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University of Ottawa
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Y'f'S.
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D'ARCHÉOLOGIE
L.-A. FK,OVIlSrOE] D ' O K, A. nST
FONDEE EN 1878
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TOME XXII- — 19 OS
O R AN
Imprimerie Typographique et Lithographique L. FOUQ.UE
Rue Thuillier, 4 fPlacr KléberJ
1 90 2
621877
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE k D'ARCHÉOLOGIE
PROVINCE D'ORAN
TOME XXII \ — 1902
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Liste générale des Membres de la Société ... 1
Sociétés correspondantes . . , 9
Paul Vacher. — Notes météorologiques 10
Capitaine Devaux. — Zousfana, Guir, Saoura 12
Assemblée générale du 4 mai 1902 :
1° Rapport du Secrétaire général sur les travaux de la
Société pendant l'année 1901-1902 105
2» Rapport du Trésorier 110
3' Allocution du Président 114
4° Rapport sur le Concours ouvert en 1901 par la Société
de Géographie et d'Archéologie d'Oran 115
5° Renouvellement annuel d'un tiers des membriis du
Comité et remplacement des membres démissionnaires
ou ayant quitté Oran 116
6° Élection du Bureau 116
Concours ouvert en 1902 par la Société de Géographie et
d'Archéologie d'Oran 117
Congrès national des Sociétés françaises de Géographie.
— Oran 1902 :
1° Liste des vœux maintenus par le Comité du Congrès. . . 118
2° Avis relatif au Compte-rendu des travaux du Congrès.. . 120
A. Guillaume. — Observations météorologiques de Santa-
Cruz 121, 534
TABLE DES MATIERES
Page
A. GviLLAUME. — Station météorologique de Santa-Cruz :
Exposé sommaire des résultats obtenus
du 1" décembre au 1" juin 1902 122
du 1" juin au 1" décembre 1902 535
René-Leclerc. — Monographie géographique et historique
lie la commune mixte de la Mina (avec
4 cartes) 125
D' Carton. — Sculpture sur un rocher de Bulla Rcgia
(avec 1 dessin) 237
D' Gasser . — Chronique géographi(|ue 241
BouTY. — Notes relatives aux eaux minérales d'Hammam-
Selama , 248
Fabre. — Monographie de la commune indigène de Tiaret-
Aflou (avec carte et dessin) 255
Camille Fidel. — Les intérêts économiques de la France nu
Maroc. — Le commerce du Maroc en
1900 [à suivre) 315, 451
A. Aubert. — Notes sur l'Algérie économique. — Les
industries algériennes 403
L. Jacquot. — Un nouveau compas de mer enregistreur. . . . 430
Abbé F.\BRE — Chronique archéologique 432
D' RoMARY. — Notice sur la montagne de sel du Djebel-
Amour 527
Ouvrages offerts h la Société en 1902 538
BIBLIOGRAPHIE
Louis Gentil. — Nécrologie 97
Pène-Siefert. — Fez, par Auguste Mouliéra."»; 101
F. DoUiMERGUE. — Notes sur l'histoire naturelle du Sahara
Algérien, par MM. Delluc, Romary et
Lahache 2.50
E. Fi.AHAULT. — Les monuments anti<iues de l'Algérie, par
Stéphane Gsell ■. 446
La Vie coloniale (Revue de la colonisation, du commerce et
de l'industrie) 541
LISTE mîUil des MEMBRES de la SOCIÉTÉ
au 1" Janvier 1902
PRESIDENT HONORAIRE
M. MûNBRUx, Avocat a Oi-an.
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL HONORAIRE
M. BouTY, Contrôleur principal des Mines, en retraite, a Oran.
MM.
MEMBRES D'HONNEUR
Le Gouverneur Général de l'Algérie.
Le Général Commandant la Division d"Ora_n.
Le Préfet d'Oran.
De Brazza, ancien Gouverneur du Congo.
A. Héron de Villefosse, Membre de l'Institut.
René Gagnât, Membre de l'Institut.
Le Conseil Génér.al du Département d'Oran.
Le L'-Colonel Marchand, Explorateur.
MM. Elisée Reclus, Géographe '
à Bruxelles.
MEMBRES HONORAIRES
MM. MousTiER, Explorateur.
Xanssen, Explorateur.
Jules Verne, à Amiens.
BrNGER, Explorateur.
Caron, id.
Foureau, id.
MONTEIL, id.
Trivier,
id.
Verminck,
id.
ZWEIFEL,
id.
MEMBRES HONORAIRES CORRESPONDANTS
MM. René Basset, Directeur de l'École supérieure des Lettres
d'Alger.
Augustin Bernard, Professeur à l'École supérieure des
Lettres d'Alger.
C.vRTON, Médecin-Major au 19' Régiment de Chasseurs.
A.-L. Delattre (des Pères Blancs), Correspondant de l'Ins-
titut, de Carthage.
2 LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ
MM. Paul Gauckleu, Directeur du Service des Antiquités et
Beaux-Arts de la Tunisie.
Gentil, chargé de conférences de Pétrographie ù la chaire
de Géologie du Collège de France.
Lacroix, Chef de Bataillon, Chef du Service des Affaires
indigènes au Gouvernement Général de l'Algérie.
Gauthiot, Secrétaire général de la Société de Géographie
Commerciale de Paris.
Mesplé, Professeur à l'Ecole supérieure des Lettres d'Alger,
Président de la Société do Géographie d'Alger.
COMPOSITION DU BUREAU
MM. Derrien, Président.
MouLiÉRAS, 1" Vice-Président (Géographie).
GiLLOT, 2' Vice-Président (Archéologie).
Flahal'lt, Secrétaire général.
PocK, Trésorier.
BoissiN, Bibliothécaire-Archiviste.
Casser, Secrétaire de la Commission de Géographie.
Bel, Edgar, Adjoint de la Commission de Géographie.
Flahault, Secrétaire de la Commission d'Archéologie.
KocH, Adjoint de la Commission d'Archéologie.
MEMBRES OU COMITE ADMINISTRATIF
MM. Xessleu
POUSSEUR.
MM. Barthélémy,
doumergl'e.
Frette.
GOYT.
Hadj-H.vssan.
Jllli.\n', Charles.
Renucci.
RoccHis.txi.
Ta RT AVEZ.
MEMBRES PERPETUELS
ayant versé une somme de loo trancs, conformément à l'art, 4 des Statuts
MM Cheylard, Commandant en retraite, à Mustapha
Dagne, Architecte, à Oran.
Uelinon, Directeur du Gaz, à Barcelone.
Derrien, Lieutenant-Colonel en retraite, à Oran, Corres-
pondant du Ministre de l'Instruction publique.
Getten, Directeur général de la C" française des Chemins
de fer de l'Indo-Ctiine et de Yunam, à Paris.
Goyt, Géomètre principal, à Oran.
Marchand, Chef d'Escadron en retraite, à Tunis
PomssoT, Propriétaire à Paris.
LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES DE LA SOCIETE 6
MEMBRES TITULAIRES
MM. Ali Mustapha Mahi-Eddin, Interprète judiciaire, à Oraii.
Allard, Ingénieur, à Oran.
Alliot, Directeur de l'Hôpital C;ivil d'Oran.
Amillac, Médecin-Dentiste, à Oran.
Amoros, Négociant, à Oran.
Ancey, Administrateur, à Port-Gueydon.
Antoine, Instituteur à l'Ecole Karguentah, ù Oran.
Antona, Joseph, Géomètre, ù RoseviUe (Oran).
Aron, Avocat, à Oran.
AuBERT, Alphonse, Directeur de lu Maison Billard et
Cuzin, à Oran.
Ayasse, Médecin, à Aïn-Témouchent.
Aymé, Conducteur des Ponts et Chaussées, à Tlemcen.
AzAN, Lieutenant au 2' Régiment de Zouaves.
B-A-NTON (Abbé), Aumônier du Lycée d'Oran.
Barthélémy, Pharmacien, à Oran.
Bartholomé, Directeur des Tramways électriques, à Oran.
Bassompierre, Médecin-Major de 1" classe à l'Hôpital
militaire d'Oran.
Bastide, Maire de Bel-Abbès.
Battesti, Capitaii:e, chef du Bureau arabe, à Oran.
Bel, Alfred, Professeur ù la Médersa de Tlemcen.
Bel, Edgar, Professeur au Lycée d'Oran, Conservateur-
adjoint du Musée d'Oran
Ben Daoud, Colonel en retraite, ù Oran.
Ben Saad, Etudiant en Pharmacie, à Oran.
Bernauer, Médecin, à Oran.
Beyna, Directeur de la Compagnie Algérienne, à Tunis.
Bibliothèque de la Mosquée, rue d'Arzeu, à Oran.
Bister, Interprète judiciaire, à Relizane.
Blanxbet, Avocat, à Tanger.
Blondelle, Prosper, Négociant, au Sig.
Boissin, Directeur de l'Ecole Sédiman, ù Oran. ■
Bonneville, Avocat, à Oran,
Bossi, Curé, à Saint-Lucien.
Bouchard, Pharmacien, à Oran.
Boue, Entrepreneur de peinture, à Oran.
Bougnol, Notaire, à Tlemcen.
BouTY, Contrôleur principal des Mines en retraite, à Oran.
Brunel, Géomètre principal, à Mustapha.
Brunie, Pierre, Ingénieur des Arts et Manufactures, à Oran.
Burgart, Constructeur-Mécanicien, à Oran.
Cabanel, Chef de Gare, à Oran.
Cabanel, Huissier^ à Mostaganem.
4 LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES DE LV SOCIETE
MM. Cabrol, Propriétaire, à Oran.
Caibol, Photographe, a Oran.
Canal, Ingénieur, Chef du Service des Bâtiments de la
Maiine, à Ferryville (Tunisie).
C.vRDONi, Chancelier du Consulat d'Espagne, à Oran.
Carli, Représentant de Commerce, à Oran.
Carr.vfang, Conseiller général, à Saïda.
Castaxiè, Ingénieur en chef des Mines do Beni-Saf, !i Oran.
Cast.ixié, fils, Armateur, à Oran.
Cayla, Emile, Ingénieur, y Oran.
Champion-, Victor, Administrateur-adjoint, à Montagnac.
Chan'cogne. Directeur du Comptoir d'Escompte, à Mascara.
Chandelier, Marius, Propriétaire du Café Riche, à Oran.
Chatrousse, Administrateur des Atïaires indigènes à la
Préfecture d'Oran.
Cholet, Directeur de la C" l'Ouest-Algérien, à Oran.
CoHEN-SoLAL, Profosscur d'Arabe au Lycée d'Oran.
Conseil Municipal de Bel-Abbès.
Conseil Municip.a.l de Perrégaux. ,
Conseil Municipal de Reliz.\ne.
Conseil Municipal de Saint-Denis-du-Sig.
Corriéras, Instituteur à l'Eco'e Sédiman, à Oran.
Coulon Rougier, Duecleur de la C" Algérienne, à Oran.
CouRRECH, Instituteur, à Eckmuhl (Oran).
CouRSERANT, Notaire honoraire, à Mostaganem.
CouRTiN.iT, Avocat-défenseur, à Oran.
Couture, Chef d'Escadron d'Artillerie en retraite, à Oran.
Couturier, Ingénieur des Ponts-et-Chaussées, à Oran.
Daniel, Paul, Négociant, à Oran.
Darmon, Moïse de Guenouo, Mercier, à Oran.
Delrieu, Pilote en retraite, à Oran.
Derrien, Eugène, Etudiant en Médecine, à Montpellier.
Dessirier, Général commandant le VII' Corps d'Armée,
0 Besançon.
DiDiiîRE, Géomètre, à Oran.
Douine, Propriétaire, à Frendah.
DouMERGUE, Professeur au Lycée d'Oran.
Doutté, Professeur à l'Ecole supérieure des Lettres d'Alger
DupuY, Liquoriste, à Oran.
DuvAUX, Capitaine au 2' Régiment de Tirailleurs.
DuzAN, Maire d-* Saint-Leu.
Emard, Conservateur des Eaux et Forêts, à Oran.
Emerat, Conseiller général, à Oran.
Engel, Ingénieur civil, à Oran, rue d'Ai'zew, 72.
Etienne, Député d'Oran, à Paris.
Fabre, Receveur des Contributions diverses, à Tiaret.
LISTE GENERALE DES MEMBRES DE LA SOCIETE 5
MM. Fabhe, Aumônier île 1 Ilopilal civil d'Oran.
pABnE, Commis pi-incipal des Télégrnphfs, ;i Oraii.
Fabriès, Médecin, à Bol-Aljbès.
Fauconnkt, Sous-Intendant Militaire de 1" classe, Directeur
du Service de l'Intendance de la Division, à Oran.
Faure, Pharmacien, à Aïn-Temouchent.
F'abre, Entrepreneur, à Oran.
Féraud, Ingénieur civil, à Mustapha.
Flahault, Ingénieur-Archilecte, à Oran.
Flamand, Professeur à l'École supérieure di's Sciences
d'Alger
Fould. Alfred-Israël, Propriétaire, à Oran.
FouQUE, Laurent, Conseiller général, à Oran.
Foureau, E.Kplorateur, à Bussiére-Poitevine (II''-Vii'nne).
Frette, Négociant,^ à Oran.
G.^ROBY, Secrétaire général de la Préfecture, à Oran.
Garouste, Conseiller générai, à Bel-Abbés.
Gasser, Médecin, à Oran.
Gavach, Employé à la Mairie d'Oran
Gaudefroy Demombyxes, Secrétaii'e des Langues Orientales,
à Pari.s.
Gautsch, Agent de la Compagnie Touache, à Tanger.
GiBBAi., Architeeti!, à Oran.
GiBOU, Emile Propriétaire, à Saïda.
GiLLOT, Professeur au Lycée d'Oran.
rîiRAUo, Hippolyte, Avoué, à Oran.
GiRAUD, Jules, Négociant, ^ Oran.
GiRAUD, Edmond, Avocat, à Al,ger.
GoBERT, Maire d'Oran
GoiSBAULT, Vicaire général de l'Évèché, à Oran.
GouRLiER, Adnn'nistrateur, à Nédroma.
Grandjean, Instituteur, à Aïn-Temouchent.
GsELL, Professseur à l'École supérieui'C des Lettres, à Alger,
Inspecteur du monument historique de 1 Algérie,
GuÉRiDO, Conseiller de Préfecture, à Oran,
GcEYDON ("Comte de), Commissaire de l'Inscription maritime,
à Oran.
Guillaume, Préparateur au Lycée d'Oi-an.
Guillet Général comniaiidant la Sulirlivi,-<ion d Oran.
GuiOL, Propriétaire, à Bou-Heinii.
Hadj Hassan, Conseiller généi'al, à Oran.
Hassax, Léon, Négociant, à Oran,
IIeintz, Imprimeur, à Oran.
IIérelle Propriétaire, à Oran.
Hertogii, Propriétaire, à El-Ançor,
Heuyer, Médecin principal de 1" classe. Directeur du
Service de Santé de la Division, à Oran.
6 LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES DE LA SOCIETE
MM. HouDou, p<'ie, Rentier, à Oran.
HuERTAS. Emile, Ciii-é, Aïn-el-Turck^
Hi'ERTAS, Raphaël, Aumônier des S. S. Trinitaires, à Oran
IsAMBERT, Médecin principal de 2° classe, Chef de l'Hôpital
militaire, à Oran.
Jacques, père, ancien Sénateur.
Jacques, fils, Conseiller général, à Oran.
JoLiET (abbé). Professeur au Séminaire, à Oran.
JoNXHAY (du). Capitaine. Chef du Bureau arabe, à Méchéria^
Jarsaillon, Propriétaire, à Oran.
JouANE, Ingénieur Civil, à Oran.
JuLLiAN, Charles, Vice-Consul de Russie, à Oran.
Karm, Ancien Notaire, à Oran.
Kermina, Entrepreneur, à Mostaganem.
KiÉxER, Juge suppléant au Tribunal Civil, à Oran.
KocH, Ingénieur Civil, à Oran.
Krumb, Commis de Préfecture, à Oran.
Labrosse, Lieutenant au 2° RégimenJ de Zouaves.
Lapaine, Sous-Préfet de Béthune.
Laurent, Maire de Perrégaux.
Lauret, Pharmacien, à Oran.
Léchei.le, Maurice, Représentant de Commerce, à Oran.
Leclerc, Professeur d'Arabe au Collège do Médôah.
Lemoine, Conducteur des Travaux du P.-L.-M., à Perrégau.x
Leruste, Directeur du Crédit Foncier, à Oran.
Lescure, Médecin, à Oran.
Levé, Chef d'Escadron, Chef de la Maison m di taire du
Gouverneur général de l'Algérie.
Lévy, Salomon, Consul de Venezuela, à Oran.
Loge Maçonnique de l'Union Africaine, à Oran.
Lorenzo, Engel, Greffier Notaire, au Télagh.
LoYS (de). Agent princip' de la C" Cyprien Fabre et C*% à Oran .
M.4.NT0Z, Inspecteur des Contributions diverses, à Oran.
Marchant Xavier, Propriétaire, à Oran.
Marie-Lefebre, Rédacteur à VEcho cCOran.
Marégiano, Notaire, à Oran.
Massa, Avoué, à Mascara.
Mayaudon, Notaire, à Oran.
Merle, Géomètre principal, à Oran.
Muammed ben Rahhal, Propriétaire, à Nédroma.
MiLLiÈRE, Administrateur, à Saïda.
MiLSO.M, Ingénieur Civil, Propriétaire, à Beni-Saf.
MioT, Professeur au Lycée d'Oran.
Miramont, Léon, Négociant, à Oran.
MoNBRUN, Avocat, à Oran
MoNDOT, Médecin, à Oran.
LISTE GENERALE DES MEMBRES DE LA SOCIETE 7
MM. Monteil', Instituteur à l'École Karguentah, à Oran.
MoTEi.EY, Albert, Propriétaire, à El-Ançor.
MouLiÉRAs, Professeur à la Chaire d'Arabe, à Oi'sn, Con-
servateur du Musée d'Oraii.
Moulin, fïustave, Caissier de la Société Générale des Eaux,
à Oran.
Nessler, Vice-Consul d'Autriche-Hongrie, à Oran.
NicoLAï, Capitaine du Port, à Oran.
Oliva, Instituteur, à Renault.
Ollivier, Propriélaire. à Moudzouch (Bou-Tlélis).
Ondedieu, Chef d'Escadron d'Artillerie, en retraite, à Oran.
OuDRi, Générai, commandant la 9" Division d'Infanterie,
à Orléans.
Pallu de Lessert, Avocat, à Pans,
Pastorino, Notaire, à Oran.
Pastre, Agent veyer communal, à Bel-Abbés.
Pellet, Architecte, à Oran.
■Péquignot, Directeur des Salines d'Arzeu.
Perrier. Paul, Directeur de l'Echo d'Oran, à Oran.
Peyreï Dortail, Médecin de colonisation, à Montagnac.
PiLLOT, Chef de Bataillon au 2' Régiment Etranger.
Pincemaille, Ingénieur des Ponts et Chaussées, à Mascara.
PiTOLLET, Notaii-e, à Oran.
Planté-Longchamp, Receveur des Contributions diverses,
à Perrégaux.
Plat, Directeur delà Société générale des Eaux, à Oran.
Platel, Conducteur des Ponts et Chaussées, à Oran.
PocK, Caissier de la Caisse Nationale d'Epargne, h Oran.
Poinorelle, Chef de Bataillon au 87° Régiment d'Infanterie.
Pointeau, Notaire, à Tlemceii.
PoTTER, Professeur d'Anglais au Lycée d'Oran.
Pousseur, Directeur du Gaz, à Oran.
PouYANNE, Ingénieur des Ponts et Chaussées, à Alger,
PouYER, Entrepreneur, à Oran.
Prades, Benjamin, Répartiteur des Conlribu.tions directes,
à Nemours.
Prailly, Notaire, à Ain-Temouchent.
Prieur DE Lacomble, Colonel du 2* Régiment de Zouaves,
à Oran.
Provenzali, Professeur au Lycée d'Oran.
Prunier, Administrateur de la Commune mixte de Mascara.
Quiévreux, Fils, Propriétaire, au Télagh.
Renoux, Receveur principal des Postes, à Oran.
Renucci, Inspecteur des Postes et Télégraphes, ù Oran.
Réunion des Officiers, à Oran.
Réunion des Officiers, à Bel-Abbès.
8 LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ
MM. RiCHOMME, Lieut'au 144' Régiment d'Infanterie, à Rordeaux
Rimbaud, Professeur de Musique, à Oi'an.
Robert, Administrateur à fiordj-bou-Aréridj.
RocHEFORT (de), Agent principal de la Compagnie Transa-
tlantique, à Oran
RoccHiSANi, Directeur des Postes et Télégraphes, à Oran.
Roman, Inspecteur des Postes et Télégraphes, à Oran.
Roques, Pharmacien, à Oran.
Roussel, Sous-Inspecteur des Télégraphes, à Oran,
Rous-Freissixeng, Avocat, à Oran.
Rouzeaud. Chefde l'Exploitation des Chemins de ter de 1 Etat.
Rouziès, Instituteur à Tizi.
Sab.^tier, Avocat-défenseur, à Tlemcen.
S.\GET, François, Négociant, à Oran.
Saint- Am.«s, Aristide, Propriétaire, à Tlemcen.
Saint-Germain, Sénateur d'Oran, à Paris.
Saintpierre, Charles, Négociant, à Oran.
Sajous, Géomètre, ù Oran.
S.vndr.\s, Médecin, à Oran.
S.\,NDRAS, Lucien, Étudiant en droit, a Montpellier.
Sartin, Greflfior au Tribunal civil d'Oran.
Secrétariat DE l'Evéché, à Oran.
Segonzac (de), Explorateur, à Paris.
Sépulcre (Abbé), Curé à Lamoricière.
Simon, Propriétaire aux Hamyans, Saint-Leu.
SoiPTEUR, Propriétaire, à Tlemcen.
SouiN, Auguste, Propriétaire, à Marnia.
Stéphanopoli, Conseiller de Préfecture, à Oran.
Tab.vry, Inspecteur des Douanes, à Philippeville.
Tartavez, Officier principal d'Administration en retraite.
Terrade, Entrepreneur, à Oran.
Thibaudat, Receveur des Postes, à Karguentah, Oran.
Thiebault, Conservateur des Hypothèques, à Oran.
TuouvENiN, Capitaine au "' Régiment de Zouaves.
Tournier, Alfred, Agent de la Société des Auteurs. Compo-
siteurs et Editeurs de Musique, à Oran.
Tridon, Chef d'Escadron de Gendarmerie, Commissaire de
Gouvernement près le 2'^ Conseil de Guerre, à Oran.
TuROT, Médecin, à Saint-Denis-du-Sig.
Vallois, Capitaine en retraite, à Arzeu.
Varnier, Secrétaire général du Gouvernement général de
l'Algérie.
Venisse, Administrateur à la Sou.s-Préfecture de Tlemcen.
Viala, Eugène, Interprète judiciaire, à Lalla-Marnia
ViÉNOT, Propriétaire, à Oran.
ZiMMERMANN, Administrateurde la Commune mixte du Télagh.
ZuANi. Capitaine du Port d'Ajaccio.
SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES
SOCIETES DE GÉOGRAPHIE
Paris. — Société de Géographie. — Société de Géographie
■ •omrneiriale.
Alger, Bordeaux, Douai, Dunkerque, Le Havre, Lille, Lorient, Lyon,
Montpellier, Nancy, Nante-. Rochefort. Rouen, Saint-Nazaire.
Toulouse, Tours.
Amsterdam, Anvers, Berne. Bruxelles, Buda-Pesth, Buenos-Ayres,
Edimbourg, Genève. Helsiugtors, Le Caire. Lisbonne. Madrid,
Manchester, Munich, Neuchàtel, New-York, Rio -de -Janeiro.
Saint-Gall, Saint- Potersbourg.
SOCIÉTÉS DIVERSES
Paris. — Association philothecnique. — Comté îles Travaux
historiques et scientifiques. — Office colonial. — Questions
diplomatiques et coloniales. — Société des Eludes Maritimes et
coloniales. — Société nationale des Antiquaires de France.
Alger. — Ecole supérieure des Lettres. — Société historique
olL.'L'iienne. Bulletin agricole de l'Algérie et de la Tunisie.
Angouléme. — Société Archéologique et Historique de la Charente.
Autun. — Société Eduenne.
Bône. — Académie d'Hippone.
Constantine. — Société archéologique.
Dai. — Société de Borda.
Gap. — Société des Etudes des Hautes Alpes.
Rouen. — La France colonisatrice.
Saint-Dié. — Société philomathique Vosgienne.
Saigon. — Société des Etudes Indo-Chinoises.
Toulouse. — Revue archéologique du Midi de la France.
Tunis. — Institut de Carthage.
Vienne (Isère). — Revue épigraphique.
Cordoba — Academia iiacional des Ciencias.
Guatemala. — Sociedad Guatemalteca de Ciencias.
Madrid. — Real Academia de la Historia.
Mexico - Sociedad cientifica « Antonio Alzate o.
Rome. — Isiituto archeologiea Germanico.
Saint-Pétersbourg. — Section impériale d'Archéologie.
Stockholm. — Académie des Belles-Lettres, d'Histoire et des
Antiquités.
Toronto. — The Canadian Institute.
NOTES MÉTÉOROLOGIQUES
Sur une « pluie de sable » observée dans l'Ouest Oranais
Un pliénomèiie météorologique assez rare a pu èlre observé
en janvier dernier sur certaines parties de l'Ouest de notre
département.
Dès la matinée du 19 janvier 1902, sur tout le littoral, aux
environs de l'embouchure de la Tafna, la terre et la mer
étaient couvertes par un brouillard épais.
La température était douce, le temps calme — pas de vent
sensible — et l'atmosplière n'accusait pas un état hygrométri-
que anormal.
Cette sorte de brouillard sec qui -nous enveloppait s'est
maintenu avec la même intensité et dans des conditions
sensiblement identiques de température et de pression pendant
toute la journée du 19, la nuit entière, et le 2'3 jusqu'au soir.
Il a commencé à se dissiper à la tombée de la nuit du 20 —
la lune n'était alors brouillée que d'un léger halo — et le 21 au
matin, le brouillard avait complètement disparu.
La manifestation anormale de ce phénomène avait fait naître
dans notre esprit quelques doutes sur sa nature. Ces doutes
s'accrurent quand nous pûmes remarquer que certains végé-
tau.K et arbustes s'étaient chargés, pendant le tcmp.? que le
brouillard les avait enveloppés, d'une fine et abondante
poussière d'un brun rougeàtre. Cette poussière se trouvait
surtout en quantité très appréciable sur les fenouils et autres
grandes herbes semblables, ainsi que sur les feuilles de jeunes
pins que nous avons pu observer plus particulièrement. Le
feuillage de ces derniers paraissait comme brîilé et desséché
par un fort siroco. La couche de poussière a subsisté pendant
quelque temps. Trois ou quatre jours après, on pouvait
encore l'observer.
D'où provenait cette poussière ?
On peut affirmer qu'elle n'était pas apportée par le vent,
puisque nous n'avons enregistré pendant, toute la durée du
phénomène aucune brise sensible et qu'il aurait fallu un vent
fort et de quelque durée pour en soulevei' une aussi grande
quantité.
NOTES MÉTÉOROLOGIQUES 11
Il ne parait donc pas douteux que la poussière signalée
P'-ovenait exclusivement du hrjuïllard et que ce dernier était
entièrement formé de ces poussières en suspension, sans
quantités anormales de vapeur d'eau.
Il aurait été très intéressant de recueillir un échantillon de
cette poussière pour la soumettre à un examen microscopique
et à l'analyse. Nous n'avons pu le faire n'ayant pas de labora-
toire à notre portée.
Quoi qu'il en soit, on est en di'oit de supposer q'ie le phéno-
mène que nous enregistrons est la répétition de ceux de 1873
et de 1875 observés dans le Nord de l'Europe et de ceux du
31 mars et 10 avril 18S0, du l'i avril 1881 qui se produisirent
en Sicile.
Dans ce dernier cas (pluie de Catane), l'analyse des poussières
a rnonlré qu'elles étaient presque entièrement composées de
petits fragments de carbonate de fer revêtus d'une légère
couche d'oxyde. Ces fragments étaient de forme irrégulière,
tantôt anguleux, tantôt sphériques et d une grandeur qui
variait de 1 à ~ de '"/"'■
Par son aspect, la poussière du hromUard du 19 janvier
observée ici, semblait se rapprocher de celle tombée en Sicile
en 1881, ce qui tendrait à faire déduire une similitude
d'origine.
Rappelons à ce sujettes hypothèses déjà présentées. Les uns
prétendent qu'il faut attribuer ces phénomènes à l'action des
vents très forts qui soulèvent le sable des déserts et les trans-
portent à de grandes distances à travers les couches supérieures
de l'atmosphère (celle de Sicile était manifestement originaire
d'Afrique) ; d'autres, s'appuyant surtout sur l'identité presque
complète, très souvent remarquée, entre la constitution
chimique du sable tombé du ciel et celle des pierres météori-
ques, pensent que les pluies de saTjle ont une origine cosmique;
d'autres enfin leur accordent une origine volcanique.
Les éléments nous manquent pour aflirmer le bien fondé de
l'une de ces hypothèses, aussi nous bornerons nous à enregis-
trer le phénomène, laissant à d'autres le soin d'en rechercher
k's causes.
Paul VACHER.
Béni-Saf, i 5 février 1902.
Zousraiiâ, Guir, Saoïira
L'occupation de quelques nouveaux postes dans
l'Extrême -Sud oranais, à la suite des colonnes
exécutées en 1900 et en 1901, à permis de connaître
d'une façon précise une région qui jusqu'alors n'avait
été parcourue que rapidement par quelques explo-
rateurs.
Venant d'y passer une année entière, je vais essayer
de classer de nombreuses notes prises soit en colonne,
soit en station, afin de décrire le plus exactement
possible le territoire nouvellement conquis ; j'ai lu, en
effet, des détails bien fantaisistes dans des journaux
se disant bien renseignés ; et, en présence des
importants problèmes qui s'ouvrent maintenant de ce
côté, il m'a semblé utile de dépeindre le pays sous son
vrai jour. Ce n'est pas un récit militaire que j'entre-
prends, et encore moins une discussion desdits
problèmes, mais un simple exposé géograpliique.
Je partirai de Duveyrier et conduirai le lecteur fiul
voudra bien m'y suivre jusqu'à un peu au-delà de
Kerzaz, eu ne lui disant ([ue ce que j'ai vu ou pu
contrôler sufllsamment.
Dans une seconde parlie je dirai quelques mois sur
la climatologie, la faune, les productions, le commerce,
l'industrie, etc
Les itinéraires ci-joints n'ont pas la prétention d'être
des levés rigoureusement exacts ; ils ont été dressés
en cours de marche en colonne, les distances entre
les diverses étapes étant mesurées au pas et les
directions prises à la boussole-directrice. Les altitudes
ont été calculées par les moyennes barométriques
d'un excellent baromètre liolostérique du dépôt de la
guerre ; elles diffèrent sensiblement de celles portées
sur la carte au ,„ ' „„ mais j'ai lieu de croire qu'elles
2 OUO 000 •■ ^
sont exactes à quelques dizaines de mètres près.
ZOOSFANA — GUIR — SAOURA , 13
L'itinéraire de Figui^ à Taghit est un simple croquis
que j'ai relevé en route pour accompagner le texte ;
ceux de Taghit à Ksai^i ont été effectués sous ma
direction par des officiers de notre colonne et je les ai
complétés ou modifiés dans les parties que j'ai été
appelé à parcourir plusieurs fois. Ils ne peuvent être
des documents « géographiques » car nous ne
disposions d'aucun moyen pour prendre les longitudes
et les latitudes ; on ne peut leur attribuer qu'une
valeur « topographique ».
PREMIERE PARTIE
DESCRIPTION DU PAYS
La ligne de nos postes militaires s'arrêtait précédemment à
Djenien-bou-Rezg; pour la prolonger il a fallut d'abord tenir
en respect les gens de Figuig en créant deux points d'appui
sur la ligne d'étapes qui longe cette oasis presque à portée du
fusil; les redoutes de Duveyrier (précédemment « Zoubia») et
de Djenan-ed-Dar gardent maintenant les débouchés du couloir
que franchira bientôt le raiiway en construction au-delà de
Duveyrier. Ce couloir s'étend entre deux chaînons marqués
par les sommets du djerman Foukani et du djerman Tahtani
qui le dominent de 150 à 200 mètres ; il est constitué par une
vallée à fond plat et à sol pierreux où ne pousse qu'une
maigre végétation saharienne. Le djerman Tahtani forme :
au Sud, une ligne continue à crête peu accidentée, tandis que
son vis-à-vis est prolongé par des pitons isolés que séparent
de larges et basses échancrures à travers lesquelles le voyageur
peut apercevoir une grande partie de l'oasis de Figuig ;
la Zousfana traverse l'une de ses échancrures. Il n'est pas
prudent encore de s'aventurer au-delà de ces trouées à
proximité de Figuig, et encore moins de s'approcher de l'oasis,
14 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
mais on peu espérer que dans un avenir prochain nous
bénéficierons tout au moins du « permis de circuler »
que nous accordons généreusement, chez nous, à nos
farouches voisins.
Figuig mérit n eiïet d'être vue ; une occasion exceptionnelle
m'a permis de contempler toute l'oasis du sommet du djebel
Taghla, piton situé entre la trouée de la Zousfana et celle de
Zenaga, c'est-à-dire à 1,5Û0 mètres environ à vol d'oiseau, en
dominant tout l'ensemble, et je dois avouer n'avoir joui nulle
part, dans le Sud oranais d'un coup d'œil aussi saisissant.
Figuig est de beaucoup l'oasis la plus importante de la province
d'Oran comme étendue, population et nombre de palmiers ;
les ksour qui la composent sont épars au milieu des jardins
de palmiers, mais ceux-ci ne forment qu'une seule agglomé-
ration dans une plaine à fond de daya montant légèrement
vers le Nord ; le tout est entouré de murs flanqués par de
hautes tours ; en dehors et vers le N'ord-Kst, on aperçoit
l'endroit où se trouvaient les tentes du douar de Bou-Amama.
L'oued Zenaga traverse l'oasis du Sud au Nord en son milieu,
laissant apparaître sa rive gauche plus élevé que l'autre.
Entre le pied Nord du djebel Taghla et l'oasis, s'étend une
bande de plaineabsolument rme, qui constituerait un dangereux
glacis pour des assaillants. Vouloir nous annexer Figuig serait,
parait-il, ouvrir la question marocaine devenue internationale ;
mais si cette solution semble devoir être encore réservée pour
une époque ultérieure, il est cependant indispensable qu'un
accord intervienne pour faire cesser l'attitude presque hostile
des gens de Figuig vis-à-vis de nous.
Oujda au Nord et Figuig au Sud sont des refuges assurés
aux bandits après leurs méfaits commis chez nous ; si nous
devons toujours renoncer à les poursuivre jusque-là, il est
nécessaire que des relations diplomatiques sérieuses entre
agents consulaires pouvant communiquer rapidement de part
et d'autre de la frontière en face de ces deux points mettent
fin à ce régime d'impunité qui, dans la région, porte une
grave atteinte au prestige français.
Enfin, il est un des ksour de Figuig qui ne peut pas rester
marocain, c'est celui des Beni-Younif, qui, isolé en deliors du
cirque du Figuig, se trouve à moins de 3 kilomètres de Djenan-
ed-Dar ; il y aura même avantage à transporter là la redoute
définitive de Djenan-ed-Dar, autant pour profiter des ressources
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 45
de cette oasis que pour tenir sous le canon, à travers la trouée
de Zenaga, le ksar Figuiguien du même nom qui forme l'extré-
mité Ouest de Figuig et passe pour renfermer les gens les plus
irréductibles à l'entretien de bonnes relations avec nous.
11 va sans dire que le tracé de la voie ferrée devra subir une
modification analogue à partir de Oued-el-Haci, point d'eau
situé à peu près à mi-chemin de Djenan-ed-Dar et de Duveyrier.
La population de Figuig, ainsi enserrée de près, sera amenée,
par la force des choses, à entrer en relations suivies avec nous
et à reconnaître qu'il serait plus avantageux pour elle de
vivre en paix avec nous. Si malgré nos procédés pacifiques et
humanitaires la situation actuelle ne se modifie pas, un coup
de force, facile d'ailleurs s'imposera, sinon pour nous emparer
de Figuig, du moins pour en extraire les nombreux bandits
arabes et les déserteurs recueillis qui exaspèrent journellement
les garnisons de nos postes voisins.
Pour gagner l'emplacement actuel de Djenan-ed-Dar, la
piste créée par la main-d'œuvre militaire traverse la
Zousfana à 7 kilomètres de Djenan-ed-Dar, au point appelé
Ain-Sefra ; ce point est une oasis ensablée que nous avons
dénommée « Aïn-Sefra de Figuig », pour la distinguer de
l'autre Ain-Sefra.
Le plateau bas sur lequel on a construit Djenan-ed-Dar est un
pauvre terrain semé de cailloux et présentant une maigre
végétation saharienne autour d'un petit groupe de palmiers.
L'alfa n'existe déjà plus depuis Djenien-bou-Rezg, les
montagnes sont encore plus pelées que la plaine et, en fait de
verdure, on n'aperçoit que les petits bouquets de palmiers
d'Ain-Sefra de Figuig, de Djenan-ed-Dar, de Djenan-ben-Hariz,
Djenan-el-Dhorf et Beni-Younif. La vallée de la Zousfana
s'élargit considérablement, le lit de la rivière restant indiqué
au loin par une ligne de tamarins.
Le spectateur placé à Djenan-ed-Dar, éprouve des impi-essions
toutes différentes suivant qu'il regarde vers le Nord ou vers le
Sud. Au Nord, il a devant lui un cirque de chaînes de
montagnes échelonnées, bordé par les sommets du Djebel
Grouz, du Beni-Smir et du Mzi dont l'altitude atteint
2,0(.K3 mètres ; la pureté de l'air donne à cette vue les aspects
les plus variés, estompés de bleu violacé ; s'il se retourne
brusquement vers le Sud, il n'a plus sous les yeux que la
monotonie plate et grise coupée ça et là d'arêtes noires. Le
16 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
voyageur qui doit s'enfoncer pour longtemps dans cette
direction ne peut pas s'empêcher d'éprouver, tout d'abord, une
vague impression de tristesse ; aux sensations que produit ce
pauvre paysage, vient s'ajouter l'idée qu'on va s'éloigner
définitivement du fil télégraphique et de la voie ferrée c'est-à-
dire des moyens de communications rapides avec les affections
laissées en arrière. Toutefois, pour nous soldats, cette
impression dure peu, nous avons toujours l'espoir d'un jieu
de gloire à conquérir dans de semblables pérégrinations, et, si
peu alléchant que semble devoir être le mystérieux inconnu
saharien, nous brûlons néanmoins de le voir.
Fendi. —On dit d'ailleurs du bien de Fendi, point d'eau
qui marque la première étape après Djenan-ed-Dar ; il y
à 32 kilomètres à franchir pour y arriver, mais chacun renfonce
ses tristesses et part allègrement.
Il n'est plus question de routes, ni même de pistes, à peine
peut-on parler des traces laissées par les convois précédents
ou par les cavaliers faisant le service postal de l'Extrème-Sud.
Laissant toujours la Zousfana vers le Sud-Est, on se dirige sur
la pointe d'un éperon peu élevé que marque le groupe de
palmiers de Djenan-ed-Dhorf, petite oasis sans habitation où
se trouve un puits d'arrosage. De là, on peut gagner Fendi
soit par le côté Nord-Ouest, soit par le côté Sud-Est du
chaînon ; si l'on prend la première direction on devra
traverser l'arête un peu plus loin par le Kheneg de Haci-
Saïd ou celui de Tebouda pour retomber sur l'autre route ;
le terrain à parcourir sera moins bon, mais on gagnera quel-
que peu sur la distance totale. On peut aussi aller passer plus
au Nord encore par l'oasis de Merirès, mais il faudra à l'arrivée
descendre le ravin de Fendi qui présente quelques difticullés
de parcours et cache souvent dans l'oasis des malfaiteurs
dangereux venus de Figuig.
Fendi est une oasis non entretenue et inhabitée, située
dans le fond de la gorge creusée par l'oued Fendi dans
le flanc Ouest de la vallée de la Zousfana; il faut être à l'entrée
de la gorge pour apercevoir les palmiers.
L'oued Fendi a de l'eau en permanence, sinon courante à la
surface, du moins sous forme de a rdir » communiquant entre
eux par un courant souterrain ; cette eau est très bonne.
Dans les trous on trouve du barbeau très mangeable qui, avec
les perdrix de Toasis, procure aux popotes une ressource
ZOUSFANA — GUIK — SAOURA 17
appréciable. Les gazelles sont nombreuses dans les plaines
environnantes, mais ce n'est pas pendant la marche d'une
colonne qu'ont peut songer à les y poursuivre avec chances de
succès. De temps en temps un lièvre levé par les flanqueurs
vient maladroitement se jeter dans le convoi ; il échappe
rarement aux matraques des sokhar.
On voit encore à Fendi, sur un élargissement de la rive
droite de l'ouod, les ruines d'un ksar qui a dû être assez
important; les palmiers de l'oasis n'étant plus nettoyés,
laissent pendre lamentablement leurs palmes desséchées ; les
rejetons envahissent le pied des troncs et la broussaille inutile
s'étend dans les espaces vides qui ont été autrefois des jardins;
ce point a toute la mélancolie des lieux abandonnés oii se trou-
vent encore des vestiges de vie éteinte. Les dattiers continuent
cependant à produire et sont récoltés par les gens de la zaoui'a
de Bou-Amama. Il est à supposer que nous ne laisserons pas
ce coin de verdure dégénérer plus longtemps ; ce serait
dommage car c'est la dernière oasis que l'on rencontre jusqu'à
Taghit, et elle possède tous les éléments nécessaires pour
redevenir prospère.
En remontant l'oued Fendi de quelques kilomètres on
trouve les petites oasis de Sfisef et Bou-Yala. Fendi marque, au
point de vue mililaire, la limite Nord des régions sahariennes
dans la province d'Oran.
C'est en face de Fendi, à quelques kilomètres à l'Est, que
l'oued Er Remet (appelé improprement par nous «Oued-Dermel»,
puisque le mot arabe est ^l-j qui signilie sable) vient se
joindre à la Zousfana vers la petite oasis de Nakhlat-ben-
Bralimi.
KSAR-EL-A.DJOUZA. — L'étape suivante est KsaF-el-A.djouza
(Ksar de la Vieille), point situé à 1.5 kilomètres environ de
Fendi vers le Sud-Ouest. La piste continue d'abord à longer
les hauteurs Ouest de la vallée de la Zousfana, puis traverse par
un petit col très pierreux, un massif de chaînes parallèles qui
s'étagent entre ces hauteurs et la Zousfana. On est tout étonné
de rencontrer encore là, dans un fond de vallée au milieu de
la végétation saharienne, de superbes térébinthes et des oliviers
sauvages dont on n'avait plus vu un seul spécimen depuis
Djenien-bou-I\ezg (sauf un ou deux cependant dans l'oasis de
Fendi). Ceux là seront les derniers ; on ne verra plus en fait
18 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
d'arbres sauvages que le tamarin, puis, plus loin, le tlaïa et,
plus loin encore, le gommier.
A Fendi on était encore à l'altitude de 865 mètres, à Ksar-el-
Adjouza on n'est plus qu'à 7-i5 mètres, car on retombe là dans
le lit de la Zousfana dont, depuis Djenan-ed-Dar, on a coupé
un grand coude vers l'Est. Cette rivière après avoir traversé
les chaînons qui bordent la partie Sud du cirque de Figuig,
étend de plus en plus son lit en largeur, au point qu'à K^ar-el-
Adjouza celui-ci à déjà plus de 2 kilomètres; il s'est même
diviséen plusieurs branches, courant caoricieusemen ta travers
les dunes dont il est encombré ; le tamarin y pousse très serré
et les chameaux y trouvent un excellent pâturage de « drinn »
mêlé aux autres plantais sahariennes qu'il affectionne.
C'est par une pente abrupte que vient mourir à Ksar-el-
Adjouza, du côté du Sud, le chaînon détaché de Fendi ; la
pointe en est marquée à l'extrémité Est,, par les ruines d'un
ksar minuscule qui était fort bien situé car il couronnait un
rocher à flancs verticaux, relié à l'escarpement voisin par un
étranglement n'ayant que quelques mètres de largeur et qu il
dominait encore de plusieurs mètres. Ce point a été utilisé
dernièrement par un détachement de troupes qui a dû
séjourner là pour y établir des puits. Précédemment les puits
se trouvaient dans le ht même de la rivière, au pied du vieux
ksar, mais chaque colonne ou convoi était dans l'obligation de
les ouvrir à nouveau pour avoir de l'eau, si toutefois on avait
la chance de les retrouver, car la moindre crue ou un simple
coup de vent en faisait disparaître toutes traces. Il en était de
même d'ailleurs pour tous les puits indigènes des étapes
suivantes, aussi l'autorité militaire a-t elle été amenée à
envoyer des détachements qui ont fait des puits maç-onnés
recouverts d'une coupole et mis ainsi dans la mesure du
possible à l'abri du comblement par les crues ou par les
tempêtes de sable.
A Ksar-el-Adjouza, l'eau est détestable, très chargée de sel
et de magnésie, bien que les nouveaux puits, au nombre de
trois, aient été creusés en dehors du lit de l'oued, sur la rive
droite. Il a dû y avoir anciennement une source au pied même
et à l'Est du rocher que surmonte le ksar ; il y a là des traces
d'humidité qui semblent l'indiquer. Une oasis a peut être
existé en ce point, mais à une époque très éloignée, car
quelques maigres palmiers en sont les seuls vestiges au milieu
ZOCSFANA — GUIR — SAOURA 19
des dunes dans le lit de l'oued ; il est probable qu'une crue
formidable a dû amener sa destruction, et par suite l'abandon
des lieux par les quelques habitants qui occupaient le ksar.
En face et à l'Ouest de Ksar-el-Adjouza, à 5 ou 6 kilomètres,
se dresse le massif imposant du Sidi-Moumen, témoin qui
marque le contluent de la Zousfana et d'un oued assez
important venant du djebel Béchar. A Igli, au confluent de la
Zousfana et du Guir, on trouve un témoin analogue, mais
beaucoup moins élevé.
Le Sidi-Moumen, dont l'altitude au-dessus de la plaine est
de 300 mètres environ a au sommet une forme ovoïde dont la
pointe serait à l'Ouest ; les rochers abrupts qui le couronnent
ne livrent que peu de points de passage pour le gravir ;
au milieu des pentes S,ud, il y a, m'a-t-on dit, une source que
paraissent en elTet indiquer quelques arbres, le pied se termine
presque brusquement sur la plaine vers le Sud ; au Nord, il
se rattache par un léger seuil aux échelons venant de Fendi ;
la crête a environ 10 kilomètres de longueur.
Au-delà du Sidi-Moumen, vers l'Est-Nord Est, apparaît le
djebel Béchar dominant sensiblement toutes les hauteurs
visibles de ce côté.
Jusqu'ici les montagnes que nous avons vues forment des
massifs d'où se détachent des chaînons et qui présentent
des formes plus ou moins mamelonnées ; à partir de maintenant,
la vallée de la Zousfana commence à prendre la constitution
topographique qu'elle gardera jusqu'au bout et qui se
retrouvera encore assez loin dans son prolongement par la
Saoura ; elle a l'aspect d'un large sillon à fond presque plat,
bordé par des murailles plus ou moins espacées, à pentes
raides, déchiquetées, nues, chaotiques et dont le bord supérieur
apparaît horizontal. Vers l'Est, ce caractère est d'abord moins
net, mais nous verrons un peu plus loin la muraille couverte
de sable transformée en hautes dunes et raccordée à la plaine
par des dunes basses ayant franchi les sommets sous la
poussée des vents du Sud-Est. De part et d'autre, les vallées
qui débouchent dans la Zousfana n'ont que peu de longueur,
à l'exception de celle de l'Oued-Guir.
Si à Fendi on monte sur le piton en forme de dent qui
domine immédiatement vers le Nord le débouché du ravin, on
aperçoit la muraille ouest, sous la forme de trois becs, le premier
à hauteur de Sidi-Moumen, le second en face de El-Morra, le
20 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
troisième à Moungar, puis la ligne disparait avant Taghit,
derrière les dunes de l'Erg de la rive gauche. Ceci m'amène à
dire quelques mots au sujet des communications optiques.
Nous avons maintes fois et toujours en vain cherclié celles ci
entre un point voisin de Taghit sur la hammada et le piton de
Fendi ; connaissant bien maintenant ces deux points, je crois
pouvoir affirmer que la communication n'est pas possible
ainsi et qu'il faudrait pour l'obtenir, créer un poste intermé-
diaire soit au Sidi-Mouaien, soit en face de Zafrani. Toutefois,
l'emploi du fil électrique, ou mieux encore de la télégraphie
sans fil, serait préférable à tous égards, car la brume coupe
souvent les communications optiques en toutes saisons, même
à courtes distances ; cette brume est plus fréquemment formée
par les poussières de l'air que par des vapeurs humides.
Jusqu'à ce jour les communications entre Djenan-ed-Dar et
Tagliil d'une part. Igli et Béni Abbès d'autre part, n'ont été
assurées que par des courriers à cheval ; il-est certain que c'est
insuffisant autant au point de vue militaire que pour le bon
état moral des troupes placées dans des postes aussi éloignés.
Il faut avoir vécu lù-bas pour comprendre combien on se sent
isolé du monde entier quand on sait qu'un télégramme envoyé
d'Igli, par exemple, mettra 4 jours à atteindre Dje.nan-ed-Dar par
la poste ordinaire pour être ensuite expédié de là à destination
par fil télégraphique. Si on demande une réponse, on ne
l'aura que 5 ou 6 jours plus tard. Au début de l'occupation de
ces nouveaux territoires, il était évidenmient impossible de
faire mieux ; mais maintenant que notre situation prend de
l'assiette, il semble que l'on peut songer à créer des commu-
nications moins primitives, â cela on peut objecter, car c'est
exact que nos adversaires, auparavant respectueux des fds
télégraphiques, ne se gênent plus pour les couper ; mais il faut
considérer que ces actes ont seulement pour théâtre la région
Duveyrier-Djenan-ed-Dar, livrée aux exploits des gens de
Figuig et ne peuvent être que le fait d'Européens déserteurs
ou de Marocains employés à la construction du chemin de fer.
Le jour, proche espérons-le, où nous aurons les moyens
d'exercer une certaine police sur Figuig, ce vandalisme cessera
sûrement en ce point et il est d'ailleurs d'autant moins à
craindre au delà de Djenan-ed-Dar, qu'on s^éloignera plus
de Figuig.
Continuons maintenant notre voyage. A partir de Ksar-el-
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 21
Adjouza l'aspect du sol devient franchement saharien ; en
dehors de quelques rai'es plantes communes au. Tell et au
Sahara, on ne rencontre plus la végétation des Hauls-Plateaux
mêlée à celle du Sahara ; on a déjà heurté du pied beaucoup
de cailloux, mais ici commence le sol de « reg » tantôt ferme,
tantôt ameubli par une couche de sable fin mêlée aux pierres
roulantes, coupantes et auxquelles le frottement du sable
et l'excès calorique ont donné un aspect tout particulier.
Haci-el-Mir. — L'étape suivante est Haci-el-Mir, de 25 kilo-
mètres environ. On peut la franchir par deux voies différentes :
ou bien on traverse de suite et obliquement le lit de la
Zousfana au milieu des dunes et du tamarin pour gagner et
suivre ensuite la rive gauche jusqu'à Haci-el-Mir, où bien
on pique droit sur le Sidi-Moumen dont on suit le pied jusqu'à
hauteur de Haciel-Begri, situé à mi-distance de Haci-el-Mir,
pour franchir l'oued perpendiculairement en ce point et
rejoindre ainsi la première direction. Si l'on est en petit
nombre et qu'on n'ait qu'un convoi peu important la première
voie sera peut être un peu plus courte, mais dans le cas
contraire, il vaudra mieux prendre la seconde; la piste delà
rive gauche n'offre, en effet, jusqu'à Haci-el-Bcgri, qu'un front
restreint par la proximité iiinnédiale d'un plateau bas, mais
rocheux et coupé de ravines; en longeant le Sidi-Moumen, on
reste au contraire dans une plaine large et très praticable, si
on observe de ne pas s'approcher. trop de la Zousfana bordée
de dunes de ce côté.
Haci-el-Begri n'est qu'un simple puils arabe non protégé et
ensablé la plupart du temps, que l'on trouve sur la rive gauche
de la Zousfana. Presque en face de ce point, entre le Sidi-
Moumen et la Hammada qui s'élève plus au Sud, une petite
forteresse marocaine « Ain-Djedida » avait la prétention de
nous défendre l'accès du djebel Béchar par la trouée qu'elle
barre ; c'est un simple rectangle de nmrailles en terre flanqué
de quatre tours, occupé par un gardien et sa famille ; un
puits est creusé à l'intérieur.
Les territoires situés à ri']st, c'est-à-dire entre la moyenne
Zousfana 'et le moyen Guir, constituent les terrains de
parcours des Oulad Djerir ; au centre se trouvent Béchar,
Kenadsa, Ouakda, lieux d'échanges commerciaux entre lu
Tafllala et l'Exti'ème-Sud oranais.
22 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
Ifaci-el-Mir est marqué actuellement par les vestiges d'une
redoute provisoire élevée là par des puisatiers militaires qui
y ont séjourné au printemps dernier. Deux puits maçonnés et
un abreuvoir se trouvent au bas de la redoute, sur le talus de
la rive gauche de la Zousfana; l'eau, quoique encore saumàtre^
est déjà bien meilleure qu'à l'étape précédente. Tout le lit de
l'oued est couvert de tamarins, dont la -ligne est d'ailleurs
continue depuis Ksar-el-Adjouza ; en certains points, il y a
de tels amas de souches et de bois mort que le passage est
difficile, on y trouve un abondant pâturage à chameaux et les
crues y laissent quelquefois des « rdir » précieux pour les
convois de passage. Une modeste croix élevée au Sud et près
de la redoute recouvre les restes d'un malheureux soldat.
El-Morra. — El-Morra est à 20 kilomètres environ de
Haci-el-Mir en continuant à suivre la rive gauche de la Zous-
fana. Toutefois, la piste s'écarte quelque peu de cette rive pour
contourner les dunes qui la bordent, le sol, d'abord très
caillouteux, devient meilleur en approchant d'El-Morra, puis
on abandonne le plateau bas suivi jusque-là pour descendre
dans le lit plat et argileux de la Zousfana où se trouve la
redoute d'El-Morra.
Cette redoute, construite au printemps dernier, en briques
crues confectionnées sur place, renferme deux baraques
destinées l'une à un poste permanent de goumiers indigènes,
l'autre aux officiers de passage ; un superbe tlaïa abrite celle-
ci, c'est le premier arbre de celte essence que l'on trouve sur
la route du Sud. Le manque total de pierres à proximité a été
suppléé par l'emploi, dans la construction de l'enceinte, de
lits de brcussaiiles interposés dans les briques afin d'obtenir
un relief suffisant, un portail à prétentions monumentales,
que nos facétieux « Joyeux » se sont amusés à édifier, marque
l'entrée de la redoute sur la face Nord.
El-Morra se trouvant à peu près à mi-distance de Taghit à
Djenan-ed-Dar a été choisi comme point de relai des courriers
dont le service est assuré par des cavaliers indigènes, mogha-
zeni ou goumiers fl).
Deux bons puits et un petit abreuvoir sont à une centaine de
(l) Le moghazeni est un cavalier arabe volontaire, le goumier est au
contraire réquisitionné. TU conservent le costume et le harnachement
Indigènes et sont administrés par les bureaux arabes.
ZOIISFANA — GUIR — SAOURA. 23
mètres au Nord de la redoute, l'eau est relativement potable,
Lien que le nom de ce point (El-Morra signifie l'amertume)
ait pour origine le mauvais goût de l'eau des anciens puits
arabes: il est à supposer, ainsi que nous avons pu le constater
en maints autres endroits, que l'aménagement en maçonnerie
et un puisage' plus fréquent ont amélioré sensiblement la
qualité des eaux de la nappe souterraine de la Zousfana
A El-Morra commence à apparaître la tluïa (tamarix
avliculala) que nous appelons improprement Takaliout, du
nom donné quelquefois à la galle qu'il produit, et que les
indigènes du Tafilala, utilisent pour tanner les peaux de
chèvres et obtenir le cuir dit « filali » (1).
A mesure qu'on s'approche d'El-Mori-a, les rives de l'oued
sont de moins en moins marquées; le tamarin devient plus
rare, puis disparait. On est là dans une plaine argileuse, au sol
boueux égalisé par les crues, rapidement durci par le soleil et
moucheté de maigres loulTes de basse végétation. Le lit propre-
ment dit de l'oued a plus de 2 kilomètres de largeur ; en son
milieu, là ou l'eau des crues a coulé plus longlemps subsistent
des sillons longitudinaux de profondeur variable et quelques
trous dont les bords sont mainiués par une végétation un peu
plus dense.
Si l'on jette un regard sur la hammadade l'Ouest, on aperçoit
à son pied, auprès du bec d'El Morra, puis, plus loin, au fond
d'un cirque dont le milieu est occupé par un monticule isolé
des lignes d'arbres que je crois êlre des gommiers sans pouvoir
toutefois l'affirmer, car je n'ai pas eu l'occasion d'aller jusque là.
Vers le Sud-Est, on commence à apercevoir les premières
dunes de l'Erg qui se continue ensuite, sans interruption, tout
le long de la rive gauche de la Zousfana, puis de la Saoura.
Un plateau pierreux, affreusement nj, monte en pente douce
et nous sépare encore de ces dunes.
C'est un peu au Nord-Est de la redoute que reposent, sous
un même tombeau, les huit légionnaires tombés en 1900 au
combat d'El .Moung ir, où un v. rezzon <■ composé de Doui-Ménia
et d'Oalad-Djérir attaqua noire i" convoi de ravitaillement.
(1) Voir l'arlicle publié à ce sujet par le même auteur dan<: le bulle'in
trimestriel de seulembre 1901 de la Sociétc de Géoqrajihie et d'Archéo-
logie d'Oran ■ dans le Bulletin Agricole de l'Alcjèrie et de la Tunisie,
n"'22, du 15 novembre 191)1, et dans la Reçue Horticole de l'Algérie, n° 11,
de novembre 190! .
24 ZOUSFAXA — GUIR — SAOURA
El-Moungah. — El-Moungar est à 27 kilomètres environ de
El-Morra. Comme dans l'étape de la veille, il faut suivre larive
gauche de a Zousfana, en faisant un léger crochet pour laisser
sur la droite des dunes peu praticables, et qui commencent
à 800 ou 900 mètres au sud de la redoute d'El-Morra.
A El-Moungar il n'y a pas de puiis ; un détachement acreusé
jusqu'à 17 mètres de profondeur sans trouver l'eau. On s'arrête
généralement au milieu du lit même de la rivière, un peu au
nord du bec d'El-Moungar( El-Moungar signi lie d'ailleurs a bec 1^
en arabe) parce que l'on y dispose, plusieurs mois encore
après une ci'ue, d'un « rdir » profond, creusé par les remous
de l'eau- courante dans l'épaisse couche d'argile qui constitue
le sol en ce point. On trouve alors sur les bords de ce sillon
unesortedechiendentà l'euillesdureset pointues qu'apprécient
fort les animaux heibivoi'es et que les arabes appellent
« nejem » ; tout le restant du lit de l'oued, large encore
de 2 kilomètres, ne renfermedepuis El-Morra qu'une végétation
basse et très clairsemée ; quelques jujubiers sauvages, déjà
bien mutilés par les convois, indiquent de loin l'emplacement
du « rdir » marqué aussi par une enceinte de redoute provisoire
qui a servi à loger le détachement de puisatiers à proximité
du puits qu'il a tenté d'ouvrir. A mon sens, il eut été préférable
de chercher l'eau auprès de la rive gauche, car la nap[)e
souterraine, qui existe certainement, doit être déviée de ce côté
par la barrière argileuse du lit, sous les dunes qui forment
bordure entre El-Morra et El Moungar. Si mes prévisions sont
justes, etsi on trouve l'eau près de la rive gauche, on obtiendrait
au point de vue militaire, le double avantage de ne pas camper
dans un lit d'oued, aux risques d'une crue que rien n'annon-
cerait, et de s'écar-ter moins de la ligne droite qui joint
El Morra à Zafrani.
C'est en face d'.'^l-Moungar que s'ouvre dans la hammada,
à l'Ouest, la trouée de l'Oued-Sabbah, qui crée une communi-
cation entre la région de l'Oued Guir et celle de la Zousfana,
et permet de gagner les ksours des Doui-Ménia par Oglat-
Menouarar, Haci-Aouimiet Oglat-Ghelkha; par là aussi, on peut
se porter sur Kenadsa et Déchar en remontant une vallée
parallèle à la Zousfana.
Zakrani. — Poura'ler d'EI-Moungarà Zafi-ani (16 kilomètres
environ ), on regagne obliquement, en se du'igeant \ers le Sud,
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 25
la rive gaiiciie de la Zousfana marquée par les ondulations
d'un plateau peu élevé au delà diupiel on aperçoit les basses
dunes qui s'étagent ensuite pour tonner l'Erg. Au bout d'une
demi- heure de marche on traverse le lieu du combat d'El-
Moungar.
Un signal en maçonnerie élevé par nos puisatiers au pied de
de l'Erg indique le point en face duquel se trouvent les puits
de Zafrani à 1,500 ou 1,000 mètres dans les dunes. Il est
regrettable que les recherches faites pour trouver l'eau en
dehors des dunes n'aient donné aucun résultat, car si on
campe auprès du signal on est loin des puits, et si on va
s'installer aux puits, on s'éloigne de la route à suivre, avec
l'oljligation de traverser un parcours dilficile. 11 est probable
que de nouvelles recherches seront plus heureuses si on les
dirige, soit plus près de la Zousl'ana, soit à petite distance des
dunes, un peu au Sud de l'emplacement actuel, pour partager
mieux la distance de Taghit à El-Moungar. Actuellement il
existe deux puits maçonnés et couverts, fournis>ant une eau
excellente et assez abondante. Une tombe voisine recouvre les
restes d'un fils de Bou-Amama.
C'est donc à Zafrani que le voyageur touche pour la première
fois le pied de l'Erg, masse énorme de sable fin, jaune orange,
aux formes tourmentées et changeantes, aux crêtes en lanie
de couteau que les Arabes appellent à juste titre « siouf »
(pluriel du mot « sif » qui signifie sabre). Là, il ne faut plus
chercher l'application des règles topographiques, car le vent y
agit en maître, faisant tourner en tous sens le sable nu de toute
végétation ; des entonnoirs profonds s'ouvrent .souvent sur le
tlanc d'une dune élevée, une croupe correspond à une ravine
de l'autre côté d'une crête; en un mot, c'est un chaos sablon-
neux dans lequel un voyageur isolé ressent une impression
toute nouvelle, de tristesse, de profonde solitude et d'écrasement
devant cette immensité déserte. Comme la mer à laquelle il
ressemble à plusieurs points de vue, l'Erg a ses fureurs ;
par un veut violent, les siouf des dunes fument et déferlent
comme la crête des vagues ; le sable suivant les coulées
ouvertes devant lui, les remonte jusqu'à la crête suivante
qu'il iranchit pour continuer plus loin sa course rapide en
nappe traînante.
De loin en loin, un balai de « rtem » ou genêt à fleur
blanche apparaît en vei-t tendre sur le fond jaune de l'Erg.
26 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
Taghit. — Pour aller de Zafrani à Taghit (prononcez : Tàrite),
on continue à suivre le plateau situé sur la rive gauche de la
Zousfana en longeant les premières dunes de l'Erg ; on laisse
l'oued s'éloigner à environ trois kilomètres vers l'Ouest, dans
la grande boucle qu'il décrit après avoir doublé le bec
d'El-Moungar. Au bout d'une heure de marche, on commence
à apercevoir au point où la crête de la hammada semble
couper celles de l'Erg vers le Sud, une construction française;
c'est un petit fortin commencé en 19D0 et terminé en 1901, qui,
élevé sur un bec de la hammada, domine Taghit à courte portée
de fusil. En s'avançant encore, on découvre un peu plus bas,
dans une échancrure à gauche du fortin, une masse sombre
dont la ligne supérieur'e dentelée indique des habitations;
c'est en etVet le poste de Taghit qui, accolé au ksar, semble au loin
former corps avec lui . En se rapprochant encore, on aperçoit vers
la droite, sur le plateau mémeoii l'on chemine, la haute enceinte
carrée du Usar Zaouïa-Foukania qui marque la limite Nord de
l'oasis des Beni-(ioumi ; en même temps, quelques palmiers
émergent le long de la Zousfana dont le lit s'est encaissé.
Avant d atteindre Taghit, on longe successivement deux
oasis minuscules à moitié ensablées et presque abandonnées.
Après avoir ensuite traversé un plateau (1) de sable et de
cailloux légèrement ondulé on entre dans le défdé de Taghit
par un passage resserré entre l'Erg et les jardins de palmiers ;
la piste est envahie par des barres transversales de sable
qu'arrêtent à peine les murs des jardins et elle ne livre
un passage convenable qu'à deux ou trois animaux de front.
Là, l'œil lassé par la monotonie du long chemin parcouru
pendant les étapes précédentes, se repose avec plaisir sur la
ligne imposante de verdure de l'oasis et sur la bizarrerie du
paysage. Celui-ci présente en elïet, par un beau soleil du
moins, une tonalité si parfaite que l'esprit le moins artiste en
est frappé ; le tableau a pour cadre à gauche, comme en bas,
le jaune orangé et lumineux des dunes avec ses fortes ombres
violettes, en haut le bleu d un ciel rarement troublé, à droite
la masse violet-sombre de la hammada éclairée parfois de
taches jaunes de dépôts de sable, ou blanchâtres des traces
d'éboulements ; enfin au centre, le brun des constructions
(1) Sur ce p'ateau, nous avons trouvé un grand nombre cie pierres et
de silex, taillés, hacliis, pioclies. pointes de flèche, etc. {Note de l'auteur).
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 27
et la ligne verte des paiiiiiers. Il y a de quoi tenter les
aquarellistes et leur donner toutes satisfactions. Les plioto-
graphes y trouvent moins leur compte, car, sous un ciel blanc,
ils n'obtiennent que des tons foncés où l'on ne peut plus
reconnaître les oppositions de teintes dont la vivacité constitue
précisément le charme du paysage.
Depuis huit jours, on a traversé un pays désert ; en fait de
figures nouvelles, on n'a rencontré que quelques courriers ou
des petits convois civils qui sont envoyés de Duveyrier pour
ravitailler nos postes ; en arrivant à Taghit, on se trouve
heureux de voii- des camarades connus ou non et d'atteindre
enfin un point habité du Sahara Chaque fois qu'une troupe
s'y présente, c'est un événement joyeux pour la garnison et
elle le marque en hissant les couleurs françaises sur la baraque
du commandant du poste, sur une des tours du ksar et sur le
fortin ; en outre, la clique des détachements lance ses notes
les plus gaies au moment ou la colonne entre dans le défilé,
les officiers viennent à cheval au devant des arrivants, on
reçoit les invitations des diverses popotes ; tout cela met au
cœur un sentiment joyeux qui contribue encore à augmenter
la bonne impression produite par le paysage.
Taghit n'était auparavant qu'un petit ksar pittoresquement
planté sur un rocher qui barre le défilé à peine large
de 200 mètres entre le pied et l'Erg et celui de la hammada ;
l'oued coule au milieu de l'oasis entre le ksar et la hammada.
La colonne qui, commandée par le colonel Bertrand, est
3-rrivée la première au printemps de IflOO, avait trouvé là une
certaine résistance opposée par les Doui-Ménia possesseurs
du pays ; mais la vue de deux canons de 80 de montagne
braqués sur le ksar, avait suffit pour vaincre les veilléités
guerrières des quelques détenseurs abrités derrières leurs
murailles. La colonne put passer sans avoir à faire feu et
continuer sa marche sur Iglison objectif. Tout d'abord, elle ne
laissa aucune garnison à Taghit, et c'est seulement deux mois
après l'occupation d'Igli, qu'un détachement fut envoyé parla
colonne pour s'installer à Taghit et empêcher ainsi les Doui-
Ménia d'y barrer la route à nos convois de ravitaillement. Ce
détachement commença à construire une redoute accolée au
ksar, sur la partie de rocher laissée libre entre le ksar et l'Erg,
puis un fortin sur la pointe de hammada située de l'autre côté
de l'oued. Le poste est dominé à faible distance: d'un coté, par
28 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
la dune, et de l'autre, | ar cette pointe de hammada, élevées
toutes deux de 90 à 100 mètres ; sa situation serait dangereuse
sans l'occupation de ses hauteurs d'où l'on peut heureusement
battre, avec un petit nombre de fusils, tous les abords et qui
constituent ainsi un sérieux llanquement. Un poste optique,
placé sur la pointe de la dune la plus rappr'ochée, assure la
communication avec Igli ; l'extrême mobilitô du sable n'a pas
encore permis de faire là une construction ; la garde du poste
optique se contente pour l'instant d'un retranchement carré
de quelques mètres de côté, éle\é au moyen de sacs à distri-
bution remplis de sable.
En outre de sa garnison (actuellement Lf compagnies
d'infanterie), Taghit possède un bureau arabe et un receveur
des postes. Un village de mercantis européens, composé de
quelques maisons en terre, s'est élevé au pied de la muraille
sud du ksar. Quand ce point sera en communications rapides
avec Aïu-Séfra, les touristes pourront le préférer à Biskra s'ils
y trouvent le confort désiré, car l'hiver y est charmant et on
peut y jouir pleinement de l'inqjressiûn du désert.
Le ksar Taghit n'est qu'une agglomération de quelques
pauvres habitations enfermées dans une enceintede3 à 4 mètres
de hauteur, flanquée de tours carrées. Une mosqué edresse au
milieu du ksar son minaret sans caractère; la première garnison
s'est amusée à l'orner de quelques moulages en argile en même
tem[is qu'elle a ajouré par le même procéilé, le sonnnet du
mur mitoyen du ksar et de la redoute alin d'enlever aux
habitants, en cas de révolte, toute velléité de se placer là pour
tirer dans l'intérieur de la redoute. Ce dernier travail à eu
pour résultat de procurera la garnison la distraction de voir
souvent des silhouettes féminines, peu gracieuses d'ailleurs,
vaquant à leurs occupations sur les terrasses en bordure.
Une seule porte bisse, ouverte sur la face Sud, donne accès
dins le ksar ; un souterrain permettait de descendre dans
l'oasis par la face Ouest, l'autorité militaire l'a fait fermer afin
d'empêcher les entrées clandestines. Un puits profond existe
sur la face Nord, à l'intérieur du ksar.
Toutes les constructions arabes sont faites en « toub » ou
mottes d'argile moulées à la main et séçhées au soleil.
Ce procédé étant le seul employé dans les oasis du Sahara
oranais, je vais le décrire, une fois pour toute, avec quelques
détails ; il est d'ailleurs des plus simples : Un indigène veut- il
ZOUSFANA — GUm — SAOURA 29
bâtir une maison, un mur à son jardin '? Tl cherche dans le Ht
de l'oued un endroit argileux et y creuse une fosse rectangu-
laire. Au fur et à mesure qu'il en bêche la terre, il mouille
celle-ci si elle ne l'est déjà, lapétrit avec les pieds et fait à la main
des mottes en forme de demi-cylindre de 0'"30 de longueur
environ; il pose ces mottes sur le sol sec, la partie plane en
dessous, et en aligne ainsi plusieurs milliers qu'il fabrique très
vite. La surface du sol contenant toujours plus ou moins de
sable, ces « toub » ne s'y attachent pas en séchant. Lorsqu'elles
sont séchées, on les emploie à construire, et l'on voit de suite,
d'après leur forme, le parti que l'on peut en tirer : une
première rangée et posée à plat sur un lit de mortier frais de
même composition, puis, pour faire la deuxième rangée au-
dessus, il suflt de combler le vide entre deux « toub » avec
une autre disposée le plat en haut ; un peu de mortier jeté
à la poignée bouche les interstices et agglomère le tout.
Quand le mur doit être haut on le fait épais à la base et on
y met de gros cailloux mêlés aux « toub », principalement
dans les jardins où il faut donner plus de consistance aux murs
exposés au contact des eaux d'irrigation ; celles ci, en effet,
désagrégeraient trop vite les matériaux s'ils étaient composés
seulement de terre.
Si l'on veut avoir une construction d'un genre un peu
difficile, telle que coupole de koubba ou de mosquée, arceaux
dans une cour intérieure, on fait venir des maçons deTafilala;
aussi est-ce l'exception à cause du prix de revient et encore
le travail produit par ces ouvriers spéciaux n'a-t-il rien
d'élégant.
A l'intérieur des habitations, aucun meuble, à peine des nattes
en drinn avec ou sans laine, un foyer et quelques ustensiles de
cuisine ; la fumée s'échappe par l'ouverture supérieure
pratiquée dans la terrasse. C'est sur la terrasse que se passe
la vie au grand air, le jour en hiver, la nuit en été ; on y accède
30 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
par des échelons taillés dans un tronc de palmier dressé contre
l'ouverture; là, se trouve la basse-cour réduite souvent à une
chèvre et à quelques poules de petite espèce ; de ci, de là, on
aperçoit un chat considéré comme animal de luxe et d'utilité
aussi, car les souris pullulent dans ces bâtisses en terre.
La redoute est un véritable tour de force accompli par nos
troupes en tant que constructions. Sur un roc précédemment
nu, bosselé, troué, presque à pic vers le Nord, en pente assez
raide vers le Sud, s'élèvent maintenant des baraques pour
toute la garnison, celles des officiers sur l'arête, celles de la
troupe sur la pente Sud. Et avec quoi a t-on bâti tout cela ?
Avec la pierre même du rocher fouillé en tous sens, quelques
bois fournis par le génie et le surplus en tronc de palmiers,
des « djerid » ou feuilles de palmier, et pour tenir le tout, du
mortier fait avec une sorte de tuf très collant recueilli à
proximité. Pour cette besogne, chaque soldat européen ou
indigène s'est improvisé maçon, carrier ou charpentier sous
la direction de quelques spécialistes du génie ou du bataillon
d'Afrique. On peut s'imaginer la quantité de travail fourni en
calculant le rendement de 2.50 hommes travaillant en moyenne
6 heures par jour pendant plus d'un an. C'est là qu'on admire
la sagacité des officiers pour devenir des architectes, le zèle
des gradés inférieurs pour devenir des contre-maitres, enfin la
patience, la bonne volonté et l'adresse des soldats pour mener
tout à bien ; les hommes du bataillon d'Afrique, rebut social
en tant qu'hommes, sont ici d'admirables ouvriers, débrouil-
lards, aptes à tout, même sans l'avoir appris.
Au Sud de Taghit, s'étend un plateau dominant la rive
gauche de la Zousfana et touchant au pied de l'Erg. En moins
de 13 kilomètres on y rencontre les ksar Barrebi, Bakhti et
Zaouïa-Tahtania qui avec Taghit et Zaouïa-Foukania composent
l'oasis dite des Beni-Goumi. Les jardins et les plantations de
palmiers se succèdent sans interruption dans le lit de la
Zousfana tout le long de ce parcours, s'élargissant ou se
resserrant selon la distance entre les berges ; un passage non
cultivé quoique planté de palmiers est laissé libre pour la
traversée des eaux normalement courantes et pour l'écoulement
des crues.
L'ensemble des ksour des Beni-Goumi comporte environ
1,600 habitants et 80,000 palmiers. L'histoire de ces pauvres
gens est des plus simples. Sédentaires dans la contrée depuis
31
une époque très reculée, ils ont été de tous temps les esclaves
des peuplades nomades et belliqueuses qui ont été successi-
vement les maîtres du pays ; Doui-Ménia, Glienanema,
Ilamyane, Beraber, et d'autres peut-être ont souvent lutté
pour cette possession qui livrait à leurs caravanes la meilleure
route du Touat en même temps qu'elle leur procurait des
récoltes de dattes ne leur coûtant rien. En efïet, avant notre
arrivée à Taghit, les Doui-Ménia, maîtres de la plupart des
jardins, se gardaient bien d'y travailler ; leurs kliammès —
esclaves des Beni-Goumi les cultivaient pour eux et ils y
puisaient à pleines mains, violant sans vergogne le contrat
qui les liait à ces malheureux et qui peut se résumer à ceci :
(I Le Doui-Ménia est propriétaire de la plupart des jardins ;
les khammès ont le droit de cultiver le sol sous palmiers
pour leur propre compte ; ils entretiennent la culture des
palmiers dont la récolte appartient au Doui-Ménia, sauf les
dattes dites du vent qui leur sont abandonnées (on comprend
qu'il s'agit des dattes tombées naturellement du palmier) ».
Le khainmès cultivait donc dans ces jardins quelques
légumes, un peu d'orge et quelques fruits ; mais un beau
jour, le Doui-Ménia venait là en villégiature y apportant sa
tente, et faisait bombance avec la récolte de son fermier.
On devine facilement le peu d'ardeur que les khammès
mettaient à soigner leurs cultures.
L'hiver dernier, je me trouvais un jour dans un jardin de
Zaouïa-Foukania où des travailleui's préparaient Je sol aux
semailles d'orge ; leurs coups de bêche ne faisaient
qu'ameublir légèrement la surface et laissaient même des
parties non remuées. J'ai cherché à leur faire comprendre
qu'ils auraient intérêt à fouiller la terre plus profondément
tant pour ménager l'eau des irrigatious que pour obtenir une
récolte plus abondante. L'un d'eux, un vieillard, m'a répondu :
« Oui, tu as raison, mais à quoi cela nous avancerait-il, ce sera
mangé par les' Doui-Ménia ». Je lui fis remarquer que les
Français occupant maintenant le pays, il n'avait plus rien à
redouter des Doui-Ménia qui avaient émigré vers le Haut-
Guir ; il me répondit simplement : « Qu'en savons-nous ? »
Cette petite conversation montre suffisamment combien était
et est encore puissant le sentiment de servitude de ces
malheureux vis-à-vis de leurs oppresseurs. Depuis lors, les
Doui-Ménia sont venus d'eux-mêmes, en grande partie du
32 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
moins, se placer sous l'autorité de la France ; ils ont repris la
jouissance de leurs jardins, mais ils ont dû renoncer à
considérer leurs anciens esclaves des Béni Goumi autrement
que comme des fermiers et surtout à piller la part que la
coutume attribue à ceux-ci dans la récolte des produits.
Cette situation est d'ailleurs celle que les troupes françaises
ont toujours trouvée dans la plupart des ksour appartenant
aux nomades ; elle est bien connue et je crois inutile de la
détailler plus.
La région des Beni-Goumi présente le long de la vallée,
depuis Taghit jusqu'à Zaouia-Tahtania, de nombreuses ruines
de ksour, celles de Mezaourou et de Tiazit sur le flanc de la
bammada, celles de Bizanne un peu au Nord de Barrebi sur
la rive gauche. Ne datant que de 25 à ;?0 ans, elles sont
encore très visibles ; elles résultent de la dernière lutte entre
les Ghenanema, alors possesseurs du pays, et l^s Doui-Ménia
qui sont les propriétaires actuels.
Des inscriptions qui semblent remonter à une époque très
antérieure d'occupation berbère (150 ans au moins et peut être
beaucoup plus), existent sur les parois inférieures des rochers,
au pied de la bammada, entre Taghit et Bakhti (1). Elles
représentent des animaux sauvages ou domestiques existant
encore dans la contrée, quelques hommes à pied ou à cheval
et des objets; des caractères qui paraissent être des signes de
la langue berbère sont semés ça et là au milieu des dessins.
Les habitants des Beni-Goumi expliquent les inscriptions par
une légende. « Il y a très longtemps, disent-ils, les hommes
sont devenus inq)ies, et pour les punir, Dieu a tra isformé leurs
âmes en ces animaux, les condamnant à rester là jusqu'à leur
délivrance. » Il m'a paru possible de rattacher cela à la
répudiation forcée de la religion chrétienne par les peuples
berbères sous la pi'ession des Arabes vainqueurs, mais ce n'est
là qu'une simple supposition. Pour l'instant, les inscriptions
des Beni-Goumi sont utilisées comme « croquemitaine n par
les habitants ; quand un enfant n'est pas sage, on le menace
de l'y conduire et de joindre son âme transformée en animal
à celles qui y sont déjà.
(1) V.'ir la noliee de l'auteur publiée, au sujet rie ces inscriplious, par
la Société de Géograpliie et d'Arcliéologie d'Oraa, dans son bulletin
de janvier 19U2.
ZOCSFANA — f.LIU — SAÛLRA. 33
Avant l'envoi de nos colonnes sur la Zousfana, le groupe des
Beni-Goumi n'était autre qu'un fief appartenant aux Doui-
Ménia et par suite indépendant du Maroc ; l'autorité du Sultan
déjà purement nominale dans des régions plus septentrionales,
ne comptait là pour rien. Dès qu'il a été question de nous ratta-
cher la Zousfana et le Touat, le Sultan s'est empressé d'envoyer
son cachet à de soit-disants caïds dans les cinq ksour des
Beni-Goumi : il est permis de supposer que des manœuvres
diplomatiques adverses n'ont pas été étrangères à cet acte.
La politique française n'en a pas tenu compte à juste titre, car
ses droits, d'après les traités antérieurs, lui permettaient de
venir dans la Saoura sans violer l'intégrité du Maroc,
contrairement à ce que nos adversaires voulaient faire croire
au moyen de ces nominations de caids marocains.
La justice était alors fort simple : un cadi jugeait en premier
ressort et généralement les choses restaient là ; dans quelques
cas exceptionnels, la partie non satisfaite en appelait à un cadi
du Tafilala qui pouvait casser le jugement et en porter
un autre.
Au point de vue religieux, les Beni-Goumi formaient deux
« zaouia » dirigées par les marabouts de Zaouïa-Tahtania et
de Zaouïa-Foukania ; la première était la plus importante car
elle s'étendait sur les ksour Zaouïa-Tahtania, Bakhti, Barrebi
et Tahgit, ne laissant â l'autre que Zaouia-Foukania. Cette
situation a produit une difficulté lorsque nous avons voulu
organiser l'administration de la région. Nous ne pouvions pas,
comme l'avait fait le Sultan, instituer plusieurs ca'idats pour
une population totale de 1,500 à 1,600 individus, un seul devait
suffire et une nomination s'imposait : celle du marabout de
Zaouia Tahtania qui nous avait rendu les plus sérieux services.
La Zaouïa-Foukania, tenait d'autre, part à rester indépendante
de sa voisine, et il fallut une certaine adresse pour lui faire
accepter l'unité administrative des cinq ksour. La zaouia de
Kenadsa possède à son tour une certaine autorité sur celles des
Beni-Goumi où elle détient des jardins. Depuis un an, grâce
à une politique de pardon et de conciliation, les Doui-Ménia
ralliés peu à peu à nous, viennent reprendre la jouissance de
leurs jardins et y dresser leurs tentes comme précédemment.
Chaque année, à l'automne, ils se transportent sur le Guir
pour y semer des céréales ; ils occupent alors là-bas les ksour
qui leur appartiennent et les abandonnent après la récolte pour
34 ZOUSFANA — GUm — SAOURA
passer l'été sous l'ombrage des oasis des Beni-Goumi. Ils
possèdent des troupeaux de chameaux, des bœufs, des moutons
et des chèvres qui trouvent dans les oueds Guir, Bou-Dib et
Kheroua, à l'Ouest de Taghit, les pâturages nécessaires.
Le Doui-Ménia est de race Arabe, guerrier, dominateur et
nomade, vivant sous la tente; ses temmcs sont blanches,
souvent fines et jolies.
Chez les Beni-Goumi on retrouve le Berbère mêlé à l'Arabe
et au Nègre ; une race spéciale s'y est formée qu'on appelé les
« Harratine » (au singulier Hartani), elle est demi-Nègre, de
taille moyenne, très robuste, et elle s'occupe surtoutdes travaux
de jardins. Le type local resté blanc, est, au contraire, chétif,
sec, pâle comme tous les ksouriens ; il travaille peu et vit du
travail de ses khammès, dans les quelques jardins dont les
Doui-Ménia lui ont laissé la propriété.
Je donnerai plus loin quelques détails sur la région comprise
entre le Guir et la Zousfana et qui constitue les terrains de
parcours des Doui-Ménia.
Reprenons maintenant notre voyage par étapes vers le Sud.
ZAOu'iA-TAHTANi.v. — Lu t'ace sud du rocher de Taghit
tombe sur un plateau uni qui va en s'élargissant jusqu'à
Barrebi et qui est à peu près dépourvu de végétation. Un vaste
cimetière s'étend au pied du ksar en longeant la berge gauche
de l'oued ; on y remarque deux « koubba » dont la construction
est assez grossière mais dont les murs peints à la chaux
tranchent vivement sur la teinte ocre-rouge foncé des autres
murailles. L'emplacement choisi pour établir une redoute
définitive et des casernes, se trouve à l'extrémité sud de ce
cimetière, sur une pointe qui domine l'oued.
Un peu avant d'atteindre Barrebi, on passe à proximité des
ruines de Bizane qu'on laisse sur la droite. En face de Barrebi
et au pied de l'Erg, se trouve dans un creux une petite oasis
abandonnée et que le sable envaliit peu à peu. Après Barrebi,
on continue à suivre en terrain uni de « reg » tantôt dur, tantôt
mou, la berge de la rive gauche et on atteint Bakhti, ksar
construit en contre-bas du plateau. Un peu plus loin, la dune
se rapprochant de l'oued, il tant descendre du plateau
et avancer péniblement en coupant les basses dunes transver-
sales qui barrent l'espace très étroit compris entre l'Erg et
les jardins. L'étape de Taghit à Zaouia-Tahtania n'est que
ZuUSFANA — GUIH — SAOURA 35
de 14 kilomètres, mais elle est la plus redoutée parles colonnes
à cause de ce mauvais passage. En novembre 1900, nous avons
dû la franchir avec un convoi de 4000 chameaux ; ceux-ci ne
pouvant avancer qu'en file indienne, on devine quel temps
il nous a fallu employer.
Le ksar Zaouïa-Tahtania est construit au pied de la dune
dans un grand cirque dont l'oasis profite pour s'élargir
sensiblement; toutefois, ce point finira par être envahi par
le sable dans un délai plus ou moins long
La falaise de la hammada dont une pointe porte un petit fort
à hauteur de Taghit, décrit d'abord un cirque vers l'ouest, puis
vient rejoindre la rive droite de l'oued Zousfana un peu
au nord de Barrebi et la suit ensuite exactement jusqu'à
Zaouïa-Tahtania en la dominant presque à pic d'une centaine
de mètres ; elle est coupée de quelques ravines et sa pente
comporte en certains points des paliers rocheux et horizontaux
qu'un piéton peut suivre facilement. Un promeneur fera une
agréable excursion en cheminant dans le fond de l'oasis depuis
Taghit jusqu'à Zaouïa-Tahtania ; il trouvera quelque mauvais
passages, sera harcelé par les chiens sortis des tentes des
Doui-Ménia, mais en revanche il sera constamment sous la forêt
de palmiers, sur un sol ferme, et jouira d'une verdure gaie,
variée de tons et ensoleillée ; il serait à souhaiter qu'un
chemin fut créé sur ce parcours pour remplacer l'affreuse
piste suivie jusqu'ici pour aller à Zaouïa-Tahtania. A la vue
des ruines de Tiazit et de Mezaourou juchées sur la hammada,
on se rend compte de l'insécurilé qui a dû régner antérieure-
ment dans la région ; c'étaient de hardies constructions élevées
sur des rochers à pic, et il fallu pour les édilier hisser
jusque là les matériaux pris dans l'oued.
El-Aouedj. — A Zaouïa-Tahtania se termine brusquement
l'oasis des Beni-Goumi, mais les berges de l'oued, quoique
privées de palmiers, continuent à être cultivées en céréales
jusqu'à quelques centaines de mètres plus loin. La Zousfana
décrit un coude presque à angle droit et vers l'Ouest pendant
deux kilomètres environ, puis reprend sa direction générale
N.-E. S.-O. A ces coudes correspond un élargissement
de la vairée, comblé en partie par des basses dunes. C'est là
aussi, à la courbure la plus occidentale, qu'aboutit une piste
venant du Nord à travers la hammada et qu'on pourrait utiliser
pour venir de Taghit ; elle suit un vallon parallèle à la Zousfana,
36 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
l'oued Hadeness et ne présente sur la hammada aucune
difficulté de parcours ; elle est généralement suivie par les
caravanes indigènes qui n'ont pas besoin comme nous, de faire
toujours étape aux points d'eau ; il suffirait pour la rendre
accessible à nos convois, d'améliorer les rampes d'accès de la
hammada en face de ïaghit et au coude dont je viens de parler,
puis d'aménager des puits en un point un peu plus éloigné où
se trouve déjà un ancien puits arabe marqué par un palmier
isolé dans le lit de la Zousfana. C'est d'ailleurs par là qu'on
sera obligé de dévier la ligne de chemin de fer à partir de
Taghit, si le projet de construction jusqu'à Igli par la Zousfana
est maintenu. Il ne faut pas, en effet, compter lui faire suivre
la Zousfana dans le défilé de Taghit où le travail de main-
d'œuvre serait considérable, sans garantie de solidité. Pour
gagner El-Aouedj, on continue à suivre le lit de la Zousfana
que l'on avait quitté tout d'abord pour couper le grand coude
dont il vient d'être question ; la falaise dominant toujours
la rive droite à courte distance, forme souvent des paliers
étages presque privés de végétation. Dans le fond de la vallée,
au contraire, et sur les basses pentes des dunes, on trouve
une végétation assez abondante ; en certains points le tlaïa est
nombreux.
Dix huit kilomètres environ séparent Zaouïa-Tahtania de
El-Aouedj. A l'arrivée à l'étape on trouve une redoute en
en pierre sèche et deux puits maçonnés que nous avions
construits au commencement de 1901. L'eau est très bonne
mais en quantité insuffisante ; il faudrait des puits plus
profonds ou plus nombreux.
Igli (redoute). — Il y a 30 kilomètres d'EI-Aouedj à
la redoute d'Igli. La piste suit toujours la Zousfana, tantôt sur
une rive, tantôt sur l'autre ou même dans le lit où le sable
mêlé d'argile est souvent le moins meuble. La région a
le même aspect que dans l'étape précédente ; c'est un couloir
successivement élargi et rétréci, le sol est très caillouteux,
la hammada se dresse noire et dessinant une crête horizontale
dentelée, sur laquelle apparaissent quelquefois des « gour » ou
amas de roches nues en forme de tronc de cône.
La direction de la Zousfana se relève vers l'Ouest jusqu'à
8 kilomètres avant Igli, puis, par un grand coude, elle
s'infléchit vers le Sud avant de contluer avec l'oued Guir.
En i'ace de cette dernière courbure, la hammada est
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 37
brusquement interrompue et laisse s'ouvrir une vallée qui
met en communication facile la Zousfana et le Guir; la distance
entre les deux rivières n'est alors que de 1,800 mètres.
Il est fort probable que là était primitivement le conlluent et
que celui-ci a été ensuite reporté un peu plus loin par un
nouveau soulèvement ; on trouve en effet sur l'ilot rocheux
qui succède à cette coupure des quantités de cailloux de
rivière et des coquillages signes certains du soulèvement
d'un lit précédemment parcouru par les eaux courantes.
Le trajet d'El-Aoued à Igli présente de nombreuses et très
grandes touffes de tlaïa qui, si elles étaient régulièrement
exploitées, fourniraient peut être une abondante récolte des
précieuses galles à tanin qu'elles produisent chaque année.
Un peu avant d'atteindre Igli, on aperçoit quelques beaux'
gommiers au feuillage vert clair formmt parasol. La redoute
d'Igli apparaît juchée sur un roc isolé qui se dresse sur un
plateau à l'entrée duquel la hammada se termine brusquement.
Le cimetière de la garnison est là, au moment où l'on quitte la
Zousfana pour gagner le plateau ; un sentiment de tristesse est
le premier qui vienne au voyageur, car la pitié qu'évoque en
lui la vue des tombes est encore influencée par un sombre
horizon de pierres et de sable barré en son milieu par le rocher
noir de la redoute ; seules quelques touffes vertes de tlaïa
émergeant de la Zousfana, et des gommiers alignés au pied de
la hammada, jettent une note claire sur le tableau. Abordons
néanmoins la redoute en chassant toute idée défaillante, car
dans ces régions il faut garder un excellent moral si l'on veut
y vivre. La description de ce point n'aura doi'énavant qu'un
intérêt rétrospectif, son abandon venant d'être décidé.
Commencées au printemps de 1900 par la colonne Bertrand,
les constructions de la redoute ont été continuées et terminées
par la nouvelle garnison de 1900-1901. Il ne s'agissait, bien
entendu, comme à Taghit, que de constructions provisoires,
élevées sans crédit par la main d'oeuvre militaire au moyen
des ressources locales. Une enceinte mi-maçonnée, mi en
pierre sèche, couronne le sommet du mamelon et renferme,
d'un côté, le baraquement des officiers, de l'auti'e, celui de la
troupe et ses annexes. La pierre ne manquait pas ; il a sufii
de mettre en morceaux les blocs épars semés sur les pentes du
mamelon, et à l'aide des outils gracieusement prêtés par le
génie, il a été possible de créer en un an un ouvrage qui
38 ZOUSFAXA. — GUIR — SAOURA
aurait pu durer longtemps à la seule condition d'être quelque
peu entretenu.
Un rectangle formé par cinq maisons en brique crue élevées
au pied Est de la redoute constitue le village des mercantis
qui n'ont pas craint de pousser jusque-là pour fournir à la
garnison les quelques denrées ou objets qu'elle ne pouvait
pas demander à l'administration militaire.
Malgré la somme considérable de travail exigée par les
constructions, on ne peut qu'applaudir à la décision qui
ordonne l'abandon de ce poste. Au début des opérations, il a
eu la grande utilité d'offrir une position sûre à la nombreuse
colonne du colonel Bertrand pendant l'organisation des divers
services dans la région, mais il n'a jamais eu, comme on
l'avait cru tout d'abord, la moindre valeur au point de vue
stratégique contre les incursions venant de l'Ouest. Le Guir et
la Zoustana confluent, il est vrai à Igji, mais ils ne sont
nullement des directions obligatoires pour aller du Talilala à
la Saouraetau Touat. Le Beraber, très mobile, n'ayant comme
bagages que ses armes et quelques vivres, peut éviter Igli
sans difficultés en marchant parallèlement à la Saoura à l'Ouest.
Il suffira de rappeler à ce sujet que la harka de 1,050 Beraber
partie du Tafilala pour attaquer Timimoun au commencement
de 1901, n'a été signalée que par hasard comme venant de
'passer à Ouggueurt, et cependant, c'était une bande relati-
vement considérable, ayant besoin de s'arrêter aux points
d'eau, et laissant sur sa route des traces marquantes.
Des journaux ont répandu alors le bruit qu'aucun rensei-
gnement n'avait été donné sur la marche de cette harka ;
je puis alfirmer la fausseté de cette allégation, car j'ai eu
personnellement connaissance de l'avis envoyé d'Igli. En
admettant même qu'une approche semblable passe inaperçue,
on ne pourrait en vouloir à personne tant il serait facile de la
dérober à tout service de renseignements dans une contrée
aussi coupée et aussi peu habitée. Toutefois, il y a peu à
craindre maintenant que le fait se produise ; des intelligences
créées à l'Ouest, des émissaires envoyés en reconnaissance
par les bureaux arabes de Taghit et de Benni-Abbès ne
laisseront pas passer un parti sérieux sans que nos postes en
soient informés. Au début, rien de tout cela n'existait et les
garnisons étaient tenues dans un qui-vive continuel par des
racontars souvent faux jusqu'à l'absurde.
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 39
Malgré l'abandon de la redoute actuelle, on laissera une
petite garnison près d'un mamelon situé à proximité du ksar
et ou se voient encore les ruines d'un ancien ksar. Ce choix
permettra à la troupe de prêter un secours efficace aux gens
d'Igli, en cas d'attaque, ce qu'elle n'aurait guère pu faire en
restant dans l'ancienne redoute, éloignée de plus de 5 kilomètres
du ksar. En outre ce point est plus gai, à proximité des jardins
de l'oasis d'Igli dont nous n'avions que la vue lointaine.
Le confluent topographique des eaux courantes de la
Zousfana et du Guir est à 1,800 mètres au Sud de la redoute
actuelle ; la réunion des deux oueds forme l'oued Saoura.
Le Guir a de l'eau courante toute l'année, jusqu'à plusieurs
kilomètres en amont du confluent; l'eau est un peu salée,
mais en creusant des puits en dehors du lit on trouve une nappe
filtrée dans le sable et relativement potable. Dans la Zousfana,
avant le confluent, des puit=! creusés au pied de la dune nous
procuraient une eau excellente, mais il fallait franchir
une distance de 1,500 mètres pour nous y approvisionner.
Des essais de puits ont été inutilement tentés sur le plateau
dans un rayon rapproché de la redoute et battu par les feux
efficaces des défenseurs ; ils ont été toujours arrêtés par la
rencontre d'une couche de roc dur ayant plusieurs mètres
d'épaisseur. On trouve auprès d'Igli les éléments nécessaires
pour faire sur place chaux, plâtre et ciment ; seulement cela
exige trop de combustible pour être entrepris sur une vaste
échelle. Le bois ne manque pas, certes, mais il faut aller le
prendre à plusieurs kilomètres et les ressources qu'il ollVe sont
justes suffisantes pour alimenter les fours à pain et les cuisines
de la garnison. A 25 kilomètres environ en remontant l'oued
Guir, on trouve sur la rive droite un abondant dépôt d'excellent
gypse pur. A 2 kil. 500 au Sud de la redoute, sur les deux
rives de la Saoura, on voit encore d'anciens fours à ciment
établis par les indigènes pour la construction d'un barrage
dont il reste quelques vestiges et où l'on retrouve un ciment
très solide. Quant à la pierre à chaux, il n'y a qu'à ramasser
sur place, mais elle est dure à la cuisson.
Le mamelon sur lequel s'élève la redoute actuelle d'Ig'i est,
comme nous l'avons vu, isolé sur un plateau bas compris entre
les fins de parcours des oueds Guir et Zousfana à l'Est et à
l'Ouest, et limité au Nord par les derniers contreforts de la
hammada qui constitue l'orographie de la région entre les mêmes
40 ZOUSFANA — GUIR SAOURA
oueds. Ce plateau a une longueur de plus de 3 kilomètres
sur une largeur maxima de 2 kilomètres ; le rocher d'Igli en
occupe le bord Ouest, au tiers inférieur de sa longueur.
La pointe Sud et sa bordure le long de la Zoustana sont
encombrées de dunes dans lesquelles poussent du tamarin
commun et de magnifiques toulTes de tlaïa que des ordres
sévères ont préservés de la destruction, tant pour le plaisir des
yeux que pour constituer une réserve de bois en cas de
nécessité absolue. Ces défenses s'appliquaient d'ailleurs à
toute la végétation située dans un rayon de 5 à 6 kilomètres ;
établies dès le début de l'occupation et rigoureusement
observées, elles auraient permis aux alentours de prendre en
quelques années un aspect moins désolé. C'est une mesure
très sage, à laquelle on devrait toujours songer en pareil cas.
Le bord du plateau longeant l'oued Guir est au contraire nu,
rocailleux, et déchiqueté par de nombreuses ravines dues à
l'action des eaux s'écoulant dans les boues" accumulées là au
moment où les deux oueds ont constitué définitivement leur
lit. Le Guir a en ce point une largeur moyenne de 500 mètres ;
il est à fond tourmenté, sablonneux et couvert de tamarin de
petite taille ; l'eau y coule en ruisseau traversant quelques
vasques plus profondes oi!i poussent quelques roseaux ; la
rive droite est envahie par des dunes surtout près du confluent.
Au delà des oueds, que voit-on ? A l'Est, l'Erg dresse
immédiatement ses hautes dunes ; à l'Ouest, un large plateau
nu sépare le Guir d'une hammada constituée par un chaos de
« gour » noirs, détachés d'une crête bornant l'horizon à une
douzaine de kilomètres ; vers le Sud, dans l'échancrure de
la Saoura, les jardins où l'on devine, à 5 kilomètres 1/2, leksar
d'Igli, à l'Est d'un mamelon tronconique, dont la teinte noire
tranche vivement sur le reste et qui est voisin de l'emplacement
de la nouvelle redoute ; au Nord-Ouest, s'ouvre une large
vallée que l'on croit, tout d'abord, être la continuation du Guir
et que nous avons appelée pour cela le « faux oued Guir»; le Guir
décrit en effet en ce point un coude à angle droit que rien
n'indique à un observateur placé sur le plateau de la redoute.
Malgré la tristesse des lieux, on finit par y attacher un intérêt,
mélancolique il est vrai, mais qui n'est pas moins réel, si l'on
veut observer la nature des choses que l'on rencontre. Ainsi,
lorsqu'on s'engage dans les vallées tourmentées de l'Ouest ou
dans les rides situées au Nord entre Guir et Zousfana, on peut
41
faire là des remarques intéressantes. Il y a de nombreux
gommiers de l'espèce du Sénégal ; comment peuvent-ils
vivre dans ces rochers, sans eau et presque sans terre végétale?
Les pierres résonnent comme de la porcelaine sous les pieds des
chevaux, elles sont tantôt noires et luisantes, tantôt brillamment
colorées et recouvertes d'une concrétion rugueuse, pourquoi?
Encore au point de vue topographique, pourquoi ces formes
de terrain si étranges? Ces gour superposés en escaliers
élevés, ces pitons rocheux se relevant brusquement à mi-pente
ou isolés au millieu des vallées ? Des dunes sont en formation
en certains points ; à quelles règles obéissent-elles pour se
former là plutôt qu'ailleurs ? De temps en temps apparaissent
au promeneur des gazelles isolées ou en petits groupes, qui
grimpent à toute vitesse sur les hauteurs dès qu'elles aperçoi-
vent l'intrus ; au contraire, des corbeaux restent isolemment
en place, se contentant de sautiller à votre approche : ces
animaux sont à peu près tout ce qu'on rencontre en fait d'êtres
vivants dans ces solitudes arides.
Peu à peu on s'habitue, on arrive à se contenter de cela,
mais si, reportant sa pensée vers le Nord, on voit en imagina-
tion la vie dans le Tell ou en France, on se trouve bien perdu
et bien déshérité, et l'on en arrive à envier même le sort des
camarades en garnison sur les Hauts-Plateaux. Ceux qui n'ont
pas vécu pendant au moins un an dans ces régions, nepeuvent
guère se figurer la vie qu'y mènent l'officier et le soldat.
Pendant la bonne saison, de novembre à avril, c'est parfait,
le ciel est toujours pur, les matinées sont froides, mais un
joyeux soleil ne tarde pas à adoucir la température, la maigre
végétation prend des teintes fraîches, tous les organes du corps
fonctionnent bien, on se sent vivre. Mais, dés qu'arrivent les
chaleurs, au commencement de mai, tout change, le moindre
travail corporel ou intellectuel produit une grosse fatigue,
l'appétit diminue ou disparaît, l'estomac devient atone, les nerfs
se tendent, l'air surchauffé, chargé de sable et d'électricité est
lourd à respirer ; les idées noires ont alors beau jeu pour
éclore et envahir le patient ; il est heureux que le climat soit
sain malgré sa dureté, car dans de pareilles conditions l'été
ferait de nombreuses victimes. Je crois devoir signaler
ici un cas de mort extraordinaire : un soldat français,
vigoureux et parfaitement constitué, a été vivement frappé de
la mort d'un de ses camarades ; il devient sombre, perd
42 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
l'appétit et dit à tous qu'il est destiné à mourir là, Le
commandant du poste lui promet de le renvoyer dans le Tell
par le prochain convoi, dans quinze jours ; rien n'y fait, l'idée
noire est tenace, et, sans aucune maladie organique,
le malheureux meurt quelques jours après, malgré tous les
soins qui lui sont prodigués. Des officiers même, au moral
solide, sont quelquefois atteints de neurasthénie, s'ils ne
savent pas se créer les distractions de l'esprit à défaut de celles
du corps que l'insécurité du pays et la température rendent
difficiles. Certes, nous n'avons pas été les premiers à résider
dans le Sahara, on peut y vivre évidemment, surtout lorsqu'une
installation relativement confortable permet de combattre
quelque peu les rigueurs du climat, mais il faut qu'on sache
à quelles souffrances morales et physiques on y est exposé.
.Si j'ai indiqué le mal, je dois aussi indiquer le remède.
Lorsqu'une nouvelle région saharienne est occupée, il faut
établir au plus tôt les communications'rapides avec le Tell,
afin de supprimer le senliment de l'isolement lointain qui est
un grand déprimant moral. Ainsi, on peut s'étonner qu'après
quelques essais tentés en vain pour mettre en communication
optique Djenan-ed-Dar et Taghit, on n'ai rien fait de plus;
ne pourrait-on pas prolonger la ligne électrique jusqu'à Taghit
qui est relié par la télégraphie optique avec Igii? Les moyens
d'action ne manquent pas, car nos soldats du génie viennent
de montrer, une habileté exceptionnelle, en établissant
une ligne télégraphique dans la province d'Alger jusqu'à
Timimoun à travers une contrée beaucoup plus difficile que
la Zousfana; c'est donc une simple question d'argent qui a pu
s'opposer au même travail dans le Sahara oranais. On a dit
souvent que l'argent est le nerf de la guerre, on peut en dire
autant pour l'expansion coloniale, même pacifique comme celle
que nous venons de faire dans la Saoura. Il faut d'abord savoir
ce que l'on veut et ou l'on va, puis ne pas marchander
les crédits nécessaires à l'installation des nouveaux postes
et au bien-être des garnisons. On a assez parlé des millions
dépensés en convois de chameaux. Comment, s'il vous plait,
aurait-on pu, à l'époque, ravitailler plus économiquement
les postes de la Zousfana? Et encore ces convois n'apportaientils
que le strict nécessaire. La sollicitude de «os chefs aurait
certainement voulu s'étendre plus loin, elle a dû y renoncer
faute de crédits sutfisants.
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 43
Après cette légère digression, je reviens à la description
géographique.
Igli (ksar). — Pour aller d'igli (redoute) au ksar du même
nom, on traverse d'abord la Zousfana près de son confluent
avec le Guir, puis un plateau de 2 kilomètres de largeur, à
l'extrémité duquel on tombe dans un grand cirque formé par
une boucle de la Saoura. Les jardins de palmieis commen-
cent immédiatement à la descente du plateau, d'abord sous la
forme d'une bande mince, puis en s'élargissant. La piste
la plus fréquentée traverse des jardins et des dunes avant
d'aboutir au ksar situé sur la branche opposée du cirque.
La lisière Ouest des cultures est sépar'ée de la Sahoura par une
ligne de dunes dans lesquelles apparaissent encore quelques
palmiers, puis par une' petite plaine parsemée de monticules
terreux où poussent de belles toutfes de «. baguel », plante
grasse "qui donne à ce coin un bel aspect verdoyant. On peut
gagner aussi le ksar en passant par là et le chemin est bien
meilleur sans être sensiblement plus long. La lisière Est des
jardins est séparée de l'Erg par un enfoncement qui a été un
le plateau uni et que le sable envahit de plus en plus; en
parcourant on retrouve, au pied même de l'Erg, des bouts de
ravines encore à découvert et formant ti'ous.
A hauteur d'igli, la Saoura décrit vers l'Ouest une boucle
qui enserre un plateau à l'extrémité duquel se dressent deux
collines isolées, le Djebel Youdhi et le Djebel-el-Kebir ;
le ksar se trouve sur le bord Nord de ce plateau, entre ces
collines et l'Erg, où s'étend un large espace uni et découvert
dont la partie centrale est occupée par un cimetière.
Le ksar d'igli est le plus grand d'un seul tenant de tous
ceux de la Zousfana et de la Saoura. Sa forme générale est
celle d'un rectangle que flanquent çà et là des tours carrées.
Deux portes s'ouvrent, l'une très basse, inaccessible aux
cavaliers, sur la face Nord, au débouché des jardins ; l'autre,
suffisamment élevée, au milieu de la face Sud. Une mosquée
très. pauvre existe au milieu des habitations; en revanche,
un puits creusé près de l'entrée de cette mosquée est remar-
quable ; profond de 12 à 13 mètres, il a une section carrée
de 1 mètre et tout son revêtement intérieur est cimenté ;
il a été construit, parait-il, il y a une quinzaine d'années, par
un italien, déserteur de la Légion étrangère, devenu musulman
et qui habiterait dans la région de Bechar. L'eau en serait très
44 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
bonne si une mare croupissante et malpropre, créée par l'usage
au pourtour du puits dépourvu de margelle protectrice,
ne renvoyait constamment dans celui-ci les souillures qu'elle
renferme. Un lavoir aussi malpropre, quoique peu utilisé, est
encore voisin du puits.
Les constructions sont en « toub » et en torchis, sordides,
basses et mal tenues. Les ruelles, les cours, les terrasses
même sont souvent encombrées des déjections des animaux
qui y vivent pêle-mêle avec les gens.
Toutefois, là, comme à Taghit, l'autorité militaire a pu
déjà obtenir quelques nettoyages, probablement inconnus
précédemment.
Un coin du ksar est réservé aux juifs qui ont accaparé
le commerce et fabriquent des bijoux grossiers ; ces juifs
ne sont pas précisément des esclaves, mais ils appartiennent
au ksar, qui les a achetés au Tafilala; ils sont tenus d'y résider,
la population les voit d'un très bon œil et ne se livre vis-à-
vis d'eux à aucune vexation.
Comme dans la région des Beni-Goumi, nous voyons
mêlés aux arabes, des nègres et des n. baratine » emjjloyés aux
travaux de jardinage.
Les jardins ne méritent, au point de vue des productions,
aucune mention spéciale ; quelque peu abandonnés en 1900 et
au commencement de 1901, ils sont d'autant plus remis en
activité que les habitants ont constaté depuis, quels bénéfices
ils peuvent en retirer en vendant leurs produits à la garnison.
Le mode de puisage de l'eau pour l'arrosage des jardins est
différent de celui employé dans tous les autres ksour. L'eau,
au lieu d'être tirée au moyen d'un balancier, est amenée à
l'aide de petits tambours en roseaux formant treuils et ingé-
nieusement placés sur un bâti de perches au-dessus de
l'ouverture béante du puits ; il y en a généralement deux par
puits; le khammès se tient sur un étroit plancher constitué
par de simples perches et juché sur ce perchoir élastique, il
tire de l'eau pendant plusieurs heures sans s'arrêter.
Les Glaoua (singulier Glaoui) ou gens d'Igli ne sont pas
comme les Béni Goumi de race soumise ; ils formaient précé-
demment une agglomération indépendante. Les premiers habi-
tants de la région avaient leur ksar sur le piton noir près duquel
on veut installer la nouvelle redoute et où l'on voit encore en
effet des ruines de ce ksar. Surtout pillards, ils rançonnaient
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 40
les caravanes assez osées pour cheminer le long de la Saoura
dans leur voisinage. Il y a environ 300 ans, une fraction d'une
tribu maraboutique, émigrée du pays de Kerzaz, serait venue
s'installer auprès d'eux et aurait construit les premières habita-
tions du ksar actuel. La bonne entente, due uniquement au res-
pect religieux des Glaoua envers leurs voisins (Oulad-bel-Otman)
dura peu ; aux reproches de ceux-ci au sujet de leurs procédés
pillards, les Glaoua répondirent par des vexations; pour en
finir, les Ouled-bel-Otman expulsèrent les Glaoua et détrui-
sirent leur ksar. Les Glaoua se réfugièrent alors au Tafilala.
Peu à peu les nouveaux maîtres d'Igli s'augmentèrent
d'autres fractions à l'origine desquelles s'attachent diverses
légendes. Les Oulad-ben-Brahim par exemple, auraient pour
fondateur un garçon abandonné par une caravane du Djebel-
Amour, recueilli par les gens d'Igli et qui, plus tard, fonda une
famille en épousant une femme du ksar. Les Oulad-bou-Zian
auraient pour origine un juif du Touat devenu inulsulman et
resté à Igli. Comme aux Béni Goumi, un caidat avait été
institué à Igli par le Sultan du Maroc peu avant l'arrivée des
troupes françaises.
Malgé leur origne maraboutique de la zaouïa de Kerzaz ; les
gens d'Igli reconnaissent une certaine autorité au marabout
de Zaou'ia-Tahtania et prennent souvent ses avis.
Les Glaoua sont maintenant pacifiques et vivent en bons
termes avec leurs voisins, sauf les gens de Beni-Abbès. On
ne cite que deux circonstances dans lesquelles ils ont pris les
armes. Il y cinquante ans environ les « Arib », nomades de la
confédération des Beraber étaient venus voler quelques
troupeaux de chèvres auprès d'Igli ; les gens du ksar les
poursuivirent, échangèrent avec eux quelques coups de fusils
et reprirent leur bien. Une entente amiable mit fin aux
hostillités. Enfin, il y a cinq ou six ans un « Glaoui » possesseur
de propriétés assez importantes à Beni-Abbès en ayant été
dépouillé sans motif valable, ses compatriotes prirent fait et
cause pour lui et livrèrent aux Beni-Abbès un combat qui ne
fournil pas la solution désirée. Le marabout de Kerzaz et le
Sultan lui-même s'interposèrent pour établir les bonnes
relations. et n'y parvinrent pas ; notre administration militaire
y réussira mieux sans doute bien qu'elle ait fort à faire pour
juger des nombreux litiges existants entre les ksour ou les
particuliers dans le territoire nouvellement acquis.
•40 ZOUSFANA — GUIR — SAOLRA
A Igli on trouve une petite industrie, celle d'objets de
vannerie en filaments de feuilles de palmiers, corbeilles,
éventails, paniers, etc...., ornés de quelques dessins bruns et
quelquefois de petits nœufs de laine multicolores.
Dépassons maintenant Igli et enfonçons-nous encore vers le
Sud en suivant toujours la Saoura.
Mazzert. — Après avoir dépassé le plateau du ksar entre
le Djebel-el-Kebir et l'Erg, que borde encore une partie de
hammada non recouverte par le sable, on trouve une nouvelle
oasis appartenant aux Glaoua et qui s'étend en longueur sur la
rive gauche de la Saoura ; une source abondante y fournit
avec des puits l'eau nécessaire aux irrigations. On franchit
successivement les deux branches d'une boucle à la suite de
laquelle l'oued prend, en fossé, une direction S. -S. O. et on
longe le bord du plateau de la rive gauche. Là, encore, s'étend
une nouvelle oasis qui est aussi la propriété des Glaoua. Au
débouché de ce couloir, la vallée s'élargit sensiblement, la
piste laisse l'oued s'éloigner vers l'Ouest et traverse un long
plateau entre l'Erg et une ligne de basses dunes semées dans
le lit de la Saoura. Le pâturage à chameaux y est abondant sur
un sol alternativement mou et dur ; un puits existe dans l'oued
au milieu d'un bouquet de palmiers. ,
A 4 kilomètres avant d'arriver à Mazzert on franchit un
étroit défilé dû au rapprochement simultané de l'Erg et d'une
corne de la hammada et où l'on rencontre deux petites oasis
abandonnées ; il faut un instant, suivre le lit d'un bras de
l'oued où l'eau se montre plus ou moins à la surface selon la
saison ; on trouve en ce point du tamarin, du drinn, du tlaia,
en abondance ; on y passe rarement sans voir du gibier d'eau.
Après ce défilé on entre dans un grand cirque, l'Erg disparait
à la vue et fait place à une bordure de hammada dont la piste
traverse les plateaux inférieurs rocheux, pierreux et
légèrement ravinés. On passe au pied du vieux ksar « Akkacha »,
en ruines, auprès d'une petite oasis, laissant en face et sur la
droite le nouveau ksar du même nom qui est tout petit. L'oued
dessinant une grande courbe vers l'Ouest, est bordé jusqu'à
Mazzert par une oasis dans laquelle viennent camper
quelquefois des tentes de Doui-Ménia soumis et qui ont des
propriétés.
Mazzert est à 25 kilomètres d'Igli ; avant d'y arriver on
traverse l'oasis par un chemin très-étroit qu'il serait fort utile
ZOUSFANA — GUIR — SAOURa. 47
d'élargir pour faciliter le passage des convois. Au débouché
de ce chemin, on se trouve au pied du ksar Mazzert perché
sur l'arête de la hammada de l'est. De l'autre côté de la vallée
sur la hammada de l'Ouest, on aperçoit les ruines d'un ksar
qui a du être assez important.
Mazzert est quelque peu sous la dépendance des Glaoua qui
possèdent des palmiers dans l'oasis ; c'est un ksar minuscule
et misérable, horriblement sale mais fort bien placé pour se
défendre. Trois sources qui s'ouvrent dans le flanc de la colline
donnent une eau excellente et abondante qu'on regrette de
voir si peu utilisée, car le fond de la vallée est de bonne terre
facilement irrigable ; à la rigueur on pourrait encore se servir
pour l'arrosage de l'eau des puils et de celle qui coule en
certains points dans Iç lit de l'oued bien qu'elles soient
saumàtres.
Le lit.de la rivière est couvert de tamarins bas et se compose
de plusieurs bras plus au moins ensablés.
J'ai eu la curiosité d'escalader la hammada de l'Ouest et de
parcourir ensuite quelques kilomètres sur le plateau ; je n'ai
vu qu'un terrain légèrement ondulé jusqu'à perte de vue,
recouvert de cailloux multicolores mêlés à du sable et oi;i l'on
ne trouve un peu de végétation que dans le fond des
dépressions ; il en est de même sur la hammada de l'Est
jusqu'à l'Erg qui s'éloigne du bord à plusieurs kilomètres.
Beni-Abbês — La distance de Mazzert à Beni-Abbès est de
28 kilomètres environ. La piste suit la rive gauche de l'oued
pendant 6 à 7 kilomètres au fond d'un couloir dans un terrain
sablonneux ; là, on rencontre des emplacements oi^i les gens
de Mazzert cultivent de l'orge en utilisant l'eau courante de
la rivière. La vallée s'élargit ensuite considérablement et l'Erg
réapparaît au bord du liane Est ; au loin vers le- S.-S. E on
aperçoit des ruines formant deu.K dents noires et se profilant
sur la hammada ; elles indiquent la proximité de « Ouarourourt»,
ksar qui précède celui de Beni-Abbès. Avant d'arriver à
Ouarourourt, la piste traverse deux barrières de basses dunes
qu'il est inutile de chercher à contourner en se rapprochant
de l'oued, car on y trouverait un terrain encore plus difficile ;
il faut avoir soin, au conti'aire, de les franchir au plus près de
l'Rrg, car c'est là qu'elles ont la moindre épaisseur et qu'elles
présentent des couloirs d'accès relativement facile. Jusqu'à
Ouarourourt on traverse de beau.^ pâturages à chameaux.
4» ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
Ouarourourt est un petit ksar dépendant de Beni-Abbès et
où les khammès cultivent une oasis de quelques centaines de
palmiers, située au fond de la rivière; l'eau est fournie en
abondance par une « foggara » qui, partant de l'Erg, traverse
tout le plateau Est ; au point oi^i la piste la rencontre perpen-
diculairement on n'a qu'à soulever quelques dalles pour
recueillir à la surface du sol une eau excellente; on trouve
encore plus loin d'autres « feguaguir » (pluriel de foggara)
abandonnées. Vers le Sud, la vallée apparaît barrée par une
pointe de harnmada de l'ouest; après avoir franchi 5 à 6 kilo-
mètres de bon terrain on se trouve en face d'une nouvelle
barrière de sable qu'il faut traverser près de sa pointe en se
rapprocliant de la rivière, en utilisant un couloir assez difficile
à trouver si on n'y est pas déjà passé. On aperçoit au débouché
de ces dunes, l'oasis des Ceni-Abbès étalée au fond d'un cirque
bordé de harnmada. Ce pâté de verdure ressort d'autant plus
sur le paysage, qu'il a pour cadre de^ rochers noirs et des
escarpements déchiquetés ; j'avoue avoir dit en voyant cela
pour la première fois « c'est joli «, mais je crois maintenant
avoir été indulgent.
A Beni-Abbès il y a deux ksour séparés et presque indé-
pendants l'un de l'autre Le plus grand celui des « Beni-
Abbès » proprement dit, n'est pas visible du fond de la vallée,
il est construit au milieu même de l'oasis et les palmiers
bordent immédiatement ses hautes murailles ; la porte d'entrée
se trouve sur la face Est ; on y accède par des chemins étroits
et sinueux, courant entre les murailles des jardins. L'autre
ksar appelé « El-Graoua >-, appartient à la tribu des Ghena-
nema » (prononcez Renanema) dont les fractions sont
échelonnées dans la vallée de la Saoura depuis Beni-Abbès
jusqu'au delà de Kerzaz et dont les terrains de parcours
s'étendent à la fois vers l'Est et vers l'Ouest. Ce ksar, tout
petit, se dresse comme un ergot à l'extrémité de la pointe sud
d'un plateau en hainmada qui domine Beni-Abbès à l'Est. C'est
sur le sommet du môme plateau que nous avons construit en
bordure de l'escarpement, à hauteur du grand ksar, la redoute
destinée à abriter la garnison. Cette position qui domine l'oasis
sur un à pic de 40 m. environ d'altitude, est excellente; elle tient ■
les deux ksour sous son canon et ses fusils â bonne portée et
domine en outre sufflsamment le plateau demi-circulaire que
l'Erg en s'éloignant laisse entre lui et la redoute. A côté de la
ZOUSFANA — (iUIR — SAOURA 49
redoute, un peu au Nord, se dresse une vieille tour sur
laquelle nous avons hissé les couleurs françaises le 2 mars 1901.
La cérémonie de prise de possession de Beni-Abbès laissera
dans mes souvenirs des traces ineffaçables. Notre colonne,
arrivée la veille, s'était installée au bivouac au Sud et en dehors
de l'oasis, précédant de 24 heures le général Risbourg,
commandant la division il'Oran. Le 2, dans la matinée, nous
prîmes les armes pournous placer en ligne au Nord de l'oasis,
sur la direction par laquelle le général et son escorte devait
arriver. Après une revue rapide et un brillant défilé pendant
lesquels une pièce de 80 de montagne, placée près de la tour
dominante, fit entendre sa voie répercutée par les échos
d'alentour, toutes les troupes se massèrent au pied de l'escar-
pement et présentèrent les armes à la sonnerie «aux cliamps»,
au moment où les trois couleurs furent déployées au sommet
de la tour, appuyées par un nouveau coup de canon.
Celte modeste cérémonie accomplie aussi loin de la France,
prenait là un caractère grandiose que comprendront seuls
ceux qui se sont trouvés en pareille circonstance. Sur tous les
visages alignés et dont les yeux étaient rivés vers le lambeau
d'étolïe représentant la Mère-Patrie, on pouvait lire une vive
émotion, qu'ils fussent français, indigènes ou même étrangers.
L'oasis de Beni-Abbès peut-être considérée comme impor-
tante par son étendue et par sa population ; elle est bordée
à l'Ouest par l'oued oii l'eau est courante toute l'année et où la
garnison trouve quelques barbeau.K. Malheureusement elle
s'ensable vers le Sud-Ouest et il sera bien difficile de la
protéger de la destruction ; de nombreu.K jardins ont déjà
disparu ne laissant plus voir que la tête de leurs palmiers ;
il en est de même pour la petite oasis séparée qui s'étend
au pied du ksar El-Graoua.
La merveille de Beni-Abbès, c'est la source qui, amenée de
l'Erg par une rigole cimentée, déverse plus de cent litres à la
minute d'une eau claire, limpide et excellente ; la rigole passe
au pied du petit, ksar avant d'arriver au grand ; malgré
son débit, elle est, parait-il, insuffisante à l'ensemble des
besoins. Il en existe une autre, au Nord de l'oasis, mais elle
ne donne que peu d'eau ; il est probable que la main d'œuvre
française saura augmenter son débit, ce qui permettrait à
l'oasis de s'étendre au Nord où il reste encore une belle
surface de terrains disponibles pour la culture.
50 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
Li3S jarilins de Beni-Abbès sont renoniiof^s pour leurs
légumes et pour leurs fruits qui sont, en elïet, très supérieurs
à ceux des autres oasis. Comme à Tagliit et à Igli, tout y est,
toutefois, susceptibles de notables améliorations et il est
certain que sous l'impulsion française on les obtiendra.
Beni-Abbès est le siège d'une annexe des affaires indigènes
dont le territoire s'étend au-delà de Kerzaz et embrasse,
en outre des ksours de la Saoui'a, toute la confédération
des Ghenanema.
La communication optique qui relie Taghit à Igli n'a pu être
prolongée jusqu'à Beni-Abbès ; elle serait possible cependant,
mais à la condition de placer un poste intermédiaire qui serait
actuellement « trop en l'air ».
Merhouma. — Si on interroge les indigènes sur la région
au-delà de Beni-Abbès, tous vous répondent que vous
allez entrer dans la «ghaba» (forêt). Cela vous fait supposer
que la ligne des palmiers est ininterrompue, mais il faut
en rabattre bcîaucoup ; si les oasis se rapprochent en effet
quelque peu, elles sont ensablées en grande partie, abandon
nées souvent, et les bandes incultes sont encore en majorité.
Le lecteur va d'ailleurs en juger.
La première étape est Merhouma (17 kilomètres environ) ;
la piste suit encore la rive gauche de la Saoura en traversant
une succession de dunes et de collines descendant de l'Erg ;
dans la vallée, on trouve du bois et des pâturages à cliameau.
Une dune dominante marque le voisinage de Merhoma où l'on
arrive péniblement dans le sable, si l'on veut y aller directe-
ment. Au contraire, en gagnant un peu plus vers le Sud-Est
pour tourner ensuite à l'Ouest, à angle presque droit, on
trouve un terrain très bon, dont l'aspect mérite une mention
particulière. C'est un immense fond de daya argileux, uni et
parsemé de monticules terreux ayant souvent 5 à 0 mètres de
hauteur et que surmontent des touffes de tlaïa. Il devait y
avoir là une belle agglomération d'arbres de cette essence,
et il est à supposer qu'une grosse crue de la Saoura a nivelé la
plaine en rongeant la partie basse des touffes qui, déchaussées
maintenant, végètent sur leurs perchoirs isolés.
Merhouma n'est pas une oasis proprement dite, c'est seule-
ment un emplacement de cultures de céréales irrigué à l'aide
ZOUSFANA. — GUIR — SA0i;RA 51
de 40 puits dont on voit de loin les hautes colonnes
supportant les balanciers ; les gens qui y travaillent habitent
des gourbis.
El-Ouata. — Pour gagner El-Ouata, deux routes se
présentent qui se réunissent à En-Nsàra et sont sensiblement
d'égale longueur. L'une continue à suivre la Saoura qui, un
peu au Sud de Merliouma, franchit un klieneg, long de '2 kilo-
mètres, et assez praticable ; après ce kheneg, qui semble
couper la hammada de l'Est à l'Ouest, la vallée reprend sa
direction N.-N.-O. S.-S.-E. : la piste en suit la rive gauche,
passe à Béchir, petit ksar des Ghenanema, situé sur la rive
droite et aboutit à En Nsàra.
L'auti'e route suit une contre-vallée en longeant le pied
d'un chaînon qui sépare celle-ci de la Saoura. Lorsqu'on veut
aller de Beni-Abbès à El-Ouata sans passer par Merhouuia, on
a avantage à suivre le pied de l'Erg, pour couper au court
d'abord, puis pour profiter d'un excellent terrain de marche
couvert de beaux pâturages à chameau ; cette dernière piste
rejoint l'autre au Nord d'une ligne transversale de dunes qui
barre la contre-vallée à 10 kilomètres environ au Sud de
Merhouma. A hauteur de ce point une seconde coupure
s'ouvre dans le chaînon de l'Ouest et permet de rejoindre la
piste de Bechir. Ces coupures sont appelées dans le pays
« megsem ». Au delà des dunes qu'on francliit facilement et
qui sont couvertes d'une belle végétation de tiaia, genéf, drinn
etc., on retrouve la contr-e-vallée plane, large, et offrant des
ressources en pâturages. Deux autres « megsem » s'ouvrent
encore sur la droite dans la colline, l'un juste en face de Bechir,
l'autre un peu plus loin ; c'est ce dernier, le megsem Tamettert,
qu'il faut franchir : Si l'on continuait à suivre la contre-vallée,
après avoir traversé une barrière de petites dunes, on tomberait
dans un vaste cul-de sac où les pâturages sont remarquables ;
puis on serait arrêté par l'Erg, qui, décrivant une courbe, vient
de nouveau cotistituer le liane gauche de la Saoura.
Un mot seulement sur la colline qui sépare les deux routes :
le voyageur n'ayant vu jusqu'ici en hammada que des falaises
déchiquetées est surpris de trouver là un chaînon aux formea
arrondies ; les pentes en sont raides, couvertes de pierres
noires et luisantes et elles ne présentent qu'une rare végétation ;
l'altitude est d'une centaine de mètres au dessus de la contre-
vallée .
52 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
Le niegsem Tainettert s'ouvre au niveau même de la
plaine, au pied d'un escarpement rocheux dont la partie
supérieure est couverte de dunes en foi-mation ; son parcours
qui, heureusement, n'est que de 1,500 à 1,600 mètres, est barré
par des « siouf » transversaux de sable très meuble. A l'autre
extrémité, on retrouve la vallée de la Saoura encaissée et
enserrée de nouveau entre l'Erg à l'Est et la hammada à
l'Ouest. Le pied de l'Erg repose sur un plateau de largeur très
variable sur lequel la piste court en longeant la berge au bas
de laquelle s'étend le lit de la rivière.
Nous allons rencontrer maintenant une succession de ksour
et d'oasis très rapprochés.
D'abord, ksaa' « En-Nsàra » (ksar des chrétiens), en ruines,
bâti sur un monticule noir, contre la berge de la rive gauche;
Quelques palmiers indiquent encore l'ancienne oasis.
Un peu plus loin les ksour o Es-Srahine « et « Gourdane »
voisin l'un de l'autre et dont les oasis se confondent sous le
nom de Tamettert ; ils sont le siège d'une importante traction
des Ghenanema. De nombreux puits à bascule s'élèvent au
milieu des jardins qui, vus du plateau au printemps,
apparaissent très-verts et constituent un assez joli coup d'oeil.
La base de la hammada, de l'autre côté de l'oued, est formée
par des bancs de marne bleue ; ceux-ci éclairés par le soleil
prennent des teintes gorge de pigeon aux tons variés et
chatoyants ; la falaise est découpée, ravinée et couverte
d'éboulis dont la nuance violet foncé fait d'autant plus valoir
les couleurs vives qui la précèdent. Au-dessus de l'escarpement,
un ksar en ruines dresse encore ses murailles ébréchées.
A hauteur du ksar Es-Srahine, l'Erg arrive jusqu'à la berge
de l'oued, ne laissant qu'un passage large de quelques mètres;
si on franchit sa première ligne de dunes, on aperçoit, à un
kilomètre environ, un escarpement de rochers à demi
recouverts de sable, vestige de l'ancienne hammada qui, avant
d'être envahie par la dune, formait le bord supérieur de la
vallée de ce côté. En poussant plus loin vers l'Est on trouve,,
parait-il, des bandes de terrains encore à découvert où les
gens vont camper et faire paître leurs troupeaux. Lors du
premier passage de la colonne de la Saoura, en mars 1901, les
habitants, ne sachant pas au juste ce que nous-venions y faire,
avaient caché leurs troupeaux, craignant sans doute la razzia
ou les impôts ; ayant reconnu ensuite que notre conquête
ZOUSFANa — GUIU — SAOURA 53
était toute pacifique, ils ont perdu cette méfiance, et au second
voyage nous avons pu constater que sans être riches
propriétaires d'animaux, ils n'en étaient pas non plus dépourvus,
comme il nous l'avait semblé tout d'abord.
On pourrait supposer que l'arrivée d'une colonne française
consentie par leurs chefs aurait tout au moins déterminé, chez
les gens du pays une certaine curiosité, on se tromperait
étrangement, c'est à peine si quelques nègres et des vieilles
femmes se sont montrés. Sans doute d'autres yeux nous
regardaient, mais prudemment, par les lucarnes des maisons
ou à l'abri des bordures de terrasses.
A environ 3 kilomètres plus loin que Tamettert, la berge du
plateau dessine vers l'Est une grande concavité au centre de
laquelle se trouve le petit ksar « Idir », dont l'oasis est séparée de
la précédente par une bande de vallée nue de végétation et semée
de petites dunes. Quand on monte sur le plateau suivant, on
passe tout près d'un ksar en ruines noires coifl'ant un mamelon
rocheux plus noir encore ; il m'a paru que la roche est consti-
tuée en ce point par du minerai de fer. Les pierres détachées
des anciennes constructions ont été taillées, contrairement à
ce qu'on voit ailleurs dans la région. Il serait sans doute
intéressant au point de vue archéologique, de rechercher
l'histoire de ce coin, car déjà le nom de « En-Nsàra » du ksar
ruiné que nous avons vu précédemment, permet de croire
à une occupation très ancienne ; celle-ci pourrait remonter
peut être à l'époque où les Berbères d'Algérie, chassés par
l'invasion Arabe, se sont réfugiés partout où ils ont pu éviter
le contact de l'envahisseur. Ceci serait à rapprocher de la
légende et des inscriptions des Beni-Goumi dont j'ai dit
quelques mots plus haut. Toutefois je n'avancerai rien de plus
à ce sujet, car il ne m'a pas été possible de faire les recherches
nécessaires.
Après un parcours de 2 kilomètres à peine on arrive au bord
d'un grand cirque oi^i apparaît tout entière l'oasis d'El-Ouata
reliée à celle de Idir par une ligne continue de palmiers.
Toute la bande de plateau suivie depuis le megsem Tamettert
est couverte de sable mêlé de pierres aux formes bizarres;
celles-ci sont creuses et résonnent comme de la vieille ferraille
sous le pied des chevaux. Je crois pouvoir expliquer leur
origine de la manière suivante, car j'en ai vu en formation
aux environs d'Igli : supposons une touffe de végétation basse
54 ZOfSFANA — GUm — SAOURA
et ligneuse; le sable tourbillonnant sous l'action des vents
vient adhérer aux branchettes du pied en couches successives
qui finissent par former une croule épaisse autour de chacune
d'elles ; l'agglomérat continue à croître, bientôt la touffe
se trouve encastrée complètement et meurt; le bois se
dessèche et disparaît en poussière; il ne reste plus sur le sol
qu'une pierre composée de tuyaux plus ou moins gros réunis
par une composition moins résistante qui s'ouvre au premier
choc. On en trouve ainsi qui ressemblent étrangement à des
fractions d'os de bras ou de jambes ou à d'autres objets creux
et cylindriques. La présence de ces pierres prouve qu'il y a eu
antérieurement sur ce plateau une forte végétation (de genêts
probablement), que ce phénomène a fait disparaître peu à peu.
A un point de vue bien diflérent nous avons trouvé dans la
même région des priapes en pierre parfaitement imités de
la nature.
Le bois est très rare dans la contrée, il faut se contenter de
palmes sèches ou de vieux troncs de palmier, quand les
indigènes veulent bien en vendre.
El-Ouata, propriété d'une autre fraction des Ghenaiiema, se
compose de huit petits ksûur : Bou-Hadid Chergui, I3ou-Hadid
Gharbi, El-Ouata, proprement dit, Bou-Khelouf, Oulad-Djerar,
Ammès, El Ma et El-Maïa ; ksour et jardins sont tous entre la
rive gauche de la Saoura et l'enveloppe du cirque bordée à
l'Est par l'Erg. De nombreux puits montrent leurs balanciers
et leurs hauts poteaux d'appui, bâtis en briques sèches. Celle
agglomération est la plus importante du pays des Ghenanema;
l'oasis, qui est d'un seul tenant, serait riche si elle n'était
déjà ensablée, surtout vers le Sud, an point d'en rendre
la traversée difficile.
Il m'a paru qu'il se trouve à Ouata un nombre de nègres
relativement considérable en comparaison de celui des blancs.
Là, comme ailleui-s, le nègre est le seul qui travaille, il est
vigoureux, a des formes musculeuses et râblées ; le blanc, au
contraire, est jauni par les fièvres et il a l'aspect chétif, ce qui
ne l'empêche pas d'être plus orgueilleux que tout autre de son
état d'homme libre.
Tafdalt. — Pour dépasser El-Ouata, on" est obligé de
traverser l'oasis après avoir pénétré entre les ksour Bou-
Iladid ; une piste très étroite est ménagée entre les bordures
des jardins faits en « djerid » secs entrelacés (les djerid sont
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 55
les branches de palmier garnies de leurs feuilles); à hauteur
du ksar El-Mà, près duquel se trouve une grande mare,
on entre dans des dunes sous palmiers qu'il faut fi-anchir
successivement pour déboucher enfin à El-Maia sur un plateau
bas surmonté d'un autre plus élevé ; on monte sur ce dernier
par une rampe faite de main d'homme.
Le ksar suivant, Anefid, est alors à deux kilomètres plus
loin, au fond d'un cirque ; il est tout petit et n'a qu'une
mince oasis longeant la rive gauche de la Saoura. De là
on peut, soit suivre le pied de la berge, soit monter sur le
plateau ; cette deuxième direction est meilleure étant la moins
sablonneuse ; ont atteint alors un nouveau cirque i"enfermaut
les ksour « Agdal » et « El-Beiada ». A la descente du plateau
faite par une autre rampe aménagée, mais mal tracée et
ravinée, on trouve l'eau courante dans l'oued que l'on traverse
deux, fois pour gagner l'autre branche du cirque par la rive
droite de la Saoura ; on laisse alors vers l'Est les jardins
d'Agdal, puis on passe à l'Est du ksar et des palmiers d'El-
Beïada. Le ksar Agdal est enfoui au milieu de l'oasis qui est
assez belle. La rivière coule à la surface du lit jusqu'à El-
Beïada et présente des vasques protondes qui renferment du
barbeau ; du jonc et du tamarin, constamment rongés par les
chèvres, poussent dans ce fond ; l'eau n'est que légèrement
saumàtre.
A El-Beiada, une « foggara » venant de l'Erg amène une
eau excellente sur la face Sud du ksar ; au-delà, la Saoura
encombrée par les dunes ne présente plus qu'une pauvre
végétation et il nous faudra maintenant aller jusqu'à Giferzim
pour trouver une nouvelle oasis.
Un plateau de G à 7 kilomètres nous sépare encore de
Tafdalt ; on y voit du genêt en belles touffes avant d'arriver à
l'étape. Tafdalt n'est qu'un point d'eau desservi par 6 à
7 puits creusés au pied de la dune et oi^i les gens d'Agdal
cultivent quelques carrés d'orge.
Des gourbis élevés dans la dune abritent les khammès
détachés là pour cette besogne ; il y a dans le fond de la
vallée, près des cultures, deux petits bouquets de palmiers.
Un plateau large et aride, recouvert de petites dunes, sépare
Tafdalt de la hammada de l'Ouest qui va en s'éloignant.
GuERZi.M. — Guerzim n'est plus qu'à 14 kilomètres. On
continue à suivre le lit de la Saoura pendant deux kilomètres
56 ZOUSFANA — GUm — SAOURA
environ dans le coude qu'elle fait vers l'Ouest. L'eau est là à
une faible profondeur et dans ce terrain toujours humide,
pousse une belle végétation composée principalement de joncs,
roseaux et drinn. On quitte ensuite la vallée par un brusque à
gauche à travers une ligne de dunes, en profitant d'un petit
couloir que les vents du Sud y entretiennent et qui permet un
passage relativement facile quoique étroit ; rien n'indique ce
point, pour le trouver il faut avoir un guide ou y être déjà
passé. Au bout de 20' de marche on débouche sur un large
plateau souvent sablonneux mais à peu près uni, où l'on
trouve des pâturages au pied de l'Erg. Une ligne de collines
basses borde ce plateau le long de la rive gauche de la
Saoura ; lorsqu'on arrive à celle située le plus au Sud on
aperçoit à quelques kilomètres la tête des palmiers de Guerzim .
Guerzim se compose actuellement d'un pauvre village non
entouré de murailles et d'une oasis qui a pu être belle mais
qui est maintenant coupée en plusieurs tronçons par des Junes
en formation. Les jardins sont assez mal entrenus ; dans l'un
d'eux j'ai été assez étonné de trouver un carré de coriandre ;
on s'en sert parait-il pour cuisiner certains plats. Les habitants
ont commencé la construction d'un ksar en face du village,
l'enceinte ssule est à peu près terminée, un puit bien tait
s'ouvre au milieu de l'emplacement des futures habitations.
Sept à huit « feguaguir » traversent tout le plateau Est pour
amener à Guerzim l'eau de l'Erg, mais il n'y en a que deux
fonctionnant bien. Des ruines semées ça et là sont encore
témoins des déménagements successifs des habitants au fur et
à mesure de l'avancement des sables dans l'oasis.
Depuis que nous avons atteint le plateau de Guerzim au
débouché des dunes de Tofdalt, l'apect de la rive droite de la
Saoura s'est modifié très sensiblement ; au lieu de la falaise
habituelle, déchiquetée mais peu échancrée, nous voyons
en hammada des chaînons aux flancs arrondis, à la crête
mamelonnée, que séparent les vallées Iributaines de la Saoura.
J'ai pu excursionner sur un des sommets les plus rapprochés
de Guerzim ; j'y ai trouvé I altitude de 190 mètres au dessus de
la vallée. Au-delà, vers l'ouest apparaissent cinq ou six autres
chaînons parallèles allant en s'élevant de plus en plus et qui
m'ont paru être séparés par des ravins profonds. Une piste
très visible et venant de Ouggueurt aboutit à la Saouara un
peu au Sud de Guerzim.
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 57
Toutes ces montagnes sont nues, à l'état d'éboulis, elles
abritent m'a-t-on dit de nombreuses bandes de mouillons que
les gens de Kerzaz viennent chasser quelquefois; j'ai vu en
effet quelques affûts aménagés sur la première crête.
Guerzim est le siège d'une zaouia indépendante, la plus
pauvre, je crois, de toutes celles de la région ; la mosquée n'est
qu'une simple chambre bàlie sur une terrasse de maison et
seule blanchie extérieurement à la chaux. On peut considérer
cette oasis comme vouée à la destruction par le sable, sans
qu'on puisse rien faire pour la protéger. L'oued a en ce point
700 à 800 mètres de largeur coupée par plusieurs bras, il n'a
de l'eau courante qu'en temps de crue. On prétend que les
sables renferment des paillettes d'or.
Kerzaz. — De Guerzim à Kerzaz, il y a encore au moins
37 kilomètres, mais plusieurs points d'eau intermédiaires
permettent de couper la distance au gré du voyageur. Le plus
important est celui des Beni-lkhlef, situé à 8 kilomètres de
Guerzim. Pour y arriver, on suit le plateau de la rive gauche à
peu près dans son milieu, afin d'éviter les sables voisins de
l'Ouest. Les oasis de Guerzim et des Beni-lkhlef sont reliées,
le long de la rivière, par une mince ligne de palmiers restés
au milieu des dunes qui s'y sont formées, mais à Beni-lkhlef,
on trouve un joli paquet de verdure.
Il y a là trois ksour : El-Kodia, El-Kebir et El-Menasseria,
englobés ?ous le nom de Beni-lkhlef et qui formaient, avant
notre arrivée, une petite république sous l'autorité du marabout
de l'endroit. Il n'y existe pas de distinction sociale entre le
blanc et le nègre, l'un et l'autre sont propriétaires et chacun
travaille pour son propre compte; le marabout lui-même tire
l'eau du puits pour arroser ses jardins. Les jardins sont fort
bien entretenus ; on voit qu'on a afl'aire à des travailleurs
libres ne comptant récolter que ce qu'ils ont produit eux-mêmes
pour leurs besoins ; l'eau est dans les puits à 7 ou 8 mètres de
profondeur.
Quand notre colonne est arrivée à Guerzim, les gens de
Beni-lkhlef nous ont fait connaître qu'ils n'acceptaient pas
notre domination, et qu'ils useraient de leurs armes si nous
voulions pénétrer chez eux, nous laissant libres toutefois de
passer à côté de l'oasis pour continuer notre route vers le Sud.
De telles propositions étaient inacceptables, malgré le caractère
tout pacifique de notre démonstration, aussi, en partant de
58 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
Guerzim pour aller vers Reni-Ikhlef, nous préparions - nous à
l'éventualité d'un combat. La vue du carré imposant que nous
formions en avançant dans la plaine, et surtout celle de
l'artillerie placée sur la première ligne, donnèrent sans doute
à réfléchir aux Beni-lkhlef, car nous les vîmes sortir sans
armes de l'oasis, au nombre de 200 environ et venir offrir leur
soumission. Obéissant à un sentiment chevaleresque qui, nous
l'avons su depuis, fut très apprécié par ces fiers guerriers, le
commandant de la colonne les invita à aller prendre leurs
armes avant de discuter en plein air les conditions de soumis-
sion. Un long palabre leur fil comprendre que nous
respecterions leurs personnes, leur religion et leurs biens, et
les officiers furent admis à pénétrer dans l'oasis avec quelques
détachements de troupe pour en marquer la prise de possession.
Ce n'était pas pour nous un spectacle ordinaire que nous voir
défilant dans les ruelles bordées de gens armés, à mines
farouches et qui rongeaient leur frein eil silence. L'inspection
des lieux nous a permis de constater combien cette solution
pacifique avait été heureuse pour nous, car nous aurions, en
cas de conflit armé, perdu assez de monde pour procéder à
une attaque de vive force.
Après un dédale de ruelles étroites, bordées par les murs
des jardins, nous aurions trouvé devant nous un ksar,
(El-Kebir) flanqué de hautes murailles, entouré d'un fossé
large, profond, rempli d'eau, et notre artillerie, faute d'une
position ayant à la portée voulue des vues de l'extérieur sur le
ksar, n'aurait pas pu le bombardera la mélinite. Un énergu-
mèue eut grand soin d'ailleurs de nous crier bien haut
pendant notre visite que si les Beni-lkhlef avaient renoncé à
combattre, c'était uniquement à cause de notre supériorité de
nombre et de nos canons; que jusqu'à ce jour personne n'avait
pu prendre leurs ksour, pas même les Beraber, etc. . . A vrai
dire, leur armement, composé de quelques Beminglon
seulement au millieu des vieux « moukhala », n'avait rien de
terrifiant pour un combat en rase campagne, mais il
conservait toute sa valeur pour un combat de jardins, de
murailles et de ruelles dont les entrecroisements nous
étaient aussi inconnus que l'emplacement même du ksar à
enlever.
La partie Sud de l'oasis est déjà envahie par le sable; comme
à Guerzim, il sera bien difficile, sinon impossible, de protéger
ZOUSFANA. — GIUR — SAOURA 59
la bande qui entoure immédiatement les ksour, la seule qui
soit encore intacte.
Pour dépasser Beni-lkhlef, on marche sur un gros gommier
isolé que l'on aperçoit distinctement sur le plateau vers le
S.-S.-E. On laisse à gauche, au pied de l'escarpement servant
de base à l'Erg, un bouquet de 250 à 300 gommiers de belle
taille. Un peu plus loin, il faut traverser deux ravines qui
coupent transversalement le plateau et constituent le point
désigné sous le nom de Tagherdaït ; nous y avons vu des
traces de culture d'orge dans le fond des ravins et à leur
débouché dans le lit de la Saoura ; des puits existent, mais
sans balancier de puisage et on trouve là quelques palmiers.
Sur le plateau suivant, on traverse un beau terrain de
pâturage couvert de (Crtem h jusqu'à hauteur du ksar ruiné
Bou-Khechba que l'on aperçoit au milieu des dunes qui ont
détruit l'oasis du même nom, et où l'on voit encore, de
distance en distance, des groupes de palmiers.
La piste s'éloigne alors de l'oued pour se rapprocher de
l'Erg en laissant à l'Ouest la continuation des terrains de
pâturage. Après avoir franchi une longue bande sablonneuse,
on arrive à Zaouïa-Kebira, à l'entrée du défilé de Kerzaz.
Les hauteurs qui couronnent la rive droite de la Saoura ont
là un cachet tout particulier, quoique leur forme générale
n'ait pas varié depuis Guerzim ; les strates des pentes Est,
relevées presque verticalement, forment sur chaque croupe
des médaillons luisants où les jeux de lumière dessinent des
arabesques capricieuses et changeantes selon la hauteur du
soleil. Les chaînons inférieurs sont rattachés comme des
pendeloques au chaînon suivant, laissant entre eux et celui-ci,
de part et d'autre du col d'attache, des ravins profonds.
L'Erg lui-même, au lieu de se terminer sur le plateau par
des basses dunes comme précédemment, s'y dresse tout droit,
en pains de sucre de 100 mètres en moyenne de hauteur.
Zaouïa Kebira, pauvre bourgade sans murailles de défense,
se trouve au fond d'un cirque ouvert dans la berge de la rive
gauche de la Saoura ; on y remarque trois « koubba » alignées
et blanchies à la chaux, une petite entre deux grandes, à l'Est
des habitations. Une ligne mince de palmiers, venant de Bou-
Khechba le long de l'oued, se continue dans la direction de
Kerzaz sans dépasser le lit de la rivière ; le sable s'y est
accumulé et a rendu la culture impossible, sauf en deux ou
60 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
trois jardins, en même temps qu'il a comblé de nombreux
puits dont on voit encore les ouvertures béantes. Les quelques
habitants de Zaouïa-Kebira se disent pauvres mais de race
noble ; ils sont à la dévotion de la zaouïa de Kerzaz.
Peu après Zaou'ia-Kebira, l'horizon se rétrécit, la vallée
devient tout à coup très étroite, la Saoura s'encaisse ; on
entre dans le défilé de Kerzaz en suivant toujours le plateau
bas de la rive gauche.
Pendant les 10 kilomètres qui nous séparent encore de la
ville sainte, l'oasis est continuée dans la vallée ; des ruines
se dressent sur la berge longée (ruines deTazgar), puis il faut
descendre dans le lit de la Saoura, le plateau étant lui-même
recouvert de dunes qui barrent le passage. L'eau coule à ciel
ouvert dans la Saoura, claire mais saumàtre, sur un fond où
pousse du jonc rasé par la dent des animaux.
A hauteur des ruines de Ed-Douar, un peu avant Kerzaz, la
piste nous conduit de nouveau sur le plateau, et Kerzaz
apparaît aux yeux désenchantés ; on s'attendait à voir une
ville et c'en est loin !
Un ksar rectangulaire, flanqué de six hautes tours et de
murailles élevées, renferme les habitations de la zaouïa ; une
mosquée en flèche, très ordinaire, s'élève au milieu. Au Nord
et au Sud de ce ksar, s'étagent sur le bord du plateau, des
groupes de maisons sans enceinte de défense, sales, miséra-
bles. L'intérieur du ksar n'a lui-même rien de remarquab'e.
Un plateau affreusement nu et couvert de sable souillé sépare
le tout de l'Erg très rapproché.
A Kerzaz, on se sent dans un milieu religieux où le
marabout Si Abderhaman est l'objet d'une grande vénération.
L'entourage du marabout se compose de gens convenable-
ment vêtus, bien élevés, intelligents et instruits ; leur tenue est
un peu compassée, comme il convient à leur situation, mais
leurs démonstrations d'amitié envers nous, faites posément,
semblent plus sincères que celles beaucoup plus vives des
gens rencontrés précédemment. On sait que la zaouïa de
Kerzaz a des serviteurs religieux très éloignés ; le marabout
vient presque tous les ans dans le Tell, dans la région
Tlemcen, Marnia, Nemours, et y recueille -d'abondantes
(( ziara » nécessaires à l'entretien de sa zaouïa. J'ai vu passer à
Igli, au mois de juin dernier, un groupe d'indigènes, hommes
et femmes, venus à pied de Nemours, qui s'est rendu à
ZOUSFANA — GUIR •- SAOURA 61
Kerzaz dans le seul but d'y recevoir la bénédiction du
marabout et a lait retour par la même route aussitôt après.
Nous avons été reçus à bras ouverts à Kerzaz où nous
étions attendus, la venue d'une colonne française ayant
été convenue et acceptée à l'avance. Le bon accueil s'est
même étendu un peu loin, car nous avons pu voir des
ombres féminines rôder le soir aux alentours du camp, et
les portes des habitations se sont entr'ouvertes à ceux de nos
soldats que n'ont pas rebutés la couleur et la saleté repous-
sante des houris de l'endroit.
En dehors de l'oasis, qui occupe le fond et surtout le flanc
gauche de l'oued, il ne faut chercher aucune verdure aux
environs de Kerzaz ; ce n'est que sable d'un côté et pierre de
l'aulre; les jardins sont assez bien entretenus, mais ils ne se
distinguent en rien de "ce que nous avons vu précédemment.
Dans le ksar, quelques familles juives fabi-iquent des bijoux
sans élégance et vendent quelques denrées d'usage local.
El-Kheoim. — Pour sortir de Kerzaz et poursuivre notre
voyage, il faut redescendre dans la Saoura, au Sud des
habitations, et suivre le fond de l'oued, qui est libre sur une
assez grande largeur. On peut encore rester sur le plateau de
la rive gauche et longer l'Erg, mais la piste y est très
sablonneuse et coupée par quelques ravines ; on passe alors
près des ruines de Taourir.
Après avoir franchi 17 kilomètres environ, on atteint
El-Khedim. On a rencontré en route quelques « rdir »
renfermant encore de l'eau au mois de mai et qui en ont
probablement en permanence, car en creusant à la main en
quelques points du lit de la Saoura nous avons trouvé l'eau à
0™ 70, légèrement saumàtre mais sans mauvais goût. A l'Ouest,
dans la hammada, existent des gisements ■ de marbre
diversement coloré; puis, plus loin, une montagne de sel où
les gens de Kerzaz vont s'approvisionner. Le parcours de Kerzaz
à El-Khedim n'offre que de maigres pâturages ; j'y ai remarqué
au passnge de nombreuses et belles orobanches ; il y a dans la
vallée quelques gommiers rabougris et, dans la hammada,
quelques-uns plus beaux.
