,  les  Herbes  &  les  Raci- 
nes, que  ces  Ouvrages  faifoient  l'admiration 
des  Efpagnols.  Us  dévoient  leur  habileté  à 
leur  application  ;  car  fouvent  un  Ouvrier 
pafibit  un  jour  entier  fans  manger,  pour  met- 
tre une  plume  à  fa  vraie  place  ,  la  tournant 
&  la  retournant,  une  infinité  de  fois  au  jour 
&  à  l'ombre ,  pour  juger  mieux  de  fon  effet. 
Leur  Orfèvrerie  étoit  auflî  fort  belle.  Us 
faifoient  d'excellens  ouvrages  au  moule ,  & 
les  gravoient  enfuite  avec  des  poinçons  de 
caillou;  entr^autres  des  plats  à  huit  faces, 
chacune  d'un  métal  différent,  c'eft-à-dire  al- 
ternativement d'or  &  d'argent ,  fans  aucune 
foudure,  &  des  chaudrons  avec  des  anfes. 

XriII.  Part. 


DESCSTPTToiè 

DB    LA    NOU- 

V£LLI!     EsfA' 

ONE. 

Grand  Mar- 
ché de  Tiatc- 
luco,  &  fes 
marchandifc9. 


Ils  jettoient  aufllî  en  moule  desPoifl*ons,  dont 
les  écailles  étoient  mêlées  d'or  &  d'argent  ; 
des  Perroquets,  qui  remuoicnt  la  tête,  h 
langue  &  les  allés  ;  des  Singes ,  qui  faifoient 
divers  exercices,  tels  que  de  filer  au  fufeau, 
de  manger  des  pommes  ,  &c.  Ils  enten- 
doient  auin  fort  bien  l'art  d'émailler,  &  da 
mettre  en  œuvre  toutes  fortes  de  pierres  pré-» 
cieufes. 

Dans  la  même  partie  du  Marché,  on  ven- 
doit de  l'or,  de  l'argent,*  du  cuivre,  du 
plomb,  du  laiton  &  de  l'étain,  mais  peu  de 
ces  trois  derniers  métaux.  On  y  vendoit  des 
perles ,  des  pierres  précieufes ,  toutes  fortes 
de  coquilles  &  d'épongés,  des  amandes  de 
cacao ,  qui  /ervoient  de  monnoie  courante 
dans  le  Pays  ;  comme  à  préfent  même  fix  ou 
fept  vingts  de  ces  plus  groffes  amandes  ,  & 
deux  cens  des  moindres ,  valent  une  réale  de 
cinq  fous,  &  fervent  encore-,  aux  Indiens 
de -la  Nouvelle  Efpagne  ,  pour  acheter  les 
denrées.  On  y  vendoit  diverfes  fortes  de 
couleurs  &  de  belles  teintures  ,  qu'ils  fai- 
foient avec  des  tofgs  &  d'autres  fleurs ,  avec 
des  fruits,  des  écorces  d'arbres  &  diverfes 
efpèces  de  végétaux. 

II  y  avoit  un  quartier  pour  les  herbes ,  les 
racines  &  les  graines ,  tant  celles  qui  fe  man- 
gent ,  que  celles  qu'on  employoit  à  la  Méde- 
cine; car  ils  avoient  tous  une  grandg  con- 
noilTance  des  Simples ,  jufqu'aux  Femmes  & 
aux  Enfans.  Dans  un  autre  quartier,  on 
vendoit  toutes  fortes  de  fruits,  tant  verds 
que  murs.  Dans  un  autre,  toutes  fortes  du* 
viande,  entièreou  par  quartiers;  comme  des 
Chevreuils,  des  Lièvres,  des  Lapins  ,  des 
Chiens  fauvages ,  &  d'autres  Animaux  qu'ils 
prenoient ,  ou  qu'ils  tuqient ,  à'  la  chalTe. 
On  y  vendoit  jufqu'à  des  Couleuvres ,  aux- 
quelles on  avoit  coupé  la  tête  &  la  queue, 
de  petits  Chiens  châtrés ,  des  Souris ,  des 
Rats  &  de  longs  Vers.  Une  vente  confidé- 
rable  étoit  celle  d'une  forte  de  terre ,  ou  d'un 
limon  poudreux,  qui  s'auiairoit,  dans  une 
certaine  faifon  de  l'année,  fur  l'eau  du  Lac, 
&  qui  reffembloit  d'abord  à  l'écume  de  la 
L  1  I  Mer; 


PBfCRirTION 
I)E  LA  NOU' 
V«LLE    EtI'A- 


Mefurcs  de 
Cortcz  pour 
rcl)âtir  Mexi- 
co. 


♦50       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Si  l'on  joint  à  tous  les  traits  de  cette  Defcription ,  deux  cens  mille  Ca*> 
nots  de  différentes  grandeurs ,  qui  volcigcoient  fans  cefTe  fur  le  Lac ,  pour 
les  communications  d'un  bord  à  l'autre ,  &  plus  de  cinquante  mille  qui  é- 
toient  habituellement  occupas  dans  les  feuls  Canaux  de  la  Ville  (9),  on  ne 
trouvera  point  d'exagération  dans  la  première  idée  que  les  Mexiquains  a- 
voient  fait  prendre,  aux  Ëfpagnols,  de  la  Capitale  de  leur  Empire.  Ccpen* 
dant  cette  magnificence  barbare  n'approchoit  point  de  celle  où  Cortez  1  éle* 
va  bientôt,  en  lui  donnant  une  nouvelle  forme. 

Pendant  qu'il  prenoit  quelques  jours  de  repos  à  Cuyoacan ,  il  fit  faire  de 
grands  feux  dans  toutes  les  rues  de  Mexico,  pour  purifier  l'air.  Un  grand 
nombre  d'Habitàns,  qu'il  deflinoit  aux  travaux  publics,  fut  marqué  d'un 
fer  chaud  (r).  Le  relie  obtint  la  liberté  de  fe  retirer,  ou  de  contribuer 
volontairement  au  rétablilTement  de  la  Ville.  Tous  les  Indiens ,  qui  l'a- 
voient  fervi  pendant  le  Siège,  reçurent  des  récompenfes  proportionnées 
à  leur  zèle;  fur^tout  les  Tlafcalans,  qui  partirent  chargés  de  richefres,&; 
que  la  Cour  d'Efpagne  diftingua,  dans  la  fuite,  par  une  exemption  perpé- 
tuelle de  toutes  fortes  de  tributs.  Ceux  ,  qui  fe  trouvèrent  difpofés  à  s'é- 
tablir dans  la  Ville ,  en  reçurent  la  permifTion.  Mais  entre  ces  premiers 
foins,  Alderete,  qui  avoit  été  nommé  Tréforier  général,  n'oublia  point 
les  tréfors  de'Cuatimozin,  fur  lefquels  il  fembloit  que  les  Vainqueurs  pou- 
voient  s'attribuer  de  juftes  droits.  Le  délai,  que  Cortez  apportoit  à  cette 
recherche,  avoit  déjà  fait  naître  des  murmures.  On  le  foupçonnoit  de 
s'entendre  avec  les  principaux  Officiers ,  pour  détourner  l'or  &  l'argent  ;  & 
les  plus  hardis  menaçoienrouvertement  d'en  écrire  à  la  Cour.  Il  y  a  beau- 
coup d'apparence  qu'un  motif  d'honneur  lui  fit  fermer  les  yeux  fur  les 

moyens 


JMer;  mais  qui  étant  enlevée  avec  dés  re- 
féaux ,  &  condenfée  en  grnnds  tas ,  fervoit  à 
faii«  des  gâteaux  plats ,  en  forme  de  brique. 
Cette  marchandife  n'étoit  pfis  recherchée  feu- 
lement des  Habitans  de  Mexico  ;  elle  s'en- 
voyoit  au  loin  dans  les  Provinces,  où  elle 
étoit  auflî  eftimée  que  le  meilleur  fromage 
l'eft  en  Europe.  On  crojroit  même  que  c'é- 
toit  l'excellence  de  cette  écume  qui  attiroit 
tant  dlOifeaux  fur  le  Lac  ,  particulièrement 
en  Hiver,  où  le  nombre  en  étoit  infini. 

Tous  les  Marchands  du  Tlateluco  payoient 
à  l'Empereur  un  droit  pour  leurs  Boutiques  ; 
moyennant  lequel  ils  dévoient  être  garantis 
des  Voleurs,  par  des  Officiers  qui  veilloient 
inceflamment  à  la  fureté  du  Commerce.  Il 
y  avoit,  au  milieu  de  ce  grand  Marché,  un 
Edifice ,  d'où  l'on  en  pouvoit  voir  toutes  les 
parties;  &  dans  lequel  douze  Vieillards  te- 
noient  leur  Siège»  pour  juger  toutes  fortes 
dç  Procès  &  de  différends.  Le  principal 
Commerce  fe  faifoit  par  échange.  On  don- 
îioit  une  Poule  pour  un  faifceaude  maïz, 
de  la  toile  pour  du  fel,  &c.  Les  cacaos  fer- 
voicnt  de  monnoie  courante  pour  les  ap- 
lîoints   lis  avoicnt  des  mefures  de  bols ,  pour 


les  grains  fie  les  blés  ;  des  mefures  de  corde , 
pour  les  herbes ,  &  des  mefures  de  terre,  pour 
l'huile,  fe  miel  &  les  liqueurs.  Toutes  les 
infraftions  de  la  juftice  naturelle  ctoicnt  pu- 
nies avec  la  dernière  févérité.  L'Empereur 
traitoit  favorablement  ceux  qui  apportoient 
de  nouvelles  marchandifes ,  des  Pays  étran- 
gers. Voyage  de  Thomas  Gage,  Tome  i. 
Chapitre  19.  Herrera ,  parlant  des  ouvra- 
ges d'or  &  d'argent,  qui  fe  vendoient  au 
Tlateluco,  affùre  qu'ils  donnoient  de  l'ad- 
miration aux  meilleurs  Orfèvres  de  Caflillc, 
qui  ne  concevoient  point  comment  des  Bar- 
bares pouvoient  atteindre  à  cette  perfeftion , 
fans  marteau  &  fans  cifeau.  11  parle  des  ou- 
vrages de  plumes  avec  le  même  étonnenient, 
fur -tout  aes  portraits  d'Hommes  &  d'Ani- 
maux. Il  ajoute  qu'on  en  apporta  au  Pape, 
dans  un  tems  où  la  Peinture  étoit  déjà  fort 
cultivée  en  Italie,  &  qu'il  n'y  avoit  point 
de  deffein,  ni  de  coloris,  qui  les  furpiffît, 
ubifuprà,  Chap.  15» 

(î)  Herrera,  ubifuprà,  Thomas  Gage, 
Tome  I.  Cbap.  iç- 

(r)  Herrera,  ubifuprà,  Chap.  8*    -^ 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        1^51 

* 

moyens  qui  furent  employés  pour  forcer  l'Empereur  à  déclarer  fea  richef- 
les  (f).  Après  crinutiies  menaces,  on  prit  le  parti  de  livrer  ce  malheu- 
reux Prince  à  laquedion,  avec  un  des  principaux  Seigneurs  de  fa  fuite, 
qui  expira  dans  les  tourmens ,  fans  aucune  marque  de  foiblefle.  On  jugea 
néanmoins,  par  les  regards  touchans  qu'il  jettoit  fur  fon  Maître,  quau 
milieu  de  fa  douleur  il  lui  demandoit  la  permiflion  de  parler;  &  l'on  crut 
comprendre  aulFi,  par  ceux  de  l'Empereur,  &  par  quelques  mots,  dont  ils 
furent  accompagnes,  qu'il  lui  reprocnoit  de  manquer  de  confiance  &  d'hon- 
neur. Enfin  Cortez  employa  fon  autorité  pour  faire  ceflTer  cette  odieufe 
exécution ,  &  fa  conduite  fut  applaudie  de  toute  l'Armée.  Cependant  il 
paroît  aufli  qu'il  ne  prit  cette  refolution ,  qu'après  avoir  fait  confeffer  à 
Guatimozin  qu'il  avoit  jette  fon  tréfordans  le  Lac  (t).  Tous  les  Hifto- 
riens  affurent  du  moins  mie  lesEfpagnols  s'attachèrent  long-tems  à  le  cher- 
cher au  fond  des  eaux,  oc  que  n'en  ayant  rien  découvert ,  ils  demeurèrent 
furpris  qu'on  eût  trouvé  le  moyen  de  leur  dérobber  tant  de  richeffes.  Quel- 
ques Prifonniers  indiquèrent  pluiîeurs  fépultures,  où  l'on  trouva  une  petite 
quantité  d'or. 


(s)  Ibid.  L'HIftorien  s'enveloppe  ici  dans 
des  exprefllons  aiTez  obfcurcs.  il  convient 
que  Cortez  fut  fenfible  aux  murmures  de  fos 
Soldats ,  &  qu'il  chercha  quelque  moyen  de 
les  fatlsfairc;  mais  il  rejette  les  réfolutions 
violentes  „  fur  plufleurs  perfonnes  qui  de* 
„  meurèrent  d'accord,  dit-il,  que  Guatimo- 
„  zin  devoit  être  mis  à  la  quedion  ". 

(t;  Ibid.  Cortez,  ajoute  encore  l'Hifto- 
den,  s'excufa  du  fait,  &  dit  qu'il  avoit  été 


DciCnTPTrrtN 
DB  i.A  Mou- 
ville   JLtPk' 

ONt. 

L'Empe- 
reur cft  mià  à 
la  qucftioii. 
Sa  conllancc. 


prié,  importuné,  &  môme  menacé  par  AI- 
derete.  Ce  qu'il  y  a  de  certain  ,  c'eft  que 
le  malheureux  Empereur  du  Mexique  ne 
prolongea  fa  vie  que  pour  en  pafler  le  refte 
dans  l'humiliation,  &  qu'environ  deux  ans 
après  il  fut  condamné  à  la  perdre  par  un  fup- 
plice  honteux ,  fur  la  dépofition  d'un  Sei- 
gneur du  Pays,  qui  l'accufa  d'avoir  confpiré 
contre  les  Éfpagnols,  Herrera,  Décad.  3. 
Liv.  7.  Cbap.  g. 


5.    IL         t. 
Nouvelle  forinc  de  Mexico  y  après  la  Conquête. 


>i'i 


COrtez,  s'étant  déterminé  à  rebâtir  la  Capitale  du  Mexique  fur  de 
nouveaux  fondemens ,  commença  par  y  rétablir  l'ordre,  en  créant  de 
nouveaux  Magiflrats ,  &  fur-tout  un  grand  nombre  d'Officiers  pour  l'entre- 
tien de  la  Police.  Ses  Brigantîns ,  qui  demeurèrent  à  la  vue  du  Rivage , 
fous  le  commandement  de  Rodrigue  de  Villa- Fuerte^  &  la  meilleure  partie 
de  fon  Canon,  qu'il  mit  en  batterie  dans  le  Pofle  qu'il  avoit  fait  prendre 
à  fes  Troupes,  lui  répondoient  de  la  foumiflion  des  Habitans.  Mais,  pour 
ne  rien  donner  au  halard,  il  fit  féparer  la  demeure  des  Efpagnols,  de  celle 
desIndienSi,  par  un  large  Canal;  &  cette  féparation  a  duré  jufqu'aujour- 
d'hui.  La  promefle  qu'il  avoit  fait  publier,  de  donner,  à  tous  les  Indiens, 
qui  voudroient  s'établir  fous  fa  proteélion,  un  fond  pour  bâtir,  dont  leurs 
Enfans  hériteroient  après  eux ,  &  des  privilèges  qui  les  diflingueroient  du 
refte  de  la  Nation ,  lui  attira  plus  de  monde  qu'il  n'avoit  ôfé  l'efpérer.  Il 
donna,  aux  principaux  Seigneurs,  des  rues  entières  à  bâtir,  en  les  nom- 
mant Chefs  des  Quartiers  qu'ils  auroient  peuplés.  Dom  Pierre  Motezuma , 
fils  de  l'Empereur  de  ce  nom,  ^Xitinaco,  Général  des  Troupes  de  Guati- 

Lll  a 


mo' 


DlICftlfTION 
VU  LA  NOU- 
VILLI    EsPA- 

osri. 


45»        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

mozin,  furent  didingiids  dans  cette  diftribution.    On  prit  le  parti  de  rem-- 
plir  la  plupart  des  anciens  Canaux,  iorfqu'on  eut  obiervé  qu'ils  jettoient 

Suelquefois  une  vapeur  incommode.  Le  travail  fut  poufTë  avec  tant  d'ar< 
eur,  que  dans  rcfpace  de  peu  de  mois,  on  vit  naître  environ  cent  mille 
Maifons,  beaucoup  plus  belles,  &  dans  un  meilleur  ordre  que  les  ancien- 
nes. Les  Efpagnols  bâtirent  à  la  manière  d'Efpagne;  &  Cortez  fe  fit  éle- 
ver, fur  les  débris  du  Tezpac,  un  Palais  fi  fomptueux  (a),  qu'aujourd'hui 
même,  qu'il  continue  de  fervir  de  logement  aux  Vicerois,  il  n'eft  pas  loué 
moins  de  quatre  mille  ducats  ,  au  profit  de  fes  Defcendans.  Pour  faire 
prendre  une  forme  folide  à  fon  Ëtabiiiremcnt ,  il  engagea  tous  les  Efpagnols 
mariés  à  faire  venir  leurs  Femmes;  &  quantité  d'autres  familles  Caltilîanes 
y  vinrent  à  fa  follicitation.  Le  Commandeur  Leonel  de  Cervantes  donna 
l'exemple,  avec  fept  Filles  &  plufieurs  Fils  qu'il  avoit  eus  d'un  feul  maria- 
ge, &  qui  trouvèrent  aufiitôt  l'occafion  de  s'établir  avec  honneur.  On  fit 
apporter,  des  Ides  conquifes,  un  grand  nombre  de  Vaches,  de  Truies, 
de  Brebis,  de  Chèvres,  &de  Jumens;  deS' Cannes  de  fucre,  &  des  Meu* 
riers  pour  les  Vers  à  foie.  Plufieurs  Flottes,  arrivées  fucceflTivement  de 
Cadille ,  répandirent  dans  la  Colonie  une  grande  abondance  des  plus  utiles 
provifions  de  l'Europe.  Jl  y  arriva  des  Ouvriers,  qui  formèrent  toutes  for- 
tes de  Manufa£lures.  L'Imprimerie  même  y  fut  introduite,  &  l'on  y  fa- 
briqua de  la.  Monnoie.  Cortez ,  n'ayant  pas  manqué  de  faire  travailler  aux 
Mines,  en  tira  beaucoup  d'or  &  d'argent.  11  découvrit  des  Mines  de  fer 
&  de  cuivre,  qui  le  mirent  en  état  de  faire  fondre  de  TArtillerie:  &  dés 
Tannée  fuivante,  il  s'en  trouva  trente-cinq  pièces  de  bronze,  &  foixante 
de  fer.  Enfin,  peu  de  tems  après  la  conquête,  Mexico  étoit  la  plus  belle 
Ville  des  Indes;  Herrera  dit,  la  plus  grande  &  la  plus  peuplée  (6);  &  par 
dégrés,  elle  efl:  devenue,  fuivant  le  témoignage  de  tous  les  Voyageurs, 
une  des  plus  riches  &  des  plus  magnifiques  du  Monde. 

Quoiqu'ils  s'accordent  tous  dans  cet  éloge,  leurs  Defcriptions  fe  reflem- 
blent  moins.  Comme  cette  différence  femble  venir  de  celle  des  tems,  qui 
changent  la  perfpeélive  par  des  progrès  &  des  embelliflemens  continuels, 
on  ne  voit  point  de  meilleure  méthode,  pour  lever  les  doutes  du  Leftetir 
&  l'embarras  de  ceux  qui  feront  le  même  Voyage ,  que  de  rapporter  cha* 
que  peinture  à  l'année  qu'elle  regarde.  Commençons  par  celle  de  Ga-; 
ge  (c  ),  qui  paroît  la  plus  ancienne. 

S.  III. 


Nota.  Voyez  le  Nouveau  Mexico,  au  To- 
me XVr.  R.  d.  E. 

(a)  Gaj^e,  ubifuprà,  page  157.  II  rap- 
porte, après  Herrera ,  qu'on  y  avoit  employé 
fept  mille  grofles  poutres  de  cèdre. 

(  é  )  Herrera,  Décad.  3.  Liv.  4.  Chap.  8. 

(  c)  f^oyage  de  Thomas  Gage,  Jacobin  An- 
glois,  qui  s'etant  embarqué  à  Cadix,  en  1625, 
pour  les  Milfions  des  Philippines ,  trouva 
tant  d'agrément  dans  la  Nouvelle  Efpagftc, 
qu'il  prit  le  parti  d'y  demeurer.  Après  y  a- 
voir  fait  un  long  féjour ,  il  revint  en  Angle- 
terre, oùfaFaioille  teuoic  un  rang  conlide- 


rable.  Sa  Relation ,  qu'il  publia  bientôt  en 
Anglois,  eut  un  fuccès  étonnant;  parce  qu'il 
étoit  le  premier  Etranger  qui  eût  parlé ,  a- 
vec  connoifTance,  d'un  Pays  dont  les  Efpa- 
gnols ferment  foigneufement  l'entrée.  L'Au- 
teur de  la  Préface  nous  apprend  que  cctt« 
raifon  porta  Mr.  Colbert  à  charger  Mr.  de 
Carcavi  de  la  faire  traduire  en  François  par 
Beaulicu,  Hues  o  Neil.  Thevenot  ra  don- 
née auffi  en  François  dans  le  fécond  Tome 
de  fon  Recueil,  avec  une  Hirtoire  des  Me- 
xiquains,  en  Figures  hiéroglyphiques,  dont 
on  a.  l'obligation  au  même  Voyageur:    C'elt 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        453 

particulières  n'ayant  rien  d'utile  ni  d'intéref- 
fant,  on  fe  croira  difpcnfé  d'en  faire  un  ar- 
ticle particulier ;*innis  Ils  remarques  enrichi' 
xont  fouvent  no9  Dcfcriptions. 


l'Edition  d'Amfterdam  du  1722,  à  laquelle 
on  s'attache  ici.  Gage  cft  un  Kcrivain  alTcz 
judicieux,  dont  on  ne  peut  foupçonner  rai- 
fonnablomcnt  U  bonne  foi.    Se»  avanturcs 


DEfCRiPTtOW 
1)1!  i.\  Nou> 
V1;LI.B    EsrA« 


5.    I  I  L 

Dcfcription  de  Mexico  en  162$. 

MEXICO,  dit-il,  efl  à  préfent  une  des  plus  grandes  &  des  plus  riche* 
Villes  du  Monde.    Comme  les  Indiens  des  Pays  voinns  ont  été  fub» 
jugués,  &  la  pli^parc  même  anéantis,  les  Efpagnols  y  vivent  dans  une  fi 

§rande  fécurité,  qu'ils  n'ont  point  de  Portes,  de  Murailles,  de  Battions, 
e  Tours  &  de  Plate -formes,  non  plus  que  d'Arfenal,  d'Artillerie  &  de  Mu- 
nitions. Saint- Jean  d'Ulua  leur  paroit  fuffire,  pour  les  défendre  contre  les 
invafions  des  Etrangers.  On  peut  dire  que  la  Capitale  de  la  Nouvelle  Ef- 
pagne  a  été  rebâtie  une  féconde  fois,  depuis  Cortez;  carperfonne  n'ôfe^ 
roit  prétendre  qu'elle  contienne  cent  mille  Maifons,  comme  ehe  les  conte- 
noit  d^iàs  ia  Conquête,  ce(l*à-dire,  dans  un  tems  où  Cortez  en  faifoît  ha^ 
biter  la  plus  grande  partie  par  des  Indiens.  Ceux  ,  qu'on  y  voit  aujour- 
d'hui, demeurent  dans  un  des  Fauxbourgs  de  la  Ville,  nommé  Guadalupa, 
qui  pouvoit  avoir,  en  1625,  environ  cinq  mille  Habitans.  ^PluOeurs  pau- 
vres Efpagnols  époufent  des  Indiennes.  D'autres  les  débauchent.  Ils  ufur- 
pent,  de  jour  en  jour,  les  fonds  fur  lefquels  leurs  Maifons  font  bâties;  de 
de  trois  ou  quatre  Maifons  d'Indiens,  ils  en  bâtiiTent  une  grande,  à  la  ma- 
nière  d'Eiçagne,  avec  des  Jardins  &  des  Vergers:  de  forte  que  la  Ville  efl: 
prefqu'entièrement  rebâtie  de  beaux  &  grands  Edifices  de  pierre  &  de  bri- 
que, mais  peu  élevés,"  parce  qu'il  y  arrive  fouvent  des  tremblemens  de  ter- 
re qui  les  mettroient  en  danger  ,  s'ils  avoient  plus  de  trois  étages.  Les 
Hues  font  (1  larges ,  que  trois  carofTes  peuvent  aller  de  front  dans  les  plus 
étroites,  &  (ix  au  moins  dans  les  plus  larges;  ce  qui  fait  paroître  la  Ville 
beaucoup  plus  grande  qu'elle  n'eft  en  effet.  On  m'affura  (a)  que  fes  Ha- 
bitans Efpagnols  étoient  environ  quarante  mille;  la  plupart  H  riches,  que 
plus  de  la  moitié  de  ce  nombre  entretenoit  de  fomptueux  équipages.  Il  e(t: 
certain  qu'on  comptoit  dans  la  Ville  plus  de  quinze  mille  caroffes. 

Les  Rues  des  Villes  de  l'Europe  n'approchent  point  de  la  netteté  de  cel- 
les de  Mexico.  La  plus  grande  Place  efl  celle  du  Marché ,  qui  fe  nommoic 
Tlateluco,  avant  la  Conquête.  Quoiqu'elle  ne  foit  plus  fi  fpacieufe  que  du 
tems  de  Motezuma,  eUe  efl  encore  fort  belle  &  d  une  flnguliére  étendue. 
Un  des  côtés  efl  bâti  en  arcades ,  fous  lefquelles  on  efl  a  couvert  de  Iji 
pluie,  &  qui  font  bordées  de  Boutiques;  il  y  a  toujours  des  Femmes  qui 
vendent  des  légumes  &  des  fruits.  Du  côté  qui  fait  face  aux  arcades ,  là 
Place  offre  le  derrière  du  Palais,  qui  contient  prefque  toute  fa  longueur  au- 
vec  les  Cours  &  les  Jardins  qui  en  dépendent.  Au  bout  du  Palais,  on  trou- 
ve la  principale  Prifon  de  la  Ville.    Proche  de-li  efl  la  belle  Rue^  qui  fê 

nom^- 

(a.)  Quoiqu'on  faffe  parler  Gage,  ceci  n'eft  qu'un  extrait  de  piuricur^s  Chapitres- 

-     LU  3         •     . 


■  t 


454       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Oejcrtptiox  nomme  Plattria,  ou  Rue  des  Or/éwes ^  dan»  laquelle  on  peut  voir,  en  moini 
VILLE*  eIJa  ^*""*^  heure,  plufieurs.  millions  en  or,  en  argent,  en  Perle»  &  en  Pierrei 
cNc.  précieufes.  La  Rue  de  Saint  /iugujlin,  qui  contient  la  plupart  dei  Mar- 
chands de  foye,  efl  auÛI  fort  riche  &  fort  agréable.  Mais  une  des  plus 
longues  &  des  plus  larges  Rues  de  la  Ville  ett  celle  qu'on  nomme  Tacuba, 
où  prcfque  toutes  les  Boutiques  font  remplies  d'ouvrages  de  fer ,  d'acier  «Sf 
de  cuivre.  Elle  s'étend  jufqu'à  l'Aqueduc,  qui  conduit  l'eau  des  Monta- 
gnes à  Mexico;  &  fon  nom  lui  vient  de  l'ancien  Buurg  de  Tacuba,  dont 
elle  eH  le  chemin.  Sa  longueur  &  fa  largeur  la  rendent  encore  moins  cé- 
lèbre que  les  aiguilles  qui  s  y  vendent ,  &  qui  paflent  pour  les  meilleures  de 
r Amérique.  Une  autre  Rue,  qui  tient  le  premier  rang  par  la  magnificence 
de  Tes  Maifons,  cil  celle  de  V Aigle ^  ainfi  nommée  dune  ancienne  Idole, 
qui  cd  une  grofle  Aigle  de  pierre,  placée  au  coin  de  la  Rue,  où  Ton  aflure 
qu'elle  s'efl  confervée  fans  altération  depuis  la  Conquête.  C'eil  dans  cette 
Rue  que  demeurent  la  plupart  des  Seigneurs  Efpagnols  &  les  OiSciers  de  la 
Chancellerie.  On  y  voit  aulli  la  façade  du  fameux  Palais  des  Marquis  del 
Valkt  Defcendans  de  Cortez.  ' 

On  compte,  dans  Mexico,  plus  de  cinouante  Eglifes,  foit  c!°s  ParoiiTes 
ou  des  Monaftéres.  Je  n'ai  vu  nulle  part  de  il  beaux  Cou vcns.  Les  toits 
&  les  poutres  en  font  dorés  ;  la  plupart  des  Autels ,  ornés  de  colomnes  du 
plus  beau  marbre ,  &  leurs  degrés ,  de  divers  bois  précieux  ;  avec  de  fi  ri- 
ches Tabernacles ,  que  le  moindre  efl:  eflimé  vingt  mille  ducats.  Les  ri- 
chcfles  intérieures ,  en  Chafles  d'or  &  d'argent ,  en  Couronnes,  en  Joyaux, 
en  Ornemens,  en  Tapifleries,  feroient  1  opulence  d'une  grande  Nation. 
L'Eglife  des  Jacobins  poflede  un  Candélabre  d'argent  à  trois  cens  branches, 
&  cent  Lampes  du  même  niétal,  d'un  travail  ù.  exquis,  qu'on  fait  monter 
leur  valeur  à  quatre  cens  mille  ducats. 

La  Ville  étant  bâtie  fur  des  Canaux  comblés,  &  fur  des  terres  deflechées, 
qui  ont  fait  partie  du  Lac,  l'eau  pafle  fous  toutes  les  Rues.  Je  puis  aflurer 
que  vers  la  Rue  Saint  Auguflin ,  &  dans  les  lieux  aufli  bas ,  les  Cadavres  font 
plutôt  noyés  qu'enterrés  dans  leurs  fépultures.  On  ne  peut  creufer  une 
fofle  fans  trouver  l'eau ,  &  j'ai  vu  des  cercueils  y  difparoître  tout  d'un-coup. 
Si  le  Couvent  des  Augufl:ins  n'avoit  été  fouvent  réparé ,  &  prefqu'entière- 
ment  rebâti,  il  feroit  aétuellement  abîmé.  On  y  travailloit,  pendant  mon 
féjour  à  Mexico  ;  &  je  remarquai  que  les  anciennes  colomnes  étoient  tel- 
lement enfoncées ,  qu'on  les  faifoit  fervir  de  fondemens  pour  le  nouvel 
Edifice.  C'étoit  la  troifième  fois  qu'on  avoit  pofé  de  nouvelles  colomnes 
Ajr  les  anciennes  ;  &  tous  ces  matériaux  s'abîmolent  comme  à  la  file. 

L'usage  des  Habitans  eft  d'aller  fe promener  tous  les  jours,  vers  qua- 
tre heures  du  foir,  les  uns  à  cheval,  les  autres  en  carofle,  dans  un  fort 
beau  Cours ,  qui  fe  nomme  la  Alameda ,  &  dont  les  arbres  forment  des  al- 
lées impénétrables  au  Soleil.  On  y  voit  régulièrement  plus  de  deux  mille 
carofles.  Ceux  des  Hommes  font  fui  vis  d'un  grand  nombre  d'Efclaves  Mo- 
res, en  riches  livrées  d'or  &  d'argent,  en  bas  de  foye,  avec  des  nœuds  de 
ruban  à  leurs  fouliers,  &  tous  l'épée  au  côté.  Le  cortège  du  Vi^eroi,  qui 
fe  fait  voir  fouvent  dans  cette  promenade ,  n'a  pas  moins  de  magnificence 
&  d'éclat  que  celui  du  Roi  d'Efpagne.    Les  Dames  font  efcôrtées  auffi  d'u- 

-     ♦        *  nç 


-^ 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.       455 

ne  troupe  d'Indiennes,  la  plupart  mulùtrcs,  vécues  d'ucoffes  de  foye,  âc 
couvertes  de  pierres  prdcieufcs.     L'ajuftcment  de  ces  Créatures  cil  fi  iaf- 
cif ,  éc  leurs  manières  ont  tant  d'agrément ,  que  la  plupart  des  ICfpagnoIs  lea 
profèrent  à  leurs  propres  Femmes.     Klles  portent  ordinairement  une  Juppé 
chamarrée  de  galons  ou  de  dentelles  d'or  &  d'argent,  avec  un  grand  ruban 
de  couleur  vive ,  &  frangé  d'or ,  dont  les  bouts  leur  dcfcendent  jufqu'aux 
pieds.     Leurs  corfets  font  fans  manches,  &  lacés  de  rubans  d'or  ou  d'ar- 
gent.   Leurs  ceintures  font  d'un  tiflii  d'or,  enrichi  de  perles  6c  de  pierre- 
ries.   Leurs  manches  font  de  toile  d'Mollande  ou  de  la  Chine,  fort  larges 
éi  fort  ouvertes ,  enrichies  d'une  broderie  de  foyc,  ou  d'or  &  d'argent,  & 
pendantes  de  la  longueur  de  leur  juppe.    Elles  couvrent  leurs  cheveux  d'u- 
ne coefFe  ouvragée;  &  par-deiïus,  elles  mettent  un  rézeau  de  foye,  atta- 
ché négligemment  avec  un  beau  ruban  d'or,  ou  de  couleur,  qui  croife  fur 
le  haut  du  front,  &  fur  lequel  il  y  a  toujours  quelques  lettres  en  broderie, 
qui  expriment  une  maxime  ou  un  fentiment  d'amour.     Leur  fein  efl:  cou- 
vert d'une  toile  fine,  qui  prend  au-deflus  du  cou,  en  forme  de  mentonié- 
re,    Cette  parure  efl  celle  qui  ne  les  quitte  pas ,  dans  l'intérieur  même  des 
Maifons;  car,  lorfqu'elles  en  furtent,  elles  prennent  une  mante  de  la  plus 
fine  toile,  garnie  de  rubans;  &.  la  plupart  le  la  font  pafier  fur  la  tête,  de 
manière  qu'elle  ne  defcende  pas  au  deflbus  du  milieu  du  corps-,  pour  laifler 
voir  leur  ceinture  &  leurs  autres  ornemens.    Quelques- unes  ne  portent  leur 
mante  que  fur  une  épaule;  &  la  pafiant  fous  le  bras  droit,  elles  rejettent 
l'autre  bout  fur  l'épaule  gauche ,  pour  conferver  la  liberté  de  remuer  les 
deux  brns,  &  de  montrer  leurs  belles  manches.    D'autres  fe  fervent,  au  • 
lieu  de  mante,  d'une  riche  juppe  de  foie,  dont  elles  jettent  une  partie  fur 
l'épaule;  &  foutenant  l'autre  de  la  main,  elles  accordent  librement  la  vue 
de  leurs  jambes.     Leurs  fouliers  font  fort  hauts.     Ils  ont  plufieurs  femel- 
les ,  garnies  d'un  bord  d'argent ,  qui  ell  attaché  avec  de  petits  doux  de  mê- 
me métal ,  dont  la  tête  e(l  très  large.     La  plupart  de  ces  Femmes  font  des 
kfclaves,  ou  l'ont  été,  &  ne  doivent  la  liberté  qu'à  l'Amour.     En  général, 
le  goCit  du  fade  règne  à  Mexico  dans  toutes  les  conditions.    Les  carofles  y  ' 
font  beaucoup  plus  riches  que  dans  les  principales  Cours  de  l'Europe.     On. 
n'épargne  point,  pour  les  embellir,  l'or,  l'argent,  les  pierres  précieufes, 
le  drap  d'or,  &  les  plus  belles  foyes  de  la  Chine.    Les  brides  des  Chevaux 
font  enrichies  de  pierres  précieufes;  &  tout  ce  qui  eft  de  fer  ailleurs  ell  ici 
d'argent.    Il  eft  pafle  en  proverbe  qu'il  y  a  quatre  belles  chofes  à  Mexico;; 
les  Femmes ,  les  Habits ,  les  Equipages  &  les  Rues.    Le  Viceroi ,  qui  gou- 
vernoit  en  1625,  fit  faire  un  Oifeau ,  plus  grand  qu'un  Faifan ,  d'or,  d'ar- 
gent &  de  pierres  précieufes ,  dont  toutes  les  parties  étoient  ajuftées  avec 
tant  d'art,  pour  repréfenter  naturellement  le  plumage,  qu'il  fut  eftimé  quin- 
ine cens  mille  ducats  (Z>).     C'étoit  un  préfent  qu'il  deftinoit  au  Roi  d'Efpa- 
gne.  Rien  n'eft  fi  commun  que  de  voir  des  cordons  &  des  rofes  de  diaraans 
aux  chapeaux  des  Perfonnes  de  condition ,  &  des  cordons  de  perles  à  ceux 
des  plus  vils  Artifans.    Mais ,  quoique  tous  fes  Habitans  paroifient  livrés 
aux  plaifirs ,  il  n'y  a  point  de  Ville  au  Monde  où  le  Clergé  foit  traité  avec 

plu^ 
(t)  Ceft  peut-êtte  une  faute  d'impreffion;  car  cette  fommc  paroît  cxceflîvçt- 


DlSCftlPTlO» 
OK    LA    NOU* 

VCLLK  Eirv» 

ONK.    . 


Ï)B8CRIPTI0N 

DE  LA  Nou- 
velle  EsrA- 

•    OME. 


4^6       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

de  faveur.  Chacun  afpire  à  fe  diftinguer  par  les  libéralités  qu'il  fait  aux  E- 
glifes  &.aux  Couvens.  Les  uns  font  bâtir  de  riches  Autels,  dans  les  Cha* 
pelles  des  Saints  qu'ils  prennent  en  affedion;  les  autres  préfentent  des  Cou- 
ronnes d'or,  des  Chaînes  &  des  Lampes,  aux  Images  de  la  Vierge,  bâtif- 
fent  des  Couvens,  ou  les  font  rebâtir  à  leurs  fraix,  &  leur  donnent  jufqu'à 
deux  ou  trois  mille  ducats  de  revenu. 

Je  ne  m'étendrai  pas  fur  les  Religieux  de  cette  Ville  :  mais  qu'il  me  foit 
permis  d'obferver ,  qu'ils  y  ont  beaucoup  plus  de  liberté  qu'en  Europe.  C'ell 
un  ufage  établi  pour  eux  de  vifiter  les  Religieufes  de  leur  Ordre,  &  de  don- 
ner une  partie  du  jour  au  plaifir  d'entendre  leur  Mufique  &  àe  manger  leurs 
confitures.  Les  Couyens  de  Filles  ont  des  apartemens  fort  ornés ,  qui  font 
partagés  par  des  grilles  de  bois ,  pour  la  réparation  des  deux  Sexes..  Tous 
lesHabitans  d'une  naiflance  honnête  font  élever  leurs  Filles  dans  ces  lieux; 
&  l'éducation  qu'elles  y  reçoivent  confifte  à  faire  toutes  fortes  de  confitures 
&  d'ouvrages  3  l'aiguille,  à  fe  perfeftionner  dans  la  Mufique,  qui  efl:  fort 
en  honneur  à  Mexico,  &  à  jouer  desC(Mnédies,  quife  repréfentent  dans  les 
Eglifes,  aux  grandes  Fêtes. 

La  Capitale  de  la  Nouvelle  Efpagne  reçoit  un  grand  luftre  de  fon  Univer- 
fité ,  dont  les  Edifices  font  l'ouvrage  de  Dom  Antoine  de  Mendoza.  Outre 
le  fomptueux  Palais  que  les  Vicerois  ont  dans  la  Ville,  on  leur  en  a  fait  bâ- 
tir un  à  Chapultepeque ,  ancienne  fépulture  des  Empereurs  Mexiquains.  Ce 
lieu  efl:  devenu  comme  l'Efcurial  de  l'Amérique ,  depuis  qu'on  y  enterre  les 
Vicerois  qui  meurent  pendant  leur  adminifl:ration.  Les  Bâtimens  en  font 
magnifiques  ,  &  les  Jardins  y  répondent ,  par  la  beauté  de  leurs  parterres , 
de  leurs  allées  &  de  leurs  eaux.  On  allure  que  la  Chapelle  vaut  plus  d'un 
million  d'or. 

En  1625,  Mexico  n'avoit  encore  que  trois  entrées,  par  les  trois  ancien- 
nes ChaulTées  qui  fervirent  aux  attaques  de  Cortez  (c). 

(c)  Foyage  de  Gagg,  Toine  1.  Part.  prem.  Chap.  21  &  fuiv.  &  Part.  2.  Chap.  i. 

"^   *.       '-"'-',.'      ..„.,'-J.    ^.        IV.'  ■       -^*';'.,       ,      , 

-  Defcription  de  Mexico  en  1678.      *      *^.- 

M  Ex  ICO  efl:  bâti  (a)  fur  un  Terre-j^ein,  &  fitué  au  bord  d'un  Lac, 
qui  par  fa  vafte  étendue  forme  une  efpèce  de  Mer;  il  efl:  entouré, 
des  autres  côtés ,  de  quatre  autres  plus  petits  Lacs ,  qui  ne  font  féparcs  les 
uns  des  autres  que  par  de  larges  Chauflees  pavées  &  revêtues  de  pierre 
de  taille.  '  ,     ■  ■     • 

■     '      '  '  ■       -       -■-■.'■.       ■^^■:n  .,  ...    Le 


Nota.  Voyez  la  Carte  des  Environs  de  Me- 
xico,  au  Tome  XVI   R.  d,  E. 

(a)  Cet  article  efl  tiré  de  Lionnel  fVaffer^ 
autre  Voyageur  Anglois ,  qui  étant  parti 
d'Angleterre  en  1677  .  PO"r  Bantain  dans 
l'Jfle  de  Java,  ût  l'année  fuivante  le  Voyage 


de  la  Jamaïque,  &  de-là,  par  diverfes  aven- 
tures,  celui  de  plufieurs  Etablifleniens  Efpa- 
gnois.  On  loue  beaucoup  l'txaftitudc  de  les 
connoiflances ,  &  nous  aurons  fouvcnt  l'oc» 
ciifion  de  les  employer.  Sa  Relation  tut  tra- 
duite en  1706  par  Mo/itiVat,' Interprète  des 

Lan- 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       457 

Le  Plan  de  cette  Babylone  Indienne  efl  uni.  Elle  a  trois  lieues  de  lon- 
gueur, à  prendre  depuis  Guadalupa  jufqu'à  Saint  Antoine,  &  prefqu'autant 
de  large,  depuis  l'Arfenal  &  l'Hôpital  de  Saint  Lazare  jufqu'à  Tacuba.  Les 
rues  font  fi  droites,  qu'elles  paroifTent  tirées  au  cordeau,  &fi  larges  que 
fix  carofles  de  front  peuvent  y  pafler  fans  embarras.  Quelques-unes  font 
divifées  en  trois  parties  égales,  dont  celle  du  milieu  efl;  le  lit  d'un  des  cinq 
Canaux  qui  fortent  d'un  des  Lacs ,  &  qui  arrofent  la  Ville ,  par  plufieurs 
détours ,  dans  fes  différens  Quartiers.  C'efl  à  ces  Canaux  que  les  Habitans 
doivent  l'abondance  &*  les  commodités  dont  ils  jouifTent ,  par  un  Commer- 
ce continuel.  Chaque  jour  de  la  femaine  a  fes  diâférentes  marchandifes  ; 
mais  le  Samedi  fe  fait  diflinguer.  C^efl  le  jour  où  l'on  voit  arriver  de  tou- 
tes parts ,  à  Mexico ,  des  Flottes  de  'fruits  &  de  fleurs ,  qui  donnent'  à  tou- 
te la  Ville  l'apparence  d'un  Jardin.  La  grande  Place  ell:  d'une  Ci  vaflie  é- 
tendue,  qu'aux  jours  deilinés  pour  lescourfes  de  Taureaux  &  pour  les  Jeux 
de  cannes,  le  Peuple  en  remplit  à  peine  la  troifiéme  parcie.  L'Ëglife  Ca- 
thédrale, bâtie  d'un  mélange  de  pierre  de  taille,  &  de  brique,  borne  le 
milieu  d'une  de  Ces  faces ,  du  côté  du  Nord.  A  l'oppofite,  du  côté  du  Mi- 
di, font  l'Hôtel  de  Ville,  la  Maifon  du  Juge  de  Police,  les  Greniers  pu- 
blics ,  &  la  Prifon.  Chacun  de  ces  Edifices  offre  un  grand  Portail  de  pierre 
de  taille,  foutenu  de  deux  Piliers  de  la  même  pierre,  &  tout  d'une  piéoe. 
On  trouve  enfuite  les  Boutiques  &  les  Magaflns  de  plufieurs  riches  Mar- 
chands. Le  côté-  du  Couchant  efl  prefqu' entièrement  occupé  par  un  grand 
nombre  de  Maifons ,  qui  fervent  de  demeure  aux  plus  riches  Particuliers  de 
la  Nouvelle  Efpagne.  Elles  font  fuivies  de  cinq  ou  fix  grands  Magafins  d'é- 
toffes d'or ,  travaillées  en  Europe.  Du  côté  de  l'Orient  font  le  Palais  du 
Viceroi,  l'Audience  royale ,  l'Univerfité,  le  Collège  des  Religieux  de  Saint 
Dominique,  &  le  Saint  Office,  c*efl-à  dire ,  la  Maifon  de  l'Inquifition.  L'en- 
cognure  efl  remplie  par  l'Hôtel  de  la  Monnoye.  Cinq  rues ,  par  lefquelles 
on  entre  fur  la  Place,  font  toutes  fi  larges,  qu'un  carofTe  à  fix  Chevaux  y 
tourne  fans  peine- 

Le  Palais  du  Viceroi  efl  un  Edifice  de  Fernand  Cortez.  Il  efl  plus  grand 
&  plus  magnifique  que  le  Palais  royal  de  Madrid.  La  Cour,  qui  efl  fort  fpa- 
cieufe,  efl  entourée  de  riches  balcons  de  fer;  &  l'on  voit  au  centre  un  fort 

beau 


Descriptioa 
De  LA  Nou- 
velle EsrA. 

GNS, 


Langues ,  &  publiée  à  Paris  chez  Claude  Cel- 
lier, in-12.  On  a  donné  en  Hollande  une 
traduftion  du  même  Voyage ,  duns  le  Recueil 
de  Paul  Maret ,  à  la  fuite  du  Voyage  de  Dam  • 
pier  aux  Terres  auftrales.  Elle  contient 
quantité  de  defcriptions ,  fur-tout  d'Animaux 
&  de  fruits,  qui  ne  font  point  dans  l'original 
Anglois,  &  qui  paroiffent  empruntées  de  di- 
vers autres  Ecrivains;  tandis  qu'au  contrai- 
re,  on  y  a  fupprimé  tout  ce  qui  regarde  la 
Nouvelle  Efpagne,  apparemment  parce  que 
WafFer  fait  profeiîion  de  le  tenir  d'un  autre. 
Mais  l'éclairciffement ,  qu'il  y  joint ,  doit 
donner  beaucoup  de  poicfs  à  fon  récit.  Ibid. 
page  253.    Montirat ,  dont  la  traduction  pa- 

Xf^IlL  Part.  M 


rut  l'année  d'après ,  fe  garda  bien  de  faire  le 
même  vol  au  Public,  &  loue  particulière- 
ment, dans  Waffer,  fa  defcription  de  l'Ifth- 
me  du  Darien  &  celle  de  la  Nouvelle  Efpa- 
gne. Celle-ci  d'ailleurs  eft  confirmée  par 
Fiançois  Correal ,  Efpagnol ,  né  à  Cartilage- 
ne,  qui  étant  parti  en  1666.  pour  voyager 
en  Amérique,  fe  trouva  dans  la  fuite,  à  Me- 
xico, vers  le  tems  que  WafFer  rcpréfente; 
&  fi  l'on  ne  donne  point  place  ici  à  la,  def- 
cription de  Correal;  c'ell  qu'elle  ne  contient 
prefque  rien  qui  ne  foit  dans  l'autre,  avec 
un  détail  plus  inftruélif.  Mais  on  en  tirera 
quelques  lumières  pour  la  defcription  des 
Provinces.  -      .    •    ■■    ;. 

m  m 


458       DESCRIPTION    DU    M  E  X  I  Q  U  E, 

Description  beau  Cheval  de  bronze,  fur  un  large  piédeftal.  Le  Portail  de  la  principale 
vfiL  ^a  E  °"  Ejlife  foutient  une  efpèce  de  petite  Tour,  où  le  Duc  d'Albuquerque  fit  po- 
"ke."^*  fer  un  fanal  de  cryftal,  dans  lequel  on  allume  tous  les  jours,  à  l'entrée  de 
la  nuit ,  un  Flambeau  de  cire  blanche.  Le  centre  de  la  Place  eft  marqué  par 
un  très  beau  Pilier  de  marbre,  au  fommet  duquel  un  Aigle  de  bronze  fe  fait 
admirer  par  l'excellence  du  travail.  Autour  du  Pilier ,  quatre  rangs  de  pe- 
tites Boutiques  de  bois,  d'une  extrême  propreté , oflFrent  tout  ce  qu'on  peut 
defîrer  de  curieux  en  foie,  en  or,  en  linge,  dentelles,  rubans,  gazes,  coëf* 
fures,  &  autres  marchandifes  de  mode. 

En  for  tant  de  la  Place  par  le  côté  oppofé  à  l'Eglife,  on  entre  dans  la  rue 
des  Orfèvres,  qui  efl  extrêmement  longue,  &  d'une  richeffe  furprenante. 
Elle  conduit  dans  une  grande  Aulnaiê ,  dont  les  arbres  font  très  hauts,  & 
forment  un  charmant  Quinconce,  au  milieu  duquel  fort  une  très  belle  Fon- 
taine d'eau  vive  &  pure.  Il  y  a  peu  de  promenades  aulli  délicieufes.  Le 
terrein ,  qu'occupe  à  préfent  la  Maifon  profeiTe  des  Jéfuites ,  contenoit  au- 
trefois un  des  Palais  de  Motezuma,  qui  fervit  long-temsde  demeure  à  Cor- 
tez  avec  les  Efpagnols  &  les  Tlafcalans.  On  y  conferve  encore ,  dans  une 
petite  partie  de  l'ancien  Edifice,  la  fenêtre  où  ce  Prince  fut  tué  d'un  coup 
de  pierre.  Elle  a  fix  pies  de  hauteur.  Sa  forme  efl  en  arc ,  foutenue  d'un 
pilier  de  marbre  blanc.  Il  y  a ,  dans  Mexico ,  deux  très  beaux  &  très  fpa- 
cieux  Amphithéâtres ,  deflinés  pour  la  Comédie  &  autres  fpeâacles.  Cette 
infigne  Capitale  de  la  Nouvelle  Efpagne  efl  remplie  de  Noblefle,  &  de  gens 
conlidérables  par  leurs  richeifes,  leur  mérite,  &  leurs  fervices.  On  nom- 
moit,  entre  les  principaux,  Dom  Fernand  d'Altamirono ,  Comte  de  Saint- 
Jacques  de  Colimaya ,  &  Sénéchal  des  Philippines  ;  Dom  Garci»;:  de  Valdez 
Ôforio,  Comte  de  Pennalva ,  &  Vicomte  de  Saint-Michel  ;  &  Dom  Nicolas 
de  Bivero  Peredo ,  Comte  d'Orizalva.  Je  n'entreprens  point  de  rapporter 
lés  noms  de  plus  de  cent  Chevaliers  de  tous  les  Ordres  Militaires  d'Efpagne. 
Le  nombre  des  carofTes  montoit  à  quatre  (b)  mille.  On  comptoit  dixfept 
Couvens  de  Religieufes,  &unn  grand  nombre  de  Monaflères  ou  de  Cou- 
vens  d'Hommes,  que  je  pourrois  nommer  jufqu'à  quatre-vingt-neuf  grandes 
&  fomptueufes  Églifes  (c),  fans  parler  de  celles  des  Mandians,  qui  font 
moins  fuperbes ,  mais  fort  propres.  Mexico  n'a  qu'un  Collège  pour  l'édu- 
cation de  la  jeuneife. 

La  beauté  des  Maifons  efl:  incomparable,  foit  qu'on  en  confidère  l'éten- 
due ,  ou  la  matière, .  la  figure  &  la  commodité.  Les  plus  hautes  n'ont  pas  - 
plus  de  trois  étages.  Toutes  les  murailles  font  incruflées,  en  dehors,  de 
petits  cailloux  de  diverfes  couleurs,  taillés,  les  uns  en  cœur,  d'autres  en 
foleils,  en  étoiles,  en  roues ,  en  fleurs  de  toutes  les  efpèces,  &  d'autres  fi- 
gures ,  dont  la  variété  forme  un  agréable  fpeftacle.  Les  Portes  font  fort 
grandes  &  fort  hautes.  Prefque  toutes  les  fenêtres  ont  des  balcons  de  fer, 
dont  la  plupart  tiennent  toute  la  face  de  l'Edifice.  Ils  font  ornés ,  dans  tou- 
tes les  faifons ,  d'un  grand  nombre  de  caifTes  d'Orangers  &  de  toutes  fortes 
de  fleurs }  car  le  Printems  règne  îans  cefTe  à  Mexico.    Le  climat  y  efl:  fî 

doux 


~,  :ié:. 


i...t. 


i  ^* 


iHO 


(h)  Dimlnuéparconféquem  des dewx tiers       (c)  Augmentation  de  nombre,  depuis  le 
depuis  Gage.  même  teœs. 


u  •*■.-. 


!  dans  la  rue 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       459 

doux  &  il  tempéré,  qu'on  n'y  reflent  jamais  de  chaleur  incommode,  ni  de 
froid  qui  oblige  dV  allumer  du  feu.    L'eau  d'ailleurs  y  efl:  très  faine  ;  &  le 

§rand  Aqueduc ,  loûtenu  de  trois  cens  foixante  &  cinq  arcades  de  pierres 
e  taille,  qui  l'amène  au  travers  du  Lac,  fait  un  des  principaux  ornemens 
de  cette  Dartie 

La  Ville  eft  divifée  en  dixfept  Paroifles,  cinq  d'Efpagnols  &  douze  d'In- 
diens. On  y  compte  vingt-deux  mille  Efpagnols  habitués  avec  leurs  famil- 
les, environ  vingt  mille  qui  n'y  font  que  peur  un  tems,  &  trente  mille 
Femmes  de  la  même  Nation,  qui  font  généralement  belles,  &  d'une  ma** 
gnificence  furprenante.  Les  Indiens  établis  ne  montent  pas  à  plus  de  qua- 
tre-vingts-mille; mais  le  nombre  de  Paflagers  va  toujours  beaucoup  plus 
loin.  Si  l'on  y  joint  çlus  de  cent  mille  Efclaves  &  Domeftiques ,  de  l'un  & 
de  l'autre  fexe,  on  doit  fuppofer  que  Mexico  ne  contient  pas  moins  de  qua- 
tre cens  mille  Ames,  fans  y  comprendre  les  Enfans.  Pedro  Ordognez  af- 
fure,  dans  fon  Voyage  autour  du  Monde,  qu'il  y  avoit,  de  fon  tems,  deux 
cens  mille  Indiens,  «un plus  grand  nombre  d'Indiennes;  vingt  mille  Nè- 
gres, &  plus  de  Femmes  du  même  fang;  trente  mille  Efpagnols,  &plus 
de  Femmes  de  leur  Nation. 

Les  Mexiquains",  qui  habitent  la  Ville,  font  dociles,  bons  Catholiques , 
&  prefque  tous  riches,  parce  qu'ils  s'attachent  beaucoup  au  Commerce, 
d'une  Province  à  l'autre.  Les  principaux  ne  font  pas  moins  confiderésque 
les  Habitans  de  race  Efpagnole.  11  n'eft  relié  du  fang  de  Motezuma,  que 
Dom  Diego  Cano  Motezuma,  Chevalier  de  l'Ordre  de  Saintr Jacques  ;  fon 
Fils,  Dom  Juan;  fon  Neveu,  Dom  Diego,  &  fa  Nièce,  Donna  Leonor; 
Enfans  de  Dom  Antoine  Motezuma.  Ils  jouiflenc  tous  d'une  penfîon,  fur 
là  Caifle  royale,  qui  aide  à  les  faire  fubfîfter  avec  honneur. 

On  ne  fera  point  furpris  que  Mexico  foit  dans  l'abondance  de  tout  ce  qui 
peut  fervir  au  luxe  comme  aux  befoins  de  la  vie,  fi  l'on  confidère  qu'outre 
là  merveilleufe fécondité  du  Pays,  il  y  arrive  tous  les  ans  deux  Galions  d'Ef- 
pagne ,  avec  une  Frégate  légère,  qu'on  nomme  la  Patache  du  Roi ,  &  plus 
de  quatre-vingts  Vailfeaux  marchands ,  qui  lui  fourniflent  ce  qu'il  y  a  de  plus 
précieux  en  Europe;  &  que  de  l'autre  côté,  une  Flotte,  qui  part  réguliè- 
rement des  Philippines ,  lui  apportant  les  raretés  de  la  Chine,  du  Japon, 
de  1  Indoullan  &  de  la  Perfe ,  il  jouit  continuellement  de  toutes  les  richef- 
fes  de  l'Europe  &  des  deux  Indes.  ^ 

C'est  une  tradition  du  Pays ,  qu'il  y  avoit  autrefois  des  Géans ,  aux  envi- 
rons de  Mexico.  J'y  ai  vu,  fous  le  Gouvernement  du  Duc  d'Albuquerque , 
des  oHemensât  des  dents  d'une  prodigieufe  grandeur;  entr'autres,  une  dent 
de  trois  doigts  de  large ,& longue  de  quatre.  Les  plus  habiles  gens  du  Pays, 
qui  furent  confultès,  jugèrent,  fur  les  proportions  ordinaires,  que  la  tête 
ne  devoit  pas  avoir  moins  d'une  aulne  de  largeur  ;  &  le  Duc  s'attachant  à 
leurs  idées,  fit  faire  deux  Portraits  de  cette  énorme  tête,  dont  il  envoya  l'un 
auRoid'Efpagne  (rf). 


(d)  LionnelWaffer,  uhijuprà,  pages  367  &  fuivantes. 

.  Mmm  2 


"'  ?l  çv 


DucMmàH 
DB  LA  Nou- 
velle EWA: 

ONB, 


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.5.  V. 


Omcription 

DI    LA    NOU- 

«ILLB    EWA" 

ONI. 


460       DESCRIPTION    DU    ME  XI  Q  U  E,    . 

!"  '         '.  Defcription  de  Mexico  en  n5<)7.    .     .. 


..li  - 


'.a 


C^  A  R  R  E  R I  efl  le  dernier  Voyageur  qui  ait  publié  Tes  Obfervations  fiir  la 
>  Nouvelle  Efpagne.  Il  reconnoîc ,  dans  la  Capitale ,  toute  la  magni&- 
cence  qu'on  y  admiroit  avanblui.  U  joint  même,  à  cet  aveu,  des  remar- 
ques qui  doivent  faire  "fuppofer  que  dans  Tincervalle,  elle  a  reçu  de  nou- 
veaux accroiflemens.  Cependant ,  on  eft  furprîs  de  fé  voir  ennuyé  (a)  d'un 
fi  beau  féjour  ;  &  l'on  croit  pouvoir  conclure  qu'en  s'embelliiTant  par  une 
augmentation  d'Edifices,  elle  a  perdu  des  avantages  plus  eflêntiels  à  fa  véri- 
table grandeur. 

Mexico,  dit-il,  eft  (Itué  proche  du  Lac,  dans  une  Plaine  fort  maréca- 
geufe ,  à  dix-neuf  dégrés  quarante  minutes  de  latitude  du  Nord.  Quelque 
loin  que  les  Habitans  apportent  à  faire  de  bons  fondemens,  leurs  Maifons 
font  a  demi  enfevelies ,  dans  un  terrein  qui  n'efl  pas  capable  de  les  foutenir. 
La  forme  de  cette  grande  Ville  eil  quarrée;  &  les  rues  droites,  larges  & 
bien  pavées,  qui  répondent  aux  quatre  Vents  principaux,,  lui  donnent  qpel- 

Î[ue  reflemblance  avec  un  Echiquier.  Auffi  la  voit-on  toute  entière ,  non» 
eulement  du  centre ,  mais  de  toutes  Tes  parties.  Son  circuit  eft  de  deux 
lieues,  &  fon  diamètre,  d'environ  une  demie.  On  y  entre  aujourd'hui  par 
cinq ChaufTées , qui fe  nomment  la Piédad, Saint- Antoine,  GuadaIupa,Saint- 
Côme ,  &  Chiapultepeque.  Celle  de  Cuyoacan,  ou  del  Pennon ,  par  laquelle 
Cortez  y  fît  fon  entrée,  ne  fubfifte  plus.^ 

On  peut  dire  que  Mexico  le  difpute  aux  meilleures  Villes  d'Italie,  par 
les  Edifices  ;  &  qu'il  l'emporte,  par  la  beauté  des  Femmes.  Elles  font  paf- 
fionnées  pour  les  Européens,  qu'elles  appellent  Câ^^opinx  ;&  quelque  pau* 
vres  qu'ils  foyent,  elles  préfèrent  leur  main  à  celle  des  plus  riches  Créoles. 
De-là  vient  que  les  Créoles  ont  tant  d'averfîonpour  les  Européens,  qu'ils  les 
înfultent  par  des  railleries  continuelles.  Les  Éfpagnols ,  qui  arrivent ,  s'en 
trouvent  quelquefois  offenfés  jufqu'à  répondre  à  leurs  plaifanteries  par  des 
coupsr  de  piftolet.  * 

On  compte  aujourd'hui,  dans  la  Capitale  de  la  Nouvelle  Efpagne,  envi- 
ron cent  mille  Habitans,  dont  la  plus  grande  partie  eft  de  Noirs  ou  dé 
Mulâtres;  ce  qui  paroît  venir ,  nou- feulement  du  grand  nombre  d'Efcla- 
ves  qu'on  y  a  mçnés,  mais  encore  de  ce  que  tous  les  biens  étant  paffés 
entre  les  mains  dès  Ecdefiaftiques:,  les  Efpagnols  &.  les  autres  Européens , 
qui  ne  trouvent  plus  moyen  de  fe  faire  un  fond  certain,  ont  peu  de  goût 
pour  le  mariage,  &  fe  jettent  eux-mêmes,  à  la  fin,  dans  l'Etat  eccle« 
liaftique.  Quoique  la  Ville  n'ait  pas  moins  de  29  Couvens  d'Hommes  & 
22  de  Filles,  ils  ifont  tous  d'une  opulence  qui  caufe  de  l'étonnement  aux 
Etrangers  (b).    On  prendra  quelque  idée  des  richeffes  de  l'Eglife  Mexi- 

quaine, 


(a)  Tome  6.  page  236. 
(6)  Il  s'efl  formé  ,   dans  le  cours  de  ce 
fiécle ,  un  grand  nombre  de  ces  Eubliiïc- 


mens.  Dom  Melchîor  ^uallar  employa  fix 
cens  mille  piaftres ,  tant  à  bâtir  qu'à  dotter 
le  Couvent  des  Carmes ,  qui  fc  nomme  VHer- 


'..é** 


mi' 


ONE. 


OU  DÉ  LA  NOUVELLE  ÉSPACÏN'E,  Liv.  II.        4^* 

qmlne,  par  celies  du  Chapitre  de  la  Cathédrale}  ^ui  n'efl  compofé  que  de  r>wcMpwoir 
neuf  Chanoines,  &  d'une  dixième  place,  gu'on  nomme  le  Canonicat  du  JJ^le*  ' 
Roi,  mais  dont  le  revenu  fe  paye  au  Tribunal  de  l'Inquifltion,  comme 
dans  tous  les^Diocefes  de  la  Nouvelle  Efpagne;  de  cinq  Dignités,  qui  font 
le  Doyen,  l'Archidiacre,  le  Maître  d'école,  le  Chantre  &  le  Tréforier;  de 
i'ix  Chapelains,  Scfix  demi-Chapelains,  un  Sacriflain  principal ,  quatre  Cu- 
rés que  le  Viceroi  nomme,  douze  Chapelains  Royaux  à  la  nomination  du 
Chapitre,  &  huit  autres ,  qui  portent  le  titre  de  Laurenzana.  Leurs  ren- 
tes annuelles  font  de  300006  pièces  de  huit ,  dans  lefquelles  il  faut  compren- 
dre k  la  vérité  le  revenu  de  l'Archevêque ,  qui  eft  de  foixante  mille  pièces  : 
mais  le  Doyen  en  th-e  onze  mille;  chacune  des  quatre  autres  Dignités  huit 
mille;  les  Chanoines ,  chacun  fix  mille  ;  les  Chapelains ,  cinq  mille;  les  de- 
mi-Chapelains trois  mille;  chaque  Curé  <juatre  mille,  &  les  Chapelains 
Royaux  trois  cens.  Le  relie  paile  aux  Sacriflains  &  à  d'autres  Clercs ,  qu'on 
fait  monter  à  trois  cens.  Mexico  eft  une  petite  Ville,  pour  le  nombre  de 
les  Ëglifés.  La  plupart  des  Habitans  ne  peuvent  plus  s'y  faire  des  loge- 
mens  commodes.  Cependant  on  y  vit  à  fort  bon  marché.  Une  demie  piè- 
ce de  huit  fuffit  chaque  jour  pour  la  dépenfe  d'un  Homme.  Mais  comme 
il  n'y  a  point  d'efpèces  de  cuivre,  &  que  la  moindre  pièce  d'argent  eft  une 
demie- réale,  on  eft  dans  un  embarras  continuel  pour  le  commerce  des  den- 
rées, tels  que  les  fruits  &  les  légumes*  Aujourd'hui,  comme  avant  la 
Conquête,  les  noix  de  cacao  font  la  monnoye  courante  du  Marché  aux  her- 
bes, fur  le  pié  de  60  ou  80  pour  une  réaie,  fuivant  le  prix  aéluel  du  cacao, 
qui  n'eft  jamais  fixe. 

L'Eglise  Cathédrale  eft  fort  grande.  Elle  a  trois  nefs ,  foûtenues  par  dfe 
hauts  piliers  de  belle  pierre.  Le  Bâtiment  n'étoit  point  encore  fini  ;  mais 
i^ fe  continuoit  aux  dépens  du  Roi,  qui  faifoit  joindre  néanmoins,  aux 

fom- 


.4h- 
nitage  ou  le  Defert ,  à  peu  de  diflance  de 
Mexico  ;  &  fa  Femme  fonda ,  pour  le  mê- 
me Ordre ,  un  Collège  qui  porte  le  nom  de 
Snint  j4nge.  Diegue  del  Cajlilh,  qui  étoit 
venu  d'Efpagne,  très  pauvre,  &  qui  avoit 
commencé  fa  fortune  par  le  métier  de  Chau- 
dronnier ,  bâtit  le  grand  Couvent  des  Pères 
de  Saint  Pierre  d'Alcantara,  celui  des  Reli- 
gieufes'  de  Saint  François ,  &  celui  de  Sainte 
Agnès  :  ce  qui  ne  l'empêcha  point  de  laiflèr, 
en  mourant ,  un  million  à  une  Fille  qu'il  a- 
voit  élevée  par  charité.  Jofeph  de  ReteSt 
après  avoir  fait  bâtir  un  fuperbe  Couvent 
dé  Religieufcc  ,  fous  le  titre  de  Saint  Ber- 
nard, laifla  aulïï  un  million  à  faFilie.  Dom 
François  Canales ,  Chevalier  de  Calatrava, 
ayant  laiffé  à  fa  Femme  tout  fon  bien,  qui 
étoit  dé  fix  cens  mille  pièces,  cette  Dame, 
quoique  jeune,  méprifa  tous  ceux  qui  s'of- 
froientpour  l'épouier,  diflribua  fon  bien  aux 
Pauvres,  fe  fit  Religieufe  en  1695,  &  fonda 
le  Couvent  des  Capucines.  Simon  de  Haro , 
qui  étoit  venu  d'£fpagne  avec  la  cappe  & 


l'épée,  fonda  celui  de  la  Conception.  Do* 
minique  Laurenfana ,  pauvre  aulfi  à  fon  ar- 
rivée ,  bâtit  le  fameux  Couvent  des  Filles  de 
l'Incarnation.  Enfuite  une  Religieufe  de  ce 
Couvent  fonda  celui  des  Religieufes  de  Val- 
vaneda.  Jean  Navarro  Prejlana ,  gagna  tant 
de  bien  dans  la  profeflion  de  Maître  Carof- 
fler,  qu'il  fit  bâtir  le  Couvent  de  Saint  Jo- 
feph de  Gratias ,  &  celui  de  la  Conception  , 
tous  deux  de  Filles.  Etienne  de  Molina  Mo- 
fcbera ,  après  avoir  bâti  le  Couvent  des  Car- 
mélites, làifiTa  encore  en  mourant  cent  mil'e 
pièces  de  huit.  Dom  Marc  de  Guevara,  fit 
faire  les  Aqueducs  de  Mexico,  dont  les  ar- 
cades font  en  fi  grand  nombre ,  dans  l'efpace 
d'une  lieue ,  que  la  dépenfe  doit  en  avoir  été 
prodigieufe.  En  récompenfe  ,  il  obtint  la- 
Charge  d'Alguafil  Major  ,.  avec  une  Place 
dans  le  Chapitre  pour  lui  &  fes  Defcendans. 
J'omets  une  infinité  d  autres  exemples  :  mais- 
on voit  que  tout  ce  qu'il  y  a  de  magnifique, 
à  Mexico  ,  eft  l'ouvrage  des  Particuliers.' 
Carrer» ,  Tome  6.  Cbap,  4,        ..,,».     . 


Mram  â 


DUCKIPTXON 

jOI    LA    NOU* 

VBLLB    ElPA- 

CNB. 


\ 


4(5a       D  E  S  Ç  R  I  P  T  ION    DU    ME  XI  Q  D  E, 

fommes  tirées  du  Tréfor,  uqq,  taxe  d'une  demi-réale  par  i;ête,  fur  tous  les 
Diocéfains.  Le  Chœur  e{l  orné  de  quantité  d'ouvrages  de  fculpture^  en 
bois  aromatiques ,  &  de  quatre  Autels  qui  forment  les  coins  du  quarré ,  in- 
dépendamment du  grand ,  dont  la  magnificence  efl  furprenante.  Pluneurs 
Chapelles,  richement  dorées,  augmentent  l'éclat  du  fpeflacle.  Le  For- 
tail  efl  fomptueux:  il  ed  compoie  de  trois  portes;  &  l'Eglife  en  a  cinq 
autres  dans  les  côtés. .  Quelques-uns  prétendent  qu'elle  fut  commencée  par 
Cortez ,  fur  les  débris  du  grand  Temple  des  Mexiquains  ;  mais  d'autres 
prouvent,  par  d'anciennes  peintures^  c|ue  ce  Temple  étpit  dans  le  lieu  que 
"  le  Collège  de  Saint  Alfonfe  occupe  aujourd'hui.  Le  Siège  Arcihiepifcopal 
de  Mexico  a  onze  SufFragans;  la  Puebla  de  los  Angeles,  Mechoacan, 
Guaxacca,  Guadalaxara,  Guatimala,  Yucatan,  Nicaragua,  Chiapa,  Hon- 
duras, &  Nueva  Bifcaya.  On  fait  monter  le  revenu  de  ces  onze  Evêchés 
à  plus  d'un  million  deux  mille  piaflres  ;  &  la  dépenfe  pour  le  Bâtiment  de 
ia  Cathédrale  de  Mexico,  jufqu'au  tems  de  Carreri.,  à  un.millioQ  cinquante- 
deux  mille.  •  '  î  V,  ud.ifijif i  >  •-  nfeuffci  ./*      i 

Le  Collège  des  Carmes  Defchaux ,  qui  fe  nomme  Saint  Ange ,  pofTède 
une  des  plus  belles  Bibliothèques  de  l'Amérique.  Elle  contient  douze  mille 
volumes.  Le  jardin ,  qui  s'étend  hors  de  la  Ville  dans  une  circonférence 
d'environ  trois  quarts  de  lieue,  efl  arrofé  par  une  grofTe  Rivière;  ce  qui  le 
rend  fi  fertile ,  que  Tes  Arbres  fruitiers  rapportent  plus  de  treize  nulle  piaf- 
très  au  Couvent. 

La  Conception  efl  un  célèbre  Couvent  de  Filles ,  dont  le  nombre  n'efl 
que  d'environ  quatre-vingt-cinq:  mais  elles  ont  plus  de  cent  Domefliques  à 
leur  fervice;  parce  que  dans  la  plupart  des  Monâftères  de  la  Nouvelle  Ef- 
pagne ,  on  ne  vit  point  en  Communauté.  Chaque  Reiigieufe  reçoit ,  de 
la  mafle  commune,  de  quoi  fournir  à  fon  entretien,  &  peut  avoir  juf- 
qu'à  cinq  ou  fix  Servantes.  Les  Edifices  &  l'Eglife  de  cette  Maifon  font 
magnifiques.  Le  Couvent  de  l'Incarnation  efl  d'une  grandeur  extraordi- 
naire. AufTi  contient-il  cent  Religieufes  &  plus  de  trois  cens  Domefliques 
du  même  fexe. 

Carreri  fuit,  dans  fes  defcrîptions ,  l'ordre  de  fes  vifîtes.  Il  vit  le  Tré- 
for royal ,  qui  efl  dans  le  Palais  du  Viceroi.  Trois  Officiers  en  ont  la  gar- 
de, fous  les  titres  de  Contador^  ou  Contrôleur,  de  Faâeur  &  de  Tréforier. 
L'argent  qu'ils  reçoivent ,  pour  les  droits  du  Roi  dfe  pour  le  cinquième  de 
la  marque,  ou  du  contrôle  des  monnoyes ,  monte  annuellement  à  600000 
marcs:  mais  il  s'y  commet  beaucoup  de  fraude;  &  l'Effayeur  ne  fit  pas  dif- 
ficulté d'avouer  à  Carreri,  qu'en  1691,  il  en  avoir  marqué  800000  marcs. 
On  frappe  cet  argent  au  coin  de  Sa  Majeflé  lorfqu'on  en  a  fèparé  l'or;  c'ell- 
à-dire ,  s'il  s'en  trouve  40  grains  par  marc ,  car  autrement  on  ne  croit  pas 
qu'il  vaille  la  peine  de  le  féparer. 

Le  Canal  deXamaicâ  efl  une  promenade  charmante,  qu'on  peut  nom- 
mer le  Paufylipe  de  Mexico.  On  s'y  pro  neo^  également  liir  l'eau,  &  fur 
fes  bords.  Quantité  de  petites  Barques,  remplies  de  Muficiens,  font  en- 
tendre des  concerts  de  voix  &  d'inflrumens.  Les  bords  du  Canal  font  cou- 
verts de  petites  maifons  &  de  cabarets  d'Indiens ,  où  l'on  prend ,  pour  ra- 
fraîchiffemcns ,  du  chocolat,  de  l'acole  &  des  tamales.  L'atole  qk  une  li- 
queur 


OtJ  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL        4^3 

queur  compofée  de  blé  d'Inde,  dont  Carrerî  fe  fit  expliquer  la  préparation. 
Elle  confifte,  dit-il,  à  faire  bouillir  le  maïz  avec  de  la  chaux;  &  lorfqu'il 
eft  repofé ,  à  le  broyer  comme  le  cacao.  On  pafle  cette  pâte ,  avec  de 
l'eau,  au  travers  d'un  tamis.    Il  en  fort  une  liqueur  blanche  &  épaiflp, 

?u'on  fait  un  peu  bouillir ,  &  qui  fe  boit ,  ou  feule ,  en  y  mettant  du 
ucre ,  ou  mêlée  de  chocolat.  Elle  eft  aflez  nourriflante.  De  la  même 
pâte,  bien  lavée,  on  fait  des  tamales,  avec  un  mélange  de  viande  bien 
hachée ,  de  fucre  &  d'épiceries.  L'atole  &  les  tamales  font  d'un  goût 
fort  agréable. 

L'Eglise  de  Saint  François  le  Grand  renferme  le  Tombeau  de  Fernand 
Gortez,  Conquérant  du  Mexique.  Son  Portrait  eft  à  la  droite  de  l'Autel,, 
fous  un  dais;  &  prés  du  même  lieu,-  on  montre  un  Tombeau,  peu  élevé, 
où  Ton  prétend  que  fes  os  furent  apportés  d'Efpagne  :  mais  Carreri  ne  le 
trouva  pas  digne  d'un  fi  grand  Homme. 

Le  Collège  de  l'Amour-de-Dieu,  eft  une  forte  d'Hôpital,  fondé  par  les 
Rois  d'Efpagne,  avec  36000  piaftres  de  revenu,  pour  la  guérifon  des  maux 
vénériens.  On  y  enfeigne  d'ailleurs  les  Mathématiques.  Dom  Carlos  de 
Syguenza  y  Gongora,  revêtu  alors  du  double  emploi  de  Direfteur  &  de 
ProfefFeur,  étoit  un  fort  favant  Homme,  dont  Carreri  reçut  quelques  Anti- 
quités Indiennes  qu'il  a  fait  graver  dans  fa  Relation. 

Dans  l'Eglife  de  Saint  Dominique  on  voit  la  Chapelle  d'un  Fils  de  l'Em- 
pereur Motezuma ,  &  fon  Tombeau ,  avec  l'infcription  fuivahte  :  „  Dom 
„  Pierre  Motezuma ,  Prince,  Héritier  de  l'Empereur  Motezuma ,  &  Sei- 
„  gneur  de  la  plus  grande  partie  de  la  Nouvelle  Efpagne  ".  L'Eglife  eft 
fort  riche;  &  le  Couvent,  d'une  fi  grande  étendue,  qu'il  contient  130  Re- 
ligieux ,  dans  des  dortoirs  fort  commodes.  C'étoit  un  des  defcendans  de 
Dom  Pierre,  qui  rempliflbit  alors  la  dignité  de  Viceroi,  fous  le  titre  de 
Comte  de  Motezuma.  Il  perdit ,  pendant  le  féjour  de  Carreri  à  Mexico ,  l'Aî- 
née de  fes  deux  Filles,  nommée  Donna  Faujta  Domenica^  qui  mourut  à  l'âge 
de  huit  ans ,  &  dont  la  mort  fit  hériter  à  fa  Sœur  un  revenu  de  40000  piaf- 
très.  Carreri  en  prend  occafion  de  nous  donner  la  généalogie  de  cette  Mai- 
Ibn  Royale.  Entre  les  Femmes  de  l'Empereur  Motezuma ,  il  y  en  avoit  une 
qui  fe  nommoit  Miyahuaxochitl ^  &  qui  étoit  en  même-tems  fa  Nièce,  com- 
me Fille  d'ixtiicuechalmaquej  Frère  de  ce  Prince.  Il  eut  d'elle  un  Fils,  qui 
fut  nommé  T'.aca  Huque  Fantzin  Tobualica  Hua-catzin ,  &  qui  reçut  le  baptê- 
me après  la  Conquête,  fous  le  nom  de  Dom  Pierre.  Ce'  Fils  époufa  Donna- 
MdiàddÀne  Quû^ouhxocitl  y  fa  Confine  germaine ,  c'eft-à-dire.  Fille  de  T/aca 
Hue  Pan,  troifierae  Frère  de  l'Empereur  Motezuma;  d'où  vint  Dom  Diego- 
Louis  Ihuil  TemoSlzin ,  qui  fe  maria  en  Efpagne.  De  lui  font  defcendus  les 
Comtes  de  Motezuma,  Tula,  &c,  auxquels  le  Tréfor  Royal  de  Mexico 
paye  tous  les  ans  quatre  mille  piaftres.  Les  Armes  de  cette  Maifon  font 
un  Ai^le,  regardant  le  Soleil,  les  aîles  éployées,  &  plufieurs  figures  des 
Indes  à  l'entour.  Motezuma  eut  d'une  autre  Femme,  nommée  Teitako, 
une  Fille,  qui  prit  au  baptême  le  nom  de  Donna  Ifabellej  pour  celui  de  Te- 
cubîcbpotzin  y  qu'elle  avoit  porté  jufqu'alors.  Elle  eut  pour  premier  Mari 
fon  Oncle  Cuîtlabuatzin ,  qui  auroit  dû  fucceder  à  Motezuma ,  fi  Quauhtimoc 
n'eût  profité  des  troubles  publics  pour  s'emparer  du  Trône.    Son  fécond  < 

Ma- 


Descriptiom 
DE  LA  Nou- 
velle  ESPA- 
OMB. 


4^       -DESCRIP  T  ION    DU    MEXIQUE, 

DitcâTFTrow  jjjjj  fut  Guatimozin  (r)^  après  la  mort  duauel  Fernand  Cortez  la  fit  ëpou- 
vsLLîf  Eirï'  ^^^  ^  Grades ,  qui  n'en  eut  point  d'£nfan8.    Elle  fe  maria,  pour  la  quacriè- 
ONE.        me  fois  ,   avec  Pierre  Gallgo  à'/înârada ,  d  où  font  venus  les  ândradat 
Motezumas ,  c^ui  ont  leurs  ËtablifTemens   dans  la  Nouvelle  Ffpagne  ;  <Sc 
pour  la  cinquième ,  avec  Jean  de  Cano ,  d'où  defcendeni  les  Canos  Mo- 
tezumas. 

On  pafle  fur  quantité  d'autres  Couvens  &  d'Hôpitaux  de  Mexico  que 
Carreri  eut  la  curiofité  de  vifiter,  mais  dans  lefquels  il  n'obferva  rien  qui 
mérite  la  nôtre.  Ce  qu'il  rapports  des  Mines  de  Pachuca,  &  des  Cous  ou 
des  Pyramides  de  Saint  Jean  Tediguacan ,  qui  font  à  peu  de  diUance  de  cet- 
te Capitale,  a  déjà  trouvé  place  dans  fa  projpre  Relation  (</),  dont  ces 
deux  Articles  ne  pouvoient  être  détachés.  Il  tait -après  une  bifarre  peintu* 
re  des  Procefllons  de  la  Nouvelle  Elpagne,  qui  ne  donnent  pas  une  nonnê* 
te  idée  de  la  Religion  des  Habitans  (e),  au  milieu  de  tant  d'ËgUfes  &  de 
Prêtres. 

Le  Roi  d'Efpagne  donne  ordinairement,  aux  Vicerois,  cent  mille  du* 
cats  à  prendre  fur  les  revenus  de  la  Couronne ,  pendant  la  durée  de  leur 
Gouvernement ,  qui  efl  ordinairement  de  cinq  années.  Mais  la  plupart  ob< 
tiennent,  par  les  préfens  qu'ils  font  au  Confeil  des  Indes,  que  leur  Com- 
miffion  foit  continuée  jufqu'à  dix  ans  ;  &  la  çart  Qu'ils  peuvent  prendre  au 
C(Mnmerce  leur  donne  continuellement  l'occalion  d'acquérir  d'immenfes  ri- 
chefles;  fans  compter  que  les  Gouverneurs  particuliers  des  Audiences  & 
des  Villes  étant  dans  leur  dépendance,  ils  tirent  des  femmes  conddérables 
de  ceux  qu'ils  nomment  à  ces  Emplois  (/),  ou  qu'ils  fedifpenfent  deré- 

vo- 


C  e  )  Cette  remarque  éclaircit  le  doute  des 
Hiftoriens  fur  cette  Princeflc,  que  les  uns 
font  Nièce  de  Motezuma ,  &  confirme  le  fen- 
timent  de  Solis,  fur  la  diftinftion  de  Quauh- 
timoc  &  de  Guatimozin. 

(  d  )  Tome  XVI.  de  ce  Recueil. 

(  e  )  II  fu£ra  d'en  rapporter  quelques 
traits:  Un  jour,  il  en  vit  pafler  trois  l'une 
après  l'autre;  celle  des  Frères  de  la  Trinité  ; 
celle  des  Frères  de  Saint  Grégoire,  &  celle 
des  Frères  de  Saint  François,  quon  appelle  la 
ProceJ/îon  Cbinoije ,  parce  qu'elle  eft  compo- 
fée  d'Indiens  des  Philippines.  Chacun  portoit 
fes  Images  ,  avec  quantité  de  lumières ,  &c. 
lorfqu'eTles  furent  arrivées  au  Palais,  les  Frè- 
tes Chinois  &  ceux  de  la  Trinité  prirent  que- 
relle pour  la  prefféance;  &  l'on  fe  bâtit  fi  vi- 
vement,  qu'il  y  eut  beaucoup  de  BleflTés.  Le 
•jour  du  Vendredi  Saint,  Carreri  vit  pafler 
une  fameufc  ProçelTion,  qui  fortit  de  S»int 
François  le  Grand,  avec  l'Enfeigne  du  faint 
Sépulcre.  A  huit  heures  du  matin ,  on  avoit 
entendu  trois  Trompettes .  qui  fonnoient  des 
airs  fort  lugubres.  Bientôt  on  vit  marcher  un 
faraud  nombre  de  Confrères,  avec  des  cier- 


ges en  main,  &  quantité  de  Pénitcns,  qui 
fe  donnoient  la  diicipllne.  Us  étoient  fuivis 
d'une  Compagnie  de  gens  armés ,  quelques- 
uns  â  cheval,  portant  la  Sentence,  l'Ecri- 
teau ,  la  Robbe  &  les  autres  fymboles  de  la 
Paffion.  Pui«  rcnoient  plufieuis  perfonnes , 
gui  figuroient  le  bon  &  le  mauvais  Larron , 
Nôtre-Seigneur ,    la  Sainte  Vierge  ,   Saint 

Jean ,  la  Sainte  Véronique  ,  deux  Prêtres 
uifs  montés  fur  des  Mules,  &c.  Au  retour, 
on  repréfenta  au  naturel  les  trois  chûtes  de 
Nôtre-Seigneur,  &  d'autres  fpeftaclcs.  L'a- 
près-midi ,  les  Indiens ,  les  Nègres  &  les  Ef- 
pagnols  donnèrent  fuccefldvement  de  nouvel- 
les fcènes. 

(/)  Il  y  en  a  de  fi  lucratifs,  qu'en  moins 
de  deux  ans  ils  rapportent  deux  cens  mille 
écus  à  ceux  qui  les  obtiennent.  Il  en  eft  de 
cent  mille  &  cinquante  mille,  de  40,  de  30, 
de  20,  de  10,  de  6  &  de  4.  Ceux  qui 
commencent  par  les  petits ,  fe  mettent  peu-à- 
peu  ,  par  leurs  profits  cnfuels  &  leurs  épar- 
gnes, en  état  d'afjiirer  aux  plus  confidéra- 
bles.    Lionnel  Waffer,  ubi/uprà,  pag.  351 


/' 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        465 

voquer  à  la  fin  du  terme.  Gage  nomme  un  Viceroi,  qui  mettoit  un  mil- 
lion ,  chaque  année ,  dans  Tes  coffres  (5 )  »  &  qui  exerça  l'Adminiftration 
pendant  dix  ans.  Elle  n'eft  pas  fi  abfolue,  que  le  Confeil,  qui  eft  com- 
pofc  de  deux  Préfidens,  de  fix  AlTelTeurs,  &  d'un  Procureur  du  Roi,  n'ait 
le  pouvoir  de  s'oppofer  à  tout  ce  qui  blefle  les  Loix  &  le  bien  public  : 
mais  ces  Officiers,  qui  ont  un  intérêt  continuel  à  ménager  leur  Chef, 
n'uient  de  leur  autorité  que  pour  juger  avec  lui  les  Caufes  civiles  &  cri- 
minelles (*). 

La  Province  de  Mexico  contient  plufieurs  autres  Villes ,  dont  la  plupart 
ont  confervé  les  noms  qu'elles  portoient  avant  la  Conquête,  fur- tout  celles 
qui  environnent  le  Lac:  mais,  loin  d'être  aujourd'hui  plus  riches  &  plus 
peuplées, l'incroyable  diminution  des  Indiens,  par  les  travaux  exceffifs  aux- 
quels  ils  ont  été  "forcés ,  en  a  fait  autant  de  folitudes  ;  &  le  plus  grand  nom- 
bre ne  peut  pafler  que  pour  de  médiocres  Bourgades ,  dont  les  Habitans  fuf- 
fifent  à  peine  pour  la  culture  des  Terres  voifines.  Tezcuco,  qu'on  a  repré- 
fenté  fi  grand  &  fi  florilTant ,  ne  contient  pas  à  préfent  plus  de  cent  Ef- 
pagnols  &  de  trois  cens  Indiens ,  dont  les  richelles  viennent  uniquement 
des  fruits  &  des  légumes  qu'ils  envoyent  chaque  jour  à  Mexico.  7acuba 
n'eft  plus  aufli  qu'un  Bourg  agréable.  La  Piedad  en  efl:  un  autre ,  que  les 
Efpagnols  on:  biiti  affez  régulièrement ,  au  bout  de  la  nouvelle  Chauffée  de 
ce  nom ,  &  qui  s'efl  accru  par  la  dévotion  des  Mexiquains  pour  une  célèbre 
Image  de  la  Vierge,  à  laquelle  ils  ne  ceffent  point  de  porter  de  riches  pré- 
fens.  Toluco,  efl  un  Bourg  fitué  vers  le  Midi,  où  il  fe  fait  un  riche  com- 
merce de  Jambons  &  de  Porc  falé.  Efcapuzaïco^  célèbre  encore  par  le  Pa- 
lais de  fon  ancien  Cacique,  n'eft  qu'un  Village,  &  ne  feroit  rien,  fans  un 
Couvent  de  Dominiquains  qui  aide  à  le  foutenir.  En  un  mot ,  d'environ 
trente  Villes,  Bourgs  ou  Villages ,  qui  retient  autour  du  Lac,  il  n'y  en  a 
pas  fix  qui  contiennent  plus  de  cinq  cens  Maifons.  Gage  affure  que  deux 
ans  avant  fon  départ  de  Mexico ,  un  travail  extraordinaire ,  pour  faire  un 
nouveau  chemin  au  travers  des  Montagnes ,  avoit  fait  périr  un  million  d'In- 
diens (i). 

Tous  les  Voyageurs ,  comptent  dans  la  même  Province,  le  fameux  Port 
à'Acapulco,  quoiqu'il  foit  à  quatre-vingts  lieues  de  la  Capitale  {k)  fur  le 
bord  de  la  Mer  du  Sud,  c'efl-à-dire,  à-peu-près  au  même  éloignement  de 
Mexico  ,  que  le  Port  de  VeraCruz.  On  n'en  trouve  point  d'autre  raifon , 
que  fa  dépendancejmmédiate  du  Viceroi  de  la  Nouvelle  Efpagne,  comme 
la  plus  importante'Place  de  fon  Gouvernement ,  par  l'avantage  qu'elle  a  de 
fervir  d'entrée  aux  richcffes  des  Indes  Orientales  &  des  Parties  Méridionales 
de  l'Amérique ,  qui  viennent  tous  les  ans  à  Mexico  par  les  Vaifieaux  des 
Philippines  &  du  Pérou.  Cependant  la  defcription ,  que  Carreri  nous  en 
<lonne,  répond  mal  à  cette  grande  idée. 

•        ■      '  .  ACA- 


DescriptioîT 
ne.  LA  Nou- 
velle   KSPA- 
ONB. 


Autres  Vil 
les  de  la  Pro- 
vince de  Me- 
xico. 


DefcriptioU 
d'Acapulco, 


(g)  Le  Marquis  de  Senalvo.  Ce  fiit  lui 
qui  envoya  au  ïloi  un  Papegay  de  1 500000 
livres,  &  plus  d'un  million"  aux  Minières, 
pour  faire  prolonger  fon  Gouvernement. 
Gage,  Part.  i.  page  183. 

(  b  )  Ibidem,  Correal ,  Voyageur  Efpagnol , 

Xnil.  Paru 


rend  le  même  témoignage  dans  un  tcms  pof- 
térieur,  ubifuprà,  page  52. 

(f)  Part.  I.  page  117. 

(.*)  Il  devroit  appartenir  nnturellement  \ 
la  Province  de  Guaxaca ,  ou  à  celle  de  Me- 
choacan ,  entre  lefquelles  il  efl  fitué. 

Nnn 


DlfORIfTlON 

DE    LA    N0U> 

VILLB    Efl'A' 

CNE. 


A 


4^(5       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

AcAPULco ,  dit-il ,  mérite  plutôt  le  nom  d'un  pauvre  Villaffe  de  Pécheur», 
que  celui  de  première  Foire  de  la  Mer  du  Sud  &  d'Echelle  de  la  Chine.  Ses 
Maifons  ne  (ont  que  de  bois,  de  boue  &  de  paille.  Il  ed  fîtué  au  dixfep- 
tième  degré  de  latitude,  moins  quelques  minutes,  &  au  deux  cens  foixante- 
quatorzicmc  de  longitude  (/),  au  pié  de  plufieurs  Montagnes  fort  hautes, 
qui  le  couvrent  du  côte  de  l'Ell,  mais  qui  expofent  Tes  Habitans  à  de  gran- 
des maladies,  depuis  le  mois  de  Novembre  jufqu'à  la  fin  de  Mai.  J'y 
arrivai  au  mois  de  Janvier,  &  j'y  fentis  la  même  chaleur  que  celle  de  la 
Canicule  en  Europe.  Elle  vient  de  ce  qu'il  n'y  ttirribe  aucune  pluye  pen- 
dant ces  fept  mois  ,  &  que  le  relie  même  de  l'année  il  n'en  tombe 
point  aflez  pour  y  rafraîchir  l'air.  Cette  mauvaife  qualité  du  climat 
&  la  (lérilité  du  terroir  obligent  de  tirer  d'aflez  loin  toutes  les  provi- 
fions  néceflaireo  à  la  Ville,  &  les  y  rendent  par  conféquent  fort  chè- 
res. On  n'y  fauroit  vivre  à  moins  d'une  piaftre  par  jour;  &  ks  !oge- 
mens  n'y  font  pas  moins  incommodes  par  leur  mal-propreté  que  par  leur 
chaleur. 

La  Ville  n'eft  habitée  que  par  des  Noirs  &  des  Mulâtres.  Il  efl;  rare 
qu'on  y  voyedes  Originaires  du  Pays,  avec  leur  teint  olivâtre;  Se.  les  Mar- 
chands Efpagnols  fe  retirent  dans  d'autres  lieux,  lorfque  le  Commerce  efl 
fini  avec  les  Vaifleaux  des  Philippines  &  ceux  du  Pérou.  Les  Officiers  du 
Roi,  &  le  Gouverneur  même  du  Château,  prennent  le  même  parti ,  pour 
ne  pas  demeurer  expofés  au  mauvais  air.  Âcapulco  n'a  de  bon  que  fon 
Port,  dont  le  fond  efl  égal,  &  dans  lequel  les  Vaifleaux  font  renfermés 
comme  dans  une  cour,  &  amarrés  aux  arbres  du  rivage.  On  y  entre  par 
deux  embouchures;  l'une  au  Nord-Oueft,  &  l'autre  au  Sud-Efl:.  Il  efl  dé- 
fendu par  un  Château ,  qui  a  42  pièces  de  canon  de  fonte ,  &  60  Soldats  de 
Garnifon  (m),  Cet- 


*-». 


(  l  )  D'autres  mettent  dix-  fept  dégiés  juf- 
tes,  &  deux  cens  foixante - feize  de  longi- 
tude. 

Cm)  Dampier,  qui  avoit  vifité  ce  Port  a- 
vCc  beaucoup  de  foin ,  en  fait  la  defcription 
fuivante:  Il  e(t  également  large  &  commo- 
de, ©n  rencontre  à  l'entrée  une  petite  Iflo 
baffe ,  qui  s'étend  d'un  demi  mile  «  demi  de 
l'Eft  à  rOueft,  &  qui  n'a  pas  plus  d'un  de- 
mi mile  de  largeur.  Le  Canal  efl  bon  de 
chaque  côté,  en  prenant  l'avantage  du  vent. 
On  entre  par  un  vent  de  mer,  comme  on 
fort  par  un  vent  de  terre  ;  &  ces  deux  vents 
font  favorables  toor-ù-tour ,  l'un  de  jour  & 
l'autre  de  nuit.  Le  Canal  occidental  eft  le 
plus  étroit;  mais  il  cil  fi  profond,  qu'on  ne 
peut  y  mouiller.  C'cfl.  celui  par  lequel  paf- 
fent  les  Vaiffenux  de  Manille;  au  lieu  que 
ceux  de  Lima  prennent  le  Canal  du  Sud-Eft.. 
Le  Port  s'étend  d'environ  trois  miles  au 
Nord  ;  enfuite ,  s'étréciffant  beaucoup  ,  il 
tourne  à  l'Ouelî;,'  &  règne  encore  l'efpace 
d'un  mile.  La  Ville  eft  au  Nord-Ouell ,  à 
l'entrée  de  ce  pallhge  étroit.    Elle  eft  défen* 


due,  vers  le  rivage,  par  une  plate -forme, 
montée  de  plufleurs  pièces  de  canon.  Sur 
la  rive  oppoféc,  du  côté  de  l'Eft,  on  a  bâti 
un  Fort,  qui  n'a  pas  moins  de  40  pièces  de 
gros  calibre.  Les  'Vaiffcaux  palTent  ordinai- 
rement vers  le  fond  du  Havre ,  entre  le  ca- 
non du  Fort  &  celui  de  la  plate-forme;  A 
une  lieue  d'Acapulco ,  à  l'Eft ,  on  trouve  un 
bon  Havre,  nommé  Port  Marquis.  En  cCi- 
toyaniJ'Oueft  vers  ^capulco,  on  découvre, 
à  la  diftance  d'environ  douze  lieues  ,  une 
Montagne  ronde,  entre  deux  autres,  dont 
la  plus  occidentale ,  qui  eft  fort  greffe  &  du- 
ne  hauteur  extraordinaire  ,  fe  termine  par 
un  double  fommet  de  la  forme  de  deOx  mam- 
melles.  Celle  qui  regarde  l'Orient  eft  plus 
haute  &  plus  pointue  que  celle  du  milieu. 
Depuis  la  dernière  de  ces  trois  Montagnes, 
la  terre  s'allonge  en  panchant  du  côté  de  la 
Mer ,  &  finit  par  une  pointe  haute  &  ronde. 
Voyage  autour  du  Momie ,  Tome.  i.  Cbap.  9. 
Le  Plan  qu'on  donne  ici ,  avec  les  nouveaus 
Ouvrages,  eft  tiié  d'Anfon. 


) 


%*  .  t': 


-a** 


i  plate -forme, 
e  canon.  Sur 
Eft,  on  a  bâti 
e  40  pièces  de 
)afrent  ordinai- 
i,  entre  le  ca- 
late-forine;    A 

on  trouve  un 
rquis.    En  cù- 

on  découvre, 
î  lieues ,  une 
:  autres,  dont 
t  grofle  &  du- 
'e  termine  par 
de  deux  niam- 
>rient  eft  plus 
lie  du  milieu. 
is  Montagnes , 

du  côté  de  la 
aute  &  ronde. 
te.  1,  Cbap.  ç. 
:  les  nouveaux 


n./w/ } ■///,• 

1'.^  ,Aôuyfttux  'Jïastùvts 

Y. .  -Ituuiii/f 

O.U'M/ito  </f/  Crifo  l't/  //y 

Vi.CAtmm  i/c  .  ^f.xtco. 

\i.nU  a  /'tfifr<'r  i/ti'Pcrt. 

0'J>i'//.v.  //•//•rw  on  u  Crrt/ion  t/e 
../titiuUf  ii/lacAe  un  Caéte. 


KO 


Enq-eJiclie    Myleii 


GROND  TE  KE  NING  van  den  HAVE  N  van  AC  APUL  C  O. 

ip  de  Kult  van  Mexico, in  de  Z^uid-  Zee,  op  i6''*45' 

loorder  Breedte,  en  108?  22  '  "VVfefielyJte  Lengte  van  London  . 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       467 

Cette  Place  rapporte  annuellement  au  Gouverneur,  ^ui  e(l  auffi  Alcalde 
Major,  vingt  mille  piaflrci,  &  prefciu'autant  à  Tes  principaux  OiBcier». 
LeCuné,  qui  n'a  que  180  piadrei  du  Roi,  en  gagne  quelquefois  dans  une 
année  jufqu'à  14000,  parce  qu'il  fait  payer  fort  cher  la  (épulture  des  E- 
irangers;  non-feulement  de  ceux  qui  s'arrêtent  dans  la  Vil[e,  mais  de  ceux 
même  qui  mcurenr.  en  Mer  fur  les  VailTeaux  des  Philippines  &  du  Pérou. 
Comme  le  Commerce  y  monte  à  plufieurs  millions  de  piallrcs  ,  chacun  fait 
en  peu  de  tems  d'immcnfes  profits  fuivant  fa  profeffion.  Enfin,  tout  le 
monde  y  vit  du  Port.  Les  VailTeaux  du  Ptrou,  qui  apportent  des  marchan* 
difes  de  contrebande,  vont  mouiller,  pour  les  vendre,  dans  le  Port  Mar- 
quis, qui  n'eft  qu'à  deux  lieues  d'Acapulco.  Malgré  la  ftérilité  des  Mon- 
tagnes voifines ,  on  y  trouve  une  grande  abondance  de  Cerfs ,  de  La- 
f>ins,  &  de  plufieurs  autres  animaux,  fur-tout  des  Perroquets ,  des  Mèr- 
es à  longue  queue,  des  Canards,  &  des  Tourterelles  plus  petites  que  les 
nôtres,  qui  ont  la  pointe  des  aîles  colorée,  ai  qui  volent  jufques  dans  les 
maifons  («).» 

Mechoacan,  féconde  Province  delà  première  Audience,  au  N.  O.  de 
Mexico,  a  80  lieues  de  tour.  C'eft  un  Pays  fertile  en  foye,  en  miel,  en 
foufre,  en  cuirs,  en  indigo,  en  laine,  en  coton,  en  cacao,  en  vanille,  en 
fruits,  en  cire,  en  mines  d'argent  &  de  cuivre.  On  y  excelle  d'ailleurs  à 
fabriquer  ces  ouvrages  &  ces  étoffes  de  plumes ,  dont  l'invention  efl  parti- 
culièrement aux  Mexiquains ,  &  que  tous  les  Voyageurs  ne  fe  laflent  point 
de  vanter.  Le  langage  de  cette  Province  efl:  le  plus  élégant  ds  la  Nouvel- 
le Efpagne;  &  fes  Ilabitans  l'emportent  fur  le  commun  des-Indiens,  par 
la  taille  &  la  force,  autant  que  par  l'efprit  &  l'adreffe.  Elle  s'étend  juf- 
qu'à la  Mer  du  Sud ,  par  quelques  Villes  Qu'elle  a  fur  fes  bords,  telles  que 
Sacatula  &  Colima',  fans  compter  deux  tort  bons  Ports,  qui  fe  nomment 
Saint  Antoine  6c  Sant-Jago  ou  Saint  Jacques.  Sa  Capitale,  ç|ui  portoit  au- 
trefois le  nom  de  Mechoacan  ,  a  reçu  des  Ëfpagnols  celui  de  Falladoliâ. 
C'ert  un  riche  Evêché.  Pafcuar ,  Saint  Miguel  &  Saint  Philippe  font  trois 
autres  Villes  bien  peuplées,  &  fituées  fort  avantageufement  dans  les  terres. 

La  troiliéme  Province  eft  celle  de  Panuco.    Elle  tire»  ce  nom  d'une  an- 


DKscKirnotf 
n»   LA  Nou- 

VILLl     iJifA. 

UNK. 


Mcchoscan, 
II.  .Province 
de  l'Aiulicnce 
de  Mexico. 


(«)  Ln  route,  d'Acapulco  à  la  Capitale 
de  la  Nouvelle  Efpagne,  eft  dans  le  Toaie 
XVI.  dj  ce  Recueil,  mais  un  peu  allongée, 
avec  des  circondances  qui  n'ont  pas  permis 
lie  la  détacher  de  la  llelation  de  Carrori.  H 
fuïllira  de  ralTembler  ici  les  noms  de  lieux  & 
icar  diflance.  Le  premier  jour,  ii  fit  trois 
lieues  jufqu'à  Ataxot  à.  trois  d'Attaxo  à  Le 
xicio.  Le  fécond  jour,  quatre  lieues  jufqu'i  los 
Jrroyos ,  &  quar.re  enfuice  jufqu'à  los  Pofuehs. 
Letroifième,  fix  lieue;;  ii\Çq\i'aCaccavotal.  Le 
quatrième ,  quatre  lieues  jufqu'à  los  Caminos , 
&  quatre  autres  jufqu'à  ^ccaguifutta.  Le 
cinquième,  quatre  lieues  jufqu'à  Trapkhe  de 
Majfatlan,  &  deux  de-là  iufqu'à  las  Pata- 
quillas.  Lefixième,  deux  lieues  jufqu'à  Ci/ 
pancingo',  &  deux  jufqu'à  Zumpango,  dans 

N 


cien- 

la  Vallée  que  les  Ëfpagnols  nomment  Cana- 
(la.  Le  fcptième,  onze  lieues  jufqu'à  Nopa- 
lilh ,  dans  la  Vallée  del  Carizai  Le  huitiô-* 
me,  quatre  lieues  jufqu'à  Rancbo  de  Palulat 
&  trois  autres  jufqu'à  PHei/o-nMero.  Le  neu- 
vième, douze  lieues  jufqu'à  jinacujac.  Le 
dixième,  trois  lieues  jufqu'à  Alpugteco.  Le 
onzième,  une  lieue  jufqu'à  Cucitepeque,  & 
quatre  jufqu'à  Cornavacca,  Capitale  d'une 
Prévôté  de  ce  nom ,  qui  appartient  au  Mar- 
quifat  del  Valle.  Le  douzième,  une  demie 
lieue  jufqu'à  Taltenango,  une  lieue  jufqu'à 
Guifilac,  &  fept  jufqu'à  Saint  ' Auguflin  dt 
las  Cnevas.  Le  treizième ,  trois  jufqu'à  la 
Chauirée  du  Lac  de  Mexico  Voyages  da 
Gemelli  Carreri ,  Tçke  VI.  Cbap.  2. 

nn  a  . 


Panuco, 
III.  Province. 


VfflLLE     EbPA- 
G£f£. 


Tlafcala, 
^V,  Province. 


468        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Description  cienne  Ville  Indienne,  qui  le  conferve  encore,  quoique  les  Erpagnols  aïent 
DE  LA  Nou-  yQ^iiu  lui  fjire  prendre  celui  de  San-StUvara  dcl  Fiierto ,  en  lui  donnant  le 
titre  de.Capitale  de  la  Province.  Sa  fituation  eft  à  deux  cens  ibixante- 
dix-fept  dégrés  de  longitude,  &  trente  dégrés  vingt-quatre  minutes  de  la- 
titude du  Nord  ^  Air  une  belle  Rivière,  qui  fe  nomme  auffi  Panuco^  &  qui 
va  fe  jetter  dans  le  Golfe  du  Mexique,  dont  la  Ville  eft  éloignée  de  quel- 
ques lieues.  Tampice ,  Sain$  Jacques  de  los  Vallès ,  &  quelques  autres  Places 
du  même  Pays ,  méritent  à  peine  le  nom  de  Villes. 

Tl  ASC  AL  A,  Province  célèbre  dans  les  Annales  de  la  Nouvelle  Efpagne,par 
les  fervices  que  Cortez  reçut  de  fes  Habitans,  s'étend  fort  loin  dans  les  ter- 
res; c'efl-à-dire,  qu'étant  bordée  au  Nord -Eft  par  le  Golfe  du  Mexique, 
elle  court  jufqu'au  Mechoacan,  &  jufqu'aux  Montagnes  qui  environnent 
le  Lac  de  Mexico.  Ses  principales  Places  font  la  Puebla  de  los  /Angeles  y 
qui  a  dérobbé  le  titre  de  Capitale  à  l'ancienne  Ville  de  Tlafcala ,  Cbo- 
lula  f  Tlafcala^  Goacocingo ,  Segtira  de  la  Frontera^  Tepeaca,  Xalcrppay  & 
Vera  -  Cruz  ,  principal  Port  de  la  Nouvelle  Efpagne  ,  fur  le  Golfe  dC^ 
Mexique.  ' 

Angeles  eft  devenue  une  Ville  confidérable ,  depuis  que  le  Siège  Epif-i 
copal  y  a  été  transféré  de  Tlafcala.  Elle  eft  fituée  à  25  lieues  de  Mexico, 
&  trois  lieues  de  Tlafcala ,  dans  une  agréable  Vallée ,  éloignée ,  d'envi- 
ron dix  lieues ,  d'une  fort  haute  Montagne  qui  eft  toujours  couverte  de 
nege  (0).  Tous  les  Edifices  en  font  de  pierre,  &  ne  le  cèdent  pas  à  ceux 
de  Mexico:  mais,  en  1697,  tems  de  fa  dernière  defcription  (/»),  fes 
rues,  quoique  droites  &  fort  propres,  n'étoient  point  encore  pavées.  El- 
les fe  croifent  les  unes  les  autres,  vers  les  quatre  Vents  principaux.  La 
grande  Place  eft  fermée  de  trois  côtés  par  des  portiques  uniformes,  fous 
lefquels  on  voit  de  riches  boutiques.  La  quatrième  face  eft  remplie  par 
î'Eglife  Cathédrale ,  qui  offre  un  Portail  magnifique  &  des  Tours  fort  é- 
levées.  On  doit  juger  de  fa  fplendeur  par  les  revenus  du  Clergé ,  qui  pro- 
duifent  à  l'Evêque  80000  piaftres;  5000  à  chacun  des  dix  Chanoines-, 
14000  au  Doyen,  8000  au  Chantre,  7000  à  l'EcoIâtre,  &  prefque  autant 
à  l'Archidiacre  &  au  Tréforier.  La  Ville  a  plufieurs  ParoifTes,  &  quanti- 
té de  Couvens&  d'Eglifes,  dont  Carreri  rapporte  les  noms  (q).  On  ne 
comptoit,  du  tems  de  Gage,  que  dix  mille  Habitans  dans  cette  Ville:  mais 
le  nombre  en  eft  fort  augmenté,  depuis  la  dernière  inondation  de  Mexico; 
.&  cette  raifon  explique  en  même-tems  la  diminution  extraordinaire  des  Ha- 
bitans de  la  Capitale.  L'air  d' Angeles  efk  d'une  pureté  qui  rend  les  mala- 
dies fort  rares.  On  y  fait  des  Draps  qui  ne  font  pas  moins  eftimés  que 
ceux  de  Ségovie,  d'excellens  Chapeaux,  &  des  Verres,  dont  le  Commer- 
ce eft  d'autant  plus  confidérable ,  que  c'eft  la  feule  Verrerie  de  cette  Con- 
trée.   Mais  rien  ne  fert  tant  à  l'enrichir  que  faMonnoye,  où  l'on  fabri- 

;      •      •     'r    ..  .     ,  .       que 


(0)  Elle  /ut  bâtie  en  1530,  fur  les  ruines 

d'une  Ville  Indienne,   nommée  Cuetlaxcoa- 

pan ,  par  l'ordre  de  Dom  Antoine  de  Men- 

ih»a,  Viceroi  de  la  Nouvelle  Efpagne,  ubi 

Juprà,  page  89. 


(p  )  Par  Carreri. 

iq)  Tome  6.  page  240.  &  précédentes. 
Voyez  fon  Journal  au  Tome  XVL  de  ce  Re- 
cueil,  • 


;e ,  qui  pro- 


vellf.   espa- 
u:ïe. 


ou  DE  LA  NOUVî:LLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        469" 

que  la  moitié  de  l'argent  qui  fort  des  Mines  de  Zacatecas,  comme  l'autre  l^f  crtptioi* 
moitié  fe  fabrique  à  Mexico.    Le  terroir  eft  fertile  en  toutes  fortes  de  '"^  ''^  ^°"' 
grains,  en  légumes,  en  cannes  de  fucre;  &  la  campagne  efl;  remplie  de 
belles  Fermes ,  entre  lefquelles  Gage  vante  celle  de  fon  Ordre ,  où  1  on  en- 
tretient plus  de  deux  cens  Nègres,  de  l'un  &  de  l'autre  fexe,  fans  com- 
prendre leurs  Enfans  dans  ce  nombre. 

•  Tlascala  eft  fituée  fur  le  bord  d'une  Rivière  qui  fort  d'une  Montagne 
nommée  Adancatepeque  ,  &  qui,  arrofanc  la  plus  gramme  partie  de  la  Provin- 
ce, va  fe  jetter  dans  le  Golfe  par  Zacatulan.     Les  Indiens  de  la  Ville  ob- 
tini;entde  GharlesQuint,  après  la  Conquête,  une  exemption  perpétuelle 
de  toutes  fortes  d'impôts  &  de  tributs  :  mais ,  quoique  cette  faveur  eût  dû, 
fervir  à  la  rendre  long-tems  floriflante,  il  paroît  que  rien  n'a  pu  l'emporter 
fur  les  incommodités  de  fa  fituation.    Elle  a  néanmoins  quatre  belles  rues , 
qui  fe  nomment  encore  Tepeîiepaque ^  Ocoteluïco^  Ttzatkn^  &  Qiiiabu'nzlan. 
La  première  eft  fur  un  coteau,  éloignée  d'une  demie  lieue  de  la  Rivière; 
une  autre  eft  fur  le  revers*  d'une  féconde  hauteur,  &  defcend  jufqu'au  bord' 
de  l'eau.    Cette  féconde  rue  étoit  anciennement  fort  habitée.    On  y  voyoit 
une  grande  Place ,  qui  fervoit  de  Marché ,  fous  le  nom  de  Tianguitzli.     La 
troifiéme  &  la  quatrième  font  dans  la  Vallée.    Tous  les  anciens  Bâtiment 
ont  été  changés  fous  la  domination  desEfpagnols.  L'Hôtel  de  Ville  &  d'au- 
tres Edifices  publics  font  dans  la  Plaine ,  lur  le  bord  même  de  la  Rivière. 
On  voit  encore ,  à  Tlafcala  ,  des  Orfèvres ,  des  Plumafliers ,  &  fur-tout 
des  Potiers ,  qui  font  d'auffi  belle  Terre  qu'il  s'en  fafle  en  Efpagne  ;  mai? 
tous  Indiens,  qui  ne  fe  fentent  plus  de  l'ancienne  noblefle  de  leur  Nation. 
On  parle,  dans  cette  Ville,,  trois  langues  différentes:  l'une  qu'on  nommo 
Nahuahlt  langue  des  Empereurs  &  des  Courtifans,  qui  eft  encore  aujour- 
d'hui celle  des  principaux  Indiens  ;  la  féconde,  nommée  Ofon«> ,  qni  eft  I0 
langage  commun;  &  le  Pinomer,  qui  étoit  particulièrement  en  ufage  dans 
la  République  de  Tlafcala,  mais  qui,  paflant  pour  la  plus  groffière,  nes'eft 
confervée  que  dans  une  feule  rue  d'Artifans.    Au  riefte ,  on  a  trouvé ,  par 
d'exafles  obfervations ,  que  cette  République ,  fi  formidable  &  fi  vantée , 
ne  comprenoit  que  vingt-huit  Bourgades,  où  l'on  comptoit  environ  cent 
cinquante  mille  Chefs  de  famille.    Ocotelulco  &  Tizatlan  font  à  préfent 
les  deux  rues  les  plus  habitées.    11  y  a  dans  la  première  un  Couvent  de 
Francifcains,  &  deux  Chapelles  dans  celles  de  Tepetiepaque  &  de  Quia* 
huitzlan.     Les  Habitans  font  un  mélange  d'Efpagnols  &  d'Indiens ,  qui  mè- 
nent une  vie  aflez  douce,  parce  que  les  Campagnes  voifines  leur  fournif- 
fent  du  blé  &  des  fruits ,  &  que  l'herbe  croiflant  dans  les  Bois  entre  les 
plus  grands  arbres ,  ils  y  élèvent  des  Beftiaux  à  peu  de  fraix.   Gage  apprit 
que  la  première  caufe  de  la  décadence  de  Tlafcala  fut  la  rigueur  des  Offi- 
ciers Efpagnols ,  qui,  fous  prétexte  que  cette  Ville  étoit  exempte  de  tri- 
but ,  employoient  le  Peuple  à  toute  forte  de  travaux ,  fans  aucun  falaire: 
Quarante  ans  après,  Carreri  voulut  voir  aufli  les  reftes  d'une  République, 
qui  avoit  réfifté  de  tout  tems  aux  armes  de  l'Empire  Mexiquain,  &  qui  a- 
voitaidé  Cortez  à  le  détruire.     En  venant  de  Mexico,  il  avoit  pafle  par 
Mexicalfingo,  qui  n'eft  aujourd'hui  qu'un  Village;  par  Iztacpalapa  &Chalco-f 
qui  ne  foutiennent  pas  mieux  leur  ancienne  réputation;  par  lordovay  Rio 

Nnn  3  Frioy 


DE    LA    NuU 

VKIXE     ESPA 

ONE. 


'      470        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

J^^scntiTioN  ffio^  Tefmolucca  &  San-MartinOt  qui  ne  font  que  des  Hameaux  ou  de  mau- 
vaifes  Hôtelleries.  Il  ne  lui  reftoit  que  trois  lieues ,  qu'il  fit  par  des  Plai- 
nes marécageufes  ;  &  paflant  la  Rivière  à  gué ,  il  entra  dans  une  Ville  qu'il 
ne  trouva  pas  différente  d'un  Village.  Le  Couvent  des  Cordeliers,  &  la 
figure  du  Vaifleau,  qui  apporta  Cortez  à  la  Vera-Cruz,  gravée  fur  les  murs 
de  l'Eglife  Paroiffiale ,  furent  les  feuls  objets  qui  lui  parurent  dignes  de  fon 
attention.  Cholula,  que  fa  curiofité  lui  fit  aulîi  vifirer,  entre  Tlafcala  & 
Puebla  de  los  Angeles,  a  du  moins  l'avantage  d'être  rempli  de  beaux  Jar- 
dins ;  &  quoiqu'il  n^  mérite  pas  non  plus  le  nom  de  Ville ,  il  eft  habi- 
té par  quantité  de  riches  Marchands.  On  voit ,  au  centre  de  cette  Pla- 
ce, une  ancienne  Pyramide,  dont  le  fi  mmet  étoit  alors  la  retraite  d'un 
Hermite  (r). 

GuAcociNGO  ,  qui  eft  un  peu  au  Nord ,  entre  Tlafcala  &  les  Montagnes, 
qui  féparent  cette  Province  de  celle  de  Mexico,  eft  peuplé  d'environ  cinq 
cens  Indiens  &  cent  Efpagnols.  Cette  Ville  jouit  de  prefqu'autant  de  pri- 
vilèges que  Tlafcala,  parce  qu'elle  joignit  aufli  fes  forces  a  celles  des  pre- 
miers Conquérans. 

Segura  j>e  la  Frontera,  qui  fut  bâtie  par  Cortez,  pour  faciliter  aux 
Efpagnols  le  paffage  de  Vera-Cruz  à  Mexico,  eft  dans  une  f-^uation 
fort  avantageufe ,  un  peu  au  Sud  -  Oueft  de  Tlafcala.  La  Plaine ,  qu'el- 
le commande  par  fon  élévation ,  produit  en  abondance  toute  forte  de  vi- 
vres &  de  fruits.  On  compte,  dans  fes  murs^  mille  Habitans ,  Efpagnols 
&  Indiens. 

Tepeaca  &  Culhuûf  font  deux  anciennes  Bourgades ,  qui  fubfiftent  avec 
peu  de.  changement ,  parce  qu'elles  n'ont  que  des  Indiens  pour  Habitans. 

Xalappa,  dernière  Place  de  la  Province  du  côté  de  Vera-Cruz  (j), 
dont  elle  o'eft  éloignée  que  de  cinq  ou  fix  lieues,  eft  une  Ville  Epifcopale, 
qui  n'a  pas  plus  de  deux  mille  Habitans.  Son  Siège  eft  un  démembrement 
de  los  Angeles  ;  mais  il  ne  laiffe  pas  de  valoir  dix  mille  ducats ,  parce 
qu'il  eft  fitué  dans  un  canton  également  fertile  en  froment,  en  maïz,  en 
cochenille  &  en  fucre.  Cette  Ville  eft  environnée  de  plufieurs  Bourgades, 
où  l'on  élève  un  grand  nombre  de  Mules  &  de  Beftiaux ,  qui  fervent  aufli 
à  l'enrichir. 

Vera-Cruz  ou  Saint -Jean  à'Ulua^  Port  moins  célèbre  par  fa  beauté  que 
par  fon  Commerce,  n'eft  pas  la  première  Ville  du  même  nom,  que  Cortez 
bâtit  en  arrivant  fur  cette  Côte.  Elle  fut  fondée  après  la  Conquête ,  à  fix 
lieues  de  la  première,  dont  les  débris  fubfiftent  encore,  avec  un  fort  petit 
nombre  d'Habita.is.  L'ancien  Port  étoit  fi  dangereux  par  la  violence  des 
vents  du  Nord ,  que  les  Efpagnols  prirent  le  parti  de  tranfporter  un  Eta- 
bliflTeraent  de  cette  importance  vis-à-vis  de  l'ille  d'Uiua,  où  la  Rade  eft  plus 
fûre,  &  défendue  d'ailleurs  par  quelques  Forts.  On  y  comptoit,  du  tems 
de  Gage,  environ  trois  mille  Habitans,  parmi  lefquels  il  s'en  trouvoit  plu- 
fieurs qu'on  eftimoit  riches  de  trois  &  quatre  cens  mille  ducats.    Mais  tous 

,.•-■'  ^^ 

(♦•)  Carrcri ,  Tome  6.  pages  224  ^  fui-  tre  chemin,  fur  lequel  il  rencontra  quelques 
vantes.  autres  Places.    Voyez  fon  Journal, 

(j-)  Gage,  uhifuprà,  Carreri  prit  un  au- 


GNE. 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  Il       471 

les  Edifices,  fana  excepter  les  Convens  &  les  Eglifes,  étoient'de  bois;  &  nRscnrptibsi 
la  principale  force  delà  Ville  confiftoit,  dit-il,  en  ce  que  l'entrée  du  Havre  ""  ^^  Nou- 
étoit  très  difficile.  G-  a  vu ,  dans  le  Journal  de  Carreri ,  l'état  ou  il  trou-  ^^^^^  ^*''** 
va  cette  Place  en  1697.  11  refle  à  la  repréfenter  telle  qu'elle  eft  aujourd'hui, 
fur  les  Mémoires  d'un  Voyageur  Anglois ,  qui  paroît  avoir  apporté  beau- 
coup d'exaftitude  à  fes  oblervations. 

L'ancienne  Vera'Cruz,  qui  dans  fon  origine  avoit  été  nommée  auffi  Fîl- 
la  ricca^  &  qu'on  appelle  aujourd'hui  plus  ordinairement  ^era-Cruz  vieja, 
pour  la  dillinguer  de  la  Nouvelle  y  efl:  fituée  dans  une  grande  Plaine.  Elle  a 
d'un  côté  la  Rivière,  &  de  l'autre  des  Campagnes  couvertes  de  fable,  que 
la  violence  du  vent  y  pouffe  des  bords  de  la  Mer.  Ainfi  le  terroir  eft  fort 
inculte  aux  environs.  Entre  la  Mer  &  la  Ville  efl  une  efpèce  de  Bruière, 
remplie  de  Daims  rouges.  La  Rivière  coule  au  Sud  ;  &  pendant  une  par- 
tie de  l'année,  elle  eft  prefque  fans  eau;  mais  elle  eft  afîez  forte,  en  hi- 
ver ,  pour  recevoir  toute  forte  de  Vaiffeaux. 

La  Ville  contient  encore  quatre  ou  cinq  cénsMaifonà.  Une  grande 
Place,  qui  en  fait  le  centre ,  offre  quelques  arbres  d'une  prodigieufe  gran- 
deur. L'air  eft  fî  mal  fain,  dans  l'intérieur  des  murs  ,  que  les  Femmes 
quittent  toujours  la  Ville  dans  le  tems  de  leurs  couches ,  parce  que  ni 
elles ,  ni  les  Enfans  qu'elles  mettent  au  monde ,  ne  peuvent  réfilter  a- 
lors  à  l'infeélion;  &,  par  un  ufage  extrêmement  fmgulier,  on  fait  paf- 
fer  le  matin,  dans  toutes  les  Rues,  des  Troupes  de  Beftiaux  fort  nom- 
breufes ,  pour  leur  faire  emporter  les  pernicieufes  vapeurs  qu'on  croit  for- 
ties  de  la  terre. 

Villa  ricca,  ou  la  vieille  Vera-Cruz ,  étant  dans  cette  Mer  le  Port  le 
plus  voifm  de  Mexico,  qui  n'en  eft  éloigné  que  de  foixante  lieues  d'Efpa- 
gne  (f  ),  on  a  continué  fort  long -tems  d'y  décharger  les  Vaiffeaux.  En- 
fuite  les  dangers  du  Port  ont  fait  penfer  à  choifir  un  autre  lieu.  Avant 
qu'on  fe  fût  déterminé  à  ce  changement ,  les  plus  riches  Négocians  ne  ve- 
noient,  à  l'ancienne  Ville,  que  dans  le  tems  où  les  Flottes  arrivoient 
d'Efpagne.  Ils  faifoient  leur  féjour  habituel  à  Xalappa, Ville  fituée  à  feize 
miles  de  la  Mer,  furie  chemin  de  Mexico;  mais  comme  ils  avoient  befoin, 
à  cette  diftance ,  de  quatre  ou  cinq  mois  pour  décharger  les  Vaiffeaux,  & 
pour  tranfporter  les  marchandifes ,  une  incommodité ,  fi  nuifible  au  Com- 
merce, le  fit  penfer  à  prendre  un  lieu  nommé  Buytron  (u) ,  fitué  dix-fept 


(t)  La  plupart  des  Voyageurs  difent  80 
lieues. 

(v)  Il  s'-efl  glifTé beaucoup  d'erreurs,  dans 
h  Géographie ,  fur  la  fituation  de  cette  fa- 
mcufc  Place.  Quelques-uns  la  mettent  au 
dix-i)uitiùme  degré  de  latitude  du  Nord ,  & 
d'autres  au  dix-huitième  trente  minutes.  La 
Carte  de  PoppZe^marque  dix-huit  dégrés  qua- 
rante-huit minutes.  Hawkings  veut  dix-neuf 
dégrés.  Mais,  fuivant  les  obfervations  de 
Caranza,  Pilote  de  la  Flotte  en  1718,  Vera. 
Cruz  ell  au  dix -neuvième  degré  dix  minu- 
tes ;  &  fuivant  celles  du  célèbre  Halky,  qui 


font  poftérieures ,  à  dix-neuf  dégrés  douze 
minutes.  Quantité  de  Cartes  ont  commis 
une  faute  beaucoup  moins  excufable ,  en 
confondant  lancieniie  &  la  nouvelle  Vera- 
Cruz.  Dans  l'AtlM  maritime,  &  dans  la 
Carte  dePopple,  l'iile  de  Caint-Jean  d'Ulua 
efl:  placée,  avec  fon  Château,  vis-àwis  de 
l'ancienne  Ville;  &  l'Ille  des  Sacrifices,  qui 
n'clt  qu'à  deux  miles  de  celle  d'Ulua  &  à  ufl 
mile  de  la  Côte,  eft  reculée  de  quarante  mi- 
les, &  féparée  de  la  Côte  d'environ  trente 
miles.  Quoique  l'Auteur  du  Géographe  corn' 
plet  diftingue  par  leurs  noms  Vera  -  Cruz  & 

Saint- 


475 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


VELLR     EstA 
ONfi. 


Description  ou  dix-huit  miles  plus  bas  fur  la  même  Côte,  vis-à-vis  de  l'Ifle  Saint- Jean 
DE  L\  Nou-  j'uiua,  qui  n'efl:  guères  à  plus  de  huit  cens  pas  du  rivage.  Outre  la  dé- 
VELLE    <SPA.  ^^^^^  ^^g  jg  p^j.j.  y  jeçQij.  jg  çgjfg  i(]g  ^  contre  la  fureur  des  vents  du  Nord, 

on  trouva  qu'il  n'y  falloit  que  fix  femaines  pour  décharger  les  Vaifleaux,  & 
ces  deux  avantages  firent  prendre  la  réfolution  d'y  bâtir  une  Ville,  qui  ell 
aujourd'hui  Vera  Cruz.  ;.  i:; 

En  approchant  de  l'Ifle  d'Ulua ,  qui  eft  à  l'entrée  du  Port ,  ou  plutôt  qui 
fert  à  le  former,  fa  fituation  fait  juger  qu'il  feroit  dangereux  d'y  vouloir 
entrer  dans  l'obfcurité.     On  découvre ,  à  fleur  d'eau ,  quantité  de  petites 
Roches ,  qui-  n'ont  au  dehors  que  la  grofleur  d'un  tonneau.     L'Ifle  n'efl:  el- 
le même  qu'un  Rocher  fort  bas ,  qui  n'a  que  la  longueur  d'un  trait  de  flèche 
dans  toutes  fes  dimenfions.    Ces  défenfes  naturelles  font  la  force  de  la  Vil- 
le.    Cependant  l'Ifle  d'Ulua  contient  un  Château  quarré  ,  qui  en  couvre 
prefque  toute  la  furface.    Il  efl;  bien  bâti,  &  gardé  par  quelques  Soldats, 
avec  quatre-vingt-cinq  pièces  de  Canon  &  quatre  Mortiers.    Les  Efpagnols 
confeflent  qu'il  doit  fon  origine  à  la»crainte  qu'ils  eurent,  en  1568,  d'un 
Capitaine  Anglois  nommé  Hawkings;  âc  Tomfon  nous  apprend,   en  effet, 
dans  la  Relation  de  fes  Voyages,  qu'en  1556  il  ne  trouva  dans  l'Ifle  qu'une 
petite  Maifon,  avec  une  Chapelle.    Seulement,  du  côté  qui  fait  face  à  la 
Terre,  on  avoit  conftruit  un  Quai  de  grofles  pierres,   en  forme  de  mur 
épais,  pour  fe  difpenfer  d'y  entretenir,  comme  on  i'avoit  fait  long-tems, 
vingt  Nègres  des  plus  vigoureux,  qui  réparoient  continuellement  les  brè- 
ches que  la  Mer  &  le  mauvais  tems  faifoient  à  l'Ifle.    Dans  ce  mur,  ou 
dans  ce  Quai,  on  avoit  entremêlé  des  barres  de  fer,  avec  de  gros  anneaux, 
auxquels  les  Vaifleaux  étoient  attachés  par  des  chaînes;  de  forte  qu'ils  é- 
toient  fi  près  de  l'Ifle,  que  les  Mariniers  pouvoient  fauter  du  Pont  fur  le 
Quai.     Il  avoit  été  commencé  par  le  Viceroi  Dom  Antoine  de  Mendoza, 
qui  avoit  fait  conftruire  deux  Boulevards  aux  extrémités.  Hawkes ,  qui  fit  un 
Voyage  dans  le  Golfe  en  1572,  rapporte  qu'on  s'occupoit  alors  à  bâtir  le  Châ- 
teau; 6c.  Philips  rend  témoignage  qu'il  étoit  fini  en  1582.     C'efl:  donc  cette 
Ifle,  qui  défend  les  Vaifleaux  contre  les  vents  du  Nord,  dont  la  violence 
efl:  extrême  fur  cette  Côte.     On  n'ôferoit  mouiller  au  milieu  du  Port  mê- 
me, ni  dans  un  autre  lieu  qu'à  l'abri  du  roc  d'Ulua.    A  peine  y  efl: -on  en 
fureté  avec  le  fecours  des  ancres  &  l'appui  des  anneaux  qui  font  aux  murs 
du  Château.  Il  arrive  quelquefois  que  la  force  du  yent  rompt  tous  les  liens, 
arrache  les  Vaifleaux  &  les  précipite  contre  les  autres  Rochers,  ou  les  pouf- 
fe dans  l'Océan.    Ces  vents  furieux  ont  quelquefois  emporté  des  Vaifleaux 
&  des  Maifons,  bien  loin  dans  les  terres.     Ils  caufent  les  mêmes  ravages 
dans  toutes  lés  parties  du  Golfe.     Une  tempête  en  fait  fouvent  traverfer 
toute  l'étendue  au  Navire  le  plus  péfant  (  x).    Depuis  le  mois  de" Mars  juf- 
<qu'au  mois  de  Septembre,  les  vents  de  bife  y  fouiBeot  entre  le  Nord-Efl;  & 


5aint-Jean  d'Ulua ,  il  femble  néanmoins  qu'en 
mettant  le  Château  à  Vefa-Crux,  il  confond 
mal-à-propos  ces  deux  lieux. 

-(x)  Hawkes  rapporte  qu'ayant  vu  nager 
quantité  d'arbres  vers  le  rivage  de  Vera- 
Cruz,  on  i'affma  qu'ils  y  avoient  été  pouf- 


fes par  quelque  orage ,  de  la  Floride ,  qui  c;i 
efl;  a  trois  cens  lieues;  &  Cfage  raconte  qu'é- 
tant à  Vera-Cruz  en  1625,  il  fut  tcînioin  des 
iiorribles  eftets  d'un  ouragan ,  qui  renvcrfa 
la  plus  grande  partie  des  maifons,  ubifuprà, 
Part.  I.  Chap.  8. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL 


475 


leSud-Efl:  mais,  depuis  Septembre  julqii'au  mois  de  Mars,  c'efl  le  vent  DEfcumio» 
du  Nord  qui  règne,  6<:  qui  produit  d'afiVeux  orages,  fur  tout  aux  mois  de  "^^r^!^  t^crïl 
Novembre,  de  Décembre  &  de  Janvier.     Cependant  il  y  a  des  intervalles        Vne.*" 
de  beau  tems,  fans  quoi  l'on  n  oferoit  entreprendre  de  naviguer  dans  cette 
Mer.     Les  Marées  mêmes  &  les  Courans  y  ont  peu  de  régularité.     En  gé- 
néral le  vent  du  Nord  fait  remonter  les  flots  vers  les  Côtes  ;  ce  qui  rend 
l'eau  beaucoup  plus  haute  alors  le  long  du  rivage. 

Le  Port  de  Vera-Cruz  ne  peut  contenir  à  l'aife  plus  de  trente  ou  trente- 
cinq  Vaifleaux.  On  y  entre  par  deux  Canaux,  l'un  au  Nord,  l'autre  au 
Sud.  Outre  l'ifle  de  Saint- Jean  d'Ulua,  il  en  renferme  trois  ou  quatre  pe- 
titet ,  que  les  Elpagnols  nomment  Cayos ,  &  les  Anglois  Keyf ,  ou  Clés.  A 
deux  miles,  au  Sud,  eH  ceWe  des  Sacrifices ^  où  Grijalva  &  Fernand'  Cor- 
tez  abordèrent ,  &  dans  laquelle  ils  trouvèrent  des  figures  affreufes ,  des 
papiers  enfanglantés ,  &  des  refies  de  Viélimes  humaines.  On  découvre 
à  peu  de  diftance,  en  venant  du  Nord,  les  Ifles  de  Gallega,,  à'/lnagada^  & 
quelques  autres. 

La  figure  de  Vera-Cruz  eft  ovale,  mais  plus  large  dans  la  partie  du  Sud- 
Eil  que  dans  celle  du  Nord-Ouefl;.     Sa  longueur  eft  d'un  demi  mile,  &  fa 
largeur,  de  la  moitié.     Les  rues  font  droites,  &  les  Maifons  régulières, 
quoique  la  plupart  des  Edifices  foyent  de  bois  ,  jufqu'aux  Eglifes  ;  ce  qui  a 
produit  fouvent  des  incendies  terribles ,  qui  n'ont  point  empêché  qu'on  ne 
les  ait  rebâtis  de  la  même  matière.     Au  Sud-Efl  coule  une  Rivière,  qui 
prenant  fa  fource  au  Sud,  defcend  vers  le  Nord,  fort  près  de  la  Ville,  & 
delà  fe  jette  dans  la  Mer,  auNord-Eft,  par  deux  Bras  qui  forment  une 
petite  Ifle  à  fon  embouchure.     La  Ville  eft  fituée  dans  une  Plaine  fabloneu- 
fe&ftérile,  environnée  de  Montagnes ,  au-delà  defquelles  on  trouve  des 
Bois  remplis  de  Bêtes  fauvages ,  &  dés  Prairies  pleines  de  Beftiaux.    Du 
côté  du  Sud  font  de  grands  Marais ,  qui  contribuent  beaucoup  à  rendre  l'air 
mal  fain.     Le  vent  du  Nord  poufl^e,  comme  à  Villa -ricca  ,  tant  de  fable 
du  bord  de  la  Mer ,  que  les  murs  de  la  Ville  en  font  prefqu'entiérement 
couverts.    Les  Eglifes  font  fort  ornées  d'argenterie,  &  les  Maifons,  de 
porcelaine  &  de  meubles  de  la  Chine.    Il  y  a  peu  de  Noblefl'e  à  Vera  Cruz  ; 
mais  les  Négocians  y  font  fi  riches,  qu'il  y  a  peu  de  Villes  auflî  opulentes 
dans  l'Univers.    Le  nombre  des  Efpagnols  ne  pafle  pas  trois  mille,  la  plu- 
part Mulâtres,  quoiqu'ils  aflfeélent  de  fe  nommer  Blancs, autant  parce  qu'ils 
le  croyent  honorés  de  ce  titre,  que  pour  fe  diftinguer  des  Indiens  &  des 
Efclaves  Nègres.    On  ne  pafle  point  pour  un  Homme  de  confidération  par- 
mi eux ,  lorfqu'on  n'eft  pas  riche  de  cinq  ou  fix  cens  mille  piaftres.     Leur 
fobrieté  va  fi  loin,  qu'ils  fe  nourriflent  prefqu'uniquement  de  chocolat'  & 
de  confitures.     Les  Hommes  font  fiers;  &  les  Femmes  vivent  retirées 
dans  leurs  appartemens  d'en-hauc,  pour  éviter  la  vue  des  Etrangers ,  qu'el- 
les verroient  néanmoins  volontiers ,  Çï  leurs  Maris  leur  en  laiflbient  la  li- 
berté.    Si  elles  for tent  quelquefois ,  c'eft  dans  une  voiture;  &  celles,  qui         • 
n'en  ont  point ,  font  couvertes  d'une  grande  mante  de  foye,  qui  leur  pend 
de  la  tête  jufqu'aux  pies ,  avec  une  petite  ouverture  du  côté  droit ,  pour  les 
aider  à  fe  conduire.    Dans  l'intérieur  des  Maifons ,  elles  ne  portent ,  fur 
leur  chtmife,  qu'un  petic  corfet  de  foye,  lacé  d'un  trait  d'or  ou  d'argeijt; 
XVllL  Part,  O  o  o  .     & 


DSSCRIPTION 

Vt  LA     NOU- 

YfiLLlî    K'PA- 

CA'£« 


474       D  E  S  C  R  I  P  T  I  O  N    D  U    M  E  X  I  Q  U  E,. 

&  pour  toute  coefFure ,  leurs  cheveux  font  noués  d'un  ruban  fur  la  tête. 
Avec  un  habillement  fi fimple,  elles  ne  laiflent  pas  d'avoir  une  chaîne  d'or, 
autour  du  cou ,  des  braflelets  du  même  métal  aux  poignets ,  &  des  émerau- 
des  fort  précieufes^ux  oreilles.  Les  Hommes  entendent  fort  bien  le  Com- 
merce ;  mais  leur  indolence  naturelle  leur  donne  de  l'averfion  pour  le  tra- 
vail. On  leur  voit  fans  ceffe  des  Chapelets  &  des  Reliquaires  aux  bras 
&  au  cou.  Toutes  leurs  Maifons  font  remplies  de  Statues  &  d'Images 
de  Saints  (y). 

L'air  eft  aufïï  chaud  que  mal  fain,  à  Vera-Cruz,  dans  toutes  fortes  de 
vents ,  excepté  celui  du  Nord ,  qui  fouffle  ordinairement  une  fois  tous  les 
huit  ou  quinze  jours,  &  qui  dure  l'efpace  de  vingt  ou  vingt-quatre  heures. 
11  eft  alors  fi  violent ,  qu'on  ne  peut  pas  fortir  d'un  Vaifleau  pour  aller  au 
rivage;  &  le  froid  qu'il  porte  avec  lui  eft  très  perçant.  Le  tems,  où  l'air 
eft  le  plus  mal  fain,  eft  depuis  le  mois  d'Avril  jufqu'au  mois  de  Novembre, 
parce  qu'alors  les  pïuyes  font  continuelles.  Depuis  Novembre  jufqu'au  mois 
d'Avril,  lèvent  &  le  Soleil,  qui  fe  tempèrent  mutuellement,  rendent  le 
Pays  fort  agréable.  Ce  climat  chaud  &  mal  fain  règne  dans  l'efpace  de 
quarante  ou  quarante-cinq  miles  vers  Mexico;  après  quoi  l'on  fe  trouve 
dans  un  air  plus  tempéré.  Les  fruits ,  quoiqu'excellens ,  y  caufent  des  flux 
dangereux  ;  parce  que  tout  le  monde  en  mange  avec  excès ,  &  qu'enfuite 
on  boit  trop  avidement  de  l'eau.  La  plupart  des  VaifTeaux  étrangers  per- 
dent ainfi,  dans  le  Port  de  Vera-Cruz,  une  partie  de  leurs  Equipages; 
mais  les  Hubitans  mêmes  ne  tirei^-,  là-deflus,  aucun  avantage  de  l'expé- 
rience. On  découvre  de  la  Ville  deux  Montagnes  couvertes  de  nege,  dont 
lefommet  eft  caché  dans  les  nues,&  qu'on  voit  diftinélement  dans  un  tems 
clair,  quoiqu'elles- foytnc  à  plus  de  quarante  miles  fur  la  route  de  Mexico. 
C'eft-là  que  commence  proprement  la  différence  du  climat. 

Vera-Cruz  eft  non-feulement  le  principal,  mais,  à  parler  proprement , 
l'unique  Port  de  la  Nouvelle  Efpagne  dans  le  Golfe.  Les  Efpagnois ,  & 
peut-être  le  Monde  entier,  n'ont  point  de  lieu  dont  le  Commerce  ait  tant 
d'étendue.  C'eft-là  que  fe  rendent  toutes  les  richeffes  des  Indes  Orientales 
par  les  Vaifleaux  qui  arrivent  des  Philippines  au  Port  d'Acapulco.  C'eft  le 
centre  naturel  de  toutes  celles  de  l'Amérique;  &  la  Flotte  y  apporte  an- 
nuellement, de  la  Vieille  Efpagne,  des  marchandifes  d'une  immenfe  va- 
leur. Le  Commerce  de  Vera-Cruz,  avec  Mexico;  &  par  Mexico,  avec 
les  Indes  Orientales  ;  avec  le  Pérou ,  par  Porto-Bello  ;  avec  toutes  les  Ifles 
de  la  Mer  du  Nord,  par  Carthagene ;  avec  Zapotecas,  Saint- Alphonfe  & 
Guaxaca,  par  la  Rivière  d'Alvarado;  avec  Tabafco.,  los  Zoques  &  Chiapa 
dos  Indos,  par  la  Rivière  de  Grijalva;  ^nfin,  celui  de  la  Vieille  Efpagne, 
de  Cuba,  de  l'Efpagnole,  del'Yucatan,  &c.  rendent  cette  petite  Vill;  fi 
riche,  qu'elle  peut  paffer  pour  le  centre  de  tous  les  tréfors  &  de  toutes  les 
commodités  des  deux  Indes.  Comme  le  mauvais  air  caufe  le  petit  nombre 
de  fes  Habitans ,  leur  petit  nombre  fait  aulTi  qu'ils  font  extrêmement  riches, 
&  qu'ils  le  feroient  encore  plus ,  s'ils  n'avoienc  pas  foufferc  des  pertes  irré- 
para-. 

( y)  Carreri  nomme  un  Efpagnol  dont  la  dévotion  lui  avoit  fait  raiTtiffiblcr  tous  les  Stiints 
du -Calendrier, 


cous  les  Saints 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  ÏI.       47^ 

parables,  par  le  feu.  Les  marchandifes ,  qui  viennent  de  l'Europe,  font 
tranfportées  de  Vera-Cruz  à  Mexico,  Xalippa,  Puebla  de  los  Angeles,  Za- 
catecas,  San-Martijio ,  &  d'autres  lieux,  fur  le  dos  des  Chevaux  &  des 
Mulets,  ou  fur  des  Chariots  traînés  par  des  Bœufs.  La  Foire  reffemble 
à  celle  de  Porto-Bello ,  mais  elle  dure  plus  long-tems;  car  le  départ  de  la 
Flotte,  quoique  fixé  au  mois  de  Mai,  eft  quelquefois  différé  jufqu'au 
mois  d'Août.  On  n'embarque  l'or  &  l'argent ,  que  peu  de  jours  avant 
qu'on  mette  à  la  voile  Autrefois  le  Tréfor  roval  étoit  envoyé  de 
Mexico ,  pour  attendre ,  à  Vera  -  Cruz ,  l'arrivée  de  la  Flotte  :  mais  depuis 
que  cette  Place  fut  furprife  &  pillée,  en  1683 ,  par  les  Boucanniers  (2  ) ,  il 
s'arrête  à  Puebla  de  los  Angeles  ,  où  il  demeure  jufqu'à  l'arrivée  des  Vaif- 
féaux;  &  fur  l'avis  qu'on  reçoit  de  Vera-Cruz,  on  l'y  tranfporte  pour  l'em- 
barquer fur  le  champ. 

La  cinquième  Province  de  l'Audience  de  Mexico  eft  fituée  au  Sud-Eft, 
&  porte  le  nom  de  Guaxaca^  qu'elle  tire  de  fa  Capitale.  Elle  contient 
quelques  autres  Villes  ,  dont  les  principales  font ,  Antequera ,  Nizapa ,  San- 
Jago ,  Aguatulca  ou  Guatulco ,  Tucutula ,  Capalita  &  Tecuantepeque.  Le  Pays 
eft  extrêmement  fertile  en  Froment,  en  Maïz^  en  Cochenille  &  en  Cacao. 
Quelques  Ports,  qu'il  a  fur  la  Mer  du  Sud,  le  mettent  en  Commerce  avec 
le  Pérou.     Il  s'y  trouve  d'ailleurs  des  Mines  d'or,  d'argent  &  de  cryftal. 

Plusieurs  Géographes ,  qui  n'ont  pas  confulté  les  Voyageurs ,  nom- 
ment Antequera  pour  la  Capitale  de  cette  Province  :  mais  fur  quelque 
autorité  qu'ils  fè  fondent ,  ils  n'en  trouveront  point  de  comparable  à  cel- 
le de  Gage,  qui  défigne  Guaxaca,  &  qui  n'en  parle  que  fur  le  témoigna- 
ge de  fes  propres  yeux ,  après  avoir  vifité  ces  deux  Places  &  la  plupart  des 
autres  Villes  du  Pays.  C^tte  raifon  fera  trouver  ici  beaucoup  d'utilité  k 
fuivre  fon  Journal. 

Il  partit  de  Mexico,  vers  lefliïlieu  de  Févrkf ,  en  fe  détournant  un  peu 
du  chemin  ordinaire,  pour  fe  dérobber  à  quelques  Importuns  qui  vouloient 
s'oppofer  à  fon  Voyage.  Il  étoit  à  cheval,  avec  deux  ou  trois  Amis.  Ses 
deux  premières  marches ,  qu'il  fit  pendant  les  deux  nuits  fuivantes ,  le  con- 
duifirent  à  la  petite  Ville  (i*Atlizco ,  fituée  dans  une  Vallée  de  fept  lieues 
de  tour ,  qui  porte  le  même  nom  >  &  qui  eft  fi  fertile  en  Froment ,  que 
Mexico  &  plufieurs  Villes  voifines.  en  tirent  leur  fubfiftance.  On  y  voit 
quantité  de  riches  Bourgs,  Efpagnols  &  Indiens.  De-là,  commençant  à 
marcher  de  jour ,  il  arriva  dans  une  autre  Vallée ,  qui  fe  nomme  Saint' 
Faulf  &  qui,  fans  être  fi  grande  que  celle  d'Atlizco,  eft  plus  riche  enco- 
re, parce  qu'on  y  recueille , chaque  année,  une  double  moiflbn  de  Froment. 
On  le  feme,  la  première  fois,  dans  la  faifon  ordinaire  des  pluyesj  &  la 
féconde  fois ,  en  Eté ,  lorfque  la  première  moiflx)n  eft  recueillie.  Les  pluyes 
ceflant  alors,  on  employé,  pour  arrofer  la  Vallée,  un  grand  nombre  de 
tuifleaux  qui  tombent  des  Montagnes  dont  elle  eft  environnée,  &  qu'on  a 
trouvé  l'art  de  conduire  &  de  retirer  par  de  petits  Canaux.  Les  Fer- 
miers 

(2)  Elle  a  efluyé  la  même  difgrace  en  oîi  ils  entretiennent  continuellement  des  Sen- 
1712;  &  depuis  ce  tems-là  les  Efpagnols  ont  tinelles,  qui  les  garantiffent  de  ces  tcniblc» 
b&ti,  fur  la  Côte,  des  Tours  fort  élevées,     furprifcs 

Qoo  a 


Descrtjtiow 
DE  L\  Nou- 
velle  ILiTàr 

ONE. 


Guaxacsi , 
V.  Province. 


Route  de 
Thomas 
Cage. 


Description 

DE    LA    Nou 

V£llë    EsrA> 

oaz. 


un- 
ne 


47<5       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

miers  de  cette  heiireufe  Vallée  font  dans  une  fi  fingiiliére  opulence,  qu' 
d'entr'eux,  chez  lequel  Gage  &  Tes  Compagnons  pailcrent  trois  jours , 
les  fit  fervir  qu'en  vaiflelle  d'argent,  les  logea  dans  des  Chambres  parfu- 
mées ,  &  leur  fit  donner  un  concert  par  fcs  Tilles ,  qui  favoicnt  parfaitement 
la  Mufique  (a). 

Ils  continuèrent  leur  marche,  en  tournoyant,  jufqu'à  Ta/cOy  Bourgade 
d'environ  cinq  cens  Habitans,  qui  font  un  grand  Commerce  de  coton  avec 
leurs  Voifins.  Enfuite,  étant  entrés  dans  la  route  de  Guaxaca,  ils  fe  ren- 
dirent à  Cbautla,  qui  n'elt  pas  moins  riche  en  coton.  Après  cè  Bourg,  ils 
trouvèrent  une  Ville  nommée  Ziimpango^  compofée  d'un  mélange  d'Efpa» 
gnols  &  d'Indiens ,  la  plupart  fort  riches.  Leur  principal  Commerce  efl 
celui  du  Coton,  du  Sucre,  &  de  la  Cochenille.  Au-delà  de  cette  Ville, 
on  dticouvre  les  Montagnes  de  A/i/?^^;/e,  remplies  de  grands  &  riches  Bourgs 
d'Indiens,  où  fe  fait  la  meilleure  foie  du  Pays,  &  qui  produifent  auflî  beau- 
coup de  miel  &  de  cire.  Une  partie  de  ces  Montagnards  exercent  leur 
Commerce  à  Mexico.  D'autres  parcourent  le  Pays,  en  négociant,  avec 
trente  ou  quarante  Mulets.  Depuis  les  Montagnes  jufqu'à  Guaxaca,  Ga- 
ge ne  vit  rien  de  plus  confidérable  que  quelques  Bourgades  de  deux  ou  trois 
cens  Habitans,  qui  ont  des  Eglifes  fort  bien  bâties,  ornées  de  Lampes  & 
de  Chandeliers  d'argent,  &  de  riches  Couronnes  fur  les  Images  des  Saints. 
Mais ,  dans  tout  le  chemin ,  il  obferva  que  le  terroir  efl  extrêmement  ferti- 
le en  Froment  d'Efpagne,  en  Maïz,  en  Sucre,  en  Coton,  en  Miel,  en 
Cochenille,  en  Fruits  de  plufieurs  efpèces,  &  fur-tout  fort  abondant  en 
Beftiaux,  dont  les  cuirs  paflent  pour  excellens,  &  font  une  des  principa- 
les marchandifes  qui  fe  tranfporcent  de  ce  Pays  en  Efpagne.  On  lui  dit 
qu'autrefois  les  Montagnes  de  Mifteque  fourniifoient  beaucoup  d'or ,  &  que 
les  Indiens  en  faifoient  un  ufage  fort  commun  ;  mais  que  dans  la  crainte 
d'être  tyrannifés  par  les  Efpagnols,  ils  feignent  à.  préfent  d'avoir  perdu  la 
connoiiîance  des  Mines. 

Gage  arriva  heureufement  à  Guaxaca ,  que  fa  Defcription  fait  reconnoî- 
tre  pour  la  Capitale  de  la  Province,  fur-tout  lorfqu'on  la  compare  à  celle  qu'il 
fera  bientôt  d'Antequera.  C'efl,  dit-il,  non-feulement  le  Siège  Epifcopal , 
mais  encore  la  réfidence  de  l'Alcalde  Major,  dont  l'autorité  s'étend  julqu'à 
Nixapa,  &  prefque  jufqu'à  Tecoantepeque,  Place  maritime  fur  la  Mer  du 
Sud.  Sans  être  une  grande  Ville,  Guaxaca  lui  parut  très  agréable.  Sa  fi- 
tuation  efl  à  foixante  lieues  de  Mexico ,  dans  la  belle  Vallée  dont  Charles- 
Quint  fit  préfent  à  Cortez,  avec  le  titre  de  Marquis  del  Valle.  Cette  Val- 
lée, qui  a  quinze  miles  de  long  &  dix  de  large,  efl  arrofée  par  une  Rivière 
fort  poifToneufe ,  dont  les  bords  font  toujours  couverts  d'un  grand  nombre 
de  Beftiaux,  fur-tout  de  Brebis,  qui  fourniffent  d'excellente  laine  aux  Ma-" 
nufa6lures  dç  los  Angeles.  Les  Chevaux  de  ce  Canton  paflent  pour  les 
meilleurs  de  la  Nouvelle  Efpagne.  On  n'en  eflime  pas  moins  les  fruits  &. 
le  fucre;  &  delà  vient  que  les  confitures  de  Guaxaca  l'emportent  fur  celles 
de  toute  l'Amérique.  La  Ville  n'a  pas  plus  de  deux  mille  Habitans.  Elle 
efl  ouverte,  c'efl- à- dire,  fans  Murailles,  fans  Baflions  &  fans  Artillerie; 

. .   .   .     ccm- 


C<s)  Voyages  de  Thomas  Gage,  Part,  2,  Chap,  7'Î^S^  ^l» 


7  n 


<.     s'     i    -^ 


GNC. 


au  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       477 

c'omttte  toutes  les  Villes  du  Pays,  à  la  refcrve  des  Places  maritimes.  On  y  DEscniPTiow 
compte  fix  Couvens  des  deux  Sexes ,  qui  font  tous  d'une  opulence  extraor-  ^li^^^  i^^p^l 
dinaire,  mais  entre  lefquels  celui  du  Saint  Dominique  tient  le  premier  rang, 
par  Ion  Trcfor,  qu'on  eftime  deux  ou  trois  millions,  &  par  la  beauté  de 
l'on  Eglife.  Guaxaca  doit  Tes  richefles  à  la  grande  Rivière  d'Alvarado,  où 
la  Tienne  fe  jette,  &  qui  lui  ouvre  un  Commerce  fur  avec  Vera  Cruz,  par 
las  Zapotccas  &  Saint-Alphonfe;  fur  quoi  Gage  obllrve  qu'il  ell  étonnant 
que  les  Elpagnols  n'ayant  pas  une  feule  Place  de  défenfe ,  ni  la  moindre 
Garde ,  le  long  de  cette  Kivière  ,  qui  monte  jufques  dans  le  centre  du* 
Pays.  Quoiqu'elle  ne  fuit  pas  navigable  pour  les  grands  Navires ,  il  feroit 
aife,  dit-il ,  d'y  pénétrer  avec  desBrigantins,  ou  du  moins  avec  des  Barques 
de  la  grandeur'de  celles  qui  fervent  au  tranfporc  des  marchandifes.  Enfin , 
l'air  de  Guaxaca  efl:  fi  tempéré,  les  provifions  y  font  dans  une  fi  grande  a- 
bondance,  &  la  fituation  en  ell  fi  commode,  entre  le  Port  de  Tecoantepe- 
que  fur  la  Mer  du  Sud,  &  Vera -Cruz  fur  celle  du  Nord,  qu'il  n'y  a  point' 
de  Ville  en  Amérique  où  Gage  &  fes  Compagnons  fe  fuflent  établis  plus  vo- 
lontiers (b). 

La  première  Place  qu'ils  rencontrèrent,  en  continuant  leur  Voyage,  fut 
/intequera ,  grand  Bourg  d'Indiens ,  dans  lequel  Gage  ne  loue  que  la  charité 
avec  laquelle  il  y  fut  reçu.  De-là  il  fe  rendit  à  Nixapa^  Ville  biitie  fur  un 
des  bras  de  la  Rivière  d'/Jlvarado ,  &  par  conféquent  d'un  riche  Commerce. 
Le  nombre  de  fes  Habitans  efl:  d'environ  mille  Efpagnols  ôi  Indiens,  On 
y  recueille  beaucoup  d'indigo,  de  fucre ,  de  cochenille,  &  particulière- 
ment de  cacao  &  d'Achiote^  dont  on  fait  le  chocolat.  Gage  obferve  que 
les  Anglois  &  les  Hoilandois  ,  qui  enlevoient  des  Navires  Efpagnols 
chargés  de  cette  marchandife  ,  croyoient  faire  un  butin  méprifuble  ^ 
parce  qu'ils  ne  favoient  point  encore  qu'elle  a  la  vertu  de  fortifier  i'cf- 
tomac  {c). 

De-lA  ,  il  s'avança  vers  'Agiiatuko  &  CapaJiia^  deux  Villes  afiez  g'-'^des, 
fituées  dans  un  Pays  bas  &  marécugeux,  où  l'on  nourrit  quantité  de  Bef- 
tiaux,  &  où  les  fruits  font  excellons.  Tccoantepeque  ^  qui  fuit  Capalita,  efi:' 
une  Place  maritime ,  dont  le  Port  fert  de  retraite  aux  petits  Bâtimens  qui 
font  le  Commerce  d'Acapulco,  de  Realejo,  de  Guatimala,  &  de  Panama. 
Les  Vaiiïeaux,  qui  viennent  de  Callao  &  des  autres  Ports  du  Pérou  à  celui 
d'Acapulco,  relâchent  aulfi  à  Tecoantepeque,  lorfqu'ils  ont  le  vent  con- 
traire. Ils  n'y  font  défendus  par  aucune  forte  de  Fortification.  C'eft  une 
Rade  ouverte ,  par  laquelle  il  efl:  toujours  facile  aux  Etrangers  de  faire  des 
courfes  dans  les  Terres.  Toute  la  Côte  de  la  Mer  du  Sud ,  depuis  Acapul- 
cojufqu'à  Panama,  c'efl  à-dire,  dans  une  étendue  de  plus  de  fix  cens  cin- 
quante lieues ,  n'a  point  d'autres  Ports  que  celui  ci,  pour  Guaxaca,  celui 
de  la  Trinité  pour  Guatimala  Realejo;  pour  Nicaragua,  &  le  Golfe  des 
Salines  pour  les  petits  Vaiiïeaux  qui  vont  à  Colla  ricca.  Ils  font  fans  dé- 
fenfe, &  véritablement  ouverts  à  tous  les  Avanturiers  qui  ne  craindroient 

p?.&' 


i^b)  Ubifuprài  page  67. 


Ooo  3 


(f)  Ibidem,  page  72. 


478       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

DascnimoN  pas  de  faire  le  tour  du  Monde  pc^ir  s'enrichir  aux  dépens  des  Efpagnols  (fi. 


PE    I.A     NOU 

VELUE     liSPA- 

CMC. 


Montagnes 
nomtiiccs 
Qucicncs. 


Tecoantepeque  efl:  le  meilleur  de  tous  les  Ports  du  Pays  pour  la  pêche. 
Gage  rencontra  fouvent,  dans  fa  route,  des  Convois  de x]uatre- vingts  & 
cent  Mulets,  chargés  de  Poiilbn  falé  pour  Guaxaca,  Mexico  &  los  Ange- 
les. Depuis  ce  lieu  jufqu'à  Guatimala,  le  chemin  e(l  plat  &  fort  uni  le  long 
des  Côtes  de  la  Mer  du  Sud ,  par  les  Provinces  de  Soconufco  &  de  Suchu- 
tepeque  (e). 

Quoiqu'on  ignore  les  bornes  exafles  de  la  Province  de  Guaxaca,  &  que 
le  voyageur,  auquel  on  s'attache  ici,  n'eût  pas  d'autre  deflein ,  dans  cet- 
te route,  que  de  fe  rendre  à  Chiapa,  on  ne  peut  manquer  l'occafion  de 
nommer  après  lui  quatre  Bourgs  fort  riches ,  qu'il  place  aux  environs  de 
Tecoantepeque.  11  fait  obferver  que  tous  les  noms  des  Places  de  ce  Quar- 
tier, fe  terminent  de  même.  Ainli  les  quatre  Bourgs  qu'il  vifita  fuccefli- 
vement  s'appellent ,  EJkpeque ,  Ecatepeque  ,  Sanatepcque  &  Tapanatepeque, 
Cette  Plaine,  dit-il,  efl:  li  découverte  du  côté  de  la  Mer,  &  le  vent  y 
foufHe  avec  tant  de  violence,  que  les  Voyageurs  ont  peine  à  fe  foutenir 
fur  leurs  Chevaux  ou  leurs  Mulets;  ce  qui  n'empêche  point  qu'elle  ne  foit 
remplie  de  Befliaux.  Gage  eut  beaucoup  à  fouffrir  pendant  deux  jours , 
pour  fe  rendre  du  premier  de  ces  Bourgs  au  fécond ,  quoique  la  diftance 
foit  médiocre.  D'Ecatepeque,  il  découvrit  les  hautes  Montagnes  des  (^ue- 
îenes.  On  l'avoit  averti  qu'elles  étoient  dangereufes ,  parce  qu'il  s'y  trou- 
ve des  paflages  fort  étroits,  &  d'une  élévation  qui  expofe  les  Voyageurs  à 
des  coups  de  vents  fi  furieux ,  que  les  Hommes  &  les  Chevaux  font  quel- 
quefois renv.erfés  de  cette  hauteur,  &  périiTenc  mifërablement  dans  les  pré- 

ci- 


(d)  Gage,  iUd.  page  73.  Il  paroît  que 
c'eft  fur  ce  récit  que  pluficurs  Avanturiers 
Anglois  ont  entrepris  de  chercher  fortune 
dans  la  Mer  du  Sud.  Dampicr  avoue  plu- 
ficurs fois  qu'il  avoit  profité  de  la  Relation 
de  Gage. 

(  e  )  Le  même  Dampier ,  parcourant  les 
Côtes  méridionales  delà  Nouvelle  Efpagne, 
en  168s,  entra  dans  le  Port  de  Tecoantepe- 
que; mais  fcrappellant  mal,  apparemment, 
le  récit  de  Gage  ,  il  lui  donne  le  nom  de  Ca- 
tulco,  &  femble  prendre  l'un  pous  l'autre 
Voici  la  defcription  qu'il  fait  de  ce  Port. 
„  Il  eft  à  quinze  dégrés  trente  minutes  de 
„  latitude  du  Nord,  &  un  des  meilleurs  du 
„  Mexique.  A  la  diftance  d  environ  un  mi- 
„  le  de  l'entrée  du  Havre,  on  trouve,  du 
„  côté  de  l'Ert ,  une  petite  Ifle  fort  proche 
„  de  la  terre;  &  du  côté  de  l'Oucft,  un  gros 
„  Rocher  creux,  où  la  Mer,  qui  y  entre 
„  &  qui  en  fort  continuellement  ,  fait  un 
„  bruit  qu'on  entend  de  fort  loin.  Chaque 
„  vague,  qui  entre  dans  cette  Roche,  fait 
„  fortir  l'eau  par  un  petit  trou  gui  eft  au 
„  fommet,  comme  par  un  tuyau,  oc  lui  fait 
„  faire,  eo  formant,  à-peu-prè»  la  figure  de 


„  l'eau  que  jettent  les  Baleines.  Les  Efpa- 
„  gnols  la  nomment  le  Buffadore,  Dans  le 
„  calme  même,  la  Mer  fait  fortir  l'eau  par 
„  ce  trou;  de  forte  qu'en  tout  tems,  c'eft 
„  une  bonne  enfeigne,  pour  trouver  le  Ha- 
„  vre,  qui  a  trois  miles  de  long,  &  un  de 
„  large,  tirant  au  Nord-Oueft.  Le  côté  de 
„  rOueft  eft  le  meilleur  mouillage  pour  les 
,»  petits  Vaiffeaux;  on  y  eft  fort  à  couvert; 
,,  au  lieu  qu'f. illeurs  on  eft  fouvent  expofé 
„  aux  vents  du  Sud-Oueft  Le  fond  eft  bon 
„  par  tout,  depuis  fix  braftes  jufquà  feize. 
„  Le  Havre  eft  borné  par  une  terre  unie  & 
„  fabloneufe ,  très  propre  au  débarquement. 
,,  On  trouve,  au  fond,  un  beau  ruilTeau 
„  d'eau  douce  qui  fe  jette  dans  la  Mer  II 
„  y  avoit  autrefois  là  un  Village  d'Efpa- 
„  gnols;  mais  à  préfent,  il  n'y  refte  qu'u- 
„  ne  petite  Chapelle  ,  entre  des  arbres ,  â 
„  200  pas  de  la  Mer.  Le  Pays  eft  orné  de 
„  fort  grands  arbres  fleuris ,  qui  font  de 
„  loin  un  efi'et  très  agréable.  Je  n'ai  rien 
„  vu  de  pardi  ailleurs".  Dampier,  Foyage 
autour  du  Monde  ,  Tome  I.  pages  248  & 
249. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGN'E,  Liv.  Il,       479 

cipices  qui  font  au-deflbus.  La  feule  vue  de  ces  affreux  Rochers  caufe  de 
répouvante.  Gage  ne  pouvoit  les  éviter  qu'en  fuivant  la  Mer  par  la  Pro- 
vince de  Soconulco;  mais  c'étoit  fe  détourner  beaucoup,  &  fc  mettre  dans 
la  néceflîté  de  prendre  enfuite  par.  Guatimala.  11  réfolut ,  à  toutes  fortes  de 
rifques,  d'aller  jufqu'à  Tapanatepeque ,  qui  efl  au  pied  des  Quelenes,  en 
remettant  à  délibérer,  dans  ce  lieu,  fur  les  lumières  qu'il  y  recevroit  des 
Habitans.  11  y  arriva  le  foir,  après  avoir  pafle  par  Sanatepeque.  Depuis 
Guaxaca,  il  n'avoit  rien  vu  de  plus  agréable  que  le  Pays  qui  eiî  bordé  par 
les  Montagnes;  comme  fi  le  Ciel,  dit-il,  avoit  voulu  raflembler,  à  l'entrée 
d'un  fi  terrible  paflage,  tout  ce  qui  peut  en  adoucir  l'horreur.  Les  Beftiaux 
y  font  en  fi  grand  nombre ,  qu'une  feule  Terme  Indienne  nourrit  trois  & 
quatre  mille  Bœufs.  La  Volaille  ôc  le  Gibier  n'y  font  pas  moins  abondans. 
11  n'y  a  point  dé  Canton,  depuis  Mexico,  où  le  Poiifon  foit  meilleur  &  fi 
commun.  Les  Ruiffeaux,  qui  dcfcendent  des  Montagnes  i  apportent  une 
eau  charmante,  dont  il  eft  fi  facile  aux  Habitans  d'arrofer  leurs  Jardins, 
qu'ils  y  ont  continuellement  toutes  fortes  d'herbes  &  de  légumes.  Les  o« 
ranges,  les  limons,  les  figues,  &  quantité  d'autres  fruits,  s'y  préfentent 
de  toutes  parts  ;  &  leurs  arbres  y  fourniflent  allez  d'ombre,  pour  faire  fup* 
porter  aifémenf  la  grande  chaleur  du  climat. 