El-Khedim n'est plus un point habité ; le ksar, très petit
d'ailleurs, est en ruines, l'oasis elle-même est abandonnée ;
il nous a fallu réouvrir les puits pour trouver l'eau nécessaire
62 ZOUSFANA — GUIR — SAOUHA
à la colonne ; les palmiers ont été en partie brûlés il y a 4 ou 5
ans par des gens, qui m'a-t-on dit, avaient été envoyés par le
sultan pour y accomplir cette mission de vengeance.
TiMMOUDi (1). — De El-Khedim à Timmoudi, il y a environ
16 kilomètres. Le chemin à suivre est toujours par le lit de
l'oued, au pied de la berge de la rive gauche, dans un terrain
qu'accidentent de nombreuses dunes basses, sans toutefois en
rendre le passage trop difficile. On ne tarde pas à rencontrer
d'autres ruines semblables à celles déjà si nombreuses que nous
voyons depuis que nous avons atteint Kerzaz ; près de l'une
d'elles existe encore un ancien cimetière assez étendu.
Quand on va directement de El-Khedim aux Oulad-ben-
Khoder, lieu habité, situé un peu plus bas que Tinnnoudi, un
chemin s'offre meilleur et relativement plus court en suivant
la hammada de la rive droite ; on n'y rencontre qu'un passage
diflicile, celui du Kheneg qui s'ouvre un peu au Nord de
Timmoudi et qu'il faut franchir ; on husSe alors Timmoudi à
l'Est.
La hammada, que depuis Guerzim nous avons vue constituée
par des chaînons parallèles à la Saoura et allant en s'étageant
vers l'Ouest, reprend maintenant le caractère qu'elle présentait
entre Ksar-el-Adjouza et Guerzim ; c'est un plateau s'arrêtant
dans la vallée, à des distances variables du lit de l'oued, par
une falaise à pentes raides et couverte de pierres noires où ça
et là le sable amené par le ventproduit des taches jaune orange
quelquefois très étendues. Cet aspect dure jusqu'à Foum-el-
Chink ou Foum-el-Kheneg, point qui marque l'entrée de la
Saoura dans la région du Touat, à 50 kilomètres environ au
Sud de Timmoudi.
Le ksar Timmoudi est construit en bordure de l'escarpement
de la rive droite, par exception avec ce que nous avons vu
jusqu'ici, car si le lecteur a bien voulu le remarquer, tous les
ksour précédents se trouvent élevés sur la rive gauche de la
Saoura. Ce ksar est de construction récente, il se compose
d'une cinquanliine de maisons, et il domine immédiatement
la vallée de 25 à 30 mètres. Une sorte de bastion avancé situé
à l'angle de la face Est défend le passage d'une rampe qui y
(1) Le restant de cet ilinéraire jusiiu'à Kesbat a été 'dressé à l'aide des
renseignemeûts communiqués à l'auteur par M. le Lieutenant Warty, du
2" Tirailleurs, qui avait été chargé de relever l'iiinéraire de la colonne de
la Saoura depuis £eni-Abbès.
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 63
donne accès par l'escarpement. On accède au ksat- par une
ravine au Sud-Est et la porte d'entrée se trouve de ce côté.
L'oasis est au contraire en entier sur la rive gauche; elle
comprend deux groupes d'une largeur moyenne de 100 mèlres,
l'un sur une longueur de 800 mètres, l'autre s'étend sur
600 mètres. Elle renferme deux ksour évacués maintenant
quoique assez bien conservés. Les puits d'arrossage, profonds
de 5 à 6 mèlres, en forme de cône écrasé à l'ouverture, se
trouvent surtout sur la lisière Est. Le sable à déjà limité
l'espace de terrain cultivable ; c'est lui qui a coupé l'oasis en
deux et a sans doute déterminé les habitants à déménager leurs
ksour pour se porter sur la rive droite.
On peut de Timimoun gagner Timmoudi directement par
l'Erg. Cet itinéraire vient d'être reconnu par un détachement
de spahis saharien qui, vbulant aller de Timimoun à Beni-Abbès
en évitant la Saoura, a dû renoncer à ce projet irréalisable et
se rabattre sur Timmoudi.
Oulad-Raffa. — A 13 ou 14 kilomètres de Timmoudi on
rencontre de nouvelles oasis habitées: la première est celle des
Oulad-ben-Khoder. Comme nous venons de le voir, on peut
atteindre celle-ci par la hammada, en venant d'El-Khedim et
en laissant Timmoudi à l'Est. Si on y va de Timmoudi, il faut
d'abord suivre la rive gauche pendant quelques kilomètres,
puis traverser le lit de l'oued, longer la rive droite dans un
terrain sablonneux, et regagner la rive gauche oi^i le ksar des
Ouled-ben-Khoder se trouve en bordure de la berge.
LesruinesdeSidi-M'Ahmed, deBouterfataetdesBeni-Zouggar
sur le plaleau Est, ainsi que celle du Djorf sur la liammada en
face des Ouled-ben-Khodei-, puis de Ammès, Oulad-Bounadji,
Mansourah et Beni-Yayia au milieu même de l'oasis, témoignent
de l'importance que cette région a pu avoir autrefois ou des
vicissitudes qu'elle a traversées. Dans les dernières, résident
encore quelques habitants.
L'oasis des Oulad-ben-Khoder, appelée aussi quelquefois
Beni-Yahia, s'étend sur une largeur moyenne de 150 mètres et
sur 2 kilomètres environ de longueur le long de la rive gauche
de la Saoura; elle est serrée près de l'Erg, à moins de 80 mètres
de sa lisière Est; au Nord et au Sud, elle est limitée maintenant
par des dunes.
Le ksar de forme irrégulière, comprend une trentaine de
maisons ; il est étage sur la pente de la berge et a son entrée
64 ZOUSFANA — CUIR — SAOl'RA
sur la face Sud ; il possède à rintérieur un réduit carré,
bastionné, entouré d'un fossé et pourvu d'un puits particulier.
L'oasis des Ouled-RatTa, plus importante que la précédente,
ne formait avec elle qu'une seule agglomération de palmiers ;
les sables s'accumulant entre elles les a séparés en deux
groupes qui sont maintenant très distincts le long d'un coude
de la Saoura vers l'Est. Aux Oulad-Ralïa, les cultures sont
étendues et bien entretenues ; il y a de nombreux puits. Le ksar,
qui n'a pas cessé d'être habité, compte cent maisons élevées
au pied même de l'Erg sur le plateau ; il a son entrée sur la
face Ouest et il renferme un réduit semblabe à celui des
Oulad ben-Khoder.
Un peu au Sud des OulaJ-Rafia, s'élève la Koubba de Sidi-
Abdallahhen-Amar, groupe religieux d'une dizaine de maisons
possédant un petit bosquet de palmiers dans lequel les
habitants font quelques cultures.
Ces deux derniers points , Oulad-Raffa et Koubba Sidi-
Abdallah-ben Amar sont en dehors de la piste habituellement
suivie pour gagner le Touat.
Kesbat (ou Ksabi). — Au départ des Oulad-beuKhoder,
cette piste traverse la Saoura, franchit un éperon de la hammada
en terrain relativement facile, repasse sur la rive gauche et suit,
au pied de l'Erg, un plateau sur lequel se trouve le petit ksar
Timghaghit bâti au bord de la berge; là, il n'existe pas d'oasis
mais seulement quelques cultures à découvert, au bas de
l'escarpement. Cet escarpement se continue, sinueux mais sans
interruption, jusqu'à proximité de Kesbat où sa descente est
difficile. Ici, l'oued s'encaisse sur une longueur de 1500 mètres
entre deux falaises terreuses ne laissant au lit qu'une largeur
de 150 à 200 mètres ; en môme temps, il décrit un nouveau
coude vers l'Est où s'étend l'oasis de Kesbat appelée aussi
Ksabi, puis il s'élargit de nouveau et a déjà 1500 mètres à
hauteur de l'oasis. Le lit se divise alors en deux bras
où l'eau apparaît courante à la surface; celle-ci est médiocre
au goût, quoique potable. Une végétation très serrée, où le
roseau domine (d'où le nom de Kesbat), fournit en ce point
un pâturage excellent, en même temps qu'elle donne au
paysage un aspect agréable. La ligne des palmiers couvre sur
la rive gauche une longueur de plus de 3 kilomètres, mais les
cultures n'y existent que dans la partie centrale et y sont
d'ailleurs peu nombreuses.
65
Le ksar, élevé en carré sur la lisière Est, est petit ; son
entrée est sur la face Nord, et ses abords sont occupés par de
nombreux gourbis. Un ancien ksar, ruiné maintenant, se
trouve un peu au Sud de celui actuel.
La distance des Oulad-ben-Klioder à Kesbat est de 22
kilomètres environ.
Toute la région depuis Kerzaz est à la dévotion de la Zaou'ia-
Kerzaz.
Au-DELA DE Kesbat.— D'après les renseignements recueillis
sur place, la vallée de la Saoura continue à présenter les
mêmes caractères topographiques jusqu'à Foum-el-Kheneg
où, à 17 kilomètres de Kesbat, elle franchit la hammada
rocheuse qui avait jusque là bordé la rive droite. En ce point,
le lit de la rivière n'aurait que 5 à 6 mètres de largeur, dominé
de plus de 100 mètres sur la rive droite et de 4 à 5 mètres
seulement sur la rive gauche. C'est à Kesbat que les troupes
de la province d'Orau ont fait leur jonction avec celles de la
province d'Alger auienées là, par le général Servières après sa
longue tournée dans le Touat. Celle jonction a eu pour but de
montrer aux Beraber que leurs incursions habituelles vers le
Touat, pourraient bien les y faire prendre entre deux colonnlss
françaises au moment où ils s'y attendraient le moins.
RÉGION ENTRE (iUlR ET ZOISFANA INFËRIEIRS
Après ce long voyage, nous allons revenir en arrière pour
dire quelques mots d'une région encore peu connue, mais que
les pourparlers actuellement en cours vont peut-être nous
attribuer ; je veux dire celle comprise entre les cours inférieurs
de la Zousfana et de l'oued Guir.
Jusqu'à ce jour, la crête descendant du Bècliar le long de la
rive droite de la Zousfana a été considérée comme la limite de
notre action vers l'Ouest. Cependant, la soumission entièrement
volontaire de diverses fractions des Oulad-Djerir et des Doui-
Ménia, dont les terrains de parcours s'étendent des deux côtés
de cette ligne exigent le report de celle-ci plus à l'Ouest car si
on veut éviter toutes nouvelles contestations, il faut en finir
avec ce vague absolue des terrains de parcours communs aux
deux nations voisines. Si une tribu est à nous, il faut qu'elle
soit chez nous, afin que des garnisons de nos ti'oupes ou des
66 ZOUSFANA — GUIR — SAOUUA
maghzen puissent les y maintenir en état de fidélité et à l'abri
des chinoiseries diplomatiques de l'entourage chérifien. Cela
ne veut pas dire que nous devions mettre un bornage, ni
même convenir d'une ligne parfaitement déterminée, ce serait
dépasser le but et nous rendre plus difficile une nouvelle
extension vers l'Ouest. Ce qu'il nous faut surtout, c'est tenir
en mains les points, rares d'ailleurs, où nos nouvelles tribus
ont des possessions habitables ou cultivables du Guir à la
la Zousfana, et pouvoir régler toutes les questions communes
au moyen d'argents réciproques établis sur place de part et
d'autre et disposant d'un certain nombre de fusils.
Si on va de Taghit aux ksour que les Doui-Ménia possèdent
sur le Guir inférieur, on coupe perpendiculairement deux oueds
principaux qui partagent la dislance à peu près en trois parties
égales. Le premier, Oued Kherouafricin), n'est qu'une simple
vallée de hammada, sans eau et peu fournie en pâturages, qui
vient aboutir au Guir vers El-Berda, à 30 kilomètres environ
au N. 0. d'Igli. Le second descend du N.-E. par Ouakda et
Bêchar et se perd à Dayet-Tiour, à hauteur de Taghit, point
où il se rencontre avec l'oued Bou-Dib venu de Kenadsa; il
oflre sur son parcours des points d'eau assez nombreux :
Oglat-Menouarar, Haci-el-Aouïmi Foukania et Tahtamia, Haci-
Chebania et Oglat-Lahdeb. La daya Et-Tiour, où il disparaît,
est, parait-il, un point remarquable par sa végétation herbeuse
et l'étendue des terrains qui y seraient cultivables si on
aménageait les moyens d'irrigation.
De nombreuses pistes sillonnent le pays entre Taghit, Oglat-
Menouarar et les ksour du Guir; les principales sont :
1» de Taghit et de Zaouia-Foukania à Bêchar par Oglat-
Menouarar ;
2» d'Ogiat-Menouarar aux ksour du Guir par Haci el-Aouïmi,
Ogiat-Chelkha et Dayet-Haouar ;
3" de Taghit, et de Zaouïa Foukania aux ksour du Guir par
Haci-Chebania et rejoignant la précédente à Oglat-Clielkha ;
4" de Taghit aux ksour du Guir encore, par Dayet-Tiour;
Cette piste traverse le Teniet-el-lvetabti auprès d'un rocher de
sel où les Doui-Ménia s'approvisionnent.
5" Enfin, d'Igli aux ksour du Guir par El-Berda que l'on
atteint soit en suivant le Guir, soit en le laissant un peu à l'Est
par une piste plus directe à travers la hammada.
Les ksour du Guir se trouvent en un point où la vallée du
Guir s'élargit considérablement pour former une « bahariat »
plaine basse sillonnée par de nombreux canaux où l'eau coule
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 67
abondamment, en hiver et au printemps et quelque peu dans
les autres saisons. Ils sont au nombre de sept, alignés entre
Dayet-Haouar et Garet-Dribina, barrant ainsi la vallée. La
redoute élevée en avril 1870 par la colonne Wimpfen existe
encore, assez bien conservée. Par ses ressources en eau, en
terrains de culture irrigables et par ses pâturages abondants,
cette région semble susceptible de devenir le grenier d'abon-
dance d'où l'on pourrait tirer l'orge et les animaux de boucherie
nécessaires à l'alimentation sur place de nos garnisons, tant
dans le Sud oranais que dans les oasis sahariennes de la
province d'Alger. En faisant al'lluer ces derniers sur Beni-Abbès,
périodiquement on ravitaillerait le Touat plus facilement et
plus vite par la Saoura que par El-Goléa. Les Doui-Ménia
possèdent en outre des troupeaux de chameaux qu'ils ne
demandent qu'à employer au service de nos transports.
Ces tribus sont guerrières, années en grande partie de fusils
Remington, si nous les avons en entier avec nous et à nous, les
Beraber ne seront plus guère tentés de menacer nos postes
voisins.
Le triangle compris entre la ligne Taghit-Ksour du Guir par
Dayet-Tiour et Igli n'a aucune valeur en dehors du cours du
Guir ; c'est une simple hammada à peu près sans eau et
maigre en pâturages. Le Guir, dans son parcours entre Igli et
les ksour des Doui-Ménia est un vaste réservoir où l'eau coule
en permanence à la surface en des points nombreux. La tribu
des Idersa. fraction des Doui-Ménia, a ses campements
habituels à El-Berda ; elle s'est ralliée presque en entier et a
déjà fourni à nos garnisons de Taghit et d'igli des chameaux
de transport et des animaux de boucherie.
Le système orographique se présente sous la forme de
plateaux limités par des escarpements et surmontés de « gour »
(pluriel de gara) qui, vus de loin, ressemblent à des tours
larges et rectangulaires ; de nombreuses rides y permettent un
parcours relativement facile, quoique semé de pierres et de
sable, on y trouve, en certains points des dunes en formation
déjà hautes et larges. Des gommiers et des jujubiers sauvages
semés ça et là dans les dépressions et quelquefois sur les
escarpements, sont les seuls arbres que l'on y rencontre (1).
(I) Pour rendre à César ce qui appartient à César, je dois dire que la plupart
de ces derniers renseignements, ainsi que le croquis de cette région, m'ont
été communiqués par le capitaine Dinaux, qui, étant chargé des affaires
indigènes à laghit en 1900-1901, a osé s'aventurer la à ses risques et périls
alors que les Doui-Menia n'avaient pas encore commencé à se soumettre,
68 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
DEUXIEME PARTIE
Dans la première partie, je n'ai fait qu'eftleurer diverses
questions qui, communes à l'ensemble du pays, m'auraient
obligé à des redites pour chaque oasis rencontrée en chemin.
Je vais donc les grouper, afin de compléter, autant que
possible, la physionomie de ces nouvelles régions que nous
avons à administrer, à protéger et à améliorer.
CLIMATOLOGIE
La climatologie delà région d'Igli présente des particularités
curieuses par elles-mêmes et intéressantes sans doute pour
celle des Hauts-Plateaux et du Tell limitroplies, si comme je
crois pouvoir le supposer, elle est l'expression générale du
climat saharien des contrées qui s'étendent au Sud de l'Atlas,
tant au Maroc que dans la province d'Oran.
Le voisinage relatif de l'Atlantique, à 750 kilomètres environ
à l'Ouest, la direction générale et continue, Nord-Sud ou appro-
ximativement, des crêtes et des grandes vallées, ainsi que la
constitution et les formes extérieures du sol, sont des conditions
communes à cette vaste région qui s'étend du pied Sud de
l'Atlas jusqu'au Touat, et de l'oued Namous, très probablement,
jusqu'aux côtes de l'Atlantique.
Igli, placé à peu près au centre de ce quadrilatère, sur
l'artère principale, au confluent des deux oueds les plus
importants, semble être en bonne situation pour que ses
détails climatériques soient la moyenne de ceux de tout
l'ensemble. C'est en me plaçant à ce point de vue qu'il m'a
paru utile de noter quelques observations pendant une année
de garnison saharienne.
Dans les saisons autres que l'été, le Sahara n'inllue que peu,
ou même pas du tout sur la température du Tell, car la sienne
propre est alors sensiblement la même que celle des Hauts-
Plateaux ou des villes du Tell à une altitude égale (600 à 800
mètres) ; ce serait plutôt le climat de ces dernières régions qui
ZOUSFANA — GUIR
69
influerait sur celui du Sahara. Il est à remarquer en effet que
les premières chaleurs du Tell surviennent peu après les
premiers coups de sirocco du Sahara, tandis qu'au Sahara, les
diminutions successives de la chaleur, à la fin de l'été, se
produisent après les premiers orages du Tell et des Hauts-
Plateaux, sans qu'il soit besoin d'orages locaux.
Dans le Tell oranais, les orages pluvieux viennent générale-
ment du Sud-Ouest ; dans le Sahai'a, ils viennent le plus
souvent du Nord-Ouest ; il serait intéressant de rechercher si
les hautes montagnes ('5,000 mètres), qui s'élèvent au Sud de
Marrakech, ne seraient pas leur centre de formation.
Les altitudes relevées dans les vallées de la Zousfana et de la
Saoura vont de 865 mètres (Fendi) à un peu moins de 400 mètres
(au Sud de Kerzaz), mais de part et d'autre il y a des dunes
dans l'Erg et des « gour » dans la hammada plus élevés de 150
à 200 mètres ; il convient donc de prendre pour altitudes
extrêmes 1,200 mètres et 000 mètres au moins. On se figure
généralement, dans le public, que le Sahara oranais est à une
faible altitude et présente un terrain plat ; j'ai partagé moi-
même cette illusion, et j'ai été tout étonné d'y trouver au
contraire des altitudes et des reliefs aussi importants. Ces
conditions permettent d'expliquer les différences considérables
de température qui s'y présentent, puisqu'il n'y a pas, comme
dans le Tell, l'influence des pluies, des eaux courantes et de la
proximité de la mer.
Voici d'ailleurs les chiffres que j'ai recueillis :
-1 901
Janvier
Février
Mars et Avril
Mai
Juin
Juillet
Août
Septembre
Octobre
-I 900
Novembre el Décembre
MAXIMA
M I N I M A
-^i«i_^
_»^
-.
UtïBXS
EÏFKIIPS
peadaDt le
IOU\S
EFFECTIFS
peulail le
+ 17
+ 22
+ 2
- 8
+ 20
+ 25
+ 8
+ I
+ 26
+ 35
+ 12
+ G
+ 2S
+ 37
+ 18
+ 15
+ 35
+ 43
+ 26
+ 23
+ 43
+ 48
+ 20
+ 24
+ 41
+ 45
+ 28
+ 25
+ 3.3
+ 41
+ 21
-h 16
+ 28
+ 34
+ 12
+ S
+ 20
+ 25
+ 10
+ 4
70 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
Le mois le plus froid est par suite janvier, le plus chaud
est juillet ; les maxima efïectifs vont de + -2 à -f 48 et les
minima effectifs de — 8 à + 25. La grosse chaleur a commencé
brusquement le !«'' juin, puis après deux fléchissements
passagers, s'est maintenue régulièrement jusqu'au dessus de
40» ; c'est le 5 septembre seulement, puis le 12, que la
deffervescence est apparue d'une façon appréciable, en deux
sautes brusques, tant sur les maxima que sur les minima.
Passons aux particularités destinées à compléter ces chiffres.
Vent. — La direction générale des vents est S.-E. — N.-O.,
parallèle à la Saoura et aux chaînons de la hammada ; ceci nous
explique la direction semblable des crêtes sablonneuses de l'Erg.
En hiver et en automne, la moyenne est entre E. et S.-E. ; au
printemps, elle se rapproche du S.-E. et en été elle est
franchement S.-E. Les vents de l'Ouest et du Nord sont
l'exception ; ils indiquent toujours des perturbations atmosphé-
riques à la suite desquelles il se produira un ouragan de sable
et rarement, mais quelquefois, de la pluie.
En été, j'ai pu observer un phénomène qui se réalisait presque
mathématiquement pendant les journées les plus chaudes. Le
matin, le vent se levait léger à l'Est ; à midi, il venait plus
fort du S.-E. puis du Sud ; le soir, très fort du S. 0. après le
coucher du soleil, il revenait alors en bourrasque de sable, puis
le calme s'établissait presque brusquement et quelques heures
après le vent revenait doucement par l'Est ; on eût dit qu'il
courai t toute lajournée après le soleil, puis que, las de sa course, il
revenait le soir à fond de train, furieux de sa déconvenue, pour
reprendre position dans l'Est en vue d'une nouvelle chasse le
lendemain. Ceci est à rapprocher des observations faites par
M. Angot à la tour Eiffel, et d'après lesquelles la composante
des vents serait N.-S. de minuit à 5 heures du soir et S,-N. de
5 heures du soir à minuit, pendant la saison chaude. Dans le
Sahara, ces composantes seraient aux mêmes époques S.-E.-
N.-O. de minuit à 5 heures du soir et N.-O. -S.-E. de 5 heures
du soir à minuit ; c'est-à-dire presque en sens inverses de celles
constatées à Paris.
Le vent un peu fort est généralement accompagné de sable
tin qui est très aveuglant parce qu'il arrive horizontalement en
rasant le sol. En revanche, quelques gouttes- d'eau fixent le
sable et la poussière. Les tourbillons de sable sont extrême-
ment fréquents et montent souvent h une très grande hauteur.
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 71
Etat du ciel. — En hiver et jusqu'au mois de juin, puis à
p'.rtir d'octobre, le ciel est rarement nuageux; il y a des
périodes de \ô à 20 jours pendant lesquelles on n'aperçoit ni
nuage, ni la plus légère brume. De juin à septembre, au
contraire, le ciel est rarement pur, surtout au lever du soleil;
dans la soirée, à partir de 3 heures, le soleil est presque tou-
jours masqué et la chaleur devient suffocante. A Igli, deux
décès sont survenus par coup de chaleur pendant l'été 1901,
ce fut chaque fois par un temps semblable : l'heure la plus
chaude était alors 5 heures du soir.
A signaler, le 2-5 janvier 1901, à 8 heures du soir, un ciel
rouge intense en même temps qu'un immense halo entourant
la lune.
Baromélrïe. — Dans le même lieu, le baromètre varie
fréquemment en 24 heures sans cause apparente ; une baisse
brusque et un peu forte annonce généralement un fort coup
de vent Sud, Sud-Ouest ou Ouest, avec poussière. A Igli, les
observations de six mois successifs ont présenté un écart
maximum de 12""" au même point.
Pluviométrie et hijgronométric. — En janvier 1901 (nuit
du 6 au 7), il y a eu dans la région deTaghit une pluie torren-
tiel le venant du N.-(i. et qui a duré environ 3 heures, puis
le 10, une autre averse légère. Le 20 juin, il y a eu à IgU une
averse assez abondante venant du N.-O. à la suite d'une période
de chaleur anormale pour l'époque (43"). Enfin, du 20 au
24 août, à Igli, des gouttes d'eau sont tombées éparses chaque
soir ou dans la nuit au cours d'orages venant du N.-O. C'est
tout ce qu'il est tombé d'eau dans ces parages d'octobre 1900
à octobre 1901. A Kerzaz, on n'a pas vu de pluie de 1896 à
fin lyoï.
D'octobre à mars, il y a eu presque chaque nuit une rosée
abondante qui, en janvier, a donné lieu plusieurs fois à
de fortes gelées blanches.
En dehors de ses rares perturbations l'air reste sec en
permanence, sauf aux environs immédiats des oasis cultivées;
à Beni-Abbès, par exemple, la chaleur est souvent humide à
cause de l'évaporation du sol des jardins irriguées.
Régime des cours d'eau, sources et puits. — La Zousfana,
le Guir et la Saoura coulent en permanence à découvert en
certains points de leur parcours. Il y a relativement peu de
72 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
diflërence entre le débit de l'hiver et celui de l'été; toutefois,
il est un peu plus fort en hiver. Là où le lit est à sec, on
trouve souvent l'eau à moins de 10 mètres de profondeur.
Les crues se produisent quelquefois sans le secours des pluies
locales. A la suite de l'orage du 6-7 janvier 1901 à Taghit, j'ai
eu l'occasion de voir une grosse crue de la Zousfana ; l'eau
coulait par dessus bords et la crue a été entretenue pendant
dix jours par les eaux venues du Nord ; malgré le débit
considérable passé à Taghit, l'eau courante s'est arrêtée à Igli
(62 kilomètres), absorbée en route par le sable du lit de la
rivière. A la même date. leGuir a eu une crue semblable, mais
qui a dépassé Igli, et est allée loin dans la Saoura.
J'ai observé une autre crue du Guir assez intéressante. C'était
au mois de juin de la même année, le 27 ; des orages avaient
éclaté sur le Haut-Guir le 20 ou le 21, sans qu'aucune goutte
d'eau fut tombée dans la région d'Igli. Le 27 au matin, j'ai
constaté que le Guir était monté notablement sans que sa
limpidité se soit modifiée. Ayant arrêté mon cheval pour le faire
boire, j'ai été surpris de voir l'animal refuser cette eau qui était
cependant sa boisson habituelle ; en même temps, je découvrais
des quantités de petites grenouilles et de têtards morts sur les
bords de la rivière. Désirant savoir ce que cela voulait dire, j'ai
goûté l'eau ; elle était abominablement salée, bien qu'en temps
ordinaire elle ne le fut que légèrement. L'explication du
phénomène est des plus simples : là ou le Guir ne coule pas à
la surface, le lit est recouvert de dépôts de sel ; la nappe
souterraine ayant monté, l'eau s'est mise à couler en ces points
et a dissous le sel pour aller le déposer plus loin, et les
grenouilles, trop jeunes ainsi que les têtards, n'ont pas pu
supporter ce surcroit de salure. Cette crue n'a donc pas été le
résultat d'eau courante venue du Nord, la nappe s'est contentée
de s'élever au-dessus du lit normal et on comprend alors que la
limpidité de l'eau n'ait reçue aucune atteinte.
Comme pour les rivières, le niveau de la nappe des puits et
des rares sources varie peu de l'été à l'hiver. Toutes les
sources sans exception, soit directes, soit amenées par les
« feguaguir », ainsi que la grande majorité des puits, se
trouvent sur la rive gauche des oueds, à partir du moment où
l'on rencontre l'Erg. De cette particularité, il semble résulter
que le débit général des eaux y est entretenu, ainsi que dans
les rivières, par des infdtrations souterraines, l'eau des pluies
étant manifestement insuffisante pour en fournir autant.
En outre, il faut admettre que le grand réservoir n'est autre
que l'Erg, et cela peut se comprendre : la carcasse fur laquelle
celui-ci s'est formé était primitivement une hammada ou
succession de plateaux rocheux ridés par des vallées parallèles
à l'oued principal ; le sable a comblé indistinctement le tout,
créant des vallées au-dessus des crêtes et des crêtes au-dessus
des vallées ; les anciennes vallées barrées ont constitué des
réservoirs naturels, recueillant et gardant à la fois les eaux
de pluies et celles venues de l'Atlas par les grandes artères
souterraines. Cette eau, après un filtrage pareil, est d'une
pureté merveilleuse quand on la recueille à la base de l'Erg.
Celle des oueds ou des puits voisins de ceux-ci se corrompt
au contraire très vite, parce qu'elle a plus ou moins baigné des
racines de tamarin ; elle est légèrement saumàtre et lourde
à digérer.
Electricité. — Bien qu'en temps d'orage l'air soit très
chargé d'électricité, les éclairs et surtout le tonnerre sont
rares. Il n'est pas d'ailleurs nécessaire que le ciel soit orageux
pour que l'électricité manifeste sa présence à haute tension.
Pendant toutes les journées chaudes de l'été, j'ai vu, sur des
chevaux non exposés au vent, les crins de la queue et de la
crinière onduler et s'écarter sous la seule influence de la
tension électrique de l'air. Nous-mêmes, d'ailleurs, sentions
nos nerfs vivement actionnés par le fluide, et c'est là
certainement une des causes de la fatigue qu'éprouve
l'Européen à passer un été au ' Sahara, parce que cette
action sur le corps humain est presque constante pendant
quatre mois.
ANIMAUX
J.a faune est peu variée, et les animaux utiles sont en
général peu nombreux.
Oiseaux. — Parmi les oiseaux sédentaires, nous trouvons
seulemeat : alouette grise, moineau, perdrix, corbeau,
bergeronnette et deux ou trois espèces de petits oiseaux
chanteurs qui se tiennent aux environs des oasis ou
des redoutes.
74 ZOUSFANA — 6UIR — SAOURA
La perdrix ne dépasse pas les oasis d'Igli, et bien que peu
chassée, elle ne fructifie pas. Le moineau a des couleurs
beaucoup plus vives et plus foncées que celui du Tell.
Les corbeaux vivent en tribu autour de nos postes militaires
pendant toute l'année ; les chameaux morts, les immondices
et les dattes leur offrent une nourriture plantureuse ; on les
voit en plein été, sur le sable chauffé à 6(1», sautiller en tenant
le bec entr'ouvert. Parmi les oiseaux chanteurs, il en est un,
fort joli, noir taché de blanc, peu sauvage, qui chante à ravir
sur le faîte des maisons, avant le lever et après le coucher
du soleil.
Quelques aigles « charognards », faucons et chouettes,
constituent la famille des oiseaux de proie.
Les oiseaux de passage sont : canards de plusieurs espèces,
sarcelles, bécassines et bécasseaux, pluviers Isabelle, gangas,
macreuses, cigognes, grues, ibis, butors, aigrettes, tourterelles,
merles et hirondelles.
Il ne faudrait pas que les amateurs de chasse s'illusionnent
en lisant cette énumération, car ce n'est ni sur la Zousfana ni
sur la Saoura qu'ils trouveraient souvent à faire parler la
poudre ; il y vient quelque peu de ces animaux, mais la
plupart restent dans le Guir moyen, où ils trouvent des
marécages plus à leur convenance.
Les grands passages ont lieu en février-mars et en septembre»
les canards de l'espèce dite « tadorne » nichent et il en est qui
restent toute l'année.
Quadrupèdes. — Les quadrupèdes vivant à l'état sauvage
sont : chacals, hyène, renard bleu, renard argenté, renard de
sable appelé dans le pays « fenek », gazelle, méha, moullon,
houach, lièvre, gerboise, hérisson, rat ordinaire et rat musqué,
mulots et souris.
Les renards fréquentent particulièrement les rochers qui
bordent les oasis ; les gazelles se trouvent surtout nombreuses
dans l'Erg ; en été elles se rapprochent du Guir et de la
Saoura aux points où elles peuvent trouver de l'eau courante
et un peu de verdure fraîche, elles dévorent les petites feuilles
du jujubier sauvage dans les vallées voisines, mais n'osent
pas pénétrer dans les jardins où, des indigènes sont installés
sous la tente ; on les voit rarement en troupeau de plus de
cinq à six ; entre cuir et chair les pauvres bêtes sont dévorées
par d'énormes poux, principalement sur le dos. Les lièvres
ZOUSFANA — GUIR — SaOURA 75
sont petits, leirr teinte fauve est plus pâle que chez ceux du Tell ;
plus on descend dans le Sud, plus rares ils sont, et après
Beni-Abbès, on n'en voit plus trace ; à Igli, il m'est arrivé, en
été, d'en apercevoir un couché sous une touffe, vers 9 heures
du matin, j'ai pu m'approcher de lui et le prendre à la main
grâce à la température qui dépassait déjà 40 degrés.
Si ceux de ces animaux dont la chasse serait une distraction
agréable sont en petit nombre, en revanche, les mulots, les
rats et les souris pullulent dans les ksour et déjà dans les
redoutes que nous venons de construire.
Inseclea et analogues . — Les mouches ordinaires, les mou-
cherons et les moustiques se montrent surtout au printemps
et à l'automne, ces animaux sont alors en grande quantité et
rendent la vie insupportable. En plein été et au cœur de
l'hiver, leur nombre est considérablement réduit mais il en
reste toujours assez pour incommoder les gens. Les moustiques
s'attaquent surtout aux chevaux et les laissent peu se reposer
pendant la nuit. Les mouches de cheval et les taons sont,
ainsi que les abeilles, plutôt rares.
Les fourmis ne présentent que peu d'individus, j'en ai
remarqué trois espèces : une petite brune, qui fréquente les
cuisines et les salles à manger ; une autre longue, énorme, à
marche lente dans les bas fonds humides ; enfin une troisième,
moyenne, au dos argenté, solitaire et courant sur le sable avec
une grande rapidité.
Il y a quelques sauterelles ordinaires, jaunâtres, à ailerons
rouges. La sauterelle voyageuse se montre fréquemment en
vols considérables et s'abat sur les oasis ; les indigènes les en
chassent facilement en envoyant dans les jardins femmes et
enfants qui, à l'aide de casseroles font un bruit assourdissant.
Les environs d'Igli, en ont été couverts en particulier les 18 et
19 septembre 1901 ; elles venaient du N.-E. et ont disparu
vers le Sud après avoir dévoré les feuilles des gommiers de la
filaine ; beaucoup étaient venues s'abattre dans la redoute, à la
grande joie de nos volailles qui en ont fait de plantureux repas.
Les indigènes du pays les font frire dans la graisse de mouton
ou dans l'huile et les mangent volontiers.
Les coléoptères, les araignées de murailles, les scolopendres
et les tarentules ne sont qu'en petite quantité dans l'Extrème-
Sud, ainsi que le scorpion noir ou jaune, mais leur nombre
76 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
augmente considérablement dès qu'on s'approche de l'Atlas.
J'ai aperçu dans des carcasses de chameau en' décomposition
quelques necrophores aux vives couleurs.
La puce n'existe pas du tout et la punaise quoique importée
par nous ne se multiple pas ; il faut s'en réjouir, car il est
permis de se demander si le sommeil de l'homme déjà empêché
par tant d'autres causes pourrait sncore supporter ce dernier
assaut. Les quelques papillons que l'on voit ont de brillantes
couleurs ; dans les jardins, existe celui dit « de choux ». En été,
il y a une multitude d'insectes ailés nocturnes dont quelques
uns sont fort jolis ; j'en ai remarqué un, en particulier, sorte
de libellule portant en plus de ses ailes, deux longs appendices
en forme de plume frisée qu'elle utilisait comme un balancier;
je dois dire que je l'ai vu une fois seulement.
Reptiles. — Comme reptiles, nous voyons quelques espèces
de lézards terrestres dont l'un jaune-brun, très laid, se meut
lourdement sur le sol ; puis, le lézard de palmier et le caméléon
(rares); la vipère commune et la vipère à cornes pénètrent
assez souvent dans les habitations.
Poissons. — Les poissons ne sont représentés que par deux
espèces : quelques barbeaux dans les trous de la Saoura à
Beni-Abbès et à Aguedal ; puis, dans le Guir aux environs
d'Igli, un tout petit poisson comme il en existe dans le lac du
Kreider.
Partout où il y a de l'eau courante on trouve en grande
quantité des crapauds et des grenouilles « rainettes », que des
amateurs ont déclarées excellentes.
Animaux domestiques. — Les animaux domestiques sont :
chameaux, chèvres, moutons, bœufs, ânes, mules, chevaux,
chiens, chats et poules.
Les chameaux appartiennent surtout aux Oulad Djérir et aux
Doui-Ménia, quelques uns aux Ghenanema. Depuis que j'ai
été à même d'étudier assez longuement le chameau, j'ai cessé
de croire à la légende de sa sobriété. On se figure généralement,
d'après le dicton, que cet animal est capable de marcher et de
porter impunément pendant plusieurs jours sans boire ni
manger. Oui, il peut se passer d'eau pendant trois ou quatre
jours, mais à la condition de trouver en chemin des plantes saha-
riennes qui, presque toutes très acqueuses, servent à ia fois
de nourriture et de boisson. Essayez d'entretenir un cliameau
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 77
exclusivement et pendant le même temps avec des matières
sèches telles que des dattes ou de l'orge et vous le verrez
bientôt tomber si l'eau lui manque. D'autre part, examinez
l'estomac d'un chameau mort et vous serez stupéfié en voyant
l'énorme paquet d'herbes qu'il renferme.
Nos convois dans l'Extrême -Sud ont perdu beaucoup de
chameaux, non pas seulement à cause de la chaleur, du froid
ou du surmenage, mais surtout parce que marchant en carré
pour éviter les surprises, ils les tenaient enfermés dans un
espace trop restreint pour qu'ils puissent, tout en marchant,
happer une nourriture suffisante. Nous les chargions habi-
tuellement à 120 kilos, rarement à 140 kilos et seulement pour
les denrées s'équilibrant bien, tandis que les indigènes locaux
les chargent à plus de 300 kilos, mais il faut remarquer que les
petits convois de ces dei'niers marchent toute la journée, tout à
leur aise, lentement, broutant en chemin et ne sont pas comme
les nôtres, tenus d'arriver assez tôt à l'étape pour permettre à
l'escorte de préparer sa propre nourriture. Le chamelier indi-
gène se contente de quelques dattes et d'une galette qu'il
porte sur lui, tandis qu'une troupe à des besoins beaucoup plus
étendus.
Nous marchions habituellement à la vitesse très ralentie de
3 kilom. 500 à l'heure, afin de ne pas surmener les chameaux
par une allure supérieure à celle dont il sont coutumiers; il
n'était pas possible de faire mieux sans danger pour la santé de
nos soldats qui, bien qu'allégés, voyaient augmenter sensible-
ment le temps de marche pendant lequel ils avaient à porder
leur c barda » et cela à une allure inusitée et plutôt fatiguante
pour eux.
D'autre part, puisque le chameau ne pouvait pas manger en
chemin, il fallait bien arriver à l'étape assez tôt pour qu'ils
puissent être envoyés au pâturage avant la nuit. C'est en tenant
compte de toutes ces obligations contraires que la vitesse de
marche a dû être fixée au chiffre que je viens d'indiquer.
Le chameau est certainement l'animal porteur le plus
délicat parmi ceux que nous employons ici, en revanche, il est
très courageux à la besogne et quand il se laisse tomber, c'est
qu'il est réellement à bout de résistance. A un mulet, à un
âne qui tombent auisi, il suffit souvent d'un repos de quelques
jours pour être remis complètement sur pied ; pour le chameau,
au contraire, c'est presque toujours un cas mortel à bref délai,
78 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
et si par hasard, il s'en tire, il lui faudra six mois, un an peut-
être de bon pâturage sans travail pour se refaire.
A défaut de pâturages, on peut nourrir sufflsamment le
chameau, au repos surtout, avec deux ou trois kilogs d'orge
ou de dattes dures, mais il est bon d'y ajouter du drimi, pour
augmenter sinon la nutrition, du moins le volume de la
nourriture, et, en ce cas, l'animal doit boire abondamment
tous les jours. Toutefois, il faut lui donner une éducation
spéciale pour l'habituer à se nourrir de dattes ; on lui broie
d'abord les noyaux pendant quelque temps, puis il arrive à le
faire lui-même.
Au début des opérations dans la Zousfana, l'administration
militaire louait chameliers et chameaux à un prix journalier
déterminé et remboursait la valeur des chameaux morts. Les
instincts rapaces de l'arabe n'ont pas tardé à leur suggérer
nombre de procédés ingénieux pour obtenir des rembourse-
ments illicites ou seulement avantageux. Par exemple, le
chamelier propriétaire ou non des chameaux qu'il conduisait
ne les soignait pas ou même les aidait à mourir s'il y trouvait
un bénéfice ; il lui suffisait de les sangler fortement un peu
en arrière de la vessie ou de leur donner à la main une mau-
vaise herbe pour atteindre le résultat voulu.
Ce- procédé avait encore l'inconvénient de faciliter la
substitution d'animaux fatigués à des animaux sains tout
d'abord acceptés, de nous obliger à une comptabilité des plus
embrouillées et d'amener des contestations interminables.
Depuis lors on a coupé court à tout ces abus en passant avec
les caïds des conventions forfaitaires pour les services à
fournir et les propriétaires de chameaux n'ont plus intérêt à
envoyer en convoi des animaux déjà usés, et encore moins à
laisser négliger et à faire mourir ceux qui marchent, sachant
que la perte ne leur en sera plus remboursée. Les résultats de
la mise en pratique démontrent d'ailleurs l'excellence de ce
nouveau mode d'opérer dans lequel les propriétaires trouvent
encore un bénéfice suffisamment rémunérateur.
La chèvre de l'Extrême-Sud est semblable à celle du Tell,
mais nourrie insuffisamment, elle ne donne que peu de lait ;
j'ai vu là-bas quelques chèvres espagnoles plus productives
que les premières.
11 y a deux espèces de moutons, le mouton ordinaire du
Tell, puis un autre plus fort, au front très busqué et chez
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 79
lequel la laine est remplacée par du poil. La castration des
béliers est peu en usage et, si l'animal n'est pas trop vieux, sa
chair ne contracte pas de ce fait un goût très prononcé.
Au contraire des chameaux, c'est dans la hammada que les
troupeaux de chèvres et de moutons trouvent la nourriture
sèche qui leur convient, ne craignant pas certaines herbes qui
y poussent et donne la mort au chameau. A Kerzaz, j'ai vu
utiliser les graines de gommier comme alimentation de ces
animaux. Nous avons essayé d'employer de même les dattes
dures ; la chèvre les mangeait volontiers eu laissant le noyau,
mais le mouton ne prenant pas cette dernière précaution
mourait bientôt d'une indigestion.
Le bœuf et la vache n'existent qu'en petit nombre, ceux que
nous amenions pour nourrir la troupe dépérissaient bien plus
vite que les moulons si on ne leur donnait pas une ration
d'orge de un kilog au moins.
Les poules, seule volaille du pays, sont petites, toujours
maigres et produisent des œufs minuscules, les indigènes
exigent pour ces produits des prix très élevés, 2 francs pour
les poules, 0 fr. 10 pour les œufs.
On compte facilement les ânes et surtout les mules, car il y
en a peu, relativement aux services qu'ils pourraient rendre ;
cependant depuis que nous sommes arrivés leur nombre
s'étend peu à peu, grâce à l'argent que les indigènes ont déjà
tiré de nous en nous vendant leurs produits. Au début,
les pièces de monnaie étaient, pour la plupart de gens, chose
inconnue ; lors des premiers échanges, ils n'acceptaient que
celles d'argent, mais ils n'ont pas tardé à devenir plus confiants
lorsqu'ils ont vu que nous nous établissions définitivement chez
eux et que cela leur procurait des bénéfices importants. Une
assez grande quantité de nos pièces d'argent disparaissaient
de la circulation en passant aux creusets des bijoutiers juifs.
Le cheval est un animal de luxe que seuls se permettent
quelques personnages des ksour et les guerriers des tribus
nomades ; pour le nourrir, il faut de l'orge et jusqu'ici l'orge
coûtait cher.
Les chiens sont plutùt rares dans les ksour, les nomades
ont quelques « slougui ».
Quelques chats possédés par les habitants sont insuffisants
pour faire la guerre aux bandes de rongeurs qui infestent les
maisons ; on les prise très haut.
GUIR — SAOURA
PRODUCTIOiNS
La culture se fait principalement dans les jardins de
palmiers et parfois dans les terrains nus au fond des rivières,
elle se borne aux produits suivants: Orge, un peu de blé dur,
sorgho et mais, luzerne, fèves et pois chiches, choux fourragers,
navets, carottes longues, oignons, quelques tomates, aubergines
blanches, concombres, pastèques, citrouilles, melons, piment
fort, safran, henné, et un peu de cotonnier.
L'orge est semée en décembrs ou au commencement de
janvier et récoltée en avril, son rendement est faible, le grain
est moyen ; cette culture est alors la principale et, comme
toutes les autres, elle comporte l'irrigation.
La luzerne devient haute, elle m'a paru donner un rendement
assez abondant aux Beni-Goumi où on la trouve surtout.
Parmi les légumes, les navets et les oignons sont les
meilleurs.
Le melon est très allongé, mesurant parfois jusqu'à 0™ 80,
sa chair est farineuse, légèrement musquée et peu sucrée,
c'est-à-dire d'un goût médiocre ; les indigènes ont d'ailleurs
le tort de planter côte à côte le melon, la pastèque et la
citrouille et ne recueillent ainsi que des graines dégénérées.
Comme arbres, on trouve dans les jardins, en outre du
palmier, le figuier, le pêcher, l'abricotier, le grenadier,
quelques cognassiers, poiriers, oliviers et mûriers ; des pieds
de vignes à demi-sauvage, enfin du tlaïa cultivé et taillé de
façon à lui faire produire des perches relativement droites et
longues de 5 à 6 mètres. J'ai vu aussi un oranger de belle
venue, mais non gretïé. Les fruits sont en général petits et
ont peu de saveur, car aucun soin n'est donné aux arbres, dont
les troncs sont étouffés par les gourmands.
Il serait possible de perfectionner et d'étendre la variété des
productions en introduisant un choix raisonné de nos procédés
de culture et de nos produits du Tell. A Taghit, par exemple,
nous avons créé des jardins potagers militaires où nous avons
obtenu salades, pommes de terre, choux pommés, choux-fieurs,
carottes, petits pois, haricots, betteraves, cresson ordinaire et
cresson alénois, de belles tomates, des melons exquis, etc. . .
11 y aurait lieu d'encourager par des récompenses tous travaux
ZOUSFAXA — GUIR — SAOURA 81
de cette nature entrepris par les officiers dans ces régions, car
les indigènes, obligés de constater l'infériorité de leurs cultures
amélioreront celles-ci en faisant comme nous. Pour cela, il
nous faut les aider, en leur procurant au début les graines,
boutures, greffes, etc..., car ils ne sauraient où s'adresser
pour les obtenir. A Igli, par exemple, nous avons donné à
quelques-uns des pommes de terre à planter, et au mois de mai,
il en a été vendu sur le marché installé près de la redoute au
prix très rénumérateur de 0 fr. 50 le kilog.
Nous avons aussi bouturé diverses essences d'arbres dont
les plants nous avaient été envoyés par le bureau arabe d'Aïn-
Sefra et par la garnison du Kheider ; on peut voir maintenant
s'élever au milieu des palmiers de Taghit des jeunes pousses
de peupliers, de saule-pleureur, d'olivier de chêne, etc..
L'olivier à l'huile vieiidrait aussi très bien, car il en existe
déjà quelques spécimens sur lesquels j'ai vu de belles olives.
D'autre part, il est évident-qu'on ne- pourrait pas impunément
accumuler de nouveaux arbres dans les oasis ou le terrain
cultivable est limité ; il faudrait se contenter de remplacer le
médiocre existant par un mieux relatif-
De ci, de là, on voit dans les jardins quelques belles touffes
de rosiers de mai ; c'est le seul sacrifice lait à l'agrément.
Comme dans toutes les cultures ksouriennes, les jardins sont
séparés par des murs en terre ou par des palissades élevées au
moyen de feuilles de palmier piquées dans le sol. L'eau des
irrigations est prise soit dans des puits, soit aux sources qui,
venant de l'Erg, s'ouvrent ou Ont été amenées sur la rive
gauche de l'oued. L'aménagement de tout cela mérite une
mention particulière car il est le même dans toutes les oasis,
sauf comme nous l'avons vu à Igli, ou existe un modèle de
puits tout spécial. Les puits sont à bascule dite a khettara »,
composée d'un long et lourd balancier appuyé sur une traverse
qui réunit les sommets de deux piliers en « toub » ou en tronc
de palmier, ils ont généralement un revêtement intérieur en
gros cailloux. Il existe presque autant de puits que de jardins,
leur eau tirée au moyen de corbeilles tressées est déversée dans
un conduit formé par un demi-tronc de palmier et dirigée
ainsi dans des rigoles à ciel ouvert ou la rapidité du puisage
entretient un écoulement permanent pendant l'arrosage.
En quelques points de la rive gauche, les indigènes ont créé
des sources en y amenant l'eau des nappes qui s'étendent sous
6
82 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
la dune ; c'est le système do la « foggara ». Il comprend un
conduit souterrain reliant les fonds d'une ligne de puits
creusés entre l'Erg et l'oued, ces puits sont à une vingtaine de
mètres les uns des autres, ils constituent un énorme travail
quand la dune est éloignée de la rivière à plusieurs kilomètres
comme à Guerzim. La plupart du temps il ne s'agit pas alors
de capter et d'amener une source, ma's bien de chercher la
nappe et de la conduire en plan incliné souterrain jusqu'au
point voulu ; en effet on ne voit que peu de sources jaillir
directement au pied de l'Erg, sauf en quelques points ou
celui-ci touche la rive gauche de l'oued principal.
En dehors des productions artificielles, il y a peu d'autres
ressources dans le pays. Les pâturages, là où il en existe, sont
surtout à l'usage des chameaux, sauf, comme je l'ai dit déjà,
dans la région du Guir et de l'oued Bou-Dib où ils permettent
aux Doui-Menia d'élever convenablement leurs troupeaux de
chèvres et de moutons. Le chameau trouve dans la Zousfana,
dans la Saoura et dans l'Erg une nourriture sinon abondante,
du moins très variée, représentée principalement par les
plantes suivantes, dont j'indique l'apellation locale à défaut du
nom scientifique : guetaf, alenda, et hdtt, rlâ, baguel,
damrâne, chira, reums, besbess, bsiabsia, nejem, drim et diss.
La plupart sont privées de feuilles proprement dites ; sur une
tige ligneuse, sortent des excroissances très aqueuses qui les
font ressembler à des plantes grasses ; quelques-unes sont des
graminées ; le nejem est un chiendent à pointes aiguisées qui
croit dans les bas-fonds humides et dont les xîhevaux sont
particulièrement triants.
Dans les oueds, on trouve assez fréquemment le roseau plat
ôtted-
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA. 83
et court ou celui rond et élevé, le jonc, le dissplat et un gazon
court d'une extrême finesse.
Presque toutes les plantes se présentent en touffes espacées
ayant leurs racines enfermées dans un monticule sablonneux
ou terreux.
Dans la classe des arbres ou arbrisseaux, nous ne voyons
guère que le tamarin ordinaire et le tlaïa vivant côte à
côte dans une amitié fraternelle et ayant souvent leurs racines
mêlées dans le même monticule, le gommier, le jujubier
sauvage, le laurier rose et le câprier.
Il serait facile d'étendre ia production du tlaïa par bouturage
et celle du gommier par semis ; outre les galles à tanin et
la gomme excellente qu'ils donnent, on en tirerait encore
le bois qui manque totalement en beaucoup d'endroits où les
indigènes se contentent de palmes sèches ou de palmiers
morts pour faire cuire leurs aliments.
Toutes les plantes sahariennes à l'état sauvage ont une
qualité remarquable : leur puissance de vitalité et une
complaisance inouïe à repousser malgré de graves mutilations,
à la condition, toutefois, qu'on nouvre pas trop le tertre
protecteur de leurs racines. C'est au printemps surtout que les
plantes se remettent à pousser, mais il en est beaucoup qui
continuent à produire leur verdure même pendant les
plus fortes chaleur. Le gommier, qui parait mort pendant les
six premiers mois de l'année, donne ses premières pousses
d'un beau vert clair et ses fleurs très odorantes au mois
de juillet seulement ; si on l'examine alors, on voit l'écorce
des branches ou du tronc bourgeonner en certains points et,
là, se former une poche extérieure qui, sous une enveloppe de
goumie durcie au contact de l'air, renferme de la gomme liquide;
des myriades d'insectes ailés, mouches vulgaires, papillons,
mouches à miel, sauterelles, etc., bourdonnent dans la
frondaison, attirés par le suc des fleurs. Le tlaïa fleurit à la
même époque donnant, comme le tamarin, des fleurs en
grappes blanches tirebouchonnées, à reflets violacés, et dont
l'odeur fine rappelle celle de la l'eine des prés. Le jujubier
sauvage se présente souvent sous forme d'arbres à gj'os tronc,
mais peu élevés.
Les plantes à fleurs sont peu nombreuses; je n'ai l'encontré,
en outre de celles déjà citées, que quelques chardons à
grandes fleurs d'un beau jaune d'or, des orobanches à fleurs
84
rouges brun tigré, du «chou sauvage», à fleur mauve odorante,
quelques pâquerettes, de la centaurée et (juelques autres
de petites dimensions. Gela s'explique d'ailleurs par la rareté
des pluies et par le peu de facilités qu'ont les graines pour
germer dans des terrains que la moindre coup de soleil
dessèche très rapidement. Sur quelques « gour » de la
hammada on trouve la rose de Jéricho.
Les dattes constituent la production principale des oasis
sahariennes de la Zoustana et de la Saoura. En général, elles
sont de qualité ti'ès inférieure à celles de la région de Biskra ;
c'est à peine si l'on trouve quelques régimes de ces dattes
claires, longues et transparentes e.xportables à l'usage des
européens, les autres, soit dures, soit demi-molles, sont
néanmoins agréables au goût et de bonne qualité marchande
pour les indigènes. Les premières dattes mûres apparaissent
en fin août, mais cette espèce, très molle, très sucrée, n'est
pas transportable, car elle fermente en peti de temps. C'est en
fin septembre qu'à lieu la récolte générale. Les palmiers
atteignent souvent une grande hauteur ; à Taghit, j'en ai
mesuré un ayant 20 mètres. Nous pourrons petit à petit
améliorer la qualité des dattes en important des dattiers
nouveaux.
INDUSTRIE
L'industrie est à l'état le plus rudimenlaire, c'est à peine
si les habitants arrivent à fabriquer quelques objets d'utilité
première, tels que Uidj ustensiles en sparterie, tapis grossiers
en laine, plats, marmites et autres en terres cuites. Les juifs
installés dans les ksour fondent l'or, l'argent et l'élain pour
confectionner des bijoux de forme souvent originale, ornés de
verroteries de couleur qui contrastent étrangement avec les
haillons sales et sordides ou les chevelures incultes qu'ils
ornent. Les instruments de travail, les armeSj^ les étoffes sont
achetés au Talilala ou aux caravanes qui les apportent comme
objets d'échange.
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 85
COMMERCE
J'ai été en mauvaise situation pour juger de l'imporlance
des relations commerciales à rayon étendu, à cause du trouble
dans lequel nous avons trouvé le pays ; les Oulad-Djeria et les
Doui-Menia, d'une part, non soumis encore, indécis sur leur
sort futur, et mécontents par suite de nous voir installés sur
une partie de leurs territoires, non seulement ne prenaient
aucune part aux échanges, mais encore faisaient une police
destinée à barrer la route à ceux des leurs qui auraient voulu
tenter de commercer avec nos postes. D'autre part, les menaces
continuelles des Beraber et l'enlèvement de quelques petites
caravanes sur la Saoura n'étaient pas faits pour encourager
les tentatives à grande distance. Enfin, l'autorité supérieure
avait cru devoir aussi supprimer les grandes caravanes
annuelles des Hamyan et des Oulad-Sidi-Gheikh. Le pays
soutTrait de cet état de choses au point que les ksouriens ont
eu beaucoup de difficultés à se procurer l'orge nécessaire aux
semailles de 1900-1901, bien qu'il possédassent l'argent
et les dattes à donner en échange. On pouvait les voir là où
nous avons des postes militaires, venir trier le sable sous les
pieds de nos chevaux ou aux emplacements de nos troupeaux,
pour retirer grain à grain l'orge perdue. En paiement d'une
charge de bois ou de drinn rapportée péniblement à dos
d'homme ou, pour être plus vrai, à dos de femme pendant
plusieurs kilomètres, ils préféraient une poignée d'orge à une
pièce d'argent. Celte situation n'a pas tardé heureusement
à s'améliorer, au fur et à mesure de la soumission de fractions
des tribus récalcitrantes à notre domination. Dès le mois de
février 1901, des petites caravanes sont venues de Kenadsa,
puis, un peu plus tard, des ksour du Guir el ont apporté du
grain, des étoffes, des vêtements tissés et tous autres objets ou
denrées dont les ksouriens avaient été privés pendant près
d'un an. .le ne fais pas entrer en ligne de compte les convois
de marchandises de nos mercantis qui avaient surtout pour
but de commercer avec la troupe; cependant les habitants du
pays ont appris à s'y fournir de diverses marchandises: sucre,
café et quelques étoffes qu'ils y trouvent à assez bon compte
86 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
quoique plus cher que les marchandises analogues venant par
le Maroc. Aux caravanes du Tafilala, nous avons pu acheter
des armes assez belles, en particulier des pistolets d'arron
français de l'époque de Louis XV parfaitement conservés et
qu'on peut s'étonner de voir en pareilles mains.
Il me semble néanmoins pouvoir présenter quelques conclu"
sions au sujet des relations commerciales possibles dans
l'avenir; quand notre occupation sera complétée par la
pacification et la sécurité. En premier lieu, il sera nécessaire
de barrer le passage aux produits anglais et allemands qui.
après avoir traversé le Maroc dans toute sa largeur, arrivent
sur le Guir, la Zousfana et la Souara à des prix pouvant
concurrencer les nôtres. En dehors de cette entrave, il fau
au contraire laisser toute latitude à l'entrée chez nous des
produits locaux du Tafilala, car c'est pour nous le seul moyen
d'entretenir des relations d'intérêts avec les belliqueuses
populations qui constituent la confédérafion des Beraber, et
d'espérer ainsi les gagner à notre cause pour le jour où
s'ouvrira la « question marocaine ». Nous leur devons d'ailleurs
bien cela en dédommagement des profits qu'ils tiraient de leurs
rapines au Touat et au Tidikelt avant notre occupation dans
ces contrées.
11 est à supposer que l'argent semé par nos garnisons dans
le pays, incitera nos nouveaux sujets à se créer et par suite à
satisfaire des besoins inconnus jusqu'à ce jour, mais ne
comptons pas trop là dessus pour établir un courant commercial
d'une certaine importance, d'abord à cause du petit chifl're de
sa population (en y comprenant même celle des oasis les plus
voisines, du Touat, du Tidikeld, du Timmi, etc..) puis
aussi parce qu'il faudra du temps avant que ces besoms fussent
créés. Lescaravanesliabituellesetlesboutiquesde nosmercantis
suffiront longtemps à salisfaires aux exigences ; c'est dire que
seuls quelques privilégiés, hardis commerçants et fournisseurs
des marchands installés dans nos postes militaires profiteront
des quelques bénéfices à retirer-.
On a pu s'étonner que l'organisation du port-franc à Aïn-
Sefra, pour les marchandises transitées dans l'Extrème-Sud
n'ait pas encore donné les résultats attendus. Il y a à ce fait
deux raisons : 1° Nos commerçants veulent gagner un peu trop ;
2 ' Les produits anglais et allemands continuent à arriver par
Kenadsa et Taghit. Personnellement, j'ai pu acheter à des
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 87
caravanes du sucre, du thé, etc.. à bien meilleur compte qu'à
nos mercantis. Il ne faut pas chercher ailleurs les causes de
l'insuccès relatif constaté jusqu'en ces derniers temps et c'est
dans ce sens qu'il faut y remédier, c'est-à-dire en barrant
énergiquement l'entrée aux produits d'exportation étrangère,
mais en ne permettantpasànosmaFchandsdel'Extrême Sud de
réaliser des bénéfices exhorbitants. J'ai vu h Igli, un fait que
je crois devoir citer à l'appui de ma thèse. Le prix courant
accepté par l'autorité militaire pour la vente aux troupes du
paquet de cigarettes était de 0 fr. 30, alors que cet objet est
acheté en gros 0 fr. 08 dans le Tell. Un arabe en ayant apporté
quelques charges de Duveyrier à ses risques et périls à voulu
en vendre à 0 fr. 20 sur le marché ; les marchands européens
d'Igli ont prétendu l'ojjliger à vendre à 0 f r 30 comme eux et
sur son refus, ont failli lui faire un mauvais parti. J'ai du
intervenir pour faire cesser cette odieuse entrave à la
concurrence légale. Ils est évident que ces commeiçants venus
si loin risquer leur vie et peut-être leur argent, condamnés à
vivre là sans famille et à subir les rigueurs du climat, méritent
d'y faire des gains plus élevés que s'ils étaient instal'és dans
des postes moins perdus, mais il est une limite à laquelle nous
devons les arrêter si d'autre part nous les protégeons contre
la concurrence étrangère.
L'administration militaire trouverait facilement et à bon
compte à se pourvoir de viande fraîche, d'orge et d'animaux de
transport chez les Doui-Menia dont les campements sont les
plus voisins de Taghit, d'Igli et de Beni-Abbès. L'an dernier,
ces tribus ont peu semé dans le Guir où elles craignaient à
chaque instant de voir apparaîti-e nos colonnes ; mais ayant pu
juger déjà des profits possibles, elles sèmeront beaucoup si nous
leur promettons des achats et la sécurité de leurs cultures.
Leurs troupeaux sont en général en bon état et ils donneraient
à nos troupes une viande saine et d'un bon rendement, si
l'administration militaire voulait renoncer à l'emploi hâtif
d'intermédiaires dont le but est de s'enrichir aux dépens du
soldat. Nous nous pi-essons trop d'instituer des fournisseurs à
la ration dans les contrées nouvellement acquises où la sécurité
et les communications ne sont pas encore assises ; ceux ci
risquant beaucoup se croient d'autant plus autorisés à toutes les
tentatives de fraude qu'ils sont souvent des gens peu
recommandables. D'auli'e part si nous voulons ouvrir un
88 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
courant d'achat des ressources du pays, c'est seulement par
l'inlermédiaire de l'administration militaire que les habitants
prendront confiance, parce qu'ils sauront devoir être payés
intégralement et en bonne monnaie. On habituerait ainsi
l'indigène à amener lui-même ses produits et c'est alors
seulement que des fournisseurs pourraient être appelés à
commercer là dessus pour la nourriture des troupes.
La Saoura est le chemin le plus direct, le plus facile et le
mieux fourni en eau, bois et pâturages pour gagner les oasi3
du Touat et du Timmi, on peut admettre que dans un avenir
peu éloigné c'est par là que se fera la plus grande partie des
échanges entre le Tell et ces contrées. J'ai vu déjà passer à
Igli, un convoi de marchandises envoyé d'Aïn-Sefra à un
commerçant installé dans une garnison du Timmi ; cette
tentative est bien un peu osée dans les circonstances actuelles
mais elle prouve que les gens directement intéressés ont
reconnu d'eux-mêmes les avantages qu'ofl're celte route.
Quant au commerce possible avec nos possessions du centre
africain et du Soudan occidental, je me garderai d'en parler,
la question sortant du cadre que j'ai pu étudier. En fait
d'objets venus de ces contrées jusqu'à la Saoura, en dehors
des esclaves, je n'ai vu que quelques plumes et œufs d'autruche
et des plats en bois très dur en forme de demi-sphère.
ETHNOLOGIE
Il nous faut distinguer parmi les habitants, les sédentaires
ou ksouriens et les nomades, sans exagérer toutefois cette
distinction, car bien des familles appartenant aux nomades
ne bougent presque pas du ksar ou de l'oasis où elles ont élu
domicile. Certaines oasistellesque Igli, Beni-Abbès, Beni-Ikhlef
et Kerzaz ne renferment que des sédentaires complètement
indépendants de tribus nomades. Au contraire celles des Beni-
Gouuii, de Tamettert, El-Ouata, etc.. appartiennent aux
Doui-Menia ou aux Ghenanema qui sont nomades. Néanmoins
dans les unes comme dans les autres on trouve trois races bien
dilTérentes, arabe, berbère et nègre, .le crois pouvoir supposer
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 89
que le berbère a été le premier occupant, soit qu'il fut déjà
dans le pays avant l'invasion arabe, soit qu'il ne s'y fut réfugié
qu'à cette époque. 1,'arabe l'y aura poursuivi plus tard, l'en aura
chassé en partie, et aura introduit le nègre venant du Soudan
et aclieté comme esclave. C'est peut-être du berbère et du nègre
asservis tous deux au début qu'est né le «hartanic au teint
bronzé, qu'on trouve il est vrai dans tous les ksour, mais sur-
tout dans ceux placés sous la d-^pendance des arabes nomades.
La langue berbère est encore très répandue dans la contrée,
concurremment avec la langue arabe ; pour certains mots,
elles se sont même fondues aussi bien dans le langage que
dans les écrits, ce qui en rend quelquefois là compréhension
difficile au.x: nouveaux venus ne connaissant que l'arabe.
La plupart des dénominations géographiques sont en berbère,
c'est cela surtout qui me fait admettre la prioi'ité de
l'occupation berbère.
A ces trois races, s'ajoutent les quelques juifs marocains
achetés et implantés dans quelques ksour où ils représentent
l'élément industiiel.
Les mœurs et les coutumes sont peu différentes de celles
que nous connaissons dans les régions similaires conquises
précédemment par la France. Cependant le ksourien, quoique
de caractère doux et pacifique, est resté courageux, habitué
qu'il est à défendre son bien contre les pillards du désert, nous
avons pu nous en convaincre en voyant les Béni Ikhlef, au
nombre de 200 environ, avoir la prétention de résister à notre
colonne cinq fois plus nombreuse.
Les nomades, qu'ils soient Doui-Ménia, Oulad-Djerir ou
Ghenanema ont, comme leurs semblables des Hauts-Plateaux,
des instincts de pillage, de cruauté guerrière et de dissi-
mulation, qui ne demanderaient qu'à se montrer vis-à-vis de
nous et dont nous ferons bien de toujours nous méfier.
J'ai pu constater personnellement, en maintes circonstances,
combien ces nouveaux sujets malgré leur soumission,
afiectent de mépris pour nous et pour nos troupes indigènes ;
le lien qui les rattache à nous est encore peu solide ;
il nous faudra une main très ferme, quoique bienveillante,
pour l'empêcher de se rompre à la première occasion.
La question de l'esclavage sera une des plus délicates pour
être résolue doucement et dans le sens humanitaire que nous
impose la convention internationale.
90 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
Depuis leur arrivée dans la contrée, les arabes possèdent
des esclaves, mais ils les traitent généralement avec douceur,
sauf en cas de faute très grave qu'ils répriment par la
bastonnade, et quelquefois, mais rarement, par les mutilations.
La religion musulmane est en général bien observée, mais
tout naturellement et sans fanatisme. Les marabouts locaux
sont entourés d'un grand respect, sans que leur influence, du
moins sur les nomades, soit excessive ; néanmoins, notre
politique doit tendre à les avoir toujours pour nous, car c'est
surtout grâce à eux que nous avons pu prolonger pacifiquement
et aussi loin, notre domination vers le Sud oranais.
La femme n'est pas mieux traitée qu'ailleurs ; elle est
considérée, là aussi, comme un être inférieur, bon tout au
plus à la matérialité du plaisir des sens ; chargée de la
besogne intérieure de la maison ou de la tente, c'est elle
encore qui va chercher l'eau dans des outres en terre cuite
beaucoup trop lourdes pour ses épaulés et les charges de
bois qui l'écrasent encore plus. Ses vêtements se réduisent à
quelques haillons dont elle drape son corps, et qu'elle recouvre
d'une étoffe bleue semblable à celle qu'a la Vierge sur les
tableaux bibliques. Elle a la tête nue et embroussaillée de
cheveux teints au henné. C'est elle aussi qui lave le linge sans
savon, à l'aide d'une marne bleuâtre qui en tient lieu.
Les enfants sont à peine vêtus, même par les grands froids
du matin ; ils attendent alors le soleil pour se réchauffer à ses
rayons sur les terrasses des maisons.
Dans les cimetières, on voit fréquemment des poteries
ébréchées ou entassées en débris sur les tombes ; c'est une
marque qui permet aux vivants de reconnaître les tombes de
leurs morts déjà indiquées comme dans le Tell, par des
pierres placées debout à la tèle et aux pieds.
MALADIE DU PAYS
Comme toutes les contrées à climat chaud et sec et éloignés
de notre civilisation, le Sahara oranais est très sain. La fièvre
paludéenne ne règne que dans les ksour bâtis au centre des
oasis, au milieu des cultures, et la encore, elle ne semble pas
ZOUSFANA — GUIR — SAOURA 01
faire de nombreuses victimes. La seule maladie qui tasse des
ravages sérieux est la petite vérole, dont la plupart des ksouriens
portent les marques. Nos médecins militaires se sont déjà mis
à l'oeuvre pour prévenir les épidémies en vaccinant des enfants
encore indemnes, et chose remarquable chez des peuplades
aussi peu au courant de nos mœurs, celte mesure, au lieu de
rencontrer des diflicultés, a plutôt été acceptée avec empres-
sement ; tout en tenant compte des enseignements que nos
soldats indigènes ont pu répandre à cet égard, ce fait semble
indiquer nettement combien est grande la crainte qu'inspire
cette maladie.
La teigne faveuse est une atfection presque généralisée sur
la population mâle; nos médecins s'en sont aussi occupés et
n'ont pas craint de neUoyer eux-mêmes de nombreuses têtes
d'enfants à l'aspect repoussant; si les femmes en sont moins
atteintes, c'est sans doute parce que leur chevelure est plus
souvent désinfectée par la teinture au henné.
La syphilis est encore peu répandue, mais elle existe. Les
ophtalmies sont fréquentes en été, grâce aux poussières
malpropres qui encombrent les ruelles et les alentours des
ksour, au peu de soin de propreté corporelle des habitants et
aux mouches qui propagent le mal surtout sur les enfants.
Telles sont les maladies qui atteignent l'indigène du pays ;
saut la petite vérole, elles sont peu graves, aussi la mortalité
est-elle normale et les cas d'extrême longévité fréquents.
Nous avons eu dans nos troupes quelques cas de fièvre
typhoïde spontanée, mais ils n'ont déterminé la mort que lors-
que des complications due à une alfection organique antérieure
sont survenues. En revanche, beaucoup d'hommes, européens
comme indigènes, ont été atteints d'embarras gastriques fébriles
plus ou moins graves, résultant de la fatigue, -de l'extrême
chaleur jointe à une nourriture échauflante et peut-être aussi
de la nostalgie. A d'autres points de vue, l'état sanitaire est
resté aussi bon, sinon meilleur que dans le Tell. A Igli. j'ai pu
remarquer avec quelle facilité la moindre lésion de la peau
s'envenimait et provoquait dans son voisinage une éruption de
furoncles successifs dont on avait beaucoup de peine à se
débarrasser. Nous avons du, l'an dernier, alors que nos soldats
se blessaient assez souvent en construisant les locaux de la
redoute, mettre à leur disposition des solutions de sublimé
avec lesquels ils nettoyaient eux mêmes toute écorchure dés
92 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
qu'elle se produisait. Un mallieureux, simplement piqué à un
doigt par une pointe de di-inn est mort en quelques jours d'un
phlegmon survenu.
Le grand agent désinfectant est le soleil ; c'est certainement
grâce à lui que la malpropreté habituelle des habitants, ne
devient pas pour eux un foyer de mort.
Lorsque nous aurons introduit l'usage de la chaux pour
blanchir les murailles intérieures et extérieures des maisons,
puis établi la vaccine sur une plus large échelle, nous contri-
buerons ainsi pour notre part à augmenter encore les conditions
de salubrité des oasis.
REMARQUES TOPOGRAPIIIQUES
Les formes actuelles du terrain dans la région sont le résultat
de deux actions très intenses : 1» dissication par le soleil qui a
mis à nu presque partout la carcasse rocheuse en divisant la
couche de terre en poussière que les vents ont emportée ;
2" les vents du Sud-Est qui, amenant le sable de loin, forment
en certains points des dépôts, petits d'abord, puis qui
grandissent et deviennent des dunes plus ou moins serrées et
d'altitude variable. L'eau qui tombe si rarement, ne fait
sentir son influence que dans le lit même des grands oueds,
par les apports de boue des crues importantes.
En aucune contrée, je crois, on ne peut mieux constater la
marche incessante des sables vers l'Ouest, l'Erg borde
immédiatement presque toute la rive gauche du long sillon
creusé par la Zousfana et par la Saoura ; en face, sur la
hammada de l'autre rive, on voit déjà, non seulement des
taches de sable, mais même des dunes assez importantes qui
continuent à s'étendre tous les jours ; le sable y a, en de
nombreux points, remplacé la couche primitive de terre,
remplissant tout au moins les interstices des roches et des
cailloux épars. La vallée voit donc ses bords se rapprocher
peu à peu, malgré les crues qui de temps à autre nivellent les
rides sablonneuses déposées dans son ht. On peut même se
demander si un jour, elle ne sera pas barrée, puis comblée
ZOUSFAXA — GUIR — SAOURA 93
entièrement par l'avancement continu de l'Erg, car en certain
points, tels que : Taghit, Bakhti, Zaouia-Tahtnina, Tamettert,
défilé de Kerzaz, il ne reste plus qu'une faible distance entre
l'Erg et la liammada ; cela est d'autant plus à craindre qu'en
ces mêmes points, les jardins de palmiers constituent
précisément un obstacle favorable à l'accumulation du sable
charrié par le vent.
Jusqu'à ce jour, les indigènes n'ont guère essayé de lutter
contre l'envahissement de leurs oasis, ils se sont contentés
d'élevei' des murs ou des palissades et lorsque les buttes de
sable formées à lextérieur de ces barrières les ont franchies
pour pénétrer par trop dans leurs jardins, ils ont abandonné
ceux-ci pour aller cultiver un peu plus loin des terrains encore
indemnes. C'est ainsi qu'on peut expliquer la continuité relative
des oasis à partir d'El-Ouata, et non par une ancienne
prospérité, car celle-ci supposerait un nombre de bras et par
suite une population qui ne semble d'autre part avoir jamais
été très supérieure au chiffre actuel Dans les jardins de Taghit,
les indigènes ont essayé le procédé suivant qui pourrait donner
des résultats s'il était employé partout et suivi avec soin : un
mur de 2 mètres environ de liauteur borde la lisière Est des
jardins les plus voisins de l'Erg ; des ouvertures carrées de
0"" 30 de côté sont ménagées au pied du mur tous les 2 ou 3
mètres, le sable au lieu de former une butte continue derrière
l'obstacle, entre par ces ouvertures et forme à chaque débouché
intérieur un petit tas facile à enlever de temps en temps. Ce
moyen n'est pas évidemment le remède radical, mais il
permettrait tout au moins de conserver les jardins jusqu'au
moment où l'Erg sera à telle proximité qu'il faudra les
abandonner sans espoir. A El-Ouata, ou toute la partie Sud de
l'oasis est déjà envahie par de hautes dunes, les indigènes
conservent quelques palmiers en entretenant un entonnoir à
leur pied, ce moyen est, ni"a-t-on dit, celui qu'emploient aussi
les gens du Toiiat dont le principal travail consiste à transporter
le sable au dehors au fur et à mesure qu'il vient combler ces
entonnoirs.
En examinant le croquis d'itinéraire, mis à l'appui de
la première partie de cette étude, on a sans doute remarqué
que la plupart des oasis de la Saoura se trouvent dans les
boucles de la rivière dirigées vers l'Est. A cela, il y a une
première raison majeure, c'est que la Saoura y coule généra-
94 ZOUSFANA — GUIR ^ SAOURA
Jement à la surface du liL et que pai' suite l'eau y est à la
moindre profondeur dans les puits voisins du lit. Il en existe
une seconde : l'abri que les plantations y trouvent contre le
sable ; si bizarre, en effet, que cela paraisse, ces cirques plus
rapprochés de l'Erg que ceux dont la convexité est tournée
vers l'Ouest, sont moins exposés à l'ensablement sinon direct
par l'approche successive de la dune, du moins par les apports
du vent. Il est à supposer que sous l'action des vents violents
de l'Est et du Sud-Est le sable enlevé aux crêtes de l'Erg passe
en trajectoire au-dessus du cirque avant de perdre sa vitesse ;
cependant, quand les plantations de pahniei's dépassent la
branche Sud de la boucle, comme à Ouata, elles sont les
premières à subir l'ensablement, par manque d'un masque
protecteur suffisamment élevé. Au contraire, les oasis situées
assez loin de l'Erg, Guerzim, par exemple, sont les plus
atteintes par le sable que le vent charrie. Le moindre obstacle
situé sur le sol, plante toulî'ue à la base, roc isolé, carcasse de
chameau même, est susceptible de former la base d'une dune
future ; j'ai pu observer cela même sur des plateaux élevés
très balayés par le vent. C'est bien pis encore quand se
trouve au milieu de la vallée une oasis pourvue de grands
arbres au pied desquels les indigènes laissent pousser des
rejetons en grosées touifes. Le remède serait peut-être en ces
points de laisser, au contraire, le passage libre au vent, en n'y
entretenant que des palmiers bien dégarnis à la base, à
l'exclusion de toute autre culture.
On a pu remarquer aussi que toutes les plantations de
palmiers sont sur la rive gauche des oueds, rarement sur la
rive droite; c'est parce que les puits y sont alimentés parla
nappe souterraine de l'Erg tout autant que par celle de la
rivière.
Dans l'Erg, les hautes dunes subissent quelques déformations
à la suite des ouragans d'une certaine durée; les sommets se
déplacent quelque peu, les « siouf » déplacent leur crête, mais
il faut une longue observation pour constater des modilications
sérieuses ; le seul phénomène très appréciable en un an
seulement, c'est l'avancement de l'Erg vers l'Ouest.
GUIR — SAOURA
ORGANISATION ADMINISTRATIVE
Les oasis de la Zousfana et de la Saoura sont actuellement
administrées par deux annexes des Affaires indigènes, l'une
dite de la « Zousfana » comprend les oasis des Beni-Goumi,
Igli, Mazzert et les fractions soumises des Doui-Menia: l'autre
dite « de Béni Abbès », comprend toutes les autres oasis de la
Saoura depuis Mazzert jusqu'au Touat.
La tâche des officiers chargés de cette administration est des
plus délicates, car les territoires sont très étendus et les droits
acquis par les différentes fractions constituent un obstacle à
la fusion nécessaire à une bonne administration. La propriété
par exemple, est très divisée, confuse et sujette à de nom-
breuses contestations soit d'une oasis à l'autre, soit entre
indigènes de la même oasis; sa constitution définitive pour
l'établissement des bases de l'impôt demandera un gros travail.
L'autorité militaire a établi des caïds et choisi les notables des
djemâa, c'est-à-dire organisé le pays selon les usages en vigueur
en territoire militaire d'Algérie ; il reste encore beaucoup à
faire évidemment, mais il n'est nul besoin de se presser; il
vaudra mieux même agir avec prudence si nous voulons voir
notre domination acceptée sans contrainte par une progression
successive des obligations imposées.
Je ne dirai rien de l'occupation militaire, dont le régime
n'est pas encore définitivement établi et qui est d'ailleurs
subordonnée aux résultats des pourparlers en cours entre la
France et le Maroc.
APPRECIATION GÉNÉRALE sur LE PAYS
En quelques mots, je résume l'appréciation générale que je
crois pouvoir émettre sur notre nouvelle acquisition : pays
n'offrant par lui-même qu'une valeur médiocre, au point de
vue des avantages commerciaux ou industriels, à moins que
96 ZOUSFANA — GUIR — SAOURA
nous rétendions jusqu'au cours du Guir, afin d'entrer en
relations directes avec les peuplades habitant le versant Sud
de l'Atlas marocain. Pour l'instant, il ne constitue qu'une
ligne de communications faciles entre le Tell et les oasis
du Touat, du Tidikelt et du Timmi, et cela seul peut suffire à
justifier sa prise de possession, si, d'autre part, les dépenses
d'occupation restent en dessous des Ijénéfices supposés. Yoilà
le côté utilitaire !
On peut en envisager un autre, celui du progrès humani-
taire dont la France a toujours été le champion ; nous venons
de faire un grand pas vers les mystérieuses et sauvages
régions Sud marocaines à peine entrevues par quelques hardis
explorateurs ; c'est peut être à nous que reviendra l'honneur
de les conquérir plus tard à la civilisation, tout en préparant
pacifiquement notre accès futur au Tell marocain dont elles
constituent la véritable citadelle. Si ce n'est pas tout à fait
« attaquer le taureau par les cornes », ce sera du moins
0 user les cornes du taureau pour le laisser sans défense. »
Capitaine DUVAUX.
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Plan ch e 1
JUnomipe de l]arei/7-'i&' dTaokiL.
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Planche II '^W
J.llnerjira cjc Taahih a [ait et rà/ton diiOiiiv
Planche III A
Jlinéi-Jirv d'J^li-Ksar' a Tafdai'L^
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Planche V ^^
Jdnérain- .l'fs 0„lad imKhada â Kp^clL.
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ûULiv. ^ („~«,y. 1."')
m
^
^
NÉCROLOGIE
JUSTIN POUYANNE
L'Algérie vient d'ètro frappée dans la mort de l'un des
ionctionnaires les plus éminents qui aient contribué à son
essor.
Il est certainement bien peu d'hommes qui aient, à l'égal
de Justin Pouyanne, consacré à notre belle colonie une
intelligence aussi puissante, une activité aussi longuement
soutenue, un tel amour de ce pays, dont il est devenu l'une
des plus belles gloires.
Il faudrait raconter tout au long la vie de ce savant, de cet
ingénieur distingué, pour donner une idée du dévouement
qu'il avait consacré à notre France d'Afrique. Il en avait
fait sa patrie d'adoption dès son entrée dans la carrière des
mines et il devait l'illustrer par des travaux impérissables.
Né à Pau, le 5 septembre 1835, Justin Pouyanne entrait
à 18 ans à l'Ecole Polytechnique II en sortait dans le corps
des mines et demandait une <irconscription en Algérie. Il
fut nommé en avril 1859 à Miliana, mais, sur ses instances,
il fut transféré à Tlemcen, poste beaucoup plus inaportant à
cause de l'étendue considérable du district minier de cette
région, à cause des nombreuses recherches ou exploitations
minières qui y étaient faites à cette époque.
Mais le jeune ingénieur ne devait pas se contenter de
l'administration olficielle de la circonscription placée sous
son contrôle. Son intelligence élevée ne reculait pas devant
la difficulté des plus graves problèmes scientifiques et, avec
une ardeur et un enthousiasme que l'on sentait vivement au
simple récit de ses explorations, il attaquait immédiatement
l'étude géologique de toute la région comprise entre Sebdou
et la roer, entre Aïn-Temouchent et la frontière marocaine.
En homme doué d'une sobriété et d'une simplicité réelle-
ment admirables, il allait sur sa mule, accompagné seulement
d'un chaouch, passant toute la journée à ses observations
stratigraphiques et couchant le soir sous la tente.
NECROLOGIE
Il faut avoir connu Justin Pouyanne dans l'intimité pour
se faire une idée exacte du dévouement qu'il a ainsi consacré
a la science II aimait à raconter les petits détails de sa vie
sur le terrain et il le faisait avec une modestie qui ajoutait
encore au mérite de ses explorations.
Je me rappellerai toujours nos longs entretiens sur la
région de la Tafna, depuis qu'il m'a été donné d'entreprendre
moi-même des recherches géologiques sur cette partie de
rOranie. L'éminent ingénieur aimait à me renseigner sur
tel ou tel point du pays, et il le faisait avec une fidélité de
détails qui excitait mon étonnement.
Si l'on se reporte à l'état du pays ù cette époque, de notre
occupation, au manque presque absolu de communications;
SI l'on songe, d'autre part, à l'extrême jeunesse des sciences
géologiques il y a quarante ans, on pourra se faire une idée
de la difficulté des problèmes qui étaient à résoudre dans un
pays presque vierge encore des investigations du géologue.
Aussi faut-il voir dans l'œuvre scientifique accomplie, en
ijuelques années, par ce savant, un véritable tour de force.
Malgré son importance, cette œuvre a été présentée sous
une forme tellement simple et résumée, qu'il fallait être de
la partie et même s'intéresser directement à la géologie de
l'Algérie, pour en avoir connaissance. Justin Pouyanne
aimait la science pour elle même indépendamment des
honneurs qu'elle peut procurer, et sa modestie était telle,
qu'il était bien difficile d essayer devant lui le moindre éloge
de ses découvertes.
Ses travaux sur le bassin de la Tafna resteront, car ils
marquent les grandes lignes de la géologie de ce pays.
En 1876, Pouyanne publia un mémoire sur la région
ferrifère des Ouelhassa. Ce mémoire fort intéressant est
accompagné de deux coupes et d'une carte géologique
coloriée au ,-55^. au relevé topographique de laquelle l'auteur
a contribué
La première partie de ce travail est consacrée à une
description géologique des Ouelhassa Cheraga,
L'auteur y distingue :
1* Schistes anciens analogues à csux du Traras ;
2* Calcaire liasique ;
3" Crétacé ;
4' Terrain miocène (Cartennien et Helvétien) ;
NECROLOGIE
5° Pliocène ;
6° Quaternaire ;
7* Basaltes et roches vertes accompagnant les gypses
éruplifs.
La deuxième partie est réservée à la description des gites
de fer manganasé reconnus dans cette région.
Une année plus tard, cet ingénieur fit paraître sa Notice
ijéologique sur la subdioision de Tlemcen, qui fit faire un
très grand pas à la géologie de cette partie de l'Oranie. Ce
travail, en effet, apporte non seulement d'importants résul-
tats stratigraphiques sur le bassin de la Tafna et des régions
environnantes, mais il est accompagné d'une cai-te en cou
leurs au ^^f^^^ qui restera comme un canevas des relevés
futurs.
Dans un premier chapitre, l'éminent ingénieur donne une
classification de la série sédimentaire :
1* Schistes des Traras, probablement antésiluriens.
2° Poudingues de Béni Menir, rappelant les formations
permiennes ;
3° Calcaires du Sidi Sefiane, d'âge Lias supérieur ;
4° Marnes oxfordienn.es des flancs du Sidi Sefiane et du
Dj. Filhaoucen ;
5" Grès et marnes intercalés de lentilles et de calcaires
coralligènes, de sables marneux, d'âge corallien ;
6* Argiles de Laraoricière, d'âge néoeomien ;
7* Grés et marnes de Tahouaret et de la Basse Tafna,
d'âge crétacé inférieur ;
8' Miocène Cartennien qui se représente avec trois faciès ;
zone de la plaine de Marnia, zone des Traras et zone de la
Basse Tafna ;
9° Miocène hehétien très développé ;
10" Quaternaire ;
11* AUuvions.
Les roches éruptives sont groupées dans un deuxième
chapitre; elles sont représentées par des granités (Nédroma),
des roches dioriliques et doléritiques (ophites), des gypses
ôruptifs, des porphyres et des basaltes ; ces derniers sont
très développés et forment deux gi'ands lambeaux, celui de
Temouchent et celui de la Tafna
Enfin, dans un troisième chapitre, l'auteur traite du
système de dislocation ou système de montagnes.
Après un séjour de quinze années à Tlemcen, J. Pouyanne
fut appelé en 187.3 à Alger, où il fut chargé des provinces
d'Alger et d'Oran. En 1878, il fut nommé ingénieur en chef
et chevalier de la Légion d'honneur. En 1879, il fut désigné
comme membre de la Commission du Transsaharien et
chargé d'une mission ayant pour but l'étude de deux tracés
de chemin de fer.
Les documents relatifs à cette mission ont été publiés un
peu plus tard ; ils renferment des données géologiques sur
la chaîne des Ksours et de nombreuses indications sur la
géographie du Sahara. Ce travail témoigne encore de
l'esprit de méthode scientifique de ce savant D'autres voix
plus autorisées que la mienne entretiendront la Société
Géographique d' Oran, jeï espère, de l'impulsion ainsi donnée
par Justin Pouyanne à cette question si importante de notre
extension dans le Sud Oranais.
En 18S2, l'érainent ingénieur organisa, avec la collabora-
tion de A. Pomel, le service géologique. D'abord limité aux
provinces d'Alger et d'Oran ; la province de Constantine fut,
un peu plus tard, à la mort de Tissot, réunie aux deux autres.
Sous sa direction, ce service algérien fit paraître successi-
vement trois éditions de la carte générale au jâô^"- '' entre-
prit, en outre, la publication des premières feuilles de la
carte détaillée au g^jj^..
Justin Pouyanne aimait passionnément son service. Je me
souviendrai longtemps de la joie qu'il éprouvait en visitant
au Trocadéro, à l'Exposition Universelle de 1900, l'installa-
tion réservée aux publications de la carte géologique de
l'Algérie II voyait avec un légitime orgueil les progrès
considérables réalisés depuis 1889, et c'est avec un certain
sentiment de fierté que je songeais moi même ù la modeste
contribution que j'avais pu apport-îr — à côté de collègues
si distingués — à l'œuvre sciûnlifique de Justin Pouyanne.
Tant de dévouement distingué à son pays force l'admiration
et la reconnaissance de ses compatriotes.
Justin Pouyanne laisse une trace ineffaçable dans les
annales de l'Algépie et son nom mérite d'être gravé en
lettres d'or dans le Livi edu destin de notre France d'Afrique.
Louis GENTIL.
BIBLIOGRAPHIE
FEZ, par Auguste MOULIÉRAS, professeur de la chaire d'arabe d'Oran,
(ouvrage illustré de 12 photographies prises au cours de la mission de l'auteur à Fez).
Fez est le titre d'un livj-o que vient de publier M. Mouliéras. Il
s'agit. d'un itinéraire, aller-retour, de Tanger à la capitale du
Maroc. . Cet itinéraire l'ut suivi par Fauteur pour accomplir une
mission d'études que lui confia le Ministre de l'Instruction publique
fin décembre 1899, à la fois comme récompense morale et sanction
officielle d'un précédent ouvrage considérable : le Maroc inconnu.
Les anglais Drumond-Hay et Ricliardson, l'allemand Gerhard
Rohlfs, l'italien de Amicis, par leurs voyages et leurs descriptions,
avaient fait connaître, dans leurs pays respectifs, soit la topo-
graphie, soit les mœurs et coutumes des diverses tribus indigènes.
Certains français aussi ; Beaumier, Cotte, Leclercq, Décugis, Loti,
ont fourni des aperçus et des notions de valeur, d'après leurs
aptitudes et leurs dons particuliers d'observation et de style ; mais
il a manqué à la plupart, sinon à tous, la connaissance approfondie
de la langue arabe. Or, M. Mouliéras a cette connaissance à un
degré éminent, et, grâce à elle, il peut dépouiller les chroniques
et récits de voyage écrits par des lettrés marocains, s'entretenir^
sans besoin d'interprète, avec toutes les catégories d'habitants,
nomades et sédentaires, urbains et ruraux, et jusqu'avec les enfants.
Cela est un avantage sérieux, bien difficile à suppléer. •
Mais M. Mouliéras ne serait qu'arabisant, fort comme un
Sylvestre de Sacy, son voyage aurait pu consister en quelques
renseignements livresques vérifiés sur place, en quelques dialogues
bons à insérer dans un manuel de conversation bi-lingue.
Heureusement pour lui et pour ses lecteurs, M. Mouliéras est
paysagiste comme certains de ses devanciers, justement réputés
à cet égard,. La nature ambiante envoie à ses sens ses vibrations
et ses images, et son cerveau sait les interpréter au lieu de
simplement les reproduire. Les groupements et les individus
humains lui parlent à Icm- tour, et il les comprend au lieu d'être
simplement leur- écho.
102 BIBLIOGRAPHIE
De là Jps croquis, dos pastels, des tableaux dont un artiste
pourrait s'inspirer pour en fixer les éléments sur la toile. En voici
quelques brefs exemples :
« CharmaiMs, les environs de Tanger ! adorable, sa ceinture de
verdure, au sud et à l'ouest! pittoresques, ses coteaux, ses collines
mouvementées qui se baignent dans l'éther azuré de notre Afrique-
Mineure, C'est Alger, un petit Alger, avec la courbe gracieuse de
sa baie, un Alger plus escarpé, plus accidenté, plus ondulé et peut-
être encore plus varié que les environs de la capitale algérienne.
0 Si délicieux est son climat, que les Anglais de Gibraltar,
officiers, capitalistes, gros négociants, fuyant les chaleurs torrides
de la forteresse britannique, viennent respirer ici, en pleine canicule,
les bonnes brises toujours fraîches que l'Atlantique, ventilateur
infatigable, ne cesse de souffler sur la rive africaine du détroit.
0 Le long de la mer, sur la bande résistante des sables, que la
marée montante désaltère chaque jour, la colonie européenne,
élégante ou râpée, règne en maîtresse souveraine. Des diplomates,
des touristes, en habits irréprochables, dernière mode parisienne,
caracolent, font la roue, accompagnant, solidement assises dans
leurs cacolets ou sur leurs sellettes à dossier, les femmes de la
haute aristocratie mondaine que suivent des valets marocains
chargés de conduire les baudets qui ont l'honneui' de porter de si
précieux fardeaux.
« Européanisé lajeunesse dorée d'Israël, cravaches cinglantes,
défile au galop vertigineux des petits chevaux arabes, buveurs
d'air et d'espace. »
Cela n'est pas banal, certes; mais où M. Mouliéras me parait
prévaloir, c'est dans l'analyse des faits, la filiation des rapports
entre hommes et choses, doctrines et actes moraux; c'est dans la
saine explication de l'état actuel du Maroc, état déliquescent et en
décomposition croissante, dont un cadavre rongé par les vers, ou,
si l'on préfère, un moribond gangrené, sont l'exacte symbole.
Qu'on en juge par les extraits suivants pris au hasard de la plume:
« Le lendemain soir, au douar des Oulad Mousa, chez les Beni-
Gourfet, vers minuit, une alerte, la seule que nous ayons eue à
l'aller et au retour. Des coups de feu retentissent à cinq cents
mètres du camp ; puis des cris d'hommes qui se défendent, qui
s'appellent les uns les autres pour repousser les agresseurs, et
tout retombe ensuite dans le silence de la nuit. Ahmed, couché à
la porte de ma tente, avec les hommes de garde, demande ce que
c'est.
« Toujours les Ahal-Srif, ces voleurs de bœufs et d'icoglans,
qui ne nous laissent pas dormir tranquilles !
BIBLIOGRAPHIE 'lOS
« Et la voix qui venait de faire cette réponse se met à jaser
indéliniment sur la pauvreté, les soucis, les infortunes et les
misères de l'agriculteur marocain. Tout à fait éveillés maintenant,
les autres prenaient part à la conversation, chacun gémissant sur
la dureté des temps et l'incurie chéritienne.
« Plus perspicace que ses compatriotes, ses séjours en
Angleterre et en France l'ayant à moitié européanisé, Ahmed,
railleur impitoyable, leur objecte que s'ils se plaignent c'est parce
qu'ils ne peuvent pas « dormir tranquilles », le sommeil étant pour
eux la suprême jouissance de l'e.xistence, et il conclut :
— Demandez au fkih si je n'ai pas raison d'appeler le Maroc le
pays du sommeil ?
« Il connaissait bien son Maroc, le grand rifain Ahmed ; il le
savait incapable d'une réaction salutaire, enlisé qu'il est à jamais
dans les discordes civiles, les intrigues et les querelles des grands,
l'hostilité réciproque des tribus, l'incapacité et la vénaUté du
Pouvoir chérifîen ; et il disait que tôt ou tard la lutte se déchaînerait,
irrémissible et implacable, entre le peuple qui souffre et ses
éternels oppresseurs ; puis, finalement, la Grande-Bi-etagne ou la
France — celle qui serait la plus habile — viendrait mettre le holà
à. l'anarchie séculaire ; et alors, bridé et sellé, éperonné par la
vigoureuse botte britannique, ou flatté doucement sur l'encolure
par la main gantée mais ferme d'un descendant des, bons Gaulois,
le dernier empereur indépendant du Magrib, réduit à l'état de
monture nazaréenne, pourrait écrire à ses dociles collègues de
Tunis et du Caire ;
— « Celui qui vous ressemble, vous salue !
— « Et que nous importe à. nous, dit tout-à-coup un poète joueur
de flûte — un malheureux bédouin, étendu comme les autres à la
belle étoile, sur la fertile terre dont les camarades ne recueillaient
les fruits que pour les livrer aux insatiables vautours impériaux —
que nous importe que ce soit un juif, un chrétien ou un musulman
qui nous gouverne ; pourvu qu'il soit juste, c'est tout ce que nous
lui demandons. Le Prophète de Dieu n'a-t-il pas dit :
— « L'avenir est aux peuples irréligieux, mais justes ; l'Islam
tyrannique est marqué du doigt de la mort.
« Par degrés, le feu, que l'on avait rallumé après l'alerte,
faiblissait, s'éteignait, et ses lueurs mourantes n'éclairaient plus
que le joueur de flûte obstiné qui s'était mis à faire redire à son
instrument champêtre les longs espoirs déçus, les gémissements
des miséreux attachés à la glèbe, les ventres creux criant famine,
de projundis lugubre de tout un peuple affamé. Puis, tout se tut.
Les hommes fatigués s'étaient tassés les uns contre les autres dans
le sommeil et dans la nuit.
104 BIBLIOGRAPHIE
« Seul, je veillais, la citation luinimnise des paroles du prophète
zébrant d'éclairs éblouissants le noir chaos de l'avenir sur lequel
mon àme était penchée. »
Il n'y a qu'un sens sociologique très cultivé et très affiné qui
puisse dicter de tels jugements, formuler de tels pronostics.
Je résume mon impression sur Fez de M. Mouliéras en disant
que ce livre m'a rappelé le Voyage en Egypte et en Syrie du
fameux Volney, philosophe, érudit et observateur hors de pair.
Ce livre fut une révélation pour l'Europe éclairée de la fin du
XVIII» siècle. Il servit de bréviaire et de guide à Bonaparte, à ses
lieutenants et aux membres de l'Institut d'Egypte. Il concernait
deux pays arabisés, comme l'est le Maroc, et il en donnait la clef à
la France
c( Fes » et la suite qu'y donnera M. Mouliéras joueront le même
rôle à l'égard du Maroc pour nos explorateurs futurs, pour nos
officiers et nos diplomates, bref pour une politique intelligente et
féconde de la part de la France.
PÈNE-SIEFERT.
Assemblée Générale du 4 Mai 1 902
PrÉSIDENXE de m. le I.IEUTENANT-COLONEL DERRIEX
1 RAPPORT DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL
sur les travaux de la Société, pendant l'année 1901-1902
Messieurs et chers Collègues,
En vous exposant, ainsi que le prescrivent nos statuts, la
marche de notre Société pendant l'année administrative 1901-190?,
j'aurais garde d'abuser cTe vos instants et de voire bienveillante
attention ; je m'efforcerai avant tout d'être bref.
U effectif de notre Société en memlires honoraires ou titulaires
était le 5 mai 1901 de 313
Les adhésions nouvelles ont été dij 41
Total 354
Les radiations ont été au noiubre de Itj
et la Société a eu notamment le regret d'enregistrer le décès
de MM. Nordenskiold, membre honoraire, de M. Paul Ruff, _____
membre honoraire correspondant, de MM. Durel, G.\ciiet,
Cabrol, membres titulaires.
Le nombre total des membres de la Société est donc de.. 33S
Ce nombre pourrait être dépassé de beaucoup, et il importe
dans l'intérêt de la Société, dans celui même de la Colonie, qu'il
s'augmente notablement pournous permettre par l'accroissement
de nos ressources financières de développer notre action et de
mieux faire connaître l'Algérie et en particulier l'Oranie.
L'effort principal de notre Société pendant l'année courante s'est
porté sur le Congrès national des Sociétés françaises de
Géographie ; celles ci nous avaient fait l'honneur de choisir
Oran pour le siège de leur XXIII' Sessions dont l'illustre
académicien, M. Hanot.vux, a bien voulu accepter la présidence.
Huit de nos ministères, le Gouvernement général de l'Algérie
et le Commandement du XIX" Corps d'Armée, nous avaient fait
l'insigne honneur de se faire représenter à notre Congrès.
Vingt-six Sociétés françaises de Géographie ou assimilées
s'étaient fait inscrire pour prendre part à cette solennelle
assemblée, et vingt d'entre elles y ont pris une part effective,
106 RAPPORT nu SECRÉTAIRE GÉNÉRAL
Trois Sociétés étrangères de Géographio, et quatre Sociétés
françaises s'occupant spécialement, soit des intérêts coloniaux,
soit des questions économiques, étaient en outre représentées à
notre Congrès.
Une quarantaine de (pieslions avaient été inscrites au pro-
gramme?, et vingl-sept ont été développées en séance publique ;
quelques-unes d entre elles ont donné lieu h des discussions des
plus inlf^ressantes et des plus instructives.
Enfin des excursioiis avaient été organisées parla Société :'celle
aux ruines de Povtus Magnus, au domaine des Hamyans et aux
Salines d'Arzeu, et celle dans le Sud Oranais ont été particulière-
ment suivies ; elles auront laissé à nos aimables visiteurs avec le
souvenir de la charmante hospitalité reçue aux Hamyans et aux
Salines, une notion assez nette non seulementde notre Tell Oranais,
mais des Hauts-Plateaux et du versant saharien de notre Oranie.
Dans une sphère d'action plus restreinte, la Société a fait œuvre
de vulgarisation auprès de nos compati'iotes oranais eux-mêmes,
au moyen de deux Conférences, l'une sur la Chine, donnée par
M. Antoine, professeur ù l'école Karguentah, 1 autre sur l'Indo-
Chine due Vi M. Pène-Siéferï, ancien secrétaire de la l.iyue de
l'Enseignement Ces conféi'ences ont été suivies par un public
aussi nombreux que choisi, et qui n'a pas ménagé ses applau-
dissements aux conférenciers.
Notre Bulletin a publié une série de travaux des plus intéressants:
L'Histoire naturelle de notre Sol et de ses productions y est
représentée par l'o Hs.sai sur la faune erpétologique de l'Oranie »,
lie M DouMERGUE, dont la publication est terminée; — par une
0 Etude sur le Tlaïa », de M le capitaine Duvadx, — par une
<i note sur le volcan éteint de Tégraou », de M. Koch.
La Géographie tient à notre bulletin sa place d'honneur :
M. Augustin Bernard, dans une très attachante étude « En
Oranie • nous a fait part de ses impressions de touriste, mais
d'un touriste observateur et initié à toutes les questions économi-
ques et autres qui intéressent notre province, et son étude est
parsemée d'aperçus pratiques qui méritent l'attention des colons
comme de nos gouvernants.
Une étude très complète et très intéressante de M. le capitaine
DuvAUx nous décrit les vallées de la Zousfana, de l'Oued-Guir et
de la Saoura, et toute cette zone récemment soumise à l'influence
et à l'autorité delà France.
M. MouLiÉRAs, en nous annonçant l'heureuse exploration des
Braber par M. de Segonzac, nous a donné un avant goût du plaisir
que nous avons tous ressenti à entendre l'audacieux et énergique
explorateur nous décrire lui même au Congrès, le « Blad es Siba »,
et nous raconter les péripéties de cet aventureux voyage.
RAPPORT DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL 107
M. Gasser, dans sa chronique géographique, nous tient périodi-
quement au courant de tous les faits saillants qui intéressent soit
la géographie proprement dite, soit les relations commerciales et
les transformations économiques des différentes parties de notre
globe.
h'Arehéolof/ie a iHé représentée dans notre bulletin par une note
de M. Derriex sur deux « Chapitaux Romains » trouvés à Renault,
— une note de M. l'abbé Fabre sur les a Statues-menhirs »
découvertes en France, — une notice de M. le capitaine Duvaux
sur les « Inscriptions et les Gravures rupesli'es » recueillies pai'
lui à Taghit dans le Sud Oraiiais: et enfin ])ar une chronique
archéologique
La Métêoroloi/if a fait l'objet d'une note de M. Paul Vacher sur
0 une P'uie de Sable » observée dans la région de Béni-Saf.
M. Guillaume nous ,a en outre fait lonnaitre les résultats des
observations de la station météorologKjne de Sanla-Cruz durant
1 année 1901.
Un certain nombre de notices bibliographiques nous ont donné
l'analyse d'œuvres particulièrement intéressantes par leur impor-
tance ou leur actualité, l'une d'elles a été consacrée par M. Gentil
à l'œuvre de feu Podyanxe, dont l'Algérie elles sciences déplorent
la perte récente
Enfin M. Bouty a bien voulu nous donner idia((ue année, une
statistique très complète des mouvements de nos porls, un relevé
très instructif do nos .exportations et importations pendant
l'année 1901.
Les Séances du Comité ont été suivies avec ponctualité et toutes
les discussions ont, comme il convient, réuni un nombre très
satisfaisant de membres délibérants.
Nous énumérerons, parmi ces décisions, les principales, celles
seulement i[ui, échappant au caractère d'administration intérieure,
présentent un intérêt immédiat :
SÉANCE DU :i JUIN 1901
M. René Basset acceptant de représenter la Société au Congrès
National des Sociétés de Géographie tenu à Nancy, a reçu les
pouvoirs nécessaires.
La Chambre de Commerce d'Oran accorde à la Société, à l'occa-
sion du Cuiigrès, une subvention de lUO francs; des remerciements
lui sont votés.
MM MouLiÉRAS et Bouty ont été désignés par la Municipalité
pour faire partie de la Commission municipale des Fêtes du
Millénaire,
108 RAPPORT DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL
SÉANCE DU 1" JUILLET 1901
Le Comité arrête le programme du Concours pour 1901, (ce
programme a été inséré au Bulletin).
SÉANCE DU 4 SEPTEMBRE 1901
Le Comité charge M. le Président de rappeler à M. le Maire
la décision d'après laquelle la rue de Berlin devait recevoir le nom
de rue René Caillé.
M. Basset René, délégué de la Société au Congrès de Nancy,
a fait parvenir à la Société son rapport sur le Congrès.
SÉANCE DU li OCTOBRE 1901
M. BouTY, secrétaire général, que la maladie empêche d'assister
à la réunion, adresse sa démission, craignant que sa santé ne lui
permette pas d'accomplir la lourde tâche imposée par le Congrès.
M. le Président rappelle au Comité le dévouement inaltérable
avec lequel M Bouty a rempli ses fonctions de secrétaire depuis
1885 ; il propose au Comité d'exprimer à M. Bouty ses vifs regrets,
avec ses souhaits de prompt rétablissement, et de lui décerner
le titre de Secrétaire général honoraire, qui permettrait à M. Bouty
de nous continuer le précieu.x concoui's de son expérience et de son
dévouement. Cette motion est adoptée à l'unanimité.
M Flahault est désigné pour remplir les fonctions de Secrétaire
général.
M. Gauchey, instituteur à la Slidia, a fait àKalàa près de Renault,
des fouilles archéologiques du résultat desquelles il a fait bénéficier
la Société. Le Comité lui vote une subvention de ?5 francs à titre
de participation à ses recherches archéologiques.
SÉANCE DU 4 NOVEMBRE 1901
M. Mesplé, président de la Société de Géographie d Alger et
professeur à l'école supérieur des Lettres, assiste à la Séance;
M. le Président le remercie du témoignage qu'il nous apporte de
la sympathie mutuelle qui anime les Sociétés d Alger et dOran,
unies dans un but commun de dévouement à la Fi-ance et à l'Algérie.
M. Mesplé remercie M. Derrien et assure à notre Société son
concours le plus dévoué pour amener à notre Congrès d'Oran le
plus d'adhésions et de collaboration possibles.
SÉANCE DU 2 DÉCEMBRE 1901
Le Comité désigne une Commission composée de MM MouLiÉRAS,
Casser, Bel et Goyt, qui sera chargée de provoquer et d'examiner
les offres des imprimeurs oranais au sujet de la publication de la
« Géographii' du Maroc » de M. Canal, et aura pleins pouvoirs
pour traiter au besoin avec eux.
M. Nessler est désigné pour être le délégué officiel de notre
Société d'Oran au Congrès de 1902.
RAPPORT DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL 109
SÉANCE DU 6 JANVIER 1902
M. MouLiÉRAs rend compte des démaiches de la Commission
chargée d'assurer 1 impression de la « Géographie du Maroc »,
M. Heintz, imprimeur à Oran, ayant fait les offres les plus avan-
tageuses, sera chargé du travail. Une démarche sera faite auprès
de M. Challamel, libraire-éditeur à Paris, afin de lui demander
ses conditions pour la vente de l'ouvrage a titre d'éditeur.
SÉANCE DU 3 FÉVRIER 1902
Après avoir discuté et voté le budget de l'année 1902, le Comité
décide que les bulletins dont plus de 20 exemplaires restent
disponibles entre les mains de la Société pourront être vendus à
raison de un franc l'exemplaire; ceux dont le nombre est inférieur
à 20 ne pourront être cédés qu'en vertu d'une décision spéciale
Le Comité se réserve en outre de fixer des prix spéciaux en faveur
de membres correspondants ou de Sociétés correspondantes.
Le. prix de vente de la « Géographie du Maroc » de M. Canal,
est fi.xé à 6 fr pour le commerce et a 5 fr. pour les sociétaires.
SÉANCE DU 3 MARS 1902
M. le Président souhaite la bienvenue à M et à M"' Dernard
d'Attanoux, explorateurs, qui assistent à la séance ; le Comité
regrette de ne pouvoir, à la veille du Congrès, engager de nou-
velles dépenses et subventionner la mission dont M"" d'ATXANOux
vient d'être chargée. Mais il assure à M. et M"' d'ATXAXOux de
tout lappui moral de la Société et leur souhaite un heureux
voyage et un retour assez prompt pour nous permettre de les
recevoir au Congrès.
M MouLiÉRAs est désigné comme délégué officiel de la Société
au Congrès national do 1902, en remplacement de M. Nessler et
sur la demande de celui-ci, actuellement en voyage à l'étranger.
SÉANCE DU 16 AVRIL 1902
Le Comité décide que les prix décernés par la Société aux
élèves des écoles, doivent l'être seulement aux élèves des classes
supérieures et exclusivement à titre de Prix de Géographie.
M. le Président donne lecture de son rapport sur le concours
annuel ouvert par la Société, et le Comité adopte à l'unanimité
ses conclusions relatives au résultat de ce concours.
L'assemblée générale annuelle est fixée au dimanche, 4 mai. a
9 heures et demie du matin
Tel est. Messieurs et chers Collègues, le résumé de nos travaux
pour 1 année écoulée. Il nous semble encourageant. Et à ceux qui
trouveraient ces résultats médiocres, nous demanderions seule-
110 RAPPORT DL" TRÉSORIER
ment de as aider à faire mieux, les uns par leur adhésion et
leur cotitafion, les autres par leurs travaux et leur contribution à
notre BuHetin.
Le Secrétaire général,
FLAHAULT.
Ce rapport est vivement applaudi.
M. PocK, trésorier, expose ensuite, ainsi qu'il suit, la
situation financière de la Société :
2 RAPPORT DU TRÉSORIER
Messieurs,
J'ai l'honneur d'exposer à l'Assemblée générale la situation
financière de l'année 1901-1902.
Par deux délibérations du Comité, il a été décidé que les situa-
tions concernant le Congrès et la Géographie du Maroc, feraient
l'objet de comptes particuliers qui seront soumis à votre appro-
bation au moment de la clôture des budgets de ces deux annexes.
Comme je l'avais piévu l'an passé, le montant des cotisations a
dépassé les prévisions de 300 francs, grâce au recrutement de
nouveaux Sociétaires, recrutement qui s'est encore accentué à
l'occasion du Congrès de Géographie. Cette augmentation nous a
permis d'élever nos prévisions de recettes de lOO francs correspon-
dant à une augmentation de dépense de 40 francs pour relèvement
du salaiie annuel du gardien du Musée Cette récompense en
faveur de ce dévoué serviteur, avait été demandée depuis plusieurs
années Une autre augmentation de dépense qui s'imposait, celle
des frais de correspondance et de recouvrement, dont le montant
dépassait toujours le crédit alloué, a pu être portée de 200 à 250 fr.
Le détail par articles des recettes et des dépenses sur les deux
tableaux ci-joints, ainsi que celui du budget de 1902-1903, adopté
par le Comité dans sa séance du 3 février dernier, vous donneront
mieux que je ne pourrais le faire, tous les renseignements sur
notre situation financière qui se solde cette année par un excédant
de plus de 1,200 francs.
RÉSUMÉ
Recettes .S.SgSfSO
Dépenses 2.65i 54
Excédent des recettes sur les dépenses. . 1.244' 26
J'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien approuver, après
examen, le compte que je vous présente
Oran, le 4 mai 1902 Le Trésorier.
POCK
Ce rapport est approuvé à l'unanimité.
RAPPORT DU TRESORIER
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RAPPORT DU TRESORIER
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3" ALLOCUTION DU PRÉSIDENT
Messieurs et chers Collègues,
Les annales de noire Société viennent de s'eniiohii- d'une page
glorieuse par suite de la mission qui nous fut confiée d organiser
et de mettre en action le 23' Congrès national des Sociétés
françaises de Géographie.
Si ce Congrès a réussi, nous le devons à plusieurs causes:
d'abord, à la haute personnalité de son éminent président,
M Haxotaux, puis à sa coïncidence avec le Millénaire de la
fondation d'Oran, aux subventions de généreux donateurs, et
enfin à votre dévouée collaboration à tous.
J'aurais voulu ne pas faire de personnalités, mais mon devoir
de président est de rendre un public hommage au dévouement
dont vous avez été les premiers à signaler la bienfaisante
efficacité.
Je citerai tout d'abord notre aimable trésorier ; l'éloge de M. Pock
n'est plus à faire : je ne peux que le proclamer à nouveau un
trésorier modèle.
Quant à noire nouveau secrétaire général, vous l'avez vu à
l'œuvre ; vous l'avez vu au feu du Congrès, sans repos, sans
défaillance, s'eflorcer de mériter ou plutôt de justifier son grade
d'officier d'académie : M. Flahault y a j)leiuenient réussi : il a
droit à toutes nos félicitations.
Vous m'en voudriez, en cette circonstance, de ne pas mentionner
tout particulièrement le précieux et très apprécié concours du
président de la section technique, M. Gii.lot, doni les nombreux
services lui ont valu d'être classé parmi les légionnaires dp
l'honneur.
A lui et à nos collègues, MM. Mouliéras. Gasser et Bouty, je
renouvelle toutes mes félicitations pour les distinctions que leur a
remises M. Haxotaux. Je profite de cette occasion pour exprimer
tous nos regrets à M. Bouty que son état de santé a contraint de
donner sa démission de secrétaire général ; nous ne saurions
oublier qu'il fut un des fondateurs de la Société et que, pendant
22 ans, il en fut la cheville ouvrière. Je suis heureux de saluer en
lui l'apôtre du transsahai^en oranais, et de faire.des vœux pour
qu'il siège encore longtemps parmi nous comme secrétaire
généi-al honoraire, nous aidant de ses conseils et de son expérience.
Il nous reste à présent. Messieurs, a rendre inaltérable l'auréole
RAPPORT SUR LE CONCOURS DE 1901 115
qui vient d'illuminor notre Société : il nous suffira pour cela de
conlinuer avec la inème vaillance l'œuvre patriotique que nous
poursuivons depuis 24 ans.
Après cette allocution, t'téqueinment interrompue par les
applaudissements de l'assemblée, M Gillot demande la parole
et fait remarquer que si le président a rendu hommage au
dévouement de ses collaborateurs, il mérite aussi les félicita-
tions de la Société pour la part active qu'il a prise à l'organisa-
tion du Congrès de Géographie.
Il rappelle que c'est à lui que l'on doit d'avoir, au Congrès
de Paris, obtenu que le Congrès de 190.^ ait lieu à Oran. ( Vifs
applaudissements).
Le Secrétaire général donne lecture du rapport sur le
concours de 1901.
4° RAPPORT
m LE CONCOURS OUVERT U 1901 PAR H SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE D'ORAN
Des diverses questions mi.ses au concours on 1901, une seule,
La Monographie de la commune indigène de Tiaret-AJlou a été
traitée et présentée par M. Fabre, receveur des Contributions
diverses à Tiaret, membre de la Société de Géographie dOran.
Cette étude, résultat de recherches des plus consciencieuses et
d'observations personnelles des plus judicieuses, comprend, en
plus de la description géographique et de l'historique des cercles
do Tiaret et d'Aflou, des considérations très détaihées et du plus
haut intérêt, sur les conditions économiques de cette région.
M. Fabre s'est inspiré, à cet effet, de la remarquable étude faite
par MM. les Officiers des affaires indigènes et pubhée par ordre
de M. Cambon, gouverneur général de l'Algérie, sous le titre :
Le Pays du Mouton.
Une carte d'ensemble au „. très nette, sans surcharges
inutiles, a pour but d'indiciuer la forme générale de la commune,
ses limites et les points principaux qui en dépendent.
Aux qualités du géographe et de 1 historiographe, M. Fabre joint
celles du littérateur ot do l'érudit : son œuvre mérite des éloges •
116 RENOUVELLEMENT ANNUEL — ÉLECTION DU BUREAU
elle comble fort heureusement une lacune dans la géographie de
notre Oranie.
La commission est d'avis de la récompenser par une médaille de
vermeil et par son insertion dans le Bulletin de la Société
de Géographie
Oran, le 4 mai 1902.
Le Pi'ésident,
L'-Colonel DERRIEN.
9« Renouvellement annuel d'un tiers des Membres du Comité
et remplacement des Membres démissionnaires
ou ayant quitté Oran
L'élection a lieu au scrutin secret, à la majorité des voix ; elle
porte sur douze membres.
Sont réélus pour trois ans ;
MM. Bel, Derhie.n, Doujiergi'e, Flahault, Krette, Gillot,
POUSSEUR
Les cinq membres nouveaux, sont :
MM- Roux-Fbeissine.nx., avocat ; GuiLr.AL'ME, prèparalenr au
Lycée ; Stephanopoli, vice-président du Cunseil de Préfecture ;
l'abbé Fabre, aumônier à l'hôpital civil, et le docteur Bassompierre,
médecin- major de 1" classe à l'hôpital militaire, en remplacement
de MM BouTY, nommé secrétaire général honoraire et membre
permanent du Comité ; Getten et Canal, ayant quitté Oran ;
GoYT, Renard, démissionnaires
6° ÉLECTION DU BUREAU
Dans sa réunion du 12 mai 1902, le Comité ainsi reconstitué a
choisi son Bureau, ainsi qu'il suit ;
Président : M le L'-Colonel Derbien.
1" Vice-président : M Mouliéras.
2* Vice-président : M. Tartavez, en remplacenient de M Gillot,
qui, en raison de ses nombreuses occupai ions, a décliné !<■ renou-
vellement de son mandat.
Secrétaire général: M. Flahault
Trésorier : M. Pocic
Bibliothécaire-archiviste : M. Guillaume.
Section géographique: Secrétaire, M. Gasser; Adjoint, M. BoissiN.
Section archéologi(p.ie ; Secrétaire, M l'abbé Fabre , Adjoint,
M. KocH
CONCOURS OUVERT EN 1902
PAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE ET D'ARCHÉOLOGIE D'ORAN
Comme les années précédentes, le concours portera sur les
monographies ou mémoires ayant pour but de faire connaître
notre province, de faire apprécier les ressources industrielles
et agricoles de son sol et de fournir des éléments pour la rédac-
tion ultérieure d'une géographie complète du département d'Oran.
Les principales lacunes restant à combler sont les descriptions
géographiques, historiques et économiques :
1° Des communes mixtes de Saint-Lucien, Aln-Temouchcnt,
Mascara, Frenda, Saïda, Cackerou, Renault, Cassaijne,
Ammi-Moussa;
2* Des communes mixtes militaires de Gérytille et de Méchéria;
3' De la commune indigène de la Yagoubia
Ces travaux devront être établit d'après un programme
déterminé qui sera communiqué aux intéressés, sur leur
demande, par M Flahault, secrétaire général de la Société ;
4' Colonisation des Hauts- Plateaux ;
5° Création d'un port franc à Oran.
Les manuscrits devront èire adressés au Président de la Société,
avant le 31 mars 1903.
Des médailles de vermeil, d'argent ou de bronze seront décernées
aux auteurs des travau.x qui en seront jugés dignes par le Jury.
La distribution des récompenses aura lieu à l'Assemblée générale
de mai 1903.
SOCIÉTÈDEGÊOGRAPHIE CONGRÈS NATIONAL
& D'ARCHÉOLOGIE . ,
DES SOCIÉTÉS FRANÇAISES DE GÉOGRAPHIE
d'oran
XXIII" SESSION. — ORAN 1902
4° LISTE DES VOEUX
n^iaintenus par le Comité du Congrès
I
Le XXIII" Congrès national des Sociélcs françaises de Géographie
émet le vœu que le Ministre de l'Instruction publique organise
d'une manière mélhodique l'enseignement de la géographie au
moyen de projections lumineuses dans les établissements d'ensei-
gnement secondaire de garçons et de filles d'après les programmes
des différentes classes ; que les appareils et les vues destinées à
propager cet enseignement dans les écoles primaires soient
déposés dans les écoles normales primaires de garçons et de
tilles ; et qu'on facilite par des subventions et l'extension de la
franchise postale l'action des Sociétés privées qui se consacrent à
l'expansion de l'enseignement jjar l'aspect
II
Le XXIII' Congrès déclare s'associer à toute initiative, à tous les
efforts tendant à la protection des sites pittoresques de la France
métropolitaine et coloniale, et recommande cette question à toute
la sollicitude des Pouvoirs publics.
III
Le XXIII' Congrès, appréciant le très grand intérêt qu'il y a pour
la France à ce que l'histoire du Maroc soit une œuvre française,
de même que sa carte est l'œuvre de nos explorateurs, exprime sa
reconnaissance à ceux qui ont poursuivi, pendant ces dernières
années, l'étude des questions marocaines, et en particulier à M. de
Castries, â M. DE Segonzac, ;i M. Dohtté et, à M. Mouliéras.
A la suite de l'intéressante communication de M. de Castries, il
émet le vœu que toutes les facilités soient données à cet historien
pour mener à bien son grand ouvrage.
CONGRÈS NATIONAL DES SOCIÉTÉS DE GÉOGRAPHIE 119
IV
Le Congrès émet Je vœu :
Que le projet de loi de MM Deville cl Boudenoot, déjà adopté
par la Chambre des Députés, et ainsi conçu en un seul articlf :
L'heure légale en France et en Algérie est l'heure temps moyen
de Paris retardée de 9 minutes et 21 secondes,
soit voté par !e Sénat au plus tôt et sans amendement.
V
Le Congrès émet le vœu :
Qu'après la consécration par \o Sénat do la loi Boudenoot, il
soit introduit à la Cliamhre des Députés un nouveau projet
comportant ;
1'' La numération des heures du jour de 0 à 24, de minuit à midi ;
2° L'usage exclusif de llieure légale, sans aucune altération
volontaire, pour toutes les horlog. s destinées à la vue du public,
en particulier pour celles des municipalités et des chemins de fer
à 1 intérieur et à l'extérieur des gares
Le Congrès recommande de ne pas cherclier à joindre ces
propositions à la loi Boudenoot, alin de ne pas retarder le vote de
celle-ci
VI
Le Congrès croit devoir signaler aux Pouvoirs publics l 'intérêt
scienljfi([ue et national qui s'attache à l'achèvement du système
des mesures décimales, œuvre essentiellement française.
Se référant aux vœux émis aux Congrès de Lorient et d'Alger,
ii émet le vœu :
Que le gouvernement prenne telles dispositions qu'il jugera
convenables pour rendre officielle la décimalisation de l'heure et
de l'arc de cercle correspondant, dans le plus bref délai possible.
VII
Le Congrès émet en même temps le vœu en faveur de la réforme
des calendriers dans le sens de leur unification.
VIII
Le Congrès émet le vœu, déjà formulé dans leurs ouvrages,
par MM, Ville, Waille Marial et Maurice W.vhl :
Que des recherches soient méthodiquement entreprises pour
rendre à la colonisation les immenses territoires sacrifiés de la
Sebkha d'Oran en particulier et des chotts de faible salure en
général.
120 CONGRÈS NATIONAL DES SOCIÉTÉS DE GÉOGRAPHIE
Les moyens principaux proposés sont :
1° Drainage des eaux à la mer, quand cela est possible ;
2° Création de cuvettes centrales (Boit-tout ou salines);
3" Développement sur les terrains salés du bassin et du fond
du lac, d'une flore appropriée et pouvant servir de pâturage au
mouton par exemple
IX
Le Congrès émet le vœu :
Qu'une carte de la répartition du paludisme en Algérie soit
établie et publiée, dans 1 intérêt de l'hygiène des colons et des
progrès de la colonisation.
X
Le Congrès émet le vœu :
1° Que les Pouvoirs publics favorisent l'envoi en Abyssinie <le
missions spéciales, afin de compléter l'étude géographique du
pays, d'y maintenir la prépondérance du comaierce français et de
fortifier nos relations d'amitié avec l'empiré du négus Ménélil<.
2° Que les Pouvoirs publics prennent toutes les mesures néces-
saires pour conserver entre des mains françaises le chemin de fer
de Djibouti à Harrar et à Addis-Ababa, et pour continuer sa
construction.
2° COMPTE-RENDU
des Tr>ava.tax du Goiigr^ôs
-A.VIS
D'après l'article X du Règlement du Congrès national des
Sociétés fi-ançaises de Géographie, ce compte-rendu doit être fait
par les soins et aux frais de la Société organisatrice, dans le plus
bref délai possible.
Par application de ces prescriptions, le Président de la Société
de Géographie et d'Archéologie dOran a l'honneur de prier ses
collègues des Sociétés ayant pris part au Congrès de 1902, de
vouloir bien insister auprès des congressistes ayant lu leurs
rapports sur les travaux de leur Société et de ceux ayant
traité des questions du Programme, pour qu'ils adressent sans
retard leur manuscrit à M. Flahault, secrétaire général de la
Société, rue Saint-Denis, 11, à Oran
OBSERVATIONS METEOROLOGIQUES
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STATION MÉTÉOROLOGIOIIE
DE SANTA-CRUZ DORAN
Altitude: 374 mètref>
EXPOSE SOMMAIRE
des résultats obtenus du l^r décembre 1901 au 1<"^ juin 1902, avec
une élude comparative avec les résultats obtenus à l'hôpital militai' e
pendant la même période.
Les insli'uments qui servent à faire ies observations à
l'hôpital militaire sont les mêmes que ceux qui sont employés
à la station de Santa-Cruz qui possède en outre trois enregis-
treurs et deux séisméographes. Dans ces conditions, il est
intéressant de comparer les observations fournies par des
instruments identiques placés dans la même ville à des
altitudes ditTérentes. Il sera facile de constater rinfluence
énorme des vents sur les résultats obtenus. Au point de vuo
du progrès de la science météorologique, la staticm de b'anta-
Cruz pourra servir à trouver l'explication de certains phéno-
mènes, et être ce que sont à Paris les stations de la tour
Saint-Jacques et de la tour Eifel par rapport aux autres
stations placées à des niveaux moins élevés.
Dans cette étude comparative, j'examinerai successivement
les diftérents phénomènes en suivant l'ordre du registre des
observations.
L'étude de l'évaporation dans les deux stations se fait avec
l'atmismomètre Piche. La vitesse d'évaporation dépend de
la diftërence entie la tension maxirna correspondante à la
température ambiante et la tension de la vapeur d'eau
réellement existante dans l'air. Elle dépend, en outre, de la
force du vent et de la pression barométrique. — Dans les deux
stations, les évaporomètres sont placés dans les mêmes
conditions, à 2 mètres 60 au-dessus du sol, sous l'abri régle-
mentaire et donnant par suite l'évaporation à l'ombre. J'ai lu
quelque part que l'évaporation diurne constatée avec l'évapo-
SEJIESTRE MÉTÉOROLOGIQUE 12:î
romèlre Piche est notablement plus forte c|ue l'évaporatioii
nocturne. — Les résultats obtenus aux deux stations pendant
la période décembre 1901 à juin 1902, ne donnent pas raison
à cette règle.
Avant d'essayer d'en donner une explication, voici les
résultats obtenus :
HOPITAL MILITAIHE
Evaporalion diurne 36,6; 30,4; 47,4; 46,4; 69,3; 48,8
Evaporation nocturne... 36,2; 32,7; 48,6; 43,0; 47,6; 0(),3
SANTA-CRUZ
Evaporation diurne 65,1; 48,1; 67,0; 68,5; 85,5; 116,3
Evaporation noct.. 324,7; 115,7; 139,2; 124,2; 176,1; 181,1
Les résultats donnés font d'aboi'd constater qu'à l'hôpital
militaire l'évaporation diurne ne l'emporte pas toujours sur
l'évaporation nocturne et qu'à Sanla-Cruz l'évaporation diurne
est toujours inférieure à l'évaporation nocturne. Un résultat
aussi intéressant à constater, c'est qu'à Santa-Cruz l'évapora-
tion diurne et nocturne est toujours de beaucoup supérieure
à l'évaporation diurne et nocturne qui s'observe à l'hôpital
militaire. 11 est déjà certain que ces dernières anomalies
s'expliquent par ce fait que la tension de la vapeur ti'eau est
toujours plus élevée à l'hôpital mililaire qu'à Santa-Cruz, et
que c'est l'inverse pour l'intensité du vent. La. pression
barométrique qui est différente par suite de la différence de
niveau doit aussi avoir son intluence.
L'élut Itijgwinét-riqne de l'air ou humidité relative est
toujours plus élevé à l'hôpital militaire qu'à Santa-f.ruz. Ces
résultats s'expliquent en constatant que la tension ambiante
de la vapeur d'eau et que la température moyenne sont plus
élevées en haut qu'en bas de la montagne (d'après les registres
d'observations des deux stations).
Le résultat le plus intéressant mis à jour depuis la cr-éation
de l'observatoire de Santa-Cruz est celui qui résulte des
observations ozonométriques
L'état ozonométrique a toujours été de beaucoup supérieur
à celui -constaté à l'hôpital niilitaire. D'ailleurs une étude
particulière que j'ai faite dans les diflérents quartiers de la
ville d'Oran, m'a montré que c'est à l'hôpital militaire où cet
état est le moins élevé.
124 SEMESTRE MÉTÉOROLOGIQUE
Voici les observations faites dans les deux stations :
Santa-Cruz 14,5; 13,1; 14,0: 14,1; 13,4; 11,2
Hôpital militaire.. 7,0; 6,5; 7,5; 8,3; 7,9; 6,8
Cette ditïérence énorme et constante dans les observations,
demande d'essayer d'en rechercher la cause. Il est admis
actuellement que, sous l'influence de l'électricité, l'oxygène de
l'air acquiert des propriétés particulières qui ont fait donner
par M. Schœnbein le nom d'ozone à l'oxygène ainsi modifié.
Il a été constaté qu'en temps de choléra, par exemple, l'état
ozonométrique est presque nul, et que dans les endroits
souillés par des fumées ou par des gaz délétères, comme
aux abords des usines ou des usines à gaz, la quantité d'ozone
formée est insignifiante. Ces observations me conduisent à
émettre l'hypothèse suivanle, qu'une étude plus approfondie
pourrait justifier ; sous l'intluence de l'électricité, l'oxygène
de l'air se transforme en ozone.
Si cet ozone formé se trouve en contact a\-ec des miasmes ou
des gaz délétère.s il est décomposé avec dégagement d'oxygène,
comme cela se produit lorsque l'ozone se trouve en présence
de matières à l'état pulvérulent. Par suite, un état ozonomé-
trique faible serait la preuve que l'air est souillé par des
matières nuisibles à la pureté de l'air.
Dans le prochain compte rendu des observations de la station
de Santa-Cruz, je ferai une étude comparative des résultats
obtenus aux deux stations sur la nébulosité, l'anémologie,
la pluie et sur les dilTérents phénomènes non étudiés
aujourd'hui.
A. GUILLAUME,
Préparateur de physique
et de chimie au Lycée d'Or an.
Monographie Géographique & Historique
DE LA
CoMMUiXE MIXTE DE LA MINA
INTRODXJCTIOKT
J'ar sa situation géographique sur quatre régions
marquées, par l'intérêt historique que présente l'oc-
cupation successive de son territoire par des popu-
lations variées, par le souvenir des luttes contre
Al)d-el-Kader dont elle fut un des principaux théâtres,
la commune mixte de la Mina méritait une monogra-
phie spéciale destinée à retracer les détails de sa
géograpliie, de son histoire, de son administration
et de sa colonisation. Rien de ce genre n'avait été fait
jusqu'ici. Nous avons essayé de combler cette lacune
en décrivant le plus exactement possible les parties
distinctes de cette région, c'est à-dire les- vallées de
la Mina et de l'Hillil, les hauteurs de Kalàa, les plaines
de l'Habra et de Sirat et les collines de Mekhalia ;
en rappelant les rapports amicaux ou hostiles des
Français avec les grandes tribus du territoire telles
que les Medjeher, les Ouled Sidi Abd-AUah, les
Bordjia et les incorrigibles Flitta ; en citant enfin
toutes les particularités propres à mettre en lumière
certains faits ignorés jusqu'ici, à rectifier diverses
erreurs.
dO
126 INTRODUCTION
Nous souhaitons avoir réussi dans notre tâche :
elle a consisté à réunir dans un même groupement
tout ce que nous avons crû devoir intéresser à la fois
les personnes désireuses de se renseigner sur cette
région dans un Ijut scientifique, les voyageurs, les
colons, les pouvoirs puhlics eux-mêmes.
Ayant eu l'occasion de parcourir ù diverses reprises
cette partie du Tell oranais. d'y séjourner même
quelque temps, nous y avons recueilli le plus de
renseignements susceptibles de compléter, dans une
certaine mesure, les trop rares détails que nous
donnaient sur ces lieux les nombreux ouvrages que
nous avions consultés.
Peut être n'avons nous pas. dans notre travail,
répondu exactement à l'idée de ceux qui le consul-
teront plus tard pour y puiser quelques renseigne-
ments ; mais si nous n'avons pas réussi à contenter
entièrement nos futurs lecteurs, nous nous faisons
au moins un devoir de prétendre que l'intention
y était.
N.-B. — .l'ai (lu, pour ne pas dépasser les limites d'une
publication destinée à être insérée au Bulletin de la Sociêtii de
Géographie d'Oran, diminuer au dernier moment le manuscrit de
moitié, c'est-à-dire à éliminer nombre de citations et la majeure
partie des annotations. Mais jo compte dans un travail ultérieur
utiliser et publier tous ces documents qui, malheureusement,
n'ont pu trouver leur place ici.
R. L.
M0\0GR4PHIE GÉOURAPIIIIIIE Si IIISTORIOIË
Oommiane mixte <d.e la. Ji/Lll^A.
PARTIE GÉOGRAPHiaUE
I. — LIMITES
Englobant presqu'entièrenient la plaine de l'Habra et celle
de Sirat, une partie des territoires baignés par le Bas-Chélif
(rive gauche), toute la vallée de la Basse-Mina, celle de
l'Hillil et les premiers contreforts des Beni-Chougran, la
commune mixte de la Mina est limitée, au Nord-Ouest, par le
territoire des Oulad Malet et le Djebel Trik-Touirés (c'est-à-
dire les communes de plein exercice de Blad-Touaria, Aïn-
Sidi-Chérif, Rivoli, Noisy-les-Bains), au Nord Est par le Dahra
(communes mixtes de Gassaigne et de Renault), à l'Est,
par les premiers contreforts de l'Ouarsenis (sur lesquels
s'étend la commune mixte de Zemmora), au Sud, par la
plaine de l'Eghris et les Beni-Chougran (c'est-à-dire par
l'arrondissement .de Mascara), à l'Ouest, par le territoire de
Perrégaux et la plaine de la Macta.
128
MONOGRAPHIE GEOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
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DE LA COMMUNK; MIXTE DE LA MINA 129
II. — GEOLOGIE ET OROGRAPHIE
La région qui nous occupe s'étend donc à la fois sur les
territoires de Mostaganem et de Mascara et sur la vallée
inférieure du Cliélif.
« Le plateau de Mostaganem, dit M. Poiiiel, s'étend depuis
« la dépression du Chélif au Nord, jusqu'à la Macla au Sud,
« entre la Mina et la mer. C'est une vaste région gréseuse,
« monotone et triste, bordée par une côte escarpée, ne
ft présentant aucune végétation arborescente, si ce n'est
« aux environs de Bel-Hacel où un sol un peu accidenté donne
« lieu à une végétation broussailleuse qui contraste vivement
« avec la nudité de l'ensemble En nombre de points, et
« principalement au Nord d'Aboukir, la nature sablonneuse
« du sol donne lieu à la formition de dunes qui paralysent
« beaucoup les cultures dans cette région. » Telle est la
caractéristique de cette région qui rappelle d'ailleurs la partie
Est et Sud-Est de Relizane. Là, en elTet, de même que dans le
territoire situé entre le Chélif, la Mina et l'IIillil, le système
pliocène domine, ainsi qu'a pu le constater M. Ficheur,
directeur du laboratoire d'Alger, dans sa révision de la carte
géologique de l'Algérie. Mais, à l'Est de la Mina, les alluvions
anciennes coudoient le terrain pliocène.
La plaine de la Mina proprement dite, c'est-à-dire la partie
comprise à l'Est du confluent du Chélif et de la Mina, est
exclusivement formée d'alluvions limoneuses.
Entre l'Hillil, Blad-Touaria, Aboukir et le Chélif, le pliocène
est semé par places de couches sahéliennes (miocène
supérieur), mais le saliélien se développe surtout dans
l'Ouest à partir d'une ligne Cassaigne-Perrégaux. Vers l'Ouest,
les couches de Mostaganem se contiiuient vers Perrégaux et
Saint-Denis-du-Sig où elles forment, au pourtour de l'Habra,
une bande étroite reliant le plateau de Mostaganem aux couches
des environs d'Oran. Sur toute la partie comprise enhe
Duperrô et Relizane, la plaine du Chélif est bornée lui Sud par
une ligne continue de collines peu élevées, dont la composition
lithologique est variable, mais qui représente des a faciès »
différents d'un même étjge.
130 MONOGRAPHIE. GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
De l'Hillil à Relizane, au Sud de ces deux localités, on
remarque une bande de terrains formés d'alluvions anciennes,
c'est-à-dire de même nature que ceux qui se trouvent au
Nord-Est de Relizane. Après quoi, la majeure partie du sol
montagneux situé au Sud de l'Hillil appartient au miocène
moyen (helvétien). Il forme une bande large d'environ
10 kilomètres de Perrégaux à l'Hillil ; cette bande fait ensuite
un coude au Sud-Est et va s'épanouir vers Kalàa, s'étendant à
l'Est de cette ville et au Sud, atteignant El-Bordj et effleurant
iVïn-Farès, Mascara et Palikao ; au Nord-Est de Kalàa, l'helvé-
tien fait un coude au Sud et va s'élargissnnt dans la direction
des Flitta. Le crétacé inférieur est représenté au Sud de Kalàa
et de Perrégaux, à 14 kilomètres Est environ de Kalàa, et sur
la rive droite de la Mina à une trentaine de kilomètres Sud de
Relizane. Le miocène inférieur (cartennien) a sa place dans
la partie Est de Kalàa et au Nord de cette localité, entre
l'helvétien et le crétacé inférieur, sur une bande qui se pro-
longe jusqu'à Perrégaux. L'éocène inférieur s'étend largement
du côté de la commune mixte de Palikao. Quant au gypse, il
s'en trouve seulement quelques taches à l'Est et au Sud-Est de
Kalàa. En résumé, la constitution géologique de la commune
mixte de la Mina est surtout composée : d'alluvions limoneuses
sur la l'ive droite de la Mina et dans la plaine de Sirat, de
pliocène sur les rives gauches de la Mina et de l'Hillil, d'hel-
vétien dans la partie montagneuse Sud. Ces données géologiques
sont le résultat des recherches de cet ordre les plus récentes
faites par MVl. Pomel et Ficheur.
L'étage helvétien est donc le caractéristique de toute la
partie méridionale de la commune mixte, entre l'Oued Malah,
l'Hillil, Relizane, Tilliouanet et Kalàa. H est for né soit de
calcaires à mélobésies couverts de broussailles, soit de marnes
argileuses au sommet desquelles on trouve dans des couches
gréseuses des accumulations d'ostrca crassissima qui en est le
fossile caractéristique. Cette région offre donc aux yeux du
voyageur des collines à crêtes blanchâtres ou plutôt gris pâle ;
tel est l'aspect des mamelons de Kalàa, Tilliouanet, El Romri.
(communes de Kalàa, Douair, Guerboussa, SidiSàada et
El-Romri). Au Nord de Relizane, la plaine estrecouverte de
terres fortes brunes ou de récents dépôts argileux jaunâtres.
La partie montagneuse composée de pliocène et de miocène
sahélien (aux Zgaïr et chez les Aïn-el-Gueltar) est surtout
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 131
gréseuse et recouverte de végétation forestière ou plutôt
broussailleuse.
Remarquons enfin que la région montagneuse Sud, entre
Relizane et Kalàa, est assez souvent ébranlée par des tremble-
ments de terre et l'aspect si pittoresque de Kalàa lui-même où
les roches qui s'élèvent en amphithéâtre sont disposées dans
le plus parfait désordre et contre toutes les règles de forma-
tiiins géologiques piouvc qu ■ le pays dut èlre autrefois léjnoin
d'éruptions volcaniques ou tout au moins de bouleversements
fréquents occasionnés par les mouvements séismiques.
Les collines de la co 'imune mixte de la Mina peuvent se
diviser en deux catégories : 1 celles qui appartiennent au
massif des lieni-Chougran et : 2o celles qui constituent les
derniers retranchements du système du Dahra.
Daiis la paitie méridionale, au Sud de Relizane, Clinchant,
l'Hillil, Oued- Malah et Perrégaux, s'élendant jusqu'à El-
Bordj, les montagnes basses qu-' l'on aperçoit de la voie du
chemin de ier Alger-Oran font parlie du massif des Beni-
Chougran.
Les sites les plus importants sont, dans la région de la Kalàa:
le Djebel Barbar (814 mètres), le Djebel Tartar ou Etlartar
(400 mètres) qui dominent la plaine Semniar dont l'altitude
est de 3()9 mètres, très fertile et facilement iiTigable; le Djebel
El-Bab (montagne de la Porte) (41i mètres), le Djebel Er-Rar-
Triki (4138 mètres), le Djebel Ang-el-Djemel (le coup de
Chameau) (461 mètres). Dans la même région, on remarque,
chez lesMessabehia,au Sud de Clinchant, la plaine de Kaourara
(203 mètres d'altitude) et chez les Ouled-bou-Ali la plaine de
Touïla (137 mètres d'altitude en moyenne), entourées de
mamelons sans importance pittoresque ou géographique. Les
derniers contreforts de ce massif s'étendent jusqu'aux Beni-
Reddou et R'oualize (enti-e l'Hillil, Bouguirat et El-Romri).
Au-dessus de-El-Romri s'élève le Djebel Ed-Djir (la montagne
de Chaux) qui se partage en quatre monticules de hauteur
décroissante, formés de plâtre brut, d'un aspect assez curieux
vu de la plaine, d'autant plus qu'au haut de chaque sommet
est bâtie une kouba oi^i reposent les restes d'un marabout dont
la sainteté doit correspondre à la hauteur du site où il est
enterré (le Premier Piton, le plus élevé, est surmonté du
marabout de Sidi Abd-el-Kader, saint très vénéré, également
connu sous le nom de Sidi-Medjahed; auprès se trouvent les
132 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
ruines du poste géodésique utilisé pourla triangulation du pays).
La crête se continue en s'abaissant par le Djebel Grabès
(255 mètres) et le Djebel Mehariga (la montagne desséchée ou
incendiée) (254 mètres) qui domine Bouguirat à gauche, et la
petite plaine d'El-Merouane à droite, chez les Roualize.
La tribu des Beni-R'addou (qui fit partie de l'aghalik d'El-
Bordj), occupe la petite chaîne de montagnes isolées connues
sous le nom de Djebel Ed-Djir vues plus haut et une partie de
la plaine de Negma que le cheniin de fer traverse entre Oued-
Malah et l'Hillil.
Du sommet du Djebel Ed-Djir on aperçoit, à l'Est les plaines
de l'Hillil et de la Mina, à l'Ouest se déi-oule la plaine
d'El-Romri ou plaine de Karkacha, derrière laquelle s'étend
l'immense plaine de l'Habra où campe la tribu des Borgia.
Au loin apparaît la mer (golt'e d'Arzeu) et les jours sereins
on peut voir se détacher à Thorizon le profil caractéristique
de la Montagne des Lions qui domine Orân et dont la forme
rappelle la Dent du Midi.
Le Djebel Trek et Touirès (339 mètres) qui s'étend parallè-
lement à la mer au Sud de Mostaganem à partir d'Aboukir
jusqu'à A'in-Nouissy où il se termine par le Djebel Chegga
(257 mètres) comme un gigantesque éperon au-dessus de la
plaine, se prolonge à l'Est d'Aboukir en collines dont la hauteur
varie de 100 à 280 mètres. Elles forment des mamelons sans
nom chez les Oulad Sidi-Abdallah au Nord de Blad-Touaria,
ou se dessinent en sites assez nettement marqués tels que le
Djebel Mouzaïa (265 mètres), le Djebel Brahl (260 mètres) qui
séparent les plaines de Blad-Touaria et de Bouguirat, le Djebel
Milar (152 mètres) entre la plaine de Sirat et celle de Bouguirat.
Les derniers contreforts du Dahra s'étendent jusque dans
cette région, c'est à-dire au Nord de Relizane, Bel-Hacel,
l'Hillil, Bouguirat et Blad-Touaria. Ils se divisent en trois
branches principales parallèles se dirigeant toutes dans la
direction Sud-Ouest, Nord- Est. La première ligne de collines
se trouve au Nord-Ouest de Bel-Hacel au bas de laquelle
s'étend à droite la plainedu Blad-el-Mehaftia, elledomine toute
la plaine de la Mina; on y remarque le Djebel Mekhalia
(450 mèti'es à l'Aïn-Djilali) et la montagne de Bel-Hacel dont
les points culminants sont le poste géodésique de la Koudiat
Azreka (la Colline Iîleue)(.50i mètres) et le poste géodésique du
Keloub-Tsour (51() mètres); un marabout occupe le sommet
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 133
de ce mamelon; la route militaire de Mostaganem à Relizane
par Sidi-bel-Hacel passe au col d'Aoud et Tulf, non loin et au
Sud de Keloub-Tsour.
Parallèlement au Djebel Mekhalia, et séparés de la foret
domaniale par la vullée de la Soif, s'étendent le Djebel
Fernene (Montagne du Liège) (442 mètres) et le Djebel
Karrouba (Montagne du Caroubier) (4(35 mètres).
La deuxième chaîne de collines commence au Djebel Yazzira
(37<) mètres), se continue par la longue arête de la foi et
domaniale de Lakboube doi.t la hauteur est en moyenne de
400 mètres, séparée de la montagne de Bel Hacel par l'Outha
(plaine) de Sidi-Abeda et se termine par le Djebel Bou-Assas
(315 mètres) et le Djebel Zegnoun qui surplombent la rive
gauche du Chélif non loin de son confluent avec la Mina.
Quant à la troisième chaîne, elle comprend, du Sud au Nord:
le Djebel Béiod (Montagne Blanche^ (382 mètres) et le Djebel
Zaimia (393 mètres) recouverts par la forêt domaniale d'Ennaro ;
le Djebel Djezzar (314 mètres) qui comporte également une
végétation forestière, et le Djebel Sliman (341 mètres) à gauche
du Djebel Bou-Assas. Tel est dans ses grandes lignes le
système orographique de la commune mixte de la Mina, qui
n'offre d'ailleurs rien de particulier.
Insert
Foldout
Hère!
DE LA COMAIUNE MIXTE DE LA MINA 135
III. — HYDROGRAPHIE
La commune mixte de la Mina est située entre les bassins
inférieurs du Chélif et de la Mina et celui de l'Habra-Macta ;
c'est dire que la plus grande partie des rivières et cours d'eau
qui se jettent sur la rive gauche de la Basse-Mina et du Bas-
Chélif, ou vont se perdre dans la plaine de l'Hubra, traversent
le territoire qui nous occupe ici.
Le Chélif n'arrose qu'une faible partie de la région N.-E. de
la commune mixte ; aussi serait-il hors de propos de nous
spécialiser dans la description de ce fleuve qu'on trouvera
traitée dans maints ouvrages. Qu'il nous suffise de dire qu'il
baigne la limite septentrionale de cette commune mixte depuis
la tribu des Akerma Cheraga Jusqu'à son confluent avec la
Mina, qu'il pénètre ensuite sur le territoire et l'arrose par de
nombreux méandres jusqu'à son entrée dans la commune de
Sour-kel-Mitou ( Bellevue).
La Mina prend sa source au Djebel Aklidar (Montagne Verte),
à l'Est de Frenda, passe près de Tiaret et Tagdempt, tombe
de 4>2 mètres de hauteur à la cascade d'El-Hourara, reçoit
l'Oued-el-Abd ou rivière de la cascade de Tagremaret, plus
considérable qu'elle-même, puis, avant d'arriver à Relizane,
quitte la région montagneuse pour entrer dans la grande
plaine du Chélif. Elle y est utilisée au moyen d'un barrage-
déversoir pour l'irrigation des environs de Relizane ; elle
croise ensuite le chemin de fer et, continuant à se diriger
dans une région Sud-Nord, elle reçoit, à une douzaine de
kilomètres de Relizane, dans le douar-commune de Zgaïer, la
rivière Hillil. Puis elle baigne Sidi-bel-Hacel, et, après
plusieurs replis sur elle-même, elle va se jeter à 15 kilomètres
au Nord dans le Chélif, ayant effectué 220 kilomètres de cours
dont une cinquantaine dans la commune mixte de la Mina.
En résumé : elle arrose les douars-communes des Oulad-bou-
Ali, des Messabehia, le territoire de la commune de Relizane
(où elle coupe la route nationale et le chemin de fer Alger-
Oran) les douars-communes de Mina, Zgaïer, (ou e'ie reçoit
l'Hillil et coupe le chemin de fer de Mostaganem-Tiaret) de
Bel-Hacel, Aïn-el-Guettar et Kiaïba (où elle se jette dans le
Chélif).
Le mot Miii'i n'est pas arabe : on .sait seulement qu'il
136 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
désignait à la fois, à l'époque romaine, et la rivière et la ville
auprès des ruines de laquelle Relizane a été bàli et qui tirait
son nom des eaux qui l'arrosaient.
L'Hillil est bien moins considérable que la Mina; elle a un
fond vaseux sur les bords, qui communique à son eau une
saveur détestable; elle est cependant très rapide et roule de
gros cailloux qui sont les mêmes que ceux de la Mina. Elle
prend le nom d'Ilillil à deux kilomètres au Nord de Kalàa, au
confluent de deux rivières : l'Oued Mesrata et l'Oued Kalàa.
Le nom de l'IIillil dont la transcription avec un h initial n'a
aucune raison d'être vient du mot que les Arabes prononcent
J-b. « uni », dérivé lui-même du mot berbère ^J.' ^'''^
qui signifie « Lauriers Roses ». C'est une altération des deux
mots -i~l.J w«J « Ir'zer n ilili », la rivière du laurier rose ;
' — ^ ■• ■■ ^ -
la même signification est reproduise par l'Arabe aI? i v-c
a Aine Defla ». L'Hillil descend dans une direction Sud-Nord
jusqu'au village du même nom qu'elle arrose et où elle est
répartie pour l'irrigation par un petit barrage. Après avoir
coupé la voie ferrée du chemin de fer Alger-Oran, elle prend
une direction Sud-Ouest-Nord-Est et traverse dans sa partie
occidentale la plaine de la Mina où elle est utilisée pour
l'arrosage de diverses cultures. Elle se jette ensuite dans la
Mina à environ 5 kilomètres de BelHacel
L'Oued Mesrata et l'Oued-Kalàa forment, ainsi que nous
l'avons vu plus haut, l'Oued HiUil. L'Oued Mesrata prend sa
source au douar du même nom à l'Ouest de Debba (petite ville
immédiatement au Sud de Kalàaj, il est grossi de l'Oued Bou-
Mendjel formé lui-même de plusieurs ruisseaux fOued
El-Kebich, Oued El-Ars, Oued Tinouatin) qui descendent
des alentours d El-Bordj.
L'Oued Kalàa prend ce nom à partir de la ville de Kalàa
qu'il arrose. Auparavant, il s'appelle Oued Abadi et prend sa
source dans le Djebel Nadour(811 mètres), l'un des sommets
principaux du massif des Beni-Chougran.
La Mina reçoit, outre l'Hil il, la petite rivière de l'Oued
Malah qui prend sa source au Sud-Ouest du Djebel Nadouret
va se jeter dans la Mina à une douzaine de kilomètres au Sud
de Relizane. Il reçoit sur la gauche l'Oued Tiliouanet qui
descend du Djebel Barbar, montagne qui domine Kalàa à l'Est.
Ce sont les eaux de cette source qu'on a captées pour les
DE LA COMMUNE M[XTE DE LA MINA 137
amener jusqu'à Relizane pour l'alimentation. Un autre Oued
Malah descend d'Aïn-Farès, coule entre le Djebel Romla
et le Djebel Hamara, et débouche dans la plaine de l'Habra
après avoir coupé la ligne du P.-L.-M. et donné son nom à
une station du chemin de fer qui dessert le village d'El-Romri.
Ce torrent a rarement de l'eau et ne coule que lorsqu'il a
beaucoup plu et neigé sur le massif des Béni Chougran.
Dans le Djebel El-Bab (à l'Ouest de Kalàa) prend sa source
l'Oued El-Louz (la Rivière des Amandes) qui se dirige vers la
région montagneuse des Beni-Reddou qu'elle traverse à
proximité de la plaine de Negma après avoir coupé la voie
ferrée entre l'Hillil et Oued-Malah.
Avant de couper le Djebel El-Djir et le Djebel Grabès, cette
rivière prend le nom d'Oued.... Moukhannouf selon les uns,
Mekhallouf selon les autres. Elle arrose la plaine de Kerkacha,
située entre El-Romri et Bouguirat ; elle est utilisée pour l'irriga-
tion par un syndicat composé de délégués de ces deu.K villages.
Un barrage primitif construit à l'entrée de la plaine est
fréquemment démoli par les indigènes. Les crues d'hiver font
déborder ce cours d'eau qui transforme la partie septentrionale
du Biad Kerkacha en un véritable lac de boue où il est
dangereux pour les gens et pour les bêtes de s'aventurer.
En outre, ce trop plein se déverse dans la direction de la
plaine de Sirat pour former, concurremment avec de petites
sources sans nom, les marais d'Ahl-el-Haciane qui donnent
eux mêmes naissance à une sorte de marécage mouvant
appelé l'Oued-el Tine. Cette Rivière de Boue atteint pendant
l'hiver les marais de la Macta avec lesquels elle se confond,
non sans avoir rendu impropres à la culture les terrains
qu'elle inonde.
La région montagneuse de Kalàa et de Tiliouanet et celle
de Mekhalia-Belhacel, sont sillonnées comme toutes les
collines du Tell algérien, par de nombreuses ravines, torrents
éphémères qui se perdent dans la plaine pendant la saison des
pluies. Des centaines de cha'het de ce genre prennent nais-
sance dans la montagne de Bel-Hacel et de l'Ar'boub, dans le
Djebel Mekhalia. Ces cours d'eau de très minimes importance
ne méritent pas de nomenclature d'autant plus qu'ils sont pour
la plupart dépourvus de dénomination, malgré l'habitude
excessive des indigènes de donner un nom aux moindres
particularités géographiques.
138 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
Le lac le plus important de la région est la sebkha de
Bou-Ziane : elle s'étend sur le territoire des Oulad Addi
au Nord et à peu de dislance de la voie ferrée (station du
chemin de fer des Salines desservant Ferry). Ce lac salé, qui
mesure environ 15 à 1,600 hectares de superficie, est recouvert
en été d'une croûte saline blanchâtre. Les indigènes du pays
s'y approvisionnent du sel. (Voir plus loin. Partie économique.)
Immédiatement au Sud-Ouest de cette sehkha s'en trouve
une autre de bien moins grande importance dont les eaux, en
hiver, se déversent dans la Mina par le lit du Derdéza.
Dans la plaine de Sirat le marais d'Ahl-el-Haciane, et surtout
celui d'Haciane Menkoub conservent suffisamment d'eau toute
l'année pour permettre aux chasseurs d'y trouver du gibier
aquatique en abondance et, si besoin est, de lui donner la
chasse en barque plate. Le second est, le lundi de Pâques, le
rendez-vous habituel des familles de colons des villages
environnants, qui viennent y célébrer la traditionnelle Mouna,
la fête par excellence des moyennes classes algériennes et
oranaises.
A signaler aussi un petit lac salé dans la plaine de l'Habra,
au Sud des marais de Ahl-el-Haciane. Les indigènes du pays
viennent y faire des provisions de sel en été, car pendant la
saison des pluies ces lieux sont impraticables et on ne saurait
s'y aventurer sans courir le risque d'être englouti par les
boues de ce sol aqueux.
Il existe entre Bouguirat et El-Iîomri un marais assez
important qui forma longtemps un petit lac jusqu'au jour oii
il fut procédé à des travaux de drainage pour que le trop
plein d'eau puisse s'écouler chaque hiver et être employé à
l'irrigation d'une partie de la plaine de Bouguirat et de celle
de Kerkacha (à El-Romri).
Telle est, dans tous ses détails, l'hydrographie de la
commune mixte de la Mina : elle répond aux régions caracté-
ristiques qui composent la dite commune mixte, c'est-à-dire
1° le bassin de la Mina et ceux de ses affluents ; 2" la partie
montagneuse de la Mekhalia, de l'Akboube, d'Ennaro sillonnée
de torrents, tous desséchés en été ; 3° la partie en plaines où
les oueds s'étalent en marécages et inondent une bonne partie
des terrains par cela même incultivables.
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA
139
IV. — CLIMAT
Le climat de cette région est celui du Tell de la province
d'Oran, sauf certaines particularités locales qui tiennent
à l'état du sol, montagneux au Sud et au Nord-Est, en plaine
dans l'Ouest. Le poste d'observation du pays est celui de
Relizane, situé à l'hôpital de cette ville (à 70 mètres d'altitude;
par I047' de longitude Ouest, et 35° 45' de latitude). Les deux
postes pluviométriques sont : 1" celui de l'École communale
de l'Hillil (132 mètres d'altitude); 2° celui de l'École com-
munale de Sahouria (40 mètres d'altitude) (1).
De 1885 à 1890, il a pu être constaté :
TEM'PÉnATURE MOYENNE
Janvier + 8" centigrades
Février + 8" —
Mars + 12" —
Avril + 14» —
Mai + 140 —
Juin + 20 —
Juillet + 25" —
Août + 2.5" —
Septembre + 22» —
Octobre 4- 1''° —
Novembre + 14" —
Décembre + 8" —
PLUIES MENSUELLES MOYENNES POUR LA RÉGION DE L'hILLIL
Janvier . 60 ">/■"
Février 60 —
Mars 60 —
Avril 60 —
Mai : 20 —
Juin 20 —
Juillet moins de 20 —
Août — 20 —
Cf. l'ouvrage de M. Thévenet, directeur de l'Ecole des sciences,
Essai de climatologie algérienne (aoùt-1896).
140 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUK ET HISTORIQUE
Septembre 20 —
Octobre 20 —
Novembre 60 —
Décembre 60 —
Pluie générale 400'"/'" en moyenne par année
Grêle S^/m —
Neige Néant.
VeDts doDt la fréquence est plus grauiie en tiver qu'en été SID, SUD-OUEST, OUEST
— — en été (ju'en hiver.. .. NORD, NOBD-EST, EST
Vents dominant l'hiver Sud-Ouest, Ouest
— l'été Nord.
Isobares moyennes en hiver 765"
— — en été 701"
Isothermes moyennes d'hiver 11»
— d'été 25 à 30"
Les tableaux météorologiques qui précèdent sont les résultats
de plusieurs années d'expérience; la température et les pluies
se reproduisent à chaque saison avec la même uniformité en
général. Cependant, il est à remarquer que, par périodes
de 5 ans, les pluies sont plus abondantes au commencement
de l'hiver et tombent quelquefois avec une telle persistance
qu'elles occasionnent des inondations dangereuses pour les
cultures et même pour les êtres vivants. Relizaneest renommé
comme étant un des ooints le plus chaud du Tell oranais.
Pendant les mois de juillet et d'août, le thermomètre marque
chaque jour 35 à 49" et ne redescend qu'à une heure avancée
delà nuit; c'est la persistance de cette chaleur qui la rend
surtout pénible. A Clinchant, l'Hillil, Bouguirat, El-Romri,
Sahouria, Sirat, Blad-Touaria, Aboukir, la température maxima
d'été est uniforme et oscille ordinairement enti-e 30 et 35°.
A Ain Sidi-Chérif, à Fornaka, et enfin dans toute la partie
Nord de la plaine de l'Habra, la brise de mer venant de la baie
d'Arzeu rafraîchit la contrée pendant les chaleurs estivales.
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 141
PARTIE HISTORIQUE
§ I. - TEMPS PRÉHISTORIQUES
Strabon désignait sous le nom de Mccraa'.fruXo! (Massésyliens)
ou Numides (les Nomades) les peuplades qui occupaient,
avant l'occupation romaine, les provinces d'Alger et d'Oran
d'aujourd'hui (1).
Selon Ptolémée, à l'orient des Téladusiens (TeXaSouatot)
occupant le pays de Rio-SaJado, se trouvaient les Machusiens
(Maxourjcoi) au dessous desquels s'élevait le mont Zalacus (2).
Ce peuple occupait tout le pays comprenant Arzeu, la plaine
de Sirat, et tout le territoire de Mostaganem et de Cartennse
(Ténès) jusqu'à Cherchel, c'est-à-dire entr'autres régions
celle cfui nous occupe ici, la commune mixte de la Mina.
Sa situation, en effet, qui embrasse des plaines fertiles et
arrosées a dû l'appeler de bonne heure à être fréquentée,
parcourue et habitée par les populations aborigènes. Naturel-
lement, l'histoire ne nous dit rien de ces premiers habitants,
ancêtres des Berbères, tous agriculteurs et pasteurs, et dont
les luttes de Çofs, auraient elles été relatées par une chrono-
logie quelconque, n'eurent rien qui puisse nous intéresser.
§ II. — PÉRIODE ROMAINE
Les Romains connurent la fertilité des plaines basses de la
Mina, de l'Hillil, de l'Habra. Ils créèrent auprès de l'emplace-
ment de Relizane, sur la pente occidentale d'une colline
dominant la plaine alentour, un établissement dont il reste
quelques vestiges et près duquel on a trouvé des sous d'or du
Bas Empire. Ces ruines sont situées à 4 kilomètres au Sud de
Relizane, dans -un site magnifique. On croit que ce sont celles
de la ville romaine Mina relatée par l'itinéraire d'Antonin. Cette
conjecture corroborée par la comparaison des distances réelles
(1) Syphax régna sur les Massésyliens.
(2) IJaus l'Ouest de la Berbérie, Plolémée nomme les Maxouoicn
comme occupant la partie Nord de la région Arzeu-Perrégaux, et les
ApuiTai, les HXouXioi (Hillil 1) et les ToXcorat comme habitant les
terres intérieures du Tell oranais, c'est-à-dire au-dessous des Téladusiens
et des Machusiens
11
142 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
avec celles que donne le routier romain se confirme surtout
par le voisinage de la rivière Mina, qui a pris son nom de la
ville antique si, ce qui est probable, elle ne lui a pas donné
le sien. Peut-être quelques recherches faites sur le terrain
pourraient-elles trancher la question en amenant des décou-
vertes épigraphiques décisives. On n'y trouve plus aujourd'hui
d'autres traces de l'occupation romaine que les boursouflures
du sol produite par l'amoncellement des décombres et une
multitude de fragments de poterie fine qui ne laissent aucun
doute sur leur origine.
Mina figure dans VAfrica Christiana de Morcelli sous la
forme Mhiensis, comme un des 133 évêchés de la Maurétanie
Césarienne. Ses évéques connus sont : 1" Cœcilius, inscrit le
quarante-neuvième sur la liste des évêques de la Maurétanie
Césarienne exilés, en 484, par le roi Huméric; 2° Secundinus,
qui assista au concile de Carthage en 52.5, sous Bonitace, et
auquel il souscrivit le premier en ces termes, après les députés
de provinces : Secondinus, évèque du peuple de Mina, de la
province de Maurétanie.
A l'Ouest de la Mina, Ballcne Prœsidium et Castra Nova
constituaient les centres les plus importants du pays. Ces villes,
grâce à leur position sur la grande route de l'intérieur parais-
saient avoir joui d'une longue prospérité. On retrouve leur
nom dans la liste de Victor de Vite, où il y a un episcopus
Balianensis et un episcopus Castranobcnsis. Ballene Prœsidlian
doit, selon M. Cat, être cherché près de l'Hillil où l'on a
constaté la présence de ruines antiques d'une certaine impor-
tance. [M. Mac Carthy, dans la Revue Africaine, tome XXX,
page 353, estimait que Ballene Prxsidium pourrait être
El-Bordj, à 8 kilomètres au Sud-Ouest de Kalàa. D'autres
préfèrent Kalàa (cf. Bull. Soc. Géogr. d'Oran, 1882, p. 6)
M. Demaëght admet la synonomie de l'Hillil (cf. Bull. Soc.
Géogr. d'Oran, p. 265). Un des partisans de la synonomie de
de Kalàa est M. de Champleins.] L'itinéraire d'Antonin donne
comme distance de Mina à Ballene Prsesidiu7n XVI milles
romains, c'est à-dire 23 kilomètres 5, ce qui est à peu près la
longueur du chemin entre l'Hillil et les ruines de Relizane.
Il est dit dans le Bulletin Archéologique du Comité de Travaux
historiques (année 1885, p. 339) : « Dans les fouilles nécessitées
« par divers travaux, dit le colonel Mercier, on a acquis la
a preuve que la ville avait été brûlée trois lois et réédifiée
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA US
« chaque t'ois sur ses ruines. On a découvert des restes de murs
« et de portes depuis 1 mètre jusqu'à G mètres de profondeur,
« en 3 assises, entre chacune desquelles on remarque des hts
(( de cendres et de débris d'une épaisseur variant de 1 mètre
« à'I mètre 50. .; on a trouvé dans les fouilles beaucoup de
a jarres, et dans quelques-unes des provisions de blé. » Un
colon de Bouguirat possède une sorte de mortier à pilon en
bronze trouvé dans des fouilles faites à l'Hillil. Une croix
latine gravée sur cet ustensile fait présumer qu'il date de
l'époque romaine chrétienne. (On peut voir au Musée d'Oran,
dans la section céramique, sous le n" 186, un « dolium »
trouvé à l'Hillil, haut de 0 mètre 84, et mesurant 0 mètre 77
de diamètre: c'est un don de M. Genty; — et dans la section
des bijoux en métal, sous le n" 436, un cœur en bronze, long
de 0 mètre 32 : don de M. Raoul Varnier.) Des fouilles ont
également découvert une citerne de G mètres de longueur sur
3 mètres de profondeur en parfait état de conservation . M . Astier,
le regretté pasteur protestant de Moslaganem, y a vu plusieurs
inscriptions qui ont été employées plus tard dans leg construc-
tions de l'Hillil. On y remarque encore, sur un montant de porte,
un bas-relief représentant un personnage qui tient les bras levés,
et surmonté d'une inscription entièrement fruste. Outre les
« doliums D cités plus haut comme appartenant au musée d'Oran,
il en a été découvert plusieurs autres, parmi lesquels celui que
possède M. Pochard, ex-sous-préfet de Moslaganem, et qui
porte des marques de fabrique. Au moulin Petit, à 2 kilomètres
de l'Hillil, sur la route de Kalàa, on peut voir sur une pierre de
grès de 0"'50 sur 0"'50, encastrée dans le mur du moulin, et
trouvée autrefois au village même de l'Hillil, dans la propriété
Marqués, l'inscription suivante :
D . M S
MARCVS TANNONIVS ■
MIL LEG ni AVG Q TANNO
NIO M IN EN SI PATRICA
RISSIMO AN L IMPEN
DINVMMIS MEIS FECI
VIX ANNIS LXXV
D(is). M{anibus) S{acrum) MARCUS TANNONIUS
MIL(es) LEG(ionis) III AUG(ws<w) Q(uinto) TANNONIO
MINENSI, PATRI GARISSIMO, AN(imo; L{ibenti),
IMPENDINUMMIS MEIS FECI — VlX(it) ANNIS 75.
144 MONOGRAPHIE GEOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
Traduction : . Marcus Tannonius, soldat de la 111° légion
Augustieniie, à mon père chéri, Quintus Tannonius, originaire de
Mina, ai élevé ce mausolée de mes propres deniers et de
cœur libre.
Il vécut 75 années.
On voit que le père de Q. Marcius Tannonius était originaire
de Mina. C'est la première fois que cet ethnique figure dans
une inscription.
A l'époque chrétienne, Ballene Praesidium eut un évêque :
Cœcilus. 11 figure le Ol^" parmi les évêques de la Maurétanie
Césarienne, qui s'étend rendus à Carthage, en 484, pour
l'Assemblée générale des Évoques, furent exilés loin de leurs
Églises.
Deux voies romaines devaient partir de Mina : la première
se dirigeant sur l'Hillil et Perrégaux, la seconde sur Tirés
(Mascara) directeinent par Kalàa. La première était la route de
Mina (Relizane) à Tasacorra (sur la Mekerra) ; après Ballene
Praesidium, on trouvait à XX milles le centre de Castra Nova,
qui est sans nul doute l'emplacement actuel de Perrégaux ou
du moins le lieu situé à 2 kilomètres Est de cette ville où l'on
peut voir les ruines d'un petit poste militaire, sans doute
Castra Nova. On y remarque les substructions d'un mur
d'enceinte, celles de quelques maisons et une grande citerne.
Près de ces ruines se trouvait un cimetière romain, dans
lequel on a trouvé les deux inscriptions chrétiennes (portant
les numéros 47 et 48 du Bulletin des Antiquités africaines,
t. I, p. 139 et 140.)
Vitalis, évêque de Castra Nova, est inscrit le soixante-
seizième sur la liste des évoques exilés, en 484, par le roi
Hunéric.
Les Romains étaient ainsi maîtres de la Basse Mina et de la
Macta. Une des branches de cette dernière, l'Oued-el-Hammam,
s'appelait alors Sira. (C'est peut-être ce qui a donné le nom de
Sirat appliqué à une plaine fertile voisine, dans lequel les
Arabes ont voulu voir le mot Cirât qui chez eux signifie
spécialement le sentier ou pont menant au Paradis. Le peuple
arabe est d'ailleurs très porté à unifier deux analogies linguis-
tiques en donnant un sens de sa langue propre à une
expression étrangère).
Ballene Pnesidium et Castra Nova étaient des villes de
garnison, bien qu'on n'ait pas trouvé d'inscription en ce sens,
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 145
Il y avait là une région très remuante et fort difficile à
contenir: «Nous ne pouvons oublier que c'est là que nous
« avons rencontré les résistances les plus longues et les plus
a acharnées, que c'est le pays d'Abd-el-Kader. »
Le pays que nous étudions ici faisait partie, à l'époque
romaine, de la Maurétanie Césarienne, que Genséric nomma
sous son règne Zengitanie on Consulaire.
§ III. - PÉRIODE ARABO-BERBÈRE
Au moment de la première invasion arabe, la province
d'Oran était peuplée d'Autochtones comme les Maxyes (ou
bien les Maziques), ancêtres des Berbères, laboureurs et
sédentaires dans le Tell ; d'anciens habitants, comme les Libo-
Phéniciens, et de colons et soldats romains. Toutes ces
populations fondues ensemble furent d'abord refoulées vers le
Sud à l'arrivée de l'élément musulman, mais peu à peu, elles
quittèrent le désert pour revenir au Nord, de là l'envahis-
sement des provinces Ouest de l'Afrique par des tribus
berbères venant de Tunisie et de Tripolitaine.
Il est difficile de bien définir quelles peuplades occupaient
exactement le bassin de la Basse-Mina et la plaine de l'Habra,
les deux régions importantes comprises en partie dans la
commune mixte de la Mina. Nous savons seulement, qu'avant
l'invasion arabe, on rencontrait des Senhadja jusqu'à
l'embouchure du Ghélif ; les Bani-Faten faisaient suite aux
Senhadja, à l'Ouest, jusqu'à la Moulouïa, couvrant le littoral
et le centre de la province d'Oran. Parmi eux on peut citer :
les Mar'iia, sur la rive droite du Ghélif, et les Azdadja ou
Ouzdaga aux environs d'Oran. Le pays enclavé entre Mosta-
ganem, Perrégaux, Mascara et Relizane était donc sous la
domination des Mediouna (fraction des Béni Faten).
On sait qu'Okba ben-Nafà défit les Berbères à Tiaret en se
rendant dans le Maghreb-el-Akya. Vers 708, Hai^ane revint à
Kairouan après son expédition jusqu'à l'Océan. Dès lors la
religion musulmane supplantait la religion chrétienne en
Berbérie : <( Toutes les anciennes Eglises des chrétiens furent
« transformées en mosquées », dit l'auteur du Baïan.
Lors de l'établissement des Beni-Roustem sur le territoire
de Tahart (Tiaret), Abou-el-Khottab avait amené avec lui
146 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
diverses tribus du Sud-Est du Maghreb, entre autres, les
Houara du Sahara tripoUtain v.t de l'Aurès ; les Zenata, de
l'Aurès et des environs de Tripoli ; les Matmata de la partie
du Sahara comprise entre Gabès et Nifzaoua.
En 740 les Berbères de cette région prirent part à la révolte
générale qui coïncidait à la chute de la dynastie ommiade et
à l'avènement des Abbassides. La partie méridionale et
occidentale du Maghreb central obéissait vers 700 à Abou
Korra des Beni-lfren, chef des Zenata, résidant à Tlemcen.
Cette tribu s'allia en 792 avec des Berbères d'origine com-
mune, les Maghraoua, venus des environs de Biskra. Ils furent
cependant soumis par Edris l*-'"' alors que celui-ci venait d'être
promu Kalife. Révoltés en 814, ils durent faire une nouvelle
soumission à Edris II qui fit parcourir à ses troupes la région
avoisinant le Bas-Chélif et la Mina. Son fils Daoud eut en
partage cette contrée à la mort de son père.
En 910 le pays tombait sous la domination des Fatimites
qui s'étaient assurés l'alliance de Yala, chef des Beni-lfren,
à Tlemcen. Cependant, après la mort d'El Mansour cette tribu
reconnut la suprématie ommiade.
Signalons rapidement l'expédition de Djouher, affranchi de
El Moëzz, qui écrasa les Beni-lfren en 958, puis la courte
durée du pouvoir sur l'Oranie exercé par les Maghraoua. C'est
à ce moment que les Ouamennou et les Iloumi, parents des
mêmes Maghraoua s'établirent sur tout le pays avoisinant la
Basse-Mina et le Bas-Chélif. Vers 1050, les Ouamennou deman-
dèrent contre les Iloumi des secours au chef des Almohades
Abd el Moumen ; celui-ci prêta son appui à ces solliciteurs.
Les Iloumi lurent d'abord défaits ; mais après un combat sur
les rives de la Mina près du plateau de Mindas, les Almohades
durent se réfugier avec leurs alliés les Ouamennou dans la
région de Sirat. Abd el Moumen vint à leur secours et les
vengea de leur échec en soumettant les Abd el Ouad, alliés
des Iloumi.
Peu après, alors qu'Abd el Moumen revenait de Tunisie vers
Tlemcen, un cheikh almohade ayant eu connaissance d'un
complot tramé contre son maître, prit ses dispositions pour
passer la nuit dans la tente de son chef, et fut tué à sa
place. Abd el Moumen le fit enterrer en grande pompe au lieu
dit El Bath'a (rive droite de la Mina, à 4 lieues du Chélif) etfonda
une ville dans cette localité.
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA
147
En 1218 la domination du pays se partageait entre les Abd
el Ouad, (descendants des Beni-Ouacin) et les Arabes Zor'ba,
leurs alliés, venant de l'Est.
Carte des principales tribus arabes ou berbères qui ont contribué au
peuplement indigène du territoire de la commune-mixte de la Mina et des
villes bâties par ces mêmes habitants.
Issus de la même tribu-mère, les Mérinides parurent dans
les plaines du Maghreb en 1240 et mirent en déroute les
Arabes Riah' qui voulaient s'opposer à leur passage. Leur
puissance devint formidable. Leur chef Othman le Borgnr',
fils d'Ahd el Hak, soumit à son autorité les Chaouïa, Houara,
Fechtala, Mediouna, Behloula et autres tribus du Maghreb
central. 11 leur imposa le i Kharadj » (sorte d'imposition
foncière) en sus des impôts ordinaires.
148 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
En 1248, Yar'moracen, émir de la tribu des Abd el Ouad,
fonda à TIemcen une nouvelle dynastie et étendit son autorité
sur tout le pays jusqu'à Mostaganem. Ainsi, par la chute des
Almohades, les Abd el Ouadites ou Zianites se trouvaient
maîtres de la partie du Maghreb central comprise entre Alger
et la Moulouïa avec TIemcen pour capitale.
Les derniers restes des Maghraoua, tant de Tripoli que du
Maghreb, s'étaient réunis entre Ténès et l'embouchure du
Chélif dans les moutagnes des Beni-bon-Saïd. Dans les
montagnes de la province d'Oran et dans les contrées mari-
times ou montagneuses situées au Nord de TIemcen, habitaient
des fractions des Beni-Faten, resserrées à l'Est par les Arabes
et au Sud par les Zenatas. Les Toudjine occupaient tout le
Ouarsenis et certains plateaux environnants ; les Abd-el-
Ouad'et les Rached s'étaient fixés autour de TIemcen avec les
débris des anciennes tribus (Ournia, Ifrene, .etc.). La grande
tribu arabe des Zor'ba s'était disséminée ; le noyau le plus
important, celui des Malek, occupait les plaines du Maghreb
central, dans la partie comprise entre Miliana et la Mina; les
Attaf étaient près de Miliana, les Soueïd et Dialem occupant
les plaines du Chélif et de la Mina.
En 1271, les Arabes Zor'ba, les Beni-Rached et les Maghraoua
qui occupaient les plaines de la Mina et de Sirat répondirent à
un appel que lit Yar'moracen de TIemcen à ses tributaires :
c'était le dernier acte de solidarité que devaient montrer ces
tribus avant leur démembrement.
Successivement le pays se trouva sous le joug du Mérinide
Aboul Hassen, puis du Zianite Abou Saïd Othman c'est-à-dire
des Abd el-Ouadites : cela de 1351 à 1383. Pendant la longue
période d'anarchie entre dynasties musulmanes de l'Afrique
du Nord les régions de Mostaganem et de Tiaret eurent à
subir les ravages de la guerre. Certaines villes mises en
cendres ne se relevèrent plus ; d'autres comme Kalàa furent
plusieurs fois rebâties sur des ruines encore fumantes.
En 1431, tout le Nord de l'Afrique reconnaissait la supré-
matie du souverain Hafside Abou-Farès.
Les peuplades berbères et arabes qui occupèrent successive-
ment le territoire qui nous intéresse furent :
BERBÈRES
1° Les Marila (branche des Beni-Faten) et les Senhadja, tous
berbères, sur les rives droite et gauche du Bas-Chélif ;
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MIKA 149
2" Les Koumia et les Mediouna (berbères) au Nord de Tlemcen ;
3° Les Maghraoua (Zénètes) dans la plaine du Chélif et alen-
tours (Dahra) ;
4° Les Ouamennou (Zénètes) à l'Est de la Mina ; les Iloumi
(Zénétes) sur le plateau de Mostaganem et la plaine de
Sirat ;
5» Les Haoudra (Berbères) dans le massif des Béni Chougran
ARABES
l" Groupe arabe des Esk'ek'in : les Oulad Sebair qui s'épar-
pillèrent jusqu'à Tlemcen ;
2" Groupe arabe hilalien (qui se fondirent dans la masse): les
Oulad Habra (plaines situées entre Oran et Mostaga-
nem); les Soueïd (qui s'étendirent jusqu'aux plaines de
Sirat et de la Mina).
§ IV. — PÉRIODES ESPAGNOLE ET TURQUE
Dès 1515, les Espagnols commençaient à parcourir la province
d'Oran. Ils avaient adopté le système de la « r'azia « et étaient
renforcés dans leurs expéditions par des indigènes soumis
antérieurement, dénommés a Moros de paz ».
Cependant, à la fin de 1517, Aroudj ayant reçu à Ténès des
renforts et de l'artillerie envoyés. par son frère Kheir ed Din,
se dirigea vers l'Ouest emmenant avec lui un corps expédi-
tionnaire composé de quinze à seize cents arquebusiers et
janissaires, Levantins ou Maures andalous; ils s'augmentèrent
d'ailleurs bientôt d'un certain nombre de vo'ontaires indigènes.
Il est probable que sa marche s'eiîectua dans un délai assez
bref, sans quoi comment le Gouverneur d'Oran et de la pro-
vince de Tlemcen serait-il resté si longtemps sans intervenir?
Aroudj se maintint à une dibtance raisonnable du littoral;
passant par Kalâa, qu'on appelait alors la Kalàa des Beni-
Rached et qui était une ville exclusivement berbère, il
fut fort bien accueilli par les habitants de cette localité. C'était
un poste fortifié par la nature et par la main des hommes ;
Aroudj se décida à l'occuper pour assurer ses communications
entre Alger et Oran, et enlever plus facilement aux Espagnols
les ressources qu'ils tiraient de cette région. Ishac, frère des
deux Barberousses y resta avec 300 soldats levantins, tandis
150 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
qu'Aroudj poursuivait sa route en avant. Le commerce de
grains de Kalàa était considérable à cette époque; les habitants
de cette place reçurent l'ordre, sous peine de châtiment
terrible, d'inteiTompre toute relation commerciale ou politique
avec les chrétiens d'Oran. Le roi détrôné de Tlemcen, Abou
Hammou III, réfugié à Fez, écrivit aux Espagnols en leur
disant : « Vous voyez par vous mêmes la position critique
« où vous vous trouvez depuis qu'un usurpateur aidé de cette
o population parjure est venu me faire descendre du trône de
(( mes pères, à peine les Turcs ont-ils planté leur étendartsur
« les remparts de mes capitales, que les vivres et les denrées
« que Kalàa vous fournissait ont cessé de vous parvenir.
« 0 vous ! poui'quoi ne point m'avoir secouru et aider à exter-
« miner Aroudj Raïs? Pourquoi ne m'avoir point envoyé de
« vos troupes pour me soutenir et de l'or pour assurer ma
« puissance sur ces hordes rebelles ? Votre position n'aurail-
« elle pas été à l'abri de toute avanie? Je crois de mon devoir
« de vous en prévenir; réfléchissez aux conséquences terribles
« de ces événements, réfléchissez, car avant peu, peut-être,
i! le moment en sera éloigné, et ces hommes envieux de toutes
vi choses viendront vous attaquer dans vos plus forts retran-
« chements! » Ces paroles ne manquèrent pas d'atteindre le
but que se proposait leur auteur. Les Espagnols furent ébranlés
par ces insinuations du roi détrôné, et répondirent à sa missive
dans les termes suivants : « Vous ne nous avez jamais demandé
0 protection ni secours; jamais aucune communication ne
« nous est parvenue de votre part. Si telle avait été votre
« intention et le caractère de vos démarches, certes nous
« n'aurions pas hésité à aider un allié tel que vous; le mal est
« fait, il faut s'efforcer d'y remédier; nous vous offrons notre
0 concours; ce dont vous aurez besoin, vous l'aurez; allez,
« volez au devant de l'ennemi, et en l'exterminant, qu'il
« se repente d'avoir souillé vos Etats et osé braver votre
« puissance ; nous réitérons l'engagement que nous venons de
« prendre; rien de ce que vous demanderez ne vous sera
« l'efusé. » Bou Hammou satisfait de la réussite de son message
écrivit aussitôt à ses alliés chrétiens : « Fnvoyez-moi une
0 somme d'argent assez forte pour assurer une levée considé-
« rable de troupes; avec elles, je reconquerrai- mon royaume,
(I et comme par le passé, je vous fournirai, en allié fidèle, tous
« les grains et vivres dont vous pourrez avoir besoin. » Charles-
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 151
Quint fit envoyer au prince nmlsuman 7,000 ducats d'or et une
lésion composée de quinze cents soldais; mais par contre, il lit
prendre en otage soixante enfants des principaux chefs arabes
placés sous les ordres du roi de Tlemcen. Ce dernier, de son
côté, avait réuni, avec les subsides espagnols, une armée de
quinze mille cavaliers indigènes. Il les conduisit à Oran et se
joignit aux quinze cents hommes d'infanterie mis à sa disposi-
tion par les chrétiens et commandés par Don Martin d'Argote,
alors colonel.
Le Gouverneur militaire d'Oran, Gomarez, avait fort bien
jugé la situation; il résolut d'enlever d'abord la Kalàa des
Beni-Rached, afin de couper la retraite aux Turcs qui occu-
paient Tlemcen et de les isoler; et aussi pour empêcher
l'arrivée des renforts «qui ne manqueraient pas d'être envoyés
à Aroudj. Kheir et Din, informé des préparatifs faits en vue de
cette expédition, et qui connaissait toute la faiblesse de la
garnison de Kalàa, envoya à son secours une armée sous les
ordres du renégat corse Iskender qui vint se joindre à la petite
troupe comnjandéeparishac. Abou Hammou, parti le premier,
bloqua, durant quelque temps, les janissaires dans la petite
place.
Bientôt après arrivait l'infanterie espagnole qui reconnut
vite que la place, vaillamment défendue par IshaU et Iskender
(dont les Yoldachs, gens rompus à tous les genres de guerre
et à tous les dangers) serait difficile à prendre.
On se trouvait alors vers la fin de janvier 1518. Les assié-
geants prirent rapidement leurs dispositions pour entourer la
ville d'un réseau de fer et intercepter toutes communications
avec l'extérieur. La garnison était fort inférieure au nombre
et ne pouvait avoir recours à un autre moyen de défense
que de se bloquer dans les murs de la place sans tenter de
sortie, en attendant que Aroudj vînt la délivrer. Mais l'arrivée
des Espagnols avait exaspéré les Turcs qui tentèrent plusieurs
sorties fort meurtrières de part et d'autre. Les assiégeants
subirent des pertes assez considérables, mais ayant attiré la
garnison dans une embuscade, ils lui firent beaucoup de mal
avec leurs pièces d'artillerie. Les Espagnols pratiquèrent
également une mine au moyen de laquelle ils purent renverser
une partie des remparts et ouvrir une brèche.
Affaiblis par la perte d'un grand nombre des leurs et par la
désertion de presque tous les habitants de Kalàa, désespérant
152 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
enfin de pouvoir tenir plus longtemps, les Turcs demandèrent
et obtinrent une trêve au cours de laquelle furent entamées
des négociations Le résulat fut une capitulation honorable
pour les assiégés qui devaient rendre la place à condition
qu'ils sortiraient avec armes et bagages pour aller où bon leur
semblerait. Après six mois de siège et de souffrances, c'était
là une issue plutôt favorable. Les clauses finales étaient celles-
ci : les assiégés devaient rendre tous les prisonniers qu'ils
avaient faits, et donneraient pour garants seize d'entre les
principaux personnages de la ville. L'accord étant conclu, la
garnison commença à sortir ; mais la capitulation fut indigne-
ment violée. Certains des assiégeants indigènes se mirent en
effet à s'emparer violemment des objets que les Turcs
emportaient avec eux et en outre les insultèrent de toutes les
manières. Une altercation s'éleva entre un arabe de l'armée
chrétienne et un janissaire; finalement, celui-ci fut tué par
l'indigène. La colère s'empara alors des assiégés, et d'ailleurs,
au même instant, comme si ce meurtre n'était qu'un signal
convenu, Espagnols et Arabes entourant les Turcs se mirent
en devoir de les massacrer. Le feu de la guerre se ralluma et
un combat acharné s'engagea. Ishak fut tué l'un des premiers.
La mort du chef ralentit nécessairement l'ardeur de ses
soldats ; mais son vaillant lieutenant, le renégat corse Iskender
réussit à rallier les siens ; cependant, malgré les efforts de la
petite troupe, l'ennemi dont le nombre était bien supérieur
l'emporta facilement. Les défenseurs de Kalaà furent tous
égorgés, à part seize turcs que le colonel Martin d'Argote
réussit à mettre sous sa sauvegarde. Quant au lieutenant
d'Ishak, il eut le même sort que son maître et périt glorieuse-
ment.
Le commandant espagnol remit la ville à Bou-Hammou ; une
garnison y fut installée pour maintenir son autorité, tandis
que l'expédition espagnole se portait du côté de Tlemcen...
Le 26 aoijt 1558, le Gouverneur d'Oran, alors très avancé
en âge, partit de cette place à la tête de 6,500 hommes. Soit
pour éviter le passage de la Macta toujours difficile, soit pour
donner le change à l'ennemi, l'armée se dirigea d'abord vers
la plaine de Sirat, laissant le lac salé d'Arzeu à sa gauche, puis
elle se rapproclia de la mer, et ai-riva le quatrième jour à
Mazagran.
Lorsque en 1563, le beglierbey Hasson, fils de Kheir el Din,
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 153
quitta la provinca d'Oran, il laissa le commandement de l'Ouest
au bey Bou Khedidja, après lui avoir confié trente tentes de
yaldachs, (1,000 hommes environ) ; il lui assigna comme
résidence la petite ville de Mazouna, au Nord du Gtiélif,
certain que les Espagnols ne viendraient pas l'y chercher.
Cette position assurait les communications entre Alger et
Mostaganem. Pour donner de la force à son autorité, le Bey
choisit parmi les tribus celles qui i»iïraient le plus de garanties
de fidélité, et les appela auprès île lui. Elles constituèrent une
sorte de milice indigène à laquelle de grandes immunités
furent accordées et qui devait prendre les armes toutes les fois
qu'elle en recevrait l'ordre, pour apaiser l'ordre et pour
percevoir les contributions. Telle fut l'origine des « Makhzeni>
qui jouèrent depuis un rôle si utile dans l'administration du
pays. Des Caïds furent" constitués dans chaque ville. Tous les
trois ans, le Bey dut aller porter lui-même à Alger le tribut
appelé « denouche ». Cette organisation produisit les meilleurs
résultats.
De Mazouna, le Bey était prêt à porter secours à Mostaganem
etàKalâades Beni-Rached d'où il pouvait joindre la ^ nouba»
de Tlemcen.
De Mostaganem à Mascara, comme sur les autres routes, il
y avait des gites d'étape (v^éUi « K'onak «). Des (( Chouaf y>
{, a'^i) espions ou vigies, établis dans les endroits propices,
tenaient les postes turcs au courant des nouvelles pouvant les
intéresser. De la sorte, les tribus furent organisées non en
familles féodales soumises à l'autorité turque mais comme des
feudataires maîtres chez eux, à la condition de payer le tribut
et de coopérer avec leurs goums aux colonnes et expéditions.
Pendant que se déroulaient à Alger les luttes des corsaires
contre la chrétienté d'Europe (en 1669), les provinces d'Oran
et de Constantine demeuraient livrées à elles-mêmes. Les
différentes tribus partagaient leur existence entre la paix et
l'anarchie et les années s'écoulaient sans qu'aucun événement
méritant d'être relaté ait lieu dans le pays intérieur.
En 1701, Moula Ismaïl, sultan du Maroc, envahit la province
d'Oran et la parcourut en maître. Déjà, il avait atteint la rive
gauche du Ghélif, ayant fait reconnaître son autorité aux
populations de toute la région qu'il venait de traverser, quand
il rencontra sur les bords de la Djïdiouïa, au lieu dit Hadj-ben-
R'azi, l'armée du dey d'Alger, Hadj Mustapha. Les forces
154 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
marocaines étaient considérables, du moins les auteurs les
évaluent à 50,000 hommes (chiffre évidemment exagéré).
Néanmoins les Turcs attaquèrent leurs ennemis avec courage
le 28 avril 1701. L'action commença à midi par une attaque de
la cavalerie a'gérienne, à quatre heures, la bataille se terminait
par la défaite des Marocains dont le Sultan faillit tomber entre
les mains des Turcs.
Avant de quitter la province de l'Ouest, le dey Iladj Musta-
pha, désigna Mustapha ben Chelar'em comme bey; c'était un
homme actif et énergique qui quitta Mazouna pour aller
s'établir à Mascara, point plus central pour surveiller les
environs d'Oran et avoir une action dans le Sud. Il alla ensuite
à Oran; c'est là que son fils Yousef lui succéda. Après celui ci,
gouvernèrent tour à tour: Kaïd Mohamed el Adjami, Osmane,
Mohammed ben Osmane. Ce dernier dompta les Hachem, les
Flilta et les Harrar. Il fît le siège d'Oran et traita avec le
roi d'Espagne qui lui livra la ville. Il Tentoura des tribus
Makhzen, Douair Zmala, R'araba, et, plus loin, des Hachem et
Bordjia. Ces populations devaient lui fournir en tout temps
4,000 cavaliers.
Vers 1805, les Derkaoua s'emparèrent de Mascara et parvin-
rent à s'allier les bonnes grâces des tribus a Makhzen » qui les
entouraient. Cette révolte des Derkaoua s'étendit de Mihana à
Oudjasans interruption. Cependant, Mohammetel Mekallechi,
bey d'Oran, réussit à défaire les révoltés et à rétablir l'autorité
turque dans le pays. Les Bordjia l'aidèrent à rejeter les rebelles
au-delà du Sig et à les contenir au Sud.
Soutenu par les Douaïr el les Zmala, ainsi que par les contin-
gents d'autres tribus, Mohammed ben Kabous, bey d'Oran,
vint prendre position sur la Mina pour tenir tète à son maître
le dey d'Alger. Soudain, on apprit qu'une armée algérienne,
forte de 9,000 hommes, s'avançait avec rapidité sous le
commandement du renégat grec Omer Agra. Aussitôt, les
contingents du bey d'Oran, pris de panique, lâchèrent pied,
abandonnant Mohammed ben Kabous qui dut, presque seul,
battre en retraite vers Oran.
Tels sont, en résumé, les faits saillants qui se succédèrent,
pendant la période turque dans la région que nous avons pris
à tâche d'étudier. Nous aurons l'occasion de voir, quand nous
traiterons de la subdivision des provinces en aghaliks, l'histoire
particulière de chacune des tribus appelées à constituer les
DE LA. COMMUNE MIXTE DE LA. MINA 155
aghaliks d'El-Bordj, de Mostaganem, de Mina et ses Medjeher
composant une partie du khalifat de Mascara. Les mêmes sub-
divisions organisées par les Turcs ayant été conservées par
les Français durant plusieurs années, il nous semble préférable
de réserver pour plus tard une notice spéciale pour chaque
aghalik, chaque tribu même, où le groupe parliculiôrement
visé sera décrit depuis ses origines jusqu'à nos jours.
C'est durant la domination turque en Algérie que deux
grands voyageurs européens parcoururent les contrées barba-
resques : nous voulons parler de Léon l'Africain et de Shaw.
Il nous parait intéressant de relater ici quelques-unes des
descriptions de ces hardis explorateurs. Le premier, Léon
l'Africain, visita vers 1550 ces contrées ignorées des nations
chrétiennes. On peut lire aux pages traitant du siège de Kalàa
par les Espagnols, la description des Beni-Rached et de Kalàa
Houara par ce géographe. Plus loin, il cite les Hurva (les
Hououàra sans doute) en ces termes : « Les Hurva possèdent
« les confins de Mustaganim, hommes de sauvage nature,
a brigands et maladroits. Ils ne s'éloignent pas souvent du
« désert, d'autant qu'ils n'ont ni solde ni possession en
« Barbarie ; toutefois, ils peuvent mettre aux champs une
(( armée de dix-mille chevaux. » Puis l'auteur décrit la Mina
qu'il appelle Muta : « Mnia est un fleuve de médiocre étendue,
« descendant de certaines montagnes prochaines de la cité de
« Tégdent (Tagdempt, l'ancienne Téhert) et passe par les
8 plaines de la cité Betha (auprès du confluent du Chélif);
a puis, dressant son cours du côté de Tramontane, s'en vient
« joindre la mer Méditerranée (sic.'). » Le voyageur n'a pas su
voir que la Mina se terminait une fois sa jonction avec le
Chélif, ou du moins il a confondu le cours de ce dernier avec
la Mina, pensant probablement être en présence du prolonge-
ment de celle-ci. Cependant il semble connaître le cours
entier du Chélif, puisqu'il dit : « Selef (Chélif) est un grand
« fleuve qui sourd aux montagnes de Guanseris (l'Ouarensenis),
« et, descendant par les plaines désertes (qui sont là où le
« royaume de Telensin confine avec celui de Tenez) passe
« entre, continuant son cours jusqu'à ce qu'il vient à entrer
« dans la mer Méditerranée, séparant Mazagran d'avec
(( Mustaganim (sic .'). A la bouche d'icelui, quand il se jette
« dans la mer, se prend bons poissons et de diverses
« espèces. »
156 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
Shaw visita l'Algérie vers 1640, c'est-à-dire beaucoup plus
tard. Voici ce qu'il dit sur le pays compris entre Mostaganem
et Mascara : « A trois lieues au Nord de Musty-gannim, se
« trouve une source d'eau excellente, entourée de ruines. Les
(( Arabes appellent ce lieu Xx»^ J/ Kull meela (prononcé à
» l'anglaise c'est-à-dire Kel-Mité, ce qui veut dire Tous moHs)
« et cela en mémoire d'une bataille qui se donna près de là,
« où le parti le plus faible fut tout passé à l'épée. La forme de
« ces ruines (qui ne ressemblent pas mal à un vieux château
« d' Angleterre) et la distance de quatorze milles de Cartenna
« (Ténès), nous feraient croire que ce sont ici les restes du
8 Lar CastelJum de l'Itinéraire d'Antonin. A trois milles au
<( Nord-Ouest de Kull meela, est l'embouchure delà rivière
« Scheliff. Ce nom est une corruption du mot Chinalaph.
« C'est ici la rivière la plus considérable du royaume. »
§ V. - PÉRIODE FRANÇAISE
Dès 1833, Mostaganem était occupé par nos troupes. Attaquée
par Abd-el-Kader, cette petite ville sut vaillamment se
défendre et repousser les indigènes des tribus environnantes
venues à la rescousse en voyant l'émir s'avancer vers la mer.
Une période de calme relatif s'ensuivit dans toute la région et
les populations arabes du pays eurent même une tendance
marquée à vivre en état de paix. Déjà vers le mois d'octobre
1833 Sidi-Abdallah, chef de la tribu des Medjeher, avait
manifesté ses intentions de vivre en bonne intelligence avec
la garnison de Mostaganem. Il alla même jusqu'à fournir à la
place quelques approvisionnements et des chevaux. L'émir
étant intervenu là comme partout oi^i ses coreligionnaires ne
manifestaient pas à notre égard une hostilité marquée, quel-
ques escarmouches malheureuses pour nos troupes décidèrent
le général Desmichels, commandant la place d'Oran, à signer
le fameux traité du 26 février 1834 qui assimilait Abd-el-Kader
à un chef d'Etat. Les hostilités cessèrent, et notre habile
ennemi en profita pour consolider sa puissance en écrasant
celles des tribus qui avaient refusé de lui obéir.
Trois hommes seulement nous restèrent fidèles : Mustapha
ben Ismaël, chef des Douairs, ancien agha turc, Kaddour ben
Morfi, chef des Bordjia et enfin Sidi-el-Aribi, chef des Ouled
Sidi Abd-AUah.
DE LA C05IMUNE >riXTE DE LA MINA 157
Dès le 12 avril de la même année, Abd-el-Kader était battu
par Mustapha ben Ismaël ; sous les instigations du général
Desniichels, l'émir, après avoir surpris et écrasé les Bordjia,
se tourna vers le Chélif et infligea une sanglante défaite aux
Ouled Sidi ben Abd-Allah
Cependant, nos gouvernants n'avaient pas tardé à se res-
saisir et à comprendre combien était néfaste pour nous le rôle
politique que nous jouions dans nos relations avec Abd-el-
Kader. Après le désastre de la Macta qui put nous édifier sur
les sentiments de l'émir à notre égard, le maréchal Clauzel se
rendit lui-même à Oran (22 novembre 1835), pour prendre la
direction des opérations militaires de la province. C'est alors
qu'eut lieu l'expédition de Mascara. L'armée en repartit bientôt,
se dirigeant sur Mostaganem, suivie d'une foule de juifs,
descendit vers la plaine et, le 12 décembre, bivouaqua à
Mesra, chez les Medjeher. On tirailla quelque peu ce jour-là,
mais le 12, l'armée arrivait à Mostaganem,
Après avoir débloqué Tlemcen, le maréchal Clauzel décida
d'utiliser encore les troupes dont il disposait pour recueillir la
soumission des tribus établies sur l'Habra, la Mina et le Bas-
Chélif.
Le 1-4 mars 1836, le général Perrégaux sortait une seconde
fois d'Oran avec un bataillon du 11'^ de Ligne, un du 66'^, un
du 17<= Léger, quelques escadrons de Chasseurs d'Afrique, trois
pièces de campagne, trois de montagne et les cavaliers de
Mustapha ben Ismaël. Il alla d'abord camper à la fontaine de
Goudiel. Le 15, il marcha sur la Macta, en passant par le
Vieil-Arzeu et bivouaqua au-delà de la rivière. Le 16, il rejoi-
gnit le colonel Combes, commandant lagarnison de Mostaganem,
le bey Ibrahim et El Mezary à qui il avait écrit de se mettre en
marche. Cette jonction s'opéra dans un heu appelé El Hacian,
dans le pays des Abid Ghéraga. Le colonel Combes avait
amené avec lui 700 hommes du 47" de ligne ; Ibrahim et
El Mezary n'avaient que 150 fantassins et 50 cavaliers. Au
moment où ce corps de troupes levait le camp pour se rendre
dans la direction des Bordjia, il fut attaqué par une troupe
ennemie recrutée parmi les Gharaba, les Hachem, les Hamian,
les Abid Cheraga, les Beni-Chougran et les Bordjia. Comman-
dés par Si ben Fréah ben Khatir, personnage important d'une
tribu des Hachem, lieutenant redouté de l'émir, ces goums
rôdaient depuis quelques jours dans la plaine de l'Habra.
là
158 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
Mustapha, Ibrahim et El Mezary, soutenus par la cavalerie
française et par toute la cclonne qui la suivait, résistèrent au
choc de l'ennemi, et le mirent facilement en déroute, le
repoussant jusqu'au delà de l'Habra après lui avoir fait perdre
une quarantaine d'hommes. Parmi les morts, on trouva le
caïd des Kalàa, Mohammed ben Djelil et un porte drapeau ;
deux drapeaux furent pris.
Le corps expéditionnaire alla coucher ce jour-là sur la rive
droite de l'Habra, en face de la position que le maréchal
Clauzel avait occupée, le 3 décembre précédent, lors de sa
marche sur Mascara. La razzia faite sur l'ennemi nous procura
une assez grande quantité de bœufs, de moutons, et une
cinquantaine de chevaux, Le résultat de cette journée fut la
soumission dé la grande tribu des Bordjia.
Le 21 mars, le général Perrégaux traversa le gué de l'Habra
avec ses troupes, et alla s'établir chez les Mader après avoir
passé par HacianR'omri.
Le 22 mars, Perrégaux eut avec le fds'de feu Sidi-el-Aribi
(caïd de la tribu de ce nom) une entrevue qui lui assura la
soumission de presque toute la vallée du Chélif. Dès ce moment
son expédition fut une promenade pacifique au milieu d'indi-
gènes qui, séduits par ses manières affables, vinrent lui faire
leurs protestations d'amitié soit à Madar où le général campa
le 23, soit sur l'Oued Hillil et sur la Mina où il arrivale 26. Les
tribus de Sirat, l'Hillil et Bel-Hacel amenèrent des chevaux de
soumission qui furent acceptés par Perrégaux. Ces popu-
lations devaient bientôt expier durement ces marques d'hom-
mage, et nous eûmes en effet le tort de ne pas leur assurer
par la suite une défense contre les attaques de l'émir prompt
à se venger de telles défections.
Le général et ses troupes, précédés de fantasias joyeuses,
suivis de nombreux goums campèrent successivement à Sidi
Bel-Hacel, au Touniiet et au gué des Oulad Snoussi. Durant
cette promenade triomphale, toutesles tribusde la rive gauche
du Chélif et de la Mina se soumirent à nous. Perrégaux revint
ensuite à Mostaganem d'où il regagna Alger. H partit donc,
laissant cette œuvre incomplète, cela à cause du nombre infime
de troupes que la France accordait au pays pour le défendre .
Aussi, jusqu'au malencontreux traité de la Tafna, les mêmes
populations qui s'étaient soumises à Perrégaux, reprirent les
armes contre nous à l'arrivée d'Abd-el-Kader dans la région.
Les hostilités recommencèrent à la fin de 1839,
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 159
C'est alors qu'eut lieu le glorieux épisode de Mazagran.
Les troupes arabes qui assiégèrent cette petite ville étaient
commandées par Mustapha ben Tami, lieutenant de l'émir.
Il avait amené de Mascara un bataillon de réguliers avec
deux bouches à feu et plusieurs cavaliers de la tribu des
Hachem. Kaddour ben Morfi, agha d'El Bordj, lui conduisit
ses Bordjia. Peu à peu, les goums des Medjeher, les cavaliers
de l'Hillil et de la Mina, les Flitta, les Sbéah vinrent le
rejoindre. La somme de tous ces hommes armés et pour
la plupart montés constituait une multitude impossible à
évaluer approximativement, mais formidable à côté de la
petite garnison de Zéphyrs qui gardait Mazagran.
Après l'épisode de Mazagran, le klialii'u Ben Tami rentra à
Mascara avec ses troupes régulières. Mais dans toutes les
tribus, les marabouts prêchèrent la guerre sainte avec ardeur
et préparèrent contre nous une agression qu'ils voulaient
rendre formidable.
Bugeaud ayant fait concentrer des forces de troupes con-
sidérables dans Mostaganem, y débarqua en personne le
15 mai 1841, accompagné du duc de Nemours. Trois jours
après, le 18, le corps expéditionnaire organisé quittait Mosta-
ganem. Il emportait tout un matériel de guerre, destiné tant
aux troupes de l'artillerie qu'à celles du génie. Chaque homme
avait avec lui pour huit jours de vivres en réserve ; chaque
cheval de la cavalerie portait soixante kilogrammes de riz. De
plus, un grand nombre de bêtes de somme chargées de vivres
de toutes sortes, accompagnait nos soldats. Cette lourde
colonne qui avait à traverser un pays encore mal connu
accomplit ce que l'on a appelé « l'expédition de Tagdempt ».
Le jour de son départ de Mostaganem, elle campa à Mesra
(Aboukir) et le 19 à Sidi-Merd'ad (1), sur l'Hillil. Le 20, elle
traversait la Mina et allait prendre position au confluent
de cette rivière avec l'Oued Khelloug.
Après huit jours de marche nos troupes arrivaient devant
Tagdempt. Elles détruisirent ce poste fortifié où l'émir avait
organisé tout un arsenal. Bugeaud revint ensuite à Mascara.
Il y arriva le 30 et y laissa une garnison sous les ordres du
colonel Tempoure. Au lieu d'effectuer ëon retour à Mostaganem
par le, chemin connu d'El-Bordj, la colonne coupa au plus
(1^ Emplacement actuel du village de l'Hillil,
160 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
court par les montagnes des Beni-Chougran. Mais elle trouva
le défilé d'Akbet-Khedda plus pénible à traverser qu'elle ne
pensait. Abd-el-Kader avait en elTet placé là ses meilleurs
tireurs qui firent des trouées dans les rangs de notre arrière-
garde. L'armée coucha le 2 à Bonguirat où elle arriva sans
que les Arabes, découragés par l'insuccès de leurs attaques de
la veille, eussent cherché à l'inquiéter. Le 3 juin, le gouverneur
et sa colonne étaient de retour à Mostaganem. Quatre jours
plus tard, Bugeaud se remettait en campagne, emmenant avec
lui un énorme convoi d'approvisionnements. Il arriva à
Mascara le 10 après avoir suivi une direction qui le fit passer
tout près de la petite ville de Kalàa que ses habitants avaient
abandonnée. Il n'y eut que quelques coups de fusil tirés à
l'arrière-garde. Le 25 juin, après être allé moissonner dans la
plaine de l'Eghris, le corps expéditionnaire revint par ElBordj
à Mostaganem. Il y était de retour le 27, n'ayant eu qu'un
engagement peu sérieux dans la partie montagneuse d'El-Bordj.
Avant de s'embarquer pour Alger, il prescrivit au général
de Lamoricière de conduire à Mascara un nouveau convoi
pour reprendre la moisson. Le 5 juillet, la colonne était à
Mascara, le 6, nos soldats reprenaient la faucille : mais cette
fois, ils furent inquiétés dans leurs travaux par l'ennemi qu'ils
durent repousser. La chaleur était alors très forte ; nos
hommes exténués par la température et la fatigue des marches
avaient besoin de repos. Le 15 juillet, Lamoricière donnait
l'ordre du retour ; àbd-el-Kader et trois de ses lieutenants :
Bon Hamedi, Ben Tami, Miloud ben Arach s'étaient réunis
pour lui disputer la retraite. Après trois jours d'une fusillade
nourrie de part et d'autre, la division arriva le 19 à Mostaganem ;
elle avait eu 106 blesses et 13 morts : « Il ne faut pas se
« dissimuler, écrivait le gouverneur (Bugeaud) au maréchal
« Soult, que les Arabes ayant toujours attaqué et poursuivi
« notre colonne jusqu'à deux lieues de Mostaganem, comp-
« tèrent cela comme une victoire, bien qu'il ne nous aient pas
« fait un prisonnier ni pris un seul cadavre... Ab-del-Kader
« qui est le plus habile menteur du inonde, publiera ce
« prétendu triomphe dans toute l'Algérie, et jusque dans le
« Maroc. »
A cette époque, les Medjeher, tribu alors fort populeuse,
continuaient à faire quelque commerce avec les Français de
Mostaganem. Ils venaient à la ville pour y céder à des prix
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 161
d'ailleurs assez élevés le bétail et les chevaux qu'ils y
amenaient et qu'ils s'étaient procurés à très bon compte dans
les douars de l'intérieur ; de leur côté, ils achetaient à nos
négociants les produits de notre industrie qui pouvaient leur
être utiles. Malgré tous ses efforts, l'émir pouvait créer des
entraves à ce commerce, mais non le supprimer définitivement
comme telle était son idée. D'ailleurs les Medjeher ne
cherchaient pas à rompre complètement avec Abd-el-Kader et
n'y avaient aucun intérêt, car cette situation mixte leur
permettait d'entrer en rapports avec les tribus entièrement
soumises à l'émir, (cependant, ils en vinrent peu à peu à nous
considérer comme leurs seuls maîtres. Une occasion de nous
déclarer soumission pleine et enlière se présenta à eux
lorsqu'une petite tro\ipe, sortie de Mostaganem, parvint à
s'emparer d'un certain Ben Djeloul, ancien agha dés Medjehej"
qu'Abd-el-Kader avait destitué. Il s'était avancé jusqu'à
proximité de la ville accompognéde quelques cavaliers ; quand
on l'eut fait prisonnier, il prétendit que ses intentions étaient
absolument pacifiques et qu'il n'était pas venu dans un autre
but que de déclarer sa tribu sujette de la France. Malgré tous
ses beaux discours, Ben Djeloul fut soupçonné, en raison de
certaines indications fournies sur son compte, d'être venu par
là avec l'idée d'espionner les indigènes de son territoire qui
avaient des relations commerciales avec les Français, et cela
pour se réhabiliter dans l'esprit de l'émir. On traita donc
l'ancien agha comme un prisonnier de guerre. Sa présence
à Mostaganem y attira plusieurs notables des Medjeher qui
protestèrent de l'honnêteté de ses intentions et proposèrent
en même temps de payer sa rançon. Ils avaient naturellement
intérêt à prononcer des paroles propres à nous assurer de leur
soumission et de celle de leur tribu.
Pour .s'assurer du fait, le général Bugeaud qui venait d'arriver
donna ordre de faire avancer quelques troupes jusqu'à Sour-
kel-Mitou, espérant déterminer par celle manisfestation les
Medjeher, à affirmer définitivement les sentiments que leur
prêtaient leurs émissaires. Dans la nuit du 4 au 5 juillet, le
colonel Tempoure quittait Mostaganem et allait prendre posi
tion avec 1,600 hommes à l'endroit indiqué parle Gouverneur.
Mais, à peine au bivouac, au lieu des marques de soumission
qu'il attendait, ce furent des coups de fusil qui l'accueillirent.
Diverses tribus des environs, entre autres les Beni-Zeroual,
162 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
étaient venues à la rescousse, et l'émir avait lui-même envoyé
un escadron de Khiala. Le colonel attaqué de toutes parts avec
vigueur eut beaucoup de peine à soutenir le choc et à repousser
les assaillants : « Le soir même quelques cheikhs des Medjeher
« arrivèrent en secret jusqu'à lui; mais tout en lui laissant
« entrevoir pour l'avenir une soumission qui ne pouvait pas
« Atre immédiate, ils lui conseillèrent de décamper sans retard,
« parce qu'il aurait le lendemain sur les bras tous les Kabyles
« soulevés depuis Ténès jusqu'à Mostaganem. » Le colonel
Tempoure crut sage de suivre cet avis; il leva le camp sans
bruit pendant la nuit et s'empressa de regagner la ville. C'était
un triomphe pour l'émir qui en profita pour venir chez
les Medjeher montrant de bonnes dispositions à notre égard;
il fit trancher quelques têtes de notables et confisquer les biens
de la })lupart d'entre eux.
Cette attitude sévère rendit méfiants d'autres chefs de famille
qui s'étaient montrés favorables à notre politique. Du nombre
de ces derniers étaient Ben Carda, cheikh des Amarnah. Il
craignit pour sa personne et pour ses biens, parmi lesquels un
superbe cheval auquel il tenait beaucoup mais que l'émir lui
enviait ; aussi ce notable vint-il nous ofl'rir sa soumission
accompagné des siens. D'autres fractions des Medjeher ne
tardèrent pas à l'imiter. Dès que Bugeaud eut connaissance
de ces faits, il s'empressa de reprendre le chemin de Mosta-
ganem afin d'y recevoir en personne les hommages de ses
nouveaux alliés. Il présumait voir s'avancer vers lui des
cohortes de fringants cavaliers, mais ses illusions tombèrent en
s'apercevant qu'il n'avait affaire, sauf de rares expressions,
qu'à de misérables laboureurs revêtus de haillons. Il fallut les
nourrir, leur fournir des subsides et même des tentes pour
s'abriter. Ces pauvres g^ns n'abandonnaient la cause d'Abd-el-
Kader que sur les instigations de leurs chefs, seuls en mauvaise
intelligence avec l'émir. On se servit d'eux pour organiser
une sorte de mauvaise milice destinée àgarder un beydeMascara
créé par la fantaisie du Gouverneur. Ce bey était un certain Hadj
Mustapha ouldOthman, qui n'avait d'autres mérites que d'être
le fils d'Othman, ex-bey d'Oran sous les Turcs, et petit-fils de
Mohammed el Kebir. Lamoricière et Bugeaud voulaient l'oppo-
ser comme rival musulman à Abd-el-Kadcr. Ceci se passait
le 9 août 1841. Après quoi, le gou\erneur reprit la route
d'Alger.
DE LA. COMMUNE MIXTE DE LA MINA 163
A Alger, tout le monde s'entretenait des merveilleuses
nouvelles parvenues de Mostaganem. Le brave colonel
Tempoure, avec son imagination gasconne, prodiguait ses
correspondances optimistes: selon lui, toutes les tribus avaient
les yeux tournés vers le bey récemment créé; il citait les
Flitta, les Beni-Zeroual, les Bordjia, les Cheurfa, lesMedjeher;
partout, dans les pays situés sur le Bas-Chélif, la Basse-Mina
et environs, on n'attendait que la venue du bey pour lui
faire acte de soumission. Le colonel écrivait lui même à
Bugeaud et lui disait : « Arrivez au plus vile. Nous irons
« promener notre bey chez toutes les triijus de l'Est, et vous
« réaliserez, j'en suis sûr, ce que je vous disais il y a quelques
« jours, qu'il était téméraire de penser; vous irez, de Mostaga-
« nem à Mascara, de soumissions en soumissions, en passant
(( chez les Flitta, et vous ferez votre jonction avec le général
« Lamoricière au milieu de cette plaine d'Egris, accompagné
« d'un goum d'arabes si puissant, qu'il ne pourra rester aux
« fiers Hachem d'autre parti que la soumission. »
Le général Bugeaud s'était réservé la présentation officielle
du nouveau bey aux populations de l'intérieur. Il lit embar-
quer le 23" de Ligne pour Mostaganem et y arrivait lui-même
le 19 septembre accompagné d'un balaillon de zouaves.
Laissant le général Lamoricière préparer un convoi de
ravitaillement pour Mascara, le gouverneur partait le 21 sep-
tembre à la tète de la fameuse colonne politique. Elle se
composait de 7 bataillons d'infanterie, de 5 escadrons de
chasseurs, 4 de spahis, et 2 sections d'artillerie de montagne.
Avec lui venait le bey El Hadj Mustapha ould Otlunan accom-
pagné de son frère Si Ibrahim, récemment promu khalifa, et
de l'agha El Mezary. Le futur rival d'Abd-el-Kader, devait
pour fasciner les tribus arabes, déployer le luxe éclatant des
anciens pachas. Il était entouré de drapeaux de soie brodée,
d'une nouba à cheval et d'une garde de chaouchs. Le bataillon
turc et la milice indigène complétaient tout cet attirail digne
de paraître au Chàtelct.
Les résultats attendus par Bugeaud furent loin de répondre
à son espoir. Pour donner aux cavaliers de la tribu des
Medjeher le temps de venir rejoindre en foule la colonne en
marche, on mit deux jours à traverser ce territoire qui avait
environ huit lieues de largeur ; à la fin de la seconde journée,
on avait fini par recruter à peu près trois cents mécontents.
164 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
Du 24 au 28, on campa au bivouac de Sidi Bel-Hacel et on
attendit les événements. Personne ne vint. Le gouverneur
commença à douter de la bonne foi des promesses de soumis-
sion qui lui avaient été faites. Cela ressemblait fort peu aux
acclamations qu'il avait augurées des populations venant
saluer leur nouveau bey. Le 28, à onze heures du soir,
l'armée passa la Mina, marcha durant 7 lieues environ, et
arriva à l'aube dans la région montagneuse où s'étaient retirés
les Fiittn et les Oulad Sidi Yahia. Les babita'^ts du Bas-Ghélif
et de la Mina se souvenaient que l'émir leur avait fait payer
trop cher leur première soumission aux Français ; ils ne
s'avançaient plus avec enthousiasme comme ils l'avaient
fait pour le . général Perrégaux en mars 1836. Bugeaud
impatienté lança ses troupes sur les Sidi Yahia ; il y eut
quelques tués, trois cents prisonniers et 2,000 têtes de bétail
capturées. Après cette prise, qui était tout au plus un acte de
brigandage, la colonne politique n'avait pVus de raison d'être
Au lieu de soumission, elle ne trouvait que le vide ou
l'hostilité. Le gouverneur revint donc à Mostaganem où
venait de rentrer la colonne de ravitaillement que Lamoricière
avait conduite à Mascara deux jours après le départ de
Bugeaud, Après avoir versé 45,000 rations dans Mascara, cette
colonne avait été légèrement harcelée au retour.
Le gouverneur céda ses troupes peu fatiguées à Lamoricière
qui se préparait à conduire un nouveau convoi à Mascara.
Avec les hommes de la deuxième division, Bugeaud forma une
colonne qui ne reçut pas cette fois l'appellation de «politique»,
et, sous prétexte de retourner chez les Flitta, il commença
par aller faire une tournée sur l'Oued Hillil pour faire
des études archéologiques sur les ruines de « Ballene
Prœsidium ».
Le 4 octobre, Lamoricière était parti avec sa colonne de
ravitaillement. Quand il arriva au lieu dit Hacian-el-R'omri,
il apprit qu'Abd-el-Kader se trouvait à Aïn-Kebira avec des
forces considérables dans l'intention de lui disputer le passage.
Quelques officiers étaient d'avis qu'il fallait saisir avec
empressement l'occasion de combattre cet adversaire redouta-
ble et jusque là insaisissable, sans trop se préoccuper du
convoi qu'on pouvait facilement parquer et "défendre avec
quelques troupes pendant l'action. Mais la question du convoi
embarrassait précisément le général qui prêtera lui assurer
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 165
une sécurité entière en évitant de se laisser éblouir par
l'espoir d'obtenir seul un succès éclatant, à quelques lieues
de son général en chef. Il abandonna le premier chemin qu'il
se proposait de suivre et obliqua à gauche pour rejoindre
la division du gouverneur. Ce dernier fit opérer la réunion
des deux colonnes sur l'Oued Hillil, dans la nuit du 6 au 7,
Mais on ne put alors compter sur une rencontre avec l'émir,
car ce dernier, en apprenant nos nouvelles opérations,
l'énonça à ses projets d'attaque.
Bugeaud modifia alors la composition des troupes. La moitié
de l'infanterie et toute la cavalerie formèrent un autre corps
dont le gouverneur, ayant le général Lamoricière immédiate-
ment sous ses ordres, se réserva le commandement direct.
Le 7 au soir, l'armée arriva à Aïn-Kebira ; lancée à la
poursuite d'Abd-el-Kader, elle le rejoignit le 8 à El-Bordj.
La cavalerie régulière de l'émir se battit avec la plus grande
bravoure ; enfoncés trois fois, les réguliers revinrent trois fois
à la charge ; mais ils durent enfin nous céder le terrain.
Le 9, le convoi de ravitaillement arrivait à Mascara.
Ce corpsexpéditionnaire rentra le5 novembre àMostaganem
avec le général Bugeaud après une campagne chez les Hachem.
Avant de partir pour Alger où il était de retour le 10, le
gouverneur distribua les commandements de la province de
l'Ouest. Le colonel Tempoure fut appelé à Oran, Bedeau (alors
général) à Mostaganem et Mascara fut réservé au général
Lamoricière. Ce dernier, eut ordre d'y établir sans retard le
quartier général de la division avec 6,000 hommes à poste fixe.
Il partit le 27 novembre de Mostaganem, emmenant avec lui
huit bataillons, une batterie de montagne, et les spahis du
lieutenant-colonel Yusuf. Il était accompagné du khalifa Si
Brahim. Quant au bey, il continuait à résider à Mostaganem.
Lel'-'"' décembre, Lamoricière arrivait à Mascara.'
Sa présence dans cette ville eut pour principal résultat
d'éloigner un peu Mustapha ben Tami et de séparer d'Abd-el-
Kader les tribus situées entre Mascara, Mostaganem et Oran ;
dès lors, ces dernières abandonnées à elles-mêmes, songèrent
à se soumettre.
A ce moment, l'émir quitta sa position de Djediouïa et se
dirigea siir Tlemcen, car à ce moment éclatait la révolte de
Mohammed ben Abdallah. Le général Bedeau (!) quitta aussitôt
(1) C'est le 7 décembre 1841 que Bedeau quitta Mostaganem.
166 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
Mostaganem, pour suivre l'exemple du colonel Tenipoure qui
était parti d'Oran appuyer le mouvement insurrectionnel.
Quand il arriva à l'Habra, il suspendit sa marche un instant
pour écouter les propositions de paix qui venaient lui apporter
les Bordjia de la plaine. Tous offraient de se soumettre
immédiatement : quant à ceux de la montagne, ils hésitaient
encore, ou paraissaient plutôt attendre qu'on se donnât la
peine de les attaquer pour se rendre. On satisfit leur désir en
leur envoyant quelques troupes qui n'eurent d'ailleurs pas à
combattre: la tribu entière fit sa soumission, à condition que
ses cavaliers prendraient rang, comme les Douair et Zmela à
notre solde, parmi les spahis irréguliers. En outre, les Bordjia
sollicitèrent l'a'utoi-isation d'aller prendre possession provisoire
du teri'itoire de Mazagran, afin d'être moins en danger de
supporter des représailles de la part des autres tribus, au cas
où celles-ci ne voudraient pas suivre leur exemple. Le général
satisfit à leurs désirs et renonça à cont'inuer sa route vers
Mohammed ben Abd Allah. Il conduisit et installa lui-même
les Bordjia dans leurs nouveaux campements. Peu après, les
Beni-Chougran, ainsi que toutes les petites tribus à l'Est de
l'Habra firent les mêmes propositions. Les Gharaba, ces
Iladjoutes de la province d'Oran, suivirent bientôt leur
exemple en s'adressant directement au général Bugeaud qui
venait d'arriver à Oran avec l'intention de marcher sur
Tlemcen.
Ces soumissions successives assuraient pour l'avenir les
communications entre Mostaganem et Mascara. Le général
Bedeau en profita pour conduire dans cette dernière ville un
grand convoi de ravitaillement.
Il partit le 25 janvier 1842. La seconde étape fut particulière-
ment pénible pour nos troupes. La pluie qui tombait depuis
plusieurs jours avait transformé en torrents les ravines du
pays. La plaine de Kerkacha, à El-Bomri, où devait passer
le convoi, était en partie submergée par l'Oued Mekhalouf
dont le barrage grossier avait été facilement démoli par les
eaux accumulées : le sol n'était plus qu'un vaste marécage où
il était presque matériellement impossible d'avancer. Les
hommes pataugeaient dans cette boue liquide, maculant leurs
vêtements, leurs armes et leurs provisions ; les mulets qui
s'enfonçaient jusqu'au poitrail s'abattaient à qui mieux mieux ;
c'était un désordre indescriptible, sous une pluie drue et
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 167
incessante. Le convoi tout désorganisé n'avançait qu'avec une
extrême lenteur, et les traînards étaient nombreux. La nuit
arriva sur ces entrefaites et la marche n'en devint que plus
difficile. Les juifs qui suivaient la colonne virent leurs ânes et
leur pacotille engloutis dans ce cloaque. Un soldat avec une
lanterne allumée, guidait seul tout ce monde en se tenant
auprès du général qui marchait en tête.
Enfin, vers 9heures 1/2 du soir, les plus vaillants ari-ivaient
aux puits d'El-Romri. Peu à peu, les compagnies parvinrent à
se former et le bivouac fut établi tant bien que mal. Les
premières bêtes de somme déchargées furent utilisées pour
aller au secours de ceux qui étaient restés enlizés dans la
plaine. Cette malheureuse étape nous fit perdre un officier et
vingt-six hommes, la plupart d'une lièvre intense contractée
dans les marécages où il avait fallu marcher.
La colonne entra le 28 à Mascara et fit son retour à Mosta-
ganem sans incident appréciable.
Les généraux d'Arbouville et Lamoricière firent au printemps
de la même année une petite expédition chez les Hacliem
Cheraga, les Sdama et les Flitta qui avaient des velléités de
s'agiter.
D'Arbouville seconda Bugeaud dans son entreprise consistant
à relier militairement la province d'Alger à celle d'Oran.
Sidi Allai Moubarek et Ben Arach venaient d'attaquer Sidi-el-
Aribi sur le Chélif et l'avaient repoussé vers la Mina. Le
gouverneur profita de l'occasion. Parti de Mostaganem avec
5,000 hommes le 14 mai, il passait le 18 sur la rive droite du
Chélif, mais ne put atteindre dans les contreforts du Dahra les
Beni-Zeroual qu'il voulait châtier. Le 25, il nommait le jeune
Sidi-el-Aribi khalifa de la Mina et du Chélit.
Bugeaud remonta ensuite la vallée du Chélif etinfiigea une
correction méritée à la remuante tribu des Sbéah. Le 30 au
matin, la colonne faisait, au son du canon, sa jonction avec la
division d'Alger partie de Blidi.
Rentré cà Mascara le 18 juin, Lamoricière se remit à la pour-
suite d'Abd-el Kader qui se déroba, alla camper chez les Flitta
el menaça les tribus du Bas-Chélif qui avaient reconnu notre
autorité. Du 22 juin au 5 juillet, Lamoricière fit moissonner les
champs des Flitta. Quant à l'érnir, il chercha à attaquer les
Bordjia; mais il en fut empêché par un mouvement que firent
sur l'Oued HiUil les troupes de la garnison de Mostaganem.
168 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
De retour de l'expédition du Cliélif, le général d'ArJjouville
put à peine laisser quelques jours de repos à ses troupes. Le
18 août, il partait de Mostaganem pour opérer une tournée
chez les Flitta. Il avait avec lui deux bataillons du l^'' de Ligne,
deux bataillons de la Légion étrangère, le ô'' bataillon de
Chasseurs, le bataillon Turc du bey, deux escadrons de
Chasseurs d'Afrique, et le Goum fourni par Sidi-el-Aribi. Au
début tout alla bien. Le 22, la cavalerie et le bataillon Turc
parvinrent à enlever trois mille tètes de bétail aux Oulad Sidi-
Yahia. Les Flitta qui ne tenaient pas à laisser emmener à
Mostaganem leurs troupeaux après avoir vu leurs récoltes
transportées à Mascara sortirent de leur fatalisme insouciant.
Le 30 août, ils attaquèrent avec vigueur notre arrière-garde,
et livrèrent à nos troupes, les 4 et 5 sciptembre, de violents
combats dont l'issue ns fut pas à notre honneur. Obligé de se
replier, et d'ailleurs ayant besoin de se ravitaillei-, le général
d'Arbouville revint à Mostaganem le 7. 'Il y trouva Bugeaud
qui lui reprocha sa conduite, et lui enjoint de se remettre im-
médiatement en campagne. Aussi retourna-t-il chez les Flitta
le 16 septembre avec sa colonne renforcée d'un bataillon du
15'= Léger et de deux escadrons de Spahis que dut lui céder
Lamoricière. Pour faire passer sa mauvaise humeur, d'Arbou-
ville l'avagea le pays durant quarante jours. Informé par le
khalifa des Oulad Sidi Abd-Allah qu'il était menacé dans la
vallée du Chélif, il se rabattit de son côté, en descendant la
vallée de la Djedïouia au débouché de laquelle il eut, le 25, un
petit engagement de cavalerie contre les Sbeih qui avaient de
nouveau pris parti pour l'émir. Il revint ensuite sur la Mina
où s'étaient concentrées plusieurs fractions de tribus soumises.
Il s'arrêta là quelques jours pour attendre les approvisionne-
ments qu'il avait demandés à Mostaganem.
Pendant ce temps, l'émir voyant le général Lamoricière
occupé ailleurs, et d'Arbouville arrêté, se jetait sur la petite
ville d'El-Bordj et l'incendiait pour punir de leur défection les
Bordjia dont ce ):iourg pouvait être considéré alors comme la
capitale.
A la suite de cet événement, l'épouvante se répandit parmi
toutes les tribus soumises. Elles allèrent supplier le général
Lamoricière de les secourir. Mais celui-ci' commença par
se lancer à la poursuite d'Abd-el-Kader jusqu'à Taguin, puis
battit l'émir dans un engagement près de l'Oued Riou.
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 169
Le général B.ugeaud, après avoir pacifié le pays des Beni-
Ouragh, vint, le 22 décembre de la même année, visiter Bel-
Hacel où on avait construit un pont de bois sur la Mina
et élevé une redoute destinée à protéger cet ouvrage.
Tandis que la division d'Alger, sous les ordres de Chan-
garnier, s'avançait dans le Dahra, le gouverneur reprenait le
chemin de Mostaganem d'où il repartait pour Alger. Quant au
général d'Arbouville, il fut bientôt remplacé par le général
Gentil.
Celui-ci débuta dans son commandement de Mostaganem en
conduisant une nouvelle expédition chez les Flitta. Différentes
fractions lui tirent leur soumission, entre autres les Beni-
Dergoun et les Amamra. Il était de retour le 28 décembre
amenant avec lui un grand nombre de prisonniers et de
troupeaux razziés. Mais> l'émir reparaissait bientôt au milieu
même des tribus qui avaient reconnu notre autorité. Après les
Beni-Ouragh et le Dahra, les Flitta ne tardèrent pas à faire
défection .
Le 9 janvier 1843, le général Gentil repartait. Avec deux
cents chasseurs d'Afrique et les goums de Sidi-el-Aribi
qui ava.ent pu seuls traverser le Ghélif, il put débloquer
Mazouna assiégée par les réguliers d'Abd-el-Kader. Il revint
ensuite rapidement rejoindre son infanterie qu'il avait laissée
sur la rive gauche du fleuve.
Le 6 mars, le colonel Géry était en train de construire
un pont de chevalets sur le Ghélif, en amont du confluent de
la Mina, quand les Beni-Zéroual vinrent l'attaquer. Le général
Gentil parvint à soumettre une partie de cette tribu ; il revint
ensuite sur le Ghélif. Le 21 mars, il se trouva chez les Ouled
Khelouf, où le 32" de Ligne, colonel en tête, enleva le marabout
Sidi-Lekhal, défendu par une bande de Cheurfa.
G'est au mois de mai de la même année que notre fidèle
ami, Mustapha ben Ismaël, venant de Tiaret, passa, avec son
maghzen, à travers le pays des Flitta. Il se rendait à Cran.
Une bande de pillards l'attaqua entre Mendez et Zemmorah, et
il tomba frappé d'une balle dans la poitrine. On fit l'hommage
de sa tête à Abd-el-Kader et son corps, que Kaddour ben
Morfi racheta, fut enterré le 29 mai, dans le cimetière musul-
man d'Oran, en présence de toute la garnison rangée sous les
armes.
Le général de Bourjolly qui succéda au général Gentil,
170 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHTQTJE ET HISTORIQUE
quitta Mostaganem le 5 juin et traversa le pays sud de cette
ville pour se rendre au khamis des Beni-Ouragh (Ammi-
Moussa) d'où il ramena trois cents misérables familles maures
qui craignaient, non sans raison, qu'Abd-el-Kader n'usât
envers elles de représailles pour les châtier de leur soumission
à la France.
Le 3 juillet. Bourjolly reparaissait dans la plaine de la Mina
pour corriger une nouvelle fois les Fiitta intraitables. Il avait
avec lui deux bataillons du 32" de Ligne, un de Chasseurs
à pied, un de la Légion étrangère, et enfin les Tirailleurs
indigènes du commandant Bosquet. Le 4, il remporta sur
l'ennemi une brillante victoire à l'emplacement actuel du
village de Zemmorah. Il ne fut de retour à Mostaganem qu'un
mois après, ayant parcouru en tous sens le pays des Fiitta.
Les mêmes opérations dirigées contre cette tribu recommen-
cèrent du 31 août au 22 octobre de la même année, et du
8 avril au 23 mai 1844.
L'année 1844 se termina par la soumission de presque toutes
les tribus situées au sud de Mostaganem, jusqu'au Djebel
Amour. Mais la guerre n'était pas encore terminée.
Après Abd-el-Kader, ce fut Bou Maza, le fameux Moul es Sàa
qui se chargea de nous créer des difficultés. Une nouvelle
insurrection éclata, et les Fiitta ne furent pas les derniers
à répondre à l'appel du révolté du Dahra. Notre khalifa, Sidi-
el-Aribi, se mit aussitôt en campagne avec tous ses goums.
Le 12 avril 1845, le général de Bourjolly partait de Mostaganem,
emmenant le d" bataillon de Chasseurs, deux bataillons
du 32« de Ligne, une compagnie de la Légion étrangère,
le bataillon de Tirailleurs indigènes, deux escadrons de
Chasseurs d'Afrique, et deux obusiersde montagne. Il traversa
les régions méridionales du Dahra, poussant jusqu'à Orléans-
ville où il rejoignit les troupes de Saint Arnaud. Il revint
ensuite désarmer les Cheurfa, les Achacha, et toutes les
tribus insurgées de l'Oued-Biou et de Tiaret. Il poussa jusqu'à
El-Oussekh pour poursuivre l'émir, revint à Tiaret, donna de
nouveau la chasse à Bou Maza, chez les Beni-Ouragh, et
rentra à Mostaganem le 14 juillet, après soixante-trois jours
d'absence.
Pendant ce temps, notre khalifa Sidi-el-Aribi, dont la smala
avait été attaquée par Bou-Maza, avait réussi à infliger une
sanglante défaite à notre ennemi qui laissa 400 morts, trente
DE LA CO;\IMUNE MIXTE DE LA MrNA 171
chevaux, sept prisonniers et deux drapeaux sur le champ de
bataille. Ceci se passait chez les Beni-Zeroual.
Cependant, l'insurrection faisait des progrès rapides. Bientôt
elle s'étendait des Beni-Ouragh aux frontières du Maroc. La
situation é!ait grave. La colonne de Mostaganem reprit la
campagne le 16 septembre 1843. Le 19 elle forçait le défilé de
Tifour et allait s'établir à Ben Atia, sur la Menesfa. Le général
de Bourjolly avait mandé un bataillon de la Légion étrangère
en garnison à Ammi-Moussa; craignant l'attaque de ce renfort
par les Flitta avant son arrivée à Ben Atia, il quitta son camp
le 20, accompagné de la cavalerie, du bataillon de Tirailleurs
et d'un obusier de montagne. Il ne s'était pas trompé dans ses
prévisions. Déjà les Flitta étaient aux prises avec le bataillon
de la Légion et menaçaient de l'écraser. Le général le dégagea
non sans peine, ayant cHx-sept hommes tués ou blessés.
Entouré d'une foule d'indigènes aux dispositions peu favo-
rables, de Bourjolly décida de se rapprocher de Bel-llacel. Il
commença à opérer son mouvement de retraite le 22 septembre.
Aussitôt les Beni-Ouragh et les Flitta se précipitèrent sur
notre arrière-garde composée de Chasseurs d'Orléans. Un
combat corps à corps s'engagea et les Tirailleurs parvinrent
difficilement à repousser l'ennemi et à dégager l'arrière-garde.
La lutte reprit d'ailleurs un peu après plus acharnée que
jamais et dura six heures après lesquelles la colonne put gagner
Touiza chez les Beni-Dergoun. Le 2.3, elle y séjourna et ne
leva le camp que le 24 pour se diriger sur Belizane. Pendant
cette marche, des engagements très vifs eurent lieu à l'arrière-
garde. Les insurgés essayaient surtout de la séparer complète-
ment du gros des troupes pour pouvoir l'anéantir ensuite.
La colonne arriva enfin sur la Mina, toujours combattant,
escortée par plus de 2,000 Flitta.
Le général dirigea tout de suite ses nombreux blessés sur
Bel-Hacel avec les chasseurs d'Afrique comme escorte. Quant
à l'infanterie, elle se retrancha près du barrage de la rivière (1).
Les Flitta usèrent alors d'un nouvel artifice. Ils mirent le feu
aux chaumes et aux herbes desséchées de la plaine. Le vent
développa rapidement l'incendie. Vers 6 heures du soir, les
flammes léchaient nos retranchements d'avant-postes, et nos
ennemis, masqués parla fumée, faisaient pleuvoir sur le camp
(1) Sur l'emplacement actuel de la briquettei-ie Caldairou,
172 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
une grêle de balles. Pour être prêts à toute éventualité, nos
soldats abattirent les tentes, s'équipèrent comme pour un départ
et chargèrent les bêtes de somme. Cependant, des escouades
de travailleurs énergiques parvinrent, après deux heures
d'efforts, à se rendre maître du feu, et à préserver le camp de
rincendie.
Pendant la nuit, la cavalerie revint de Bel-Hacel, apportant
des vivres et des munitions.
Du 24 au 30 septembre, la colonne séjourna à Pielizane.
Cependant, Bon Maza, accompagné de nombreu.x contingents
de révoltés, s'était avancé vers le Chélif et avait pillé quelques
douars de notre khalifa Sidi-el-Aribi. Le général, en apprenant
la nouvelle, se porta vers Bel-Hacel. La cavalerie, ayant à sa
tête le colonel Tartas, protégeait la droite de la colonne. Ayant
passé à portée de Bou-Maza, de Bourjolly le fit charger par
les cavaliers de Sidi-el-Aribi et les deux cents chasseurs
d'Afrique du colonel Tartas. L'ennemi fut bien vite dispersé ;
on lui tua quelques hommes et on lui reprit le butin qu'il
venait de faire. Le 15 octobre, tandis que le général attendait
à Bel-Hacel les renforts demandés, Bou Maza eut l'habileté de
se glisser jusque sous les murs de Mostaganem et d'enlever le
troupeau de la garnison. Il comptait sans le colonel Mellinet
qui le poursuivit et dut d'ailleurs reculer devant le nombre
des Arabes qui défendaient le butin.
Cependant, le colonel Géry qui commandait à Mascara, en
apprenant la nouvelle prise d'armes des Flitia, s'était mis en
marche pour aller aider le général de Bourjolly ; attaqué par
les insurgés à Tiliouanet, il les avait battus. Mais sachant que
la révolte gagnait ses derrières, il dut revenir sur ses pas, et
concentrer les détachements qu'il avait disséminés pour
exécuter des travaux de routes. H se dirigea ensuite sur
Kalàa qu'il mit à sac pour la punir d'avoir pris les armes en
faveur de Bou-Maza II alla également châtier les Khermanza
pour le même motif et leur enleva trois de leurs marabouts
fauteurs de désordre.
Le 28 octobre, la. colonne d'Orléansville rejoignait celle de
Mostaganem à Bel-Hacel ; de Bourjolly reprenait immédiate-
ment l'offensive et pénétrait cette fois en plein cœur de la
région des Flitta.
Pélissier qui succéda au précédent fit, pendant l'année 1846
deux promenades militaires chez les Flitta, aux mois de juin
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA. MINA 173
et d'octobre, etsut rétablir l'ordre partout où il n'avait pas été
observé jusqu'alors. La visite qu'il leur fit encore en mars et
avril 1847 s'elïectua égalem3nt sans aucun incident. La
pacification du pays était définitivement faite. On peut
considérer ici l'histoire militaire de cette région comme
terminée ; cependmt, un fait de guerre reste encore à
signaler : c'est la révolte des Flitta en 186i.
On était fort loin de penser à une nouvelle insurrection en
Algérie ; aussi avait-on dégarni notre colonie d'une bonne
pai'tie de ses ti'oupes pour les envoyer au Mexique. Cependant,
dès 1863. certains bruits couraient au sujet de la création d'un
royaume arabe sous la gérance d'Abd-el-Kader. Ces bruits,
propagés par la malveillance, avaient trouvé non seulement
des européens assez stupides pour les croire, mais encore des
indigènes qui y ajoutaie'nt une foi naïve mais dangereuse. Il
arriva même que, certains d'entre eux à qui on avait enlevé
des terrains pour la création du village de Bouguiiat (à
28 kilomètres Sud de Mostaganem) crurent facilement à un
bruit qui satisfaisait si bien leurs intérêts ; aussi envahirent-ils
avec leurs troupeaux le territoire destiné à la colonisation ; ils
n'en voulaient pas sortir disant que telle était la volonté de
l'Empereur. Il y eut un léger conflit qui provoqua 10 arresta-
tions.
Après l'assassinat de Beauprétre et l'insurrection du Sud de
l'Oranie, la trahison et la défection des Flitta survinrent : le
cercle d'Ammi-Moussa se souleva et le Dahra devint menaçant.
Le colonel Lapasset commandait alors la subdivision de Mosta-
ganem. Il réussit à former une petite colonne de 820 hommes
pour aller surveiller les Flitta qui se préparaient ouvertement à
la guerre sainte, imitant en cela la tribu des Harar qui s'était
jointe au chef des insurgés. Si Mohammed. Le 8 mai, Lapasset
était à Tiaret ; remplacé par le général Martineau, il reprit la
route de Relizane. Sa marche fut interrompue par des combats
avec Si-Lazereg qui avait juré l'anéantissement de la petite
colonne. Celle-ci, constamment harcelée par l'ennemi, dès sa
sortie de Tiaret, arriva sur la soir chez les Anatra, au bivouac
de Mejnem el Gaïla. A minuit, elle repartit et à 7 heures du
matin, elle arrivait à Relizane (laissant derrière elle le pays
des Flitta" en pleine insurrection). Là, les fermes étaient
évacuées, les hommes sous les armes, les femmes et les enfants
dans le fortin, Lapasset renvoya chacun chez soi, en répondant
iâ
174 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
de la situation. Il partit ensuite (nuit du 15 au 16 mai)
débloquer le bordj de Zeminorah. Il se prépara ensuite à
défendre Reiizane. Le village était ouvert à tous les vents. On
y organisa un système de maisons crénelées fournissant des
feux croisés sous toutes les faces. On arma d'obusiers le fortin
et quelques ouvrages qui avaient été élevés à la hâte. Jour et
nuit, deux goums veillaient, l'un sur la route de Zemmorah,
l'autre chez les Hassasna. Ils avaient pour mission de donner
l'alarme au cas oii l'ennemi apparaîtrait dans la plaine et de
surveiller la conservation des communications électriques. Les
villages, sur la route de Mostaganem, furent munis de moyens
de défense. Ma'gré cette sécuiité apparente, les juifs de
Reiizane et quelques européens abandonnèrent ce centre pour
aller se réfugier à Mostaganem oii on commençait à être
inquiet de la tournure que prenaient les choses.
Des renforts venus d'Oran etdes troupes envoyées de France
et commandées par le général Roze arrivèrent bientôt à
Reiizane. Le 29 mai, le colonel laissait la garde du village à
un bataillon du 82'"" de Ligne et se remettait en campagne.
Sa colonne était forte de2,500hommes. Il alla prendre position
sur l'Oued- Riou.
Pendant ce temps, l'enneuii s'avançait. Le 30, il vint camper,
Si-Lazereg en tête, à Ras-el-Anceur, près de Zemmorah.
Le lendemain, trois cents cavaliers venaient surprendre
Reiizane.
Les insurgés se présentèrent au Sud de cette localité, mais,
apercevant le bataillon du 82'= de Ligne concentré sur le plateau
auquel est adossé le village, ils passèrent la Mina. On tira
quelques coups de canon du fortin, mais la troupe ne s'opposa
pas à la inarche des ennemis. Bientôt, toute la plaine de la
Mina jusqu'à Glinchant, fut envahie. Les fermes isolées furent
pillées et leurs habitants massacrés. Pour achever leur œuvre
de destruction, les Flitta incendièrent les meules de paille
et de fourrage et les récoltes sur pied.
Le général Roze avait quitté Mostaganem le 29 mai.
Le 1'-''" juin, tandis que les révoltés ravageaient la plaine et
assassinaient nos colons, il arrivait tranquillement à Reiizane. Il
y séjourna le 2. Le 5, 11 eut un engagement très vif avec, les
Flitta sur la Menesfa. La victoire fut pour lui et l'ennemi y
perdit son chef Si-Lazereg.
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 175
Le colonel Lapasset revint à Pvelizane à la Ihi du mois de juin.
Avec le génércd Deligny, il se rendit le 3 juillet au camp du
général Roze où étaient réunies toutes les djem.'ias des Flitta.
Après leur avoir reproclié leur infâme trahison, il leur dicta
les conditions de 1' « Aman ».
Cet apaisement ne fut pas de longue durée. Si-Lazereg étant
mort, son successeur Abd-el-Aziz se rendit à Zemmorah.
Quanta Si Mohammed ould Hamza, il était en fuite. Mais les
indigènes avaient peu foi au calme et ne laissaient pas
de se montrer arrogants à Relizane et aux environs de
Mostaganem.
Le 31 juillet, le colonel Lapasset se relr(juvaità Sidi-Moham-
med-ben-Aouda, le 3 août, A Si-Djilali-ben-Amar, le 4 août à
Ain-Medroussa ; il opéra ensuite dans les territoires au Sud
d'Ammi-Moussa, jusqu'à Guedel (entre l'Ouaiensenis et
Tiaret). Le 25 décembre 1861-, tout était fini. La seconde
colonne de Mostaganem fut dissoute. Formée le 30 juillet à
Relizane, au moment où l'ennenn se disposait à pénétrer dans
le Tell par le bassin de la Mina, elle empêcha, en se portant à
Medroussa, la réalisation d'un projet qui eut étendu l'insur-
rection.
Le voyage de Napoléon III en Algérie suivit de près les
insurrections de la province d'Oran. Le 2U mai 18(35 il était à
Mostaganem et le 24, il daignait honorer de sa visite le centre
de Relizane. Nous tenons h reproduire ici le texte même de
Pharaon, l'historiographe de l'Empereur (relatant les faits
avec la partialité qu'il convenait à un courtisan), quitte à
remettre ensuite les choses à leur point exact.
(( Le lendemain, 'il mai, Sa Majesté quittait Mostaganem à
« huit heures du matin pour aller visiter le centre agricole de
« Relizane qui fut créé le 24 juillet 1857, et qui/dans le court
« espace de huit années, s'est transformé en une petite ville
« florissante.
« Sur tout le parcours, Sa Majesté fut alternativement
« acclamé par les colons dont les villages sont échelonnés
« sur la route, et par les Arabes qui étaient venus établir leurs
« douars sur le bord du chemin pour le saluer. Une scène
« émouvante attendait l'Empereur aux portes de Relizane ;
« au moment où sa Majesté arrivait, sa voiture fut inopinément
176 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
« entourée par pins de 10,000 Arabes, qui se ruèrent jusque
« sous les roues c'a la calèche, et la séparèrent complètement
(i de sa suite et de l'escorte d'honneur. Une pareille scène ne
« peut se décrire; toute cette population, hommes, femmes,
« vieillards, enfants, la tête nue (sic) en signe de soumission (?)
« tendaient les bras vers l'Empereur, et de ces milliers de
« poitrines, sortait le même cri : Grâce (!).
« Cette forte et puissante population arabe était courbée
« tout entière devant le souverain, et cette manifestation qui
a restera unique (?) dans l'histoire avait un cachet grandiose
(I que la plume ne saurait reproduire. Le premier moment de
« tumulte passé. Sa Majesté parvint non sans peine à savoir
« ce que voulaient ces vieillards à barbe blanche, ces femmes
« éplorées, ces enfant*, ces ro^'ustes guerriers dans l'attitude
« de la soumission et de la prière (?)
« C'étaient les membres de la confédéi-alion des Flitta,
« composée de 19 tribus, qui venaient implorer la grâce de
« leurs frères internés en Corse à la suite de la dernière
« insurrection. La scène était touchante (!). L'Empereur,
« entouré seulement de Son Excellence le maréchal de Mac-
« Mahon, du général Fleury, et du général Deligny, se trouvait
« complètement isolé au milieu de cette population en pleurs :
« dans leur langage pittoresque de l'Orient, les Arabes protes-
« tèrent de leur .dévouement futur, s'offrant comme otages à
« la parole donnée.
« L'Empereur visiblement ému par cette scène de désolation,
« fit immédiatement appeler Sidi-el-Aribi, khalifa de cette
« puissante confédération, et tint un instant conseil au milieu
« du tumulte. Pendant tout le temps que Sa Majestée mit à
a s'éclairer sur la part que ces tribus avaient prise à
« l'insurrection, les Flitta manifestaient comme ils pouvaient
« par leurs cris, par leur attitude, par leurs gestes, leurs
a promesses d'éternelle soumission. Rien ne saurait décrire
« l'enthousiasme qui se manifesta, lorsque les paroles d'oubli
« et de pardon tombées des lèvres impériales leur furent
« transmises par leur chef Sidi-el-Aribi ; les Flittas éclatèrent
« en actions de grâces (?), les femmes déchiraient l'air de leurs
« touloiiil (1) aigus : c'était la débauche de la joie, le délire de
(i; Cs soQt les I you you » des l'emnes arabes, cf. l'assouaauca de ce
mot avec le latin « kuhdare ».
DE LA. COMMUNE MIXTE DE LA MINA 177
« l'enthousiasme (!), les uns se prosternaient le front contre
a terre, les autres cherchaient à baiser les pans de vêtements
« de l'Empereur et des officiers généraux dont il était accom-
0 pagné. Ce fut à grand'peine que le piqueur de Sa Majesté
« put ouvrir un passage à la voiture impériale qui fut obligée
« de traverser au petit pas la ville de Relizane.
« Après avoir visité le barrage établi sur la Min.-i, dont les
« eaux ainsi retenues fertilisent vingt-cinq mille hectares de
0 cultures industrielles, et s'être fait rendre un compte exact
« de l'état de la colonisation, Sa Majesté reprenait la route de
« Mostaganem, où elle arriva à 6 heures du soir, après
« avoir fourni une course de trente-quatre lieues dans sa
(( journée.
(( Le soir, elle réutiissait à sa table les autorités civiles,
« militaires et indigènes, et tandis que les habitants de
« Mostaganem faisaient éclater leur entliousiasme autour de la
« résidence impériale, des scènes touchantes se passaient sous
« les tentes des Flitta. Les familles arabes réunies exaltaient
« la générosité du Sultan, et le nom de Napoléon III volait de
« bouche en bouche au milieu des bénédictions de tous ; toute
« la nuit, les indigènes se visitèrent les uns les autres pour
« se féliciter de l'heureux événement, et les seules victimes de
(I cette joie universelle furent les moutons égorgés pour
« célébrer la magnanimité du souverain.
« Le lendemain matin, à 10 heures, S. M. Napoléon III
« s'embarquait pour Alger au milieu des acclamations de la
« population de Mostaganem, et les cris de « Vivel'Empereur !»
« qui sortaient des bouches européennes, avaient un écho
« dans tous les cœurs arabes. L'acte de la veille n'avait fait
« que grandir, et les indigènes avaient ajouté au nom de
« Napoléon III celui de El Kerim « le Généreux- 1 »
Ce qui précède est la vérité travestie purement et simple-
ment. Le chroniqueur de l'Empereur au lieu dépasser les faits
sous silence a cru devoir les transformer en leur donnant une
tournure toute à l'honneur de son maître, dans l'espoir que la
postérité, portée à croire facilement aux actes glorieux (hi
temps passé, accueillerait ce récit avec la même foi que tant
d'autres erreurs et mensonges historiques. En réalité, quand
Napoléon III arriva à Relizane, il y trouva près de vingt mille
indigènes hommes, femmes et enfants accourus à la suile des
178 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
goums commandés par Tautorité militaire. On avait fait à
ces derniers d'allécliantes promesses, probablement l'assurance
d'une distribution de subsides ou de grains, s'ils criaient
bien fort « Vive l'Empereur » et s'ils amenaient beaucoup
de monde pour acclamer le souverain. Il y avait, en outre, de
nombreux parents et amis d'individus condamnés pendant les
récentes insurreclions, et qui comptaient demander la grâce
des prisonniers. Enfin, il y avait la tourbe tumultueuse des
curieux et des fauteurs de désordres qui complétait le tout.
Des clameurs discordantes accueillirent Napoléon à son
arrivée. Toute cette foule de miséreux descendus de la
montagne, venus d'un peu de tous les points du territoire des
Flitta, se massait autour de la voiture impériale et de son
escorte, les uns hurlant « Bibe l'Amprou ! Bibe l'Amprou ! » (.1)
d'autres criant des choses incompréhensibles dans leur
langage rude, tous cherchant à se rapproeher de l'Empereur
avec des intentions plus ou moins honnêtes. En somme, les
goums étaient insuffisants pour s'opposer à un coup de main,
et rien n'empêchait cette masse d'indigènes de faire prisonnier
le souverain et de l'emmener dans leurs montagnes avec
son Etat-Major. Je me suis laissé dire par de vieux arabes que
telle était bien l'intention de certains manifestants, et s'ils ne
purent mettre leurs projets à exécution, c'est grâce à la
présence d'esprit de l'entourage de l'empereur. La foule en se
bousculant menaçait de déborder la garde de cavaliers et
d'envahir la calèche impériale. Pris de frayeur. Napoléon fit
signe à son trésorier particulier qui se trouvait derrière lui,
dans une autre voiture, avec des cassettes contenant une
somme assez forte. Aussitôt pièces d'argent et d'or tombèrent
en pluie sur la cohue, jetées à pleine mains par le trésorier et
un des généraux de la suite. Les Arabes se précipitèrent alors
sui' le sol pour y recueillir la précieuse aubaine, et c'est sans
doute là ce que Pharaon a pris pour des prosternations
humiliées. En fait d'acclamations, il n'y eut surtout que des
cris incohérents et « l'attitude soumise » se traduisit par des
gestes de sauvages, des gambades de gens satisfaits de se voir
accorder une aumône par le chef de ceux qui leur avaient pris
leurs trou|icaux. Au lieu de s'arrèler à la halle au.s grains,
(1) >< Vive rFJiiipereur ! Vive rKinpereur ! ».
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 179
transformée eh salle de réception, l'Empereur qui n'avait
aucune envie de rester dans un lieu où les marques de
sympathie s'affichaient avec un enthousiasme évidemment
exagéré, ne se donna pas la peine de visiter ni barrage ni
quoi que ce soit. Il donna ordre de fouetter les chevaux et de
s'enfuir à toute vitesse. Le soir, les douars alentours fêtèrent
la venue de « l'Ambrou » avec ses écus et ses louis, les feux
des méchouis éclairèrent la plaine en souvenir du passage
d'un prince qui savait si généreusement distribuer les fonds
de sa casselte secrète ; et, si un sentiment quelconque poussa
les indigènes à se féliciter de la visite de l'Empereur, ce fut la
reconnaissance du ventre !
Ici se termine la chronique des événements historiques qui
eurent pour champ d'c\ction le territoire de la commune nhxte
de la Mina et ses environs immédiats. Il nous reste à voir
maintenant l'histoire de ses divisions administratives jus-
qu'aux plus récentes organisations et celle de chaque tribu en
particulier.
180
MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
DIVISIONS ADMINISTRATIVES DE L'ORAME
Les premicres années de U Conquête fi^inçaise
Jièui.aw de
ajieni
{Extrait d'une carte publiée m iSfj)
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA ML\A 181
PARTIE ADMINISTRATIVE & ÉCONOMIQUE
Chapitre I'-. — HISTORIQUE DES DIVISIONS
ADMINISTRATIVES DU PAYS
Vers 1600, au moment où la conquête turque venait
d'étendre son niveau sur les deux races du pays, la plupart des
massifs montagneux se trouvaient encore au pouvoir des Ber-
bères. Les plaines avaient été envahies et dé\astées par les Arabes
Quant aux villes i! en restait très peu : abandonnées par leurs
habitants, presque toutes tombaient en ruines. Peu à peu, les
races "berbères s'arabisèrent; au XVlIi^ siècle, les Hoouara
seuls parlaient la zenatia qu'ils abandonnèrent bientôt pour
adopter la langue arabe. Les villes ruinées qui restaient étaient
Girat, dans la plaine du même nom ; Taguelmimt, dont les
ruines se voient encore non loin de Fornaka; El-Bet'ha, sur la
Mina, à 4 ou 5 lieues de son confluent avec le Chélif ;
El-R'ed la ou El-R'etclia, dont il reste encore quelques traces
près du centre de Clinchant ; Tahlil, dans la plaine de l'Hillil ;
Sidi-Mer'dad, sur l'emplacement du village de l'Hillil ; Kalàa
et quelques bourgs sans importance de la montagne. Il ne reste
plus rien aujourd'hui, à part Kalàa, de ces cités dont
quelques-unes furent florissantes, entre autres El Bet'ha
et El-R'edda. .\ïn-es-Sefsif et Ilel, villes éphémères, sont
aussi à mentionner.
Les Beni-Rached ayant quitté la région de Kalàa pour aller
s'installer aux environs d'Orléansville, les Hoouara de la
région montagneuse formèrent seuls un noyau berbère
compact qui resta relativement assez longtemps à contracter
des alliances sanguines avec les tribus arabes d'alentour.
Nous aurons plus loin l'occasion de signaler les autres tribus
renfermant des éléments berbères.
Peu après notre arrivée dans la province d'Oran, nous
fournîmes, on le sait, l'occasion à un jeune agitateur, le
fameux Abdel-Kader, de devenir le souverain musulman de
tout le pays. Tout en formant ses troupes de réguliers, il
organisait les subdivisions administratives de ses Etats, suivant
182 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
pour cela dans une ceiiaine mesure les i-ègles déjà adoptées
par les Turcs consistant à former autant de circonscriptions
qu'il y avait de tribus d'origines différentes.
Mascara fut naturellement la capitale du Cherg, c'est-à-dire
de l'arrondissement de l'Est. Ce khalifa ou beylik de Mascara
se subdivisait en 7 aghaliks :
1" Aglialik des Gharaba ; 2" Aghalik des Medjeher ; 3'^ les
Hachein Gtiaraba ; 4" les llachem Cheraga; 5° les Flitta ; G» les
Sdarna ; 7" le Cherg proprement dit.
L'aghalik des Gharaba, celui des Medjeher et celui des
Flitta doivent seuls nous intéresser, car seuls ils ont contribué
à la formation de la commune-mixte de la Mina.
Le district des Gharaba devait son nom à la tribu des
Gharaba qui était la plus considérable de cette circonscription
territoriale, et la seule qui ait la possibilité de lui fournir
des aghas. Il était limité, au Nord par les possessions françaises
(en 1837), la mer et l'aghalik des Medjeher ; à l'Ouest par les
Béni Ameur; au Sud par les Hacheni Cheragha et Gharaba; à
l'Est par les Flitta et l'aghalik du Cherg. Il comprenait
15 tribus : Les Gharaba, les Abid Cheraga, les Beni-R'eddou,
les Sedj'rara, lés Beni-Chougran, les Oulad Sidi Daho, les
Oulad Riah', les Akerma Gharaba, les Guerboussa, les Sahari,
El Ketarnia, Bathn el Oued, Chareb er Rih', El Mekan, El
Maafit et trois Bourgades : El Bordj, Kalàa, TiUouanet.
Les Bordjia faisaient partie de la tribu des Gharaba, ou du
moins une certaine partie des tribus qui se trouvaient sous
leur dépendance quand l'émir les dispersa pour avoir suivi
Mustapha ben Tsmaël lors de re."cpédition du général Perrégaux.
Les Bordjia comptaient autrefois parmi les meilleurs soutiens
de la puissance turque et occupaient le pays compris entre les
Gharaba, les Abid Cheraga, les Bcni-Gheddou, les Beni-
Chougran et El Bordj, c'est-à-dire la plaine de Sirat et une
partie de celle de l'Habra. Ils pouvaient fournir alors plus de
mille chevaux et de mille fantassins. Mais dès 1838, dispersés
par Abd-el-Kader, ils se répartirent entre la tribu des Gharaba
et celle des Hachem Cheraga. Deux fractions, celle des Adjouala
et celle des Azzaraqui leur étaient soumises au temps de leur
puissance firent ensuite partie de la tribu dés Gharaba. Un
noyau compact de Bordjia est demeuré dans la région de Ahl
el Haciane (Fornaka) et roccu[)e encore de nos jours, alors
DE LA. COMMUNE MIXTE DE LA MINA 183
qu'il est venu s'y implanter depuis quatre siècles déjà, ayant
quitté les environs immédiats d'El-Bordj. On a pu voir
antérieurement quelle part a pris cette tribu dans le mouve-
ment progressif de la soumission générale du pays qui suivit
les premières luttes laites pour le compte d'Abd-el-Kader. (1)
Les Beni-Ifeddou occupaient la légion de Haciane el R'omri
et la plaine s'éteniant depuis le marabout de Den Sebna (sur
rOued Malah) jusqu'à la plaine du Sersour, au Sud du lieu dit
Sidi-Clierf. Cette tribu était d'origine berbère. Elle habita
longtemps la ville d'El R'edda ou El Retcha dont il a été parlé
plus haut située sur l'emplacement actuel du centre de
Clinchant. Elle s'installa ensuite sur le territoire qui forme
aujourd'hui les douars-communes de Sidi Sàadaet d'El-Romri
car lesSoueïd (vers le XIV>; siècle) la dépossédèrent de sa ville
et de ses terres. Elle bâtit une nouvelle ville à Sidi Mer'dad,
sur l'emplacementactuel duvillage de l'Hillil. Les Beui R'eddou
ont contracté depuis de nombreuses alliances avec les Arabes
des environs ; mais le type berbère domine chez eux et avec
lui,- les qualités et les défauts de cette race. Ils affirment avoir
pour auteur commun le grand marabout Sidi Sàada qui
acquit tant de renommée en l'an 1000 de notre ère. Mais cette
prétention est sujette à caution et n'est établie par aucun
document. A l'époque d'Abd-el-Kader, tous leurs fantassins
étaient enrôlés dans l'infanterie régulière de l'émir. Ils furent
longtemps en guerre avec les Medjeher dont ils triomphaient
souvent. Il y eut une époque où ils furent riches en céréales
et en troupeaux, mais ils ont perdu peu à peu ces signes
distinctifs de l'opulence chez les indigènes et sont devenus
quelque peu misérables.
Les Akenna Gharaba possédaient la région s'étendant depuis
le pied de la montagne de Kalàa, jusqu'à la plain.e du Sersou
et jusqu'auprès de Madar. Ils campaient de préférence sur
l'Oued Hillil. Ils prétendent descendre d'Akeram, issu de l'un
des apôtres du prophète, qui vint s'établir dans la plaine de
l'Hillil vers l'année 0:)8. A cette époque, il y avait dans cette
même plaine une ville (dont il reste quelques vestiges) qui
avait été fondée par les Maghraoua: c'était Tahlil. Sous la
domination turque, les .Akernia Gharaba fournissaient un
contingent de iô cavaliei's qui devaient assurer la police du
(1) Les Bordjia sont a.;,'ricultears et pasteurs.
184 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
pays. Ils ont fait leur soumission en 1841 et furent placés à
cette époque sous les ordres de l'agha El Mezary. Ils firent
défection quelque temps quand parut Bou Maza, mais revinrent
vite à nous quand on eut réduit au silence l'insurgé du Dahra.
Cette tribu se consacre surtout à l'élevage des troupeaux.
Les Guerboitssa dont le nom est resté au douar-comumne
situé sur le même territoire, occupaient en 1837 la région Sud
et Est deTiliouanet qu'ils occupent encore. Là, se trouve une
forêt qui porte leur nom ; on y remarque des thuyas et des
chênes. Le sol non forestier est aride, et, partout, les habitants
ne peuvent être que très pauvres.
Les Sahari. occupaient, en temps d'Abd-el-Kader, le pays
fertile et bien arrosé situé sur le continent de la Mina et de
l'Hillil. Ils étaient autrefois réunis à la tribu magzen des
Mehall et faisaient partie des Flitta. Les Turcs leur avaient
donné pour mission d'assurer les com<nunications avec la
province d'Alger ut de contenir les Dahra et les Flitta. Ils
allèrent, en 1835, présenter leur soumission au général
Perrégaux. Mais ils furent obligés bientôt de se retourner vers
Abd-el-Kader. En 1842, ils se soumirent au général d'Arbou-
ville et restèrent depuis dans le devoir.
La petite tribu d'El-Melian campait dans la plaine de la
Mina, sur les bords de la rivière, près des Sahari. Elle n'était
formée que de deux pauvres douars et ne possédait même pas
de troupeaux.
La tribu des MaafU occupait la petite colline appelée
Tamakrest, à une lieue et demie au Sud du conlluent du
Chélif et de la Mina et à une lieue de la Mina. Elle possédait
de nombreux troupeaux.
Kalâa est située à 7 lieues Est de Mascara et à 2 lieues et
demie d'El-Bordj, sur le versant Nord d'une montagne qui se
trouve entre les deux sources de l'Oued llallil. Adossée en
gradins sur des roches qui surplombent l'Oued Kalàa, la
position de cette ville est fort pittoresque. Suspendue pour
ainsi dire au tlanc de la montagne abrupte dite Djebel Berber,
elle a été plusieurs fois ruinée par les tremblements de terre
assez fréquents dans la région. Le chaos du sile n'en rend que
plus originale cette bourgade entièrement indigène que la
civilisation française n'a pas encore envahie. Jadis, cette petite
ville, par suite de sa position inexpugnable, joua un rôle dans
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MtNA 185
les guerres de tribus sous le nom de Kalàa des Béni Rached.
Elle avait été fondée, ainsi que nous l'avons vu, au 6-= siècle
de l'hégire par Mohammed ben Ishak de la grande tribu des
Hoouara ; c'est pourquoi elle fut d'abord appelée Kalât
Iloouara. Elle tomba, comme le pays sur laquelle elle était
située au pouvoir de la tribu zenatienne des Béni Rached
venue du Djebel Amour ; puis sous la domination des rois de
Tlemcen, enfin sous celle des Mehal, conduits par Ahmed el
Abd. On sait avec quelle énergie les Turcs d'Aroudj suppor-
tèrent, en 1517, le siège de Dom Martin d'Argote. Les
Espagnols ne gardèrent pas longtemps la ville qui retomba
peu de temps après sous îa domination des beys d'Alger.
En ll'.iG, le bey Mustapha bou Chclaghem agrandit Kalàa et
y lit construire une mosquée, qui a d'ailleurs été détruite par
le tremblement de terre de 1887 (29 novembre).
Les beys et les hauts fonctionnaires turcs d'Alger qui étaient
disgraciés et se sentaient généralement menacés de ne pas
survivre à leur disgrâce, avaient à Kalàa un lieu de refuge
tout trouvé ; et plusieurs migrations de familles turques
motivées par l'insécurité vinrent à diverses reprises peupler la
petite ville d'habitants nouveaux. La population issue de ces
émigrés et des familles des janissaires na pour ainsi dire pas
de sang arabe dans les veines et se trouve être, sauf de très
rares exceptions, de race turque. Il y a lieu d'insister sur ce
point, car les femmes d'origine turque ou koulouglie ont une
aptitude spéciale pour le tissage ou la fabrication des tapis.
Avant la conquête, la population entière de Kalàa se livrait à
l'agriculture et à l'industrie. L'agriculture était pratiquée dans
la plaine de Semmar, distante de 2 à 3 kilomètres de Kalàa.
Les industriels fabriquaient du savon mou ou tissaient des
tapis qui rivalisaient avec ceux du Maroc et de l'Orient.
Pendant la conquête, Kalàa n'a fait cause commune ni avec la
France, ni avec Abd-el-Ivader. Elle a observé la neutralité : ce
qui lui a valu plusieurs attaques de l'émir. Quant aux Arabes
qui ont poursuivi les troupes françaises passant auprès de
cette ville, pendant que Mostaganem ravitaillait Mascara, ils
appartenaient aux réguliers d'Abd-el-Kader. Vers 1838, cette
bourgade, qui n'avait même pas de murs d'enceinte, se
composait de 200 à 250 maisons. Un marché s'y tenait tous
les samedis.
Après la conquête, les savonneries primitives de Kalàa
186 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
tombèrent, ne pouvant rivaliser avec les savonneries françaises.
Quant à l'agriculture, il n'y a plus, dans la p'aine de Seminar,
qu'une dizaine de propriétaires qui soient originaires de Kalàa.
La ville fournissant en moyenne une quarantaine de journa-
liers à ces fermiers, que peuvent faire les autres habitants ?
Ils ne peuvent s'employer chez des Français cur il n'y en
a ni dans la ville ni dans les environs ; aussi, plusieurs
d'entre eux émigrenl-ils vers le Sud et se font colporteurs.
On les voit errer une partie de l'année dans le Sud oranais,
jusque près du Gourara, d'où ils reviennent avec un léger
bénéfice. D'autres continuent à se livrer à la fabrication
des tapis. Nous aurons l'occasion de reparler de cette
industrie.
On sait que des dictons arabes satyriques, œuvre anonyme
et collective, circulent de bouche en bouche parmi les indigènes
des provinces d'Oran et d'Alger, et sont attribués à un certain
marabout Ahmed beh Yousef. Son vrai nom est « Sidi Ahmed
ben Yousef Morini el Hoouari er Rach'idi (1). » Il naquit à
Kalàa, au 9'- siècle de l'hégire. Il appartenait, comme son nom
l'indique, à la famille des Béni Merin qui faisaient parlie de la
grande famille berbère des Hoouara. Les biographes lui ont
attribué une noblesse religieuse et lui ont fabriqué une géné-
ration, le faisant remonter, par Edris ben Edris, le fondateur
de Fas, à Ali, le gendre du Prophète. La légende raconte que
la mère de Sidi Ahmed ben Yousef le mit au monde pendant
un voyage qu'elle effectua avec son mari. Elle abandonna
l'enfant dans une touffe de palmiers-nains, tout près d'une
fraction des Oulad Merah'. Une vache qui appartenait à un
nommé Ibn Y'ousef vint, telle la louve de Romulus et de F.emus,
allaiter l'élu de Dieu que les anges avaient enveloppé de soie
et d'or et dont le visage resplendissait d'une auréole céleste.
Ibn Yousef recueillit le nouveau-né et l'éleva comme son fils :
en souvenir de cet acte de charité, Ahmed ajouta le nom de
son bienfaiteur au sien. L'histoire de sa jeunesse ne présente
rien de vraisemblable, et des légendes sans consistance
tiennent le plus souvent la place des faits. De bonne heure, il
dut se faire un nom parmi les saints du pays, probablement
en s'élevant contre le relâchement religieux dont les Zyanites
(1) ut. l'ouvrage de M. Itené ti.\ssËT : Dictons satyriques attribués
à Sidi Ahmed ben Yousef.
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 187
de Tlemcen, où régnait alors l'émir Abd-Allah Moiiammed,
surnommé E\ Mnutaouakkil Billah (celui qui met sa confiance
en Dieu. Il régna de 868 à 880 de l'tiégire, c'est-à-dire
de 1462 à "175 de J.-C.) donnaient l'exemple. Sidi Ahmed
étant venu à Oran, les propos de certains de ses compagnons
mécontentèrent le gouverneur qui signala le marabout à
l'émir de Tlemcen. Celui-ci informé qu'il pouvait y aller de sa
liberté ou même de sa vie, s'enfuit à Rasel-Mâ, près du caïd
des Béni Rached, Ali ben Abou Ghanem, qui, à l'arrivée des
ordres d'Abou Abd-Allah, lit partir Sidi Ahmed. Celui-ci
s'éloigna en maudissant ses persécuteurs. Sur mer, les
Espagnols anéantirent leur pouvoir en s'emparant d'Oran
(915 de l'hégire — 1509 de J.-C), et, sur terre, le.s Turcs
mirent fin à la dynastie zyanite (1155 de J.-C ) Si Ahmed alla
jusqu'à Hillil (Ilel des géographes arabes sans doute), y laissa
sa fille Aicha et partit pour Bougie. Là, il fut définitivement
engagé dans le mouvement de renaissance du monde islamique.
Il y suivit les leçons d'Ahmed ez Zeraki qui l'affilia à l'ordre
religieux auquel lui-même appartenait: les Kadrya, branche
des Chadelya, dont une fraction prit le nom ôe Sidi Ahmed er
Rachidi. Il revint ensuite à Ras el-Mà où il fit un second
mariage. Etant à Kalàa, il eut des rapports avec Aroudj et
Kheir ed Din qui lui envoya par Aroudj 4,000 dinars. D'après
Abou Ras, il mourut en 931 de l'hégire. Une tradition rapporte
qu'il confia à ses fils le soin de propager sa doctrine dans
divers pays, et que l'un d'eux s'établit en Egypte : c'est ainsi
qu'un nommé Ibrahim Er Rachidi (un des disciples de
Si Ahmed ben Driss, maître d'Es Snoussi) affirmait descendre
du saint de Kalâa.
L'ouvrage de M. René Basset (D/ctoyi.s satiriques atlribuës à
Si Ahmed ben Youssef) cite tout au long les dictons relatifs à
la région de l'HiUil et Sirat. Un des plus répandus est celui-ci:
Je ^h\ ^UJ\
^j\r '^^>!M
Id'a Kanct el âjenna fis sema, urgueb àla Sirat,
Ou Ida hija fd ardh Itija Sirat.
Traduction : Si le Paradis est au ciel, regarde Sirat (tu en
[auras une idée).
S'il est sur terre, c'est Sirat,
188 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
Le cheikh Ibrahim ben Mohammed beri Ali et Tazi, bien
connu pour son aménité, est enterré à Kalàa. Après avoir
étudié à la Mecque puis à Tlemcen auprès d'Ibn Merzouk, ce
personnage vint s'établir à Oran où il succéda à son maître
le fameux Mohammed ben Omar el Houari à la malédiction
duquel on prête la cause de la prise d'Oran par les Espagnols
au IX'-' siècle. Et Tazi mourut le dimanche 9 du mois de
chàbon 866 (le i" mai 1462 de notre ère). On l'enterra d'abord
à Oran; mais après la venue des Espagnols dans cette ville, on
exhuma son corps pour le transporter à Kalâa.
Tels sont les faits et les hommes qui ont illustré cette
petite bourgade. Il y avait, en 1830, tout près de Kalàa, deux
villages qui existent encore et qui en sont en quelque
sorte les dépendinces. L'un est Debba, situé à 3 kilomètres au
Sud de Kaltàa, l'autre Mesrata, à 2 kilomètres Ouest de cette
dernière sur la route d'El-Bocdj et sur le versant opposé du
ravin sur lequel Kalàa est bâti. Chacun de ces centres com-
prend un groupement d'une vingtaine de m'aisons arabes dont
une mosquée sans minaret. Les habitants y fabriquent égale-
ment des tapis qui y ont quelque renommée.
Tilioumet est aussi un village d'origine berbère comme son
nom l'indique. Sa position est pittoresque et dans le genre de
celle de Kalàa. Il fournissait à l'émir 50 réguliers et produisait
des haïks et des burnous estimés. Trois sources prennent
naissance au bas de la ville et forment l'oupd Tiliouanet dont
nous aurons l'occasion de parler plus loin ainsi que des
gisements pétrolifères des environs.
Les forces réunies de toutes les tribus et bourgades com-
prises dans l'aghalik des Gharaba pouvaient être évaluées,
d'après un relevé détaillé, à 4,520 tentes, 2,76vi cavaliers et
1,090 fantassins. Il est toutefois à remarquer que, malgré ce
chiffre relativement élevé, l'agha des Gharaba ne put jamais
procurer à l'émir plus de 800 à 1,200 cavaliers.
L'aghalik des Medjeher était limité à l'Ouest par Mostaganem
et la mer; au Sud et à l'Est par l'aghalik des Gharaba, et au
Nord par celui du Cherg. Il avait à peu près la forme d'un carré
allongé, avec une longueur de 12 lieues d'Est en Ouest et de
8 lieux du Nord au Sud.
Un des plus petits et des moins peuplés de la province
d'Oian, ce district était un de ceux où la culture était le mieux
entendue et la plus avancée. La tribu des Medjeher qui
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 189
s'établit sur ce territoire lors de l'invasion arabe hilalienne,
laissa son nom au pays, mais se fondit peu à peu avec les
populationsarabes et berbères voisines pour tbrmer de nouvelles
petites tribus indépendantes dont le groupement reçut le nom
officiel de Medjeher, sous les Turcs. Les descendants des
premiers immigrants arabes, les Medjeher proprement dits,
ne composèrent plus que quelques familles qui devinrent les
serviteurs des Oulad Sidi Abd Allah dont nous parlerons plus
loin.
L'aghalik des Medjeher se subdivisait en tribus qui étaient
réparties sur les deux rives du Chélif. C'étaient les suivantes :
Ayache Talata, Ayache Fouaga, Oulad bou Kamel, Mzarah, les
Hachem Daho, les Cherfa el Hamadia, les Oulad Sidi Abd
Allah, les Hachaïchta, les Resguia, les R'oufirat, les Ashab
Nahro, les Oulad Dani, les Oulad Chàfa, les Oulad Sidi Abd-
AUali de Bou Djerad, les Oulad Malc{\ les Hassainia Ashab
Msara, les Oulad Chaker, les Oulad Huindon, les Oulad Sidi
Abd- Allah Mta'a Sersour.
Les Cherfa el Hamadia occupaient le territoire limité à
l'Ouest par le pays des Hachem Daliro, à l'Est par les Oulad
Sidi Abd-Allah de Sour-kel-Mitou, et au Nord par le Chélif et
les Oulad Bou-Kamel. C'était une tribu de marabouts qui se
prétendaient descendants du prophète. Elle cultivait des
céréales en abondance et possédait de nombreux troupeaux.
Les Oulad Sidi Abd-Allah Mta'a Sour-kel-Mitou campaient à
une demi-lieue du Chélif, autour du Sour-kel-Mitou ; ils ne
formaient que trois douars de 30 ou 40 tentes qui s'étaient
séparés depuis longtemps des Oulad Sidi Abd-Allah Mta'a bou
Djerad pour cultiver les nombreux vergers qu'ils possédaient
à Sour-kel-Mitou. Ils pouvaient fournir 40 cavaliers à l'émir.
Comme les autres Oulad Sidi Abd-Allah, ils .avaient pour
origine la célèbre famille des Oulad Sidi ben Abd-Allah, famille
de marabouts par excellence, qui se prétendait issue du
prophète lui-inême par l'ancêtre chérif commun Sidi Abou
Abd Allah. Ce marabout avait été chargé, au Wl" siècle, par
la zaouïa Saguiet el Homra de recruter de nouveaux adeptes à
Abd-el-Kader el Djilani. Il s'établit pour cela dans la vallée du
Chélif inférieur avec les siens. Il est à supposer qu'ils s'y
trouvaient bien puisqu'ils s'y fixèrent définitivement et par-
vinrent même à prendre sous leur tutelle, comme serviteurs
religieux, les derniers représentants des Medjeher venus lors
190 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
de la seconde invasion Arabe. La famille des Tekouk, la plus
influente du pays, appartient aux Oulad Sidi bou Abd- Allah.
Nous en reparlerons plus loin.
Les Oulad Hamdan qui occupaient d'abord une partie de la
plaine de Sirat, vinrent, après la chute de la domination
turque, s'éloignant des Bordjia leurs voisins, s'établir sur le
pays portant le nom de Blad-oulad-Abid, situé au Sud de
Moslaganem et de Mazagran, et qui appartenait autrefois aux
Turcs et aux Koulouglis de ces deux villes. Ce pays fertile,
bien arrosé et bien cultivé fut quelque peu maltraité par ses
nouveaux propriétaires habitués à leurs grossiers travaux
agricoles de la plaine de Sirat.
L'aghalik des Medjeher, coupé dans beaucoup de parties par
de longues bandes sablonneuses était par sa nature moins
fertile que ses voisins. L'industrie de ses habitants sut y
suppléer : leur caractère sédentaire et leur persévérance
contribuèrent beaucoup aux progrès de la culture. C'est sans
doute l'élément berbère qui s'était infiltré dans le pays et
mélangé au sang arabe qui fut cause de ces habitudes difle-
rentes de celles des tribus voisines. Au moment de notre
arrivée en Algérie, les Medjeher n'allaient pas chercher au loin
des pâturages pour leurs troupeaux; de la sorte, ils pouvaient
surveiller, été comme hiver, leurs vergers qui, par leurs
produits abondants étaient l'objet de la jalousie des districts
d'alentour. Ce fut d'ailleurs la cause première du rapproche-
ment des Medjeher avec les Français, car nos établissements
leur fournissaient un débouché facile pour leurs produits et
un encouragement à venir pour leurs travaux agricoles. Aussi
Abd-el Kader manifesta-t-il de bonne heure une grande anti-
pathie pour les Medjeher. A maintes reprises, il profita de ce
que des individus de cette tribu avaient secrètement vendu
des chevaux à des français, pour obliger plusieurs fractions à
émigrer plus au Sud.
Outre l'agricultui'e, les Medjeher pratiquaient en gros la
fabrication des pains de figues sèches dont ils faisaient un
commerce considérable. Leurs descendants les imitent
d'ailleurs dans ce genre d'industrie et écoulent facilement ce
produit parmi les populations indigènes voisines.
La totalité des forces réunies de l'aghalik des Medjeher pouvait
être évaluée à 2,600 cavaliers et à 1,600 fantassins ; mais en
réalité, ils ne fournissaient à l'émir que 600 cavaliers environ,
DE LA COMMUNE I^IIXTE DE LA MINA 191
L'aglialik des- Flitta était borué au Nord par l'aghalik des
Gharaba et celui des Medjeher, à l'Est par celui du Cherg, au
Sud par la portion de l'aghalik des Hachem Cheraga désignée
sous le nom de Kibla ; enfin, à l'Ouest, par les Hachem
Cheraga proprement dits.
Le chef de district ne prenait, par exception à la règle
générale, que le titre de caïd, quoique cette fonction soit une
des plus hautes de la province de Mascara. Au temps des beys,
les fils de bey étaient généralement caïds des Flitta, et
succédaient ensuite presque toujours à leur père.
Les Flitta se divisaient en Douair-Flitta et en Flitta propre-
ment dits. Nous ne parlerons que des premiers qui, seuls,
doivent nous intéresser ici.
Les Douaïr-Flitta comprenaient, entr'autres tribus :
l°Les Oulad-bou- Ali qui campaient et campent encore sur
la rive gauche de la Mina, à l'endroit dit Radjiah el-Bakar.
2" Les Hassasna qui campaient souvent réunis avec les Oulad
bou-Ali mais dont le vrai territoire se trouve autour du
marabout Abd-el-Ali et à Matmour-el-Ahmar (Clinchant).
3» Les Doualr-FUtta proprement dits, situés dans la plaine
de Sammar, au Nord -Est de Kalàa. Foi'més sous le gouverne-
ment turc, ils ne comprenaient au début que quelques tentes
pour constituer les maghzen du caïd des Flitta su i- diverses
fractions du Ràïa. De là leur nom de Douair, ajouté pour les
distinguer de celui porté par la Tribu-mère. Ils jouissaient de
grandes immunités : ce qui contribua à leur rapide accroisse-
ment. Ils ne cessaient pas de suivre la politique du Gouverne-
ment turc. En 1843, les expéditions que l'émir dirigea contre
eux les portèrent à embrasser notre cause. Cependant, en 1845,
ils se révoltèrent contre nous. Et, en 1864, lors de l'insurrection
de Si-Lazereg. ce sont leurs contingents ((ui dévastèrent la
plaine de Pielizane, contingents qui devaient l'année d'après,
se livrer, sur le. passage de l'empereur, à une manifestation
dont le souverain aurait autant aimé ne pas être le spectateur.
La récapitulation des forces de l'aghalik des Flitta donnait
3,030 tentes, dont 2,390 cavaliers et 685 fantassins que ce
district pouvait fournir à Abd-el-Kader.
L'aghalik du Cherg, comprenait, entr'autres tribus situées
sur la rive gauche du Chélif : 1° celle des Mekhalia ou plutôt
des Mekah'lia, composée d'éléments fort hétérogènes. Elle fut
192 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
érigée eu tribu magiizen par les Turcs. Les liommes de cette
tribu accompagnaient le khalifa du Clierg lorsqu'il faisait la
collecte des impôts et se rendaient ensuite avec lui à Alger
pour y verser dans les caisses du Dey le produit de ces
impôts. Ces fonctions leur valurent le nom de Mekhalia
(iJ.-^-^^) c'est-à-dire « d'hommes au fusil ».
2" Celle des Beni-Zeroual, dont les Oulad Sidi-Braliim
formaient un des quatre caïdats jusqu'en 1852. Les Beni-
Zeroual ont pris part, au VIL' siècle, avec si Okba-ben-Ouanis
aux expéditions d'Afrique et d'Espagne. Au XP siècle ils
reconnaissaient l'autorité des khalifes du Caire. Ils recou-
vrèrent leur indépendance en 1562, mais tombèrent peu de
temps après sous la domination des Turcs. En 1008, ils
tentèrent vainement de se soustraire à ce joug. En 18150,
profitant de l'arrivée des Français, ils se déclarèrent indépen-
dants. Us se soumirent pour la première fois en 1842 au
maréchal Bugeaud, firent défection en 1845 sous Bou-Maza et
se rallièrent définitivement à notre cause en 1847.
Quant aux Oulad Sidi-Brahim, qui ne formèrent un tout
administratif avec les Beni-Zeroual que sous la dépendance
éphémère d'Abd-el-Kader, leur destinée fut autre. D'origine
berbère, ils lurent soumis et convertis à l'Islamisme vers la
fin du VIl'^ siècle ; ils profitèrent de l'anarchie qui régnait au
XI^' siècle dans les états musulmans pour se rendre indépen-
dants. Vers 1552, les Turcs les rangèrent définitivement sous
leur domination. Ils suivirent le parti d'Abd-el-Kader de 1833 à
1842, s« soulevèrent de nouveau en 1845 avec Bou-Maza et
entrèrent enfin dans le devoir en 1847. En 1852, un
remaniement administratif dissolut la confédération des Beni-
Zeroual dont faisaient partie les Oulad Sidi-Brahim qui furent
rattachés à l'aghalik de la Mina et du Chélif. Cette tribu est
située à une trentaine de kilomètres au Sud-Est de Mostaganem,
sur le Chélif qui traverse son territoire d'Est en Ouest.
Enfin, parmi les autres tribus de la province d'Oran qui
avaient reçu le titre de maghzen étaient encore les Oulad
AJnned campés sur l'emplacement actuel du douar-commune
de Bel-Hacel. Us restèrent réunis aux Akerma Cheraga
jusqu'en 1858, époque de leur érection en tribu distincte. Le
service des Oulad Ahmed était essentiellement militaire, ce
qui leur valut en retour l'exemption de toute espèce de
redevance territoriale. Ils ne payaient que 5 francs par tente
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 193
annuellement à' titre de zekkat (le douar Bel-Hacel occupe
aujourd'hui la plus grande partie des Oulad Ahmed).
Dès 1841, la base de la division des circonscriptions
administratives en Algérie fut l'aghalik. Le khalifa du Cherg
devint la subdivision de Mascara. Celle-ci l'ut divisée en
plusieurs aghaliks. Celui de Mostaganem, et ceux des Medjeher,
de Mina et Chélif, et d'El-Bordj, le ca'idat des Flitta, se parta-
gèrent les tribus que nous venons de décrire.
L'aghalik se subdivisait en tribus qui, elles-mêmes, compre-
naient les ferkaa ou fractions, qu'on décomposait encore en
douars. La tribu des Bordjia qui avait alors 7,073 habitants
(dont 400 fantassins et 270 cavaliers-goumiers) faisait partie
de l'aghalik de Mostaganem. (jelui des Medjeher comprenait,
entie autres tribus, celjes des Oulad-Sidi-Abd-Allah (3,285
habitants), des Oulad-Chafa (1,465 habitant^), dfs Chelafa,
des Oulad-Malef (2,279 habitants). L'aghalik de Mina et Ghélif
embrassait toute la plaine de la Mina avec les Mekahlia (1,395
habitants), les Sahari (1,220 habitants), les Akerma-Cheraga
(4,410 habitants), les Mehal (1,440 habitants), etc. L'aghalik
d'El-Bordj comprenait les Oulad-Bou-Ali (1,000 habitants),
Kalàa (2,225 habitants), Guerboussa (885 habitants), les Akerma
(2,172 habitants) et les Beni-R'eddou (1,730 habitants).
Ces aghaliks et ces tribus furent compris dans la division
du territoire en deux communes mixtes : Celle de Mostaganem
et celle de Relizane. Enfin, un arrêté du Gouverneur général
réunissait ces deux communes mixtes en 1880 (30 décembre)
sous le nom de commune mixte de l'Hillil. Elle a conservé
cette appellation jusqu'au 1" janvier 1901, époque à partir
de laquelle elle a été officiellement désignée sous le nom
de commune mixte de la Mina. Pendant vingt ans, la résidence
des fonctionnaires de la commune mixte a été le village
de l'Hillil. Depuis le 1«'' janvier 1901, les bureaux ont été
transférés au centre, annexe de Cl inchant (autrefois (( les Silos »).
De la sorte, la commune mixte a été affranchie du paiement d'un
loyer annuel de 4,000 francs qu'elle payait à la commune
de plein exercice, pour le local des bureaux et le logement
de l'Administrateur et de ses deux adjoints. En outre,
le transfert à Clinchant contribuera à assurer l'avenir
de ce centre dont les débuts ont été particulièrement difficiles.
La commune mixte n'est plus subdivisée en tribus, mais en
douars-communes ou communes indigènes, formées d'une
194 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
tribu ou de plusieurs fractions de tribu. La commune mixte
de la Mina comprend 27 douars-communes, 1 ville et plusieurs
villages arabes, 4 villages et un hameau français.
Voici la nomenclature des douars-communes :
1" El-Romri, formé d'une partie du territoire de l'ancienne
tribu des Beni-R'eddou.
Superficie : 4,608 hectares. Constitué en douar-commune
par décision du 24 avril 1867. {B. 0., p. 672). Une partie de
ce douar-commune a été prélevée (1,306 hectares) pour la
formation du centre de Nouvion (El-Romri). Le surplus
(3,302 hectares) est rattaché à la commune-mixte de la Mina.
Il fait partie du canton judiciaire et de la mahakma de
Perrégaux. — Population : 1,480 indigènes ; 15 français ;
4 étrangers.— Djemàa: 12 membres. — Impôts : 15,114 fr. 32.
2° Sahouria, formé d'une partie du territoire de l'ancienne
tribu des Bordjia.
Superficie : 2,933 hectares. Constitué en douar-commune
par décret du 9 novembre 1865. (B. 0., p. 488). Une partie
de ce douar-commune (870 hectares) a été prélevée pour la
formation du centre de Sahouria; le surplus (2,063 hectares)
est rattaché à la commune mixte de la Mina. Il dépend du
canton judiciaire et de la mahakma de Perrégaux. — Population:
847 indigènes; 7 français. — Djemâa : 8 membres. —
Impôts : 4,535 fr. 26.
3" Doua'lr-Flitta, territoire de l'ancienne tribu du même
nom.
Superficie : 8,380 hectares. Constitué en douar-commune
par décret du 24 février 1869. (B. 0., p. 72). Il dépend du
canton judiciaire et de la mahakma de Relizane. — Population ;
2,005 indigènes. — Djemâa: 12 membres.— Impôts: 24,287 fr.;)2.
4» Ahl-el-Hassian, territoire ou du moins partie de terri-
toire de l'ancienne tribu des Bordjia.
Superficie: 4,590 hectares. Constitué en douar-commune par
décret du 9 novembre 1865 (B. 0., p. 488). Une partie de ce
douai'-commune (251 hectares) a été prélevée pour agrandir
la commune de plein exercice de Noizy-les-Bains; le surplus
est rattaché à la commune mixte de la Mina. Il dépend du
canton judiciaire et de la mahakma de Mostaganem. —
Population : 1,223 indigènes ; 7 français ; 7 étrangers. —
Djemàa : 10 membres. — Impôts : 6,095 fr. 69.
I
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 195
5° R'oufivàt-oulad-Dani, formé d'une partie du territoire
de l'ancienne tribu des R'oufirat qui dépendait des Medjeher
autrefois et comprenait la région située entre Mekhalia, Blad-
Touaria et Aïn-Madar. Il y avait là, au moyen âge, une ville
appelée Aïn es-Sefsif, dont tout vestige a disparu.
Superficie : 2,282 hectares. Il a été constitué en douar-
commune par décret du 6 avril 1867. (Cf. B. 0., p. .546.)
Il dépend du canton judiciaire et de la mahakma de Mosta-
ganem. — Population : 409 indigènes; 20 français; 2 maro-
cains; 1 étranger. — Djemàa: 8 membres. — Impôts: 1,983 fr.
6° R'oujirat-Sfissifa, formé d'une partie du territoire de
l'ancienne tribu des R'oufirat.
Superficie : 2,777 hectares. Constitué en douar-commune
par décret du 6 avril 1867. (Cf. B. 0., p. 546). Une partie de
ce douar-commune (303 hectares) a été prélevée pour l'agran-
dissement de la commune de plein exercice de Blad-Touaria.
Le surplus (2,474 hectares) est rattaché à la commune-mixte de
la Mina. Il dépend du canton judiciaire et de la mahakma
de Mostaganem. — Population : 1,186 indigènes. — Djemàa:
10 membres. — Impôts : 7,18-5 l'r. 97.
7" Oulad-CIiaffa, formé du territoire de l'ancienne tribu du
même nom.
Superficie : 3,263 hectares. Constitué en douar-commune
par décret du 29 septembre 1867. (Cf. B. 0., p. 1116.) Dépend
du canton judiciaire et de la mahakma de Mostaganem. —
Population: 1,386 indigènes ; 3 français; 7 étrangers. —
Djemàa : 12 membres. — Impôts : 8,291 fr. 19.
8° Oulad-Sidi BraJibn, formé du territoire de l'ancienne
tribu du même nom.
Superficie : 2,356 hectares. Constitué en douar-commune
par décret du l'^'- novembre 1868. (Cf. B. 0. (1869), p. 13.)
Dépend du canton judiciaire et de la mahakma de Mostaganem.
— Population : 1,224 indigènes. — Djemàa : 10 membres. —
Impôts : 8,424 fr. 74.
9" Oulad-Sidi-Yousef, formé d'une partie du territoire
de l'ancienne tribu des Oulad-Sidi-Abd-Allah.
Superficie: 10,701 hectares. Constitué en douar-commune
par décret du 9 novembre 1867 (B. 0. 1868, p. 288).
Une partie de ce douar-coramune (3,.382 hectaresj a été
prélevée pour la formation de la commune de plein exercice
496 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
de Bellevue ; le surplus (6,869 hectares) est rattaché à la
commune mixte de la Mina. Il dépend du canton judiciaire et
de la mahakma de Mostaganem. — Population : 1,287 indigè-
nes; Il français. — Djemàa: 18 membres. — Impôts : 7,932fr.66.
10" Sfafalt, formé d'une partie du territoire de l'ancienne
tribu des Bordjia.
Superficie : 3,394 hectares. Constitué en douar-commune
par décret du 9 novembre 1865. (Cf. B. 0., p. 488). Une partie
de ce douar-commune (970 hectares) a été prélevée pour la
formation du centre de Sahouria. Le surplus (2,964 hectares)
est rattaché à la commune mixte de la Mina. Dépend du canton
judiciaire et de la mahakma de Perrégaux. — Population :
1,517 indigènes ; 9 français ; 1 étranger. — Djemàa: 12 membres.
— Impôts : 8,831 fr. 54.
11" BelHacel, territoire ou plutôt partie du territoire de
l'ancienne tribu des Oulad-Ahmed. On a vu plus haut que
l'historique des Oulad-Ahmed se confond avec celui de la tribu
des Akerma-Cheraga, délimitée par décret du 23 novembre 1867
et dont ils firent partie intégrante jusqu'en 1858. Ils en furent
alors détachés pour former un commandement distinct. Leur
position, au confluent de la Mina et du Chélif, les avait fait
comprendre dans le Maghzen sous la domination turque. Cette
circonstance avait déterminé l'inscription de leurs terres au
sommier de consistance du Domaine, d'où la décision impé-
riale du 9 décembre 1865 les lit disparaître. Les Oulad-Ahmed
se divisaient en quatre fractions, auxquelles il convient d'ajouter
la Smala du khalifa Si RI Aribi, qu'une décision du Gouverneur
général fit passer, avec les 1,639 hectares qu'elle occupait, des
Sahari aux Oulad-Ahmed. Ce furent ces éléments qui formèrent
les douars de Kiaiba, Oulad-Addi, Bel-Hacel.
Ce dernier douar a une superficie de 6,080 hectares. Il a été
constitué en douar-commune par décret du 21 décembre 1867.
(Cf. B. 0. 1868, p. 481j. Il dépend du canton judiciaire et de
la mahakma annexe de Relizane. — Population : 826 indigènes.
— Djemtia : 8 membres. — Impôts : 10,096 fr. 15.
12» Aïn-el-Guetar, formé d'une partie du territoire de
l'ancienne tribu des Mekhalia. La délimitation de cette tribu a
soulevé quelques difficultés, de peu d'importairte, avec les
tribus limitrophes des Oulad-Sidi-Abd-AUad, Oulad Sidi-
Brahim, Oulad-Ahmet et Saliari. Ces contestations, qui por-
DE LA COMMUNE JIIXTE DE LA MINA 197
talent sur des terres ayant le caractère v. arch », ont été
réglées par le Général commandant la province.
Superficie : 10,-1-14 hectares. Constitué en douar-commune
par décision du 5 décembre 1886. (Cf. B. 0. 1867, p. 40).
Dépend du canton judiciaire et de la mabakma annexe de
Relizane. — Population : 2,141 indigènes; '22 français, 5 maro-
cains; 4 étrangers. — Djemâa : 12 membres. — Impôts :
19,494 fr. 78.
13" R'oualïze, formé d'une partie du territoire de l'ancienne
tribu des Akernia-R'araba.
Superficie : 4,036 hectares. Constitué en douar-commune
par décret du 6 juin 1866 (/?. 0., p. 377). Dépend du canton
judiciaire et de la mahakma annexe de Relizane. — Population:
1,849 indigènes. — Djemàa : 12 membres. — Impôts ;
20,226 fr. 36.
14" Guerhoussa, formé d'une partie du territoire de l'ancienne
tribu des Akerma-R'araba.
Superficie : 2,067 hectares. Constitué en douar-commune
par décret du 6 juin 1866 (B. 0., p. 377). Dépend du canton
judiciaire et de la mahakira annexe de Relizane. — Popu-
lation : 1,125 indigènes. — Ujemàa : 10 membres. — Impôts:
12,725 fr. 32.
15" Kalâa, formé du territoire de l'ancienne tribu du même
nom.
Superficie : 13,136 hectares. Constitué en douar-commune
par décision du 4 septembre 1867. (Cf. B. 0., p. 1,057.)
Dépend du canton judiciaire et de la mahakma annexe de
Relizane. — Population : 4,879 indigènes ; 21 français ;
12 étrangers. — Djemàa : 15 membres. — Impôts : 37,860 fr. 37.
16" El-Messahehia, formé par une petite parlie du territoire
des anciennes tribus des Hassasna et des Sahari.
Superficie : 3,786 hectares. Constitué en douar-commune
par décision du 31 octobre 1866. (Cf. B. 0., p. 802) et
11 juillet 1870. Une partie de ce douar-coinmune (731 hectares)
a été prélevée pour la formation du centre de Clinchant ;
le surplus (3,055 hectares) est rattaché à la commune mixte de
la Mina. Dépend du canton judiciaire et de la mahakma annexe
de Relizane. — Population ; 1,030 indigènes, Djemâa : 10
membres. — Impôts : 7,447 fr. 25.
198 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
il° Mina, formé du territoire d'une partie de l'ancienne
tribu des Sahari.
Superficie : 6,84'2 liectares. Constitué en douar-commune par
décret du 21 décembre 18G7. (Cf. B. 0. i86S, p. 429). Dépend
du canton judiciaire et de la niahalvma annexe de Relizane. —
Population : 2,020 indigènes ; 6 français ; 2 marocains ;
26 étrangers. — Djemàa : 12 membres. — Impôts: 18,305 fr. 59.
18" Oulad-hou-Al'i, l'ornié du territoire de l'ancienne tribu
du même nom.
Superficie : 11,004 hectares. Constitué en douar-commune
par décret du 15 mai 1869. (B. 0 , p. 179). Rattaché au
canton judiciaire et à la rnahakma annexe de Relizane.
— Population : 2,336 indigènes. — Djemàa : 12 membres. —
Impôts : 21,759 fr. 97.
10» Sidi-Saâda^ formé du territoire de l'ancienne tribu des
Béni R'eddou. (On a vu précédemment que les Béni R'eddou,
d'origine berbère, établis d'abord sur l'emplacement actuel du
centre-annexe de Clinchant, furent dépossédés par les Soueid
et vinrent se fixer plus à l'ouest, sur la rive gauche de l'Hillil
jusqu'à la plaine de Kerkacha, près de llacian-el-R'omri.
Une ti-adilion rapporte qu'ils s'appelaient d'abord « Ahl el
Bethod », puis, qu'ayant adressé une plainte au sultan au
sujet des travailleurs de ce dernier qu'ils devaient nourrir, on
les renvoya en leur disant : Benou ou R'eddou \jXi . ^j.-^-i
c'est-à-dire : « Bâtissez et allez-vous-en », d'où « Benoit ou
Béni R'eddou ». U est plus probable que leur nom a une
origine berbère, la même que celle portée par leur première
ville, désignée sous l'appelation de R'edda (^xi) ou Retcha
Çi-^-), selon les dialectes). Les Béni R'eddou étaient et sont
encore très turbulents et passablement fanatiques).
La superficie du douar-commune de Sidi-Saàda est de
7,547 hectares. Il a été constitué en douar-commune par
décret du 24 avril 1867. (Cf. B. 0., p. 672). Il est rattaché à la
commune mixte de la Mina, partie à la commune de plein
exercice de Perrégaux. Il dépend du canton judiciaire et de la
mahakma annexe de Perrégaux. — Population: 2,901 indigènes;
17 français. — Djemàa : 14 membres. — Impôts : 38,278 fr. 77.
20"^ Tehamda, formé d'une partie du territoire de l'ancienne
tribu des Mekhalia.
Superficie: 3,718 hectares. Constitué en douar-cominune
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 199
par décret du 5 décembre 1866. (Cf. B. 0. 1867, p. 40). Une
partie de ce douar-commune (,1,753 hectares) a été prélevée
pour la création de Clinchant. Le reste (2,565 hectares) est
rattaché à la commune mixte de la Mina. Dépend du canton
judiciaire et de la mahakma annexe de Relizane. — Popula-
tion : 1,479 indigènes. — Djemàa ; 10 membres. — Impôts :
10,516 fr. 96.
21" Zgaler, formé d'une partie du territoire de l'ancienne
tribu des Meklialia.
Superficie : 7,503 hectares. Constitué en douar-commune
par décision du 5 décembre 1866. (Cf. B. 0. 1867, p. 40^.
Dépend du canton judiciaire et de la mahakrna annexe de
Relizane. — Djemàa : 10 membres. — Impôts : 10,689 fr. 97.
22» Oulad hou-Ahra, formé d'une partie du territon-e de
l'ancienne tribu des Sidi-AbdAllah.
Superficie : 6,010 hectares. Constitué en douar-comrnune
par décret du 9 novembre 1867. (Cf. B. 0., p. 208). Une partie
de ce douar-commune (2,289 hectares) a été préle\ée pour la
formation de la commune de plein exercice de Blad-Touaria
(1,774 hectares) et du centre de Sirat (315 hectares), le surplus
(3,701 hectares) est rattaché a la commune mixte de la Mina.
Dépend du canton judiciaire et de la mahakma de Mostaga-
nem. — Population : 2,435 indigènes; 17 français ; 5 étran-
gers. — Djemàa : 12 membres. — Impôts : 9,325 fr. 27.
23° Hassauiia, formé du territoire de l'ancienne tribu des
Oulad-Malef.
Superficie : 7,369 hectares. Constitué en douar-commune
par décret du 30 octobre 1867. (Cf. B. 0. l868, p. 628). Le
territoire de ce douar-commune a été réparti entre les commu-
nes ci-après :
49 hectares environ, réunis à la commune de plein exercice
de Rivoli, dépendant du canton judiciaire et de la mahakma
de Mostaganem ;
1,.557 hectares, réunis à la commune de plein exercice de
Aïn-Sidi-Chérif, dépendant du canton judiciaire et de la
mahakma de Mostaganem. (Population : 998 indigènes, y
compris la population de la partie du douar-commune de
Dradeb, rattachée à cette commune de plein exercice) ;
5,763 hectares sont réunis à la commune mixte de la Mina.
200 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
Dépend du canton judiciaire et de la mahakma de Mostaganem.
— Population : 1,904 indigènes ; 11 français. — Ujemàa : 12 mem-
bres. — Impôts : 150,074 fr. 69.
24° Kinïba, territoire de l'ancienne tribu des Oulad-Abmed
(en partie).
Superficie : 9,096 hectares. Constitué en douar-commune
par décret du 21 décembre 1867. (Cf. B. 0., 1868, p. 481).
Dépend du canton judiciaire et de la mahakma annexe de
Relizane. — Population : 1,673 indigènes. Djemàa : 12 mem-
bres. — Impôts : 13,197 fr. 77.
25° Oalad-Addi, formé d'une partie de l'ancien territoire
des Oulad-Ahmed.
Superficie : 6,790 hectares. Constitué en douar-commune
par décret du 21 décembre 1867. fCL B. 0., 1808, p. 481).
Dépend du canton judiciaire et de la mahakma annexe de
Relizane. - Population : 1,776 indigènes; 17 français; 6 étran-
gers. — Djemàa ; 12 membres. — Impôts : 16,665 fr. 28.