L'air jétoit  fi  tranquille,  que  Gage  &  fes  Compagnons  y  prirent  confian- 
ce, &  fe  déterminèrent  à  tenter  le  paflage.  On  les  aflura  que  le  fommet 
le  plus  haut  n'étoit  que  de  fept  lieues,  &  qu'une  lieue  au-delà,  ils  trouve- 
roient  à  l'entrée  de  la  Province  de  Chiapa  une  des  plus  riches  Fermes  du 
Pays ,  où  l'on  nourrilToit  quantité  de  Chevaux ,  de  Mulets  &  de  Beftiaux , 
&  qui  étoit  la  demeure  habituelle  d'un  Elpagnol,  nommé  Dom  Juan  de  Tôle- 
dCf  chez  lequel  ils  comptoient  d'être  bien  reçus.  Les  Habitans  de  Tapana- 
tepeque leur  donnèrent  deux  Guides  Indiens,  avec  une  provifion  de  vivres, 
qyi  devoit  fuffire  pour  un  jour.  Ils  partirent  bien  montés.  Leurs  avantu- 
res,  &  la  naïveté  de  Gage  à  peindre  fes  craintes,  jetteront  quelque  agré- 
ment fur  une  defcription ,  dont  la.  féchtrefle  fe  fait  quelquefois  trop  fencir. 
Employons  jufqu'à  fes  termes. 

Quoique  ces  Montagnes  fe  fafTent  aflèz  remarquer  par  le  grand  nombre 
de  leurs  pointes  aigiies ,  &  qu'elles  foient  compolées  de  quantité  de  têtes , 
qui  fe  joignent ,  fous  le  nom  de  Quelenes ,  on  ne  connoît  bien  que  celle  qu'on 
appelle  Maquihpa ,  parce  que  c'eft  la  feule  qu'on  puiffe  traverfer ,  pour  en- 
trer dans  la  Province  de  Chiapa.  Après  dîner,  nous  commençâmes  à  mon- 
ter cette  haute  &  raboteufe  Montagne;  &  nous  nous  arrêtâi^es  le  foir,  dans 
un  lieu  plat,  qui  reflemble  à  un  Pré,  fitué  fur  le  penchant.  Nos  Guides 
nous  firent  obferver  qu'il  y  avoit  apparence  de  beau  tems  pour  le  lende- 
main. Nous  foupâmes  joyeufement,  &  dans  cette  efpérance,  les  provi- 
fions  furent  peu  ménagées.  Nos  Mulets  trouvèrent  auflî  de  quoi  paître. 
La  nuit  étant  venue,  nous  nous  endormîmes  agréablement,  au  bruit  des 
Fontaines  qui  couloient  entre  les  arbres.  L'air  du  matin  nous  paroiflant 
aufli  calme  que  celui  du  jour  précédent,  nous  achevâmes  de  manger  ce  qui 
nous  reftoit  de  vivres,  pour  être  en  état  d'avancer  plus  légèrement.  Mais 
nous  n'eûmes  pas  fait  mille  pas ,  en  continuant  de  monter ,  que  nous  enten- 
dîmes le  vent,  qui  commençoit  à  fouffler.    11  devint  plus  impétueux,  à 

cha« 


DeïCMïTIOW 

DK    LA    NOU. 

V«LLE     EsfA- 

ti^'£. 


Avanturea 
de  Gage  en 
les  pafllmt. 


41)0        DESCR'IPTION    DU    MEXIQUE, 

DEsrRTPTTON  chaquc  pas  que  nous  faifions  ;  &  bientôt  il  le  fut  tellement ,  que  nous  de» 
m;  i,A  Nou-  jT^^.iii-iiines  incertains  (i  nous  devions  retourner  fur  nos  traces,  ou  nous  ar- 

^'^'oKE.^'^  rèter.  Cependant  les  Guides  excitèrent  nôtre  courage,  en  nous  dilaiu  que 
nous  avions  déjà  fait  la  moitié  du  chemin.  Ils  nous  afTurèrent  que  ce  qui 
pouvoit  nous  arriver  de  pis  étoit  de  nous  voir  forcés  de  nous  repofer  un 
mile  plus  loin,  près  d'une  Fontaine,  &  dans  une  Loge  qu'on  avoit  dref- 
fée  Ibus  des  arbres,  pour  les  Voyageurs  qui  fe  trouvoient  iurpris  par  la 
nuit,  ou  arrèrés  par  la  force  du  vent. 

Nous  montùmce,  avec  beaucoup  de  peine,  jufqu'au  lieu  qu'on  nous  an- 
nonçoit,  &.  nous  le  trouvâmes  tel  qu'on  nous  l'avoit  repréfeiué.     La  Fon- 
taine &  la  Loge  nous  furent  également  agréables:  mais  le  vent,  dont  la 
violence  ne  fiiiloit  qu'augmenttr,  redoubla  li  vivement  nos  craintes,  qu'au- 
cun de  nous  ne  ie  (entit  la  hardiefle  d'avancer,  ni  de  retourner  en  arrié- 
re.    La  nuit  approchoit.    Il  ne  nous  reiloit  rien  pour  fouper.     Tandis  que 
nous  nous  regardions  les  uns  les  autres,  fans  favoir  comment  nous  appaife- 
rions  la  faim  qui  commençoit  à  nous  prefler,  nous  apperçClmes  entre  les  ar- 
bres, un  citronier  clîirgé  de  fruits.     Les  citrons  étoient  aigres;  mais  nous 
ne  laillVimes  point  d'en  manger  avidement,  allez  facisfaits  de  la  facilité  que 
nous  avions  à  les  cueillir.'    Vers  la  pointe  du  jour,  le  venfdevint  plus  im- 
pétueux que  jamais.    Il  étoit  impollible  d'avancer  en  montait,  &  prefque 
aulîi  dangereux  de  defccndre.     Nous  nous  déterminâmes,   par  le  conJeil 
même  de  nos  Guides,  à  palfer  plutôt  le  jour  entier  dans  la  Loge,  que  de 
halardcr  témérairement  nôtre  vie.     Les  citrons  aigres  &  l'eau  de  Fontaine 
furtnt  nôtre  feule  nourriture.     Cependant  j'obfervai  que  les  Indiens  met- 
taient, dani  leur  eau,  une  poudre,  dont  ils  avoient  quelques  fachets  pleins. 
Ils  avouèrent  que  c'étoit  de  la  poudre  de  leurs  gâteaux  de  Maïz,  dont  ils 
étoient  accoutumés  à  faire  une  petite  provifion  pour  ce  Voyage.     Nous  en 
achetâmes  d'eux  un  fachet,  qu'iU  nous  firent  payer  vingt  fois  au-delfus  de 
foif  prix.     Ci  foible  fecours  nous  foutint  pendant  tout  le  jour;  &  vers  le 
foir ,  nous  nous  endormîmes  dans  la  réfolution  de  braver  le  lendemain  tous 
les  dangers,  fuit  pour  arriver  au  fommet  de  la  Montagne,  ou  pour  retour- 
ner à  'J'apanatepeque.     Le  vent  ayant  paru  diminuer  un  peu ,  dans  le  cours 
de  la  nuit  fuivante,  nous  nous  dilpofions  à  partir  le  matin  pour  avancer, 
lorfqu'il  redevint  plus  violent.     Nous  attendîmes  jufqu'à  midi.     Comme  il 
ne  faifoit  qu'augmenter,  l'impatience  d'un  de  mes  Compagnons  lui  fit  pren- 
dre le  parti  de  monter  à  pied  un  mile  .ou  deux  plus  haut,  pour  oblervcr 
les  padtiges  &"hous  en  faire  fon  rapport ,  dans  l'idée  qu'on  avoit  pu  groffir 
le  d.anger.     11  revint  deux  heures  après,  &  nous  dit  que  nous  pouvions 
monter  fans  crainte,  en  conduifant  nos  Mulets  par  la  bride.     Mais  les  In- 
diens étoient  d'un  autre  avis  ;  ce  qui  nous  fit  pafler  le  refte  du  jour  en  con- 
teftation.     L'eau,  les  citrons  aigres  &  la  poudre  de  maïz  furent  encore  nô- 
tre unique  rtflburce.     Mais  on  ne  s'endormit,  qu'après  avoir  abfolument 
réfolu  de  méprifer  toutes  les  difficultés  û  le  vent  n'etoit  pas  changé  le  len- 
demain.    Il  fe  trouva  le  même.  Jeudi  au  matin,  qui  étoii  le  cinquième 
jour.     Alors,  nôtre  courage  fut  excité  fi  vivement  par  la  faim,  qu'après 
avoir  invoqué  celui  qui  commande  à  ia  Mer  &  aux  Vents,  nous  montâmes 
fur  nos  Mulets,  pour  nous  avancer  vers" le  fommet  delà  Montagne.    Ce 

ne 


PI    LA    N0U> 
VILLR    EiFA* 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       451 

ne  fut  pas  fans  avoir  écrit,  fur  l'écorce  d'un  grand  arbre,  noi  noms,  &  le  DsscaiPTiow 
nombre  des  jours  que  nous  avions  pafles  à  jeun  dans  la  Loge.  "'  '  *  ^'^"' 

Nous  marchâmes  afTez  long  -  tems ,  avec  le  feul  embarras  de  rdfifler  au 
vent.     Les  bords  de  quelques  fentiers  étroits  &  taillés  dans  les  Rochers  fer» 
voient  à  nous  foutenir,  à:  nous  caufqient  moins  de  crainte  aue  de  fatigue. 
Auflî  quittâmes-nous  nos  Mulets ,  pour  marcher  à  pied  ;  &  le  chemin  noui 
en  parut  plus  facile.    Mais  lorfque  nous  fûmes  au  fommet  de  Maquilapa , 
qui  fignifie,  dans  la  langue  du  Pays,  une  tête  fans  poil,  nous  reconnûmes 
la  grandeur  du  péril  dont  on  nous  avoit  menacés.     Nous  regrettâmes  la 
Loge  &  nos  Citrons  aigres.    Cette  terrible  hauteur  efl;  véritablement  chau- 
ve, c'efl-à-dire,  fans  arbres,  fans  pierres  &  fans  la  moindre  inégalité  qui 
puifle  fervir  d'abri.    Elle  n'a  pas  plus  de  deux  cens  cinquante  pas  de  long  j 
mais  elle  eft  fi  étroite ,  fi  rafe  &  fi  élevée,  qu'on  fe  fent  tourner  la  tête  en 
y  arrivant.    Si  l'on  jette  les  yeux  d'un  côté,  on  découvre  la  vafte  Mer  du 
Sud ,  fi  fort  âu-deflbus  de  foi ,  que  la  vue  en  e(l  éblouie.    De  l'autre  côté, 
on  n'apperçoit  que  des  pointes  de  rochers  &  des  précipices  de  deux  ou  trois 
lieues  de  profondeur.     Entre  deux  ipeélucies ,  fi  capables  de  glacer  le  fang, 
le  paflage  ou  le  chemin  n'a  pas ,  dans  quelques  endroits ,  plus  d'une  toife 
de  largeur.    Quoique  le  vent  fût  diminué,  nous  n'eûmes  pas  la  hardiefle 
de  païïei*  fur  nos  Mulets.    Nous  en  laiflumes  la  conduite  aux  Indiens  ;  & 
nous  courbant  fur  les  mains  &  les  genoux ,  fans  ôfer  jetter  un  regard  de 
l'un  ni  de  l'autre  côté ,  nous  paflTàmes  aufli  vîte  qu'il  nous  fut  poflible,  l'un 
après  l'autre ,  fur  les  traces  &  dans  la  poflure  des  Bêtes  qui  paflerent  devant 
nous.    AuÂl-tôt  que  nous  nous  vîmes  dans  un  lieu  plus  large,  entre  des  ar- 
bres, où  la  crainte  nous  permit  de  nous  relever,  nous  regardâmes  plus 
hardiment  derrière  nous  ;  mais  nos  premières  réflexions  tombèrent  fur  nô- 
tre folie,  qui'nous. avoit  fait  prendre  un  ii  dangereux  chemin,  pour  gagner 
quelques  jours  que  nous  n'avions  pas  moins  perdus.    De-là  nous  nous  ren- 
dîmes fans  peine  à  la  Ferme  de  Dom  Juan  de  Tolède ,  où ,  dans  l'aiFoiblif- 
fement  de  nos  forces,  par  le  jeûne,  la  fatigue  &  la  crainte,  nôtre  edomac 
eut  befoin  de  quelque  tems  pour  foufFrir  d'autres  nourritures  que  des  bouiN 
Ions  &  du  vin  (/). 

La  fixième  Province ,  qui  porte  le  nom  de  la  feule  Ville  qu'on  y  connoif- 
fe,  occupe  une  grande  Côte  du  Golfe  de  Mexique,  à  laquelle  on  donne  en- 
viron quarante  lieues  de  long,  fur  la  même  largeur.  Elle  efl  bordée,  au 
Nord,  par  la  Baie  de  Campeche;  à  l'Elt,  par  l'Yucatan;  au  Sud,  par  la 
Province  de  Chiapa ,  &  à  l'Ouefl; ,  par  celle  de  Guaxaca.  On  vante  fa  fer- 
tilité, fur-tout  en  Cacao,  qui  fait  fa  principale  richefle;  mais  les  pluies, 
qui  durent  neuf  mois  de  l'année,  y  rendent  l'air  extrêmement  humide.  La 
Ville  de  Tabajco^  dont  elle  tire  fon  nom ,  fut  la  première  Conquête  des 
Efpagnols  fur  cette  Côte  ;  ce  qui  la  fait  nommer  au;Ti  Nuejlra  Signora  de  la 
ViStorïa.  Elle  eft  à  dix -huit  dégrés  de  latitude  du  Nord,  &  deux  cens 
quatre-vingt-cinq  de  longitude.  Sa  Rivière,  qui  fe  nomme  auffi  Tabafco, 
ou  Gri/afea,  forme,  avec  celle  de  Saint-Pierre  Ôt  Saint-Paul,  une  Ifle  d'en- 
viron dou2e  lieues  de  long  &  quatre  de  large.    ,      .    ,,^     -  .  ...^ 

Dam- 

(/)  Ibid, 

XFIIL  Part.  *    •         p  pp'  -  ' 


Tabafco , 
VI.  Province» 


Description 
De  la  Nou- 
velle  EstA- 

•NE. 


48!i       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Dampikr  efl  le  feul  Voyageur  qui  ait  obfervé  foigneufement  cette  Côte, 
pendant  une  année  de  féjuur  dans  la  Baie  de  Campeche.  Il  nous  apprend 
que  la  Rivière  de  Sàint-Pierre  &  Saint-Paui  vient  des  hautes  Montagnes  de 
Chiapa,  qui  commencent  à  plus  de  vingt  lieues  dans  les  terres,  &  nui  ti- 
rent leur  nom  d'une  Ville  qui  n'en  efl  pas  éloignée.  Elle  coule  d'abord  af- 
fez  loin  vers  l'Eft,  jufqu'à  d'autres  Montagnes  qui  la  font  tourner  au  Nord. 
A  douze  lieues  de  la  Mer ,  elle  fe  divife  en  deux  bras.  Celui  de  l'Ouefl  fe 
jette  dans  la  Rivière  de  Tabafco  ;  l'autre  fuit  fon  cours  jufqu'à  quatre  lieues 
de  la  Mer,  où  il  fe  divife  auifi  en  deux  branches,  dont  la  plus  avancée  à 
l'Eft  forme  Vljle  des  Bœufs  ,  qu'elle  fépare  du  Continent,  &  vafe  jetter 
dans  un  Lac  qu'on  nomme  des  Guerriers.  L'autre,  gardant  fon  cours  &  fon 
premier  nom,  fe  jette  dans  la  Mer,  entre  l'IUe  des  Bœufs  &  celle  de  Ta- 
baico.  Son  entrée  efl:  bouchée  par  une  barre,  qui  n'empêche  point  les  pe- 
tits Vaifleaux  d'y  pafFer  avec  le  fecours  de  la  Marée,  &  le  mouillage  efl 
excellent  au-delà ,  fur  quinze  pu  feize  pieds  d'eau.  Quelques  Boucaniers, 
qui  avoient  remonté  cette  Rivière,  afluroient  qu'elle  ell  fort  large  avant  fa 
divilion;  &  que  plus  loin,  dans  le  Pays,  elle  a  fur  fes  bords  plulieurs  gran- 
des Bourgades  Indiennes,  dont  la  principale  fe  nomme  Sumtnafenta;  qu'on 
y  trouve  de  vafl:es  allées  de  Cacaotiers  &  de  Plantains ,  &  que  le  Pays  eft 
d'une  extrême  fertilité  fur  les  deux  rives.  Les,  terres  les  plus  incultes  y 
font  chargées  d'arbres  fort  hauts ,  &  de  pluHeurs  efpèces  ;  &  dans  quelques 
endroits ,  peu  éloignés  de  la  Rivière ,  on  voit  de  grandes  Savanes ,  rem- 
plies de  Vaches,  de  Chevaux  ,  &  d'autres  Bêtes  fauvages. 

Le  Bras  occidental  de  la  Rivière  de  Saint-Pierre  &  Saint-Paul  ne  fe  jet- 
te dans  celle  de  Tabafco  qu'à  quatre  lieues  de  la  Mer ,  après  avoir  coulé 
huit  ou  neuf  lieues  vers  le  Nord-  Ouefl:.  Elle  aide  ainfî  à  former  l'Ifle  de 
TabalcQ,  qui  efl;  longue  de  douze  lieues,  &  large  de  quatre,  à  fon  Nord; 
du  moins,  on  compte  quatre  lieues  depuis  la  Rivière  de  Saint -Pierre  & 
Saint-Paul  jufqu'à  l'embouchure  de  'le  de  Tabafco ,  &  le  rivage  s'étend 
de  l'Efl:  à  l'Ouefl:.  Pendant  la  preW'  e  lieue ,  vers  l'Efl;,  le  terrein  efl:  cou- 
vert de  Mangles ,  &  l'on  trouve  4  elques  Baies  fabloneufes.  Le  côté  de 
rOuefl:  efl:  fabloneux  auffi  jufqu'à  la  Rivière  de  Tabafco ,  &  la  Mer  y  efl 
fort  grofTe.  Le  Nord -Ouefl  ell  rempli  de  ces  arbres  qu'on  nomme  Guavers, 
donc  on  y  trouve  quantité  d'efpèces ,  qui  donnent  toutes  un  fruit  excellent. 
Cet  endroit  parut  délicieux  à  Dampier.  Il  y  vit  des  Cocos  &  du  Raifin. 
Les  Savanes  y  font  naturellement  environnées  de  Bocages,  de  Guavers,  & 
très  bien  fournies  de  Vaches  fauvages ,  qui  s'engraiflent  de  leurs  fruits.  Ces 
fruits ,  dit-il ,  étant  remplis  de  petites  graines ,  que  les  Vaches  avallent  en- 
tières, &  qu'elles  rendent  de  même,  prennent  racine  dans  leur  fiente;  & 
de-Ià  vient  l'étrange  multiplication  de  l'efpèce  (g). 

La  Rivière  de  Tabafco,  ou  de  Grijalva,  qui  efl  la  plus  remarquable  du 
Golfe  de  Campeche,  prend  aufli  fa  fource  dans  les  hautes  Montagnes  de 
Chiapa,  mais  beaucoup  plus  à  l'Oueft  que  celle  de  Saint-Pierre  &  Saint-Paul. 
De-là,  elle  coule  vers  le  Nord- Eft  jufqu'à  quatre  lieues  de  la  Mer,  où  elle 
reçoit  le  Bras  de  l'autre.    La  largeur  de  fon  embouchure  eft  d'environ  deux 

mi* 

(X)  Voyages  de  Dampier,  ToffM///.  Port,  2.  I'a5'025« 


"^ 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Lïv.  IL       483^ 

miles.  Elle  n'a  qu'onze  ou  douze  pieds  d'eau  fur  fa  barre  ;  mais  le  mouil- 
lage eA  commode  au-delà,  fur  trois  brafles,  dans  un  enfoncement  qu'on 
apperçoit  à  la  rive  de  l'Eft.  Le  flot  de  la  Marée  y  monte  près  de  quatre 
lieues  dans  la  faifon  féche;  au  lieu  qu'à  peine  y  entre-t'il  dans  le  tems  plu- 
vieux, où  les  torrens  d'eau  douce  ont  la  force  de  le  repouffer.  Pendant  la 
durée  des  Vents  du  Nord ,  cette  Rivière  inonde  tout  le  Pays ,  jufqu'à  dou- 
ze ou  quinze  lieues  du  rivage  ;  &  l'on  trouve  alors  de  l'eau  fraîche  au  -  delà 
de  la  barre.  Dans  quelques  endroits  néanmoins ,  une  fuite  de  petites  Colli- 
nes ,  qui  demeurent  toujours  à  fec ,  &  qui  font  revêtues  d'arbres ,  forment 
un  PaïTage  agréable.  Toute  la  Côte  ell  déferte  jufqu'à  huit  lieues  de  l'em- 
bouchure de  la  Rivière;  mais  à  cette  diflance  on  rencontre  un  Parapet,, 
gardé  ordinairement  par  un  Efpagnol  &  huit  ou  dix  Indiens ,  pour  veiller 
fur  les  Barques  qui  prennent  cette  route;  &  de  ce  Pofte ,  on  place  des  Sen- 
tinelles dans  quelques  Bois  voifins ,  d'où  l'on  a  la  vue  des  Savanes.  Quatre 
lieues  au-delà  du  Parapet,  on  rencontre,  fur  la  rive  droite  de  la  Rivière, 
une  Bourgade  Indienne,  nommée  Filla  de  Mofe.  Quoiqu'il  y  ait  peu  d'Ef- 
pagnols ,  elle  efl  défendue,  à  fon  Ouefl:,  par  un  Fort  qui  commande  la  Ri- 
vière. Les  Vailfeaux  apportent  leurs  marchandifes  jufqu'à  ce  lieu ,  fur-tout 
celles  qui  viennent  de  l'Europe.  Ils  y  arrivent  dans  le  cours  de  Novembre 
&  de  Décembre.  Ils  y  demeurent  jufqu'aux  mois  de  Juin  ou  de  Juillet, 
pour  fe  défaire  de  leur  charge,  qui  confifte  en  draps,  en  ferges,  en  bas  de 
fil ,  en  chapeaux ,  &c.  ;  &  celle  qu'ils  prennent  efl  ordinairement  du  Ca- 
cao. Tous  les  Négocians  du  Pays  fe  rendent  à  Villa  de  Mofe  vers  Noël, 
pour  ce  commerce,  qui  en  fait  le  plus  gros  Marché  du  Pays  après  Campe- 
che.  Lorfque  les  Vaifleaux  ne  trouvent  pas  à  charger  du  Cacao,  ils  pren- 
nent des  peaux  &  du  fuif  :  cependant  le  principal  endroit  pour  les  peaux 
ell  une  autre  Bourgade,  fituée,  fur  un  bras  de  la  même  Rivière,  qui  fe  dé- 
tache trois  miles  au-deflbus  du  Parapet.  Les  Barques  Efpagnoles  y  vont 
charger  une  fois  tous  les  ans. 

EsTAPo  efl  encore  une  Bourgade  fur  la  Rivière,  quatre  lieues  au-delà  de 
Villa  de  Mofe.  Elle  efl  habitée  d'un  mélange  d'Efpagnols  &  d'Indiens; 
quoique  les  derniers  y  foient  en  plus  grand  nombre ,  comme  dans  la  plu- 
part des  autres  Habitations  du  Pays.  Dampier  ne  pénétra  pas  fi  loin  ;  mais 
il  apprit  qu'elle  efl  riche,  qu'elle  efl  au  Sud  de  la  Rivière,  tellement  fituée 
entre  deux  Anfes ,  qu'elle  n'a  qu'une  avenue  ;  qu'elle  ell  défendue  d'ail- 
leurs par  un  bon  Parapet ,  &  qu'un  Armateur  Anglois ,  à  la  tête  de  deux 
cena  Hommes,  y  fut  repouffé  avec  perte.  Ce  Capitaine,  qui  fe  nommoit 
Henuity  s'étoic  faifi  de  Villa  de  Mole,  où  il  avoit  laifle  un  Détachement 
pour  favorifer  fa  retraite.  S'il  eût  pris  Eflapo ,  fon  deflein  étoit  de  s'avan- 
cer vers  Haïpo,  Bourgade  opulente,  à  trois  lieues  plus  haut  fur  la  Rivière, 
&  de  pafler  enfuite  jufqu'à  Tacatalpo^  qui  ell  plus  loin  encore  de  trois  ou 
quatre  lieues ,  &  qui  palFs  pour  la  plus  riche  des  trois.  Les  Efpagnols  la 
nomment  Tacatalpo  de  Sierra  ;  fans  qu'on  fâche  fi  c'ell  pour  la  diflinguer 
d'une  autre  Place  de  même  nom,  ou  pour  marquer  feulement  qu'elle  ell  fi- 
tuée près  des  Montagnes. 

Depuis  la  Rivière  de  Tabafco  jufqu'à  celle  de  Chscapcque  on  compte 
fept  lieues.    La  Côte  s'étend  de  l'Ell  à  l'Ouell.    Le  terrein  en  ell  bas  & 

P  p  p  2  cou- 


DlgCRTPTIOir 

DE    LA   NOU- 

V£LLB    ESPA- 

OMI, 


48+       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

"Descrwtiow  couvert  d'arbres.  On  trouve  le  mouillage  bon  dans  la  Baie  j  mais  les  va- 
vellIT  EsÎa-  ê"^^  y  ^°"'  ^*  fortes,  qu'il  n'eft  pas  aifé  d'aborder  au  rivage.  Il  n'y  a  point 
GNE.  d'eau  douce  entre  les  deux  Rivières.  Celle  de  Checapeque  ne  mérite  que 
le  nom  d'Anfe  ;  car  Ton  embouchure  li'a  pas  plus  de  vmgt  pas  de  large ,  ni 
plus  de  huit  ou  neuf  pieds  d'eau  fur  la  barre.  Cependant  un  demi-mile  au- 
delà,  le  mouillage  elt  bon  pour  les  Barques.  Cette  Rivière,  ou  cette  An- 
fe,  s'étend  deux  miles  à  l'Efl-Sud  Eft ;  après  quoi,  elle  tourne  vers  le  Sud 
&  s'avance  dans  les  terres.  On  remarque  une  propriété  fmgulière  d'une 
Pointe  fabloneufe  &  ftérile,  qui  s'avance  entre  ion  embouchure  &  la 
Mer.  En  creufant  dans  le  fable,  avec  les  mains,  fur  le  côté  qui  touche  à 
la  Rivière,  on  y  trouve  de  l'eau  douce;  mais  fi  l'on  n'approfondit  guè- 
res,  elle  devient  falée  prefqu'aufli-tôt.  Il  ne  fe  préfente  point  d'Ha- 
bitation plus  proche  qu'une  Ferme  de  Befliaux ,  qu'on  découvre  à  la 
dirtance  d'une  lieue,  &  qui  paroît  dépendre  de  quelque  Village  Indien. 
Les  Bois  voifms  font  remplis  de  Guanas ,  de  Tortues  de  terre ,  &  de- 
Perroquets. 

Une  lieue  plus  loin,  à  TOuefl:  de  Checapeque,  on  remonte  une  petite- 
Rivière,  qui  fe  nomme  Boccas^  mais  qui  ne  peut  porter  que  des  Canots, 
'  pour  lefquels  même  fa  barre  n'eft  pas  fans  danger.  L'eau  en  eft  falée,  juf- 
qu'à  un  mile  de  fon  embouchure.  Enfuite,  on  trouve  un  beau  courant  d'eau 
douce  &  très  claire,  qui  s'avance  une  lieue  dans  le  Pays,  &  l'on  découvre 
de  vaftes  Campagnes ,  dont  le  terroir  paroît  extrêmement  fertile.  Il  n'y 
a  point  de  Villages  Indiens  à  quatre  ou  cinq  lieues  de  la  Mer  ;  mais  plus 
loin,  ils  font  en  affez  grand  nombre,  à  deux  ou  trois  lieues  les  uns  des  au- 
tres. Les  Indiens  de  ce  Canton  ne  cultivent  pas  plus  de  terres  qu'ils  n'en 
ent  befoin  pour  la  fubfîftance  de  leurs  familles ,  &  pour  payer  le  Tribut. 
Cependant  ils  nourriflent  quantité  de  Volaille,  telle  que  des  Coqs  d'Inde, 
des  Canards  &  des  Poules ,  &  quelques-uns  entretiennent  des  allées  de  Ca- 
caotiers. Une  partie  de  leur  Cacao  eft  embarqué  pour  Villa  de  Mofe.  Le 
tefte  fe  vend  à  des  Courtiers  errans,  qui  voyagent  avec  des  Mules,  &  qui 
arrivent  ordinairement  ici  aux  deux  derniers  mois  de  l'année,  pour  s'y  ar» 
rêter  jufqu'au  mois  de  Mars.  Ils  emploient  huit  ou  quinze  jours  dans  cha- 
que Village  à  fe  défaire  de  leurs  marchandifes ,  qui  font ,  pour  les  Indiens, 
des  couperets,  des  haches,  des  couteaux  fort  longs,  descifeaux,  des  ai- 
guilles ,  du  fil  &  de  la  foye  pour  coudre ,  du  linge  &  des  bijoux  de  Fem- 
mes ,  de  petits  miroirs ,  des  chapelets ,  des  bagues  d'argent  ou  de  cuivre 
doré,  montées  de  verre,  des  images  de  Saints,  &c;  &  pour  les  Efpa- 
gnols,  du  linge,  des  habits  de  laine,  des  étoffes  de  foye,  des  bas  de 
hl ,  de  vieux  chapeaux  raccommodés ,  dont  on  fait  ici  beaucoup  de  cas. 
Ces  Courtiers  font  ordinairement  payés  en  Cacao  ,  qu'ils  tranfportent  à 
Vera-Cruz. 

Depuis  Boccas  jufqu'à  la  Rivière  de  Palma^  on  compte  quatre  lieues, 
d'un  terrein  bas  &  fabloneux;  &  deux  lieues  de  Palmas  à  Halover  (A),  pe- 

tit  Ifthme  qui  fépare  la  Mer,  d'un  grand  Lac  du  même  nom.    De  Halover, 

....       -    ..  j^ 

{h)  Ccft-un  nom  AngIois,que  les  Boucaniers  lui  pnt  donné,  &  quifigtiifîe  celui  qui  tiic 
OM  qui  haie  une  Barque, 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        485 

H  y  a  fîx  lieues  jufqu'à  Sainte- j^nne^  qui  efl:  l'embouchure  du  Lac,  où  l'on 
ne  trouve  pas  plus  de  fix  ou  fept  pieds  d'eau.  De  Sainte- Anne  à  Tondelo, 
la  didance  efl:  de  cinq  lieues,  toujours  à  l'Ouefl:  ;  Pays  bas  &  Baie  fabloneu- 
fe  :  mais  ,  à  quelque  difl:ance  de  la  Baie ,  on  découvre  des  Dunes  aflez  hau- 
tes. Les  Savanes  du  Canton  font  remplies  de  Vaches  fort  grafles.  La  Ri- 
vière de  Tondelo ,  quoiqu'aflèz  étroite ,  &  fermée  d'une  barre ,  reçoit  des 
Barques  de  cinquante  ou  foixante  1  onneaux.  Son  Canal  efl:  tortueux.  On 
peut  mouiller  en  fureté,  du  côtédel'Eft,  à  un  quart  de  mile  de  l'embou- 
chure ;  mais  il  faut  tenir  auflfi  le  côté  de  1  Efl:  à  bord  pour  y  entrer.  Qua- 
tre ou  cinq  lieues  plus  loin,  cette  Rivière  efl:  guéable.  De  Tondelo  à  G'«a- 
fickevalpi  il  y  a  huit  lieues  de  plus,  toujours  à  l'Ouefl:,  &  Baie  fabloneufe. 
La  Rivière  de  Guafickevalp  efl:  une  des  principales  de  cette  Côte ,  moins 
large  que  celle  de  Tabafca,  mais  plus  profonde;  fa  barre  a  quatorze  pieds 
d'eau,  &  l'on  en  trouve  beaucoup  plus  au-delà,  fur  un  fond  de  vafe.  Elle 
prend  fa  fource  fort  près  de  la  Mer  du  Sud;  &les  Barques  y  peuvent  re- 
monter fort  loin.  Celle  de  Tecoaniepeque  y  qui  fe  décharge  dans  la  même 
Mer,  a  fon  origine  aufll  dans  le  ...ême  Canton  ;  &  l'on  raconte  que  les  pre- 
miers agrets  pour  les  VaifTeaux  de  Manille  furent  envoyés  de  la  Mer  du 
Nord  à  celle  du  Sud  par  ce»  deux  Rivières ,  dont  les  fources  ne  font  qu'à 
dix  ou  douze  lieues  l'une  de  l'autre.  Keybooca  efl:  la  Ville  la  plus  proche  de 
l'embouchure  du  Guafickevalp.  Elle  en  efl:  à  quatre  lieues  vers  l'Ouefl:.  On 
vante  fa  granéeur  &  fes  richefles.  Ses  Habitans  Efpagnois  font  en  petit 
nombre;  mai*elle  efl:  fort  bien  peuplée  d'Indiens  &  de  Mulâtres,  la  plu- 
part Marchands  Voyageurs ,  qui  vifitent  tout  le  Pays  entre  Villa  de  Mofe 
&  Vera-Cruz,  pour  y  acheter  le  Cacao» 

Depuis  la  Rivière  de  Guafickevalp ,  la  Côte  continue  de  s'étendre  deux 
ou  trois  lieues  vers  l'Ouefl:.  Le  terrein  efl:  bas  &  couvert  d'arbres ,  "Baie 
fabloneufe.  A  cette  difl;ance,  la  Côte  tourne  vers  le  Nord;  &  courant  du 
même  côté  l'efpace  de  feize  lieues ,  elle  s'élève  infenfiblement  depuis  le  ri- 
vage ,  pour  former  un  fort  haut  Promontoire ,  qu'on  nomme  Terre  de-Saint- 
Martïn^  mais  qui  fe  termine  par  une  Pointe  aflfez  large.  C'efl:-là  que  le 
Golfe  de  Campeche  fe  termine  à  fon  Ouefl:.  On  compte  près  de  vingt 
lieues,  de  cette  Pointe  à  la  Rivière  d'Alvarado.  Pendant  les  quatre  pre- 
mières, le  rivage  efl:  haut,  pierreux,  êfcarpé,  &  le  Pays  couvert  de  Fo- 
rêts. Enfuite,  on  trouve  de  hautes  Collines  de  fable,  qui  bordent  la  Mer; 
&  les  vagues  y  font  fi  .violentes  qu'il  efl:  impoflTible  d'y  aborder  avec  les 
Chaloupes.    Au-delà,  le  Pays  eli  oas,  aflez  uni,  &  fertile  en  gros  arbres. 

La  Rivière  d'Alvarado  a  plus  d'un  mile  de  large,  à  fon  embouchure. 
L'entrée  efl:  pleine  de  bas-fonds,  qui  continuent  l'efpace  d'environ  deux 
miles  à  quelque  difl;ance  du  bord ,  \k  qui  traverfent  d'un  côté  à  l'autre.  Ce- 
pendant elle  a  deux  Canaux  entre  ces  écueils.  L«  plus  commode,  qui  efl; 
celui  du  milieu ,  n'a  pas  moins  de  treize  ou  quatorze  pieds  d'eau.  Les  deux 
Rives  font  bordées  de  Dunes ,  auxquelles  Dampier  donne  plus  de  deux  cens 
pieds  de  hauteur.  Cette  Rivière  fe  divife,  dans  fon  cours,  en  trois  bras,, 
qui  fe  rejoignent  à  fon  embouchure.  L'un  vient  du  côté  de  l'Efl:;  un  au- 
tre ,  de  l'Oueft,-  &  le  troifième,  qui  efl:  le  plus  grand  &  le  véritable  Alva- 

Pp  p  3  rado. 


iDESCRirTIOM 

DE    LA    NOU-' 

VKLLB     ËSrA- 

ONE. 


y 


OcgcDiPTioir 

DS    LA    N0U« 

VILLE  Espa- 
gne. 


486       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

rado ,  defcend  direélement  vers  la  Mer.  Il  a  fa  fource  fort  loin  j  &  les  fer- 
tiles Pays  qu'il  arrofe  font.remplis  de  Bourgs  Efpagnols  &  Indiens.  La  Ri- 
ve de  rOueft,  vis-à-vis  de  l'embouchure,  efl:  défendue  par  un  petit  Fort, 
muni  de  quelques  pièces  de  canon ,  qui  commande  une  Ville  voifme.  Il  fe 
fait  ici  une  pêche  conGdérable;  &  par  conféquent  un  aflez  grand  Commer- 
ce de  Poiiron  falé,  que  lesHabitans  changent  contre  d'autres  marcttandifes  : 
mais  la  Ville  n*en  eu  pas  moins  pauvre ,  quoiqu'elle  y  joigne  celui  du  Poi- 
vre fec,  tant  en  gouffe,  que  confit  au  Tel  &  au  vinaigre. 

A  fix  lieues  d'Alvarado  vers  l'Oueft ,  on  trouve  une  grande  ouverture  qui 
fe  joint  à  ia  Mer,  &qui  communique  avec  cette  Rivière ,  par  une  petite 
Crique  où  les  Canots  peuvent  paffer.  On  voit,  près  de  l'ouverture,  un 
Village  Indien ,  qui  n'efl  compofé  que  de  Pêcheurs.  Le  bord  de  la  Mer 
eft  une  haute  Colline  de  fable  ^  &  les  vagues  y  font  fi  grofles,  qu'il  efl:  im- 
pofllbleaux  Chaloupes  d'y  aborder.  Il  ne  refle,  de-là,  que  fix  lieues  juf- 
qu'à  Vera-Cruz ,  toujours  à  l'Ouefl:.  Une  chaîne  de  Rochers ,  qui  s'étend 
d'Alvarado  à  Vera-Cruz,  c'efl:-à-dire  l'efpace  de  douze  lieues  (f),  n'empê- 
che point  que  les  petits  VaiiTeaux  ne  puiflent  pafler  dans  le  Canal  qui  efl: 
entre  ce  Récif  &  la  Côte,  quoiqu'elle  foit  auflî  fort  pierreufe.  L'Iile  des 
Sacrifices  n'efl:  qu'à  deux  lieues  de  Vera-Cruz  à  TEft. 

Après  avoir  palTé  les  deux  Vera-Cruz ,  qui  font  à  cinq  lieues  l'une  de  l'au- 
tre, on  a  quinze  lieues  jufqu'à  Tifpo^  petite  Ville  aflez  jolie,  fituée  au  bord 
de  la  Mer,  fur  un  Ruifleau  qui  ne  forme  point  de  Havre.  Aufli  n'a- 1- elle 
aucun  Commerce  maritime.  La  Côte,  depuis  Villa-riccaf^ ou  la  vieille 
Vera-Cruz,  s'étend  Nord  &  Sud.  De  Tifpo,  on  compte  environ  vingt 
lieues  jufqu'à  la  Rivière  de  PamcOy  Nord&  Sud,  au  plus  près.  Cette  Ri- 
vière, qui  eft  fort  grande,  vient  du  cœur  du  Pays,  &  fe  jette  dans  le  Gol- 
fe du  Mexique,  à  vingt  &  un  dégrés  quatre-vingts  minutes  de  latitude  du 
Nord.  Elle  a  dix  ou  douze  pieds  d'eau  fur  fa  barre;  &  les  Barques  peuvent 
la  remonter  jufqu'à  la  Ville  de  même  nom,  qui  efl:  fituée  à  près  de  vingt 
lieues.de  la  Mer.  C'efl:  la  Capitale  de  cette  Province,  avec  un  Siège  Epif- 
copal,  deux  Paroifles,  un  Couvent  &  une  Chapelle.  Elle  contient  environ 
cinq  cens  Familles  d'Efpagnols ,  de  Mulâtres  &  d'Indiens.  Ses  maifons  font 
grandes,  bâties  de  pierre,  &  couvertes  de  feuilles.  Quatre  lieues  plus 
loin,  la  Rivière  de  Panuco  en  reçoit  une  autre,  qui  vient  du  Lac  de  Tom- 
pequcy  fitué  au  Sud,  avec  une  Ville  de  fon  nom,  dont  les  Habitans  n'ont 
pas  d'autre  exercice  que  la  Pêche.  Au-delà  de  ce  Lac,  on  en  trouve  un 
plus  grand ,  qui  contient  une  Ifle  avec  un  Bourg  nommé  Haniago  ,  dont 
toute  la  richefle  confifte  aufli  dans  le  Commerce  du  Poiflbn.  On  y  prend, 
fur-tout,  quantité  de  Chevrettes,  qu'on  fait  fécher  au  Soleil,  après  les  a- 
voir  fait  cuire  au  fel  &  à  l'eau ,  &  qu'on  tranfporte  dans  les  meilleures  Vil- 
les de  la  Nouvelle  Efpagne ,  où  elles  font  fort  efl:imées. 

L'Vu- 


(»')  Dampier  prend  parti  contre  les  Car- 
tes, qui  mettent  vingt- quatre  lieues  entre  la 
Rivière  d'Alvarado  &  Vera-Cruz.  Il  croit, 
iit-il,  que  douze  eft  la  meilleure  fupputa- 


tion,  Ibid.  page  343;  &  pour  toutes  fes  re- 
marques ,  il  donne  en  preuve  les  courfcs  qu'il 
fit  fur  cette  Côte  pendant  une  année  entière, 
page  346. 


\ 


Campeche 
&  Bois  de  j 
teinture. 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       487 

■    LTucATAN,  feptième  Province  de  l'Audience  de  Mexico ,  eft  une  Pref-  Descriptio» 
qu'Ifle  découverte  en  1517,  c'eft-à-dire  avant  la  Nouvelle  Efpagne»  par  JJ^^^*  £j][.* 
Hernand  de  Cordoue ,  &  fituée  entre  les  Golfes  de  Campeche  &  de  Hondu-        one. 
ras.    Sa  Capitale,  nommée  Merida^  réfidence  du  Gouverneur  &  de  l'Eve-      Yucatan, 
que  de  la  Province  ,  ell  à  douze  lieues  de  la  Mer ,  à  vingt  dégrés  dix  minu-  VlI.ProviLce, 
tes  de  latitude  du  Nord.  Elle  eft  peuplée  d'un  mélange  d'Efpagnols  &  d'In- 
diens.    Campeche  j  Valladolid  &  Simancas  font  fes  autres  Villes.    La  premiè- 
re, q'ii  fe  nomme  aufli  St.Francifco,  eft  célèbre  par  le  Commerce  du  Bois  de 
teinture.    Sa  fituation  eft  fur  la  Côte  orientale  de  la  Baye  de  Campeche ,  à 
dix-neuf  dégrés  vingt  minutes  de  latitude.    Quoique  les  Efpi^gnols  l'euflenc 
rendue  capable  de  défenfe ,  elle  n'a  pas  réfillé  aux  Aventuriers  qui  l'ont 
furprife  plufieurs  fois ,  fur- tout  en  i685>  q^i'ils  la  brûlèrent  après  en  avoir 
fait  fauter  la  Citadelle.    On  place  Valladolid  fur  les  confins  de  Nicaragua  à 
treize  dégrés  trente  minutes.  Quoique  la  jaloufie  desEfpagnols  ne  permette 
guères  aux  Etrangers  de  connoître  l'intérieur  du  Pays,  quelques  Voyageurs 
ont  trouvé  le  moyen  d'y  pénétrer,  &  c'eft  ici  l'occafion  d'employer  leurs 
lumières  {k). 

Dampier,  étant  parti  de  la  Jamaïque  pour  aller  charger  du  Bois  de  tein- 
ture à  Campeche ,  fit  des  obfervations ,  lur  cette  Province ,  qui  obligent  de 
le  fuivre  dans  fa  route.  Il  arriva  au  Cap  de  Cotoche.  Depuis  ce  Cap ,  dit- 
il  ,  la  terre  s'étend  vers  le  Sud  environ  quarante  lieues  ;  &  d'ici  elle  conti- 
nue au  Sud-Oueft  jufqu'à  la  Baie  de  Honduras.  Entre  le  Cap  de  Cotoche 
&  l'Ille  de  Cozumel ,  on  trouve  une  petite  Ifle ,  que  les  Efpagnols  ont  nom- 
mée VJJle  des  Femmes  ^  parce  que  dans  l'origine  de  la  Colonie  ils  y  laiflerent 
leurs  Femmes ,  pour  chercher  plus  loin  des  habitations  commodes.  Cepen- 
dant ils  n'ont  à  préfent  aucun  Ei:abliflement  de  ce  côté- là,  quoiqu'ils  puif- 
fent  en  avoir  eu  dans  les  premien;  tems.  A  trois  lieues  &  vis-à-vis  du  Cap 
de  Cotoche,  eft  une  autre  petite  Ifle,  que  les  Anglois  ont  nommée  Log- 
gcrheady  parce  qu'on  y  voit  une  forte  de  Tortues  à  grofl^e  tête,  auxquelles 
ils  donnent  ce  nom.  Les  vagues  font  toujours  fort  agitées  près  de  cette 
■^le.  ■  Quoiqu'elle  paroifle  toucher  au  Continent,  elle  en  eft  féparée  par  une 
/infe  fort  étroite.  Le  terrein  da.  Cap  eft  fort  bas  proche  de  la  Mer;  mais 
il  s'élève  à  mefure  qu'il  s'éloigne.  11  eft  couvert  de  différentes  fortes  d'ar- 
bres, fur- tout  de  Bois  de  teinture.,  dont  les  Anglois  de  la  Jamaïque  ont  cou- 
pé une  fi  grande  partie ,  que  ce  qui  en  refte  eft  fort  éloigné  du  rivage. 

De  ce  Cap,  Dampier  rangea  la  Côte  au  Nord  de  l' Yucatan ,  vers  le  Cap 
Concededo.  Elle  approche  de  l'Ouefti  &  la  diftance,  entre  ces  deux 
Caps ,  eft  d'environ  quatre-vingts  lieues.  Le  rivage  eft  affez  égal.  On  n'y 
voit  pas  de  pointe  ni  d'enfoncement  ronfîdérable.  Il  eft  bordé  de  Forets , 
&  toutes  fes  Baies  font  fabloneufes.  Le  premier  endroit  remarquable ,  à 
J'Oueft  du  Cap  de  Cotoche,  eft  une  Colline,  qu'on  appelle  fimplement  le 
Mont^  &  qui  eft  éloignée  de  la  Mer  d'environ  quatorze  lieues.  C'eft  la 
iîeule  hauteur  qu'il  y  ait  fur  cette  Côte.  Tous  ceux  qui  l'ont  obfervée  de 
près  font  perfuadés  qu'elle  eft  un  ouvrage  de  l'art.  Il  y  a  n>éme  aflez  d'ap- 
parence qu'elle  étoit  autrefois  habitée ,  puifqu'on  y  uouve  quantité  de  Ci- 


ternes, 


(*)  Voyages  de  Dampier,  Tome  lll  Part,  2.  pag.es  212.  &  fuivantcs. 


:DEicitinriON 

■DK    LA    N0U> 

V£LLB     BfPA< 

«MB. 


I      'i 


488       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

ternes,  qui  doivent  avoir  été  faites  pour  recevoir  l'eau  de  pluie,  dans  un 
Canton  qui  n'a  point  d'eau  douce ,  &  dont  la  terre  même  efl:  fî  falée ,  que 
les  Efpagnols  en  vont  prendre  pour  faire  du  Salpêtre.  Peut-être  ces  Citer- 
nes ne  font-elles  que  d'anciennes  Salpêtrières.  Entre  le  Mont,  &  le  Cap  Con- 
cededo ,  on  découvre  pluHeurs  petits  Bois  de  Mangles,  qui  reflemblent  de 
Join  à  de  petites  liles.  Le  Pays,  qui  préfente  de  loin  une  face  fort  unie, 
«ft  inégal  &  rompu  lorfqu'on  s'en  approche. 

Rio  de  Lagartos  ,  qu'on  rencontre  prefqu'à  moitié  chemin ,  entre  les 
Caps  de  Cotoche  &  Concededo ,  arrofe  un  fort  beau  Pays ,  qui  préfente 
deux  petits  Bois  de  Mangles  fort  hauts,  de  chaque  côté  de  la  Rivière.  Elle 
a  peu  de  largeur,  mais  elle  efl:  aflez  profonde  pour  les  Chaloupes.     L'eau 
en  efl:  bonne  ;  &  depuis  le  Cap  de  Cotoche  jufqu'à  trois  ou  quatre  lieues  de 
la  VilledeCampeche,  Dampier  ne  connoît  point  d'autre:  eau  douce  fur 
toute  cette  Côre.    Il  fe  fait  une  Pêche  confidérable  à  r£fl;tde  Rio  de  La- 
gartos.   Les  Pêcheurs  Indiens ,  Sujets  du  Roi  d'Ëfpagne,  y  ont  des  Caba- 
nés,  pour  la  faifon,  des  pieux  auxquels  ils  fufpendent  leurs  fijets,  &  de  pe- 
;  ■    tites  couches  pour  y  faire  fécher  leur  Poiflbn.    Depuis  que  les  Etrangers, 
jT       qui  vont  charger  le  Bois  deCampeche,  ont  pris  cette  route,  les  Indiens 
'  •'   iont  devenus  fi  timides,  qu'auflîtôt  qu'ils  découvrent  un  Vaifl'eau  en  Mer, 
'    '    ils  enfoncent  leurs  Canots  à  fleur  d'eau  (/)  ;  &  ne  montrant  eux*mêmes  que 
la  tête,  ils  attendent  que  le  Vaifleau  foit  pafle,  ou  que  la  nuit  Toit  venue. 
.    Dampier  les  a  vus  quelquefois  à  la  voile, &  difparoître  ainfi  tout-d'un-coup. 
Al'Ouefl:  de  la  Rivière,  on  voit  une  Guérite,  nommée Selam ^  que  les  Ef- 
pagnols entretiennent  fur  le  bord  de  la  Mer ,  pour  y  mettre  leurs  Indiens 
en  fentinelle.  La  Côte  en  aplufieurs  autres;  les  unes  bâties  à  terre,  en  bois 
'de  charpente,  &  d'autres  placées  fur  des  arbres,  comme  des  cages,  mais 
aflez  grandes  pour  contenir  deux  Hommes,  avec  une  échelle  pour  mon- 
"''  ter  &  defcendre.    Une  de  ces  Guérites,  à  trois  ou  quatre  lieues  de  Selam, 
-,-•■  porte  le  nom  de  Linchanchi^  de  celdi  d'une  Ville  Indienne,  qui  efl:  quatre 
lieues  plus  loin  dans  les  terres.-  Une  autre,  à  deux  lieues  de  celle-ci ,  fe 
nomme  Chinchanchi.    J'ai  pris  terre,  dit  l'Auteur,  vers  ces  lieux  d'obferva- 
tion,  &  j'ai  parcouru  toute  cette  Côte,  foit  par  Mèr  dans  un  Canot,  ou 
par  "Terrô  à  pié,  depuis  Rio  de  Lagartos  jufqu'au  Cap  Concededo  :  mais  je 
d'y  ai  pas  vu  de  Villes,  ni  de  Villages,  ni  d'autres  Maifons  que  des  Caba- 
nes de  Pêcheurs,  à  la  réferve  de  Sifal.  On  trouve,  entre  Selam  &  Linchan- 
chi,  plufieurs  petits  Réfervoirs  falés,  d'une  figure  aflTez  régulière,  &  fépa- 
rés  les  uns  dt^s  autres  par  de  petites  levées  de  tçrre.     Le  plus  grand  n'a  pas 
~    *  plus  de  dix  verges  de  long,  fur  fix  de  lar^e.     Leis  Habitans  de  ces  deux 
.     villes  fe  rendent  à  ces  Réfervoirs,  aux  mois  de  Mai,  de  Juin  &  de  Juillet, 
'<    pour  en  recueillir  le  fel,  dont  ils  fourniflent  tout  le  Pays  d'alentour;  mais 
ils  y  viennent  à  la  faveur  des  Bois,  qui  les  dérobbent,  eux  &  leurs  Villes, 
il  la  vue  des  Vaifleaux. 

Trois  ou  quatre  lieues  plus  loin,  vers  rOuefl:,on  trouve  une  autre Glié- 
Mtite,  nommée  Sifal,  qui  ellla  plus  haute  iSc  la  plus  remarquable  de  cette 
;^  Côte. 

.  (0  Uq  grik&d  avantage  des  Canots, 
illft  plus  bas; 


;'eft  que  lorfqu'Us  font  pleins  d'eau,  ils  ne  peuvent 


lie,  danrun 
û  falée,  que 
re  ces  Citer- 
kleCapCon* 
ilTemblent  de 
:e  fort  unie , 

in,  entre  les 
qui  préfente 
Rivière.  Elle 
:ipes.  L'eau 
itre  lieues  de 
m  douce  fur 

Rio  de  La- 
int  des  Caba> 
ts,  &depe- 
;s  Etrangers , 
,  les  Indiens 
eau  en  Mer, 
x>mêmes  que 
c  foit  venue. 
at-d'un*coup. 
,  que  lesEf- 
leurs  Indiens 
erre,  en  bois 
cages,  mais 
;  pour  mon- 
tes de  Selam , 
|ui  e(l  quatre 

celle-ci ,  fe 
IX  d'obferva- 
n  Canot,  ou 
;do:  mais  je 
[uc  des  Caba- 
i  &  Linchan- 
ère,  &  fépa- 
;rand  n'a  pas 
de  ces  deux 
&  de  Juillet, 
^ntour;  mais 
leurs  Villes , 

le  autre  Gué- 

ibie  de  cette 

Côte. 

,  ils  ne  peuvent 


\ 


i:t  DES  Ejsrvinojsrs  .^^^^ 

(/ans  la  £ajre  i/e  CampecAe. 


CVrnieeae    Trajiae   Z«t> 


/^M-Z, 


Tf-. 


^jïT^^yT^S^^ 


Oinltreelcen.  in    de     Caiixpeclie  Baa^. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  H.       489 

Côte.  Elle  eft  bâtie  de  bois ,  &  fort  proche  de  la  Mer.  On  la  prend  quel- 
quefois pour  un  Vaifleau,  jufqu'à  ce  qu'on  foit  détrompé  par  la  vue  des 
Mangles  voifins.  Les  Efpagnois  ont,  près  de-là,  un  Fort,  gardé  par  qua- 
rante  ou  cinquante  Hommes,  qu'ils  y  envoyent  de  Mérida.  Cette  Ville, 
la  plus  confiderable  de  l'Yucatan,  n'en  cft  éloignée  que  de  douze  lieues; 
&  la  plupart  de  fes  Habitans  font  Efpagnois.  On  met  beaucoup  de  diffé- 
rence entre  les  Parties  de  l'Efl:  &  du  Nord  de  la  Province,  &  celle  de 
rOuefl ,  dont  le  terroir  efl:  incomparablement  plus  fertile  :  cependant  elle 
efl:  par-tout  aflez  bien  peuplée  d'Indiens ,  qui  font  raflemblés  cUns  des  Vil- 
les &  des  Bourgs,  fans  qu'on  trouve  une  feule  Habitation  moins  éloignée 
de  la  Mer  que  de  cinq  ou  de  fix  miles.  La  diftance  de  Sifal  au  Cap  Con- 
cededo ,  efl:  d'environ  huit  lieues.  Vingt  lieues  plus  loin ,  vers  le  Nord , 
on  trouve  une  petite  Ifle,  que  les  Efpagnois  appellent  lia  das  Arenas\  nom 
que  les  Anglois  ont  défiguré  en  De/ares  ^  &  d'autres  en  Defarcujfcs.  Depuis 
le  Cap  de  Cotoche  jufqu'à  celui  de  Conceùedo ,  la  Mer  devient  infenfible- 
ment  plus  profonde,  à  mefure  qu'on  s'éloigne  du  Rivage;  &  les  Vaifleaux 
peuvent  mouiller,  fur  un  fond  de  fable  à  toute  forte  de  profondeur,  depuis 
fept  ou  huit  pies  jufqu'à  dix  ou  douze  braflfes  d'eau.  Dans  quelques  endroits, 
on  juge  de  l'éloignement  où  l'on  efl:  du  rivage  par  la  profondeur  de  la  Mer, 
à  compter  quatre  brafles  pour  la  première  lieue,  &  enfuite  une  lieue  de  plus 
pour  chaque  brafle  (/«)• 

C'est  au  Cap  Concededo  que  commence  la  Baie  deCampeche.  Cette  Baie 
efl:  un  enfoncement  alfez  confiderable,  qui  efl:  renfermé  entre  leCap,  du  cô- 
té de  l'Efl:,  &  une  Pointe  qui  s'élance  du  Pays  montagneux  de  Saint-Mar- 
tin à  rOuefl:.  Dans  cette  difl:ance ,  qui  efl:  d'environ  cent  vingt  lieues ,  il 
fe  trouve  plufieurs  grandes  Rivières  navigables,  de  grands  Lacs ,  &c.  Con- 
cededo efl:  éloigné  de  quatorze  ou  quinze  lieues  du  petit  Havre  de  la  Saline. 
La  Baie  efl:  toute  fabloneufe  dans  l'intervalle,  &  la  Côte  s'étend  vers  le 
Sud.  Quoique  le  terrein  du  Pays  foit  aufl!i  couvert  de  fable,  fec,  &  fans 
autres  produélions  que  de  petits  arbres  informes ,  fi  l'on  y  creufe  à  moitié 
chemin  entre  ces  deux  Places,  au-deflTus  de  la  marque  de  la  haute  Marée, 
on  y  trouve  d'excellente  eau  douce.  Le  Havre  de  la  Saline  efl  une  retraite 
fort  commode  pour  les  Barques  ;  mais  il  n'a  pas  plus  de  fix  ou  fept  pies  d'eau. 
On  voit,  près  de  la  Mer,  un  grand  Etang  falé  qui  appartient  à  la  Ville  de 
Tampeche,  &  qui  rapporte  beaucoup  de  fel.  La  méthode  efl:  fingulièrepour 
le  faire.  Dans  le  tems  qu'il  fe  grene,  c'eft' à-dire  aux  mois  de  Mai  &  de 
Juin ,  les  Indiens  s'afTemblent  fur  les  bords  de  l'Etang ,  &  ramaflant  le  fcl 
en  gros  monceaux,  de  forme  pyramidale,  ils  les  couvrent  d'herbe  feche  & 
de  rofeaux,  auxquels  ils  mettent  le  feu.  La  fuperficie  brûlée  forme  une 
croûte  noire,  &  fi  dure,  qu'elle  garantit  ces  maffes  de  fel  contre  lespluyes, 
qui  commencent  alors,  &  qu'elle  les" tient  fort  feches  dans  une  faiibn  très 
humide. 

Depuis  les  Salines  jufqu'à  la  Ville  de  Campeche,on  compte  près  de  vingt 
lieues.  Dans  l'efpace  des  quatre  premières,  en  fuivant  la  Côte,  qui  s'étend 
au  Sud-quart-à-l'Ouefl:,  le  Pays  eft  fubmergé  &  couvert  de  Mangles;  mais 

à 


DBtCRIPTIOy 

Dl    LA    NOU' 

V£LLE    ËiFAr 

SNB. 


(m)  Ibidem,  page  251, 
Xnil.  Part. 


Qq  q 


Descriptioiî 

RE    LA    NOU* 

VELLB     ËSFA* 

GNE. 


490       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

à  deux  miles  au  Sud  delà  Saline,  <Sc  à  deux  cens  verges  de  la  Mer,  on  troir- 
ve  une  fource  d'eau  douce ,  qui  ed  la  feule  du  Canton.  Un  petit  fentier  y 
conduit  au  travers  des  Mangles.  Enfuite,  la  Côte  s'élève  déplus  en  plus, 
&,  l'on  rencontre  quantité  de  Baies  fabioueurts ,  où  les  Chaloupes  peuvent 
aborder;  mais  il  ne  faut  plus  efpérer  d'eau  fraîche  jufqu'à  la  Rivière  qui  etl 
proche  de  Campeche.  Au-delà,  toute  la  Côte  efl:  couverte  de  Mangles, 
le  terroir  fec,  &  fans  bois  de  teinture.  Six  lieues  en-deça  de  Campeche, 
on  trouve  une  Colline,  nommée  Nina,  d'où  l'on  peut  découvrir  les  Vaif- 
feaux  à  la  voile,  &  qui  produit  d'excellent  bois  de  chauffage,  mais  fans 
eau  ;  ôc.  la  Mer,  près  du  rivage,  offre  une  grande  abondance  de  ces  coquil- 
les, que  les  Anglois  nomment  dans  leur  Langue  Pies  de  Cheval,  parce  que 
le  delTous  en  efl:  plat  &  reffemble,  par  fa  figure  &  fa  groffeur,  à  la  corne  du 
pié  d'un  Cheval;  mais  le  dos  efl:  rond,  comme  celui  d'une  Tortue,  &  fon 
écaille  efl;  auffi  mince  que  celle  des  Ecreviffes  de  Mer.  Elles  ont  aufli  plu- 
fleurs  petits  bras,  &  leur  Poiffon  efl:  un  mets  fort  vanté.  Trois  petites  Ifles, 
baffes&fabloneufes,  à  vingt-cinq  ou  vingt-fix  lieues  de  Hina  vers  le  Nord, 
&  à  trente  de  Campeche ,  préfentenc  un  fort  bon  ancrage ,  du  côté  du  Sud  ; 
mais  elles  font  fans  eau ,  fans  bois ,  &  fans  autres  Animaux  que  de  gros  Rats , 
des  Boubies  &  des  Gueniers.  Ces  Ifles  ont  reçu  le  nom  de  Triangle ,  parce 
qu'elles  forment  cette  figure ,  par  leur  fituation. 

Campeche  efl:  une  fort  belle  Ville, fituée  au  bord  de  la  Mer , dans  un  petit 
enfoncement;  &  c'efl:  la  feule  qu'il  y  ait  fur  toute  cette  Côte,  depuis  le  Cap 
de  Cotoche  jufqu'à  Vera-Cruz.  Elle  efl:  bâtie  de  bonnes  pienes,  qui  lui 
donnent  beaucoup  d'éclat.  Ses  Maifons  ne  font  pas  hautes,  mais  les  mu- 
railles en  font  très  fortes ,  les  toits  plats  &  couverts  de  tuiles.  Elle  efl:  dé- 
fendue par  une  Citadelle  («),  où  le  Gouverneur  fait  fa  réfidence  avec  une 
petite  Garnifon.  Quoiqu'elle  foit  le  feul  Port  de  cette  Côte,  on  vante  peu 
fes  richeflTes.  La  principale  Manufafture  du  Pays  efl:  de  toiles  de  coton,  dont 
les  Efpagnols  &  les  Indiens  font  éçalement  vêtus ,  &  qui  fe  vendent  au-de- 
hors  pour  faire  des  voiks  de  Navires.  Si  l'on  excepte  cette  vente  &  celle 
du  feî ,  Campeche  n'a  jamais  eu  d'autre  avantage  que  de  fervir  de  centre  au 
Commerce  du  bois  de  teinture;  &  de-là  vient  le  nom  de  Bois  de  Campeche. 
quoiqu'il  ne  s'en  trouve  qu'à  plus  de  douze  ou  quatorze  lieues  de  la  Ville. 
Les  Efpagnols  l'ont  coupé  longtems,  à  cette  diftance ,  près  d'une  Rivière 
nommée  Cbainpeton,  du  côté  du  Sud,  dans  un  terrein  haut  &  pierreux.  Ils 
y  employoient  les  Indiens  du  Canton,  pour  une  réale  par  jour;  &  le  ton- 
neau valoit  alors  jufqu'à  cent  dix  livres  llerling.  Lorfque  les  Anglois  fe  fu- 
rent établis  à  la  Jamaïque,  &  qu'ils  commencèrent  à  croifer  dans  le  Golfe 
de  Campeche,  ils  y  trouvèrent  plufieurs  Barques  chargées  de  ce  bois;  mais 
'n'en  connoiffant  point  encore  le  prix,  ils  fe  contentoient  de  prendre  les 
doux  &  toute  la  ferrure  des  Barques.  '  Un  de  leurs  Capitaines,  ayant  enle- 
vé un  gros  Vaiffeau  qui  n'avoit  pas  d'autre  charge,  le  conduifit  en  Angle- 
terre, dans  le  feul  deffein  de  l'armer  en  courfe  ;  &,  contre  fon  attente,  il 
y  vendit  fort  cher  un  bois,  dont  il  avoit  fait  fi  peu  d'eftime,  qu'il  n'avoit 
pas  ceffé  d'en  brûler  pendant  fon  Voyage.  Alors ,  les  Anglds  de  la  Jamaï- 
que 

(  n)  On  a  remarqué  que  les  Boucaniers  l'ont  fait  fauter  &  qu'ils oat  brûlé  la  Ville. 


ice  avec  une 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  H.       491 

que  découvrirent  bientôt  le  lieu  où  il  croifToit  ;  &  lorfqu'ils  ne  faifoient  au- 
cune prife  en  Mer,  ils  alloicnt  à  la  Rivière  de  Champeton,  où  ils  étoient 
fûrs  d'en  trouver  de  grandes  piles,  dcja  tranfportées  au  bord  de  la  Mer, 
qui  ne  leur  coCltoient  que  la  peine  de  les  embarquer.  Cette  pratique  fe 
foutint,  jufqu'à  ce  que  les  Efpagnols  y  mirent  une  forte  Garde.  Mais  les 
Anglois,  qui  n'ignoroient  plus  la  valeur  de  ces  arbres,  vifitèrent  les  autres 
Côtes  du  Pays  pour  en  chercher.  Ils  en  trouvèrent  d'abord  au  Cap  de  Co- 
toche ,  d'où  ils  en  tirèrent  la  charge  de  plufieurs  Vaifleaux  ;  &  lorfqu'il  y 
devint  rare,  ils  découvrirent  un  Lac,  nommé  Trijle,  dans  la  Baie  même 
de  Campeche,  où  leur  travail  fut  continue  avec  le  même  fucccs. 

De  la  Rivière  de  Champeton  à  Port-Roïal,  on  compte  environ  dix  huit 
lieues.  La  Côte  eft  au  Sud-Sud  Ouefl,  ou  Sud-Oueft-quart-au  Sud.  Le  ter- 
rein  ,  qui  efl  bas  vers  la  Mer ,  s'ouvre  par  une  Baie  fabloneufe ,  où  l'on  voit 
([uelques  Arbres,  &  de  petites  Savanes  mêlées  de  Buiflbns.  On  ne  trouve, 
entre  Champeton  &  Port-Roïal,  qu'une  feule  Rivière,  qui  fe  nomme  Porta 
Efcondido.  Port-Roïal  eft  une  grande  entrée,  dans  un  Lac  falé,  de  neuf  ou 
dix  lieues  de  long,  fur  trois  ou  quatre  de  large,  avec  deux  embouchures, 
c'eft-à-dire,  une  a  chaque  bout.  Celle  de  Port-Roïal  eft  reflerrée  par  une 
barre,  fur  laquelle  on  ne  laifle  pas  de  trouver  neuf  ou  dix  pies  d'eau.  Le 
mouillage  eft  bon  de  l'un  &  de  l'autre  côté  ;  &  l'entrée  n'a  pas  moins  de 
deux  miles  de  long,  fur  un  de  larçe,  avec  quelques  anfes  fabloneufes,  où 
l'on  entre  fans  danger.  Les  Vaifleaux  mouillent  ordinairement  du  côté  de 
l'Eft ,  après  Champeton  ;  autant  pour  la  commodité  des  Puits ,  qu'on  y  a 
creufés,  que  pour  fe  mettre  à  couvert  de  la  Marée,  qui  eft  ici  très  violente. 
Cet  endroit  eft  remarquable  par  le  détour  de  la  terre,  qui  prend  tout  d'un- 
coup  vers  l'Oueft ,  &  qui  s'étend  l'efpace  de  foixante  &  cinq  ou  foixante  & 
dix  lieues  dans  cette  direélion.  Une  petite  liîe  bafle ,  qu'on  nomme  Vljîe 
de  Port-Roïal  y  forme,  à  l'Oueft,  un  des  côtés  de  l'embouchure,  &  le  Conti- 
nent fait  l'autre.  A  l'Oueft  de  cette  111e ,  on  en  trouve  une  autre ,  petite 
&  bafle,  q\i on  nomme  Tri/le.  Un  Canal  fort  étroit  les  fépare.  L'IlleTrifte 
eft ,  en  quelques  endroits ,  large  de  trois  miles ,  &  longue  de  quatre.  Elle 
s'étend  de  l'Eft  à  l'Oueft. 

La  féconde  embouchure,  qui  conduit  dans  le  Lac,  eft  entre  riile  Trifte 
&  une  autre  Ifle,  qui  fe  nomme  l'IJle  des  Bœufs.  Sa  largeur  eft  d'environ 
trois  miles.  Elle  eft  remplie  de  bancs  de  fable  audehors,  qui  ne  laiflTent 
que  deux  Canaux  pour  y  entrer.  Le  plus  profond  eft  vers  le  milieu  de  l'em- 
bouchure, &  n'a  pas  moins  de  douze  pies  d'eau  dans  la  haute  Marée.  Ce- 
lui de  l'Oueft  en  a  près  de  dix.  Il  n'eft  pas  fort  éloigné  de  l'Ifle  des  Bœufs. 
On  y  entre  par  une  Brife  de  Mer,  la  fonde  à  la  main,  fur-tout  du  côté  de 
cette  Ifle.  A  fa  pointe ,  on  a  trois  braflès  d'eau  ;  &  l'on  peut  tourner  alors 
vers  Trifte,  jufqu'aflez  près  du  rivage,  où  rien  n'empêche  de  mouiller  li- 
brement. Quoique  le  mouillage  foit  bon  par-tout ,  au-delà  de  la  barre ,  en- 
tre Trifte  &  l'Ifle  des  Bœufs,  la  Marée  y  eft  beaucoup  plus  forte  qu'à  Port- 
Roïal.  Cette  embouchure  a  reçu  des  Efjpagnols  le  nom  dé  Laguna  Termina. 
Les  petits  Bâtimens,  tels  que  les  Barques,  les  Chaloupes  &  les  Canots, 
trouvent  une  égale  fureté  dan$  toutes  les  partie*  du  Lac.  Ilf  peuvent  paifer 
.  Q^^  3  d'une 


DascniPTioH 

I)E    LA    NOU- 


DlifCltlPTION 
P>  LA  NOU- 
VILLU    ËSPA' 


Il 


4P2       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

d'une  embouchure  à  l'autre,  aller  dans  les  Anfcs,  les  Rivières,  &  les  autres 
petits  Lacs  qui  fe  déchargent  dans  le  grand. 

La  première  Rivière  confidérable  qu'on  rencontre  à  l'Efl:  de  ce  Lac,  en 
entrant  à  Port-Roïal ,  eft  celle  de  Simmnfema.  Kilo  cfl:  afFez  grande  pour 
recevoir  des  Chaloupes.  C'eft  du  côté  du  Sud  qu'elle  fe  décharge,  veis  !e 
milieu  du  Lac.  On  voyoit  autrefois,  à  Ton  embouchure,  un  Village  du  mê- 
me nom.  Sept  ou  huit  lieues  plus  loin  dans  les  terres,  on  trouve  une  gran- 
de Ville  Indienne,  compofée  d'environ  deux  mille  familles,  &  de  quelques 
Moines  Efpagnols ,  qui  leur  fervent  de  Curés  dans  deux  ou  trois  Kgliles, 
fans  qu'il  y  ait  d'autres  Blancs.  A  quatre  ou  cinq  lieues  de  la  Rivière  d»? 
Summafenta,  où  le  rivage  s'étend  vers  rOueft,on  rencontre  une  petite  Ifle, 
qui  fe  nomme  le  Buiffbn^  &  vis-à-vis  de  cette  Ifle  une  Crique  fort  étroite, 
0£  longue  d'un  mile,  qui  conduit  dans  un  autre  grand  Lac,  qu'on  nomme 
Lac  de  l'EJt.  Il  a  près  d'une  lieue  &  demie  de  large,  fur  trois  de  long,  & 
fes  bords  font  couverts  de  Mangles.  Une  autre  Crique,  qui  s'ouvre  à  fon 
Sud  Eft,  &  qui  s'avance  fix  ou  fept  miles  dans  les  terres,  offre  quantité  de 
bois  de  teinture  fur  fes  bords.  Au  bout  de  cette  Crique  efl  une  grande 
Savane,  remplie  de  Vaches  fauvages,  de  Chevaux  &  de  Daims.  Du  côté 
feptentrional ,  &  vers  le  milieu  du  Lac  de  l'Efl:,  on  trouve  une  autre  petite 
Crique,  qui  communique  à  Laguna  Termina,  vis-à-vis  d'une  petite  lile  fa- 
bloneufe,  que  les  Anglois  nomment  Tlfle  de  Ferles.  A  l'Oueft  du  même  Lac, 
un  petit  Bois  de  Mangles  le  fépare  d'un  autre  Lac,  qui  lui  eft  parallèle,  ôc 
qu'on  nomme  le  Lac  de  ÏOueJl.  Il  eft  à-peu-près  de  la  grandeur  du  pre- 
mier; &  vers  fon  Nord  il  fe  joint  avec  lui  par  un  Canal,  qui  efl:  afjez  pro- 
fond pour  les  Barques.  Au  Sud  de  ce  dernier  Lac,  une  Crique,  dont  l'em- 
bouchure efl  d'un  mile,  fe  divife  en  deux  branches,  où  l'on  trouve  de 
l'eau  douce  pendant  dix  mois  de  l'année.  La  terre,  aflez  près  de  leur  di- 
vifion  ,  produit,  non -feulement  quantité  de  bois  de  teinture,  mais  de 
gros  Chênes,  \qs  feuls  que  Dampier  ait  vus,  dit -il,  entre  les  Tropiques. 
A  trois  miles  de  la  branche  orientale ,  une  Savane  fort  graffe  eft  ordinai- 
rement remplie  de  Bêtes  à  cornes  ;  ce  qui  attire  les  Coupeurs  de  Bois  dans 
cette  Crique. 

Toutes  ces  Terres,  près  de  la  Mer  ou  des  Lacs,  font  chargées  dcMan- 
ffles,  &  toujours  humides;  mais  un  peu  plus  avant,  le  terrein  efl:  fec  & 
ferme,  &  n'eft  jamais  inondé  que  dans  la  faifon  des  pluyes.  C'efl:  une  ar- 
gile forte  &  jaunâtre,  dont  la  fuperficie  eft  d'une  terre  noire,  fans  profon- 
deur. Il  y  croît  quantité  d'arbres,  de  différentes  efpèces,  qui  ne  font  ni 
hauts,  ni  fort  gros.  Ceux  qui  fervent  à  la  teinture  &  qu'on  appelle  Bois  de 
Campeche ,  y  profitent  le  mieux  ;  &  l'on  n'en  trouve  pas  même  dans  les 
lieux  où  la  terre  eft  plus  graffe.  Ils  reffemblent  affez  à  nôtre  aubépine  ; 
mais  ils  font  généralement  beaucoup  plus  gros.  L'écorce  des  jeunes  bran- 
ches eft  blanche  &  polie,  avec  quelques  pointes,  néanmoins,  qui  Ibrtent 
de  côté  &  d'autre  ;  mais  le  corps  &  les  vieilles  branches  font  noirâtres ,  l'é- 
corce en  eft  plus  raboteufe,  &  prefque  fans  aucune  pointe.  Les  feuilles 
font  petites ,  &  reffemblent  à  celles  de  l'aubépine.  Leur  couleur  eft  d'un 
verd  pâle.    Oajchoiût,  pour  la  coupe,  les  vieux  arbres,  qui  oiK  l'écorce 

noire. 


VELLE    E!rA> 

OME. 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  H.       493 

rtoire,  parce  qu'ils  ont  moins  de  fève,  &  qu'ils  donnent  peu  de  peine  à  les  DiicBirTioN 

couper,  ou  à  les  réduire  en  morceaux.     La  l'éve  en  eft  blanche,  &  le  cœur  ""..''*  |?°V* 

rouge.     C'clliccœur  qu'on  employé  pour  la  teinture.     On  abbat  toute  la 

fcve  blanche  pour  le  tranfporter  en  Europe.     Quelque  tcms  après  qu'il  eft 

coupé,  il  devient  noir;  Ck  s'il  eft  mis  dans  l'eau,  il  lui  donné  une  fi  vive 

couleur  d'encre,  qu'on  s'en  fert  fort  bien  pour  écrire.     Entre  ces  arbres, 

il  s'en  trouve  de  cinq  ou  fix  pies  de  circonicrence,  dont  on  a  beaucoup  de 

peine  à  faire  des  bûches, qui  n'excèdent  point  la  charge  d'un  Homme;  & 

aulfi  les  fait-on  fauter  avec  de  la  poudre.     Le  bois  eft  fort  péfant.     11  brûle 

fort  bien,  &  fait  un  feu  clair,  ardent  &  de  longue  durée.     Les  Flibuftiers 

fc  fervent  de  ce  feu  pour  endurcir  le  canon  de  leurs  fufils,  lorfqu'ils  s'apper- 

çoivenc  de  quelque  défaut  dans  le  fer.     Dampier  eft  perfuadé  que  le  vérita- 

ble  bois  deCampeche  ne  croît  que  dans  l'ïucatan.  Les  principaux  endroits, 

où  il  fe  trouve,  font  celui  qu'on  a  di  :rit,  le  Cap  de  Cotoche,  &  la  partie 

méridionale  du  Pays*,  dans  le  Golfe  de  Honduras. 

Le  commerce  de  ce  bois  étoic  devenu  fort  commun  parmi  les  Anglois  en 
1*675 ,  lorfque  Dampier  arriva  dans  le  Golfe  de  Campeche.  Il  y  trouva  plus 
de  260  Travailleurs  de  fa  Nation,  qui  s'étoient  établis  autour  du  Lac  Trif- 
te,  ou  dans  l'Ifledes  Boeufs.  Ce  négoce,  dit-il,  doit  fon  origine  à  la  dé- 
cadence de  la  Piraterie.  Aulfi-tôt  que  les  Anglois  fe  virent  maîtres  de  la 
Jamaïque  &  qu'ils  eurent  conclu  la  Paix  avec  l'Efpaçne,  leurs  Boucaniers, 
qui  n'avoient  vécu  jufqu'alors  que  du  pillage  des  Eipagnols,  fe  trouvèrent 
dans  le  dernier  embarras.  Les  uns  fe  retirèrent  au  petit  Gouave,  où  la  Pi- 
raterie fubfiftoit  encore,  &  les  autres  prirent  le  parti  de  s'établir  dans  la 
Baye  de  Campeche  pour  y  couper  du  bois.  Ils  y  auroient  pu  faire  un  profit 
confidérable  ;  mais  l'habitude  de  l'oillveté  rendit  leur  travail  fort  lent.  La 
plupart  étant  bons  Tireurs,  ils  paflbient  le  tems  à  la  challt:  &  leur  ancien 
goQt  pour  le  brigandage  fut  réveillé  par  cet  exercice.  Bientôt  ils  commen- 
cèrent à  faire  des  courfes  dans  les  Villes  Indiennes ,  dont  ils  enlevoient  les 
Hubitans.  Ils  gardoicnt  les  Femmes,  pour  les  fervir  dans  leurs  cabanes. 
Les  Hommes  étoicnt  vendus  à  la  Jamaïque  &  dans  les  autres  Ules.  Enfin, 
ces  Avanturiers  prirent  tant  d'averfion  pour  la  difcipline,  que  n'ayant  pu  fe 
réduire  fous  aucune  forme  de  Gouvernement,  il  fut  aifé  aux  Efpagnols  de  les 
fuiprendre  au  milieu  de  leurs  débauches, &  de  les  enlever  prelque  tous  dans 
leurs  cabanes,  lis  furent  conduits  Prifonniers  à  Campeche  &  à  Vera-Cruz, 
où  ils  furent  vendus  aux  Marchands  de  Mexico. 

Ajoutons,  après  le  même  Voyageur,  que  cette  partie  du  Golfe  de  Cam- 
peche, eft  à  près  de  dix- huit  dégrés  de  latitude  du  Nord.  Dans  le  beau  tems, 
les  Brifes  de  Mer  y  font  au  Nord-Nord-Eft,  ou  au  Nord,  &  les  vents  de 
"Terre  font  Sud-Sud-Etl  &Sud.  La  faifon  feche  y  commence  enSeptembre, 
&dure  jufqu'à  la  fin  d'Avril.  Alors,  les  pluyes  arrivent  &  commencent  par 
des  ouragans,  dont  on  n'efTuye  d'abord  qu'un  feul  par  jour,  mais  qui  aug- 
mentent comme  par  dégrés  jufqu'au  mois  de  Juin ,  où  les  pluyes  deviennent 
continuelles ,  pour  ne  finir  que  vers  la  fin  d'Août.  Ce  déluge  d'eau  fait  dé- 
border les  Rivières.  Toutes  les  Savanes  s'en  trouvent  couvertes;  &  l'inon- 
dation ne  croît  &  ne  diminue  point  jufqu'à  ce  que  les  vents  du  Nord  foyei»£ 
fixés;  ce  qui  arrive  ordinairement  vers  le  mois  d'Odobre.    Ces  vents  fouf- 

-  Qqq  3  ikn: 


404 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


V 


nEscRipTioN  i^ent  vers  la  terre  avec  tant  de  violence,  que  pendant  le  tems  qu'ils  régnent 
CE  LA  Nou-  'ig  troublent  le  cours  des  marées ,  ils  arrêtent  celui  des  Rivières;  &  qiioi- 
^^'■^^«r.  ou'il  V  ait  moins  de  pluye  qu'auparavant,  les  dcbordemens  ne  laiflent  pas 
d'augmenter.  Limpetuofite  des  mêmes  vents  croit  encore,  aux  mois  de 
Décembre  &  3e  janvier.  Mais  enfuice  elle  diminue  ;&  les  eaux  commencent 
à  s'écouler  dans  les  lieux  bas.  Vers  le  milieu  de  Février  tout  efl:  fec;  &  dés 
le  mois  de  Mars,  on  a  quelquefois  cle  la  peine  à  trouver  de  l'eau  pour  boire, 
dans  ces  mêmes  Savanes,  qu'on  prenoit  lix  femaines  auparavant  pour  une 
Mer.  Vers  le  commencement  d'Avril  tous  les  Etangs  ne  font  pas  moins  à 
fec;  &  les  Etrangers,  qui  ne  connoîtroient  point  les  rellburccs  du  Pays  (o) , 
feroient  menacés  d'y  mourir  de  foif. 


(  0  )  La  principale  cfl:  de  fc  retirer  dans 
les  Bois,  pour  fc  rafraîchir  de  l'eau  qu'on 
trouve  alors  dans  les  feuilles  d'un  arbre  ,  que 
Dampier  nomme  Pin  fativagc  ,  parce  qu'il 
a  quelque  relTeniblance  avec  le  véritable 
Pin.  Son  fruit,  qui  croît  fur  les  bofles,  les 
nœuds  &  les  excrefcences  de  l'arbre,  cil:  en- 
vironné de  feuilles  t-paifles ,  .&  longues  de 


dix  ou  douze  pouces,  fi  fL'rrées  entr'ellcs  &. 
fi  droites,  que  retenant  i'eaii  de  pluye  lors- 
qu'elle tombe ,  cllos  en  contiennent  jufqu'à 
une  pinte  &  demie.  Il  fufiît  d'y  enfoncer  un 
couteau  vers  leb;is  pour  la  faire  fortir.  Dam- 
pier cite  fa  propre  cxpériencr,  ubi  fupri, 
page  21^6. 


Guadalajara, 
i.  Province. 


II.  Los 

Zacatecas. 


S-   V  I. 

Audience  de  Guadalajara. 

LES  Provinces  de  cette  Audience  font  peu  connues  des  Etrangers  &  des 
Efpagnols  mêmes,  qui  n'en  ont  jamais  fait  de  defcription  régulière. 
Leur  fituation  vers  le  Nord  ne  tente  point  la  curiofité  des  Voyageurs  ;  & 
les  premiers  Hifloriens ,  ayant  écrit  fur  des  Relations  aiîez  confuiés ,  n'ont 
pu  nous  donner  plus  de  lumières,  qu'ils  n'en  ont  trouvé  dans  leurs  Mé- 
moires. Ceux  qui  font  venus  après  eux ,  tels  que  Laet ,  Ogilby ,  &  les 
Compilateurs  Hollandois,  n'ont  fait  qu'augmenter  robfcurité,  en  altérant 
quelquefois  les  noms  &  les  diilances  ,  pour  concilier  les  témoignages  op- 
pofés,  ou  pour  fuppléer  aux  omifllîons  par  des  conje6lures.  Ainfi  l'on  ert 
réduit  à  des  homes  fort  etrui:es,  quand  on  n'y  veut  rien  faire  entrer  d'in- 
certain. 

La  première  Province,  qui  donne  fon  nom  à  l'Audience,  &  qui  tire  le 
fien  de  fa  Capitale,  eft  repréfentée  comme  un  Pays  fain  &  fertile,  où  l'on 
•trouve  quelques  Mines  d'argent.  La  Ville  de  Guadalajara  eft  fituée  fur  la 
Rivière  de  ZJar^MW ,  qui  va  fe  perdre ,  foixante  lieues  au-deflbus,  dans  la 
Mer  du  Sud.  C'eft  le  Siège  du  Gouverneur  de  la  Province ,  &  d'un  Eve- 
que  SufFragant  de  l'Archevêché  de  Mexico.  On  la  place  à  vingt  dégrés 
vingt  minutes  de  latitude,  &  à  deux  cens  foixante  &  onze  degrés  quarante 
minutes  de  longitude.  Son  éloignement  de  Mexico  eft  d'environ  quatre- 
vingt-dix  lieues. 

Cette  féconde  Province  de  l'Audience  de  Guadalajara,  tire  fon  nom  de 
celui  de  fes  anciens  Habitans.  Sa  Capitale  qui  eft  un  Siège  Epifcopal  &  la 
rcfidence  du  Gouverneur,  fe  nomme  auffi  S.  Luis  dt  Zacatecas;  à  fes  au- 

'.  .       ■  très 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  XL        495 

cres  Villes  font,  Xeresàe  la  Frontera^  Erena  ou  Ellerena,  Nombre  de  Ûios^  & 
Jvino,  célèbre  par  fes  Mines  d'argent.  Quelques-uns  y  mettent  aufli  Du- 
Tango  j  que  d'autres  font  Capitale  de  Nueva  Bifcaia.  Le  Pays  eft  fec  & 
montagneux ,  mais  fertile  dans  les  Vallées,  &  riche  par  fes  Mines  d'argent. 
11  s'étend  du  Sud  au  Nord ,  depuis  la  Province  de  Cuaxaca  vers  le  Golfe  du 
Mexique. 

LAtroiftcme  Province,  nommée  Nw^u^  Bifcaia ^^  ou  Nouvelle  Bifcaïe^  efl: 
conrigiij  au  Nouveau  Mexique  ^  vafte  Pays  feptentrional,  dont  les  bornes  ne 
font  pas  encore  connues,  mais  qui  paroît  fuivi  du  Quivira  &  de  la  Mer  de 
rOuefl,  &  dont  on  remet  à  parler  dans  l'Article  des  Voyages  au  Nord.  Le 
Mémoire  de  Lionnel  VVaffer  {a)  nomme  Durango  pour  Capitale  de  la  Nou- 
velle Bifcaie,  &  donne  plufieurs  Mines  d'argent  à  cette  Province.  Ses  au- 
tres Villes  font  ^.irrox,  Sainte-Barbe  y  o\x  Barbota  Enâeba^  &.  Saint-Juan.  On 
la  place  à  vingt-cinq  dégrés  vingt-huit  minutes  de  latitude,  fans  expliquer 
de  quel  lieu  l'on  prend  cette  polition.  Une  grande  partie  du  Pays  efl  arro- 
{ÙQ  par  la  Rivière  de  Na{Jas. 

La  Province  de  Cinaoîa  ell  la  plus  feptentrionale  de  toute  la  Nouvelle  Ef- 
pagne.  Sa  fituation ,  fur  la  Mer  de  Californie ,  la  fait  toucher  aufli  au  Nou- 
veau Mexique;  mais  dans  cet  éloignement  elle  contient  fort  peu  d'Efpa- 
gnols,  quoique  l'air  y  foit  fort  fain,  &  qu'on  vante  fa  fertilité  en  fruits,  en 
légumes  &  en  coton.  Ils  y  ont  néanmoins  deux  Villes,  qui  fe  nom- 
ment Saint -Jacques  &  Saint  -  Philippe  ^  &  dont  on  ne  cornoît  guères  que 
les  noms. 

La  cinquième  Province,  qui  fe  nomme  Culiacan,  n'efl  pas  mieux  connue 
que  celle  de  Cinaola.  On  lui  donne  néanmoins  quelques  Mines  d'argent, 
èc  deux  Villes ,  Culiacan ,  fa  Capitale ,  &  Saint-Miguel.  Comme  elle  ell  bor- 
dée aufli  par  la  Mer  Vermeille,  ou  de  Californie,  on  trouve  quelques  détails, 
fur  fes  Côtes,  dans  les  Voyages  de  Dampier,  de  Cooke,  de  Rogers&  des 
autres  Avanturiers  Anglois  qui  les  ont  vifitées  en  divers  tems.  Mais ,  à  l'ex- 
ception des  vues  &  des  diftances ,  qui  paroiflent  aflez  fidèlement  recueillies 
dans  la  Relation  d'Edouard  Cooke  (Z>),  il  y  a  peu  d'utilité  à  tirer,  pour  la 
Géographie ,  de  la  plupart  de  ces  Obfervations ,  où  l'ordre  manque  toujours, 
&  qu'on  a  peine  d'ailleurs  à  concilier  avec  d'autres  lumières ,  par  la  difficulté 
de  reconnoître  des  noms  que  chaque  Nation  défigure  ou  change  entièrement 
dans  fa  langue. 

La  fixième  Province,  nommée  Chiametlan,  fituée  fur  le  bord  de  la  même 
Mer ,  efl  peuplée  prefqu'uniquement  d'Indiens.  Les  Efpagnols  y  ont  néan- 
moins deux  Villes;  Saint -Sebafiien^  qui  en  efl:  la  Capitale,  ikAguacera,  On 
vante  la  fertilité  du  terroir,  fon  miel,  fa  cire,  &  fur-tout  fes  Mines  d'ar- 
gent, qui  firent  établir  ces  deux  Colonies  Efpagnoles  en  1554.  Lesifles  de 
Chametly,  qui  paroiflent  tirer  leur  nom  de  cette  Province,  ont  été  décrites 
dans  la  Relation  de  Dampier. 

La  dernière  Province  de  la  féconde  Audience  s'appelle  Xalifco^  de  fon  an- 
cien nom.    Elle  efl:  fituée  en  partie  fur  la  Mer  du  Sud.    Sa  Capitale  efl  Coin- 

pojîella 


DEScaimôir 
DE  LA  Noo- 

VCLLB    £(FA- 
ONE. 


iir. 

Niicva  Bif- 
caia. 


IV. 

CinaoIà, 


V. 

Ciiliaciiu. 


VI, 

Chiamctlan. 


VII. 

Xalifco. 


(a)  Ubifuprà,  pnge  334. 

(b)  Voyages  d Edouard  Cooke,  Tome II. 


On    donnera  les  diftanccs  ,    d'aprùs  lai  & 
Woodes  Rogers. 


DE    LA 
VELLE 


4t;6        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Description  pojiella  nueva ,  bâtie  en  1531  par  Nugnez  Guzman,  qui  conquit  une  partie 
n»  r  »  Nou-  jg  çgjj.g  Région.     On  place  cette  Ville  à  vingt  &  un  degrés  de  latitude  du 
^^'^    Nord ,  &  deux  cens  foixante  &  dix  degrés  quinze  minutes  de  longitude. 
C'étoit  autrefois  un  Siège  épifcopal,  que  le  mauvais  air  du  Pays  a  fait  trans- 
férer à  Guadalajara ,  dont  elle  efh  éloignée  d'environ  trente  lieues.     Xalifca 
&  la  l'urification  font  deux  autres  Villes  de  la  même  Province.    ■ 

C'est  dans  cette  Province,  à  vingt  degrés  vinvc&  une  minutes  du  Nord, 
/uivant  Dampier  (c),  qu'on  ^lace  le  Cap  àe  Corrientes  ^  d'où  la  plupart  des 
Avanturiers  ont  marqué  le  point  de  leur  départ ,  pour  pafTer  de  la  Mer  du 
{sud  aux  Indes  Orientales.     En  approchant  de  ce  Cap ,  les  terres  font  aflez 
élevées  &  bordées  de  Rochers  blancs.     L'intérieur  du  Pays  efl:  rempli  de 
Montagnes  llériles  &  defagréables  à  la  vue.     Une  chaîne  d'autres  Mon- 
tagnes, parallèles  à  la  Côte,  finit  à  l'OLiefl  par  une  belle  pente;  mais,  à 
l'Ell,  elles  confervent  Surélévation,  &  fe  terminent  par  une  hauteur  ef- 
<:arpée ,  qui  fe  divife  en  trois  petits  foramets  pointus ,  auxquels  cette  figure , 
qui  approche  aflez  d'une  couronne,  a  fait  donner,  par  lesEfpagnols,  le  nom 
jdQ  CoTonada.     La  hauteur  du  Cap  eil  médiocre,  &  le  fommet  plat  &  uni; 
mais  il  efl  remarquable  par  quantité  de  Rochers  efcarpés ,  qui  s'avancent 
jufqu'à  la  Mer.     A  deux  lieues  du  Cap,  entre  lui  «Si  la  Pointe  de  ^entique^ 
qui  en  efl  à  dix  lieues,  on  trouve  une  profonde  Baie ,  fabloneufe  accommo- 
de pour  une  defcente,  au  fond  de  laquelle  elT:  une  grande  Vallée  de  trois 
lieues  de  long ,  qui  fe  nommQ  FaJderas  ^  ou  Val  d'Iris.    Une  belle  Rivière, 
qui  en  fort  pour  le  jetter  dans  la  Baie ,  reçoit  facilement  les  Chaloupes  ;  mais 
vers  la  fin  de  la  failbn  feche,  qui   comprend  Février,  Mars  &  une  partie 
d'Avril,  l'eau  n'efl  pas  fans  un  petit  goût  de  fel.     La  Vallée  efï  enrichie  de 
Pâturages  fertiles ,  mélès  de  Bois,  entre  Jefquels  on  voit  croître  uns  fi gran- 
de abondance  deGuaves,  d'Oranges  &  de  Limons,  qu'il  femble  que  la  Na- 
ture en  ait  voulu  faire  un  Jardin.     Les  Pâturages  font  remplis  de  Befl:iaux, 
fans  qu'on  y  découvre  une  Maifon. 

On  ignore  fi  c'ell  dans  la  Province  de  Chiametlan,  ou  dans  celle  de  Xa- 
lifco,  qu'il  faut  placer  la  Rivière  &  la  Ville  Indienne  âeRofariOy  dont  le 
même  Ecrivain  fixe  la  hauteur  à  vingt-deux  degrés  cinquante  minutes, &  le 
Village  maritime  de  Al7//ar/flw.  On  voit,  dit- il,  dans  l'intérieur  des  terres, 
une  Montagne  en  forme  de  pain  de  fucre,  au  Nord  E(l  Quart  de  Nord  ;  & 
vers  rOueft  de  cette  Montagne ,  on  en  découvre  une  autre  de  forme  longue, 
que  les  Efpagnols  nomment  Cabo  dcl  Cavallo. 

A  l'Eft  deRorario,il  trouva  la  Rivière  de  Saint-Jago^  où  l'on  peut  mouil- 
ler, près  de  l'embouchure,  à  fept  brafTes  d'eau  fur  un  bon  fond.  On  voit 
de-là,  fur  la  Côte,  à  trois  lieues  OueflNord  Ouefl,  un  Rocher  blanc,  nom- 
mé Maxcutelba-,  &  dans  le  Pays,  au  Sud-Eft,  la  haute  Montagne  de  Zelif' 
co  (rf),  dont  le  milieu  s'enfonce  en  forme  de  felle.  La  Rivière  de  Sant- 
Jago,  qui  efl  une  des  principales  de  cette  Côte,  eft  à  vingt-deux  degrés 
quinze  minutes.  On  y  trouve  dix  pies  d'eau  à  la  barre,  après  le  départ  mê- 
me 


(f)  Table    du  Sillage,    Tome  I.  page 
301. 
Crf)  Si  Zclifço  siï  une  faijte  d'Qithographe 


pour  Xalifco ,  comme  il  y  a  beaucoup  d'ap- 
parcnco,  il  fera  certain  que  tous  ces  lituj: 
font  de  cette  Province, 


/ 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.       457 

me  de  la  Marée.  Elle  n'a  guères  moins  d'un  demi  mile  de  large,  à  l'embou- 
chure;  &fa  largeur  augmente  au-delà,  par  la  jonftion  de  trois  ou  quatre  Ri- 
vières qui  s'y  jettent.  L'eau  en  eft  un  peu  falée;  mais  en  creulànt  deux  ou 
trois  pies  à  l'embouchure  même, on  trouve  de  l'eau  douce.  A  quatre  lieues 
de  la  Côte,  les  EPpagnols  ont  une  Ville  nommée  Sainte-Pecaque,  fituée  dans 
une  Plaine,  proche  d'un  Bois.  Sans  être  grande,  elle  efl  extrêmement  ré- 
gulière ;  &  la  plupart  de  fes  Habitans  font  leur  principale  occupation  de 
1  Agriculture,  à  la  réferve  de  quelques  Voituriers ,  que  les  Marchands  de 
Compoftelle  employent  au  fervice  des  Mines.  On  compte  vingt  &  une  lieues 
de  Sainte- Pecaque  à  Compoftelle ,  &  cinq  pu  fix  jufqu'aux  Mines.  L'argent 
de  ce  Canton,  &  généralement  celui  de  la  Nouvelle  Efpagne,  eft  eftimé 
plus  fin  que  celui  du  Pérou.  Les  Voituriers  de  Sainte-Pecaque  le  tranfpor- 
tent  à  Compoftelle  pour  y  être  rafiné ,  &  fourniflent  aux  Efclaves  qu'on  fait 
travailler  aux  Mines,  leur  provifion  de  Maïz,  dont  le  Pays  abonde.  On  y 
trouve  auffi  du  fucre,  du  fel  &  du  poiflbn  falé. 

Enfin,  c'eft  à  l'autre  extrémité  de  cette  Province,  ou  dans  la  partie  de 
celle  de  Mechoacan ,  qui  touche  auffi  à  la  Mer  du  Sud ,  qu'il  faut  placer  le 
Volcan  de  la  Ville  Efpagnole  de  Colimay  &  dont  le  même  Voyageur  fait  la 
defcription  fuivante.  {e)  „  Nous  vîmes  le  Volcan  de  Colima.  C'eft  une 
fort  haute  Montagne ,  vers  les  dix-huit  degrés  trente- fix  minutes  du  Nord, 
à  cinq  ou  fix  lieues  de  la  Mer,  &  au  milieu  d'un  agréable  Vallon.  On  y 
voit  deux  petites  Pointes,  de  chacune  defquelles  fortent  toujours  des 
flammes  ou  de  la  fumée.  La  Ville  du  même  nom  eft  dans  une  Vallée 
voifine,  qui  pafle  pour  la  plus  agréable  &  la  plus  fertile  du  Mexique. 
Elle  n'a  pas  moins  de  dix  lieues  de  large,  près  de  la  Mer,  où  elle  for- 
me une  petite  Baie.  On  alTure  que  la  Ville  eft  grande,  riche  &  Capi- 
tale du  Pays.  T. es  Efpagnols  ont  deux  ou  trois  autres  Villes  aux  envi- 
rons; entre  lefquelles  on  diftingue  Sallagua^  qui  eft  à  l'Oueft  de  la  Baie 
de  Colima,  avec  un  petit  Port  au  dix  huitième  degré  cinquante-deux 
minutes. 


Chequetan,  que  Dampier  nomme  auffi,  fans  en  déterminer  la  pofition, 
trouve  foigneufement  décrit  dans  le  Voyage  d'Anfon,  &  paroît  apparte- 


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DE  LA  Nou- 
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nir  au  Mechoacan.    ,>  Ce  Port,  ou  cette  Rade,  eft  à  dix-fept  degrés  trente- 

„  fix  minutes  du  Nord,  &  à  trente  lieues  d'Acapulco ,  du  côté  de  l'Oueft. 
„  Dans  l'étendue  de  dix-huit  iieues,  depuis  Acapulco,  on  trouve  un  Riva- 
„  ge  fabloneux,  fur  lequel  les  vagues  fe  brifent  avec  tant  de  violence,  qu'il 
eft  impoffibie  d'y  aborder.  Cependant  le  fond  de  la  Mer  y  eft  fi  net,  que 
dans  la  belle  faifon ,  on  peut  mouiller  fûrement  à  un  mile  ou  deux  du  Ri- 
vage. Le  Pays  eft  afl'ez  bon.  Il  paroît  bien  planté ,  rempli  de  Villages  ;  ' 
&  fur  quelques  éminences  on  voit  des  Tours ,  qui  fervent  apparemment 
d'Echauguettes.  Cette  perfi)e6live  n'a  rien  que  d'agréable.  Elle  eft  bor- 
née, à  quelques  lieues  clu  Rivage,  par  une  chaîne  de  Montagnes,  qui 
s'étend  tort  loin  à  droite  &  à  gauche  d'Acapulco.  Cinq  miles  plus  loin , 
on  trouve  un  Mondrain,  aui  fe  préfente  d'abord  comme  une  Ifle.  Trois 
miles  au-delà,  vers  l'Ouelt,  on  voit  un  Rocher  blanc  afl'ez  remarquable, 

{e)  Dampier ,  uVt  fuprà ,  page  368.  . ,      .       .    • 

XFIII.  Part.  R  r  r  ^ 


498        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


DUCBIPTION 
DE  LA  NOU* 
VILLE    ESFA- 


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à  deux  cables  du  Rivage,  dans  une  Baie  d'environ  neuf  lieues  d'ouvertu- 
re. Sa  Pointe  occidentale  forme  une  Montagne  qui  fe  nomme  Petaplan. 
C'efl;  projprement  une  Prefqu'Ifle ,  jointe  au  Continent  par  une  langue  de 
terre  baffe  &  étroite ,  couverte  de  brofluilles ,  &  de  petits  Rochers.  Ici 
commence  la  Baie  de  Seguataneio,  qui  s'étend  fort  loin  à  rOuefl  de  cel- 
le de  Petaplan,  &  dont  celle-ci  n'elt  qu'une  partie.  A  l'entrée  de  cette 
Baie,  &  à  quelque  diflance  de  la  Montagne,  on  découvre  un  amas  de 
Rochers,  blanchis  des  excrémens  de  divers  oifeaux.  Quatre  de  ces  Ro- 
chers, qui  font  plus  gros  que  les  autres,  &  qui  ont  alTez  l'apparence  d'u- 
ne croix,  s'appellent  ks  Moines  blancs.  Ils  font  à  l'Ouefl  vers  le  Nord 
de  Petaplan;  &  fept  miles  à  leur  Oueft,  on  entre  dans  le  Port  de  Che- 
quetan ,  qui  eft  encore  mieux  marqué  par  un  gros  Rocher  à  un  mile  & 
demi  de  fon  entrée ,  au  Sud-demi-quart-à-l'Ouefl;. 
„  Si  l'on  côtoie  la  terre  d'aflez  près,  il  eft  impoffible  de  ne  pas  reconnoî- 
tre  le  Port  de  Chequetan  à  toutes  ces  marques.  La  Côte  elt  fans  dan- 
ger ,  depuis  le  milieu  d'Oftobre  jufqu'au  commencement  de  Mai  ;  quoique 
dans  le  refte  de  l'année  elle  foit  expofée  à  des  tourbillons  violens,  à  de» 
pluyes  abondantes ,  &  à  des  vents  impétueux  de  toutes  les  pointes  du 
Compas.  Ceux,  qui  fe  tiendroient  à  une  diftance  confidérable  de  la 
Côte,  n'auroient  pas  d'autre  moyen  de  trouver  ce  Port,  que  par  fa  la- 
titude. Le  dedans  du  Pays  a  tant  de  Montagnes ,  élevées  les  unes  au- 
deflus  des  autres,  qu'on  ne  diftingue  rien  par  les  vues,  prifes  d'un  peu 
loin  en  Mer.  L'entrée  du  Port  n'a  qu'un  demi-mile  de  largeur.  Les 
deux  pointes  qui  la  forment ,  &  qui  préfentent  deux  Rochers  prefque 
perpendiculaires,  font,  l'une  à  l'égard  de  l'autre,  Sud-Eft  &Nord-Ouefl. 
Le  Port  eft  environné  de  liautes  Montagnes ,  couvertes  d'arbres ,  excep- 
té vers  rOueft.  Son  entrée  eft  fûre,  de  quelque  côté  qu'on  veuille  paf- 
fer  du  Rocher,  qui  eft  fitaé  vis-à-vis  de  fon  embouchure.  Hors  du  Port, 
le  fond  eft  de  gravier,  mêlé  de  pierres.  Mais  dans  l'intérieur,  il  eft  de 
vafe  molle.  La  feule  précaution  néceflaire,  en  y  mouillant,  regarde  les 
grofles  houles,  que  la  Mer  y  poufle  quelquefois.  La  Marée  eft  de  cinq 
pies,  &  court  à-peu-près  Eft  &  Oueft.  L'Aiguade  ne  paroît  qu'un  grand 
Etang,  fans  décharge,  &  féparé  de  la  Mer  par  le  Rivage.  11  eft  rempli 
par  une  fource,  qui  fort  de  terre,  un  demi-mile  plus  loin  dans  le  Pays. 
L'eau  en  eft  un  peu  faumache,  fur-tout  du  côté  de  la  Mer;  car  plus  on 
avance  vers  la  fource,  plus  elle  eft  douce  &  fraîche.  Cette  différence 
oblige  de  remonter  auffi  haut  qu'il  eft  poffible  pour  remplir  les  tonneaux. 
Quoique  cet  Etang  n'ait  aucune  communication  avec  la  Mer,  il  peut  en 
avoir  dans  la  faifon  des  pluyes  ;  &  Dampier  en  parle  comme  d'une  gran- 
de Rivière.  Cependant  le  terrein  eft  fi  bas,  aux  environs,  qu'il  doit  être 
prefqu'entiérement  inondé ,  avant  que  l'eau  puifle  déborder  par-deflus  le 
Rivage.  On  ceffe  ici  de  voir  des  Tortues ,  après  en  avoir  trouvé  une 
grande  abondance  devant  la  Baie  de  Petaplan.  La  terre  ne  fournit  gué- 
res  d'autres  animaux  que  des  Léfards,  qu'on  y  trouve  en  grand  nombre; 
&  qui  ne  font  pas  un  mauvais  aliment.  Tous  les  jours,  au  matin,  on 
apperçoit  fur  le  fable  de  l'Alguade,  les  traces  d'un  grand  nombre  de  Ti- 
gres; mais  loin  d'être  auÛi  dangereux  que  dans  l'Afrique  <&  l'Afie,  ils 

•  i  >»  n'atta- 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL 


499 


n'attaquent  prefque  jamais  les  hommes.  Les  Faifans  font  fort  communs 
fur  la  Côte  ;  mais  leur  chair  efl:  feche  3l  fans  goût.  On  y  voit  d'ailleurs 
une  grande  variété  d'autres  oifeaux  de  moindre  grofleur,  particulière- 
ment des  Perroquets ,  que  les  Anglois  tuoient  fouvent  pour  s'en  nourrir. 
Les  fruits ,  les  racines  &  les  herbages  y  font  rares.  Les  Bois  fourniflent 
quelques  Limons ,  des  Papas,  &  une  efpèce  de  Prunes.  La  feule  her- 
be, qui  mérite  d'être  nommée,  efl  la  Morgeline,  qui  croît  fur  les  bordi 
des  ruifleaux,  &  que  fon  amertume  n'empêche  point  les  Matelots  de 
manger  avidement,  parce  qu'elle  pafle  pour  un  anti-fcorbutique.  On 
prend,  dans  la  Baie,  diverfes  fortes  de  PoilTons,  telles  que  des  Ma- 
quereaux, des  Brèmes,  des  Mulets,  des  Soles  &  des  Homars.  C'eft 
le  feu!  endroit  de  ces  Mers,  où  les  A vanturiers  Anglois  ayent  pris  des 
Torpilles.  A  l'Oueft  du  Port,  on  trouve  une  Ville ,  ou  un  Bourg,  qui 
n'efl:  éloigné  que  de  deux  miles  de  l'endroit  où  le  chemin  fe  divile.  Du 
même  côté ,  le  Pays  eft  aifez  étendu ,  &  préfente  une  efpèce  d'ouver- 
ture, qu'on  prendroit  de  loin  pour  un  fécond  Port;  mais,  en  appro- 
chant ,  on  ne  voit  que  deux  Montagnes ,  qui  rendent  ce  terrein  comme 
double ,  &  qui  étant  jointes  par  une  Vallée  ,  ne  laiiTent  entr'elies  ni 
Port,  ni  Rade  (/)". 

Il  a  paru  néceffaire  de  rappeller  ici  cette  defcription ,  parce  que ,  de  l'a- 
veu de  tous  les  Voyageurs ,  la  connoiflance  du  Port  de  Chequetan  efl:  d'une 
extrême  importance  pour  la  Navigation.  C'eft  le  feul  mouillage  fur  pour 
les  Etrangers ,  dans  une  fort  grande  étendue  de  Côtes ,  à  l'exception  d'A- 
capulco ,  qui  eft  occupé  par  les  Efpagnols.  On  y  peut  faire  tranquillement 
de  l'eau  &  du  bois,  malgré  les  Habitans  du  Pays.  Les  Bois,  qui  l'environ- 
nent, n'ont  qu'un  chemin  étroit,  du  Rivage  aux  Terres  voifines  ;  &  ce  paf- 
fage  peut  être  gardé  par  un  Parti  peu  confidérable ,  contre  toutes  les  forces 
que  les  Efpagnols  font  capables  de  raflembler  dans  ces  Mers  {g). 

trait  du  Voyage  d'Anfon,  au  Tome  XV; 
mais  Mr.  Prevoft  ne  les  a  pas  données  dans 
l'Edition  de  Paris.  R.  d.  E. 
(g)  Ibidem. 


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DE    LA    NOO- 

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(/)  VojTîtge  d'Anfon ,  Tome  III.  pages 
399  &  précédentes.  On  a,  ci-defliis ,  la  Vue 
de  Chequetan  avec  celle  d'Acapulco. 

Nota.  Ces  deux  Vues  font  dans  nôtre  Ex- 


5.  vn. 

Audience  de  Guatimala, 


ON  donne  le  premier  rang ,  dans  cette  Audience,  à  la  Province  de  50- 
conufco,  qui  eft  bordée  au  Nord  par  celle  de  Chiapa,  à  l'Eft  par  cel- 
le de  Guatimala,  au  Midi  par  la  Mer  du  Sud,  &  k  l'Oueft  par  la  Province 
de  Guaxaca.  Sa  longueur  eft  d'environ  trente-cinq  lieues ,  à*peu-près  fur  la 
même  largeur.  Quoique  le  Pays  foit  ouvert  &  plat  (a),  on  n'y  connoît 
aux  Efpagnols  que  la  Ville  de  Soconufco.  Coaevatlan  eft  un  petit  Port ,  que 
les  Cartes  placent  à  dix-huit  degrés  de  latitude;  &  Scbutepequt,  une  grofte 
Bourgade  Indienne ,  dans  l'intérieur  des  terres  (6). 

La 


[ 


Soconufco, 
I.  Province. 


a")  Gage,  Part.  3.  page.  9.  Voyageurs ,  pour  la  connoWTance  de  cette  Cô- 

b]  Suppléons  à  ce  qui  manque  dans  les     te,  depuis  le  Port  de  Matanchel  dans  Xalif- 

Rrr  2  co, 


500 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


Dkscriwion       La  Province  de  Chiapa  eft  afTez  connue  par  la  Defcription  de  Gage,  qui 
DB  LA  Nou-  pfQÊta,  dic-il,  d'un  aflez  long  fejour  dans  la  Capitale,  pour  connoître  les 


II 


I    ■> 


co,  jufqu'à  rextrômité  de  Socomifco,  par 
la  mefure  des  diftances  qui  ont  été  annon- 
cées dans  le  Journal  de  Rogers ,  au  Tome 
XV.  de  ce  Recueil.  Edouard  Cooke 
obferve  quon  ne  trouve  aucune  defcrip- 
tion qui  aille  plus  loin  vers  le  Nord ,  Tome 
II.  page  309. 

De  Matanchel  ou  Maxantella ,  la  Côte 
court  au  Sud-Oueft  l'efpace  de  vingt  lieues , 
Jufqu'aux  Rochers  de  Ponteque.  A  quatorze 
lieues  au  Nord-Oueft-quart-d'Ousft  de  ces 
Rochers ,  on  rencontre  trois  Ifles  affez  gran- 
des &  une  petite,  dont  les  trois  premières 
fe  nomment  les  trois  Maries,  &  la  dernière, 
Baxa.  De  Ponteque ,  qui  eft  la  Pointe  d'une 
grande  Baie  ,  jufqu'au  Cap  Corriente  qui 
fait  l'autre  Pointe  ,  il  y  a  dix  lieues  en  tra- 
verfant  l'embouchure  de  la  Baie,  c'eft-à-dire 
d'une  Pointe  à  l'autre.  On  trouve  enfuite, 
fort  près  du  Cap,  un  petit  Port,  nommé /ax 
Salinas  del  Pilota ,  parce  qu'il  eft  voifm  de 
quelques  Salines ,  &  quatre  lieues  plus  loin , 
une  Pêcherie,  qui  appartient  à  la  Ville  de  la 
Purification.  De-Ià  on  rencontre  fucceflive- 
ment,dans  l'efpace  de  quatre  ou  cinq  lieues, 
les  deux  petits  Ports  de  Malaque  &  de  la 
Nativité.  A  fept  lieues  du  dernier,  on  arri- 
ve au  Port  de  Salagua,  qui  offre  une  petite 
Rivière  d'eau  douce.  Huit  lieues  plus  loin 
eft  la  Vallée  de  Colima,  dont  on  lit  la  def- 
cription dans  le  Journal  de  Dampier,  avec 
celle  de  plufieurs  autres  lieux  qui  font  ici 
nommés  (Voyc^  le  Tome  XV.  de  ce  Re- 
cueil).  On  trouve  enfuite  à  trois  lieues, 
la  Bourgade  Indienne  de  Pomero,  fituée  fur 
^  une  haute  Pointe,  &  fa  Rivière  d'eau  dou- 
ce, qui  ne  coule  qu'en  hiver.  Huit  lieues 
au-delà,  on  arrive  à  Tutapan,  Ville  Indien- 
ne  de  bonne  grandeur.  On  a  de-Ià  douze 
lieues  jufqu'à  la  Rivière  de  Sacatula ,  qui  eft 
accompagnée  d'une  Ville  Efpagnole  du  môme 
nom.  Iftapa  eft  une  Ville  Indienne.  Trois 
lieues  plus  loin  eft  le  Port  de  Seguataneio , 
ou  de  Cbequetan,  fuivi,  quatre  lieues  après, 
de  la  Pointe  de  Petaplan  ;  &  dix  lieues  au- 
delà,  de  celle  de  Tequepa,  après  laquelle  il 
ne  refte  que  dix-huit  lieues  jufqu'au  Port 
d'Acapulco.  De  la  Nativité,  jufqu'à  ce  der- 
nier Port ,  on  compte  ainfi  environ  quatre- 
vingts  lieues  de  Côte ,  fans  y  comprendre  ap- 
paremment les  détours  des  Baies. 

Rogers  n'entreprend  point  de  décrire  les 
Anfes,  les  Rivières  &  les  Ifles,  qui  fe  trou- 
vent entre  Acapulco  &  Puerto  Efcondido, 
dont  le  nom  vicat  d'une  petite  Iftc  qui  le 


couvre.    II  lui  fufiît,  dit-il,  de  les  nommer: 
Le  Port  Marquis  eft  une  petite  Baie,  qu'on 
découvre  par  quelques   Brifans  blanchâtres 
qui  s'élèvent  vis-à-vis  de  fon  entrée;  Pref- 
qtteria  de  Dom  Garcit  eft  une  Anfe  ou  une 
Rivière  fort  poiiToncufe;  Rio  de'Taquelame- 
na  &  Rio  de  Maffia  font  deux  autres  Riviè- 
res ;  les  Ifles  nommées  ^Icatraces  font  à 
l'embouchure  de  la  dernière..    On   compte 
d'Acapulco  au  Port  Marquis  deux  fort  peti- 
tes lieues.    Si  l'on  entre  de  ce  côté-là  dans 
Acapulco,  il  faut  Être  fur  fes  gardes  avant; 
que  d'arriver  à  Ptmta  del  Marquis ,  oii  le  ri- 
vage eft  haut  &  fabloneux.    On  doit  fe  tenir 
à  l'Eft  vers  la  chaîne  des  Montagnes  d'où 
l'on  voit  le  Port  Marquis;  ranger  enfuite  la 
Côte  jufqu'à  ce  qu'on  découvre  un  haut  Ro« 
cher  blanc  à  l'entrée  du  Port  d'Acapulco , 
avec  une  Iflc  pleine  d'éminences  rouges  ;  a- 
mener  la  Pointe  Eft  &  Oueft  avec  l'Ifle ,  & 
courir  droit  vers  le  Rocher  blanc.    Alors  on 
verra  le  Griffo ,  qui  eft  un  Banc  au  -  deflus  de 
l'eau,  dont  il  faut  fe  tenir  à  peu  de  diftan- 
ce;   &  l'on  y  trouve  aflez  de  ,.;ofondeur. 
On  doit  courir  enfuite  vers  P   ^ta  Morrillio , 
qui  eft  un  petit  précipice;  &  cette  route  con- 
duit à  Bocacbicca ,  ou  la  petite  Entrée ,  d'où 
l'on  voit  le  Château  &  la  Ville,  &  où  l'on 
peut   mouiller.    Mais    fi.  le  vent  de  Mer 
foufHe  avec  trop  de  violence ,  &  qu'on  ne 
putfle  pas  gagner  le  Port ,  il  faut  donner 
fond ,  &  attendre  la  brife  de  terre ,  avec  la- 
quelle on  eft  fur  d'y  entrer.    C'eft  un  ex- 
cellent   Havre,  &    un  fond  de   fable  net. 
Lorfqu'on  vient  de  la  Mer ,  droit  vers  Aca- 

f)ulco,  on  voit  plufieurs  Montagnes,  dont 
a  première  eft  un  peu  haute.  Celles  qui 
font  derrière  s'élèvent  les  unes  audelTus  des 
autres ,  &  la  plus  exhauflfée  a  un  Volcan  au 
Sud-Eft.  Le  Havre  eft  au  pié  de  ces  Mon- 
tagnes ,  couvert  par  une  Ifle  vers  le  Nord- 
Oueft ,  entre  laquelle  &  la  haute  Mer  il  y  a 
an  Canal.  L'entrée  au  Sud-Eft  eft  large.  Le 
plus  grand  danger  qu'on  y  trouve  eft  un  pe- 
tit Banc ,  qui  fe,  nomme  El  Griffo ,  dont  une 
partie  fe  montre  audcflus  de  l'eau.  Il  faut 
le  lailTer  fur  la  gauche,  à  une  petite  diftan- 
ce;  &ron  voit  deux  Rochers,  qui  s'élèvent 
à  quelque  hauteur  fur  le  rivage.  Voyez  ci- 
defliis ,  le  Plan  &  la  Defcription  de  ce 
Port. 

D'Acapulco  jufqu'aux  5arraneannax,  c'cft- 
à-dire  aux  Monticules,  on  compte  25 lieues. 
Ces  Monticules  font  au  nombre  de  15  ou  16. 
Toitt  le  rivage ,  dans  l'efpace  de  30  lieues  juf- 

q,u'à 


es  rouges;  a- 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  H.        5c. 

richeffes  &  le  Gouvernement  du  Pays  (c).  On  doit  fe  rappeller  que  dans 
la  Defcription  de  la  Province  de  Guaxaca ,  nous  l'avons  fuivi  jufqu'au  fom- 
met  des  Quelenes.  11  defcendit  delà  au  Bourg  Indien  âHAcapala^  fitué  fur 
la  même  Rivière  qui  paffe  à  Chiapa  dos  Indos.  Enfuite,  ayant  traverfé  Chta- 
p  el  RéaU  il  pafla  par  deux  petites  Villes  EPpagnoles  ,  nommées  Saint-Chrif. 
tophe  &  Saint-Philippe,  d'où  il  fe  rendit  à  Chiapa  dos  Indos,  qui  eft  à  douze 
lieues  de  l'autre. 

On  conçoit  d'abord  que  cette  Province  a  deux  Villes  principales,  qui  lui 
donnent  leur  nom ,  ou  dont  elle  tire  le  fien.  Quoique  dans  l'opinion  des  Ef- 
pagnols  elle  foit  une  des  plus  pauvres  de  l'Amérique, parce  qu'on  n'y  a  point 
encore  découvert  de  iVlines ,  ni  trouvé  de  fable  d'or  dans  les  Rivières ,  & 
qu'elle  n'a  aucun  Port  fur  la  Mer  du  Sud ,  Gage  alTure  qu'elle  l'emporte  fur 

beau- 


OE'CRIPTTOW 
DE  .LA    NOU- 

vem-r"  Espa- 
gne. 


!   .^ 


qu'à  Puerto  Efcondido,  eft  d'ailleurs  couvert 
de  monceaux  de  fable,  fans  aucun  Havre.  De 
ce  Port  à  Rio  de  Calera ,  on  compte  treize 
lieues ,  d'une  Côte  fort  faine ,  &  trente-une 
jufqu'à  Puerto  de  los   Angeles,  d'où  l'on 
en  compte  trente -huit    jufqù'aux   Salines. 
Mais ,  dans  l'intervalle ,  on  trouve ,  à  trois 
lieues  au  Sud-  Eft  de  Puerto  de  los  Angeles, 
une  Anfe  nommée  Calleita,  devant  laquelle 
eft  une  chaîne  de  Rochers  qui  s'étendent  une 
lieue  en  Mer.    Deux  lieues  plus  loin,  on 
rencontre  la  Rivière  de  Julien  CaroTco,  & 
un  Banc  à  demi-lieue  de  la  terre.    Un  peu 
plus  au  Sud-Eft  .    on  peut  mouiller  fûre- 
ment  fous  une  Ifle  nommée  Sacrificios.    A 
trois  lieues  de  Calleita,  on   arrive  à  Gua- 
tulco ,  Port  de  la  Province  de  Guaxaca ,  au 
Sud-Eft,    duquel  on  voit  une  Ifle  haute  & 
ronde,    qui  fe  homme  Tongolotatiga ,  éloi- 
gnée d'une  lieue  &  demie  du  Port ,  &  deux 
lieues  plus  loin  une  grande  Rivière  nommée 
Capalita.    A  fix    lieues  de   Capalita ,  tou- 
jours au  Sud-Eft,  on  trouve  le  Motro,  ou 
Pointe  &j4ytula.     L'ifle   à'Ifiapa   eft   fept 
lieues  plus  au  Sud;  &  le  Cap  de  Bamba  trois 
lieues  au-delà  de  cette  Ifle.    La  Côte  eft  ici 
fort  haute ,  avec  un  grand  Banc  d'une  lieue 
de  long,  qui  court  du  Nord  au  Sud. 

C'eft  dix  lieues  plus  loin ,  vers  l'Eft ,  qu'on 
trouve  les  Salines;  &  pour  marque  de  Mer, 
deux  grands  Rochers ,  fort  près  l'un  de  l'au- 
tre, où  la  terre  haute  fe  rejoint  &  court 
jufqu'à  Puerto  de  los  Angeles.  Des  Salines , 
à  Puerto  -  Ventofo ,  ainfi  nommé  parce  que 
le  vent  y  fouffle  avec  plus  de  violence ,  que 
fur  tout  le  rcfle  de  la  Côte ,  on  compte  qua- 
tre lieues.  Depuis  le  Port  Ventofo  jufqu'à 
la  Rivière  de  Tecoantepeque ,  on  en  compte 
auflî  quatre.  La  Côte  court  au  Nord-Oueft 
&  Sud-Oueft.  Entre  la  Rivière  de  Tecoan- 
tepeque &  la  Barre  du  Port  Mufqueito ,  il  y 
%  huit  lieues ,  &  la  Côte  court  i^oid-Oucft 


ôcSud-Ert.  De  cette  Barre  znCzp Bernai ,  on 
en  compte  fept  ou  huit  ,  Eft-Sud-Eft  & 
Oueft-Nord-Oueft.  Depuis  le  Port  du  Cap 
Bernai,  la  terre  commence  à  baiflêr,  &  ne 
s'élève  point  dans  le  Pays  ni  le  long  du  riva- 
ge, qui  eft  celui  de  la  Province  de  Soconuf- 
co.  Tout  l'efpace,  qui  eft  entre  Guatulco  & 
le  Cap  Bernai  ,  forme  un  Golfe  d'enviror» 

Quarante  lieues ,  qui  porte  le  nom  de  Golfe 
e  Tecoantepeque.    On  y  peut  mouiller  par 
tout ,  aflez  prés  du  rivage. 

Depuis  le  Cap  B'irnal  jufqu'à  celui  à'In- 
comienda,  on  comotc  fix  lieues,  &  la  Côte 
court  Nord-Oueft  oc  Sud-Eft.  De  la  dernière 
de  ces  Montagnes  à  celle  qu'on  nomme  le 
Volcan    de  Soconufco,   parce    qu'elle   jette 
eiTcAivement  des  flammes ,  il  y  a  fix  autres 
lieues ,  dans  la  même  direflion.   Incomienda 
n'eft  qu'à  trois  lieues  au  Sud-Eft  du  Port 
Bernai.    Du  Vo\can  k  las  Milpas ,  on  compte 
douze  lieues ,  Nord-Oueft  &  Sud-Oueft.    De 
las  Milpas  au  Volcan  de  Zapotielan^  on   en 
compte  huit  ,   &  même  gifement  de  Côte. 
De  ce  dernier  Volcan  à  celui  de  Saclantepe- 
que ,  il  y  en  a  fix  ,•  &  fept  de  celui-ci  à  celui 
{.V^tilan.  Enfuite  la  Côte  court  Oueft-quart- 
au-Nord-Oiieft  &  Eft-quart  au  Sud-Eft  juf- 
qù'aux Anabacas,  qui  terminent  vraifembla-' 
blement  la  Province  de  Soconufco ,  en  la  fé- 
parant  de  celle  de  Guatimala.    On  donne  le 
nom  d'Anabacas  à  de  petites  Plaines  divifées 
en  monticules ,  &  couvertes  de  petits  Buif- 
fons.    Le  rivage,  qui  eft  élevé,  &qui  fe  re- 
tire pour  former  une   Baie ,  offre  quantité 
de    beaux    arbres.    On   découvre ,  dans  le 
Pays ,  trois  Volcans ,  à  la  diftance  d'environ 
huit  lieues  l'un  de  l'autre;  &  c'eft  celui  du 
milieu  qui  fe  nomme  Zatipoclan.    Foyage  de 
IVoodes  Rogers ,  Tome  IL  pages  8   &  précé- 
dentes du  Supplément, 
(c)  Gage,  ubifuprà,  page  2,  Ch.  13. 

Rrr  3 


50Î 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


GN£. 


^ 


DtscaifTioM  beaucoup  d'autres  par  la  grandeur  de  fes  Villes  &  de  Tes  Bourgs:  fans 
va  LA  Nou-  compter  qu'étant  placée  entre  celles  de  Mexico,  deGuaxaca,  deSoconuf- 
VKLLE  t.^.?A.  ^^^  aeGuatimala,  de  Vera.Paz,  d'Yucatan,  &  de  Tabafco,  elle  tire  un 
grand  avantage  de  cette  fituation.  Le  même  Voyageur  ajoute  que  c'ell  de 
U\  force  ou  de  fa  foibkiTe  que  dépend  toute  la  Nouvelle  Efpagne ,  parce 
qu'on  y  peut  entrer  par  la  Rivière  de  Tabafco  &  par  l'Yucatan,  &  fe  trou- 
ver ainfi  comme  au  centre  de  cette  grande  Région  (d). 

La  Province  de  Chiapa  eft  divifée  en  trois  parties ,  qui  fe  nomment  Chia- 
pas les  Z'jques  &  les  Zeldaks,  La  première  contient  les  deux  Villes  de  Chia- 
pa; tous  les  Bourgs  &  les  Villages  (itués  au  Nord,  vers  les  Quelenes,  & 
à  rOueft  de  Comitlan;  la  grande  Vallée  ùq  Capanabajlla^  qui  s'étend  vers 
Soconufco,  &  qui  efl  arroiée  par  une  belle  Rivière,  forlie  des  Montagne» 
àQ  Cuchumatlancs ^  d'où,  fuivant  cette  Vallée,  elle  va  pafler  à  Chiapa  dos 
Indos,  &  fe  rendre  dans  la  Mer  du  Nord  par  la  Province  de  Tabafco,  dont 
elle  prend  le  nom.  (Quoique  l'air  de  Chia^ia  el  Real  &  de  Comitlan  foit  très 
froid ,  à  caufe  du  voilinage  des  Montagnes ,  il  efl  fort  chaud  dans  toute  la 
Vallée;  &  depuis  le  mois  de  Mai  jufqu'au  mois  de  Septembre,  elle  eft  fu- 
jette  à  de  grands  orages ,  accompagnés  de  tonnerres  elFrayans.  Sa  longueur 
eft  d'environ  quarante  miles,  fur  dix  ou  douze  de  large.  Le  principal 
Bourg,  qui  lui  donne  fon  nom,  contient  plus  de  huit  cens  Familles  Indien- 
nes. Celui  à' Izquintenango ^  qui  eft  fitué  au  fond  de  la  Vallée,  vers  le  Sud, 
c'eft-à-dire,  au  pié  des  Montagnes  de  Cuchumatlanes ,  eft  beaucoup  plus 
grand.  Le  Bourg  de  Saint-Banhelemi ^  qui  eft  à  l'autre  bout  vers  le  Nord, 
l'emporte  encore  car  fa  grandeur  &  par  le  nombre  de  fes  Habitans.  Tous 
les  autres  Bourgs  îbnt  fitués  vers  Soconufco,  où  la  chaleur  va  toujours  en 
augmentant ,  parce  qu'ils  approchent  plus  des  Côtes  de  la  Mer  du  Sud.  Une 
prodigieufe  quantité  de  Beftiaux,  qu'on  nourrit  dans  cette  Vallée,  le  Poif- 
fon  qui  fourmille  dans  la  Rivière,  le  coton,  principale  marchandife  du 
Pays,  le  maïz,  qu'on  y  cultive  de  toutes  parts,  le  gibier,  la  volaille, 
les  fruits ,  le  miel ,  le  tabac  &  les  cannes  de  fucre ,  y  mettent  tous 
les  Habitans  dans  l'abondance.  Mais  l'argent  y  eft  beaucoup  moins 
commun  que  dans  les  Provinces  de  Mexico  &  de  Guaxaca.  D'ailleurs 
cette  même  Rivière,  qui  répand  la  fertilité  fur  fes  bords  ,  eft  remplie 
de  Crocodiles ,  dont  les  dents  font  terribles  pour  les  Enfans  &  les  jeunes 
Beftiaux. 

Chiapa  des  Efpagnols ,  ou  Ctudad  RêaJ,  eft  une  des  moindres  Villes  de 
TAmérique  (e).  Elle  ne  contient  pas  plus  de  quatre  cens  Familles Efpa- 
gnôles,  avec  environ  cent  Maifons  Indiennes,  qui  font  jointes  à  la  Ville, 
&  qui  en  compofent  leFauxbourg.  Elle  n'a  point  d'autre  Paroifle  que  TE- 
glife  Cathédrale  ;  mais  on  )r  voit  deux  Couvens  d'Hcmmes,  l'un  de  Saint- 
Dominique  &  l'autre  de  Saint- François,  &  un  Couvent  de  Religieufes  afluz 
pauvres ,  qui  font  à  charge  aux  Habitans.  Le  principal  commerce  eft  en 
cacao,  en  coton,  &  quelquefois  en  cochenille,  que  les  Marchands  de  la 
Ville  vont  acheter  dans  ks  campagnes  voifines ,  &  qu'ils  paient  en  Mcrce- 
.  .   .-•  _;,  .,        ries. 

id)  Ibid.  Chap.  14.  •  -  •  .  '  , 

(e)  On  le  place  à  feize  dégrés  vingt  minutes  du  Nord.        ■»  •-  -'-.'    "'   ' 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       503 

ries.  Ils  ont  leurs  Boutiques  dans  une  feule  petite  Place,  qui  efl:  devant 
1  Eglife  Cathédrale ,  &  où  les  Indiens  vendent  aulîl  diverfes  fortes  de  dro- 
gues &  de  licjueurs.  Cependant  quelques  Marchands  plus  riches  vont  à  Ta- 
bafco,  d'où  ils  rapportent  des  marchandifes  d'Efpagne,  telles  que  des  vins, 
des  toiles,  des  figues,  duraifm,  des  olives  &  du  fer:  mais  ils  n'ofent  en 
prendre  beaucoup,  dans  la  crainte  de  ne  pas  trouver  à  s'en  défaire;  &  la 
plus  grande  partie  de  ces  petits  convois  efl:  deft:inée  aux  deux  Couvens 
d'Hommes ,  qui  font  les  Maifons  du  Pays  où  l'abondance  &  la  joie  régnent 
le  plus  (/).  Le  Gouverneur  ne  laifle  pas  de  s'enrichir  par  le  commer- 
ce du  cacao,  ^  fur- tout  par  celui  de  la  cochenille,  qu'il  fe  réferve  pref- 
qu'entiérement.  On  fait  monter  les  revenus  de  l'Evêque  à  huit  mille 
ducats,  dont  la  meilleure  partie  lui  vient  des  offrandes  qu'il  va  recevoir 
chaque  année  dans  l'es  gros  Bourgs  Indiens,  en  donnant  la  confirmation 
aux  En  fans  (g). 

Chiapa  dos  Indos  mérite  plus  d'éloges.  C'efl  une  des  plus  grandes  Vil- 
les que  les  Indiens  ayent  dans  toute  l'Amérique.  On  y  compte  au  moins 
quatre  mille  Familles,  &  les  Rois  d'Eipagne  l'ont  dillinguée  par  divers 
Privilèges.  Mais  quoiqu'elle  foit  gouvernée  par  des  Indiens,  elle  dépend 
du  Gouverneur  de  Chiapa  el  Real ,  qui  nomme  à  fon  gré  des  Officiers  de 
cette  Nation,  &  qui  doit  veiller  fur  leur  conduite.  Le  principal,  qu'on 
honore  aufli  du  titre  de  Gouverneur,  efl:  enpofleffion,  depuis  long-tems , 
du  droit  de  porter  l'épée  &  le  poignard.  Celui  qui  étoit  revêtu  de  cette 
dignité,  du  tems  de  Gage,  fe  nommoit  Dom  Philippe  de  Guzman.  Il  étoit 
fi  riche,  qu'ayant  gagné  un  procès  à  la  Chancellerie  de  Guatimala  pour  la 

.  défen- 


nB'cntPTioir 
HE   LA   Nou- 

V£LLP.     liiVX' 
O.NC. 


(/)  Les  Gentilshommes  de  Chiapa,  dit 
Gage  ,  paiTent  en  proverbe  pour  rcpréfenter 
des  Fanfarons ,  qui  font  les  grands  Seigneurs 
ou  les  Capables ,  quoiqu'ils  foyent  tout  à  la 
fois  pauvres  &  ignorans.  Ils  fe  prétendent 
tous  defcendus  de  quelques  Ducs  d'Efpagne 
ou  des  premiers  Conquerans.  Rien,  néan- 
moins, n'cft  fi  greffier  que  leur  efprit  & 
leurs  manières.  Les  principaux  portent  des 
noms  magnifiques,  tels  que  ceux  de  Cortez, 
de  Felafco ,  de  Tolède ,  de  Zerna  fit  de  Men- 
doze  :  ce  qui  n'empêche  point  qu'ils  ne  vi- 
vent très  pauvrement,  &  que  leur  unique 
occupation  ne  foit  d'élever  des  Beftiaux. 
Quelques-uns  demandèrent  à  Gage  fi  le  So- 
leil &  la  Lune  étoient  de  la  même  couleur 
en  Angleterre  tiu  à  Chiapa,  &  fi  les  Femmes 
d'Angleterre  portoicnt  leurs  Enfans  aufiî 
long-tems  que  celles  des  Efpagnols ,  &c. 
Ibid. 

(  g  )  L'Evêque  ,  dit  Gage  ,  qui  fe  nom- 
moit Dom  Bernard  Salazar  ,  me  pria  de 
l'accompagner  pendant  l'efpace  d'un  mois 
dans  la  vifite  des  Bourgs  qui  font  proche 
de  Chiapa ,  oii  il  me  chargea  de  tenir  le 
baffin  des  offrandes ,  tandis  qu'il  confîrmoit 
les  Enfans.    Comme  j'avois  foin,  avec  un 


autre  Chapelain,  de  compter  l'argent  avant 
que  de  le  porter  à  la  chambre  de  l'Evêque , 
je  trouvai  qu'à  la  fin  du  mois  il  avoit  reçu 
fcize  cens  ducuts ,  pour  les  feules  offrandes , 
fans  compter  fcs  droits  pour  la  vifite  des 
Confréries ,  qui  font  fort  riches  en  ce  Pays- 
là. ..  .  Je  vis  mourir  ce  pauvre  Prélat.  Le» 
l'emmes  de  la  Ville  fc  prétendent  fujettcs  à 
de  fi  grandes  foiblefles  d'eftomac ,  qu'elles 
ne  fauroient  entendre  une  Méfie  balïè,  & 
bien  moins  la  grand-McfTe  &  le  Sermon, 
fans  boire  un  verre  de  chocolat  chaud'  & 
manger  un  peu  de  confitures.  Leurs  Servan- 
tes leur  apportoicnt  du  chocolat  dans  TE- 
glife;  ce  qui  ne  le  pouvant  faire  fans  quel- 
que confuiion ,  l'Evêque  voulut  remédier  à . 
cet  abus.  Après  avoir  employé  inutilement 
les  voyes  de  la  douceur,  il  publia  une  ex- 
communication. Perfonne  ne  vint  plus  à 
TEglif  .■.  U  publia  une  autre  excommunica- 
'  tion  pour  faire  rentrer  tout  le  monde  dans 
le  devoir;  mais  on  n'en  fut  pas  moins  obfli- 
né  à  lui  defobéir;  &  pour  finir  cette  que- 
relle, on  prit  le  parti  de  le  faire  empoifon- 
ner.  Il  mouryt  en  demandant  pardon  à  Dieu 
pour  les  auteurs  de  fa  mort,  Ibid,  Ch.  16. 


DsscniPTioN 

l)B    1.A    NoU- 
VBLL.B     ]LtV\- 

ont. 


Pays  des 
Zoqiics. 


504         DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

défcnfe  des  privilèges  de  fa  Ville,  il  fit  faire,  fur  terre  &  fur  l'eau,  des 
l'^êtes  aulTi  magnifiques  que  celles  de  la  Cour  d'Efpagne.  Il  n'y  a  point  de 
Ville  où  l'on  trouve  autant  de  Noblefle  Indienne  c^u'à  Chiapa  dos  Indos. 
Comme  elle  cfl:  fituée  fur  le  bord  d'une  grande  Rivière,  c'elt  un  Théâtre 
continuel  où  les  Habitans  exercent  leur  courage  &  leur  adrefle.  Ils  font 
des  Flottes  de  bateaux ,  ils  combattent  entr'eux ,  ils  attaquent  &  fe  dtfen- 
dent,  avec  une  habileté  furprenante.  Ils  n'excellent  pas  moins  à  la  courle 
des  Taureaux,  au  jeu  des  Cannes,  k  dreflur  un  Camp,  à  la  Mufique,  à  la 
Danfe,  &  à  tous  les  exercices  du  Corps.  Ils  bàtiUent  des  Villes  &  des 
Châteaux  de  bois ,  qu'ils  couvrent  de  toile  peinte ,  &  qu*ils  afllégent.  Gage 
appréhende  que  les  Efpagnols  ne  fe  repentent  un  jour,  de  leur  avoir  infpi- 
ré  des  goûts ,  qui  peuvent  devenir  funelles  au  repos  de  la  Province.  Enfin 
ils  ont  aufli  des  Théâtres  &  des  Comédies ,  qui  font  leur  amufement  ordi* 
naire.  *  Ils  n'y  épargnent  point  la  dépenfe,  pour  traiter  les  Religieux  de 

.  leur  Ville  &  les  Habitans  des  Bourgs  voifms ;  fur-tout  aux  jours  de  Fête, 
où  leur  géncrofité  les  porte  à  rafPembler  une  multitude  de  Speflateurs.  La 
Ville  eu  riche,  par  le  commerce  &  l'indudrie  avec  laquelle  ils  cultivent 
tous  les  Arts.  On  n'y  manque  d'ailleurs  d'aucune  commodité  néceflaire  à 
la  vie.  Entre  un  grand  nombre  de  Religieux,  qui  s'y  font  formé  des  Eta* 
bliflemens,  ceux  de  Saint- Dominique  tiennent  le  premier  ran^  par  leur 
opulence  &  par  la  beauté  de  leur  Maifon.  Ils  ont,  à  quelques  lieues  de  la 
Ville,  deux  Fermes  à  fucre,  qui  en  fournirent  à  tout  le  Pays,  &  dans  cha- 
cune defquelles  ils  employent  au  travail  près  de  deux  cens  Nègres  &  quan* 
tité  d'Indiens.  Ils  y  font  élever  aufli  un  grand  nombre  de  Mulets  &  d'ex* 
cellens  Chevaux.  Chiapa  dos  Indos  n'a  befoin  que  d'un  air  plus  tempéré , 
pour  être  une  des  plus  agréables  Villes  de  la  Nouvelle  Efpagne.  Mais  la 
chaleur  y  efl;  exceffive  pendant  le  jour;  &  les  Habitans  n'ont  point  d'autre 
reflburce  que  la  fraîcheur  des  foirées ,  qu'ils  employent  aux  exercices  qu'ils 
aiment,  ou  à  fe  promener  dans  les  Allées  &  les  Jardins  qu'ils  ont  au  bord 
de  leur  Rivière. 

Le  Pays  des  Zoques ,  qui  fait  la  plus  riche  partie  de  la  Province ,  s'étend 
d'un  côté  jufqu'à  celle  de  Tabafco,  d'où  les  marchandifes  du  Pays  fe  tranf. 
portent  à  Vera-Cruz  par  la  Rivière  de  Grijalva.  Il  commerce  aufli  avec 
l'Yucatan  par  le  Havre  de  Port-Royal.  Mais  les  Efpagnols  y  vivent  dans 
la  crainte  continuelle  de  quelque  invafion,  à  laquelle  il  leur  feroit  difficile 
de  s'oppofer.  Gage  efl  perfuadé  qu'ils  n'ont  dû  leur  tranquillité,  julqu'à 
préient,  qu'à  la  chaleur  du  climat,  à  fincommodité  des  moucherons,  & 
peut-être  au  peu  de  profondeur  de  la  Rivière  de  Grijalva,  ou  Tabafco, 

Jiui  ont  empêché  les  Anglois  &  les  Hollandois  de  pénétrer  jufques  dans  le 
ein  du  Pays  ;  obllacles  légers ,  ajoute  le  même  Voyageur  ,&  qui  ne  dévoient 
pas  leur  faire  abandonner  unefi  belle  entreprife  (  A  ). 

Les  Bourgades  des  Zoques  ne  font  pas  grandes;  mais  elles  font  riches, 
parce  qu'elles  recueillent  quantité  de  foie,  &  la  meilleure  cochenille  de 
toute  l'Amérique.  On  y  voit  peu  d'Indiens  dont  les  Vergers  ne  foient  bien 
plantés  des  arbres  qui  nous  fourniirent  ces  deux  précieufes  marchandifes. 

Ils 

(h)  Ibidem.  Chap.  18.  ...  '  v:>    .  1:  ., 


.a 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Lrv.  II.       505 

Ils  font  des  tapis  de  toutes  fortes  de  couleurs,  que  les  Efpagnols  achètent 
pour  rEfpagnc.  Ces  ouvrages  font  d'une  beauté,  qui  pourroit  fervir  de 
modèle  aux  meilleurs  Ouvriers  de  l'Kurope.  Les  Habirans  des  Zoques 
font  ingénieux  &  de  fort  belle  taille.  Le  climat  ell  chiud  vers  l'a- 
bafco;  mais  l'intérieur  du  Pays  jouit  d*un  air  plus  tempéré.  Il  y  croît 
peu  de  froment ,  quoique  le  maïz  y  vienne  en  abondance.  Aulîi  n'y 
voit -on  pas  tant  de  Beftia'ix  que  dans  le  Pays  de  Chiapa;  mais  la  Volail- 
le &  le  Gibier  y  font  auflTi  communs  que  dans  aucune  autre  partie  du  la  Nou- 
velle Efpagne. 

Le  Pays,  qu'on  nomme  les  Zeldaks,  eflfitué  derrière  celui  des  Zoques. 
11  s'étend  depuis  la  Mer  du  Nord  jufqu'à  la  partie  de  Chiapa;  &  dans 
quelques  endroits,  vers  le  NordOuell,  il  touche  au  Canton  de  Comitlan. 
Vers  le  Sud-Oueft,  il  touche  à  des  Terres  Indiennes,  qui  n'ont  pas  encore 
reçu  le  joug  de  l'Efpagne ,  &  dont  les  Habitans  font  fouvent  des  courics  fur 
les  Indiens  foumis.  La  principale  Ville  des  Zoques  fe  nomme  Ococingo, 
&  iert  de  frontière  contre  ces  Barbares.  Ce  Pays  ell  ellimé  des  Efpa- 
gnols, parce  qu'il  produit  quantité  de  cacao,  qu'ils  recherchent  beaucoup, 
&  de  graine  d'achiote,  qu'ils  employent  à  colorer  le  chocolat.  Ce  qu'on 
nomme  Àchiotey  dans  la  Nouvelle  Efpagne,  efb  la  teinture  qui  fe  nomme 
Rocou  dans  d'autres  lieux,  ou  plutôt,  la  graine  dont  elle  fe  fait  (i).  Les 
Bv?fl:iaux,  la  Volaille,  le  Gibier,  le  Maïz  &  le  Miel,  font  fort  communs 
dans  les  Zoques.  Quoique  la  plus  grande  partie  du  Pays  foit  haute  &  mon- 
tagneufe,  Ococingo  efl  fitué  dans  une  belle  Vallée,  où  fe  réunilTent  plu- 
sieurs Ruifleaux  d'eau  douce,  qui  ont  fait  croire  ce  lieu  propre  à  la  cultu- 
re du  fucre.  Gage  y  vit  commencer  une  Machine,  dont  on  fe  promettoit 
autant  de  profit  que  des  Moulins  à  fucre  de  Chiapa  dos  Indos.  On  y  avoit 
femé  aufli  du  froment ,  qui  croît  fort  bien ,  &  dont  la  qualité  fe  trouve  ex- 
cellente. 

A  toutes  ces  lumières,  joignons  celles  qu'on  peut  tifer  de  la  route  de 
Gage,  depuis  Chiapa  dos  Indos  jufqu'à  l'entrée  de  la  Province  de  Guatima- 
la.  11  fe  rendic  le  premier  jour  à  Teopi/ca,  par  une  marche  de  (îx  lieues, 
C'efl  une  grande  Ville  d'Indiens,  qui  onc  non-feulement  une  fort  belle Egli- 
fe,  miis  une  très  bonne  Mufique.  Delà,  il  prit  le  chemin  de  Comitlan, 
autre  Ville  Indienne,  dont  il  ne  marque  point  la  difbaiice.  Huit  jours,  qu'il 
y  employa  fort  agréablement  à  fe  promener  dans  les  Bourgs  voilins  &  dans 
la  Vallée  de  Capanabaftla ,  lui  apprirent,  dit-il,  qu'on  n'y  ell  pas  moins 
verfé  dans  h  fcience  d'Epicure,  que  dans  les  meilleurs  Pays  de  l'Europe.  Il 
ajoute,  comme  on  l'a  déjà  fait  obferver,  que  les  Efpagnols  ont  appris  des 
Mexiquains  pluQeurs  manières  d'apprêter  les  viandes,  qu'ils  ignoroient  avant 
la  Conquête. 

De  Comitlan,  Gage  fe  fit  conduire  à  Izquintenango,  pour  fe  procurer 
diverfes  commodités ,  fans  lefquelles  on  ne  palle  pas  facilement  les  Monta- 
gnes de  Cuchumatlanes.  Cette  Bourgade  Indienne ,  dont  on  a  repréfcnté  la 
iituation ,  au  bout  méridional  de  la  Vallée  de  Capanabaftla ,  eft  une  des 
plus  belles  &  des  plus  riches  de  la  Province.    Comme  elle  eft  fur  la  route  de 

Gua- 
(t)  Ibidem» 

XVIIL  Part.  S  s  8 


nïscmpTTôft 

DR   i.A  Nou- 
velle   ESPA- 
ONK. 


Pays  de» 

Zcldalcs. 


Route  de 
Gage  de  Chia- 
pa a  Guati- 
mala. 


DXCRIPTION 
TE  LA  NOU- 
VELLK     EiFA- 

eut. 


506       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Guatimala,  tous  les  Marchands  du  Pays,  qui  font  le  commerce  avec  leurs 
Muleta,  y  paflent  continuellement,  &  rcnrichifll-nt  des  marcliandifcs  ou  de 
l'argent  des  Provinces  plus  éloignées.  On  y  trouve  quantité  d'cxccllen» 
fruits,  fur- tout  des  ananas.  La  Rivière,  qui  ne  fait  que  forcir  des  Mon- 
tagnes de  Cuchumatlancs,  ed  déjà  large  &  profonde  dans  cette  partie  de  la 
Vallée;  &  les  Bateaux,  qui  fervent  à  la  palfer,  font  une  autre  fource  de 
richefles  pour  les  llabitans.  Gage,  ayant  pris  fon  logement  chez  les  Reli- 
gieux de  fon  Ordre,  apprit  que  le  iîupérieur  de  cette  Maifon,  nommé  Jé- 
rôme de  Guerrera^  vcnoit  d'envoyer  fix  mille  ducats  à  la  Cour  d'EI'pîigne, 
pour  obtenir  l'Ëvéché  de  Chiapa. 

Les  fecours  qu'on  fe  procure  à  Izquintenango ,  pour  travcrfer  les  Mon- 
tagnes, font  un  Mulet,  un  lit  renfermé  dans  une  malle  de  cuir,  un  Indien 
qui  porte  la  provifion  de  chocolat  avec  les  udenciles  qui  fervent  à  le  Hiire, 
oc  trois  autres  Indiens  dont  l'unique  emploi  efl  de  faciliter  le  pallage  &  d'é- 
carter les  dangers.  Ces  Montagnes  paroilfent  fort  hautes  à  quelque  diftan- 
mais  le  chemin  n'y  feroit  pas  défagréable,  s'il  n'étoit  extrêmement  ra- 


ce 


boteux  dans  la  belle  faifon  &  remph  de  fange  pendant  la  faifon  des  pluycs. 
Le  premier  Village  qu'on  y  rencontre  fe  nomme  Saint- Martin.  On  s'y  ap- 
perçoit  que  l'air  y  eH  beaucoup  plus  froid  que  dans  la  Vallée  de  Capanabalt- 
îa.  Le  lendemain,  entre  ce  lieu  &  l'Habitation  fuivante,  qu'on  appelle  le 
grand  Cucbumatlariy  les  Guides  de  Gage  lui  montrèrent  la  fource  d'où  fort  la 
grande  Rivière  de  Chiapa  dos  Indos.  l'ous  les  Indiens  du  Pays  marquent 
de  l'emprefFement  à  fervir  ks  Voyageurs  ;  &  fuivant  fufage  établi  dans  la 
Nouvelle  Efpagne,  ils  leur  fournillent  gratuitement  des  vivres,  avec  l'u- 
nique foin  de  conferver  par  écrit  les  noms  &  la  dépenfe,  dans  unRegiftre 
public  qu'ils  préfentent  aux  Officiers  Royaux,  &  qui  leur  fait  obtenir  une 
ilédui^ion  proportionnée,  fur  les  impôts. 
C'est  dans  les  termes  de  Gage  qu'il  faut  achever  ce  récit.  „  En  palTant, 
dit- il,  pour  aller  au  prochain  Village,  je  ne  voulus  pas  fuivre  le  chemin 
ordinaire ,  non-feulement  parce  qu'il  falloit  faire  fept  ou  huit  lieues  fans 
trouver  le  moindre  rafraîchilTement ,  mais  parce  qu'on  ra'avoit  dit  qu'en- 
tre ces  Montagnes  il  y  avoit  une  Image  miraculeufe,  dans  un  Village 
d'Indiens,  nommé  Chiamla.  Je  n'avois  qu'une  lieue  de  détour;  &  quoi- 
que les  chemins  fuffent  très  rudes,  j'arrivai  à  Chiantla  vers  midi.  Ce 
Village  appartient  aux  Religieux  de  la  Merci ,  qui  n'auroient  pu  fubfifter 
dans  un  lieu  li  pauvret,  s'ils  n'avoient  eu  l'Image  à  laquelle  ils  attribuent 
(les  vertus  furprcnar.  tes ,  &  qui  leur  attire  fans  cefTe  un  grand  nombre  de 
Pèlerins.  Cette  dévotion  les  a  tellement  enrichis ,  qu'ils  fe  font  trouvés 
en  état  de  faire  bâtir  un  Couvent,  où  l'on  voit ,  dans  une  fomptueufe  E- 
glife,  l'image  qui  fait  le  fond  de  leur  revenu,  couronnée  d'or,  de  dia- 
mans  &  d'autres  pierres  précieufes.  Douze  lampes  d'argent  pendent 
devant  l'Autel.  Les  chandeliers ,  les  encenfbirs  &  les  autres  ornemeas 
de  même  métal,  les  dais,  les  tapiiferies,  enfin  un  air  de  magnificence 
dont  je  fus  frappé  >  nie  firent  dire  de  ce  Couvent  que  c'étoit  un  grand 
tréfor  caché  dans  les  Montagnes.  Pendant  tout  le  jour,  les  Religieux 
ne  m'entretinrent  que  des  miracles  de  leur  Image. 
„  Lë  lendemain,  ayant  repris  la  route  commune,  j'arrivai  au  dernier 

Vil. 


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ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  lî.       507 

„  Village  des  Cuchumatlanes,  qui  fc  nomme  Chautlan.  On  y  mange  d'ex- 
„  cellent  raifin  de  treille,  qui  me  fit  juger  que  fi  les  vignes  y  étoient  culti- 
„  vées ,  elles  donneroicnt  d'aulTi  bon  vin  qu'en  Efpagne.  Il  fe  tranfporte 
„  jufqu'à  Guatimala,  qui  eft  éloigné  d'environ  quarante  lieues.  Le  jour 
„  fuivant,  après  trois  lieues  de  marche,  je  commençai  à  découvrir  une 
„  Vallée  fort  agréable,  &  coupée  d'une  belle  Rivière.  Au  bas  de  la  Mon« 
„  tagne,  je  trouvai  le  Prieur  de  Scapula^  Bourg  voifin,  &  plufieurs  In« 
„  diens  du  Canton,  qui  m'attendoient  avec  des  ratraîchilTemens.  Leur  pre- 
„  mière  vue  me  Caufa  une  forte  d'horreur.  Ils  avoient  d'énormes  loupes, 
„  qui  leur  tomboient  du  menton;  &  celle  du  Prieur  étoit  fi  grande,  que 
„  lui  derccndant  jufqu'à  la  ceinture ,  il  ne  pouvoit  remuer  la  tête  que  pour 
„  regarder  le  Ciel.  11  me  dit  que  cette  incommodité  lui  venoit  d'avoir  bu, 
„  depuis  dix  ans,  de  l'eau  delà  Rivière,  &  que  la  plupart  des  Ilabitans 
du  Bourg  s'en  rclTentoient  comme  lui.    Ce  difcours  me  donna  tant  d'a- 


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DifcRiPTion 
De  i.\    Nou« 

V£Ll.lt    VmA' 
CMC. 


„  je  confentis ,  pendant  quatre  ou  cinq  jours  de  repos ,  à  prendre  du  cho- 
colat. Quoique  Chautlan  ne  foit  pas  un  lieu  riche,  on  y  trouve  pluficurs 
Marchands  Indiens  qui  font  le  commerce  du  cacao ,  &  qui  le  tirent  par- 
ticulièrement de  Suchutepeque  dans  la  Province  de  Soconufco.  D'autres 
trafiquent  en  vaiflelle  de  'lerre,  qui  fe  fait  dans  le  Canton;  «Se  en  fel, 
qu'ils  recueillent  le  matin  fur  les  bords  de  la  Rivière.  L'air  eft  fort  chaud 
dans  cette  Vallée,  parce  qu'elle  cfl  environnée  de  hautes  Montagnes. 
Entre  plufieurs  fruits  dont  on  vante  la  beauté,  il  y  croît  des  dattes, 
qu'on  n'eftime  pas  moins  que  celles  de  Barbarie. 
„  De  Scapula,  je  me  rendis  à  Saint -Andréa  grande  Bourgade  qui  n'en 
„  efl:  qu'à  fix  ou  fept  lieues,  &  qui  n'a  de  remarquable  que  l'abondance  de 
„  fon  coton ,  de  fes  Befl:iaux  &  de  fes  Coqs-d'Inde.  Elle  termine  la  Val- 
„  lée,  qui  efl:  bordée,  dans  ce  lieu,  par  une  fort  haute  Montagne.  Il  fal- 
„  lut  prendre,  le  lendemain,  une  route  fi  difficile,  pour  faire  neuf  gran- 
„  des  lieues,  qu'on  compte  de  Saint- André  à  Sacuaîpa.  Ce  Bourg,  qu'on 
„  nomme  2i\im  Sainte-Marie  de  Zoiaba^  me  parut  fuir  long-tems  devant 
„  moi,  fur-tout  lorfque  j'eus  commencé  à  le  découvrir  du  fommet  delà 
„  Montagne.  Le  chemin  va  toujours  en  ferpcntant;  &  je  frcmilTois,  en 
„  jettant  les  yeux  vers  la  Vallée,  de  ne  découvrir  de  toutes  parts  que  d'af- 
freux Rochers.  Quelques  Indiens  de  Zoiaba ,  que  je  fis  avertir  par  un 
de  mes  Guides,  vinrent  au  devant  de  moi  avec  deux  Mules.  La  def- 
cente  étoit  très  rude,  &  bordée  par  un  précipice  d'une  lieue  de  profon- 
deur. J'étois  porté  à  defcendre  à  pié:  mais  les  Indiens  m'ayant  raflii- 
ré ,  je  me  laifTai  perfuader  par  leurs  confeils.  Cependant  je  ne  fus  pas 
plutôt  monté  fur  une  des  Mules  qu'ils  m'avoient  amenées,  Si,  dont  ils 
m'avoient  répondu,  que  s'étant  cabrée  avec  beaucoup  de  furie,  elle  me 
précipita  le  long  des  Rochers,  c'efl:  à-dire  dans  le  chemin  d'une  mort 
inévitable,  fi  le  Ciel  n'eût  permis  que  je  fufle  arrêté  par  un  arbrifleau. 
Les  Indiens  fe  mirent  autfi-tôt  à  crier,  Miracle!  &  dans  l'opinion  qu'ils 
conçurent  de  ma  fainteté,  ils  fe  mirent  à  genoux  devant  moi  pour  me 

S  ss  a  .,  baifer 


508        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


DE<CRtPTION 

DE    L\    NOU' 

V£LLE     ESPA 

CNS. 


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3» 
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ii 
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1) 


baifer  les  mains.  Ceux  qui  arrivèrent  les  premiers  dans  le  Bourg  y  ré- 
pandirent le  bruit  de  mon  avanture,  qui  fit  prmdre  à  tous  les  Habitans 
la  même  idée  tle  moi.  Elle  me  valut  des  préfens  li  confidérables ,  qu'en 
faifant  le  compte  de  mes  richefles,  dans  le  Couvent  de  mon  Ordre,  je 
me  trouvai  quiir^nte  réaies  en  argent,  &  la  valeur  de  cette  fomme  en 
œufs,  en  miel,  en  étoffes,  en  fruits  &  en  volaille.  Le  Bourg  de Zoiaba 
ou  Sacualpa,  qui  efl;  le  dernier  de  la  Province  que  je  quittois,  me  parut 
riche  &  bien  peuplé  d'Indiens.  11  refte  cinq  lieues  d'un  Pays  plat,  mais 
défert,  jufqu'à  la  Montagne  qui  fépare  la  Province  deGuatimala,  de  celle 
de  Chiapa  (*)". 
Vera-Paz,  On  donne,  à  la  Province  de  Fcm-P^x,  environ  trente- cinq  lieues  de  long 
m.  Provi.i.:c.  fui-  la  même  largeur.  Elle  efl  bordée  au  Nord  par  l' Yucatan ,  à  l'Efl;  par  le 
Honduras  &  la  Province  de  Guatimala,  au  Sud  par  celle  de  Soconufco  &  à 
rOuefl:  par  celle  de  Chiapa.  C'efl:  un  Pays  montagneux  &  rempli  de  Bois , 
qui  produit  néanmoins  du  maïz  &  tout  ce  qui  efl  nécefTaire  à  la  vie.  Son 
nom  lui  vient  de  la  facilité  avec  laquelle  il  fe  foumit  aux  Efpagnols,  lorf- 
qu*ils  eurent  achevé  la  Conquête  de  Guatimala  &  des  Pays  voifins.  Cepen- 
dant il  efl  reflé ,  entre  cette  Province  &  celle  d' Yucatan ,  un  grand  nombre 
de  Barbares  qu'ils  n'ont  encore  pu  fubjuguer,  malgré  l'intérêt  qu'ils  ont  ?, 
s'ouvrir  un  chemin  de  ce  côté-là,  jufqu'à  Campcn,  Ville  de  l'Yucatan,  qui 
fourniroit  aux  Négocians  de  VeraPaz  &  de  Guatimala,  une  voie  plus  fûre 
que  le  Golfe,  pour  conduire  leurs  marchandifes  à  la  Havane.  Gage  racon^ 
te  qu'un  Religieux  de  fes  Amis ,  nommé  François  Moran ,  hafarda  de  tra- 
verler  avec  deux  ou  trois  Indiens,  tout  ce  Pays  jufqu'à  Campen,  où  il  trou- 
va quelques  Efpagnols ,  qui  admirèrent  fon  audace.  Etant  retourné  en  fuite 
à  Vera-Paz,  il  fe  loua  du  traitement  qu'il  avoit  reçu  des  Barbares;  mais 
comme  il  entendoit  leur  langue,  il  avoit  découvert  que  le  motif  qu'ils  a- 
voient  eu  pour  le  traiter  avec  tant  de  douceur ,  étoit  la  crainte  d'exciter 
les  Efpagnols  à  reprendre  les  armes  contre  leur  Nation.  Il  afTura  que  leur 
Pays  étoit  incomparablement  meilleur  que  la  partie  de  cette  Province ,  dont 
les  Efpagnols  font  en  poircfîîon,  &  qu'il  y  avoit  vu,  dans  une  belle  Vallée 
fur  le  bord  d'un  grand  Lac,  une  Ville  Indienne  qui  ne  contenoit  pas  moins 
de  douze  mille  Habitans.  La  connoifTance  qu'il  avoit  acquife  du  Pays  le 
fit  pafTer  en  Efpagne,  pour  engager  la  Cour  à  tenter  encore  une  fois  cette 

Con- 


(  k  )  Voyage  de  Thomas  Gage  ,  féconde 
Partie,  page  171  &  précédentes.  On  pafle 
fur  quelques  circondances  indécentes ,  aux- 
quelles ce  Voyageur  Jacobin  s'arrête  trop 
volontiers;  telles  que  le  confeil  qu'il  reçut, 
d'un  autre  Religieux  du  même  Ordre,  de 
recevoir  p.ir  politique  tous  les  honneurs 
que  les  Indiens  lui  rendoient.  „  Tant  que 
„  nous  palFcrons  pour  Saints,  me  difoit-il, 
„  nous  ferons  toujours  en  état  de  les  gou- 
„  verner,  &  de  difpofcr  de  leurs  perfonncs 
„  &  de  leurs  biens  Là-deflus ,  je  m'en  allai 
„  à  l'Eglifc,  &  m"aflls  avec  lui  fur  une  chai- 
„  fe,.  dans  le  Chœur,  rcpréfentant  le  Saint 


qu'ils  s'imaglnoient ,  quoiqu'on  vérité  j'c 
ne  fulfe  qu'un  miférable  Pécheur.  Aufll-tôf 
que  nous  eûmes  pris  place,  les  Indiens, 
tant  Hommes  que  Femmes  &  Enfans, 
vinrent  dans  le  Chœur,  trois  à  troi?, 
quatre  à  quatre,  &mème  des  Familles  en- 
tières ,  fe  mettre  à  genoux  à  mes  jim 
pour  recevoir  ma  bénédiftion ;  &  mayant 
baifé  les  mains,  Ils  me  faifoient  des  coin- 
plimens  à  leur  mode,  difant  que  leur 
Bourg  étoit  boni  du  Ciel  par  mon  arrivée, 
&  qu'ils  efpéroient  de  nouvelles,  gracue 
pour  leurs  âmes ,  fi  je  voulois  prier  poiu, 
eux"..  Ibiii.  pages  168  &  169. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  H.        509 


Conquête.  On  n'a  point  appris  que  Ton  zèle  aie  eu  le  fuccès  qu'il  s'étoit 
promis.  Mais  quoique  cette  barrière  fubfifte  toujours  entre  Vera-Paz  & 
l'Yucatan,  les  Efpagnols  de  Vera-Paz  ont  d'un  autre  côté  le  paflage  libre, 
pour  fe  rendre  au  Golfe,  d'où  ils  apportent  aflez  facilement  les  marchandi- 
fes  qui  leur  viennent  par  les  Vaifleaux  d'Efpagne  (/). 