26° Chelafii, territoire du l'ancienne tribu du même nom.
On sait que les Chelafa tonnaient, à 35 kilomètres Est de
Mostaganem, une agglomération de fractions, arabes de race,
mais sous communauté d'origine, qui ont successivement
appartenu à divers commandements et ne constituent une tribu
distincte que depuis 1852.
Superlicie : 10,789 hectares. Constitué en douar-commune
par décret du 27 octobre 1869. (Cf. B. 0., p. 434). Une partie
de ce douar-commune (3,281 hectares) a été prélevée pour la
formation de la commune de plein exercice de Bellevue. Le
surplus (7, ,508 hectares) est rattaché à la commune mixte de
la Mina. Dépend du canton judiciaire et de la mahakma de
Mostaganem. — Population : 2,275 indigènes; 30 français;
7 étrangers. — Djemàa : 12 membres. — Impôts : 15,7.58 fr. 80.
27» Beni-YaJti, formé d'une partie du territoire des Bordjia.
Dépend de la Justice de pai'c et de la mahakma annexe de
Perrégaux (circonscription judiciaire de Mascara).
Superficie : 5,993 hectares. — Population: 698 indigènes;
7 français. — Impôts : 6,420 fr. 57.
I
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 201
Chapitre II. - RELIGION MAHOIMÉTAXE
CONFRÉRIES RELIGIEUSES
1" Kadria. — Il y a, dans la commune mixte de la Mina
354 affiliés de tout grade à cet ordre, dont 19 kliouans et
7 mokaddems. Le plus influent de ces derniers est le cheikh
Belhaouel Abd-el-Kader, chef de la zaouïa kadirite des Chelafa.
11 y a d'autres mokaddems qui représentent l'ordre dans les
douars-communes des Oulad Sidi Yousef, de Sidi Sàada, des
Ouled Addi, des R'oualizé, de la Mina, des Oulad Sidi Brahim.
2" Chadehja. — Il n'y a aucune zaouïa de cet ordre dans la
commune mixte de l'Hillil. Les mokaddems sont tous morts et
n'ont pas été remplacés. 11 reste 42 adeptes.
3» Aissaoïia. — La Mina ne compte plus que quelques rares
adeptes des Aïssaoua, et pas im seul mokaddem.
4" Tayhia. — 11 y a actuellement 81 affiliés à cet ordre dans
la commune mixte de la Mina Cpas de mokaddems).
S" Zianya. — Il y a actuelîemenl un seul mokaddem de cet
ordre et 19 khouans dans la commune mixte de la Mina.
6» Rahmanija. — Cet ordre fut fondé à la fin du XVIIP siècle
par si Mohammed ben Abd er Rhaman bou Kobrin el Djerdjeri
el Guechtouli ez Zoudoui el Ahzari. On compte, dans la
commune mixte de la Mina 330 khouans de cet ordre et
2 mokaddems, qui sont assez influents: Si Larbi Benanis el
Arlii ben Mohammed, et Si Fatmi Si ben Abdallah ould Ahmed,
résidant, lun aux Sidi Sàada, l'autre aux R'oualizé.
7» Derkaoua. — Cet ordre est celui qui nous est le plus
hostile après celui des senoussya. Il est représenté, dans la
commune mixte de la Mina, par une seule zaouïa, celle des
Amarnia (chez les Douaïr Flittaj. Fondée vers 1860 par
Hammam Hadj Moliammed ben Ahmed ben Hadj Mohammed
ben Hammar,' cheikh de l'ordre, elle a été fermée le 19 mars
1893, date du décès de ce dernier. 11 était issu d'une famille
maraboutique. De son vivant, la zaouïa des Amarnia était
fréquentée par 6 ou 8 élèves. Son fils Ahmed sort à peine de
l'adolescence ; on ignore s'il compte prendre la succession
paternelle à la zaouïa. Les 4 mokaddems de cet ordre résidaient
aux Oulad Sidi Brahim, à El Romri, aux Sidi Sàada et aux
Oulad Addi. Le seul influent est Mazouz bou Taleb,
202 MONOGRAl^HIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
8" Madania. — Il n'y a qu'un seul affilié à cet ordre, fondé
en Tripolitaine par un derkaoui.
9» Senoussya. — Cet ordre fut fondé en 1250-1251 de
l'hégire (1835 de notre ère) en Tripolitaine par le chérif
algérien Si Mohammed ben Ali ben Es Senoussi el Khettabi el
Hassani el Idrissi, né en 1206 de l'hégire (1791) au douar
T'orch, de la fraction des Oulad Sidi Yousef, de la tribu des
Oulad Sidi Abd Allah, de l'aghaliU des Medjeher. Sa famille,
comme ses alliés les Ben Latroch, les Tekouk, comme toutes
celles enfin des Oulad Sidi Abd-AUah, se disait d'origine
chériflenne et prétendait descendre du Prophète par Hassan,
fds de Fatma, puis par Idris I'^'', fondateur de la dynastie
Edricide. Aussi, dans ses écrits, le cheikh Snoussi joint-il à
son nom les qualificatifs d'EI Hassani, El Idrissi, et même El
Medjeheri, bien que les Oulad Sidi Abd-AUah aient une
origine totalement différente de celle des Medjeher et se
considèrent plus nobles qu'eux; mais on sait que les Arabes
ne regardent pas à un titre près et semblent chercher à
augmenter leur nom patronymique du plus grand nombre
d'épithètes possibles.
Les descendants du cheikh Senoussi, les Ben Latroch,
habitent de nos jours aux Ouled Sidi-Yousef. Ils comptent de
nombreux parents et amis sur le territoire des Medjeher,
c'est-à-dire chez les Oulad Bon Abça, les Oulad Chafa, les
Sfissifa, les Oulad Dani, les Oulad Malef, les Chelafa. L'honneur
de représenter dans la région même où était né son auteur
l'ordre des Senoussya ne pouvait être dévolu qu'à des proches
parents de Senoussi: ce furent les Tekouk. Le premier cheikh,
Charef ould Djilali ould Abd-Allah ben Tekouk, né en 1794,
fit bâtir aux Oulad Chata une zaouïa de cette secte qui devait
être la seule de l'Algérie. Il était de famille maraboutique, et
déjà son père avait eu une grande intluence dans le pays. C'est
en 1859 que fut construit ce couvent, au-dessus d'Aïn-Madar.
Pendant 30 ans, le cheikh Ben Tekouk fut à la tète de cet
établissement.
Il avait fait ses premières études chez Bel Guendouz,
mokkadem des Derkaoua, qui avait été également le professeur
du cheikh Senoussi. Le savoir et la sainteté de ce mokkadem
acquirent une renommée qui porta ombrage aux .Turcs; aussi,
le bey Hassan le lit arrêter et mettre à mort à Mazouna
en 1829. Tekouk qui avait dès lors le droit d'être prudent,
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 203
partit pour le Maroc et ne remit les pieds en Algérie que
lorsque les Français eurent définitivement occupé la province
d'Oran. Il eut le tort, au début, de parler avec une trop
grande liberté et de permettre à ses adhérents de le considérer
comme un futur révolté contre l'autorité des Chrétiens.
Aussi, fut-il surveillé par l'autorité. L'injonction lui ayant été
faite de se présenter à Ammi-Moussa pour avoir à répondre
sur les doutes qu'on formulait à l'égard de ses intentions pour
la France, Tekouk n'obéit pas ; aussi, fut-il peu après enlevé
par des cavaliers à notre solde. On l'interna quelques années
à Ammi-Moussa, puis on le relâcha. Il revint dans son pays
d'origine, et c'est alors qu'il fonda la zaouïa des Ouled Ghafa.
Ce fut d'abord une école modeste, qui, par la suite, reçut le
nom de zaouia.
Vers 1877, le sous-préfèt de Mostaganem, ayant appris que la
demeure de Tekouk contenait un véritable arsenal, fit faire des
perquisitions qui donnèrent des résultats de peu d'importance
et, tout au moins, ne suffirent pas pour mettre en doute la
loyauté des sentiments du marabout qui, jusque-là, n'avait eu
avec les colons que des relations très sympathiques. Quelques
années plus tard, un indigène inculpé d'assassinat ayant été
arrêté à TIemcen, déclara que c'était le cheik Tekouk même
qui l'avait poussé à ce crime. Sans se renseigner sur l'authen-
ticité de ces déclarations, le procureur de la République du
Tribunal de TIemcen lanra par télégramme un mandat
d'amener contre le marabout. Arrêté sous cette inculpation
mensongère, Tekouk qui, d'un geste, pouvait soulever toutes
les tribus voisines, se laissa conduire sans protester à Mosta-
ganem. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre
et le saint homme arriva en foule escorté de vingt mille
arabes très surexcités, accourus de toutes parts. Mais le
marabout les exhorta à garder le calme et à regagner leurs
douars ; ce qu'ils firent avec d'autant plus de bonne volonté
que le juge d'instruction s'étant aperçu facilement de l'inanité
des accusations portées contre Tekouk l'avait relâché immé-
diatement.
Cependant, l'entourage du marabout était loin d'avoir les
qualités du maître. Son gendre, El Boudali, et son parent,
Abd-el-Kader ben Gara, se servirent souvent de son nom pour
exploiter la crédulité des indigènes en exigeant d'eux des dons
en argent et en nature. Ces personnages remuants et animés
204 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
d'intentions peu bienveillantes envers les Européens, abusant
de l'âge de Tekouk, géraient, sous son couvert, de fructueuses
ziara, notamment en 1880, lors de l'insurrection du Sud
oranais, durant laquelle la zaouïa resta encore dans l'ordre.
Ce même entourage, agissant toujours en vue de bénéficier
pécunièrement de l'inlluence du marabout, conseillait à
Tekouk d'envoyer une de ses filles en pèlerinage à la Mecque,
avec ordre de s'arrêter, à son retour, à Djar'boub, chez
le madhi qui devait l'épouser. Le vieillard se conforma à ces
désirs et fit partir sa fille ; mais par suite de circonstances
diverses, le mariage n'eut pas lieu, et celle qui devait être
l'épouse du chef des Senoussistes revint aux Oulad Chafa où
on la maria à un modeste propriétaire qui avait été caïd
autrefois.
En 1888, c'est-à-dire sur ses vieux jours, ses intimes
toujours avides de ziara, dont les autorités de la commune
mixte de l'Hillil, gênaient tant soit peu la perception, décidè-
rent, pour obvier à cet inconvénient, de marier Tekouk alors
impotent : d'où quêtes nombreuses, dons de visites, qui
améliorèrent le budget de la zaouïa. Sur ces entrefaites, le fils
du marabout, Ahmed, quitta la zaouïa et se réfugia à
Djar'boub, auprès de son parent, cheikh El Mahdhi. Il avait
hâte, depuis quelque temps, d'échapper à la tutelle de son
beau-frère dont l'influence sur le vieux cheikh lui avait assuré
la haute direction de la zaouïa. Peu de temps après son
mariage, pour ainsi dire in extremis, le marabout s'éteignit
(5 août 1890). Ses funérailles attirèrent des milliers d'arabes
qui se disputèrent pour porter le cercueil quelques instants.
Il en résulta quelque désordre qui eût été rapidement dissipé
sans l'intervention de certaines autorités administratives qui
voulurent rétablir le calme à coups de matraque et en
reeurent elles-mêmes de la part de ceux, qu'elles venaient
déranger. En mourant, Tekouk laissait sa succession temporelle
et spirituelle à son fils Ahmed.
Le crédit du défunt était grand, même chez les colons
européens de Blad-Touaria, Aïn-Tédelès, Aboukir, Sirat et
Bouguirat qui, lorsqu'ils étaient victimes de vols, réclamaient
son intervention parfois suivie de bons résultats. Les enfants
de ces villages, lorsqu'ils jouaient avec les petits arabes, invo-
quaient son nom, et on les entendait jurer par la foi de cheikh
Tekouk : i^CO .<-^i ^^ H'ek'k cheikh Tekouk.
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 205
Deux ans et demi après la mort de son père, le 23 février
1893, son fils Si Ahmed, qui venait de passer cinq ans à
Djar'boub, revenait aux Oulad Chafa et rouvrait la zanuïa. Peu
de temps après, le Gouverneur général le faisait interner dans
la commune mixte de Cassaigne. Bientôt, malgré ses protesta-
tions, il était dirigé en Corse, soupçonné probablement de
tramer, de concert avec la Tripolitaine, des complets qui
pouvaient compromettre la sécurité de nos possessions
françaises d'Afrique. On finit cependant par se demander si
le crime d'être allé passer sans autorisation des autorités
locales, cinq années à Djar'boub méritait une punition aussi
sévère ; et on pensa qu'il était plus logique de libérer le jeune
marabout : ce qu'on fit quelques mois après. Le retour de Sidi
Ahmed provoqua une satisfaction générale chez les indigènes
et les colons du pays. La fête annuelle de Sidi Cherf se célébra
cette année là avec beaucoup d'éclat. Depuis cette époque. Si
Ahmed vit retiré, plein de déférence pour l'administration.
Dans son entourage, seul le fameux Ben Gara que nous avons
déjà cité mérite quelque surveillance.
Le marabout Ben Tekouk a aujourd'hui une quarantaine
d'années. Son harem comprend trois femmes et cinq enfants
dont deux en bas âge.
Située dans un lieu assez pittoresque, la zaouïa domine la
vallée d'Aïn-Madar et de Kitchoua et celle de Sirat. Elle est
formée de bâtiments construits à mesure que la place manquait;
il en résulte un an;oncellement de cours, de dédales et de
pièces de toutes formes, ainsi que cela a lieu dans toutes les
demeures musulmanes. Un peu au dessus, dans un petit bois
d'oliviers, s'élève une coquette kouba où un certain luxe n'a
pas été épargné. De construction récente (1899) cette chapelle
contient les restes du cheikh Tekouk d'abord inhumés dans un
tombeau à coupole très simple. Elle est surmontée d'un dôme
allongé assez élevé qui, à l'intérieur, est plafonné d'azur semé
d'étoiles dorées, dont une plus grosse que les autres dans la
direction de la Mecque, avec les colonnades intérieures et le
balcon circulaire qui les surmonte, cette décoration ne manque
pas d'une certaine originalité.
Si Ahmed a d'ailleurs continué les traditions de son père. Il
est hospitalier et charitable. S'il reçoit de nombreux dons en
nature et en argent de ceux qui viennent le visiter, il en fait
une large part aux indigents et aux infirmes qui viennent lui
206 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
demander secours. Sa zaouïa est en somme un centre d'assis-
tance privée qu'il est politique de tolérer sans réserves. Les
colons ont à se louer autant du fils que du père, et, comme les
indigènes, ils jurent maintenant, dans leurs rapports avec
ceux ci, parSidi Ahmed : J-p^! ^^^ (4^ hek'k' Sidi Ahmed-
L'intervention du marabout a eu souvent de très heureux
résultats, dans les atïaires de vols comme dans les contestations
entre propriétaires limitrophes. Tout européen qui se présente
à la zaouïa est assuré, comme chez nos trappistes, du souper
et du gîte.
Le personnel de Ben Tekouk comprend son entourage
intime, une maisonnée de serviteurs, et une sorte de garde
de 6 ou 8 nègres qu'il a ramenés de Tripolitaine.
Il ne se déplace que pour se rendre à Mostaganem (oii il a
un pied à terre), à Bouguirat pour ses aflaires, et enfin il va
camper chaque année pendant huit jours aux abords de la
mosquée de Sidi-Cherf, entre Bouguirat ej, El-Romri : là ont
lieu au mois d'août ou au mois de septembre des fêtes qui
durent une semaine environ. Le grand'père du marabout,
Sidi Cberf Tekouk (1) est enterré dans cette mosquée qui est
la plus grande de la région; mais rien dans son architecture
très simple ne mérite d'être relaté.
Chaque année, les tribus du pays viennent s'installer au
camp volant autour du lieu saint : ce groupement important
de tentes et de gourbis prend un aspect fort pittoresque. On
peut évaluer à dix ou quinze mille le nombre d'indigènes qui
affluent vers Sidi-Cherf les années d'abondance, six mille les
années de disette. Il est cependant à noter que depuis quelque
temps l'ardeur religieuse s'est sensiblement refroidie, d'où
diminution de pèlerins lors des fêtes annuelles.
Malgré tout, il vient là des représentants d'un peu partout :
de Mostaganem, de Renault, Inkermann, Arzeu, Relizane,
Mascara, Perrégaux, le Sig, Tiaret même; et il va sans dire
que les tribus restées les plus fanatiques jusqu'ici par suite de
leur isolement loin de tout centre de colonisation européen :
les Béni R'eddou et les Bordjia, fournissent à ces réjouissances
le plus nombreux contingent d'assistants. Le souvenir de leurs
anciennes hostilités s'y révèle à la façon dont ils s'intéressent
aux jeux du rah'ba où les lutteurs appartiennent à l'une ou
(1) € Tekouk » en berbère et en arabe parlé algérien désigne cette sorte
de moucherons qui mettent en été le désarroi parmi les troupeauxt
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 207
l'autre de ces, tribus. La surexcitation est quelquefois poussée
si loin que les autorités sont obligées d'intervenir pour prévenir
une mêlée générale.
En somme, à part quelques rixes sans importance, quelques
disputes nées dans les cantines que des Européens éprouvent
le besoin de venir installer aux alentours, les fêtes se passent
avec calme etordre; aussi, sans les encourager, l'administration
les tolère-t-elle et se borne à exercer une certaine surveillance
sur les gens et sur les choses. Elles sont l'occasion d'un afflux
assez considérable de colons des environs et de plusieurs
personnes de Mostaganem, grands amateurs du rah'ba, et les
caïds en profitent pour faire des politesses en organisant des
diffas monstres auxquelles ils convient les roumis de leur
connaissance et les fonctionnaires de l'administration.
Finissons avec Sidi Ahmed, en disant que son influence est
tout aussi grande, si ce n'est plus, que celle de son père, et
tant que son genre d'existence et ses procédés continueront à
suivre le cours qu'il a su leur donner, il sera politique de le
ménager dans ses susceptibilités et de ne pas chercher à lui
susciter des embarras quelconques. On n'a eu qu'à se louer de
la façon dont il s'est conduil jusqu'ici ; et, il y a deux ans, au
moment où la France qui semblait craindre des difficultés
diplomatiques, prenait ses dispositions pour augmenter son
eflectif de guerre, le marabout envoyait dans les douars de
Sfissifa et des Oulad Sidi Abd-Allah, des émissaires chargés
d'encourager les célibataires pauvres et sans travail, à s'enga-
ger aux tirailleurs de Mostaganem, où l'autorité militaire était
en train de former un nouveau bataillon. Le résultat ne se fit
pas attendre, et bientôt le nombre d'engagés volontaires qui
se présentaient à la caserne, dépassa celui qui avait été prévu-
Il y avait, en 4880, 256 partisans du Senoussisme dans la
commune mixte de l'Hillil. Aujourd'hui, la commune mixte de
la Mina en compte environ 600, dont 4 Mokaddems impor-
tants chez les Oulad Chafa, les Chelafa, les Oulad bou Abça et
les Heçaïvnia. La conduite religieuse ou politique de tous ces
Khouan n'a rien présenté jusqu'ici qui dût produire l'inter-
vention de l'administration.
Sidi Ahmed est, nous l'avons dit plus haut, un homme
d'une quarantaine d'années, de petite taille, mais bien
proportionné quoique d'aspect délicat. Sa figure, très
blanche est encadrée d'une barbe noire abondante qui lui
208 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
donne une certaine ressemblance avec la physionomie de
l'émir Abd-el-Kader. Ses mains fines et soignées, son type
sémitique pur, son air calme et froid, plutôt triste, dénotent
l'arabe de grande tente, le marabout de race. Nous avons eu
maintes fois l'occasion d'avoir des rapports avec Sidi Ahmed,
ils ont toujours été très cordiaux et sa façon d'accueillir les
Européens qui viennent le visiter, surtout quand ceux-ci sont
déjà connus de lui et ont su gagner sa confiance, est on ne
peut plus satisfaisante. Le marabout ignore totalement le
français, ou du moins il prétend n'en pas connaître un seul
mot : il connaît un peu le berbère employé dans le Djebel
Nefousa. Sa façon de s'exprimer en arabe est d'une correction
absolue, il sait toujours trouver les expressions justes, sans
jamais employer, ces locutions emphatiques qui dénotent une
éducation et une culture médiocres de ceux qui en font usage.
Malgré la gravité de son caractère et de ses allures, Ben Tekouk
ne déteste pas la plaisanterie, et c'est toujours d'une manière
très habile qu'il ajoute son grain de sel à la conversation.
Chapitre III. — DÉMOGRAPHIE
La commune rnixte de la Mina comprenait, lors du dernier
recensement, 44,452 indigènes et 935 habitants européens, en
tout 45,387 habitants. Les européens sont pour la plupart des
colons français habitant les centres-annexes ou des fermes
isolées, et des espagnols à la tête d'enti'eprises de jardinage.
Parmi les indigènes, il en est qui sont propriétaires agricoles,
d'autres khammès, d'autres enfin qui louent leurs bras aux
colons français et européens. Le plus petit nombre exerce
diverses industries ou essaye de vivre de rapines exercées au
préjudice de ses coreligionnaires ou des villages voisins.
Arabes ou berbères arabisés, les indigènes de la commune
mixte parlent tous arabe : c'est l'idiome généralement répandu
dans la province d'Oran (1), cependant, nous avons noté sur
(I) Le département d'Oran est celui où l'idiorae berbère est le moins
répandu. Il y est encore parlé par les populations des A"c bâcha
(dans le Dabra), celles de Frendab et de Cacherou : les Bot'iona, tribu
marocaine qui s'est établie à Sainl-Leu (aux environs d'Arzeu) il y a
près d'un siècle, ont aussi un dialecte a eux. Il en est de même des
habitants des kçours du Sud. Tous ces indig'énes parlent également arabe
et ne se servent de la langue maternelle qu'entre eux, -et surtout quand
ils se trouvent sur les marchés quand ils cotnbinent une spéculation
quelconque et parlent devant un arabe ou un européen,
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 209
les lieux des expressions qui paraissent locales et d'autres
employées dans des contrées fort éloignées comme la Tunisie
ou la région de Biskra, et qui prouvent les émigrations succes-
sives des tribus après l'invasion arabe et les changements de
contrées qu'elles opérèrent, emportant dans les nouvelles
contrées qu'elles allaient occuper des locutions employées
seulement dans le premier pays qu'elles abandonnaient. Voici
la liste de ces mots et expressions diverses :
^j" sioiia : excepté (employé ailleurs en arabe écrit) ; —
sj~»^j' icsmira : fer à cheval ; — «^OL; balek (littéralement,
prends garde) : peut-être; — ïJL^j^^j^ tckoutchoumala : cham-
pignon ; — y^3 k'is ! jette ! — '_i> ' ^ dcuj et \,^^ x> tedag :
se disputer ; — LïLxJt U ia lâga : ô un tel ! (Ex. : ' j.a^t'' Li'LxJt L;
ia lâga Moh'ammed ait : ô M. un tel, — pour appeler) ; —
^^L^ ou ^^j^> sag ou isoug : conduire (des bêtes) ; — 'iiLk^i
fesVala : bouton (d'habit) ; — rali'a ï^tj : non ! pas du tout 1
— J) Li/= iner'ad : après-demain ; — ^ii J,' licheggou : l'autre
après-demain; — J..,a_^l j i^.>U^ el faïdat oiilh'ocel : j'ai
fini de parler avec toi; - ifla:k >^eX i d'ik khat'ra: l'autre
fois; — jl..^xJI Kjj]i d'ak en nehar : l'autre jour; — '^-^•''-^
hennia: c'est bien ! c'est entendu ! — "^ij^ yf meraoula : der-
rière! en arrière ! — a^^ U'yia : chose : ^^^ .^.j'^ ouïn
r'adi? : où vas-tu? — ï.^^,.fii namousia : lit en fer ; — X-JùiLi' ■
gabita : aiguière; — j'y nouar : cotonnade à dessins; —
'ii^lS kacha et *^^'j.? ferrachia : couverture de lit; — ait^s
ferracha : paillasse ou sommier ; — c^j^ ^„ "' ICaoudji !
Ah ! tiens ! (étonnement) ; — ^Clc àUk I prends garde ! fais
attention à toi ! — si: iéh ! tiens ! (étonnement) ; — jLa haou !
parbleu ! — >\j ^' aï ouah ! c'est ça ! tu y es ; • — jic ôch !
au trot ! (à un cheval) ; — «.jXJLj» ma lek ? qu'as-tu donc ? (au
lieu de ^.jX> , .^ij ouach hik) ; ^ij^ L; iahoudi ! donc ! (Ex. :
^jjS L; v,i>r^! askout ia houdi ! tais toi donc !) ; — < ^^-I ess /
tais toi ! — j.^ cedd ! va-t-en ! — 'LcjS' kraâ : pied (au lieu de
^^j redjel qui est inconnu); — I jili. i> ia khelada ! Oh !
(étonnement) ; \^t^Ls> hak ! tiens ! prends ! ainsi ! comme ça !
— v.iJ'Lj iak/ ah! (étonnement); jj» r-'' mereg : sortir; —
s.i»i necliaà: tirer (au lieu de ^•^^) ; — l_j» Lui, chta houa et
Lxi chta : qu'est-ce que c'est ? quoi ? — s b LXi. chta iah ?
210 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
qu'y a-t il donc ? — -^^^-'.j ouhnta ? quand ? (au lieu de < i ixij
ouek'tach) ; — ^n-^ y ^ou djettou : tout petit ; — a-s^à^. y
hou khenoufa : porc ; — ç-L5j y hou zeggar" : puceron rouge
(du berbère j^'-^j' azeggar' : rouge) ; — 'À^jt y hou chouka :
. courge ; — ^'^i->=>. khebarek : comment vas-tu ? — ^i ,àJio l^
ma ichk'a che : ce n'est pas la peine de. . . ; — l'i_j^ h'ouala :
affaires, marchandises ; — o^^^-) heset (appeler en faisant :
ssssf); — L;I.Ls hnouana : c'est moi qui! — 'À<:y y bon
âouïna : « caput mentalae » ; — 1^.1 j.c jI oumm âouina :
« pudendum muliebre » ; — • \jjS j> hou keroun et JJ:> IL
fanich : mari trompé ; — .^ ■_) Li. y hou chareb : bec de lièvre ;
— ;ijLà:'' y hou niekhlouf; poussée d'orges par places ; —
wotjl a*sr^ cheh'mat el âm : paupière inférieure ; — ï-j-i Lj
haguia : tour de l'œil ; — J^Jt ïÀ'i^à. khengat el ied : poignet :
j.sr*-tl «.^^ ceha' el ma'djer : médium (doigt) ; — -Js-.^»-?- djàhat :
nombril ; — fçi t'afar : derrière (subst.) ; — ïi^f ^f kerkouba :
« volva » ; — V 'i^'j reuggah et , Lys i l'ertouch : « crisla
vulvaria » ; — jtj.c sjîj-c (ce qu'on appelle vulgairement
chez nous « vesse ») ; — >■- '-> ^^t>[j Lx_i chta rak dair ;
qu'est-ce que tu fais? — >■} -^-^ 4 ^^ ^* daïr : comme il agit !
quel drôle de type ! -^/j-.- ï*~i. j.i=>.l akhla kheimat sidek
(littéralement : que Dieu vide la tente de votre père. Cette
expression qui fut d'abord imprécatoire est devenue une
formule d'étonnement prononcée à tout bout de champ.) ; —
«!_)L» hara .' voyons ! allons ! — a„3 ^^c Lxi : qu'est-ce que ça
méfait?
i »!>' L/> ma thenima che : pas bon, mauvais (veut dire à
Tunis : il n'y a pas).
Les expressions suivantes sont également usitées à Tunis où
nous avons eu l'occasion de les entendre maintes fois : iiLjj y
hou riat'a : oiseau : — <^-- !-=>■ djahia : bassin ; — X_,C9 hakka :
ainsi; — ^^^ ^^'adl : là-bas; ^ ï-'ly nouala : gourbi; —
UjL—i chara : cible; ^i — i k' ad aor. ^j-~--, ik'oud: conduire
(cheval) ; — ^Jy hoiinia : coup de poing ; — i f^sr^ meh'ebra :
encrier; ï?K=^ kherrafa: fable, histoire; — s^L^c âmara :
musette ; ^jj rouch' : partir ; — , tLL t'nf aor. ajL> if ouf :
parcourir ; — j^L j}j oiialou ouaJi'ed : pas un seul ; — _j.a«=.
Kesen : raser.
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 211
On trouve encore : s x>^ endeh f va (usité en Egypte); —
r. li gaâ : tous, tout, jamais (employé également à Biskra) ; —
jifi.^ kenziz: « crista vulvœ » (employé par les Arabes du
Sud).
Les noms berbères restés à certains lieux comme Tiliouanet,
Tamakroust, et à certaines tribus, comme les Béni R'eddou,
prouvent suffisamment que cette race autochtone a largement
contribué à la population du pays. M. Carette évaluait à
10,900 arabes la population des Flitta ; à 11,900 arabes celle
des Medjeher; à 26,200 habitants, dont 15,000 berbères, celle
de l'aghalik de Mina et Chélit'. En réalité, seuls les Flitta sont
d'origine arabe sans qu'il y ait trop de mélanges, mais les
Medjeherne formaient plus, en 1850, de tribu distincte : c'était
un nom de district donné à un amalgame de petites tribus
hétérogènes, les unes berbères, les autres arabes, vivant avec
assez d'intelligence pour qu'on pût les considérer comme un
tout politique.
Nous verrons plus loin de quelle faron est répartie la popu-
lation agricole dans la commune mixte en général et dans les
centres annexes.
Chapilie IV. — ÉTAT ECONOMIQUE
Ayriciilture, Industrie
Commerce et Voies de commuiiicatiou. Finances
La commune mixte de la Mina présente des régions très
fertiles ; les plus importantes sont : la plaine de Sirat, les
terres basses des Oulad bon Abça, la plaine de l'Hillil et celle
de la Mina sur certaines parties, la région de Mekhalia.
Chez les Oulad bon Ali, les Douair Flitta et les Guerboussa,
seules quelques petites plaines otïrent un champ à la culture
et ont un assez joli rapport ; mais le reste qui se compose de
collines érodées et nues ne produit à peu près rien.
Au nord de Kalàa et de Tiliouanet s'étend la fertile plaine
de Sammar, salubre, bien située, facilement arrosable, cette
plaine semblait faite exprès pour l'établissement d'un centre
français de colonisation. Des tentatives furent faites pour
persuader aux indigènes de céder leurs terres par voie
amiable. Mais ceux-ci opposèrent un refus systématique à
212 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
l'administration. Pour vaincre leur résistance, on aurait pu
prononcer l'expropriation avec prise de possession du sol
d'urgence pour cause d'utilité publique ; mais des considéra-
tions d'ordre politique empêchèrent l'autorité supérieure
d'avoir recours à ce moyen extrême. Le centre de Sammar
aurait pu être installé dans des conditions excellentes. Le sol
convient aux cultures les plus variées et l'eau, de qualité
excellente, y est très abondante ; on compte en etTet, dans un
rayon de moins de trois kilomètres cinq sources d'eaux vives
donnant en toute saison un débit considérable. Cependant,
depuis quelques années, des mutations nombreuses se sont
produites dans la possession du sol. Une partie des terres de
Sammar appartient aujourd'hui à des européens qui ont créé
là deux exploitations agricoles. On peut donc présumer, sans
être taxé d'exagération, que dans un avenir assez rapprociié,
la plaine de Sammar, déjà entamée par la colonisaiion libre,
sera tout entière entre les mains des européens
Chez les Sidi Saàda, c'est-à-dire sur le territoire des Béni
R'eddou, la qualité des terrains est médiocre. Les indigènes,
anciens berbères, cultivent peu les céréales et vivent maigre-
ment des produits de leurs troupeaux.
Les douars-commune de El-Romri, Sfafa et Sahouria
embrassent des régions de plaines en partie irriguées, par
l'Oued Mekhallouf et les eaux du marais de Bouguirat pour le
premier, les eaux de l'Oued Malah et de l'Oued Fergoug pour
les deux derniers. Malgré cela, les terres qui sont salées sur
plusieurs points et pauvres en général comme toutes celles
qui sont situées dans la plaine de l'Habra, n'ont rien que de
très ordinaire comme rapport. Les Béni Yah'i sont sillonnés
de canaux de drainage, et, de même que le douar-commune
L'Ahl el Hessiane, ont la plupart de leurs terrains inondés en
hiver, et par suite incultivables, seuls les mamelons sont
labourés el ont un rendement suffisant en céréales.
Le douar-commune des Hassainia situé dans la plaine de
Sirat produit d'abondantes récoltes pour peu que l'année soit
pluvieuse, mais souvent il arrive que l'orge et le blé verts
sèchent sur place faute d'eau : c'est le cas qui se présente
dans presque toute la plaine du Ghélif.
Les Oulad bou Abça renferment des terres: excellentes,
notamment aux environs de Bouguirat et de Blad Touaria.
Les terrains y sont riches en général et ne sont cédés par les
DE LA. COMMUNE MIXTE DE LA MINA 213
indigènes qu'à des prix rappelant ceux des propriétés de la
Mitidja. Toutes les cultures y peuvent être expérimentées
avec succès. Il est regrettable que cette région ne soit pas
plus abondante en eaux vives : ce qui permettrait des irriga-
tions favorables au développement de la production. Plusieurs
indigènes se sont mis, à l'instar des colons voisins, à planter
de la vigne qui donne de très beaux résultats.
Grâce à l'incurie, à l'imprévoyance et à l'apathie tradition-
nelle des indigènes des Sficifa, Ghoualize et Oulad Chafa, les
sables poursuivent leur marche envahissante sur plusieurs
points de ces douars-communes. Dans cette région, de superbes
jardins de figuiers ont été complètement recouverts par de
petites dunes qui se déplacent sous l'action violente des vents
du sud et du sud-ouest^lj. C'est à peine si l'on voit émerger
au-dessus du rouge brun des sables le sommet de ces arbres
qui périssent peu à peu étouffés.
D'autres terres cultivées en céréales ont également été
envahies et rendues impropres à toute culture. Cette situation
déplorable est la conséquence du déboisement inconsidéré
effectué par les indigènes qui, non contents d'arracher et de
détruire les arbres et arbustes, s'attaquent aujourd'hui aux
genêts, et, en général, à toute ^égétation, ignorant l'immense
avantage qu'il y a pour eux à conserver la végétation dont les
racines maintiennent les sables et s'opposent à leur dépla-
cement.
Le meilleur moyen de prévenir l'envahissement des sables
consiste dans l'établissement, de distance en distance, de
haies de genêts ou de roseaux. Ces haies présentent le double
avantage d'opposer un obstacle à la violence des vents et
d'empêcher le glissement des terres. Les roseaux ne peuvent
cependant être enjployés que dans les lieux relativement
humides et peuvent être avantageusement remplacés par les
tamarins ou pins maritimes qui trouvent, dans un terrain
sabloneux, leur élément favori et n'exigent d'autre entretien
que la surveillance active des troupeaux que l'on doit natu-
rellement éviter de faire passer dans les pépinières de jeunes
pousses d'arbres.
(1) L'existence première de ce sable provient de la qualité du sol
superficiel qui contient des matières ferrugineuses désagrégées par, les
pluies, les vents violents et les pas des troupeaux.
214 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
Chez les R'oufirat oulad Doni, le sol est de qualité médiocre
et ne donne de récoltes satisfaisantes que dans les années
pluvieuses.
Le territoire des Oulad Sidi Yousef est presqu'exclusivement
occupé par des régions montagneuses et forestières, entr'autres
la forêt domaniale, celles d'Ennaro et de l'AUrboube. Aussi, les
habitants de ce douar-commune se livrent-ils presqu'exclusi-
vement à l'élevage des troupeaux et à la fabrication du charbon
et du goudron.
Les Ouled Addi, Kiaïba et Bel Hacel composent l'ex-terri-
toire des Ouled Ahmed. La qualité du sol cultivable, c'est à-
dire de la partie-plaine, est moins qu'ordinaire ; le rapport est
satisfaisant si l'année est très pluvieuse, et la situation favorable
de cette région à la jonction de deux grands cours d'eau (le
Chélif et la Mina) n'est pas en rapport avec la richesse des
terrains.
Les trois douars-communes d'Ain eKGuettar, Zgair et
Tahamda, situés sur l'ancien emplacement de la tribu des
Mekhalia, possèdent un sol également fertile : il y a là un
grand nombre de jardins et de vergers de figuiers. La culture
des céréales et la production du miel y sont les principales
ressources.
Le territoire des Chelafa, d'une grande fertilité, est traversé
par le Chélif et son affluent de gauche, l'Oued-el-Kebir, dont
les eaux sont utilisées pour l'irrigation des terrains ; il ren-
ferme des plantations de figuiers bien entretenues, et son
voisinage des centres d'Aïn-Tédelès et de Souk-el-Mitou
assure aux cultivateurs indigènes un écoulement facile de
leurs produits. Le sol est ix)ssédé à titre a melk » ; la tribu ne
renferme ni terrains collectifs de culture, ni terres de parcours.
Chez les Oulad Sidi Brahim, le pays est montagneux et en
partie formé par les contreforts du Dahra ; les terres, bien que
de bonne qualité, ne donnent de belles récolles que dans les
années pluvieuses. Parmi les sources, en petit nombre, deux
sont thermales, à la température de 46", mais sans importance
au point de vue médical.
Le douar-commune de Mina, arrosé par la Mina et l'Oued
Hillil, irrigué par des travaux de colonisation est généralement
fertile, et, au contraire des contrées voisines; n'a de beaux
rapports que par les années pluvieuses moyennes. Il est faci-
lement inondé à la moindre crue des eaux et n'olTre plus
DE LA CO^rMC^•E MIXTE DE LA MINA 215
qu'un vaste lac de boue et d'argile. Dès lors, toute culture
devient impossible et les douars sont obligés de se retirer
pour aller camper sur les hauteurs. C'est la partie de la
commune mixte qui a le plus à souffrir des inondations ou
des périodes de pluies prolongées. Les parties basses du douar-
commune d'El Messabehia présentent la même fertilité que le
sol des territoires de Clinchant et Relizane.
En résumé, les régions de la commune mixte de la Mina au
point de vue agricole peuvent se ramener à ceci : Collines
sablonneuses au nord ; terrains médiocres au centre ; terres
excellentes dans les régions de Kalaà, Oulad bou Abça et
Mekhalia ; terres fortes dans les plaines avoisinant Perrégaux.
Voici quelques données statistiques agricoles relatives à
cette région :
EUROPÉENS
Superficie des propriétés : 7,765 hectares.
Population agricole : 230 hommes ; 180 femmes ; 2'2.3 enfants.
— Total : 635 habitants.
Bestiaux : 197 chevaux ; 75 mulets ; 15 ânes ; 669 bœufs ;
1,011 moutons ; 232 chèvres ; 146 porcs. — Total : 2,245.
Matériel agricole : 332 charrues ; 121 herses, semoirs, etc. . . ;
196 chariots ; 124 faucheuses ; 5 machines à battre ; 30 tarares ;
18 égrappoirs. — Total : 726. — Valeur : 180,830 francs).
Constructions : 206 maisons ; 5 moulins ; 48 tentes ou gourbis ;
124 puits et norias. — Valeur totale : 636,830 francs.
Arbres : Fruitiers à feuilles caduques, 9,935 ; bananiers,
citronniers, orangers, 2,650 ; oliviers greffés, 11,832 ;
mûriers, 1,451 ; divers : 9,672. — Total : 34,540.
Vignes : 107 hectares de jeunes plants ; 574 hectares de cépages
noirs ; 8 hectares de cépages blancs. — Total : 689 hectares.
— Rapport : 4,170 hectolitres de vins rouges et 198 hecto-
litres de vins blancs.
Oliviers : Rapport, 3,000 kilos d'olives, 20hectos d huile.
Céréales : Blés tendres (644 hect. = 2,151 quint.) ; blés durs
(498 hect. = .561 quint.) ; orges (1294 hect. =3,040 quint.) ;
divers (200 hect. = 600 quint.)
Apiculteurs : 6 (36 ruches).
Légumes : 53 hectares de cultures.
216 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
INDIGÈNES
Superficie des propriétés : 1 10,850 hectares.
Population agricole : 10,646 hommes ; 10,940 femmes ; 22,432
enfants. — Total : 43,788 habitants.
Bestiaux: 2,971 chevaux ; 174 mulets; 4,625 ânes; 78 chameaux;
14,047 bœufs ; 62,2il moutons ; 36,046 chèvres. —
Total : 119,972.
Matériel agricole : Charrues de toutes formes, 2.198 ; chariots
et charrettes, 19. — Valeur totale : 31,825 francs.
Constructions : 1,325 maisons ; 7.420 tentes ou gourbis ;
2 moulins; 397 puits ou norias.— Valeur totale : 1,484,050 fr.
Arbres : Fruitiers à feuilles caduques, 125,000 ; bananiers,
orangers, citronniers, 200 ; oliviers greffés, 1,800 ; divers,
un millier.
Apiculteurs : 270 (2,882 ruches).
Vignes : 28 hectares.
Céréales : Blé tendre f4,100 hect. = 36,284 quint.) ; blé dur,
(5,346hect.= 64,493 quint.); orges, (21,000 hect. =230,724
quint.) ; divers, 600 hect. zz 3,000 quint.)
La production moyenne annuelle des animaux domestiques
dans la commune mixte est la suivante :
303 ciievaux et juments ; 63 mules et mulets ; 413 ânes et
ânesses ; 9,927 moutons, héliers et brebis ; 6,785 boucs
et chèvres.
Tous les chiffres qui précèdent proviennent des statistiques
établies pour l'année 1890-1900, année particulièrement
~ meurtrière pour les races bovine, ovine et caprine.
Gomme on l'a vu ci-dessus, les céréales, la vigne, les arbres
fruitiers (orangers, bananiers, pêchers, abricotiers, figuiers,
citronniers, poiriers, etc.) sont les seules cultures importantes
du pays. On peut y ajouter celle des légumes qui n'occupe que
quelques Européens ; celle du tabac, du lin ei de la garance,
fort restreintes, que pratiquent quelques indigènes.
L'introduction du cotonnier dans le pays remonte à l'invasion
arabe. Plusieurs siècles, cette culture se maintint dans le
département d'Oran. Elle fut reprise pendant la guerre de
sécession où elle donna des résultats rémunci'ateurs. En 1889,
le coton occupait 3,000 hectares dans la région du Sig, de
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 217
l'Habra et de Relizane. Les prix de cette année furent désastreux
et la récolte fut médiocre. En l'absence d'un cours régulier du
prix, les achats devinrent le monopole de 2 ou 3 maisons qui
abusèrent de la situation et s'enrichirent en ruinant de nom-
breux cultivateurs pressés de réaliser. A partir de 1870, cette
culture fut peu à peu abandonnée. En 1874, elle ne dépassait
pas 592 hectares dans tout le département d'Oran (produisant
278.800 kilos de coton net égrené — variété longue soie — ).
Elle dut cesser finalement à cause de la concurrence et n'a pas
été reprise depuis.
L'élevage du ver à soie a été et est en pratique sur une trop
petite échelle pour qu'il vaille la peine de s'y arrêter. Ce genre
d'industrie mériterait cependant qu'on s'en occupe d'une façon
toute spéciale, en raison de l'extrême facilité avec laquelle
viennent les mûriers ,sur certains points de la commune
mixte.
Les irrigations des terrains de la commune mixte de la Mina
sont loin d'être réglementées d'une façon satisfaisante. Nous
verrons plus loin, aux monographies des centres de Relizane
et de l'Hillil les améliorations qu'il conviendrait de faire pour
le bien de l'agriculture en général et la colonisation en
particulier.
En dehors de la Mina et de l'Oued Hillil, les ruisseaux et
torrents de la région n'ont été l'objet d'aucuns travaux ayant
quelque importance. L'Oued Tiliouanet est tout à fait en dehors
du territoire de colonisation. Une partie deses eaux est dérivée
pour l'alimentation en eau potable de la ville de Relizane. Le
reste est utilisée par les indigènes pour arroser leurs jardins.
Les indigènes riverains de l'Oued Kalâa ont la libre
jouissance des eaux en vertu de l'article 2 de l'arrêté de régle-
mentation du 14 mai 1868. Article ainsi conçu : « Les eaux de
« l'Oued Kalâa, jusqu'à son confluent avec l'Ougd Mesrata,
« sont attribuées aux indigènes de la vallée de Kalâa qui
« pourront en user en tout temps comme bon leur semblera,
« sauf réglementation ultérieure s'il y a lieu ». Dans la nouvelle
réglementation des eaux de l'Hillil les concessionnaires n'em-
ploient que le volume qui leur est nécessaire tant pour leur
alimentation que pour l'arrosage de leurs jardins. Le surplus
serait attribué aux usagers d'aval .
Le ruisseau de Mesrata a un débit de 80 litres à la seconde
sur lequel les indigènes voisins des sources sont autorisés à
218 JIONOGRAPIIIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
prélever 16 litres 58 pour l'arrosage de 22 hectares 10 de
jardins.
Les sources de l'Oued el Kheir et d'Aïn-Hallouf (monts de
Mekhalia) seront utilisées lorsque l'on se décidera de construire
àcet endroit le village d'Ain-Hallouf dont la création est projetée
depuis très longtemps.
On a dégagé et réglementé les sources de Sidi Moussa et
Sidi-Ameur qui sourdent de la berge droite de l'Oued Hillil
pour en faire jouir les habitants du village de ce nom.
Les sources de la plaine de Sammar sont nombreuses et
fournissent de l'eau excellente. Les principales sont :
L'Aïn-Djerda débit à la seconde : 8 lit. 00
L'Aïn-Mekra — 3—00
L'Aïn-Brahim — 2—50
L'Aïn-Tebouba — 1 — 50
Total 15 lit. 00
Toutes les sources sont utilisées soit par les indigènes qui
s'en prétendent propriétaires en vertu de titres émanant de la
domination turque, soit par les colons européens qui s'y sont
établis. Quoiqu'il en soit, on pourrait toujours prélever sur
les dites sources la quantité d'eau nécessaire pour l'alimenta-
tion d'un village au cas où on finirait par en créer un sur ce
point.
L'Oued Malah, l'Oued Addad et l'Oued Mekhalouf qui ont
des bassins hydrograpliiques très étendus sont complètement
à sec en temps ordinaire ; mais lorsqu'il pleut dans les régions
montagneuses où ils prennent naissance, ils débitent un volume
d'eau considérable qui va se perdre dans la plaine de l'Habra,
fort mal réglementé par des travaux d'irrigations rudimen-
taires, parmi lesquels le barrage del'Oued Mekhalouf, dont nous
aurons l'occasion de parler à propos du centre de Nouvion
(El-Romri).
On a proposé d'établir des barrages de dérivation pour
l'utilisation des petites crues de l'Oued Addad et des deux
autres. Le barrage de l'Oued Malah permettrait d'arroser une
partie des territoires des douars-commune de Sahouria, El
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 219
Romri, Béni Yahi, soit une superficie d'environ 1,000 hectares.
II coûterait 200,000 francs à établir.
La commune mixte de la Mina ne contient pas de minerais.
Il existe aux Oulad Addi un lac .salé dit des Akerma Cheraga
CD de Sidi bou Zian, dont la superficie atteint 1,720 hectares et
que nous avons cité au chapitre de l'hydrographie. Il est
exploité par des industriels qui l'ont relié à la station de l'Oued
Djemâa (P.-L.-M.) par une voie Decauville. Il produit une
quantité annuelle d'environ 3,600 tonnes de sel.
On a fait beaucoup de bruit ces temps derniers autour des
fameux gisements pétrolifères de Tiliouanet appelés plus
communément « sources de pétroles de Relizane ». Des indi-
gènes ayant signalé il y a quelques mois la présence d'eaux
ft sentant mauvais », des ingénieurs se rendirent sur les lieux
et, après avoir sondé le'terrain, trouvèrent le moyen d'extraire
une certaine quantité de pétrole d'excellente qualité. Mais une
fois ces premières poches épuisées assez rapidement, les
recherches ne donnèrent plus ce qu'on aurait pu présumer.
Déjà on avait fondé grand espoir sur cette nouvelle ressource
du pays, on parlait de créer un chemin de fer Decauville pour
emporter les quantités considérables de pétrole extrait, on
évaluait les fortunes qui allaient se gagner, en un mot, la
fable de Pérette se renouvelait une fois de plus, mais malheu-
reusement les résultats obtenus ne répondirent pas aux
espérances enthousiastes de ceux qui avaient fait les premiers
sondages et en avaient été si bien récompensés.
Depuis plus d'un an, Relizane est dotée de quatre couîpagnies
ayant pour but de trouver le pétrole en question. Elles ont
installé leurs chantiers à Tiliouanet, et cette installation leur
a coûté plus d'un million. La « Compagnie française des Mines
de Pétrole », dont l'ingénieur et les sondeurs sont Polonais, a
fait venir son matériel très perfectionné de Galicie, où se
trouvent, on le sait, de nombreuses exploitations de gisements
pétrolifères. Ces compagnies ont déjà creusé des puits allant
jusqu'à 500 mètres de profondeur sans avoir jusqu'à ce jour
obtenu des résultats satisfaisants. On n'a pas encore pu
déterminer exactement quelle est l'orientation des couches où
l'on suppose qu'il y a du pétrole ; et on est encore à se
demander si on se trouve soit en présence de nappes souter-
raines, soit de poches, soit de filons. Dans certains puits, les
suintements sont, paraît-il, abondants, et le pétrole qu'on en
220 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
retire est de qualité supérieure : aussi les ingénieurs ont-ils
encore quelque espoir. La difficulté est de tomber juste, que
ce soit nappe, filon ou poche, et de longs mois peut-être
s'écouleront avant d'arriver à une solution quelconque. Jusqu'à
ce jour, ce sont les indigènes qui ont retiré le plus clair
bénéfice de l'arrivée de ces compagnies. Des terrains incultes,
absolument dénudés, qui n'avaient auparavant aucune valeur,
se sont vendus jusqu'à sept et huit cents francs l'hectare.
Incontestablement, et toutes les personnes compétentes qui
ont visité la région sont unanimes à le reconnaître, il existe
du pétrole dans les environs de Tiliouanet, douaïr Flitta,
Kalàa et Oulad bou Ali. La nature du sol et les nombreux
suintements constatés ne laissent aucun doute à ce sujet.
Malheureusement, il est pour ainsi dire impossible de déter-
miner exactement la direction et la profondeur de la nappe
pétrolifère. Ce n'est qu'à force de multiplier les sondages
qu'on arrivera peut-être à être fixé sur ce point.
Une source sulfureuse appelée « Aïn-Mekeberta » par les
arabes du pays coule chez les Hassaïnia, sur le versant est du
djebel Milar. Elle est fort appréciée des indigènes et des
colons qui font utilisée pour se traiter, mais son éloignement
de tout chemin de grande communication s'opposera long-
temps à ce qu'elle soit l'objet d'une exploitation quelconque.
La commune mixte de la Mina est, de tout l'arrondissement,
la commune où l'on fabrique le plus de tissus. Outre les
objets nécessaires à la consommation locale, on y confectionne,
surtout dans la ville de Kalàa, une assez grande quantité de
tapis destinés à la vente. Cependant, pour arriver à livrer la
marchandise plus rapidement et à y consacrer le plus capital
possible, les femmes ont dii se mettre à tisser des tapis tout à
fait inférieurs aux anciens. La teinture végétale, très tendre
mais chère, a été remplacée par la teinture minérale qu'elles
achètent à vil prix, mais qui se fane rapidement. Dans ces
conditions, l'industrie « tapissière » est tombée à un degré
bien inférieur à ce qu'elle était avant.
Il y a quelques années, M. Missier, instituteur français, fut
nommé à Kalàa. Sa femme, prévoyant la disparition prochaine
de l'industrie qui faisait vivre la bourgade, essaya de la sauver
dans la mesure de ses forces. Après plusieurs mois d'essai
pendant lesquels elle n'usa que de ses ressources particulières,
elle arriva presqu'au but qu'elle s'était proposé. Aujourd'hui,
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 221
elle tient une sorte d'ouvroir-atelier où, sous sa direction,
quelques femmes de la ville font des tapis plus soignés que
ceux tissés par les autres professionnels de Kalàa. Malheureu-
sement, M™<= Missier a, parait-il, épuisé ses économies dans
son œuvre de régénér'ation professionnelle, et elle pourrait
bien être obligée de fermer un jour son ouvroir. Le Gouver-
nement français a pour devoir de ne pas laisser périr cette
industrie et de lui rendre, dans la mesure du possible, sa
prospérité ancienne.
Il y a en ce moment à Kalàa de 4 à 500 métiers à tapis, et
leurs ouvrières ne gagnent guère plus de 50 centimes en
moyenne par jour. On juge donc quelle marge de développe-
njent il y a là comme main-d'œuvre, comme salaires et comme
industrie. Les habitants de Kalàa, laborieux, paisibles et
pauvres, ont droit à la sollicitude spéciale du Gouvernement.
Ils sont industrieux. Ils envoient leurs enfants à l'école qui
compte six classes et n'ont jamais pris part à une insurrection
quelconque, sauf de très rates exceptions.
La concurrence que font aux tapis de Kalàa les produits
similaires de Tiaret et du Maroc auxquels les indigènes aisés
donnent la préférence, semble également avoir contribué à la
décadence de l'industrie tapissière de Kalàa. Pour la relever,
le Gouvernement général ferait bien d'accorder à M™" Missier,
directrice de l'ouvroir, une subvention annuelle de 50 francs
au minimum. Il conviendrait aussi d'accorder des primes aux
produits fabriqués exclusivement à l'aide de couleurs végéta-
les et d'ouvrir un concours pour faire ressortir la valeur des
tapis tissés par les ouvrières de cette localité, (l;
On y fabrique aussi des burnous, des babouches ; des
tanneurs et des meuniers indigènes y sont en assez grand
nombre.
L'ancien territoire des Medjeher fournit à la consommation
des tribus environnantes une grande quantité de pains de
figues.
Le commerce de la commune mixte consiste en exportation
de produits agricoles et de bestiaux, en importation de
produits industriels, et en échar;ge entre indigènes et colons
(1) Certains de ces produits sont de fabricalion très fine et peuvent
rivaliser pour la beauté de dessia et d'exécution avec les plus jolis tapis
de Smyrne et de Syrie.
16
222 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
opérés sur les marchés des communes de plein exercice de
Bouguirat, l'Hillil, Blad Touaria, Aboukir et surtout Relizane,
sur les places des centres de colonisation tels que Sirat,
Nouvion, Clinchant, Sahouria et de Kalàa (dont le marché a
lieu le samedi).
Les voies de communication importantes qui sillonnent le
territoire sont ; la route nationale d'Alger à Oran n° 4
(portion compi'ise entre Aboukir et Ferry) ; la route nationale
n» 7 de Relizane au Maroc (terminée de Relizane à Tiliouanet,
en piste de cette localité à El Bordj, après avoir passé par
Kalàa, et reprenant un peu avant El Bordj); route départe-
mentale n" 6 du Sig à Bouguirat (portion comprise entre cette
localité et Perrégaux) ; chemin n" 59 de Mostaganein à Nouvion
(portion comprise entre ce centre et Ain sidi Chérit) ; route
départementale de l'Hillil à Cacherou (portion comprise entre
l'Hillil à El Bordj).
Le territoire de la commune mixte est en'outre desservi par
17 chemins vicinaux classés de 1 à 17, parmi lesquels la route
de l'Hillil à Kalàa, l'ancienne route de Bel Hacel à Mostaganem,
la route de l'Hillil à Bel Hacel, de l'Hillil à Madar, etc.
Deux lignes de voies ferrées traversent la commune mixte:
1° Ligne d'Alger à Oran, P.-L.-M., portion comprise entre
Ferry et Perrégaux qui passe à la station des Salines, à
Relizane (arrêt de 10 minutes), Clinchant, l'Hillil, Oued-
Malah et Sahouria. Le chemin de fer franchit la Mina, l'Hillil
et l'oued Malah ; il est en droite ligne et en plaine de Relizane
à l'Hillil, et n'otlre quelques courbures et pentes assez raides,
qu'entre celte dernière station et Oued-Malah ;
2° Ligne de Mostaganem à Tiaret (ex-Compagnie Franco-
Algérienne, actuellement réseau d'État algérien), portion
comprise entre Oued-el-Kheir et Relizane. En partant de cette
ville, la voie se déroule en droite ligne dans la plaine jusqu'au
moment où elle franchit la Mina pour commencer, aussitôt
après la station de Bel-Hacel, à serpenter le long des pentes
des monts de Bel-Hacel et de l'Aki-boube, en des courbes
prononcées, qui font exécuter aux trains des mouvements de
roulis variés, et ne Unissent qu'à l'Oued-el-Kheir. Les stations
de cette région de collines sont : Bel-Hacel (hameau arabe
de 994 habitants), Sidi-Kheltab (koubba du marabout de ce
nom ; jardins et vei'gers arabes), Mékalia (quelques douars),
DE LA COMMUNE MIXTE UE LA MINA 223
Oued-el-Kheir. On aperçoit, sur la droite, de grands bois
d'oliviers, des broussailles, des pins, d-3S lentisques, des
tuyas couvrant d'immenses ravins.
Les forêts importantes de la commune mixte de la Mina,
sont :
1" Forêt d"En-Naro (675 hectares) : pins, tuyas, oliviers ;
2" Forêt de l'Akrboube (2,998 hectares) : pins, chênes,
lentisques, oliviers ;
3" Forêt de Kalàa (100 hectares) : chênes, tuyas.
Les deux premières sont l'objet d'une active surveillance de
l'administration forestière, et il ne s'y produit pour ainsi dire
jamais d'incendies, si fréquents dans d'autres régions.
Nous donnons ci-cqntre un tableau établissant la situatioo
financière de la commune mixte de la Mina (e.x-commune
mixte de l'Hillil) et des communes de plein exercice agricoles
de l'Hillil et de Bouguirat. Nous nous mettons surtout à un point
de vue visant la colonisation du pays et sa propriété en matière
agricole, nous avons omis à dessein de fournir les mêmes
données sur Relizane qui, devenue une petite ville et étant un
lieu de transaction commerciale avant d'être centre agricole,
a pris trop d'importance pour ne mériter que ce seul titre.
On pourra voir dans le dit tableau les heureux effets de la
Caisse de Prévoyance indigène. Depuis sa création, elle a
contribué, dans une large mesure, à atténuer les funestes
effets de l'usure. Complètement réorganisée en 1896 par les
soins de M. Briquez, administrateur, elle est en pleine
prospérité aujourd'hui .
4 MON'OGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
SITXJ^TIOlSr
de la. Commune naixte de L'HILI^TL (MINA). —
COM M U N E
DESIGN \TIO\
<
SOLDE
à la clôture
de
RECETTES
TOT.\L
lies
DÉPENSES
SOLDES
8 la clôture
OBSERV.iTIONS
1
COMMINE
JEiercice
précédïïnt
RECETTES
l'eiercice |
1897
29 416 85
141111 92
173.528 77
147.9H 91
25,626 86 Situation florissante qui
se maintiendra en raison
des ressources dont dis- i
LIIILLIL
(mi.xtf)
1898
1899
23.626 86
52.395 94
ir,:.666 72
187 097 11
183.293 58 130,897 64! 52.395 94
239 493 05,127 918 50 111 574 ôh
pose la commune.
Les principaux produits
sont loclroi de mer et les
centimes additionnels à
l'impôt arabe sélevant
ensemble à 40.000 francs
environ.
TOT.VL'S. . .
1
Les prestations attei-
gnent un chiBre moyen
de SO.OOO Iranus par an ;
mais les 2 1 3 sont versés
à la caisse départemen-
tale et l'autre tiers est
afieclé aux travaux des
107.439 65
488.875 75
596315 ^0
406 713 05
189 597 35
chemins vicinaux.
Doat !i moj dii3 e;l
de...
IC-2.9.".8 58
198.771 SO
135.572 es' 63.199 11
Société de Prévoyant-e de la Coiunuiue mixte de lllillil
(Aujourd'hui MINA miste)
Le solde disponible en caisse s'élève actuellement à 180.000 fr en cbiffi-es ronds.
Son actif augmente chaque année' de lO.ODd fr Cette au,a'mentation provient
1" des cotisations versées par les Sociétaires ; 2' des intérêts des prêtas ^^onsemtis soit
on argent, soit en nature, au taux de 5 0/0 par an; 3" des intérêts des fonds places
"'Lerdé'penses annuelles se composent du traitement dii Secrétaire, des remises du
Trésorier et des frais de bureau et d'imprimés. Ces dépenses ne dépassent pa.s
''' La' Société ell donc en pleine voie de prospérité et est appelée à rendre de réels
services aux indigènes nécessiteux.
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 225
Fiisr^isroiÈK.E
Relevé des ImpÔLs directs A; indirects revenant au Trésor
TRÉSOR
PAR DES IMPÔTS REVENANT AU TRÉSOR, SAVOIR
IMPÔTS AHAIirS
36.448 18
-'3 33
109.171 81
5.3?8 50
IMPOTS
INDIRECTS
Licence des Boisson'
et Tabacs
et droits o'dlcools
TOTAL
OENÉRAL
I M P O T s
du
TRÉSOn
3.':05 02
119.. "20 83
Los sommos mentionnées ci-dessus concernant les impôts arabes, les patentes
.H l'impôt Ibucier, ivprésentent la part du Trésor seulement, déduction faite des
centimes communaux ou autres, aia.si que des produits départementaux.
226 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET IIISTORIOUE
Chap. V. - KTAT INTELLECTUEL ET MORAL
Comme toutes les tribus de l'Algérie, celles de la commune
mixte de la Mina ont dans leurs douars des « t'aleb » ou
« d'errar », qui se chargent, moyennant une maigre rétribution,
d'enseigner aux enfants les rudiments de la lecture et de
l'écriture de la langue coranique. Les gardiens de koubbas,
quelques membres de famille maraboutiques enseignent, en
outre, quelques éléments de la religion et de la loi musulmanes.
Là, se borne l'instruction d'un certain nombre fassez restreint)
d'indigènes des douars-communes répartis sur le territoire.
Le reste est d'une ignorance absolue et n'a commencé à gravir
aucun des degrés de la civilisation. Seules la ville et la région
de Kalàa sont pourvues d'une école arabe-française, où le zèle
de M. Missier, directeur de cette école depuis plusieurs années,
a su grouper un grand nombre de jeunes indigènes qui sont
répartis en si.x classes. Plusieurs adjoints aident le directeur
dans sa tâche, et nourrissent les élèves d'une certaine cuUure
intellectuelle et professionnelle, qui donnera, sans nul doute,
des résultats fort appréciables ; la conséquence en sera, nous
l'espérons, la créalion de nouvelles écoles sur les autres
parties du territoire où les principes les plus élémentaires de
l'éducation et de l'instruction font défaut.
Parmi les familles indigènes importantes et nobles d'origine
habitant dans la commune mixte, il convient de citer celle
des Boumédine, issue des Mebal, tribu originaire de la Mecque,
qui soumit à sa domination, vers le XII""^ siècle de notre ère, la
plus grande partie du département d'Oran. Deux membres de
cette famille des Boumédine occupent aujourd'hui des fonctions
publiques : « Boumédine» Abd-el-Kader ould Habib, adjoint
indigène du douar Mekhalia, et « Boumédine » Abd-el-Kader
Seghir ould Ahmed, adjoint indigène du douar Guerboussa.
Viennent ensuite les familles des Miboub et des iVIesbah repré-
sentées actuellement : la première, par « Milioub » Boualem,
adjoint indigène de Sidi-Sàada ; la seconde, par « Mesbah »
Mohammed ould el Djilali, ailjoint indigène du douar des
Oulad-Bou-Ali.
Malgré le niveau peu relevé de l'état intellectuel des indigènes
du pays, la situation de la commune mixte au double point de
vue de la sécurité et de la tranquillité e>t relativement très
bonne. Pendant les 5 dernières années, on n'a à relater qu'un
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 227
seul attentat dirigé contre les Européens ; une moyenne de
6 meurtres ou tentatives de meurtres entre indigènes ; environ
100 à 150 cas de simple police ; pas de vols à main armée, ni
« nefras», ni attentats à la pudeur.
Depuis plus de 15 ans, aucun indigène de la commune mixte
n'a été condamné à la peine capitale.
Il est de fait que rien ne vaut en territoire civil le régime de
police assuré par l'administration des communes mixtes.
Les centres de plein exercice situés dans la même région sont
moins bien partagés sous le rapport de la sécurité.
(.hapiti-e, VI. - COKOMSATIOX
La commune mixte de la Mina compte quatre centres de
colonisation. Ils ont été dotés de tous les éléments propres à
assurer leur avenir. Clinchant, aujourd'hui chef-lieu de
circonscription, a fait depuis sa création l'objet d'un agrandis-
sement. Des travaux d'assainissement ont également été
effectués dans la plaine de Relizane. Sahouria et Nouvion ont,
en outre, été dotés des travaux d'eau dont l'exécution a permis
l'irrigation de surfaces assez étendues. Il serait trop long
et fastidieux d'énumérer ici les améliorations et les travaux
d'utilité publique ou communale accomplis ou exécutés depuis
la création de la commune. Ces améliorations sont l'œuvre des
divers administrateurs qui se sont succédés à la tête de
la circonscription et qui ont contribué ainsi, chacun selon les
moyens d'action dont il disposait, au développement de
la colonisation dans le pays.
CLINCHANT
Ce centre fut créé en 1878 sous le gouvernement de
M. Albert Grévy. Son territoire est limité par la commune de
Relizane, à l'Est; celle de l'Hillil, à l'Ouest; le douar-commune
de Tahanda, au Nord, et, celui d'El-Messabehia, au Sud.
Le village fut édifié auprès de l'ancienne ville berbère u'i:;i-
R'etcha, habitée auparavant par les Béni R'eddou et dont on
peut voir encore quelque.? ruines. Ce lieu était appelé par les
indigènes du pays El-Mct'amiy y'J^[ c'est à-dire Les Silos,
228 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
en raison sans doute du nombre considérable de silos creusés
sur une assez vaste étendue dans le tuf qui forme la majeure
partie du sous-sol. Ces sous-sols ont, en général, une très
grande capacité. Faute d'autre détermination, ce centre
fut donc appelé d'abord Les Silos, avant de recevoir le nom du
général Glinchant qui fut colonel de zouaves lors de l'expédi-
tion du Me.Kique.
Son territoire fut agrandi en 1802 sous le gouvernement de
M. Jules C:-imbon. Depuis le l'-'"' janvier 1900, Glinchant est
chef-lieu de la circonscription administrative de la Mina.
Les bureau.^ de la co.'ninune mi.xte y ont été transportés
récemment, et l'administrateur et ses aljoints n'ont pris
possession de leurs nouveaux appartements qu'à partir du
1<^'" janvier 1900. Nous avons vu plus haut les causes du trans-
fert du siège de la commune mixte dans ce centre. Il en
résulte une économie pour le budget et une cause d'améliora-
tion pour Glinchant, au point de vue agricole et commercial.
Ce village n'a pas d'histoire propre, son territoire ayant été
prélevé sur les douars Messabehia et Tahamda, c'est-à-dire
l'ancienne tribu des Sahari. Les Béni R'addou, qui sont
d'origine berbère, ont occupé pendant longtemps les envii'ons
où ils fondèrent la ville citée plus haut et dont il reste quelques
vestiges.
Il y a à Glinchant: 40 feux, 214 habitants (58 indigènes,
114 français et 42 étrangers', et 50 électeurs. L'étendue
totale du territoire est de 1,884 hectares, dont 1,490 cultivables
en céréales, 44 de vignes, et 350 incultes. La dernière récolte
a donné 5,102 quintaux de céréales, 150 hectolitres de vin
rouge et 8 hectolitres de blanc.
La production moyenne de blé sur 1'' est de 12 qx
— — d'orge — 14 —
— — d'avoine — 10 —
— — de raisin — 30 —
L'alimentation du village en eau potable est assurée actuel-
lement par un certain nombre do puits publics ou particuliers.
Un projet d'adduction des eaux de l'Aïn-el-Guettar (région de
de Tiliouanet : 35 litres à la minute à letiage) a été élaboi'é.
Il sera sous peu mis à exécution. Les irrigations d'une partie
du territoire dépendent actuellement du syndicat des eaux de
Relizane. Elles sont d'ailleurs insuflisantes.
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 229
L'état sanitaire du village est bon ; à relater seulement
quelques fièvres paludéennes. Aucun assassinat ou attentat
contre les personnes n'a eu lieu à Glinchant depuis longtemps.
Il ne s'y commet que quelques vols de bestiaux. Les auteurs
de ces vols sont en général originaires des douars partiels
Bouakeur et Ahl-el-Morsli qui sont ceux dont on a le plus à se
plaindre et qui renferment plusieurs voleurs de profession.
Au reste, les indigènes vivent en assez bonne intelligence avec
les colons qui leur procurent du travail, c'est-à-dire un
gagne-pain honnête et non aléatoire.
Glinchant n'a pas de budget propre. Il relève de l'autorilé
de l'administrateur de la comnmne mixte de la Mina. Ce centre
ne compte qu'une école mixte qui reçoit un grand nombre
d'élèves des deux sexes. Le dédoublement de cette école
s'impose à bref délai, dans l'intérêt de l'institutrice et des
enfants.
Nombre d'élèves actuels : 63.
Garçons : 26 français ; 3 musulmans ; 6 étrangers.
Filles; 25 françaises ; musulmanes néant ; 3 étrangères.
Les besoins pressants de ce centre sont les suivants :
1° Construction d'une gare de chemin de fer sur la ligne
P.-L.-M. Alger-Oran qui y passe ;
2» Etablissement d'un barrage sur la Mina en avant de Relizane
pour agrandir le cercle d'irrigation ou bien un barrage de
dérivation sur l'Oued Hillil, dont la consti-uction s'élèverait
à 150,000 francs environ ;
3» Établissement de canivaux pavés en bordure de la route
nationale qui traverse le village pour prévenir une inonda-
tion des maisons en cas d'une crue des eaux ou d'une période
de pluies prolongées ;
4» L'adduction des eaux d'Ain-el-Guetlar. Cette dernière ques-
tion a une importance capitale, car l'alimentation de
Clinchant en eau potable est actuellement insuffisante.
Lorsque ce centre aura été doté des améliorations dont
il vient d'être question, son avenir sera assuré, et Clinchant
pourra au bout de quelques années, prendre rang parmi les
localités prospères du département d'Oran.
230 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
(EL-ROMRI) NOUVION
Ce centre fut créé en 1876, sous le gouvernement du général
Chanzy, au lieu dit Hacian-el-Romri en raison du grand nombre
de puits qui s'y trouvaient pour le ravitaillement de cette
halte située sur le chemin de Mostaganem à Mascara. Son
territoire est limité par celui de la commune de Bouguirat au
Nord, par le douar-commune d'El-Piomri au Sud et à l'Est, par
le douar-commune de Hassaïnia à l'Ouest. Appelé d'abord de
la dénomination arabe du lieu, il porla ce nom jusqu'à l'année
1900. Depuis, il a reçu l'appellation de Nouvion, pour rendre
hommage à M. Nouvion, ancien préfet d'Oran, qui donna
autrefois une grande impulsion à la colonisation dans le
département.
La gare de Nouvion se trouve à 4 kilomètres plus loin, à
Oued-Malah, petit hameau de quelques fermes (ligne P.-L.-M.
Alger-Oran).
Le territoire de ce village était autrefois habité par des
membres de la tribu des Bordjia. Là vivait, parmi les familles
nobles du pays, celle des Ben Hadda dont les membres furent
caïds de la région sous les Turcs et même sous Abd el Kader.
C'est encore un Ben Hadda qui est aujourd'hui caïd du douar-
commune d'El-Romri.
Il y a à Nouvion 183 habitants (50 indigènes, 130 français et
3 Israélites), 30 feux et 50 électeurs. L'étendue totale du
territoire du centre de Nouvion et de 1,305 hectares, dont
1000 hectares cultivables en céréales, 78 de vignes et une
dizaine d'hectares incultes. Cent hectares sont irrigables avec
les eauv du marais de Bouguirat et celles du Mekhalouf. (Oued
cité plus haut).
La qualité du sol est médiocre et ne peut être améliorée que
par des engrais et des arrosages.
La production moyenne de blé sur 1'' est de 5 qx
— — d'orge — 0 —
— — d'avoine — 8 —
— — de raisin — 20 —
Les vignobles réunis de Nouvion ont donné, en 1900,
632 hectolitres do vin rouge et 8 hectolitres de vin blanc. Les
colons cultivent, outre la vigne et les céréales, le millet à
balais, ustensiles dont ils fabriquent une grande quantité et
qu'ils écoulent facilement dans l'arrondissement.
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 231
L'alimentation du village en eau potable n'est assurée que
par des puits, publics ou particuliers. L'irrigation des terrains,
sur une étendue d'ailleurs limitée à une centaine d'hectares, se
fait par un canal à ciel ouvert qui amène les eaux du marais
de Bouguirat. Le débit varie entre 30 litres à la seconde et
12 litres à la minute. Un barrage provisoire est établi sur
l'Oued Mekhallouf au moment oii, quittant les collines entre
lesquelles il serpente, il débouche dans la plaine de Kerkacha.
Mais les indigènes et les crues des eaux démolissent facilement
les murailles de branchages et de boue qui retiennent le
torrent, et le plus souvent, les eaux destinées à l'arrosage vont
se gaspiller dans des terrains incultes ou inondent la partie
comprise entre Nouvion et le 4""= kilomètre sur la route de
Bouguirat. Il serait à souhaiter qu'on construisît une digue
cimentée permettant d'emmagasiner un liquide si pi'écieux à
nos cultures et dont le résultat serait l'irrigation de 600 hec-
tares sur le territoire de Nouvion.
L'état sanitaire du village est assez bon. Quelques cas de
fièvre intermittente se produisent chaque année mais ne
rappellent que de fort loin les terribles épidémies de lièvre
qui sévissaient sur nos troupes quand elles campaient en ce
lieu, avant la création du centre et les plantations d'eucalyptus
qui ont beaucoup contribué à son assainissement.
Comme Clinchant, le village n'a rien à désirer au point de
vue de la sécurité individuelle. Depuis fort longtemps il ne s'y
est pas commis d'assassinat, ni d'attentat quelconque contre
les personnes. Seuls des vols de bestiaux ou de grains sont à
signaler. Les douars dont on a le plus à se plaindre à ce sujet,
c'est-à-dire ceux qui fournissent le plus de maraudeurs,
appartiennent au douar-commune d'EIRomri ; ce sont ceux de
El-Hadara et Oulad-Hadda.
Le budget de Nouvion se confond avec celui de la commune
mixte de la Mina. Par lui-même, ce centre est très pauvre, à
cause de la fréquence des mauvaises récoltes.
L'école est fréquentée par 25 élèves (20 français, 3 musul-
mans) filles et garçons.
Les besoins pressants de ce centre peuvent se résumer
ainsi :
1° Création d'un bari'age déversoir sur le Meklialouf. (Dépenses
prévues : 30,000 francs environ.)
232 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
2° Agrandissement du centre dont le champ de colonisation
est trop restreint en raison du peu de fertilité du sol.
3" Transformation des fossés d'irrigation du marais de Bou-
guirat en canaux cimentés pour éviter les pertes d'eau et
faciliter le curage.
En somme, la commune-annexe de Nouvion est très pauvre
par suite des mauvaises années qui se succèdent et qui ne
trouvent pas leur compensation dans une récolte abondante.
Cependant, le bétail élevé par les colons donne de fort beaux
produits, et des efforts pourraient être tentés dans la voie de
l'élevage à condition que de prompts travaux d'irrigation
permettent de transformer la plaine de Kerkacha en un vaste
pâturage.
SAHOURIA
La création de ce centre date de 1878 -(gouvernement du
général Chanzy). Son territoire empiète sur les douars-com-
mune Sahouria et Sfafa. Le village est situé sur le chemin de
fer (P. -L. -M. Alger-Oran) à 5 kiloni. de Perrégaux. Ce centre
est limité au Nord par le douar-commune des Beni-Yahi, à
l'Ouest par la commune de Perrégaux, au Sud par le douar-
commune de Sahouria, à l'Est par le douar-commune des
Sfafa. Ces lieux étaient occupés par la tribu des Bordjia ainsi
que la plaine de l'Habra et celle de Sirat. La famille des
« Smaïn » est une de celles établies depuis très longtemps
dans le pays.
Il y a à Sahouria 230 habitants (130 français, 20 indigènes,
30 étrangers), 60 feux et 36 électeurs. L'étendue totale en
hectares du centre-annexe est de 2,000 hectares (dont 1,840
cultivables en céréales, 104 plantés en vignes et 50 plantés en
arbres fruitiers et d'essences diverses).
La quantité approximative de céréales produites par les
terres de ce centre a été de 5,500 quintaux. Les vignes ont
donné 1,120 hectos (1).
La production moyenne de blé sur 1'' est de 7 qx
— — d'orge — 9 —
— — d'avoine — 8 — •
— — de raisin - 20 —
(1) Pour la récolte de 1900.
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 233
Les colons s'adonnent à la culture maraîchère qu'ils écoulent
facilement aux marchés de Perrégaux et de Bouguirat et sur
leur propre marché qui a lieu le samedi.
L'eau potable est fournie par des puits. L'eau courante pour
l'irrigation est amenée par un canal de dérivation provenant
de rOued Fergoug (barrage de Perrégaux).
L'état sanitaire du village est très bon, et seules quelques
fièvres d'été sont à signaler : la température varie entre
10° (janvier) et 38» (juillet).
La sécurité n'est pas aussi bonne que dans les deux centres
précédents. Les douars-commune de Sl'afa et Sahouria sont le
repaire de chenapans indigènes qui ont la spécialité d'échapper
avec une grande facilité à toute poursuite et de jouer toutes
les ruses combinées pour les surprendre. C'est ainsi qu'il s'est
produit, <!urant l'année 1900, plusieurs attentats contre les
personnes et plusieurs vols dans les habitations du village
sans qu'on ait pu découvrir les auteurs. Aussi les rapports des
colons avec les douars environnants sont-ils moins que cor-
diaux.
L'école mixte comprend actuellement 30 élèves :
Garçons : 4 français, 1 1 étrangers.
Filles : ti françaises, 9 étrangères.
On remarquera l'absence marquée des enfants de colons
français qui sont cependant en majorité dans le village.
Il y a à Sahouria deux domaines viticoles comprenant
320 hectares de vignes que nous n'avons pas compris d;ins le
nombre total des vignobles appartenant aux petits colons, car
ils s'étendent au-delà des limites du centre-annexe. Ces
domaines appartiennent à deux compagnies.
Les besoins pressants de ce centre se ramènent à ceci :
r Adduclion d'une source pour I alimentation en eau [jolable
du village ;
2° Un barrage-réservoir sur l'Oued Malah (dont nous avons
déjà cité les avantages et le prix d'exécution qui est de
200,000 fr.) et un barrage de dérivation sur l'Oued Addad
(30,000 fr. environ) pour l'irrigation du territoire ;
3° Une gare sur le chemin de fer ;
■4' Création des pâturages communaux vastes et rapprochés
du village pour augmenter le troupeau des colons qui ne
234 MONOGRAPHIE GÉOGRAPHIQUE ET lllSTGRIOUE
peuvent élever sur leurs concessions qu'un nombre
restreint de bestiaux.
Comme tous les centres de la région, Sahouria n'atteindra
un degré de prospérité relatif que lorsque ses plaines seront
irriguées. Là, comme partout ailleurs, la question d'arrosage
des terres est celle qui prime toutes les autres. Tant que des
améliorations dans ce sens n'auront pas été laites, la coloni-
sation végétera, si elle ne dépérit pas, au milieu de terres qui,
avecles Tells algérien, constantinois et tunisien, furent tour
à tour les greniers de Fîome, de l'Espagne musulmane, de
l'Espagne chrétienne, et enfin de la France du xviii" siècle.
S1RA.T
Ce centre fut créé en 1874 dans la plaine du même nom,
renommée autrefois pour sa fertilité, à 20 kilomètres au Sud
de Mostaganem. Son territoire est limité au Nord par la
commune d'Aboukir, à l'Est par le douar-commune des
Oulad Bou Abça, au Sud et à l'Ouest par le douar-commune
des Hassainia.
Les Bordjia, qui occupaient toute la plaine, vivaient autrefois
dans ces parages ; il en était de même des Oulad Hamdan qui
allèrent, lors de la conquête française, occuper plus au Nord
la région s'étendant immédiatement derrière Mostaganem.
II y a à Sirat 151 habitants (91 français, 45 indigènes,
15 étrangers). L'étendue totale du territoire est de 515 hectares
(dont 198 de vignes).
Le sol est composé de terres fortes à l'Ouest et de terrains
sablonneux à l'Est.
La production moyenne du raisin sur un hectare est de
35 quintaux environ.
L'alimentation en eau potable du village n'est assurée que
par des puits.
L'état sanitaire est bon en général. Les fièvres d'été sont
seules à redouter par les fortes chaleurs qui s'élèvent jusqu'à
une température maxima de 40° continuelle pendant les mois
de juillet et d'août (la température minima étant de 10° en
hiver).
Le voisinage de la commune de plein exercice d'Aboukir
dont les douars sont peuplés de malfaiteurs n'assure à Sirat
DE LA COMMUNE MIXTE DE LA MINA 235
qu'une sécurité imparfaite. La route de ce centre à Aboukir
est sillonnée pendant l'été d'indigènes en quête de charretiers
à dévaliser ou de voitures de colons à arrêter. La police
exercée sur les lieux ne rappelle que de fort loin celle exercée
de la commune mixte, et l'inefficacité des moyens employés
jusqu'à ce jour invite les délinquants à persévérer dans leurs
fonctions de voleurs de grands chemins.
Le budget de Sirat se confond avec celui de la commune
mixte de la Mina.
Ce centre ne semble pas appelé à une grande prospérité,
dépourvu qu'il est de tous moyens d'irrigation présents ou
avenir. 11 est à souhaiter que pour les centres de colonisation
placés dans de pareilles conditions une culture spéciale aux
terrains non irrigables soit adoptée, de façon à ce que les
colons trouvent dans leur travail un résultat sinon rémunéra-
teur du moins encourageant.
COISTOLUSION
De même que toutes les communes mixtes, celle de
la Mina est appelée à disparaître pour faire place a un
certain nomlire de communes de plein exercice. Mais
cette éventualité ne semble pas rapprochée et il s'écou-
lera certainement un assez grand nombre d'années
avant sa réalisation.
Les centres de Sirat, Sahouria et El-Romri (Xouvion)
seront sans doute les premiers appelés à la vie muni-
cipale, puis viendra le tour de Clincliant. Mais, en
dehors de la ditïiculté d'assurer aux futures com-
munes le moyen de se suffire à elles-mêmes, c'est-à-
dire d'équilibrer leur budget, des considérations d'ordre
et de sécuiité opposeront pendant longtemps encore
un obstacle difficilement surmontable aux créations
de l'espèce.
On n'ignore pas, en effet, que les maires absoi'bés le
plus souvent par leurs occupations municipales et
leurs intérêts privés, et ne participant d'ailleurs à
aucune indemnilédedéplacement, se déchargent entiè-
rement de la police et de la surveillancedes populations
indigènes sur le caïd ou le garde champêtre arabe qui
leur est adjoint. Or, ce dernier ne touch*e lui-même
qu'un traitement absolument dérisoire, et est tout
naturellement prédisposé à commettre des actes de
vénalité. Il s'ensuit que des faits graves sur lesquels
l'autorité aurait tout intérêt à être renseignée sont
passés sous silence. Grâce à cette situation, la plupart
des communes de plein exercice qui comprennent
sur leur territoire des douars ou fractions de douars
non livrés à la colonisation, deviennent le refuge des
malandrins indigènes de toute espèce trop inquiétés
parla police des communes mixtes; ces malfaiteurs
mal surveillés peuvent dès lors exercer pour ainsi
dire impunément leur coupable industrie, soit dans la
commune même, soit dans les communes voisines.
REXÉ-LEGLERG.
SCULPTURE SUR UN ROCHEI
die Bialla. K,eg-ia-
J'ai signalé brièvement dans le Bulletin archéologique (i)
une grossière sculpture, située dans les environs immédiats
de Bulla Regia.
Elle était à l'extrémité orientale d'une colline placée elle-
même à 300 mètres environ à l'est des ruines de la ville antique
dont la sépare une nécropole romaine des deux premiers
siècles. Vers la pointe occidentale de cette éminence, j'ai
découvert plusieurs sépuhures puniques dont l'une était un
véritable caveau renfermant un mobilier de 74 pièces.
En pratiquant les sondages pour trouver d'autres sépultures
de la même époque, j'ai découvert au milieu d'un impénétrab e
fourré de faux jujubiers le document dont il va être question.
C'était un rocher isolé, à la face supérieure un peu arrondie,
mesurant 1'" 80 de hauteur sur 4 mètres de longueur et environ
i mètre d'épaisseur. Il était entièrement brut, à l'exception de
l'une de ses faces, tournée vers l'est et présentant une niche
dans laquelle apparaissait un buste, un peu plus grand que de
nature, exécuté on ne peut plus sommairement. La tète est
ronde, et des trous également circulaires ou ovales indiquent
les yeux et la bouche. Le cou est presque cylindrique et les
épaules représentées par deux lignes légèrement courbes. Il
est possible que les oreilles aient été indiquées, mais l'état de
la pierre ne permet pas de l'affirmer.
Il est facile, en examinant la surface du monument, de se
rendre compte que cette sculpture a été obtenue avec un
instrument à pointe mousse. On a ainsi fait sauter des éclats
irréguliers et c'est en répétant cette opération un nombre de
fois plus ou moins grand qu'on a pu obtenir une certaine
profondeur.
J'ai fouillé tout autour de ce rocher pour voir s'il n'y avait
point quelque tombe ou les restes d'un sanctuaire en plein air,
comme ceux que les indigènes consacraient, primitivement, à
(I) Bull, arc/i., 1892. Rapport sur les fouilles faites à Bulla Regia
en 1890, p. 75.
17
238 SCULPTURE SUR UN ROCHER DE BULLA REGIA
]eu' S divinités; je n'ai absolument rien trouvé. Mais, à quelques
mètres de là, au pied de la colline, j'ai rencontré une stèle
évidemment votive, portant l'emblème triangulaire dit de
Tanit. 11 est donc probable que cette colline a porté quelque
cliamp d'ex-votos plantés en terre au milieu desquels était
placée la sculpture.
On doit considérer comme une indication confirmant cette
manière de voir le fait que celte grossière figure regardait
à l'est.
J'ai montré que le temple de Saturne, à Dougga, qui avait
été précédé par un primitif sanctuaire de Baal, était aussi
lourné de ce côté et que pour lui donner cette orientation, il
avait fallu entailler la montagne à grands frais.
Enfin, dans le voisinage immédiat de la colline qui portait
la sculpture, on trouve les vestiges de nombreuses tombes
mégalithiques dont les dalles ont presque toutes été brisées à
ras du sol, probablement lors de l'occupation romaine, pour
servir de matériau.^ de construction.
11 est donc certain qu'à une époque reculée lés habitants de
Bulla Regia avaient élevé en ce point des monuments, funé-
raires et autres, pour lesquels ils avaient une vénération
particulière.
Mais ce c|ui me parait mériter surtout l'attention c'est la
situation de cette sculpture sur une surface rocheuse et les
détails d'exécution qu'elle présente.
Elle est bien, en effet, sur un rocher dont les dimensions
sont à vrai dire restreintes, maisauquel on aintentionnellement
laissé sa forme primitive, à l'exception de la face qui porte une
représentation humaine.
Je serais presque tenté de donner le nom de rupestre à cette
dernière, si ce nom n'était pas, en général, réservé à des
monuments ayant un caractère bien spécial. Néanmoins,
jusqu'à un certain point, et même en tenant compte de cette
signification, ce qualificatif ne serait pas ici complètement
déplacé, car le bas-relief présente une autre ressemblance avec
les dessins des rochers du Sous, du Fezzan, du Sud-Oranais,
de l'Oued Itel, etc. C'est la manière dont il a été obtenu par
des coups donnés avec une pointe peu aiguë et qui enlevait
des éclats irréguliers de pierre.
Je dois ajouter que là se borne l'analogie, car si, sur les
rupestres proprement dits, l'instrument a agi en surface
SCULPTURE Sl-R UN ROCHER DE BULLA REGIA 239
seulement, ici le sculpteur a dû revenir à plusieurs reprises
sur un même endroit pour obtenir non une simple ligne, mais
des creux assez prononcés.
Cette diflërence s'explique d'ailleurs, mais par des caractères
dont l'origine doit être clierchée ailleurs. Le relief accentué,
l'exécution sommaiie de cette figure et jusqu'à la niche où
elle se trouve rappellent d'une manière assez frappante ces
nombreux monuments, d'époque romaine pour la plupart,
mais que l'on considère comme dus à une inspiration toute
sporadique, comme la manifestation rudimentaire de ce qu'on
a convenu d'appeler 1' a art indigène f.
Sur les stèles funéraires, si abondantes dans la région, qui
ofïrent ces caractères, on voit en effet souvent le buste d'un
personnage à l'attitude rigide dont les vêtements sont indiqués
par quelques traits dont la tète, les yeux et la bouche sont
plus ou moins circulaires, le tout encadré par une niche ou
par le portique d'un temple prostyle.
Ces analogies m'avaient tellement frappé qu'à un premier
examen j'avais pensé être en présence de l'ébauche d'un
monument de ce genre. Mais outre qu'on n'a pas trouvé, à
BullaRegiamême, de stèles dues à l'art indigène, il est évident
qu'on devait tailler celles ci, leur donner la forme prismatique
ou conique qu'elles ont toujours avant d'y gj-aver les sculptures.
De plus, le procédé employé pour y obtenir les représentations
est moins sommaire. D'un côté on s'est servi d'un poinçon ou
d'un burin à pointe assez fine, les traits sont continus et
forment des lignes, de l'autre coté au contraire on s'est borné
à enlever avec un instrument grossier une certaine quantité
d'éclats plus ou moins gros.
I.a tète de Bulla Regia est encore susceptible d'un autre
rapprochement. Il existe toute une série de sculptures afri-
caines remarquables, comme celle-ci, par leur exécution très
sommaire. Telles sont une idole du musée de Cherchell (1)
dont la tête est tout à fait comparable à celle-ci et une autre
figure analogue, mais plus fruste, du musée d'Alger (2).
Les hétyles surtout, que l'on a trouvés à Carthage, ressem-
blent beaucoup à la figure de Bulla Regia (3) Le P. Delattre
(1) Gauckler. Musée de Cherc/iell, pi. II, n' :i, p. Si.
(2) Doublet. Musée d'Alger, pi. IV, a' 6, p. 66.
(3) Mem. des antiq., 1804 Delattre. La nécropole punique de Douï
liés, p. 287. Gauckler. Musée Alaoui, pi. XI, n° 1.
240 SCULPTLRK SUR UN ROCHER DE BULLA REGIA
croit que la forme ronde de cette figure indique qu'on a voulu
représenter Tanit. Tissot a fait la même réflexion à propos
d'une représentation rupestre qui se trouve sur la rive
septentrionale du chott Djerid (I) et qui doit également être
rapprochée de celle-ci.
Mais le monument qui me parait avoir le plus de ressem-
blance sinon par 3a forme extérieure, du moins parla manière
dont les détails du visage ont été indiqués, est celui que
M. de la Martinière a trouvé dans les ruines de Lixus (2).
Les trous circulaires qui représentent les yeux et )a bouche
sont tout à fait les mêmes des deux côtés.
La sculpture de Bulla Regia offre donc des caractères qui
tiennent à la fois des sculptures rupestres, des stèles, portant
ou non des caractères libyques ou romains, dues à l'art
indigène, et de certaines sculptures grossières paraissant avoir
représenté des divinités africaines.
Sa situation près de nécropoles mégalithiques et puniques,
s'accorde bien, d'ailleurs, avec ces caractère.^. Et si les
rapprochements faits par le P. Delattre et ïissot sont exacts,
quoiqu'on n'ait pas ici trouvé de croissant surmontant la
représentation, on peut croire qu'on se trouve en présence de
l'image grossière de l'une de ces divinités.
De la Blanchère, à qui j'avais montré ce monument, avait
compris tout l'inlèrèl qu'il présentait, car il prescrivit immé-
diatement au chef de chantier qu'il avait mis à ma disposition
pour les fouilles que je dirigeais, d'en faire un moulage.
Celte opération n'ayant pas réussi, il fit briser le rocher et en
détacher une dalle portant la sculpture, qui se trouve
actuellement en deux fragments, dans un magasin du Musée
du Bardo.
Ce document mériterait, à mon avis, de sortir du coin où il
a été relégué et d'être placé près des stèles et des bas-reliefs
libyques qui ornent l'escalier du Musée, et dont il se rapproche
par plus d'un trait.
Docteur CARTON,
Médecin militaire.
(1) Tissot. Géogr, comp. del'Af. rom. I. p. 480, fi?. 48.
(2) De la Maninière. Bull, arrhéol. lS9a. Recherches sur l'empla-
cement de la ville de Lixus, p. lîi.
CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE
EUROFE
Un canal transeuropéen. — L)ù à l'iniUative de Guillaume II,
ce canal, reliant Stettin, sur l'Oder, au port de Fiume, situé
dans le golfe de Quarnero, sur l'Adriatique, couperait l'Europe
en deux par une ligne à direction sensiblement N.-S.
Son développement serait de 2,400 kilomètres, ce qui en ferait
le plus grand canal du monde.
En réalité, il n'y aurait à creuser que 485 kilomètres, les
voies navigables actuellement existantes pouvant être utilisées.
De Stettin à Kosel, en Silésie, et même jusqu'à Oderberg, on
utiliserait le cours de l'Oder. Puis, le canal serait percé de
façon à aboutir à Komond, sur le Danube, suivrait la Save, de
Hokovar à Sissek, et la Kalpa jusqu'à Karlstad. De ce dernier
point au port de Fiume, la nouvelle voie serait très facile à
établir, sauf pour la courte traversée des Alpes Juliennes.
(BuU. Soc. de Géogr. de Dunkerque).
France. — Percement de la Faucille.— Le Conseil général de
la Seine s'est occupé dernièrement du projet de création d'une
voie rapide de Paris à Genève par Lons-le-Saulnier et les
monts du Jura.
Autrefois, la traversée du Mont-Cenis était la voie la plus
courte entre Paris et Milan, avec 944 kilomètres. Actuellement,
la voie par le Saint-Gothard ramène cette distance à 897 kilo-
mètres. L'an prochain, après le percement du Simplon, la voie
la plus courte sera celle de Paris- Pontarlier-Vallorbes-
Lausanne, avec 847 kilomètres. C'est à cette ligne du Simplon
que se raccorderait celle de la Faucille de Paris à Genève par
Lons-le-Saulnier, Saint-Claude et Crozet.
France. — Émigration aux colonies. — Le nombre des
passages accordés par l'État s'est élevé en 1901 à IÎ94 contre 327
en 1900. Par contre, le cbill're des capitaux déclarés n'est que
de 721,000 francs au lieu de 816,000 en 1900.
C'est rindo-Chine (170), puis Madagascar (107), qui ont eu
les faveurs des imigrants.
Ces chiffres ne comprennent pas la totalité de l'émigration,
mais seulement les passages gratuits délivrés par l'État.
18
242 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE
Angleterre. — Le câble transpacifique. — Le Colonial Office
de Londres vient de décider la construction, depuis longtemps
projetée, du câble transpacifique qui réunira la Colombie
britannique à l'Australie. Le câble partira de l'île de Vancouver;
les atterrissements se feront dans l'ile Fanping, dans les
Fidji et les Norfolk, possessions anglaises.
La longueur totale approchera de 15,000 kilomètres ; le
prix total est évalué à 45 millions de francs; l'exploitation
pourra être commencée à la lin de 1902.
.A.SIE
Le chemin de fer de Bagdad. — Jadis, c'est par la vallée de
l'Eupliratu que la Phénicie et la Judée recevaient les aromates
des Indes, les perles du Golfe Persique et l'or d'Ophir. Les
immenses provinces de la Mésopotamie qui, dès l'époque des
plus lointains souvenirs de l'humanité furent le centre d'une
civilisation puissante, rivale de celle jle l'Egypte, vont
renaître à la vie et reprendre un développement qu'elles n'ont
plus vu depuis l'époque si florissante des Khalifes. Un accord est
intervenu entre la Deutsch Bank et le gouvernement Ottoman
pour l'exécution de la voie ferrée qui doit conduire de Bagdad
à Koweït par Bassoiah.
Cet arrangement nous touche de près, puisque la concession
de cette ligne, qui n'aura pas moins de 2,500 kilomètres de
développement, réserve aux capitalistes français une part de
40 "/o dans les frais et les profits de cette colossale entreprise.
Quand le chemin de fer de Bagdad aura été livré à l'exploi-
tation, la durée du voyage entre l'Europe et les Indes sera
notablement raccourcie. Actuellement, la traversée de Brindisi
à Bombay est de treize jours; elle ne serait plus que de huit
jours.
En outre, les avantages économiques dus à la nouvelle ligne
sont évidents. C'est d'abord la renaissance agricole de la
Mésopotamie dont le sol est fort riche et produit surtout le
blé, l'orge, le coton, le riz, le maïs, le sésame, les dattes. Plus
en grand se ferait l'élevage du bétail, qui, actuellement, ne
peut s'exporter que par la route longue et périlleuse du désert,
et seulement au printemps quand les troupeaux trouvent de
quoi brouter sur la route de Bagdad à Alexandrette. Cette
région fournit dès maintenant au commerce extérieur annuel
10,000 balles de peaux et 40,000 balles de laines.
Le sous-sol de l'Irak-Arabi pourrait enfin être exploité, car
il est riche en houille, en bitume, en naphte.
CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 243
Ce serait aussi l'établissement possible d'industries euro-
péennes dans l'Irak Arabi oi'i il n'existe que quelques métiers
rudimenlaires qui tissent des étoiles de soie, de laine, de coton,
à l'usage exclusif des Arabes. C'est de Bagdad que vont en
Europe les cuirs, les laines, le coton, et les matières premières
sont réexpédiées d'Europe à des prix décuplés.
A Bagdad, il n'jr a pas une seule maison de commerce
européenne.
On voit donc l'iuiporlaiice pour l'Europe de ce pays où tout
l'outillage économique est à créer.
Le point de vue stratégique n'est pas à négliger : on se
rappellera que les troupes du 6'- corps d'armée n'arrivèrent,
en 1877, à la fi'ontière turco-russe qu'après deux mois de
marclies forcées, qu'après avoir perdu en cours de route une
partie de leurs elléctil's, et trop tard pour prendre part utile
ment à la lutte.
En un mot, l'ouverture de la ligne Bagdad-Kovveit amènera
de nouveau la prospérité dans une région délaissée, créera une
voie nouvelle et plus rapide aux écbanges avec l'Extrême-
Orient, contribuera à enlever aux Anglais une suprématie
menaçante non seulement dans le Golfe Persique, mais dans
toutes les régions avoisinantes qu'ils convoitent depuis de si
longues années.
{Bull. Soc. Géorjr. de Lyon).
L'Allemagne en Extrême-Orient— LeporideTsm-TeiO. —
Entre les années 1880 et 1900, les exportations allemandes en
Chine ont passé de 8 millions et demi à 60 millions de francs,
les importations de 1 million et demi à 45 millions. Avec le
Japon, la montée a été respectivement de 3 millions et demi
et 750.000 francs à 88 millions et 20 millions.
Pour le port de Tsin Tao, qui sera le foyer principal d'action
de l'Allemagne asiatique, on a dépensé officiellement, deiiuis
1898, 49 millions de francs. On bâtit là un arsenal maritime,
un port militaire et un entrepôtcommercial, une vraie capitale,
reliée à l'intérieur par le chemin de fer de Ïsin-Tao à Tsi-Nan,
long de 450 kilomètres, dont plus de 100 sont déjà faits, et
voisine d'un bassin houiller important qui permettra de
constituer des dépôts de charbon dans l'empire colonial
allemand du Pacifique.
Les progrès économiques de l'Allemagne en Chine se font
surtout aux dépens de l'Angleterre. Une des victoires les plus
importantes qu'elle ait remportées est l'accord qu'elle a conclu
en 1900 avec l'Angleterre pour le maintien de l'intégrité
territoriale et de la porte ouverte en Chine. (Jette entente, en
244 CHRONIQUE GÉOGRAPHIUUE
apparence dirigée contre les projets des Russes en Mandchourie,
s'est en définitive retournée contre les intérêts britanniques.
Elle a permis d'importantes concessions à Chang-Hai, où les
Allemands ont placé une forte garnison et construit sur
1 kilomètre de front des chantiers, des quais, des docks, des
ateliers de réparations allemands. Elle a rendu possible, sans
opposition, l'entrée de la concurrence allemande sur le Vang-
Tsen, que les Anglais commençaient à regarder comme leur
propriété exclusive. Une action combinée des compagnies
Norddeutscher Lloijd et Hamburg -Améi ika a abouli à la
création d'un service allemand sur le grand fleuve jusqu'à
Tscliong-King. L'Allemagne prélève déjà 20 p. 100 du trafic
du Yang-Tsen. De nouvelles lignes maritimes se créent, on
assiste au rachat, par les deu.x puissantes compagnies, d'an-
ciennes lignes anglaises. Enlin dans tout le Sud de la Chine,
jusqu'au Siam, le cabotage allemand prend une prédominance
incontestée.
{Annales de Géograplùe).
-A-FRIQUE
Voyage de Dodson, de Tripoli à Mourzouk. — M. Dodson
vient de parcourir la route conduisant de Tripoli à Mourzouk,
la capitale du Fezzan, qui n'avait plus été visitée par une
expédition scientifique depuis les explorations de Bartli, de
von Beurmann, de lUiolfs et de Nachtegal.
L'expédition de M. Dodson quitta Tripoli et suivit la route
de Nachtegal dans la direction Sud-Est. Après huit jours de
marche, elle atteignit le désert où elle souffrit de la chaleur
et du manque d'eau : on ne trouvait de l'eau que toutes les dix
ou douze heures. Deux semaines après avoir quitté Tripoli,
l'expbrateur arriva à Uadi-Sofedchin, d'où il lit une excursion
à un ancien réservoir d'eau romain, magnifique monument de
maçonnerie, bien conservé, dont le ciment, qui subsiste encore,
a conservé son étanchéité.
M. Dodson se dirigea vers Sokna, dans l'oasis Boudchem et
constata que les habitants n'avaient pour se nourrir que des
escargots et du jus de dattier. Quelques constructions de
l'oasis remontent à l'époque romaine et font contraste avec
les misérables habitations des indigènes : l'une d'elle, dont les
murs ont quatre mètres d'épaisseur, couvre une superficie
de 3,500 mètres carrés. Sokna est une petite oasis de
2,000habitants(iui possède une garnison turque de 200 hommes.
CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 245
L'expédition arriva enfin à Mourzouk, à 450 kilomètres de
Sokna, après avoir traversé notamment une grande forêt
pétrifiée, dont les troncs d'arbres, tous penchés, sontconverts
de coquillages jusqu'à deux mètres de hauteur, ce qui semble
démontrer que la mer a pénétré autrefois jusque là.
(Soc. d'Étuden Coloniales).
Presqu'île des Somalis. — Deux expéditions françaises
travaillent en ce moment dans la presqu'île des Somalis. L'une,
dirigée par M. Duchesne, sous les auspices du Gouvernement
et de la Société de Géographie de Paris, a étudié la géologie
de Djibouti et de la baie de Tadschoura et la géographie et
l'ethnographie du pays des b'omalis, en traversant le désert
près de Lassarat et île Addagalla, pour gagner ensuite Addis-
Abeba par Gurgura; l'autre, conduite par le vicomte Du Bourg,
reçut de l'Empereur Ménélik l'autorisation de traverser les
provinces équatoriales, et se dirigea vers le Harrar. En quittant
ce pays, l'expédition prit au Sud, explora la vallée du Webi
Schebeli, où elle courut de grands dangers à cause du manque
d'eau, s'enfonça dans la vallée du Dagato, pour pénétrer dans
la région d'Ogaden oi!i le gibier abonde. Elle arriva au confluent
du Burka et du Webi Schebeli qu'elle descendit jusqu'à Imi en
explorant le pays de Scheik-Hupein. Se dirigeant ensuite vers
l'Ouest, elle visita les vallées du Webi suf)érieur (affluent du
Djuba) et Maneb, où elle attendit la fin de la saison des pluies.
Protectorat de la côte des Somalis— Commerce en 1901.
— D'après le rapport du consul anglais, le commerce total, du
protectorat de la cote des Somalis a été en 1901 de beaucoup
inférieur à celui des deux années précédentes. La diminution
est dù9, à Zeila, aux avantages offerts par le cliemin de fer
français de Djibouti à Harrar, tandis qu'à Berbera et à Bulhar,
elle est attribuable aux troubles de la partie orientale du
protectorat, qui eurent pour effet de fermer les marchés
importants d'Orgaden et du Sud-Est du Dolbahanti. Selon le
rapport précité, ce fléchissement n'est que momentané ; il fait
observer que Zeila a été, ces dernières années, le point de départ
principal du commerce vers le Harrar et que, de tout temps, elle
a été l'endroit d'où partent les caravanes vers l'intérieur.
Il y a lieu de penser que les espérances du consul anglais ne
sont pas fondées. Tandis que son gouvernement se contentait
d'assurer la sécurité des routes de caravane, la Fram^e,
abandonnant l'ésolument la position défavorable d'Obock,
tondait Djibouti qui est devenu une station importante et la
tète de ligne du premier tronçon de chemin de fer de Harrar.
(•Soc. Etudes Coloniales/.
246 CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE
Maroc. — Les Intérêts Allemands. — Dans le ressort du
consulatde Tanger, seize maisons allemandes font le commerce
d'importation, d'exportation et de commission, surtout avec
l'Allemagne et l'Angleterre. Dans quatre ports, le pavillon
allemand possède la prééminence. Il vient presque au premier
rang pour les exportations. Dans le commerce d'importation,
les Allemands sont fortement distancés pour le sucre et les
cotonnades qui viennent d'Angleterre; mais pour d'autres
marchandises, le thé, par exemple, Hambourg et Brème
pourraient sans peine rivaliser avec Londres. Au total, si l'on
tient compte des maisons industrielles représentées au Maroc
et des compagnies d'assurances, la valeur des intérêts de
l'Allemagne au Maroc se monte à 8 ou IG millions de marks.
(Soc. Géogr. Je Danlœrqiie).
Venezuela. — Chemins de fer. - Le gouvernement
vénézuélien a concède à deux sociétés américaines la construc-
tion de deux lignes de chemins de fer qui sont appelés à
contribuer dans une large mesure à la mise en valeur du pays.
La première va d'un point situé sur la mer de Maracaibo à
Carora dans l'état de Lara. A voie unique, d'un écartement de
1">07, elle devra être terminée en sept ans, et pourra être
piolongée jusqu'à Barquisimeto.
La deuxième va de Barranquitos aux plaines de San Ignacio
dans le district de Perija à la frontière colombienne. Celte
ligne, répond à la première. Elle se divisera à partir de San
Ignacio. Une des branches se dirigera vers le Sud, l'autre vers
le Nord, vers Maracaibo, via Rosario.
(Soc. Études Coloniales).
Les Mines d'or du Klondyke. — Le professeur Miers adonné
dernièrement, à la Royal Institution de Londres, le résultat
d'une récente visite aux mines d'or du Klondyke. Les mines
se trouvent le long de la rivière Klondyke, à 13 milles de
Dawson City. On y arrive maintenant par des routes; aupara-
vant il n'y avait que des sentiers à travers les forêts. La
surface aurifère est de 30 milles carrés; les cours d'eau qui
l'arrosent rayonnent autour d'une montagne centrale appelée
la Douie. Tous contiennent de l'or. Au Klondyke, on extrait l'or
du gravier qui se trouve dans le fond de la vallée ou da'ns le
flanc de la colline. Le gravier provient probablement des
CHRONIQUE GÉOGRAPHIQUE 247
rochers de la surface, et comme les cailloux ne sont pas
fort arrondis, ils n'ont pas pu venir de loin. Le dépôt du flanc
de la colline, connue sous le nom de « White Chaund » est
très singulier et ne se rencontre vraisemblablement pas ailleurs.
Il est situé à 400 pieds environ au-dessus du fond "le la vallée
et est exploité au moyen de tunnels creusés horizontalement,
dans un sol gelé qui n'exige pas de boisage ni d'autres soutiens.
Dans la vallée, le gravier aurifère est recouvert de lOàlS pieds
de tourbe gelée qu'il faut fondre au préalable — pierres
brillantes projetées dans des trous que l'on agrandit peu àpeu,
— feux de bois, — jets de vapeur à haute pression que l'on
introduit dans le sol par des tuyaux. I.a difficulté est accrue de
ce que les parties riches en or ne sont pas continues, mais
appai-aissent tantôt à l'un, tantôt à l'autre côté de la vallée.
(Soc d'Etudes Coloniales.)
foil.es
Expéditions en cours. — Treize expéditions vers les pôles se
sont mises en route en 19)1. Y participent le Canada, les États-
Unis, l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie, la Hollande, la
Norwège, la Suède et la Russie.
Aux alentours du Pôle-Nord se sont successivement donné
rendez-vous l'expédition Baldwin-Ziegler, de New- York ;
le vice-amiral Makarofl', parti d'Arkang'l à bord du navire
brise-glaces le Yennick ; le capitaine canadien Dernier,
d'origine française, sur le ScoUisli. King ; le capitaine
Barnerdacht, de la marine impériale allemande ; le lieutenant
Peary, l'explorateur américain bien connu, et le docteur Stein,
un suédois. Puis Nansen, accompagné, dit-on, du duc des
Abruzzes ; le capitaine Stokken, un autre norwégien, et le
baron Toll, qui partira de la mer de Kara sur un bateau de
son invention, iront rejoindre les six expéditions déjà nom-
mées dans les mers arctiques.
Quant au Pôle-Sud, toujours plus délaissé, parce que moins
accessible, il recevra néanmoins la visite des Anglais, des
Allemands, des Australiens et des Hollandais.
Les deux plus importantes expéditions sont celles du (t'aîi-s,
dont l'empereur Guillaume II a soldé une partie des frais,
et celle du DUcovery, sous les ordres du command;mt Scott,
de la marine royyle britannique.
D- ,1. G.
STATION THERMO-MINERALE
I>'HAaiBIAOI-SEI.A»IA
Dans le numéro' xx, fascicule lxxxiv, du Bulletin de la
Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran, j'ai publié
divers renseignements minéralugiques et hydrologiques inté-
ressant le département d'Oran, accompagnés d'une carte
indicatrice. Celle publication était le résumé sommaire de
divers travaux exécutés dans cet ordre d'idées, par le Service
des Mines de la province.
Dans la partie hydrologique, notamment, j'avais exposé le
relevé des sources thermales et minérales, qui ont été plus ou
moins l'objet de travaux importants de captage et d'aména-
gement. Quelques-unes sont assez fréquentées. Il n'existait
pas alors, dans le département, d'autres sources de cette
nature pouvant intéresser le public.
Un nouvel établissement thermo-minéral vient d'être créé
récemment, c'est celui d'Hammam-Selama ; il est situé près le
village de Port-aux-Poules, dans le voisinage de l'embouchure
de la Macta, c'est-à-dire, sur les bords de la mer, et étant
desservi, en même temps, par la voie ferrée d'Arzew à A'in-
Sefra; il est dirigé par M. Roger Duzan.
C'est en forant un puits artésien que M. Armitage, ingénieur
minéralogiste, a vu jaillir cette source minérale, laquella
répandait, à son émission, une odeur sulfureuse caractéris-
tique. La température de l'eau accuse 22 degrés; son débit
quotidien est de 55 mètres cubes environ ; elle émerge d'une
nappe située à 225 mètres de profondeur à peu près. Nous
pensons donner, plus tard, après une visite sérieuse de la
situation, notre sentiment géologique, sur les causes et les
circonstances de cette découverte.
Une commission technique, composée de divers professeurs
de l'Ecole de médecine d'Alger, et de l'Ingénieur en chef des
mines de l'Algérie, a publié un rapport officiel sur cette source.
STATION THERJtO-MINÉRALE D'HAMJIAM-SELaMA. 249
Nous n'avons pas pu nous le procurer, mais voici le résultat
de l'analyse chimique des eaux, faita par le docteur Pouchet ;
Silice 0,120
Carbonate de chaux 2,812
Sulfate de chaux 0,053
Sulfate de magnésie 2,871
Oxyde de fer et d'alumine 0,080
Chlorure de Sodium 9,750
Malgré l'odeur sulfureuse dégagée par cette eau, elle ne
contient pas, parait-il, de l'hydrogène sulfuré, ou du moins,
l'analyse chimique n'en a pas accusé; de nouvelles épreuves
fourniront, sans doute, des éclaircissements à cette égard.
L'organisation, d'Hammam-Selama est encore rudimentaire;
mais un avenir plus encourageant, plus développé, lui parait
réservé : 1" à raison de la nature sulfureuse de ses eaux :
2" du voisinage de la mer; 3" des centres de colonisation qui
l'environnent, et 40 de la proximité de la voie ferrée.
J. BOUTY.
BIBLIOGRAPHIE
Notes sur l'histoire naturelle du Sahara algérien
Les .1 rcliices de Médecine et de Pharmacie militaires ont publié
deux notes sur l'histoire naturelle du Sah.ira oranais: l'une, de
M. G. Delluc, pliarmacien aide-major de 1" classe, sur l'hydrologie
de VExtrème-Sud oranais, de Dureyrier à Beni-Ahhès (1); l'autre,
de M. le docteur Roniary, médecin aide-major de 1" classe, sur
la nature du sol, la faune, la Jlore de la région d'Igli (2i
Le même recueil a publié aussi une troisième note, de ^LJ.Lahache,
pharmacien-major de 2* classe, sur la mare d'Aïn-Ta'iba. Ce travail
concerne l'hydrologie de la vallée l'Igarghar (3).
Dans son travail, M. Delluc s'est proposé de faire connaître
la nature et la qualité des eaux de la vallée de la Zousfana, c'est-
à-dire de toutes celles que i.os soldats peuvent avoir à consommer
sur la ligne qui s'étend de Duveyrier à Beni-Abbés.
Après un aperçu sur- « l'aspect général du pays » et « l'origine
des eaux » l'auteur donne l'analyse des eaux de Duveyrier,
Djenan-ed-Dar, Djenan-el-Harris, Nakelat-bel-Brahim, Fendi,
Ksar-el-Adzoug, Haci-el-Mir, El-Morra, Zaouïa-Foukania, Taghit,
Igli, Beni-Abbès.
Ne pouvant donner ici les tableaux d'analyses, nous nous
bornerons à reproduire les conclusions du savant officier :
« Saui à Duveyrier, où même les meilleures eaux sont de médiocre
qualité, les eaux de. tous nos postes de l'Extrême-Sud : Djenan-
ed-Dar, Taghit, Igli (Zousfana) et Beni-Abbès, sont de bonne
qualité et peuvent être consommées sans inconvénient Quant aux
diverses stations intermédiaires, l'eau est le plus souvent de
qualité suffisante et peut être utilisée par les troirpes en cours de
route Toutefois, cel'e de Ksai-el-Adzoug devrait être mise de côté
(1) Archives, février 1902. p. 130.
(2) Lob. cit.. février-mars 1902. p. 156 et 248.
(S) Loc. cit.. février 19 2. p. 123.
BIBLIOGRAPHIE 251
« Eq ce qui concerne la composition do ces eaux, on peut
constater ([u il y a presque toujours, et dans des proportions bien
différentes, un excès de chlore ou de magnésie. Il y a grand excès de
chlorures dans les eaux de Duveyrier, Nakhelat-bel-Brahim, Ksar-
el-Adzoug, El-Morra et Igli foued Guir).
0 Les eaux de Duveyrier et de Ksar-el-Adzoug sont assez
fortement magnésiennes.
« Il y a parfois abondance de sulfales ; ;iu contraire, il y a peu ou
même pas du tout de carbonate de chaux
« Les azotates existent rarement M Breteau a déjà constaté le
fait ; il les signale surtout dans les eaux des postes où il y a
agglomération de troupes (Duveyrier, Igli, Beni-Abbès), et il
attribue leur présence à la contamination. On peut, en effet,
constater. (|ue l'eau de Djenan-ed-Dar, analysée avant la création
du poste, n'en renfermait pas de traces; une nouvelle analyse,
faite au bout de plusie\irs mois d occupation, en signale 3 milli-
grammes par litre.
« La présence de l'hydrogène sulfuré, même dans les eaux de
bonne qualité, est assez fréquente. Il résulterait des renseigne-
ments recueillis que, à l'origine, ces eaux n'en contiendraient pa.s.
Il se formerait en cours de route et au bout d'un certain temps par
réduction des sulfates II ne faut donc pas y attacher trop
d importance
« Pour ce qui est de la matière organique et de l'azote albumi-
noïde, très souvent 1 analyse n'a pu être faite, par suite du manque
d'échantillon. Si parfois les proportions trouvées en sont trop fortes
il importe de considérer que l'eau arrive au lab >raloire api-ès de
longs jours de voyage et dans des tljcons plus ou moins boujhés.
On ne doit donc pas en tenir trop grand compte, d'autant plus que
les puits étant plus ou moins protégés, leur présence doit être
due, le plus souvent, à des souillures extérieures »
Dans son travail, M. Lahachc rend compte des études qu'd
a faites sur les eaux de la mare d'Aïn-TaVba. Cette mare est
située sur la r-oute d'Ouargla à El-Biodh. « C'est le seul point
d'eau à ciel ouvert connu dans le massif des dunes de l'Erg. »
La mare qui est alimentée par une source « se présente sous la
forme d'un petit lac circulaire de 100 mètres de diamètre, situé au
fond d'iui entonnoir conique de 30 mètres de profondeur
L'eau a une profondeur de 7 mètres. »
Comme le point d'eau le plus rapproché, celui d'El-Biodb,
est à 180 kilomètres au sud, il en résulte que le lac d'Aïn-Tai'ba
252 BIBLIOGRAPHIE
est un gite d'étape pour les caravanes qui suivent le lit de
rigarghar.
Malheureusement l'eau du lac, salie par toutes sortes de
détritus, est impotable. Les voyageurs sont obligés de creuser des
trous sur le chemin de ronde du cône pour obtenir de l'eau
buvable. Cette eau est relativement bonne ; mais sa composition
minéralogique parait varier. Depuis 18S0 elle s'est modifiée.
La dernière analyse laite tout récemment par M. Lahache a donné
la composition suivante :
a Pour un litre d'eau :
Résidu desséché à + 100" . . . 0,.5?0 (calciné 0,397)
Chlore 0,057
Acide carbonique 0,079
Acide sulfurique 0,083
Silice 0 025
Soude 0,107
Magnésie 0,034
Chaux 0 083
Matières organiques Néant
Fer, alumine Traces
Nitrates Néant
« La répartition des éléments entre les différents sels présente
le tableau suivant :
Bicarbonate de chaux 0,134
Bicarbonate de magnésie. . . . 0.064
Silicate de soude 0,051
Chlorure de sodium 0,093
Sulfate de magnésie 0,042
Sulfate de chaux 0,075
Sulfate de soude 0,0-20
Carbonate de soude 0.0.39
Tout en cherchant à fixer la nature et la qualité des eaux
d'Aïn-Taïba, M. Lahache avait surtout pour but de chercher à
résoudre un des cotés d'un problème qui intéresse l'Algérie
économique ; Y a-t-il des nitrates dans le Sahara algérien ?
« Il est tout naturel, dit M. Lahache, que là où se trouvent des
gisements considérables de nitrates, les eaux de diffusion et
les eaux profondes en soient chargées, au point qu'aucune
confusion ne puisse être établie avec les nitrates provenant
des matières azotées accidentelles. »
BIBLIOGRAPHIE 253
Or, chose curieuse, l'analyse de l'eau d'Aïn-Taïba n'a donné
aucune trace de nitrates.
M. Lahache conclut :
« Ainsi donc, nous n'avons pas trouvé de nitrates en quantité
dosable dans les eaux de la région d'Aïn-Taïba. Comme notre
examen a porté sur des échantillons recueillis au fond d'une des
grandes dépressions de l'Erg, dans un des gassis ou défilés où
rigarghar allongeait ses ramifications ; que lii, par conséquent,
s'accumulent les eaux issues du plateau de Tadmaydt, de celui du
Tinghert, nous croyons qu'il faut renoncer à chercher dans ces
régions les gisements de nitrates exploitables. »
Dans son travail, M. le docteur Romary traite de la géologie,
de la faune et de la flore de la vallée de la Zousfana et particuliè-
rement des environs d'Igli. Ayant séjourné pendant plus d'une
année à Igli même, il a pu faire d'importantes recherches,
recueillir de nombreuses observations et rapporter de précieux
matériaux. Son travail est divisé en trois parties que nous allons
essayer de résumer :
I. Nature du, sol. — Au point de vue géologique, les bassins
inférieurs de la Zousfana et de l'oued Guir paraissent n'être
constitués que par la baseducarboniférien inférieur, le quaternaire
alluvionnaire et les dunes.
On sait que c'est grâce aux quelques échantillons i-ecueillis par
M. le commandant Barthal et M. le sous- lieutenant Barthélémy,
que M. Ficheur a pu signaler la présence du carbonilerien inférieur
dans la région d'Igli.
C'est grâce aux nombreux échantillons rapportés par M. le D'
Romary, que la classification du terrain a pu être confirmée.
M. le docteur Romary énumère les espèces qu'il a recueillies et
que M. Ficheur a pu déterminer. C'est une liste précieuse qui sera
complétée plus tard.
Sur notre amicale invitation, M. le docteur Romary a bien voulu
offrir ses riches récoltes au service géologique de l'Algérie :
les types sont à Alger, les doubles au service des Mines, à Oran,
Nous ne saurions trop remercier une fuis de plus le généreux
donateur.
M. le docteur Romary signale la direction du plongement
des assises. Ce plongement est très accentué vers l'ouest.
C'est là une indication importante, elle montre que si les dernières
assises du carboniférien inféi-ieur et, avec lui, le terrain houiller
existent dans l'Extréme-Sud oranais, c'est à l'ouest de la ligne de
254 BIBLIOGRAPHIE
l'oued Zousfana qu'on pourra plus tard reeheicher la partie
occidentale du bassin liouiller (1).
II. Faune. — M. le docteur Romary cite d'abord les animaux
domestiques; il donne ensuite une assez longue liste des animaux
sauvages: Mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, poissons.
Il accompagne cette énumération de quelques courtes notes sur les
mœurs de certaines espèces. Ces notes prises sur le vif témoignent
chez l'auteur d'un sérieux esprit d'observation.
L'énuméralion des invertébrés est assez longue mais plutôt
générique que spécifique. Seuls quelques coléoptères ont été
déterminés par notre collègue, M. Tournier.
III. Flore. — Les connaissances spéciales de M. le docteur
Romary lui ont permis d'étudier avec plus de profit la flore d'Igli.
L'énuméralion des familles et des espèces étudiées ou entrevues
est assez longue et très intéressante. Le jeune et savant docteur
signale deux espèces nouvelles ; l'une qu'il appelle provisoirement
Fritilldria Igliensis. l'autre Primula parrijlora.
La pré.sence d'une pi-imevère sur les boyds de la Zousfana est
bien curieuse.
On voit par les résultats que nous venons de signaler que les
trois notes de MM Delluc, Lahachc et Romar>', présentent un
grand intérêt ; elles font le plus grand honneur à leurs savants
auteurs. Elles sont les prémisses de travaux plus importants.
Ces notes nous plaisent surtout par un côté; elles témoignent
une fois de plus de l'esprit scientifique qui ne cesse d'animer
MM. les officiers du corps de Santé militaire ; les jeunes suivent
les traces de leurs anciens; ils continuent à grossir la liste des
travailleurs qui ont honoré et honorent encore ce corps d'élite.
Dans la solitude des déserts, ils restent des laborieux, ils savent
chasser l'ennui en consacrant leurs loisirs à des recherches scien-
tifiques. Pionniers de la science, ils plantent, au milieu des dunes,
des jalons qui guideront leurs successeurs.
F. DOUMERGUE
(1) Des découvertes et des ét'ides nouvelles de MM. Collot et Flamand
ne laissent aucun djule sur la présence dans le Sahara algérieu des
dernières assises du Culiii CcarboniférieD inférieur). Tout f:iit supposer
que le terrain houiller doit continuer quelque part la série des assises
carbonifériennes.
JI 0 N 0 r. R A P II I E
DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU
CARACTERES GENERAUX
DES GOiMMlJNKS INDIGÈNES
AvanI d'abordei" la monographie do la commune
indigène de Tiare<t-Allou, il nous a paru utile d'étudier
les caractères des communes indigènes, leur orga-
nisation et leur fonctionnement.
Ces unités administratives sont loin de ressembler
aux communes métropolitaines ou algériennes du
Tell ; créées pour des besoins spéciaux elles ont dû
nécessairement comporter une organisation toute
dill'érente que celle qui régit les communes où
l'élément européen est prépondérant.
Dans les communes algériennes régies par la loi
municipale du 5 avril 188i-, les franchises et les
libertés municipales sont absolument identiques à
celles dont jouissent les habitants de la France
continentale. Les légères exceptions prévues par
la loi ont pour objet de tenir compte des besoins
locaux et de donner aux populations indigènes le
droit de désigner des représentants au sein du
Conseil municipal pour soutenir et défendre leurs,
intérêts.
Il est évident qu'il ne saurait en être de même
dans les territoires qui composent les communes
indigènes.
Situées au Sud de l'Algérie, comportant de vastes
espaces habités par des tribus généralement noma-
des, l'organisation municipale de ces communes ne
19
256 MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIC.ÉXE DE TIARET-AELOU
pouvait ètie la même que pour leurs voisines du Tell.
Il était indispensable que le pouvoir central puisse
faire sentir son action et exercer sa surveillance
sur des populations naguère hostiles, i^ïnorantes des
libertés communales et peu en mesure de gérer
convenablement elles-mêmes les intérêts multiples
de la collectivité.
Il fallait donc créer une administration paternelle,
mais puissante iiour maintenir dans le devoir et
l'obéissance les sujets sous ses ordres.
C'est dans ce but que l'arrêté du 13 novembre 1873,
qui a créé les communes indigènes, a confié à
l'autorité militaire la direction, la gestion et la
surveillance de ces unités administratives.
A la tête de la commune se trouve le Commandant
supérieur qui remplit les fonctions -de Maire et en
exerce toutes les attributions. Sous ses ordres, au
point de vue communal, sont placés les chefs des
bureaux aralies ciiargés de la police des populations
indigènes, de l'expédition des ordres, de leur mise
à exécution, de la police des marchés, de la situation
politique et administrative du pays, de la recherche
des crimes et délits, etc.
Une Commission municipale, composée du com-
mandant supérieur, du ou des capitaines, chefs des
bureaux arabes, et des caïds est appelée par ses
délibérations à se prononcer sur toutes les matières
soumises aux conseils municipaux des communes
de plein exercice. (Art. 11 de l'arrêté du 20 mai 1868.)
« Tandis que les communes mixtes civiles ou
« militaires .offrent les caractères d'une transition
« progressive vers le régime du droit commun, le
« trait essentiel des communes indigènes, est, ainsi
« que l'exprime d'ailleurs l'arrêté du 13 novembre 1874,
a en son article 3, d'être soumises au régime du
« commandement. Mais elles ont d'ailleurs, aussi
a bien que les communes mixtes et de plein exercice,
CARACTKRES GÉNÉRAUX DES COMMUNES INDIGÈNES '257
« la qualité de personnes civiles et exercent tous les
« droits, prérogatives et actions qui y sont attachées.
« Elles ont leur existence, leur domaine et leur orga-
« nisation propres. » (Arrêté du 29 mai 1868, art. 4.
Arrêté du I.'î novembre 1874, art. 2.) <'>
Il résulte des principes énoncés ci-dessus que les
communes indigènes en tant qu'unités territoriales
ont un jjudget personnel, qu'elles peuvent posséder,
vendre et acheter ; mais que leurs habitants, euro-
péens ou indigènes, n'ont aucune action à exercer,
par la voie du vote, sur la composition de la commis-
sion administrative et la désignation des magistrats
chargés d'en diriij,er les destinées. '
Il n'existe donc pas en commune indigène des
compétitions pour l'obtention des fonctions muni-
cipales. On n'y vuit pas de luttes locales ni des çofs
se disputer le i)ouvoir; l'exercice de ce dernier est
entièrement entre les mains de l'autorité militaire
qui peut ainsi diriger les populations sous ses ordres,
les surveiller, les instruire et mener à bonne fin les
travaux destinés à assurer le développement écono-
mique et industriel de ces régions, afin qu'elles
puissent, dans nn avenir plus ou moins éloigné, être
appelées à jouir des bienfaits d'une organisation
plus complète et comportant une plus grande liberté.
(1) Le ré'jime municipal en Algérie, par René Tilloy, art. 198, p. 111.
MONOGRAPHIE
Coiiiiîiiint iiidiuène de Tiarel-AIIoii
La commune'indigène de Tiaret-Allou a été créée par arrêté
gouvernemental du 13 novembre 187i et a commencé à
fonctionner à partir du l''' janvier 1875.
Issue de l'ancienne commune subdivisionnaire de Mascara,
ainsi que la commune i ndigène de la Yacoubia, elle a, elle-même,
donné naissance en 1881 à la commune mixte civile de Tiaret,
et en 1885. à une partie de la commune mixte de Frendah.
Sa division en deux cercles (Tiaret et Aflou) est la consé-
quence de l'application de l'article 2 de l'arrêté constitutif,
qui prévoyait que certains cercles ou annexes, par suite de
l'insuftisance de leurs ressources, ne pourraient être érigés
immédiatement en communes indépendantes et devraient
former provisoirement des sections de communes indigènes.
La commune indigène de Tiaret-Allou, par applicatio:i du
principe qui précède, est donc divisée en deux cercles qui
constituent l'unité communale représentée par un comman-
dant supérieur en résidence à Tiaret.
Le siège de la commune indigène de Tiaret, comme celui de
la commune mixte civile, se trouve donc situé hors de ses
limites, sur le territoire de la commune de plein exercice de
Tiaret.
Il en résulte cette anomalie, que les ordonnateurs des
communes indigène et mixte civile, chargés des intérêts
d'unités territoriales très importantes, sont eux-mêmes
administrés, en tant que simplts citoyens et relèvent en cette
qualité et comme contribuables, de l'arrondissement d'Oran
dont fait partie la commune de plein exercice de Tiaret.
MONOGRAPHIE DE L.\ COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU 259
La commune indigène de Tiaret-Aflou, dans son ensemble,
a la forme d'un triangle dont le sommet le plus aigu s'enfonce
dans les régions sahariennes en pointe effilée, pendant que
le côté opposé forme bordure sur l'immense plaine du Sersou.
Sa limite Est se confond aveccel'es des départements d'Oran et
d'Alger sur une longueur de près de 400 kilom'tres; à l'Ouest,
elle est limitée par les cei'cles do Géryville et de Saïda; au
N. -Ouest, par la commune mixte civile de Frendah, et au Nord,
par les communes mixtes de Tiaret et de Téniet-el-Hàad.
Cette immense bande de terre se développe donc du Sahara
à la limite Sud du Tell et comporte des zones distinctes déter-
minées par les reliefs du sol qui la divisent en trois parties :
1° Le versant Nord qui envoie par le Chélifl" et ses affluents,
ses eaux à la Méditerranée ;
2° La région des Chotts, sorte de dépression intermédiaire
où les eaux s'accumulent en daias et lacs ;
3" Enfin le versant Sud qui rejette vers les sables du désert
les rivières nées des sources qui jaillissent des lianes méri-
dionaux du djebel Amour.
L'ensemble des plaines a une altitude moyenne de 900
à 1,200 mètres; au-dessus s'élèvent les massifs du Nador
(1,412), et du djebel Amour au Sud (1,907 mètres au ras
Touïlet Makna).
..<Z' ?-ndli<iôrta^' <i<^ 5wo-«^-
Coupe théorique du sol ij Nord au Sud
260 MONOGRAPHIE DE L\ COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU
Ces considérations générales achevées, nous passerons à
l'examen plus détaillé de chaque cercle en reproduisant en
grande partie la remarquable étude géographique faite par
MM. les officiers des afîairen indigènes et publiée par ordre
de M. Cambon, gouverneur général de l'Algérie, sous le titre :
Le Pays du Mouton.
CKRCLE DE TIARET
Le cercle de TiarelC* forme un grand quadrilatère, sorte de
rectangle irrégulier, dont le grand axe est dirigé sensiblement
suivant la ligne des chotts, c'est-à-dire S.O.-N.-E., il commence
au-delà de la ville de Tiaret, un peu au Sud des cascades de la
Mina et finit en avant des premières rides du djebel Amour.
Très montagneuse dans sa partie septentrionale, à l'exception
d'une faible étendue des hauts plateaux du Sersou, ses limites,
à l'Est, suivent une ligne rasant les sources de Tagiiin et
venant se terminer au Daia Mta-Radjela et le djebel Guebeur-
el-Achi ; à l'Ouest, elles commencent sur le versant méridional
de Cheika-Toual-el-Beila, coupent le chott Ech-Chergui et se
prolongent jusques un peu au-dessous de Daia-ech-Chelib,
enfermant ainsi une zone très vaste de la région vraiment
typique des Hauts-Plateaux. Au Sud, il s'arrête en son point
le plus oriental, au djebel El-Achi et est alors jalonné par une
série de plis montagneux, le djebel Archa, le djebel Si-Lhassen,
le djebel Zreïga, auxquels succèdent des dépressions, des datas
ou sources : Oum-el-Guetouta, El-Aliat, Daïa-Fréha : il atteint
ainsi Ferast-el-Leben. ravin qui le sépare de l'annexe de Saïda.
Sa limite Nord, à partir des r'dirs de Farat-el-Hassau'
s'enfonce en une ligne capricieuse, à travers les massifs
montagneux du Tell : le djebel Kermess, Hassina, le djebel
Lakdar, dont elle suit le flanc oriental, puis monte au Nord,
près des cascades de la Mina, et là, plus régulière, comprend
le djebel Si-Habed, passe par l'Ain-Timetlaket pour se couder
brusquementàquelques kilomètres au nord de l'oued Sousselem.
Dans son ensemble, le cercle de Tiaret se divise naturellement
(1) Le Pai/s du Mouton.
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU 261
en deux zones: la région tellienne monlcagneuse, au Nord et au
Nord-Ouest ; ;ui Sud, les Hauts-Plateaux comprenant le chott
Ech-Chergui, et auxquels il faut rapporter physiquement la
faible portion du plateau du Sersou, que le cercle comprend
dans sa liini'e Nord oriental.
Dans le Nord, les terrains secondaires (jurassiques très
étendus et une mince bande de couches crétacées) s'étendent
sous forme d'une barrière plus ou inoin? compacte, plus ou
moins régulière depuis la Chebka-Toual à l'Ouest (annexe de
Saïda), jusqu'auprès de Ben-Hamade à l'Est (annexe de
Ghellala). Coupés de plaines, présentant même ça et là de
simples alignements montagneux, séparant de gratides
dépressions, dans la région orientale (djebel Chemakr, djebel
Krosni, djebel Ferratis), ces terrains sont au contraire 1res
accidentés avec des reliefs puissants et de profonds ravins,
dans la partie orientale., C'est là que prennent naissance de
nombreuses sources, origines de cours d'eau, qui forment des
oueds importants : l'oued Mina, l'oued Anasseur (Sousselem)
et de quelques aflluents : l'oued Kerbout, l'uued Bou-Akerout,
pour la pariie septentrionale ; pour les régions basses et de
grandes plaines de ces n;èmes formations: l'Ain Saïd ; enfin
l'Ain Ousseurklir' qui, sut" la limite des terrains jurassiques et
quaternaires, se continue par l'oued Ben-IIadja, affluent de
l'oued Touil lequel va plus bas, dans le département d'Alger,
former l'oued CliélilT.
Parmi ces oueds, les uns sont tributaires du bassin méditer-
ranéen : la Mina et le Nahr-Ouassel, aitluents du Chélilî, l'oued
Anasseur (Sousselem), l'oued Ben-Hadja; les autres : oued
Kerbout, oued Bou-Akerouf déversent leurs eaux dans le
bassin des chotts.
Les sources dispersées dans cette grande aire sont relative-
ment nombreuses et importantes; pourtant cette richesse
s'affaiblitdans l'Est et particulièrement pour les régions voisines
de l'oued Ben-Hadja.
Mais la partie déshéritée, sous le rapport des eaux, tant
sources vives que puits et r'dirs, s'étend surtout au Sud de
i'oued Bon Hadja et d'une ligne passant par El-Ousseurkhr et
la, pointe orientale du chott Ech-Chergui, Aïn-sl-Guetouta: clic
comprend en outre une portion de la plaine d'EI-Melah; c'est
comme on le voit, plus de la moitié de la superficie totale du
cercle.
262 MONOGRAPHIE DE L\ COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU
On se trouve là en présence de terrains quaternaires anciens
d'une puissance considérable, déposés sous l'influence de
phénomènes clysmiens d'une grande énergie et d'une longue
durée, ces formations pouvant atteindre trois cents mètres de
profondeur et peut être même davantage.
Dans le Sud-Est, aux limites extrêmes du cercle, s'étend un
réseau de plaines et de chaînons montagneux alternants : le
djebel Aïcha, le djebel Si-Lhassen, le djebel Alleg, le djebel
Zreiga; ce sont des sortes d'alignements réguliers qui vont de
l'Ouest à l'Est, en s'échelonuant pour former les premiers
reliefs du djebel Amour.
C'est dans la vaste région décrite ci-dessus et dont l'étendue
s'élève à 1, 155, 000 hectares, que les seize tribus dont se com-
pose la population indigène du cercle, se livrent à l'élevage
des troupeaux, des chameaux, bœufs, moutons et chèvres dont
la vente constitue la principale ressource.
Ces seize tribus peuvent toutes être classées dans la catégorie
de celles qui se déplacent sur leur propre territoire, à des
époques fixes. Elles foriuent trois groupes bien distincts, qui
ont chacun des terrains de parcours et des campements
d'hiver et d'été communs aux collectivités qui en font partie.
Ces trois groupes sont :
i" Les Harrar-Cheraga, de beaucoup le plus important et
qui comprend : les Ouled Sidi-Khaled-Cheraga, les Oulad
Zouaï, les Oulad Bou-Aflif, les Kàalira, les Chaouïa, les Oulad
Bel-Hoceïn ;
2" Les Harrar-Gharaba, groupe formé des : Oulad Zian-
Cherraga, Oulad Zian-Gharaba, Oulad Haddou, Dehalsa,
M'Rabtin Gharaba ;
3» Les Oulad Khelit, constitués par : les Oulad Bou-Renan,
les Oulad Kharoubi, les Sahari-Cheraga, les Guenadza.
Le territoire de chacun de ces groupes forme une bande
longitudinale orientée du Nord au Sud, elle comprend :
i" pour l'été, des lieux de campements avec les terrains de
culture et les pâturages nécessaires; 2" pour l'hiver, les mômes
installations et les mêmes parcours.
MONOGRAPHIE DE r,.V COMMUNE INIlIC.KNE DE TIARET-AFLOU 263
Aussi la distribution des points d'eau et des pâturages entre
les tribus du groupe n'a-t-elle rien d'absolu.
Les trois groupes de tribus effectuent donc, chacune dans
son secl*ur, deux migrations annuelles : aux mois d'octobre-
novembre ils prennent leur campement d'hiver dans la partie
du cercle située au Sud d'El-Ousseurkhi'; aux mois d'avril-mai,
ils reviennent dans le Sersou ou la pirlio des Hauts-Plateaux,
située au Nord d'El Ousseurkhr.
D'une manière générale, les troupeaux exécutent les mêmes
migrations en même temps que les tribus.
La richesse de ces dernières se décompose de la façon
suivante :
2«4
MOXOOR.\PIlIE DE h\ COMMUNE INDIGENE DE TI.iRET -AKLOU
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MONOnRAPHIE DE LA COMMUNE INliIOÈXE DE TIARET-AFI.OU 265
Ces chidVes ne peuvent être considér-és que comme moyenne,
car ils sont évidemment sujets à augmenlalion ou diminution
annuelles, suivant que les rigueurs de l'hiver ou les
sécheresses de l'été, ont plus ou moins contribué à la mortalité
des bestiaux.
Il en sera de même jusqu'au jour oi^i les indigènes,
abandonnant leur indolence habituelle, s'efforceront de
construire des abris approvisionnés de fourrages, pour
protéger leurs troupeaux de la faim et des grands froids
de l'hiver.
L'absence totale de ces précautions, leur fait subir des pertes
considérables. Pendant l'hiver 1888-1889, plus de 207,000
moutons périrent de faim et de soif; en 1890-1891, plus de
80,000 moururent dans ks mêmes conditions.
Gomme nous venons de le dire, ces désastres pourraient
être sinon évités, tout au moins très atténués, si les indigènes
plus soucieux de l'avenir, utilisaient leurs longs loisirs d'été
en construisant des baraquements rustiques pour la mauvaise
saison et à proximité desquels ils réuniraient les approvision-
nements de fourrages nécessaires pour la nourriture de
leurs troupeaux.
Il convient de reconnaître que l'administration supérieure
s'est déjà préoccupée de cette question, que des conseils sages
et éclairés ont été donnés aux intéressés, mais il ne parait pas
que jusqu'à ce jour, ils aient été suivis.
Aux rigueurs de l'hiver, viennent s'ajouter, comme cause
de mortalité excessive, les sécheresses des étés ; là encore,
le travail des indigènes pourrait suppléer au moins en partie,
à l'inclémence des saisons, par l'aménagement plus rationnel
des points d'eau et la création en hiver de nouveaux r'dirs
destinés à conserver et à retenir une partie des pluies qui
vont grossir sans utilité les oueds du pays.
Mais la paresse des indigènes est si grande, leur insouciance
si absolue, qu'il est à craindre que de longtemps encore on
ne les voie se livrer à de semblables travaux. Il faudra
probablement avoir recours à la main-d'œuvre européenne,
liayée sur les fonds publics, si on veut les exécuter d'une façon
convenable et rationnelle.
A ces causes purement physiques, il est nécessaire d'ajouter
l'ignorance et l'indilTérence des indigènes au sujet de la
reproduction. Cette dernière s'opère sans soins, sans méthode;
266 MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARF.T-AFLOU
les produits sont peu ou pas soignés. Enfin l'appât d'un gain
immédiat amène souvent les propriétaires à vendre leurs
plus beaux sujets, sans se préoccuper de leur utilité pour la
conservation et l'amélioration des troupeaux futurs.
Onpeutévaluer à287,0 0 hectares, l'ensemble des pâturages
sur lesquels vivent les troupeaux appartenant aux indigènes
du cercle de Tiaret. Dans ce chiffre, les cantonnements d'été
figurent pour 122,000 hectares et ceux d'hiver pour 165,000
hectares. Les plantes fouiTagères que l'on y rencontre le plus
souvent, sont :
1" Le cliih {artenlsla herba alba), herbe blanche, armoise,
recherchée des moutons et des chameaux ; employée comme
vermifuge par les indigènes ;
2" Le sennagh (lygéum spartum), lygée sparte, sparte
albardine, plante textile et fourragère ;
3" Le retem, légumineuse ; bon fourrage recherché des
moutons et des chameaux ;
4" Le drinn, graminée ; bon fourrage ; graminée très
précieuse dans le Sahara, venant dans les sables. (La graine
de cette plante est désignée sous le nom de loul) ;
5" Le zef-ef, hélianthène à fleurs sessiles ;
6" Le tagoufet, armoise des champs ;
7" Le djertil, tym d'Algérie. (Labiées) ;
8" Le reguig, fumana d'Arabie ;
90 Le bou-lahia {poa bullosa), graminée constituant de fins
gazons recherchés des moutons ;
10" L'helma, trèfle bitumineux ;
11" L'alfa, fourrage médiocre, très abondant dans la région
voisine de celle de Saida et exploité par la C'^ Franco-
Algérienne ou ses fermiers.
En dehors de l'élevage du bétail, les indigènes du cercle de
Tiaret se livrent à la culture des céréales. Comme le démontre
le tableau ci-après, cette culture est relativement peu
importante et ne suffit pas à l'alimentation des tribus qui sont
obligées d'acheter le surplus qui leur est nécessaire sur les
marchés de Tiaret, Vialar, Trézel et Ghellala, au moyen du
produit de la vente de leurs bestiaux.
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNK INIllGENE DE TIARET-AFLOU
267
Cette façon de procéder remonte à des temps très reculés.
Nous verrons dans le résumé historique, lés Harrar et les
Oulad Krelif, malgré leurs caractères belliqueux, se soumettre
sans combat aux Turcs et aux Français, pour pouvoir conserver
la libre pratique des marchés de céréales du Tell et nolaniment
de la plaine d'Egris.
IlESIGNATION
IlES GROUPES
NOMS iiEs TnnîUH
Alicil'
(le:
IlMlT
11110
rai ion
G-' Siili-Khai'' Chcia-as
O' Zouai
O'' Buu-Anif
i Kaàliia
Chaouïa
O'' Bol-Hocoïii
( )'' Zian-Clici'aj;as . . . .
()■' Ziaii-Gliaralias
O'' Haddmi
Dclialsa
M'Ralitin Gliai'alias . . ,
O'' Azziz
. I O' Bou-Roiiaii
Ancioiiuo
confiMlOi-aiiou \ O'' Kharoiiliis
'''^^ i Saliai-i-Choi-aua
Oulad Kndif ( „ ,
\ (jueuad/.a,
Mai'zhen
Évaluation
des récoltes
Année moyenne
en blé
l|J10t3UI
1.600
1.200
150
(■i.")0
3,'jU
iCO
20(1
650
400
en orge
quiotam
3.100
2.400
■250
I.30Û
GoO
80n
400
1.300
800
.5."j0 1.100
S.'iO 500
1.300 2.500
l.'iOO 2.700
1.500 3.00!)
i.ion
âOO
40
I2.Î60
2.200
950
100
24.050
OBSERVATIONS
ChaiTues culii-
vcosenl901:l,V'i0,
ce qui à raison de
10'' en moyenne =
n.'iOO'' laboui-és en
1901.
268 MON'OGRAl'IIIE DE LA COJIMUNE INDIGÈNE DE TI.\UET- AFI.OU
Comme on le voil, c'est en chiflVes ronds ;)(i,000 quintaux de
céréales, composés de 1/3 de blé el 2/3 d'orge, que les indigènes
du cercle de Tiaret tirent des 14 700 hectares estimés labou-
rables sur l'ensemble de leur territoire. Il estincontestableque
cette surface avec un peu d'initiative et de travail pourrait être
considérablement augmentée — le développement du centre
européen de Trézel en est la preuve. — Mais il ne faut pas
espérer une amélioration sérieuse sur ce point. L'Arabe aime
la vie contemplative, le ti-avail est pour lui un signe d'infériorité
et même d'esclavage. Ce n'est pas après une longue suite de
siècles passés dans le repos qu'il secouera son indillërence pour
faire produire à la terre les grains dont il a besoin pour se
nourrir.. Il assistera impassible etiiidiltérent à la mise en valeur
par les européens de ces terres restées incultes depuis la chute
des Romains; il se servira des routes qui seront tracées,
utilisera les chemins de fer, si on encrée, mais loin d'être
excité et encouragé par l'exemple, il conservera pieusement
les tr.îditions de ses ancêtres et restera spectateur impassible
des elTorts tentés autour de lui. Cela est si vrai que dans la
région du djebel Amour, habitée autrefois par une peuplade
berbèi'e, les Beni-Rached. les Arabes conquérants ont préféré
presque partout abandonner . les ksars construits par leurs
anciens propriétaires, plutôt que de se donner la peine de les
entretenir.
M. de la Rlanchère dans son voyage d'études o a tracé de
l'Arabe du Sud, le portrait ci-après qui nous parait d'une
fidélité remarquable ; « C'est comme vrais Arabes, vrais
« musulmans, que les Ouled Sidi-Cheikh, les Trafi, h-s Harar
« excitent chez leurs voisins du Nord un sentiment mêlé
« d'admiration, de respect, surtout de terreur. L'homme du
« Sud est un vrai Arabe, très pieux, ce qui ne coûte guère
« dans une religion où la morale consiste en préceptes de
« politesse et en règlements domestiques. Il est brutal et son
« idée de l'autorité est primitive : la supériorité sociale se
« manifeste par le droit d'appeler chien et de battre celui qui
« est à l'échelon au-dessous. Il est rusé, car, ne faisant rien et
« n'étant pas gêné par mille idées qui croisent dans le cerveau
« d'un Européen, les calculs de l'intérêt personnel, il passera
« sa vie à ressasser et mûrir silencieusement un seul plan,
(I) Page 51,
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU 269
« jusqu'au jour oii il l'exécute. Il est profondément persuadé
« de sa supériorité légitime sur tout ce qui n'est pas de sa race et
(' ne mène pas son genre de vie ; et comme celte vie dure l'a
« rendu plus cavalier et plus guerrier que les aiitres, il les en
(( pei'suaile à coups de sabre. «
L'Administration supérieure, dans l'espoir de modilier et
d'améliorer les caractères généraux des Harrars et des Oulad
Krelill'acréé 3 écoles nomades primaires qui suivent les Iribus
dans leurs migrations périodiques. Cet essai ne parait pas être
absolument négatif car quelques «grandes lamilles» ont permis à
leurs garçons de suivre les cours de ces écoles. Toutefois il
convient d'ajouter que les résultats obtenus sont loin de corres-
pondre au.\ dépenses et au.x elfôrts tentés dins ce but. ,
Malgré toutes les recommandalions officielles, c'est à peine
si chaque école voit ses cours suivis par une trentaine d'élèves
et cela n'a rien d'étonnant, car ces tribus ne sentent pas
l'utilité et la nécessitéde l'instruction. Les quelques « Derrers »
ignorants qui, avant l'installation des écoles nomades, appre-
naient dans les douars à lire et à écrire au.x enfants, suffisaient
amplement à la conception dont les Harrars et les Oulad
Kreliff '') se font de l'instruction Les écoles nomades avec
leurs programmes variés quoique très simples, sont à leurs
yeu.K un enseignement supérieur, inutile et encombrant, aussi
est ce avec beaucoup de difficultés que le recrutement de la
justice musulmane est assuré dans ces confédérations.
Mais si les instituteurs ne tiennent qu'une place bien minime
dans l'esprit des indigènes du cercle de Tiaret il n'en est pas
de même des marabouts et autres chefs religieux. En vrais
descendants du prophète, les Harrar et les Oulad Kreliff
respectent et vénèrent tout ce qui de près ou de loin touche à
la religion de Mohammed. Ils sont presque tous serviteurs de
Mimlay Taïeb*'". Cet ordre a son siège au Maroc et son principal
mokkadem est le marakout de Besnèss, Si El-AUouï, dont la
famille a toujours été dévouée à la France en haine de l'ex-émir
El-Hadj Abdelkader qui était serviteur de Moulay Abdelkader.
(1) Il existe une école du 2' degré chez les Oulad Kharroubi, connue
sous le nom de Zaouïa de Si Taïeb bel Fodhil qui est peu impoi-:ante et
suivie par une quinzaine d'élèves environ.
(2) Sauf le douar des hamaïd des Guenadza. qui suit les doctrines de
Sldl-Abderrahmane.
270 MONOGRAPHIE HE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU
La superficie totale du cercle de Tiaretest de 1,155,000 hect.
qui se subdivisent en 14,700 hectares reconnus cultivables par
les indigènes eux-mêmes ; 287,000 hectares de pâturages ; 76,500
hectares de forêts et 776,800 hectares actuellement inutilisés.
C'est, comme on le voit, une surface considérable ; un peu plus
petite que la Picardie 1,269,000 hectares, que l'Angoumois
1,178,000 hectares, mais plus grande que le Limousin
1,007,000 hectares, le Maine 1,004,000 hectares, l'Anjou
894,000 hectares, la Corse 875,000 hectares, le Bourbonnais
789,000 hectares, la Savoie 1,100,000 hectares, etc., etc.
Sur celte aire sont dispersés 22,108 indigènes vivant sous la
tente, 559 européens dont 526 résident à Trézel et 33 à
El-Ousseurkr, 21 soldats chargés de la défense de ce poste
militaire, 56 mozabites commerçants en résidence à Trézel et
14 à El-Ousseukhr. Cela tonne un total général de 22,848 Ames,
et donne comme densité de la population le faible chiffre
de 0,0198
Les 76,500 hectares de forêts couvrent les flancs du Nador et
du djebel Chebka, elles sont composées principalement de
lentisques, de chênes-verts et de pins; on y rencontre la
perdrix, la palombe, le chacal, la hyène, le sanglier et excep-
tionnellement la panthère. Dans les plaines d'El-Ousseukhr
vivent de nombreux troupeaux de gazelles.
Les richesses minières que peut renfermer le sol si vaste du
cercle de Tiaret sont peu ou point connues. Les seules indica-
tions que l'on possède à ce sujet se résument à l'existence de
carrières à plâtre très abondanles au Djebel Sidi Labeb, d'une
mine d'antimoine dans le djebel Nador et la présence de la terre
à foulon aux environs de Sidi-Sàad.
Les carrières de plâtre sont exploitées par les européens
depuis le construction de la ville de Tiaret; lamine d'antimoine
estutiliséeparlesindigènesqui en retirent une certaine quantité
de minerai pour leur usage personnel; ils ont donné au col où
se trouve cette mine, le nom de Téniet-el-Koheul, quant à la
terre à foulon, ils s'en servent comme savon nature! qu'ils
désignent sous le nom de sal-sal.
Sur les bords Nord du Chott-esch-Chergui, dans le pays des
Harrar se trouve une source d'eau-cliaude, très abondante,
nommée Aïn-Sekhouna (source chaude). Le degré de chaleur
n'est pas très élevé 20° au maximum.
Les Harrar et les Oulad Krelif, ne se livrent à aucune
MONIXiKAriIlE DE LA COMMU.NK INIUGÈXE DE TlARET-AFLOL-27 1
industrie; tout co. quileur est nécessaire aux besoins de la vie
est acheté au dehors. Ils se borueut à utiliser et transformer
pour leurs usages personnels la laine et le poil provenant de
la tonte de leurs troupeaux pour fabriquer des tapis (fcadis),
des couvertures de cheval (djel/als), des sacs de laine {lellh^,
des coussins (oussadalis) à usages multiples. Dans quelques
douars se trouvent en très petit nombre des forgerons et des
selliers qui ne travaillent que pour les besoins de leurs tribus
seulement.