La  Capitale,  que  nos  Géographes  nomment  auflî  Fera-Paz  y  &  dont  ils 
font  un  Siège  Épifcopal ,  porte  le  nom  de  Coban ,  dans  Gage,  &  n'avoit  plus 
d'Evéque  long-tems  avant  lui,  c'eft-à-dire,  il  y  a  plus  de  cent  trente  ans. 
Elle  ell  gouvernée  par  un  Alcalde  Major ,  qu'on  y  envoyé  d'Efpagne ,  & 
qui  ne  laifle  pas  de  dépendre  de  l'Audience  royale  de  Guatimala     Elle  n'a 
qu'un  feul  Couvent,  qui  efl;  de  l'Ordre  de  Saint-Dominique.    Quoiqu'on  ne 
compte  point  d'autre  Ville  dans  la  Province ,  il  s'y  trouve  des  Bourgs  afllz 
confidérables  pour  mériter  ce  nom,  fur- tout  dans  les  Montagnes  qu'on  nom-- 
me  Sacatepeques y  c'efl-à  dire  Montagnes  d'herbes,  qui  la  féparent  de  celle  de 
Guatimala.     On  en  diftingue  quatre ,  dont  le  premier,  qui  fe  nomme 5flf;2f- 
JacqneSf  contient  plus  de  cinq  cens  Familles.     Le  fécond,  nommé  Saint- 
tierre^  en  a  fix  cens.    Saint- Jean  ^  qui  efl:  le  troifième,  a  le  même  nombre; 
&  le  quatrième,  qui  s'appelle  Saint-Dominique  de  Senaco^  peut  en  avoir  en. 
viron  trois  cens.     Ces  quatre  Villages  font  très  riches.    L'air  efl:  froid , 
dans  les  deux  premiers.     Il  efl:  plus  chaud,  dans  les  deux  autres;  &  l'on  re- 
cueille aux  environs  beaucoup  de  froment  &  de  maïz.     Leurs  Habitans  ont 
une  réputation  de  courage  &  d'honneur.     Les  Eglifes  y  font  extrêmement 
riches;  &  Gage  parle  d'un  Indien  du  Village  de  Saint- Jacques,  qui  fans  a- 
voir  renoncé  à  l'Idolâtrie,  &  par  vanité  leule,  donna  fix  mille  ducats  à 
l'Eglife  du  Bourg.    Les  Marchands  de  ces  quatre  Habitations  gagnent  beau- 
coup à  louer  de  grands  panaches ,  qui  fervent  aux  danfes.    Cgs  panaches 
ont  fouvent  foixante  plumes  de  diverfes  couleurs  ;  &  le  loyer  de  chaque 
plume  efl:  d'une  demi-réale.     Depuis  le  Village  de  Saint-Jean ,  qui  efl:  le 
plus  avancé  au  Sud ,  on  ne  trouve  qu'un  chemin  agréable  jufqu'au  Village 
de  Saint- Raimond.    Mais  enfuite,  pendant  une  bonne  journée ,  il  faut  mon- 
ter &  defcendre  par  de  véritables  précipices ,  pour  arriver  au  bord  de  la 
même  Rivière  qui  pafle  dans  la  Vallée  deCapanabafl:la.    De-là ,  on  rencon^ 
tre  une  Montagne  fort  pierreufe,  où  l'on  a  taillé  des  marches  dans  le  Roc, 
pour  la  commodité  des  Mulets ,  qui  font  menacés ,  à  chaque  pas ,  de  tom- 
ber d'une  affreufe  hauteur.     Mais  ce  danger  ne  dure  pas  plus  d'une  lieue 
&  demie,  après  laquelle  on  rencontre  une  fort  belle  Vallée,  qui  fe  nomme 
Saint- Nicolas  y  &  qui  appartient  aux  Dominiquains  de  la  Capitale.     Cette 
Vallée  contient  le  grand  Bourg  de  Robinal^  compofé  de  plus  de  huit  cens 
Familles  Indiennes,  &  plufieurs  Fermes,  qui  s'enrichiflent  continuellement 
par  la  vente  d'un  excellent  fucre,  &  par  celle  d'un  grand  nombre  de  Che» 
vaux  &  de  Mulets.    On  y  trouve  tous  les  fruits  d'Efpagne ,  avec  ceux  des 
Indes,  du  maïz  que  la  terre  y  produit,  du  pain  de  froment  qu'on  y  apporte 
en  deux  jours  des  Bourgs  de  Sacatepeque,  toute  forte  de  Befl:iaux,  de  Vo- 
laille &  de  Gibier ,  &  quantité  de  PoiiFon ,  que  la  Rivière  oifre  continuel- 
lement.   Les  Habitans  de  ce  Bourg  reflfemblent  beaucoup  à  ceux  de  Ghia- 

pa- 
(/}  Gage,  Parc,  3.  pages  61  &  précédentes. 

Sss  3 


Description 

DE    LA    NOU- 
VEL!. E     EîP^A.- 


Description 
DE  LA  Nou- 
velle  Espa- 
gne. 


510        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

pa  dos  Indos .  par  leur  induftrie  &  leurs  goûts  d'amufemens.  Depuis  cette 
Vallée  jufqu'à  la  Capitale  ,  on  ne  rencontre  qu'un  feul  Village ,  nommé 
Saint  Chriftophe  ,  &  fitué  près  d'un  grand  Lac,  dont  on  attribue  la  forma- 
tion aux  tremblemens  de  Terre.  Delà  jufqu'à  Coban  ,  le  Pays  eft  mon- 
tagneux ,  fans  aucune  difficulté  qui  puilTe  couper  le  paflage  aux  Mulets. 
l  La  Province  de .  Guatimala  eft:  une  des  plus  grandes  &  des  plus  riches 
la  Nouvelle  Efpagne.  Depuis  fa  Capitale ,  qui  porte  le  même  nom  (;«) , 
ui  eft;  le  Siège  de  l'Audience  ,  fa  Jurifdiftion  s'étend ,  fuivant  Ga- 
l'efpace  de  trois  cens  lieues  au  Sud  vers  Nicaragua,  Colta-ricca 
eragua ,  cent  lieues  au  Nord  vers  les  Zoques  de  Chiapa ,  foixante 
"/"cra-Paz  &  Golfo  dolce  à  l'Eft:,  .&  dix  à  douze  à  fOueli,  vers  la 
I  Sud. 

is  Tecoantepeque,  dans  Guaxaca,  il  y  a  llx- vingts  lieues  de  Côte 
port,  jufqu'au  Havre  de  la  Trinité.  Cependant,  toute  cette 
fort  riche  parla  culture  de  l'indigo,  qui  pafle  dans  le  Golfe  de 
uras  pour  être  tranfporté  en  Efpagne ,  &  par  la  multitude  de  fes 
Beftiaux.  Mais  la  principale  partie  de  Guatimala  eft;  celle  qui  s'étend  à 
l'Eft  vers  Golfo  dolce,  grand  Lac  navigable  ,  qui  a  fon  embouchure  dans  le 
Golfe  de  Honduras.  C'eft  la  plus  fréquentée  des  Marchands  &  des  Voya- 
geurs ,  parce  que  Mexico  eft  à  trois  cens  lieues  au  Nord  de  la  Capitale  de 
cette  Province,  &  que  ce  Lac  n'en  eft;  éloigné  que  de  foixante,  fans  au- 
cun embarras  fur  la  route,  avec  l'avantage  d'ouvrir  une  voie  continuelle 
pour  le  commerce  avec  l'Efpagne.  Dans  le  cours  de  Juillet  &  d'Août,  il 
y  aborde  ordinairement  deux  ou  trois  Navires  qui  déchargent  leurs  mar- 
chandifes  au  Bourg  de  Saint-Thomas  de  Cajîille,  dans  de  grands  Magafins, 
bâtis  exprès  pour  la  confërvation  de  ce  dépôt.  Ils  fe  chargent  de  celles 
qu'on  y  envoyé  de  Guatimala ,  &  qui  attendent  quelquefois  leur  arrivée 
pendant  deux  ou  trois  mois.  Gage  admire  que  les  Efpagnols  ne  fortifient 
pas  mieux  l'entrée  du  Lac,  qui  cil  fans  cefle  expofé  aux  invafions  des  E- 
trangers.  lis  le  pourroient,  dit-il,  d'autant  plus  facilement  que  cette  en- 
trée eft 'retrécie  par  deux  Montagnes,  ou  deux  Rochers,  qui  s'avancent 
des  deux  côtés  à  la  portée  du  canon ,  &  qui  étant  capables  avec  un  pt;u 
d'Artillerie,  d'arrêter  toute  une  Flotte,  aflureroient  la  Province  de  Guati- 
mala, &  même  une  grande  partie  de  l'Amérique  Kfpagnole.  Le  Lac  for- 
me une  Rade  fi  fpacieufe,  que  mille  Navires  y  peuvent  être  à  l'ancrt-. 
Ceux,  qui  croyent  le  chemin  fort  difficile,  de  St.  l'homas  jufqu'à  Guati- 
mala, ignorent  qu'après  les  pluyes,  c'eft:-àdire  depuis  la  Saint  Michel  juf- 
qu'au  mois  de  Mai,  les  terres  font  fechées  par  le  vent.  D'ailleurs,  le  plus 
mauvais  tems  n'empêche  point  que  les  Mulets,  chargés  de  quatre  quintaux, 
ne  palfent  aifément  les  Montagnes  qui  bordent  le  Lac.  Les  routes  y  font 
fort  larges;  &  dans  l'efpace  de  q'iinze  lieues,  qui  en  font  la  plus  dange- 
reufe  partie,  on  trouve,  de  diftance  en  diftarice,  des  Loges  pour  fe  repo- 
fer,  des  Beftiaux  &  des  Mules  entre  les  Bois  &  les  Montagnes,  &  d'autres 
commodités  pour  le  foulagemtnt  des  Voyageurs.  Enfuite  le  chemin  s'a- 
doucit, on  y  rencontre  quantité  de  Villages  In.diens.     ÂcaJ'.ibaJtkn  eft  un 

grand 
(«0  On  la  place  à  quatorze  dégrés  cinq  iT.inutes  de  latitiuic  du  Norc'. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        5Î1 

grand  Bourg,  à  quinze  lieues  des  Montagnes ,  fitué  fur  le  bord  d'une  Ri-  DcscRiptroii 
vière  fort  poiflbneufe,  &  renommé  par  Tes  Beftiaux  &  Tes  Fruits.  Tout  le  J^:  ^'^  ^°"' 
rt'dedii  Pays,  jufqu'à  Guatimala,  eft:  fort  cultivé  («).  '"'^^cm^^^'^' 

Les  principales  Villes  de  la  Province,  après  la  Capitale,  font  S.  Salva- 
dor ^  S.  Miguel,  la  Trinité ,  Acaxittla,  Amatitlan^  Mixco,  Pinnola^  &  quel- 
ques autres.     Reprenons  Gage  à  Sacualpa,  ou  Zoiaba,  dernière  Bourgade 
tleChiapa,  pour  le  fuivre  dans  fes  oblervations.     Il  pafla  une  Montagne 
fort  pierreufe,  à  l'extrémité  de  laquelle  il  rencontra  un  Village  fitué  fur  la 
hauteur,  d'où  la  vue  s'étend  fort  loin  dans  un  Pays  très  fertile.     Ce  lieu, 
qui  fe  nomme  Saint- Martin ,  eft  le  premier  de  la  dépendance  de  Guatimala. 
On  arrive  enfuite  dans  une  belle  Vallée,  où  l'on  trouve  Chimaltenango,  un 
des  plus  grands  Bourgs  de  ce  Canton ,  &  célèbre  par  la  Foire  du  26  de 
Juillet,  qui  raOemble  une  infinité  de  riches  Marchands.     Une  lieue  plus 
loin,  la  Vallée  fe  reflerre  encre  des  Montagnes,  qui  ne  ceflent  point  de 
régner  des  deux  côtés  jufqu'à  la  Capitale,  mais  qui  n'empêchent  point  que 
le  chemin  ne  foit  fort  uni.     On  y  rencontre  un  autre  Bourg,  nommé  Xo- 
cotenaiigo,  d'un  fruit  eflimé  qui  s'appelle  XocottCt  ôc  qui  eft  une  efpèce  de 
prune  dont  tous  les  environs  font'  remplis.     Gage  n'eut  pas  fait  mille  pas 
hors  de  ce  Bourg,  qu'il  lui  fembla  que  les  coteaux  fe  féparoient,  pour  laif- 
fer  un  efpace  plus  libre  à  fa  vue.    Il  lui  reftoit  deux  lieues .  jufqu'à  Guati- 
mala, qui  n'eft  éloigné  de  Saint-Martin  que  d'une  bonne  journée.     La  ré- 
putation de  cette  Ville  lui  avoit  fait  juger  qu'elle  devoit  être  revêtue  de 
bonnes  murailles;  mais lorfqu'il  s'y  attendoit  le  moins,  il  fe  trouva  dans 
h  première  rue,  fans  avoir  pafle  la  moindre  porte.     Quelques  maifons  mal 
bâties  ne  lui  en  donnèrent  pas  une  bonne  idée:  cependant  il  entra  bientôt 
dans  une  rue  plus  large,  où  il  découvrit  un  magnifique  Couvent,  qui  étoit 
celui  de  fon  Ordre.     Cette  rue,  qui  fe  nomme  Saint  •Dominique  y  &  celle 
qui  la  précède,  ne  font  proprement  qu'un  Fauxbourg  de  Guatimala,  ou 
plutôt  un  refto  de  l'ancienne  Ville  (0).  '. 

Saint  Jacques  de  Guatimala, c'eft  le  nom  que  lui  donnent  les  Efpagnols, 
eft  fitué  dans  une  Vallée  qui  n'a  pas  tout-à-fait  une  lieue  de  largeur,  &  qui 
eft  bordée  des  deux  côtés  par  de  hautes  Montagnes.  Elle  s'élargit  un  peu  , 
au  delà  du  Fauxbourg  ou  de  la  vieille  Ville,  dans  le  lieu  où  la  nouvelle 
commence;  &  par  dégrés  les  Montagnes  s'écartent,  pour  lailfer  entr'elles 
un  Pays  fore  ouvert  jufqu'à  la  Mer  du  Sud.  Quoiqu'elles  paroifiTent  pen- 
dre fur  la  Ville,  du  côté  de  l'Orient,  on  y  a  fait  des  chemins  fort  commo- 
des. En  venant  de  Mexico  par  la  Côte  de  Soconufco  &  de  Suchutepeque , 
c'eft  à-dire  du  côté  du  NordOueft,  on  arrive  par  une  route  large,  ou- 
verte &  lab'.oneufe;  &  deméme  en  venant  de  l'Oueft:  mais  du  côté  de 
Cliiapii,  qui  eft  au  Nord- Eft,.  on  a  vu  qu'il  faut  palTer,  comme  de  celui. 


(n")  Gage,  troificme  Partie,  Chap.io. 

(o")  11  y  î'iiroit  peu  d'utilicé  à  tirer  des  a. 
vantures  monalliqucs  de  Gage,  qui  raconte 
ici  comment  il  fut  reçu  c'ans  fon  Couvent , 
ics  études  auxquelles  il  s'y  appliqua,  les  thc- 
fcs  qu'il  y  foutint  contre  lesjéfuitos,  le  choix 
qu'on  fit  du  lui  pour  enfeigncr  fucceffiveiuent 


de 


la  Philofophie  &  la  Théologie ,  &  pour  prô- 
cher  avec  commlinon  de  l'Evêque  ac  Mais 
on  en  doit  conclure  ,  comme  11  le  defirj^, 
qu'ayant  palfé  fcpt  années  en  divers  litux  de 
la  Province,  il  a  pu  mettre  autant  d'exaftitu- 
de,  qu'il  garantit  de  fidélité  daas  les  xcuiur- 
qucs,  Ihid.  Chap.  4. 


5i: 


DESCRIPTION    DU    MF.  XIQUË, 


Description  de  l'Eft,  entre  des  Monrarrnes.  Au  Sud  &  au  Siid-Ed,  le  chemin  cfl 
Pli  LA  Nou-  ijij^ucoup  plus  difficile.  C'cll  un  terrein  fort  rude  &  fort  elevc,  qui  eft  la 
^^^'gne.'*'*'  roure  de  Comayagua,  de  Nicaragua,  &  de  Golfo  dolce.  Les  deux  Mon- 
tagnes, q  .i  s'approchent  le  plus  de  la  Vallée  &  de  la  Ville,  portent  le 
nom  de  Volcans,  quoiqu'ilconvienne  peu  à  l'une,  qui  n'eft,  fuivant  l'ex- 
prcflTion  de  Gage,  qu'un  Volcan  d'eau;  mais  l'autre  efl:  un  Volcan  réel, 
qui  brûle,  &  qui  jette  du  feu.  Elles  font  à  peu  près  vis-à  vis  l'une  de 
l'autre,  des  deux  côtés  de  la  Vallée.  La  Montagne  d'eau,  qui  efl  du  cô- 
té du  Sud,  pend  prefque  perpendiculairement  fur  la  Ville;  celle  de  feu  efl 
un  peu  plus  bas,  &  plus  proche  du  Fauxbourg  ou  de  la  vieille  Ville.  La 
première  efl:  plus  haute  que  l'autre,  &  fort  agréable  à  la  vue  par  la  verdure 
dont  elle  efl:  prefque  toujours  couverte.  On  y  trouve  des  champs  femés 
de  blé  d'inde;  &  dans  quantité  de  petits  Villages,  qui  occupent  les  pentes 
&  les  fommets,  des  rofes,  des  lis  oc  d'autres  fleurs,  avec  une  grande  abon- 
dance d'excellcns  fruits.  Les  Efpagnols  lui  donnent  le  nom  de  Volcan 
d'eau,  parce  qu'il  en  fort  quantité  de  ruifleaux ,  vers  le  Bourg  de  Saint- 
Chriflophe,  &  qu'il  fe  forme  de  fes  eaux  un  grand  Lac  d'eau  douce,  pro- 
che d'Amatitlan  &  de  Petapa.  Du  côté  de  Guatimala  &  de  la  Vallée,  elle 
produit  un  fl  grand  nombre  de  Fontaines,  qu'elles  compofent  une  Rivière 
qui  court  dans  la  Vallée,  &  qui  fait  tourner  les  Moulins  de  Xocotenango. 
Cette  Rivière  n'étoit  pas  connue  au  tems  de  la  Conquête  (p).  Mais  au- 
tant que  la  Montagne  d'eau  a  d'agrément,  autant  rafpeft  de  l'autre  efl 
épouvantable.  On  n'y  voit  que  des  cendres,  &  des  pierres  calcinées.  Ja- 
mais il  n'y  paroît  de  verdure.  Nuit  &  jour,  on  y  entend  le  bruit  d'une 
efpéce  de  tonnerre,  que  les  Habitans  attribuent  aux  métaux  qui  fe  fon- 
dent. On  en  voit  fortir  des  flammes,  avec  des  torrens  de  foufre,  qui 
brûlent  fahscefle,  &  qui  rempliflent  l'air  d'une  mortelle  infeélion.  Ainfi 
Guatimala  efl:  fltué,  fuivant  le  proverbe  du  Pays ,  entre  le  Paradis  &  l'En- 
fer; fans  que  les  bouches  infernales  s'ouvrent  jamais  aflez,  pour  engloutir 
le  corps  de  la  V^ille.  Il  s'étoit  fait  néanmoins,  avant  l'arrivée  de  Gage, 
une  fort  large  ouverture,  par  laquelle  il  étoit  forti  tant  de  cendres  arden- 
tes, que  non-feulement  toutes  les  maifons  voiflnes  en  avoient  été  cou- 
vertes ,  mais  que  les  arbres  &  les  plantes  s'en  étoient  reflentis.  Une  nuée 
de  pierres  qui  les  avoient  accompagnées ,  n'auroit  pu  manquer  de  ruiner  la 
Ville,  fl  l'aélion  du  feu  les  eût  portées  vers  les  Edifices:  mais  elles  tom- 
bèrent à  côté,  dans  un  fond  (-ù  elles  font  encore,  &  où  ceux  qui  les  voyent 
ne  fe  lallent  point  d'admirer  que  h  feule  impétuolîté  des  flammes  ait  pu 
tranfporter  dçs  mafles  de  la  grofleur  d'une  maifon ,  que  vingt  Mulets, 
comme  on  l'a  tenté  pluficurs  fois  ,  n'ont  pas  la  force  de  remuer.  Cette 
violence  du  feu  n'ell  pas  toujours  égale;  &  celle  du  bruit  ne  1'  :fl:  pas  non 

plus; 


(p)  Gage  raconte,  fur  la  tradition  dos 
EipaRnols,  qu'en  1534,  une  Dame  nommée 
^■layie  de  Cajlille,,  qui  avoit  perdu  fon  Mari 
à  la  ,L;ucrie,  &  qui  avoit  vu  mourir  tous  fes 
Ent'ans  dans  le  cours  de  la  même  année, 
s'abandonna  aux  blafphômcs.  A  peine  eut- 
cllc  fini,  qu'un  i;ros  torient  d'eau ,  forti  du 


Volcan,  l'emporta,  clic  &  fa  maifon ,  &  for- 
ma  une  Rivière  qui  a  confervé  fon  cours.  La 
vieille  Ville  fut  alors  abandonnée  de  fes  Ha- 
bitans, qui  ai'èrent  s'établir  dans  le  lieu  où 
la  Ville  de  G'iatiiwala  el1:  aujourd  liai.  Jbid. 
Chap.  I,  licrrcra  fait  IcmOme  récit. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  ÎL         513 

plus:  n^ais  il  augmente  en  Eté ,  c'eft-à-dire,  depuis  Oftobre  jufqu'à  la  fin  Dtsenn-rrow 
d'Avril.  Gage,  qui  s'y  étoit  accoutumé  par  un  long  féjour,  ne  regarde  J|j^^^*  Zsvl' 
pas  moins  Guatimala  comme  la  plus  agréable  Ville  qu'il  ait  vue  dans  tous  onb. 
fes  Voyages.  Le  climat  y  eft  fort  tempéré.  Mexico  &  Guaxaca  ne  jouif- 
fent  pas  d'un  air  fi  fain,  &  ne  reçoivent  pas  avec  plus  d'abondance  toutes 
les  commodités  de  la  vie.  Il  n'y  a  point  de  Beftiaux ,  de  Volaille  &  de 
Gibier,  qui  ne  foyent  communs  dans  la  Province.  La  Mer  du  Sud,  le« 
Rivières ,  &  les  Lacs  d'eau  douce  fourniflent  toute  forte  de  Poiflbns.  Le 
Bœuf  y  eft  à  fi  bon  marché,  que  le  poids  de  treize  livres  &  demie  fe  don- 
ne pour  une  demi-rtiale;  c'eft-à-dire,  du  tems  de  Gage,  deux  fous  fix  de- 
niers de  France,  il  n'y  a  point  de  Fermes  où  l'on  ne  nourriiïe  une  pradi- 
gieufe  quantité  de  ces  Animaux.  Un  feul  Fermier,  connu  du  même  Voya- 
geur, en  comptoit  plus  de  quarante  mille  dans  fes  terres;  fans  y  com- 
prendre ceux  qu'on  nomme  Simarroties  ou  fauvages ,  qui  ne  quittent  point 
les  Montagnes ,  où  l'on  employé  les  Nègres  à  les  tuer ,  dans  la  crain- 
te qu'ils  ne  deviennent  incommodes  ou  dangereux  par  l'excès  du  nom- 
bre ((?)•. 

La  nouvelle  Ville  de  Guatimala,  n'efl  pas  fort  éloignée  de  l'ancienne, 
puifqu'elle  s'y  joint  par  la  rue  qu'on  a  nommée  Saint-Dominique;  &  fa  plus 
belle  partie  eft  celle  qui  touche  à  cette  efpèce  de  Fauxbourg.  C'eft  là  qu'on 
voit  les  plus  beaux  Edifices  &  les  plus  riches  Boutiques.  Il  s'y  tient  tous 
les  jours  un  Marché,  où  rien  ne  manque  pour  les  befoin^  &  l'agrément  de 
la  vie.  On  compte,  dans  toute  l'étendue  de  la  Ville  &  des  Fauxbourgs, 
environ  fept  mille  Familles,  entre  lefquelles  il  s'en  trouve  plufieurs  dont  le 
bien  monte  à  cinq  cens  mille  ducats.  AulTi  le  Commerce  y  eft-il  florifl'ant. 
Elle  tire  par  terre  les  meilleures  marchanclifes  de  Mexico,  de  Guaxaca,  de 
Chiapa ,  de  Nicaragua  &  de  Cofta-ricca.  Du  côté  de  la  Mer ,  elle  com- 
munique avec  le  Pérou,  par  le  Port  de  la  Trinité,  qui  appartient  à  la  Pro- 
vince, &  par  Realejo,  Port  de  Nicaragua  fur  la  même  Côte.  On  a  parlé 
de  fon  Commerce  avec  l'Efpagne,  par  Golfo  dolce  &  le  Golfe  de  Hondu- 
ras. Le  Gouvernement  de  toutes  les  Provinces  qui  l'environnent  dépend 
de  fa  Chancellerie ,  ou  fon  Audience.  Cette  Cour  eft  compofée  du  Gou- 
verneur, de  deux  Préfidens,  de  fix  Confeillers  &  d'un  Procureur  du  Roi. 
Quoique  le  Gouverneur  n'ait  pas  le  titre  de  Viceroi,  comme  ceux  de  la 
Nouvelle  Efpagne  &  du  Pérou,  fon  pouvoir  n'eft  pas  moins  abfolu.  Si 
fes  appointemens  ne  montent  qu'à  douze  mille  ducats  ,  il  peut  gagner 
le  triple ,  par  le  commerce  &  par  d'autres  voyes.  Les  autres  Officiers 
du  Tribunal  ne  reçoivent  point  annuellement  plus  de  quatre  mille  du- 
cats ,  de  la  recette  du  Domaine  ;  mais  les  préfens ,  dont  l'ufage  eft  éta- 
bli, font  regarder  leurs  Charges  comme  les  plus  lucratives  de  l'Améri- 
que Efpagnole  ,  quoique  celles  de  Mexico  &  de  Lima  paflent  pour  les 
plus  honorables. 

Guatimala  n'a  qu'une  Eglife  Paroillîale,  qui  fait  le  principal  ornement 
de  la  grande  Place;  mais  on  y  compte  un  grand  nombre  deCouvens.    Ceux 
des  Jacobins,  des  Cordeliers,  &  des  Pères  de  la  Merci  font  d'une  magnifi- 
cence 
(«)  lliti.  •      " 

XFU.  Pan.  T  t  t 


DucairTzoK 
PS  LA  Nou- 

VSLLB    Csj>A- 


514.    DESCRIPTION     DU    MEXIQUE, 

cence  extraordinaire,  &  contiennent  chacun  cent  R<.^Iigieux.  Le  revenu 
annuel  des  Jacobins  eH:  de  trente  mille  ducats.  Les  riciielFes  de  leur  Egli- 
fe,  en  or  &  en  argent ,  montent  à  cent  mille;  &  Gage  avoue  qu'il  ne  man- 
que rien  à  leurs  plaillrs  (  r  ).  Mais  quelque  riches  que  les  autres  foient  auOi , 
gucun  de  ces  Etabliflemen s  n'approche  de  celui  des  Dames  de  la  Concep- 
tion ,  où  l'on  ne  compte  pas  moins  de  mille  perfonnes,  foit  Religieufes  (  y  ) , 
ou  jeunes  Filles  qu'elles  indruifent,  ou  Domediques  employés  aies  fervir. 
A  Guatimala  comme  à  Mexico ,  les  richefTes  &  le  goût  du  luxe  font  régner 
le  vice  dans  toutes  les  conditions,  fur-tout  parmi  les  Femmes, fans  dillinc- 
tion  d'EfpagnoIcs  &  d'Indiennes. 

Gage  continue  de  donner  les  feules  lumières  qu'on  ait  fur  l'intérieur  de 
Ja  Province.  Il  place  entre  Acafabaftian  &  Guatimala  une  Rivière  nommée 
Jgua  Caliente,  qui  charioit  autrefois  de  la  poudre  d'or;  &  quatre  lieues  plus 
loin ,  vers  Guatimala,  celle  qui  fe  nomme  FaccaSyOii  quantité  de  Mulâtres, 
ui  nourriflent  des  Beiliaux  fur  fes  bords  ,  s'emploient  encore  à  chercher 
es  paille."  d'or  dans  le  fable.  De  la  Rivière  de  Vaccas ,  on  découvre  la 
plus  agréable  Vallée  de  la  Province,  à  (ix  lieues  de  la  Capitale.  Sa  lon- 
gueur eft  d'environ  cinq  lieues ,  fur  trois  ou  quatre  de  large.  On  y  re- 
cueille le  meilleur  froment  de  la  Nouvelle  Efpagne;  &  c'eft  de- là  qu'on  ti- 
re  tout  le  bifcuit  néceilàire,  pour  les  Vailfeaux  qui  viennent  chaque  année 
dans  le  Golfe  du  Mexique.  Cette  Vallée  porte  le  nom  de  M'ixcoikPinnola^ 
deux  groifes  Bourgades  fituées  vis-à-vis  l'une  de  l'autre,  aux  deux  extrémi- 
tés de  ce  grand  efpace;  Pinnola ,  du  côté  gauche  de  la  Rivière,  &  Mix- 
co,  de  l'autre.  Les  Négocians  Éfpagnols  y  font  ii  riches,  qu'un  des  Amis 
de  Gage,  nommé  Jean  Palomeque,  entretenoit  pour  fon  Commerce  trois 
cens  Mulets  &  une  centaine  de  Nègres.  On  trouve,  dans  la  Vallée,  tren- 
te  ou  quarante  Fermes,  d'où  l'abondance  fe  répand  dans  tous  les  lieux  vol- 
fms.  Le  feu  1  paifage  des  Voyageurs  &  des  Marchands  du  Pays  apporte 
beaucoup  d'argent  à  la  Bourgade  de  Mixco,  qui  ne  produit  d'elle-même, 
avec  le  froment,  qu'une  forte  de  terre,  dont  on  fait  de  la  vaiflelle  &  des 
uftenciles.  Les  Femmes  Créoles  mangent  de  cette  terre  à  pleines  mains, 
fans  ménager  leur  faute,  dans  la  féale  vue  de  paroîrre  plus  blanches;  quoi- 
qu'au  jugement  de  Gage  les  ne  parviennent  qu'à  fe  rendre  plus  pâles  (t). 
Pinnola  ell  célèbre  par  fon  Marché ,  où  l'on  trouve  ians  cefle  toute  forte 
de  viandes,  de  volaille  &  de  fruits.  Le  Nord  de  la  Vallée  n'a  que  des 
coteaux  femés  de  froment.  A  l'Ouell,  on  trouve  deux  autres  Bourgades, 
plus  grandes  encore  que  Mixco  &  Pinnola.  La  première,  qui  fe  nomme 
Petapa,  contient  environ  cinq  cens  Familles,  Efpagnoles  &  Indiennes,  «Se 

tire 


(r)  Il  fait  une  délicieufc  peinture  de  leur 
jiirdin. 

(s)  Gage  raconte  l'Hidoirc  d'une  jeune 
Religieufe,  nommée  Jeanne  Maldonado  de 
Paz,  qui  réuniiroit  toutes  les  perfections 
de  refprit  &  du  corps.  Elle  étoit  aimée  de 
l'Evoque  ,  qui  vouloit  la  faire  Abbefle  de 
fon  Rionaftère;  &  cette  entreprife  faillit  de 
wuter  du  fang,    Mais  pour  ne  prendre  de  ce 


récit  que  ce  qui  convient  à  mon  fujct,  cette 
belle  Religieufe  étoit  fi  riche,  des  préltns 
qu'elle  recevoit,  qu'elle  fit  bâtir  à  fes  fraix 
un  magnifique  appartement  pour  elle,  avtc 
des  galeries ,  &  un  jardin  particulier ,  où 
elle  étoit  ferviepar  fix  Négreflès.  Ibid.  pages 
25  &  fuiv. 
(«)  Hid,  page  46, 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL        gig 

tire  beaucoup,  d'avantages  d'un  Lac  voifin,  qui  fournit  d'exceHenc  PoifTon. 
C'efl  le  chemin  qui  conduit  de  la  Capitale  à  Comayaga,  SanSalvador,  Ni- 
caragua &  Cofta-ricca.  Elle  efl;  gouvernée ,  de  Père  en  Fils ,  par  une  Fa- 
mille qu'on  croit  defcendue  des  anciens  Rois  du  Pays  y  &  que  les  Efpagnols 
ont  honorée  du  noble  nom  de  Guzman.  Ils  n'accordent  point  au  Gouver- 
neur de  Petapa,  comme  à  celui  de  Chiapa  dos  Indos,  la  permiffion  de  por- 
ter  l'épée  ;  mais  entre  fes  privilèges ,  il  peut  nommer  chaque  jour  un  cer- 
tain nombre  d'Habitans  Indiens  pour  le  f  ervir  à  table ,  pour  lui  apporter  du 
poiflbn,  du  bois,  &  d'autres  commodités;  &  fon  pouvoir  n'eft  limite  que 
par  un  Religieux  Efpagnol,  qui  tient  le  premier  rang  après  lui,  &  dont  il 
efl  obligé  de  prendre  l'avis  &  le  confentement  dans  tout  ce  qui  regarde  l'ad- 
miniftration.  Gage  obferve  que  ce  Confeiller  Ecclefiaftique  vit  avec  la  ma- 
gnificence d'un  Evêque  (u).  Petapa  efl:  arrofé  d'une  petite  Rivière ,  qui 
augmente  la  fertilité  naturelle  du  Canton. 

Amatitlan,  féconde  Bourgade  à  l'Ouefl:  de  la  Vallée,  n'efl:  éloignée  de 
Petapa ,  que  d'une  lieue.  Les  rues  y  fojic  larges ,  droites  &  régulières.  L'E- 
glife  des  Dominiquains  pafle  pour  une  des  plus  belles  de  la  Province;  & 
leur  Couvent  ell  ii  riche  qu'ils  l'ont  érigé  en  Prieuré,  dont  l'autorité  s'é- 
tend fur  tous  les  Villages  de  la  Vallée.  D'Amatitlan,  le  chemin  qui  con- 
duit à  Guatimala  pafle  par  un  grand  Bourg  nommé  San-Lucar^  où  l'air  eft 
toujours  froid ,  fans  qu'on  en  connoiflfe  d'autre  raifon  que  la  fituation  de 
cette  Place ,  qui  efl:  fur  un  coteau  vers  le  Nord.  Elle  en  tire  l'avantage 
d'être  le  Magafin  du  Pays.  Non-feulement  le  blé  s'y  conferve  mieux  que 
dans  tous  les  Bourgs  de  la  Vallée;  mais  Gage  vérifia,  par  fa  propre  expé- 
rience ,  qu'il  y  augmente  contidérablement ,  &  que  fi  l'on  en  met  deux  cens 
boiflTeaux  dans  un  grenier ,  il  s'en  trouve  près  de  deux  cens  vingt  au  bout 
de  l'année.  Aulfi  SanLucar  n'efl:-il  compofé  que  de  granges ,  qui  s'appel- 
lent TrojaSy  &  qui  confifl:ent  dans  un  plancher,  haut  d'un  ou  deux  pies  & 
couvert  de  nattes,  fur  lequel  on  met  le  blé,  qui  fe  conferve  ainfi  deux  ou 
trois  ans  (ar). 

Dans  le  relie  du  chemin  ,  qui  n'efl:  que  de  trois  lieues  jufqu'à  la  Capita- 
le ,  on  rencontre  plufieurs  petits  Villages ,  qui  portent  le  nom  général  de 
MilpaSy  accompagné  de  celui  d'un  Saint,  &  dont  chacun  ne  contient  pas 
plus  de  vingt  maifons. 

Gage  achève  fa  defcription  par  celle  du  côté  méridional  de  la  Provin- 
ce, qu'il  parcourut,  en  fe  rendant  de  Petapa  au  Port  de  la  Trinité,  pour 
entrer  dans  la  Province  de  Nicaragua  par  Realejo.  Il  traverfa  d''i]i';r'l  un 
Pays  montagneux,  qui  le  fit  arriver  au  fommet  de  Sierra  redonda  c'eù-à- 
dire  la  Montagne  ronde ,  lieu  fort  renommé  par  fexcellence  de  fes  pâtani- 
ges,  où  l'ufage  du  Pays  efl:  de  conduire  les  Beft:iaux,  lorfqu'il  ne  refl:e  plus 
d'herbe  dans  les  Vallées.  Cette  Montagne  efl:  auflTi  d'un  grand  foulage- 
ment  pour  les  Voyageurs.  On  y  trouve  des  Hôtelleries,  qui  ne  manquent 
d'aucune  commodité ,  &  des  Fermes  où  fe  fait  le  meilleur  fromage  de  la 
Province.    Elle  efl:  à  cinq  lieues  de  Petapa.    Quatre  lieues  plus  loin ,  on 


DstciiipTiofr 
OB  LA  Nou- 
velle   EtVA< 
ong. 


rcn- 


{v)  Ibid.  page  49. 


(x)  Ibid.  page  5p. 
Ttt    2 


DE    LA    NOU 

T£LLE     ESPA 

GNB. 


516       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

DctcRiPTioN  rencontre  un  grand  Village  d'Indiens ,  qui  fe  nomme  Loi  Efclavos.  Quoi- 
BB  LA  Nou.  qyg  ^gj  Habitans  ne  foient  point  aujourd'hui  dans  l'cfclavage,  ce  nom 
s'efl  confervé  d'un  ancien  ufage,  qui  les  afluietinbit,  avant  la  Contjuête  ,  i 
porter  les  fardeaux  &  fur-tout  les  Lettres  de  ceux  d'Amatitlan:  iur  quoi 
Cage  obferve  que  le  nom  d'Amatitlan  eft  compofé  de  deux  mots;  Amaty 
qui  fîgnifie  Lettre  ^  &  Itlan^  qui  fignifie  A'»//?.  Il  ajoute  que  fous  le  règne 
des  Rois  ou  des  Caciques  qui  dépendoienc  de  l'Empire  Mexiquain ,  Ama- 
titlan  méritoit  en  effet  le  nom  de  Ville  des  Lettres ,  parce  qu'on  y  excel- 
loit  dans  l'art  d'écrire  fur  de  l'écorce  d'arbre;,  c'ell-à-dire  d'y  graver  les 
caraftères  hiéroglyphiques  qui  compofoient  l'écriture  de  cette  Contrée. 
Le  Village  de  Los  Efclavos  eft  fitué  proche  d'une  Rivière ,  fur  laquelle  les 
Efpagnols  ont  fait  bâtir  ua  fort  beau  Pont  de  pierre,  pour  la  feule  com- 
modité des  Marchand»  &  des  Voyageurs ,  qui.  n'y  pouvoient  pafler  fans 
péril  avec  leurs  Mules.  Dix  lieues  au-delà,  on  trouve  un  Bourg  nommé 
Aguacbapa^  fî  voifin  de  la  Mer  du  Sud,  que  Gage  arriva  le  même  jour  à 
la  Trinité. 

Ce  Port  {y)  eft  moins  renommé  par  fes  avantage*  maritimes ,  quoiqu'il 
foit  le  feul  où  les  grands  Vaifleaux  puiflent  aborder  fur  la  Côte  de  Guati- 
mala ,  que  par  une  efpèce  de  Volcan  qui  n'en  eft  éloigné  que  d'une  demi- 
lieue,  oç  que  les  Efpagnols  croient  une  des  bouches  de  l'Enfer  (z).  Ce 
n'eft  point  une  Montagne ,  comme  la  plupart  des  lieux  auxquels  on  donne 
le  même  nom  ;  au  contraire  le  terrein  en  eft  fort  bas  &  n'eft  voifin  d'aucu- 
ne hauteur:  mais  il  en  fort  continuellement  une  fumée  noire  &  épaifle, 
qui  jette  une  forte  odeur  de  foufre,  &  dans  laquelle  il  fe  mêle  fouvent  des 
flammes.  Les  Indiens  mêmes  n'ofent  s'en  approcher  ;  &  ceux  qui  l'ont 
entrepris  ont  payé  leur  hardielTe  par  une  mort  fubite,  ou  par  d'affreufes 
maladies  dont  ils  ont  eu  beaucoup  de  peine  à  fe  rétablir.  Un  Religieux, 
Ami  de  Gage,  n'ayant  pas  laiflé  de  tenter  l'avanture,  fut  arrêté,  à  la 
diftance  d'environ  deux  cens  cinquante  pas ,  par  l'épaifTeur  d'une  puante 
fumée ,  qui  le  fit  tomber  prefque  fans  force  &  fans  connoiflance.  Il  fe  re- 
leva néanmoins;  mais  il  revint  avec  une  fièvre  chaude,  qui  mit  fa  vie  fort 
en  danger  (a).  Gage,  qui  n'afpiroit  point  à  ces  téméraires  expériences, 
rend  témoignage  feulement  qu'il  vit  de  loin  beaucoup  de  fumée.  La  Tri- 
nité  eft  célèbre  auflî  par  fa  Poterie ,  qui  pafl'e  pour  meilleure  encore  que 
celle  de  Mixco. 

De-là  ,  fuivant  la  route  qui  conduit  à.  San-Salvador ,  on  arrive  par  qua- 
tre ou  cinq  lieues  de  marche  à  Cbalevapan^  grand  Bourg  d'Indiens.  San* 
Salvador,  ou  Cuzcatlan^  n'en  doit  pas  être  fort  éloigné j  puifque  dans  l'in- 
tervalle. Gage  ne  nomme  point  d'autre  lieu  où  il  ait  paffé  la  nuit.  Cette 
Ville,  dit-il,  eft  à  vingt-quatre  lieues  de  Guatimala.  Sa  grandeur  eft  à- 
peu-près  celle  de  Chiapa.  Elle  eft  peuplée  d'Efpagnols ,  fous  un  Gouver- 
neur de  leur  Nation,  avec  un  Couvent  de  l'Ordre  de  Saint -Dominique. 
De  hautes  Montagnes ,  qui  l'environnent  du  côté  du  Nord,  fe  nomment 
Chuntales;  &  les  Indiens  y  font  fort  pauvres.    On  cultive  des  cannes  de 

fucne 

{•>l)  Woodcs  Rogers  le  notfjtne  Sor^onate,  dans  fou  Supplément,  Tome II.  pagç  x, 
(2;)  Gage  4,  Pwtie,  Cliap.  2.  page  »'^Q,  C»)  ^^i^' 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.   H. 


51? 


j;icre  autour  de  la  Ville,  &  l'on  y  fait  même  de  l'indigo;  mais,  dans  les   DBsc«i^T:3jr 
principales  Fermes,  on  nourrit  des  Ikftiaux.     Dix  lieues  plus  loin.  Gage  "^j^^^*  ^^^"; 
arriva  fur  les  bords  d'une  grande  Rivière,  qu'on  nomme  Rio  de  Lcnipa.     11  j..   c:;2. 
obferve  comme  un  privilège  fingulier  de  cette  Rivière,  que  fi  l'on  a  com- 
mis quelque  crime,  ou  contrafté  des  dettes  du  côté  de  Guatimala  ou  de    • 
San-Salvador ,  on  eft  en  fiireté  fur  l'autre  bord,  qui  appartient  à  la  Provin- 
ce de  Nicaragua,  &  d'où  l'on  compte  dix  lieues  jufqu'à  6t.  Michel ^  premiè- 
re Place  de  .cette  Province. 

Mais,  en  fuivant  la  Côte,  les  deux  Provinces  font  féparces  par  le  Golfe 
à'Amapalîa  (Z>),  qui  s'étend  de  huit  ou  dix  lieues  dans  les  Terres.  On 
découvre  à  fon  entrée,  du  côté  méridional ,  la  Pointe  de  O^ima  ou Co/?u/- 
na,  &  les  Montagnes  de  St.  Michel  au  Nord-Ouefl:.  Cofivma  eft  à  douze 
dégrés  quarante  minutes  de  latitude  feptentrionale.  G'eft  une  Pointe  haute 
&  ronde,  qui  fe  préfente  comme  une  llle,  du  côté  de  la  Mer,  parce  que 
les  Terres  en  font  fort  balTes.  Les  Chuntales ,  ou  les  Montagnes  de  St. 
Michel ,  font  fort  hautes ,  mais  peu  efcarpées.     Les  Terres ,  qui  los  bor-  • 

nent  au  SudEft,  font  baltes  ik.  unies,  &  c'efl:  à  ces  Terres  balles  que  com- 
mence le  Golfe  d'Amapalla.  On  rencontre,  à  l'entrée,  deux  Ifles  alTez  con- 
lidérables,  l'une  à  deux  miles  de  l'autre,  dont  la  plus  méridionale  fe  nom-  « 

me  Mangera ,  &  l'autre  Amapalla.  Mangera  eft  ronde ,  &  d'environ  deux 
lieues  de  circuit.  Elle  paroît  comme  un  grand  Bois  environné  de  Rochers, 
avec  une  petite  Baie  fabloneufe  du  cb:é  du  Nord-Eft.  La  terre  en  eft  noi- 
re, peu  profonde,  &  mêlée  de  pierres,  qui  ne  l'empêchent  pas  de  produi- 
re de  fort  gros  arbres.  Les  Indiens  ont  une  Ville  au  centre,  d'où  l'on  fe 
rend  à  la  Baie  par  un  chemin  étroit  &  pierreux.  L'Ifle  d'Amapalla  eft  plus 
grande;  mais  fon  terroir  eft  à- peu-près  le  même.  Elle  contient  deux  Vil- 
les, l'une  au  Nord&  l'autre  à  l'Orient.  La  dernière,  qui  n'eft  pas  à  plu»  ,, 
d'une  mile  de  la  Mer,  eft  fituée  au  fommet  d'une  Montagne;  &  le  chemin, 
par  lequel  on  y  monte,  eft  fi  difficile,  qu'un  petit  nombre  d'Hommes  la 
défendroit  à  coups  de  pierres  contre  de  nombreufes  Troupes.  On  décou- 
vre au  milieu,  de  la  Ville  une  fort  belle  Eglife ,  que  les  Compagnons  de  Dam- 
pier  eurent  l'occafion  de  vifiter:  &  fur  leur  récit,  il  obferva  que  dans  tou- 
tes les  Villes  Indiennes  qui  font  fous  la  domination  des  Efpagnols ,  les  Ima- 
ges &  les  Statues  des  Eglifes  font  vêtues  à  l'Indienne;  au -lieu  que  dans  les 
Villes  où  les  Efpagnols  font  le  plus  grand  nombre,  elles  font  vêtues  à  l'Ef- 
pagnole.  La  Rade  de  l'ifle  eft  à  fOrient,  vis-à-vis  d'une  terre  bafle.  Un 
peu  plus  haut ,  on  peut  mouiller  auffi  fort  près  de  terre  au  Nord-  Kft'.  C'eft. 
le  lieu  que  les  Efpagnols  fréquentent  le  plus-,  &  qu'ils  nomment  Port  de 
Martin  Lnpez.  Le  Golfe  a  plufieurs  autres  Ifles ,  plus  bafles  &  moins  habi- 
tées; mais  il  a  fi  peu  d'eau  vers  le  fond.,  qu'il  eft  impoifible  aux.  Vaiifeaux. 
d'y  pénétrer  (c). 


(b)  Dampier  lui  donne  ce  nom,  d'une 
dû  fes  Ifles.  Woodea  Rogcrs  le  nomme  Fon- 
Jeca. 

(c)  Foyage  de  Dampier  autour  du  Monde, 
Tome  I.  pages  32  &  fuivantes.  Woodes 
Roirers  &  Cuoke  continuent  de  donner  les 


La> 

Tîiefures  de  la  Côte ,  &  de  nous  apprendre 
quelques  autres  noms  de  lieux.  Des  y^na- 
bacas  à  la  Barre  à'EJlapa ,  on  compte  en- 
viron vingt-trois  lieues  j  de  la  Barre  d'Efla- 
pa,  dix  lieues  a  la  Rivière  de  Meticalco;  Ae- 
cette  Rivière  au  Volcan  du  Sud  -  Elt ,  dix- 
Ttt  5  i-»**t. 


Pescbiftion 

I>E    LA    NOU. 

VCLLU     GSI'A- 

ONI£. 

Honduras, 
ou  llibucras, 
V.  l'rovihco. 


518        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

La  cinquième  Province,  qu'on  nomme  Honduras  &  Hibueras,  efl  fituce 
fur  le  Golfe  du  même  nom,  qu'elle  a  pri. (qu'au  Nord,  comme  elle  efl:  à- 
peu-prés  au  Sud-Ell  de  Guatimala,  à  l'Ell  de  Vera-Paz,  &  au  Nord-Eftde 
Nicaragua.  On  ne  lui  donne  [.as  moins  de  cent  cinquante  lieues  de  long, 
fur  quatre-vingts  de  large.  Dans  cette  étendue  elle  efl  prefgue  défeiLc, 
quoique  très  fertile  en  Maiz  &  en  Beftiaux;  mais,  fi  l'on  en  croit Barthele- 
mi  de  Las  Cafàs,  c'étoit  autrefois  un  des  Pays  les  plus  peuplés  de  l'Améri- 
que,  lorfqu'il  fut  découvert  en  1502  dans  le  quatrième  Voyagqde  Chriflo- 
phe  Colomb,  &  la  diminution  de  Tes  Habitans  ne  doit  être  attribuée  qu'à 
1' cruauté  des  Efpagnols.  Correal,  Voyageur  de  cette  Nation,  avoue  de 
bonne  foi  que  de  fon  tems  (d),  on  n'y  auroit  pas  trouve  quatre  cens  In- 
diens, capables  de  porter  les  armes;  que  le  fer,  le  feu,  le  travail  des  Mines 
&  les  rigueun  de  l'efclavage  en  avoient  fait  périr  un  nombre  infini,  &  que 
le  refl:e  s'étoit  fiiuvé  dans  des  Bois  &  des  Rochers  impénétrables.  Cepen- 
dant les  Efpagnols  ont  bâti  plufieurs  Villes  dans  cette  grande  Province.  Les 
principales  font  Truxillo,  Valladolid ,  ou  Comayaga,  Siège  Epifcopal ,  dont 
le  Prélat  porte  ordinairement  le  titre  d'Evêque  de  Honduras;  San -Pedro, 
Puerto  de  Cavallos ,  Naco  &  Triomfo  de  la  Cruz.  Gage  y  joint  Saint-Tho- 
mas de  Cafl:ille,  qu'il  traite  de  vieux  Château  ruiné,  &  le  Village  Indien 
de  Saint-Pierre,  qui  fervent  au  Commerce  entre  la  Province  de  Guatimala 
&  les  Vaifleaux  du  Golfe  de  Honduras  (e). 

Correal  fe  fuppolè  placé  à  la  Pointe  de  l'Yucatan  ,  pour  mefurer  la 
grandeur  du  Golfe.  Il  y  a  cent  lieues,  dit-il,  de  cette  Pointe  à  Rio  grande, 
donc  le  Cap  fait  l'autre  Pointe;  &  dans  l'intervalle  on  hi^Qpuntade  las  Mu- 

gcres 


huit  lieues;  &  dix-huit  jufqu'au  Port  de  Son- 
J'onate  ou  de  la  Trinité.  Entre  la  Barre  d'Kf- 
tapa,  &;  la  Trinité,  le  rivage  court  Oueft- 
quart-au-Nord-Oiiefl:  &  Eft-quart-au-Sud- 
Eft.  Il  y  a  une  Rivière  à  fix  lieues  de  celle 
de  Mcticalco.  Si  l'on  veut  mouiller  au  Port 
de  la  Trinité,  il  faut  cenir  la  droite,  où  la 
terre  cil  plus  bafle ,  avoir  toujours  le  plomb 
à  la  main,  jufqu'à  ce  qu'on  ait  douze  braffcs 
d'eau,  courir  droit  vers  les  Magafins,  & 
laifler  tomber  l'ancre  au  Sud-Eft;  avec  de 
grandes  précautions  néanmoins,  parce  qu'il 
y  a  plufieurs  Bancs  jufqu'à  la  hauteur  de  P«n- 
ta  de  los  Remédias,  qui  court  Nord  &  Sud. 
Depuis  ce  Havre  de  la  Trinité,  aux  Volcans 
Jfalcas,  quatre  lieues,  &  de-là  huit  à  Rio 
Lsinpa;.aii  Rio  Lempa  jufqu'à  la  terre  bafle 
d'Ibaltique ,  cinq  lieues ,  avec  des  bas-fonds 
6t  une  iVfer  rude.  Il  faut  courir  Efl-quart- 
au  Siid-Kft  pour  aller  à  la  Barre  d'ibaltique, 
qui  ell  quatre  lieues  plus  loin,  &  d'où  quel- 
ques lianes  s'avancent  plus  de  deux  lieues  en 
Mer.  Trois  lieues  à  l'Eft  au  delà  de  cette 
Pointe,  on  voit  ViMonU^inc  Ferrie l,  qui  eft 
d'une  hauteur  médiocre  ;  deux  lieues  plus 
loin ,  à  l'Eft ,  OQ  trouve  le  Volcan  de  Cotecu- 


lo  ;  &  trois  lieues  Nord  &  Sud  de  la  Barre 
d'ibaltique,  on  voit  un  autre  Volcan,  qui 
porte  le  nom  de  Saint-Michel.  l,à  efl  une 
Rivière  de  môme  nom  De  cette  Rivière  ;iu 
Port  Martin  Lopez ,  ou  El  Condadillo ,  environ 
dix-huit  lieues.  On  peut  connoître  ce  Port 
à  fes  rivages  blancs,  les  feuls  qu'il  y  ait  fur 
cette  Côte,  qui  fe  joint  ici  au  GoUc  d'Ama- 
palla.  De  cette  jonftion  à  la  Pointe  de  Cojî- 
vina,  il  y  a  neuf  lieues.  On  connoît  cette 
Pointe,  à  de  petits  Rochers  qui  vont  jufqu'au 
rivage.  D'ici  jufqu'à  la  Mefa. ,  ou  la  Table 
de  Foldan,  petite  Montagne  entre  Ojfivina 
&  Realejo,  on  compte  fept  lieues,  Oucfl- 
quart  au-Nord-Ouell;  &  route  Eft-quart  au- 
Sud-Eft;  de  Mefa  do  Voldan  aa\  ^Jexadocs , 
oa  Mix  Scieurs ,  quatre  lieues;  cell-à-dire 
environ  douze  de  la  Pointe  de  Cofivina  au 
Port  de  Rinicxa  ou  Realejo,  dans  la  Provin- 
ce de  Nicaragua.  Supplément  au  Foyage  de 
M'^u'jdes  Rogers,  Tome  II.  &  Foyage  d'E- 
douard Cooke ,  Tome  IL 
.  (d)  Voyages  de  François  Correal ,  pnge> 
83  6f  fuivantes. 
(e;  Ibidem. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IT.       515 

gères  &  la  Baie  <lc  V/lfcerfmu    Rio  grande  c(l  entre  fcizc  &  clix-TcpC  degrés  ncîcnifrr^if 

de  latitude  du  Nord.     De  Putita  de  ifivicrns,  qui  ell  au  fond  du  Golfe,  &  "^  j'*  .^'^"' 

qui  fcpare  l'Yucatan  de  Honduras,  Pays  habite  par  les  Indiens  libres,  il  y  ^^"''" 
a  trente  lieues  à  l'Eft  jufqu'au  Cap  de  rr^j  Puntat;  &  de  ce  Cap  on  compte 


VEt.I.R 


&  la  Ville  de  Gracias  à  Bios  ne  font  pas  tMoignés  de  San -Pedro.  De  Puerto 
Cavallos  au  Port  qui  le  nomme  Tiiowfo  de  la  Cruz  ,  il  y  a  trente -deux 
lieues.  On  rencontre  TnixillOy  à  cinquante  lieues  de  ce  dernier  Port;  & 
la  Cote  tourne  enfuite  au  Nord  -  Eft  jufqu'au  Cap  de  Honduras,  qui  ell 
proprement  l'entrée  du  Golfe,  du  côte  de  la  Province  dont  il  porte  le  nom. 
Cependant  il  refte  de -là  vingt  lieues  jufqu'â  Rio  grande  6c  au  Cap  de  Cnwa- 
run,  vers  lefquels  la  Côte  court  à  l'Eft;  &  c'cft  entre  cette  Pointe  &  celle 
d'Yucatan ,  que  Correal  a  compté  cent  lieues.  De  •  là  jufqu'au  Cap  de  Gra- 
cias à  Dios,  qui  eft  à  quatorze  dégrés  de  latitude  du  Nord,  il  y  a  foixante- 
neuf  lieues;  &  là  finit  la  Côte  de  Honduras ,  après  laquelle  on  trouve  cel- 
le de  Nicaragua.  Le  même  Voyageur,  rapportant  les  Colonies  Efpagno- 
les  à  l'ordre  des  tems,  nomme  Truxillo  pour  la  première,  Puerto  de  Ca- 
vallos pour  la  féconde  ,  San -Pedro  pour  la  troifième  ,  Gracias  à  Dios  pour 
la  quatrième,  &c. 

La  Ville  de  Truxillo  eft  fituée  fur  une  Colline,  à  peu  de  diftance  de  la 
Mer.  Gage,  qui  s'y  rendit  de  Coban,  Capitale  de  Vera-Paz,  dans  le  tems 
i^  le  les  Vaifleaux  d'Efpagne  arrivent  au  Golfe,  n'en  donne  pas  une  haute 
idée.  Cette  Place,  dit -il,  eft  fans  réfiftance,  comme  on  en  doit  juger  par 
la  facilité  que  les  Anglois  &  les  Hollandois  ont  eue  à  s'en  faifir.  Elle  eft  à 
quatre- vingt  ou  cent  lieues  de  Guatimala,  par  terre.  Le  Pays  eft  plein  de 
Bois  &  de  Montagnes ,  incommode  pour  les  Voyageurs ,  pauvre ,  &.  fans 
autres  marchandifes  que  des  cuirs,  de  la  cafle  &  de  la  falfepareille.  On  ne 
mange ,  autour  de  Truxillo,  que  de  la  calTave,  &  fi  féche,  que  pour  l'a- 
valler  on  la  trempe  dans  de  l'eau  ,  du  bouillon  ,  du  vin  ou  du  chocolat.  Le 
maïz  eft  plus  commun  du  côté  de  Valladolid,  ou  Comayaga,  qui  eft  la 
Ville  Epifcopale,  quoiqu'elle  n'ait  pas  plus  de  cinq  cens  Habitans.  Il  s'eft 
raflemblé,  dans  les  Campagnes  voifmes,  un  aflez  grand  nombre  d'Indiens 
'^ui  les  cultivent,  &  qui  ont  formé  plufieurs  Villages.  Cette  Contrée, 
ajoute  Gage,  me  parut  la  plus  pauvre  de  l'Amérique.  Sa  partie  la  plus  fai- 
ne, &  la  plus  commode  pour  les  Habitans ,  eft  la  Vallée  de  Gracias  à  Dios, 
qui  contient  quelques  riches  Fermes  de  Bétail  &  de  Froment  :  mais  comme 
elle  eft  auffi  proche  de  Guatimala,  que  de  Comayaga  &  de  Truxillo,  & 
que  les  chemins  font  beaucoup  plus  aifés  vers  Guatimala,  on  y  tranfporte 
plus  volontiers  ces  riches  produftions  (/). 

De  Honduras,  dit  Correal,  on  prend  par  les  Mines  de  Chalatecca  {g) 

pour 


Nota.  Voyez  la  Carte  des  Provinces  de  Ni' 
têragua  6f  Cojla-ricca,  au  Tome  XVI. 
R.  d.  E. 

(/)  Gage,  3-  Pa«-  Chap.  19. 
.  Is)  Les  (ieux  Pioviaces  font  réparées  par 


Nicaragua , 
VI.  Provincf. 


une  chaîne  de  Montagnes ,  que  Walfcr  nom- 
ine  Tegujigalpa,  &  qu'il  traite  aulfi  de  Pro- 
vince, riche,  dit -il,  en  Mines  d'argent,  làt», 
Juprà,  page  322.  ' 


'^^^ 


V..^. 


IMAGE  EVALUATION 
TEST  TARGET  (MT-3) 


1.0 


1.1 


liâ|28     12.5 

ë   làâ    12.0 


11^  iu 


1^ 

1.6 


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^'j"' 
^ 


Photographie 

Sdenœs 

Corporation 


23  WEST  MAIN  STREET 

WEBSTER,  N.Y.  MStO 

(716)872-4503 


5^0 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


OEscRiPTiort  pour  entrer  dans  la  Province  de  Nicaragua ,  qui  s'étend  jufqu'à  la  Mer  du 
DE  iJk  Nou-  gyj  Gage  y  entra,  comme  on  Ta  rapporté  d'après  lui,  par  Saint  •  Michel , 
^^"^"cNE.  "^^  première  Ville  de  la  Province  du  côté  de  Guatimala;  &  s'étant  embarqué 
fur  le  Golfe  d'Amapalla ,  il  arriva  le  foir  à  Realejo,  premier  Port  qui  fe 
préiente  fur  cette  Côte.  En  général,  cette  Province  pafle  pour  une  des  plus 
i)elles  de  la  Nouvelle  Efpagne.  Mai»  la  chaleur  y  eft  fi  grande,  qu'on  n'y 
peut  voyager  de  jour  en  Eté.  Il  y  pleut  l'efpace  de  fix  mois  ;  &  cette  fai- 
ibn,  qu'on  y  nomme  l'hiver,  commence  ordinairement  au  mois  de  Mai. 
I^  rede  de  l'année  fe  pafle  dans  une  continuelle  féchereffe;  ce  qui  n'empê- 
che point  que  la  cire,  le  miel,  &  les  fruits,  n'y  foient  en  abondance.  11 
s'y  trouve  de  fi  gros  arbres,  que,  s'il  en  faut  croire  un  célèbre  Voyageur, 
douze  Hommes  peuvent  à  peine  les  embrafler  (h).  On  y  voit  peu  de  gros 
Beftiaux;  mais  les  Porcs,  dont  les  premiers  y  font  venus  d'Efpagne,  ont 
extrêmement  multiphé.  Correal,  qui  paroît  avoir  obfervé  fort  foigneufe- 
jnent  le  Pays,  ne  croit  point  qu'il  ait  jamais  produit  d'or,  quoique  les  pre- 
miers Voyageurs  de  fa  Nation  fe  vantent  d'y  en  avoir  trouvé.  Maïs  il  con- 
vient que  l'abondance  &  la  tranquillité,  qui  régnent  dans  cette  Province, 
la  rendent  digne  du  nom  de  Paradis  terreftre  qu'on  lui  donne.  Aufli  les  Ha- 
bitans  y  font  ils  fort  voluptueux.  On  y  parle  quatre  Langues ,  dont  la 
principale  efl  le  Mexiquain,  qui  s'étend,  fuivant  le  même  Ecrivain ,  dans 
une.grande  partie  des  deux  Amériques;  il  ajoute,  dans  l'efpace  de  quinze 
cens  lieues  à  la  ronde  (i).  La  Capitale  de  Nicaragua  fe  nomme  Léon,  & 
fes  autres  Villes,  fur  la  Mer  du  Sud,  font  Grenade ,  Segovia  Nueva,  Nica- 
ragua,  Realejo  y  oa  Rialexa ,  Nicoya  ,  Mafoya^OM  Mafava,  Jaën  ôc  Porto  San- 
Juan ,  à  l'embouchure  du  Lac ,  fur  la  Mer  du  Nord. 

Léon  eft  fitué  {k)  entre  Realejo  &  Grenade,  à  la  diftance  d'une  jour- 
née de  ces  deux  Places ,  fur  le  bord  &  comme  à  la  naillance  d'un  grand 
Lac,  qui  traverfant  la  Province  dans  fa  plus  grande  longueur,  vafejctter 
dans  l'Océan  feptentrional ,  par  une  embouchure  qui  fe  nomme  le  Defagua- 
dore.  Les  Maifons  de  cette  Ville  font  fort  bien  bâties ,  mais  baflTes ,  parce 
qu'on  y  eft  dans  la  crainte  continuelle  des  tremblemens  de  terre.  On  en 
compte  plus  de  douz;2  cens,  la  plupart  accompagnées  de  jardins  &  de  beaux 
vergers.  Le  Commerce  des  deux  Mers  y  fait  régner  l'abondance;  &  la 
beauté  du  climat  fe  joignant  aux  commodités  de  la  vie,  pour  faire  un  heu- 
reux fort  aux  Habicans,  ils  s'abandonnent  à  la  moliefle,  dans  leurs  déli- 
cieux jardins ,  où  ils  pafTent  la  plus  grande  partie  du  jour  à  dormir,  à  nour- 
rir des  Oifeaux ,  à  faire  bonne  chère  du  Poiifon  du  Lac  ,  &  des  autres  pro- 
Uuélions  admirables  du  Pays.  Ce  voluptueux  repos  n'eft  troublé  que  par  I3 
crainte  d'un  Volcan  voifin  ,  qui  leur  a  fouvent  caufë  beaucoup  de  mal, 
quoiqu'il  foit  devenu  moins  ardent ,  &  qu'il  n'en  forte  aujourd'hui  que  de  la 
fumée  :  mais  elle  fait  juger  qu'il  y  refl:e  encore  du  foufre;  &  tôt  ou  tard  on 
,  {         -    s'attend  à  de  nouvelles  éruptions  (  /). 

De 


fé)  ODrreal,  ubifuprà, 

(t)  Ibidem. 
^  (  *  )  A  douze  dégrés  vingt  •  cinq  minutes 
de  latitude  du  Nord. 

(i)  Suif  âne  Gage  &  Coircal ,  pluGeurs 


Efpagnols  fe  font  imaginé  que  la  matière  du 
feu  étoit  de  l'or,  &  n'onr  pas  manqué  de 
faire  inutilement  de  grandes  reciierches ,  ubi 
fuprà.  Gage  raconte  qu'un  Religieux  de  la 
Merci  fie  faire  un  ctiaudron  fort  épais,  & 

qu  il 


DE    LA    NOU' 
VfLLE     EifK- 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  îl        521 

De  Léon  à  Grenade,  le  chemin  efl:  d'une  beauté  qui  caufe  de  l'admira-  P"5^"^'°î* 
tion  aux  Voyageurs;  &  tous  les  agrémens  de  la  nature  s'y  iroiivent  joints 
à  labondance.  Grenade  efl;  une  Ville  mieux  bâtie  encore  &  plus  peuplée 
que  Léon  (m).  Les  Négocians  y  font  plus  riches  ,  les  Kglilcs  plus  belles, 
&  les  Couvens  y  jouiflTent  d'un  immcnfc  revenu.  Gage  en  vante  quatre; 
deux  de  la  Merci,  un  de  Saint  François,  &  celui  des  Rcligicufcs,  qui  efl 
le  feul  de  ce  fexe ,  mais  dont  l'opulence  cft  extraordinaire.  L'Eglife  Paroif- 
fiale  l'emporte  fur  la  Cathédrale  de  Léon,  parce  que  l'Evêque  préfcre  le  fc- 
jour  de  Grenade  à  fon  Siège.  Le  principal  Commerce  de  cette  Ville  efl  à 
Carthagene,  à  Guatimala,  à  San -Salvador  ,  ôi.  à  Comayaga.  Le  même 
Voyageur  y  vit  entrer,  dans  un  feul  jour,  plus  de  trois  cens  Mulets,  qui 
venoient  de  San -Salvador  Ck  de  Comayaga,  chargés  d'indigo,  de  coche- 
nille &  de  cuirs.  Deux  jours  après,  il  y  en  vit  arriver,  de  Guatimala, 
trois  autres  troupes,  dont  l'une  portoit  les  revenus  du  Roi,-  la  féconde, 
une  grande  quantité  de  fucre ,  &  la  troiflème,  de  l'indigo.  11  ajoute  qu'au 
déparc  des  Frégates ,  Grenade  efl  une  des  plus  riches  Villes  de  l'Amérique 

fep- 


«ju'il  le  fit  dcfcendre ,  foutcnu  par  une  chaî- 
ne Je  fer,  dans  l'ouverture  du  Volcan  U 
clpcrou  de  le  retirer  plein  d'or  fondu;  mais 
la  force  du  feu  détacha  le  chaudron  &  le  fon- 
dit auflî- tôt.  Ibid. 

(m)  Outre  les  ravages  du  Volcan,  Léon 
eft  plus  cxpofe^  que  Grenade  aux  infultes  des 
Ennemis  de  l'Efpa.^ne  ;  témoin  le  malheur 
(]ti'il  eut  d'être  brûlé,  en  1684,  par  quel- 
ques Avanturiers  Anglois  Dampier  ,  qui 
étoit  de  l'expédition,  en  fait  un  récitqui  fcrt 
ù  faire  connoîtrc  mieux  ce  Canton  II  y  a, 
dit  -  il ,  au  Sud  -  Efl  de  Roaiejo ,  un  petit  brss 
de  Mer  qui  s'approche  de  Léon.  Nous  en- 
trâmes, à  la  pointe  du  jour,  dans  cette  An- 
le,  qui  efl:  extrôinement  ferrée,  &  fi  hafle 
des  deux  côtés ,  que  la  niarOe  couvre  les  deux 
rives.  Le  Pays  produit  des  manglcs  rouges, 
en  fi  grande  abondance  qu'il  n'y  a  pas  moyen 
d'y  paiTer  Au-delà  des  mangles  ,  les  Ifpa- 
gnols  ont  une  Redoute,  prés  de  la  Rivière, 
pour  empêcher  l'Lnnemi  d'y  faire  defcente. 
Quand  nous  fiimes  à  la  vue  de  la  Redoute , 
nous  finies  force  de  rames  pour  ga^jner  la 
terre.  Le  bruit  de  nos  avirons  donna  laliar- 
me  aux  Gardes,  qui  prirent  auflî-tôt  la  fui- 
te. Nous  defcendîmcs ,  pour  les  fuivre.  On 
fit  un  Détachement  de  470  Hommes,  pour 
marcher  droit  à  la  Place. 

La  Ville  de  Léon  efl.  à  vingt  miles  de  la 
Mer  dans  les  terres.  On  y  va  par  un  chemin 
uni ,  au  travers  d'un  Pays  plat ,  compofé  de 
grands  Pâturages ,  &  de  quelques  Bois  de 
haute  futaie.  A  cinq  miles  du  lieu  de  nôtre 
débarquement ,  il  y  a  une  Manufadlure  de 
fucre,  &  trois  miles  plus  loin  une  autre,  à 
deuK  miles  de  laquelle  on  rencontre  une  bel- 

Xyin.  l'art.  V 


le  Rivière,  qu'il  faut  pafiTer,  mais  q^ui  n'eft 
pas  fort  profonde.  Après  cette  Rivière,  on 
ne  trouve  d'eau  que  prés  d'une  Ville  Indien* 
ne,  qui  e  II  à  deux  miles  de  Léon.  De -là, 
le  chemin  efl  agréable,  fabiontux  &  étroit. 
La  Ville  de  Léon  efl  dans  une  Plaine,  à  peu 
de  dillance  d'une  haute  Montagne,  qui  vo- 
mit fouvcnt  du  feu  &  de  la  fuiiiée.  On  la 
voit  de  la  Mer.  Les  maifons  de  Léon  ne  font 
pas  hautes;  mais  elles  font  fortes,  grandes 
&  entourées  de  jardins.  Les  murailles  font 
de  pierre ,  &  la  couverture  de  tuiles.  11  y  a 
trois  Eglifes  ,  outre  la  Cathédrale.  Nôtre 
Compatriote  Gage,  qui  avoit  voyagé  dans  ce 
Pays,  en  parle  comme  du  lieu  de  l'Amérique 
le  plus  agréable.  A  la  vérité,  fi  l'on  confidè- 
re  la  fituatlon  de  la  Ville ,  il  fe  trouvera 
peu  de  Places  dans  rA.iiériqi.c  ,  que  celle- 
ci  ne  furpaflfe  pour  le  plaifir  &  la  fanté.  Le 
Pays  des  environs  efl:  fabloneux  &  boit  in. 
continent  les  pluies  ,  qui  font  fréquentes 
dans  ces  Contrées.  La  Ville  efl;  environnée 
de  pâturages  ;  de  forte  qu'on  y  a  l'avantage 
de  tous  les  vtnts  ;  ce  qui  épure  beaucoup 
l'air.  Elle  nell  pas  d'un  grand  Commerce. 
Auflî  n'eft-elle  pas  fort  riche  en  argent.  Ses 
richefl*es  confident  en  Befliaux  &  en  Canned' 
de  fucre.  On  dit  qu'on  y  fait  auflî  des  cor- 
des de  chanvre;  mais  cette  Manufiifture  doit 
être  à  quelque  diftance  de  la  Place;  car  je 
n'y  ai  rien  vu  de  femblable.  Dampier  conti- 
nue de  raconter  comment  les  Anglois  firent 
leurs  approches ,  la  réfiflance  qu'ils  trouvè- 
rent dans  la  Ville,  &  la  convention  à  laquel- 
le ils  la  forcèrent,  mais  qui  ne  les  empêcha 
point  d'y  mettre  le  feu  on  fe  retirant,  f'oja- 
ge  autour  du  Monde,  Tome  l.  Chap.  8. 

V   V 


VJtLLB     ESPA 
ONE. 


522       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

DifÇRirTioN  feptentrionale.  L'inquiétude  des  Ndgocians  pour  leurs  marchand ifes ,  qu'ils 
vlil'w  r»p!!'  craignent  de  voir  tomber  entre  les  mains  des  Ennemis  de  l'Efpagne  dans 
le  Golfe  de  Honduras,  porte  le  plus  grand  nombre  à  les  envoyer  par  le 
Lac  à  Carthagene;  &  fouvent  même  on  fait  prendre  la  même  route  aux 
revenus  de  la  Couronne.  Cependant  quoique  ces  Navires  faflent  voile  en 
afflirance  fur  le  Lac  de  Nicaragua,  leur  defcente  efl:  retardée  fi  long-tems 
par  la  chute  des  eaux ,  qui  les  oblige  fouvent  de  décharger  &  de  recharger, 
a  l'aide  des  Mulets,  dont  ils  fe  font  fuivre  pour  ti'anfporter  alors  une  partie 
des  tnarchandiles ,  que  cette  incommodité  détermine  les  plus  hardis  à  pren- 
dre  la  voie  du  Golfe  (  n  ). 

Segovie  &  les  autres  Villes  n'ont  rien  de  remarquable ,  à  l'exception 
de  Nicaragua,  qui  étant  fituée  fur  les  bords  du  Lac ,  vers  le  milieu  de  foii 
cours,  a  vis-à-vis  d'elle  une  très  belle  Ifle,  dont  un  Voyageur  vante  la  fer- 
tilité en  ouatte  ,  en  cacao  ,  en  teinture  d  ecarlate,  &  en  fruits  d'un  excel- 
lent goût  (0). 

Les  Ports  de  cette  Province  font  plus  célèbres  dans  nos  Relations.  Ce- 
lui qui  fe  nomme  Reakjo ,  ou  Riaîexa ,  efl  à  trente  lieues  de  Saint-Michel , 
à  quatre  de  Léon,  &  à  treize  de  la  Pointe  de  Cofivina.  Il  fe  fait  reconnoî- 
tre  par  fa  Montagne  ardente,  que  les  Efpagnols  nomment  Vokano  Vejo.  Il 
n'y  a  point,  aux  environs,  de  Montagne  fi  haute,  ni  de  la  même  forme; 
fans  compter  qu'elle  jette  de  la  fumée  pendant  tout  le  jour,  &  quelquefois 
des  flammes  pendant  la  nuit.  On  Tapperçoit  de  vingt  lieues  en  Mer  ;  & 
n'étant  qu'à  trois  lieues  du  Havre,  elle  en  fait  découvrir  aifément  l'entrée. 
Ce  Havre  efl  formé  par  une  petite  Ifle,  platte  &  baffe,  d'un  mile  de  long, 
&  d'un  quart  de  mile  de  largeur,  éloignée  de  la  Côte  d'environ  un  mile  & 
demi.  Les  deux  côtés  de  l'ifle  ont  leur  canal,  &  celui  de  l'Occident  efl 
k  plus  flir.  Cependant,  à  la  pointe  de  l'ifle,  vers  le  Nord-Oueft,  l'eau 
efl  fi  baffe,  que  les  Vaifleaux  doivent  s'en  garder.  Du  côté  de  l'Orient, 
le  Canal  efl  moins  large ,  &  les  Courans  y  font  fi  forts  qu'il  n'y  a  jamais 
de  fureté  pour  la  Navigation.  Deux  cens  voiles  feroient  à  l'aife  dfans  le 
Havre.  Le  mouillage  efl  prés  de  la  terre ,  fur  un  fond  de  fable  clair  & 
dur ,  à  fept  ou  huit  brafTes  d'eau.  La  Ville  du  même  nom  en  efl  à  deux 
lieues  ;  &  l'on  peut  s'en  approcher  par  deux  Anfes,  qui  baiffent  du  même 
côté.  La  plus  occidentale  defcend  derrière  la  Place,  &  l'autre  conduit  juf- 
qu'au  pié  des  murs  ;  mais  le  pafTage  a  fi  peu  de  largeur,  &  fes  bords  font  fi 
couverts  de  mangles ,  que  l'accès  n'en  efl  pas  plus  facile  aux  Chaloupes 
qu'aux  VaifFeaux  {p). 

A  trois  lieues  au-defTus  de  Realejo,  on  trouve  un  grand  Bourg  d'In- 
diens, que  Gage  nomme  la  f^eja^  &  Rogers,  Pueblo  vejô{q),  dans  lequel 
Waffer  alFure  qu'on  ne  compte  pas  moins  de  vingt  mille  Ames.  On  y  voit , 
dit -il,  dans  un  Couvent  de  Saint  François ,  une  Image  de  Nôtre- Dame, 
dont  les  fréquens  miracles  donnent  encore  plus  de  célébrité  à  ce  lieu  que  le 
nombre  de  fes  Habitans. 

-       Ni- 


[ »)  Gage,  Ibidem. 

^  0  )  Lionnel  WafFer ,  ubi  fuprà ,  pag.  Jao, 

[#)  Dampier,  ubi/uprA,  pagç  129. 


(a)  Supplément  Je  Rogers,  pageia. 
idu  '        -  -   -    • 


Le 


Tradufteui  de  WafFer  l'appelle,  en  François, 
.le  Vieux  Bsurg,  page  320, 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       523 

'  NicoYA  efi:  un  autre  Porc,  à  neuf  degrés  dix -huit  minutes  de  latitude 
du  Nord,  dans  le  Golfe  de  SalinaSy  ou  la  Caldera,  qui  termine  la  Province 
de  Nicaragua  vers  celle  de  Coftaricca.  On  n'en  trouve  point  de  defcrip- 
tion ,  dont  il  y  ait  beaucoup  de  lumières  à  recueillir.  Dampier  l'appelle 
une  petite  Ville  de  Mulâtres  (r),  fituée  fur  le  bord  d'une  Rivière  de  mê- 
me nom.  Elle  efl:  fort  propre,  dit -il,  à  la  conftruftion  des  Vaifleaux. 
Aufli  la  plupart  de  fes  Habitans  font -ils  des  Charpentiers,  dont  toute  l'oc- 
cupation efl:  de  bâtir  des  Vaifleaux  neufs  ou  de  radouber  les  vieux.  Ce 
fut  dans  ce  Port  que  Scharp,  célèbre  Avanturier,  fit  réparer  le  fien  en  168  r, 
pour  abandonner  la  Mer  du  Sud ,  où  il  s'étoit  fait  redouter  par  Çqs  brigan- 
dages. Quelques  Indiens ,  enlevés  par  Dampier ,  lui  dirent  que  les  Cam- 
pagnes voifines  étoient  foigneufement  cultivées,  &  qu'on  y  élevoi:  quanti- 
té de  Bediaux  dans  des  Pâturages  d'une  grande  étendue;  qu'en  plufleurs 
endroits  voifms  de  la  Mer,  il  croiiToit  du  bois  rouge,  propre  à  la  teinture, 
dont  ils  ne  tiroient  pas  beaucoup  de  profit,  parce  qu'ils  étoient  obligés 
de  le  voiturer  au  Lac  de  Nicaragua ,  qui  fe  jette  dans  la  Mer  du  Nord  ; 
&  qu'ils  y  envoyoient  aufli  des  peaux  de  Taureaux  &  de  Vaches,  pour  lef- 

âuelles  ils  rapportoient ,  en  échange,  des  chapeaux,  des  toiles  &  des  laines 
e  l'Europe. 

L« 


DefCRiPTioir 
Ds  LA  Nou- 
velle  Esu-^ 

GNB. 


(r)  Dampier,  ubifuprà,  pages  114  & 
125.  Gage  nomme  Nicoya  un  fort  beau 
Village,  gouverné  néanmoins  par  un  Aicalde 
Efpagnol,  11  ajoute  au'on  y  nie  une  herbe 
nommée  Pite ,  qui  eft  unemarchandife  fort 
eftimée  en  Efpagne,  particulièrement  celle 
qui  efl:  teinte  à  Micorza  ,  en  couleur  de 
pourpre  ;  &  qu'on  emploie  quantité  d'In- 
diens à  chercher  fur  le  bord  de  la  Mer  une 
efpèce  de  coquillage  qui  fert  à  cette  tein- 
ture. On  en  teint  aum  le  drap  deSégovie, 
qui  efl:  fort  cher  en  Efpagne.  Ce  poifTon  à 
coquille  fe  cache  pendant  trois  cens  jours  de 
l'année  ,  &  ne  fe  trouve  qu'au  Printems. 
C'efl:  le  fang  de  fa  tcte  qu'on  emploie.  3. 
Part    pag.  276. 

Les  difl;anccs  de  cette  Côte ,  fuivant  Ro- 
gers  &  Cooke ,  font  de  Realejo  à  Rio  de 
Tojia,  huit  ou  neuf  lieues,  Sud  -  Eft  •  (juart- 
au-Sud.  De  cette  Rivière  à  Meja  ou  Table 
de  Sutiabo,  dix  lieues,  Nord-Ouefl:.  On 
voit  paroître  le  Volcan  yinion ,  au  Sud  -  Eft 
de  la  même  Rivière ,  à  trois  ou  quatre  lieues 
dans  le  Pays.  De  la  Table  de  Sutiabo  au 
Volcan  de  Léon,  il  y  a  quatre  lieues.  De  ce 
Volcan  à  celui  de  Telica,  douze  lieues;  de 
ce  dernier  à  la  Table  de  Molic^fe ,  deux  ;  &  de 
celte  Table  à  la  terre  haute  de  Sinotepe,  trois; 
de  Sinotepe  à  Majaca,  ou  JPort  Saint  yean, 

Ïuatre;  &  de  ce  Port  à  la  Pointe  de  Sainte' 
atherine  dix- huit,  qui  font  la  largeur  d'un 
Golfe  qu'on  nomme  Papagaio .  ou  des  Per- 
roquets.  Il  faut  courir  Nurd  -  Oueft  &  Sud- 


Eft ,  même  route  qu'il  faut  tenir  pour  aller 
de  Rio  Tofta  au  Port  Saint  Jean  La  Côte 
eft  fort  faine,  mais  la  Mer  eft  rude;  il  y  a 
d'ailleurs  une  Table,  d'environ  deux  lieues 
de  long.  Les  vents  du  Nord  font  très  ora- 
geux dans  ce  Golfe  ;  &  l'on  ne  s'eQ  garantit 
qu'en  rangeant  de  près  la  Côte. 

La  Pointe  de  Sainte -Catherine  eft  foua 
l'onzième  degré  de  latitude.  A  la  hauteur  de 
cette  Pointe  ,  on  trouve  un  gros  Rocher, 
qui  en  couvre  de  plus  petits.  D'ici  au  Cap 
Guiones ,  il  y  a  trente  -  deux  lieues  Nord- 
Oueft.  Dans  l'intervalle ,  on  rencontre  le 
Port  de  Fêlas  à  huit  lieues,  &  l'on  voit  au* 
dcffus  de  ce  Port  deux  grandes  Montagnes, 
avec  une  profonde  ouverture  entre  deux;  une 
lieue  ou  plus ,  au  Sud-Eft ,  il  y  a  quelques  Ro- 
chers qui  reflemblent  à  des  Navires  fous  les 
voiles ,  &  de  là  vient  fon  nom.  Du  Port  de 
Vêlas  jufqu'au  Cap  Hermofo ,  on  compte  dou- 
ze lieues,  Nord-Oueft-quart-au-Nord&Sud- 
Eft-quart-au-Sud.  Il  refte  environ  douze  lieues 
du  Cap  Hermofo  au  Cap  Guiones  ,  Nord* 
Oueft  &  Sud-Eft,  fond  de  fable.  Côte  faine. 
Du  Cap  Guiones  au  Cap  Blanc ,  i!  y  a  quin- 
ze lieues  Eft-Sud-Eft  &  Oueft  Nord -Oueft. 
On  peut  connoltre  le  Havre  à  une  petite  Ifle 
qui  eft  à  fa  Pointe ,  &  que  les  Cartes  Efpa- 
gnôles  nomment  Cbira  C'eft  ce  dernier.  Cap 
qui  forme  la  Pointe  du  Golfe  de  Salinas,  ou 
Nicoya  eft  fituée,  dans  une  petite  Baye  qui 
prend  fon  nom.  Supplément  de  Woodcs  Ro- 
gers  ,  ubi  fuprà. 

V  VV  2 


DESCttirTTOK 
Dl  LA  NOU* 
VELLB    ESPA- 

ont. 


Cofta-rîcca, 
VII.  Provin- 
ce. 


B-oute  de  Ga- 
ie dans  la 
rovince  de 
CoIU-iicca. 


524         DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Le  Cap  Bluncy  qui  fait  la  pointe  du  Golfe  de  Salinas,  &  qui  termine  la 
Côte  de  Nicaragua  ,  eft  foigneufement  décrit  par  Dampier.  11  lui  fait  cirer 
ion  nom  de  deux  Rochers  blancs ,  qui  fe  découvrent  de  loin.  A  les  voir  en 
IMer,  &  vis-à-vis  de  la  Côte,  il  femblj  (ju'ils  en  falTent  partie.  Mais 
plus  proche  de  terre,  foie  à  l'Ell  ou  à  l'(">ac;ll  du  Cap,  on  les  prendroit 
pour  deux  VailH:aux  à  la  voile.  A  les  voir  de  plus  près  encore,  on  croi- 
roit  que  ce  font  deux  hautes  tours.  On  les  trouve  petits,  hauts,  efeiirpcs 
fur  toutes  leurs  faces,  à  la  ditldjice  d'un  demi -mile  du  Cap.  Sa  fuuation 
fcft  à  neuf  degrés  cinquante- fix  minutes  de  latitude  du  Nord.  C'cll  uik; 
Pointe  complette,  où  des  Rochers  cfcarpés  régnent  julqua  la  Mer.  Son 
Ibmmet  cil:  plat  &  uni,  rtfpace  de  prés  d'un  mile;  après  quoi  il  commence 
à  bailler  peu -à-peu,  en  formant  de  chaque  côté  une  très  agréable  pente. 
De  grands  &  magnifiques  arbres,  dont  il  eil couvert,  augmentent  la  beau- 
té de  la  perlpeftivç.  La  Cote,  qui  règne  du  Nord  -  Ouell  au  Nord -Eft, 
pendant  quatre  lieues,  forme  la  Baie  que  les  Elpagnols  nomment  Cadcra. 
Du  fond  de  cette  Baie  juiqu'au  Lac  de  Nicaragua ,  on  ne  compte  que  qua- 
torze ou  quinze  lieues  (j). 

En  avançant  de  la  Province  de  Nicaragua  au  Sud -Eft  vers  l'ifthme  de 
Darien,  on  entre  dans  la  leptième  Province,  qui  s'appelle  Cojla-riccai 
nom  que  Lionnel  Waff'.'r  prend  pour  une  ironie,  parce  que  loin  d'y  avoir 
obfervé  des  marques  d'opulence,  il  la  trouva  pauvre  &  ftérile,  ou  du  moins 
fans  autre  richelfe  qu'une  grande  quantité  de  Beftiaux.  Elle  dépend 
pour  le  fpirituel,  de  l'Evéché  de  Léon  ou  de  Nicaragua.  Sa  Capitale  fe 
nomuiQ  Canhagu  ;  &  Tes  autres  Villes,  fans  mériter  beaucoup  ce  titre,  font 
KJ'parza^  /Iranjuez  ik  Cajlro  (V/luJhia.  On  doit  juger  par  fa  fituation,  qui 
cil  refferfée  entre  la  Mer  du  Sud  &  celle  du  Nord ,  qu'elle  a  des  Ports  llir 
l'une  &  fur  l'autre;  cependant  on  n'y  connoît  fur  la  Mer  du  Sud,  que  le 
Havre  de  Caldera,  dans  la  Baie  de  même  nom;  &  fur  celle  du  Nord,  trois 
Rivières  nommées  Sucre ^  lus  /inzuelos  &  Vafquez^  qui  forment,  à  leur  em- 
bouchure, des  anfes  aflez  commodes  pour  fervir  de  retraite  aux  petits 
VaiiTeaux.  Porto  San- Juan  ,  petite  Place  maritime  de  la  Province  de  Ni- 
caragua, efl:  fitué  entre  la  Rivière  de  "Vafquez  &  le  Defaguador,  auquel  il 
fert  de  Port. 

On  connoît  peu  l'intérieur  de  Coda  -  ricca.  Waffer  qui  fit  naufrage  (/) 
fur  fa  Côte  méridionale,  à  trois  ou  quatre  lieues  de  la  Caldera,  fait  le  ré- 
cit d'un  pénible  "Voyage  de  fepc  ou  huit  jours,  qu'il  fit  par  terre  jufqu'au 
bord  d'une  belle  Rivière  qu'il  nomme  Saint  -  Antoine  ^  à  quatre  lieues  de  la- 
quelle il  trouva  une  groile  Ferme,  d'où  il  fe  rendit  à  Efparza  ,  petite  Ville 
voifme  :  mais  il  ne  traverfa ,  dans  cette  route ,  qu'un  Pays  inculte  &  fans 
Habitans  ;  &  tout  ce  qu'il  nous  apprend  d'Efparza  même ,  où  il  pafla  plus 
de  trois  femaines,  c'eil  qu'elle  n'a  qu'une  ParoiiTe  &  deux  Couvens:  mais 
Gage,  qui  n'eut  pas  moins  a  fe  plaindre  de  la  fortune  dans  cette  Province, 
donne  plus  d'étendue  à  fes  obiervations. 

Il  partit  de  Grenade  ;  &  pendant  deux  jours  de  marche  fur  le  bord  du 

Lac 

{s)  Voyage  autour  du  Monde,  Tome  I.  page  121.  * 

(r)  Voyage  de  Lionnel  Waffer,  pages  281  &  fwvantcst 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       52^ 

Lac  de  Nicaragua,  il  ne  ceiTa  point ,  die*  il ,  de  jouir  des  délices  d'un  Pays  DEtcsrpTioïr 
qu'il  croit  digne  du  nom  de  Paradis  terreflre,  par  la  beauté  de  fes  Campa-  ^^  ^' *  ^°"* 
gnes,  de  fes  Villages  &  de  fes  Chemins.  Un  mondrueux  Crocodile,  forti  ^""cMi.'"'* 
du  Lac,  l'cxpcfa  au  plus  mortel  danger.  Il  en  fut  pourfuivi  avec  tant  de 
vitelfe,  que  fi  les  EPpagnoIs ,  qui  l'accompagnoicnt ,  ne  lui  eullent  crié  de 
fe  détourner  du  chemin,  &  de  marcher  en  tournoyant,  lui ,  ou  fa  Mule, 
auioit  été  la  proie  de  ce  terrible  Animal.  Kn  avançant  ainfi  par  divers 
détours,  il  eut  enfin  le  bonheur  de  le  laiflcr  bien  loin  derrière  lui.  Le 
troiiicmc  jour,  il  avoit  encore  la  vue  du  Lac,  après  l'avoir  eue  pendant 
plus  de  vingt  lieues.  Enfuitc  il  entra  dans  un, Pays  difficile  &  pierreux, 
qui  panchoir  plus  du  côté  de  la  Mer  du  Sud ,  que  de  celle  du  Nord.  Dans 
tout  le  relie  du  Voyagj  jufqua  Carthago,  il  ne  vit  rien  de  plus  remar- 
quable que  de  grands  Bois,  dont  les  arbres  lui  fcmblcrent  propres  à  con- 
ftruire  des  V^ailîeaux.  Il  traverfa  plulkurs  Montagnes  &  des  lieux  dé- 
ferts,  où  il  fut  quelquefois  obligé  de  palTer  deux  nuits  confécutives , 
fans  rencontrer  le  moindre  Village  ;  mais  on  y  trouve  des  cabanes , 
que  les  Magirtrats  des  Habitations  voiiînes  ont  fait  bâtir  pour  la  com- 
modité des  Voyageurs.  Cette  ennuyeufe  6i  pénible  route  le  conduifit  en- 
fin à  Carthago. 

Cette  Ville ,  qui  eft  la  Capitale  de  la  Province ,  contient  environ  qua- 
tre cens  Familles  &  quantité  de  riches  Marchands,  fous  un  Gouverneur* 
Efpagnol.  Elle  avoit  alors  un  Evéque  &  trois  Couvens.  Dans  l'impatien- 
ce de  s'embarquer  pour  Carthagene  ou  Portobello,  Gage  n'eut  pas  plutôt 
appris  qu'il  en  pouvoit  trouver  l'occafion  dans  la  Rivière  de  Sucre  ou  de  lûs 
Anzuclos ^  qu'il  fe  remit  en  chemin.  On  lui  confeilla  d'aller  à  Suere,  parce 
qu'on  rencontre,  fur  cette  route,  plus  de  Villages  Indiens  &  de  Fermes 
Efpagnoles.  Le  Pays  eft  montagneux  ;  mais  on  y  trouve  des  Vallées  fer- 
tiles <&  d'excellentes  Fermes,  où  l'on  nourrit  quantité  de  Porcs.  Les  In- 
diens y  font  moins  civilifés  que  dans  les  autres  Provinces  de  la  Nouvelle 
Efpagne,  quoiqu'ils  y  portent  le  joug  d'auffi  bonne  grâce.  Une  Ferme 
Efpagnole  fervit  de  retraite  à  Gage  fur  la  Rivière  de  6uere ,  jufqu'au  dé- 
part d'une  Frégate,  chargée  de  miel ,  de  cuirs  &  d'autres  provifions.  On 
l'aflura  que  le  plus  grand  danger  de  la  navigation ,  qu'il  alloit  entrepren- 
dre, étoit  à  fortir  de  la  Rivière,  qui  eft  fort  rapide  en  quelques  endroits, 
bafle  en  d'autres ,  &  pleine  de  Rochers  jufqu'à  fon  embouchure.  Cepen- 
dant, après  en  être  forti  fort  heureufement,  il  eut  le  malheur  de  tomber, 
à  deux  lieues  de  la  Côte,  fous  le  canon  de  deux  Vaifleaux  Hollandois,qui 
trouvèrent  peu  de  réfiftance  dans  fa  Frégate.  Environ  huit  mille  piaftres, 
qu'il  avoit  amaffées  depuis  douze  ans ,  <x  qu'il  devoit  à  la  bonne  volonté 
des  Indiens  de  M ixco,  dePinola,  d'Amatitlan  &  de  Petapa  («)  lui  furent 
enlevées  par  ces  Pirates.  On  ne  lui  laifla  d'abord  que  ^&s  Livres,  quel- 
ques tableaux  peints  fur  du  cuivre  &  fes  habits,  que  fa  qualité  de  Reli- 
gieux lui  fit  obtenir  j  mais  ayant  pris  droit  de  cette  indulgence  pour  deman- 
der 


{•o)  Cela  me  fit  appliquer  à  inoi-mûme, 
dit-il  naturellement  ,  le  proverbe ,  que  le 
bien  mal  acquis  ue  proGcc  jamais,  voyant 


que  je  nerdois  tout  d'un  coup  ce  que  1';^- 
veugie  aévotion  des  Indiens  m'avoit  fait  ac- 
quérir parmi  eux  uhi ,  juyrà ,  page  2,63. 

V vv  3 


DcscaiPTioN 

DE    LA    NOU- 

VBLLK     ESPA- 

OMC. 


Veragua , 
VIII.  Provin- 


ce, 


526        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

der  aufli  Ton  lit,  qui  lui  fut  accordé,  il  fauva  près  de  mille  ccus  en  doubles 
pilloles,  qu'il  avoic  eu  laprécaucion  de  coudre  dans  Tes  matelats.  Le  Ca* 
pitaine  de  la  Fregace  &  les  autres  Efpagnols  furent  traités  avec  tant  de  ri- 
gueur, qu'on  ne  leur  rendit  que  le  corps  de  leur  Bâtiment,  après  l'avoir 
déchargé  de  tout  ce  qu'ils  avoient  de  précieux  ou  d'utile. 

Ils  prirent  triftement  leur  route  vers  los  Anzueios;  mais  apprenant  que 
les  Frégates  de  ce 'te  Rivière  étoient  parties.  Gage  réfolut  de  retourner 
à  Carthago.  La  compafTion,  qu'il  trouva  dans  les  Efpagnols  &  les  Indiens , 
lui  procura  des  fecours  qui  réparèrent  une  partie  de  fa  perte.  Il  arriva , 
dans  le  même  tems,  à  Carthago,  trois  cens  Mulets  fans  charge,  avec  quel* 
ques  Marchands  de  Comayaga  &  de  Guatimala,  qui  les  conduifoient  par 
terre  au-delà  des  Montagnes  de  Veragua,  pour  les  vendre  dans  l'Iflhme  de 
Darien.  Ce  Commerce ,  qui  fe  fait  tous  les  ans ,  efl:  le  feul  qu'on  ôfe  ha> 
farder  par  terre  avec  Panama.  Le  chemin  etl  également  dangereux ,  par 
les  Montagnes  qu'il  faux  traverfer ,  &  par  le  voifinage  de  plufleurs  Nations 
barbares ,  que  les  Efpagnols  n'ont  point  encore  aiTujetties.  Gage  n'en  é- 
toit  pas  moins  difpofé  a  prendre  cette  route,  avec  trois  Marchands  ,  qui 
témoignoient  le  même  courage.  Quelques  Amis,  que  fes  prédications  lui 
avoient  faits  à  Carthago ,  lui  firent  perdre  ce  deflein.  Bientôt  il  regarda 
leur  confeil  comme  une  faveur  du  Ciel,  en  apprenant  que  tous  les  Mule- 
tiers avoient  été  maflacrés  par  les  Barbares ,  &  qu'il  n'auroit  point  évité  le 
même  fort.  On  lui  propofa  de  tenter  G.  la  Mer  du  Sud  ne  lui  feroit  pas 
plus  favorable  que  celle  du  Nord,  &  de  fe  rendre  dans  cette  efpérance  à 
Nicoya,  au  Golfe  des  Salines  &  à  Chira ,  où  l'occafion  ne  lui  manqueroit 
point  de  s'embarquer  pour  Panama.  Il  faifît  aviderament  cette  ouverture. 
Le  chemin  par  lequel  il  fe  rendit  de  Carthago  à  Nicoya  efl:  montagneux ,  & 
d'une  difficulté  qui  lui  fît  dire,  en  arrivant  dans  ce  Port,  qu'il  nomme  un 
fort  beau  Village ,  c'efl:  mon  non  plus  ultra.  Il  parla  d'y  ériger  une  colom- 
ne,  avec  cette  infcription ,  parce  qu'il  n'efpéroit  plus  de  trouver  d'autre  Port 
où  il  pût  s'embarquer  pour  Panama.  Perfonne,  ajoûte-t'il,  n'avoit  jamais 
rien  exécuté  avec  plus  de  courage.  Il  avoit  fait  par  terre ,  depuis  Mixco 
jufqu'à  Nicoya,  environ  fix  cens  lieues,  où  dix -huit  cens  miles  d'Angle- 
terre, du  Nord  au  Sud;  fans  compter  ce  qu'il  avoit  fait  depuis  la  Vera- 
Cruz  jufqu'à  Mexico,  deMexicoà  Guatimala,  enfuite  à  Vera-Paz,  àGol- 
fo  dolce,  jufqu'à  Puerto  de  Cavallos ,  &  de- là,  dans  fon  retour  à  Guatima- 
la; ce  qu'il  fait  monter  encore  à  treize  ou  quatorze  cens  miles  d'Angleterre, 
&  ce  qu'il  penfoit  à  faire  graver  à  Nicoya  fur  une  colomne ,  pour  en.  éter- 
nifer  la  mémoire  (a;), 

CoRREAL,  qui  avoit  traverfé ,  comme  Gage ,  cette  partie  de  la  Province, 
dit  que  les  Indiens  des  Montagnes,  entre  Carthago  &  Nicoya,  font  extrê- 
mement barbares,  &  qu'ils  haïflent  mortellement  les  Efpagnols,  qui  les. ap- 
pellent Indios  bravos  y  parce  qu'on  n'a  point  encore  trouvé  le  moyen  de  les 
foumettre  (y). 

La  dernière  Province  de  l'Audience  de  Guatimala  efl:  celle  de  Fera^;ua , 

qui 

{x)   Ubi  fuprà,  4  Part.  Chap.  7.    Ce     velle  Efbagne. 
Voyageur  s'embarque  kl  &  quitte  la  Nou-        (y)  Ubi  fuprà,  page  915. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       527 

qui  touche  à  l'Ifthme  de  Darien,  &  qui  efl:  fituée  comme  la  précédente  en-  DejcRiPTroir 


tre  les  Mers  du  Nord  &  du  Sud.  On  lui  donne  environ  cinquante  lieues, 
de  l'Eft  à  rOuefl: ,  &  vingt-quatre ,  du  Nord  au  Sud.  Si;s  principales  Villes 
font  la  Conception.,  qui  porte  le  titre  de  Capitale  ,  avec  un  Port  aiïcz  confi- 
derable  fur  la  Mer  du  Nordj  la  TrimdadÔL  Santa  te  y  qui  font  dans  les  Ter- 
res; Carlos  ,  petit  Port  de  la  Mer  du  Sud;  <Sc  Parita^  autre  Port  de  la  même 
Mer,  qui  donne  fon  nom  au  Golfe  dans  lequel  il  eft  fitud.  Cette  Provin- 
ce ,  ayant  été  découverte  dés  l'an  1 502 ,  par  Chriftophe  Colomb ,  reçut  en 
fa  faveur  le  titre  de  Duché  ;  &  de  toutes  les  récompenfes  qui  lui  furent  ac- 
cordées par  la  Cour  d'Efpagne,  c'efl:  prefque  la  feule  qu'il  ait  tranfmife  à 
fes  Defcendans.  Mais  1  intérieur  du  Pays ,  efl:  peu  connu  des  Etrangers. 
Les  Efpaçnols  fe  font  toujours  réfervé  des  lumières,  qu'ils  craignent  de 
ne  pouvoir  communiquer  fans  nuire  à  leur  Commerce ,  ou  fans  ouvrir 
un  paflagc  de  la  Mer  du  Nord  à  celle  du  Sud.  Cependant  quelques  A- 
vanturiers  l'ont  tenté  avec  fuccès  ;  comme  on  le  rapportera  dans  la  Def- 
cription  de  l'Iflhme.  11  n'eft  queftion  ici  que  de  recueillir  des  éclaircifle- 
mens  fur  le  Veragua. 

D4MPIER,  qui  avoit  entrepris  de  traverfer  l'Ifthme  de  Darien  en  1681, 
raconte,  qu'ayant  pris  terre  au  Cap  de  Lorenzo  dans  la  Mer  du  Sud,  il  em- 
ploya vingt  jours  à  fe  rendre  au  bord  du  Chepo^  dernière  Rivière  qu'il  ren- 
contra, de  celles  de  flilhme  qui  coulent  au  Sud.  Delà  il  fit  neuf  miles, 
pour  traverfer  une  fort  haute  Montagne.  Le  lendemain  il  en  pafla  une  au- 
tre, fur  le  fommet  de  laquelle  il  fit  quelques  miles.  Il  en  defcendit;  &  la 
marche  de  ce  jour  ayant  encore,  été  de  neuf  miles ,  il  trouva  une  belle  Fon- 
taine, auprès  de  laquelle  il  paiTa  la  nuit.  Le  jour  d'après,  il  traverfa  une 
troifième  Montagne,  fur  le  fommet  de  laquelle  il  fit  cinq  miles.  £n  arri- 
vant à  fa  pente ,  du  côté  du  Nord ,  il  découvrit  la  Mer.  Une  Rivière,  qu'il 
rencontra  bientôt  dans  la  plaine,  &  la  premiè-e  qui  fe  jette  dans  la  Mer  du 
Nord ,  traverfe  des  champs  d'une  fort  large  étendue.  C'eft  celle  de  la  Con- 
ception de  Veragua.  Ses  Compagnons  prirent  des  Canots  dans  une  Habita- 
tion d'Indiens.  Il  defcendit  avec  eux  jufqu'à  l'embouchure  de  cette  Riviè- 
re; &  depuis  le  pié  de  la  Montagne,  cette  journée  fut  d'environ  fept  mi- 
les. Il  trouva,  vers  l'embouchure, quantité  d'Indiens,  qui  s'y  étoient  éta- 
blis, pour  tirer  avantage  de  l'arrivée  de?  '  vanturiers,  auxquels  ils  four- 
nilToient  des  yames ,  des  plantains ,  du  fuci«.  des  cannes,  des  oifeaux,  & 
des  œufs;  mais  Dampierne parle  point  delà  Ville,  ni  même  de  fa  fitua- 
tion.  Les  Indiens  lui  dirent  qu'ils  voyoient  fouvent  des  Avanturiers  An- 
glois  &  François;  qu'à  trois  lieues  de  l'embouchure,  on  trouVoit  unelfîe, 
nommée  la  Clé^  ou  1  IJle  de  la  Sonde ^  qui  efl  la  dernière  des  Sambales  (z)  à 
rOuefl.  Depuis  l'Anfe  du  Cap  Lorenzo ,  où  il  avoit  pris  terre  avec  fes 
Compagnons,  il  avoit  employé  vingt-trois  jours,  pendant  lefquels  il  n'avoir 
pas  fait  moins  de  cent  dix-miles  jufqu'à  la  Conception;  mais  la  nécellité  de 
fuivre  fouvent  les  Vallées,  pour  éviter  de  hautes  Montagnes,  leur  en  avoit 
fait  faire  inutilement  trinquante,  qu'ils  auroient  évités,  dit-il,  s'ils  avoient 

pu 

(3)  Nous  les  nommons  Zemilesy  &  les  Efpagnols  ^an-^/as ,  dont  Sambales  ficZeinblM 
font  une  corruption. 


08    LA    NùU- 

VELLE     E'PA- 

CM. 


52S         DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


fix  cens  Hommes  peut  exdciiter  cette  entreprifo  fans  la  permiflion  des  In- 
diens (a).  Il  place,  dans  la  Province  de  Veragua,  une  Rivière, qu'il  ap- 
pelle lilcwfield,  du  nom  d'un  fameux  Avanturier  de  fa  Nation,  quidemeu- 
roit  dans  riHc  de  la  Providence^  une  des  Sambalcs,  habitée  autrefois  par  des 
Anglois.  Cette  Rivière,  dit-il,  a  fon  embouchure  dans  une  belle  Baie  fa- 
bloneufe.  L'entrée  en  cft  profonde  ;  mais  plus  loin,  elle  ne  peut  recevoir 
que  des  Barques  de  foixante  à  foixante  &  dix  tonneaux.  On  y  trouve 
beaucoup  de  Lamantins,  ou  de  Manates,  qu'on  nomme  auflfi  Vaches  ma- 
rines. Bocca  Tûro  eft  une  ouverture,  ou  une  anfe,  vers  dix  dégrés  dix 
minutes  de  latitude  du  Nord  ,  entre  la  dernière  Rivière  de  Veragua  & 
celle  de  Chagre.  Les  Indiens  de  Bocca  Tore  font  trts  barbares  &  n'ont 
aucun  Commerce  avec  les  Elpagnols.  Leur  Côte  produit  quantité  de  Va- 
nille (^). 

Of.xmelin  (c)y  dont  les  defcrîptions  font  ordinairement  très  fidèles, 
par  l'intérêt  que  les  Voyageurs  de  Ion  Ordre 'ont  toujours  eu  à  connoître 
exaélement  la  fituation  des  lieux,  nous  donne  aufll  quelques  lumières  fur 
la  Côte  occidentale  de  Veragua.  Il  place  Bocca  Toro  à  trente  lieues  de  la 
Rivière  de  Chagre,  &  tout  cet  efpace  eft  habité,  dit-il,  par  des  Indios 
Bravos ,  ou  des  Indiens  Guerriers  ;  nom  que  les  Efpagnols  donnent  à  ceux 
qu'ils  n'ont  encore  pu  réduire.  La  Baie  de  Bocca  Toro  a  vingt -cinq  ou 
trente  lieues  de  circuit,  &  quantité  de  petites  llles,  dont  l'une  efl:  pourvue 
d'ex'cellente  eau.  La  Pointe,  qu'on  nomme  Diego,  eft  arrofée  d'une  petite 
Rivière  d'eau  douce,  où  l'on  trouve  dans  le  fable ,  quantité  d'œufs  de  Cro- 
codiles ,  d'auflî  bon  goût  que  des  œufs  d'Oie.  Les  Indiens  du  Canton  por- 
tent encore  des  ornemens  d'or  ;  ce  qui  femble  prouver  qu'il  s'en  trouve  dans 
leur  Pays,  qui  s'étend  allez  loin i  &  peut-être  pourroit-on  s'y  établir  mal- 
gré les  Elpaj^nols,  qui  n'y  ont  pas  plus  de  droit  que  toute  autre-Nation  (^). 
Le  terroir  en  cft  humide,  parce  qu'il  y  pleut  trois  mois  de  l'année;  mais 
il  ne  laifTe  pas  d'être  merveilleufement  bon.  La  terre  en  eft  noire,  &  pro- 
duit de  très  grands  arbres.  Bocca  del  Drago  communique  avec  Bocca  Toro. 
On  eft  perfuadé  qu'une  partie  des  petites  Jfles,  qui  n'eft  éloignée  de  la  terre 
que  d'environ  deux  lieues,  eft  habitée  par  des  Indiens.  L'odeur  de  leurs 
fruits,  ou  de  leurs  alimens,  fe  fait  fentir  à  ceux  qui  s'en  approchent.  Mais 
jamais  les  Européens  n'ont  pu  faire  d'alliance  avec  eux.  Les  Flibuftiers 
même  n'ôfent  prendre  de  l'eau  fur  leurs  Terres  ;  &  ceux ,  qui  l'ont  tenté 
avec  un  nombreux  Détachement ,  ont  été  forcés  de  fe  retirer ,  après  avoir 
perdu  beaucoup  de  monde,  qu'on  leur  tuoit  à  coups  de  flèches,  fans  qu'ils 
puflent  découvrir  d'où  elles  partoient.  Ces  Indiens  courent  avec  une  ex- 
trême agilité  dans  les  Bois.  Ils  mènent  une  vie  errante ,  depuis  que  les 
EfpagDols  ont  entrepris  de  les  fubjuguer.    Elle  eft  partagée  entre  les  liîes, 

ou 


(a)  Voyage  autour  du   Monde,  Temel. 
Cbap.  2. 
(i)  Ibid.  Chap.  3. 


(c)  Hiftorien  des  Flibuftiers. 
(rf)  Le  même,  Tume II.  page  211. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       525 

où  ils  s'exercent  a  la  pêche ,  &  la  partie  de  la  Terre-ferme  qu'ils  occupent , 
où  ils  paflent  le  tems  à  la  chafle.  Ils  font  continuellement  en  guerre  avec 
le»  Indiens  fournis;  parce  qu'ils  ne  les  croient  pas  moins  Ennemis  de  Jeur 
liberté,  que  les  Efpagnols. 

En  quittant  Bocca  del  Drago,  les  Avanturiers  fuivirent  la  Cote  jufqu'à 
eî  Portete  t  qui  efl:  une  petite  Baie  où  l'on  eft  à  l'abri  de  tous  les  vents,  à 
l'exception  de  celui  de  l'Oueft.  El  Portete  fignlfie  petit  Port.  Celui-ci  fert 
aux  Efpagnols,  lorlqu'ils  arrivent  avec  des  Vaifleaux  chargés  de  marchan- 
difes  de  l'Europe  à  la  Rivière  de  Suere,  où  ils  ont  des  Habitations,  &  où 
ils  plantent  du  cacao  qui  pafle  pour  le  meilleur  des  Indes.  De- là  leurs  mar- 
chandifes  font  portées  par  terre  à  Carthago.  Ils  entretiennent ,  à  l'embou* 
chure  de  cette  Rivière,  une  Garnifon  de  vingt-cinq  ou  trente  Hommes,  avec 
un  Sergent,  &  une  Vigie  qui  découvre  en  Mer.  Les  Avanturiers  ont  don- 
né le  nom  de  Pointe  blanche  à  la  Rivière  de  Suere.  On  y  trouve  des  Ba- 
nanes en  abondance.  Nous  fortimes  de  Suere,  continue  Oexmelin,  & 
nous  paflames  devant  la  Rivière  de  Porto  San- Juan ,  jju'on  nomme  le  Defa- 
guador(e)  où  nous  prîmes  quelques  Requins.  Enfuite  nous  entrâmes  dans 
la  grande  Baie  de  Bluk/velt,  ainfi  nommée  d'un  vieil  Avanturier  Anglois  qui 
en  faifoit  fa  retraite.  Cette  Baie  a  peu  de  largeur  à  fon  embouchure ,  mais 
elle  eft  fort  étendue  dans  l'intérieur,  quoiqu'elle  ne  puilfe  recevoir  que  de 
petits  Bâtimens ,  parce  qu'elle  n'a  pas  plus  de  quatorze  à  quinze  pieds  d'eau. 
LePays  qui  l'environne  eft  marécageux  &  coupé  d'un  grand  nombre  de  Ri- 
vières. Elle  contient  une  petite  Ille,  qui  nourrit  d'excellentes  Huîtres. 
Nous  mouillâmes  vis-à-vis  de  cette  Ifle,  en  terre-ferme,  près  d'une  Pointe 
qui  fait  une  Peninfule.  On  n'y  trouve  point  d'eau  douce  ;  mais  nous  creufâ- 
mes  des  puits  ,  qui  nous  en  donnèrent  de  très  bonne.  Nos  Chafleurs  tuè- 
rent une  Biche  &  quelques  Faifans.  Ils  avoient  vu  quantité  de  Singes ,  qui 
nous  firent  naître  l'envie  d'en  manger.  Leur  chair  reflemble  à  cçlle  du 
Lièvre;  mais  elle  demande  d'être  cuite  avec  beaucoup  de  fel.  La  graiffe 
en  eft  jaune  &  de  fort  bon  goût.  La  rareté  du  gibier  nous  réduifant  à  vi- 
vre de  ces  Animaux,  j'eus  la  curioftté  d'aller  à  la  chafle,  fur  le  récit  que 
j'entendois  faire  de  l'inftinfl  qui  les  porte  à  fe  défendre.  Lorfqu'ils  vo- 
yoienc  approcher  lesChaflfeurs,  ils  fe  joignoient  en  grand  nombre,  en  pouf- 
lant  des  cris  épouvantables.  Ils  jettoient  fur  leurs  Ennemis  des  branches 
feches ,  qu'ils  rompoient  avec  beaucoup  de  force.  Quelques-uns  faifoient 
Itur  fiente  dans  leurs  pattes  &  nous  la  Jettoient  à  la  tête.  Je  remarquai 
qu'ils  ne  s'abandonnent  jamais,  &  qu'ils  fautent  de  branche  en  branche  avec 
une  légèreté  qui  éblouit  la  vue.  Çn  n'en  voit  pas  tomber  un  feul  ;  s'ils 
gliflcnt  quelquefois,  en s'élanyant  d'un  arbre  à  l'autre,  ils  s'accrochent  avec 
les  pattes  ou  la  queue.  Aulîi  ne  gagne-t'on  rien  à  les  blefler.  Un  coup  de 
IFufil ,  qui  ne  les  tue  pas  fur  le  champ ,  n'empêche  point  qu'ils  ne  demeu- 
rent accrochés  à  leur  branche.  Ils  y  meurent,  &  n'en  tombent  que  par 
pièces.  Mais  je  vis,  avec  plus  d'étonnement,  qu'aulîi-tôt  qu'on  en  blef- 
foit  im,  fes  voifins  s'aflembloient  autour  de  lui,  mettoient  leurs  doigts  dans 

fa 

(«)  C'cft  l'embouchure  du  Lac  cîc  Nicaragua,  qui  le  reflcrrc  beaucoup  vers  la  Mer. 
Xmi.  Part.  X  X  X 


Dpscriptio'V 

»E     LA    NOU- 

VELLB    Espa- 
gne. 


/^ 


?)j5ciiifTfftN  fa  plaie,  comme  s'ils  euflcnt  voulu  la  fonder,  &  que  s'il  en 
V?  ^*  E«'"  coup  de  fang  ils  la  tcnoient  fermée,  pcndimt  que  d'autres  ap| 
^'^''''^KE  "''*    ^"^''  ^<-'i''"*-''  ^li-i'ils  machoientun  momenc,  tS;  qu'ils  poulToiLi 


Nations  des 
Mofquites, 
ou  MouIU- 
qucs. 


530       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

en  couloit  beau- 
apportoicnt  quel- 
'  ;nt  Tort  adroite- 
ment dans  l'ouverture.     C'cll  un  fpcdacle  que'j'ai  eu  pluljeurs  fois,  &  qui 
m'a  toujours  caufé  de  l'aàmiration  (/). 

On  trouvclur  toute  cette  Côte,  julqu'à  celle  de  Honduras,  une  cfpècc 
de  iîinges  qu'on  a  THjtnnxK^s  PareJJiux ,  parce  qu'ils  ne  quittent  point  le  mcnit 
arbre  aulîi  long  tems  qu'il  y  relie  une  feuille  à  manger,  &.  qu'ils  mettent 
plus  d'une  heure  à  l'aire  un  pas,  lorfqu'ils  lèvent  les  pattes  pour  fe  remuer 
Leurs  cris  font  fort  perçans.  Ils  ne  font  dirterens"  des  autres  que  par  une  ex- 
trême maigreur,  qui  rend  leur  figure  hidcufc.  Oexmelin  juge  qu'ils  font 
fujet:»  à  quelque  mal  des  jointures,  tel  que  la  goutte.  11  en  prie  plufieurs 
qu'il  eut  foin  de  bien  nourrir,  &  qUi  n'en  confervèrent  pas  moins  leur  fé- 
ciiereile  &  leur  lenteur.  Les  jeunes  ne  font  pas  plus  agiles  que  les  vieux. 
On  les  prend  aulfi  facilement  avec  les  mains,  fans  qu'ils  fe  défendent  autre- 
ment que  par  des  cris  (g). 

Les  Indiens  du  Pays  doivent  être  fort  fauvages,  puifque  fans  avoir  reçu 
ia  moindre  oifenfe,  ils  eurent  la  perfidie  de  s'approcher,  à  la  faveur  des  ar- 
bres ,  &  de  faire  fur  les  Avanturiers  une  décharge  de  Âéches ,  qui  en  tua 
plufieurs.  Après  leur  retraite,  qu'ils  firent  très  légèrement,  Oexmelin  ob- 
ferva  la  forme  de  leurs  flléches.  Non-feulement  elles  n'avoient  aucune  poin- 
te de  fer ,  ou  d'autre  métal ,  mais  elles  fembioieni  faites  fans  le  fecours  d'au- 
cun inflrument.  Elles  étoient  longues  de  cinq  ou  fix  pies,  de  la  grolTeur  du 
doigt,  pliantes,  &  bien  arrondies.  L'un  des  bouts  écoit  armé  d'une  pierre 
à  feu ,  tort  aigiie,  enchaffée  dans  le  bout  même,  avec  un  petit  croc  de  bois 
en  manière  de  harpon ,  &  liée  d'un  fil  û  fort ,  qu'elles  pouvoient  être  lan- 
cées fans  fe  rompre  contre  les  corps  les  plus  durs.  La  pierre  caflbit  plutôt 
que  de.  quitter  le  bol».  L'autre  bout  étoit  pointu.  11  s'en  trouva  quelques- 
l^nes  de  bois  de  palmier,  travaillées  plus  curieufement,  &  peintes  en  rouge. 
L'un  des  bouts  étoit  armé  aufli  d'une  pierre  à  feu ,  mais  l'autre  étoit  garni 
d'un  morceau  de  bois  creux ,  de  la  longueur  d'un  pié ,  dans  lequel  étoient 
renfermés  de  petits  cailloux  ronds,  qui  faifoient  un  bruit  aflez  fonore,  au 
moindre  mouvement  qu'on  donnoit  à  la  Héche.  Oexmelin  croit  que  ces  cail- 
loux ne  fervoient  qu'à  lui  donner  du  poids  ;  mais  il  remarqua  aufifi  que  pour 
les  empêcher  apparemment  de  faire  du  bruit, on  avoit  eu  1  adrefle  de  mettre 
des  feuilles  d'arbre  dans  la  partie  creufe  du  bois. 

Les  Avanturiers,  remettant  à  la  voile ,  traverfèrent  quantité  de  petites 
Illes,  qu'on  nomme  les  Perles ^  &  qui  forment  une  efpéce  de  labyrinthe, 
fort  agréable  à  la  vue ,  où  Ton  trouve  des  Tortues  en  grand  nombre.  Le 
lendemain,  ils  fe  trouvèrent  devant  les  Ifles  de  Carneland;  &  fans  ceiler  de 
fuivre  la  Côte,  avec  un  vent  favorable,  ils  arrivèrent  en  peu  de  jours  au  Cap 
de  Gracias  à  Dios.  De  ce  Cap  au  Defaguador,  Correal  répète  plufieurs 
fois  (h)  qu'il  y  a  foixante-dix  lieues. 

C'est  au  Cap  de  Gracias  à  Dios  qu'on  trouve  une  Nation  d'Indiens ,  célè- 
bres 


(/)  ibid. 

(g)  Ibid. 


page  214  &  Ciiiv. 


(  /j  )  Voyages  de  François  Correal ,  pages 
8s  &  94. 


;  ' 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        531 

bres  dans  les  Relations  Angloifes  fous  le  nom  de  Mofquhos  (1),  &  qu'Oex- 
melin  nomme  Moujliques.  ils  ont  toujours  léfif^é  aux  armes  des  Efpagnols  ; 
mais  ils  traitent  fans  répugnance  avec  les  François  &  les  Anglois.  Cette 
efpèce  d'alliance  vient  d'un  Avanturier  François,  qui  n'ayant  pas  fait  diffi- 
culté d'aller  à  terre  &  d'offrir  quelques  prcfcns  à  ces  Indiens,  reçut  d'eux 
des  fruits  &  d'autres  provilîons  en  échange.  Enfuite,  étant  prêt  à  lever* 
l'ancre,  il  enleva  deux  Hommes  de  leur  Nation,  qu'il  traita  bien,  &  qui 
apprirent  affez  facilement  la  Langui  Françoife.  Deux  ans  après ,  il  les  re> 
conduifit  lui-même  dans  leur  Pays,  où  ils  rendirent  un  fi  bon  témoignage 
des  Avanturiers,  qu'ils  infpirùrent  les  mêmes  fentimens  à  toute  la  Nation, 
fur-tout  lorfqu'ils  eurent  ajouté  que  les  Avanturieri  tuoient  les  Efpagnols. 
Les  Mofquites  s*emprefl*èrcnt  alors  de  careffer  les  François,  qui  leur  don- 
noient  de  leur  côté  des  haches,  des  ferpes,  des  clous,  &  d'autres  udenciles. 
La  confiance  s'établit  mutuellement,  jufqu'à  vivre  dans  une  étroite  familia- 
rité. On  parvint  à  s'entendre ,  par  l'ufage  commun  des  deux  Langues ,  & 
les  Avanturiers  demandèrent  des  Femmes  Indiennes,  i^ui  leur  furent  accor- 
dées. Ils  ne  partoient  plus  fans  quelques  Indiens ,  ^ui  les  accompagnoient 
volontairement,  &  qui  leur  étoient  d'une  grande  utilité,  par  l'adrefTe  ex- 
traordinaire qu'ils  ont  à  la  pêche  {k).  Dans  la  fuite,  les  François  en  don< 
nèrent  quelques-uns  aux  Anglois,  avec  lefquels  ils  étoient  liés,  dans  ces 
Mers,  par  l'intérêt  commun  de  la  Piraterie.  Ils  leur  apprirent  la  manière 
dont  il  falloit  les  traiter ,  comme  ils  aiTurèrent  les  Indiens  qu'ils  feroient  bien 
traités  des  Anglois.  „  Aujourd'hui,  fi  l'on  en  croit  Oexmelin,  ils  ne  font 
„  aucune  difficulté  de  s'embarquer  fur  les  Vaiffeaux  de  l'une&de  l'autre Na- 
„  tion.  Lorfqu'ils  ont  fervi  trois  ou  quatre  ans ,  &  qu'ils  favenf  la  Langue 
5,  Françoife  ou  l'Angloife ,  ils  retournent  chez  eux ,  fans  demander  d'autre 
„  recompenfe  que  des  inftrumens  de  fer,  raéprifant  l'or  &  tout  ce  qui  paffe 
„  pour  précieux  en  Europe  (/)".  Dampier,  fans  remonter  jufqu'à  la  four- 
ce  de  leur  liaifon  avec  les  Anglois,  prétend  „  qu'ils  reconnoiflent  le  Roi 
d'Angleterre  pour  leur  Souverain.  Ils  regardent,  dit-il ,  le  Gouverneur 
de  la  Jamaïque  comme  le  plus  grand  Prince  du  Monde.  Pendant  qu'ils 
font  avec  les  Anglois ,  ils  portent  des  habits ,  &  fe  font  même  honneur 
de  leur  propreté;  mais  ils  ne  font  pas  plutôt  retournés  dans  leur  Pays , 
que  reprenant  leurs  ufages,  ils  ont  pour  toute  parure  une  finvple  toile  at- 
tachée au  milieu  du  corps,  qui  leur  pend  jufqu'aux  genoux  (mi)".  Quel- 
que 


OiiCRirTio:; 
Di  LA  Nou- 
velle   KirA- 
ONe. 


(  j  )  On  en'  trouve  un  détail  curieux  dans 
le  Voyage  de  Robert  Laie.  Dampier  en  parle 
aulH  avec  aflez  d'étendue,  Tome  I.  page  12 
^fuivantes;  mais  il  ne  leur  donne  de  l'af- 
feftion  que  pour  les  Anglois.  Ils  n'aiment 
pas  tes  François,  dit- il,  &  leur  haine  ed 
mortelle  pour  les  Efpagnols. 

(  fe  )  Dampier  dit  qu'ils  ont  la  vue  extraor- 
dinairement  perçante,  qu'ils  découvrent  un 
Vaifleau  de  beaucoup  plus  loin  que  nous ,  & 
qu'ils  voient  bien  mieux  toutes  fortes  d'ob- 
jets. Ils  font  exercés  dès  l'enfance  à  fc  fer- 
vir  du  harpon  pour  pêcher.    Leur  adrefll"  cil 


fi  fingulicre,  .que  tout  nus  qu'ils  font,  ils 
prennent  plaifir  à  fcrvir  de  but  aux  flèches 
qu'on  peut  leur  tirer.  Pourvu  qu'on  n'en 
tire  qu'une  à  la  fois ,  ils  font  fùrs  do  parer 
ie  coup ,  avec  une  petite  verge  ,  aullî  dé- 
liée que  la  baguette  d'un  fufil.  Ils  font 
grands ,  bien  faits ,  agiles  &  vigoureux.  Ils 
ont  le  vifage  long ,  les  cheveux  noirs  & 
luilans,  l'air  rude  ,  6c  le  teint  bafanné, 
ubi  J'uprà. 

(/)  Oexmelin,  ubi  J'uprà,  pages  231  6c 
précédentes. 

(7»)  Dampier,  page  15,  vbi  fnprà. 


» 


■'■  \ 


532 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


DU.     LA 
VELLE 

CM£. 


Descrtptton  que  parti  qu'on  prenne  entre  Oexmelin  &Dampier,  qui  exerçoient  à-peu- 
""  '  *  ^ou-  pj^j  çj^„3  ig  méme-tems  la  profelfion  d'Avanturiers,  il  paroît,  par  des  Re- 
^'^'  lations  plus  récentes,  que  l'afFedlion  &  les  fervices  des  Mofquites  font  au- 
jourd'hui déclarés  pour  les  Anglois.     •  .< 

Oexmelin  ajoute  que  le  Gouvernement  de  cette  Nation  cfl  abrolument 
•Républiquain.  Elle  ne  reconnoît  aucune  forte  d'aiicoritt.  Dans  les  guer-' 
res  qu'elle  a  fouvent  contre  d'autres  Indiens ,  &  qui  nuifent  beaucoup  à  fa 
multiplication,  elle  clioifit  pour  Commandant  le  plus  brave  &  le  plus  ex- 
périmenté de  les  Guerriers  ,  celui,  par  exemple,  qui  ayant  fervi  ionj];-tems 
fous  lesAvanturiers  eft  revenu  avec  des  témoignages  de  prudence  &de  va- 
leur.  Après  le  combat,  Ton  pouvoir  celfe.  Le  Pays  que  les  Marquites  oc- 
cupent n'a  pas  plus  de  quarante  ou  cinquante  lieues  d'étendue,  &  la  Nation 
n'etl  compofée  que  d'environ  quinze  cens  Hommes,  qui  forment  comme 
deux  Colonies;  l'une,  qui  habite  le  Cap;  l'autre,  établie  dans  le  Canton 
qui  le  nomme  proprement  Moufquite  ou  Moujîique.  Mais  dans  les  deux  Ha- 
bitations, il  y  a  beaucoup  de  Nègres,  libres  ou  efclaves,  dont  la  race  eft 
venue  de  Guinée  par  une  avanture  extraordinaire.  Un  Capitaine  Portu- 
gais,  qui  apportoit  de  Guinée  des  Nègres  au  Brefil,  les  obferva  fi  mal, 
qu'ils  fe  rendirent  maîtres  du  Vaiffeau.  Ils  jettérent  leurs  Condufteurs 
dans  les  liots.  Mais,  ignorant  la  Navigation ,  ils  fe  laifierent  condui- 
re par  le  vent,  qui  les  porta  au  Cap  de  Gracias  à.  Dios,  où  ils  tombè- 
rent entre  les  mains  des  Mofquites.  Ils  ne  purent  éviter  l'efclavage; 
mais  ils  fe  crurent  plus  heureux  que  dans  le  fort  dont  ils  s'étoient  déli- 
vrés. On  en  compte  encore  pli^s  de  deux  cens,  qui  parlent  la  langue  du 
Pays,  &  qui  mènent  une  vie  aflez  douce,,  fans  autre  affujétilTement  que 
d'aider  leurs  Maîtres  à  la.  péche^  &  de  partager  les  travaux  communs  de 
la  Nation  (m)» 

.  Dampier  avoue,  comme  Oexmelin,  que  les  Mofquites  n'ont  aucun  prin- 
cipe de  Religion.  Cependant  on  a  découvert  que  leurs  Ancêtres  avoient 
des  Dieux  &  des  Sacrifices.  Ils  donnoient,  tous  les  ans,  à  leurs  Prêtres, 
un  Efclave  qui  repréfentoit  leur  principale  Divinité.  Après  l'avoir  lavé 
avec  beaucoup  de  foin ,  on  le  revétoit  des  habits  &  des  ornemens  de  l'Ido- 
le. On  lui  impofoit  le  même  nom.  Il  recevoit,  pendant  toute  l'année,  le 
même  culte  &  les  mêmes  honneurs.  UneGarde  de  douze  Hommes  veilloit 
fans  cefle  autour  de  lui,  autant  pour  l'empêcher  de  fuir,  que  pour  fournir 
à  fes  befoins ,  &  lui  rendre  un  hommage  continuel.  Il  occupoit  le  plus  ho. 
notable  appartement  du  Temple.  Les  principaux  Mofquites  l'y  fervoient 
régulièrement.  S'il  lui  prenoit  envie  d'en  fortir,  il  étoit  accompagné  d'un 
grand  nombre  de  Courtifans  ou  d'Adorateurs.  On  lui  mettoit  entre  les 
mains  une  petite  flutte,  qu'il  touchoit  par  intervalles ,  pour  avertir  le  Peu- 
ple de  fon  paflage.  Ace  fon,  les  Femmes  fortoient,  avec  leurs  Enfans 
dans  les  bras,  &  les  lui  préfentoient  pour  les  bénir.  Tous  les  Habitans 
du  Bourg  marchoient  fur  ^es  traces.  Mais  on  lui  faifoit  pafTer  la  nuit 
dans  une  étroite  prifon ,  à  laquelle  on  donnoit  le  nom  deSanéluaire,  & 
dont  la  fituation  répondoit  de  fa  perfonne  autant  que  la  vigilance  de  fes 

Gardes, 
(n)  Oexmelin,  ubi  fuprà,  page  243.,  >    .;. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        53^3 

Gardes.  Ces  foins  &  ces  adorations  duroient  jufqu'au  jour  de  la  Fête. 
On  le  facrifioit  alors ,  dans  une  Aflemblée  générale  des  deux  parties  de  la 
Nation  (0).  ■  '  "• 

Une  autre  bifarrerie  de  la  Religion  de  leurs  Ancêtres ,  qui  ne  paroiflbit 
point  abolie  depuis  longtems ,  écoit  d'enterrer  avec  chaque  Père  de  Fa- 
miUc,  non  -  feulement  les  Efclaves,  mais  fon  Prêtre,  &  tous  ceux  qu'il 
avoit  entretenus  dans  fa  maifon  en  qualité  de  Domeffciques.  Oexmelin  ra- 
conte qu'un  Portugais,  devenu  i  Efclave  de  ces  Barbares,  après  avoir  per- 
du un  œil  dans  le  combat,  eut  le  malheur  de  furvivre  à  fon  Maître,  & 
d'être  nommé  pour  l'accompagner  au  tombeau.  11  touchoit  au  moment 
d'être  égorgé ,  lorfqu'il  lui  vint  à  l'efprit  de  repréfenter  qde  le  Mort  feroit 
peu  conlidcré  dans  l'autre  Monde,  s'il  y  paroiiFoit  avec  un  Borgne  à  fa  fui- 
te.. Le»  Indiens  goûtèrent  cette  raiibn,  &  firent  choix  d'une  autre  Vifilime. 
Un  de  leurs  ufages,  qui  n'tll  pas  moins  fmgulier,  eft  celui  qui  regarde  les 
Femmes  veuves.  Après  avoir  enterré  leurs  Maris,  &  leur  avoir  porté, 
furlafoffe,  à  boire  &  à  manger,  pendant  quinze  Lunes,  elles  font  obli- 
gées  à  la  fin  de  ce  terme ,  c^'cxhumer  leurs  os,  de  les  laver  foigneuferaent, 
&  de  les  lier  enfemble  ,  pour  les  porter  fur  leur  dos  aufli  long-tems  qu'ils 
ont  été  en  terre.  Enfuice  elles  les  placent  au  fommet  de  bur  cabane,  fi  el- 
les en  ont  une,  ou  fur  celle  de  leur  plus  proche  Parent.  Elles  n'ont  la  li- 
berté de  prendre  un  autre  Mari,  quaprès  s'être  acquittées  de  ce  devoir  (p)» 
Tous  ces  Indiens  ont  fi  peu  de  goût  pour  ce  que  nous  appelions  les  Richef- 
fes,  que  ceux  qui  accompagnèrent  les  Avanturiers  au  pillage  de  Panama, 
leur  apportoient  l'or  &  l'argent  qu'ils  pou  voient  découvrir,  &  refulbient 
même  de  prendre  des  habits  &  des  étofftîs,  par  la  feule  raifon  qu'ils  n'en 
avoient  pas  befoin  dans  leur  Pays ,  où  l'air  ne  leur  paroiflbit  point  in- 
commode. Ils  ne  recherchent  que  ce  qui  eft  abfolument  nécellaire  à  la 
vie  (q). 

Du  côté  de  la  Mer  du  Sud ,  WafFer  raconte  qu'étant  parti  de  Panama  le 
10  de  Mai  1678,  pour  fe  rendre  à  Nicoya,  il  fut  obligé  de  jetter  l'ancre  à 
l'embouchure  d'une  Rivière  qu'il  nomme  Manglares ,  dans  la  Pi  Dvince  de 
Veragua,  &  qui  defcend  de  Chïrïqui^  haute  Montagne,  fameur-.  par  ,'es 
Mines  d'or.  •  11  y  prit  des  provifions ,  qui  s'y  trouvent  en  abondance ,  tel- 
les que  des  Veaux,  des  Porcs,  de  la  Volaille,  du  Maïz  &  des  Fruits.  En 
remettant  à  la  voile,  il  fut  battu  d'une  tempête,  qui  ne  Tempécha  point 
d'arriver  à  la  Pointe  du  Cap  de  Borka  ,  oi\  le  calme  le  retint  vingt  -  deux 
jours.  Avec  un  meilleur  tems  ;  il  n'auroit  eu  befoin  que  de  quatre  jours 
pour  arriver  à  la  Caldera;  mais  ayant  été  forcé  de  retourner  à  l'embouchu- 
re du  Fleuve  de  Chiriqui,  il  revint  par  la  Pointe  de  Borica  jufqu'à  la  vue 
de  rifle  deï  Canno,  ou  du  Chien  ^  d'où  fes  Matelots  l'aflurèrent  qu'il  ne  reftoit 
que  deux  jours  jufqu'à  la  Caldera.  Cependant  un  nouvel  orage  l'ayant  re- 
pouffé  encore  à  Chiriqui,  il  revint,  pour  la  troifième  fois,  vers  Borica, 
après  avoir  déjà  compté  81  jours  dans  une  navigation  qui  n'en  prend  pas 

or.- 


Deicription 
DE  LA  Nou- 
velle  Esi'A- 

GME. 


(0)  Ibid.  page  24.2. 

(p)  Oexmelin,  iibi  J'uprà,  page  240   & 


précédentes. 
(?)  Ibid.  page  245. 

Xxx  3 


DescP.irTTON 
ne   LA  Nou 

VELLB     Ef PA- 
ON iù 


534        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

ordii^airement  pius  de  huit  ou  neuf.  Le  vent  devenoit  quelquefois  favora- 
ble; mais  par  la  force  des  courans  contraires,  on  reculoit  prefqu'autant  la 
nuit  qu'on  avoic  avancé  du  matin  au  foir.  Doflze  jours  fe  palTérent  enco- 
re ,  &  les  pro vidons  commençoient  à  manquer.  Il  n'étoit  plus  tems  de  re- 
tourner à  Chiriqui.  La  néceffité  devint  fi  preffante ,  qu'elle  mérite  d'être 
repréfentée  (;)  ,  comme  un  exemple  fîngulier  des  Avantures  de  Mer,  à  la 
vue  des  Côtes ,  &  dans  un  trajet  fi  cyurt.  Cependant  un  Vaifleau  Mexi- 
quain,  qu'on  découvrit  fort  heureufement ,  &  qui  étoit  chargé  de  vivres  , 
arrêta  les  derniers  effets  du  derefpoir.  On  relâcha  dans  l'ifle  del  Canno ,  qui 
efl;  devant  la  Pointe  de  la  Caldera ,  &  que  Waffer  nomme  une  Ifle  délicieu- 
fe,  par  la  fraîcheur  de  Tes  eaux  &  de  Ton  ombrage.  Le  lendemain  j  ayant 
remis  à  la  voile ,  il  fe  trouva  vers  le  foir  à  la  vue  du  Port  qu'il  cherchoit  ; 
mais  la  joie  qu'il  en  reflentit  lui  coûta  cher.  Il  fît  préfent ,  à  Tes  Matelo.ts , 
de  ce  qui  lui  refloit  de  vin.  Dans  le  trouble  de  l'ivrefle,  les  ordres  furent 
mal  donnés  &  mal  entendus^  Le  Pilote  cria,  Nord-Ouejl;  le  Timonier  en- 
tendit Nord-Nord-Ouefi  y  &  porta  vers  la  Côte,  au  lieu  de  gouverner  vers  le 
Port.  L'effet  de  cette  fatale  méprife  fut  de  donner  contre  un  écueil ,  qui 
mit  la  Frégate  en  pièces.  Ne  dérobons  point  au  Leéleiir  la  peinture  d'un 
naufrage.  „  Tout  le  monde ,  raconte  Waffer ,  étoit  plongé  dans  un  pro- 
.,  fond  fommeil.  Cependant  je  fus  éveillé  par  le  bruit  des  vagues,  qui  fe 
„  brifoient  impétueufement  contre  les  Rochers  de  la  Côte;  &  je  m'écriai; 
„  Qu'e/l'Ce  donc  ^  Seigneur  Pilote  y  Entrons  •  nous  déjà  dans  le  Fort?  A  cet 
„  avis,  répété  deux  ou  trois  fois,  le  Pilote  fortit  de  fa  léthargie,  ouvrir 
,,  les  yeux  pour  s'éclaircir,  &  vit  avec  épouvante  un  Roc ,  que  robfcurité 
„  d'une  haute  Montagne,  couverte  d'arbres ,  n'avoit  pas  permis  de  recon- 
„  noîcre.  Il  cria  ,  Tourne  en  arrière,  mais  il  étoit  trop  tard;  &  la  Fréga- 
„  te  ,  pouffée  avec  une  égale  violence  par  le  vent  &  la  marée,  heurta  fi 
„  furieufement ,  qu'elle  s  ouvrit  de  toutes  parts.  Une  Montagne  d'eau ,  qui 
„  venoit  de  fc  brifer  contre  le  Roc,  fe  releva  dans  fon  retour,  entra  dans 
„  la  chambre  de  pouppe,  &  l'inonda  prefqu'entiérement.  Aulîitôt  les  la- 
„  mentations  fe  firent  entendre.  La  confufion  &  les  téné])res  augmenté- 
„  r;;iit  l'cirroi.     Chacun  fe  crut  au  dernier  moment  de  fa  vie;  &  pejrfonne 

ne 


(f)  „  II  ne  leftoit  qu'un  peu  de  Maïz, 
dans  l'auge  uux  Porcs ,  que  ces  vilains 
Aniinaux  avoient  remplie  de  fiente.  Ce 
défagvéablc  mets  fut  partagé  entre  nous , 
à  portions  égales.  Enfuite  il  fallut  faire 
ufte  capilotade  des  membres  coriaces  d'un 
vieux  Barbet,  qui  avoit fait  jufques-Ià mes 
délices.  Le  jour  fuivant ,  on  prépara  un 
nouveau  fcflin  d'un  cuir  de  Taureau,  qui 
avoit  fervi  de  coucher  à  mon  Chien , 
&  qui  par  fa  mort  étoit.  devenu  un  meu- 
ble inutile.  On  le  fit  bouillir  long -teins 
à  gios  bouillons,  jufqu'à  ce  qu'il  fut 
converti  en  colle  noirâtre.  Mais  loin  d'en 
être  dégoûtés ,  nôtre  faim  étoit  devenue  fi 
dévorante,  qu'il  fut  mangé  comme  la  plus 
dclicieufe  gelée.  Ce  même  jour,  uu  Wa- 


telot  Jifégre  qui  avoit  tenu  cachés  juf- 
qu  alors  deux  de  ces  fruits  qu'on  nomme 
Plantains  ,  en  mangea  Un ,  pelure ,  coque 
&  tout.  11  vint  fccrétemcnt  me  préfenter 
l'autre,  me  priant  de  lui  en  donner  feu- 
lement la  coque;  &  fi-tôt  qu'il  l'eut,  il  la 
dévora  fort  avidement ,  dans  la  craiuta 
que  quelqu'un  ne  la  lui  vînt  arracher.  11 
„  cft  certain  que  fi  nous  avions  pu  aborder 
„  à  quelque  terre  peuplée  de  Sauvages  In- 
,,  diens ,  qui  font  fur  cette  Côte  irréconci- 
,.  liables  Ennemis  des  Efpagnols,  nous  y  fc- 
,,  rions  defcendus  à  toutes  fortes  de  rifques, 
„  pour  nous  délivrer  de  cette  cruelle  extre- 
,,  mité".  Foyages  de  Liow.id  l'/affcr^  pa^^; 
271  &  précédentes. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL        535 

ne  pouvoit  s'imaginer  par  quel  étrange  revers  il  fe  voyoit  englouti  dans  Deschiptios 
les  flots ,  lorfqu'il  avoit  cru  toucher  au  Port.  Les  uns  s'abandonnoient  ""  ■•*  ^°^' 
au  derefpoir;  d'autres,  à  genoux  &  les  mains  jointes,  imploroient  la  mi-  ^"''^one. "^^ 
feficorde  du  Ciel;  d'autres  confeflbient  à  haute  voix  leurs  péchés  les  plus 
fecrets.  Pour  moi ,  qui  n'étois  pas  mieu:^  informé  de  la  caufe  du  mal , 
je  coqfervai  lé  fang  froid  que  j'ai  le  bonheur  de  ne  jamais  perdre;  &nous 
voyant  prêts  à  périr,  faute  du  fecoursqui  pouvoit  nous  fauver,  j'encou-  . 
rageai  mes  malheureux  Compagnons  à  donner  toutes  leurs  forces  au  tra- 
vail. Je  leur  perfuadai  d'abord  de  couper  les  mâts,  &  de  nous  faifir  de 
toutes  les  planches  &  les  poutres  qui  pouvoient  nous  foutenir  fur  l'eau. 
Enfuite,  je  fis  jetter  dans  la  Mer  tout  ce  qui  pouvoit  fubmerger  le  Vaif- 
feau  par  fa  péfanteur.  Cette  reflburce ,  avec  celle  des  pompes ,  retarda 
le  naufrage  jufqu'à  l'arrivée  du  jour.  Mais  le  plus  utile  de  mes  confeils 
fut  de  prendre,  deux  à  deux,  une  longue  corde,  que  j'exhortai  chacun 
à  tenir  par  un  bout.  Cet  expédient  fauva  la  vie  au  plus  grand  nombre. 
Lorfque  la  Frégate  eut  coulé  à  fond ,  malgré  le  fecours  des  pompes ,  tout 
le  monde  étant  forcé  de  fe  jetter  à  la  nage  fur  les  planches  dont  on  avoit 
pu  fe  faifir,  le  premier  qui  abordoit  au  rivage  tiroit  après  lui  fon  AfiTocié,. 
qui  tenoit  l'autre  bout  de  la  corde,  &  qui  étoit  quelquefois  prêt  à  fe  no- 
„  yer.  Nous  échapâmes  au  plus  redoutable  de  tous  les  dangers,  à  l'excep- 
„  tion  de  cinq  ou  fix  Malheureux,  qui  périrent  moins  dans  l'eau,  qu'en 
donnant  de  la  tête  contre  les  écueils,  &  contre  les  débris  mêmes  duNa- 

„vire(0". 

Waffer  ne  fut  point  abbatu  de  fa  difgrace.  Il  eut  le  bonheur  de  re- 
cueillir une  partie  de  ce  qu'il  avoit  jette  dan?  les  flots  ;  &  le  corps  même 
du  Bâtiment  ayant  été  tiré  fur  le  fable,  il  le  fit  brûler,  pour  en  fauver  tout 
le  fer.  On  a  déjà  remarqué  que  le  récit ,  qu'il  fait  de  fa  marche  jufqu'à  Ef- 
parza ,  a  fait  peu  connoïtre  un  Pays  défert  qu'il  traverfa  pendant  plufieurs 
jours,  fans  rencontrer  une  feule  Place  qu'il  ait  pu  nommer.  Mais  comme 
on  n'a  repréfenté  fa  navigation  &  fon  naufrage,  ^e  pour  fe  donner  l'occa- 
fion  de  reprendre  les  difl:ances  de  la  Côte,  il  fumt  de  l'avoir  conduit,  le 
long  des  deux  Provinces  de  Veragua  &  de  Cofta  ricca,  jufqu'au  Golfe  des 
Salines,  où  Ton  s'eft  arrêté  avec  Cooke  &  Woodes  Rogers  (f  ). 


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{s)  Lionnel  Waffer ,  pages  282  &  précé- 
dentes. 

{t)  Du  Cap  Blanc  à  celui  de  Herradura , 
on  compte  dix-huit  lieues ,  Nord-Oueft& 
Svid-Efl:.  Le  Golfe  des  Salines,  dans  lequel 
cft  la  Baie  de  Nicoya  ,  &  dont  la  partie  4u 
Sud-Eft  fe  nomme  Caldera  ,  efl;  entre  ces 
deux  Caps  ;  mais  ce  Golfe  n'eft  pas  décrit. 
Du  Cap  Herradura  à  Rio  de  la  Stella ,  onze 
lieues  Nord-Oueft  &  Sud-  Ed.  &  d'ici  h  Rio 
del  Canno  ,  huit  lieues  en  fuivant  la  môme 
route.  De  la  Pointe  Mala  à  Golfo  doke  ou 
Baie  d'eau  douce ,  fept  lieues  &  même  route. 
Du  Cap  Blanc  à  l'Ifle  delCannp  ,  trente -huit 
lieues  Sud-Eft  &  Nord-i)ueft.    Cette   lOe- 


n'cff  qu'à  une  lieue  du  Continent ,  fous  le 
huitième  degré  trente-cinq  minutes  de  latitu- 
de du  Nord. 

Cooke  marque  15  lieues,  Nord-Nord-Oucfl: 
&  Sud-Sud-Eft,  d'Herradura  à  l'Ifle  àcCbira 
qu'on  a  déjà  nommée,  &  place  à  moitié  che- 
min ,  fur  la  Côte,  une  Ville  Efpagnole  qu'il 
appelle  Landecbo,  où  les  Befl:iaux  font  en 
abondance.  La  Côte  efl  bafle ,  avec  quanti- 
té d'anfes  bordées  de  mangles ,  jufqu'à  la 
Rivière  de  Cipanfo,  qui  efl:  deux  lieues  au- 
delà  de  Chira;  ou  les  Vaiffeaux ,  dit-il,  vont 
prendre  les  chargemens  qu'on  y  apporte  de 
Nicoya;  ce  qui  s'accorde  avec  la  Relation 
de  Gage.  Cette  Ifle  efl  habitée  par  des  In- 
diens 


JDebcription 
DB  LA  Nou- 
velle   Efv\' 

UNE. 


536        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Raveneau  de  LuJJan ,  Flibuftier  François ,  dont  la  Relation  compofe  le 
troifième  Tome  de  l'Hiftoire  de  ces  Avanturiers  (t>),  décrit  plufieurs  Pla- 
ces delà  même  Côte,  mais  avec  aulTi  peu  d'ordre,  qu'il  en  mettoit  dans 
Ces  courfes.    On  doit  regretter  qu'en  traverfant  la  Terre- ferme  pour  palTer 
de  la  Mer  du  Sud  dans  celle  du.  Nord  ,  il  n'ait  pas  nommé  d'autres  lieux  que 
Segovie  la  Neuve ,  une  des  Villes  de  Nicaragua  que  nous  avons  lailTées  fans 
defcription.     11  avoit  pris  terre  au  Golfe  d'Amapalla  (a;),  d'où  il  rie  comp- 
te pas  moins  de  quarante  lieues  jufqu'à  cette  Ville.     La  route  de  deux  cens 
quatre-vingts  Hommes  au  travers  d'un  Pays  qu'ils  ne  connoiflbient  point,  & 
fans  ceiïe  à  la  vue  des  Efpagnols,  qui  ne  leur  lailToient  pas  un  moment  de 
repos,  paruîcroit  incroyable  dans  le  récit  de  Luflan,  s'il  n'étoit  vérifié  par 
d'autres  témoignages.  Ils  employèrent  près  dé  deux  mois  &  demi  à  fe  ren- 
dre auC^p  de  Gracias  à  Dios,  qui  fépare  la  Province  de  Nicaragua  de  cel- 
le de  Honduras  ;  fur  quoi  Luiïan  obferve  qu'ayant  prefque  toujours  marché 
au  Sud  Eft,  ils  avoicnt  fait  plus  de  trois  cens  lieues,  fuivant  leur  eftime, 
quoiqu'en  droite  route  les  Efpagnols  n'en  mettent  qu'environ  quatre-vingts 
de  ce  Cap,  ou  de  l'embouchure  de  fa  Rivière,  à  la  Mer  du  Sud.    Mais  il  y 
a  peu  d'utilité  à  tirer  de  fcs  Obfervations ,  dans  des  lieux  dont  il  ignoroic 

les 


(.liens  &  ne  manque  point  d'eau  ni  de  provi- 
sions. Elle  a,  fort  près,  à  l'Ell,  uac  autre 
illc,  balXc  &  ronde,  6c  au  Nord-Efl,  un  Banc 
de  Ihblc  couvert  d'eau  A  huit  lieues  de  i'Iflo 
de  Chira  elt- celle  dt:  Scint-Luc  ;  &  dans  l'in- 
tervalle on  rencontre  trois  autres  Iflesqui  fe 
nonimtnt  IJlas  eu  medio ,  environnées  de  bas 
f  jivJs.  Proche  de  la  plus  avancée  de  ces 
trois  lùacû  cdlciic  Gtiayavas.  J^'Ifle  Saint- 
Luc  forme  un  Port,  (-ù  l'on  charge  des  Mu- 
lets &  d'autres  iviarchandifes  pour  Panama.  11 
fe  nomme  Foro ,  avec  un  Bourg  Indien  à  une 
dciKi-licue  de  J'Ifle 

Dj  ruie  del  Canno  à  la  Pointe  de  Borica. 
qui  cil  fous'  le  liiiitième  degré  vingt  minutes, 
i!  faut  courir  Nord -Oucll- quart- au -Nord  & 
Sud  ■  Eil-quait-au-Sud.  De  écttu  Pointe  au 
Goîfo  dolce,  on  compte  quatre  lieues,  Nord 
Ouefl&Sud-Ell,  &  d'ici  à  la  PoiiUe  IVIala 
fix  lieues,  dans  la  même  dircdion.  t)e  la 
Foirte  de  Bnrica,  oii  commence  une  ^ure 
Baie.,  il  y  a  (ix  lieues  jufqu'aux  Iflcs  deChiri- 
'H  i.  Du  cùié  Nord  de  cette  Pointe  on  trouve 
un  Port  où  1  on  peut  mouiller  &  faire  de  l'eau. 
Au  Nord-Ouc'l  de  la  même  Pointe,  après 
avoir  pafl'é  quelques  Rochers,  on  découvre 
.in  autre  Port,  qui  fe  nomme  Port  des  Li- 
mons. Enfin,  deux  lieues  à  l'Oueftde  la  Poin- 
te de  Borica ,  près  d'un  petit  Bois  de  man- 
gles  blancs,  on  trouve  un  tioifième  Port, 
où  les  Mariniers  s'occupent  à  ramafler  des 
noix  de  coc.:,  lorfqu'ils  font  arrêtés  par  le 
vent.  Les  liles  de  Chiriqui ,  au  nombre  de 
ne'.;f,  font  rangées  trois  à  trois,  prefqu'à 
mûme  diftance  cntr'elles,  mais  fort  petites: 


&  la  dixième,  qui  peut  avoir  une  lieue  de 
tour,  eft  plus  proche  de  la  Côte,  vis-à-vis 
de  l'embouchure  d'une  Rivière  de  inûme 
nom,  fur  laquelle  eft  une  Bourgade  Efpa- 
gno!e,quife  nomme  aiUR Chiriqui .  oxiChe- 
riquc.  On  peut  entrer,  dans  cette  Rivière, 
des  deux  côtés  de  I  Ille.  Toutes  les  Iflcs  de 
Chiriqui  ont  de  l'eau  douce  &  des  noix  de 
coco.  On  rencontre ,  plus  loin  à  l'Eft ,  quatre 
petites  Iflcîs  ,  qui  fe  nomment  Seccas,  ou 
IJÎes  fecbes ,  6c  au  Nord-Efi:  trois  ou  quatre 
autres  qu'on  apnolle  Contreras.  De  Chiri- 
qui aux  Secas,  on  compte  quatre  lieues ,  & 
une  lieue  des  Secas  aux  Contreras  ;  quatre 
enfuite  d..s  Secas  à  Pueblo  Niievo  ,  qui  eft 
un  Bourg  EÇn^nol  avec  une  Ifle  &  une  Ri- 
vière Pueblo  Nuevo  eft  à  fept  dégrés  vingt- 
deux  miv.utcii  du  Nord.  De -là  jufqu'à  iïa}'a 
Honda,  fept  lieues.  A  deux  lieues  de  cet- 
te lîaic  ,  an  Sud,  eft  une  Ifle  qui  fe  nomiiic 
Cinahs.  On  rencontre  enfuite  les  Iflcs  do 
Copa  ou  Ojiilo  \ers  fept  dégrés  trente  mi- 
nutes. Il  îî"')' a  que  vingt  lieues  Sud-Eft,  de 
la  Pointe  de  Borica  aux  Iftes  de  Quibo  II 
faut  courir  dans  cette  direftion  jufqu'à  ce 
qu'on  découvre  celle  deOuicara,  qui  eft  ;ui 
Sud  de  toutes  les  autres.  De  l'Ifle  de  Qnica- 
ra  jufqu'à  la  Pointe  Manafo,  il  ne  refte  que 
dix  lieues.  Supplément  de  Woodcs  Rogers ,  pa- 
ges 1 4.  &  15.  Foyages  d'Edouard  Cooke ,  To.ne 
H.  pages  264  &  fuiv. 

(■y)  Hiftoire  des  Avanturiers  Flibufticr.s 
en  Anglols  ,■  par  Ocxinelin,  &  publiée  ci. 
François  en  1744.  à  Trévoux,  4. vol.  J//-12. 

(x)  A  12  dégrits  20  minutes  du  Nord. 


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au  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.       537 

les  noms.  A  l'égard  de  Ségovie,  que  les  Géographes  placent  à  treize  dé- 
grés vingt  «cinq  minutes  de  latitude  du  Nord,  <&  deux  cens  quatre-vingt- 
treize  de  longitude,  fur  la  Rivière  d'/^yar^,  „  elleeftaffife,  dit -il,  dans 
„  un  fond ,  &  comme  prifonniére  au  milieu  des  Montagnes  qui  l'environ- 
„  nent.  Les  Eglifes  y  font  mal  bâties  :  mais  fa  Place  d'armes  eu,  fort  bel- 
le, aufTi  bien  que  les  Maifons  delà  Ville.  On  compte,  de-là,  qoaran- 
te  lieues  jufqu'à  la  Mer  du  Sud.  Le  chemin,  du  lieu  d'où  il  étoit  parti , 
efl  d'une  extrême  difficulté.  On  n'y  trouve  que  des  Montagnes  d'une 
prodigieufe  hauteur,  fur  le  fommet  defquelles  il  faut  monter  fans  cefTe, 
avec  beaucoup  de  danger;  &  les  Vallées  y  ont  (Ipeu  d'étendue,  que 
pour  une  lieue  en  Pays  plat ,  on  en  a  fix  à  monter  ou  à  defcendre.  Le 
froid  y  ed  piquant,  &  le  brouillard  ordinairement  (1  épais ,  pendant  la 
„  nuit,  qu'à  l'arrivée  du  jour  les  Avanturiers  ne  fe  connoifToient  qu'à  la 
„  voix.  Il  y  a  vingt  lieues  de  Ségovie  jufqu'à  la  Rivière  qui  defcend  à  peu 
„  de  diftance  du  Cap  de  Gracias  a  Dios  (y)". 

Luss«.N  décrit  la  Caldera ,  dont  Rogers  6c  Cooke  fe  plaignent  de  n'avoir 
pas  trouvé  la  defcription  dans  leurs  Mémoires  Efpagnols  ;  mais  il  femble 
donner  ce  nom  à  tout  le  Golfe ,  que  d'autres  nomment  SalinaSj  &  dont  ils 
prétendent  que  la  Caldera  n'efl  qu'une  partie.  C'eft  une  Baie,  dit -il ,  qui 
porte  le  nom  de  flx  MagaHns ,  qui  font  à  la  diftance  d'environ  trois  lieues 
de  fa  Bouque ,  &  fur  le  bord  de  X Embarcaàore  <ÏEfparfa ,  Ville  qu'on  a  vue 
décrite  par  WafFer  (z),  &  qui  n'en  eft  auffi  qu'à  trois  lieues.  „  Cette 
Baie,  où  Nicoya  eft  litué  au  Nord-Eft  ,  &  que  cette  raifon  a  fait  nom- 
mer Baie  de  Nicoya  par  quelques  Géographes ,  eft  un  des  plus  beaux  Ports 
du  Monde.  Son  entrée  eft  pourtant  fort  large;  mais  en  récompenfe,  elle 
a  pour  le  moins  douze  lieues  de  profondeur ,  &  elle  renferme  quantité 
d'Ifles,*de  différentes  grandeurs.  Il  n'y  a,  de  tous  les  vents,  que  celui 
de  l'Eft  qui  puiiTe  y  nuire  aux  Vaifleaux.  Le  fond  de  la  Baie  eft  ouvert 
par  de  très  belles  Rivières  qui  s'y  déchargent ,  &  qui  conduifent  à  des 
i.  Sucreries,  dont  ce  Pays  eft  rempli.  On  peut  choifir  les  mouillages,  fui- 
vant  la  longueur  des  cables  ;  c'eft- à- dire  depuis  dix  braftes,  en  augmen- 
tant par  cinq,  juft[u'à  cent.  Les  fîx  Magafins  de  la  Caldera  ont  été  bâtis 
par  les  Habitans  de  Carthago  (a),  pour  le  Commerce  qu'ils  entretien- 
nent avec  le  Pérou.  On  trouve ,  dans  la  même  Baie ,  une  grofle  Banane' 
rie'*;  c'eft  le  nom  que  Luflan  donne  à  un  beau  Plant  d'arbres  à  fruits, 
fur-  tout  de  Bananiers,  qui  offrent  des  rafraîchiflemens  continuels  aux  Vaif- 
feaux  (b).  Il  fait  aulîî  la  defcription  de  quelques  Villes  &  Bourgades  de  la 
même  Côte, 

Chirâquia  eft  une  petite  Ville,  aflîfe  dans  une  Plaine ,  dont  la  vue  n'eft 

bornée  que  par  de  petits  Bois  fort  agréables ,  &  qui  eft  coupée  en  divers 

endroits  par  différentes  Rivières.    Elle  n'a  point  d'autre  Commerce  que  ce- 

-  .  lui 


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DBScumoir 
DE  LA  Nou- 
velle   ESPA* 


(y)  Ibid.  Tome  III.  page  305. 

(2)  WaiFer  la  nomme  Efparza;  mais  fui- 
vant  fon  récit  elle  doit  être  beaucoup  plui 
loin  de  la  Mer  ;  à  moins  qu'il  n'eût  marché 
plufieurs  jours  fur  les  bords  du  Golfe. 

A>7//.  Fart, 


(a)  L'Auteur,  ou  le  Traduéleur,  mettent 
toujours  Cartbagene,  qu'ils  confondent  ain(i 
fort  mal-à-propos  avec  Cartbago,  Capitale  da 
Cofta-ricca.  ;  :.      :   ,         -  . 

(  i  )  Ibid.  page  96.    •■  r^^l  iw^l  A  ;  i  ; 
Yyy 


pffciirrioir 

BI    LA    N0U> 

TU.I.B    EtfA- 

«MU 


538       DESCRIPTION    DU    ME  XI  Q  U«, 

lui  du  fuif  &  des  cuiri.  Son  Port  efl  dans  une  aflez  grande  Rivière  (c), 
qu'il  faut  remonter  près  d'une  lieue  pour  y  arriver,  &  qui  n'a  qu'une  Pafle 
à  Ton  embouchure.  Les  Erpagnols  mêmes  n'y  ofent  entrer  fans  une  Balife. 
De  ce  Port  il  relie  encore  trois  lieues  jufqu'à  la  Ville,  mais  le  chemin  eft 
d'une  fingulière  beauté.  A  Jeux  lieues  de  fa  Rivière^  oa  rencontre  une 
petite  Ifle  nommée  San  •  Pgeîro. 

LussAN  confirme  (</)  qu'Efparfa  n'efl:  qu'à  trois  lieues  de  la  Mer,  6i 
que  le  chemin  e(t  rempli  de  petites  Montagnes ,  d'où  Ton  découvre  néan- 
moins un  très  beau  Pays.  La  Ville  eil  bâtie  fur  uneéminence,  qui  fait  ap- 
percevoir  tout  ce  qui  fe  pafTe  dans  la  Baie.  Elle  efl  environnée  d'une  petite 
Rivière,  qui  en  fait  exaftement  le  tour;  &  du  côté  de  Carthago  on  ren- 
contre de  très  belles  Plaines ,  coupées  par  des  chemins  Royaux ,  qui  ne  le 
cèdent  point  à  ceux  de  l'Europe. 

San  LoRENza  efl  une  Ville ,  à  la  didance  d'une  lieue  &  demie  de  la  Mer, 
proche  du  Cap  ou  de  la  Pointe  du  même  nom  («  ).  Elle  efl  habitée  par  des 
Efpagnols  &  des  Indiens.  On  la  prendroit  pour  Chiriquita,  tant  il  y  a  dé 
reflemblance  entre  ces  deux  Places,  foit  par  leur  fituation,  foit  pour  le 
cours  des  Rivières  dont  elles  font  environnées.    Le  Pays  efl  fort  décou-" 


vert. 


Four  aller  à  Pmblo  Nuev^^  il  faut  monter  deux  lieues  dans  une  fort  belle 
Rivière.  Cette  Ville,  ou  cette  Bourgade,  n'efl  pas  des  mieux  fîtuées, 
quoiqu'afTife  fur  le  bord  de  la  Rivière.  Elle  efl  environnée  de  marécages. 
On  trouve  fur  le  chemin  un  retranchement  pour  fa  fureté ,  mais  peu  capa- 
ble d'une  longue  défenfe  (/).  ?  j  ;  '«^"^1*  ^  % 

BoccA  del  Tora  ât  Cofia-rieca^  efl  une  grande  Baie,  à  dix  lieues  de  la 
Pointe  de  Borica  (g).  La  largeur  de  fon  embouchure  efl  de  (juatre  ou  cinq 
^eues  d'une  Pointe  à  l'autre ,  oc  fa  profondeur  d'environ  huit  lieues.  Il  y 
9  du  péril  à  ranger  à  TEfl;  mais  on  y  trouve  par -tout  un  bon  mouillage; 
&  dans  le  fond  de  la  Baie  on  peut  jetter  l'ancre  fort  près  de  terre.  Quatre 
liles  y  qu'elle  contient  dans  fon  enceinte  ,  aifez  proche  du  rivage  de  l'Eft- 
Nord  Efl ,  font  environnées  de  Roches  qui  en  rendent  l'accès  difficile.  Plu- 
fîeurs  belles  Rivières  fe  déchargent  dans  la  Baie,  &  conduifent,  en  lés  re- 
montant ,  à  diverfes  Habitations  d'Indiens  qui  n'ont  pas  reçu  le  joug  des 
Efpagnols;  ce  qui  n'empècbe  point  que  les  Caravanes  de  Carthago  ne  pren- 
nent cette  route  pour  fe  rendre  à  Panama,  mais  bien  efcortées,  &  par  un 
chemin  qui  paiTe  à  flx  lieues  du  bord  de  la  Mer  (&).  .^"v    -     >  :  ' 

On  compte  vingt- fept  lieues  d'Elfparfa  à  Carthago  (ly. 

LussAN  fait  obferver  que  depuis  Realejo  jufqu'au  Golfe  de  Panama,  on 
pafTe  devant  quantité  de  petits  Ports ,  dont  if  faut  avoir  une  parfaite  con- 
BoifFance  pour  les  trouver.  La  Bouque,  dit -il,  en  efl  fi  cachée,  quelorf- 
qu'on  les  manque ,  il  efl  abfolument  impofTible  de  mettre  à  terre  te  long  de 
^  Côte.    Non>feulement  la  Mer  y  efl  toujours  émue;  mais  aux  moindres 

vents 


.(  c  )  A  luiit  dégrés  trente-  fept  minutes  du 
Nord.! 
(d)  Ibii.  page  1x4. 
{ff)  Â  huit  degrés  dix  mtoutes  duNoxdt 


Itrx  'i 


(/)  Ibii.  page  70. 

(  £■)  A  fept  dégrés  vingt-  deux  minut«e. 

(*)  Ibid.  page  190. 

(»)  Ibii.  pi«eao3.        •    '''- 


ï 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       ^3^1 

rents  de  Sud-Ed  &  de  Sud  -  Oued ,  elle  y  e(l  affreufe.  II  compte  de  l'Ide 
de  Quebo ,  où  les  Avanturiers  avoienc  choifi'  leur  retraite ,  quatre  •  vingts 
lieues  jufqu'à  Panama ,  dix  à  Pueblo  Nuevo,  &  cinq  jufqu'à  la  Côte. 

Entre  les  Ifles  qui  bordent  la  Côte  de  la  Mer  du  Sud,  depuis  le  Cap 
Blanc  jufqu'au  Golfe  de  Panama,  Dampier  fait  une  curieufe  defcription  de 
celles  deOuibo.  La  Côte  ,  dit  il,  s'étend  à  rOueft,  depuis  le  Golfe  juf* 
u'à  ces  liies.  Elle  efl  en  partie  montueufe ,  en  partie  bafle ,  &  couverte 
e  bois  fort  épais.  Mais,  quelques  lieues  plus  loin  dans  les  Terres,  la  Cam- 
pagne n'efl  compofée  que  de  pâturages ,  bien  pourvus  de  Beftiaux.  Cette 
Côte  ed  médiocrement  habitée.  Les  Efpagnols  peuvent  aller  par  terre  de 
Panama  par  tout  le  Mexique ,  ou  n'y  trouvent  pas  d'autre  obflîacle ,  que  la 
barbarie  de  quelques  Nations  Indiennes  du  Veragua ,  qu'ils  n'ont  point  en- 
core fubjuguées:  mais  vers  la  Côte  du  Pérou,  ils  ne  fauroient  aller  plus  loin 
que  la  Rivière  de  Chepo  ,  parce  que  le  Pays  ed  couvert  de  Bois  fi  épais,  & 
traverfé  par  tant  de  grofles  Rivières ,  fans  parler  des  petites  &  de  plufieurt- 
Bras  de  Mer ,  que  les  Indiens  mêmes  qui  l'habitent  ne  peuvent  y  pénétrer 
fans  beaucoup  de  peine. 

La  principale  des  Ifles  qui  portent  le  nom  de  Quibo  ed  à  fept  degrés 
quatorze  minutes  de  latitude  du  Nord.  Sa  longueur  eî[  de  flx  ou  fept  lieues, 
fur  trois  ou  quatre  de  large.  Ses  terres  font  baiTes ,  à  l'exception  de  celles 
qui  font  l'extrémité  Nord  Ed.  On  y  trouve  plufieurs  fortes  de  grands  ar- 
bres ,  de  l'eau  excellente ,  à  l'Ed  &  au  Nord-Ed ,  quelques  Bêtes  fauves , 
&  quantité  de  gros  Singes  noirs ,  dont  la  chair  ed  un  fort  bon  aliment. 
On  y  rencontre  aufll  des  Guanas  &  d'autres  Serpens.  Le  Sud  -  Ed  de  la 
Pointe  de  l'Ifle  a  fes  dangers  par  un  Banc  de  fable  ,  qui  s'étend  d'une  de- 
mi-lieue en  Mer,  &  par  un  Rocher  éloigné  d'un  mile  de  la  Côte,  une  lieue 
au  Nord-Ed  de  ce  Banc.  Si  l'on  excepte  ces  deux  Ecueils ,  on  peut  mouil- 
ler autour  de  l'Ifle ,  à  (5,  8,  10,  ou  12  brades  d'eau,  fur  un  fable  clair  &  de 
bonne  tenue. 

On  découvre  plufieurs  autres  Ifles,  les  unes  au  Sud -Oued,  les  autres  au 
Nord  &  au  Nord-Oued  de  celle-ci,  telle  que  Quicaro,  qui  en  ed  une  aflez 
grande  au  Sud -Oued.  Au  Nord  de  la  première,  on  trouve  celle  de  Rati' 
chenUf  qui  ed  couverte  d'une  efpéce  d'arbres ,  qu'on  nomme  Pû/wia  Maria, 
Cet  arbre  ed  droit  &  d'une  grande  hauteur.  La  reflemblance  des  noms 
n'empêche  point  qu'il  ne  foit  fort  différent  du  Palmier.  Il  ed  edimé  pour 
les  mâts.  Ses  veines ,  au  lieu  d'aller  droit  comme  celles  des  autres  arbres , 
circulent  autour  du  tronc.  Les  Cannales  &  ks  Camarras  font  d'autres  peti- 
tes Ifles  au  Nord-Ed  de  Rancheria ,  toutes  féparees  par  des  canaux  où  l'on 
peut  mouiller.  Elles  font  toutes  comprifes  fous  le  nom  général  d' Ifles  de 
Quibo  {k).        '  ri'-'U  'S<. 

Il  ne  rede,  pour  achever  ce  tableau  de  la  Nouvelle  Efpagne,  que  d'y 

joindre  quelques  traits  de  Lionnel  WafFer ,  qui  ne  fe  trouvent  dans  aucune 

autre  Relation.     Il  aflure  que  cette  vade  Région  contient  plus  de  quarante 

mille  Eglifes,  quatre-vingt-cinq  Villes  confidérables,  cinquante  huit  peti- 

••  '    •  --     -^ -■  -""•''•     ■'  "ii^  V  -■-  ■■'■•"■  ■'  -"■    •■-"•'-■ .    teg^ 

(fc)  Voyage  de  Dampier  autow  da  Monde ,  Tome  L  Cbap,  •,      ;.>;  -^  '  •  / 

Y  y  y  a 


Dnatmrum 
Di!  LA  Nou- 
velle EtrA- 
otrk. 


Idée  gënéra- 
le  de  la  Nou- 
velle Efpa- 
gne. 


Dueurtioir 

DE    LA    NOU- 
TKU.K     ESPA- 


540       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

tes,  &  un  nombre  infini  de  Bourgs  &  de  Villages.  Aux  trois  Audiencei 
qui  forment  fon  Gouvernement,  il  ajoute  celles  de  l'ille  Efpagnole  &  des 
Philippines ,  auxquelles  il  prétend  que  le  Viceroi  peut  nommer  provifion- 
nellement  des  Gouverneurs  &  d'autres  Officiers,  lorfcjue  ces  Places  devien* 
nent  vacantes  par  la  mort  de  ceux  qui  les  pofledent.  Indépendamment  de 
cette  prérogative,  il  compte  centtrente- cinq  Villes  (/),  où  ce  Dépofitai- 
re  de  l'autorité  fuprême  établit  des  Chefs  Civils  &  Militaires  par  fon  pro- 

f)re  choix  &  fans  la  participation  de  la  Cour.  Il  en  no mme  quatorze,  dans 
efquelles  il  comprend  à  la  vérité  Manille,  Saint  Domingue,  la  Havane  & 
Fortonc,  «où  il  met  des  Tréforeries  royales.  Les  autres  font  Mexico, 
Guaxaca,  VeraCruz,  Merida,  Guadaiacara,  Guatimala,  Chiapa,  Duran- 
go,  San  Luis,  Zacatecas  &  Tafco.  Les  Tréforiers  généraux  de  ces  qua- 
torze  Villes  ont  chacun  leur  Jurifdiélion ,  qui  s'étend  fur  un  grand  nombre 
de  Tréforiers  fubalternes.  C  e(l  par  cette  voie  que  les  1  nbuts ,  les  Im< 
pots  &  les  autres  Droits  de  la  Couronne  font  raiTemblés ,  tous  les  ans ,  pour 
attendre  l'arrivée  de  la  Flotte  qui  les  tranfporte  en  Efpagne.  Tout  ce  qui 
concerne  d'ailleurs  TAdminidration ,  le  Commerce,  la  Religion  &  les  Ufa* 
ges ,  efl:  renvoyé  aux  Articles  qu'on  va  donner  fuccelTivement  fous  ces 
titres. 


(/)  On  ne  peut  fe  dirpenfer  de  les  nom- 
mer, parce  qu'une  partie  ne  fe  trouve  point 
dans  les  autres  Voyageurs  &  n'a  point  paru 
dans  la  Defcription.  St.  Ildefonre,  Xigoyan, 
Mexapa,  TIapa,  Terules,  los Angeles,  Me- 
choacan ,  San  Luis,  Tafco,  Xiquiipar  la 
grande,  Chilchota,  Talnfltaro,  Pintzardaro, 
Colima,  Sayula,  Chametla,  Motinez,  Amu- 
la ,  Zamora  ,  Xacona  ,  Aguaria  ,  Miaguat- 
lan,  Tinguindin,Salaya,  St.  Michel  &  Saint 
Philippe,   Guanaguato,  Cinàloa,  Meftitlan, 

Sueretaro,  Alamillo,  Sombrerete,  Cholula, 
lialco,  Suchimiico,  Atrifca,  Guacozingo  , 
Zapotlan,  Sacatula,  Tutepeque,  Tecoante- 

Ïeque,  Tepeaca ,  Teguacan,  Tulanfingo, 
Ihichicapa,  Oaxaca,  Xilotepeque,  Panuco, 
Itampico  ou  Tampica ,  los  Vallès  ,  Villa 
ricca,  qui  eiï  l'ancienne  Vera-Cruz,  Xaîappa, 
Mexicalfingo,  Tacubaya,  Coantnavat,  Teu- 
titlan  ,  Âcatlan,   Serrogordo  ,  £1  Saltillo, 


Agualulcos ,  Sultepeque ,  Tlafafalou,  Iftepec', 
Izucar ,  Yapotlan ,  Guatulco ,  Titzla ,  Chantla 
de  la  Sal ,  Tetela  ,  Itmiguilpa,  Xiguilpa, 
los  Lagos ,  Léon ,  Pachuca  ,  "Totonicapa , 
Guadalcazar,  Xiguipiia ,  Teutila,  Orifaha, 
Xalofingo,  Papantia ,  Quantitlan  de  los  Jar- 
res, Tezcuco,  San-Tuan  de  los  Llanos,  St. 
Jacques  de  Tecalinutlan ,  Saint- Antoine ,  Gua- 
tifco  ,  Tulpa  ,  Petaltepeque  ,  Zapotitlan , 
Cuig^acan,  Xafoitremendo,  Yurirapundaro , 
Topila ,  Teuficalco ,  Marabatio  ,  Tuximar. 
ca ,  Guaufacalco  ,  Xitopeque ,  Zumpango , 
Guauchinango ,  Simatlan ,  Xiquililco ,  Otum. 
ba,  Saint- Chriftophe,  Chacalluta,  Compua. 
la,  Yautttlan,  laMifleca,  Teutitlan  du  che- 
min ,  Tepabotiflan ,  Culiacan ,  Zapotecas , 
Petatlan,  Compoflela,  Quatagualpa,  Ck>fa- 
maluapa  ,  &  quelques  autres ,  dont  WafFer 
n.a  pu  retrouver  les  noms ,  ubi  fuprà ,  page 
349. 


Supplément  pour  la  Province  de  Guaxaca. 

LE  doute  qu^on  a  fait  nattre  fur  le  récit  de  Dampier,  dans  une  Note 
qui  appartient  aux  Ports  de  cette  Province,  efl  heureufement  levé  par 
Luflan  ;  &  l'bn  ne  regrette  que  d'avoir  eu  fa  Relation  trop  tard ,  pour  join- 
dre cet  éclaircifTement  à  l'article  qu'il  regarde. 

La  Baie  deTecoantepeque,  où  il  arriva  le  28  d'Août  1687,  eft,  dit -il, 
à  vingt  lieues  du  Potc  de  Guatulco,  qu'il  nomme  Fatulco  (a).    Il  y  prit 

terre 
(a)  A  quinze  dégrés  cinquante  loinutes  du  Nord,      --i:-    -' 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  I L       541 


terre,  pour  fe  rendre  à  la  Ville ,  qui  efl:  à  quatre  lieues  de  la  Baie, 
découvre  à  demi-lieue,  d'une  élévation ,  d'où  l'on  diftingue  huit  Fauxbourgs 
qui  l'environnent.    Elle  efl  commandée  par  une  très  belle  Abbaïé,  bâtie 
en  plateforme,  qui  pafleroic  plutôt  pour  un  Fort  que  pour  une  Maifon  Re- 
ligieufe,  &  qui  porte  le  nom  de  San-brancifco.    Depuis  le  Port  Sonfonate, 
ou  la  Trinité ,  dans  la  Province  de  Guatimala ,  jufqu'à  celui  d'Acapulco ,  il 
ell:  impoflible  d'aborder  dans  d'autres  lieux  que  les  Haies  ;  &  quoique  celle 
des  Salines  foit  petite  <&  de  difficile  accès ,  parce  que  la  Mer  y  ed  très 
grofle ,  on  ne  laifle  pas  de  la  compter  pour  un  Port.    Elle  eft  la  premiè- 
re après  Sonfonate,  à  vingt  lieues  au  vent  de  celle  de  Tecoantepeque, 
que  les  Efpagnols  marquent  aufli  pour  Baie  dans  leurs  Cartes ,  quoiquelle 
aie  n  peu  de  profondeur  qu'à  peine  la  didingue-t'on  H  l'on  n'elt  à  terre. 
Elle  eil  terminée  par  un  petit  Lac  qui  porte  fon  nom ,  avec  lequel  elle 
communiquoit  autrefois,  &  dont  l'embouchure  e(l  aujourd'hui  bouchée  de 
fable.    Le  VaifTeau  d'Acapulco  y  relâchoic  anciennement,  à  fon  retour 
de  Manille;  &  quelques  Efpagnols  apprirent  à  Luflan  qu'il  aboutit  par 
fon  autre  extrémité  à  la  Rivière  de  Vadagua,  qui  va  fe  rendre  dans  la 
Mer  du  Nord  (ô). 

Le  Port  de  Guatulco,  dont  on  répète  que  la  fituation  efl  à  vingt  lieues, 
fous  le  vent  de  la  Baie  de  Tecoantepeque,  n'a  d'étendue  que  pour  contenir 
onze  ou  douze  Navires;  encore  doivent*ils  être  amarrés,  devant  &  derriè- 
car  s'ils  n'avoient  que  leurs  ancres ,  ils  fe  briferoient  les  uns  contre  les 


On  la  tie^cRipTioir 
np.   \.K   Nou. 

VkLLE     li'TA- 
OMfi. 


re 


autres  au  changement  des  marées  &  du  vent.  C'ed  à  l'entrée  de  ce  Port 
qu'ed  le  Goufre,  dont  on  a  donné  la  defcription  d'après  Dampier,  &  dont 
le  bruit  fe  fait  entendre  à  plus  de  quatre  lieues.  Luflan  le  nomme  Bof adora. 
Quatre  lieues  plus  bas ,  on  trouve  un  autre  Port ,  très  dangereux  par  fes 
Rochers,  &dans  la  Paffe  duquel  un  Rocher,  qu'on  nomme  le  i^or;7/o»,  efl 
fans  cefTe  couvert  de  Boubies,  de  grand-Gofiers  &  d'autres  Oifeaux  de  Mer. 
Un  peu  plus  loin ,  on  rencontre  Yljle  dos  Sacrificios.  Huit  lieues  au-delà , 
font  trois  petits  Forts,  éloignés  d'une  lieue  l'un  de  l'autre,  dont  le  plus 
beau  porte  le  nom  de  los  Angeles,  Son  entrée  ne  s'apperçoit  qu'en  fur- 
vant  la  terre,  &  préfente  un  Rocher,  percé  comme  une  porte  cochere. 
De  ce  Port  à  celui  d'Acapulco,  c'eflà-dire  dans  une  diflance  de  foixan^ 
te  lieues,  on  n'en  trouve  aucun  autre  que  le  Port  Marquis  (<:),  à  deux 
lieues  du  dernier. 


(&)  Ravcnau  de  Luflan,  uiifuprà,  page  276. 


(c)  Ibid,  page  274. 


Origine,  Monarchie  ^  Chronologie  y  Cour  Impériale  y  Revenus  de  T Empire ^ 
&  Gouvernement  des  anciens  Mexiquains. 


Hidoire 


univeifeU 


LES  anciennes  Hifloîres  des  Mexiquaîns  rapportent,  dit-on,  quelques 
circonflances  d'un  Déluge  qui  fît  périr  tous  les  Hommes  &  les  Ani-  Mexïquaine 
maux ,  à  l'exception  d'un  Homme  &  d'une  Femme,  qui  fe  fauvèrent  dans  «^'".°  Ddug« 
une  de  ces  Barques  qu'ils  nomment  Acalles.    L'Homme ,  fuivant  le  carac- 
tère qui  exprime  fon  nom,  s'appelloit  Coxcox,  &  la  Femme  Chichequetzal, 
Cet  heureux  couple  arriva  au  pied  de  la  Montagne  de  Culhuacan ,  une  de 

Yyy  3  cel* 


DEfCRIPTinit 

DB    LA    NOU* 

ViiLLE     ESPA* 

ONB. 


Origine  que 
les  Hiftoriens 
Jonnent  aux 
Peuples  de  la 
Nouvelle 
Efpagne. 


54a        DESCRIPTION    DO    MEXIQUE. 

celles  qui  environnent  la  vallée  du  Lac.  Il  y  mit  au  monde  un  grand  nom* 
bre  d'Enfans,  qui  naquirent  tous  muets,  &  qui  reçurent  un  jour  la  faculté 
de  parler»  d'une  Colombe  qui  vint  fe  percher  fur  un  arbre  fort  haut.  Mais 
l'un  n'entendant  point  le  langage  de  l'autre,  ils  prirent  le  parti  de  fe  répa- 
rer. Quinze  Chefs  de  famille ,  aui  eurent  le  bonheur  de  parler  la  même 
langue,  s'unirent  pour  aller  chercher  une  nouvelle  Habitation.  Après  avoir 
erré  pendant  l'efpace  de  cent  quatre  ans,  ils  arrivèrent  dans  un  lieu  au'ils 
nommèrent  /Iztîani  &  de-là,  continuant  leur  Voyage,  ils  vinrent  d'abord 
àChiapultepeque,  enfuite,  à  Culhuacan,  &  pour  terme,  au  bord  du  Lac 
oCi  ils  fondèrent  une  Ville  qui  efl:  aujourd'hui  Mexico.  On  trouve  dans 
Carreri  la  copie  d'un  ancien  lableau  du  Pays,  qui  contient  leur  route,  avec 
les  hiéroglyphiques  qui  marquent  les  noms  des  lieux,  &  d'autres  fingulari- 
tés  (a),  dont  chacune  porte  fon  explication.    L'objet  de  l'Auteur  Mexi- 

Suain  étoit  de  faire  voir  que  fa  Nation  étoit  aufld  ancienne  que  le  Déluge , 
ï  que  la  Ville  de  Mexico  avoit  eu  fon  origine  dans  l'année  que  Tes  Habi- 
tans  nommoier.:  Omeccagli^  qui  répond  à  1  an  1325  de  la  Création  du  Mon- 
de. Mais  cette  Chronologie  ne  peut  être  exafle ,  puifqu'elle  met  fi  peu 
d'années  entre  le  Déluge  &  la  fondation  de  leur  Ville. 

Il  paroîc  évident  à  tous  les  Hifloriens  Efpagnols  (&),  que  les  premiers 
Habitans  de  la  Nouvelle  Efpagne  ont  été  des  Sauvages,  qui  habitoient  de 
rudes  Montagnes ,  fans  cultiver  la  terre,  fans  Religion  &  fans  Gouverne- 
ment ,  fe  nourriflant  de  leur  chafie  &  de  racines ,  d'où  leur  font  venus  les 
noms  à' Otomies  &  de  Cbichimeques  ^  &  dormant  dans  des  grottes  ou  des  buif- 
fons.  Les  Femmes  s'occupoient  des  mêmes  exercices ,  &  laifFoient  leurs 
Enfans  attachés  à  des  arbres.  On  trouve  encore  aujourd'hui,  dans  le  Nou- 
veau Mexique,  des  Hommes  de  cette  race,  qui  fe  prétendent  defcendus  de 
Coxcox  &  de  Chichequetzal ,  &  qui  font  reftés  dans  un  Pays  flérile  &  mon- 
tueux ,  fans  pcnfer  à  chercher  des  habitations  plus  douces.  Ils  vivent  aufli 
des  Animaux  qu'ils  tuent  dans  leurs  chaiTes ,  &  ne  s'aiTemblent  que  pour 
voler  &  tuer  les  Voyageurs.  Les  Efpagnols  n'ont  pu  les  fubjuguer ,  dans 
l'épaiffeur  des  Bois  qui  leur,  fer  vent  de  retraite. 

On  donne  le  nom  de Navat laques ^  pour  les  diilinguer  desChichimeques,à 
cette  race  d'Hommes  plus  polis  &  plus  fociables ,  qu'on  fait  defcendre  de 
fcpt  des  quinze  Chefs  qui  fe  déterminèrent  à  chercher  de  meilleures  terres. 
Ils  vinrent,  fuivant  les  mêmes  Hidoriens,  d'un  Pays  éloigné  vers  le  Nord , 
qu'on  prend  pour  celui  qui  porte  aujourd'hui  le  nom  à'Aztlan^  ou  Teukul^ 
dans  le  Nouveau  Mexique.  Quelques-uns  les  font  fortir  de  cette  Contrée 
en  820 ,  &  les  font  errer  l'efpace  de  quatre-vingts  ans,  avant  que  d'arriver 
à  Mexico,  où  ils  s'arrêtèrent  en  900.  Mais  ces  fuppofitions  s'accordent  mal 
avec  le  Tableau  &  les  Hiftoires  Mexiquaines  La  raifon,  qui  les  obligeoit 
de  s'arrêter  par  intervalles  ,  etoit  leur  foumillion  pour  une  de  leurs  Idoles, 

qui 


(0)  Carreri  obtint  cette  copie  â  Mexico, 
de  Dom  Charles  de  Siguema ,  qui  confer- 
voit  précicufement  le  Tableau.  La  ligne 
marque  le  chemin  des  Fondateurs ,  les  figu- 
res voiCnes  (oat  les  lieux  où  ils  s'arrêtè- 


rent; les  cercles,  le  nombre  d'amécs  qu'if J 
y  paffèrent. 

(b.  Herrera.  Décad.  3.  Lir.  1.  Gomara, 
Liv.2.  Acofta,  JJv.  <5  &  7.     ,        ,, 


•     ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       543 

qui  leur  ordonnoic  de  peupler  certains  lieux ,  &  qui  rcgloic  cnfuicc  le  tcms 
de  leur  départ.    Ils  n'arrivèrent  pas  tous  enfemblc  au  Lac  de  Mexico.  Les 
Suchhnilques ,  dont  le  nom  fignifie  J^atdiniers  de  fleurs  ^  turent  les  premiers  qui 
ie  logèrent  fur  la  rive  méridionale,  où  ils  fondèrent  une  Ville  de  leur  nom. 
Les  féconds  furent  les  CbalqueSy  c'e(l-à-dire,  Peuples  des  Bouches^  qui  vinrent 
long  tems  après,  &  qui  fondèrent  une  Ville  de  leur  nom,  aflez  proche  de 
Suchimilco.    Les  Tepeaneques  ^  ou  Peuples  du  Pont  ^  vinrent  enfuite,  &  peu- 
plèrent n  heureufement ,  que  leur  principale  Ville  fut  nommée  Azcapu- 
zalcoy  c'eft-à-dire  Four  millier  e.     Les  Fondateurs  de  Tezcuco^  nommés  Cul- 
JyuaSj  Q\x  Peuple  bojju  y  parce  qu'ils  avoient  une  Montagne  boflue  dans  leur 
Canton ,  s'établirent  ver§  l'Orient.    Ainfi  le  Lac  fut  environne  par  ces  qua- 
tre Nations.    La  cinquième,  qui  portoit  le  nom  de  Tatluques^  trouvant,  à 
fon  arrivée,  toute  la  Plaine  remplie,  fe  retira  au-delà  des  Montagnes ,  dans 
un  Canton  très  fertile,  où  elle  fonda  la  Ville  de  Quahuacy  qui  Cigniûe y^igle , 
&que ,  par  corruption,  on  iippelle  aujourd'hui Guornavacca^    C'efl  à  préfenc 
la  principale  Place  du  Marquifat  del  Valle,  dont  on  a  déjà  remarqué  que 
CharlesOuint  fit  préfent  à  Cortez.    La  fizième  Nation  fut  celle  des  Tlafco' 
Uns  y  ow  Peupla  du  Pain,  qui  pafTant  les  Montagnes  vers  l'Orient  alla  fonder 
piufieurs  Villes,  dont  la  Capitale  fut  nommée.  Tiafcala.    Les  anciens Sau- 
vagesy  qui  portoient  le  nom  de  Chichimeques  &  d'Ocomies, voulurent  s'op- 
pofer  à  ion  établifTement  ;  mais  ils  furent  vaincus  dans  cette  entreprife,  & 
voyant  vivre  les  fix  Nations  dans  une  intelligence  qu'ils  attribuèrent  à  la 
f^gefTe  de  leur  Gouvernement,  ils  commencèrent  à  changer  auflfi  de  mœurs 
&  d'ufages.    Ils  bâtirent  des  cabanes,  ils  reconnurent  des  Supérieurs  j  fans 
quitter  néanmoins  leurs  Montagnes,  &  fans  lier  aucun  commerce  avec  leurs 
Voifins.    On  croit  que  c'efl  d'eux  que  les  Habitans  de  toutes  les  autres  Pro- 
vinces tirent  leur  origine. 

Les  fix  Nations  étoient  en  pofFefnon  depuis  302  ans,  fuivant  Acofla  (c), 
des  EtablifFemens  qu'elles  avoient  choifis ,  lorfque  celle  des  Mexiquains ,  qui 
tiroit  ce  nom  de  Mai,  fon  Chef  ou  fon  Prince,  partit  du  Pays  qu'elle  avoit 
occupé  jufqu'alors,  fur  un  Oracle  de  l'Idole  ^irz///p»2:{/f ,  qui  lui  avoit  pro- 
mis un  grand  Empire.    Quatre  Prêtres ,  Interprêtes  des  volontés  de  l'Idole» 
faifoient  arrêter  en  divers  lieux  cette  Troupe  errante ,  pour  cultiver  pen- 
dant quelque  tems  les  terres  ;  &  commencèrent  l'ufage  de  facrifier  des  Vi£li- 
mes  humaines.    En  partant^  ils  laifToient  derrière  eux  les  Vieillards  &  les 
Infirmes ,  qui  n'en  peuplèrent  pas  moins  piufieurs  Cantons.    Les  Mexiquains 
s'arrêtèrent,  entr'autres  lieux ,  dans  le  Pays  qu'ils  nommèrent  Mechoacan, 
c'efl-à-dire  Pays  de  PoiJJon,  parce  qu'il  s'y  en  trouve  beaucoup  dans  fes 
Lacs.     Après  y  avoir  fondé  piufieurs  Habitations,  ils  pafTèrent  à Molinalco; 
&  de- là  s'étant  rendus  à  Chapultepeque  y  ils  s'y  fortifièrent  avec  tant  d'audace 
&  de  fuccès,  qu'en  peu  de  tems  ils  réduifirent  les  fix  Nations  ^  fur- tout  les 
Chalques,  qui  entreprirent  de  leur  réfifler.    Le  tems,  fixé  par  l'Oracle, 
arriva»    Vitzilipuztli  leur  ordonna,  par  la  bouche  des  Prêtres,  d'établir  le 
Siège  de  leurpuifTance  dans  un  endroit  du  Lac  où  ils  trouveroient  une  Aigle» 
perchée  fur  un  figiûer  qui  avoit  pris  racine  fur  un  Rocher.  Us  en  virent  une» 

{e)  Ubi  fuprà,  Liv.  j. 


De^crtptto» 

Dr.  LA     Nou- 
V£LI.R     V.ftA- 

r.ME. 


DtscntrTtoii 
ni  LA  Nou< 

VCLLB     f^PA' 

ONB. 

Fondation  de 
Tftnuchitlan  . 
ou  Mexico. 


Formation 
tic  la  Monar» 
chic,&  fuc- 
cclTion  de  fes 
Rois. 

Acamapitcblf. 


Vitzipolutzli. 


Chimalpo- 
poct. 


544        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE,      * 

que  lei  Prêtres  avoient  fans  doute  obfervée  avant  eux.  A  cette  vue,  ili 
s  inclinèrent  tous  ;  &  ce  fut  dans  ce  lieu  même  qu'ils  commencèrent  à  bâtir 
leur  Ville,  à  laauelle  ils  donnèrent  le  nom  de Tettiuchitlan',  c'efl-à-dire.dans 
leur  langue ,  le  Figuier  fur  Un  Rocher.  De-Ià  vient  que  jufqu'à  préfent  les  Ar- 
mes de  Mexico  ont  toujours  été  une  Aigle,  regardant  le  Soleil,  les  aîlei 
éployées,  tenant  un  fcrpent  dans  une  de  fesgriflPes,  &  l'autre  patte  ap- 
puyée fur  une  branche  de  figuier  des  Indes  {dy  On  éleva  un  Temple  pour 
ridule,  &  la  Ville  fut  divifée  en  quatre  Quartiers ,  dont  les  deux  principaux 
prirent  les  noms  de  Mexico  &  de  Tlateluco.  LesEfpagnols  confervcnt  enco- 
re cette  divifîon,  fous  les  noms  de  Saint- Jean ^  de  Sainte-Marie  la  ronde,  de 
Saint-Paul  &  de  Saint-Scbaflien. 

Les  Mexiquains ,  ayant  perdu  leur  Chef,  &  Tentant  l'importance  d'un 
fage  Gouvernement  pour  s'affermir  dans  leurs  pofTefTtons ,  élurent  Acama- 
pitcbli,  né  parmi  eux  d'un  de  leurs  Princes  &  d'une  Fille  du  Roi  de  Cuchua- 
can.  Ils  continuèrent  néanmoins  de  vivre  en  forme  de  République,  après 
avoir  confenti,  pour  éviter  la  Guerre  dans  l'origine  de  leur  Ville,  à  payer 
un  tribut  au  Roi  des  Tepaneques  d'Azcapuzalco,  comme  les  derniers  q;n 
s'étoient  établis  dans  cette  Contrée.  Mais  bientôt  ils  acquirent  tant  de  puif- 
fance  &  de  gloire,  que  leur  profperité  réveilla  la  jalouue  de  leurs  Voifîns. 
Le  Roi  d'Azcapuzalco,  cherchant  des  prétextes  pour  rompre  la  paix-,  leur 
fit  déclarer  que  le  tribut  ne  lui  fuffifoit  point ,  &  qu'il  exigeoit  d'eux  des 
matériaux  pour  bâtir  fa  Ville  «  avec  une  certaine  quantité  déplantes  nées 
dans  l'eau  même  du  Lac.  Le  premier  de  ces  deux  ordres  fut  exécuté , 
mais  le  fécond  paroifToit  impoflible.  Cependant  l'induflrie  des  Mexiquains 
leur  fit  imaginer  de  porter  au  Roi  un  jardin  flotant,  plein  de  légumes  (e). 
Ce  Prince ,  extrêmement  furpris  de  leur  adrelTe ,  les  mit  encore  à  l'épreu- 
ve, en  leur  demandant  une  Canne,  couvant  des  œufs,  qu'il  vouloit  voir 
éclore  au  moment  qu'elle  lui  feroit  préfentée.  Il  fut  obéi  ;  &  dans  l'admi- 
ration qu'il  conçut  pour  eux,  il  dit  hautement  que  leur  Empire  s'étendroit 
un  jour  fur  toutes  les  Nations. 

AcAMAPiTCHLi  mouFut ,  après  une  adminiflration  de  40  ans,  fans  avoir 
nommé  d'Héritiers.  La  République ,  par  reconnoiflance  pour  fa  lagefle  & 
fon  défintéreflement ,  élut  pour  lui  fucceder  un  de  fes  Fils ,  avec  le  titre 
de  Roi,  &lui  fit  époufer  la  Fille  du  Roi  d'Azcapuzalco,  qui  engagea  fon 
Père  à  convertir  le  tribut  en  quelques  Oifeaux  &  quelques  PoiiTons  du  Lac. 
Ce  fécond  Roi  de  Mexico, qui  fe  nommoit  f^itzipolutzli ^  mourut  dans  la  trei- 
zième année  de  fon  règne,  &  laifTa  un  Fils  âgé  de  dix  ans,  qui  lui  fucceda 
par  éleftion ,  fous  le  nom  de  Chimalpopoca.    Dans  une  grande  difette  d'eau 

douce. 


■(  d  )  Cependant  Charles  Quint  y  en  joignit 
d'autres ,  qui  font  un  Château  d'or ,  en  champ 
d'azur,  pour  fignifier  le  Lac  ,  avec  trois 
Ponts,  fur  deux  defqucis  font  deux  Lions 
rampans;  en  pointe,  deux  feuilles  de  figuier 
finople ,  en  champ  d'or. 

{e)  Que  ce  récit  foit  fabuleux  ou  non, 
Carreri  alTure  que  jufqu'à  préfent  on  a  con- 
fervé  l'ufage  de  cultiver  fui  le  Lac  (quelques 


pièces  de  ces  terres  flottantes.  Les  Mexl- 
t}uains  font  un  tilTu  de  joncs  &  de  rofeaux, 
qu'ils  couvrent  de  terre;  &lorfque  les  grains 
qu'ils  y  ont  femés  font  mûrs ,  ils  coupent  les 
racines  des  joncs  &  ^es  rofeaux,  qui  fo-t 
nés  dans  l'eau,  &  conduifent  fans  peine  le 
jardin  flottant  dans  tout  autre  endroit  du  Lac. 
T«me  VI.  page  $0, 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  H.        545 

tlouca.  il  obtint  du  Roi  d'Azcapuzalco,  Ton  ayeul,  la  permidlon  d'en  tirer 
de  la  Moncajçnc  de  Cliapiilccpeciue:  mais  les  Mcxiquains,  manquant  de  ma- 
tériaux pour  leurs  Aqueducs,  curent  la  liardiefle  d'exiger  de  leurs  Voifins, 
des  pierres, de  la  cliaux,  du  bois  &  des  Ouvriers,  par  reprélailles  du  tribut 
qu'ils  avoicnt  payé  long-tcms  aux  'Jepeaneques.     Il  s'éleva  une  guerre  fi 
fanglante,  que  le  vieux  Koi  d'/\/capuzalco  prévoyant  la  ruine  de  Ion  Petit- 
fils  en  mourut  de  chagrin  ;  &cc  jeune  Prince,  incapable  en  effet  de  réfitler  à 
les  Ennemies,  fut  allalîiné  dans  Ion  propre  Palais.     Ses  Sujets  lui  donnèrent 
pour  rucvcfleur,  Ttzcoatl,  Fils  d'Acamapitchtli, leur  premier  Roi,  &  d'une 
limple  Elclave.     Ils  y  trouvèrent  un  Vangeur.     A  peine  YtzcoatI  fut  fur  le 
Trune,  qu'il  défit  les 'repeaneques ,  dans  une  Bataille  fanglante;  &  s'étant 
faifi  de  leur  Ville,  il  les  força  cle  le  reconnoître  pour  leur  Souverain.     Ta- 
cuba,  Tezcuco,  Cuyoacan,  Suchimilco,  &  Cutîavaca,  éprouvèrent  le  mê- 
me ibrt.    Aiiifi,  dès  la  première  année  de  (on  règne,  YtzcoatI  fe  vit  maî- 
tre de  tous  les  EtabliOemcns  qui  s'étoient  formés  autour  du  Lac.     Il  mou- 
rut après  dix  ans  de  profpérité,  pendant  lefquels  il  avoit  contraint  les  Su- 
chimilques  de  faire  une  Chaulfée  de  Communication  entre  leur  Ville  & 
Mexico.     Tlacaetlelf  fon  Général ,  propofa  de  remettre  l'Eleélion  d'un  nou- 
veau Roi  à  fix  Caciques ,  entre  lefquels  il  n'y  avoit  de  fixe  que  ceux  de 
Tezcuco  &  de  Tacuba.    Cette  méthode,  établie  pour  éviter  la  confufion 
des  fuffrages ,  dans  une  Nation  qui  commençoit  à  devenir  fort  nombreufe , 
lubfiftoit  encore  à  l'arrivée  des  Efpagnols.     Le  choix  des  Elcfleurs  tomba 
fur  un  Neveu  de  TIacaellel,  qui  prit  le  nom  de  Motczurna^  c'e(l-à-dire  Pr/w- 
ce  couronné  y  &  qui  donna  naiflance  au  barbare  ufage  de  ne  pas  couronner 
les  Rois  fans  avoir  facrifié  quelques  Prifonniers,  qu'ils  dévoient  faire  eux- 
mêmes  après  leur  éleftion.     Le  deifein  de  fon  Oncle,  auquel  on  attribue 
ce  confeil ,  étoit  d'entretenir  le  goût  de  la  guerre  dans  la  Nation.    Motc- 
zuma  ne  manqua  point  de  prétexte  pour  attaquer  les  Chalqucs ,  &  leur  en- 
leva quantité  cle  Vi6limes ,  dont  le  fang  fut  verfé  au  pié  des  Idoles ,  le  jour 
de  fon  couronnement.    La  forme  de  ce  Sacrifice,  t^ui  fut  réglé  dans  le  mê- 
me tems,  confiftoit  à  fendre  l'eftomac  du  Prifonnier  avec  un  couteau  de 
pierre ,  pour  en  tirer  le  cœur ,  &  pour  en  frotter  la  face  de  l'Idole.    TIa- 
caellel, par  une  autre  politique,  réprima  l'ardeur  qui  portoit  fon  Neveu  à 
foumettre  la  Province  de  Tlafcala.     Il  lui  fit  comprendre  que  le  nouvel  Em- 
pire ne  pouvant  fe  foutenir  que  par  les  armes,  il  étoit  important  de  fe  con- 
ferver  toujours  des  Ennemis  belliqueux,  pour  aiguifer  le  courage  des  Mcxi- 
quains; fans  compter  la  néceflîté  qu'il  avoit  impofée,  à  fes  Succelfeurs ,  de 
fournir  des  Viftimes  pour  les  Sacrifices.     Ce  fut  le  premier  de  ces  deux 
motifs  qui  lui  fit  infliituer  auffi  l'ufage  de  fe  tirer  un  peu  de  fang  de  quelque 
endroit  du  corps,  dans  les  balfins  qui  fervoient  au  culte  des  Idoles.     Il  fal- 
loit  que  les  offrandes  fuflent  toujours  fanglantes;  &  lorfque  le  fang  ennemi 
manquoit  dans  les  l'cmples ,  il  n'y  avoit  point  de  iMexiquain  qui  ne  fût 
prêt  à  répandre  une  partie  du  fien. 

MoTEzuMA  I.  un  des  plus  grands  Empereurs  du  ]\Iexique,  car  c'efl;  de 
fes  Conquêtes  que  les  Iliftoriens  commencent  à  leur  donner  ce  titre,  éta- 
blit des  tributs  dans  les  Provinces  qu'il  avoit  affuj  nties ,  fe  fit  bâtir  un  ma- 
gnifique Palais,  éleva  un  fuperbe  Temple  pour  ia  principale  Idole  ,  &  for- 
XFIII.  Part.  Z  z  z 


DcfCiurrroit 
Pt    i.A   l'.nu* 

VkLI.B     LlfA* 


Ytzcoatî. 


Prcmicrcï 

COIKJUCU'S 

des  Mcxi- 
quains. 


Mûtczuma  l 


Iiiflituion 
de  quelques 
ulligcs  cruels, 


PBICBtrTIOR 

DE  LA  Nou- 
velle   ESPA* 


Axayacac. 


Ahuitzotl. 


Jilotczuma  II. 


Quuuhtimoc. 


Cuatimozin. 

Chronolo- 
gie des  Mexi- 
(^uains. 


Leur  ma- 
nièie  d'éciire. 


54(5       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE^ 

ma  divers  Tribunaux  de  Juftice ,  qui  reçurent  leur  perfeélion  fous  fes  Suc» 
cefleurs.  Il  régna  20  ans.  Après  fa  mort,  les  fix  £le£leurs  déférèrent  la 
Couronne  à  Tlacaellel ;  mais  if  refufa  de  l'accepter,  en  répondant  que  l'in- 
térêt de  la  République  demandoit  qu'elle  fût  fur  la  tête  d'un  autre ,  auquel 
il  continueroit  de  fe  rendre  utile  par  Tes  fervices  &  fes  confeils.  Cette  gé- 
nérolîté  porta  les  Eltéleurs  à  lui  donner  le  pouvoir  de  choifir  un  Roi.  Il 
nomma  Tico  cic\  Fils  d'ItzcoatK  Mais  les  Mexiquains,  qui  ne  connoif- 
foient  point  de  vertus  militaires  à  ce  Prince,  l'empoifonnèrent^  &  mirent 
fur  le  TràuQ  Axayacae y  fon  Frère,  de  l'avis  même  de  Tlacaellel ,  qui  mou- 
rut refpeâé,  dans  une  extrême  vieillefTe.  Axayacac  déclara  la  guerre ,  a- 
vant  fon  couronnement,  à  la  Province  de  Tecoantepeque,  &  la  fournit 
toute  entière  dans  la  feule  vue  de  faire  hommage  à  fes  Idole»  du  fang  de 
fes  Prifonniers.    Son  règne  ne  fut  que  d'onze  ans. 

Ahuitzotl,  qui  lui  fucceda,  ne  fe  fit  point  couronner  fans  avoir  cimen- 
té fon  Trône  par  la  mort  d'un  grand  nombre  de  Viftimes,  qu'il  enleva  dans 
plufieurs  guerres,  fur-tout  contre  les  j^f'^^^'^^'^'" »  qui  s'étoient  attiré  cet- 
te punition  en  pillant  le  Tribut  que  diverfes  Provinces  envoyoient  à 
Mexico.  Il  étendit  les  limites  de  l'Empire  jufqu'au  Pays  ^e  Guâtimala; 
&  ne  perdant  point  de  vue  fes  avantages  domefliques ,  il  environna  d'eau 
fa  Capitale»  en  y  faifant  amener,  à  grands  fraix ,  un  bras  de  la  Rivière  qui 
paiTe  à  Cuyoacan.  On  aflure  que  pour  la  confervation  d'un  Temple  qu'il 
fit  élever  à  la  principale  Idole  du  Mexique,  il  fit  facrifier,  dans  l'elpace  de 
quatre  jour»,  64080  Hommes.  Ce  Nsron  de  l'Amérique,  illuftre  d'ail- 
leurs par  (es  exploits,  &  par  les  dépenfes  extraordinaires  qu'il  fit  pour 
l'embelliflement  de  Mexico,  mourut  dans  l'onzième  année  de  l'on  règne. 

Il  eut  pour  'Snccaffeva  Mutezumt ^  fécond  du  nom,  que  les  Efpagnols 
trouvèrent  fur  le  Trône,  &  qui  le  perdit  avec  la  vie,  dans  la  plus  grande 
fplendeur  de  l'Empire. 

QuA.uaTiMoc  prit  fa  place  &  la  conferva  fi  peu,  que  fon  nom  s'eft  à  pei- 
ne fauve  de  l'oubli  (/).  «;    :  :.^;  ir-  >r.f,i     .^n  ; 

GuATiMoziN,  dernier  Einpereur  du  Mexique,  ne  fut  couronné  après 
QuauhtimoG,  que  pour  oflfrir  une  viélime  plus  illuftre  aux  Efpagnols. 

Tous  les  Hilloriens  s'accordent  fur  cette  fucceflîon  (^);  &  la  croyant 
bien  établie  par  les  Fartes  des  Mexiquains,  il  ne  refte  qu'à  donner  quelque 
idée  de  leurs  Calculs  chronologiques ,  tels  qu'on  prétend  les  avoir  tirés  de 
leurs  propres  Tables,  pour  faire  juger  de  la  confiance  qu'ils  méritent.  Ces 
ingénieux  Indiens,  n'ayant  point  de  lettres,  employoient  des  figures  hiéro- 
glyphiques pour  exprimer  les  chofes  corporelles  qui  ont  une  forme,  &  fe 
îervoient  de  divers  cara6lères  pour  l'êxprefiTion  des  fimples  idées.  Leur 
manière  d'écrire  étoit  de  bas  en  haut,  c'efl:- à-dire  contraire  â  celle  des 

Chi- 


(/)  On  a  fait  remarquer  qu'il  paroît  in- 
certain fi  ces  deux  derniers  Princes  ne  font 
pas  le  même,  dont  le  nom  fe  trouve  écrit 
différemment  par  les  premiers  Hlftoriens  ;  ou 
s'il  y  eut  fucceffivement  deux  éieftions  après 
la  mortdeMotezuma;  l'une  deQuauhtimoc, 
%wi  vécut  peu  de  jours,  fuivant  l'o^jinion. 


qu'on  a  cru  devoir  embraffer  avec  Soiis; 
l'autre  de  Guatimozin ,  qui  furvécut  quelque 
tems  à  la  ruine  de  l'Empire.. 

(g)  Herrera,  Décade  S-Liv.  2.  Chap.  12, 
flcfuiv.  Acoîla,  Liv.5&(5.  Gomara,  Liv.  2. 
&  plufieurs  auues. 


.4- 


V^ 


fous  fes  Suc» 
léferèreïit  la 
ant  que  l'in- 
itTGy  auquel 
.  Cette  gé- 
un  Roi.     II 

ne  connoif. 
;»  &  mirent 
1 ,  qui  mou- 
a  guerre ,  a- 
&  Ja  fournit 

du  fang  de 


ivoir  cimen- 
enleva  dans 
lit  attiré  cet* 
ivoyoient  à 
Guatimala; 
ronna  d'eau 
Rivière  qui 
7fcmple  qu'il 
1  l'elpace  de 
luftre  d'ail- 
u'il  fit  pour 
on  règne. 
j  Efpagnols 
plus  grande 

s'eft  à  pei- 

onné  après 
;noIs. 
la  croyant 
ner  quelque 
oir  tirés  de 
•itent.  Ces 
jures  hiero* 
irme,  &  fe 
lées.  Leur 
à  celle  des 
Chi. 

r  avjc  Solis; 
vécut  quelque 

2.  Chap.  12, 
inara,  JLiv.  2. 


/3 


-  Y,  IZlt 


"Txnr 


J 


ROUE    CHRONOLOGIQUE 


RAD  DER  TYDREKENINGE 


•  ^  ?'  ScA/ifv  a'f^wi»-  . 


DES    MEXIQUAINS 


VAN  DE   MEXICAANERS 


,r  rj'M.'^  j,'. 


r 


KOUE    CHRONO 


:i  Ns 


._.r 


> 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       547 

Chinois.  Ils  avoient  une  forteide  roues  peintes ,  qui  contenoient  l'efpace 
d'un  fiécle,  diftingué  par  années  avec  des  marques  particulières,  pour  y 
delîiner,  avec  les  caraftères  établis,  le  tems  où  chaque  chofe  arrivoit.  Ce 
fiécle  étoit  compofé  de  cinquante-deux  années  folaires,  chacune  de  365 
jours.  La  roue  étoit  divifée  en  quatre  parties ,  dont  chacune  contenoit  13 
ans ,  ou  une  indidlion ,  &  répondoit  de  la  manière  fuivante  à  une  des  quatre 
parties  du  Mo'nde. 

Cette  roue,  ou  ce  cercle,  étoit  environné  d'un  Serpent,  &  c'étoit  le 
corps  du  Serpent  qui  contenoit  les  quatre  divifions.  La  première,  qui 
marquoit  k  Midi ,  nommé  Futztlampa  j  avoit  pour  hiéroglyphique,  un  La- 
pin fur  un  fond  bleu,  &  s'appelloit  Tocbtli.  La  féconde,  qui  fignifioit 
l'Orient,  nommé  Tlacopay  ou  Tlahuilcopa,  étoit  marquée  par  une  Canne, 
fur  un  fond  rouge,  &  s'appelloit  Jcatl.  Le  hiéroglyphique  du  Nord,  ou 
Micolanipat  étoit  une  Epée  à  pointe  de  pierre,  fur  un  fond  jaune,  &  fe 
ïïommoit  Tecpatf.  Celui  de  l'Occident ,  ou  Sihvatlcftnpa ,  étoit  une  Maifon 
fur  du  verd ,  &  portoit  le  nom  de  Cagli. 

Ces  quatre  diviHons  étoient  le  commencement  des  quatre  indiélions  qui 
compofoient  un  fiécle.  Il  y  avoit,  entre  l'une  &  l'autre,  douze  autres  pe- 
tites divifons,  dans  lefquelles  les  quatre  premiers  noms  étoient  fucceffive- 
ment  diftribués,  chacuii  avec  fa  valeur  numérale ,  jufqu'à  13,  qui  étoit  le 
nombre  dont  une  indiélion  étoit  compofée.  Cette  ma  nière  de  compter  par 
13  s'obfervoit  non-feulement  dans  les  années,  mais  de  même  dans  les 
mois  ;  &  quoique  le  mois  des  Mexiquains  ne  fût  que  de  20  jours ,  ils  re- 
commençoient  lorfqu'ils  arri voient  313.  Si  l'on  demande  ,  d'où  leur  ve- 
jioit  cet  ufage ,  on  répond  qu'ils  fuivoient  apparemment  leur  calcul  de  la 
Lune.  Ils  divifoient  le  mouvement  de  cette  Planette  en  deux  tems  ;  le 
premier,  du  réveil,  depuis  le  lever  folaire  jufqu'à  l'oppofition ,  qui  étoit 
13  jours,  &  l'autre  du  fommeil ,  d'autant  de  jours,  jufqu'à  fon  coucher  du 
matin.  Peut-être  auffi  n'avoient-ils  pas  d'autre  vue  que  de  donner,  à  cha- 
cun de  leurs  Dieux  du  premier  ordre,  qui  étoient  au  nombre  de  13 ,  le  gou- 
vernement des  années  &  des  jours.  Mais  ils  ignoroient  eux-mêmes  1  ori- 
gine &  le  fondement  de  leur  méthode. 

Il  naît  d'autres  difficultés:  la  première,  pourquoi  ils  commençoient  à 
compter  leurs  années  du  Midi  ;  la  féconde,  pourquoi  ils  fe  fervoient  des 
<juatre  figures  d'un  Lapin,  d'une  Canne,  d'une  Pierre  &  d'une  Maifon.  Ils 
répondoient ,  à  la  première,  par  des  traditions  fabuleufes,  qui  leur  faifoient 
conclure  que  la  lumière  du  Soleil  avoit  commencé  dans  fon  Midi.  D'ail- 
leurs, ils  croyoient  que  l'Enfer  étoit  du  côté  du  Nord;  &  cette  idée  fuffi- 
foit  feule  pour  leur  perfuader  que  le  Soleil  n'avoit  pu  naître  que  du  côté  le 
plusoppofé,  qu'ils  regardoient  comme  la  demeure  des  Dieux.  Ils  ajou- 
toient  que  le  Soleil  fe  renouvelloit  à  la  fin  de  chaque  fiécle,  fans  quoi  le 
tems  auroit  fini  avec  un  vieux  Soleil.  C'étoit  un  ancien  ufage,  dans  la  Na- 
tion, de  fe  mettre  à  genoux,  le  dernier  jour  du  fiécle,  fur  le  toît  des  mai- 
sons, le  vifage  tourné  du  côté  de  l'Orient,  pour  obferver  fi  le  Soleil  re- 
commenceroit  fon  cours,  ou  fi  la  fin  du  Monde  étoit  arrivée.  Le  Soleil 
d'un  nouveau  fiécle  étoit  un  nouveau  Soleil,  qui,  fuivanc  l'ordre  de  la  Na- 
ture, devoit  reproduire  tous  les  3ns,  après  le  mois  de  Janvier,  la  verdure 

2zz  2  fur 


DHïcmrTrotr 
TE  LA  Nou- 
velle   ESPA< 
CMC, 


Roue  Cliro- 
nologique ,  -Ci 
Tes  divifions. 


Il 


DecCRtPTTON 

I)»-  LA    Noi'. 

VSLLB     EsFA- 

VUE. 


\\ 


MoisMcx' 
qu.iins,  au 
Honibrc  de 
dix-huit. 


Jours  inter- 
calaires. 


548        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

fur  les  arbres  :  &  pouflant  encore  plus  loin  cette  analogie  entre  le  fiécle  & 
l'année,  ils  voulurent  que  comme  il  y  a  quatre  faifons  dans  l'année,  il  y 
en  eût  quatre  aufli  dans  le  fiécle;  Tochtli  fut  établi  pour  le  Printems ,  où  la 
jeunefTe  de  l'âge  du  Soleil ,  comme  fon  commencement  dans  la  partie  mé- 
ridionale; ^catlj  pour  fon  Eté;  Tecpatl  pour  fon  Automne,  &  Cagli  pour 
fon  Hiver  ou  fu  vicillefle.  Ces  quatre  figures ,  dans  h  même  ordre,  ctoienc 
encore  les  fymboles  des  quatre  Elémens;  c'e'1-à-dire  que  Tochtli  étoit  con- 
facré  à  Tevacayuhua^  Dieu  de  la  l'erre;  Acatl  à  Tlalocaietuhtli ,  Dieu  de 
l'Eau;  Tecpatl  à  Chetzalcoatl t  Dieu  de  l'air,  &  Cagli  à  X'mhtcaih'iï y  Dieu 
du  Feu. 

A  regard  de  leurs  mois,  qu'ils  ne  compofoient  que  de  vingt  jours,  il  ef^ 
clair  que  ce  calcul  étoit  fort  régulier,  puifqu'ils  en  comptoient  dix-huit, 
qui  reviennent  aux  douze  mois  Egyptiens  de  trente  jours.  Leurs  noms  é- 
toient;  i  Tlacaxipohualiztli  y  2  Tozoztli,  3  Hueytozoztliy  ^Tvxcatl^  5  EtzaU 
cualiztliy  6  TecuyUmïtl^  7  Hueytecuylhuitl y  8  Micaylhuitl  ^  Q'Hueymicaylhuitly 
.îo  Ochpaniztli,  iiPachtli,  12  Hucypachtli ,  i^Checiogn^  14.  Panchetzaliztliy 
15  Aremoztliy  iG  Tithly  17  Izcagliy  18  Àilacoalo.  Ils  font  repréfentés  dans 
le  cercle  intérieur  de  la  figure.  Chacun  des  vingt  jours  avoit  auflî  fon  nom 
particulier,  favoir;  CipatîUy  Cecatî  y  Cagli  y  CncizpaglWy  Coatïy  Michiztliy 
Mazatly  Tochtli  y  jtly  Itzcuintliy  Ozomaîliy  Malinagliy  JcatlyOcelotly  Ouaii- 
litliy  Cozcaquauhtliy  OglUiy  Tecpatl  y  Quiahmtly  &  Xocitl.  Ces  mois  ne  fe 
divifoient  pas  en  femaines  (/;).  Quoiqu'il  n'y  eût  que  20  jours  dans  ceux 
des  Mexiquains,  leur  divifion  étoit  aufli  par  13;  apparemment  pour  éviter 
laconfufion;  car  avec  cette  méthode,  il  fuffifoit  de  donner  le  nom  de 
quelque  jour  que  ce  fût,  avec  fon  nombre  correfpondant  félon  cette  dif- 
tribution  de  13  en  13,  pour  favoir  à  quel  mois  il  anpartenoit,  fans  au- 
cun rifque  d'erreur.  Mais  outre  la  divifion  des  jours  par  13,  il  y  en 
avjoit  une  autre  de  5  en  5,  qui  fervoit  à  régler  les  TiangueZy  c'eft-à-  dire 
les  Marchés.  C'étoit  le  3,  le  8,  le  13  &  le  18  de  chaque  mois;  jours 
comme  dédiés  aux  quatre  figures  Tochtli,  Acatl,  Tecpatl,  &  Cagli.  Cet- 
te règle  étoit  invariable,  quand  même  les  années  n'auroient  pas  commencé 
par  Tochtli. 

Aux  dix-huit  mois,  qui  faifoient  360  jours,  les  Mexiquains  ajoutoient, 
à  la  fin  de  chaque  année,  cinq  autres  jours,  qu'ils  appelloient  Nenontemi. 
Non-feulement  ces  cinq  jours  avoient  leur  nom  propre ,  mais  ils  entroient 
auffi  dans  le  compte  des  13  (»)•    Ceux  qui  fivent  dans  quelles  erreurs  la 

plu- 


(  h  )  Oirreri  qui  paroît  avoir  étudié  foi- 
gneufcmcnt  la  Chronologie  des  Mexiquains , 
obierve  que  fuivant  Berofe  (  s'il  efl;  vrai  que 
les  Livres  que  nous  avons  fous  fon  nom 
foicnt  de  lui  )  les  Egyptiens  dévoient  à  Noé 
Ja  forme  de  leur  année  folairc ,  qui  étoit  de 
36s  jours ,  &  que  toutes  les  Nations  qui  ont 
iuivi  cette  doftrine,  dévoient  la  tenir  appa- 
remment delà  même  fource;  mais  qu'il  n'efl: 
pas  étonnant  que  les  Mexiquains  ne  divi- 
f-ifTcnt  point  leurs  mois  en  femaines,  parce 
^ue  cette  divifion  ne  commença  chez  les  Hé- 


breux qu'au  tems  de  Moïfe ,  en  mémoire  des 
jours  de  la  création ,  long-tems  après  l'ori- 
gine du  cercle  des  Mexiquains.  D'autres  veu- 
lent même  qu'elle  ait  été  inventée  par  les 
Babyloniens,  quelque  tems  après,  pour  dif- 
tingucr  les  jours  par  les  fcpt  Planètes,  aux- 
quelles ils  attribuoient  le  gouvernement  des 
heures  inégales,  dontils'ont  ér-*  '^s  premiers 
Obfervateurs.  Tome  VI.  pagt    •  i .  CT*  fuiv. 

(  j)  Le  mémo  Voyageur  jbferve  que  plu- 
fieurs  Hiftoriens  fe  font  trompés  en  croyant 
que  ces  cinq  jours  étoieut  hors  du  nombre 

dt'S 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv   IL        549 

plupart  des  Nations  Orientales  font  tombées  fur  cette  matière,  ne  verront 
point  fans  admiration  le  cercle  artificiel  des  Mexiquains.  Leur  année  bif- 
fextile  avoit  aulTi  les  règles.  La  première  année  du  fiécle  commençoit  le 
10  d'Avril;  la  féconde  &  la  troifième  de  même;  mais  la  quatrième,  qui  efl: 
la  biffextile,  conimençoit  au  9,  la  huitième  au  8,  la  douzième  au  7,  le 
feizième  au  6,  &  de  même  jufqu'à  la  fin  du  fiécle,  qui  fe  tcrminoit  le  28 
de  Mars,  jour  auquel  on  commençoit  la  célébration  des  Fêtes,  qui  duroienc 
lés  13  jours  de  billextile,  jufqu'au  lo  d'Avril. 

Avant  que  de  commencer  le  nouveau  fiécle,  on  rompoit  tous  les  vafes, 
&  l'on  éteignoit  le  feu;  dans  l'idée  que  le  Monde  devoit  finir  avec  le  fié- 
cle. Mais  aulîl  tôt  que  le  premier  jour  commençoit  à  luire,  on  entendoit 
retentir  les  tambours  dk  les  autres  inftrnmens,  pour  remercier  les  Dieux 
d'avoir  accordé  au  Monde  un  autre  fiécle.  On  achetoit  de  nouveaux  vaif- 
féaux,  &  l'on  alloit  recevoir  du  feu  des  Prêtres,  dans  des  Proceflions  fo. 
kmnclles(/l).  ,  La 


Descripttôiï 
DE  LA  Nou- 
velle  Espa- 
gne. 

Année  Inf- 
fcxtilc. 


des  mois  ;  qu'ils  n'avoicnt  point  de  nom ,  & 
que  le  piomier  jour  de  chaque  année  étoit 
toujours  Cipaftii,  11  éclaircit  ce  point  par  une 
fuppofuion.  Imaginons  -  nous  ,  dit- il.  un 
fiécle ,  dont  la  première  année  foit  un  Tochtli, 
à  laquelle  réponde  un  Cipa(îlli  pour  le  pre- 
mier jour  du  mois.  Si  les  360  jours,  qui  ré 
lulient  des  18  mois,  fe  comptent  de  13  en 
13,  le  dernier  jour  du  dernier  mois  fera  9 
Xocitl.  Mais  n  les  cinq  jours  deNenonteml 
n'avoient  pas  eu  de  nom;  on  auroit  eu  à 
commencer  l'année  fuivante  par  deux  Ac;:ti 
avec  l'o  Cipaftli ,  &Je  compte  de  13  auroit 
été  Interrompu  avec  Ci jiaclli.  Les  Mexiquains 
répondent  à  cette  difficulté  en  difant  que 
les  jours  Cipa6t!i  ,  Michizt'i,  Ozomatli  & 
Co^caquauhtii ,  font  compagnons  ,  c'eft-à- 
dire,  fuivent  en  tout  l'ordre  des  quatre  figu- 
res Tochtli,  Acr.tl,  Tecpatl  &  Cagli,  qui 
inarquent  les  années  d'un  fiécle;  que  chaque 
année,  par  exemple  ,  dont  le  fymbole  eft 
Tochtli,  aura  Cipaftli  pour  le  premier  du 
mois;  qu'AcatI  aura  Michiztli;  TecpatI,  Oxo- 
matli;  &  Cigli  ,  Cozcaquauhtli.  On  doit 
remarquer  encore  que  la  valeur  numérique, 
félon  les  13,  comptée  régulièrement  depuis 
le  commencement  du  fiécle,  en  y  compre- 
nant les  s  Nenontemi,  répondra  à  celui  qui 
appartient  au  premier  jour  de  l'année ,  fui- 
vant  la  fucceiïion  de  Tochtli.  On  le  verra 
clairement  dans  Ja  figure  oîi  les  mois  de  la 
première  année  du  fiécle  propofé  finirent  a- 
vcc  9  Xocitl.  Les  noms  coj.me  les  nom- 
bres, répondant  aux  5  jours-^^'enontcmi ,  é- 
toient  10  CipaélLi,  12  Cccatl,  12  Cagli,  13 
Cuetzpaglin,  &  i  Coati,  qui  firent  l  année 
de  365  jours.  Enfuite .  fiuis  rompre  l'ordre 
des  noms,  l'année  fuivante  commença  par 
Michiztli,  qui  efl  le  jour  d'après  Coati. 
Continuant  avec  les  13,  le  premier  jour  de 


la  féconde  année  fera  le  2  Michiztli ,  parco 
que  le  dernier  des  cinq  Nenontemi  a  été  le 
I  Coati  Cela  n'efl  pas  accidentel  ,  mais 
très  régulier  dans  toutes  les  années  d'un 
fiécle.  Ainfi  cette  féconde  année  ayant  corn- 
mencé  par  2  Michiztli,  elle  finira  fcs  mois 
par  10  Coati ,  &  fcs  365  jours  par  2  Itz- 
cuintli.  De  même  la  troifième  année  Tec- 
patI commencera  par  3  Ozomatli;  la  qua-. 
trième,  qui  cil  Cagli.  par  4  Cozcaquauhtli, 
&  ainfi  des  fui  vantes  jufqu'à  la  fin  des  13. 
On  voit  par- là,  conclut  Carrcri,  que  les  4 
jours  (JipaClli,  &c.  ne  répondoient  pas  feu- 
lement aux  quatre  fymboles  des  années- 
Tochtli,  &c.  mais,  qu'ils  avoient  auflî  la 
môme  dénomination  numérique,  formée  par 
les  13.  Ubifuiirà,  pages  75  &  fuivantes. 

(k)  Carrcri,  dont  on  emprunte  les  recher- 
ches, les  devoit  à  D.  Carlos  de  Sigiiença  y 
Gongora,  Profeffeur  de  Mathématiques  dans 
rUniverfité  de  Mexico,  qui  s'étoit  attaché  à 
recueillir  les  traditions  Indiennes,  des  pein- 
tures &  des  hiéroglyphiques,  dont  la  plùpait 
lui  venoient  de  Dom  Juan  àtAlva,  Seigneur 
de  Catzicazgo  &  de  St.  Juan  de  TcotiLuacan, 
dtfcendant  en  droite  ligne  mafculine  des  an- 
ciens Rois  de  Tezcuco.  Ce  Seigneur  les  avoit 
hérités  de  fcs  Ancôtres.  On  n'en  trouve 
point  d'autres  dans  la  Nouvelle  Efpagnc.  Les 
premiers  Efpagnols ,  prenant  tous  ces  titres 
pour  des  objets  de  fuperllition,  parce  qu'i's- 
n'y  voyoient  que  des  figures  bifarres,  bril- 
lèrent tout  ce  qu'ils  en  purent  découvrir;  & 
le  premier  Evoque  do  Mexico,  nommé  M. 
de  Sumarica ,  fe  fit  un  point  de  confcicnce 
d'achever  de  les  détruire.  Ibidem,  page  77. 
Acofta  ,  Liv.  6.  Chap.  2.  parle  aulïï  des. 
Roues  Mexiquaines;  &  Solis  après  lui,  Liv. 
Ch-ip.  17.  mais  toii^  dcvix  uvcc  moijis  d'cxi^U- 
cation. 

Zzz  3 


Descrtftion 

SB    I.A    NOU- 

V2LLB     Ë^PA• 

ONE. 

Cour  Impii- 
lialc. 


550        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

La  magnificence,  qu'on  a  vantée  dans  les  Palais  des  Empereurs  Mexl* 

?|uains ,  étoic  foutenue  par  l'appareil  fadueux  avec  lequel  ils  fe  faifoienc 
èrvir.  Motezuma  U,  qui  s'étoit  attaché  plus  que  fca  Prédécefleurs  à  rele- 
ver la  majellé  de  l'Empire,  avoit  inventé  de  nouvelles  cérémonies;  ou  du 
moins  il  s'en  attribuoit  l'honneur;  &  les  Ecrivains  Efpagnols  font  regarder 
cette  pompe  comme  une  gloire  particulière  à  Ton  régne.  On  a  déjà  fait 
obferver  qu'en  montant  fur  le  Trône,  non  feulement  il  avoit  augmenté  le 
nombre  des  Officiers  de  fa  Maifon,  mais  qu'il  en  avoit  exclu  les  perJbnnes 
d'une  naiiTance  commune ,  &  qu'il  ne  vouloit  voir  autour  de  lui  que  des 
Seigneurs  du  premier  ordre.  En  vain  fon  Conftil  lui  avoit  repréfenté  le 
danger  d'un  changement ,  qui  pouvoit  lui  faire  perdre  l'affctilion  de  fes 
Peuples.  On  lui  donne  pour  maxime  „  que  la  confiance  des  Princes  n'ell 
„  pas  faite  pour  le  vulgaire,  &  qu'ils  ne  doivent  favori !lr  que  dans  l'éloi- 
„  gnement  ceux  à  qui  la  mifére  ôte  le  fentiment ,  ou  le  pouvoir  de  recon- 
T)oiiblcGar-  „  noître  le  bien  qu'on  leur  fait  (/)".     Il  avoit  deux  fortes  de  Gardes;  l'u- 

^' ■•  ne  de  Soldats,  qui  occupoient  toutes  les  cours  de  fon  Palais;  l'autre  inté- 

rieure, &  compofée  de  deux  cens  Nobles,  qui  entroient  chaque  jour  au 
matin  dans  les  appartemens.  Leur  fervice  fe  faifoit  tour  à  tour,  &  par  Bri- 
gades, qui  comprenoient  toute  la  NoblelTe  de  l'Empire.  Ils  venoient  fuc- 
ceflTivement  des  Provinces  les  plus  éloignées.  Leur  principal  porte  étoit  les 
antichambres,  où  ils  étoient  nourris  de  tout  ce  qui  Jbrtoit  de  la  table  de 
leur  Maître  ,  qui  leur  permettoit  quelquefois  d'entrer  dans  fa  chambre,  ou 
qui  les  y  faifoit  appeller.  Son-delTein,  comme  il  l'apprit  lui-même  aux  Ef- 
pagnols, étoit  moins  de  les  favorifer,  que  de  les  accoutumer  à  la  foumif- 
iion  ,  &  de  connoîtie  par  fes  propres  yeux  ceux  qui  méritoient  d'être  eni- 
AuJionccs    ployés.     Ses  Audi-ences  publiques  étoient  rares  ;   mais  elles  duroient  une 

publkiiiLE.  grande  partie  du  jour;  &  les  préparatifs  en  étoient. impofans.  Tous*les 
Grands,  qui avoient  feutrée  du  Palais,  recevoient  ordre  d'y  alFifter;  &  les 
Confeillcrs  d'iitat  y  dévoient  être  rangés  autour  du  Trône  ,  pour  être  prêts 
à  donner  leur  avis  fur  les  points  importans  ou  difficiles.  Quantité  de  Secré- 
taires, placés  fuivant  leurs  fondions,  marquoient,  avec  les  caraélèrcs  qui 
leur  fervoient  de  lettres ,  les  demandes  des  Supplians,  &  les  réponfe?  ou 
les  Arrêts  du  Prince.  Ceux,  qui  vouloient  fe  préfenter ,  avoient  donné 
leurs  noms  à  des  Officiers,  charges  de  ce  foin.  Ils  étoient  appelles  l'un 
après  l'autre.  Chacun  entroit  nus  pies,  &  les  yeux  baifles,  en  faifant  fuc- 
ceflîvement  trois  révérences,  à  la  première  dcfquellcs  il  difoit  Seigneur;  à 
la  féconde,  Monfeigneur  ;  à  la  troilîème.  Grand  Seigneur.  Après  avoir  ex- 
pofé  fa  demande,  &  reçu  la  réponfe,  à  laquelle  il  ne  lui  étoit  pas  permis 
de  répliquer ,  il  fe  retiroit  fur  les  mêmes  pas ,  en  répétant  les  trois  révéren- 
ces ,  fans  tourner  le  dos,  &  fur-tout  fans  ofer  lever  la  vue.  La 'moindre 
faute,  dans  l'obfervation  de  ces  cérémonies,  étoit  punie  fur  lechamj)  avec 
une  extrême  rigueur,  &  les  Exécuteurs  du  châtiment  attendoient  le  Coupa- 
ble à  la  porte.  L'Empereur  écoutoit  les  moindres  affaires  avec  beaucoup 
d'attention;  mais  il  afFeftoit  de  répondre  avec  févérité.  Cependant,  s'ilre- 
marquoit  quelque  trouble  dans  le  vifage  ou  la  voix  de  celui  qui  parloit ,  il 

l'ex- 
(0  Iliidm,  Cliap.  ij. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL         551 


DEîCRTPrroii 

DR    LA    NOU» 

VEi.LB    E;r\* 

ONK. 


Texhortoit  à  fe  raiïiirer;  &  lorfque  cette  exhortation  ne  fuffifoit  pas,  il 
nommoit  un  des  Miniltres  pour  lécouter  clans  un  autre  lieu.  Motezuma  fai- 
foit  beaucoup  valoir,  aux  Efpagnois,  la  patience  avec  laquelle  iJ  ticoutoit 
les  plus  ridicules  demandes  de  fon  Peuple. 

Il  mangeoit  feul ,  &  quelquefois  en  public  ;  mais  toujours  avec  le  même  Rcpa<s  de 
air  de  grandeur.  On  lui  fervoit,- ordinairement,  environ  deux  cens  plats,  l'Empereur, 
li  bien  allaifonnés,  que  non-feulement  ils  plurent  aux  premiers  Efpagnois , 
mais  qu'enfuite  l'ufage  de  les  imiter  paflTa  jufqu'en  Efpagne  (w).  Avant 
que  de  fe  mettre  à  table,  Motezuma  faifoit  la  revue  de  tous  les  mets,  qui 
étoient  rangés  d'abord  autour  de  la  faile,  fur  plulieurs  buffets.  Il  marquoit 
ceux  qui  lui  plaifoient  le  plus.  Le  refte  éiÀt  diftribué  entre  les  Nobles 
de  fa  Garde  ;.&  cette  profufion ,  qui  fe  renouvelloit  tous  les  jours,  dtoit  la 
moindre  partie  de  la  dépenfe  ordinaire  de  fa  table,  puifque  tous  ceux,  que 
leur  devoir  appelloit  autour  de  fa  perfonne,  étoient  nourris  au  Palais.  La 
table  de  l'Empereur  étoit  grande,  mais  fore  bafle;  &  fon  fiége  n'étoit 
qu'un  tabouret  (n).  Après  fes  repas,  il  prenoit  ordinairement  d'une  ef- 
pèce  de  chocolat ,  qui  confiftoit  dans  la  fimple  fubftance  du  cacao,  battue 
en  écume.     Enfyite  il  fumoit  du  Tabac  ,   mêlé  d'ambre  gris  ;   &  cette 

va- 


(m)  Ibid.  page  535. 

(  n  )  Herrera  fait  un  afTez  curieux  détail 
de  la-  manière  dont  Mot.zuma  étoit  fcrvi. 
,.  La  table,  dit -il,  n'étoit  qu'une  forte  de 
„  coullîn  ,  ou  une  pnire  de  ptaux  rouges. 
„  La  felle,  fur  Inquei.o  il  étoit  allîs,  étoit 
un  petit  banc  tout  d'une  pièce,  creufé  à 
l'endroit  où  il  s'alîlyoic,  façonné  &  riche- 
ment peint  Les  nappes  &  les  ferviettes 
étoient  de  coton  ,  fort  déliées  plus  blan- 
ches que  la  nége,  &  ne  fervoient  qu'une 
,^  feule  fois  pour  lui  ;  mais  elles  fervoient 
„  après  cela  aux  Officiers.  Quatre  cen^  Pa- 
„  gcs,  tous  Gentilshommes,  portoient  les 
,,  viandes  ,  &  les  mcttoient  tout  de  fuite 
[,  dans  une  folle;  puis  l'Empereur  ks  con- 
,,  fidcroit;  &  dune  baguette,  qu'il  avoit  à 
i,  la  main ,  il  défii^noit  celles  qu'il  vouloit 
„  qu'on  lui  préfentât.  Enfuite  les  M.ltres 
,,  d'Hôtel  les  mcttoient  réchauffer  fur  der 
„  brafiers.  y\vant  qu'il  fe  mît  à  table,  il  fe 
„  préfentoit  vingt  Femmes  des  plus  belles , 
„  avec  des  baflins,  pour  lui  donner  à  laver. 
„  Lorfqu'il  étoit  alfis  ,  un  Maîire  d  Hôtel 
„  tiroit  une  baluftrade  de  bois  qui  divifoit 
„  la  faile  ,  pour  empocher  que  eux  qui 
^  venoient  le  voii  dîner  ne  lui  caufallent  de 
„  l'embarras.  On  obfervoit  un  grand  fiicnce, 
„  excepté  quelques  Boulions,  qu'ii  prtnoit 
„  plaifir  à  faire  parler.  Les  Ecu'icrs  le  fer- 
„  voient  à  genoux,  fans  haufll-r  les  yeux, 
„  &  nus  pies;  car  il  n'entroit  perfonne  dans 
„  la  faile ,  qui  ne  fut  nus  piés ,  fous  peine 
„  de  U  vie,  Six  Seigneurs,  qiU  (,HoivQt  obU- 


„  gés  d'aiTiftcr  toujours  à  fcs  repas ,  quoi- 
„  qu'un  peu  éloignés  de  la  table,  recevoicnt 
,,  Quelques  plats  qu'il  marquoit  pour  eux, 
„  oc  les  mangeoient  refpeftueufement.  Il  y 
„  avoit  ordinairement  une  Muflque  de  ilù- 
,,  tes  ,  de  cornemufes  ,  de  hautbois  d'os, 
„  &  de  petits  tambours  de  cuivre ,  dont  le 
„  fon  avoit  peu  d'agrément  pour  les  Efpa- 
,,  gnols  U  y  avoit  auflî  des  Nains,  des 
,,  Eofïïis  &  d'autres  gens  contrefaits,  pour 
„  exciter  à  rire,  qui  mangeoient  quelques 
,,  relies  au  bout  de  la  table,  avec  les  Bouf- 
,,  fons  Les  plats  &  le  fervicc  n'étoient  que 
,,  de  terre;  &  quoique  fort  bien  travaillés ,- 
„  ils  ne  paroilToient  qu'une  fois  devant  1  Em- 
,,  pereur:  mais  les  vaies  &  les  coupes  étoient 
,,  dor  avec  leurs  foucoupes  de  môme  métal; 
,,  ou  quelquefois,  cé'.oit  des  coquilles,  ri» 
,,  chemont  garnies.  On  tenoit  prûtes  plu- 
„  Heurs  fortes  de  boilTons,  quelques -uncs- 
.,  relevées  par  de  bonnes  odeurs  ;  &  l'Empe- 
,,  reur  défignoit  celles  qu'il  vouloit  boire.  U 
,,  mangeoit  rarement  de  la  chair  humaine, 
,  &  il  falloit  qu'elle  eût  été  fucriliée.  Lorf- 
„  qu'on  avoit  levé  le  couvert,  les  Dames, 
,  qui  lui  avoient  donné  à  laver,  &  qui  é- 
„  toient  demeurées  debout  pendant  tout  le 
,,  repas ,  fortoient ,  comme  tous  ceux  aux- 
.,  quels  il  avoit  été  permis  d'y  alTfler.  Il  ne 
„  reftoit,  dans  la  faile,  que  les  Officiers  de 
,,  Garde  ;&  fi  l'Empereur  avoit  envie  de  dor- 
,,  mir  ,  il  s'appuyoit  contre  le  mur  ,  allîs- 
,,  fur  le  banc  qui  lui  avoit  fervi  à  dlio*"». 
Décade  2,  Liv.  17.  Cbap.  7. 


ss* 


D  E  s  C  R  I  P  T  I  O-N     DU    MEXIQUE, 


DR    l.k    NOU- 
UNB. 


Hc\ .   IIS  lie 
ri'jnpirc 
Mt.\i<[ii;iiii. 


UescRii'TioN  vapeur  l'cxcitolt  à  dormir.  Lorfqu'il  avoit  donné  quelques  momens  au 
repos,  on  faifoit  entrer  les  Muficiens ,  qui  chantoient,  au  Ton  des  inrtru- 
mens,  divcrfes  Poëlîes,  donc  les  vers  avoienc  leur  nombre  &  leur  cadence. 
Le  fujct  ordinaire  de  ces  compofitions  dtoit  quelque  trait  de  l'ancien- 
ne Hilloire  du  Pays  ,  ou  des  Conquêtes  du  Monarque  &  de  les  Préde- 
cefTeurs  (o). 

Les  revenus  delà  Couronne  dévoient  être  immenfes;  puirqu'avcc  tant 
de  fraix  pour  l'entretien  &  les  délices  de  la  Cour,  elles  lliHifoient  non- feu- 
lement à  tenir  fans  cefle  deux  ou  trois  grolVes  Armées  en  Campagne  &  de? 
Garnifons  dans  les  principales  Villes ,  mais  encore  à  former  un  tond  conii- 
dérable,  qui  croiflbit,  chaque  année  ,  de  ce  qu'on  mettoic  en  réfcrve.  Lcî 
Mines  d'or  &  d'argent  apportoient  beaucoup  de  profit.  Les  Salines  &  tous 
les  anciens  droits  de  l'Empire  n'en  produifoient  pas  moins  :  mais  les  prin- 
cipales richelfes  venoient  des  nouveaux  tributs ,  que  Motezuma  poulîoit  à 
l'excès.  Tous  les  Payfans  payoient  le  tiers  du  revenu,  des  terres  qu'ils 
faifoicnt  valoir.  Les  Ouvriers  rendoient  autant,  de  la  valeur  de  leurs  Ma- 
nufiiftures.  Les  Pauvres  mêmes  étoient  taxés  à  des  contributions  fixes, 
qu'ils  fe  mettaient  en  état  de  payer,  foit  en  mandiant,  foit  par  de  rudes 
travaux.  Il  y  avoit  divers  Tribunaux,  répandus  dans  toutes  les  parties  de 
l'Empire,  qui  recueilloient  les  impôts  avec  le  fecours  des  Jurif  liitions  or- 
dinaires ,  &  qui  les  envoyoient  à  la  Cour.  Ces  Miniftres ,  qui  dcpendoient 
du  Tribunal  de  l'Epargne,  anciennement  établi  dans  la  Capitale,  rcndoienc 
un  fi  rigoureux  compte  du  revenu  des  Provinces ,  que  leurs  moindres  né- 
gligences étoient  punies.  Pe-là  toutes  les  violences  qu'ils  exerçoient  dans 
la  levée  des  droits  Impériaux,  &  la  haine  qu'elles  avoicnt  attirée  à  Mote- 
zuma, fous  le  règne  duquel  l'indulgence, dans  ces  odieufes  commilîlons ,  n'é- 
toit  pas  un  moindre  crime  que  la  fr?ude  &  le  larcin.  Motezuma  n'igno- 
roit  pas  la  mifère  &  les  plaintes  de  fes  Sujets;  miis  il  mettoit  l'opprelfion 
entre  les  fines  maximes  de  fa  Politique.  Les  Places  voifines  de  la  Capita!c 
lui  fournilfoient  des  matériaux  &  des  Ouvriers  pour  fes  Edifices,  qu'il  mul- 
tiplioit  par  des  travaux  continuels. 

Le  tribut  des  Nobles,  outre  l'obligation  de  garder  fa  perfonne  dans  l'in- 
térieur du  Palais ,  &  de  fervir  dans  fes  Armées  avec  un  certain  nombre  de 
leurs  Vaflaux,  confiftoit  à  lui  faire  quantité  depréfens,  qu'il  recevoit  com- 
me volontaires,  mais  en  leur  faifanc  fentir  qu'ils  y  étoient  obligés.  Ses 
Tréforiers,  après  avoir  délivré  tout  ce  qui  étoit  néceflaire  pour  la  dépenfe 
de  fa  Maifon  &  pour  l'entretien  des  Troupes,  portoient  le  refte  au  Tre- 
for  ,  &  le  réduifoient  en  efpèces,  fur  tout  en  pièces  d'or  ,  dont  les  M?xi- 
quains  connoiflbient  la  valeur ,  fans  en  faire  néanmoins  beaucoup  d'ufa- 
ge;  foit  qu*ils  n'en  confidéraffent  que  la  beauté,  ou  que,  fuivant  la  ré- 
llexion  de  l'Auteur  Efpagnol,  la  deftinée  de  ce  métal  foit  d'être  plutôt 
l'objet  de  l'avarice  des  Hommes,  que  le  fecours  de  leurs  véritables  be- 
ibins(p).  -•     • 

•  Le 

(o)  Solis,  Liv.  3.   Chap.  15.  Herrcra  dit     llquc  venoit  cnfuito,  &  que  les  Spedacics 
qu'auflî-tôt  après    fon    foinuieil  rEmpereur     lui  fiiccedoicnt,  ubijui^rà,  Ciiap.  7. 
donnoit  audience  aiix  Seigneurs  i  que  la  Mu-        ip)  Solis,  Liv.  3.  pajjc  543. 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,   Liv.   II.        SS^ 

Le  Gouvernement  de  l'Empire  tutoie  remarquable  par  le  rapport  de  tou- 
tes les  parties.  Comme  il  y  avoit  un  premier  Confeil  des  linanecs,  dont 
toutes  les  Cours  fubalternes  étoicnt  dépendantes,  il  y  avoit  un  Confeil  lii- 
prême  de  Juflice,  un  Confeil  de  Guerre,  un  Confeil  de  Commerce,  &  un 
Confeil  d'Etat,  où  non-feulement  les  grandes  aiîaîrcs  étoieiu  portées  direc- 
tement, mais  où  les  Sentences  des  l'ribunaux  inférieurs  pouvoient  être  re- 
levées par  des  appels;  ce  qui  n'empêchoit  point  que  chaque  Ville  n'etk 
d'autres  Minières  particuliers,  fous  I  autorité 'de  fon  propre  'i'ribnnal,  pour 
toutes  les  caufes  qui  demandoicnt  une  prompte  expédition.     Cls  Oilieiers, 

3ui  répondoient  aux  Prévôts  de  l'Europe,  faifoicnt  régulièrement  leurs  ron- 
es,  armés  d'un  bâton,  qui  étoit  la  marque  de  leur  charge,  &  fuivis  de 
quelques  Sergens.  (Quoique  leur  pouvoir  ne  regardât  que  la  Police ,  ils 
avoient  une  Cour,  dont  les  Jugemens  ctoient  fommaires  6:  fans  écriiures. 
Les  Parties  s'y  préfentoient  avec  leurs  Témoins;  iS.  la  conteltation  étoit 
décidée  fur  le  champ.  Mais  il  refloit  toujours  la  voie  de  l'appel  au  Tiibu- 
nal  fupérieur  j  &  le  feu!  frein  de  la  chicane  étoit  une  augmentation  de  pei- 
ne d'amc?nde,  pour  ceux  qui  s'obftinant  à  changer  de  Juges  étoieiit  égale- 
ment condamnés  dans  tous  les  Tribunaux.  L'Empire  n'avoit  point  de  Loi.t 
écrites.  L'ufage  tenoit  lieu  de  Droit ,  &  ne  pouvoit  être  altéré  que  par 
la  volonté  du  Prince.  Au  refle  tous  les  Confeils  étoient  compofés,  non- 
feulement  de  Citoyens  riches,  qu'on  fuppofoit  à  l'épreuve  de  la  corruption, 
mais  de  ceux  qui  s'étoient  diftingués  par  leur  conduite  dans  les  tems  de  paix 
ou  c\q  guerre.  Leurs  fondions  ne  s'étendoient  pas  moins  à  récompenfer  le 
mérite,  qu'à  punir  le  crime,  lis  dévoient  connoître  &  vérifier  les  talens 
extraordinaires,  pour  en  informer  la  Cour.  Le  principal  objet  de  leur  zè- 
le étoit  la  punition  de  l'homicide,  du  vol,  de  l'adultère,  &  des  moindres 
irrévérences  contre  la  Religion  &  la  majâiîé  du  Prince.  Les  vices  fe  par- 
donnoient  aifément,  parce  que  la  Religion  défarmoit  la  Juflice  en  les  per- 
mettant. Mais  on  punilfoit  de  mort  tous  les  défauts  d'intégrité  dans  les 
Minillrcs.  Il  n'y  avoit  point  de  faute  légère,  pour  ceux  qui  excrçoient  des 
Offices  publics.  Motezuma  pouflbit  la  rigueur  fi  loin  ,  qu'il  failoir  même 
des  recherches  fecretes  fur  la  conduite  des  Juges ,  jufqu'à  les  tenter  par  des 
fommes  confidérables ,  qu'il  leur  faifoit  préfenter  fourdement,  par  différen- 
tes mains  dont  ils  ne  pouvoient  fe  défier;  &  le  fupplice  du  Coupable  faifoit 
éclater  auffi-tôt  fon  crime. 

Le  Confeil  d'Etat  n'étoit  compofé  que  des  Elefteurs  de  l'Empire,  dont 
les  deux  principaux  étoient  les  Caciques  de  Tezcuco  &  de  Tacuba ,  par  une 
ancienne  prérogative,  qui  fe  tranfmettoit  avec  le  fang.  Ils  n'étoient  appel- 
lés  néanmoins  que  dans  les  occafions  extraordinaires ,  &  pour  les  affairco  de 
la  plus  haute  importance;  mais  les  autres,  au  nombre  de  quatre,  étoient 
logés  &  nourris  dans  le  Palais,  pour  fe  trouver  toujours  prêts  à  paroîtrc 
devant  l'Empereur,  qui  n'ordonnoit  rien  fans  les  avoir  confultés.  C'etoienc 
ordinairement  des  Princes  du  Sang  Impérial ,  qui  rempliiToient  ces  grandes 
dignités.  Ils  étoient  diflingués  par  des  titres  fort  étranges,  compofés  de 
pluiieurs  idées,  qui  ne  formoient  qu'un  mot  dans  la  langue  <lu  Pays.  L'un 
fe  nommoit  Prince  des  Lances  àjctter,  un  autre  Coupeur  iC Hommes;  le  troifiè- 
me,  EpiVicbcur  de  fang;  &  le  quatrième,  Heigncur  de  la  Alaijon  noire,  l'ouï 
XniL  Par:.  A  a  a  a  les 


Dt'.?ci»rfTTOîif 

ONS. 


Conrcî 

ta'-. 


'TL- 


DcscnirTiDN 
rt.  i..\   Nou- 

VBLLB     MSPA 

Couronne- 
iiKiu  dcsMm- 
licrciirs,  &, 
ilcvoirs  qu'on 

Iwi!!'  in)puiuit. 


554       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

les  autres  Conn.ils  rclcvoicnt  d'eux.  Il  ne  fc  palToit  rien  dans  l'KmpIrc  dont 
on  ne  leur  rendit  compte.  Leur  principale  aiterition  rcgurdoit  les  .Sen- 
tences de  mort  ,  qui  ne  s'executoient  que  pur  un  ordre  formel  de  kur 
main  (</). 

On  a  déjà  remarqué  que  les  Kmpcrairs  Mexiquains  ne  reccvoicnt  la  Cr.ii- 
ronno  que  Ibiis  des  coniiitions  fort  onéreulls.  Après  i'dicftion,  le  nouveau 
Monarque  ctoit  obligé  de  Ce  nv.ttre  en  Campagne  à  la  rece  de  Tes  'l'roupcs, 
6i  de  ri'mportcT  quelque  \  lélôirc  lur  les  Knnemis  de  l'Kcac,  ou  dr  conqu.:- 
rir  quelque  nouvelle  Province.  C  étoit  par  cette  Politique  militaire,  que 
riCmpire  avoit  reçu  tant  d'accroilllment,  dans  les  derniers  règnes.  Aulli- 
tôt  que  le  fuccès  des  armes  avoit  jullifié  le  choix  des  Kki^^eurs,  l'Kmpe- 
reur  rentroit  triomphant  dans  la  Capitale,  'l'ous  les  Nobles,  les  iMiniftrcs 
&  lesfSacrificateurs  l'accompagnoicnt  au  'l'emple  du  Dieu  de  la  Guerre. 
On  y  facrifioic,  fous  Tes  yeux,  une  partie  des  Prilonniers.  Il  étoit  rcvéïii 
du  Manteau  Impérial.  On  lui  mettoit  dans  la  main  droite  une  épéc  d'or, 
garnie  de  pierre  à  fulil,  qui  étoic  le  Cynibole  de  la  Juftice  ;  &  dans  la  main 
gauche  un  arc  &  des  tléches,  qui  délignoicnt  le  Commandement  fuprême. 
Alors  le  Cacique  de  Tczcuco  lui  couvroit  la  tétc  d'une  riche  couronne.  Un 
des  principaux  Seigneurs,  que  fon  éloquence  failbit  choidr  pour  cette  fonc- 
tion, lui  adreflbit  un  long  difcours,  par  lequel  non  feulement  il  le  féliei- 
toit  de  fa  dignité  au  rom  de  fes  l'euples,  mais  il  lui  repréfentoit  les  de- 
voirs qui  s'y  trouvcient  attachés.  Enfuite  le  Chef  des  Sacrificateurs  s'ap- 
prochoit,  pour  recevoir  un  ferment,  dont  on  ne  connoît  pas  d'autre  exem- 
ple dûîîs  tous  les  Gouvernemens  humains.  Outre  la  promcfTe  de  maintenir 
la  Religion  de  fes  Ancêtres,  d'obferver  les  loix  de  l'Empire,  &  de  rendre 
]a  juflice  à  fcs  Sujets,  on  lui  faifoit  jurer  que  pendant  tout  le  cours  de  fon 
règne,  les  pluies  tomberoient  à  propos,  les  Rivières  ne  cauferoient  point 
de  ravages  par  leurs  dél>ordemens ,  les  Campagnes  ne  feroient  point  affli- 
gées par  la  flérilité,  ni  les  Hommes  par  les  malignes  influences  de  l'air  & 
du  Soleil  (r).  Un  Hiftorien  (j)  prétend  que  l'intention  des  Mexiquains, 
dans  un  ferment  fi  bifarrc ,  n'étoit  que  de  faire  comprendre  à  leur  Souve- 
rain ,  que  les  malheurs  d'un  Etat  venant  prefque  toujours  du  défordre  de 
fadminiftration,  il  devoit  régner  avec  tant  de  modération  &  de  fagefle, 
qu'on  ne  pût  jamais  regarder  les  calamités  publiques  comme  l'efFét  de  fon 
imprudence,  ou  comme  une  juile  punition  de  fes  déréglemens  (t). 

On 


(q)  Acofta,  Liv.  6.  Chap.  25.;  Ilerrcra, 
3  Décade,  Liv.  2.  Chap.  1 5- 

(r_)  Gomara,  Liv.  2.  Chap.  77. 

(s)  Solis,  Liv.  3.  Chap.  17. 

(t)  Gomara  ,  qui  paroît  s'être  attaché 
beaucoup  à  la  recherche  des  cérémonies  du 
Couronnement ,  en  rapporte  de  fort  fingu- 
lières.  „  On  portoit,  dit-il,  le  nouveau Priii- 
„  ce  au  grand  Temple ,  tout  nu ,  avec  un 
„  profond  filence.  11  s'y  proflernoit  à  terre , 
,,  &  baifoit  le  pavé,  devant  l'Idole  de  Vitzi- 
„  lipuztli.  Le  grand  Prôtre,  en  habits  Pon- 
i,  tilicaux,  &  fuivi  de  pliificurs  autres  Prâ- 


.,  très  vôtus  de  longues  robbes,  lui  venoit 
,,  oindre  tout  le  corps  d'une  teinture  fort 
,1  noire.  Enfuite,  faifant  fur  lui  quelques 
,,  bénédiftions ,  il  l'arrofoit  d'une  eau  mêlée 
„  de  feuilles  de  cèdre  ,  qui  étoit  gardée 
,,  dans  le  Temple.  Il  lui  mettoit,  fur  la  tè- 
„  te,  un  manteau  blanc,  tout  femé  de  figu- 
„  res  de  têtes  de  Morts ,  fur  lequel  il  en  met- 
,,  toit  un  autre  de  couleur  noire ,  &  fur  ce- 
„  lui-ci  un  autre  encore  ,  blanc  célefte.  H 
„  lui  mettoit  au  col  certains  lacets  rouges , 
,,  auxquels  étoient  attachées  les  marques  Ro- 
„  yales,  &  fur  les  épaules,  une  petite  co- 

i>  qui!- 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPACNE,  Liv.  II.        $55 

On  ne  connoifToit  point  de  pliii  grand  bonheur,  au  Mcxîqilc,  que  celui   IJeMJ-^irmw 
plaire  u  l'Empereur,  &  fur  tout  d'obtvnir  Ton  eftime  par  la  voie  tle«  ar-  JJ^j';.*  jvljjj* 
;s.  C'étoit  l'imique  chemin  qui  fût  ouvert  au  Peuple  pour  s't'Ievcr  au  raii^     '   oxe/ 


de 
mes 

des  Nobles,  &  aux  Nobles  m-imes  pour  arriver  aux  plus  hautes  dignités 
de  l'Empire.  Motczuma  H  ,  ayant  compris  de  quelle  importance  il  etoit, 
pour  le  Ibiitien  de  la  grandeur,  d'entr^'icnir  cette  idée  parmi  Çqs  Sujets, 
avoit  inventé  des  prix  d'honneur  pour  ceux  qui  fe  diflinguoicnt  à  la  Guer- 
re. C'étoit  une  efpèce  de  Chevalerie,  ou  d'Ordres  militaires,  qui  ctoit 
didinguée  par  un  habillement  particulier  &  par  d'autres  marques.  Lei 
llilloriens  nomment  trois  de  ces  Ordres ,  fous  les  titres  de  Chevaliers  de 
l'Aigle  ,  du  Tigre,  &  du  Lion,  qui  portoienc  la  figure  de  ces  Animaux, 
pendue  au  cou  ,  &  peinte  fur  leurs  habits.  Le  même  Prince  avoit 
fondé  un  Ordre  fupérieur,  pour  les  Princes  &  les  Nobles,  où  il  s'étoit  en* 
rollé  lui-même ,  pour  lui  donner  plus  de  conlidération.  Les  Chevaliers 
avoient  une  partie  de  leurs  cheveux  liée  d'un  ♦•uban  rouge  &  de  gros  cor- 
dons de  même  couleur  ,  qui  fortant  d'entre  les  plumes  dont  leur  tète  étoit 
ornée,  pendoient  plus  ou  moins  fur  leurs  épaules,  fuivant  le  mérite  de 
leurs  exploits,  qu'on  diftinguoit  par  le  nombre  des  cordons.  On  augmen- 
toit  ce  nombre,  avec  beaucoup  d'appurei!,  à  mefure  que  le  Chevalier  fc 
diflinguttit  par  de  nouvelles  vertus;  réferve  fort  adroite,  qui  mettoit  des- 
degrés  dans  l'honneur  même,  &  qui  ne  laifToit  jamais  refroidir  l'émulation. 


te  dignité,  qui  étoit  la  première,  après  l'Empereur,  n'étoit  accordée  qu'aux 
Fils  des  principaux  Seigneurs  de  l'Empire.  Trois  ans  avant  l'initiation , 
celui  qui  étoit  deftiné  à  la  Chevalerie  invitoit  à  la  Eéte,  fes  Parens,  fes 
Amis,  les  Seigneurs  de  fa  Province,  &  tous  les  anciens  Tecuitles.  11  pa- 
roît  que  cet  intervalle  étoit  établi,  pour  donner  le  tems  au  Public  de  faire 
des  recherches  fur  la  condite  du  Novice,  &  pour  former  des  objections 
contre  fon  courage  &  fes  mœurs.  On  n'obfervoit  pas  moins,  fur-tout  en- 
tre les  Parens  &* les  Amis,  s'il  n'arrivoît  rien  dans  un  li  long  efpace,  qui 
dût  pafler  pour  un  mauvais  augure.  Le  jour  de  TAflemblée,  tous  ceux  qui 
la  compofoient ,  parés  de  leurs  plus  riches  ornemens,  conduifoient  le  No- 

vi- 


OrJrc  lie 
Chcviilcrio 
McxltiuaiiK-, 


r'i.'rcinônir.s 
de  1.1  'vccp- 
tiyi). 


„  quille  pleine  de  poiulr. 
,,  fcrvcr  de  fortilcgc,  di- 


qui  djvoit  leprc- 
y;\\c ,  &  de  tout 
autre  mal.  Enfin,  il  lui  ii'  richoit,  au  bras 
„  gauche,  un  fachet  plein  d'jnccns,  &.  lui 
„  mettoit  dans  la  main  droite  uw  encenfoir, 
..  rempli  de  charbons  ardens.  l/Kmpercuv  fe 
,,  Icvoit  alors,  encenfoit  l'Idole,  &  s'aireyoiL 
„  pour' entendre  le  difcours  qui  lui  étoit  a- 
„  drclTé  par  un  Seigneur ,  i^c.  II  étoit  con-' 
,,  duit  cnfuite  dans  une  grande  fa'.lc  duTem- 
,,  pic,  &  chacim  s'étant  retiré,  il  fe  plaçoit 
„  fur  un  lit,  pour  ne  \)as  fortir  de  quatre 
j,  jours,  qu'il  cmployoit  en  orailoiis,  en  pé- 


nitences &  en  f icrifices.  Il  ne  mangcoit 
qu'une  fois  le  i<>ur.  11  fc  baigrtoit  la  nuit 
en  {grande  eau ,  ec  s'y  tiroit  du  fang  des 
oreilles.  I,es  onVandcs  de  pain,  de  fleur-; 
&  de  fruits,  q'i'jl  i'aifoit  aux  Idolçs,  dé- 
voient être  teuii.es  du  fang  de  fa  langue^ 
de  l'on  nez,  de  fes  mains,  &  d'autres  par- 
ties. Après  les  quatre  jours,  on  le  vcnoit 
j)rendre  pour  le  conduire  à  fon  Palais  avec 
des  rw^jouifllmccs  fort  éclatantes.  Ces  céré- 
monies, (juc  Gomara  nomme  fon  Sacre, 
le  rcndoicnt  fi  relptclable,  qu'on  n'ofpii; 
ï  au  vifi^e",  Ubl  fiiprà. 


„  plus  le  rcgni'ae 

A  aa  a  2 


55(5       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Descrwtjôm  yice  ^ l'Autel.  Il  fe  mettoit  à  genoux,  avec  une  égale  aiFeftation  de  gran- 
vitE*  Espa'.  *^^"^  ^^^^^  ^  ^^  P*^^^-  ^"  Prêtre,  qui  fe  préfentoit  auflî-tôc,  lui  perçoit 
cNE.  '  le  nez,  d'an  os  pointu  de  Tigre,  ou  d'un  ongle  d'Aigle,  &  mettoit  de  pe- 
tites pièces  d'ambre  noir  dans  les  trous.  Après  cette  douloureufe  opéra- 
tion, qu'il  de  voit  Touifrir  fans  aucune  marque  d'impatience,  le  Prêtre  lui 
adreflbit  un  difcours  auflî  ennuyeux  par  fa  longueur,  que  piquant  par  les 
injures  dont  il  étoit  rempli;  &  paflant  des  paroles  aux  aftions,  il  lui  fai- 
foit  diverfes  fortes  d'outrages  ,  qui  aboutiflbient  à  le  dépouiller  de  tous  fes 
habits.  Il  fe  retiroit  nu  dans  une  Salle  du  Temple,  où  il  s'afleyoit  à  ter- 
re,  pour  y  pafTer  lerefle  du  jour  en  prières.  Pendant  ce  tems-là,  toute 
l'Aflemblée  faifoit  un  grand  feflin,  auquel  il  n'avoit  aucune  part,  &  quoi- 

Jjue  la  joie  fût  poulTée  fort  loin  en  fa  préfence,  c'étoit  fans  lui  adrefler  un 
èul  mot.  A  l'entrée  de  la  nuit ,  tout  le  monde  fe  retiroit ,  fans  le  regarder 
&  fans  lui  dire  adieu.  Alors  les  Prêtres  apportoient  un  manteau  fort  grof- 
■  der,  pour  le  vêtir;  de  la  paille,  fur  laquelle  il  devoit  coucher,  &  une  piè- 
ce de  bois  fort  dur ,  pour  lui  fervir  de  chevet.  Ils  lui  '^onnoient  de  la  tein- 
ture, pour  fe  frotter  !c  corps;  des  poinçons  pour  fe  percer  les  oreilles,  les 
bras  &  les  jambes  ;  un  encenfoir  &  de  la  poix  groffière  pour  encenfer  les 
Idoles.  Ils  ne  lui  laiflbient  pour  compagnie  que  trois  vieux  Soldats,  des 
•  plus  endurcis  aux  fatigues  de  la  guerre ,  qui  étoient  chargés ,  non  -  feule- 
ment de  l'inftruire,  mais  de  troubler  continuellement  fon  fommeil,  parce 
qu'il  ne  devoit  dormir  que  quelques  heures,  &  aflis,  pendant  l'efpace  de 
quatre  jours.  S'il  paroiflbit  un  peu  s'aflbupir,  ils  le  piquoient  avec  des 
poinçons  pour  le  réveiller.  A  minuit,  il  devoit  encenfer  les  Idoles,  & 
leur  offrir  quelques  goûtes  de  fon  fang.  Il  faifoit,  une  fois  pendant  la  nuit, 
le  tour  de  l'enclos  du  Temple;  &  creufant  la  terre  en  quatre  endroits,  il  y 
enterroit  des  cannes  &  des  cartes  teintes  du  fang  de  fes  oreilles,  de  fes 
pies ,  de  fes  mains  &  de  fa  langue.  Enfuite  il  prenoit  fon  repas ,  qui  con- 
fiftoit  en  quatre- épis,  de  maïz  &  un  verre  d'eau.  Ceux,  qui  vouloient  fe 
diflinguer  par  leur  force  &  leur  courage,  ne  prenoient  rien  pendant  quatre 
jours.  A  la  fin  de  ce  pénible  terme,  le  Chevalier  demandoit  congé  aux 
Prêtres ,  pour  aller  continuer  fon  Noviciat  dans  les  autre*  Temples.  Ses 
exercices  y  étoient  moins  rigoureux ,  mais  ils  duroient  pendant  tout  le  ref- 
te  de  l'année  ;  &  dans  une  fi  longue  pénitence  il  ne  pouvoit  aller  à  fa  Mai- 
fon ,  ni  s'approcher  de  fa  Femme.  Vers  la  fin  de  l'an ,  il  commençoit  à 
chercher  un  jour  heureux ,  pour  fortir  avec  des  augures  aulîî  favorables 
qu'il  étoit  entré  ;  &  lorfqu'il  croyoit  avoir  fait  un  bon  choix  ,  il  en  faifoit 
avertir  fes  Amis ,  qui  venoient  le  prendre  à  la  pointe  du  jour.  On  le  la- 
voit,  on  le  nétoyoit  foigneufement.  On  le  remenoit,  au  milieu  des  inf- 
trumens  &  des  cris  de  joie,  au  premier  Temple,  qui  étoit  celui  de  l'Idole 
Camaîlé.  Là ,  fes  Amis  le  dépouilloient  de  l'habit  groflTier  qu'il  avoit  por- 
té fi  long-tems ,  &  lui  en  faifoient  prendre  un  très  riche.  Ils  lui  lioient 
les  cheveux  d'un  ruban  rouge ,  &  le  couronnoient  des  plus  belles  plumes. 
On  lui  mcccoit  un  arc  dans  la  main  gauche,  <&  des  fiécnes  dans  la  droite. 
Le  grand  Prêtre  lui  faifoit  une  longue  harangue ,  qui  ne  contenoit  que  des 
éloges  de  fon  courage  ,  &  des  exhortations  a  la  vertu.  Il  lui  recomman- 
doit  particulièrement  la  défenfe  de  fa  Patrie  &  de  fa  Religion  j  &  lui  rap- 
pel- 


ion  de  gran- 
,  lui  perçoit 
ettoic  de  pe- 
reufe  opera- 
e  Prêtre  lui 
[uant  par  les 
s,  il  lui  fai- 
r  de  tous  fes 
Teyoit  à  ter- 
as -là,  toute 
irt,  &  quoi- 
i  adrefler  un 
s  le  regarder 
:au  fort  grof- 
,  &  une  piè- 
nt  de  la  tein- 
oreilles,  les 
encenfer  les 
Soldats,  des 
,  non-feule- 
imeil,  parce 
;  l'efpace  de 
mt  avec  des 
s  Idoles,  & 
dant  la  nuit , 
ndroits,  il  y 
illes,  de  fes 
as ,  qui  con- 
vouloient  fe 
idant  quatre 
congé  aux 
impies.  Ses 
t  tout  le  ref- 
r  à  fa  Mai- 
mmençoit  à 
î  favorables 
il  en  faifoit 
On  le  la- 
ieu  des  inf- 
ui  de  l'Idole 
1  avoit  por- 
s  lui  lioient 
:Iles  plumes, 
us  la  droite, 
noit  que  des 
recomman- 
&  lui  rap- 
pel- 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       557 

pellant  qu'il  avoit  eu  le  nez  percé  d'un  os  de  Tigre  &  d'une  griffe  d'Ai- 
gle, le  nez,  c'eft-à-dire  la  plus  haute  partie  de  l'Homme ,  &  ceJJe  qui  fe 
pféfente  la  première ,  il  lavertifloit  qu'auffi  long-teras  qu'il  porteroit  les 
cicatrices  de  ces  glorieufes  bleflTures ,  il  devoit  faire  éclater  dans  tou- 
tes fes  aftiorts  la  noblefle  de  l'Aigle  &  l'intrépidité  du  Tigre.  Enfin  , 
le  grand  Prêtre  lui  donnoit  un  nouveau  nom,  &  le  congedioit  en  le  bé- 
niflant. 

GoMARA  pafle,  de  ce  récit,  à  celui  de  la  Fête  qui  fuivoit  l'initiation  du 
nouveau  Tecuitle.  Après  avoir  décrit  les  viandes ,  les  préfens ,  les  réjouif- 
fances  &  toutes  les  folemnités  de  ce  grand  jour ,  il  craint  que  fa  relation  ne 
paroiffe  incroyable  ;  mais  il  n'en  aflfure  pas  moins  qu'elle  efl:  certaine,  & 
qu'il  ne  la  donne  que  fur  le  témoignage  de  ies  propres  yeux.  Il  ajoute  que 
les  Tecuitles  fe  mettoient ,  dans  les  trous  que  le  Prêtre  leur  avoit  fait  au 
nez  ,  des  grains  d'or,  de  petites  perles,  des  turquoifes,  des  émeraudes,  & 
d'autres  pierreries  ;  qu'avec  cette  principale  marque  de  leur  Ordre ,  ils  fe 
lioient  les  cheveux  au  fommet  de  la  tête,  lorfqu'ils  alloient  à  la  guerre; 
qu'ils  jouiiToient  d'ailleurs  du  droit  de  preféance  dans  toutes  les  AiTem- 
blées  de  guerre  &  de  paix ,  &  du  privilège  de  pouvoir  faire  porter  un  fiége 
à  leur  fuite,  pour  s'alTeoir  lorfqu'ils  le  defireroient  (î>). 


(^v)  Gornara,  ubifuprà,  Liv.  2.  Ch.  78. 
Acofta  parle  d'un  Monument  de  Chapulte- 
peque,  où  l'on  voyoit  encore  Motezuma  & 
fon  Fils  en  habits  de  Chevaliers.  11  compte , 
entre  les  diftinftions  du  premier  Ordre,  le 
droit  d'avoir  tout  le  corps  armé  en  tems  de 
Guerre  ;  au  lieu  que  les  Chevaliers  des  autres 
Ordres  n'étoient  armés,  dic-il,  quejufqu'àla 
ceinture.  Les  Chevaliers  de  tous  les  Ordres 
pouvoient  porter  de  l'or  &  de  l'argent,  fe 
vêtir  de  riche  coton ,  fe  fervir  de  vafes  peints 
&  dorés ,  &  porter  des  fouliers  ;  mais  il  n'étoit 
pas  permis  au  Peuple  d'avoir  les  pies  chauffés, 
ni  d'employer  d'autres  vafes  que  de  terre,  ni 
de  fe  couvrir  d'autre  étoffe  que  de  Neguen , 
qui  étoit  un  drap  fort  groflîcr.  Chaque  Or- 
dre de  Chevalerie  avoit  fon  logement  au  Pa- 


lais, diftingué  par  fa  marque:  le  premier  fe 
nommoit  le  quartier  des  Princes  ;  le  fécond 
celui  des  Âiglos;  le  troiflème  celui  des  Lions 
&  des  Tigres,  &  le  quatrième  des  Gris,  qui 
étoit  le  dernier  Ordre,  diftingué  par  la  forme 
de  leurs  cheveux ,  qu'ils  portoient  coupés  en 
rond  par  deffus  l'oreille.  Les  autres  Officiers 
occupoient  des  logemens  inférieurs  ;  &  per- 
fonne  ne  pouvait  changer  le  fien,  fous  peine 
de  mort.  Acofla^  vbijuprà,  Liv.  6.  Ch.  26. 
C'eft  cet  étallage  de  grandeur  qui  fait  dire  au 
même  Ecrivain ,  que  les  Péruviens  étoicnt  le 
plus  riche  Peuple  de  l'Amérique  en  cr  &  eu 
argent,  mais  que  lesMexiquainsl'empo.rtoient 
par  la  magniiicence  de  leur  Cour ,  &  par  la 
beauté  de  leurs  Paldis. 


Descsiptio» 
DE  LA  Nou- 
velle   ESPA* 
GNE. 


Religion,  Divinités,   Temples,  Prêtres,  Sacrifices,  0*  Fêtes  des 

Mexiquains. 

SoLis  prétend  que  malgré  la  multitude  des  Dieux  du  Mexique,  que  les 
premières  Relations  font  monter  jufqu'à  deux  mille,  on  ne  lailToit  pas 
de  reconnoître,  dans  toutes  les  parties  de  l'Empire,  une  Divinité  fupé- 
rieure,  à  laquelle  on  attribuoit  la  création  du  Ciel  ik  de  la  Terre;  mais 
que  cette  première  caufe  de  tout  ce  qui  exifte  étoit  pour  les  Mexiquains 
un  Dieu  fans  nom,  parce  qu'ils  n'avoient  point,  dans  leur  larigae,  de  ter- 
me pour  l'exprimer  («).     Ils  faifoient  feulement  comprendre  ij^u'ils  la  con- 

nojf.. 

(a^  UM  fuprà,  Liv.  3.  Chap.  17.    lier-      &  que    c'étoit  le    principal    point    de  itW 
ïcta  dit  qu'ils  couÊeûbient  UQ  Dii'U  fuprôxne ,      croyance;  qu'ils  toi)K'inpioiN,ut  k  Ciel,  ^. 

A  au  a  q  'j'-'*-' 


Principes  de 
iaPvcligion  du 
Mexique, 


V£LtE 
ONE, 


l 


558        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE; 

DaicniPTioN  noiflbient,  en  regardant  le  Ciel  avec  vénération.  Cette  idée,  ajoute  le 
ïîiA*  ÈspA-  n^éme  Hiftorien ,  fervit  peu  à  les  défabufer  de  l'idolâtrie.  Il  fut  impoflible 
de  leur  perfuader  tout  d'un  coup  que  le  même  Pouvoir  qui  avoit  créé  le 
Monde,  fût  capable  de  le  gouverner  fans  fecours.  Ils  le  croyoient  oifif 
dans  le  Ciel.  Ce  qui  paroîc  de  plus  clair  dans  leurs  opinions ,  fur  l'origi- 
ne des  Divinités  qu'ils  adoroient,  c'efl  que  les  Hommes  commencèrent  à 
les  connoître  à  mefure  qu'ils  devinrent  miferablej,  &  que  leurs  befoins  fe 
multiplièrent.  Ils  les  regardoient  comme  des  Génies  bienfaifans,  dont  ils 
ignoroient  la  nature,  &  qui  fe  produifoient  lorfque  les  Mortels  avoient  bc- 
foin  de  leur  affiftance.    AinCi  c'étoient  les  néceflîtés  de  la  race  humaine 

ui  donnoient  l'être,  fuivant  des  notions  fi  confufes,  aux  â-fférens  objets 

e  leur  culte. 

Ils  ne  laiflbient  pas  de  reconnoître  l'immortalité  des  Ames,  &  de  les 
croire  deflinées  à  des  punitions  ou  à  des  récompenfes.  Toute  leur  Reli- 
gion ,  dit  Gomara  (A),  étoit  fondée  fur  ce  principe;  mais  ils  expli- 
quoient  mal  leurs  motifs  d'efpérance  &  de  crainte,  c'efl-à-dire,  en  quoi 
confifloit  le  mérite  ou  l'ofFenfe  qui  devoit  décider  de  leur  fort.  Cependant 
ils  diftinguoient  quantité  de'  lieux  où  l'Ame  pouvoit  palier  en  fortant  du 
corps.  Ils  en  mettoicntun,  près  du  Soleil,  qu'ils  nommoient  la  Maifon 
du  Soleil  même,  &  qui  étoit  le  partage  des  gens  de  bien,  de  ceux  qui  é- 
toient  morts  au  combat,  &  de  ceux  qui  avoient  été  facrifiés  par  leurs  En- 
nemis. Les'  Médians  étoient  relégués  dans  des  lieux  fouterrains.  Les 
Enfans,  &  ceux  qui  nailToient  fans  vie,  avoient  leur  demeure  marquée. 
Ceux  qui  mouroient  de  vieillefle  ou  de  maladie  en  avoient  une  autre.  Ceux 
qui  mouroient  fubitement ,  ceux  qui  s'étoient  noyés,  ceux  qui  étoient  pu- 
nis de  mort  pour  le  vol  ou  radultère,  ceux  qui. avoient  tué  leur  Père,  leur 
Femme  ou  leurs  Enfans,  leur  Seigneur,  ou  un  Prêtre,  enfin ,  tous  avoient 
leur  deilination  dans  des  lieux  féparés,  qui  cûnve;iojent  à  leur  âge,  à  la 
conduite  de  leur  vie  &  au  genre  de  leur  mort. 

La  principale  Idole  desMexiquains,  qu'ils  traitoient,  fuivant  Acofl:a(c), 
de  Tout-puillhnt  Seigneur  du  Monde,  étoit  adorée  fous  le  nom  de  Fitzi- 
ïipuztU.  C'étoit  une  Statue  de  bois,  taillée  en  forme  humaine,  aflîfe  fur 
une  boule  couleur  d'azur ,  pofée  fur  un  Brancard ,  de  chaque  coin  duquel 
fortoit  un  Sei-pent  de  bois.  Elle  avoit  le  front  azuré ,  &  par-defTus  le  nez 
une  bande  de  la  même  couleur,  qui  s'étendoit  d'une  oreille  à  l'autre.  Sa 
tête  (?toit  couronnée  de  grandes  plumes,  dont  les  .pointes  étoient  fort  bien 
dorées.  Elle  portoit  dans  la  main  gauche  une  rondache  blanche,  avec 
cinq  figures  de  pommes  de  Pin  diipofées  en  croix ,  &  au  fomrnet  une  forte 
de  cimier  d'or  accompagné  de  quatre. flèches,  que  lesMexiquains  croyoient 
envoyées  du  Ciel..  Dans   la  main  droite,   elle  avoit  un  Serpent  aznrc. 

Vit- 


Principales 
Idoles. 


qu'ils  lui  donnoient  les  noms  de  Créateur , 
à  d'Admirable  ;  mais  qu'outre  leurs  Idoles, 
ils  adoroient  le  Soleil,  la  Lune,  l'Etoile  Cid 
jour,  la  Mer  &  la  Terre,  &  que  c'étoit  par 
cette  railbn  qu'ils  appellùrv.nt  Cortez  Fils 
du  Soleil;  que  d'ailleurs  ,  ils  fe  faitbicnt 
fouvent  de  bouvcavu  objets  de  culte  &  des 


Images  dj  diverfes  fiq:ur(N  ,  fur-tout  à  Mexi- 
co, à  Tezcuco,  à  Tlarcala  &:  à  Cliolula,  où 
la  fiiperltition  étoit  i:lus  lU'.l-iite  que  dans  les 
Provinces  éloignées,  î(/'i/«;)r.'t Cliup,  15, 

(h)  Ubifupi-à,  Liv.  2.  Chap.  79. 

(c)  Ubi  fiiprà,  Liv.  5.  Chap.  4. 


OV  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II. 


SS^ 


DE  i.A   Nou- 
velle  EïrA" 

CNB. 


Vitzilipir/iii  (d)  étoit  le  Dieu  de  la  Guerre.  Tcfcatilputza,  qui  paroîc  DsscnrpTTO» 
avoir  tenu  ir  iecond  ""ang,  ctoïc  le  Dieu  de  la  Pénitence;  c  elt-a-dire  que 
les  Mexiqu.iins  s'adr'^irojent  à  lui  pour  obtenir  le  pardon  de  leurs  fautes. 
Cette  iùole  étoit  de  pierre  noire,  auflî  1  fante  qu'un  marbre  poli,  vêtue 
&  parée  de  rubans.  Elle  avoit,  à  la  lèvre  d'enbas,  des  anneaux  d'or  & 
d'argent,  avec  un  petit  tuyau  de  cryftal ,  d'où  fortoit  une  plume  verte, 
qu'on  changeoit  queli^uefois  pour  une  bleue.  La  trèfle  de  fes  cheveux,  qui 
lui  férvoit  de  bande,  éroit  d'or  bruni;  &  du  bout  de  cette  trelfe  pendoic 
une  oreille  d'or,  un. peu  fouillée  d'une  efpèce  de  fumée,  qui  repréfentoit 
les  prières  des  Pécheurs  &  des  Affligés.  Entre  cette  oreille  &  l'autre,  on 
voyoit  fortir  des  aigrettes;  &  la  Scatue  avoit  au  cou  un  lingot  d'or,,  qui 
delcendoit  aflez  pour  lui  couvrir  tout  le  fein.  Ses  bras  étoient  ornés  de 
chaînes  d'or.  Une  pierre  verte,  fort  précieufe,  lui  tenoit  lieu  de  nombril. 
Elle  portoit ,  dans  la  main  gauche,  un  chatle-mouche  de  plumes,  vertes, 
bleues  ôi  jaunes,  qui  fortoient  d'une  plaque  d'or  fi  bien  brunie,  qu'elle 
faifoit  l'effet  d'un  miwir  ;  ce  qiii  fignifioit  que  d'un  feu!  coup  d'œil,  l'Idole 
voyoit  tout  ce  qui  fe  fai'bit  dans  l'Univers.  Elle  tenoit  dans  la  main  droite 
quatre  dards,  qui  marquoient  le  chfitimenc  dont  les  Pécheurs  étoient  me- 
nacés. Tefcatilputza  étoit  le  Dieu  le  plus  redouté  des  Mexiquains  ,  parce 
(.  .'ils  appréhendoient  qu'il  ne  révélât  leurs  crimes;  &  fa  Fête,  qu'on  ce- 
lébroit  de  quatre  en  quatre  ans,  étpit  une  efpécè  de  Jubilé,  qui  appdrtoit 
un  pardon  général.  11  pafToit  aufl»  pour  le  Dieu  de  la  (lérilité  &  du  deuiK 
Dans  les  Temples  où  il  étoit  honoré  à  ce  titre,  il  étoit  aftîs  dans  un  fau- 
teuil avec  beaucoup  de  Maîeflé,  entouré  d'un  rideau  rouge,  fur  lequel 
étoient  peints  des  cadavres  &  des  os  de  Morts.  On  le  repréfentoit  auffî 
tenant  de  la  main  gauche  un  Bouclier,  avec  cinq  pommes  de  Pin,  &  delà 
droite  un  dard  prêt  à  frapper.  Quatre  autres  dards  fortoient  du  Bouclier. 
Sous  toutes  ces  formes,  il  avoit  lair  menaçant,  le  corps  noir,  &  la  tête 
couronnnée  de  plumes  de  Caille. 

Les  Cholulans,  Peuple  aiTez  voifins  de  Mexico,  adoroient  une  Idole, 
dont  la  réputation  attiroit  des  Pèlerins  de  toutes  les  Provinces  de  l'Empire. 
C'étoit  la  Divinité  des  Marchands,  qui  fe  nommoit  Quatzakoatl  Elle  é- 
toit  dans  un  Temple  fort  élevé ,  au  milieu  d'un  tas  d'or  &  d'argent ,  de 
plumes  rares  &  de  marchandifes  d'un  grand  prix.  Sa  taille  étoit  celle  d'un 
Homme,  mais  avec  une  tête  d'Oifeau ,  qui  avoit  le  bec  rouge;  &  fur  ce 
bec  ,  une  crête  &  des  verrues,  avec  plufieurs  rangées  de  dents  &  la  lan- 
gue en  dehors.  Sa  tête  étoit  couverte  d'une  efpèce  de  mîtrc,  qui  fe  ter- 
minoit  en  pointe,  &  fa  main  étoit  armée  d'une  faulx.  On  lui  tenoit  les 
jambes  ornées  de  diverfes  fortes  de  bijoux  d'or  &  d'argent ,  pour  exprimer 
les  faveurs  qu'elle  avoit  le  pouvoir  d'accorder.  Son  nom  fignifioit ,  Set' 
pent  de  plume  riche  (e).  Le  Mexique  avoit  auflli  des  Déeiles,  dont  la 
principale  fe  nommoit    TdZi^   c'eft-à-dire,  V/Jyeule  commune.    Matlalcuict 

étoit 


{à)  Diaz  de  Caftro  dit  que  les  premiers  riiiain.    II  fignifioit,  fuivant  Acofla,  Maîfon 

Efpagnols    l'avoient    noumiée    Huicbilobos,  rehiifante  déplumes;  &  {uW^ntliQïïex^,  ft' 

&  n'en  apporte  pas  d'autre  rai  fou  que  la  dif-  mitres  de  plumes  reluifantes. 

Cculté  d'écrire  &  de  prononcer  le  nom  Mcxi-  (  e  )  Acgfta  &  Herrera ,  itbi  fuprà. 


560 


li 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


PtSCniPTION 
UE    T,.\    Nuu- 
VEM.P     Ei-I'A- 
OHE. 


Temples  & 
Chapelles. 


Defcriptîon 
«lu  grand 
Temple  de 
Mexico. 


étoit  Dcefle  de  l'eau ,  comme  Ometocbtli  étoit  le  Dieu  du  vin.  Elle  étoic 
revêtue  d'une  chemife  de  couleur  bleu  célefte.  On  trouva,  du  côté  d'A- 
cipulco,  des  Idoles  qui  portoient  des  bonnets  de  la  forme  des  nôtres.  Il 
paroît  d'ailleurs  que  le  Peuple  adoroit  tout  ce  qu'il  croyoit  utile  ou  nuifible 
aux  Hommes  (/). 

Il  ert:  difficile  de  donner  une  jufte  idée  des  Temples  Mexiquains.  Tous 
les  Hiftoriens  conviennent  que  leur  forme  étoit  d'une  finguiarité,  dont  l'I- 
dolâtrie n'a  jamais  rien  eu  d'approchant.  Mexico  en  contenoit  un  grand 
nombre,  difperies  dans  les  différens  quartiers,  auxquels  Herrera  ne  fait 
pas  difficulté  de  donner  le  nom  de  Paroifles.  Ils  avoient  tous  leurs  Tours , 
où  l'on  montoit  par  des  dégrés.  On  y  voyoit,  non-feulement  quantité 
d'Autels,  qui  ofFroient  les  Images  &  l'es  Statues  des  Dieux,  mais  plufîeurs 
rangs  de  Chapelles ,  qui  fervoient  de  fépultures  pour  les  Seigneurs  ;  comme 
les  cours  &  les  efpaces  voifins  du  Temple  étoient  le  Cimetière  du  Peuple. 
Tous  ces  Edifices  étoient  bâtis  dans  le  même  goût ,  excepté  que  les  uns 
étoient  plus  fpacieux,  plus  hauts  &  plus  ornés  que  les  autres.  On  trcave, 
dans  les  premiers  Hiftoriens,  une  defcription  du  grand  Temple,  qui  étoit 
confacré  à  Vitzilipuztli,  &  qui  portoit,par  excellence,  le  nom  A^Teutcalli ^ 
c*eft-à-dire.  Mai/on  de  Dieu.  Donnons  celle  d'Herrera,  mais  fans  en  ga- 
rantir la  juftefle  (g). 

Sa  forme  générale  étoit  quarrée ;  &  d'angle  en  angle,  il  avoit  en  lon- 
gueur la  portée  d'une  balle  de  moufquet.  L'enceinte  étoit  de  pierre,  d'en- 
viron fix  pies  de  hauteur.  Quatre  grandes  portes,  qui  fervoient  d'entrée, 
répondoient  aux  trois  Chaufiées  du  Lac,  &  du  côté  de  la  terre,  à  lapins 
large  rue  de  la  Ville.  Au  milieu  de  cet  efpace  quarré,  qui  étoit  découvert 
&  fort  uni,  s'élevoit  une  plate-forme,  fur  laquelle  étoit  un  bâtiment  de 
pierre,  quarré  comme  la  cour,  &  long  de  quinze  toifes  d'angle  en  angle, 
avec  plufieurs  faillies,  qui  foutenoient  autant  de  pyramides,  de  la  forme 
qu'on  donne  à  celles  d'Egypte.  L'Edifice  diminuoit  en  largeur,  comme  ks 
pyramides,  à  mefure  qu'il  s'élevoit:  mais,  au  lieu  de  fe  terminer  en  poin- 
te ,  le  fommet  étoit  plat  &  uni,  &  formoit  un  efpace  quarré  de  fix  ou  fepL 
toifes.  La  face  de  l'Occident  étoit  fans  faillie;  mais  elle  avoit  des  dégrés, 
pour  monter  à  découvert  jufqu'au  fommet.  Ces  dégrés  étoient  d'environ 
huit  pouces,  &  l'on  en  comptoit  cent  treize  ou  cent  quatorze;  quelques- 
uns  difent,  cent  trente.  Ils  étoient  de  très  belle  pierre,  &  faits  avec  tant 
d'art,  qu'ils  paroiflbient  également  beaux,  de  prés  &  dans  i'éloignemenr. 

C'étoit 


(/)  Ils  adoroicnt,  ditGomara;  le  Soleil, 
le  Feu,  l'E-ui  &  la  Terre  pour  le  bien  qu'ils 
en  recevoient;  le  Tdnnerre,  les  Eclairs  & 
tous  les  Météores,  parce  qu'ils  les  redou- 
toicnt  ;  quelques  Aniuiaux ,  A  caufe  de  leur 
douceur,  &  d'autres  à  caufe  de  leur  fierté. 

Îe  ne  fais  dans  quelle  vue  ils  avoient  des  Ido- 
es  qui  rcpréfentoient  des  Papillons.  Ils  ado- 
roicnt des  Sauterelles,  &  des  Grillons,  afin 
que  leurs  moiflbns  n'en  fulFent  pas  mangées; 
les  Puces  &  les  Mouches,  pour  n'en  être 
pas  piqués  pendant  la  nuit;  les   Grenouil- 


les, afin  qu'elles  leur  donnaient  du  poif- 
fon,  dont  ils  les  reconnoiflbient  pour  les 
Déeflcs  ,  parce  que  c'efl  le  feul  poilTon  qui 
ait  une  forte  de  voix,  ubi  J'uprà,  Liv.  2. 
Chap.  90. 

(g)  Celle  d'Acofla  efl  peu  différente; 
nuiis  il  paroît  qu'elle  réunit  deux  Tcnipleà, 
&  Solis,  qui  l'adopte,  n'a  pas  fait  cette  ob- 
fervation. 

Nuta.  Voyez  le  Grand  Temple  de  Mexico , 
«uTomeXVI.  R.  d,  E. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        s6t 

C'é toit  un  fpèftacle  magnifique,  que  d'y  voir  monter  &  defcendre  les  Prê- 
tres ,  vêtus  des  habits  qui  répondoient  à  leurs  fondions.  L'efpace ,  qui 
formoitle  fommet  du  Temple,  contenoit  deux  grands  Autels,  féparéslun 
de  l'autre,  &  fi  proches  au  mur  d'appui,  qu'il  ne  refl:oit  de  place  entre 
deux  que  pour  le  paflage  d'un  Homme.  L'un  des  deux  Autels  étoit  à  droi- 
te ,  &  l'autre  à  gauche.  Leur  hauteur  n'étoit  que  de  cinq  palmes  :  mais 
chacun  étoit  adolTé  contre  fon  mur  de  pierre,  qui  fe  courbant  en  ceintre 
formoit  une  Chapelle;  &  ftir  les  deux  Chapelles,  comme  Air  une  bafe  com- 
mune, onavoit  conftruit  trois  planchers  de  charpente,  l'un  fiir  l'autre  à 
difl:ance  égale,  revêtus  &  lambrifles  avec  tant  d'art,  qu'on  auroit  pu  les 
prendre  pour  un  ouvrage  de  maçonnerie.  Ce  fiircroît  d'édifice,  qui  s'éle- 
voit  par-defllis  la  pyramide ,  lui  donnoit  l'apparence  d'une  très  haute  Tour. 
Auffi  la  voyoit-on  de  fort  loin  ;  comme  on  découvroit  de  ce  lieu  toute  la 
Ville  &  le  Lac ,  avec  les  Villes  &  les  IJourgades  voifines ,  qui  compofoient 
une  des  plus  belles  perfpe6lives  du  monde.  Motezuma  y  conduifît  Cortez 
&  Tes  Omciers,  peu  de  jours  après  leur  arrivée,  Cette  vue  les  frappa  d'ad- 
miration. Cortez  en  loua  Dieu ,  fuivant  les  termes  de  l'Hiftorien.  Il  de- 
manda aux  Ëfpagnols  qui  l'accompagnoient ,  s'ils  ne  fe  croyoicnt  pas  dé- 
dommagés de  tous  leurs  travaux  par  un  fi  beau  fpeélacle  ?  &  cette  idée  lui 
échauffant  l'imagination ,  il  fe  promit ,  du  même  lieu ,  la  Conquête  de  l'Em- 
pire, comme  du  centre  d'une  vaflie  contrée,  dont  fon  courage  lui  faifoit 
embrafler  toute  l'étendue  (h). 

Pendant  les  Prières  &  les  Sacrifices, c'étoient  les  Prêtres  feuls  qui  occu- 
poient  le  fommet  du  Temple.  Tous  les  Aflîfl:ans  fe  tenoient  au  bas  des 
dégrés ,  les  Hommes  d'un  côté  &  les  Femmes  de  l'autre ,  le  vifage  tourné 
au  Levant.  Chacun  des  deux  Autels  avoit  fa  Statue.  La  ^principale  étoit 
celle  de  Vitzilipuztli  ;  mais  on  lui  aflTocioit  Tlaloch,  autre  Divinité  qui  par- 
tageoit  les  mêmes  honneurs  (  /  ).  Outre  la  Tour  que  les  deux  Chapelles 
formoient  fur  la  grande  pyramide,  on  en  comptoit  plus  de  quarante  autres , 

.    .     -         ■        -   .     .        -  :      ..    .-.  -^    -  :        de 


DEJCRIPTtOïT 
nB  LA  Nour 
VELLE   EsrA- 

UNI. 


>  ) 


'  de  Mexico , 


(fc)  Herrera,  Décade  3.  Chap.17. 

(»)  Suivant  Acofta  &  Solis  le  plancher 
étoit  fort  proprement  couvert  de  carreaux 
de  jafpe  de  diverfes  couleurs.  Les  piliers 
d'une  forte  de  baluflrade,  qui  règnoit  autour 
de  cet  efpace,  étoient  tournés  en  coquille  de 
Limaçon,  &  revêtus  fur  les  deux  faces, 
de  pierres  noires  femblables  au  jais,  ap- 
pliquées avec  art .  &  jointes  avec  un  bitume 
rouge  &  blanc  Aux  deux  bouts  de  la  ba- 
luflrade, ceft-à-dire  dans  l'endroit  où  les 
dégrés  finiflbient,  deux  Statues  de  Marbre 
foutenoient ,  dans  une  attitude  qui  exprimoit 
fort  bien  la  péfanteur  du  poids ,  deux  grands 
candélabres  d'une  forme  extraordinaire.  Plus 
avant,  une  pierre  verte,  haute  de  cinq  pal- 
mes, taillée  en  dos- d'âne,  &  placée  entre 
les  deux  Autels .  étoit  le  lieu  où  l'on  plaçoit 
fur  le  dos  les  Victimes  humaines ,  pour  ^eur 

Xmi.  Part. 


fendre  reftomac  &  leur  arracher  le  cœur. 
Le  tréfor  des  deux  Chapelles  étoK  d'un  prix 
ineflimable.  Les  murs  mêmes,  comme  les 
Autels ,  étoient  couverts  de  pierres  précieu- 
fes  &  de  joyaux  d'or  &  d'argent  fur  des  plu- 
mes de  toutes  fortes  de  couleurs.  Jcojla, 
Liv.  5.  Ch.  13;  &  Solis,  Liv  3.  Ch  13.  A 
la  defcription  qu'on  a  faite  de  la  grande  Ido- 
le, telle  qu'elle  étoit  dans  tous  fcs  Temples, 
Herrera  joint,  dans  celui  de  Teutcalli,  une 
grpffe  chaîne  d  or ,  qui  la  ceignoit  au  milieu 
du  corps,  &un  gros  collier  d  or,  qui  s'éten- 
doit  jufques  fur  les  épaules,  orné  de  dix 
cœurs  d'Hommes  du  même  métal.  Les  deux 
Statues  avoient,  pour  yeux,  des  pierres  fort 
luifantes,  qui  caufoient  beaucoup  d'effroi, 
fur-tout  pendant  la  nuit;  &  fur  la  nuque  du 
cou,  un  vifage  de  Mort ,  aufTi  épouvantable 
que  tout  le  refte.    Ubifupr^,.Ch,iii,        , 

B  b  b  b 


S6i        D  ES  C  JR.  J  PT  lO  N    DU    MEXIQUE, 

BuaimoM  de  différentes  grandeors,  fur  les  pyramides  des  faillies,  &  dans  plufieuri 
yitix  EuA-  *"^^*  P^""  Temples  qui  étoient  autour  du  grand.     Quoiqu'ils  fulîbut  de 
mn.        même  (Inifture,  ils  n'étoienz  pas  tournés  vers  l'Orient,  mais  vers  d'autres 
endroits  du  CieJ;  pour  honorer  Vitzlipiuttili  pjir  cette  diftinéèion.    Ceux 
qui  étoient  confacrés  à  QuatzalcoatI  étoient  ronds  dans  leur  fornne,  >&kur 
porte  reiTembloit  à  la  gueule  ouverte  d'un  Serpent.    A  chacune  des  <|na4:re 
portes  du  grand  Temple,  on  trouvoit  une  valle  falJe,  àc  des  chambres  han- 
tes Abafles,  qui  fervoient  de  Magallns  d'armes:  car  les  Temples  Soient 
tout  à  la  fois  des  lieux  de  Prières  &  des  Fortereflès ,  où  l'on  portoit  pen- 
dant la  Guerre  toutes  fortes  de  munitions  pour  la  défenfe  de  la  ViPle.  Quani- 
tité  d'autres    Edifices  aboutiflbient   de  toutes  parts  aux  murs  d'enclos , 
&  fervoient  de   logement  aux   Minières  des  Idoles.     On  y  voy<Mt  de 
grandes  cours ,  de«  jardins  ,  des  étangs ,  &  toutes  les  commodités  né>cef- 
faires  à  plus  de  cinq  mille  perfonnes ,  qu'on  y  entretenoit  pour  le  fervi- 
ce  de  la  Religion,     lls^jouiflbient  du  revenu  de  plufieurs  Villages,  qui  les 
mettok  dans  une  abondance,  réfervée  dans  toutes  les  Nations  pour  les 
Qiefs  du  Clergé. 
Holechcrie.       QtJCMQUE  Vitzilipuztli  fût  le  principal  Dieu  des  Mexiquains,  on  confef- 
Toit,  dans  un  des  étages  qui  étoient  au-defTus  des  deux  Autels  du  grand 
Temple,  une  Idole  plus  chère  encore  à  la  Nation,  mais  dont  le  cukeétoit 
moins  régulier,  &  n'avoit  que  des  jours  foleranels,  où  la  dévotion  du  Peu- 
ple éclatoit  avec  beaucoup  d'ardeur.     Elle  étoit  compofée  de  toutts  les  fè- 
menées  des  choies  qui  fervent  à  la  nourriture  des  Hommes,  moulues  & 
paîtries  enfeiwble  avec  du  fang  des  jeunes  Enfans ,  des  Veuves  &  des  Vier- 
ges facrifiées.    Les  Prêtres  la  faifoient  fécher  foigneufèment  ;  &  toute  gran- 
de qu'elle  étxntf  elk  pefoit  peu.     Le  jour  de  fa  confécration ,  non-feule- 
ment tous  les  Habitans  de  Mexico,  mais  ceux  de  toutes  les  Villes  voi- 
fines   aiffilloient   à  cette  JFéte ,   avec    des   réiouïiTances   extraofviinaires. 
Les  plus  dévots  approchoient  de  f  Idole ,  Id  ùouchoient  avec  la  main , 
appliquoient  à  fes  principales  parties  divers  bijoux ,  qu'ils  croyoient  fanfti- 
fiés  par  fa  vertu ,  &  lés  regardoient  comme  un  préferva^if  contre  toutes 
fortes  de  maux.    Après-  cette  cérémonie ,  l'Idole  étoit  renfermée  dans  un 
San£luairê,  dont  l'entrée  étoit  interdite  aux  Séculiers,  &  même  au  com- 
mun des  Prêtres.    On  béoiObit  en  même  teros,  avec  de  graïuks  cérémo- 
'  nies,  un  vafe  plein  d'eau.,  qu'on  gardoit  dans  le  même  lieu.    Cette  eaa 
facTce  n'avoit  que  deux  ufages,  l'un  pour  le  couronnement  de  l'Empe. 
reur ,  &  l'autre  pour  l'éleâion  du  Général  des  Armées.    On  les  arrofoic 
par  afperQon ,  &  l'on  en  £iifoit  boire  au  Général.    L'Idole  étant  d'une 
matière  que  le  tems  ne  manquoit  point  d'akerer ,  on  la  renouvelloit  quel- 
quefois avec  les  mêmes  formalités.    Alors  la  vieille  éto'.t  raife  en  piè- 
ces, qu'on  diftribuoit  comme  de  préoieufes  reliques  entre  les   premiers 
Seigneurs  de  l'Empire,  fur-tout  aux  Officiers  militaires.    On  iàiknt  auifi 
dans  le  grand  Temple,  à  certains  jours  de  Tannée,  une  Idole  dont  la  ma- 
tière pou  voit  fe  manger,  &  que  les  Prêtres  dépeçoient,  pour  ea  donner 
les  fragmens  à  ceux  qui  venoient  les  recevou-.    C'éioit  une  efoèce  de 
communion,  à  laquelle  on  fe  préparoit  par  des  prièree  &  des  parifications 

ita- 


( 


au  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       s^ 

établies.    L'ExMpeieur  même  alSifh)ic  k  cette  cérémonie,  avec  une  partie 
de  fa  Cowc  (k). 

SoLis  ne  met  pas  moins  de  deux  mille  Temp^'es  (/)  dans  la  Capitale 
du  Mexique,  fans  y  comprendre  le  grand,  &  huit  autres  qui  ëtoienc, 
dit-il  y  auffi  riches  ,  &  bâtis  à-peu-prés  fur  le  même  modèle.  Mais  il  y 
a  beaucoup  d'apparence  qu'il  a  pris  le  nombre  des  Divinités  pour  celui  des 
Temples,  ou  qu'il  a  cru  que  las  Mexiquains  comptant  environ  deux  mille 
Dieux,  ils  devaient  leur  avoir  élevé  le  même  nombre  d'Edifices.  AcoAa, 
qu'il  fain  profeffion  de  fuivre,  n'en  nomme  (m)  que  huit  avec  le  grand. 
Herrera.  nTen  coxnpte  pas  plus  (  »  )  ;  <&  Gomara  dit  encore  plus  Amplement 
qu'il  y  avrjt  plufieurs  autres  Temples  dans  Mexico  (o).  On  a  fait  obfer» 
ver  auffî  que  dans- la  Defcription  du  Teuccalli,  Solis  avoit  confondu  les 
propriétés  de  quelques  autres  Etabliffemens  Politiques  ou  Religieux.  Tel 
efl  celui  qu'Herrera  nomme  \e  Cimetière  des  Sacrifices  y  &  donc  les  premières 
Rjektions Eipagnoles  ont  donné  la  rcpréfentation.  '  ■•       •  '  '   ■■'■^ 

QuoBQp'uiNE.partie  des  Viélimes- humaines  fût  facrifiée  dans  le  grand  Tem- 
ple (p)v  &  que  les  Mexiquains  euffent  l'horrible  ufage  d'en  manger  la 
chair,  ils  réfecvoient  les  têtes,  foit  comme  un  trophée  qui  faifoit  honneur 
à  leurs,  Vidtûires ,  foit,  au  jugement  dHerrera,  pour  fe  familiarilèr  avec 
l'idée  dfi  Èx  nwwt.  Le  lieu ,  qui  contenoit  cet  affreux  dépôt ,  étoit  devant 
la  principale  porte  du  Temple,  à  la  diftance  d'un  jet  dte  pierre.  C'étoit 
une  efpèce  de  Théâtre,  de  forme  longue,  bâti  de  pierre,  à  chaux  &  à  ci*- 
ment.  Les  dégrés,  par  lefquels  on  y  montoit,  étoient  auflS  de  pierres, 
maiS; entremêlées  de  têtes  d'Hommes,  dont  les  dents  s'offroient  en  dehors; 
Aux  côtés  da  Théâtre,  il  y  avoit  quelques  Tours,  qui  n'étoient  fabriquées 
que  de  têtes  &  de  chaux.  Les  murailles  étoient  revêtues ,  d'ailleurs ,  de 
cordons  de  têtes,  en  plulîeurfr  compartimens;  &  de  quelque  côté  qu'on  y 
jettâl  les  yeux:,  on.  ne  voyoit  que  des  images  de  mort.  Sur  le  Théâtre 
même,  plus  de  foixante  poutres,  éloignées  de  quatre  ou  cinq  paimes  les 
unes  des  années,  &  liées  entr'elles  par  de  petite»  Iblives  qui  les  traver- 
foient,  offroient  une  infinité  d'autres  têtes,  enfilées  fiicceflivement  par 
les  temples.  Le  nombre  en  étoit  fi  grand ,  que  les  Efpagnols  en  compté" 
rent  plus  de  cent  trente  mille,  fans  y  comprendre  celles  dont  les  Tours 
étoient  compofees.  La  Vrlle  entreienoit  plufieurs  perfonnes ,,  qui  n'a- 
voient  point  d'autre  fonftion  que  de  replacer  les  têtes  qui  toraboient ,  d'en 
remettre  de  nouvelles,  &  de  conferver  l'ordre  établi  dans  cet  abomina* 
ble  Eeui^ 

•  '  ■       •  :•  ■•  ''^  '   '■  '  ''' /  Après 


TfttCMtmofi 

vu    LA    NCHN 

V£LLE     EtfA* 

ONI. 


(*)  Hferrera,  im.  On  fe  baignoit,  la 
nuit  précédente  ;  on  fe  làvoit  plufieurs  fois 
la  tète  &  les;  maiçs;  on  s'ajudoit  les.  che- 
veux ,  &  l'on  ne  dorinoit  prefque  point  j;UC- 
qu'à  l'heure  de  la  Fête ,  Ibid. 

(l)  Tomat  Liv.  3.  Ch.  13   pagesitf. 

(m)  Liv.  s.  page. 

Ç»)  Décade,  3  Liv.  2  page  175. 

(0)  Liv  2.  ch.  4 

(p)  O-nus  peut  simagjner  qiifellesy  fuf- 
fent  facriiiées  toutes,  quand  on  confîdére 


des  Sacrifices. 


quel  en  étoit  quelquefois  le  nombre.  Auflî 
Herrera,  dit- il  ici,  que  ces  facriftccs  fe  hU 
foient  dans  le  Cimetière  même.  Cependant 
Il  dit,  dans  un  autre  lieu,  qu'on  Gentoit  à 
l'entfée  du  Temple,  une  puanteur  infuppor» 
table,  qui  venoît  du  maflTacre  des  Vifliimes; 
qu'on  frottoit  de  fang  tous  lés  murs  de». 
Cabinets  ou  des  Chapelles,  &  qu'il  s'y  étoit 
formé  une  croûte  noire,  épnifle  de  deyx 
doigts  par  le  haut,  &  de  flx'  pouces'  par  le 
bafr,  &c.  ubifufirà,  Chapi  17.  ' 

Bbbb  2 


DHcairrioR 

Dl    LA    NOU- 

VILLE     ESPA- 

ONB 

Sacrifices 
humains. 


Cérémonies 
qui  les  ac- 
compa- 
gaolen^ 


564        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

ApRàs  avoir  parlé  tant  de  fois  des  Sacrifices  du  Mexique  &  des  Viélimes 
humaines,  on  doit  auLeéleur  une  peinture  de  ces  abominables  Fêtes.  Tous 
les  Hifloriens  conviennent  qu'il  ne  s'en  trouve  point  d'exemple  aufli  révol- 
tant pour  l'humanité,  dans  les  plus  barbares  Nations  de  l'Afrique  &  des 
deux  Indes.  C'étoit  dans  la  vue  d'immoler  paifiblement  des  Hommes  à  leurs 
Dieux ,  que  les  Mexiquains  épargnoient  le  fang  de  leurs  Ennemis  pendant 
la  Guerre ,  &  qu'ils  s'efforçoient  de  faire  un  grand  nombre  de  Prifonniers 
vivans.  Motezuma  ne  fit  pas  difficulté  d'avouer,  à  Cortez,  que  malgré  le 
pouvoir  qu'il  avoit  continuellement  de  conquérir  la  Province  de  Tlafcala , 
il  fe  refufoit  cette  gloire,  pour  ne  pas  manquer  d'Ennemis»  c'efl-à^dire, 
pour  aflurer  des  Viéfcimes  à  Tes  Temples  ;  &  l'on  a  vu  que  le  premier  de- 
voir des  Empereurs ,  après  leur  éleélion ,  étoit  d'enlever  des  Captifs  &  de 
les  préfenter  au  couteau  des  Prêtres. 

Herrera  donne  les  cérémonies  du  Sacrifice.  On  faifoit  une  longue  file 
des  Viélimes ,  environnée  d'une  multitude  de  Gardes.  Un  Prêtre  defcen- 
doit  du  Temple,  vêtu  d'une  robbe  blanche,  bordée  par  le  bas  de  gros  Hoc- 
cons  de  fil ,  &  portant  dans  fes  bras  une  Idole  compofée  de  farine  de  maïz 
&  de  miel.  Elle  avoit  les  yeux  verds  &  les  dents  jaunes  (q).  Le  Prêtre 
defcendoit  les  dégrés  du  l'emple  avec  beaucoup  de  précipitation.  Il  mon- 
toit  fur  une  grande  pierre ,  qui  étoit  comme  attacn»^e  à  une  plate-forme 
fort  haute,  au  milieu  de  la  cour,  &  qui  fe  nommoit  Quahtixicali  (r).  11 
pafiToit  fur  la  pierre  par  un  petit  efcalier ,  tenant  toujours  l'Idole  entre  ki 
bras  ;  &  fe  tournant  vers  les  Captifs  ,  il  la  montroit  à  chacun ,  l'un  après 
l'autre,  en  leur  difant;  c'eft  ici  votre  Dieu.  Enfuite,  defccndant  de  la 
pierre  par  un  fécond  efcalier  oppofé  à  l'autre,  il  fe  mettoit  à  leur  tête, 
pour  fe  rendre  par  une  marche  folemnelle  au  lieu  de  l'exécution,  où  ils 
étoient  attendus  par  les  Miniftres  du  Sacrifice.  Le  grand  Temple  en  avoit 
fix,  qui  étoient  revêtus  de  cette  dignité;  quatre  pour  tenir  les  pies  &  les 
mains  de  la  Vidime ,  le  cinquième  pour  la  gorge,  &  le  fixième  pour  ou- 
vrir le  corps.  Ces  Offices  étoient  héréditaires ,  &  paiToient  aux  Fils  aînés 
de  ceux  qui  les  poiTedoient.  Celui  qui  ouvroit  le  fein  des  Viélimes  tenoit 
le  premier  rang,  &  portoit  le  titre  fupréme  de  Topilzin.  Sa  robbe  étoit 
une  forte  de  tunique,  rouge  &  bordée  de  floccons.  Il  avoit,  fur  la  tête, 
une  couronne  de  plumes  vertes  &  jaunes ,  des  anneaux  d'or  aux  oreilles , 
enrichis  de  pierres  vertes,  &  fur  la  lèvre  inférieure,  un  petit  tuyau  de 
pierre ,  de  couleur  bleu  -  célefte.  Son  vifage  étoit  peint  d'un  noir  fort  é- 
pais.  Les  cinq  autres  avoient  la  tête  couverte  d'une  chevelure  artificiel- 
le ,  fort  crépue ,  &  renverfée  par  des  bandes  de  cuir  qui  leur  ceignoient  le 
milieu  du  front.  Ces  bandes  foutenoient  de  petits  boucliers  de  papier, 
peints  de  différentes  couleurs ,  qui  ne  pafToient  pas  les  yeux.  Leurs  rob- 
bes  étoient  des  tuniques  blanches,  entremêlées  de  noir.  Le  Topilzin  a- 
voit  la  main  droite  armée  d'un  couteau  de  caillou,  fort  large  &  fort  aigu. 
Un  autre  Prêtre  portoit  un  collier  de  bois,  de  la  forme  d'un  Serpent  re- 
plié en  cercle. 

Aussi- 


i^q)  Les  yeux  étoient  des  pierres  vertes, 
ttci  mes;  a  les  dents,  des  grains  de  maïz. 


(r)  Ceft-à-dire,  en  Mexiquain,  Pierre 
d'aigle. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        56s 


Dbicription 

PB    LA    NOU' 

VELLP.   EsrA- 

ONE. 


Aussi-tôt  que  les  Captifs  étoienc  arrivés  à  l'amphithéâtre  des  Sacrifices , 
on  les  faifoit  monter ,  l'un  après  l'autre,  par  un  petit  cfcalier,  nus  &  les 
mains  libres.     On  étendoit  fucceflîvement  chaque  Viftime  fur  une  pierre. 
Le  Prêtre  de  la  gorge  lui  mettoit  le  collier  ;  &  les  quatre  autres  la  tcnoienc 
par  les  pies  &  les  mains.    Alors  le  Topiizin  appuyoït  le  bras  gauche  fur  Ton 
ellomac  ;  &  lui  ouvraut  le  fein ,  de  la  main  droite ,  il  en  arrachoit  le  cœur , 
qu'il  préfentoit  au  Soleil ,  pour  lui  offrir  la  première  vapeur  qui  s'en  exha- 
loit:  après  quoi  fe  tournant  vers. l'Idole,  qu'il  avoit  quittée  pendant  l'opé- 
ration ,  il  lui  en  frottoit  la  face ,  avec  quelques  invocations  myfterieufes. 
Les  autres  Prêtres  jettoient  le  corps  ,  du  haut  en  bas  de  l'efcalier,  fans  y 
toucher  autrement  qu'avec  les  pies  ;  &  les  dégrés  étoient  ù  roides ,  qu'il 
étoit  précipité  dans  un  indant.     Tous  les  Captifs  dedinéc  au  Sacrifice  rece- 
voient  le  même  traitement  jufqu'au  dernier.    Enfuite ,  ceux  qui  les  avoienc 
pris  ,  &  qui  les  avoient  livrés  aux  Prêtres,  enlevoient  les  corps ,  pour  les 
diilribuer  entre  leurs  Amis ,   qui  les  mangeoient  folemnellement.    Dans 
toutes  les  Provinces  de  l'Empire ,  ce  cruel  ufage  étoit  exercé  avec  la  même 
ardeur.     On  voyoit  des  Fêtes ,  où  le  nombre  des  Viftimes  étoit  de  cinq 
mille ,  raffemblées  foigneufement  pour  un  fi  grand  jour.    11  fe  faifoit  des 
Sacrifices  à  Mexico ,  qui  coutoient  la  vie  à  plus  de  vin^t  mille  Captifs.  Si 
l'on  mettoit  trop  d'intervalle  entre  les  Guerres,  le  Topiizin  portoit  les  plain- 
tes des  Dieux  à  l'Empereur ,  &  lui  repréfentoit  qu'ils  mouroient  de  faim. 
AufTi-tôt  on  donnoit  avis  à  tous  les  Caciques ,  que  les  Dieux  demandoienc 
à  manger.     Toute  la  Nation  prenoit  les  armes;  &  fous  quelque  vain  pré- 
texte, les  Peuples  de  chaque  Province  commençoient  à  faire  des  incurUons 
fur  leurs  voifins.    Cependant  quelques  Hifloriens  prétendent  que  la  plu- 
part des  Mexiquains  étoient  las  de  cette  barbarie,  &  que  s'ils  n'ofoienc 
témoigner  leur  dégoût ,  dans   la  crainte   d'offenfer   lés   Prêtres  ,  rien 
ne  leur  donna  plus  de  difpofition  à  recevoir  les  principes  du  Chriflianif- 
me  {s). 

Il  y  avoit  d'autres  Sacrifices ,  qui  ne  fe  faifoient  qu'à  certaines  Fêtes , 
&  qui  fe  nommoient  Racaxipe  f^elitzli,  c'eft- à- dire,  E,orcbement  d'Hommes. 
On  prenoit  plufieurs  Captifs  ,  que  les  Prêtres  écorchoient  réellement  ;  & 
de  leur  peau  ils  revêtoient  autant  de  Miniftres  fubalternes,  qui  fe  diflri-  ment  dHom 
buoienc  dans  tous  les  quartiers  de  la  Ville,  en  chantant  &  danfant  à  la  por-  ^^^' 


Autres  Sa- 
crifices. 

Ecorche- 


(j)  Herrera . Décade 3. Chap.  16.  Acoda, 
Liv.  5.  Chap.  20.  &  22.  Sur  ce  propos ,  dit 
Acofta  dans  le  vieux  ftyle  de  fon  Traduc- 
teur ,  „  un  Religieux  grave  en  la  Neuve  Ef- 
„  pagne,  me  contoic  que  quand  il  fut  en  ce 
„  Royaume ,  il  avoit  demandé  à  un  vieil  In- 
„  dien,  Homme  de  qualité,  comment  les 
„  Indiens  avoient  reçu  la  Loi  de  Jefus-Chrift 
„  &  lailTé  la  leur ,  fans  faire  davantage  de 
„  preuve ,  d'effai  ni  difpute  fur  icelle ,  car 
„  il  fembloit  qu'ils  s'étoient  changés  fans  y 
„  avoir  été  efmeusparraifonfuififante,  L'in- 
„  dien  répondit ,  ne  croi  point ,  Père ,  que 
„  nous  prenions  fi  inconfidérément  cette  Loi 


te 


„  comme  tu  dis ,  parce  que  je  t'apprens  que 
„  nous  étions  déjà  mécontens  des  chofes  que 
„  les  Idoles  nous  commandoient ,  &  que 
„  nous  avions  déjà  parié  de  les  lailTêr  & 
„  prendre  une  autre  Loi.  Et  comme  nous 
„  trouvâmes  que  celle  que  vous  prêchiez 
„  n'avoit  point  de  cruautés ,  &  qu  elle  nous 
„  écoit  convenable,  jufte  &  bonne,  nous  en- 
„  tendîmes  &  crûmc»  que  c'(itoit  la  vraie 
„  Loi,  &  ainfi  la  reçûmes  fort  volontaire» 
,,  ment".  Ibidem.  Le  même  Ecrivain  ob- 
ferve  qu'après  tout  les  Mexiquains  étoient 
moins  cruels  que  les  Péruviens,  qui  facri- 
fioient  leurs  propres  Enfans.  Ibid. 


Bbbb  3 


DfsCRtrTioB: 

DB    LA    Nou* 

VILLB     K^PA- 

ONE. 

Combat  en- 
tre le  Sacrifi- 
cateur &  la 

Viûinic. 


Efclave  ré- 
véré comine 
un  Dieu. 

Fêtes  Rc!i- 
gieufcs. 


5(55        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE; 

te  des  Maifoiu.  Chacun  devok  leur  faice  ^lelque  libe  itié;  di  caa  qui 
ne  leur  offroienc  rkn  étoient  frappés  au  vifage  ,  d'un  çqm  ëe  lai  p«an ,  qui 
leur  lainbit  quelques  traces  de  fang.  Cette  cérémonie  >  qui  ne  fimlfoic  que 
lorfque  le  cuir  commençoit  à  fe  corrompre ,  donnoit  le  cems  aux  Prêtres 
d'amafTer  de  grandes  richefles.  Dans  quelques  autres  Fêtes ,  on  faifoit  un 
défi  entre  le  Sacrificateur  &  la  Victime.  Le  Captif  était  attaché  »  par  un 
pié  ,  à  une  grande  roue  de  pierre.  On  Tarmoit  d'une  épée  ôl  d'une  ronda- 
che.  Celui  qui  s'offroit  pour  le  facriEer  paroiflbit  avec  les  mêmes  armes  ;  & 
le  combat  s'engageoit  a  la  vue  du  Peuple.  Si  le  Captif  demeuroit  vain- 
queur, non  feulemept  il  écûappoit  au  facrifîce,  mais  il  recevoit  le  titre  & 
les  honneurs  que  les  Loix  du  Pays  accordoient  aux  plus  fameux  Guerriers  ; 
&  le  Vaincu  fervoit  de  Viélime.  Enfin  Tufage  qu'on  a  décric ,  en  parlant 
des  Mofquites,  &  que  Luflan  traite  de  finguiier,  s'obfervoit  auffîi  cnez  les 
Mexiquains;  c'edà-dire,  que  dans  les  grands  Temples  on  DOUBrifiait,  pen- 
dant toute  l'année, un  Efclave  qui  repréiencoit  la  principale  Idole,  &,  dont 
le  fort,  après  avoir  joui  des  honneurs  de  l'adoration  ,  étoic  d'écse facrifié , 
à  la  fin  de  fon  règne  ( r  ).  ,      -,  .        .    ,    ,      .    ..;, 

L'ordre  des  Fêtes  Religieufes  n'étoit  pas  moins  bifarre.  La  pnncipale, 
qui  fe  faifoit  à  l'honneur  du  Dieu  Vitziîipuztli ,.  éooit.  célébrée  régulière- 
ment au  mois  de  Mai.  Quelques  jours:  auparavant,  deux  jeunes  Filles, 
confacrées  au  fervice  du  l'emple,  paîtriflbient. »  avec  du  miel,,  de  la  fari- 
ne de  maïz ,  dont  on  faifoit  une  grande  Idole.  Tous  les  Seigneurs  afltil^ 
toient  à  la  compofition.  Enflùte ,  on  paroit  l'Idok  d'habits  &  d'ornemens 
magnifiques.  On  la  plaçoic  dans  un  fauteuil  bku,  pofé  fur  un  brancard,, 
avec  des  allonges  qui  le  rendoient  facile  à  porter.  Le  j.our  delà  Fête,  aux 
premiers  rayons  du  Soleil ,  toutes  les  jeune» Filles ptaroàiToiienc  au  Temple,, 
vécues  de  robbes,  blanches,  couronnées  de  majfz  xàâ ,  aisec  des  bracelets 
de  grains  de  maïz  enfilés,  le  refle  deS:  bras  couiv^rt.  jufqtt'aa  poignet,  de 
plumes  rouges ,  &  les  joues  peintes  de  vermillon.  On  les  nommoin,  pen- 
dant tout  ce  jour ,  Soeurs,  du  Dieu  donic  elles  animoient  le  cuite.  Elles  por- 
toient  l'Idole,  fur  le  brancard,  jufqu'èt  la  cour  du.  Templfc  De  jeunes; 
Hommes  la  recevoient  de  leurs  mains ,  pous  l'aller  placer  au  pàé  des  grands 
dégrés ,  oii  le  Peuple  venoit  fe  prollerner  devant  eiJfi  ,  en  fe  mettant  fur 
la  tête  un  peu  de  terre ,  que  chacun  devoit  prendre  fous  fes  piésL  La  Pro-. 
cefTion  commençoit  alors,  vers  la  Montagne  de  Chapultepeque.  On  y  fai- 
foit un  Sacrifice  qui  duroit  peu.  Avec  la  même  précipitation ,  l'Anem- 
blée  le  rendoit  dan»  un  autre  lieu,  nommé  Atkcuja-^  célèbre  par  les  tra- 
ditions de  leurs  Ancêtres ,  &  de  la  dans  une  troinème  flation,  qui  Te  nom- 
raoit  Cuyoacan»  On  revenoit  à  Mexico  fans,  s'arrêter  i  &  cette  Proceflion , 
qui  étoit  die  quatre  lieues ,  devoit  fe  faire  en  quatre  heures f  d'où  lui  ve- 
noit le  nom  d'ïpaiiut,  qui  fignifie  Chemin  précipité'.  Les  jeunes'  Hommes 
portoiene  le  brancard  au  pié  des  grands  dég):és»  ôîi  ils  Tavoient  pris»,  & 
l'élevoient  au  fommet  du  Temple  avec  un  grand  appafeil  de  poulies  &  de 

cor- 

Nota.  La  Figure  de  FîtzilipuztU.  ayttnt  pa-     Cérémottits.  ReligieuJJis  de-  Plcart.  R.  d   E. 
ru  fort  mamraife  dans  l'Edition  de  Paris,         (t)  Acofta,  Linr.  S[.  Chap.  ai.  Herraa, 
nous  y  en  avons  ûjbfUuiéunç autre,  tirée  des     uHfuprà, 


È^J!!ll!:[!l!l'lli;!':|i!l!!llllll!ll,l!l!li;i.ll!lll!yiIl.mil 


inninïïnîîiîi™ 


''.  ).  *,^<vf<^j',  yvttZr 


^ilil!lillll!!l!lllll 


Sac  RTF  ici:  des  CyiPTirs  à  lhoi^.veuji  j>e  VlTZILIPUZTZI. 
OFFERHANDJE  der  GEVANGEN  ter  eere  vanVITZLIPUZTLI. 