Le territoire du cercle n'est traversé que par une seule
route : celle de Tiaret à Ailou. liien ouverte et entretenue
jusqu'à lô kilomètres au-delà de Trézel elle se continue en
piste irrégulière pour le surplus du parcours. Des sommes
considérables ont été dépensées par la commune indigène
pour la création de cette voie. MaisJ.i tâche entreprise esllrop
lourde pour les ressources financières dont elle peut disposer;
aussi Allou ne sera-t il sérieusement l'elié au Tell que le jour
ou l'Etat et le départ^^ment combineront leurs efTorts avec ceux
faits jusqu'à ce jour par la commune indigène.
En deliors de cette voie, des sentiers muletiers en montagne,
permettent aux indigènes de se diriger vers les marchés et
pays avoisinants. En plaine, le sol e^t si uni qu'un « Ilorri »
prétend toujours marcher en ligne droite vers le point où il
veut aboutir. Il n'a donc pas besoin de roule ; de ci, de là,
une colline dans le lointain lui suffit pour s'orienter;- et si
parfois il consent à dévier de la ligne la plus courte, c'est qu'il
désire atteindre un point d'eau qui lui permettra d'étancher
sa soif.
CENTRE DE TREZEL
La commune mdigène de Tiaret a perdu depuis quelques
années, dans sa partie extrême Nord, le caractère de tern'toiro
de commandement pour se rapprocher de l'organisation mixte.
Une surface de 6,000 hectares environ, prélevée sur les terres
des tribus du cercle a été allotie et a servi à la création d'un
centre de colonisation important : Trézel.
Après les reconnaissances et études nécessaires, les premiers
colons furent installés dans leurs concessions le '25 février 1895 ;
à part 4 ou 5 familles venues de France, ces colons furent
choisis parmi des familles acclimatées en Algérie par un long
20
272 MOXOGRAPIIIE DE L.V COMMUNIÎ INDIGÈNE DE TI.VRET-AFLOU
séjour et pouvant autant que possible justifier fFétals de
services militaires dans la colonie.
Comme partout, les débuts furent pénibles, mais la
sollicitude éclairée de l'administration militaire (" d'une part,
l'opiniâtreté au travail des nouveaux concessionnaires d'autre
part, eurent raison des obstacles de toute nature. Trézel est
actuellement un des centres les plus coquels et l'un des plus
importants du Sersou. Situé dans une plaine fertile, entouré
de plantations vigoureuses, doté de tous les édifices publics
nécessaires au fonctionnement de la vie communale, il ne
tardera pas, dans un avenir très prochain, à se détacher de sa
tutrice pour constituer une commune de plein exercice
indépendante.
Peu de villages en Algérie ont acquis, en un délai aussi
court, un développement aussi considérable. En 1894, il
n'existait sur son emplacement que la propriété de la famille
des Sahraoui, composée de terres en friches utilisées
par les indigènes comme terrains de parcours. Cinq ans
après, Trézel comptait 125 familles comportant une population
de 582 habitants, possédant 250 hectares de vignes et 6.000
hectares de terres labourables.
A l'origine, Trézel était destiné à devenir un centre purement
agricole ; mais sa situation géographique sur la route d'Aflou,
à mi-chemin de Tiaret et d'El-Ousseurkhr et le voisinage des
riches tribus composant une partie du cercle de Tiaret,
modifièrent les vues primitives de l'autorité militaire et
l'amenèrent à y créer un marché hebdomadaire destiné à
favoriser les transactions entre européens et indigènes et
développer ainsi la commerce local.
Cette tentative a pleinement réussi ; d'année en année, le
marché de Trézel prend une importance de plus en plus
grande, et ce n'-est pas sans une certaine crainte, doublée
d'un peu de jalousie, que les habitants de Tiaret constatent
le développement d'un marché rival qui, en diminuant
(\) G'esl grâce à l'énergie, à la-haule compétence et à l'activité de M. le
commandant Pansard, que le centre de Tr?zei a pu en un laps de temps
des plus restreint, acquérir un développement parfait. Son successeur,
M. le commandant Jeklicl, continue l'œuvre coiiiJii''nci''e : L'église vient
d'être terminée. On procède actuel enient aux travau.\ do canalisation
pour l'éclairage public au moyen de l'acétylène. Le côté moral et intellec-
tuel n'est également pas oublié, car une fanfare a été créée, une société
de tir en formation et le dédoublement des écoles à l'étude.
MONOGHAPIIIE CE I.\ COMMUNE INDIliÉXE DE TI AUET-AELOU 273
l'importance du leur, enlève à leur cité, le plus clair de
ses revenus.
Le marché de Trézel, comme tous ceux de la région, atteint
son maximum annuel d'alTaires en été, pour diminuer
progressivement jusqu'à l'hiver, époque ou l'inclémence de la
saison rend les Iransaclions impossibles ou presque nulles.
Il se tient le samedi de cliaquo semaine.
Ce sont les moutons qui donnent lieu aux opérations les
plus importantes, en été, pendant certains marchés, il y a été
amené et vendu de 15,000 à 18,000 de ces ovins. Les chevaux,
les hœufs, les chèvres, y tiennent une place importante ;
enfin, on y trouve tous les produits destinés à l'alimentation
et aux besoins des indigènes : épicerie, tabacs, sucre, café,
savon, cotonnades, tnpis, fligs, oussidah, etc., etc.
Li culture des céréales, et principalement du blé tendre, a
donné lieu de la part des colons à de sérieux et louables
efforts ; malheureusement, durant les premières années et
jusqu'en 1900, de nombreux orages de grêle sont venus
quelques jours avant les récoltes, anéantir en peu d'instants,
les espérances des cultivateurs. Il est à désirer que l'avenir
soit plus clément que le passé pour les travailleurs des champs ;
du reste, l'année agricole lflÛO-1901 leur a été favorable ;
sans atteindre un rendement excessif, le produit de la récolte
a été suffisant pour rendre espoir aux cultivateurs et faire
disparaître un découragement qui menaçait d'arrêter le bel
essor pris par le centre de Trézel depuis sa création. Sans
doute des déceptions nouvelles attendent encore les colons,
mais leur persévérance surmontera les futures épreuves, si
elle sait utiliser les nouvelles données de la science. Les effets
de la grêle peuvent être atténués par l'installation de stations
de canons destinés à dissiper les nuages dévastateurs.
Les expériences tentées en France et en Italie, depuis
plusieurs années, ont donné, parait-il, des résultats satisfaisants.
On pourrait donc, dans la région de Trézel, installer plusieurs
batteries, ayant pour but de supprimer, si possible, le retour
de ce fléau.
Avec le développement progressif du centre, les colons
pourront utiliser les belles prairies situées dans le périmètre
de colonisation, en se livrant à l'élevage du bétail et en
effectuant des cultures d'été dont le produit appportera un
sérieux appoint aux bénélices réalisés par la vente des céréales,
274 MONOGRAPHIE HE I,.V COMMUNE INDIGÈNE HE TIARET-AFLOl'
La région où se trouve situé le centre de Trézel est donc
appelée, au double point de vue agricole et commercial, à
devenir aussi importante qu'il y a lô siècles. M. de la Blanchère,
qui a visité toute cette région en 1882, y a constaté la présence
de nombreuses villes ou villages ruinés, éloignés de moins de
deux lieues les uns des autres. C'est d'abord Tamordjant, sur
l'emplacement même de Trézel, puis Ai'n-Methenan, le Farclia
de Si El-Habet, El-Oiillia~si, Beboulit, Remelia, etc., etc.
Toute cette région a été jadis très florissante, et ne demande
qu'à le redevenir depuis que les Français y ont apporté
l'ordre et la sécurité.
Un peu plus loin, ver.-3 le- Sud, sur la route d'Allou,
à 41 kilomètres de Trézel, se trouve le village d El-Ousseurkhr.
C'est plutôt un poste militaire, tels qu'en avaient établis les
Romains aux confins de leurs frontières, qu'un village de
colonisation et de repeuplement européen.
Ce poste est une des étapes principales deja route d'Atlou ;
il occupe un point stratégique qui commande les différents
passages par lesquels s'elTectuent les migrations périodiques
des tribus allant du Sud au Nord et vice-versa.
Actuellement, la garnison est réduite à sa plus simple
expression en raison des événements du Touat et de Chine ;
21 hommes de troupes, commandés par un sous-officier, y
représentent la force militaire française. Un médecin militaire
y réside en permanence pour donner ses soins à la petite
garnison et au détachement de disciplinaires qu'elle a mission
de surveiller et de garder.
Autour du bordj se sont groupés quelques constructions
civiles, habitées par cinq ou six « mercantis », presque tous
d'origine juive. Ces « négociants » vendent la « goutte » aux
militaires, font le commerce avec les indigènes, leur fournissent
des tissus, bougies et autres menus objets et leur achètent en
échange la laine de leurs troupeaux à l'époque de la tonte.
Leur nombre, y compris femmes et enfants, est de 33.
Entre Trézel et El-Ousseuk, la roule est jalonnée par le bordj
d'Aïn-Saïd alimenté en eau potable par une source importante.
Ce bordj sert d'étape aux troupes qui se rendent ou reviennent
d'Allou.
MONOGRAPHIE DE I.A COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU 275
RÉSUMÉ HISTORIQUE DU CERCLE DE TIARET
L'historique du cercle de Tiaret ne saurait se renfermer
exactement dans les liinites de ses frontières actuelles. Ces
dernières déterminées par le périmètre des tribus qui le
composent actuelleinert sont conventionnelles et subordonnées
à des décisions administratives qui peuvent les modifier au
gré de nécessités éventuelles. C'est ainsi qu'il y a 11 ans, la
commune indigène de Tiaret comportait dans son périmètre
l'Aghalik du Tell, dont les onze tribus ont servi à constituer la
commune mixte civile de Tiaret.
Il nous parait donc logique, pour celte étude, d'étendre à la
région géographique proprement dite l'examen des principaux
faits historiques dont elle a été le théâtre.
Le Sersou et les massifs montagneux qui le bornent au Sud
et au Nord, font partie du Maghreb central dont l'Ouarensenis
est le point culminant. Cette région très montagneuse dans sa '
partie Nord, est coupée par de profondes vallées, arrosées par
de nombreux oueds et se prête admirablement à toutes les
cultures. Elle ofîre dans sa partie Sud de vastes pâturages
pour l'élevage d'innombrables troupeaux.
Il n'est donc pas étonnant que cette contrée privilégiée ait été
constamment l'objet des convoitises des diirérents peuples qui
tour à tour se disputèrent la possession de l'Afrique du Nord.
Les silex taillés que l'on trouve un peu partout et notamment
à Bénia du Nador démontrent la présence de l'homme aux
temps préhistoriques. Les dolmens, les menhirs, les pierres
dites « de sacrifice » témoignent de l'existence d'une race
possédant un certain degré de civilisation au moment où les
Romains vinrent s'emparer du pays. Ces derniers occupèrent
cette contrée et y élevèrent de nombreux ouvrages défensils
dont la ville de Tiaret, probablement T'm(iaytiaï\xi le principal
boulevard.
A l'origine ce ne fut qu'une redoute de 70 à 80 mètres de
longueur sur 50 à 60 de largeur, flanquée de bastions carrés
aux angles et aux portes. Puis, 1 occupation devenant plus
certaine, la ville se développa au fur et à mesure de la mise en
valeufdes campagnes avoisinantes au point qu'une 2"^ enceinte,
276
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGENE DE TIARE f-AFLOU
se greffant sur la première devint nécessaire pour abriter les
défenseurs de Tlngarlia (?).
II est probable que c'est vers cette époque que fut édifiée la
forteresse de Bénia, située au fond d'une riche vallée du djebel
Nador etdontrobjectif était de garder le pays et la voie romaine
du Sud, qui se dirigeait de l'Ouest à l'Est, par les stations
militaires de A'M»i.0V!^s.S'j/)'on«ni(Lalla-Marnia), PomariaÇTlem-
cen), Altava (Lamoricièrej, Cahors-Brencorum (Tagremaret),
Bénia, Téniet-el-Hàad, etc., etc.O.
La forteresse de Bénia avait 32 à 35 mètres de côté. Le mur
d'enceinte, construit en grand appareil se terminait par une cor-
niche fort simple, deux bastions carrés en défendaient l'entrée.
Au Nord de la ligne qui va de Bénia à Téniet-el-Hàad,
s'élevaient de nombreuses « Latifundia», grandes exploitations
rurales, ainsi que le démontrent les nombreuses ruines que
l'on rencontre encore de nos jours dans le Sersou. la vallée de
l'oued Tiguiguest et les Oulad Lakred.
En ce qui concerne plus spécialement le' territoire de la
commune indigène, aucun doute ne saurait s'élever sur sa
prospérité au moment de l'occupation romaine.
M. de la Blanchère, dans son voyage d'étude donne l'énumé-
ration suivante des ruines qu'il a pu visiter :
AïN DzAiiRiT, frontière des Beni-Leut, fontaine et ville.
AïN-EL Kbour (la source dos toml)eaux) au Sud du djebel Ladjdar
AïN-MouTER, près de l'oued Tafi-aoua, au Sud de Ternaten; ileux
ruines.
Kherbet-bent-Sarah, grandi» ville.
Ras fedj-Illah, dans le bassin supérieur île la Mina.
El-Abiar, — —
Aïn-Melakou, — —
El OuLAnsi, dans 1 Ouest du Sersou.
Beloulit, grandes ruines fort étendues au Sud des précédentes.
El-Kherba, dans le voisinage du djeliel Sidi-Maliet
El-Farciia, — —
Aïn-Metiienan, — —
Tamord.ian, prés d'Aïn-Sougiieur. Ti-éz(d.
Remilia, deux villages à l'entrée ilu Nadoi- [lar lo ciA Mai-mela.
Bénia, forteresse roniaiiK» r\ une a\itr<' plus petite dnns la même
vallée
Bou-Tchicha, sur la derniéi-e pente Sud de la montagne di» ri> nom.
dans la vallée intérieure du Nador.
Ghegiiaïa. au débouché <ln ninssif, mus !e Sud, etc., iMc.
(I) Géographie comparée de pariie de la Maïuétaiiie césarienne par le
commandant Ueniaëglit, p. 61.
MONOOR-VPIIIE DE LA COMMUNE IMUGENE DE TIARET-AFI.OU 1 1 l
Aucune de ces ruines n'a été sérieusement fouillée. Elles
renferment probablement des inscriptions qui pourraient être
(les plus utiles à l'histoire de l'occupation romaine, mais pour
se livrer à des recherches sérieuses et fructueuses, il faudrait
posséder l'argent et le temps nécessaires pour un tel travail.
Seul l'Etat peut l'entreprendre et en attendant qu'il s'y décide,
on ne doit attendre que du hasard seul, la découverte de
documents épigraphiques de quelque importance.
Un fait se dégage de cette abondance de ruines ; c'est que
la colonisation romaine, plus étendue que la noire, s'était
avancée vers le Sud du Sersou, avait escaladé les massifs
montagneux du Nador et ne s'était arrêtée que devant les
steppes des chotts. Cette colonisation et la civilisation qui en
était la conséquence disparurent devant l'invasion vandale, et
la région de Tiaret, comme le reste de l'Afrique du Nord, fut
l'apanage des barbares venus de la Sarmatie (428-.533).
Cî fut la sanglante victoire de Tricamara qui ouvrit aux
Grecs byzantins les portes de Tlfrilcia. Le roi Gélimer vaincu,
dut s'enfuir devant les Grecs. Il fut poursuivi sans trêve ni
relâche, pendant plus de 5 jours, par Jean l'Arménien qui fut
tué fortuitement par un de ses officiers ivre. Cette mort
suspendit momentanément la poursuite, et le roi \andale put
atteindre le mont Pappua, dans le Nador t'I Les Grecs l'y
suivirent, le cernèrent et l'obligèrent à se rendre.
Après avoir complété leur victoire par la prise de Césarée
et de Ceuta, ils organisèrent le pays conquis, et c'est proba-
blement à cette époque que, reprenant les traditions romaines,
ils élevèrent la 3'-' enceinte fortifiée qui défendait TiaretO.
L'occupation byzantine fut de courte durée (de 533 à 678),
(I) D'nprés une inscriplion rupestre déchiffrée par M. Papier, le mont
Pappua de Procope serait un des sommtts du Nador, et non l'Edough
près de Hùue. ainsi qu'on l'a cru, jusqu'à la découverte de l'inscription. —
Histoire de l'Algérie, par E. Cat, tome 1, page l'25.
(1) M. ds la Blanchére n'admet pas que les Grf es byzantins aient poussé
leur domination jusqu'à Tiaret. Nous pensons que les textes arabes sont
sutlisammnient formels pour croire à cette ocupation. En-Noveiri,
Ibn-EI-Atbin, Ibn-Kaldoun, sont unanimes sur ce point. Les deux
premiers citent textuellement les Grecs comme chefs de la région du
Sersou. Ces chefs devaient même être très puissants, puisque d'après
En-Novelri, Okba, sentant le péril où se trouvait son armée par suite de
l'importance des forces qui lui étaient opposées, crut devoir haranguer
ses troupes avant d'engag.^r la bataille. Il n'en eut pas été de même s'il
n'avait eu devant lui qu'un rassemblement d'anciens colon'? romains
mal armés et sans cohci^ion. Il est cependant utile de faire remarquer
que le terme « Nador » est fréquemment employé par les indigènes, et
que plusieurs montagnes de r.\lgérie portent ce nom.
278 MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOL"
Pendant cette période troublée, les persécutions religieuses
reprirent avec plus de violence que jamais ; les exigences du
fisc, les excursions des soldats mutinés contre leurs chefs, les
révoltes des berbères, amenèrent progressivement la ruine
et la désolation dans le Sersou et les pays avoisinants.
La domination grecque, si éphémère, devait nécessairement
s'écrouler devant le premier envahisseur qui se présenterait.
Okba, le célèbre conquérant, après avoir défait les Bysantiiis
dans l'Est et fondé Cairouan, s'avança vers Tiaret. Tous les
Berbères de la région, alliés aux Grecs, l'attendaient sous les
murs de la ville. La bataille fut acharné et se termina par la
défaite des Byzantins qui furent obligés d'évacuer la ville,
pendant qu'Okba poursuivait ses conquêtes jusqu'à l'Océan
Atlantique^). (673deJ.-C.)
Les Berbères qui avaient apporté le secours de leurs armes
aux Grecs byzantins de Tiaret contre Okba-lbn-Nafé,
appartenaient sans doute à la race des Maghraoua et des Beni-
Ifren(î).
Les Romains, au moment de leur domination, leur avaient
imposé la religion chrétienne et un certain degré d'obéissance ;
ils payaient rimp(jt aux époques fixes et prenaient part à
leurs expéditions militaires ; quant aux autres obligations, dit
Ibn-Kaldoun, ils y montraient une résistance très vive.
Après la défaite de Tiaret, les Berbères, obligés de se
réfugier dans les montagnes, furent remplacés dans le cercle
militaire de Tiaret par une fraction des Louata, les Beni-
Toudjin. Ces derniers, d'origine berbère, avaient dès l'invasion
arabe, abjuré la religion catholique et s'étaient mis au service
des Arabes envahisseurs. Pour les récompenser des services
rendus à la cause musulmanne, un gouverneur arabe de
Cairouan les autorisa à habiter le Sersou<'5>, et naturellement
les montagnes du Nador.
Pendant près d'un siècle, ils furent fidèles à leurs suzerains ;
mais en 761, quand Abdeirahmann Ibn-Rostein fonda
Tagdempt comme capitale des Khnredjistes Eibadistes, ils
s'empi'essèrent, comme la plupart dos Berbères, d'adhérer au
schime nouveau, prêché par leur puissant et redoutable voisin.
Noas les voyons ensuite prendre part à toutes les guerres
(1) Ibn-Kaldoun, loine I, pafce ^Sî.
(2) lbn-l\aldoun, tome I, page liiH.
(3) Iljn-Kaldoun, fouie I, pages '234, Si et lui.
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INHIGÈNE DE TIARET-AFLOU 279
religieuses ou de race qui ensang'antèrent le Maghreb central
à cette époque. En 947, ils apportent le concours de leurs
armes à Hamid-Ibn-Yesel, gouverneur de Tiaret, qui s'était
révolté contre le3« calife Fatemide « £l-Mansour ». Ce dernier
étouffa la révolte, obligea son adversaire à fuir en Espagne et,
tournant ses armes contre les Louata, les vainquit et les
refoula dans le désert.
C'est pendant cette expédition qu'il constata la présence des
djedar sur les contreforts du djebel Ladjdar et que lui fut
donnée l'interprétation d'une inscription relative à une e.xpédi-
tion de Salomon, général de Justinien contre les Berbères
révoltés O.
Les djedar sont au nombre de 9 et sont situés sur le territoire
des Khelafa sur la limite de la commune indigène de Tiaret.
Ce sont des constructions ma=sives ayant la forme de prismes
quadrangulaires surmontés d'une pyramide tronquée; vus de
de loin, les djedar rappellent le Madraccn et le Tombeau de la
Chrétienne, mais paraissent en être de mauvaises copies. Leur
forme est moins correcte et leurs dimensions plus modestes.
Le plus grand a 45 mètres de coté et 34 mètres de hauteur-
M. de la Blanchère et d'autres savants les ont visités et ont
cherché à déterminer l'origine de ces monuments et leur
affectation. M. Dastugne, capitaine du bureau arabe de Tiaret
aurait retrouvé un fragment de I inscription relatée par Ibn-
Kaldoun et sur lequel il ne restait plus que les deux mots :
Salomo et StratégosO''.
Cette découverte semblerait justilier l'opinion de M. le Cat,
qui admet la version d'Ibn-Kaldoun alors que M de la Blanchère
conjecture que les djedar « sont les tombeaux d'une dynastie
« indigène catholique, puissante dans la Mauritanie césarienne,
« vers le V et YI siècle »<*'.
Quoiqu'il en soit, les Louata furent expulsé;3 du territoire
(I) « Je suis Soleiraan le Serdéghos, les liabilanls de cette ville s'étant
« révoltés, le roi m'envoya contre eux et Dieu m'ayant permis de les
« vaincre, j'ai fait élever ce monument pour éterniser mon souvtnir ».
Ibn-Ivaldoun, tome I, page 241.
(î) Géographie comparée du commandant Demaeght, p 80.
fS) Dans sa discussion sur les djedar, M. de la Blanchère, cite l'opinion
de MM. Desjardins, Deloche et Bavet qui ti-ouvent que l'ornementation
des Djedar. rfssemble beaucoup â l'art ba'bare des bords du Danube. Si
à l'appui de cette ressemblanct; on admet comme exacte l'identification
du Nador avec le mont Pappua où se reiugii Oélimer, ot est autorisé à
penser que les djedar sont très probablement les sépultures des rois
Vandales.
280 MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU
qui leur avait concédé. Ibn Kaldoun dans son histoire des
Berbères donne une deuxième version de leur abandon du
territoire de Tiaret.
« Los Louata Beni-Toudjin avaient pour voisin à Mindas
(( (Mendez), une tribu Zenatienne appelée les Heni-Oudjedidjen.
« La vallée de Minas (la Mina) et Tehert (Tiaret) séparaient les
(( deux peuples. Une guerre éclata entre eux à cause d'une
« temme des Oudjedidjen qui avait épousé un des Louata.
« Gomme ceux-ci lui reprochèrent sa pauvreté, elle écrivit à
« sa famille pour se plaindre d'eux. Les Oudjedidjen qui
(( eurent alors pour chef un nommé Einan, se concertèrent
0 ensemble et demandèrent l'appui des Zenata qui vivaient
« derrière eux; ils reçurent un corps de renfort que leur
« expédia Yala ibn-Mohammed et Ifrein, pendant que d'un
« autre côté, ils virent arriver à leur secours la tribu de
« Matmata commandée par l'émir Garana. Alors ils marchèrent
« tous contre les Louata et, après plusieurs conflits dans un
« desquels Eiman perdit la vie <'), ils' expulsèrent leurs
« adversaires de la partie occidentale du Seresson et les
« rejetèrent dans la montagne située au midi de Teliert et qui
« s'appelle Gueriguera jusqu'à ce jour. Les Louata y trouvèrent
« une peuplade Maghraouïène, qui, au mépris des devoirs de
« l'hospitalité, rassembla ses forces et finit parles chasser du
« territoire qui leur restait encore, du côté de l'Orient, à Mont
« '"laoud. Par suite de ces revers ils allèrent se fixer sur la
« Montagne appelée Derrag (Ténietel-Hàad)d'oii ils étendirent
« leurs établissements vers l'intérieur du Tell et jusqu'à la
a montagne qui domine la ville de Mitidja (Blidah)<2). »
I^a fuite des Beni-Toudjin eut lieu en 947; la tribu Maghra-
ouïème qui avait complété l'œuvre du Kalif fatemide Mansour
en leur refusant l'hospitalité fut, elle-même, chassée du terri-
toire du cercle de Tiaret par Bologguin qui avait reçu d'El-
Moëz, dernier sullan fatemide de l'Ifrikia, l'ordre de détruire
la puissance des Zenata dans tout le Maghreb. En 971, 24 ans
après la fuite des Beni-Toudjin, les Maghraouas s'enfuyaient
vers le Maroc, où, après avoir été rejoints^ ils furent taillés en
pièce et dispersés P>.
(1) Eiûan fui Uié près de Mellakoii, actiiellenaent Palat, l'un des cenlres
de la commune mixte de Tiaret. ■
(2) Ibn-Kaldoun, tome I, p '235.
(.J) II)n-Kaldoun. tomî III, p. î.iô.
MONOGRAPHIE DE LA COMML'NE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU 281
Mais El Moëz ne devait pas conserver pendant longtemps sa
souveraineté sur cette région. Ayant répudié la souveraineté
des Fatémides et fait proclamer dans ses états la suprématie
du kalife de Bagdad, le gouvernement fatémide se vengea de
lui en lançant contre l'Afrique septentrionale une horde
d'arabes nomades qui se répandit dans toutes les parties de ce
pays en y portant le ravage et la dévastation (1054/".
Les arabes envahisseurs formaient quatre grandes tribus,
toutes issues de Hilial-Ibn Amer, savoir: Zogliba, Hiah,
El-Athbedj et Corra(->.
Ce fut diverses fractions de la première de ces tribus,
les Souëid Beni-Yazid, les Beni-Ahmer, les Sahari, les
Chaouïa, les Beni-Lent et les Akertna qui vinrent occuper le
territoire actuel de Tiaret et chasser les derniers Berbères
qui l'occupaient. ,
Depuis leur entrée en Afrique, ils avaient lutté contre la
puissance des Zenata et donné de nombreuses preuves de
fidélité et de dévouement aux adversaires des Berbères.
Addonnés depuis longtemps à la vie nomade, le territoire
du cercle de Tiaret leur parut propice pour une occupation
définitive. Leur chef Ouenzemmar obtint d'Abou-Eïman, qui
venait de s'emparer de Tleincen (1331-1332), l'autorisation de
s'installer dans le Sersou et dans le pays habité précédemment
par les Toudjin. Quelques années après Ouenzemmar renonça
au commandement pour se retirer sur les bords de la Moulouya
oii il se rendit célèbre par son ardente dévotion. Il fut remplacé
comme chef des tribus nomades par ses frères Abou Bekr et
Mohammed f-^*.
Pendant que Ouenzemmar se faisait remarquer par sa sainteté
sur les bords de la Moulouya, un chef Edrissite, Khaled ben
Abdeikrin, après avoir étudié le coran à Tlemcen, venait
habiter le djebel Amour, dans une grotte dite Terf-Sidi-Okba;
puis, après s'être distingué de ses contemporains par sa foi
religieuse, il alla s'installer dans le Sersou avec ses serviteurs.
Ce furent ses descendants qui constituèrent plus tard les
Oulad Sidi-Khaled et servirent de souche à l'ensemble de la
confédération des Harrar'''i.
(I) Introduction à Ibn-lvaldoun, tome !, p. 24.
(î) Ibii-Ivadoun, tome I, p, :i8
(:i) Ibn-Ivadoun, tome I, p. Imi.
(4) La Ivoulia où fut enterré l'ancêtre des < lulad Sidi-Ktialed se trouve à
Taourzout au Sud de i'rendah.
282 MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU
FORMATION DES TRIBUS ACTUELLES
DU CERCLE DE TIARET
LES HARRAR(i)
Après avoir chassé les derniers berbères qui habitaient
encore le Sersou, les tribus arabîs unies devant l'ennemi
commun, ne tardèrent pas à se diviser et se quereller pour la
possession des points les plus favorisés du cercle. Une guerre
éclata entre elles Les Chaouias et les Akermas furent vaincus
et obligés de fuir, les premiers vers l'Est, les seconds vers le
Nord. Il ne resta donc plus dans le pays, que les Saharis qui
en occupaient qu'une faible portion et les Ouled Sidi-Khaled
possesseurs de tout le reste.
Attirées par l'espace, par la richesse du terrain, chassées de
chez elles par des discussions ou des faits particuliers, des
tentes parties de diftérents points de l'Ouest, surtout d'au-
delà du pays occupé par les Djatïra, vinrent par fractions, par
familles, quelquefois par tentes isolées, demander aux Oulad
Sidi-Khaled, la faveur de s'installer chez eux. Ceux-ci, trop peu
nombreux pour le pays resté en leur pouvoir, trop affaiblis
pour résister aux attaques qu'on aurait pu tenter contre eux,
accueillirent ces auxiliaires, en leur ouvrant le pays. Ce fut là
le noyau d'une nouvelle tribu. A ces premières émigrations,
vinrent s'en ajouter de nouvelles qu'on accueillait toujours
bien, auxquelles on donnait de l'espace. Le bruit de cette
hospitalité, de cette générosité se répandit bientôt et la confé-
dération qui se forma ainsi reçu le nom de Mgareuha. parce
qu'elle répondait à tous les nouveaux arrivants (Gareuh,
approche).
Ce ne fut que plus tard, en 1708, que ce nom fut changé en
celui de Harrar, et voici à quelle occasion : Après la défaite
de Moulaylsmaël dans le bois qui porte son nom, les débris
de son armée en fuite se répandirent de tous côtés. Un certain
(1) Les ranseigaemeuts qui suiveot sont dus. -i lableaveillanteob igeance
de M. le capitaine chef du bureau aralia de Tiaret, M. Delahaut qui a bien
voulu nous autoriser à prendre connaissance des documants liis!oriques
en sa possession.
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIUKNE DE TIARET-AFLOf 28!î
nombre de fuyards arrivèrent ainsi cJiez les Mgareuba, qui,
au lieu de leur piller le peu qu'il leur restait, ou de leur faire
subir de durs traitements, comme cela arriva partout ailleurs,
chez les Beni-Alimer surtout, leur donnèrent riiospitrilité et
pourvurent à tous leurs besoins jusqu'au moment de
leur départ. Lorsqu'on raconta cela à Moulay-Ismaèl. il dit
que des gens qui avaient agi aiusi devaient être « Harrar »
(Horri, homme de bonne naissance). Dès lors, le nom de
Harrar remplaça celui de Mgareuba.
Les tentes isolées ou groupes de toutes sortes qui vinrent,
ainsi que nous l'avons dit précédemment, s'établir auprès des
Mgareuba, donnèrent naissance à des fractions qui prirent
généralement pour nom celui de leur chef ou premier venu
d'entre eux. Lorsqu'une nouvelle tente arrivait, elle s'éta-
blissait dans telle où telle fraction déjà formée, suivant qu'elle
y avait des relations antérieures ou qu'elle y trouvait à vivre.
Elle était souvent elle-même la souche d'une nouvelle L'action
alliée de la première. Les différentes fractions ainsi alliées
entre elles, formaient dès lors des groupes qui sont l'origine
des 9 tribus actuelles.
Les premiers venus furent les Oulad Bou-AtTif. Recon-
naissants de l'accueil que leur avaient fait les Oulad Sidi-
Kraled, les Harrar considérèrent ces derniers comme leurs
marabouts, et dans toutes les circonstances les respectèrent et
écoutèrent leurs conseils. C'est ainsi que les Oulad Sidi-Kraled
firent partie de la confédération et devinrent Harrar.
Dans les premiers temps, leur richesse ne se composait
que de troupeaux ; ils achetaient leurs grains dans la
plaine d'Elgris. payant aux Hachem le hag El-Tenia et même
recevant peur leurs chefs, l'investiture des grands de cette
contrée.
Les premiers temps furent paisibles, mais bientôt, le nombre
augmentant, la tribu devint forte, et les Harrar, à l'exemple
de leurs voisins, commencèrent aussi à s'en remettre au sort
des armes du soin de décider les difficultés qui pouvaient
s'élever entre eux et les tribus limitrophes ; c'est ainsi qu'il
défont lesAngad à Sedjira, près du chott, et les chassent du
pays pour agrandir le leur.
En ce moment, ils avaient pour voisins : à l'Ouest, plusieurs
fraciions des Beni-Ahmer, dont le centre du pays était le
djebel Chebka; au Sud, les Oulad Chaib occupant le Ksel ;
284 MONOGRAPIItE DE LA COMMUNE IXliIOÈNE DE TI.VUET-AFLOU
à l'Est, les Sahari, maîtres du Sersou. Quant aux Harrar, ils
avaient pour centre de leur pays Koiidiat-el-Hamira.
Bientôt, guidés par le désir de s'emparer de leur pays
plutôt que de leur venir réellement en aide, les Harrar firent
alliance avec les Laghouat du Ksel qui étaient inquiétés par
les Oulad Chaïb et Les Beni-A limer. En- récomp&nse des
secours prêtés, les Laghouat du Ksel, au nombre de 7
fractions, promettent aux Harrar de leur donner tous les ans
7 nègres ou négresses ou bien leur valeur. Ce tribut existait
encore de nos jours.
C'est là l'origine des relations intimes établies entre les
Laghouat du Ksel et les Harrar actuels et qui leur a fait
demander d'être rattachés à cette tribu.
Les Beni-Ahmer repoussés s'enfuirent vers l'Ouest, les
Oulad Chaib fuirent aussi et s'établirent dans le pays ou nous
les trouvons aujourd'hui.
Les Sahari seuls conservèrent leur pays et vécurent en paix
avec les Harrar, possesseurs sans rivaux du pays qu'ils ont
encore aujourd'hui.
Depuis longtemps les Turcs avaient fait la conquête de
l'Afrique que leur domination ne s'était pas étendue sur
les Harrar. Mais enfin les Hachem, battus par les Turcs,
furent contraints de faire leur soumission ; ne pas se
soumettre aussi était pour les Harrar s'exposer à voir fermer
pour eux les greniers de la plaine d'El-Gris oi^i ils s'appro-
visionnaient; ils se soumirent donc aux Turcs, mais sans
combat.
Il fut convenu qu'ils payeraient tous les ans un tribut tixe.
Pour éviter des discussions, les Turcs eu.x mêmes, répartirent
en 7 parts ce tribut entre les ditïérenles fractions, savoir :
Les Oulad Zian 1 part
Kàabra et Dehalsa 1 —
Ghouadi 1 —
Chaouïa et Hassinat 1 —
Oulad Azziz 1 —
Oulad Zouaï et Oulad Bel-Hoceïn. 1 —
Oulad Bou-Aflif 1 —
Total 7 parts
MÔXOORAPIIIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU 285
Les Harrar voulurent et obtinrent que leurs Siads, les
Oulad Sldi-Kraled, en fussent exempts. C'est de cette division
que vint aux Harrar la dénomination de Harrar Sebâa.
Après leur soumission, les Harrar restèrent longtemps en
paix, sans prendre part à aucune guerre ni révolte. Mais en
1803, ils prêtèrent l'oreille aux émissaires de Ben-Chérif
et finirent par le suivre. Celui-ci pour les décider vint même
chez les Oulad Zian. En ce moment un grand nombre des
indigènes des Harrar se firent Derkaoua.
Les Harrar partagèrent la fortune de Ben-Chérif, le
secondant de toutes leurs forces. Ben-Chérif battu, la division
se mit parmi les Harrar, les uns espérant dans sa cause,
les autres voulant l'abandonner ; d'où des guerres intestines
qui ne finirent qu'à la mort de Ben-Chérif et qui eurent
comme l'ésultat final la scission des Harrar en deux parties :
Harrar-Cheraga et Harrar-Gharaba, division qui subsiste
encore aujourd'hui. Après ce partage, les uns et les autres
se soumirent de nouveau aux Turcs, mais ils ne restèrent plus
en paix comme par le passé et nombre de fois, pour les
mettre d'accord, les Turcs se virent dans l'obligation de
les raser, sous les plus légers prétextes.
Les Harrar étaient encore agités par ces dissensions inté-
rieures lorsque leur arriva la nouvelle de la prise d'Alger par
les Français. Aussitôt qu'Abd-el-Kader leva le drapeau, ils
se déclarèrent pour lui et combattirent sous ses ordres jusqu'à
la prise de Tagdempt où périrent un grand nombre des leurs.
Le pouvoir d'Abd-el-Kader abattu, le Tell soumis, le même
besoin d'approvisionnement fit soumettre les Harrar aux
Français, comme ils s'étaient soumis aux Turcs. Les Harrar-
Cheraga furent les derniers à demander l'aman.
Pendant trois ans, période pendant laquelle fut bâti le
poste de Tiaret, du commandement duquel ils relevèrent,
aucun fait ne vint troubler l'état de paix. Mais en 1845,
Bou-Maza leva l'étendard de la révolte; aussitôt les Harrar
indécis se retirèrent dans le Sud, attendant les événements.
Abd-el~Kader, venu de l'Ouest après ses succès de Sidi-
Brahim et d'Aïn-Temouchent, vint camper au milieu d'eux,
leur déclarant, pour vaincre leurs scrupules, qu'il allait faire
venir sa deïra au milieu d'eux.
Alors, les Harrar lui fournirent un goum qui l'accompagna
jusque dans la Mitijda, aux portes d'Alger et jusqu'à
286
MONOGRAPHIE llE LA. COMMUNE INIlKiKNE HE TIAKET-AFLOU
Bouçaada, dans l'Est. Vaincu, Abd-i'l-Kader ne |ml empêcher
les siens de se débaader ; le goum de.-; Ilari'ar rentra dans son
pays et la confédération fut forcée de demander l'aman que
lui accorda le général de Lanioricicre, sous condition de
payer une amende de 900,000 francs.
Depuis cette époque jusqu'en l8Gi, les Harrar Clieraga
nous sont restés soumis, observant la parole qu'ils nous
avaient donnée, exécutant nos ordres, fournissant des goums
et des convois à nos colonnes.
En 1864, après le combat du 8 avril à Ain-bou-Beker, tous
les Ilarrar indécis depuis les complications inattendues dans
le cercle de Géryville, entrèrent franchement dans les rangs
de Si-Seliman ben Hamza. Ils prennent ensuite une part
active à tous les coups de iriain tentés sur nos cokjnnes par
les Oulad Sidi-C.heik, et cela jusqu'au '25 décembre de la
même année, époque à laquelle leur soumission est acceptée
par M. le général Ueligny qui, à son retouu du djebel Amour,
les convoqua tous à Aïn-Kcheb pour être reconstitués et
réoiganisés. A cette date, presque tous les Harrar, ayant à
leur tête Hadj-Kaddour ben Sahraoui, ont fait leur soumission ;
il ne reste plus dans les rangs des insurgés qu'une centaine
de tentes, sous les ordres de l'ex-caïd Safi ould Moharnmed-
bel- A roussi.
Mais quehpie temps après, le succès obtenu le 4 du mois de
mai 1865, à Benout, sur les fractions qui n'avaient pas encore
abandonné la cause.de Si-Mohammed ben Hamzn, la juort du
maraliout et l'attitude prise par El Hadj Kaddour ben
Sahraoui à l'égard des révoltés, produisirent une grande
impression sur les tribus du Sud ; dès lors les Harrar, dont
les dispositions nous avaient été sourdement hostiles, se
déclarent ouvertement les ennemis des tribus qu'ils avaient
suivies en défection.
Depuis, les Har.ar sont restés fidèles à la France. Lors de-
l'insurrcction de Bou Amama en 1881, après avoir placé en
sécurité leurs femmes et leurs enfants sous les murs de la
place de Tiaret, ils prirent part aux expéditions de nos
colonnes contre les Oulad Sidi-Cheik révoltés. L'insurrection
vaincue, ils rentrèrent dans leur pays pour s'y livrer à leurs
habitudes pastorales. Ils ne l'ont plus quitté.
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIAREÏ-AELOU 287
OULAD KRELIF
On comprend aujonrd'hui sous la désignation générale
d'Ouled Krelif, les quatres tribus suivantes .
1» Les Oulad Kharoubis ; 2" les Oulad Bou-Renane ;
3° les Sahari Cheraga ; à" les Guenadza.
Les Oulad Kiielif sont Cheiirfa, c'est-à-dire descendants du
Prophète. Ils sont venus dans le pays avec la deuxième
invasion arabe, vers l'an 750 de l'hégire (1350) de l'ère
chrétienne.
A cette époque, les trois tribus actuelles des Oulad Krelif :
les Oulad El-Kharroubi, les Oulad Bou-Renane et les Sahaii-
Cheraga, ne formaient qu'un tout composé des fractions
suivantes : 1" les Oulad Ahsen ; 2" les Oulad Allouï ; 3" les ,
Oulad Sidi-Saad .(marabouts et leurs serviteurs nommés
Rohob) ; 4» les Oulad Salem ; 5» El-Imen ; 6° les Oulad Sidi-
Mohammed ben Yacoub (marjjjouts et leurs serviteurs
nommés Piohob).
Ces fractions qui ont donné leurs noms aax douars actuels,
avaient pour chef unique un certain Yaya ben Rached. Elles
occupaient le pays qui s'étend au Sud de Frendah. Taourzout
était leur point central d'occupation. Gomme marabout, elles
avaient Sidi Mansour-el Kebrit dont les descendants forment
aujourd'hui la fraction la plus forte des Oulad Bou-Renane, les
Oulad Sidi-Mansour. La kouba de ce marabout se trouve à
Aïn-edh-Dheheb ou Aïn-Sidi-Mansour, au Sud de Taourzout.
Leur nom d'Oulad Krelif leur vient d'un nommé Krelif qui,
dit la légende, était originaire des Chafa.
Cet indigène vint dans le pays de Taourzout à la suite d'un
meurtre qu'il avait commis sur l'un des siens. Bien accueilli
dans sa patrie d'adoption, il s'y livra à l'étude des textes reli-
gieux et devint un des plus fervents serviteurs du marabout
Sidi Mansour dont il capta à tel point la confiance que ce
dernier le chargea de l'éducation de son fils aîné Si-Ali ben
Sidi-Manso ;r, surnommé Ben Afia, du nom de sa nourrice.
Des idées ambitieuses ne tardèrent pas à germer dans l'esprit
de Krelif, il réussit à s'allier à Yaya ben Rached qui lui donna
sa fille en mariage, bientôt il trouva un prétexte pour se
brouiller avec son beau-père. Il leva donc l'étendard de la
révolte avec un petit nombre de partisans qui s'étaient ralliés
21
288
MONOGRAPHIE DE L\ COMMUNE INDIGENE DE TI ARET-AFLOU
à sa cause. Mais ses débuts ne furent pas heureux, car, dit la
chronique, Yaya Ijen Rached le razza 7 fois dans le même été.
Après avoir subit ces échecs successifs Krelif alla implorer
l'appui de son élève Sidi-Ali ben Aiia.
Celui-ci lui dit : « Monte à cheval, rends toi sur la monta-
« gne, de là, tu verras les gens de Yaya ben Rached qui
« décampent et se dirigent vers l'Est, tu appelleras alors les
(i serviteurs de Sidi-Ali ben Afia et tu verras aussitôt surgir de
^c tous les côtés, autant de cavaliers que tu voudras ».
Tout se passa comme l'avait prédit Sidi-Ali.
A la tête de ses cavaliers Krelif poursuivit les gens de Yaya
ben Rached, les razza complètement, leur tua 100 cavaliers
parmi lesquels leur chef et s'établit avec les siens dans le pays
où nous trouvons aujourd'hui lesOulad Krelif, ses descendants.
De ce jour, toutes les fractions citées plus haut lui furent
soumises et le reconnurent pour chef, lui et ses descendants.
Son fils, Ben Chohra, qui lui succéda dans son commande-
ment, eût deux enfants : El-Kharoubi et Ta'ieb.
L'aîné, El-Kharoubi, conunanda seul pendant quelque temps
à toute la confédération, non sans être inquiet) par son frère
Taïeb qui voulait, lui aussi, sa part de commandement.
Un événement bizarre devait bientôt, en scellant la discorde
entre les deu.\ frères, diviser les Oulad Krelif en deux fractions
bien distinctes, l'une partisante de Kharoubi, lautre de Taïeb.
Un certain jour (en l'année 1700), un marabout de Laghouat,
nommé Si-el Hadj-Aïssa, vint trouver El-Kharoubi et lui dit
« Donne-moi un chameau avec son palanquin et tous sis
« ornements, plus une guetifa avec tous les habits et tous les
« bijoux de tes femmes ». El-Kharoubi refusa en disant qu'il
n'avait rien de tout cela.
Taïeb, au contraire, sans attendre que la même demande
lui tut faite, apporta au marabout tout ce que son frère venait
de lui refuser. Le marabout jeta alors sa malédiction sur El-
Kharoubi et sa postérité, tandis qu'il comblait Taïeb de ses
bénédictions.
C'est à la suite de cet événement qu'une partie des Oulad
Krelif abandonna la cause d'El Kharoubi pour suivre la fortune
de Taïeb.
Les partisans de Taïeb furent : 1° Les Oulad Salem; 2" El-
Imen; les Oulad Sidi Mohammed ben Yacoub et leur Rohob.
MONOGUAl'IIIlî IIE l.\ COMMUNE INIIKIÈNE DF, TIAREÏ-AVLOU 2Si)
Ceux au contraire qui restèrent fidèles à El-Kliaroubi, lurent:
1" Les Oulad Alisen ; 2" Les Oulad Allouï; :> les Oulad Sidi-
Sàad.
De cette époque date la division des Oulad Krelil' en deux
grandes rraclions bien distinctes, qui plus tard sont désignées
sous les noms de Sahari-Cheraga et Sahari-Gharaba.
A partir de ce moment, l'histoire des Oulad Krelif jusqu'à
la domination turque n'est qu'une succession continue do
guerres intestines entre les deux fractions sus-désignées et à
la suite desquelles on voit tout les Oulad Krelif reconnaître
pour chef, tantôt un descendant d'El-Kharoubi, tantôt un
descendant de Taïeb, chef de la brandie cadette. Nous ne
saurions donc entrer dans tous ces détails, car ce qui se passe
cliez les Oulad Krelif, se passe également dans toutes les tribus
de l'Algérie.
Les Turcs à le,ur arrivée en Alg.'.rie, trouvent les Oulad
Krelif dans le même état d'indivision et de guerres intestines.
Ils consacrent les faits antérieurement accomplis en confirmant
comme caïd des Sahari-Gharaba le petit-lils d'El-Kharoubi et
comme chef des Sahari-Cheraga 1j descendant de Taïeb.
Etrangers à toutes leurs luttes, ils se contentent d'exiger de
chacun d'eux, le versement d'un impôt annuel.
A la nouvelle de la prised'Alger et de la première apparition
des Français à Tiaret, les Oulad Krelif s'enfuirent dans le Sud
plutôt que de se soumettre. Lorsque l'émir El-Hadj Abd-el-
Kaderleva l'étendard de la révolte, ils se déclarèrent pour lui
et combattirent sous ses drapeaux. Lors de la prise de la smala
de l'émir à Tagguin, les Oulad Krelif firent leur soumission
au général de Lamoricière. Celui-ci ne changea rien à leur
organisation et se contenta de leur imposer, comme aux Harrar,
une forte contribution de guerre.
A l'époque de l'insurrection de Bou-Maza, les Oulad Krelif
prennent part au mouvement et s'enfuient dans le Sud avec
leur agha. Peu de temps après ils demandaient l'Aman. En
1864, ils restent avec nous et combattent dans nos rangs contre
les Oulad Sidi-Cheik et les Harrar révoltés. Une seule de leur
fraction prend fait et cause contre nous, c'est celle des Oulad
Sidi-Mansour. Celte fraction composée en entier de marabouts
farouches, à la nouvelle du désa.stre de la colonne du colonel
Beauprête, tua deux cavaliers de remonte et vola trois étalons
de la station de Krosni. C'est cette môme fraction qui favorisa
290 MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU
par des menées occultes l'attaque de Si-Mohammed ben Hainza
contre Tagha Eddin, razzé complètement à Tagguin.
Enfin, au mois d'août 1864, ces mêmes Oulad Sidi-Mansour,
cernés sur un pic du Nador, par le mouvement combiné des
colonnes Pécho et Martineau, t'ont vainement une résistance
désespérée. Tous ses guerriers succombent, la fraction est
anéantie, tous ses troupeaux sont razzés et les femmes et les
enfants, seuls survivants, sont amenés prisonniers à Tiaret.
La destruction des Oulad Sidi-Mansour eut comme exemple,
un résultat immense, elle eut pour ell'et de ramener complète-
ment à nous tous les Oulad Krelif mal disposés depuis le dernier
succès de Si-Mohammed ben Hamza et qui n'attendaient peut-
être qu'une occasion favorable, pour prendre part à l'insur-
rection.
Les Oulad Krelif réorganisés au mois d'avril 186ô, ont pris
depuis, part à toutes les colonnes qui ont été jusqu'à ce jour
organisées en vue de nos opérations dans le Sud. En 1881, au
moment de l'insurrection de Bou-Amama, leurs g)ums ont
combattu avec nous, pendant que les vieillard's, les femmes et
les enfants se réfugiaient sous les murs de la place de Tiaret.
GUENADZA
Les Guenadza sont originaires de l'Est. Ils tirent leur nom
d'un certain Ahmeur ben El-Guendouz. Bien avant l'arrivée
des Oulad Krelif, ils occupaient le territoire où nous les
trouvons installés aujourd'hui. Vaincus par les Oulad Krelif,
ils devinrent leurs serviteurs.
A l'origine, les Guenadza étaient très nombreux, ce qui leur
permit de chasser de Goudjila les Oulad Kherouf qui avaient,
dit-on, bâti ce ksar dont la construction (d'après la légende),
est contemporaine de la fondation d'Alger^".
Aujourd'hui, cette population est bien déchue ; elle ne
compte que deux douars : El Hamaid et El-Behiat. Ces douars,
qui ne renferment en tout qu'une population de 170 habitants,
(1) Alger musulmane fut bâtie en 972 de l'ère chrétienne (362 de
riiégire), par Kologgin-Youçof, fils de Ziri. Elle fut appelée par 'son
fondateur Djézaïr-beni-Mezgliana (Les iles des enfants de Mezgliana).
Miliana et Médéa datent de la même époijue et ont également été fondées
par Bologgin. (Ibn-Kaldoun, tome II, page 6).
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU 291
représente les descendants des quatre grandes fractions qui,
autrefois, composaient la tribu des Guenadza : les Rehahla,
les Aour, les Behilat, les Ilamaïd.
Les Guenadza, ser\'iteurs des Oulad Krelif, les ont suivis
dans leur fortune. Leur histoire politique et militaire est donc
la même que celle de leurs conquérants.
CERCLE D AFLOU
L'annexe d'Aflou(-> est le prolongement vers le Sud, du
cercle de Tiaret. C'est une sorte de vaste triangle que limite
dans sa région orientale, la province d'Alger (cercles de
Djelfa et de Laghouati. La base de ce triangle, vers le Nord,
passe par le djebel Sidi-Lliassen et le pied Sud du djebel
Zreïga, dans un pays de Hauts Plateau.x proprement dits.
A l'Ouest, depuis les Oulad Sidi-en-Naceur, sa limite suit
une ligne toute conventionnelle et cela, jusqu'auprès du
djebel Azrag, un peu avant d'EI-Macta ; puis, à partir de ce
point, après avoir contourné le djebel Beklef, elle accompagne
l'oued Melah à travers le Kheneg, le dépasse et atteint
Tadjerouna. De là, l'annexe se continue en un prolongement
à travers le Sahara, suivant l'oued Zergoun ; resserrée étroi
tement depuis Tajerouna jusqu'à Besbessa, elle forme un long
couloir où sa largeur atteint moins de huit kilomètres, elle
prend, un peu en aval de ce dernier point, une forme
lancéolée et vient en pointe aiguë, enclavée entre le dépar-
tement d'Alger et le cercle ' de Géryville,' se terminer à
Oumma-el-Hadjadj, à la perte de l'oued Zergoun.
Le territoire de l'annexe d'Ailou enferme dans ses limites
(2) Le djebel Amour a fait l'objet d'une étude très intéressaote et très
approfoQdie de !a part de M. le lieuleiiant-colonel Derrien. Celle étude a
paru dans le Bulletin <Je la Société de Géographie, tome XV, pages
!S3 à 2U7. Elle contient des descriptions ut des renseignements très
intéressants et plus complets que ceux contenus dans le présent travail.
— Extrait de la publication gouvernementale : Le Pays du Mouton.
292 MONOORAPHIE ME LA COMMUNE IXDIOÉNE DE TIARET-AFLOU
trois régions pliysiquement dill'érentes: les Hauts Plateaux, au
Nord ; un massif monlagneux puissant, au centre ; une région
désertique, vers le Sud.
La région septentrionale, peu étendue, composée de larges
plaines que rompent des alignements secondaires, se présente
dans des conditions en tout semblables à celles rencontrées
dans la partie méridionale du cercle de Tiaret.
La région saharienne, également très restreinte, est une
contrée d'une stérilité absolue en été; c'est à peine s'y l'on y
rencontre quelques r'dirs.
Quant au massif principal, (jui embrasse à lui seul les 0/10
de la superficie de l'annexe, il présente au double point de vue
de l'hydrographie et de l'orographie, un intérêt capitaL Le
djebel Amour peut être considéré, en quelque sorte, comme
le noyau central des larges chaînes montagneuses qui, depuis
le Maroc vers Figuig, opposent une dernière barrière au
Sahara, tout le long du Sud algérien et, au- delà dans la Tunisie.
Cette immense zone orientée sensiblement S.-O,, N.-E., prend,
suivant les pays qu'elle traverse, des noms différents : Monta-
gnes des Ksours, dans les cercles d'Aïn-Sel'ra et de Géryville;
djebel Amour entre Géryville et Laghouat, etc., etc.
Peu homogène, le djebel Amour se compose de 3 parties : les
masses montagneuses, les plateaux et une subdivision de ceux-
ci les « Gada ». Loin de constituer une masse compacte, il est
formé par une série d'échelons, de plans superposés, entou-
rant de nouvelles montagnes qui, une fois gravies, présentent
encore d'autres steppes et cela jusqu'aux altitudes de 1,300
mètres; puis, dispersés sur ces plateaux successifs, des
alignements culminants s'étalent, tels qua le djebel Gouzou
( 1,700 mètres), ledjebelSidî-Okba( 1,642 mètres), ledjebelOugal,
le Kef de Si Slimane, etc., etc.
Les plaines du djebel Amour ne sont autres choses que de
larges couloirs compris entre ces montagnes; elles sont toutes
à des altitudes élevées, mais très variables (bordj d'Aflou 1,350
mètres pour descendre à 945 mètres, à El-Maia à 873 mètres,
à Tadjerouna à la limite du désert, et se confondre insensible-
ment dans la partie orientale, chez les Oulad Sidi-en-Nuçeur et
les Ouiad Sidi-Brahim avec les Hauts-Plateaux du Sud du
cercle de Tiaret (900 mèti-es). On peut donc les comparer à un
escalier gigantesque.
Très pailiculières sont les « Gada » enclavées dans le massif
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU 293
même du djebel Amour; constituées par de vastes plateaux
formés de couches gréseuses peu inclinées, elles sont découpées
brusquement par de nombreux ravins qui les entaillent pro-
fondément; on en compte trois principales: Gada d'Enfous,
Gada d'El Groun, Gada Matena; sur leurs lianes se montrent
ordinairement des forêts remarquables, et, lorsque les dépres-
sions qui les pénétrent s'élargissent, quelques cultures dans
les bas-fonds. Les rivières qui sillonnent ce vaste ensemble
sont nombreuses et leurs eaux abondantes, elles coulent cons-
tamment; divisées en deux bassins bien distincts, les unes
sont tributaires de la Méditerranée, les autres s'écoulent vers
le Sud où elles descendent dans le Sahara pour disparaître
bientôt sous les sables.
A l'Ouest de l'annexe l'oued Brida et l'oued Tamelliket se'
réunissent pour former l'oued Berkane, qui, se joignant à
l'oued Sebgagne, devient l'oued Touïl ; ce dernier, au-delà Je
Tagguin prend le nom de ChelilV qu'il conserve jusqu'à la mer.
Dans la partie centrale naissent plusieurs ruisseaux qui
recueillent les eaux des Gada et des Hauts-Plateaux avoisinant
Afiou, pour constituer les oued Ûuaren, oued El-Richa, etc.,
etc. Tout ce réseau vient aboutir au Nord de Tadjemout ; c'est
l'origine de l'oued Mzi.
Au Sud, l'oued Taouïala, l'oued Hammouaida, l'oued Malah,
draine les eaux du pays de Bou-Alem et de Taouïala et
forment à Tajeronna, l'oued Zergoun.
A partir de ce point l'eau cesse d'ordinaire d'apparaître à la
surface dans le lit de loùed. Des fonçages poussés jusqu'à
35 mètres n'ont donné aucun résultat. Les nappes d'infiltra-
tion paraissent donc assez profondes.
La vallée n'en continue pas moins vers le Sud, plus ou
moins régulièrement, pour s'arrêter à Oumma-el-Hadjadj où
sa trace se perd complètement.
La nature des sols que l'on rencontre dans l'annexe d'Atlou
est peu variée et se réduit à deux catégories de dépôts :
les terrains quaternaires et les terrains secondaires. Les
premiers forment la totalité des plaines du Nord, des Oulad
Sidi-Ahmed ben Saïd et des Oulad Sidi-Brahim ; ils s'étendi^nt
depuis l'oued Touïl, entre le Sidi-Lliassen et le djebel El-
Alleg, longent au Nord l'extrémité du djebel Debich et du
djebel Tikialin. Ce sont les couches puissantes d'atterris-
sements des Hauts-Plateaux. Tout à fait au Sud, vers El-
294 MONOGn.VPHIE DE LA COMMUNE IN11IGÈNE DE TIARET-AFLOU
Macta, Tadjerouna et Tréfla, les terrains quartenaires salia-
riens réapparaissent et se développent indéllnimenf, couvrant
de leur manteau durci (Hammada) toute la zone septentrionale
du Sahara et plus particulièrement, dans les limites de
l'annexe d'Aflou, constituent la région des Gantara.
Les terrains secondaires, à l'exception da la mince bande
jurassique méridionale (Kef-el-Guebli) et des formations
crétacées restreintes du Nord (marnes et gypse et calcaires)
djebel El-Alieg et djebel Harcha, sont constitués sur des
épaisseurs considérables par le terrain néocomien, crétacé
inférieur ; dans le Sud, à El-Uicha, il se présente sous
la forme de marnes fissiles bariolées. Ce sont des bancs de
grès peu inclinés, mais, tellement épais, qu'ils atteignent
plusieurs centaines de mètres d'épaisseur ; on peut les suivre
en remontant d'El-Richa \-ers Atlou, à travers les Gada, et eu
descendant jusqu'aux grandes plaines du Nord.
En général, ces grès, avec des mélanges de marnes rouges,
violacées, vertes, intercalées, sont des bnics plus ou moins
durs, plus ou moins friables, parfois constituant de véritables
poudingues à cailloux roulés de quartz très fortement colorés
par des oxydes de fer ; ils sont doués d'une grande perméabi-
lité ; aussi se développe-t-il à leur surface des forêts étendues
de cèdres, de pins, de thuyas. Du Sud au Nord, de l'P^st à
l'Ouest, ils se développent, continuant ces chaînes du Sud,
jusqu'à la frontière du Maroc.
Çà et là, surtout vers l'Ouest, d'autres terrains (çénomanien
et turonien), reposent sur ces giès, vers l'oued Berkana, par
exemple; d'autre part, les fortes dépressions qui sillonnent
tout ce massif ont été quelque peu comblées par les apports
successifs des éléments ari'achés aux sommets par les érosions;
on rencontre donc à des altitudes variables, comblant les
valléiîs, des alluvions anciennes qui ont formé de petites
plaines et de larges passages oii réussissent quelques cultures.
Grâce aux sources nombreuses et abondantes qui prennent
naissance sur les plateaux les p'us élevés du djebel Amour et
en raison de sa disposition toute spéciale en gradins, de
nombreux pâturages se rencontrent à diverses altitudes. Leur
valeur varie suivant qu'ils sont situés dans l'une ou l'aulre
des zones indiquées plus haut.
La première, celle qui limite au Sud la chaîne du djebel
Amour (Sidi-Bouzid, djebel Tighenter, Okba, Sidi-S'iman,
MONOGIIAPHIE DE L\ COMMUNE INDIGENE DE TI\RET-AFLOU
295
Guern-Arit'), se composent de vastes plaines, légèrement
ondulées, avec de nombreuses daïas. Toute cette partie,
généralement couverte d'alfa, i'ournit la nourriture en abon-
dance aux troupeaux, qui y trouvent également l'eau qui leur
est nécessaire.
La deuxième, la zune montagneuse qui s'arrête au Sud, au
Kef el-Guebli, contient le moins de resssources en pâturages ;
les teirains de rapport, situés dans le fond des vallées, étant
presque tous mis en culture.
Comprise entre le Kef-el-Guebli au Nord, l'oued Zergoun à
l'Ouest, l'oued Maliaïguen à i'P^st, la zone saharienne renferme
de bons parcours, surtout quand les pluies sont tombées
en abondance. Mais l'eau d'alimentation y est rare et les
troupeaux des Ouled Yacoub qui y vivent sont parfois obligés
d'aller s'abreuver aux sources d'El-Maïa, cercle de Gérvville.
L'annexe d'Aflou a conservé de nos jours l'organisalion des
premiers temps de la ronquête, puisqu'elle constitue un des
rares aghaliks de la province d'Oran.
Les quatorze tribus du cercle sont, en effet, placées sous
les ordres de l'agha Si-Harnza ben BouBekeur, chef religieux
des Oulad Sidi-Chcik, qui sert d'intermédiaire entre le
pouvoir effectif, représenté par le capitaine, chef du bureau
arabe, et les caïds, agents d'exécution.
Aux débuts de la conquête, les fonctions d'agha comportaient
des jiUi»:uu lions importantes qui diminuèrent au fur et à
Tn'esure qu'augmentait notre autorité. En principe, ce fut
un véritable vice-roi indigène, chargé de remplacer le dey aux
yeux des populations arabes. (Arrêté gouvernemental du
18 février 1831.) Ce fut ensuite un fonctionnaire supérieur
ayant mission de recevoir les plaintes, de punir les trimes et
délits arabes, de nommer les caïds et-les cheiks, etc. Puis
ses attributions diminuèrent de plus en plus pour devenir une
fonction honorifique très élevée à laquelle sont attachés
un traitement important et une certaine part d'impôt arabe,
prélevée sur celle attribuée aux caïds sous ses ordres.
r'.n échange de ces faveurs, l'agha prête à la France le
concours de son intluence religieuse ou militaire sur les
296 MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE HE TIARET-AFLOU
populations indigènes qu'il a mission d'administrer sous
le contrôle direct de MM. les Ofticiers des atïaires indi-
gènes.
Si-Hamza ben Bou Bekeur, exerce donc son autorité sur
les tribus ci-après, dont la richesse en bestiau.\ peut être
évaluée aux cliitlVes suivants :
NOMBRE
NOMBRE
NOMBRE
NOMBRE
DÉSIGN-.\TION DES TRIBUS
de
de
ie
de
TOTAUX
Chameaun
Bœufs
Montons
Chèvres
3.5
3ll
245
G15
1.620
c.ioio
1.500
1.840
3.400
9.395
Oulad Ali ben Amour . . .
Oulail En-Xnçeur
■2'i0
3.50
7.270
1 .435
9.295
1 . 1 30
760
2.230
1.000
34 500
22 . 850
14.320
4.770
52. .180
29.380
0'' Sidi-Ahmed ben Saïd.
Oulad Sidi-Brahini
115
510
9.250
1 910
11.785
Oulad Sidi-en-Xaçeui'. . .
2?0
920
11.170
2.070
11.380
Oulad Sidi-Hamza
45
870
7.500
3.310
11.725
Oulad Yaconb-Cbi'iaga. .
2.8';.0
3
29.400
6.200
38.. 523
Oulad Yacoub-el-Ghalia.
30
700
7.760
4.190
12.740
0\da(l Yacoub-GliaraliM. .
2. ISO
10
18 540
4.'i05
25.235
110
15
•5
200
2.800
1.000
1.040
610
3.985
1.825
Taouïala
375
110
125
5.550
5 613
950
907
6.975
6.873
Maizhcn
8.37:i
7.9S3
171.893
49.'i'i7
237.696
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU 297
Ainsi que nous l'avons fait reinarquor pour le cercle de
Tiaret, les chiffres qui précèdent doivent être considérés
comme moyenne, car l'effectif varie d'année en année suivant
que les conditions climatériques ont iniluencé en bien ou en
mal l'existence des bestiaux.
Depuis deux ans, le troupeau, en ce qui concerne les cha-
meaux, a été considérablement réduit à là suite des fatigues
excessives supportées par ces animaux pendant l'expédition du
Touat. Deux tiers environ sont morts et le prix en a été payé
aux propriétaires sur une moyenne de cent francs par
tète.
Ce remboursement a provoqué chez les indigènes un bien
être inattendu qui leur a permis de supporter sans beaucoup
de regrets les pertes subies par eux; mais il est à craindre
que les sommes touchées soient gaspillées en menus achats
et que la reconstitution du troupeau subisse un retard consi-
dérable, qui diminuera dans de sensibles proportions, la ,
situation prospère des indigènes de la région en les privant
d'un des éléments les plus essentiels à leur existence
pastorale.
La richesse en bétail, des indigènes de l'annexe d'Allou, est
de beaucoup inférieure à celle de leurs correligionnaires du
cercle de Tiaret. On constate en elîet un écart de plus de
285,000 têtes entre les troupeaux des deux cercles. Cette
différence est due à l'insuffisance relative des pâturages de
l'annexe, dont on évalue à 10,000 hectares seulement la
surface réellement utilisable. Ces pâturages sont composés des
mêmes plantes que ceux du cercle de Tiaret: une description
spéciale, en est donc inutile.
Il est facile de remarquer, par l'examen du tableau ci-après,
que la production des céréales de l'annexe d'Aflou est égale-
ment plus faible que celle du cercle de Tiaret. La principale
c uisede cette infériorité est due engrande partie à l'importance
du massif montagneux qui occupe les 9/10 de la surface totale
du cercle et à l'aridité absolue de la région désertique qui
s'étend vers le Sud.
298
MONOGRAPHIE DE I,\ COMMUNE INDIGENE DE TIARET-AFLOU
IMPORTANXE MOYENNE
DÉSIGXATION DES TRIBUS
DE LA RECOLTE
IMI bl.^
l'U or,L;-o
quinLiux
iniliilaiix
45
425
130
1.135
Oiilail Ali licii AniL'iu-
Oulad Eii-Xai;eur
500
135
i.sr.j
305
3.610
910
(_)ulail Sidi-Alinunl Ijon Saïil
Oulad Sidi Brahiui
420
845
(Julad Sidi-en-Naçeur
360
960
Oulad SidiHaniza
2l.b
570
Oulad Yacouli-Clioi-aj;a
115
30
Oulad Yaruul)-rl-Gliaba
2'.0
015
Oulad Ya(/ouli-Gliaraba
5
11
Taouïala
145
400
Sniala de TAdui
105
2S5
MaizluMi
35
95
4.270
9.761
Ce sont là, on cm conviendra, des chiUVes bien modestes,
suilout si l'on songe que la surface totale du cercle ne
comporte pas moins de 947,50'J liectares, sur lesquels vit une
population totale de 18,436 habitants 0).
Les richesses que peut renfermer le sol au point de vue
minéralogique sont peu connues. I.e pays n'a pas encore été
étudié sur ce iio.nt s[)écial, et, l'aui'ait-il été, qu'en l'état
(1) Reccuseinent de llKll .
MONOGRAPHIE DE L\ COMMUNE INDIGI^SE DE TIARET-AFLOl"
299
actuel des voies de communication, les minerais que l'on
pourrait y découvrir, ne pourraient être exploités en raison
des énormes frais de transport dont ils seraient grevés avant
d'atteindre un port d'embarquement <•>.
C'est à Ailou que sont concentrés les services administi'atifs
chargés de la gestion des alTaires du cercle. Une petite
garnison, composée d'une demi-compagnie, est chargée de
défendre ce poste contre un soulèvement éventuel des
populations indigènes.
Aflou.en 1886, comptait à peine 5 ou (J maisons européennes.
AcluellemcDt, on peut évaluer à une centaine les constructions
qui composent le village. Dans ce chiffre, ne sont pas compris
les édifices où sont installés le bureau arabe, le bureau de
poste, les casernes, la station de monte, la maison des hôtes,
etc. qui, pour la plupart, ont été élevés au moyen des deniers
communau.x.
La température est généralement froide et très supportable ;
néanmoins, en été, les vents du Sud y soufflent avec violence
en soulevant des nuages de poussière impalpable, qui pénètre
dans les habitations les mieux closes. L'autorité militaire a
essayé de parer à cet inconvénient, en entourant Atlou de
superbes plantations destinées à briser l'effort des courants
atmosphériques.
La population est entièrement composée de commerçants
français, juifs, mozabites et m'garbis, dont les revenus sont
constitués par les bénéfices réalisés sur les transactions
elïectuées avec les indigènes de la région. On y voit, en outre,
une colonie assez nombreuse de femmes appartenant soit à la
tribu des Oulad Naïls, soit aux ksars avoisinants, qui
pratiquent une hospitalité intéressée, dont le produit est
destiné à constituer une dot après i-etour dans le pays
d'origine.
Le lundi de chaque semaine se tient à Allou un marché
assez important fréquenté par les gens de Chellala, de Zénina
et de Roghari. C'est en été, après la tonte des moutons et la
levée des récoltes, que le marché atteint son maximum.
(1) On a découvert, prés d'El-Ghicha, un gite de lignite compact aux
veines très pures. Ca minerai pourrait être appelé à de grands emplois,
si, mallieureusement, il n'était imprégné de pyrite ferrugineuse, comme
l'a démontré M. le docteur Jovillard dans l'analyse qu'il en fit en 1877.
(Le Djebel Amour, pagre 2UU, par M, le lieuteDant-colonel Derrien),
300 MONOGRAPHIE DE LA COMMUXE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU
d'affaires. A cette époque, on y trouve de nombreux troupeaux
de moutons, de boeufs, quelques chevaux, des grains, des
tapis, de la laine, du goudron, des fruits et des légumes
produits par les jardins des ksars environnants.
Ce marché fut créé en 1886, sur l'initiative de M. le capitaine
de Bannière, chef du bureau arabe. Après le départ de cet
officier, le marché périclita jusqu'en 1897, époque à laquelle
M. le capitaine de la Gardette, reprenant les traditions do
M. de Bannière, encouragea de tous ses pouvoirs les indigènes
à fréquenter le marché d'Aflou et réussit à rendre à ce dernier
sa prospérité des anciens jours.
Les indigènes du cercle se livrent à la fabrication de tapis'
qui ont acquis une certaine renommée sous le nom de tapis
du djebel Amour. Ces tapis sont habituellement plus longs
que larges, en raison de la forme du métier qui, généralement,
ne dépasse pas deux mètres. Le lavage de la laine est effectué
par les femmes dans les oueds du pays. C'est par elles
également que le filage et le tissage sont e.xécutés. Pour cette
dernière opération, elles sont guidées par dès ouvriers spécia-
listes appelés (( Ragem », qui dirigent le travail pour obtenir
les différents dessins qui ornent le tapis. Chaque Ragem
conserve précieusement le secret de ses combinaisons, qui est
transmis oralement de père en fils.
Après le lavage, les laines sont colorées par des teinturiers
juifs, qui se font payer leurs débours et leur travail en nature.
L'unité de paiement est le mouton.
Les substances colorantes les plus employées sont: l'indigo,
la cochenille et les écorces de grenade, qui donnent les trois
couleurs dominantes que l'on rencontre dans les tapis du
djebel Amour ; le bleu foncé, le rouge et le jaune. Le fixage
des couleurs est obtenu par l'emploi de l'acide sulfurique.
Ces substances ne sont malheureusement pas les seules
qu'emploient les teinturiers pour l'exécution de leurs travaux.
La chimie moderne en mettant à leur disposition les couleurs
d'aniline porte un véritable préjudice aux indigènes en les
incitant à se servir de colorants bon marché mais fugaces et
de peu de durée.
L'industrie des tapis devrait être encouragée par l'autorité
supérieure, car elle apporterait aux indigènes de la région un
bien être appréciable en leur permettant d'utiliser les ressour-
ces provenant de l'élevage des ovins. La laine du pays,
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU -'X)!
dépréciée par les manœuvres frauduleuses des producteurs et
des intermédiaires, ne trouve acquéreur qu'à des prix dérisoires.
Au lieu de s'attacher à produire des laines exemptes de tout
reproche, les indigènes, les courtiers et les acheteurs intermé-
diaires, se sont ingéniés dans un but de lucre à la charger de
sable, de matières terreuses qui, en augmentant son poids
réel, la rendent inutilisable pour le tissage mécanique.
C'est ainsi que les laines algériennes sont arrivées à ne
donner qu'un rendement net de 35 à 40 O/q alors qu'avec celles
d'Australie ou de l'Amérique du Sud le résultat obtenu est de
70 à 75 O/q. Aussi en est-il résulté que nos gros manufacturiers
français ont à peu pi-ès abandonné le marché algérien pour
faire venir à grand frais des laines de l'étranger.
Il parait à peu près impossible de revenir sur cette situation
créée par la mauvaise foi des producteurs et des intermédiaires;
mais on pourrait tenter de faire utiliser sur place, par les
indigènes eux-mêmes, les laines de la région. Pour cela, il
faudrait d'abord améliorer le travail primitif des femmes
indigènes, les guider, leur procurer. des métiers moins rudi-
mentaires, leur indiquer des méthodes plus pratiques et
trouver ensuite des débouchés aux tapis obtenus. Certes ça ne
sera pas sans difficultés que ces résultats pourront être atteints;
mais avec de la persévérance il semble qu'on pourrait arriver
à faire comprendre aux indigènes qu'il y a pour eux un intérêt
supérieur à suivre les indications et les conseils donnés dans
ce sens.
En dehors des tapis, la laine sert à fabriquer des djelléls
(couvertures de chevaux), des uus'adahs (coussins à usages
divers), des amaras (musettes pour chevaux), des burnous et
enfin, mélangée à des poils de chèvres et de chameaux, des
fliijs (longues bandes qui servent à confectionner des tentes
pour les nomades).
Le massif montagneux du djebel Amour est couvert en
partie de forêts constituées par des cèdres, des thuyas, des
chênes- verts, des genévriers et des pistachiers. Dans la contrée
d'Enfous existe une grande forêt de pins et de sapins qui est
utilisée par les indigènes pour la construction de leurs
gourbis.
Dans ces forêts ainsi que dans les vallées qui descendent
des hauteurs, l'on trouve en grande quantité : le lièvre, la
302 MONOGRAPHIE DE L.V COMMUEE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU
perdrix, la bécasse, le canard, le pigeon-ramier, la palombe et
la tourlerelle. A.u printemps on y voit des passages considé-
rables de cailles qui se répandent dans les prairies et les
parcelles ensemencées.
Les animaux carnassiers y sont nombreux; jadis les pen-
thères y vivaient en assez grand nombre, mais elles ont été à
peu lires détruites. Cependant de loin en loin il arrive qu'un
de ces fauves est tué par des indigènes et sa dépouille portée
à .\flou pour y être vendue.
Le sanglier était jadis très répandu; jusqu'en 1880, il était
facile d'en tuer, mais des battues trop fréquentos ont fait
émigrer ces animaux vers le Nord, dans les forêts de pins r]ui
couvrent au Sud le territoire de Frendah.
La hyène, le chacal, le lynx, le chat sauvage, le renard
habitent également toute la région. Dans les plaines d'VA-
Ousseuh et de Tadjerouna on rencontre de nombreux trou-
peaux de gazelles se nourrissant des herbages qui croissent
dans la région des chotts. En montagne, on trouve également
des gazelles, mais d'une espèce plus robuste et plus grande.
Enfin dans la région montagneuse située entre El-Mahdi et
El-Gaïcha on peut atteindre le mouflon dont la chasse est des
plus difficiles en raison des lieux escarpés dans lesquels il se
tient. Les indigènes prétendent que lorsque le mouflon est
poursuivi et serré de trop près, il n'hésite pas à se jeter, la
tête la première, du haut des rochers dans les ravins et que,
tombant sur ses énormes cornes, il ne se fait aucun mal.
Dans les cours d'eau on trouve quelques loutres se nourris-
sant de barbeaux, seule espèce de poissons connue dans la
région.
Jusqu'à ce jour la culture des céréales est restée entièrement
entre les mains des indigènes; les européens se sont bornés
à exercer les commerces susceptibles d'une certaine prospérité.
Cependant il serait possible de livrer à leur activité et à leur
initiative de nombreuses et excellentes terres, actuellement
incultes ou à peu près, qui forment le fond des vallées de
la région. Parmi les plus importantes il faut citer: l'oued
Medsous qui s'étend d'Assi-Marouf jusqu'aux Oulad-Sidi-
Abdallah ; la vallée de l'oued Sebbagg qui renferme des prairies
naturelles arrosées par plus de cent sources abondantes, la
MOXOGR.VPIIIE DE LA COM^iIUNE INDIGÈNE DE TI.VRET-AFLOU 303
vallée de Bridah attribuée à l'agha Si-Hamza pour y installer
sa smala; la vallée de l'oued Ksob sur les limites des cercles
d'Atlou et de Géryville; enfin les vallées de l'oued Morra et de
FA'in-Beida qui produisent des fourrages et des pommes de
terre.
Toutes ces vallées présentent assez de surfaces cultivables
pour créer des fermes et des hameaux européens. Les produits
du sol serviraient à l'alimentation des garnisons de la région
saharienne et radministralion de la guerre ne se verrait pas
obligée de faire venir à grands frais, grevées de transports
coûteux, les farines et les orges destinées à l'alimentation des
hommes et des chevaux. .
Le centre d'Aflou est relié aux postes voisins par des sentiers
muletiers décorés parfois du nom de route. La plus importante
de ces routes? est cell,e de Tiaret à A flou, qui se déroule sur
une longueur de 173 kilomètres. Par les lieaux jours elle est
carrossable et tant bien que mal on peut la parcourir en
voiture; elle passe, en partant d'Allou, par Guelta-Sidi-Sàad
(bordj affecté aux passagers), Hacian-el-Dib récemment créé
et qui a remplacé le gite d'étape d'Oum-el-G uetouta ; Moudjehaf
bordj d'étape où l'eau est magnésienne. La route pénètre alors
sur le cercle de Tiaret en desservant El-Ousseurkh, Sidi-Saïd
et Trézel, pour arris'er à Tiaret, résidence du commandant
supérieur.
D'Atlou à Laghouat, on compte 120 kilomètres, la route
passe par El-Gaïclia, ksar entouré de jardins; Ain-Mahdi où
l'on remarque une école indigène dirigée par un instituteur
français. A 8 kilomètres plus loin au lieu ditGordan, se trouve
l'habitation du célèbre marabout Ould Tidjini, marié avec une
française originaire de Bordeaux. Les voyageui'S européens ou
indigènes reçoivent à Gordan une hospitalité large et bien-
veillante dans un superbe domaine, meublé de tout le confort
et le luxe moderne et entouré de magnifiques jardins.
La route passe ensuite à Tadjemout où se trouvent une
école et un bureau télégraphique. Ce dernier a pour mission
de prévenir les populations de Laghouat des crues de l'oued
M'zi, dont les débordements subits provoquent parfois des
accidents et de graves dégâts. On arrive enfin à Laghouat,
poste militaire important de la province d'Alger.
Le village d'Aflou est également relié à Géryville par une
piste qui se développe sur une longueur de 130 kilomètres en
22
304 MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU
passant par le ksar de Taouïala(i), l'oued Sidi-Sliman,
Boualem, Timerdert (où se trouve une ferme très importante
appartenant à l'agha Si-Eddin ould Si-Hamza). La piste passe
ensuite à proximité d'un modeste monument élevé à la
mémoire des soldats de la colonne Beauprête, massacrés par
surprise pendant l'insurrection de 1864, laisse Stitten, gros
village indigène, et atteint Géryville, chef-lieu delà commune
mixte militaire de ce nom.
Enfin, une quatrième voie relie Aflou à Cliellala en passant
par Zenina. Elle a 130 kilomètres de longueur et passe auprès
de Taguin, où fut capturée, en i843, la smala d'Abd-el Kader.
Une colonne commérnorative, au sommet d'une faible colline,
rappelle au voyageur ce fait d'armes qui coûta la vie à vingt-
neuf chasseurs d'Afrique ou spahis enlisés dans les marais et
fondrières au moment de la charge audacieuse qui décida
du succès de cette héroïque journée.
Aux artères principales que nous venons d'énumérer,
viennent se souder des lignes secondaires utilisées par les
indigènes pour se rendre de douar à douar, de région à
région. L'ensemble forme un réseau primitif, mal entretenu,
accessible quelquefois aux voitures en été, mais utilisé pendant
toute l'année par les caravanes, les cavaliers et les piétons.
(\) i Taouïala était, il y a quelques années, la capitale du djebel
« Amour. Il dépend, comme Aflou et Sidi-Bouzid, de la tribu des Oulad
« Mimoun. Son importance provenait de la fertilité de la vallée, de la
« proximité des forêts à l'Est et surtout de la valeur de son enceinte
« fortifiée.
i. Cette enceinte, dont la forme générale est un rectangle, est en pierres,
« crénelée élevée de .i à 8 métrés et pourvue d'un ilauquement assez
» remarquable.
« Les murs ont un métré d'épaisseur à leur faite et sont soutenus par
« des contre-forts au-dessus desquels court une banquette à 1"()U au-
« dessous de la crête.
« Une rue de rempart, large en moyenne de '2 mètres, a été ménagée
0 tout le long de la plus grande partie de cette enceinte.
« Ce llanquement est donné sur les faces Est, Sud et Ouest par des
« tours reciangulaires construites aux angles et figurant ainsi de vérita-
« blés bastions. La défense de la face Sud. longue de '225 mètres, est
a encore complétée par une tour semblable à celle des angles et cons-
« truite en son milieu.
t La face Nord, longue de 262 métrés, n'est pas droite comme les
a deux autres ; le terrain s'y est opposé, c'est simplement une ligne
« à crémaillère donnant des feux vers les deux extrémités.
« Les petites faces ont : celle de l'Ouest, 52 métrés ; celle de l'Est,
d 94 mètres.
« Deux portes donnent accès dans le ksar, l'une pratiquée sous la tour
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU 305
RÉSUMÉ HISïORIOUE DU CKRCLE DAFLOU
Le territoire du cercle d'Allou a été haiiité aux temps
préhistoriques. Aucun doute ne peut exister sur ce point
depuis que M. le médecin-major Delnias, après de patientes
recherclies, a découvert de nombreux abris sous roches aux
alentours d'Aflou.
Les fouilles pratiquées sur ses indications ont mis à décou-
vert divers foyers superposés, des ossements, des silex et une
hache en jade. Malheureusement ces fouilles ont été inter-
rompues par son départ pour Lyon et il est à souhaiter
qu'elles soient reprises au plus tôt dans l'intérêt de la science
et de l'Algérie.
Avant de quitter Aflou, le docteur Delmas a eu soin
d'estamper divers dessins rupestres gravés sur les importantes
assises de grés de la région. Ces dessins, au nombre de quatre
ou cinq, sont séparés les uns des autres par des distances qui
varient entre 25 et 40 kilomètres. Le plus important est situé
à une trentaine de kilomètres au Sud-Est d'Aflou; il repré-
sente une chasse aux éléphants, faite par des guerriers à
demi-nus, coiffés de bonnets pointus et armés de flèches
et de lances.
M. le docteur Delmas, lors de son passage à Tiaret, nous
a donné des renseignements verbaux sur ces dessins qu'il
« occidentale de la face Sud, l'autre presque au milieu de la face Sud. Ces
« portes ont 3 mètres de largeur : elles sont à deux battants en bois
« épais et revêtues de plai(ues de tôle solidement clouées.
« L'intérieur de la ville est formé d'un massif de 80 maisons environ,
(I autour duquel est la rue du rempart. Une seule ruelle à ciel ouvert
« pénètre dans ce massif et encore aboulit-elle à un cul-de-sac.
€ Les communications entre les maisons sont établies par un réseau
t de galeries couvertes.
€ Une seule maison sort par sa construction de l'uniformité de celles
« de tout ce ma<sif ; c'est la maison de l'ancien agha Eddin qui formait
« comme le réduit de Taouïala : se=; terrasses dominent toute la ville et
n elle est encore dominée elle-même par un belvédère qui découvre au
« loin la campagne.
€ On le voit. Taouïala était une place vraiment forte pour le pays, ce
« qui Un permit de tenir tète jadis aux beys d'Oran et de résister aux
€ attaques de ses voisins les Harrar où à celles des Zegdou. réputés
c comme d'insatiables piUards. »
(Le Djebel Amour, par M. le L'-Colonel Derrien, t. XV, p. 199 du
Bulletin de la Société de Géographie d'Oran.)
306
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGENE DE TIARET-AFLOU
considère comme absolument authentiques ; il nous a promis
d'adresser à la Société de Géographie d'Oran, un mémoire
détaillé de ses découvertes et de ses observations et nous
a assuré que les dessins rupestres d'Aflou étaient, de beaucoup»
plus intéressants q le ceux qu'il a vus dans l'oasis de Tiout,
alors qu'il était en garnison à Ain-Sefra'i).
C'est sans doute aux descendants de la race qui grava sur le
roc ces dessins primitifs, qu"il faut attribuer les travaux
d'adduction d'eau, depuis des siècles ruinés, que l'on trouve
dans le bassin de l'oued M'/.i, ainsi que la fondation des
nombreux ksours dont les ruines abondent dans toute la
région.
Les renseignements manquent sur cette race disparue
depuis de nombreux siècles et c'est à peine si la légende
en a conservé le souvenir.
« Le sultan des Berbères du ksar d'El-Mahia, dont malheu-
« reusement le nom a péri, dit M. de la Blanchère, avait un
« cheval d'une beauté inouïe, mais si ardent, qu'il fallait deux
a nègres pour le conduire à la rivière. C'est sous une forme
« locale, le souvenir de la puissance et de la richesse des
« anciens habitants. Presque tous les endroits propices pour
« l'établissement d'un centre d'habitation avaient été reconnus
« et choisis par ces populations avisées. Tedimema, par
« exemple, dans un des plus beaux sites du djebel Amour,
« avec une abondante et bonne source ; Afiou où l'on a
« établi le commandement de l'annexe, dans l'endroit le plus
« fertile de tous, montrent les ruines de leurs bourgades.
« Sur ces points, choisis avec raison, la population a dû
(( rester de longs siècles pendant lesquels les catastrophes
« ordinaires ne lui auront pas manqué ; mais les ksours
« duraient toujours. »
La région d'Aflou ne semble pas avoir été occupée d'une
façon permanente par les Romains ®. On n'y rencontre
aucune trace d'habitation que l'on puisse leur attribuer avec
certitude. Il est possible, tort probable même, que les tribus
(1) Ces dessins ont été signalés dans le travail de M. le L'-Colonel
Uerrien. sur le Djebel Amour. (Bulletin de la Société de Géographie
d'Oran. t. VX, p. 201.)
(2) Cependant les ruines romaines ont été signalées à Gucliara, au Sud
du Hadna, au sommet du Bou-Kahil et à Messad près de Laghouat. (Le
Djebel Amour, par le colonel Derrien).
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOV 307
berbères qui l'occupaient à cette époque turent alliées aux
conquérants, mais elles durent avoir souvent des démêlés
avec eux.
Des expéditions militaires durent être dirigées contre elles,
ainsi que l'atteste la pierre votive, avec double inscription,
rencontrée en 1880 sur les bords de l'oued Ksob, par la
colonne du général Gérez, à 60 kilomètres au Nord-Ouest
d'Aflou.
L'invasion Vandale et la conquête Bysantine ne paraissent
pas avoir exercé une influence quelconque sur cette région,
protégée des envahisseurs par son éloignement du Tell et
l'immense surface désolée qui s'étend des derniers contreforts
méridionaux du Nador aux preiniei's escarpements du massif
saharien.
Les berbères de l'époque, les Beni-Rached, purent donc,
pendant de longs siècles, jouir d'une paix profonde, pendant
laquelle ils édifièrent les nombreux ksours dont les ruines
attestent encore leur puissance.
Ces Beni-Rached appartenaient à la grande famille des
Zenata par leur ancêtre Rached' \ la montagne qui était le
centre de leur domaine, s'appelait le Mont-Rached et était
entourée d'une suite de villages et de bourgades, dont les
environs, dit Ibn-Kaldoun(-) « sont couverts de dattiers, de
champs cultivés et d'eau courante. »
A l'apogée de leur puissance, vers le commencement de
l'ère musulmane, ils organisèrent diverses expéditions au
Nord de leur pays et pénétrèrent dans le Maghreb. Leurs
contingents victorieux parvinrent à s'emparer des plaines
fertiles situées au Sud de Tlemcen et au pied du Thessalah ; ils
en chassèrent les habitants, les Beni-Ournid et les Médiouna,
qui furent obligés de s'enfuir dans les montagnes voisines f^'.
Mêlés ensuite aux divisions qui troublèrent' d'une façon si
profonde le Nord de l'Afrique, on les voit partisans des Béni-
Abd-el-Ouad, prendre part aux expéditions contre les Beni-
Toudjin et les Beni-Merin et partager la fortune et les revers
du peuple dont ils avaient embrassé la cause.
Les guerres entreprises parles Beni-Rached avaient afTaibli
leur puissance militaire; aussi, lors de la 2"^ invasion arabe.
(I) Ibn-Kaldoun, tome HT, )i. :i(l2 et SOi, tome i, p. l.
Ci) Ibii-lvalJoun, tome I. p. 19'.'.
Ci) Ibnivaldoun, tome IV, p. 2.
308 MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU
voyons-nous les Amour, confédération arabe relativement peu
importante, s'emparer de leur pays et s'en rendre les maîtres
absolus.
Les Amour, taisaient partie d'une des branches de la tribu
de Hilal. Peu nombreux, divisés en plusieurs fractions enne-
mies, ils ne purent comme les autres tribus envahir le Tell et
se contentèrent de conquérir le vaste pays qui s'étend du Sud
de l'Aurès, au Sud du Ksel.
Les Oulad-Chokr qui les commandaient s'installèrent au
Mont-Raciied qui perdit son nom pour prendre celui de djebel
AmourC).
Les Oulad Chokr se divisaient en deux grandes familles
issues du même ancêtre : les Oulad Mihya et les Oulad
Zekrir (2).
Après leur installation dans le djebel Amour, la division ne
tarda pas à se produire entre ces deux fractions.
Après plusieurs combats meurtriers, les Oulad Zekrir furent
chassés de la région et obligés d'aller s'établir dans l'Ouest,
sur les montagnes du ksel. Ils y trouvèrent les Beni-Ahmer
avec qui ils contractèrent alliance afin de pouvoir revendi-
quer aux Oulad Mihya, les territoires dont ils avaient été
dépouillés.
Les Oulad Mihya, de leur coté, s'étaient assurés le concours
de la tribu de Soueid, branche des Zoghba, et avaient formé,
avec ces derniers, une confédération ayant pour but principal
la défense de leur nouvelle patrie.
Entre les deux fractions rivales, un troisième groupe,
les Noder, composé de pillards, prêtait alternativement son
appui à l'une ou l'autre des tribus et tirait parti de cette
discorde qu'il entretenait soigneusement'^).
On devine, sans peine, les résultats malheureux d'une
semblable situation. Les ksours, fondés par les Beni-flached,
furent détruits, les jardins ravagés, et toute la contrée, jadis si
florissante, ne fut plus, au bout de quelques années, qu'un
amas de décombres et de ruines.
Ce fâcheux état de choses dura bien près de trois siècles
(de 1053 à 1350).
Vers cette époque (1350), un cheikh des Oulad Mihya,
(1) Ibn-Kaldoun, t I, p. 58.
(î) Ibn-Kaliloiin, t. I. p. 5S.
GO Ibn-Kaldoun, t. I, p. :,d.
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU 309
nommé Amer ben Bou-Yahya-ibn-Mihya, se rendit en pèleri-
nage à la Mecque et rencontra en Egypte le principal cheikh
des Soufis, Youçof-el-Kourani qui lui apprit les doctrines de
cette secte.
« Rentré au milieu de son peuple, Amer en convertit
« la plus grande partie aux opinions qu'il venait d'adopter.
« Il fit alors la guerre aux Noder, cette population nomade
« qui infestait le pays, et il ne leur donna aucun répit, jusqu'à
« ce qu'un certain jour, étant à la chasse, il tomba dans une
« embuscade tendue par ses ennemis et y perdit la vie. <" »
L'expulsion des Noder ramena le calme dans la région. Les
vieilles rancunes, n'étant plus excitées par des tiers intéressés
à les exploiter, s'apaisèrent peu à peu. Des mariages entre les
descendants des deux tribus rivales ramenèrent la paix, sinon
l'amitié d'autrefois," enfin la nécessité de se prêter un mutuel
appui pour repousser les empiétements des tribus voisines,
finirent par créer entre les diverses fractions, une sorte de
confédération qui depuis ne s'est jamais désagrégée (-K
Le groupe principal de cette confédération est constitué par
les Oulad Miraoun et les Oulad Sidi-Hamza qui occupent la
partie la plus fertile du djebel Amour, les sources de l'oued
Sebague et le plateau d'Aflou.
Ces deux tribus ont pour ancêtres les premiers conquérants
arabes qui, vers le milieu du VII'^ siècle, chassèrent les Beni-
Rached de leur pays. Ils sont les héritiers des Oulad Mihya et,
en cette qualité, ils ont toujours exercé une prépondérance
marquée sur les autres groupes. Leur nombre, d'après le
dernier dénombrement, s'élève à 4,718 âmes, dont 3,6<i8 pour
les Oulad Mimoun et 1,050 pour les Oulad Sidi-Hamza.
« Diverses populations d'origines diverses sont venues se
« joindre aux Oulad-Mimoun, ce sont'') :
« 1° Les Oulad Sidi ben Abdallah formant 2 douars : les
« Oulad Sidi ben Abdallah et les Oulad Sidi Khaled ;
« 2" Les Oulad Sàad, issus des Harrar ;
« 3° El-Khadra, parents des serviteurs des Oulad Sidi Cheik,
a d'El-Abiod;
« 4° Taouïala habité par les Oulad-Sassi et les Oulad-Turki ;
;( 5" Les Oulad Tikhil, parents des Hamyanes ;
(1) Ibii-Kaldoun, t. I, p. 6IJ.
(2) Le Djebel Amoin\ par M. le L'-Colonel Dereibn, p. 202.
(3) Le djebel Amour, par M. le L'-Colonel Derrien.
310 MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU
« 6° Kesaoura ;
« 7° Rechanma, anciens propriétaires du ksar d'Allou et de
« Bou-Kherouf, d'origine berbère;
« 8° Les Oulad Riah, premiers habitants d'El-Ghicha ;
« 9» Les Clieivkala, anciens posseseurs des terres du Haut-
« Sebgagne. La beauté de ce territoire excita la jalousie des
« Amour qui s'en emparèrent de force ;
« 10» Les Sidi Bou-Zid, qui ont leurs ancêtres enterrés à
« El-Hamra et sont frères des Bou Zid de la province de
« Constantine ; ils forment deux douars ; les Oulad Ilalyma et
« les Zehalguin;
« 11" Les Atama.
« Depuis 1867, les Oulad Mimoun ont régné en maîtres sur
« le djebel Amour. Ils furent soumis aux Turks et reconnurent
« l'autorité d'Abd el-Kader. Ils tirent acte de soumission
« en 1843.
a Le premier agha tut Yelloul ben Yahia ben Daoud, mort
« en 1854; son frère, Ed-Din ben Yahia lui succéda.
« En 18G4, surpris par l'insurection qui l'avait entraîné, il
« est venu, le premier de tous les chefs indigènes, faire sa
« soumission au mois de juin. En juillet, il laissa ses tribus
a entraînées de nouveau et se retira à Taguine oij il perdit
« toute sa fortune. Il se réfugia à Laghouat au milieu de la
a colonne Yusuf. On dit qu'il sauva les cavaliers de remonte
« en les faisant habiller en femmes et qu'il les lit partir sur
« des palanquins.
« Les Oulad Sidi Hainza ont les mêmes ancêtres que les
« Oulad Sidi Hamela de M'sila. Ils se subdivisent en Oulad
« Bou-Ghemial, Kherazza, Hadjadj et Droura ».
Le deuxième groupe est également d'origine arabe, il a pour
ancêtre un nommé El-Adjel, ce qui a valu aux indigènes qui
en font partie, le surnom d'Adjalates. Héritiers des Oulad
Zekrir, ils sont aussi anciens, dans le pays, que les Amour,
mais plus faibles que ces derniers, ils ont dû se résigner à
subir leur influence. Leur nombre, d'après le dernier dénom-
brement, s'élève à 3,382 habitants.
« Avant l'arrivée des Français, les Adjalates étaient com-
mandés par une djemàa. Lors de leur soumission, en 1842, on
leur donna un caïd. En 1847, ils tonnaient. trois caïdatsO :
(1) Le djebel Amour, par M, le L-Coloael Derrien, page 203.
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE IXDIGliNE J)E TIARET-AFLOU
311
« 1» Oulad Sidi Ahmed beii Said (1,030 âmes);
« '2" Oiilad En-Nasser (667 àines) ;
a 3'' Oiilad Sidi Brahiin (1,085 âmes).
m Les Oulad Sidi Ahmed ben Said sont les descendants
« directs d'EIAdjel. Ils sont répartis en 7 douars.
« En 1864 le caïd Si Mohammed ben Mouaz resta fidèle avec
ï le douar Sidi El-Adeb; il rejoignit avec ses cavaliers la
V. colonne du général Yusuf.
« En 1863, ils suivirent avec leurs goums la colonne du
« général Deligny.
(i En 1867, lors de l'annonce de l'approche de Sidi Kaddour
• ben Uamza, ils s'enfuirent sur le territoire des Ilarrar.
« Ils occupent actuellem'^nt le lerritoii-c de l'oued El-Beïda,
« entre le djebel ElAlleg et le ksar de Sidi Bou-Zid.
a Les Onlad En-Nasser (ou Naçeur), au Nord de Sidi Bou-Zid,
(c comprennent quatre douars : les Oulad el-Haid, les Oulad-
0 ben-Amar, les El-Abidat et les Oulad I3ou-Kalita ou Derkaoua,
« ainsi nommés parce qu'ils ont quitté les Adjalates, après une
'< discussion, pour aller habiter un autre paysO.
« Les Oulad En-Nasser ont fait défection en 1864. En 1867,
« ils s'enfuirent d'El-Beïda à Boghar et ne rentrèrent chez eux
« qu'après le combat d'El-Mahdi.
« Les Oulad Sidi Brahim ont leurs quatre douars dans la
« vallée de l'oued Barkana : ce sont les Oulad Sidi Abd-el-Kader,
« lesOulad Merabtine, les Oulad Boucherit elles Oulad Mezzien.
« Une fraction du diuar Merabtine vient de Tadjerouna.
« En 1864. ils ont t'ait défection, mais Si Ilamza les abandonna
« parce qu'ils n'avaient que des bœuts comme moyens de
« transport.
« En 1867, ils furent razziés sur l'oued Sebbague, près de
« la kouba de Si-Belkassem, par Kaddour ould Hamza. Ils se
« sauvèrent alors dans le kef de Sidi Zid et de là cà Taguine. »
Un troisième groupe, celui-ci d'origine berbère, comporte
une population de 1,845 âmes. Il est composé des successeurs
des Béni Rached, les Demmer. Leur berceau est une monta-
gne de la province de Tripoli, formant re.Ktrémité occidentale
de la chaîne qui s'-étend au Sud de cette ville, jusqu'aux
environs de Cabes. On appelle les habitants de celte montagne
AU Demmer ou Aïd Deunner (Ibn-Kaldoun, t. I, p. 80).
(1) Le djebel Amour, pai- M. le L'-Co!onel Derrien.
23
312 MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INDIGÈNE DE TIARET-AFLOU
« Les descendants des Demmer sonL les Ghementa, les Oulad.
« Ali ben Ameur et une partie des Oulad Yacoub-el-GhabaO.
« Les Ghementa, 543 âmes, habitaient autrefois à l'Est de
« l'oued Morra ; à l'arrivée des Ar.ibes dans le pays, ils
« cherchèrent asile dans les forêts et les terrains accidentés
« qui avoisinent le Haut-Mezi.
« Ils sont paisibles, cultivent des jardins et l'ont du goudron.
« Lors des incursions enneniies, ils se réfugient dans leurs
« gadas.
« Ils occupent le terriinire d'El-Groun, do Madena et de la
« gada Cherguia.
(C Les Oulad Ali ben Ameur, 802 àines, ont quatre douars
« dans l'annexe d'Aflou, dans la- région du djebel Gourou ;
« les autres dépendent de Laghouat et de Djelfa.
« Les Oulad Yacoubel-Ghaba, 1,549 âmes, habitent El-
« Ghicha et Eufous. Les premiers habitants d'El-Ghichafurent
« les Mouissat qui ont tous disparus. Les Oulad Riah des
« Amour ont occupé le ksar après eu.x'et en ont vendu les
« propriétés h des indigènes de provenances diverses qui ont
« formé la tribu actuelle des Oulad Yacoub-el-Ghaba.
« Us comprennent quatre douars ; les Oulad Serour, les
« Bellâa, les Khoualids (formés de Ilarrar) et les Mekabi.
« En 1864, les Oulad Sidi-Cheikh vinrent détruire les
« jardius d'El-Ghicha. Les Oulad Yakoub-el-Ghalja pactisèrent
« avec eux, mais ne sortirent pas du pays. »
Enlin, eu dehors des groupes que nous venons d'indiquer,
la population de l'annexe d'AIlou comporte également deux"
tribus étrangères détachées en 1872 du cercle de Géryville.
Ce sont les Oulad ijidi En-Nasseur (1,448 âmes) et les Oulatl
Y'acoub Zerara qui se divisent en Gharabas (1,928 âmes) et
Cheraga (l,-495 âmes).
(( Les Oulad Sidi Eu-Nasseur se disent Cheurfa et descen-
« dont d'un marabout originaire de Mazouna qui vint, sous
(( les Turcs, se fixer sur l'oued qui a depuis poi'té son nom.
« Ses descendants ont toujours été tributaires des Amour
« pour les terres de culture qu'ils leur louent.
« Les Oulad Yacoub Zerara sont issus des Hilal qui
<( habitaient autrefois l'oued Zergoun. »
(I) Le iljeliel Amou7\ par le L'-Uoloiiel Deiîrien.
MONOGRAPHIE DE LA COMMUNE INhlGÈNE DE TIARET-AII.OU 313
Tadjerocna et El-Maïa. — « I.e ksar de Tadjerouna
« fut fondé en l'année 1003 de l'hégire par un nommé Si El-
« Mihoub ben Mohammed ben Youssef, qui est l'ancêtre des
« Oulad Sidi- Youssef, habitants actuels du ksar (751 âmes).
« Ils gardent les grains des Ou'ad YacouJi Zerara et ont
« quelques troupeaux.
(( En WM, ils sont restés lidèles. Ils comprenaient les
« quatre douars des Oulad ben Aissa, Oulal Sidi-Chenaff.
« Oulad Sidi-el-Milhoub et Medabih, d'El-Maïa.
« Le ksar d'El-Maïa appartenait jadis aux Alil-el-llnoud
« ( Laghouat de Stitten). Si ben Ilaméïda céda le terrain aux
« Oulad El-Gharbi, qui construisirent le ksar; battus par les
« Makena, ils se réfugièrent à Kadra. Le ksar fut repeupli'
ic avec les Oulad Sidi-Youssef et les Medabih.
« En 186i, ils firent défection et se retirèrent au Mzab.
« La colonne du général Delignv détruisit le ksar en 1865. »
En 1875, au moment de sa création, le territoire de la-
commune indigène de Tiaret-Atlou-Frendah, comportait en
chifïres ronds une surface de 2,540,(J0(i hectares, se décompo-
sant ainsi qu'il suit :
Commune mixte de Tiaret .... 157,G8'2 hectares
— de Frendah . . 280,()7(3 —
Cercle de Tiaret. . . : 1,155,000 —
— d'.\nou ■ 9.47,500 —
Soit un total de 2,540,858 hectares
Ce chiffre explique et justitie le sixième paragiaphe de
l'arrêté gouvernemental du 13 novembre 1874 qui, tout en
suppi'imant les communes subdivisionnaires, créait les com-
munes indigènes et donnait dans les termes ci-après une des
causes de cette réforme : « Considérant que les communes
« subdivisionnaires crées par l'arrêté du 20 mai 1868 ont une
« étendue trop vaste pour qu'il soit possible de leur assurer
« tous les bienfaits de l'organisation municipale. »
Même réduite à 2,540,858 hectares, la surface d'une com-
mune paraît singulièrement éiendue si on la compare à ses
sœurs du Tell ou de la métropole.
314 MONOGRAPHIE DE l.X COMMUNE INIIIGÉNE DE TIARET-Ari.Gir
Le département, de la Seine a moins de 48,03!1 hectares. La
France entière avec ses 52,503,003 hectares n'est que vingt
fois plus grande que l'ancienne commune indigène de ïiarel-
Aflou-Frendah telle ((ue l'avait créée l'arrêté du 13 novem-
bre 1874.
Comparée aux anciennes provinces de France, elle viendrait
comme surface, immédiatement après la Bourgogne (2,600,000)
et avant la Lorraine (2,224,000).
Ses dimensions sont devenues il est vrai plus modestes,
mais elles sont encore respectables, car avec les 2, 102,500 hec-
tares qui lui restent elle peut presque se mesurer avec la
Provence et dépasse l'Orléannais et le Poitou.
Malheureusement là s'arrête sa supériorité, car si on opère
la même compiraison, au point de vue des populations qui
vivaient sur son territoire au moment de sa création, on
constate que les 75,000 habitants de 1874 ne représentent que
la 50(5'- partie de la population française et que, actuellement,
avec les 41,23i habitants, accusés par le dénombrement
de iOOl, la proportion ne s'élève plus qu'à la 020'' partie
de la France continentale.
Nous avons vu que depuis sa création elle avait donné
naissance à deux communes mixtes civiles lesquelles sont
elle-mèmes appelées à se subdiviser en communes de plein
exercice au fur et à m33ure de la mise en valeur du sol.
L'oîuvre de transformation pacifique continue tous les
jours, — Trézel et son territoire ne larderont pas à être
rattachés au régime civil — puis ce sera le Nador entier livré
à la colonisation et plus tard, dans un avenir encore lointain,
le djebel Amour, avec son territoire fertile, sera lui-même
colonisé.
Les communes indigènes, en général, et surtout celle
de Tiaret-Aflou, doivent donc être considérées comme
d'immenses réserves territoriales appelées à répondre au
développement progressif de la colonisation.
Elles disparaîtront un jour, mais elles auront joué un rôle
considérable dans l'histoire algérienne en habituant les popu-
lations indigènes au respect de l'autorité, en assurant la
sécurité, en prépaient l'avenir et en rendant, ainsi possible,
l'reuvre de civilisation entreprise par la France en Algérie.
FABRE.
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Foldout
Hère!
LES INTÉRÊTS ÉCO^OJIIOIES DE LA FRAACE AL MAROC*
LE COMMERCE DU MAROC EN 1900
Par Camille FIDHL
PREFACE DE L'AUTEUR
La question d'Occident, autrement dit la question de
l'avenir du Maroc, a pris dans ces dernières années
pour les puissances de l'Europe occidentale, et en
particulier pour la France, une importance de plus en
plus grande, un intérêt d'actualité de plus en plus
immédiat : à l'heure présente la solution en paraît
certes moins éloignée que celle delà question d'Orient.
En ce qui concerne la France, on peut dire qu'aujour-
d'hui la solution de la première question l'intéresse
jjeaucoup plus que celle de la seconde. En effet, l'axe
de notre politique méditerranéenne parallèlement à
celui de notre politique africaine, s'est déplacé de l'Est
à l'Ouest. La France a eu pendant longtemps une
influence prépondérante dans l'empire Ottoman et en
Egypte; mais aujourd'iiui l'Egypte est une possession
anglaise de fait, en attendant l'annexion officielle, et
dans l'empire Ottoman, l'inlluence française lutte de
(1) Cettf! remarquable Elude commerciale paraîtra Jans deux numéros
successifs de notre Bullclin. E le sera précédée d'une préface de M. Mou-
liéras. qui sera publiée dans les exemplaires du tirage à part commandé
par l'auteur. (Note du Comilé de Rédaction).
31G LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
plus en plus diflicileinent contre les progrès des autres
nations. Mais si nous n'avons plus dans l'ensemble du
bassin de la Méditerranée la situation privilégiée que
nous y occupions il y a moins d'un demi siècle, du
moins notre prépondérance tend à s'affirmer de plus
en plus dans le bassin occidental de cette mer. D'autre
part la consolidation de la domination française en
Algérie, l'occupation de la Tunisie, la conquête du
Touat, la jonction établie à travers le Saliara entre nos
possessions méditerranéennes et nos colonies de
l'Afrique occidentale, nos territoires du Niger, du
Tchad et du Congo, ont eu pour résultat la formatiiui
d'un immense bloc compact, l'Afrique française du
Nord-Ouest, qui ne présente de solution de continuité
que dans la région côtière où se trouve un certain
nombre d'enclaves d'inégale importance dont la plus
considérable est le Maroc. Ce pays, complément naturel
de nos possessions méditerranéennes avec lesquelles
il forme un seul ensemble géographique, est à cause
de sa valeur économique et des avantages de sa situa-
tion au point de vue des communications entre l'Atlan-
tique et la Méditerranée un objet de convoitise de la part
de plusieurs grandes puissances européennes, notam-
ment la France, l'Espagne, l'Angleterre et l'Allemagne.
Le récent accord franco-italien relatif à laTripolitaine...
et peut-être au Maroc, est une preuve que notre diplo-
matie ne perd point de vue la question d'Occident, et
nous ne serions point surpris si des accords analogues
venaient à être conclus par la France avec l'Espagne,
l'Angleterre et l'Allemagne, puissances dont les inté-
rêts au Maroc sont infiniment plus considérables que
ceux de l'Italie, mais qui pourraient être amenées à la
reconnaissance formelle de la situation prépondérante
de la France par des concessions faites soit au Maroc
même, en ce qui concerne l'Espagne et l'Allemagne,
soit dans un autre pays d'Afrique ou sur d'autres points
du globe, en ce qui concerne l'Angleterre.
Le but de la présente étude n'est pas d'envisager la
LES INTÉRÊTS ÉCONO.AIIQUES DE LA. FRANCE AU :\IAROC 'Ml
solution de la question d'Occident, la situation actuelle
et l'avenir politique du Maroc ayant fait l'objet, surtout
dans ces derniers temps, d'ouvrages et d'articles aussi
nombreux que compétents. Mais le côté économique
de la question, le plus important à notre avis, nous a
paru avoir été laissé quelque peu dans l'ombre et nous
nous sommes proposé de combler cette lacune. Nous
avons pensé qu'à un moment où l'avenir du Maroc
donne lieu dans notre pays à de légitimes et sérieuses
préoccupations, il pouvait y avoir intérêt à faire con-
naître la situation que la France y occupe au point de
vue économique elles perspectives de développement
des relations commerciales franco-marocaines. Notre
étude sur le commerce du Maroc est basée sur les
résultats de l'année 1900, les plus récents que nous
ayons pu nous procurer au complet. Nos renseigne-
ments sont extraits de rapports consulaires français,
anglais, allemands, e\c , de statistiques ofiicielles,
d'ouvrages d'explorateurs et de géograpbes, d'articles
de revues et de journaux, de brochures spéciales, de
projets, etc. Un voyage que nous avons entrepris en
juillet 1902 dans l'Oranie et sur la frontière marocaine,
nous a permis de compléter ces données sur certains
points intéressant particulièrement le commerce fran-
çais. Nous remplirons le plus agréable des devoirs en
adressant l'expression do notre profonde gratitude à
toutes les personnes qui tant en France qu'en Algérie,
aux colonies et à l'étranger, ont bien voulu nous aider
de leurs conseils et de leur expérience, et dont le pré-
cieux concours nous a permis de mener à bonne fin
notre travail, en facilitant des recherches souvent
pénibles et ingrates.
15 septembre 1902.
C. FIDEL.
IKTTK-ODXJOTIOlSr
VALEUR ÉCONOMIQUE OU MAROC
Actuellement le Mafoc tient bien peu de place dans le
concert des nations, et lorsque la presse s'occupe de ce pays,
ce n'est, la plupart du temps, que pour signaler soit une
nsurrection, soit quelque acte de brigandage ou quelque
crime dont un étranger y a été victime, fait qui entraîne presque
toujours une demande de réparation de la part de la puissance
à laquelle appartient cet étranger. Aussi le Maroc jouit-il
d'une réputation détestable, justifiée peut-être jusqu'à un
certain point, mais qui a eu pour conséquence de faire naître
sur ce pays des idées fausses et préconçues. Bien que situé à
la porte de l'Europe, le Maroc est resté jusqu'à ces derniers
temps un des pays les moins connus du monde entier, et l'on
se fait fréquemment illusion sur sa valeur économique : le
plus souvent on le considère comme un pays aride, peu fertile
et peu habité ; parfois au contraire, on exagère ses richesses
naturelles et sa productivité. La vérité est entre ces deux
extrêmes, et les nombreuses explorations dont le Maroc a été
le théâtre au cours de ces dernières années (explorations
auxquelles les Français ont pris la plus large pari) ont eu
pour résultat de fixer les idées sur sa valeur réelle.
La partie occidentale de l'Afrique Mineure est désignée par
les Marocains sous le nom de El Rarb , ,x}] (l'Occident).
Ils se donnent à eux-mêmes Je nom de Mr'arha À'; flx.o (^Occi-
dentaux), au singulier Mr'avhi ^.-jLis-». En arabe littéral, le
Maroc est appelé El Mar'rih on' El Mag'rib > .^xj', et non
El Mar'reb ou El Maghreb, qui signitle l'heure du coucher du
soleil <). Quant à l'appellation française de Maroc (en anglais
(1) A. Mou'iéras. Le Maroc inconnu l" partie, E^vidoration du
Rif, page 19.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 319
Morocco, en allemand Marokko, en italien Marocco, en
espagnol Marruecos), ce n'est qu'une défiguration informe du
mot Marrakech ^S\ ,^ nom de la capitale méridionale de
l'Empire. Le Far-West africain, comme on l'a parfois désigné,
est, de l'avis de tous les explorateurs, le plus riche des trois
pays qui composent la Berbérie. De la chaîne de l'Atlas, qui
y atteint sa plus grande hauteur, descendent un grand nombre
de cours d'eau, dont quelques-uns sont très longs et ont un
débit considérable, quoique très souvent intermittent, tels que
la Mlouia, le Sbou, l'Oum-er-Rbia, le Tensift, le Sous, le Dra.
Non seulement le Maroc a un système fluvial beaucoup plus
développé que l'Algérie et la Tunisie, mais les pluies y sont
plus abondantes ; par suite, le climat y est plus tempéré et la
productivité du sol plus grande. Enfin, la partie cultivable, ou
plus exactement, la partie économiquement exploitable
(cultures, pâturages, forêts), est plus étendue au Maroc que
dans les deux autres pays d,e l'Afrique Mineure: c'est la
région comprise entre la chaîne de l'Atlas et la côte de
l'Atlantique, d'une étendue de plus de 80,000 kilomètres carrés
(sur une superficie totale de 450,000 kilomètres carrés), dont
une faible partie seulement est exiiloitéeO. M. Th. Fischer,
professeur à l'université de Marburg, a exploré, au printemps
de 1899, cette région qu'il appelle Atlas Vorland et qu'il
divise en trois zones (2) ; d'abord, la zone des Hauts-Plateaux
du front septentrional de l'Atlas, irriguée artificiellement à
l'aide de canaux souterrains destinés à recevoir les eaux qui
descendent des montagnes, zone surtout forestière, mais
susceptible de produire des céréales : — en second lieu, la
zone des steppes, qui constitue, surtout en hiver et au prin-
temps, une grande région de pâturages, un pays d'élevage par
excellence, s'étendant sur une largeur de 80 à 100 kilomètres ;
— enfin, la zone des cultures, s'étendant parallèlement à la
côte sur une largeur de 50 à 70 kilomètres ; région suffisam-
ment arrosée et caractérisée dans sa plus grande longueur
par la présence de la terre noire, qui en fait, au dire de
(1) V. Gollin. Le Maroc et les Iiiiércts beUjes, p. 67.
(2) Th. Fischer. Reise iin Atlas-Vorlande ron Marokl.o, p. 1Ô7
(Pelermann's Mitteilungen. Erganzungslieft, ur. l'Si).
320 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
M. Fischer et d'autres explorateurs, une des régions les plus
riches qui existent.
On a prétendu qu'aux produits des régions tempérées, le
Maroc joignait ceux des pays tropicaux, tels que la canne à
sucre, le café, le coton : c'est là évidemment une exagération.
« L'Afrique Mineure tout entière, dit en effet M. Doutté, offre
« ce caractère exceptionnel d'être un pays chaud où il ne
« pleut que l'hiver, ce qui est le contraire de presque tous les
« autres climats chauds : U ne faut donc pas espérer y irans-
« planter des végétaux tropicaux et équatoriaux dont la culture
(c se fait dans des conditions climatériques opposées. »(')
Mais il n'en est pas moins vrai que les productions végétales
du Maroc sont extrêmement variées. Dans les régions agrico-
les, le sol à peine gratté par la charrue produit d'excellentes
récoltes de toutes espèces de grains et de légumes à cosse.
Dans d'autres régions la vigne est florissante, bien qu'elle soit
cultivée de la manière la plus primitivé'<->. Les grandes
plaines de la zone des cultures, surtout entre le Sbou et le
Tensift, produisent des céréales de toutes sortes : blé, orge,
maïs, etc. L'exportation du froment et de l'orge ayant été
longtemps interdite, la culture de ces céréales n'a pris aucune
extension ; mais la superficie des champs où l'on cultive le
maïs, les pois, les haricots, les lentilles, tous grains dont
l'exportation est autorisée, ne cesse de s'accroître W. Malgré
les procédés rudimentaires de culture en usage au Maroc, le
rapport de la terre est extraordinaire ; malheureusement, le
pays est fréquemment affligé comme l'Algérie et la Tunisie,
par le fléau des sauterelles. Les agglomérations urbaines sont
entourées de riches jardins produisant des fruits et des légumes
d'une diversité infinie. Les pentes de l'Atlas sont partiellement
couvertes de vastes forêts, le déboisement étant moins avancé
au Maroc qu'en Algérie ; mais là aussi les pâtres ont l'habi-
tude d'incendier les bois afin de renouveler la végétation des
(1) E. Doutté. Rapport fiom maire sur une mission d'études au
Maroc. SupDiémentau Bulletin du Comité de l'Afrique française de
décemtjre 19(J1.
(2) lîapportde M. Macleao. consul liritauniqae. ForeiQU 0/jice-Annual
Heries a° 2323.
(î) Reclus. Afrique Septentrionale. 2' partie, p. 772.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQL'ES DE LA FRANCE AU MAROC 321
pâturages"' ; d'aulre part, l'exploitation de ces forêts est
entravée par le manque de voies de communications, et le
débit irrégulier des fleuves qui ne permet pas le flottage des
bois (■->. Ces forêts se composent de noyers, d'amanliers,
d'oliviers, de j^ins, da cèdres, etc. Elles pourraient fournir une
grande quantité de bois de construction. On trouve également
des chènes-liéges dans le Nord de l'Atlas ; mais il ne semble
exister au Maroc de forêts sérieuses de cette essence qu'à la
lisière méridionale du Rif, d'après M. de Segonzac. Une
espèce particulière au Maroc est Varganier, dont le fruit
renferme un noyau qui donne une huile dont l'avenir
industriel est au moins incertain : à part cette exception, le
Maroc produit à [)eu près les mêmes espèces que l'Algérie
et la Tunisie. Quant aux oasis du versant méridional de
l'Atlas, eles renferment des quantités considérables de pal-
miers et de rfa ff(V»s; les dattes du Tafilelt sont particulièrement
recherchées.
L'élei-age est, avec l'agriculture, la seconde grande
ressource du Maroc, à cause de la grande étendue de la zone
des pâturages. 0. Lenz donne l'éxaiuation approximative
suivante des animaux domestiques dans ce pays : moutons,
40,000,000; chèvres, 11,000,000; bœufs, 5,500,000; ânes et
mulets, 4,000,000 ; chevaui;, 500,000 ; cliameaux, 500,000.
Les moutons et les chèvres sont particulièrement nombreux
dans le Sud, les bœufs dans le centre. M. Doutté estime que
l'élevage des bœufs et des moutons, des premiers surtout,
fournit la source de richesse la plus abondante à celle des
puissances européennes qui chercherait à mettre en valeur
le Maroc '^). La race bovine est petite, mais agile, vigoureuse,
sobre et docile ; elle se prête à tous les travaux et à toutes les
transformations et sert à la fois au trait et à la boucherie <*>.
L'exportation des animau.t vivants est interdite, sauf de rares
exceptions en ce qui concerne les bœufs ; elle existe, il est
vrai, sur la frontière algérienne. La laine, les l'caux de
(1) Reclus. Afrique Septentrionale. 1' pariie, p. (i6i.
(2) V. CoUiQ. Le Maroc et les Intérêts belr/es. p. 7U.
(3; E. Uoutlé. Elappoi-t précité.
(4) R. .1. Fiisch. Le Maroc, p. 214.
322 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
moulons et de chèvres, t'ont l'oljjut d'un commerce important.
Quant à l'industrie pastorale, elle est pour ainsi dire dans
l'enfance, et les épizooties sont fréquentes. Les pêcheries, sur
les côtes du Maroc, sont aussi une importante source de
richesse ('>.
La richesse du sous-sol ne le cède en rien à celle de la
surface ; mais les recherches et l'exploitation minières étant
rigoureusement interdites, on se trouve encore à ce sujet, dans
le domaine des conjectures. M. Fischer signale la ressem-
blance qui existe, au point de vue de la constitution géologique
entre le Vorland, c'est-à dire la région comprise entre l'Atlas
et l'Atlantique, et le haut plateau de la Péninsule ibérique,
lequel est très riche en minerais de toutes sortes et not^.m-
ment en houille (Puertollano, Belurez, Asturies). Le plus
connu des gisements de minerai de fer au Maroc est le Djebel
Hadid, à 22 kilomètres au Nord-Est de Mogador où l'on
trouve des traces d'exploitations très anciennes, mais dont on
n'extrait plus de minerai depuis longtemps ; ce minei'ai est
très riche : il contient 58 "/o de fer^ d'après l'examen auquel
il a été procédé sur des échantillons envoyé à Marseille par
l'ancien comul français Beaumier. Mais la région la plus riche
du Maroc au point de vue minier est sans contredit le Sous,
qui renferme du minerai de ter et probablement aussi des
gisements d'argent et d'or ; le minerai de cuivre y est
particulièrement abondant. M. Fischer se demande cependant
si les minerais du Sous peuvent encore être exploités avec
avantage '2).
L'Atlas et le Rif sont éga'ement riches en minerais : fer,
cuivre, plomh, antimoine, étain, nickel, argent et .or. Des
affleurements de houille auraient été découverts dons le voisi-
nage de la rivière Martil (près de Tétouan). Sur la cùle on
trouve un grand nombre de lacs salés (lac Sima, dans la pro-
vince de Ahmar, à 78 kilomètres de Saffî) ; les rivières salées
sont également nombreuses (Oum-er-Rbia) ; enfin les dépôts
(1) Voir G. Wolfron. Le Maroc. Etude commerciale et afiricoJe, p. 8.
(1) Th-Fischer « Die Bodensc/iaetse MarohI.os », Ztitschrift fur
Pralciische Géologie, avril IOjO.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE XV MAROC 323
de sel gemme y sont très communs (environs de Fez). Dans
les environs de Marrakech se trouvent des gisements de marbre.
Actuellement il ne peut être question de l'exploitation de ces
richesses minières, car non seulement elle est interdite, mais
encore elle est rendue impossible par l'.nbsence complète de
toute industrie appropriée et de tout moyen de transport.
Pour le cas seulement oi^i le Maroc passerait sous la domination
d'une ou de plusieurs puissances européennes, la mise en
valeur des richesses minières de ce pays mériterait d'être
sérieusement envisagée.
Pour le moment il n'y a lieu de se préoccuper que de celles
de ses ressources dont les indigènes tirent parti et qui sont
susceptibles d'un développement plus immédiat, la culture et
l'élevage. Quelle que^soit la fertilité du sol, la situation actuelle
du fellah marocain est des plus misérables, non seulement
dans le blad-es-siba, ou pays insoumis, à cause des luttes
continuelles que les tribus indépendantes se livrent entre
elles ou soutiennent contre les soldats du Sultan, mais encore
dans le blad-el-Makhzen ou pays du gouvernement, où le
malheureux cultivateur, après avoir acquitté des taxes écra-
santes, est encore obligé de disputer sa récolte et ses bestiaux
à l'audace des maraudeurs et à la rapacité des caïds. O Aussi ne
produit-il que ce qui est strictement nécessaire à ses besoins
et à ceux de sa famille, et la plus grande étendue des terrains
est en friche. Si l'on ajoute à cela les entraves de toute sorte,
d'ordre fiscal ou douanier, apportées à la liberté des échanges,
l'absence presque complète de moyens de transports modernes,
l'insécurité d'une grande partie du pays, l'impossibilité
pour les Européens de se rendre dans certaines régions qui
comptent souvent parmi les plus riches, l'opposition que ren-
contrent ces derniers de la part du gouvernement marocain
à l'acquisition de la propriété et à la création de n'importe
quel genre d'entreprises, on conviendra qu'on se trouve en
présence d'un ensemble de circonstances singulièrement défa-
vorables au développement économique du pays. Cet état de
(I) Lire à ce sujet la belle dtscriptioQ de M. de FoucauW Reconnais-
sance au Maroc, p. 40.
324 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
choses qui existe depuis des siècles pourrait durer indéfini-
ment si le Maroc, queJqueréfractairequ'ilsoità toute tentative
de pénétration, ne commentait pas à ressentir l'action de la
civilisation européenne qui resserre de plus en plus étroitement
le cercle dont elle l'entoure. A une époque oii toutes les nations
civilisées, trop à l'étroit à l'intérieur de leurs frontières, se
répandent au dehors pour trouver un aliment à l'activité de
leurs nationaux et de nouveaux déboucliés à leur production
sans cesse grandissante, il est inadmissible qu'un pays riche
et peuplé (•), situé à la porte de l'Europe et jouissant d'une
position géographique indispensable sur deux mers et sur un
des passages les plus importants du commerce maritime
international, s'obstine à rester fermé aux tentatives d'expan-
sion économique des pays voisins. Nous assisterons donc,
semble-t il, dans un avenir plus ou moins rapproché, à une
transformation radicale de ce dernier rempart de l'Islam, sous
la pression irrésistible d'éléments extérieur^. Des motifs d'or-
dre politique singulièrement puissants, dans le détail desquels
nous n'avons pas à rentrer ici, mais qui se résument dans
notre domination algérienne et saharienne et notre prépondé-
rance dans l'Afrique du Nord-Ouest, semblent appeler la France
à jouer un rôle essentiel dans cette transformation. .Mai? n'y
a-t-il pas également des raisons d'ordre économique qui
militent en faveur d'une action de ce genre de la part de notre
(I) On évalue généralement à S millions dliabitanls la population
totale du Maroc, soit une dencité de 18 habitants par kilomètre carré.
M. Mouiiéras, £e .l/aroc inconnu. ExjAoration du Rif, p. 27, estime
que cette population atteint 24 à 25 millions d'habitants. Au Maroc les
Berbères occuiient presque toutes les parties du pays : or, leur densité
est comparable à cel'e tie notre Kahylie, peuplée de gens de même race,
qui comptent 90 habitants par kilomètre carré. Lors da la conquèts
arabe, un grand nombre de peuples n'ont fait que traverser l'.Mgérie et
se sont fixés au Maroc, terre plus fertile. D'autre part, l'expulsion df s
Maures d'Espagne et la conquête de l'Algérie par la France ont fait béné-
iici' r le Maroc d'une émigration considérable, v. Il faut bien, dit
M. .Mouliéras, que le Maroc soil extrêmement peuplé, puisque telle grande
tribu des Brabei- peut à elle seule a tenir tète à toutes les forces réunies
du Sultan et mettre en ligne de bataille jusqu'à lUU.OUU guerriers». Les
Berbères forment environ les deux tiers de la populatiou totale ; l'autre
tiers est composé surtout par les Arabes. Après eux viennent les Xègres.
les Juifs et les Européens. Quelle que soit l'évaluation que l'on adopte
pour la populatiou du Maroc, il est dans tous les cas hors de doute que
ce pays renferme plus d'habitants que l'Algérie et la Tunisie réunies.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 325
pays ? Eu d'autres termes, les intérêts commerciaux de la
France sont-ils déjà assez considérables à l'heure actuelle et
sont-ils susceptibles de prendre une extension suffisante pour
légitimer une politique d'intervc lion ~? C'est à cette question
que nous allons essayer de répondre. Après 'avoir donné un
aperçu des conditions générales du commerce au Maroc, nous
présenterons le tableau général du commerce maritime de ce
pays en 189!» et en 1900 en comparant ces résultats récents
avec ceux des années antérieures ; nous examinerons ensuite
le commerce des principales nations intéressées ; puis nous
passerons à l'étude du mouvement commercial de chacun des
ports ouverts et du trafic de chacune des régions qui com-
posent la Maroc actuel, en insistant particulièrement sur le
caractère et l'importance du commerce de la Fiance avec ces
diiTérentes régions et sur ses perspectives de développement.
Enlin nous nous efforcerons de donner une idée aussi com-
plète que possible de la situation commerciale actuelle et de
l'avenir économique de la France au Maroc.
PREMIERE PARTIE
LES CONDITIONS ÉCONOMIQUES GÉNÉRALES
§ I" — GENERALITES
M. Mac Leod, vice-consul britannique à Fez, donne dans
son rapport pour l'année 1899 des renseignements sur les
conditions générales du commerce à l'intérieur du Maroc.
« Les facilités du commerce, dit-il, sont peu nombreuses, et,
c( à part une ou deux exceptions, elles sont sans importance.
« Quant aux difficultés, elles sont légion, et beaucoup sont
« d'ordre le plus élémentaire. Les facilités consistent dans la
« liberté de contrat et de trafic concédée par les traités
« existants, des droits d'importation relativement peu élevés
« (5 3. iGo/o ad valorem) ^^^ et les services' postaux entretenus
« par les gouvernements anglais et français <-> pour faciliter
« le commerce de leurs nationaux respectifs. On peut ajouter
« à cela la salubrité du climat et l'abondance de matières
K projiiières de tout genre. De plus, dans les villes de l'inté-
« rieur, les maisons, magasins et locaux divers sont conforta-
« blés, bon marché et nombreux. Les plus considérables parmi
« les difficultés sont l'absence de moyens de transports à bon
« marché et rapides, le caractère prohibitif des droits
(( d'exportation sur un certain nombre des principaux produits
« et les charges énormes qu'ils entraînent pour les autres ;
« l'absence de banques, l'absence des tribunaux pour le
« règlement des litiges commerciaux, et enfin la résistance
« obstinée que les étrangers rencontrent toujours de la part
« des autorités marocaines pour l'achat ou même la location
« de maisons et de magasins. Il est manifeste, ajoute le
« consul anglais, que les quelques facilités accordées au
« commerce sont de telle nature, qu'elles ne peuvent être
« accrues. Le progrès ne peut consister qu'à amoindrir les
« difficultés ».
(1) ForeUin Office. Diplomatie et Consular Reports. Annual
Séries, n» 2603.
(2) Auxquels il faut joindre les services postaux espagQol et allemaud.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE Là FRANCE AU MAROC 327
§ II. — RÉGIME DOUANIER
A l'importation, les produits payent en général un droit de
10 "/o ad valorem C ; les armes et munitions, les poudi'es, le
salpêtre, le soufre, sont prohibés à l'importation '■-K
Les droits à l'exportation sont très variables. L'importante
convention commerciale passée en 1890, entre l'Allemagne et
le Maroc, a servi de base au Tarif des dro'its de sortie,
applicable également aux marchandises françaises, la France
ayant au Maroc le tarif de la nation la plus favorisée 'S). Une
remarque s'impose en ce qui concerne l'exportation du blé et
de l'orge. Elle a été rigoureusement interdite jusqu'en 1890,
sous prétexte qu'elle amènerait la disette dans le pays et
élèverait le prix du pain : ce qui est manifestement faux,
étant donné que le- Maroc peut produire 10 ou 20 fois
plus qu'il ne produit <*>. La diplomatie allemande, par la
convention dont nous venons de parler, réussit à obtenir
la mainlevée de cette prohibition, mais pour trois années
seulement, de 1890 à 1893. En 1894, l'exportation du
blé et de l'orge fut de nouveau interdite. Dans le courant
de 1899, le gouvernement marocain autorisa l'exportation
du blé, en se réservant la faculté de l'interdire pendant
les années de sécheresse. Au mois de septembre 1901,
le Sultan notifia aux réprésentants des puissances qu'il
autorisait le cabotage des grains dans les ports marocains.
En l'absence de voies de communication terrestres, deux
régions du pays peuvent se trouver en même temps l'une dans
l'abondance et l'autre dans la disette : le cabotage seul permet
d'écouler le trop-plein de céréales d'une de ces régions dans
celle qui en manque. En dehors du cabotage, l'exportation des
céréales marocaines commence à se faire sur une assez grande
échelle à la frontière algérienne par la plage du Kiss oia une
colonie commerciale française a été créée dans ce but. En
février 1902, le gouvernement marocain autorisa, jusqu'à
nouvel ordre,, l'exportation de l'orge. Au mois de mai de la
(1) Nous verrons plin loin qu'i la France a obtenu la réduction à 5 °/«
ad valorem des droits d'entrée pour certain? produits.
(2) Rapport de M. CoUin de Piancy, ancien chargé d'affaires de France.
Le Commerce fht Maroc, annexs au Moniteur Officiel du Commerce
du '.'6 mars 1896. n' 339.
(3) Tarif reproduit dans le rapport précité, ainsi que dana l'ouvrage
de M Wolfrom Le Maroc. Etude commerriale et agricole, p. 39, et
dans le livre de M. Mouliéras Le Maroc inconnu, 2' partie, p 600.
(4^ (j. Wolfroa), ouvrage cité, p. 3.
328 LES INTÉRÊTS ÉCONOMInUES DE LA FRANCE AU MAROC
même année, le représentant de la France à Tanger a fait
connaitrequ'en raison des apparences favorables sous lesquelles
se présentait la récolte, le gouvernement marocain a décidé de
réduire de 3 pesetas 75 à 2 pesetas 50 par fanègue de 44 kilog.
le droit de sortie sur le blé, se réservant d'ailleurs, au bout
d'une année, de maintenir ce droit ou de raugmpnter<''. Le
gouvernement du Sultan parait ainsi disposé à mettre en
pratique une politique commerciale plus libérale que par le
passé : il y a tout lieu de s'en féliciter. Signalons encore dans
le même ordre d'idées, qu'aux termes d'une communication
officielle en date du 25 août lOL'l, le gouvernement a autorisé
la libre exportation des pommes de terre, courges, tomates et
bananes, moyennant un droit dé 5 0/q ad valorem.
L'exportation des animaux domestiques est interdite en prin-
cipe, la sortie des bœufs étant autorisée par Tanger seulement
à raison de 12,000 têtes par an et par pays de destination.
Certaines puissances ont, il est vrai, -obtenu des adoucis-
sements à la rigueur de cette prohibition. Le gouvernement
anglais a notamment conclu avec le gouvernement marocain
une convention autorisant l'approvisionnement à Tanger, en
viande sur pied, de la garnison de Gilbratar'-'). D'autre part il
se fait une exportation assez active d'animaux vivants (bœufs,
moutons, chèvres) par la frontière algérienne.
§ m. — TRANSPORTS ET COMiMUMCATIOXS
Il n'y a au Maroc ni routes ni chemins; les pistes suivies par
les caravanes sont à peine tracées; le passage des rivières, en
l'absence presque complète de ponts, esta peu près impossible
pendant les périodes de p'uies. Pour les voyageurs, les imtlets
constituent le moyen de transport le plus pratique. Le transport
des marchandises, en dehors de celles de luxe, s'effectue par
chameaux. Le vice-consul britannique à Fez évalue le prix de
ce moyen de transport à 0,86 d (fr. 0,70 environ) par tonne et
par mille en moyenne. Le transport par mule coûte à peu près
le double, 1 sh. 1,72 d. (fr. 1,45 environ) par tonne et par mille.
Ces prix paraissent extraordinairement élevés si on les com-
(I) Moniteur Officiel du Commerce du 12 juin 1902.
(2; H. M. P. de la Martlnière, Notice sur le Maroc (E.xlrait de la
Grande Encyclopédie), p. 54,
LES INTÉRKTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 32^1
pare aux prix des transports par mer entre les ports européens
et les ports marocains. Pour les cotonnades et les bougies
importées d'Angleterre à Fez le prix du transport terrestre
représente, par tonne et par mille, 16 fois le prix du transport
maritime pour les premières, et environ 8 fois pour les
secondes.
Le contraste est encore plus saisissant lorsqu'il s'agit de
l'importation ou de l'exportation de produits ayant à elTectuor
un très long parcours dans l'intérieur du Maroc. Au prix du
transport par chameaux ou par mules (si les accidents du
terrain ne permettent pas le transport par chameaux), il faut
ajouter, lorsque le chemin traverse le territoire de tribus ne
reconnaissant point l'autorité du Sultan, un droit très élevé
exigé par celles ci et appelé zetat. D'autre part si la marchan-
dise est destinée à l'exportation, le gouvernement marocain
perçoit un droit de 10 O/q ad valorem sur son prix d'achat
augmenté des frais de transport et du zetat. Le vice-cons il
britannique à Fez, calcule que les dattes de Tafilelt paient,
avant d'être embarquéesàTanger,14G O/q de leur prix d'achat O.
Il n'existe point de lignes télégraphiques, et jusqii'à ces
dernières années, il n'y avait aucun service postal régulier.
M. Gautsch, commerçant français établit le premier service
postal entre Fez et Tanger. En 1893, il réunit ce service à
r.\dministration des postes françaises. A la même époque
l'Angleterre et l'Espagne créèrent chacune leur service postal;
l'Allemagne les imita en 1900. Ces quatre services mettent en
communication Tanger avec les villes suivantes*-*:
Service français : Tétouan, Ksar-el-Kbir, Fez, Meknès,
Arzila, Larache, Salé, Rabat, Casablanca, Mazagan, Marrakech,
Saffi, Mogador.
Service anglais : Tétuan, Fez, Larache, Rabat, Casablanca,
Mazagan, Saffi, Mogador.
Service allemand : Ksar-el-Kljir, Fez, Larache, Rabat,
Casablanca, Mazagan, Saffi, Mogador.
Service espagnol : Tétouan, Fez, Meknès, Arzila, Salé,
Marrakech.
En dehors du service des ports, effectué par les vapeurs
allant à la côte, le service intérieur se fait au moyen des
(1) Foreiçjn Office, Annual Séries, iv 26u3.
(2) A. Cousin, Tanger, p. 73 et suite.
330 LES INTÉRÊTS ÉCONOMirH:ES DE LA FRANCE AU MAROC
courriers-piétons (rekkas), dont les meilleurs, dans les condi-
tions les plus favorables, ne peuvent pas parcourir plus de 80
à 100 kilonièlres par jour, étant donné l'absence de relais.
Pour les courriers spéciaux voyageant à cette allure épuisante,
le prix moyen pour un voyage si»i[jle est d'environ fr. 0,20 par
kilomètre, et pour un voyage aller et retour fr. 0, 12 par kilo-
mètre. Pour les articles à destination du Maroc et de Gibraltar,
le public paie les taxes locales européennes; pour l'étranger,
les tarifs ordinaires de l'Union Postale Universelle O.
La lenteur des moyens de communication est un des
principauxobstacles au développementdu commerce intérieur;
mais il importe de ne pas oublier qu'au Maroc la notion du
temps n'existe pas; et ce n'est pas là un des caractères les
moins originaux de cet étrange pays demeuré immobile au
milieu de l'évolution universelle, et où la vie est semblable à
ce qu'elle était il y a plusieurs siècles.
s? IV. — LA CONDITION DES ÉTRANGERS. —
L'ACQLISITION DE EA PROPRIÉTÉ
Les étrangers au Maroc sont soumis au régime des
Capitulations ; ils jouissent du privilège de V exterritorialité,
c'est-à-dire qu'ils ne relèvent que de leurs Cunsuls. Aux termes
du traité du 28 mai 1867, les Français sont soumis à la
juridiction consulaire au point de vue civil, commercial et
criminel (2). La France, en dehors du corps diplomatique et
du consulat général de Tanger, a des consuls à Casablanca et
à Mogador, des vice consuls à Fez et à Larache, des agents
consulaires à Tétouan, Ksar-el-Kbir, Rabat, Mazagan et
Marrakech.
La propriété immobilière des étrangers est réglée par les
articles 11 et 12 de la convention de Madrid, passée le
3 juillet 1880 entre le gouvernement marocain et les repré-
sentants des puissances. Ces articles sont ainsi conçus :
« Art. 11. — La droit de propriété au Maroc est reconnu
« pour tous les étrangers.
([) Foreif/n Office. A'^nual Séries. n° 2GU3.
Ci) Voir E. Roiiarl do lard. Les Traités entre la France et le
Maroc, p. 115 à 12U.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUKS DE LA FRANCE AU MAROC 331
« L'achat de propriété devra être effectué avec le consen-
« teinent préalable du gouvernement, et les titres de ces
« propriétés seront soumis aux formes prescrites par les lois
« du pays. . . .
« Art. 12. — Les étrangers et les protégés, propriétaires ou
(( locataires de terrains cultivés, ainsi que les censaux admis
« à l'agriculture, paieront l impôt agricole. Ils remettront
a chaque année, à leur consul la note e.xacte de ce qu'ils
"■« possèdent, en acquittant entre ses mains le montant de
« l'impôt. . . .
« La nature, le mode et la quotité de cet impôt, seront
« l'objet d'un règlement spécial entre les représentants des
« puissances et le Ministre des Affaires étrangères de
« Sa Majesté Cliérifienne. »
Le consentement du gouvernement marocain, condition sine
qua non de l'acquisition de la propriété par les étrangers, est
très difficilement accordé. Dans les environs de Tanger, il est
vrai, les Européens possèdent un grand nombre de villas ei
de jardins, et leurs acquisitions de terrains sont de plus en
plus fréquentes. Il en est de même dans les autres ports ouverts,
quoique à un moindre degré. Cependant les étrangers, tout en
effectuant des achats de terrains, au.x termes de l'art. 11 de la
convention de Madrid, se sont abstenus de payer l'impôt
foncier prévu par l'art. 12. Le Sultan a chargé son ministre à
Tanger, d'entamer des pourparlers avec les représentants des
puissances, en vue de la mise en vigueur de cet impôt ; mais
ces pourparlers n'ont pas abouti, les représentants des
puissances n'étant disposés a y adhérer qu'à la condition que
le gouvernement du Sultan renonce à certaines formalités
relatives à l'examen des contrats d'achat, condition que ce
dernier a formellement rejetée. D'un autre côté, une profonde
opposition se manifeste parmi les populations musulmanes
contre l'introduction de cette taxe sur les étrangers, car
elles craignent qu'en échange le Sultan ne reconnaisse
définitivement aux étrangers le droit de propriété. Le gouver-
nement marocain a donc en même temps à tenir compte des
réclamations des représentants des puissances, qui insistent
sur l'observation rigoureuse de l'art. 1 1 de la convention de
Madrid, et de l'hostilité des Marocains qui s'opposent à toute
ingérance étrangère.
25
332 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
§ V. — LE CRÉDIT. — LES IXTEKMÉDIAIRES
COaiMEIiCIAUX
Le commerce soulïre de l'absence de banques, car il n'en
existe qu'à Tanger et dans les autres ports ouverts. D'un autre
côté le gouvernement s'efforce d'entraver par tous les moyens
possibles les relations commerciales entre les européens et les
indigènes. Les notaires marocains ne sont pas autorisés à
certifier l'acte constituant la preuve légale d'une dette, dans
les transactions entre européens et indigènes. 11 est presque
impossible d'obtenir une assistance quelconque de la part des
autorités lorsqu'un indigène essaye de se soustraire au
paiement de ses dettes envers un négociant européen. Dans
ces conditions, les plus grandes précautions doivent être prises
en accortlant du crédit aux indigènes. Cette opinion est expri-
mée dans un rapport de M. Mac Lean, consul britannique à
Dar-el-Baïda, qui donne de nombreux exemples à l'appui de
sa démonstration*". M. Doutté se montre- beaucoup plus
optimiste en ce qui concerne le crédit au Maroc. « On a fait au
« Maroc, dit-il (2), une réputation peu méritée : il passe en effet
« pour un des pays où le crédit commercial n'offre aucune
« sécurité. Or l'expérience démontre que si l'on ne veut faire
(I du négoce qu'avec les maisons marocaines bien assises, le
« crédit est très sur. Le principal importateur français de
« Tanger nous a déclaré que depuis trente ans qu'il faisait
« du commerce au Maroc, ses pertes, par suite de non-
« paiements, n'avaient jamais dépassé plus de 0,25 "/.,. Le
« crédit au Maroc est donc non-seulement supérieur, comme
« sécurité à ce qu'il est en Algérie, mais aussi sûr que dans
« n'importe quel pays. Seulement il doit être assez long :
« l'usage, jusqu'ici, a été de vendre à quatre mois, de garder
« les traites en portefeuille, et de renouveler le crédit à
« l'échéance, en cas de non-paiement. C'est qu'en effet le
(( commerçant musulman, le boutiquier de Fez par exemple,
« n'a aucune idée de ce que c'est que le temps et recule
« volontiers ses échéances ; mais il finit toujours par payer. »
Les Européens commerçant au Maroc se trouvent dans
l'obligation de se servir d'intermédiaires connaissant l'inté-
(1) Foreign. Office-Annual Séries, W ','323.
(2) B. Uoutté Une mission d'études au Maroc. Rapport sommaire
d'ensemble. Bulletin du Comité de l'Afrique Française, décembre 19U1.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 333
,ieur du pays, les routes, les marchés, les langues arabe ou
i)erbère ; ces courtiers indigènes ou censanx, jouissent de la
protection de la nation à laquelle appartient le commerçant
qui les emploie. En ce qui concerne la France, la convention
du 19 août 186; i accorde la protection, comme censaux, aux
indigènes « employés par les négociants français pour leurs
« affaires de commerce. » Elle est limitée à deux indigènes par
maison de commerce. Ce système qui a été maintenu par la
convention de Madrid du 3 juillet 1880 (art. 10) est considéré
généralement comme trop restrictif et de nature à nuire aux
opérations commerciales de nos négociants. 0)
Les Juifs sont les plus employés parmi les intermédiaires.
M. Mouliéras, dans son récent livre sur Fez, donne à ce sujet
l'opinion d'un marocaniste de haute valeur, dont voici un
extrait : <-> « Au Maroc, plus peul-ètre qu'ailleurs, les Juifs
« sont des intermédiaires indispensables pour le conuiierce ;
« c'est par eux que l'on entre en relations avec l'intérieur, et
« c'est là ce qui nous explique le grand nombre de a censaux »
« ou « protégés » juifs employés par nos commerçants. Dans
« les villes comme Casablanca, où les commerçants se trouvent
« en rapports directs avec les tribus, à cause de la proximité
« de celles-ci, ils se servent beaucoup de censaux musulmans;
« mais dans des ports, comme Mogador par exemple, où les
« affaires se traitent avec des tribus souvent très éloignées, le
« courtier Israélite devient absolument indispensable : aussi
« tous nos protégés de Mogador sont-ils des Juifs. Ceux des
« ports sont en relations suivies avec leurs coreligionnaires
«. du pays qui vivent dans les tribus où ils demeurent dans de
« petits « mellah « et qui connaissent seuls le commerce des
« tribus. Le commerce du Rif, par exemple, se fait exclusive-
ce ment par l'intermédiaire des Juifs rifains, dont la condition,
« au reste, paraît être assez misérable... Nos commerçants.
« n'ont guère eu jusqu'ici qu'à se louer des habitudes
« commerciales des Juifs. »
(1) E. Rouard de Card. Les Traités entre la France et le Maroc,
pages 136 à 146,
(2) A.. Mouliéras. Fe; p 2'.;o.
334 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
§ VI — LA MONNAIE ET LE CHANGE (D
Il y a au Maroc deux espèces de monnaies ; la monnaie
marocaine ou liassani, et la monnaie espagnole. Le système
monétaire marocain est d'une complication extraordinaire.
Nous renvoyons, pour sa connaissance, au tableau extrê-
mement complet qui en a été dressé, avec explicaiions à
l'appui, par M. Mouliéras dans le Maroc Inconnu i~\ L'unité
monétaire est le feh v. Is (pluriel : fous , ^ jla), équivalant
à 1/6 de centime : il s'emploie de 1 à 5. 6 flous valent une
motizouna 'i'ijjy monnaie fictive équivalant à 1 centime.
Pour indiquer 2 mouzouna fou 12 flous), on se sert du mot
oudjhéin .t-§^j duel du mot ouédjh, synonyme de mouzouna.
4 mouzouna (24 flous), forment un derhem »_»;.3 (pluriel :
draheni »!»tji) ou otiak ^ i'^ (pluriel : aouak ^ ?'_•') ou
oïik'iya 'Lsj (pluriel : ouk'iijat ^.Lèj). 40 mouzouna forment
un methk'al Ji-ii^» (pluriel : mlhak'el J-iLi/). Toutes ces
monnaies, sauf les flous, sont des monnaies fictives : ce sont
des appellations qui se prêtent à de nombreuses combinaisons.
Il existe des pièces d'argent de 0 fr. 25 (guerch /J-t'),
0 fr. 50, 1 fr. 25, 2 fr. 50 et 5 fr. {rial Jl; j ou douro jjj:>).
Ces pièces d'argent qui constituent la monnaie h'assani, ont
été frappées en Europe. Le sultan Moulaye-Hassan en fit d'abord
frapper à Paris, à la suite d'un contrat passé avec un syndicat
de banquiers belges et français. Pendant ces dernières années,
il en a été de nouveau commandé pour plusieurs millions.
Au mois de mars 1902 notamment, une commande de
3 millions de douros a été faite à la monnaie de Paris.
Mais la monnaie courante en usage dans le pays est la
monnaie espagnole, surtout la pièce de 5 pesetas, le douro.
Il n'existe en eflet au Maroc que 30 à 40 millions de monnaie
nationale, quantité insuffisante pour satisfaire aux nécessités
du trafic. D'autre part, cette monnaie ne circulant que dans le
pays, le commerce marocain a dû emprunter au pays le plus
voisin, l'Espagne, la grosse partie du numéraire dont il avait
(1) Pour les poids et mesures en usage au Maroc, voir F. Bianconi,
Carte commerciale du Maroc, p. li et 15.
(2) A. Mouliéras. Le Maroc inconnu, 2' partie, Exploration des
Djebala, p. 695 et saivanles.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 335
besoin ('). Cette monnaie espagnole subissant la dépréciation
du change, il s'est créé, à côté du change espagnol, un
change marocain calqué sur le précédent. Le change marocain
suit les cours de Madrid, mais varie avec ceux de cette ville
suivant les besoins des différentes places.
En 1891 l'argent espagnol était au pair. Depuis cette époque
la prime sur l'or supportée par la monnaie d'argent espagnole
s'est élevée graduellement jusqu'à 25 O/q en 1897, et augmenta
encore de 10 O/q à la fm de celte même année. En 1898,
l'année de la guerre hispano-américaine, le change s'éleva par
bonds jusqu'à 109 O/q au mois de mai. A la lin de 1898. par suite
de la cessation des hostilités, il tut ramené à environ 300/0-
En 1899, le change tomba de 32 1/2 O/q en janvier, à 20 0/0
en avril et se releva jusqu'à 30 O/q en décembre. En 1900, les
tluctuations ont été moins fortes, variant entre 29 et 32 O/q. A
la lin de 1900 le change atteignait 3.5 1/4 0/o<2>. Il était en
juillet 1901 à 39 0/0. En juillet 1902, il se maintenait aux
environs de 37 O/q. Ce change élevé pèse lourdement sur le
commerce du Maroc. Il favorise jusqu'à un certain point les
exportations, mais il porte un coup fatal au commerce d'impor-
tation, car il détermine un tel renchérissement des produits,
qu'il les rend presque inabordables pour des consommateurs
plutôt pauvres. Ce sont surtout les fluctuations du change qui
paralysent le commerce d'importation : en effet les importa-
teurs locaux n'osent pas donner des ordres lorsqu'ils ne peuvent
savoir ce qu'ils auront à payer en numéraire pour le papier
qu'ils devront acheter à l'échéance; quant aux indigènes, ils
ne veulent point acheter des marchandises pour un prix
double de celui qu'ils sont habitués à payer.
Les banquiers et gros négociants de la place qui jouent le
rôle d'intermédiaires entre acheteurs et vendoLirs, paient en
monnaie a h'assani » les marchandises achetées au Maroc pour
l'exportation, et exportent la monn lie espagnole, expédiée par
caisses à Marseille, le grand marché de ce tralîc, pour satisfaire
en Europe au paiement des marchandises importées. A
Marseille cette monnaie est revendue au cours du change de
Madrid, convertie en francs qui servent à payer les marchan-
(1) A. Mouliéras, ouvrage cité, p. 650.