'..  •*  V 

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ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       5^7 

cordei ,  au  bruit  de  toutes  fortes  d'indrumens.  Les  adorations  du  Peuple 
reilouWoicnt  pendant  cette  cércmonic.  L'idole  étoit  pofée  dans  une  riche 
cafl'ette,  au  milieu  des  parfmns  &  des  fleurs.  Dans  l'intervalle,  de  jounes 
Filks  apportoient  des  morceaux  de  la  même  pâte  dont  elles  avoient  fait  la 
Statue,  paîtris  en  forme  d'os,  qu'elles  nommoient  la  chair  de  Vitzilipuxtii. 
Les  Sacrificateurs  venoient  à  leur  côté ,  parés  de  guirlandes  &  de  brafle- 
lets  de  fleurs,  faifant  porter  à  leur  fuite  les  figures  de  leurs  Dieux  &  de 
leurs  DéeflTes.  H«  fe  pl<»çoient  autour  des  morceaux  de  pâte  ,  qu'ils  bénif- 
foient  par  des  c'hants  <k  des  invocation».  Cette  bénédiftion  étoit  furvie 
des  Sacrifices  ;  &  dans  une  fi  grande  falemnité,  le  nombre  des  Viftimes 
étoit  toujoHTS  plus  grand  qu'aux  autres  Fèces.  H  fe  faifoit,  pendant  ce 
tems-là  ,  des  danfes  &  d'autres  cérémonies  dans  la  cour  du  Temple.  Les 
jeunes  Filles  chantoient  au  Ton  d'un  tambour  ;  &  tous  les  Seigneurs  répon- 
doimt  à  leurs  chants ,  en  matiière  de  clMBur.  Le  Peuple  jouïTloit  du  Ipeo- 
tacle,  mais  il  quelque  diftance  ,  &  ne  s'y  méloit  que  par  fes  acclamations. 
Après  les  Sacrifices ,  on  voyait  revenir  les  Prêtres,  qui  fe  mettoient  i 
couper  en  pièces  tous  les  morceaux  de  pâte ,  &.  qui  les  diftribuoient  enfui- 
te  au  Peuple ,  fans  diftinélion  d'âge  &.  de  fexe.  Chaam  recevoit  le  (ien 
avec  des  apparences  de  piété  qui  a^loient  jufqu'aux  larmes ,  le  mangeoit 
avec  la  même  dévotion,  &  croyoit  avoir  mangé  la  chair  de  fon  Dieu.  On 
en  portoit  même  aux  Malades.  C'étoit  un  péché  du  premier  ordre,  de 
prendre  quelque  autre  nourriture  avant  midi.  Tout  le  monde  étoit  averti 
de  s'en  garder;  &  chacun  prenoit  foin  de  cacher  jufqu'â  l'eau,  pour  en  pri- 
ver les  Enfans.  La  folemnité  finifl^oit  par  un  fermon  du  grand  Prêtre,  qui 
recommandoit  l'oblervation  des  Loix  &  des  cérémonies  («). 

De  quatre  en  quatre  ans,  les  Mexiquaims  célébroient  une  Fête,  qu'A- 
cofta  nomme  Jubilé  (x).  Elle  commençoit  le  10  de  Mai,  &  fa  durée 
^oit  de  neuf  jours.  Un  Prêtre  fortoii  jouant  d'une  flûte ,  &  fe  tour- 
noit  fucceflivement  vers  les  quatre  parties  du  Monde.  Enfuite,  s'incli- 
■nant  vers  l'Idole,  il  prenoit  de  la  terre  «&  la  mangeoit.  Le  Peuple  faifoit 
la  même  diofe  après  lui,  en  demandant  pardon  de  fes  péchés  &  priant 
qu'ils  ne  fuifent  pas  découverts.  Les  Soldats  demandoient  la  viftoire  dans 
leurs  gutTres,  &  des  forces  pour  enlever  un  grand  nombre  de  Prifonnier^ 
qu'ils  pûflent  offrir  aux  Dieux.  Ces  prières  fe  faifoient  pendant  huit  jours, 
avec  des  gémiifemens  &  des  larmes.  Le  neuvième,  qui  étoit  proprement 
celui  de  la  Fête ,  on  s'aifembloit  dans  la  cour  du  grand  Temple;  &  le  prin- 
cipal objet  de  la  dévotion  publique  étoit  de  demander  de  feau:  ce  qui  fai- 
foit 


Dt!ciiTrnoff 

l'E    I,A    Nou- 
vel.LR    Kirt. 
flXB. 


(v)  Herreza,  tAiJuprà  Cbap.  17.  Acof- 
ta,  Liv.  S-  Chap.  24.  On  auroit  eu  peîne 
i  rapporter  cette  dpèce  d'hnitstion  du  plus 
faint  de  nos  Sacremens ,  fur  tout  autre  té- 
moignage  que  celui  du  fête  AcokHa.  Mais  U 
infilTe  uir  ces  récits ,  avec  d  autant  plus  tle 
force,  qu'il  croit  trouver  une  preuve  de  la 
faintcté  même  de  nos  inftitutions,  dans  la 
malfce  de  l'Ëfpilt  (ferrenr  là  les  contrefaire. 
.,  Par  cela  feul,  dit -il,  on  voit  clairement 
„  vérifié  que  Satan  s'efforce  autant  qu'il  peut 


Le  Toxcoatl 

ou  l'été  du]* 
bile. 


„  d'ufiuper  pour  foi  l'honneur  &  te  fervk» 
,,  qui  elt  dû  à  Dieu  feul,  quoiqu'il  y  mêle 
„  toujours  fes  cruautés  &  fes  ordures*.  Il 
pouffe  cette  idée  beaucoup  plus  loin,  Jorf- 
qu'il  prétend  reconnottre,  dans  diveries  pra- 
tiques de  1  Idolâtrie  Indienne,  les  Sacremens 
de  la  Pénitence  &  de  l'Extrême  Onftion  ,  I» 
Confefllon  auriculaire,  le  Myftëre  de  la 
Sainte  Trinité,  &  la  plupart  des  objets  de 
notre  Fol.  Ibidtn  Orap  25 ,  &  fulvans^ 
{x)  Ubijiiprà,  Chap.  ajj. 


DESCRi'rTION 
DE    LA    NOU- 

vEiLK    EsrA- 

GNC. 


563        DESCRIPTION    DU    M  E  X^I  Q  U  E, 

foit  donner  à  cette  Fête  le  nom  de  Toxcoatl^  qui  fignifie  Sécher ejje.  Quatre 
Prêtres  portoient  l'Idole  autour  du  Temple  fur  un  brancard,  &  les  autres 
lui  préfentoient  de  l'encens  ;  tandis  que  le  Peuple  fe  frappoit  les  épaules 
avec  un  fouet  de  cordes.  Après  cette  Proceffion ,  le  Temple  étoit  parfemé 
de  fleurs ,  &  l'idole  demeurpit  découverte  jufqu'au  foir.  On  lui  offroit  di- 
verfes  fortes  de  pierreries ,  de  la  foie  ,  des  fruits  &  des  cailles.  Tout  le 
inonde  fe  retiroit,  vers  l'heure  du  dîner,  à  l'exception  des  Femmes  qui 
avoient  fait  vœu  de  fervir  l'Idole  pendant  ce  jour ,  &  des  Minières  ordi- 
naires du  Temple ,  qui  continuoient  leurs  cérémonies.  Au  retour  du  Peu- 
ple ,  on  faifoit  paroître  le  Captif  qui  avoit  repréfenté  l'Idole  pendant  cette 
année;  on  le  facrifîoit,  avec  des  chants  &  des  danfes.  EnUiite,  on  pla- 
çoit  q^iielques  mets  devant  l'Idole;  &  toute  l'Aflemblée  fe  retirant  à  quel- 
que didance ,  les  jeunes  gens  couroient  pour  s'en  faiilr.  Il  y  avoit  des 
prix,  pour  les  quatre  premiers  qui  arrivoient;  &  jufqu'au  lenouvellement 
de  la  même  Fête,  ils  obtenoient  plufieurs  marques  de  diflinélion.  A  la  fin 
du  jour  &  des  cérémonies,  les  Filles  &  les  Garçons  ,  qui  avoient  fervi  le 
Temple  ,fe  retiroient  dans  leurs  familles  ,  comme  à  l'expiration  du  terme. 
Ils  pou  voient  alors  s'engager  dans  le  Mariage;  mais  ceux  qui  prenoient 
leur  place  les  pourfuivoient  avec  de  grands  cris ,  en  leur  jettant  des 
pelotes  d'herbe,  &  leur  reprochant  d'abandonner  le  fervicedes  Dieux  (y). 
Les  Marchands  avoient  une  Fête  annuelle,  qui  portoit  leur  nom,  oc 
qui  s'obfervoit  à  l'honneur  de  Quatzalcoatl ,  Dieu  des  Marchandifes.  Qua- 
rante jours  avant  la  célébration ,  ils  achetoient  un  Captif  de  belle  taille. 
Ils  le  paroient  des  habits  de  l'Idole;  &  dans  cet  intervalle,  ils  s'attachoient 
foigneufement  à  le  purifier,  en  le  lavant  deux  fois  chaque  jour  dans  l'E- 
tang du  Temple.  Il  étoit  traité  avec  toutes  fortes  d'honneurs  &  de  frian- 
difes.  La  nuit,  on  le  tenoit  enfermé  dans  une  cage;  &  pendant  le  jour, 
on  le  conduifoit  par  la  Ville ,  au  milieu  des  chants  &  des  danfes.  Neuf 
jours  avant  le  Sacrifice ,  deux  Prêtres  venoient  lui  annoncer  fon  fort.  Il 
devoit  répondre  qu'il  l'acceptoit  avec  foumiflîon.  S'il  .^n  afiligeoit,  fon 
chagrin  pafiToit  pour  un  mauvais  augure  ;  &  les  Prêtr  faifoient  diverfes 
cérémonies ,  par  lefquelles  on  fuppofoit  qu'ils  avoient  changé  fes  difpofi- 
tions.  Le  Sacrifice  fe  faifoit  à  minuit ,  &  fon  cœur  étoit  offert  à  la  Lune. 
On  portoit  le  corps  chez  le  principal  Marchand.    Il  y  étoit  rôti ,  &  pré- 

f)aré  avec  divers  aflaifonnemens.  Les  Convives  danfoient,  en  attendant 
e  Feftin.  Après  avoir  mangé  leur  part  de  cet  horrible  mets ,  ils  alloient  fa- 
luer  l'Idole  au  lever  du  Soleil;  &  continuant  leurs  réjouiifances  pendant  le 
refte  du  jour ,  ils  paroilToient  déguifés  en  diverfes  formes  ;  les  uns  d'Oi- 
feaux,  de  Papillons,  de  Grenouilles ,  de  Guêpes,  &  d'autres  infeftes;  les 
autres ,  de  Boiteux ,  de  Manchots ,  &  d'Eflropiés.  Ils  faifoient  des  récits 
agréables  de  leurs  accidens,  ou  de  leur  métamorphofe,  &  la  Fête  fe  ter- 
mincit  par  des  danfes  (  z  ). 
Prêtres  du  Outre  les  Hx  Sacrificateurs  du  grand  Temple ,  dont  la  fucceflion  étoit 
Mexique.  *  hé- 


Fête  des 
Marchands. 


(y)  Herrera,  Dec.  3.  Chap.  17. 
(  2  )  Ceux  à  qui  ces  trois  Fêtes  ne  fuffi- 
ront  pas ,  ea  trouveront  plufieurs   autres 


dans  les  Hiftoires  &  les  Relations  qu'on  a  d 
tées.    • 


1  •;■, 


tions  qu'on  a  d 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.       569 

lïéréclitaire ,  chaque  Quartier  &  chaque  Temple  avoient  leurs  Prêtres ,  qui 
étoient  appelles  à  cet  Office  par  éleftion,  ou  qui  s'y  confacroient ,  dans 
leur  jeunefle,  par  un  vœu  particulier.  Leur  fon6lion  ordinaire  étoit  d'en- 
cenfer  les  Idoles.  Ils  renouvelloient  cet  exercice  quatre  fois  le  jour;  c'eft- 
k-dire  au  lever  du  Soleil,  à  midi,  au  Soleil  couchant,  &  à  minuit.  A  cha- 
cune de  ces  heures,  on  entendoit  dans  les  'icmplts  le  Ion  des  trompettes, 
des  tambours  &  d'autres  inftrumens ,  qui  formoient  un  bruit  fort  lugubre. 
Cetoit  le  fignal  auquel  le  Prêtre,  défîgné  pour  la  femaine,  fe  mettoit  en 
marche,  vêtu  d'une  robbe  blanche,  avec  fon  encenfoir  à  la  main».  Il  pre- 
noit  du  feu, dans  un  grand  brafier,  qui  brûloit  continuellement  devant  l'Au- 
tel ;  &  de  l'autre  main  il  tenoit  un  vaifleau,  dans  lequel  étoit  l'encens.  Il 
encenfoit  feul,  quoiqu'il  fût  accompagné  de  tous  fes  Collègues.  Enfuite, 
on  lui  préfentoit  un  linge,  dont  il  frottoit  l'Autel  &  les  rideaux.  Après 
cette  cérémonie,  ils  alloient  enfemble  dans  un  lieufecret,  où  ils  faifoient 
quelque;  rude  pénitçnce ,  telle  que  de  fe  meurtrir  la  chair  &  de  fe  tirer  du 
fang  de  quelque  partie  du  corps.  L'Office  de  la  nuit  s'obfervoit  fcrupu- 
leufement.  Chaque  Temple  avoit  fcs  revenus  ;  &  les  Prêtres  étoient  bien 
payés  pour  les  rigueurs  qu'ils  exerçoient  fur  eux-mêmes.:  D'ailleurs,  on  a 
déjà  remarque  qu'une  partie  commune  de  la  piété  des  Mexiquains  confiiloic 
à  le  tirer  du  fang. 

L'usage  des  Prêtres  étoit  de  s'oindre ,  depuis  les  pies  jufqu'à  la  tête  ,  & 
les  cheveux  mêmes,  .d'une  graifle  claire  &  liquide,  qui  leur  faifoit  croître 
le  poil  dans  toutes  les  parties  du  corps  ,  &  qui  le  faifoit  dreffer  comme  le 
crin  des  Chevaux.  Ils  en  étoient  d'autant  plus  incommodés,  qu'il  ne  leur 
étoit  pas  permis  de  le  couper  jufqu'à  la  mort,  ou  dii  moins  jufqu'à  leur 
dernière  vieilleire ,  où  ceux  qui  vouloient  quitter  leur  profeifion  étoient 
exempts  de  toute  forte  de  travail,  &  jouïflbient  d'une  diftinftion  propor- 
tionnée à  l'opinion  qu'on  avoit  de  leur  vertu.  Ils  trefïbient  leurs  cheveux 
avec  des  bandes  de  coton,  larges  de  fix  doigts.  L'encens  qu'ils  emplo- 
yoient  ordinairement  n'étant  que  de  la  réfine ,  leur  teint ,  naturellement  ba- 
îanné  ,  en  devenoit  prefque  noir.  Lorfqu'ils  alloient  rendre  hommage  aux 
Woles  qu'ils  tenoient  dans  des  Caves,  dans  des  Bois  touffus ,  ou  fur  les 
Montagnes, ils  s'y  difpofoient  par  une  autre  on6lion,compoféede  la  cendre 
de  plulieurs  Bêtes  venimeufes,  de  tabac  &  de  fuie,paitris  enfemble (,a).  Le 


DCSCRTmÔH 

UB    LA    NOU- 

VELLU    EsrA' 

GN£. 


(a)  Acorta  nous  donne  exa^ement  cette 
titrange  compofition.  Ils  prcnoient,  dit -il, 
des  Araignées,  des  Scorpions,  des  Clopor- 
tes, des  Salamandres,  des  Vipères,  qu'ils 
faifoient  amafler  par  de  jeunes  Garçons  ;  ils 
les  brûloient  au  brafier  du  Temple  jufqu'à 
ce  qu'elles  fafTent  réduites  en  cendres,  puis 
les  mettoient  en  des  mortiers  avec  beaucoup 
de  tabac ,  ou  petun.  Avec  cette  cendre ,  ils 
jnettoient  quelques  Scorpions ,  Araignées  & 
Cloportes  vives,  mêlant  le  tout  enfemble; 
puis  ils  y  mettoient  d'une  femence  toute 
moulue,  qu  ils  appelloient  G/oiMcfcîMt ,  de 
t]uoL  les  Indiens  font  un  breuvage  pour  fc 

Xrill  Pân. 


procurer  dés  vifîons  ;  parce  que  l'efFet  dé 
cette  herbe  e(t  de  priver  l'Homme  du  fens; 
Ils  mouloier.t  aufli  avec  ces  cendres  ,  des 
Vers  noirs  &  velus ,  defquels  le  poil  feule- 
ment eft  venimeux,  &  ramaflant  tout  cela 
enfemble  avec  du  noir  ou  fumée  de  réfine, 
ils  le  mettoient  en  de  petits  pots ,  qu'ils  po- 
foient  devant  l'Idole  .  dont  Ils  difoie'nt  que 
cétoit  la  viande.  Aufli  nommoient-ils  cela, 
dans  leur]  langue,  manger  divin.  Etant  bar- 
bouillés de  cette  pâte,  ils  perdoient  toute 
crainte,  &  prenoîent  un  efprit  de  cruauté, 
Liv.  5.  Cb.  26.  On  a  vu  que,  fuivant  Her» 
rera,  l'onftion  étoit  claire  &  liquide.  ^ 

Ccc  C 


.u 


DK     LA    NOU 

TtLLB     EbFA- 

ONI. 


Monaftères 
Mexiquains. 


5?o        DESCRIPTIONDUMEXIQUE, 

DEscRtraoH  Peuple  étoic  perfuadé  que  cette  préparation  les  élevoit  au-deflus  du  corn* 
M  ^^^  j^^  hommes  &  les  mettoit  en  commerce  avec  les  Dieux.  Il  y  a  mê- 
me afTez  d'apparence  que  leur  propre  imagination  fe  rempliflbit  de  là  mê- 
me  idée ,  car  ils  perdoient  alors  toute  forte  de  crainte  ;  &  fe  croyant  ref- 
pe£lés  de  toute  la  Nature,  ils  fe  hafardoient  la  nuit  au  milieu  des  Bois  les 
plus  fauvages  ;  dans  la  confiance  que  les  Tigres ,  les  Ours  &  les  Lions 
ne  pou  voient  leur  nuire.  Ils  employoient  aufli  cette  efpéce  de  bitume, 
pour  fortifier  les  Enfans  &  pour  guérir  les  Malades.  Toute  la  Na* 
tion  en  vantoit  les  effets.  Un  Hillorien  juge  que  fa  vertu  pouvoit  ve- 
nir du  tabac ,  &  des  autres  mélanges ,  dont  la  plupart  avoient  quelque  pro- 
priété  faiutaire. 

L'enceinte  du  grand  Temple  de  Mexico  contenoit  deux  Monafléres, 
ou  deux  Maifons  de  retraite;  l'une  de  jeunes  Filles,  entre  douze  ôe.  treize 
ans,  &  l'autre  de  jeunes  Garçons.  Ces  deux  Etabliflemens ,  qui  regar- 
doient  le  fervice  du  Temple,  étoient  vis-à-vis  l'un  de  l'autre,  mais  fans  au- 
cune  communication.    Ils  avoient  leurs  Supérieurs  du  même  fexe.    L*£m- 

{>loi  xies  Filles  étoit  d'apprêter  à  manger  pour  les  Idoles ,  c'e(t-à-dire  pour 
es  Prêtres,  auxquels  il  n'étoit  permis  de  rien  avaller  qui  n'eût  été  préfenté 
devant  l'Autel.  La  plupart  de  ces  alimens  étoient  une  efpéce  de  Beignets , 
les  uns  paîtris  en  forme  de  mains  &  de  pies ,  d'autres  en  manière  de  Tour- 
teaux ;  ordinairement  de  maïz  &  dé  miel ,  &.  quelquefois  fricsifés  avec  des 
légumes  &  d'autres  herbes.  Ces  jeunes  Filles  fe  failbient  couper  les  che- 
veux ,  en  entrant  au  fervice  des  Idoles  ;  enfuite ,  on  leur  permettoit  de  les 
laifFer  croître.  Elles  fe  levoient  la  nuit ,  pour  prier ,  &  pour  fe  tirer  du 
fang  ,  dont  elles  étoient  obligées  de  fe  frotter  les  joues  ;  mais  elles  fe  la- 
vaient auflS-tôt ,  avec  de  l'eau  confacrée  par  les  Prêtres.  Leur  habillement 
étoit  une  robbe  blanche.  On  les  occupoit  à  faire  de  la  toile  pour  le  Tem- 
ple. Elles  étoient  élevées  d'ailleurs  dans  une  fi  grande  retenue,  que  leurs 
moindres  fautes  étoient  punies  avec  la  dernière  rigueur  ;  &  la  mort  étoit 
infaillible  pour  celles  qui  manquoient  à  l'honneur.  S'il  fe  trouvoit,  dans  l« 
"Temple ,  quelque  chofe  de  rongé  par  un  Rat  ou  une  Souris ,  c'étoit  un  (î- 

§ne  de  la  colère  du  Ciel ,  qui  faifoit  juger  qu'il  étoit  arrivé  quelque  défor- 
re  parmi  les  jeunes  Religieufes.  On  recherchoit  les  Coupables;  &  mal- 
heur ,  dan;  ces  circondances ,  à  celles  qui  étoient  foupçonnées  de  quelque 
dérèglement.  On  ne  recevoit ,  dans  ce  Monaftère ,  que  des  Filles  de  Mexi- 
co. Leur  clôture  duroit  un  an ,  au  bout  duquel  elles  fortoient  pour  fe 
marier. 

Les  jeunes  Garçons  dévoient  être  âgés  de  dix  huit  à  vingt  ans.  Ils 
avoient  les  cheveux  coupés  en  couronne ,  &  ne  les  laiflbient  croître  que 
jufqu'à  la  moitié  de  l'oreille,  mais  plus  longs  fur  la  nuque  du  cou,  jufqu'à 
les  pouvoir  mettre  en  treffe.  Leur  nombre  étoit  de  cinquante,  &  leur  clô- 
ture ne  duroit  qu'un  an ,  comme  celle  des  Filles.  Mais  ils  étoient  aiTuiet- 
tis,  dans  cet  efpace ,  aux  plus  rigoureufesloix  delà  chadetè,  de  l'obéilTan- 
ce  &  de  la  pauvreté.  Leur  ofiSce  particulier  étoit  de  fervir  les  Prêtres 
dans  tout  ce  qui  concernoit  le  culte.  Ils  balayoient  les  lieux  faints.  Ils 
fourniffoient  de  bois  le  brafier  qui  brûloit  fans  cefFe  devant  la  grande  Ido- 
le.   La  modâllie  leur  étoic  recommandée  A  foigtieufemenc,  que  c'étoit  un 

cri- 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  I L       571 

crime  pour  eux  de  lever  les  yeux  devant  une  Femme.  On  les  employoit  à 
demander  l'aumône  »  dans  les  Maifons  de  la  Ville.  Ils  marchoient  quatre 
ou  fix  enfemble  d*un  air  humble  &  mortifié.  Cependant ,  s'ils  n'obtenoient 
rien  de  la  charité  d'autrui,  ils  avoient  droit  de  prendre  ce  qui  leur  étoit 
néceflaire  pour  fe  nourrir;  parce  qu'ayant  fait  vœu  de  pauvreté,  on  fup- 
pofoit  leur»  befoins  toujours  preflans.  On  favoit  d'ailleurs  que  leur  péni- 
tence étoit  continuelle.  Ils  étoient  chargés  de  fe  lever  la  nuit  pour  faire 
retentir  les  trompettes  &  les  autres  inftrumens.  Ils  veilloient  fuccelTîve- 
ment  autour  de  l'Idole  ,  dans  la  crainte  que  le  brafier  ne  s'éteignît.  Ils  af- 
fifloient  à  l'encenfement  des  Prêtres;  après  lequel  ils  entroient  aulïi  dans  un 
lieu  qui  leur  étoit  defliné ,  pour  s'y  tirer  du  fang  avec  des  pointes  algues , 
&  s'en  frotter  les  temples  jufqu'au  bas  des  oreilles.  Leur  habit  étoit  un  cili- 
ée blanc,  mais  âpre. 

A  certaines  Fêtes  de  l'année,  les  Prêtres  du  grand  Temple  &  tous  les 
jeunes  Religieux  du  Monadére  s'aflembloient  dans  un  lieu  environné  de  fiè- 
ges,  armés  de  cailloux  pointus  &  d'autres  lancettes,  avec  lefquelles  ils  fe 
tiroient,  depuis  l'os  de  la  jambe  jufqu'au  mollet,  quantité  de  fang,  dont 
ils  dévoient  non- feulement  fe  frotter  les  temples,  mais  enfanglanter  les  lan- 
cettes. Ils  les  fichoient  enfuite  dans  des  boules  de  paille ,  entre  les  cré- 
neaux de  la  cour,  afin  que  le  Peuple  jugeât  de  leur  ardeur  pour  la  Péni- 
tence. Le  lieu  où  ils  fe  baignoient ,  après  cette  opération ,  portoit  le  nom 
à'Ezaparty  qui  fignifie  Eau  dejang.  Une  même  lancette  ne  fervant  jamais 
deux  fois ,  ils  en  avoient  un  grand  nombre  en  réferve.  Avant  les  mêmes 
Fêtes,  ils  jeûnoient  rigoureufement  cinq  ou  fix  jours;  ils  fe  réduifoient  à 
l'eau ,  ils  dormoient  peu ,  ils  fe  mortifioient  le  corps  par  de  fréquentes  dif- 
ciplines.  On  a  vu  que  le  Peuple  avoit  aufli  cet  ufage  aux  Proceflions  fo- 
lemnelles,  fur-tout  pendant  la  Fête  du  Toxcoatl,  ou  du  Jubillé.  Leurs  di(^ 
ciplines  étoient  compofées  de  fil  de  Maguey  (Z>),  toutes  neuves,  longues 
d'une  bralTe,  &  terminées  par  des  nœuds,  dont  ils  fe  donnoient  de  grands 
coups  fur  les  épaules.  Quoique  les  Prêtres  ne  fufi*ent  obligés,  par  aucu- 
ne  loi ,  de  fe  priver  du  commerce  des  Femmes,  ils  y  renonçoient  dans  ces 
grandes  occafions  ;  &  quelques  -  uns  s'y  formoient  des  obdacles  invincibles , 
par  des  bleflures  volontaires ,  qui  leur  ôtoient  pour  quelque  tems  l'ufage  & 
le  goût  du  plaifir  (c). 

Le  foài  des  Funérailles  appartenoit  aufli  aux  Prêtres;  mais  leur  métho- 
de n'avoit  rien  d'uniforme,  &  dépendoit  prefque  toujours  de  la  dernière 
volonté  des  Mourans.  Les  uns  vouloient  être  ent  es  dans  leurs  héri- 
tages,  ou. dans  les  cours  de  leurs  Maifons.  D'autr.j  fe  faifoient  porter 
dans  les  l^^ontagnes ,  à  l'imitation  des  Empereurs ,  qui  avoient  leurs  Tom- 
beaux dans  celle  de  Chapultepeque.  D'autres  ordonnoient  que  leurs  corps 
fuffent  brûlés  >  &  que  leurs  cendres  fuflent  enterrées  dans  les  Temples , 
avec  leurs  habits  &  ce  qu'ils  avoient  de  plus  précieux.  /\ufll-tôt  qu'un 
Mexiquain  avoit  rendu  l'ame,  on  appelloit  les  Prêtres  de  fon  quartier,  qui 


DEsctimoN 

DB    LA    NOU' 

VELLE     EsrA- 

0»E. 


FuQéraillN. 


(  i  )  Le  Tradufteut  d'Heirex»  veut  que  ce        (  f  )  Herrcra ,  ubi  fuprà ,  Ch.  1 6  ;  Acofla , 
foit  \Arritt-B<tuf.  Liv.  5.  Ch.  17.  &  fuiv.  Cotnaia  »  Ûv.  a, 

Cccc  2 


DE    LA 
V£LLE 
GME. 


572        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Description  Je  mettoient  à  terre  de  leurs  propres  mains,  aflîs  à  la  manière  du  Pays,  & 
E'PA-  '■^v^'"  ^^  fes  meilleurs  habillemens.  Dans  cette  pofture,  fes  Parens  &  fes 
Amis  venoient  le  faluer  &  lui  faire  des  préfens.  Si  c'étoit  un  Cacique,  ou 
quelque  autre  Seigneur ,  on  lui  offroit  des  Efclaves ,  qui  étoient  facrifiés  fur 
le  champ,  pour  l'accompagner  dans  un  autre  Monde.  Chaque  Seigneur 
ayant  une  efpèce  de  Chapelain ,  pour  le  diriger  dans  les  cérémonies  reli-" 
gieufes  ,  on  tuoit  aufli  ce  Prêtre  domeflique  &  les  principaux  Officiers  qui 
avoient  fervi  dans  la  même  Maifon  ;  les  uns  pour  aller  préparer  un  nou- 
veau domicile  à  leur  Maître,  les  autres  pour  lui  fervir  de  cortège;  &  c'é- 
toit dans  la  même  vue  que  toutes  les  richefles  du  Mort  étoient  enterrées 
avec  lui.  Si  c'étoit  un  Capitaine,  on  faifoit  autour  de  lui  des  amas  d'ar- 
mes  &  d'enfeignes.  Les  obfeques  duroient  dix  jours,  &  fe  célebroient  par 
un  mélange  de  pleurs  &  de  chants.  Les  Prêtres  chantoient  une  forte  d'Of- 
fice des  Morts,  tantôt  alf ernativement ,  tantôt  en  chœur;  &  levoient  plu- 
fieurs  fois  le  corps ,  avec  un  grand  nombre  de  cérémonies.  Ils  failoient 
de  longs  encenfemens.  Ils  jeuoient  des  airs  lugubres  fur  le  tambour  &  la 
flûte.  Celui,  qui  tenoit  le  premier  rang,  étoit  revêtu  des  habits  de  l'Ido- 
le que  le  Seigneur  mort  avoit  particulièrement  honorée ,  &  dont  il  avoit 
été  comme  l'image  vivante:  car  chaque  Noble  repréfentoit  une  Idole,  & 
de-làvenoit  l'extrême  vénération  que  le  Peuple  avoit  pour  la  Noblefle. 
Lorfqu'on  brûloit  le  corps ,  un  Prêtre  recueilloit  foigneufement  fes  cen- 
dres; &  fe  couvrant  d'un  habit  terrible  (  rf)  ,  il  les  remuoit  long  -  tems  avec 
le  bout  d'un  bâton  ^  &  d'un  air  qui  répandoit  la  frayeur  dans  toute  rAiTem- 
blée  (e).  ^  .  <    .        ■    . 

Lorsque  l'Empereur  jparoiflbit  atteint  d'une  maladie  mortelle,  on  met- 
toit  desmafques  fur  la  face  des  principales  Idoles,  &  cette  cérémonie  du- 
roit  jufqu'à  fa  mort  ou  fa  guérifon.  S'il  mouroit,  on  en  donnoit  avis  auffi- 
tôt  à  toutes  les  Provinces  de  l'Empire,  non  -  feulement  pour  rendre  le  deuil 
public,  mais  pour  convoquer  tous  les  Seigneurs  à  la  cérémonie  des  funé- 
railles. Ceux ,  qui  n'étoient  éloignés  que  de  quatre  journées  du  lieu  de  la 
mort,  dévoient  s'y  rendre  les  premiers.  C'étoit  en  leur  préfence,  qu'après 
avoir  lavé  le  corps ,  &  l'avoir  parfumé  pour  le  garantir  de  toute  pourriture, 
on  le  plaçoit  aflis  fur  une  natte ,  où  il  étoit  veillé  pendant  quatre  nuits  avec 
beaucoup  de  pleurs  &  de  gémilTcmens.  On  coupoit  une  poignée  de  fes 
cheveux ,  qui  fe  confervoit  fous  une  Garde ,  pour  l'ufage  qu'on  en  devoit 
faire.  On  lui  mettoit,.  dans  la  bouche,  une  grofle  émeraude ;  &  dans  la 
pofture  où  il  étoit,  on  lui  couvroit  les  genoux  de  dix  •  fept  couvertures  fort 
dches,  ^ont  chacune  avoit  fon  allufion.  Par-deflus,  on  attachoit  ladevife 

de 


Obfeques  de 
f  l'empereur. 


li  I 


(d)  „  Incontinent,  dit  Acofta  ,  fortoit 
ï,  un  Prctre  eii  liabits  &  ornements  de  Dia- 
,,  bic,  ayant  des  bouches  &  des  yeux  de 
,,  miroirs  à  toutes  les  jointnres,  avec  des 
„  gefl.es  &  des  repréfcntations  terribles  ". 

(e)  Herrera  ,  iibi  fuprà,  Cliap.  18;  A- 
cofla,  Livre  5.  Chap.  8.  Gomara  dit  que 
ceux  qui  ne  mouroient  pas  d'une  mort  natu- 
relle ,   étoient  enterrés  fous  ua  habit  qui 


défignoit  leur  genre  de  mort.  „^  Celui  qui 
„  mouroit  pour  adultère  étoit  vêtu  coiiiiiic 
,,  le  Dieu  de  la  Luxure  ,  qui  le  noiumoit 
„  Tlaxûteutl  ;  celui  qui  étoit  noyé ,  comme 
,,  Tlaloc,  Dieu  de  l'Etat;  celui  qui  mouroit 
,  d'ivrognerie,  comme  Ometocbli,  Dieu  du 
,,  Vin.  Le  Soldat  étoit  vcfi  comme  Vitzili- 
„  puztli".  Liv.  2.  Chap.  79. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL        573 


DEScnirTior» 
DE  LA  Nou- 
velle  EsPA' 

GKE. 


de  l'Idole,  qui  étoit  l'objet  particulier  de  fon culte,  ou  dont  il  avoit  été 
l'image.  On  lui  couvroit  le  vifage  d'un  mafque,  enrichi  de  perles  &  de 
pierres  précieufes.  Enfuite  on  tuoit,  pour  première  Viélime,  l'Officier  qui 
avoit  eu  l'emploi  d'entretenir  les  lampes  &  les  parfums  du  Palais  ;  afin  que 
le  voyage  du  Monarque  dans  un  autre  Monde  ne  fe  fît  point  dans  les  ténè- 
bres, ni  fur  une  route  où  fon  odorat  fût  blefle.  Alors,  on  portoit  le  corps 
au  grand  Temple  ;  &  tous  ceux  qui  compofoient  le  cortège  étoient  obligés 
de  donner  des  marques  extérieures  d'affliftion ,  par  des  cris  ou  des  chants 
lugubres.  Les  Seigneurs  &  les  Chevaliers  étoient  armes  ;  &  tous  les  Do- 
meftiques  du  Palais  portoient  des  Mafles ,  des  Enfeignes  &  des  Panaches. 
On  arrivoit  dans  la  cour  du  Temple,  où  l'on  trouvoit  un  grand  bûcher, 
auquel  les  Prêtres  mettoient  le  feu;  &  pendant  que  la  flamme  s'y  répandoit, 
le  grand  Sacrificateur  proferoit,  d'une  voix  plaintive,  des  prières  &  des 
invocations.  Enfin,  lorfque  le  bûcher  étoit  bien  allumé,  on  y  jettoit  le 
corps,  avec  tous  les  ornemens  dont  il  étoit  couvert;  &  dans  lé  même  in- 
ftant ,  chacun  y  jettoit  auflî  fes  Armes ,  fes  Enfeignes  &  tout  ce  qu'on  avoit 
apporté  dans  le  convoi.  On  y  jettoit  un  Chien ,  pour  annoncer  par  fes 
aboiemens  l'arrivée  de  l'Empereur,  dans  les  lieux  par  lefquels  il  dévoie 
pafler.  C'étoit  alors  que  les  Prêtres  commençoient  le  grand  Sacrifice.  Il 
falloit  que  le  nombre  des  Viftimes  fût  au  moins  de  deux  cens.  On  leur 
ouvroit  la  poitrine  ,  pour  en  arracher  le  cœur,  qui  étoit  jette  auflî-tôt 
dans  le  feu;  &  les  corps  étoient  dépofés  dans  des  Charniers,  fans  qu'il  fût 
permis  d'en  manger  la  chair.  Ceux  qui  avoient  l'honneur  d'être  làcrifiés 
étoient  non-feulement  des  Efclaves,  mais  des  Officiers  du  Palais,  entre  lef- 
quels il  y  avoit  auffi  plufieurs  Femmes.  Le  lendemain  on  fe  raflembloit,  a- 
près  avoir  fait  garder  le  bûcher  pendant  toute  la  nuit.  On  ramaffoit  la 
-cendre  du  corps,  fur-tout  les  dents,  qui  ne  fe  confument  point  par  le  feu, 
&  l'émeraude  qu'on  avoit  enfoncée  dans  la  bouche.  Les  Prêtres  mettoient 
ces  refpeftables  dépouilles  dans  un  vafe,  qu'ils  portoient  folemnellement 
à  la  Montagne  de  Chapultepeque.  Ils  les  y  renfermoient ,  avec  la  poignée  de 
cheveux ,  de  quelques  autres  qu'on  avoit  coupés  à  l'Empereur  le  jour  de  fon 
Couronnement  &  qu'on  gardoit  toujours  pour  cette  de/nière  cérémonie, 
fous  une  petite  voûte  ,  dont  l'intérieur  étoit  revêtu  de  bifarres  peintures. 
Ils  en  bouchoient  foigneufement  l'entrée;  &  par-deflus,  ils  plaçoient  une  • 
Statue  de  bois ,  qui  repréfentoit  aflez  naturellement  la  figure  du  Mort.  Les 
folemnités  continuoient  l'efpace  de  quatre  jours,  pendant  lefquels  fesFem- 
mes,  fes  Filles  &  fes  plus  fidèles  Sujets  venoient  faire  de  grandes  oflFrandes, 
qu'ils  mettoient  devant  la  voûte,  fous  les  yeux  de  la  Statue.  Le  cinquiè- 
me jour ,  les  Prêtres  faifoient  un  Sacrifice  de  quinze  Efclaves.  Le  ving- 
tième, ils  en  facrifioient  cinq;  trois,  le  foixantième  ;  &  neuf ,  vingt  jours 
après,  pour  terminer  la  cérémonie  (/). 

Celle  duMechoacan,  pour  les  funérailles  du  Cacique,  avoit  quelques    Obfequesdu 
circonftances ,  d'une  fingularité  extraordinaire.     Lorfque  ce  Prince,  dont  Cacique  de 
Ja  puiflance  n'étoit  guères  inférieure  à  celle  de  l'Empereur  du  Mexique,  fe  I^^choacan, 
fentoit  proche  de  la  mort ,  fon  unique  foin  étoit  de  nommer ,  entre  fes  Èn- 

■j  . .    ..•       •  :•  .1     fans, 

(/)  Comara,  uhifnprà,  Liv.  2.  Chap.  80.     :/:^ 

C  c  c  c  3 


r.  i.'. 


Diteiin'ioif 
DB  t^  Nou- 

VSLLB    ESFA- 
OMI, 


h 


574       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

fans,  celui  qu'il  deftinoit  à  lui  fucceder.    Enfuite,  l'Héritier  qu'il  s'étoit 
donné  aflembloic  tous  les  Seigneurs  de  la  Province  &  tous  ceux  qui  avoient 
exercé- quelque  Emploi  fousTautorité  de  Ton  Père.     Ils  commençoient  par 
lui  apporter  des  préfens,  qui  paflbient  pour  une  reconnoilTance  de  Tes  droits. 
Si  le  Cacique  n'étoit  pas  mort ,  Tes  anciens  Sujets  ne  paroiflbient  plus  de- 
vant lui.     Son  appartement  étoic  fermé  avec  foin,  &  l'on  mettoit  fur  U 
porte  fa  devife  &  fes  armes.    AuflStôt  qu'il  avoit  rendu  le  dernier  foupir, 
il  fe  formoit  une  Affemblée  fort  nombreufe  de  l'ancienne  Cour,  &  de  tous 
ceux  qui  avoient  été  convoqués.    Leur  premier  devoir  étoic  de  poufler  en- 
femble  des  cris  &  des  gémilfemens ,  avec  d'autres  marques  de  clouleur  que 
l'Hillorien  nomme  un  deuil  merveilleux.     Après  ce  lugubre  exorde,  on 
leur  ouvroic  la  porte  de  l'appartement.     Ils  y  entroient.   Chacun  touchoit 
le  Mort ,  de  la  main ,  &  lui  jettoit  quelques  gouttes  d'une  eau  parfumée. 
On  lui  mettoit  une  chaufFure  de  peau  de  Chevreuil ,  qui  étoit  celle  des  Ca- 
ciques.   On  lui  attachoit  aux  genoux  des  fonoettes  d  or,  des  anneaux  aux 
doigts ,  des  bracelets  d'or  aux  poignets,  une  chaîne  de  pierres  précieufes 
au  cou,  &  des  pendans  aux  oreilles.    Ses  lèvres  mêmes  étoient  couvertes 
de  pierreries;  oc  fes  épaules,  de  pludeurs  treffes  des  plus  belles  plumes. 
Dans  cette  parure,  on  le  plaçoit  aflis  fur  une  efpèce  de  litière  découverte, 
avec  un  arc  &  des  flèches  d'un  côté ,  &  de  l'autre  une  grande  Figure  arti- 
ficielle, qui repréfentoit  l'Idole  à  laquelle  il  avoit  été  le  plus  attaché,  & 
qu'on  fuppofoit  empreflee  alors  à  récompenfer  fa  piété.    Pendant  ce  tems- 
là,  ion  Succefleur  nommoit  ceux  qui  dévoient  aller  fervir  fon  Père  dans  un 
autre  Monde.     Quelques-uns  regardoient  comme  une  faveur  d'être  choifis 
pour  ce  miniftère,  à  d'autres  s'affligeoient  de  leur  fort;  mais  on  prenoit 
foin  de  leur  faire  avaller  auffi-tôt  toutes  fortes  de  viandes  &  de  liqueurs, 
pour  les  fortifier  contre  la  crainte  &  les  autres  foibleifes  de  la  nature.    On 
choififlbit  particulièrement  fept  Femmes,  d'une  haute  naiflance;  l'une  pour 
garder  tout  ce  que  le  Cacique  emportoic  de  précieux;  une  autre,  pour  lui 
préfenter  la  coupe;  la  troiOème,  pour  laver  fon  linge,  &  les  quatre  autres 
pour  divers  offices.    Outre  les  Viélimes  nommées  par  le  nouveau  Cacique, 
on  raflembloit  pour  le  Sacrifice  un  grand  nombre  d'Efclaves,  &  de  per- 
fonnes  libres.    Chaque  condition  étoic  obligée  de  fournir  une  Viélime  de 
fon  Ordre ,  fans  compter  celles  qui  avoient  le  courage  de  s'oiFrir  volontai- 
rement.   On  apportoit  beaucoup  de  foin  à  les  laver.    On  leur  teignoit  le 
vifage  de  jaune.    On  leur  mettoit  fur  la  tête  une  couronne  de  ileurs  ;  & 
fur*  tout  on  les  enivroic  aflez  pour  ne  rien  craindre  de  leur  incondance. 
La  marche  funèbre  commençoit  par  cette  troupe  de  Malheureux,  qui  pa- 
roiiïant  fermer  les  yeux  fur  le  terme,  faifoienc  retentir  leurs  inflirumens  d'os 
&  de  coquilles,  comme  dans  une  Fête  de  joie.    Gomara,  qui  les  avoit  en- 
tendus ,  obferve  néanmoins  que  le  fon  de  cette  muHque  étoit  trille.  Après 
eux,  venoient  les  Parens  du  Mort.    La  litière  étoic  porcée  par  les  princi- 
paux Seigneurs  du  Pays,  &  fuivie  de  tous  les  autres,  qui  chantoient  une 
efpèce  dePoéOe  fort  trille,  fur  des  airs  auflli  mélancoliques.    Ceux  qui  a- 
volent  poflTedé  des  emplois  s'avançoient  enfuite  ;  &  la  marche  étoic  fermée 
par  les  Domeftiques  du  Palais,  chargés  tous  d'Enfeignes  &  d'Eventails  de 
plumes.    Une  multitude  infinie  de  Peuple,  qui  formoic  comme  un  cercle 

autour 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       575 

autour  du  Convoi,  troubloic  moins  l'ordre,  qu'elle  ne  fervoit  à  Tentrete-  D««cnimo» 
nir,  par  le  foin  qu'elle  avoit  de  veiller  fur  les  Viftimes,  &  de  fermer  le  JJ^le*  Es»a- 
paflage  à  celles  qui  auroienc  voulu  fe  fauver  par  la  fuite.  one. 

C£TT£  Procenion  partoit  à  minuit,  éclairée  d'une  infinité  de  flambeaux.  On  fait  un» 
Les  rues  de  la  Ville  avoient  été  nettoyées  avec  mille  formalités  fuperdi-  pite  &  une 
tieufes.  En  arrivant  au  Temple,  on  faifoit  quatre  fois  le  tour  d'un  grand  ^«'«'^•«Jel» 
bûcher,  qui  fe  trouvoit  prêt  à  recevoir  le  feu  de  la  main  des  Prêtres.  Le  *^®""®* 
Corps  étoit  placé  au  fommet ,  dans  fa  litière ,  &  brûlé  avec  tous  fes  orne- 
mens.  Pendant  qu'il  étoit  en  proie  aux  flammes,  on  afTommoit  toutes  les 
Victimes  j  &  fans  les  ouvrir,  comme  à  Mexico,  on  les  enterroit  derrière 
le  mur  du  l'emple.  A  la  pointe  du  jour ,  les  Prêtres  ramaiToient  la  cen« 
dre  &  les  os  du  Cacique.  Ils  y  joignoient  l'or  fondu ,  les  pierreries  calci- 
nées, &  tout  ce  qu'ils  pouvoient  recueillir  du  corps  &  de  fa  parure.  Ces 
reftes  étoient  portés  dans  le  Temple  à-  bénis  avec  des  invocations  &  des 
cérémonies  myflérieufes ,  après  lefquwl.es  on  y  méloit  différentes  fortes 
de  pâte,  pour  en  compofer  une  grande  Idole  de  forme  humaine,  qu'on  pa- 
roit  de  plumes ,  de  colliers,  de  bracelets  &  de  fonnettcs  d'or;  <x  l'ayanc 
armée  d'un  arc,  de  Héches&  d'un  bouclier,  on  la  préfentoit  dans  cet  é- 
tat  aux  adorations  du  Peuple.  Enfuite  les  Prêtres  ouvroient  la  terre,  au 
pié  des  dégrés  du  Temple.  Ils  faifoient  une  large  foffe ,  dont  toutes  les 
parties  intérieures  étoient  auilitôt  revêtues  de  nattes.  Ils  y  dreflbient 
un  lit,  fur  lequel  ils  plaçoient  la  Statue,  les  yeux  tournés  au  Levant.  On 
fufpendoit,  autour  d'elle ,  plufîeurs  petits  boucliers  d'or  &  d'argent,  des 
arcs,  des  flèches  &  des  panaches.  On  mettoit  près  du  lit,  quantité  de 
baflins ,  de  plats  &  de  vafes.  Le  refte  de  l'efpace  étoit  rempli  de  coffres , 
pleins  de  robbes ,  de  joyaux  &  d'alimens.  Enfin  les  Prêtres  couvroient  la 
folie,  d'un  grand  couvercle  de  terre,  au-deflus  duquel  on  plaçoit  diverfes 
figures ,  qui  fembloient  veiller  à  la  confervation  d'un  fi  refpeftable  Monu- 
ment. L  paroît  qu'après  la  Conquête  même,  les  Efpagnols  ne  purent  abo* 
lir  tout  d'un  coup  cet  ufage.  Mais  il  a  cédé ,  par  dégrés ,  aux  infl:ru£lions 
du  Chriflianifme,  avec  les  autres  fuperflitions  de  l'Idolâtrie  {g). 

(_g)  Gomara,  ibii  Chap.  81. 

^gurêf  Habilknunti  CaraSière^  Ufages^  Maurs ,  Jrts  ^  Langues 

des  Mexiquains. 


0U01Q.UE  l'efpace  d'environ  de'ix  fiécles  n'ait  pu  mettre  beaucoup  de 
changurment  dans  les  qualités  naturelles  des  Mexiquains ,  la  domina- 
tion &  le  commerce  de  l'Efpagne  ayant  prefqu'entiérement  changé  leurs 
ufages ,  il  n'eft  pas  furprenant  qu'une  fi  grande  révolution ,  dans  k^urs  ha- 
bitudes morales ,  ait  eu  quelque  influence  fur  le  fond  de  leur  caraflère  & 
fur  leur  figure  même,  qui  dépendent  aflez  fou  vent,  dans  les  Hommes,  des 
occupations  &  du  genre  de  vie  dans  lefquels  ils  fe  trouvent  engagés.  AufTi 
les  peintures  des  Hifl:oriens  &  des  Voyageurs  diffèrent-eHes  beaucoup ,  fui- 
vant  la  différence  des  tems.    Oo  Ut,  daos  les  premières  Relations,  que 


Changement 
q.!c  les  Mexi* 
q.iains  ont 
éprouvé. 


Figure  des 


les  Hommes. 


576       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


VtLI.E 


Description  les  Hommes  du  Mexique  étoient  d'une  taille  médiocre,  &  plus  gras  que 
DE  LA  Nou-  maigres;  que  la  couleur  de  leur  teint  tiroit  fur  celle  du  poil  de  Lion;  qu'ils 
î. '^*'  avoient  les  yeux  grands,  le  front  large,  les  narines  fort  ouvertes,  les  che- 
veux gros,  plats  &  diverfi  ment  coupés;  qu'ils  étoient  fans  barbe,  ou  qu'ils 
en  avoient  fort  peu,  parce  qu'ils  fe  l'arrachoicnt ,  ou  qu'ils  soignoient  la 
peau,  d'un  onguent  qui  l'empêchoit  de  fortir.  Il  s'en  trouvoic  d'aufli  blancs 
que  les  Européens.  Leur  ulage  commun  étoit  de  fe  peinche  le  corps,  & 
de  fe  couvrir  la  tête,  les  bras  &  les  jambes,  de  plumes  d'oifcaux,  ou  d'é- 
cailles  de  poilfun ,  ou  de  poil  de  Tigres  &  d'autres  Animaux.  Ils  fe  per- 
çoient  les  oreilles,  le  nez,  &  le  menton  même,  pour  y  porter ,^  dans  de 
grandes  ouvertures,  des  pierreries,  ou  de  l'or,  ou  quelques  oflemens. 
On  y  voyoit ,  aux  uns ,  les  ongles  &  le  bec  d'une  Aigle  ;  aux  autres ,  les 
dents  machelicres  de  quelque  Animal ,  ou  des  arrêtes  de  divers  Poiffons. 
Les  Seigneurs  y  portoient  des  pierres  très  fines,  &  de" petits  ouvrages  d'or 
d'un  travail  fort  recherché. 

La  taille  &  la  couleur  des  Femmes  étoient  peu  différentes  de  celles  des 
Hommes  ;  mais  elles  entretenoient  leurs  cheveux  dans  toute  leur  longueur, 
avec  un  foin  extrême  de  les  noircir,  par  diverfes  fortes  de  poudre  &  d'on- 
guent. Les  Femmes  mariées  fe  les  lioient  autour  de  la  tête,  &  s'en  fai- 
foient  un  nœud  fur  le  front.  L'ufage  des  Filles  étoit  de  les  porter  flot- 
tans,  fur  le  fein  &  fur  les  épaules.  A  peine  étoient-elles  devenues  Mères, 
que  leurs  mammelles  croifToient ,  jufqu'à  pouvoir  en  nourrir  les  Enfars 
qu'elles  portoient  fur  le  dos.  Elles  mettoient  leur  principale  beauté  dans 
la  petitelTe  du  front;  &  par  des  onftions  continuelles,  elles  faifoient  croî- 
tre leurs  cheveux  jufques  fur  les  temples.  Il  ne  manquoit  rien  à  leur  pro- 
preté. Elles  fe  baignoient  fouvent;  &  cette  habitude  étoit  fi  forte,  qu'en 
fortant  d'un  bain  chaud,  elles  entroient  fans  danger  dans  un  bain  froid, 
pour  fe  farder  enfuite  avec  un  lait  de  grains  &  de  femences,  qui  fervoit 
moins  à  les  embellir,  qu'à  les  garantir,  par  fon  amertume,  de  la  piquurc 
des  Mouches,  &  d'autres  infcdes. 


l'i'îîurc  des 


Leurs  Habits. 


Le  commun  des  Mexiquains  avoit  le  corps  &  les  pies  nus ,  à  l'exception 
des  Soldats,  qui  pour  fe  rendre  plus  terribles  fe  couvroient  de  la  peau  en- 
tière de  quelque  animal,  dont  ils  ajuftoient  même  la  tête  fur  la  leur.  Cette 
parure,  avec  un  cordon  de  cœurs,  de  nez  &  d'oreilles  d'Hommes,  en 
bandoulière,  terminé  par  une  tête  qu'ils  y  portoient  fufpendue ,  leur  don- 
noit  un  air  de  férocité  qu'on  peut  fe  repréfenter.  Mais  ordinairement  le 
Peuple  Mexiquain  étoit  nu;  les  Empereurs  même  &  les  Seigneurs  ne  fe 
couvroient  que  d'une  forte  de  manteau ,  compofé  d'une  pièce  de  coton 
quarrée,  &  noué  fur  l'épaule  droite.  Ils  avoient,  pour  chaufTure,  des 
iandales,  alTez  femblables  à  celles  que  les  Efpagnols  nomment  y^pojîoiiques. 
Sur  la  tête,  ils  ne  portoient  que  des  plumes,  &  quelques  légers  cordons 
qui  fervoient  à  les  foutenir.  Les  Femmes  du.  Peuple  étoient  auffi  prefque 
nues.  Elles  avoient  une  efpèce  de  chemife,  à  demi -manches,  qui  leur 
tomboit  fur  les  genoux,  mais  ouverte  fur  la  poitrine,  &  fi  légère  qu'é- 
tant ajuftée  fur  la  peau  à  peine  en  paroifFoit  -  elle  diflinguée.  Elles  ne 
portoient  pas  d'autre  coejQfure  que  leurs  cheveux  ;  fur  quoi  les  Efpagnols 

obfer« 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,   Liv.  IL        577 

obfervérent  qu'elles  avoient  la  tête  plus  forte  &  le  crâne  plus  endurci  que   Descriptio!? 
les  Hommes  {a).  .  ^l^^^  Nnu- 

Si  l'on  confulte  des  Relations  plus  modernes,  tous  les  Mexiquains,  oj,e. 
Hommes  &  i''emmes,  font  naturellement  d'une  couleur  brune.  La  plû- 
part  font  d'afllz  haute  taille,  fur-tout  dans  les  Provinces  qui  regardent  le 
Nord.  Us  fe  garantiffent  les  joues,  du  froid  &  de  la  piquure  des  mouches, 
en  fe  les  frottant  avec  des  herbes  pilees.  Us  fe  barbouillent  auflî  d'une 
terre  liquide,  pour  fe  rafraîchir  la  tête,  tf:  fe  rendre  les  cheveux  noirs  & 
doux.  ,,  Leur  habillement  confifle  aujourd'hui  dans  un  pourpoint  court, 
,,  ik  des  haut-de-chaufles  fort  larges.  Us  portent  fur  les  épaules  un  man- 
teau de  diverfes  couleurs,  qu'ils  appellent  Tilma,  &  qui  paflant  fous  le 
bras  droit  fe  lie  fur  l'épaule  gauche  par  les  extrémités.  Us  font  chauf- 
fés; mais  ils  fe  fervent  de  focs,  au  lieu  de  fouliers.  Jamais  ils  ne  quit- 
tent leurs  cheveux ,  quand  la  pauvreté  les  obligeroit  d'être  nus ,  ou  de 
fe  couvrir  de  haillons.  Les  Femmes  portent  le  Guaipil^  qui  efl:  une  efpè- 
ce  do  fac,  fous  la  Cobixa^  fine  étoffe  de  coton;  à  laquelle  elles  en  ajou-  • 
tent  une  autre  furies  épaules,  lorfqu'elles  paroiffent  en  public.  A  lE- 
glife  ,  elles  relèvent  la  dernière,  jufqu'à  s'en  couvrir  la  tète.  Leurs  jup- 
pes  font  étroites ,  ornées  de  figures  de  Lions,  d'Oifeaux,  ou  de  fleurs, 
&  comme  tapifl'ées,  en  plufieurs  endroits,  de  belles  plumes  de  Canards. 
Les  Femmes  des  Metices ,  des  Noirs ,  &  des  Mulâtres ,  qui  font  en  fort 
grand  nombre,  ne  pouvant  prendre  l'habit  Efpagnol ,  &  dédaignant  ce- 
lui des  Indiennes,  ont  inventé  le  ridicule  ufage  de  porter  une  efpèce 
de  juppe  en  travers,  fur  les  épaules  ou  fur  la  tète  {b).  Mais  leurs 
Maris,  &  leurs  Enfans  du  même  fexe,  font  parvenus  par  dégrés  à  s'at- 
tribuer le  droit  de  fuivre  tous  les  ufages  d'Efpagne.  Leur  infolence  va 
il  loin ,  que  fans  pofi'eder  aucun  emploi ,  ils  s'honorent  entr'eux  du  titre 
de  Capitaine"  {c). 

Un  des  premiers  Hiftoriens  attribue  aux  Femmes  Mexiquaines  deux 
pernicieufes  pratiques ,  dont  la  figure  &  la  fanté  de  leurs  Enfans  ne  pou- 
voient  manquer  de  fe  reflfentir.  Pendant  leur  groffeflTe,  elles  fe  médica- 
mentoient  les  unes  les  autres  avec  différentes  herbes,  qui  produifoient . 
d'aufli  mauvais  effets  furies  Mères,  que  furie  fruit  qu'elles  portoient  dans 
leur  fein;  &  lorfque  les  Enfans  commençoient  à  voir  le  jour,  non -feule- 
ment elles  s'efforçoient  de  leur  raccourcir  la  nuque  du  cou ,  en  la  compri- 
mant vers  les  épaules,  mais  elles  la  lioient  dans  le  berceau,  d'une  manière 
qui  l'empéchoit  de  croître.  On  n'en  apporte  pas  d'autre  raifon  qu'un  pré- 
jugé naturel,  qui  leur  faifoit  attacher  des  grâces  à  cette  difformité  {d), 

A 


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Enfans  & 
leur  Educa-" 
tion.  • 


(a)  Ibidem,  Chap.  83  &  84. 

(  h  )  Voyez  ci  -  dcfllis  la  defcriptioii  de 
Mexico  en  1625. 

(c)  Gcmelli  Carreri,  Tome  FI.  page  82 
&  fuivantes.  -Cette  canaille  de  Noirs  &  de 
gens  au  teint  brftici  ,  difent  les  Efpagnols, 
s'cft  fi  fort  accrue,  qu'on  appréhende  qu'ils 
ne  fe  révoltent  un  jour  &  qu'ils  ne  fc  ren- 
dent maîtres  du  Tays.  Ibid.  page  83.  Gage 
en  parloit  de  môme,  dès  l'année  1625.    II 

XFIIL  Pan. 


ajoutoit  que  les  Efpngnols  les  plus  pieux  & 
les  plus  fcnfés  craignoient  que  Dieu  ne  dé- 
truisît Mexico  &.  le  Pays,  en  punition  de  la 
vie  fcandaleufe  de  ces  gens-là.  Tome  I.  pa- 
ges 167  &  168. 

(d  !  Gomara,  Liv.  2.  ClMp.  82.  Ilerrera 
dit  qu'on  jettoit  l'Er.fant  dans  l'eau  froide, 
au  moment  de  fa  naillancc,  en  lui  difmt; 
„  tu  viens  au  monde  pour  fouffrir  ;  endur- 
„  cis  toi". 

Dddd 


578        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Description  A  peine  les  Garçons  étoient  nés ,  qu'on   appelloit  un  Prêtre  pour  leur  fai- 


1)S   LA     NOU 
TELLIt     KsPA 


Education 

^cs  Garçons. 


I 


1 


rc,  aux  oreilles  &  aux  parties  viriles,  une  petite  incifion  de  laquelle  il 
devoit  couler  quelques  gouttes  de  fang  (<?).  Après  les  avoir  lavés  lui- 
même,  le  Prêtre  mettoit  à  ceux  des  Nobles  &  des  Guerriers  une  petite 
épée  dans  la  main  droite,  &  un  petit  bouclier  dans  la  gauche.  Aux  En- 
fans  du  commun ,  il  mettoit  Its  outils  de  la  profelfion  de  leur  Père  (fj. 
Toutes  les  Filles  recevoient  des  inftrumcns  pour  filer,  pour  coudre  & 
pour  d'autres  occupations  de  leur  fexe-  C'étoit  la  Mère  qui  devoit  les 
nourrir  de  fon  lait.  Mais  fi  quelque  accident  la  forçoit  d'employer  une 
Nourrice,  elle  faifoit  tomber  lur  Ion  ongle  quelques  gouttes  du  lait  étran- 
ger; &  fi  fon  épaiffeur  l'empêchoit  de  couler,  la  Nourrice  étoit  reçue  fans 
objeélion.  Une  Femme,  qui  nourriiroit  un  Enfant,  devoit  toujours  man- 
ger des  mêmes  viandes  jufqu'à  ce  qu'il  fût  fevré;  &  ce  tems  étoit  de  qua- 
tre années  entières,  pendant  lefquelles  Ilerrera  fait  admirer  l'amour  ma- 
ternel, qui  faifoit  éviter  aux  Femmes  toute  forte  de  commerce  avec  leurs 
Maris,  dans  la  crainte  d'une  nouvelle  groflefle  (g).  11  ajoute  que  celles, 
qui  devenoient  veuves  dans  cet  intervalle,  n'avoient  pas  la  liberté  de  fe 
remarier.  Tous  les  Enfans  étoient  foigneufement  recommandés  à  la  pro- 
teélion  des  Dieux.  On  faifoit  des  offrandes,  des  vœux  &  des  facrifices  , 
pour  leur  fortune  &  leur  fanté.  On  leur  mettoit  au  cou  des  billets  & 
d'autres  amuletes,  qui  contenoient  des  figures  d'Idoles  &  des  caraélères 
myftérieux. 

Chaque  Temple  avoit  une  Ecole,  où  les  jeunes  Garçons  du  Quartier 
alloient  recevoir  les  inflruftions  des  Prêtres.  On  leur  apprenoit,  non-feu- 
lement la  Religion  &  les  Loix,  mais  tous  les  exercices  qui  pouvoient  être 
utiles  à  la  Nation,  tels  que  la  danfe,  léchant,  l'art  de  tirer  des  fiéches, 
de  lancer  le  dard  &  la  zagaie,  de  fe  fervir  de  l'épée  &  du  bouclier,  &c. 
On  les  faifoit  coucher  fouvent  fur  la  dure,  manger  peu,  &  fe  remuer  beau- 
coup. Il  y  avoit  un  Séminaire  particulier  pour  les  Enfans  nobles ,  où  leur 
nourriture  étoit  portée  de  leur  Maifon.  Ils  y  étoient  inftruits  &  gouver- 
nés par  d'ancien?  Chevaliers,  qui  les  élevcicHt  dâhs  les  plus  rudes  travaux, 
&  qui  joignoient  à  leurs  leçons  de  grands  exemples  de  toutes  les  vertus. 
On  lesenvoyoit,  dès  leur  première  jeunefle,  au  milieu  des  Armées,  pour 
y  porter  des  vivres  aux  Soldats.  Ce  prétexte,  qui  leur  donnoit  occafion 
de  prendre  quelque  idée  des  exercices  &  des  périls  militaires ,  fervoit  auflî 
à  faire  connoître  leur  vigueur ,  leur  courage  &  leurs  inclinations.  Ils 
irouvoient  fouvent ,  dans  ces  efiais ,  le  moyen  de  fe  diflinguer  par  des 
allions  d'éclat;  &  celui  qui  étoit  parti  fous  un  vil  fardeau,  revenoit  quel- 
quefois avec  le  titre  de  Capitaine.  Après  le  cours  des  inftru6lions ,  ceux 
^ui  marquoient  du  penchant  pour  le  fervice  du  Temple ,  entroient  dans  le 
Monaftère  de  leur  fexe;  &  s'ils  fe  deftinoient  au  Sacerdoce,  ils  avoient  des 
Maîtres  particuliers,  qui  leur  apprenoient  les  fecrets  &  les  cérémonies  de 

la 


(e)  Acofta  s'obftine  toujours  à  faire  ve- 
nir ces  ufages  de  la  Religion  des  Juifs ,  ou 
de  celle  des  Maures ,  ou  du  Clirillianifme. 
li  trouve  ici  la  circoncilion ,  comme  il  veut 


Îue  le  lavement  foit  une  efpèce  de  Baptômei. 
.itj.  4.  Cbap.  27. 

(/)  Herrera,  Dec.  3.  Liv.  2.  Cbap.  17. 
{g)  Ibidem,  Llv.  4.  Chap.  16. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL        S79 

la  Religion.  Mais  lorfqu'il»  s'étoient  conflicrcs  à  cette  profeflîon,  ils  dé- 
voient y  perfevcrer  jiifqu'à  la  vieillelle  (/;). 

Les  Filles  n'étoient  pas  élevées  avec  moins  d'honneur  &  de  retenue. 
Dés  l'âge  de  quatre  ans,  on  les  formoit,  dans  la  folitude,  aux  travaux  de 
leur  fexe,  à  la  pratique  de  la  vertu;  &  la  plupart  ne  fortoient  point  de  la 
maifon  de  leur  Père  jufqu'au  tems  du  mariage.  On  les  menoit  rarement 
aux  Temples.  Ce  n'étoit  que  pour  accomplir  les  vœux  de  leurs  Mères ,  ou 
pour  implorer  le  fccours  des  Dieux  dans  leurs  maladies.  Elles  y  étoient; 
accompagnées  de  plufieurs  vieilles  Femmes ,  qui  ne  leur  permettoient  point 
de  lever  les  yeux ,  ni  d'ouvrir  la  bouche.  Jamais  les  jeunes  Filles  &  les 
Garçons  ne  mangeoient  enfemble,  avant  que  de  fe  marier.  Les  Seigneurs 
oblervoient  cette  loi  jufqu'au  fcrupule.  Leurs  maifons  étant  fort  grandes, 
ils  y  avoient  des  jardins  &  des  vergers  ,  où  l'appartement  des  Femmes  étoit 
féparé  des  autres  édifices.  Celles ,  qui  faifoient  un  pas  hors  de  leur  en- 
ceinte, étoient  châtiées  féverement.  Dans  leurs  promenades  mêmes,  el- 
les ne  dévoient  jamais  hauITer  les  yeux ,  ni  tourner  la  tête  en  arrière.  El- 
les étoient  punies,  lorfqu'elles  quittoient  le  travail  fans  permiffion.  On 
leur  faifoit  regarder  le  mcnfonge  comme  un  fi  grand  vice,  que  pour  une 
faute  de  cette  nature  on  leur  fendoit  un  peu  la  lèvre  (i). 

L'ÂGE  de  fe  marier,  pour  les  Hommes,  étoit  vingt  ans;  âc  quinze, 
pour  les  jeunes  Filles.  Cette  cérémonie  fe  faifoit  par  le  minirtère  d'un 
Prêtre,  qui  prenoit  les  deux  Parties  par  les  mains,  en  leur  demandant  quel- 
le étoit  leur  intention?  Sur  la  réponfe  du  jeune  Homme,  il  prenoit  le  bord 
de  la  robbe  dont  il  devoit  être  revêtu  pour  la  Fête,  &  le  bout  d'un  voile 
que  la  jeune  Fille  portoit  aufli  dans  cette  occafion ,  il  lioit  l'un  à  l'autre  ; 
&  conduifant  les  Mariés  à  la  maifon  qu'ils  dévoient  habiter,  il  les  faifoit 
tourner  fept  fois  autour  d'un  fourneau  (k).  Rien  ne  manquoit  alors  à  leur 
union  :  mais  ils  dévoient  avoir  obtenu  la  permiffion  de  leurs  Pères  &  ceHe 
du  Capitaine  de  leur  Quartier.  Si  leurs  Pères  étoient  pauvres ,  ils  s'enga- 
geoient,  en  les  quittant,  à  leur  faire  part  du  bien  qu'ils  pourroient  ac- 
quérir ;  comme  les  Pères,  qui  étoient  riches,  joignoient  au  bien,  qu'ils 
leur  donnoient ,  la  promefle  de  ne  les  jamais  laifler  tomber  dans  la  mifère. 
Un  Homme  avoit  la  liberté  de  prendre  plufieurs  Femmes;  &  quoique  la 
plupart  n'en  euflent  qu'une ,  on  ne  s'étonnoit  point  d'en  voir  quelques-uns 
qui  n'en  avoient  pas  moins  de  cent  cinquante  (/).  Les  dégrés  de  Mère& 
de  Sœurs  étoient  les  feuls  défendus.  On  n'a  point  connu  d'Indiens  plus 
délicats  fur  la  virginité.     Une  Femme  fufpefte  étoit  renvoyée  à  fesParens, 

le 


(h)  Herrera,  ibid.  Liv.  2.  Chap.  15. 

(i)  Ibidem,  pages  188  &  365. 

(ik)  Un  Hittorien  ajoute  qu'il  y  avoit  des 
tems  oîi  le  Mariage  étoit  prohibé;  qu'il  fe 
inifoit  par  l'entremifc  de  quelques  vieilles 
Femmes;  que  les  Pères  ne  dévoient  jamais 
y  confentir  tout  d'un  coup;  que  pendant  la 
ntigociation  ,  les  deux  jeunes  gens  obfer- 
voient  un  jeûne  de  quatre  jours ,  &  de  vingt 
diins  quelques  endroits  ;  qu'on  les  tenoit  en- 
icniiés  jufqu'à  la  conclufion ,  &c.   A  l'égard 


des  Concubines ,  ceux  qui  defiroicnt  une 
Fille  à  ce  titre  la  dcmandoient  au  Père,  fous 
prétexte  d'avoir  des  Enfans.  Lorfqu'il  en 
naiflbit  un  Fiis,  le  Père  prioit  l'Homme  d'é- 
poufcr  la  Fille,  ou  l'obllgcoit  de  la  lui  ren- 
voyer; &  fi  l'Homme  prenoit  le  fécond  de 
ces  deux  partis ,  il  ne  pouvoit  plus  avoir  de 
commerce  avec  elle.  Ilerrera,  Dec.2.  l.iv.  *. 
Chap.  16.  '  . 

(/)  Gomara,  Liv.  2.  Chap.  83. 

Dddd  2 


DESCRTpnOtf 

UE  LA  Nou- 
velle  Espa- 
gne. 

Cduottiot 

des  Fillei, 


IMariagcs. 


DetCKIPTION 

va  LA  Nou> 

VCLLB     ESPA' 
C.NB. 


Ecriture  OU 
Cjradcrc  des 
Alexifiuaius. 


580        DESCRIPTION     DlJ    MEXIQUE, 

le  lendemain  de  Tes  noces;  &  celle  ,  dont  le  Mari  était  fatisfait,  recevoic 
des  prefens  «Se  des  honneurs  extraordinaires  à  ce  titre  (»«).  Aufli  la  crain- 
te d  y  être  trompés  faifoit-elle  tenir  aux  Hommes  un  compte  exaft  de  tout 
ce  qu'ils  donnoicnt  dans  l'engagement ,  pour  le  l'aire  reftitucr  jufqu'aux 
moindres  bijoux,  fi  la  fagcflc  de  leurs  Femmes  no  répondoit  pointa  leurs 
efpéranccs.  Après  le  divorce  ,  il  leur  étoit  défendu  de  fe  rejoindre,  fous 
peine  de  mort;  mais  les  Femmes  avoient  la  liberté  de  fe  remarier,  lorf- 
qu'elles  en  trouvoient  l'oecafion;  &ccux,  dont  la  dclicatefle  alloit  fi  loin 
pour  les  Filles,  prenoient  fans  peine  une  Veuve,  ou  la  Femme  qu'un  au» 
tre  avoit  répudiée.  Une  Mère,  en  mariant  fa  Fille,  lui  recomm.andoit 
particulièrement  la  propreté,  le  culte  des  Dieux,  &  les  foins  intérieurs  de 
la  Maifon.  Un  Père  exhortoit  fes  Fils  à  bien  vivre  avec  leurs  Femmes ,  ù 
fe  rendre  aimables  à  leurs  Voifins,  &  fur  tout  à  refpefler  leurs  Supérieurs. 
Il  y  avoit  des  formules  d'exhortations ,  pour  les  Pères  &  les  Mères ,  com- 
me des  règles  de. conduite  pour  les  Enfans.  Elles  fe  confer voient  dans  les 
Familles,-  &  les  jeunes  gens  ne  quittoient  point  la  maifon  paternelle,  pour 
s'établir  ou  pour  changer  d'état,  fans  en  prendre  une  copie  dans  les  ca- 
raftères  qui  fervoient  d'écriture  à  la  Nation  («). 

AcosTA  ne  parle  jamais  fans  étonnement,  de  l'art  avec  lequel  un  Peuple, 
enfeveli  d'ailleurs  dans  les  plus  épaifles  ténèbres  de  l'ignorance  &  de  la  bar- 
barie, avoit  trouvé  le  moyen  de  fuppléer  à  l'ufage  des  lettres.  Il  y  avoit 
au  Mexique  une  forte  de  Livres,  par  lefquels  on  perpétuoit  non-feulement 
la  mémoire  des  anciens  tems ,  mais  encore  les  ufages ,  les  loix  &  les  céré- 
monies. On  a  vu  que  la  Ville  d'Amatitlan,  dans  la  Province  de  Guatima- 
la,  étoit  célèbre  par  l'habileté  de  fes  Habitans  à  compofer  le  papier  &  les 
pinceaux.  On  trouvoit  dans  plufieurs  autres  Villes ,  des  Bibliothèques,  ou 
des  amas  d'Hiftoires,  de  Calendriers,  &  de  remarques  fur  les  Planètes  & 
fur  les  Animaux.  C'étoient  des  feuilles  d'arbres,  équarries,  pliées  &  raf- 
femblées  (  o  ).  Quelques  Efpagnols ,  qu'Acofta  traite  de  Pedans ,  prinent  les 
figures  qu'elles  contenoient  pour  des  caraftères  magiques ,  &  livrèrent  au 
feu  tout  ce  qu'ils  en  purent  découvrir.  Les  plus  fenfés ,  après  avoir  re- 
connu l'erreur  d'un  faux  zèle,  en  regrettèrent  beaucoup  les  effets.  Un  Je- 
fuite,  dont  on  ne  rapporte  point  le  nom,  affembla,  dans  la  Province  de 
Mexique,  les  Anciens  des  principales  Villes,  &  fe  fit  expliquer  ce  qu'il  y 
avoit  de  plus  curieux  dans  un  petit  nombre  de  Livres  qui  leur  reiloient. 
Il  y  vit  plufieurs  de  ces  roues,  qui  repréfentoient  leurs  fiécles,  &  dont  on  a 
donné  un  exemple  après  Carreri.  Il  y  admira  d'ingénieux  hiéroglyphiques, 
qui  repréfentoient  tout  ce  qui  peut  être  conçu.  Les  chofes ,  qui  ont  une 
forme,  paroifToient  fous  leurs  propres  images;  &  celles,  qui  n'en  ont  point, 
étoient  repréfentées  pax  des  caraéîères  qui  les  fignifioient.  C'eft  ainfi  qu'ils 
avoient  marqué  l'année  où  les  Efpagnols  étoient  entrés  dans  leur  Pays , 
en  peignant  un  Homme  avec  un  chapeau  &  un  habit  rouge,  au  figne 

'  - .  ■    ■    '■  •■   -r  ■^-''  ;■•   ■■".  -    '  ■■."  de 


(m)  „  Les  Maris ,  dit  Acofta ,  le  recon- 
noinbient  par  fignes  ou  par  paroles  çfnou- 
ciies",  »i'//îi/)r<i,.  Chap,27.     ,... 


f 


(n)  Voyez  ci-deflus  la  Figure  œcono- 
mique. 

(o)Herrera,  Ibiil.  Chap.  14;  Acofla, 
Liv.  6.  Cbap.  7. 


,  recevoit 
fi  la  crain- 
ft  de  loue 
jufqu'aux 
int  à  leurs 
idre,  fous 
ricr,  lorf- 
oit  fi  loin 
qu'un  au* 
mmandoit 
(irieurs  de 
smmes,  à 
upéricurs. 
res,  corn- 
U  dans  les 
ïlle,  pour 
ns  les  ca- 

n  Peuple, 
de  la  bar* 
Il  y  avoit 
feulement 
i  les  ceré- 
Guatima- 
>ier  &  les 
cques,  ou 
'lanetes  & 
les  &  raf- 
jrinent  les 
rèrent  au 
avoir  re- 
Unje- 
)vince  de 
:e  qu'il  y 
refloient. 
donc  on  a 
yphiques, 
1  ont  une 
)_nt  point, 
inli  qu'ils 
;ur  Pays , 
au  figne 
de 


jre  œcono- 
ii  AcoAa, 


\ 


Prod  TTC  Tioj^rs  JSr^  Tzr^iJj.Lj:s  £  t    Trib  ut  . 

KATIJïIRLYKJ:    VO  or  TURKI^CtZ EL  s     e  k    SCHA.T  t  IIS' g 


k&i^TO^i^^i 


^^^1 


|§§8^^oW^ 


d:  c  o  isr  o  A£  I  JE      3fx:jczc.AiJVM. 

M  E  X  I  C  A.  A  N  «  E  H  TJ  TT  S   H  O    XI  B  I  N  G  E  . 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.       5gi 

de  la  roue  qui  couroic  alors  (/>).     Mais,  ces  caraélères  ne  fuffifant  point  Descriptiow 
pour  exprimer  toutes  les  paroles  ,  ils  ne  rendoienc  que  la  fubllance  des  ^b^le  E^r"' 
idées.  Cependant,  comme  les  Mcxiquains  aimoienc  à  faire  des  récits  &  à,      oj,e. 
conferver  la  mémoire  des  événemcns,  leurs  Orateurs  &  leurs  Poëces  avoient 
compofé  des  Difcours,  des  Poëmes  6c  des  Dialogues,  qu'on  faifoit  appren- 
dre par  cœur  aux  Enfans.  C'étoit  une  partie  de  l'éducation  qu'ils  recevoient 
dans  les  Collèges,  &  toutes  les  traditions  fe  confervoient  par  cette  voie. 
Lorfque  les  Efpagnols  eurent  conquis  le  Mexique  &  s'y  furent  établis, 
ils  apprirent  aux  Habitans  l'ufage  des  lettres  de  l'Europe.     Alors  une  par- 
tie de  ce  qu'ils  avoient  dans  la  ménwire  fut  écrite  avec  toute  l'exaélitude 

qu'on 


(p)  Cefl  pour  en  donner  une  jude  iâéc, 
qu'on  a  fait  graver  ici  quelques  pages  d'une 
liilluire  iVlexiquaine    que   l'urciias  6c  The- 
vtiiot  ont  publiée  dans  kurs   Recueils.     Ce 
ne  fut  pas  fans  peine,  dit  Thevenot,  qii  un 
t'iouvcrncur  du   Mexique  la  tira  des  uiuins 
d.s  Indiens,  avec  une  traduclio:i,  en  langue 
IMexiquaine ,  des  ligures  (jui  la  conipofent. 
Il  la  lit  traduire  en  Efpagnol.  Le  Vailllau, 
qui  l'apportoit  à  Ciiarles- Quint ,  fut  pris  par 
un  François ,  &  la  pièce  tomba  entre  les  mains 
d'André  Thcvct.    llaekluyt,  qui  étoit  alors 
A'.imônier  de  rAnibalîlKlLur  d'Angleterre  en 
France  ,  l'acheta  depuis ,   dts  Héritiers  de 
Thcvet,    ôc  la  lit   traduire    d'EfpagnoI    en 
Anglois  par  l'ordre  de  Waltcr  Raleigli.  En- 
fuite  Her.ri  Spcelman  ,    fi   célèbre  par    fes 
Ouvrages,  obligea  l'urciias  d'en  faire  tailler 
les  figures ,    qui    fe   font   ainfi    confervées. 
Thevenot,  4  Partie.     Ce  Recueil  ert  divifé 
en  trois  Parties.     La  première  contient  les 
Annales    de   l'Empire  du   Mexique;    la   fé- 
conde, fes  Revenus,   c'ell-à-dire,   ce  que 
chaque  Ville  ou  Bourgade  payoit  de  Tribut, 
avec  les  richefles  mturelles  de  chacime;  la 
troifième,  l'Occonomie  Mexiquaine,  la  Dif- 
cipline  de  l'Empire,  en  Paix  &  en  Guerre, 
&  fes  Pratiques  Religicufes  &  Politiques.  On 
donne  ici  un  exemple  de  chaque  Partie;  & 
voici  l'explication  avec  les  letti'cs  qui  répon- 
dent aux  Figures. 

I.  Figure.  En  1417  ,  Chimalpupuca  B, 
fucccda  à  lluicilihuit  Ton  Père.  11  conquit 
par  les  armes  C  les  Villes  de  Texquiquiac 
D  t  &  celle  de  Chalco  E,  qui  étoit  fort  gran- 
de. (Quelques  années  après,  Chalco  fe  ré- 
volta, G  .  &  cinq  Mexiquains  furent  tués ,  I , 
dans  la  fédition.  Les  Habitans  de  Chalco  bri- 
furent  quatre  Canots  H  Chimalpupuca  régna 
dix  ans,  F,  qui  font  marqués  par  les  corn- 
parte nens  de  la  marge, y^, dont  chacun  vaut 
un  an,fuivant  laRùue  Dans  l'Original Mexi- 
quain,  ces  comparlimcns  étoient  peints  en 
bJeu. 


II.  Figure.  Tribut  des  Villes  fituées  dans 
le  Pays  chaud  ,   qui    payoient  tous   les  fix 
mois    24.00    poignées   de    plumes    choifies , 
A,  B,  C,  D,  E,  F,  bleues,  rouges,  cou- 
leur de  turquoife,  &  vertes;  ces  couleurs  é- 
toient  dans  l'Original  ;    160  Oifeaux  morts, 
G,  L,  d'un  plumage  couleur  de  tiu-qtioift: 
fur  le  dos,  &  brun  fous  le  ventre  ,  800  poi- 
gnées ,  M,  //,  de  plumes  jaunes  choifies  ;  8oo 
poignées,  /,  N,  de  plumes  vertes,  larges, 
dcQueçaly;  deux  lîecotcs  d'amlire,  K,  O, 
enrichies  d'or  ;  200  charges ,  P ,  /f ,  de  cacao  ; 
40  peaux  de  Tigre ,  (^,  S;  800  Tecomatcs 
ou  Coupes,  T,  U,  à  boire  du  cacao;  2 mor- 
ceaux d'ambre  clair,  chacun  de  la  grofTeur 
dune  brique,  /^,  X.  Foyez  ci  dejjm  l  Arti- 
cle des  Langues. 

111.  Figure.  Le  Père,  //,  doit  mettre  fon 
Fils,  B,  à  l'âge  de  25  ans,  H,  qui  font 
marqués  par  les  ronds,  entre  les  mains  du 
Tlamacazqui,  C,  Grand  Prêtre  du  Temple 
Camalcac,Z),pour  l'inflruire  6c  en  faire  un 
Prêtre;  ou  l'envoyer  E ,  au  même  âge.  H, 
à  l'Ecole,  G, pour  y  recevoir  les  inllruàions 
communes  du  l'eachcauh ,  F,  c'ell-à-dire  du 
Maître  qui  inflruit  la  Jeunelfe. 

Lorfqu'une  Fille  fe  marie,  ITMitrcmetteur 
du  mariage,  /,  doit  la  porter  le  loir  fur  fou 
dos ,  IV,  chez  le  jeune  Homme  qui  veut  l'é- 
pouftr,  U  cft  éclairé  par  quatre  Femmes, 
X,  Z  ,  qui  portent  à  la  main  une  efpècc  de 
torche,  de  bois  de  Pin,  i,  2,  3,  4.  La 
Fille  &  le  jeune  Homme  s'alTeyent  dans  une 
f\illc  ,  fur  des  fîèges  placés  fur  une  natte, 
O;  ik  toute  la  cérémonie  du  mariage  cou- 
fille  à  nouer  un  coin  du  bas  de  ]a  robbe  d  j 
l'Homme,  L,  avec  un  coin  du  voile  de  la 
F'ille ,  M.  Ils  offrent  aux  Dieux  du  parfum  de 
Copal  Q,  fur  im  réchaud.  Deux  V^ieillards,.. 
/,  R,  de  deux  vieilles  Femmes,  N,  F,  fer- 
vent de  témoins.  K,P ,  repréfentent  les  vian- 
des qu'on  fert  aux  Mariés,  lis  mangent  les 
viandes,  &.  boivent  dans  des  talFes^  T.  du- 
Pulque,  repréfcnté  par  le  pot,  i'.j 

Dddd  3 


Description 

J)E    LA     NOU- 

VHLLE     E'PA- 

GNU. 


Mailbns, 
Meubles  tx 
Nourriture 
commune  des 
Mcxiquains, 


582        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

qu'on  voit  dans  nos  Livres  (q).  Mais  ils  n'ont  pas  laifTé  de  conferver  l'ha- 
bitude de  leurs  anciens  cara6lores,  fur -tout  dans  les  Provinces  éloignées 
de  la  Capitale  Ç^). 

Ce  n'efl:  point  par  la  defcription  des  Palais  de  Motezuma,  qu'il  faut  ju- 
ger des  Maifcns  communes  du  Mexique,  &  du  goût  de  la  Nation  pour 
les  Edifices.  Les  Seigneurs  &  les  perfonnes  riches  étoient  libres,  à  la  vé- 
rité, d'imiter  la  magnificence  du  Souverain;  &  fans  rcpcter  ce  qu'on  a 
dit  de  la  multitude  ôc  de  l'étendue  des  Hôtels  de  Mexico,  le  Palais  de  cha- 
que Cacique,  dans  la  Ville  ou  la  principale  Bourgade  de  l'on  Domaine  (j), 
n'avoit  giiéres  moins  d'éclat  que  le  Tezpac,  féjour  ordinaire  de  l'Empe- 
reur. Mais  il  étoit  défendu  au  commun  des  Mcxiiiiiains  d'élever  leurs 
Maifons  au-deflus  du  rez-de-chaulTée,  &  d'y  avoir  des  fenêtres  &  des 
portes.  La  plupart  n'étant  compofées  que  de  terre,  &  couvertes  de  plan- 
ches, qui  formoient  une  efpèce  de  plate- forme  â  laquelle  tous  les  Hifto- 
riens  donnent  le  nom  de  terrafle,  on  conçoit  que  la  commodité  n'y  étoic 
pas  plus  connue  que  l'élégance.  Dans  les  plus  pauvres,  néanmoins,  l'in- 
térieur étoit  revécu  de  nattes  de  feuilles.  Quoique  la  cire  &  l'huile  fuflent 
en  abondance  au  Mexique,  on  n'y  employoit,  pour  s'éclairer,  que  des  tor- 
ches de  bois  de  Sapin.  Les  lits  étoient  des  nattes .  ou  de  la  fimplc  paille, 
avec  des  couvertures  de  coton.  Une  grofle  pierre,  ou  quelque  billot  de 
bois,  tcnoit  lieu  de  chevet.  Les  lièges  ordinaires  étoient  de  petits  facs, 
pleins  de  feuilles  de  Palmier.  Il  y  en  avoit  aufli  de  bois ,  mais  fort  bas  , 
avec  un  dolTier  d'un  tilTu  des  plusgrofles  feuilles;  ce  qui  n'empêchoit  point 
que  l'ufage  commun  ne  fût  de  s'alleoir  à  terre,  &  même  d'y  manger.  On 
reproche  aux  Mexiquains  d'avoir  été  fort  (aies  dans  leurs  repas  (f).     Ils 

man- 


(q)  Acofla  fc  croit  en  droit  de  conclure 
que  les  Dilcours  qui  leur  font  attribués  par 
I*fsHiftoricns  ne  doivent  point  pafler  pour  u- 
ne  invention  des  Elpa^nols  .,  On  en  a  con- 
,,  nu,  dit-il,  la  vérité  certaine,  qui  doit  y 
,,  raireajoua-riinccatièrefoi".  Liv,6.  Cb.f, 

()■)  Le  n'.cme  Ecrivain  rend  témoignage 
qu'il  a  vu  le  Pater  nojier,  VAve  Maria,  le 
Symbole  f  le  Confit e or ,  écrits  à  leur  manière. 
„  Quiconque  les  verra,  dit- il,  s'en  émcr- 
,,  veillera  ;  car  pour  lignifier  ces  paroles, 
„  Moi  Pécheur  je  me  confejfe ,  ils  peignent 
,,  un  Indien  à  genoux,  aux  pies  d'un  Reli- 
,,  gieux,  &  lui  parlant  à  l'oreille.  Pour  cel- 
,,  Ics-ci,  à  Dieu  Tout-puijjant ,  ils  peignent 
,,  trois  vifagcs,  avec  des' couronnes ,  en  fa- 
:,  çon  de  la  Trinité.  Pour  celles-ci,  ^  à  la 
„  g'-orîeufe  J^ierge  Marie ,  ils  peignent  un 
,,  vilagc  de  Femme  &  un  demi-corps  de  pe- 
.,  t't  Enfant  ;  ef  «  Saint  Pierre  ^  Saint 
.„  Paul,  dos  tctcs  ,  avec  des  couronnes,  u- 
,,  r.c  c!é  t^c  une  épée.  Si  les  images  leur  dé 
,,  failloient,  ils  mcttoient  des  caraétèrei, 
,,  comme,  en  quoi  j'ai  pàhé ,  &c.  D'où  l'on 
„  peut  connoïtre  ia  vivacité  de  leur  enten- 
„  dément,  puifque  cette  façon  d'écrire  ne. 


,,  leur  a  pas  été  enfeignée  par  les  Efpagnols. 
„  J'ai  vu  la  confeflîon  de  tous  fes  pèches , 
,,  qu'un  Indien  apportoit  pour  fe  confclTcr, 
écrite  de  la  même  forte  de  peintures  &  de 
caraftères  ,  en  peignant  chacun  des  dix 
Commandemens  de  Dieu  ,  d'une  certaine 
façon ,  oîi  il  y  avoit  pour  chiffres  certai- 
nés  marques,  qui  étoient  le  nombre  des 
péchés  ,  (ju'il  avoit  faits  contre  chaque 
Commandement.  Ees  plus  habiles  El";  a- 
gnols  ,  qui  voudroient  faire  de  tels  mé- 
moires par  images,  n'y  parvicndroient  pas 
en  un  an ,  non  pas  en  dix  ".  Ibidem. 
(s)  Voyc2  ci-delïïjs  l'arrivée  de  Cortcz  à 
Tczcuco. 

(t)  Gomara  donne  ;.'Our  exemple,  non- 
feulement  qu'ils  prenoient  toutes  fortes  d'a- 
limcns  avec  les  mains,  6c  qu'ils  s'eflTuyoient 
les  doigts  à  d'autres  parties  du  corps,  mais 
que  pour  manger  dfs  œufs  durs,  ils  arra- 
choient  un  poil  de  leurs  c'icvcux,  avec  le- 
quel ils  les  coupoic;',t  en  pièces  après  en  a- 
voir  ùté  l'écaillé.  C'elt  une  pratique,  dit-il, 
qu'ils  confervent  encore  aujourd'hui.  Liv.  2. 
Ch.  85. 


■ver  rha- 
éloignées 

il  faut  ju- 
ion  pour 
,  à  la  vé- 
:  qu'on  a 
s  de  cha- 
line  (j), 
;  l'Empe- 
vcr  leurs 
es  &  des 

de  plan- 
es lîifto- 
n'y  étoit 
ins,  l'in- 
ilc  fuflent 
e  des  tor- 
ilc  paille, 

billot  de 
îtits  facs, 
fort  bas  , 
loit  point 
gcr.     On 

(0-     Ils 
man- 

Efpngnols. 
[es  pèches , 
2  confefTer, 
mires  &  de 
:un  des  dix 
ine  certaine 
iffrcs  certai- 
nonibre  des 
ntre  chaciuc 
ibiles  El*;  a- 
de  tels  nié" 
idroient  pas 
biilem. 
de  Concz  à 

mple ,  lion- 
,  fortes  d'à- 
s'eiTiiyoient 
corps,  mais 
•s,  ils  arra- 
.IX,  avec  le- 
apics  en  a- 
que,  dit- il, 
hui.  Liv.  2. 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL        583 


Dbscriptio» 

DB    LA    Nnu« 

VELLU    EtrA* 

GNE. 


mangeoient  peu  de  chair  ;  mais  quoiqu'ils  cuflent  du  dégoût  pour  celle  de 
Mouton  &  de  Chèvre ,  parce  qu'ils  la  trouvoient  puante,  ils  ne  rejettoient 
aucune  autre  efpèce  d'Animaux  vivans  (v).  Leur  principale  nourriture 
ctoit  le  maïz ,  en  pâte ,  ou  préparé  avec  divers  afPaifonnemens.  Ils  y  joi- 
gnoient  toutes  fortes  d'herbes ,  fans  autre  exception  que  les  plus  dures  & 
celles  qui  font  de  mauvaife  odeur.  Le  plus  délicat  de  leurs  breuvages  étoit 
une  compofition  d'eau  &  de  farine  de  cacao,  à  laquelle  ils  ajoutoieni  du 
miel.  Ils  en  avoient  plufieurs  autres ,  mais  incapables  d'enivrer.  Les  li- 
queurs fortes  étoient  fi  rigoureufement  défendues,  que  pour  en  boire  il  fal- 
loit  obtenir  la  permiflion  des  Seigneurs  ou  des  Juges.  Elle  ne  s'accordoit 
qu'aux  Vieillards  &  aux  Malades;  à  l'exception  néanmoins  des  jours  de 
Fête,  &  de  travail  public,  où  chacun  avoit  fa  mefure,  proportionnée  à 
l'âge.  L'ivrognerie  paflbit  pour  le  plus  odieux  de  tous  les  vices.  La  pei- 
ne de  ceux  qui  tomboient  dans  l'ivrefle  étoit  d'être  rafés  publiquement;  & 
pendant  l'exécution,  la  maifon  du  Coupable  étoit  abbattue,  pour  faire 
connoîcre  qu'un  Homme,  qui  avoit  perdu  le  jugement,  ne  méritoit  plus  de 
vivre  dans  la  fociété  humaine.  S'il  pofledoit  quelque  Office  public,  il  en 
écoit  dépouillé ,  &  l'intcrdidlion  duroit  jufqu'à  fa  mort.  Cette  loi  s'étant 
affoiblie  depuis  la  Conquête,  on  obferve  que  les  Mexiquains  font  aujour- 
d'hui les  plus  grands  Ivrognes  de  l'Amérique. 

Leur  ancienne  fobriété  n'empéchoit  point  qu'ils  ne  fufTent  paflîonnés  Jeux  publics 
pour  la  Danfe  &  pour  diverfes  fortes  de  Jeux.  Herrera  fait  une  curieufe 
defcription  du  jeu  qui  fe  nommoit  TlatchtU,  &  dont  les  Caftilians  aban- 
donnèrent l'udige,  parce  qu'ils  y  trouvèrent  du  danger.  La  fcène  de  cet  LeThtchtIi 
exercice  étoit  une  efpèce  de  Tripot ,  &  l'inflrument ,  une  Pelote ,  compo- 
fce  de  la  gomme  d'un  Arbre,  qui  croît  dans  les  terres  chaudes.  On  en  fait 
diftiller,  par  incïfion  ,  une  liqueur  blanche  &  grafle,  qui  fe  congelé  pref- 
qu'auffi-tôt ,  &  qui  étant  paierie  devient  aulïi  noire  que  la  poix.  Cette 
Pelote ,  quoique  dure  &  pefante ,  voloit  auflli  légèrement  qu'un  Ballon ,  qui 
ja'ell:  rempli  que  de  vent.  On  ne  marquoit  point  de  chafle  ;  comme  au  jeu 
de  Paume.  L'avantage  confiftoit  à  faire  toucher  la  Pelote ,  au  mur  qui  fer- 
voit  de  but ,  &  dont  la  partie  contraire  devoit  empêcher  qu'elle  n'appro- 
chât. Elle  n'étoit  pouflee  qu'avec  les  feffes  ou  les  hanches  ;  &  pour  la  fai- 
re mieux  rebondir,  les  Joueurs  s'appliquoient  fur  les  fefles  une  forte  de  cuir  • 
bien  tendu.  Ils  fe  préfentoient  mutuellement  le  derrière,  pour  la  renvoyer, 
à  meiure  qu'elle  s'élevoit ,  ou  qu'elle  faifoit  des  bonds.  On  faifoit  des  par- 
ties réglées,   pour  lefquelles  on  dépofoit ,  de  part&  d'autre,  de  l'or,  des- 

ta- 


(v)  Pas  1  ;ine  leurs  propres  Poux,  fui- 
vant  le  niêr  Auteur;  ils  les  croyoient  bons 
pour  la  fancé.  D'ailleurs  ils  difoient  qu'il 
étoi":  plus  honnôtc  de  les  manger,  que  de 
les  tuer  entre  les  ongles.  Ibidem.  Cette 
idée  donne  quelque  vraifemblance  à  ce  qu'on 
lit  dans  Herrera,  Dec.  2.  Liv.  8.  Chap.  5. 
Dans  le  Palais,  dit-il,  où  Cortez  fut  logé, 
en  arrivant  à  Mexico,  on  trouva  quantité  de 
fjcs  &  de  befaces  bien  liées,    Ojeda  en  prit 


une  &  l'ouvrit.  Elle  étoit  pleine  de  Poux. 
Les  Efpagnols  apprirent  que  c'étoit  un  tribut 
que  les  Pauvres  payoicnt  à  l'Empereur.  Tel- 
le étoit,  ajoute  THiftorien,  la  fujettion  où' 
Motezuma  tenoit  fon  Peuple.  11  ne  dit  point 
quel  ufage  l'Empereur  faifoit  de  cet  odieux 
préfent.  Peut-être  n'avoit-il  pas  d'autre  def- 
fein  que  de  fair-  régner  la  propreté  dans  fes 
Et.its. 


584 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


il 

fi! 
Mi 


fi 


Description 
DE  LA  Nou- 
velle   KSPA- 


Miifiquc  & 

Dan  les. 


La  Nctûti- 

Utzle. 


tapis,  des  ouvrages  de  plume,  &  les  avantages  étoicnt  marqués  par  des 
raies.  Quelquefois  les  Mexiquains  jouoient  jufqu'à  leurs  perfonnes.  Le 
lieu  étoic  une  falle  balTe,  haute,  longue,  étroite,  mais  plus  large  par  le  haut 
que  par  le  bas,  &  plus  haute  des  deux  côtés  qu'aux  deux  bouts.-  Les  mu- 
railles étoient  fort  unies,  &  blanchies  de  chaux.  On  y  mettoit  des  deux 
côtés,  quelques  grofTes  pierres,  alfez  femblables  à  des  meules  de  moulin, 
&  percées  au  milieu,  mais  dont  le  trou  n'avoit  que  la  grandeur  néceflaire 
pour  recevoir  la  Pelote.  Celui,  qui  l'y  mettoit,  gagnoit  le  jeu,  par  une 
vidloire  extraordinaire,  qui  arrivoit  rarement.  Un  ancien  ufage  le  ren- 
doit  maître  alors  des  robbes  de  tous  les  Speftateurs.  Le  jeu  en  devenoit 
beaucoup  plus  agréable;  parce  que  ceux  qui  étoient  couverts  de  quelque 
vêtement  ie  metcoient  à  fuir,  pour  les  fauver,  &  qu'ils  étoient  ordinaire- 
ment pourfuivis  par  le  Vainqueur.  Le  fouvenir  d'un  fi  grand  événement  fe 
conl'crvoit  jufqu'à  ce  qu'il  fût  effacé  par  un  autre;  &  ce'ui ,  qui  devoit 
cette  difpolition  au  hafard  plus  qu'à  fon  adrefle,  étoit  obligO  de  faire  quel- 
ques offrandes  à  l'Idole  du  Tripot  &  de  la  pierre,  il  y  avoit  toujours  deux 
Statues  de  la  Divinité  du  Jeu,  fur  les  deux  plus  balles  parties  des  murs. 
On  choinilbit,  pour  les  y  placer,  quelque  jour  de  marque;  &  cette  céré- 
monie étoit  accompagnée  de  chants,  qui  en  faifoient  une  efpèce  de  confé- 
cration.  Auffi  chaque  Tripot  étoit -il  refpeélé  comme  un  Temple.  On 
n'en  bâtiflbit  point  làns  y  appeller  des  Prêtres,  qui  le  béniflbient  avec  di- 
verfes  Formules,  &  qui  jettoient  quatre  fois  la  Pelote  dans  le  Jeu.  Le  Maî- 
tre du  terrein,  qui  étoit  toujours  un  Seigneur,  ne  jouoit  jamais  fans  avoir 
commencé  par  des  cérémonies  religieufes  &  des  offrandes.  Motezuma  ai- 
moit  beaucoup  ce  fpeftacle,  &  fe  faifoit  honneur  de  le  donner  fouvent  aux 
Elpagnols,  qui  n'y  prenoient  pas  moins  de  plaifir  qu'aux  plus  agréables  Jeux 
de  leur  Nation  (x). 

La  Mufique  étoit  une  autre  paffîon  des  Mexiquains.  Ils  avoient  divers 
inflrumens  groffiers ,  auxquels  l'exemple  des  Conquérans  leur  fie  bientôt 
joindre  la  Hûte  ,  le  hautbois  &  la  trompette.  Quoique  naturellement  fleg- 
matiques, ils  étoient  .l  fenfijles  à  l'harmonie,  qu'ils  fe  raffcmbloient  fou- 
vent  pour  aller  donner  à  l'Empereur,  qui  n'en  étoit  pas  moins  touché,  le 
plaifir  d'entendre  leurs  chancs  &  de  voir  leurs  danfes  ,  au  milieu  d'une 
grande  cour  qui  étoit  devant  les  falles  du  Palais.  Leur  manière  de  danfer 
reffembloit  peu  à  celle  des  autres  Nations.  Après  avoir  dîné,  ils  commen- 
çoient  une  Ibrte  de  Bal,  qu'ils  nommoient  NitoiiJiizle.  On  étendoit  une 
grande  E/lera,  qui  étoit  une  natte  fort  déliée,  fur  laquelle  on  pofoit  deux 
tambours,  l'un  petit,  qui-  s'apelloit  Teponatzh^  &  qui  étoit  d'une  feule 
pièce  de  bois  fort  bien  travaillé ,  creux ,  fans  peau  ni  parchemin  par  de- 
hors, avec  une  feule  fente  au  principal  bout:  on  le  touchoit  avec  des 
bâtons,  comme  nos  tambours,  quoique  les  extrémités  ne  fuffent  pas  de 
bois,  mais  de  laine  ou  de  quelque  fubftance  moIIafTe.  L'autre  étoic  plus 
grand,  rond,  creux,  &  peint  en  dehors.  Il  avoit,  fur  l'embouchure,  un 
cuir,  bien  courroyé  &  fort  tendu,  qu'on  ferroit  ou  qu'on  lâchoit,  pour 
élever  ou  pour  baiffer  le  ton.     On  le  batcoit  avec  les  mains,  ^  cet  exer- 

•  cice 

(.r)  Ilcrrcra,  Dec.  2.    Liv.  7.    Chap.  9.  - 


!;l 


iî'-. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       585 

eîce  étoic  pénible.  Ces  deux  inftrumens ,  accordés  avec  les  voix ,  produi- 
foient  une  fymphonie  aflez  mélodieufe,  mais  qui  paroiflbit  fort  trille  aux 
Cadillans.  Les  chanfons  des  Mexiquains  contcnoient  la  vie  &  les  aétions 
héroïques  de  leurs  anciens  Rois.  Mais ,  s'échaufFant  par  dégrés,  ils  y  mê- 
loient  des  compofitions  plus  badines  ,  en  couplets  rim^s,  qui  n'étoient  pas 
fans  efprit  &  fans  agrément.  Ceux  qui  danfoient  devant  l'Empereur  étoient 
les  principaux  Seigneurs  du  Royaume,  richement  parés,  avec  des  bouquets 
de  rofes  dans  les  mains,  ou  des  éventails  de  plumes  tiflues  d'or.  Les  uns 
avoient  la  tête  couverte  d'une  tête  d'Aigle,  ou  de  Tigre;  d'autres  por- 
toient  fur  le  bras  droit,  ou  fur  les  épaules,  des  devifes  d'or  ou  d'argent, 
&  de  riches  plumes.  Dans  les  Affemblées  de  la  Ville,  le  nombre  des  Dan- 
feurs  montoit  quelquefois  à  huit  ou  dix  mille,  &  les  Seigneurs  ne  faifoienc 
pas  dilBculté  de  s'y  mêler.  On  commençoit  à  marcher  par  rangs,  de  huit 
ou  plus,  fuivant  la  quantité  des  Aéleurs.  Les  principaux  fe  plaçoient  prés 
des  tambours.  Après  une  marche  aflez  lente ,  qui  duroit  quelque  tems  en 
différentes  formes,  on  s'entremêloit ,  pour  danfer  en  branle,  en  fe  tenant 
par  la  main.  Enfuite  les  uns  danfoient  feuls ,  &  d'autres  deux  à  deux.  La 
danfe  confidoit  dans  quelques  fauts  &  divers  mouvemens  alternatifs  des 
pies  &£les  mains.  Deux  Chefs  de  rang  recommençoient  à  danfer  feuls,  & 
conduifoient  les  autres,  qui  les  fuivoient  en  imitant  tous  leurs  mouvemens 
6:  tous  leurs  pas.  Ils  chantoient ,  &  tous  les  autres  répondoient  en  chœur. 
Lorfqu'ils  étoient  en  grand  nombre ,  les  derniers  faifoient  un  cercle ,  pour 
fe  retrouver  vis-à-vis  des  autres.  La  danfe  duroit  quatre  ou  cinq  heures , 
fans  que  perfonne  parût  fe  lalfer.  Les  mouvemens  néanmoins  étoient 
quelquefois  fort  vifs ,  &  répondoient  par  intervalles  à  la  vivacité  de  l'air. 
Il  étoit  permis  de  quitter  l'Aflemblée  pour  fe  rafraîchir  ;  mais  on  devoit 
fortir  fans  rompre  la  cadence,  &  la  reprendre  en  rentrant.  Quelquefois 
on  voyoit  arriver  des  Mafques  &  des  Bouffons ,  qui  fe  mêloient  dans  la 
danfe,  en  faifant  des  fauts  extraordinaires,  en  difant  des  plaifanteries ,  en 
contrefaifant  d'autres  Nations  par  leurs  geftes  &  leur  langage ,  ou  les  Fous, 
les  Ivrognes  &  les  vieilles  Femmes.  Ce  Bal,  fuivant  la  remarque  d'un 
Hiflorien,  parut  plus  agréable  aux  Efpagnols  que  la  Zambra  même  de  Gre- 
nade (y).  Motezuma  fe  donnoit  fouvent,  en  fecret,  le  plaifir  de  faire 
danfer  devant  lui ,  dans  cette  forme,  les  plus  belles  Femmes  &  les  plus  qua- 
lifiées de  l'Empire  (2). 

Herrera  parle  d'une  danfe  encore  plus  folemneille,  qui  fe  nommoit 
Mitote  (a),  &  qui  fe  faifoit  dans  les  cours  du  Temple;  fi  noble,  dit-il, 
que  les  Empereurs  même  ne  dédaignoient  pas  de  s'y  mêler.  On  y  formoic 
deux  grands  cercles ,  au  milieu  defquels  étoient  placés  les  inflrumens.  Le 
cercle  intérieur  étoit  compofé  des  Seigneurs,  des  Anciens,  &  de  toutes 
les  perfonnes  au-defTus  du  commun.  Le  fécond,  de  la  plus  grave  partie 
du  Peuple,  qui  fe  paroit,  dans  ces  grands  jours,  de  ce  qu'il  avoit  de  plus 
précieux  en  plumes  &  en  bijoux.  Il  n'y  avoit  perfonne,  qui  n'eût  été  for- 
mé 


DESCRlfTIOj* 

DE  LA   Nou- 
velle  Espa- 
gne. 


La  Mircttft. 


(y)  Ibidem. 
(z)  Ibidem. 

XFIII.  Part. 


(a)  II  donne,  dans  un  autre  endroit,  le 
même  nom  à  toutes  les  danlcs  Mexiquaincs. 

£  ece 


1>B    I.A 
VILLE 


S8(5       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

DBtcurTioî»  mé  dès  l'enfance  à  cet  exercice  chéri.  On  voyoit  plufieurs  Mexiquains  fur 
^J"*  des  figures  d'Homme,  d'Animal  ou  de  Colomnes,  (jui  cliantoient  «Se  dan- 
[.  *  foient  clans  cette  poflure ,  avec  tant  dcjullcfle  &  de  grâce,  qu'ils  ne  s'é- 
cartoient  point  de  l'ordre  dans  leurs  mouvemens  ni  dans  leurs  Ions.  D'au- 
tres montoient  fur  des  bâtons,  s'y  tenoient  droits,  ik  faifoient  mille  figu- 
res plaifantes  des  pies  &  des  mains..  J3'autrcs  paflant  leurs  mains  fous  la 
plante  de  leurs  pics  le  courboient  encercle,  fe  ri;muoient  avec  une  agili- 
té furprenante,  s'élançoient  dans  l'air,  &  retombaient,  en  tournant,  com- 
me une  lourde  maile.  Enfin,  d'autres  voltigcoient,  funtoient,  &  fai- 
foient mille  fortes  de  cabrioles ,  avec  de  gros  poids  fur  l'cftomac  &  fur  l'é- 
paule, qui  ne  femblûicnt  rien  diminuer  de  leur  fouplefle  (b).  Souvent 
le  Peuple  s'afTembloit  dans  les  Places  publiques  ,  ou  fur  les  dégrés  des 
Temples,  pour  faire  des  défis  au  blanc,  «Se  d'autres  preuves  d'adrcfle, 
avec  l'arc  &  la  flèche.  On  couroit ,  on  luttoit ,  fous  différentes  con- 
ditions; &  le  Vainqueur  recevoit  un  prix,  aux  dépens  du  Public.  II 
fe  paflbit  peu  de  jours  où  la  Ville  de  Mexico  n'eût  quelque  divertiflTe- 
ment  de  cette  nature.  Motezuma ,  qui  en  avoit  inventé  la  plupart ,  ju- 
geoit  cette  diveriion  néceflfaire  pour  des  efprits  inquiets,  dont  il  foup- 
çonnoit  la  fidélité  (c).  Ces  Fêtes  devinrent  encore  plus  magnifiques  & 
plus  fréquentes  en  faveur  des  Elpagnols.  Cependant ,  quelque  goût  qu'ils 
y  eufi^ent  pris  d'abord ,  elles  difparurent ,  par  dégrés ,  fous  leur  propre 
Gouvernement  (rf). 

Chaque  Province  du  Mexique  ayant  été  réunie  fuccelTivement  au  çorp5 

de  l'Empire,  il  n'efl  pas  furprenant  qu'il  y  reAât  des  différences  confidera- 

•         .-   .         —    .  '      •        '.,-.!■■.  bles 


Siiccelîîons 
dans  les  Fa- 
milles. 


(&)  Le  même,  Dec. 3.  Liv.  2.  Chap.  15. 
(c)  Soiis,  Liv.  3-  Chap.  16. 
Id)  Corrcal,  Voyageur  Efpagnol,  comp- 
te ,  entre  les  caufes  de  la  haine  des  Indiens 
pour  fa  Nation ,  en  Amérique ,  la  fubftitu- 
tion  qu'elle  y  a  faite  d'un  mélange  de  fpefta- 
cles  ridicules,  aux  anciens  exercices  des 
Mexiquains.  „  Les  Indiens,  dit-il,  qu'çn 
„  convertit  à  la  Religion  Chrétienne,  n'en 
„  font  pas  moins  Idolâtres ,  car  ils  adorent 
,,  nos  fiintes  Images  comme  rutant  de  Dieux. 
„  Les  Curés  le  fouft'rent,^&  difent  (jue  cela 
„  vaut  encore  mieux  que*  s'ils  n'étoient  pas 
„  baptifés.  Le  Saint,  ajoutent-ils,  aura  pi- 
„  tié  d'eux  &  les  délivrera  pour  l'amour  de 
,,  fon  Image.  L'envie  de  faire  des  Profely- 
tes  fait  tolérer  aux  Millionnaires  d'autres 
abus  de  la  même  force;  mais  ils  la  paient 
quelquefois  bien  cher.  Les  Sauvages ,  qui 
ne  font  pas  toujours  d'humeur  à  fe  con- 
vertir, maffacrent  fouvent  ces  Miflîonnat- 
res.  Aulli  leurs  Sermons  font -ils  pleins 
de  bouffonneries ,  plates  &  groflîères.  Les 
Fêtes  font  encore  plus  fcandaleufes.  Etant 
à  Carthagcne ,  le  jour  de  la  Proceflîon  du 
Saint  Sacrement ,  j'eus  occafion  de  voir 
u)mment  on  y  profanoit  cette  fainte  céré- 


9> 


„  monie.  Des  gens  mafqués  y  faifoient  tou- 
„  tes  fortes  de  geflcs  bouirons;  quelques- 
„  uns  tulbutoient  devar;t  le  St  Sacrement , & 
„  d'autres  faifoient  le  moulinet.  On  y  por- 
„  toit  des  Chat8  &  des  Cochons  emmaillo- 
„  tés ,  qui  en  miaulant  &  en  grognant  coni- 
„  pofoient, avec  les  voix  humaines,  uncon- 
„  cert  des  plus  impcrtinens.  L'enterrement 
„  de  Jelus-Chrift  &  toutes  les  folemnités  de 
„  la  Semaine  fainte,  font  à- peu.-près  auilî 
,,  édifiantes.  N'oublions  pas  la  MefTe  de 
„  Minuit.  Les  Religieux  y  danfent  au  fon 
,,  des  inftrumens,  comme  les  Séculiers,  fc 
„  cela  avec  les  geftes  &  les  grimaces  ordinai- 
„  res  aux  Mafcaïades  du  Carnaval.  Les  uns 
„  fe  déguifent  en  Diables ,  les  autres  en  An- 
,,  ges.  Ces  Anges  &  ces  Diables  fe  difent 
,,  fouvent  de  grofles  injures ,  &  les  accom- 
„  pagnent  prefque  toujours  de  coups  de 
„  poing;  mais  les  Diables  font  enfin  battus 
„  oc  chaffés,  &c.  Ces  Fêtes  déplaifent  dau- 
„  tant  pluâ  aux  Indiens ,  qu'on  leur  fait  payer 
,,  bien  cher  Its  yfg7ius  Dei  &  les  petites  Ima- 
„  ges  qu'on  ydiuribue,  &  qu'on  les  force 
,.  d'acheter".  Foyages  de  François  Corrtal , 
Giap,  10  &  II. 


i> 


iquains  fur 

^  dan- 

lis  ne  s'é- 

îs.     D'au- 

mille  figu- 

ins  fous  la 

une  agili- 

ant,  com- 

itf  &  fai- 

:  &  fur  l'é- 

Souvent 

dégrés  des 

d'adrcfle , 

entes  con- 

Public.     Il 

diverdfle' 

lûpart,  ju- 

nt  il  foup* 

nifiques  & 

goût  qu'ls 

eur  propre 

nt  au  çorp9 

confîdera- 

bies 

faifoient  ton- 
ns;  quelques- 
Sacrf'rnent,& 
t.  On  y  por- 
")ns  cminaillo- 
jrognant  coin- 
ines ,  un  con- 
L'enterrement 
foleinnitcs  de 
)eu.-pré3  aufîi 
la  MelTe  de 
mfent  au  fon 
Sticuliers,  c'c 
naccs  ordinal- 
val.  Les  uns 
autres  en  An- 
bles  fe  difent 
&  les  accom- 
de  coiips  de 
t  enfin  battus 
5p!aifent  d  au- 
leur  fait  payer 
;s  petites  Ima- 
l'on  les  force 
nçois  Contai , 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL         587 

blés  dans  les  loix  &.  les  ufages.  La  Religion  dcoit  l'unique  point  fur  lequel 
il  paroît  que  la  politique  des  Empereurs,  plutôt  que  le  penchant  des  Peu- 
ples ou  la  perfuafion,  étoit  parvenue  à  faire  régner  l'uniformité.  A  l'é- 
gard des  fuccelîions ,  par  exemple ,  dans  la  Capitale  &  tout  le  Pays  de  Ton 
reffort,  elles  fuivoient  les  dégrés  du  fang.  Le  Fils  aîné  cntroit  dians  toui 
les  droits  de  fon  Père ,  lorfqu'il  étoit  capable  de  les  maintenir.  Autrement 
le  fécond  Fils  prenoit  fa  place";  &  s'il  n'y  avoit  point  d'autre  mâle,  c'é- 
toienr  les  Neveux  qui  fe  voyoient  appelles  à  l'héritage.  Au  d.éfaut  de  Ne- 
veux, on  appelloit  les  Frères  du  Père.  S'il  n'en  reftoit  point,  fur-tout  en» 
tre  les  Seigneurs  qui  jouiQoient  de  quelque  Gouvernement  par  le  droit  de 
leur  n  ai  (Tance,  tous  les  Vaflaux  avoient  recours  à  la  voie  de  1  éleftion,  pour 
faire  tomber  leur  choix  fur  le  plus  digne;  datis  l'opinion  que  l'intérêt  pu- 
blic  devoit  l'emporter  fur  les  droits  d'une  parenté  fort  éloignée.  Dans  le 
Pays  de  Tlafcala,  de  Guacoxingo  &  de  Cholula,  on  fuivoit  la  même  rè- 
gle, avec  cette  différence,  que  celui  qu'on  fubflituoit au  véritable  fang  étoit 
fournis  à  de  rigoureufes  épreuves.^  Il  devoit  s'expofer,  dans  la  Place  pu- 
blique, à  toutes  les  injures  qu'on  jugeoit  à  propos  de  lui  faire  efluyer,  & 
les  fouffrir  fans  aucune  marque  d'impatience.  Enfuite  il  étoit  mené  au 
Temple,  pour  y  paffer  quelque  tems  en  pénitence.  Tous  fes  exercices 
étoient  contraires  à  ceux  de  la  vie  commune.  11  fortoit  du  Temple,  lorf- 
qu'on  y  venoit  pour  les  Sacrifices  ;  il  mangeoit  à  des  heures  qui  n'étoient 
pas  celles  du  Public  ;  il  veilloit  dans  le  tems  deftiné  au  fommeil  ;  il  dor- 
moit  lorfqu'il  falloit  veiller;  &  pendant  qu'il  étoit  endormi,  on  venoit  le 
piquer  avec  des  poinçons,  en  lui  difant;  „  éveil!e-toi,  fonge  qu'il  faut 
„  que  tu  prennes  foin  de  tes  Vaflaux,  &  que  l'Office  dont  tu  t'es  chargé 
„  ne  te  permet  pas  de  dormir".  Après  ces  pénibles  cérémonies ,  on  lui  pré- 
paroit  un  grand  feftin;  mais  pour  le  tems  qu'il  fe  devoit  faire,  on  comp- 
toit  tous  les  jours,  depuis  celui  de  fa  naiffance,  &  l'on  choiliffoit  un  im- 
pair, parce  que  tous  les  nom'ores  pairs  étoient  de  mauvais  augure.  Ses 
Convives  étoient  nommés  par  les  Prêtres.  Si  quelqu'un  d'entr'eux  s'excu- 
foit,  on  n'en  apportoit  pas  moins  fon  fiége.  On  le  mettoit  à  la  place  qu'il 
devoit  tenir ,  avec  les  vivres  qu'il  devoit  fournir  &  fon  préfent.  Le  nou- 
vel Héritier  faifoit  au  fiége  les  mêmes  carefles  &  les  mêmes  remercimens 
qu'il  auroit  dû  faire  au  Convive.  Lorfque  la  table  étoit  fervie,  on  fe  ren- 
doit  au-  Temple  voifin ,  fans  faire  attention  fi  les  mets  pouvoient  fe  refroi- 
dir ;  &  l'Héritier  y  recevoit  l'invefliiture  de  tous  fes  droits.  Le  feftin  com- 
mençoit  enfuite,  &finiflbit  par  des  chants  &  des  danfes.  Les  Seigneurs 
de  Chiapa  dévoient  paffer  par  diverfes  Charges  fubalternes,  avant  que  d'en- 
trer en  poffeffion  du  rang  pour  lequel  ils  étoient  nés  ou  choifis.  Dans  la 
Province  de  Guatimala,  les  Héritiers  de  naiffance  ou  d'éleélion  étoient 
obligés  de  faire  des  prières  &  des  jeûnes.  Les  plus  dévots  dormoient  les 
pies  en  croix,  pour  fe  fatiguer  jufques  dans  le  tems  du  fommeil  (e). 
Si  le  Mort  laiflbit  un  Héritier  trop  jeune ,  on  lui  donnoit  pour  Tuteur 
un  de  fes  plus  proches  Parens  ;  ou  s'il  n'avoit  perfonne  dans  fa  Famil- 
le, qui  méritât  cette  confiance,  on  élifoit  uq  des  plus  fages  Amis  du 

Mort 


DescicpTtoif 

DS    LA    îir)\j. 

VILLE    EiPA* 

OKK. 


((?)  Herwa,  Dec.  3.  Liv,  4,  Chap. 


15- 
Eeee 


l 


j 


DcfCRirTION 

rs   i.A  Nou- 
velle   DSI'A- 
ONI. 

Différence 
d'Ordres  dans 
:;i  NoblcfTe. 


Régicmcra 
des  Thbiiis. 


588        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Mort  pour  y  lupplc'cr;  &  Hc  (lucKiiie  mérite  ou  de  quelque  dirtinftion 
que  fût  rilciiticr,  il  n'ct.-it  pas  aiVranchi  de  cette  tutclc  avant  l'âge  de 
trente  ans  (/). 

Le  Mexique  avoit  une  furte  dev^*cigneurs,qu'Ikrrcra  compare  aux  Corn- 
manJeurs  de  Caftille,  c'efl-à-dire,  qui  recevoient  de  la  faveur  du  Souve- 
rain, ou  pour  récompenfe  de  leurs  lervices,  des  l'crres  dont  ils  n'avoient 
la  propriété  que  pendant  leur  vie.  Il  y  avôit  un  autre  Ordre,  qui  le  nom- 
moit,  en  langage  du  Pays,  les  grandes  Parentés  y  &  qui  ctoit  compofé  des 
Cadets  du  premier  Ordre.  Il  étoit  fubdivile  en  quatre  autres  clallcs,  qui 
répondoient  aux  quatre  premiers  dégrés  de  Parenté,  &  qui  tiroient  leur 
diitinélion  du  plus  ou  moins  d'éloignement  de  leur  origine.  Tous  ceux 
qui  delcendoient  plus  loin  étoicnt  compris  dans  la  quatrième  claflTe.  Ou- 
tre le  droit  de  pouvoir  iucceder  aux  Chefs  de  leur  race  ,  lorfqu'ils  y  é- 
toient  appelles ,  leur  Noblefle  les  exemptoit  de  tributs.  La  plupart  étoient: 
employés  dans  les  Armées;  &  c'étoit  parmi  eux  qu'un  choififlbit  les  Am.- 
balladeurs,  les  OlHciers  des  Tribunaux  de  Juflice,  &  tous  ks  Minières 
publics.  Les  Chefs  de  race  étoient  obligés  de  leur  fournir  le  logement  & 
la  fublillance. 

Tous  les  Caciques  jouiObient  des  droits  de  la  Souveraineté  dans  l'éten- 
due de  leur  Domaine.  Ils  tiroient  un  Tribut  particulier  de  tous  leurs  Vaf- 
faux ,  fans  en  excepter  cette  efpèce  de  Seigneurs  dont  les  biens  ne  fe 
tranfmettoient  pas  par  lucceffion ,  Ck  qui  n'en  jouiiroienc  que  par  la  dona- 
tion de  l'Empereur.  Les  Officiers  mêmes  payoient  le  tribut  de  leurs  Offi. 
ces,  comme  les  Marchands  celui  de  leur  Commerce.  Mais  ils  n'étoienn 
pas  obligés  à  d'autres  fervices,  tels  que  les  ouvrages  publics,  le  labourage 
pour  les  Seigneurs ,  &  divers  anujetifTemens  qui  étoient  Je  partage  du 
Peuple.  Ils  avoient  même  cntr'eux  une  efpèce  de  Syndic ,  choili  dans 
leur  Corps,  pour  traiter  de  leurs  affaires  avec  les  Seigneurs,  &  pour  régler 
annuellement  leurs  compte».  Le  plus  malheureux  Ordre  des  Tributaires 
étoit  celui  des  Laboureurs ,  qui  tenoient  les  Terres  d'autrui.  Ils  fe  nom- 
moient  Mayequcs.  Tous  les  autres  Vaflaux  pouvoient  avoir  des  Terres  en 
propre  ou  en  commun  ;  mais  il  n'étoit  permis  aux  Mayequcs  que  de  les  te- 
nir en  rente.  Ils  ne  pouvoient  quitter  une  Terre  pour  en  prendre  une 
autre,  ni  jamais  abandonner  celles  qu'iU- labouroient,  &  dont  ils  payoient 
la  rente  en  nature  ,  par  d'anciennes  convenions  dont  l'origine  étoit  incon- 
nue. Leurs  Seigneurs  avoient  fur  eux  la  jurifdiftion  civile  &  criminelle. 
Ils  fervoient  à  la  guerre,  parce  que  perfopne  n'en  étoit  exempt;  mais  on 
apportoit  beaucoup  d'attention  à  ne  pas  trop  diminuer  leur  nombre,  &  le 
beîbin  de  Troupes  devoit  être  fort  preflant  pour  faire  oublier  que  les  Maye- 
ques  étoient  néceflaires  à  l'agriculture. 

L'exemption  du  Tribut  n'étoit  accordée  qu'aux  Enfians  qui  étaient  fous  le 
pouvoir  de  leurs  Pères ,  aux  Orphelins ,  aux  Vieillards  décrépits ,  aux  Veu- 
ves &  aux  Blefles.  Il  fe  levoit  avec  beaucoup  d'ordre,  dans  les  Villages 
comme  dans  les  Villes.  Le  plus  commun  étoit  celui  de  maïz,  de  faféoles, 
&  de  coton.  Les  Marchands  &  les  Ouvriers  le  payoient  de  la  matière  or- 
dinaire 

(/)  Ibidem,  '  "  i-  .•■-.•      • 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,   Liv.   II.         sS9 

tliii.iir'e  de  leur  commerce  ou  de  leur  travail.     On  ne  l'impcfcit  point  par 
trie,  mais  chaque  Communauté  avoit  fa  taxe,   qui  le  divifoit  enuc  IV^ 
Membres  ;  &  cuua#ècs  Particuliers  railbicnc  leur  premier  devoir  de  payer  kut 
p<>rtion.  Les  Tributs  de  grains  étoicnt  recueillis  au  tcms  de  lu  récolte.  Ceux 
des  Marchands  ôc  des  Ouvriers  fe  délivroicnt  de  vingt  en  vingt  jours, c'ell:- 
à-dire,  de  mois  en  mois.     Ainli  l'on  portoit  des  l'ributs  pendant  toute  l'an- 
née.   La  même  règle  s'obfcrvant  pour  les  Fruits,  le  l'oilTon,  les  Oifeau.^, 
les  Plumes, &  la  Vaiflelle  de  terre,  les  Maifon»  des  Seigneurs  fe  trouvoicnc 
fournies,  fans  embarras  &  l'ans  interruption.     Dans  les  années  ftériles  & 
dans  les  maladies  contagieufes,  non-feulement  on  ne  levoit  rien;  mais  li 
les  VaiTaux  d'un  Cacique  avoient  belbin  d'être  fccourus,  il  fournitroit,  de 
fes  MagaOns,  des  alimens  aux  plus  pauvres,  &  des  graines  aux  autres  pour 
femer.     Le  fervice  perfonnel  des  Mayeques  confilloit  à  bâtir  pour  leurs 
Seigneurs,  &  fur  tout  à  leur  porter  chaque  jour  de  l'eau  &  du  bois.     Ce 
dernier  oiiicc  étoit  reparti  entre  les  Villages  &  les  Quartiers  ;  de  forte  que 
le  tour  de  chacun  ne  revenoit  pas  fouvent.     S'il  étoK  quertion  d'un  Edifi- 
ce, ils  s'y  employoient  avec  autant  de  fatisfaftion  que  de  zèle.     Hommes, 
Temmes  Ck  Enfans,   ils  mangeoient  à  des  heures  réglées.     On  a  fouvenc 
obfervé  qu'ils  font  peu  laborieux,  lorfqu'on  les  applique  feuls  au  travail, & 
que  fix  Mexiquains,  occupés  féparément,  avancent  beaucoup  moins  qu'un 
Efpagnol.     Comme  ils  mangent  peu ,  leurs  forces  fcmblent  proportionnées 
à  leur  nourriture.     Cependant  lorfqu'on  trouve  le  moyen  de  les  faire  tra- 
vailler enfemble,  &  par  quelmie  intérêt  difl'erent  de  la  crainte,  ils  ne  per- 
dent pas  un  inftant.     Leur  refpeft  étant  prefqu'égal  pour  leurs  Caciques  & 
pour  leurs  Dieux, ils  n'épargnoienc  pas  leurs  peines  dans  la  conftruftion  des 
l'emples  &  des  Palais.     On  les  voyoit  fortir  de  leurs  Villages  au  lever  du 
Soleil.     Après  avoir  laide  palTer  le  froid  du  matin ,  ils  mangeoient  fobre- 
ment  quelques  provilîons  qu'ils  portoient   avec  eux.     Enfuite,   chacun 
mettoit  la  main  à  l'ouvrage ,  fans  attendre  qu'il  fut  prefle  par  l'ordre  ou 
les  menaces  des  Chefs;  &  le  travail  continuoit  jufqu'à  la  première  fraî- 
cheur de  la  nuit.     La  moindre  pluie  leur  faifoit  chercher  à  fe  mettre  à 
couvert;   parce  qu'étant  nus  &  connoiflant  le  dangereux  effet  de  leurs 
pluies,  ils  craignoient  d'y  être  long-tems  expofés.    Mais  ils  r-evenoienc 
gayement,  aulîi-tôt  qu'ils  voyoient  le  tems  s'éclaircir;  «Stle  foir,  retour- 
nant fans  impatience  à  leurs  maifons ,  où  leurs  Femmes  leur  faifoienc  du 
feu  &  leur  apprétoient  à  fouper,  ils  s'y  amufoient  innocemment  au  milieu 
de  leur  Famille  {g).  i     :'  •  . 

La  Province  des  Matalzingas  n'avoit  que  trois  véritables  Seigneurs  ;  l'un, 
qui  tenoit  le  premier  rang  ;  &  les  deux  autres  qui  le  reconnoiifoienc  pour 
leur  Supérieur  commun,  avec  quelque  inégalité  entr'eux-mêmes.  Lorfque 
le  premier  venoit  à  mourir,  le  fécond  prenoit  fa  place,  &  le  troifième  pre- 
noit  celle  du  fécond.  A  la  place  du  troifième ,  on  nommoit  le  V'ûé  du  pre- 
mier, lorfqu'il  en  paroiflToit  digne;  ou  fon  Frère,  s'il  manquoit  quelque 
chofe  au  mérite  du  Fils.  Ainïï  nul  d'entr'eux  ne  fuccedoic  à  fon  Père. 
Lorfque  c'étoit  celui  du  milieu  qui  étoic  enlevé  par  la  mort,  on  lui  donnoit 

pour 
Ci")  Herrera,  ibid.  Chap.  17.  ":    . .      . 

F.  e  e  e  3 


DnfCRIPTIÔM 

DU     l,A    NOU- 

VELLF.     liîl'A" 

OMC. 


590 


DESCRIPTION    DU    M  JE  X  I  Q  U  E, 


•fîBtcnirTioN 
DÉ   i.A   Nou. 

CNC. 


i, 


i 


r 


(! 


Il; 


I: 


pour  SuccefTeur  le  Fils  du  premier.  Il  n'y  avoit  que  le  troifième ,  auquel 
Ton  propre  Fils  ou  Ton  Frère  pouvoic  fucceder;  mais  dans  tou<  les  cas, 
c'ccoic  toujours  le  plus  digne  qui  étoic  appelle  à  fa  fucceûTion.  Ces  trois 
Caciques  avoient  leurs  Terres  réparées  l'une  de  l'autre,  qu'ils  nommoient 
KalpuleSf  .&  les  deux  fubalternes  faifoient  affidûment  leur  cour  au  premier. 
Dans  la  Province  d' (Jtlatan, qui  touchoic  à  celle  de  Guatimala,  les  Efpagnols 
vérifièrent ,  par  des  peintures ,  que  depuis  plus  de  huit  cens  ans  il  y  avoit 
auiïi  trois  principaux  Seigneurs,  dont  la  fucceflion  avoit  toujours  fuivi  le 
même  ordre.  La  diflinélion  de  leur  rang  n'étoit  marquée  que  par  celle  de 
leurs  fiéges.:  le  premier  avoit  au  iien  trois  tapis  de  plumes  pour  doflier  ;  le 
fécond  en  avoit  deux,  &  le  troifième  un  feul  (A). 

Mcchoacan.  Avant  la  Conquête  du  Mechoacan ,  le  principal  Cacique  de  cette  grande 
Province  faifi^it  là  réfidence  dans  une  Ville  confiderable ,  qui  fe  nommoit 
Zinzoaizot  c'efi:-à-dire  Lieu  rempli  étOifcaux.  Quoique  le  Pays  produifit 
abondamment  toutes  fiertés  de  biens ,  la  plus  riche  partie  du  Tribut  con- 
fiiloit  en  plumes ,  dont  on  faifoit  de  précieux  tapis  &  d'autres  ouvrages. 
On  obferve  que  de  tous  les  Peuples  du  Mexique ,  c'étoit  celui  qui  avoit  la 
plus  jufiie  notion  d'une  Divinité  fiiprême,  d'un  Jugement  dernier,  du  Ciel 
&  de  l'Enfer.  Le  Dieu  du  Mechoacan  fe  nommoit  Tucapacha.  Il  étoit  re- 
gardé comme  l'Auteur  de  tout  ce  qui  exide,  &  comme  l'unique  arbitre  de 
ia  vie  &  de  la  mort.  Ses  Adorateurs  l'invoquoient  dans  leurs  affliélions ,  en 
jettant  les  yeux  vers  le  Ciel,  qu'ils  prenoient  pour  la  bafe  de  fon  Trône. 
Leurs  idées  fur  l'origine  des  chofes  fembloient  venir  de  plus  loin  que  les 
fables  du  Paganifme.  Ils  racontoient  que  Dieu  avoit  créé  de  terre  un 
Homme  &  une  Femme;  que  ces  deux  modèles  de  la  race  humaine,  s'étant 
allés  baigner ,  avoient  perdu  leur  forme  dans  Teau;  mais  que  leur  Auteur 
la  leur  avoit  rendue,  avec  un  mélange  de  certains  métaux,  &  que  le 
.Monde  étoit  defcendu  d'eux  ;  que  les  Hommes  étant  tombés  dans  l'oubli 
de  leurs  devoirs  &  de  leur  origine,  ils  avoient  été  punis  par  un  Déluge 
univerfel^  à  l'exception  d'un  Prêtre  Indien ,  noxtmié  Tezpi ^  qui  s'étoit  mis 
avec  fa  Femme  &  fes  Enfans  dans  un  grand  coffre  de  bois ,  où  il  avoic 
ralTemblé  aufii  quantité  d'Animaux  &  d'excellentes  femences;  qu'après  la 
retraite  des  eaux,  il  avoit  lâché  un  Oifeau  nommé  Aura  y  qui  n'étoit  pas 
-revenu,  &  fucceflivement  plufieurs  autres,  qui  ne  s'étoient  pas  fait  re- 
voir ;  mais  que  le  plus  petit ,  &  celui  que  les  Indien^  efi:iment  le  plus  pour 
la  variété  de  fes  couleurs,  avoit  reparu  bien- tôt  avec  une  branche  d'ar- 
bre dans  le  bec.  Les  Prêtres  du  Mechoacan  portoient  des  Tonfiires, 
comme  ceux  de  TEglife  Romaine,  &  faifoient  retentir  dans  leurs  Temples 
]a  menace  des  punitions  d'une  autre  vie,  avec  des  peintures  fi  vives  & 
Si  elFrayantes ,  que ,  fuivant  l'expreflîon  d'Herrera ,  elles  forçoient  leurs 
Auditeurs  d'abandonner  le  vice,  malgré  le  penchant  qui  les  y  attachoit  (i). 
-Cependant  les  Sacrifices  humains  n'étoient  pas  moins  fréqucns  parmi  eux, 
que  dans  la  Capitale  de  l'Empire,  dont  ils  paroiflbieîit  avoir  emprunté  leurs 
principaux  ufages. 

Mifceque.        Dans  la  Province  de  Mïjieque ,  dont  les  Efpagnols  n'ont  confervé  le 

nom 


(6)  Ihid.  Chap.  18. 


(0  Jbid.  tiv.  3.  Chap.  10. 


aat. 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.       591 

nom  qu'aux  Montagnçs  qui  là  féparoient  de  Chiapa,  il  n'y  avoit  aucun  l'>fiscRimojr 
Temple  public;  mais  chaque  Mailbn  avoit  fon  Dieu  Se  fon  Oratoire.  Les  ^l^^^^  g°J[; 
Monaftèr'sîi  y  étoient  en  fort  grand  nombre,-  &  c'etoit  d'eux,  comme  des 
fources  de  la  Religion,  que  chaque  Famille  rccevoic  la  Divinité  qu'elle 
devoir  adorer.  La  Loi  de  l'héritage  écoit  en  faveur  des  Aînés;  mais  elle 
les  obligeoit  d'entrer  dans  un  Monallère  ëç  d'y  porter  l'habit  Religieux 
pendant  rçfpacê  d'un  an.  Les  Aînés  des  Caciques  mêmes  n'étoient  pas 
difpenfés  de  cet  ufage.  Le  jour  qu'ils  choififlbient  pour  l'obferver,  les 
principaux  Habitans  de  leur  Canton  venoient  les  prendre  en  proceflîon  fo' 
lemnelle,  au  bruit  de  tous  les  inftrumens  de  leur  mufique.  En  approchant 
du  Monaftère,  ils  étoient  dépouillés  de  leurs  habits  par  les  Prêtres,  qui  les 
revêtoient  de  haillons ,  oints  de  gomme.  On  leur  donnoit  une  lancette  de 
caillou,  pour  fe  tirer  du  fang.  On  leur  frpttoit  le  vifage,  l'eftomac  & 
les  épaules,  de  feuilles  venimeufes,  qui  étoient  comme  le  fceau  de  leur 
confécration  ;  parce  qu'on  fuppofoit  qu'elles  ne  permetcoient  plus  de  tou- 
cher à  ces  parties  fans  danger.  iJs  entroier»  alors  dans-  le  Monaftère,  où 
ils  étoient  formés  à  l'abflinence,  fournis  à  toutes  fortes  de  travaux,  &  châ- 
tiés rigoureufement  pour  les  moindres  fautes.  A  la  fin  de  l'année,  leurs 
Parens  &  leurs  Amis  venoient  les  reprendre,  avec  la  même  pompe.  Quatre 
jeunes  Filles  les  lavaient  dans  une  eau  parfumée,  pour  leur  ôter  la  noir- 
ceur de  réfine  qu'ils  avoient  contraÊtée  au  fervice  des  Autels,  &  fur-tout 
jufqu'aux  moindres  traces  du  poifon  des  feuilles.  Ceux  qui  attendoient  la 
mort  de  leur  Père ,  pour  commencer  leur  épreuve,  n'y  étoient  pas  moins 
obligés  avant  que  de  recueillir  fa  fucceffion  (k).  Lorfqu'un  Cacique  étoit 
attaqué  d'une  maladie  mortelle,  tous  les  Monaftéres  de  fon  Domaine  fai- 
foient  des  Sacrifices ,  des  Pèlerinages  &  des  Vœux  pour  fa  guérifon.  Les 
Fêtes  étoient  magnifiques  après  fon  rétablitremenjc.  Mais  s'il  mouroit,  on 
continuoit  de  lui  parler,  comme  s'il  eût  été  vivant;  &  dans  l'intervalle  on 
mettoit  devant  lui  un  Efclave  vêtu  de  tous  les  ornemens  des  Caciques ,  qui 
recevoit,  pendant  le  refte  du  jour,  les  honneurs  dûs  à  cette  dignité.  Qua- 
tre Prêtres  enlevoient  le  Cadavre  vers  minuit,  &  alloicnt  l'enterrer  dans 
les  Bois  ou  dans  une  Cave.  A  leur  retour,  l'Efclave  qui  repréfentoit  le 
Mort  étoit  étoufTé.  On  l'enfeveliffoit,  avec  un  mafque  au  vifage  &  le 
manteau  de  la  dignité  dont  il  avoit  porté  les  appareneeî.  Il  étoit  enterré 
dans  cet  état,  avec  ceux  qui  avoient  joué  le  même  rôle  avant  lui,  mais 
dans  une  fépulture  creufe,  fur  laquelle  on  ne  mettoit  aucune  terre.  Tous 
les  ans  on  faifoit  une  Fête  à  l'honneur  du  dernier  Cacique  ;  mais  c'étoit 
fa  naiflance  qu'on  célébroit ,  &  jamais  on  ne  parloit  du  jour  de  fa  mort.  Les 
Peuples  de  la  même  Province  avoient  treize  langages  différens  (  /).  On 
attribue  cette  étrange  variété  à  la  difpofition  du  Pays,  qui  étant  rempli  de 
Montagnes  fort  hautes ,  rendoit  le  commerce  fort  difficile  d'un  Canton  à 
l'autre.  Les  Efpagnols  y  ont  trouvé  des  cavernes  &  des  labyrinthes,  de 
plus  d'une  lieue  de  longueur,  avec  des  grandes  places,  &  des  fontaines 
d'excellente  eau.  Dans  la  partie  des  Montagnes  qui  fe  nomment  aujour- 
d'hui Saint  •  Antoine  y  les  Indiens  n'habitoicnt  que  des  antres,  de  dix  ou 

vipg.ç 
C^)  hiii.  Chap.  3.  (J)  Ibid.  Chap.  i?. 


Ufngc  forf 


fiugulicr. 


592 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


UG    LA    NOU 

VELLK     ESPA 

GNZ. 


Zapotccas. 


DejcnTPTioN  vingt  pies  de  circonférence,  qu'ils  paroiflbient  avoir  creufés ,  par  un  long 

NT^.,.  jjjj^j^-j^  j^j^g  les  plus  durs  Rochers.     On  remarque  deux  Montagnes  d'une 

hauteur  extraordinaire ,  qui  font  fort  éloignées  l'une  de  l'autre  par  le  pié , 

mais  dont  les  fommets  s'approchent  fi  fort,  que  les  Indiens  fautent  d'un 

côt;J  à  l'autre  (  vi  ). 

Les  Habitans  de  la  Province  de  Zapoîccas  étoient  une  Nation  terrible. 
Leur  principal  Cacique  faifoit  fa  demeure  dans  une  grande  Ville ,  qu'ils 
noramoient  Tcozapotlan.  Ils  étoient  en  Guerre  continuelle  avec  les  Mixos  ; 
autres  Barbares ,  dont  les  Montagnes  du  Pays  étoient  peuplées.  Quoique 
nus,  les  uns  &  les  autres,  ils  avoient  inventé  des  armes  fort  meurtrières. 
Jamais  ils  ne  fe  rencontroient  fans  fe  battre.  Les  Vainqueurs  lioient  leurs 
Prifonniers  par  les  parties  viriles ,  avec  la  corde  de  leurs  arcs,  &  les  me- 
noient  ainfi  comme  en  triomphe,  pour  les  employer  aux  fervices  de  l'ef- 
clavage  ou  pour  les  facrifier  dans  leurs  Temples.  Ils  avoient  à-peu-prés 
la  même  Religior  que  lesMexiquains;  mais  leur  ufage  étoit  de  facrifier  des 
Hommes  aux  Dieux ,  des  Femmes  aux  Déefles ,  &  des  Enfans  aux  petites 
Divinités.  Ils  obfervoient  des  jeûnes  de  quarante  &  de  quatre- vingt  jours , 
pendant  lefquels  ils  ne  mangeoient,  dans  l'efpace  de  quarante  ou  de  quatre- 
vingt  heures,  qu'une  hefbe  médecinale,  nommée  Pifate.  Leur  principal 
Cacique,  qui  étoit  celui  de  Coatlan^  fe  difoit  defcendu  en  droite  ligne 
du  Chef  de  ceux  qui  échapèrent  au  Déluge  général.  Ses  Vafiaux,  à  qui 
cette  opinion  le  rendoit  fort  refpeélable,  Juifaifoient  des  Sacrifices,  com- 
me à  leurs  Dieux.  Quelques  Efpagnols,  d'un  nom  connu,  ont  rendu  té- 
moignage qu'ils  avoient  vu  le  dernier  de  ces  Princes ,  &  que  fes  Sujets  ne 
l'avoient  enterré  qu'après  avoir  embaumé  fon  corps.  Depuis  qu'ils  ont 
reçu  le  Chrillianifme ,  une  maladie  contagieufe  ayant  fait  beaucoup  de 
ravage  dans  leur  Nation,  ils  recommençoient  à  facrifier  à  leur  ancien  Ca- 
cique; &  la  plupart  feroient  retombés  dans  les  abominations  de  l'Idolâ- 
trie, s'ils  n'cuflent  été  retenus  par  le  zèle  d'un  Evêque  de  Guaxaca.  On 
aflure  qu'ils  ont,  dans  leur  Canton,  l'ouverture  d'une  Cave  qui  a  deux  cens 
lieues  de  longueur  («). 

Les  Tcpeaques  forme  lent  une  Nation  particulière,  qui  étoit  venue  afi^ez 
récemment  de  Chimoz^oc^  Région  feptentrionale  dont  le  nom  fignifie  les 
fept  Caves.  Ils  étoient  partis ,  fuivant  leurs  propres  Annales ,  fous  la  con- 
duite d'un  Chef,  nommé  Quavifthzac ;  &  n'ayant  point  trouvé  d'Habitans 
dans  le  Canton  qu'ils  occupent  aujourd'hui,  ils  y  bâtirent  la  Ville  de  Te- 
peaca  au  fommet  d'une  Montagne  triangulaire;  ce  que  fon  nom  fignifie. 
Enfuite  s'étant  répandus  dans  les  Plaines  voifines ,  ils  partagèrent  leur  Pro- 
vince entre  les  trois  Fils  de  leur  Chef,  dont  les  Defcendans  règnoient  en- 
core à  l'arrivée  de  Cortez,  &  ne  reconnoifilbient  les  Mexiquains  que  pour 
leurs  Alliés.  Les  Temples  du  Pays  font  dans  une  fituation  li  bien  entendue, 
que  le  Soleil  y  donne  un  Eté  continuel.  Mais  toute  la  Province  éfi:  fans 
Rivières  &  fans  Fontaines ,  à  l'exception  de  quelques  eaux  aigres ,  qui  for- 
tent  entre  des  pierres.    Les  Indiens  n'y  boivent  que  de  l'eau  de  pluie; 

& 


Tepeaques. 


(m)  Ibid.  Chap.  14. 


(n)  Mil.  Ccfl;  pciit-ctrc  une  faute  d'im- 
prcffion  ,  pour  vingt  ou  pour  deux. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II. 


593 


ces,  com- 


&  les  Efpagnols,  qui  s'y  font  établis,  font  venir  à  grands  frais  celle  d'une 
lource  vive  de  la  Montagne  de  Tlafcala ,  par  un  canal  qui  la  conduit  juf- 
qu'au  milieu  de  leur  Place.  Malgré  cette  ftérilité  d'eau ,  le  Pays  desTepea- 
qucs  eft  rempli  d'excellens  pâturages.  Quoique  leur  Nation  eût  adopté  une 
partie  des  ufages  du  Mexique,  on  y  remarque  plus  d'efprit  &  de  politefle 
que  dans  la  plupart  de  leurs  Voifins.  Ils  adoroient,  ious  le  nom  de  Ca- 
matzleque,  une  Idole  de  figure  humaine,  armée  d'un  arc  «Se  d'une  flèche; 
mais  ils  n'en  reconnoilfoïent  pas  moins  un  Dieu  fupréme,  Créateur  de  l'U- 
nivers. Les  Eclairs,  la  Foudre  &  tous  les  Météores  palloient  entr'eux 
pour  des  Efprits  defcendus  du  Ciel,  qui  venoient  obferver  la  conduite  des 
Hommes,  punir  quelquefois  les  crimes,  &  veiller  à  la  confervation  du 
Monde.  L'éducation  des  Enfans  &  le  bon  ordre  de  la  Police  faifoient 
leur  principal  foin.  Ils  étoîsnt  gouvernés,  au  nom  de  leurs  Caciques,  par 
quatre  Juges,  qui  tenoient  leur  fiége  dans  une  grande  Salle,  où  non-feu- 
lement les  caufes  étoient  vuidées  fur  le  champ,  mais  où  les  Sentences  de 
mort  s'exécutoient  à  leurs  yeux.  Les  crimes  capitaux  étoient  l'homicide, 
l'adultère,  le  vol  &  le  menlbnge,  parce  qu'ils  étoient  regardés  comme  les 
plus  nuifibles  à  la  Société  (o). 

Les  Tlafcalans,  dont  on  a  tant  de  fois  vanté  le  courage  &  la  fidélité, 
n'avoient  pris  des  Mexiquains  que  l'horrible  ufage  de  facrifier  leurs  Enne- 
mis &  d'en  manger  la  chair.     Il  parpît  même  qu'ils  ne  s'y  étoient  accoutu- 
més que  par  repréfailles ,  pour  rendre  à  ces  cruels  Ennemis  le  traitement 
qu'ils  ne  ceflbient  pas  d'en  recevoir.     On  a  vu  que  l'amour  de  la  liberté 
avoit  donné  naiflance  à  leur  République,  &  que  la  valeur  &  la  juftice  en 
étoient  comme  le  foutien.     Les  Relations  Efpagnoles  s'étendent  beaucoup 
fur  leur  cara6lère     Ils  vouloient  être  élevés  &  corrigés  par  amour.     Ils 
mangeoient  peu ,  &  leurs  alimens  étoient  légers.     La  plupart  étoient  in- 
duftrieux,  &  capables  d'apprendre  ou  d'imiter  tout  ce  qu'on  leur  montroit. 
Ils  punifltfient  de  mort  le  menfonge,  dans  un  Sujet  de  la  République;  mais 
ils  1'^  pardonnoient  aux  Etrangers ,  comme  s'ils  ne  les  euflent  pas  crus  ca- 
pables de  la  même  perfeftion  qu'un  Tlafcalan.     Auffi  tous  leurs  Traités 
publics  s'exécutoient-ils  de  bonne  foi.     La  franchife  ne  règnoit  pas  moins 
dans  leur  Commerce.     C'étoit  un  fujet  d'opprobre,  entre  leurs  Marchand*, 
que  d'emprunter  de  l'argent  ou  des  marchandifes ,  parce  que  l'emprunt  ex- 
pofe  toujours  à  l'impuiflance  de  rendre.     Ils  cheriflbient  les  Vieillards.   Ils 
cbâtioient  rigoureufement  l'adultère  &  le   larcin.     Les  jeunes  Seigneurs, 
qui  manquoient  de  refpefil  &  de  foumiffion  pour  leurs  Pères,  étoient  étran- 
glés par  un  ordre  fecret  du  Sénat,  comme  des  monftres  naiffans,  qui  pou- 
voient  devenir  pernicieux  à  l'Etat ,  lorfqu'ils  feroient  appelles  à  le  gouver- 
ner.    Ceux  qui  nuifoient  au  Public ,  par  quelque  défordre  qui  ne  méritoit 
pas  la  mort,  étoient  relégués  aux  Frontières,  avec  défenfe  de  rentrer  dans 
l'intérieur  du  Pays  ;  &  c'étoit  le  plus  honteux  de  tous  les  châtimens ,  parce 
qu'il  fuppofoit  dts  vices  dont  on  craignoit  la  contagion.     On  faifoit  mou- 
rir, avec  les  Traîtres ,  tous  leurs  Parensjufqu'au  fepcième  degré;  dans  l'i- 
dée qu'un  crime  fi  noir  ne  pouvoit  venir  à  l'efprit  de  perlbnne,  s'il  n'y  étoit 

porté 
(o)  Ibid.  Dec.  2.  Chap.  21.  ' 

xnii.  Put  t.  Ffff 


Dbîcriptiow 
DE  LA  Nou- 
velle   ESPA- 
RNK. 


Tlafcalans. 
Vertus  &  Vi». 
ces  de  leur 
République-'^ 


594 


DESCRIPTIONDU    MEXIQUE, 


DS    LA    Nou 
VXLLB     ËifA- 


Descriftiow  porté  par  l'inclination  du  fang.  Les  défordres  fenfuels ,  qui  bleflent  la  na- 
tare,  ccoienc  punis  de  mort,  comme  autant  dobltacles  a  la  propagation 
des  Citoyens,  dans  le  nombre  defquels  la  République  faifoit  confifter  tou- 
tes Tes  forces,  Entre  mille  fujets  de  haine,  les  Tlafcalans  reprochoient 
aux  Mexiquains  d'avoir  infefté  leur  Nation  de  ce  déteflable  goût.  L'ivro- 
gnerie étoit  li  rigoureufement  défendue,  qu'il  n'étoit  permis  de  boire  des 
liqueurs  forces  ,  qu'aux  Vieillards,  qui  avoicnt  épuifé  leurs  forces  dans  la 
profellion  des  Armes.  Le  Territoire  de  la  République  ne  produifanc  point 
de  fel,  ni  de  coton,  ni  de  cacao,  ni  d'or  &  d'argent,  il  n'y  avoit  point 
d'excès,  ou  de  luxe  à  craindre,  dans  la  bonne  chère  &  dans  les  habits: 
cependant  les  Loix  y  avoient  pourvu ,  en  défendant  de  porter  des  étoffes 
de  coton,  de  boire  du  cacao,  &  d'employer  de  l'or  &  du  fel,  fi  ces  richef- 
fes  n'avoient  été  gagnées  par  les  Armes.  Les  Tlafcalans  n'étoient  pas  nus. 
Ils  portoient  une  camifole  fort  étroite,  fans  collet  &  fans  manches,  avec 
une  ouverture  pour  y  pafler  la  tête.  Elle  defcendoit  jufqu'aux  genoux; 
&  par-delfus,  ils  avoient  une  forte  de  foutane,  d'un  tiflu  de  fil.  La  Plan- 
te, dont  ils  tiroient  ce  fil,  étoit  fi  commune  dans  le  Pays,  qu'ils  l'em- 
f)loyoient  à  divers  ufages.  C'efl  une  efpèce  de  Chardon ,  qui  jette  des  feuil- 
es  ,  larges  de  deux  palmes ,  très  dures ,  &  des  épines  fort  pointues.  Le 
fil  fe  tire  des  feuilles  :  mais  les  Tlafcalans  employoient  l'étouppe  à  faire  des 
efcarpins  &  de  la  corde;  les  bouts  leur  fervoient  à  couvrir  leurs  Maifons. 
Ils  tiroient  aufli ,  de  cette  Plante,  d'afl^ez  bon  miel,  du  vin  ,  &  du  vinaigre. 
Ils  en  faifoient  du  papier  gris,  qui  fervoit  pour  leurs  caraftères.  Des  re- 
jettons,  ils  compofoient  une  conlerve,  d'un  goût  fdtt  agréable  &  d'un  ufa- 
ge  fort  fain.  Les  pointes  rôties  leur  donnoient  un  baume,  qu'ils  emplo- 
yoient heureufement  pour  les  playes.  Enfin  ces  pointes  tenoient  aufîî  lieu 
de  plumes  d  écriture,  &  les  Efpagnols  mêmes  s'en  fervoient  dans  le  befoin. 
La  Plante  dure  vingt  ans ,  &  ne  commence  à  porter  fon  frui^  (j[^ij^£,,,fe^.fl^v 
après  avoir  été  plantée  (p).  -  ■ — ~ 

Les  Caciques,  ou  les  Seigneurs  Tlafcalans,  étoient  adorés  du  Peuple, 
qui  s'accroupiflbit  prefqu'à  terre  pour  leur  parler,  baiflant  la  tête  &  les 
yeux  ,  fans  ofer  faire  le  moindre  mouvement,  &  fe  retirant  en  arrière  fans 
tourner  les  épaules.  Les  l'ributsfe  payoient  en  fruits  de  la  Terre,  avec  une 
jufte  proportion ,  qui  n'étoit  point  à  charge  aux  plus  pauvres.  La  liberté 
qui  règnoit  àTlafcala,  &  les  avantages  d'un  bon  Gouvernement,  y  atti- 
rant de  toutes  parts  quantité  d'Etrangers  qui  cherchoient  à  fe  garantir  de 
la  Tyrannie  de  leurs  Caciques,  ils  y  étoient  reçus,  à  la  feule  condi- 
tion de  s'y  conformer  aux  Loix.  On  y  comptoit  parmi  la  Noblefi^e  envi- 
ron foixante  Seigneurs,  qui  s'étoient  mis  volontairement  fous  la  proteftion 
de  la  République ,  en  q'uîi'^é  de  Vaflaux.  Elle  avoit  des  Chevaliers ,  qui 
avoient  mérité  ce  titre  par  des  aftions  héroïques  ou  des  confeils  falutaires, 
&  qui  en  avoient  été  revêtus  dans  le  Temple  avec  beaucoup  de  cérémo- 
nies. Les  riches  Marchands  obtenaient  auflfi  des  difiindtions ,  qui  les  élevoient 

par 


(p)  Herrera  prétend  que c*eft  le  Maguey 
de  rifle  Efpagnole ,  dont  le  véritable  nom, 
Hit- il ,  ell  Metl,    On  a  déjà  rciuarqué  que 


fon  Tradufteur  veut  que  ce  foit  l'Arrête 
Bœuf.   Voyez  ci-deflbus ,  l'Article  des  Arbres 
&  des  Plantes. 


ii^jàè^&^»?%I^M. 


C\V  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL        595 

par  degrés  à  la  Nobleffe.     Mais  quelque  pauvre  que  fût  le  Noble ,  il  ne  Descriptio* 
pou  voit  exercer  aucun  office  méchanique.     Les  feuls  dégrés  défendus,  pour  yj^LE  h/pï» 
le  mariage,  étoient  ceux  de  Mère,  de  Sœur,  de  Tante  &  de  Belle-Mèçe.        gni. 
L'héritage  ne  paflbit  point  aux  Enfans ,  mais  aux  Frères  du  Père;  &  plu- 
fieurs  Frères  pouvoient  époufer  fucceffivemtnt  leur  Belle-Sœur.     Non-feu- 
lement les  Loix  permettoient  la  pluralité  des  femmes ,  mais  elles  y  exhor- 
toient  ceux  qui   pouvoient  en  nourrir  plus  d'une.     Xicotencatl  en  avoit 
cinq  cens  (q).     Cependant  il  n'y  en  avoit  que  deux,  qui  portaifcnt  le  ti- 
tre d'Epoufe.     Elles  étoient  refpeftées  de  toutes  les  autres;  &  leur  Mari 
ne  devoit  pas  coucher  avec  une  Concubine,  fans  les  avoir  averties.     Un 
Enfant  étoit  plongé  dans  l'eau  froide  au  moment  de  fa  naiflance,  &  les 
Femmes  s'y  iavoient  aufll  dès  qu'elles  étoient  délivrées.     Rien  n'eft  égal  à 
l'attention  qu'on  apportoit  à  les  faire  vivre  dans  la  modeftie  &  la  propreté. 
Les  Enfans  des  Caciques  avoient  des  Précepteurs,  qui  leur  formoient  égale- 
ment le  corps  &  l'efprit  (r). 

La  profperité  de  la  République  n'étant  due  qu'à  la  valeur  Militaire,  les 
Tlafcalans  rapportoient  tout  à  l'honneur  des  Armes.  Dans  la  Guerre,  ils 
élifoient  un  Capitaine  général.  L'Etendart  de  l'Etat  demeuroit  toujours  à 
l'Arriére  -  Garde.  Après  une  Bataille,  ils  le  fichoient  en  terre,  dans  un 
lieu  expofé  à  la  vue  de  tout  le  monde;  &  ceux,  qui  ne  fe  retiroicnt  pas 
fous  leur  Etendart  particulier,  étoient  punis  rigoureufement.  Comme  ils 
n'afpiroient  point  à  s'étendre  par  des  Conquêtes ,  ils  ne  profitoient  de  la 
Viftoire  que  pour  faire  des  Prifonniers.  Entre  les  flèches  qu'ils  portoient 
dans  leur  carquois ,  ils  en  avoient  deux ,  qui  reprélentoient  les  deux  Fonda- 
teurs de  leur  Ville.  Ils  en  tiroient  d'abord  une;  &  s'ils  tuoient  ou  blef- 
foient  quelque  Ennemi ,  c'étoit  un  heureux  préfage.  L'inutilité  du  premier 
coup  paflbit  pour  un  mauvais  augure;  mais  chacun  fc  faifoit  une  loi  d'hon- 
neur de  reprendre  fa  première  flèche,  &  ce  préjugé  contribuoit  fouvent  à 

'•3HJg»*fîftoire.    Dans  la  chaleur  même  du  combat,  ils  avoient  l'art  de  fe  reti- 
rer &  d'attaquer  fuivant  les  occafions.     Un  Bataillon  fortoit  de  fon  Pofl:e; 

.   il  étoit  foutenu  par  un  autre;  &  fucceffivement  ils  fe  portoient  dans  les 

lieux 


(q)  Herrera  donne  pour  certain ,  un  fait 
ù  extiuordinaire,  qu'on  ne  le  rapporteroit 
pus  fur  l'autorité  d'un  Hiftorien  moins  judi- 
cieux. On  emploiera  jufqu'aux  termes,  du 
ïradudleur.  „  Xicotencatl  s'amouracha  d'une 
„  jeune  Inlle,  fort  belle,  qui  avoit  les  deux 
,  natures  &  qu'il  demanda  pour  Femme.  Il 
,,  la  mit  avec  les  autres,  &  la  tenoit  comme 
,;  l'une  d'elles.  Après  qu'elle  eut  pair<^  qucl- 
,,  que  tons  en  cette  qualité,  elle  s'amoura- 
„  cha  de  quelques-unes  de  cel'.es  avec  lef 
,,  quelles  elle  étoit,  &.  fc  fervit  avec  elles 
„  du  fexe  mafculin,  en  forte  que  pendant 
,,  une  année  que  le  Seigneur  fût  abfent,  elle 
„  en  rendit  grofles  plus  de  vingt  Cela  ayant 
„  été  découvert  caufa  beaucoup  de  trouble  ; 
,,  &  le  Sei;,neiir  voyant  que  lui-même  avoit 
„  commis  ia  faute  ,  d'avoir  r.  irocfuit,  en- 


,,  tre  fes  Femmes,  une  Hermaphrodite,  ne 
,.  les  fit  mourir  mais  feulement  les  répu- 
,,  dia;  qui  n'étoit  pas  pour  elles  un  petit 
,,  châtiment.  Pour  l'Hermaphrodite ,  elle 
„  fut  expofée  en  public ,  &  menée  au  lieu 
„  du  Sacrifice  deftiné  pour  les  Malfaiteurs; 
„  &  là,  après  lui  avoir  reproché  fa  grande 
,,  trahifon ,  elle  fut  dépouillée  &  toute  vive 
,.  eut  le  côté  ouvert  avec  un  caillou  fort 
,.  aigu:  ils  la  firent  fortir,  &  la  lailFèrent  al- 
„  1er  où  fa  bonne  fortune  laconduiroit;maij 
„  comme  elle  voulut  s  enfuir  toute  cnfan* 
„  glantéc  comme  elle  étoit  ,  les  K^fans  la 
,,  pourfuivirent  plus  dun  quart  de  lieue  à 
,,  coups  de  pierres,  jufqu'à  ce  qu'elle  tomba 
,  morte'.  Dec.  a.  Liv.  6,  Chap,  17. 
(r ;  Ibidem.  .   , 

Ffff  2 


DiSCRIPTtON 

DE    LA    NOU' 

V£LLB     ES?A- 

GNJE. 


P 


59(5        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

lieux  où  raflîdance  paroiiroit  néceflaire  ou  plus  prefTante.  S'ils  avoient  le 
moindre  avantage,  ils  pouflbient  les  cris  du  triomphe,  en  invoquant  les 
Dieux  de  la  Patrie,  &  faifant  des  Prifonniers  qu'ils  promettoient  de  facri- 
fier  dans  leurs  Temples.  Ils  employoient  les  embufcades,  les  furprifes  & 
tous  les  (Iratagemes  que  nous  admirons  dans  nos  plus  fameux  Guerriers. 
Leurs  tambours  &  leurs  autres  inflrumens  de  Guerre  étoient  redoutables  par 
le  bruit.  Leurs  premières  Armes  avoient  été  des  flèches;  mais  ils  avoient 
enfuite  inventé  les  frondes  &  les  dards  brûlés  par  le  bout.  Ils  y  avoient 
joint  des  zagaies,  de  cinq  ou  fix  pies  de  long,  qu'ils  tiroient  avec  une  cou- 
roie  en  forme  d'arc,  &  dont  la  pointe  étoit  d'os  de  poiflbn,  de  cuivre  ou 
de  caillou.  On  leur  atcribuoit  1  invention  des  Macanas  ou  mafTaes  de  bois, 
&  des  épées  garnies  de  cailloux  aigus  ou  tranchans.  ils  prirent  auffi  des 
boucliers;  &  par  degrés  ils  employèrent  desfoiTés,  des  caves  &  des  tran- 
chées pour  leur  defenfe  Ils  favoient  diflinguer  les  fituations  fortes; 
ils  mettoient  autour  d'eux  des  pointes  aigiies ,  qu'ils  couvroient  de  ter- 
re ,  pour  tromper  ceux  qui  les  attaquoient.  Ils  empoifonnoient  les  Ri- 
vières &  les  Fontaines.  Mais ,  ce  qui  paroît  étrange  ,  un  Peuple  qui 
ne  pouvoit  foutFrir  la  nudité  dans  Tes  murs,  combattoit  nu,  &  le  corps 
peint  des  plus  bifarres  couleurs.  La  feule  Noblefle  portoit  une  cuirafTe  de 
coton  piqué,  relevée  par  des  figures  d'Animaux  farouches,  avec  une  forte 
de  cafque,  où  les  plumes  &  les  plus  précieux  joyaux  formoient  un  brillant 
fpeftacle. 

Les  Tlafcalans  avoient  des  Jardins,  des  Fontaines,  des  Bains,  des  Co- 
médiens, des  Nains,  &  des  BolTus.     Ils  aimoient  la  Mufique,  les  Danfes 
&  les  Chanfons.     Le  jeu  du  Tlatchtli,  ou  de  la  Pelote,  étoit  un  exercice 
commun  dans  la  Nation;  mais  il  étoit  réfervé  à  laNobleffe,  &  le  Peuple 
n'en  avoit  que  le  fpedbacle.     Quoiqu'il  y  eût  des  Temples  dans  les  Villes 
de  la  République ,  les  plus  célèbres  étoient  dans  les  Bois  &  les  hautes  Mon- 
tagnes.    La  Religion  des  Tlafcalans  étoit  moins  fenfée  que  leur  Politique. 
Avec  une  prodigieufe  variété  de  Dieux,  ils  avoient  quantité  de  Déciles, 
dont  la  principale  étoit  celle  de  l'Amour,  à  laquelle  ils  attribuoient  aufli 
l'empire  des  Vents.     Ils  la  croyoient  fervi'^  par  d'autres  Femmes,  qu'ils 
aflbcioient  à  fon  Culte,  par  des  Bouffons  &  des  Nains,  qui  s'employoient 
à  fon  amufement   dans  une  délicieufe  demeure ,   &  qui  lui  fervoient  de 
Meflagers  pour  avertir  les  Dieux  dont  elle  defiroit  la  compagnie.    Son 
Temple  étoit  fomptueux ,  &  fa  Fête  y  étoit  célébrée  tous  les  ans ,  avec 
une  pompe  qui  attiroit  toute  la  Nation.     Les  Vices  avoient  leurs  Divinités 
comme  les  Vertus  ;  le  Courage  &  la  Poltronerie,  l'Avarice  &  la  Libéralité 
étoient  honorés  fous  de  bifarres  figures.     On  gravoit  leurs  noms  fur  les 
Rochers  ;   &  ces   Monumens  d'une  aveugle  Idolâtrie  fubfiftent   encore. 
Le  Dieu  des  Eaux  &  du  Tonnerre  portoit  le  nom  de  Huloc.     Dans  un 
Pays  chaud  ,  où  de  longues  fécherefles  faifoient  le  malheur  public,  c'étoit 
à  cette  Idole  qu'on  rendoit  les  principaleis  adorations.     La  pluie  tenoit  lieu 
d'or  aux  TIa'calans;  parce  qu'en  rendant  leurs  terres  fécondes,  elle  leur 
procuroit  les  feules  richeffes  à  l'amas  defquelles  ils  croyoient   l'or  utile. 
Pour  le  fond  des  principes ,  toutes  les  extravagances  de  leur  Polytheifme 
fie  les  empechoient  pas  de  reconnuître  un  Dieu  fupérieur,  {nais  fans  le 

dé- 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE.  Liv.  H.        597 


DP5CRIPTI0M 

L)E  LA  Nou- 
velle   EsrA 

0N£, 


dëfîgncr  par  aucun  nom.  Ils  admettoient  des  récompenfcs  &  des  peines, 
dans  une  autre  vie  ;  des  Efprits,  qui  parcouroienc  l'air;  neuf  Cicux  ,  pour 
leur  demeure  &  pour  celle  des  Hommes  vertueux  après  leur  mort.  Ils 
croyoient  la  Terre  plate;  &  n'ayant  aucune  idée  de  la  révolution  des  Corps 
célefles,  ils  étoient  perfuadés  que  le  S"oleil  &  la  Lune  dormoient  tous  les 
jours,  à  la  fin  de  leur  courfe.  C'étoit  pour  eux,  le  Roi  &  la  Reine  des 
Etoiles.  Ils  regardoient  le  feu  comme  le  Dieu  de  la  Vieilleffe,  parce  qu'il 
n'y  a  point  de  corps  qu'il  ne  confume.  Le  Monde  étoit  éternel ,  dans  leurs 
idées;  mais  ils  croyoient,  fur  d'anciennes  traditions,  qu'il  avoit  changé 
deux  fois  de  forme;  l'une,  par  un  déluge,  &  l'autre  par  la  force  du  vent& 
des  tempêtes.  Quelques  Hommes ,  qui  s'étoient  mis  à  couvert  dans  les  Mon- 
tagnes, y  avoient  été  couvertis  en  ùinges;  mais  par  dégrés,  ils  avoient  re- 
pris la  figure  humaine,  la  parole  &  la  raifon.  La  Terre  devoit  finir  par  le 
feu,  &  demeurer  réduite  en  cendres,  jufqu'à  de  nouvelles  révolutions  qu'ils 
faifoient  profelfion  d'ignorer  (s). 

Dans  le  Pays  des  Yziatlans,  on  élifoit  un  fouverain  Pontife ,  qui  ne  for-      Yzcadans. 
toit  jamais  du  principal  Temple,  &  qui  ne  devoit  approcher  d'aucune  Fem- 
me.   S'il  violoit  l'une  ou  l'autre  de  ces  deux  loix ,  il  étoit  mis  en  pièces  ;& 
fes  membres  fanglans  étoient  préfcntés  tous  les  jours  à  fon  Succefleur,  pour 
lui  fervir  d'exemple.     Un  Yzcatlan,  qui  penfoit  au  mariage,  étoit  obligé 
de  s'adrcfler  aux  Prêtres.     Ils  choififloient  un  jour  de  Fête,  pour  le  faire 
monter  au  fommet  du  Temple;  ils  lui  coupoienc  quelques  cheveux,  en  di- 
fant  à  haute  voix,  cet  Homme  veut  fe  maner ;  enfuite,  ils  le  faifoient  def- 
cendre ,  &  la  première  Femme  qu'il  rencontroit  dans  fon  chemin  étoit  à 
lui.    Mais  cette  loi  n'étant  ignorée  de  perfonne,  &  l'heure  de  l'exécution 
n'étant  pas  moins  connue,  les  Femmes,  qui  n'avoient  pas  dé  goût  pour 
l'Homme  qui  devoit  fe  préfenter,  évitoient  foigneufement  de  paroître.  Oi\ 
ne  voyoit ,  devant  le  Temple ,  que  celle  qui  étoit  convenue  de  s'y  trouver. 
Ainfi  la  plupart  de  ces  Mariages  n'avoient  de  fmgulier  que  la  forme.     Dans 
le  Canton  des  Guaxhiitlans^  les  Mariages  fe  faifoient  comme  à  Mexico,     Guaxlot». 
en  nouant  la  robbe  du  Mari  avec  le  voile  de  la  Femme  :  mais  fur  l'accufa-  t'ans. 
tion  d'adultère,  une  Femme  étoit  forcée  de  paroître  devant  le  Cacique;  & 
fi  les  preuves  étoient  convainquantes,  elle  étoit  tuée  fur  le  champ,  pour 
être  coupée  en  pièces  &  mangée  par  les  Témoins.    Chez  les  Tzipeques ,  l'in-     Yzipequcv 
fidélité  d'une  Femme  étoit  punie  par  les  mains  de  fon  Mari ,  qui  devoit  lui 
couper  publiquement  le  nez  &  les  oreilles.     Celui ,  qui  fe  plaignoic  d'un  vol, 
étoit  obligé  d'en  nommer  l'auteur;  &  s'il  prouvoit  la  vérité  de  l'accufation , 
il  étoit  chargé  de  l'office  de  Bourreau,  pour  l'exécution  du  châtiment;  mais 
s'il  manquoit  de  preuves,  il  étoit  puni  lui-même  par  le  rainiftère  de  l'Accu- 
fé.    Tous  les  Hiftoriens  obfervent  que  l'adultère  &  le  vol  étoient  d'autant 
plus  odieux  aux  Mexiquains ,  que  leurs  maifons  étant  fans  portes  &  fans 
fenêtres,  il  n'y  avoit  pas  d'autre  frein  pour  ces  deux  crimes  que  l'honnê- 
teté naturelle  &  la  rigueur  des  loix.     Dans  la  Province  de  Teuthlan  on  avoit    Temitlaos. 
l'horrible  ufage  d'écorcher  toutes  les  Viflimes  humaines ,  &  de  fe  revêtir 
de  leur  peau.    Dans   celles  d'Uzila  &  à' Atlantîaca  ^  lorfqu'on  manquoit 

d'Efcla- 

(f)  Uerrtra,  Dec.  2.  Chap.  16.  &  fuivans.  .  v 


5v8 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


DE    LA     NcU- 

VKLLF     Ks^PA- 

Gtit. 

Mazaicqucs. 


Tuatequcs. 


h 


i 


DcfCRirrioN  dEfclaves  pour  les  Sacrifices,  le  Cacique  avoit  droit  de  choifir  des  Viftimes 
entre  fes  Sujets.  Les  Exécuteurs  de  Tes  ordres  alloicnt  les  enlever  avec 
beaucoup  d'appareil;  &  ceux,  qui  refufoient  de  fe  laifler  conduire  à  l'Au- 
tel ,  étoient  tués  fur  le  champ.  Les  Mazateques  avoient  une  Fête  annuelle, 
qui  coûtoit  beaucoup  de  fang  à  leur' propre  Nation.  Quelques  jours  aupa- 
ravant ,  les  Prêtres  faifoient  entendre  leurs  inflrumtns ,  au  fommet  du  1  em- 
ple,  pour  avertir  tout  le  monde  de  fe  retirer  dans  les  maifons.  Aufli  tôt 
ils  fe  rcpandoient  dans  les  campagnes ,  avec  la  cruelle  adreiïe  de  laifler  le 
moins  cfc  tems  qu'ils  pouvoient  aux  Malheureux, qui  cherchoient  à  fuir;  & 
depuis  le  matin  juf^u'à  midi,  tous  ceux  qui  tomboient  entre  leurs  mains 
étoient  marqués  à  la  têcc  pour  fervir  de  Viélimes  au  Sacrifice.  Les  Tua- 
tcques  n'avoient,  pendant'toute  Tannée,  qu'un  Sacrifice  fanglant.  Ils  fai- 
foient mourir  un  Enfant,  dans  l'âge  de  l'innocence,  une  Poule  &  quelques 
autres  Animaux  ;  &  fe  contentant  d'arrofer  les  Idoles  de  leur  fang,  ils  a* 
bandonnoient  les  corps  aux  Oifeaux  de  proie:  mais  ils  tuoient,  hors  du 
Temple,  un  certain  nombre  d'Ëfclaves,  pour  achever  la  folemnité  par  un 
feftin  de  leur  chair. 

Enfin  les  Otomies  ^  que  leur  haine  pour  les  Mexiquains,  le  féjour  de 
leurs  Montagnes  &  leur  ancienne  (implicite ,  fembloient  devoir  préferver 
du  barbare  ufage  d'immoler  des  Victimes  humaines ,  font  ceux  qui  l'ont 
confervé  les  derniers ,  après  l'avoir  reçu  de  leurs  Ennemis.  Ils  ne  facri* 
fioient,  à  la  vérité,  que  les  Captifs  qu'ils  faifoient  dans  leurs  Guerres;  mais 
ils  les  hachoient  en  pièces ,  qui  fe  vendoient  toutes  cuites  dans  les  Bouche- 
ries publiques.  Quelques  Mifllonnaires  Efpagnols  ,  qui  s'étoient  hafardés 
à  vivre  parmi  eux  pour  les  inftruire,  commençoient  à  s'applaudir  du  fuc- 
cès  de  leur  zèle,  lorfque  dans  une  maladie  contagieufe,qui  faifoit  beaucoup 
de  ravage,  ils  furent  furpris  de  voir  toute  la  Nation  raflemblée  fur  une  hau- 
te Montagne.  C'étoit  pour  y  facrifier  une  jeune  Fille,  à  leurs  anciennes 
Divinités.  Les  Mifllonnaires  s'efforcèrent  en  vain  de  les  arrêter.  On  leir 
répondit  qu'en  embrafl'ant  un  nouveau  Culte,  l'ancien  ne  devoit  pas  être 
o^iblié;  &  la  jeune  Fille  eut  le  fein  ouvert  à  leurs  yeux.  Après  le  Sacrifi- 
ce, tous  les  Otomies  revinrent  tranquillement  à  rinfl:ru6lion  («)•     La  plus 


Otonitj. 


(  t)  Ce  trait  doit  faire  juger  de  la  plupart 
des  autri-s  converlinns.  Citons  un  Auteur 
original ,  dans  les  vieux  termes  de  fon  Tra- 
dufteur.  Certainement,  fi  je  n'étois  Efpa- 
gnol,  je  louerois  grandement  ces  premiers 
Conquérans,  non  point  tant  que  leurs  bra- 
ves (.  onquêtcs  le  niéritent ,  mais  autant  que 
mon  petit  efprit  &  ma  langue  béante  y  pour- 
roient  fournir  Oa  ne  fauroit  aflèz  louer  ni 
magnifier  ceux  qui  font  caufe  que  fix  millions 
d'Habitans  de  cette  Nouvelle  Efpagne  ayent 
reçu  le  Sacrement  de  baptôme  Aucuns  en 
comprcnntnt  huit  millions;  autres  dix.  Mais 
on  diroit  mieux  qu'en  quinze  cens  miles  de 
Pays,  il  n'ell  dumcurt'  créature  liumaiiie  qui 
n'ait  été  baptifée.  Cette  converfion  com 
mer. ça  avec  la  ConquC'te  du  Pays:  mais  le 


commencement  étoit  petit ,  parce  que  nos 
gi  ns  s  octupoient  plus  à  la  guerre  &  au  bu- 
tin ;  &  avoient  avec  eux  bien  peu  de  Pr6« 
très.  L'an  1524,  on  en  vit  les  fruits  plus 
grands  par  la  venue  de  Frère  Martin  de  Va- 
lence &  de  fes  Compagnons  ;  &  trois  ans  a- 
près ,  elle  fut  plus  avancée  par  1  ordre  qu'y 
mit  à  fa  ^enue  Frère  Julien  Garzez ,  Jacobin, 
élu  Evêque  de  TIafcala,  comme  aulu  fcitau 
même  an  Frère  Jean  Zurnarranga,  Cordelicr, 
élu  Evoque  de  Mexico.  Ces  Prêcheurs  eu- 
rent au  commencement  bien  de  la  ;  eine, 
pour  ii'étre  entendus  par  ceux  du  Pays  & 
pour  ne  pouvoir  entendre  leur  langage,  l'our 
à  quoi  remédier,  ils  tiroicnt  par  dtvejs  ux 
la  plus  grande  part  des  jeunes  Enfans  .les 
Gentils-hommes ,   lefqucis  demouroicnt  en 

chaque 


i 


11 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        S99 

flngulière  de  leurs  coutumes  étoit  celle  qui  regardoic  les  Mariages.  Ils 
vivoient  librement  avec  toutes  les  Femmes,  jufqu'aii  jour  qu'ils  choifif- 
foient  pour  fc  marier.  Mais  lorfqu'ils  écoient  détermines  à  l'engagement 
conjugal,  ils  paifoient  une  nuit  avec  la  Femme  dont  ils  vouloient  taire  leur 
Epoule;  &  s'ils  lui  trouvaient  quelque  défaut,  ils  étoient  libres  de  la  ren- 
voyer. Au  contraire,  s'ils  déclaroient  le  lendemain  qu'ils  en  fullent  con- 
tens,  il  ne  leur  étoit  plus  permis  d'en  prendre  une  autre.  Alors,  ils  com- 
mençoient  à  faire  pénitence  de  tous  les  péchés  de  leur  vie,  fur-tout  des 
libertés  qu'ils  avoient  prifes  avec  d'autres  Femmes.  Elle  conliitoit  à  fe 
priver,  pendant  vingt  ou  trente  jours,  de  tous  les  plailirs  des  fens,  à  fe 
purifier  par  des  bains,  &  à  fe  tirer  du  fang  des  oreilles  &  des  bras.  La 
Femme  cxerçoit  aulTi  toutes  ces  rigueurs  fur  elle-même.  Enfuite  ils  fe 
rejoignoient ,  pour  vivre  enfemble  jufqu'à  la  mort.  Il  paroît  néanmoins 
que  cette  loi  ne  regardoit  que  le  Peuple;  car  les  Chefs  de  la  Nation  avoient 
plufieurs  Femmes  (u). 

Un  Hiftorien  obferve  que  les  Miflionnaires  ont  tenté  de  réduire  les  prin- 
cipes du  Chriftianifme  en  langue  Otomie,  fans  y  avoir  jamais  pu  réulîîr. 
Elle  eft  non- feulement  fort  groflière,  mais  compofée  de  li  peu  de  mots, 
que  celle  des  Chinois  n'en  approche  point  pour  la  brièveté.  Une  pronon- 
ciation plus  haute  ou  plus  bafle,  plus  vive  ou  plus  lente,  efl  l'unique 
méthode  de  ceux  qui  la  parlent ,  pour  exprimer  la  différence  de  leurs 
idées  {x).  On  ne  trouve  d'ailleurs  aucune  explication  lur  les  langues  de 
tant  de  Peuples.  Dans  la  feule  Province  des  Miftequcs ,  on  en  comptoit 
treize  différentes  Çy),  Ceux,  qui  nous  apprennent  que  le  Chontal,  le 
Zoque  &  le  Mexiquain  étoient  les  plus  communes  ,  n'ajoutent  prefque 
rien  qui  puifle  en  éclaircir  la  nature  «Se  les  principes.  Herrera  dit  uni- 
quement que  le  Mexiquain  efl  devenu,  par  dégrés,  la  Langue  prefque  gé- 
nérale, non  -  feulement  parce  qu'elle  eft  la  plus  douce  &  la  plus  polie, 

mais 


DaiicRifTioj» 

DU    t.iV    Nou- 
VBLI.Iî     litPA* 


chaque  Ville,  pour  leur  apprendre  la  langue 
Efpagnole;  &  auflî  s'efForçoient,  en  la  plus 
grande  diligence  qu'ils  pouvoient .  d'appren- 
dre leur  langue.  Ce  ne  fut  pas  aufli  une  pe- 
tite difficulté  pour  leur  ôter  leurs  Idoles,  par- 
ce que  plufieurs  opiniâtres  ne  les  vouioient 
point  quitter,  les  ayant  par  fi  longs  fiécles 
retenues  pour  leurs  Dieux;  difant  qu'il  de- 
voit  fuffire  qu  avec  eux  ils  milFent  la  Croix 
&  Marie  (ainfi  appelloient-iis  Dieu  &  tous 
les  Saints)  &  qu'il  leur  pouvoit  être  permis 
d'avoir  &  retenir  leurs  Idoles,  comme  aux 
Chrétiens  d'avoir  plufieurs  Images  Sur  cet- 
te opiniâtreté,  ils  caclioient  en  terre  ces  Ido- 
les; \  par-deflus  ils  plantoient  uiîe  Croix, 
aiîn  que  fi  on  les  trouvoit  prians  &  faifan« 
leurs  oraifons  à  Icuis  idoles,  on  penfat  qu'ifs 
adorafiTent  la  Croix.  IMais  étant  recherchés 
fur  telles  rufes,  &.  ayant  perdu  leurs  Tem 
pies,  lefquels  on  mit  par  terre  &  auflî  leurs 
Idoles,  &  les  accoutumant  &  contraignant 
d'aSkr  à  nos  Ëglifes ,  iuiûl'rent  enfin   cette 


damnable  idolâtrie.  Sur  la  peine  qu'ils  a« 
voient  de  quitter  ce  grand  nombre  &  plura- 
lité des  Femmes,  alléguant  qu'ils  avoient 
trop  peu  d'enfans  d'une  Femme  feule  ,  qu'ils 
étoient  bien  fervis  &  aimés  de  celles  qu'ils 
avoient  déjà,  qu'ils  ne  vouloient  fe  lier  pour 
toujours  avec  une  feule,  laquelle  feroit  lai- 
de ou  Itérile,  que  nos  gens  leur  comman- 
doient  ce  qu'eux-mêmes  m  faifoient  pas, 
s'accoftant  d'autant  de  Femmes  que  bon 
leur  fembloit ,  &c  le  Pape  Paul ,  tiers  du 
nom,  confideranC  leurs  coutumes  en  matière 
de  fuccefliim,  pour  bonnes  &  juftes  raifons, 
permit  à  tous  les  Habitans  de  ce  P;iys ,  de  fe 
marier  enfemble  jufqu'au  tiers  degré  de  con- 
fanguinité. .  .  Mexico  fut  vingt  ans  Evê- 
chéj  &  1  an  mille  fix  cens  quarante- fept,  le 
Pape  Paul  tiers  1  érigea  en  Archevtcné.  Go- 
mara,  Liv.  2    Chap.  95. 

(  V  )  Herrera ,  Dec,  3.  Liv.  4.  Chap.  ^ 

(x)  Ibid. 

(y)  Ibid.  Liv.  3.  Cliap.  14. 


DifTérentc» 

L;;:i,:^UL<;  Ju 
Mexiiiue. 


« 


6oo 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


DaicaiPTroN 

DE    I.A     NOU- 

V£LLI{      Ei^rA- 

ONE. 


i 


i 


I 


mais  parce  que  les  Miflîonnaires  l'ayant  employée  dans  leurs  Cantiques 
fpirituels  (z),  le  goût  des  Indiens  pour  le  chant  contribue  de  jour  en  jour 
à  la  rt'pandre.  Laet  en  donne  une  autre  raifon ,  qui  paroît  plus  vrailèm- 
blable  ;  c'eft  la  force  des  Armes ,  &  l'autorité  abfoiue  des  Empereurs  Mcxi- 
quains ,  qui  firent  adopter  leur  langue  dans  toute  l'étendue  de  leurs  Con< 
quêtes.  Ils  entrctenoient ,  dit-il,  dans  chaque  Province  de  l'Empire,  des 
Interprètes  &  des  Maîtres  ,  qui  fe  nommoient  Naguatlatl.  On  trouve, 
dans  le  même  Hillorien,  quelques  mots  de  cette  langue,  qu'il  prétend 
avoir  tirés  d'une  efpèce  de  Dictionnaire  publié  à  Mexico  (û);  &  l'on  a 
vu  (A),  dans  les  l'igures  tirées  de  leur  Hiftoire,  comment  ils  exprimoient 
les  nombres  avec  le  pinceau. 

•     '     "      A 


(a)  Ibid.  Liv.  7.  Chap.  3, 
(flj  Nous  ne  les  dérobbeions  point  à  ceux 
qui  croient  trouver ,  ou  qui  cherchent ,  des 


Partiei  du  Corps. 

Tête, 

Tzontecontli. 

Cheveux , 

TiiontH. 

Front, 

Ixcuaitl. 

Yeux , 

Ixtelolotli. 

Oreilles, 

Nacaztli 

Mâchoires , 

Camachalli. 

Bouche, 

Camanii. 

Dents , 

Tlantli. 

Langue, 

Nenepilli, 

Cou, 

Cocotl 

Poitrine, 

Telcbiquiubtli. 

Epaules, 

Ahcolli. 

Bras, 

Matzotzopatli. 

Mains , 

Maytl. 

Nerfs. 

Tlalbuyaotl. 

Doigts , 

Mabpaii. 

Veines , 

Tetzalbuyotl. 

Ongles , 

Iztitl. 

Ventre , 

Xillantli. 

Dos, 

Cuitlapantli. 

Foie, 

Teltepacbtlu 

Cœur, 

Tollocbtli. 

Poumons , 

Cbicbitl. 

Ratte, 

Taxixtecon. 

Reins , 

NetloSetenca. 

Genoux, 

Tlanguaitl. 

Cuiffes, 

Metzquaubirtl. 

Pies, 

Jcxitl. 

Jambes , 
Talons , 

CotztU 

Xoquocbtlantli. 

."     ' 

Couleurs. 

Blanc, 

Iztal. 

Noir, 

Tliltic. 

Verd, 

Quiltîc. 

Texutic. 

Bleu. 

Rouge, 

.            Cbkiltit. 

rapports  entre  la  plupart  des  Langues. 

(  i>  )  Au  bas  de  la  Figure  des  Froduclions 
naturelles,  &c. 


Jaune , 


Tigré. 


Coztic. 
Nextic. 


minimaux  tS  chofes  naturelles. 


Cerf, 

Lapin , 

Porc, 

Lion, 

Loup , 

Renard, 

Chat, 

Chien , 

Cheval , 

Taureau, 

Léfard , 

Puce, 

Vautour, 

Aigle, 

Corbeau , 

Perroquet, 

Pie, 

Caille, 

Oie, 

Canard, 

Pigeon , 

Paon, 

Scorpion , 

Poux, 

Or, 

Argent, 

Plomb, 

Fer, 

Ciel, 

Soleil, 

Lune, 

Etoile, 

Nuée, 

Tonnerre, 

Foudre , 


■) 


'  i  V. 


Mazatl. 
Tocbtli. 
Pitzotl. 
Ocelotl 
Ouetlacbtli. 
Coyotl. 
miztli. 
Cbichi.      , 
Cabuyao.  ' 
Quaquabue. 
yicuetzpalin, 
Tecpin. 
Cacalin. 
Cuaubtli. 
Acatlotli. 
Tuznene. 
Hueytzanatl. 
Zulin. 
Dalalacatl. 
Canaubtlù 
Huilotl. 
Pelompatox, 
Colotl. 
Atemitî. 
Coztic. 
Teocuitlatl. 
Temeztli. 
Tepo.tli. 
Jlbuicatl. 
Tonatiub. 
•  Metztlt. 
Citlabin. 
Mixtli. 
Tlatlatzinil. 
Tlabuitequiliztli. 


i,:' 


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Mont, 


c* 


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1> 

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Art&Iîit- 
cip'inc  mili- 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        €01 

A  l'égard  de  leur  Difcipline  militaire  &  de  leurs  Arts,  les  Relations  DcscnirTroff 
n'ofirent  rien  dont  on  piiifle  tirer  plus  de  lumière  que  du  récit  qu'on  a  fait  '^^,  ,'g*  l'î^p^' 
de  la  Conquête  de  leur  Empire,  &  do  la  dcfcription  du  grand  Alarclié  de 
Mexico.  Carreri  obfcrve  feulement  „  que  l'indulbie  des  Mexiquains  d'au- 
jourd'hui diffère  beaucoup  de  celle  des  Anciens,  quicultivoienc  les  Arts 
avec  autant  de  fuceès  que  de  goût.  Ils  font  plongés  à  prcfent  dans  l'ui- 
fiveté.     Cependant  le  petit  nombre  de  ceux  qui  s'attachent  au  travail 

f)rouve  encore  qu'ils  ne  font  pas  fans  talens.  Les  uns  compofcnt  p!u- 
ieurs  fortes  de  figures,  avec  des  plumes  de  différentes  couleurs,  fur- 
tout  avec  celles  d'un  Oifeau  que  les  Efpagnols  noiamtnt  Ch'ippajîur y  ou 
Suce-fleur.  D'autres  travaillent  fort  délicatement  en  bois.  Mais  la  pUl- 
part  ne  font  propres  qu'aux  plus  vils  travaux,  où  les  El'pagnols  ne  cef- 
fent  point  de  les  employer;  &  leur  plus  grande  habileté  confiflie  dans 
les  rufes ,  qu'ils  inventent  alfez  heureufement ,  pour  prendre  toutes  for- 
tes d'Oifeaux  (c)". 

Ter- 


Mou  t. 

Colline, 

Vallée , 

Arbre , 

Herbe, 

Fonifiine, 

Torrent, 

Fleuve , 

Pont, 

Lac, 

Anguille, 

Foirrtni  , 

Feu, 

Cendre , 

Charbon , 

Pluie , 

Vent, 

Gelée, 


Quauhtla, 

Tepetl. 

Ixtlahuatl. 

Quahuitl. 

Xibuitt. 

j^meyatli. 

Atlautitli. 

Qtiauhpantli. 

Afihv.nrntl/t. 

Cthuatl. 

Azcatl, 

Ttell. 

NextU. 

Tecolli. 

Qtiiabuiztlù 

Tetcatl. 

Zetl. 


Moi, 
Toi, 
Lui,  ou  il. 


Père, 
Mcre , 
Fils, 
.Fille, 
Frcre , 
Sœur, 
Aïeul , 
Oncte, 
Seigneur , 


Pronoms  perfonneh. 

K'ehuatl. 
Tebuatl. 
Tehuatl. 

Dégrés  du  fang. 

Takli. 
Nantit. 
Tepiltzin. 
■     Teuchpocb. 
Teoquicbtuicb, 
Tehneltiuh. 
Tecoltzin. 
Tetlahtzin. 
Teuthli. 


Serviteur ,  ou  Sujet ,    Tlacoti. 

Nombres,  i.   Ce,    ou    Cenltttl,    2,  Orne. 
XyiIL  Fart, 


3,  Tei.  4,  Nahm.  S,  Muuilli.  6,  Cli- 
tuacen.  j ,  Chicome.  S ,  Cbicuey.  9,  Cbi- 
cténabuni.  10,  MatlaÙli.  15,  Caxtolli.  uj, 
Zempobualli  40,  Ompnhualli.  50,  Ompo- 
buaili  on  Matla&li  60,  Tcpolualli.  70, 
TcpobuaUi  on  MatlaSli-  80,  Nabupobualii. 
90,  Nabupobualii  on  MatlciQli.  100,  Ma- 
cuilpobualli.  1000,  Ontzontliipanmacuilpo- 
bualli.  r.aet.Defc  del  Aincriq.  L.  5.  C.  10. 

On  lit,  dans  Gomnra,  qu'en  1534  le  Vi- 
ccroi  Dom  Antoine  do  Mendoza  aflembia  an 
Concile  de  tous  les  livêques,  les  Prûtrcs  & 
les  Religieux  du  Pays,  &  qu'il  y  fut  réglé 
qu'on  feroit  apprendre  aux  Indiens  le  Latin 
&rEfpagnol;  Surquoi  l'Hiftorien  remarque 
qu'ils  apprennent  aflez  bien  ces  deux  Lan- 
gues, mais  qu'ils  ne  veulent  point  parler 
celle  d'Efpagne.  11  ajoute  qu'ils  apprennent 
facilement  auflî  à  jouer  de  nos  inftrumens  , 
fur-tout  delà  flCite,  mais  qu'ils  ont  la  voix 
mauvaife  pour  chanter  en  paitic.  Liv.  2. 
Chap.  98. 

(c)  Voynges  de  Gemclli  Carrer!,  Tome 
VI  Chap.  6.  L'cdime  de  ce  Voyageur  pour 
les  Ouvnigcs  des  anciens  Mexiiiuains  paroît 
moins  fondée  l'ur  ce  qu'il  en  avoit  vu  dans 
leur  Pays,  que  fur  un  curieux  riîcit  de  Go- 
mara.  On  ne  changera  rien  aux  termes  du 
vieux  Traducteur.  En  1541,  Cortcz  fuivit 
l'Empereur  Charles  contre  la  Ville  d'Alger; 
&  étant  en  la  Galère  de  Dom  Henri  Henri- 
quez,  nommée  lEfperance,  fe  voyant  allailli 
de  la  tourmente .  comme  le  fut  toute  l'Ar- 
mée, &  que  ce  Vailfeau  alloit  donner  à  tra- 
vers, il  fe  ceignit  d'un  linge  ,  dans  lequel 
étoit  cinq  riches  émtraudes,  qu'on  difoit  va- 
loir cent  mille  ducats ,  peniart  p:ir  ce  moyen 
les  fauver  du  naufrage;  mais  par   néceÛité 

Gggg  ou 


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TEST  TARGET  (MT-3) 


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2.0 


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Photographie 

Sciences 
Corporation 


23  WfST  MAIN  STRiiT 

WiBSTIR.N.Y.  I4SS0 

(716)  S72-4503 


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6oi 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


DsSCRTPTrON 

i)E  i.A   Nou- 
velle  Espa- 
gne. 

Obfervations 
fur  le  Gouver- 
nement du 

Prtys. 


Ter:.iinon3  cet  article  par  quelques  obfervations  fur  le  Gouvernement 
des  Efpagnols,  dans  les  Pays  qu'on  a  fait  parcourir  aux  Leâeurs,  &  fur  la 
difpofition  des  anciens  Habitans  pour  leurs  nouveaux  Maîtres.  Le  témoi- 
gnage des  Etrangers  feroit  fufpecl  ;  mais ,  on  n'oppofera  rien  à  celui  d'un 
fidèle  Sujet  de  l'Efpagne ,  dont  le  zèle  alloit  fi  loin  pour  fa  Nation ,  que 
dans  un  tems  où  la  fortune  fembloit  l'avoir  abandonné,  il  ne  trouvoit  rien 
de  fi  douloureux  que  l'orgueil  des  Ennemis  de  fon  Roi,  &  que  la  fureur 
avec  laquelle  ils  s'emportoient  contre  lui  (d). 

Il  efl:  certain ,  dit  Correal ,  ^ue  nous  devons  la  rapidité  de  nos  Conquêtes 
en  Amérique,  à  la  frayeur  fubite  &  prefque  miraculeufe,  dont  les  Indiens 
fe  trouvèrent  frappés  à  notre  approche  ;  &  que  fans  cette  faveur  du  Ciel , 
nos  armes  n'auroient  pas  eu  les  mêmes  fuccès.  Mais  l'Artillerie, inconnue 
jufqu'alors  dans  ces  grandes  Régions ,  la  vue  de  nos  Chevaux ,  <Se  la  DifcL- 
pline  militaire ,  nous  ouvrirent  le  chemin  avec  une  rapidité  fans  exemple. 
Malheureufement  cette  facilité  de  nos  Conquêtes  produifit  bientôt  une  né- 
gligence, qui  n'a  fait  que  s'accroître  par  le  luxe  &  l'oifiveté.  Dans  le  mé- 
pris que  nous  conçûmes  pour  les  Indiens,  &  qui  nous  les  faifoit  regarder 
comme  des  Etres  d'un  ordre  inférieur  au  nôtre,  nous  nous  perfuadâmes  que 
des  avantages  qui  nous  avoient  fi  peu  coûté  ne  pouvoient  nous  être  enlevés 
au  même  prix  ;  &  cette  idée  n'étoit  pas  fans  vraifemblance ,  parce  que 
n'ayant  point  alors  de  Rivaux  fur  Mer,  nous  n'avions  à  redouter  que  les 
Indiens  mêmes ,  dont  nous  connoiffions  toiîte  la  foibleiTe.  Les  motifs  de 
notre  fécurité  augmentèrent,  avec  l'afcendant  que  la  Monarchie  d'Efpagne 
prit  fur  toute  l'Europe;  &  lorf^u'èlle  devint  moins  formidable,  il  arnva 
tant  de  changemens  dans  lapohtique  &  les  intciréts,  ^u'on  fut  obligé  de 
nous  laifler  paifibles  pofiefTeurs  d'un  bien  que  nous  aurions  pu  perdre  avec 
autant  de  facilité  que  nous  l'avions  acquis.  Telle  eil  ia^  première  caufe  de 
notre  décadence  en  Amérique:  mais  on  en  doit  compter  beaucoup  d'autrev. 
Àuffi-tôt  que  les  Vainqueurs  fe  furent  établis  dans  le  Nouveau  Monde,  on 
y  vit  paroître  un  grand  nombre  d'Avanturiers,  qui  fe  revêtant  du  nom 
d'Officiers  ou  de  Soldats ,  &  fous  mille  prétextes  indignes  du  ChriftianiTme 
&  de  la  générofité  E^agnole,  ravagèrent  ces  riches  Contrées,  pillèrent  les 
tréfors  des  Indiens ,  ôc  leur  inlevèrei\t  leurs  biens  &  leur  liberté.    Flufieors 

Na- 


ce 


ou  nonchalance,  il  les  perdit,  &  churent 
intre  les  faiiges.  Entre  toutes  les  pierres 
qu'il  avoit  eues  des  Indiens  ,  ces  cinq  étoient 
les  plus  riches  &  les  plus  fines.  L'une  étoit 
taillée  comme  une  rofe  ;  la  féconde  étoit  en 
façon  d'une  petite  couronne;  la  tierce  te- 
préfentoit  un  poiflbn,  ayant  pour  les  yeux 
deux  grains  d'or.  Icelle  démontroit  l'ouvra- 
ge merveilleux  des  Indiens.  La  quarte  étoit 
taillée  en  forme  de  Clochette ,  laquelle  avoit 
pour  batal  une  grofle  perle  fine,  &  tout 
«utour  étoit  garnie  d'un  cercle  d'or.  La 
cinquième  étoit  comme  une  petite  taflê,  ou 
encenfoir,  ayant  le  pié  d'or,  avec  quatre  pe- 
tites chaîaes  pour  la  tenir,    lefquelles  pas 


en  haut  étoient  jointes  enfemble  moyennant 
une  groiTe  perle  longue,  laquelle  fervoit  de 
bouton.  Des  Marchands  Génois ,  pour  cet- 
te feule  pierre ,  avoient  voulu  lui  don- 
ner quarante  mille  ducats,  efperant  la  re- 
vendre à  Sultan  Soliman,  Empereur  des 
Turcs.  Cortez  fut  fort  dolent  de  cetteper- 
te  ;  &  ce  voyage  lui  coûta  plus  qu'à  nul  ao* 
tre ,  excepté  à  Sa  Majefté ,  encore  que  le  Prin» 
ce  André  Dorie  y  perdît  onze  Galères.  Liv.  2. 
Chap.  99.  Gomara  fe  donne  ici  pour  témoia 
oculaire. 

{d)  Voyage  de  François  Correal,  troUi% 
me  Partie,  Chap.  xx. 


que 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  H.        603 

Nations,  qui  s'étoient  déclarées  pour  nous,  cherchèrent  à  fecouer  le  joug.   pEs«i"ioif 
L'autorité  Royale  étant  mal  foutenue  par  les  Auteurs  du  défordre,  tous  ces  JJ^^^e  Espa* 
Peuples,  que  nous  regardions  comme  des  Efclaves  fort  fournis,  confpirè-        on£. 
rent  notre  perte.    Jufqu'à  préfent  la  hardiefle  &  les  forces  leur  ont  man- 
qué ;  mais  je  fuis  fllr  qu'avec  quelques  Troupes  bien  difciplinées ,  qu'on 
feroit  entrer  dans  le  Pays,  fur-tout  par  Cofta-ricca,  où  font  les  Indiens  que 
nous  nommons  Bravos  ^  ou  Tndios  de  Guerra^  &  du  côté  de  Guatimala,  en 
ïuivant  la  Côte  de  l'une  ou  de  l'autre  Mer,  on  exciteroit  tout  d'un  coup  à 
la  révolte,  non-feulement  les  anciens  Naturels,  les  Efclaves  Nègres  &  les   ' 
Metices,  mais  une  partie  même  des  Créoles.    Il  fuffiroit  de  leur  fournir 
des  armes ,  de  la  poudre ,  du  plomb ,  &  de  les  traiter  avec  affez  de  douceur  & 
de  défmtérefTement  pour  leur  ôter  la  prévention  dans  laquelle  ils  font  tous 
aujourd'hui,  que  les  Européens  n'en  veulent  qu'à  leurs  richefles.    L'impa- 
tience de  voir  finir  leur  efclavage  efl  devenue  li  vive,  que  tous  les  jours  on 
en  voit  paffer  un  grand  nombre  dans  l'intérieur  des  Terres  &  dans  des  Mon- 
tagnes  inacceiîibles ,  d'où  ils  ne  fortent  plus  que  pour  maifacrer  les  Voya- 
geurs Efpagnols  (^). 

Je  n'ai  pas  dit  fans  raifon  que  l'autorité  Royale  efl  comme  anéantie ,  par 
l'infatiable  avidité  de  ceux  qui  font  établis  pour  la  foutenir.  Dans  l'éloigne- 
mentoù  les  Officiers  Royaux  fe  voient  du  Prince,  ils  ne  confultent  que 
leur  intérêt  pour  l'interprétation  des  Loix.  Les  Vicerois  font  d'intelligen- 
ce avec  les  Miniftres  fubalternes.  Us  épuifent  les  Indiens  par  leurs  exac- 
tions; ils  vendent  la  Judice;  ils  ferment  les  yeux  &les  oreilles  à  tous  les 
droits.  On  voit  de  toutes  parts  une  infinité  de  Miferables ,  que  l'indigen- 
ce réduit  au  défefpoir,  &  qui  font  retentir  inutilement  leurs  plaintes. 
L'ignorance  va  de  i>air  avec  l'injuftice  &  la  cruauté.  „  J'ai  vu  porter, 
„  dans  le  même  Tribunal  &  prefqu'à  la  même  heure ,  une  même  Senten- 
„  ce  fur  deux  cas  direftement  oppofés.  En  vain  s'efforça- t'on  d'en  fai- 
„  re  comprendre  la  différence  aux  Juges.  '  Cependant  le  Chef,  fortant 
„  enfin  des  ténèbres,  fe  leva  fur  fon  îiége,  retrouffa  fa  moufïache,  & 
„  jura  par  la  Sainte  Vierge  &  par  tous  les  Saints ,  que  les  Luthériens 
„  Angiois  lui  avoient  enlevé  parmi  fes  Livres  ceux  du  Pape  Jtiftinien^ 
„  dont  il  fe  fervoit  pour  juger  les  caufes  équivoques;  mais  que  fi  ces 
„  Chiens  reparoiffoient  dans  la  Nouvelle  Efpagne ,  il  les  feroit  brûler 
„  tous  (/)". 

D'une  fi  mauvaife  adminiltration ,  il  réfulte  que  les  Places  importantes 
font  mal  munies ,  prefque  fans  Soldats ,  fans  Armes  &  fans  Magafins.  Les 
Troupes  n'ont  point  de  paie  réglée.     Leur  reffource  efl  de  piller  les  In-  * 

diens.  Jamais  on  ne  les  forme  à  l'exercice  des  armes.  A  peine  font-el- 
les vêtues.  Aufli  les  prendroit-on  moins  pour  des  Soldats,  que  pour 
des  Mandians  ou  des  Voleurs.  Les  Fortifications  font  abfolument  négli- 
gées, parce  que  la  Nouvelle  Efpagne  n'a  point  d'Ingénieurs.  Eile^  n'efl 
pas  mieux  fournie  d'Artifans  pour  les  Ouvrages  militaires,  &  pour  les  be- 
foins  les  plus  communs.  On  n'y  trouve  perfonne  qui  fâche  faire  un  bon 
Inflrument  de  Chirurgie.    La  fabrique  de  ceux  qui  regardent  les  Mathé- 

mati- 


(f)  Ibidem,  Part.  i.  Chap.  lo» 


(/)  Ibid. 
Cggg   2 


VELI.E 
OHE, 


604        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Dejcriptton  matiques  &  la  Navigation  n'y  efl  pas  moins  ignorée.  Le  Commerce 
"^  ''*  £°^'.  même  n'y  confifteque  dans  l'arc  de  tromper,  parce  qu'il  n'a  point  de  rè- 
gles bien  établies;  ou  s'il  en  relie  d'anciennes,  elles  font  méprifées.  Le 
quint  de  l'or  &  de  l'argent,  qui  doit  entrer  dans  les  coffres  du  Roi,  efl 
continuellement  diminué  par  la  fraude.  11  ne  revient  point  au  Tréfor  un 
quart  de  Tes  droits.  Les  Gouverneurs,  leurs  Olficiers ,  &  les  riches. Négo- 
tians,  fe  prêtent  la  main  pour  fupprimer  les  Ordonnances  Royales,  ou  pour 
les  faire  tomber  dans  l'oubli.  De- là  viennent  tous  les  avantages  que  les 
François  &  les  Anglois  tirent  de  nos  Ecabliflemens  pour  leurs  propres  Co- 
lonies. La  plupart  des  enregiftremens  font  faux  dans  les  Ports  Efpagnols. 
Un  Paffeport  des  O.nciers  Royaux  fait  pafler  toutes  fortes  de  marchandi- 
fes,  à  la  vue  de  ceux  qui  n'ignorent  pas  l'impodure.  Les  Curés  &  les 
Pveligieux  fe  mêlent  aulïi  de  Commerce,  avec  d'autant  plus  de  licence  & 
d'impunité,  qu'ils  fe  font  redouter  par  la  fâinteté  de  leur  Miniftère  &  par 
l'abus  des  armes  ecclefiafliques.  Ils  arrachent  d'ailleurs,  aux  Indiens,  tout 
ce  que  ces  Malheureux  gagnent  par  leur  travail.  Rien  n'efl  égal  à  leur 
avidité,  que  leur  luxe,  leur  emportement  pour  le  plaifir  &  leur  profonde 
ignorance  (g).    Aufli  tous  les  Indiens  qu'ils  paroillenc  convertir  n'en  de- 

meu- 


(g  )  On  doit  quelques  exemples  à  la  vé- 
rité de  l'Hifloire,  mais  en  proteflant  qu'on 
n'a  point  d'autre  vue.  Gage ,  Religieux  lui- 
même  ,  &  qui  ne  peut  être  accufé  d'avoir 
pris  des  maximes  trop  fevères  dans  la  Pro- 
vince d'Aiidaloufie ,  où  il  avoit  embraffé  cet 
état,  ne  parle  jamais  des  Couvens  de  la 
Nouvelle  Efpagnc,  fans  gémir  de  la  vie  pro- 
fane qu'il  y  vit  mener,  &  des  excès  dont  il 
fut  témoin.  En  arrivant  à  Vera-Cruz,  il  fut 
reçu  dans  le  Couvent  de  fon  Ordre ,  où  fa 
première  furprifc  fut  de  le  trouver  gouverné 
par  un  jeune  Galant,  qui  avoit  obtenu  cet 
emploi  du  Supérieur,  pour  la  fomme  dt;  mil- 
le ducats.  Il  s'attendoit  à  voir  une  belle  Bi- 
bliothèque; mais  elle  confiftoit  dans  une 
douzaine  de  vieux  Livres ,  relégués  dans  un 
coin,  &  couverts  de  toiles  d'Araignées,  fur 
Icfquels  on  avoit  placé  une  guitarre.  La 
chambre  du  Supérieur  étoit  revêtue  d'une 
riche  tapiffcrie  de  coton ,  &  d'ouvrages  de 
plumes  de  Mechoacan,  ornée  d'un  grand 
nombre  de  beaux  tableaux;  les  fables  cou- 
vertes de  lapis  de  foie,  &  les  buffets  garnis 
de  valcs  de  Porcelaine ,  tous  remplis  de  di- 
vcrfes  fortes  de  confitures  &  de  conferves. 
Ses  difcours ,  ajoute  Gage ,  roulèrent  fur  fa 
iiaifllince  &  fes  bonnes  qualités,  fur  la  fa- 
veur qu'il  avoit  auprès  des  Grands,  fur  l'a- 
mour que  les  Dames  lui  portoient,  fur  fa 
belle  voix  &  fon  habilité  en  Mufique,  dont 
Jl  nous  donna  auflî-tôt  des  preuves,  eu 
chantant  &  jouant  fur  fa  guitarre  quelques 
Vers  qu'il  avoit  faits  en  faveur  d'une  Ama- 
rillis.    Nos  oreilles  ne  furent   pas   plutôt 


fatisfaites  du  côté  de  la  Mufique,  &  nos 
yeux  par  la  magnificence  des  meubles,  qu'i[ 
nous  fit  fervir  une  prodigieufe  quantité  de 
délicateffcs  ;  de  forte  qu'étant  réel'cment 
paires  d'Europe- en  Amérique,  le  Monde 
nous  paroifibit  changé.  Nous  entendions 
une  voix  douce  &  nette,  avec  un  inilru- 
ment  bien  accordé;  nous  voyions  des  iré- 
fors  &  des  richefles;  nous  mangioni  des 
chofes  délicates,  &  parmi  ces  délicatefTes 
nous  fentions  le  mufc  &  l'ambre.  Fart.  i. 
Ciiap.  7. 

Le  troifième  jour  de  fa  route.  Gage  lo- 
gea  dans  un  Couvent  de  Cordeliers,  où  il 
fût  magnifiquement  traité.  „  Non-feule- 
„  ment,  dit-il,  en  ce  lieu-là,  mais  dans  tous 
„  les  autres  endroits ,  nous  remarquâmes 
„  dans  tous  les  Prêtres  &  les  Religieux  une 
„  grande  moilefle  de  vie  ,  &  des  manières 
,,  u'agir  fort  contraires  à  leur  profefllon. 
„  Nous  trouvâmes  fort  étrange  de  voir  un 
,,  Religieux  de  Saint  François  monter  à  Che- 
,,  val ,  avec  fon  Laquais  derrière  lui ,  pour 
,,  aller  feulement  au  b  ut  de  la  Ville  cnten- 
,,  dre  la  Confeiîîon  d'un  Homme  agoni- 
„  fant ,  fa  robbe  relevée  &  attachée  à  la 
,,  ceinture,  pour  faire  voir  un  bas  de  foie 
,,  orajjgé,  &  des  fouiiers  de  maroquin  pro- 
,,  premcnt  faits ,  avec  des  caleçons  de  loile 
„  de  Hollande,  &  une  dentelle  de  quatre 
„  doigts  attachée  au  haut  de  la  jambe.  Les 
,,  autres  Religieux  faifoicnt  paroître,  fous 
„  leurs  larges  manches,  des  pourpoints  pi- 
„  qués  de  foie,  &  la  dentelle  qui  étoit  aux 
f,  poignets    de  leurs  cbemifes  d'Hollande. 

t,  Dans 


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Oa  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Ltv.  IL        60^ 

tneuîent-îls  pas  moins  Idolâtres.  Les  Créoles  ne  font  pas  mieux  inflruits  : 
mais  ils  font  ignorans  fans  honte,  &  les  idées  qu'ils  ont  des  chofes  divines 
&  humaines  font  également  ridicules.  Si  l'on  y  joint  l'ardeur  du  climat, 
qui  leur  brûle  fouvcnt  le  cerveau,  on  dira  d'eux,  fans  injuflice,  qu'ils  n'ont 
prefque  pas  le  fcns  commun  (h).  11  leur  efl  défendu  d'avoir  des  Livres; 
&  dans  toute  la  Nouvelle  Efpagne  on  en  voit  très  peu  d'autres  que  des 
Heures,  des  MiflTels  &  des  Bréviaires  (i).  Un  Créole,  qui  meurt,  croit 
fon  ame  en  fûreié  lorfqu'il  a  laifTé  de  grofles  fommes  à  l'Eglife.  Ses 
Créanciers  &  fes  Parens  font  fouvent  oubliés ,  &  la  plus  grande  partie  des 
biens  paflent  toujours  aux  Couvens.  Enfin  le  défordre  ell:  fi  général  ;  & 
fes  racines,  qui  font  la  fenfualité,  l'avarice  &  l'ignorance,  ont  acquis  tant 
de  force  depuitf  deux  fiécles,  que  tout  le  pouvoir  des  Hommes  n'y  pou- 
vant apporter  de  remède,  &  la  nature  même  du  mal  ne  permettant  point 
d'en  efperer  du  Ciel  ,  il  ne  faut  pas  douter  que  les  affaires  des  Efpagnols, 
dans  cette  grande  partie  de  leurs  Etabliflemens ,  ne  loient  menacées  de 
leur  ruine  (  *  ). 

Entre  les  raifons  de  cette  extrême  décadence,  il  faut  auffi  compter  la 
haine  qui  fubfifte  depuis  long-tems  entre  les  Efpagnols  venus  de  l'Europe 
&  les  Créoles.  Elle  vient,  à  ceux-ci,  du  chagrin  qu'ils  ont  de  fe  voir  ex- 
clus de  toutes  fortes  d'Emplois.  11  eft  inoui  qu'on  prenne  parmi  eux  des 
Gouverneurs  &  des  Juges.  (Quoiqu'il  s'y  trouve  des  Cortez,  des  Girons, 
des  Alvarados ,  desGuzmans,  c'eft-à  dire,  des  Familles  réellement  defcen* 
dues  de  tous  ces  grands  Capitaines,  ils  font  regardés  des^  vrais  Efpagnols 
comme  à  demi  Indiens,  par  conféquent  à  demi  Barbares,  &  incapables 
des  foins  du  Gouvernement  Dun  autre  côté  ceux,  qui  arrivent  d'Ef- 
pagne,  ne  reconnoilfant  point  leurs  ufages  &  leurs  goûts  dans  les  Créoles, 
s'attachent  de  plus  en  plus  à  cette  opinion,  &  perfiftent  non-feulement  à  le»( 
éloigner  de  toutes  les  Charges  publiques,  majs  à  redouter  leur  nombre,  qui 
peut  faire  appréhender  qu  avec  de  J.uftes  fujets  de  reflenciraent ,    ils  ne 

ten- 


Descriptiou" 

DE     LA    NOU- 

VELLB    Esta- 

CM. 


»> 


„  Dans  leur  entretien,  comme  dans  leurs 
habits,  nous  ne  vî.iies  quo  la  plus  mon- 
daine vanité.  Après  fouper  ,  ils  nous 
.,  propofèrcni  de  jouer  aux  carteis  &  aux 
„  dez.  La  plupart  de  nous  refufèrent;  les 
„  uns  faute  d'argent,  &  les  autres  pour  ne 
„  fuvoir  pas  le  jeu;  mais  deux  fe  laiirérv.nt 
„  féduire.  Nous  eûmes  le  loifir .  une  par 
„  tie  de  la  nuit,  de  faire  réflexion  fur  cette 
,,  manière  de  vivre;  car  plus  le  jeu  conti- 
„  nuoit,  plus  le  fcandale  augmentoit,  tant 
„  par  la  boiffbn ,  que  les  juremens ,  les  nio- 
,,  queries  &  les  rifécs.  Ce  fut  là  que  je 
„  commençai  de  xeconnoîire  la  manière  de 
„  vie  de  tous  les  Eccléfiafliques  du  Pays. 
„  Elle  fait  voir  clairement  que  l'amour  de 
„  l'argent,  de  la  vaine  gloire ^  du  pouvoir 
„  &  de  l'autorité  qu'ils  ont  fur  les  pauvres 
„  Indiens,  efl  plutôt  la  fin  &  le  but  où  ils 
„  vifent ,  que  l'amour  &  l'avancement  de  la 
„  gloix^deDicu".    Ibid.  Chap.  9,    Les^plus 


fagcs  Voyageurs  en  rendent  le  même  té- 
moignage. Voyez  divers  traits  de  CarrcrI 
d;ins  la  Dcfcription  de  Mexico  ;  &  fur-tout  le 
troifiéme  Chapitre  de  Correal. 

(  h  )  Correal ,  Chap.  ii. 

(i)  Le  hafard,  raconte  Correal,  fit  tom- 
ber, un  jour,  les  Métamorphofcs  d'Ovide 
entre  Ks  mains  d'un  Créole.  Il  retnit  ce  Li- 
vre à  un  Religieux,  qui  ne  l'entendoit  pas 
mieux,  &  qui  fit  croire  aux  Habitans  de  la 
Ville  que  c'étoit  uile  Bible  Angloife.  Sa 
preuve  étoit  les  figures  de  chaque  Métamor- 
phofe,  qu'il  leur  montrok,  en  difant;  voilà 
comiue  ces  Chiens  adorent  le  Diable  qui 
les  change  en  Botes.  Enfuite  la  prétendu;; 
Bible  fut  jcttée  dans  un  feu ,  qu'on  alluma 
exprès  i  &  le  Relijjicux  fit  un  grand  dif- 
cours,  qui  confilloit  à  remercier  Saint  Fran- 
çois de  cette heurcufe  découverte.  Cornai:, 
Chnp.  X  ( . 

(*)  Ibidem, 

Gggg  3 


DftfCKIPTION 

OC    LA    N0D« 

VILU     ESPA- 

ANS. 


606       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

tentent  un  jour  de  fecouer  le  joug.  Gage  eft  perfuadé  que  tôt  ou  tard 
cette  feule  divifion  fera  perdre  une  H  belle  Conquête  à  rÉfpagne.  Il  efl 
aufii  aifé ,  dit-il ,  de  foulerer  les  Créoles  que  les  Indiens.  Il  leur  a  fouvent 
entendu  dire  qu'ils  aimeroient  mieux  fe  voir  fournis  à  tout  autre  Pouvoir  , 
qu'à  celui  de  l'Efpagne.  Ils  ont  regretté  que  les  Hollandois  ne  fe  fuflent 
point  arrêtés  à  Truxillo ,  lorfqu'ils  prirent  cette  Ville,  ou  qu'ils  n'euflent 
point  pénétré  dans  le  Pays  (/).  C'eftà  cette  mortelle  animofité,  que  le 
même  Voyageur  attribue  la  fame'ufe  révolte  de  Mexico  contre  le  Comte  de 
Gelves,  Viceroi  de  la  Nouvelle  Efpagne  (w).  Les  Créoles  fe  joignirent 
aux  Indiens ,  &  paroiflbient  déterminés  à  détruire  le  Gouvernement  Ëfpa- 
gnol ,  s'ils  n'euiient  été  retenus  par  l'autorité  des  Prêtres. 

Ce  mépris  de  tout  ce  qui  n'efl  pas  venu  d'Efpagne  s'ed  répandu  juf* 
qu'à  l'Eglife.  Rarement  un  Prêtre  Créole  eft  pourvu  d'un  Canonicat,& 
bien  moins  d'un  Ëvêché.  Dans  les  Couvens  mêmes ,  on  s'eft  long*tems 
efforcé  d'abbaifler  les  Créoles  qu'on  y  avoit  reçus,  de  peur  que  par  le  mé- 
rite ou  le  nombre  ils  ne  l'emportaifent  fur  les  véritables  Efpagnoîs.  Quoi- 
qu'on ne  pût  fe  difpenfer  d'en  admettre  quelques» uns,  tous  les  Supérieurs 
étoient  envoyés  d'Efpagne.  Cependant,  peu  d'années  avant  les  obferva- 
tions  de  Gage,  les  Créoles  avoient  çrls  lafcendant,  dans  pluHeurs  Pro- 
vinces, &  s'étoient  tellement  multipliés,  qu'ils  avoient  abfolument  re- 
fufé  de  recevoir  les  Religieux  qui  venoient  de  l'Europe.  Dans  la  Pro- 
vince de  Mexique,  qui  a  des  Jacobins,  des  AugufUns,  des  Cordeiiers, 
des  Carmes,  des  Pères  de  la  Merci  &  des  Jefuites,  il  n'y  a  que  les  Je- 
fuites  &  les  Carmes  qui  ayent  confervé  la  Tupériorité  aux  Européens, 
en  faifant  venir  annuellement  d'Efpagne  deux  ou  trois  recrues  de  leur 
Ordre.  La  dernière ,  que  Gage  vit  arriver  pour  les  Religieux  de  la 
Merci,  vécut  en  fi  mauvaife  intelligence  avec  les  Créoles,  qu'à  l'élec- 
tion de  leur  Provincial  commun ,  ils  en  vinrent  aux  mains ,  prêts  à 
s'entretuer  fi  le  Viceroi  ne  fe  fût  rendu  à  leur  Affemblée ,  &  n'en  eût 
mis  quelques-uns  dans  les  chaînes.  Les  Créoles  l'emportèrent  à  la  fin, 
par  la  pluralité  des  fuffrages  j  &  jufqu'à  préfent  ils  ont  rejette  tout  ce 
qui  leur  eft  venu  d'Efpagne,  fous  prétexte  que  ne  manquant  point  de 
Sujets  de  leur  Nation ,  ils  n'ont  pas  befoin  de  fecours  étranger.  On  les 
laiffe  paifibles  dans  la  pofleilion  de  cette  liberté  ;  parce  qu'avec  beaucoup 
de  foumifiion  pour  le  Pape ,  ils  envoient  à  Rome  autant  de  préfens  que  les 
ECpagnols. 

Dans  la  Province  de  Guaxaca,  on  ne  reçoit  aucun  Miflionnaire  d'Ef- 
pagne. Les ,  Jacobins  font  ceux  qui  ont  réfifté  le  plus  long  -  tems  aux 
Créoles.  Cette  querelle  Monaftique  n'étoit  pas  terminée  du  tems  de  Ga- 
ge. Les  deux  Partis  plaidoient  encore  à  Rome;  &  celui  des  Efpagnoîs 
alleguoit,  avec  beaucoup  de  chaleur  &  de  vérité,  que  la  Religion  fouf- 
froit  beaucoup  dans  la  Province ,  depuis  que  les  Miflionnaires  de  l'Europe 
y  étoient  rejettes. 

Dans  l'Audience  de  Guatimala,  qui  eft  d'une  fort  grande  étendue, 
,  puifqu'elle 


(0  Part.  I.  Chap.  i. 


(hi)  Ibid.  Chap.  24.  &  fiiiv. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        607 

puifqu'elle  comprend  la  Province  iii  même  nom,  celle  de  Chiapa,  les  Zo-  DescRirrioff 
qiies,   une  partie  de  Tabafco,  les  Zeldales,  Zacapula,  Vera-Paz,  toute  ^l^^l^^  ^^p"* 
la  Côte  de  la  Mer  du  Sud,  Suchutepeque,  Soconufco,  Comayagua,  Hon-        qne. 
duras ,  San  Salvador  &  Nicaragua ,  on  trouve  des  Jacobins ,  des  Corde- 
liers,  des  Auguftins,  des  Jefuites  &  des  Pères  de  la  xMerci  ;  mais  les  Cor- 
deliers ,  la  Merci ,  &  les  Jacobins  font  feuls  en  pofleflion  du  droit  de  prê- 
cher &  de  gouverner  des  Eglifes  Paroiflîales.     Ces  trois  Ordres  ont  tou- 
jours tenu  les  Créoles  dans  l'abbaifTement.     Ils  ne  les  ont  jamais  admis  ^ 
aux  Emplois  ;  &  de  deux  en  deux  ans  ils  appellent  d'Efpagne  un  lupplé- 
ment  nombreux,  pour  foutenir  leur  faftion. 

La  Province  d'Yucatan  n'a  que  des  Cordeliers ,  d'une  richefle  extraor- 
dinaire, qui  foutiennent  vigoureufement  les  intérêts  Efpagnols.  Celle  de 
Mechoacan ,  qui  efl:  dépendante  de  Mexico  pour  le  Spirituel ,  fe  conferve 
dans  les  mêmes  principes. 

Gage,  pouHant  plus  loin  cette  énumeration  (n),  ajoute  que  dans  le 
Royaume  de  la  Nouvelle  Grenade,  à  Carthagene,  à  Santa -Fé,  à  Sati- 
nas, à  Popayan,  à  Sainte- Marthe,  les  Jefuites  ,  les  Jacobins  &  les  Cor- 
deliers tirent  encore  leurs  Supplémens  de  l'Europe;  mais  qu'à  l'exemple 
de  la  Nouvelle  Efpagne,  les  Couvens  de  Carmes,  d'Auguflins  &  de  Pè- 
res de  la  Merci,  ne  font  compofés  que  de  Créoles.  Ceux  des  iHes  de 
Cuba,  de  la  Marguerite  &  de  Porto  ricco,  dépendent  des  Provinciaux 
de  Saint-Domingue,  &  reçoivent,  par  intervalle,  des  MifTionnaires  Ef- 
pagnols; mais  on  ne  voit,  dans  ces  trois  Ides,  que  des  Jefuites,  des  Ja- 
cobins &  des  Cordeliers.  Les  Couvens  du  Pérou  ne  reçoivent  point  di- 
refilement  leurs  Supplémens  de  l'Europe.  Ils  font  en  u  grand  nombre, 
de  toutes  fortes  d'Ordres,  &  fi  loin  de  l'Efpagne,  qu'on  auroit  peine  à 
les  fournir  régulièrement.  Outre  les  Créoles,  qu'ils  admettent  avec  de 
fages  mefures,  ils  tirent  des  Européens,  de  toutes  les  Provinces  voifi- 
nés.  Aux  Philippines,  il  n'y  a  que  des  Jefuites,  des  Jacobins,  des  Au- 
guftins &  des  Cordeliers ,  prefque  tous  de  l'Europe ,  à  l'exception  de 
quelques  Créoles  favorifés ,  &  de  quelques  Chinois  convertis  par  les  Mif- 
Honnaires   (0). 

Il  refte  à  conclure,  pour  la  Nouvelle  Efpagne,  que  dans  une  (î  gran-  Conclufion. 
de  étendue  de  Pays  qui  reconnoît  la  domination  Eipagnole,  cette  Cou- 
ronne n'a  de  véritables  Sujets  que  ceux  qu'elle  y  fait  pafler ,  pour  re- 
tenir les  autres  fous  le  joug  ;  &  qu'une  autorité  (1  foible ,  diminuant 
tous  les  jours ,  il  ne  feroit  pas  furprenant  qu'elle  fût  anéantie  tout  d'un 
coup,  comme  la  plupart  des  Voyageurs  l'annoncent,  par  des  révolutions 
dont  les  caufes  augmentent  fans  cefTe ,  &  dont  il  eil  impollible  que  le 
tems  n'amène  pas  ï'occafion.  ^ 

(n)  Elle  ne  regarde  «lUc  fon.  tems.         ;     (0)  Voyages  de  Gage,  Part.  i.  Chap.  x,  ' 


.  :'-!!v7 


XyiII.  Paru 


H  h  h  h  Climat, 


DEJCRTrrroN 
DU  LA  Nou- 
velle   ËSPA* 
CKB. 


do8       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Climat  y  Petits  y   Marées,  Arbres,  Plantes,  Fruits,  Fleurs,  Aniviaux, 
.  Minéraux,  ^  autres  Produâions  de  la  Nouvelle  F.fpagne. 


Qualités  du 
Ciimat. 


.-a 


■  ..■j  -.j 


5.   I. 


';■"  -^    ^['    ■'[;'[' '^'^  Climat,  Vents  ^  Marges.  •     •     /  • 

ON  n'entreprendra  point  de  repréfenter  toutes  les  variétés  du  Climat, 
dans  un  Pays  auquel  on  donne  plus  de  quatre  cens  lieues  de  lon- 
gueur, de  l'Efl:  à  lOueft,  &deux  cens  de  largeur,  du  Nord  au  Sud:  mais, 
en  prenant  le  centre  pour  règle  moyenne,  la  Province  de  Mexique,  qui  eft 
fituée  entre  dix-neuf  &  vingt  dégrés  de  latitude  feptentrionale,  jouit  d'un 
air  fi  tempéré,  que  fuivant  l'expreflîon  d'un  Voyageur,  on  y  a  prefque 
toujours  froid  &  chaud  dans  le  même  tems  ;  froid  a  1  ombre,  &  chaud  lorf- 
qu'on  s'expofeau  Soleil.  Ainfi  ni  l'un,  ni  l'autre,  n'efl:  exceflîf  dans  au- 
cune faifon.  Cependant,  depuis  le  mois  de  Mars jufqu'à  celui  de  Juillet, 
la  mollefTe  des  Habitans  les  rend  plus  fenfibles  au  froid  ,  le  matin ,  &  leur 
fait  trouver  la  chaleur  trop  vive,  pendant  le  jour.  Après  le  mois  de  Juil- 
let, des  pluyes  abondantes  rafraichiiTent  l'air,  comme  dans  les  parties  des 
Indes  Orientales  dont  la  fituation  efl:  la  même.  Depuis  le  mois  de  Septem- 
bre jufqu'au  mois  de  Mars,  elles  deviennent  tout  à  la  fois  plus  rares  & 
moins  fortes.  Les  Indiens  donnent  le  nom  d'hiver,  ou  de  faifon  froide, 
aux  douces  nuits  qui  commencent  en  Novembre,  &  qui  durent  jufqu'au 
mois  de  Février;  mais  c'eft  la  faifon  dont  les  Européens  s'accommodent  le 
mieux  (a  ).  En  général ,  ils  fe  trouvent  bien  d'un  Climat,  qui  n'eft  jamais 
incommode  par  l'excès  du  chaud  ni  du  froid  :  d'autant  plus ,  ajoute  le  mê- 
me Ecrivain ,  que  l'eau  qu'on  y  boit  n'y  efl  jamais  plus  froide  que  l'air.  11 
n'y  a  point  d'année  où  la  terre  n'y  clonne  trois  récoltes.  La  première, 
qui  fe  fait  au  mois  de  Juin,  des  grains  femés  en  Oftobre,  fe  nomme  Moif- 
Jm  de  Riegê,  ou  d'Eau.  La  féconde,  nommée  deî  Temporale,  ou  deSaifon, 
fe  fait  en  Ofilobre,  de  ce  qu'on  a  femé  au  mois  de  Juin.  Pour  la  troifiè- 
me,  qu'on  appelle  Aventurera,  ou  accidentelle,  parce  qu'elle  efl:  moins 
certaine  {b),  on  feme  en  Novembre,  fur  la  pente  des  Montagnes  fraî- 
ches, &  le  tems  de  la  récolte  dépend  des  qualités  de  l'air.  Une  expérien- 
ce confiante  a  fait  reconnoître  que  le  maïz,  qiil  efl  la  principale  nourriture 

des  Habitans.  rapporte  beaucoup  plus  lorfqu'il  eflfemié  entre  les  mois  de 

•  .     1:  ■  ,  .    >■>■■_  •-..,•-    t..-.  ."I.    ^.     i,.t...-v.       Mars 


(a)  Carreri,    Tome  VI.    Chap.  3..  Les 

Sremiers  Hiftoriens  en  rendent  à-  peu  -  près 
(  même  compte.  Gomara  obferve  qu'à 
Mexico  „  le  Soleil  L'  levé  plus  tard  de  huit 
„  heures  qu'à  Tolède  en  Efpagne,  comme 
„  on  le  vérifie,  dit- il,  par  les  Eclipfes; 
„  que  le  8  de  Mai,  il  palTe  fur  Mexico 
„  vers  la  Tramontane,  &  tourne  jufqu'au 
„  15  de  Juillet,  pendant  lequel  tems  il  jette 
„  fes  ombres  vers  le  Midi  ;  que  le  Pays  eft 
„  de  telle  qualité,  que  les  hablllemens  ne 


„  font  pas  grand  ennui  :  &  quelquefois  n'y 
„  fait  gueres  bon  s'habiller  légèrement; 
„  mais  il  eft  très  fain  pour  la  vie  humai- 
„  ne".  Liv.  a.  Chap.  97,  Correal  fe  plaint 
qu'il  eft  quelquefois  mal  fain  autour  du 
Lac,  à  caufe  des  vapeurs  qui  s'en  exhalent. 
Chap.  3.  pag.  66. 

(  &  )  Auffi  Acofta  &  Laet  n'en  comptent- 
ils  que  deux.  Acofta,  Liv.s.Chap, 24.JLaet, 
Liv.  s.  Chap.  z. 


, . . . 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Li\6  H.        Cop 

Mari  &  de  Mai  (c).  C'efl:  alors  que  les  Volcans,  qui  font  en  fi  grand 
nombre  dans  la  Nouvelle  Efpagne,  func  leurs  plus  grandes  éruptions;  d'où 
l'on  conclue  que  les  foufres  de  la  terre  l'ont  dans  une  agitation  favorable  à 
cette  efpèce  de  grain. 

Dampier  obicrve  que  les  vents  certains  des  Côtes  font  les  mêmei  dans 
la  Nouvelle  Efpagne,  qu'en  Guinée, &  que  depuis  la  latitude  de  dix  dégrés 
aux  vingt,  du  côté  du  Nord,  ils  font  condamment  pr.efque  d'Ouefl:,  fur 
toute  la  Côte.  Entre  les  vents  changeans,  les  plus  incertains  &  les  plus 
irréguliers  font  ceux  qui  foufHent  entre  le  Cap  Gracias  de  Dios  &  le  Cap  h 
Vêla.  Le  plus  ordinaire  eft  entre  le  Nord-Ëlt  &  l'Efl:.  Il  Touffe  conftam* 
ment  entre  Mars  &  Novembre,  excepté  lorfqu'il  fe  trouve  repoufTé  par  les 
ouragans,  qui  fe  lèvent  prefque  toujours  contre  le  vent,  &  qui  font  ff^< 
quens  fur  cette  Côte,  dans  le  cours  de  Mai,  de  Juin,  de  Juillet  &  d'Août; 
fur- tout  entre  la  Rivière  de  Darien ,  &  Cofla  ricca.  Depuis  Oâobre  juf^^ 
qu'à  Mars ,  on  y  a  des  vents  d'Oueft ,  mais  qui  ne  font  ni  certains  ,  ni 
violens.  Ils  régnent  principalement  aux  mois  de  Décembre  &  de  Jan- 
vier. Avant  comme  après  ces  deux  mois ,  le  vent  réglé  n'eft  interrompu 
que  fefpace  d'un  ou  deux  jours ,  vers  le  tems  de  la  pleine  ou  de  la  nou- 
velle Lune;  &  lorfque  les  vents  d'Ouefl:  foufHent  le  plus  fort  ôc  le  plus 
long- tems  fur  cette  Côte ,  le  vent  réglé  d'Ed  n'en  règne  pas  moins  fut 
Mer,  comme  dans  tout  autre  tems.  Cependant  un  vent  du  Nord  repouiTe 
quelquefois  le  vent  réglé  fur  Cofla  ricca.  Ceux ,  qui  ont  un  voyage  de 
long  cours  à  faire  du  côté  du  vent ,  doivent  cboifir  le  tems  des  vents 
d'Oueft.  Autrement  ils  paflent  le  Golfe  de  Floride  &  font  route  au  Nord 
jufqu'à  la  hauteur  où  l'on  rencontre  les  vents  variables;  &  de-là  ils  tour- 
nent à  l'Eft  auffi  loin  qu'ils  le  jugent  à  propos ,  avant  que  de  revenir  âu 
Sud.  C'eft  la  route  qu'on  doit  faire  pour  le  voyage  de  la  Nouvelle  EÎr 
pagne  à  la  Guinée  (d). 

Les  vents  de  terre  font  d'une  force  extrême  dans  la  Baie  de  Campeche, 
entre  le  Cap  Concededo  &  le  Pays  montagneux  de  Saint-Martin;  À  leur 
force  fe  foutient  jufqu'à  deux  ou  trois  lieues  en  Mer.  Au  milieu  de  la 
Baie,  où  la  terre  court  de  l'Eft  à  l'Oueft,  les  vents  de  Mer  font  au  Nord, 
&  ceux  de  terre  au  Sud.  Ils  commencent  à  foufSer  vers  fept  ou  huit  heu- 
res du  foir,  &  continuent,  fur-tout  dans  k  faifon  feche,  jufqu'à  huit  ou 
neuf  heures  du  matin.  Dans  une  Ide  de  .  ' .  Baie,  que  le  grand  nombre 
de  Taureaux  &  de  Vaches,  dont  elle  eft  rei^plie,  a  fait  nommer  ïljle  aux 
Bœufs ,  les  vents  de  terre  font  fi  frais  &  portent  fi  loin  l'odeur  de  ces  A- 
nimaux  fauvages,  que  des  Pilotes,  faifant  voile  dans  l'obfcutité  de  la  nuit 
près  de  cette  Côte,  dnt  reconnu  l'Ifle  à  ces  deux  marques  j  fans  quoi,  ils 
le  feroient  trop  détournés  à  l'Oueft. 

Dans  tout  le  fond  du  Golfe  du  Mexique ,  depuis  les  Montagnes  de 
Saint- Martin  jufqu'à  Vera-Crux,  &  de-là  au  Nord  jufqu'à  ia  Rivière  de 
MiiTiiripi ,  les  vents  de  terre  font  auflTi  fort  bons.  Ils  ne  le  font  pas  moins 
au  fond  du  Golfe  de  «Honduras,  &  fur  toute  la  Côte,  entre  ce  Golfe  &  te 

Cap 


DifcRtmott 

DE    LA    NOU- 

viLLK   EsrA- 

ONX. 

Vents  dei 
Côtes. 


(c)  Carreri,  uhi  fuprà. 

(d)  Ceux,  à  qui  ces  termes  ne  font  pas 


familiers ,  peuvent  conûilter  l'article  tk-s  vcntr, 
au  Tome  XVII.  de  ce  Recwcil. 

Hhhh  2 


DCfCRIPTION 
I>C   LA     NOU- 

viLLB   E.in- 

OMI. 


Vent  nommé 
Suomafenta. 


6io       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Cap  de  la  Vêla ,  fans  autre  exception  que  les  Caps  &  les  Pointes ,  où  ce 
vent  manque  plus  ou  moins,  à  proportion  qu'ils  font  plus  expofés  aux  vents 
de  Mer.  Du  côté  de  la  Mer  du  Sud ,  les  Baies  ont  auHi  leurs  vents  frais 
déterre;  mais  dans  quelques-unes,  ils  ne  fe  lèvent  qu'à  minuit;  &  vers 
le  Nord ,  ils  ne  font  pas  H  certains  dans  la  faifon  humide  que  dans  celle  de 
la  fécherefle.  Les  plus  petites  Baies  de  Campéche,  jufqu'aux  Lagunes, 
jouiflent  de  l'avantage  des  vents  déterre.  Telle  eft  la  Lagune  de  'J'ii/i^ 
qui  n'a  que  trois  lieues  de  largeur,  &  qui  ed  féparde  de  la  Mer  par  Tlfle  de 
même  nom.  Les  vents  déterre  y  foufflent,  dans  la  faifon  feche,  depuis 
cinq  ou  fix  heures  du  foir,  jufqu'à  neuf  ou  dix  du  matin.  Cette  Lagune 
communique  à  deux  autres,  qui  en  font  féparées  par  des  terres  baffes ,  & 
dans  lefquellcsjes  vents  de  terre  font  plus  frais  encore.  Quelquefois  ils  y 
foufHenc  tout  le  jour,  ôc  même  trois  ou  quatre  jours  de  fuite  &  autant  de 
nuits.  Ils  femblent  impofer  filence  aux  vents  de  Mer;  ou  s'il  arrive  à 
ceuX'Ci  de  s'échapper  quelquefois  dans  ces  Lagunes ,  ce  n'efl  jamais  pour 
long-tems.  En  général  les  vents  de  terre  font  plus  forts  ou  plus  foibles , 
fuivanc  les  Pointes  &  les  détours  des  Côtes.  Sur  celle  du  Mexique ,  dans 
la  Mer  du  Sud ,  le  vent  de  terre  fouffle  prefque  toujours  de  la  terre  en 
droite  ligne;  ce  qui  donne,  aux  Pécheurs,  de  la  facilité  à  fe  mettre  en 
Mer  dans  leurs  Canots  d'écorce.  Le  vent  de  Mer  n'y  étant  pas  moins  ré- 
gulier, ils  partent  pour  la  pèche  avec  le  vent  de  terre,  &  reviennent  avec 
celui  de  Mer.  Dans  quelques  endroits,  au  lieu  de  ces  Canots  d'écorce, 
ils  fe  fervent  de  peaux  de  Veau  marin,  qu'ils  ont  l'art  d'ajufter  fort  pro- 
prement. Ils  y  font  comme  un  cou  de  velTte  ,  auquel  ils  mettent  un  tuyau 
pour  les  enfler.  Deux  de  ces  peaux  étant  attachées  enfemble,  le  Pê* 
cheur  fe  met  deflus  comme  à  cheval ,  &  s'y  tient  aufli  ferme  qu'un  Ca- 
valier fur  la  felle.  Pour  fe  conduire  fur  Mer,  il  a  dans  la  main  un  bâton, 
en  forme  de  rame  aux  deux  bouts ,  avec  lequel  il  pouffe  l'eau  en  arriére 
d'un  côté  &  de  l'autre.  Ces  vents  de  Terre  &  de  Mer  font  d'une  admi- 
rable utilité  dans  cette  partie  du  Monde,  où  les  vents  généraux  régnent 
fi  impérieufement ,  comme  les  Mouffons  aux  Indes  Orientales  ,  que  fans  ce 
fecours  la  Navigation  y  feroit  impoifible.  On  fait  ainfi  jufqu'à  deux  ou 
trois  cens  lieues  malgré  le  vent  général ,  particulièrement  de  la  Jamaïque  à 
la  Lagune  de  Trifl ,  dans  la  Baie  de  Campéche ,  &  de  l>ifl  à  la  Jamaïque. 
C'efl  à  la  vérité ,  fuivant  l'obfervation  de  Dampier ,  un  des  plus  longs  voya- 
ges qui  fe  faffenc  à  la  faveur  de  ces  vents.  On  s'en  fert  de  même ,  pour 
aller  de  quelque  endroit  du  Golfe  du  Mexique  à  l'Ifle  de  Cuba.  Dans  la 
Mer  du  Sud  ,  au  Nord  de  la  Ligne ,  c'efl  à  la  faveur  des  mêmes  vents ,  que 
les  Efpagnols  font  tous  leurs  voyages  fans  s'éloigner  de  la  Côte.  On  fe  pro- 
met un  bon  vent  de  terre ,  lorfqu'on  voit,  avant  la  nuit,  des  brouillards 
épais  qui  fe  répandent  fur  la  terre,  &  qui  paroiffent  y  croupir  comme 
une  fumée.  Si  ce  ligne  manque ,  le  vent  efl  foible  &  de  peu  de  durée , 
du  moins  dans  la  belle  faifon  ;  car  pendant  celle  des  pluies  on  voit  fouvent 
croupir  les  brouillards,  fans  qu'ils  foient  fuivis  d'aucun  vent.  Dampier 
remarque  auffi  que  ces  vents  de  terre  font  beaucoup  plus  froids  que  les 
vents  de  Mer. 
La  Baie  de  Campéche  efl  fujette  à  d'autres  vents ,  qui  ne  foulflent 


ou  DF  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       6ii 

3u*aux  mois  de  Février,  de  Mars  &  d'Avril,  entre  le  Pays  montagneux 
e  Saint-Martin  &  le  Cap  Concedcdo,  c'eft-àdire  ,  dans  l'efpacc  d  envi- 
ron cent  vingt  lieues.  On  les  nomme  Summafenta.  Ils  ne  font,  ni  vents 
de  Terre,  ni  vents  de  Mer;  puifqu'ils  diffèrent  également  des  uns  &  des 
autres  en  durée;  mais  ils  foufflent  de  terre  en  partie.  Leur  cours  ordinai- 
re efl  à  l'Eft-Sud  Cft,  &  dure  quelquefois  nuit  &  jour  pendant  toute  une 
femaine.  Ils  font  frais  &  fecs.  Les  Vaiffeaux  ,  qui  partent  de  Trift  à 
.  la  faveur  de  ces  vents ,  arrivent  au  Cap  Concededo  en  trois  ou  quatre 
jours;  tandis  qu'avec  tout  autre  vent,  de  Terre  ou  de  Mer,  ce  voyage 
ne  fe  fait  jamais  en  moins  de  huit  ou  dix  jours.  Ils  font  plus  froids  que 
les  vents  de  Mer,  fans  l'être  autant  que  ceux  de  terre,  &  beaucoup  plus 
forts  que  les  uns  &  les  autres.  On  ne  s'apperçoit  point  d'ailleurs  qu'ils 
altèrent  plus  la  fanté.  C'efl  ordinairement  dans  les  plus  bafles  marées  qu'ils 
fe  font  fentir. 

Sur  la  Côte  du  Mexique  dans  la  Mer  du  Sud ,  entre  le  Cap  Blanc  (*)  & 
Realejo  (/),  c'eft-àdire  dans  une  diftance  de  quatre-vingts  lieues,  on 
trouve  un  vent,  que  les  Efpagnols  nomment  Popoga'ios^  &  qui  ne  règne  qu'aux 
mois  de  Mai,  de  Juin  &  de  Juillet.  Il  fouffle  jour  &  nuit,  fans  intermil- 
fion,  quelquefois  trois  ou  quatre  jours»  &jufqu'à  huit  de  fuite.  C'efl:  un 
vent  frais ,  mais  fans  violence.  Dampier  le  trouva  au  Nord ,  dans  fon 
Voyage  autour  du  Monde. 

On  diftingue,  dans  le  Golfe  du  Mexique,  trois  fortes  de  Tempêtes, 
fous  les  noms  de  Norrfj,  de  Suds^  &  d'Ouragans.  Elles  reviennent  à-peu- 
près  dans  les  mêmes  faifons  ;  &  fuivant  l'obfervation  commune  elles  font 
annoncées,  quelques  heures  auparavant,  par  divers  préfages. 

Les  Nords  font  des  vents  d'une  violence  extrême,  qui  foufflent  fréquem- 
ment dans  le  Golfe,  entre  le  mois  d'Oftobre  &  celui  de  Mars.  On  s'y  at- 
tend alors  vers  la  pleine  ou  la  nouvelle  Lune  :  mais  les  plus  violens  arri- 
vent aux  mois  de  Décembre  &  de  Janvier.  Quoiqu'ils  s'étendent  plus  loin 
que  le  Golfe,  c'efl:-là  qu'ils  font  plus  fréquens  &  qu'ils  caufent  leurs  plus 
grands  ravages.  Leur  plus  grande  force  eft  toujours  au  Nord  Nord-Oueflr. 
Ils  font  ordinairement  précédés  d'un  tems  clair  &  ferein.  Si  quelque  vent 
fouffle,  c'eft  un  fort  petit  vent,  qui  n'efl:  pas  proprement  le  vent  réglé  de 
Côte,  mais  un  vent  d'Ouefl:  ou  deSud-Oueft:,  dont  la  durée  eft  d'un  jour 
ou  deux  avant  la  tempête.  Un  reflux  extraordinaire ,  qui  laifTe  à  peine  re- 
marquer aucun  flux  pendant  un  ou  deux  jours ,  eft  un  autre  préfage  du 
Nord.  Les  Oifeaux  de  la  Mer  en  font  un  troifièmer  ils  fe  retirent  en  grand 
nombre ,  fut  des  Terres  qu'ils  ne  fréquentent  point  dans  un  autre  tems.  Mais 
le  plus  remarquable  de  tous  les  lignes  eft  un  nuage  fort  noir ,  auNord-Oueft, 
qui  s'élève  jufqu'à  dix  ou  douze  dégrés  au-defl"us  de  l'horifon.  Le  bord  de 
fa  partie  fupérieure  paroît  fort  uni;  &  lorfqu'elle  arrive  à  fix,  huit,  dix, 
ou  douze  dégrés  ,  le  nuage  demeure  parallèle  à  l'horifon  dans  cette  forme 
-&  fans  aucun  mouvement.  Cet  état  continue  quelquefois  deux  ou  trois 
jours  avant  la  tempête,  <&  quelquefois  douze  ou  quatorze  heures  feulement, 

mais 

(e)  A  neuf  degrés  cinquante-fix  minutes        (/)  A  onze  dégrés  de  la  mêmelatitude^ 
du  Nord. 

Hhhh  3 


Dbscrîption 
Ds  L\   Nou- 
vel LK    li^r*- 
u.sr. 


Vent  iiommié 


Temjiêccs 
du  Golfe  du 
Mexique. 


Nords. 


613        DESCRIPTION    DU    M  E  X  I  Q.U  E, 

DifcnirrioN  niais  jamais  moins.    Si  proche  de  l'horifon ,  le  nuace  (g )  ne  paroît  que 

vtii'u^  l^rïi  '^'  ^^'^^  ®"  '•-'  '"'*''"  »  ^'^^  '^'^"'  ^^  moins,  qu'il  eii  le  plus  noir;  &  l'cx- 
o.\K.  pcricncc  a  trop  apf)ri8  que  dans  cette  partie  du  Monde,  &  dans  la  faifon 
qu'on  a  nommée,  il  annonce  toujours  une  furicufe  tempête.  Quoiqu'on 
n'en  rcfllnte  pas  toujours  les  clfcts,  parcequ'clle  pafle  quelquefois  laos 
nuire  beaucoup ,  on  s'y  prépare  avec  toutes  fortes  de  précautions.  Si  le 
vent  tourne  au  Sud  avec  un  beau  tcms,  c'efl:  im  fiene  infaillible  du  plui 

§rand  défaflre.  Pendant  qu'il  continue  au  Sud-SudOuell ,  ou  à  l'Ouefl: 
u  côté  du  Sud ,  il  Ibulîle  alfez  doucement  j  mais  dès  qu'il  arrive  au  Nord 
de  l'Ouefl:,  fa  force  augmente.  1!  tourne  aulTi-tot  au  NordOueft,  où  U 
redouble  encore;  &  de-là  au  Nord- Nord- Ouefl,  où  il  le  foutient  le  plui 
long-tcms,  avec  la  dernière  force.  La  tempête  ne  dure  pas  moins  dé 
vingt-quatre  heures,  &  continue  quelquefois  jufuu'au  double.  Lorfque  le 
vent  commence  au  NordOueft,  fi  le  nuage  palle,  elle  n'a  que  la  duréç 
paflagère  d'un  Tornado^  &  le  tems  redevient  fort  ferein.  Alors  le  vent  fe 
ioutient  au  Nord  Ouefl:,  avec  une  force  médiocre;  ou  bien  il  retourne  à 
l'Ell,  &  continue  dans  cette  direâion.  Quelquefois,  le  tems  e(l  clair  & 
fec  pendant  la  tempête,  &  quelquefois  elle  efl:  accompagnée  de  beaucoup 
de  pluie.  Quoique  les  nuées ,  qui  amènent  la  pluie,  viennent  du  NordOuefl: 
&  du  Nord- Nord  Ouefl: ,  le  nuage  qui  efl:  proche  de  l'horifon  paroît  immo- 
bile. Si  le  vent  change  tout-àf coup  du  Nord  NorJ-Ouefl:  au  Nord,  c'efl; 
un  figne  que  la  tempête  a  fait  Ton  plus  grand  effort;  fur  tout,  lorfqu'il  tour- 
ne à  l'Efi:  du  Nord.  Alors  il  change  bientôt  à  l'Efl:,  où  il  fe  foutient,  & 
le  beau  tems  renaît.  Mais  s'il  retourne  du  Nord  au  Nord-Ouefl:,  il  conti- 
nue plus  d'un  jour,  avec  fa  première  force  ik  quantité  de  pluie.  Les  An- 
glois  ont  trouvé  l'arc  de  fe  fervir  heureufement  des  Nords  pour  revenir  char- 
gés, de  Campèche  à  la  Jamaïque;  &  quoiqu'ils  arrivent  quelquefois  fort  mal- 
traités ,  ils  fe  vantent  de  n'avoir  jamais  perdu  de  Vailfcau  dans  ces  tempê- 
tes: mais  les  Efpagnols,  donc  la  manœuvre  ell  diiféreute,  en  fouffrent  beau- 
coup, &  palTent  rarement  une  année  fans  perdre  quelqu'un  de  leurs  meil- 
leurs Bâtimens  (A). 
Suds.  Les  Suds  font  aufli  fort  violens.     Leur  faifon  efl:  dans  le  cours  de  Juin, 

Juillec  &  Août,  tems  où  les  Nords  ne  foufflenc  jamais.     Comme  leur  plus 
grande  violence  efl:  au  Sud,  il  y  a  beaucoup  d'apparence  que  c'efl:  de-là 
n  u-?:      ;".        .     i  r^    '' >  -J-v    "' •  ■    .    -f  ^TJ^;  «/  'il  v^        qu  ils 


( g^  Les  Angiois  l'appellent,  dans  leur 
Langue,  Banc  du  Nord. 

(b)  Oïl  croyoit  autrefois ,  dit  Dampicr , 
qu'il  étoit  fort  dangereux  d'être  furpris  dans 
le  Golfe  du  Mexique  par  la  tempête  qu'on 
appelle  Nord.  Pour  l'éviter,  nos  Vaifleaux 
de  la  JamaïqUw-  faifoient  route  Eft  ,  dans 
cette  (aifon  ;  &  paflTofent  par  les  Cacufes , 
Bancs  de  fable  au  Nord-Oued  de  l'ifle  lif- 
pagnole.  Ceux  qui  partoient  de  Port-Royal 
dans  la  Jamaïque  avoient  raifon;  car  (1  le 
Nord  les  prenoit  à  leur  départ,  il  les  avan- 
çoit  dans  leur  route  ;  au  lieu  qu'en  paflant 
par  le  Golfe  il  les  auroit  repoulTés;  outre 


que  le  vent,  qui  foufilo  contre  le  courant, 
enfle  fi  furicufcmcnt  lu  Mer,  qu'à  peine  un 
VaiflTeau  peut  y  réfiftcr  M;iis  on  pafle  au- 
jourd'hui le  Golfe  en  tout  tems  de  l'année. 
Quand  il  arrive  un  Nord,  on  s'abandonne 
au  vent  &  à  la  Mer  avec  une  feule  voile.  La 
force  du  vent.  quigrolUt  la  Mer  en  vagues, 
&  qui  les  emporte  au  Sud ,  n'empêche  pas  le 
courant,  fous  la  (urfacc  de  l'eau,  de  courir 
9U  Nord;  &  ce  n'ert  pas  une  chofe  extraor- 
dinaire de  voir  deux  courans  oppofés,  en 
môme  tems  &  en  môniL:  lieu,  la  furfucc  de 
l'eau  s'avançant  d'<on  côté  t\  le  relie  à  l'op- 
pofé.    /Ippendix  auTome  m,  page  97. 


ii.i 


'  j  ' 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.   II.        f^ri 

qu'ils  tirent  leur  nom.  Ils  ne  difTèrtnt  tics  ourap;ans,  qiVcn  ce  qu'ils  lont 
nioiiiîi  fiijcts  à  fauter  de  rhumb  en  rhumb,  Ci:  qu'ils  les  devancent  pour  U 
faifon.  «. 

Les  Ouragins  font  les  plus  terribles  tempêtes, auxquelles  !e Golfe duMexi- 
que  Se  toutes  les  Antilles  foient  expuîes.  Elles  arrivent  ordinairemenr,  aux 
mois  de  juillet,  d'Août  &  de  Septembre,  toujours  annoncées,  comme  les 
Nords  ôi  iesSuds,  par  des  fignes  qui  leur  font  propres.     Les  defcripuons 

3u'on  en  trouve  dans  les  Voyageurs ,  s'accordent  toutes  a  les  faire  précé- 
er  d'un  fore  beau  tcms,  avec  un  petit  venx  ihutcur,  qui  ne  refl'emblc  point 
aux  vents  communsi  ou  par  une  très  grolle  pluie;  ou  par  un  mélange  de 
pluies  &  de  calmes.     Les  nuages,  qui  précèdent  l'Ouragan,  dilfèrent  de 
ceux  qui  précèdent  le  Nord,  en  ce  que  les  derniers  font  unis,  réguliers, 
&  d'une  exadle  groiïeur,  depuis  l'boiifon  jufqu'à  leur  partie  fupérieure;  au 
lieu  que  les  nuages  de  l'Ouragan  s'élèvent  avec  une  efpèce  de  pompe,  & 
s'avancent  fi  rapidement,  qu'on  croit  remarquer  entr'eux  une  forte  d'ému- 
lation.    Cependant,  comme  ils  font  engagés  l'un  dans  l'autre,  leur  mouve- 
ment eft  égal.    On  donne  encore  pour  diflérence,  que  les  bords  de  ces  nua- 
?;es  font  de  diverfes  couleurs,  dont  le  contrafte  forme  un  fpeftacle  ef- 
rayant:  l'extrémité  paroic  couleur  de  feu  pàl2,  fuivie  d'un  jaune  foncé, 
puis  d'une  couleur  de  cuivre;  &  le  corps  du  nuage,  qui  efl:  extrémemcnc 
épais,  efl:  d'une  horrible  noirceur.    Les  effets  des  Ouragans  font  trop  con- 
nus pour  demander  une  longue  peinture.     Dampier  efl  perluadé  que  l'Ou- 
ragan des  Indes  Occidentales  &  le  Typhon  des  grandes  Indes  font  la  mê- 
me tempête  fous  des  noms  différens.    Ils  ont,  dit  il,  les  mêmes  préfages, 
le  nuage  divcrlifié  par  la  même  variété  d'affreufes  couleurs,  le  vent  qui  fe 
lève  au  même  point,  &  d'une  force  étonnante,  avec  des  torrens  de  pluie; 
tout  cela  fuivi  d'un  calme,  &  puis  d'un  vent  au  SudOueft,  aufli  violent 
que  le  premier  l'eft  au  Nord  EU.     L'un  &  l'autre  arrivent  dans  la  même 
laifon  de  l'année,  &  prefque  toujours  vers  la  pleine  ou  la  nouvelle  Lune. 
Enfin  les  Régions  où  ces  météores  fe  forment  font  dans  l'hémifphere  du 
Nord,  quoique  leurs  latitudes  ne  foient  pas  exaftement  les  mêmes. 

Comme  on  n'a  rien  die  des  Saifons ,  &.  de  la  nature  des  Marées  &  des 
Courans  (i),  qui  ne  puilTe  être  appliqué,  du  moins  par  les  principes, 
aux  différentes  parties  de  la  Nouvelle  Efpagne  &  des  Mers  qui  lavent 
fés  Côtes,  il  fuffira  de  raffembler  ici  quelques  obfervations  difperfées  dans 
les  Voyageurs. 

Sur  la  plus  grande  partie  de  la  Côte  du  Mexique ,' dans  la  Mer  du  Sud, 
le  flux  &  le  reflux  font  d'environ  cinq  pies.  A  Realejo  &  dans  le  Golfe 
d'Amapalla ,  ils  font  d'environ  huit  ou  neuf  pies.  Dans  le  Golfe  dolce  & 
la  Rivière  deNicoya,  la  marée  monte  jtifqu'à  dix  &  onze  pies.  Sou  cours 
efl:  à  l'Efl;  &  fon  retour  à  l'Oueft. 

Dans  la  Baie  de  Campêche,  la  Mer  qui  flue  &  reflue  dans  toutes  les 
Lagunes  en  fort  avec  tant  de  rapidité ,  que  les  Efpagnols  ont  donné ,  à  la 
grande  Lagune  deTrifl:,  le  nom  de  Laguna.  Termina^  c'efl-à-dire  Lac  des 


DR    I.A     NdO- 

Vul  I  i.     Ivi'A- 

C.NH. 

Oiur.gar.:. 


Comprjaifon 
de  r(3iiia;:;an 
&duTyiihon. 


Marée». 


<i)  Tome  XVII.  de  ce  ÏLecueil. 


;li.-.i 


DESCRIPTION 

DE     L.\    NOO- 

VCLI.K     EîI'A- 

GMÎ. 

Courans. 


614        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Marées.    Cependant  l'élévation  de  l'eau  n'y  a  point  de  proportion  avec  fa 
rapidité;  &  le  ilux  n'y  ell:  ordinairement  que  de  fix  ou  fept  pies. 

On  a  remarqué,  dans  un  autre  endroit,  que  par  tout  où  les  vents  réglés 
prédominent,  les  Courans  fuiventle  Vent,  &  que  leur  plus  grande  force 
eft  toujours  près  des  Côtes,  fur-tout  vers  les  Caps  qui  s'avancent  fort  loin 
en  Mer.  Cette  obfervation  ne  fuffit  pas  feule  pour. expliquer  l'extrême  va- 
riété des  Courans  fur  la  Côte  de  Veragua,  de  Coda  ricca ,  de  Honduras,  & 
dans  toute  la  grande  Baie  qui  eft  entre  le  Cap  de  Vêla  &  celui  de  Gracia 
de  Dios.  Tous  les  Voyageurs  conviennent  qu'il  n'y  a  point  de  partie  des 
Indes  Occidentales  où  les  Courans  foient  moins  réguliers,  &  n'en  peu- 
vent trouver  d'autre  caufe  que  la  figure  de  la  Terre,  qui  court  Sud,  entre 
ces  deux  Caps. 

Depuis  le  Cap  Gracia  de  Dios\  le  Courant  fe  porte  au  Nord-Oueft  vers 
le  Cap  Cocoche,  dans  l'Yucatan,  &  pafle  de  là  au  Nord  entre  cp  dernier 
Cap  &  celui  de  Saint- Antoine  dans  l'Ille  de  Cuba.  Au  Nord  de  l'Yucatan, 
paflant  dans  la  Baie  de  Campêche,  on  trouve  un  petit  Courant  qui  fe  por- 
te à  rOueft  jufqu'au  fond  du  Golfe  du  Mexique;  mais,  du  côté  Septentrio- 
nal du  Golfe ,  il  fe  porte  à  l'Eft.  C'eft  ce  qui  oblige  les  Navigateurs  de 
ranger  cette  Côte,  en  venant  de  Vera-Cruz.  On  juge  que  le  Courant,  qui 
fuit  la  Côte  depuis  le  Cap  Saint- Auguftin  jufqu'au  Cap  Cotoche,  n'entre 
jamais  dans  le  Golfe  du  Mexique,  mais  panche  du  côté  du  Nord,  jufqu'à 
la  Côte  de  Floride;  d'où  tournanr  à  l'Eft  vers  l'embouchure  du  Golfe  & 
fe  joignant  avec  le  petit  Courant  qui  fe  porte  aux  parties  feptentrionales 
de  rifle  Efpagnole  &  de  celle  de  Cuba,  il  pafle  avec  ce  Courant  par  le 
Golfe  de  Floride,  dont  le  Courant,  fameux  par  fa  rapidité,  va  toujours 
au  Nord.  Cependant  comme  il  y  a  des  marées  de  chaque  côté  du  Golfe, 
fur- tout  du  côté  de  la  Floride,  un  Pilote  bien  inftruit  pafle  &  repafle  aifé- 
ment  (*).  Au  refte  tous  les  Courans ,  fuivant  l'obfervation  de  Dampier, 
changent  leurs  cours  en  certains  tems  ;  avec  cette  différence,  que  dans  les 
Indes  Orientales,  ils  courent  de  l'Eft  à  l'Oueft,  pendant  une  partie  de  l'an- 
née, &  de  rOueft  à  l'Eft,  pendant  l'autre;  au  lieu  que  dans  les  Indes  Oc- 
cidentales ,  ils  ne  changent  que  vers  la  pleine  Lune.  Sur  les  Côtes  de  la 
Nouvelle  Efpagne,  dans  la  Mer  du  Sud,  le  même  Voyageur  croit  avoir 
vérifié  que  les  Courans  fuivent  exaélement  le  vent  réglé  delaCôte(/).  Woo- 
des  Rogers  remarque  (  m  )  que  ies  Vers ,  qui  fourmillent ,  dit-il ,  le  long 
de  ces  Côtes ,  font  plus  gros  &  rongent  beaucoup  plus  la  carène  des  Vaif- 
feaux,  que  tous  ceux  qu'il  avoit  trouvés  dans  d'autres  lieux. 


(*)  Voy. ci-deflus. 

(i)  Dampier,  ubi  fuprà. 


(m)  Voyage  autourduMonde,T,]I.  p.98. 


5.     II. 


ArhteSi  Plantes ,  Fruits  &  Fleurs.. 

LA  fituation  des  principales  Provinces  de  la  Nouvelle  Efpagne  &  les 
qualités  du  climat  ne  doivent  laiflTer  aucune  défiance  des  Voyag^nirs, 
lorfqu'ils  nous  repréfentent  cette  grande  Région  comme  une  des  plus  àgréa- 

blçs 


avec  fa 

its  réglés 
de  force 
fort  loin 
rême  va- 
duras,  & 
e  Gracia 
artie  des 
l'en  peu- 
id,  entre 

)ueft;  vers 
f  dernier 
Yucatan , 
Il  fe  por- 
iptentrio- 
iteurs  de 
rant,  qui 
,  n'entre 
l,  jufqu'à 
Golfe  & 
ntrionales 
nt  par  le 
toujours 
lu  Golfe, 
lafle  aifé- 
Dampier, 
e  dans  les 
e  de  l'an- 
ndes  Oc- 
ites  de  la 
roit  avoir 
;/).Woo- 
,  le  long 
des  Vaif- 


,  T.  II.  p.  98. 


;ne 


&  les 

oyagv-nirs, 

3lus  àgréa- 

blçs 


.,':  >.-.l7></5^    ul/r.i- 


j.^Xajpote^  Ole  tJàfo(ze'?\  z .  */àpodllt^.  j .  Cacaodcr.  4  .  Cacao 


Choco 

en  éto 

voir 

peuve 

Jus, 

Père 

a. 

Labat 


VKLLE 
CNB. 


pu  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       615 

blés  &  des  plus  fertiles  du  Globe  terreftre.  Outre  Tes  produftions  naturel-  DMCRirrio» 
les,  on  fe  perfuade  aifément  que  depuis  la  Conquête  des  Efpagnols,  elle  eft  ^l^^^  ^"i". 
enrichie  de  la  plupart  des  Plantes  de  l'Europe ,  qui  doivent  avoir  acquis  de 
nouvelles  perfeélions  fous  un  11  beau  Ciel.  Mais  cet  article  ne  contiendra , 
fuivanc  notre  ancienne  méthode,  que  les  produflions  particulières  au  Pays 
&  celles  qui  fe  font  diftinguer  par  leur  excellence.  Toutes  les  autres  font 
renvoyées  à  l'article  qu'elles  regardent,  fous  le  titre  général  d'Hiiloire  na- 
turelle de  TAmérique. 

Donnons  le  premier  rang  au  Cacaotier,  qui  tire  proprement  Ton  origi-  Le  Cacaotier. 
ne  du  Mexique  (â),  conmie  il  en  fait  une  des  principales  richefles.    On 
nous  donne,  non-feulement  fa  figure,  mais  la  manière  dont  les  Mexiquains 
le  cultivent  (b).    On  feme  les  grains  de  cacao  dans  une  terre  chaude  &. 
humide ,  l'œil  en  haut  &  bien  couverts  de  terre.    Les  arbrllfeaux  paroiflent 
vers  le  quinzième  jour  ;  mais  ils  font  deux  ans  à  croître  de  la  hauteur  de 
trois  palmes.    On  les  tranfplaite  alors ,  en  les  arrachant  avec  toute  la  terre 
qui  couvre  leurs  racines.    On  les  met  en  allignement ,  à  dix-huit  palmes 
l'un  de  l'autre ,  avec  un  échalas  à  chacun  pour  les  fupporter ,  &  des  pla- 
tanes ou  d'autres  arbres  fruitiers  à  rentour,parcequ'iIs  demandent  de  l'om- 
bre.   On  retranche  du  pié  tous  les  rejetions ,  qui  les  empêcheroient  de  s'é- 
lever.   On  nettoie  1^  terrein  de  toutes  fortes  de  mauvaifes  herbes  ;  &  l'on 
s'attache  fur- tout  à  garantir  les  Plantes ,  du  froid,  de  l'excès  d'eau,  &  de 
certains  Vers  qui  les  rongent.    Dans  l'efpace  de  cinq  ans,  elles  deviennent 
hautes  de  fept  palmes,  &  çrolTes  comme  le  poing.    C'eft  alors  qu'elles 
commencent  à  porter  du  fruit.    Leurs  feuilles  reflemblent  à  celles  du  Châ- 
taignier, mais  elles  font  un  peu  plus  étroites.    La  fleur  croît,  comme 
aux  Jafmins,  fur  le  tronc  &  fur  les  branches;  mais  à  peine  refte-t'il  un 
quart  du  nombre.    Il  s'en  forme  une  goufle,  delà  forme  de  l'épi  du  blé 
d'Inde,  verdâtre  avant  fa  maturité,  ordinairement  brune  lorfqu'elle  eft 
mûre,  mais  quelquefois  jaune,  blanche  &  bleue.    Cette  goufle  contient 
les  grains,  ou  les  amandes  du  cacao  ,  couverts  d'une  fubftance  mucila- 
gineufe  dont  ils  tirent  leur  nourriture.    La  récolte  s'en  fait   un  peu  a- 
vant  la  nouvelle  Lune.     On  ouvre  les  gôufles  avec  un  couteau  ;  on  en  tire 
le  fruit,  qu'on  fait  fecher  à  l'ombre  pendant  trois  jours,  &  pendant  trois 
jours  au  Soleil,"  &  cette  opération  le  renouvelle  alternativement  jufqu'à 
ce  qu'il  foit  tout-à-fait  fec.  On  remarque  que  les  Cacaotiers  ne  rendent  pas 
l'air  fort  fain. 

La  Vanille,  fuivant  le  même  Voyageur,  eft  une  canne   d'Inde  de  la 

grofleur  du  doigt ,  que  les  Efpagnols  nomment  Fexuco  ou  Banilla  (<;),& 

■       /-     -  •  _   -  .  -   •  •::---.  -r.,r   'r   -  ■  _  qui 


La  Vanille 
ou  le  Meclia- 
fuchil. 


rav 


(a)  C'eft-à-dire,  pour  fon  ufagc  dans  le 
Chocolat,  car  d'autres  parties  de  l'Amérique 
en  étoient  rempiles.  Ceux,  qui  veulent  la- 
voir comment  il  fe  cultive  dans  nos  Ifles, 
peuvent  confulter  le  Traité  de  Mr.  de  Cai- 
lus ,  Ingénieur  d^s  Illes  Françoifes  ,  &  le 
Père  Labat,  TonicVL  Chap.  17. 

(6)  Carreri,  TomeVL  page 221,  &  fuiv. 
Labat  le  cenfure  durement,  fans  faire  attuii* 

XniL  Part. 


tion  que  ce  Voyageur  ne  parle  que  de  la  mé- 
thode des  Mexiquains,  bonne  ou  mauvaife. 
On  parlera  du  cacao  des  Ifles,  &  de  fa  cul- 
ture, dans  leur  article. 

(  c  )  Dampier  donne  à  la  Vanille  le  nom 
de  Vinello.  Voici  fa  defcription.  C'eft  une 
petite  goufle,  pleine  de  petites  graines  noi- 
res, longues  d'environ  quatre  ou  cinq  pou- 
ces ,  &  de  la  grofleur  de  la  côte  d'une  feuille 
liii  de 


DiscifPTioir 

ne  LA  Nou- 

▼U.LE     EiFA- 
GMB. 


L'AcIiiote. 


Comment 
?cs  Mexi- 
«juains  font 
2c  chocolat. 


!     I 


6î6       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

qui  s'entortille,  comme  le  Lierre,  autour  des  Orangers.  Elle  produit  des 
goufles,  vertes  quand  on  les  prend  fur  l'arbre,  mais  qui  étant  léchées  au 
Soleil ,  avec  le  foin  de  les  étendre  pour  les  empêcher  de  s'ouvrir ,  devien- 
nent à  la  fin  dures  &  noires.  Les  Ëfpagnols  jettent  deflus ,  par  interval- 
les, du  vin  fort,  après  y  avoir  fait  bouillir  une  des  goufles ,  coupée  en 
plufieurs  pièces.  La  Vanille  croîc  particulièrement  fur  la  Côte  méridionale 
de  la  Nouvelle  Efpagne. 

L'AcHioTE  croîc  auflî  fur  un  arbrifleau ,  dans  des  goufles  rondes  &  rem- 
plies de  grains  rouges,  qu'on  réduit  premièrement  en  pâte.  Enfuite,  après 
l'avoir  fait  fécher,  on  en  forme  des  boules  rondes,  des  gâteaux,  ou  de 
petites  briques  (d). 

C'est  particulièrement  des  trois  graines  précédentes,  que  lesMexiquains 
compofoient  la  fameufe  liqueur  à  laquelle  ils  donnoienc  le  nom  que  les 
Ëfpagnols  ont  emprunté  d'eux,  en  adoptant  le  mêmeufage,  &  qu'ils  ont 
communiqué  à  toute  l'Europe.  On  le  croit  formé  du  mot  Indien  Âtl  ou 
j/ittl,  qui  lignifie  de  l'eau ,  &  du  bruit  ou  du  fon  ,  que  l'eau  rend  dans  le 
vaifleau  où  l'on  met  le  Chocolat ,  lorfqu'on  la  remue  avec  un  moulinet ,  pour 
la  faire  bouillonner  en  écume.  Il  ne  fera  pas  inutile  de  rapporter,  après 
Gage ,  la  préparation  des  Mexiquains:  le  principal  ingrédient,  dit-il,  après 
en  avoir  fait  douze  ans  fon  étude,  efl:  le  Cacao,  qui  eft  une  forte  de  noi- 
fette  ou  de  noyau,  plus  gros  qu'une  amande,  .&  qui  croît  fur  un  arbre  qu'on 

nomme 


â 


de  tabac,  à  laquelle  elle  reffemble  fort,  lorf- 
[u'ellc  efl:  feche.  Elle  croît  fur  \m  petit  pié 
e  vigne,  qui  monte  &  fe  foutient  à  la  fa- 
veur des  arbres  voiflns ,  autour  defquels  il 
s'entortille.  Il  poufTe  d'abord  une  fleur  jau- 
ne, d'où  procède  enfuite  la  gouflTe,  qui  eil 
verte  au  commencement,  &  jaune lorlqu'elie 
eft  mûre.  Alors  les  Indiens ,  qui  cultivent 
cette  Plante,  la  vendent  aux  Ëfpagnols  à 
bon  marché,  la  cueillent  &  la  mettent  au 
Soleil;  ce  qui  la  rend  douce  &  d'un  gris  châ- 
tain. Enfuite  ils  la  preflent  fouvent  entre  les 
doigts ,  mais  fans  l'applatir.  Je  ne  fais  fi  les 
Indiens  y  font  autre  chofe,  mais  j'ai  vu  les 
Ëfpagnols  polir  ce  fruit  avec  de  l'huile.  La 
première  fois ,  que  j'ai  eu  l'occaHon  d'en 
voir,  efl  à  Gatulco  fur  la  Mer  du  Sud.  Il  s'en 
trouve  aullî  près  d'une  \'ille  nommée  Car- 
bouca ,  dans  le  Pays  de  Campêchc.  On  en 
fait  beaucoup  de  cas  pour  parfumer  le  cho- 
colat. Foyage  autour  du  Monde,  Tome  I. 
pag.  2  o  On  ne  peut  concilier  ces  deux  té- 
moignages, qu'en  fuppofant  la  Plante  &  les 
méthodes  différentes ,  dans  les  Cantons  du 
Pays  que  les  deux  Ecrivains  avoient  vifités. 
F'oyez  le  Père  Labat,  qui  a  trouvé  de  la  Va- 
nille en  divers  endroits. 

Nota.  I.a  Figure  de  la  Vanille  fe  trouve 
auTomeXVi.  de  ce  Recueil.  R.  d.  E. 

(J)  Gage,   Part.  2.  page  143.    Le  nom 
Jblexiquain  eft  Acbiotk    D'autres  rappellent 


Cban^uarîc ,  &  d'autres  Pamae.  Voici  la 
defcription  de  François  Ximenez.  L'arbre  a 
le  tronc ,  la  grandeur ,  &  la  forme  de  l'O- 
ranger.  Ses  feuilles  refl*emblent  i  celles  de 
l'Orme,  par  la  couleur  &  la  rudeflè.  L'é* 
corce  du  tronc  &  des  branches  font  d'un  roux 
verd.  Les  fleurs  forment  une  forte  d'étoile  à 
cinq  rayons,  dont  la  couleur  eft  d'un  blanc 
rougeàtre.  Le  fruit  eft  dans  une  efpëce  de 
coque,  de  la  grandeur  &  de  la  forme  de 
celle  de  l'amande.  Elle  s'ouvre,  dans  fa 
maturité,  &  laiflTe  voir  une  graine  rouge, 
aflez  femblnble  à  celle  du  tailin ,  mais  plus 
ronde.  Les  Indiens  eftiment  beaucoup  l'A- 
chiotl ,  &  le  cultivent  autour  de  leurs  Habi- 
tations. Il  eft  verd  toute  l'année.  La  fai- 
fon  de  fon  fruit  eft  le  Printems.  On  coupe 
enfuite  fes  branches,  dont  le  bois  eft  em- 
ployé, comme  le  caillou,  pour  en  tirer  du 
feu.  De  lécorce,  on  fait  des  cordes,  plus 
fortes  que  celles  de  chanvre.  Sa  graine 
donne  une  teinture  rouge,  qui  fert  à  la 
peinture,  &  qui  n'eft  point  inutile  à  la  Mé- 
decine. On  lui  trouve  une  qualité  froide. 
Mêlée  avec  de  l'eau,  elle  appaife  les  ardeurs 
de  la  fièvre,  elle  arrête  la  diflTenterie.  Elle 
entre,  à  ce  titre,  dans  la  compofition  du 
chocolat,  dont  on  prétend  d'ailleurs  qu'elle 
relève  la  couleur  &  le  goût.  Liv.  5.  Cbap.  3. 
Labat  la  confond  avec  le  Roucou. 


)duit  des 
rhécs  au 
devien- 
interval- 
upée  en 
ridionale 

5  &  rem- 
te,  après 
[,  ou  de 

xiquains 

que  les 
|u'ils  ont 
n  Atl  ou 

dans  le 
let,  pour 
:r,  après 
•il ,  après 

de  noi- 
are  qu'on 

nomme 

Voici  la 
L'arbre  a 
me  de  l'O- 
i  celles  de 
defle.  L'é- 
t  d'un  roux 
te  d'étoile  à 
d'un  blanc 
;  efpëce  de 
i  forme  de 
e,  dans  fa 
ine  rouge, 
,  mais  plus 
lucoup  l'A* 
leurs  Habi- 
ie.  La  fai- 
On  coupe 
ois  eft  em- 
en  tirer  do 
ordes,  plus 
Sa  graine 
li  fert  à  la 
ile  à  la  Mé- 
ilité  froide, 
î  les  ardeurs 
iterie.  Elle 
ipofîtion  du 
eurs  qu'elle 
S.  Cbap.  3. 
1. 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,   Liv.  II.        617 

nomme  Vjirbre  de  Cacao  ^  dans  une  grande  goufle  où  il  fe  trouve  quelque- 
fois jufqu'à  trente  ou  quarante  amandes.  Quoique  le  Cacao ,  comme  tous 
les  autres  Simples  «  participe  des  quatre  Elemens,  l'opinion  la  plus  reçue 
eil  qu'il  eft  froid  &  fec,  comme  l'Elément  de  la  terre,  &  par  conféquent 
de  qualité  aftringente:  mais  comme  il  participe  aufll  des  autres  Elémens, 
il  a  des  parties  onélueufes,  &  l'on  en  tire  une  efpèce  de  beurre,  dont  j'ai 
vu  que  les  Femmes  des  Créoles  fe  frottoient  le  vifage,  pour  fe  rendre  le 
teint  plus  uni.  On  n'en  doit  pas  être  furpris,  fi  l'on  confidére  qu'en  le 
changeant  en  breuvage,  à  peine  eft-il  remué  qu'il  s'en  élève  une  écume 
graife.  D'ailleurs ,  il  y  entre  tant  d'autres  mélanges ,  qui  font  naturelle- 
ment  chauds,  qu'il  doit  avoir  nécefTairement  la  faculté  d'atténuer  &  d'ou- 
vrir, plutôt  que  celle  de  reflerrer. 

Ajoutez  que  s'il  n'eft  ni  moulu,  ni  remué,  ni  compofé,  comme  il  eft 
dans  le  Chocolat,  mais  feulement  mangé  dans  le  fruit,  fuivant  l'ufage  des 
Femmes,  Indiennes  &  Créoles,  il  caufe  des  obftru6lions,  qui  rendent  le 
teint  fort  pâle;  d'où  l'on  peut  conclure  que  ne  produifant  point  le  même 
effet  lorfqu'il  eft  préparé,  il  doit  une  partie  de  fes  vertus  au  mélange  dont 
les  Mexiquains  ont  l'ancien  ufage.  L'arbre  qui  le  porte,  eft  fi  tendre ,  <Sc 
le  terroir  dans  lequel  on  lui  fait  prendre  naiflance  eft  ordinairement  fi  chaud, 
que  pour  le  garantir  des  ardeurs  du  Soleil ,  on  y  plante  d'autres  arbres ,  qui 
s'appellent  Meret  du  Cacao.  On  attend  même,  pour  femer  les  Cacaotiers, 
que  ces  autres  arbres  foient  d'une  hauteur  dont  ils  puiflent  recevoir  de  l'om- 
brage. Le  fruit  ne  vient  pas  nu.  11  eft  enveloppé,  comme  on  l'a  dit,  dans 
une  grande  gouffe;  &  chaque  amande  eft  revêtue  d'une  peau  blanche,  plei" 
ne  de  jus,  que  'es  Femmes  fucent  avec  délices,  parcequ'il  fond  dans  la  bou- 
che avec  une  charmante  fraîcheur.  On  diftingue  deux  fortes  de  Cacao: 
l'un,  qui  eft  le  commun,  d'un  rouge  obfcur,  rond  &  piquoté  par  le  bout; 
l'autre,  plus  large,  plus  gros,  plus  plat,  qui  fe  nomme  Patlaxe.  Le  der- 
nier eft  plus  blanc  {e)  &  plus  defficatif  que  l'autre.  Cette  raifon  le  rend 
moins  cher ,  fans  compter  qu'il  eft  plus  contraire  que  l'autre  au  fommeil. 
Auffi  n'tft-il  guères  en  ufage  que  pour  le  Peuple.  •■  '■'  '  " 

Les  Mexiquains  font  partagés ,  fur  les  autres  ingrédiens  qui  doivent  en- 
trer dans  la  compolkion  du  Chocolat.  Quelques-uns  y  mettent  du  poivre 
noir ,  que  d'autres  n'approuvent  point ,  parce  qu'il  eft  chaud  &  fec ,  ou 
(ju'ils  ne  donnent  qu'à  ceux  qui  ont  befoin  de  fecours  pour  la  chaleur  natu- 
relle. Au  lieu  de  ce  poivre,  ils  y  mettent  ordinairement  du  poivre  rouge 
&  long,  qu'on  nomme  Chileou  Piment,  dans  lequel  ils  croient  avoir  recon- 
nu des  qualités  froides  &  humides,  quoiqu'il  ait  une  vive  chaleur  dans  la 
bouche.  Ils  y  font  entrer  aulTi  du  fucre  blanc,  delà  canelle,  du  girofle,  de 
l'anis,  des  amandes  communes,  des  noifettes ,  deYOrejevalOy  de  la  vanil- 
le, du  fapoyal,  de  l'eau  de  fleurs  d'Orange,  du  mufc,  oc  ce  qu'il  faut  d'A- 
chiote  pour  lui  donner  la  couleur  d'une  brique  rouge.  Mais  la  dofe  de  ces 
ingrédiens  eft  proportionnée  au  tempérament  de  ceux  qui  doivent  en  ufer. 
C'eft  ordinairement  une  centaine  de  noix  de  cacao ,  deux  gouffes  de  chile 

ou 

(«)  Labat  prétend,  fans  raifon,  qu'U  n'y  a  point  de  cacao  blanc,  contre  le  témoignage 
réuni  de  Gage  &  de  Dainpicr. 

m  2 


DESCRfPTIOff 

DB  LA  Nou- 
velle  Espa- 
gne. 


ONT.. 


Qun're  for- 
ets de  Poivre 
ton 


'o* 


tfi8       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Da'CRiPTtriN  ou  de  piment ,  une  poignée  d'anis  &  d'Orejevala ,  &  deux  de  fleurs  de  va* 
^^  '*  Eivt'  "i'ie,  qu'ils  apwWeni  Mecbafuchil.  D'autres  prêtèrent  lix  rôles  en  poudre, 
deux  dragmes  de  canelle,  une  douzaine  d'amandes  communes  &  autant  de 
noifettes,  du  fucre  blanc,  &  la  quantité  d'Achiote  qui  fuiiit  pour  la  couleur. 
Les  plus  lages  n'y  joignent  point  de  girofle,  ni  de  mule,  ni  d'aucune  eau 
parfumée:  mais  cette  fagefle  n'efl  pas  le  partage  du  plus  grand  nombre. 
D'autres  y  mettent  du  maïz,  qui  ell  venteux.  La  canelle  pafle  pour  le 
meilleur  de  tous  les  ingrédiens ,  parce  qu'elle  eil:  feche  &  chaude ,  qu'elle 
provoque  l'urine,  &  qu'elle  foulage  les  reins,  dans  les  indifpofltions  froides. 
Elle  pafle  aufll  pour  cordiale  &  pour  amie  des  yeux. 

On  fuppofe  à  l'Achiote,  des  qualités  incifives  &  atténuantes,  qui  le  font 
ordonner  tous  les  jours,  par  les  Médecins  Indiens,  pour  les  humeurs  craf- 
fes  &  groflfières,  &  pour  toutes  fortes  d'obn:ru6lions  ou  d'opilations.  A 
l'égard  du  Cbile  ou  poivre  long ,  ils  en  diflinguent  quatre  fortes  ;  fun ,  qu'ils 
appellent  Chilchote',  le  fécond,  plus  petit, nommé  Chilterpin\  ces  deux  efpé- 
ces  font  fort  piquantes;  le  troifième,  qui  fe  nomme  Tonalcbiles,  efl:  médio- 
crement chaud,  <&  les  Indiens  le  mangent  avec  leur  pain  de  maïz,  comme 
d'autres  fruits.  Enfin  le  quatrième,  qu'on  employé  dans  le  chocolat ,  &  qu'on 
appelle  Chilpelague^  a  la  gouflfe  fort  large,  &  n'eft,  ni  fi  doux  que  le  troifiè- 
me, ni  fi  piquant  que  le  premier. 

Chacun  confulte  aujourd'hui  fon  goût  &  fon  tempérament,  pour  faire 
entrer  plus  ou  moins  de  tous  ces  ingrédiens  dans  la  compofition  (/);  mais 
les  Indiens  n'y  mettent  encore  que  du  cacao,  de  l'achiote,  du  maïz,  avec 
un  peu  de  chile  &  d'anis.  Ils  broient  le  cacao  &  tout  le  refte,  fur  une  lar- 
ge pierre, qu'ils  appellent M^raf/, &  qui  ne  fert  point  à  d'autre  ufage.  Mais, 
avant  cette  opération ,  ils  font  fécher  tout  fur  le  feu ,  à  l'exception  de  l'A- 
chiote,  en  remuant  inceflTamment  leur  matière,  dans  la  crainte  qu'elle  ne  fe 
brûle  ou  ne  fe  noircifle:  car,  trop  defifechée,  elle  devient  amere  &  perd  fa 
force.  La  canelle,  le  poivre  long,  &  l'anis  font  broyés  à  parc ,  avant  qu'on 
les  mêle  avec  le  cacao.  Enfuite  on  recommence  à  piler  tout  enfemble ,  avec 
un  foin  extrême  de  le  réduire  en  poudre  très  fine.  L'Achiote  y  efl:  rois  par 
intervalles ,  broie  aufiS ,  mais  fans  avoir  été  feché ,  afin  que  la  matière  en 
prenne  plus  aifément  la  couleur.  Ils  la  mettent  alors  dans  un  vaifleau  de 
terre,  pour  la  braflcr  avec  une  jufle  quantité  d'eau,  fur  un  fort  petit  feu; 
&  cette  féconde  opération  fe  fait  avec  une  efpèce  de  cuilliere.  Lorfque 
tout  efl:  bien  incorporé,  ce  qu'ils  connoiflent  à  la  qualité  de  la  pâte,  qui 

devient 


{/)  On  croit  devoir  donner  auflî  la  pré- 
paration des  Efpagnois  du  Pays.  Ils  pren- 
nent les  grains  de  cacao,  &  les  font  rôtir 
dans  une  poelle  percée,  comme  on  fait  pour 
les  niarons  en  Europe.  Enfuite  ils  ôtent  la 
petite  peau  qui  les  enveloppe,  pour  les  met- 
tre dans  un  mortier ,  où  ils  les  broient  jufqu'à 
ce  qu'ils  foicnt  réduits  en  pâte,  à  laquelle 
ils  ajoutent  deux  fois  autant  de  fucre ,  avec 
du  poivre  &  de  la  vanille,  du  mufc  &  de 
l'ambre  gris.  Dç  tout  ce  mélange ,  ils  font 
<ies  rouleaux  ou  de  petits  pains,  qu'ils  con- 


fervent;  &  lorfqu'ils  veulent  s'en  fervir, 
ils  râpent  ces  rouleaux  comme  nous  râpons 
la  mufcade.  Enfuite  ils  font  chauffer  de  l'eau 
dans  des  vaiflTeaux  de  cuivre  ou  d'argent ,  & 
la  verfent  bouillante  dans  leurs  coupes  de 
porcelaine  ou  de  cacao.  Enfin  ils  ont  un  pe- 
tit morceau  de  bifcuit  prêt ,  qu'Us  trempent 
dans  la  liqueur.  On  a  déjà  remarqué  que 
l'ufage  de  la  vanille  eft  venu  d'eux ,  &  que 
les  Mexiquains  ne  l'avoient  point  avant  la 
Conquête,  ,,      -    ,. 


avant  la 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.       619 

devient  courte,  ils  en  font  des  tablettes;  s'ils  n'aiment  mieux  la  mettre  dans 
des  boettes ,  où  elle  durcit  en  refroidiflant.  Ceux ,  qui  en  font  des  tablet- 
tes, mettent  une  cuijlerée  de  la  pâte  fur  une  feuille  de  palmier,  &luilaif- 
fent  le  tems  de  durcir  à  lombre,  car  elle  fond  &  fe  liquéfie  au  Soleil:  en- 
fuite,  tournant  la  feuille,  ils  en  font  tomber  facilement  leur  tablette,  par- 
ceque  là  pâte  efl:  grafle  encore.  Mais  lorfqu'on  la  met  Pécher  dans  un  vaif- 
feau  de  terre  ou  de  bois,  elle  s'y  attache  ii  fort,  qu'il  devient  difficile  de 
l'en  tirer  fans  rompre  le  vailleau. 

La  manière  de  boire  le  chocolat  n'efl:  pas  la  même,  parmi  tous  les  Indiens 
de  la  Nouvelle Efpagne.    A  Mexico,  ils  le  prennent  chaud,  avec  un  mé- 
lange de  cette  autre  liqueur  qu'ils  nomment  /étoile  ^  &  dont  on  a  déjà  rap- 
porté la  compofition  {g).    Leur  méthode  confifte  uniquement  à  faire  dif- 
foudre  une  tablette  dans  de  l'eau  chaude;  à  la  remuer  enfuite  dans  la  cou- 
pe, avec  un  inftrument,  qu'ils  appellent  Moulinet  dans  leur  langue;  & 
lorsqu'ils  en  voient  fortir  1  écume,  à  verfer  de  l'Atolle  chaud  par  deîîus. 
Ils  le  boivent  ainfi ,  fans  bifcuit  &  fans  fucre.    D'autres  font  diflbudre  le 
chocolat  dans  de  l'eau  froide ,  &  le  font  écumer  avec  le  moulinet.     Enfuite 
ôtant  l'écume,  qu'ils  confervenc  dans  un  autre  vafe,  ils  mettent  le  relie  fur 
le  feu,  avec  autant  de  fucre  qu'il  en  faut  pour  le  rendre  doux.     Lorfqu'il 
efl  chaud ,  ils  le  verfent  fur  l'écume  qu'ils  ont  féparée  ;  &  c'efl  dans  cet  état 
qu'ils  le  boivent.     La  manière  la  plus  commune  efl:  de  faire  chauffer  l'eau 
&  d'en  remplir  la  moitié  d'une  coupe;  d'y  faire  diffoudre  une  tablette  ou 
plus,  Jufqu'à  ce  que  l'eau  foit  bien  épaiffie;  de  remuer  &  de  battre  tout, 
pour  (aire  naître  l'écume,  &  d'jr  remettre  alors  de  l'eau,  pour  achever  de 
remplir  la  coupe.    Mais  les  Mexiquains  ont  une  autre  manière  de  prendre 
le  chocolat,  qu'ils  n'emploient  que  dans  leurs  Fefl:ins  &  leurs  réjouilTances, 
pour  fe  rafraîchir  après  la  danfe  ou  la  bonne  chère,    ils  font  difloudre  les 
tablettes,  dans  l'eau  froide;  ils  en  ôtent  l'écume,  qu'ils  mettent  à  part;  ils 
mêlent  du  fucre  dans  ce  qui  relie;  &  le  verfant  de  fort  haut  fur  l'écume, 
ils  fe  font  de  ce  mélange  un  breuvage  fi  froid,  qu'ils  font  les  feuls  qui 
puiffent  en  ufer.    L'expérience  a  fait  connoitre  aux  Efpagnols  qu'il  efl  fort 
nuifible  à  l'eflomac,  jufqu'à  caufer  de  violentes   douleurs,  particulière- 
ment aux  Femmes.    Gage ,  de  qui  l'on  emprunte   ce  détail ,    protefle 
qu'ayant  employé  pendant  douze  ans  la  troiliéme  de  ces  quatre  prépara- 
tions, il  a  joui  d'une  parfaite  fanté  dans  la  Nouvelle  Efpagne.     Son  ufa- 
ge,  dit-il,  étoit  de  prendre  un  verre  de  chocolat  le  matin;  un  autre, 
deux  heures  avant  le  dîner;  un  autre  encore,  deux  heures  après,  &  un 
quatrième  vers  le  foir  {h).    S'il  avoit  defTein  de  donner  toute  la  foirée  à 
l'étude ,  il  en  prenoit  encore  un  verre  fur  les  fept  ou  huit  heures  ;  après 
quoi,  il  bravoit  le  fommeil  &  toute  forte  d'appélantiffement  jufqu'à  mi- 
nuit.   Au  contraire,  lorfqu'il  manquoit  à  prendre  cette  liqueur  favorite , 
aux  mêmes  heures,  il  fentoit  des  foiblelTes  d'eilomac,  des  maux  &  des 
défaillances  de  cœur  (t).  Il 


DBfCHIPTIOW 

DE   LA  Nou- 
velle    l'".ï  FA- 
GME. 


Différentes 
manières  lioiic 
les  Indiens 
prennent  le 
Chocolat. 


(g)  C'eft  un  breuvage  des  anciens  Mexi- 

5uains ,  couipofé  de  fleur  de  farine  de  Maïz , 
'Atolle  &  de  Chile ,  infufés  dans  l'eau. 
li)  Oq  a  vu  ^u'à  Chiapa  Icâ  Femmes  ne 


pouvoient  entendre  une  Mefle  entière,  fans 
lie  faire  apporter  du  chocolat  à  l'Eglife. 
(  »  )  Tome  I.  Paru  2.  pages  146  &  ptécéi. 

T    •    •    • 

liii  3 


620 


DESCRIPTION    DU    ME  X:I  QUE, 


DascRiPTioK 
D8   LA  Nou- 
velle   ESPA* 
ONE. 

Le  Metl. 


Pulque,  li- 
queur Mexi- 
^uaine. 


Il  y  a  quelque  différence,  dans  le  récit  des  Voyageurs,  fur  une  des  meil- 
leures Plantes  du  Mexique,  que  les  uns  confondent  avec  le  Magbey  de 
J'IOe  Efpagnole,  &  que  d'autres  nomment  Metl^  en  prétendant  que  fa 
reflemblance  avec  le  Maghey ,  par  un  grand  nombre  de  propriétés  commu- 
nes, n'empêche  point  qu'elle  n'en  diffère  efTentiellement.  Gage,  qui  con- 
noiflbit  le  Pays  par  un  u  long  féjour ,  ne  lui  donne  point  d'autre  nom  que 
Metl,  &  lailTe  douter  s'il  le  croit  connu  hors  de  la  Nouvelle  Efpagnc,  lorf- 
qu'il  die  fimplement  qu'il  croît  aux  environs  de  Mexico  beaucoup  mieux 
qu'ailleurs  (  ^  ).  Suivant  fa  defcription  ,  c'efl  un  excellent  arbriffeau ,  qu'on 
plante  &  qu'on  cultive,  comme  les  vignes  en  Europe.  Il  a  prés  de  qua- 
rante  feuilles ,  différentes  les  unes  des  autres  ,  qui  fervent  à  quantité  d'u- 
fages.  Dans  leur  jeuneffe ,  on  en  fait  des  confitures,  du  papier,  de  la 
Êlulfe,  des  mantes,  des  nattes,  desfouliers,  des  ceintures,  des  cordages, 
du  vin,  du  vinaigre  &  de  l'eau-de-vie.  Elles  font  armées  d'une  forte  d'é- 
pines, fi  fortes  &  fi  aigUes,  qu'on  en  fait  une  efpèce  de  fcie,  pour  fcier 
du  bois.  L'écorce  brûlée  guérit  les  bleflures;  &  la  gomme,  qui  fort  des 
branches,  efl  un  excellent  antidote  contre  toute  forte  de  poifon  (/).  Car- 
reri ,  qui  prend  cet  arbriffeau  pour  le  Maghey ,  en  reconnoiffant  qu'il  efl 
fupérieur  à  celui  de  l'Efpagnole ,  ne  lui  donne  que  la  qualité  de  Plante,  & 
le  repréfente  femblable  à  la  joubarbe,  mais  plus  haut,  avec  des  feuilles  plus 
grofl^s  &  plus  folides.  Il  ne  dit  point  qu'on  le  cultive,  mais  qu'il  croît 
dans  des  lieux  tempérés.  Après  avoir  fait  à-peu-prés  le  même  dénom- 
brement de  Çqs  propriétés ,  il  ajoute  que  du  fil  de  \es  feuilles  on  fait  juf- 
qu'à  des  dentelles  &  des  ouvrages  d'une  extrême  délicateffe.  Lorfqu'il  eft 
âgé  de  fix  ans ,  on  ôte  les  feuilles  du  milieu ,  pour  y  faire  un  creux  dans 
lequel  s'affemble  une  liqueur,  que  les  Indiens  recueillent  chaque  jour  au 
matin ,  Hl  qu'ils  mettent  daits  plufleurs  fortes  de  vaiffeaux.  Cette  fécondité 
dure  un  mois  entier;  après  lequel  la  plante  feche,  &  pouffe  des  rejettons. 
Lorfqu'ellen'efl  pas  coupée,  elle  ne  produit  qu'une  tige,  en  forme  de  fé- 
rule, avec  des  fruits  inutiles.  La  liqueur  efl  auffi  douce  que  le  miel,  lorf* 
qu'elle  fort  de  la  plante.  En  peu  de  tems,  elle  prend  la  force  de  l'hydro- 
mel &  devient  excellente  pour  diverfes  maladies.  Les  Indiens  y  mettent 
une  racine ,  qui  la  fait  bouillir  &  fermenter  comme  le  vin.  Aufli  efl-elle 
capable  d'enivrer.  Elle  fe  nomme  Bulque  ou  Poulcré,  On  en  fait  Une  eau- 
de  vie  très  forte;  &  ce  n'efl  pas  fans  raifon  qu'on  nomme  la  Plante,  vignfi 
de  l'Amérique.  L'ufage  de  cette  liqueur  étoit  devenu  fi  général  parmi  les 
Indiens,  depuis  la  Conquête ,  que  les  droits  qu'on  en  tiroit  pour  l'Efpagne 
mont:>ient  à  iioooo  piailres.  Ils  furent  levés  en  1692,  &  le  pulque  fut 
défendu.  Mais  les  Indiens  violant  fans  ceffe  un  ordre  rigoureux ,  &  les 
Efpagnols  n'ayant  pas  plus  de  foumiffion  pour  la  loi ,  les  droits  furent 
rétablis  &  la  défenfe  levée  en  1697  ,  pendant  le  féjour  de  Carreri  à 
Mexico  («>.         ,   ..    .,,.  .  „, , 


(  *)  On  a  remarqué  qu'Herrera  diftingue  le 
Maght^  du  Metl ,  du  moins  par  le  nom , 
&  que  ion  TraduAeur  le  donne  pour  l'Ârrêcc- 
Bœuf. 

"    1  '     ) 


(/)  Voyages  de  Gage,  Part,  i.pâg.  î8i. 
(«)  Voyages  de  Gemelli  Carreri,  Tome 
VI.  pages  226  &  précédentes.         ,  '    ;- 


VA' 


M 


<l7.  y.tScÀÙY,  *'5''***^ 


Î3 


jMlllll' 


1 


S 


Ma  g  h  i:  y 


(:Ly€co€^ 


ges, 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       6ai 


VJtoïki  qui  fe  nomme  auflî  Jnate^  efl  une  fleur  rouge  qui  croît  fur  un 
arbrifleau  de  même  nom,  &  qui  ferc  non-feulement  au  chocolat  des  Mexi- 
quains,  mais  à  la  compoficion  d'une  autre  liqueur  &  à  la  Teinture.  Elle 
croit  particulièrement  dans  la  Nouvelle  Ëfpagne,  fur-tout  aux  environs  de 
Guatimala,  d'où  elle  s'ed  répandue  dans  la  Terre-ferme  &  dans  les  Ifles. 
L'arbrifleau  s'élève  de  fe^t  ou  huit  pies.  On  jette  la  fleur,  comme  l'in- 
digo ,  dans  une  citerne  remplie  d'eau  ;  avec  cette  diftcrencc  qu'elle  ed  fans 
tige  &  fans  tête,  parcequ'clle  fc  détache  elle-même  du  bouton.  On  la 
laiflTe  pourrir  dans  l'eau  ,•  où  par  le  foin  qu'on  prend  de  l'agiter,  elle  fe  ré- 
duit en  fubftance  liquide,  comme  l'indigo.  Lorfqu'elle  elt  raflife ,& qu'on 
en  a  tiré  l'eau,  on  en  fait  des  tourteaux  &  des  briques,  qu'on  laiiTe  fé- 
cher  au  Soleil.  Dampier,  de  qui  l'on  emprunte  cette  defcription,  a- 
voit  vu  tenter  inutilement  d'élever  des  Atolles  dans  quelques  Planta- 
tions Angloifes,  &  ne  connoifToit  cette  teinture  que  dans  la  Nouvelle 
Efpagne;  d'où  fortanr  ^z:  le  Commerce,  elle  fe  vendoit  cinq  fchellings  à 
la  Jamaïque  («). 

Le  Silvejlre  efl:  la  graine  d'un  autre  Arbre  du  Mexique,  qui  reiTemblc 
beaucoup  au  cochenillier.  Sa  fleur  efl:  jaune,  &  fon  fruit  rouge.  Le  fruit 
s*ouvre  dans  fa  maturité;  &  comme  il  ell  plein  de  cette  graine,  qui n'eflpas 
moins  rouge  que  lui ,  la  moindre  agitation  fuffit  pour  la  faire  tomber.  Les 
Indiens  mettent  une  toile  ou  des  plats  fous  l'arbre, &  le  fecouent.  Huit  ou 
dix  de  ces  fruits  ne  produifent  pas  plus  d'une  once  de  graine.  La  teintu- 
re duSilveflre  ell  prefqu'égale  en  beauté  à  celle  de  la  cochenille,  &  lui 
reflemble  aflTez  pour  être  une  fource  d'erreurs:  cependant  elle  efl:  beau- 
coup moins  ellimée.  Les  Efpagnols  ont  afFeélé  fl  long-tems  de  cacher  la 
paiuancedu  Silvefl:re  &  de  la  Cochenille,  que  jufqu'au  tems  de  Dampier 
perfonne  n'en  avoit  été  bien  infl:ruit.  11  reçut  les  lumières ,  qu'on  donne 
ici  fur  le  Silveftre ,  d'un  Gentilhomme  Efpagnol ,  dont  il  eut  occafion  de 
connoitre  la  bonne -foi,  &  qui  avoit  pafl!e  plufieurs  années  dans  les  lieux 
où  cet  Arbre  croit  (o). 

',  Quoique  la  Cochenille  foit  aujourd'hui  mieux  connue ,  on  ne  doit  pas  dé- 
robber  au  Mexique,  la  gloire  de  fon  origine  &  de  fon  premier  ufage.  Dam- 
pier apprit,  du  même  Efpagnol,  ce  qu'on  ignoroit  avant  lui,-  c'ell-à-dire, 
que  c  efl:  un  Infeâe,  qui  s'engendre  dans  une  efpèce  de  fruit.  L'arbrifleau , 
qui  le  porte,  efl:  armé  d'épines,  &  d'environ  cinq  pîés  de  haut.     Il  reflem- 
bleroit  au  Poirier  piquant,  H  fes  feuilles  étoient  plus  larges  &  fon  fruit  plus 
eros.     Il  porte  des  fleurs  rouges  au  fommet.     Dans  leur  maturité,  ces 
Heurs  fe  renverfent  fur  le  fruit ,  qui  commence  alors  à  s'ouvrir ,  &  le  cou- 
vrent fi  parfaitement,  que  ni  la  pluie,  ni  la  rofée  ne  peuvent  mouiller  l'in- 
térieur.    Le  lendemain ,  ou  deux  jours  après  que  la  fleur  efl:  tombée ,  ce 
qui  la  fait  rôtir  aufli-tôt  par  les  ardeurs  du  Soleil ,  le  fruit  s'ouvre  de  la 
largeur  d'environ  deux  pouces ,  &  tout  y  efl:  plein  de  petits  infeftes  rou- 
ges ,  dont  les  ailes  font  d'une  petitefle  curieufe.    Comme  ils  y  font  nés , 
ils  y  mourroient  faute  de  nourriture,  ayant  déjà  dévoré  le  fruit  qui  leur  a 
donné  la  vie,  &  bientôt  ils  pourriroient  dans  leur  enveloppe,  û  les  In- 
diens, 
(«)  Toine  I.  page  24a."  (0)  Ibidtm,  page  246.    i  <    '  1 


DBSCRTfTtOir 
08    LA    NoO- 

VELI.B    E^^*• 

ONE. 

i;Atoiic,tiu 

l'Aiiate.    • 


Le  Silvcftrr. 


Cochenille. 


022 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


I)E»CRirTtON 

ur.  LA   NoU' 

V£LI,K      EitA' 
ONE, 


T-ePoiricr 
piquant  un  h 
Raquette  ;  & 
fon  fruit  avec 
fon  Infecte. 


I  ■ 

I 

1   I 


dicns,  qui  font  de  grandes  Plantations  de  ces  arbres,  n*avoient  foin  c\c 
les  en  tirer  lorfau'iU  voient  le  fruit  ouvert.     Ils  étendent  fous  l'arbre  un 

frand  drap;  cnmite,  agitant  les  branches  avec  des  bâtons,  ils  forcent 
infeéle  de  fortir  &  de  voltiger  autour  de  fon  arbre.  L'ardeur  du  Soleil 
fait  tomber  prefqu'aulTi  tôt  ces  pu'tits  Animaux,^  fur  le  drap  qu'on  a  tendu 
pour  les  recevoir.  Ils  y  meuFent,  &  les  Indiens  les  y  laiflent  fécher  deux 
ou  trois  jours.  De  rouges  qu'ils  étoient  en  volant,  ils  deviennent  noirs 
lorfqu'iis  font  tombés  ;  &  peu  après ,  ils  blanchifTent  en  fechant ,  quoi- 
qu'ils prennent  enfuite  une  autre  couleur.  C'efl;  cet  infefte  qui  fait  l'é- 
carldce.  Les  Ëfpagnols  donnent  le  nom  de  Tuna  au  Cochenillier.  On  en 
voit  de  vailes  Plantations  dans  les  i'rovinces  de  Guatimala,  de  Chiapa  & 
de  Guaxaco  (/)). 

La  plupart  des  Relations,  qu'on  a  citées  pour  la  Nouvelle  Efpagne,  par- 
lent de  l'Arbrifleau  que  Dampier  nomme  ici  le  Poirier  piqiant^  oc  que  d'au- 
tres fe  contentent  de  mettre  au  rang  des  Tunas ,  fans  expliquer  fcs  proprié- 
tés.   Un  Voyageur  plus  moderne ,  cjui  le  donne  pour  le  même  que  celui 
qu'on  nomme  Raquette ^  aux  Ifles ,  nous  aflure  qu'on  trouve  dans  (on  fruit, 
les  véritables  Infeéles  du  Cochenillier,  &  nous  en  apprend  des  Hngularités 
qui  peuvent  jetter  du  jour  fur  cette  fameufe  Teinture.    Le  Poirier  piauant , 
ou  la  Raquette ,  efl:  une  Plante  qui  aime  les  terres  feches  &  fabloneules,  & 
dont  les  feuilles  forment  un  ovale,  un  peu  allongé  par  l'un  de  fes  bouts. 
Dans  leur  grandeur  naturelle,  elles  ont  depuis  feptjufqu'à  neuf  pouces  de 
long,  fur  trois  ou  quatre  de  large;  &  leur  épaifleur  efl;  de  neuf  à  dix 
lignes.     La  peau  en  eft  verte,  mince  <&  licée,  aux  endroits  qui  ne  font 
pas  chargés  d'épines.     La  chair  efk  blanchâtre,  fouple,  de  la  confidence 
d'une  rave  un  peu  flétrie,  &  d'un  goût  qui  feroit  entièrement  infipide, 
fans  une  petite  amertume  qu'il  laifle  dans  la  bouche.    Les  bords  font  char- 
gés de  petits  bouquets  d'épines  droites,  courtes  &  pointues.     Les  deux  fu- 
periicies  le  font  aufli;  mais  les  bouquets  font  bien  plus  gros,  &  les  épines 
plus  longues  &  plus  fortes;  ils  font  éloignés  d'un  pouce  les  uns  des  autres, 
&  pofc's  régulièrement  en  quinconce.     Chaque  bouquet  efl  compofé  de 
fept,  neuf  &  onze  épines,  dont  celles  qui  approchent  du  centre  ont  un 
pouce  de  longueur ,  &  les  autres  moins ,  à  mefure  qu'elles  s'en  éloignent. 
Elles  font  toutes  extraordinairement  fortes,  roides  &  pointues;  &  quoi- 
qu'à  leur  bafe  elles  ne  foient  pas  plus  gro/Tes  que  les  plumes  de  l'aîle  d'un 
Moineau ,  elles  percent  un  foulier  du  cuir  le  plus  dur.     Lorfque  la  tige  a 
deux  ou  trois  pies  de  hauteur,  les  feuilles,  ou  les  pattes,  pouffent  un  fruit 
à  leur  extrémité,  dont  la  figure  approche  beaucoup  de  celle  d'une  Poire, 
ou  plutôt  d'une  Figue.    Il  efl:  d'abord  verd  &  dur;  mais  il  change  de  cou- 
leur encroilTant;  il  rougit  par  degrés,  &  devient  enfin  d'une  vive  couleur 
de  feu,  lorfqu'il  efl:  tout-àfait  mûr.     Il  tient  à  fa  tige,  par  le  plus  petit 
bout,  &  préfente  le  plus  gros ,'  droit  en  l'air.     C'efl  dans  le  point  de  <a 
maturité  qu'il  fort  de  fon  centre  un  bouton  compofé  de  cinq  feuilles ,  qui 
forment,  en  s'épanouilfant ,  une  efpèce  de  tulipe ,  de  couleur  orangée ,  ou 
d'un  rouge  pâle.    Cette  Heur  n'a  point  aflez  de  confiflence  pour  le  tenir 

droite  ; 

ip)  Dampier,  ubifuprà,  page  244.  •  .  "  "  '      - 


fo 


it  foin  de 
l'arbre  un 
Is  forcent 
du  Soleil 
m  a  tendu 
cher  deux 
ncnt  noirs 
nt ,  quoi- 
ui  fait  l'é- 
r.  On  en 
Chiapa  & 

agne,  par- 
:  que  d'au- 
es  proprié- 
iie  celui 
on  fruit , 
Iingularités 
;r  piauant , 
meules ,  & 
fes  bouts, 
pouces  de 
leuf  à  dix 
ui  ne  font 
:onfi(lence 
indpide, 
font  char- 
;s  deux  fu- 
ies épines 
les  autres , 
)mporë  de 
:re  ont  un 
éloignent. 
,•  &  quoi- 
l'aîle  d'un 
;  la  tige  a 
nt  un  fruit 
me  Poire, 
TQ  de  cou- 
;e  couleur 
plus  petit 
)int  de  ^a 
uilles ,  qui 
angée ,  ou 
Lir  le  tenir 
droite  ; 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        623 

droite;  mais  fe  renverfant  fur  le  fruit,  deux  ou  trois  jours  après  qu'elle 
efl  édufc,  elle  fe  fanne,  elle  feche  &  tombe  en  moins  de  deux  fois  vingt* 

Îuatre  heures.  Le  fruit  s'ouvre  alors ,  comme  une  grenade  ou  une  figue. 
.e  dedans  paroît  rempli  de  petites  graines,  dont  le  defTus  e(l  d'un  très 
beau  rouge  incarnat.  Elles  font  enveloppées  dans  une  matière,  épailTe 
comme  de  la  gelée,  du  plus  beau  rouge  du  monde,  <&  d'un  goût  char- 
mant, avec  une  petite  pointe  d'aigreur  qui  aiguifc  l'appetir,  rejouit  le 
cœur  &  rafraîchit  extrêmement.  Mais  ces  rofes  font  environnées  d'épi- 
nes; car  la  belle  peau  de  ce  fruit  efl  couverrc  d'une  infinité  de  petites 
pointes,  prefqu'imperceptibles ,  fi  fines,  fi  faciles  à  rompre  &  Ci  piquan- 
tes, qu'on  n'y  peut  toucher  fans  fe  mettre  les  doigts  en  fang.  Elles  per- 
cent au  travers  des  meilleurs  gants,  &  caufent  une  demangeaifon  infup- 
portable.  Pour  les  cueillir  fans  fe  blelfer,  on  les  reçoit  dans  une  manne 
a  mefure  qu'on  les  fépare  de  leur  tige  avec  un  couteau  ;  après  quoi  on  levé 
de  chaque  côté,  avec  le  couteau,  une  petite  tranche  dont  l'efpace  fert  à  les 
tenir  d'une  main,  tandis  qu'avec  le  couteau  qu'on  tient  de  l'autre,  on  en- 
levé toute  la  fuperficie  épineufe.  Quelques  jours  après  que  le  fruit  s'ed 
ouvert  de  lui-même,  il  n'a  prefque  plus  de  confiltence,  &  refTemblanc 
alors  à  une  gelée  liquide,  on  le  mange  avec  une  cuillière.  Son  fuc  tache 
le  linge,  &.  teint  les  urines,  corhme  celui  du  Nuchtli,  mais  avec  fi  peu  de 
danger,  qu'on  en  fait  prendre  aux  Malades. 

C'est  dans  ce  fruit  qu'on  trouve  un  Infefte  que  Labat  nomme  Coche- 
nille ^  &  qui  ert ,  dit-il ,  à-pcuprès  de  la  taille  d'une  grofl*e  Punaife.  Sa  tê- 
te ne  fe  diftingue  du  refte  du  corps,  que  par  deux  petits  yeux  qu'on  y  re- 
marque &  par  une  très  petite  gueule.  Le  deflbus  du  ventre  ell  garni  de 
fix  pies,  trois  de  chaque  côté.  Ils  ont  chacun  trois  articles;  ils  ne  font 
pas  plus  gros  par  une  extrémité  que  par  l'autre,  &  ne  paflent  pas  la  grof- 
feur  d'un  cheveu  fort  délié.  Le  dos  de  l'Animal  efl  couvert  de  deux  aîles, 
ui  ne  font  pas  étendues  comme  celles  des  Mouches,  mais  qui  fans  exce- 
ier  la  longueur  du  corps  en  embraflent  &  couvrent  cxaélcment  toute  la 
rondeur.  Leur  délicatefle  cil  fi  grande ,  qu'elles  font  prefqn'inutiles  à 
l'Animal ,  qui  ne  peut  s'en  fervir  pour  s'élever ,  mais  feulement  pour  fe 
foutenir  quelques  momcns  en  l'air,  &  pour  retarder  un  peu  fa  chute,  lorf- 
qu'on  lui  fait  quitter  les  fruits  où  il  fe  nourrifPoit,  &  où  il  prenoit  la  cou- 
leur qui  le  fait  rechercher.  Les  aîles,  Its  pies,  &  l'extrémité  de  la  tête 
font  fi  délicates,  qu'elles  ne  peuvent  refPentir  l'ardeur  du  Soleil,  fans  être 
bientôt  réduites  en  pouffière;  aulTi  l'Animal  perd-il  fa  figure,  &  n'a-t'il 
plus  que  celle  d'une  graine,  de  médiocre  groffeur,  brune  &  prefque  noire, 
chagrinée,  luifante  <&  comme  argentée,  ou  du  moins  légèrement  couverte 
d'une  poudre  impalpable,  &  tout  à  fait  adhérente  à  la  peau. 

Le  même  Voyageur  éleva  deux  fois  plufieurs  de  ces  Infeéles.  La  pre- 
mière fois,  ce  fut  le  hafard  qui  les  lui  fit  remarquer  dans  le  fruit  des  Ra- 
quettes. Il  les  y  laifla,  jufqu'à  ce  que  le  fruit  commençant  à  pafTer,  il 
les  fit  tomber,  en  frappant  la  Plante  d'un  bâton,  fur  une  ferviette  qu'il 
avoit  étendue  fous  les  branches.  Ces  petits  Animaux ,  contraints  de  quit- 
ter leur  demeure,  tâchoient  de  fe  fauver  en  s'élevant  un  peu  en  l'air  avec 
luers  aîles  ;  mais  leur  foiblelTe  6c  l'ardeur  du  Soleil  ne  leur  permettoienc 
XniL  Part.  Kkkk  pas 


l 


Ditciimoir 
m  LA  Nou- 
velle Eifii- 

OMI. 


Defcriptîon 
de  rinfe£le. 


Expériences 
qui  le  font 
prendre  pour 
la  Cothenille. 


VliLLE     EsPA 
GN£. 


624       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE» 

P'î'f^i''TJ'>»  pas  d'aller  bien  loin.     Ils  tomboient  fur  la  ferviette,  ou  à  peu  de  diftancé. 

vlJ'!^  K-  1^'»^^  très  beaurougç,  qui  étoic  leur  couleur,  ils  dcvcnoienc  noirs,  quel- 
ques momens  après  leur  more;  &  lorfqu'ils  étoient  fecs,  ils  paroiffoient 
bruns  &  argentés.  L'Auteur  les  réduifît  en  poudre,  &  s'en  fervic,  au  lieu 
de  carmin ,  pour  laver  des  Plans. 

Une  autre  fois  il  vit  de  petits  Infeéles,  de  la  grofleur  des  plus  petites 
Puces,  qui  couroient  fur  des  pies  d'Acacia»  environnés  de  Raquettes.  Il 
en  fit  tomber  plufieurs  fur  une  feuille  de  papier;  &  il  les  mit  fur  des  poires 
ou  figues  de  Raquette ,  qui  commençoient  à  "s'ouvrir.  Ils  s'y  nourrirent , 
ils  y  groflîrent ,  &  fe  trouvèrent  de  la  même  efpèce  que  ceux  qu'il  avoic 
trouvés  la  première  fois  dans  le  même  fruit  ;  d'où  il  conclud  que  ces  petits 
Infeéles  ne  prenoient  pas  naiflance  dans  le  fruit  des  Raquettes,  mais  que 
dans  le  teras  de  leur  femence  ils  la  jettent  indifféremment  fur  tous  les  arbres 
où  ils  fe  rencontrent,  &  qu'étant  éclos  Us  fe  retirent  dans  les  fruits  des  Ra- 
quettes ,  ou  dans  tout  autre  fruit  dent  ils  peuvent  tirer  leur  nourriture. 
De-là  vient,  ajoute  t'il,  qu'on  en  trouve  fur  les  Acajous,  les  Goyaves,  les 
Ceriiiers,  les  Orangers  &. d'autres  Arbres.  On  y  fait  peu  d'attention, 
parce  qu'ils  ne  font  pas  de  ce  beau  rouge  qui  fait  tout  leur  prix;  car  il  eft 
certain  que  c'efl:  le  fruit,  dont  la  Cochenille  fe  nourrit,  qui  lui  communi- 
que fa  couleur.  Auffi  voit -on  changer  celle  de  l'Infefte,  à  proportion 
que  le  fruit  efl:  plus  ou  moins  coloré.  Lorfqu'il  atteint  un  certain  âge  & 
une  certaine  groffeur ,  il  y  a  beaucoup  d'apparence  qu'il  acquiert  la  force 
de  voler,  ou  qu'il  change  de  figure,  comme  le  ver  à  foie,  le  ver  des  Pal- 
miftes,  &  d'autres  Infeétes.  C'eft  fans  doute  alors  qu'il  jette  fa  femence, 
&  qu'il  fe  reproduit  avant  fa  mort;  car  on  le  trouve  toujours  de  la  même 
groueur:  au  lieu  que  s'il  confervoit  toujours  la  même  figure,  ceux  qui  au- 
roient  plus  d'une  année  devroient  être  plus  gros  que  ceux  qu'on  trouve  deux 
fois  par  an ,  à-peu  près  dans  le  tems  de  la  maturité  des  fruits,  &  qui  font 
extrêmement  petits ,  parce  qu'ils  ne  font  que  de  naître. 

Cet  Infeéle  multiplie  prodigieufement.  On  en  trouve  une  prodigieufe 
quantité,  malgré  ce  que  les  Poules,  les  Fourmis  &  les  Vers,  qui  le  recher- 
chent avidement,  en  confomment  dans  les  deux  faifons.  Il  paroît  éton- 
nant, au  PèreLabat,  qu'après  cette  explication,  quelqu'un  puiflTe  demeu- 
rer dans  Je  doute  fur  la  nature  de  la  Cochenille.  Les  Raquettes  peuvent 
être  aifément  multipliées.  11  n'eft  queftion  que  d'enterrer  à  moitié  une  de 
leurs  feuilles,  pour  lui  faire  prendre  racine,  &  pour  la  faire  produire  beau- 
coup en  peu  de  tems.  On  en  tireroit,  fuivant  fes  idées,  un  avantage  ex- 
trême pour  la  nourriture  des  Cochenilles ,  qui  feroient  le  fond  d'un  très 
riche  Commerce ,  &  qui  donneroient  lieu  d'employer ,  dans  nos  Colonies , 
quantité  de  terres  inutiles ,  c'eft-à-dire  trop  ufées  &  trop  maigres  pour  pro- 
duire des  Cannes  de  fucre ,  du  Tabac ,  de  l'Indigo ,  du  Roucou ,  du  Manioc , 
&  d'autres  Marchandifes.  D'ailleurs  le  fruit  des  Raquettes  a  quantité  de 
vertus,  dont  il  fait  une  longue  énumération  (q). 
Un  arbre  des  plus  particuliers  à  la  Nouvelle  Efpagne,  &  qu'on  ne  voit 

aux 


f/Aguacat". 