(2) (Jours du change à Tanger. Foreign Office. Annual Séries n°'2296,
2603 et 2723.
336 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
dises importées. Cette même monnaie rentre ensuite en
Espagne, recherchée par les négociants qui ont des achats à
solder dans ce pays. Les banquiers au Maroc rachètent de
nouveau en Espagne des douros, les importent au Maroc et les
revendent avec un bénéfice de 2 à 3 fr. 0/q dont ils n'ont à
déduire que 1 0/q de frais d'aller et retour'^'.
Le remède à la situation déplorable créée par l'emploi de la
monnaie espagnole semble consister dans la possession d'une
monnaie marocaine en quantité suffisante pour satisfaire aux
besoins du pays.
î^VII. - I.A PROTECTION DE LA PUOl'RIÉTÉ
INDUSTRIELLE
Grâce aux elïorts du gouvernement français, la protection
des marques de fabrique est aujourd'hui assurée sur les mar-
chés marocains. L'arrangement franco-marocain de 1892
reconnaissait à nos agents le droit de faire'saisir les marchan-
dises portant de fausses marques françaises; mais étant donné
le privilège d'interritorialité dont jouissent les Européens, ce
droit ne pouvait s'exercer qu'à l'égard des sujets du Sultan :
la protection" était insuffisante et on put voir l'introduction au
Maroc ue grandes quantités de sucres étrangers portant des
marques françaises; on constata aussi l'imitation des marques
de tissus dits guinées de Pondichéry. Pour mettre un terme à
ces fraudes, le gouvernement français a provoqué une entente
internationale à laquelle l'Angleterre, l'Allemagne et la Belgique
ont adhéré : moyennant le dépôt des marques françaises dans
ces diOérents pays, leurs consuls sont chargés d'en poursuivre
les contrefacteurs, le traitement réciproque étant accordé par
l'autorité française aux négociants étrangers (->.
S VIII. - LES INDUSTRIES INDIGÈNES
Les seules ressources de la population des campagnes qui
représentent 95 O/q de la population totale consistent dans
l'agriculture et l'élevage : mais ces occupations ne sont guère
(\) A Mouliéra", Le Maroc Inconnu, -" partie, p. 6J!) et GGlJ. Renseigne-
ments extiaiis d'articles; parus dans le Réveil du Maroc, des 31 mars et
14 avril 18118.
(3) Le Commerce du Maroc. Bapport annexé au Moniteur Officiel du
Maroc du 20 mars 1896.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 337
rémunératrices par suite de la cherté des moyens de transport
terrestres et des droits d'exportation, à cause aussi de l'insécu-
rité et des exactions administratives. Dans ces conditions le
fellali ne s'enricliit pas et ne peut acheter qu'un très petit
nomhre d'objets d'usage personnel dont la fabrication, en
dehors des trafics ordinaires communs à toutes les aggloméra-
tions, constitue la seule industrie des villes Cette industrie
indigène, il est vrai, par suite de l'état d'isolement dans lequel
le Maroc s'est volontairement maintenu, s'est mieux conservée
dans ce pays que dans n'importe quel autre état musulman;
bien que réduite encore aujourd'hui aux procédés antiques de
fabrication, elle est pourtant toujours ilorissante, malgré
les elïorts faits depuis quelques années dans certains pays
d'Europe, notamment en Allemagne, pour imiter l'industrie -
marocaine et apporter dans le pays des objets manufacturés
économiquement et mécaniquemento.
L'ouvrier marocain continue, comme par le passé, à faire
preuve d'un goût original. Les principales industries sont les
suivantes ; lapis de Rabat et de Marrakech ; tissus de soie et
broderies de Fez ; tisswi de laine (couvertures, haiks, djellabas)
de Fez ; cuirs de Marrakech, de Fez et du Tafilelt, de Télouan ;
méallurgie du Sous ; annes, fusils damasquinés de Fez, de
Tétouan et du Sous ; i^otcries et l'ases émaiUés de Fez et de
Salfi ; bijouterie, orfèvrerie, mosaïques, etc. c^) Ces produits de
l'industrie marocaine sont exportés en grandes quantités en
Algérie, en Tunisie, en Tripolitaine, en Egypte, au Sénégal.
Par suite, celte industrie a luie grande importance pour nos
possessions africaines. Signalons ici que des tentatives sont
faites en Algérie en vue de relever certaines industries indi-
gènes, notamment celles de la céramique et des tapis. (3) a.
Tlemcen, cette dernière industrie parait appelée à prendre un
important essor : dans le but de refouler l'importation maro-
caine, on a institué dans cette ville deux écoles professionnelles
oi!i les jeunes filles arabes apprennent à faire des tapis. (*'
Au Maroc, la population des villes a en général, et dans de
(1) H. M. P. de !a Martiniére, Notice sur le Maroc (Extrait de la
Grande Encyclo-pédie. p. 54. .
(1) Voir R. J. Friscti. Le Maroc, pages 226 à 229.
Ci) E. DjuUé Une mission d'études au Maroc. Rapport sommaire
d'ensemble. Bulletin du Comité de l'Afrique Française, décembre 1901.
fi} Article de M. Pèae-Siefert. Politique Coloniale du 13 février 1902.
338 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
trop grandes proportions, une prédilection marquée pour le
petit commerce : d'où il résulte que toutes les villes sont
encombrées d'une multitude de petites boutiques dont les
locataires ne sont guère autre chose que des revendeurs. La
concurrence qu'ils se font entre eux a pour conséquence un
abaissement du prix des marchandises importées, qui, pour la
plupart, peuvent être obtenues à crédit, pour des sommes qui
ne laissent pratiquement pas de bénéfice appréciable ni pour
les vendeurs en gros, ni pour les détaillants, (i-
(1) Rapport du vice-consul britannique à Fez. Foreigv-Office Annnal
Séries, n« 2603.
DEUXIEME PARTIE
^t^TISTIQUES DU COMMERCE
& DE LA NAVIGATION DES PORTS MAROCAINS
Le commerce du Maroc avec les pays étrangers s'elïectiie
surtout par huit jjorts ouverts : Tanger, Titouan, Laraclie,
Rabat, Casablanca, Mazagan, Saffi et Mogadov. Pour avoir
le commerce total du pays, il convient d'ajouter à ce commerce
maritime les transactions qui s'etTectuent par l'intermédiaire
des présidios espagnols, notamment de la place de Melilla, le
trafic, de plus en plus important, qui passe par la frontière
algéro -marocaine, et enfin le commerce de caravanes avec le
Sahara et le Soudan. Quant au commerce de contrebande, il
est assez considérable.
Tandis que sous l'influence du régime français, le commerce
de l'Algérie s'est développé jusqu'à atteindre plus de 600 mil-
lions par an, tandis que le commerce de la Tunisie a presque
décuplé depuis 1881, le commerce extérieur du Maroc, pour
les raisons exposées plus haut, est encore bien faible. Le com-
merce maritime (le seul dont nous nous occuperons pour le
moment), qui s'élevait en 1892, importations et exportations
réunies à fr. 77,018,000, accuse une décroissance marquée
jusqu'en 1897, et en 1898, il atteignit, d'après les chiffres
nidiqués par M. Auspach, ancien ministre plénipotentiaire de
Belgique, fr. 59,000,000, en augmentation de fr. 5,000,000,
seulement sur celui de 18970. Mais les résultats de 1899,
d'après les rapports consulaires anglais, se chiffrent par
fr. 68,484,087, soit une nôtableaugmentationsur ceux de 1898;
et ce mouvement de relèvement s'est accentué encore davan-
tage l'année suivante : le commerce des ports marocains'
en 1900 s'élève en effet, d'après les rapports consulaires, à
fr. 85,816,055, chiffre sensiblement supérieur à celui de 1892.
D'autre part en 1900, pour la première fois, les exportations
dépassent les importations. Le commerce marocain, parait
donc entré dans une période de prospérité et de relèvement,
laquelle, selon toute probabilité, sera durable. Si la situation
(1) Artic'e de M. Daniel Bellet, dans le Moniteur i!es Intérêt? MatérieU
du 25 août 1901.
340 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
déplorable résultant du maintien du statu quo permet déjà
d'obtenir des résultats de cette nature, il semble que l'on paisse
fonder les espérances les plus optimistes sur l'éventualité de
l'ouverture définitive du pays à l'expansion et à l'ijiiîiative
européennes.
Voici le tableau des importations et exportations des ports
ouverts pendant les années 1898, 189!) et 1900, comparées avec
celle de 1892, avec la répartition par pays de provenance et
de destination. En ce qui concerne les années de 1899 et 1900,
les chiffres fournis pour les différents ports par les rapports
consulaires anglais, complétés sur certains points par les
rapports français et allemands, nous ont permis de faire la
totalisation du commerce des ports. Nous ne présentons point
ces résultats comme étant d'uneexactitude absolue, étant donné
surtout que la plupart du temps les chiffres indiqué.s par les
consuls de différentes nationalités, ne concordent pas entre eux.
Commerce total des ports marocains (sans' les métaux précieux
Impnrtntions.
E-xportations.
39 ^ OIH).O(II)' G8 Wi.OST 85 . 816.0,"):!'
Commerce des ports marocains avec les principales puissances
IMPORTATIONS (irancs)
Iles Britanniques (avec Malte et Gibraltar)
Fraiice (.Algérie et culoiiiesl
Allemagne
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Espagne .
Italie
Autriche-Hongrie.
Suède
Hollande
Horlugal
Etals IJnis
Divers
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3o3.800
50.500
.763.452121 8!»:i !)«
586 796:10.439.703
:i.76S.,S2i
E.XPORTATIONS (fraiics)
Iles Britanniques (avec Gibraltar et Malle).
Espagne (et eoloiiics)
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LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 341
NAVIGATION DES PORTS MAROCAINS
Voici le tableau de la part prise par les différentes
puissances dans la navigation des
ports
marocains
en 1900:
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342 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
Les lignes de navigation régulières entre les ports européens
et les ports marocains sont les suivantes :
ANGLETERRE
Forwood Brothers et Cu. [Mcrseij Steamship Co.), service
hebdomadaire de Londres pour Gibraltar, Tanger, Larache,
Rabat, Casablanca, Mazagan, Mogador et les Iles Canaries.
Papaijanni StcamsJnp Co., service bi-mensuel de Livei'pool
pour Tanger, Alger, Malte, Alexandrie.
Ai. H. Bland cl Co., entre Gibraltar et Tanger, trois fois par
semaine dans les deux sens.
Th. Haynes, services réguliers entre Gibraltar, Tanger et les
autres ports marocains.
ALLEMAGNE
Woermann-Linie, service mensuel de Hambourg pour
Tanger, Larache, Rabat, Casablanca, Mazagan, Saffi, Mogador,
les lies Canaries et la côte occidentale d'AtViqije.
Oldenburg-Portugiesisc]te Dainpfschiff's Rhederei, service
mensuel de Hambourg pour Anvers, Porto, Lisbonne,
Gibraltar, Tanger, Larache, Rabat, Casablanca, Mazagan, Saffi
et Mogador.
Slornan-Linie, service mensuel de Hambourg aux ports
espagnols et italiens, avec escales à Tanger.
Levante- Linie, service mensuel de Hambourg à la Méditer-
ranée orientale, avec escales à Tanger.
Compagnie de Navigation marocaine et arménienne
(M. Paquet et C'=), service bi-mensuel de Marseille pour
Gibraltar, Tanger, Larache, Rabat, Casablanca, Mazagan, Saffi,
Mogador et les Iles Canaries.
Compagnie de Navigation Mixte {C"^ Touache), service
hebdomadaire de Marseille pour Oran, Nemours, Melilla,
Tétouan, Gibraltar et Tanger.
Société Navale de l'Ouest, service mensuel d'Anvers et du
Havre, pour Porto, Lisbonne, Tanger, Casablanca, Mazagan et
Mogador.
Compagnie des Vapeurs de Charge français, de Marseille à
Dunkerque avec escales à Tanger.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 343
Compana Transatlanlica Espailola : 1° service de Cadiz à
Gibraltar avec 6 escales par semaine à Tanger ; 2° service
mensuel de Barcelone et Cadiz à Casablanca et Mazagan.
CM Millun, service de Séville à Casablanca et Mazagan.
M. Carasco, service mensuel de Cadiz aux ports marocains.
AUTRICHE-HONGRIE
C'" Adria, service mensuel de Fiume et Trieste pour Alger,
Tanger, Casablanca, Mazagan, Mogador et l'Amérique du Sud.
Loyd Autrichien, dont les bateau.^ alternent à Tanger avec
ceux de VAdria. ,
ITALIE
C'" Ligure Braziliana, service mensuel pour Marseille,
Barcelone, Tanger, Lisbonne, Madère et l'Améi-ique du Sud.
PAYS-BAS
Ci» Royale Néerlandaise, service mensuel de Rotterdam,
Amsterdam et Anvers pour les Indes, avec escales à Tanger.
Si la France occupe le second rang parmi les nations
commerçant avec les ports marocains, il n'en est pas de irême
de la navigation. L'Allemagne, sur ce point, dispute le premier
rang à l'Angleterre, et la France ne vient qu'en troisième
rang O. Il importe toutefois de faire remarquer que les chiffres
indiqués dans le tableau précédent comme représentant le
mouvement des navires français dans les ports marocains en
1900, ne portent que sur les navires de la Compagnie Paquet
et de la Compagnie Touache, les seules compagnies françaises
qui desservaient alors les côtes marocaines : la création de
nouveaux services par d'autres coinpag'nies se traduira
forcément, dans les prochaines statistiques, par une augmenta-
tion des navires et du tonnage français.
(1) En réalité, le tonnage des navires tranchais, d'après le tablfau qui
précède, est même iiifi-rieur à celui des navires espagnols : mais celte
circonstance est due uniquement au tait que les navires de la Compagnie
Transatlantique espagnole effectuant un service postal, touchent presque
tous les jours à Tanger. Pour l'enseratile dps autres poris, la navigaiiOQ
française l'emporte de bsaucoup sur la navigation espagnole
TROISIEME PARTIE
LA SITUATION COMMERCIALE
DES PUISSANCES AU MAROC
Les importations au Maroc portent principalement sur les
produits suivants*» :
Colonnades : colons filés et brut d'Angleterre; articles de
coton, mousseline d'Angleterre et de Suisse;
Draps et lainages venant surtout d'Allemagne et aussi d
France ;
Soieries, principalement de provenance française;
Sucres, pour la plus grande partie de provenance françaite
la Belgique en fournissant une cet taine quantité ;
The, fourni surtout par l'Angleterre, une 'certaine qiiantiîr
provenant d'Allemagne;
Café, de Fiance, d'Angleterre et du Brésil;
Bougies, fournies surtout par l'Angleterre ;
Matériaux de contruclion :
Fers ;
Quincaillerie ;
Verrerie ;
Pétrole;
Papier, etc.
Les exportations du Maroc portent surtout sur \%% marchan-
dises suivantes :
Laines, pour la France, l'Allemagne et l'Angleterre;
Peaux de chèvres, pour la France et les Etats-Unis;
Peaux de veaux, pour l'Italie;
Animaux vivants : moutons pour l'Algérie et la France,
bœufs pour Gibraltar, l'Algérie, la France et l'Espagne;
Cuirs, pour l'Angleterre, la France, l'Espagne et l'Allemagne;
Céréales, pour l'Algérie ;
Mais, pour l'Espagne et le Portugal ;
(1) Pour de plus amples détails relalivemsnt aux marchandises impor-
tées et exportées, à leurs prix, aux droits d'entrée et de sortie, nous
renvoyons à l'ouvrage de M. Wolfrora, Le Maroc. Etude Commerciale
et Agricole, p. lUà24,
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 345
Fèves, pour l'Espagne, le Portugal et l'Angleterre;
Pois chiches, pour l'Espagne et la France;
Amandes, pour l'Allemagne, l'Angleterre et la France;
Dulta^, pour l'Angleterre et l'Espagne ;
Huiles ;
Gommes ;
Cire;
Œufs, etc.
Signalons en outre l'exportation des produits de l'industrie
marocaine vers l'Algérie, la Tunisie, la Tripolitaine, l'Egypte
et le Sénégal.
§ I. — L'ANGLETERRE
L'Angleterre, qui vient au premier rang des pays importa-
teurs, possède toujours' la prépondérance sur les marchés
marocains; mais tandis que les importations de marchandises
anglaises au Maroc sont restées proportionnellement les mêmes
ayant suivi les tluctuations du commerce total, les exportations
de produits marocains en Angleteri'e : laines, cuirs, amandes,
dattes, etc.; bœufs pour Gibraltar, malgré le relèvement que
l'on constate pour les années 1899 et 1900, ont subi une dimi-
nution proportionnelle des plus sensibles, et Londres qui était
autrefois le seul grand marché des produits marocains est
aujourd'hui sérieusement concurrencé par Marseille etsurtout
par Hambourg. Le commerce anglais qui représentait en 1892
55,15 0/0 du commerce des ports marocains, ne représente
plus en 1900 que 40,44 O/q.
En ce qui concerne les marchandises importées au Maroc,
l'Angleterre fournit la presque totalité des cotonnades, qui
constituent le plus important des articles d'importation ; les
rapports consulaires établissent qu'elle ne peut être C(jncur-
rencée sur cet article. Elle a eu en outre jusqu'à. présent le
monopole de la fourniture du thé, la boisson nationale du
Maroc, bien que l'Allemagne commence à lui faire concur-
rence. Les expéditions de draps anglais sont affectées par la
concurrence allemande ; mais pour les bougies (fournies
autrefois par la France), les efforts de la Belgique n'ont pu
aboutir à déplacer le monopole de l'Angleterre. Si les com-
merçants de la Cité et les industriels de Manchester parviennent
à maintenir leurs positions malgré la concurrence acharnée
qui leur est faite par l'Allemagne et la Belgique, c'est grâce à
346 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
leur souci de se plier aux exigences du marché et d'accorder
des facilités de paiement en rapport avec les usages du pays.
H est à remarquer toutefois que les statistiques attribuent à
l'Angleterre une grande quantité de marchandises d'autre
provenance, lesquelles ne font qu'emprunter le pavillon
britannique, notamment les marchandises américaines. Enfin
les chiffres indiqués pour le commerce anglais comprennent
le commerce, surtout d'exportation, du Maroc avec les posses-
sions anglaises de la Méditerranée, principalement avec
Gibraltar. Malgré ces réserves, grâce aux impoi talions qui sont
la véritable manifestation de l'influence commerciale des
nations européennes au Maroc, l'Angleterre occupe toujours
un rang privilégié parmi, les nations commerçant avec
ce pays. Notons que le commerce anglais et le commerce
français ne se font point concurrence, car ils ne portent point
sur les mêmes articles: l'Angleterre est la grande importatrice
de cotonnades, de thé, de bougies, etc. ; la France est lagr-ande
importatrice de sucre, de soieries, etc.; d'autre part les articles
exportés dans ces deux pays sont différents.
Les relations commerciales entre l'Angleterre et le Maroc
sont régies par le traité de i856, signé entre le Sultan et
l'Ambassadeur britannique Sir John Deummond Hay, la
première convention qui ait un caractère commercial bien
défmi. L'Ambassadeur obtint la fixation des droits de sortie,
et l'exportation d'un grand nombre de produits du soi, tels que
le mais, les fèves, etc.,* à l'exception toutelois du blé et de
l'orge!^). Au Maroc comme partout ailleurs, l'Angleterre cher-
che à faire triompher le principe de la porte ouverte, et à
obtenir du gouvernement chérifien des diminutions de droits
et des facilités pour le commerce. Elle met à profit pour le
triomphe de cette politique commerciale l'influence consi-
dérable dont elle jouit à la Cour du Sultan. On examine en ce
moment à Londres au Ministère des Affaires Étrangères un
projet relatif à la conclusion d'un nouveau traité de commerce
entre la Grande-Bretagne et le Maroc; les négociations préli-
minaires seraient presque terminées. Ce traité donnerait de
grandes facilités pour le développement du commerce britan-
nique avec les tribus des montagnes de l'Atlas et du Rif.
( 1; (j. Woli'rom. Le Maroc- Etude Commerciale et Agricole, p. 3î
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 347
§ II. - LA. FRANCE ET L'ALGERIE
Le commerce français occupe toujours au Maroc une place
considérable. Si dans la période comprise entre 1892 et 1898
il a été très affecté par la dépression des affaires et par la con-
currence étrangère, les chill'res de 1899 et de 1900 accusent un
relèvement sensible, tant aux importations qu'aux exportations.
En ce qui concerne les importations, ce relèvement doit être
attribué presque exclusivement aux progrès réalisés sur les
marchés marocains par le principal article d'exportation fran-
çaise, le sucre : tandis qu'il y a plusieurs années on avait pu
craindre que le sucre français ne succombât devant la
concurrence belge, les etYorts des fabricants français ont
réussi à triompher de celle-ci sur presque toutes les places.
Le sucre français, intrpduit par les raffineries de la Méditer-
ranée, de Saint-Louis et de CJiatenay représente plus de la
moitié de nos importations; ensuite viennent la soie grège,
les tissus de soie et de cotons, les lainages. On ci'oit que les
Allemands, qui nous ont enlevé une partie du marché des draps
et des lainages se préparent à faire une concurrence redoutable
aux soieries françaises; une grande partie des cotonnades
importée de France au Maroc sont de fabrication suisse ; enfin
l'Angleterre et la Belgique ont enlevé à la France le marché
des bougies.
« Il est certain, dit M. Victor Collini'), que c'est la l'rance
« qui est en meilleure posture pour commercer activement
« avec le Maroc. Elle n'est pas sujette aux crises qui annihilent
« l'influence économique extérieure de l'Espagne, et ses ports
'c ne sont pas aussi éloignés de Tanger que ce'ix de l'Angleterre
« de la Belgique et de l'.AUemagne. Mais il semble que l'accès
« trop facile du marché algérien détourne l'attention de l'in-
« dustrie française de ce débouché si favorable. Les occasions
c( de Marseille pour Tanger sont assez irrégulières. C'est la voie
« qu'empruntent cependant toutes les marchandises fran-
(( çaises, car les navires de Dunkerque, du Havre et de
« Bordeaux qui se rendent dans la Méditerranée passent
« devant Tanger sans s'y arrêter. Or, en arrivant à Marseille,
« ces marchandises qui viennent en grande partie du Nord,
« sont déjà grevées de frais de transport considérables, ce qui
(1; V. Collin, Le Maroc et les Intérêts Belges, p. 97.
26
348 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA. FRANCE AU MAROC
« ne leur permet pas de soutenir facilement la concurrence
« des articles étrangers arrivés directement par bateaux de
« leur pays d'origine ».
Hâtons-nous d'ajouter que cette cause d'infériorité est main-
tenant supprimée en partie, car, comme nous l'avons vu plus
haut, des services de navigation viennent d'être créés entre les
ports du Nord de la France et les ports marocains.
Nos conclusions, en ce qui concerne le commerce français
au Maroc, sont loin d'être aussi pessimistes que celles de
M. Victor Collin, qui se base, il est vrai, sur les résultats de la
période quinquennale de 1892 à 1896 qui accusaient, en pré-
sence d'une dépression générale des affaires, une diminution
considérable du commerce français en particulier, surtout des
importations. Le relèvement de ce commerce dans les dernières
années, montre qu'il ne peut être question de « décadence
commerciale » de la France, car notre pays a reconquis la
place qu'il s'emblait menacé de perdre. Mais cette constatation
une fois faite, nous sommes obligés d'avouer que la partie
active de notre commerce, c'est-à-dire nos importations,
n'occupent point au Maroc la place qui convient à une
puissance revendiquant dans ce pays une situation politique
prépondérante. Examinons les raisons pour lesquelles le
commerce français lutte difficilement contre la concurrence
étrangère. Ces raisons ont été très bien mises en relief par
M. Collin de Plancy, ancien chargé d'affaires de France à
Tanger, dans une brochure intitulée.- Le Commerce du Maroc ;("
ce remarquable exposé, bien que datant de six ans déjà, n'a
rien perdu de son caractère d'actualité.
« 1" On peut d'abord reprocher à nos nationaux de se mon-
« trer moins actifs et moins entreprenants que beaucoup
« d'autres. Ils se bornent généralement à essayer de garder
« les affaires qui leur appartiennent depuis longtemps, et ne
« font aucune tentative pour en accaparer d'autres, ou pour
« regagner celles qu'ils ont perdues. Les étrangers, au
« contraire, étudient nos produits, cherchent à les imiter, à
« en introduire de similaires à meilleur marché. Pendant que
« les Allemands et les Belges entreprenaient contre nos sucres
« une campagne souvent fructueuse, que les Anglais nous
a dépossédaient des bougies, les Français n'ont jamais essayé.
(1) Annexe au Moniteur Officiel du Commerce du 36 mars 1S96.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA. FRANCE AU MAROC 349
« par exemple, de combattre ces derniers sur le marché des
« cotonnades, pour citer un des plus importants. Les vins du
« midi de la France ne sont pas entrés en lutte avec ceux de.
« l'Espagne ; et de même pour bien d'autres articles. Il s'ensuit
« que nous avons peine à défendre ce que nous tenons contre
« nos rivaux et que nous ne leur enlevons rien. En outre, les
« étrangers, les Allemands en particulier, hésitent moins
« que les Français à créer des établissements nouveaux, à
« faire parcourir le pays par leurs représentants ; ils s'aident
« plus eux-mêmes pour trouver des débouchés et y réussissent
« souvent mieux, n Les maisons françaises n'envoient pas
assez de voyageurs de commerce pour otTrir la marchandise ;
M. Doutté (1) se déclare partisan de l'augmentation du nombre
des commerçants français au Maroc : c'est à eux qu'incombe
la tâche d'éclairer le gros commerce métropolitam, car il
convient de stimule'r l'initiative des maisons françaises.
« 2" Les négociants étrangers montrent plus de souplesse
« que les nôtres pour satisfaire les goi'Us ou les fantaisies des
a indigènes, et répugnent moins, pour y parvenir, à changer
« les habitudes de leurs maisons. Les Marocains demandent
a à tout instant des tissus un peu plus larges ou un peu plus
« étroits, des bougies plus grosses ou plus minces, plus
« longues ou plus courtes, autrement empaquetées que les
« articles livrés précédemment ; certains négociants acceptent
a toujours ces exigences sans observations; les nôtres, confiants
a dans la supériorité de leur fabrication, dédaignent souvent
« de les accueillir : leurs concurrents s'emparent de la
« clientèle. On se plaint aussi quelquefois de l'insuffisance de
« nos emballages pour le débarquement des marchandises
« dans des carcasses généralement très mal entretenues; ce
« déta'l a une grande importance, car les avaries sont
« fréquentes. »
1. 30 Pour le prix comme pour la forme de ses marchandises,
« le fabricant français refuse de faire des concessions, parce
(( qu'il fournit toujours de bonnes qualités. Ces qualités sont
« appréciées aussi bien au Maroc qu'ailleurs, et leur supé-
« riorité est reconnue. Mais le Marocaiu tient à acheter à bon
« marché, elles considérations de prix passent pour lui avant
CD E. Doutté. Vne mission d'études au Maroc. Rapport sommaire
d'ensemble. Bulletin du Comité de l'Afrique Française, décembre 1901.
350 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIOUES DE LA FRANCE AU MAROC
« toutes les autres. » 11 ne tient pas compte de la qualité et se
fie uniquement aux apparences. La « camelote » que demande
le client et que les maisons françaises se refusent à fabriquer,
est évidemment contraire aux traditions de goût et de perfec-
tion de notre industrie ; mais il ne s'agit pas toujours de
satisfaire une clientèle de luxe, et nous ne pouvons nous
résigner à perdre celle des populations de civilisation peu
avancée. L'abaissement des prix a fait passer à l'Angleterre
l'important marché des bougies qui nous appartenait autre-
fois : les industriels français se sont en effet refusés à fabriquer
des bougies à la paraffine, d'une qualité très inférieure, mais
moins chères que les bougies à la stéarine. La question des
prix nous a également uni sur le marché des lainages. Au
contraire, la France a conservé le marché des sucres, parceque
les raffineries de Marseille ont réussi à résoudre ce difficile
problème, faire des produits de bonne qualité et à bon marché.
« 4" Enfin les délais de paiement jouent dans les affaires
« traitées avec les indigènes un rôle des plus importants ; et
« nos concurrents ne semblent pas avoir eu à souffrir de
« s'être montrés là-dessus plus hasardeux que nous. Les
« maisons allemandes en particulier sont moins timides que
8 les nôtres : leurs draps étaient d'abord payables à quatre
(c mois ; les maisons suisses en ayant accordé six, elles les ont
« imitées. Pour les sucres, tandis que nos fabricants marseil-
« lais ne vendent qu'au comptant, d'autres font trois, six et
« même neuf mois de crédit ; et si l'acheteur ne peut payer à
« l'échéance, ils lui accordent une prolongation de six mois
« moyennant un intérêt de G »/„. »
Les exportations marocaines en France se présentent sous
un aspect très favorable et tendent à augmenter dans de très
fortes proportions. Il convient de noter à ce propos que les
chiffres donnés par le Tableau général du Commerce et de
la NavigationO> sont sensiblement supérieurs à ceux que nous
avons indiqués sur des données extraites des rapports consu-
laires. En elïet, d'après le Tableau général du Commerce el de
la Navigation, les exportations marocaines vers la France
auraient atteint en 1899 fr. 11.019.000 au commerce spécial et
fr. 16.640.000 au commerce général, et en 1900, fr. 16.091.000
(1) Tableau gênerai du Commerce et de la Xavir/ation, publié par
la Direction générale des Douanes, 1900, l" vol.
LES INTÉHÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 351
au commerce spécial et fr. 24.134.000 au commerce général,
au lieu de fr. 5.112.535 en 1899 et fr. 9.007.857 en 1900,
d'après les rapports consulaires. Marseille est avec Londres
et Hambourg un des grands marchés des produits marocains.
La France importe du Maroc principalement des peaux de
chèvres, des laines en masse, que les fabricants de Roubaix et
de Tourcoing font acheter par leurs agents dans les ports de
l'Atlantique, des légumes secs (surtout des pois chiches), des
amandes, etc. Marseille reçoit en outre du Maroc des animaux
vivants, des bœufs, mais par la voie algérienne.
Le commerce qui s'effectue entre la France et les ports
marocains ne représente pas la totalité des échanges franco-
marocains: il faut tenir compte du commerce entre l'Algérie
et le Maroc, lequel couiprend d'ailleurs le commerce qui
s'efïectue entre la France et le Maroc en empruntant le terri-
toire algérien. Ce trafic, qui passe surtout par la frontière
terrestre, par la voie Marnia-Oudjda, est en progrès <'). Les
importations d'Algérie au Maroc sont, il est vrai, encore bien
faibles : fr. 838.514 en 1899 et fr. 600.003 en 1900, le sucre
français entrant dans ce total pour les deux tiers ; les chifl'res
de 1901 se présenteront en augmentation sur ceux de 1900, et
pour 1902 on prévoit une notable augmentation sur les résul-
tats de 1901. Les importations marocaines en Algérie sont
beaucoup plus importantes: elles passent de fr. 4.424.047 en
1899, à fr. 11.370.576 en 1900, portant principalement sur des
animaux vivants (moutons, bœufs). Cet important trafic est
également en voie de développement constant*-). Enfin le
commerce de produits indigènes elfectué par voie de terre
entre le Maroc d'une part, le Sahara et le Soudan d'autre
part, peut être évalué à environ 2 millions de francs, dont les
trois quarts environ pour l'importation au Maroc jgommes,
laines brutes, peaux, plumes d'autruches, sël, dattes) et le
reste pour l'importation de produits marocains (laines brutes,
viandes séchées, graines, vêtements en laine, objets en cuir,
etc.)<3'. Si l'on ajoute au commerce direct entre la France et
(1) Nous reviendrons plus loin sur l'importante question des relations
cou)mei'ciaIes a'g-éro-maroraines.
(1) En 19U1, le commerce total entre l'A'gérie et le Maroc s'élève à
fr. le.OUii.OOO en chiffres ronds.
(3) Renseignements extraits d'une éluda publiée dans la Revue Franco-
Musulmane et Saharienne de julllet-aoùt 1902.
352 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
le Maroc le commerce algéro-marocain et le commerce du
Maroc avec le Sahara et le Soudan français, on obtient pour
1900 les résultats suivants en cliiiïres ronds (sans les métaux
précieux) :
Importations de la France et de l'Afrique
française au Maroc Fr. 12.500.000 »
Exportations du Maroc en France, en Algéiie
et Afrique française Fr. 20 500.000 »
D'où il résulte que la France figure au premier rang parmi
les pays importateurs de produits marocains.
Jusqu'en 1892, les marchandises françaises importées au
Maroc étaient soumises à un droit fixe et uniforme de 10 °/o
ad valorem; en outre des prohibitions empêchaient l'ex-
portation d'un grand nombre de produits marocains. Ce
régime a été sensiblement amélioré par l'accord commercial
franco marocain conclu par M. le comte d'Aubigny, le
24 octobre 1892. En échange de l'application du tarif minimum
français aux produits marocains à leur entrée en France, notre
ministre à Tanger a obtenu: 1° la réduction de iO "/o à 5 °/o
ad valorem des droits d'entrée pour certains produits français
(tissus de soie, pierres précieuses, bijoux d'or et d'argent,
vins et liqueurs, pâtes alimentaires) ; 2" la rédaction des droits
de sortie pour certains produits marocains, la France demeu-
rant soumise au traitement de la nation la plus favorisée
(convention de Madrid, art. 17) pour les produits non men-
tionnés au traité ; 3° la suppression des prohibitions empê-
chant l'exportation de certains produits marocains : différents
bois, m.inerais de fer, de cuivre, etc., sauf le plomb ; 4° la
protection des marques de fabrique françaises. Ce traité
constitue un important succès commercial, surtout en ce qui
a trait à la mainlevée de la prohibition d'exporter les minerais.
§ III. - L'ALLEMAGNE ET L'AUTRICHE-HOIVGRIE
L'Allemagne a fait au Maroc un elTort commercial considé-
rable, elTort qui a été couronné d'un plein succès. Son
commerce dans ce pays s'est surtout développé depuis la
création en 1890, par le D'' Jannasch, président du Centralverien
fïtr Hanilelsgeograpltie et directeur de la Deutsche Exporthanh,
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 353
de la ligne de na\igation Allas, qui organisa un service
régulier entre Hambourg et les ports marocains, (i' C'est en
1800 également que le comte de Tattenbach, ministre allemand,
obtint du gouvernement marocain des concessions commer-
ciales que l'on considère comme les plus décisives qui aient
été accordées au cours de ces dernières années. En effet, le
traité germano-marocain de i890 fixait à 10 "/o ad valorem
les droits d'importation, fixait les droits de sortie et servait
ainsi de base au tarif général marocain, autorisait pour trois
années la libre exportation du blé et de l'orge, enfin contenait
l'engagement pris par le gouvernement marocain de maintenir
cet accord en vigueur jusqu'au jour d'une révision ou de li
conclusio7i d'un l'onveau traité'^K
Les importations allemandes au Maroc qui consistent surtout
en draps, tissus de laine et de coton, alcool, papier, quincaillerie,
sucre, thé, etc., n'ont été que peu affectées par la dépression
commerciale de la période de 1893 à 1898 ; les chiffres de 1899
accusent un important relèvement : ceux de 1900 marquent, il
est vrai, un léger recul. Pour un certain nombre d'articles,
notamment les draps, les tissus (de laine, de coton, de soie),
le thé, la concurrence allemande commence à devenir
redoutable pour la France et l'Angleterre. L'Allemagne fait des
efforts cansidérables pour accroître ses relations avec le Maroc ;
ses maisons de commerce se sont multipliées dans le pays, et
elle y envoie un grand nombre d'agents commerciaux pour
nouer des relations avec les producteurs et les consommateurs
et s'enquérir des goûts de la clientèle. « Les fabrications
« à bon marché, dit M. V. CoUin, de qualité plutôt inférieure,
« mais agréables à l'œil, ce que nous appelons dédaigneuse-
« ment de la camelote, ont fondé au Maghrib la réputation
« commerciale des Allemands. L'Arabe est incapable de
« comprendre qu'en payant un article un peu plus cher, il le
« conservera plus longtemps en bon état et réalisera ainsi une
« économie. Comme tous les peuples primitifs, l'apparence
« surtout le charme et il lui sacrifie tout ».(3) M. Doutté fait
la même constatation et insiste sur l'imprévoyance extraor-
dinaire des indigènes de l'Afrique du Nord. D'un autre côté,
(1) V; Collin. Le Maroc et les Intérêts belges, p. Iil2.
(2) Sur le traité geiniaDO-maroiain, voir G. W'olfrom, ouvrage cité,
p. 37, et A. Mouliéras, Le Maroc inconnu, 2' partie, p. 649.
(3) V. Cotlin, Le Maroc et les Intérêts belges, p. 105,
354 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
l'indigène, « actuellement méfiant cherche à acheter toujours
« exactement dans les mêmes conditions : il tient à ce que le
« mode d'empaquetage, les dimensions du paquet ou du ballot,
« la couleur des étiquettes soient toujours les mêmes. Le
« commerce allemand se prête admirablement à tous ces
« caprices : les voyageurs allemands passent au Maroc, vont
<L trouver les maisons d'importation, prennent note que l'on
« veut telle étoffe, dans telle largeur, avec telles couleurs,
« emballée de telle façon, rentrent en Allemagne, et quelques
« temps après la commande arrive, exécutée strictement,
« dans les conditions exigées, brillante, bien présentée,
« d'un bon marché excessif, mais par ailleurs de la plus
« détestable qualité : le consommateur l'achète ainsi et est
satisfait y>.'^'
Si les importations allemandes au Maroc sont en progrès, la
marche ascendante des exjmrlations en Allemagne de produits
marocains est bien plus remarquable encore. L'Allemagne
reçoit du Maroc principalement des amandes, des laines, des
onifs, des peaux de chèvre, de la cire. Tandis que ce commerce
n'atteignait en 1892 que fr. 1,068.000, il s'élevait en 1808 à
fr. 4.573 000 et en 1899 à fr. 4.168.034 pour monter brusque-
ment en 1900 à fr. 7.674.146. Cette augmentation extraordi-
naire porte surtout sur les amandes, les laines et la cire. En
ce qui concerne les amandes, Hambourg tend à devenir, au
préjudice de Londres, le grand marché de ce produit. Il
convient de faire remarquer que cette progression du com-
merce d'exportations marocaines en Allemagne a un caractère
local très accentué, car elle porte presque exclusivement sur
les expéditions du port de Mogador, les efforts commerciaux
des Allemands ayant été particulièrement heureux dans la
région du Sud. D'ailleurs, la navigation allemande dans
les ports marocains, presque égale en importance à la
navigation anglaise, contribue puissamment à entretenir et à
développer les relations commerciales entre l'Allemagne et le
Maroc.
Jusqu'à ces derniers temps, la presque totalité des expédi-
tions austro-hongroises au Maroc (sucres, étotïes, papiers,
verreries, bières), étaient transportées par des navires allemands
(1) E. Doutté, Une mission d'Etude au Maroc. Rapport sommaire
d'ensemble. Bulletin du Comité de l'Afrique française, décembre 1901.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 355
et étaient naturellement comprises parmi les importations
allemandes. Mais dans le courant de 1901, la Compagnie
de Navigation Adria a inauguré une ligne de navigation
ayant Fiume et Trieste pour points de départ, et devant
desservir les principaux ports de l'Algérie et du Maroc ;
d'autre part les vapeurs du Lloyd autrichien alternent à Tanger
avec ceux de YAdria. Dès lors, on peut s'attendre à un
procliain développement des relations commerciales entre
l'Auliiche-Hongrie et le Maroc. D'ailleurs, en envoyant une
mission au Sultan au commencement de 1902, le gouverne-
ment austro-hongrois a assez montré l'importance qu'il attache
à ces relations. L'entrée en scène de l'Autriche- Hongrie ne
peut être vue avec inditïéren:e par la France, car les sucres
de ce pays, font déjà, à Tanger, une concurrence sérieuse
aux nôtres.
§ IV — LA BELGIQUE
M. V. CoUin, constatant, à propos de l'Allemagne, que la pro-
pagande la plus rationnellement et la plus activement conduite
ne suffit pas toujours pour triompher d'une crise résultant de
la situation intérieure du marché, dit « qu'une nation moins
« prévoyante, mais dont la production générale s'adapte mieux
« aux exigences ordinaires du marché, est placée dans de
(( meilleures conditions pour y résister ».<') En efl'et, au milieu
de la dépression générale de la période de 189'i à 1897, on
constate que les exportations de la Belgique au Maroc ont
augmenté progressivement de fr. 1.601.830 en 1892, à
fr. 3.239.198 en 1897. Ce progrès ne s'est point maintenu
pendant les années suivantes, les résultats ayant été en 1898,
1899 et 1900, respectivement de fr. 2 796.000, fr. 2 862.400
et fr. 3.064.765, accusant une situation a peu près stationnaire
avec une tendance à l'augmentation. Pour les sucres, qui
forment la presque totalité de ses expéditions, la Belgique
n'est point arrivée, malgré une concurrence acliarnée, à sup-
planter les sucres français, sauf sur certaines places. Il n'en
est pas de même des bougies : sur cet article, la Belgique fait
une concurrence heureuse à la France et dans une certains
mesuré à l'Angleterre. Elle expédie encore au Maroc des draps,
(I) V. ColUn. Le Maroc et les Intérêts belges, p. 108.
356 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FflANCE AU MAROC
du fer, de la potasse, etc. Quant aux envois de produits maro-
cains en Belgique, ils sont à peu près nuls : cependant les
Belges commencent à comprendre qu'ils auraient grand
intérêt à attirer sur leurs marchés les laines marocaines qui
vont ù Dunkerque, et les peaux de bœufs ('>. Les relations
commerciales entre la Belgique et le Maroc sont régies par un
traité du 4 janvier 1862, étendant à la Belgique les faveurs
dont jouissaient déjà auparavant l'Angleleterre et l'Espagne. '•-'>
§ V. — L'ESPAGNE
Le commerce espagnol offre un contraste absolu avec le
commerce belge : il est presque entièrement passif. Etant
donné le faible développement de son industrie, l'Espagne
envoie au Maroc peu de produits manufacturés, tandis que,
à cause de sa proximité de ce pays, elle en tire une quantité
considérable de produits naturels. Ce commerce d'exportation
du Maroc en Espagne a subi, au cours des dernières années,
des iluctuations sensibles, ainsi qu'il ressort du tableau ci-
après : (')
1892 Fr. 8.577 000
1893 — 13.078 000
1894 — 12.736 000
1895 — 9.426 000
1896 — 11.606 000
1897 - 6.392 000
1898 — 3.199 000
1899 . ." — 6.244 050
1900 — 9.528 680
L'Espagne reçoit surtout du Maroc des pois clncltes, du maïs,
des bœufs, des peaux de chèvres, des œufs, etc. Elle peut être
considérée com-me un de ses meilleurs clients.
(1) Article de Daniel Betlet, dans le Moniteur des intérêts matériels
du ','5 août 19U1.
(2) V. Collin. Le Maroc et les Intérêts belges, p. IK. Tout en faisant
nos plus expresses réserves sur la conclusion de CPt ouvrage, nous en
recommandons la lecture à cause de sa riche docummlaiion.
(3) Annales du commerce extérieur, 1901, 11" fascicule. Ces chififres
ne concordent pas absolument avec ceux que nous avons donnés plus
haut.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 357
Au commerce entre l'Espagne et le Maroc, il convient
d'ajouter le commerce entre le Maroc et les « presidios »
espagnols, surtout Melilla et les îles Zaffarines, déclarées
ports francs en 1887. M. Wolfrom évalue ce commerce à
1.500.000 francs. <" Mais nous avons de bonnes raisons de
croire qu'il s'est beaucoup développé pendant ces dernières
années, car les maisons allemandes, belges et anglaises intro-
duisent par Melilla beaucoup de produits manufacturés.
§ VI. — LES AUTRES PAYS
Autrefois le commerce du Maroc s'effectuait en presque
totalité avec trois ou quatre puissances ; depuis un certain
nombre d'années, on constate l'augmentation constante de la
part prise dans ce commerce par d'autres nations, et cela au
détriment des précédentes.'
En ce qui concerne les imporialions au Maroc, nous avons
signalé l'entrée en scène de V Aulrichc-Hongrv;. Les importa-
tions de ïllalic, quoique encore peu considérables, sont en
progrès sensible (soieries, allumettes, etc.) Signalons encore
les importations de la Suéde (fer, bois de construction) et celles
de la Hollande. Enfin la Suisse, avec ses draps, fait une
concurrence heureuse aux produits français et même alle-
mands ; mais ses envois transitant par la France ou par
l'Allemagne, ne sont point séparés, dans les statistiques, des
envois de ces deux pays.
A l'exportation, la part des puissances dont le commerce
avec le Maroc a une importance secondaire est bien plus
considérable qu'à l'importation. Les Etats-Unis méritent une
mention spéciale. Tandis qu'à l'importation ce pays ne figure
dans les statistiques que pour des cliiffres infimes <-', nous
constatons que les exportations marocaines aux Etats-Unis,
qui étaient nulles en 1898, s'élèvent brusquementà fr. 1.153,000
en 1899, pour atteindre le cllilîre relativement considérable de
fr. 2. 191.900 en 1900. Elles consistent principalement en peaux
de chèvres. L'accroissement des relations commerciales entre
(i) (i. Wolfrom « Le Maroc >■. Etude commerciale et a;jricole, p. 35.
(i) Nous avons dit plus liaul cjne les statistijues atlribueat à l'Angle-
terre des marchandises américaines qui ne font qu'emprunter le pavillon
britannique.
358 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
les Etats Unis et le Maroc est un fait digne d'attention. Depuis
quelque temps les Américains ont fait leur apparition dans
différentes régions de l'Afrique occidentale : ils y ont fondé
des compagnies en vue de l'exploitation des produits du sol
et de leur exportation aux Etats-Unis II n'y aurait rien
d'étonnant à ce qu'ils projettent également d'étendre leur
action commerciale au Maroc, et dans ce cas, les nations
européennes auraient à compter, dans ce pays, avec une
nouvelle et redoutable concurrence.
Les exportations marocaines en Italie, consistant principale-
ment eu amandes, peaux de chèvres et de veaux, sont en
progrès sensible, de même que les importations italiennes au
Maroc. Elles passent de fr. 607.750 en 1899, à tr. 1.099.338 en
1900. Par contre, les exportations du Maroc au Portugal
{mais, fèves, etc.) restent stationnaires. Enfui l'Egypte et la
Tripolitaine ont reçu en 1900 une quantité considérable
(fr. 1.41G.050) de lainages et de babouches de fabrication
marocaine.
QUATRIÈME PARTIE
ÉTUDE RÉGIONALE DU COMMERCE
MAROCAIN
M. Mouliéras donne la division suivante du Maroc comme
étant la plus commune chez les Marocains lettrés ('>:
1» Le Maroc septentrional, comprenant ;
1. Le Rif sur les bords de la Méditerranée, depuis la pro-
vince d'Oran (frontière de l'oued Kiss), jusqu'à la tribu
maritime des R'mara, non loin deTétouan;
2. Les Djebala, au Sud et à l'Ouest du Rif, occupant la partie
occidentale du littoral méditerranéen, celui du détroit de
Gibraltar et une partie du rivage Nord de l'Atlantique:
3. Dairat-Fas (province de Fezj, au Sud des Djebala, s'éten-
dant jusqu'à l'Atlantique.
2" Le Maroc central, comprenant :
4. Les Braber, immense province qui occupe toute la partie
montagneuse du centre du Maroc;
5. H'ous Mcrrakech (pro\ince de Merrakech), bornée à l'Est
par les Braber et à l'Ouest par l'Atlantique;
6. La Dhahra, bornant la province d'Oran d'Oudjda à
Figuig, et s'étendant à l'Ouest jusqu'aux Braber.
3° Le Maroc méridional, comprenant :
7. Le Sous;
8. Le Dra ;
9. Sagiat-el-H'amra;
10. Eçça'hra (le Sahara).
L'ancienne division politique du Maroc, en royaume de Fez
et royaume de Merrakech, existe encore aujourd'hui au point
de vue économique. En effet, ces deux parties ont chacune
leurs centres, leurs courants commerciaux et leurs débouchés
propres, tandis qu'elles n'ont presque aucune relation l'une
([) A. Mouliéi'aSj Le .Varoc Inconnu (première partie), E.\ploralioa
du Rif, p. 18. f f ^ f
360 LES INTKRKTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
avec l'autre. Elles sont séparées par une longue ligne de régions
montagneuses habitées par des tribus indépendantes, s'étendant
entre les bassins du Sbou, de la Ivlloma et du Ziz, d'une part,
de rOum-er-Khira et du Dra, d'autre part. Ces deux contrées
ne communiquent qu'en deux points, aux extrémités opposées
de la ligne qui les sépare : au bord de l' Antiantique par l'étroit
couloir commandé par la ville de Rabat; et au Sud de l'Atlas
par la plaine s'étendant entre l'ouad Dadès, aftluent du Dra et
l'ouad Ziz par le Todra, le Ferkla et le Reris^'). En réalité le
Maroc comprend, au point de vue commercial, trois régions
distinctes, car l'ancien royaume de Fez se divise lui-même en
deux régions ayant peu de rapports entre elles. Le Maroc
oriental, la région voisine de l'Algérie, est la partie la moins
riche du Maroc ; il comprend : au Nord de l'Atlas, le Rif et la
vallée de la Mlouïa avec la Dhahra; au Sud de l'Atlas, la vallée
du Ghir et de laZousfana ; son commerce s'efï'ectue par l'Algérie
et par Mélilla; il a peu de rapports avec le Maroc occidental.
La région qui a pour centre Fez comprend les vallées du Sbou,
du Bou-Regrag, du Loukkos, c'est à- dire une grande partie
desBraber, la province de Fez et celles des Djebalaà l'Ouest de
Taza, y compris la presqu'île qui s'avance vers le détroit de
Gibraltar entre l'Atlantique et la Méditerranée : elle a pour
débouchés les ports de Rabat, Larache, Tai;ger et Tétouan.
Très riche au point de vue agricole (fruits, légumes), cette
région, à cause de son caractère occidenté, se prête cependant
peu aux grandes cultures ; elle renferme d'importantes agglo-
mérations urbaines où l'industrie indigène est encore assez
florissante. Les ports servent principalement au transit des
marchandises à destination ou provenant des villes de l'inté-
rieur, notamment de Fez, et les importations de produits
européens dépassent les exportations de produits indigènes.
Il convient de rattacher à cette région la vallée du Ziz
avec le Tafilelt, au Sud de l'Atlas, dont le commerce s'effectue
surtout par Fez. Le Maroc méridional, ou ancien royaume
de Marrakech, ayant pour centre la ville du même nom,
comprend les vallées de l'Oum-er Rbia, du Tensift, du Sous,
du Noun et du Dra ; au Nord comme au Sud de l'Atlas,
c'est un pays de grande production agricole ; au Nord de
l'Atlas on trouve d'immenses plaines d'une fertilité inouïe,
(ij Cli. de Foucauld. Reconnaissance au Maroc, p. 21.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMInUES DE LA FRANCE AU MAROC 361
qui produisent malgré les procédés primitifs de culture
en usage d'abondantes moissons de céréales. C'est pourquoi,
dan? les ports qui servent de débouché à cette région,
Casablanca, Mazagan, Saffi et Mogador, les exportations sont
sensiblement supérieures aux importations.
Nous commencerons cette étude régionale par rexamen du
trafic des ports ouverts au commerce, et de la région faisant
face à l'Atlantique, c'est-à-dire de celle dont l'importance
économique est la plus considérable. Nous passerons ensuite
aux oasis sahariennes et au Maroc oriental.
.§ I. — LE DÉTROIT DE GIBRALTAR
La cùte marocaine du détroit de Gibraltar est beaucoup plus
escarpée que la cote espagnole. Le territoire espagnol de
CcHta, à l'entrée de la Méditerranée, forme l'extrémité Nord-
Ouest de la presqu'île qui s'avance entre la Méditerranée et
l'Atlantique. Le mont Hacho, qui constitue la forteresse pro-
prement dite, se termine à l'Est par la pointe Elmina, dont les
feux sont visibles à 23 milles ; entre l'extrémité septentrionale
du mont Hacho et la pointe d'Europe, extrémité méridionale
du rocher de Gibraltar, la distança est de 22 kilomètres. Le
mont Hacho est séparé de la terre ferme par une langue de
terre basse et très étroite où est bâtie la ville de Ceuta
(Sehta aX...,.), dont la population est de 7 à 8,000 habitants, y
compris la garnison et les forçats. Celte place, très importante
au point de vue stratégique, oii les Espagnols font exécuter en
ce moment d'importants travaux de défense par la main-
d'œuvre pénale, est presque dénuée d'importance commerciale
La construction d'un port est commencée, mais actuellement
ce n'est qu'une rade assez bien abritée, mais peu fréquentée, à
l'exception des navires elïectuant le service postal entre Ceuta
et Algeciras. Cette absence presque complète d'activité
commerciale présente un contraste frappant avec le mouve-
ment prodigieux de Gibraltar, de l'autre côté du détroit.
Tandis qu'à Melilla, la place espagnole du Rif, on a créé un
port franc, ce qui a donné naissance à des transactions actives
avec les Marocains, rien de semblable n'existe à Ceuta qui ne
fait aucun commerce avec l'intérieur : il n'y a pas de douane
marocaine à l'entrée du territoire espagnol, et l'introduction
à Ceuta de quelques objets d'alimentation par les Marocains
362 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
constitue un commerce de contrebande : il en est de même
des objets que ceux-ci achètent à Ceula et qu'ils introduisent
au Maroc sans payer de droits d'importation. <■> Les indigènes
d'Endjra, importante tribu voisine, vendent à Ceuta des œufs,
des poules, du gibier, des céréales, et elle fait avec eux,
clandestinement la contrebande des armes de guerre euro-
péennes, des revolvers, des fusils Mauser et des cartouches.
Ceuta a sur les autres presidios l'avantage d'être abondamment
pourvue d'eau ; mais pour le ravitaillement, elle est tributaire
de Tétouan, des tribus du voisinage et de la mère-patrie. <'^
La plus grande longueur du territoire espagnol est d'environ
8 kilomètres. La ligne de défense terrestre s'étend sur une
série de hauteurs qui constituent les derniers contre torts
orientaux du Djebel-Mouça, lequel se termine un peu plus à
l'ouest par la pointe Leona, l'extrémité la plus septentrionale
du Maroc et le point de la côte africaine le plus rapproché de
la pointe d'Europe (20 k. 700) ; à l'Ouest de cette pointe se
trouve l'ilot espagnol de Peregil. Plus à l-'Ouest se trouve la
pointe Ciris : c'est entre cette pointe et un point de la côte
espagnole (à 3 k. 500 à l'Ouest de Tarifa) que se trouve la
plus faible largeur du détroit de Gibraltar (14 k.) Par contre,
la orofondeur est considérable, surtout du côté de la côte
africaine, et atteint en certains endroits de 900 à 1,000 mètres.
La baie de Tanger qui commence à l'Est du cap Malabata
est arrondie et largement ouverte : elle n'a qu'une profondeur
de 2 kilomètres, tandis que sa largeur, entre le cap Malabata
et le promontoire occidental sur lequel est bâtie la ville de
Tanger, est de 6 kilomètreB. Entièrement ouverte au Nord-
Ouest, elle offre peu de protection aux navires, mais constitue
cependant le meilleur mouillage de tout le Maroc. Les navires,
suivant la direction du vent, jettent l'ancre tantôt près de
Tanger, tantôt près du cap Malabata, sous la protection des
hautes montagnes qui le surplombent. C'est à cette situation
favorable sur une des voies principales du commerce
du monde, que Tanger doit son importance économique
actuelle. (•"> Entre Tanger et la côte espagnole, bien que le
détroit ait une grande largeur, sa profondeur est bien moindre
que dans sa partie la plus resserrée.
(1) Don Teodoro Bermudez Reina. Geografia de Marruecos, p. 217
et suiv.
(2) A. Mouliéras. Le Maroc Inconnu, 2' partie. Les DJebala p. 710.
(3) Tli, Fiscler Reise im Atlas-Vorlande von Marokko, p. 14 et suiv,
LES INTÉRÊTS ÉCONOMInUES DE LA FRANCE AU MAROC '363
A l'Est de Tanger commence, après le plateau de Marchan,
une montagne entièrement isolée appelée « El Djebel » ou
« Djebel el Kbir » qui se termine au cap Spartel, oii la côte
prend la direction du Sud : là cesse la région du détroit et
commence la côte basse et sablonneuse de l'Atlantique. La
distance entre le cap Spartel et le cap Trafalgar est de 43 k. 500.
Au cap Spartel se dressent des rochers à pic d'une hauteur de
300 mèti-es : à leur pied, à l'e.xtrémité d'une terrasse étroite,
haute de près de 100 mètres, est situé le phare que les
puissances européennes ont construit et entretiennent à leurs
Irais communs, en vertu d'une conxention signée le
31 mai 1865. (M Les feux de ce phare sont visibles à 20 milles.
Environ 300 mètres au Sud du phare, il y a depuis 1892 un
sémaphore (Lloyd Signal Station) relié télégraphiqaement avec
l'Europe. Depuis juin 18v»3, il y a été adjoint une station
météorologique convenablement aménagée. *-'
Le détroit de Gibraltar est traversé par deux courants en
sens contraire, l'un provenant de la Méditerranée, l'autre de
l'Atlantique. A l'action de ces courants se joint celle du flux
et du reflux qui se fait sentir sur chacune des deux côtes à
une distance variant entre un quart de mille et un mille, selon
le vent et la température. Enfin cette situation se complique
parfois de vents violents soufflant de l'Est et du Sud-Ouest.
Dans ces conditions, la navigation dans le détroit est parfois
dangereuse. L'existence de ces couranis rend également
difficile et foi't coûteux l'entretien des câbles télégraphiques
dans le détroit : c'est pour cette raison que les Anglais se
préoccupent actuellement de la suppression du câble de Tanger
à Gibraltar et de son remplacement par un système de télé-
graphie sans fil. Les Espagnols projettent une création analogue
entre Ceuta et Tarifa.
§ II. - TANGER (Taiulja é.^xL)
Nous venons d'examiner les raisons qui ont fait de Tanger
une place commerciale d'une grande importance : sa proximité
de l'Europe, sa situation sur une des routes maritimes les
plus fréquentées du monde, et la protection relative olîerte
(1) Voir le texte de ceUe convealion daos Les Traités entre la France
et le Maroc, par Rouird de Card. p. 2'3.
(2) Th. Fischer, ouvrage cité, p. 24 et 2'j.
2?
364 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
aux navires par la baie de l'extrémité de laquelle la ville est
située. La construction d'un port accroîtrait singulièrement
ces avantages naturels ; cependant le débanjuement est mainte-
nant facilité par un môle en fer et en bois d'environ 200 mètres,
qui a été construit en 1897 par la compagnie anglaise du
chemin de fer de Bobadilla à Algesiras; les droits de péage
sont perçus au profit du Sultan qui abandonne 20 0/q à la
commission d'hygiène<'>. Un ponton charbonnier est ancré
dans la baie de Tanger.
Tanger étant le principal point de contact du Maroc avec
l'Europe, toutes les puissances européennes y sont représentées
par des Ministres plénipotentiaires et des Consuls. Sur une
population de 35.000 habitants, on compte 20.000 Arabes,
10.000 Israélites, 4.000 Espagnols et protégés, 650 Anglais et
protégés, 117 Français, Algériens, naturalisés, protégés, etc.''''.
La situation des Européens est déterminée par la convention
de Madrid du 3 juillet 1880 ; ils possèdent de nombreuses villas
dans les environs de Tanger, et les acquisitions de propriété
n'y rencontrent point les mêmes obstacles que dans le reste du
Maroc. Le gouvernement marocain a abandonné pour ainsi
dire au corps diplomatique l'administration de Tanger. A
l'instigation du corps diplomatique, les Européens établis
versent une cotisation pour les frais d'éclairage et de voirie;
tous les ans ils élisent ceux d'entre eux qui administreront les
fonds ainsi recueillis. Ce corps élu, composé de 14 membres,
est dénommé Commission d'Hygiène ; il est sous la haute
direction du Conseil Sanitaire composé des Ministres et
Consuls généraux®.
Quatre services postaux réguliers fonctionnent entre Tanger
et les principales villes du Maroc, un français, un anglais, un
allemand et un espagnol. Trois cables télégraphiques relient
Tanger avec l'Europe : un anglais, un espagnol et un français,
le cable d'Oran à Tanger, inauguré le 24 juin 1901. Il existe
aussi dans la ville un réseau téléphonique. Enfin la lumière
électrique a été installée en 1894 pai- la Compagnie Transatlan-
(\) A. Cousin, Tamjer. p. 46. Nous renvoyons à cet ouvrage, très bien
documenté, pour le détail des droits de port, tarif des débarquements et
embarquements, emmagasinage, etc, p. 3S et saiv., cf. Commerce (jcné-
ral du Maroc en 1900. Rapport de M. Saint-René-Taillsalier, suppi. au
Moniteur Officiel du Commerce, du 9 janvier l'J'JÎ.
{1) A. Cousin, Tanger, p. 35.
(3) - - p. 29.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 365
tique espagnole"". L'industrie taugéroise, encore rudimentaire,
est représentée par une scierie mécanique (préparant les bois
de construction et d'ameublement) et une meunerie à vapeur
établie par une maison de Paris « le Printemps », une
briqueterie espagnole, trois moulins à vapeur et une usine
française pour blanchir la cire<'). Comme produits de l'indus-
trie indigène, signalons la bijouterie, l'orfèvrerie, les tapis, les
plateaux en cuivre (^i.
Voici, d'après M. A. Cousin ('*), la liste des banquiers de
Tanger :
Comptoir National d' Escompte do Paris. — MM. Ch. Gautsch
et C'», Français ; M. -Y. Benasayag, Marocain ; H. Benchimol,
Marocain, protégé Français: J.-M. Cohen, Marocain ; Haessner
et Joachimssohn, Allemands ; Moses J. Mahon, Marocains,'
protégés Italien.s, correspondants du Crédit Lyonnais ;
A. -S. Malion et G'=, Marocains, protégés Italiens ; Serfaty et
Delmar, Brésiliens. Signalons en outre la Banque Transatlan-
tique.
Actuellement Tanger est le principal port d'importation et
d'exportation de tout le Maroc da Nord ; ce n'est pas, il est
vrai, le débouché immédiat d'une région essentiellement
productrice, comme par exemple Casablanca et Mazagan.
Mais Tanger est surtout le premier port de transit du Maroc ;
c'est avec Larache le débouché de Fez et de sa région, l'inter-
médiaire presque obligé des communications avec l'Europe, le
grand entrepôt du détroit. L'escale de Tanger a sur celle de
Gibraltar plusieurs avantages : économie sur les droits de
port et de ravitaillement, fret d'aller et de retour, parcours
moins long pour les bateaux qui n'entrent dans le détroit que
pour y charbonner. D'autre part, la viande de boucherie, le
gibier, la volaille et les œufs que l'on trouve à Gibraltar
proviennent en majeure partie de Tanger ; par suite ces
vivres s'y vendent plus cher que dans ce port ('). En fait,
Tanger devient un port de relâche des plus importants, et le
nombre des compagnies de navigation qui y font escale
s'accroît sans cesse. C'est enfin le lieu d'embarquement pour
(1) A. Cousin, Tanrjer, p. 73 et suivantes.
(2) A. Mouliéras. Lo Maroc Inconnu, 2' partie, p. 643.
(o) G. Wolfrom Le Maroc. Élude Commerciale et Agricole, p. 16
(4) A. Cousia. Tanger, p. S3.
(b) Id. id. p. 30,
366 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FKANCE AU MAHOC
les pèlerins se rendant à La Mecque et pour les éraigrants qui
partent pour le Brésil.
Le commerce de Tanger, après avoir subi une diminution
progressive jusqu'en 1897 et 1898, s'est sensiblement relevé en
1899 et en 19C0. La crise antérieure avait pour causes, d'après
M. White 1", consul britannique, le transfert au port de Lara-
che d'une partie du tralic de Fez, l'absence continue de la
Cour chérifienne des capitales du Nord, l'état d'insécurité du
pays, les mauvaises récoltes, la faillite d'un certain nombre
d'importantes maisons marocaines, enfm les lluctualions
considérables et l'énorme bausse du change.
Le commerce de Tanger, de 1897 à 1900, présente les
variations suivantes :
Imporlatioiis ExportJitiuns Total
Kr. Fi-. Fr.
1897 7.654 150 4.704 625 12.358 775
1898 7.419 450 5.710 125 13.159 575
1899 10.693 700 G. 536 950 17.230 6.50
1900 12.216 850 9 656 850 21.873 700
L'augmentation réalisée en 1900 a été surtout sensiJjle aux
exportations.
Voici, d'après le rapport du consul britani.ique à Tanger (->, la
part des difl'érentes puissances dans le mouvement commercial
de cette place en 1899 et en 1900 :
Importaliolis Exporlalioii.s
Fr, Fr,
1899 1900 1899 1900
Angleterre (Gibralnu-
et Malte) 4.990 525 5.903 475 1 928 900 2.000 425
France (Algérie et
colonies) 2.893 125 2.860 400 4.57 050 999 150
Espagne (avec Melilla) 483 7(10 433 875 2 999 475 3.317 275
Allemagne 1.719 600 1.570 475 114 200 1.166 175
Egypte^elTiipoli ... '> » 998 0.50 1.416 0.50
Belgique 373 175 589 750 » 2 400
Italie 139 800 382 450 39 275 35 900
Etats-Unis » » » 686 90o
Autriche-Hongrie ... » 298 200 ■> »
Pays-Bas 44 575 124 825 » »
Suède 49 200 30 300 » »
Portugal .) 23 400 » 32 575
(1) Forei'jn Office- Annual Séries, n° 2Î96.
(2) Foreign Office Annual Séries, n» 2723.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 367
I. — Importations
Il ressort du tableau ci-dessus, que l'Angleterre occupe une
place prépondérante sur le marché de Tanger et qu'elle a pris
une part considérable dans l'augmentation des importations
constatée en 1000. Le pourcentage des importations anglaises
est de 48 1/2 % en 1900, contre 46 1/2 "/" en 1899. Quant à la
France, le chiffre de ses iinportations n'a presque pas varié,
mais ne représente en 1900 que 23 1/2 °/o contre 27 1/2 "jo en
1899. La part proportionnelle de l'Allemagne tombe de 1(3 "/o à
13 "/o. Au contraire, le pourcentage des autres pays passe de
10°/o à i5o/o : ce résultat dot être attribué à l'augmentation
du commerce belge, italien et hollandais et surtout du
commerce austro-hongrois ; une partie des marchandises de^
cette provenance ayant été importée directement par une ligne
de vapeurs austrb-hongroise a pu être classée séparément ;
mais la valeur portée au tableau ci-dessus ne représente pas le
montant total des importations de l'Autriche-Hongrie.
Voici le tableau de la part proportionnelle des principaux
pays dans les importations à Tanger pendant la période de
1897 à 1900:
1898
58 3/i
18 1/2
12 3/4
4 1/2
C'est le plus important des articles d'im-
portation, sa valeur atteignant en 1900, fr. 5.868.425, c'est-
à-dire environ la moitié des importations totales (contre
fr. 4.282.925 en 1899j. La part de l'Angleterre, dans ce chiffre,
est de fr. 4.053.800; celle de la France de fr. 813.300; celle de
l'Allemagne de fr. 730.900; celle de la Belgique de fr. 189.525,
et celle de l'Espagne de fr. 51.825. Il convient de faire remar-
quer que les chiffres indiqués pour la France et l'Allemagne
comprennent les marchandises de provenance suisse et autri-
chienne.
Soieries. — La valeur des soies brutes importées à Tanger en
1900, a été de fr. 734.000 et celle des tissus de soie de fr. 250.000.
La s'oie brute est en bonne demande pendant les années pros-
pères. La France détient les marchés des soieries, une faible
quantité seulement étant de provenance italienne et espagnole.
1897
Angleterre.
54 1/2
France ....
28 2/5
Allemagne .
13 3/5
Autres pays
3 4/5
Cotonnades.
— C'est
1899
1900
46 1/2
48 1/2 pour cent
27 1/2
23 1/2 —
16
13 —
10
15 —
368 LES INTÉBÉTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
« Los produits de nos fabriques lyonnaises, dit M. Saint-René
« Taillandier, dans son rapport pour Tannée 1900 *'>, continuent
« à être appréciés à Tanger. Cependant, d'après des renseigne-
« ments privés que j'ai lieu de croire exacts, un certain
« nombre de modèles de soieries lyonnaises auraient été copiés
« par des fabriques allemandes et vendus au Maroc comme
« produits français ».
Tisbus de laine. — La France occupe avec cet article
le premier rang sur le marché de Tanger, la concurrence
anglaise étant seule sérieuse.
Draps. — Au contraire, l'Allemagne détient le marché des
draps, une partie des draps d'importation allemande étant,
il est vrai, de provenance autrichienne. « Il est à ma connais-
(( sance, dit M. Saint-René Taillandier, que des négociants
« français de Tanger ont fait des tentatives en vue d'amener
a les grands fabricants de drap français à fabriquer un drap
« spécial et bon marché, exclusivement destiiiéau Maroc; des
« échantillons leur ont été soumis; mais nos fabricants parais-
« sent se désintéresser de la question. » La valeur totale des
lainages importés à Tanger en 1900, y compris les draps, à
atteint fr. 475.950, contre fr. 844 425 en 1899.
Sucres. — Les sucres français, qui autrefois régnaient sans
conteste sur le marché de Tanger, sont maintenant sérieuse-
ment concurrencés par les sucres belges et par les sucres
austro-hongrois. En 1900, dans les fr. 800.000 représentant la
valeur totale des sucres importés, les produits français n'entrent
guère que pour la moitié. M. Saint-René Taillandier attiibue
l'accroissement considérable des importations de l'Autriche
Hongrie en 1900 aux sucres dont ce pays a su depuis peu
d'années faire adopter la marque au Maroc et qu'il introduit
directement sans plus emprunter les voies d'Anvers et de
Hambourg. Notre Ministre appelle l'attention de la Chambre
de Commerce de Marseille sur cette nouvelle concurrence
pour le sucre français, notamment celui des raffineries mar-
seillaises, de préférence consommé à Tanger. « Bien que le
« sucre français, dit-il, soit particulièrement apprécié au
« Maroc et que les principales marques y soient connues de
(1) Année 1902, a' 81. Supplément du Moniteur Officiel dit Commerce
du 9 janvier 1902.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 369
« longue date, mes renseignements particuliers me forcent à
« penser que nos raflineries ne font pas tous les efforts désira-
« Lies pour se constituer de nouveaux marchés. Tous nos
« commerçants locaux sont d'avis qu'il faut réduire nos prix
« et accorder de plus larges facilités de paiement; mais je crois
« qu'il est aussi de l'intérêt de nos raffineries de multiplier
« le nombre de leurs agents au Maroc et de ne pas se fatiguer
« de faire de la propagande. » Etant donné les facilités de
paiement accordées aux acheteurs par les maisons belges et
allemandes, qui arrivent jusqu'<à vendre à crédit de six mois,
alcrs f[ue les raffineries de Marseille ne vendent qu'au comptant,
et la petite différence de prix existant entre les sucres français
et étrangers, il est à craindre que cette concurrence ne prenne
de jour en jour des proportions plus considérables. Une des
raffineries de Marseille, émue des résultats obtenus par les
étrangers, s'est décidée à diminuer le prix de son sucre et celui
(lu transport poui' les ports de la côte où les sucres belges
arrivent en plus grande quantité, afin de conserveries marchés
des dilférenfes villes du Maroc. De plus, la raffinerie de Chante-
nay, afin d'introduire au Maroc sessucres(iui y étaient inconnus
auparavant, vend ses produits avec un escompte de 2 1/2 O/q,
et le montant n'est payé qu'à l'arrivée de la marchandise; les
autres raffineries françaises, sauf de rares exceptions, ne ven-
dent leurs sucres qu'après avoir été payées d'avance du
montant (•). Le Consul britannique à Tanger croit que le sucre
égyptien se vendrait facilement sur cette place et pourrait
concurrencer le sucre français si les frais de transport étaient
moins considérables, aucune ligiie directe de vapeurs n'exis-
tant entre l'Egypte et le Maroc.
Farines. — La valeur de la farine importée en 1900 est de
fr. 228,000 ; la demande est en augmentation constante depuis
quelques années, à cause de la cherté du blé dans le district de
Tanger. La plus grande partie est fournie par la France, le
reste étant de provenance américaine et importé par Gibraltar-
Bouffies. — Tanger a reçu en 1900 pour 168,-325 francs de
bougies, presque exclusivement de provenance anglaise, la
Belgique ayant importé 506 caisses et la France 132. La bougie
était autrefois un de nos principaux articles de vente ; mais la
{.{) Rapport de M. de Moabel, ancien fininistre de France à Tanger.
Moniteur Officiel du Commerce, du 8 mai 19U0.
370 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
bougie actuellement consommée au Maroc est à base de
paraffine, tandis que la bougie française est à base de stéarine.
Cependant les bougies à stéarine de fabrication hollandaise
sont appréciées par les Marocains riches qui peuvent se per-
mettre une plus forte dépense. On prétend que les .\llemands
imitent les bougies anglaises.
Huiles et Beurre. — Sur fr. 100,000 d'huiles importées à
Tanger en 1900, l'Angleterre en a introduit les deux tiers, de
provenance américaine, à ce que l'on prétend. L'Espagne et
l'Allemagne en ont introduit une certaine quantité. Marseille,
qui expédiait auparavant la moitié des huiles consommées à
Tanger, n'en a introduit que pour 10,000 francs. Quant au
beurre, M. Saint-Piené Taillandier estime que le cbifTre de
notre importation, jusque là insignifiant, pourrait être
augmenté, le beurre français pouvant arriver à Tanger plus
frais que les beurres étrangers.
Thé. — La valeur du thé importé à Tanger en 1900, a été
de fr. 549,250, presque exclusivement de provenance anglaise.
Café. — Valeur en 1900, fr. 52,875 ; principalement d'ori-
gine brésilienne, expédié par l'Allemagne et la France.
Tahac. — En 1900, les importations ont atteint fr. 208,950,
provenant de Gibraltar, de France, d'Algéile, d'Allemagne et
d'Autriche-Hongrie.
Fruits, provenant surtout d'Espagne.
Vins et spiritueux. — Importations en 1900, fr. 321,750.
Les vins proviennent pour la plus grande partie d'Espagne. Il
semble que les vins français et algériens pourraient venir
concurrencer les vins espagnols sur la place de Tanger.
Epices. — Valeur en 1900, fr. 170,043, surtout d'importation
anglaise.
Conserces, de provenance française et anglaise.
Produits chimiques. — Valeur, fr. 88,675, comprenant prin-
cipalement la potasse importée d'Allemagne et de Belgique, le
salpêtre d'Allemagne et le soude d'Angleterre. Le salpêtre,
faisant l'objet d'un monopole, ne peut être introduit que pour
le compte du gouvernement marocain. Les drogues sont intro-
duites par la France et l'Angleterre.
Allumettes. — Sur un total de fr. 122,375, la part de l'Italie
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 371
a été de t'r. 63,125, celle de la France de fr. 4t>,375 et celle de
l'Angleterre de fr. 26,875.
Quincaillerie. — La valeur de la quincaillerie (machines
agricoles, couteaux, etc.) introduite à Tanger en 1900, est de
fr. 190,500. La part de l'Angleterre est de fr. 78,425, celle de
la Franec de fr. 36,975, celle de l'Allemagne de fr. 29,250, et
celle de la Belgique de fr. 18,450.
Fers et Aciers. — Valeur totale, fr. 1 48,350, de provenance
française, anglaise et allemande.
Verrerie. — Le total de l'importation de cet article s'est élevé
à fr. 82,375 en 1900, contre fr. 148,950 en 1899. La plus grande
partie est introduite par l'Allemagne, le reste pir la France.
Un artic'e en bonne demande est le verre à thé de couleur,
surtout de fabrication austro-hongroise et expédié jusqu'à
présent par l'Allemagne et la Belgique. M. Saint-René Taillan-
dier estima que nous devons pouvoir fabriquer également cet
article et qu'il importerait de l'introduire à bon marclié.
Papeterie. — Valeur en 1900, fr. 45,175, surtout de prove-
nance trançaise.
Ameublement. — Il a été introduit en 1900 pour fr. 103.700
de marchandises rentrant dans celte catégorie : lits, chaises,
glaces, etc.
Matériaux de construction. — Valeur importée en 1900,
environ fr. 315.000 : marbre pour parquets ; poutres en fer,
de provenance belge ; bois de construction, de provenance
suédoise ; briques et tuiles, de France et d'Espagne ; ciment
de Portiand, surtout de provenance française, etc.
Pétrole. — La décadence des importations de pétrole à
Tanger doit être attribuée à l'augmentation de l'usage de la
lumière électrique et à l'abondance de cette denrée en
magasin .
Charbon. — L'augmentation du prix du charbon a sérieu-
sement affecté les importations à Tanger ; les propriétaires de
moulins utilisent le bois, de préférence à un combustible plus
cher. Dans les maisons particulières, on brûle le charbon de
bois de préférence à la houille. Le ponton de charbon amarré
à la baie ne fait pas beaucoup d'affaires avec les navires ;
étant donné la difficulté actuelle de faire du charbon à Tanger,
372 LES INTÉRÊTS ÉCONOJirQUES DE LA FRANCE AU ILVROf:
ceux-ci préfèrent aller y Gibraltar. La demande étant très
faible, il n'y a pas de concurrence et l'on paie - I.IG sh.
(fr. 35) par tonne de houille livrée en douane.
II. — Exportations
Depuis 1897, les exportations de Tanger se présentent en
augmentation constante ; cette augmentation a été surLout
sensible en 1900 et porte principalement sur les peaux
de chèvres, les bœufs, la cire, les laines, les babouches.
Ce commerce a un caractère local nettement tranché. En effet,
les produits naturels, exception faite de la cire expédiée .en
Allemagne, des peaux de chèvres envoyées aux Etats-Unis et
des dattes envoyées à Londres, sont pour la plupart exportés
dans les régions voisines : Sud de l'Espagne, possessions
anglaises de la Méditerranée. Quant aux produits de l'industrie
marocaine pour lesquels Tanger est iè principal port
d'exportation, ils sont tous envoyés dans les pay.s voisins de
l'Afrique musulmane. L'Espagne a une part prépondérante
dans les exportations de Tanger ; elle en a reçu en 1900
34 1/3 °/o ; cette part avait été, il est vrai, de 45,9 "/o en 1899.
Dans les chiffres portés au compte de l'Espagne, rentrent les
expéditions à destination de Mélilla, port qui approvisionne le
Maroc du Nord- Est. La part de l'Angleterre est tombée
de 29,5 "/„ en 1899, à 20,7 % en 1900 ; une quantité considé-
rable de marchandises à destination des Etats-Unis a pu être
séparée des chiffres portés au compte de l'Angleterre ; d'autre
part, la presque totalité de ces exportations a pour destination
Malte et Gibraltar, 12 à 15 "/o à peine étant envoyés en
Angleterre. Au contraire, la part de l'Allemagne est passée
de 1,8 % en 1899, à 12,1 "/o en 1900. Celle de la France est
passée de 7 «/o à 10,3 «/o ; dans les chiffres portés au compte
de la France rentrent les expéditions à destination de l'Algérie,
de la Tunisie et du Sénégal. Une quantité considérable de
produits de l'industrie marocaine est expédiée par Tanger, en
Tripolitaine et en Egypte.
Œufs. — C'est un des priiTcipaux articles d'exportation.
Ce commerce, qui ne date que de quelques années, est en
progression rapide. Il a été exporté, en 1900, 46. .500.000 œufs,
d'une valeur totale de fr. 1.954.525. La plus grande partie est
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA. FRANCE AU MAROC 373
envoyée en Espagne, le reste à Gibraltar (d'où une certaine
quantité est réexpédiée en Angleterre, en France, en Alle-
iTiagne). Les envois en Espagne, cause de la proximité
de ce pays, peuvent être elïectués pendant toute l'année,
tandis que les envois dans les autres pays ne peuvent avoir
lieu que pendant la saison froide. Ces œufs sont petits, mais
de bonne qualité, et l'on peut s'en procurer de grandes
quantités à des prix modérés.
Bd'ufs. — I^e nombre des bœufs exporlés par Tanger en
1900 a été de 23.659, d'une valeur totale de fr. 1.892.725 :
14.488 ont été expédiés a Gibraltar et 9.120 en Espagne et à
Melilla. II. y a quelques aunées, l'exportation des bœufs par
Tanger s'élevait en moyenne à plus de 2.500.000 fr. par an ;
en 1894, elle avait atteint le chiffre considérable de fr. 4.185.000,
portant sur 30.000 tètes de bétail. Mais à cette époque un
grand nombre de bœufs étaient expédiés à Marseille ; à la
suite des restrictions imposées par les autorités françaises,
les exportations directes de bœufs à destination de ce
port ont cessé, mais un grand nombre parviennent à
Marseille par les ports algériens après avoir franchi 'la
frontière par voie de terre ou après avoir été expédiés
par Melilla.
On évite ainsi le droit d'exportation de 25 francs par lète de
bétail, perçu à Tanger. Notons que Tanger est le seul port
marocain par lequel l'exportation des animaux vivants soit
autorisée, dans la mesure indiquée plus haut.
Volailles. — Valeur en 1900, fr. 101,850. Elles sont
expédiées à Gibraltar et dans les régions adjacentes
d'Espagne.
Peaux de chèvres. — La valeur des peaux de chèvres expor-
tées en 1900 a été de fr. 1,012,525, contre fr. 323,750 en 1899 :
elles sont dirigées principalement sur les Etats-Unis, la
France, l'Espagne et l'Italie.
Peaux de bœufs. — Dirigées principalement sur l'Espagne.
Cire. — L'augmentation considérable des exportations de
cire, passées de fr. 197,900 en 1899 à fr. 1,154,825, a pour
cause d'i in portantes expéditions en Allemagne. La France en
reçoit une certaine quantité.
Alpiste. — Expédié en Angleterre.
374 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
Dille?. — L'exportation des dattes par Tanger a atteint en
1900, fr. 234,515, la plus grande partie à destination de l'An-
gleterre, et le reste surtout pour l'Espagne.
C/irtCMi (savon minéral), expédié en Algérie"'.
Produits de l'industrie marocaine. — Les lainages et les
babouches fabriqués au Maroc et surtout à Fez sont expédiés
en grandes quantités par Tanger en Egypte, en Tripolitaine,
en Algérie, au Sénégal, à Mélilla. Les tissus de laine (couver-
tures, haïks, djelabas, etc.) exportés en 1900 représentent une
valeur de fr. 1,029,500, contre fr. 472.000 en 1899 ; l'exporta-
tion des tapis, provenant de Rabat, a atteint, fr. 270,050 (conti'e
fr. 141,300) ; celle des babouches s'est élevée de fr. 755,625 en
1899 au chilTre considérable de fr. 1,550,000 en 1900. Une
partie importante de ces articles, notamment des babouches,
est e-xpédiée au Sénégal. Dans son récent rapport, M. Saint-
René Taillandier insiste sur ce fait, que, faute de bateaux
français touchant à Tanger avant d'aller au Sénégal, les
babouches sont transportées par des bateaux allemands qui
font le service de la côte occidentale d'Afrique (Wœrmann
Liniej et qui passent à Tanger tous les mois. « La babouche,
« écrit il, constituant un fret régulier pour le Sénégal, il me
(( paraît ulile que cette situation soit portée à la conTiaissance
« des compagnies de navigation ayant des services entre
« Marseille et le Brésil par Dakar. Si leurs bateaux passaient
« à date fixe à Tanger, et si le commerce en était exactement
« informé, ils auraient les plus grandes chances d'y prendre
« du fret pour le Sénégal, et des passagers (émigrants Israélites)
« pour le Brésil, qui s'y rendent par les bateaux de la Compa
« gnie Ligure Brasiliana, de Gènes, touchant à Tanger une fois
« par mois. »
III. — Navigation
En 1900, ont touché à Tanger, 1,336 navires jaugeant
423,917 tonnes, contre l,0i4 navires jaugeant 358,590 tonnes
en 1899.
Voici le tableau du mouvement de la navigation de Tanger
en 1899 et en 1900.
(1) Les Arabes prononcent r'asoul. Quant à l'usage de ce savon,
cf. Mouliéras. Maroc Inconnu., t. 11, p. 496, n" t.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCli AU MAROC 375
-1 899
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Espagnols
622
1 20. 056
827
131.730
Allemands
29
24.090
46
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Francjais ■. . .
65
43.895
68
44.040
Ilnliciis
16
31.235
16
28.707
Ilollaudnis
U
10.897
17
17.015
Auslro-IIongrois . . . .\
«
0
9
13.868 !
1 Roumain
»
1
1.452
Portugais
33
1.365
41
711 i
2
494
686
183
2.271
1.848
2
2
»
604 1
362
»
Russe
Tun-s
Belge
Total
1.044
358.590
1.336
423.917
L'Espagne vient en tête pour le nombre des navires, mais
elle est dépassée par l'Angleterre en ce qui concerne le
tonnage : cela tient à ce que dans les 827 navires espagnols
entrés à Tanger en 1900, on compte 517 petits voiliers d'un
tonnage total de 9.618 tonnes seulement. Quant à la navigation
à vapeur espagnole, elle porte presque exclusivement sur les
navires de la Compai'ia Transatlanlica qui font le service
postal entre Cadiz et Algecir-as et qui touchent à Tanger et à
Gibraltar sur leur passage : de là 300 entrées à Tanger en 1900,
représentant 1 16.556 tonnes. Les voiliers espagnols sont pour
la plupart employés à la pèche, ou à transporter des œufs et
provisions dans les ports espagnols voisins et à en rapporter
des vins, des poteries, des fruits, etc.
376 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
L'Angleterre a vu augmenter sa Navigation à vapeur en 1900
de 23 navires. Elle est représentée par les compagnies suivantes:
Entiées en 1303 Tonnage
M. H. Bland et Co, Ld, service entre
Gibraltar et Tanger 22i) 29.172
Forwood Brothers et Co, de Londres
aux Canaries 34 41 970
Papayamii Steamship Co, de Llverpool
en Egypte 35 57 . 774
La France, dont la navigation est restée stationnaire en 1900,
est représentée par les compagnies suivantes :
Entrées en lOûO Tonnage
Compagnie K. Paquet, de Marseille aux
Canaries 37 21.988
Compagnie de Navigation Mixte, de
Marseille à Tanger par l'Algérie. .. . 25 19.322
Des arrangements ont été pris pour que les cargo-boats de
la Compagnie des Vapeurs de Charge français touchent à
Tanger sur leur route entre Marseille et Dunkerque. D'autre
part, depuis le li^f janvier 1902, la Compagnie Navale de l'Ouest
a organisé un service mensuel entre le Havre et les ports Maro-
cains, faisant escale notamment à Tanger.
L'Allemagne a vu son tonnage presque doubler en 1900
parce que la Levant Linic a repris ses escales à Tanger et
parce que la Woermann Linie a augmenté ses entrées dans ce
port. Voici le tableau de la navigation allemande :
Entrées en 1900 Tonnage
Slomann Linie, de Hambourg à la Alédi-
terranée 14 14. 188
Woermann Linie, de Hambourg à la
côte occidentale d'jVfrique 13 11 .847
Oldenburg, Portugiesische Linie, de
Hambourg aux ports marocains .... 13 10.439
£ei'a»ii Lijii'e, Hambourg-Constantinople 0 8.326
L'Italie est représentée par la Ligure Braziliana, entre
(rênes et l'Amérique du Sud, qui fait escaie à Tanger où elle
embarque des émigrants-pour le Brésil.
La Hollande est représentée par la Compagnie Royale Néer-
landaise, entre la Hollande et les Indes, qui fait escale à
Tanger où elle a embarqué en 1900 des pèlerins pour le Hedjaz,
LES INTÉBKTS ÉCONOMIQUKS DE LA FRANCE AU MAROC 377
L'Autriche- Hongrie a ùté représentée pour la première fois
en 1900 par le fJoijd Autrichien, dont les navires faisant le
service de l'Amérique du Sud ont touché à Tanger. La
Compagnie Adria vient de créer un service de navigation
régulier vers les ports n arocains.
La navigation portugaise ne se compose que de petits voiliers,
employés à la pêche.
Ohservaiion. — La Errance tient tou.joui's une place considé-
rable dans le commerce de Tanger, surtout en ce qui concerne
les importations. Il est intéressant de constater qu'au lieu de
porter presque exclusivement sur un seul article, le sucre,
comme cela se produit dans la plupart des ports marocains
nos envois à Tanger se répartissent .sur un très grand nombre
de marchandises diverses, au premier rang desquelles ligurent,
pour une valeur sensiblement égale, les sucres, les cotonnades,
les soieries et les lainages. Quant aux exportations, les colonies
françaises y ont une large part. « Nos produits nationaux )),
écrivait M. de Monbel, ancien Ministre de FranceO, « sont,
« à l'exception de certains articles étrangers, plus recherchés
« au Maroc que ceux des autres pays; les relations commer-
« ciales sont des plus faciles et des plus continues, à l'aide de
« notre navigation et des agences de banques françaises,
« parmi lesquelles se trouve le Comptoir National d' Escompte ,
« qui, depuis son établissement au Maroc, rend de très utiles
« services au commerce français et facilite les rapports avec
« tous les autres pays en général. »
§ in. — TCTOUAN (Tit'l'aouine ^jj Li-^_.' )
Cotte ville est située à 8 kilomètres de la Méditerranée sur
l'oued Jelu ou Martil à l'embouchure duquel se trouve la rade
par laquelle Télouau communique avec l'Europe. C'est une
rade ouverte qui n'olïVe pas d'abri aux navires. Les embarca-
tions d'un faible tirant d'eau peuvent entrer dans le fleuve
lorsque la barre ne les en empêche pas. Les navires de fort
tonnage ne peuvent mouiller qu'à un mille de la côte : la rade
de Tétouan ne leur offre par conséquent aucun abri contre les
vents.
(1) Le commerce e.Kténeur de Tanger, Larache, Mazagan, Salii et Rabat
en lb98, Moniteur Officiel du Commerce, du S mars 19i.iO.
378 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
Cette ville qui compte une population de 20.000 habitants
est le siège d'une industrie assez florissante. On y fabrique des
objets en cuir brodé, des babouches, des cebiturcs, des soies
brodées, des djellabas, des haiks, des vases en cuivre, des
mosaïques, des meubles, etc. Une des principales industries
de la ville est celles des fusils dai)iasquincs(^'> ; mais les fabri-
cants de fusils luttent difficilement contre la concurrence
européenne. Le commerce de la place, presque entièrement
entre les mains des Juifs, a un caractère absolument local. Les
peuplades des montagnes envii'onnantes sont très pauvres:
elles n'apportent que peu de produits sur le marché, et leur
faculté d'achat est limitée.
Voici, d'après le rapport de M. Bewicke, vice-consul
britannique <->, le tableau de la valeur des échanges en 1899
et 1900 :
Importations ExporUlions
Fr. Fr.
1899 1900 - 1899 1900
Angleterre... 848. 700 575.325 117.-450 68.150
France 143.375 191 .325 13.950 25.700
Espagne 23.275 24.900 27.300 15.150
Allemagne... » 48.100 » »
Total... 1.015.350 839.650 158.700 109.000
Il ressort de ce tableau que la diminution du commerce
total, constatée en 1900 par rappoi-t à 1899, est entièrement à
à la charge du commerce angbiis, ou plus exactement de
Gibraltar. Le commerce français est au contraire en progrès
sensible, ce résultat étant dû, comme nous le verrons plus
loin, à l'augmentation de la navigation française dans le port
de Tétouan.
I. — Importations
Les principaux articles d'importation sont les colonnades
anglaises, les soieries, les sucres français, les bougies, le thé,
le café, le pétrole, les draps, etc. L'augmentation des impor-
tations de farines et d'huile d'olive, l'importation de céréales
(1) R. J. Fri-ch Le Maroc, p. 228.
(2) Foreirjn Office, Annual Séries, n" 2723.
LKS INTÉRKTS El .ÛNOMIQL ES DE LA IKANCE AL" MAKOC o7i>
de la côte voisine, sont des signes de mauvaise récolte, et
par suite, de diminution de la richesse et de la faculté d'achat
de la population.
II. — ExrORTATIiiNS
Les principaux produits naturels exportés sont: la r/rainc
de lin, les arnundcs, le liî'ge, les oranges, les œufs, la CfVe.
Il a été exporté en IDOO, 4,400 paires de babouches, d'une valeur
de fr. 7.2.30. La pêche et le couimerce des poissons salés sont
entièrement entre les mains des Espagnols : le sel est importé
d'Espagne et les poissons sont expédiés dans les ports espa
gnols et à Gibraltar.
Le consul britannique signale un essai d'acclimatation de
tabac de La Havane .dans cette région : la récolte a été très
satisfaisante, les feuilles étaient grandes et belles ; mais il est
à craindre que l'humidité et les changements de température
ne rendent impossible la préparation du tabac sans pro-
cédés artificiels ; dans ces conditions, même si la culture
était libre, le tabac produit ne serait pas de première
qualité <■'.
III. — Navigation
Voici le tableau de la na\igation du port de Téiouar. en 1898,
1890 et llKlO;
i PAVILLON!^
-1
39S
tonnA(;f.
1899
5-5 ; TOXN'ir.F.
1
5=^ >
900
TO.XNAGE
1
16
^
r'r;mrais ..
UO
12 206
23
17.632
Anglais . . .
82
5.027
63
4.153
■ 59
4.680 ;
Allemands.
1
146
!)
,)
3.
3.500
1 Espagnols .
Total...
38
122
59.5
64
1.143
42
2.481
5.908
143
17.502
127
23.293
En jetant les yeux sur ce tableau,- il est impossible de ne pas
être frappé de l'augmentation du tonnage de la navigation
fru'içaise d'une manière absolue et par rapport au tonnage
fl) Foreiyn Office. Annual Séries, n° Î6CI3.
28
380 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
total : depuis 1899, les vapeurs de la Compagnie Française de
Navigation Mixte font escale à Tétouan en allant d'Oran à
Gibraltar et à Tanger : ils s'arrêtent maintenant à Tétouan
tous les quinze jours, à moins que le mauvais temps ne les en
empêche. Celle circonstance explique surabondamment le
développement du commerce français à Tétouan. Etant donné
les conditions favorables où il se trouve, un elTort relativement
faible suffirait pour nous implanter davantage sur ce marché
qui, malgré son caractère restreint, a une certaine importance
pour nous à cause de sa proximité de l'Algérie et de sa situation
à l'entrée de la Méditerranée.
L'apparition de plusieurs navires de HamJjourg a eu pour
conséquence naturelle l'apparilion du commerce allemand à
Tétouan. On dit que la Goinpagnie en question se propose d'y
faire escale périodiquement.
§ IV. — L.\UACIII5 (Kl-Araïch ^i ->',-*-')
Ce port, situé à l'embouchure du Loukkos, sur l'Atlantique,
était autrefois exlrêmement actif; mais ses transactions ont
diminué par suite do l'ensablement de l'embouchure du fleuve,
et à cause de la barre qui est très dangereuse par les gros
temps. Depuis 1809, le port a été doté d'un petit remorqueur
qui, bien que peu en état de passer la barre par un gros temps,
facilite cependant les transactions <". M. Fischer estime qu'il
serait relativement facile et peu coûteux d'indiquer l'embou-
chure du Loukkos et d'en faire ainsi un très bon' port'-*. La
plupart des marchandises débarquées à Larache ne font que
transiter à destination de Ksar-el Ivbir, d'Ouazzan, de Fez et
de Meknès. Larache, qui est actuellement le port le plus
rapproché de Fez, dispute à Tanger le transit de cette capitale ;
c'est le débouché le plus immédiat de la fertile région du
R'arb et du bassin du Sbou, c'est-à-dire d'une des contrées les
plus riches et les plus peuplées du Maroc. Cependant, le port
de Larache qui, pendant les années antérieures, avait pris
une partie du transit de Tanger, a perdu en 1900 cet élément
de trafic, transféré de nouveau à Tanger. Les fluctuations
(1) Mourement commercial et marilime de Larache en 1899.
Rapp. de M. Jfannier, vice-consul de France. Moniteur officiel du
Commerce, du 'M août 1901).
(2) Tli. Fischer. Reise im Atlas-Vorlande von Marokko, n° 37,
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA. FKANCE AU MAROC 381
considérables rUi change, en amenant une grande incertitude
dans les transactions, ont enipêclié, dans une très large
mesure, le développement des importations ; en 1900, ces
fluctuations ont été inférieures à celles des années précé-
dentes. On peut espérer que le séjour actuel de la Cour
chérifienne dans les capitales du Nord, donnera une nouvelle
activité au commerce de Larache.
Le tableau suivant <') donnera une idée des lluctuations des
importations à Larache, depuis 189-i.
1894 Fr. 6.886.735
1895 — 8.458.774
1896 — 7.576.000
1897 — 5.165.000
1898. . . < — 4.117.200
1899 — 5.056.950
1900 — 2.867.325
Voici maintenant le mouvement du commerce pour 1899
et 1900 : '^>
Importations E.xporlations
Fr. Fr.
1899 1900 1899 1900
Angleterre.. 3.090.850 1.462.425 769.925 349.625
France 1 . 46 1 . 000 1 . 097 . 650 349 . 1 75 408 . 500
Belgique.... 337.200 235 050 » »
Allemagne. . 132.625 64.125 229.900 56.525
Espagne.... 9 275 3.775 85.875 232.800
Portugal.... » 2.150 132 000 128.375
Italie 26.000 2.150 » »
Total... 5.050.950 2.867.325 1.566.8/5 1.175.825
I. — Importations
Comme le montre le tableau ci-dessus, les importations à
Larache ont subi une baisse considérable pendant ces dernières
années, et les chitTres de 1900 marquent une diminution très
sensible sur ceux de 1899. Cela tient à ce que les négociants
(I) Commerce fjénéral du Maroc en 1900. Rapp. de M. S. Reoé
Taillandier. Supplément au Moniteur officiel du Commerce, du 9 jaa-
vier l'JU'^
(î) Rapp. de M. Forde, vice-coasul britannique. Foreign Office,
Annual Séries, n° 2723.
382 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
de Fez et de Meknès onL trouvé plus de profit à recevoir leurs
marchandises par Tanger ; les frets pour ce port et les droits
perçus ôlant moins élevés, cet avantage a plus que compensé
celui d'un transport terrestre plus rapide et du louage des
cliameaux meilleur marché par la voie de Larache. Il est à
remarquer que le commerce anglais a beaucoup plus souffert
de cette diminution que le commerce français, car elle a porté
sur les cotonnades bien plus que sur les sucres.
Colonnades. — La valeur des cotonnades (d^ Manchester)
importées à Larache en 1900, n'a été que de fr. 950.000 contre
tr. 2.397.025 en 1899.
Sucres. — La valeur des sucres importés est tombée de
fr. 1.458.800 en 1899, à IV. L065.400 en 1900. Les sucres
français entrent dans ce total pour 83,97 "/o et les sucres
belges pour 16,03 "/o, la part proportionnelle de la France
ayant augmenté de 1,83 en 1900. La plus grande partie des
sucres français proviennent de Marseille ; ils- sont extrêiiiement
recherchés, et le consul britannique à Larache disait, dans un
rapport de 1899, que les raftineurs marseillais ne pouvaient
suffire à toutes les commandes qu'ils recevaient. D'autre part,
une certaine quantité de sucre est expédiée de Nantes, par
Gibraltar ; le sucre des raffineries de l'Ouest de la France a
été trouvé égal, peut-être légèrement supérieur en qualité à
celui de Marseille, son piix étant inférieur de 1 fr. ou 1 fr. 50
par 100 kilog. ; mais ces envois ont été entravés jusqu'à
présent par l'absence d'une ligne directe de transports entre
les ports français de l'Ouest et les ports marocains de
l'Allantique.
Bougies. — Leur valeur est passée de fr 309,200 en 1899,
à fr. 269,150 en 1900, presque entièrement de provenance
anglaise ; les envois de la lîolgique étant peu imiiortants.
riio. —Valeur: fr. 111.425 en 1900, contre (r. 193.750 en
1899, de provenance anglaise.
Soie brute. — Valeur: fr, 85.025 en 1900, contre tr. 73.950
en 1899, de provenance française et allemande.
II. — Exportations
En 1900, la France vient au premier rang dans le commerce
d'exportation de Larache : depuis quelques années, elle dispu-
ait cette première place à l'Angleterre. Les exportations des
LES INTÉRÊTS ÉGONOMIQUICS DE LX FRANCE AU M.\ROC 383
laines ont été inférieures de moitié à celles de 1899 (fr. 381.825
conire tV. lll.Wih) h cause des mauvaises conditions de vente
en Europe ; de grandes quantités de laines sont restées en
magasin à Larache. Les régions montagneuses des environs
produisent, en dehors des laines inférieures, une laine d'excel-
lente qualité et d'une très belle couleur, que les tribus du
voisinage achètent à des prix que les exportateurs ne peuvent
obtenir et s'en servent pour faire leurs vêtements. On exporte
une laine de belle qualité nommée Aboudia. La France, l'An-
gleterre et l'Allemagne se partagent les exportations de laines
de Larache. Les exportations de peaux de chèores (fr. 105,450),
Ae, savon minéral {g\vAzy\\), de crins, de vêtements mauresques
prennent toutes le chemin de la France. L'exportation des
iimincs d'a'pislc (fr. 306,500 en 1900, contre fr. 411,300 en
1899) est dirigée principalement sur l'Anglet 'rra et l'Espagne :
20°/o des envois de C3lte denrée en 1899- lOOO étaient conservés
depuis 4 ans en magasin, dans l'attente d'une hausse sur les
marchés européens: ce proluit ne se détériore pas comme les
céréales conservées eu magi^in. Les /'«ues (fr. 198,325 en 1900,
contre fr. 249,525 en 1899) sont expédiés surtout en Angle-
terre et au Portugal, une faible quantité étant envoyée en
Espagne.
111. — Na\I(;ation
Voici le tableau de la navigation du port de Larache en 1899
et 1900 :
PAVILLONS
-1
a .y
899
ToNN.\OE
5- -
900
TONNAGE
46
34
23
31
16
7
2
2
24.305
23.190
15.114
10.498
^60
833
405
268
33
23
17
67
5
5
4
1
15.335
14.254
12.389
1.533
734
496
4j--(! ;
90
' Français
AlleiiiaiiJ.s
Espagnols ....
Portugais
Danois
Russes
Total
161
75.473
165
45.337
384 LES INTERETS ECONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
La diminution considérable des échanges en 1900, spéciale-
ment du commei'ce d'importation, a eu pour corrélation une
diminution de la navigation. La diminution porte presque
exclusivement sur les vapeurs des lignes régulières. La Com-
pagnie Transatlantique Espagnole a complètement supprimé
ses escales à Larache, et en 1900, le pavillon espagnol n'es*
représenté que par des voiliers. Le pavillon français est repré-
senté à Larache par la Compagnie Paquet, de Marseille
(service bi-mensuel).
Il est facile de se rendre compte, par ce qui précède, de la
place considérable occupée par la France dans le commerce
de Larache, tant aux importations qu'aux exportations. Ce fait
est d'autant plus intéressant à constater que cette ville est le
port le plus rapproché de Fez, la capitale du Nord, où la
France a des intérêts économiques et politique de premier
ordre. « La préférence des négociants de Larache pour notre
« pays, écrivait î\l. de Monbel"), tient sans doute à la proxi-
n mité relative de Marseille, mais plus encore aux facilités
« qu'ils rencontrent de la part de nos commerçants ou de nos
« armateurs. Les produits français sont meilleurs, et « le
« Français est plus accommodant ». Si nos produits étaient en
« même temps meilleur marché, nous ne tarderions pas à
« éliminer tous nos concurrents. »
§ V. — LES DJEBALA
La région qui se trouve à proprement parler entre deux
mers, la région des Djebala s'étendant au sud et à l'ouest du
Rif et dont la partie maritime est baignée à la fois par la Médi-
terranée, le détroit de Gibraltar et l'Atlantique, est, comme
son nom l'indique, entièrement accidentée, sauf dans la partie
voisine de l'Atlantique. L'ouad Ouarera, l'un des principaux
affluents du Sbou, sépare les Djebala des plaines de la pro-
vince de Fez. La population des Djebala, très dense, est
(0 Rapport de M. de Monbel, ancien ministre de France. Moniteur
officiel du Commerce, du 8 mars 1900.
LES INTÉRÉrS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 385
évaluée par M. Mouliéras à près de deux raillions d'habitants <')
répartis sur 36,000 kilomè'res carrés environ, soit environ
55 habitants par kilomètre carré. Les habitants vivent en
groupes ou bourgs d'importance inégale, dont quelques-uns
sont considérables, mais qui ont un caractère rural nettement
accentué. La population s'occupe presque exclusivement de
culture et de jardinage. On trouve dans cette province des
champs d'orge, de bU, de maïs, de fèves, de pois ; mais la
plus grande ressource consiste dans les arbres fruitiers,
notamment les noyers, les oliviers, les figuiers, les orangers,
les vignes : ces arl)res donnent des fruits en abondance, qui
sont échangées contre des céréales apportées par les caravanes
de la province de Fez ; on fabrique du vin et de l'huile. Les
cul/urcs maraîchères sont également très répandues. Le lin et
le chanvre occupent des milliers d'hectares dans la province
des Djebala où l'on >se livre à la lilature et au tissage. On y
cultive le tabac et le kif Les montagnes sont couvertes de
forêts de diènes-liège, de cèdres, de tlnijas. Mentionnons
encore la culture du mûrier et l'élevage des vers à soie ; mais
le tissage de la soie a lieu à Fez et à Marrakech. Le bétail est
surtout représenté par des chèvres, on rencontre également
des moutons, des bœufs et des chevaux. Enfin l'apiculture est
assez répandue. Cette province septentrionale, grâce h l'abon-
dance et à la régularité des pluies, grâce aussi à l'extension
des exploitations arbustives et de l'irrigation, n'a presque point
à redouter les disettes qui désolent en temps de sécheresse
les plaines de la côte atlantique, pays à céréales et à grands
troupeaux. Aussi l'importance de cette région est-elle consi-
dérable. Etant donné sa proximité de l'Europe et ses facilités
relatives de pénétration, c'est sans aucun doute une des parties
du Maroc qui a le plus d'avenir. N'oublions pas, à ce propos,
de mentionner sa grande richesse minière : on y trouve du
fer, du cuivre, du plomb, du soufre, de l'antimoine, de l'argent
et de l'or, ce dernier métal étant particulièrement abondant
sur le territoire de la srande tribu de R'mara'-', voisine du
(1) A. Mouliéras, le Maroc Inconnu, deuxième partie. (Exploration des
Djebala) Cf. (Jonipte-reudu de cet ouvrage par G. Jacquelou. « Questions
diplomatiifues et coloiiia'es «, 1 J mars I9UI). ainsi que l'étude qui en a
été faite p;u' M. IJoutlé dans le Bulletin de la Société de Géographie
d'Oran, juin 1899.
(2) A. Mouliéras, ouvrage cité, p. 288.
380 LES INTÉRlirS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
Rif ; mallieureusement ces trésors sont actuellement inexploi .
tables.
Les ports <iui desservent les Djebala sont Tanger, Larac:lie
et Tétouan : mais une très faible partie seulement de leur
mouvement commercial doit être rapportée à cette province.
A rimportation, presque rien n'est pour elle, et le peu d'objets
européens qui y pénètre (sucres, bougies, cotonnades) tiansile
par Fez. Les exportations des Djebala consistent surtout eu
œufs, volailles, cire, peaux de chèvres, laines; le tout pour
quelques millions. La part de la France dans ce commerce
est relativement considérable ; abstraction faite des produits
alimentaires qu'absorbe Gibraltar, les achats français, grâce
aux peaux de chèvres et aux laines, doivent être supérieurs
aux achats anglais, surlout si on observe que les marchandises
exportées sous pavillon britannique sont souvent destinées à
d'autres pays que l'Angleterre, notamment les peaux de
chèvres qui vont en Amérique '".
Villes des l>jel)ala
L'importance de Ksarel-Kbir ( f...^.\J\ y-^J) en dehors de
la fertilité et de la richesse en bétail de la vallée du Loukkos,
tient à cette circonstance que cette agglomération est un lieu
de passage obligé pour les caravanes se rendant de Tanger ou
de Larache à Fez : c'est le point intermédiaire entre Tanger et
la vallée du Sbou. M. Fischer dit que la vallée inférieure du
Loukkos, large de 12 kilomètres, sur une longueur de 3ô kilo-
mètres entre Ksar-el-Kbir et Larache, pourrait être convertie
en un immense jardin, ou la possibilité d'y acclimater une
diversité infinie de fruits et légumes, et d'utiliser l'eau du
Loukkos et de ses affluents pour l'irrigation de la vallée : la
construction d'un chemin de fer de Ksar-el-Kbir à Larache
serait une entreprise peu coûteuse, immédiatement rémunéra-
trice, qui devrait être complétée par la construction d'un port
à l'embouchure de Loukkos. De cette façon, les produits de
cette « huerta » pourraient être rapidement transportés sur
les marchés extérieurs. On pourrait aussi, il est vrai, sans de
trop grandes dépenses, utiliser le flux pour rendre le Loukkos
(1) G. .Iacf|uelin. nrticle cilc
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 387
navigable jusque dans le voisinage de Ksar el-Kbir. Du jour
oh le Maroc tomberait sous rinlluence d'une puissance euro-
péenne, cette localité deviendrait le centre d'importantes
entreprises industrielles ' ' '.
D'après un rapport do l'agent consulaire britannique à Ksar-
el-Kbir '-', les importations sur cette place portent sur les
articles suivants : calicots et mous&elinei de fabrication anglaise,
vendus pour une valeur annuelle de fr. 750,000 à El Ksar,
Ouazzan et dans les souU'S des environs ; hoiigir^, (lié, épices,
fer et acier, savons de toilette, importés d'Angleterre, pour
fr. 75,000 par an ; sucrp et allumettes, importés de France et
de Belgique, une grande partie du sucre en pains étant vendu
à Ouazzan. ville assez importante, et dans les souks voisins ;
verrerie, poterie, draps de qualité inférieure, de provenance
allemande, faisant l'objet d'un tratlc peu important. Il vient
aussi de France quelques soieries, mais là nos fabricants sont
coacurrencés par les AUeuiands dont les produits sont moins
bons, mais moins chers. Il est à noter que plusieurs représen-
tants de maisons allemandes, se rendant à Fez, s'arrêtent à
Ksar-el-Kbir, tandis que les négociants français n'y paraissent
presque jamais ("'.
Le principal article d'exportation est la laine : de 25,000 à
30,000 toisons sont envoyées annuellement de Ksar-el-Kbir à
Larache pour être vendues. Les peaux de chèvres et de vaches
sont apportées à Ksar-el-Kbir du R'arb et des contrées envi-
ronnantes ; on les sale et on les envoie à Larache et à T'anger
pour la vente. Des céréales (blé et orge) sont également appor-
tées du R'arb.
Dans la ville de Ouazzan on fabrique des haiks en laine-
Un autre centre industriel est Ecli Chaoun, au Sud de
Tétouan, où l'on fabrique des armes, des haïhs, des djelabas,
des cuirs, des bahonclies, et oii l'on travaille le bois des forets
voisines'".
Arzila, sur la côte, entre Larache et le cap Spartel, a perdu
toute importance commerciale.
(1) Th. Fischer. Rei^e im Atlas Vorlande von Marol.ko, p. 31 et Sa.
(T) Foreign Office. Annual Séries, n' 23ilG.
(3) Le Commerce du Marne, Rapport annexé au Moniteur Officiel du
Commerce, du '26 mars 1896.
(i) A. Mouliéras, Le Maroc Inconnu, 2" partie, p, U'
38S LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
§ VI. — VALLÉE DU SBOU. — LE R'ARB. — FEZ. —
(lAS C^-'^?)- — LES BUABEK
La vaUéç du Sboti comprend deux régions de nature très
dissemblable, mais l'une et l'autre d'une très grande richesse.
La vallée supérieure du fleuve et de ses principaux aftluents,
l'Ouci) er'a, VInnaouen, le Rdein, le Beh't est une région mon-
tagneuse désignée par les géographes sous le nom de Moijen-
Allas, chaîne qui court parallèlement du Grand-Atlas, au
Nord de celui-ci. Cette région, qui forme la partie Nord de la
grande province centrale des Hfahev, est habitée par les Ben'i-
Ouarain, les /lïf-YoHssi, les P>eni-]fffUd, les Zainn, les Beni-
AJlir, etc., grandes tribus berbères iadépendantes; elle compte
peut-être parmi les plus riches dû Maroc. D'après M. cii'
Segonzac, qui a exploré en 1901 cette contrée auparavant
presque inconnue, la plus belle partie du Maroc montagneu.x'.
est celle qui commence immédiatement au Sud de la trouée de
Tazi. : les nombreuses et puissantes tribus qui l'habitent culti-
vent admirablement le fond des vallées, tandis que des groupes
d'entre elles gardent les troupeaux sur la montagne : celle-ci
est boisée de chcnes verts, de chénes-liégcs ei de cèdres, mais
les indigènes détruisent peu à peu ces forêts O. La région oflre
également de grandes ressources au point de vue minéralo-
gique.
La vallée inférieure du Sbou constitue la province de Fez ;
à partir de cette ville jusqu'à l'Océan Atlantique s'étend la
grande plaine du R'arb, extrêmement riche en pâLurages et en
bétail (bo:ufs, moutons, chevaux), et produisant du blé, de
Yorije et des fruits et légumes de toute nature. Au Sud du Sbou
on commence à rencontrer la fameuse terre noire dont la
fertilité, ainsi que nous le verrons plus loin, est extraordinaire.
La population du R'arb, relativement dense, se compose de
tribus arabes soumises à l'autorité du Sultan. Le Sbou, dit
Reclus (■>« est le cours d'eau le plus abondant de l'Afrique
« septentrionale, après le Nil. Large de 100 à 300 mètres dans
(1) Article de M. R. de Caix sur le voyage de M. de Segonzac. Journal
des Débats du 16 avril 1902.
(î) Reclus. Géographie Universelle. L'Afrique septentrionale,
2* partie, p. 675.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 389
a sa partie inférieure, il coule en méandres entre des berges
« terreuses de 7 mètres de hauteur qu'il dépasse parfois dans
« les crues. Sa profondeur moyenne est de 3 mètres. On
« pourrait donc utiliser le Sbou pour la navigation, du moins
« pendant une grande partie de l'année : de petits bateaux à
« vapeur remorquant des chalands à fond plat remonteraient
« le lleuve sans peine jusque dans le voisinage de la capitale ;
« mais tous les transports de denrées, tous les voyages entre
« le littoral et les lieux d'étapes do la vallée, situés sur les
« routes de Fez, se font par terre. Les tribus riveraines sont
« trop remuantes pour qu'un commerce régulier puisse
« s'établir par voie fluviale. » A peu près ù mi-chemin, entre
l'embouchure du Sbou et celle du Loukkos, se trouve une
vaste lagune, la Merdjat-ez-Zcnia{\Q Marais bleu), qui, d'après
Tissot "), formait autrefois un golfe intérieur et « offrait dans
« l'antiquité et jusqiw dans le moyen-âge, un des ports les
ft plus vastes et les plus si^u's du littoral maurétanien. ... Ce
« n'est qu'à une date relativement récente que les sables, en
« s'accumulant dans la coupure qui communique avec l'Océan,
« ont formé une barre qui ne permet plus aux bâtiments de
« pénétrer dans la lagune, tout en offrant encore assez de
« profondeur pour rendre le passage également impraticable
« aux caravanes qui suivent le littoral. » Entre cette lagune et
le cours inférieur du Sbou, s'étend une autre lagune, bien
plus vaste encore que la précédente, la Merdja Ras-ed-Doura,
qui n'a point d'accès sur la mer, mais communique, par
contre, avec le Sbou. A son embouchure, la profondeur du
Sbou atteint près de 6 à 7 mètres ; mais la barre qui se fait
sentir à Mehedia, à l'entrée du fleuve, en rend l'accès très
dangereux, de sorte que le commerce a complètement délaissé
ce point, actuellement simple village, mais susceptible de
prendre dans l'avenir un essor considérable, en tant que
débouché naturel de la vallée la plus riche et la plus
populeuse du Maroc, lorsqu'on y aura créé un port et
lorsqu'on aura régularisé la navigation du Sbou à son
embouchure.
Il y a en effet peu de régions au Maroc dont l'importance
économique soit plus grande. La vallée du Sbou est la voie
(!) Géographie compai'ée de la Maurétanie Tingitane, p. 85 et suiv.
Cité par M. Mouliéras dans Le Maroc Inconnu, 1' partie, p. 556.
390 LES INTÉRÊTS ÉC.0N0:\11QUES DE LA FRANCE AU MAROC
de communication naturelle entre le bassin méditei'ranéen
de la Mlouïa et le littoral atlantique. Elle constitue la ligne
de séparation et la grande voie de communication entre l'Atlas
et le Rif. Enlia elle renferme la ville la plus importanle du
Maroc, Fas, improprement appelée Fer, qui compte 100 à
150,000 habitants. L'autre capitale du Nord, .\Jtkni?s (Meknasa
'i^'.::\/) compte 25 à 30,000 habitants; elle est aujourd'hui
bien déchue; on y fabrique des coutoaux, des poignards en
argent et en. cuivre, des éperonsC. Citons encore la ville de
Sfrou, au Sud de l''ez, célèbre par ses juidins.
Fez, située sur un affluent du Sbou à une faible distance de
ce fleuve, à la sortie des montagnes et à l'entréç de la plaine est
l'intermédiaire obligé entre l'Algérie ipar la dépression de
Tlemcen à Fez) et l'Océan atlant'ique, entre l'importante oasis
du Tatilelt (par la route de caravanes qui franchit l'Atlas au col
de Telremt) et les poi'ts du Maroc septentrional. C'est dans cette
capitale que réside actuellement le Sultan Moulaye Abd-el-Aziz.
La France, l'Angleterre et l'Allemagne y -ont chacune un vice-
consul, l'Espagne un agent consulaire. Chacune d'elles entre-
tient un service postal par courriers-piétons entre Fez et
Tanger.
Fez est le premier centre industriel du Maroc. Bien que son
industrie ne soit plus ce qu'elle était autrefois, elle est cepen-
dant encore très llorissante et ses produits se vendent non
seulement dans tout le Maroc, mais encore dans tous les autres
pays de l'Afrique musulmane. On s'y livre au.K travaux de tissage
et de broderie: on y fabrique des halks, des djellabas, des
vêtements de luxe, des tissus de soie, des tapis, des nattes, on
y confectionne des haboucltes; on y travaille les cuirs et les
métaux ; on y fabrique des armes damasquinées. Une des
industrie les plus originales est celle des poteries, des i-ascs
émaillés <■'.
Au point de vue commercial. Fez tient égalemeirt le premier
rang au Maroc. Pour se faire une idée de la valeur de ce com-
merce, il faut se reporter aux stati-tiques du commerce de
Tanger et de Larache, les poi'ts de transit de la capitale du
(1) G. Wolfi'Om. Le Maroc. Etudes Commerciales et Agricoles,
p. 16.
(2) Il y a actuellement au Musée d'Alger une collection de ces poteries
que M. Doutté a rapportée de sa deinière mission.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANGE AU MAROC 391
Nord. « Fas, écrivait M, de Foucauld ">, est le centre oi;i
« affluent d'une parties marcliandises européennes venant par
« Tanger, de l'autre, les cuirs du Tafiielt, les laines, la cire,
« et les peaux de chèvres des Aït-Ioussi et des Beni-Ouaraïn,
« parfois même les plumes du Soudan. Les laines, les peaux,
« la cire sont expédiées par grandes (juantités en Europe;
« les plus beaux cuirs restent à Fas, où, travaillés par
« d'habiles ouvriers, ils servent à faire ces coussins, ces
0 ceintures, objets de luxe qu'on vient acheter de tous les
« points du Maroc du Nord. Les objets d'origine européenne
« arrivant dans la ville sont nombreux : velours, soieiies,
« passementeries d'or et d'argent venant de Lyon; sucres,
« allumettes, bougies de Marseille ; pierres fines de Paris,
« corail, de Gênes; cotonnades, draps, papier, coutellerie,
« aiguilles, sucres, thé d'Angleterre; verrerie et faïences
« d'Angleterre et de France Les grands négociants de la
« capitale envoient sur les marchés voisins des agents munis
« de cotonnades, etc. Les caravanes qui viennent du Tafiielt
« apportent des cuirs et des dattes, et s'en retournent chargée
(( de cotonnades, de sucres, de thés, de riches vêtements, de
« papiers, de parfums, d'allumettes, de. verres et de faïences'.
« Fas fournit ainsi non seulement une partie du Maroc
« central, mais encore la plus grande portion du Sahara
i.1 orioiilal, toulr celle qui dépend commercialement de l'Ouad
« Ziz.
ft Un commerce aussi éteniUi, poursuit M. de Foucauld,
« serait la source de richesses immenses dans un autre pays;
« mais ici plusieurs causes diminuent les bénéfices : d'abord
« le prix éle\é des transports, tous t'ait à dos de chameau ou
u de mulet, prix que doublent au moins de nombreux péages
« établis sui' les chemins du Noi'd de l'Atlas et les escortes
« qu'il est indispensable de prendre au Sud de la chaîne;
« ensuite, dans une région dont la plus grande partie est
« peuplée de tribus indépendantes et souvent en guerre entre
« elles, dont l'autre n'est qu'à moitié soumise et se révolte
« fréquemment, il arrive sans cesse qu'une caravane est
(( attaquée, qu'un convoi est pillé, qu'un agent est enlevé.
(( Le commerce a donc ses risques, et plus d'un motif vienten
Cl amoindi'ir les gains. Enlin il est entr'ové encore parle manque
(1) Cil. (le Foucauld, Reconnaissance au Maroc, p. '^l.
392 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
(( de crédit et l'usure. Le taux de l'intérêt atteint au Maroc des
(( limites fantastiques, ou pluti'it il n'y en a pas. Voici le taux
« auquel prêtent, à Faz, les Israélites qui se respectent : 12 0/o
« pour un coreligionnaire d'une solvabilité certaine ; 30 O/o
« pourun musulman d'une solvabilitéégalement assurée;300/o
« pour une personne de solvabilité moins sûre, mais qui
« fournit un gage; GO O/o dans les mêmes conditions, sans
(c gage. ))
Dans ces dernières années, il est vrai, les conditions
commerciales se sont un peu améliorées ; l'abondance des
récoltes a eu pour effet de faciliter les transactions, et, par
suite des précautions croissantes prises par les maisons étran-
gères en accordant du crédit aux maisons indigènes, les
retards dans les paiements ont été moins fréquents et les
faillites moins nombreuses. Quant aux frais de transport, ils
sont considérables. Le consul britannique à Fez évalue
à 6 b/4 d (0 fr. 75) par tonne et par mille,' le prix du transport
terrestre (de Tanger à Fez), des cotonnades et des bougies, les
deux principaux articles d'importation anglaise, tandis que le
transport maritime de ces mêmes articles, de Londres à
Tanger, revient à 3/4 d (environ 0 fr. 08) par tonne et par
mille''*. Pour les marchandises qui ne font que transiter par
Fez, à destination des régions d'au-delà de l'Atlas, ou prove-
nant de cas mêmes régions, les frais de transport s'accroissent
dans des proportions bien plus considérables, comme nous le
verrons plus loin on étudiant le commerce du Tafilelt. Pour
le sucre, le principal article d'importation française, le prix de
transport par caravane de Tanger à Fez est de 50 pesetas, la
charge de chameau de 280 kilog. environ, et de 37 pesetas 50
la même charge de Larache à Fez ; cette dernière voie est
préférée par les commerçants, car elle est de 12 pesetas 50
meilleur marché que celle de Tanger à Fez, route généra-
lement suivie en été par les chameliers <-'.
En ce qui concerne les articles d'importation étrangère,
certains changements se sont produits depuis l'époque où
écrivait M. de Foucauld. L'Angleterre continue à approvi-
(1) Rapp. de M. Mac Leod, vice-consul britanniriue à Fez, pour 1899.
(Foreign Office. Annual Séries, ir 2603).
(2) Rapp. de M. Malpertuy, consul de France à Fez (Moniteur officiel
du Commerce, du 20 avril 1899).
LES INTÉRÊTS ÉCOMOJIIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 393
sionner le marché de Fez de cotoruiades ; cependant, les
guinées à destination du TaOlelt proviennent de ['Inde française
{Pondicliénj), quoique passant fréquemment par Londres.
D'autre part, l'Angleterre s'est vu enlever par un nouveau
concurrent, l'Allemagne, le marché des draps, lainages à bon
marché. Les draps allemands, après avoir eu le monopole du
marché, sont maintenant concurrencés par ceux de Suisse.
Les percales et les mousselines importées d'Angleterre sont
imitées parles Allemands. La France occupe la première place
pour l'importation de la soie ; mais l'Allemagne et la Suisse
envoient aussi des satins de CJùne, très employés dans le pays.
Nos industriels auraient intérêt à importer tous ces articles,
et leur concurrence aurait des chances de réussir"'. L'Angle-
terre a enlevé à la France le marché des bougies. Enfin, en ce
qui concerne les sucrés, notre principal article d'importation,
si la concurrence anglaise a totalement disparu, la France a à
compter sérieusement avec la concurrence belge. Il semble
cependant que, grâce aux efforts faits depuis quelque temps
par les ralïineurs français, le sucre français doive évincer le
sucre belge.
D'après un rapport de M. Malpertuy, ancien vice-consul de
France à Fez »-), le chiffre des importations des sucres pendant
l'année qui s'est écoulée du 1'^'' février 1898 au 1'^'' février 1899
s'est élevé à 5.108.200 Icilog., dans lesquels nos sucres figurent
pour 4 millions de kilog., laissant loin derrière eux l'impor-
tation belge avec ses 844.200 kilog. La vente de ces sucres
étrangers a subi une baisse, g'ràce à l'introduction sur le
marché de Fez d'une nouvelle marque fiancaise (raffinerie de
Chanlenay-sur-Loire), qui a su offrir à sa clientèle du Maroc
des avantages qu'elle n'avait pas encore trouvés auprès de
notre industrie sucrière. En effet, la raffinerie de Cliantenay
vend au comptant avec 2 1/2 "/u d'escompte. La" marchandise
est payable, non pas à son embarquement, mais en douane à
Larache où elle retourne, jusqu'à ce que le montant de là
facture soit versé au commissionnaire en traite sur la France.
Ces sucres se vendent à fr. 39,50, fret et assurances compris.
(1) Rap'p. de Gollin de Plancy, ancien chargé d'affaires de France.
Le Commerce du Maroc, annexe au Moniteur officiel du Commerce,
du 2G mars 1890.
(2) Rap. piéclté, Moniteur officiel du Commerce, du 20 avril 1899.
:î94 LES INTÉRÊTS ÉCONOMKjLES UK LA I-RANCE AU JHAKOC
De plus, le sucre de Chantenay est assuré jusqu'à quai, avan-
tage très appréciable si l'on lient compte de la dil'liculté des
débarquements en rade des ports marocains, qui sont ouverts
à tous les vents, et où, pendant la saison hivernale, la mer est
généralement mauvaise et le mouillage des navires à vapeur
très éloigné au large. M. Malpertuy exprime l'espoir que dans
un avenir très prochain, nous aurons à enregistrer la dispa-
rition de l'importation des sucres étrangers sur is marché de
Fez et que notre industrie sucrière y conservera définitivement
la place qu'elle s'est vue disputer pendant ces dernières
années. Nos grandes rallineries de sucre devront, pour
atteindre ce but, imiter l'e-xemple de celle de Chantenay et
otïrir leurs marchandises à des conditions plus faciles. Les
qualités sucrantes de nos produits sont fort estimés par les
indigènes du Maroc, qui font une très grande consommation
de thé vert dont la saveur âpre ne peut être atténuée que par
une très grande quantité de sucre. Le sucre belge est de
qualité inférieure ; sa vente se fait généralement au détail par
les petits marchands, qui le mélangent avec du sucre français
pour faciliter son écoulement. Notre consul signale à nos fabri-
cants la préférence marquée des indigènes des campagnes
pour les petits pains de sucre de 2 kilog., parce qu'ils se
vendent plus facilement dans les marchés de l'intéi'ienr.
L'absence complète des statistiques rend très difficile l'éva-
' luation du commerce de Fez : nous dirons seulement que, le
chifiVe total de '20 millions nous pai'ait être au-dessous de la
vérité. Mais ce que l'on peut toutefois affirmer avec certitude,
c'est que la part de la France dans ce commerce est consi-
dérable, malgré la concurrence des auti:es pays. Onze lîiaisons
françaises sont installées ou représentées dans la ville. D'un
autre côté, il existe un trafic régulier de caravanes entre Fez
et l'Algéi'ie ; mais la parlie du Maroc qui sépare Fez de la
frontière algérienne est loin d'être aussi facile à parcourir
que la région comprise entre la capitale et les côtes du
Nord-Ouest.
Deux tribus puissantes, entièrement indépendantes, les
Dsoul au nord' et les R'iatha an sud, gardent l'important défilé
de Taza, appeié par les Marocains l'oum-el-N'arb (bouche du
Maroc)*", lequel, faisant communiquerla vallée de Vlnnaouen,
(1) A. Moiiliéias, Le .Maroc Inconnx'., î" parlie, p. 4'.'l et suiv.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIOUES PE LA FRANCE AU JIAROC 395
affluent du Sbou, avec celle du Msoun, affluent de la Mlouïa,
est le passage obligé des caravanes circulant entre Fez et la
frontière algérienne. La ville de Taza, située sur un affluent
de rinnaouen, au point d'intersection des deux bassins, a une
importance capitale au point de \ue stratégique et au point de
vue économique. Le Sultan y entretient un caïd avec une
centaine de miliciens : mais son autorité y est nulle, et la ville
est en fait entre les mains des R'iatha"'. Les caravanes sont
presque toujours attaquées par les pillards des Dsoul et des
R'iatha ; c'est ce qui explique pourquoi la voie d'Oudjda à
Fez n'est pas fréquentée davantage par le commerce. Dès
aujourd'hui, cependant, les districts occidentaux du Maroc
font avec l'Algérie des échanges assez importants : ils
envoient dans notre colonie des bœufs, des moutons, des
laines, poils et peaux, et reçoivent des négociants de Nemours
et de Tlemcen un certain nombre de produits européens <-'.
Ce trafic serait susceptible d'un grand développement
si les conditions générales d'existence et de sécurité
s'amélioraient dans le pays : on pourrait alors sérieusement
songer à la construction d'un chemin de fer de Tlemcen à Fez,
à laquelle ne s'opposent p.as de difficultés d'ordre géogra-
phique. Etant donné l'importance de nos intérêts politiques
et économiques à Fez, cette ville doit être le centre de notre
action au Maroc, et la construction de ce chemin de fer, qui
pourrait être éventuellement prolongé jusqu'à l'Atlantique,
serait le moyen par excellence de rendre cette action vraiment
efficace en faisant rentrer dans notre orbite Fez et le
R'arb.
D'autre part, notre action .saharienne, c'est-à-dire l'occupa-
tion du Touat, la construction du chemin de fer du Sud-
Oranais jusqu'à Figuig, et son prolongement éventuel dans la
direction du Tafilelt aura et commence déjà à avoir pour
conséquence de drainer pour l'Algérie le commerce de cette
oasis, qui s'est jusqu'alors elïectué par Fez : cette ville sera
ainsi privée d'une partie de son trafic, mais elle sera rendue
en même temps plus indépendante des marchés algériens et
français.
(1) Lire à ce sujet la descriptioi de Taza, faite par M. de Poucauld,
Reconnaissance au Maroc, p. 3'^.
(X) I Le commerce du Maroc ». Annexe au Moniteur Officiel du
Commerce, du 26 mars 1S96.
29
396 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
§ VII. — RABAT (I=L;j)
Les Zaïr, Zemmour, Zaïan
Le port de Rabat, situé à l'embouchure du Bou-Regrag,
l'ancienne limite des royaumes de Fez et de Marrakech, a une
importance géographique exceptionnelle en temps que lieu de
passage obligé de toutes les caravanes se rendant du Maroc du
Nord dans le Maroc du Sud et vice-versa. Rabat est la clef des
communications entre Fez et Meknès d'une part et Marrakech
de l'autre, car l'état d'insécurité absolue de la région monta-
gneuse séparant les capitales du Nord de celles du Sud, rend
indispensable ce détour par la côte. On pourrait croire que
par suite de cette situation privilégiée, Rabat fait un commerce
maritime considérable : il n'en est rien parce que la barre du
Bou-Regrag, à l'embouchure duquel sont bâties en face l'une
de l'autre les deux villes de Rabat et de Salé, est une des plus
dangereuses de la côte marocaine de l'Atlaatique. Les navires
jettent l'ancre à plusieurs kilomètres de la côte, et de petits
vapeurs seulement peuvent franchir la barre et trouvent dans
l'embouchure profonde du Bou-Regrag, qui fait une courbe
très accentuée, un ancrage abrité contre tous les vents. Il y a
de très longues périodes, surtout en hiver, pendant lesquelles
la barre est absolument impraticable, bien que les autorités
douanières marocaines aient amélioré, dans ces dernières
années, le service de remorquage. M. Fischer dit qu'il serait
possible, à des frais relativement peu élevés, de supprimer
cette barre en construisant des digues et en effectuant des
dragages ; Rabat aurait alors un port magnifique qui
regagnerait l'importauce qu'avait autrefois Salé, lorsqu'au
xvi'= et au xviio siècle ses corsaires allaient porter leurs
déprédations jusque sur les côtes d'Angleterre <'>. On
trouve cependant dans le port de Rabat une grue puissante,
que M. Rottenburg, ingénieur allemand, a installée pour
le montage des canons Krupp qui défendent l'embou-
chure du fleuve et un petit chemin de fer à voie étroite
qui a été construit du port à la Kasbah, à travers la
ville, et qui sert à amener les marchandises jusqu'à la
forteresse.
(1) Th. Fischer, iiêîse im Atlas Vorlande von Marokko, p. 40 et suiv.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 397
Tandis que des deux villes situées à Fembouchure
du Bou Regrag, Salé (Sla) est une ville morte, en pleine
décadence, Rabat, qui compte environ 30,000 habitants,
est une ville assez active et ayant conservé une industrie
qui, si elle n'est plus ce qu'elle était autrefois, est encore
appréciée. L'industrie des tapis, notamment, était autrefois
très célèbre : il y a tel vieux Rabat, dit M. Doutté O, dans
lequel la variété des couleurs, le fondu des teintes, la finesse
des dessins, sont vraiment étonnants. Les tapis actuels,
quoique bien inférieurs aux anciens, sont encore remar-
quables, tout en étant d'un prix très abordable. D'ailleurs,
un certain contrôle est exercé pour empêcher l'avilissement
du produit ; il arrive que des tapis de mauvaise qualité sont
saisis sur le marché et déchirés. On fait en ce moment des
tentatives à l'effet d'activer le commerce des tapis et d'empê-
cher l'emploi des couleurs à l'aniline pour la coloration de
la laine (^' On fabrique aussi à Rabat, des cuivs, des nattes,
des jjoteries, etc.
Rabat est le débouché de Meknès et de la riche région
habitée par les tribus belliqueuses et insoumises des Zaïr et
des Zemmour, dont la grande ressource consiste dans l'élevage
des bœufs. « Les Zaïr et les Zemmour », dit M. Doutté <3',
« déversent sur les marchés de Rabat, de Tanger et de la
« frontière oranaise les plus beaux spécimens de la race
« bovine au Maroc. Ceux des Zemmour surtout se font
« remarquer par leurs formes, leur robe, et l'envergure
« des cornes qui est caractéristique ; aussi sont-ils très
« recherchés ; et l'on aura une idée de la source de bénéfices
« qu'ils pourraient donner si l'on songe qu'une grande
« partie des Zemmour envoie au printemps ses bœufs à Fez
« et de là à la frontière algérienne, et que ces animaux,
« après une marche de trois semaines à un mois, sont encore
« expédiés avec avantage à Marseille pour la boucherie. »
M. de Monbel, ancien ministre de France, estime à 2 ou
à 3 millions de francs la valeur des 38,000 bœufs expédiés
(\) E. Doutté. Une mission d'études au Maroc. Rapport sommaire
d'ensemble. (Supplément au Bulletin du Comité de l'Afrique Française
de décembre 1901).
(2) Th. Fischer. Reise im .Atlas-Vorlande non Marokko, p. 44.
(i) E. Doutté. Rapport précité.
398 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
en 1898 de la région de Rabat en Algérie par voie de
terre "l
D'après M. Doutté, les territoires occupés par les Zaïr et les
Zemmour, et vraisemblablement une grande partie de ceux
des Beni-Mtir, des Zaïan et des Beni-Mgild (province des
Braber) sont peut-être les plus riches du Maroc, car à la
ressource de l'élevage, ils joignent celle d'une bonne produc-
tion agricole et de forêts {chênes-lièges, bois d'arrar ou (hîiya)
qui comptent parmi les plus belles et les plus exploitables du
Maroc « ce qui permettrait, dit-il, d'établir entre le bétail et les
« produits végétaux l'équilibre si nécessaire à la bonne marche
« d'une exploitation agricole. » Les bassins du Bon Regrag et
de l'ouad Beht, at'Iluent du Sbou, occupés par ces tribus,
comptent en effet parmi les territoires les plus régulièrement
et les plus abondamment arrosés. « On peut considérer cette
« région, conclut M. Doutté, comme une des plus enviables et
« une de celles qui sont susceptibles d'arriver le plus rapide-
ce ment à une grande production ' •'. » Nous 'ajouterons que le
chemin de fer projeté de Tlemcen à Fez pourrait être utile-
ment complété par une voie ferrée qui, partant de Fez,
desservirait la ville importante de Meknès, contournerait
ensuite le territoire des Zemmour et se rapprochant de la
vallée inférieure du Sbou, aboutirait soit à Rabat, soit plutôt à
Mehedia, dans l'hypothèse où on se déciderait à entreprendre
la construction d'un port à l'embouchure du Sbou. Une telle
ligne qui bénéficierait d'un trafic déjà existant, c'est-à-dire du
transport des bœufs et qui serait alimentée en outre par le
trafic des produits agricoles les plus variés, paraît devoir être
rapidement rémunératrice.
Si en présence de semblables éléments de prospérité
le commerce maritime de Rabat est presque insignifiant
par rapport à celui de plusieurs autres ports de la côte,
la faute en est, comme nous l'avons vu plus haut, aux
dangers de la navigation qui obligent souvent les navires
à délaisser le port de Rabat, tandis que les marchandises,
au lieu d'être embarquées à cet endroit, doivent sou-
vent être transportées jusqu'à Casablanca où elles sont
embarquées.
(1) Moniteur Officiel du Commerce, du 8 mars 1900.
(2> E. DouUé. Rapport précité.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 399
Voici, d'après le rapport du vice consul allemand à Rabat,
en 1900*", le tableau du commerce de ce port en 1899 et
en 1900 :
ImporUlions
Exportai
lions
Fr.
Fr.
1899
1900
1899
1900
France
1.049.301
857.768
275.838
324.941
Angleterre . .
1.457.36:>
922.100
88.268
68.738
Allemagne . .
408.062
364.551
187.569
231.208
Total 2.914.725 2.144.419 551.675 624.887
I. — Importations
Les importations sont en diminution constante depuis
plusieurs années. Il convient de remarquer que la diminution
constatée en 1900 par rapport à 1899 a atTecté davantage le
commerce anglais que le commerce français.
Colonnades. — L'importation des cotonnades de Manchester
a diminué de fr. 1.165.000 en 1899 à fr. 755.000 en 1900,
à cause surtout de l'élévation du prix de ces marchandises
en 1900(2).
Sucres. — Leur valeur a été en 1900 de fr. 917.750, sensi-
blement égale à celle de 1899. Cependant l'importation du
sucre français a un peu diminué par suite de la concurrence
que commence à lui faire le sucre belge d'Anvers, transporté
sous pavillon allemand. La valeur de ce produit est estimée
à fr. 75,000 en 1900 : on en a vendu 90 tonnes de plus
qu'en 1899.
Les autres articles d'importation sont les bougies (fr. 180. 150)
et le thé (fr. 148.150) d'Angleterre, les soieries et le ciment
de France, les draps et les lainages d'Allemagne et de France,
etc.
(1) Deutsches Handelsarchic, Zeitsclirift fur Handel und Gewerbe,
herausgegeben im Reichsamt des iQaern, juillet 19UI.
il) Rapport du vice-consul britannique, Foreign Office Animal Series-
400 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
Quant à l'Espagne, elle a complètement cessé d'envoyer des
produits sur le marché de Rabat.
II. — Exportations
Relativement au peu d'importance du commerce d'exportation
de Rabat, comparativement à celui des autres ports marocains,
le vice-consul britannique dit que cela tient surtout à l'incer-
titude des communications avec la côte. Cette circonMance
écarte de ce port les navires rentrant dans leur pays d'origine,
et les acheteurs de produits devant être embarqués à Rabat
courent des risques considérables de baisse de prix en com-
mandant des marchandises qui doivent être embarquées à une
date incertaine.
Un autre obstacle au commerce d'exportation est la difficulté
qu'éprouvent les commerçants étrangers à trouver des maga-
sins convenables et des locaux spacieux, les indigènes étant
très peu disposés à leur louer leurs magasins.
Laines. — C'est le principal article d'exportation (fr. 343. ROC)
en 1900. La plupart des laines vendues à Rabat, surtout celle
dite Aboudia, sont d'une très bonne qualité. Jusqu'à ces
dernières années, la plus grande partie était expédiée en
Allemagne, la France et l'Angleterre se partageant le reste.
Mais en 1900, comme le lait remarquer le vice-consul allemand,
les compagnies allemandes n'ayant établi qu'une communica-
tion insuffisante avec Rabat et exigeant des frets trop élevés,
le commerce a pris la direction de Marseille. Dans les derniers
mois de 1900, la maison française, qui possède des magasins
assez grands, a pu seule acheter de la laine, tandis que les
maisons allemandes, n'ayant pas l'espace suffisant, ont dû
interrompre leurs achats. Le gouvernement marocain empêche
en efTet les maisons étrangères de louer des magasins en
dehors de la rue qui leur est assignée <'>.
Les autres article* d'exportation sont : la cire jaune, les
-peaux de chèvres les peaux de bœufs, les cornes, le criii, les
œufs, les tapis-, les djellabas, les haïks et les couvertures de
laine.
(1) Bapp. précité. Deutsches Handelsarchiv, juillet 1901.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA. FR.\NCE AU MAROC 401
III. — Navigation
Voici le tableau de la navigation de Rabat en 1900 :
PAVILLONS
1
NOMBRE
de
TONNAGE
25
17
14
15.691
14.818
7.249
Allemands
„ . , (, en 1900..
Total... \
( en 1899..
56
84
37.758
65.324
Le tonnage des navires français peut paraître, d'après ce
tableau, peu en rapport avec l'importance du commerce
français proportionnellement au commerce total ; mais la
navigation française est représentée surtout par des navires de
tonnage relativement faible qui prennent à Marseille un char-
gement entièrement destiné au port de Rabat, tandis que la
navigation anglaise et surtout la navigation allemande se
composent de grands navires qui ne débarquent à Rabat que
quelques tonnes de marchandises et poursuivent leur route
vers les autres ports marocains. Cependant les navires de la
Merseij Steam^-hip Co, de Londres, visitent moins fréquem-
ment le port de Rabat, préférant transborder les marchandises
à destination de ce port sur un petit vapeur de Gibraltar qui
apporte périodiquement à Rabat le chargement de plusieurs
navires.
Observation. — Le commerce français tient à Rabat une
place très importante. Il y a deux maisons de commerce fran-
çaises, et les négociants indigènes sont en relations 'suivies avec
les maisons de Marseille, quelques-uns avec celles d'Alger et
de Tunis W. Si l'on totalise les importations et les exportations,
(I) Le Commerce du Maroc, Annexe au Moniteur Officiel du Commerce'
du 2G mars 1896.
402 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
on obtient le résultat suivant pour les trois puissances
commerçant avec Rabat :
France Fr. 1.182 709
Angleterre — 990 838
Allemagne — 595 759
D'autre part, si Ton ajoute aux cliiffres du commerce fran-
çais la valeur des bœufs expédiés par voie de terre en Algérie
(et ultérieurement en France) de la région de Rabat, on obtient
pour le commerce français un total de près de 4 millions de
francs, laissant loin derrière lui le chiffre du commerce des
autres puissances. Ce sont là des résultats fort encourageants
et sur l'importance desquels nous ne saurions trop insister.
(A suivre.)
NOTES SUR L'ALGÉRIE ÉCONOMIQUE
LES INDUSTRIES ALGÉRIENNES
L'incUislrie algérienne est encore peu de chose. Dans ce pays
l'agiieulture et le commerce ont tout pris. 11 aurait fallu créer
l'industrie de toutes pièces, dans l'incertitude complète des
résultats, tandis qu'on avait à profusion la terre féconde et
ses riches promesses.
C'est donc vers la terre que toutes les forces, capital, travail,
encouragements officiels, ont convergé.
Plus tard, quand le pays fut mieux conuu, on s'aperçut que
le sol ne donnait pas que des céréales, des raisins etdes olives.
L'alfa, le palmier-iiain furent méthodiquement exploités. On
ranima ou découvrit les mines de fer, de zinc et les carrières
de phosphates de chaux. Mais le principal manquait toujours :
le combustible ou à défaut une force hydraulique qui permît
de s'en passer.
D'autres choses manquaient encore : les capitaux, le peuple-
ment européen qui, en fournissant les consommateurs, aurait
du même coup amené la main-d'œuvre spéciale u-tile à l'atelier
et à l'usine.
Tant et si bien que, cipitaux, combustible bon marché,
affluence européenne et main d'œuvre industrielle n'existant
pas, l'industrie algérienne, après 70 ans doccui ation, est
restée embryonnaire. Tout le monde a continué, sans chercher
ailleurs, à ne vivre que par l'agriculture et du commerce
qu'elle engendre.
A part quelques intéressantes tentatives que nous enregis-
trerons avec le plus vif plaisir, nos industries algériennes sont
simplement alimentées par l'agriculture locale en vue
de la transformation de ses produits : minoteries, huileries,
manufactures de tabacs, fabriques de crin végétal, etc.
Mais cette situation changera et, par une conséquence natu-
relle du progrès économique, les algériens arriveront à placer
l'activité industrielle à côté du développement de l'agriculture
et du commerce.
30
•404 NOTES SUR l'algêrie économique
Que l'Algérie se peuple, que l'appel incessant qu'elle fait à
la France, à l'Europe, dans son généreux altruisme, soit
entendu ; que les capitaux français aient plus de foi en nos
destinées ; qu'un régime de zones franches pratiqué dans nos
principaux ports permette de desserrer l'entrave dont la
douane nous étreinl — et l'on verra que notre industrie est
capable de grandir.
Dans une certaine mesure ne peut-on pas dire que si le
combustible nous manque et s'il nous faut l'importer, l'étranger
à qui nous livrons nos matières premières est non moins
obligé de les transporter cliez lui à pied-d'œuvre pour les
manufacturer?
Puisque nous avons des minerais, de l'alfa, des forêts,
des vignes, du tabac, pourquoi n'aurions-nous pas des
usines métallurgiques, des fabriques de papier, d'objets en
liège, des distilleries, de grandes manufactures de tabacs,
etc.?
Pour quelques-unes de ces industries,, question de droits
fiscaux à résoudre. Pour les autres, afl'aire de capitaux et de
nombre de consommateurs. Mais pas d'impossibilités essen-
tielles, pour aucune.
Et qu'on ne croie pas que nous tondons nos conjectures sur
un facile optimisme. La minoterie algérienne est en train de
réaliser la première partie de ce programme. De Bône à Oran
s'installent des moulins à cylindres avee les derniers perfec-
tionnements de nettoyage et de mouture. Et bientôt, au lieu
de demander aux minoteries de la métropole nos farines et
nos semoules, ce sont les nôtres qui approvisionneront la
consommation locale et qui exporteront le surplus en France
et à l'étranger, où certaines marques de nos farines (blés
tendres de Bel-Abbès) et de nos semoules (blés durs de Sétif)
sont particulièrement recherchées.
Ce qui se passe pour la minoterie nous le verrons peu à peu
se produire pour d'autres brandies. Simple alfaire de
temps.
Demain ce sera peut-être l'exploitation régulière des pétroles
d'Oranie, et, par la construction de barrages, par l'ouverture
de nouvelles routes, l'établissement de nouvelles voies ferrées,
ce sera aussi la création de chutes hydrauliques et de facilités
toujours plus grandes mises au service de l'extension indus-
trielle.
LES INDUSTRIES ALGÉRIENNES 405
Tabacs. — Le fumeur français qui vient pour la première
fois en Algérie a deux surprises: le bon marché du tabac et
des cigarettes, et le nombre de marques diverses de celles-ci.
Habitué aux uniformes paquets de la Régie française, il est
amusé par les papiers multicolores, illustrés ou non, qui
enveloppent les jolis tubes blancs de la fumée desquels il
attend la satisfaction d'un besoin ou simplement un plaisir
léger. . .
Les illustrations et les textes les plus alléchants sollicitent
son choix à l'étal des marchands de tabacs : cigarettes Camé-
lias, F/or de Espaila, Crème de Havane, Herbe divine, Gerbe
d'Or, Vénus, etc. Et ces produits aux noms charmants sont
ollerts à des prix variant de 0,10 à 0,25 le paquet de 16 ou de
24 cigarettes. En acquérant un certain nombre de paquets à
la fois, de gros escomptes sont mômes consentis.
Mais il n'est pas rare qu'après avoir parcouru le cycle
complet des tabacs africains, le vrai fumeur revienne tout
bonnement à ceux de notre Régie, cédés en Algérie à tr'ès bas
prix quoique un peu plus chers que les tabacs du cru. C'est
que les produits de nos manufactures. nationales sont réelle-
ment remarquables et leur renommée dans le monde en est
une preuve constante. Nous avons si souvent dénié à l'État
toute hab'ileté d'exploitant en matière agricole, commerciale et
industrielle, que nous ne devons pas lui ménager nos bravos
quand ils sont mérités.
Il faut rendre à César. . .
Cependant quelques maisons algériennes fabriquent des
produits qui valent les tabacs officiels, et nos tabacs algériens
sont l'objet d'une faveur marquée dans nos colonies les plus
lointaines et à l'étranger.
Oran, Alger, Constantine, Rône, Blida, etc , possèdent de
nombreuses usines ; mais Oran et Alger surtout sont les deux
grandes villes où l'industrie des tabacs s'est spécialisée. C'est
à Oran que se trouve la fameuse maison Bastos dont les
paquets de cigarettes, bleus avec trèfle rouge, sont connus de
tous les fumeurs.
Dans la période de 1899-1900, Oran seul a exporté 3,811 kil.
de tabacs en côte et 258,000 kil. de cigarettes. En 1900-1901,
ces chiffres passaient à 46,300 kilog. de tabacs en côte et à
275,000 kilog. de cigarettes.
Alger exporte moins de cigarettes (208,000 kilog.), mais
406 NOTES SUR L'ALGÊftlE ÉCONOMIQUE
beaucoup plus de cigares et de tabacs en poudre et en carottes.
Quant aux autres ports, Philippeville, Bône, Bougie, etc., leur
production est à peu près entièrement absorbée sur place.
L'industrie des tabacs est une des' industries algériennes
présentes qui sont dignes d'un meilleur avenir. Son dévelop-
pement, bienfaisant pour les nombreux indigènes qui se
livrent à la culture de la plante (il y a 7,000 planteurs, dont
6,000 Indigènes), le serait non moins pour les grandes villes
où des fabriques existent ou pourraient se monter.
Ce ne sont pas seulement les débouchés locaux ou les prélè-
vements que font à Hussein-Dey, à Blida et à Bône pour le
compte de l'Etat français les entreposeurs de ces trois magasins
d'achat, que l'Algérie doit viser. C'est à l'exportation à l'étran-
ger qu'elle doit prétendre. Et nous touchons ici à la question
brûlante des ports francs.
Les tabacs, comme les vins, comme les farines, doivent être
(I coupés », mélangés, (j'est ce que font nos manufactures
nationales en employant des tabacs de quaUtés et de prove-
nances diverses qu'elles amalgament dans des proportions
déterminées.
Nos tabacs algériens ne peuvent constituer des marques
sutfisamment appréciées. De même qu'on môle aux vins
faibles et à certaines farines des vins plus alcooliques et des
farines de force pour les approprier au goût des consomma-
teurs, de même nos tabacs ont besoin de l'appoint de qualités
spéciales qu'on ne trouve qu'à l'étranger.
Si nous pouvions recevoir ces tabacs exotiques à de bonnes
conditions pour les combiner avec les nôtres, nous aurions
vite pris une place enviable sur les marchés étrangers au
]ieu de continuer à n'avoir presque pour clientèle que nos
propres colonies.
Mais la Douane veille, et si nous voulons importeries tabacs
qui nous sont nécessaires, elle nous demande de lui verser
d'abord fr. 56 par 100 kilogs. C'est-à-dire que ses manipulations
nous sont par le fait interdites et que nos industriels sont
forcés de marquer le pas ou d'aller ailleurs- C'est ce qu'ont fait
certains d'entre eux. La maison Bastos a créé une succursale
à Tanger où elle compte manipuler 2,000 kilogs de tabacs par
jour et il a été question d'en fonder une autre à Malte. Elle a
aussi une maison en Belgique. Et ce sont ces pays qui bénéfi-
cient de ce dont l'Algérie devrait profiter.
LES INDUSTRIES ALGÉRIENNES 407
Qu'au contraire une zone tranche soit créée dans deux ou
trois grands ports algériens. Au lieu de s'expatrier, nos fabri-
canls s'installeront dans ces portions de ports francties et,
recevant sans redevance les tabacs exotiques convenant à
rarnélioration des nôtres, ils pourront lutter contre a concur-
rence étrangère sur les marchés extérieurs.
L'idée des ports francs fait son chemin partout malgré
l'aputliie administrative et malgré les quelques oppositions
peu logiques qu'elle rencontre, et il est certain que la libre
manipulation des tabacs sera une des premières à autoriser
dans les zones franches que tôt ou tard on se décidera à
établir.
Nos terres conviennent à merveille à la culture de la plante;
notre main-d'œuvre est bon marché et nos fabricants très
habiles. Si à ces facteurs de premier ordre on ajoute la possi-
bilité de rechercher la clientiVe de l'extérieur par la libre
adjonction à nos tabacs de tabacs étrangers en vue d'une
réexportation immédiate, on aura permis à cette intéressante
industrie de réaliser de très sensibles progrès.
L'administration des manufactures nationales achète chaque
année eu Algérie par ses trois magasins d Hussein-Dey (près
Alger), de Blida et de Bône, 3 millions de kilogrammes de
tabacs en feuilles, soit à peu près la moitié de ce qu'elle produit.
Pour la récolte de 1902, M. le Ministre des Finances a décidé
qu'exceptionnelle itent le contingent à demander par la Régie
à la production algérienne serait de 3,200,000 kilogs.
Les prix payés par la Régie varient de 55 à 60 fr. le quintal.
Depuis 1893 pourtant le taux de 60 fr. n'a plus été payé. Les
prix de vente au commerce sont d'une manière générale plus
élevés que les précédents.
Avons-nous dit que les rendements de tabacs en feuilles à
l'hectare sont de 10 à 12 quintaux en terres sèches et de 15
à 25 en terres irriguées '.'
La quantité de tabac manufacturé annuellement est de
4 millions de kilogrammes environ, dont un million et demi
de kilogs sont importés de l'étranger pour. les mélanges. Ces
tabacs proviennent de l'Amérique (du Nord et du Sud), des
Philippines, du Levant et d'Allemagne.
D'après M. Léon Dachot, il se fabrique en Algérie 2 millions
de kilogs de cigarettes par an, représentant 800,000 journées
d'ouvrières.
'408 NOTES SUR L'ALGÉRIE ÉCONOJIIQUE
Au total l'industrie algérienne, pour manufacturer ses
4 millions de kilogs de tabacs annuellement, occupe plus de
5.000 ouvriers et ouvrières.
Crin Végétal. — C'est une industrie bien algérienne et
qui, sans être d'une très grosse importance, occupe toute
l'année, sauf pendant la saison des récoltes, ime assez abon-
dante main-d'œuvre indigène.
L'introduction du crin végétal dans l'industrie remonte
à une cinquantaine d'années environ. 11 paraît que ce sont
deux algériens, MM. Averseng et Delorme qui ont découvert
les premiers l'utilisation du palmier-nain.
Le crin végétal est la fibre de .cette feuille préparée et
séchée. En passant de l'état de feuille verle à celui de crin
sec les deux tiers à peu près du poids ont été perdus et 300 kil.
de feuilles ne donnent guère plus de 100 kilogs de crin sec
tressé en torons.
Le peignage de la feuille de palmier est effectué à l'aide de
tambours horizontaux montés sur un arbre, horizontal aussi,
tournant à la vitesse de 450 à 500 tours par minute et recevant
directement par sa poulie le mouvement du moteur, d'ordi-
naire une locomobile à vapeur.
Cet arbre est supporté par un bâti en fer reposant sur 4 pieds.
Chaque tambour a 0'n60 de longueur. Il est formé de 2 ou 3
disques en fonte, sur lesquels sont boulonnées des douelles en
bois de frêne ou de platane. Sur les douelles on fixe des alênes
en acier en nombre et d'une disposition variables. On met
jusqu'à 5 tambours peigneurs sur le même arbre en les espaçant
de 0"'40 entre eux, pour que l'ouvrier puisse remplacer les
alênes usées ou en changer la position.
Les tambours sont recouverts d'un masque de tôle ne laissant
d'ouverture que ce qui est utile pour présenter les feuilles
de palmier au peignage. L'ouvrier est ainsi protégé et n'a à
veiller qu'à ceux de ses doigts maintenant les tiges des feuilles.
Chaque tambour prend à peu près un cheval-vapeur de
force et peut peigner environ de 5 à (j quintaux de crin frais
par jour.
Le rendement varie selon que la main-d'œuvre à laquelle
on s'adresse est plus ou moins exercée.
Il existe une machine automatique pour le peignage du crin
végétal, mais à raison de son prix élevé (6 à 7,000 francs) elle
LES INDUSTRIES ALGÉRIENNES 409
est peu employée en Algérie et la presque totalité des usines
se sert de tambours. Au fait, le mot d'usine est bien gros pour
la plupart de ces installations. Sous un hangar, une vieille
locomobile faisant marcher 4 ou 5 tambours ; un chautïeur,
quelques peigneurs, sept ou huit autres ouvriers, tous
indigènes le plus souvent, sauf le chaufleur et le patron
qui sont espagnols ou Italiens ; des bourriquots apportant à
dos leurs charges de feuilles vertes, — voilà ce que sont et
comment fonctionnent les usines à crin végétal de la région
d'Oran à Aïn-Témouchent, de Bel-Abbès, de Kabylie et de la
province de Constantine.
Le séchage du crin tombant des tambours se fait comme
celui du fourrage, en plein air et à l'aide de fourches. (Quelques
rares fabricants, dans le département d'Alger, ont une faneuse
mécanique à traction- animale. La mnind'œuvre nécessaire au
séchage revient à peu près à 0 fr. 10 par quintal de crin sec.
Le crin sec est mis en cordes tressées qu'on fait généralement
de 13 mètres de longueur (longueur adoptée par les fabricants
du département d'Alger). Il importe que cette longueur soit
uniforme, parce que c'est aux 100 cordes que sont payés les
ouvriers tresseurs.
Il y a trois qualités de crin et les cordes tressées pèsent
chacune environ :
1 kil. 300 en qualité ordinaii'e ;
0 kil. 9U0 en qualité supérieure ;
0 kil. 700 en qualité extra.
Les ouvriers tresseurs sont payés d'habitude :
1 fr. 50 pour le cent de cordes ordinaires ;
1 tr. 25 — — supérieures ;
-1 fr. 00 - — extra.
La qualité ordinaire est plus grossière, plus dure à tresser,
et les cordes sont plus épaisses, ce qui explique que les
tresseurs sont moins payés pour les cordes fines, lesquelles
donnent moins de mal et sont plus minces.
Nous rappelons que le crin végétal est surtout préparé aux
environs immédiats d'Oran, sur la ligne d'Oran àTémouchent,
à Nemours, Nédromah (où sont quelques usines importantes),
à Bel-Athès, etc. Dans la province d'Alger, les centres princi-
paux sont : El-A.tïroun, Affreville, Bordj-Ménaïel et quelques
autres localités kabyles. Dans la province de Constantine on
410 NOTES SUR L'ALGÉRIE ÉCONOMIQUE
commence aussi à en produire autour des villes du littoral,
Bougie, Djidjelli, Philippeville et Bôiie.
Nous verrons plus loin à quel mouvement d'exportation
donne lieu cette marchandise, mais disons ici que l'exportation
du crin végétal algérien, qui fut de 25,000 kilogs seulement en
-1849, à été de 32,540,000 kilogs, valant 3,245,000 francs,
en 1900.
Si on tient compte que le palmier nain n'est ramassé que par
des indigènes, on voit que c'est pour eux une source de
revenus qui n'est pas négligeable.
C'est rOranie qui fabrique et e.xporte le plus de crin végétal.
D'ailleurs ce produit est presque entièrement exporté.
Liège. — Le liège algérien est exporté en planches. Il
existait à Bône, il y a quelques années, une usine appelée
La Subérine, oii l'on travaillait le liège de la région (Edough,
Oued-el-Aneb, etc.) ; mais elle a disparu faute de capitaux
suffisants pour s'outiller convenablement 'et s'approvisionner.
On y faisait de la poudre fine de liège pour la pyrotechnie,
des briquettes, des poudres de déchets pour l'emballage des
fruits primeurs et divers autres objets. Nous ne croyons pas
qu'il existe aujourd'hui en Algérie une autre usine de ce genre.
En somme, il n'y a pas à proprement parler en Algérie, une
industrie du liège autre que celle consistant à préparer le liège
en planches, puis en balles liées, pour l'exportation.
Une fois démasclé le liège est ramolli dans des chaudières.
Ensuite on l'aplatit, on rabote mécaniquement sa surface
ligneuse, on coupe les planches obtenues aux dimensions vou-
lues, et, encore humides et molles, on les soumet à l'action
d'une presse.
En dernier lieu, ces planches sont réunies en balles de
1 mètres à 1 m. 20 de longueur, d'ordinaire, liées par du 111
de fer.
On sait que l'Algérie produit annuellement 110,000 quintaux
de liège, qu'elle vend 3,500,000 francs environ. Le Portugal et
l'Espagne, qui ne viennent qu'après l'Algérie comme surface
de forêts de chêne-liège, vendent chaque année : Le Portugal
340,000 et l'Espagne 280,000 quintaux de liège.
Le liège est utilisable dans toutes ses parties et il est chaque
jour plus recherché par l'industrie, ce qui explique la stabilité
de son cours en dépit de sa production plutôt croissante.
LES INDUSTRIES ALGÉRIENNES 411
Du premier liège démasclé ou liègè-màle, on confectionne
des ornenienls rustiques de jardins, de parcs, de kiosques, etc.
Les plaques et les briques de liège sont employées au revête-
ment des parois de glacières, de séchoirs, d'appartements, etc.,
car le liège est non-seulement athermane, mais encore impu-
trescible, imperméable et il intercepte les sons.
Ses déchets entrent dans la fabrication du linoléum, dont
l'usage est en progrès constant. Réduit en poudre, il est utilisé
dans l'emballage des fruits frais (raisios surtout) à expédier en
caisses.
Mais le grand débouché du liège est la préparation des
bouchons.
Sait-on que la France en consomme annuellement 400,000
quintaux (dont 11,000 quintaux importés de l'étranger^»
soit à peu près un milliard deux cents millions de bouchons
pour ses vins de Champagne, Bordeaux, ordinaires ; ses
l-iières, liqueurs, sirops, eaux minérales ; ses produits phar-
maceutiques, etc. ?
On prépare des bouchons de liège à Alger, à Philippeville,
Bône, mais la plupart des fabriques sont en France, en Italie
et en Espagne.
Les bouchons de qualité ordinaire sont tous de fabi'ication
française et ce sont les bouchons fins surtout qLii proviennent
de l'éti'anger.
A Paris seulement on évalue à 300 millions, soit 800,000
kilogrammes, le nombre de bouchons employés. Aussi y voit-
on de nombreuses fabriques.
Nous bornons là ces détails qui sortent un peu de notre
cadre puisque, nous le répétons, le liège n'est presque pas
travaillé aujourd'hui en Algérie. 11 n'est pas téméraire de
prévoir que cette situation changera et qu'à côté des quelques
bouchons que nous livrons d'Alger et de la province de Cons-
tantine, viendront se placer les articles variés dont nos lièges
abondants et de qualité excellente sont la matière première à
portée.
Huilerie. — L'Algérie fut avec la Tun.sie la terre classique
de l'olivier dans l'antiquité. Aussi trouve t- on des fabriques
d'huile d^olive à peu près dans toutes les villes algériennes du
Tell ; principalement à Bône, Philippeville, Constantine, Souk-
Aliras, Guelma, Sétif, la région de Khenchela-Tébessa-Aïn-
412 NOTES SUR L'ALGÉRIE ÉCONOMIQUE
Beida, Bougie, les villages de Kabylie, Alger, Blidah, le Sig,
Tlemcen, Aïn-Témouchent, Mascara, Bel-Abbès, Relizane, etc.
En -1901, l'Algérie a produit 24.684.800 kilogs d'huile d'olive.
Sur ce chiffre elle en exporte 6 millions. Comme elle con-
somme 28 millions de kilogs d'huiles diverses annuellement, il
lui faut importer 9 millions de kilogs d'huiles de toutes graines,
soit à peu près le tiers de sa consommation.
Ces 9 millions de kilogs importées se décomposent en :
437.000 kil. d'huile d'olive (venant de France, Espagne et
Tunisie) ;
4.396.000 kil. d'huile de colon (venant de France et de
l'étranger) ;
3.982. OOû kil. d'huile de sésame (venant de France seu-
lement).
L'appoint est formé d'huiles de lin, de ricin, etc., en faibles
quantités pour chaque sorte.
Pour satisfaire aux demandes des diverses classes d'ache-
teurs, nos fabricants sont obligés de produire, à côté d'huiles
d'olive pures, des huiles de coupage d'un prix moindre où
entrent des huiles de graines. Le plus souvent les usiniers
vendent au commerce des huiles très fruitées et les négociants
font eux-mêmes les coupages nécessaires.
C'est l'explication des importations d'huiles de coton et de
sésame.
Sur les 247.000 quintaux d'huile d'olive de la production
de 1901, 216,000 quintaux seulement proviennent des moulins
algériens. Les 31.000 autres quintaux sont dus aux pi-imitifs
procédés kabyles.
Les arrondissements les plus productifs sont les suivants :
Bougie (KabyUe) 84.600 quintaux
Tizi-Ouzou (kabylie) 33.600 —
Alger 28.000 —
Constantine 27.800 —
Bône 12.700 —
Sétif. 7.000 —
Philippeville (Jemmapes, El-Arrouch). . 4.200 —
Oran (Temouilicut, Arzcw, Perrégaux, Sijj). 3.800 —
Tlemcen 3.500 —
Orléansville 3.300 —
Guelma 2.700 —
Mostaganem 2.200 —
LES INDUSTRIES ALGÉRIENNES 413
Les huiles d'Oranie sont les plus recherchées. Par la finesse
de leur goût, elles se rapprochent sensiblement de nos meil-
leures huiles de Provence.
Le prix des huiles d'olive algériennes sur le marché de
Marseille varie de 90 à 120 i'r. les 100 kilogs, selon les
qualités.
La Kabylie est le centre de la production de l'huile d'olive.
Les communes mixte de Beni-Mançour et de pl-iin exercice
d'Akbou ont donné à elles seules, en 1901 : Beni-Mançour
10,340 hectol. pour 274,000 oliviers greffés, Akbou 8,200 hectol-
pour 80,000 oliviers greffés ; soit 7 et 10 kilogs d'huile par
arbre.
La région de Tlemcen, a\ec ses 50,000 oliviers, produit
4,000 quintaux d'huile environ.
Nous n'avons pas en Algérie de grandes installations indus-
trielles comparables aux usines de Sousse, en Tunisie. L'ou-
tillage de nos fabricants européens est plus modeste et diffère
peu de celui qu'on emploie dans les installations rurales de la
Provence.
Les olives mûres, achetées aux indigènes ou aux propriétaires
européens, sont broyées sous la meule ou entre les cylindres
d'un concasseur ; puis les grignons, placés dans des scourtins
d'alfa, sont disposés en pile verticale entre les deux plateaux
d'une presse métallique. L'huile brute coule dans des réci-
pients où elle est décantée plusieurs fois jusqu'à obtention des
qualités requises.
Les résidus solides, d'autre part, sont épuisés par des macé-
rations à l'eau chaude. Voilà en deux mots la théorie de la
fabrication de l'huile d'olive européenne.
Les petites huileries agricoles d'Algérie se composent
d'ordinaire :
1° D'un broyeur ou concasseur à cylindres cannelés, mû à
bras, semblable à un concasseur de grains, — ou bien d'une
meule en pierre volcanique écrasant les olives dans une auge
également en pierre ;
2" D'une presse à huile mue à bras, avec ses scourtins d'alfa
(2 ou 3 douzaines) ;
3" Des réservoirs nécessaires.
Dans les installations plus importantes (à partir de 15 à
20 quintaux d'olives par jour par exemple), le tout est actionné
414 NOTES SUR L'ALGÉRIE ÉCONOMIQUE
par lin moteur. Le nombre de moulins et dé presses est pro-
portionné au rendement à obtenir et on fait parfois usage de
presses liydrauliques donnant des pressions plus puissantes,
de filtres à liuile, etc.
En somme, il n'y a rien de spécial en ce qui touche les
procédés de nos usiniers européens.
Il faudrait surtout chercher à améliorer les conditions de
fabrication des huiles indigènes. En Kabylie, centre de l'oléi-
culture, les kabyles, plus avisés et plus laborieu.K que les arabes,
profitent chaque jour davantage des exemples ambiants. Mais
il reste beaucoup à faire, en Kabylie et ailleurs, et le progrès
pénètre lentement chez les indigènes, malgré les plus louables
efforts.
Sur nombre de points, les procédés sont déplorahlement en
retard et la défectuosité de l'outillage a pour corollaire làcheux
l'infériorité de la qualité et du prix de vente.
Au lieu de moulins ou de broyeurs periectionnés, beaucoup
d'indigènes continuent à se servir de moulins primitifs dont le
travail grossier est mal terminé par des presses en bois d'une
puissance insuffisante. Le manque de propreté s'ajoute à ces
antiques moyens. Aussi le résultat est d'une part une grosse
perte de rendement, d'autre part la production d'une huile
forte, de mauvais goût, recherchée seulement par les indigènes.
Cette dernière raison, il convient de le dire, fait que la trans-
formation de l'outillage sera lente dans les lieux où la produc-
tion est inférieure à la consommation.
D'autres fois le moulin arabe est remplacé par une sorte de
bassin dallé où l'on verse les olives mûres et fermentées. Puis,
disposés autour de ce bassin, les indigènes se renvoient en
tous sens, des pieds et des mains, une grosse pierre qui écrase
sommairement les olives en roulant sur elles.
Les kabyles, qui ont un goût très marqué pour les huiles
fortes, rances môme, s'adressent aussi à un procédé dilférant
des deux précités. Ils font bouillir leurs olives. Après un
certain temps, quand elles ont abandonné une partie de leur
eau, ils les soumettent à la dessiccation puis en confectionnent
une pâte qu'ils mettent à macérer dans l'eau. L'huile monte à
la surface et est décantée.
En 1901, l'oléiculture algérienne avait à sa disposition près
de 5,000 moulins à huile d'olive. En voici les chiffres par
arrondissement :
LES INDUSTRIES ALGÉRIENNES 415
Bougie 2.855 moulins ;
Tizi Ouzou 989 —
Orléansville 351 —
Sétif 219 —
Alger 94 —
Mostaganem 2(< —
Tlemcen 19 — ■
Guelma 10 —
Oran 9 —
Batna 8 —
Pliilippeville 7 —
Bône 5 —
Bel-Abbès 5 —
Le nombre de moulins, pris dans l'aijsolu, ne révèle guère
l'importance productive de chaque région y afférente. Ainsi,
avec 94 moulins, l'arrondissement d'Alger arrive à 28,000 quin-
taux d'huile, tandis que celui de Sétif qui possède 219 moulins
ne donne que 7,000 quintaux. De même Bône avec 5 moulins
réalise près de 13,000 quintaux d'huile alors que Mostaganem
avec 20 n'atteint que 2,200 quintaux. Tout est dans le rende-
ment de chaque moulin.
Le Bulletin de l'office de renseignements du GouvernemerA
général de l'Algérie, qui fonctionne si intelligemment à Paris,
signale une initiative qu'il convient de louer sans réserves.
L'an dernier, M. Guenin, commandant supérieur du Cercle
de Khenchela, dont le territoire comprend de nombreuses
olivettes, a fait acheter par la commune indigène de Khen-
chela, pour l'installer à Ouldja, point central de la production
du pays, un broyeur à olives, des scourtins et une presse à
huile du dernier système, constituant en quelque sorte une
huilerie communale.
Les indigènes se sont convaincus par eux-mêmes que le
rendement en huile était à peu près le double de celui qu'ils
obtenaient par leur outillage suranné. De plus l'huile était
d'un goût franc d'une belle couleur, d'une vente facile.
Comme l'acquisition conseillée par M. Guenin a été effectuée
sur les fonds communaux, les indigènes des villages voisins
ont demandé que leur centre fût doté par les mêmes moyens
d'un matériel similaire.
L'administrateur de la commune mixte de Takitoun a pu
416 NOTES SUR L'ALGERIE ÉCONOMIQUE
décider aussi un groupe d'indigènes de sa commune à installer
une huilerie moderne. Les fonds ont été fournis, à titre
d'avance, par la Société de prévoyance indigène de l'endioit
et l'usine a fonctionné dès la dernière campagne.
Il est désirable que ces tentatives intelligentes se généra-
lisent. Rares sont les indigènes possédant up" solvabilité
suffisante pour acheter même une petite huilerie, qui coûte
encore un millier de francs rendue sur place. L'achat étant
fait pour la collectivité et sur des fonds communs, ces huile
ries d'un genre coopératif ont de grandes chances de se
multiplier si notre administration veut se montrer bienveil-
lante pour raccomplissement des formalités nécessaires. Il n'y
a pas à douter qu'on'puisse compter sur elle pour cela ; le vif
désir qu'elle manifeste d'initier la population indigène à nos
méthodes modernes en est la preuve.
En Algérie, la consoinmation d'huile individuelle semble
être de 6 kilogs par an. Les arabes absorbent moins de
3 kilogs par tète, mais les européens, comptent pour II à
12 kilogs et les kabyles pour 15.
La production du pays étant inférieure à sa consommation,
l'industrie de l'huile d'olive reste une industrie d'avenir.
Les plantations et grelïages incessants qui sont effectués de
tous côtés indiquent que notre productio.i est destinée à
s'accroître. Alors le chilYre de la consommation sera atteint ou
dépassé, mais une e.xportation ascendante entrera à ce moment
en ligne do compte. Il n'y a qu'à voir les progrès qu'elle a
faits en ces dernières années : en 1898 nous avons exporté en
France 1,34.5,000 kilogs d'huile d'olive. Ce chifïre est passé à
plus de 3 millions en 1899 et à plus de 6 millions en 1900.
On aiderait encore à l'extension de l'oléiculture en votant le
projet Suchetet qui vise le relèvement des droits de douane
sur les graines oléagineuses et les huiles végétales (fr. 18 le
quintal pour les huiles de colza, navette, pavot, olive ; fr. 12
pour les huiles d'arachide, coton, sésame, etc.)
Mais tout en étant d'avis qu'il est nécessaire de protéger
l'industrie de l'huile d'olive, nous croyons qu'il ne faut pas
totalement négliger l'intérêt des consommateurs. Certains
d'entre eux préfèrent à la saveur fruitée de l'huile d'olive
vierge le goût plus neutre, moins prononcé, d'une huile
mixte. D'autres, sinon par goût du moins pour des raisons
d'économie, ne peuvent s'offrir que des huiles mélangées,
LES INDUSTRIES ALGÉRIENNES 417
C'est la fraude qu'il faut énergiquement poursuivre et empê-
cher.
Comme nous venons de le dire, le Gouvernement général
est préoccupé du développement de l'oléiculture et de l'indus-
trie qui en est la conséquence. Répondant à un vœu de la
Délégation financière des non- colons, émis au cours de la
session de juin 1901 et tendant à ce qu'il soit procédé au
recensement des oliviers greffés et non-greCfés, l'a hninistration
s'est mise à l'étude des dispositions à prendre en vue d'amener
les indigènes surtout à améliorer leurs moyens de fabrication
et de conservation de l'huile
Elle a envoyé aux maires et administrateurs des communes
oléicoles une circulaire les priaut de fournir toutes les indi-
cations utiles sur la situation de l'oléiculture dans leurs
communes.
Ces autorités avaient à signaler: les principales variétés
cultivées; le mode de multiplication le plus fréquemment
employé (bouturage, propagation par rejetons, greffage des
oliviers sauvages) ; la qualité de l'huile obtenue au point de
vue alimeiitaire et industriel ; l'état présent du matériel de
fabrication et la nature des récipients où l'huile est conservée ;
la consommation moyenne par tète, d'huiles diverses chez les
indigènes ; les quantités excédant la ccmsommation locale et
pouvant être exportées, etc.
La plupart des communes ont ponctuellement répondu à ce
questionnaire administratif et c'est dans leurs réponses, habi-
lement résumées et colligées en un très intére.'rsant opuscule
qui a été publié ces jours derniers par le Gouvernement
général, que nous avons pris plusieurs des chiffres et des
indications qui précèdent.
Il a été demandé en outre des échantillons d'huiles et de
grignons en vue de les soumettre à l'analyse, dans le labora-
toire de la station agronomique d'Alger. A la suite de ces essais,
des experts et des spécialistes indiqueront les principales
destinations qu'il est possible de rechercher pour nos huiles.
Ceci est parfait et digne de tout éloge. Mais à côté de l'action
officielle, utile surtout aux indigènes, il est indispensable que
les intéressés, producteurs d'olives et fabricants d'imile, se
munissent d'un matériel perfectionné, fabriquent soigneuse-
ment, obtiennent d'irréprochables produits et s'occupent
ensuite de trouver des débouchés.
418 NOTES SUR L'ALGÉRIE ÉCONOMIQUE
Cette dernière question sera facilement résolue lorsque les
autres conditions seront remplies. Qu'ils sachent bien qu'ils
doivent surtout compter sur leur propres eflbrts car l'admi-
nistration ne peut pas tout faire.
Minoterie et Pâtes alimentaires. — La minoterie algé-
rienne se développe à vue d'œil et bientôt, si les pas en avant
qu'elle a déjà faits continuent, elle pourra se passer presque
entièrement de la France. Il est assez logique d'ailleurs que
dans un pays céréalier comme l'est celui-ci cesse cette ano-
malie d'envoyer les blés se faire moudre en France pour les
réimporter ensuite comme fu-ines ou semoules, grevés du
transport aller-retour et de la location des sacs pendant ces
trajets.
Ce n'est pas l'Algérie seulement qui a compris l'avantage de
moudre le grain là où il pousse. La Russie, l'Espagne, l'Italie,
etc., en font autant depuis quelques années. En ce moment
même la maison Buhler, d'Uzwil (Suisse) installe à Nijni-
Novgorod une minoterie à cylindres qui pourra traiter
4,000 quintaux par jour de farines et semoules.
Cette décentralisation explique le marasme où se trouvent
aujourd'hui les minotiers de Marseille, qui ne peuvent plus
résister à la raréfaction de leurs débouchés qu'en spéculant
sur les grains.
Oran recevait jusqu'à ces derniers temps plus de 35,000 quin-
taux de farine par an. Assurément cette importation sera
annulée dès l'année prochaine. Il en ira peu à peu ainsi des
autres départements algériens.
Alger, ses environs (Maison-Carrée, Hussein-Dey), Blidah.
Médéah, ont plusieurs minoteries. Constantine, Guelma, Bône,
Souk Ahras, Sétif, en ont une douzaine de très importantes
s'occupant surtout de la fabrication des semoules avec les
beaux blés durs de leur province.
Mais c'est l'Oranie qui tient la tête comme étant la province
céréaliers par excellence. Oran a une grande minoterie,
plusieurs petites, et une autre va fonctionner sous peu.
BelAbbès en a près de 20 dans sa région ; le Sig en a 3
grandes dont une date de quelques mois à peine ; Dublineau,
près Mascara, en possède une depuis plusieurs années ;
Tlemcen 4 ou 5, etc.
Enfin l'année 1902 verra se monter de grosses minoteries à
LES INDUSTRIES ALGÉRIENNIiS 419
Saïda, Saiiit-Cloud (pi'ès Oran), Aïn-Témouchent, Oran, Bel-
Abbès, Tlemcen, etc.
Cette extension de la minoterie algérienne s'explique d'autant
mieux, que nos blés durs et tendres donnent des farines et des
semoules qui n'ont pas besoin d'être mélangées à d'autres
qualités pour la boulangerie ou la fabrication des pâtes ali-
mentaires. En d'autres termes, nos farines et nos semoules se
suffisent à elles mêmes et peuvent se passer de l'immixtion
d'autres qualités.
Beaucoup de nos minoteries actuelles marchent à l'aide
d'une force hydraulique (Constantine, Guelma, Dublineau, le
Sig, Tlemcen, etc.) ; les autres recourent à la vapeur, ce qui
augmente leurs frais.
Il n'est question dans tout ce qui précède, que de minoteries
munies des derniers perfectionnements (nettoyage moderne,
broyeurs à cylindres, désagrégeurs, convertisseurs, plan-
sichters, bluteries centrifuges, etc.) oii la marche de la mou-
ture est absolument automatique pour des débits variant de
100 à 500 quintaux par jour, ou même bien davantage, de
farine ou de semoule.
Nous ne parlons pas des innombrables petits moulins à
meules métalliques (moulins anglais)-ou à meules en pierre, qui
font spécialement de la mouture de blé et d'orge pour les indi-
gènes. Ces moulins dits à « mouture arabe » sont répandus sur
tout le territoire de l'Algérie et se composent d'ordinaire
d'une ou de deux paires de meules a(;tionnées soit par une
locomobile à vapeur ou un moteur à pétrole, soit par uug
turbine ou une roue hydraulique.
Les minotiers algériens estiment que, pour s'en tirer, un
écart de 10 francs au moins doit exister entre le prix du
quintal de blé et celui du quintal de farine, au lieu de
production.
Cent kilogs de blé tendre donnent approximativement
70 kilogs de farine. On compte que les frais de mouture, de
sacs, l'amortissement du matériel et la location du moulin,
coûtent fr. 1,30 par quintal de blé. Si par exemple le blé est
payé fr. 20 le quintal par le minotier, son prix de revient est
ainsi de fr. 21,50. De plus, les blés étant généralement achetés
au comptant et les farines vendues à terme, 0,30 centimes
d'intérêt environ grèvent encore ce prix de revient qui est
finalement porté à fr. 21.80.
31
420 NOTES SUR L'ALGÉRIE ÉCONOMIQUE
Le blé valant 20 fr., il faudrait, d'après ce que nous avons
dit, que la farine se vendit 10 francs de plus, soit fr. 30. A ce
prix 70 kil. de farine vaudraient fr. 21. Les sons et autres
déchets de mouture étant évalués à fr. 2,50, le minotier retire-
rait de ses fr. 21,80 de blé, fr. 23,.50 f farine et basses matières),
d'oii un bénélice de fr. 1,70 par centkilogs de blé.
Mais le plus souvent l'écart de fr. 10, n'existe pas entre le
prix du quintal de farine et le prix du même poids de lilé, et
ce taux est considérablement réduit.
Comme conséquence de la préparation des semoules, il
s'est établi dans plusieurs villes algériennes : Alger, Constan-
tine, Bône, Pliilippeville, Oran, Médéah, Sétif, etc., une
industrie connexe dont les produits sont très appréciés : des
fabriques de pâtes alimentaires.
Ces fabriques, outre la consommation locale, commencent
à trouver un écoulement facile dans l'exportation, et nos
excellentes pâtes sont de plus en plus demandées. Il faut qu'on
sache que certains de nos blés durs algériens sont les premiers
du monde peut-être, comme qualité, et que les pâtes alimen-
taires provenant, de leurs semoules, peuvent lutter sans aucune
crainte de désavantage avec les pâtes dites d'Italie, que d'habiles
réclames ont universellement magnifiées. Nos blés durs ne le
cèdent en rien aux blés fameux de Sicile, de Toscane ou de
Taganrok. Leur rendement en semoule atteint 64 "/o. Très
riches en gluten (les pâtes alimentaires ne sont que du
gluten humecté, malaxé et comprimé en des moules divers
selon la forme recherchée), leurs pâtes sont fermes à la
cuisson, d'un goût fln, délicat, et elles se gonflent comme il
convient.
Le Sijndicat commercial algérien, d'Alger, nous apprend
qu'à fin 1900, il y avait dans le seul département d'Alger,
14 fabricants de pâtes, dont 11 à Alger même. Ces 14 fabriques
produisaient journellement 5,500 kil. de pâtes entièrement
consommées dans le département.
Médéah a une fabrique qui exporte des produits très appré-
ciés dans toute l'Algérie.
Quelques-unes de ces usines ont substitué à leur ancien
matériel des machines capables de travailler 3,000 kil.
par jour.
Constantine a 4 ou 5 fabriques produisant ensemble 30 à 40
quintaux par jour. Bône, avec les importantes minoteries et
LES INDUSTRIES ALGÉRIENNES 4-21
usines Debono, toutes récentes, vient de se placer au premier
rang de cette industrie. Oran compte 4 usines aussi ; etc.
Les pâtes algériennes se vendent de 40 a 50 francs les
100 kilogs. On peut les avoir à Paris, emballage et port
compris, à fr. 55 environ les 100 kil. en moyenne.
Nous recommandons, en passant, la consommation du
rouscoms que connaissent tous ceux qui ont voyagé ou
séjourné en Algérie.
Sec, 11 a l'aspect d'une très grosse semoule, mais il est
formé par l'agglomération de grains de semoule fine. Il est la
base de l'alimentation des indigènes et il jouit aussi d'une
faveur marquée auprès de tous les algériens. Avec le mouton
rôti, il est le plat de consistance classique des di/fas
officielles.
Cuit à la vapeur et préparé selon la formule, c'est un
excellent mets qui se vulgariserait en France dès qu'il y serait
connu. Contrairement à la bouillabaisse, il n'est pas indispen-
sable qu'il soit consommé sur place. Le cadre seul manquerait,
mais les paysages de la Neva ou de la Caspienne ne sont pas
toujours à la di-^position de tous les consommateurs de caviar,
si foi't à la mode depuis ([uelques années sur nos tables
parisiennes.
Dans le but d'en étendre la consommation, plusieurs fabri-
cants de pâtes algériens vendent le couscouss en boite de
1 kilog. et de 500 grammes, avec indication du procédé de
préparation culinaire.
En résumé, comme la minoterie, l'industrie des pâtes
alimentaires en Algérie est pleine de promesses. Elle dépasse
déjà les besoins de la consommation locale et dès que l'excel-
lente qualité de ses produits sera connue, on peut être certain
que les marchés de la métropole et de l'étranger lui seront
ouverts.
Produits chimiques. — A la suilo de l'exploitation des
gisements de phosphates de cliaux naturels, il eût été étrange
qu'une usine d'acide suliurique ne se créât pas dans un des
ports du département de Constantine, et ce port ne
pouvait être que Bône, tête de ligne du chemin de fer de
Tébessa.
Nous avons déjà exposé ailleurs l'anomalie de la situation.
Les phosphates de chaux, même très finement moulus, ne
422 NOTES SUR L'ALGÉRIE ÉCONOMIQUE
.s'assimilent que très lentement à la terre et, pour hâter
la diffusion de leurs parties fertilisantes, il faut les mélanger
à une certaine dose d'acide sulfurique. Ils deviennent
alors des « superphosphates de chaux minéraux », forme
sous laquelle, le plus généralement, l'acide phosphorique
est donné au sol pour remplacer celui qu'absorbent les
cultures. Pour marquer d'une image saisissante cette lenteur
et cette rapidité d'absorption, les Anglais ont un dicton qui
est à peu près celui-ci : « Qui veut ferliliser la terre pour
« ses enfants épand du phosphate naturel ; qui veut réaliser
« de suite l'abondance de ses produits use du superphosphate ».
(J'ai entendu énoncer le proverbe en anglais, mais la langue
anglaise ne m'est pas assez. . . maternelle pour que j'aie pu le
retenir ainsi.)
Notre agriculture algérienne a besoin d'engrais phosphatés.
Tous nos superpiiosphates nous venant du dehors, on songea
à opérer sur place la transformation des phosphates de Tébessa,
certain au moins d'éviter la charge onéreuse d'un double
transport : exportation du minéral et réimportation des super-
phosphates.
Mais l'acide sulfurique 66", qui est coté à Marseille de
fr. 8.50 à fr. 9 le quintal, en bonbonnes de 00 litres environ
(120 kil.), arrive à Bùne grevé d'un fret de 5 à 6 fr. par bon-
bonne parce que, à cause du danger qu'offre le transport de
ce produit, on trouve ditlicilement des compagnies de naviga-
tion voulant en assumer les risques.
On fit alors venir d'Espagne des pyrites de cuivre et on
construisit de vastes chambres de plomb pour fabi-iquer l'acide
sulfurique.
La fabrique de produits chimiques de la Boudjimali, aux
portes de Bùne, s'est montée vers 1808. Ses débuts furent
pénibles comme le sont toujours les débuts d'une affaire entiè-
rement nouvelle dans un pays neuf. Toutefois la persévérance
des créateurs a triomphé des obstacles. Outre la consommation
locale, qui se développera de plus en plus à mesure que les
facilités et le bon m.arché des transports permettront
d'étendre le rayon des ventes, l'usine a trouvé des débouchés
à l'extérieur.
Voici les chiffres des expéditions faites pendant le second
semestre de 1901. Nous les devons à l'obligeance d'un corres-
pondant particulier bien informé :
LES INDUSTRIES ALGERIENNES
423
DESTINATION
SUPER-
PHOSPHATE
PHOSPHATE
moulu
SULFATE
de cuiïre
ACIOE
sulturiquQ
ENGRAIS
spéciaux
Algérie
Tunisie.. ..
Espagne. ..
Egypte
Total ...
275 ...„„«
73 »
1.270 »
650 »
1 4 "■»■■"
28 '"■'"-
23 ...n«.
5 »
g.onne.
2.268""'""
14.om,es
2g lonnes
28.onn.s
g. «nues
Pour une période de 6 mois et étant données les deux der-
nières mauvaises années agricoles, ces chiffres montrent
l'importance qu'a su prendre en peu de temps cette heureuse
initiative, dont les progrès sont assurés.
On nous affirme que l'usine est outillée et aménagée pour
pouvoir produire annuellement:
1.5,000 tonnes de superphosphates ;
500 tonnes de sulfate de cuivre ;
20,000 tonnes d'acide sulfurique.
En l'état actuel de sa production, elle occupe une centaine
d'ouvriers et dispose d'une force motrice de 60 chevaux-
vapeur.
En dehors de l'usine de produits chimiques de la Boudjimah,
d'autres essais sont tentés. On parle de créer à Maison-Carrée,
en vue probablement de la poudrerie qu'il est question d'éta-
blir à Alger, une usine d'acide sulfurique et, depuis cette
année, une raffinerie de soufre fonctionne au Gué de-Gonstan-
tine, près d'Alger. Le minerai de soufre vient de Sicile exempt
de droits de douane et il est transformé, dans des chambres
de sublimation, en soufre sublimé pour la viticulture.
I^'avantage de cette usine — et des similaires qui se créeront
en Algérie —" sur les raffineries marseillaises réside dans
l'économie de fret réalisée sur les soufres sublimés expédiés
de Marseille, et dans l'économie des droits de douane sur les
soufres également sublimés venant de Sicile.
En efl'et, l'Algérie reçoit chaque année pour les vignes,
•100,000a 120,000 balles de soufre sublimé; un peu de Sicile
et la majeure partie de Marseille et de Cette.
Les raffineries du Midi se trouvent exactement dans les
424 NOTES SUR L'ALGÉRIE ÉCONOMIQUE
mêmes conditions que l'usine du Gué-de-Constantine. Elles
n'ont pas de droits de douane sur les minerais qu'elles impor
tent de Sicile, mais elles ont à charge le transport d ^. leurs
soufres (en sacs de 100 kil. net) de Marseille et de Cette à quais
Algérie.
Quant aux soufres de Sicile venant directement de Catane,
qu'on importe de plus en plus en Algérie, ils paient comme
raffinés ou sublimés un droit de douane de fr. 2.25 à leur
entrée.
L'usine du Gué-de-Constantine près Alger est donc en
situation favorable pour écouler ses produits dans toute la
région éminemment viticole de la Mitidja.
Il a été question, l'an dernier, de créer aussi une raffinerie
de soufre à Oran, mais rien n'a été fait encore.
Force motrice. — Il nous reste un mot à dire de la force
motrice mise en Algérie au service des diverses industries
européennes. C'est un point caractéristiquo qu'on ne saurait
passer sous silence.
Nous devons en partie à l'obligeance du service des Mines
d'Algérie les chiflres qui vont suivre. Ils se rapportent à
l'année 1900, ceux de 1901 n'ayant pas été définitivement
établis encore.
A fin 1900, il y avait en Algérie, sans compter les chemins
de fer, tramways et bateaux, 1,499 établissements employant
de la force motrice. Le nombre de chaudières était de l,82(j
produisant une force de 21,526 chevaux-vapeur effectifs.
Alger vient dans ce chiffre pour près de 9,000 chevaux-
vapeur et Oran pour plus de 7,0U0.
Il faut remarquer que dans le dénombrement ci-dessus
l'industrie agricole (locomobiles actionnant des batteuses, des
presses à fourrage, des pompes et norias d'irrigation, etc.)
entre pour 691 machines produisant 6,712 chevaux-vapeur.
Les chemins de fer et tramways algériens comportaient à
eux seuls à la même date et en plus des chilïres précédents :
334 locomotives donnant 113,541 chevaux-vapeur.
En 1901, l'industrie a installé plus d'une centaine de
machines à vapeur produisant 2,000 chevaux-vapeur effectifs
environ, ce qui porte les nombres précités à près de 2,000
machines et à plus de 23,500 chevaux- vapeur, — chemins de
fer et tramways non-compris toujours.
LES INDUSTRIES ALGÉRIENNES 425
En Oranie, de 470 machines et 4,810 chevaux-vapeur en
1895, on est passé à près de 700 machines et de 8,000 chevaux-
vapeur au commencement de 1902.
Et dans toutes ces évaluations n'entrent pas les moteurs à
gaz, à pétrole et à essence de pétrole, dont le service des
Mines ne s'occupe pas et qui se répandent de plus en plus,
à raison de la commodité et de l'économie de leur emploi.
Pour rOranie seulement (où on compte le plus de ce genre
de moteurs), il n'est pas excessif d'évaluer à plus de 100 mo-
teurs à gaz et à pétrole le nombre existant. Ils sont générale-
ment d'une torce de 4 à 10 chevaux-vapeur.
Il y a aussi plusieurs installations de transport de force
motrice par l'électricité. Citons, entre autres, celle de Mascara
pour l'éclairage de la ville au moyen des cliules d'Âïn-Fekan,
à 30 kilomètres de Mascara ; celles d'Orléansville, Tlemcen, de
Perrégaux, pour le -même objet ; celle du moulin Lavie, à
Héliopolis, près Guelma, etc. Il est question d'éclairer la ville
de Saïda de la même manière par les chutes de Nazereg,
à 10 kilomètres.
En résumé, on voit que le pays prospère et qu'on peut
former des pensées consolantes sur son avenir industriel.
Tapis indigènes. — Voici \me industrie indigène qui
devrait tenii- une place meilleure que celle qu'elle occupe,
dans la consommation française tout au moins.
Depuis l'Exposition de 1900, où on a pu admirer les beaux
échantillons qu'elle exposait à la section algérienne, tout le
monde connaît M""' Delfau, la fondatrice de l'école profession-
nelle de tapis indigènes d'Alger.
On estime que chaque année la France importe de Perse,
de Turquie, du Maroc, etc., pour plus de 10 millions de francs
de tapis.
Beaucoup de ces tapis arrivent de Turquie (écoles d'Ouchak
et d'Eréké) ou du Maroc, sous le nom de tapis algériens, ce
qui est une manière de fraude qu'il ne tient qu'à nous de
supprimer en rénovant le bel art des tapis orientaux à peu
près disparu d'Algérie, avant les nobles efforts de M"'" Delfau.
Nous conseillons aux touristes qui passeront à Alger de ne
pas manquer d'aller visiter l'école professionnelle de la rue
de l'Etat-Major. Ils ne laisseront pas de s'intéresser au spec-
tacle de ces petites mauresques de 6 à 8 ans tissant avec une
426 NOTES SUR L'ALGÉRIE ÉCONOMIQUE
surprenante dextérité ces jolis ouvrages, et ils se persuaderont
que nos tapis valent en beauté et en finesse ceux que nous
faisons venir de si loin et à si grands frais.
A des modèles uniformes et monotones ont été substitués
des dessins variés, bien choisis et plus artistiques. Les laines
sont rigoureusement sélectionnées ; enfin les couleurs miné-
rales, très altérables, sont proscrites et remplacées par des
teintures végétales plus belles, de tons plus fixes et plus
durables surtout.
Le but de M""^ Delfau est artistique, économique et moral à
la fois. D'abord elle a voulu faire revivre une industrie d'art
et d'exportation D'autre part, elle a cherché à occuper la
femme arabe, d'habitude oisi\e, et à créer pour elle et sa
famille l'aisance par le travail.
Les débouchés sont assurés pour la fabrication des tapis, et,
quand les nôtres seront connus, on trouvera des consomma-
teurs sans nulle peine. Cela simplifie déjà la question et peut
enhardir les fabricants.
Quant aux femmes indigènes, nous croyons qu'il y a intérêt
pour nous à les mettre à même de gagner leur vie et de
contribuer aux charges du ménage, ce qu'aucune ne fait
aujourd'hui à quelques exceptions près.
Les besoins de l'indigène croissent au fur et à mesure que
notre civilisation le pénètre. Il faut donc que se développent
parallèlement les moyens qui doivent le conduire à la satis-
taction de ces besoins.
Ne perdons pas de vue — et nous en recauserons — que
l'assimilation politique, religieuse, morale ou psychologique
de l'indigène est une chimère qu'il faut enfin délaisser. Son
assimilation économique est seule réalisable et possible. Nous
avons voulu l'instruire en nos habituelles connaissances et,
neuf fois sur dix, nous en avons fait un déclassé, quand ce
n'est pas pire. Il n'y a pas un indigène sachant lire, écrire et
ses quatre règles à peu près, qui ne se croie d'imprescriptibles
droits à devenir fonctionnaire. S'il ne peut l'être, le voici
transformé en mécontent et prêt à mettre sa rancune ou la
perte de ses illusions au service de toutes les mauvaises
causes.
Que l'élite indigène continue dans les Médersas d'Alger,
Constantine et Tlemcen à se cultiver l'esprit par l'étude de
l'histoire, du droit, de la théologie musulmans, de la littérature
LES INDUSTRIES ALGÉRIENNES 427
arabe, tout en apprenant aussi le français subsidiairement :
c'est parfait. Sa mentalité, en se distinguant, se rapprochera
de la nôtre et la France n'a rien à redouter de l'élévation
intellectuelle et morale de ses sujets. Bien au contraire, elle
doit l'aider. Comme bach adels, imans ou professeurs de'
mosquées et de Médersas, ces indigènes qui nous devront leur
instruction et leurs postes, nous en seront reconnaissants et
placeront leur inlluence à notre service.
Mais ne cherchons donc plus à donner aux indigènes nos
cerveaux et nos âmes. Ce serait poursuivre la réalisation d'une
conception aussi coûteuse que vaine.
Pour revenir au fait, c'est-à-dire à la fal)rication dos tapis,
la famille indigène profiterait du travail à domicile de la
femme ou de la jeune fille. On sait qu'à partir de Tàge de
12 à 13 ans, les jeunes filles mauresques prennent le voile et
sont désormais vouées à des travaux d'intérieur. Les écoles de
tapis indigènes ne peuvent donc recruter leurs ouvrières que
parmi les jeunes filles au-dessous de cet âge, ou chez les
vieilles femmes. Il importerait que dans le début on pût faci-
liter aux familles arabes l'acquisition des métiers nécessaires.
C'est le but poursuivi par l'école professionnelle indigène de
tapis de Tlemcen, fondée il y aura bientôt deux ans et placée
sous le patronage du Comité de l'Alliance française.
Il y a aussi une autre école de tapis à Tlemcen et une autre
encore en Kabylie. Toutes sont en quelque sorte des filiales de
l'école de M™" Delfau d'Alger, laquelle reçoit une subvention
du Gouvernement général.
Par son glorieux passé, son cadre, dont le pittoresque est
cher aux touristes etaux arabisants, par son caractère musul-
man tout parfumé de grâce archaïque, par sa nombreuse
population indigène enfin — Tlemcen, la « fleur de l'Algérie »,
est bien placée pour devenir un centre de fabrication de tapis
d'art.
A l'école du Comité de l'Alliance française, de Tlemcen, six
métiers fonctionnaient en mars 1902. Trois d'entre eux ayant
3'" 50 à 4 mètres de large, permettent de fabriquer des tapis de
grandes dimensions, lesquels sont d'ordinaire vendus au
mètre carré.
Nous formons des vœux pour que de nouvelles écoles
soient fondées et pour que les encouragements déjà donnés à
M""^ Delfau lui soient continués. Il s'agit là d'une œuvre
428 NOTES SUR L'ALGÉRIE ÉCONOMIQUE
nationale dont la portée morale s'allie très heureusement
au côté pratique et ce serait une regrettable faute que
de la laisser péricliter en négligeant d'aider ses premiers
pas.
Autres industries. — École d'apprentissage de DeUys.
— Ce sont à peu près là toutes les industries algériennes qui
olïrent un certain intérêt économique. 11 y en a bien d'autres,
mais elles concernent plus spécialement la consommation
locale.
A part les tanneries d'Alger, Constanline, Tlemcen, etc.,
qui exportent des peaux préparées, les distilleries, fabriques
de liqueurs et sirops, brassei'ies, ateliers de sparterie, usines
de ciment comprimé, tuileries et briquetteries, fabriques
d'allumettes (Alger, Bône), etc., se contentent pour l'instant
des débouchés algériens.
11 faut citer aussi l'industrie indigène de la poterie. Elle
florit surtout à Nedromah (Oran), en Ivabyhe et sur quelques
points de la province de Constantioe.
L'Algérie possède depuis une vingtaine d'années son école
industrielle : l'école d'apprentissage de Dellys, qui est en
quelque sorte une école d'arts-et-métiers primaire.
On l'accuse de coûter cher (Délégations: sessiondejuin 1901).
Le reproche est peut-être fondé, mais les services qu'elle rend
au pays ne sont pas niables, comme on va le voir.
Aux premiers ateliers de forge, ajustage et menuiserie ont
été adjoints le modelage, le charronnage et la tonnellerie.
Les Français ne sont pas les seuls à fréquenter l'école. Elle
reçoit aussi des Arabes et des Kabyles. Le recrutement se fait
au concours. A côté de quelques notions de français, d'histoire
et de géographie et d'un léger enseignement théorique (dessin,
mathémathiques, mécanique et électricité industrielles), se
place l'instruction réellement pratique et professionnelle
donnée à l'atelier.
Sur 300 élèves environ sortis de Dellys, plus de 50 °jo ont
suivi les carrières auxquelles l'Ecole les préparait plus ou moins
directement : mécaniciens de chemins de fer, de tramways,
d'usines privées, de la marine; dessinateurs ; Ponts-et-Chaus-
sées, voirie, hydraulique, etc.
Il ne serait peut-être pas très adroit de supprimer l'Ecole de
Dellys à raison de son prix de revient, et nous ne croyons pas,
LES INDUSTRIES ALGÉRIENNES 429
au surplus, qu'on y songe sérieusement malgré les quelques
critiques d'ordre financier que nous relatons.
Autant nous sommes d'avis qu'il vaudrait mieux, pour
l'enseignement supérieur, envoyer nos étudiants algériens
dans nos vieilles et fières universités de province, s'imprégner
de notre intellectualité, vivre quelques années dans un milieu
exclusivement français, se façonner l'esprit selon notre passé,
nos traditions et nos mœurs, — autant nous croyons qu'il
serait inutile et onéreux d'agir de même pour une école
d'apprentissage toute fondée et fonctionnant normalement. Il
est bon d'élever ici même, afin de les conserver dans le pays,
des jeunes gens capables d'être de bons ouvriers, de futurs
chefs d'ateliers et pouvant former plus tard à leur tour de bons
apprentis.
A ce sujet, de divers cùlés s'est manifesté le désir de
voir se développer l'éducation industrielle des indigènes. En
dehors des quelques artisans kabyles que l'on trouve dans
certaines grandes villes (Alger, Constantine, etc.) et dont la
clientèle est exclusivement composée de coreligionnaires, nos
indigènes ne sont guère qu'agriculteurs et pasteurs, pris dans
la masse.
Ne serait-ce pas faire de bonne besogne que leur permettre
de devenir charrons, forgerons, menuisiers, etc., dans ceux de
nos villages où il en manque et dans leurs douars et tribus?
On augmenterait ainsi leurs moyens d'existence et on
les mêlerait plus intimement à notre vie corporative et
sociale.
Les indigènes ne manquent pas d'intelligence ni d'adresse
et il est probable que nombre d'eux suivraient avec
plaisir et avec goût les cours d'apprentissage manuel que
des chefs ouvriers rémunérés leur feraient dans les petites
localités.
Alphonse AUBERT.
Oran. - .luillet 1902.
IN XOIVEAI COMPAS DE MER ENREGISTREIR
Voyageant en mer à bord du Félir Tonache, le commandant
de ce bâtiment a bien voulu nous montrer un nouveau compas
de route de son invention et nous donner en même temps
quelques indications sommaires sur les dispositions nouvelles
apportées par lui à cet instrument de navigation.
On sait qu'il existe sur le pont de tout bâtiment une boussole
de grand modèle fixée à demeure auprès du gouvernail, c'est-
à-dire à l'arrière. Une autre boussole est à portée de la roue
que manœuvre l'homme de barre, sur la passerelle de l'officier
de quart. En fait, ce n'est guère que de ceUe-ci qu'on fait usnge
ordinairement, mais toutes deux — naturellement — se meu-
vent identiquement.
Le capitaine du Félix Touaohea inventé un double dispositif
lui permettant : l» d'être averti chaque fois que, pour une
raison ou pour une autre, le navire gouverne soit à tribord
soit à bâbord au-delà d'un certain angle ; 2" d'enregistrer
mécaniquement, c'est-à-dire d'une façon absolument fidèle, la
route que son bateau a suivie.
Nous allons essayer d'expliquer, en quelques mots, en quoi
consistent ces deux inventions — qui constituent des amélio
rations ti-ès sérieuses, comme il sera facile de s'en rendre
compte.
I. — Supposons que le commandant, avant de quitter le
pont, ait prescrit au timonier de quart de faire sa route par
15° N.-N.-E. Il dispose son appareil en conséquence avant de
s'éloigner, en tenant compte de l'angle que le bâtiment fait
alors avec le Nord magnétique. Vienne soit un coup de mer
qui brutalise la barre aux mains de l'homme de quart, soit un
moment d'oubli ou une erreur de la part de celui-ci : l'aiguille
aimantée, qui est pourvue d'une pointe, dépasse l'angle de
tolérance fixé par l'otficier. Quand elle atteint le point extrême
de cet angle, une petite tige méta'lique fixée sous l'aiguille
entre en contact avec une pile minuscule dissimulée sous la
UN NOUVEAU COMPAS DE JIER ENREGISTREUR 431
rose de l'habitacle et qu'un fil relie à une sonnerie placée dans
la chambre de veille de l'officier de quart ou du commandant.
La sonnerie se fait entendre, l'officier se réveille et se rend
immédiatement auprès de l'hommo de barre pour lui demander
la raison de son écart.
II. Un crayon enregistreur est adapté à la rose des vents,
mobile dans l'habitacle qui, lui, demeure immobile par rapport
au bâtiment. Une feuille de papiei" est introduite sous la rose,
à la distance voulue du cray.m pour que celui-ci puisse se
promener utilement sur le papier. L'appareil est ensuite fermé
à clef et ne pourra être rouvert que par l'armateur ou par le
service maritime dont dépend le navire. On comprend tout de
suite que la roule, soit tous les mouvements du navire par
rapport au pôle, va être tracée sur le papier par le crayon
adhérent en dessous à^'aiguille du compas. Si, au retour, ces
mouvements ou changements de direction paraissent anor-
maux à la personne cliargée de vérifier la route suivie par le
bâtiment, le commandant aura à les justifier en les expliquant
à l'aide de son journal de boid.
On comprend tout l'avantage de cette disposition ; en cas
d'abordage, par exemple, il sera facile à l'officier de quart de
justifier les ordres qu'il aura donnés en démontrant que son
bateau suivait exactement telle ou telle route quand est
survenu tel événement ou incident qui l'a obligé à modifier la
direction primitive. Impossible, en ell'et, de traquer ou de
modifier le tracé imprimé par l'aiguille sur le papier qui,
comme on lésait, est renfermé dans l'habitacle fermé à clef.
Il faut que le livre de route ou, dans le cas d'accident, le
témoignage des marins et passagers, soit conforme au
graphique mécaniquement enregistré.
Ces deu.x perfectionnements — que je décris comme je puis
dans mon langage de terrien — sont d'une grande'importance.
Et cependant (il est triste de le dire) il n'y a encore que les
marines étrangères qui soient entrées en pourparlers pour
acheter son brevet au jeune et intelligent commandant du
Félix Touache !
Lucien JACQUOT.
CHROMQIJE 4RCIIÉ0L0GIQLE
I - GENERALITES
Époque préhistorique. - Le Ui'rwil dr la SocirU' </>■ Constun-
tine, ayant élé publié trop tard, n'a pu être consulté utilement,
lors de la derniôre chronique archéologique. Le volume de 1900
présente un travail de M. Gustave MEnciER. Cet archéologue n.
fait le relevé des monuments mégalithiques de la région du Sahara,
d'après les observations de M. Leroy, de la mission Foureau et
Lamy. A Tabalbaiet, M. Leroy a rencontré les vestiges de la
civilisation appelée par M. Duveykier, ijaraman tique. Ce sont
presque toujours des puits, entourés de tu'hiuli. Plus loin, près de
Tikhammort, se trouve un tombeau avec enceinte de pierres. Non
loin de là, un énorme tumulus possède une chambre sépulcrale.
Les mêmes monuments préhistoriques se rencontrent encore près
du lieu où fut assassiné Flatters. Enfin, sur les rochers qui
entourent le puits de Tarazit, M. Leroy a copié des dessins
reproduisant des animaux et des hommes. Des caractères tiflnars
entourent ces grossières peintures ; mais ils sont postérieurs aux
dessins.
Époque lybique. — Le même savant, ISL Mercier, puljlie encore
dans le Bulletin de Constantine une étude sur les Dimnitôs
lyhiques. L'auteur cherche à établir l'existence d'un panthéon
indigène, antérieur au panthéon sémitique et gréco-romain et
distinct de ceux-ci, d'après les documents épigraphiques latins,
datant de la survivance de ces cultes lybiques au milieu des
influences asiatiques, égyptiennes, sémitiques, helléniques et
enfin latines.
Il raie d'abord du panthéon lybique le dieu palmyrénien Malag-
belus. Les autres dieux lybiques seraient en général des divinités
locales M. Mercier cite: fîacaw, vénéré au Djebel-Taya; Matman,
associé à Mercure dans une inscriplion due à un soldat de la
IIP Légion, et qui pourrait donc être une . divinité aborigène;
Kautus Pâtes, que M. Goyï a pensé pouvoir être assimilé à
Mithra ; Aoulisoua, divinité adorée à Tlemcen ; Kaoub ; lalaou,
d'une lecture lybique, très douteuse et encore unique ; Baldir ou
Baliddir, connu par quatre inscriptions de Guélaat-bou-Sba et de
CHRONinUE ARCHÉOLOGIQUE 433
Sigus, dieu vénéré de Calama à Sigus, et que M. Mercier,
identifie au Dieu misant des Arabes. D'autres savants le rappro-
chent du dieu Balder des Scandinaves et pensent à un vestige
laissé en Atrique par une invasion lointaine de ces hommes du
Nord ; lerii, représenté par une ligure radiée sur une inscription
rupestre de Guechgach (ù 16 kilomètres de Constanline), et qui
serait peut-être la lune.
Enfin M. Mercier cite cr.core, d'après Corippe, les divinités
indigènes Sinitère, Mastimas et Guizil, fils d'Ammon, qu'aucune
inscription n'a encore révélées.
Époque romaine. — Le même Recueil de la Société de Constnn-
tinc contient une très-intéressante étude de M. Guérin, sous-
directeur dos Contributions diverses à Tizi-Ouzou, intitulée -E^Hcfe
sur les (/uatuor Publiva Africœ (les quatre contributions en
Afriq.ie;. Dans cette inonographie du système fiscal appliqué à
l'Afi'i([ue par Rome, l'auteur passe successivement en revue : 1° le
portorium, douane, octrois, péages payés en argent ; 2' le stipen-
dium, également payé en argent, contribution foncière de capilation
imposée aux territoires qui, avec Carthage, avaient résisté à
Rome. Ces terrains étaient laissés aux propriétaires, non pas a
titre de propriétés libres, mais bien de fiel's sujets à tribut envers
le maître véritable, le peuple romain ; 3° les decumae, dîmes sur
les récoltes, payées en nature et embarquées pour l'Italie. Cette
contribution se payait en vin, huile, maïs et surtout en blé. A
Rome pour une population évaluée par Marquardl à 1,600,000 ha' i-
tants, 200,000 de ces citoyens touchaient gratuitement chaque
mois, cinq modii de blé. L'Afrique fournissait la nourriture de
Rome, pendant huit mo's, l'Egypte l'espace de quatre mois. Ces
trois premières contributions étaient adjugées i"! une unique
compagnie ; 4° enfin la sariptura, droit de pacage perçu en argent
sur les troupeaux.
IL — TUNISIE
Époque punique. — Le Bulletin archéologique du Comité des
tratsaux historii/ues publie une note intéressante du capitaine
Tribalet sur une sépulture punique ou néo-punique découverte à
Tatahouine. Deux pierres servaient de couvercle à ce tombeau.
Elles présentent des sculptuies grossières, d'un dessin naïf,
reproduisant des oiseaux, des animaux, des fruits. Une inscription
de caractère analogue aux lettres néo-puniques y fut aussi décou-
verte. M. Gauckler, en expliquant les figures sculptées sur ces
pierres, croit pouvoir les faire remonter au.\ premiers temps de
434 CHRONIQUE ARCHÉOLOGIQUE
l'occupation romaine en Afrique. Cette conclusion est appuyée sur
le fait de la récente introduction en Afrique du paon et des droma-
daires repi'ésenlés sur ces pierres
M. Berger a expliqué l'inscription néo-punique, qui nous apprend
que c'est un mausolée élaboré à la mémoire de PiUukan, lils de
Massoulat. Le même savant donne la traduction d'une stole
punique trouvée à Cartilage. C'est un ex-voto à la déesse Tanit,
identique à tous les ex-votos consacrés à cette divinité punique.
Nous donnons la traduction de M. Berger, afin de montrer quel
est le caractère ordinaire de ces dédidaces : A la grandr Tanit
Penê-Baal, et au seigneur Baal-Hanimon, vœu fait par Hannon,
fils de Baahill('e,fils de Maijon.
Époque romaine. — Les mélanges d'archéologie et d'histoire de
l'école de Rome publient une notice de M. A. Merun sur les
fouilles exécutées à Dougrja en 1901. Après avoir rendu compte
des déblaiements, M. Merliîj s'attache surtout à décrire une
mosaïque otTrant une scène à personnages. Elle est intéressante
parce qu'elle est la première jusqu'à ce jour^exhumée à Dougga.
Le sujet représente un cocher du cirque qui a remporté le prix do
la course. L'aurïga montre la couronne qu'il vient de recevoir et
de l'autre main retient le char attelé de quatre chevaux Les
ornemenis et caparaçons de chevaux sont très riches.
Les fouilles de Dougga en 1901 présentent le double avantage:
1' de permettre do retrouver sous quatre mètres de déblais^ la
ville antique entière avec ses rues, ses maisons, et ï° elles ont
fourni sur la topographie de la Thugga romaine des renseigne-
ments utiles pour les recherches futures.
Le Comité archéologique du Comité des Tratuiux historiques
doit publier 80 textes épigraphiciues. découverts au cours des
fouilles.
Dans le même Bulletin du Comité (année 1902, l" livraison),
M. ScHUSTEN, professeur â l'université de Gœttingen. public une
longue étude sur l'arpentage romain en Tunisie. Ce dernier est
à peu près identique à l'arpentage actuellement en vigueur aux
États-Unis et dont le mille, unité de mesure, correspond assez
bien à l'ancien mille ronuiin.
Deux arpentages. — . L'arpentage en carré chez les Romains,
divisait les terrains donnés en toute propriété, eoloniœ. L'arpen-
tage en rectangle, désignait les terres dont l'Etat gardait la
propriété et n'abandonnait pas la possession aux provinciaux.
La centuriation, outre nom de l'arpentage en carrés, existe
encore assez visiblement aux environs de Carthage ; les Arabes
en ont conservé les anciennes limites de terres, M, Schusten, à
CHRONIQUE ARC}n':OLOGIQCE 435
l'aide d'une savante documentation essaie de préciser cette centu-
riation soit autour de Carthage, soit autour d'Hadrumote, la
nouvelle Sousse.
Dans le même recueil, nous lisons des Notes sur les Recherches
arch/'olo(jiques aux environs de Tatahouine, par M. le capitaine
Tribalet. Outre It's sépultures puniques et néo-puniques dont il
est par-lé plus haut, il existe à Tatahouine un csstellum romain
dont les murs sont encore debout, avec chemin de ronde, etc. Au
pied de la colline qui porte ce fort, gisent de nombreux tombeaux.
Non loin de là, se dresse un autre castellum avec mur d'enceinte
quadrangulaire et portes monumentales sur les quatre faces.
Tout près, se trouvaient de nombreuses termes avec citernes,
barrages etc.
A El-Gasseur, entre Bizerte et Tabarcn, on a découvert des
ruines lomaines. Dans des galeries exploitées autrefois, on a
retrouvé des scories de fer. Le oiéme recueil rend compte des
découvertes faites à Sousse et à Kairouun. Dans cette ville-ci, une
statuette de Baeehus à demi brisée ; à Sousse, une statuette-
fontaine, représentant un Amour assis sur un rocher et une
magnifique statue de négrillon, tenant une colombe sur sa poitrine,
ont été trouvées. Cette dernière statue est en marbre noir avec
incrustations de blanc pour les yeux.
A Sousse encore, on a mis à jour une assez belle mosaïque,
représentant l'enlèvement de Gangméde par l'aigle. Elle parait
remonter au milieu du II" siècle. Enfin, une quantité de lampes de
toutes les époques, ont été recueillies, pour le musée du Bardo,
par l'infatigable M. Gaucklek ; elles proviennent de Sousse et dé
Lemta. A signaler, un scarabée grec en cristal de roche qui devait
être enchâssé dans un chaton de bague. Il représente un guerrier
grec prêt à combattre.
Le musée de Tunis s'enrichit de nombreux objets. Le docteur
Vercoutrk lui a donné une collection cousidérable de silex taillés,
de pierres gravées et de monnaies. Il a trouvé les silex, à El-Goléa
et à Khenchela, les pierres et les monnaies en Tunisie et principa-
lement à Sousse Ces dons gracieux d'amateurs aux musées sont à
signaler et à proposer à l'imitation de ceux qui possèdent des
collections particulières.
De Bou-Grara, l'ancienne Gi'jthis, M. Gauckler rend compte
des fouilles exécutées au Forum. A remarquer surtout la décou-
verte dune statue dédiée à la Concorde Panthée, haute de 2 m. 40,
dont la 'frise du ironton de l'édiculc «[ui l'abritait porte les
mots ;
Concordiœ in Po.ntheo.
32
436 CHRONIQUE ARCHÉOLOGIQUE
Le forum de Gigthis, se ressent beaucou)! de l'inthience helléni-
que. Il est. plus riche que celui de Timgad.
De son côté, le P. Delattre, écrit ou Comité des Travaux
historiques, qu'il a été découvert h l'orphelinat Perret, une croix
pattée de chancel et deux morcaux de bas-relief représentant
Adam et Eve.
Citons encore, pour être aussi euniplet i|ue possible, d'autres et
récentes découvertes. M. Gauckler, qu'il faut toujours nomnii-i-,
conjointement avec le P. Delattre, lorsqu il s'agit des fouilles de
la Tunisie, M. Gauckler annonce-au Comité des Traisaux histo-
riques de nouveaux succès. On a mis à jour une statuette, de
Diane, sans doute, en marbre blanc, des lampes chrétiennes, une
tête de cygne. Dans les fouilles de YOdéonei du terrain d'^-l/ico w»,
de nombreuses inscriptions païennes etchrétiennes ont été retrou-
vées. M. Gauckler les publie et signale aussi une bague d'or
provenant de Lemta et fi présent au musée du Bardo. Elle porte
une entaille eu jaspo de couleur l'hair qui i-eprésente la luuve de
Rome.
Dans les proeès-serbaux du Comité des travaux historiques
(juin 1902), MM. Novak et Epinat rendent compte de leurs décou-
vertes à Chehha. Il s'agit d'une villa ronjaine dont le déblaiement
a permis de retrouver une splendide mosaïque : le triomphe de
Neptune. Cette œuvre parait appartenir à la fin du 1"' siècle.
Neptuiie se dresse sur un char traîné par un couple de chevaux ;
des Néréides et des Tritons sont autour de ces coursiers. La
mosaïque présente quatre médaillons oïi figurent les saisons.
Ces allégories sont pleines de fraîcheur et de grâce. A quelques
mètres au Nord, les deux archéologues ont déblayé une autre
villa. La principale mosaïque de cette nouvelle- villa représente
une barque portant un pécheur à la ligne. Des rameurs conduisent
cette barque, tandis que d'autres pêcheurs sont sur le rivage.
La construction de l'une et l'autre mosaïque est parfaite et elles
paraissent être du même artiste.
Bizerte dévoile aussi, grâce aux travaux exécutés pour le pori
de guerre, les beautés de ces ruines romaine.s. M. Gauckler
signale la découverte inattendue de Thermes. Un appartement de
ces bains contient une mosaïque dont le sujet se rapproche de la
mosaïque d'Hadrumète. Elle représente deux chevaux de course,
dont les noms, Aloides et Diomèdes, sont inscrits au-dessus.
L'un d'eux porte une robe jaune, l'autre une robe brune.
Ne terminons pas cette chronique tunisienne, un peu longue, sans
reconnaîti'e que grâce aux patientes recherches de M. Gauckler,
du P. Delattre et de nombreux savants, la Régence reste tou-
jours la terre promise des archéologues.
CHRONIQUE ARCHÉOLOGIQUE 437
La Tunisie offre, en effet, le sol le plus fécond et le plus riche
en découvertes de toutes sortes, soit puniques, n6o puniques et
romaines.
Époque arabe. — M. le tlocteur Carton a remis au musée du
Bardo, une curieuse amulette ai-abe, trouvée dans les environs
de Ghai'dimaou. Elle est en argent impur et porte une inscription
arabe de trois lignes. Ce qui en fait l'originalité, c'est que cette
amulette porte à l'avers une tète de Perséplioné. C'est donc un
curieux mélange de deux civilisations.
III. — DÉPARTEMENT DE GONSTANTINE
Époque préhistorique. — Dans le recueil de la Soeiété archéo-
logique de Constantine, M. Lucien Jacquot a fait le relevé des
monuments mégalithiques de la région de Sétif. .Ces monuments
appartiennent à trois types différents . ctjclopéen, berbère et
rnctjalithii/ue proprement dit. Les premiers sont cantonnés autour
de Mouladjoud et do Mansourah ; les monuments des deux
derniers types forment plusieurs groupes séparéS-
Le même auteur publie une note dans le recueil précité sur des
tombeaux creusés dans la roche et que l'on rencontre au Sud de
Sétif. Ces sépulcres peu nombreux, ont dû recevoir le corps de
grands personnages. Il est utile d-î remai quei' que leur orientation
ne diffère nullement de celle des tombeaux mégalithiques.
M. Jacquot encore nous déi-rit des excavations ayant servi de
demeures à des Troglodytes. Outre des espèces de cuves taillées
dans le roc et qui furent des tombeaux, on rencontre ù Baala de
véritables demeures préhistoriques, avec bassins, galeries, etc.
Ces galeries porte .i des traces d'habitations et forment un déve-
loppement total de plus de 40 mètres avec- une superficie de
72 mètres carrés.
Enfin, toujours le même auteur fait ressortir la ressemblance
qui existe entre les grands dis([nes de pierre qui se rencontrent
dans la région Sud-Est de Sétif et les portes en pierre des vil'ages
malgaches. Le passant souriait lorsqu'un arabe affirmait que ces
disques étaient autrefois des portes. L'Exposition de Paris, en
montrant ce spécimen malgache de ces roues-portes, a permis
de noter une manière d'agir qni est en usage aux deux extrémités
du continent africain.
M. A. Robert, dans le même recueil Je Constantine rend
compte des fouilles exécutées dans les stations préhistoriques de
la commune mixte iWïn-Mellla. Quoique vingt stations en grottes
438 CHBONIQUE ARCHÉOLOGIQUE
dénotent dans cctic commune mixte, la présence de l'homme aux
époques paléolithique et néolithique, M. Robert n'a pu explorer à
fond que la grotte Bou-Zabaouine. Les spécimens de ces époques
rencontrés par ce savant, se rapprochent complètement des échan-
tillons trouvés en France, Ils se classifi'-nt dans les types des
époques Chéléenne, Acheidéenna, etc. C s spécimens consistent en
marteaux, haches, casse tètes, grattoirs, burins, os d'antilope bubale,
d'équidés, couteaux en corne de cerf, flèches en os, scies, etc.
Les autres stations, différentes de Bou-Zabaouine et explorées
plus sommairement, ont donné de semblables résultats. A
remarquer, cependant, qu'on y a trouvé un plus grand nombre
d'aiguilles en os et en corne d'antilope, dont les habitants se
servaient comme d'alênes. Elles possèdent un chas pour passer
le til.
Ces hommes préhistoriques savaient donc assembler par une
couture plusieurs peaux de bêtes, pour en former leur vêtement
Epoques libyque et punique. — M. Gsell signale dans le Recueil
du Comité des Travaux historiques, l'inscription d'El Kantara.
C est jusqu'à présent, la seule inscription lybique découverte entre
Batna et Biskra. Une autre a été retrouvée à M'sila.
Le même archéologue décrit dans le bulletin déjà cité, une stèle
punique trouvée aussi à El-Kantara. Celte stèle porte trois
saturnes sculptés. Faut-il croire que sous le nom et avec les attributs
de saturne, on adorait trois divinités distinctes? ou a cùlé du
Saturne senex, faut-il admettre un saturne entant avec une déesse
Nutrix Saturni ?
Une autre inscription a été signalée par le même savant et
découverte près de Souk-Ahras. C est une stèle qui porte une
figure de femme. Elle est remarquable par son inscription assez
semblable aux formules de l'Ancien Testament. Nous citons :
,l!( jour faeorable et au jour de la bénédiction
a prononcé ce vœu Ramkath à Baal. Il a entendu sa voix
et l'a bi^ni
Epoque romaine — Nous prenons tout d'abord pour guide le
rapport de M. B.4.llu au Ministère, rendant compte des fouilles
exécutées en 1901, Tout d'abord pai-lons de Lambése. En cette
année 1901, on a déblayé le Postlcuin qui séparait le Prccetorium
du quartier des Scholae ; lieu où était conservé le trésor de
la Légion. Une inscription dédicatoire à Septime-Séveré et h sa
famille y a été retrouvée. Elle a été iaite aux frais des conservateurs
de l'ornement (custodes armorum) sous la présidence du Légat de
de la III' Légion. Des camées, des bronzes, des lampes et plus de
cent pièces de monnaie, argent et bronze y ont été découverts aussi.
CHRONIQUE ARCHÉOLOGIQUE 439
Le rapport indique aussi que la halle aux grains a été trans-
formée en musée. Quoique trop petite pour contenir les 640 objets
recueillis à Lambèse, il faut se féliciter cependant de cette amélio-
ration qui préserve des intempéries du temps, ces sculptures,
inscriptions, etc. Jusque-lJi, ces différents objets d'art se trouvaient
dispersés dans les cours du Praeloriuni ou dans les jardins de la
maison centrale.
Le même rapport rend compte des découvertes faites à Khamissa,
(Thubursicum Numidoruni). Une partie du théâtre a été déblayée :
on a exhumé des partie.? de colonnes, mis à jour l'orchestre et le
mur extérieur du Pulpitum. On y a retrouvé encore deux statues
acéphales, une épitaphe en vers en l'iionneur de Julien l'Apostat
(361-363), une inscription dédiée à Septime-Séveré, deux stèles
offertes à Saturne, des lombes, etc.
La découverte faite, près de Sétit, à Kherhet-ben-Addoufen
parait plus intéressante. On y connaissait les ruines de trois basi-
liques chréti.'nnes. Celle située au Nord du village, longue de 34
mètres sur 16. offre ceci de particulier qu'elle est bàlie sur des
catacombes. Sous la basilique, s'ouvre un souterrain de 60 mètres
de long sur 2 de large. Les parois présentent des cases, à plusieurs
rangs superposés, remplies d'ossements et fermées par des
mureltes en briques. Ces catacombes sont \e% premières reconnues
en Algérie : d'autres ont été signalées a Klenchela et à Sallakta
en Tunisie.
Ces hypogées sont d'ailleurs fort rares en Afrique. M. Ballu en
donne pour raison que la persécution fut infiniment moins intense
en Afrique qu à Rome.
Ne pourraiit-on pas croire aussi qu'en Afrique, les chrétiens
conservèrent tranquillement la propriété des areae ou cimetières
découverts qui leur sirvaient de lieu de réunion et de prière.
A Tiingad, se poursuivent activement les recherches. On a
exhumé complètement une immense maison, la plus vaste de la
ville. Elle a 62 mètres de long sur 36,50, soit i'.263 mètres de
superficie. A peu près de la même dimension de la fameuse maison
do Pansa à Pompéï, elle présente les mêmes divisions : atrium,
peristyliuni, tablinum, fauces, etc. Les propriétaires en étaient,
croit-on, Mareus Plotius, Faustus Sertius et Serlia \ alentina
Tucciana, déjà connus par !a donation du marché de Tiragad. Un
petit monument, situé près des bains de la maison, porte les noms
de ces personnages.
La basilique chrétienne a été déblayée. On a retrouvé les débris
de la table d'autel en marbre rouge, les statues, trois sarcophages
placés derrière l'abside et sur le dallage même de l'atrium de la
maison de Januarius voisine de la basilique.
440 CHRONIQUE ARCHÉOLOGIQUE
Disons en terminant le compte-rendu sur r/m^ad que M. Hano-
TAUX a publié sui- ces ruines une remarquable étude dans le
Bulletin Géographir/iie du Nord de la France, qui parait à Douai.
Le Recueil des Notices de la Société archéolorjique de Constan-
tine C1900), donne un grund nombre d'inscriptions découvertes par
M. Jacquot dans la région de Sctif ci par M. Robert aux environs
d'Aïn-Mlila. A noter seulement une dédicace à Cirés Jrugijére. prés
d'Ain-Fesguïa.
M. GsELL, a communiqué à TAcailémie des Inscriptions, la copie
d'une inscription en vers, trouvée près de la Summam. Elle est à
double acrostiche cl nous apprend qu'un chef indigène nommé
Summac, fit construire une forteresse au lieu appelé Fetra (la
roche). Celte inscription, découverte par M. Boci.ay, permet de
fixer plus exactement les territoires des Tyndenses et des Massi-
nissences d'Ammien (livre xxix, 5) et l'oppidum Lanfoctence,
qui étaient situés tout près du fundus petrensis.
Le même savant, dans le Bulletin du Comité des travaux histo-
riques,pvhUe des inscriptions découvertes récemment àKhamissa,
Tébessa, Khenchcla, Timgad, Tobna. Elles ne' présentent rien de
particulier. Enfin, M. Gsell, toujours, décrit le plan du camp
primitif de Lambése, dont l'enceinte a cio dégagée par l'abbé
MoNTAGXON. Ce dernier archéologue a découvert au milieu du
camp une dédicace à Hadrien.
Dans le même recueil, M. Cagnat rend compte des fouilles
exécutées par le lieutenant Gigot. Ce dernier signale à Termount
les vestiges d'une cité antique, des bornes milliaires et autour
d'Aïn-Tugrout un grand nombre de fermes romaines en ruines, de
villages, de castella. M. Gsell, à son tour, envoie un rapport
sur les découvertes du lieutenant Grange à Tobna. Déblaiement
de termes, d'un castellum, de deux absides de chapelles chré-
tiennes sans doute. Dans une autre abside, entourée de sacristies,
on a découvert neuf sarcophages de pierre; d'autres sépultures
se trouvaient plus loin. Ces tombeaux, probablement de l'école
bysantine, ont donné de nombreux colliers de cornaline, d'onyx,
de corail, d'ambre, avec croix monogrammatiquc gravée, monnaies
d'argent du i\' siècle. Ces objets ont été déposés au musée d'Alger.
Ajoutons en terminant que dans le Recueil de la Société de
Constantine (190Û), M. Jacquot décrit un pressoir romain à
Tébessa : il se compose de trois chambres. Après lui, M. Besnier
donne une note sur une tète virile du musée de Lambcse.
M. Cagxat l'avait déjà signalée. M. Besxier pense que cette tête
est une copie d'un modèle connu, exécutée sans doute vers le
m' siècle de notre ère. Le modèle semble d'origine grecque.
CHRONIQUE APCHÉOLOr.IQUE 441
IV — PROVINCE D'ALGER
Époque préhistorique. — Une grotte fouillée par MM. Ficheus
et Brive aux Bain.s Romains, près d'Alger, leur a Iburni des
ossements do rhinocéros, d'hippopotames, de bos apistonomus,
d'antilopes, d'un cerf et d'un équidé, accompagnés de silex taillés
du type moustéricn.
Époque romaine. — A 50 kilomètres N.-E. de Bou-Saada, le
lieutenant Pineai- a rencontré de nombreuses ruines romaines.
Xe serait-on pas sur l'ancienne praesidium que la Table de Peu-
tinger place à l'ouest deTubuna et au sud des salines Tubonenses ?
M. Victor Waili.e, professeur à l'école supérieure de lettres
(l'Alger, a été chargé par M. le Ministre de l'Instruction publique
de fouilles à Cherchell, avec l'appui financier du service des
monuments historiques. Les objets recueillis ont été déposés au
musée de Chercheli cb M. Waille en fait l'énumération dans une
série de lettres à M. le Maire de cette ville, publiées par la
Déprche Algi'rieiuic, les 12 novembre, 10 et 27 décembre 1901 et
17 janvier 1902.
Nous devons citer parmi les plus intéressantes de ces récoltes :
1° Une élégante réplique, en marbre grec, du faune joueur de
flùte de Praxitèle ; une tète presque intacte d'impératrice voilée ;
une statue d'empereur en costume militaire ; deux tètes en marbre,
l'une diadémée et paraissant être de Ptolémée, et l'autre peut être
de son aïeul, Juba l'' ; de nombreux fragments de statues de
Vénus, de Mars, d Apollon et un masque décoratif à la bouche et
aux yeux forés;
2° Un certain nombre d'inscriptions parmi lesiiuclles : une
dédicace à Bellone d'un temple édifié par une de ses prêtresses ;
une dédicace à Julia Donna, par Julius Turannius, à l'occasion de
sa promotion à l'édilité en l'an 172 de la province (211 de J.-C),
une épitaphe dont voici le texte :
Aelia Flavina covjugi Classiei proe. aurj. sanetissima Jemina
Canicia Salsa oh mérita
Comme on le voit, elle est consacrée par sa fille Canisia Salsa ;l
la femme de Classicus, procurateur d'Auguste (qui ne figure pas
sur la liste dos gouverneurs de Maurétanie de M. Fallu de Lesseut) ;
l'épitaphe consacrée par Primitivus à son esclave et complable
fdispensatorj Attaus ; une inscription mentionnant un patron de
la province de Maurétanie Césarienne, et une assemblée de cette
province ;
442 CHRONIQUE ARCHÉOLOGIQUE
3° Des entailles et quelques monnaies dont 3 africaines, une de
Cléopatre Séléné et une de Juba II et quelques romaines de toutes
les "époques;
4° Deux sarcophages chrétiens, l'un en marbre de Chenoua avec
bas relief, raprésentant le Bon Pasteur avec l'Agneau sur ses
épaules. De chaque côté se voit un mouton et un arbre pour
symboliser le paysage. L'autre tombeau est décoré d'une ancre;
5° Une mosaïque représentant les trois grâces;
6° Enfin de nombreuses sculptures et débris architecturaux
Cette abondante moisson est le résultat de deux mois de fouilles
dans le sol de l'antique Césarée.
Peu après M. Waille, M. Ballu dans son rapport annuel au
ministre (24 mai 1902', avait consigné d'autres découvertes faites
en 1901.
M. Alfred R,\ilu fait surtout ressortir Timportanto découverte
d'un palais antii|ue, contenant 20 salles ou galeries groupées
autour d'un atrium de 7 mètres sur 8,50. La plus grande des salies,
décorée de 4 rangées de deux colonnes mesure 15 m. 50 sur 5,50.
Le pavage est en .mosaïques.
M. Waille croit voir dans ses ruines, un ancien temple des
rois de Maurétanie. M. Ballu penche plutôt à croire que ce serait
un palais royal, à cause de sa salle de bains, sa forme d'atrium, etc.
En tout cas, ce bâtiment a servi plus tard de maison chrétienne.
On y a trouvé, en effet, une tète nimbée de madone bysantine, un
fragment portant la croix gemmée, un autre ayant le poisson
symbolique 'gravé entre deux traita.
A Jomnium (Tizzirt) des fouilles ont mis à jour une partie du
pourtour d'un temple païen. Rien à noter de saillant jusqu'à
présent.
Le Recueil du Comité des Travaux historiques, nous indique
que M Mariîs a trouvé de nombreuses tombes, dans ses propriétés
de Sidi-Ferruch, près d'Alger.
Dans quelques-uns de ces tombeaux, creusés dans le tuf, on a
rencontré des squelettes ayant un plat déposé sur les jambes
D'autres tombes, plus récentes, ont donné des lampes païennes
et chrétiennes.
Fait à noter! On rencontre rarement en Afrique, des lampes
chrétiennes, déposées dans les tombeaux.
En installant le centre de Borély-la-Sapie, on a mis à jdur des
murs antiques et des piliers. Sans s'en douter, la colonisation
française avait choisi un emplacement déjà occupé par les Romains.
CHRONIQUE ARCHÉOLOGIQUE 443
V. — PROVINCE S'ORÂN
Epoque préhistorique. — M. Gentil a recueilli au voisinage de
Muntn'inar, dan.s les graviers du fond du lac Karar, des inslru-
menis en pierre, ni(_Més à des ossements qui ont élë étudiés par
M. Boule dans le journal L'Antropologie (1901). Les instruments
seraient les uns en quortzi'e et du type de Saint-Acheul, les
autres, pointes et grattoirs en silex et du type mousiericn. Quant
à la faune elle comprendrait l'id^phas atlaniicus, le rhinocéros
mauritanicus, le bubalus antiquus, un hippopotame, un cervidé et
le gnou. D'après M. Boule, la faune quaternaire algérienne est
essentiellement africaine, et comprend presque exclusivement dos
espèces propres au conlinf nt africain, la plupart encore vivantes
dans l'Afrique australe et émigrés dans le Sud au même titra que
de nombreuses espèces de la laune quaternaire de l'Europe, dont
l'iniigialion a eu lieu vers le Nord.
Dans le Congrt's de l'Association fr'ançaisp, tenu à Boulogne
(1899), M. I'allary a rendu compte de ses fouilles en Oranio. Il
a visité dans la rôg'on des Traras plusieurs grottes dans lesquelles
il a recueilli avrc d-s ossements humains et deux fragments de
poterie quelques silex de l'épocjue néolithique.
De son côté, M. le Capitaine M.vumené publie dans lo Bulletin
du Comité des Travaux historiques, une note sur 1- s dessins et
peintures rupestres relevés dans la régioi entre Laghouat et
Gértjeille. Si nous citons ceci dans 'a paitie consacrée à la pro-
vince d'Oran, c'est pai'ce que beaucoup de ces peintures ont été
vues vers AJlou. Ces dessins et peintures reU-vés par M. Mau-
MENÉ représentent des combats d'éléphants et de panthères, des
groupes d'hémioaes, un combat d 3 buffles. C'est surtout sur les
roches de l'oued Safsaf et de l'Oued Sidi-Brahini ([ue l'on ren-
contre les peintures : ce sont des giraffes t-t des silhouettes
humaines peintes au vermillon, couleur provenant sans doute
du thuya fraîchement coupé. Une scule peinture d'homme est en
couleur brun-rouge.
Enfin, pour terminer, rappelons que M. Flamand a publié une
brochure intitulée : Les Pierres écrites du Sud oranais.
Epoque romaine. — Dans les procès-verbaux du Bulletin du
Comité des Tracaux historiques, section de l'Afrique française
et 1" semestre 1902, nous lisons la communication d'une note de
M. le capitaine Molins du 2' Zouaves, sur l'étendue de la ville de
Tlemeenii l'époque romaine. Nous regrettons, eu égard au petit
nombre des publications intéressant l'Ora'iie, que le Comité n'ait
pas cru devoir la publier. Peut-être, M. Molins ferait-il bien, en
444 CHRONIQUE ARCHÉOLOGIQUE
corrigeant les desiderata réclamés, de la donner au Bulletio
d'Oraa ?
D'autre part, M. RouziÈs a découvert une nouvelle inscription
à Alamiliar'ia CBénian), quoique mutilée elle a pu ("'tre reconstituée
ainsi : Victorine Augustiae prosalute imperatorum doininorum
nostrariim Augustomni et Aelei Peregrini, praesidis nostri,
Xonius Fortunatus centurio Cohorlis.
M. Fallu de Lessert nomme dans ses Fastes des Provinces
Africaines, Aelius Peregrinus comme gouverneur de la Mauré-
tanie Césarienne en l'an 201 de J.-C. Alainiliaria aurait donc
existé, sinon comme ville, du moins comme camp, au début même
du 3' siècle. Cette inscription a, par la date qu'elle indii|ue, son
importance.
Epoque arabe. — LeBiillelin mensuel de l'Académie des Inscrip-
tions dans le <-ompte rendu <le sa séance du 8 juin 1900 donne
quelques détails de M. Berbier de Méynard, sur une mission,
dont M René Basset, directeur de l'Ecole des Lettres d'A'ger,
avait élé chargé par le gouvernement de l'Algérie. L'objet de la
mission de M. Basset était l'étude des populations Traras, sur
lesquelles i' a recueilli des renseignements archéologiques, histo-
ricjues et hagiographiques II a recherché les manuscrits arabes
existant dans cette région et a étudié un dialecte berbère iion
encore signalé, parlé par les Beni-bou-Said, du cerc'e de Lalla-
Maghrnia et apparenté à celui des Beni-Igoacem.
M. Basset a eu la bonne fortune de relever à Nédroma une
inscription coufiquc qu'il considère comme la pltis ancienne de
l'Algérie après l'inscription de Sidi-Okba (province deConstantine).
La mention de l'année et la fin de l'inscription ont entièrement
disparu ; mais la lecture certaine du nom d'Ibn Tachfin permet
d'assigner à ce document une date très voisine de l'an 474 de
l'hégire (1081-1082 J.-C.), c'est-à-dire l'époque à laquelle le
conquérant berbère avait sous sa domination toute la région
centrale du Magrheb.
M. Basset a encore trouvé, prés de la porte du minaret de la
grande mosquée de Nédroma, une inscription beaucoup plus
récente fan 749 de l'hégire, 1348-1349 J.-C.) et qui, par conséquent,
est contemporaine de la dynastie des Mérinides de Tlemcen.
Au cours de son voyage, M. Basset a relevé un nombre consi-
dérable d'inscriptions tumulaires dans les mosquées et d'autres
petits sanctuaires ; elles portent pour la plupart le nom de mara-
bouts^ c'est-à dire de pieux anachorètes dont le prestige n'a pas
été sans influence sur les événements politiques et religieux du
pays. M. Basset croit avoir aussi trouvé les traces d'une influence
CHRONIQUE ARCHÉOLOGIQUE 445
juive qui serait aiifôvieure :'i l'cniigration dos Juifs du Maroc,
laquelle, au dire des iiidi.^'énes, ne reuioute pas au-delà <lu
XVIII" siècle.
M. Cagnat ajoute que M. Basset a envoyé au Musée d'Alger
l'inscription d'Iljn-Tai-hfin.
Le rapport de mai 1902 adressé au Ministre par M A. Ballu,
signale les travaux exécutes à Sidi-bou-Médine, près Tlenicen.
Après avoir au cours des derniers exercices remis en place les
mosaïques de faïence du Djionor du minaret do Sidi-bou Mi'dine,
on a reconstitue en 1901 la frise qui couronne le minaret.
Le Musée de Tiemcen a été installé dans l'ancienne école arabe-
fi-anyaise de Sidi-Aboul-Haaen. Une belle salle décorée d'arabes-
ques de cette ancienne école a reçu les colonnes en on\x de lu
mosquée de Mansourah.
Enlin, signalons en terminant, six inscripli(]iis arabes du Musée
de Tiemcen que M. Maèçais a publiées dans !(.' Bulletin d'archéo-
logie du Comité des travaux historiques.
Abbé FABHE.
BIBLIOGRAPHIE
LES MONUMENTS ANTIQUES DE L'ALGÉRIE, par Sthcpli;
GSELL. (Paris, Alkrt Foiilflimiig, 4, n.e Le GoffJ.
Chargé pnr le Direi-leur des Beaux-Arts, "de la l'édaclion d'une
série de notices sur les ruines antiques de l'Algéi-ie classées comme
monuments historiques, M. Gsell a cru devoir « élargir le plan
i< primitif du livre et en faire, pour ainsi dire, un manuel d'areliéo-
0 logie monumentale algérienne ».
Manuel d'archéologie monumentale algérienne, c'est en etfc'i
le tilro qui convient à l'ouvrage, appelé à être le guide indispcn-
saljle et sûr do tous ceux qu'intéresse la reconstitution du
passé de l'Algérie antiipic. au moyen de l'interprétation de ses
monuments.
L'ouvrage de M. Gsell forme deux volumes in-8", ensemble de
720 pages, illustrés par 174 figures intercalées et par 106 planches
hors texte.
L'auteur, dans son Livre I", s'oci.-upe des monuments indigènes
et puniques.
Il pas.se successivement en revue les grottes et abris sous
roches, les refuges, les tombeaux en pierres sèches, les tombes
tadlées dans le roc, et enfin les gravures rupestres.
Un 2'"' chapitre est consacré aux monuments puniques et liby-
phéniciens, et plus spécialement aux sépultures, les seuls vestiges
que l'on puisse attribuer avec certitude aux Phéniciens ou à leurs
colonies du littoral africain, auxquelles Carthage n'avait pas tardé
â imposer sa suzeraineté.
Ce sont des caveaux creusés dans le sol, et accessibles (à Gou-
raya) au moyen de puits ; ils présentent trois rites funéraires :
BIBLIOGRAPHIE 447
Parfois le mort est simplement étendu sur le sol.
Plus souvent, des ossements sont déposés au hasard dans des
auges latérales, dans des vases en poterie ou des moitiés d'am-
phores partagées dans leui" longueur ; et quelquefois ils sont
simplement déposés en tas, ce qui suppose un dr^chariiement
préalable des squelettes, déjà .signalé dans quelques sépultures
indigènes, et qui indique un mélange des éléments autochtones et
de 'eurs mœurs, à la race et aux mœurs puniques.
Enfin d'autres ossements, soit simplement entassés, soit dépo.sés
dans' des récipients, sont plus ou moins carbonisés, suivant un
usage introduit probablement sous l'influence des Grecs de Sicile.
Le mobilier de ces sépultures les fait dater des derniers siècles
de la domination carthaginoise.
A CoUo les sépultures se trouvent à flanc de coteau ; ce sont
des couloirs, au lieu de puits, qui donnent accès au.\ chambres
funéraires.
Puis, sous l'influence grecque, apparaissent de remarquables
mausolées, tels que la Souma, prés du Khroub, dont les chapi-
teaux sont d'un style purement grec. Le Medracen, le Tombeau
de la Chrétienne sont d'énormes tumulus, avec chambre funéraire
centrale, sépultures royales revêtues d'une somptueuse chemise
gréco-punique.
Le Medracen est orné de soixante colonnes d'ordre dorique a
fut non cannelé, d'une architrave et d'une corniche dont te profil
est celui de la gorge égyptienne.
Le Tombeau de la Chrétienne est décoré lui aussi de soixante
colonnes engagées, mais d'ordre ionique, d'un entablement au
profil assez simple et de quatre fausses portes.
Dans l'un et l'autre édifice, la forme générale est la même ; le
noyau intérieur consiste en un amas central confus de pierres
non façonnées, et l'extérieur est un gigantesque tambour cylin-
drique orné de soixante colonnes grecques et surmonté d'un
cône à gradins.
Le Livre II" passe en revue les monuments romains, et en
premier lieu les établissements militaires, qui devaient assurer la
conquête et protéger contre les incursions des indigènes non
soumisj les nouveaux maîtres du nord de l'Algérie. L'auteur
nous décrit successivement les camps, celui de Lambèse avec
son prœtorium, ses scholœ, ses thermes, — ceux de l'Ala
Milaria (Benian), de Besseriani (ad Majores). Puis il passe en
revue les principaux ouvrages de défense, remparts, tours,
portes, les castella formant l'enceinte fortifiée de domaines
privés, dôntKaoua, près d'Ammi-Moussa, présente un type
remarquable.
L'aspect général des villes, les places publiques (forum) et
448 BIBLIOGRAPHIE
leurs annexes, les lemples, les arcs de triomphe et portes monu-
mentales, font le sujet de chapitres très documentés. D'autres
sont consarrés successivement aux théâtres, amphithé.ilies el
cirques, aux marchés, aux thermes, aux nymphéas et fontaines,
aux acqueducs, citernes et réservoirs, aux routes, ponts et
ports.
Les édilices privés font l'objet de deux chapitres, consarrés
l'un aux maisons, aux installations rurales, l'autre aux sépultures
individuelles, aux caveaux et aux mausolées. Enfin un dernier
chapitre est consacré a la décoration des édifices au moyen de
mosaïques.
Un Livre III' traite des monuments chrétiens et byzantins.
Il débute par une étude générale, d'ordre architectural, sur les
édifices du culte chrétien ; l'auteur, après avoir examiné succes-
sivement les diverses parties des églises à plusieurs nefs et les
particularités présentées par les anciens édifices religieux de
l'Algérie, conclut de labsence de transept, d'atrium, et d'autres
détails dans les dispositions générales, que les églises do ce pays
n'ont pas été copiées sur celles de Rome, mais ressemblent plus
à celles de la Syrie et de l'Mgypte.
Il fait ensuite l'énumération et la de^i-i-ipiion de -169 églises ou
chapelles.
Lin 2""' chapitre est consacré aux constructions défensives de
Ijasse époque, généralement qualifiées de Byzantines, dont les
restes sont parfois encore utilisés de nos jours, comme à Guelma,
Sétif et Tebessa. Ces constructions ont généralement emprunté
leurs matériaux à des constructions romaines, mais se distinguent
de celles-ci par des murs en pierre de taille formant double pare-
ment, d'nuti'cs fois elles ont incorporé des construrtion.s et des
monurijents du Haut Enipir(,'.
Ce sont d abord un cei'tain nombre de cités fortifiées, la plupart
datant de l'empereur Justinien et de son lieutenant Salomon.
Puis viennent des citadelles en forteresses purement militaires,
tantùt carrées ou rectangulaires avec des tours aux angles ou sur
les courtines — tantôt de forme irrégulière.
Enfin il existe un grand iinmlu'o de simples fortins de défense
locale, le plus souvent dus à l'initiative pi-ivée des habitants, et
dont quelques-uns, édifiés h l'intérieur des villes, étaient de vérita-
bles réduits et refuges pour les habitants.
Quelquefois ces villes étaient protégées par un mur il'enceinte ;
enfin des refuges ou réduits fortifiés étaient construits pour servir
d'asiles aux habitants des campagnes.
Les sépultures chrétiennes font l'objet d'un 3"'" chapitre. Un
connaît une catacombe avec loculi à Djitfa, près Kenchela, mais le
BIULIOGRAPHIE 449
type de la sépulture chrétienne en Afrique a été dès le iir siècle
le cimetière à ciel ouvert, area, complété parfois par des édifices
destinés au culte des morts (cella ou basilique). 11 ne subsiste
aucun cimetière de cette époque, mais ils se sont multipliés et
étendus, l'ère des persécutions fermée. L'inhumation était seule
employée, et aucun mobilier funéraire n'était, sauf de rares
exceptions, déposé auprès du mort.
Les sépultures individuelles consistent soit en fosses creusées
dans le roc et recouvertes d'une dalle unique, soit en fosses
tapissées de dalles, de grandes tuiles ou même de murs, soit
encore en sarcophages monolithes ; la tombe était parfois
couverte d'un toit en tudes, et quelquefois réduite à de simples
jarres.
Des caveaux souterrains avec ouvoi-ture horizontale (fosses
agrandies) ou verticale, ont été employés comme sépultures
uniques ou multiples; il existe aussi des mausolées chrétiens,
entre autres, le grand mausolée circulaire de Tipaza.
Le mausolée de Blad Ourloun rappelle, à quatre siècles de
distance, le Tombeau de la Chrétienne qui parait avoir inspiré
l'architecte dans les détails décoratifs surtout, car pour le surplus
les influences gréco-romaines ont pris le pas sur la simpliciii;
indigène ; ce n'est plus le tumulus classique en maçonnerie inco-
hérente revêtu d'une chemise décorative; le plan est dove.ui
octogonal, la chambre funéraire n'est plus un réduit, mais
une véritable demeure, la paroi verticale n'est plus un simple
mur de pied, une bordure de tumulus ; elle comporte deux
étages.
Les Djeilar de Tiaret sont un autre iy|)e de mausolée, tumulus
à plan carré surmonté de pyramides à gradins, recouvrant, des
caveaux funéraires multiples avec couloirs d'accès.
Nous aurions voulu pouvoir consa:rer au livre de M. Gsell
mieux que cette aride énumération de chnpiiies. Nous avons dû
y renoncer ; par la multiplicité des monuments passés en revue et
décrits, par l'abondance des détails, l'ouvrage se dérobe à une
analyse sommaire. C'est un traité dédactique très condensé, une
véritable grammaire de l'archéologie afiicaine que tous les
archéologues devront lire et posséder, mais qu'on no peut
résumer.
Ajoutons que l'auteur ne s'est arrêté ni à la décoration archi-
tecturale : Chapitaux, sculptures, mosaïques, ni au mobilier et à
l'outillage, ni f ntin a l'épigraphie, qui auraient facilement doublé
le champ de son ouvrage; ils pourraient faire l'obj t de préi-ieux
compléments que nous voudrions pouvoir espérer.
La part occupée par 1 Oranie dans les Monuments antiques de
450 BIBLIOGRAPHIE
l'Algérie est nalurellementtrès resU'einte ; placée aux avant-postPS
de l'occupation romaine et de la civilisation africaine, TOranie
n'offrait guère ni la sécurité, ni la richesse et le faste des Mauré-
tanies Cosarienneet Sétitinnne. Nous trouvons cependant décrits le
camp d'Ala-Mdiaria (Benian), le castellum de Kaoua (prés d'Auinii-
Moussa), les sépultures indigènes de Méchera-Sfa, les Djerar,
mais à peine quelijues monuments, et pour cause. Cetle rareté
rend plus précieux et plus respectables, jusqu'aux moindres
vestiges de l'anticjuité qu3 pourra révéler le sol de notre province.
E. FLAHAULT.
LES INTÉRÊTS ÉCO\OMIOIES DE LA FRA^CE Al MAROC
LE COMMERCE DU MAROC EN 1900
Par Camille FIDHL
QUATRIÈME PARTIE — (suite)
§ VIII. — CASABLANCA (Dar-el-lîaïda .L^.^.Ji ,1 J)
La Chaouïa. — L'Agriculture au Maroc
Casablanca, à 86 kilomètres au Sud-Ouest de Rabat, est un
des ports les plus avantageusement situés de toute la côte
marocaine : la baie est pi'otégée par un promontoire, et
l'atterrage est relativement facile pour les navires d'un faible
tirant d'eau, car là comme partout ailleurs sur la côte
marocaine, les navires doivent jeter l'ancre à quelques kilo-
mètres de la côte. Cependant, au moment de la mauvaise
saison, la rade est loin d'oftVir un abri sur à la navigation. Les
vents régnants sont celui du S. S.-O., très fréquent en
hiver et suivi généralement de pluies, et celui du N.-O.
qui souille avec violence en hiver et produit la grosse mer.
L'atterrage est signalé par un tanal d'une élévation de
TiO mètres, d'une puissance de 30 bougies, et d'une portée
de 5 milles par temps clair: il s'effectue à l'aide de barcasses
et de canots qui, aux approches de la terre, s'engagent dans
un chenal de 30 mètres creusé dans le roc. Par la grosse mer,
une véritable barre se forme à l'extrémité et le long de ce
chenal, rendant dangereuses et parfois impossibles les commu-
nications avec les navires mouillés en rade ; les avaries de
marchandises se produisent donc assez fréquemment,
principalement en hiver où l'état de la mer ne rend pas
praticables les chargements ou déchargements i.'). La cons-
truction d'un port à Casablanca est d'autant plus désirable
que, comme nous allons le voir, cette ville est le débouché
d'une province très riche et le siège d'un important commerce,
susceptible de s'accroître dans des proportions considérables.
Les progrès de cette localité, qui ne comptait en 1830 que
700 habitants, ne datent que de la dernière partie du xix'^
siècle et continuent encore à l'heure actuelle : sa population
atteint près de 20.000 habitants : c'est, par le chilîre de ses
transactions, le port le plus important du Maroc après
Tanger (2).
fl) Rapport de M. Ferrieu, conseiller du Commerce extérieur (J899).
Moniteur officiel du Commerce du 8 novembre lOUU.
(2) Th. Fischer. Reise im. Atlas-Vorlande von Marokko, p. 49 et 50,
33
452 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
Malheureusement, tandis que Mazagan et Rabat ont atlecté
aux iiiarcbandises d'importation et d'exportation des locaux
spéciaux et bien aménagés, on ne trouve à Casablanca aucun
entrepôt consacré aux exportations. L'importation n'est guère
plus favorisée : c'est à peine si elle jouit de trois magasins
insuffisants oii les marchandises débarquées sont placées dans
un certain désordre. Malgré le développement pris par
Casablanca, où l'on bâtit beaucoup, on n'y trouve pas un seul
hôtel convenableC. Les influences et les rivalités européennes
se font sentir à Casablanca presque aussi vivement qu'à Tanger ;
comme dans cette dernière ville, les Européens y possèdent
des maisons de commerce, des villas et des jardins. La
principale industrie de la ville est celle des tapis.
L'essor pi'is par Casablanca a pour cause la richesse de son
arrière pays, la province de Chaouia, caractérisée par la
présence de la terre noire appelée « (i?'s » , terre végétale
extrêmement féconde. « Dans toutes les directions, dit
« M. \Veisgerber(2i, s'étendent à perte de vue de vastes champs
« de froment, d'orge, de maïs, de fèves, de pois chiches, etc.,
« dont le rapport, malgré les procédés rudimentaires de
« l'agriculture indigène, est superbe ».
D'après M. Fischer, la région de la terre noire commence à
11 kilomètres environ de Casablanca et s'étend parallèle Tient
à la côte de l'Atlantique sur une profondeur de 75 kilomètres.
D'ailleurs cette terre n'existe pas seulement dans a Chaouïa ;
on la retrouve également dans le lïarb (vallées du Sbou, de
l'oued Beht, de l'oued Rhem, jusqu'aux environs de Meknès),
dans le pays de Tadla (arrière pays de la Chaouia), et -surtout
dans les riches provinces de Doukhala et A'Ahda.^ au Sud-Ouest
de la Chaouïa. M. Fischer estime que la terre noire se
rencontre sur une zone parallèle à la côte, commençant à une
faible distance de celle-ci, large en moyenne de 50 à 60 kilo-
mètres et s'étendant sur une longueur de 300 kilomètres
depuis le Tensift au Sud, à travers l'Abda, la Doukkala, la
Chaouïa et le R'arb, jusqu'au Sbou au Nord (de 32» N. à
environ 34 1/2° N.)
(1) Rapport de M. Pinard, consul fratçais. Moniteur officiel du Com-
merce du 27 décembre 19UIJ.
(2) U' F. Weisgeilier. Itinéraire de Casablanca aux Beni-Meskin.
La Géoçirapliie, 16 octobre 1901. Voir aussi F. Weisgerber, Etudes
Géographiques sur le Maroc. La province de Chaouïa, Casablanca.
La Géographie, 15 juin l'JdO.
J
LES INTÉRÊTS ÉCONO.MiQUES DE LA FRANCK AU MAROC 453
Vers le Nord cepeadant, le territoire de la terre noire
s'avance davantage dans l'intérieur. M. Fischer en évalue la
superficie totale à environ 30,000 kilomètres carrés. La
profondeur de cette couche de terre noire est d'environ
1 mètre dans la Chaouïa ; mais elle est supérieure dans
d'autres parties. Ce qui caractérise cette région, c'est l'absence
presque complète d'eaux courantes sur des étendues considé-
rables ; elle n'est habitable que grâce aux puits que l'on a
creusés de distance en d'stance, parfois à de très grandes
profondeurs. C'est pour cette raison que ce pays est entièrement
dépourvu d'arbres. La terre n'est arrosée que grâce aux
pluies, très abondantes sur la côte, beaucoup plus rares dans
l'intérieur, et surtout grâce à la rosée qui tombe avec une
telle abondance et une telle régularité que le cultivateur
compte 'sur elle, sachant qu'il lui doit en partie ses récoltes et
notanunent qu'elle lu'i permet de cultiver le maïs sans irri-
gation artificielle. La terre végétale qui existe dans cette
région fait en eflet défaut dans tous les autres pays du Sud de
la Méditerranée oii la culture du maïs ne peut avoir lieu qu'à
l'aide d'irrigations. La récolte du maïs a lieu en juin.
La terre noii'e jouit de la propriété de retenir l'eau avec une
étonnante facilité. Tandis qu'avec des terrains de nature
différente, l'insuffisance des pluies pendant l'hiver entraîne la
perte de la récolte, avec le a tirs », on peut toujours compter
sur une récolte. M. Fischer dit avoir rencontré partout dans
la zone de la terre noire, de riches champs de Hé,
d'orge, de mais, de donrah, de pois cliiches, de lentilles, de
haricots, de millet, de coriandre, de courges, de melons, etc.,
le pourcentage des terres cultivées étant par endroits de 50 oj"
et par endroits de 30 "/u. « Cette zone du « tirs », ajoute-t-il,
(( parait ainsi extraordinairement favorisée. D'après ce que
« j'ai vu (et je n'ai pas entendu dire que cette année tût
« particulièrement bonne, car au contraire dans le Sud, on
« se plaignait du peu d'abondance des pluies pendant l'hiver
« précédent) je serais porté à taire rentrer cette région parmi
« les plus riches de la (erre, où le sol, sans le concours
« d'engrais d'aucune sorte produit chaque année les récoltes
« les plus abondantes. Ces produits naturels peuvent être
« facilement transportés à la côte qui est très voisine, et,
« sans l'interdiction de l'exportation, ils pourraient atteindre
« dans l'espace de quelques joui's les pays d'Europe à une
4-54 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
« époque où, dans ces pays, les céréales commencent
«. seulement à se développer. En elïet dans la Chaouïa la
« récolte de l'orge avait déjà lieu le i<^'' mai et l'on pouvait
«. attendre la récolte du blé pour le 15 ou le 20 mai. »<') Un
autre témoignage, celui de M. Ferrieu. conseiller du commerce
extérieur <■), confirme les appréciations du géographe allemand
relativement à la richesse de la Chaouïa. « KUe est bien
« arrosée, dit-il, point capital dans un pays oii l'on ne voit
« jamais pleuvoir pendant la saison sèche, du mois de mai au
« mois de septembre. Les hivers sont pluvieux : durant les
« nuits d'été, de fortes rosées rafraîchissent la terre... On
« reste surpris de la fertilité de certaines parties de la Chaouïa
« quand on voit avec quels instruments aratoires le Marocain
« travaille » ; la terre est à peine grattée et les mauvaises
herbes poussent en toute liberté.
Vers la fm de l'automne, lorsque les pluies ont complète-
ment trempé le sol, le labourage commence à l'aide de
primitives charrues en bois, de construction_indigène, traînées
par des bœufs ou par les animaux dont le fermier dispose. Les
Marocains mettent en pratique la culture extensive, car
généralement les limites entre les champs sont à peine
marquées ; aussi ont-ils l'habitude de labourer un endroit
après l'autre pour éviter d'appauvrir le sol et pour lui permettre
de se reposer. Dans la terre sèche on cultive le blé, l'orge, les
pois, les fèves et les lentilles, dans la terre humide le maïs et
le millet. On sème d'abord l'orge, pui.s le blé, et le maïs en
dernier lieu Les pluies cessent ordinairement en avril et c'est
en mai et juin qu'a lieu la récolte : les moissonneurs se servent
de petites faucilles à dents. Le grain fauché est foulé aux pieds
par les bêtes de somme, ou battu à l'aide de fléaux, ou bien on
fait rouler sur les épis un système grossier de troncs d'arbres,
le grain étant ensuite vanné avec des pelles. Le grain est
ordinairement apporté à la ville par les cultivateurs eux mêmes
et s'il n'a pas été payé d'avance, il est vendu aux portes des
négociants étrangers, au prix fixé par ces derniers. Il est
emmagasiné jusqu'à l'embarquement, dans de vastes hangars.
(t| Renseigaements extraiis du livre de M. Th. Fisclier Reise iin
Atlas-Vorlande von Marokho, où l'auteur fait une description très
complète de la région du tirs et donne une analvse de la « terre noire »
(p. 115 à 124).
(2) Casablanca en 1893. Moniteur officiel dit, Commerce du 8
novembre 19UU.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 455
OU bien dans des fosses recouvertes d'une couche de tuf,
imperméable à l'humidité : dans ces fosses le blé et l'orge
peuvent être conservés pendant des années (•'.
Une autre grande ressource de la Chaouïa est l'élevage du
bétail. Les troupeaux de bœufs, de montons, y trouvent des
pâturages abondants. La laine est d'excellente qualité. Quant
aux bœufs, Casablanca ne les exporte pas ; ils sont dirigés sur
Tanger oi^i ils n'arrivent qu'après un parcours de 300 kilomètres.
L'arrière-pays de la Chaouïa, la région, montagneuse et peu
accessible de Tadla est fertile et riche en minerais de cuivre,
de plomb et d'argent. On y trouve également du sel. Le princi-
pal centre Bou-Djad, fait un commerce assez actif avec Casa-
blanca (-).
L'année 1900 ayant été complètement bonne pour la
province de Chaouïa au point de vue de la récolte et des
troupeaux, le commerce de Casablanca en a ressenti l'heureux
effet. 11 n'ena pas été de même en 1901 en ce qui concerne
l'exportation.
Voici d'après les rapports franrais*') la statistique du com-
merce de ce port en 1899, 1900 et 1901 :
IMPORTATIONS
Fr.
1899 1900 1901
Angleterre 3.257.61.'S 3.825.375 4.461.900
France 1.872.470 2.202.413 3.020.336
Allemagne 670.510 885 605 970.425
Belgique 293.675 269.050 194.040
Espagne 130.350 .53.145 98.783
Italie » 31.900 18.900
Portugal » » »
Etats-Unis » •> ' »
Autriche-Hongrie.. » o 94.160
Total... 6.224.650 7.267.488 8.858.544
(1) Biidgett Meakin, Tlie-Moors, p. 155 à 159.
(2) Biidgell Meakin, The Landof the Moors. p ?8 et 30; p. 345 et 3i6.
(3) lUppoit sur le commerce du Maroc en 191)0. Supplément au Moniteur
officiel du Commerce, du 9 janvier 1902. Mouvement commercial de
Casablanca et de Mazagan en 190 1. Moniteur officiel du Commerce du
i septembre 1902.
456 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANGE AU MAROC
EXPORTATIONS
Fr.
1899 1900 1901
Angleterre 1.070.350 1.711,700 2. .54.5. 800
France 2.682.372 3.745.926 2.056.717
Allemagne 230.490 686.250 497.135
Belgique . » o >
Espagne 1.600.000 2 680.330 1.813.830
Italie 263.175 452.750 127.207
Portugal 346 .500 448 . 175 309. 400
Etats-Unis » 141 875 258.065
Autriche-Hongrie » u »
Total... 6.192.NS7 9.897.0116 7.608.154
I. — Importations
Le chitïre des importations de Casablanca eu 1900 a été
supérieur à celui de 1899 et celui de 1901 a dépassé celui de
1900. Parmi les quatre nations qui se disputent le marché de
Casablanca, la France, l'Angleterre, l'Allemagne et la Belgique,
les trois premières participent à cette augmentation. Seul le
commerce de la Belgique est en diminution. Signalons en
outre en 1901 l'apparition des importations austro-hongroises.
Cotonuades. — L'importation des cotonnades anglaises (par
la maison Lamb de Manchester; atteint en 1900 le chiffre
de fr. 2.612.'250, contre fr. 2.175.200 en 1899. La quantité a été
à peu près la même ; le nombre des balles a diminué ; mais
elles ont augmenté en volume ; l'augmentation de la valeur
s'explique par une hausse des prix de près de 20 "/o <'^ En
1901, l'importation des cotonnades anglaises a atteint le
chiffre considérable de fr. 3.334.500, mais paraît avoir été
excessive.
Draps et lainages. — Valeur en 1900, fr. 2B4 500, contre
fr. 155.275 en 1899. Cette augmentation a profité presque
exclusivement à l'Allemagne qui a fourni les plus grandes
quantités de draps de fabrication allemande et autrichienne, et
qui, pour le moment, n'a pas de rival sérieux dans cet article.
Valeur en 1901, fr. 273.704, presque exclusivement de
provenance allemande.
(1) Rapport de M. Pearson, vice-consal britannique à Casablanca
Foreign office Annual Séries n* 2632.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 457
Soieries. — Le chiffre d'importation des soieries françaises
qui était en 1899 de fr. 126.500 n'a atteint en 1900 que
fr. 88.300, soit une diminution de fr. 38.200 dont a bénéficié
en partie l'Italie avec fr. 15.500. En 1901, l'importation
française a atteint fr. 100.952. 11 n'y a guère que deux maisons
qui s'occupent d'une façon un peu sérieuse de l'introduction
des soieries françaises à Casablanca : ce commerce consiste
principalement dans la vente des mouchoirs et des foulards ,
Lyon fournit les premiers et Nimes les seconds 'i>. Nos
fabriques lyonnaises, dit M. Malpertuy, consul de France à
Casablanca (2), pourraient imiter l'industrie allemande dans la
fabrication du foulard de soie et lui faire concurrence ainsi
qu'aux fabricants de Fez. Cet article est très acheté ; toutes les
femmes indigènes s'en servent en guise de coifïure ; son
chiffre d'affaires peut atteindre environ 200.000 francs par an. '
S/(i-rc». - La France fournit actuellement presque tout le
sucre consommé à Casablanca. L'importation des sucres
français, a sensiblement augmenté en 1900, par rapport à
1899 et en 1901 par rapport à 1900. La vente des sucres
raffinés de Saint-Louis, dit M. Malpertuy (3>, avait atteint en
1899 fr. 1.563.550; en 1900 elle s'est élevée à fr. 1.936.000
(soit une augmentation de fr. 372.459), sur une importation
totale de fr. 2 081.550; la consommation de 1900 a dépassé
celle de 1899 d'environ fr. 327.500, dont a bénéficié entiè-
rement notre industrie sucrière. En 1901 la France a importé
pour fr. 2 671.937 de sucres, soit une augmentation de
fr. 735.937 par rapport à 1900. L'Allemagne comptait pour
fr. 10.750 en 1899; son importation est tombée en 1900 au
chifïre insignifiant de fr. 1.800 (fr, 2. .525 en 1901). Le sucre
allemand se vend plus cher que le nôtre ; le fret de Hambourg
est plus élevé que de Marseille : ce sucre est destiné à
disparaître du marché de Casablanca, à moins que l'Allemagne
ne fente un grand effort. Le sucre belge à fait subir, un
fléchissement assez sensible à nos importations à Casablanca.
Le rapport de M. Colomb pour 1895 constatait que notre
importation de sucre avait diminué de fr. 200.000 et que
(I) Casablanca en IS99. Rapport de M. Ferrieu, conseiller du
Comraerce extérieur. Moniteur officiel du commerce du 8 novembre
l'JOO.
Cl} Commerce de Casablanca et de Ma/.agan en 1900. Moniteur
officie! du Commerce du 11 juillet 1902.
Ci) Rapport précité.
45(S LES INTÉBÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
rimporlation belge de ce produit avait augmenté d'autant. En
1897 un rapport du vice-consul de Belgique constatait que
rimporlation belge des sucres raffinés, évaluée pour 1896 à
fr. 318.125, montait en 1897 à fr. 446.170. Mais en 1898
l'importation belge diminue d'une quarantaine de raille francs ;
en 1899 elle ne s'élève plus qu'à fr. 179.750, pour tomber à
fr. 143.750 en 1900 et à fr. 99.990 en 1901. Le sucre de
Marseille, des raffineries de Saint-Louis, défie, comme qualité,
la concurrence. Sa supériorité provient notamment de ce
qu'il est peu hygrométrique, ce qui est essentiel dans une
région humide comme celle de Casablanca. Le sucre d'Anvers,
pendant les périodes de pluie, fond trop facilement en sirop.
Comme prix, le sucre d'Anvers aurait un petit avantage ; mais
apporté par des vapeurs anglais ou allemands, il paie un fret
onéreux de 20 fr. 25 par tonne, tandis que les sucres français
qui arrivent beaucoup plus rapidement par les bateaux de la
C'« Paquet ne paient qu'un tret de 15 francs par tonne").
M. Malpertuy ('•') signale un nouvel adversaire qui est venu
se joindre à ceux qui veulent nous disputer le marché des
sucres à Casablanca : c'est la « Société des S^reries et de la
Raffinerie d'Egypte », importante entreprise qui a son siège
au Caire, dont les sucres ont commencé à faire leur apparition
sur le marché de Casablanca dans le dernier trimestre de
1900. Cette compagnie a un agent général à Tanger et des
correspondants dans les autres ports. Ses sucres qui sont de
bonne qualité sont vendus franco bord Casablanca à raison de
fr. 38,.50 les 100 kilog. ; les pains sont de 2 kilog. Nos sucres
se vendent actuellement tr. 39 les 100 kilog., bord Marseille
auxquels il faut ajouter fr. 1,50 de fret; les pains sont de
2 kil. 1/4 à 2 kil. 1/2. Ces derniers poids sont re(:herchés par
les indigènes, et il est probable que la Compagnie du Caire
n'hésitera pas à les adopter. D'autre part la suppression des
primes à l'exportation des sucres, décidée en principe par la
conférence internationale de Bruxelles en 1902 mettra les
sucres de cette Compagnie en état de concurrencer avanta-
geusement les sucres européens. En 1901, un nouveau et
sérieux concurrent a fait son apparition sur le marché de
Casablanca, l'Autriche-Hongrie, dont l'importation sucrière a
(1) Rapport de M. Pinard, ancien consul de France à Casablanca
Moniteur officiel du Coinmerce du Tl décembre 19UU.
(2) Rapport précité.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 459
atteint, pour la première fois, fr. 84 160. « Si nous régnons en
« maîtres, dit M. Malpertuy, pour cet important article, nos
« raffineries doivent cependant surveiller attentivement les
« progrès de nos concurrents qui ne négligent rien pour nous
« enlever la place. Certains défauts chez les sucres étrangers,
« tels que grandeur de pains, emballage défectueux, qui ont
« aidé notre importation, peuvent dispai'aître. »
Tlié. — L'importation de cet article surtout de provenance
anglaise est passée de fr. 742.675 en 1899 à fr. 565.500 en 19()0
et à fr. 648.625 en 1901. Le thé importé d'Allemagne commence
à concurrencer les produits anglais (fr. 54.450 en 1901).
Bougies. — Valeur en 1901, fr. 125.0G0, contre fr. 215.350
en 1900 et fr. 178 275 en 1899. L'importation des 'rougies
anglaises ne rencontre, plus de concurrence, la bougiv belge
placée sur le marché n'ayant pu maintenir ses positions.
L'importation des bougies françaises devient presque nulle et
tend à di'^paraitre : cet article dont nous avions anciennement
le monopole, n'a pu lutter contre le même article anglais qui
se vend meilleur marché. M. Malpertuy, notre consul se
demande pourquoi nos fabricants ne se décident pas à employer,
comme leurs concurrents étrangers, la paraffine qui leur
permettrait de vendre à meilleur marché. Nos bougies sont, il
est vrai, demandées pendant la saison d'été, car elles offrent
l'avantage de résister à la température chaude et de ne pas se
fondre et se déformer comme celles de paraffine.
Sacs et toiles d'emballage. — L'importation s'est élevée à
fr. 167.600 e.i '899, à fr. 233.050 en 1900 et à fr. 103.344 en 1901.
L'Angleterre, la France et l'Allemagne se partagent la vente
de cet article Les sacs importés par l'Angleterre proviennent
de Calcutta.
7''er,s et Quincaillerie — La valeur de l'importation qui
n'atteignait en 1899 que fr. 204.700 s'est élevée à fr. 433.450
en 1900 et à fr. 453.556 en 1901, l'Allemagne ayant surtout
profité de cette augmentation. Le marché du fer est en effet
passé de l'Angleterre à l'Allemagne, les fabricants anglais
paraissant peu disposés à proiiuire les articles ordinaires et à
bon marché tels que couteaux, théières, clous, produits émail-
lés pour cuisine, fers à cheval, etc. qui sont très demandés
au Maroc.
En dehors des produits précités, l'importation française est
460 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
en augmentation en ce qui concerne le riment, les tuiles et
briques, la verrerie, les faïences, les cotonnades, les vins et
spiritueux, etc. Elle est en diminution en ce qui concerne
les allumettes, le papier, etc.
11. — Exportations
Le commerce d'exportation de Casablanca, en raison de la
riches.se agricole de la région à laquelle ce port sert de
débouché, tend à prendre une importance de plus en plus
grande, et son développement sera favorablement influencé
par l'autorisation récemment accordée, d'exporter le blé et
l'orge : Casablanca paraît notamment appelé à devenir le
grand entrepôt du commerce des céréales marocaines. Ce
commerce est cependant soumis à des fluctuations considé-
rables. Pur suite d'une récolte exceptionnellement favorable,
le chiffre des exportations en 1900 a été bien supérieur à celui
de 1899 : cette augmentation portait principalement sur les
exportations à destination de la France, q'ui venait en 1900 au
premier rang des pavs exportateurs. 11 n'en a pas été de même
en 1901, où le commerce d'exportation a enregistré une diminu-
tion sensible par rapport à 1900 : le commerce français s'est
particulièrement ressenti de cette diminution et a cédé la
première place au commerce anglais. Cette situation ne parait
d'ailleurs tenir qu'à des causes passagères.
Laines. — La valeur des expéditions s'est élevée en 1900
à fr. 1.997.375, soit une augmentation du double environ sur
les chilTres de 1899. La France figure au premier rang parmi les
pays exportateurs de laines à Casablanca. La valeur des laines
expédiées en France par ce port est passée de fr. 466.600
en 1899 à fr. 1.537 956 en 1900 (soit fr. 1.051.956 de plus). Cet
article est traité principalement par les maisons françaises
établies à Casablanca, et est expédié à nos fabriques du Nord.
L'.\llemagne a également enregistré une augmentation dans
ses exportations de laines qui sont passées de fr. 114.665
en 1899 à fr. 423 000 en 1900. Celte laine, comme le faisait
remarquer M Picard, ancien consul de France, vient au Maroc
manufacturée par les fabriques allemandes, notamment sous
forme de satin de Chine dont la consommalion considérable
s'explique tout naturellement ; c'est l'étoffe dont se servent les
Arabes aisés pour la confection de leur djelaba (vêtement de
dessus). Ce satin de Chine mesure de 185 à 160 centimètres.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 461
Le mètre se paie de 2 fr. 25 à 6 fr. 25, M. Pinard se demande
si Roubaix et Tourcoing ont examiné la question de la fabrica-
tion du satin de Ciiine pour l'exportation (•). D'après le rapport
de M. Pearson, vice-consul britannique, la tonte en 1900 a été
très satisfaisante ; mais en présence de la dépression des
marchés de la laine les importateurs en France et en Allema-
gne ont éprouvé de grosses difficultés pour vendre à un prix
leur permettant de réaliser un bénéfice. Cette baisse des prix
était causée par de gros arrivages de laine de même qualité,
d'Amérique du Sud et d'Australie, lesquelles encombraient les
marchés européens, créant une olîre supérieure à la demande.
En 1901 les prix étaient encore très bas, et les perspectives de
ce commerce peu encourageantes' ->. Ces prévisions pessimistes
se sont réalisées, car en 1901, l'exportation totale de laines parle
port de Casablanca ne s'est élevée qu'à fr. 460.779, soit une
diminution de fr. 1.536.602 par rapport en 19U0 : les laines
expédiées en France n'ont atteint que fr. 325.128 (diminution
fr. 1.212.828) et les laines expédiées en Allemagne fr. 133.630
(diminution fr. 189 870), M. Malpertuy'^' attribue cette dimi-
nution à deux causes : 1° le stock considérable expédié en
Europe l'année précédente, et dont une grande partie est restée
en magasin ; 2" les nombreux arrivages de laines d'Australie
d'où mévente des laines marocaines qui, même au temps
ordinaire, sont moins recherchées. Il n'y a donc là, en ce qui
concerne le commerce français, qu'une cause de diminution
accidentelle et transitoire.
Pois rhicJies. — Cet article fait l'objet d'un commerce
considérable. La valeur des exportations qui était de fr. 2.622. 125
s'est élevée à fr. 3 786.815 en 1900 pour retomber à
fr. 1.576.594 en 1901. L'Espagne en a reçu en 1901 pour
fr. 1.012.689, contre fr. 1.574.160 en 1900. La France dont
l'exportation avait atteint fr. 1.517.180 en 1900, a vu ce chiffre
tomber à fr 516.439 en 1900 (soit une diminution de
fr. 1.000.741). Les expéditions en Angleterre n'ont porté que
sur le chilïre insignifiant de fr. 26.275, contre fr. 501 825. Les
récoltes de pois chiches et de maïs en 1901 ont beaucoup
souffert des sauterelles.
(1) Rapport de M. Pinard, Moniteur officiel du , Commerce, du 27 dé-
cembre 1900.
(2) Foreinrj Office Annual Séries n° 2632.
(3) Mouvemeot commercial de Casablanca et de Mazagan en 1901,
Moniteur officiel du Commerce du 4 septembre 1002.
462 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
MaVs.— Valeur exportée en 1899, fr. 547.775, en 1900,
fr. 1.072.050, et en 1901. fr. 749 288. L'Espagne et le Portugal
se partagent presque e.\clusivement cet article, la première
pour fr. 479.738 en 1901 (fr. 600.647 en 1900) et le second
pour fr. 246.425 en 1901 (fr. 399.875 en 1900).
Fives. — La récolte de 1900, bien supérieure à celle de 1899
a produit fr. 900.300, celle de 1901 fr. 913.978. Il a été e.xporté
en Angleterre en 1901 pour fr. 679,975 (fr. 525.700 en 1900)
et en Espagne pour fr. 104.0Ù3 (fr. 375.121). La France n'avait
rien reçu en 1900 ; en 1901 elle a exporté pour fr. 130.000 de
fèves.
Blé et Orge. — L'exportation du blé et de l'orge ayant été
prohibée de 1894 à 1900, il faut remonter jusqu'à l'année 1893
pour trouver un terme de comparaison avec les résultats de
1901. En 1893 les deux produits avaient donné lieu à un
mouvement de près de 2 millions de francs, dans lequel
l'Angleterre avait pris la plus grande part'"'. Eu 1901 l'expor-
tation des blés n'a encore atteint que fr. 4.200, l'Espagne et
l'Angleterre se partageant cette somme par moitié. Par contre
l'exportation de l'orge a atteint la somme assez considérable
de fr. 851.934; l'Angleterre et l'Espagne se sont partagé cet
article, la première pour fr. 795.750 et la seconde pour
fr. 56.184.
Graine de lin. — M. Malpertuy signale le développement
que commence à prendre la culture du lin dans la région :
cela tient notamment à ses propriétés particulières qui en
éloignent les sauterelles. En effet en 1900 lors de l'invasion
des criquets, toutes les cultures de lin ont été indemnes,
tandis que les champs de blé, d'orge ou de fèves voisins, ont
été complètement dévastés. Aussi les cultivateurs se sont-ils
empressés l'année suivante de pratiquer cette culture qui
couvre actuellement la plus grande partie des champs aux
alentours de Casablanca. De 3.100 francs environ en 1899,
l'exportation de cet article s'est élevée à fr. 26 805 en 1900 et à
fr. 487.219 en 1901 : l'Angleterre en a acheté pour fr. 298.675,
la France pour fr. 103.320, le Portugal pour fr. 53.575 et
l'Allemagne pour fr. 31.500. D'après M. Maclean, consul
(I) Le Commerce du Maroc. Annexe au Moniteur officiel du
Commerce du 26 mars IS3C
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 403
britanniciue<'>, des quantités considérables ont été conservées
pour la semence et l'on estime que les exportations de 1902
atteindront une somme de 2 millions et demi de francs.
Jusqu'à présent la culture du lin n'a été pratiquée que par
les indigènes des environs de Casablanca ; mais étant donnés
les bons résultats obtenus, il est probable que cette culture
s'étendra rapidement à d'autres parties du Maroc.
Fenit-grer. — En 1900, fr. 278.150, et en 1901, tV. 280.845,
à destinaton de l'Angleterre, de l'Allemagne et de la France.
Coriantbw — En 1900, fr. 90.622, et en 1901, fr. 14G.256,
pour l'Angleterre, l'Allemagne, les Etats-Unis et la France.
Lentilles. — En 1900, fr. 168 377, et en 1901, fr. 6:3.913, à
destination de la France et de l'Angleterre
Peaux do chèvres, t- L'exportation de cet article, tombée
de fr. 858.475 en 1899 à fr. 28i.645 en 1900, s'est relevée en
1901 à fr. 745.149. L'exportation en France tombée à
fr. 104.200 en 1900 s'est relevée à fr. 585.650 en 1901. Les
Etats Unis ont reçu pour fr. 226 571 de peaux de cbèvres en
4901, contre fr. 141.875 en 1900.
Peaux de moutons. — Sur un total de 353.860 de peaux de
moutons exportées en 1901, (contre fr. 320.112 en 1900 et
fr. 174.250 en 1899), la France en a reçu pour fr. 277.200
(contre fr. 218 570 en 1000), l'Italie pour fr. 31257 et
l'Allemagne pour fr. 36.595.
Cuirs. — La valeur des cuirs exportés est tombée de
fr. 345.069 en 1900 à fr. 261.770 en 1901. Les pays de desti-
nation sont l'Espagne, l'Italie et la France.
Œufs. — L'exportation des œufsaatteint en 1900, fr. 464.398,
près du double de celle de 1899 ; elle s'est élevée en 1901, à
fr. 485.324. La plus grande partie est expédiée en Angleterre
(fr. 430.100 en 1900 et fr. 425.375 en 1901) ef le reste en
Allemagne (fr. -55.250 en 1901). Le prix payé en 1900 a été de
fr. 4,40 les cent. Les prix sont très variables et les bénéfices
de ce commerce sont minimes. Les œufs sont expédiés dans
des boîtes fournies par les maisons anglaises et allemandes.
Cire. — Expéditions en 1900, fr. 113.650, et en 1901
fr. 110.250, à destination de l'Allemagne.
CD Rapport pour 19L)l. Foreign Of/ice-Annual Séries a' 2791.
464 LES INTÉRÊTS ÉCONO.MIQUES DE L.-V FR.\NCE AU MAROC
III. — Navigatio.v
Voici le tableau de la navigation du port de Casablanca
en 1900 :
PAVILLONS
NOMBRE
Ile
NAVIRES
TONNAGE
Anglais
Allemands
69
57
66
98
4
19
2
4
1
():j.239
52 217
44.758
37.692
3.348
2.581
649
573
159
Fz'ancais
Espagnols
Marocains
Portugais
Norwégiens
' Danois
Russe
i Total
En 1899
' 320
258
207.216
166.269
Le port de Casablanca est le plus fréquenté du Maroc après
Tanger. La navigation anglaise représentée par la « Mer ey
Steamship C" (Forwood Brothers et CJ accuse en 1900 une
augmentation de 24.133 tonnes : les navires de cette Com-
pagnie touchent à Casablanca une fois par semaine.
La navigation allemande se présente en augmentation de
15.596 tonnes : la « Wœrmann Linie » touche à Casablanca
une fois par mois à l'aller et deux fois au retour, la « Olden-
burg-Portugiesische Linie » une fois par mois dans les deux
sens. La compagnie Paquet de Marseille touche à Casablanca
une fois par mois ; d'autre part, la « Société Navale de
l'Ouest » vient d'instituer un service mensuel, ayant pour
port d'armement le Havre, vers la côte marocaine : le
commerce français pouria ainsi lutter plus facilement contre
ses concurrents étrangers pour l'importation de certains
articles comme les sucres, et l'exportation des laines qui
vont en grande partie dans le nord de la France (i>.
M. Mal pertuy signa' e d's^utre part qu'il y aurait intérêt à relier
(1) Mouvement commercial de Casablanca et de Mazagan en 19Ul .
Moniteur officiel du Commerce du -i septembre 1902.
Les intérêts économiques de la frange au maroc 465
l'Algérie avec la côte \tlantiqiie du Mai'oc par une ligne de
navigation qui contribuerait à la création de relations
commerciales entre les deux régions O. L'Espagne est repré-
sentée par la « Compania Transatlantiea » (ligne mensuelle
de Barcelone et Cadizj et la Compagnie Millan de Séville
(service mensuel).
Observations. — Si l'on totalise, pour 1899, 1900 et 1901 les
importations et les exportations du port de Casablanca en ce
qui concerne les deux pays faisant le plus de commerce avec
ce port, on obtient les résultats suivants :
-1899 1900 1901
Angleterre.... Fr. 4.327 965 5.567.075 7.007.700
France - 4 . 554 . 842 5 . 948 . 201 5 . 077 . 053
Si l'on s'en tient à un examen superficiel, ce tableau montre
que l'avance prise par le conuiierce français en 1899 et en 1900
a été complètement perdue en 1901, le commerce anglais
ayant dépassé le commerce français de près de 2 millions.
Mais il faut tenir compte de ce fait, que la diminution du
chiffre total du commerce français en 1901 est due uniquement
à une baisse considérable des exportations : encore cette
baisse tient-elle à des causes transitoires, telle que la mévente
des laines en 1901 ; d'ailleurs sur certains articles exportés en
France, on constate des progrès satisfaisants. Au contraire les
importations françaises à Casablanca ont beaucoup augmenté
en 1901, et dans une proportion plus forte que les impor-
tations anglaises. On peut donc dire que la situation commer-
ciale de la France à Casablanca n'est guère inférieure à celle
de l'Angleterre. Ce port compte quatre maisons de commerce
françaises : trois se livrent seulement à l'exportation, surtout
à celle de la laine envoyée dans le Nord de la France ; une
seule s'occupe, comme représentant de la Compagnie Paquet,
de l'importation des sucres (-). Casablanca est de t-ous les ports
marocains (sans en excepter Tanger] celui avec lequel la
France fait le commerce le plus considérable. Un seul article,
le sucre, représente, il est vrai, les 4/5 de l'importation totale.
Aussi est il désirable de développer l'importation des autres
articles, notamment des soieries.
(1) Commerce de Casablanca et de Mazagaa en IfllO. Moniteur
officiel du commerce du U juillet 19U2.
(2) « Le Commerce du Maroc » annexe au Moniteur officiel du
Commerce du 26 mars 1896.
466 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
S IX. MAZAGAX iLa Doukkala »^~=l^,
Tandis que la ville d'Azennour, à l'embouchure de VOum-
er-Rhia, un des fleuves les plus longs et les plus profonds du
Maroc, est comme Mebredia à l'embouchure du Sbou, fermée
au commerce étranger et désertée à cause de la barre du fleuve,
la petite ville Mazagan, située à 18 kilomètres à l'Ouest, fait
au contraire un grand commerce. La rade offre aux navires
une protection relative. Les Portugais qui ont occupé cette pla-
ce pendant 260 ans, jusqu'en 1769, y ont laissé des traces encore
très apparentes de leur domination, notamment un petit port
de débarquement qui est, avec celui de Mogador, le seul qui
existe au Maroc, de grand magasins pour l'entrepôt des produits
de la région, et une grande citerne. L'importance commerciale
de Mazagan tient à deux causes. D'abord c'est le port par lequel
on atteint le plus facilement Marrakech la grande capitale du
Sud : c'est par Ma^iagan que passent habituellement les
ambassades allant rendre visite au Sultan lorsque celui-ci
réside à Marrakech. En second lieu Mazagan est le débouché
de la fertile province de Doukkala qui passe, au dire de
M. Fischer, pour la plus riche province du Maroc : la
couche de terre noire y atteindrait, en elïet. une profondeur
de 6 mètres. <"
Voici d'après le rapport de M. Spinney, vice consul
britannique '-\ le tableau du commerce de Mazagan en 1899,
1900 et 1901 :
1899
Angleterre :i . 295 . 300
France 559. 125
Belgique 594.225
Allemagne 223.100
Espagne 19.775
Autriche Hongrie »
Portugal »
Suède 15.000
Etats-Unis 30.000
Russie »
Total... 4.736.525
Numéraire... 305.000
IMPORTATIONS
1900
1901
4.459.650
6.432.000
1.013.025
935.250
1.110.550
896.800
405.650
275.3.50
9.625
27.500
"
90.600
25.000
>
18.7.50
18.7.50
>'
17.150
7.042.750
8.693.400
2.353.750
1.535 000
fl) Th. Fischer. Reise hn Atlas-Vorlande con MaroUUo, p. 5U et 121.
(2; Foreinij Office Annual Séries. n° 2632 et 2791.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES HE LA FRANCE AU MAROC 467
EXPORTATIONS
1899 1900 1901
Angleterre 1.534.573 3.687.575 2.793.250
France 693.750 1.320.825 548.100
Belgique » » »
Allemagne 787.750 972.175 524.825
Espagne 1.297.500 2.906.425 1.697.000
Autriche-Hongrie » » »
Portugal 219.925 127.425 37.750
Suède » 0 »
Etats-Unis » » »
Russie » » »
Total... 4.533.500 9.014.425 5.600.925
Numéraire... 190.500 288.400 923.100
Il ressort de ce tableau que le port de Mazagan fait un
commerce très actif^doiit la valeur est sensiblement égale à
celle du commerce de Casablanca. En 1900, par suite d'une
excellente récolte, on constate tant aux importations qu'aux
exportations une augmentation considérable à laquelle a pris
part le commerce de tous les pays. En 1901 l'augmentation
constatée à l'importation a profité presque exclusivement à
l'Angleterre ; en outre, l'importation austro-hongroise a fait
son apparition sur le marché de Mazagan. Quant à l'expor-
tation en 1901, elle accuse une très forte diminution par suite
des mauvaises récoltes : la baisse des envois en France a été
particulièrement sensible, car ils sont inférieurs de plus de
moitié à ceux de 1900. Le commerce anglais est prédominant
à Mazagan, tant aux importations qu'aux exportations, et son
importance proportionnelle s'accroit sans cesse. La France
dispute le second rang à la Belgique pour les marchandises
importées. Mais le chitlre des importations françaises doit être
grossi considérablement si l'on tient compte de ce fait qu'il a
été importé à Mazagan en 1900 et en 1901 une grande
quantité de numéraire or en pièces de 20 francs et que la
France en a fourni la plus grande partie. En 1901 dans les
fr. 1.535.000 formant la valeur totale du numéraire importé, la
France figure pour fr. 1.377.500 et l'Angleterre pour
fr. 157.500 (1).
(I) Mouvement commsrcial de Casablanca et de Mazagin en 19UI
Moniteur officiel du Commerce du 1 septembre 19'J2.
34
468 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
I. — Importations
Cotonnades. ~ L'importation de cet article s'est élevée de
fr. 2.761.706 en 1899 à fr. 3.866.500 en 1900. En 1901, ce
commerce a atteint le chifl're sans précédent de fr. 5.325.000,
pour les cotonnades anglaises seulement sur un chitfre total
de fr. 5.344.750. « Nous paraissons », dit M S. -René Taillan-
dier C, « avoir renoncé à luiter, et bien à tort, contre les
« cotonnades anglaises, bien que des fabriques du Nord de la
« France aient pu, à la demande d'un négociant français de
« Tanger, produire des tissus conformes à un échantillon
a anglais et qu'elles auraient livré au même prix ».
L'Angleterre approvisionne également le marché de
Mazagan de thés (fr. 295.350 en 1900 ot fr. 247.200 en 1901)
et de bougies (fr. 254.900 en 1900 et fr. 142.750 en 1901).
Les dmps viennent surtout d'Allemagne (fr. 88.500 en 1901).
Sucres. — La valeur des sucres importés à Mazagan s'est
élevée en 1900 à fr. 1.242.500 et en 1901 à fr. 1.527.750. La
Belgique en a introduit pour fr. 812.800 en 1900 et pour
fr. 992.250 en 1901 <-\ et la Fraice respectivement pour
fr. 429.750 et fr. 535.500. Celte situation est d'autant plus
regrettable que la France avait le monopole des sucres à
Mazagan il y a une dizaine d'années.
La France fournit encore de soieries le marché de Mazagan.
II. — - Exportations
Amandes. — L'exportation des amandes, qui était insigni-
fiante il y a quelques années, atteignait fr 631.950 en 1899
pour s'élever au chitlre considérable de fr. 2.604.975 en 1900 :
une grande partie a été expédiée en Angleterre, et le reste est
venu suppléer aux mauvaises récoltes en Espagne, en Italie et
en France. Mais en 1901 on constate une diminution énorme
à fr. 382.800.
Mais. — La valeur du maïs exporté est passée de fr. 884.600
en 1899 à fr. 1.682.000 en 190O, pour retomber à fr. 654.550
en 1901, à destination de l'Espagne et des Canaries.
fl) Rapport sur le commerce du Maroc ea 1903. Supplément du
Moniteur officiel du Commerce du 9 janvier 1902.
(2) On remarquera que ces cliififres, extraits dur apport de M. Malpertuy,
ne concordent pas avec les chiffres totaux des rapports anglais.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE L.\ FRANCE AU MAROC 469
Fèves. — Valeur exportée : fr. 325.200 en 1899, fr. 1.134.650
en 1900, et fr. 1.202.500 en 1901, principalement à destination
de l'Angleterre.
Poischiches{Garhanzos). - E.xpéditions en 1900, fr. 1.057.250
soit le double des expéditions de 1899, à destinaton de
l'Espagne et des Canaries. Elles n'ont été que de fr. 716.600
en 1901.
Orge. — L'orge exportée par Mazagan en 1901, à la suite de
l'autorisation accordée, n'a atteint qu'une valeur d'environ
150.000 francs dont 100.000 pour l'Angleterre et 50.000
pour l'Espagne.
Œu/s. — La valeur des œufs exportés a atteint en 1900
fr. 1.505.050, et en 1901 fr. 1.903.725. Ils sont expédiés
en Angleterre.
Laines. — Il a été expédié en 1900 pour fr. 550.000 de laines,
vers la France et l'Allemagne. En 1901 ces envois tombent
cà fr. 88.125.
Les autres articles d'exportation sont Valinste, la cire,
les peaux, etc.
III. ^ Navigation
Voici le tableau du mouvement du port de Mazagan en 1900:
PAVILLONS
NO.MBRE
de
XAVIBES
tonnage
Anglais
ti-1
51
110
53
1
1
58.390
49 ..541
40.836
37.910
1.452
770
114
Allemands
Espagnols
Français
Roumains
Portugais
Total
en 1899..
288
237
189.013
155. 8i0
Ce port est desservi par les mêmes compagnies que le
port de Casablanca.
470 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
§ X. — SAFFI (Asii ^iJ)
Ce port, débouché de la fertile région d'Abda, et point de
départ d'une route de caravanes vers Marrakech id'ailleurs
peu fréquentée) est un des plus mauvais de la côte marocaine,
à cause de brisants dangereux. C'est ce qui explique sa faible
importance commerciale. Le Sultan aurait donné des ordres
récemment en vue de l'amélioi'er. Son commerce est entre les
mains de l'Angleterre, de la Belgique et de l'Allemagne, son
importance pour la France est devenue à peu près nulle.
D'après des informations reçues vers la lin de 1901, celte
place a été le théâtre de terribles inondations qui ont causé
des pertes considérables d'existences et de propriétés.
Sur la côte entre Mazagan et Safti se trouve le vaste port
naturel de WaJudiijaA^^, actuellement abandonné.
Voici le tableau du commerce de Safti en 1899 et en 1900 (^^
linpoilations
1899 '" 1900
Ex
.1899
porlations
^'' 1900
Angleterre . .
999.500
1.206.375
817.300
2.224.125
Belgique
Allemagne. .
789.475
127.325
524 225
59.075
»
574.650
868.625
France. ....
50.000
102.150
156.725
147.450
Suède
197.503
185 000
»
»
Espagne
Portugal ....
»
»
»
47.375
292.6-25
195.800
124.650
Autres pays .
2.169.800
»
15.500
25.300
Total...
2.076.825
1.904.175
3.. 585. 950
En 1900 le commerce se présente sous un aspect assez
favorable, par suite d'une abondante récolte de grains, qui a
eu pour conséquence une exportation double de celle de
l'année précédente. Les perspectives pour 1901 étaient moins
bonnes.
I. — Lmportations
Les deux principaux articles d'importation à Safli sont
les cotonnades anglaises (fr. 700.000 environ) et les sucres
(fr. 603.750 en 1900, contre fr. 826.500 en 1899), l'importation
(1) liudgetl Meakin. T/te Land of tlie Moors p. II.
(2) Rapport du vice-consul britannique pour 1900. Foreign Office-
Annual Séries n° 2632.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 471
belge de cet article étant environ 7 fois supérieure à l'impor-
tation française. L'Angleterre fournit encore des bougies, du
thé, etc., la Suède du fer et du bois de construction.
II.
Exportations
L'exportation des fèves a atteint en 1900 fr. 1.553.750 soit
plus du double de celle de 1809, à destination de l'Angleterre
principalement. Les exportations de mais (fr. 4S8.100) ont
également augmenté de plus du double. Les amandes
(fr. 433.750 en 1900 contre fr. 73.250 en 1899) ont été
expédiées en Angleterre et en Allemagne. Quant à la laine
(fr. 258.625) et aux jwaux de chèvres, l'Allemagne en a
pris la plus grande partie, la France n'en ayant reçu qu'une
petite quantité.
Navigation
Voici le mouvement do la navigation du port de Saffi en 1900 :
PAVILLONS
Anglais
Allemands
Français
Norwégiens
Espagnols
Danois
Portugais
Russes
Hollandais
Total ....
en 1899
114
106
34.919
32.753
11.326
1.982
1 698
1.267
458
159
120
84.6S2
69.565
Obsercation. — On peut se rendre compte d'après les statisti-
ques qui précèdent que le rôle commercial de la France est assez
effacé à Mazagan et à peu près nul à Saffi, fait, fort heureuse-
ment, .exceptionnel dans l'ensemble du commerce franco-
marocain. Il n'en était pas de même il y a quelques années,
car la France détenait dans ces deux ports le marché des sucres,
qu'elle s'est vu depuis lors, enlever par la Belgique. Le
472 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
principal remède à cette situation consisterait dans l'établisse-
ment de communications maritimes directes entre ces ports
3t ceux du Nord et de l'Ouest de la France, ce qui permettrait
à nos raffineries de l'Ouest d'introduire leurs sucres à
Mazagan et à Saffi, et faciliterait en outre l'exportation en
France des laines et des grains de ces régions. La ligne de
navigation qui vient d'être créée par la Société Xavale de l'Ouest
donnera en partie satisfaction à ce desideratum tant de fois
formulé par nos consuls.
§ XI. — MOGADOR (Es-Soueïra ='^fj-'i)
Cette ville est bâtie sur une presqu'île, reliée aux hautes
dunes sablonneuses qui forment la côte en cet endroit, par
une étroite langue de terre. Au large se dresse un ilôt rocheux
qui ferme le port : cet îlot est utilisé comme prison et comme
lieu de quarantaine et de lazaret pour les pèlerins de retour
de la Mecque. L'entrée la plus large, au Sud du port, n'a
qu'une profondeur de 4 mètres ; celle du Nord a une
profondeur de 12 à 14 mètres. La plus grande profondeur du
port est de 8 à 9 mètres, mais sur une faible étendue
seulement ; les bas-fonds et les rochers le rendent dangereux
pour les navires par le mauvais temps (•'. Cependant tel qu'il
est, le port de Mogador est le meilleur du Maroc. A l'intérieur
des fortifications, un petit dock est aménagé pour le déchar-
gement des marchandises ('-). L'importance commerciale de
Mogador date de l'époque où l'excellent port naturel d'Agadir,
au Sud du cap Ghir, le débouché de la riche région du Sous,
a été fermé au commerce européen. Depuis lors, Mogador est
le port le plus méridional ouvert au commerce étranger. Il
est devenu en conséquence le débouché du Sous, dont le
sépare la chaîne de l'Atlas, et qui, au moins en ce qui
concerne l'exportation, a plus d importance encore pour le
commerce de Mogador que l'hinterland immédiat de cette
place, c'est-à-dire les provinces de Haha et de Chiadma, et la
ville de Marrakech (3), reliée à Mogador par une route de
caravanes, mais recevant plutôt ses approvisionnements de
Mazagan. En ce qui concerne les produits importés au Sous,
(1) Th. Fischer. Reise im Atlas Vorlande von Marokho. p. 51 et suiv.
(2) Budgelt Meakia. The Land ofthe Moors, p. 211 et 212.
(3) Th. Fischer, ouvrage cité p. 51 et suiv.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE L.\ FRANCE AU MAROC 473
ce pays fait plutôt ses achats à Marrakech. Mogador appro-
visionne encore le Sahel et la partie inférieure du bassin du
Dra^^K Autrefois Mogador faisait un commerce considérable
avec le Soudan, notamment avec Tombouctou. Le trafic
des esclaves, jadis très florissant, a presque complètement
disparu depuis l'occupation de ces régions par la France.
Actuellement, bien que le trafic de Tombouctou et du Soudan
soit attiré de plus en plus vers la côte occidentale d'Afrique,
une quantité assez considérable de marchandises de prove-
nance européenne est encore importée par Mogador chez les
Maures riverains du Sénégal et du Niger : cotonnades (toile de
guinée) d'Angleterre ; sucres français ; thés anglais ; bottgies
anglaises ; soieries françaises ; cuirs, armes, poudre, lainagefi
d'Allemagne, café, etc. (•'. Ce commerce représente une
valeur d'environ 5 millions de francs par an. Les importations
du Soudan au Maroc consistent surtout en gommes, laines,
peaux, plumes d'autrwhe, sel, etc. Il résulte de ce qui
précède que Mogador à une importance commerciale plus
grande que celle qu'il tirerait uniquement de sa situation
géographique (3). H a d'ailleurs beaucoup perdu de la
prospérité dont il jouissait autrefois.