»  T  *-^     i     »  t  ■  t        *  ■ 


(f  )  Voyages  du  Père  Labat,  édition  de  1742,  Tome  4,  Chap.  4.     ;    .î  ;; 


î  diftancè. 
irs,  quel- 
iroiflbienc 
t,  au  lieu 

us  petites 
lettes.  Il 
des  poires 
3urrirent , 
lu'il  avoit 
ces  petits 
mais  que 
les  arbres 
:s  des  Ra- 
ourriture. 
graves ,  les 
ittentioD , 

car  il  eft 
:oinmuni- 
roportion 
in  âge  & 
t  la  force 
r  des  Pal- 
femence, 

la  même 
IX  qui  au- 
suvedeuz 

qui  font 

'odigieufe 
le  recher- 
oît  éton- 
fe  demeu- 
i  peuvent 
ié  une  de 
aire  beau- 
ntage  ex- 
d'un  très 
Colonies , 
pour  pro- 
1  Manioc, 
lantité  de 

m  ne  voit 
aux 


>jy,^j 


ou  DE  LA  NOU\  ELLE  ESPAGNE,  Lit.  IL       625 

aux  Philippines  &  dans  les  Ifles  de  la  Mer  du  Nord,  que  parcequ'on  a  pris  Oescrjptio» 
foin  de  l'y  tranfplanter,  eft  ïy^guncate  ou  ï/Jvora$  (r).     Il  reflemble  au  JJ^^^*  £°l\ 
Woïer,  mais  il  eft  plus  touffu.     La  figure  de  Ton  fruit,  qui  porte  le  même        om. 
nom,  eft  celle  d'une  poire,  &  quelquefois  celle  d'un  limon.    Sa  couleur 
eft  verte  en  dehors ,  verte  &  blanche  en  dedans ,  avec  un  gros  noïau  dans 
le  centre.     On  le  mange  cuit  ou  crud  ,  en  y  joignant  un  peu  de  fel ,  parce- 
u'il  eft  doux  &  huileux.    D'autres  y  mêlent  du  fucre,  du  jus  de  limon, 
du  plantain  rôti.     Tous  les  Voyageurs  conviennent  que  le  goût  en  eft 
délicieux,  &  que  l'Europe  n'a  rien  qu'on  puifle  lui  comparer  {s). 

Le  Sapotier  tient  le  fécond  rang  pour  le  goût.    Son  fruit  fe  nomme  Sa-      LeSapotier 
potille.     On  en  diftingue  quatre  fortes,  l'une  qu'on  appelle  Sapotille  iio/Ve ,  *. 'P*  ^"^"* 
dont  l'arbre  eft  touffu  &  de  la  grandeur  d'un  Noïer;  mais  fes  feuilles  font  ^  ^'^"*" 
plus  petites  &  plus  vertes.     Le  fruit  eft  rond  ,  &  revêtu  d'une  écorce  ver- 
te très  fine.    Sa  poulpe  a  la  couleur  &  le  goût  de  la  cafle,  avec  quatre 
petits  noyaux.     Avant  fa  maturité ,  il  empoifonne  le  Poilfon  ;  &  lorfqu'il 
eft  mûr,  on  en  fait  prendre  aux  Malades.     La  féconde  efpèce,  eft  la  Sa- 
potille blanche,  qui  croît  fur  une  efpèce  de  Poirier,  &  qui  ne  diffère  de 
l'autre,  que  par  la  blancheur  de  fa  poulpe.     On  lui  attribue  la  qualité  de 
provoquer  le  fommeil.     Latroifième,  qui  Ce  nomme  Sapotille  ivrogne,  eft  le 
fruit  d'un  arbre  qui  reffemble  au  précédent,  mais  dont  les  branches  font 
beaucoup  plus  belles.    Son  goût ,  qui  tire  un  peu  fur  l'aigre ,  eft  extrême- 
ment agréable.    Son  écorce  eft  jaune  &  verte;  fa  poulpe  eft  blanchâtre  & 
ti'a  que  deux  petits  noyaux.     La  quatrième  eft  la  petite  efpèce,  qu'on  ap- 
pelle Amplement  Sapotille.    Son  arbre  eft  grand ,  &  plus  touffu  que  les 
trois  autres.     Le  fruit  eft  purpurin  en  dehors  ,  &  d'un  pourpre  encore         ^     " 
plus  vif  en  dedans.    11  a  quatre  petits  noyaux,  placés  chacun  dans  une      ,  1  '     ^ 
forte  de  niche.    Carreri  lui  donne  la  préférence,  pour  le  goût,  fur  tous  r;  ) 

les  fruits  des  Régions  chaudes.     On  en  fait  une  compofition  fort  agréa-  , 

ble,  que  les  Dames  prennent  plaifir  à  mâcher,  &  qui  leur  tient  les  dents 
-nettes  (0* 

Le  Mamey  de  la  Nouvelle  Efpagne  ne  diffère  de  celui  de  l'Ide  Efpagno- 
le,  dont  on  a  donné  la  defcription,  que  par  la  couleur  de  fon  fruit,  qui  eft 
jaune  au- dehors,  &  rouge  en  dedans ,  avec  un  gros  noyau  violet.  L'aman- 

de. 


Le  Marne» 
de  la  Nouvel- 
le Efpagne, 


-■  ■>.-■■- '- 


(  r  "i  D'autres  nomment  Avogate ,  fc  AvO' 
cat.  Dampier  a  déciit,  fous  le  premier  de  ces 
deux  noms ,  celui  des  Ifles  de  la  Mer  du  Sud. 

(j)  Carreri,  Tome  VI.  page  211.  Laet 
en  donne  la  defcription  fuivante.  L'Ahua- 
cahuitl,  que  les  Efpagnols  ont  nommé  A- 
guficate  par  corruption ,  arbre  de  la  gran- 
deur de  1  Ilex,avcc  les  feuilles  de  l'Oranger, 
mais  plus  vertes,  plus  grandes,  &  plus  ru- 
des, &  de  petites  âeurs  d'un  blanc  jaunâ- 
tre, porte  un  fruit  de  la  forme  d'un  œuf, 
plus  gros  néanmoins  &  plus  inégal ,  noir 
dans  fon  écorce  &  tirant  quelquefois  fur 
le  verd  obfcur ,  couleur  d'herbe  dans  fa 
poulpe,  fi  gras,  qu'il  a  la  motleire  da  beur- 


re du  Vache ,  &  d'un  goût  qui  tîre  liir  ce- 
lui des  noiiettes  fraîches.  Ses  feuilles  jet- 
tent une  ;igréable  odeur,  font  feches& chau- 
des ,  au  fccoiid  degré ,  &  s'emploient  uti- 
lement dans  les  bains.  Le  fruit  n'clt  pns 
moins  chaud ,  quoi<iue  d'un  ;^oût  fort  a^^réa- 
ble.  Il  excite  aux  piaifirs  dos  fcnf.  Sa  poulpe 
contient  des  pépins,  d'un  blanc  rougeâtre, 
unis,  durs.  &péfans,  divifés  en  deux  par- 
ties, comme  des  amandes,  mais  plus  longs 
&  plus  gros  qu'un  œuf  de  Pigeon,  avec  le 
goûc  des  amandes  ameres.  Aulfi  en  tire-t  on 
une  huile,  qui  eft  à-peu-près  du  même  goCit 
*  &  de  la  même  odeur. 

(t)  Ibid,  page  aïs.      »^   ;-  ^-^     •'  .;  . 

Kkkk  a 


DeSCRTPTION 

DR    I.A*  NOU- 

V£LLE     ESI'A- 

GNC. 

LaGranadiîlc. 


Le  Nuchtli. 


Al  larmes 
içue  le  Nuchtli 
rouge  caufe 
aux  premiers 
Efpagnols. 


626       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

de,  que  le  noyau  renferme,  &  amere,  &  fc  nomme  Pejîle.    On  lui  attribue 
des  vertus  medecinales,  fut  tout  dans  les  lavemcns. 

Le  fruit,  que  les  Efpagnols  ont  nommé  Granadillet  croît  dans  la  Nou- 
velle Efpagne  fur  une  Plante  femblable  au  Lierre,  qui  s'entortillant  autour 
d'un  arbre  le  couvre  tout-à-fait  de  fes  feuilles.  II  ell:  de  la  grofleur  d'un 
œuf,  aulii  uni ,  jaune  &  vert  en  dehors ,  blanchâtre  en  dedans ,  avec  des 
pépins  qui  reifembient  beaucoup  à  ceux  du  raiHn.  Il  joint,  à  la  douceur 
de  Ion  guiît,  une  charmante  acidiié,  qui  le  fait  aimer  beaucoup  des  Fem- 
mes.  On  croit  diftinguer  dans  fa  fleur,  tous  les  inflrumens  de  la  Paf- 
fion  (t).  comme  dans  celle  de  la  Grenadille  Chinoife. 

Le  fruit  qui  porte  le  nom  de  Nuchtli  ^  &  dont  on  croit  que  Mexico  avoit 
tiré  celui  de  Tenuchtiiclan,  ell  aujourd'hui  répandu  dans  toute  l'Amérique; 
mais  il  paroît  originaire  de  la  Nouvelle  Efpagne,  où  du  moins  il  efl  plu$ 
commun  ^  meilleur  que  dans  toute  autre  Contrée.  C'efl:  une  forte  de  Fi- 
gue ,  dont  la  poulpe  cfl:  mêlée  de  pkilieurs  grains,  mais  plus  gros  que  ceux 
des  figues.  11  elt  couronné ,  comme  la  neile.  On  en  diftingue  plufîeurs 
efpèces ,  dont  les  noms  ne  font  pas  moins  différens  que  la  couleur.  Les 
uns  lont  verds  en  dehors;  d'autres  jaunes;  d'autres  tachetés;  mais  quoi- 
qu'ils foient  tous  d'un  goût  excellent,  c'efl:  au  blanc  qu'on  donne  la  préfé- 
rence. On  lui  trouve  le  goûi  de  la  poire  &  du  railln.  Il  fe  conferve  long- 
tems.  Sa  principale  qualité  efl:  de  rafraîchir  beaucoup  ;  ce  qui  le  fait  re- 
chercher avidement  pendant  l'Eté.  Le  meilleur  efl:  celui  qui  croît  dans  les 
terres  labourées.  Gage  parle  d'une  efpèce  rouge,  qu'il  ne  trouve  pas  de 
mauvais  goût,  mais  dont  on  fait  peu  d'ufage,  parcequ'elle  teint,  de  cou- 
leur de  fang ,  la  bouche ,  le  linge  «St  l'urine.  Ces  effets  donnèrent  de  l'in- 
quiétude aux  premiers  Efpagnols.  Ils  avoient  recours  aux  Médecins ,  pour 
arrêter  le  fang  qu'ils  croyoient  perdre;  &  les  remèdes,  qu'ils  employoient 
à  la  guerifon  d'un  mal  imaginaire ,  leur  caufoient  de  véritables  maladies. 
La  peau  extérieure  de  ce  Nuchtli  efl:  épaiffe  &  remplie  de  petites  pointes; 
mais  en  l'ouvrant  jufqu'aux  grains,  on  en  tire  aifément  le  fruit  fans  la  rom- 
pre. Aujourd'hui ,  les  Efpagnols  fe  font  un  jeu  de  ce  qui  les  a  jettes  long- 
tems  dans  une  vive  allarme.  Il  n'arrive  point  d'Etranger  auquel  ils  ne  pren- 
nent plaifir  à  préfenter  des  Nuchtlis  rouges.  Ils  agitent  aufli  le  fruit  entier 
dans  une  ferviette.  Les  petites  pointes, qui  font  prefqu'imperceptibles,  s'y 
attachent  fans  être  apperçues;  &  ceux,  qui  emploient  la  ferviette  à  s'ef^ 
fuyer  la  bouche ,  fe  trouvent  tout  d'un  coup  les  lèvres  collées  &  comme  cou- 
fues,  jufqu'à  perdre  le  pouvoir  de  parler.  Ils  n'en  refTentent  aucune  dou- 
leur; mais  ce  n'eft  qu'après  s'être  lavés  <?:  frottés  long-tems,  qu'ils  fe  dé- 
livrent de  cet  embarras  (a;). 

Les 


(v)  Carrcri,  Ibidem,  page  216. 

(x)  Gage,  ubijuprà,  page  179.  Herrera 
nous  apprend  que  l'arbre  ell  fort  épineux , 
&  qu  il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  le  No- 
fait ,  qui  n'eft  prefque  coaipofé  que  de  feuil- 
JLes  vertes.  Celles  du  Nuchtli  font  d'un  gris- 
minime.  Les  feuille^  naiflent  les  unes  fur  les 
autres.    Loifqu'on  les  plante,  elles  czoiiTenc 


tellement  qu'elles  deviennent  arbres ,  qui  ne 
produifent  pas  feulement  des  feuilles,  les 
unes  fur  les  autres ,  mais  qui  en  pouflent 
d'autres  par  les  côtés.  11  ajoute  que  dans  le 
Canton  des  Chichimeques ,  qui  eft  ftérile ,  & 
qui  manque  d'eau,  ces  arbres  fervent  d'ali- 
ment &  de  boilTon  ;  on  mange  le  fruit,  &  l'oa 
boit  le  fuc  des  feuilles.  Dec.  7,  L.  7.  C.  13. 


ttribue 

i  Nou- 

aucour 
ur  d'un 
vec  des 
douceur 
:s  Fem- 

la  Paf. 

:o  avoit 
lérique  ; 
eft  plus 
;e  de  Fi- 
|ue  ceux 
plufieurs 
ir.     Les 
ais  quoi- 
la  préfé- 
:ve  long- 
;  fait  re- 
i  dans  les 
e  pas  de 
,  de  cou- 
t  de  l'in- 
ins ,  pour 
îioyoient 
maladies, 
pointes; 
is  la  rom- 
tés  long- 
ne  pren- 
uit  entier 
ibles ,  s'y 
te  à  s'ef- 
me  cou- 
une  deu- 
ils fe  dé- 


Vigne  delà 
Nouvelle 
Efpagnc. 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.       627 

Les  Cocos  &  l'arbre  qui  les  porte  ont  été  mille  fois  célébrés  clans  les   DEscarp'^ros 
Relations;  mais  on  n'y  a  point  vu  paroître  encore  le  BurD'ûn  des  Prunes  de  J^^^^^  vJlt 
CocOi  qui  efl:  fort  commun  dans  l'Yucatan  &  le  Honduras,     C'eft  un  arbrif-     '   ^^p" 
feau  de  la  hauteur  de  fept  ou  huit  pies,  dont  les  branches  s'étendent  beau-      Bunron  iks 
coup,  &  qui  a  l'écorce  noire  &  unie.    Ses  feuilles  font  aflez  grandes,  ova-  Prunes  de 
les,  &  d'un  verd  foncé.     Le  fruit  eil  de  la  grofleur  de  nos  groiïes  Prunes,  Coco. 
mais  rond.    Il  s'en  trouve  de  blancs,  de  noirs,  &  de  rougeâtres.   La  peau 
eft  très  mince  &  fort  unie,  la  poulpe  blanche,  molle  &  fpongieufe,  plus 
propre  à  être  fucée  que  mordue.     Elle  renferme  un  gros  noyau,  dont  l'a- 
mande eft  molle.    Cet  arbre  aime  les  bords  de  la  Mer,  &  croît  même  dans 
le  fable  ;  mais  fes  prunes  y  font  falées ,  quoique  dans  les  autres  lieux  elles 
foient  douces ,  agréables  &  fort  feches  (  y  ). 

La  Vigne  de  la  Nouvelle  Efpagne,  ou  du  moins  l'arbre  qui  porte  une 
cfpèce  de  raifin ,  a  deux  ou  trois  pies  de  circonférence.  Il  s'élève  de  fept 
ou  huit  ;  &  de  cette  hauteur  il  poufle  quantité  de  branches ,  dont  les  ra- 
meaux ibnt  gros  &  épais.  Ses  feuilles  relTemblent  aflez  à  celles  du  Lierre, 
mais  elles  font  plus  larges  &  plus  fermes.  Le  fruit  eft  de  la  grofleur  ordi- 
naire du  railin ,  &  croît  en  grappes  fur  toutes  les  parties  de  l'arbre.  Il  de- 
vient noir  en  meurilTant,  quoiqu'intérieurement  rougeâtre.  Un  noyau  fort 
gros  lui  laiflTe  peu  de  fubftance;  mais  elle  eft  agréable  &  faine.  Le  tronc  & 
les  branches  font  un  bon  bois  de  chauffage  (2). 

On  a  vu ,  dans  la  defcription  géographique  de  la  Baie  de  Campeche,  tout 
ce  qui  regarde  le  bois  de  teinture  qui  porte  c»e  nom. 

L'arbre  que  les  Efpagnols  ont  nommé,  dans  leur  langue,  //bricotier 
Mexiquain ,  eft  plus  haut  que  nos  plus  grands  Chênes.  Ses  feuilles  reflem- 
blent  à  celles  du  Laurier  fauvage,  &  fon  écorce  à  celle  du  Poirier.  La  chair 
de  fon  fruit  eft  peu  difi*érente  de  celle  de  nos  Abricots,  quoiqu'il  ne  leur  ref- 
femble  nullement  par  la  figure.  Il  eft  de  la  groflxîur  d'un  Melon ,  &  couvert 
d'une  peau  dure  &  épaiflfe.  Il  l'emporte  beaucoup  aufll  fur  l'Abricot  par 
l'odeur  &le  goût.  Les  Efpagnols  cultivent  ces  arbres  &  font  des  confitures 
de  leur  fruit.  Ils  en  ont  tranfplanté  dans  l'Ifle  Efpagnole,  où  l'on  obferve 
que  l'odeur  du  fruit  attire  les  Sangliers  dans  la  faifon,  &  que  ceux  qui  s'en 
nourriflent  ont  la  chair  d'excellent  goût. 

Les  Provinces  de  Chiapa  &  de  Guatimala  produifent  des  arbres  qui  don- 
nent un  Baume  blanc,  mais  moins eftimé  que  celui  deTo/Zw,  aux  environs  de 
Carthagene  (a). 

Les  Pins  de  la  Nouvelle  Efpagne  font  d'une  hauteur  médiocre,  &  ne  por- 
tent, pour  Pignons,  qu'une  efpèce  de  pommes  vuides  {b),  qui  croiirent 

..,.--  fur 


Bois  de 
Campeche. 

I/Abricoticr 
Mexiquain. 


Arbres  A 
baume. 

Pins. 


(y)  Dampier,  Tome  111    page  258. 

i'z)  Jbid.  • 

la)  Acofta,  Liv    4.  Chap.  28. 

f  b  )  Ibid.  Chap.  30.  Le  même  Hiflorien 
donne  le  nom  de  Finas  ou  Pomme  de  Pin  aux 
Ananas  de  la  Nouvelle  Hirpagne.  Voici  fa 
defcription.  „  Klles  font,  dit -on,  delà 
„  même  figure  extérieure  que  les  Pommes 
„  de  Pin  de  Callille,  mais  au -dedans  elles 


,  difFcrcnt  du  tout,  parceqii'elleï  n'ont  point 
,  de  pignons  ni  d'écaille;  mais  le  tout  y  eft 
,  une  chair,  que  Ton  peut  manger,  quand 
,  lécorce  en  eft  dehors,  &  eft  un  fruit  fa- 
,  voureux  &  délicieux  au  goût.  U  eft  plein 
,,  de  fuc,  &  a  la  faveur  d'aigre -doux;  ils  le 
,  mangent  coupé  en  morceaux,  (S»,  trempé 
I,  dans  de  l'eau  &  du  fel.  Quelques-uns 
,,  dif'i-m  qu'il  engendre  la  colère,  &  que  l'ufa- 
K  k  k  k  3  '  «  S-î 


628 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


DEscnirrtoN 

PB    LA    NoU- 

VfLI.R     ESPA- 

UNS. 


Le  Molle. 


Palto. 


fur  les  bofles ,  les  nœuds ,  &  les  autres  excrefences  de  l'arbre.  Les  feuil- 
les de  ce  fruit  en  fortent  comme  enveloppées  les  unes  dans  les  autres,  juf- 
qu'à  ce  qu'elles  s  elargiflent  vers  la  pointe.  Elles  font  d'une  bonne  épaif- 
fcur,  longues  de  dix  à  douze  pouces,  &  û  ferrées,  qu'elles  retiennent  l'eau 
de  pluie.  On  a  déjà  remarqué  que  c'efl;  une  admirable  reflburce  pour 
ceux  qui  font  prefles  de  la  foif.  Un  couteau ,  qu'on  enfonce  dans  les 
feuilles,  en  fait  fortir  l'eau  de  pluie,  qu'on  reçoit  dans  fon  chapeau  pour 
lu  boire  (c). 

Le  Molle  efl:  un  arbre  Mexiquain ,  auquel  on  attribue  de  grandes  vertu». 
Quelques  uns  le  croient  originaire  du  Pérou;  mais  il  vient  beaucoup  mieux 
dans  la  Nouvelle  Efpagne,  &  lesHabitans  tirent  de  fes  rameaux  une  efpéce 
de  vin,  ou  de  liqueur,  qu'ils  emploient  à  divers  ufages  (d). 

Le  Palto  QÙ.  un  grand  arbre,  qui  fe  trouve  auffi  au  Pérou  ;  mais  fon  fruit, 
qui  eft  une  efpéce  de  pomme ,  donc  la  chair  ert  fort  molle  &  renferme  un 
noyau  ,  y  a  l'écorcc  fort  dure:  au  lieu  que  dans  la  Nouvelle  Efpagne,  il  efl: 
revêtu  d'une  peau  fi  délice,  qu'il  fe  pelé  comme  nos  pommes.  On  le  croit 
fort  fain  (<?). 

Les  Chicapotes  l'ont  un  excellent  fruit ,  qui  croît  dans  les  Provinces  les 
plus  chaudes,  &  dont  les  Mexiquains  font  une  efpéce  de  marmelade,  qui 
approche  du  goût  &  de  la  couleur  du  Cotignac.  Acofl:a  n'efl  pas  de  l'o- 
pinion de  ceux  qui  donnent  la  préférence  aux  Chicapotes  fur  tous  les  fruits 
de  l'Europe  (/).  Mais  il  croit  V/innone  de  la  Nouvelle  Efpagne  fort  au- 
deflus  de  celle  des  Philippines  &  de  tous  les  autres  Pays  des  Indes.  Les 
Capollies ,  qui  font  une  efpéce  de  Cerifes ,  dont  le  noyau  efl:  plus  gros  que 
celui  des  nôtres ,  lui  paroiflient  un  fruit  très  agréable,  qu'il  n^  vu  ,  dit -il, 
qu'au  Mexique  (g). 

Le  Coton  croît  dans  toutes  les  parties  chaudes  de  cette  Région ,  fur  des 
arbrifleaux,  comme  en  Afie,  &  fur  de  grands  arbres,  tels  qu'on  en  a  décrit 
deux,  après  Dampier,  dans  la  Relation  de  fon  Voyage  autour  du  Monde. 
L'Ainatcaflk*.  V Amatca(lic  ^  que  d'autres  nomment  Texcalamatl  ^  &d'àutresTepeamatl^ 
efl:  un  grand  arbre  à  larges  feuilles ,  comme  celles  du  Lierre ,  épaifles ,  pur- 
purines, à-peu-près  de  la  forme  d'un  cœur.  Il  porte  une  efpéce  de  petites 
Figues,  d'un  rouge  qui  tire  aulfi  fur  le  pourpre,  &  remplies  d'une  petite 
graine  rouge.  Laet  panche  à  croire  que  c'efl:  le  même  fruit ,  dont  Ctufius  a 
donné  la  defcription  dans  fon  Tra'té  des  Plantes  exotiques.  Ximenez  nous 
apprend  qu'en  décoélion  il  efl:  rafraîchifl"ant  pour  la  fièvre ,  &  qu'une  de  fes 
propriétés  efl:  d'évacuer  la  bile  &  le  flegme ,  par  des  vomiflemens  &  des 
felles.  Il  en  donne  la  dofe ,  qui  efl:  de  trois  onces  de  fes  racines ,  dans  trois 
livres  d'eau ,  qu'il  faut  laiflfer  réduire  à  la  moitié  (  *  ). 

Le 


Chicapotes. 

Annone. 

Capollies. 


ge  n'en  efl:  pas  trop  fain.  On  préfonta  à 
riimpereur  Charles  -  Quint  un  de  ces  Pi- 
nas ,  qui  devoit  avoir  donné  beaucoup  de 
peine  6c  de  fouci  à  l'apporter  des  Indes 
avec  fa  Plante;  toutefois  il  n'en  voulut 
pas  éprouver  le  goût.  J'ai  vu  en  la  Neuve 
Efpagne,  de  la  conferve  do  ces  Pinas,  qui 
étoit  fort  boaae".    Ibid.  Cb.  19. 


(c)  Dampier,  uhi  fuprà,  page  266;  mais 
il  donne  à  ces  Pins  le  nom  de  Pins  fauvages. 
(rf)  Acofta,  "hi  f-jprà,  Ch.  30. 
(e)  Ibiden 
If)  Ibid.  Chap.  25. 
Ig)  Tome  XVI.  de  ce  Recueil. 
{b)  LaeC,  uhi  Juprà, 


I  feuil- 
es.juf- 
!  épaif- 
nc  i'eau 
:e  pour 
lans  les 
au  pour 

vertu». 
3  mieux 
î  efpèce 

)n  fruit , 
:rme  un 
le ,  il  efl: 
,  le  croit 

nces  les 
ide,  qui 
s  de  l'o- 
ies fruits 
fort  au- 
es.  Les 
gros  que 
,  dit- il, 

fur  des 
a  décrit 
Monde. 
'epeamatl^ 
(Tes ,  pur- 
le  petites 
ne  petite 
t  Clufii4S  a 
înez  nous 
me  de  fes 
is  &  des 
dans  trois 


3  a66;  mais 
fauvages. 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        629 

Le  CopahncQtl,  qui  tire  ce  nom  de  la  refTemblance  de  Ton  odeur  avec  celle 
du  Copal,  &  que  d'autres  nomment  Pompoque,  efl  un  arbre  fcmbiable  à  notre 
Cerifier,  qui  porte  pour  fruit  une  efpèce  de  petites  pommes  douces,  mais 
fort  aftringentes,  dont  la  principale  vertu  eftdans  fon  fuc  vifqueux,  qu'on 
croit  bon  pour  les  fièvres  dyflenteriques. 

Le  Quauhayobuatli y  nommé  aulfi  Qnahtlalatzin,  efl  un  grand  arbre,  dont 
le  tronc  eft  fort  gros,  rouge  &  tortu,  &  qui  jette  beaucoup  de  branches. 
Ses  feuilles  font  celles  àoVAdelfe^  ou  du  Rhododendra ,  c'eft-àdire  longues 
&  étroites  ;  fon  fruit  eft  rond ,  mais  applati  comme  les  fèves  marines  & 
moins  gros.  Cinq  ou  fept  de  cette  ei'pcce  d'amandes ,  rôties ,  &  macé- 
rées dans  le  vin,  font  une  merveilleufe  purgation,  lorfqu'on  a  commen- 
cé par  en  ôter  les  membranes  dont  elles  font  couvertes ,  &  qui  les  divifent 
par  le  milieu. 

XiMENEZ  décrit  un  ::rbre,  qu'il  nomme  Quahtlalatzin  ^  &  qui  tire  ce 
nom,  dit-il,  de  ce  que  fon  fruit  s'ouvre  avec  beaucoup  de  bruit  dans  fa 
maturité,  &  s'élance  auffi  loin  que  s'il  étoit  poufle  par  une  arme  à  feu.  L'ar- 
bre eft  grand.  Ses  feuilles  font  celles  du  Meurier ,  mais  plus  larges ,  den- 
telées par  les  bords ,  &  divifées  par  quantité  de  petites  veines.  Son  trono 
éft  rouflatre,  fon  fruit  rond,  mais  applati,  &  raïé  comme  le  Melon.  Il 
contient  douze  pépins ,  ou  plus,  ronds  &  blancs ,  dont  on  aflure  que  deux 
fuffifent,  après  en  avoir  ôté  les  membranes  qui  les  féparent ,  &  qui  font  ca- 
pables de  caufer  des  tranchées ,  pour  chafler  du  corps  toutes  les  humeurs 
nuifibles,  fur-tout  la  pituite  &  la  bile.  Ils  demandent  d'être  un  peu  rôtis, 
d'être  macérés  dans  l'eau ,  &  d'être  pris  à  jeun.  Laet  les  donne  pour  un 
remède  infaillible  (i). 

Le  Xahuali  eft  un  très  bel  arbre,  dont  les  feuilles  reflemblent  à  celles 
du  Frêne.  Son  bois  eft  pefant,  &  d'un  jaune  tigré.  Il  porte  un  fruit  fem- 
blable  au  Poivre,  fans  couronne  cependant ,  &  que  plufieurs  mangent  dans 
fa  maturité.  Les  Indiens  en  tirent  une  eau ,  dont  ils  fe  lavent  les  jambes 
&  quelquefois  tout  le  corps,  pour  fe  fortifier  &  pour  fe  noircir;  car  elle  a 
cette  double  vertu.  Il  n'y  a  point  d'autre  ablution  qui  puille  en  ôter  la  cou- 
leur; mais  elle difparoît  d'elle-même  dans  l'efpace  de  quinze  jours,  à  l'ex- 
ception des  ongles,  qu'elle  ne  quitte  que  lorfqu'ils  changent  en  croifl*ant. 
C'eft  dans  la  Guerre ,  que  les  Mexiquains  s'en  fervent  particulièrement , 
pour  fe  rendre  plus  terribles. 

Le  Coati,  que  d'autres  nomment  Tlapakzpatli y  eft  un  grand  arbrifleau 
qui  s'élève  quelquefois  de  la  hauteur  d'un  arbre,  &  dont  le  tronc  devient 
auffi  fort  épais.  Ses  feuilles  relfemblent  à  celles  des  pois  ;  fes  fleurs 
font  petites,  oblongues,  difpofées  en  épi,  &  d'un  blanc  obfcur.  La  fub- 
ftance  de  fon  bois  eft  froide  &  humide.  Elle  teint  l'eau ,  d'une  couleur 
bleue.  On  la  croit  excellente  pour  nettoïer  les  reins  &  la  velîie,  &  pour 
adoucir  l'âcreté  des  urines.  Les  Efpagnols  en  tranfportent  en  Europe, 
fous  le  nom  de  Bois  néphrétique.  Ximencz  obferve  qu'étant  macérée  dans 
J'eau  pendant  quinze  jouts ,  elle  cefle  de  la  teindre ,  &  qu'elle  perd  toute 
fa  vertu. 

-,  '  •  Un 

(»■)  Ibid.  page  226. 


DBfCRrPTTOIf 

ue  LA    Noir- 

VELLli     KfPA- 
ONE. 

Le  Copal  xa- 
coll. 

Le  Qnniiha- 
yohunrli,  ou 
(^iiahtlahit- 


Le  Xaliuali. 


Le  Coati ,  ou 
TlapalezpatlU 


DEICRIPTIOlf 
DE    LA    NOU- 

vsLLB    Espa- 
gne. 

Le  Higucro. 


Le  Xalxo- 
cotl ,  ou  le 
Gua/abo. 


Le  Yccotl. 


LeXocliio- 
oHzolquaxi- 

liUltl. 


630       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Un  autre  arbre,  auquel  lesEfpagnols  ont  fait  perdre  fon  nom  Mexiquaîn, 
en  lui  donnant  celui  de  Higuero^  a  les  feuilles,  la  figure  &  la  grandeur  du 
Meurier.  Son  fruit  eft  une  efpèce  de  gourde ,  de  diverfes  formes  ,  dont 
les  Mexiquains  font  les  tafles  qu'ils  nomment  Tecomates^  &  qui  leur  fervent 
à  prendre  le  chocolat.  Ils  en  mangent  la  poulpe,  lorfqu'ils  manquent  d'au- 
tres vivres. 

Le  XalxocotU  que  les  Infulaires  de  l'Efpagnole  nomment  Guayabo,  eft  un 
grand  arbre,  dont  on  didingue  plufieurs  efpèces  au  Mexique.  Ximenez  en 
décrit  deux  :  la  première  a  les  feuilles  de  l'Oranger ,  mais  plus  petites  & 
velues,  les  Heurs  blanches,  le  fruit  rond ,  &  rempli  degrains  comme  les  fi- 
gues. Ses  feuilles ,  qui  font  acides ,  aftringentes ,  &  d  une  odeur  très  for- 
te, gueriflent  la  galle  parles  bains.  Son  écorce  eft  froide,  fcche  &  fort 
aftringente.  On  lui  attribue  la  vertu  de  guérir  l'enllure  des  jambes,  les 
playes  fiftuleufes,  &  même  la  furdité.  Le  fruit  eft  chaud  &  fec,  &  fent  la 
Punaifc;  ce  qui  ne  l'empêche  point  d'être  d'un  fort  bon  goût,  qui  le  fait 
fcrvir  aux  meilleures  tables.  La  féconde  efpèce  porte  un  fruit  beaucoup 
plus  gros ,  dont  l'odeur  n'eft  pas  fi  forte.  Oviedo  donne  aufli  la  defcription 
de  cet  arbre  &  de  fon  fruit  (  k  ). 

L  E  Mizquitl  eft  un  arbre  fort  commun  dans  la  Nouvelle  Efpagne ,  fur- 
tout  dans  les  parties  montagneufes.  Il  eft  épineux.  Ses  feuilles  font  longues 
&  étroites ,  de  la  forme  de  celles  de  l'ail.  Il  porte  des  filiques ,  comme  le 
Tamarinde ,  &  prefque  de  la  même  figure ,  remplies  de  graines  d'un  goût 
agréable,  dont  les  Montagnards  font  une  pâte  qui  leur  tient  lieu  de  pain. 
Ximenez  juge,  fans  expliquer  fur  quel  fondement,  que  c'eft  la  vrayeCafle 
des  Anciens,  qu'une  extrême  négligence,  dit -il,  a  fait  ignorer  jufqu'à 
préfent.  On  tire,  des  rejettons  de  cet  arbre,  ime  liqueur  excellente  pour 
les  yeux;  ôc  l'eau  même,  dans  laquelle  ils  ont  trempé,  acquiert  la  même 
vertu. 

Le  Tecot If  que  les  Efpagnols  ont  nommé  Palmier  des  Montagnes,  &  que 
quelques  Indiens  nomment  ^uauhlopopot H  ^  eft  un  arbre  compofé  ordinaire- 
ment de  deux  ou  trois  troncs ,  qui  naiflent  d'une  même  racine.  Ses  Heurs 
font  blanches  &  odorantes,  formées  en  ombelle,  de  compofées  de  fix  péta- 
les. Il  en  naît  des  fruits  aHez  femblables  à  la  pomme  de  Pin ,  de  difi^éren- 
tes  grofiTeurs ,  &  de  la  couleur  de  nos  châtaignes.  Laet ,  qui  en  avoit  vu 
plufieurs ,  n'a  pu  décrire  leur  graine;  parcequ'on  les  avoit  apportés  vuides, 
de  la  Nouvelle  Efpagne  (  /).  Ximenez  fe  contente  de  dire  que  ce  fruit  eft 
froid  &  vifqueux:  mais  il  obferve  qu'on  tire,  des  feuilles  de  l'arbre,  un  fil 
plus  fort ,  quoique  moins  gros ,  que  celui  du  Metl  ou  du  Maghey. 

Le  Xocbiocotzolquaxtbuitl  e(i  un  arbre réfineux, qui  donne  une  efpèce  d'am- 
bre liquide.  11  eft  d'une  grandeur  extraordinaire.  Ses  feuilles  reflfemblent 
à  celles  du  Larix  (?«) ,  &  font  divifées  dans  leurs  deux  parties  en  trois  an- 
gles; blanchâtres  d'-jn  côté,  d'un  verd  obfcur  de  l'autre  ,  &  dentelées  à 
l'entour.  L'écorce  du  tronc  &  des  branches  eft  rouge  en  partie.  On  en 
tire,  par  incifion,  une  liqueur,  que  les  Efpagnols  nomment  Liquidambar^  & 

les 


(fe)  Liv  8   Chap.  19. 
(i)  Ubifupra,  page  228. 


(m)  C'eft  une  efpèce  de  Sapin. 


me, 


uns, 


DiicKtpTion 

Dl    tA    NOU- 

VILLE    Eirâ- 
OMS. 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  H.       ^31 

les  Mexi(juain8  Xochioeotzol ^  dont  l'odeur  approche  du  florax.  Elle  e(l  chau- 
de au  troifième  degré ,  &  fort  delîicative.  C'efl:  un  fpécifique  contre  le 
rpafme  &  contre  les  affe£lions  hyflériques.  Il  découle  aufli,  de  cet  arbre, 
une  huile  dont  on  ne  vante  pas  moins  l'odeur  &  les  vertus  ;  mais  quelques- 
uns  croient  qu'elle  ne  vient  que  de  la  réfme,  expofée  au  Soleil,  ou  mife  fous 
le  preflbir  (  w  ). 

CoPAL  efl:  un  nom  commun  que  les  Mexiquains  donnent  à  toutes  les  ré>      Le  Copti> 
(ines  &  les  gommes  odoriférantes,  mais  qu'ils  diftinguent  par  l'addition   quahuiti,  4 
d'un  autre  nom  ;  car  ils  ont  un  grand  nombre  d'arbres  réfineux.     Ils  appel-   Jg^^ofS*. 
lent  Copa/,  par  excellence ,  une  r'Tme  blanche  &  tranfparente,  qui  découle     *^     ^ 
d'un  arbre  dont  les  feuilles  reflemblent  à  celles  du  Chêne,  mais  font  plus  . 
longues.    Le  fruit  e(l  rond,  de  couleur  rougeâcre,  &  du  même  goût  que  la 
réfme.     Elle  diftille  quelquefois  d'elle-même,   quelquefois  par  incifion. 
L'arbre  fe  nomme  Copal^ahuitl^  c'ed-à-dire,  arbre  qui  porte  le  Copal.    Il 
croit  en  divers  lieux  ;  mais  on  obferve,  dans  fa  forme  comme  dans  la  cou- 
leur de  fa  réline,  quelque  différence  entre  celui  des  Montagnes  &  celui  des 
Pays  plats. 

Le  Ccpal quabuitl petlahuac  f  tire  Ton  nom  de  la  largeur  de  Tes  feuilles,  qui 
furpaffe  celle  des  autres  arbres  du  même  ordre.  Elles  font  déchiquetées, 
&  fort  femblabies,  pai  ia  couleur  «&  la  rudefle  autant  que  par  la  forme,  à 
celles  de  la  Plante  que  les  Efpagnols  nomment  Sumat.  L'arbre  eft  de  hau- 
teur médiocre.  On  prendroit  fes  branches  pour  une  efpèce  d'ailes ,  d'où 
fort  une  réfme  blanche ,  mais  un  peu  différente  de  l'autre,  &  moins  abon- 
dante. 

Le  Copal quauhxiotl  ed  un  grand  arbre,  dont  l'écorce  efl:  unie  &  fe  fépa- 
re  facilement  du  tronc.  Ses  feuilles  font  longues  &  étroites,  à-peu-près 
femblabies  à  celles  de  la  Rue.  Son  fruit  pend  en  grappes.  La  réfme,  qui 
fort  de  fon  tronc,  a  l'odeur  &  la  couleur  de  la  précécfente. 

Le  Tepecopalli  quahuiti ^  c'eflià-dire  le  Copal  des  Montagnes,  efl:  un  ar- 
bre de  moyenne  hauteur,  qui  porte  un  fruit  femblable  au  gland,  couvert 
d'une  peau  gluante  &  réfmeufe,  bleu  dans  fa  fubfl:ance,  &  bon  à  divers 
ufages.  Il  rend  une  réfme  fort  femblable  à  l'encens  des  Anciens ,  que  cet- 
te raifon  fait  nommer  par  les  Efpagnols ,  Incitnfo  de  los  Indios ,  &  par  d'au- 
tres Gomme  anime.  On  lui  attribue  d'infignes  vertus  pour  les  maladies  des 
Femmes  (0). 

Le  Cuitla-copalUy  qu'on  nomme  aufll  XioquahuttU  i^fl:  un  arbre  médiocre, 
à  petites  feuilles  rondes,  qui  porte,  pour  fruit,  de  petites  graines  en  om- 
belle ,  vifqueufes  &  fort  odorantes.  Il  rend  une  gomme ,  qui  a  d'elle-même 
quelque  odeur,  &  qu'on  prétend  chaude  au  troifîème  degré. 

Le  Tecopal  pitzabuac y  c'efl:-à  dire  le  Copal  à  petites  feuilles,  efl:  une  lar- 
me, ou  une  efpèce  d'encens ,  qui  tire  fur  le  noir.    Ses  feuilles,  un  peu  plus 

grandes  que  celles  la  Rue,  font  rangées  comme  en  ordre  aux  deux  côtés 

- .  1  '    ■ .    j    ■  -. -  . i» , .  . .   il ..  .  f .     - .. i .    .•.>i  ,' i  -  L'ji  -j I ' ,',^  ...  w-^  -  - .  I     des  ■ 


(n)  Traité  des  Plantes  Exotiques  de  Ou- 
fins,  Chap.  8 
(0)  Entr'autres  celle  de  rétablir  l'utérus 

Xrni,  Part, 


déplacé.  Laet,  ubi  fupra,  page  223  II 
renvoyé  par-tout  à  Nicolas  Monardes ,  dans 
les  Exotiques  de  Clufius. 

LUI 


OiieaiPTiON 
OB  i.A  Nou- 
velle   EifA- 
•NI. 


63»        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

des  branches.  Il  porte  un  fort  petit  fruit,  rougeâtre,  aflez  femblable  ta 
poivre  rond,  &  qui  croît  aulTi  en  ordre,  des  deux  côtés  des  branches. 

Le  Xochicopalli ^  c'efl  à-dire  Copal  fleuri,  qu'on  nomme  aufli  Xarapifca, 
e(l  un  arbre  moyen,  qui  a  les  feuilles  de  la  Menthe-faranne , quoique  moins 
déchiquetées,  «jointes  trois  à  trois  fur  leur  tige.  Le  tronc,  qui  ed  fort 
odorant,  jette  une  liqueur  de  couleur  fauve  ,  qui  a  la  plus  partaite  odeur 
du  Limon. 

Le  Mixquixocbicopalli  f  ou  Xocbicopalt  efl  un  grand  arbre  à  feuilles  d'Oran- 
ger, dont  le  tronc  ell  rayé  de  blanc'  Ses  fleurs  font  rougeâcres  &  fort  pe« 
tites.  11  donne  une  réfine  couleur  de  feu,  qui  fe  nomme  ^nime  &  Copaî. 
Elle  efl  chaude  prefqu'au  troifième  degré,  un  peu  adringente  &.  dellicative, 
d'une  très  douce  odeur,  bonne  par  fumigation  pour  les  maux  de  tête  qui 
viennent  d'une  caufe  froide.  Elle  remédie  aux  fufFocations  utérines:  en  un 
root ,  c'ell  un  Ipécifique  pour  toutes  les  maladies  froides  ou  humides.  Tou- 
tes les  autres  elpèces  de  Copal  tiennent  de  la  même  vertu. 

VtiolquabuUl  donne  une  réfme ,  que  les  Mexiquains  nomment  HqIH  ,  &  lei 
Efpagnols  Ule,  Cet  arbre  a  deux  efpèces  ;  l'une ,  dont  le  tronc  efl  uni  Si 
roufsâtre,  rempli  d'une  poulpe  graflc  &  vifqueufe.  Ses  fleurs  font  blan- 
ches, &  ÎGS  feuilles  très  grandes.  Il  produit,  fur  fon  ^ronc,  une  forte  de 
petites  bourfes,  rougeâcres,  &  pleines  d'un  petit  fruit  blanc,  de  la  forme 
des  avelines ,  couvert  d'une  peau  brune  >  &  d'un  goQt  fo:r  amer.  Sa  réfine , 
qu'il  donne  par  incifion ,  efl  d'abord  couleur  de  lait ,  qui  devient ,  par  de- 
grés, brune  &  noire.  On  la  forme  en  boules,  dont  les  Indiens  fe  fervent 
pour  fe  frotter  le  corps,  &  qu'ils  mangent  auffi,  mêlée  avec  certains  Vert 
qu'ils  nomment  ^xin.    Ils  prétendent  qu'elle  donne  une  merveilleufe  fou- 

SlefTe,  qu'elle  provoque  l'urine,  qu'elle  nettoyé  la  veflie,  &  qu'elle  remédie 
ans  les  Femmes  à  la  flérilité.  Ses  feuilles ,  fechées  &  pUées ,  font  un  poi» 
fon  mortel  pour. les  Lions ,  les  Tigres ,  &.i plupart  des  Bêtes  féroces. 

Le  Tecomabuca,  nom  que  les  Efpagnols  ont  corrompu  de  TecomMayc ,  eft 
un  grand  arbre  (p),  dont  les  feuilles  font  rondes  &  dentelées ,  &  qui  porta 
à  l'extrémité  de  fes  branches  un  petit  fruit  rond,  jaunâtre,  plein  d'une  grai- 
ne femblable  à  celle  du  Cotonier.  La  fubflance  du  tronc  eft  d'un  goût  »are, 
mais  d'une  agréable  odeur.  II  en  fort, quelquefois  naturellement,  quelque- 
îfois  par  incifion,  une  réflne,  qui  a  toutes  les  qualités  des  précédentes, &  que 
quelques-uns  prennent  pour  une  force  de  myrrhe.  < 

Le  Caranna  efl  une  réflne  qui  fort  d'un  grand  arbre,  nommé  TIabaUiïloean 
par  les  Mexiquains ,  dont  le  tronc  efl  uni,  d'un  rouge  éclatant,  &  d'une 
forte  odeur.  Ses  feuilles  refTemblent  à  celles  de  l'Olivier,  &  font  difpofëes 
en  forme  de  croix.  On  n'attribue  pas  moins  de  vertus  à  fa  réfine, qu'a  celle 
du  Tecomahuca,  quoique  jufqu'à-préfent  elle  ait  été  moins  connue. 

Les  Mexiquains  nomment  Huitzil-xocbitly  écAnatl-inan^  un  arbre  qui  pro- 
duit une  gomme,  de  l'odeur  de  l'aneth.  Son  tronc  efl  droit  &  uni,  fon  é- 
corce  verdâtre,  &  fa  fubflance  fort  blanche;  fes  feuilles  font  aigUes&den- 
:  ..       ..'     >.  .-:        •..•  •      telées, 


ip)  Oara|>peUe  aufE  CopiU^bat^  &  Mcmyal  fuabuiO, 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        633 

celëef,  Tes  fleuri  pâlei ,  mais  jaunifTanc  un  peu  vers  les  bords.    Le  goûe, 
comme  1  odeur  de  fa  réfine,  tire  fur  celui  de  l'aneth. 

Une  autre  réfme ,  blanche  &  fort  odorante ,  que  les  Médecins  Indiens 
emplcient  beaucoup  pour  la  dyflenterie,  fe  nomme  Quaubeitlalii  ou  du 
moms  ils  donnent  ce  nom  à  la  liqueur  laiteufe  qu'elle  forme,  aulTi-tôt  qu'on 
la  jette  dans  l'eau.    Elle  arrête  le  fang ,  de  quelque  partie  du  corps  qu'il 

Euifle  couler;  mais  on  doit  fe  garder  d'en  prendre  trop  (q).  L'arbre  qui 
i  donne,  &  qui  fe  nomme  Quauhcopaltic ■  xixio ^  a  le  tronc  uni,  tendre, 
Î|ui  fe  fepare  de  lui-même  en  écaille.  Il  a  les  feuilles  du  Bafilic,  &  le 
ruit  de  l'Oxy-acanthe,  mais  plus  gros,  verd  en  naiiTant,  âc  tournant  bien* 
tôt  vers  le  rouge. 

VHutzocbitldes  Mexiquains,  que  les  Indiens  de  Panuco  nomment  Chute  t 
de  les  Efpagnols  B^ume,  parcequ'il  donne  une  liqueur  fort  femblable  au 
Baume  de  Syrie ,  &  qu'il  ne  lui  cède ,  ni  par  l'odeur ,  ni  par  les  autres  qua> 
lités ,  efl  un  arbre  de  la  grandeur  de  l'Oranger ,  avec  les  feuilles  de  l'Aman- 
dier, mais  plus  grandes  oc  plus  aigQes.  Il  porte,  à  l'extrémité  de  Tes  bran- 
ches,  des  fleurs  jaunes ,  à  feuilles  longues  oc  étroites,  qui  contiennent  une 
forte  de  femence  brune.  Dans  toutes  les  faifons,  mais  fur-tout  à  la  fin 
des  pluies ,  cet  arbre  donne  par  incifion  une  liqueur  vantée ,  d'un  jaune 
noirâtre ,  d'un  goût  acre  &  amer ,  &  d'une  odeur  forte ,  mais  extrêmement 
agréable.  On  la  tire  aulTi ,  en  coupant  les  plus  tendres  branches  &  les  fai* 
fant  bouillir  dans  l'eau  en  pièces  fort  menues.  Il  en  fort  bientôt  une  fub- 
(lance  huileufe,  qu'on  recueille  à  mefure  qu'elle  furnâge;  mais  ce  Baume 
efl  moins  eftimé  que  l'autre.  On  tire  aufli ,  des  femences  de  l'arbre ,  une 
huile  de  la  plus  agréable  odeur,  qui  relTemble  aflez  à  l'huile  d'olive,  &  qui 
a  prefque  les  mêmes  vertus  que  le  Baume. 

Le  QuMticoneXt  arbre  médiocrement  haut,  mais  d'un  tronc  épais,  dur 
&  odorant,  a  les  fbuilles  larges,  la  fleur  petite  &  blanche,  le  fruit  fembla- 
ble aux  bayes  du  Laurier.  On  coupe  fon  écorce  en  pièces  ;  on  la  macère 
dans  l'eau  pendant  quatre  jours ,  on  l'expofe  enfuite  au  Soleil  ;  &,  lorfqu'elle 
commence  à  s'échauffer,  on  en  tire  fous  le  prelToir  une  huile  balfamique , 
utile  4  divers  befoins. 

On  ne  parle  point  d'une  véritable  efpèce  de  laque,  qui  efl  en  abondance 
aa  Mexique,  &  qui  vient  d'un  arbre  nommé  Tzinacau  Cuit  la  huahuitl;  ni  du 
fang  de  Dragon,  dont  l'arbre  n'efl  pas  plus  rare,  &fe  nomme Ezquabuitl. 

Les  Provinces  méridionales  produifent  en  abondance  une  forte  de  Cèdres, 
auxquels  les  Efpagnols  donnent  du  moins  ce  nom ,  Quoiqu'il  reffemble  peu 
à  ceux  du  Mont  Liban.  Labat  efl  perfuadé  que  c'eft  le  même  arbre  qu'on 
appelle  Jcajou  (r)  dans  les  Ifles  du  Vent.  Les  feuilles  en  font  petites 
longues  &  étroites,  à-peu-près  comme  celles  du  Pécher.  Elles  croiffent 
par  bouquets.  Leur  couleur  efl  un  verd  pâle.  Elles  font  minces ,  fbuples , 
frifées  vers  la  pointe;  &  lorfqu'on  les  froiffe  dans  la  main,  elles  rendent  une 
liqueur  onélueufe ,  d'une  odeur  aromatique.  L'écorce  de  l'arbre  efl  épaifTe, 
rude,  tailladée,  grife>  affez  adhérente.  On  prétend  qu'il  efl:  mâle  &  fe- 
melle. 


DiiciiPTioir 

01    LA    N0U4 

VILLE    EirA- 

UMI. 


Ernèce  de 
Cèdres. 


(f  )  La  dofe  eft  le  poids  d'une  obole, 
(r)  11  ne  faut  pas  le   confondre    avec 


l'Acajou  i  fruit,  dont  on  parlera  dans  un 
autre  lieu.  .. 

LUI  2 


634        D  E  S  C  R  1  P  T  ION    DU    MEXIQUE, 


DfSCRtPTtON 

DS    LA     N')U* 

«ELLE     lC^PA• 

CNC. 


Trois  fortes 
i^cMangles. 


cil 


mais 


comt 


ce 


que  le  mdie  cic  non*reu1cment  plus  rouge, 
qui  le  rend  plus  facile  à  travailler  que  1  autre,  qui  ed  quelquefois* un  peu 
cotoncux.  Il  devient  très  grand,  fur-tout  dans  les  terres  arides,  qu'il  pa- 
roît  aimer  plus  que  les  bonnes;  &  peut-être  lert  il  beaucoup  à  leur  ftiche* 
rcitct  en  attirant  toute  la  fubflance  par  Tes  cuincs&  (es  racines,  qu'il  étend 
fort  loin  du  tronc.  On  le  vante  pour  toutes  fortes  d'ufagcs.  Les  Efpagnols 
en  font  des  poutres  (x),  des  chevrons,  des  planches,  des  cloifons  &  des 
meubles.  Les  Indiens  r'en  connoilfent  pas  de  meilleur  pour  en  faire  des 
Canots  &  des  Pyrogues  de  toute  forte  de  grandeurs,  capables  de  porter 
beaucoup  de  monde  &  de  faire  de  longs  trajets;  outre  qu'étant  léger  & 
flottant  fur  l'eau ,  il  efl  comme  à  l'épreuve  du  naufrage.  On  ne  lui  trouve 
pas  d'autre  défaut  que  de  fe  fendre  aifément;  mais  on  y  remédie,  en  gar- 
nilfant  de  courbes  l'intérieur  des  Canots,  &  ferrant  les  deux  extrémités 
avec  quelques  bandes  de  fer.  Son  odeur,  qui  lui  a  fait  donner  le  nom 
de  Cèdre,  efl;  extrêmement  agréable.  11  pai!e  aufll  pour  incorruptible, 
ou  du  moins  d'une  très  longue  durée  ;  &  l'on  croit  en  trouver  la  caufe 
dans  une  humeur  gommeufe,  très  acre  &  très  amere,  qui  en  éloigne  les 
Vers  &  les  Poux  de  bois,  &  qui  communique  de  l'amertume  jufqu'aux  ali- 
mens  qu'on  fait  cuire  fur  un  feu  de  fon  bois  (t).  A  l'égard  de  fon  odeur, 
elle  ne  fe  fait  Tentir  que  lorfqu'il  efl  bien  fec  ;  &  comme  le  bois  de  Sainte- 
Lucie,  il  en  jette  une  fort  mauvaife  &  fore  dégoûtante,  jufqu'à  ce  qu'il 
«lit  perdu  toute  fon  humidité.  Le  tronc  &  les  grofles  branches  du  Cèdre  de 
la  Nouvelle  Efpagne  jettent,  par  intervalles,  des  grumeaux  d'une  gomme 
claire,  nette  &  tranfparente,  qui  durcit  à  l'air ,  &  qu'on  emploie  aux  mêmes 
ufages  que  la  gomme  Arabique.  Peut-être  en  tireroiton  beaucoup  plus  par 
incifion. 

On  diflingue ,  fur  les  Câtes  méridionales  de  la  Nouvelle  Efpagne ,  trois 
fortes  de  Mangles  ;  les  noirs ,  les  rouges  &  les  blancs.  Le  noir ,  qui  efl  le 
plus  grand,  a  le  tronc  de  la  grofleur  d'un  chêne,  &  s'élève  ordinairement 
d'environ  vingt  pies.  Il  e(l  fort  dur,  &  bon  pour  la  charpente,  mais  d'une 
pefanteur  extraordinaire.  Le  Mangle  rouge  croît  en  abondance  près  de  la 
Mer  &  des  Rivières.  Son  tronc  efx  moins  gros  que  celui  du  Mangle  noir; 
mais  il  pouiTe  pludeurs  racines,  de  la  grofleur  de  la  jambe,  qui  s'élèvent  à 
flx ,  huit  ou  dix  pies  de  terre ,  &  qui  fortant  d'un  même  tronc ,  paroiflent 
foutenues  par  autant  de  pieux  artificiels.  11  efl:  impofllble  de  marcher  dans 
les  lieux  où  cet  arbre  croît,  ou  du  moins  fl  difficilement ,  que  pour  traverfer 
tant  de  racines  entrelacées ,  on  a  quelquefois  un  demi-mile  à  faire  fans  tou- 
cher  la  terre  du  pié,  c'efl-àdire,  en  fautant  d'une  racine  fur  l'autre.  Le 
bois  en  efl  dur,  &  bon  à  divers  ufages.  Son  écorce,  qui  efl  rouge  en 
dedans,  fert  à  tanner  les  cuirs.  Le  Mangle  blanc  n'atteint  jamais  à  la 
grofFeur  des  deux  autres,  &  n'efl;  pas  non  plus  de  la  même  utilité.    Le 

noir 


(/)  Ce  fut  de  ce  Cèdre  que  Femand 
Cortez  employa  fept  mille  poutres  à  la  conf- 
truflion  de  fon  Palais,  en  faifant  rebâtir 
Mexico.  yoytZt  ci-defTus,  la  Defcription  de 
cette  Ville. 


(t)  D'autres  bois  amers  ,  tels  que  le 
Simarouba  de  la  Cayenne  ,  fi  célèbre  par  fes 
vertus  pour  les  dysenteries,  produifent  le 
mâme  effet. 


C 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.       635 


»ft;ce 
in  peu 

I  émnd 
>agnoIs 

&des 
ire  des 

porter 
iger  & 

trouve 
en  gar- 
rèmités 
le  nom 
iptible , 
a  caufe 
gne  les 
aux  ali' 

odeur , 

Sainte- 
ce  qu'il 
!edre  de 
gomme 
;  mêmes 
plus  par 

e,  trois 
ni  efl:  le 
liremenc 
ais  d'une 
es  delà 
;le  noir; 
lèvent  à 
aroiflent 
her  dans 
traverfer 
fans  tou- 
tre.  Le 
ouge  en 
nais  à  la 
lité.  Le 
noir 

ût  que  le 
^bre  par  fes 
:oduiient  le 


ÙueMfrtcm 

Dt    LA    Non* 
VILLI    EirA* 

ONR. 

Le  Pcnjoln, 


noir  &  le  blanc  ne  pouffent  point ,  comme  le  rouge ,  des  racines  élevées. 
Leur  tronc  fort  immédiatement  de  terre,  comme  celui  du  la  plupart  des 
autres  arbres. 

On  trouve  fur  les  mêmes  Côtes,  âc  dan;  la  plupart  des  Ifles,  mais  plus 
particulièrement  encore  dans  la  Oaie  de  Campéchc  fur  la  Mer  du  Nord ,  une 
efpèce  de  fruit  qui  fe  nomme  Pengoin ,  âcdont  on  diUingue  le  jaune  &  le  rou- 

fe.  Le  premier  croit  fur  une  tige  verte,  de  la  groHeur  du  bras,  &  haute 
e  plus  d  un  pic.  Les  feuilles  ont  un  demi-pié  de  long,  fur  un  pouce  de 
large,  âc  font  bordées  de  piquans.  Le  fruit  fort  au  fommet  de  la  tige,  en 
deux  ou  trois  gros  pelotons,  compofés  chacun  de  feize  ou  vingt  pommes, 
rondes  &,  jaunes ,  de  la  grofleur  d'un  œuf  de  Poule.  La  peau  en  eit  épaifle , 
&  le  dedans  plein  d'une  petite  graine  noire,  mêlée  dans  la  poulpe  du  fruit. 
Le  Pengoin  rouge  a  la  groffeur  &  la  couleur  d'un  oignon  fcc.  Sa  figure 
e(l  celle  d'une  quille.  11  ne  croit  point  fur  une  tige,  mais,  fortant  de  terre 
par  le  bout  qui  s'élève,  il  y  demeure  attaché  par  l'autre.  Soixante  ou 
foixante  &  dix  de  ces  fruits  croiflent  enfemble,  auiïï  proche  les  uns  des  au- 
tres qu'il  ell  pollible,  &  cous  fur  la  même  racine.  Ils  font  environnés  & 
défendus  par  des  feuilles  piquantes,  comme  celles  du  Pengoin  jaune,  & 
longues  d'environ  deux  pies.  Le  fruit  de  l'un  &  de  l'autre  le  reflemble  par 
les  qualités.  Ils  tirent  tous  deux  fur  l'aigre.  Ils  pailenc  pour  fains,  &  ja- 
mais ils  ne  nuifent  à  l'edomuc.  Cependant,  fi  l'on  en  mange  avec  excès, 
on  fent  une  chaleur  extraordinaire  au  fondement.  La  UaiedcCampêche  en 
produit  une  fi  grande  abondance ,  que  les  piquans  des  feuilles  y  rendent  le 
paflage  fort  difficile. 

La  Province  de  Mechoacan  produit  un  arbre  que  fes  Habitans  nomment  Le  Chupirl, 
Cbupiri ,  c'efl-à«dire  Plants  de  feu ,  dans  leur  langue.  Il  reflemble  au  Laurier, 
avec  une  forme  encore  plus  agréable.  Ses  feuilles  font  plus  grandes  que 
celles  de  l'Amandier.  Ses  fleurs  font  une  efpèce  de  rofes:  mais  le  fuc  en 
efl:  fl  acre,  qu'il  faillit  de  caufer  la  mort  à  un  Médecin  Ëfpagnol ,  qui  en  ofa 
faire  refl*ai.  Les  Indiens  l'emploient  néanmoins  à  purger  la  pituite ,  en  le 
prenant  mêlé  avec  d'autres  fucs.  Les  Ëfpagnols ,  redoutant  fes  efl^ets,  fe  re* 
duifent  à  l'appliquer  en  cataplafme  fur  le  nombril ,  &  le  croient  capable  de 
purger  par  cette  voie  (  v  ). 

On  vante  un  Arbuflie  de  la  même  Province,  nommé  auflTi  Chuptri^  &  par   LeCharapetî 
d'autres  Cbarapeti^  qui  poufle  une  longue  &  grofle  racine,  d'un  blanc  fale  ^"h^n"^"' 
au  dehori ,  &  rougeâtre  en  dedans ,  d'où  fortent  quantité  de  petits  rameaux  ^'°"'^®' 
d'un  verd  obfcur,  tirant  fur  le  bleu ,  ronds,  unis,  qui  fe  couvrent  de  feuil- 
les à-peu  p»éi  femblables  à  celles  de  l'Oranger,  &  qui  portent  des  fleurs 
blanchâtres,  en  forme  d'étoiles,  mais  fans  goût  &  fans  odeur.     Les  In- 
diens font  un  cas  extrême  de  cette  Plante,  &  la  préfèrent  à  toutes  les  autres 
pour  les  accidens  du  mal  vénérien.     Ils  emploient  fa  racine  en  déco6lion , 
avec  un  régime  convenable  au  Pays.  Non-feulement  elle  guérit  les  tumeurs, 
les  playes,  &les  autres  efl'ets  de  ce  mal,  mais  elle  arrête  la  dyflenterie,  elle 
rétablit  les  forces,  elle  excite  l'appétit,  elle  chafle  la  galle  &  les  maladies  les 
plus  obflinées  de  la  peau. 


(v)  Fr.  Xlinenes,  ubifuprà. 


Lft 


Laet,  Livre  5,  page  264. 
LUI  3 


I 


DkSCRlPTIOR 

OB    LA    NOU- 

VBLLB     ESPA- 

ONK. 

Quammo- 
chici,  ou.  Bois 
de  fang. 

Le  Cuhura* 
qua. 


Le  Puntzu- 
neti. 


fl! 


Acuitze* 
buarita. 


Le  TIali- 
matl ,  ou  ■ 
l'Herbe  de 
Jean-l'infant. 


63(5        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Lb  Bois  de  fang,  que  lesMexiquains  nomment QuammcbttI ,  fe  trouve  en 
abondance  dans  la  Province  de  Nicaragua  fur  la  Mer  du  Sud,  &  fur  la  Mer 
du  Nord  à  la  même  hauteur. 

Le  Cuburaqua  efl  un  arbufte  duMechoacan,  donc  le  tronc  efl  épineux.  Ses 
racines,  blanches  &  farmenceufes ,  produifenc  de  petits  rejectons,  de  cou- 
leur rougeâtre  en  dehors  &  tout-à  fait  rouge  en  dedans ,  tortus ,  &  qui  fe 
couvrent  de  petites  feuilles  fort  veinées,  de  la  figure  d'un  cœur.  On  en 
diilingue  deux  autres  efpèces,  dont  l'une  fe  nomme  Pinguiquay  &  l'autre 
Jacua.    De  ces  trois  arbuftes ,  on  tire  une  teinture  d'un  fort  beau  rouge. 

Le  Puntzumeti ,  que  Ximenez  croit  pouvoir  nommer  ïAfarum  duMechoa- 
can,  efl  une  Plante  vantée,  dont  les  feuilles  reflemblent  beaucoup  à  celles 
de  la  Vigne,  &  dont  la  tige,  qui  n'a  pas  plus  d'une  coudée  de  hauteur, efl 
ronde  &  unie.  Ses  fleurs  produifenc  de  petites  femences  noires;  elles  font 
jaunes  &  compofées  de  filets  fort  déliés ,  jen  forme  de  chevelure.  Les  raci- 
nes, qui  font  en  gr<tnù  nombre,  reflemblent  à  celles  de  l'Ellébore  blanc. 
C'efl  la  feule  partie  que  la  Médecine  employé.  £lles  font  d'un  goût  acre. 
Elles  jettent  une  petite  odeur  de  mufc.  On  les  croit  chaudes  &  feches  au 
troidème  degré.  Leur  poudre ,  au  poids  d'une  dragme,  prife  dans  du  vin , 
ou  dans  de  l'eau  de  buglofe  ou  de  citron^  adoucit  les  douleurs  néphréti- 
ques, nettoyé  les  reins,  fortifie  le  ventricule  dans  les  affeflions  froides,  fai> 
cilite  la  digeflion ,  ôte  les  crudités,  excite  les  mois,  diffipe  les  vents,  6t 
joint,  à  toutes  ces  vertus,  celle  d'être  un  puiflant  antidote  contre  toutes 
fortes  de  venins. 

Les  Ëfpagnols  ont  donné,  dans  leur  Langue,  le  nom  d^  Ennemie  desf^eninr^ 
à  la  Plante  qui  fe  nomme  Jcuitze  buarita  dans  le  Mechoacan,  ikCbipabuatsàz , 
ou  Zozataquamt  dans  d'autres  Provinces.  Ses  feuilles  font  celles  de  To* 
feille,  &  fortent  de  la  racine.  Ses  tiges  ne  s'élèvent  que  de  deux  ou  trois 
pouces,  &  portent  au  fommet  de  petites  fleurs  d'un  blanc  rougeâtre,  oui 
forment  eniemble  un  bouquet  rond.  La  racine  efl:  ronde  auUî,  blancne 
en  dedans,  &  d'un  jaune  doré  en  dehors.  C'efl:  elle  qu'on  employé,  & 
dont  on  vante  non  feulement  l'agréable  goût,  mais  les  qualités  tempérées, 
qui  tirent  un  peu  néanmoins  fur  le  froid  &  l'humide.  Son  fuc,  ou  fon 
eau,  dans  quelque  quantité  qu'on  Tavalle,  adoucit  l'ardeur  des  fièvres,  for- 
tifie le  cœur-,  pafl^epour  un  excellent  antidote,  &  pour  un  vulnéraire  en- 
core plus  puiflant,  fur-tout  fl  la  racine  pilée  efl  appliquée  en  forme  d'eni- 
{>lâtre  fur  la  bleflure^  foulage  les  douleurs  des  reins,  tempère  l'acrimonie  de 
'urine,  excite  l'appétit  j  diflipeles  tumeurs  du  gofier,  oc,  par  des  vertus 
dont  la  caufe  efl  ignorée,  remédie  prefqu'à  tous  les  maux,  de  quelque  ma- 
nière qu  on  l'employé. 

Le  Tlalamatly  nommé  par  d'autres  T/^r/M^r/,  ou  petite  Ci/»âr/&  Tur/nriV/i- 
quaram  par  les  Mechoacans,  mais  que  les  Ëfpagnols  nomment  Herbe  dejeari' 
l'Infant  y  parce  que  c'efl  à  lui  qu'ils  en  doivent  la  connoiflance,  a  les  feuil- 
les prefque  rondes,  difpofées  trois  à  trois,  &  femblables  à  l'herbe  que  les 
Latins  appellent  Nummulaire.  Ses  tiges  font  purpurines  ik  rampantes  ;  fes 
fleurs ,  roufl*es ,  en  forme  d'épis;  fa  lemence  petite  &  ronde  ;  fa  racine  lon- 
gu2 ,  mince  &  fibreufe.  Elle  efl  froide ,  feche  ,&  aftringente.  Elle  gué- 
rit toutes  fortes  de  playei.    On  aflure  même  qu'elle  avance  la  maturité  des 

•II.  .  ]  tu- 


>ûve  en 

la  Mer 

:ux.  Ses 
de  cou- 
t  qui  fe 
On  en 
c  Taucre 
•ouge. 
Vlechoa* 
à  celles 
iteur ,  efl: 
îiles  font 
Les  raci- 
re  blanc, 
tût  acre, 
èches  aa 
i  du  vin , 
nephréti* 
}ides,  fa? 
irents,  & 
re  toutes 

îe s  Venins^ 
tahttatziz , 
;s  de  l'o* 
:  ou  trois 
âtre.  Qui 
,  blanche 
ployé,  & 
mperées, 
;,  ou  fon 
vres ,  for- 
graire  en- 
me  d'eni- 
imonie  de 
es  vertus 
elque  ma- 

iTurintita- 
iedejean- 

les  feuii* 
)e  que  les 
intes;  Tes 
'acine  lon- 

Elle  gue- 
iturité  des 
tu- 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.       637 

tumeurs  âi  des  abfcés.  Elle  arrête  les  vomifTemens.  Filée ,  au  poids  de  deux 
dragmes ,  elle  adoucit  les  douleurs  qui  viennent  des  maux  vénériens  ;  elle 
évacue  toutes  les  humeurs  nuifibles;  appliquée  furies  yeux,  elle  remédie 
aux  inflammations.  Enfin  elle  tue  la  vermine  (at). 
,  Les  Naturalises  Efpagnols  prennent  le  Pebuam  de  Mechoacan  pour  la 
Plante  que  Diofcoride  nomme /IrifioIocbeClematidey  &  prétendent  que  u  elle  é- 
toit  plus  connue,  on  n'eftimeroit  pas  tant  le  China  oc  la  Sairepareille;  par- 
cequ'elle  a  des  propriétés  fort  fupérieures.  C  efl  une  efpèce  de  Volubilis , 
dont  les  feuilles  ont  la  forme  d'un  cœur,  mais  font  fort  petites.  Ses  Heurs 
purpurines  ne  font  pas  différentes  de  celles  des  autres  Arifloloches.  Sa  ra- 
cine efl:  longue,  épaifle,  &  couverte  d'une  peau  rougeâtre.  C'eft  d'elle 
qu'on  hk  uîage.  Elle  efl: acre, odorante ,  feche  &  chaude  au  troifîème  de- 
gré. En  décoélion,  &  préparée  comme  le  china  &  la  falfepareille,  elle 
guérit  le  mal  vénérien.  On  lui  attribue  quantité  d'autres  vertus,  &  les  In- 
diens la  comptent  entre  leurs  plus  merveilleufes  Fiantes. 

La  racine  purgative  de  Mechoacan  étant  aujourd'hui  fort  connue,  fon 
origine  &  fa  defcription  n'en  paroîtront  que  plus  curieufes.  Les  Indiens  de 
cette  Province  la  nomment  rar/bua^^^ ,  les  Mexiquains  Tlantlaquacuitlapille  ^ 
&,  d'autres  Nations  Pufquam.  Il  s'en  trouve  trois  efpèces ,  dont  on  regarde 
deux  comme  le  mâle  &  la  femelle.  Leur  forme  &  leurs  qualités  font  les  mê- 
mes. Elles  ont  une  racine  longue  &  épaiflTe,  de  laquelle  il  fort  une  efpèce 
de  lait.  La  féconde  poufle  des  tiges  fort  menues ,  avec  de  petites  feuilles 
en  forme  de  cœur,  &  des  Aeurs  rouget  &  longuettes,  qui  donnent  pour 
fruits  une  forte  de  petits  melons  (y)^  couverts  d'une  peau  blanche,  &  rem- 
plis de  petites  femences  blanches  &  plates ,  avec  de  petits  filamens  fembla- 
blés  à  ceux  du  coton,  qui  ne  fe  rompent  point  aifément.  La  racine  efl  fe- 
che &  chaude  au  quatrième  degré ,  &  d'un  goût  brûlant  ;  ce  que  plufieurs 
Natnralifles  n'ont  point  obfervé.  Elle  pui]ge  toutes  les  humeurs ,  fur-tout 
la  pituite.  La  dofe  efl  une  dragme  &  demie,  ou  deux  au  plus,  dans  du  vin 
ou  du  bouillon ,  ou  dans  un  œuf  frais.  Quelques-uns  emploient  fon  fuc  au 
lieu  de  fcammonée ,  dont  ils  la  croyent  une  erpècc.  Ils  en  font,  avec  du 
fucre,  des  tablettes  auxquelles  ils  attribuent  d'excellens  effets.  D'autres 
réduifent  en  poudre  fix  dragmes  de  la  racine,  qu'ils  font  macérer  pendant 
une  nuit  dans  fix  onces  d'eau,  &  donnent  cette  eau,  bien  paifée.  Enfin  d'aiir 
très  mêlent  à  1^  même  eau,  une  once  de  firop  de Mmlatztic ,  ou  de  Salfepa- 
reille ,  ou  de  feuilles  de  Séné. 

La  troifîème  efpèce  croit  particulièrement  dans  les  terres  noires  &  pier- 
reufes.  Sa  racine  efl  moins  épaiffe.  Il  n'en  faut  que  deux  dragmes,  pour 
compofer ,  avec  vingt  dragmes  de  fucre,  ou  deTzamlifOu  deTragacantbe(z)f 
un  éleâuaire  qui  purge  doucement  la  bile  &  le  flegme,  &  qui  l'emporte  fur 
toutes  les  drogues  qui  nous  viennent  des  Indes.  On  fait  auffi ,  de  fa  dé- 
coélion,  un  firop  dont  trois  onces  purgent  merveilleufement  les  mêmes  hu« 
meurs.  La  racine  doit  avoir  eu  le  tems  de  fecher,  pendant  toute  une  an- 
née: 

(  «  )  Ximenes ,  ubi  fuprà  ;  &  Monardcs ,     faute  d'impreflîon .  au  lieu  de  Peponi. 
^ans  les  Exotiques  de  Clufius,  Chap.  i6.  (2)  C'cfl:  ce  qu'où  nomme  vulgairement 

(j)  Il  y  a  PepiHo,  qu'on  prend  pour  une     Gomme  adragante. 


Dttevnion 
oc  LA    Nou* 

V£LLE     LsrA- 
ONE. 

Le  Fehuam. 


Le  Tlantla- 
quacuitlapil- 
le,  ou  Racine 
purgative  de  . 
Mechoacan. 


DESCRirTTOM 

OK    LA    NOU' 

V£LLB     EiTA' 

GNE. 


Réfine  de 
couleur  d'or. 
L'£nguamba. 


Montineute, 
Plante  purga- 
tive dcTha- 
rimbaro. 


Plante  veni- 
meufe.  dont 
l'effet  eft  lè- 

«1*. 


638        DESCRIPTION    DU    M  Ê  X  1  QUE; 

née:  mais,  en  la  cueillant,  il  faut  favoir  la  didinguer  d'une  autre,  qui  lai 
reflemble  beaucoup,  &  qui  eft  un  dangereux  poiîon.  Lorfqu'Hernandez, 
qu'on  fuit  ici,  écrivoit  fur  les  propriétés  de  cette  Plante,  elle  étoit  encore 
peu  connue  Depuis  ce  tems,  on  en  a  découvert  quelques  autres  efpéces, 
dont  l'opération  efl  plus  douce;  quoique  les  trois  premières  foient  toujours 
les  plus  célèbres. 

Celle  que  les  Efpagnols  nomment  Mecboacan ,  fans  l'addition  d'aucun  au» 
tre  mot ,  purge  avec  modération  ;  mais  il  s'en  trouve  deux  efpéces ,  donc 
Tune  eft  lort  venimeufe.  Elles  ont  toutes  deux  la  racine  grande  &  épaifleu 
Celle,  qu'on  appelle  Matlalitztk y  q^  beaucoup  plus  r'ttite  que  les  précéden- 
tes.  Elle  purge  moins  aufli.  On  la  donne  à  toute  forte  d'âges,  fans  excep- 
ter les  Femmes  grofles.  L'efpèce  qu'on  nomme  Xalapa,  eft  plus  forte  que 
toutes  les  autres  «  quoiqu'elle  foit  moins  grande.  Elle  purge  toutes  les  hu- 
meurs nuifibles ,  mais  elle  demande  beaucoup  de  précautions.  On  en  fait 
un  Hrop  fort  utile  {a).  Toutes  ces  efpéces  croiiTent  abondamment  dans  la 
Nouvelle  Efpagne.  Elles  font  toutes  feches  &  chaudes  au  quatrième  de- 
gré ;  à  l'exception  du  Matlalitztic ,  qui  eft  d'une  chaleur  médiocre  &  qu'on 
employé  fans  danger.  Il  n'y  a  point  d'autre  différence  entre  les  feuilles ,  les 
fleurs  &  les  fruits  de  c«s  Plantes,  que  le  plus  ou  moins  de  grandeur,  qui 
vient  de  la  qualité  du  terroir.  Leurs  fleurs  néanmoins  varient  un  peu.  Elles 
font  d'un  bleu  plus  ou  moins  obfcur  (b). 

Les  Cantons  de  Xieatlan  &  d'Urubapa  produifent  en  abondance  une  efpé* 
ce  d'arbres ,  qui  donnent  une  refîne  de  couleur  d'or.  VEnguamba ,  qui  ne 
croît  que  dans  le  Canton  d'Urubapa,  eft  un  arbre  moyen,  dont  les  feuilles, 
larges  &  concaves ,  font  divifées  par  de  petits  nerfs  moitié  jaunes  &  moi- 
tié rouges.  Ses  fleurs  pendent  en  grappes ,  &  font  couleur  d'herbe.  Il 
s'en  forme  un  fruit  noir,  plein  de  grains  ,  dont  on  exprime  une  huile  jau- 
nâtre, qui  eft  un  fpécifique  pour  réfoudre  les  humeurs,  &  pour  guérir  les 
anciennes  playes. 

Dans  le  Canton  de Tharimbaro,  qui  appartient  comme  les  deux  précédens 
à  la  Province  des Zacatules ^  on  trouve  une  Plante,  que  les  Habitans  nom- 
ment Montineute i  dont  les  feuilles  font  petites,  en  forme  de  cœur,  les  ti- 
ges rouges ,  &  les  fleurs  de  la  même  couleur ,  mais  formées  en  petits  vafes 
orbiculaires  qui  contiennent  la  femence,  &  dont  Ig  racine  eft  extrêmement 
fibreufe.  La  femence ,  broyée ,  au  poids  d'une  dragme ,  purge  toutes  fortes 
d'humeurs,  fans  péril,  fans  dégoût,  &  fans  tranchées. 

Quoique  la  Province  de  Guaxaca  foit- fort  montagneufe,  à  l'exception 
duMarquifat  del  Valle,elle  eft  fertile  en  fruits,  &  fur-tout  en  Plantes  falu- 
taires ,  entre  lefquelles  il  s'en  trouve  aufli  de  fort  venimeufes.  La  Vallée 
en  produit  une ,  dont  on  croit  les  propriétés  fans  exemple.  Sa  force  pour 
empoifonner  dépend  du  tems  qui  s'eft  écoulé  depuis  qu'elle  eft  cueillie  ;  c'eft* 
à-dire,  que  pour  faire  mourir  quelqu'un  à  la  fin  de  l'année,  il  faut  qu'elle  ait 
été  cueillie  depuis  un  an;  ou  depuis  flx  mois,  fl  l'on  veut  qu'elle  foit  mor- 
telle au  même  terme.    On  l'employé  fraîche,  pour  ceux  donc  on  veut  fe 

'  défaire 


(a)  Laet,  ubifuprà,  page  260. 


(t)  Ibidem, 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  Il 


C39 


qui  lai 
landez, 
encore 
ifpéces, 
;oujour» 

cun  au- 
s,  donc 
épaifTe. 
récéden- 
s  excep- 
brte  que 
s  les  nu- 
I  en  fait 
i  dans  la 
ème  de- 
&  qu'on 
tilles ,  les 
eur,  qui 
m.  Elles 

ine  efpè»^ 
,  qui  ne 
feuilles, 
&  moi- 
erbe.  Il 
mile  jau' 
uerir  les 

récédens 
,ns  nom- 
r ,  les  ti- 
cits  vafes 
■memenc 
ces  fortes 

xception 
ites  falu- 
a  Vallée 
rce  pour 
ieic'eft. 
u'elle  ait 
oit  mor- 
veuc  fe 
défaire 


Descrtttioî* 
DE    LA   No;i- 
VEi.T.ii    Espa- 
gne. 

L'Huitzpa- 
coll. 


défaire  fur  le  champ  (0*  ^'ffuitzpacotl  efl  fort  commun  dans  la  même 
Province:  c'efl  un  arbrifleau,  dont  les  branches  defcendent  jufqu'à  terre  & 
dont  les  feuilles  ont  trois  pointes.  11  porte  des  fleurs  rouges ,  à  l'extrémité 
des  plus  petits  rameaux;  &  les  fruits,  qui  prennent  leur  place,  font  une  ef- 
pèce  de  petites  avelines  à  trois  noyaux.  Gn  le  voit  couvert  de  fleurs  &  de 
fruits  pendant  la  plus  grande  partie  de  l'année.  Cinq  de  ces  noyaux ,  ou 
fept  pour  les  plus  robufles,  fans  autre  préparation  que  celle  d'en  ôter  la 
peau,  évacuent  le  flegme  &  la  bile  par  les  deux  voyes,  avec  tant  de  dou- 
ceur &  de  fureté,  que  le  moindre  aliment  pris  dans  l'intervalle  arrête  tout» 
d'un-coup  l'effet  du  remède  (d). 

Le  Savonîcr  y  ou  l'arbre  qui  produit  une  forte  de  petites  avelines,  dont     LeSavoiiiet 
l'écume  efl:  un  excellent  favon  pour  nettoyer  les  habits ,  croît  abondamment  Mcxiquai». 
dans  les  Mifl:eques ,  &  les  Zapotecas.     Les  coques  expofées  au  Soleil  pren- 
nent un  très  beau  noir ,  &  ne  fe  fendent  jamais.    On  les  fait  polir  &  percer, 
pour  en  faire  des  grains  de  Chapelets  (e). 

Labât  en  donne  la  defcription  fuivante,  &  blâme  celles  qu'on  a  données 
avant  lui  ;  les  feuilles  ordinaires  de  cet  arbre  font  longues  de  trois  pouces , 
d'un  verd  foncé  &  luifant.  Elles  font  toujours  deux  a  deux,  aflez  prelTées 
le  long  des  branches,  dures,  feches,  &  fi  recourbées  qu'elles  laiflent  un  pe- 
tit creux  dans  le  milieu.  Comme  le  nombre  en  efl:  très  grand ,  elles  font 
un  bel  ombrage.  Les  fleurs  viennent  par  bouquets ,  de  plus  d'un  pié  de  long, 
en  forme  de  pyramide.  Elles  commencent  par  de  petits  boutons  blanchâ- 
tres, qui  s'ouvrent  pour  compofer  une  pecice  fleur  de  fept  OU  huit  pétales, 
avec  un  petit  pifliil  rouge.  Son  odeur  tire  fur  celle  de  la  fleur  de  vigne. 
Elle  fe  change  en  un  fruit  rond ,  de  la  grofleur  d'une  petite  noix  verte.  La 
peau  de  l'enveloppe  efl:  aflez  forte,  &  devient  brune  en  meuriflant,  après 
avoir  été  fucceffivement  verte  &  jaune.  Elle  renferme  une  matière  épaiffe, 
molalTe,  vifqueufe,  &fortamere.  C'efl:  cette  matière,  dont  on  fe  fert 
pour  blanchir  le  linge ,  &  qui  a  fait  donner  à  l'arbre  le  nom  de  Savonier , 
ou  d'arbre  à  Savonettes.  Le  centre  de  cette  noix  offre  un  noyau  rond,  ou 
prefque  rond ,  rempli  d'une  matière  blanche ,  ferme ,  &  d'un  goût  qui  ref- 
femble  aflTez  à  celui  des  noifettes.  On  en  tire  une  huile,  qui  n  efl  pas  mau- 
vaife  dans  fa  fraîcheur,  &  qui  éclaire  fort  bien.  L'arbre  efl  droit  &  rond. 
Il  s'en  trouve  de  deux  pies  de  diamètre  &  de  trente  pies  de  hauteur.  Son 
écorce  efl:  grife,  mince,  feche,  &  peu  adhérente;  comme  on  le  remarque 
dans  tous  les  bois  durs.  Il  efl:  fort  pefant.  Ses  fibres  font  fines  &  preflees. 
Les  meilleures  haches  fe  rompent  fouvent  pour  l'abbatre.  AuflTi  ne  l'em  • 
ploye-t-ou  gueres  en  charpente.  Il  fert  à  faire  des  rouleaux  de  moulin  & 
des  moyeux  de  roue.  Labat  confirme  qu'on  fait  des  chapelets  de  fes  noyaux. 
Ceux  des  vieux  arbres  ont  afTez  d'épailleur  pour  être  travaillés  fur  le  tour  ;  & 
pour  recevoir  de  petites  moulures  ou  des  compartimens  de  filigrane,  qui 
augmentent  l'éclat  de  leur  couleur  noire  &  luflrée  (/). 

(t)  Lnet,  ubifuprà,  page  i5o.  des,  uhifuprà.  Voyez,  cî-deffus,  le  Savonier 

(d)  Ibid.  àerille  lifpagnoh. 

{e)  On  en  lit  une  defcription  dans  Monat-        (/;  Labat,  Tome  VII.  page  383. 


XFIIL  Part. 


M  m  m  m 


Description 
UE   i.A  Nou- 
velle   Espa- 
gne. 

Co2C)linc- 
cntl ,  cTpcce 
de  China. 


Xccoxo- 
cbitl,  oiiPoU 
vje  deTabai- 
co. 


Lç  Zeybo, 


Ce  qui  em- 
pêche ks  Oli- 
viers de  don- 
ner du  fruit. 


640        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Du  côté  de  Colima,  fur-tout  dans  le  Canton  d'Acatlan,  on  trouve  une  ef- 
pèce  de  China  ^  que  les  Indiens  nomment  Cozoîmecatl^  ou  Okacazan.  Cette 
Plante  confifte  dans  une  grofle  racine,  prefque  ronde,  rouge,  fibreufe  & 
pefante,  d'où  fortent  des  tjges  menues,  rampantes,  rouges  vers  leur  racine 
commune,  pleines  de  nœuds,  &  de  iilamens  par  lefquels  chaque  tige  s'at- 
tache &  grimpe  au  tronc  de  l'arbre  voiOn.  Leurs  feuilles  font  prefque  ron- 
des, de  grandeur  moyenne,  &  divifées  dans  leur  longueur  par  trois  veines. 
Le  frL>ic  cft  une  baie  comme  celle  du  Myrte,  mais  remplie  de  femence.  On 
attribue  quantité  de  vertus  à  toute  la  Plante.  Les  feuilles,  appliquées  fur 
If  s  yeux ,  en  diflipent  promptement  toute  forte  de  rougeur.  Appliquées 
fur  la  tête,  en  forme  d'emplâtre,  elles  en  gueriflent  tous  les  maux,  fans 
excepter  le  mal  de  dents.  Les  Indiens  jugent  de  leur  effet  par  le  plus  ou 
moins  de  fermeté  avec  laquelle  iU  les  voyent  tenir  fur  la  partie  affligée,  c'eft- 
à-dire  qu'ils  n'en  efpèrent  rien,  lorfqu'ils  les  voyent  tomber  trop  tôt.  I  a 
racine,  quoiqu'alTcz  tempérée,  eft  également  contraire  à  toutes  les  mala- 
dies chaudes  &  froides.  L'excès  même  n'en  efl:  pas  dangereux.  Elle 
augmente  les  forces,  elle  les  rétablit ,  elle  excite  la  chaleur  naturelle.  En 
emplâtre,  elle  a  plus  de  vertu  encore  que  fes  feuilles,  contre  les  mêmes 
maladies.  11  fuffit  de  la  tenir  entre  les  mains,  pour  en  relTentir  d'utiles 
effets.  Enfin ,  les  Indiens  prétendent  qu'il  n'y  a  point  de  maux  qu'elle  ne 
puilfe  guérir  (g). 

On  vante  un  arbre,  particulier  à  la  Province  de  Tabafco,  que  les  Habi- 
tans  appellent  XocoxochUly  mais  que  les  Efpagnols  ont  nommé  Poivre  de 
Tabafco.  L'arbre  eft  grand.  Ses  feuilles  font  celles  de  l'Oranger,  &  jettent 
une  odeur  très  agréable.  Ses  fîeurs  font  rouges.  Elles  reffemblent  à  celles 
du  Grenadier,  mais  elles  ont  l'odeur  de  l'orange.  Ses  fruits  font  ronds,  & 
pendent  en  branches.  De  verds  qu'ils  font  d'abord,  ils  deviennent  roux, 
enfuite  noirs;  &  quoique  d'un  goût  fort  acre,  ils-confervent  une  fort  bon- 
ne odeur.  Ils  font  fecs  &  chauds  au  troifième  degré.  On  s'en  fert ,  au  lieu 
de  poivre,  dans  l'aiTaifonnemenr  des  viandes,  &  les  Efpagnols  mêmes  y 
reconnoiffent  beaucoup  de  vertus. 

Les  Provinces ,  que  les  Efpagnols  comprennent  fous  le  nom  de  Nouvelle 
Calice,  &  qui  touchent  à  la  Mer  de  Californie  &  au  Nouveau  Mexique ,  pro- 
duifent  plus  heureufement  que  les  autres  toutes  les  efpèces  de  fruits  qu'on 
y  a  portées  de  l'Europe.  On  y  trouve  des  arbres  d'une  grandeur  furpre- 
nante,  fur-tout  le  Zeybo,  qu'Oviedo  nomme  Ceyùa  (/;),  &  dont  il  donne 
la  defcription.  Mais  le  bois  en  eft  fi  fpongieux,  qu'il  n'eft  d'aucun  ufage. 
Il  porte  pour  fruit  une  elpèce  de  filiques ,  remplies  d'une  laine  fubtile  qui  fe 
diflîpe  dans  les  airs ,  lorlqu'elles  s'ouvrent  dans  leur  maturité.  Les  Indiens 
ibnt  perfuadés  que  l'ombre  de  cet  arbre  eft  extrêmement  faine.  Tous  les 
Tunas  des  mêmes  Provinces  donnent  d'excellens  fruits.  Les  Oliviers  font 
les  feuls  arbres  de  l'Europe  qui  n'y  en  produifent  point:  ce  qu'on  attribue 


Çg)  Ximenez,  ubi  fuprà. 

(h)  Oviedo  Livre  9,  Chap.  ir.  Kerrera 
parle  d'un  de  ces  arbres ,  que  quinze  Hom- 
mes  poiivoicnt  à-peiac  embraflcr.    AcoUa  en 


vit  un,  dont  on  ignoroit  le  nom  dit- il, 
„  qui,  avant  que  le  tonnerre  fut  tombé 
„  deiTus ,  pouvoit  ombrager  nulle  Hommes". 
Liv.  4.  Chap.  30. 


une  ef- 
Cette 
reufe  & 
r  racine 
ige  s'at- 
jue  ron- 
i  veines. 
:e.  On 
liées  fur 
(pliquées 
ux,  fans 

plus  ou 
ée,c'eft- 
tôt.  l  a 
es  mala- 
IX.  Elle 
îlle.  En 
s  mêmes 
■  d'utiles 
[u'elle  ne 

les  Habi- 
Poivre  de 
&  jettent 
it  à  celles 
ronds, & 
înt  roux, 
fort  bon- 
t ,  au  lieu 
mêmes  y 

c  Nouvelle 
ique ,  pro- 
lits qu'on 
ir  furpre- 

il  donne 
un  ufage. 
tile  qui  fe 
es  Indiens 

Tous  les 
viers  font 
n  attribue 


•OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  ÏI.       '641 

"k  l'inftinft  qui  porte  les  Fourmis  à  fe  nicher  fous  leurs  racines.  Tons  les 
chanîps  produifent  fous  terre  une  efpèce  de  truffes,  que  les  Efpagnols  nom- 
ment Caflanvchmt&  qui  engraiflent  merveilleufement  lesBeftiaux.  La  pefle 
de  ces  Provinces,  pour  les  fruits  &  pour  les  grains,  efl:  non-feulement  fa- 
bondance  de  Fourmis ,  mais  encore  plus  une  multitude  incroyable  de  peti- 
tes Pies,  de  la  grofleur  de  nos  Moineaux,  qui  ravagent  les  moiflbns,  fans 
que  le  bruit  &  d'autres  fecours  puiflent  les  éloigner.  En  récompenfe ,  les 
Abeilles,  dont  le  nombre  efl;  prodigieux,  y  font  fans  aiguillon ,  &  font  leur 
miel  dans  le  tronc  des  arbres. 

La  Province  de  Vera-Paz  produit  des  Cannes  d'une  fi  (îngulière  grandeur , 
qu'il  s'en  trouve  de  cent  pies  de  haut,  &  fi  groflTes  que  d'un  nœud  à  l'autre 
elles  peuvent  contenir  ce  que  les  Efpagnols  nomment  une  Jrobe  d'eau.  Auffi 
les  Indiens  s'en  fervent-ils  pour  leurs  Edifices. 

On  doit  compter,  entre  les  Plantes  de  la  Nouvelle  Efpagne,  celle  du 
Tabac,  qui  paroît  avoir  été  découverte,  pour  la  première  fois,  en  ijao, 
dans  la  Province  d'Yucatan  (i);  &  que  les  Efpagnols  y  cultivent  encore 
avec  tant  de  fuccès,  qu'ils  en  tirent  une  partie  de  celui  qu'on  nomme  de  la 
Havane. 

La  Plante,  qui  porte  le  Poivre  long,  fe  nomme  au  Mexique  Tlatlan- 
quaie^  &  Acapatli.  Elle  a  le  tronc  tortueux,  comme  le  farment,  &les  feuil- 
les femblables  à  celles  du  Poivrier  blanc ,  mais  plus  longues  &  plus  aigiies. 
Son  fruit  efl:  rond  ,&  de  différentes  longueurs.  Ses  feuilles  jettent  une  odeur 
affez  forte,  &  font  d'un  goût  fort  acre.  Elle  efl:  feche  &  chaude  au  troifié- 
me  degré.  Jamais  fa  femence  ne  meurit  parfaitement.  On  la  cueille,  lorf- 
qu'elle  commence  à  rougir;  on  l'expofe  au  Soleil ,  pour  la  faire  meurir,  & 
c'efl:  dans  cet  état  qu'elle  fe  conferve.  Quelques-uns  la  font  fecher  quoique 
verte,  &  la  mangent  fans  s'en  trouver  plus  mal.  Elle  donne  un  fort  bon 
goût  aux  viandes,  pourvu  qu'on  ne  les  approche  point  du  feu  après  l'aflai- 
Ibnnement  ;  car  la  moindre  augmentation  de  chaleur  en  diffipe  toute  la  for- 
ce. La  longueur  ordinaire  de  ce  Poivre  efl:  d'un  demi  pié ,  &  fa  grofleur 
celle  d'une  corde  moyenne  (^). 

Entre  les  Arbufl:es,  on  ne  trouve  nommé  que  le  PinahuUzxîhuitî ,  que 
d'autres  nomment  Cocochiatli.  Il  efl  haut  de  quatre  palmes.  Ses  tiges  font 
minces ,  épineufes ,  &  fes  feuilles  divifées  en  fix  parties ,  qiii  forment  en- 
tr'elles  comme  autant  de  petits  faifceaux.  La  racine  efl:  farmenteufe:  les 
fleurs  reffemblent  à  celles  du  Châtaignier,  &  le  fruit  à  la  châtaigne,  mais 
il  pend  en  petites  grappes,  vertes  d'abord,  enfuite  rouflTàtres.  Cette  Plan- 
te efl:  une  efpèce  de  Zoophyte,  qui  fe  retire  &  fe  flétrit,  non- feulement 
lorfqu'on  y  touche,  mais  au  moindre  fouffle  de  l'Homme  &  de  tous  les 
Animaux  (/). 

Avant  l'arrivée  des  Efpagnols,  les  Mexiquains  n'avoient  point  de  Jardins 

pota- 


DESCRÎPTK'îr 
nii     LA     N<<L- 

VEU.E    E  rÀ- 

GNH. 

Pctte  dc« 
fruits  &  de» 
mourons. 


Gron'cî 
Cannes. 


Tabac. 


Tlatlan- 
quaie,  ou 
Poivre  lonR 
du  Mexique. 


Le  Pi'na- 
huirzxtb.ui:!; 
Avbulle. 


nom  dit-î! , 
lut  tombé 
c  liomucs". 


(  i  )  Voyez  le  Tome  Vl.  des  Voyages  de 
Labat,  page  272  &  fuivantes.  On  reniet  à 
l'article  des  Ifles  tout  ce  qui  regarde  le 
Tabac. 

{k)  Monardes,  uii  fuprà,  Chap.  54. 


(/)  Laet,  uM  fuprà,  page  231.  Ceux, 
qui  foubaiteront  un  plus  grand  détail ,  peu- 
vent confultcr  le  même  Ecrivain ,  dans  là 
Defcription  particulière  de  chaque  Province. 

Mmmm  ft 


Description 
D2  LA  Nou- 
V£LLE     EfPA» 


Flfiirs  Je 
îa  Nou\c;ic 


Pélicieiifés 
retvnitcs  des 
MilFionnai- 
tes. 


64«        DESCRIPTION    DU    MEXIQU  E  ,• 

potagers.  L'Empereur  même  &  les  Caciques,  qui  faifoient  cultiver  fi 
foigneufement  des  Fleurs  &  des  Simples ,  dans  les  grands  Jardins  dont  on  a 
donné  la  defcription,  n'y  entretenoient  aucune  forte  de  légumes  &  de  ra- 
cines pour  l'ufage  de  leur  table.  Ils  recevoient  de  leurs  Valtaux  une  partie 
de  ces  fecours,  qui  ctoit  comprife  dans  le  tribut;  &  le  refte  leur  venoit  des 
Marchés  publics.  Mais  après  le  maïz,  qui  faifoit  la  principale  nourriture 
du  Pays,  c'écoient  les  racines  &  les  légumes,  dont  la  culture  étoic  la  plus 
commune  en  plain  champ  ;  fans  compter  ce  que  la  Nature  offroit  d'elle-mê- 
me, dans  un  terrein  où  l'union  continuelle  de  la  chaleur  &  de  l'humidité 
étoit  extrêmement  favorable  à  toutes  ces  produftions.  Acofla  s'eft  conten- 
té d'en  nommer  un  grand  nombre,  fans  fe  croire  obligé  de  les  décrire  (in). 
Mais  il  ne  ceiïe  point  de  répeter  que  de  tous  les  climats  du  Monde ,  il  n'y 
en  a  point  de  plus  riche  en  Plantca,  ni. dans  lequel  toutes  celles  de  1  Europe 
ayent  fru6lifié  avec  plus  de  psifeélion  &  d'abondance  («). 

Feu  de  Nations  ont  autant  de  goût  que  les  Mexiquains  poar  les  Fleurs. 
Ils  en  font  des  bouquets  fort  galans  &des  couronnes,  qu'ils  appellent  Suchif 
les.  On  a  vu  que  les  Jardins  de  l'Empereur  Motezuma  oiFroient  plus  de  mil- 
le figures  humaines,  artificiellement  comnofées  de  feuilles  &  de  fleurs.  Cetr 
te  palFion  s'eft  communiquée  aux  Efpagnols,  fur-tout  dans  les  Couvens  & 
les  Monaftères  de  tous  les  Ordres.  Oage  parle  avec  admiration  des  agrér 
mens  de  cette  nature,  qu'il  trouva  répandus  dans  plufieurs Maifons  de  Cam* 
pagne,  où  les  Religieux  qui  fe  deftinent  à  laMiffion  des  Philippines  font  un 
féjour  de  quelques  mois,  pour  fc  difpofer  par  une  vie  douce  aux  fatigues  de 
leur  entreprife(o).    Mais  rien  ne  paroîc  approcher  de  la.  defcription  qu'il 

fait 


Cm)  11  renvoyé  les  Curieux  au  Doftéur 
ïicrnandez,  .,  qui  a  fait,  dit -il,  un  bel 
,,  Oeuvre  de  cette  matière  des  Plantes  des 
„  Indes,  liqueurs,  &  chofes  médecinales , 
„  par  l'exprès  conimandement  de  Sa  Ma- 
„  jellé,  faifant  peindre  &  pourtrairc  au  na- 
„  turel  toutes  les  Plantes  des  Indes,  lefqucl- 
„  les,  comme  ils  difent,.font  en  nombre 
„  de  plus  de  mille  deux  cens,  &  difent  que 
„  cet  Oeuvre  a  coûté  plus  de  foixante  mille 
,,  ducats;  duquel  Oeuvre  le  Dofteur  Antbo- 
„  nius  Nardusy  Médecin  Italien,  a  fait  un- 
j,  extrait".  Ibid.  Ghap.  29. 

(n)  Carreri  aflure  qu!on  y  trouve  tous 
ceux  de  l'Europe,  excepté  des  noifettes, 
des  cerift's,  des  nèfles  &  des  cormes.  Tom.VI; 
Cbap.  10. 

(  0  )  Employons  fes  propres  termes.  „  La 
j,,  crainte  que  ces  Religieux  ne  perdent  cou- 
„  rage  oblige  de  leur  faire  pafler  quelque 
„  tems  dans  des  Maifons  de  plaifance  qui 
„  ne  dépendent  point  des  Supérieurs  de  leurs 
„  Otdres  à  Mexico  ,  mais  feulement  des 
,,  Provinciaux  qui  font  aux  Pliilippines , 
„  &  qui  y  envoyent  des  Vicaires  pour  les 
),  gouverner.  Celle  qui  fe  nomme  Saini- 
„  H)aciiube,  &   qui  appartient   aux  Rdi- 


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'eux  de  Saint  Dominique,  ne  manque  de 
rien  de  tout  ce  qui  peut  fervir  aux  re- 
créations. Les  Jardins  contiennent  environ 
quinze  arpens  de  terre,  ornés  de  toutes 
fortes  de  fleurs ,  &  partagés  par  de  belle» 
allées  de  Ctronicrs  &  d'Orangers,  où 
nous  avions  des  Grenades ,  des  Figues  & 
du  Raifin  en  quantité,  avec  des  Ananas , 
des  Sapotes ,  des  Chicofapotes ,  &  tous  les 
autres  fruits  qui  naiflent  au  Mexique.  Les 
Herbes,  les  Salades,  &  les  Cardons  d'Ef- 
pagne,  que  l'on  vendoit,  apportoi£nt  un 
grand  revenu  tous  les  ans;  car  chaque 
jour  on  en  envoyoit  une  pleine  charette  au 
Marché  de  Mexico ,  non  en  certaines  fai- 
fons,  comme  en  Europe,  mais  en  tout 
tems  &  en  toutes  faifons.  Nous  jouillîons 
de  ces  délices  hors  de  la  Maifon  ,•  &  dans 
l'intérieur,  nous  étions  traités  avec  toutes 
lortcs  de  Viandes  &  de  PoilTons.  Mai's  ce 
qui  nous  étonnoit  le  plus ,  étoit  la  grande 
abondance  de  Confitures  &  particulière- 
ment de  Conferves ,  dont  on  avoit  fait 
provifion  pour  nous.  Pendant  que  nous 
y  demeurâmes ,  on  nous  api-ortoit  à  cha- 
cun ,  tous  les  Lundis  au  matin ,  une  de- 
mi-dou.zainc  de  boëtei  dt;  Cotignac  &  de 

„  CoJb 


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II 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,   Liv.  IL 


64 


fait  du  Défert  des  Carmes ,  qui  eft  à  trois  lieues  de  Mexico  au  Nord-Ouefl. 
Ge  lieu,  dit-il,  ell  d'une  beauté  d'autant  plus  étonnante,  qu'il  efl  fitué  fur 
une  Montagne  au  milieu  d'une  chaîne  de  Rochers.  Les  Carmes,  qui  s'y 
font  bâti  un  magnifique  Couvent,  ont  fait  faire,  entre  les  Rochers  qui  en- 
vironnent l'Edifice,  des  caves,  ou  des  grottes,  en  forme  de  petites  cham- 
bres, qui  fervent  de  logement  à  leurs  Hermites,  &  plufieurs  Chapelles,  or- 
nées de  Statues  &  de  Peintures,  avec  des  difciplines  de  fil  de  fer,  des  hai- 
res,  des  ceintures  garnies  de  pointes,  ik  d'autres  inllrumens  de  mortifica- 
tion, qui  font  expofés  à  la  vue  du  Public,  pour  faire  connoître  l'auflérité 
de  leur  vie.  Ce  fanftuaire  de  la  Pénitence  eft  entouré  de  Vergers  &  de  Jar- 
dins ,  remplis  de  fleurs  &  de  fruits,  qui  contiennent  près  d'une  lieue  de 
tour:  on  y  trouve,  en  plufieurs  endroits,  des  Fontaines  qui  fortent  des  Ro- 
chers, &  dont  l'eau  efl  d'une  fraîcheur,  qui  jointe  à  l'ombrage  des  arbres, 
rend  cet  Hermitage  une  des  plus  dclicieufes  retraites  du  Monde.  On  ne  s'y 
promené  qu'entre  les  Jafmins,  les  Rofes&les  plus  belles  fleurs  du  Pays.  11 
n'y  manque  rien  qui  puifle  donner  du  plaifir  aux  fens,  &  fatisfaire  la  vue  ou 
l'odorat.  Les  Hermites  font  relevés  chaque  femaine  ;  c'efl:-à-dire  qu'après 
huit  jours  de  folitude,  ils  retournent  au  Couvent,  pour  faire  place  à  ceux 
qui  leur  fuccedent  (p). 

On  met  au  premier  rang  des  fleurs  Mexiquaines  celles  d'un  arbre ,  que 
les  Efpagnols  ont  nommé  Florimdio y  &.  qui  ne  porte  aucun  autre  fruit. 

El- 


j)E  L.\   Nou- 
velle '  ESFA- 

DéfLMt  & 

iltlicieiix  jar- 
din dcà  Cur» 

mes. 


,  Confcrvcs  d'autres  fruits,  fans  compter 
,  les  bifcuits  pour  nous  fortifier  l'cllomac 
„  le  matin  &  durant  tout  le  jour;  car  nous 
„  trouvions  que  nos  eftomacs  étoient  tout 
„  autres  en  ce  Pays  là  qu'en  Efpagne.  Deux 
,,  ou  trois  heures  après  avoir  fait  un  repas, 
,,  où  l'on  nous  avoit  fervi  divers  plats  de 
,,  Mouton,  de  Bœuf,  de  Veau,  de  Che- 
,,  vreau,  de  Coqs  -  d'Indes ,  &  de  Gibier, 
,,  nous  n'en  pouvions  plus  de  foiblefTe;  de 
,,  (orte  que  nous  étions  obligés  de  nous  for- 
,,  tifier  par  un  verre  de  chocolat,  ou  par  un 
,,  morceau  de  conferve  ou  de  bifcuit.  Cela 
,,  me  fembloit  étrange  ,  d'autant  plus  que 
.,  les  viandes ,  à  la  réfcrve  du  Bœuf,  me  pa- 
,,  roiflbicnt  auifi  graflTes  &  auflî  fucculentes 
„  que  celles  de  l'Europe.  Un  Médecin  me 
„  dit  que  quoiqu'elles  fuflent  auffi  belles 
„  que  celles  d'Efpagne,  il  s'en  falloit  beau- 
„  coup  quelles  fuflent  aulTi  nourriflantes ,  à 
,,  caufe  des  pâturages,  qui  font  plus  fecs, 
„  &  n'ont  pas  les  changemens  du  Printems, 
,,  comme  ceux  de  l'Europe;  ce  qui  fait  que 
,,  l'herbe  en  eft  courte  &  fo  flétrit  bientôt". 
de.  Part.  I.  Cbap.  14.. 

(  ;>  )  Le  même  Voyageur  ajoute  que  fi  ce 
beau  Jardin  forme  un  fpc^acle  merveilleux, 
c'en  eft  un  plus  admirable  encore,  „  devoir 
„  le  nombre  du  caroflcs,  pleins  de  Gentils- 
.„  liomracs  &  de  Dames  de  Mexico ,  qui 
,,  viennent  vifiter  les  Ilermitcs  &.qui  Ics.rc- 


Le  Flori.- 
pcni'io. 


„  vcrent  comme  des  Saints.  Ils  leur  portent 
,,  des  confitures  &  d'autres  préfcns  ,  pour 
„  obtenir  quelque  part  à  leurs  prières.  On 
„  leur  fait  auflî  de  grandes  aumônes  en  ar- 
„  gent ,  mais  fur-tout  de  riches  offrandes 
,,  de  diamans,  de  perles,  de  chaînes  &  de 
„  couronnes  d'or ,  &  de  précieufts  robbcs , 
„  pour  une  Image  de  leur  Eglife ,  qu'ils 
„  appellent  Notre-Dame  du  Mont  Carmel, 
„  devant  laquelle  il  y  avoit  alors  vingt  lani- 
„  pes  d'argent,  dont  la  moindre  valoit  plus 
„  de  quatre  cens  piaftres".  Gage,  Part.  2. 
Cbap.  I.  Carreri,  qui  vifita  le  mêmjiicu, 
n'en  fait  pas  moins  d'éloges.  Il  lui  donrie 
fept  lieues  de  terrein ,  environnées  d'un  bon 
mur  de  pierre  &  de  chaux.  C'eft  l'ouvrage 
da  Dom  Melchior  Queilar .  qui  employa 
600000  piaftres  à  cette  fondation.  Depuis 
l'origine  de  l'Hermitage ,  on  y  a  toujours  vu 
deux  Corbeaux,  qui  ne  permettent  point  à 
d'autres  d'y  entrer,  &  qui  chaflfent  même 
leure  Petits ,  lorfqu'ils  font  en  état  de  voler. 
Le  Cuifinier  les  appelle  en  fifilant.  Ils  vien- 
nent, ils  mangent,  &  s'en  retournent  dans  le 
Bois.  Tome  FI.  Liv.  2.  Chap.  2.  L'encein- 
te renferme  de  très  hautes  Montagnes, -où  il 
fe  trouA.'e  des  Cerfs,  des  Lions,  des  Tigres 
&  des  Lapins ,  qui  viennent  jufques  fous  les 
fenêtres  du  CouvtTit.  Carreri  y  tua  un  Crrf , 
ce  qui  dé^ilut  fort  aux  iltfligicux.  Ibid. 

M  m  m  m  3 


DecntPTioN 

HE     LA    NoL'- 
VELl.IÎ     Ltl'A- 

Le  XucMna- 
cn/tli,oiil*'Ior 
de  la  orcja. 


I.c  Yoloxo- 
chitl. 


Le  Cnca- 
loxocliitl. 


Le  Ccm- 
poalxochitl , 
ouClavelli- 
lias  de  las 
ludius. 


Herbe  de 
même  nom. 


Quatre  for- 
tes d'Herbes 
Singulières. 


C^[        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Elles  font  un  peu  plus  grandes  que  le  Lis ,  à-peu-près  de  la  même  forme, 
d'une  blancheur  cblouifl'ante.avecde  grandes  étamines  comme  celle  du  Lis. 
Leur  odeur  cfl:  charmante,  fur-tout  pendant  la  fraîcheur  du  matin.  Ce 
bel  arbre  fleurit,  fans  interruption,  pendant  toute  l'année. 

Les  Efpagnols  ont  donné  le  nom  de  flor  de  la  oreja  à  la  fleur  d'un  autre  ar- 
bre que  les  Mexiquains  nomment  Xucbinacaztli ,  parcequ'elle  reprdfente  en 
effet  l'oreille  humaine.  Les  pétales  font  d'un  beau  pourpre  en  dedans,  & 
verds  en  dehors.     L'odeur  en  efl;  extrêmement  agréable. 

Le  Toloxochitl  efl:  un  troifîéme  arbre  à  fleurs  odorantes ,  qui  forment  dans 
leur  ombelle  un  véritable  cœur.  Elles  font  blanches  en  dehors,  &  rougcà- 
très  en  dedans,  grandes  &  belles,  mais  un  peu  vifqueufes.  On  leur  attri- 
bue plufîeurs  qualités ,  fur-tout  contre  les  affeélions  hyfteriques. 

Enfin  le  Cacaloxocbitl  efl  un  autre  arbre  dont  on  vante  beaucoup  les 
fleurs  ,  autant  pour  leur  beauté  que  pour  l'excellence  de  leur  odeur.  Les 
unes  font  bleues ,  d'autres  rouges,  d'autres  blanches,  &  d'autres  de  tou- 
tes ces  couleurs  mêlées.  Il  en  naît  un  fruit  à  grandes  flliques  rouges ,  dont 
la  poulpe  efl:  employée  dans  la  Médecine,  pour  nettoyer  le  ventricule  &  les 
inteflins. 

La  Fleur,  que  les  Mexiquains  nomment  Cempoalxochitli  &  les  Efpagnols 
Cla-oellinas  de  las  IndiaSy  efl:  moins  célèbre  par  fa  beauté,  que  par  fes  admi- 
rables vertus.  Ximenez  les  décrit  (ç).  Le  fuc  des  feuilles,  &  les  feuilles 
mêmes ,  broyées ,  &  prifes  dans  de  l'eau  ou  du  vin ,  gueriflent  les  refroi- 
diflemens  du  ventricule.  Elles  provoquent  l'urine ,  les  mois,  &  la  fueur. 
i\ppliquées  extérieurement,  avant  l'accès  des  fièvres  intermittantes ,  elles 
en  diminuent  la  force.  Elles  diflîpent  les  vents.  Elles  excitent  à  l'amour. 
Elles  gueriflfent  la  cachexie  qui  vient  d'une  caufe  froide,  ou  de  quelque 
defordre  du  foie.  Elles  remédient  aux  obfl:ru6lions.  Elles  relâchent  les 
contrarions  de  nerfs.  Elles  font  un  fpécifique  pour  l'hydropifle.  Prifes 
dans  l'eau  froide,  elles  deviennent  un  bon  vomitif  (r).  Enfin,  c'efl:  un 
excellent  remède  contre  toutes  les  afi*eftions  froides ,  en  évacuant  la  caufe 
du  mal  par  l'urine  &  les  fueurs  (s).  On  en  diftingue  plufîeurs  efpèces,  mais 
la  principale  efl  celle  qui  fe  nomme  proprement  Cempoalxochitl. 

Cependant  on  honore  du  même  nom  une  Plante  fort  différente,  dont 
les  feuilles  reflfemblent  à  celles  delà  Chicorée  dentelée,  mais  font  rudes, 
épineufes,  &  noirâtres  ou  cendrées  vers  leurs  tiges.  Elle  porte  une  fleur 
qui  reffemble  au  floccon  du  Chardon  ;  fa  décoflion  efl:  amere  ;  mais  on  lui 
attribue  la  propriété  de  lâcher  le  ventre,  d'en  appaifer  les  douleurs,  d'ex- 
citer l'urine,  &c. 

On  ne  trouve  point  d'autres  fleurs ,  décrites  ou  nommées  dans  les  Re- 
lations :  mais  quelques  Voyageurs  ont  obfcrvé  particulièrement  quatre  for- 
tes 


>» 


(q)  Liv.  3.  Chap.  la. 

(r)  De-Ià  peut-être  l'opinion  de  ceux  qui 
les  croyent  un  peu  venimeufes. 

(j)  Quelques-uns  en  font  un  Eaune 
pour  les  blelfijres.  Ils  en  font  bouillir  les 
rieurs  dans  de  l'huile  commune,*  ils  yjoi-. 


gncnt  du  fuc  des  mûmes  fleurs;  &  paflant. 
tout  à  la  chauffe,  ils  y  mettent  un  peu  de 
cire ,  pour  lui  donner  la  confidence  d'on- 
guent. C'eft  un  remède  fingulier  pour  les 
playes  &  pour  les  hemorrhoïdes.  Laet,  ubi 
Juprày  Liv,  5.  page  230. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.       ^45 


forme, 
:  du  Lis. 
in.    Ce 

lutre  ar- 
ente  en 
Uns,  & 

ent  dans 

rougcà- 

cur  attri- 

:oup  les 
ur.  Les 
de  tou- 
;es,  dont 
;ule  &  les 

Efpagnols 
Pes  admi- 
es  feuilles 
les  refroi- 

la  Tueur, 
ites,  elles 
à  rameur, 
e  quelque 
ichent  les 
e.  Prifes 
c'efl:  un 
it  la  caufe 

ces ,  mais 

nte,  dont 
)nt  rudes , 
une  fleur 
lais  on  lui 
urs,  d'ex- 

ins  les  Re- 
uatre  for- 
tes 

s;  &  paflant 
:  un  peu  de 
(lence  d'on- 
lier  pour  les 
Laet,  uli 


DiîicairTioN 
DE  LA  Nou- 
velle  Ema" 

ONE. 


l 


tes  d'Herbes ,  duni  la  figure  &  les  qualités  leur  ont  paru  mériter  plus  d'at- 
tention. 

1.  (.'elle,  que  les  Mexiquains  nomment  Teutnpatli^  &  Quimihpatli^  a  re- 
çu des  EfpagnoJs  le  nom  de  Cavadilla.  Il  s'en  trouve  pluficurs  cfpéceà;  mais 
la  principal','  a  les  feuilles  longues  ôc  étroites  ;  avec  des  lignes  féparées  qui 
régnent  dans  toute  leur  longueur.     Elle  jette  une  forte  de  bouton,  qui 

f)rend  la  fornu-  d'un  épi ,  &  qui  porte  des  grains  femblablcs  à  ceux  de 
'orge,  mais  de  moindre  grofleur,  ù  chauds  ai.  fi  cauftiques ,  que  dans  la 
gangrené,  &  pour  tous  les  ulcères  malins  qui  demandent  un  cautère,  ils 
produifent  les  mêmes  effets  que  le  fer  brûlant. 

2.  Le  ï7//a-&/J^»/ efl:  une  elpèce  de  volubilis,  qui  s'élève  autour  des  ar- 
bres &  qui  les  cmbrafle.    11  porte  des  filiques  oblongues,  étroites,  &  pref- 

jue  rondes ,  qui  ont  l'odeur  du  Baume  de  la  Nouvelle  Efpagne.     On  les 
aie  entrer  dans  la  compofition  du  chocolat.     Leur  poulpe  eft  noire,  & 

pleine  de  petits  grains  qui  reflemblcnt  au  Poivre.    Deux  de  ces  grains, 

macérés  dans  l'eau,  provoquent  merveilleufement  l'urine  (O* 

3.  Le  Chichimecapatli  a  les  feuilles  longues  &  minces.  Sa  racine,  qui  a 
la  forme  &  la  groffeur  d'une  noix,  efl  blanche  en  dedans,  noire  en  dehors, 
&  rend  un  fuc  vilqueux.  Cette  herbe  efl  feche  &  chaude  au  quatrième 
degré,  &  d'une  force  fi  finguliere,  qu'on  n'en  ufe  point  fans  précaution. 
Au  poids  d'un  fcrupule,  prife  dans  quelque  liqueur,  elle  purge  par  les 
deux  voies.  Les  Mexiquains  y  mêlent  une  autre  herbe,  qu'ils  nomment 
Cocoz/ic  ;  &  de  ce  mélange  ils  compofent  des  Trochifques,  dont  une  dragme 
fait  encore  une  puiflante  purgation,  mais  fans  danger. 

4.  Le  Mecaxuchitl  eft  une  herbe  rampante ,  dont  les  épis  font  ronds , 
unis  &  tortus.  Ses  feuilles  font  grandes,  d'une  épaifleur  qui  tire  aulTi  fur 
le  rond ,  &  d'une  faveur  fort  acre.  Elle  porte  un  fruit  qui  reffemble  au 
Poivre  long,  &  qu'on  mêle  au  chocolat  pour  en  relever  le  goût.  Il  fub- 
tilife  les  humeurs  lentes  &  épaiffes.  C'efl  un  antidote  renommé  contre  tou- 
tes fortes  de  poifons. 

On  n'a  point  fuivi  d'autre  ordre,  dans  cette  courte  peinture  des  Plantes     Progrès  des 
Mexiquaines ,  que  celui  qu'on  a  trouvé  dans  les  Voyageurs.     A  l'égard  de  Plantes  d'Ef- 
celles  que  les  Efpagnols  y  ont  tranfportées ,  on  a  déjà  remarqué  que  chaque  Ç!Jf5J|qJ" 
Province  offre  aujourd'hui  tout  ce  qui  croît  en  Efpagne,  „  meilleur  dans      ^'  '^ 
quelques-unes,  fuivant  le  témoignage  d'Acofla,  &  pire  dans  d'autres; 
comme  le  Froment ,  l'Orge,  les  Porées  &  toutes  fortes  de  légumes,  les 
Laitues,  Choux,  Raves,  Oignons,  Ail,  Perfil,  Navets,  Paflenades, 
Berangenes  ou  Pommes  d'amour,  Scarolles,  Bétes,  Epinars,  Garances, 
Pois,  Fèves,  Lentilles,  enfin  tout  ce  que  la  Nature  donne  ici  d'utile". 
Entre  les  Arbres,  ceux  qui  ont  fru6lifié  avec  plus  d'abondance  font  les 
Orangers,  les  Limoniers  &.  les  Citroniers.    On  en  vit  bientôt  des  Forêts; 
fpeftacle  fort  étonnant  pour  le  même  Ecrivain ,  qui  étant  au  Mexique  de- 
manda, dit -il,  d'où  venoient  tant  d'Orangers:  on  lui  répondit  que  c'é- 
toit  l'effet  duhafard,  &  que  les  oranges  étant  tombées  à  terre,  où  elles 
s'étoient  pourries,  leurs  femences,  difperfécs  par  les  eaux  &  le  vent,  a- 

voienc 

(î)  Laet,  ibid,  &  Morardes,  Chap.  54.  , 


3> 
»» 


Ï1 


ne 

Vtl.t.B     IV^fA 
UNE. 


645        D  E  S  C  II  I  P  T  I  O  N    D  U    M  E  X  I  Q  U  Ë. 

D'.^TipTtrtji  voient  germé  d'elles-mêmes.     Il  ne  vifita  aucune  partie  de  la  Nouvelle 

HP.  i.A  Nou-  jrip^gng  où  les  deux  qualités  dominantes  du  Pays,  qui  font  la  chaleur  & 

riiumiditc,  n'aient  multiplié  ces  arbres  &  leurs' fruits  avec  le  même  fuc- 

cùs.    Cependant  ils  ne  croifllnt  pas  facilement  dans  les  Montagnes.    Oa 

les  y  tranfplante  des  Vallées  &  des  Côtes  maritimes  (v). 

Les  Figues,  les  Pêches,  les  Prcflcs,  les  Abricots,  &  les  Grenades  mè- 
mes,  ne  fc  font  pas  reflentis  moins  avantageufement  de  la  faveur  du  cli- 
mat. Mais  il  n'en  efl:  pas  de  même  des  Pommes,  des  Poires,  des  Prunes 
&  des  Cerifes  ;  Ibit  que  leur  culture  ait  été  négligée,  ou  que  dans  une 
grande  Région,  dont  la  température  efl  inégale,  on  n'ait  pas  affez  diflin- 
gué  celle  qui  leur  convient.  Il  s'y  trouve  néanmoins  une  fi  grande  abon- 
dance de  Coings,  qu'on  en  donne  cinquante  à  choifir  pour  une  demi- 
réale;  d'ailleurs,  ajoute  Acofla,  les  Mexiquains  regrettent  peu  quelques 
fruits  groffiers  qu'on  n'a  pu  faire  croître  jufqu'àpréfent  dans  leur  Pays, 
tels  que  les  Châtaignes,  les  Nèfles,  les  Cormes,  les  Noifettes ,  &  mê- 
me les  Amandes,  qui  n'y  viennent  pas  facilement.  On  leur  en  porte 
d'Efpagne,  &  l'on  ne  s'apperçoit  point  qu'ils  foient  fort  avides  à  les  re- 
chercher {x). 

(,v)  Acofta,  Llv.  4.  Chap.  31.  (x)  Ibid. 

§.      I  I  I. 

xinitnaux. 


CifeanT.  ¥*  E  principal  ornement  des  Mexiquains  confidant  dans  les  belles  pia- 
J_^  mes,  qu'ils  employent  non -feulement  à  fe  parer,  mais  à  faire  des 
Etoffes  &  des  Tableaux,  dont  on  a  vanté  mille  fois  la  beauté  (a),  on 
ne  regardera  point  comme  une  exagération ,  dans  les  Voyageurs  ,  ce 

qu'ils 


(a.)  Ecoutons  le  favant  &  judicieux  A- 
colla:  „On  s'cfnicrvcillc  quelonpuifle  faire 
„  avec  des  plumes  une  œuvre  fi  dtilicate  & 
„  fi  parfaitement  (i^alc  ,  qu'elles  femblent 
„  être  de  vraies  couleurs  de  peinture  &  ont 
tf  un  œil  &  un  regard  fi  gai,  fi  vif,  &  fi 
„  agréable,  que  le  Peintre  n'en  peut  pas  fai- 
„  re  de  fi  beau  avec  fon  pinceau  &  fes  cou- 
u  leurs.  Le  Précepteur  du  Prince  d'Efpagne 
,,  Dom  Philippe  lui  donna  trois  Eftarapcs  ou 
„  Pourtraits  faits  de  plumes,  comme  pour 
„  mettre  en  un  Bréviaire,  Icfquels  fon  Al- 
„  tefle  montra  au  Roi  Dom  Philippe,  nctrj 
„  Sieur,  fon  Pcre,  lefquels  Sa  Majefté  con- 
,,  templant,  dit  qu'il  navoit  jamais  vu,  en 
„  œuvre  fi  petite ,  une  fi  grande  perfeftion 
&  excellence  Et  comme  on  eut  un  jour 
préfenté  à  la  Sainteté  de  Sixte  V,  un  au- 
y,  ire  qiiarré  plus  grand,  où  étoit  pourtnit 
,.  St  Françii? ,  &  qu'on  lui  eût  dit  que  les 
j,,  JLniii^ns  t'aifoicnt   cela   de   plumes ,  il  le 


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11 


voulut  éprouver,  touchant  des  doigts  le 
tableau,  pour  voir  fi  c'étoit  plume,  d'au- 
tant que  la  vue  ne  pot  voit  difcerner  fi 
c'étoit  couleurs  naturelles  de  plumes,  ou 
artificielles  de  pinceau.  C'eil  une  chofc 
fort  belle  que  les  rais  &  regards  que  jette 
un  vert ,  un  orangé  comme  doré ,  &  au- 
très  couleurs  fines  ;  &  cil  digne  de  remar- 
que que  les  regardant  d'une  autre  façon , 
on  les  voit  comme  couleurs  mortes.  Les 
meilleures  &  plus  belles  Images  de  plumes 
fe  font  en  la  Province  de  Mechoacan  & 
au  Bourg  de  Pafcaro  La  façon  efl  qu'a- 
vec de  petites  pinces  délicates,  ils  arra- 
chent les  plumes  des  Oifeaux  morts,  &  sr- 
vec  une  colle  déliée  qu'ils  ont,  les  vont 
attachant  légèrement  &  poliment  Les  mê- 
mes Oifeaux  y  font  encore  aujourd'hui  ,• 
mais  les  Mexiquains  ne  font  plus  tant  cu- 
rieux, &  ne  font  plus  tant  de  gentillcfics 
comme  ils  fouloient".  Liv.  4.  Cbap.  37, 


ouveîle 
[leur  <Sc 
me  fuc- 
is.    Oa 

les  mê- 
•  du  c!i- 
Prunes 
ans  une 
z  diftin- 
le  abon- 
e  demi- 
quelques 
ir  Pays, 
,  &  inê- 
°n  porte 
i  les  ré- 


elles pia- 

faire  des 

(a),  on 

eurs  ,  ce 

qu'il* 

!s  doigts  le 
lume,  d'au- 
difcerner  fi 
plumes,  ou 

une  chofc 
ds  que  jette 
florii ,  &  au- 
le  de  remar- 
lutre  façon, 
loites.  Les 
ts  de  plumes 
echoacaii  & 
;on  eft  qu'a- 
:s,  ils  arra- 
raorts ,  &  »• 
nt,  les  vont 
nt  Les  mê- 
aujourd'hui  ; 
plus  tant  cu- 
e  gentilIclTcs 

Cbap.  37, 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        647 

qu'ils  racontent  de  l'excellence  &  de  la  variétd  des  Oifeaux  de  la  Nouvel-  l^"c:iifTrnM 
le  Efpagne.    Acofta  déclare  que  l'Europe  n'a  rien  qui  en  approche  {b).  JJ^^\*  J;J';; 
Carreri  prononce  que  le  refte  de  l'Univers  n'a  rien  qu'on  puifle  leur  com-        one. 
parer  (c). 

On  donne  le  premier  rang  au  Senfoutlé.    Cet  Oifeau  joint  à  l'éclat  du  Le  Scnfoutléi 
plumage  un  chant  fi  agréable,  qu'on  n'a  pas  cru  pouvoir  mieux  le  repré- 
fenter  que  par  fon  nom,  qui  fignifie  cinq  cens  voix.    Il  efl  un  peu  moins  gros 
que  la  Grive,  &  d'un  cendré  très  luifant,  avec  des  taches  blanches  fore  ré- 
gulières aux  aîles  &  à  la  queue. 

On  n'admire  pas  moins  le  beau  noir,  qui  fait  la  couleur  du  Gorion,  que    Le  Gorion, 
les  agrémens  de  Ton  ramage;  fur-tout  du  Mâle,  qui  efl  de  la  grolTeur  d  un 
Moineau. 

Le  Cardinal  chante  bien  auflî  ;  mais  il  efl:  moins  difl;ingué  par  cette  qua-  Le  Cardinal. 
lité ,  que  par  fa  figure.  Il  eft  de  la  grandeur  d'une  Alouette  de  Bois.  Son 
plumage  oc  fon  bec  font  du  plus  beau  rouge,  &  fa  tête  eft  ornée  d'une 
très  belle  hupe  de  la  même  couleur.  On  le  prend  dans  les  parties  tempé- 
rées de  la  Nouvelle  Efpagne  &  de  la  Floride.  Les  Efpagnols  achètent  cet 
Oifeau  jufqu'à  dix  ou  douze  piaftres ,  pour  le  tranfporter  en  Europe.  On 
en  diftingue  un  plus  petit ,  qui  eft  de  la  même  couleur ,  mais  qui  ne  chan- 
te jamais. 

Le  chant  du  Tigrillo  eft  eftimé;  &  fa  couleur,  c^uï  eft  un  véritable  tigré, 
ne  l'eftrpas  moins.    Il  eft  de  la  grofleur  d'une  Gnve. 

Le  Cuirlacocbe  a  les  atles  brunes  Ce  les  yeux  rouges.  Il  eft  auflî  grand 
que  le  Senfoutlé,  mais  il  a  le  bec  plus  long.  Lorfqu'on  le  garde  en  cage, 
on  eft  obligé  d'y  mettre  une  pierre  de  ponce,  afin  qu'il  puifle  y  limer  fon 
bec ,  dont  la  longueur  l'empêcheroit  de  manger. 

Le  Cacalotocotl  eft  de  la  grandeur  d'un  Merle.  Sa  couleur  eft  jaune,  & 
fon  chant  fort  agréable. 

On  recherche  beaucoup,  pour  la  cage,  le  Silgueros,  qui  eft  blanc  &  LeSilRueros; 
noir,  &  de  la  groflTeur  d'un  Moineau. 

ËNTivE  les  Alouettes  de  Bois,  il  s'en  trouve  de  jaunes  &  noires,  qui  font     Alouettes 
leurs  nids  à  certaines  Plantes ,  en  les  y  fiifpendant  avec  des  crins,  tilTus  en  J'^""^^  ^  "°i' 
forme  de  bourfe.    Elles  chantent  bien.  '"• 

On  diftingue  plufieurs  belles  efpèces  de  Perroquets.    Les  Caterinillas  ont  Caterlnillas. 
le  plumage  entièrement  verd.    Les  Loros  l'ont  verd  auflS,  à  l'exception  de  ^^^9^- 
la  tête  &  de  l'extrémité  des  aîles,  qui  font  d'un  beau  jaune.    Les  Periccos  G™mâvaa 
font  de  la  même  couleur  &  n'ont  que  la  grofleur  d'une  Grive.    Les  Guava-  ' 

mayas  ont  celle  d'un  Pigeon,  &  l'ont  d'une  parfaite  beauté.  Leur  cou- 
leur eft  un  mélange  de  plumes  incarnates,  yertes  &  jaunes,  avec  une  très 
belle  queue,  de  la  longueur  de  celle  du  Faifan.  Mais  ils  n'apprennent 
point  a  parler. 

On  voit,  au  Mexique,  deux  efpèces  de  Faifans;  l'une,  qui  fe  nomme  Grittone. 
Grittone ,  a  la  queue  &  les  ailçs  noires ,  &  le  refte  du  corps  brun  ;  l'autre ,  ^^^^^' 
nommée  Reale^  eft  d'une  couleur  plus  claire,  relevée  par  une  efpèce  de 
couronne  qu'elle  a  fur  la  tête  (rf).    .  L'Oi- 

ib)  Ibid.  (i)  Carreri, Tome VI, Chap. 9. pages 210. 

(O  Tome  VI,  Chap.  g.     '  •  &  précédentes.  Goaaia,  Liv,  2,  Cbap,  <?8, 

XFlll  Part.  Nnnn 


LeTigrilW 

Le  CuiilacOr 
che, 


Le  Cacalo- 
tocotl. 


ORiCRlPTtOM 

U,'.     LA     Non- 

VtLI.K     EîTA- 

UWE. 

I.C  Vicicili. 


Co7.<iuauhfli 
ou  Aurc. 


Jr  TzopilotU 

Chiacchin- 
.accas. 

Coqs  d'Inde 
fuiivagcs. 


(îrivcsMexi' 
<jjiaincs. 


Pivert,  & 
fcp  vertus.- 


648        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

L'Oiseau  que  les  Mexiquains  nomment  Vicicili  paroît  peu  différent  do 
celui  que  les  Européens  ont  nommé  René  dans  d'autres  Mieux,  Tomincios  au 
Pérou.  Gomara  le  décrit  :  „  11  n'a  pas  le  corps  plus  gros  qu'une  Guêpe. 
„  Son  bec  eft  long  &  très  délié.  Il  fe  nourrit  de  la  rofée  &  de  l'odeur 
„  des  fleurs,  en  voltigeant,  fans  jamais  fe  repofer.  Son  plumage  eft  une 
„  efpéce  de  duvet,  mais  varié  de  différentes  couleurs,  qui  le  rendent  fort 
„  agréable.  Les  Indiens  l'elliment  beaucoup ,  fur  tout  celui  du  cou  &  de 
„  rdlomac,  pour  le  mettre  en  œuvre  avec  l'or.  Le  Vicicili  meurt,  oh 
„  plutôt,  s'endort  au  mois  d'Oélobre,  fur  quelque  branche  à  laquelle  il 
„  demeure  atttaché  par  les  pies,  jufqu'au  mois  d'Avril,  principale  faî- 
„  fon  des  fleurs,  il  fe  réveille  alors ;.&de-là  vient  fon  nom,  qui  fignifie 
„  relfu/cité". 

Le  Cozquauhtli f  qui  fe  nomme  vulgairement  Jurât  eft  un  grand  Oifeau, 
fort  commun  dans  toute  la  Nouvelle  Efpagne,  &  de  la  groffeur  d'une 
Poule -d'Inde.  Tout  le  plumage  de  fon  corps  eft  noir,  à  l'exception  du 
cou  &  de  la  poitrine  ,  où  il  tire  fur  le  rouge.  Ses  aîles  font  noires  vers 
la  jointure,  &  tout  le  refteeft  mêlé  de  couleur  de  cendre ,  de  jaune  &  de 
pourpre.  11  a  les  oncles  fort  crochus,  le  bec  des  Perroquets,  noir  k  l'ex- 
trémité, les  narines  fort  épaiffes,  la  prunelle  des  yeux  jaune,  les  paupiè- 
res rougeâtres,  le  front  couleur  de  fang  &  filioné  dérides,  qu'il  ouvre  âc 
qu'il  reflerre  à  fon  gré ,  &  fur  lefquelles  flottent  quelques  poils  crépus.  Sa 
queue,  qui  eft  colle  de  l'Aigle,  elt  moitié  noire  &  moitié  cendrée.  U  fe 
nourrie  de  ferpens,  de  léfards,  Ce  dexcremens  humains.  11  vole  pref- 
que  continuellement,  avec  une.  force  qui  le  fait  réfifter  au  vent  le  plus 
impétueux.  Sa  chair  ne  peut  être  mangée,  &  jette  une  odeur  fort  puan. 
te.  On  diftingue  une  autre  efpéce  d'Aure,  que  les  Mexiquains  nomment 
l'zopikil. 

Les  Chiacchialaccns  font  une  efpéce  de  Poules ,  qui  reflemblent  beaucoup 
aux  nôtres  ;  mais  elles  font  plus  petites ,  &  leur  plumage  eft  toujours 
brunâtre. 

Les  Bois  &  les  Campagnes  du  Mexique  font  remplis  de  Coqs  d'Inde  /au- 
vagesj  qu'on  tue  facilement,  pendant  le  clair  de  Lune,  lorfqu'ils  font  ju- 
chés fur  les  arbres  fecs  oîi  ils  paffent  la  nuit.  S'il  en  tombe  un ,  on  ne  doit 
pas  craindre  que  le  bruit  de  l'arme  à  feu  fiilTe  partir  les  autres  («). 

On  compte  diverfes  fortes  de  Grives  ;  les  unes  noires ,  &  fi  familières , 
qu'elles  entrent  dans  les  maifons.  D'autres  ont  les  aîles  rouges;  d'autres  la 
tète  &  l'eftomac  jaunes.  Leur  chair  fe  mange,  fans  être  aufïï  fine  que  cel- 
le des  nôtres. 

Le  Mexique  a  fon  Pivert ^  qui  n'eft  pas  plus  grand  que  la  Tourterelle, 
mais  qui  a  le  bec  auffi  long  que  le  corps.  Son  plumage  eft  entièrement 
noir,  à  l'exception  de  la  gorge,  où  il  eft  jaune.  On  affure  que  de  l'eau  tiè- 
de, où  l'on  a  fait  tremper  fa  langue,  eft  un  fpécifique  pour  les  maux  de 
cœur ,  &  que  la  fumée  de  fes  plunies  guérit  d'autres  douleurs  du  corps,  par 
une  efpéce  de  fympathie;  c'eft-àdire,  que  celle  des  aîles  guérit  les  maux 
de  bras,  celle  des  cuiffes,  les  maux  de  cuiiles  &  des  jambes,  &c.  (/). 

Le 


(i?)  Carrcri,  Tome  VI,  page  210. 


(/;  ^*i^. 


férent  do 
\incios  au 
!  Guêpe, 
e  l'odeur 
e  ed  une 
dent  fort 
;ou  &  de 
leurt,  OH 
aqutlle  il 
ipale  fai' 
11  fignifie 

J  Oifeau, 
;ur  d'une 
option  du 
aires  vers 
une  &  de 
)ir  à  l'ex- 
;s  paupié- 
ouvre  ôc 
épus.  Sa 
ée.  11  fe 
irole  pref- 
nt  le  plus 
fort  puan* 
nomment 

beaucoup 
toujours 

'Inde  fan- 
s  font  ju- 
an  ne  doit 

àmilieres , 
d'autres  la 
le  que  c^\- 

)urterelle, 
tièrement 
;  l'eau  tie- 
maux  de 
:orps,  par 
:  les  maux 
le.  (/). 
Le 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL        (549 

Le  Guacbichilt  dont  le  nom  fignifie  Sucefteur^  efl  un  petit  Oifeau  qu'on 
voit  fans  ccfle  en  mouvement  autour  des  fleurs  &  qui  vit  de  leur  fuc.  Ou 
prétend  que  pour  dormir  il  fe  tient  par  le  bec  entre  les  petites  branches  de 
quelque  arbre.  Les  Indiens  emploient  fes  plumes  à  leurs  plus  beaux  ouvrages. 

Les  S«ppJ/of«  font  des  Oifeaux  de  la  grandeur  du  Corbeau,  &  l'on  en 
diftingue  deux  efpèces;  l'une  qui  a  fur  la  tête  une  crête  de  chair;  &  l'au- 
tre, une  hupc  de  plumes.  Ces  Oifeaux  fe  nourriffent  de  charognes  &  d'im- 
mondices. Il  efl  défendu  à  VeraCruz  de  les  tuer,  parccqu'on  les  cr<Mt 
utiles  à  purifier  l'air;  comme  il  y  cft  permis  au  contraire  de  tuer  les  Pi- 
geons ,  domefliques  &  fauvages ,  parcequ'on  en  craint  le  mal  oppofd. 

L'Oiseau,  que  Dampier  nomme  Bourdonnant ^  fans  nous  apprendre  fon 
nom  Mexiquain,  a  le  plumage  fort  joli,  le  bec  noir  &  fort  délié,  les  jam- 
bes &  les  pies  d'une  extrême  délicateffe.  Sa  grofi^eur  efl  celle  d'un  Hanne- 
ton. Dans  fon  vol ,  il  ne  bat  point  les  aîles  ;  mais  les  tenant  toujours  éten* 
dues,  il  fe  meut  avec  beaucoup  de  vîcefle,  fans  celfer  jamais  de  faire  en- 
tendre une  forte  de  bourdonnement.  On  ne  le  voit  qu'au  milieu  des  fleurs 
&  des  fruits,  voltigeant  à  l'entour ,  &  paroifTant  les  examiner  fous  toutes 
leurs  faces.  Quelquefois  il  y  pofe  un  pié,  ou  tous  les  deux;  il  fe  retire 
tout-d'un-coup  ;  il  y  revient  avec  la  même  légèreté ,  &  chaque  fleur  l'arrête 
ainfi  pendant  cinq  ou  fîx  minutes.  On  en  diflingue  deux  ou  trois  efpèces , 
dont  les  unes  font  plus  grofTes  que  les  autres,  &  n'ont  pas  le  même  plumage, 
mais  elles  font  toutes  fort  petites.    La  plus  groffe  efl  noirâtre  {g). 

Lb  Quant  9l  \a  ^roffcuT  d'une  Poule-dlnde,  comme  il  en  a  le  bec.  Sa 
couleur  efl  un  brun  noirâtre.  Il  habite  les  Bois^  où  il  fe  nourrit  de  baies, 
^  fa  chair  efl  excellente. 

Le  Correfo  efl  un  autre  Oifeau  qui  fe  nourrit  de  baies ,  &  dont  la  chair 
efl  très  bonne  ;  mais  on  croit  fes  os  fi  venimeux ,  qu'on  prend  foin  de  les 
enterrer,  ou  de  les  jetter  au  feu,  de  peur  qu'ils  n'empoifonnent  les  Chiens. 
Il  efl  plus  gros  que  le  Quam.  Le  Mâle  efl  noir,  avec  une  hupe  fur  la  tête  ; 
&  la  Femelle  efl  d'un  brun  obfcur. 

On  nomme  Subtiles  une  efpèce  de  Corneilles,  qui  font  de  la  grofTeur 
d'un  Pigeon.  Leur  plumage  efl  noirâtre,  mais  le  bout  des  aîles  &  le  bec 
tirent  fur  le  jaune.  Elles  ont  une  manière  extraordinaire  de  bâtir  leurs 
nids.  Ils  font  fufpendus  aux  branches  des  plus  grands  arbres ,  &  même  à 
l'extrémité  des  plus  hautes,  &  de  celles  qui  s'écartent  le  plus  du  tronc.  Ce 
qu'ils  ont  d'étrange,  c'efl  qu'on  les  voit  toujours  à  deux  ou  trois  pids  de 
]a  branche  à  laquelle  ils  font  fufpendus,  &  qu'ils  ont  la  figure  d'un  faladier 
rempli  de  foin.  Les  fils,  qui  attachent  le  nid  à  la  branche,  &  le  nid  mê- 
me, font  compofés  d'une  herbe  longue,  fort  adroitement  entrelacée,  & 
déliés  proche  de  la  branche,  mais  plus  gros  vers  le  nid.  On  apperçoit  à 
côté  du  nid ,  un  trou  qui  fert  d'entrée  à  l'Oifeau  ;  &  le  même  arbre  offre 
quelquefois  vingt  ou  trente  de  ces  nids  fufpendus ,  qui  forment  un  fpe£la- 
cle  fort  agréable  (h). 

Les  Corneilles  camafjîeres  font  noirâtres ,  à-peu-près  de  la  grofïeur  de  nos 
Corbeaux.    Elles  ont  la  tête  fans  plumes  &  le  cou  fl  chauve  &  fi  rouge , 


DifcniPTroN 

»B     LA    Nnif. 

VtLI.E     K^!>A- 

ONR. 

T  cGii:^fhi- 
cl, 11.  ou  Su- 

ccllciir. 

lotcb. 


Le  Boiif  du»- 
nant. 


Le  Q:u;u. 


Le  Correfo. 


Les  Corneil- 
les fubtilcs , 
fingularitcsdc 
leurs  uids. 


Ciirncilk". 
cariiaffiercs. 


{g)  Dampier,  Tome  III,  page  278. 


Nnnn  2 


{h)  Ibidem. 


quen 


Descriptiok 
DE  LA  Nou- 
velle £srA- 

SKfi, 


Trois  fortes 
Hîc  Canar  Js, 


Lefout-l)Pc. 


Le  Cogreco. 


Le  Faucon 
pécheur. 


6so       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE; 

qu'en  les  voyant  pour  la  première  fois ,  on  les  prend  pour  des  Coqs-dTnde. 
Il  s'en  trouve  de  tout-à-fait  blanches,  qui  n'en  ont  pas  moins  la  tête  &  le 
cou  chauv^es ,  &  qui  font  de  la  même  grofleur.  IMais  on  n'en  voit  jamais 
plus  de  deux  à  la  fois  ;  &  dans  les  troupes  des  noires ,  il  s'en  trouve  pref- 
que*toujours  une  blanche.  A  Campêche ,  où  ces  Oifeaux  font  en  fort  grand 
nombre,  les  Coupeurs  de  bois  regardent  les  blancs  comme  les  Rois  de 
l'efpèce.  Ils  croient  avoir  obfervé  que  lorfqu'une  troupe  s'aflemble  autour 
d'une  carcafle,  c'eft  le  blanc  qui  commence  la  ciirée,  fans  qu'aucun  des 
autres  ofe  y  toucher ,  jufqu'à  ce  qu'il  foit  rempli ,  &  qu'aul'it-tôt  qu'ils  lui 
voient  prendre  fon  vol,  ils  fondent  tous  enfemble  fur  la  proie.  Dampier, 
qui  avoit  pafle  quelque  tems  dans  cette  Baie ,  ne  fit  pas  la  même  obferva- 
tion;  mais  il  nous  apprend  que  les  Coupeurs  de  bois  ne  vivant  que  des 
Vaches  fauvages  qu'ils  tuent  fans  cefle ,  &  laifTant  à  l'abandon  une  partie 
de  la  chair  &  des  intellins,  les  Efpagnols  du  Pays  défendent  aux  Habi- 
tans ,  fous  de  grofles  peines ,  de  tirer  les  Corneilles ,  parcequ'ils  les  croient 
utiles  à  garantir  l'air  de  l'infeftion  des  charognes.  Quoique  les  /\nglois, 
qui  viennent  couper  le  bois  de  Campêche,  ne  croient  pas  devoir  beau- 
coup de  foumiflSon  à  cette  loi,  ils  ne  laiiTent  pas  de  s'y  affujetLir,  par  un 
fentiment  de  fuperftition ,  qui  leur  fait  regarder  la  mort  d'une  Corneille 
comme  le  préfage  de  quelque  défaftre  (/). 

La  Nouvelle  Efpagne  a  trois  fortes  de  Canards  ;  les  uns ,  plus  petits  que 
les  nôtres ,  qui  fe  perchent  fur  les  vieux  arbres  fans  feuilles ,  &  qui  ne  vont 
à  terre  que  pour  manger  ;  d'autres ,  qui  le  nomment  en  langue  du  Pays , 
Canards  Jifflans,  parceque  leurs  aîles  font  une  efpèce  de  fifflement  dans  leur 
vol,  &  qui  fe  perchent  comme  les  premiers;  les  troifiémes,  qui  ne  fe  per- 
chent point ,  &  qui  reffemblent  à  ceux  de  l'Europe.  Ils  ont  tous  la  chair 
très  bonne. 

L'Oiseau,  qu'on  nomme  To«f-i^<; ,  tire  ce  nom  la  grofleur  de  fon  bec, 
qui  e£t  ZM^i  gros  que  le  refle  du  corps.  Les  p  gros  ne  le  font  pas  plus 
que  nos  Piverts,  &  leur  reflemblent  aflez  par  la  gure:  mais  il  s'en  trouve 
de  plus  petks ,  qui  font  beaucoup  plus  rares. 

Les  Cogrecûs  font  des  Oifeaux  qui  ont  les  aîles  courtes.  Ils^  font  moins 
gros  &  moins  ronds  que  la  Perdrix,  dont  ils  ont  la  couleur;  mais  ils  ont  les 
jambes  plus  longues.  Ils  fe  plaifent  à  courir  fur  terre,  dans  les  Bois  maréca- 
geux, ou  fur  le  bord  des  Criques.  Ils  ont  une  forte  de  ramage,  qu'ils  font 
entendre  foir  &  matin ,  &  par  lequel  il  paroît  qu'ils  s'appellent  &  qu'ils  fe 
répondent.    Leur  chair  efl  un  aliment  délicat. 

Le  Faucon  pêcheur  relTemble,  par  la  figure  &  la  couleur,  à  nos  plus  petits 
Faucons.  Il  en  a  le  bec  &  les  ferres.  On  le  trouve  ordinairement  perché 
fur  le  tronc  des  arbres ,  ou  fur  les  branches  feches  qui  donnent  fur  feau , 
près  de  la  Mer  ou  des  Rivières,  Dès  qu'il  apperçoit  quelque  PoifTon ,  il 
y  vole  à  fleur- d'eau,  il  l'enfile  avec  fes  ergots ,  &  s'élève  aufli-tôt  en  l'air, 
fans  toucher  l'eau  de  fes  aîles.  Il  n'avale  pas  le  poiflbn  entier ,  comme 
d'autres  Oifeaux  qui  en  vivent;  mais  il  le  déchire  de  fon  bec,  pour  le  man- 
ger en  morceaux.  Les 


(i)  Dampier ,  Toinc  III.  page  280.  D'ail- 
leurs h  mênic  Loi,  dit -il;  elt  établie  à  la 


Jamaïque;  comme  elle  l'eft  à  Vera-Cruz, 
pour  les  Aurcs. 


•d'Inde, 
ite  &  le 
c  jp.mais 
ve  pref- 
rc  grand 
Rois  de 
e  autour 
iicun  des 
qu'ils  lui 
)ampier  , 
obferva- 

que  des 
ne  partie 
ux  Habi- 
ts croient 

Anglois, 
oir  beau- 
-,  par  un 
Corneille 

petits  que 
uine  vont 
du  Pays, 
:  dans  leur 
ne  fe  per- 
us  la  chair 

;  fonbec, 
t  pas  plus 
en  trouve 

ont  moins 
ils  ont  les 
is  maréca- 
qu'ils  font 
i.  qu'ils  fe 

)lus  petits 
nt  perche 
fur  l'eau, 
•oiflbn,  il 
t  en  l'air , 
' ,  comme 
ur  le  man- 
Les 

Vera-Cruz, 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL        Csi 

Les  Merles  de  la  Nouvelle  Efpagne  font  un  peu  plus  gros  que  les  nôtres.   Description 
Ils  ont  la  queue  plus  longue,  &  leur  ramage  eft  un  caquet  comme  celui  des  J^,  ^^  ^Z^^; 
Pies  ;  mais  leur  couleur  n'efl:  pas  différente.    On  didingue  trois  fortes  de      '  one.  ' 
Tourterelles:  les  unes  ont  le  jabot  blanc;  les  autres  font  de  couleur  brune,     Merles  & 
&'  les  troifièmes  d'un  gris  fort  fombre.    Les  premières  font  les  plus  grofles ,  Tourtcicllcs. 
&  le  refte  de  leur  plumage  efl:  d'un  gris  qui  tire  fur  le  bleu.    Elles  font 
bonnes ,  rondes ,  dodues  ik  de  la  grofleur  d'un  Pigeon.     Celles  de  la  fécon- 
de efpèce  font  de  couleur  brune,  mais  plus  petites  &  moins  grafles  que  les 
premières.    Les  troifièmes ,  qu'on  nomme  auffi  Tourterelles  de  terre ,  parce- 
qu' elles  vont  fouvent  à  pie  fur  la  terre,  font  plus  greffes  qu'une  Allouette, 
&  rondes  de  graiffe. 

On  a  donné  le  nom  d'0//crta  du  Tropique  ^  à  un  Oifeau  qu'on  ne  voit  ef-  L'Oîieaudc 
ièftivement  que  vers  ce  cercle,  foit  en  Mer,  foit  fur  les  Côtes  où  il  fait  Tropique, 
fon  nid.  11  eft  de  la  grofleur  d'un  Pigeon ,  rond  comme  la  Perdrix ,  & 
tout  blanc,  à  la  réferve  de  deux  ou  trois  plumes  de  l'aîle,  qui  font  d'un 
gris  clair.  Son  bec  eft  jaune,  gros  &  court.  Il  a  fur  le  croupion  une  lon- 
gue pliime,  ou  plutôt  un  tuyau,  d'environ  fept  pouces  de  long,  qui  lui  tient 
lieu  de  queue.  Cette  defcription  fait  juger  que  c'eft  le  même  que  nos 
Matelots  nomment  Paille -en- eu  ^  fur  les  Côtes  d'Afriqae,  vers  la  même 
hauteur  {k). 

Le  Totoquejîal  eft  un  Oifeau  de  la  groffeur  du  Pigeon  ramier.    Son  plu-    Totoqueftal. 
mage  eft  verd,  &  fa  queue  fort  longue.    Les  Mexiquains  fe  paroient  de  fes 
plumes,  dans  leurs  plus  grandes  Fêtes  (7). 

La  Boubie,  dont  on  a  vu  û  fouvent  le  nom  dans  les  Relations  de  la  Mer  La  lioubic-. 
du  Sud,  eft  un  Oifeau  aquatiqlie,  un  peu  moins  gros  qu'une  Poule,  &  d'un 
gris  clair.  Dans  les  Ifles,  il  eft  plus  blanc  que  fur  les  Côtes  de  la  Terre- 
ferme.  Son  bec  eft  fort ,  plus  long  &  plus  gros  que  celui  des  Corneilles,  & 
plus  large  par  le  bout.  Ses  pies  font  plats ,  comme  ceux  du  Canard.  C'eft 
un  Oifeau  fort  ftupide,  &  qui  s'écarte  à-peine  du  chemin  par  lequel  il  voit 
venir  des  Hommes.  Du  côté  de  la  Mer  du  Sud ,  il  fait  fon  nid  à  terre  ; 
&  dans  la  Mer  du  Nord  il  le  fait  fur  les  arbres  (;«).  Sa  chair  eft  noire,  & 
plaît  à  ceux  qui  aiment  le  Poiflbn ,  parcequ'elle  en  a  le  goût. 


fife)  On  ne  parle  ici  d'un  Oifeau  fi  connu, 
que  pour  en  prendre  occafion  de  remarquer 
qu'il  y  en  a  plus  d'une  efpèce,  puifque  le 
Père  Labat,  qui  l'avoit  obfervé  auffi  près 
que  Dampier,  mais  dans  un  autre  lieu,  en 
donne  la  def  ription  fuivantc.  Il  eft  ù-peu- 
près  de  la  grofleur  d'un  Pigeon-.  Il  a  la  tête 
petite  &  bien  faite,  le  bec  d'environ  trois 
pouces  de  longueur ,  aflez  gros ,  fort  & 
pointu  ,  tout  rouge  comme  les  pies ,  qui 
leflemblent  à  ceux  des  Canards.  Ses  aîles 
font  beaucoup  plus  granIBcs  &  plus  fortes 
que  fon  corps  ne  femble  le  demander.  Les 
plumes  des  aîles  &  de  tout  le  corps  font  très 
•  blanches.  La  queue  eft  compofée  de  douze 
à  quinze  plumes ,  de  cinq  à  fix  pouces  de 
long,  du  milieu  defquellcs  fortent  deux  plu- 


Lfi 

mes  de  quinze  à  dix-huit  pouces  de  long, 
accollées,  &  qui  fcmblent  n'en  faire  qu'une 
feule.  C'eft  ce  qui  a  donné  lieu  aux  Mate- 
lots de  les  nommer  Paille  -en -eu,  ou  FetU' 
en-cu.  Ces  Oi féaux  volent  très  bien  &  très 
haut.  Ils  fe  rcpofent  fur  l'eau ,  comme  les 
Canards.  Ils  vivent  de  Poiflbn.  Ils  élèvent 
leurs  Petits  dans  des  lieux  déferts,  &  dor- 
ment vraifemblablemcnt  fur  l'eau.  Toms 
VIII,  page  305. 

(/)  Laet,  page  324. 

(m)  L'ifle  d'Yves,  qui  eft  à  huit  ou  ncu£ 
lieues  de  Buenos  -  aires ,  &  d'autres  Ifles 
voifines ,  où  le  Comte  d'Eftrées  fit  naufrage 
avec  toute  fa  Flotte  en  1678,  font  peuplées 
de  Boubics,  qui  ne  font  leurs  nids  que  fut 
les  arbres.    Dampier,  Tome  L,  page  56. 

Nnnn  3 


652        DESCRIPTION    DU    MEXIQU  E, 

Dr.EcnipTioN      l^  Guerrier ,  autre  Oifeau  aquatique,  eft  de  la  grofleur  d'un  Milan,  au- 
vi.Ls*  K:"!J-  q"^^  i^  reiTemble  aiifli  par  la  forme;  mais  il  efl:  noir,  à  l'exception  du  cou. 


ONT. 


OlMcvvai'.on 
lui  les  £ou- 
bios  &  les 


qu'il  a  rouge.  Il  vit  de  PoilTon.  Cependant  il  ne  voltige  jamais  fur  l'eau; 
LeGiRviia.  mais  fe  tenant  en  l'air,  comme  le  Milan,  il  s'élance  fur  fa  proie,  l'empor- 
te Icgerement  avec  le  bec,  &  retourne  dans  les  airs,  fans  avoir  autrement 
touché  l'eau ,  que  de  la  pointe  du  bec.  Ses  aîles  font  fort  longues ,  &  fes 
pies  ne  diffèrent  point  de  ceux  des  Animaux  terreftres.  Il  fait  fon  nid  à 
terre  ou  fur  les  arbres,  fuivant  les  commodités  qu'il  y  trouve. 

Dampier  fait  un  curieux  récit  (n)  de  l'établifTement  des  Boubies,  des 
Guerriers, &  d'une  autre  cfpèce  d'Oifeaux  qui  font  de  la  grofleur  d'un  œuf^ 
dans  les  lîles  Alcranes^  fur  la  Côte  d'Yucatan,  vers  le  vingt-troifième  degré 
de  latitude  du  Nord.     Les  plus  feptentrionales  de  ces  Ifles  font  habitées  par 
un  prodigieux  nombre  de  ces  Oifeaux.     Chaque  efpèce  y  occupe  fon  canton. 
Les  fioubies  tiennent  plus  de  terrein  que  les  autres,  parcequ'elles  font  en 
plus  grand  nombre.    Quoique  les  Oifeaux  delà  grofleur  d'un  œuf  foient  aufll 
fort  nombreux,  leur  petiteflTe,  qui  demande  moins  de  place,  les  refl*erre 
dans  un  canton  plus  borné;  mais  ils  ne  laifl^ent  pas  d'y  dominer  feuls,  fans 
être  inquiétés  par  leurs  voifins.     Les  trois  efpèces  font  peu  farouches,  fur- 
tout  les  Boubies,  „  dont  la  foule  efl:  d'ailleurs  fî  grande,  qu'on  ne  fauroit 
pafler  dans  leur  quartier,  fans  être  incommodé  de  leurs  coups  de  bec. 
J'obfervai ,  continue  le  même  Voyageur ,  que  ces  Animaux  étoient  rangés 
par  couples  ;  ce  qui  me  fit  croire  d'abord  que  c'écoit  le  mâle  &  la  femel- 
le: mais  les  ayant  frappés  >  l'un  des  deux  s'envola  de  chaque  endroit,  & 
celui  qui  refl;a  de  chaque  couple  me  parut  aufli  malin  que  ceux  quis'étoient 
éloignés.     J'admirois  la  hardieflTe  de  ceux  qui  ne  s'envoloient  point,  mal- 
gré les  efforts  que  je  faifois  pour  les  y  contraindre,  lorfque  je  m'apperçus 
que  c'étoient  des  jeunes,  quin'avoient  point  encore  appris  à  fe  fervir  de 
leurs  aîles,  quoiqu'ils  fuffent  aufli  gros  que  leurs  Mères,  &  qu'ils  ne  fuf- 
fent  pas  moins  fournis  de  plumes.    Ils  les  avoient  feulement  un  peu  plus 
blanches  &  plus  nouvelles.    Je  remarquai  aufll  que  les  Guerriers  &  les 
Boubies  laiflbient  toujours  des  gardes  près  de  leurs  petits ,  fur-tout  dans 
le  tems  où  les  vieux  alloient  faire  leurs  provifions  fur  Mer.     On  voyoic 
un  aflez  grand  nombre  de  Guerriers,  malades  ou  efl;ropics,  qui  paroif- 
foient  hors  d'état  d'aller  chercher  de  quoi  fe  nourrir.     Ils  ne  demeuroient 
pas  avec  les  Oifeaux  de  leur  efpèce;  <Scfoit  qu'ils  fuffent  exclus  de  la  fo- 
ciété,  ou  qu'ils  s'en  fuffent  féparés  volontairement,  ils  étoient  difperfés 
en  divers  endroits ,  pour  y  trouver  apparemment  l'occafion  de  piller.  J'en 
vis,  un  jour,  plus  de  vingt,  fur  une  des  Ifles,  qui  faifoient  de  tems  en 
tems  des  forties  en  plate  campagne,  pour  y  chercher  du  butin:  mais  ils 
fe  r«tiroient  prefqu'auflli-tÔL    Celui  qui  furprenoit  une  jeune  Boubie  fans 
garde ,  lui  donnoit  d'abord  un  grand  coup  de  bec  fur  le  dos ,  pour  lui  fai- 
re rendre  gorge  ;  ce  qu'elle  faif oit  à  l'infliant.    Elle  rendoit  quelquefois 
un  Poiffon  ou  deux,  de  la  giu)ffeur  du  poignet,  &*le  vieux  Guerrier  l'a- 
valloit  encore  plus  vîte.    Les  Guerriers,  qui  font  en  bonne  fanté,  jouent 

„  le. 

Cn)  Dampier,  Tome  3,  pages  229 &?/»/-     rang  des  Fables,  fi  l'on  doute  ici  du  témoi- 
xnr.tts,    il  faut  mettre  toutes  les  Relations  au     gnage  d'un  Voyageur  tel  que  Dampier. 


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an,  au- 
du  cou, 
ir  l'eau; 
l'empor- 
itrement 
; ,  &  fes 
on  nid  à 

lies,  des 
'un  œuf^ 
ne  degré 
litces  par 
1  canton, 
s  font  en 
ient  auffi 
s  reflerre 
ruls,  fans 
;hes ,  fur- 
ie fauroit 
1  de  bec. 
nt  ranges 
la  femel- 
idroit,  & 
i  s'étoient 
aint ,  mal- 
l'apperçus 
:  fervir  de 
ils  ne  fuf- 
1  peu  plus 
ers  &  les 

tout  dans 
3n  voyoit 
ui  paroif- 
meuroient 
s  de  la  fo- 

difperfés 
)illcr.  J'en 
e  tems  en 


i: 


mais  ils 
oubie  fans 
our  lui  fai- 
uelquefois 
icrrier  l'a- 
xé, jouent 
„  le. 

ici  du  témoi- 
lampier. 


OU  DE  LA  ^^OUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        (553 
„.  le  même  tour  aux  vieilles  Boubics  qu'ils  trouvent  fur  Mer.  J'en  vis  un  moi- 


même,  qui  vola  droit  contre  une  Boubie,  &  qui  d'un  coup  de  bec  lui  fit 
]\  rendre  le  Poiflbn  qu'elle  venoit  d'avaller.  Le  Guerrier  fondit  fi  rapidement 
„  fur  la  proie  qu'il  avoit  fait  rendre  à  l'autre,  qu'il  s'en  faifit  en  l'air,  avant 
^  qu'elle  fût  tombée  dans  l'eau". 

XiMENEZ  décrit  un  Oifeau  du  Mexique,  qu'il  appelle  monjlrneux;  de  la 
grandeur,  dit-il,  du  plus  gros  Coq-d'Inde,  &  prefque  de  la  même  forme. 
Son  plumage  eft  blanc ,  moucheté  de  quelques  petites  taches  noires.  Il  a  le 
bec  d'un  Epervier,  mais  plus  aigu.  Il  vit  de  proie,  fur  Mer  &  fur  Terre. 
Son  pié  gauche  reflemble  à  celui  de  l'Oie ,  &.  lui  fert  à  nager.  Du  pie  droit , 
qui  eft  femblable  à  celui  du  Faucon ,  il  tient  fa  proie ,  dans  l'eau ,  comme 
dans  les  airs  (0).  ^  ; 

AcosTA  dirtingue  trois  fortes  d'Animaux, dans  la  Nouvelle  Efpagne;  ceux 
qu'on  y  a  portés  d'Europe,  ceux  de  la  même  efpèce,  qu'on  y  a  trouvés,  & 
ceux  qui  lont  propres  au  Pays.  Il  met ,  dans  la  première  dafle ,  les  Vaches-, 
les  Brebis ,  les  Chèvres ,  les  Porcs ,  les  Chevaux ,  les  Anes ,  les  Chiens  & 
les  Chats,  llien  ne  caufe  tant  d'admiration ,  que  la  facilité  avec  laquelle  ils 
s'y  font  multipliés.  Le  nombre  des  Brebis  eft  au-deflîis  de  l'imagination. 
11  fe  trouve  des  Particuliers  qui  en  pofledent  jufqu'à  cent  mille,  avec  peu 
de  difliculte  pour  les  nourrir,  dans  le  choix  d'une  infinité  de  pâturages 
communs,  où  chacun  a  la  liberté  de  faire  paître  fes  Troupeaux.  Les  lai- 
nes feroient  une  richefle  pour  l'Europe ,  fi  là  qualité  dee  herbes ,  qui  font 
fort  hautes,  &  ibuvent  trop  dures ,  ne  reudoit  cet  avantage  prefqu'inutiie. 
On  l'a  même  négligé  long-tems,  jufqu'à  laifler  périr  toutes  les  laines,  qui 
paroiflbient  trop  feches  &  trop  groflières  pour  être  employées  :  mais  k  la 
fin  quelques  Efpagnols  ont  trouvé  l'art  d'en  faire  des  draps  &  des  couvertu- 
res,  qui  ne  fervent  néanmoins  qu'aux  Indiens,  &  qui  n'empêchent  point  que 
les  draps  d'Efpagne  ne  fe  vendent  fort  cher.  Ainfi  la  principale  utilité  qu'on 
tire  de  ces  Troupeaux  innombrables ,  eft  d'en  avoir  à  vil  prix  la  chair ,  le 
lait  &  le  fromage  (p). 

Les  Vaches  ne  fe  font  pas  moins  multipliées ,  dans  la  proportion  de  leur 
efpèce ,  &  rapportent  plus  d'avantages  à  la  Nouvelle  Efpagne.  On  diftingue 
les  Vaches  domeftiques,  dont  on  tire  le  lait,  la  chair  &  les  Veaux,  comme 
en  Europe ,  tandis  qu'on  employé  les  Bœufs  au  travail  ;  &  les  Vaches  fauva- 
ges,  qui  habitent  les  Montagnes  &  les  Forérs  >ù  n'ayant  point  de  Maî- 
tres, elles  font  comptées  au  rang  des  Bêtes  de  chafle,  qui  appartiennent  à 
ceux  qui  les  domptent  ou  qui  les  tuent.  On  les  rencontre  quelquefois  par 
milUers  dans  les  Campagnes ,  &  les  Efpagnols  ne  leur  font  la  guerre  que 
pour  enlever  leurs  peaux.  La  manière  de  les  tuer  mérite  une  defcription. 
Ceux  qui  s'y  plaifent,  ou  qui  s'en  font  un  métier,  ont  des  Chevaux  élevés 
à  cette  chafle,  qui  avancent  ou  reculent  avec  tant  d'intelligence,  que  le  Ca- 
valier n'a  point  d'embarras  à  les  conduire.  Les  armes  font  un  Fer  de  la  fi- 
gure d'un  croifiantjdont  le  tranchant  eft  fort  aigu,  &  qui  a  fix  ou  fcpt  pou- 
ces de  large  d'une  corne  à  l'autre.    Ce  fer  eft  enchafl'é,  par  une  douille,  au 

bout 


Deîcrtption 

UE     LA    NOU. 

VCLLlî     Efl'A- 

GKi;. 


L'Oifcnu 
iiionllrunix. 


Animaii": 
quadrupcdf.; 


Vrchcs  do- 
meftiques &. 
fauvagus. 


Comment 
lesEfprignols 
Uient  les  Va- 
ches lliuvrges. 


(0)  Laet,  uhi  fuprà. 


ip)  Acofla,  Liv.  4.  Cbap.  33. 


DcscairTioN 

ne  i.K  Nou- 

TKr.LE    Esi'A- 

UNS. 


654        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

bout  d'une  hampe  de  quatorze  ou  quinze  pk'S  de  long.    Le  ChafTeur  pofe 
fon  épieu  fur  la  tête  de  fon  Cheval ,  le  fer  devant ,  &  court  après  la  Bête. 
S'il  la  joint ,  il  lui  enfonce  fon  fer  au-deflus  du  jarret ,  dont  il  tâche  de  cou- 
per  les  ligamens.    Son  Cheval  fait  auffî-tôt  un  tour  à  gauche,  pour  éviter 
J'Animai  furieux,  qui  ne  manque  point,  lorfqu'il  fe  fentbleffe,  de  couri» 
fur  lui  de  toute  fa  force.     Si  les  ligamens  n'ont  pas  été  tout-àfait  coupés , 
il  ne  manque  prefque  jamais  de  les  rompre ,  à  force  d'agiter  fa  jambe  ;  ou 
s'il  continue  de  courir  vers  fon  Ennemi,  cen'eftplus  qu'en  boitant  &  fur 
.trois  pies.     Le  Chafleur,  après  s'être  éloigné  au  grand  galop,  fe  rapproche 
à  petits  pas ,  &  le  frappe  de  fon  fer  fur  une  des  jambes  de  devant.    Ce 
coup  le  renverfe.^  Il  ne  relie  alors  qu'à  defcendre,  en  tirant  un  grand  cou- 
teau fort  pointu ,  dont  tous  les  Chafleurs  font  armés ,  &  dont  ils  fe  fervent 
avec  beaucoup  d'adrefle.     Un  feul  coup  dans  la  nuque,  un  peu  au-deflbus 
des  cornes,  lui  abbat  la  tête.     C'efl;  ce  qui  fe  nomme  décapiter.    Le  Vainr 
queur  remonte  enfuite  à  Cheval ,  &  va  chercher  une  autre  proie  ;  pendant 
<jue  les  Ecorcheurs ,  dont  il  eft  toujours  fuivi ,  dépouillent  celle  qu'il  leur 
laifFe.    L'oreille  droite  du  Cheval ,  qui  fert  à  cette  chafle ,  eft  ordinairement 
abbatue;  ce  qui  vient  de  la  péfanteur  de  l'épieu,  qu'on  tient  long-tems  fur 
fa  tête.    C'eft  à  cette  marque,  qu'on  connoît  les  Chevaux  bien  exercés. 
Dampier  obferve  que  les  Efpagnols  ne  tuent  jamais  que  les  Taureaux  &  les 
vieilles  Vaches.    Il  condamne  les  Anglois  de  la  Jamaïque,  &  les  François 
de  S.  Domingue ,  qui  n'ayant  point  eu  la  même  modération  dans  ces  deux 
Jfles ,  où  les  Vaches  fauvages  ne  s*etoienc  pas  moins  multipliées ,  fe  font 
privés  d'un  important  fecours,  en  les  détruifant  prefqu'entiérement  (q). 

La  guerre  qu'on  fait  fans  cefle  à  ces  Animaux  les  a  rendus  fi  féroces;, 
qu'il  y  a  du  danger ,  cour  un  Homme  feul ,  à  les  tirer  dans  les  Savanes.  Les 
vieux  Taureaux ,  qui  ont  déjà  reçu  quelques  bleflures ,  n'attendent  pas  tou- 
jours qu'ils  foient  attaqués,  pour  fe  précipiter  fur  leur  Ennemi.  Lorfqu'on 
approche  d'un  Troupeau,  toutes  les  Bêtes ,  qui  le  compofent,  fe  rangent 
comme  en  bataille,  &  fe  tiennent  fur  la  défenfive.  Les  vieux  Taureaux 
font  à  la  tête  ;  les  Vaches  viennent  enfuite ,  &  le  jeune  Bétail  eft  à  la  queue. 
Si  l'on  tourne  à  droite  ou  à  gauche,  pour  donner  fur  l'arrière-garde,  les  Tau- 
reaux ne  manquent  point  de  tourner  en  même-tems ,  &  de  faire  face  aux 
Chafleurs.  Aufli  ne  les  attaque- t-on  prefque  jamais  en  troupe.  On  les  ob- 
ferve du  bord  d'un  Bois ,  pour  furprendre  ceux  qui  s'écartent  dans  les  Sava- 
nes. Un  Taureau ,  légèrement  blefl^é ,  prend  ordinairement  la  fuite  ;  mais 
fi  fa  bleflure  eft  mortelle,  ou  capable  de  l'eftropier,  il  fond,  tête  baiflee, 
fur  le  Chafl^eur.  On  prétend  que ,  dans  le  même  cas ,  une  Vache  eft  plus 
dangereufe  encore,  parcequ'elle  attaque  fon  Ennemi,  les  yeux  ouverts;  au 
lieu  que  le  Taureau  les  ferme,  &  qu'on  a ,  par  conféquent,  moins  de  peine 
-à  l'éviter.    Sans  décider  de  cette  propriété ,  qui  paroît  fort  incertaine  à 

Dam- 


(î)  Il  ajoute  que  le  dégât  n'a  été  reparé 
à  la  Jamaïque ,  que  fous  le  Gouvernement 
du  Chevalier  Thomas  Linch ,  qui  fit  venir 
de  Cuba  un  renfort  de  Bêtes  a  cornes;  & 
qu'aujourd'hui  chacun  fait  ce  qui  lui  appar- 


tient, au  Keu  qu'autrefois  tout  étoit  com- 
mun. Tome  III,  page  ^H.  On  verra,  dans 
1  article  des  Illes,  coinuient  les  Boucanii.rii 
tuent  ces  Animaux. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  H. 


CSS 


V£LI.B     IÙI>A- 
CNC. 


ChcvsDx, 


Clu'vau* 
faiivag'es. 


Dampier  (r),  ajoutons  que  les  Cuirs,  qu'on  tranfporte  en  Europe,  font  une  DafcniPTioN 
des  plus  confiantes  richeires  de  la  Nouvelle  Erpagne(j).      ^  te  i..\  Ncu- 

Les  Chèvres ,  qui  font  aufli  en  fort  grand  nombre ,  fourniflent  non-feu- 
lement du  lait  &  des  Cabris ,  mais  un  fort  bon  fuif ,  donc  on  fait  plus  d'ufa- 
ge  que  d'huile  ^  pour  s'éclairer  &  pour  la  préparation  du  maroquin  dont  on 
le  cnaufle. 

Le  climat  s'efl:  trouvé  fi  propre  aux  Chevaux,  qu'outre  l'avantage  d'une 
nombreufe  propagation ,  la  plupart  des  Provinces  en  ont  d'auffî  bonnes  ra- 
ces ,  que  l'Efpagne..  On  s'en  fert  communément  pour  voyager ,  &  l'on  n'em- 
ployé que  des  Mulets  pour  le  tranfport  des  Marcnandifes  &  du  Bagage  (t). 
Une  Loi,  qu'on  fait  remonter  jufqu'à  l'origine  de  l'Etabliflement  Efpagnol, 
oblige  toutes  les  Communautés  des  Villes  &  des  Bourgs,  de  fournir,  à  ceux 
qui  voyagent  avec  un  Pafleport  des  Officiers  royaux  j  J'Hofpice,  des  Vivres 
&  des  Chevaux  fur  toute  leur  route  ;  fans  autre  rétribution  qu'une  légère  di- 
minution d'Impôts ,  qu'elles  obtiennent  en  produifant,  dans  leurs  Regîtres 
publics ,  la  dépenfe  de  l'Etranger ,  lignée  de  fon  nom ,  avec  1^  date  du  jour 
&  du  mois  (v). 

Il  fe  trouve  aufli  des  Chevaux  fauvages ,  dans  la  Nouvelle  Efpagne,  mais 
en  moindre  nombre  que  dans  l'IfleEfpagnoIe,  où  les  Relations  affurent  qu'on 
en  voit  quelquefois  courir  des  troupes  de  cinq  cens.  Lorfqu'iU  découvrent 
un  Homme  à  quelque  difl:ance ,  ua  d'entr'eux  fe  détache ,  approche  de  la 
perfonne  qu'il  a  vue,  fe  met  à  fouffler  des  nafeaux,  &  prend  enfuite  une 
autre  route,  en  courant  de  toute  fa  force.  A  l'inflant  tous  les  autres  le  fui- 
vent:  Quoique  ces  Animaux  foient  de  la  même  race  que  les  domelliques , 
ils  ont  dégénéré  dans  les  Forêts  qu'ils  habitent;  la  plupart  ont  la  tête  fort 
grofle,  &  les  jambes  raboteufes,  les  oreilles  &  le  cou  longs.  Ils  font  d'ail- 
leurs aflez  propres  au  travail ,  &  s'apprivoifent  facilement.  Pour  les  pren- 
dre ,  on  tend  des  lacs  de  corde ,  fur  les  routes  qu'Us  fréquentent.  Ils  ne 
manquent  point  d'y  donner  ;  mais  ils  s'étranglent  quelquefois  lorfqu'ils  font 
arrêtés  par  le  coa.  Auflî-tôt  qu'on  les  a  pris ,  on  les  attache  au  tronc  d'un 
arbre,  pour  les  y  laifler  deux  jours  fans  boire  &  fans  manger.  Dés  le 
troifîème ,  à  la  vue  de  la  nourriture  qu'on  leur  préfente  ,  ils  devien- 
nent aufli  doux  que  s'ils  avoient  toujours  vécu  parmi  les  Hommes.  On  ra- 
conte même  que  ceux  qu'on  a  quelquefois  lâchés,  après  les  avoir  nourris 
pendant  plufîeurs  jours ,  font  revenus  enfuite  dans  les  mêmes  lieux ,  qu'ils 
ont  reconnu  leurs  Maîtres,  &.que  les  venant  flairer,  ils  fe  font  laifles  re- 
prendre. 

On  voit  dans  la  Nouvelle  Efpagne,  comme  au  Pérou  &  dans  l'Ifle  Efpa- 
^nole,  quantité  de  Chiens  fauvages ,  dont  on  att.lbue  l'origine  à  ceux  des 
premiers  Caftillans^qui  peuvent  avoir  quitté  leurs  Maîtres,  &  s'être  égarés 
dans  les  Bois.  Ils  marchent  en  troupes,  &  la  plupart  reflemblent  à  nos  Lé- 
vriers. Quoiqu'extrêmement  voraces,  ils  manquent  de  hardiefle  ou  de 
>  I  •  ',  force 


Chiens  fau- 
vages. 


(r)  Dampicr,  ubi  fuprà,  page  îjij. 
(j)  Acofta,  Liv.  4.  Cbap.  33. 
(t;  Ibidem. 

WIIL  Part. 


(v)  Th.  Gage,  P.  1.  Ch.  20.  Waffcr  bor- 
ne cet  ufage  à  l'Audience  de  Guatimala.  pag. 
392. 

Oo  0  0 


DflscniPTioN 
Diî  LA  Nou- 
velle  Espa- 
gne. 

Animaux 
Mcxiqiiains 
qui  refTcm- 
blent  aux  nô- 
tres. 


Lions. 


Tigres. 


Ours. 


Sangliers. 


656       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE,. 

force  pour  attaquer  les  Chevaux  &  les  Vaches  ;  mais  ils  mangent  les  Veaut 
'&  les  Poulains.    Un  Sanglier  même  ies  effraye  peu  (x). 

On  ne  peut  douter,  fur  le  témoignage  des  premiers  Cùhquérans ,  que  la 
Nouvelle  Efpagne  n'eût,  avant  leur  arrivée,  des  Lions,  des  Tigres,  des 
Ours,  des  Sangliers,  des  Cerfs,  &  des  Renards.  Acofla  s'efforce  d'expli- 
quer (y)  comment  ils  ont  pu  paffcr,  depuis  le  Déluge,  dans  le  Continent  de 
l'Amérique;  mais  à  quelque  opinion  qu'on  s'attache  fur  un  point  fi  mal  é- 
clairci,  il  paroît  que,  fi  tous  ces  Animaux  font  venus  de  notre  Hémifphe- 
re,  ils  n'ont  pas  confervé  une  exafte  reffemblance  avec  ceux  dont.on  veut 
qu'ils  tirent  leur  origine. 

Les  Lions  Mexiquains  ne  font  pas  roux.  Ils  n'ont  pas  ces  crins,  avec 
lefquels  on  repréfente  ceux  de  notre  Continent.  Leur  couleur  eft  grife^  & 
loin  d'être  auffi  furieux  que  les  Lions  d'Afrique  &  d'Afie,ils  fe  laiffent  pren- 
dre, ou  tuer  à  coups  de  pierres  &  de  bâtons,  dans  un  cercle  d'Hommes, 
où  l'on  n'a  pas  de  peine  à  les  renfermer.  S'ils  font  pourfuivis  par  des 
Chiens ,  ils  grimpent  fur  les  arbres ,  d'où  le  plus  timide  ChaiTear  les  dbbat 
facilement  à  coups  de  lance  &  d'arquebure(2). 

Les  Tigres  ont  la  couleur  de  ceux  d'Afrique,  &  ne  font  pas  moins  dan- 
gereux par  leur  adreffe  &  leur  cruauté;  mais  ils  n'ont  pas  la  mêm.e  groffeur. 
On  prétend  qu'ils  portent  une  haine  particulière  aux  Naturels  du  Pays,  & 
qu'au  miUeu  de  plufieurs  Efpagnols ,  ils  choififfent  toujours  un  Indien  pour 
le  dévorer  (a). 

Les  Ours  ont  la  figure  Gc  la  férocité  des  nôtres  ;  mais  on  en  rencontre 
peu.     Ils  fe  terrifl!ent,  &  ne  cherchent  leur  proie  que  pendant  la  nuit. 

Les  Sangliers ,  que  les  Mexiquains  nomment  Sainosy  font  beaucoup  moins 

gros  qu'en  Europe,  &  diffèrent  encore  plus  par  une  propriété  fort  étrange, 

'  ' ..  •  '  .  .  .  i  ...     qui 

(x)  On  lit.  dans  l'Hiftoîre  des  Flibnf- 
♦Icrs  ,  que  vingt- cinq  ou  trente  de  ces 
Chiens ,  ayant  pourfuivi  long-iems  un  San- 
glier, l'entourèrent  dans  une  petite  Prairie, 
où  le  combat  dura  près  de  deux  heures. 
L'Hiftorien  en  fut  témoin ,  fur  un  arbre  où 
il  s'étoit  porté  avec  un  Boucanier  François. 
Les  Chiens  déchirèrent  enfin  la  gorge  au 
Sanglier.  Après  l'avoir  tué,  ils  fe  retirèrent 
tous  à  quelque  diftance;  &  bientôt  un  d'en- 
tr'cux  fe  détacha,  pour  aller  commencer  la 
curée.  Lorfqu'il  eut  ceffé  de  manger ,  tous 
les  autres  fe  jettèrent  fur  ce  qui  reftoit  de 
leur  proie.  Un  coup  de  fufil.tiré  de  l'arbre, 
en  tua  deux  &  fit  prendre  la  fuite  à  tous 
les  autres.  Ils  n'avoient  encore  mangé  que 
la  gorge  &  les  tefticules.  „  Mon  Compagnon, .. 
„  continue  l'Hiftorien  Anglois  ,  m'expli- 
„  qua  pourquoi  le  premier  Chien  avoit 
,,  mange  feul  :  c'eft  que  dans  toutes  les 
„  Meutes,  il  y  a  un  Braque  qui  trouve  le 
„  Sanglier,  &  que  pour  reconnoître  ce  fer- 
„  vice ,  les  autres  Chiens  lui  défèrent  l'hon- 
„  nt'iir  de  manger  le  premier.  Il  me  jura 
„  qu'il   avoit  toujours   fait  cette  obfcrva- 


„  tion;  &  je  l'a!  faite  vingt  fois  depuis, 
„  du  moins  dans  les  Meutes  des  Bouca- 
„  niers.  Ils  ont  un  Braque  ,  qui  marche 
,,  toujours  devant.  Au(îî-tôt  qu'il  a  décoa- 
,,  vert  le  Sanglier,  il  aboie  deux  ou  trois 
,,  fois;  &  les  autres  Chiens  pourfuivent  la 
,,  Rèie,  tandis  qu'il  demeure  à  les  regarder. 
,,  Lorfque  le  Sanglier  eft  mort,  le  Chaf- 
,,  fcur  en  donne,  .^  fon  Braque,  un  mor- 
,,  ceaa  qu'il  mnnge  feul  ;  &  les  autres  n'ont 
„  rien  qu'à  la  fin  du  jour,  lorfqu'ils  foirt 
„  revenus  de  la  chafle".  Oexmelin  conclut 
que  les  Chiens  fauvages  étant  venus  appa- 
remment de  quelques  Meutes  égarées  dans 
les  Bois ,  ils  ont  pu  retenir  ,  dans  leurs 
chaifes ,  1  ordre  auquel  les  premiers  avoient 
été  formés.  Tome  I.  pageJ  353  £5*354-  11 
faut  fe  fouvenir  que  pour  faire  la  guerre  aux 
Indiens,  les  Kfpagnols  menoient  d'Efpagne 
un  grand  nombre  de  Chiens. 

(y)  Acofla,  Liv.l.  Cbap.  20;  &.  Liv.  4. 
Cbap.  34.  &  fuiv. 

(a)  Ibidem.  Carreri,  Tome VI,  Ch.  9, 

(a)  Acolla,  ubi  fuprà. 


Veaut 

)  que  la 
es,  des 
d'expli- 
nenc  de 
i  mal  é- 
mifphe- 
on  veut 

is,  avec 
;rife^  & 
nt  prén- 
ommes, 
par  des 
;s  àbbat 

lins  dan' 
grofleur. 
j*ays,  & 
ien  pour 

encontre 
uic. 

ipmoins 
étrange, 
qui 

depuis, 
es  Bouca- 
ui  marche 
,t  a  dtcou- 
H  ou  trois 
rfuivent  la 
s  regarder, 
le  Chaf- 
iin  inor- 
utres  n'ont 
qu'ils  foirt 
in  conclut 
:nus  appa- 
arées  dans 
dans  leurs 
;rs  avoient 

2?3S4.    11 

guerre  aux 

d'Efpagne 

&  Liv.  4. 

I,Ch.  9. 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Lxv.  IL       657 

qui  eft  d'avoir  le  nombril  fur  le  dos.  Ils  vont  en  troupes  dans  les  Bois. 
Leurs  dents  font  tranchantes,  &  les  rendent  d'autant  plus  terribles,  qu'ils 
n'attendent  point  qu'on  les  offenfe ,  pour  attaquer  les  ChafTeurs.  Ceux ,  qui 
leur  font  la  guerre,  font  obligés  de  monter  fur  des  arbres,  où  ces  furieufes 
Bêtes  ne  les  ont  pas  plutôt  découverts,  qu'elles  accourent  en  grand  nombre. 
Elles  mordent  le  tronc ,  lorfqu'elles  ne  peuvent  nuire  à  l'Homme.  Mais  on 
les  tue  facilement  dans  cette  Hcuation  ;  &.  la  vue  de  celles  qui  tombent ,  ou 
le  brait  des  armes  à  feu,  éloigne  enfin  toutes  les  autres.  Leur  chair  eft  ex- 
cellente; mais  n  l'on  ne  prend  foin  de  leur  couper  le  nombril,  qu'ils  ont  fur 
l'épine  du  dos,  elle  fe  corrompt  avant  la  fin  du  jour  (b). 

On  ne  reconnoît  pas  aifément  nos  Cerfs ,  dans  la  Defcription  d'Acofla , 
quoiqu'il  compte  ces  Animaux  entre  ceux  de  l'Amérique,  qui  reflemblent 
aux  nôtres  (c).  Mais^il  eil  t  .  'tain  d'ailleurs  que  la  Nouvelle  Efpagne  a  de 
véritables  Cerfs  (<^).  .; 

Les  Renards  n'y  font  pas  plus  grands  que  nosChats.  Ils  ont  le  poil  blanc 
&  noir,  &la  queue  très  belle.  Lorfqu'ils  font  pourfuivis,  ils  s'arrêtent, 
après  avoir  un  peu  couru;  &  pour  leur  défenfe,  ils  rendent  une  urine  û 
puante ,  qu'elle  empoifonne  l'air  dans  l'efpace  de  cent  pas.  S'il  en  tombe  fur 
un  habit,  on  efl  forcé  de  fenfevelir  long- tems. fous  terre,  pour  en  difllper 
la  puanteur  (e). 

Les  Loups  de  la  Nouvelle  Efpagne,  s'il  faut  s'en  rapporter  à  Gemelli 
Carreri,  relTemblent  au  Léopard  (/). 

Le  Beori^  que  les  Efpagnola  ont  nommé  Dame  ^  QU  yachc  duMextOUe,   efl: 

un  Animal  fans  cornes ,  de  la  grandeur  d'une  petite  Vache,  qu'Acofta  croit 
néanmoins  plus  femblable  au  Mulet,  &  dont  le  cuir  efl  fort  eflimé  pour  fa 
dureté,  qui  le  rend  impénétrable  à  toutes  fortes  de  coups  (^). 

Carreri  nomme  Sibole  un  autre  Animal,  de  la  graodeur  d'une  Vache, 
dont  on  n'eftime  pas  moins  la  peau ,  pour  la  douceur  &  la  longueur  de  fes 
poils  (6). 

On  trouve,  dans  la  Province  de  Vera-Paz,  un  Animal  fauvage,  quin'efl: 
^  pas 


DSfCBIFTIOK 
U«  LA  NdU* 
VELLIt    E^PA' 

o^'l. 


(I))  Ibid.  Chap.  38. 

le)  „  Tels  font  les  Cerfs,  dit-il,  &  au- 
„  très ,  dont  il  y  a  grande  abondance  dans 
„  les  Forêts.  Mais  la  plus  grande  partie  eft 
,,  unevenaifon  fans  cornes;  à  tout  le  inoins, 
„  je  n'y  en  ai  pas  vu  d'autres .  ni  oui  parler 
„  qu'on  y  en  ait  vu,  &  tous  font  fans  cor- 
„  nés ,  comme  Corcos".  Ibid.  Chap.  54. 

(a[)  Carreri,  Tome  VI,. pages  204,  205 
&  207. 

(e)  Ibid.  page  213.  Laet,  Liv.  5.  page 

167- 
(/J  Ibid.  •  ^ 

(g)  Jcojla,  Cb.  38.  I-aet  en  donne  cette 
defcription  :  „  C'tft  le  plus  grand  des  Qua- 
„  drupedcs  du  Pays.  Il  a  la  forme  d'un  Veau , 
,,  mais  les  jambes  plus  courtes,  articulées 
,,  comme  celles  de  l'Eléphant.  Il  a  cinq  doigts, 
„  ou  cinq  gngles   aux  pies  de  devant,  & 


Ccrfii 


Renards, 


.   Animaux 

Propres  yu 
ays, 
LeDanf.e. 


Le  Sibolc. 


Animal 
fans  nom. 


„  quatre  feulement  aux  deux  autres.  Sa  tête 
„  eft  oblonguc,  &  fon  front  étroit;  fes  yeux 
„  font  petits  pour  fa  grofleur.  Il  lui  pend 
,,  fur  le  n\j!ifeau  une  trompe,  longue  d'envi- 
„  ron  quatre  doigts.  Lorfqu'il  eft  irrité,  il 
„  fc  drefle,  &  montre  les  dents,  qu'il  a  fem- 
„  blabics  à  celles  du  Porc.  U  a  les  oreilles 
„  aigiies,  le  cou  ridé,  la  queue  courte  & 
,,  prefquc  fans  poil,  la  peau  fi  épailTe,  qu'à 
„  peine  peut-on  la  prendre  avec  la  main, 
„  ou  la  Iroinir  avec  le  fer.  11  vit  d'herbe 
„  &  de  feuilles.  Les  Mexiquains  mani^ent 
„  fa  chair,  &  prétendent  tenir  de  lui  l'art  de 
„  la  Saignée.  En  effet,  lorfqu'il  a  trop  do 
„  fang,  il  s'ouvre  une  veine  des  jambes,  en 
„  fe  frottant  contre  une  pierre,  &  fe  fou- 
„  lage  autant  qu'il  en  a  befoin".  Liv.  ?• 
Cbap.  7. 
(i)  Ubifuprà,  page  212. 

Ooo o  a  . 


65i       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE; 

Description  pas  moins  gros  que  l'Ours,  &'qui  a  le  poil  noir,  la  queue  large, des  main», 
ÎIllr  e°a'  ^ ^^^  P^^'  prefque  de  la  forme  humaine,  la  face  large,  fans  poil,  ridée,  & 
0N£         le  nez  camus ,  à-peu-pr.s  comme  les  Ncgres. 

La  Province  de  Guatimala  produit  une  efpôce  de  Daims,  qui  ont  reçu 
de  la  Nature  deux  ventricules  ;  l'un  pour  la  digeftion  des  alimens,  l'autre 
qui  fert  de  réceptacle,  comme  on  l'a  fouvent  obfervé,  à  diverfes  fortes  de 
bois  pourri,  fans  qu'on  puiflc  deviner  le  but  de  la  Nature  dans  une  organi- 
fation  il  lingulière.  Les  Indiens  mangent  la  chair  de  ces  Animaux,  quoi- 
que vifqueufe,  &  vraifemblablement  tort  mal  faine  (i). 
Le  Sa.aachc.  Le  Squache  ell  un  Animal  à  quatre  pies,  plus  gros  qu'un  Cliat,  &  dont  la 
tête  reHemble  à  celle  du  Renard.  1!  a  les  oreilles  courtes,  &  le  milfeau 
long.  Ses  pies  font  armés  de  griffes  aigUes,  qui  lui  fervent  à  grimper  fur 
les  arbres.  11  a  la  peau  couverte  d'un  poil  court,  fin  &  jaunâtre;  fa  chair 
efl:  faine  &  de  très  bon  goût.  Aulli  cet  Animal  ne  vit-il  que  d'excellens 
fruits,  furtout  de  Sapotilles,  donc  les  .arbres  font  fa  retraite  ordinaire.  Ceux, 
qu'on  prend  jeunes,  s'apprivoifent  aulVi  facilement  qu'un  Chien ,  &  ne  font 
pas  moins  de  tours  que  les  Singes.  Ils  font  communs  dans  la  Province 
d'Yucatan  {k). 
i.'Oiirsà  VOurs  à  Fourmis  efl  une  autre  Bête  à  quatre  pies ,  de  la  grofleur  d'un 

i'uiinnis.  Chien  de  bonne  taille.  Il  a  le  poil  rude,  &  d'un  brun  qui  tire  fur  le  noir, 
les  jambes  courtes,  le  mufeau  long,  de  petits  yeux«  la  gueule  fort  petite, 
&  la  langue  auffî  déliée  qu'un  Ver  de  terre,  de  cinq  ou  fix  pouces  de  long. 
Cet  Animal  fe  nourrit  de  Fourmis,  &  ne  fe  trouve  guères  qu'aupj^és  des 
Fourmillieres.  Il  couche  fon  mufeau  à  terre,  fur  le  bord  du  fentier  où  les 
Fourmis  paflent.  Il  poufle  la  langue  au  travers  du  fentier.  Les  Fourmis  s'y 
arrêtent;  &  dans  un  inllant  elle  en^  ell  couverte.  Il  la  retire  alors,  pour  les 
avaller.  Enfuite  il  recommence  le  même  exercice,  auflî  long-tems  qu'il  efl: 
prefle  de  la  faim.  Ces  Animaux  jettent  une  forte  odeur  de  Fourmis  ;  mais 
leur  chair  peut  fe  manger, quoiqu'elle  en  ait  auffî  le  goût.  Ils  font  aflez  com- 
muns dans  le  Continent  du  Mexique  &  fur  lesCôtesdelaMerduSud(/). 
Le  Sloth.  Le  Sloth  (in),  autre  Bête  à  quatre  pies ,  ell  couvert  de  poil  brun.  Sagrof- 
feur  e(l  un  peu  moindre  que  celle  de  lOurs  à  Fourmis;  il  n'efl;  pas  non 
plus  fi  hérilTé.  Il  a  la  tête  ronde,  les  yeux  petits,  le  mufeau  court,  les 
dents  fort  aiguës,  les  jambes  courtes,  &  les  griffes  longues  &  perçantes.  Il 
fe  nourrit  de  feuilles,  fans  qu'on  fâche  s'il  en  mange  indifféremment  de  tou- 
tes les  fortes,  ou  feulement  celles  de  quelques  arbres.  Ilefl:  fi  lent  à  fe  re- 
•  muer,  qu'après  avoir  mangé  toutes  les  feuilles  d'un  arbre,  il  employé  cinq 
ou  fix  jours  à  defcendre,  pour  monter  fur  un  autre;  &  quoique  fort  gras 
en  quittant  le  premier,  il  arrive  maigçe  fuf  le  fécond.  Jamais  il  n'aban- 
donne un  arbre ,  fans  l'avoir  entièrement  dépouillé.  Dampier  affure  qu'il 
ne  lui  faut  pas  moins  de  huit  ou  neuf  minutes ,  pour  avancer  un  pié  à  la 
diilance  de  trois  pouces ^  qu'il  ne  rejnue  l'un  qu'après  l'autre,  avec  la  mê" 

me 

(i)  Laet,  Liv.  7,  Chap.  il. .  l'Illc  Pfpagnole ,  comme  une  efpcce  de  Sln- 

ik)  Dampier,  Tome  lll,  page  27a,  ge,  fous  le  nom  deFareJpux;  car  Slotb  a  la 

(/')  Jbid.  page  272.  Laet,  page  332.  même  lignification  en  Anglois.    Cependant  , 

(m)  II  y  a  beaucoup  d apparence  que  c'eft  on  y  trouvera  ici  quelques  différences. 
ic  luûme  Animal  qu'on  a  déjà  décrit,  dans 


«I 


lis;  mais 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Lxv.  IL        659- 

me  lenteur;  &qiie  les  coups  font  inutiles  pour  lui  faire  doubler  le  pas.  ,,  J'en 
„  ai  frappé  quelques-uns,  dit  ce  Voyageur,  dans  refpcrance  de  les  animer, 
„  Ils  paroifTent  infenfiblcs.  Rien  ne  les  effraie  &  ne  peut  les  contraindre  à 
„  marcher  plus  vîte  C«)  '• 

VArmaiillo  de  la  Nouvelle  Efpagne  tire  Ton  nom ,  comme  celui  de  l'Ifle 
Efpagnole ,  de  refpèce  d'armure ,  dont  il  efl  revêtu  ;  mais  il  a  le  corps  plus 
long,  &  la  groffeur  d'un  Cochon  de  lait.  Les  Mexiquains  le  nommentJ/yo- 
tochtli.  Son  écaille  lui  couvre  tout  le  dos,  &  fe  rejoint  fous  le  ventre,  où 
elle  ne  laifle  que  la  place  des  quatre  pattes.  Il  a  la  tête  petite,  le  grouin 
du  Porc,  &  le  cou  aifez  long.  Dans  fa  marche,  il  laifle  voir  entièrement 
fa  tête;  mais,  à  la  moindre  crainte,  il  la  cache  fous  fa  coquille,  où  reti- 
rant aulTi  fes  pies,  il  demeure  immobile  comme  une  Tortue  de  terre.  Son 
écaille  ell  partagée  en  croix ,  au  milieu  du  dos ,  &  ces  jointures  lui  fervent 
à  fe  tourner.  Ses  pies  reffemblent  à  ceux  de  la  Tortue  de  terre.  Il  a  des 
ongles  très  forts,  avec  lefquels  il  creufe  la  terre  comme  les  Lapins.  Sa 
chair  efteftimée  (0). 

Le.  Tlaquatzin  eH  un  Animal  de  la  forme  d'un  petit  Chien ,  qui  a  le  mu- 
feau  long  &  fans  poil,  la  tête  petite,  les  oreilles  fort  minces,  les  yeux  pe- 
tits &  noirfr,  le  poil  du  .corps  affez  long,  &  blanc  jufqu'à  l'extrémité,  qui 
efl:  noire,  la  queue  ronde,  longue  de  huit  ou  neuf  pouces,  de  couleur  ti- 
grée, &  fi  flexible,  qu'il  s'en  fert  pour  fe  tenir  fufpendu  à  tout  ce  qu'elle 
peut  embrafler.  La  Femelle  porte  à  la  fois ,  quatre  ou  cinq  Petits ,  qui  ne 
font  pas  plutôt  nés ,  «ju'cllt  les  mec  Uaiis  uu  ftc  de  peau  que  la  Nature  lui 
a  formé  fous  les  mammelles,  où  elle  les  nourrit  facilement  de  fon  lait.  Ce 
facefl:  fi  bien  difpofé ,  qu'on  n'en  découvre  pas  aifément  l'ouverture.  Le 
Tlaquatzin  monte  fur  les  arbres  avec. une  merveilleufe  légèreté,  &,  fait  la 
guerre ,  comme  le  Renard ,  aux  Oifeaux  domeftiqucs..  Sa  queue  pafi'e  pour 
un  fpécifique  contre  la  Gravelle  &  plufieurs  autres  maux.  Laet  alfure  qu'el- 
le a  d'incroyables  vertus  (p)- 

Le  Chat-Tigre,  qui  eft  commun  dans  la  Province  d'Yucatan,  efl;  un  A- 
nimal  farouche,  de  la  groflfeur  de  nos  Mâtins.  Il  a  les  jambes  courtes,  & 
le  corps  ramafle  comme  un  Mâtin;  mais  par  la  tête,  le  poil,  &  la  mauiè- 
re  de  quêter  fa  proie,  il  reflemble  fort  au  Tigre.  Le  nombre  en  efl:  fi 
grand  dans  la  Baie  de  Campêche,  qu]ils  y  feroient  redoutables  aux  Habi- 
tans,  s'ils  n'avoient,  pour  leur  nourriture,  les  jeunes  Veaux  fauvages  qu'ils 
trouvent  en  abondance.  Ils  ont  la  mine  altiere,  &  le  regard  fi  farouche, 
que  le  Voyageur,  qu'on  cite,  n'en  rencontroit  jamais  fans  frémir  (q).. 

On  compte,  entre-les  plus .finguliers  Animaiix.de  la  Nouvelle  Efpagne, 
une  efpèce  de  Vache  qui  habite  les  Bois ,  dans  le  voifinage  des  grandes  Ri- 
vières. Elle  eft:  de  la  groffeur  d'un  Taureau  de  deux  ans,  &  de  la  figure 
d'Une  Vache  par  1«  corps  :  mais  fa  tête  efl:  beaucoup  plus  groffe,  plus  ra- 
maffé&4  plus  ronde  &  fans  cornes.    Son  mtifie  efl  court,  l'es  yeux  ronds  j 

;  .     :•■      .    .  .      r..-     t,     .      :    .    .  .      Pl^inS , 

(»0  Dampier ,•  page  273.  rentdans  choque  Pays,  fur  tout  par  la  grof- 

(0)  Laet,  avertit  que  cet  Animal  fe  trouve     feur.  Liv.  16.  page  618. 
dans  toute  l'Amérique,. mais  qu'il  eft  diffé-       .(p)  Laet,  Liv.  5.  page  232. 

(q)  Datnpier,  Tome  III,  page  zf^, 

Ooo  O  3 


DiSCRIPTION 

nE  LA  Nou- 
velle   ESI'A- 
ONE. 

L'Ayotocluli 
ou  l'Arina- 
dillo. 


LeTIaqua;. 
zin. 


Le  Cliat- 

Tigre. 


La  Vache 
montngnarde, 
&■  fcs  lingi'.la- 
rit^is. 


66o 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


PRfCnWTtOIl 

PB  LA  Nou- 
velle  EsrA* 

ONB. 


Cornerai  de 
tf-Tia, 


pleins ,  &  d'une  prodigieufe  grandeur.  Elle  a  de  grofles  lèvres ,  âc  les  oreil- 
les plus  longues,  mais  moins  épailTes ,  que  celles  des  Vaches  communes; 
le  cou  épais  &  court;  les  jambes  plus  courtes  que  celles  de  nos  Vaches;  la 
queue  aflez  longue,  &  peu  garnie  de  poil;  le  corps  entièrement  couvert 
d'un  gros  poil ,  clair  femé  ;  la  peau  épailTe  d'environ  deux  pouces.  Sa  chair 
efl:  rouge ,  &  fa  graifle  blanche.  C'etl  un  aliment  fort  fain,  &  de  bon  goût. 
On  trouve  de  ces  Animaux ,  qui  pefent  cinq  &  fix  cens  livres.  Ils  fe  nour- 
rilTent  d'une  forte  d'herbe,  ou  de  moufle  longue  &  déliée,  qui  croît  en 
abondance  fur  le  bord  des  Rivières.  Lorfqu'iis  font  rafl^afiés,  ils  fe  cou- 
chent ordinairement  dans  les  mêmes  lieux  ;  &  le  moindre  bruit  les  réveil- 
lant, ils  fe  jettent  dans  l'eau,  de  quelque  profondeur  qu'elle  foit,  non  pour 
y  nager,  mais  pour  aller  au  fond,  où  ils  marchent  comme  fur  un  terrein 
fec.  Ils  font  alfez  communs  dans  les  Provinces  d'Yucatan  &  de  Honduras, 
jufqu'à  la  Rivière  de  Daricn  (r). 

Outre  les  Chèvres  communes ,  qui  paroiflent  venues  d'Efpagne,  on  en 
trouve  une  efpèce  fort  finguliere ,  que  les  Efpagnols  ont  nommée  Corneras 
as  terra  y  &  dont  quelques-uns  rapportent  l'origine  à  celles  qui  portent  le 
même  nom  au  Chili ,  d'où  elles  peuvent  avoir  été  traniportées.  WafFer  nous 
en  donne  la  defcription.  Ces  Bétes  font  fort  majeuueufes  ;  &  n'ont  pas 
moins  de  quatre  pies  &  demi  de  haut.  ,  Elles  s'apprivoifent  H  facilement , 
que  fe  laifl^ant  brider,  elles  portent  fur  le  dos  deux  Hommes  des  plus  ro- 
buftes.  Pendant  que  le  Cavalier  efl  dcfl  us,  leur  pas  ell  l'amble,  ou  le  petit 
galop.  Leur  mufeau  reflemble  à  celui  du  L.ievrej  elles  remuent  même, 
comme  lui ,  les  deux  lèvres  en  broutant  :  mais  leur  tête  approche  beaucoup 
de  celle  des  Gazelles.  Elles  font  armées  de  cornes  torfes,  qu'elles  pofent 
tous  les  ans,  &qui,  n'étant  d'aucun  ufage,  demeurent  difperfées  dans  les 
lieux  qu'elles  habitent.  Leurs  oreilles  font  celles  de  l'Ane.  Elles  ont  le 
cou  délié ,  comme  les  Chameaux ,  &  le  portent  droit  comme  les  Cygnes  ; 
la  poitrine  lar^e,  comme  le  Cheval,  &  le  dos  à-peu-près  femblable  à  ce- 
lui d'un  beau  Lévrier.  Leurs  fefTes  &  leur  queue  ne  relfemblent  pas  mal 
à  celles  du  Daim.  Elles  ont  le  pié  fourchu,  comme  la  Brebis,  avec  un 
éperon  en  dedans,  de  la  grofleur  du  doigt,  auflî  pointu  que  ceux  de  l'Ai- 
gle. Ces  éperons,  qui  font  d'environ  deux  pouces  au-defllis  de  l'endroit 
où  la  corne  du  pié  fe  divife,  leur  fervent  à  grimper  fur  les  Rochers,  &  à 
fe  tenir  fermes  dans  toutes  leurs  fituations.  Le  poil ,  qu'elles  ont  fous  le 
ventre,  a  douze  ou  quatorze  pouces  de  long;  mais  elles  ont  fur  le  dos  une 
efpèce  de  laine  plus  courte,  à  demi  frifée.  Ce  font  des  Animaux  fort  in- 
nocens,  d'un  grand  ufage,  &  propres  à  toutes  fortes  de  fatigues.    Leur 

chair 


(r)  Quelques-uns  ont  cru,  fut  cette 
defcription,  que  c'étoit  le  Cheval  marin: 
mais  Dampier,  &  d'autres  Voyageurs,  qui 
connoiflbient  parfaitement  ce  dernier  Ani- 
mal, y  tiouvent  des  différences  effentielles 
dans  la  figure ,  fur  -  tout  dans  la  grofleur , 
^]ui  l'emporte  de  plus  de  la  moitié  fur  celle 
de  la  Vache  montagnarde;  fans  compter  que 
celle-ci  n'approche  jamais  i}e  laMer,&  qu'el- 


le n'a  point  les  dents  longues,  &c.  D'ailleurs 
les  Chevaux  marins  pefent  jufqu'à  quinze  ou 
feizc  cens  livres.  Ibid.  page  324  &  précé- 
dentes. La  \'ache  montagnarde  reflemble 
encore  moins  à  la  Vache  marine,  qui  fe  nom- 
me Lamanttn  ou  Manareff.  &  qui  eft  commu- 
ne fur  les  Côtes  de  la  Nouvelle  Efpague,  mais 
qui  ne  vient  jauwis  à.tcrre. 


s  oréil- 
nunei  ; 
les;  la 
rouvert 
a  chair 
1  goût, 
e  nour- 
roît  en 
fe  cou- 
réveil- 
m  pour 
terrein 
nduras, 

,  on  en 

Corneras 
rtent  le 
fer  nous 
ont  pas 
lement , 
plus  rô- 
le petit 
même, 
eaucoup 
'S  pofent 
dans  les 
^  ont  le 
ygnes; 
e  à  ce- 
3as  mal 
avec  un 
de  l'Ai- 
endroit 
,  &  à 
bus  le 
os  une 
brt  in- 
Leur 
chair 

D'ailleurs 
uinzc  ou 
&  précé- 
reflemble 
i  fe  nom- 
commu- 
me,  muiï 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  H.       66i 

chair  a  le  goût  de  celle  du  Mouton.  Waffer  en  tua  plufieuri  ;  &  dans  refto-  Di ichptiow 
inac  de  l'une  il  trouva  treize  pierres  de  Bezoard.de  difFérentes  figures, dont  J" Ji*  JJj"* 
quelques  unes  reflembloient  au  Corail.  Quoiqu'elles  fuflent  entièrement  oj,s. 
vertes,  lorsqu'il  les  découvrit,  elles  devinrent  enfuite  de  couleur  cendrée. 
Il  apprit,  des  Efpagnols,  qu'ils  emploient  fort  utilement  ces  Bêtes  aux  Mi- 
nes du  Pérou.  Elles  leur  fervent  à  tranfporter  le  Métal  aux  Villes  fituées 
vers  la  Mer ,  par  des  précipices  ou  des  chemins  fi  rompus,  que  lesHommei 
&  les  autres  Animaux  n'y  peuvent  pafler.  On  les  conduit  chargées,  juf- 
qu'à  l'entrée  de  ces  lieux  inacceflibles ,  où  leurs  Maîtres  les  abandonnent  à 
elles-mêmes  dans  un  efpace  de  feize  lieues ,  tandis  qu'ils  fbnt  obligés  d'en 
faire  plus  de  cinquante,  par  de  longs  détours,  au  bout  defquels  ils  les  re- 
trouvent. Les  mêmes  Efpagnols  aiTuroient  que  dans  une  Ville  de  la  Côte, 
qui  n'a  de  l'eau  douce  qu'à  une  lieue  de  diflance ,  on  drefle  ces  Chèvres  à 
l'aller  prendre  fans  guide,  avec  deux  jarres  fur  le  dos;  qu'en  arrivant  à  la 
Rivière,  elles  s'y  enfoncent  alTez  pour  remplir  les  jarres,  &  qu'elles  les 
rapportent  pleines  chez  leurs  Maîtres.  Ils  ajoutoient  qu'elles  refufcnt  de 
travailler  aufli-tôt  que  le  jour  a  difparu,  <&  que  la  force  ell  inutile  pour  les 
y  contraindre.  WafFer  eut  la  curiofité  de  vérifier  une  partie  de  ce  récit. 
Il  les  trouva  fi  rétives ,  le  foir ,  qu'il  les  frappoit  en  vain  pour  les  faire  le- 
ver. Les  unes  poufFoient  un  cri ,  les  autres  un  foupir  ;  &  quoiqu'elles  n'euf- 
fent  rien  fait  de  fatiguant  pendant  tout  le  jour,  il  lui  fut  impoffible  de  les 
mettre  en  mouvement  (s). 

Les  Serpens  font  en  fi  grand  nombre  au  Mexique,  &  difljngués  partant       Scrpcns& 
de  noms  diflerens,  que,  pour  éviter  une  multitude  de  mots  barbares,  dont  "^^^^^  ^''"^ 
il  y  a  peu  d'utilité  à  recueillir ,  on  prend ,  avec  quelques  Voyageurs ,  le  "^^^^^^' 
parti  de  les  divifer  en  quatre  efpèces  principales;  qui  font,  les  Jaunes,  les 
Verts,  les  Bruns ,&  ceux  qui  font  mêlés  de  quelques  taches  blanches  & 
jaunes.     Les  premiers  font  ordinairement  aufïï  çros  que  la  partie  inférieure 
delà  jambe  humaine,  &  longs  de  fix  ou  fept  piés.    Ils  font  lâches,  &  fi 
pareffeux ,  qu'ils  ne  s'éloignent  guéres  du  même  lieu ,  lorfqu'ils  peuvent  y 
vivre  de  Lefards,  de  Guanos  ,&  d'autres  Animaux ,  qui  paflent  dans  leur 
retraite.    Cependant  la  faim  les  fait  quelquefois  monter  fur  les  arbres,  pour  • 
furprendre  les  gros  Oifeaux ,  &  d'autres  Bêtes  qui  s'y  retirent.    On  aflure 
que  dans  cette  fituation ,  ils  ont  la  force  d'arrêter  une  Vache  qui  s'appro- 
che de  l'arbre;  &  que  s'entortillant  tout-à-la- fois  autour  d'une  branche  & 
d'une  des  deux  cornes ,  ils  fe  rendent  maîtres  de  leur  proie.    Ils  font  fi  peu 
venimeux,  qu'on  en  mange  la  chair;  mais  un  Voyageur,  qui  eut  la  curio- 
fité d'en  goûter ,  en  parle  avec  peu  d'éloge  (  f  ).    iT  apprit  qu'il  s'en  trou- 
ve d'aufli  gros  que  le  corps  d'un  Homme  («). 

Les  SerpenS^  verds  n'ont  qu'environ  la  grofleur  du  pouce ,  quoiqu'ils  aient 
quatre  ou  cinq  piés  de  long.  ;  Leur  dos  eft  d'un  verd  fort  vif;  mais  la  cou- 
leur du  ventre  tire  un  peu  fur  le  jaune.  Ils  fe  logent  entre  ks  feuilles  ver- 
tes des  buiflbns,  où  il»  vivent  des  petits  Oifeaux  qui  viennent  s'y  percher. 
Ils  font  extrêmement  venimeux. 

•    -■•■•  '  -  .         ■  Le 


Scrpcns 
vcrds. 


(x)  Voyages  de  Lionnel  WafFer,  dans  le 
Recueil  de  Paul  Marxet,  pages  257  ôcfuiv. 


(t)  Dampicr,  Tome  III.  j-'agc  i-j-i.- 
(v)  Ibid, 


682       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


DEJCRÎfTIOÎf 

Dt    LA    NOU- 

TCLLB     E»rA- 

ONE. 

Scrpcns 
bruns. 

Scrpens  ta- 
rlictcs. 

LeCiItctc. 


Lcn.'ilipcguc. 


Le  Tcutlila- 
r.i.i/au!iqiiin. 


Scorpior.s 
il  Crapauds 
'uoi-Jtnicux. 


qu  on  ne  s  étonne  poinc  ae  le  voir  encrer  aans  les  maiions,  Oc  qu' 

taclie  pas  même  à  le  tuer.    Il  fait  la  guerre  aux  Souris,  qu'il  prend  avec 

beaucoup  d'adrefle. 

Il  n'y  a  point  de  Serpens  tachetés  de  jaune,  qui  ne  foient  redoutables  aux 
Mexiquains.  Celui  qu'ils  appellent  Ca/Wtf,  &  Tbema  Cuilcahugciy  eft  une 
efpèce  de  Lefard ,  que  les  Efpagnols  n'ont  pas  laifle  de  nommer  Scorpion. 
11  e(l  long  de  trois  Quarts  d'aune;  mais  fa  queue  fait  la  plus  grande  partie 
de  cette  longueur.  Il  a  les  jfffhbes  fort  courtes ,  la  langue  d'un  rougé  ardent, 
la  peau  fort  dure ,  tachetée  de  jaune  &  de  blanc.  L'afpedl  e^i  efl;  ef- 
frayant. Cependant  Tes  morfures  ne  font  que  douloureufes ,  ou  ne  devien- 
nent mortelles  que  pour  ceux  qui  négligent  trop  loog-tems  d'y  remédier. 
D'ailleurs  il  ne  blefle  que  ceux  qui  roffenfent. 

Les  Calipegues  font  une  autre  efpèce  deLefards,  tachetés  de  brun-obfcUr 
&  de  jaune ,  qui  ont  la  grofleur  du  bras  d'un  Homme ,  quatre  jambes ,  & 
la  queue  fort  courte.  Ils  vivent  dans  les  troncs  creux  des  vieux  arbres, 
•furtout  dans  les  endroits  marécageux;  &  les  Indiens  n'en  approchent  jamais 
iàns  précaution,  parcequ'ils  les  croient  fort  venimeux. 

Un  des  plus  terribles  Serpens  de  la  Nouvelle  Efpagne,  eft  celui  que  les 
Indiens  nomment  Teuthlacozauhqum  ^  &  que  les  Efpagnols  appellent  yipére^ 
par  la  feule  raifon  que  fes  morfures  caufcnt  infailliblement  la  mort  ;  il  ne 
reffembie  du  moins  aux  Vipères  que  par  la  tête.  Sa  longueur  ordinaire  ell 
û'environ  feize  pouces;  fa  grofleur  médiocre.  Il  a  le  ventre  d'un  blanc 
jaunâtre,  les  côtés  revêtus  d'une  efpèce  d'écailles  blanches,  rayées,  par 
intervalles,  de  lignes  noires;  le  dos  tigré,  avec  des  lignes  brunes,  qui 
abotitiflent  à  l'épine.  On  en  dillingue  piufieurs  efpèces,  qui  ne  différent 
que  par  la  couleur.  Il  fe  remue  fort  lentement,  entre  les  rochers,  ou  dans 
les  mafures,  &  plus  lentement  encore  dans  les  lieux  plats;  ce  qui  lui  a  fait 
donner,  par  les  Mexiquains ,  le  furnom  d'Ocozoa/f.  Chaque  année  de  fon 
cxiftence  lui  apporte,  au  bout  de  la  queue,  une  efpèce  de  fonnette,  qui 
fe  joint,  en  forme  d'anneau,  à  celles  qui  y  font  déjà.  Elles  fe  fuccedent, 
comme  les  nœuds  de  l'épine  du  dos,  &  rendent  un  véritable  fon,  lorfqu'il 
fe  remue.  Ses  yeux  font  noirs  &  d'une  moyenne  grandeur.  11  a  deux 
dents,  à  la  mâchoire  fupérieure,  par  lefquelles  on  croit  qu'il  jette  fon  ve- 
fiin,  &cinq,  de  chaque  côté  des  mâchoires,  qu'on  apperçoit  aifément, 
lorfque  fa  gueule  s'ouvre.  Ceux,  qui  font  mordus  de  ce  terrible  Animal, 
meurent  dans  de  cruels  tourmens,  avant  l'efpace  de  vingt-quatre  heures. 
Lorfqu'il  efl  irrité ,  il  fecoue  violemment  fes  fonnettes ,  qui  font  alors  beau- 
coup de  bruit.  On  prétend  que  la  Province  de  Panuco  a  les  plus  gros  Ser- 
pens de  cette  efpèce,  &  que  les  Indiens  en  mangent  la  chair,  après  en 
avoir  ôté  le  poifon.  Leurs  Médecins  emploient  les  dents  &  la  graiffe  à  la 
guérifon  de  quelques  maladies  (.v). 

Le  Canton  d'Yzalcos,  dans  la  Province  de  Guatimala,  produit  des  Scor- 
pions de  la  grofleur  d'un  Lapin,  &  des  Crapauds,  qui  n'étant  gucres  moins 

..     .  gi'os, 

(*)  Laet,  Liv.  5.  page  252.  .  ••  ' 


pas  plai 

X ,  puif- 

ne  8*at- 

nd  avec 

ibles  aux 
efl:  une 
Scorpion. 
le  partie 
i  ardent , 
n  eft  ef- 
e  dcvien- 
emédier. 

jn-obfcar 
nbes ,  & 

i.  arbres, 
;nt  jamais 

ii  que  les 
nt  f^ipére, 
Dît;  il  ne 
iinaire  eft 
,'un  blanc 
yées,  par 
unes,  qui 

différent 
,  ou  dans 
i  lui  a  fait 
;e  de  fon 
lette,  qui 
uccedent , 

,  lorfqu'il 
Il  a  deux 

e  fon  ve- 

laifément. 

Animal, 

e  heures. 

lors  beau- 
gros  Ser- 
après  en 

raifle  à  la 

des  Scor- 
feres  moins 
gros, 


VCLLC    L*irA- 
ONK. 

Mdntncnoa 
peuplées  de 
Scrpcns. 


Ani^iidcj 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Lxv.  IL       66$ 

gros,  Tautent  comme  des  Gifeaux  fur  les  branches  des  arbres,  où  ils  font   Dmcuftiou 
u.'  étrange  bruit  dans  les  tems  pluvieux.     11  fe  trouve,  dans  le  même  Can-  JJ^l.  K 
ton,  une  efpèce  de  grandes  Fourmis  que  les  Habicans  mangent,  &  qui  fe 
vendent  au  Marché. 

Dans  les  Montagnes  deMifteque,  les  Indiens  en  montrent  deux  remplies 
deSerpens,  qui  fe  tiennent  renfermes  dins  ces  bornes,  où  la  vue  peut 
l'étendre  de  quelques  autres  Montagnes  voifmcs ,  mais  dont  aucun  autre 
Animal  n'ofe  approcher. 

On  voit,  dans  plufieurs  Provinces,  une  forte  d'Araignées,  dont  le  corps 
eft  de  la  grofleur  du  poing,  &  dont  les  jambes  font  aum  délices ,  que  celles  énonnci 
des  Araignées  d'Angleterre.  Elles  ont  deux  dents,  ou  plutôt  deux  cornes, 
longues  d'un  pouce  «Se  demi,  ou  de  deux,  d'une  grofleur  proportionnée, 
noires ,  polies  &  fort  pointues.  On  garde  toujours  ces  dents,  lorfqu'on  tue 
les  Araignées.  Quelques-uns  les  portent  dans  leur  fac  à  tabac,  pour  net- 
toyer leurs  pipes;  d'autres  s'en  nettoyenc  les  dents,  don:  on  prétend  qu'el- 
les guérillcnt  la  douleur.  Le  dos  de  ces  laids  infeéles  eft  couvert  d'un  du- 
vet jaunâtre  &  fort  doux.  On  eft  partagé  fur  leur  nature ,  que  les  uns 
croient  fans  danger,  &  d'autres  fort  vcnimeufe,  fans  que  perfonne  ait  ofé 
recourir  à  l'expérience  (y). 

Quoique  les  Parties  de  hi  Nouvelle  Efpagne ,  qui  regardent  la  Mer  du 
Nord ,  Ibient  fouvent  expofées  à  l'inondation ,  elles  font  remplies  de  diver- 
fes  fortes  de  Fourmis.  On  diftingue  les  grofles  «S:  les  petii."« ,  les  noires 
&  les  jaunes ,  &c.  La  piquûre  des  groilVo  Fourmis  noires  eft  prefqu'aufll 
dangereufe  que  celle  des  Scorpions  ;  &  les  petites  Fourmis  noires  ne  font 
cueres  moins  nuifibles.  Leur  aiguillon  perce  conmie  le  feu.  Elles  font  en 
fi  grand  nombre  fur  les  arbres,  qu'on  s'en  trouve  quelquefois  couvert,  a- 
vant  qu'on  les  ait  apperçues  ;  mais  elles  piquent  rarement  fans  être  offen- 
fées.  Dans  les  Provinces  méridionales,  c'eft  fur  les  grands  arbres  qu'elles 
font  leurs  nids,  entre  le  tronc  &  les  branches.  Elles  y  paflent  l'hyver , 
c'eft-à-dire  ,  la  faifon  pluvieufe,  avec  leurs  œufs ,  qu'elles  confervent 
foigneufement.  Les  Efpagnols  font  beaucoup  de  cas  de  ces  œufs,  pour 
nourrir  leurs  Poules.  Pendant  la  faifon  feche,  elles  fe  répandent  dans  tous 
les  lieux  qui  ont  des  arbres,  &  jamais  on  n'en  voit  dans  les  Savanes.  Les 
Bois  font  alors  remplis  de  leurs  fenticrs ,  qui  font  aulTi  battus  que  nos 
grands  chemins,  &  larges  de  trois  ou  quatre  pouces.  Elles  partent  fort  lé- 
gères, mais  elles  reviennent  chargées  de  pel'ans  fardeaux,  tous  de  la  mê- 
me matière  &  d'une  égale  groflfeur.  On  ne  leur  a  jamais  vu  porter  que  des 
monceaux  de  feuilles  vertes ,  Ci  gros  qu'à  peine  voi':-on  l'Infeéle  par-deflbus.  • 

Cependant  elles  marchent  fort  vîte ,  dans  une  fort  longue  tile,  &  comme 
empreflees  à  fe  devancer  mutuellement. 

On  diftingue* une  autre  efpèce  de  grofles  Fourmis  noires,  qui  ont  les      Fourmis 
jambes  longues,  &  qui  marchent  en  troupes.  '  Elles  paroiftent  occupées  d'un  errantes. 
otjet  commun,  qu'elles  cherchent  avec  les  mêmes  mouvemens  &  la  même 
inquiétude;  ce  qui  ne  les  empêche  point  de  fuivre  régulièrement  leurs 


Fourmis  de 

pliificuri 
cfpèccs. 


Commcni 
elles  font 
leurs  nids 
dans  les  Pro- 
vinces méri- 
dionales. 


Cy)  Dampier,  Tome III.  page  27C.  Cette 
dcfcription  paroit  affez  convenir  à  VEfcarlioi 

XFIII  Part. 


Chefs. 

Rhinocéros,  dont  nou5  donnons  ci-dcfllis  !c. 
Figure.    R.  d,  E, 

Pppp 


DcSCRIPTIQIf 

DE    LA    NOU 

V£LLI!     ESFA- 

CNi. 


AbciUcî. 


Alligator. 


Obfcrvations 
fur  fa  reffeni- 
blance  avec  le 
Crocodile. 


664        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Chefs.  Elles  n'ont  pas  de  fentiers  battus,  ôc  leur  marche  eft^romme  incer- 
taine. Dans  TYucatan,  où  elles  font  en  fort  grand  nombre,  on  en  voit 
quelquefois  entrer  des  bandes  entières  dans  les  Cabanes ,  où  elles  s'arrêtent 
à  fureter  &  à  piller  jufqu'à  la  nuit.  L'habitude  où  l'on  efl,  de  les  voir  par- 
tir avant  la  fin  du  jour,  rend  lesHabitans  tranquilles;  fans  compter  qu'il  fe- 
roit  difficile  de  les  chafler.  Dampier  en  vit  des  bandes  fi  nombreufes,  que 
malgré  la  vîteflTe  de  leur  marche,  elles  employoient  deux  ou  trois  heures 
à  pafler  («}. 

Les  Abeilles  ne  s'écartent  gueres  des  Bois ,  où  elles  fe  nichent  dans  le 
creux  des  arbres. ,  Cependant  les  Indiens  ont  trouvé  le  moyen  d'en  appri- 
voifer  une  efpèce,en  leur  creufant  des  troncs  d'arbre  pour  fervir  de  ruches. 
Ils  pofent  fur  un  ais  l'un  des  bouts  de  ce  tronc,  après  l'avoir  fcié  fort  éga- 
lement, &  laiflent,  pour  l'entrée  &  la  fortie  des  Abeilles ,  un  trou  fur  le 
bout  fupérieur,  qu'ils  couvrent  d'un  autre  ais.  Ces  Abeilles  privées  ref- 
femblent  aux  nôtres, avec  cette  feule  différence,  qu'elles  font  d'une  couleur 
plus  brune ,  &  que  leur  aiguillon  n'eft  pas  aflez  fort  pour  percer  la  peau  d'un 
Homme.  Elles  ne  s'en  jettent  pas  avec  moins  de  furie  fur  ceux  qui  les  in- 
quiètent; mais  leur  piquûre  n'eft  qu'un  chatouillement,  dont  il  ne  refl:e  au- 
cune trace.  Elles  donnent  beaucoup  de  miel,  &  la  couleur  en  efl  blan- 
che. Celles  des  Bois  font  de  deux  fortes;  les  unes  aflez  grofles,  &  capa- 
bles de  piquer  fortement;  les  autres  ,  de  la  grofl'eur  de  nos  Mouches  noi- 
res, mais  plus  longues.  Quantité  d'Indiens  s'occupent  à  chercher  le  miel 
qu'elles  dépofent  dans  les  arbres  creux ,  le  vendent  fort  bien ,  &  vivent 
honnêtement  de  cette  profeflîon  (a). 

Quoique  l'Animal  amphibie ,  que  la  plupart  des  Relations^  nomment  ^l- 
ligatofi  foit  commun  à  la  plus  grande  partie  de  l'Amérique ,  fon  abondan- 
ce efl:  fi  fingulière  dans  la  Nouvelle  Efpagne,  où  l'on  ne  trouve  point 
de  Bayes,  de  Rivières,  de  Criques,  de  Lacs  &  d'Etangs,  qui  n'en  foient 
peuplés  (/;),  que  c'eft  proprement  ici  l'occafîon  d'éclaircir-  un  point, 
iur  lequel  plufîeurs  Naturalifles  ont  comme  affeflé  de  fe  partager.  Il  efl; 
quefliion  d'examiner  s'il  efl:  vrai  qu'il  y  ait,  entre  l'Alligator  &  le  Croco- 
dile, tant  de  reifemblanre  par  la  figure  &  le  naturel,  qu'on  doive  les  pren- 
dre pour  deux  Animaux  de  même  efpèce,  &  fuppofer  que  l'un  efl:  le  Mâle 
&  l'autre  la  Femelle.  Un  Voyageur  fort  célèbre  en  appelle  aux  obfcrva- 
tions fui  vantes. 

De  plufieurs  milliers  d'Alligators  qu'il  avoit  vus  dans^fes  courfes,  il  n'en 
avoit  jamais  trouvé  un  qui  eût  plus  de  feize  à  dix-fept  pies  de  long,  ni  qui 
fût  plus  gros  qu'un  Poulain  de  bonne  taille.  Cet  Animal  a  la  figure  du 
Léfard.  Sa  couleur  efl:  d'un  brun  fort  fombre.  11  a  la  tête  grofle,  les  mâ- 
choires longues,  de  groflfes  &  fortes  dents,  deux  defquelles  font  d'une 
longueur  confidérable ,  d(  placées  au  bout  de  la  mâchoire  îhférieure,  dans 
la  partie  la  plus  étroite,  une  de  chaque  côté.  La  mâchoire  fupérieure  ja. 
deux  trous,  pour  les  recevoir .;  fans  quoi  la  gueule  ne  pourroit  fe  fermer. 
Il  a  quatre  jambes  courtes,  de  larges  pattes  &  la  queue  longue.    Son  dos, 

de 


(«)  Dampier,  Tome  III,  page  277. 
C  «  )  IbU.  page  330. 


i'j)  Dainpier,  ubifuprà,  page  28?. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL       Côg 

de  la  tête  jufqu'âu  bout  de  la  queue,  efl  couvert  d'écailles  aflez  dures,  &  ■  Ditscriptiow 
jointes  enfemble  par  une  peau  fort  épaifle.     Au-deflus  des  yeux,  il  a  deux  J^^e  Ea-ï- 
bofles  dures  &  couvertes  d'écailles ,  de  la  grofleur  du  poing.    Depuis  la        gne.  " 
têtejufqu'à  la  queue,  l'épine  eft comme  formée  de  ces  nœuds  d'écailles, 
qui  ne  branlent  pas  comme  celles  des  Poiflbns,  &  qui  font  fi  fortement 
unies  à  la  peau,  que  ne  faifaot  qu'un  tout,  elles  ne  peuvent  être  féparées 
qu'avec  un  couteau  fort  tranchant.    De  l'épine  fur  les  côtes ,  &  vers  le  . 
ventre,  qui  eft  d'un  jaune  obfcur  «omme  celui  des  Grenouilles,  il  fe  trou- 
ve aufli  pludeurs  de  ces  écailles,  mais  moins  épaifTes  &  moins  ramaflees. 
Auflî  ne  l'empêchent-elles  point  de  fe  tourner  avec  une  extrême  vitefle,  fi 
l'on  confidèrela  longueur  de  fon  corps.     Lorfqu'il  marche,  fa  queue  traî- 
ne derrière  lui.    La  chair  de  ces  Animaux  jette  une  forte  odeur  de  mufc; 
fur-tout  quatre  glandes,  deux  defquelles  viennent  dans  l'aine,  près  de  cha- 
que cuifle,  &les  deux  autres  vers  la  poitrine ,  fur  chaque  jambe  de  devant. 
Elles  font  de  la  grofleur  d'un  œuf  de  jeune  Poule.    On  les  porte  comme  un 
parfum.    Mais  la  force  de  cette  odeur  ne  permet  de  manger  la  chair,  que 
dans  une  extrême  néceflîté. 

Les  Crocodiles  n'ont  aucune  de  ces  glandes ,  &  leur  chair  ne  jette  au- 
cune odeur  de  mufc.  Leur  couleur  eft  jaune.  Ils  n'ont  point  de  longues 
dents  à  la  mâchoire  inférieure.  Leurs  jambes  font  plus  longues  que  celles 
de  l'Alligator.  Lorfqu'il:  courent ,  ils  tiennent  laqueueretrouflee,  &  re- 
coquillée  en  forme  d'arc,  par  le  bout.  Les  nœuds  de  leurs  écailles,  fur  le 
dos ,  font  beaucoup  plus  épais ,  plus  gros  Qc  plus  fermes.  Ils  ne  fréquen- 
tent point  les  mêmes  lieux.  Dans  la  Baie  de  Campêche,  par  exemple, 
où  le  nombre  des  Alligators  eft  infini,  on  n'a  jamais  vu  de  Crocodiles. 
Au  contraire ,  il  y  a  des  Crocodiles  dans  quelques  endroits  de  la  même 
Mer,  où  l'on  ne  voit  point  d'Alligators.  Les  Efpagnols  donnent  aux 
uns  &  aux  autres  le  nom  de  Caymans ,  qu'ils  ont  emprunté  des  Indiens  ; 
ôi  c'eft  apparemment  cette  appellation  commune ,  qui  a  donné  naiflanc» 
à  l'erreur. 

D'un  autre  côté ,  Dampier  convient  que  les  œufs  des  deux  Amphibies 
fe  reflTemblent  fi  parfaitement ,  qu'on  ne  peut  les  diftinguer  à  la  vue.  Ils 
font  de  la  grofleur  des  œufs  d'Oie ,  mais  beaucoup  plus  longs.  Les  uns  & 
les  autres  font  un  très  bon  aliment,  quoique  ceux  de  l'Alligator  aient  l'o- 
deur de  mufc.  Ces  Animaux  vivent  tous  deux  fur  terre  &  dans  l'eau ,  avec 
la  même  indifférence  pour  l'eau  douce  &  l'eau  falée.  Ils  aiment  également 
la  chair  &  le  poiffon.  De  tous  les  Amphibies,  on  n'en  connoît  aucun  qui 
s'accommode  mieux  de  toute  forte  de  féjour  &  d'aliment.  On  prétend 
qu'il  n'y  a  point  de  chair  qu'ils  aiment  mieux  que  celle  du  Chien.  La  plu- 
part des  Voyageurs  obfervent  que  les  Chiens  ne  boivent  pas  volontiers  dans 
les  grandes  Rivières  &  les  Anfes,  où  les  Crocodiles  &  les  Alligators  peu- 
vent fe  tenir  cachés.  Ils  s'arrêtent  à  quelque  diftance  du  bord  :  ils  aboient 
aflez  long- tems,  avant  que  d'en  approcher.  Si  la  foif  les  force,  la  feule 
vue  de  leur  propre  ombre  les  fait  reculer,  avec  de  nouveaux  aboiemens. 
Dampier  aflTure  que  dans  la  faifon  feche,  où  l'on  ne  trouvé  de  l'eau  dou- 
ce que  dans  les  Etangs  &  les  Rivières,  il  étoit  obligé 'd'en  faire  apporter 
à  fes  Chiens.    SoifVent ,  lorfqu'il  étoit  à  la  chafle ,  Ec  qu'il  avoit  à  traver- 

P  p  p  p  2  ftT 


Description 
DE   LA   Nou- 

fEtLE     ESPA- 


PoinbHS. 


L'Axolotl 
ou  l'Inguctc 
de  Aiiua. 


Obfeivations 
.ur  les  ïor- 
cues. 


Huit  fortes 
de  Tortues. 


Tortues  à 
bahu. 

GrpfiesTctcs. 

Bec-à-Fau- 

cous. 


ê66       DESCRIPTION    DU    M  E  X  IQ  U  lî;' 

fer  une  Criqiie,  à  gué,,  fes  Chiens  ne  vouloient  pas  le  liiîvre,  &.roblh 
geoient  de  les  faire  porter. 

Mais  ce  qui  détermine  abfolument  Dampier  à  regarder  le  Crocodile  Se 
l'Alligator  comme  deux  Animaux  d'efpèce  différente,  c'efl:  que  le  premier, 
efl:  bien  pkis  ferocç  &  plus  hardi  que  l'autre.  On  fait  qu'il  pourfuit  égale-* 
ment  les  Hommes  &  les  Bétes;  au  lieu  que  l'Alligator  ne  caulw.  jamais  de 
mal  que  par  accident ,  c'efl-à-dire  lorfqu o'"  /ôffenfe  (c).   . 

Quoiqu'on  ne  puifle  douter  que  dans  le  grand  nombre  de  Rivières,  qui 
traverfent  une  fi  vafte  Contrée,  il  n'y  ait  quantité  de  PoiflTons  aufli  fingu- 
liera  que  les  Plantes  &  les  Animaux  des  Terres  qu'elles  arrofent,  lesEfpagnols 
ont  négligé  jufqu'àpréfent  de  les  obferver.  On  n'en  connoîc  pas  de  plus  re- 
marquable que  celui  que  les  Mexiquains  nomment  /Ixolutl,  &  les  Efpagnols 
Ingucte  de  /Jgua.  Il  a  la  peau  fore  unie,  mouchetée  fous  le  ventre  de  peti- 
tes taches,  dont  la  grandeur  diminue  depuis  le  milieu  du  corps  jufqu'à  la 
queue.  Sa  longueur  eft  d'environ  lix  doigts,  &,fon  épaifleur  de  deux.  11 
a  quatre  jambes,  comme  le  Léfard.  Sa  queue  efl  longue,  &  fort  menue 
par  le  bout.  Ses  pies ,  qui  lui  fervent  à  nager ,  font  diviies  en  quatre  doigts ,. 
comme  ceux  de  la  Grenouille.  Il  a  la  tête  plus  grofle ,  qu'il  ne  convient  à 
la  grofleur  du  corps,  la  gueule  noire  &  prefque  toujours  ouverte.  On> 
prétend ,  fur.  de,  fréquentes  obfervations ,  qu'il  a  un  utérus  &  fes  mois 
comme  les  Femmes.  Sa  chair  efl  fort  bonije,  â;  d'un  goût  qui  tire  fur  ccr 
M  de  l'Anguille  {d). 

Ce  n'eft  pas  fuppléer  dt^favantagoufiament  au  nience  des  -Efpagnols  &des> 
Voyageurs  fur  le  Poiflbn  des  Lacs  &  des  Rivières,  que  de  joindre  ici  quel- 
ques obfervations  fur  plufieurs  efpèces  de  Tortues,  qui  femblent  particuliè- 
res aux  deux  grandes  Côtes  du  Mexique. 

Les  Voyageurs  François  ne  connoiflenc  que  trois  fortes  de  Tortues:  la. 
Franche  t,  qu'ils  appellent  aufli  Jlrtue  verfe^Sc  qui  efl  la  feule  dont  la  chair 
puifTe  pafler  pour, un  bon  aliment;  le  Caret ^  qui  n'efl  jamais  fi  grand  que 
la  Tortue  franche,  &  dont  l'écaillé  efl  celle  qui  porte  en  Europe  le  nom. 
d'écaillé- de  Tortue,  mais. dont  la  chair  efl  un  aliment  dangereux;  la  Caoua- 
ne,  plus  grande  ordinairement  que  les  deux  autres,  mais  dont  J'écaille  eflr 
mauvaife,  &  la  chair  coriace  &  de  mauvaife  odeur  (e). 

Dampier  en  nomme  un  bien  plus  grand  nombre,     i.  Les  groffes  Tortues,  < 
ou  Tortues  à  bahu  ;  2  les  greffes  Têtes  ;  3  les  Bec-  à  Faucons  ;  4  les  Tortues 
vertes;  5  les  Uccates\  6  les  Terrapenes',  7  les  Tprtues  bâtardes;  8  la  petite. 
Tortue. 

Les  premières  font  communément  plus-grofTes  que  les  autres,  ont  le  dos- 
plus  haut  &  plus  rond,  la  chair  puante  &  mal  faine.     Les  grojfes  Têtes  ont 
reçu  ce  nom,  parcequ'elles  ont  en  effet  la  tête  plus  groffe  qire  toutes  les  au- 
tres: la  chair  en  efl  aufTj  fort  puante.     Elles  fe  noiirriffent  de  la  mouffe  qui 
croît  autour,  des. Rochers  (/).    h^^  , Bec- à- Faucons,  font  les  moindres  de 

tou-, 

(c),  Dampier,  Tome  III.  pages  rgo  &  naturelk  de  l'Amérique  la  defcription  ,    ii 

précédente».  .  pêche,  &  les  propriétés  de  la  Tortue, 

(r/)  Kr.  Ximenez,  ttH>ftr.}-  (/)  Les    François    confondent  apparem- 

(  e  )  Voyez  le  Tonie  I.  dts  Voya.ecs  de  ment  ces  deux  preniières  efpèces ,  fous  le 

T^^abut ,  Chap.  12,    Ou  remet  i  liiilloire  nom  de  CaouantSt 


» 

5> 
)> 
J> 

J» 

fi 


l'obîi, 

dile  &. 

remicr, 

égale-* 

aais  de 

îs,  qui 

fingu- 
)agnols 
jIus  re- 
Dagnols 
iepeti- 
*qu'à  la 
ux.    Il 

menue 
doigts  y 
prient  à 
e.     Om 
îs  mois 

fur  ce- 

!s  &des> 
ci  quel- 
rticulie-^ 

bes:  la. 
la  chair 
nd  que 

e  nom.. 

Caoua- 
jille  eilr 

ortues ,  I 
Tortues 
a  petite  I 

t  le  dos- 
^ctes  ont 
les  au- 
ufle  qui 
dres  de 
ton- . 

tion  ,   h 

,ue. 

apparem- 
fous  le 


DE  LA  Nou- 
velle   EifPA»- 
ONE. 


ou  DE  LA  NOUVELLi:  ESPAGNE,  Liv.  If.       <5(5? 

toutes  (,ç).  On  les  nomme  ainfi,  parcequ'elles  ont  la  gueule  longue  &  ^"""'no?.  * 
petite,  tirant  en  effet  fur  la  figure  du  bec  des  Faucons.  Leur  dos  ert  cou- 
vert de  cette  belle  écaille,  dont  on  fait  un  riche  commerce.  Les  plus  gref- 
fes ont  environ  trois  livres  &  demie  d'écaillé.  Elles  ont  la  chair  d'une 
bonté  médiocre,  &  fi  mal-faine  en  certains  lieux,  qu'elle  caufe  des  vomiffe- 
mens  exceffifs.  Leur  bonne  ou  leur  mauvaife  qualité  dépend  de  leur  nour- 
riture. Les  unes  fe  nourriflent  de  bonnes  herbes,  comme  les  Tortues  ver- 
tes ;  &  d'autres ,  fe  tenant  entre  les  Rochers ,  né  mangent  que  de  la  moufle 
ou  de  l'herbe  fauvage,  dont  l'effet  fe  communique  julqu'à  leur  écaille,  qui 
efl:  couverte  de  taches  &  par  conféquent  peu  tranfparente.  La  chair  d'ail- 
leurs en  efl  jaune,  fur-tout  le  gras.  Elles  cherchent  des  lieux  particuliers 
pour  leur  ponte  (A),  &  rarement  elles  fe  mêlent  avec  les  autres.  Leur 
faifon  ordinaire  ell  dans  le  cours  de  Mai ,  de  Juin ,  &  de  Ju-illet.  On  n'en 
voit  point  dans  la  Mer  du  Sud  ;  mais  elles  aiment  à  pondre  dans  les  Ifles  de 
la  Baie  de  Honduras ,  &  le  long  de  la  Côte  du  Continent,  depuis  la  Trinité 
jufqu'à  Vera-Cruz.  On  ne  parle  point  ici  de  Celles  des  Côtes  de  Guinée  & 
des  Indes  Orientales.  ' 

Les  Tortues  vertes  tirent  ce  nom  de  leur  écaille,  qu'elles  ont  plus  verte 
que  les  autres.  Elle  eft  fort  déliée,  fort  tranfparente,  &  les  nuages  en  font 
plus  beaux  que  ceux  du  Bec-à  Faucon;  mais  on  ne  s'en  fert  que  pour  les 
pièces  de  rapport,  parcequ'elle  efl:  extrêmement  fine.  Ces  Tortues  font 
en  général  plus  grofles  que  les  Bec- à-Faucons,  &  pefent  jufqu'à  trois  cens 
livres.  Leur  dos^-eft  plus  plat  aufli  que  celui  des  Bec-à-Faucons.  Leur  tête 
efl:  ronde  &  petite.  ,,'J'ai  remarqué,  dit  le  Voyageur  dont  on  donne  les 
obfervations,  qu'à  Blanco,  Cap  de  la  Nouvelle  Efpagne  dans  la  Mer  du 
Sud,  les  Tortues  vertes,  qui  font  les  feules  qu'on  y  trouve,  font  plus 
grofles  que  toutes  celles  de  la  même  Mer.  Elles  y  pefent  ordinairement 
deux  cens  quatre-vingt  ou  trois  cens  livres.  Le  gras  en  efl:  jaune ,  le 
maigre  blanc,  &  la  chair  extraordinairement  douce.  A  Bocca-Torode 
Veragua,  elles  ne  font  pas  fi  grofl^es ,  leur  chair  efl:  moins  blanche,  & 
leur  gras  moins  jaune.  Celles  des  Baies  de  Honduras  &  deCampêche  font 
encore  plus  petites;  le  gras  en  efl:  verd,  &Je  mjiigre  plus  noir:  cepen- 


Tortues 
vçrU's. 


» 


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>» 


„.  dant  un  Capitaine  Anglois  en  prit  une  a  Port-Royal,  dans  la  Baie  de 
„  Campéche,  qui  avoit  quatre  pies, du  dos  au  ventre,  ik  (îx  pies  de  ventre 
^  .en  largeur.  Le  gras  produiût  huit  g[;lon8  d'huile,  qui  reviennent  à  trentc- 
„  cinq  pintes  de  Paris  (0"*  Celles  des  petites  Ifles,  qui  bordent  le  Con- 
tinent de  la  Nouvelle  Elpagne  au  Midi  de  Cuba ,  font  d'inégale  groffeur. 
Les  unes  ont  la  chair  verte;  les  autres,  noire,  &  les  autres,  jaune.  Cii 
y  envoyé,  de  la  Jamaïque,  des  Vaiffcaux  qui  les  prennent  au  filet,  &  qui 
les  portent  dans  cette  llle,  où  les  recevant  en  vie  on  leur  fait  des  réfer- 
voirs  en  Mer,  pour  les  garder  vivantes.    C'efl:  la  nourriture  ordinaire  du 

Peu- 


(if)  Ccft  rotre  Caret.  Labat  fait  con- 
finer fa  dépouille  en  treize  fcuiUt'S,  qui  pc- 
lent ,  dit-ll ,  quatre  livres  &  demie  û  cinq 
livres ,  ubi  Jupri. 

(ft)  Elles  ne  pondent  que  foixante  ou  qua» 


tre  vingt  ocnfs;   au  lieu  que   les   autres  c:i 
pondent,  fuivant  Labac,  JLifqu'ù  deux  cens 
cinquante.  ' 
(0  Dampier,  Tome  I.  page  n:\. 

PPPP  3 


,  I  BftcaiPTioif 
DE  LA   Nou- 
velle   Espa- 
gne. 


Hscates. 


Toruie  bû 
tanlc. 


(5(58        DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

Peuple.  La  Tortue  verte  vit  d'une  herbe,  qui  croît  à  trois,  quatre,  cinq 
ou  iix  brafles  d'eau,  dans  la  plupart  des  lieux  qu'on  vient  de  nommer.  Cet- 
te herbe  e/l  différente  de  celle  qui  nourrit  la-  Manatée  ou  le  Lamantin.  Sa 
feuille  efl:  plus  petite.  Dampier  lui  donne  un  quart  de  pouce  de  large ,  fur 
ÇiK  pouces  de  long. 

Les  Hecates,  nom  qui  vient  des  Efpagnols,  aiment  l'eau  douce,  &  cher- 
chent les  Etangs  &  les  Lacs ,  d'où  elles  viennent  rarement  à  terre.  Leur 
poids  n'ell  que  de  douze  ou  quinze  livres.-  Elles  ont  les  jambes  petites,  les 
pies  plats ,  le  cou  long  &  menu.  Leur  chair  efl:  un  fort  bon  aliment. 
Tcrrapcncs:  Les  Terrapenes  font  une  autre  efpèce  de  Tortues ,  beaucoup  moins  gràf- 
fes  que  les  lîecates.  Elles  ont  lé  dos  plus  rond  (  ^  ) ,  quoique  d'ailleurs  el- 
les leur  reflemblent  fort.  Leur  écaille  efl:  comme  naturellement  taillée. 
Elles  aiment  les  lieux  humides  &  marécageux.  On  efl:ime  auflî  leur  chair. 
Il  s'en  trouve  beaucoup  fur  les  Côtes  de  l'Ifle  des  Pins ,  qui  efl;  entre  le  Con- 
tinent &  celle  de  Cuba.  Elles  pénètrent  dans  les  Bois,  où  les  Chafleurs 
Efpagnols,  qui  les  trouvent,  ont  peu  de  peine  à  les  prendre.  Ils  les  por- 
tent à  leurs  cabanes;  &  leur  faifant  une  marque  fur  l'écaillé,  ils  les  laiflent 
aller ,  avec  la  certitude  de  les  retrouver  à  fi  peu  de  difliance ,  qu'après  un 
mois  de  chafle  chacun  reconnoît  les  fiennes  &  les  emporte  à  Cuba. 

Les  Tortues  bâtardes  font  des  Tortues  vertes ,  mais  dont  l'écaillé  efl:  beau- 
coup plus  épaifle  que  celle  des  autres  Tortues  de  la  même  couleur,  &  dont 
la  chair  n'eft  pas  fi  douce.  Elles  font  fort  communes  aux  Ifies  de  Gallapa- 
gos ,  v:j-à-vis  du  Continent  de  la  Nouvelle  Efpagne  dans  la  Mer  du  Sud.  On 
■  ne  connoît  point  d'efpèce  plus  large  ;  car  la  largeur  de  leur  ventre  efl:  ordi- 
nairement de  cinq  pies.  Dampier  croit  devoir  l'attribuer  à  l'abondance"  de 
l'herbe  qu'elles  trouvent  [entre  ces  Ifles,  &  qui  en  fait,  dit-il,  les  Tortues 
les  mieux  nourries  de  la  Mer  du  Sud.  Il  s'en  trouve  de  la  même  efpèce  , 
mais  beaucoup  plus  petites,  autour  de  quelques  autres  Ifles,  telles  que  Pla- 
ta,  où  elles  vivent  d'une  moufle  qui  les  rend  fort  puantes.  Outre  la  diffé- 
rence qu'on  a  remarquée,  ces  Tortues  viennent  à  terre  en  plein  jour,  Mâle 
&  Femelle,  &  fe  couchent  au  Soleil;  au  lieu  que  parmi  les  autres,  la  Fe- 
melle va  feule  à  terre  pour  y  dépofer  fes  œufs  dans  le  fable,  &  n'y  va  jamais 
que  pendant  la  nuit. 

fetiteTortve.      La  petite  Tortue  efl:  encore  une  efpèce  différente,  qui  fe  trouve  fur  la 
Côte  occidentale  du  Mexique ,  &  dont  on  vante  la  chair:  mais  Dampier 
neladifliingue  que  par  fa  petiteffe  &  n'en  donne  point  d'autre  defcription. 
Obfervation      II  ajoute,  comme  une  obfervation  très  remarquable ,  &  qu'il  doit  à  fon 

remarquable,  expérience,  que  les  Tortues,  dans  le  tems  de  leur  ponte,  abandonnent 
pour  deux  ou  trois  mois  les  lieux  où  elles  fe  nourriflent  pendant  la  plus 
grande  partie  de  l'année,  &  vont  ailleurs, -feulement  pour  y  dépofer  leurs 
œufs.  On  croit,  dit-il,  qu'elles  ne  mangent  rien  dans  cet  intervalle.  Auflî 
le  Mâle  &  la  Femelle  deviennent-ils  extrêmement  maigres,  fur-tout  le  Mâle 
qui  l'eft  alors  jufqu'à  ne  pouvoir  être  mangé.  Les  lieux  les  plus  connus, 
qu'elles  choifîflfent  pour  leur  ponte,  font  l'Ifle  des  Caymans  &  celle  de  l'Af- 

cenfion*: 


>> 


(  ^)  Le  dos  des  Tortues  f&  nomme  Carapace. 


*. 


I,  cinq 

Cet- 

n.    Sa 

ge,fur 

k  cher- 
Leur 
es,  les 

lis  gràf- 
îurs  el- 
taiilée. 
r  chair, 
le  Con- 
tiafleurs 
les  por- 
laiflent 
prés  un 

îll  beau- 
,  &  dont 
Gallapa- 
3ud.  On 
eft  ordi- 
ance  de 
Tortues 
cfpèce , 
que  Pla- 

a  difFé- 
Mâle 
la  Fe- 

a  jamais 


r> 


fur  la 
Dampier 
3tion. 
it  à  fon 
donnent 

la  plus 

er  leurs 

Auffi 

le  Mâle 
connus , 

de  l'Af- 

enfion*: 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  H.        66$ 

cenfion:  mais  elles  n'ont  pas  plutôt  fini,  qu'elles  retournent  dans  leurs  re- 
traites ordinaires.  On  ne  doute  point  qu'elles  ne  faflent  des  centaines  de 
lieues  à  la  nage,  pour  fe  rendre  à  ces  Ifles;  car  on  a  fouvent  remarqué  que 
pendant  la  faifon  de  la  ponte,  il  fe  trouve,  dans  l'Ifle  des  Caymans ,  des 
Tortues  de  toutes  les  efpcces  qu'on  a  nommées.  Les  Ifles  au  Midi  de  Cuba 
en  font  à  plus  de  quarante  lieues.  •  C'eft  l'endroit  le  plus  proche  d'où  ces 
Animaux  puifîent  partir  ;&  l'on  ne  peut  s'imaginer  que  laprodigieufe  quantité 
de  Tortues ,  qui  fe  voient  alors  dans  l'Ifle  des  Caymans ,  y  trouve  dequoi  fub- 
fiftcr.  Celles  qui  vont  pondre  à  l'Afcenfion  font  bien  plus  de  chemin  ;  car 
la  Terre  la  plus  proche  en  efl;  à  trois  cens  lieues,  &  perfonne  n'ignore  que 
dans  les  autres  tems,  ces  Animaux  fe  tiennent  toujours  près  du  rivage.  Des 
Ifles  Gcillapagos ,  qui  en  font  remplies  pendant  la  plus  grande  partie  de  l'an- 
née ,  elles  paflent  la  Mer  &  vont  pondre  fur  le  rivage  du  Continent,  qui  en 
efl:  éloigné  de  plus  de  cent  lieues.  Cependant  on  remarque  aufll  qu'au  dé- 
part du  plus  grand  nombre ,  il  en  reflie  toujours  quelques-unes  dans  le  lieu . 
de  leur  demeure  habituelle  &  de  leur  nourriture.  •  On  obferve  encore  qu'el- 
les font  fuivies,  dans  leur  route,  d'une  infinité  de  Poiflbns,  fur-tout  de  Gou- 
lus ,  dont  on  n'apperçoit  plus  un  dans  les  lieux  qu'elles  quittent ,  &  qui  ne 
reparoiflent  qu'à  leur  retour. 

Dampier  nous  apprend  que  les  Tortues  travaillent  dans  l'eau  à  la  propa- 
gation de  leur  efpèce,  que  le  Mâle  efl:  neuf  jours  fur  la  Femelle,  &  qu'il 
ne  l'abandonne  pas  aifément  dans  cette  fituation.  „  .T'ai  pris,  dit-il,  des 
„  Mâles  dans  cette  poft:ure.  On  pero*.  facilement  le  Mâle,  car  il  n'eft  pas 
„  fauvage.  La  Femelle,  à  la  vue  d'un  Canot ,  fait  des  efforts  pour  s'échap- 
..  per  ;  mais  il  la  retient  avec  fes  deux  nageoires  de  devant.    Lorfqu'on  les 

furprend  accouplés.,  le  plus  fur  efl:  de  darder  h  Femelle  ;  on  efl;  fur  alors 

du  Mâle  (/)". 


DwcRiPTioii 
DE  LA  Nou- 
velle Espa- 
gne. 


j> 


}) 


(/)  Dampier,  Ibid,  pages  118&  précédentes. 

■'■  \  S  IV. 

Mines,  Métaux i  Pierres  prècïeujes  ^  C  autres  Productions  ou  fmguhrités 
-  de  la  Nouvelle  Efpagne. 

GAcE  fait  obferver  que  dans  la  première  ivrefle  du  triomphe,  les 
Efpagnols  apportèrent  peu  de  foin  à  diflTimuler  leurs  avantages.  Loin 
de  faire  myftère  des  richeiTes  qu'ils  découvroient  de  jour  en  jour,  ils  les 
publièrent  avec  ofl:entation  ;  &  pendant  quelques  années ,  leurs  plus  célè- 
bres Hiflioriens  n'eurent  pas  d'autre  objet.  Mais  la  Politique  fe  fit  enten- 
dre, après  avoir  été  long-tcms  étouffée  par  la  joie,  &  porta  fa  jaloufie 
jufqu'à  défendre ,  aux  Sujets  de  l'Efpagne ,  d'écrire  ou  de  parler  publique- 
ment de  ce  qui  fe  paflbit  au  Mexique.  Ainfi  l'on  n'a  gueres  d'autres  lumiè- 
res, fur  l'or  &  l'argent  du  Pays,  que  celles  qui  fe  font  confervées  dans  les 
anciennes  HiftoireîJ  5  joint  à  quelques  traits  dont  on  efl:  redevable  aux  Voya- 
geurs étrangers. 
Les  riches  Mines  d'argent  de  Pachuciy  dont  on  a  donné  la  defcription 

dans- 


r.E  LA  Nou- 
velle   Espa- 
gne. 

Mines  d'or, 

il'argcnt,  de 
cuivre ,  &c. 


670       DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 

dans  le  Journal  de  Carreri  (a),  étoienc  déjà  dans  la  plus  grande  fplon- 
dcur  en  1568.  Un  Anglois ,  nommé  Milon  Phiîipfon,  que  le  Chevalier 
Jean  Ifawkins  avoit  abandonné  fur  la  Côte  de  Panuco ,  étant  tombé  en- 
tre les  mains  des  Efpagnols,  fut  conduit  à  Mexico  dans  le  cours  de  la  mê- 
me année.  Ce  voyage ,  qui  fut  de  quatre-vingt-dix  lieues ,  lui  donna  oc- 
cafion  d'apprendre,  en  pafTant  par  Mjî/f /<j« ,  qui  n'efl:  qu'à  treize  ou  qua- 
torze lieues  de  la  Capitale,  que  la  Ville  de  Pachuca  en  eu.  éloignée  d'une 
journée,  &  que  les  Mines  du  même- nom  font  à  fix  lieues  de  cette  Ville 
au  Nord  (b). 

Dans  la  Province,  qui  fe  nomme  proprement  Mexique,  les  Cantons  de 
Tuculiila&  deTiapa,  au  Sud,  ont  quantité  de  veines  d'or.  Ceux  de  Tlafco 
&  de  MaUepeque,  à  l'Oueft,  font  célèbres  par  leurs  Mines  d  argent.  Guaxi- 
mango,  du  côté  du  Nord,  ne  l'eft  pas  moins  par  les  Tiennes.  Le  Canton  de 
Mejtitlan  abonde  en  Mines  de  fer  &  d'alun.  Tzquiquilpa,  qui  efl  à  vingt- 
deux  lieues  de  Mexico,  a  des  Mines  de  plomb.  Taîpayana,  qui  en  efl  à 
vingt-quatre;  7'(fwo2;f«/rcpqî/e,  à  dix-huit;  C;//rfppjH^, à  vingt-deux;  ZacuaU 
po,  à  vingt;  Zimpaniio ,  à  quarante;  Guanaxuato^  à  foixante;  Comania  à 
foixante-fept  ;  Achiacko^  à  dix-huit  de  los  Angeles  ;  enfin  Gaz/f /a ,  Zumatlan 
&  SanLuiz  de  la  Pas,  dont  on  ne  marque  pas  la  dillance  de  la  Capitale ,  font 
autant  de  Mines  d'argent  (c). 

'La  Province  de  Guaxaca  renferme  une  Montagne  nommée  Cocola,  proche 
au  Canton  de  Guaxolotitlan ^  à  dix-huit  degrés  de  latitude  du  Nord,  dans 
laquelle  on  a  découvert  plulîeurs  Mlires  d'or  &  d'argent ,  du  cryftal  de  ro- 
che, du  vitriol,  &  différentes  fortes  de  pierres  précieufes.  A  fix  lieues 
â'Antequera,  dans  la  même  Province  ,  entre  les  Montagnes  aue  les  Efpa- 
gnols ont  nommées  P^MMo/ay ,  il  s'en  trouve  une  qui  a  confervé  lenomMexi- 
quain  d'Itzquitepeque,  où  l'on  ne  fouille  pas  long  tems,  fans  appercevoir  des 
paillettes  d'or;  mais  en  moindre  abondance  que  les  veines  de  plomb,  qui  s'y 
oiFrent  de  toutes  parts. 

On  lit,  dansHerrera,  qu'en  1525,  les  Efpagnols  découvrirent,  dans  la 
Province  de  Mechoacan,  une  des  plus  riches  Mmes  qu'on  ait  jamais  con- 
nues, „  où  ks  Officiers  royaux,  ne  fe  bornant  point  à  tirer  le  quint  de  la 
Couronne,  entreprirent,  fous  divers  prétextes ,  défaire  tourner  tout  à 
leur  profit.  Mais ,  foit  par  un  châtiment  du  Ciel,  ou  par  des  caufes  na- 
turelles, elle  difparut  tout-d'un-coup,  fans  qu'on  ait  jamais  pu  la  retrou- 
ver. Quelques  uns  prétendent  que  les  Indiens  la  bouchèrent;  d'autres, 
avec  plus  de  vraifemblance ,  qu'elle  fut  couverte  d'une  Montagne  par  un 
tremblement  de  terre  (d)". 

Léon,  Ville  de  la  même  Province,  à  foixante  lieue;  de  Mexico,  renfer- 
me dans  fon  Canton ,  un  grand  nombre  de  Mines  d'argent.  Guanaxati  & 
Talpuiaga  font  deux  autres  Mines  fort  célèbres;  la  première,  à  vingt-huit 
lieues  de  Valladolid ,  au  Nord;  l'autre,  à  vingt- quatre  de  Mexico.  Elles 
appartiennent  toutes  deux  au  Mechoacan. 

Tout 


» 


(a)  Voyez  le  Tome  XV.  de  ce  Recueil. 

(b)  Journal  de  Sir  John  Hawkins,  dans 
'a  Collcttion  d'Hackluyt. 


(c)  Lact,  Liv.  5.  Chap.  6. 

{d)  Hcrrcra,  Dticud.j.  Xiv.  8.  Cbap.ii. 


X 


Tout 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  H.        671 

Tout  le  Canton  de  Colyma,  fur-tout  vers  Acatïan^  efl:  rempli  de  deux 
fortes  de  Cuivre  ;  l'une  fi  molle  &  fi  du6lile ,  que  les  Habitans  en  font  de 
très  beaux  vaFes;  l'autre  fi  dure, qu'ils  1  emploient ,  au  lieu  de  fer,  pour  tous 
les  inllrumens  de  l'Agriculture  {e). 

Toutes  les  recherches  des  Efpagnols  ne  leur  ont  jamais  fait  trouver  de 
Mines  d'aucun  métal ,  dans  la  Province  d'Vucatan;  d'où  Laet  prend  occa- 
fion  de  reprocher  une  infigne  fauffeté  à  quelques  Ecrivains ,  qui  ont  pré- 
tendu que  les  Kfpagnols ,  en  abordant  pour  la  première  fois  fur  cette  Côte, 
y  trouvèrent  des  croix  de  laiton.  Il  ajoute  que  c'efl:  d'ailleurs  un  métal  au- 
quel on  n'a  jamais  rien  découvert  de  femblable,  dans  aucune  partie  de  l'A- 
mérique (/). 

Dans  la  Province  de  GuadaJajara ,  vers  les  Zacateques ,  la  Nature  a  pla- 
cé une  Montagne  d'une  lieue  de  hauteur,  inacceffible  de  toutes  parts  aux 
Voitures  &  même  aux  Bêtes  de  charge ,  couverte  de  Pins  &  de  Chênes 
d'une  grandeur  extraordinaire,  &  fans  autres  Habitans  qu'un  prodigieux 
nombre  de  Loups.  Elle  renferme  quantité  de  Mines  d'argent  &  de  cuivre , 
qui  font  mêlées  de  beaucoup  de  plomb. 

La  Province  de  Xalifcoy  qui  ne  fut  conquife  qu'en  1554,  par  François  de 
Tbarray  paflepour  une  des  plus  riches  de  la  Nouvelle Efpagne,  par  fes  Mi- 
nes d'argent,  autour  defquelles  il  s'efl  formé  des  Habitations  nombreufes, 
avec  des  Fonderies,  des  Moulins,  &  tout  ce  qui  eft  néceffaire  au  travail. 

Celle  de  Culuacan  ne  connoiiToit  aucune  forte  de  métal ,  lorfqu'elle  fut 
conquife  en  1531 ,  par  Nunnez  Guzman;  mais,  peu  d'années  après  la  Con- 
quête, les  Efpagnols  y  découvrirent  des  Mines  d'argent. 

Les  Zacateques  ou  Zacatecas^  font  un  grand  nombre  de  petits  Cantons, 
qui  forment ,  fous  ce  nom  commun ,  la  plus  riche  Province  de  la  Nouvelle 
Efpagne.  On  y  compte  douze  ou  quinze  Mines  d'argent ,  dont  les  plus  cé- 
lèbres font,  i^.  Celle  qui  fe  nomme  par  excellence  Zacatecas^  à  quarante 
lieues  de  la  Ville  de  Guadalajara,  vers  le  Nord,  &  à  quatre- vingt  de  Mexi- 
co; 2^.  Celle  de  ji^vinno ,  qui  fut  découverte  en  1554,  par  François  de 
Ybarra,  fous  le  Gouvernement  de  Dom  Louis  de  Velafco;  3^.  Celle  de 
Saint-Martin  y  qui  efl  à  vingt-fept  lieues,  au  Nord,  de  la  première;  4.°, 
Celle  de  Saint- i^uc^  proche  de  Durango;  5°.  Celle  de  Somberîette,  vers 
Saint- Martin;  6^.  Celle  à'Erena^  proche  de  la  petite  Ville  du  même  nom; 
7".  Cdle  de  los  Ranchos\  8".  Celles  de  los  Chalcuitos  &  de  las  NieveSy  toutes 
deux  abondantes ,  mais  infellées  par  des  Indiens  très  féroces ,  qui  réfifient 
encoreau  joug  Efpàgnol;  9^.  Enfin  celle  del  Frefnillo ,  qui  paroît  inépuifa- 
ble  jufqu'aujourd'hui. 

La  Province,  qm  vorte  h  nom  de  Nouvelle  Bifcaîe,  &  qui  en  comprend 
une  3'itre  nommée  Topia^  offre  les  Mines  d'Emle,  de  Saint- Jean,  &  de 
Sair  -Barbe;  les  deux  dernières,  à  trois  lieues  fune  de  l'autre,  &  toutes 
deiwi,  à  vingt  lieues  de  celle  d'Ende.  Elles  font  d'une  abondance  extraor- 
dinaire, &  voifines  de  plufieurs  Mines  de  plomb,  qui  font  d'une  extrême 
utilité  pour  la  purification  de  l'argent.    Ilerrera  place  celle  de  Sainte- Barbe . 


Da•cuT^Tro^f 
DE  I..'  Nou- 
velle  EsrA- 

ONB. 


(e)  Laet,  uhifuprà, 
XVm.  Part. 


page 


(/)  Ibid.  page  272. 


Q  q  q  q 


na   LA   Nou- 

VliLL2     ESM- 
CMC. 

Vaines  cfpé- 
r;:ni:t.'s  daiisla 
Province  ilf 
Ciboia. 


672         DESCRIPTION    DU    MEXIQUE. 

à  cent  lieues  de  celle  de  Zacatccas.  Elle  eft  à  cent  foixante  de  Mexico,  fui- 
vant  Jean  Gonzales;  &  cet  Ecrivain  ajoute,  qu'à  foixante  &  dix  lieues  de 
la  même,  ver«  le  Nord,  on  trouve  les  quatre  grandes  Villes  que  les  Efpa- 
gnols  nomment  las  quatro  Ciudades  {g). 

MAKcde  Ktfii,  fameux Cordelier ,  que  diverfes  avantures  avoient  conduit 
dans  la  Province  de  C/A-î/a,  publia  une  Relation  de  fon  Voyage,  dans  la- 
quelle il  promettoit  plus  d'or,  aux  Efpagnols,  qu'on  n'en  a.jamais  tiré  de 
toutes  les  parties  de  l'Amérique.  Il  reprcfentoit  un  Pays  fi  riche,  qu'on  n'y 
employoit  que  des  vafcs  d'or,  &  que  les  murs  des  Temples  étoient  revêtus 
du  même  métal.  Antoine  de  Mcndoza,  Viceroi  de  la  Nouvelle  Efpagne 
en  15  jo,  fut  affez  ébloui  de  cette  magnifique  chimère,  pour  y  envoyer  un 
Corps  de  Troupes ,  fous  la  conduite  de  François  Vafquez  de  Coromdo.  On 
n'y  trouva  que  de  la  mifere  &  de  la  barbarie;  ce  qui  n'empêche  point  que 
la  Relation  de  Nifa  n'ait  eu  jufqu'aujourd'hui  fes  Partifans,  qui  fe  promet- 
tent, de  l'avenir,  des  tréfors  que  les  recherches  de  depx  fiécles  n'ont  pas 
encore  fait  découvrir.  A  la  vérité,  Coronado  rendit  témoignage  au  Vice- 
roi  que  les  Turquoifes  étoient  fort  communes  entre  les  Habitans  de  Ciboia, 
&  qu'ayant  trouvé  peu  de  Femmes  &  d'Enfans  dans  le  Pays, -il  y  avoit  beau- 
coup d  apparence  qu'une  grande  partie  de  cette  fauvage  Nation  s'étoit  re- 
tirée dans  des  lieux  inaccefl^ibles  avec  ce  qu'elle  avoit  de  plus  précieux: 
mais  la  difficulté  d'y  pénétrer  n'a  pas  permis  jufqu'à  préfent  de  vérifier 
une  fi  flatteufe  conje6lure.  Alfonfe  de  Bcnavidez,  autre  Cordelier,  donc 
nous  avons  une  Relation  du  Pays  de  Quivira  &  du  nouveau  Mexique,  aulîî 
fufpc6le  que  celle  de  Nifa,  prétend  que  ces  deux  Régions  ,  qui  font  enco- 
re peu  connues ,  &  qui  bornent  les  Provinces  feptentrionales  de  la  Nou- 
velle Efpagne ,  abondent  auffi  en  Mines  d'or  &  d'argent.  Il  ajoute  qu'une 
partie  de  Quivira,  qu'il  place  au  trente-feptième  degré  du  Nord,  &  dont 
il  nomme  les  Habitans  Aixaoros^  n'eft  pas  éloignée  des  Etablifl!emcns  An- 
glois,  où  il  fuppofe,  fans  aucune  preuve,  que  ces  Barbares  répandent  con- 
tinuellement leurs  tréfors  (*). 

Tous  les  Hifloriens  de  la  Conquête  aflurent  que  la  Province  deGuatimala 
étoit  remplie  d'Idoles  d'or,  que  les  Indiens  livrèrent  volontairement  aux 
Efpagnols;  mais  il  ne  paroît  point  qu'on  y  ait  jamais  découvert  de  Mines, 
ni  que  cette  belle  Contrée  ait  aujourd'hui  d'autres  fources  de  richefles,  que 
fon  Commerce  &  la  culture  de  fes  Terres. 

La  Province  de  Chiapa  étoit  autrefois  riche  en  or,  en  argent,  en  étain, 
en  plomb,  en  vif  argent  &  en  cuivre.  Ses  principales  Mines  font  épuifées; 
&  quoiqu'il  fe  trouve  encore  des  veines  d'or  dans  fes  Montagnes ,  le  travail 
ell  fi  difficile,  &  le  nombre  des  Indiens  qu'on  y  employoit  efl  tellement  di- 
minué ,  qu'elles  font  abandonnées  depuis  plus  d'un  fiécle. 

Vera-Paz  avoit  donné  de  grandes  efpérances  aux  Efpagnols,  iur-tout 
par  la  qualité  de  fes  eaux,  dont  l'àcreté  femble  marquer  qu'elles  paflent  par 
«les  veines  métalliques.    On  y  a  fait  fouvent  de  grandes  entreprifes ,  fur  les 


(^)  Ibid.  page  290.    On  n'a  pas  d'autre 
«onr.oiîllince  ae  ces  quatre  Villes. 
\,b )  Lavt,  ubijuprà,  page  305  &  précé- 


iudices 

dentés.  On  renvoie  le  Nouveau  Mexique  & 
Quivira,  à  l'année  où  ces  Pays  furent  dé- 
ouverts. 


:o ,  fui- 
;ues  de 
1  Efpa- 

• 

ronduît 
lans  la- 
tiré  de 
'on  n'y 
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récieux  : 

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;r,  dont 
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la  Nou- 
e  qu'une 

&  donc 
»cns  An- 
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uatimala 

lenc  aux 

Mines , 

es,  que 

n  étain, 
juifées  ; 
e  travail 
Tient  di- 

ur-tout 
ffent  par 
,  fur  les 
indices 

Mexique  & 
furent  dé- 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE^  Liv.   II.         (Î7J 

•  • 

indices  &  la  foi  des  Habitans;  mais  elles  n'ont  eu  de  fuccès  que  vers  Golfu  n^cntm-^r» 
dolce,  où  les  Iliftoriens  rendent  témoignage  qu'on  a  trouvé  une  Mine  d'or  JJJ,lr^  Rî'pa^ 
aflez  riche,  &  quelques  veines  de  fouire.  '  onb.' 

Les  Montagnes,  qui  réparent  le  Honduras  de  la  Province  de  Nicaragua, 
ont  fourni  beaucoup  d'or  &  d'argent  aux  Efçagnols,  quoique  les  Habitans 
naturels  ignoraffent  qu'ils  avoient  ces  ricliefles  autour  d'eux,  ou  que  l'ex- 
trême fertilité  du  Pays  les  leur  fit  négliger.  Elles  leur  ont  coûté,  s'il  en 
faut  croire  Barthelemi  de  las  Cafas ,  plus  de  deux  millions  d'ames  ,  que  les 
Conquérans  facrifièrent  à  leur  avarice  ;  comme  s'ils  ne  s'étoient  crus  fûri 
de  la  pofleflion  des  Mines,  que  par  la  deftrudlion  d'un  malheureux  Peuple, 
qui  ne  leur  contefloit  rien ,  &  qui  préféroit  fes  belles  citrouilles  aux  plus 
précieux  métaux.  C'ed  de  l'excellence  de  ces  Plantes ,  qu'ils  nommoient 
Hibueratt  qu'on  avoit  donné  d'abord  le  même  nom  à  leur  Province.  Ses 
principales  Mines  font  celles  des  Montagnes  de  Valladolid,  ou  Comayagua^ 
celle  de  Gracias  à  DioSt  &  celles  des  Vallées  de  Xaticalpa  &  à'Olancbo ,  dont 
tous  les  torrens  roulent  de  l'or,  fur-tout  celui  de  Guayape,  à  qui  on  donne 
la  qualité  de  Fleuve,  &  qui  coule  à  douze  lieues  d'une  Ville  nommée  Saint 
Jean  (fOlancho. 

La  Province  de Cofta  ricca,  dontWaflTer,  Anglois,  Vaz,  Portugais,  & 
d'autres  Voyageurs  étrangers,  font  une  peinture  qui  répond  mal  à  fon 
nom,  nelaiiïbit  pas  de  renfermer  aulTi  quelques  Mines  dor  &  d'argent: 
mais  la  difficulté  du  travail  les  a  fait  abandonner,  avec  les  Habitations  voi- 
fines  ,  telles  que  Cajiro  d'jinflria  &  BruxalUt ,  où  les  Efpagnols  s'étoient  éta- 
blis pour  le  travail ,  &  dont  il  ne  refle  aucune  trace. 

Enfin  ceux, qui  fe  rappellent  le  troifiéme  Voyage  de Chriftophe Colomb , 
ne  doivent  pas  trouver  d'exagération  dans  l'idée  que  Laet  donne  du  Vera- 
gua,  lorfqu'il  aflure  „  que  cette  Province  eft  encore  très  riche  en  métaux, 
„  fur- tout  en  or,  qu'on  y  tire  du  fein  de  la  terre  à  chaque  pas,  &  qu'on 
„  puife,  dit-il,  avec  l'eau  dans  les  torrens  &  les  Fleuves  (0"«  La  petite 
Ville  de  Sainte-Foi  ^  fituée  à  douze  lieues  de  celle  de  la  Conception  vers  le 
Sud,  efl  le  lieu  de  la  fonte,  &  le.féjour  des  Officiers  royaux. 

On  a  donné,  dans  une  autre  partie  de  cet  Ouvrage  {k),  quelques  obfer- 
vations  fur  les  Mines  du  Mexique,  la  méthode  des  Efpagnols  pour  la  fépa- 
ration  &  la  fonte  des  métaux.  Ne  craignons  pas  de  répeter  ici,  pour  l'in- 
telligence de  cet  article,  que  tout  Particulier,  qui  découvre  une  Mine  d'or 
ou  d'argent,  peut  y  faire  travailler,  en  payant  au  Roi  le  cinquième  du  pro- 
duit: mais  s'il  l'abandonne,  elle  tombe,  trois  mois  après,  au  Domaine.  Le 
Roi  accorde  quatre  cens  pies  de  terrein,  vers  les  quatre  Vents  principaux , 
depuis  l'ouverture  de  la  Mine;  ou  d'un  feul  côté,  au  choix  du  Proprié- 
taire. Enfuite  un  autre  a  la  liberté  d'en  ouvrir  une  nouvelle,  à  dix-huit 
pies  de  la  première;  &  quoique  cet  efpace  foit  comme  un  mur  de  fépara- 
tion,  il  peut  entrer  dans  le  terrein  du  premier,  en  creufant  fous  terre,  du 
moins  jufqu'à  ce  qu'il  rencontre  fes  Ouvriers.  Alois  il  doit  fe  retirer 
dans  le  fien  ,   ou  pouffer  fon   travail  au-defTous  de  l'autre.    Mais  fi  la 

Mine, 


(0  Laet,  ubifuprà,  page  335. 


(k)  Tome  XVI.  page  531. 
Q  q  q  q  2 


Description 
on  1.A  Nou- 
VILLE     ËSPA' 

Produit  nn- 
nui'l  des  Mi- 
nes de  la  Non- 

▼«.'Uclili'rgiic. 


Uàtcl  des 
Monnoycs  de 
ilcxico. 


674       DESCR.  IPTION    DU    MEXIQUE, 

Mine,  qu'il  ouvre  au-deflbus,  efl  inondce  par  quelque  fourcc  d'eau,  celui 
(^ui  travaille  au-defflis  doit  lui  donner  la  fixicme  parcie  de  ce  qu'il  lire;  & 
Il  l'eau  vcnoic  de  la  Mine  fupérieurc,  le  roileflcur  de  cette  Mine  cfî  obligé 
de  la  faire  vuider. 

Tout  l'or  &  l'argent,  qui  fort  des  Mines  de  la  Nouvelle  Efpagne,  doit 
être  porté  à  Mexico,  &  déclaré  à  rilotcl  de  la  Monnoie.  Un  Voyageur 
célèbre  a  publié,  vers  la  fin  du  dernier  liéclc,  qu'il  y  entroit  chaque  an- 
née ,  deux  millions  de  marcs  d'argent,  outre  ce  qui  paflbit  par  des  voyes 
indireftes,  &  qu'on  en  frappoit  tous  les  ans,  à  la  Monnoye,  500000  marcs 
en  pièces  de  huit. 

Les  Propriétaires  ne  payent  pas  feulement  les  fraix  de  la  Fabrique,  mais 
ils  joignent  au  quint,  qui  efl:  le  droit  royal  de  l'ancienne  déclaration,  une 
réale,  qu'on  nomme  le  droit  de  ValTelage.  Quoique  chaque  Particulier 
puifle  faire  fabriquer  de  la  monnoye,  on  travaille  prefqu'uniquement  pour 
les  Marchands.  Ils  achètent  tout  le  métal  qu'on  veut  leur  vendre,  en  re- 
tenant deux  réaies  par  marc  j  l'une  pour  le  droit  du  Roi  &  l'autre  pour  la 
fabrique.  A  l'égard  de  l'or,  qui  efl  beaucoup  moins  abondant,  on  en  fait 
des  pièces  de  feize,  de  huit,  dj  quatre,  &  de  deux  pièces  de  huit,  qui 
fe  nomment  des  Ecus  d'or.  La  différence  pour  les  droits  efh  d'une  réale 
&  demie,  qu'on  paie  de  plus  pour  les  pièces  d'or.  Le  titre  auquel  il  doit 
être  pour  recevoir  la  marque  eft  vingt-deux  carats;  &  celui  de  l'argent, 
deux  mille  deux  cens  dix  maravedis. 

On  apprend,  du  même  Voyageur,  furies  informations  qu'il  reçut  d'un 
Gentilhomme  Efpagnol  ,  qui  avoit  exercé ,  pendant  trente  ans ,  l'Olfice 
d'Effaycur,  qu'il  y  a,  dans  Mexico,  huit  Fourneaux  pour  la  Monnoye,  ôc 
dans  l'Hôtel  qui  les  contient  un  Chef,  fous  le  titre  de  Tréforier,  avec 
huit  ou  dix  principaux  Officiers  qu'il  commande.  On  configne  au  Chef 
les  barres  d'argent  :  elles  font  pefées  devant  lui;  il  tient  compte  du  poids. 
Après  les  avoir  mifes  au  feu  pour  les  couper,  on  efl:  obligé  de  les  mouil- 
ler, pour  les  y  remettre,  parceque  le  métal  efl:  aigre,  &  qu'il  ne  fe  fabri- 
queroit  pas  aifément  fans  cette  opération. 

On  fait  cinq  fortes  de  Monnoye:  des  Pièces  de  huit,  de  quatre,  de  deiix, 
des  Pièces  fimples  &  des  deniers.  Lorfqu elles  ont  leur  jufle  poids,  on  les 
remet  au  Tréforier,  qui  les  reyoit  de  la  main  même  duPefeur,  fous  les 
yeux  du  Secrétaire  &  des  autres  Officiers.  Comme  l'argent  fe  noircit  par 
le  mélange  de  l'écume  de  cuivre,  qui  fert  à  la  féparation  (  /  ),  on  envoyé 
d'abord  la  Monnoye  aux  Blanchilleurs.  Elle  paile  enfuite  chez  les  Gar- 
des, qui  vérifient  le  poids.  J)e-là  elle  efl:  confignée  aux  Monnoyeurs, 
qui  travaillent  dans  une  même  Salle,  &  qui  ont  auflTi,  pendant  le  jour, 
les  cinq  coins,  nommés  Truxeks^  dont  les  Gardes  font  chargés,  pendant 
la  nuit,  &  dont  ils  répondent  fur  leur  tête.  Après  ces  formalités,  laMon- 
uoye  retourne  entre  ki  mains  du  Tréforier  pour  la  délivrer  aux  Proprié- 
;L,,   :        .  .      *•  -  taires; 


(0  On  ne  fc  fervoit  autrefois ,  à  Mexi- 
co, que  de  Mercure  &  de  Sel  pour  fôparer 
l'argent  ;  mnis  cette  opération  étant  fort 
longu(.>,  an  Dominiquain  la  rendit  plus  facile^ 


en  donnant  l'invention  de  l'écume  de  cui- 
vre ,  qui  échauffe  fur  le  champ  la  maflc. 
Camri,  Tome  T/,  Liv,  i,  Cba^.  10. 


ou  DE  LA  J^OUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  II.        6:s 


il 


revient  aux  Officiers ,  c'ed-à- 


talres;  mais  ii  en  retire  auparavant  ce  qui 
dire  à  lui-même,  àTEflaycur,  au  Coupeur,  au  Secrétaire,  au  Feieur,  aux 
deux  Gardes,  au  Merino,  (jui  cft  un  Sous-rdcretairc,  à  un  Alcalde,  aux 
Forgerons  ik  aux  Monnoyciirs.  Cette  deJu(5lion  n'rll  pus  une  perte  pour 
le  Propriétaire,  parcequ'elle  fe  fait  furies  deux  ré.ilcs  (ju'on  ajoute  à  lu 
valeur  de  l'argent  avant  qu'il  foie  frappé.  Le  paiement  fe  fait  aux  Officiers 
l>îxr  Mara-oedis  6cp:ir  Racioucs  (m).  ^  ''    '[ 

Tous  les  hauts  Officiers  font  nommés  par  le  Roi  ;  &  les  autres  achètent 
leurs  Places,  duTréforier,  pour  la  fomme  de  trois  mille  pièces  de  huit. 
Les  premiers  répondent  folidairemcnt  des  fraudes  de  leurs  AfTociés.  Quoi- 
que toutes  ces  Charges ,  &  celles  mêmes  qui  s'achètent,  ne  foient  pas  hé- 
réditaires, chaque  Oflicier  a  le  droit  de  réfigner  la  fienne;  mais,  pour  la 
validité  de  fa  réfignation  ,  elle  doit  être  (ignée  vingt  jours  avant  (a  mort. 
Celui  que  cette  faveur  regarde,  efl:  obligé  d'en  informer  le  Viceroi  dans 
le  terme  de  foixante  jours.  11  doit  payer  au  Roi  un  tiers  de  la  valeur  de 
fa  Charge,  &  les  deux  autres  tiers,  au  Propriétaire  ou  à  fes  héritiers;  fans 
quoi  elle  retourne  à  la  Couronne.  Aufli  les  Pollefleurs  font-ils ,  chaque 
mois,  leur  démiirion ,  pour  éviter  toute  ombre  de  difficultés  fur  les  vingt 
jours  qu'ils  doivent  furvivre.  Le  revenu  annuel  du  Tréforier  efk  d'envi- 
ron foixante  mille  pièces  de  huit.  Les  Charges  d'Ellayeur  &  de  Fondeur, 
qui  appartiennent  en  propriété  au  Couvent  des  Carmes  Déchaux  de  Mexi- 
co, &  qui  font  exercées  par  un  feul  Officier,  rapportent  feize  mille  piè- 
ces; celle  du  Coupeur,  dix  mille  ;  &  les  autre»,  environ  trois  mille  cinq 
cens.  Les  Forgerons,  ouïes  Maîtres  des  huit  Fourneaux,  &  les  Mon- 
noyeurs,  qui  font  au  nombre  de  vingt,  ont  chacun,  depuis  huit  cens  juf- 
qu'à  mille  pièces.  Il  n'y  a  point  de  li  bas  Offices,  qu'ils  ne  vaillent  par 
jour  une  pièce  de  huit:  mais,  comme  la  plupart  de  ceux  qui  les  pofledent 
l'ont  des  Efclaves  du  Tréforier ,  il  en  tire  ouvertement  le  profit. 

Comme  l'expérience  a  fait  obferver  qu'il  y  avoit  un  peu  d'or  dans  l'ar- 
gent, les  Officiers  royaux  ont  établi  un  autre  Hôtel,  qui  porte  le  nom  de 
A'Iaifon  du  départ,  &  qui  n'a  point  d'autre  objet  que  la  féparation  de  ces  deux 
Métaux.  Carreri  nous  en  donne  aufli  la  méthode.  On  fond  l'argent  en 
très  petites  balles ,  qu'on  fait  diiïbudre  dans  l'eau  forte.  L'or  refle  au  fond , 
en  poudre  noire;  &  l'on  met  l'eau,  qui  contient  tout  l'argent,  dans  deux 
vaiifeaux  de  verre  ,  dont  les  bouches  fe  joignent.  On  les  échauffe:  l'eau  fe 
retire  dans  l'un ,  &  l'argent  demeure  dans  l'autre.  Enfuite  l'or  eft  fondu 
en  plaques  &  en  barres,  pour  être  porté  à  l'Eirayeur,  comme  l'argent. 
On  paie,  pour  cette  opération,  fix  réaies  par  marc  à  la  Maifon  du  dé- 
part.   L'Office  de  Départeur  appartient  à  un  Particulier,  qui  a  paie  au 

Roi, 


DrJCRU'TioN 

DE     LA     NoU- 

Vlil,l.R     KSPA- 

CNC. 


Maifon  du 
déparc. 


(m)  Chaque  ManveJi  vaut  137  Racio- 
nes.  Voici  i'ordre  &  les  proportions  du 
paiement. 

MaraveJis.    Racioncs. 

Au  Tréforier 22  .  &  .   .  120 

A  l'Elluïeur i Co 

Au  Coupeur 5 60 

Au  Secrétaire i  .  .  .  ,  ,    60 


Au  Pcfcur I 80 

A  chacun  des  deux  Gardes     i 60 

Au  Merino    2 16 

A  l'Alcaldc 2 16 

Aux  Forgerons    24 

Aux  Monnoycurs    8 

Totil  60  Maravcdis. 


Qqqq  3 


676        DESCRIPTION    DU    NTEXIQUE, 


Dl'trRIPTION 
TK  LA  NOU 
VtU.K     EjfA 


T5rolt« 
roiaux ,  qui 
foiit  une  trol- 
fîciiic  cfi'cce 
de  Mines. 


un  Major. 

On  n'ajoutera  rien,  k  ce  qu'on  a  lu  jurqu'ici  dans  un  grand  nombre  de 
Relations,  fur  le  tranfport  de  ces  ricliLÏTcs  &  de  celles  qui  entrent  dans 
lu  Nouvelle  Efpagnc  par  l'arrivée  annuelle  des  VaifTeaux  de  Manille:  mais, 
comme  on  a  donné  le  nom  de  fécondes  Mines  du  Mexique  aux  Ports  d'A- 
capulco  &  de  Vcra-cruz,  qui  fervent  de  Paflage  à  tant  de  trefors,  on  peut 
regarder  comme  les  troifiômes ,  une  multitude  de  Droits  royaux ,  qui  augmen- 
tent fans  celle  les  revenus  de  la  Monarchie  Efpagnole,  &  dont  cette  idée  a 
fait  remettre  ici  l'explication. 

On  met  au  premier  rang  le  quint  de  tous  les  métaux ,  des  perles  &  de 
toutes  les  pierres  précieufes ,  fans  compter  un  &  demi  par  cent  pour  la  for- 
tie ,  &  ce  qui  fe  levé  fur  toutes  les  Monnoyes  qu'on  fabrique  ù  Mexico. 
Les  Efpagnols  donnent  à  ce  Droit  le  nom  deSemoraje,  ou  Droit  de  Seigneu- 
rie (0).  On  peut  y  comprendre  celui  qui  réferve  au  Roi  d'Efpagne  la  moi- 
tié des  Hitvacas;  c'ell-à-dire,  de  tous  les  tréfors  cachés  qu'on  découvre  dans 
les  anciennes  Habitations  des  Indiens,  qui  les  enfevelifloient  en  terre,  pour 
les  befoins  dont  ils  fe  croyoient  menacés  après  leur  mort ,  &  de  tous  ceux 
qui  fe  trouvent  dans  les  débris  des  anciens  Temples. 

Le  Droit,  qui  fe  nomme  Vacantes  en  Mojlrcncas^  donne  au  Roi  les  biens 
de  ceux  qui  meurent  fans  héritiers,  jufqu'au  quatrième  degré  du  Sang. 

EJîanca  de  Nayijcs  cfï  un  Droit  confidérable  fur  les  Cartes  à  jouer.  Il 
s'afferme  ;  &  dans  toutes  les  Indes  la  Couronne  en  tire  plus  de  deux  mil- 
lions d'écus. 

On  nomme  Almajarifaîgos y  d'AImajarife,  mot  Arabe,  qui  fignifie  Hom- 
me de  métier,  un  Droit  de  cinq  pour  cent,  fur  tous  les  Ouvrages  des  Ma- 
nufaélures  d'Efpagne,  qu'on  porte  aux  Indes.  Ces  mêmes  Ouvrages  paient 
deux  &  demi  pour  cent  defortie,  &  cinq  d'entrée,  autant  de  fois  qu'ils 
changent  de  heu  dans  les  Indes. 

Le  Droit  d'/kcria  efl:  un  droit  de  Marine,  dont  le  revenu  efl  employé  à 
l'équipement  des  Vaiffeaux  qui  portent  l'argent  du  Roi.  Il  n'a  rien  de  com- 
mun avec  un  autre  Droit,  qui  donne  au  Roi  la  cinquième  partie  de  toutes 
les  prifes  de  Mer. 

Le  Droit  à'Alcavala  ne  s'efl:  pas  établi  fans  difficulté.  Il  confifle  dans  un 
Impôt  fur  tout  ce  qui  fe  vend  &  s'acncte  dans  le  Pays ,  fur  tout  ce  qui  s'y 

échange. 


(n)  Gcmelli  Cirreri,  Tome  VI,  Qiap. 
I  &  2. 

(0)  L'Auteur,  dont  on  emprunte  ce  dé- 
tail, alTurc  qu'outre  ces  deux  droits,  la 
Couronne  prend  un  certain  efpace  dans  tou- 
tes les  Mines  qui  fe  découvrent;  foixante 
pcrcbies,  dons  celles  d'argent,  de  fer,  de 
cuivre ,  d'étain  ^  de  plomb ,  cinquante 
dans  celles  d'or,"  &  que  pour  celles  de  vit- 
argent,  comme  c'efl  un  métal  néceffaire  pour 
découvrir  les  autres ,  le  Roi  en  retient  eu- 


tiôrcmcnt  la  propriété,  mais  qu'il  laifTe  trente 
ans  de  jouiflhncc  à  celui  qui  les  a  découver- 
tes Mcmoire  publié  à  la  fin  du  fécond  To- 
me de  rililtoirc  des  Flibulliers ,  par  Oexme- 
lin,  fous  le  titre  d'Etabliffement  d'une  Cham- 
bre des  Comptes  dans  les  Indes  Occidentales  ; 
troijiême  Partie,  Chap.  i.  L'Editeur  alRire 
que  c'eft  la  traduiiion  d'un  Manufcrit  Ef- 
pagnol,  compofé  fur  des  Pièces  autentiqiies 
dont  il  a  vu  les  orijjinaux. 


ou  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,   Liv.  II. 


^:7 


oye  a 

le  com- 

toutes 

ans  un 
qui  s'y 
hange , 


échange,  fur  les  Teftamens  &  fur  les  Dons  mutucli,  enfin  fur  toutes  îcs 
Charges  qui  fe  vendent.  Il  a  coramenct'  par  deux  peur  cent  ;  cnfuite  on 
l'a  fait  monter  jufqu'à  quatre.  Dans  le  cours  d'une  année,  il  rapporte,  à 
la  Couronne,  environ  trois  cens  vingt-cinq  mille  ducats. 

Le  Droit  de  Comm[l]''S  regarde  tous  les  biens  qui  tombent  par  faifie  entre 
les  mains  du  Procureur  Fifcal,  tels  en  particulier  que  les  Marchandifes  de 
Contrebande.  Il  ell  défendu  de  recevoir  de  la  Chme,  des  Philippines,  du 
Pérou,  &c.  &  dy  envoyer,  des  Marchandifes  qui  n'aient  point  été  dé- 
clarées aux  CommiiVaires  du  Roi,  fous  peine  du  confifcation  du  Navire  & 
des  eifcts. 

Waifer  nous  apprend  qu'en  vertu  d'une  fomme  de  huit  mille  ducats  que 
la  Cuntrauicijn  do  Seville  paie  annuellement  au  Roi,  elle  a  fermé  la  cor- 
refpondance  des  Ports  du  Pérou  avec  ceux  de  la  Nouvelle  Efpagne;  ce  qui 
fait  perdre  à  la  Couronne  plus  de  trois  cens  mille  ducats,  qu'elle  tireroic 
des  Droits  royaux,  fi  la  liberté  du  Commerce  étoit  établie  entre  ces  deux 
Régions.  Elles  s'aideroient  mutuellement  d'un  grand  nombre  de  marchan* 
diles,  qui  abondent  dans  l'une,  &  qui  manquent  dans  l'autre  (p). 

Tribuios  vacos  ell  le  nom  d'un  Droit  royal  fur  tous  les  Offices  qui  dépen- 
dent de  la  Cour.  Il  confille  dans  la  jouïlTance  de  leurs  revenus,  julqu'à 
ce  qu'ils  foient  remplis. 

Le  Droit,  qui  fe  nomme  Tirc/w  de  Encommiendos ,  regarde  les  Offices  qui 
changent  de  Poflefleurs ,  par  réfignation.  Ceux  qui  font  choilis  pour  les 
remplir,  doivent  payer  au  Roi  le  tiers  de  leur  valeur. 

Le  ^anaconased  un  Droit  qui  ne  regarde  que  les  Indiens,  &  qui  les  oblige 
de  payer  leur  fortie  lorfqu'ils,  quittent  leurs  Bourgs  ou  leurs  Villages. 

Le  Hatemiras  tombe  aufli  fur  les  Indiens,  lorfque  par  guerre  ou  par  confif- 
cation ,  ils  font  chaires  de  leurs  Biens  propres.  Ce  Droit  leur  impofe  l'obli- 
gation de  fervir  à  gages;  &  de  travailler  tour  à-tour  aux  Mines  du  Roi. 

Les  Pulperias  font  des  Cabarets  où  l'on  donne  à  manger,  &  le  nombre  en 
cfl  règle  dans  toutes  les  Villes  &  dans  tous  les  Bourgs.  Ceux  qui  paflent  ce 
nombre  paient ,  au  Roi ,  un  Tribut  annuel  de  quarante  piaflres.  Dans  la 
multitude  de  Villes  &  de  Bourgs  dont  la  Nouvelle  Efpagne  eft  remplie,  ce 
Droit  rapporte  une  fort  grofie  fomme. 

Le  Droit  d'entrée,  pour  les  Nègres ,  n'efl:  pas  moins  confidérable.  Il  efl 
de  deux  piaflres  par  tête  ;  &  tous  les  ans ,  on  en  apporte  un  grand  nombre. 

La  Cour  avoit  entrepris  de  mettre  un  Impôt  fur  le  Pulqucy  breuvage  fa- 
vori des  Mexiquains ,  pour  lequel  il  paroît  que  les  Efpagnols  n'ont  pas  moins 
de  goût:  mais  on  a  dcja  rapporté,  d'après  Carreri,  qu'elle  s'efl  vue  comme 
forcée  d'abandonner  cette  entreprife.  Celle  d'affermer  les  Salines  ne  lui  a 
pas  réufli  plus  heureufement.  Les  Indiens  n'ont  point  d'argent  pour  ache- 
ter le  fel  :  d'ailleurs,  il  s'en  trouve  quantité  de  Mines  dans  les  Montagnes, 
dont  il  efl  imponible  de  leur  fermer  l'accès. 

On  lit ,  dans  Waffer ,  que  pendant  la  durée  de  l'Impôt ,  un  Particulier , 
nommé  François  de  Cordoue^  qui  en  avoit  l'adminiftration ,  devint  (i  riche 
en  peu  d'années,  qu'il  bâtit,  dans  la  rue  de  Saint  François,  une  Muifon, 

{p)  Voyages  de  Lionncl  WafTcr,  édition  de  Paris,  ^agi  253. 


|iK     I.A    NoiJ- 

TELLE     K  PA- 

CKR. 


678        DESCRIPTION    D  U    M  E  X  I  Q  U  E, 

DrîscmrTioN    qui  paffe  pour  la  plus  belle  de  Mexico,  &  qui  n'efl  connue  que  fous  le  nom 

VV.     LA     Non-       ■^        -  *    ■  "  '  •  ,.^  ,.-  - 

VliLI.E      liSl'A- 


CNiJ. 


I*rni.!ui;tions 
mi'o<:  ou  cu- 
ri'-'i-ilcï. 


de  Pukherrimo,  en  fous-entenclant  le  mot  d'Edifice,  parcequ'eile  doit  fon 
origine  au  Pulque  {q). 

On  ne  parle  point  du  Droit  de  la  Cruzade,  qui  fe  paie  avec  plus  de  zèle 
dans  la  Nouvelle  Efpagne  que  dans  tout  autre  lieu;  mais  on  en  nomme  un 
autre,  qui  regarde  aulTi  le  Saint  Siège,  &  qui  eft  fondé  de  même  fur  une 
Bulle  de  compofition,  par  laquelle  ceux  qui  pofledent,  fans  le  favoir,  quel- 
que partie  du  bien  d'autrui,  font  abfous  de  la  valeur  de  trente  ducats  pour 
douze  reaies.  Les  droits  de  Nejada  &  de  Media  annata,  qui  regardent  les 
Biens  ecclefiafliques ,  font  en  vigueur  dans  toute  l'Amérique  Efpagnole,  & 
forment,  fuivant  l'Auteur  de  ces  oblervations,  un  revenu  ù.  important  pour 
la  Couronne,  qu'elle  en  tire  plus  que  de  l'Efpagne  entière  (')•     . 

Pour  la  levée  de  tous  ces  Droits,  chaque  Province  a  des  Officiers  royaux, 
qui  ont  leurs  Subllituts ,  dans  les  lieux  éloignés  de  leur  demeure,  &  le  pou- 
voir continuel  de  faire  refpefter  leurs  ordres. 

Cette  vade  étendue  de  Pays  offre  aufli  quantité  de  produftions  utiles 
ou  curieufes.  Entre  les  minéraux,  on  vante  une  cfpcce  de  jafpe,  que  les 
IMexiquains  nomment  Esff?/,  de  couleur  d'herbe,  avec  quelques  petites  ta- 
ches de  fang,  dont  la  moindre  pièce  ,  liée  au  bras  ou  au  cou,  arrête  tou- 
tes les  dyflenteries.  Il  s'en  trouve  un  autre ,  qu'ils  appellent  Iztlia  yotli 
Qriatzalitztli  (r)  moucheté  de  blanc,  qui,  porté  dans  la  région  des  reins , 
appaifu  les  douleurs  néphrétiques,  diffout  la  gravelle,  &  triomphe  de  tou- 
tes fortes  d'obflrudlions.  Une  troifième  efpèce,  nommée  Tlilayàic,  de  cou- 
leur plus  obfcure  &  fans  taches,  mais  plus  pefante  ,  ne  demande  que  d'être 
appliquée  fur  le  nombril  pour  guérir  les  plus  douloureufes  coliques.  Enfin 
une  autre  pierre  noire,  pefante,  &  fort  unie,  palTe  pour  un  admirable  fpe- 
cifîque  contre  les  maladies  de  Y  utérus  (t). 

Dans  le  voifmage  de  Chiautla,  qui  appartient  à  la  Province  de  Mexique, 
c'cil-à-dire  au  milieu  duContiutnt,  on  voit  un  grand  puits  d'eau  falée,dont 
les  llabitans  font  d'excellent  fel  (v).  Les  Moncagnes'de  Contacomapa  & 
de  Guakepeque,  qui  font  à  peu  de  diflance ,  fourniffent  un  beau  jafpe  verd, 
qui  approche  du  porphyre. 

Dans  un  Bourg  nommé  Guadalupe^  on  voit  une  fource  d'eau  très  froide, 
qui  gucrit  de  la  fièvre  ceux  qui  en  boivent,  &  qui  ne  fort  jamais  de  fon  lit, 
quoiqu'elle  bouillonne  continuellement  plus  haut  que  {'qs  bords  (.v). 

A  Querctaro,dans  le  Canton  deXilotepeque,  on  trouve  une  fource  d'eau 
chaude  ,  qui  ell  capable  de  brûler  en  fortant  de  terre,  &  qui  étant  bue  tiède 
par  les  Belliaux,  fert  merveilleufement  à  les  engraiffer.  Une  autre  fource, 
du  même  Canton ,  coule  en  abondance  pendant  quatre  ans ,  &  tarit  alter- 
nativement pendant  quatre  autres  années.  11'  doit  paroître  encore  plus  fin- 
gulier  que  pendant  qu'elle  coule,  elle  n'efl  jimais  plus  abondante  que  dans 
les  tems  de  fe^cherellc  {y). 

Proche 


(■?")  WafTcr,  ihid   pnge  36^. 

(f)  OLxmcIin,  uhij'ujirà,  page  411. 

is)  CMl-à-dire,  Emcraude  obfcure, 

{ t  )  Mouardcs  ,    dans  les    Exotiques   de 


Cliifuis,  ubi  fuprà. 
(V  ,  I,aet.  page  233. 
(x)  WatVcr,  ubi  Jupnï ,  pnge  365. 
[y)  Laet,  y.-.'Z^  2  3iJ. 


le  nom 
Dit  fon 

de  zèle 
ime  un 
ur  une 
•,  quel- 
les pour 
lent  les 
lole,  & 
inc  pour 

royaux , 
:  le  pou- 
ls utiles 
,  que  les 
stites  ta- 
rête  tou- 
'.tlia  yofU 
les  reins, 
e  de  tou- 
,  de  cou- 
[ue  d'être 
s.     Enfin 
rable  fpe- 

klexique, 
ée,dont 

Dmapa  & 
pe  verd , 

s  froide, 
c  fon  lit , 

irce  d'eau 
:)ue  tiède 
e  fource , 
rit  al  ter- 
plus  fin- 
que  dans 

Proche 


36S. 


v;:li.e 

GNC. 


Caverne 
furpronante. 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Lxv.  II.       67}} 

Proche  de  l'ancien  Volcan  de  Nixapa,  dans  la  Province  de  Guatimala,  DescRirrioN 
un  torrent  d'excellente  eau,  qui  defcend  delà  Montagne  même  du  Volcan,  J^^^^^  f^^' 
coule  régulièrement  pendant  la  nuit,  &  celTe  de  couler  pendant  le  jour. 
Un  autre,  dans  le  Canton  de  Chuleteque,  coule  chaque  jour  jufqu'à  midi , 
&  feche  enfuite  jufqu'au  foir  (2). 

Il  fe  trouve  des  Mouches,  entre  Mexico  &  le  Port  d'Acapulco,  dont  la 
piquûre  eft  fi  dangereufe ,  qu'elle  caufe  quelquefois  la  mort  (a). 

Dans  le  Canton  de  Gualleque ,  les  Habitans  font  affligés  d'une  fàcheufe 
maladie,  caufée  par  un  grand  nombre  de  vers,  qui  commencent  par  fe  for- 
mer dans  leurs  lèvres.  Ils  n'y  connoiifent  point  d'autre  remède ,  que  de 
porter  continuellement  du  fel  dans  la  bouche  (ô). 

Les  eaux  d'un  Fleuve  nommé  Zabuatl^  dans  la  Province  de  Tlafcala, 
donnent  la  galle  à  ceux  qui  s'y  baignent;  on. y  trouve  peu  de  Poiflbn  (c). 

Entre  les  Villes  de  Cuertlavaca  &  de  Tequîcijîepcque ^  on  voit,  au  pie 
d'une  haute  Montagne,  une  Caverne  fort  renommée.  Un  Dominiquain 
Efpagnol ,  ayant  eu  la  curiofité  de  la  vifiter  fous  la  conduite  de  quelques 
Indiens,  y  defcendit  par  une  ouverture  fort  étroite,  &  trouva  d'abord  un 
grand  efpace  quarré,  d'environ  cinquante  pas,  qui  contient  plufieurs  puits, 
avec  des  degrés  pour  y  defcendre.  De- là,  un  chemin  fort  {tortueux  le  con- 
duifit  fous  terre  dans  un  autre  efpace  beaucoup  plus  grand  que  le  premier , 
au  milieu  duquel  fort  impétueufement  une  fource  d'eau  vive ,  qui  forme  ' 
un  ruiffeau.  Après  l'avoir  fuivi  plus  d'une  heure,  la  crainte  de  s'égarer, 
dam  un  lieu  dont  il  ne  voyoit  pas  le  terme,  le  fit  retourner  fur  fes  pas, 
avec  le  fecours  d'une  ficelle  dont  il  avoit  attaché  le  bout  à  l'ouverture,  6c 
qui  commençoit  à  manquer  de  longueur  (rf). 

L' iTucATAN  jouit  d'un  air  fi  fain  dans  les  Montagnes ,  qu'on  y  a  trouve  Longues  vies. 
des  Vieillards  de  cent  quarante  ans.  Un  Milïïonnaire  Francifcain  a  rendu 
témoignage  qu'en  prêchant  l'Evangile  aux  Montagnards,  il  avoit  vu  parmi 
eux  un  Homme,  qui ,  de  fon  propre  aveu  &  fur  les  informations  de  fes  voi- 
fms,  n'avoit  pas  vécu  moins  de  trois  fiécles.  Il  avoit  le  corps  fi  courbé, 
que  fes  genoux  touchoient  à  fa  tête,  &  la  pesa  fi  dure,  qu'on  l'auroit  cru 
couvert  d'une  écaille  (e). 

Dans  la  Province  de  Vera-paz,  proche  d'une  Ville  EfpagnQle  qui  fe  nom- 
me Saint-Augujlin  y  on  voit  entre  deux  Montagnes  une  Caverne  formée 
dans  le  Roc,  aflcz  fpacieufe  pour  contenir  un  grand  nombre  d'Hommes, 
dans  laquelle  il  fort  continuellement,  de  di  ver  fes  fentes,  une  liqueur  qui  fe 
change  bientôt  en  pierre  fort  dure,  &  de  la  blancheur  de  l'albâtre.  Les 
divers  obfl:acles,  que  cette  liqueur  trouve  à  fon  cours,  lui  font  prendre  dif- 
-férentes  formes  dans  fa  tranfmutation.  On  trouve,  à  peu  de  diftance,  des 
Colomnes,  <St  jufqu'à  des  Statues,  qui  paroiflent  un  fimple  ouvrage  de  la 
"nature  (/).    Le  froid  eil  fi  vif,  dans  l'intérieur  de  la  Caverne,  que  l'Hom- 


r^trificaliolis 
d'cuu. 


(a)  WafFer,  nhi  fiiprà,  page  334. 
(a)  Lact,  uli  fuprà. 
(_i)  Journal  de  Jean  Ciiilton,   en   1572, 
-d^ins  Iii  CoUcftion  'Ll'Iinckluyc. 
Ce)  Lacf,  page  251  c\  252: 

ïrilL  l'art. 


(d)  Ibid.  page  261. 

(e)  licirciu,  Dec.  2. 

fil-'  2:3- 
(/)  Ibid.  ingc  318. 

R  r  r  r 


me 


Liv.  3.  &  Lact  [.a. 


68o 


DESCRIPTION    DU    MEXIQUE, 


DtSCRIPTION 
CE  lA  NOU. 
ViiLLE     Esl'A- 


Eau  de 
Goltb  dolce. 


Celobre 
Poudre. 


Orgues  de 


bois. 


Illcs  notantes. 


me  le  plus  robufte  n'y  peux  réfifler  long-tems.  On  y  entend  d'ailleurs  un 
bruit  confus  d'eaùx,  qui  feniblent  couler  à  l'entour,  &  qui  fortant  dans  les 
lieux  voifins,  par  quantité  de  torrens ,  fe  précipitent  d'a'ûord  au  fond  d'un 
abyme,  où  elles  forment  une  forte  de  Lac,  &  s'échappent  enfuite  par  un 
Canal,  qu'elles  fe  font  ouvert  d'elles-mêmes,  aflez  grand  tout-d'ûn  coup 
pour  recevoir  toutes  fortes  de  Barques. 

On  admire  que  l'eau  de  Golfo  dolce ,  qui  touche  au  Golfe  de  Honduras 
foie  parfaitement  douce,  comme  on  doit  en  juger  par  fon  nom.  Cette  fin- 
gularité  ne  peut  venir  que  de  la  multitude  &  de  l'impétuofité  des  torrens, 
qui  forment  ce  Golfe  en  fortant  des  Montagnes,  &  qui  ont  aflez  de  force 
pour  repoufler  conflamment  l'eau  iàlée.  Quelques  Etrangers  fe  font  flattés 
de  pouvoir  pénétrer  par  cette  voie  jufqu'à  la  Mer  du  Sud.  Deux  Anglois, 
Antoine  Shcrlcy  &  Guillaume  Parker^  en  avoient  formé  l'efpérance;  mais, 
s'étant  avancés  l'efpace  de  *Tente  miles  avec  quelques  Bâtimens  légers ,  ils 
apprirent  des  Indiens  de  la  Côte,  qu'il  ne  leur  refl:oit  pas  moins  de  vingt 
lieues  de  terre,  &  que  la  route  étoit  coupée  par  des  Montagnes  inaccem- 
bles;  fans  compter  que  la  mauvaife  qualité  de  l'air,  &  les  attaques  des  plus 
cruelles  Mouches  du  monde,  les  forcèrent  d'abandonner  leur  réfolution  {g). 

Non-seulement  c'ell  à  Guaxaca  que  fe  fa>.t  le  meilleur  chocolat  de  toutes 
les  Indes,  mais  on  y  compofe  une  excellente  poudre,  nommée  PolviUa, 
qui  efl:  la  plus  eXquife  de  toutes  les  odeurs.  Elle  efl;  fi  recherchée,  &  par 
conféquent  fi  chère,  que  la  livre  en  coûte  autant  que  fix  de  chocolat.  II 
s'en  fait  un  débit  furprenant ,  dans  toutes  Içs  Provinces  du  Mexique ,  au 
Pérou ,  &  même  en  Éfpagne.  Il  n'y  a  que  les  Religieufes  de  Sainte  Cathe- 
rine de  Guaxaca,  qui  en  aient  la  compofition;  celles  des  autres Monafl:eres 
de  la  Ville  ne  peuvent  y  parvenir  (h). 

A  Pafcaroy  Ville  éloignée  d'environ  huit  lieues  du  Port  d'Acapulco,  on 
admire  des  Orgues  de  bois,  compofées  par  un  habile  Indien,  qui  rendent 
des  ibns  aufli  harmonieux  que  les  meilleures  Orgues  de  l'Europe;  la  curiofité 
porte  tous  ceux  qui  arrivent  dans  la  Nouvelle  Efpagne  à  les  vifiter. 

On  a  parlé  de  quelques  petites  Ifles  flotantes ,  fur  le  Lac  de  Mexico  j  mais 
elles  n'approchent  point  de  celles  d'un  autre  Lac,  queWafFer  nomme  Mexi- 
calfingo ,  dont  l'eau  efl:  fi  favorable  à  la  végétation ,  que  les  Indiens  l'ont 
prefque  changé  en  jardins.  Cefpeftacle,  dit-il,  caufe  de  l'admiration.  Ils 
étendent,  fur  trois'ou  quatre  grofles  cordes,  un  grand  nombre  d'ofîers,  les 
uns  fur  les  autres ,  de  la  longueur  de  foixante  pies  en  quarré ,  &  d'un  demi- 
pié  de  hauteur;  ils  attachent  le  bout  des  cordes  aux  arbres  qui  bordent  hz 
Lac,  &coi!vrent  cette  machine,  degafon,  fur  lequel  ils  répandent  de  la 
terre  &  du  fumier  :  enfuite  ils  y  fèment  des  fleurs  &  des  légumes ,  qui  croif- 
fent  dans  une  finguliere  abondance.  De  tant  de  matières  différentes,  il  le 
forme  avec  le  tems  une  mafle  épaifle  &  folide,  fur  laquelle  ils  fe  conflrui- 
fent  des  maifons,  accompagnées  de  petits  bâtimens  pour  la  Volaille,  &  de 
colombiers.  Il  arrive  quelquefois  que  le  Maître  d'une  Ifle,  étant  allé  ven- 
dre fes  denrées  dans  fon  Canot ,  avec  fa  Femme  &  fes  Enfans ,  ne  retrouve 
plus,  à  fon  retour,  fon  Habitation  dans  le  lieu  où  il  l'avoit  laiflTée,  parce- 

que 
(5)  7W.  page  330.  (/;)  VVaffer ,  page  327. 


ir»  un 
ins  les 
i  d'un 
)ar  un 
1  coup 

nduras 
tte  fin- 
)rrens, 
;  force 
flattés 
nglois, 
mais, 
2rs,  ils 
e  vingt 
acceffi- 
les  plus 

3n(g). 
;  toutes 
?olvWa , 
&  par 
)lat.  Il 
^ue,  au 
;  Cathe- 
nafleres 

ko,  on 
rendent 
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:o  j  mais 
le  Mexi- 
ns  l'ont 
ion.  Ils 
îers ,  les 
n  demi- 
dent  le 
it  de  la 
.11  croif- 

,  il  fe 
onllrui- 
e ,  &  de 
lie  ven- 
etrouve 

parce- 
que 


;s 


OU  DE  LA  NOUVELLE  ESPAGNE,  Liv.  IL        (58r 

que  les  cordages  qui  l'arrêtoient  fe  font  rompus  de  pourriture,  &  l'ont  aban- 
donnée à  r-inconftance  du  vent.  Alors  il  demande  à  Tes  voifins  s'ils  n'ont 
pas  vu  pafler  fon  Ifle;  &  la  retrouvant  à  force  d'informations,  il  la  remar- 
que avec  de  nouvelles  cordes  (i). 

Entre  les  Volcans ,  qui  font  en  fi  grand  nombre  dans  la  Nouvelle  Efpa- 
gne,  &dont  les  éruptions  caufent  tant  de  ravages,  Waffer  fait  admirer 
celui  du  Lac  de  Nicaragua,  qui  étant  fitué  dajs  une  Ifle,  au  milieu  du  Lac, 
paroît  vomir  fes  flammes  du  fein  des  eaux  (k).  Le  même  Ecrivain  donne 
quatre- vingt  lieues  de  tour  à  ce  Lac  (/),  &  Laet  cent  trente  miles  (m). 
Quoique  l'eau  en  foit  douce,  dans  toute  fon  étendue,  il  a  fon  flu-^  &  fon 
reflux ,  comme  la  Mer.  On  fait  que  fa  tête  n'efl:  féparée  de  la  Mer  "du  Sud, 
que  par  trois  ou  quatre  lieues  de  terre  (n)  ;  mais  aucun  Voyageur  n'a  mar- 
qué la  longueur  du  Defaguador^  qui  efl;  le  Canal  par  lequel  il  fe  jette  dans 
celle  du  Nord ,  &  qui  fert  au  Commerce  de  la  Province  avec  Carrhagene  & 
Porto-bello.  On  i^  repréfente  long  &  fort  étroit.  Alfonfe  Carera  &Dida- 
ce  Machica  de  Suafo  font  les  premiers  Efpagnols  qui  ont  découvert  cette 
voie  de  communication ,  &  qui  en  ont  furmonté  les  dangers  (o).  Allez 
proche  de  Grenade,  féconde  Ville  de  la  même  Province,  on  trouve  un  au- 
tre Lac,  dont  l'ancien  nom  efl:  Lîndiri^  &  qui  fe  joint  au  grand,  par  un  Ca- 
nal ,  à  fept  lieues  de  cette  Ville.  Sur  fes  bords  s'élève  une  Montagne ,  nom- 
mée Mumbacho,  à  la  fertilité  de  laquelle  il  ne  manque  rien  pour  les  arbres 
&  les  fruits ,  mais  dont  le  fommet  n'en  efl:  pas  moins  un  épouvantable  Vol- 
can. On  a  décrit,  dans  un  autre  lieu,  ceux  de  Tiafcala  &  de  Saint- Jac- 
ques de  Guatimala  (p).  Les  autres  n'ont  rien  de  plus  remarquable  que  leur 
nombre. 

Ce  mélange  de  fingularités ,  dont  la  plupart  ne  font  connues  qu'impar- 
faitement par  les  Obfervations  des  Etrangers,  doit  augmenter  le  regret  de 
voir  tant  d'utiles  cônnoiffances  abfolument  négligées  des  Efpagnols ,  & 
comme  perdues,  entre  leurs  mains,  pour  le  refl;e  de  l'Univers.  C'efl:  une 
réflexion  qui  renaîtra  fouvent  dans  la  fuite  de  cet  Ouvrage ,  fi  mes  forces 
répondent  à  l'intention  que  j'ai  de  l'achever. 


DCSCBIPTIOM 

DE  LA  Nou- 
velle  Espa- 
gne. 

Volcan*, 


(  i  )  Waffer ,  pages  397  &  paécédentcs. 
(  k  )  Waffer ,  ibid.  page  388. 
(l)  Ihid.  page  387. 
{vi)  Laet,  page  342. 


(«)  Ibid. 
(0)  Ibid. 
Ip  )  Voyez  cideflus  pages  313  &  495. 


En  de  la  Dix  •huitième  Partie. 


<^«H>Am^^ 


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TABLE 


TABLE 


DES 


iiV      t»>  » 


TITRES    ET    PARAGRAPHES 

Contenus    dans    ce  Volume. 


Avant-Propos, Pag.     IIj 

Rema  RQ.UES  de  M.  Bellin,  fur  les  Cartes  Géographiques  de  l'Amérique ,       XVJ 


Premiers  Voyages,  Découvertes,  et  Etablis»; 
'   semens  des  européens  en  amériq.ue. 


I 


LIVRE     F  R  I^  M  I  E  R. 


/ 


NTRODUCTION,      .      .     .       Pag.    I 

Parag.  I.  Premier  Koyage  de  Cbrijlopbe 
Colombt 9 

Parag.  II.  Second  P^oyage  de  Chrijbopbe 
Colomb, 38 

Parag.  III.  Troijîème  Voyage  de  Christo- 
phe Colomb, 73 

Parag.  IV.  î^oyage  d'Alfonfe  d'Ojeda, 
àe  Jean  de  la  Cofa,  Q'  d'Americ  Vef- 
puce, 89 

Parag.  V.  Voyage  d'Alfonfe  Nino,  0 
des  deux  Guerres, g6 

Parag.  \1.  Voyage  d'Tanes  Pinçon,  97 

Parag.  VII.  Voyage  de  Diego  de  Lopez, 

99 

Parag.  VIII.  Voyage  d'Alvarez  de  Ca- 
brai,       100 

Parag.  IX.  Voyage  de  Gafpard  de  Corte 
Real, ICI 

Parag.  X.  Voyage  de  Jean  Cabot  6f  de 
fes  trois  Fils, 102 

Parag.  XI.  Suite  du  troijîème  Voyage  de 
Cbrijtopbe  Colovib,      ....     103 

Parag.  XII.  Quatrième  Voyage  de  Cbrij- 
topbe Colomb 116 

Etat  6?  Progrès  des  Découvertes ,.  après 
la  mort  de  Cbrijlopbe  Colomb ,     .    147 

Parag.  I.  Voyage  de  Diaz  de  Solis  6f  ' 
dkTanes  Pinçon, 148 


Parag.  II.  Voyage  d'Ocampo  autour  de 
Vljle  de  Cuba , 149 

Parag.  III.  Voyage  de  l'EtabliJfement 
de  Jean  Ponce  à  Boriquen ,  ou  Porto- 
rie, 150 

Voyage  d'Alfonfe  d'Ojeda  fif  de  Ni- 
cuejja.  Découverte  du  Darien  S*  d'au- 
tres Pays, IJ7 

Découvertes  qui  conduifent  à  celles  du 
Pérou  fous  Nugnez  Balboa,      .     171 

Progrès  des  Cajiillans  dans  les-  IJles  de  la 
Jamdique,  l'Efpagnole  6f  Cuba,    172 

Voyage  de  Ponce  de  Léon,  Gf  Découver- 
te de  la  Floride, ^78 

Suite  des  Affaires  des  Indes,  èf  Décou- 
verte de  la  Mer  du  Sud,  par  Nugnez 
Balboa,      .......     181 

Dernier  Voyage  de  Jean  Diaz  de  Solis , 
(^  Découvertes  au  Sud,      .      .    209 

Defcription  de  l'Ifîe  Ejpagnole ,  vulgai- 
rement Saint  Domingue,     .      .    21T 

Voyage  d'Hernandez  de  Cordoiie,  ^  Dé- 
couv'tu  de  l'Yucatan,       .    .    .    247 

Voyag".  de  Jean  de  Grijalva,  £f  pre- 
mière Découverte  de  la  Nouvelle  Ef- 
pagne,      .     .......    251 

Voyage  de  lernand  Cortcz ,  Découverte 
fip  Conquête  du  Mexique,      .    .    257 


LIVRE. 


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itour  di 

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ijfement 

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.     150 

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1  .    157 
elles  du 

les  de  la 

.     172 
écouver- 

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Décou- 
Nugnez 
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Solis , 

,    209 

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.      211 

.    247 

S  pre- 

elle  Ef- 

251 

couverte 

257 


TABLE  DES  TITRES  ET  PARAGRAPHES. 
*  L  I  r  R   E     SECOND. 

Description,  du  Mexique  ou  delà  Nouvelle  Efpagne, 437 

VkSiKc.L  Audience  de  Mexico ^  Pag.  439  Sacrifices,  ^  Fêtes  des  Mexiquains, 

Parag.  II.    Nouvelle  forme  de  Mexico ,  557 

après  la  Conquête  y      .      ...    451  Figure ,  Habillement ,   Cara^ère ,  •  Uja- 

Parag.  III.    Jjefcription  de  Mexico,  en  ses,    Mœurs,   Arts  6?  Langues  des 

1625 453         Mexiquains, C75 

Parag.  IV.  Defcription  de  Mexico,  en  Climat,  (-''ents,  Marées,  Arbres, Plan- 

1678, 45<5  tes.  Fruits,  Fleurs,  Animaux,  Mi' 

Parag.  V.   Defcription   de  Mexico,   en  néraux,   fif  autres  Productions  de  la 

1697, '460  Nouvelle  Efpagne,      .... 

Parag.  VI.   Audience   de   Guadalajara,  Parag.  I.    Climat,  f^ents  fif  Marées, 

494  <5o8 

Parag.  VII.  Audience  de  Guatimala,  499     Parag.  II.  Arbres,  Plantes,  Fruiis  tf 

(5i4 
646 


Supplément  pour  la  Province  de  Guaxa-        Fleurs 


ca. 


540    Parag.  lîl.  Animaux, 


Origine ,  Monarchie ,  Chronologie ,  Cour  Parag.  IV.    Mines,    Métaux,   Pierres 

Impériale,  Revenus  de  l'Empire,  6?  précieufes ,  6?  autres  Productions  ou 

Gouvernement  des  anciens  Mtxiquains,  Singularités  de  la  Nouvelle  Efpagne , 

541  669 

Religion,  Divinité  s, Temples,  Prêtres, 

Fin  de  la  Table  des   Titres  et  Paragraphe*,    -- 


De  rimprimerie  de  Jacques  van  Karnebeek  àkHayc. 


IVRE 


Rrrr  3 


AVIS 


AVIS  AU  RELIEUR, 

'-'■'"'  POUR 

PLACER  LES  CARTES  ET   LES  FIGURES 

DU  ,  .  ..V   ,      ..  ,., 

DIX-HUITIÉME  VOLUME. 


t 

#■ 


c 


_  ART E  du  Golfe  du  Mexique,        .        ...        Pag, 
■~  Premiers  Indiens  qui  s'offrent  à  Chriftophe  Colomb, 

Carte  de  flfle  d'Hayti,  aujourd'hui  l'Efpagnole  ou  l'Ifle  de  Sairic 
Domingue, 
-  Carte  de  Paria ,  Comana  &  Caracas , 
Ville  de  Saint  Domingue, 

*  Efcarbot  Rhinocéros, 
.  •  '  Plan  du  Port  d'Acapulco , 
.."*  Plan  de  Port  Royal,  &  des  Environs, 

'  Roue  Chronologique  des  Mexiquains, 
Amufemens  de  l'Empereur  après  fon  Diner 
Cimetière  des  Sacrifices, 

*  Sacrificec  d«o  Captifs .  à  l'honneur  de  Vitzilipuztlî, 
Annales  de  l'Empire,      .        .    Fig.    I.p 

^  Produ6lions  naturelles  &  Tribut ,  Fig.  II.  C 
Oeconomie  Mexiquaine,        .      Fig.  III.  j 
-  Zapota  ou  Sapotier, 

*  Maghey  Aloé,  .  ... 
_  Aguacate,  Granadille,  &c.    . 

*  Nouvelles  Figures,  qui  ne  font  point  dans  r  Edition  de  Paris. 


Ce  Dix-Huitième  Volume  contient 

Flor.     Sols. 
89  Feuilles  y  compris  le  Titre  Rouge  à  i  fol,  font  4-9-0 
18  Figures  .&  Cartes  Géographiques ,  à  3  fols,  font   2    -14-0 
I  Vignette,        .    ,     .     ^  .-.  ;     .  ;     ,     ^i^/    .     0-2-0 


9  w^ 

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^24  t.. 

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Et  pour, le  Grand  Papier.    .      .     . 

Selon  les  Conditions  de  Soufcription ,  ceux  qui  ont  fou- 
fcrit  ne  payeront  : 

Pour  le  Petit  Papier  que      .     .     . 
Pour  h  Grand  Papier  que     .     .    . 

Fin  du  Dix-Huitième  Volume, 


7 
10 


5 
18 


5  ■  19 
8  -  19 


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