Les industries de la ville sont les plateaux en cuivre, les
poignards, les draps de laine ponr djelabas, haïks et autres
vêtements, les objets d'ameublement fabriqués en bois d'ara/-
ou ihutja^'^K L'iniluence européenne est assez considérable à
Mogador, de même qu'à Tanger et à Casablanca. On y trouve
deux petits hôtels. Le gouvernement marocain y a conttruit
des maisons d'habitation et des magasins qu'il loue aux
négociants. Les Juifs, très nombreux à Mogador, monopolisent
le commerce local et sont les intermédiaires obligés de toutes
transactions.
Le commerce de Mogador est surtout un commerce de
commission. Le change y est généralement plus bas qu'à
Tanger. A ce point de vue les ports de la côte Sud du Maroc
sont plus ou moins influencés par les cours de Madrid, mais
le change local de ces ports est réglé par les importations et
(\j Çh. de Foucauld. Reconnaissance au Maroc, p. 188.
(2) Renseignements extraits d'un article sur les Relations entre le
Maroc-Algérie et le Sénégal-Sowlan publié par la Revue franco-
musuhnane et saharienne, juillet-août !9lJ2.
(3)Tb. Fisclier. Ouvrage cité, p. 5i.
(4) Budgett Meakin. The Landoft' e Moors, p. 213.
474 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
exportations. En général les traites sont meilleur marché à
Mogador qu'à Tanger à cause de la rareté du numéraire pour
le paiement des récoltes, et dans ce cas des espèces sont
expédiées de Tanger à Mogador. Les personnes qui ont à
effectuer des remises fréquentes n'achètent pas de traites, mais
des marchandises qu'elles expédient^".
Voici d'après les rapports du vice-consul allemand (-') et du
vice-consul britannique(3)le tableau du commerce de Mogador
en 1899 et en 1900 :
Imp.irta
ions
Export;i
lions
Fr.
Fr
1899
1900
1899
1900
Angleterre . .
2.825.600
3.539.218
3.963.025
2.626.650
France
1.552.400
2.114.972
483.675
2.035.365
AllemagQe . .
6G6.075
371.243
2.043.475
3.693.188
Belgique ....
474.650
336.140
»
))
Italie
»
»
305 300
610.688
Etats-Unis. . .
»
1)
1.153 000
1.363.125
Cote marocaiue . . .
213.450
106.836
334.675
267 312
Espagne el colonies.
25.775
51.669
1S6.525
180.897
Total... 5.757.950 6.520.078 8.469 673 10 777.22S
Numéraire. 3.227.200 2.210.700
I. — Importations
Les cotonnades anglaises, de Manchester, ont été en bonne
demande en 1900 (fr. 2.332.750). Il en a été de même des thés
(fr. 704.000) et des bougies (fr. 182.650J, également de
provenance anglaise.
L'importation des sucres, a atteint en 1900, fr. 1.716.050:
les sucres français entrent dans ce total pour fr. 1.442.000;
le reste formant la part des sucres belges et allemands :
ceux-ci sont de qualité inférieure aux sucres français et fondent
plus vite : ils sont, il est vrai, meilleur marché. Les indigènes
ont une préférence marquée pour les petits pains de sucre
de 2 kilos.
(1) Rapport de Maddei-, vice-consul brilaiiDique, pour lOni. Foreing
Office Annual Seriez, n° 2791,
(2) Rapport commerc. pour 1900. Deutsohes Handels ar luv, août 1901.
(3) Foreign Office, Annual Séries, a° 2632.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 475
Les lainages français se sont mieux vendus en 1900 que les
lainages allemands, mais les allemands nous t'ont concurrence
dans la vente des soieries (^'.
II. — Exportations
Le chiffre des exportations de Mogador en 1900 dépasse
celui de tous les autres ports marocains.
Amandes. — L'augmentation considérable de l'exportation
des amandes constitue le caractère le plus remarquable du
commerce de Mogaùor en 1000. Elle a atteint en effet le
chiffre considérable de fr. tj.000.000, contre fr. 2.400.000 en
1899. Par suite d'une mauvaise récolte en Italie, la demande a
été considérable à Mogador ; d'ailleurs la récolte du Sous a été
extraordinaire. La meilleure amande de la place est celle de
Haha dont le prix a atteint en 1900 jusqu'à 30 douros par
quintal ; pour les amandes du Sous le prix s'est élevé à
29 douros par quintal. Quatre puissances se sont partagé
l'exportation des amandes de Mogador en 1900, dans les
proportions suivantes :
Allemagne Fr. 2.432.000
Angleterre — 1.816.000
France — 1.450.000
Italie — 27-2.000
C'est aux expéditions d'amandes que l'Allemagne doit
d'occuper le premier rang dans le commerce d'exportation de
Mogador en 1900. Le consul britannique dans ce port insiste
sur ce fait que le marché de Hambourg tend à monopoliser,
au détriment de celui de Londres, le commence des amandes
de Mogador : la raison de cette évolution doit être cherchée
dans les plus grandes facilités accordées au commerce en
Allemagne : les frais de déchargement, d'entrepôt, de vente,
d'escompte, sont moins considérables qu'en Angleterre ; de
plus les maisons d'importation allemandes se passent, la
plupart du temps, d'intermédiaires et traitent directement
avec les petits détaillants auxquels elles peuvent offrir de
meilleures conditions et des prix plus modérés. Les trois
maisons allemandes établies à Mogador s'occupent surtout de
l'exportation.
(l) Rapport sur le comtnTee du Maroc en 1901). Supplément au
Moniteur officiel du Commerce du 9 janvier 1902.
476 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
Peaux de chèvres et de veaux. — Sur un total de fr. 1.681.020
représentant le total des peaux de chèvres exportées en 1900
(chiffre inférieur de près de moitié à celui de 1899), une
grande partie a été exportée directement aux Etats-Unis et le
reste a pris le chemin de la France. Les peaux de veaux
(fr. 466.400) sont expédiées surtout en Italie.
Œufs (fr. 337.050). — De grandes quantités ont été expédiées
de mars à septembre 1901 : on les vend 4 pesetas les 100. Les
œufs de Haha sont les meilleurs et les plus grands. Ceux du
Sous sont plus petits.
Gommes (fr. 500.675). — De Mogador on expédie les
gommes suivantes : la gomme Amrad à 10 douros par 100 livres
et la gomme brune de Barbarie à 13 douros par 100 livres ;
la gomme Sandarak, à iO douros par charge de chameau de
315 livres ; la gomma blanche du Sénégal. Cette dernière n'est
venue qu'en faible quantité sur le marché-de Mogador en 19J0,
les prix étant trop bas pour la faire venir du Soudan.
Cire. — lia été emporté en 1900 pour fr. 603.500 de cire
à destination de la Russie, via Hambourg,
Huile d'olive. — Les expéditions en 1900 se sont élevées à
fr. 696.275. Le consul britannique signalait en mai 1901 des
arrivages considérables d'huile d'olive apportée k Mogador par
les caravanes du Sous pour être expédiée notamment à
Marseille à destination de l'Italie.
En 1900, par suite de l'important trafic des amandes, le
change à Mogador était de 3 à 4 "/o plus bas que le change à
Tanger, à cause de l'insuffisance de numéraire pour l'achat des
produits ; les acheteurs ont dû transmettre leurs traites à un
agent à Tanger pour les vendre et remettre leur montant
en espèces (".
Il s'est produit d'importants mouvements de numéraire,
surtout à l'importation, consistant principalement en or
français que le gouvernement marocain s'est procuré pour
faire face aux besoins de la récolte <-). Pour 1901 les récoltes
s'annonçaient d'une manière satistaisante.
(1) Foreing Office Annual Séries, n° 2G3'2.
(2) Rapport du vice-consul allemind pour 1900. Deutscher Handels
archiv août 19UI.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 477
III. — Navigation
Voici le tableau de la navigition de Mogador en 1900 :
PAVILLONS
NOMBKE
de
TON.NAGE
Anglais .
52
45
34
6
5
1
59.258
44.544
23.920
2.700
1.886
38
Français
Marocains
Portugais
Total
en 1899..
143
149
132.326
119.008
Mogador est desservi par les mêmes compagnies que les
autres ports marocains de l'Atlantique.
Observation. — Le commerce de la France à Mogador, dans
son ensemble, est très important et vient immédiatement
après le commerce anglais. Mogador compte deux maisons de
commerce françaises et d'une certaine importance, celle de
MM. Borgeaud et Rentermann, et celle de M. Jacquery(i>. Si
les produits de la région sont exportés en plus grande quantité
en Allemagne, en revanche l'importation française à Mogador
est bien supérieure à l'importation allemande, laquelle a été
très faible en 1900. D'ailleurs les envois en France de produits
du Sous sont en progrès marqué. Enfin Mogador a une
grande importance, au point de vue français, en tant
qu'entrepôt du commerce du Sahara et du Soudan, régions
dintluence française. Bien que nos intérêts dans le Maroc
méridional soient moins importants que dans le Maroc du
nord, il importe de ne point nous laisser distancer dans la
conquête économique de cette région destinée, par sa richesse
agricole et la variété de ses productions, à un brillant
avenir.
(t) Le Commerce du Maroc (année 1896). Annexe au Moniteur
officiel (lu Commerce du '26 mars 1896.
478 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
§ XII. — LA PLAINE DE MARRAKECH
L'irrigation au Maroc
Au Nord du Grand Atlas, entre ces montagnes et l'Atlan-
tique est située une immense plaine qui constitue la partie la
plus imporlante du Maroc méridional ; elle est séparée du
Maroc du Nord par une région montagneuse peu accessible
s'étendant sur une largeur de plus de 100 kilomètres entre la
Chaouïa et le pays de Tadla, au Sud, le plateau de Meknès et
le R'arb au Nord. D'une manière générale la végétation est
moins riche dans le Maroc du Sud que dans le Maroc du
Nord parce que les pluies y sont beaucoup moins abondantes*').
D'ailleurs la grande plaine méridionale comprend d'après
M. Fischer, trois zones bien distinctes : la zone des cultures,
où l'on rencontre la « terre noire » et dont nous avons signalé
l'étonnante fertilité ; la zone des steppes, grande région de
pâturages ; et la zone des hauts plateaux, immédiatement
voisine de l'Atlas, suffisamment irriguée par les nombreuses
rivières qui descendent des montagnes. Le plateau de
Marrakech situé dans le bassin du Tenaift entre le Djebilet et
le Grand Atlas, se trouve dans la partie la mieu.x^ arrosée de
cette zone l'~). Là en effet toute culture est subordonnée à
l'irrigation artificielle du sol, condition facilement réalisable,
car pendant la fonte des neiges qui a lieu depuis le commen-
cement du printemps jusqu'à la fin de l'été, c'esl-à-dire
pendant la saison où il ne pleut pas, une quantité énorme
d'eau courante descend de l'Atlas par une inlinité de petits
ruisseaux qui viennent se. jeter dans le Tensift et l'Ouni-er-
Rbia. Une quantité de petits canaux de dérivation ont été
construits afin d'utiliser ces eaux pour l'inigation des terres :
les uns sont à ciel ouvert, les autres souterrains ; ces derniers
appelés rliattnra remontent à la plus haute antiquité et sont
surtout nombreux dans les environs de Marrakech ; ils sont par-
fois très longs et situés à une très grande profondeur. Ce systè-
me d'irrigation très perfectionné, que l'on ne rencontre guère
(1) E. UouUé. Une mission d'études au Maroc. Rapport sommaire
d'ensemb'e. Supplément au « Bulletin da Comité de l'Afrique française »
de décembre 1501.
(2) Th. Fischer. Reise i»i Atlas-Vorlande von Marokko p. 83 et 157.
— Cf. V. Uemontés. La plaine de Marrakech , Bulletin de la Société
de Géographie d'Alger, 2" trimestre 1901.
LES INTÉRKTS ÉCONOMIQUES DE LA l^-RANCE AU MAROC 479
que dans cette région, rend encore de grands services actuel-
lement, bien qu'un grand nombre de canaux soient obstrués.
Il pourrait être étendu à un espace bien plus considérable de
terres cultivables. M. Fischer estime que ce système
d'irr'igation, quelles que soient les dépenses entraînées par la
construction et l'entretien des canaux, est encore moins
coûteux que celui dont on se sert dans la région côtière,
particulièrement pour l'irrigation des jardins dans lès
environs des villes, consistant à creuser des puits larges et
profonds et à élever l'eau à l'aide de grandes roues à puiser
(noria), mues par des ânes ou des mulets ; l'eau est amenée
dans des bassins cimentés et distribuée par des rigoles à
travers les jardins <■'.
L'oasis de Mai'rakech est de toutes celles qui se trouvent au
Nord de l'Atlas la plus riche en dattiers ; malgré la sécheresse
de la surface du sol, les racines de ces arbres plongent dans
l'eau que renferme l'intérieur de la terre. Les fruits en sont, il
est vrai, peu estimés. h'oUvier y est également très répandu,
■comme dans les autres oasis et cultivé avec beaucoup de soin.
D'une manière générale les fruits et légumes de toute
catégorie prospèrent dans l'oasis de Marrakech qui &=t
également propre à la culture des céréales <-).
La population de Marrakech est évaluée à 55.000 habitants.
Son commerce est presque semblable à celui de Fez, sauf
qu'il est à peu près entièrement entre les mains des Juifs.
Cette ville fait un important commerce de féaux avec les
tribus du Sud de l'Atlas. Ses cuirs et ses tissus sont inférieurs
à ceux de Fez et ses tapis ne peuvent lutter avec ceux de
Rabat. Cependant Marrakech parait maintenir son rang dans
le tissage des étoffes de soie, broderies et passement cries (3). On y
trouve également des armes montées en argent et des objets
en cuivre travaillé provenant des mines du Sous. Les produits
du Tafilelt n'y parviennent pas <*'. Le principal port de
Marrakech est Mazagan, la route des caravanes qui mène à
ce port étant plus fi'équentée que celles qui mènent à Mogador
et à Saffi. C'est par ces trois ports que Marrakech effectue ses
(1) Th. Fischer. Reise tm Atlas-Vorlande von Marokko p. Î6-89.
Cf. BudgeltMeakiQ The Moors p. lG3et 164.
(2) Th. Fischer, ouvrage cité, p. SU et 91.
(3) R. J. Frisch Le Maroc p. 92. Cf. Reclus Afrique septentrionale
tome II p. 742.
(4) J. Erckmann. Le Maroc Moderne p. 38.
480 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
transactions avec l'Europe. Il y a clans cette ville un négociant
français, représentant de la maison Borgeaud. de Mogador^''.
Marrakech, oi^i les produits européens sont surtout importés
par Mazagan, alimente tout le bassin du .Sons, l'immense
bassin du Dra, à l'est de l'oued Agga (aflluent de droite), et
jusqu'aux districts arrosés par les alfluents de droite de l'oued
Ziz, tels que le Todra et le Fe.rkla^^'-K
Malgré l'augmentation des transactions de cette ville avec
l'Europe, et bien que plusieurs négociants étrangers y soient
établis, aucune puissance européenne n'y est encore
représentée <3).
La ville de Demnal située dans une vallée de l'Atlas oii
Nord- Est de Marrakech, dans une région très arrosée où l'on
cultive surtout l'olivier, fait un commerce assez important
avec Marrakech (^).
§ XIII. — LE SOUS. — LE DHA
La vallée du .Sous, séparée de la plaine de Marrakech et de
la vallée de Tensift par le Grand Atlas, a une importance
économique considérable, tant au point de vue de ses produc-
tions agricoles qu'au point de vue de ses richesses minières :
mais elle est actuellement fermée au commerce européen. Ses
habitants de race berbère (chleuh) ont résisté pendant très
longtemps aux troupes des Sultans ; mais ils ont été définiti-
vement soumis par les expéditions de Moulaye-el-Hasan
en 1881 et 1886. Le Sous a été exploré par Lenz, Rohlfs,
Gatell, Camille Douls, de Foucauld, Davidson, et dernièrement
par M. de Segonzac. Il a longtemps passé pour une région des
plus dangereuses pour les Européens : cependant M. de
Segonzac n'y a couru nulle part de danger véritable, si ce n'est
à la passe de Bibaouan, à Nzala-Organa ; un autre voyageur a
pu pénétrer en chrétien à Goundafo, à Taroudant et chez les
Ida-ou- Mahmoud sans être inquiété <•'>.
L'Oued Sous apparaît comme un fleuve à eau permanente
(1) Le Commerce du Maroc. Annexe au Moniteur officiel du
Commerce an 26 mars 1896.
(î; Ch. rie Foucauld. Reconnaissance au Maroc p. 1(J8.
(3) Budgrlt Mealiin Tlie Land of the Moors p 311.
(4) Budgelt Meakin T/ie Land of the Moors p. 346-348.
(5) V. Démontés La région du Sous. Bulletin de la Société de Géo-
graphie d'Alger, iMrimeilre 1901.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 481
et à pente très rapide, quoique à débit variable et diminuant
progressivement vers son embouchure. La partie qui avoisine
sa source est très productive : on y trouve des oliviers, des
amandiers, des céréales ; vers l'embouchure et dans le cours
moyen on cultive \'orge, le blé, le niais. Lorsque la pluie
tombe au bon moment, les récoltes sont très belles ; dans le
cas contraire les liabitanls arrosent péniblement leurs terres
au moyen de puits profonds de plus de 10 mètres. Toute la
plaine de la rive droite, très arrosée, large d'une vingtaine de
kilomètres, est ou peut être cultivée : elle est couverte de
cultures, de forêts et de pâturages: ces derniers nourrissent des
moutons, des chevaux, des chameau.K, et surtout des bœufs qui
n'ont pas l'apparence chétive de ceux d'Algérie et du Sahara
Marocain. La fertilité naturelle du sol a élé reconnue par tous
les explorateurs : le Sous produit plus de céréales qu'il n'ea
peut consommer, ainsi-que de l'Imile d'olive et d'argan, des
amaiides, des noix, des oranges, des dattes, en quantité
considérable O. La population est assez dense, et dans
certaines régions, la moitié des terres sont cultivées.
Au point de vue minier le Sous paraît être la région la plus
riche du Maroc : à cet égard les témoignages des explorateurs
sont concordants : on y a reconnu l'existence des gisements
d'oc (Ida-ou-ltilt, Massa), d'argent (Agadir, ouad Noun), de
cuivre (Tasellert, près de la passe de Bibaouan), de /er (Ida-
ou-ltilt), de /j/omb (au Sud de Tiznit), d'antirnoine''~\ Certaines
de ces mines seraient encore exploitéei par les indigènes à ciel
ouvert, et les minerais traités de la façon la plus primitive. Le
cuivre notamment serait actuellement exploité pour alimenter
la chaudronnerie, l'industrie spéciale de Taroudant, la, capitale
du Sous. Les batteries de cuisine vendues sur les marchés de
Kouba, de Kano et de Tombouciou proviennent de Tarou-
dant'3). Rohlfs assure que vers 1800 on extrayait encore du
minerai de cuivre des environs de Taroudant ; mais M. Fischer
ne croit guère à celte assertion (^\ D'après 0. Lenz, presque
tout le cuivre brut nécessaire à l'industrie de Taroudant serait
importé d'Angleterre. Les autres industries de Taroudant sont
(1) Jules Erckmaaa, Le Maroc moderne, p. 49. V. Démontés, La région
du Sous.
(2i Budgett Meakin, The Landofthe Moors, p. 26-30.
(,i) Reclus, Afrique Septentrionale, T. II. p. 746.
(4) Th. Fischer. Die Bodenschaetze Marokkos, Zeitschrift fur
■praktisches Géologie, avril 19UI,
48'i LES INTÉRÊTS ÉCONOMIÙUES DE LA FRANCE AU MAROC
le tissage des étoffes de laine et la préparation du salpêtre.
L'industrie du Sous est beaucoup moins prospère que l'agri-
culture à cause de la concurrence européenne qui se fait sentir
bien que le Sous n'entretienne pas de relations directes avec
l'Europe. On importe d'Europe au Sous des objets en fer et du
fer en barres, des fusils et des poignards fournis par des
maisons anglaises, de la toile, des bougies, du sucre, du
savo7i, etc. Taroudant communique avec Marrakech par le col
de Bibaouan (quatre jours de trajet) ; c'est un important
marché où s'accumulent les produits d'échange pour être
dirigés vers le Nord ou le Sud. Toutefois une partie du
commerce suit la route Mogador-Agadir-Tiznif, le long de la
côte et évite la capitale <". De grands marchés se tiennent
périodiquement dans diverses localités : les nomades y
apportent des laines, des peaux, des dattes, et achètent des
objets manufacturés.
Le port naturel de la région du Sous est Agadir, situé au
Sud du cap Ghir, un peu au Nord de l'embouchure du Sous ;
au pied de la falaise sur laquelle est située cette localité, se
trouve le petit fort de Fonti, construit par les Portugais et
restauré par les Marocains après la guerre de 1859-1860. La
rade d'Agadir est la meilleure de toute la côte marocaine de
l'Atlantique. D'après Gatell, au fond même des rochers, l'eau
est assez profonde pour les navires de 200 tonneaux. D'après
M. de Segonzac, à 30 mètres de la côte on trouverait 15 mètres
de profondeur. La rade est fermée à l'Ouest par une ligne de
rochers ; elle n'est ouverte qu'aux vents du Sud contre lesquels
il faudrait protéger les navires par une jetée. Entre Agadir et
Fonti se trouvent une fontaine et un réservoir construits par
les Européens. Agadir a été fermé au commerce étranger après
la fondation de Mogador, en ''773 : depuis cette époque ce port
est en complète décadencf • .st interdit aux navires d'y faire
escale, et les denrées qui viennent du Soudan sont acheminées,
après acquittement des taxes de douanes, vers les cols de
rAtlas<-> et vers Mogador. Le parcours entre Agadir et Mogador
peut être effectué en deu.x jours par une assez bonne route,
bien abritée contre les vents. Mogador est actuellement le
débouché des produits du Sous : mais Agadir le redeviendrait,
(1) V. Démontés La région du Sous. Bulletin de la Société de
Géographie d'Alger, 4= trimestre l'JUl.
(2) Reclus. Afrique Septentrionale, T. II. p. 748.
LES 1NTKRI2TS KCONOMIOUES DE LA FRANCE AU MAROC 483
du jour oi'i il serait rouvert' au commerce européen. Une
compagnie anglaise a essayé réceuiment d'y installer ses
comptoirs ; les Allemands le convoitent (ainsi que Mogador)
et les visées des Espagnols sont séculaires O.
D'une manière générale la région du Sous a été très
fréquemment, à cause de sa richesse et de ses perspectives
d'avenir, l'objet des convoitises européennes. Depuis la
fermeture d'Agadir au commerce étranger, un certain nombre
de puissances ont essayé de tourner cette prohibition par des
tentatives officielles ou privées, en signant des traités avec des
chefs semi-indépendants, qui, bien que n'étant pas plus
favorablement disposés que le gouvernement envers les
étrangers, étaient portés à accueillir tout ce qui pouvait
fortifier leur situation et améliorer leurs chances dans une
révolte future. Des négociations ont eu lieu notamment en
1819 entre le Français Cochelet et les cheikhs Baïrouk ; en
1839 le consul français à Mogador fut envoyé à la côte du
Sous sur le vaisseau de guerre La }falouine, et à son second
voyage il obtint un traité établissant un protectorat nominal,
lequel ne fut jamais appliqué. De nombreuses tentatives ont
été faites dans cette région par des compagnies anglaises :
toutes ont échoué ; mais comme elles ne sont pas sorties d'un
cercle restreint de spéculateurs, le bruit de leur ruine n'est
pas parvenu à la connaissance de leurs successeurs. La
politique du gouvernement marocain consiste à tenir le Sous
complètement fermé, en vue de prévenir toutes compli-
cations ('->.
Entre le bassin du Sous et le bassin du Dra se trouvent les
riches vallées de l'oued Glias et de l'oued Noun ; les ports de
cette région sont Masua, Aglou, Ifni, Arksis, Assaka. A Ifni,
en 1880 le vapeur français Aiiji -fit une vaine tentative de
débarquement pour le compte d'une compagnie de Londres et
de Marseille, et ensuite le gouverneur du Sénégal envoya un
vaisseau faire une reconnaissance *■*). Le havre d'Ifni est
maintenant considéré comme possession espagnole, étant
censé être Santa Cruz de Mur Pequeiia. Un établissement de
ce nom avait été fondé sur la côte Sud du Maroc en 1476 par
le duc de Herrera, mais il avait étï pris et détruit par les
(1) V. UeQiontès. La région du Sous.
(2) Budgett Meakin T/œ Land of the Moors. p. 377 et 37S.
(3) Budgett Meakin The Land of the Moors, p. 388.
35
484 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
Marocains en 1524 et depuis cette époque ou en avait perdu
toute trace. A la suite de la guerre de 1859-1860, l'Espagne
obtint par l'art. 8 du traité de paix la restitution de cet
établissement. Comme on ne pouvait se mettre d'accord sur
l'emplacement de ce port, le capitaine Fernandez Duro, du
vaisseau Blasco de Garny envoyé en reconnaissance par le
gouvernement espagnol, se prononça en laveur d'Ifni et des
traités furent signés entre les fonctionna res espagnols et les
chefs de la région. Le Maroc ne ratifia le choix de l'Espagne
qu'en 1883. Pour surveiller Uni, le Sultan Moulaye-el-Hasan
a établi son autorité sur Tiznit, au Nord-Est d'Ifni, à une
faible distance de la côte. Cette localité, la plus méridionale
où se fasse sentir directement l'autorité du pouvoir centi-al,
grandit rapidement en importance. Tiznit est situé aux confins
du Tazeonalt. Plus au Sud, et non loin de l'ouad Noun, est
situé Ogoxilmin, où siègent les cheikhs Baïrouk : c'est une
importante station commerciale entre Mogador et Tombouctou,
qui expédie à Mogador des plumes (Vautruche et de la poudre
d'or du Soudan ; c'est un grand marché de chcvriiu-, de
mulets de moutons et aussi d'e-^claves. La rade d'Ifni a le
grand avantage de ne pas être éloignée de ce marché ; en
outre, des voies de communication pourraient la mettre en
rapports avec les riches campagnes de l'oued Ghas et de
l'oued Sous ('). 11 y a quelques années l'Allemagne a
vainement tenté d'acheter Ifni à l'Espagne. M. Victor CoUin,
dans son livre « Le Maroc et les Intérêts belges » proposait
récemment l'achat de ce port par la Belgique qui posséderait
ainsi une garantie de participation éventuelle à la solution de
la question marocaine <-'. Ces différentes tentatives démontrent
l'importance de ce point.
Cette partie de la côte est caractérisée par de hautes falaises.
A quelque distance au Sud-Ouest d'Ifni s'ouvre la baie
d'Arksis, facilement accessible, profonde et bien protégée.
M. Budgett Meakin estime qu'au cas où le gouvernement
marocain se déciderait à ouvrir un port au Sud de l'ouad
Sous, Arksis serait l'endroit le plus favorable ('). D'ailleurs,
sur ce point également, les tentatives européennes n'ont pas
manqué, mais n'ont pas été plus heureuses que sur les autres
(1) Reclus. A frique Septentrionale . 2' partie p. 753.
(2) V. CoUin Le Maroc et les Intérêts belges, p. 17a.
(3) Budgett Meakin T/>e Land ofthe Moo'rs, p. 388-390.
LKS INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 485
points, notamment celle du capititine écossais Giass en 1760,
et le projet d'établissement d'une station française en 1859,
qui fut abandonné sur les réclamations du Sultan. Un vaisseau
anglais le Scorpion, envoyé pour négocier avec les cheikhs de
la région, ne put communiquer avec la côte à cause du
mauvais temps. Un projet fut élaboré en 1851 par le capitaine
anglais .SIeigh pour la mise en valeur de la région en prenant
Arksis pour base. C'est là qu'en 1883 le vaisseau Garrawalt
de la Sui and Norlh Wesl African Trading Company tenta
vainement sous la direction de M.M. Andrews et Gurtis,
d'établir des relations commerciales, tentative qui fut renou-
velée en 1898, sans plus de succès par la Tourmaline du
Glohe Ventare Syndicale, sous la direction du Major Gybbon
Spilsbury. Cette dernière société avait été fondée à Londres à
l'instigation d'un aventurier qui n'avait pas réussi à le faire à
Paris. L'expédition essaya de nouei" des relations avec les chefs
des tribus du Sous dans le but de soustraire aux douanes
marocaines l'important trafic de cette région. Quelques
Anglais qui avaient débarqué furent capturés par les autorités
marocaines et condamnés à plusieurs mois d'emprisonnement
pour s'être livrés à la contrebande; le major Spilsbury fut
arrêté en Angleterre et traduit devant le jury de Gibraltar qui
l'acquitta. Les actionnaires de la compagnie intentèrent un
procès aux directeurs : un jugement prononça la liquidation
de la compagnie et le président et le conseil d'administration
durent rembourser le capital O.
Un cheikh de l'ouad Noun ayant menacé en 1882 d'ouvrir
directement des l'elations avec l'étranger à cause de la famine,
le Sultan Moulaye-el-Hasan promit d'ouvrir le port d'Assaka,
à l'eodjouchure de l'ouad Nonn. A partir du 15 septembre
1882, Agadir et Assaka furent ouverts pour 6 mois à
l'importation de denrées alimentaires sur lesquelles on
percevait le droit de 10 °/o ad valorem ; mais le délai expiré,
l'autorisation fut retirée. En 1886 on prétendait que le Sultan
avait promis à l'ambassadeur allemand de rouvrir Assaka;
mais depuis cette époque il n'a plus été question de ce projet.
A la fin du XVIII'' siècle beaucoup de négociants étrangers
établis à Mogador avaient manifesté l'intention de s'établir à
(1) Hudgelt MeakiQ. The Land ofthe Moors p. 389-391. Cf. V. Gollla.
Le Maroc et les Intérêts belges p. I 11 et 112.
486 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
Assaka; et Jackson prétait à Napoléon en 1809 le projet de
fonder dans ces parages un important établissement dans le
but de créer des relations commerciales directes avec Tom-
bouctou et le Soudan <■'.
La rade d'Assaka est bien inférieure à celle d'Arksis ;
l'importance de sa situation dérive de sa proximité des
marchés de l'ouad Xoun, notamment d'Ogoulmin. Les plaines
de l'ouad Noun, se prêtent à la culture des céréales ; la vallée
renferme des forêts d'arganiers, de palmiers, d'oliviers,
d'amandiers, etc. <■'.
L'ouad Dra dont le cours inférieur a souvent été considéré
comme formant la limite méridionale^du Maroc, est le fleuve
le plus long de ce pays, mais n'a un débit assez abondant que
dans sa vallée supérieure, montagneuse et fertile ; depuis sa
sortie des montagnes jusqu'à la mer, il est presque toujours à
sec et son courant atteint rarement l'Atlantique. Cette région a
été visitée par Rohlfs, Lenz, de Foucauli Les principales
oasis de la vallée sont Tarnala, Kitaoua, Tamagrourt,
Mimcina, TissinI, Tatta, Akka. Au-delà de Mimcina, le lleuve
forme un lac, Debiaia, dont l'emplacement en été est
partiellement cultivé. Le lit du Dra est salin en plusieurs
endroits <3). Il est en partie couvert de cultures. Les
palmeraies produisent les meilleures 'dattes de tout le Maroc
occidental, rivalisant avec celles du Tafilelt, et en si grande
quantité que, lors du voyage de Rohlfs, une charge de 150 kg.
se vendait pour moins de deux francs *'). On trouve dans ces
régions des champs de céréales et de pâturages où paissent de
nombreux troupeaux de moutons, des chevaux et des
chameaux (■■').
(1; Budgelt Meakia The Land.of the Moors, p. 331.
(?) id. id. p. 392 et 393.
(3) id. id. p. 398.
(4) Reclus Afrique Septentrionale, 2' partie, p. 755.
(5) X. Coppolani. L'organisation des régions saliariennei. Reçue
franco-musulmane et saharienne juillet-août I9J2.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 487
§ XIV. SAGIAT-EL-IIAIMRA. LE CAP JUBY. —
I.E RIO l>E OUO. LA1>UAR. - LA MAURÉ-
TANIE SAHARIENNE
Le coinnierce entre le Maroc, le SaUaru et le Souilan
L'étude économique des régions limitrophes du Sud du
Maroc nous amène à nous occuper des nombreuses tentatives
européennes dont elles ont été l'objet, ainsi que des rivalités
internationales existant à la frontière méridionale de ce pays.
Cette question sort un peu, il est vrai, du cadre d'un ouvrage
purement économique ; mais étant donné qu'elle ofTre un
grand intérêt d'actuatité et qu'elle est généralement peu
connue, nous croyons devoir en faire l'exposé, d'autant plus
qu'elle met en jeu des intérêts économiques aussi bien- que
politiques.
Entre l'emboucbuie de l'ouad Dra et le Sénégal s'étend la
côte saharienne, occupée pai' la France au Sud du cap Blanc,
par l'Espagne du cap Blanc au cap Bojador, tandis que la
question de la souveraineté sur la partie comprise entre le cap
Bojador et le cap Noun, en face des îles Canaries, est actuel-
lement litigieuse. Toute question de rivalité internationale
mise à part, on considère comme faisant partie du Maroc la
région de Sagiat-el-Hamra et Tekna, pays de cultures situé
au Sud de l'ouad Dra. Le fleuve Sagiat-el-Hamra qui se jette
dans l'Atlantique au Sud du cap Juby arrose cette région et y
répand la fertilité par ses inondations périodiques et l'eau
courante de ses aflluenls. On y a relevé des mines de plomb
et de cuivre ainsi que des dépôts de nifraïevO. Dans le pays
de Tadkajiint se trouve Tindouf, à une assez grande distance
de la côte : là, convergent les routes de caravanes d'Ogoulmin,
d'Akka, du Tafilelt, du Touat, de Tonibouctou. Le fleuve
Sagiat-el-Hamra qui constituerait, au dire de certains, la
frontière méridionale du Maroc, limite d'autre part au Nord
les territoires parcourus par les Maures nomades.
Le littoral qui borde cette région s'étend sur une longueur de
500 kilom. environ entre l'ouad Dra et le cap Bojador. La partie
comprise entre l'embouchure du Dra et le cap Juby a été le
théâtre d'un certain nombre de tentatives européennes. A Quina
notamment un anglais, James Butler, essaya de s'établir en
(l) X. Coppolani, article irécilé.
488 LES INTERETS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
1866 pour faire du commerce ; il fut détenu en esclavage pendant
plusieurs années, puis remis en liberté pour 27.000 douros.
Les Espagnols effectuèrent un débarquement au même endroit
en 1886. Entre le Dra et le Sagiat-el-Hamra se jette le petit
fleuve Thibika qui fut visité en mars 1886 par le navire
allemand, Gottorp, conduisant une expédition commerciale
allemande commandée par le Dr Jannasch : les membres de
cette expédition serendirentpar voie de terre delà à Agoulmin,
à Tiznit et au Soîi?. Avant d'arriver au cap Jiiby se trouve une
assez grande lagune appelée par les Espagnols Puerto
Cansado'^>, communiquant avec la mer, mais trop peu profonde
pour former un port.
Ce littoral a été attribué à l'Espagne par un certain nombre de
géographes, bien que ce pays n'y ait jamais fait acte de souve-
raineté comme il Ta fait sur la partie de la côte comprise entre le
cap Bojador et le cap Blanc en 1884. Cependant le parti africain
d'Espagne a revendiqué un moment, comme « héritage inalié-
nable de la nation » la partie de la côte situé.e en face des îles
Canaries. Cette prétention a été définie par B. Reparaz(-) qui
considérait la côte saharienne comme une possession très
enviable à cause de l'abondance de ses pêcheries et surtout à
cause de la richesse de l'arrière-pays et de son importance au
point de vue des relations commerciales entre le Maroc et le
Soudan, enfin à cause de sa valeur stratégique « La nation,
« écrivait-il, qui occupera le Sahara occidental, surtout si cette
« nation est l'Angleterre, menacera les îles Can:iries, et
« exercera sur le Maroc une influence sans limites, dont la
« conséquence pourra être l'annexion du Sud de ce pays, si ce
« n'est de l'empire tout entier ».
Cette crainte d'une occupation anglaise était, à cette époque,
légitimée dans une certaine mesure. A l'instigation d'un
écossais, nommé Mac Kenzic, une puissante maison de
Manchester avait fondé en 1879 dans une île située en face du
cap Jttby et du pays de Tar/ata une factorerie à laquelle on
donna le nom de « Port Victoria », dans le but avoué de faire
du commerce avec les tribus maures du voisinage. En réalité
les fondateurs qui s'étaient constitués sous le nom de North
West Africa Trading Company et avaient dépensé t 130.000,
(l) Bugett Meakin. The Land of the Moors, p. 394.
Ci) B. Reparaz, EspatXa en Africa. Madrid 1891.
LES INTERETS ECONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 489
avaient conclu avec les chefs des tribus des traités leur
assurant des droils de souveraineté exclusifs sur toute la côte
située entre l'ouad Dra et le cap Rojador et sur tout l'arriére-
pays ; et une intervention de l'Anglelerre se serait produite au
cas où l'Espagne aurait contesté ses droits. Pendant les
premières années, la compagnie réalisa de gros bénéfices. On
s'efforçait de détourner de Mogador les caravanes du Soudan
et on ne projetait rien moins que la construction d'un chemin
de fer de pém'tration vers Tombouctou ! Mais pendant ce
temps la France consolidait sa domination dans la vallée du
Niger. Puis le Sultan du Maroc, malgré l'état précaire de son
autorité dans ces régions, s'inquiéta de cette tentative étran-
gère, craignant d'en voir se reproduire de semblables sur
d'autres points. Sur ces entrefaites un certain nombre de
colons furent massacrés par des indigènes de la région. Puis,
la compagnie fit de mauvaises affaires, et lorsque le fondateur
de la colonie mourut, ses héritiers offrirent au Sultan du
Maroc de lui vendre l'établissement. Le contrat de vente fut
négocié par le ministre d'Angleterre, Satow, et conclu avec le
vizir du Sultan, le 113 mars 1895, après que la demande primitive
de 2 100.000 eut été réduite de moitié. On voit ainsi un Etat
succéder aux droits d'une compagnie privée, et la convention
quoique simple contrat de vente renferme des dispositions
d'une portée considérable. La clause I. dit en efïet : « Le
« gouvernement marocain ayant acquis les bâtiments, etc. . .
« de la société sus nommée, nul ne pourra élever une préten-
« tion quelconque sur le territoire situé entre l'ouad Dra et
« le cap Bojador, appelé Tarfaïa, ni sur l'arrière-pays, car
« toute cette région fait partie du territoire marocain ». Et la
clause IL : « Il est entendu que le gouvernement marocain
« s'engage envers le gouvernement anglais à ne céder à
c( personne aucune partie des territoires en question sans
u l'assentiment du gouvernement anglais*" ». L'Angleterre
aurait pu se rendre maîtresse, en rachetant les établissements
de la Compagnie, d'un territoire de 60.000 milles carrés, dont
la possession aurait eu pour elle l'avantage inappréciable de
la rendre voisine du Maroc. Mais elle semble avoir voulu
(1) Nous extrayons ces renseignements d'une très intéressaute corres-
pondaaceadresséa de Londres à la New Freie Presse de Vienne, du 20
juillet 19U2, Cf. Budgelt Meakin The Moorish Empire, p 412, et The
Land of tlie Moors, p. 377 et 395.
490 LES fNTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
établir qu'elle ne recherche en principe aucune acquisition
territoriale au Mai'oc : toutefois elle a voulu se prémunir, au
moyen des clauses précitées, contre l'occupation éventuelle du
territoire en question par une autre puissance. Aussi ce traité
qui donne à l'Angleterre, d'une manière indirecte, des avan-
tages égaux à ceux d'une occupation etîectivc, peut .il être
considéré comme un chef-d'œuvre. Il est dirigé, non pas contre
l'Espagne qui semble avoir définitivement renoncé à toute
prétention territoriale sur cette partie de la côte, uiais, comme
nous allons le montrer contre la France.
Au Sud de Sagiat-el-Haiiira s'étend une zone de dépressions
sablonneuses où l'on observe des lagunes (sebliha) couvertes
de banrs de sel ci'istallisé. La plus importante, la lagune
d'idjil ayant de 25 à 30 kilomètres de longueur sur 12 à 15 de
largeur, ne comprend pas moins de quatre couches d'une
épaisseur moyenne de 15 centimètres, séparées par des
couches d'argile. Les bancs de sel exploités depuis un temps
immémorial par les Maures, se reforment grâce aux pluies qui
apportent du sel des terrains environnants. La sebkha d'Idjil
forme ainsi une mine inépuisable qui, indépendamment des
pays maures, fournit en grande partie le sel à tout le Soudan
occidental. La région des sebkhas contiendrait en outre des
dépôts de 7\itrales dont l'emplacement n'a pas été nettement
défini : ils seraient situés à peu près à la latitude où se
trouvent, dans l'hémisphère Sud, les grands gisements de
nitrate de soude du désert d'Atacama, au Chili : l'aspect des
deux régions est identique; les conditions climatériques sont
les mêmes, et les éléments salins qui constituent les gisements
n'ofTrent pas de différence notable. En 1894 le consul français
aux îles Canaries signalait le départ de Las Palmas d'une
mission anglaise composée d'ingénieurs spécialistes qui devait
se rendre dans la région de Sagiat-el-Hamra pour étudier le
trace d'un chemin de fer du cap de Juby à Tombouctou « et
« reconnaître, notamment, l'existence d'une mine de nitrate
« découverte la môme année. » O A l'Ouest de la région des
sebkha, dans la direction de l'Atlantique, s'étend le plateau du
Tiris dont les pâturages sont estimés et nourrissent de
(1) Ces renseignements, ainsi que la plupart des données géogra-
phiques relatives ;i la région saharienne, sont extraits d'un article de
M. X. Coppolani : L'orçjanisation des régions sahariennes. Reçue
franco-musulmane et saharienne, juillet-août 1902.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 491
nombreux moutons réputés pour leurs riches toisons et la
bonne qualité de leur viande. Au Sud de la région des sebkha
s'étend la région des oasis occupée en grande partie par
VAdrar occidental et renfermant une série de vallées où l'on
rencontre les oasis de Nenna, Oualata, Tichitt, Oiiadan,
Chinqiieli, Alar, Oiidjeft, etc. qui abritent une population
sédentaire de près de 30.000 âmes se livrant au négoce,
cultivant des cliamps de céréales, entretenant des palmeraies
d'un proiiuit comparable, sinon siqjérieur à celui des oasis de
l'Extrême Sud Algérien ; malheureusement leurs récoltes sont
exposées aux déprédations dos nomades, ce qui les empêche
de donner du développement à leurs cultures. D'api'ès
certains rapports de voyageurs anglais, on trouve dans le Sud
de r.'\drar des forêts de caoutchouc et de palm icrs, de la vigne et
des claltcs de qualité supérieure ; et, en dehors decérêales de toutes
sortes, une terre végétale riche et profonde permet d'y cultiver
le thé, le café, le tabac. L'eau courante n'abonde que dans les
années pluvieuses ; maison trouve de l'eau à quelques pieds
au-dessous de la surface. On rencontre dans ce pays des
gisements de fer, de manganèse, de cuivre, de nitrates, de sel,
des carrières de granit et de marbre. On assure que les
indigènes seraient disposés à échanger des marchandises
européennes contre de Yor, de Vargcnt, de Vaniimoine, de
Vivoirc, des poils de chameaux, des peaux, de la laine, des
plumes d'autruche et des pierres précieuses. Le climat y est
très sain et tempéré. A l'Est de l'Adrar s'étendent les régions
sablonneuses de El Djouf, de Tanezrouft, d'Az-ouad, traver-
sées par la route de caravanes qui, partant de Tombouctou,
passe par les importants marchés d'Araouan et Taoudeni et
se dirige vers le Maroc méridional. A Taoudeni se trouvent
de riches carrières de sel gemme. L'Adrar est bordé au Sud
par les pays de Hodh, de Taganl et d'Agan dont les habitants
s'adonnent surtout à Yelevage. Ils s'étendent jusqu'à la côte de
l'Atlantique.
L'immense région que nous venons de décrire, connue sous
le nom de Maurétanie saharienne, se trouve aujourd'hui
presque entièrement dans la zone d'influence française à la
suite du récent accord franco espagnol qui a eu pour objet la
délimitation des sphères d'intluence de la France et de
l'Espagne dans le Sahara occidental C'est en 1884 que
l'Espagne établit son protectorat sur la partie du littoral
492 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
comprise entre la haie de l'Ouest, près du cap Blanc, et le cap
Bojador, et sur Farrière-pays ; un représentant de la Société
Coloniale Espagnole conclut avec les indigènes des traités les
mettant sous la protection de l'Espagne. Le 12 juillet 1886 une
expédilion envoyée par la Société Espagnole de Géographie
Commerciale, munie de pleins pouvoirs du Gouvernement
espagnol, obtint par des actes solennels et écrits la recon-
naissance de ce protectorat de la part des cheiksde l'intérieur,
et surtout du cheikli de VAdrar-Tmar. Cette expédition mit
ainsi sous le protectorat de l'Espagne un territoire de
300.000 milles carrés comprenant les territoires de Rio de Oro,
Tiris et Adrar. On adopta pour limite méridionale de cette
colonie une ligne idéale se dirigeant directement vers
Tombouctou : certains prétendent que cet immense arrière-
pays qui comprenait le fertile pays de l'Adrar en entier,
s'étendait jusqu'au 7= degré de latitude Ouest de Greenwich.
Mais l'expansion française en Afrique occidentale, dans la
direction du Nord-Ouest, faisait des progrès considérables, et
en 1892 les Français signèrent à leur tour un traité de
protectorat avec le Sultan de l'Adrar, et émirent des
prétentions sur les salines d'Idjil que les Espagnols avaient
acquises le 12 juillet 188t). Des négociations furent entamées
en vue de la délimitation des zones d'influence des deux pays.
Il s'agissait par la même occasion de régler la question de la
souveraineté sur le territoire du Rio-Mouni, situé sur le golfe
de Guinée au Nord du Gabon et revendiqué à la fois par la
France et par l'Espagne.
Les négociations aboutirent à la convention signée le
27 juin 1900 entre M. Delcassé et M. Léon y Castillo, ambassa-
deur d'Espagne à Paris : cette convention, en échange des
concessions faites par la France en ce qui concerne le territoire
du Rio-Mouni, consacre la totalité des prétentions françaises
dans l'Afrique du Nord Ouest. La délimitation franco espagnole
dans cette partie de l'Afrique part de l'extrémité du cap Rlanc
qu'elle divise en deux parties, de façon à laisser à la France
toute la baie du Lévrier : elle remonte ensuite vers le Nord
jusqu'au parallèle 21°20 de latitude Nord qu'elle suit jusqu'au
IS» de longitude Ouest de Greenwich (15020' Ouest de Paris) ;
à partir de ce point la frontière incline vers le Nord-Ouest,
laissant le Tiris à l'Espagne et l'Adrar à la France, décrit un
arc de cercle autour des salines d'Idjil de manière à les
LES INTÉRÊTS ÉCONO^nQUES DE LA FRANCE AU MAROC 493
laisser à la France, puis, pi-enant la direction du Nor(i-Est,
rejoint le 12» de longitude Ouest do Greenwich (14°20' Ouest
de Paris) à son intersection avec le tropique du Caucer, et le
suit, dans la direction du Nord jusqu'à la hauteur du cap
Bojador : à cet endroit s'arrête la délimitation franco espagnole.
La Société Coloniah Espagnole (Société Hhpano-Airicahie)
est actuellement propriétaire, sous la souveraineté espagnole,
des territoires composant la colonie de Rio de Oro, en vertu
d'un décret royal du 16 juin 188G. Le siège du gouvernement
est le petit port de ViUa-ChneroA oii se trouvent une fa<'torerie
et une petite garnison. La Société Coloniale Austro-Hongroise
a, au cours de ces dernières années, tourné ses regards vers la
colonie de Rio de Oro, et sollicite l'autorisation d'y envoyer
des missions d'exploration et d'y acquérir des territoires. Les
Autrichiens se proposaient notamœ.ent de coloniser le sultanat
d'.\drar et de détourner vers Rio de Oro le trafic de caravanes
existant entre Tombouctou et le Sud du Maroc. Mais un te^'
projet est devenu d'une réalisation difficile depuis que l'Adrar
est définitivement rentré dans la sphère française et fait partie
de la 0 Maurétanie Saharienne », c'est-à-dire de l'immense
région comprenant les pays décrits plus haut et «'étendant du
Sénégal et du Soudan au Maroc et à l'Algérie. D'autre part
l'art. 7 de la récente convention franco-espagnole confère à la
France un droit de préemption sur toutes les possessions
espagnoles de la côte occidentale d'Afrique. L'exercice éventuel
de ce droit de préemption en ce qui concerne la colonie du
Rio de Oro ferait de la France la voisine du Maroc sur la
frontière Sud de ce pays, cette frontière ayant été reportée en
réalite jusqu'au cap Bojador par l'effet de la convention anglo-
marocaine dont nous avons parlé.
Mais même sans exercer ce droit de préemption, pourrions-
nous néanmoins devenir les voisins du Maroc par le
Sud ? Les progrès de l'expansion française dans l'Afrique
du Nord Ouest ont pour résultat l'investissement de plus en
plus étroit de ce pays. En dehors de la Frontière algéro-
marocaine, le contact franco-marocain tend à s'établir
également au Sud du Maroc : mais c'est un contact purement
nominal à l'Ouest de Figuig. Il ne pourrait devenir effectif et
avoir en conséquence des avantages sérieux au point de vue
d'une action éventuelle à exercer au Maroc que par notre
établissement sur un point de la côte susceptible de servir de
494 LES INTÉRÊTS ÉCONOMTOUES DE LA FRANCE AU MAROC
base à cette action ; ce point ne peut être que le cap Juby.
Notre occupation de l'arrière-pays, c'est-àdire du Sagiat-el-
Hanira compléterait l'investissement du Maroc. La convention
franco-espagnole de 1900 ne s'y oppose point, cur la
délimitation s'arrête à la liauteur du cap Bojador. Le seul
obstacle à la pénétration française jusqu'au cap Juby réside
dans la convention anglo-marocaine aux termes de laquelle
le Gouvernement marocain, en prenant possession du
territoire du cap Juby s'engage à ne le céder à personne sans
le consentement de l'Angleterre. On voit maintenant que c'est
la France qui est visée par cette convention, contre laquelle a
vainement protesté le représentant français à la cour du
Sultan. D'ailleurs la reconnaissance de la souveraineté du
Sultan sur ces territoires émane de l'Angleterre seule, et la
France n'ayant pas été partie à cette convention ne se trouve
pas liée par elle.
Mais l'établissement du cap .luby n'a [las seulement pour la
France un intéi'êt pui-ement politique. E-n elïet dans la région
de Sagiat-el-Hamra aboutissent plusieurs routes de caravanes
ayant leurs points de départ dans le Saliara et le Soudan
français. Le commerce qui s'effectue par l'intermédiaire des
régions sahariennes entre le Maroc (ouad Dra, TaOlelt) d'une
part, le Sénégal et le Soudan, d'autre part, n'est nullement
négligeable, quoique bien inféiieur à ce qu'il était autrefois,
car le commerce du Soudan est attiré de plus en plus vers la
côte de l'Afrique occidentale, et une- des conséquences de
l'extension de la domination trançaise dans l'Afrique du
Nord-Ouest a été de réduire considérablement le trafic des
esclaves. Les marchandises de provenance européenne (telles
que colonnades, bwcres, thés, bougies, cuirs, soieries, lainages,
etc.) sont importées par Mogador au Soudan pour une valeur
approximative de plus de 5 millions de francs par an ; les
produits marocains importés (Jaines brutes, burnous, Itaiks,
couvertures, sandales, tapis, ambres du Tafilelt, huile d'olive,
ustensiles de cuisine de Taroudant, etc.) se chiffrent par
300.000 francs environ. Les envois des régions sahariennes et
soudanaises au Maroc (gommes, cire, laines brutes et (issus de
laine, cJiameaux, poils de chameaux, idéaux, pluma
d'autruche, poudre d'or, ivoire, sel, dattes, etc.j atteignent de
1.500.000 francs à 3.000.000 de francs environ. Si l'on ajoute à
cela le trafic qui s'effectue entre les régions sahariennes d'une
LES INTÉUÈTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 495
part, et le Sénégal-Soudan d'autre part, d'une valeur approxi-
mative de 12 à 13 millions de francs, on obtient un mouvement
conunercial total de plus de 20 millions de francs!). Bien que
ce trafic ait lieu dans des régions d'inHuence Irançaise, les
produits labriqués venant du Nord, sauf le sucre, sont
expédiés presque exclusivement par l'Angleterre, et l'Alle-
magne a pris une place prépcndérante dans l'importation des
laines brutes. D'autre part les marchés étrangers du Tafileit,
du Sous, du Dra et de Mogador bénéficient d'une grande
partie du trafic provenant ou à destination du territoire
français. Les grandes caravanes qui font le voyage entre
Tombouctou et le Maroc du Sud li'ansportent encore
actuellement de grandes quantités de marchandises : M. Zerbib,
de Mogador, dans un compte-rendu publié par le « Anti-
Slavery Report » de ma;i 18S7 évalue à 3 millions de francs la
valeur des marchandises apportées par une grande caravane
arrivée à Marrakech au mois de février de la même année (2).
Les caravanes qui traversent le désert ont à emporter
d'énormes provisions d'eau pour se prémunir contre la soif,
et elles doivent s'armer et se grouper pour se défendre contre
les bandes pillardes. Généralement elles paient un droit de
passage à certaines tribus dont elles ont à traverser le
terriloire, moyennant quoi celles-ci s'engageât à les conduire
.saines et sauves jusqu'au territoire voisin. Cette pratique
accroît encore les frais de transport, déjà considérables.
D'après Jackson, la durée du voyage de Fez à Tombouctou
serait de 130 jours en comprenant les arrêts : mais le voyage
a été accompli parfois en 82 jours f'^'. La grande route de
caravanes partant de Tombouctou et passant par Araouan et
Taoudeni, bifurque ensuite dans deux directions diiïérentes,
l'une vers le Tafileit par El Harib, l'autre vers le Sous et
Mogador, ou Marrakech, par Tindouf. Cette derqière localité
est proche de la région de Sagiat-el-Hamra, laquelle
communique par différentes routes de caravanes avec Igli par
l'ouad Dra, avec l'Adrar occidental, et avec le Sénégal. Son
import mce est donc considérable au point de vue du
commerce avec toute l'Afrique française du Nord-Ouest, et la
({) Relations commerciales entre le Maroc-Algérie et le Sénégal-
Soudan, Revue franco-musulmane et saharienne, juillet-août 19U2.
(2) Biidgelt Meakia T/ie Moors, p. I7«.
(3J iJ. id, p. 181.
496 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
station du cap Juby, débouché de la région, est admira-
blement placée pour attirer ce commerce. Aux termes de la
convention anglo-marocaine dont nous avons parlé, le Sultan
devait ouvrir ce port au commerce étranger et y établir des
douanes ; en outre, des terrains devaient être loués pour
vingt années aux négociants désireux d'y faire du commerce ''^
Non seulement le gouvernement marocain n'a pas exécuté
cette partie de la convocation, mais il a envoyé au cap Juby
un agent chargé d'y rendre tout commerce impossible, fût-ce
même en employant la force l^). Aussi les caravanes ont-elles
déserté ce point. Il serait très désirable, tant au point de vue
politique que dans l'intérêt de son commerce avec ses
possessions du Sahara et du Soudan, que la France reprit la
tentative abandonnée par les Anglais, en s'établissant au cap
Juby (■') : il serait dès lors facile de détourner vers ce point le
trafic de -Caravanes parlant de Tombouctou et passant par
Taoudeni et Tindouf. Quant à la difficulté résultant de la
convention anglo-marocaine relative au cap Juby, nous
souhaitons qu'elle soit tranchée lors du règlement des
différends existant entre la France et l'Angleterre.
§ XV. — LE TAFILELT (o'itsLV)
A l'Est du bassin du Dra descendent du grand Atlas des
rivières qui arrosent d'étroites mais fertiles vallées et vont
se perdre dans les sables du Sahara : ce sont l'ouad Ziz avec
ses affluents le Todra et le Reris ; l'ouad Giiir et la Zo,tsfana
dont la réunion forme la Saoura.
L'oued Ziz commence au col de Teh-emt, très fréquenté par
les caravanes allant du Tafilelt à Fez. Toute la partie inférieure
de la rivière constitue la longue oasis du Tafilelt, la plus
importante du Sahara : d'après Rohlfs elle n'aurait pas moins
de 100.000 habitants de population Beraber, groupés en plus
de 150 ksour couvrant un millier de kilomètres carrés. A
Rissani réside le gouverneur (parent du Sultan) qui n'a qu'une
(1) Budget! Makin The Moorsil; Empire, p. 413.
. (?) Th. 1-ischer Reise iin Atlas-Vorlande von Maroltko, p. 41.
(3) Cette idée a ét«^ également exprimée par M. Henri LoriD dans un
article intitulé La Question du AÏaroc. parue dans la Revue Politique
et Parlementaire Au lU juillet 19U1 ; ellfi a été longuement développée
par M. Piirrp Dornier dau-s une étude intitulée Du Soudan au Maroc et
àl'Algcrie, publiée par [si Reuue de Géograpltie, d'août et septembrd 1901.
LES INTÉKÈIS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AL" .MAROC 497
autorité nominale, le pouvoir étant exercé par les sissemblées
communales. Le ksar de Bou-Adam, au Sud de l'oasis, est le
marché principal de tout le Sahara marocain, entre le Touat
et l'ouad Dra. Dans le Sud du Tafdelt, le Ziz se perd dans le
sable en été ; mais au printemps l'oasis se transforme parfois
en un lac*'' {Dajit-el-Daura). Ce pays a été exploré par Caillé,
Rohlfs, Delbrel, Harris.
Actuellement le commerce du Tafilelt se fait presque entière-
ment par Fez. La route de caravanes entre le Tafilelt et Fez
franchit l'.\tlas au col appelé Tizi n'Telremt, à une hauteur
de 2.162 mètres et descend ensuite dans la vallée de la haute
Mlouïa, puis dans celle du Sebou, traversant le territoire de la
tribu indépendante des Beni-Mguild qui exigent une contribu-
tion {zetat) de toutes caravanes. Le trajet, d'une longueur
d'environ 275 kilomèts'es, exige de 10 à 14 jours. Une route de
caravanes, moins fréquentée conduit du Tafilelt à Marrakech.
Le Tafilelt recevait autrefois une grande quantité de marchan-
dises d'Europe par l'Algérie : le commerce entre le Tafilelt et
l'Algérie, aujourd'hui peu important est appelé, comme nous
le verrons plus loin, à prendre très prochainement une exten-
tion considérable. Le Tafilelt est également en relation avec le
Touat et le Soudan.
Voici, d'après le vice-consul britannique à Fez'-' l'énu-
mération des principaux produits importés au Tafilelt : des
cotonnades d'Angleterre et de l'Inde française (Pondichéry)
ces dernières étant fréquennnent expédiées par Londres ; du
sucre de France et de Belgique ; du llié verl, des bougies, et un
peu de quincaillerie d'Angleterre ; une faible quantité de draps
et de verrerie d'Allemagne, et une quantité insignifiante de
soierie.'! françaises. Le Tafilelt reçoit aussi quelques produits de
l'industrie de Fez, tels que des soieries, des vèi.ernents de coton,
des objets de sellerie, de la ferblanterie. Certains articles de
provenance étrangère sont achetés au Tafilelt et importés à
Tombouctou par caravanes.
Les principaux produits d'exportation du Tafilelt sont les
dattes, les peaux de clièvres, le célèbre cuir tanné appelé djild
el filait, Vambre, etc. Le Tafilelt reçoit de Tombouctou et du
Soudan des plumes d'autruclie, de la poudre d'or, des gommes,
(IJ Reclus. Afrique Septentrionale, 2' partie, p.
(2) Foreign Office. Annual Séries, W 2723.
498 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
du sel, etc. Le trafic des esclaves tend à se réduire de plus en
plus depuis l'arrivée des Français à Igli et sur la Zousfana.
Les cZa»es(i> sont le produit le plus important du Talilelt. Les
palniiers y poussent en quantités innombrables sur une immense
surface irriguée avec le plus grand soin. Il y a une grande
variété de dattes ; au dire de certains indigènes, il y en aurait
plus de 200 espèces différentes. Celle qu'on exporte est connue
sous le nom de « majhol » : le fruit est grand, très doux, d'un
brun verdatre lorsqu'il est complètement miir et renferme un
assez gros noyau. Chose étrange, bien que ce fruit soit très
apprécié en Europe, il n'est pas en grande laveur auprès des
indigènes qui préfèrent généralement les espèces moins
grandes et plus sèches. Les espèces les plus petites sont extrê-
mement bon marché et servent principalement à la nourriture
des chevaux et du bétail.
Les dattes pour l'exportation sont expédiées à Londres par
Fez et Tanger. Du Tafilelt à Fez elles sont transportées à dos
de mulet. A Fez elles sont vendues aux enchères sur le
marché. Les plus mûres, les plus petites, celles qui sont le
moins susceptibles d'être conservées, sont cédées aux détail-
lants pour la consommation locale et pour la vente dans les
autres villes du pays ; les plus grandes, celles qui sont
relativement sèches et en bon état sont placées dans de
grandes boîtes en bois (de 45 ou 50 livres anglaises") enve-
loppées de papier et de toile, et sont expédiées à Londres
dans ces conditions. La récolte parvient à Fez entre le
15 octobre et le 30 décembre de chacjue année ; les premiers
lots sont très demandés, car les prix obtenus à Londres sont
bien plus élevés lorsque la livraison a lieu avant Noël que
lorsqu'elle a lieu après : ils varient, suivant les circonstances
de 110 sh. (fr. 137,.50) à 30 sh. (fr. 37,5U) par « hundredwight »
(50 kilog.78).
Ces prix peuvent paraître considérables par comparaison
avec le prix d'achat au Talilelt, qui est en moyeirne de 5 sh. 6
(6 fr. 85) par 50 kg ; mais ce commerce est entravé
actuellement par des frais de transport considérables et
charges de toutes sortes, ainsi que le montre le tableau
suivant, dressé par le vice-consul britannique, doonant leur
montant et leur pourcentage par rapport au prix d'achat.
(1) On trouvera dans le rapport précité d'iûléressaots renseignements
sur la culture des dattes du Tafili It.
I.KS INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES r>E LA KHANC.K AI MAROC 499
Tableau des charges prélevées sur un » hundredweigt » (50 kg )
de dattes envoyées du Tafilelt à Londres
Crix d'aiiial mojeii iiTafilcIl, par iiO ki|.
Traiispo"! à Fe/ (275 km.) par
mules, dui-ant de lU a 1 i joui-.s. .
Zelat
Taxe perçue à l'iv., di^ 10 " „ nd
valorem sur le prix d'aeliul auji'
iiienté du prix du transport
jusc|u'a Fez et du Zetal
ïransportde FezàTanger(270km )
Dioit d'exportation a Tanger (20
reale par 50 kg.)
Fret, et charges, de Tanger a
Londres ( lî^OO milles)
Total de Irais de transport et
charges pouc 5 sh. 6 (Fr. 6,85)
de prix d'achat
.\ln.^•^.^^^ des iiiAiii;es Pourceiitago
— . par rapport
M'. C. au
6 8j I"''"^ (l'achai
V\Sll. I).
0 5 li
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7 00
30 85
i;!6 .s:i
:,4 54
28 78
-■1 lO
101 .51
-148 h2
Malgré ces charges e.\trarirdinaire3, l'exporlation des dattes
.du Tafilelt par Tanger représente aiiniieUeiaent une valeur
de 200.000 à 250.0L0 francs.
L'importation des marchandises européennes à destination
du Tafilelt se l'ait à peu près dans les mêmes conditions. A leur
arrivée à Larache, les marchandises paient un droit d'impor-
lalioii de 10 "/o ad oalorem. Le transport de Larache à Fez
1 169 kilomètres) par chameau.x revient à 4 sh. (5 francs)
par 50 kg. A Fez on prélève sur les marchandises à destination
du Talileit et de toutes les régions situées au Sud et au Sud-
Est de I''e7, une taxe de 5 à lOo/o ad valorem sur le prix d'achat
de la marchandise augmenté des charges. Le transport de Fez
au Tafilelt par mules (les seuls animaux capables de transpor-
ter des marchandises sur les 275 kilomètres de route difficile et
accidentée qui séparent ces deux points), coûte environ 7 sh.6d.
(fr. 9,35) par 50 kg. A cela il faut ajouter le selal, la rançon
exigée par les tribus de l'Atlas, à cause de l'impuissance où se
trouve le gouvernement marocain d'assurer la sécurité le long
de la route. Le prix moyen du transport terrestre au Maroc
36
500 LES INTÉRÊTS ÉCONOMTOUES DE LA FRANCE AU MAROC
représente environ 21 fois le prix moyen du transport par mer.
Les cotonnades importées d'Angleterre an Tafilelt payent,
avant de parvenir à destination, 34,7 "/„ de leur prix
d'achat .
Mais ces conditions si défavorables au commerce d'impor-
tation et d'exportation du Tafilelt sont à la veille d'être
modifiées du tout au tout par l'apparition d'un facteur nouveau,
le chemin de fer français du Sud-Oranais, qui s'arrête actuel-
lement à l'entrée de l'oasis du Figuig. « Il semble tout
« naturel, dit à ce propos le vice consul britannique à Fez,
« qu'à la suite de l'occupation d'igli (qui est à quatre journées
o de marche facile du Tafilelt, tandis que la route du Tafilelt
(( à Fez exige 10 jours de voyage pénible) et dans l'éventualité
« du prolongement du chemin de fer du Sahara algérien
« jusqu'à ce point, le commerce avec le Tafilelt et la région
« du Sud de l'Atlas doive fatalement être détourné du Maroc,
(( à moins que le gouvernement de ce pays ne supprime les
« charges écrasantes imposées au commerce sur son territoira
(c et lui procure les mêmes facililés que les Français. En
(( présence des tuifs élevés qui lui sont imposés dans les ports
« algériens, d'une part, et de tous les obstacles auxquels il se
« heurte à l'intérieur du Maroc, d'autre part, les perspectives
« du commerce britannique, ou plus exactement, de n'importe
« quel commerce en dehors du commerce français, avec ces
« régions, ne sont nullement encourageantes : fait d'autant
{( plus regrettable que le transport à bon marché par le chemin
« de fer français permettant de vendre en Europe les produits
a du Tafilelt à des prix abordable.-, la vente en sera accrue, ce
« qui enrichira les indigènes et augmentera leurs achats de
« marchandises européennes. L'économie des frais de trans-
« port réalisée en employant la voie d'Oran au lieu de celle
« de Tanger ou de Larache peut être évaluée à 9 1/3 »/o sur le
« prix d'achat des cotons bruis importés et de 191 «/o sur le
a prix d'achat des dattes exportées. Les autorités françaises
« peuvent d'ailleurs, pour décider le commerce à employer
« leur chemin de fer, établir des droits bien inférieurs à ceux
« que l'on prélève au Maroc (17 "/o sur les cotons importés et
a 831/2°/o sur les dattes exportées) ». Un quintal de sucre
paie moins de 9 francs pour son transport d'Arzeu à Duveyrier
et les négociants qui approvisionnent le Tafilelt, se seraient
dès à présent montrés disposés à user désormais du chemin de
LES INTÉBÉTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 50t
fer<'). D'autre part on a déjà constaté l'arrivée par caravanes
au terminus de Duveyrier, de cuirs, probablement des
fameux filalis.
Mais ce n'est pas, comme parait le croire le vice-consul
britannique, la prolongation du chemin de fer français jusqu'à
Igli qui consacrera d'une manière dofmitive ce déplacement
commercial. Le Moniing Po^( publiant il y a quelque temps(')
une dépêche de son correspondant de Tanger d'après laquelle
le Sullan du Maroc aurait accordé à la France la concession
pour la constructioiv d'un chemin de fer de Duveyrier à
Djenan-ed-Dar, faisait observer que si une concession du Sultan
est nécessaire il faut en conclure que le chemin de fer français
doit être prolongé à travers une région incontestablement
marocaine, qu'au lieu de prendre la direction dii Sud-Ouest,
en suivant la val ée de la Zousfana, c'est-à-dire en restant en
territoire français, le chemin de fer doit tourner hardiment
vers l'Ouest en suivant les dernières pentes méridionales de
l'Atlas, et aboutir, non pas à Djenaa-ed Dar, mais à Dajat-el-
Daura sorte de lac formé par le Ziz à l'extrémité méridionale
de l'oasis de Tafilelt. La prolongation de la ligne dans cette
direction aurait pour résultat de détourner vers l'Algérie tout
le commerce du Tafilelt.
.§ XVI. — VALLÉES DU (.HIK ET DE LA ZOUSFANA
(Fi(juir| ^„^?)
e"'
Enti-e le bassin de l'ouad Ziz et celui de l'ouad Ghir s'étend
une (( hainmada » fatigante à parcourir. Le Ghir et la
Zousfana descendent l'un et l'autre de la partie du grand
Atlas limitrophe de l'Algérie et se réunissent à Igli pour former
la Saoura dont le lit, presque toujours à sec constitue la
grande voie de pénétration française vers le Touat. La vallée
du haut Ghii' et de ses atïluenls, très montagneuse, habitée par
les Berbères Beiii Gull, renferme d'importantes oasis dont les
principales sont celles d'Ain-Cliaïr et de Kenadsa. A la sortie
des montagnes, chez les Doni-Menia, le lit fluvial du Ghir est
si vaste qu'on l'appelle « Buliariit n (petite mer): autrefois
(I) R. de Caix La pénétration de V Extrême-Sud. Supplément au
Bulletin du Comité de l'Afrique française de décembre 1901.
0) Morniny Post, ?8 février 19U2.
502 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
un lac, c'est actuellement une vallée cultivée <". On a reconnu
dans la région l'existence de dépôts de nilrale^-.
Le principal centre de la vallée de la Zousfana est l'impor-
tante oasis de Figuig, agglomération d'une trentaine de
milliers d'habitants répartis en un certain nombre de ksour
entourés d'une enceinte de 16 km. de longueur'; le plus
considérable et le, plus influent de ces ksour est celui des
Zenaija. L'oasis est uu important marché de céréales et
renferme environ 200.000 palmiers produisant d'excellentes
dalles (2). Jusqu'à ces derniers temps, Figuig a été un foyer de
propagande anti-chrétienne et d'agitation anti-frangaise. Mais
le prolongement du chemin de fer du Sud-Oranais, l'occu-
pation de la vallée de la Zousfana et l.i conquête du Touat ont
eu pour conséquence d'amener les Français jusqu'aux portes
de l'oasis de Figuig. Le traité du 18 mars 1845 n'a guère fixé
la frontière algéro-marocaine d'une manière précise que
jusqu'au Teniet Sassi, à 40 kilomètres environ au Sud-Ouest
d'El-Aricha. Au Sud de ce point l'art. 4 se contente d'énumérer
les tnbus dépendant de l'Algérie et celles dépendant du Maroc.
L'art. 5, relatifà la région des ksour, jndiquo ceux qui sont
attribués à l'Algérie (Aïn-Sefra, Stissita, Assla, Tioui, Chellala,
El-Abiad^ et Bou Semghoun) et ceux qui appartiennent au
Maroc (Ich et Figuig). Quand au pays situé au Sud des ksour,
dit l'art. (5, c'est le désert et la délimitation en serait supertlue.
Le peu de précision de ces dispositions, et surtout la
situation intolérable (^^ créée par l'hostilité des habitants de
Figuig ont amené la signature à Paris du protocole du
30 juillet 1001, en exécution duquel une commission de
délimitation fianco-marocaine a été envoyée sur les lieux .
celle ci s'est occupée tout d'abord de la question de Figuig.
L'autorité du Sultan n'avait jamais été reconnue par les
habitants de celte oasis^ gouvernés par leurs a.-^semblées élues ;
mais le traité de 1845 l'ayant formelleinenl attribuée au Maroc,
la France ne pouvait l'occuper sans porter attemte au statu
quo : on essaya, pour assurer la sécurité de la frontière,
d'établir d'une manière effective l'autorité du Sultan sur
Figuig, et le 11 février 1902 le général Cauchemez et Sidi
(1) Reclus Afrique Septentrionale, 2' partie, p 76i.
(2) id. id. id. id. p. 770.
(3) Celte situation avait conduit en 1870 l'expédition du général de
Winipffen jusque dans la région de l'ouad Uliir.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 503
Mohamed el Guelbaa y entrèrent à la tète de 150 réguliers
marocains destinés à faire la police dans l'oasis, recrutés à cet
effet dans les environs d'Oudjda et amenés par le chemin de
fer français. La solde de cette garnison est payée par le Maroc
et par les soins du commissaii-e marocain Sidi-Zoubir; mais
l'argent destiné à assurer ce paiement est en dépôt au poste
français d'Ain Sefra. Un officier installé à Beni-Ounif, point
terminus actuel du chemin de fer du Sud-Oranais, à
6 kilomètres de Figuig, remplit les fonctions de commissaire
français. La commission de délimitation paraît avoir été mal
accueillie au ksar de Kenadsa, à l'Ouest de Figuig. Ayant
interrompu ses travaux, elle a dû les reprendre en septembre
1902. L'établissement de ce nouvel état de choses ne semble
pas avoir beaucoup fortifié l'autorité du Sultan dans la région
ni assuré définitivement la sécurité de la frontière. Aussi
l'occupalion de Figuig par la France serait elle, peut-êti'e, le
seul moyen d'amener la pacification du pays et d'assurer nos
communications avec le Touat(i). D'ailleurs, au point de vue
économique comme au point de vue politique, le chemin de
fer de pénétration a pour résultat de placer Figuig sous notre
dépendance de plus en plus étroite. En effet cette oasis cessera
de s'approvisionner par la route difficile, longue et coûteuse
de Melilla jusqu'alors suivie, et tous ses transpcJTts s'ef-
fectueront par notre chemin de fer. Le sucre, le café, le thé,
les lainages, les colonntides, etc., pourront être importés en
grandes quantités à Figuig. Déjà sur la ligne d'Aïn-Sefra h
Duveyricr, ouverte à l'exploitation depuis le mois d'octobre
1901, les recettes dépassent les dépenses: les recettes
s'élevaient ti la fin de mars 1902 à fr. 166.000 (dont fr. 90.000
pour le commerce proprement dit et le reste pour les
transports militaires et les transports pour la construction) et
les dépenses n'atteignaient que fr. 115.000, soit un excédent
de recettes de fr. 50.000 (->. L'activité dii commerce de
l'Extrème-Sud est dès à présent appréciable. Pendant l'année
1901, le bureau de douane d'Aïn-Sefra a enregistré l'expédition
en transit à destination du Maroc et des oasis sahariennes
(sous le régime du transit spécial organisé par le décret du
(1) Oelte opinioD est exprimée daas un article rédigi» par un officier
devant Figuig, et pub'ié par la Rerue île Géographie de novembre 19U'2.
(2) ChillVes extraits d'un article de M tiano'taux publ'é dans \e Journal
du 6 mai 1902.
504 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
27 décembre 1896) de 348 267 kilogrammes de sucre, de
36.475 de café, de 12.391 de thé, de 6.003 de poivre, etc. 0). Un
décret du l"'' février 1902 a exempté des droits de douane et
d'octroi de mer certaines marchandises, notamment les
cotonnades, à destination du Sud <''.
§ XVII. — LE MAUOC ORIENTAL
Vallées de la MIouïa et de la Tafiia. — Le Dhahra —
Le Rif. — Les Présitlios. — Melilla
Toute la partie orientale du Maroc comprise entre l'Atlas au
Sud, la vallée du Sebou à l'Ouest, la Méditerranée au Nord et
la frontière algérienne à l'Est, est en général peu connue,
sauf dans la région frontière, et sa valeur économique est
inférieure à celle du Maroc occidental, c'est-à-dire la région
comprise entre l'Atlas et l'Atlantique. Cependant ce pays
présente une grande importance pour' la France en tant que
limitrophe de l'Algérie et renfermant la grande voie de péné-
tration de Lalla-Mai'nia à Fez par Oudjda, la vallée de la Mlouia,
Taza et la vallée de l'Innaouen, affluent du Sebou. La vallée de
la MIouïa couvre presque toute la partie orientale de cette
région. Ce fleuve, d'une longueur de 450 kilomètres, descend
du Grand Atlas, non loin du Djebel Aiachi, un des sommets
de l'important massif de diramation d'où partent, dans toutes
les directions, la plupart des grands cours d'eau du Maroc. Le
cours supérieur de la Mlouia qui traverse le territoire peu
fertile des Oulad el-Hadj, constitue une voie de pénétration
assez importante : en effet, les caravanes qui viennent du
Tafilelt, après avoir remonté l'ouad Ziz et franchi l'Atlas au col
de Telremt, bifurquent à Kasbach-el-Mahhzen, sur la MIouïa:
les unes continuent vers le Nord-Ouest dans la direction de
Fez, les autres se dirigent vers le Nord-Est, en suivant le cours
de la MIouïa et rejoignent la route d'Algérie. La MIouïa est
grossie à droite par l'ouad Za, qui, avec ses affluents, arrose
la Dhahra, la région des Hauts-Plateaux, limitrophe de
l'Algérie, peu fertile et peu accessible dont les troupeaux sont
la principale ressource ; on y remarque le Chott-el-Gliarbi et
(1) Documents statistiques sur le commerce de l'Algérie, publiés par
la Direction des Douanes de l'Algérie, p. 99.
(2) Journal Officiel du 8 février 1002.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 505
le Chott-Tigri ; elle est. habitée par les Deni-Guil. A gauche la
MIouïa est grossie des rivières Srina et Msom : la vallée de la
dernière conduit à celle de l'Innaouen, affluent du Sebou. La
Mlouia est à pente très rapide ; son débit est relativement
considérable en hiver ; mais elle est facilement guéableen été.
A partir du confluent de l'ouad Za, elle pourrait être rendue
facilement navigable <". Des barques peuvent aisément la
remonter pendant une centaine de kilomètres. Elle se jette dans
la Méditerranée un peu à l'est du Cap de l Eau (territoire de
Kebdana», où M. Louis Say, avant de fonder son établissement
du Kiss, avait reconnu la possibilité de créer un port : ce point
est situé en face les îles Zaffarines, présidio espagnol. A l'Est,
entre l'embouchure de la Mlouia et le Kiss, qui forme la frontière
algéro-marocaine, s'étend la plaine fertile et arrosée des Triffas
bordée au Sud par le massif montagneu.x des Beni-Snassen
qu'habitent des tribut partiellement soumises. La seule localité
importante de la vallée de la Mlouia est Debdou qui est en
relations commerciales actives avec Fez, Melilla, Figuig et
l'A'gérie. Entre la vallée de la MIouïa et celle de la Tafna
s'étend la grande plaine des Angad, au Sud des Beni-Snassen.
La Tafna est entièrement algérienne ; mais son aflluent, l'oued
Isly a la plus grande partie de son cours au Maroc : non loin
de cette rivière à quelques kilomètres delà frontière algérien-
ne se trouve l'importante ville d'Oadjda (7 ou 8000 habitants)
où réside un àmel nommé par le Sultan d'un commun accord
avec la France. Oudjda entretient des relations très suivies
avec la ville française de Lalla-Marnia, à 24 kilomètres de
distance. Nou5 montrerons plus loin l'importance du rôle
d'Oudjda dans les relations commerciales franco-marocaines.
La province du Rlf, limiti-ophede l'Algérie est bornée à l'Est
par la province d'Oran, au Nord par la Méditerranée, à
l'Ouest et au Sud par la province des Djebala, au Sud-Est par
la province de Dhahra. C'est la plus petite des provinces
marocaines; mais sa population indépendante, de race berbère,
est très dense : M. Mouliéras l'évalue à 1.250.000 habitants <-),
Cette région montagneuse, très peu connue jusqu'à ces
derniers temps, a été en 1901 traversée deux fois de part en
il) Frîsch. Le Maroc p. :iO.
(2; A. Mouliéras, Le Maroc Inconnu (première partie). Exploration
du Rif, p. 38.
506 LES INTÉRÊTS ÉCONOHfnUKS DE LA FRANCE AU MAROC
part par M. de Segonzac <". Les montagnes sont couvertes de
sapins, de chênes verls, de cliènes-likges, de cèdres, de tlmijas
pouvant fournir du bois de construction . dans les vallées on
rencontre une grande variété d'arbres friiUi- rs : )fti;/ers,
orangers, oliviers, etc. ; la vigne y prospère égaiemenl. Uitl/a
est assez i-épandu dans le Rif et sert à fabriquer des cordes,
des nattes, des lilets, etc. On trouve dans les plaines des
champs d'orbe, de mais, de fèves, de lenlillcs, des pommes
de terre, ainsi que des pâturages où paissent des bœufs, des
c/ièures et des mulets. Le sous-sol du Rif parait extrêmement
riche et contient des minerais de fer, de cuivre, d'élain, de
calamine, de plomb, d'argent et d'or. Des sables aurifères
existeraient à Rio del Oro près Melilla, et aux dires des
indigènes, des quartz aurifères auraient été renconti'és entre
le Penon de Vêlez et Alhucemas. On raconte (ju'un français,
M. Gondy, ayant fait des recherches dans le Rif occidental, y
avait trouvé des quartz aurifères de toute beauté ; il avait, il y
a environ vingt ans, demandé la concession de lexploitation
au Sultan du Maroc, à la condition de partager les bénéfices
de l'extraction. Le Sultan aurait bien consenti à l'exploitation,
mais en se refusant au partage, et aurait frappé M. Gondy
d'expulsion <-'.
La côte du Rif est, dans sa plus grande partie, abrupte,
exposée aux vents et inliospitalière : on n'y rencontre que
quelques rades qui n'olfrent qu'une protection insuflisante à
la navigation. L'Espagne y possède un certain nombre de
presidios, forteresses qui sont en même temps des lieux de
détention pour les forçats. .Mais il ne semble pas que par la
possession trois fois séculaire de ces établissements, l'Espagne
ait acquis une influence quelconque sur les tribus rifaines
voisines. « La haine de l'Espagnol est tellement vivace
« chez les Berbères qu'ils refusent de vendre à leurs
a ennemis des vivres ou de l'eau douce, même au poids de
« l'or. » (3) Le plus occidental de ces presidios est le Penon do
Vêlez, appelé par les Rifains Djezirat Bades (ile de Badès) :
sur le continent, les Berbères ont installé une douane et un
corps de garde. A l'est se trouve la ville berbère de Adouz, oii
(1) LaGéographie, 15 juillft 1!)01.
(2) H. F. Caillol, La PUnje du Kiss, Politique Coloniale, 8 novembre
1901.
(3) A. Mouliéras, Le Maroc Inconnu, \" partie, p. 87.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 507
se font les transactions commerciales les plus importantes
peut-être de toute la côte après Melilla <'>. Dans la baie
d'AUiuicmas, relativement abritée, se trouve l'ilôt de
Xekour, presidio espagnol : une douane rifaine a été établie
sur le continent. A l'intérieur, non loin de l'ouad-En-Nekour,
se trouve le Djebel Sidi-bou-Khijar, contenant, parait-il, une
mine d'or, qui a failli être la cause d'une complication
diplomatique entre la France et le Maroc. Il y a quelques
années, deu.N. personnages se disant fondés de pouvoir des
Beni-Ourar'iel. tribu habitant la région, -avaient rédigé un acte
de vente aux termes duquel la mine en question devait être
cédée à une maison française. Celle-ci ayant reçu de beaux
minerais d'or, donna les arrlies considérables qu'on exigeait
d'elle et un navire battant pavillon français se présenta dans la
baie d'Alhucemas, ayant à bord ingénieurs, ouvriers, et tout
le matériel nécessaire à l'extraction du minerai. Mais les
Berbères, craignant une invasion, se portèrent en masse sur
le littoral et enjpêchèrent le débarquement. La maison
française protesta auprès du Sultan sans obtenir autre chose
qu'une promesse de châtiment des coupables <->.
A l'Est de la presqu'île terminée par le cap Viejo et par le
cai;' Ti-es Forças est située la place de Melilla {Mlillya .aJJ,-),
le plus important des établissements espagnols de la côte
rifaine, sur le territoire de la grande tribu berbère de Galiija.
' Sa situation resie toujours assez pi'écaire à cause de l'hostilité
des Rifains : il est môme à noter que depuis la conquête en
14*^2 jusqu'à la moitié du xix" siècle, Melilla n'a été attaquée
que deux fois, tandis qu'elle l'a été quatre fois pendant la
seconde moitié du xix'' siècle (3). Cependant Melilla a acquis
une réelle impoi'tance commerciale depuis que le gouver-
nement espagnol a, en 1887, déclaré la franchise de ce port et
des iles ZalTarines : Melilla est maintenant le grand entrepôt
où viennent s'approvisionner non seulement les Galiyens,
mais encore tout le Rif oriental, toute la Dhahra jusqu'à
Figuig, et tonte la partie Est des Djebala'*>. Le gouvernement
marocain qui entretient une garnison sur le territoire de
Galiya en vue d'empêcher les Berbères d'atlaquer les
(\) A, Mouliéras. Le Maroc Inconnu, [" partie, p. 91.
(2) i(l. il. id. p. 99et IilO.
(i) lion Teoloro Bermiidez Reina Geografia de Marrvecos p. 213,
(i) A. Moallèra?, Le Maroc Inroi'nu. [" partie, p. 167.
508 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
Espagnols, a établi une barrière douanière à l'entrée du
presidio et frappé d'un droit de 10 °/o ai valorem toutes les
marchandises importées et exportées. Les Rilains, qui ont le
droit d'entrer à Melilla sans armes, y viennent en grand
nombre vendre leurs produits et s'approvisionner d'articles
étrangers de première nécessité. Bien que l'Espagne ait
interdit l'exportation des céréales par Melilla, la place voit son
commerce se développer: des maisons étrangères, surtout
allemandes, belges et anglaises s'y sont établies, y ont édifié
des docks où elles' accumulent de grandes quantités de
marchandises pour que les Marocains puissent opérer eux-
mêmes leurs acquisitions O. On introduit surtout par Melilla
du sucre, du thé, du café, des bougies, des armes, de la poudre,
de la verrerie, des couteaux, des colonnades, etc. Au Sud de
Melilla, le lac salé de Boa-Erg est séparé de la Méditerranée
par une étroite bande de terre qui n'a pas toujours existé; ce
lac très profond, est susceptible de devenir, plus tard, un port
magnifique. Plus à l'Est, en face de l'embouchure de la Mlouia,
non loin de la frontière algérienne, se trouvent les iles
Zaffarines,(C/iM/Vn'nîas) occupées depuis 1849 par l'Espagne qui
les a déclarées port franc en 1887. Ces iles sont au nombre de
trois: elles sont très rapprochées l'une de l'autre, et, en les
reliant par des digues, on pourrait créer un magnifique port
de refuge. Les mdigènes de la tribu de Kebdana, habitant la
région située en face de ces iles, y vont acheter des objets de
première nécessité, tels que sucre, thé, savon, calicot, pétrole,
couteaux, fusils, cartouches ^^\
Les marocains préfèrent acheter les marchandises euro-
péennes dans les « presidios espagnols » que sur les places
françaises frontières où elles sont plus chères. Ils vont même
assez souvent en Espagne acheter des armes, des cotonnades,
du savon, du sucre, des bougies, etci-*) M. G. Wolfrom évalue
à fr. 1.500.000 le chiffre d'affaires que le Maroc peut faire
annuellement avec les presidios espagnols^'^K Nous croyons
volontiers que ce chiffre a dû augmenter au cours de ces
dernières années.
(1) H. F. Caillol, La Plarje du t\iss. Politique Coloniale, 15 novembre
19UI.
(2) A. Mouliéras, Le Maroc Inconnu, l" partie, p. 171.
(3) id. id. , id. p. 88.
(4) Ci. Wolfrom, Le Maroc. Etude Commerciale et Agricole, p. 35.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMrQUES DE LA FRANCE AU MAROC 509
§ XVIII. — LE COMMERCE ALGÉRO-MAROCAIN
Lalla-Marnia. — Le Kiss
Le coinmerce algéro-marocain est soumis en ce qui concerne
les importations en Algérie des produits marocains, aux
prescriptions de la loi du 1? juillet 1867 aux termes de laquelle
les produits naturels et fabriqués au Maroc sont admis en
franchise sur le territoire algérien, mais seulement s'ils sont
importés par la fi'onlière de terre. D'autre part, les décrets du
27 décembre 1896 et du i"' février 1902 autorisent le libre
transit à travers le territoire algérien et à destination du Maroc
d'un certain nombre de produits de provenance française et
européenne, ces produits étant soumis au contrôle des bureaux
d'entrée (Arzeu, Oran, Nemours) et bureaux de sortie (Aïn-
Sefra, Lalla-Marniaj. Le commerce algéro-marocain constitue
un élément très important du commerce franco-marocain Son
importance serait bien plus grande encore s'il n'était resté,
jusqu'à présent, presque entièrement passif : en etïet^ les
importations du Maroc en Algérie sont intiniment supé-
rieures aux exportations d'Algérie au Maroc. Ce commerce
comprend :
1" Les expédhioiis du Maroc en Alfférie, extrêmement impor-
tantes et en augmentation constante, ainsi qu'il ressort des
chiffres suivants :
1899 Fr. 4.424.047
1900 — 11.370.070
1901 — 16.565.000
Le Maroc envoie en Algérie des moulons, béliers, brebis
(en 1900, fr. 5.990.000 et en 1901, fr. 6.709.000); des bœufs,
vaches, taureaux (en 1900, fr. 3.196.800 et en 1901,
fr. 6.811.000) ; des mules et mulets (en 1900, fr. 41.000 et en
1901, fr. 128.000) ; des chevaux et juments (en 1900, fr. 111.400
et en 1901, fr. 87.000) ; des boucs et chèvres (en 1901, fr. 88.000j ;
des peaux bruten (en 1900, fr. 623.800 et en 1901, fr. 584.000) ;
des peaux préparées et otivrages en peau et en cuir (en 1900,
fr. 251.000 et en 1901, fr. 594.000).; des vêtements (en 1900,
fr. 536 000 et en 1901, fr. 547.000); des tissus de laine (en
1900, fr. 247.450 et en 1901, fr. 288.000) ; des laines en masse
(en 1900, fr. 118.000) ; des poils hruts de chèvres, des œufs.
510 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
des espèces médicina'es, des fruits, 'etc. *'' Nous avons ajouté
aux chiffres de 1901 une somme de îr. 420.000 représentant 1,).
valeur approximative des céréales marocaines exportées par le
Kiss
2" Les envois de marchandises algériennes au Maroc : ce trafic
peu important, est malheureusement en diminution sensible
depuis 3 ans :
1899 . . .
. . Fr.
579.329
1900 . . .
. . —
242.076
1901 . .
. . —
214.000
Il porte principalement sur les lissu-y de coton, de laine, et
de soie, la bijouterie, la tabletterie, les denrées coloniales, les
tabacs, les céréales, etc.
3" Le-i envois de nwrcliandises expédiées des ports d'Algérie
sur le Maroc, sous le régime du transit général organisé par
le décret du 27 décembre 1896. Le tralio est en augmentation
constante, ce qui compense la diminution constatée dans les
envois de marchandises algériennes :
1899 Fr. 2.59.187
1900 — 357.693
1901 — 620.000
Il porte surtout sur les sucres bruts et ral'tinés, le café, le
thé, le poivre, la canelle, les clous de girofle, la farine, la
semoule, les bougies, les (issus. Ces produits sont surtout de
provenance française.
Si l'on totalise les chiffres des deux derniers paragraphes,
le commerce algéro-marocain se présente comme suit :
Importalions
d'Algérie au Maroc
Fr.
E.\ipoi talions
du Maroc en Algérie
Fr.
Tutal
Fr.
1899
838.514
4.424.047
5.262.561
1900
599.769
11.370.076
11.969.845
1901
834.000
16.505.000
17.399.000
(1) Ces renseignements statistiques soat e.xtraits : 1° du Tableau
général du Commerce et de la Nacigation, publié par la Direction
Génch-ale des Douanes, 19i U, 1'' vol. ;2' des Documents statistiques
publiés par la Direction des Douanes de l'Algérie sur le commerce de
ce pays eo 1901,
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 511
Le mouvement commercial entre le Maroc et l'Algérie
s'opère de deux façons : d'une part, des caravanes vont et
viennent une ou deux t'ois par an entre Tlemcen et Fez, le
Tafilelt, Figuig, le Sud-Ouest ou l'Ouest ; d'autre part, les
Marocains habitant les territoires voisins de l'Algérie, appor-
tent sur les marchés de Nemours, de Marnia, de Tlemcen des
bestiaux, des peaux, des laines, des poils, et s'y approvi-
sionnent des articles dont ils ont besoin. Ce mouvement est
relativement considérable et s'étend à une zone qui n'est pas
intérieure au tiers du Maroc, puisqu'il se prolonge jusqu'à
Fez, jusqu'à la haute MIou'ia et jusqu'au Tafilelt : on peut dire
que tous les territoires situés à l'Est d'une ligne imaginaire
tirée du Nord au Sud, à une journée de marche de Fez vers
Taza, ont un trafic plus actif avec l'Algérie qu'avec le Maroc
occidental, et qu'en s'approcliant du méridien de Debdou,
l'influence du trafic maritime cesse de se faire sentir O. Nous
rappelons à ce propos qu'il convient d'ajouter à ce trafic celui
des ho/'ufs de la région des Zemmour (arrière-pays de Piabat)
qui sont expédiés par Fez à destination de l'Algérie et de
la France.
Depuis que les bureaux de transit de El-Avic]ia et de DJenien-
bou-Iiezg ont été supprimés par décret du 30 juillet 1900, le
com.i crce algéro-marocain s'effectue par Ain-Sefra pour la
région saharienne, et par Marnia et Oadjda pour la région
située au Nord de l'Atlas. Les bureaux arabes ont fait établir
sur la frontière un certain nombre d'ënlrcpôts francs dans le
but de faciliter les transactions entre les deux pays. Cette
création a servi de thème, dans le Bulletin de la Société de
Géographie Commerciale de Paris à une intéressante discussion
que nous allons résumer.
Dans une lettre adressée à ce Bulletin '-- , un correspondant
d'Oran prétendait que ces entrepôts francs n'attendaient que
les négociants marocains et français. « Il y aurait pourtant,
« disait-il, à faire là de belles transactions : 1" Vendre aux
« Marocains et Arabes des quantités de sucre, café, thé,
« épiccs, bougies, savon, etc. Tout cela e.xempt de droits, avec
« un bénéfice moyen de 40 <>/o ; 2» recevoir leurs produits.
(1) G. Wolfrona. Le Maroc. Etude Covinierciale et Agricole, p. 3i.
(2) Le Commerce du Maroc "par VOranie. Les Marchés francs.
« fiullelin de la Société de Géograpliie Commerciale », T. X.\1I, 19U0.
n" 3, 4, 5. p. 2:vl.
5l2 LES INTÉRÊTS ÉCONOMtQUES DE LA FRANCE AU MAROC
.« bétail, moutons, laines, cuirs, peaux, cires, drogueries,
« œufs, volailles, maroquin, poudre d"or, etc., à des prix
« incroyables; et, en outre, avoir une source de bénéfices au
« moyen du change, les Marocains n'acceptant en paiement
« que la monnaie espagnole. Une société qui e.Nploiterait re
« genre d'affaires n'aurait à mobiliser qu'un capital de
« 300,000 francs par an «. En outre, la concurrence étrangère
ne serait guère à craindre.
A la suite de cette lettre, le Bulletin donne l'opinion d'un
correspondant de Tanger, nettement défavorable aux entrepôts
francs et à la pénétration commerciale du Maroc par l'Algérie.
D'après lui, les entrepôts francs de la frontière peuvent
approvisionner les régions limitrophes ; mais ces parties du
Maroc sont peu peuplées. En ce qui concerne la pénétration
vers l'Ouest, toute marchandise venant de l'Est pour arriver
dans des territoires riches et peuplés, aura à, supporter un
voyage long et coûteux, à dos de chameau ou de mulet, à
travers des tribus pillardes et des régions sans eau. Par
exemple pour aller de Djenien-bou-Rezg à Taroudant, dans le
Sous, le voyage sera d'environ un mois et la charge de
chameau (250 kilog.) coûtera au bas mot 250 à 300 francs ;
or, les droits de douane marocaine sont de 10 % au maximum,
ad valorem ou en marchandises, au choix du commerçant.
Pour aller à Fez, il ne semble pas, poursuit le correspondant
de Tanger, que l'on ait intérêt à passer par Marnia et
supporter 15 jours de voyage, plus la douane d'Oudjda, au
lieu de prendre par la voie de Larache, comportant quatre
jours de route en pays calme, plat, où aucune rançon n'est à
payer aux tribus parcourues. Quant au bénéfice de 40 "/o à
prélever sur les marchandises, aucun commerçant ne peut,
d'après lui, avoir dans ce pays de telles prétentions, du moins
en affaires de gros. A Tanger, sur les sucres, bougies, on se
contente de 5 »/„, 7 au maximum ; comment alors ferait-on
face à telle concurrence ? Le sucre, considéré généralement
par le commerçant de la côte comme marchandise d'échange,
est très souvent, généralement, vendu à l'intérieur meilleur
marché que son prix de l'evient à la côte. Pour les bougies,
depuis dix ou quinze ans, les Marocains ne veulent plus de
bougie française : il leur faut de la paraffine, bien que celle-
ci fonde souvent au cours des transports ; d'ailleurs ils
profitent de cette paraffine fondue en l'additionnant par fraude
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 513
à la dre qu'ils exportent. Quant au café, le Marocain n'en
boit pas. Le thé provient des possessions anglaises ; ses deux
marchés sont Londres et Hambourg : il ne semble pas que la
France puisse songer à en importer de grandes quantités.
Il en est de même pour les épiées, pour les cotonnades qui
arrivent directement de Manchester à la côte ouest. Le savon
est fabriqué dans le Sous, à Marrakech, au Tafileit, etc., avec
des potasses belges et des huiles indigènes, à des prix
tellement bon marché qu'on en exporte même en France.
Mais de plus, si l'importation au Maroc par la frontière Est
pourrait prendre de l'extension, pourquoi des douanes maro-
caines ne seraient-elles pas étabhes ".' On dira que le Sultan
n'a pas assez d'autorité dans ces régions. 11 se passera au
contraire ce qui se passe déjà à Oudjda : les tribus insoumises
seront les premières, à lui prêter la main pour en profiter,
prélever le double des droits et n'en verser au gouvernement
chérifien qu'une faible partie. Pour le change, la perte sur
les marchandises encaissées sera éprouvée au moment du
paiement en Europe : recevoir 130 ou 150 pesetas pour
100 francs, cela ne constitue nullement un bénéfice, puisque
d'autre part on en éprouve la contre-partie dans la suite ;
au contraire, on aura à craindre les aléas d'un change toujours
variable. Le correspondant de Tanger dit, en concluant, que
les entrepôts en question peuvent viser à trafiquer avec les
tribus pauvres, insoumises, de la frontière algérienne, mais
nullement avec les régions riches, fertiles et très peuplées du
Maroc, voisines de l'Océan.
Ces déclarations nous paraissent empreintes d'un pessimisme
exagéré et peu conformes, en outre, à la réalité des faits.
C'est pourquoi nous enregistrons avec plaisir leur réfutation,
dans une lettre adressée par M. Gounon, d"Oran, au secrétaire
général de la Société de GéograpJiie Commerciale, à la date
du 2 août 1900*'). « Je ne rechercherai pas », dit M. Gounon,
« si tel capitaliste en s'instaliant sur un de ces marchés
« francs, ferait bonne ou mauvaise spéculation. ... Ce qui est
« certain, c'est que les commerçants oranais, voisins du
« Maroc, se livrent depuis un temps immémorial, c'est-à-dire
« longtemps avant qu'on eût pensé à la création des entrepôts
(1) Bulletin de la Société de Géoqraphie Commerciale de Paris,
T. XXII, 1900, n-e, 7, 8, 9, lU, p. 417.
5l4 LKS INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA l'RANCE AU .MAROC
0 franc?, aux spéculations que voli-e correspoiulaiil redoute
« comme désastreuses. Je connais à Ûran des maisons de
« commerce établies depuis plus de 20 ans sur la frontière
« Sud, et dont loul le trafic consiste dans le change de la
« monnaie, l'acliat aux Marocains de leur bétail et la vente à
<> ceux-ci de quelques-uns de nos produits manufacturés.
« Si ces maisons ont trouvé le moyen de réussir et de réaliser
ft de nombreux échanges avec le .Vlaroc avant la création des
« marchés trancs, il n'y a pas de raison pour qu'elles ne
a deviennent pas plus prospères avec le développement des
ft facilités que ces marchés leur procurent... La question
« principale est la suivante : Nous ne sommes pas des
(1. exportateurs de denrées coloniales, mais une nation d'in-
« dustriels, fabriquant des cotonnades, des lainages et des
« soieries, des tissus de toute sorte. C'est la base de notre
i( production nationale et ce qui constitué le plus important
« coeflicient de notre expansion commej-ciale. Il s'agit de
« savoir si la bonne organisation des marchés francs dans
« rOranie peut contribuer pour peu que ce soit à la
« prospérité de notre industrie et au développement de notre
(( exportation ».
M. Gounon divise le Maroc en deux grands versants : le
versant septentrional, coa.pris entre le Rif et l'Atlas, d'une
part, l'Atlantique de l'autre, et le versant méridional, qui
renferme le Rif, la vallée de la Mlouïa, Figuig, leTafilelt, le
Sous, le Dra. « Dans ce pays dépourvu de routes dignes de
(( ce nom, privé des moyens de locomotion autres que les
« bètes de somme, les communications entre les différentes
« régions sont bien difficiles et par conséquent bien rares.
« Aussi on peut dire que les montagnes qui séparent les deux
« versants, rejettent en quelque sorte les populations du
« versant Sud loin de l'intluence économique de celles du
(( littoral. Uudjda et Figuig à l'Est du Maroc, le Taiileit au
« Sud, sont mieux situés pour commercer avec la province
« d'Oran qu'avec le versant septentrional du Maroc. » Du
Rif et surtout des Beni-Snassen, on parvient plus facilement
à rOranie qu'à Mélilla, ou loul au moins par des routes plus
fréquentées, des moyens de communication plus commodes.
Figuig est aussi près de nos marchés qu'il est éloigné des
ports de ravitaillement marocains. Le ïatileit est en rapports
constants avec Figuig. Les habitants du Tafilelt, ceux de
Les intérêts économiques de la frange au maroc 515
Kenadsa, et les gens de Debdou ont l'habitude de venir en
Oranie pour y vendre leur bétail et leur cuir et s'approvi-
sionner de quelques-unis de nos produits manufacturés,
comme les soieries elles plumelis. Le ruir dit « filali » est
connu dans toute l'Algérie oi^i il est très apprécié des
indigènes qui en confectionnent des selles de fantaisies et des
bottes.
D'autre pai-t M. Gounon nous apprend ijue l'Oranie
entretient des relations suivies non seulement avec le versant
méridional, mais aussi avec le versant septentrional du
Maroc. « Quatre fois par au, des caravanes parcourent le
« Sud Orauais et Marocain, vont et viennent de Fez à Tlemcen
« et au Gourara, d'Aïn-Sefra à Figuig, au Tafilelt et jusqu'au
« Sous, établissant des relations constantes entre l'Oranie et
« l'Empire Chérifien.,Des maisons importantes du Maroc ont
« en Oranie une succursale à qui elles expédient une grande
« partie du thé qui se consomme dans cette région, des tapis
« de Rabat, des savates (dites a belras », certains haïks, et
« mâtne certaines bimbeloteries allemandes, toutes marchan-
« dises qui viennent par voie de lerre et qui entrent par
« Oudjdn, quelques-unes en contrebande. Enfin, les Arabes de
« Tlemcen ont des intérêts commerciaux si importants à Fez
« ([u' ils ]i ont des colonies. »
« Malgré les vieilles relations et les raisons de voisinage et
« de proximité, les populations du versant méridional du
« Maroc qui devraient être nos clients pour presque tous leurs
« approvisionnements ne nous achetaient avant l'établissement
« des marelles francs que quelques rares produits (soieries,
« plumêtis). Cette abstention était motivée par l'impôt qui
« frappe en Algérie toutes les denrées coloniales (café, sucre,
« cannelle, thé, etc.) ainsi que les pj'oduits manufacturés,
« (tissus, laine et coton) venant de l'étranger. Cet impôt double
« le prix de certaines denrées coloniales et empêche
« absolument l'entrée en Algérie des produits manufacturés,
« tandis qu'à Melilla et dans tous les ports marocains, le droit
« sur les marchés importés est insignifiant et grève à peine
a le prix d'achat de 10 °/o. D'où une différence considérable
« dans le prix des malières premières selon qu'elles sont
« achetées au Maroc ou dans la province d'Oran, d'où la
« nécessité pour les Marocains du Rif, de Figuig, du Tafilelt,
« de s'approvisionner à Melilla, à Tanger, etc., de préférence au
37
516 LES INTÉR1':TS économiques de la FR.VNCE au MAROC
« marché crânien. Si les denrées coloniales (sucre, café, etc.)
« pouvaient se vendre en Oranie au même prix que sur le
« territoire marocain, nul doute que les populations du
« versant méridional du Maroc ne vinssent les prendre en
« Oranie. C'est ce qu'ont compris en même temps le
« commerce et les corps élus algériens, et c'est afin
« d'atteindre ce but et de répondre au désir des populations
« oranaises que les entrepots francs ont été créés. Si les
« Marocains s'habituaient à venir prendre chez nous les objets
« de première nécessité, et ils s'habitueraient facilement
« puisque ce serait leur intérêt, ils nous achèteraient en
« même temps toutes leurs cotonnades, leurs effets d'Iiabille-
« ment, etc. La différence de prix entre nos tissus en général
« et ceux de l'étranger, de l'Angleterre par exemple, n'est
« pas assez forte pour balancer la différence de prix des
« transports particuliers et de la constitution de caravanes
« spéciales. »
Les Marocains ne pouvant, à cause des frais généraux, de
la difficulté et de la longueur des communications, du manque
de sécurité, fractionner leurs achats, constituent tous les ans
des caravanes pour venir vendre en Algérie les produits de
leur fabrication (ha'iks, tapis, cuir, savates, etc.) et pour y
amener leur bétail. Ces pérégrinations ne pouvant être
répétées continuellement, ils s'organisent pour une fois arrivés
sur un marché, j faire en même temps leurs ventes et leurs
achats. Les créateurs des entrepôts francs en Oranie ont
voulu répondre à ce besoin. « Malheureusement, dit
« M. Gounon. ils n'ont pas compté avec les difficultés créées
u par l'administration. La douane exige pour la franchise des
« marchandises envoyées à Djenien-bou-Rezg (Aïn-Sefra) et
« Marnia, entrepôts francs, la constitution en espèces des
« droits entiers comme garantie, sauf à restituer le montant
(( de ces droits entiers lorsqu'il aura été démontré que la
« marchandise affranchie a été vendue. Ainsi le droit sur le
« café, par exemple, équivaut presque au prix de la marchan-
« dise . . Les marchés francs, sans les difficultés adminis-
(c tratives qui en liérissent l'accès, rendraient de grands
« services à l'exportation nationale. »
M. Gounon évalue à 4 millions d'habitants la population du
versant méridional du Maroc, que nous voulons attirer sur
notre marché : ce n'est pas là une quantité négligeable.
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 517
« On dit que ces populations sont pauvres. C'est vrai, relati-
« vement ; mais cet état de dénuement chez quelques
« peuplades est simplement effet de mauvaise administration»
« d'exactions du fisc, qui tuent cliez le Marocain tout désir de
« travail, toute idée d'entreprise, tout esprit d'économie. Le
« rapprochement de ces populations de nos indigènes, » dit
en concluant M, Gounon, « la fréquence de leurs rapports
« avec nous, grâce à nos marchés francs, leur pénétration par
« certaines de nos idées, produiraient à la longue une grande
« transformation dans l'existence économique de ces peu-
« plades. Elles subiront les lois de l'évolution sociale,
« comme nos indigènes du Sud dont elles sont bien proches
« parents. Elles adopteront peu à peu nos méthodes d'échange,
« useront nos tissus, et finiront par se considérer comme
« plus Algériens que Marocains. Qui sait si d'ici là
« notre gouverriement n'arriverait pas à obtenir des voies
« terrées ayant pour point de départ, notre frontière
« algérienne, desservant Figuig, le Tafilelt et allant jusqu'au
a Sous ? »
Nous avons dit précédemment que les indigènes du Tafilelt
achètent des cotonnades dites guinées, originaires des établis-
sements français de l'Inde, mais importées le plus souvent
par Londres. Le décret du l""' février 1902(" admet à transiter
en franchise à travers le territoire algérien les toiles de coton
pur, unies, écrues ou blanchies, pesant plus de 5 kilogs
aux lOOmètres carrés, ainsi que les guinées des établissements
français de l'Inde, à destination du Maroc et des oasis saha-
riennes. Mais à la différence du décret du 27 décembre 1896,
ayant trait principalement au sucre, le décret du l''' février 1902,
ne spécifie pas que les cotonnades admises à transiter en
franchise devront être de provenance française. Un fabricant
de Rouen a attiré l'attention de la Chambre de Commerce de
cette ville sur le décret, et une commission a été nommée pour
examiner la question. Tin rapport a été rédigé et adressé au
Ministre du Commerce et aux Chambres de Commerce des
centres industriels, demandant l'abrogation du décret. Le
rapporteur fait remarquer que les agents des douanes ne
peuvent pas exercer une surveillance rigoureuse sur toute
l'étendue de la frontière saharienne, et que les cotonnades de
(1) Journal Officiel, du S février 190Î.
518 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
provenance étrangère, après avoir été expédiées au Maroc,
pourraient être réintroduites en contrebande sur le territoire
français sans avoir payé de droit d'importation. Jusqu'à ces
derniers temps une telle concuri'ence n'était pas à craindre,
car les marchandises étrangères ne pouvaient atteindre le
territoire français que grevées des frais de transport par
caravanes ; ma's grâce au décret du i^'' février 1902, elles
peuvent bénéficier du transport à bon marché par les chemins
de fer algériens et faire concurrence aux cotonnades françaises
non seulement au Maroc, mais aussi dans les régions françaises
limitrophes. La Chambre de Commerce de Troyes a rédigé un
rapport identique dans ses conclusions à celui de la Chambre
de Commerce de Rouen.
Nous avons parlé plus haut du trafic passant par Aïn-Sefra
et le chemin de fer du Sud Oranais dans la direction de Figuig ;
nous allons nous occuper maintenant du commerce de Marnia,
ainsi que du commerce du Kiss, port de création récente,
appelé à un brillant avenir.
§ I. - LALLA-MARNIA ÇUx^ ïi^)
OUDJDA (»^^^.)
Lalla-Marnia, chef lieu d'un cercle militaire qui compte
20.000 habitants environ, située non loin de la Tafna, est
reliée par une route carrossable de 54 kilomètres à l'impor-
tante ville de Tlemcen, point terminus de la ligne du chemin
de fer de l'Ouest-Algérien. La route de Tlemcen à Marnia se
continue sur une longueur de 46 kilomètres de Marnia au port
de Netywurs, en franchissant de hautes montagnes et en passant
par la petite ville berbère de Nedroma. La route de Tlemcen à
Nemours par Marnia (100 kilomètres) est parcourue par un
service quotidien de diligences, qu'il est question de rem-
placer par des automobiles. La route de Tlemcen à Marnia se
continue vers l'Ouest, dans la direction du Maroc par une piste
de 24 kilomètres qui conduit de Marnia à Oudjda, la ville
marocaine frontière. Cette piste traversant un terrain unifor-
mément plat, est praticable jusqu'à Oudjda pour les voitures
solides. La frontière se trouve à peu près à égale distance de
Marnia et d'Oudjda ; d'ailleurs il n'y a pas plus de route digne
de ce nom sur le territoire français que sur le territoii-e
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 519
marocain. Tandis que la dépression Tlenicen-Marnia-Oudjda
se prolongeant dans la direction de Fez, est séparée de la
Méditerranée, au Nord, parles hautes montagnes difficilement
franchissables, les communications sont relativement faciles
entre ces différentes localités : un trafic important s'effectue
par cette dépression qui constitue la grande voie de pénétra-
tion économique du Maroc par l'Algérie. Entre Marnia et
Oudjda les communications sont aujourd'hui beaucoup plus
sûi-es qu'autrefois ; Marnia est actuellement le principal
entrepôt du commerce algéro-marocain. Son marché qui se
tient tous les samedis, a une importance e.Kceptionnelle. Il
comprend : 1° le marché algérien où l'on vend principalement
des ustensiles de cuisine et de ménage, et des chevau.x ; 2'^ les
marchés marocaine, bien plus considérables que le marché
algérien, où les Marocains de la région avoisinante, jusqu'à la
moyenne Mlouïïi, viennent vendre leur bétail ; il y a deux
marchés marocains, le marché au.K hœufs et le marché aux
moutons, le plus grand de tous, qui couvre un espace
considérable.
Voici, d'après les renseignements que nous avons pu nous
procurer, la statistique du bétail marocain vendu à Marnia
endOOOet 1901.
chevaux.
Juments .
Mulets...
Anes ....
Bœuf.s . . .
Vaches. . .
Taureaux .
Montons.
Chèvres .
PRIX MOVFN
1900
TÈTES I VSLEUR
' de 2.'.0 à 300 pcsotds'
de 300 à 330
de 50 à GO
de 120 à 150
de 20 à 2-
de 12 i 1.'
'' /
21.323
3.03'i
^ I
Valeuu totale Pes,
Suit, au change moyeu de 133 "/^ Fr.
ô.:28-00u
209. SOS
:i.,ï(iO
5.. -,30
'J.20;j.ri00
6.924.400
P. n nti.ioo
F. 8.993.3011
520 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
Les Marocains vendent encore à Marnia la laine de leurs
moutons, dont les toisons sont très abondantes ; ils y apportent
également des peaux, des tissus, des grains, etc.
Ils s'y approvisionnent, en échange, d'objets manufacturés
de provenance européenne, surtout française.
Voici le tableau des expéditions de Marnia au Maroc en
1900 et 1901 :
Suire
PRIX MOYEN
19
QUANTITÉS
00_
VALEUR
19
OUANIITÉS
01
VALEUR
32 fr. les 100 kil.
70 —
150 —
150 -
125 —
28 à 30 fr. le nuintal
28 à 30 —
2 0 fr. les 100 kil.
Kil,
9Ô4.1ÏI0
16.884
5.779
559
1.337
.54.9S6
.58.277
Fr.
305.340
11.830
8.700
840
1.G80
33.000
34.980
Kii
1.614.06:
15.625
6.153
942
2.318
17.310
35.245
321
Fr.
51U.500
10.920
9.225
1.410
2,.<!75
10.3)0
21.145
442
Café
Girolle
Farine
ViLEUR TO
TALE
39l1.3.j0
.572.907
De Marnia on exporte également au Maroc des tissus, en
moyenne 15 balles de 115 à 120 kil. par mois : la plus grande
partie de ces tissus sont des colonnades, le reste, des iiss^ls de
soie. Par Marnia on introduit aussi au Maroc des bougies, du
thé, etc.
Le seul article dont les expéditions au Maroc commencent à
prendre une réelle importance est le sucre. Pendant le
premier semestre de 1902, il a été exporté de Marnia à Oudjda
les quantités suivantes de ce produit :
Janvier 99.149''5
Février 191.974 9
Mars 92.857
Avril 289.148 6
Mai 108.850
Juin 123.000
Total 904.976''
Les intérêts économiques de la frange au maroc 521
D'où l'on peut prévoir l'envoi d'environ 2.UOO.O0O de kil.
pour l'année 1902. Donc, la progression pour les trois
dernières années est la suivante :
ijuanlilés Valeur
Kil, Fr.
1900 954.190 305.340
1901 1.G14.067 516.500
1902 2.000.000 640.000
Le sucre des Raffineries de la Méditerranée se vend
33 fr. 50 les 100 kil . , pris à la fabrique, moins 2 "/o de
bonification, soit 32 fr. 83. Voici quel est le prix du sucre,
rendu à Marnia :
Prix à la fabrique Fr
Bateau Marseille Nemours.
Droit de transit
Plombage
Frais
Transport Nemours-Marnia
Droit de transit à Marnia. . .
Total Fr. 36 48 les 100 kil.
Le prix du transport de Marnia à Oudjda par chameau est
de fr. 2,50, soit, au change de 133 "/o, pes. 3,35. En entrant à
Oudjda, le sucre paie 1 douro (5 pesetas) par sac, plus pes. 0,50
de droit d'octroi (hak-el-bab). 11 faut ajouter pes. 0,25
pour le transport de la douane au magasin. Soit au total,
pes. 9,10.
Donc, voici le prix de revient des 100 kil. de sucre à
Oudjda :
Prix de revient à Marnia : fr. 36,48, soit. Pes. 48,50
Frais de Marnia à Oudjda — 9,10
Fr.
32 83
—
1 60
—
0 40
—
0 25
—
0 10
—
1 »
—
0 30
Prix de revient à Oudjda Pes. 57,60
Oudjda est actuellement un important marché où viennent
s'approvisionner les Arabes du Maroc oriental et des Hauts-
Plateaux. Si un entrepôt franc était créé à Marnia, comme le
réclament les négociants de celte localité, les Marocains
522 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
viendraient acheter à Marnia, et non plus à Oudjda. Pour le
sucre notamment, ils économiseraient ainsi pes. 9,10 par
100 kil. D'autre part, ils pourraient eftecluer à Marnia leurs
achats au détail, ce qui leur permettrait de les accroître
considérablement.
Les Marocains introduisent en contrebande sur le territoire
algérien beaucoup de thé anglais et de sucre français.
Marnia est, par sa situation géographique, admirablement
placée pour devenir le grand entrepôt du commerce franco-
algérien avec le Maroc. Son importance s'accroîtrait considé-
rablement si une voie ferrée la mettait directement en
communication avec la mer, et si Ton réalisait le projet
comportant le prolongement jusqu'à Marnia du chemin de fer
d'Oran à Tlemcen. La ligne de Tlemcen à Marnia sera le
premier tronçon de Tlemcen à Fez.
Actuellement, le commerce de Marnia avec le Maroc
représente les 2/3 des expéditions du Maroc en Algérie et
les 3/4 des envois d'Algérie au Maroc. 'En dehors de son
importance au point de vue du transit, Marnia est le centre
d'une riche région qu'il est question de fertiliser par la
construction d'un barrage sur la Tafna, en vue d'arroser
une plaine de 5 à 6,000 hectares. En outre, Marnia est
reliée par une route carrossable de 36 kilomètres aux
gisements de plomb argentifère de Gar Rouban, situés sur
la frontière, dont l'exploitation est abandonnée depuis
plusieurs mois ; les gisements de Djaber, situés de l'autre côté
de la frontière, ne sont qu'à une distance de 18 kilomètres
d'Oudjda.
g II. — LE KISS
Sur la rive algérienne de l'oued Kiss qui forme, dans la région
maritime, la frontière entre l'Algérie et le Maroc, se trouve une
plage d'un kilomètre et demi de longueur, distante de 70 kilom.
de Nemours. Sur une pélition de quelques négociants de cette
ville, M. Duchamp, conseiller du gouvernement et gouverneur
intérimaire de l'Algérie, avait, par une circulaire en date
du 3 octobre 1887, aggravée par l'administration des douanes
de l'époque, fermé au commerce la plage du Kiss ainsi que
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 523
celles du Bieder et du Sel. Le port de Nemours, malgré ses
conditions défectueuses et la difficulté de ses communications
avec l'intérieur, était ainsi rendu maître de tout le commerce
de la région frontière maritime ; les indigènes se trouvaient
contraints d'apporter leurs denrées à Nemours parles chemins
longs et difficiles et d'y acquitter des droits de marchés élevés.
Cet état de choses durait encore, lorsqu'en juillet 1900,
M. Louis Say, lieutenant de vaisseau de réserve, s'établit sur
la plage du Kiss et devint, par acquisition notariée,
propriétaire du large espace de terrain s'étendant entre la
la rivière du Kiss et le massif montagneu.x du cap Milonia.
Un certain nombre de colons français sont venus rejoindre
M. Say au Kiss, oii l'élément européen est actuellement
représenté par 60 personnes. Des constructions y ont été
bâties, notamment un hôtel pouvant loger de nombreux
visiteurs ; on y a "créé des .plantations et des cultures, le
domaine acquis étant d'une grande fertilité •'>. En juillet 1901,
M. Révoil, gouverneur général de l'Algérie, consentit à
donner l'autorisation temporaire d'ouvrir la plage du Kiss à
l'exportation des céréales et de Valfa en Algérie ; mais l'impor-
tation des marchandises de provenance européenne étant
interdite, on ne put établir un commerce d'échange avec les
indigènes ; d'autre part, le commerce d'exportation des
céréales à Nemours, à Oran et dans les autres ports algériens,
fut gêné par certaines mesures douanières et fiscales.
Cependant, dès l'ouverture de la plage, les Marocains, avec
lesquels avaient été établies des relations très amicales, vinrent
en toute de la plaine des Triffas, des montagnes des Béni
Snassen, des Kebdana, de la vallée inférieure de la Mlouia,
apporter de grandes quantités de blé et d'orge. Le vapeur
Zénith, affrété pour faire un service hebdomadaire entre le
Kiss et Oran, chargea en 3 mois une quantité approximative
de 20,000 quintaux de céréales, lesquelles ont trouvé
acquéreurs à des prix rémunérateurs, en raison de leur qualité
supérieure. Les blés, à la revente, ont laissé une marge de
4 francs par 100 kil., et les orges de 2 fr. 50 par 100 kil. Au
mois de septembre 1901, le Zénith n'a pu suffire au transport
(1) H., F. Caillol. La Plage du Kiss et son avenir commercial.
Sens tout.— Cf. Lettres de M. Gai'lol puljliées par la Politique Coloniale
des 27 octobre, 8 novembre et 16 novembre 1901.
38
524 LES INTERETS ECONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
des céréales importées du Kiss à Oran, et il a été secondé par
le vapeur Norma de la Compagnie Chabei* et Castanié, d'Oran.
Pour la saison 1901-1902, la quantité totale de céréales
marocaines exportées en Algérie par le Kiss peut être évaluée
à 30,000 quintaux, dont :
18.000 quintaux d'orge à 10 fr., soit environ 180.000 tV.
12.000 — de blé à 20 fr., — 240.000 fr.
Soit une valeur totale de 420.000 fr.
Pour la deuxième année, on s'attend à une exportation
double de la précédente. Il y a en outre à s'occuper au Kiss,
en février ou en mars, du bétail (moutons, bœttfs, chèi'res),
lequel peut arriver en nombre par les vallées du Kiss et de la
Mlouïa, et s'embarquer au Kiss à destination de Marseille,
Cette ou Port-Vendres. Il faut citer également les poils de
chèvre, les cuirs, les cornes, les peaux, la laine, Vhuiled'oUve,
et surtout le crin végétal dont les palmiers nains, très
nombreux iiur la plage d'Adjeroud et dans la plaine des
Triffas, peuvent fournir la matière première en grande
quantité : ce produit est très recherché dans le Nord de
l'Europe et aux Etats-Unis. En dehors de ces richesses
agricoles, la région voisine du Kiss possède d'importants
gisements de plomb argentifère, de calamine, de fer
magnétique des montagnes des Beni-Snassen, dont les
habitants verraient avec faveur la visite des ingénieurs
français. Ces gisements pourraient être reliés à peu de frais
par des chemins de fer au Kiss. De même, une voie ferrée
passant par le col de Garbous (582 mètres d'altitude) pourrait
mettre en communication avec le Kiss les gisements de plomb
argentifère de Djaber et de Gar Rouban situés au Sud d'Oudjda.
Le Kiss est le port le plus rapproché de cette ville, le
débouché naturel de la plaine des Triffas, de la région des
Kebdana, du massif des Beni-Snassen ; il paraît appelé à
supplanter Melilla en tant que débouché de la vallée inférieure
de la Mlouïa.
Si le Kiss parait appelé à un grand avenir eu (;int que
débouché commercial, son rôle paraît devoir être aussi
important en ce qui concerne la pénétration économique du
Maroc oriental. Notons que les commerçants du Kiss ont
LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC 525
obtenu en mai 1902 l'autorisation qu'ils sollicitaient d'importer
au Maroc des produits de provenance métropolitaine. Ils
réclament en outre la concession d'un bureau de douanes
autonome et d'un entrepôt réel. Ces mesures mettront le Kiss
à même de rivaliser avec MeliUa. Le commerce français, de
son côté, devra s'efforcer d'introduire au Kiss tous les
articles recherchés par les Marocains, et de satisfaire leurs
goûts, comme le font les maisons allemandes et anglaises de
Melilla. Jusqu'ici les prétentions des commerçants français,
telles que le paiement par anticipation, l'envoi à leur gré de
la marchandise, ont amené les indigènes à s'approvisionner à
Melilla où, tout en opérant au comptant, les Allemands et les
Anglais ont fait à leurs clients des prix de faveur. C'est ainsi
que Marseille qui avait expédié auparavanl par Nemours la
plupart des sucres consommés dans le Maroc oriental, s'est
vue concurrencer en 1901 par les sucres allemands vendus
par Melilla. En 1900 les raffineries marseillaises ont exporté
dans le Maroc oriental 3600 tonnes, et si quelques concessions
avaient été faites, ce chiffre aurait progressé en 1901 jusqu'à
plus de 5000 tonnes. En dehors des sucres, nous pourrions
introduire encore un grand nombre de produits : cafés, thés,
soie yège, tissus, rubans, cotonnades, lainages, porcelaines,
verres, bougies, savons, peaux brutes, outils et ouvrages en
métaux, vêtements, lingerie, matériaux de construction,
bijouterie, articles de Paris, armes et munitions, etc. Si sur la
plage du Kiss les Marocains trouvaient des marchandises
analogues à celles vendues à Melilla, et s'ils avaient la certitude
de pouvoir y écouler leurs produits, il se créerait aussitôt un
courant commercial très important.
Le développement du Kiss et ses perspectives d'avenir
ont causé une certaine inquiétude en Espagne au sujet
de Melilla. Le 17 février 1902, M. Labra, sénateur, demanda
des explications au Ministre d'Etat sur « la formation d'une
« colonie à l'embouchure du Kiss, la construction d'un
« port à cet endroit et d'un chemin de fer vers Nemours (?)
« et les tentatives faites en vue de faire déclarer le Kiss
« port franc afin de détourner de Melilla tout le conmierce
« du Maroc oriental ». Le Ministre d'Etat reconnut l'exac-
titude de ces affirmations en ce qui avait trait au port
du Kiss,- et dit que le gouverment espagnol ne pouvait y
remédier qu'en mettant Melilla en situation de soutenir cette
526 LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE AU MAROC
concurrence (1). Dans tous les cas, s'il faut admettre que
Melilla restera vraisemblablement le débouché du Rif, on
peut s'attendre à ce que le Kiss devienne le débouché de la
vallée intérieure de la Mlouïa.
En attendant la construction d'un port au Kiss et la création
de voies ferrées le mettant en communication avec Marnia ou
avec Oudjda, l'établissement d'un wharf pour l'embarquement
et le débarquement des marchandises, et la construction d'une
route carrossable entre le Kiss et Marnia par Sidi-bou-Djenan,
contribueront à hâter le développement de l'œuvre entreprise
par M. Say et ses collaborateurs. Nous sommes persuadés que
cette intéressante tentative est appelée à un brillant avenir, si
toutefois, en dehors de l'appui gouvernemental, elle obtient
le concours des commerçants et des capitalistes fran<;ais,
concours qui, dans l'esprit des fondateurs du Kiss ne pourrait
mieux se manifester que par la création d'une Société
commerciale et industrielle pour l'exploitation du Maroc
oriental.
{A suivre).
(V) La Epoca, 18 février 1902.
IVOTIOJB
SUR LA MONTAGNE DE SEL DU DJEBEL- AMOUR
Dans la partie Sud-Ouest du Djebel-Ainour(province d'Oran)
existe une « Montagne de Sel » remarqualjle et cependant très
peu connue. Elle setrouveen effet loin de toutcentre important,
aux confins du Sahara, et en dehors des routes habituelles
du Sud.
On peut s'y rendre soit de Tiaret et Allou (176 kil. deTiaret
à Atlou, et 65 kil. d'Aflou à la montagne de sel par Taouiala)
soit de Géryville (120 kil. par Stitten et Sidi-Tifour), soit de
Laghouat par Aïn-Madhi (80 kil.). La route de Laghouat à
Géryville passe à deux lieues au Nord.
La montagne de Sel du Djebel-Amour, connue dans le pays
sous le nom de Kef-el-Melah, est située sur la rive droite de
l'oued el Melah (rivière salée).
Cette rivière qui coule en toutes saisons est formée par la
réunion de l'oued Amouida et de l'oued Kbalah dont les eaux
sont déjà amères, car elles traversent quelques aflleurements
gypso-salins.
En aval, après avoir décrit de nombreuses sinuosités pour
sortir des montagnes, l'oued el Melah devient, dans le Sahara,
l'oued Zergoun dont les eaux souterraines ou de surface
conservent très loin une saveur salée.
La montagne de Sel est orientée de l'E.-N.-E. à l'O.-S.-O. Sa
longueur est d'environ 800 mètres sur une largeur moitié
moindre. Elle s'élève de 200 à 250 mètres au-dessus du lit de
l'oued dont l'altitude en ce point est approximativement
de 1.000 mètres.
L'aspect est variable suivant les saisons, mais toujours
remarquable, surtout lorsque l'on arrive par le Sud. Le voya-
geur qui est encore aux portes du Sahara ne peut s'empêcher
de corhpai'er à la région des glaciers le pittoresque paysage
qu'il a sous les yeux. Après une longue période de sécheresse,
l'ensemble a un aspect gris-cendré sur lequel tranchent les
39
528 NOTICE SUR LA MONTAGNE DE SEL DU DJEBEL-AMOUR
assises de sel et les eftlorescences Jolanches des sources salées.
Mais en hiver, ou simplement après une pluie, les marnes
vertes et roses, les roches verdàtres reprennent leurs magni-
fiques couleurs, les blocs de gypse et les bancs de quartz
brillent de tout leur éclat et le soleil illumine le tout en mettant
en relief les assises de sel gemme.
Mais si c'est pendant et après la saison des pluies et
notamment au printemps que la montagne de Sel revêt son
aspect le plus pittoresque et le plus brillant, le moment serait
mal choisi pour en faire l'ascension et l'exploration. Les argiles
et les marnes sont rendues glissantes et l'on s'exposerait à des
chutes dangereuses sur les pentes raides ; les éboulements
ne sont pas exceptionnels, et la chute des blocs a causé
quelques victimes parmi les indigènes venant faire leur pro-
vision de sel.
En été, principalemenl en août et septembre, l'humidité de la
montagne n'a pas entièrement disparu, mais la solidité du sol
est suffisante pour permettre de tenter l'ascension. Il est bon
de signaler qu'alors la région, infestée de nombreux moustiques,
est insalubre.
En raison de l'absence de fossiles dans les couches argi-
leuses intercalées, il est difficile de fixer d'une façon ferme à
quel étage appartient le sel du Djebel-Amour. On doit l'attri-
buer, croyons-nous, au Keuper ou trias supérieur.
Les montagnes voisines appartiennent au jurassique moyen
et au jurassique supérieur. A une certaine distance, reparaît
le terrain dominant du Djebel-Amour, c'est-à-dire le crétacé
inférieur avec une grande abondance de grès albiens.
Les bancs de sel du Kef-el-Melah sont d'une horizontalité à
peu près parfaite et leur épaisseur varie de quelques millimètres
à plusieurs dizaines de mètres.
Le sel. gemme que l'on retire de ces assises se présente sous
forme de blocs de grosseur variable (un à deux kilogrammes
en général), d'une teinte légèrement gris rosé, translucides,
à cassure cristalline. Suivant les points, ce sel est homogène
ou contient dans l'épaisseur même des assises une légère
proportion de substances terreuses.
Nous avons prélevé au mois de mars 1902 un certain
nombre d'échantillons de sel en ditïérents points de la
montagne. L'analyse en a été faite par M. Lecomte, pharmacien
aide-major à l'hôpital militaire de Laghouat.
NOTICE SUR LA MONTAGNE DE SEL DU DJEBEL-AJIOUR 529
Nous devons nous borner à reproduire ici quelques-unes
des conclusions de cet habile chimiste.
« Gisement principal vers le centre de la montagne.
Chlorure de sodium (Na Cl) 97ï801
Chlorure de magnésium (Mg Cl '). . . . 0 004
Sulfate de magnésie (So'' Mg) 0 070
Sulfate de chaux (So^ Ca) 0 680
Azotate de sodium (Az o^ Na) 0 00.3
Eau (H2 o) 0 612
Résidu insoluble dans l'eau 0 830
Total 100s 000
Conclusions. — Ce sel renfermant beaucoup de cldorure
de sodium et très peu de magnésie doit être considéré comme
étant de première qualité ».
Des échantillons prélevés aux deux extrémités de la
montagne ont donné des résultats différents; leur teneur en
chlorure de sodium était respectivement de :
04.478 o/o à l'extrémité Est de la montagne (aval)
9Û.698 o/o — Ouest — (amont)
Ces deux échantillons contenaient très peu de magriésie
(0.036 et 0.018 p. 100), mais une certaine proportion de
matières insolubles dans l'eau (3 g. 192 et 5 g. 150 pour 100.
Au contraire, un échantillon prélevé à une certaine altitude
sur le flanc de la montagne, en un point inexploité et
actuellement inexploitable, a donné le résultat suivant bien
digne de remarque :
« Chlorure de sodium 99b'900
Matières insolubles 0 100
TOT AI lOOïOOO
Conclusion. — Ce sel est presque chimiquement pur ».
(Lecomte).
Les autres roches i" qui entrent dans la composition des
(I) Des écliantillons minéraux recueillis par nous dans la montagne
de sel du l.ijebel-Amour ont été remis à M. Ficheur, directeur-adjoint du
Service de la Carte géolotcique de l'Algérie à Al^er, par l'intermédiaire
de M. Uoumergue d'tJran, attaché à ce Service (19UI) et de M. Augustin
Bernard (19U2).
530 NOTICE su H LA MONTAGNE DE SEL DU DJEBEL-AMOUR
assises du Kef-el-Melah sont : des marnes vertes et rosées, du
gypse en cristaux trapéziens, de la diorite (roche basique
formée de feldspath, d'amphibole et de mica noir), de l'ophite
(intermédiaire entre les roches cristallines et les roches
mixtes), enfin des cargneules ou dolomies caverneuses.
L'action des eaux, souterraines et de surface, mérite de
retenir un instant l'attention.
A l'extérieur, le Kef-el-Melah est profondément raviné
sous l'influence des agents atmosphériques. La montagne est
comme o décharnée » creusée de rigoles parallèles ou conver-
gentes encombrées de débris rocheux et d'éboulis. D'énormes
blocs de diorite et d'ophite se rencontrent au pied de la
montagne et jusque sur la riv-e gauche de l'oued.
Les eaux qui s'infiltrent à travers les couches supérieures
produisent dans les assises de sel et surtout vers la base de la
montagne des phénomènes de dissolution. Il en résulte des
effondrements elliptiques ou circulaires plus ou moins
profonds, analogues aux « bofias » de la montagne de sel de
Cardona (Espagne). En certains points et notamment vers le
milieu de la longueur du Kef-el-Melah, cette dissolution
progressive a amené la formation d'un ravin très encaissé,
d'une largeur de un à deux mètres avec des parois verticales
hautes d'une cinquantaine de mètres. Si l'on suit ce ravin —
ce qui n'est pas toujours sans danger — on trouve dans la
profondeur de véritables « ponts de sel ».
On y voit actuellement une petite grotte au centre de
laquelle un homme peut se tenir debout. De la voijte pendent
de véritables stalactites de sel formées, comme dans les
cavernes calcaires, par les infiltrations qui traversent les
couches supérieures.
11 sort de ce ravin une « source » permanente formée en
réalité d'une série de suintements et d'un débit variant, suivant
les saisons, entre 5 et 20 litres par seconde.
Un échantillon de cette eau, prélevé par nous le 18 mars
1902 (température de l'eau 13" 8 — température ambiante à
l'ombre 21<'('), a été analysé par M. Lecomte et a donné les
résultats suivants :
(1) Le 21 août 1902, nous avons noté : température de l'eau à la scurco
I9°2 — température ambiante à l'ombre 3G°5.
NOTICE SUR LA MONTAGNE DE SEL DU DJEBEL- AMOUR 531
« Caractères orgcinoleptiques. — Eau très limpide, incolore,
de saveur très saline sans amertume, se conservant très bien.
Réaction neutre
Degré hydrotimétrique total 292o5
Cette eau contient par litre :
Chlorure de sodium 292b'500 <')
Sulfate de soude 0 029
Sulfate de magnésie 1 243
Sulfate de chaux .... 4 896
L'évaporation de cette eau donnerait un sel renfermant peu
de composés magnésiens et qui ne serait pas amer ».
Le cours du ruisseau issu de la source est recouvert d'une
couche épaisse de sel déposé par l'évaporation partielle. Ce sel
est très blanc, mamelonné à la surface supérieure et assez
résistant pour ne pas céder sous le poids du corps. Ces sortes
d'eftlorescences pourraient fournir un sel très blanc et très
exploitable. Les indigènes ne les utilisent pas, sous prétexte
que les blocs de sel gemme sont plus faciles à transportera
dos de chameau.
La composition de ce sel déposé par évaporation montre
qu'il contient, pour 100 grammes :
Chlorure de sodium 96b'847.5
Chlorure de magnésium. 0 173
Sulfate de chaux 1 167 (Lecomte).
D'autres sources moins importantes et qui, pour la plupart,
tarissent en été, apparaissent sur les rives de l'oued el Melah,
en formant de véritables cascades de sel.
Il va sans dire que si l'eau de ces différentes sources était
recueillie dans des bassins d'évaporation, on pourrait en
retirer une grande quantité d'un sel excellent, ainsi que le
montrent bien les analyses précédentes.
(1) Il n'est pas sans intérêt de rappeler ici la composiiion des eaux
clilorurées-sodiqiies les plus connues de la France et de l'Etranger. —
Bourbonne-les-Bains : 5 gr. 8 de chlorure de sodium par litre. —
Balaruc: 7 gr. 01.— Salins (.Jura) 22 gr. 745.— Salies de Béarn : 22 gr. 9.
— Salins-Moustiers : 16 gr. 22. — Ilammam Mélouane : 36 gr. 069. —
Kreuznach : !l gr. 520. — Kissingen : 5 gr. «22. — Niederbronn : 3 gr. 088.
— Nauheïra 1 1 y:\.\ — Saizungen : 256 gr. — Wiesbaden : 5 gr.
532 NOTICE SUR LA MONTAGNE DE SEL DU DJEBEL-AMOUR
Les indigènes font l'extraction du sel gemme dans les
grandes assises et en des points généralement voisins des
sources. Chacun de ces endroits porte le nom de Bit-el-Melah
(chambre de sel).
Les indigènes du Djebel-Amour emploient tous pour leur
alimentation le sel du Kef-el Melah. Celui qui se vend sur le
marché d'Aflou n'a pas d'autre origine ; son prix brut est
d'environ 0 fr. 05 à 0 fr. 10 le kilog. Les tribus nomades le
transportent jusqu'à Laghouat et Ghardaïa. Les tribus du cercle
de Ciéryville jusqu'à Stitten, viennent aussi s'approvisionner au
Kef-el-Melah ; les autres tribus de ce cercle se fournissent au
Keragda, au Sud de Géryville. A l'Est du Djebel-Amour les
indigènes s'approvisionnent au Djebel Sahari ou Rocher de Sel
de Djelfa'i'.
Pendant l'iiiver et le printemps, la région du Kef-el-
Melah est relativement fréquentée par les indigènes au cours
de leurs migrations entre le Sahara d'une part et les Hauts-
Plateaux ou le Djebel-Amour de l'autre. Les Arabes ne
savent pas, en médecine humaine, utiliser les sources salées,
mais ils affirment guérir rapidement la gale des chevaux
et des chameaux par des lavages avec l'eau de l'oued el
Melah. Cette eau est utilisée également pour le tannage des
peaux .
De temps à autre, les troupeaux de moutons et de chameaux
sont mis, pendant une période de quelques semaines, au
pâturage dans la région voisine ou dominent les plantes salées
et notamment le guetaf (Atriplex Halimus). A ce régime,
d'après les indigènes, le lait devient meilleur et plus abondant,
la laine des moutons plus épaisse, le poil des chameaux
plus luisant.
(I) La composilioa du sel du Dj bel Pahai'i est la suivacte :
Chlorure de sodium 96" 475
— de magnésium 0 020
— de calcium 0 212
Sulfate de chaux 1 745
Matières insolubles dans l'eau 0 616
Eau et matières organiques 0 032
Tolal lOi.'UliO
(Pharmacien-Major Gulllol)-
NOTICE sua LA MONTAGNE DE SEL DU DJEBEL-AMOUR 533
Le Kef-el-Melah, mieux connu et surtout pourvu de voies de
communication, pourra sans doute quelque jour être l'objet
d'une exploitation régulière. Peut-être même les eaux de ses
sources, dont la composition chimique est supérieure à celle de
la plupai't des eaux minérales chlorurées sodiques les plus
réputées, seront-elles utilisées en médecine.
Quoiqu'il en soit la montagne de Sel du Djebel-Amour méri-
terait d'être moins ignorée, car elle est certainement une des
merveilles naturelles de l'Algérie.
Atlou, 30 septembre 1902.
D-- ROMARY,
Médecin-Major de 3^ Classe,
uréat de l'Académie de Médecine,
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STATION METEOROLOGIQUE
DE SANTA-CRUZ DORAN
Altitude: 374 mètren
EXPOSE SOMMAIRE
des résultats obtenus du i""" juin au i^'' décembre 1902, avec une
étude comparative avec les résultats obtenus à l'hôpital militaire
(altitude, 51 m.) pendant la même période.
Les observations relevées pendant ces six mois confirment
les résultats indiqués dans le bulletin de juin 1902 : A Santa-
Cruz l'évaporation nocturne l'emporte toujours sur l'éva-
poration diurne ; il n'en est pas toujours ainsi à l'hôpital
militaire. Toutefois l'évaporation au fort, jour et nuit, est
toujours supérieure à l'évaporation à l'hôpital. Deux résultats
généraux peuvent être considérés comme acquis : 1» une plus
grande évaporation la nuit que le jour dans les deux stations
contrairement aux idées admises pour les stations météoro-
logiques algériennes ; 2° une évaporation toujours plus grande
au sommet du Murdjardjo qu'à ses pieds.
Les tableaux suivants faisant connaître les moyennes de
l'intensité du vent, de la tension de la vapeur d'eau et de l'état
hygrométrique donnent une explication des résultats obtenus
pendant ces six mois :
ANÉMOLOGIE (0 à 10)
Santa-Cruz 3,3 ; 3,3 ; 3,1 ; G,3 ; 5,2 ; 5,6.
Hôpital militaire. 1,6; 3,3; 1,8; 3,9; 4,1; 5,1.
TENSION DE LA VAPEUR D'EAU (en ■"/ai)
Santa-Cruz -11,8; 16,6; 13/1; 15,1; 10,9; 9,4.
Hôpital militaire. 13,1; 17,3; 18,7; 15,5; 12,2; 11,0.
40
536 SEMESTRE MÉTÉOROLOGIQUE
ÉTAT HYGROMÉTRIQUE (0 à 100)
Santa-Cruz 53,1; 60,3; 56; 64,7; 62,1; 66.
Hôpital militaire 71 ; 73 ; 73 ; 73 ; 75 ; 77.
L'évaporation constatée est la vaporisation de l'eau retenue
sur la surface de la terre parce que l'air ambiant n'est jamais
complètement saturé d'iiumidité ainsi que le constate l'état
iiygrométrique e qui est le rapport entre la tension de la
vapeur d'eau / dans l'air à la tension maximum i^ à la même
tempéi'ature (e=-p-). Ce qui est assez rationnel, les écarts de
températures entre les deux stations sont insigniliants
comme le constate le tableau donné dans cette note. On peut
donc considérer F, identique pour les deux stations. Or /' est
plus élevé à l'hôpital militaire qu'à Santa-Cruz, par conséquent
l'état hygrométrique e doit varier dans le même sens; c'est ce
qui vérifient les observations. D'après une loi de la
physique l'évaporation est proportionnelle à la différence
entre /"et F : or la différence '-f, comme on vient de le voir,
est plus faible à l'hôpital militaire qu'à Santa-Cruz, l'éva-
poration doit donc y être aussi plus faible. C'est ce que
prouvent les résultats.
Une deuxième loi de l'évaporation fait connaître qu'elle
varie en raison inverse de la pression de l'air ambiant. Une
troisième loi indique que l'évaporation est activée par
l'agitation de l'air extérieur. L'altitude plus élevée de Santa-
Cruz, l'agitation de l'air plus grande, sont donc les causes qui
font que l'évaporation est relativement plus forte en haut
qu'au bas de la montagne.
Pour terminer cette étude il faut faire constater que les
températures des deux stations sont à peu près identiques
pour pouvoir dire que la tension maximum de la vapeur d'eau
est à peu près la même dans les deux stations.
MOYENNES MENSUELLES DES MINIMAS
Santa-Cruz (juin à 1" décembre 1902) . . l.j.l ; 19,3; 20,ô; 17,7; 14,0; 12,1.
Hôpital militaire — .. 1G,2 ; 20,6; 21,1; 18,9; 31,2; 11,2.
id. (moyenne de 20 années) .. . 17,7; 20,4; 21,2; 19,3; 15,3; 11,4.
MOYENNES MENSUELLES DES MAXIMAS
Sanla-Croz (juin à 1" décembre 1902).. 25,6; 31,6; 34,1; 27,6; 23,5
Hôpital militaiie — . . 25,0 ; 29,2 ; 30,8 ; 27,1 ; 23,4
id. (moyenne de 20 années) . . 25,6; 28,1; 28,4; 26,2; 22,4
20,5.
20,6.
18,8.
SEMESTRE MÉTÉOROLOGIQUE 537
TEMPÉRATURES MOYENNES MENSUELLES
Sanla-Cii
z (juin à 1" décembre 1902;.
. 20,3 ;
25,4;
27,3;
22,6;
18,7;
16,3
Hôpital iriilitair
e —
20.6;
24,9;
25,9 ;
23,0 ;
18,3;
15 9
id.
(iiioycnne île 20 années) . . .
21,1;
21.2;
2i,8;
22,7;
18,8;
15,1
Ces résultats permettent de constater que pendant la
période estivale les miniii?as ont été plus faibles et les maximas
plus élevés à Santa-Cruz qu'à l'hôpital militaire où, par
conséquent, la variation diurne de température ont été plus
faible ; est que pendant celte même période estivale la
température a dépassé la moyenne.
Il a été aussi constaté que la quantité de pluie tombée est
plus faible à Santa Cruz qu'au bas de la montagne.
A. GUILLAUME,
Préparateur de physique
et de chimie au Lycée d'Oran.
OUVRAGES OFFERTS A LA SOCIETE
EN 1902
Ministère de l'Intruetion publique. — Paul Monceaux : Histoire
littéi'aire de l'Afrique Chrétieune depuis les origines jusqu'à
l'invasion arabe (deux volumes).
Robert de Lasteyrie. — Tome III, i' livraison, de la bibliogra-
phie des travaux historiques et archéologiques.
A. Clément Fallu de Lessert. — Fastes des provinces africaines
sous la domination romaine (tome II, 2° part e.) Bas empire.
Gouvernement général de l'Algérie — M. Varnier : Rapport sur
les opérations des Sociétés indigènes de prévoyance de
secours et de prêts mutuels des communes de l'Algérie
pendant l'exercice 1900-1901 . — Tableau général des communes
de l'Algérie. — Situation au 1" novembre 1902.
Régence de Tunis. — Paul Gauckler : Enquête sur les installations
hydrauliques romaines en Tunisie (tome II, 1" partie.
Direction des Antiquités et des Beaux-Arts — Compte-rendu
de la marche du Service en 1901.
M. G.-B.-M. Flamand. — Sur la position géographique d'In-Salah,
oasis de l'Archipel touatien (Tidikelt), Sahara central.
M. G -B.-M. Flamand. — Sur l'existence de gisements de nitrates
dans l'Archipel touatien (Gourara, Touat, Tidikelt).
M. G.-B.-M. Flamand. — Hadjrat Mektoubat ou les pierres
écrites. — Première manilestation artistique dans le Nord africain
M. G.-B,-M. Flamand — Les pierres écrites (Hadjrat Mektoubat)
du Nord de l'Afrique et spécialement de la région d'In Salah.
M. G.-B.-M. Flamand. — Sur le régime hydrographique du
Tidikelt (Archipel touatien), Sahara central.
M. G.-B.-M. Flamand. — Sur la présence du terrain cailionifè.re
dans le Tidikelt (Archipel touatien), Sahara.
M. G.-B.-M. Flamand. — Sur la présence du Dévonieu inférieur
dans le Sahara occidental (Bas-Touat et Tidikelt, archipel
touatien).
D' C.\rton. — Le théàt-'e romain de Dougga.
D' Carton. — Panthères bachiques affrontées sur un bas-relief
de l'Afrique du Nord.
OUVRAGES OFFERTS A LA SOCIÉTÉ 539
D' Carton. — Réflexions sur les inscriptions d'Aïn-Ouassel et
d'Enchir-Mettich.
D' Carton. — Annuaire d'épigraphie africaine (1901-1902).
G. GuYon. — Un Nouveau Planétaire.
D' Martin Grosse. — Dei beiden Afrikaforscher Johann Ernst
Hebenstreit und Christian Gottlieb Ludvvig ihr Leben und
ihre Reise.
Don Antonio Blazquez. — Via Romana de Tanger à Cartago.
Albert Cousin. — Tanger.
Victor Gross. — Les Protohelvètes ou les premiers colons sur
les bords des lacs de Bienne et Neuchàtel.
M. Jacquot. — Notes diverses d'ethnographie
Paul AzAN. — Annihal dans les Alpes.
D' Bertholon. — L'année anthropologique Nord-Africaine
D' MoNGEOT. — La va'ccine en Cochinchine et les idées chinoises
sur la variole et la variolisation.
Louis Gentil. — Esquisse stratigraphique et pétrographique du
Bassin de la Tafna (Agérie).
Gustavo NiEDERLEiN — Ressources végévales des Colonies
françaises.
Georges Bruel. — L'occupation du Bassin du Tchad La région
du Haut-Chari.
Guillaume Grandidier. — Une mission dans la région australe
de Madagascar en 1901.
C. René-LECLERC. — Monographie géographique et historique de
la commune mixte de la Mina (Département d'Oran).
Augustin Bernard. — Revue bibliographique des travaux sur la
géographie de l'Afrique septentrionale (5* année).
M. E.-A. Martel. — Sur les récentes explorations souterraines
et les progros de la spéléologie. (Neut brochures).
Arthur de Claparède. — Le xxiii" Congrès géographique français
et le Millénaire de la Ville d'Oran.
Arthur de Claparède. — A propos de l'itinéraire d'Annibal dans
les Alpes
Musée Guimet — G. Legrain et Ed. Naville: L'aile nord du
pylône d'Aménophis m à Karnak. (Annales, tome xxx,
1" partie).
Al. Gayet. — L'exploration des nécropoles gréco-bysantines
d'Antinoé. (Annales, tome sxx , 2" partie). — Revue de
l'Histoire des Religions (Fascicules 1 et 2 du tome xlv).
Alexandre Bén.vzet. — Le Théâtre au Japon, ses rapports avec
les cultes locaux.
540
OUVRAGES OFFERTS A LA SOCIÉTÉ
L. de MiLLODÉ. - Conférences au Musée Guimet (tome xii)
Congrès des Sociétés savantes. - Discours prononcés à" h
Séance générale du Congrès, le samedi 5 avril 1902, par M Vidal
de La Blache et M. Bouquet de La Grye.
Société de Géoyraphie Commerciale de Paris.- Henri C^stonnet
DES Fosses : L'Inde française au xvni» siècle.
Socim de Géographie de l'Est. - Congrès National des Sociétés
Irançaises de géographie, xxir session, Nancy.
Groupe Colonial de la Conférence Ramgnan, Bordeaux. Son but
son organisation, ses travaux - Exposition Hanoï 190-'
Société des Etudes Indo-Chinoises de Saigon. _ Monographie de
la province d'Hà-Tièn. _ Monographie de la province de Gia-
Umh - Monographie de la province de My-Tho. - Mono-
graphie de la province de Bà-Ria et de la ville du Cap Saint-
Jacques. — Monographie de la province de Chàu-Dôc.
Société de Géographie italienne de Rome - L. Van.nutelli et
OrientlL"'*'' ~ " " ^'''^^''° '^' ^^P'°'~«^i°"e nell'Africa
Société de Géographie de Bucharest— Dictionar géografic. -
Vol. V. fasc. II, ni et iv.
Musée iXational de Rio-de-Janeiro. - Archives (volumes x etxi).
C A RT
Algérie.- Carte Géologique de l'Algérie au '-- -
" 800.000-
C.«TE Géologique. - Carte Géologique de Beni-Sal au ' —
50.000»
Direction. - Carte Géologique de Constantine au '
50. 000-
LA VIE COLONIALE
Revue de la Colonisation, du Commerce et de l'Industrie
Le numéro de Janvier 1903 de la Vie Coloniale paraît aug-
menté de 4 pages et sous couverture en couleur. Il renferme
parmi un grand nombre d'articles intéressants et des notes
pratiques : un document du général Galliéni sur Madagascar,
une étude intitulée « Comment on devient colon » et un récit
de l'explorateur Mizon.
Il contient en outre la liste des emplois vacants aux co. onies
ainsi que de nombreuses photographies.
Envoi de cet important numéro contre 50 centimes en
mandat ou timbres-poste adressés à M. Henri Cyral, directeur,
23, passage Legendre, Paris.
JUL / 1^0/
DT Société de géographie et
o«loo ^;^^^^e°l°gie de la province
083622 d'Oran
t. 22 ^ Bulletin trimestriel de
géographie et d'archéologie
1
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